Contes Et Légendes de La Bible 1

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L’auteur

L’auteur de la Bible est anonyme mais Michèle Kahn, auteur de ce recueil, ne l’est pas.
Écrivain, journaliste, elle a publié plus de quatre-vingt-cinq ouvrages. Elle s’est
intéressée à tous les genres, s’adressant aussi bien à l’enfance qu’à la jeunesse. Elle a
aussi traduit ou adapté un grand nombre de textes étrangers et plusieurs de ses livres
ont été traduits dans de nombreux pays. Elle écrit également pour les adultes. Ses
Contes et légendes de la Bible séduiront tous les publics. Tout en restant fidèle au texte
biblique, elle s’est inspirée de récits tirés de la tradition populaire pour proposer, en un
style clair et limpide, une lecture originale, tendre et souriante de la Bible.
Michèle Kahn
CONTES ET LÉGENDES DE LA BIBLE DU JARDIN D’ÉDEN À LA TERRE
PROMISE Illustrations de Gustave Doré
Éditions : POCKET JEUNESSE
ISBN : 2-266-13454-X
À mes parents et à mon fils.
À la mémoire d’Alice et de Gaston Kahn,
disparus à Auschwitz.
« Ce que nous connaissons
pour l’avoir entendu,
ce que nos pères nous ont raconté,
nous ne le laisserons pas ignorer à nos descendants. » Psaumes, III, 78.
LA CRÉATION DU MONDE
Quand Dieu se mit en tête d’ordonner le désordre et de créer le monde, Il fit d’abord
jaillir la lumière, et la sépara des ténèbres. Ce fut le premier jour. Au deuxième jour,
Dieu déploya le Ciel.
Au troisième jour, Il délimita la Terre, lui fit une robe de mers et de montagnes, de
forêts et de prés. Le fruit et la fleur étaient nés.

Au quatrième jour, le Soleil et la Lune apparurent dans le


ciel, l’un pour régner sur
le jour et l’autre, avec son cortège d’étoiles, pour éclairer la nuit. Au cinquième jour,
Dieu fit grouiller les poissons, les insectes, les volatiles. Il créa les baleines et les reptiles
marins.
Au sixième jour, naquirent le bétail, les animaux sauvages et les reptiles terrestres. C’est
alors que Dieu créa l’Homme et Il le créa, d’un peu de poussière prise aux quatre coins
du monde, pour dominer toute la Création.
Au septième jour enfin Dieu se reposa, ayant terminé Son œuvre, et Il bénit ce jour, qui
devint le jour saint.
1. LA LUNE
Au premier jour, Dieu commença donc par faire jaillir la lumière. Idée lumineuse, si l’on
peut dire, car la nouvelle clarté Lui permit d’abattre tout le travail du premier jour :
mettre en place les différents éléments de l’univers.
Ayant pétri trois grosses boules, Dieu leur dit, satisfait : « Toi la Terre, toi la Lune et toi
le Soleil, sachez qu’un destin exceptionnel vous attend. Ayez juste un peu de patience. »
Le deuxième jour, la Terre et le Soleil firent bien quelques rêves et projets en regardant
Dieu déployer le Ciel, mais attendirent sereinement la suite. Quant à la Lune, elle fut
incapable de maîtriser son impatience. Elle s’agita sans arrêt, roulant de-ci, roulant de-
là, et passant à tout bout de champ sous le nez du Créateur pour se faire remarquer.
Quelle ne fut pas sa déception quand, au matin du troisième jour, la Lune vit l’Éternel
saisir la Terre, et pas elle, dans ses mains fécondes. Rageuse, elle s’en alla bouder dans
un coin, s’intéressant à peine à la nouvelle toilette de la Terre. Celle-ci, pourtant,
devenait bien belle dans sa robe de montagnes, de forêts et de prés.
Toutefois, vers le soir, la Lune se souvint de la phrase de l’Éternel. N’avait-Il pas dit,
dans cet ordre : « Toi la Terre, toi la Lune et toi le Soleil… » ? Nul doute que son tour
viendrait le lendemain. La Lune s’endormit en souriant.
Le quatrième jour la vit se réveiller toute fraîche et pleine d’entrain. Dans cet état de
grâce, pensait-elle, qui précède les couronnements. Aussi quelle ne fut pas sa déception
lorsqu’elle vit le Créateur la saisir en même temps que le Soleil !
L’Éternel dit aux deux sphères : « Je vais vous placer dans l’espace céleste afin que vous
éclairiez la Terre. Toi, Soleil, pour régner le jour. Toi, Lune, pour régner la nuit. »
Alors fâchée de comprendre que le Soleil aurait la même taille et la même importance
qu’elle, la Lune riposta d’un ton pincé : « Peut-on imaginer que deux rois portent la
même couronne ? »
Puisque telle était son opinion, Dieu ne fit ni une ni deux. Il diminua la Lune. En voyant
le Soleil devenu plus grand qu’elle, la pauvre crut mourir de honte. Elle eut tellement de
chagrin que l’Éternel, pour l’apaiser, lui fit un cadeau. Il lui offrit un cortège d’étoiles.
2. L’EAU ET LES GRAINS DE SABLE
Au troisième jour de la Création, Dieu façonna donc la Terre et se mit à dessiner le
contour des mers, ce qui mécontenta souverainement les eaux.
« De quoi, de quoi ! sifflèrent-elles avec mépris. Après avoir régné sur le monde, nous
nous contenterions d’un espace si réduit ? »
Elles ne pouvaient en effet oublier le temps, précédant la Création, où elles partageaient
le monde avec les ténèbres. Aussi s’élancèrent-elles avec rage à la conquête de la Terre.
Mais Dieu leur ordonna : « Rentrez dans les limites que je vous ai tracées ! » Et elles ne
purent qu’obéir.
Quand elles virent cependant des montagnes hautes et puissantes s’élever de la Terre, la
jalousie les reprit et elles se précipitèrent à l’assaut des montagnes jusqu’à les
submerger. « Nous sommes les plus fortes de toute la Création, s’exclamèrent-elles,
ivres d’orgueil. Allons, étalons-nous, recouvrons la Terre entière ! »
Cette fois Dieu, qui avait montré beaucoup de patience, se mit en colère et dit aux eaux
rebelles : « Ne vous vantez pas tant. Je vais envoyer le sable pour vous faire connaître
vos limites ! »
Penaudes, les eaux se retirèrent. Mais à la vue des grains de sable minuscules qui
s’abattaient sur la Terre, elles éclatèrent de rire et s’exclamèrent avec mépris : « Que
peuvent ces pauvres grains contre nous ? La moindre de nos vagues les submergera et
les dispersera… »
Paroles qui semèrent l’affolement parmi les grains de sable. Cependant le plus gros dit à
ses compagnons : « Frères, ne craignez rien ! Il est vrai que nous sommes petits et
légers, que le moindre souffle de vent peut emporter chacun de nous, isolé, jusqu’à
l’autre extrémité de la Terre. Mais groupons-nous et restons unis à jamais. Les eaux
fières et tumultueuses seront bien obligées, alors, de reconnaître notre puissance ! »
Les grains de sable éparpillés aux quatre coins de la Terre entendirent le message. Ils
s’envolèrent du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest, et vinrent former une longue barrière
de plages et de rives autour des eaux. Celles-ci rassemblèrent leurs vagues et, mugissant
de fureur, les lancèrent comme des chevaux ailés. Peine perdue ! Les pauvres se
brisèrent contre le sable et retombèrent en écume.
Honteuses, les eaux ne cherchèrent plus jamais à franchir leurs limites. Elles se coulent
à présent vers le sable comme un chien vient lécher la main de son maître.
ADAM ET ÈVE
1. LE JARDIN D’ÉDEN
Le sixième jour fut donc celui de la création de l’homme.
D’un peu de poussière prise aux quatre coins du monde, Dieu sculpta un corps, puis Il
approcha Sa bouche du visage de glaise, insuffla un souffle de vie dans les narines, et
l’homme s’éveilla.
Comme on prépare le lit de l’enfant qui doit naître, l’Éternel avait aménagé le jardin
d’Éden pour accueillir Adam. Au centre du paradis, parmi les arbres aux

