Fuites de Capitaux Et Flux Illicites en Afrique PDF
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LE DÉVELOPPEMENT
VELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE
OMIQUE EN
Rapport 2020
C O N F É R E N C E D E S N AT I O N S U N I E S S U R L E C O M M E R C E E T L E D É V E L O P P E M E N T
Genève, 2020
© 2020, Nations Unies
Tous droits réservés dans le monde entier
Publication des Nations Unies publiée par la Conférence des Nations Unies
sur le commerce et le développement.
UNCTAD/ALDC/AFRICA/2020
ISBN : 978-92-1-112983-0
eISBN : 978-92-1-005045-6
ISSN : 1990-5092
eISSN : 1990-5106
Numéro de vente : F.20.II.D.21
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Remerciements
Le Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique : Les flux financiers
illicites et le développement durable en Afrique a été élaboré par Junior Davis (chef
d’équipe), Milasoa Cherel-Robson, Claudia Roethlisberger (jusqu’au 31 décembre
2019), Carlotta Schuster et Anja Slany, avec l’aide de Héléna Diffo, Léo Picard et
Gang Zhang. Des notes d’information sur des points précis ont été établies en vue du
rapport par Alexander Ezenagu (Université Hamad Bin Khalifa), Samuel Gayi (consultant
international), Martin Hearson (Centre international pour la fiscalité et le développement,
Institute of Developement Studies, Université du Sussex) et Detlef Kotte (Hoschule für
Technik und Wirtschaft Bzrlin − Université de sciences appliquées). Les travaux ont été
menés à bien sous la supervision générale de Paul Akiwumi, Directeur de la Division de
l’Afrique, des pays les moins avancés et des programmes spéciaux de la CNUCED.
Un groupe spécial d’experts s’est réuni à Genève, les 11 et 12 décembre 2019, sur le
thème des flux financiers illicites et du développement économique durable en Afrique,
afin de procéder à un examen collégial du rapport. Il était composé de spécialistes
de la fiscalité, du commerce, du financement et de la modélisation des flux financiers
illicites en Afrique. Les personnes suivantes ont participé à la réunion et/ou contribué
au rapport : Laila Abdul Latif (Université de Nairobi), Elisabeth Bürgi Bonanomi (Centre
for Development and Environment, Université de Berne), Gilles Carbonnier (professeur
à l’Institut des hautes études internationales et du développement, Genève), Rebecca
Engebretsen (Organisation de coopération et de développement économiques), Uzumma
Marilyn Erume (Commission économique pour l’Afrique de l’ONU), Alexander Ezenagu
(Université Hamad Bin Khalifa), Gang Zhang (Institut des hautes études internationales
et du développement, Genève), Martin Hearson (Centre international pour la fiscalité et
le développement, Institute of Development Studies), Rahul Mehrota (Institut des hautes
études internationales et du développement, Genève), Markie Muryawan (Département
des affaires économiques et sociales de l’ONU), Irene Musselli (Centre for Development
and Environment, Université de Berne), Léonce Ndikumana (professeur à Université
de Massachusetts-Amherst), Joy Ndubai (Université d’économie et de commerce de
Vienne) et Kathy Nicolaou-Manias (consultante en administration, Argent Econ Consult).
Des membres de l’équipe du Rapport sur le développement économique en Afrique ont
également participé à la réunion.
iv
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les fonctionnaires de la CNUCED ci-après ont participé à la réunion et/ou ont formulé
des observations sur le projet de rapport : Céline Bacrot, Lisa Borgatti, Fernando
Cantu-Bazaldua, Stefanie Garry, Janvier Nkurunziza, Patrick Osakwe, Matfobhi Riba,
Yvan Rwananga, Antipas Touatam, Rolf Traeger, Elisabeth Tuerk, Giovanni Valensisi et
Anida Yupari.
v
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Note
Des données détaillées par pays peuvent être obtenues sur demande auprès du
secrétariat de la CNUCED.
vi
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
INTRODUCTION
Les flux financiers illicites sont un problème que partagent les pays développés
et les pays en développement 1
I. Les flux financiers illicites dans le discours multilatéral 4
II. Les contours conceptuels des flux financiers illicites dans le Rapport 2020
sur le développement économique en Afrique 9
III. Objectifs et structure du Rapport 2020 sur le développement économique
en Afrique 11
CHAPITRE 1
Flux financiers illicites et développement durable : définitions
et cadre conceptuel 15
1.1 Les flux financiers illicites au sens du rapport 18
1.2 Quelques-unes des sources de flux financiers illicites 24
1.3 Déterminants des flux financiers illicites 28
1.4 Les flux financiers illicites et le Programme de développement durable
à l’horizon 2030 31
Annexe
Coût annuel estimatif des flux financiers illicites en provenance d’Afrique
et du monde (différentes années) 44
CHAPITRE 2
Estimation de l’ampleur des flux financiers illicites liés aux exportations
de produits extractifs de l’Afrique 47
2.1 Quantifier les pertes : problèmes méthodologiques soulevés
par l’estimation des flux financiers illicites 49
2.2 Afrique : analyse empirique des écarts observés dans les données miroir
du commerce bilatéral de produits primaires 57
ix
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
CHAPITRE 3
Déterminants mondiaux des flux financiers illicites 93
3.1 Les fondements principaux du système fiscal international 95
3.2 Quelques mécanismes de fraude fiscale, d’évasion fiscale
et de blanchiment d’argent 98
3.3 Les acteurs mondiaux du réseau de fraude fiscale, d’évasion fiscale
et de blanchiment d’argent 107
3.4 Mouvement pour la justice fiscale 110
3.5 Observations finales 116
CHAPITRE 4
Environnement réglementaire dans lequel s’inscrivent les flux financiers illicites,
en particulier dans certains secteurs 119
4.1 Opacité des données sur les chaînes de valeur et cas particulier
du secteur extractif 121
4.2 Flux financiers illicites et cadre réglementaire du secteur extractif
en Afrique 123
4.3 Quelques autres secteurs à risque élevé de générer des flux
financiers illicites 128
4.4 Réglementations transversales applicables à la lutte contre les flux
financiers illicites 132
4.5 Prépondérance du bilatéralisme 135
4.6 Inégalités profondes dans le système économique international 140
4.7 Observations finales 145
CHAPITRE 5
Quantifier l’incidence des flux financiers illicites sur le développement durable 147
5.1 Circuits d’effet des FFI : difficultés empiriques et méthodologie 149
5.2 Corrélation des flux financiers illicites avec de moins bons résultats
sur le plan du développement durable 157
x
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
CHAPITRE 6
Mobilisation des ressources intérieures et financement de la réalisation
des objectifs de développement durable 173
6.1 Flux financiers illicites et recettes publiques en Afrique 175
6.2 Comment les flux financiers illicites compromettent la réalisation
des objectifs de développement durable 178
6.3 La réduction des flux financiers illicites peut aider à financer la réalisation
des objectifs de développement durable 183
6.4 Le cas particulier des besoins en financement liés aux changements
climatiques et les flux financiers illicites 186
6.5 Initiatives visant à favoriser la mobilisation de ressources intérieures
et à contrer les flux financiers illicites 189
6.6 Moyens d’action pour faire face aux flux financiers illicites : étude de cas
du Nigéria 195
6.7 Conclusion 201
CHAPITRE 7
Recommandations 205
7.1 Principales conclusions 207
7.2 Renforcer la participation de l’Afrique à la réforme de la fiscalité
internationale 209
7.3 Intensifier la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent 213
7.4 Investir dans l’infrastructure de données et la transparence des données
(y compris les données ventilées par sexe) 214
7.5 Renforcer les cadres réglementaires au niveau national grâce
à une approche multiple 216
7.6 Consacrer davantage de ressources au recouvrement des avoirs volés 218
7.7 Protéger et appuyer les organisations de la société civile,
les dénonciateurs d’abus et les journalistes d’investigation 219
xi
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
RÉFÉRENCES 226
xii
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
FIGURES
1. Cadre conceptuel du Rapport sur le développement économique
en Afrique 2020 17
2. Catégories de flux financiers illicites 22
3. Exportations par groupe de produits (2000-2018) 59
4. Somme des écarts entre les données miroir du commerce bilatéral
par groupe de produits 65
5. Part des exportations des produits de l’échantillon dans les exportations
totales (2000-2018) 66
6. Écart annuel moyen entre les données miroir du commerce bilatéral
intra-africain (2000-2018) 68
7. Écart entre les données miroir du commerce bilatéral intra-africain
(2000-2018) 69
8. Écart annuel moyen dans les données miroir du commerce bilatéral
extracontinental (2000-2018) 72
9. Écart entre les données miroir du commerce extracontinental des pays
africains (2000-2018) 73
10. Ouganda et Émirats arabes unis : exportations et importations d’or 79
11. Madagascar : écart entre les données miroir du commerce bilatéral
et prix des produits 80
12. Cadre juridique et réglementaire du secteur minier en Afrique 124
13. Afrique de l’Ouest : nombre de rapports reçus sur des transactions
suspectes et score selon l’indice des infractions liées aux ressources
non renouvelables, 2018 163
14. Le triptyque eau-énergie-alimentation dans le contexte de l’extraction
de ressources 165
15. Sous-facturation des exportations de produits de base et indice
de performance environnementale, 2018 167
16. Afrique : productivité du travail dans le secteur agricole en fonction
du niveau estimé de la fuite des capitaux 169
17. Pays africains : principales sources des recettes publiques 176
18. Fuite des capitaux et pertes dues à l’évasion fiscale, taux médian
par région, 2013-2015 178
19. Afrique : dépenses totales de santé et d’éducation, montant médian
selon l’importance des fuites des capitaux 179
20. Projections concernant la réalisation de la cible 3.2, selon l’importance
des fuites des capitaux et par région 181
xiii
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
TABLEAUX
1. Typologie des résultats des écarts observés dans les statistiques miroir
du commerce bilatéral 52
2. Tableau récapitulatif des montants estimatifs des flux financiers illicites
par pays 56
3. Afrique : chiffres estimatifs des flux financiers illicites liés au commerce
établis dans quelques études 61
4. Statistiques descriptives : commerce mondial, extracontinental
et intra-africain et écarts entre les données miroir (2000-2018) 64
5. Coûts de transport et d’assurance par groupe de produits (2000-2018) 83
6. Représentation africaine dans les instances fiscales internationales
(septembre 2019) 115
7. Exemples de clauses fiscales figurant dans des contrats miniers conclus
en République démocratique du Congo, au Ghana et en Guinée 126
8. Fuite des capitaux et dépendance à l’égard des ressources naturelles :
groupes de pays 154
9. Résultats des régressions pour l’estimation des effets fixes : productivité
intersectorielle totale, 2000-2015 156
xiv
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
ENCADRÉS
1. La mesure des flux financiers illicites aux fins de l’indicateur 16.4.1
relatif aux objectifs de développement durable 23
2. Zambie : analyse de l’asymétrie des données miroir du commerce
bilatéral du cuivre 74
3. La mesure des flux financiers illicites aux fins de l’indicateur 16.4.1
relatif aux objectifs de développement durable 105
4. Imposition des plus-values : cas du différend entre l’Ouganda
et une société koweïtienne de télécommunications mobiles 130
5. Estimer les effets marginaux des flux financiers illicites sur la productivité
intersectorielle du travail 154
FIGURES D’ENCADRÉS
2.1 Écart entre les données miroir du commerce bilatéral : exportations
de cuivre de la Zambie (hors exportations à destination de la Suisse) 75
2.2 Écart entre les données miroir du commerce bilatéral : exportations
de cuivre de la Zambie (tous marchés de destination) 76
2.3 Écart entre les données miroir du commerce bilatéral : exportations
de cuivre déclarées par la Zambie et importations de cuivre de Zambie
déclarées par le reste du monde 77
xv
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Avant-propos
Partout, la perte de confiance dans le multilatéralisme amoindrit les chances que la
mondialisation produise une société plus durable et plus juste. La prise de conscience
grandissante de l’ampleur et du coût des flux financiers illicites fait de plus en plus
douter du pouvoir de l’action collective par rapport aux mesures unilatérales. C’est dans
ce contexte que le Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique de la
CNUCED se penche sur la relation entre les flux financiers illicites et le développement
durable en Afrique. Les flux financiers illicites − échanges transfrontaliers de valeur,
monétaire ou autre, qui est illégalement perçue, transférée ou employée − coûtent
aux pays africains une cinquantaine de milliards de dollars par an, bien plus que
l’aide publique au développement que le continent reçoit chaque année. Les pays
développés et les pays en développement partagent le problème et la responsabilité
des flux financiers illicites ; les conséquences économiques de ces flux constituent un
enjeu de taille pour le développement dans le monde entier, encore plus dans les pays
africains, dont les perspectives de développement durable reposent essentiellement sur
la réalisation d’investissements massifs.
Les flux financiers illicites privent le trésor public des ressources nécessaires au
financement des dépenses de développement. Les conclusions du rapport confirment
que ces flux financiers sont considérables en Afrique et ne cessent de croître avec le
temps. Réduire les flux financiers illicites est donc un moyen de doter les pays africains
de fonds supplémentaires pour exécuter l’Agenda 2063 et atteindre les objectifs de
développement durable. Notre objectif est de trouver des solutions en luttant contre
l’hémorragie fiscale que ces flux illicites provoquent, grâce au renforcement des politiques
nationales, des cadres réglementaires, de l’infrastructure des données, des capacités
institutionnelles et des ressources humaines. Les pays africains ont également besoin
xvi
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Le multilatéralisme a un rôle clef à jouer en réduisant les flux financiers illicites, dont les
effets sont néfastes, et en encourageant une plus forte participation des pays africains
à la gouvernance mondiale. Au-delà des multiples résolutions que l’Organisation
des Nations Unies a adoptées sur ces flux illicites, de récentes initiatives comme la
création d’un groupe de haut niveau sur la responsabilité, la transparence et l’intégrité
financières permet d’espérer que des mesures plus concrètes seront prises pour
accorder davantage d’attention aux flux financiers illicites et accroître les capacités
des autorités fiscales en Afrique. S’appuyant sur cette initiative et sur d’autres, telles
que le rapport Mbeki (2015) qui a fait date, le Rapport 2020 sur le développement
économique en Afrique inscrit ses recommandations dans le contexte plus large de la
Zone de libre-échange continentale africaine, qui est un nouvel espoir pour le continent
et une occasion de réécrire l’histoire.
À l’heure où les pays ont du mal à répondre à l’urgence sanitaire mondiale provoquée
par l’épidémie de maladie à coronavirus 2019, les pays africains qui sont déjà affaiblis
par les flux financiers illicites ont devant eux une route semée d’embûches car la
pandémie mondiale entraîne un essoufflement de la demande d’exportations africaines,
au risque de provoquer un sérieux ralentissement. Nous espérons que dans le cadre de
la phase préparatoire de la quinzième session de la Conférence des Nations Unies sur
le commerce et le développement qui doit se tenir à la Barbade, les éléments factuels
et les recommandations figurant dans le rapport contribueront à améliorer les politiques
destinées à remédier à l’ampleur et à l’impact des flux financiers illicites, jetant ainsi les
bases d’une Afrique plus forte et résiliente à même de surmonter les obstacles actuels
et à venir.
Mukhisa Kituyi
Le Secrétaire général de la CNUCED
xvii
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Abréviations
ATAF Forum africain sur l’administration fiscale
APD Aide publique au développement
BAfD Banque africaine de développement
BEPS Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices
CAF Coût, assurance et fret
CCNUCC Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques
CEA Commission économique pour l’Afrique de l’ONU
CPIA Évaluation des politiques et des institutions du pays
FFI Flux financiers illicites
FMI Fonds monétaire international
IED Investissement étranger direct
ICTD Centre international pour la fiscalité et le développement
ITIE Initiative pour la transparence dans les industries extractives
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
OECE Organisation européenne de coopération économique
OMC Organisation mondiale du commerce
OMD Organisation mondiale des douanes
ONUDC Office des Nations Unies contre la drogue et le crime
ONU-Femmes Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et
l’autonomisation des femmes
PIB Produit intérieur brut
PNUD Programme des Nations Unies pour le développement
StAR Initiative pour le recouvrement des avoirs volés
xviii
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
xix
Introduction
Les flux financiers
illicites sont un
problème que partagent
les pays développés
et les pays en
développement
L’année 2020 marque un tournant historique pour l’Afrique
et pour le multilatéralisme. Tandis que de nombreux
pays africains célèbrent le soixantième anniversaire de
leur accession à l’indépendance du pouvoir colonial, le
continent fait un pas important dans la concrétisation des
promesses des années 1960 sous la forme de la Zone de
libre-échange continentale africaine (ZLECAf), dont l’entrée
en vigueur prévue le 1er juillet 2020 a dû être retardée en
raison de l’épidémie de maladie à coronavirus 2019. La
ZLECAf constitue une étape historique sur la voie d’une
intégration et d’une prospérité accrues. L’année 2020
marque également la célébration du soixante-quinzième
anniversaire de la fondation de l’Organisation des Nations
Unies, le vingt-cinquième anniversaire de la Déclaration
et du Programme d’action de Beijing et le début de la
décennie qui doit aboutir à l’exécution du Programme
de développement durable à l’horizon 2030. Enfin, la
quinzième session de la Conférence des Nations Unies sur
le commerce et le développement se tiendra à la Barbade.
LES FLUX FINANCIERS ILLICITES (FFI)
sont un problème que partagent
les pays développés et les pays en développement
Au-delà des étapes marquantes qui seront franchies en 2020, l’examen des flux
financiers illicites (FFI) est motivé par des inquiétudes croissantes concernant leurs effets
constatés sur la stabilité économique, sociale et politique. Lors des dîners organisés
dans les capitales du monde entier, les conversations de l’élite cosmopolitaine sont
consacrées aux meilleures écoles, aux villes les moins polluées, à la montée inquiétante
de l’insécurité, à la menace du populisme et aux dernières nouvelles sur les paradis
fiscaux. Dans une réalité parallèle, lorsque les femmes et les hommes instruits d’une
classe moyenne qui a perdu ses illusions se rencontrent, aussi bien dans les banlieues
des pays industrialisés que dans les zones résidentielles des villes africaines, elles et ils
s’inquiètent de l’avenir de leurs enfants, ont de fortes appréhensions concernant les
inégalités et l’injustice et en veulent de plus en plus à l’élite prospère. La rhétorique est
souvent la même : l’on se plaint de ce que les personnes les plus riches et les grandes
entreprises ont les moyens d’éviter l’impôt, de ce que les pauvres ne peuvent pas
payer et de ce que la classe moyenne est de plus en plus prise en tenailles. Dans les
pays en développement riches en ressources minérales, notamment en Afrique, ces
conversations évoquent souvent les derniers articles de presse sur les contrats injustes
conclus dans la secteur extractif et sur l’importance des FFI, expression qui fait la une
des médias du monde entier depuis dix ans.
Le rapport analyse les FFI et le développement durable en Afrique. À cette fin, il examine les
trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale.
Comme il est dit dans le chapitre 1, le rapport se fonde sur la définition approuvée par
le Groupe d’experts des Nations Unies et de l’extérieur chargé des indicateurs relatifs
aux objectifs de développement durable pour mesurer les progrès accomplis dans la
réalisation de l’objectif 16 (cible 16.4). La définition est la suivante : « Les flux financiers
illicites sont des flux financiers dont l’origine, le transfert ou l’emploi sont illicites, qui
concrétisent un échange de valeur (au lieu d’une simple transaction monétaire) et qui
franchissent les frontières des pays » (UNCTAD and United Nations Office on Drugs and
Crime (UNODC), à paraître)1.
L’introduction est structurée de la manière suivante : la section I examine l’usage qu’il est
fait de l’expression « flux financiers illicites » dans le discours multilatéral, en s’appuyant
sur les définitions données dans les ouvrages économiques et juridiques ; la section II
met en lumière les principes essentiels de l’approche conceptuelle des FFI suivie dans
le rapport ; la section III présente les objectifs, l’approche globale et l’organisation du
rapport.
1
Des précisions sur les éléments de cette définition sont données au chapitre 1.
3
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
En 2015, le poids de la coalition des acteurs luttant contre les FFI était tel que cette
question a été inscrite dans le Programme de développement durable à l’horizon
2030, à savoir dans l’objectif 16 et plus précisément dans la cible 16.4 visant à réduire
nettement les flux financiers illicites et le trafic d’armes d’ici à 2030. Comme suite
au tournant historique de 2015, l’Assemblée générale a adopté, en juillet 2017, un
cadre d’indicateurs relatifs aux objectifs de développement durable qui comprend un
indicateur 16.4.1 sur la valeur totale des FFI entrants et sortants2. Compte tenu de ces
avancées, il est urgent d’adopter des politiques factuelles et des mesures réglementaires
pour réduire les FFI. Toutefois, cette question reste controversée car si les origines et les
2
Nations Unies, Assemblée générale, 2017, Travaux de la Commission de statistique sur le Programme de
développement durable à l’horizon 2030, A/RES/71/313, New York, 10 juillet.
4
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
emplois criminels de ces flux financiers font l’objet de larges accords, il n’y a pas pour
ade consensus sur les éléments commerciaux.
La diversité des approches suivie dans les ouvrages révèle que les estimations de
l’ampleur des FFI résultent de l’interaction entre principes économiques et cadres
juridiques dominants. D’une part, faute de modèle théorique établi sur les FFI, les
économistes se fondent sur des méthodes alliant idéologie économique et analyse
rigoureuse. D’autre part, les différences entre les pays, les strates du droit international et
du droit national et le caractère évolutif des cadres juridiques rendent plus problématiques
les distinctions entre « la lettre » et « l’esprit » de la loi, sur lesquelles repose largement
la distinction entre illégalité et illicéité (Musseli and Bürgi Bonanomi, 2020:1). En effet,
cette distinction est source de confusion compte tenu de la primauté de l’intention de la
loi dans l’interprétation qui en est donnée. En outre, comme il ressortira du rapport dans
son ensemble, les capacités institutionnelles et administratives jouent un rôle central
dans l’établissement des modalités de mesure des FFI, dans leur réglementation et
dans la mise en application des lois et réglementations en vigueur.
Dans ce que Musseli et Bürgi Bonanomi (Musseli and Bürgi Bonanomi, 2020:17)
ont appelé la « définition du dénominateur commun », les FFI sont des « transferts
transfrontaliers d’argent ou d’avoirs liés à une quelconque activité illégale ». De multiples
définitions des FFI comprennent les éléments suivants : les mouvements entre pays
d’argent et d’avoirs dont la source, le transfert ou l’emploi sont illégaux. Les sources
sont généralement classées en trois catégories : les activités criminelles, les activités
commerciales et la corruption. Si l’illégalité de la corruption et de la plupart des activités
criminelles ayant trait à différents types de trafic et de contrebande font l’objet d’un
consensus, le caractère légal ou illégal d’activités commerciales telles que la falsification
des prix commerciaux, la fraude fiscale, la manipulation des prix de transfert et l’évasion
fiscale a donné lieu à des débats intenses (voir, par exemple, Cobham and Jansky, 2019 ;
Forstater, 2017). La plupart des désaccords portent sur le traitement de la fraude fiscale
et de l’évasion fiscale. La fraude fiscale implique d’enfreindre la loi alors que l’évasion
fiscale consiste à profiter des règles fiscales nationales et internationales pour obtenir
des avantages que les pays n’entendaient pas donner lorsqu’ils les ont adoptées.
D’une part, la plupart des organisations de la société civile plaident en faveur d’une
définition large des FFI qui va au-delà de la distinction entre légalité et illégalité, mettant
ainsi l’accent sur leurs conséquences néfastes pour le développement. La Commission
indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés s’est faite l’écho
de ce point de vue dans une lettre adressée au Secrétaire général de l’ONU, où elle
affirme ce qui suit (citation dans Forstater, 2018:3) :
5
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
« Nous comprenons que certains acteurs au sein du système des Nations Unies
plaident en faveur d’une redéfinition de l’expression « flux financiers illicites » afin
d’exclure rétrospectivement de la définition l’évasion fiscale pratiquée par les entreprises
multinationales. Il est clair que cela risque de mettre en péril la contribution de la mobilisation
des ressources intérieure aux objectifs de développement durable et d’ébranler la
confiance dans la capacité de l’ONU d’obtenir de bonne foi des résultats conformes aux
engagements pris par les États membres. ».
Les partisans de ce point de vue mettent également l’accent sur les comportements
immoraux ou regrettables qui donnent lieu à une évasion illégale ou légale (réussie)
(Picciotto, 2018).
D’autre part, les organisations multilatérales abordent la dimension fiscale des FFI
avec des degrés divers de prudence, motivée par les interprétations fluctuantes de
l’expression autour des notions de légalité, d’illégalité, de licéité et d’illicéité. Il découle
de la prévalence de la présomption d’innocence dans la plupart des pays que dans la
pratique, considérer qu’illicéité équivaut à illégalité reviendrait à dire que des activités
ne peuvent être juridiquement considérées comme illicites/illégales que si un tribunal
ou une autorité compétente les a déclarées comme telles. Il s’ensuit qu’une telle
qualification dépendrait en dernier ressort d’une décision de justice (Quentin, 2017).
Cela s’avérerait problématique en raison des différences de perception des normes
législatives et d’interprétation juridique (Musseli and Bürgi Bonanomi, 2020). En outre,
les pratiques d’évasion fiscale ne sauraient être réduites à un examen légaliste rigide
car on doit tenir compte du caractère particulier et factuel des déclarations fiscales des
entreprises (Picciotto, 2018). Les évaluations préliminaires de la validité des créances
fiscales dépendent elles des capacités institutionnelles, notamment des capacités de
l’autorité fiscale de mener à bien les tâches qui y sont associées.
Ainsi, on retrouve dans la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée de 2000 des éléments correspondant aux FFI, l’accent étant mis sur les
dimensions criminelles du transfert et de la dissimulation d’avoirs d’origine illicite. La
résolution adoptée à cet égard par le Conseil économique et social de l’ONU en 2001
souligne en outre la nécessité de renforcer la coopération internationale en matière de
prévention et de lutte contre les transferts de fonds provenant d’actes de corruption, et la
Convention des Nations Unies contre la corruption de 2005 comporte des engagements
sur la restitution des avoirs volés. L’Assemblée générale des Nations Unies emploie une
expression proche des FFI dans la Déclaration de Salvador de 2010, où elle appelle à
« élaborer une stratégie ou une politique pour lutter contre les mouvements illicites de
capitaux et remédier aux effets dommageables de l’absence de coopération de certains
6
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Dans ses travaux de recherche, l’ONU adopte une approche pragmatique pour aborder
les FFI. Par exemple, le Rapport sur le commerce et le développement 2014, intitulé
« Gouvernance mondiale et marge d’action pour le développement », indique que « dans
le présent rapport, il est question de flux financiers illicites à visée fiscale à chaque fois
que la structuration internationale des transactions a une finalité économique limitée
ou inexistante et que le seul but de ces flux est de payer moins d’impôts » (UNCTAD,
2014:174). Le World Investment Report 2015 (Rapport sur l’investissement dans le
monde) ne contient pas l’expression « flux financiers illicites », préférant mettre l’accent
sur la nécessité fondamentale d’accroître les ressources destinées au financement du
développement. À cette fin, il se fonde sur l’évaluation figurant dans le World Investment
Report 2014 du montant des fonds qui manquent pour couvrir le déficit d’investissement
annuel estimé à 2 500 milliards de dollars, correspondant aux ressources nécessaires au
renforcement des capacités de production, des infrastructures et d’autres secteurs dans
les pays en développement. Le rapport de 2015 traite ensuite, de manière détaillée et
rigoureuse, de l’évasion fiscale des entreprises m ultinationales en abordant la question
clef comme suit : comment les dirigeants peuvent-ils lutter contre l’évasion fiscale pour
faire en sorte que les entreprises multinationales paient « le bon montant d’impôt, au
bon moment et au bon endroit » sans recourir à des mesures qui pourraient avoir des
répercussions négatives sur les investissements ? (UNCTAD, 2015a:176). Comme on
l’a vu dans la section II et précisé dans le chapitre 1, l’évasion fiscale est considérée par
de nombreux groupes d’acteurs comme une composante majeure des FFI.
7
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
développement durable ». Elle y met l’accent sur les aspects liés au développement en
« se déclarant à nouveau profondément préoccupée par les effets des flux financiers
illicites, notamment ceux issus de la fraude fiscale, de la corruption et de la criminalité
transnationale organisée, sur la stabilité et le développement des sociétés dans les
domaines politique, social et économique, en particulier par leurs conséquences pour
les pays en développement » (United Nations, General Assembly, 2019:2). Par ailleurs,
la deuxième Réunion internationale d’experts sur la restitution des avoirs volés s’est
tenue à Addis-Abeba, en mai 2019. Plus récemment, les FFI ont été mis en avant dans
le résumé établi par le Président du Dialogue de haut niveau sur le financement du
développement, organisé par l’Assemblée générale le 26 septembre 20193.
Les déclarations sur les FFI faites dans le contexte intergouvernemental africain sont
influencées par le Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance
d’Afrique, créé par l’Union africaine et la Conférence des ministres africains des finances,
de la planification et du développement économique de la Commission économique
pour l’Afrique (CEA) de l’ONU. En rupture avec le traitement ambivalent que la plupart
des institutions multilatérales accordaient aux FFI, le rapport établi en 2015, également
connu sous le nom de rapport Mbeki, indique que « les divers moyens d’engendrer
des flux financiers illicites en Afrique sont la falsification des prix de transfert, des prix
commerciaux, des factures correspondant à des services et des biens immatériels et
la passation de contrats léonins, tout cela à des fins de fraude fiscale, d’évasion fiscale
agressive et d’exportation illégale de devises » (UNECA, 2015:24). L’OCDE partage
certaines de ces préoccupations, comme l’ont rappelé son Secrétaire général et le
Président du Groupe de haut niveau dans la déclaration conjointe faite en 2016 sur
le thème « La question des flux financiers illicites est au cœur du programme d’action
international »4. La déclaration conjointe invite la communauté internationale à s’unir
car « le blanchiment de capitaux, la fraude fiscale et la corruption transnationale, qui
constituent l’essentiel des flux financiers illicites, touchent tous les pays ». Elle ne
mentionne pas l’évasion fiscale, que celle-ci soit agressive ou non.
En ce qui concerne le traitement des FFI par les institutions de Bretton Woods, une
fiche d’information sur l’action du FMI contre les flux financiers illicites place la lutte
contre l’évasion fiscale parmi les activités relevant de son mandat, qui vise à assurer
3
Nations Unies, Assemblée générale, 2019, Résumé du Président de l’Assemblée générale, Dialogue de haut
niveau sur le financement du développement (New York, 26 septembre), A/74/559, New York, 21 novembre.
4
Voir www.oecd.org/g20/topics/international-taxation/joint-statement-on-the-fight-against-illicit-financial-
flows-by-angel-gurria-and-thabo-mbeki.htm.
Note : Toutes les pages Web mentionnées dans les notes de bas de page du présent document ont été
consultées en avril 2020.
8
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
5
Voir www.imf.org/en/About/Factsheets/Sheets/2018/10/07/imf-and-the-fight-against-illicit-financial-flows.
9
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Pour commencer, le rapport tient compte des indications du rapport Mbeki, y compris
de celles relatives aux FFI provenant d’activités commerciales, comme on l’a vu dans
la section I. Cette définition a conduit à constater qu’en Afrique, 65 % de ces flux
proviennent d’activités commerciales (UNECA, 2015). L’ampleur de cette estimation
illustre le rôle central que jouent les définitions dans la mesure de ces flux et, en fin
de compte, dans l’élaboration de réglementations adéquates. En outre, du fait de la
légitimité politique du Groupe de haut niveau en Afrique, c’est sur la base de cette
définition que se sont tenues les réunions intergouvernementales sur le continent.
Toutefois, pour appliquer pleinement la définition énoncée dans le rapport Mbeki, il
faudrait tenir compte de la capacité des systèmes juridiques nationaux africains à lutter
contre l’évasion fiscale qui est agressive et néfaste pour le développement. À cet égard,
la capacité des organismes de réglementation à jouer au chat et à la souris avec les
entreprises a entraîné ce que l’on appelle un effet de déplacement, c’est-à-dire que
le fait de combler un vide réglementaire ne fait qu’entraîner l’ouverture de nouvelles
brèches (Musseli and Bürgi Bonanomi, 2020). Cette situation alimente un jeu sans fin
qui exige une vigilance constante et des ajustements réglementaires, même dans les
pays dont les systèmes juridiques sont bien développés.
Les auteurs du présent rapport considèrent que pour établir une définition des FFI à
des fins d’analyse, il faudrait tenir compte de la nature changeante de ce concept et de
l’évolution de la fiscalité internationale des entreprises. Parallèlement, des progrès ont été
réalisés dans l’analyse théorique de l’évasion fiscale dans la littérature juridique, comme
le montrent les travaux de recherche récemment menés par Musseli et Bürgi Bonanomi
(2020) dans le cadre du projet intitulé Curbing Illicit Financial Flows from Resource-rich
Developing Countries (Réduire les flux financiers illicites en provenance des pays en
développement riches en ressources). Ces auteurs font valoir, par exemple, que la nature
évolutive de la réforme réglementaire du droit fiscal, y compris de l’action relative à l’érosion
de la base d’imposition et au transfert de bénéfices menée par l’OCDE, remet encore plus
en question la distinction entre les régimes fiscaux illégaux et légaux. Ils affirment que
les règles générales contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices
contribuent à rendre cette distinction de moins en moins pertinente, car elles permettent
de transformer des pratiques auparavant licites, fondées sur l’exploitation de failles, en
pratiques illicites. L’inclusion pragmatique d’activités de lutte contre l’évasion fiscale dans
les programmes d’assistance technique des grandes organisations multilatérales fait en
quelque sorte écho à la déconstruction par Musseli et Bürgi Bonanomi de l’illusion d’une
dichotomie claire entre activités légales et activités illégales.
10
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Enfin, on estime que la mesure et le suivi des FFI, ainsi que la définition d’orientations et
de réglementations appropriées pour les freiner, dépendent de la prise en compte des
deux ensembles d’activités commerciales et criminelles. À cet égard, l’accent dominant
mis sur les FFI liés à la fiscalité ne doit pas détourner l’attention des activités criminelles,
du commerce illicite et de la corruption, qui mettent en péril le système financier
international à des fins de blanchiment d’argent et compromettent les perspectives de
réalisation des 17 objectifs de développement durable.
Les analyses contenues dans les principaux chapitres du rapport visent à apporter des
réponses aux questions suivantes :
a) Où en est la mesure des FFI liés au commerce dans le contexte des objectifs
de développement durable ? Quelle est l’ampleur des composantes spécifiques
des FFI intracontinentaux et extracontinentaux liés au commerce en Afrique ?
(chap. 2) ;
c) Quelles sont les racines profondes des FFI dans l’ordre juridique et économique
international ? Quelle est la place de l’Afrique dans l’action multilatérale relative
aux FFI ? (chap. 4) ;
d) Dans quelle mesure les FFI sont-ils associés à des occasions manquées de
stimuler le développement économique, social et environnemental durable en
Afrique ? (chap. 5) ;
11
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Le rapport se fonde sur une approche interdisciplinaire qui combine les outils
économiques traditionnels avec les perspectives du droit international, des relations
internationales et de l’économie politique. Il vise à apporter une valeur ajoutée de
différentes manières. Premièrement, il actualise les estimations actuelles de l’ampleur
des flux financiers illicites liés au commerce des produits de base en Afrique, en tenant
compte de nouvelles méthodes et données (chap. 2). Deuxièmement, il intègre les
considérations de genre et d’environnement liées aux changements climatiques dans
l’analyse de la relation entre les FFI et le développement socioéconomique durable
en Afrique (chap. 5). Troisièmement, il adopte une approche équilibrée sur un sujet
qui suscite des oppositions fortes. L’approche globale consiste à prendre en compte
les points de vue des acteurs qui interviennent dans la circulation des FFI (chap. 3).