branches chargées de fruits délicieux, s’élevaient l’arbre de


vie ainsi que l’arbre de
la connaissance du bien et du mal.
« Ne touche pas à cet arbre, dit l’Éternel à l’homme. Si tu y touchais, tu mourrais. Mais
tous les autres arbres du jardin, tu peux te nourrir de leurs fruits. »
Puis, devant Adam, Il fit défiler les animaux qu’il avait créés et, à chacun, l’homme
donna un nom. Le cheval et la jument, l’âne et l’ânesse, le lion et la lionne, tous les
animaux du ciel et de la terre repartirent deux par deux, mais l’homme resta seul. Et
triste.
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul, pensa l’Éternel. Je vais lui trouver une
compagne. » Il fit tomber un lourd sommeil sur Adam, ouvrit son corps, prit une côte et
la modela. Ainsi fut créée la femme.
Pour elle, l’Éternel désira la beauté. Il la coiffa de longs cheveux ondoyants et colora son
visage. Adam l’aima dès qu’il la vit. Autour d’eux, des milliers d’anges chantaient,
jouaient de la harpe, de la lyre et des cymbales. Dans le ciel, le soleil, la lune et les étoiles
firent une ronde et dansèrent comme des enfants.
À l’heure du premier repas, Dieu dressa pour tables de superbes coquilles de nacre, et
les anges servirent un festin. Puis le soleil se retira, les anges s’envolèrent et seule la lune
resta pour éclairer Adam qui prenait Ève dans ses bras.
2. LE FRUIT DÉFENDU
Au jardin d’Éden, Adam et Ève vécurent heureux et insouciants. Le rusé serpent était
leur domestique. Il leur apportait le lait nacré, l’huile parfumée et des poignées de
pierres précieuses.
Il faut dire qu’en ce temps-là, le serpent était le roi des animaux et se tenait aussi droit
qu’un roseau. Il avait deux pieds, deux mains et même deux petites ailes.
Mais il devint jaloux. Quand il apercevait Adam et Ève tendrement enlacés, se baignant
dans l’eau fraîche ou offrant leur corps à la caresse du soleil, le serpent sentait durcir
son cœur comme une pierre. Et cette pierre avait nom jalousie.
C’était le plus rusé des animaux. Un jour, il entraîna Ève près de l’arbre de la
connaissance du bien et du mal, et lui demanda : « Pourquoi ne goûtes-tu pas les fruits
de cet arbre ? Ils ont l’air délicieux ! »
Ève répéta les paroles de Dieu. Il avait dit : « Vous pouvez manger tous les fruits sauf
ceux de l’arbre qui est au milieu du jardin. Ne le touchez même pas, sous peine de
mourir. »
« Regarde ! » s’exclama le serpent en déployant ses ailes. L’une alla toucher le tronc de
l’arbre et l’autre le corps de la femme. « Tu vois, siffla-t-il, que tu n’es pas morte bien
que, par moi, tu aies touché l’arbre… Même si tu en mangeais le fruit, tu ne mourrais
pas. »
Voyant qu’Ève refusait encore de goûter le fruit défendu, le serpent ajouta
fielleusement : « Sais-tu que si Dieu est Dieu, c’est parce qu’il a mangé ce fruit-là ? Voilà
pourquoi Il vous interdit d’y toucher. Il craint que, Adam et toi, vous ne deveniez ses
égaux. Si vous goûtez ce fruit, vous aussi vous pourrez créer des mondes… »
Eve cueillit quelques gouttes de rosée dans le creux d’une feuille étoilée, s’en fit un
collier. Créer d’autres mondes ? En quoi cela pouvait-il la tenter ? N’était-elle pas reine
de la Terre ?
Mais le serpent poursuivit : « L’homme et toi, vous avez été créés en dernier, n’est-ce
pas ? Voilà pourquoi vous êtes les êtres les plus intelligents, les plus achevés de
l’univers. Pour l’instant, seulement. Si vous ne mangez pas ce fruit, Dieu créera des êtres
encore plus intelligents que vous, qui prendront votre place. Et vous, vous deviendrez
leurs esclaves. »
Alors Ève étendit la main vers l’arbre, cueillit un fruit et le mordit.
3. LE PHÉNIX ET LE SERPENT
Le fruit avait une saveur agréable. Ève en offrit aussitôt à Adam et à tous les animaux.
Le bétail, les bêtes sauvages, les oiseaux du ciel, tous goûtèrent le fruit défendu, sauf le
phénix.
Et voici que Dieu apparut. « Tu seras récompensé pour ta conduite, dit-il au phénix.
Parce que tu as cru en moi, tu vivras éternellement. Tous les mille ans, un feu sortira de
ton sein et te consumera. Il ne restera de toi qu’un petit tas de cendres, pas plus gros
qu’un œuf. Et cet œuf se transformera en un oisillon qui grandira, prendra des forces.
Tu retrouveras ainsi ta vigueur, ta jeunesse et, à nouveau, tu vivras mille ans. »
Alors Dieu s’adressa au serpent : « De toi, j’avais fait le roi des animaux. Tu marchais
aussi droit que les humains et tu te nourrissais comme eux. Mais sois maudit pour ta
conduite. Sois le plus maudit des animaux du ciel et de la terre. Tu ramperas sur ton
ventre et tu te nourriras de poussière tous les jours de ta vie. »
À cet instant les anges descendirent du ciel, lui coupèrent les pieds, les mains et les ailes.
Le serpent s’enfuit en hurlant et son cri déchira l’air jusqu’à l’autre bout de la Terre.
4. LE PARADIS PERDU
Quand le serpent eut disparu, Dieu voulut s’adresser à Adam et à Ève mais ne les vit
point. « Où es-tu ? cria-t-Il à l’homme. – Je me cache parce que je suis nu », répondit
Adam. Ève et lui, près du figuier, cousaient des feuilles pour s’en faire des pagnes.
« Qui t’a dit que tu étais nu ? interrogea l’Éternel. Aurais-tu mangé le fruit de la
connaissance du bien et du mal ? » Et comme Adam s’avouait coupable, Dieu prononça
les sentences :
« Puisque tu t’es laissé entraîner par le serpent, dit-il à Ève, j’aggraverai ta peine et tu
enfanteras dans la douleur. » Puis Il se tourna vers Adam : « Par ta faute, la terre sera
maudite. Tu n’en tireras ta nourriture que par ton labeur car, d’elle-même, elle ne
produira que des ronces, des épines et de l’herbe. Ta vie prendra fin, tu retourneras à la
terre d’où tu as été tiré ; car poussière tu fus et à la poussière tu retourneras. »
Adam fut pris d’une grande terreur. « Je serai donc comme l’animal qui se nourrit
d’herbe ? » gémit-il. Alors Dieu, touché de son repentir, lui accorda : « Tu pourras
manger du pain, mais tu devras le gagner à la sueur de ton front. » Pressentant que le
pain gagné lui apporterait le bonheur et la joie, Adam fut réconforté.
L’Éternel donna des tuniques de peaux à Adam et à Ève, puis Il les fit quitter le jardin
d’Éden et posta devant l’entrée, pour garder l’arbre de vie, deux anges armés d’une épée
à lame de feu.
CAÏN ET ABEL
Adam et Ève allèrent, vagabonds, sur la terre désolée. Leurs mains s’abîmèrent à
déterrer les racines bonnes à manger. Et la douleur zébra leur dos, courut le long de
leurs membres. Et le froid les fit trembler. Et les rugissements affamés des bêtes féroces
retentirent à leurs oreilles apeurées.
Dieu scruta leur cœur, et vit qu’ils regrettaient la faute commise. « Enfants malheureux,
leur dit-Il, je vous ai chassés du paradis, et vous êtes accablés de soucis. Sachez pourtant
que mon amour pour vous ne s’est pas tari. Afin d’alléger votre peine, j’ai pris dans mon
trésor la perle que voici. C’est la larme. Quand il vous arrivera malheur, quand votre
âme se gonflera de douleur, les larmes couleront de vos yeux et soulageront votre
cœur. »

À ces mots les yeux d’Adam et d’Eve s’embuèrent, et les


larmes roulèrent sur leurs
joues. Apaisés, ils comprirent qu’aucune douleur ne serait éternelle. L’espoir leur revint.
 
Le foyer retentit bientôt de cris joyeux. Un premier garçon naquit, Caïn, suivi d’un
second, Abel, chacun avec sa sœur jumelle.
Cependant les deux frères se querellaient sans cesse. Ce que l’un possédait, l’autre le
désirait. Et cela continua lorsqu’ils eurent atteint l’âge adulte. « Partageons-nous le
monde, dit alors Abel à Caïn, et ainsi vivrons-nous en paix. À toi la terre et ses produits,
à moi le bétail. » Ce qui fut fait.
Vint le temps de prendre femme. Azrun, la jumelle d’Abel, était la plus belle. Tous deux
la désirèrent. Haine et jalousie s’emparèrent de Caïn qui, à la première occasion,
chercha querelle à son frère.
« La terre est à moi ! cria-t-il à Abel qui faisait paître ses troupeaux. Ce sont mes
plaines. Je t’interdis d’user de ma propriété ! »
Préférant ne pas contrarier son frère, Abel entraîna le bétail dans les hauteurs. « Les
collines sont miennes aussi ! vociféra Caïn, qui l’avait poursuivi. Toute la terre est à
moi ! »
Cette fois, Abel perdit son calme. « Et toi, répliqua-t-il, ne te sers-tu pas de ce qui
m’appartient ? Ne prends-tu pas les peaux de mes bêtes et la laine de mes moutons pour
te vêtir ? » Ainsi commença la dispute.
Comme les deux frères se querellaient un jour avec violence, chacun désirant épouser
Azrun, Adam proposa : « Faites une offrande à l’Éternel. Toi, Caïn, des fruits de la terre.
Toi, Abel, un jeune agneau. Celui dont l’offrande plaira au Seigneur prendra Azrun pour
femme. »
Abel alla choisir un bel agneau bien gras, mais Caïn se contenta de cueillir quelques épis
de blé. Une flamme descendit du ciel sur l’autel et consuma l’offrande d’Abel, tandis que
la gerbe de Caïn restait intacte. Le laboureur devint mauvais. Il se mit à poursuivre Abel
de la plaine à la montagne, de la montagne à la plaine et, quand il l’eut rattrapé, la lutte
commença. Abel plaqua sur le sol Caïn qui se mit à supplier : « Pitié, pitié ! » Le
vainqueur lâcha prise. Alors Caïn saisit une pierre et la lança sur Abel qui, touché à la
tête, s’effondra.
Ce fut le premier mort. Mais Caïn savait-il qu’une pierre pouvait porter la mort ?
Savait-il ce qu’était la mort ? Devant leur fils inerte, Adam et Ève pleurèrent, crièrent, se
lamentèrent. Quand ils n’eurent plus de larmes, ils
contemplèrent Abel avec un désespoir muet. Que faire du corps éteint ? Le chien d’Abel,
gardien de ses troupeaux, l’avait jusque-là vaillamment protégé contre les attaques des
rapaces et des bêtes féroces, mais ses forces faiblissaient.
Aux pieds des parents éplorés tomba soudain le cadavre d’un corbeau. Aussitôt survint
un autre corbeau qui creusa le sol avec bec et ongles, puis enfouit son compagnon dans
la terre. Alors Adam se leva, creusa une fosse et enterra le corps de son fils.
Caïn retourna aux champs. « Où est ton frère Abel ? lui demanda l’Éternel. – Je ne le
sais pas, répondit Caïn. Suis-je le gardien de mon frère ? » Le châtiment tomba : « Tu
seras un être agité, fugitif sur la terre. » Alors Caïn partit vers le pays de Nod, et là il eut
plusieurs enfants. Par sa postérité, il devint le père des peuples nomades, le père des
joueurs de harpe et de guitare, ainsi que le père des forgerons.
Adam et Ève enfantèrent encore un fils, qu’ils nommèrent Seth. Après la naissance
d’autres fils et d’autres filles, Adam mourut à l’âge de 930 ans.
NOÉ
1. FAIS-TOI UNE ARCHE
Seth, le troisième fils d’Adam et d’Ève, eut de nombreux enfants, petits-enfants, arrière-
petits-enfants. Noé fut l’un de ses descendants. À sa naissance, les voisins vinrent se
presser avec curiosité autour du berceau. Jugez un peu : l’enfant n’avait pas les mains
palmées, comme celles des autres personnes, mais des doigts souples qui s’agitaient
chacun librement.
Or, en ce temps-là, les humains étaient devenus des brigands et des méchants. Partout
régnaient le viol et la violence. Chacun ne pensait qu’à son plaisir et les