Le rapport examine le réseau mondial des acteurs impliqués dans la facilitation et la
réglementation des FFI tout en recensant les failles dans les politiques et les institutions
en Afrique (chap. 3). Quatrièmement, l’analyse éclaire les fondements historiques et
géopolitiques de certains vecteurs des FFI (chap. 4). Ces questions sont examinées en
situation réelle dans l’étude des incidences de la réduction des FFI à l’échelle locale au
Nigéria (chap. 6). Enfin, au chapitre 7, le rapport passe en revue les initiatives visant à
réduire les flux financiers illicites, notamment les mesures prises pour réformer le système
mondial d’imposition des sociétés. Le dernier chapitre énonce ensuite de nouvelles
recommandations sur la manière d’aborder la question des FFI, en s’appuyant sur deux
fils conducteurs : a) les pays développés et les pays en développement se partagent la
responsabilité des FFI ; et b) l’Afrique devrait assumer davantage de responsabilités aux
niveaux international, continental et national.
12
Chapitre 1
Flux financiers illicites
et développement
durable : définitions
et cadre conceptuel
Ce chapitre, qui expose le contexte du rapport
et le fil logique des questions centrales autour
desquelles s’articulent ses chapitres analytiques,
est structuré comme suit. La section 1.1 fait
ressortir l’ancrage du rapport dans l’approche des
FFI fondée sur le développement. La section 1.1
dresse un état des lieux en ce qui concerne la
mesure des FFI pour le suivi de l’indicateur 16.4.1
relatif aux objectifs de développement durable.
Dans la section 1.2 sont examinées plusieurs des
sources de FFI présentant un intérêt particulier
pour cette étude. La section 1.3 est consacrée à
quelques-uns des déterminants principaux des
FFI. La section 1.4 décrit l’approche adoptée
dans le rapport en vue d’analyser la relation entre
les FFI et les dimensions économique, sociale et
environnementale du développement durable. La
figure 1 ci-après récapitule le cadre conceptuel
global du rapport.
CHAQUE ANNÉE
SUR LE CONTINENT AFRICAIN
La fausse facturation
dans le commerce international
atteint de
30 à 52 milliards
de dollars et contribue
Chapitre correspondant
17
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
6
Assemblée générale des Nations Unies, 2017, Promotion de la coopération internationale en matière de
lutte contre les flux financiers illicites pour favoriser le développement durable, A/RES/71/213, New York,
18 janvier.
18
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
estimations, est une source majeure de blanchiment d’argent et de FFI et l’État en tire
donc peu de recettes fiscales (Hunter and Smith, 2017).
Eu égard à ce degré de complexité, une définition des FFI reposant sur leur finalité risque
de rendre encore plus difficile l’évaluation des effets de ces flux sur le développement.
Dans l’optique de l’action, le présent rapport se rallie donc à l’opinion selon laquelle il est
nécessaire d’ancrer la définition des FFI davantage dans le droit ainsi que de s’attacher
à déterminer la « granularité » et à « indiquer clairement les acteurs, les canaux de
transfert ou les sources qui entrent dans le champ étudié » (Musseli and Bürgi Bonanomi,
2020:15), tout en faisant fond sur les études relatives à la transformation économique
et au développement social.
Face à la complexité des FFI découlant de leurs multiples dimensions, en 2017 deux
organismes ont été chargés d’élaborer l’indicateur 16.4.1 visant à mesurer et suivre la
« valeur totale des flux financiers illicites entrants et sortants » : l’ONUDC pour les FFI liés
à la criminalité ; la CNUCED pour les composantes fiscales et commerciales. Mise en
place par la suite, l’équipe spéciale internationale CNUCED-ONUDC sur les méthodes
statistiques de mesure des flux financiers illicites rassemble des représentants de pays
et des experts d’instances internationales, dont le FMI, l’OCDE, le Département des
affaires économiques et sociales de l’ONU, la CEA et Eurostat. Cette entreprise se heurte
toutefois à une série de difficultés. Tout d’abord, les efforts sont freinés par l’absence
de statistiques, ce qui s’explique par le caractère occulte des FFI et la diversité de ce
19
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
qu’ils recouvrent selon les pays et les régions. Deuxièmement, bon nombre des activités
génératrices de FFI sont imbriquées, ce qui rend encore plus compliqué de ventiler ces
flux en différentes catégories. La fausse facturation dans le commerce international, par
exemple, peut servir de paravent à des dispositifs d’évasion fiscale, alors que la corruption,
tout en constituant une catégorie distincte, intervient dans la plupart des activités illicites
ou illégales. Troisièmement, les innovations qu’introduisent les auteurs d’activités illicites
et les facilitateurs des transferts financiers illicites font en permanence évoluer le périmètre
de ces flux, ce qui en rend difficile la saisie statistique. Quatrièmement, le traitement de
l’économie informelle et de sa relation avec les FFI diffère selon les pays. Cinquièmement,
les définitions statistiques des FFI devraient être comparables d’un pays à l’autre afin
de permettre un classement en fonction de leur prévalence ainsi que la conception d’un
ensemble commun de solutions au niveau multilatéral.
Outre ces difficultés préliminaires, l’équipe spéciale internationale sur les FFI a mis en
relief la nécessité d’établir une distinction entre définitions statistiques et définitions
juridiques. Selon elle, en raison des différences que présentent les cadres juridiques
respectifs des diverses juridictions il est impossible dans la réalité de faire la distinction
entre pratiques illégales (fraude fiscale, par exemple), pratiques illicites et licites (évasion
fiscale agressive, par exemple) et planification fiscale légale. Dans ses constatations,
l’équipe spéciale souligne que cet état des choses a des incidences sur l’élaboration
de l’indicateur 16.4.1 relatif aux objectifs de développement durable et qu’il est donc
nécessaire de renoncer à la dichotomie entre légal et illégal dans la définition (UNCTAD
and UNODC, à paraître). L’équipe spéciale fait valoir que cette entreprise statistique
a pour objectif primordial de mesurer certains comportements et certaines activités
en vue de déterminer l’ampleur du phénomène sans s’encombrer de définir ce qui
est illégal. Cette approche est en résonnance avec les travaux de recherche d’ordre
juridique sur les FFI débattus dans l’introduction.
Lors de réunions d’experts tenues entre 2017 et 2019, il a été souligné que la collecte
des données devant servir à mesurer les FFI soulevait des difficultés parce que les
informations requises étaient dispersées entre diverses institutions au niveau national :
comptes nationaux et données de la balance des paiements de la banque centrale ;
informations des cellules de renseignement financier et du ministère de la justice ;
données idoines des autorités fiscales nationales ; données douanières sur le commerce
de marchandises. De surcroît, le commerce des services est un des grands vecteurs des
pratiques agressives d’évasion fiscale, principalement par le recours à la délocalisation
des flux de services financiers et des droits de propriété intellectuelle, mais il n’existe
aucune source unique de données permettant d’établir des statistiques adéquates.
20
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
• Flux transfrontières.
La figure 2 et l’encadré 1 exposent plus en détail les catégories de FFI telles qu’entérinées
par le Groupe d’experts des Nations Unies et de l’extérieur chargé des indicateurs relatifs
aux objectifs de développement durable. La collecte de données dans un échantillon de
pays pilotes est en cours en vue de mettre la méthodologie à l’essai. L’équipe spéciale
a constaté d’emblée qu’il serait plus difficile d’obtenir des données sur la corruption ou
les FFI liés au commerce et à la fiscalité du fait de la diversité des dispositifs auxquels
recourent les entreprises multinationales pour un certain nombre d’activités connexes :
prix de transfert, délocalisation des actifs incorporels, paiement de redevances, etc.
7
Pour un supplément d’information sur la classification des indicateurs mondiaux relatifs aux objectifs de
développement durable, voir https://unstats.un.org/sdgs/iaeg-sdgs/tier-classification/.
21
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 2
Catégories de flux financiers illicites
et commerciales Activités
illicites Marchés illégaux de type vol
Corruption
du terrorisme
Pratiques
Autres
pratiques
et commerciales
illégales
FFI
22
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Encadré 1
La mesure des flux financiers illicites aux fins de l’indicateur 16.4.1
relatif aux objectifs de développement durable
L’équipe spéciale CNUCED-ONUDC a identifié quatre grandes catégories d’activités pouvant générer des FFI.
23
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Évasion fiscale
L’évasion fiscale est un problème mondial touchant les pays développés aussi bien
que les pays en développement. Selon des estimations, la perte de recettes fiscales
sur l’imposition des entreprises se situe, selon les variables étudiées, entre 500 et
650 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale (Crivelli et al., 2015 ; Cobham and
Janský, 2018). Dans l’Union européenne, par exemple, le montant estimatif annuel
de l’évasion fiscale imputée aux entreprises s’établit entre 50 et 190 milliards d’euros
(Murphy, 2019). Des analyses de données récentes montrent que tous les États membres
de l’Union européenne subissent un manque à gagner fiscal dont le montant pourrait
dépasser de loin le total de leurs dépenses de santé, l’Italie, la France et l’Allemagne
arrivant en tête de peloton en valeur absolue.
24
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
En Afrique, un sixième des recettes publiques provient de l’impôt sur les sociétés (pour
un total de 67 milliards de dollars en 2015) et, selon la plupart des estimations, le coût
de l’évasion fiscale représente environ le dixième de ce total (Hearson, 2018). La part de
l’impôt sur les sociétés dans les recettes publiques totales est plus élevée dans les pays
africains que dans les pays de l’OCDE, du fait surtout que les pays africains ne sont pas
à même de tirer autant de recettes des prélèvements salariaux.
25
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Des analyses au niveau mondial montrent que dans de nombreux pays africains de
20 % à 30 % de la fortune privée est placée dans des paradis fiscaux (Global Financial
Integrity, 2017 ; Zucman, 2014 ; Johannesen et al., 2016). Cette proportion est
supérieure à la moyenne mondiale par pays, qui est de 8 % (Zucman, 2013).
Ces activités illégales influent pour la plupart sur les perspectives de réalisation des
objectifs économiques, sociaux et environnementaux ; leur impact est exposé en détail
dans les chapitres 5 et 6 du présent rapport, consacrés à la relation entre les FFI et la
durabilité sociale et environnementale. En ce qui concerne le trafic illicite de produits
contrefaits, par exemple, selon le Forum économique mondial au cours de la seule
année 2013 des médicaments antipaludiques de qualité inférieure ont causé la mort
de plus de 100 000 enfants en Afrique subsaharienne. Le bilan mondial des méfaits
imputables aux antipaludiques et aux antituberculeux contrefaits est bien plus élevé
(World Economic Forum, 2015).
26
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
8
Du British Museum (69 000 objets d’Afrique subsaharienne) au Weltmuseum de Vienne (37 000), du Musée
royal de l’Afrique centrale en Belgique (180 000) au futur Humboldt Forum de Berlin (75 000), des musées du
Vatican à celui du quai Branly-Jacques Chirac (70 000) : l’histoire des collections africaines est une histoire
européenne bien partagée » (Sarr and Savoy, 2018:15).
9
Voir http://archives.icom.museum/cultural_tourism.html.
27
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
travaillant sur l’Afrique à affirmer que « le projet de décolonisation occupe de nouveau
le devant de la scène dans le monde entier » (Mbembe, 2015:18). Pour de nombreux
pays africains qui célèbrent en 2020 le soixantième anniversaire de leur accession à
l’indépendance, les efforts tendant à endiguer les FFI s’inscriront probablement dans
ce projet plus vaste.
28
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Alors qu’il est en général porté au crédit des économies africaines d’avoir opté pour
la libéralisation des comptes de capitaux, des chercheurs de la Banque africaine de
développement (Bicaba et al., 2015) ont montré que l’indice effectif d’ouverture du
compte de capital était loin d’être à la hauteur des attentes des décideurs ayant opté
pour la libéralisation de ce compte. En 2012, 18 pays africains avaient libéralisé leur
compte de capital. Ces mêmes pays figurent parmi les pays les plus intégrés aux
marchés financiers mondiaux. Cette libéralisation a été plus ou moins précoce selon
les pays : Maurice et la Zambie ont totalement libéralisé leurs comptes de capital
dès le début des années 1990, tandis que l’Angola, la République-Unie de Tanzanie
et la Tunisie, par exemple, ont maintenu de sévères restrictions jusqu’en 2005. Les
pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine ont quant à eux
supprimé en 1999 les contrôles sur les mouvements de capitaux en ce qui concerne les
investissements étrangers directs (IED) et les emprunts contractés à l’étranger par des
résidents, mais ils ont maintenu des contrôles sur les sorties de capitaux à destination
des pays non membres (IMF, 2008).
29
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Les pays fortement dépendants du pétrole sont davantage susceptibles d’avoir des
niveaux élevés de FFI (UNECA, 2015). Sur la période 2013-2017, deux cinquièmes des
pays dépendant des produits de base se trouvaient en Afrique subsaharienne ; 89 % des
pays du Moyen-Orient et 65 % des pays d’Afrique du Nord étaient dépendants de ces
mêmes produits (UNCTAD, 2019a). Eu égard à la prévalence persistante de la dépendance
à l’égard des produits de base en Afrique, le chapitre 4 du présent rapport expose les
fondements du droit international connexe et la configuration de la gouvernance mondiale
des produits de base héritée de l’histoire, ainsi que la manière dont ces causes de FFI
contribuent à introduire des distorsions dans les incitations du marché.
Institutions nationales
Les incidences négatives des FFI sur le développement ont deux grands phénomènes
pour relais. D’une part, les FFI issus d’activités commerciales réduisent les recettes
publiques ; leurs déterminants sont, entre autres, les incohérences des politiques et de
la réglementation, une surveillance restreinte, des intérêts particuliers bien ancrés et une
transparence insuffisante des processus économiques et financiers. D’autre part, les
FFI contribuent à affaiblir la gouvernance et les systèmes institutionnels, y compris l’état
de droit, entravent la transparence et la responsabilité et, en fin de compte, sapent les
fondements de la démocratie et du progrès.
La primauté des institutions est mise en relief dans l’objectif 16 (Paix, justice et institutions
efficaces), qui tend à promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives aux
fins du développement durable, à assurer l’accès de tous à la justice et à mettre en
place, à tous les niveaux, des institutions responsables et ouvertes à tous. La mention
30
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
des FFI dans l’objectif 16 fait ressortir que les institutions sont un déterminant de
l’existence de ces flux. Sur la base de ce constat, dans les chapitres 5 et 6 du présent
rapport est posé le postulat que les institutions sont le principal canal par lequel les FFI
ont un impact négatif sur les perspectives de durabilité sociale et environnementale.
Acteurs mondiaux
Les FFI sont rendus possibles par des transferts que facilitent les mécanismes financiers
en place au niveau mondial. La publication de la Banque mondiale et de l’ONUDC
intitulée Les Marionnettistes : comment dissimuler les biens mal acquis derrière des
structures juridiques, et que faire pour l’empêcher (van der Does de Willebois et al.,
2011), qui répertorie les principaux cas de corruption dans différentes juridictions,
dévoile les mécanismes mis en œuvre pour blanchir des fonds et donne un coup de
projecteur sur les milliards d’actifs issus de la corruption, les sociétés-écrans et les
autres structures juridiques factices constituant l’écheveau complexe des stratagèmes
auxquels il est recouru dans les affaires de corruption. Dans cette publication, il est en
outre constaté que relier les bénéficiaires effectifs au produit de la corruption est difficile
du fait qu’ils disposent de ressources et de moyens considérables qui leur permettent
de mettre en place des montages transnationaux ; tous s’appuient sur des structures
juridiques telles que sociétés, fondations ou sociétés fiduciaires, pour dissimuler le fait
qu’ils possèdent et contrôlent des « avoirs sales ».
Le chapitre 3 du présent rapport donne un aperçu du rôle des acteurs mondiaux dans
la facilitation des FFI, tandis que dans son chapitre 4 un regard critique est porté sur les
lacunes des politiques et de la réglementation au niveau international et la mesure dans
laquelle elles accroissent les risques d’exposition à des FFI.
31
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Le présent rapport se situe aussi dans la droite ligne de l’accent mis par l’Assemblée
générale, dans sa résolution 71/313, sur le fait que la cible relative à la lutte contre les
FFI est indissociable des objectifs de développement durable (United Nations, 2017a:2).
Dans les chapitres 5 et 6 est analysée la relation entre les FFI et les dimensions
économique, sociale et environnementale du développement durable. Ces chapitres
ont pour hypothèse de travail le cadre conceptuel du Programme de développement
durable à l’horizon 2030, à savoir que la réduction des FFI en Afrique concourra à
obtenir les résultats suivants :
Dans le rapport il est souligné que la réduction des FFI n’est pas la panacée pour
atteindre les objectifs de développement durable. Vu la grande ampleur de ces flux,
à tous les égards, les efforts déployés pour les réduire et recouvrer les avoirs volés
devraient néanmoins aider à dégager des ressources d’un montant appréciable pour
financer la réalisation de ces objectifs.
32
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
En dépit de certains progrès, la discrimination fondée sur le genre persiste, dans les
pays développés comme dans les pays en développement (World Economic Forum,
2020). À ce propos, comme souligné dans les objectifs de développement durable, la
place centrale revenant à l’égalité des sexes dans leur réalisation est reconnue dans le
présent rapport (United Nations Entity for Gender Equality and the Empowerment of
Women (UN-Women), 2018). Le rapport s’inscrit aussi dans la ligne de l’affirmation de
Sen (1999), selon qui « Rien, sans doute, n’est aussi important aujourd’hui en économie
politique du développement qu’une reconnaissance adéquate de la participation et du
leadership politiques, économiques et sociaux des femmes. C’est en effet un aspect
crucial du développement en tant qu’extension de la liberté ». La relation entre FFI
et genre est abordée sous deux angles dans le présent rapport. Premièrement, les
femmes y sont considérées comme des agents du développement et du changement.
De nombreuses études ont mis évidence la faible proportion de femmes occupant des
postes de direction dans les entreprises des différents pays et secteurs (Elborgh-Woytek
et al., 2013 ; International Labour Organization, 2019 ; Crédit Suisse, 2019). Des
arguments solides et toujours plus nombreux ont pu être dégagés pour faire valoir
l’intérêt économique que présente une représentation accrue des femmes aux postes
de direction de haut niveau dans les secteurs public et privé (McKinsey Global Institute,
2015). Le rapport s’inscrit dans la ligne de la cible 16.7 « Faire en sorte que le dynamisme,
l’ouverture, la participation et la représentation à tous les niveaux caractérisent la prise
de décisions » dans les institutions pour en faire des moteurs essentiels de l’équité.
À ce propos, dans le chapitre 4 est examinée la situation en matière de représentation
10
Voir www.reuters.com/article/us-malaysia-politics-1mdb-goldman/malaysia-files-criminal-chargesagainst-
17-goldman-sachs-executives-idUSKCN1UZ0DI.
33
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
34
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
regard le volume des FFI avec le montant du financement requis pour mener l’action
climatique requise en vertu de l’Accord de Paris conclu au titre de la Convention-cadre
des Nations Unies sur les changements climatiques. Signé en décembre 2015 par
195 pays, l’Accord de Paris a marqué une avancée historique en instituant un cadre
pour la lutte contre les changements climatiques et en fixant pour objectif de contenir
l’élévation de la température moyenne de la planète « nettement en dessous de 2 °C » et
de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C (United
Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC), 2015). En 2009, à la
quinzième session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre, à Copenhague,
les pays développés se sont engagés à dégager ensemble 100 milliards de dollars par
an d’ici à 2020 pour soutenir les actions d’atténuation des changements climatiques
dans les pays en développement. Six ans plus tard cet objectif n’avait toujours pas
été atteint et, à la vingt et unième session de la Conférence des Parties, la date limite
fixée pour dégager ces 100 milliards de dollars par an a été reportée à 2025 (UNFCCC,
2019). L’évolution des facteurs en lien avec les changements climatiques dans des pays
qui présentent des degrés d’exposition variables aux FFI est analysée dans le chapitre 5
du présent rapport. On y examine les sources de recettes des institutions et des États,
qui sont deux pièces maîtresses du renforcement de la résilience aux changements
climatiques. Sur la base des conclusions dégagées, il est constaté que face à la lenteur
des progrès accomplis dans les efforts visant à réduire les FFI et à recouvrer les avoirs
issus de ces flux, il convient d’établir un lien entre les négociations sur les FFI et les
négociations sur le financement de l’action climatique.
35
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
a été estimé à autour de 15 000 pour 2018. Dans les enceintes multilatérales, des
craintes au sujet de la paix et de la sécurité sont fréquemment exprimées en insistant
sur la nécessité d’aborder les FFI dans toutes leurs composantes pour y faire face.
En septembre 2019, par exemple, dans sa déclaration faisant suite à l’adoption de
la résolution 71/315 de l’Assemblée générale sur l’application des recommandations
formulées par le Secrétaire général dans son rapport sur les causes des conflits et la
promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique, le Groupe des 77
et la Chine ont appelé à prendre des mesures concrètes pour s’attaquer aux causes
profondes des conflits en Afrique, en citant parmi ces causes « le commerce illicite et la
prolifération des armes, en particulier légères et de petit calibre, ainsi que l’exploitation,
le trafic et le commerce illicites de ressources naturelles de grande valeur »11.
11
Voir www.g77.org/statement/getstatement.php?id=190910.
36
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Security Council, 2019). La plupart de ces pays ou régions sont riches en ressources
naturelles. En Afrique centrale, les conflits armés prolongés, de même que les activités
des groupes armés non étatiques, ont une forte dimension transfrontière et terroriste.
La dimension transfrontière est marquée aussi dans le Sahel. Le Groupe d’experts des
Nations Unies sur le Soudan du Sud a constaté que la mauvaise gestion des recettes
tirées des ressources pétrolières du pays, en particulier l’absence complète de contrôle
des dépenses engagées pour la défense et le contournement des mécanismes de
transparence des achats d’armes avant même la guerre, était un déterminant majeur
du financement illicite d’achats d’armes. Les experts ont signalé des violations du droit
international humanitaire et du droit international des droits de l’homme par toutes les
parties (United Nations Security Council, 2016). Le pétrole, l’or et d’autres minéraux
sont les ressources naturelles les plus liées au financement des conflits, mais d’autres,
par exemple le bois d’œuvre provenant de l’exploitation forestière illégale, concourent
aussi à nourrir l’instabilité (UNECA, 2015).
Pour la prospérité : incidences des flux financiers illicites sur l’inégalité, la croissance
économique et la transformation structurelle
Les considérations liées aux droits de l’homme constituent une autre raison primordiale
de lutter contre les FFI, les effets de ces flux étant considérés comme attentatoires à ces
droits (United Nations, General Assembly, 2017). Une autre raison est que les FFI ont
un lien avec l’inégalité, laquelle a des incidences sur la croissance et la réduction de la
pauvreté. Même s’ils ne sont pas la cause principale de l’inégalité, les FFI favorisent la
concentration des richesses dans le monde. La Banque mondiale, par exemple, constate
que les FFI « sont le symptôme de problèmes qui institutionnalisent les inégalités et
limitent la prospérité... Remédier aux causes des flux financiers illicites et endiguer les
mouvements illicites de capitaux en provenance des pays en développement ne peut,
manifestement, que favoriser le développement et la croissance économiques » (World
Bank, 2016:3).
La fraude fiscale et l’évasion fiscale agressive figurent sans conteste parmi les sources
de FFI contribuant le plus à accentuer les inégalités. Les données disponibles mettent
en évidence un écheveau complexe de liaisons entre fiscalité et inégalités. Les stratégies
agressives d’optimisation fiscale sont essentiellement le fait des groupes les plus riches et
des grandes entreprises. Selon des estimations, au Danemark, en Norvège et en Suède,
par exemple, l’évasion fiscale porte en moyenne sur environ 25 % de l’assiette fiscale
du 0,01 % de ménages les plus riches, alors que cette proportion n’est que de 2,8 %
pour le reste des contribuables (Alstadsæter et al., 2018). Une analyse supplémentaire,
effectuée à partir de la Base de données sur la richesse mondiale du Crédit Suisse et
37
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
du Classement annuel Forbes des milliardaires, montre que la richesse est toujours plus
concentrée. En effet, 43 milliardaires possédaient une richesse cumulée égale à celle de
la moitié de la population mondiale en 2017, mais ce nombre est tombé à 26 en 2018
(Oxfam, 2018). Une personne est devenue milliardaire tous les deux jours en 2017 et
2018, alors que sur cette même période la richesse de la moitié la plus pauvre de la
population mondiale a chuté de 11 %. Dans de nombreux pays, la plus grosse part du
produit de l’impôt sur le revenu provient néanmoins des contribuables à la fortune ou
aux revenus les plus élevés. Ainsi, au Royaume-Uni les réformes introduites ont accru la
progressivité de l’impôt et la part du produit total de l’impôt sur le revenu payée par le
1 % de personnes aux revenus les plus élevés y atteint maintenant 30 %, contre 25 %
en 2010 (Adam, 2019).
Les préoccupations que suscitent les niveaux élevés d’inégalité et leurs effets sur la
réduction de la pauvreté sont récemment revenues au premier plan. Des recherches
montrent qu’un enfant né dans une famille pauvre se hisse au niveau du revenu moyen
au bout de deux à trois générations dans les pays nordiques, contre neuf dans les
économies émergentes (OECD, 2018a). La part de la richesse mondiale détenue par le
1 % de personnes les plus riches du monde est montée de 42,5 % en 2008, à l’époque
de la crise financière, à 50,1 % en 2017, pour une valeur cumulée de 140 000 milliards
de dollars (Crédit Suisse, 2017). Dans un rapport du Crédit Suisse il est indiqué en outre
que le nombre de millionnaires a diminué après la crise de 2008 avant de connaître un
redressement rapide pour atteindre 36 millions, trois fois plus qu’en 2000. C’est aux
États-Unis d’Amérique que l’on recense le plus grand nombre de ces millionnaires,
l’Europe venant ensuite, tandis que les économies émergentes, dont la Chine, comptent
pour 22 % dans le total. À l’opposé, 70 % de la population mondiale en âge de travailler,
soit 3,5 milliards d’adultes, habitant en majeure partie dans les pays africains et en Inde,
ne détiennent que 2,7 % de la fortune mondiale.
38
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
limité, du fait de la forte dépendance à l’égard du secteur extractif, des efforts déployés
pour mettre la croissance au service de la réduction de la pauvreté (World Bank, 2018).
Nkurunziza estime qu’en l’absence de fuite des capitaux, le taux de croissance du
revenu par habitant aurait été supérieur d’un point et demi de pourcentage et le taux de
pauvreté inférieur de près de 2 points de pourcentage à ce qu’ils étaient au moment de
son analyse (Nkurunziza, 2014).
Sur un plan plus général, la part des revenus actuels et supplémentaires allant aux
pauvres est d’autant plus faible, et donc l’effet de la croissance sur la réduction de la
pauvreté d’autant plus faible, que la répartition des revenus est mauvaise. Des niveaux
initiaux élevés d’inégalité des revenus réduisent la croissance future, même après
la prise en compte des niveaux initiaux du PIB et du capital humain (Birdsall et al.,
1995 ; Knowles, 2001). L’analyse des données relatives à la période 1987-1998 fait
apparaître que les pays en développement dans lesquels les revenus ont augmenté et
la répartition des revenus s’est améliorée ont réduit la pauvreté sept fois plus vite que les
pays ayant connu une croissance économique s’étant accompagnée d’un creusement
des inégalités (Ravallion, 2001). Certains éléments indiquent qu’une répartition très
inégale du capital humain, c’est-à-dire un accès inégal à la santé et à l’éducation,
est un obstacle majeur à la réduction de la pauvreté en Amérique latine et en Afrique
subsaharienne (Birdsall et al., 1995 ; Birdsall and Londono, 1997). Ce constat intéresse
au plus haut point l’Afrique, où le taux de pauvreté moyen se situe à 40 % et va en
s’accroissant dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, en particulier dans des
zones fragiles et touchées par un conflit (World Bank, 2018). Le nombre de personnes
vivant dans l’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne, par exemple, est passé
d’environ 278 millions en 1990 à 413 millions en 2015. S’agissant de la répartition,
dans 12 pays africains le niveau de vie des 40 % les plus pauvres n’augmente pas, voire
baisse (World Bank, 2018). Dans son rapport 2018 la Banque mondiale estime qu’à ce
rythme le taux d’extrême pauvreté restera supérieur à 10 % en Afrique subsaharienne
en 2030. Pour inverser cette tendance, les pays africains doivent parvenir à des taux de
croissance économique soutenus sans précédent dans l’histoire, tout en veillant à ce
que cette croissance soit très inclusive.
39
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
pour la compenser, et, d’un autre côté, par le fait qu’une partie d’un emprunt extérieur
peut être détournée pour être retransférée à l’étranger et alourdir ainsi la dette de l’État.
Ces craintes sont nourries par le fait que de nombreux pays africains ont connu une
crise d’endettement dans le passé. En raison de leur taux élevé de pauvreté et de leur
surendettement, ces pays sont devenus admissibles au bénéfice d’une aide spéciale
du FMI et de la Banque mondiale et ont été classés dans le groupe des « pays pauvres
très endettés » institué en 1996.
Dans le chapitre 5 du présent rapport est étudiée la relation entre les FFI et la
transformation structurelle, cette dernière étant définie au sens large comme la
redistribution de l’activité économique entre l’agriculture, l’industrie manufacturière
et les services. Plus précisément, la réorientation des ressources vers le secteur non
agricole a pour moteurs : la hausse de la productivité agricole, qui permet de réduire
la contrainte de la production vivrière ; l’atténuation des facteurs limitant la mobilité
intersectorielle de la main-d’œuvre ; la formation accrue de capital. La transformation
structurelle de l’activité économique est en général analysée au moyen des indicateurs
sectoriels suivants : part du secteur considéré dans l’emploi et dans la valeur ajoutée
pour le volet production ; part des dépenses de consommation finale allant au secteur
considéré pour le volet consommation. Schématiquement, les résultats empiriques
relatifs à la transformation structurelle dans les pays développés, obtenus à partir de
séries chronologiques de longue durée, montrent que l’accroissement du PIB par
habitant s’accompagne d’une diminution de la part du secteur agricole dans l’emploi
et dans la valeur ajoutée nominale et d’une augmentation de la part du secteur des
services. Les paramètres technologiques, les politiques, les réglementations et les
facteurs institutionnels et culturels qui tendent à maintenir la main-d’œuvre dans les
secteurs traditionnels, dont l’agriculture, peuvent entraver la mobilité de la main-
d’œuvre et ralentir le déplacement attendu de la main-d’œuvre vers le secteur des
services (Messina, 2006 ; Hayashi and Prescott, 2008).
40
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Du fait de la forte dépendance à l’égard des activités des entreprises multinationales, les
comptes nationaux sont sensibles aux « changements organisationnels, même mineurs,
apportés par les grandes entreprises multinationales »12. Dans cette même ligne, le
chapitre 4 du présent rapport s’intéresse au problème de l’opacité des données au
sein de nombreuses chaînes de valeur mondiales qui découle de la prépondérance des
entreprises multinationales dans le commerce mondial de biens et de services. Toute
tentative d’améliorer la collecte des données pour suivre l’évolution de la productivité
dans les différents secteurs s’en trouve entravée.
Le présent rapport n’a pas pour ambition d’analyser l’impact des FFI sur l’accumulation
de capital et sur l’investissement, mais force est de constater que les FFI ont aussi
des retombées nocives sur l’économie en contrariant l’investissement intérieur. Des
recherches antérieures concernant l’impact de la fuite des capitaux sur l’investissement
intérieur ont montré qu’à la date de 1990 cette déperdition de ressources financières
se traduisait par une perte de production de l’ordre de 16 % (Collier et al., 2001) et
une diminution de l’ordre d’un point de pourcentage du taux annuel d’accumulation de
capital productif en Afrique subsaharienne (Nkurunziza, 2014).
12
Voir https://unctad.org/en/pages/newsdetails.aspx?OriginalVersionID=2206.
41
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Les pays développés et les pays en développement savent d’expérience que recouvrer
le produit des FFI est un jeu qui en vaut la chandelle. Par exemple, entre 2013 et 2019,
suite à la diffusion par la presse de révélations issues de fichiers informatiques soustraits à
un cabinet d’avocats panaméens, la France a recouvré 372 millions d’euros en paiement
d’impôts et d’amendes, somme qui, selon des estimations, permettrait de construire
24 écoles primaires de 20 élèves par classe ou deux grands hôpitaux publics, aux prix
d’une grande métropole française (France, Assemblée nationale, 2019). Les progrès
sont lents dans le monde, mais certains pays africains sont parvenus à préparer le
terrain pour un rapatriement de capitaux. À la date de 2018, l’Initiative Afrique, soutenue
par l’OCDE, avait aidé les membres africains à identifier plus de 90 millions d’euros
de recettes fiscales supplémentaires13. Le Nigéria a réussi à récupérer 0,5 milliard de
dollars auprès de banques suisses en 2005 (UNODC and World Bank, 2007).
Dans le chapitre 6 du présent rapport est dressé un état des lieux en ce qui concerne
les recettes publiques en Afrique et la place pouvant revenir à la lutte contre les FFI
dans les efforts de mobilisation des ressources nationales ; cet état des lieux a été
établi à partir de renseignements provenant de l’Initiative Banque mondiale/ONUDC
pour le recouvrement des avoirs volés, ainsi que de la base de données sur les recettes
publiques du Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD) et de
l’Institut mondial pour la recherche en économie du développement de l’Université des
Nations Unies (UNU-WIDER). L’analyse a pour arrière-plan la hausse du nombre de cas
d’affectation de fonds rapatriés à des projets de développement. Il est toujours plus
pressant de faire valoir que le rapatriement de fonds en Afrique pourrait à un certain
point contribuer à financer de gros investissements sur la voie de la transformation
économique et sociale du continent. Par exemple, selon la BAfD, en Afrique le produit
de la corruption est largement supérieur au montant des investissements nécessaires
pour assurer l’accès universel à l’électricité sur le continent d’ici à 2025, soit de 60 à
90 milliards de dollars par an (AfDB, 2017). La corruption n’est comptabilisée comme FFI
que si elle donne lieu à un transfert transfrontière de fonds. Plusieurs cas de rapatriement
de fonds permettent d’illustrer les efforts particuliers déployés pour affecter de tels
fonds à des projets ciblés. Ainsi, en 2004 et 2012, après l’aboutissement d’enquêtes
pénales ouvertes suite à des allégations de corruption et de blanchiment de capitaux en
provenance d’Angola, ce pays et la Suisse ont affecté une partie des fonds recouvrés
à la construction d’un hôpital, d’infrastructures et d’ouvrages d’approvisionnement en
eau ainsi qu’au renforcement des capacités locales aux fins de la réintégration des
personnes déplacées. Dans le cadre d’une initiative analogue, le Royaume-Uni et la
13
Voir www.oecd.org/tax/transparency/documents/international-community-has-achieved-unprecedented-
success-fighting-offshore-tax-evasion.htm.
42
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
République-Unie de Tanzanie ont alloué des fonds recouvrés aux écoles primaires du
pays, notamment à l’achat de matériel didactique et de pupitres scolaires dans des
zones rurales reculées. Le présent rapport tire parti de ces enseignements ainsi que
de ceux d’études antérieures sur la dynamique des indicateurs socioéconomiques et
les politiques et réglementations pétrolières, à la lumière du cas du Nigéria (UNCTAD,
2017 ; Chérel-Robson, 2017).
43
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Chapitre 1 annexe
Coût annuel estimatif des flux financiers illicites en provenance d’Afrique et du monde
(différentes années)
Afrique Coût en milliards de dollars
Fausse facturation dans le commerce internationala
Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique
40,2 (2010)
(UNECA, 2015)
Ndikumana et Boyce (Ndikumana and Boyce, 2018) 30 (2015)
Global Financial Integrity (Global Financial Integrity, 2019) 45b or 131c (2015)
Kar et Cartwright-Smith (Kar and Cartwright-Smith 2009) 52,9 (2008)
Manipulation des prix de transfert
Médiane de la fourchette basse des estimations (OECD, 2015 ; Janský and
4,8 (2015)
Palanský, 2018 ; Tørsløv et al., 2018)
Médiane de la fourchette haute des estimations (Crivelli et al. , 2015 ; Cobham
55,4 (2015)
and Janský, 2018)
Chalandage fiscal (Beer and Loeprick, 2018), ensemble des pays 3,4 (2015)
Fraude fiscale individuelle par des particuliers à fortune nette élevée (Zucman,
9,6 (2014)
2014)
FFI liés à la corruption : BAfD (AfDB, 2015) 148 (par an)
FFI liés à la corruption : (Yikona et al. (2011), estimations pour le Malawi 0,44 (sur 10 ans)
Perte fiscale intérieure (définie comme manque à gagner fiscal intérieur)
Estimations pour le Malawi (Yikona et al., 2011) 0,42 (2009)
Estimations pour la Namibie (Yikona et al., 2011) 0,84 (2009)
Ensemble du monde
Perte fiscale intérieure (définie comme le manque à gagner fiscal intérieur)
Perte mondiale annuelle (Cobham and Janský, 2018) 500 (par an)
Perte mondiale annuelle (Tørsløv et al., 2018) 200 (par an)
Évasion fiscale internationale : estimation mondiale (UNCTAD, 2014) 70 à 120 (par an)
Criminalité transnationale organisée
Total estimatif mondial du produit de 11 activités criminelles (May, 2017) De 1 600 à 2 200 (par an)
Montant estimatif mondial du produit de la criminalité transnationale organisée
650 (par an)
(UNODC, 2011)
Montant estimatif mondial du produit du trafic illicite de migrants (UNODC, 2018) De 5,5 à 7 (2016)
Montant estimatif mondial du blanchiment d’argent
Schneider et Buehn (Schneider and Buehn, 2013) 603 (2 006 par an)
ONUDCd De 800 à 2 000 (par an)
Source : Compilation par la CNUCED d’estimations tirées de divers rapports et publications accessibles au public.
a La principale différence entre la méthodologie de Global Financial Integrity et celle de Ndikumana et Boyce
(Ndikumana and Boyce 2018) est que ces derniers considèrent que la fuite de capitaux peut s’accompagner
44
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
de flux entrants, si bien que le calcul du montant estimatif net de la fausse facturation des importations (et de
la fausse facturation en général) peut conduire à revoir à la baisse le montant estimatif de la fuite de capitaux
(Boyce and Ndikumana, 2012).
b
Global Financial Integrity (Global Financial Integrity, 2019), à l’aide de chiffres extraits de la base de données
Comtrade des Nations Unies (estimations pour 2015).
c
Global Financial Integrity (Global Financial Integrity, 2019) à l’aide de chiffres extraits de l’Annuaire de la Direction
des statistiques commerciales (DOTS) du FMI (estimations pour 2015).
d
Voir www.unodc.org/unodc/en/money-laundering/globalization.html.
45
Chapitre 2
Estimation de
l’ampleur des flux
financiers illicites
liés aux exportations
de produits extractifs
de l’Afrique
Mesurer les FFI liés au commerce en Afrique est
essentiel pour les combattre. Dans le présent rapport,
soucieux d’aider les décideurs à définir leurs priorités et
à concevoir des politiques adaptées pour faire face à
ce phénomène, nous nous sommes attachés à affiner
les méthodes d’estimation et de classification des FFI
liés au commerce, sans pour autant aller au fond des
débats récents sur la méthodologie. Nous sommes
partis du postulat que, même en se fondant sur les
estimations les plus prudentes, l’ampleur des FFI
liés aux exportations de produits extractifs des pays
africains est très préoccupante. Il est crucial de disposer
d’estimations fiables pour endiguer les FFI et définir des
politiques réfléchies pour y faire face. Comme il ressort
du cadre conceptuel du présent rapport, exposé dans
le chapitre 1, la fausse facturation est une source
majeure de flux illicites transfrontières de valeur.
LES FFI
liés au
secteur extractif
se montent au minimum à
40 milliards
de dollars
or
77 %
Ventilation de la sous-facturation
totale des exportations diamants
africaines de produits
extractifs 12 %
platine
6%
autres
produits
5%
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
14
Dans le présent rapport, la méthode de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral est appliquée
en utilisant les chiffres de la base de données Comtrade des Nations Unies ; la Direction des statistiques
commerciales (DOTS) du FMI suit la même méthode pour évaluer l’ampleur de la fausse facturation dans le
commerce extérieur.
49
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
international, l’accent étant mis ici sur l’écart observé au niveau d’un groupe de produits
pour un même flux commercial enregistré par les deux pays partenaires.
Dans la méthode résiduelle, qui sert à évaluer l’ampleur de la fuite des capitaux15, les
FFI sont traités comme des sorties de capitaux non enregistrées et mesurés à l’aune
du résidu de la balance des paiements, après corrections pour tenir compte de la
sous-déclaration des emprunts extérieurs et des écarts entre les données miroir du
commerce bilatéral. Les termes « fuite des capitaux » et « flux financiers illicites » sont
parfois employés l’un pour l’autre alors que ces concepts sont très différents. En fonction
de la définition retenue, la fuite des capitaux peut être illicite, mais tous les FFI ne relèvent
pas de la fuite des capitaux (par exemple, les flux issus de la contrebande). L’illicéité
de la fuite de capitaux peut tenir au fait que les capitaux en cause ont été illégalement
acquis, transférés ou détenus à l’étranger ou à la combinaison des trois. Sont illicites
les capitaux ayant pour origine le détournement de fonds, la corruption, l’extorsion,
la fraude fiscale et diverses activités criminelles. Les fortunes ainsi acquises sont bien
souvent transférées clandestinement à l’étranger pour échapper à tout contrôle de la
légalité de leur origine. Sur le plan conceptuel, les FFI englobent la fuite des capitaux,
mais aussi le produit de la vente de biens importés en contrebande, le produit du trafic
illicite de drogues et d’autres produits de contrebande et les sorties de fonds acquis
illégalement qui ont été blanchis dans le pays avant d’être transférés à l’étranger par des
circuits officiels. Ces fonds sont d’origine illicite sans pour autant relever de la fuite de
capitaux car après blanchiment ils sont comptabilisés dans la balance des paiements
(Ndikumana et al., 2014).
15
Par fuite des capitaux on entend les flux financiers qui sortent d’un pays au cours d’une période déterminée
sans être comptabilisés dans les statistiques officielles nationales (Ndikumana and Boyce, 2018). La définition
de la fuite des capitaux utilisée dans ce chapitre participe de la méthode résiduelle de la balance des
paiements et diffère sur le plan conceptuel des flux de capitaux sortant d’un pays en raison d’un événement
politique ou économique.
50
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
écarts entre les données miroir du commerce bilatéral pour huit groupes de produits
extractifs16. L’analyse miroir des statistiques du commerce bilatéral permet de mettre en
évidence des incohérences révélatrices de fausse facturation (falsification d’une facture
afin de transférer des fonds à l’étranger) ; cette méthode est appliquée depuis longtemps
pour détecter la fraude douanière (Morgenstern, 1963 ; Bhagwati, 1964, 1967). Une
analyse miroir consiste à comparer les flux d’exportation d’un pays vers un autre aux
flux d’importation de ce second pays en provenance du premier. La différence entre ces
deux agrégats doit en principe correspondre aux coûts de transport et d’assurance ;
si la différence est plus élevée elle peut s’expliquer par des raisons valables d’ordre
logistique ou statistique, mais aussi par une fausse facturation délibérée. Dans une
étude de l’OMD (WCO, 2018), il est constaté que cette méthode permet de repérer les
écarts entre les données miroir du commerce bilatéral17 mais pas de déterminer si ces
écarts sont imputables à la fausse facturation ou à des erreurs aléatoires de déclaration.
Il est à supposer que la fausse facturation et les erreurs aléatoires n’ont pas les mêmes
propriétés statistiques, mais il n’en va pas de même pour les erreurs systématiques
découlant des modalités d’enregistrement des statistiques du commerce international.
Comme exposé dans la section 2.3, il est difficile d’attribuer un écart observé dans les
statistiques du commerce bilatéral à une fraude douanière délibérée plutôt qu’à des
différences d’évaluation, au temps d’acheminent, à la destination effective ou à une
classification erronée des produits.
Le tableau 1 illustre les quatre types d’écarts que l’analyse miroir du commerce bilatéral
peut révéler et leur explication. Ce chapitre est axé sur les produits extractifs primaires,
qui comptent pour plus de la moitié dans les exportations africaines (fig. 3) et l’analyse
ne porte donc que sur ces pays. Les statistiques miroir des flux commerciaux entre deux
pays présentent un écart positif pour l’un d’eux si la valeur déclarée de ses exportations
vers l’autre est inférieure à la valeur déclarée des importations de ce second pays
provenant du premier. L’écart observé peut s’expliquer par la sous-facturation des
exportations, qui consiste pour une entreprise exportatrice à minorer la valeur déclarée
de ses exportations afin de dissimuler une partie des bénéfices commerciaux qu’elle
réalise à l’étranger (WCO, 2018). Les marchandises sortent effectivement du pays mais
une partie du flux financier connexe reste sur un compte à l’étranger. Cette pratique
prive les pays en développement de devises étrangères dont ils ont grand besoin et
érode l’assiette fiscale d’États qui peinent déjà à mobiliser des ressources nationales
pour financer la réalisation des objectifs de développement durable.
16
Or, platine, diamants, cuivre, fer, aluminium, manganèse, pétrole/gaz.
17
L’écart entre les données miroir du commerce entre deux pays correspond à la différence entre la valeur d’un
flux d’exportation d’un pays A et la valeur du flux d’importation correspondant d’un pays B.
51
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Tableau 1
Typologie des résultats des écarts observés dans les statistiques miroir du commerce bilatéral
À l’importation, un écart positif peut s’expliquer par une surfacturation des importations,
par exemple aux fins de maquiller une fuite de capitaux en un paiement au titre d’une
opération commerciale (WCO, 2018). Ce procédé consiste pour un importateur à
majorer la valeur déclarée de ses importations et à placer sur un compte à l’étranger
la somme payée en sus de la valeur réelle de ses importations. Cette pratique est
source de FFI liés au commerce, se soldant pour un pays par des sorties de fonds d’un
montant (ou de marchandises d’un volume) supérieur aux chiffres consignés dans les
registres officiels. La surfacturation et la sous-facturation relèvent de la contrebande
dite technique par opposition à la contrebande pure et simple18, cette dernière pouvant
contribuer à l’écart observé dans les données miroir du commerce entre deux pays si
des marchandises exportées en contrebande de l’un sont importées légalement dans
l’autre. Si les deux partenaires commerciaux s’entendent pour falsifier le montant d’une
facture, la différence entre la valeur déclarée et la valeur réelle n’est pas saisie dans
l’écart entre les données miroir du commerce entre les deux pays concernés car la
valeur enregistrée dans leurs statistiques respectives est la même. Dans une étude
18
On parle de contrebande pure et simple quand des marchandises sont exportées clandestinement d’un pays
et importées clandestinement dans un autre ; il peut s’agir de produits illicites (drogue, etc.). La contrebande
technique consiste à falsifier la valeur déclarée des marchandises acheminées par les circuits officiels et elles
sont donc, en partie du moins, enregistrées dans les statistiques du commerce.
52
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Ce chapitre apporte une contribution à la mesure des FFI liés au commerce par la
méthode de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral :
a) En établissant que le modèle des écarts observés dans les données miroir du
commerce bilatéral s’applique mieux que les autres aux exportations africaines
de produits primaires extractifs ;
53
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Dans son rapport, le Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance
d’Afrique (UNECA, 2015) examine l’ensemble du continent et des paires de pays et
de produits spécifiques. Il constate que la plus grande partie du total des flux illicites
en provenance d’Afrique ayant pour sources les secteurs des métaux précieux, du fer
et de l’acier et des minerais est imputable à l’Union douanière de l’Afrique australe ;
la part de la Zambie atteint à elle seule 65 % en ce qui concerne la fausse facturation
dans le commerce du cuivre. Les difficultés que soulève l’utilisation des statistiques
du commerce international de l’Afrique australe sont examinées en détail dans la
section 2.3.
Jusqu’à 50 % des flux illicites en provenance d’Afrique ont pour source la fausse
facturation dans le commerce international et plus de la moitié des FFI qui y sont liés
ont pour source le secteur extractif, selon les estimations figurant dans une étude de
la CEA et du Centre africain de développement minier (UNECA and African Minerals
Development Centre, 2017). Cette étude et d’autres ont mis en évidence que le secteur
extractif est une source de FFI et que la communauté internationale peut concourir à les
combattre (UNCTAD, 2016). Les entreprises multinationales actives dans l’exploitation
minière centralisent toujours plus leurs activités de négoce, ce qui accentue le risque
de fausse facturation. Singapour et la Suisse figurent parmi les pays les plus attrayants
pour la centralisation de ces activités de négoce grâce aux avantages fiscaux qu’ils
accordent aux entreprises multinationales de négoce (UNECA and African Minerals
Development Centre, 2017). La Suisse compte pour environ un tiers dans le commerce
de transit mondial de marchandises clefs comme le pétrole, les métaux et les produits
agricoles (Lannen et al., 2016).
19
La capacité institutionnelle d’un pays influe sur son aptitude à faire appliquer les contrôles douaniers et
frontaliers et par la même sur l’exactitude de ses statistiques du commerce et sur la probabilité de l’existence
de FFI.
54
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Le tableau 2 récapitule les chiffres estimatifs du montant des FFI au niveau des pays en
Afrique. Par exemple, Ahene-Codjoe et Alu (Ahene-Codjoe and Alu, 2019) constatent
dans le cas du Ghana une minoration prononcée et anormale de la valeur des exportations
de marchandises. En utilisant les prix de référence du marché actuel et le filtre de
l’intervalle interquartile des prix, les auteurs estiment que la valeur des exportations d’or
(lingots d’or et or brut) de ce pays dont le prix a été anormalement minoré se monte à
3,8 milliards de dollars, soit 11 % de la valeur totale des exportations d’or dudit pays
entre 2011 et 2017 (35,6 milliards de dollars). Toujours selon leurs estimations, la valeur
de 2,7 % des 12,6 milliards de dollars de fèves de cacao exportées du Ghana a été
minorée, tout comme la valeur de 7,5 % du 1,8 milliard de dollars de pâte de cacao
exportée. Les auteurs considèrent que des risques élevés de FFI existent à cause de la
présence de nombreuses entreprises multinationales dans ce secteur ; leur constat va
dans le sens d’études antérieures dans lesquelles des préoccupations sont exprimées
face au risque de voir le commerce des matières premières constituer une source de
FFI au Ghana. Dans une autre étude, Nicolaou-Manias et Wu (Nicolaou-Manias and Wu,
2016) estiment l’ampleur de la fausse facturation dans le commerce international de
cinq pays africains en appliquant la même méthode que dans l’Annuaire de la Direction
des statistiques commerciales (DOTS) du FMI ; ils concluent à un recul du recours
à la fausse facturation en Afrique du Sud et en Zambie sur la période 2013-2015 et
au Nigéria sur la période 2013-2014. À l’opposé, en Égypte et au Maroc la fausse
facturation, déjà sensible, s’est accrue à partir de 2013-2014.
Les études récapitulées dans le tableau 2 ont produit un large éventail de chiffres
estimatifs des FFI et de la fuite des capitaux calculés en utilisant des données et des
méthodes empiriques diverses, ce qui rend impossible toute comparaison entre eux.
Au moment de la rédaction de ces lignes trop peu d’études avaient été consacrées
aux facteurs d’ordre statistique pouvant expliquer les asymétries dans les chiffres des
flux commerciaux entre deux pays, en particulier en Afrique (United Nations Statistics
Division (UNSD, 2019)). Dans ce chapitre nous tentons de répondre aux critiques
formulées dans différentes études, en tenant davantage compte des coûts de transport
et d’assurance et en analysant en profondeur les modalités d’enregistrement des
statistiques du commerce international, l’accent étant mis sur les particularités de
chaque pays. Dans ce chapitre nous procédons à une analyse, axée sur l’Afrique, des
écarts observés dans les données miroir du commerce bilatéral de certains pays pour
quelques produits (et leurs chaînes de valeur) très importants pour le continent du fait
de leur part élevée dans les exportations totales et dont il a été établi qu’ils étaient des
sources potentielles de sorties illicites (UNECA, 2015 ; UNCTAD, 2016).
55
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Tableau 2
Tableau récapitulatif des montants estimatifs des flux financiers illicites par pays
Étude Méthode d’étude et/ou résultats
CNUCED (UNCTAD, 2016) Fausse facturation nette des exportations sur la période 2000-2014 :
argent et platine, 24 milliards de dollars ; fer, 57 milliards de dollars
Ndikumana et Boyce (Ndikumana Fuite des capitaux : 198 milliards de dollars entre 1970 et 2015
Afrique du Sud
and Boyce, 2018)
Nicolaou-Manias et Wu Méthode GER : 67 milliards de dollars sur la période 2013-2015
(Nicolaou-Manias and Wu, 2016)
Ndikumana et Boyce (Ndikumana Fuite des capitaux : 60 milliards de dollars entre 1986 et 2015
Angola
and Boyce, 2018)
CNUCED (UNCTAD, 2016) Fausse facturation nette des exportations de cacao : 3,7 milliards de
dollars sur la période 1995-2014
Côte d’Ivoire
Ndikumana et Boyce (Ndikumana Fuite des capitaux : 32 milliards de dollars entre 1970 et 2015
and Boyce, 2018)
Nicolaou-Manias et Wu Méthode GER (flux bruts hors retours) ; 32,6 milliards de dollars en
Égypte
(Nicolaou-Manias and Wu, 2016) 2013-2014
Ahene-Codjoe et Alu Microdonnées fournies par l’Administration fiscale du Ghana
(Ahene-Codjoe and Alu, 2019) (2011-2017) : sous-valorisation manifeste de 3,8 milliards de dollars
d’exportations d’or et de 12,6 milliards de dollars d’exportations de
Ghana cacao
Marur (Marur, 2019) Données miroir du commerce entre le Ghana et la Suisse et le Ghana
et le Royaume-Uni sur la période 2000-2017 :
Or : 6 milliards de dollars ; cacao : 4,3 milliards de dollars
Letete et Sarr (Letete and Sarr, Les auteurs utilisent les estimations de Ndikumana contenues dans la
Kenya 2017) base de données de l’Institut de recherche en économie politique et
les relient aux institutions
Chalendard et al. (Chalendard Sous-facturation à l’importation et données miroir du commerce
et al., 2016) pour détecter la fraude douanière, qui a réduit d’au moins 30 % en
Madagascar
2014 les recettes douanières hors pétrole (droits et taxe sur la valeur
ajoutée à l’importation)
Nicolaou-Manias et Wu Méthode GER ; 16,6 milliards de dollars en 2013-2014
Maroc
(Nicolaou-Manias and Wu, 2016)
CNUCED (UNCTAD, 2016) Fausse facturation des exportations de pétrole à hauteur de 44
milliards de dollars et des importations à hauteur de 45 milliards de
Nigéria dollars sur la période 1996-2014
Nicolaou-Manias et Wu Méthode GER ; 48 milliards de dollars en 2013-2014
(Nicolaou-Manias and Wu, 2016)
Cathey et al. (Cathey et al., 2018) Données d’Eurostat et analyse au filtre de prix. Montant sous-valorisé
République démocratique
des importations de l’UE en provenance de République démocratique
du Congo
du Congo : 9,95 milliards d’euros sur la période 2000-2010
CNUCED (UNCTAD, 2016) Fausse facturation nette des exportations de cuivre : 14,5 milliards de
dollars sur la période 1995-2014
Zambie
Nicolaou-Manias et Wu Méthode GER ; 12,5 milliards de dollars sur la période 2013-2015
(Nicolaou-Manias and Wu, 2016)
Source : Secrétariat de la CNUCED.
Note : La méthode GER ne prend en compte que les écarts positifs, les écarts négatifs mis en évidence par la
méthode des pays partenaires étant considérés comme nuls.
56
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Dans ce chapitre sont analysés les écarts observés dans les données miroir du
commerce intra-africain et extracontinental et les sources de sorties illicites dans
ce cadre. Le manque de renseignements sur les modalités d’enregistrement des
statistiques du commerce intra-africain est un obstacle majeur à une évaluation précise
de l’état actuel de l’intégration commerciale régionale et continentale. Certaines
particularités du commerce international de quelques produits primaires sont mises en
évidence (forte concentration du négoce de certains produits primaires, passage des
métaux par des entrepôts sous douane, exportation du pétrole par oléoduc, etc.), ainsi
que leurs incidences sur les statistiques connexes.
Dans l’échantillon constitué figurent des produits primaires dont des études antérieures
ont établi qu’ils génèrent des sorties illicites, ainsi que des produits extractifs
prépondérants pour le continent. La plupart des pays africains (46 sur 54) dépendent
fortement de l’exportation de produits primaires20. Parmi eux, 18 sont tributaires de
leurs exportations de minéraux, de minerais et de métaux, 17 de leurs exportations
20
Un pays dépend de ses exportations de produits primaires si elles comptent pour plus de 60 % dans le total
de ses exportations de biens. À cette aune, plusieurs pays africains ne dépendent pas de leurs exportations
de produits primaires (Afrique du Sud, Cabo Verde, Égypte, Eswatini, Lesotho, Maroc, Maurice et Tunisie,
entre autres).
57
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Pour calculer les écarts entre les données miroir du commerce bilatéral, il convient
de distinguer commerce intra-africain et commerce extracontinental des pays africains
car les deux diffèrent par leur volume et les produits concernés. Les protagonistes et
la finalité de la fausse facturation à des fins de fraude douanière diffèrent aussi et la
qualité des données sur le commerce intra-africain est en général moins bonne car
les frontières terrestres des pays africains sont poreuses et il est souvent plus difficile
que dans les ports d’y enregistrer les mouvements de marchandises. L’écart entre
les données miroir du commerce bilatéral ne devrait donc pas présenter les mêmes
caractéristiques pour les exportations intra-africaines de produits extractifs que pour les
exportations extracontinentales.
58
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
La figure 3 illustre les parts respectives des exportations des groupes de produits
étudiés dans le total des exportations africaines. Sur la période 2000-2018, les produits
primaires extractifs ont compté pour plus de 50 % dans le total de ces exportations,
dont 40 % pour les exportations de pétrole et de gaz. Plusieurs de ces groupes de
produits ne représentent qu’un faible pourcentage du total des exportations africaines
et tous ne sont donc pas pris en compte dans l’analyse finale (les groupes classés après
le manganèse en sont exclus car leurs parts respectives dans le total étaient trop faibles
au moment de la rédaction du présent rapport.
Figure 3
Exportations par groupe de produits (2000-2018)
(En pourcentage du total des exportations africaines)
Groupe du fer
Diamants
Platine
Groupe du cuivre
Groupe de
l’aluminium
Or
Manganèse
Chrome
Uranium
Titane
Minerais de
métaux précieux
Cobalt
Argent
Métaux de
terres rares
Groupe
du molybdène
0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
59
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Méthode
Cette section décrit la méthode utilisée pour calculer l’écart (DX) dans les données
miroir du commerce extracontinental, c’est-à-dire la différence entre la valeur déclarée
des exportations de produits d’Afrique vers le reste du monde et la valeur déclarée des
importations correspondantes d’Afrique par le reste du monde. En nous inspirant d’une
étude de Ndikumana et Boyce (Ndikumana and Boyce, 2018), nous posons l’équation
ci-après qui permet de calculer la différence entre la valeur déclarée des importations (M) et
la valeur déclarée des exportations (X) corrigée des coûts de transport et d’assurance (Ⱦ):
Dans cette équation, l’écart DX peut être imputé des erreurs d’ordre statistique et
logistique entachant les données miroir mais aussi à une fausse facturation délibérée
à l’exportation. Compte tenu des carences dans la déclaration des statistiques du
commerce international, un DX positif pour une année considérée peut être révélateur
d’une sous-facturation des exportations, tandis qu’un DX négatif est plus difficile à
interpréter car les modalités du commerce d’un produit primaire considéré ont des
incidences à cet égard. Établir une corrélation entre un DX négatif et des FFI est difficile
pour les raisons suivantes : a) dans le contexte des industries extractives en Afrique,
des flux entrants illicites sont contre-intuitifs ; b) des écarts négatifs prononcés dans
les données miroir de flux commerciaux (valeur déclarée des exportations supérieure
à celle des importations correspondantes) ont de fortes chances d’être imputables
aux spécificités du produit primaire considéré et aux modalités de son commerce
(par exemple, le stockage du cuivre en entrepôt sous douane ou la transformation en
amont dans une zone franche industrielle). Le coefficient de correction pour les coûts de
transport et d’assurance (Ⱦ) est chiffré à 1,1, comme dans les études de Ndikumana et
Boyce (Ndikumana and Boyce, 2018) et de la CNUCED (UNCTAD, 2016). On suppose
donc que les coûts de transport et d’assurance comptent pour 10 % dans la valeur des
exportations. Dans la section 2.3, ce coefficient est appliqué à des chiffres extraits de
la base de données de l’OCDE sur les coûts de transport et d’assurance du commerce
international de marchandises, ce qui permet d’estimer avec davantage de précision les
écarts entre les données miroir du commerce bilatéral.
60
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Le tableau 3 récapitule des chiffres estimatifs de l’ampleur des FFI liés au commerce
calculés dans quelques études sur la base des écarts observés dans les statistiques de
flux commerciaux bilatéraux. Les diverses méthodes suivies présentent des différences
notables, exposées ci-après, qui influent sur la grandeur du chiffre estimatif obtenu.
Premièrement, comme Global Financial Integrity (Global Financial Integrity, 2019), on
peut considérer qu’un écart négatif entre les données miroir des flux commerciaux entre
deux pays n’est pas révélateur de flux illicites ou le considérer comme nul. Deuxièmement,
si la somme de tous les écarts entre les données miroir des flux commerciaux entre
Tableau 3
Afrique : chiffres estimatifs des flux financiers illicites liés au commerce établis
dans quelques études
(En milliards de dollars)
Global Financial Global Financial
CEA Integrity Integrity
Ndikumana
(UNECA, (Global Financial (Global Financial CNUCED
et Boyce
2015) : Integrity 2019) : Integrity 2019) : (UNCTAD, 2020) :
(Ndikumana
moyenne à partir des à partir des estimations
and Boyce,
annuelle, estimations 2015 estimations 2015 2015a
2018) : 2015
2000-2010 de la base de de la base de
données DOTS données Comtrade
Écart positif
39 11 40
à l’exportationb
Écart positif
65 23 38
à l’importationc
Total 16d à 29
Note : Les pays et l’intervalle de temps couverts varient de l’une à l’autre de ces quelques études.
a Le présent rapport traite des exportations extracontinentales de huit groupes de produits ; 80 % des résultats
sont fortement influencés par les chiffres de l’Afrique du Sud et de l’or. Autres pays couverts : Angola, Bénin,
Burundi, Égypte, Eswatini, Gambie, Guinée, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maroc, Maurice, Mozambique, Niger,
Ouganda, République centrafricaine, République-Unie de Tanzanie, Rwanda, Sénégal, Togo et Zimbabwe.
b
Un écart positif à l’exportation signifie que la valeur déclarée des exportations d’un produit d’un pays est
inférieure à la valeur déclarée des importations correspondantes dans le pays destinataire. Un tel écart peut être
révélateur d’une sous-facturation systématique des exportations ayant pour finalité de dissimuler des bénéfices
réalisés à l’étranger, par exemple dans un paradis fiscal. Une entreprise désireuse de faire sortir des capitaux
d’un pays peut sous-facturer ses exportations, opération qui se solde par une diminution des entrées de devises
dans ce pays.
c
Un écart positif à l’importation est un indicateur de surfacturation systématique des importations qui a pour
finalité de maquiller une fuite de capitaux en paiement au titre d’une transaction commerciale. Un écart positif, à
l’exportation comme à l’importation, peut être révélateur de sorties illicites liées au commerce.
d
L’estimation totale de la CEA (UNCEA, 2015) porte sur les cinq principaux produits.
61
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
deux pays est négative, on peut, comme Ndikumana et Boyce (Ndikumana and
Boyce, 2018), ne pas l’imputer à des entrées illicites mais à des particularités dans
l’enregistrement du commerce de certains produits. Troisièmement, le commerce total
est le niveau d’agrégation des données utilisé dans ces études, hormis celles de la
CEA (UNECA, 2015) et de Global Financial Integrity (Global Financial Integrity, 2019),
ce qui rend impossible une analyse produit par produit. Quatrièmement, ce chapitre est
consacré aux sorties illicites liées aux exportations de produits extractifs et laisse donc
de côté importations, produits agricoles et produits manufacturés.
Global Financial Integrity (Global Financial Integrity, 2019) constate que l’Afrique
subsaharienne est la région du monde où la propension à la fausse facturation dans
le commerce international est la plus forte et est la seule où les sorties illicites sont
supérieures aux entrées illicites. Selon des estimations établies à l’aide de chiffres extraits
de la base de données Comtrade des Nations Unies, en 2015 les FFI se sont montés à
45 milliards de dollars et les sorties illicites à 23 milliards (tableau 3). Le montant estimatif
de 40 milliards de dollars de sous-facturation des exportations retenu dans le présent
rapport, calculé à partir de l’écart net à l’exportation, est la somme de tous les écarts
estimatifs positifs en 2015 constatés dans les 21 pays africains couverts pour les huit
groupes de produits de l’échantillon. Malgré les différences notables que présentent
les diverses méthodes employées pour estimer les sorties illicites du continent liées
au commerce, les conclusions convergent à un certain point : le volume des FFI est
élevé, il s’est accru au fil du temps et le commerce des produits primaires extractifs
y contribue fortement (UNECA, 2015 ; Östensson, 2018). Les estimations fondées
sur le commerce total ne doivent être considérées que comme indicatives car l’écart
total calculé en additionnant les écarts observés dans les données miroir de tous les
groupes de produits que couvrent les statistiques du commerce peut masquer une
grande hétérogénéité entre certains. Les estimations établies dans cette série d’études
ne sont guère comparables à cause de la grande diversité des définitions des FFI et des
données employées (niveau d’agrégation : total, position à quatre ou à six chiffres du
système harmonisé ou de la classification type du commerce international).
Un autre postulat sous-jacent aux estimations des FFI à partir des écarts entre les
données miroir du commerce bilatéral est que celles des pays développés sont en
général plus précises et que les disparités dans les statistiques des flux commerciaux
bilatéraux sont imputables principalement aux FFI liés au commerce générés dans les
pays en développement. L’écart entre les données miroir du commerce bilatéral est
donc en général calculé uniquement par rapport aux pays développés, puis il est ajusté
en fonction de la part dans le commerce total (voir Ndikumana and Boyce, 2018 et
62
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Global Financial Integrity, 2019, par exemple). Cette manière de procéder ne permet pas
d’analyser les asymétries dans les données relatives au commerce intra-africain ni de
tenir compte du fait que le négoce des produits primaires continue de se faire en Europe
mais que ce continent a cessé d’être le plus grand consommateur de ces produits. Par
ailleurs, l’idée selon laquelle les écarts entre les données miroir des flux commerciaux
entre deux pays seraient directement imputables à des FFI est controversée et a été
vivement critiquée comme étant trop simpliste dans de nombreuses études (De Wulf,
1981 ; Nitsch, 2011). Dans les débats récents, trop peu d’attention a été portée à
d’autres sources d’erreur, d’ordre purement logistique. En effet, dans leur analyse des
statistiques miroir du commerce entre le Japon et les États-Unis, Hong et Pak (Hong
and Pak, 2017) constatent que des écarts persistent même dans les échanges entre
pays développés. De même, dans leur analyse des asymétries dans les statistiques du
commerce entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, Bundhoo-Jouglah et al. (Bundhoo-
Jouglah et al., 2005) attribuent les différences constatées aux normes comptables.
D’autres difficultés, d’ordre statistique, sont exposées dans la section 2.3.
La figure 4 illustre la somme des écarts observés dans les statistiques du commerce
bilatéral pour les huit groupes de produits étudiés. Certaines tendances générales
se dégagent. Premièrement, l’écart entre les données miroir du commerce de l’or en
provenance d’Afrique du Sud (disponibles depuis 2011) influe fortement sur l’écart
63
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Tableau 4
Statistiques descriptives : commerce mondial, extracontinental et intra-africain
et écarts entre les données miroir (2000-2018)
Valeur déclarée
Nombre moyenne
Écart-type Minimum Maximum
d’observations (en millions
de dollars)
Importation 80 571 44 501 0 36 990
Exportation 74 302 43 476 0 34 384
Mondial
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
Note : « M-1.1* exportation » est la différence entre importations et exportations (ces dernières étant minorées
des coûts de transport et d’assurance, soit 10 % à titre d’approximation).
64
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 4
Somme des écarts entre les données miroir du commerce bilatéral par groupe de produits
(En millions de dollars)
40 000
30 000
20 000
10 000
-10 000
-20 000
-30 000
-40 000
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
L’écart entre les données miroir du commerce bilatéral a été estimé à partir de
109 451 observations : 40 803 sont appariées sur l’axe des marchandises du pays ;
37 330 sont des importations orphelines (pour la même année et la même marchandise
l’État africain partenaire n’a pas déclaré d’exportations) ; 31 318 sont des exportations
perdues (pour la même année et la même marchandise le pays partenaire n’a pas
déclaré d’importations). La figure 5 illustre le montant total des exportations des produits
inclus dans l’échantillon. La plus grosse part des exportations totales est couverte pour
les nombreux pays qui exportent surtout des produits miniers ou du pétrole, mais cette
65
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 5
Part des exportations des produits de l’échantillon dans les exportations totales (2000-2018)
(En pourcentage)
a) Extracontinental b) Intra-Afrique
-
Malawi Éthiopie
Comores Seychelles
Gambie Comores
Eswatini Malawi
Sao Tomé- Tunisie
et-Principe
Niger Maurice
Lesotho Lesotho
Kenya Eswatini
Togo Mauritanie
Rwanda Maroc
Maroc Guinée
Maurice République-
Unie de Tanzanie
Madagascar
République
Bénin centrafricaine
Ouganda Madagascar
Zimbabwe Égypte
Éthiopie Ouganda
Sénégal Burkina Faso
Mali Mali
Cabo Verde Gambie
Côte d'Ivoire
Burundi
Tunisie
Gabon
République-
Unie de Tanzanie Cameroun
Namibie Afrique du Sud
Burundi Togo
Seychelles Algérie
Afrique du Sud Rwanda
Mozambique Angola
Égypte Sao Tomé-
et-Principe
Ghana Bénin
Burkina Faso Cabo Verde
Cameroun
Zimbabwe
République
centrafricaine Kenya
Mauritanie Sénégal
Zambie Ghana
Guinée Zambie
Botswana Botswana
Nigéria Mozambique
Gabon Namibie
Angola Côte d'Ivoire
Algérie Nigéria
0 20 40 60 80 100 0 20 40 60 80 100
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
66
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
part est moindre pour les pays qui exportent des produits agricoles ou les pays dont les
exportations sont plus diversifiées.
Les résultats indiquent que l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral a
été positif et a augmenté pour huit pays21 sur la période 2010-2014 et pour cinq sur la
période 2015-201822, ce qui donne à penser que ces pays sont toujours plus exposés
au risque de sorties illicites liées au commerce par le canal de la sous-facturation des
exportations. Cet écart a été positif mais a tendu à diminuer pour trois pays sur la
période 2010-201423 comme sur la période 2015-201824, ce qui signifie que le risque
de sorties illicites par ce même canal a diminué dans ces pays sur ces deux périodes.
Pour les pays restants, cet écart est stable dans le temps ou bien aucune tendance
claire ne peut être dégagée à cause du trop petit nombre d’observations pour les
années considérées ou d’une trop grande volatilité. Les pays ont jusqu’à deux ans pour
communiquer leurs statistiques à la base de données Comtrade des Nations Unies ;
tous n’ont pas encore transmis leurs statistiques 2018.