enfants grandissaient sans avoir connu la tendresse d’un


foyer.
Les bêtes, elles, s’étaient accouplées sans souci de leur espèce. Ainsi le serpentâne, fils
d’un serpent et d’une ânesse, ne pouvait se déplacer qu’à grand-peine car ses pattes
d’âne s’emmêlaient sous son corps de serpent. La girafautruche était condamnée à
l’inaction. Dès qu’elle tentait de se lever, ses pattes d’autruche flageolaient sous le poids
de son cou de girafe. L’hippopotamaigle agitait vainement des ailes boueuses quand il
émergeait du lac aux eaux troubles. Et le bébé singéléphant aux grandes oreilles
pendantes, affligé d’une lourde trompe, observait tristement les sauts gracieux des petits
singes pendus aux branches des arbres (1) .
Quand l’Éternel vit que les méfaits des hommes se multipliaient sur la Terre et que
naissaient chaque jour des animaux biscornus, Il décida de faire disparaître hommes et
bêtes. Alors Il appela Noé, qui était un homme juste, et lui dit : « À cause de ses
habitants, la Terre est remplie de violence, et je vais la détruire. Fais-toi une arche de
bois résineux et enduis-la de poix à l’intérieur et à l’extérieur. Moi, je vais apporter sur la
Terre le déluge des eaux afin que tous ses habitants périssent. Toi et ta famille, vous
entrerez dans l’arche. Avec toi, tu prendras aussi un couple d’animaux de chaque espèce
et tu te muniras de provisions comestibles. »
Noé obéit. Tandis qu’il construisait l’arche selon les instructions de l’Éternel, ses voisins
vinrent se moquer de lui. Pourtant, avec leurs mains palmées, ils auraient été bien
incapables de l’imiter.
« Repentez-vous de vos péchés ! suppliait Noé. Il est encore temps. » Il souffrait à l’idée
de les voir tous périr. Mais les pécheurs ne faisaient que rire en le traitant de pauvre fou.
Et cela dura de nombreuses années.
Lorsque l’arche fut terminée, Dieu décida de laisser une dernière chance aux hommes et
envoya une pluie de sept jours sur la Terre. « S’ils se repentent, dit-il, que cette pluie soit
une bénédiction. Sinon, je ferai pleuvoir pendant quarante jours et quarante nuits, et le
déluge les noiera. »
La lumière du soleil s’obscurcit. La terre frissonna. Des éclairs zébrèrent le ciel. Le
tonnerre gronda. L’ouragan se déchaîna et des trombes d’eau, d’une violence inconnue
jusqu’ici, se déversèrent sur la Terre.
Malgré les sept jours de pluie, les hommes ne se repentirent point. Alors Dieu ordonna à
Noé d’entrer dans l’arche avec sa famille et un couple d’animaux de chaque espèce. Le
temps du déluge était arrivé.
2. L’EMBARQUEMENT
Tour à tour la femme de Noé, puis leurs fils Sem, Cham et Japhet avec leurs épouses,
pénétrèrent dans l’arche. Affolés par la pluie torrentielle, tous les animaux étaient
accourus. Devant l’embarras de Noé qui ne savait lesquels choisir, les anges poussèrent
sur la passerelle un couple de chaque espèce à préserver.
On raconte que la girafe dut baisser la tête pour entrer et que, ne voyant pas où elle
mettait les pattes, elle faillit réduire le phénix à l’état de galette. Que le renard fit
semblant de ne pas voir la poule qui trottait allègrement sous son nez. Que le lièvre,
tremblant de peur, se nicha tout au fond de l’arche.
Un buffle âgé d’un jour se présenta. La bête était énorme. Que faire ? se demanda Noé.
S’il la laissait entrer, il n’y aurait plus de place pour les autres animaux. Ne pouvant se
résigner à repousser le buffle, il prit ses outils et perça la coque, à l’arrière de l’arche.
Ayant laissé l’animal à l’extérieur, il fit passer son museau à l’intérieur, où il fixa
solidement les cornes. Plus tard, lorsque l’arche vogua sur les flots, le buffle lui servit de
gouvernail.
L’âne monta en dernier sur la passerelle. Satan, qui souhaitait lui aussi entrer dans
l’arche, s’était agrippé à sa queue et l’animal avançait avec peine. « Dépêche-toi un peu,
maudite bestiole ! s’écria Noé, impatient. Fais vite, même si le Diable est avec toi. » Mais
quand il aperçut Satan, il s’écria : « Que fais-tu là ? Qui t’a autorisé à entrer ? » Avec un
ricanement, l’autre répondit : « Toi-même. N’as-tu pas dit à l’âne : “Fais vite, même si le
Diable est avec toi” ? »
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Noé alla s’occuper des provisions. Il
rassembla des branches de feuillages pour les éléphants, cueillit du lierre pour les
gazelles, ramassa des petits cailloux pour les autruches, récolta des noisettes pour les
écureuils, coupa des arums pour les corbeaux, pensa aux mûres des chèvres et au
fourrage des bœufs, prit des pieds de vigne, de figuier et d’olivier, ainsi que des figues
sèches, car tous en mangeaient. Puis il entra dans l’arche et l’Éternel ferma la porte sur
lui.
3. LE DÉLUGE
Brusquement il fit nuit, les fenêtres du ciel s’ouvrirent et des torrents d’eau s’abattirent
sur la Terre. Elle trembla et fut malmenée comme une noix perdue entre les vagues de
l’océan. Les rocs se brisèrent et, de leurs fentes, jaillirent des fontaines.
Hors de l’arche, les bêtes aux ailes inutiles, aux pattes en spirale, aux dos cinq fois
bossus, aux yeux cachés sous les oreilles, toutes ces bêtes furent assommées par la
violence de l’eau. Bientôt leurs corps dégénérés voguèrent parmi les pierres charriées
par les flots.
Les gens s’étaient barricadés dans les maisons. En vain. L’eau s’infiltra sous les portes,
creva les toits et submergea les sols. Une lutte à mort s’engagea. Les hommes, plus forts,
piétinèrent les vieillards, les femmes, les enfants, puis l’eau s’engouffra dans leurs
bouches qui suppliaient Dieu de les sauver.
Il plut pendant quarante jours et quarante nuits. Hommes et bêtes périrent. Seuls
restèrent saufs les habitants de l’arche. Elle flotta sur les eaux et s’éleva au-dessus de la
terre. Au-dessus des arbres, des maisons, des collines et même des plus hautes
montagnes.
4. DANS L’ARCHE
La nuit régna pendant tout le temps du déluge. Ni le Soleil ni la Lune n’éclairèrent la
Terre. Cependant Noé savait, grâce à une pierre précieuse, suspendue, quand il faisait
jour et quand il faisait nuit. Mate le jour, elle scintillait la nuit comme une étoile. C’était
très important, car certains animaux ne se nourrissaient que pendant les heures de la
nuit, d’autres seulement aux heures du jour.
Heureusement, les fils de Noé l’aidaient. Le Patriarche s’occupait des bêtes sauvages,
Sem du bétail, Cham des oiseaux et Japhet des reptiles. Malgré cela, Noé put à peine
trouver quelques heures de sommeil. Certains animaux se contentaient d’un seul repas
par jour ou par nuit, mais d’autres en réclamaient plusieurs, grognant, criant, hurlant,
couinant, rugissant, beuglant, bêlant, aboyant, barrissant, sifflant, ululant, piaulant ou
glapissant. Un concert épouvantable !
Au début, le caméléon dédaigna toutes les herbes, tous les fruits que Noé lui présentait.
N’allait-il pas mourir de faim ? Soucieux, Noé revenait souvent auprès de la bestiole, ce
qu’il fit une fois en ouvrant une grenade. Un asticot sauta du fruit, et voici que le
caméléon se précipita et le dévora. Aussitôt Noé lui apporta du foin où fourmillaient des
vers. Ce jour-là, il fut doublement heureux : il avait trouvé comment alimenter le
caméléon et comment se débarrasser des vers !
Vers la fin, Noé était si fatigué qu’il crachait du sang. Des gémissements s’échappaient
de sa poitrine douloureuse. Il avançait difficilement, n’accomplissant chaque pas ou
geste qu’au prix d’un effort immense. Or le lion, qui n’était qu’une bête, ne se rendait
compte de rien. Le roi des animaux souffrait du mal de mer depuis le départ, et cela le
mettait dans un état de grande irascibilité. Un jour où le Patriarche épuisé avait tardé à
lui apporter sa pâture, le lion lui mordit cruellement la jambe, à tel point que Noé boita
jusqu’à la fin de sa vie. Le juste est-il toujours récompensé sur cette terre ?
Au quatrième jour, la pluie s’arrêta et, au creux des rocs, les fontaines se tarirent.
Pendant cinq mois encore, l’arche vogua et dériva. Durant ce temps, elle ne croisa ni
homme ni animal vivant. Petit à petit les eaux baissèrent, comme bues par la terre, et un
beau jour l’arche s’arrêta au sommet du mont Ararat.
Pendant trois mois encore, l’eau décrût lentement, puis la cime des montagnes apparut.
Après quarante jours, Noé ouvrit enfin la fenêtre de l’arche et dit au corbeau : « Va, et
dis-moi si l’eau a baissé. »
Le corbeau était alors un oiseau blanc. Il s’envola et revint. Puis il repartit encore, allant
et venant sans cesse. Un jour, Noé l’attendit en vain. Ayant trouvé une carcasse
flottante, l’oiseau était resté pour se repaître des déchets de chair. Ce jour-là, son
plumage se teinta de noir à jamais.
Alors Noé lâcha la colombe. Elle s’en retourna aussitôt, n’ayant pas trouvé d’arbre où se
poser. La seconde fois, elle vola jusqu’au jardin d’Éden et revint en tenant une feuille
d’olivier fraîche dans son bec. Noé sut alors que les eaux avaient baissé. Il attendit que la
terre se fût asséchée, et ouvrit enfin la porte de l’arche.
Quand il vit la terre nue et désolée, meurtrie de coulées de pierres, Noé se mit à pleurer.
Sa peine émut l’Éternel, qui se dit en Lui-même : « Désormais je ne maudirai plus la
Terre à cause de l’homme, je ne frapperai plus tous les vivants. Plus jamais ne cesseront
les semailles et la récolte, la froidure et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit. »
Comme signe de son alliance avec Noé et les créatures vivantes, Dieu fit apparaître un
arc-en-ciel parmi les nuages.
5. LA VIGNE
Noé, qui était cultivateur, se mit courageusement au travail.
Ce jour-là, il s’apprêtait à planter un pied de vigne qu’il avait emporté dans l’arche
quand survint le Diable. « Que fais-tu ? demanda celui-ci. – Je plante une vigne »,
répondit Noé. Satan prit son air le plus innocent. « À
quoi servira-t-elle ? » Le Patriarche redressa son corps baissé vers la terre et, les yeux
brillant d’une flamme joyeuse, expliqua : « Elle me donnera des raisins, fruits délicieux,
juteux et sucrés. Je pourrai faire sécher les grains pour l’hiver, ou en tirer du vin, une
boisson qui réjouit le cœur. – Veux-tu que nous plantions cette vigne ensemble ? »
proposa le Diable. Noé accepta. Satan partit aussitôt chercher un agneau, l’égorgea et
répandit son sang sur la terre destinée à recevoir le pied de vigne. Puis il attrapa un lion,
lui fit subir le même sort et trempa la terre du sang de la bête. Là-dessus, il captura un
singe, le tua et déversa le sang sur la terre. Enfin il abattit un porc, et arrosa la terre de
son sang.
« Pourquoi tout cela ? » interrogea Noé. Satan éclata de rire : « Quand un homme boira
une coupe de vin, expliqua-t-il, il sera doux comme un agneau, modeste et humble. À la
deuxième coupe, il se croira fort comme un lion et se vantera de ses exploits. À la
troisième, ivre, il dansera, sautera et grimacera comme un singe. Enfin, à partir de la
quatrième coupe, il se conduira comme un porc ; il se roulera dans la-boue et se couvrira
d’ordures… »
Noé oublia-t-il ? Toujours est-il qu’un jour il s’enivra et, nu sous la tente, tomba dans un
sommeil profond. Cham l’aperçut et, moqueur, avertit ses frères. Mais Sem et Japhet,
ayant pris un manteau, en couvrirent avec pudeur le corps de leur père endormi. À son
réveil, Noé apprit l’irrespect de Cham et le maudit, lui et ses descendants. Il mourut à
l’âge de 950 ans.
NEMROD ET LA TOUR DE BABEL
1. LE CHASSEUR NEMROD
Quand Adam et Ève furent expulsés du jardin d’Éden, ils portaient, offertes par
l’Éternel, des tuniques de peaux. À leur mort, ils les léguèrent à leur fils Seth et, de père
en fils, après Hénoch et Mathusalem (2) , elles parvinrent à Noé.
Bien entendu, Noé emporta les précieux vêtements dans l’arche. C’est là que son fils
Cham les vola. À sa mort, celui-ci les légua à son fils Kouch, qui les donna à Nemrod,
son fils préféré.
Revêtu de la tunique de peaux, Nemrod fut invincible et invulnérable. Nulle flèche ne
pouvait l’atteindre, mais chacune des siennes touchait son but. Aucun adversaire ne lui
résistait, et il écrasa les armées ennemies. De plus, tous les animaux, même les bêtes
sauvages et les oiseaux du ciel, venaient se prosterner devant lui. Devant un tel pouvoir,
chacun pouvait penser qu’il était l’homme le plus fort du monde, et
il devint roi de son pays. Il gouverna les descendants des fils de Noé qui, toujours plus
nombreux, formaient
des peuplades diverses, établies en Babylonie. En ce temps-là, tous parlaient une seule
et même langue.
2. LA TOUR DE BABEL
Les sujets du roi Nemrod l’adoraient autant qu’un dieu. Il devint arrogant, tyrannique et
violent. Mais il tremblait.
Seul à savoir d’où lui venait sa force, il craignait nuit et jour d’être dépouillé de ses
précieux vêtements. En outre, il avait lu dans les étoiles qu’un homme élèverait un jour
la voix pour faire connaître au peuple l’Éternel tout-puissant. Voulant empêcher cela, il
rassembla ses sujets et dit : « Construisons une tour aussi haute que le ciel. Nous
prendrons nos haches, nous grimperons au sommet de la tour et nous ouvrirons le
firmament pour le vider de toutes ses eaux, afin que plus aucun déluge ne puisse nous
exterminer. Puis, avec nos lances et nos flèches, nous abattrons le souverain qui réside
au ciel et qui a fait périr nos ancêtres. Enfin, nous installerons au sommet de la tour une
idole tenant une épée tranchante. Elle nous protégera et nous deviendrons les maîtres
du monde. »
Mille princes amenèrent à Nemrod six cent mille hommes, qui se mirent à travailler jour
et nuit. Quand la tour devint si haute que, de son sommet, les arbres paraissaient n’être
que des brins d’herbe, les bâtisseurs s’aperçurent qu’ils manquaient de pierres. Il fallut
alors cuire des briques.
À l’est, fut construit un escalier que les porteurs de briques escaladèrent d’un pas
prudent, en une interminable procession. À peine avaient-ils déposé leur précieux
fardeau qu’ils dévalaient à toutes jambes l’escalier situé à l’ouest de la tour.
Les hommes se donnaient entièrement à la tour. Ils ne pensaient qu’à elle, ne vivaient
que pour elle, l’aimaient comme une fiancée. À tel point que leur vie ne compta plus.
Quand un ouvrier tombait de la tour et mourait, cela provoquait peu de remous. Mais
quand une brique s’échappait de leurs mains et se brisait sur le sol, tous se lamentaient
en versant des torrents de larmes.
Voyant les hommes indifférents au sort de leurs frères, Dieu devint très triste et se dit :
« Ils sont un seul peuple qui parle la même langue. Mais puisqu’ils sont mauvais, je vais
brouiller leur langage. »
Alors, soudain, les hommes ne se comprirent plus. Quand l’un demandait une brique,
l’autre lui apportait du mortier. Et celui qui voulait de l’eau recevait une truelle.
Si grande fut leur fureur qu’ils en vinrent aux armes. Le pied de la tour ne fut plus qu’un
vaste champ de bataille où s’affrontèrent cruellement des hommes qui s’étaient aimés en
frères. Beaucoup périrent par l’épée. Les autres se dispersèrent sur la Terre.
Ainsi s’arrêta la construction de la tour. Les chefs qui avaient voulu guerroyer contre
Dieu furent transformés en singes et le peuple se moqua d’eux. Un feu sorti du sol brûla
un tiers de la tour. La terre en avala un autre tiers, et l’on dit que, du dernier tiers, il
subsiste encore quelques ruines à ce jour.
ABRAHAM
1. LES IDOLES
Divisés en soixante-dix nations, les bâtisseurs de la tour de Babel continuèrent à vénérer
les idoles que, sous l’influence du roi Nemrod, ils avaient adorées. Placées dans les
maisons, ces statuettes étaient censées protéger les habitants et leur attirer tous les
bonheurs.
Térah, un descendant de Sem, avait établi son commerce d’idoles dans la ville d’Ur, en
Chaldée. Il demanda un jour à son fils Abram de le remplacer pour quelques heures.
Arrive un premier client : « Je viens acheter un dieu, dit-il. – De quelle sorte ? interroge
le jeune homme. – Je suis quelqu’un de courageux, répond l’autre. Il me faut donc un
dieu vaillant. » Abram fait mine de réfléchir, et attrape le dieu perché

tout en haut. « Est-ce vraiment le dieu vaillant dont j’ai


besoin ? » s’inquiète
l’acheteur. Le jeune homme réplique : « Ne sais-tu pas que, selon la loi des dieux, c’est
au plus fort que revient la place la plus élevée ? »
Son dieu sous le bras, l’acheteur va repartir quand Abram l’arrête et lui demande quel
est son âge. « 70 ans, annonce l’autre. – Pauvre de toi ! s’écrie Abram. À 70 ans, tu vas te
prosterner devant une statuette faite il y a tout juste quelques jours ! » L’homme le
regarde, et lui rend l’idole.
Arrive alors une femme misérablement vêtue, qui explique : « Je suis pauvre. Donne-
moi un dieu pour les pauvres. » Abram choisit la petite statuette placée tout en bas, et la
tend en disant : « Tu sais, même si tu donnais tout ton argent pour ce dieu, il ne
bougerait pas pour toi… » La femme ne dit mot. « Quel âge as-tu ? reprend Abram.
– Tant d’années que je ne sais pas les compter, gémit-elle. – Et tu te prosternerais
devant un dieu fabriqué aujourd’hui même ? » se moque Abram. Elle regarde une
dernière fois la statuette et s’en va.
S’arrête ensuite une femme qui cherche un dieu à servir et à aimer, car quelqu’un a volé
celui qui était dans sa maison. « Tu vois bien que ces dieux sont incapables de se
défendre, observe Abram. Et tu leur fais confiance ? » Elle hésite un instant et répond :
« Tu as raison. Mais toi, qui sers-tu ? » Le jeune homme lui parle alors du Dieu unique.
Voici enfin une femme aux bras chargés de victuailles. « Je viens apporter une offrande
aux dieux, annonce-t-elle. – Je m’en chargerai », promet Abram. À peine a-t-elle tourné
les talons qu’il prend un bâton et brise toutes les statuettes sauf une, la plus grande. Il
lui accroche le bâton à la main et quitte les lieux.
Térah, son père, revient et constate le désastre. Empli d’une colère violente, il cherche
Abram et l’interroge. « Une femme, explique le jeune homme, est venue apporter une
offrande que j’ai ensuite présentée aux idoles.
Les plus petites ont voulu y goûter avant que les grandes se soient servies. Mais la
grande idole s’est fâchée et, tu as vu le résultat, elle tient encore à la main le bâton qui
lui a servi à frapper les autres.
— Pourquoi me racontes-tu ces sornettes ? s’écrie le père, furieux. Tu sais très bien
que les idoles ne mangent ni ne boivent, qu’elles n’ont pas de mains pour prendre, ni de
bouche pour parler, ni d’yeux pour voir, ni d’oreilles pour entendre ! Alors, quelle est la
vérité ?
— Père, tu as raison, dit doucement Abram. Tes idoles ne mangent ni ne boivent, n’ont
pas de mains pour prendre, ni de bouche pour parler, ni d’yeux pour voir, ni d’oreilles
pour entendre ! Alors, pourquoi te prosternes-tu devant elles ? »
2. LA FOURNAISE ARDENTE
Abram eut beau faire et beau dire, Térah persista à croire aux dieux d’argile et de bois
qu’il fabriquait de ses mains. Le père traîna même le fils devant le roi Nemrod. Seul
celui-ci saurait lui infliger la punition méritée.
« Si tu refuses de vénérer les dieux de ton père, dit le redoutable Nemrod, prosterne-toi
au moins devant le feu. – Pourquoi devrais-je adorer le feu plutôt que l’eau ? riposta
Abram. L’eau n’est-elle pas plus forte que le feu, puisqu’elle peut l’éteindre ? – Comme
tu voudras, admit Nemrod. Prosterne-toi donc devant l’eau. »
Abram dit cependant : « Les nuages ne sont-ils pas plus puissants que l’eau, puisque
faits eux-mêmes d’une multitude de gouttelettes d’eau ? – Alors adore les nuages !
exigea Nemrod. – Mais le vent, poursuivit Abram, le vent n’est-il pas supérieur aux
nuages, puisqu’il les disperse ? – Adore donc le vent ! » commanda Nemrod qui
commençait à perdre patience.
Mais Abram continua, imperturbable : « L’homme est bien plus fort que le vent,
puisqu’il s’en sert pour naviguer sur les océans. Ne devrions-nous pas adorer
l’homme ? » Nemrod exaspéré dit alors : « Abram, tu as dépassé les bornes. Le feu est
mon dieu et je vais te jeter dans le feu pour voir si ton Dieu à toi peut te sauver. »
Des gardes jettent Abram dans les flammes. Elles le lèchent sans le brûler, et il sort
vivant de la fournaise.
3. SI TU VAS À GAUCHE…
Devenu un riche berger nomade, Abram remonta la vallée de l’Euphrate jusqu’à la ville
d’Haran, et s’y installa. Il était accompagné de son père, de sa femme Saraï et de son
neveu Loth.
C’est là que mourut Térah et que l’Éternel choisit d’apparaître à Abram, et de lui dire :
« Va-t’en vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai et
je grandirai ton nom. »
Abram n’hésita pas. Bien qu’âgé de 75 ans, il partit confiant vers le pays de Canaan avec
Saraï, Loth, ses serviteurs et ses troupeaux. Il se trouvait près de Sichem, quand Dieu lui
révéla : « Je donnerai ce pays à ta postérité. » Abram bâtit un autel pour l’Éternel et lui
fit un sacrifice.
Mais la famine régnait au pays de Canaan. Abram repartit vers l’Égypte, où la beauté de
Saraï suscita la convoitise de Pharaon, le souverain, tant et si bien qu’il fallut quitter le
pays au plus vite. Ils reprirent les sentiers.
Les troupeaux d’Abram et de Loth étaient considérables. L’herbe venant à manquer, les
bergers se querellaient sans cesse. « Séparons-nous », dit alors Abram. Généreux, il
ajouta : « Si tu vas à gauche, j’irai à droite ; si tu vas à droite, j’irai à gauche. » Le neveu
choisit la riche contrée de Sodome, et ils se quittèrent. Abram, lui, dressa ses tentes près
de la ville d’Hébron.
4. LA FOI EN UN DIEU UNIQUE
Il n’y avait pas d’homme plus hospitalier qu’Abram. Assis devant sa tente, il scrutait
interminablement l’horizon et, dès qu’apparaissaient des marchands ou des pèlerins, il
se précipitait à leur rencontre, les invitait à venir se laver, se restaurer et passer la nuit.
Or voici ce qu’il arriva un jour. Assis à l’entrée de sa tente, Abram scrutait la route
poussiéreuse quand il vit apparaître un vieillard bien fatigué, qui avançait avec peine. Il
courut à sa rencontre et lui dit : « Seigneur, fais-moi la grâce de ne pas aller au-delà de
ma demeure. Viens te laver, te restaurer et trouver un lit pour la nuit. Demain, reposé,
tu pourras reprendre ton chemin. » Le vieillard le remercia, mais préféra s’arrêter à
l’ombre d’un arbre proche. Cependant Abram insista tant et si bien que le vieillard
accepta.
Dans la tente, il offrit du lait, du beurre et des galettes à l’étranger. Après que celui-ci eut
bu et mangé, Abram lui demanda : « Acceptes-tu de louer le Dieu du Ciel et de la Terre,
le Seigneur qui donne du pain à tout être vivant ? – Je ne connais pas ton Dieu, répondit
le vieillard. Seul compte pour moi le dieu que mes propres doigts ont façonné. » Abram
démontra qu’il était ridicule de croire aux idoles, raconta les bienfaits du Dieu unique, et
supplia une nouvelle fois l’étranger de Lui rendre grâce.
« Pourquoi veux-tu me faire renier mon dieu à moi ? répliqua le vieillard. Je te prie de
me laisser en paix. » Abram entra dans une colère si violente qu’il cria : « Quitte ma
maison ! Va-t’en ! » L’homme prit son bâton, partit dans le désert et la nuit.
Cela déplut à l’Éternel. « Où est l’étranger qui est venu à toi ce soir ? demanda-t-il à
Abram, qui s’écria : – Quel vieillard entêté ! Pour son bien, je l’ai supplié de croire en
Toi, mais il a refusé de m’écouter. Alors je me suis fâché et je l’ai chassé de ma maison. »
« As-tu bien réfléchi à ce que tu viens de faire ? interrogea l’Éternel. Moi, je supporte le
péché de cet homme depuis de longues années. Je l’ai patiemment nourri, habillé, j’ai
pourvu à tous ses besoins. Tu n’avais qu’à l’héberger pendant une seule nuit mais, dans
ta colère, tu as oublié toute pitié et tu l’as chassé. Honte à toi ! »
Abram reconnut qu’il avait mal agi et implora le pardon divin. « Je ne t’excuserai, dit
l’Éternel, que si tu obtiens le pardon du vieillard. »
À son tour, Abram s’élança dans le désert et courut toute la nuit sur les traces de
l’étranger. Enfin il le rattrapa, et le supplia de lui pardonner. L’homme voulut bien
oublier le mal qui lui avait été fait, mais Abram ne lui laissa pas de répit avant qu’il eût
accepté de revenir sous la tente. Là, il pria le vieillard de se restaurer, de se reposer. Au
matin, il lui prépara des provisions pour la route.
5. NAISSANCE D’ISMAËL
Peu de temps après, lors d’une guerre entre roitelets du Sud, les habitants de Sodome
furent capturés. Abram, averti, se lança au secours de Loth et des prisonniers, qu’il
délivra. Quant au butin, il le rendit au roi de Sodome, et repartit vers Hébron. « Ta
récompense sera très grande, lui dit alors l’Éternel dans une vision nocturne. Regarde
vers le ciel et compte les étoiles si tu peux les compter. Ainsi sera ta postérité. » Et à
cette nombreuse postérité, Dieu promit le pays de Canaan.
Cependant Saraï restait stérile. Un jour, elle dit à Abram : « L’Éternel m’a refusé
d’enfanter. Viens donc vers ma servante, Hagar l’Égyptienne. Peut-être aurai-je des
enfants par elle. » Enceinte, Hagar devint arrogante et Saraï, humiliée, la tourmenta, si
bien que l’Égyptienne s’enfuit dans le désert. Mais un ange de l’Éternel lui dit de
retourner auprès de sa maîtresse, et le farouche Ismaël naquit sous la tente d’Abram,
alors âgé de 86 ans.
6. L’ALLIANCE
Ses 99 ans avaient sonné quand l’Éternel lui proposa une alliance. Abram, dont le nom
signifiait « père illustre », allait désormais s’appeler Abraham, « père d’une foule de
nations ». Saraï, « ma princesse », deviendrait Sara, « la princesse », et aurait un fils. En
échange du pays donné à la postérité d’Abraham, tout mâle devrait consacrer à Dieu une
partie de lui-même. « Que parmi vos descendants on circoncise (3) tout enfant mâle à
l’âge de huit jours », exigea l’Éternel.
Abraham se prosterna, reconnaissant, mais un doute l’étreignit. Comment Sara, qui
venait d’atteindre 90 ans, pourrait-elle encore enfanter ? N’empêche. Il se circoncit, agit
de même sur son fils Ismaël, âgé de 13 ans, ainsi que sur tous ses serviteurs mâles.
7. ANNONCE DE LA NAISSANCE D’ISAAC Peu de temps après, Abraham était assis
vers midi à l’entrée de sa tente. La chaleur était intense ce jour-là et,
pendant quelques secondes, il ferma ses yeux brûlants. Quand il les rouvrit, trois
étrangers se tenaient devant lui. C’étaient des anges, mais il l’ignorait. À son habitude,
Abraham s’inclina et les supplia d’accepter son hospitalité. « Lavez vos pieds et reposez-
vous sous l’arbre. » Puis il se dépêcha de trouver Sara : « Prends de la fleur de farine,
pétris-la et fais-en des gâteaux. » Enfin il se précipita vers le bétail, choisit un veau
tendre, se hâta de le faire apprêter.
Abraham se tint près des étrangers tant qu’ils se restaurèrent. L’un, c’était l’ange
Michaël, dit soudain : « Quand je reviendrai chez toi, l’an prochain à la même époque, ta
femme Sara aura un fils. » En l’entendant, Sara se mit à rire. Elle se savait bien trop
vieille pour donner naissance à un enfant. « Et mon maître qui est un vieillard ! »
s’esclaffa-t-elle. Mais l’inconnu insista : « Y a-t-il quelque chose d’impossible à
l’Éternel ? Au temps dit, je reviendrai, et Sara aura un fils. »