21
Afrique du Sud, Burundi, Eswatini, Gambie, Lesotho, Mali, République-Unie de Tanzanie, Togo.
22
Bénin, Burundi, Lesotho, République-Unie de Tanzanie, Togo.
23
Bénin, Égypte, Madagascar.
24
Afrique du Sud, Égypte, Gambie.
67
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 6
Écart annuel moyen entre les données miroir du commerce bilatéral intra-africain (2000-2018)
(En millions de dollars)
Seychelles Madagascar
Rwanda
Tunisie
Gabon
Maurice Niger
Cameroun
Bénin
République-
Unie deTanzanie
Togo Zimbabwe
Côte d’Ivoire
Mozambique
Mali
Afrique
du Sud Nigéria
0 50 100 150 200 250 300 -1 500 -1 000 - 500
* Les pays pour lesquels l’écart est non concluant sont les suivants : Algérie, Angola, Botswana, Burkina Faso,
Burundi, Cabo Verde, Comores, Égypte, Eswatini, Éthiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Kenya, Lesotho, Malawi,
Maroc, Mauritanie, Namibie, Ouganda, République centrafricaine, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal et Zambie.
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
tous deux déclarent n’en exporter que de petites quantités et que leurs ressources en
or sont limitées. Une explication possible dans le cas du Togo est que de l’or extrait
dans la région du Sahel est exporté via ce pays et est incorrectement enregistré comme
originaire du Togo par le pays partenaire (Extractive Industries Transparency Initiative
(EITI) Togo, 2013). L’enregistrement des statistiques du commerce aux frontières
terrestres soulève des difficultés pour de nombreux pays à cause de la porosité de ces
frontières ; l’absence de contrôle douanier peut compromettre la sécurité nationale car
des organisations criminelles sont susceptibles d’utiliser ces routes commerciales pour
se livrer à la contrebande, en particulier d’armes.
Les écarts observés dans les données miroir du commerce bilatéral intra-africain ne
permettent guère dans l’ensemble de tirer des conclusions ; en effet, aucune tendance
stable n’est discernable dans le temps car un fort écart positif une année peut être
68
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 7
Écart entre les données miroir du commerce bilatéral intra-africain (2000-2018)
(En pourcentage des exportations totales, en valeur)
Mali
Ghana
Zimbabwe
République-Unie de Tanzanie
Burkina Faso
Côte d'Ivoire
Niger
Cabo Verde
Sao Tomé-et-Principe
Namibie
Botswana
Rwanda
Nigéria
Cameroun
Burundi
République centrafricaine
Égypte
Gabon
Ouganda
Madagascar
Algérie
Éthiopie
Maroc
Angola
Malawi
Guinée
Mauritanie
Tunisie
Lesotho
Eswatini
Afrique du Sud
Gambie
Seychelles
Zambie
Kenya
Comores
Maurice
Sénégal
Mozambique
Bénin
Togo
-50 -40 -30 -20 -10 0 10 20 30 40
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
suivi d’un écart négatif l’année suivante. Imputer ces fluctuations à des erreurs dans
l’enregistrement des échanges et à un comportement illicite systémique n’est pas
chose facile. Quand il est difficile de trouver une explication logique à la volatilité de cet
écart il est classé comme non concluant (fig. 6).
La figure 7 illustre, comme la figure 6, cet écart entre les données miroir du commerce
bilatéral intra-africain mais après pondération des estimations par les exportations
69
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
totales du pays, le classement étant alors différent25. Le Bénin et le Togo présentent les
plus forts écarts positifs aberrants Après cette pondération, ce qui peut s’expliquer par
les problèmes liés aux règles d’origine du commerce de l’or, comme exposé plus haut.
Selon Mayaki (Africa Renewal, 2020), le colonialisme fut un système de flux financiers
illicites en ce que la plupart des infrastructures d’avant l’indépendance reliaient pour
l’essentiel les mines aux ports et étaient axées sur l’extraction de minéraux et la
production agricole. Une grande partie de ces infrastructures subsiste dans la plupart
des pays d’Afrique. La non-déclaration d’une partie du commerce intra-africain est en
partie imputable à ces facteurs historiques et économiques. Ainsi, jusqu’en 2008 les
statistiques des exportations de l’Ouganda étaient compilées au port de Mombasa,
au Kenya, pratique héritée de l’époque coloniale (Jerven, 2013), et ce commerce
intra-africain n’apparaissant donc pas dans les statistiques officielles. Dans une étude
sur le commerce de l’Ouganda réalisée par le Bureau de statistique de ce pays, il est
constaté que le commerce informel transfrontalier est intense et contribue énormément au
bien-être des ménages et à la croissance (Kuteesa et al., 2010). Pareillement, une étude
réalisée à l’aide des métadonnées de la base de données Comtrade des Nations Unies
a mis en évidence que le commerce transfrontalier terrestre n’était pas pris en compte
dans les statistiques transmises par la Sierra Leone à la base de données Comtrade26.
Certains pays ne transmettent leurs statistiques que sporadiquement ou pas du tout, ce
qui amène à s’interroger sur l’utilité de la base de données Comtrade pour l’analyse du
commerce intra-africain. Améliorer les statistiques du commerce intra-africain est donc
crucial pour déterminer les possibilités d’intégration commerciale régionale.
L’analyse se heurte aussi au fait que le commerce informel transfrontalier est intense
et est très important pour de nombreux pays africains. À certaines frontières et pour
certains produits le commerce informel pourrait être du même ordre de grandeur que le
commerce formel. Dans une étude récente il a ainsi été constaté que le nombre de produits
exportés du Bénin vers le Nigéria était cinq fois plus élevé que ce qu’indiquaient les
relevés officiels (Bensassi et al., 2016). Le commerce informel transfrontalier et la porosité
25
La pondération de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral est un sujet délicat. Les pays
qui commercent le plus présentent en général des écarts plus élevés avec leurs partenaires, ce dont il
est tenu compte en pondérant par le PIB ou les exportations totales. Cet écart est pondéré ici par les
exportations totales, ce qui permet de comparer l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral
intra-africain et extracontinental pondéré par la valeur des exportations intra-africaines et extracontinentales.
La pondération par les exportations totales introduit des distorsions si l’écart observé est imputable à une
non-déclaration systématique de l’un des pays partenaires. C’est pourquoi dans le chapitre 5, qui porte sur
les écarts estimatifs dans les données miroir du commerce extracontinental des pays africains, le coefficient
de pondération utilisé est le PIB ; le Bénin et le Togo présentent toujours les écarts les plus aberrants (pour
plus d’informations, voir Schuster and Davis, 2020).
26
Voir https://comtrade.un.org/survey/.
70
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
des frontières font que les données ne sont pas collectées avec rigueur aux frontières
terrestres, ce qui peut limiter l’utilité de l’analyse des écarts entre les données miroir du
commerce bilatéral pour en induire l’ampleur des FFI liés au commerce intra-africain.
Une approche systématique de l’évaluation du commerce informel transfrontalier et
de sa formalisation s’impose pour déterminer le potentiel de croissance et les risques
associés au commerce intra-africain. Les échanges informels transfrontaliers ne sont pas
assimilables aux FFI, même si ces derniers peuvent emprunter les mêmes circuits que
les premiers. La méthode de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral peut
aussi servir à repérer les problèmes d’enregistrement des échanges et les déficiences
douanières. Par exemple, si dans tous les partenaires commerciaux d’un certain pays
la valeur déclarée d’une même marchandise à l’importation est supérieure à la valeur
déclarée à l’exportation dans ce même pays cet écart peut être imputable à l’intensité
du commerce informel transfrontalier (éventuellement illicite) ou à la contrebande.
Asymétries dans les données du commerce bilatéral extracontinental des pays africains
La figure 8 illustre la somme des écarts entre les données miroir du commerce bilatéral
pour les huit groupes de produits inclus dans l’échantillon. L’écart positif annuel moyen
le plus aberrant est constaté pour l’Afrique du Sud, avec 10 milliards de dollars, mais si
l’on exclut l’or l’écart tombe à 4 milliards de dollars. L’écart négatif annuel moyen le plus
aberrant est constaté pour l’Algérie, avec 6 milliards de dollars.
Pour les produits inclus dans l’échantillon, 23 des 45 pays africains analysés présentent
un écart positif et persistant dans les données miroir de leur commerce bilatéral, ce
dont on peut déduire des sorties illicites par le canal de leur commerce extracontinental
(voir le tableau A.1 pour la couverture des données). L’ampleur de cet écart est fonction
du volume total du commerce et de la qualité des données. Si l’on compare cet écart
pour le commerce extracontinental avec l’écart pour le commerce intra-africain (fig. 6),
ce dernier n’est constamment positif que pour sept pays et il est possible d’en déduire
des sorties illicites, qui ont fait perdre à ces sept pays environ 1 milliard de dollars
par an en moyenne entre 2000 et 2018. Les résultats devraient être plus difficiles à
interpréter pour le commerce intra-africain car le commerce est en général moins facile
à enregistrer aux frontières terrestres que dans les ports et certains pays ne déclarent
pas leur commerce intra-union douanière.
Après pondération de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral par les
exportations totales (fig. 9), le Togo et le Bénin ont les écarts positifs les plus aberrants,
mais le commerce que l’échantillon couvre est inférieur à 10 % de leur commerce
total. L’explication réside dans le fait que des pays déclarent des importations d’or en
71
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 8
Écart annuel moyen dans les données miroir du commerce bilatéral extracontinental (2000-2018)
(En millions de dollars)
a) Écart positif b) Écart non concluant
Sao Tomé-et-Principe Cabo Verde
Comores Côte d’Ivoire
Gambie Seychelles
Burundi
Tunisie
Ouganda
Madagascar Namibie
Maurice Gabon
Eswatini Zambie
Sénégal Botswana
Zimbabwe Algérie
Lesotho
Maroc -6 000 -4 000 -2 000
Bénin
Ghana
Mali
Togo
Mozambique
République-Unie de Tanzanie
Mauritanie
Guinée * Les pays pour lesquels l’écart est non concluant,
Cameroun sont les suivants : Angola, Burkina Faso, Éthiopie,
Égypte Kenya, Malawi, Niger, Nigéria, République
Afrique du Sud centrafricaine et Rwanda.
5 000 10 000
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
provenance de ces deux pays, qui ne sont pourtant pas de gros producteurs d’or. Leurs
pays partenaires enregistrent sans doute incorrectement comme importé du Togo et du
Bénin de l’or provenant de la région du Sahel. Après pondération par les exportations
totales, cet écart demeure élevé car ces importations sont sans contrepartie dans les
exportations totales du Bénin et du Togo.
Les pays se répartissent globalement entre trois groupes. Pour les pays dont les
données miroir du commerce présentent constamment un écart positif à l’exportation,
cet écart peut être imputé à une sous-facturation des exportations et donc à des sorties
illicites. De nombreux produits primaires sont stockés en entrepôt sous douane et on
peut alors escompter un écart négatif persistant dans les données miroir du commerce.
Pour les pays présentant respectivement un écart négatif ou non concluant, il n’est
pas possible d’en induire une fausse facturation, ce qui ne signifie pas forcément que
ces pays ne subissent pas de sorties illicites liées au commerce mais plutôt que les
modalités d’enregistrement des statistiques du commerce rendent impossible de
72
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 9
Écart entre les données miroir du commerce extracontinental des pays africains (2000-2018)
(En pourcentage des exportations totales, en valeur)
Seychelles
Botswana
Zambie
Gabon
Algérie
Namibie
Cabo Verde
Angola
Éthiopie
Tunisie
Côte d’Ivoire
Kenya
Nigéria
Burkina Faso
Malawi
Maroc
Ouganda
Maurice
Madagascar
Sénégal
Eswatini
Ghana
Sao Tomé-et-Principe
Zimbabwe
Rwanda
Comores
République centrafricaine
Égypte
Mozambique
Gambie
Niger
République-Unie de Tanzanie
Afrique du Sud
Mali
Burundi
Cameroun
Lesotho
Mauritanie
Guinée
Bénin
Togo
-40 -20 0 20 40 60
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
détecter dans les données miroir de leur commerce bilatéral des écarts révélateurs
d’une sous-facturation des exportations. Pour les pays à écart négatif persistant, toute
corrélation avec les prix des produits doit être analysée avec prudence (encadré 2).
Une corrélation négative entre un écart entre les données miroir du commerce bilatéral
d’un produit et le prix de ce produit peut en effet s’expliquer aussi, comme dans le
cas du cuivre en Zambie, par le stockage d’une certaine quantité d’un produit par
une entreprise qui, dans l’espoir de maximiser ses bénéfices, attend que le prix de ce
produit monte pour en vendre davantage, ce qui réduit alors la quantité de ce produit
73
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
stockée en entrepôt sous douane et réduit l’écart entre les données miroir. Enfin, la
situation des pays dont les données miroir présentent des écarts élevés mais qui varient
fortement dans le temps est beaucoup plus difficile à interpréter car s’il y avait une
fausse facturation systématique clairement détectable à l’aide des macrodonnées, ses
facteurs explicatifs devraient être stables dans le temps ou n’être influencés que par des
événements politiques ou économiques majeurs. Les sorties illicites liées au commerce
des produits couverts ont été estimées à 18 milliards de dollars par an en moyenne sur
la période 2000-2018 (fig. 8) pour les 23 pays ayant un écart positif attribuable à une
sous-facturation systématique des exportations.
La comparaison des configurations respectives des écarts entre les données miroir
du commerce intra-africain et extracontinental sur la période 2000-2018 (fig. 6 et 8)
fait ressortir trois points intéressants. Premièrement, le nombre de pays pour lesquels
Encadré 2
Zambie : analyse de l’asymétrie des données miroir du commerce bilatéral du cuivre
Selon les chiffres de la base de données Comtrade des Nations Unies, plus de 50 % des exportations
de cuivre déclarées par la Zambie sont à destination de la Suisse, tandis que cette dernière ne
déclare aucune importation de cuivre en provenance de Zambie. Cette asymétrie, imputable au
négoce international, est souvent observée dans les données miroir de pays qui ont des pôles de
négoce de matières premières, comme la Suisse et le Royaume-Uni. Ainsi, la société de négoce
Glencore, dont le siège est en Suisse, possède une filiale en Zambie, Mopani Copper Mine ; cette
société achète du cuivre qui est déclaré comme exportation vers la Suisse. Or ce cuivre n’entre en
général pas physiquement en Suisse mais est stocké, par exemple, dans un entrepôt sous douane
de la Bourse des métaux de Londres, avant d’entrer sur d’autres marchés de destination finale ou
d’être revendu en cours de transport.
Ce mode de fonctionnement peut se traduire par des écarts marqués dans les données miroir. Un
écart négatif élevé entre les données miroir de la Suisse et de la Zambie peut donner à penser qu’il
y a eu surfacturation massive des exportations alors qu’un écart positif élevé des données miroir du
commerce entre la Zambie et le pays de destination finale pourrait être interprété comme révélant
une sous-facturation des exportations. La CNUCED (UNCTAD, 2016) a mis en lumière ce problème,
mais la solution proposée, à savoir exclure les exportations de la Zambie vers la Suisse, a pour
résultat un fort biais positif sur l’écart entre les données miroir. La figure 1 de l’encadré 2 illustre
l’ampleur de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral de la Zambie, selon la CNUCED
(UNCTAD, 2016), après exclusion des exportations de cuivre de la Zambie à destination de la Suisse.
74
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Encadré 2 figure 1
Écart entre les données miroir du commerce bilatéral : exportations de cuivre
de la Zambie (hors exportations à destination de la Suisse)
3 500 10 000
9 000
3 000
8 000
2 500
7 000
6 000
1 500 5 000
4 000
1 000
3 000
500
2 000
0
1 000
- 500 0
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies et des données de la Bourse
des métaux de Londres relatives au prix du cuivre.
Les résultats sont très différents si la Suisse est incluse pour calculer l’écart entre les exportations de
cuivre déclarées par la Zambie et les importations en provenance de Zambie déclarées par le reste du
monde. Les exportations vers le reste du monde déclarées par la Zambie excèdent les importations
en provenance de Zambie déclarées par le reste du monde, ce qui se traduit par un fort écart négatif
dans les données miroir. La figure 2 de l’encadré 2 illustre la relation entre l’ampleur de l’écart miroir,
la valeur des exportations totales et le prix du cuivre. Une forte corrélation négative est constatée entre
l’écart miroir d’une part et la valeur totale des exportations et le prix du cuivre de l’autre (ce qui signifie
que l’écart miroir diminue quand le prix du cuivre et les exportations totales augmentent).
75
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Encadré 2 figure 2
Écart entre les données miroir du commerce bilatéral : exportations de cuivre
de la Zambie (tous marchés de destination)
1 000 10 000
9 000
500
8 000
0
7 000
6 000
-1 000 5 000
4 000
-1 500
3 000
-2 000
2 000
-2 500
1 000
-3 000 0
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies et des données de la Bourse
des métaux de Londres relatives au prix du cuivre.
La figure 3 de l’encadré 2 illustre les exportations totales de cuivre vers le reste du monde déclarées
par la Zambie et les importations totales de cuivre en provenance de Zambie déclarées par le reste du
monde. La valeur déclarée des importations est systématiquement inférieure à celle des exportations, ce
qui est étonnant car les importations sont en général enregistrées plus rigoureusement et la valeur des
importations incorpore les coûts de transport et d’assurance. Ces exportations de cuivre manquantes ont
deux explications : le stockage en entrepôt sous douane ; la transformation en aval dans une zone franche
industrielle. Les pays qui appliquent le système du commerce spécial pour enregistrer leur commerce
international ne déclarent pas les flux commerciaux liés aux entrepôts sous douane et aux divers types
de zones franches industrielles ; du cuivre importé de Zambie dans une zone franche industrielle et qui
y subit une transformation suffisante n’est donc pas enregistré comme importation dans les statistiques
76
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
du commerce international. Les entrepôts sous douane de la Bourse des métaux de Londres stockent
de grandes quantités de métaux (cuivre, aluminium, plomb, nickel, zinc et métaux précieux) ; jusqu’à
250 750 tonnes de cuivre peuvent y être stockéesa. La nette corrélation négative entre asymétrie des
données miroir et prix du cuivre (-0,81) va dans le sens de l’explication par le stockage du cuivre en
entrepôt sous douane. Plus la demande et, donc, le prix augmentent, plus la quantité de cuivre vendue
augmente et le cuivre sorti d’entrepôt réapparaît dans les statistiques des importations du pays acheteur,
l’écart entre les données miroir diminuant alors.
Encadré 2 figure 3
Écart entre les données miroir du commerce bilatéral : exportations de cuivre déclarées
par la Zambie et importations de cuivre de Zambie déclarées par le reste du monde
8 000
6 000
4 000
2 000
-2 000
-4 000
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
La méthode de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral ne permet pas de prouver la
sous-facturation des exportations ; la Zambie continue pourtant de subir de grosses pertes liées au secteur
des minéraux, mais par des circuits différents, quasi-indétectables à l’aide des statistiques du commerce.
Source : Secrétariat de la CNUCED.
a
Voir https://www.lme.com/en-GB/Metals/Non-ferrous/Copper#tabIndex=0.
77
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
les écarts obtenus sont non concluants est bien plus grand dans le cas du commerce
intra-africain, ce qui pourrait tenir à la plus grande incertitude entourant l’enregistrement
des statistiques du commerce en Afrique. Deuxièmement, contrairement à l’écart
observé pour le commerce intra-africain, dans plusieurs cas l’écart entre les données
miroir du commerce extracontinental ne permet pas d’induire de flux illicites (voir
Seychelles et Tunisie). Troisièmement, après pondération par le commerce total, le
Bénin et le Togo ont les plus forts écarts positifs pour le commerce intra-africain et le
commerce extracontinental, l’explication en étant leur commerce d’or.
Rôle particulier du commerce de l’or en tant que vecteur de flux financiers illicites
Les propriétés physiques, la grande valeur pour un faible poids et la négociabilité de l’or
font que son commerce international présente un risque élevé de servir de vecteur à des
réseaux criminels organisés pour blanchir de l’argent (Financial Action Task Force, 2015)
et pour la contrebande. La Suisse raffine de 40 % à 70 % de la production mondiale
d’or. Après affinage on ne peut tracer l’origine de cet or vendu comme originaire de
Suisse sur le marché international (Switzerland, Interdepartmental Coordinating Group on
Combating Money-Laundering and the Financing of Terrorism, 2015 ; Mbiyavanga, 2019).
78
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Security Council, 2002). Une grande partie du commerce de l’or n’est pas comptabilisée
dans les statistiques des exportations des pays africains et les pays dans lesquels l’or
est extrait subissent un manque à gagner fiscal considérable. Les exportations d’or
de l’Ouganda ont fortement augmenté ces dernières années, alors que ce pays n’est
doté que de modestes ressources en or (fig. 10). Les importations d’or en provenance
d’Ouganda que déclarent les Émirats arabes unis sont de beaucoup supérieures aux
exportations d’or vers les Émirats arabes unis que déclare l’Ouganda, ce qui s’explique
par la sous-facturation à l’exportation et la contrebande.
Figure 10
Ouganda et Émirats arabes unis : exportations et importations d’or
(Valeur en millions de dollars)
1 200
1 000
800
600
400
200
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies.
79
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 11
Madagascar : écart entre les données miroir du commerce bilatéral et prix des produits
(En millions de dollars)
250 1 800
1 600
200
Valeur des échanges (en millions de dollars)
1 400
150
1 200
100 1.000
50 800
600
en dollars par baril)
0
400
-50
200
-100 0
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
Écart à l’exportation pour l’or Prix du pétrole brut
Écart à l’exportation pour le pétrole Prix de l’or
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies et Système de prix
des matières premières du FMI pour le pétrole brut et l’or.
(si les prix augmentent, la valeur des exportations totales augmente, de même que
l’écart miroir à l’exportation). L’influence des différentes modalités de commerce et des
risques associés à diverses marchandises est ainsi mise en évidence, de même que le
risque élevé de sorties illicites liées à l’or.
80
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les asymétries dans les statistiques du commerce bilatéral peuvent avoir des causes
légitimes d’ordre statistique et logistique, notamment : les fluctuations des taux de
change entre les partenaires commerciaux et par rapport à la devise dans laquelle les flux
commerciaux sont enregistrés dans la base de données Comtrade des Nations Unies
(conversion en dollars à un taux moyen trimestriel) ; l’incertitude entourant la qualité
des données ; les erreurs sur la destination ; les différentes classifications applicables
à une même marchandise ; la temporalité et les variations de change (la longue durée
du transport maritime, un retard dans le traitement douanier ou le stockage en entrepôt
peuvent avoir pour effet que des marchandises ne sont pas enregistrées la même année
à l’exportation et à l’importation ou sont évaluées à des prix différents suite aux variations
de change) ; l’enregistrement du commerce intra-union douanière et du commerce aux
frontières terrestres (Nitsch, 2011 ; Marur, 2019 ; UNSD, 2019).
81
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
La méthode de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral est désormais
appliquée non seulement aux exportations totales mais aussi à certaines marchandises et il
faut donc tenir compte des modalités d’évaluation spécifiques à chacune. Dans une étude
(Miao and Fortanier, 2017), les coûts réels ont été analysés à l’aide des chiffres de la base de
données de l’OCDE sur les coûts de transport et d’assurance du commerce international
de marchandises (qui suit l’évolution dans le temps de ces coûts par partenaire et par
groupe de produits). Sur les 71 792 séries de données relatives aux exportations observées
dans cette base, 50 556 (soit environ 70 %) ont pu être réconciliées sur l’axe partenaire-
exportateur-marchandise (valeur CAF estimative de l’OCDE). Ce sous-échantillon couvre
65 % des réconciliations par produit des échanges bilatéraux des pays africains avec
le reste du monde et 80 % des réconciliations des échanges bilatéraux intra-africains
pour l’échantillon total. Une analyse plus poussée fait apparaître que les réconciliations
manquantes ont un caractère apparemment aléatoire et concernent les exportations totales
par pays. Le tableau 5 récapitule les conclusions tirées du sous-échantillon que constituent
les séries ayant pu être réconciliées, en distinguant les coûts de transport et d’assurance du
commerce entre les pays africains et ceux du commerce entre les pays africains et le reste
du monde par groupe de produits, et en isolant les pays sans littoral.
a) Pour les produits de grande valeur (or, platine et diamants), les coûts de
transport et d’assurance comptent pour environ 2 % dans la valeur déclarée
des exportations (tableau 5) ;
82
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Tableau 5
Coûts de transport et d’assurance par groupe de produits (2000-2018)
Extracontinental Intra-africain Pays sans littoral
Diamants 1 823 1.9 0.021 335 1,3 0,021 349 1,8 0,023
Cuivre 10 878 4.8 0.023 6 544 4,5 0,031 1 114 2,7 0,028
Groupe
13 226 7.9 0.035 10 452 7,8 0,040 2 242 3,3 0,028
du fer
Aluminium 11 508 5.6 0.030 8 242 5,9 0,034 2 515 5,2 0,039
Pétrole 8.701 5.9 0.032 6 581 7,3 0,036 1 536 3,4 0,031
Manganèse 2 281 9.5 0.054 607 8,4 0,053 1 339 4,9 0,063
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données de l’OCDE sur les coûts de transport et d’assurance
du commerce international de marchandises.
Note : Pays sans littoral inclus dans l’échantillon : Botswana, Burkina Faso, Burundi, Eswatini, Éthiopie, Lesotho,
Malawi, Mali, Niger, Ouganda, République centrafricaine, Rwanda, Zambie, Zimbabwe.
b) Pour le cuivre, l’aluminium et le pétrole, ce pourcentage est proche des 6 % que
préconise le FMI ;
Le passage progressif d’une estimation de l’écart entre les données miroir du commerce
bilatéral total à une estimation plus fine par groupe de produits a exigé d’évaluer avec
plus de précision les coûts de transport et d’assurance. Une majoration de 10 % de la
valeur des exportations pour prendre en compte les méthodes divergentes d’évaluation
pourrait être une bonne approximation s’agissant des exportations totales mais elle
occulte la grande hétérogénéité de ces coûts selon les groupes de produits.
83
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
84
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les enquêtes précitées ne précisent pas pourquoi l’Afrique du Sud est passée du
système du commerce général au système du commerce spécial entre 2006 et 2016.
L’administration fiscale sud-africaine a expliqué qu’elle utilisait un système hybride de
commerce spécial (définition stricte) qui enregistre dans les statistiques du commerce
international les marchandises en entrepôt destinées à la consommation locale mais
pas les marchandises importées destinées à être exportées après transformation. Des
efforts sont déployés pour promouvoir le passage au système du commerce général
afin d’améliorer la comparabilité des statistiques du commerce international. En Afrique,
l’utilisation de l’un ou l’autre de ces systèmes a des incidences plus ou moins grandes
qui sont directement fonction du poids relatif des zones économiques spéciales dans
le commerce international du pays considéré. Si les zones économiques spéciales d’un
pays qui utilise le système du commerce spécial comptent pour une part modeste
dans son commerce international total, les divergences induites sont négligeables.
L’utilité des enquêtes sur les métadonnées serait grandement accrue si les résultats
pouvaient être vérifiés avec les pays pour déterminer, le cas échéant, l’origine des
incohérences détectées. Le format de présentation des résultats ne permet en outre
pas de procéder à leur analyse comparative sans avoir à les synthétiser manuellement :
télécharger les résultats sous forme de tableur faciliterait la tâche des utilisateurs finaux.
Ces derniers se heurtent à d’autres difficultés encore pour procéder à une analyse
comparative, à savoir la modification de la numérotation des questions de l’enquête.
D’autres questions pertinentes, telles que « Date du passage du système du commerce
spécial au système du commerce général », rendraient plus exploitables les résultats de
l’enquête et permettraient une meilleure comparaison dans le temps.
85
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
86
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Selon des estimations, en Afrique, aux frontières de certains pays et pour certains
produits, le commerce informel transfrontalier est d’un volume égal au commerce
officiellement enregistré (Morrissey et al., 2015). La méthode de l’écart entre les données
miroir du commerce bilatéral perd ainsi de sa capacité à détecter une fausse facturation
systématique dans le commerce intra-africain parce que les erreurs et la divergence des
données sont plus fréquentes et empêchent d’en induire avec un intervalle de confiance
raisonnable l’existence de FFI liés au commerce. Cette méthode apporte pourtant un
plus à l’analyse de la structure du commerce intra-africain car elle peut aider à mettre
en évidence les lacunes dans la déclaration des données sur le commerce et, après
élimination de ces lacunes, servir à détecter des violations des règles d’origine, à l’aide
des informations sur la production ou la dotations en ressources.
La méthode de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral ne permet pas
d’identifier les sources des FFI mais elle permet de déterminer comment ces flux sortent
d’un pays. Même si une fausse facturation dans le commerce international est clairement
établie, il n’en est pas pour autant plus facile de déterminer les infractions sous-jacentes
(pour une critique de cette méthode, voir Forstarter, 2017), à savoir : contournement
du régime de contrôles des capitaux ; fraude fiscale ; blanchiment du produit d’activités
criminelles ; corruption ; financement du terrorisme. La méthode permet cependant
d’identifier les secteurs à risque élevé de FFI ou, au minimum, d’appeler l’attention
des agents de l’État sur les secteurs dans lesquels le commerce n’est pas dûment
enregistré et d’ériger ainsi une première ligne de défense solide car reposant sur des
données accessibles au public.
87
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Ces limites font ressortir la nécessité d’adopter une approche triangulée pour détecter
les FFI et en mesurer l’ampleur réelle, y compris en recueillant des informations sur les
diverses activités criminelles génératrices de flux financiers transfrontières et sur les
transactions intra-entreprise abusives qui permettent sans avoir à recourir à la fausse
facturation d’exercer une ponction sur les ressources financières d’un pays. Même
quand la fausse facturation dans le commerce international est clairement établie, les
statistiques miroir ne permettent de détecter une fraude douanière que si la contrebande
ou la fausse facturation est unilatérale. La valeur des marchandises déclarées dans
les deux pays peut en effet être identique si les partenaires commerciaux aux deux
extrémités de la transaction s’entendent. Les FFI émanant de sources non commerciales
sont encore plus opaques et les quantifier est donc encore plus ardu.
88
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Chapitre 2 annexe
Tableau A.1
Disponibilité des données dans la base de données Comtrade des Nations Unies (2000-2018)
Années
89
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Tableau A.1
Disponibilité des données dans la base de données Comtrade des Nations Unies (2000-2018)
(suite)
Années
Pays exclus en raison d’années manquantes :
Congo 2007-2014, 2017
Djibouti 2009
Érythrée 2003
Guinée-Bissau 2003-2005
Libye 2007-2010
Sierra Leone 2000, 2002, 2014-2017
Soudan* 2000-2011
Soudan 2012, 2015, 2017
Aucune donnée disponible
Guinée équatoriale
Libéria
République démocratique du
Congo
Somalie
Soudan du Sud
Tchad
Source : Calculs de la CNUCED d’après la base de données Comtrade des Nations Unies en novembre 2019.
* La référence correspond au nom utilisé historiquement pendant la période couverte par les données.
90
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Tableau A.2
Les produits inclus dans l’échantillon et leurs dérivés
(Positions à quatre chiffres du Système harmonisé, 1992)
Or Platine Diamants Cuivre Fer Bauxite Pétrole Manganèse
91
Chapitre 3
Déterminants
mondiaux des flux
financiers illicites
Les FFI ont des origines aussi multiples que les
moyens mis en œuvre pour leur faire franchir les
frontières. Le gros du chapitre 2 est consacré à la
fausse facturation dans le commerce international,
qui est un des principaux mécanismes sur lesquels
reposent les FFI. On y décrit les difficultés que soulève
la mise à nu des pratiques en la matière du fait de
la superposition d’éléments de complexité allant de
l’architecture des données à l’héritage du passé en
passant par les capacités actuelles des services
douaniers sur le continent africain. Le présent chapitre
traite du système juridique international. Dans la
section 3.1 sont exposés les fondements principaux
du système fiscal international ; quelques-uns des
mécanismes de la fraude et de l’évasion fiscales sont
examinés dans la section 3.2 et certains des acteurs
mondiaux du système sont mis en lumière dans
la section 3.3. Les réformes en cours de la fiscalité
internationale des entreprises ne sont pas traitées
dans le présent chapitre mais dans le chapitre 7. Dans
la section 3.4 sont recensées les lacunes du système
fiscal international et examinés le mouvement mondial
en faveur de la justice fiscale et l’implication des
parties prenantes africaines dans les processus de
réforme. Dans la section 3.5 sont formulées quelques
observations finales.
DE NOMBREUSES CONVENTIONS
FISCALES CONCLUES
par des pays africains
présentent des lacunes qui rendent
ces pays vulnérables à l’évasion fiscale
À DÉFAUT DE NORMES
MINIMALES RELATIVES
AUX ACCORDS
D’INVESTISSEMENT,
les pays africains risquent
de s’engager dans une course
à la moins-disance fiscale IED
pour attirer des IED
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
En 1923, époque où les pays africains étaient encore sous domination coloniale,
quatre économistes, les professeurs Bruins, Einaudi, Seligman et Sir Josiah Stamp,
ont, sous les auspices de la Société des Nations, jeté les bases des premiers modèles
de convention fiscale. Dans le document dit « Rapport des quatre économistes », ils
proposaient que les revenus issus des activités commerciales soient imposés par le
pays de la source et que le pays de résidence ait la compétence principale pour imposer
les revenus des investissements, tels que dividendes, redevances ou intérêts.
La Commission financière et fiscale des Nations Unies a poursuivi ces travaux jusqu’en
1954, date de sa dissolution. Deux années plus tard, l’Organisation européenne de
coopération économique (OECE), qui a précédé l’OCDE, a créé un Comité fiscal qui a
hérité du rôle de la Commission dissoute des Nations Unies27. Les archives de l’OCDE
indiquent que certains de ses membres se sont d’abord opposés à la création du Comité
fiscal parce qu’ils souhaitaient privilégier le recours à une stratégie de conventions
bilatérales et éviter une convention internationale liant les États membres de l’OECE.
En 1959, le Conseil de l’OECE a recommandé que soient adoptées les propositions
des États membres tirées de leurs conventions bilatérales en vue : a) d’éviter la double
imposition du revenu, de la fortune et des successions ; b) d’éviter la double imposition
en matière de droits indirects, tels que les taxes sur le chiffre d’affaires. Publié pour
la première fois en 1963 sous le nom de Projet de convention de double imposition
concernant le revenu et la fortune, le modèle de convention fiscale de l’OCDE est
27
Voir https://archives.eui.eu/en/fonds/173529?item=OEEC.FC.
95
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
devenu la norme en la matière (Picciotto, 2013). L’OCDE estime qu’en date de 2017
ce modèle avait servi de support à plus de 3 000 conventions fiscales dans le monde
(OEDC, 2017)28.
Le modèle de convention des Nations Unies et celui de l’OCDE disposent que les
sociétés paient des impôts tant au pays dans lequel elles ont leur résidence légale que
dans les pays où elles ont un établissement stable, concept juridique crucial dans la
détermination de la source du revenu et dont la définition initiale à l’article 5 du modèle
de convention fiscale de l’OCDE. La liste des types d’établissements pouvant être
considérés comme stables est longue et a pour fondement une présence physique
effective sur le territoire. En sont notamment exclues les installations qui ne servent qu’à
des fins de stockage, d’exposition ou de livraison. L’établissement stable est d’une
28
Voir www.oecd.org/fr/fiscalite/conventions/tax-treaties-2017-update-to-oecd-model-tax-convention-released.htm.
29
Dans sa réglementation chaque pays donne ses définitions précises des revenus actifs, des revenus passifs
et des revenus de portefeuille. Aux fins de l’imposition, les revenus provenant d’activités commerciales ou
de salaires, de commissions et du paiement de services fournis sont en général considérés comme actifs.
Les revenus passifs comprennent les revenus réguliers provenant d’une source autre qu’un employeur ou un
entrepreneur, à savoir les loyers de biens immobiliers et les dividendes d’actions et autres activités telles que
définies dans la réglementation d’un pays et les conventions fiscales auxquelles il est partie.
30
Voir https://martinhearson.net/2012/10/17/would-a-new-article-in-the-un-model-tax-treaty-be-a-fundmaental-
change-to-international-tax/.
96
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Dans sa version la plus récente, le modèle de convention fiscale des Nations Unies
prévoit deux options qui donnent aux pays en développement la possibilité d’imposer
les prestataires de services. La première est la disposition qui élargit la définition de
l’établissement stable de services en étendant son champ aux sociétés étrangères à
compter d’une certaine durée de présence physique dans le pays aux fins de la prestation
de services. La seconde est un nouvel article qui permet aux pays en développement
d’effectuer une retenue à la source sur la rémunération des services de gestion, des
services de conseil et des services techniques fournis, que le prestataire de ces services
soit ou non physiquement présent dans le pays. Ces deux dispositions sont populaires
en Afrique. Dans une étude portant sur 149 conventions fiscales en vigueur dans les
pays subsahariens, il a pourtant été constaté que seules 33 % d’entre elles incluaient
la disposition relative à l’établissement stable d’un prestataire de services et 36 % celle
concernant la retenue à la source sur la rémunération des services (Hearson, à paraître).
Les fiscalistes considèrent que la forte proportion de conventions fiscales dépourvues
de ces deux dispositions est un obstacle majeur à l’intégration accrue de l’Afrique dans
l’économie mondiale des services (Hearson, à paraître).
97
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Sous l’angle opératoire, la manipulation des prix de transfert, qui est une forme de
fausse facturation, se traduit par un dévoiement du principe de pleine concurrence. En
y recourant une entreprise multinationale applique des prix faussés à des transactions
transfrontières entre des parties qui lui sont affiliées. Cette manipulation aboutit à
transférer artificiellement des bénéfices depuis des juridictions à taux d’imposition élevé
98
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
vers des juridictions à faible taux d’imposition ou à imposition nulle, en recourant aux
trois modalités principales ci-après31 :
31
Pour des exemples concrets de transfert de bénéfices, voir Hearson (à paraître).
99
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
dans un État avant qu’il puisse imposer les bénéfices dégagés sur son territoire par
le contribuable concerné. Troisièmement, les conventions fiscales exonèrent certains
types de revenus gagnés dans l’État de la source de toute imposition dans ledit État,
par exemple l’imposition des plus-values dans certaines circonstances particulières.
Force est de constater que la mise en garde contre l’inclusion de l’évasion fiscale parmi les
sources de FFI, mentionnée dans le chapitre introductif, va à l’encontre d’une disposition
figurant dans le préambule du modèle de convention fiscale de l’OCDE, comme quoi
ladite convention a pour objet d’éliminer la double imposition « sans créer de possibilités
de non-imposition ou d’imposition réduite par l’évasion ou la fraude fiscale (y compris par
des mécanismes de chalandage fiscal destinés à obtenir les allégements prévus dans
la présente Convention au bénéfice indirect de résidents d’États tiers) » (OECD, 2017).
Ces objectifs n’ont pas été pleinement atteints, comme l’attestent des indices probants
du fait que la fraude et l’évasion fiscales font subir des pertes considérables aux pays
développés et aux pays en développement. Certaines clauses et concessions énoncées
dans les conventions fiscales offrent effectivement des possibilités, non voulues,
d’évasion fiscale. Les entreprises peuvent par exemple tirer parti de conventions fiscales
plus favorables en vigueur dans certaines juridictions en organisant leurs activités par le
canal de structures mises en place dans ces juridictions en vue de réduire leur charge
fiscale et procèdent ainsi à un arbitrage fiscal (OECD, 2017)32. Par « chalandage fiscal »
on entend la pratique consistant à structurer une entreprise multinationale de manière à
exploiter les différences que présentent des conventions fiscales.
32
Les différences que présente la définition de la résidence fiscale figurant dans les législations respectives de
l’Irlande et dans celle des États-Unis d’Amérique sont un exemple bien connu des possibilités d’exploiter
les failles juridiques et les conventions fiscales. En droit irlandais, la résidence d’une société est déterminée
en fonction du lieu à partir duquel elle est gérée, alors que le droit des États-Unis se base sur le lieu
d’enregistrement de la société. Si une société transfère ses droits de propriété intellectuelle à une société
enregistrée en Irlande mais contrôlée depuis un paradis fiscal, comme les Bermudes, avec lequel l’Irlande
a conclu une convention fiscale, l’Irlande considère que cette société a sa résidence fiscale aux Bermudes,
tandis que les États-Unis considèrent que sa résidence fiscale est en Irlande. Le paiement de redevances
entre les deux échappe ainsi à l’imposition ou est assujetti à une imposition minime.
100
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
dépensé (Benk et al., 2015 ; Preobragenskaya and McGee, 2016). Sur un plan plus
général, des études empiriques montrent que les avantages financiers ne suffisent pas
à eux seuls à expliquer l’évasion fiscale (pour un aperçu des preuves tirées des données
d’expérience, voir Torgler, 2002, 2003 ; Feld and Frey, 2006). C’est davantage dans la
« morale fiscale », c’est-à-dire le sentiment d’avoir l’obligation morale de payer des impôts,
et dans la « conviction d’apporter une contribution à la société en payant des impôts »
(Torgler and Schneider, 2009:230) que sont à rechercher les principaux motifs poussant
les individus et les entreprises à se conformer à la loi (Luttmer and Singhal, 2014).
Outre qu’elles contribuent peu à attirer les IED, les conventions fiscales ont d’autres
faiblesses. Premièrement, nombre des conventions fiscales conclues par les pays
africains comportent un risque élevé car elles ne reprennent pas de nombreuses
101
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
102
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
gagner en découlant est estimé à 2,5 % du total des recettes fiscales dans le cas de
l’Afrique (Zucman, 2014). Les définitions et les critères retenus pour identifier les paradis
fiscaux et entités similaires varient d’une institution à l’autre. Pour l’OCDE, par exemple,
un paradis fiscal est un État ou une entité territoriale dotée d’une place financière
dont les institutions travaillent pour l’essentiel avec des non-résidents et en devises
étrangères à une échelle sans commune mesure avec la taille de son économie et où
les institutions détenues ou contrôlées par des non-résidents jouent un rôle majeur33.
Pour le FMI (IMF, 2000), les centres financiers offshore (CFO) sont dotés d’un nombre
relativement élevé d’institutions financières traitant principalement avec des non-
résidents34. Garcia-Bernardo et al. (Garcia-Bernardo et al., 2017) en distinguent deux
types : les CFO de type « puits » et les CFO de type « conduite ». Un CFO de type puits
est une juridiction qui fait disparaître du système économique une quantité de valeur
sans commune mesure avec la taille de son économie. Dans cette classification, les
cinq premiers CFO de type puits sont les îles Vierges britanniques, la Chine, Jersey, les
Bermudes et les îles Caïmanes. Un CFO de type conduite est une juridiction par laquelle
une quantité disproportionnée de valeur est transférée vers des CFO de type puits, les
cinq premiers étant les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suisse, Singapour et l’Irlande.
Les listes des paradis fiscaux et des juridictions fiscales non coopératives établies par
l’OCDE et l’Union européenne sont examinées dans l’encadré 3.
33
Voir https://stats.oecd.org/glossary/detail.asp?ID=5988.
34
Voir www.imf.org/external/np/mae/oshore/2000/eng/back.htm.
35
Le Réseau pour la justice fiscale a élaboré l’Indice des paradis fiscaux pour entreprises ; il permet de classer
les juridictions en fonction de l’ampleur et de l’agressivité de l’appui qu’elles apportent aux multinationales
pour les aider à éviter l’imposition, érodant ainsi les recettes fiscales d’autres pays (voir www.taxjustice.net/).
Ce classement indique à quel point chaque juridiction contribue à la course mondiale à la moins-disance
fiscale en matière d’imposition des sociétés. En 2019, Îles Vierges britanniques, Bermudes et îles Caïmanes
occupaient la tête de ce classement, précédant les Pays-Bas, la Suisse, le Luxembourg, Jersey, Singapour,
les Bahamas et Hong Kong (Chine).
103
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
• Les juridictions identifiées comme étant des paradis fiscaux : ce sont de petites
juridictions dont l’économie se réduit entièrement ou presque à la fourniture de
services financiers offshore ;
• Les juridictions (non identifiées comme étant des paradis fiscaux) servant
de base à des entités à vocation spéciale ou d’autres entités facilitant
l’investissement en transit : il s’agit de juridictions plus grandes dotées d’une
économie réelle de taille substantielle et servant de plateformes mondiales
d’investissement à des entreprises multinationales attirées par les conditions
favorables qui leur sont offertes en matière de fiscalité et d’investissement.
Selon des estimations, au niveau mondial de 30 % à 50 % des IED transitent par des
sociétés-écrans offshore (UNCTAD, 2015a ; Haberly and Wójcik, 2015 ; Bolwijn et al.,
2018). Henry (Henry, 2012) estime qu’en 2010, de 21 000 à 32 000 milliards de dollars
au moins avaient été investis par le canal de juridictions assurant le secret financier.
Ce secret couvre en général l’enregistrement de la propriété et assure l’absence de
transparence, ce qui dissimule l’identité du titulaire effectif du compte et entrave les
enquêtes en matière fiscale. Le secret est un sujet de préoccupation beaucoup plus
large car il facilite non seulement l’évasion fiscale mais aussi le blanchiment du produit
de la criminalité et de la corruption36.
36
Établi par le Réseau pour la justice fiscale, l’Indice d’opacité financière évalue le degré d’opacité des
juridictions, ainsi que leur rôle à l’échelle mondiale dans la mise en place de pratiques rendant possibles
le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et l’accumulation de fortunes non imposées. Le classement en
fonction de cet indice montre que parmi les principaux pourvoyeurs de secret financier du monde figurent
certaines des économies les plus riches. Sur les 112 juridictions classées en 2019, les 10 premières
places sont occupées par : les îles Caïmanes, les États-Unis, la Suisse, Hong Kong (Chine), Singapour,
le Luxembourg, le Japon, les Pays-Bas, les îles Vierges britanniques et les Émirats arabes unis. Les pays
africains classés le plus haut en 2020 sont le Kenya (24e), le Nigéria (34e), l’Angola (35e), l’Égypte (46e),
Maurice (51e), le Cameroun (53e) et l’Afrique du Sud (58e).
104
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Encadré 3
La mesure des flux financiers illicites aux fins de l’indicateur 16.4.1
relatif aux objectifs de développement durable
Plusieurs institutions tiennent des listes des paradis fiscaux. En 2002, le Comité des affaires fiscales de
l’OCDE a dressé une liste des paradis fiscaux non coopératifs, à l’aune de la transparence fiscale et de
l’échange de données, sur laquelle figuraient sept juridictions (Andorre, Îles Marshall, Libéria, Liechtenstein,
Monaco, Nauru et Vanuatu) ; toutes ont pris des engagements par la suite et été retirées de cette listea.
L’Union européenne actualise régulièrement sa liste des juridictions non coopératives à des fins fiscales.
Les pays inscrits sur cette liste le sont en fonction de leur respect des normes fiscales internationales
acceptées, à savoir transparence, équité fiscale et mise en œuvre des normes minimales contre l’érosion
de la base d’imposition et le transfert de bénéfices de l’OCDE. En octobre 2019, les juridictions suivantes
étaient inscrites sur cette liste : Samoa américaines, Belize, Fidji, Guam, Îles Marshall, Oman, Samoa,
Trinité-et-Tobago, îles Vierges américaines, Vanuatub.
Oxfam (Oxfam, 2019) souligne que sur la liste de l’Union européenne ne figurent pas les Bermudes, les îles
Vierges britanniques, les îles Caïmanes, Hong Kong (Chine), le Panama, ni les pays « trop grands pour être
inscrits sur la liste », dont les États-Unis et la Suisse. Cette liste ne couvre pas les États membres de l’Union
européenne, sinon l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas y auraient leur place.
105
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
106
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
107
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
est le plus gros client du marché mondial de conseil fiscal ; en 2017 la demande de ce
secteur (quelque 6,64 milliards de dollars) a compté pour près du tiers dans la demande
totale. Le conseil sur les prix de transfert est une source majeure d’activité, ce marché
s’étant chiffré à 5,18 milliards de dollars en 2018. Le rapport 2019 précité distingue
trois grands moteurs de la demande de conseil fiscal : complexité du paysage fiscal
mondial ; convergence croissante entre fiscalité et gestion des risques, dont le risque
de réputation ; perspectives de l’échange automatique. L’appétence pour le risque
est un déterminant majeur des dispositifs d’optimisation fiscale, ce qui explique en
partie pourquoi les grands groupes de conseil fiscal sont souvent mentionnés dans les
enquêtes sur la fraude fiscale et les dispositifs agressifs d’optimisation fiscale37.
Les institutions financières jouent un rôle majeur et central dans la facilitation de la fraude
fiscale, comme l’atteste le faible respect des règles fiscales par les titulaires européens
de comptes offshore. Toutes les fortunes privées détenues offshore n’échappent pas à
l’impôt, mais le taux de non-respect des obligations fiscales est en général élevé, avec
des taux estimatifs allant de 75 % à 90 % dans les pays pour lesquels des données en
la matière sont disponibles (Alstadsæter et al., 2018). Zucman (Zucman, 2017) affirme
que la hausse apparente du taux de respect par les titulaires européens de comptes
est la conséquence mécanique du fait que le volume des actifs détenus en Suisse en
leur nom propre par des personnes physiques européennes a diminué, contrairement
au volume des fonds sous gestion des entités assujetties à une obligation de vérification
du respect du cadre réglementaire dans le secteur financier. Ces entités ont pour rôle
de vérifier à l’accueil de tout nouveau client qu’il n’est pas sur les diverses listes de
personnes soumises à des sanctions, ni n’est visé par un avis de recherche émis par un
organisme mondial chargé de l’application de la loi.
Pour blanchir de l’argent, il est fait appel aux services d’entreprises et de professionnels
ne relevant pas du secteur financier − avocats, comptables, notaires, prestataires de
services aux sociétés et sociétés fiduciaires, agents immobiliers, prestataires de services
de jeux de hasard et de jeux en ligne et négociants en pierres et métaux précieux, entre
autres. Les détenteurs d’argent à blanchir comptent sur le caractère confidentiel et
privilégié de la relation entre le client et son avocat, entre autres acteurs traditionnels,
même si cette profession est désormais assujettie à l’obligation de vérifier le respect
du cadre réglementaire antiblanchiment. Le rôle croissant de l’industrie du luxe et
de l’immobilier comme autres grands relais du blanchiment est un sujet d’inquiétude
(European Parliament, 2017).
37
Voir, par exemple, www.icij.org/investigations/luanda-leaks/read-the-luanda-leaks-documents/.
108
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
La cible de l’objectif 16 du développement durable qui consiste à réduire les FFI est
énoncée de pair avec celle visant à garantir que la prise de décisions soit rapide, inclusive,
participative et représentative. La sous-représentation des femmes dans les organes de
décision des banques et d’autres institutions a été mise en lumière au lendemain de la
crise financière mondiale de 2008. Des commentateurs ont fait valoir que le déséquilibre
entre hommes et femmes dans les instances dirigeantes des institutions financières, en
conjonction avec la pensée de groupe et la prise de décision irréfléchie, avait concouru
à la genèse de cette crise39. Les résultats d’une série d’études du FMI publiées après
cette crise ont mis en évidence que la stabilité bancaire était d’autant plus grande et la
proportion de prêts non performants d’autant plus faible que la proportion de femmes
était élevée dans les conseils d’administration des banques considérées (Sahay
et al., 2017). La proportion de femmes dans les instances dirigeantes des institutions
38
Voir www.justice.gov/opa/pr/hsbc-holdings-plc-and-hsbc-bank-usa-na-admit-anti-money-laundering-and-
sanctions-violations.
39
Voir www.theguardian.com/business/2018/sep/05/if-it-was-lehman-sisters-it-would-be-a-different-world-
christine-lagarde.
109
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Au niveau multilatéral, quelques initiatives ont été lancées dès les années 1980 en vue
d’améliorer les normes fiscales. Élaborée par l’OCDE et le Conseil de l’Europe en 1988
et actualisée en 2010, la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative
mutuelle en matière fiscale a été signée par 130 juridictions (OECD, 2019b). Dans cette
même ligne, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à
des fins fiscales a été mis en place pour servir de cadre multilatéral à l’examen et à la
surveillance du respect des normes internationales en matière de transparence fiscale
et d’échange de renseignements. Le Groupe d’action financière est quant à lui un
organe intergouvernemental institué pour élaborer et promouvoir des politiques aptes à
mettre le système financier mondial à l’abri du blanchiment d’argent, du financement du
terrorisme et du financement de la prolifération des armes de destruction massive ; ses
110
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les pays d’Afrique ont de plus en plus conscience d’avoir cédé davantage de
leurs pouvoirs d’imposition que les pays d’autres régions lors de la négociation de
leurs conventions bilatérales (Daurer, 2014 ; Hearson, 2016). Par exemple, dans un
communiqué de presse, la Réunion des ministres des finances des pays francophones
à faible revenu a déclaré : « Le système fiscal mondial est organisé pour favoriser le
paiement des impôts dans les pays du siège des entreprises multinationales, plutôt que
dans les pays où les matières premières sont produites. Les conventions internationales
en matière de fiscalité et d’investissement doivent être révisées afin de donner la
préférence au paiement des impôts dans le pays de la source » (Francophone [Low-
Income Countries] Finance Ministers Network, 2014). Il est frappant de constater que
la justice fiscale est devenue le cri de ralliement d’une coalition d’organisations de la
société civile s’appuyant sur les travaux de recherche universitaires et les révélations de
journalistes d’investigation et de lanceurs d’alerte.
Des organisations de la société civile ont révélé de nombreuses affaires de FFI, sensibilisé
l’opinion publique et fait pression en faveur d’un réexamen des pratiques préjudiciables.
Elles concourent fortement à mettre en lumière que les FFI ne sont pas réductibles à une
question technique mais constituent aussi un sujet de préoccupation politique et social.
Les journalistes d’investigation eux-aussi ont joué un rôle crucial dans la mise au jour
des mécanismes, de l’étendue et de l’ampleur des FFI. Ainsi, suite à la publication d’un
ensemble de documents en 2017 et à son grand retentissement sur l’opinion publique,
dans plusieurs pays ont été instituées des commissions d’enquête parlementaires sur
les prix de transfert et l’évasion fiscale (voir, par exemple, France, Assemblée nationale,
2019 ; chap. 7).
Le mouvement pour la justice fiscale s’est manifesté activement sur de nombreux fronts
en Afrique. En 2009, le Forum africain sur l’administration fiscale (ATAF) a été mis en
place par des pays africains, à l’origine pour encourager l’échange de renseignements
et la collaboration entre les autorités fiscales nationales. Le Forum s’attache en
outre à renforcer les capacités des administrations fiscales africaines, à améliorer le
recouvrement des recettes, à faire entendre la voix des pays africains dans les enceintes
régionales et mondiales, pour influer sur le débat international relatif à la fiscalité, et à
développer et soutenir les partenariats entre les pays africains et les partenaires du
développement.
111
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
40
Le Réseau pour la justice fiscale Afrique a attaqué en justice la convention fiscale bilatérale signée en 2012
par le Kenya et Maurice, en faisant valoir qu’elle n’était jamais entrée en vigueur du fait que le Gouvernement
kényan n’avait pas suivi la procédure de ratification requise par la loi. Outre cette question procédurale,
le Réseau a allégué que cette convention entraînait une perte de recettes fiscales et favorisait l’évasion
fiscale. En 2019, la Haute Cour du Kenya a donné raison au Réseau sur la question procédurale, mais a
constaté que le Réseau n’avait pas prouvé son allégation de perte de recettes fiscales et d’encouragement
à l’évasion fiscale, faute d’avoir demandé à des experts de venir témoigner pour l’étayer. La Cour ne s’est
pas prononcée sur ce point, mais a déclaré nulle la convention fiscale. Cette décision était en appel lors de
la rédaction du présent rapport. En 2019 les deux pays ont signé une nouvelle convention bilatérale de non
double imposition (Lewis et al., 2013 ; ActionAid, 2016 ; www.theeastafrican.co.ke/business/Court-nullifies-
Kenya-tax-deal-with-Mauritius/2560-5052628-948m33/index.html).
112
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
En 2012, dans le prolongement des décisions prises pour faire face à la crise financière,
le G20 − soucieux de promouvoir une transparence accrue de la fiscalité internationale
et de mieux aligner la fiscalité sur l’activité économique − a appelé l’OCDE à réformer
le système international d’imposition des sociétés. En 2013, l’OCDE a publié le rapport
intitulé « Lutter contre l’érosion de la base et le transfert des bénéfices », qui documente
les effets des transferts de bénéfices effectués par les entreprises multinationales.
Dans ledit rapport, il est constaté que les conventions en vigueur n’ont pas évolué
au même rythme que la physionomie de la mondialisation, en particulier les pratiques
commerciales mondiales. Il y est indiqué que certaines entreprises multinationales se
sont engagées dans des pratiques d’optimisation fiscale agressives soulevant « de
sérieux problèmes de respect des règles et d’équité » (OECD, 2013).
113
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
En dépit de la faiblesse de leurs capacités, des pays africains participent aux travaux
d’instances internationales s’occupant des questions de fiscalité (tableau 6). Un
certain nombre de pays africains n’ont pas adhéré au cadre contre l’érosion de la
base d’imposition et le transfert de bénéfices, ce pour diverses raisons. Premièrement,
beaucoup d’entre eux n’ont pas les moyens de se conformer aux quatre normes
minimales fixées par le G20 et l’OCDE, à savoir : déclaration pays par pays de leurs
données financières par les entreprises ; prévention de l’utilisation abusive des
conventions fiscales ; lutte contre la concurrence fiscale dommageable ; règlement à
41
Voir www.oecd.org/tax/beps/g20-finance-ministers-endorse-reforms-to-the-international-tax-system-for-curbing-
avoidance-by-multinational-enterprises.htm.
42
Voir www.oecd.org/ctp/platform-for-collaboration-on-tax.htm.
114
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Tableau 6
Représentation africaine dans les instances fiscales internationales (septembre 2019)
Pays (groupes de pilotage
Organisation ou accord Nombre de membres africains
uniquement)
Forum mondial sur la transparence et l’échange
31
de renseignements à des fins fiscales
Groupe de pilotage 2 Ghana, Kenya
Convention multilatérale concernant l’assistance
10
administrative mutuelle en matière fiscale
Accord multilatéral entre autorités compétentes
portant sur l’échange des déclarations pays 7
par pays
Norme commune de déclaration [sur l’échange
automatique de renseignements] Accord 6
multilatéral sur les autorités compétentes
Cadre inclusif contre l’érosion de la base
25
d’imposition et le transfert de bénéfices
Côte d’Ivoire, Nigéria, Sénégal,
Groupe de pilotage 4
Afrique du Sud
Instrument multilatéral contre l’érosion de la
12
base d’imposition et le transfert de bénéfices
Comité d’experts des Nations Unies sur la Djibouti, Ghana, Kenya, Libéria,
6
coopération internationale en matière fiscale Nigéria, Zambie
Source : Hearson (à paraître), d’après les listes des membres de l’OCDE et de l’ONU.
l’amiable des différends entre États en cas de double imposition. Deuxièmement, des
pays doutent de leur aptitude à prendre une part active aux délibérations au titre de
l’imposant programme de travail du cadre contre l’érosion de la base d’imposition et
le transfert de bénéfices, à Paris. Troisièmement, le manque de ressources humaines
qualifiées entrave grandement une pleine participation et la présentation et la défense
d’une position africaine (ATAF, 2019). Dans la déclaration finale de l’une de ses réunions,
le Forum sur l’administration fiscale en Afrique s’est inquiété de la déconnexion entre les
décideurs et l’administration fiscale, en insistant sur les difficultés liées à la circulation
de l’information entre ces deux niveaux. En effet, les responsables politiques ont
décidé d’adhérer au cadre contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de
bénéfices sans prendre en considération l’ampleur de la tâche qu’implique la mise en
conformité avec ce cadre. Les fonctionnaires de l’administration fiscale qui participent
aux négociations peinent souvent quant à eux à obtenir le soutien politique nécessaire
pour donner suite à leurs positions de négociation.
115
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
116
Chapitre 4
Environnement
réglementaire dans
lequel s’inscrivent les
flux financiers illicites,
en particulier dans
certains secteurs
Le présent chapitre donne un aperçu de l’environnement
réglementaire, de certains secteurs en particulier et en général, dans
lequel les FFI s’inscrivent les FFI. Comme exposé dans les chapitres
1 à 3, plusieurs secteurs de l’économie productive sont sources de
FFI. Le secteur extractif de l’Afrique a suscité une attention spéciale à
cet égard (UNECA, 2016). Le facteur limitant que constitue le manque
généralisé de données sur l’intégralité de chaque chaîne de valeur
est analysé dans la section 4.1, en indiquant brièvement pourquoi
l’accent est mis sur le secteur extractif. Dans la section 4.2 est examiné
le cadre réglementaire du secteur générateur de FFI que sont les
industries extractives. La section 4.3 met en lumière d’autres secteurs
présentant eux-aussi un risque élevé d’induire des pratiques illicites.
La section 4.4 présente dans ses grandes lignes l’environnement
réglementaire général pour ce qui est de la fiscalité et de la lutte contre
la corruption et le blanchiment d’argent. Un projet d’IED est régi par la
réglementation de l’État d’origine mais aussi par tout accord bilatéral
contraignant conclu entre l’État d’origine et l’État d’accueil ; ce sujet
est examiné dans la section 4.5. Pour finir, tout comme dans le cas
du système juridique international, examiné au chapitre 3, le grand
déséquilibre caractérisant la relation entre les investisseurs et le pays
d’accueil dans les secteurs les plus susceptibles de générer des
FFI est en partie ancré dans les inégalités structurelles du système
économique international ; ce point est traité dans la section 4.6, qui
est suivie de quelques observations finales.
LES CLAUSES FISCALES DES CONTRATS
MINIERS VARIENT GRANDEMENT D’UN PAYS
À L’AUTRE EN AFRIQUE
5%
pour l’or au Ghana
de 2 % à 2,5%
pour le cuivre
en République démocratique du Congo
0,075 %
pour la bauxite et
de 3 %
pour le minerai de fer en Guinée
Les recherches sur les sources potentielles de FFI dans les différents secteurs mettent
en évidence que la production d’un métal comme l’or est davantage susceptible
de générer des FFI que celle d’un produit agricole comme le cacao (Brugger and
Engebretsen, 2019). Dans le cas du cacao le risque principal est la contrebande, alors
que dans celui de l’or le risque est présent à tous les stades : exploration ; attribution des
contrats ; production ; affinage ; titrage ; vente ; passage en douane ; exportation finale
(Brugger and Engebretsen, 2019). Au stade de l’exploration, par exemple, le gonflement
des dépenses, la corruption et le transfert illégal d’échantillons commerciaux prélevés
sont autant de pratiques illicites. Au stade de la production, il est constaté que les prêts
internes suite à un réinvestissement ou à une expansion peuvent présenter un risque
particulier de dépassement du plafond fiscalement déductible (Miyandazi, 2019).
Dans le secteur extractif, on distingue trois grandes sources de FFI (Le Billon, 2011) : le
produit de la corruption (abus de fonction par un agent public à des fins personnelles) ;
les revenus tirés de l’exploitation illégale des ressources, qui privent l’État de la part
légale lui revenant ; la fraude fiscale à l’initiative de l’investisseur. Ces trois sources ne
121
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Pour se prémunir contre la troisième des sources, la fraude fiscale, les pays doivent
évaluer les coûts et les avantages à attendre de la constitution d’un corps de spécialistes
de la fiscalité du secteur extractif. Si l’administration fiscale estime qu’un écart important
et constant existe entre le marché et les valeurs déclarées par les exportateurs, il peut
être rentable d’investir dans la collecte de renseignements et dans des services d’expert,
ainsi que dans les services de laboratoire indispensables pour vérifier et éventuellement
contester les valeurs déclarées par les exportateurs. Se doter de capacités d’audit
spécifiques à un secteur peut être une tâche coûteuse et ardue car elle passe par
une connaissance approfondie des modalités de fixation des prix et de conclusion
des accords pour chaque produit. Les contrôleurs fiscaux doivent en outre avoir une
connaissance intime des incidences sur les déclarations fiscales de certains éléments
spécifiques aux industries extractives, dont l’importation de machines spécialisées,
l’achat de services techniques et les accords de couverture et de financement (en
particulier le recours à la dette), qui peuvent être plus difficiles à évaluer (United Nations,
2017). Enfin, les questions plus générales que soulève l’évasion fiscale concernant,
par exemple, l’imposition des plus-values et des transferts indirects, se posent aussi
largement dans les chaînes de valeur minières.
122
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
43
Pour un aperçu du droit minier dans une quinzaine de pays africains, notamment des informations sur
les autorités et la législation pertinentes, l’acquisition de droits, les règles relatives aux droits des peuples
autochtones, la cession de droits, l’environnement, la santé et la sécurité, les redevances et les impôts, voir
DLA Piper (DLA Piper, 2012) et LEX Africa (LEX Africa, 2019).
44
Droit constitutionnel du Mozambique, de la Namibie et du Nigéria (LEX Africa, 2019).
123
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Cet arsenal législatif est imposant, comme l’atteste la figure 12, mais la plupart des
pays ne disposent pas de capacités suffisantes pour l’appliquer et le faire respecter, en
particulier pour détecter les FFI (Musselli and Bürgi Bonanomi, 2020).
Contrats miniers
Très courants dans tout le secteur extractif, les contrats miniers viennent compléter
la législation interne45. L’analyse de contrats conclus par un échantillon de trois pays
(République démocratique du Congo, Ghana et Guinée) portant sur l’or, le cuivre et le
cobalt, l’aluminium et la bauxite, montre que leurs clauses fiscales présentent de grosses
différences (tableau 7). La taxe d’extraction, par exemple, peut aller de 5 % des recettes
pour l’or, comme le prescrit le code minier du Ghana, à 0,075 % pour la bauxite et 3 %
pour le minerai de fer en Guinée. Le traitement des transactions des filiales diffère aussi
d’un contrat minier à l’autre. Ainsi, en Guinée les dispositions inscrites dans les contrats
conclus avec un certain nombre de sociétés diffèrent en ce qui concerne l’obligation de
respecter les meilleures pratiques en matière de prix de transfert et le droit de préemption
de l’État pour acquérir des substances minières s’il juge le prix de transfert trop bas. En
République démocratique du Congo, les contrats ne font par contre aucune mention de
ces transactions et le code minier de 2018 dispose seulement que les transactions entre
filiales doivent se faire dans des conditions de pleine concurrence.
45
Entretiens confidentiels d’un membre de l’équipe du présent rapport avec des partenaires de deux cabinets
d’avocats dotés de bureaux dans des pays africains riches en minerais.
124
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 12
Cadre juridique et réglementaire du secteur minier en Afrique
interne
Droit
rs
nie
mi
• Droit du travail Fiscal et • Protection
ts
tra
économique de l'environnement
Con
• Communautés locales
• Droits à l’eau
et protection de l'eau
• Loi sur l'autonomisation
économique Social Environmental • Protection de l'air
interne
• Droit foncier
interne Droit
• Législation sur la santé
et la sûreté
États tiers Société civile
• Sécurité Communautés locales
• Aménagement du territoire
et urbanisation
125
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Tableau 7
Exemples de clauses fiscales figurant dans des contrats miniers conclus en République
démocratique du Congo, au Ghana et en Guinée
République démocratique
Ghana Guinée
du Congo
g
Ressource Cuivre et cobalt Or Aluminium et bauxite
Année de signature 2005-2010 2008-2015 2010-2018
Bénéficiaire État et entreprise d’État État État et entreprise d’État
du paiement
Taxes De 2 % à 2,5 % des recettes, 5 % des recettes, en vertu 0,075 % sur la bauxite et 3 %
moins certains coûts dans la du code minier sur les autres substances non
plupart des contrats ferreuses, 3 % sur le minerai
de fer, en vertu du code minier
Bonus de signature Paiement unique ou en De 30 000 à 50 000 Droit applicable
et de production fonction des frais fixes et des dollars en contrepartie de
frais mensuels ou des frais l’attribution de la concession
supplémentaires, selon la minière
capacité de production de la mine
Son montant va de 100 000
dollars à 100 millions de dollars,
selon la taille du projet et les
clauses du contrat.
Participation L’entreprise publique doit détenir Participation de 10 % libre Une participation de 5 % à
de l’État de 17,5 % à 30 % des parts de toutes charges pour 15 % libre de toutes charges
et l’État 10 % avec possibilité l’État, en vertu du code doit être détenue par l’État
d’augmentation ultérieure. minier, avec possibilité de ou l’entreprise publique, avec
participation supplémentaire ou sans droit d’acquérir une
dans l’exploitation participation supplémentaire.
Redevance La plupart des contrats sont De 8,5 à 260 cedis De 10 à 20 dollars par km2
superficiaire dépourvus de clause à cet ghanéens par semestre durant la prospection et de
effet et le code minier de 2018 75 à 300 dollars durant
s’applique alors : de 0,2 à 0,4 l’exploitation, selon le type
dollar par hectare par an durant de licence et le rang de
la prospection et de 0,4 à 0,8 renouvellement
dollar durant l’exploitation.
Impôt sur Taux de 30 %, fixé dans certains Taux de 35 %, Taux de 35 %, mais la
les sociétés contrats et dans le code minier conformément à la loi plupart des contrats prévoient
de 2018, ce dernier s’appliquant relative à l’impôt sur le certaines incitations fiscales,
pour les contrats dépourvus revenu de 2015 comme des congés fiscaux
d’une telle clause (normalement de cinq à six
ans) ou un taux d’imposition
Les sociétés minières sont en
plus faible en début
outre assujetties à l’impôt sur les
d’exploitation
bénéfices exceptionnels prévu
par le code minier 2018.
126
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Tableau 7
Exemples de clauses fiscales figurant dans des contrats miniers conclus en République
démocratique du Congo, au Ghana et en Guinée (suite)
République démocratique
Ghana Guinée
du Congo
Transactions avec Aucune clause en la matière dans Clause type figurant dans la Grande diversité des clauses
une société affiliée les contrats, mais selon le code plupart des contrats : en la matière inscrites dans les
minier de 2018 toute opération contrats miniers, qui peuvent
a) Fixer un prix juste et
commerciale entre sociétés prévoir certains des éléments
raisonnable pour les services
affiliées doit se dérouler selon le suivants :
et fournir des justificatifs si
principe de pleine concurrence
requis ; a) Respect du principe de
pleine concurrence et des
b) Toutes les transactions se
meilleures pratiques en
déroulent sur la base de prix
matière de prix de transfert ;
internationaux compétitifs et
dans des conditions justes et b) Obligation de déclarer et de
raisonnables ; détailler les transactions entre
filiales, prévue dans la plupart
c) Aviser le ministre de
des contrats ;
toutes les transactions et
fournir des détails si requis. c) Approbation préalable de la
méthode de fixation du prix de
transfert ou d’une transaction
avec une filiale dans certaines
circonstances ;
d) Droit de préemption de
l’État sur l’achat de produits
minéraux lorsqu’il considère le
prix de transfert trop bas.
Stabilisation Pour toute la durée de l’accord Pas de clause de Pendant la durée de la
à partir de la date de signature ; stabilisation dans la plupart concession minière, la plupart
couvre les questions fiscales et des contrats des clauses de stabilisation ne
non fiscales couvrent que la fiscalité et les
droits de douane.
Source : Secrétariat de la CNUCED et https://resourcecontracts.org/.