Là-dessus, Michaël s’envola vers le ciel tandis que les deux autres anges, Raphaël et
Gabriel, prenaient la route de Sodome.
8. SODOME
Si Abraham était un saint homme, on ne pouvait en dire autant de tous ses
contemporains. La ville de Sodome, au sud de la mer Morte, est restée célèbre pour
l’indignité de ses habitants.
La cité nichait dans une contrée prospère. D’amples moissons de blé surgissaient de la
terre, les branches des arbres ployaient sous le poids de fruits magnifiques. De plus, le
sol regorgeait de mines d’argent, d’or et de pierres précieuses. Il arrivait qu’un maître
dise à son serviteur d’aller désherber le jardin et, en sarclant, l’homme tombait sur une
mine d’or.
Au fil des jours, les riches devinrent de plus en plus prospères alors que les pauvres se
réveillaient chaque matin un peu plus démunis. Ils votèrent des lois cruelles, telles que :
il est interdit de donner à manger aux pauvres et de recevoir les étrangers qui entrent
dans la cité. – La charité est un crime qui sera sévèrement puni. – Celui qui aura donné
du pain à un mendiant doit subir la peine de mort.
Or Éliézer, le fidèle serviteur d’Abraham, vint apporter un message à Loth. En
traversant la ville, il vit un homme qui frappait un étranger. Habitué à traiter les gens
avec gentillesse, justice et charité, Éliézer s’interposa entre les deux adversaires.
« Quel mal cet homme t’a-t-il fait pour que tu le maltraites ainsi ? » demanda-t-il à
l’habitant de Sodome. Lequel répondit, sûr de son bon droit : « Je lui ai ordonné de se
déshabiller pour me donner ses vêtements, comme le veut la loi, et il refuse ! »
Éliézer poussa un cri de surprise. « Mais cette loi est injuste ! Laisse l’étranger en paix. »
Pris de colère, l’habitant de Sodome saisit une pierre et la lança sur Éliézer, qu’il blessa.
Voyant du sang perler, il empoigna Éliézer en exigeant : « Donne-moi l’argent que tu me
dois pour t’avoir soigné en te faisant une saignée (4) . Telle est la loi de notre ville.
– Quoi ! s’écria Éliézer qui n’en croyait pas ses oreilles. Tu me blesses, et il faudrait que
je te récompense ! » L’homme répliqua en invitant Éliézer, qui manifestement ignorait
les excellentes lois de Sodome, à se rendre chez le juge. Le voyageur en fut ravi.
Mais, à sa grande surprise, il entendit l’homme de loi lui dire : « Puisque cet homme t’a
blessé, tu lui dois de l’argent. Dans ce pays, sache-le, c’est au plus faible de payer. De
plus, il s’est donné le mal de te faire une saignée. »
Éliézer, qui bouillait de colère, saisit une pierre et la lança au front du juge.
« Maintenant, lui dit-il, toi aussi tu me dois de l’argent. Donne-le-moi afin que je puisse
rembourser ma dette. À moins que tu ne paies directement cet homme à ma place. » À
ces mots, il planta là le juge avec le « plaignant », et alla se rafraîchir dans la rivière.
Non loin de là se trouvait une maison. Éliézer alla demander si l’on voulait bien lui
vendre un peu de nourriture. Il reçut des injures et des coups de pied. Ailleurs il obtint
la même réponse, car il était interdit à Sodome de vendre des aliments à un étranger.
Le pauvre affamé cheminait tristement quand il entendit des propos joyeux s’échapper
d’une maison. Comme la porte était ouverte, il entra et vit de nombreuses personnes
réunies pour un banquet.
Éliézer, très digne, se dirigea vers le bout de la longue table, s’assit et se mit à manger.
« Eh, l’étranger ! marmonna son voisin entre ses dents. Dis-moi donc qui t’a invité. » Un
fin sourire éclaira le visage d’Éliézer. « Toi-même… Ne t’en souviens-tu pas ? Nous nous
sommes rencontrés ce matin et… » Pris de terreur, l’homme se leva brusquement et
s’enfuit. Ses voisins, s’ils apprenaient qu’il avait invité un étranger, ne manqueraient pas
de le punir en le dépouillant de ses vêtements. Rien ne lui servirait de crier que c’était
faux car, au pays des menteurs, on ne croyait personne.
Entre deux bouchées, Éliézer se pencha alors vers son autre voisin. « Béni sois-tu pour
m’avoir invité, lui lança-t-il, car, vois-tu, j’étais mort de faim. » En entendant ces mots,
l’homme fut pris lui aussi de frayeur et déguerpit en toute hâte.
Fort heureux de sa ruse, Éliézer s’approcha de tous les convives qui, l’un après l’autre,
quittèrent précipitamment la table. Il se retrouva bientôt seul. Quand il se fut restauré, il
posa sur la table de quoi payer son repas et il partit. La nuit tombait.
Sur une place de la ville se trouvaient quatre lits, deux très longs et deux très courts,
destinés aux étrangers. Quand arrivait un voyageur ignorant les usages de la ville, les
gens de Sodome l’entraînaient là sous le prétexte de lui offrir l’hospitalité.
« Choisis le lit que tu préfères », proposaient-ils d’un ton aimable. Mais la loi de Sodome
exigeait que chacun dorme dans un lit à sa taille. Si l’étranger, loin de soupçonner ce qui
l’attendait, souhaitait s’allonger sur un lit court, on lui coupait les pieds. S’il choisissait
un lit trop long, six hommes se précipitaient pour tirer sa tête et ses pieds de toutes leurs
forces afin de lui faire atteindre la longueur du lit.
En sortant du banquet, Éliézer traversa cette place et fut invité à passer la nuit sur l’un
des lits. Rendu méfiant, il répondit : « Je vous suis très reconnaissant de votre
hospitalité, mais je ne puis l’accepter. Depuis la mort de ma mère, j’ai en effet juré de ne
plus jamais me coucher dans un lit et je dors à même le sol. »
Ainsi Éliézer réussit-il, ayant échappé à l’embuscade, à porter le message au neveu
d’Abraham. Au mépris des lois de la ville, Loth fit un accueil chaleureux au serviteur de
son oncle.
9. LA STATUE DE SEL
Abraham avait pour coutume de faire un bout de chemin avec le voyageur qui avait
accepté son hospitalité. Se retrouvant donc sur la route de Sodome avec les deux anges,
il apprit qu’ils avaient pour mission de mettre en œuvre la destruction de la ville aux
habitants corrompus.
Tandis qu’ils poursuivaient leur chemin, Abraham interpella l’Éternel : « Feras-Tu périr
le juste avec le méchant ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville… Ne
pardonneras-Tu pas en faveur de ces cinquante ?… Il est indigne de Toi de faire mourir
le juste avec le méchant ! »
L’Éternel dit : « Si je trouve cinquante justes à Sodome, je pardonnerai à toute la ville à
cause d’eux. » Tout en s’excusant, lui qui n’était que poussière et cendre, d’oser parler au
Seigneur, Abraham continua à discuter, plaida pour quarante-cinq. « Je ne détruirai pas
la ville s’il s’y trouve quarante-cinq justes », promit le Seigneur. Alors Abraham
marchanda pour quarante. « J’épargnerai la ville à cause des quarante, répondit la voix
céleste. – Que l’Éternel ne s’irrite point ! supplia Abraham. Peut-être s’en trouvera-t-il
seulement trente. » Et Dieu répondit : « Je pardonnerai. » Cependant Abraham
poursuivit : « Et pour vingt, Seigneur ? – Je renoncerai à détruire pour ces vingt,
accorda l’Éternel. – De grâce, reprit Abraham, que l’Éternel ne s’irrite pas, je ne parlerai
plus que cette fois. Peut-être s’en trouvera-t-il dix ? » Et le Seigneur promit : « Je
renoncerai à détruire en faveur de ces dix. »
Les deux anges atteignirent Sodome vers le soir. Loth, le neveu d’Abraham, était assis à
la porte de la ville. À la vue des étrangers, il se prosterna devant eux et les invita
discrètement à venir sous son toit. Ils acceptèrent.
Aussitôt chez lui, Loth demanda à sa femme de préparer un bon repas. Comme elle avait
épuisé la provision de sel, la femme de Loth alla en emprunter aux voisins, disant : « Il
m’en faut absolument pour ce soir. » Mais c’était déjà trop.
Après le dîner, une clameur retentit soudain. Rassemblés devant la porte de Loth, les
gens de Sodome criaient : « Où sont les étrangers que tu as recueillis ce soir ? Amène-
les-nous afin qu’ils soient traités selon les lois de notre ville ! »
Loth sortit, ferma la porte derrière lui, supplia : « Ô mes frères, n’agissez pas si mal !
Laissez ces deux hommes en paix et prenez, en échange, ce qui m’est le plus cher. Ne
leur faites rien, car ils sont venus se reposer à l’ombre de mon toit. » La colère gronda.
Quoi ! Loth, cet étranger, voulait s’ériger en juge ! « Eh bien, nous te traiterons plus mal
qu’eux ! » entendit-il. À cet instant, les anges tirèrent Loth dans la maison par une
fenêtre et frappèrent la populace d’éblouissement au point que personne, de toute la
nuit, ne put trouver l’entrée.
Au matin, les anges dirent à Loth : « Prends les hommes et les femmes de ta famille, et
quittez tous Sodome, car l’Éternel va détruire la ville. » Il courut aussitôt prévenir ses
deux filles mariées, mais les gendres crurent à une plaisanterie, et tous quatre lui rirent
au nez. En vain tenta-t-il de les persuader. L’aube se levait quand les anges l’appelèrent.
« Vite, pressèrent-ils. Emmène ta femme et tes deux autres filles, sinon vous risquez de
mourir pour les crimes de Sodome. »
Lorsque Loth et les trois femmes furent arrivés aux portes de la ville, l’un des anges dit :
« Sauve-toi sans regarder derrière toi, sans t’arrêter dans la plaine, sauve-toi vers la
montagne si tu veux rester en vie. »
Comme Loth arrivait à Tsoar, l’Éternel fit pleuvoir le soufre et le feu sur Sodome et
Gomorrhe. Or la femme de Loth, qui marchait derrière lui, ne put résister à la curiosité.
Elle se retourna et fut transformée… en statue de sel.
Tout périt. Ni les hommes, ni les bêtes, ni les plantes n’échappèrent aux flammes. Brûlés
furent les champs et les prairies, les plaines et les forêts, les maisons et les édifices. La
pierre et le bois furent réduits en cendres. De la région prospère et verdoyante, il ne
resterait qu’une terre morte et désolée où nul oiseau ne chantait, où nulle herbe ne
poussait, où toute vie était désormais impossible (5) .
10. NAISSANCE D’ISAAC ET DÉPART D’ISMAËL Après la destruction de Sodome,
Abraham alla s’établir à Beersheba. Sara s’aperçut alors qu’elle attendait un enfant. Son
fils naquit à l’époque indiquée par l’ange, et Sara rit
encore. De bonheur cette fois. Abraham nomma l’enfant Isaac et le circoncit à l’âge de
huit jours. Lui-même avait 100 ans.
Ismaël et Isaac furent élevés ensemble. Mais un jour, l’aîné se moqua du petit et, comme
Hagar n’intervenait pas, Sara ulcérée demanda à Abraham de les chasser tous deux, la
mère et son enfant.
Abraham refusa. Ismaël était aussi son fils. Dieu lui dit alors : « Ne t’inquiète pas pour le
garçon ni pour ton esclave. Obéis à tout ce que Sara te dira… Quant au fils de l’esclave, je
le ferai aussi devenir chef d’un grand peuple. »
Abraham se leva le lendemain matin de bonne heure, donna un pain et une outre pleine
d’eau à la servante et, le cœur gros, la renvoya avec son fils. Elle s’égara dans le désert.
Bientôt l’outre fut vide. Hagar coucha Ismaël épuisé sous un buisson et s’écarta, en
pleurs, pour ne pas le voir mourir. Un ange l’appela : « Qu’as-tu, Hagar ? Ne crains
rien… Lève-toi ! Relève ce garçon et serre-le dans tes bras, car il sera le père d’une
grande nation. » En même temps, Dieu ouvrit les yeux d’Hagar, et elle aperçut une
source.
Ismaël (6) grandit, devint un chasseur émérite, et s’établit dans le désert de Parân, où
il épousa une Égyptienne.
VII
ABRAHAM ET SON FILS ISAAC
1. L’ÉPREUVE
Ils étaient à présent nombreux, ceux qui se déplaçaient pour venir entendre le
Patriarche et, convaincus, renonçaient aux idoles.
Dieu dit un jour aux anges : « Vous qui prétendiez inutile de créer l’homme, voyez le
bien que fait Abraham autour de lui ! » Sans leur laisser le temps de répondre, Satan
siffla entre ses dents : « Ce n’est pas pour rien qu’Abraham te vénère. Tout ce qu’il
entreprend lui réussit. Sur ses vieux jours, alors qu’il avait perdu tout espoir, tu lui as
même donné son fils Isaac.
— Sur toute la Terre, riposta l’Éternel, il n’y a pas d’homme plus parfait, plus honnête
qu’Abraham. Tiens ! même si je lui demandais son fils chéri, je suis sûr qu’il me
l’offrirait.