Note : En 2019, sur les 27 pays d’Afrique subsaharienne seuls 15 ont rendu publics des contrats relatifs à des
projets d’investissement dans le secteur extractif, dont six ont fourni assez de détails pour permettre une analyse.
46
Ibid. Voir https://resourcecontracts.org/.
127
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Ces contrats miniers comportent aussi régulièrement une clause de stabilisation qui
gèle l’application du droit interne pertinent pour la durée du projet. Les contrats sont
normalement conclus en vertu du droit interne et lui sont assujettis, mais les contrats
miniers incorporent quant à eux, dans bien des cas, des dispositions relevant du droit
international ou prévoient le recours à des mécanismes internationaux de règlement des
différends, disposition tout aussi fréquente dans les accords bilatéraux d’investissement
conclus par la plupart des pays d’origine des investisseurs avec les pays d’accueil africains.
128
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Pour ce qui est des sociétés de capital-investissement, outre certains investisseurs directs
cotés en bourse, des fonds d’investissement à impact social ont aussi suscité un grand
intérêt médiatique. Pour investir, les sociétés de capital-investissement recourent en
général à une structure du type fond commun de placement ayant sa résidence dans
une juridiction intermédiaire. Maurice est souvent le premier choix en Afrique (Hearson, à
paraître). Une telle structure offre une série d’avantages fiscaux et non fiscaux qui, selon
les investisseurs, sont essentiels à leur modèle d’affaires (Carter, 2017). Les réseaux de
conventions fiscales de Maurice et des autres juridictions accueillant des fonds communs
de placement sont susceptibles d’amoindrir l’aptitude du pays dans lequel est effectué
l’investissement à imposer les dividendes, les paiements d’intérêts et les plus-values. Les
investisseurs font valoir qu’éviter de payer ces impôts leur permet d’investir plus largement
en Afrique, que la charge économique des retenues à la source pèserait en fin de compte
sur le destinataire de l’investissement et qu’une solution de substitution à la mise en
commun offshore serait de recourir à une juridiction onshore dans un pays de l’OCDE
ayant conclu une convention avantageuse avec le pays destinataire (Carter, 2017).
129
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Encadré 4
Imposition des plus-values : cas du différend entre l’Ouganda et une société
koweïtienne de télécommunications mobiles
Un différend en cours oppose l’Administration fiscale ougandaise à l’entreprise de télécommunications
mobiles koweïtienne Zain. Il porte sur la cession par Zain International de se sa filiale ougandaise, Zain
Africa BV, qui à la date de la cession détenait des participations dans 26 sociétés, toutes enregistrées aux
Pays-Bas. La cession a été réalisée par transfert d’actions dans une société holding basée aux Pays-Bas.
L’enjeu est un montant de 85 millions de dollars d’impôt. L’Administration fiscale ougandaise considère
que Zain doit payer l’impôt sur la plus-value tirée de la transaction, même si elle a pris la forme d’un
transfert indirect offshore aux Pays-Bas. Les transferts indirects de sociétés dont la valeur est imputable
pour l’essentiel à des biens immobiliers (en l’occurrence des infrastructures de télécommunications) sont
imposables en vertu du code fiscal ougandais, mais pas en vertu de la convention fiscale conclue entre
les Pays-Bas et l’Ouganda.
Zain a refusé de payer en faisant valoir que l’Administration fiscale ougandaise n’était pas compétente
pour imposer Zain Africa BV du fait que cette société avait sa résidence aux Pays-Bas et ne tirait pas de
revenus d’Ouganda. En décembre 2011, en première instance, la Haute Cour de Kampala a statué en
faveur de Zain. L’affaire a suscité l’intérêt des 26 pays africains dans lesquels Zain opère. En droit fiscal
ougandais existe une règle antiabus destinée à empêcher le chalandage fiscal. En 2014, la Cour d’appel
a statué en faveur de l’Administration fiscale ougandaise, mais seulement pour une raison de procédure.
Zain n’a pas contesté la décision et nul ne peut donc dire avec certitude qui de l’Administration fiscale ou
de Zain aurait fini par obtenir gain de cause sur le fond. Étant donné que Zain n’a plus d’actifs en Ouganda,
l’Administration fiscale ne peut faire appliquer la décision d’imposer qu’avec l’aide des Pays-Bas, comme
le dispose la convention fiscale précitée.
Le transfert indirect peut être illustré comme suit.
Cession
Zain Africa BV
130
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les technologies numériques ont par ailleurs élargi les possibilités de cybercriminalité
et rendu possible la création de plateformes de commerce de biens et services illégaux
car nombre de leurs caractéristiques favorisent leur usage aux fins du transfert et de
l’emploi illégaux d’argent (Tropina, 2016), en particulier :
b) L’anonymat, qui réduit la possibilité d’identifier les clients à des fins de vérification ;
131
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
La plupart des pays d’Afrique subsaharienne ne se sont dotés d’un régime national
des prix de transfert qu’au cours de la dernière décennie mais quelques-uns l’ont
fait plus tôt, dont l’Afrique du Sud, dès 1995, et le Kenya, en 2006. En mars 2019,
47
Voir www.oecd.org/tax/transparency/.
48
Pour la liste des membres, voir www.oecd.org/tax/transparency/who-we-are/.
132
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
la moitié environ des pays d’Afrique subsaharienne ne disposaient pas encore de règles
nationales relatives aux prix de transfert et ne pouvaient donc pas saisir la justice locale
de leurs griefs contre des entreprises multinationales (AndersenTax, 2019). Les règles
nationales relatives aux prix de transfert sont la source juridique principale, là où elles
existent, tandis que les instruments internationaux, comme les Principes de l’OCDE
applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales
et des administrations fiscales, ne sont qu’une source subsidiaire ; en l’absence de
cadre national régissant les prix de transfert et d’orientations émanant des autorités,
l’administration fiscale ne peut pas choisir des règles ex post aux dépens des
contribuables. Il ressort des quelques affaires relatives à des prix de transfert survenues
en Afrique et ayant été commentées dans des publications que dans la plupart des pays
concernés, le premier jugement en la matière n’a été rendu qu’à une date récente : en
2017 au Zimbabwe et en 2018 en Afrique du Sud, au Ghana et au Malawi, par exemple.
Les méthodes de fixation des prix de transfert et l’applicabilité des Principes directeurs
de l’OCDE en la matière ont été au centre du débat dans plusieurs de ces affaires49.
En 2016, une réglementation nationale relative aux prix de transfert était déjà en
place au Malawi au moment d’un différend ayant fait date50. Dans un rapport d’audit,
l’administration fiscale malawienne ne s’était pas fondée sur la réglementation nationale
mais sur les Principes de l’OCDE et avait cité l’article 9 du modèle de convention fiscale
de l’OCDE pour définir le principe de pleine concurrence. Le tribunal saisi a fait valoir
que dès lors que le droit était énoncé dans la législation locale, il était en tout temps
impératif d’appliquer ce droit, que les instruments internationaux pouvaient être invoqués
seulement pour interpréter le droit interne, que l’administration fiscale devait s’en tenir
strictement aux prescriptions de la loi telle qu’adoptée par le législateur et qu’aucun
écart, même minime, par rapport à la loi n’était autorisé. La justice malawienne a donc
jugé illégale l’application des Principes de l’OCDE en lieu et place de la réglementation
nationale encadrant les prix de transfert.
Dans deux autres affaires, au Kenya et en Zambie, les tribunaux locaux ont conclu
que pour calculer les prix de transfert, les contribuables pouvaient utiliser les Principes
directeurs de l’OCDE, bien qu’ils n’aient pas été incorporés dans l’ordre juridique
interne. Le tribunal zambien a, par exemple, admis l’utilisation des Principes directeurs
de l’OCDE et du Manuel pratique des Nations Unies sur les prix de transfert à l’intention
des pays en développement en cas de lacune dans la législation nationale au moment
49
Pour la première affaire ayant porté sur des prix de transfert en Afrique du Sud, voir Brink (Brink, 2018).
50
Voir www.africataxjournal.com/wp-content/uploads/2018/08/TP-MALAWI-JUDICIAL-REVIEW-Eastern-
Produce-MW-Ltd-vs-MRA-Transfer-Pricing-Applicability-of-OEC...-2.pdf.
133
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
des faits, mais il a souligné que la réglementation nationale sur les prix de transfert était
entrée en vigueur en 2018 et devrait désormais être la première source de référence
pour les pratiques en la matière51. Dans son jugement le tribunal kényan s’est quant à lui
inquiété de l’absence de règles concernant les prix de transfert, a noté, en le regrettant,
que le droit kényan était muet au sujet des méthodes à employer et a formulé l’espoir
que l’Administration fiscale nationale s’attache à définir des règles en la matière52.
La Convention des Nations Unies contre la corruption compte cinq grands volets :
mesures préventives ; incrimination, détection et répression ; coopération internationale ;
recouvrement d’avoirs ; assistance technique et échange d’informations. Dans l’optique
de combattre la corruption au niveau national, la plupart des pays du monde ont adopté
une loi faisant obligation à leurs fonctionnaires de déclarer dans les formes prescrites
leur situation financière (avoirs, revenus et dettes). Guj et al. (Guj et al., 2017) indiquent
que 176 pays ont adopté une loi à cet effet, dont tous les pays de l’OCDE à revenu
élevé, 89 % des pays d’Afrique subsaharienne et 61 % des pays du Moyen-Orient et
d’Afrique du Nord.
51
Nestle Zambia Trading Ltd v Zambia Revenue Authority, Tax Appeals Tribunal, 2018/TAT/03/DT
(www.africataxjournal.com/wp-content/uploads/2019/04/Nestle-vs-ZRA-TP-Case-2019.pdf).
52
Unilever Kenya Ltd v Commissioner of Income Tax [2005], Income Tax Appeal No. 753 of 2003 at 15
(www.africataxjournal.com/wp-content/uploads/2018/08/Unilever-Kenya-Ltd-v-Commissioner-KRA-
Income-Tax-Appeal-753-of-2003.pdf).
134
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Dans les pays dotés d’une législation contre le blanchiment d’argent, les institutions
financières (sociétés de banque, d’assurance et de courtage) ainsi que les entreprises et
professions non financières désignées (par exemple, les avocats, les comptables et les
casinos) sont légalement tenues d’informer l’organisme public compétent lorsqu’elles
jugent suspecte une déclaration de transaction. Cet organisme est le plus souvent une
cellule de renseignement financier. Presque tous les pays se sont dotés d’une cellule
de renseignement financier, mais la structure institutionnelle, l’étendue du mandat et la
dotation en ressources de cette cellule diffèrent grandement d’un pays à l’autre. Il est
crucial que dans les pays africains, tout comme dans tous les autres pays, les cellules
de renseignement financier soient à l’abri des pressions politiques afin de pouvoir remplir
leurs fonctions en toute indépendance (IMF, 2004).
135
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Les pays africains recourent surtout à des accords bilatéraux d’investissement pour
attirer des IED. On dénombre actuellement plus de 3 000 accords internationaux,
conclus par quelque 180 pays53. Leur attrait est tel qu’en 2018 des pays ont signé
40 nouveaux accords internationaux sur les investissements (30 accords bilatéraux
d’investissement et 10 comportant des dispositions relatives aux investissements), ce
qui a porté à 3 317 le total des accords de ce type (UNCTAD, 2019c). En janvier 2019,
les pays africains avaient, à eux seuls, signé près de 1 000 accords internationaux
concernant l’investissement, dont environ 200 accords intra-africains, une bonne part
d’entre eux étant des accords régionaux, parmi lesquels on peut citer l’Accord-cadre
d’investissement pour la zone commune d’investissement du Marché commun de
l’Afrique orientale et australe, l’Acte additionnel au Traité de la Communauté économique
des États de l’Afrique de l’Ouest sur l’investissement et le Protocole sur la finance et
l’investissement de la Communauté de développement de l’Afrique australe. Les pays
africains sont toujours plus nombreux à conclure des accords extrarégionaux, tels que
l’Accord-cadre sur le commerce et l’investissement entre la Communauté de l’Afrique
de l’Est et les États-Unis d’Amérique, l’Accord de partenariat économique entre l’Union
européenne et la Communauté de développement de l’Afrique australe et l’Accord-
cadre sur le commerce et l’investissement entre la Communauté économique des États
de l’Afrique de l’Ouest et les États-Unis54.
Ces accords confèrent une série de droits et d’obligations aux parties contractantes.
Dans les accords bilatéraux d’investissement, en particulier, les États souscrivent à des
obligations telles que l’engagement de ne pas discriminer les investisseurs étrangers et
de leur accorder le traitement national ou le traitement de la nation la plus favorisée, de leur
garantir un traitement juste et équitable et de ne pas les exproprier sans indemnisation.
Dans ces accords bilatéraux en outre une clause majeure relative au règlement des
différends, qui habilite l’investisseur à contester un acte de l’État d’accueil, sans avoir,
en général, à saisir les tribunaux nationaux, en demandant directement l’ouverture
d’une procédure d’arbitrage international, le plus souvent au Centre international pour
le règlement des différends relatifs aux investissements ou à une instance appliquant
le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial
international. Fondé à l’origine sur un régime d’arbitrage commercial confidentiel ad
hoc entre parties privées, le système de règlement des différends entre investisseurs
53
Voir https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements.
54
Ibid.
136
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
et États voit sa légitimité contestée de nos jours (UNCTAD, 2018). À la mi-2019, des
investisseurs avaient engagé plus de 980 procédures de règlement d’un différend
investisseur/État visant 118 pays, dont 117 différends visant 30 pays africains au
moins55. Les accords internationaux d’investissement ont connu une évolution marquée
depuis la conclusion du premier accord bilatéral d’investissement, entre l’Allemagne et
le Pakistan voilà plus d’un demi-siècle, en 1959 (UNCTAD, 2018:14). Conçu à l’origine
pour assurer la prévisibilité juridique des relations d’investissement entre pays, ce
système est désormais une source d’incertitude juridique, de débats et de controverses
(El-Kady, 2016 ; El-Kady and De Gama, 2019:1).
55
Voir https://investmentpolicy.unctad.org/investment-dispute-settlement.
137
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Au fil du temps il est devenu manifeste qu’une réforme approfondie du régime des
accords internationaux d’investissement s’imposait. Un consensus s’est dégagé sur la
nécessité de faire en sorte que ce régime fonctionne à la satisfaction de toutes les parties
prenantes. La CNUCED, dans sa publication sur l’ensemble de réformes en faveur du
régime d’investissement international (UNCTAD, 2018) et sa publication sur le Cadre
de politique de l’investissement pour le développement durable (UNCTAD, 2015b),
a soumis aux décideurs plus d’une centaine d’options concernant l’élaboration des
accords et les avantages et inconvénients de chacune. Dans un autre de ses rapports
(UNCTAD, 2013), la CNUCED s’est fait l’écho des préoccupations exprimées au sujet
du fonctionnement des mécanismes de règlement des différends entre investisseur et
État prévus dans les accords d’investissement au sujet des points suivants : légitimité ;
transparence ; cohérence des décisions arbitrales ; décisions erronées ; indépendance
et impartialité des arbitres ; enjeux financiers ; planification de la nationalité. S’agissant
de ce dernier point, en vue de bénéficier d’un mécanisme plus avantageux de règlement
des différends entre investisseur et État, un investisseur peut en effet faire transiter son
investissement par une société établie dans un pays intermédiaire dans le seul but de
bénéficier d’un accord international d’investissement conclu par ce pays avec l’État
d’accueil (UNCTAD, 2013).
Dans son ensemble de réformes, la CNUCED a soumis des options intéressantes dans
l’optique de la lutte contre les FFI liés à la fiscalité ; les principales étant : exclure du
champ des accords (y compris les conventions de non double imposition) : la politique
fiscale (UNCTAD, 2015b: p. 94, option 2.3.1) ; les clauses de non-discrimination
(UNCTAD, 2015b: p. 96, options 4.1.3 et 4.2.2) ; les clauses de règlement des différends
(UNCTAD, 2015b: p. 106, option 6.2.1).
138
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
qui exclut les mesures fiscales de son champ et prévoit qu’en cas de conflit de normes
entre un accord bilatéral d’investissement et une convention fiscale, cette dernière
prime (art. 24) ; le projet de code panafricain des investissements, qui dispose que
les principes de traitement de la nation la plus favorisée et de traitement national ne
s’appliquent pas en matière de fiscalité (art. 8 et 10).
Droit de l’État d’origine, droit des États tiers et cadre de l’entraide judiciaire
Les entreprises multinationales qui opèrent en Afrique restent aussi soumises à la
législation de leur État d’origine. Les réglementations d’États tiers peuvent jouer un rôle
crucial dans les projets d’IED, même sans présence physique d’un investisseur dans
le pays d’accueil. Comme signalé au chapitre 3, peu d’études systématiques ont été
consacrées aux investissements réalisés par le canal de « juridictions opaques », alors
qu’une part substantielle des IED mondiaux transite par des sociétés-écrans offshore.
Les investissements réalisés par l’intermédiaire d’un centre financier offshore doivent
respecter la réglementation en matière de financement, de fiscalité, de lutte contre le
blanchiment d’argent et autres de la juridiction correspondante.
Les accords bilatéraux qui encadrent l’entraide judiciaire jouent un rôle essentiel dans
les affaires d’avoirs gelés détenus à l’étranger. Par exemple, en Suisse le Conseil fédéral
diffuse régulièrement un communiqué présentant un état actualisé de l’application de la
loi fédérale de 2016 sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine
illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger. Dans un de ces communiqués,
il est indiqué que la clôture des procédures d’entraide judiciaire a réduit les perspectives
de restitution des avoirs de l’Égypte détenus en Suisse, sans pour autant libérer les
avoirs en cause d’environ 430 millions de francs suisses, et que ces avoirs resteront
56
Pour des exemples de décisions, voir www.sec.gov/spotlight/fcpa/fcpa-cases.shtml.
139
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
sous séquestre dans le cadre de procédures pénales menées en Suisse en vue d’en
déterminer l’origine licite ou non57.
57
Voir www.admin.ch/gov/en/start/documentation/media-releases.msg-id-69322.html.
140
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Dans un contexte marqué par une tendance persistante à la dégradation des termes de
l’échange pour les pays exportateurs de produits de base, conjuguée à l’instabilité des
prix des produits de base et des revenus tirés de ces produits, en 1962, l’Assemblée
générale des Nations Unies a, sous la pression des pays en développement, approuvé
la recommandation du Conseil économique et social de convoquer une conférence
des Nations Unies sur le commerce et le développement59. La question des produits
de base figurait parmi les points prioritaires inscrits à l’ordre du jour de la première
session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement,
tenue en 1964. La Conférence a été l’occasion pour la communauté internationale de
délibérer en vue de définir une politique internationale viable en matière de produits de
base. En 1976, à sa quatrième session, dans l’optique d’un nouvel ordre économique
international − système plus équitable de relations commerciales entre le Sud et le
Nord −, la Conférence a adopté le Programme intégré pour les produits de base. Des
négociations relatives à un groupe de produits de base ont été lancées. L’idée était de
négocier des accords sur les produits de base comportant des clauses économiques
destinées à financer des stocks régulateurs de manière à atténuer les fluctuations des
prix et à stabiliser les prix à des niveaux rémunérateurs pour les producteurs.
58
L’économiste argentin Raúl Prebisch (1901-1986) a été Secrétaire général de la CNUCED de 1964 à 1969.
59
Pour un exposé circonstancié des événements ayant abouti à l’adoption de cette résolution et, par la suite, à
la création de la CNUCED, voir le rapport de la CNUCED publié sous la cote UNCTAD/TDR/2014 (UNCTAD,
2014a).
141
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
caoutchouc naturel (UNCTAD, 2003 ; Gilbert, 2011 ; UNCTAD, 2014a ; Gayi, 2020). Le
débat international sur le développement n’a débouché sur aucune action concertée
malgré la place prépondérante réservée aux produits de base dans ce débat. Au niveau
mondial, cet échec a débouché sur un vide institutionnel et politique, au pire, ou, au
mieux ,sur une série de politiques vagues et incohérentes relatives aux produits de base
(Gayi and Chérel-Robson, à paraître).
142
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Examinant les progrès accomplis en ce qui concerne les droits humains des femmes
et la participation des femmes au pouvoir et au processus décisionnel, le Conseil
des droits de l’homme de l’ONU a constaté que vingt ans après la Déclaration et le
Programme d’action de Beijing des structures patriarcales profondément enracinées
dans les sphères publique et privée empêchaient encore les femmes d’exercer le droit
de participer dans des conditions d’égalité à la vie économique et politique (Office of the
High Commissioner for Human Rights, 2015).
De nombreux rapports sur l’égalité des sexes mettent en relief la faible représentation
des femmes aux postes de direction dans les entreprises de tous les secteurs
(McKinsey Global Institute, 2015, 2019 ; Crédit Suisse, 2019). Des études montrent
que les femmes sont aussi sous-représentées dans des segments clefs des chaînes de
valeur en raison de la discrimination fondée sur le genre dans l’accès au crédit et aux
chances (McKinsey Global Institute, 2016). Tous les indicateurs ont stagné s’agissant
de l’Afrique, sauf en matière de protection juridique et de représentation politique.
Paradoxalement, grâce aux excellents résultats d’un petit groupe de pays (Afrique du
Sud, Botswana, Kenya, Ouganda et Rwanda), l’Afrique est la région où la proportion
de femmes dans les conseils d’administration est la plus forte, avec 25 % contre 17 %
en moyenne mondiale (McKinsey Global Institute, 2016). La représentation des femmes
est aussi légèrement supérieure à la moyenne dans les comités exécutifs, avec 22 %.
Le genre est aussi à prendre en considération sur le plan des infractions sources
de FFI. Ainsi, dans le monde 49 % des victimes de la traite des êtres humains et
du trafic illicite de migrants sont des femmes et 23 % des filles (UNODC, 2018). Le
Groupe Asie-Pacifique sur le blanchiment de capitaux, du GAFI (Financial Action Task
Force-Asia Pacific Group on Money-Laundering 2018), a établi, à partir d’estimations de
143
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Le genre est aussi à prendre en considération dans l’examen de l’impact négatif des
FFI sur les résultats en matière de développement. La fraude fiscale se solde par une
perte de recettes publiques qui réduit d’autant les crédits budgétaires disponibles pour
financer les services publics, dont les destinataires sont en majorité des femmes et des
filles. Les États tendent de surcroît à privilégier certains domaines, dont la sécurité, aux
dépens des services sociaux, ce qui réduit encore plus le financement de ces services
(Waris, 2017). Outre la féminisation de la pauvreté, largement attestée, une coalition
d’organisations de la société civile a constaté dans un de ses rapports que les femmes
constituaient souvent le gros des victimes des crises sanitaires, en Afrique de l’Ouest,
par exemple, jusqu’à 75 % des victimes de la maladie à virus Ebola étaient des femmes
(Alliance Sud et al., 2016). Cette même coalition a souligné que l’insuffisance des crédits
budgétaires affectés aux services de santé était imputable en partie aux pertes de
recettes publiques induites par les infractions fiscales et les sorties illicites de fonds, que
la situation s’en trouvait aggravée et qu’un élargissement de l’assiette fiscale en vue de
compenser ces pertes de recettes risquait de peser le plus lourdement sur les femmes.
Les taxes à la consommation perçues sur les biens et services les plus achetés par
les ménages pauvres touchent le plus durement les ménages pauvres dirigés par une
femme (Capraro, 2014 ; Waris, 2017).
144
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
145
Chapitre 5
Quantifier l’incidence
des flux financiers
illicites sur le
développement durable
Le présent chapitre étudie les liens potentiels entre les
FFI, la transformation structurelle et le développement
durable. Il examine en quoi les FFI pourraient corréler
négativement avec l’augmentation de la productivité
dans les différents secteurs et souligne le rôle des
institutions pour endiguer ces effets. Au cours des dix
dernières années, la productivité a faiblement progressé
dans la plupart des pays d’Afrique, en dépit de taux
de croissance économique relativement élevés. Les
conclusions du chapitre indiquent en quoi enrayer les FFI
peut aider à obtenir un niveau plus élevé de productivité
économique (cible 8.2), à soutenir les capacités
productives (cible 8.3) et à améliorer l’efficacité de
l’utilisation des ressources (cible 8.4) en Afrique.
LES FFI SAPENT
LA PRODUCTIVITÉ
DU TRAVAIL
L’EXTRACTION
DE RESSOURCES NATURELLES
consomme d’importantes quantités d’énergie,
ce qui accroît les risques climatiques
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
La section 5.1 décrit la méthodologie et le modèle utilisés pour quantifier les effets
potentiellement néfastes des FFI. La section 5.2 présente les résultats du modèle pour
illustrer la corrélation avec de moins bons résultats sur le plan du développement durable,
après quoi est étudiée à la section 5.3 la façon dont des institutions inclusives peuvent
atténuer les répercussions néfastes des FFI. Les sections 5.4 et 5.5 étudient les incidences
préjudiciables des FFI pour ce qui est des retombées sur l’environnement des activités
extractives et de la productivité agricole. La section 5.6 récapitule les points essentiels.
149
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Les principaux circuits par lesquels les FFI influent sur la croissance de la valeur ajoutée,
l’augmentation de la productivité et le développement socioéconomique, d’après la
littérature, sont l’accumulation de capital, l’investissement et les recettes publiques.
C’est principalement le circuit de l’investissement qui est analysé dans le présent
chapitre pour expliquer le niveau de productivité dans les différents pays africains.
Les effets négatifs que le manque de recettes publiques et la mobilisation réduite
des ressources intérieures peuvent avoir sur le développement social sont surtout
analysés au chapitre 6. Le cadre théorique du présent rapport et les conclusions des
chapitres précédents conduisent à inclure deux facteurs supplémentaires, le préjudice
institutionnel et la durabilité environnementale, qui constituent des éléments transversaux
pour expliquer l’incidence des FFI sur le développement durable.
Les FFI font baisser le taux d’accumulation du capital en réduisant les investissements
privés qui auraient pu financer les nouvelles technologies de production, les nouvelles
machines et les processus de production innovants qui sont nécessaires pour augmenter
la productivité du travail (voir notamment Ndiaye, 2009, 2014 ; Fofack and Ndikumana,
2010 ; Ndikumana, 2014 ; Nkurunziza, 2014). Slany et al. (2020) vérifient tout d’abord le
lien entre formation de capital et fuite des capitaux attesté par la littérature, pour montrer
l’existence d’une corrélation négative. Toutefois, ce lien semble être soumis à d’autres
variables qui influent aussi bien sur la formation de capital que sur la fuite des capitaux.
Une pénurie de capitaux provoquée par les FFI augmente le taux d’intérêt intérieur
et peut accentuer la pression sur le niveau élevé de service de la dette extérieure qui
caractérise nombre de pays africains. En outre, la dépréciation de la monnaie nationale
qui peut résulter des sorties de capitaux a aussi pour effet d’accroître le coût de
l’investissement et de réduire le niveau de l’investissement productif et de la croissance
de la productivité (Ampah and Kiss, 2019). Plutôt que de mesurer les liens entre la dette
extérieure et les FFI, le présent chapitre en évalue les incidences sur le développement
en partant de la littérature existante (Ndikumana and Boyce, 2018 ; Ampah and Kiss,
2019). Par ailleurs, l’incidence potentiellement négative sur les importations, imputable
à des revenus plus faibles, risque d’accentuer les contraintes de balance des paiements
et de réduire le taux d’accumulation de capital.
Les FFI peuvent compromettre les recettes publiques en rognant l’assiette fiscale, ce qui
réduit les dépenses publiques en faveur de l’infrastructure matérielle et immatérielle, de
la recherche-développement, de la protection de l’environnement et du développement
institutionnel (Ndikumana and Boyce, 2011 ; Mevel et al., 2013 ; concernant les liens
avec la mobilisation des ressources intérieures, qui font présumer une corrélation des
FFI avec un niveau plus bas de dépenses de santé et d’éducation, voir le chapitre 6).
150
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les FFI qui se rattachent aux activités criminelles et aux pratiques corrompues
sont susceptibles de porter atteinte à l’état de droit et à la qualité des institutions,
car ils tendent à affaiblir les mécanismes de responsabilité (Ndikumana, 2014). La
bonne gouvernance et des institutions fortes assurent un cadre plus favorable à
l’investissement, augmentent l’efficacité économique, et contribuent ainsi à élever la
productivité (McMillan and Harttgen, 2014 ; McMillan et al., 2014 ; Martins, 2019).
Dans l’analyse du présent chapitre, il est tenu compte d’un quatrième circuit d’effet
qui importe pour expliquer les liens entre les FFI et le développement durable. Les
FFI peuvent provenir de l’exploitation illicite de ressources environnementales et sont
associés à l’utilisation non durable de ressources naturelles qui existent en quantité finie,
ce qui peut réduire la croissance économique (Nordhaus, 1974, 2014). Les infractions à
la législation environnementale peuvent avoir des conséquences néfastes pour la santé
humaine et l’environnement et donc réduire la productivité du travail. Des dommages
environnementaux comme l’érosion des sols peuvent faire diminuer la productivité des
sols, ce qui se répercute sur la productivité agricole. En particulier, l’estimation des
FFI dans le secteur extractif corrèle avec l’exploitation illicite de ressources, qui est
dommageable pour l’environnement (chap. 2).
Le présent rapport utilise un cadre intégré pour examiner les effets préjudiciables d’ordre
économique, social, institutionnel et environnemental imputables aux FFI. Ce cadre est
pris en considération dans l’analyse empirique du présent chapitre. La méthodologie
et les résultats sont fondés sur les travaux de Slany et al. (2020), qui montrent que les
liens entre les FFI et la transformation structurelle sont déterminés par l’effet conjugué
de différents facteurs plutôt qu’ils ne le sont par des facteurs isolés. L’analyse utilise
60
Voir www.brettonwoodsproject.org/2019/04/debt-and-gender-equality-how-debt-servicing-conditions-
harm-women-in-africa/.
151
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Les institutions peuvent être facilitatrices des FFI (chap. 3 et 4). En revanche, des
institutions transparentes et plus solides peuvent aider à assurer un cadre propice à
une amélioration de la productivité. En raison des liens d’interdépendance entre les
FFI, la qualité des institutions et le développement économique, l’ampleur des effets
préjudiciables des FFI tient dans une certaine mesure à la qualité des institutions (Slany
et al., 2020). Ainsi, un cadre institutionnel stable et transparent accroît l’efficacité
des transactions économiques en diminuant les coûts de transaction. Les sorties de
capitaux illicites influent sur le développement socioéconomique, en fonction du niveau
global d’efficacité des transactions.
Le manque d’application des lois rend difficilement possible une évaluation quantitative
de la qualité des institutions, mais le recours à différents indices, renseignant par exemple
sur la perception de la bonne gouvernance, offre une perspective acceptable de la
qualité des institutions. Le choix des variables institutionnelles est inspiré de la littérature
relative aux FFI (voir notamment Ndiaye, 2014 ; Ndikumana, 2014) et recouvre :
61
La fragilité d’un pays est étroitement liée à la capacité de son État de gérer les conflits, d’élaborer et
d’appliquer des politiques publiques et d’assurer des services essentiels, et à la résilience systémique dont
celui-ci fait preuve pour maintenir la cohérence du système, la cohésion et la qualité de vie, en répondant
efficacement aux difficultés et aux crises (voir www.systemicpeace.org/inscrdata.html).
152
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
62
L’indice recouvre la stabilité financière (vulnérabilité aux chocs), l’efficacité et la solidité du système
financier (concurrence, taux d’intérêt, capitalisation et concentration des liquidités) et accès aux services
financiers (épargne, crédit, paiements et assurance), et repose sur une information qualitative et quantitative
provenant d’un certain nombre de sources différentes (voir https://databank.worldbank.org/reports.
aspx?source=country-policy-and-institutional-assessment).
153
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Tableau 8
Fuite des capitaux et dépendance à l’égard des ressources naturelles : groupes de pays
Estimation de la fuite des capitaux Dépendance à l’égard des ressources naturelles
Élevée : >5 % du PIB Faible : <5 % du PIB Non tributaire Tributaire
Bénin, Burundi, Comores, Afrique du Sud, Algérie, Angola, Afrique du Sud, Bénin, Algérie, Angola, Botswana, Burkina
Congo, Djibouti, Eswatini, Botswana, Burkina Faso, Cabo Cabo Verde, Comores, Côte Faso, Burundi, Cameroun, Congo,
Éthiopie, Gabon, Guinée, Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, d’Ivoire, Djibouti, Égypte, Érythrée, Gabon, Ghana, Guinée,
Lesotho, Mali, Maurice, Égypte, Ghana, Guinée-Bissau, Eswatini, Éthiopie, Gambie, Guinée équatoriale, Libéria, Libye,
Ouganda, Rwanda, Sao Kenya, Madagascar, Malawi, Guinée-Bissau, Kenya, Mali, Mauritanie, Mozambique,
Tomé-et-Principe, Sénégal, Maroc, Mauritanie, Mozambique, Lesotho, Madagascar, Namibie, Niger, Nigéria, République
Seychelles, Sierra Leone, Namibie, Nigéria, République Malawi, Maroc, Maurice, démocratique du Congo,
Togo démocratique du Congo, Ouganda, République République-Unie de Tanzanie,
République-Unie de Tanzanie, centrafricaine, Sao Tomé-et- Rwanda, Sierra Leone, Soudan,
Soudan, Tunisie, Zambie, Principe, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo, Zambie
Zimbabwe Sierra Leone, Somalie,
Tunisie, Zimbabwe
Encadré 5
Estimer les effets marginaux des flux financiers illicites sur la productivité
intersectorielle du travail
Le principal modèle abordé dans le présent chapitre procède d’un examen de la littérature actuelle
et est décrit dans l’équation ci-après :
valeur ajoutée
ln൬ ൰ = f (flux financiers illicites୧୲ିଵ ; institutions୧୲ିଵ ; flux financiers illicites୧୲ିଵ# institutions୧୲ିଵ;variables de contrôle୧୲ିଵ ;ensemble Ԣeffets fixes)
emploi ୧୲୩
154
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les valeurs négatives des estimations de la fuite des capitaux sont omises. Afin de permettre une
interprétation plus aisée des variables d’intérêt, les FFI et l’effet conditionnel sur les institutions (autant
de variables indépendantes) sont centrés sur la moyenne. L’endogénéité résultant du biais lié aux
variables omises est partiellement corrigée par l’ensemble d’effets fixes et les variables de contrôle.
L’endogénéité due à la causalité inverse est traitée dans le premier décalage de l’ensemble des
155
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Tableau 9
Résultats des régressions pour l’estimation des effets fixes : productivité intersectorielle
totale, 2000-2015
1 2 3 4 5 6
156
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Tableau 9
Résultats des régressions pour l’estimation des effets fixes : productivité intersectorielle
totale, 2000-2015 (suite)
1 2 3 4 5 6
157
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Les FFI ont des effets multiplicateurs sur la productivité du travail liés au circuit de l’effet
de freinage de l’investissement et au circuit des dépenses publiques. Des niveaux plus
élevés en ce qui concerne la formation de capital et l’éducation primaire favorisent
nettement la productivité. Néanmoins, la maîtrise de la corruption contribue davantage
à expliquer le niveau de productivité, car elle revêt une plus grande signification
statistique. La régression est capable d’expliquer entre 40 % et 60 % de la variation de
la productivité du travail ; le modèle permet donc d’appréhender une bonne partie des
variations de la productivité du travail sur l’échelle de temps (la question de savoir en
quoi la maîtrise des FFI peut être associée directement à des résultats plus favorables
dans les domaines de l’éducation et de la santé, par un effet d’accélération sur le capital
humain, est étudiée au chapitre 6). En outre, s’agissant des indicateurs supplémentaires
des FFI, l’activité criminelle dans le secteur extractif (représentée par l’indicateur de la
criminalité liée aux ressources non renouvelables de l’indice du crime organisé du projet
Renforcer la lutte contre le crime organisé transnational en Afrique (Enhancing Africa’s
Ability to Counter Transnational Organized Crime − ENACT) est aussi étroitement liée à
des niveaux plus faibles de formation brute de capital fixe.
158
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les estimations de coefficient concernant la fuite des capitaux sont un peu inférieures
lorsque l’on effectue une comparaison des résultats empiriques avec la littérature
consacrée aux FFI en Afrique (Ndiaye, 2009 ; Fofack and Ndikumana, 2010 ; Ndikumana,
2014). D’une part, l’augmentation absolue de la productivité du travail a été nettement
inférieure à la croissance du PIB. D’autre part, une corrélation estimée assez faible donne
à penser que les investissements privés et publics (accumulation de capital et dépenses
publiques) ont été moins capables de produire un effet de transformation structurelle
(Grigoli and Kapsoli, 2013 ; Gaspar et al., 2019 ; Kharas and McArthur, 2019).
Les secteurs économiques sont aussi influencés différemment par les déterminants
de la transformation structurelle et les FFI, en fonction du niveau de productivité initial.
Ainsi, les secteurs où l’accès au capital est déterminant pour renforcer la création de
valeur ajoutée dans les processus productifs, comme l’agriculture et l’industrie, doivent
davantage compter sur la stabilité financière, l’accès au financement et des institutions
plus fortes pour gagner en efficacité économique (sect. 5.5). Les conséquences
néfastes des FFI se manifestent par l’insuffisance des investissements privés et publics
et sont, en moyenne, plus prononcées dans les secteurs à moindre productivité comme
l’agriculture et l’industrie (Usman and Arene, 2014 ; Slany et al., 2020).
Les FFI supposent une répartition inégale des richesses, ce qui aboutit à davantage
de pauvreté et d’inégalités (AfDB et al., 2012 ; Nkurunziza, 2014). Seule une faible
partie de la population dispose du pouvoir nécessaire pour se livrer à des activités
liées à la fuite des capitaux (AfDB et al., 2012). Les conséquences négatives pour le
développement économique de niveaux d’investissement plus faibles et de dépenses
publiques moindres touchent le plus durement les pauvres. Les moyens par lesquels
159
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
les FFI sapent l’effort de réduction de la pauvreté sont liés principalement à la perte
de recettes publiques, qui abaisse le niveau des dépenses d’éducation, de santé et
d’infrastructure, mais également aux externalités négatives sur la productivité du travail
qui résultent de la sous-facturation des exportations dans le secteur extractif (sect. 5.5).
Le niveau de pauvreté est plus élevé, en moyenne, dans les pays dont la dépendance à
l’égard des ressources naturelles est plus importante. Dans les pays où la fuite des capitaux
est élevée, où la diversification économique est limitée et où une partie importante de la
population vit sous le seuil de pauvreté (dans le groupe des pays à niveau élevé de fuite
des capitaux, on observe un taux de pauvreté de 33 % de la population vivant sous le seuil
de pauvreté, soit 1,90 dollar par jour), seul un groupe restreint de la population profite de
l’extraction des ressources naturelles, facteur supplémentaire d’aggravation des inégalités
(BAD et al., 2012 ; les éléments de mesure des inégalités entre les pays ne sont pas
comparés faute de données suffisantes). L’un des principaux déterminants de la question
de savoir si les ressources naturelles sont une « bénédiction » ou une « malédiction » semble
être l’efficacité de la gouvernance, en particulier l’existence d’institutions suffisamment
bonnes, et partant, la malédiction survient principalement sous l’effet d’un niveau élevé de
consommation publique et privée, d’un investissement faible et souvent inefficace et d’une
monnaie (forte) surévaluée (syndrome hollandais ; Collier and Goderis, 2008). Toutefois,
l’aspect important est que tous ces effets peuvent être neutralisés ou atténués à l’aide
de politiques et de stratégies appropriées et que la malédiction des ressources peut être
changée en bénédiction en utilisant la rente des ressources au renforcement des capacités
de production et à la diversification de l’économie.
63
Les résultats vont de corrélations négatives quel que soit le pays entre les exportations de ressources
naturelles et le développement économique (Sachs and Warner, 1995 ; Sachs and Warner, 2001) à des
effets négatifs sur les institutions et la recherche de rente (Mehlum et al., 2006 ; Besley and Persson, 2010)
et à la preuve d’une augmentation des conflits (Collier and Hoeffler, 2004), tous ces résultats étant soumis à
un certain biais d’endogénéité (Collier and Hoeffler, 2004).
160
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
échantillon donné de pays en développement, que les activités minières peuvent doper
la richesse locale, mais ont souvent des effets négatifs, sur la santé et liés à la pollution.
Les externalités négatives résultant de la pollution de l’air et de la contamination de l’eau
peuvent avoir un effet négatif sur la productivité agricole et augmenter les inégalités, du
fait que tout le monde ne profite pas du niveau d’investissement plus élevé (Amundsen,
2017). Parmi les pays les plus tributaires des ressources naturelles, l’Angola et le Tchad
sont ceux qui ont enregistré le niveau d’inégalités le plus élevé ; on observe le contraire
en Algérie, tandis que le Nigéria se caractérise par des inégalités élevées entre les États
(Amundsen, 2017). Onyele et Nwokocha (2016) montrent que la fuite des capitaux a eu
des effets négatifs importants sur la pauvreté au Nigéria pendant la période 1986-2014.
Les sorties persistantes de capitaux contribuent à une faible formation de capital, à
de moins bons niveaux d’investissement dans les infrastructures et à une production
intérieure qui cantonne de larges secteurs de l’économie à la pauvreté. Les politiques
fiscales et de redistribution peuvent avoir un effet important sur la répartition du revenu
(sur la question de la fuite des capitaux et de la mobilisation des ressources intérieures,
voir le chapitre 6).
161
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
productivité (tableau 9, colonnes 5 et 6). Un pays dont les institutions du secteur financier
sont solides pourrait être moins vulnérable aux effets néfastes de la fuite des capitaux.
Lorsque les entreprises et des travailleurs indépendants tels que les agriculteurs ont
un meilleur accès à d’autres ressources financières, les sorties de FFI peuvent peser
moins lourdement sur l’accumulation de capital et le renforcement des capacités
productives. La transparence du secteur financier et l’accès de tous au financement sont
indispensables pour lutter contre les FFI et promouvoir le développement économique.
64
Voir www.csis.org/analysis/dodd-frank-1502-and-congo-crisis.
65
La position d’un pays dans le classement établi selon l’indice de la lutte contre le blanchiment d’argent du
projet ENACT peut servir d’indicateur de la capacité de ce pays à surveiller le blanchiment d’argent.
66
Voir www.imf.org/external/np/leg/amlcft/eng/.
162
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 13
Afrique de l’Ouest : nombre de rapports reçus sur des transactions suspectes et score
selon l’indice des infractions liées aux ressources non renouvelables, 2018
600 10
Nombre de rapports sur des transactions suspectes
9
500
8
300 5
4
200
3
2
100
1
0 0
Sao Tomé- Guinée- Comores Sierra Gambie Niger Guinée Mali Cabo Libéria Sénégal Burkina Togo Côte Nigéria Bénin Ghana
et-Principe Bissau Leone Verde Faso d’Ivoire
Rapports sur des transactions suspectes Rapports sur des transactions Rapports sur des transactions Infractions liées
liées à d’autres infractions économiques suspectes liées au financement suspectes liées au blanchiment aux ressources
et financières du terrorisme d’argent non renouvelables
Source : Calculs de la CNUCED, d’après Intergovernmental Action Group against Money-Laundering in West
Africa (2018) et l’indice de la criminalité organisée du projet ENACT.
Note : L’indice est calculé en tenant compte de l’ampleur de l’extraction, de la contrebande et du soutage illicites des
principales ressources d’un pays, telles que le pétrole, l’or, le gaz, le diamant et d’autres pierres et métaux précieux.
163
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Une maîtrise plus efficace de la corruption se traduit par une productivité plus élevée
(tableau 9, colonnes 3 et 4). Un niveau élevé de corruption crée des incertitudes quant
à l’environnement institutionnel, freine l’investissement privé et nuit par conséquent à
la productivité de tous les secteurs. La corruption facilite grandement les mouvements
illicites de capitaux d’un pays à un autre et, parallèlement, les FFI permettent de dissimuler
le produit de la corruption. Les FFI provoqués par la corruption sont particulièrement pour
la productivité au niveau des sorties de capitaux liées au commerce (sous-facturation
des exportations) en raison des pots-de-vin et de la contrebande (chap. 2).
Pour lutter contre la corruption et promouvoir la transparence dans les chaînes de valeur
des industries extractives, 23 pays d’Afrique ont lancé l’ITIE. Les données empiriques
montrent que le renforcement de la transparence peut atténuer la vulnérabilité aux FFI
et stimuler la productivité (sect. 5.2). De manière générale, la lutte contre la corruption
favorise la liberté de presse, l’égalité des sexes et la transparence (Kaufman et al.,
2005). Il ressort de récents travaux sur les retombées de l’ITIE que la participation à
cette initiative a un léger effet positif sur la mobilisation des recettes non pétrolières
(Mawejje and Sebudde, 2019).
67
Voir www.europol.europa.eu/crime-areas-and-trends/crime-areas/environmental-crime.
164
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les FFI touchent particulièrement les activités extractives à forte intensité énergétique.
La figure 14 illustre le triptyque eau-énergie-alimentation, c’est-à-dire les liens entre
l’utilisation durable des ressources, la sécurité énergétique et l’approvisionnement en
aliments et en eau (World Economic Forum, 2011 ; Biggs et al., 2015). L’extraction de
ressources naturelles à grande échelle exigeant des quantités colossales d’énergie,
elle peut entraîner l’épuisement du stock de capital d’un pays et accentuer les
risques liés au climat (Biggs et al., 2015). L’accroissement de la production d’énergie
suppose l’augmentation des quantités d’eau consommées, et peut donc avoir des
répercussions sur la qualité et la disponibilité de l’eau. L’eau étant essentielle à la
production agricole, un accès restreint à cette ressource ou une eau de mauvaise qualité
peuvent compromettre la sécurité alimentaire. Les activités des industries extractives,
outre qu’elles consomment beaucoup d’énergie, peuvent être source de pollution et
Figure 14
Le triptyque eau-énergie-alimentation dans le contexte de l’extraction de ressources
Eau
Demande, offre
et ressources
gie
ner
d’é
Eau
ion
Ré t la d
des ali
pe
uct
e
tin men
rcu spon
rod
au
ée ta
ssi ibi
la p
ne
Développement
à la ire
me ire
on lité
nt e
ss
nne ssa
eà
pro
et société
ur de l’
tiné
isio éce
la
uct
des
rov ie n
qu au
durables
ion
alit
app rg
Eau
e
Éne
é
à l’
Énergie Alimentation
Produits alimentaires destinés à la
production d’énergie (biocarburants)
Demande, offre
Demande, offre
et ressources
et ressources
Énergie destinée à la production
alimentaire
Source : Secrétariat de la CNUCED, d’après World Economic Forum (2011) et Biggs et al. (2015).
165
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
contaminer les sols, les eaux souterraines et les eaux de surface (Aragón and Rud,
2016 ; Woodroffe and Grice, 2019). Une piètre performance environnementale, en
particulier dans le domaine de la qualité de l’eau, a des conséquences préjudiciables
pour la santé humaine, la production agricole et la sécurité alimentaire.
166
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 15
Sous-facturation des exportations de produits de base et indice de performance
environnementale, 2018
(En pourcentage du produit intérieur brut)
3,5
Bénin
Sous-facturation des exportations de produits de base
2,5
République-Unie de Tanzanie
2
Burundi
1,5 Ouganda
Angola
Zimbabwe
1
Afrique du Sud Égypte
0,5 Sénégal
Mozambique
y =-0,0598x + 3,964 Maurice
R² = 0,351 Sao Tomé-et-Principe Cabo Verde
0
0,00 10,00 20,00 30,00 40,00 50,00 60,00 70,00
Indice de performance environnementale
167
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
représente 30 % à 35 % des dépenses d’exploitation liées aux activités minières (Zharan
K and Bongaerts, 2018 ; UNCTAD, 2019a). Les externalités négatives de la mauvaise
gestion des ressources naturelles, qui entraînent une concurrence pour l’utilisation des
terres, l’accentuation de la pollution atmosphérique, l’utilisation de grandes quantités
d’énergie et la perte de capitaux, ont des répercussions néfastes sur tous les secteurs,
en particulier sur le secteur agricole (Aragón and Rud, 2016 ; Ouoba, 2018).
168
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 16
Afrique : productivité du travail dans le secteur agricole en fonction du niveau estimé
de la fuite des capitaux
(En dollars constants de 2010)
4 000
3 500
3 000
2 500
2 000
1 500
1 000
500
avait réduit la productivité agricole de 40 % dans les zones situées à proximité
d’une mine. Cette baisse est essentiellement due à l’aggravation de la pollution
et non à un manque d’intrants. Il existe une corrélation entre les répercussions
statistiquement négatives de la sous-facturation des exportations dans les
industries extractives sur la productivité agricole et la dépendance à l’égard des
ressources de manière générale (Slany et al., 2020) ;
169
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
5.6 Conclusion
Le présent chapitre met en évidence les liens entre FFI et développement durable. Il
souligne l’interdépendance entre le développement économique, le développement
institutionnel et le développement environnemental, et expose les raisons pour lesquelles
la réduction des FFI peut favoriser l’accroissement de la productivité en Afrique. Les
données empiriques montrent en quoi la fuite des capitaux peut freiner l’investissement
productif, compromettre la capacité des institutions à endiguer la corruption, affaiblir
les institutions dans le domaine des normes environnementales et abaisser la note du
170
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
secteur financier d’un pays. L’amélioration du cadre institutionnel peut déboucher sur
des gains d’efficacité et stimuler ainsi la productivité. En outre, elle peut contribuer à
atténuer la vulnérabilité marginale de l’État aux FFI.
171
Chapitre 6
Mobilisation des
ressources intérieures
et financement de la
réalisation des objectifs
de développement
durable
L’un des principaux moteurs de la lutte contre les FFI est
la crainte que les pays africains ne soient pas en mesure
de générer des recettes suffisantes pour investir dans la
réalisation des ODD (ODD 17). Il est important d’accroître les
recettes fiscales, d’endiguer les FFI et de recouvrer les avoirs
volés. Leurs conséquences directes sur le développement
social résultent principalement d’un affaiblissement de la
mobilisation des ressources intérieures, qui rend les pays
africains moins à même de financer la réalisation des ODD.
EN STOPPANT LA FUITE
DES CAPITAUX,
près de
50 %
des investissements nécessaires au financement
des mesures d’adaptation et d’atténuation
liées aux changements climatiques
en Afrique seraient couverts
75 % 42 %
dans le secteur dans le secteur
de la santé de l’éducation
175
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 17
Pays africains : principales sources des recettes publiques
(En pourcentage du PIB)
20
18
16
14
12
10
0
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
Aide publique au développement Recettes fiscales, ressources naturelles exclues
Recettes fiscales et non fiscales issues des ressources naturelles Recettes fiscales, ressources naturelles comprises
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après la base de données ICTD/UNU-WIDER sur les recettes
publiques et la base de données Indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale.
La contribution des recettes fiscales au PIB est moins élevée dans les pays africains
− et dans les autres pays en développement − que dans les pays développés (33 %).
Seules les recettes que les pays d’Afrique tirent des droits et taxes sur le commerce
international dépassent celles des pays membres de l’OCDE en pourcentage du PIB.
Le taux de recouvrement est limité par l’ampleur du secteur informel et le grand nombre
de petites entreprises. De plus, un système d’imposition favorisant les entreprises
multinationales qui exploitent des ressources naturelles et payent l’impôt dans les pays
où elles ont leur siège, entraîne un rétrécissement de la matière imposable, en particulier
dans les pays tributaires des ressources naturelles (UNCTAD, 2019a ; chap. 3).
176
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
pourcentage du PIB, les recettes qu’ils tirent de l’impôt sur les sociétés sont déjà
quasiment équivalentes (Hearson, à paraître). On pourrait s’attendre à une hausse
du montant des recettes issues de l’impôt sur les sociétés, étant donné que les taux
de droit commun sont généralement plus élevés dans les pays en développement,
mais les taux effectifs sont parfois inférieurs aux taux de droit commun, du fait des
incitations fiscales. Quoi qu’il en soit, compte tenu de la composition diversifiée de la
base d’imposition dans les pays en développement, il ne sera possible d’augmenter
sensiblement le montant des recettes fiscales totales qu’au prix d’interventions sur leurs
différentes sources, y compris, mais pas seulement l’impôt sur les sociétés.
Les fuites globales des capitaux et les pertes estimées résultant de l’évasion fiscale
sont présentées par région dans la figure 18. En moyenne, les pertes dues à l’évasion
fiscale sont plus élevées en Afrique centrale, en Afrique du Nord et en Afrique de l’Est
(2,7 % du PIB), qu’en Afrique australe (environ 2 % du PIB) et en Afrique de l’Ouest
(2,3 % du PIB). Le taux médian des fuites des capitaux, exprimé en pourcentage du
PIB, s’étend de 2,7 % en Afrique du Nord à 10,3 % en Afrique de l’Ouest. Lorsque les
fuites des capitaux sont importantes, les recettes fiscales diminuent. Pour que celles-ci
augmentent, il faut notamment que les dispositions légales soient appliquées et que les
capacités administratives de recouvrement soient suffisantes. Dans le cas de la taxe sur
la valeur ajoutée, l’écart fiscal, c’est-à-dire la différence entre le montant recouvrable et
le montant recouvré, peut beaucoup varier entre les pays ; il s’étend ainsi de 13 % en
Afrique du Sud à 92 % en République centrafricaine (UNECA, 2019). Il peut s’expliquer
par des dispositions spéciales ou des dérogations aux lois régissant la taxe sur la
valeur ajoutée, ou encore par des problèmes de gestion du recouvrement, notamment
des problèmes d’efficacité, de capacité, de fraude ou de fiabilité des données sur la
consommation. Coulibaly et Gandhi (Coulibaly and Gandhi (2018)) estiment qu’en
améliorant l’efficience fiscale et en réduisant l’écart fiscal, estimé à 20 % en moyenne,
il serait possible d’augmenter le ratio recettes fiscales/PIB de 3,9 %. Une meilleure
gouvernance, par une meilleure maîtrise de la corruption et une application effective
des lois en vigueur, pourrait en grande partie remédier à la situation et contribuer au
recouvrement de 110 milliards de dollars de plus par an. Au total, les fuites des capitaux
se sont montées à environ 88,6 milliards de dollars par an en 2013-2015.
177
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 18
Fuite des capitaux et pertes dues à l’évasion fiscale, taux médian par région, 2013-2015
(En pourcentage du PIB)
12
10
0
Afrique de l’Est Afrique centrale Afrique du Nord Afrique australe Afrique de l’Ouest
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après Cobham et Janský (Cobham and Janský, 2018) et la
base de données du Political Economy Research Institute.
Note : Les valeurs négatives ont été supprimées ; tous les pays ne disposent pas de données sur les fuites des
capitaux, si bien que les moyennes sont plus élevées dans le cas des pays pour lesquels des données sont
disponibles et les fuites des capitaux sont importantes ; en 2013-2015, le ratio fuites des capitaux/PIB a été en
moyenne de 3 % en Afrique du Nord, de 5,9 % en Afrique australe, de 9,2 % en Afrique de l’Est, de 12,9 % en
Afrique centrale et de 34,9 % en Afrique de l’Ouest.
178
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 19
Afrique : dépenses totales de santé et d’éducation, montant médian selon l’importance
des fuites des capitaux
(En dollars par habitant)
100
80
60
40
20
0
Dépenses de santé Dépenses d’éducation Dépenses de santé Dépenses d’éducation
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après la base de données Indicateurs du développement dans
le monde de la Banque mondiale.
Note : Pour le classement des pays selon l’importance des fuites des capitaux, voir le tableau 8.
qui influent à la fois sur les résultats macroéconomiques et sur la qualité des institutions.
Dans les pays où les FFI sont importants, le montant des dépenses de santé par
habitant représente 75 % de celui observé dans les pays où les FFI sont relativement
peu importants et le montant des dépenses d’éducation, 42 % (fig. 19). La pression
qui s’exerce sur les dépenses destinées à la réalisation des ODD est aussi fonction de
la composition générale des dépenses publiques. Selon les données statistiques du
FMI sur les finances publiques, il arrive que les États fragiles, en particulier, consacrent
plus d’argent aux postes de la défense et des services généraux des administrations
publiques, qui incluent le service de la dette70. En 2015, les dépenses moyennes des
pays africains au titre des ODD étaient de 354 dollars par habitant, contre environ
3 000 dollars au niveau mondial (Kharas and McArthur, 2019).
70
Voir https://data.imf.org/?sk=5804C5E1-0502-4672-BDCD-671BCDC565A9.
179
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Un lien direct peut-il être établi entre la faiblesse des montants des dépenses de santé
et d’éducation et les résultats médiocres obtenus dans ces secteurs ? L’analyse qui
suit tend à déterminer ce qu’il pourrait advenir si les FFI étaient réinvestis dans le
développement social. Elle a été réalisée à partir des données disponibles sur le taux de
mortalité des moins de 5 ans et sur la part des dépenses courantes de santé dans les
dépenses publiques totales et dans l’hypothèse d’une élasticité des résultats sanitaires
par rapport à la hausse des dépenses publiques estimée à -0,19 et -0,09, suivant
l’étude de Makuta et O’Hare (Makuta and O’Hare, 2015). Pour ramener la mortalité des
enfants de moins de 5 ans à 25 pour 1 000 naissances vivantes au plus et atteindre
ainsi la cible 3.2, il importe de tenir compte d’autres indicateurs de santé, comme la
malnutrition, sur laquelle les données disponibles offrent la meilleure couverture.
En 2018, le taux de mortalité des moins de 5 ans dans les pays où les fuites des
capitaux étaient relativement importantes était de 59 décès pour 1 000 naissances
vivantes, contre 66 en 2015 (fig. 20). Les pays avec de faibles fuites des capitaux
(en pourcentage du PIB) présentaient un taux légèrement inférieur, de 55 décès pour
1 000 naissances vivantes, contre 61 en 2015. Si l’on retient un scénario ambitieux,
dans lequel la priorité est donnée au secteur de la santé et la diminution des fuites des
capitaux donne lieu à une augmentation équivalente des dépenses de santé en part du
PIB, les pays avec de fortes fuites des capitaux pourraient ramener le taux de mortalité
des moins de 5 ans à 20 décès pour 1 000 naissances vivantes et atteindre la cible 3.2.
Si l’on retient un scénario plus réaliste, dans lequel la part des dépenses de santé reste
constante et représente 6 % des dépenses publiques totales, la maîtrise des fuites des
capitaux n’apportera sans doute qu’une légère amélioration et, compte tenu de la faible
élasticité des résultats sanitaires par rapport à l’augmentation des dépenses, n’aura
qu’un effet marginal sur la baisse du taux de mortalité (Grigoli, 2015 ; Moulemvo, 2016 ;
Manuel et al., 2018 ; Kharas and McArthur, 2019). Les pays africains ne pourront se
rapprocher de la cible 3.2 qu’à la condition que tous les capitaux récupérés servent aux
dépenses de santé. Au Congo, par exemple, si les capitaux récupérés étaient investis
dans l’économie locale, les dépenses sociales augmenteraient sensiblement, mais cela
n’aurait qu’un effet marginal sur le taux d’achèvement de l’enseignement primaire et
sur le taux de mortalité infantile (Moulemvo, 2016:121). Une étude comparative par
pays montre que les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique australe sont en bonne voie
d’atteindre la cible 3.2, contrairement aux pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest.
180
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 20
Projections concernant la réalisation de la cible 3.2, selon l’importance des fuites
des capitaux et par région
(Nombre de décès d’enfants de moins de 5 ans pour 1 000 naissances vivantes)
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Faibles fuites Fortes fuites Afrique centrale Afrique de l’Est Afrique australe Afrique de l’Ouest Afrique du Nord
des capitaux des capitaux
2015 2018
Statu quo Investissement de 6 % des capitaux récupérés
Investissement de la totalité des capitaux récupérés Cible
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après la base de données Indicateurs du développement dans
le monde de la Banque mondiale.
Note : En 2013-2015, les fuites des capitaux, exprimées en pourcentage du PIB, ont été en moyenne de 3 %
en Afrique du Nord, de 5,9 % en Afrique australe, de 9,2 % en Afrique de l’Est, de 12,9 % en Afrique centrale
et de 34,9 % en Afrique de l’Ouest. Pour le classement des pays selon l’importance des fuites des capitaux,
voir le tableau 8.
En comparaison avec les résultats obtenus dans le secteur de la santé, les résultats
obtenus dans le secteur de l’éducation varient moins en fonction des estimations des
fuites des capitaux, ce qui peut s’expliquer par des coûts d’opportunité plus élevés
et par les coûts de transaction individuels liés à la scolarisation (fig. 21). La hausse
des investissements dans l’éducation et l’amélioration de sa qualité contribuent à
la productivité via l’acquisition de connaissances. Dans l’analyse qui suit, le taux de
scolarisation au niveau primaire, qui présente la meilleure couverture de données
dans le temps et par pays, a été retenu pour évaluer les résultats obtenus dans le
181
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 21
Afrique : taux net de scolarisation au niveau primaire, selon l’importance des fuites des capitaux
(En pourcentage du groupe d’âge)
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Filles Garçons Filles Garçons
Faibles fuites des capitaux Fortes fuites des capitaux
2005 2010 2015
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après les données de l’Institut de statistique de l’UNESCO et
les indicateurs de la base de données Indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale.
Note : Selon la définition établie par l’UNESCO, le taux net de scolarisation est le nombre d’étudiants de la
tranche d’âge correspondant théoriquement à un niveau d’enseignement donné, exprimé en pourcentage de
la population totale de cette tranche d’âge ; pour le classement des pays selon l’importance des fuites des
capitaux, voir le tableau 8.
182
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
par le mauvais état des infrastructures rurales, les inégalités de revenu marquées et
l’inefficacité des institutions. Lorsque les fuites des capitaux sont faibles, il en résulte
des effets positifs sur la productivité et sur la formation de revenu et, partant, de
multiples possibilités de doper les investissements privés et publics dans le secteur de
l’éducation. L’investissement public dans l’éducation de la petite enfance peut aussi
avoir des effets positifs sur la productivité et sur l’égalité des sexes, en permettant aux
femmes, qui s’occupent du foyer, de consacrer plus de temps à une activité mieux
rémunérée (Alfers, 2016)71. L’égalité des sexes dans l’accès à l’éducation peut aussi
contribuer à l’accroissement de la productivité et à la transformation structurelle ;
appliquée au niveau de l’enseignement supérieur, elle conduit à une amélioration de
la qualité des institutions et peut aussi, entre autres choses, favoriser la réduction des
fuites des capitaux (Klasen, 2002 ; Klasen and Lamanna, 2009 ; Trenczek, 2016).
71
Voir www.brettonwoodsproject.org/2017/10/imf-gender-equality-labour/.
183
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
PIB par habitant de chaque pays jusqu’en 2025. Dans leur évaluation des besoins en
financement en 2025, Kharas et McArthur montrent que l’augmentation des dépenses
destinées à la réalisation des ODD ne garantit pas l’obtention de meilleurs résultats.
Les inefficiences dues au manque d’accès aux établissements sanitaires et scolaires
et à la pénurie d’infrastructures de qualité peuvent être corrigées dès lors que les
dépenses publiques sont réparties entre les différentes dimensions du développement
durable. Ainsi, en parlant d’« écart par rapport aux besoins » plutôt que de « déficit de
financement », Kharas et McArthur insistent sur le fait qu’il y a non seulement un manque
de financement, mais aussi un manque d’efficience. La section 6.2 traite cette question,
dans le cadre d’une réflexion sur la faible efficacité des dépenses sociales lorsqu’il s’agit
d’obtenir de meilleurs résultats dans les secteurs de la santé et de l’éducation (pour
plus de données empiriques sur la faible efficience des dépenses en Afrique et des
estimations par pays, voir Grigoli and Kapsoli, 2013 ; Gaspar et al., 2019).
Les montants estimatifs du déficit de financement par région sont comparés avec
ceux des fuites des capitaux par habitant (fig. 22 ; les estimations sont fournies à des
fins d’illustration et ne doivent pas être considérées comme des valeurs exactes). Les
montants estimatifs des besoins en financement sont plus élevés en Afrique centrale
(289 dollars par habitant) et en Afrique de l’Ouest (274 dollars par habitant). En Afrique
centrale, c’est en République centrafricaine et au Congo que l’écart par rapport aux
besoins est le plus marqué. À l’échelle du continent, les fuites des capitaux se montent
à 78 dollars par habitant ; en les réduisant, il serait possible de résorber le déficit de
financement de 33 %. En Afrique australe et en Afrique de l’Ouest, où les montants
estimatifs des fuites des capitaux sont les plus élevés et atteignent respectivement
159 dollars et 107 dollars par habitant, la récupération de capitaux permettrait de
réduire le déficit de financement de 75 % et de 40 %.
L’écart par rapport aux besoins diffère entre les pays, même entre les pays dont les
PIB par habitant sont comparables, et ne peut pas être mesuré avec certitude compte
tenu de l’insuffisance des données disponibles. La situation est très hétérogène,
notamment du fait de différences dans la répartition du revenu, la charge locale de
morbidité, la possibilité de cultiver les sols, l’exposition aux périodes de sécheresse
et aux inondations, les habitudes migratoires et la facilité d’accès à des partenaires
commerciaux (Kharas and McArthur, 2019). Pour mieux comprendre les obstacles et les
possibilités financières dans chaque pays, il convient d’estimer les besoins nationaux en
financement aux fins de la réalisation des ODD. Dans certains pays, ces objectifs ont été
directement transposés dans les plans nationaux de développement, dont l’objet est de
fournir des estimations des besoins par secteur. Au Rwanda, par exemple, les objectifs
184
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 22
Montants totaux du déficit de financement et des fuites des capitaux, par région, 2013-2015
(En dollars par habitant)
300
250
200
150
100
50
0
Afrique de l’Est Afrique centrale Afrique du Nord Afrique australe Afrique de l’Ouest
Déficit de financement Fuites des capitaux
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après Kharas et McArthur (Kharas and McArthur, 2019) et la
base de données du Political Economy Research Institute
Note : Les estimations ont été obtenues en divisant le montant total du déficit de financement lié à la réalisation
des ODD dans chaque région par le nombre total d’habitants de la région ; seules les valeurs positives ont été
retenues.
et les cibles de développement durable ont été inscrits dans la Stratégie nationale de
transformation (2017-2024), et, pour la mener à bien, des initiatives sectorielles ont été
mises en œuvre afin d’évaluer les besoins de chaque secteur.
185
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Il n’est pas facile d’évaluer les montants de financement dont les pays africains ont
besoin pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Kharas et McArthur (Kharas
and McArthur, 2019) examinent les montants des dépenses publiques qui doivent
être consacrés à la préservation de la diversité biologique, c’est-à-dire la protection de
l’environnement, mais qui n’incluent pas l’adaptation aux changements climatiques et
l’atténuation de leurs effets. C’est pourquoi il est intéressant de comparer les estimations
des besoins en investissement dans les activités d’adaptation aux changements
climatiques et d’atténuation de leurs effets et les estimations des fuites des capitaux.
186
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 23
Afrique : nombre de catastrophes naturelles et coûts associés
(En millions de dollars)
6 000 140
120
5 000
100
4 000
80
3 000
60
2 000
40
1 000
20
0 0
1900
1906
1913
1926
1935
1944
1948
1952
1956
1960
1963
1966
1969
1972
1975
1978
1981
1984
1987
1990
1993
1996
1999
2002
2005
2008
2011
2014
2017
Montant total des dommages (en millions de dollars ; axe de gauche)
Nombre total d’événements (axe de droite)
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après la base de données sur les situations d’urgence,
consultable à l’adresse www.emdat.be/.
Note : Le coût estimatif total des dommages correspond à la somme des coûts des dommages et des pertes
économiques causées directement ou indirectement par chaque catastrophe ; les catastrophes naturelles
(nombre et coûts par année) recouvrent tous les sous-groupes de catastrophes (catastrophes climatiques,
géophysiques, biologiques, hydrologiques et météorologiques).
posées par l’évaluation des effets des changements climatiques. Par exemple, le
Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) (UNEP, 2016) estime
que les coûts des mesures d’adaptation se situeront entre 280 milliards de dollars et
500 milliards de dollars par an d’ici à 2050 et les coûts des mesures d’atténuation,
entre 140 milliards de dollars et 175 milliards de dollars. Selon Shimizu et Rocamora
(Shimizu and Rocamora, 2016), aux fins de l’adaptation aux changements climatiques
et de l’atténuation de leurs effets d’ici à 2030, l’Afrique subsaharienne a besoin de
2 457 milliards de dollars, soit 60 milliards de dollars par pays en moyenne ; en Afrique
du Nord et en Afrique centrale, ce sont 356 milliards de dollars qui sont nécessaires,
soit 71 milliards de dollars par pays. Pour pouvoir financer les coûts des mesures
d’adaptation et d’atténuation d’ici à 2030, l’Afrique subsaharienne devrait mobiliser
153,5 milliards de dollars par an. Cela représente environ 152 dollars par habitant et
187
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
par an jusqu’en 2030 (des estimations par pays ne sont pas possibles par manque de
données ; les estimations par habitant ne sont fournies qu’à des fins de comparaison
et ne doivent pas être interprétées comme des estimations des besoins en financement
pondérées par le nombre d’habitants). Si l’on compare les montants estimatifs des
besoins en financement liés aux changements climatiques avec les montants totaux
annuels des fuites des capitaux en Afrique subsaharienne, on constate que les capitaux
perdus, s’ils étaient récupérés, permettraient de couvrir près de 50 % des coûts totaux
des mesures d’adaptation et d’atténuation (fig. 24).
Figure 24
Afrique subsaharienne : besoins en financement liés aux changements climatiques jusqu’en
2030 et fuites des capitaux
(En millions de dollars)
160 000
140 000
120 000
100 000
80 000
60 000
40 000
20 000
0
Besoins annuels en financement liés Fuites des capitaux
aux changements climatiques, jusqu’en 2030 (moyenne estimée, 2013-2015)
Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après Shimizu et Rocamora (Shimizu and Rocamora, 2016).
Note : Le montant des besoins en financement en Afrique subsaharienne jusqu’en 2030, estimé à 2 457 milliards
de dollars, est divisé par 16 (2015-2030) pour permettre une comparaison avec le montant total annuel des
fuites des capitaux.
188
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Selon la base de données de l’initiative StAR, en janvier 2020, 79 demandes avaient été
déposées, mais 17 pays seulement avaient une affaire en cours ou un dossier complet ;
22 affaires étaient arrivées à leur terme, mais seules 10 d’entre elles avaient abouti
à la récupération des avoirs volés. Le pays le plus actif en matière de recouvrement
d’avoirs est la Suisse, suivie du Royaume-Uni et des États-Unis. Si l’on considère le
nombre d’affaires et le succès du recouvrement des avoirs, qui s’est monté à un total
de 1,48 milliard de dollars, le Nigéria est le pays qui arrive en tête (fig. 25).
189
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 25
Avoirs volés restitués, par pays
(Montants en dollars)
Mali Mozambique
Libye 2 400 000 645 182
14 200 000 Ouganda
Nigéria 55 000
1 476 279 000
Afrique du Sud
67 144
Zambie
9 500 000
Autres
55 692 560
Burkina Faso
500 000
Guinée équatoriale
Kenya 11 300 000
17 025 234
La base de données StAR montre également combien les procédures sont longues : de
nombreuses affaires ouvertes avant 2010 sont encore en cours. On constate aussi que
le montant des avoirs restitués est inférieur à celui des avoirs gelés, ce qui témoigne de
la complexité du processus de recouvrement (Gray et al., 2014). Toutes ces difficultés
sont étroitement liées à la difficulté qu’il y a de recueillir des informations et d’en faire
des preuves admissibles. L’affaire qui a abouti à la restitution du plus fort montant
− 723 millions de dollars rapatriés de la Suisse au Nigéria − illustre comment les avoirs
restitués peuvent être mis au service du développement durable, puisque l’accord
de rapatriement stipulait que les fonds devaient servir à financer des projets dans les
secteurs de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’électricité et du réseau routier et que
la Banque mondiale serait chargée du suivi72.