— Essaie donc, suggéra Satan. Et nous verrons si


Abraham mérite tes louanges… » Dieu appela : « Abraham ! » et celui-ci répondit :
« Me voici ! » Alors tomba
l’ordre : « Prends Isaac, ton fils chéri, emmène-le vers le mont Moria et sacrifie-le au
sommet de la montagne que je t’indiquerai (7)  ».
Grande fut la douleur d’Abraham. Il pensa cependant qu’il ne pouvait désobéir, qu’il
devait servir Dieu aveuglément. En toutes circonstances, et sans poser de questions.
« Mais comment, s’interrogea Abraham, vais-je pouvoir séparer Isaac de sa mère Sara ?
Si je lui dis la vérité, elle va mourir de chagrin… » Il décida donc d’employer la ruse.
« Ma douce femme, dit-il en entrant dans la tente, prépare un festin et donne du vin
pour la joie de notre cœur. » Sara dit son étonnement, car ce n’était pas jour de fête.
« Tout jour est bon, déclara Abraham, pour fêter le bonheur d’avoir eu, si tard dans la
vie, ce fils chéri qui est le soleil de nos vieux jours. » Sara sourit et alla préparer le festin.
Tandis qu’ils se régalaient, Abraham dit : « Ma douce et bénie, j’avais trois ans lorsque je
compris que Dieu était le seul et unique Créateur. Isaac a quelques années de plus et ne
sait pas grand-chose. Voici pourquoi, ai-je pensé, il faut conduire cet enfant dans une
école où il apprendra la sagesse et la science. »
Ainsi parla Abraham, et Sara lui donna raison, bien que son cœur souffrît à l’idée d’être
séparée longtemps de son enfant. Elle alla préparer les meilleurs vêtements d’Isaac, lui
fit un turban orné de perles, mais les larmes roulaient sur son visage.
Quand elle eut enfin rassemblé les vivres pour la route, Abraham décida : « Nous
partirons au lever du jour. » Sara s’approcha d’Isaac, l’entoura de ses bras et l’embrassa
en sanglotant. « Calme-toi, ma douce, dit Abraham, et va te coucher car il est tard. »
Mais Sara protesta, et Isaac aussi. Elle l’embrassa encore longtemps, disant : « Tu pars
si loin de moi, mon enfant chéri, que je ne sais quand je te verrai ni si je te verrai encore
avant ma mort. »
Elle pleura toute la nuit et s’endormit à l’aurore. Voyant cela, Abraham décida de partir
avant son réveil. Il craignait que la douleur de Sara ne lui fit retarder le moment d’obéir
à l’Éternel. Alors il réveilla Isaac et sangla son âne. Ayant pris le feu et le bois pour le
sacrifice, ils partirent, accompagnés de deux serviteurs, vers le mont Moria.
2. LES RUSES DE SATAN
Or Satan fut pris d’une violente colère en voyant qu’Abraham respectait le Seigneur au
point de Lui sacrifier son fils, et décida de l’en empêcher. Il courut guetter le réveil de
Sara et lui demanda où était Abraham. « En voyage, répondit-elle. – Et ton fils adoré ?
poursuivit le Diable. – Avec son père, dit Sara. Il va rester dans une école afin de
parfaire son éducation. » Une ride soucieuse barra le front de Satan. « Si loin ! Ne
crains-tu pas qu’il soit en peine, ou malade, ou… » Sara, emplie de crainte, en effet,
l’interrompit cependant d’un ton hautain : « Que peut-il arriver à celui qui ne cherche
qu’à plaire à Dieu ? » Satan disparut, bouillant de colère. Il avait espéré lancer Sara sur
les traces d’Abraham pour le retenir.
Après trois jours de marche, les voyageurs arrivèrent en vue du mont Moria et Abraham
dit à ses serviteurs : « Restez ici avec l’âne. Moi et mon fils Isaac allons nous prosterner
là-haut, et nous reviendrons auprès de vous. » Abraham enjoignit Isaac de porter le bois
pour le sacrifice, prit lui-même le feu et le couteau, et ils partirent.
Isaac marchait en avant et Satan, qui n’avait pas dit son dernier mot, imagina
d’apparaître devant Abraham sous les traits d’un vieillard en guenilles, brisé par le poids
des ans. « A-t-on jamais vu homme plus fou et plus sot que toi ! s’exclama-t-il. Dieu t’a-
t-Il donné ce fils, alors que tu étais déjà vieux, pour que tu ailles le sacrifier ? » Abraham
répondit sans hésiter : « J’ai bien réfléchi, rien ne me retiendra d’obéir au
commandement du Seigneur. » Le Diable ricana. « Et que feras-tu, après le sacrifice,
quand Dieu te reprochera d’avoir versé le sang d’un innocent ? » Abraham s’entêta :
« Même si cela était, je dois faire ce que Dieu a ordonné. »
Irrité, Satan disparut et… réapparut un peu plus loin, cette fois sous les traits d’un jeune
homme élégant, richement vêtu. Il dit à Isaac, qui marchait en arrière : « Dis-moi, l’ami,
sais-tu où l’on te conduit ? – Dans une école, répondit Isaac.
— Laquelle ? demanda le Diable en éclatant de rire. Et quand ? Avant ou après ta
mort ? » Comme Isaac ouvrait de grands yeux, Satan reprit : « Je me trouve obligé de
t’annoncer que la mort t’attend
dans ces montagnes. Imagine un peu quelle sera la douleur de ta mère ! La malheureuse
pleurera jour et nuit, prendra Dieu à témoin de son malheur. “Alors que j’étais déjà
vieille, gémira-t-elle, Tu m’as donné un fils que j’ai élevé avec amour et soudain Tu as
fait perdre la raison à son vieux père qui me l’a pris pour l’immoler !” »
Isaac, d’abord fort attristé, se reprit et répondit très digne : « Mon père agit en tout sur
l’ordre du Seigneur et moi, je ne m’opposerai pas à mon père. » Le Diable grimaça, il
avait encore perdu la partie. Mais avant de disparaître, il lança une dernière flèche :
« Quel malheur ! Tu es si beau, si jeune… Si tu échappais à ton père, tu pourrais,
longtemps encore, jouir des bienfaits de la vie… »
Profondément troublé, Isaac s’approcha d’Abraham : « Mon père !… Voici bien le feu et
le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste (8)  ? » Abraham répondit : « Dieu se
choisira un agneau… » Isaac lui répéta les paroles du jeune élégant. « N’as-tu pas
reconnu Satan ? s’écria Abraham. Ne l’écoute pas, mon fils. Il n’est venu que pour nous
empêcher d’obéir à Dieu. » Et ils continuèrent leur chemin.
Un torrent leur barra bientôt la route. Abraham, qui connaissait bien la région, fut
étonné de le trouver là. L’eau paraissait assez basse pour être traversée à pied. Or elle
atteignit rapidement leurs genoux puis, à mi-chemin, leur monta, jusqu’au cou. Ils
durent se débattre pour éviter de sombrer et arrivèrent à bout de forces sur l’autre rive.
Quelques mètres plus loin, Abraham perplexe se retourna. L’eau avait disparu. Il
comprit que Satan, poursuivant ses efforts, s’était transformé en un torrent tumultueux.
Alors le Diable tenta une dernière ruse. Il apparut à Abraham sous ses traits habituels et
lui dit : « J’aurais pu éviter de me donner tant de mal. Imagine-toi que, faisant un petit
tour au Ciel, j’ai entendu dire qu’on t’enverrait une brebis pour le sacrifice. Isaac
pourrait donc vite retourner à la maison et consoler sa mère qui n’a cessé de pleurer. »
Mais Abraham répondit : « Ne sais-tu pas qu’on ne peut croire un menteur, même
quand il lui arrive de dire la vérité ? » Satan poussa un cri de rage et, cette fois, disparut
pour de bon.
3. LE SACRIFICE
Arrivé à l’endroit désigné par le Seigneur, Abraham bâtit un autel, disposa le bois et
s’approcha d’Isaac. Le jeune homme comprit ce qui l’attendait. « Père, pria-t-il, lie-moi
bien fort, car je risque d’avoir peur et de me sauver. » Abraham ligota son fils et le plaça
sur l’autel. Isaac dit encore : « Porte mes cendres à ma mère chérie, mais ne les lui
donne pas si elle se trouve assise au bord du puits, de peur qu’elle ne tombe et ne meure
à cause de moi. »
Des larmes inondaient le visage d’Abraham, ses mains tremblaient. Le couteau
s’échappa quand il le saisit. Il le saisit à nouveau. À cet instant le soleil se voila, les fleurs
refermèrent leurs corolles et les animaux se tapirent au fond de leurs repaires. Nul bruit,
nul bruissement ne vint troubler le silence, épais comme le brouillard, qui était tombé
sur la terre. L’âme d’Isaac s’envola vers le ciel.
Abraham allait égorger son fils quand un ange arrêta son geste en criant : « Abraham !
Abraham !… Ne lui fais pas de mal ! Tu as prouvé que tu crains Dieu, car tu n’as pas
refusé ton fils bien-aimé. » L’âme d’Isaac retourna dans son corps et le garçon ouvrit les
yeux. Abraham aperçut alors un bélier, ses cornes empêtrées dans un buisson, et l’offrit
en sacrifice à la place d’Isaac.
« Je te bénirai, dit alors l’Éternel par la voix de l’ange. Je multiplierai tes enfants en
aussi grand nombre que les étoiles du ciel et les grains du sable qui borde les mers. »
Puis Abraham et Isaac retournèrent vers les serviteurs. Et vers Sara, à Beersheba.
VIII
RÉBECCA
Àla tête de dix chameaux chargés de vivres et de cadeaux, Éliézer avançait sous le soleil
brûlant de Mésopotamie. Le fidèle serviteur saurait-il se montrer digne de la mission
dont son maître Abraham l’avait chargé ? Le Patriarche ne souhaitait pas voir son fils
Isaac épouser une fille de Canaan. « Va dans mon pays, avait-il dit au serviteur, et
ramène une épouse pour mon fils Isaac. » Tout en marchant, Éliézer se tourmentait :
comment reconnaîtrait-il la jeune fille digne de devenir la compagne d’Isaac, celle qui
saurait le consoler de la mort de sa mère Sara ? Et comment pourrait-il la persuader de
le suivre aussitôt, ainsi que l’exigeait Abraham ? Après plusieurs jours de route, Éliézer
parvint à Haran, la ville où vivaient Nahor, frère d’Abraham, et ses descendants. Il
s’arrêta près d’un puits et fit reposer ses