Des efforts multilatéraux sont nécessaires pour renforcer les politiques, les normes et les
actions relatives au recouvrement d’avoirs. L’Initiative StAR est l’institution chef de file
d’un réseau mondial d’initiatives, qui comprend le Réseau interinstitutionnel d’Afrique
72
Voir www.worldbank.org/en/news/factsheet/2017/12/04/world-bank-monitoring-of-repatriated-abacha-funds.
190
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
73
Voir www.giz.de/en/worldwide/39748.html.
74
Afrique du Sud, Bénin, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Ghana, Guinée, Kenya,
Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, République démocratique du Congo, République-Unie de
Tanzanie, Sénégal, Sierra Leone, Tchad, Zimbabwe.
191
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
de fournir le cadre juridique des régimes fiscaux applicables aux entreprises aurifères,
y compris les codes miniers et leurs textes d’application, les codes généraux des
impôts, les lois de finance annuelles et les autres lois fiscales. Il est ainsi possible de
calculer la part de la rente qui devrait théoriquement revenir à l’État, à l’aide d’un modèle
de flux de trésorerie développé par le FMI. Le taux effectif moyen d’imposition est simulé
pour différents projets miniers représentatifs, selon la teneur en or et le prix de vente
de l’or. Le taux d’imposition peut diminuer en fonction de la teneur en or de la mine,
autrement dit un taux régressif est appliqué à l’entreprise lorsque son projet minier est
plus rentable (Laporte et al., 2017). En 2018, le Gabon, le Mali, le Niger, le Nigéria et le
Zimbabwe comptaient parmi les pays dotés des régimes fiscaux les plus régressifs pour
les mines à forte teneur. Un régime fiscal régressif tend à creuser les inégalités lorsque
les entreprises qui ont une faible rentabilité paient relativement plus d’impôts et sont
donc moins à même d’allouer les sommes voulues à l’épargne et à l’investissement,
ce qui aggrave la situation économique (CEA, 2019). Non seulement l’évasion fiscale
à grande échelle accentue les difficultés auxquelles les autorités fiscales africaines se
heurtent pour fournir les services publics de base, mais elle freine également les efforts
qui sont déployés pour procéder aux réformes institutionnelles urgentes (Prichard
and Bentum, 2009 ; Herkenrath, 2014 ; chap. 4). Selon Kharas et McArthur (Kharas
and McArthur 2019), l’augmentation des redevances provenant de la taxation minière
pourrait réduire les transferts de bénéfices et les FFI, mais, sur le plan des recettes
fiscales, ses avantages risquent tout de même d’être faibles. Par ailleurs, l’impôt sur les
sociétés, dont le niveau est plus élevé, pourrait aussi avoir des répercussions négatives
sur les recettes fiscales en raison de son effet désincitatif.
192
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Figure 26
Afrique : composition du taux effectif moyen d’imposition
(Part du taux effectif moyen d’imposition)
a) Pays anglophones
1,00
0,90
0,80
0,70
0,60
0,50
0,40
0,30
0,20
0,10
0,00
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Redevance minière, droits fixes Impôt sur les sociétés Impôt sur les dividendes Prise de participation
et redevances superficiaires et taxe sur la rente et les intérêts gratuite de l’État
b) Pays francophones
1,00
0,90
0,80
0,70
0,60
0,50
0,40
0,30
0,20
0,10
0,00
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Redevance minière, droits fixes Impôt sur les sociétés Impôt sur les dividendes Prise de participation
et redevances superficiaires et taxe sur la rente et les intérêts gratuite de l’État
Source : Calculs de la CNUCED, d’après la base de données de la Fondation pour les études et recherches sur
le développement international.
Note : Le taux effectif moyen d’imposition indiqué correspond à une mine à forte teneur et un cours de l’or de
1 400 dollars l’once.
193
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
de l’État au capital que sur l’impôt sur les sociétés (Bouterige et al., 2019). Selon les
pays, la définition des redevances minières varie ; leurs taux peuvent être fixes, variables
ou progressifs ; la plupart des pays appliquent un taux fixe (Laporte et al., 2017). En
revanche, les pays anglophones restent tributaires de l’impôt sur les sociétés, et n’ont
quasiment pas fait appel aux prises de participation gratuites de l’État avant 2017.
Les pays ont moins recours à l’impôt sur le revenu des sociétés et donc à une taxation
basée sur les bénéfices ; ce choix pourrait se révéler malavisé si la demande d’or
augmente. L’impôt sur les sociétés est parfois assorti d’un impôt minimum forfaitaire qui
permet de fixer un plancher pour les recettes de l’État et qui concerne surtout les pays
francophones (l’impôt minimum est calculé sur la base du chiffre d’affaires, et, en 2018,
son taux était compris entre 0,5 % et 2,5 % ; Bouterige et al., 2019). Dans les 21 pays
qui font partie de la base de données, l’impôt sur les sociétés est compris entre 20 % et
35 %. Le taxe sur la rente minière pourrait être un impôt neutre, mais son assiette fiscale
est difficile à définir (Bouterige et al., 2019). D’après les données, en 2018, les pays
dans lesquels la part des redevances minières dépassait celle de tous les autres outils
fiscaux (part supérieure à 20 %) étaient le Niger, le Zimbabwe, le Mali, la Mauritanie et
le Sénégal. À l’exception du Zimbabwe, tous sont des pays francophones d’Afrique de
l’Ouest. Ajoutons néanmoins que le Bénin, Madagascar et le Tchad, pourtant également
francophones, figurent parmi les pays qui ont affiché les parts de redevances minières
les plus faibles (moins de 10 %).
Dans la période 2016-2018, le taux effectif moyen d’imposition est resté relativement
stable dans la plupart des pays ; il a toutefois diminué au Cameroun mais augmenté en
Afrique du Sud, au Kenya, en République démocratique du Congo, en République-Unie
de Tanzanie, au Sénégal et au Tchad. Dans certains de ces pays, l’augmentation peut
s’expliquer par l’application de différents taux d’imposition. Par exemple, la République
démocratique du Congo, la République-Unie de Tanzanie, le Sénégal et la Sierra Leone
ont relevé le taux des redevances minières, tandis que la République démocratique
du Congo, la Sierra Leone et le Tchad ont introduit une taxe sur la rente minière. Le
recours aux prises de participation gratuites a également augmenté et permet aux États
d’avoir un meilleur accès à l’information et de percevoir des dividendes directs. Parmi
les pays où les taux effectifs moyens d’imposition ont le plus augmenté, on pourrait citer
le Kenya, la République démocratique du Congo, la République-Unie de Tanzanie, le
Sénégal et le Tchad, qui ont adopté des lois sur l’exploitation minière.
Avec la création de la ZLECAf, la complexité des régimes fiscaux miniers et leur gestion
sont d’une importance non négligeable pour de nombreux gouvernements. Des efforts
supplémentaires doivent être fait au niveau du continent, par l’application de la Vision
194
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
africaine des mines au niveau national, pour simplifier différents aspects de la taxation
du secteur extractif et étudier comment améliorer les réformes fiscales et les contrats
miniers de façon à faire augmenter le taux effectif moyen d’imposition et partant, les
recettes publiques provenant des ressources naturelles (chap. 3). Le choix des outils
− basés sur les bénéfices ou sur la production − reste également une question complexe ;
elle nécessite une étude plus approfondie qui dépasse le cadre du présent rapport.
Les finances des États qui sont dotés de régimes fiscaux relativement moins régressifs
sont probablement plus sensibles au cycle économique. Afin de maximiser les recettes
tirées des produits de base pour financer le développement durable de leur pays, les
gouvernements pourraient utiliser des outils de taxation basés sur les bénéfices, tels
que l’impôt sur les sociétés, pendant les périodes d’expansion économique soutenue.
Lorsque le prix des produits de base est élevé, les gouvernements ont intérêt à recourir
aux instruments fondés sur les bénéfices, qui leur permettent de prélever une part plus
importante du gain financier. En revanche, lorsque ces prix sont bas, il est sans doute
préférable d’utiliser des instruments basés sur la production, comme les redevances
minières. La taxation des bénéfices, surtout dans le secteur extractif, présente cet
inconvénient que les éléments d’imposition peuvent être manipulés de multiples façons.
C’est pourquoi, les gouvernements pourraient envisager, par exemple, de passer à des
méthodes de taxation plus faciles à administrer.
195
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Figure 27
Nigéria : fuite des capitaux, formation de capital et recettes publiques
(En pourcentage du PIB)
40
35
30
25
20
15
10
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
-5
Formation brute Fuite des capitaux Total des recettes Total des recettes provenant
de capital fixe publiques des ressources naturelles
Source : Calculs de la CNUCED, d’après les statistiques de la CNUCED, la base de données ICTD/UNU-WIDER
sur les recettes publiques et la base de données du Political Economy Research Institute.
196
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
La lutte contre les FFI n’est pas allée sans mal au Nigéria. Des efforts considérables ont
été déployés pour mettre en place les instruments propres à favoriser une plus grande
transparence dans le secteur du pétrole et du gaz et à enrayer les FFI.
En février 2019, dans son rapport sur le deuxième processus de validation du Nigéria, le
Conseil d’administration de l’ITIE, reprenant des informations et des données tirées des
rapports de la NEITI, a noté qu’environ 3 milliards de dollars de paiements, pour l’essentiel
illicites, avaient été récupérés75. En 2020, la NEITI a établi un registre des propriétaires
réels des entreprises du secteur extractif ; grâce à ce portail, le Gouvernement entend
retracer l’origine des fonds qui quittent le pays et détecter les cas de fraude fiscale, de
blanchiment d’argent et de financement de la drogue76. Toutefois, le registre pourrait ne
pas avoir tout l’effet souhaité, car il est possible qu’il manque certains des instruments
juridiques qui permettraient de le rendre pleinement exécutoire. Un projet de loi sur
l’industrie pétrolière qui vise à scinder la Nigerian National Petroleum Corporation et à
75
Voir https://eiti.org/news/Nig%C3%A9ria-uses-eiti-to-reform-industry-build-accountability.
76
Voir https://allafrica.com/stories/201912090630.html.
197
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
rendre le secteur pétrolier et gazier plus transparent pourrait être adopté par l’Assemblée
nationale en 2020, ce qui attirerait davantage d’investissements77.
77
Voir www.oilreviewafrica.com/events/event-news/.
78
Voir www.accaglobal.com/an/en/member/member/accounting-business/2019/06/insights/tax-amnesty.html.
79
Voir https://nibss-plc.com.ng/bvn/.
80
Voir www.theafricancourier.de/africa/Nig%C3%A9ria-federal-government-to-freeze-all-bank-accounts-
without-bvn/.
198
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Le Nigéria est au nombre des pays les plus actifs dans le domaine du recouvrement
des avoirs volés et dans le dialogue avec les parties prenantes multilatérales. Parmi
les mesures concrètes prises par le Gouvernement afin de lutter contre les FFI, on
peut citer la signature d’accords bilatéraux avec les Émirats arabes unis, les États-Unis,
le Royaume-Uni et la Suisse pour la restitution des avoirs volés, dont le pays espère
qu’ils auront également un effet dissuasif sur les envois illicites de fonds du Nigéria
vers ces pays83. Les résultats dépendront en partie de la manière dont ces accords
seront appliqués et de leur capacité de dissuasion pour ce qui est de la corruption. Très
récemment, le Gouvernement a annoncé que, dans le cadre d’un accord conclu avec
les États-Unis et Jersey, il allait récupérer 321 millions de dollars de fonds détournés84.
La Cellule de renseignements financiers est un organe central indépendant, situé au
sein de la Banque centrale, qui est chargé de demander, de recevoir, d’analyser et de
diffuser des renseignements financiers ; ses activités ont permis d’améliorer la détection
des cas de blanchiment d’argent, de financement lié au terrorisme et d’autres crimes
économiques et financiers85.
81
Voir thenationonlineng.net/firs-teams-up-with-efcc-to-tackle-high-profile-tax-defaulters/.
82
Voir https://punchng.com/efcc-recovers-n28bn-from-tax-defaulters/.
83
Voir https://infotrustng.com/combatting-corruption-and-illicit-financial-flows-in-nigeria/.
84
Voir https://nairametrics.com/2020/01/30/fg-to-repatriate-fresh-321million-abacha-loot-to-be-spent-on-
road-construction/.
85
Voir https://placng.org/wp/wp-content/uploads/2018/07/Nigerian-Financial-Intelligence-Unit-Act-2018.pdf.
199
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Toutefois, faute d’être étayée par un cadre réglementaire, la politique de signalement des
irrégularités n’a pas tenu toutes ses promesses (Onuegbulam, 2017). Les dénonciateurs
craignent d’être victimes de représailles de la part de leurs employeurs s’ils fournissent
des informations aux autorités (Ifejika, 2018). Celles-ci disent traiter les signalements
de manière confidentielle et décourager les représailles contre les dénonciateurs qui
ne bénéficient toutefois d’aucune protection juridique (Omojola, 2019). De plus, il
n’existe pas de sanction spécifique pour ceux qui s’en prennent aux dénonciateurs,
dont certains ont perdu leur emploi après avoir donné des informations aux pouvoirs
86
Voir www.premiumtimesng.com/news/top-news/240339-whistle-blower-policy-one-buharis-main-
achievements-adeosun.html.
87
Voir https://allafrica.com/stories/201911220105.html.
200
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Malgré les efforts qu’il a faits récemment et les progrès qui ont été réalisés, en 2019, le
Nigéria s’est classé douzième sur 125 pays dans l’indice de Bâle relatif à l’exposition
au risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ; en 2018, il était
seizième. Le pays a apporté quelques améliorations, et les efforts entrepris dans les
domaines de la liberté d’expression, de la responsabilisation et de la transparence
semblent avoir porté leurs fruits. Après 2014, des progrès ont également été relevés
dans le domaine de la lutte contre la corruption ; pourtant, le Nigéria est en queue
de peloton pour ce qui est de la stabilité politique. La sécurité est essentielle pour le
développement socioéconomique, mais la rébellion et les activités terroristes demeurent
des menaces sérieuses (Yagboyaju and Akinola, 2019).
6.7 Conclusion
Les pays d’Afrique perçoivent moins de recettes fiscales en pourcentage du PIB
que les pays d’autres régions. À cause de l’ampleur de la fuite des capitaux et de
l’évasion fiscale et de leur dépendance relativement forte à l’égard de l’impôt sur les
sociétés, les pays d’Afrique ont très peu de marge d’action lorsqu’ils veulent élargir leur
base d’imposition. Le déficit de financement considérable qui pèse sur la réalisation
des objectifs de développement durable ne peut être comblé uniquement par les
recettes publiques. Dans le contexte de la ZLECAf et des communautés économiques
régionales, le renforcement de la coopération régionale entre les pays du continent
pourrait contribuer à augmenter de manière sensible les recettes fiscales provenant du
secteur extractif, grâce aux mesures suivantes :
88
Voir https://www.pplaaf.org/country/nigeria.html.
201
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
202
Chapitre 7
Recommandations
Le présent rapport apporte des contributions à l’analyse
des moyens de lutter contre les FFI aux niveaux
multilatéral, régional et national en Afrique. Ce sujet relève
du mandat de la CNUCED et témoigne de son histoire
en tant qu’institution créée pour promouvoir des règles
de participation au commerce international qui soient
équitables pour les exportateurs de produits primaires.
Cette précision a son importance, alors que l’on aborde
les préparatifs de la quinzième session de la Conférence
des Nations Unies sur le commerce et le développement
à la Barbade.
PLAN DE LUTTE EN 10 POINTS
CONTRE LES FFI EN AFRIQUE
SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
Consacrer davantage de
ressources au recouvrement
Associer les FFI et l’éthique des avoirs volés
Renforcer la participation
Protéger la société civile, de l’Afrique à la réforme
les dénonciateurs d’abus de la fiscalité internationale
et les journalistes Intensifier la lutte contre la
corruption et le blanchiment
d’argent
Programme
de développement
durable à l’horizon
2030
Renforcer les cadres
réglementaires nationaux Associer les entreprises
multinationales à la fiscalité
et au développement durable
Redonner confiance dans
le multilatéralisme pour combattre
Investir dans la recherche
les FFI
sur les FFI et les changements
Investir dans les infrastructures de climatiques
données et dans la transparence
INSTITUTIONS ENVIRONNEMENT
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
• D’une façon générale, les différents produits de base présentent une tendance
similaire d’un pays à l’autre : l’or est à l’origine de 77 % de la sous-facturation
à l’exportation dans le secteur extractif, et d’autres métaux précieux − tels
que le platine (6 %) − et les diamants (12 %) font également l’objet de façon
récurrente de cette pratique (chap. 2) ;
207
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
• Comme il a été constaté qu’il existait une corrélation négative entre les FFI
et une réglementation insuffisante du secteur financier, le renforcement de
cette dernière pourrait stimuler la croissance de la productivité et permettre
également d’enrayer les sorties de capitaux grâce à une meilleure application
des recommandations du Groupe d’action financière et à une amélioration de
la capacité à tracer les flux financiers ;
• La réduction des dépenses publiques peut avoir des effets inégaux selon le
sexe, en particulier si les réductions portent sur les dépenses d’éducation et
de santé. Les effets négatifs des FFI se font particulièrement sentir lorsque la
fraude fiscale influe sur l’allocation des fonds publics déjà limités et réduit les
budgets alloués aux services publics dont les femmes et les jeunes sont les
principaux bénéficiaires.
208
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
La proposition d’une approche unifiée au titre du pilier 1 est principalement axée sur
l’attribution des droits d’imposition à la juridiction du marché. En ce qui concerne le
champ d’application, il est dit dans le document que « l’approche couvre les modèles
d’affaires à forte composante numérique, mais irait au-delà, en étant centrée de
façon générale sur les entreprises en relation étroite avec les consommateurs, des
travaux supplémentaires étant à prévoir concernant la portée et les exclusions. Les
industries extractives ne seraient a priori pas couvertes » (OECD, 2019d : 5). Il y est
également rappelé que des secteurs spécifiques, « comme par exemple les industries
extractives et le secteur des matières premières », seraient exclus (OECD, 2019d : 7).
Tout en reconnaissant la nécessité d’une solution administrable du principe de pleine
concurrence, en particulier pour les pays émergents et les pays en développement,
le secrétariat de l’OCDE précise que « l’approche unifiée proposée maintiendrait les
règles actuelles de détermination des prix de transfert reposant sur le principe de pleine
concurrence dans les cas où il est largement admis qu’elles remplissent efficacement
leur fonction, mais elles seraient complétées par des solutions fondées sur l’application
de formules dans les situations devenues plus controversées − notamment en raison
de la numérisation de l’économie » (OECD, 2019d: 6). La proposition globale de lutte
contre l’érosion de la base d’imposition (pilier 2) est axée sur les défis fiscaux soulevés
par la numérisation de l’économie (OECD, 2019e).
209
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Dans leur état actuel, ces propositions axées sur la fiscalité et la numérisation ne tiennent
pas suffisamment compte des lacunes particulières aux pays africains, qui limitent leurs
droits d’imposition. D’après la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité
internationale des sociétés, cela vaut pour l’ensemble des pays en développement89.
Les lacunes des propositions de l’OCDE soulignent à quel point il est urgent que l’Afrique
endosse un rôle politique fort dans le cadre des réformes de la fiscalité internationale.
Dans ces instances, la voix de l’Afrique est portée par l’ATAF. Ce forum, fondé par
25 pays en 2009 et qui comptait 38 membres en novembre 2019, a gagné en légitimité
et renforcé sa capacité à défendre les intérêts africains dans le domaine fiscal. En
s’appuyant sur les compétences des représentants de l’ATAF, une volonté politique
forte au plus haut niveau est nécessaire pour renforcer la participation de l’Afrique à
l’élaboration multilatérale de propositions de réforme internationale. Les établissements
universitaires africains devraient bénéficier d’un soutien accru pour former au niveau
local des spécialistes de la fiscalité et mettre en œuvre des initiatives de partage des
données, à l’instar de celle lancée par une équipe multidisciplinaire du Committee on
89
Voir www.icrict.com/press-release/2020/2/13/the-oecds-proposed-reform-will-fail-to-generate-meaningful-
additional-tax-revenue-especially-for-developing-countries.
210
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Fiscal Studies90. Ezenagu (2019), par exemple, avance des propositions de réforme
fiscale qui seraient plus adaptées aux capacités administratives des pays africains.
Enfin, les préoccupations selon lesquelles les négociations sur le commerce des
services numériques menées en parallèle à l’OMC − où l’Afrique affiche un front plus
uni − pourraient limiter les droits d’imposition des pays africains (James, 2019) justifient
des recherches plus approfondies et un nouvel ordre du jour sur les questions liées au
commerce international et à sa taxation.
Pour les pays, la meilleure façon de se protéger est d’intégrer des règles de lutte contre les
abus dans les clauses pertinentes de chaque convention et d’y associer une règle antiabus
générale couvrant l’ensemble de la convention, tout en incorporant une règle antiévitement
dans le droit interne. De telles clauses sont de plus en plus courantes, y compris dans les
principaux modèles de convention utilisés pour les négociations (chap. 4).
Compte tenu de leur manque à gagner, dont profitent les paradis fiscaux et les pays
pratiquant le secret bancaire (chap. 3), les États africains devraient être parmi les
premiers à inciter fortement les paradis fiscaux à signer des conventions avec tous
les pays. Il est essentiel que des progrès soient réalisés sur ce point, sachant qu’il
est prouvé que les paradis fiscaux se sont conformés à l’obligation de conclure un
nombre minimum de conventions fiscales en en signant de nombreuses entre eux
90
Voir https://cfs.uonbi.ac.ke/.
211
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Plus important encore, les pays africains devraient s’appuyer sur l’extraordinaire
instance de négociation que le continent a mise en place dans le cadre de la ZLECAf.
Pour l’instant, les mécanismes de gouvernance des négociations réunissent des hauts
fonctionnaires des ministères du commerce et des ministres du commerce. Il faudrait
établir des mécanismes pour faciliter la communication entre ces groupes axés sur le
commerce, les ministres des finances et le Groupe de haut niveau sur les flux financiers
illicites, tout en envisageant des négociations sur la phase 2, notamment concernant les
protocoles sur l’investissement, la concurrence et les droits de propriété intellectuelle.
Il existe également des propositions visant soit à donner à l’ATAF une dimension
intergouvernementale, soit, comme le soutiennent d’autres auteurs, à créer un organe
fiscal africain (Ezenagu, 2019).
212
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
213
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
91
Voir https://asycuda.org/wp-content/uploads/ASYCUDA-Value-Chain-Monitoring-Case-Study-Zambia.pdf.
214
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
• Les audits menés à l’aide du système ont permis de recouvrer des recettes
pour un montant d’environ 910 000 dollars (depuis 2018) ;
Les gouvernements ayant accès aux données commerciales relatives aux transactions
peuvent également mettre en œuvre une analyse de filtrage des prix. Cette analyse
porte sur les transactions d’un seul pays et permet de comparer, pour un produit
donné, la valeur ou le prix figurant sur une facture douanière aux prix antérieurs ou au
prix du marché libre, afin de repérer les anomalies tarifaires (Carbonnier and Mehrotra,
2019). Bien que les méthodes d’étude des divergences des statistiques commerciales
entre pays partenaires et de filtrage des prix aient toutes deux leurs limites, elles peuvent
s’avérer utiles et fournir des indications pour la détection des fraudes douanières. Global
Financial Integrity a également développé un outil appelé GFTrade, qui s’appuie sur la
méthode de filtrage des prix par écart interquartile pour fournir des informations en temps
réel aux douaniers. Un logiciel mettant en œuvre la technologie de la chaîne de blocs,
actuellement en cours de développement, permettra d’assurer la transparence des
chaînes logistiques et des chaînes de valeur mondiales (McDaniel and Norberg, 2019),
ce dont l’Afrique pourrait utilement tirer parti pour lutter contre la fausse facturation. Les
pays africains devraient également chercher à tirer parti des dispositions de l’article 12
de l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges92 pour améliorer l’échange de
données commerciales et ainsi mieux surveiller les FFI.
92
Voir www.tfafacility.org/fr/article-12.
215
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
216
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Compte tenu de la portée globale de la VMA, les pays devraient tirer parti des lignes
directrices qui y sont formulées pour adopter des politiques et des réglementations qui
concourent à son application (UNECA, 2014). Les attentes des pays africains dotés
de ressources minérales au sujet des retombées bénéfiques du secteur extractif sur le
développement sont justifiées par le rôle que ce secteur joue comme source essentielle
de revenus et de devises dans les pays exportateurs de minéraux. Afin de répondre
à ces attentes et compte tenu du poids du secteur extractif dans les FFI, les pays
africains devraient mettre à profit les enseignements tirés de leur participation passée à
la gouvernance internationale des produits de base (chap. 4).
Les efforts visant à renforcer les capacités des diverses institutions locales chargées
de suivre, de détecter et de réglementer les FFI devraient être soutenus. Les services
nationaux de renseignement financier sont des organismes publics qui jouent un rôle
central en tant que destinataires de notifications sur des transactions importantes et/
ou suspectes. Ils analysent ces informations et les transmettent aux organes chargés
de l’application des lois si nécessaire. Les autorités fiscales devraient être capables
d’examiner les contrats commerciaux et les déclarations comptables et fiscales des
entreprises, de recenser les prix exacts des produits et de combattre les pratiques
abusives. Les autorités douanières sont chargées de surveiller et d’évaluer la véracité
des prix des produits des exportations et des importations et de leurs quantités, alors
que les autorités judiciaires sont responsables de l’application des lois. Il incombe
aux décideurs de concevoir des politiques et des lois qui s’attaquent aux FFI. D’où
217
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
Plus précisément, les autorités fiscales de nombreux pays africains ont un besoin
urgent de ressources supplémentaires et d’activités de renforcement des capacités et
de formation. Elles sont en sous-effectif et manquent des compétences voulues. Par
exemple, dans une enquête menée au Nigéria, 62 % des entreprises interrogées ont
répondu s’inquiéter du manque de connaissances des agents fiscaux pendant les audits
(AndersenTax, 2019). Afin de renforcer ses capacités de recouvrement de l’impôt, ce
qui pose problème dans de nombreux pays africains, comme l’illustre le chapitre 4, le
Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie, par exemple, a investi des ressources
dans les capacités d’audit après une décennie d’investissements privés dans le secteur
extractif pendant laquelle les recettes perçues sont restées faibles. En 2009, il a créé
l’Agence tanzanienne d’audit des ressources minérales, qui est un organisme autonome
relevant du Ministère de l’énergie et des minéraux. L’Agence est chargée de suivre la
qualité et la quantité des minéraux produits et exportés par les compagnies minières et
de réaliser des audits financiers. Dotée de ressources et d’effectifs suffisants, y compris
de spécialistes de la fiscalité, de scientifiques de l’environnement, d’analystes des
technologies de l’information, d’ingénieurs et de gemmologues, elle a réussi à mener
des audits financiers et à lutter contre les prix de transfert. Grâce à la coopération
efficace entre l’Agence et les autorités fiscales tanzaniennes, 65 millions de dollars
supplémentaires ont été perçus au titre de l’impôt sur les bénéfices des sociétés entre
2009 et 2015, ce qui représente 7 % des recettes fiscales provenant du secteur extractif
enregistrées pendant cette période (Redhead, 2017).
218
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Les dénonciateurs d’abus courent des risques énormes mais la loi devrait les protéger
car ils peuvent servir l’intérêt public. Par exemple, en octobre 2019, le Conseil des
ministres de l’Union européenne a adopté de nouvelles règles visant à faire en sorte que
les pays membres modifient leur droit interne pour protéger les dénonciateurs internes
de fautes. L’impact des documents panaméens (« Panama papers ») sur l’élaboration
93
Voir https://thelawmarket.com/anti-corruption-and-anti-bribery-apps-2dc578efad6e.
94
Voir https://actionfortransparency.org/.
95
Voir https://mwnation.com/treasury-reviewing-double-taxation-pacts/.
219
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
96
Voir www.theguardian.com/australia-news/2019/apr/05/tax-office-may-apply-40-tax-against-
multinationals-for-diverting-profits.
220
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
développement (chap. 4). Étant donné que les acteurs du secteur privé s’intéressent
de plus en plus aux questions de durabilité, les pays africains devraient s’appuyer sur
la publication croissante d’informations environnementales, sociales et relatives à la
gouvernance pour faire le lien entre ces mécanismes de communication et les objectifs
de réduction des FFI au profit du développement durable. L’extension de l’initiative pour
des marchés boursiers durables montre qu’un nombre croissant de bourses rendent
obligatoire la publication par les entreprises cotées d’informations environnementales,
sociales et relatives à la gouvernance, ce qui constitue un bon point de départ pour
entamer un examen plus approfondi des éléments liés à la fiscalité97. À cet égard, les
efforts visant à renforcer les capacités des gouvernements de mesurer et de suivre la
contribution du secteur privé à l’exécution du Programme de développement durable
à l’horizon 2030 devraient être encouragés. La CNUCED, par exemple, mène un projet
visant à mettre en place un cadre directif favorable à la publication par les entreprises
d’informations sur la durabilité et les objectifs de développement durable en Afrique
et en Amérique latine98. Parmi d’autres exemples figurent les pactes de transparence
comme Publish What You Pay conclus entre des gouvernements et le secteur privé99.
97
Pour de plus amples informations sur l’initiative, voir https://sseinitiative.org/.
98
Voir https://unctad.org/en/Pages/DIAE/ISAR/UNDA-Project-1819H.aspx.
99
Voir https://www.pwyp.org/.
221
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
réalisée dans le rapport (chap. 5), les externalités négatives provenant du secteur extractif
n’ont pas seulement des retombées sur d’autres secteurs comme l’agriculture, mais
touchent aussi les ressources en eau essentielles au niveau communautaire. Cependant,
les problèmes dus aux caractéristiques dominantes des modèles économiques actuels
de la transformation structurelle et les contraintes en matière de données rendent
difficile l’établissement de liens de causalité dans les modèles économétriques sur les
FFI et développement durable.
Outre les multiples résolutions adoptées sur les FFI, des initiatives récentes telles que
l’initiative conjointe visant à mettre en place un groupe de haut niveau sur la comptabilité
financière, la transparence et l’intégrité qui relève de la présidence de l’Assemblée
générale et de la présidence du Conseil économique et social permettent d’espérer que
davantage de mesures concrètes seront prises pour lutter contre les FFI sous la forme
d’une action multilatérale inclusive. Cette initiative conjointe s’inscrit dans le cadre de la
Décennie d’action visant à promouvoir une accélération de la réalisation du Programme
222
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
Resserrer la coopération concernant la lutte contre les flux financiers illicites en vue
de réaliser les objectifs de développement durable ayant trait à la santé
et de renforcer la résilience aux chocs
L’épidémie actuelle de maladie à coronavirus est premièrement et avant tout une crise
sanitaire. Deuxièmement, elle entrave la réalisation des objectifs de développement
durable ayant trait à la santé. Troisièmement, elle devient rapidement la cause d’une
récession économique et financière mondiale dont les conséquences économiques et
sociales sont graves pour les pays les plus pauvres. Il ne sera pas facile de lutter contre
la crise dans un contexte d’insuffisance des fonds alloués à la santé dans le monde
entier (Glied and Miller, 2015), notamment en Afrique. Bien qu’elle soit la première à
devenir mondiale, cette épidémie de coronavirus n’est pas la première crise sanitaire
de portée internationale. La crise d’Ébola a suscité des débats sur la création d’un
fonds international d’urgence sanitaire (Ooms and Hammond, 2014). Elle a aussi mis en
223
Rapport 2020 sur le développement économique en Afrique
lumière le rôle que la gouvernance mondiale pourrait jouer dans le domaine de la santé,
au moyen d’un partenariat et d’une assistance financière et technique ainsi que d’une
réduction des inégalités en matière de santé (Waris and Latif, 2015). Ces questions
sont encore d’actualité et les occasions perdues de recouvrer des recettes budgétaires
à cause de l’évasion et de la fraude fiscales devraient être abordées (ibid.). Même si
l’épidémie actuelle semble moins toucher les femmes que les hommes, les femmes
ressentiront probablement les conséquences socioéconomiques de la crise car ce sont
essentiellement elles qui prennent soin de leur famille. Compte tenu des incidences,
qui commencent à se dessiner, de la crise actuelle de maladie à coronavirus, il faut
s’attendre à ce que la réalisation des objectifs de développement durable soit plus
difficile et dépende essentiellement de la capacité des pays africains de réduire les FFI,
qui entravent la mobilisation de ressources suffisantes pour financer le développement.
À cet égard, les pays africains pourraient échanger des tactiques de négociation sur la
manière de combiner de multiples objectifs avec d’autres pays du Sud. La République
de Corée, par exemple, a présenté avec succès une requête portant sur la restitution
d’œuvres du patrimoine culturel en 2010 dans le cadre de négociations commerciales
bilatérales avec la France (Savoy, 2018)100.
100
Voir https://www.theartnewspaper.com/comment/the-restitution-revolution-begins.
224
Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique
7.12 Conclusion
Le multilatéralisme a un rôle clair à jouer en atténuant les conséquences néfastes des FFI
et en encourageant la participation des pays africains à la gouvernance mondiale. Les
recommandations tirées de l’analyse exposée dans le rapport sont censées renforcer
les politiques adoptées pour lutter contre l’importance et l’impact des FFI. L’Afrique
en ressortirait plus forte et plus résiliente, et serait mieux à même de lutter contre la
pandémie actuelle de maladie à coronavirus et les problèmes à venir.
101
Selon la Banque mondiale, par exemple, une évolution susceptible d’avoir des retombées plus importantes
est l’attention accrue que le secteur privé accorde au respect de l’éthique dans toutes ses pratiques
économiques. Les risques juridiques et commerciaux accrus liés à toute association à la corruption
ont incité les entreprises à élaborer des programmes d’éthique et de conformité (disponible à l’adresse
www worldbank.org/en/topic/financialsector/brief/illicit-financial-flows-iffs).
225
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« Les flux financiers illicites revêtent un caractère multidimensionnel
et transnational. Tout comme les migrations, ils ont des pays
d’origine et des pays de destination et il existe plusieurs sites de
transit. Par conséquent, l’ensemble du processus d’atténuation des
flux financiers illicites implique plusieurs juridictions, qui, parfois,
protègent de fausses organisations de bienfaisance, facilitent
le blanchiment d’argent, accueillent des sociétés fantômes et
dissimulent des comptes fiduciaires anonymes. Ironiquement, le
fait demeure que les flux financiers illicites proviennent souvent de
pays où les ressources disponibles pour financer le développement
sont maigres, les réserves de change sont épuisées, le montant
des recettes recouvrables est en forte baisse, l’impôt n’est pas
intégralement acquitté ou l’évasion fiscale est pratiquée et les
investissements entrants sont faibles. »
Son excellence Muhammadu Buhari
Président du Nigéria
« … [L]e fait demeure que les flux « … [L]es flux illicites privent l’Afrique et
financiers illicites proviennent souvent ses habitants de perspectives d’avenir,
de pays où de maigres ressources compromettent la transparence et la
sont disponibles pour financer le responsabilité et sapent la confiance
développement, les réserves de change dans les institutions africaines... »
sont épuisées, le montant des recettes
Mukhisa Kituyi,
recouvrables est en forte baisse, l’impôt
Secrétaire général de la CNUCED
n’est pas intégralement acquitté ou
l’évasion fiscale est pratiquée et les
investissements entrants sont faibles. »
Son excellence Muhammadu Buhari,
Président du Nigéria
978-92-1-112983-0