chameaux. C’était vers le soir, à l’heure où les jeunes filles,


une jarre sur l’épaule,
venaient puiser de l’eau.
Éliézer était très assoiffé. Or l’eau était si basse dans le puits qu’il ne pouvait boire.
« Seigneur, pria-t-il, fais que la jeune fille à laquelle je dirai : “Tends ta cruche, que je
boive”, et qui me répondra : “Bois, Seigneur, puis j’abreuverai tes chameaux”, soit celle
que tu destines à ton serviteur Isaac. »
La première déclara qu’il était très difficile de puiser de l’eau et qu’elle devait rapporter
sa jarre pleine à la maison. Les suivantes donnèrent la même réponse ou prétendirent
qu’elles n’avaient pas le temps de s’attarder. Éliézer commençait à désespérer quand
arriva une jeune fille très belle.
Mais elle s’arrêta près d’un enfant qui pleurait, le pied blessé. Elle lava la plaie, pansa le
petit pied et le garçon s’en alla, consolé. « Quelqu’un peut-il m’aider ? dit alors une
vieille femme aveugle qui passait. J’erre depuis des heures sans retrouver ma maison et
personne ne vient à mon secours. » La jeune fille prit la vieille femme par le bras et la
conduisit. À son retour, elle devait se sentir fatiguée car elle s’assit, pensive, sur une
souche d’arbre. Mais comme un vieillard approchait, marchant péniblement, elle se leva
pour lui offrir sa place et s’approcha du puits.
Éliézer avait suivi des yeux les moindres gestes de la belle jeune fille. Une grande
émotion l’étreignait quand il lui demanda, après qu’elle eut puisé de l’eau : « Tends ta
cruche, que je boive. – Bois, Seigneur, répondit-elle, puis j’abreuverai tes chameaux. »
Lorsque toutes les bêtes se furent désaltérées, Éliézer offrit à la jeune fille des bracelets
en or, quelques autres cadeaux, et lui demanda qui elle était. « Je suis Rébecca,
répondit-elle, fille de Batouel, petite-fille de Nahor. » Le vieux serviteur fut transporté
de joie en apprenant qu’il avait rencontré une jeune fille de la parenté d’Abraham.
« Y a-t-il dans la maison de ton père de la place pour passer la nuit ? demanda Éliézer.
– Oui, répondit-elle, et nous avons de la paille et du fourrage en abondance. » Elle
courut vite à la maison et revint accompagnée de Laban, son frère aîné.
Quand le jeune homme avait vu les bracelets en or et les autres cadeaux, il avait pensé
que l’homme généreux devait être très riche, et il se précipitait avec le projet de lui
dérober son bien. Mais en apercevant Laban, Éliézer jugea aussitôt le gaillard : il pouvait
être malhonnête. Afin de lui donner une idée de sa force, le serviteur d’Abraham souleva
deux chameaux, et Laban fut fortement impressionné.
Dès l’arrivée à la maison, le frère fit décharger et nourrir les chameaux. Un repas fut
servi, mais Éliézer refusa de manger avant d’avoir parlé : « Je suis le serviteur
d’Abraham, dit-il. L’Éternel a grandement béni mon maître, qui est devenu puissant. Il
possède menu et gros bétail, argent et or, serviteurs et servantes, chameaux et ânes.
Toutes ces richesses appartiendront à son fils Isaac. » Éliézer conta encore comment
Abraham lui avait demandé de trouver une épouse pour son fils et comment, près du
puits, il avait distingué Rébecca. Puis il demanda au père et au frère s’ils voulaient bien
accorder la main de la jeune fille à son maître Isaac.
Cupides, Batouel et Laban promirent tout ce qu’on leur demandait, acceptèrent de voir
Rébecca partir dès le lendemain matin, car ils espéraient, ce qui arriva, qu’Éliézer les
couvrirait de cadeaux dès la parole donnée. Rébecca, la mère, le père, le frère reçurent
des bijoux d’or, d’argent et de riches vêtement. Alors seulement, Éliézer accepta de se
nourrir.
Cependant, la nuit passée, la mère et le frère de Rébecca avaient changé d’avis. « Laisse-
la-nous un an encore, proposa Laban, ou dix mois au moins. Ainsi le veut la coutume, et
cela lui permettra d’apprêter ses parures. »
Comme Éliézer tenait bon, le frère et la mère appelèrent Rébecca pour lui demander ce
qu’elle souhaitait. Elle n’hésita pas. « Je pars, dit-elle. N’avez-vous pas donné votre
parole ? »
Sans dot ni parures, elle monta telle qu’elle était sur l’un des chameaux, et Éliézer donna
le signal du départ. La caravane chemina pendant plusieurs jours pour atteindre le pays
de Canaan. Vers le soir, Rébecca aperçut un homme dans les champs. « Quel est cet
homme qui marche dans la campagne ? demanda-t-elle à Éliézer. – C’est mon jeune
maître Isaac », dit-il. Rougissante d’émotion, elle prit son voile et se couvrit.
JACOB ET LES SIENS
1. LE PLAT DE LENTILLES
Après vingt ans d’un mariage heureux, Isaac et Rébecca eurent enfin des enfants, des
jumeaux. Ésaü, l’aîné, vint au monde avec une peau velue et des cheveux roux. L’autre,
Jacob, naquit tout lisse et tenant le talon de son frère. Ésaü devint un chasseur
redoutable. Jacob, lui, passait tout son temps à s’instruire. Isaac, qui aimait la campagne
et la forêt, préférait Ésaü. Celui-ci savait flatter son père en lui apportant du gibier qu’il
le priait, respectueusement, d’accepter. Sachant qu’Isaac craignait Dieu, Ésaü feignait de
suivre la même voie. Cependant Rébecca voyait tout et préférait Jacob, sincère et plus
doux.
Le jour où mourut leur grand-père Abraham (9) , Ésaü partit néanmoins à la chasse.
Et voici qu’il aperçut le roi Nemrod. Les rayons du soleil faisaient miroiter le
précieux vêtement hérité d’Adam, où étaient brodés tous les
animaux sauvages et
les oiseaux du ciel, qui le rendait invincible et en avait fait un chasseur illustre. Le roi
s’était écarté des hommes de sa suite et, afin de rafraîchir son corps fatigué dans la
rivière, venait de se
déshabiller. Ésaü prit son arc, tira, tua le roi, vola le vêtement et s’enfuit vers la maison
paternelle où, à bout de forces, il le cacha.
Pendant ce temps Jacob, qui pleurait Abraham, préparait le premier repas de deuil.
Selon la coutume, celui-ci consistait en un plat de lentilles. Surgit Ésaü, qui tenait à
peine sur ses jambes.
« Donne-moi de ces lentilles, dit-il, car je suis épuisé. – Je prépare ce plat pour le repas
de deuil », dit Jacob. Comme Ésaü insistait, Jacob proposa : « Vends-moi ton droit
d’aînesse en échange d’une assiette de lentilles (10) . » Ésaü ricana : « Même le pieux
Abraham est mort. Nous marchons tous vers la mort, et je ne crois pas à une autre vie. À
quoi me servirait mon droit d’aînesse ? Prends-le si tu veux et donne-moi de ce plat. »
Ainsi fut fait, et Ésaü repartit chasser.
Des années passèrent et, avec l’âge, Isaac perdit la vue. Un jour, le vieil homme
immobile décida de bénir Ésaü, son fils préféré, et l’appela. « Vois, dit-il, je suis devenu
vieux et le jour de ma mort approche. Va aux champs, attrape du gibier et prépare-moi
ce mets savoureux comme je l’aime. Mais prends garde à ne pas tuer de bête qui
appartienne à nos voisins. »
Or Rébecca savait tout. Ayant entendu les paroles d’Isaac, elle décida d’attirer la
bénédiction sur Jacob. Elle l’appela dès le départ d’Ésaü, lui dit ce qu’elle avait entendu
et ordonna : « Va chercher deux chevreaux et je préparerai ce mets pour ton père tel
qu’il l’aime ; puis tu le lui apporteras et il te bénira. »
Trahir n’était pas dans la nature de Jacob. Il refusa. Mais sa mère insista tellement qu’il
partit chercher les deux chevreaux. Quand il revint, il tenta encore de dissuader
Rébecca : « Mon frère est velu. Si mon père me touche, il saura aussitôt que je ne suis
pas Ésaü et il me maudira. » La mère ne voulut rien entendre et mit tout son art à
préparer un rôti savoureux. Cela fait, elle prit la peau des chevreaux pour en couvrir le
cou et les mains de son fils, lui donna les vêtements d'Ésaü, lui tendit le plat de viande et
l’envoya auprès d’Isaac.
« Qui es-tu, mon fils ? interrogea le père. – Je suis ton aîné, répondit Jacob. Je t’apporte
le mets que tu aimes. » Alors Isaac ordonna : « Approche, mon fils, que je te touche. Es-
tu bien Ésaü ? » Jacob s’approcha en tremblant. Isaac tâta les mains velues et dit : « La
voix est celle de Jacob, mais les mains sont celles d’Ésaü. » Il accepta le plat que lui
apportait son fils, il s’en régala et but du vin. Puis, après avoir respiré l’odeur de la forêt
sur les vêtements d’Ésaü, il appela toutes les bénédictions du Ciel sur celui qu’il prenait
pour son fils favori.
Pendant ce temps Ésaü enrageait, car sa chance habituelle l’avait quitté. Pressé de
recevoir la bénédiction paternelle, il était parti à la chasse en oubliant de revêtir la
tunique de Nemrod. Voyant que le temps passait et qu’il restait bredouille, Ésaü alla
voler un agneau chez les voisins et revint le faire cuire.
« Que mon père savoure le gibier qu’il m’a demandé de lui préparer, dit-il néanmoins en
présentant le plat de viande à Isaac. – Qui es-tu ? demanda le père, troublé. – Je suis
ton fils, ton premier-né », répondit Ésaü.
Isaac comprit sa méprise et grande fut sa douleur. Quand Ésaü apprit la ruse de Jacob, il
souffrit en son cœur et sa colère éclata. « Ne suffisait-il pas à Jacob de me prendre mon
droit d’aînesse ? Fallait-il aussi qu’il me vole ma bénédiction ? »
Ainsi Isaac, peiné, apprit-il l’histoire du plat de lentilles, et l’homme juste dit alors d’une
voix sourde : « Si Jacob est l’aîné, c’est à lui que devait revenir ma bénédiction. » Mais
quand il entendit Ésaü pleurer comme un animal blessé, il trouva des mots pour le
consoler et sut le bénir aussi.
2. UN HOMME INTÉRESSÉ
La haine d’Ésaü fut si vive qu’il décida de tuer son frère. Jacob s’enfuit, mais rien ne lui
servit de rester plusieurs années hors de la maison, à étudier. Alors Rébecca lui dit :
« Pars, enfuis-toi à Haran, auprès de mon frère Laban. Il a deux filles. Demande l’une
d’elles en mariage et reste là-bas jusqu’à ce que la colère de ton frère soit apaisée. » Le
vieux père, qui avait été déçu par les deux mariages d’Ésaü (11) , insista et fit
rassembler autant d’or et d’argent que Jacob pouvait en porter. La mort dans l’âme, le
fils quitta donc la maison paternelle.
Or Ésaü l’apprit et ordonna à Éliphaz, son fils aîné, de rattraper Jacob, de le tuer et de
voler le trésor. En voyant Éliphaz arriver à la tête d’une dizaine d’hommes montés sur
des chameaux, Jacob comprit quelle était sa mission. Il sut le convaincre de le laisser en
vie, mais dut donner tout ce qu’il avait emporté.
Désespéré, Jacob se coucha sur le sol, la tête entourée de pierres pour se protéger des
bêtes sauvages. Il eut un rêve. Il vit une échelle qui allait jusqu’au ciel, des anges qui
montaient et descendaient, le Seigneur qui lui promettait une heureuse postérité. Au
réveil, réconforté, il repartit d’un bon pied.
Après avoir longtemps marché, il arriva près d’un puits. Il vit des bergers, avec leurs
brebis, qui en attendaient d’autres. Tous devaient unir leurs forces afin de faire rouler
l’énorme pierre qui bouchait le puits.
« D’où êtes-vous, mes frères ? demanda Jacob.
— Nous sommes de Haran, répondirent les bergers.
— Connaissez-vous Laban ? interrogea le voyageur.
— Parfaitement, dirent-ils. Voici Rachel, fille de Laban, qui vient avec son troupeau. »
Alors Jacob s’approcha du puits et, à lui tout seul, fit basculer la pierre afin de laisser
boire les brebis de
Rachel. Elle regarda l’étranger doué d’une force si étonnante, et le trouva beau. Il dit
qu’il était le fils de Rébecca, et se mit à pleurer car il se présentait les mains vides.
Rachel courut aussitôt avertir Laban et celui-ci, se souvenant qu’Éliézer était arrivé
chargé d’or, de bijoux et de pierres précieuses, se précipita, les bras grands ouverts.
Voyant Jacob à pied, il se dit : « Mon neveu vient sans chameau, mais peut-être a-t-il
enfoui ses biens dans les replis de ses vêtements. » Aussi serra-t-il Jacob bien fort dans
ses bras, le palpant de tous côtés, lui faisant même ouvrir les mâchoires avec l’espoir de
dénicher des pierres précieuses. Dépité de ne rien trouver, il finit par lâcher son neveu,
qui put alors raconter ses malheurs.
L’oncle ouvrit cependant la porte de sa maison et, dès le lendemain, Jacob gardait les
troupeaux de Laban.
3. LE MARIAGE
Laban fut tellement satisfait du travail de Jacob que, souhaitant le garder dans sa
maison, il lui déclara un mois plus tard : « Pourquoi me servirais-tu gratuitement ? Dis-
moi quel doit être ton salaire. »
L’homme était père de deux filles. Léa, l’aînée, n’avait pas grand éclat, mais la petite
flamme qui dansait dans les yeux de la belle Rachel, la cadette, avait éveillé l’amour de
Jacob. « Si je te sers pendant sept ans, répondit-il à Laban, pourrai-je épouser
Rachel ? » Le père accepta, et Jacob garda le troupeau pendant sept années.
Quand ce temps fut passé, Laban prépara une grande fête pour le mariage et invita, dans
sa maison illuminée, tous les habitants de la ville. Mais voici que, le soir venu, il fit
souffler toutes les bougies. « Que fais-tu ? s’étonna Jacob, car on n’y voyait goutte.
– Ainsi le veut la coutume de notre pays », répliqua Laban. Et il profita de l’obscurité
pour faire revêtir Léa de la robe de mariée.
Ce fut donc l’aînée que Jacob trouva dans la chambre nuptiale, mais il n’en sut rien car
la jeune épousée resta muette. Au matin seulement, il vit qu’il tenait Léa dans ses bras.
D’un bond, Jacob se leva et courut chez Laban. « Pourquoi m’as-tu trompé ? cria-t-il. Ne
t’ai-je pas servi sept années pour Rachel ? » À quoi Laban répondit sans se démonter :
« Ainsi le veut la coutume de notre pays : l’aînée se marie avant la cadette. Mais si tu
veux épouser aussi Rachel, reste encore sept ans chez moi. »
Sept jours plus tard, Jacob épousa Rachel et, pour l’amour d’elle, servit Laban pendant
sept autres années.
4. LE RETOUR AU PAYS
Léa donna quatre fils à Jacob : Ruben, Siméon, Lévi et Juda, tandis que Rachel se
lamentait de n’être pas mère. Si grande était sa détresse que Rachel demanda à Jacob
d’épouser sa servante Bilha : leurs enfants seraient un peu les siens. Deux garçons
naquirent : Dan et Nephtali. Alors Léa, voyant qu’elle n’attendait plus d’autre enfant,
demanda à Jacob de prendre aussi sa servante Zilpa pour épouse. Celle-ci donna
naissance à Gad et Asher. Cependant Léa fut encore la mère de deux garçons : Issachar,
Zabulon, et son septième enfant fut une fille, Dina.
C’est alors que Rachel, enfin, attendit un enfant. Ce fut Joseph. L’heureux père pensa
qu’il était temps de retourner au pays de Canaan, d’y emmener sa famille et d’avoir sa
propre maison. Mais son beau-père Laban, dont le troupeau s’était largement agrandi
grâce aux bons soins de Jacob, ne l’entendit pas de cette oreille. « Reste avec moi,
supplia-t-il, et fixe-moi le salaire que tu voudras. » Jacob consentit, et répondit :
« Donne-moi pour salaire tous les agneaux et les chèvres qui sont rayés, mouchetés ou
tachetés de noir. » Laban accepta mais il alla aussitôt trier son troupeau, et confia toutes
les bêtes noires, rayées, mouchetées ou tachetées à ses fils, qui les emmenèrent à trois
jours de marche. Quand Jacob vint s’occuper du troupeau, il ne trouva que des bêtes
blanches !
Alors Jacob coupa des rameaux de peuplier, d’amandier, de platane. Après avoir pelé
des lanières d’écorce, il obtint des bâtons rayés qu’il dispersa dans les auges et les
abreuvoirs. C’est là que les bêtes venaient se nourrir, mais aussi s’accoupler. Elles
donnèrent naissance à des petits qui étaient rayés, tachetés, mouchetés de noir.
Ainsi commença-t-il à constituer son propre troupeau et il fut bientôt assez riche pour
engager des servantes, des serviteurs, acheter des ânes et des chameaux. Si bien que
Laban devint jaloux de la prospérité de son gendre. Mais cette fois-ci, c’en fut trop pour
Jacob.
Un jour où Laban était allé tondre ses moutons, Jacob alla chercher Léa, Rachel, Bilha,
Zilpa, fit monter femmes et enfants sur des chameaux, rassembla ses serviteurs, prit son
troupeau avec ses biens, et s’enfuit en direction du pays de Canaan.
Quand, trois jours après, Laban s’en aperçut, il se lança, furieux, à la poursuite de Jacob
et, l’ayant rattrapé sept jours plus tard, lui fit de violents reproches :
« Pourquoi as-tu emmené mes filles comme des captives de guerre ? Pourquoi as-tu fui
en secret ? Je t’aurais reconduit dans l’allégresse, avec des chants, au son du tambourin
et de la harpe ! Que t’ai-je fait, pour que tu ne me laisses pas embrasser mes filles et mes
petits-enfants ?
— J’ai eu peur, répondit Jacob. J’ai craint que tu ne m’enlèves Léa et Rachel. Ai-je
jamais pu compter sur ta parole ? » Laban convint, en effet, qu’il avait toujours cherché
à ruser. Jacob lui en sut gré et ils célébrèrent leur entente autour d’un repas de fête. Le
lendemain, Laban se leva de bon matin, embrassa les siens, les bénit et retourna chez
lui.
De son côté, Jacob arriva bientôt dans le pays où s’était établi son frère Ésaü. Il lui
envoya des messagers pour lui dire que, après avoir passé vingt ans chez Laban, il
revenait avec une famille, du bien, du bétail, et qu’il souhaitait embrasser son frère. Les
messagers revinrent en disant qu’Ésaü venait accompagné de quatre cents hommes, et
Jacob prit peur.
Il divisa ses gens et son bétail en deux camps. Si Ésaü attaquait l’un des camps, l’autre
moitié des gens et du bétail pourrait se sauver. Puis Jacob choisit deux cents chèvres et
vingt boucs, deux cents brebis et vingt béliers, trente chamelles et leurs petits, quarante
vaches et dix taureaux, vingt ânesses et leurs ânons, confia ces bêtes à des serviteurs qui
partirent au-devant d’Ésaü pour lui offrir ces présents.
Avant la nuit, Jacob fit passer le fleuve à ses femmes, ses enfants, tous les siens, et resta
seul sur la rive. Un ange, qui avait pris la forme d’un homme, vint alors l’attaquer. Ils
luttèrent jusqu’à l’aube. L’ange ne put le vaincre, mais lui blessa la cuisse et lui démit la
hanche. À la première lueur du jour, il voulut partir, mais Jacob exigea une bénédiction.
« Quel est ton nom ? demanda l’ange. – Jacob. – Désormais, reprit l’ange, tu
t’appelleras Israël (12) car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été
vainqueur. »
Lorsque le soleil se leva, Jacob vit arriver Ésaü à la tête de ses quatre cents hommes. Il
s’avança avec les siens et, arrivé en vue de son frère, se prosterna sept fois contre terre.
Ésaü courut à la rencontre de Jacob et le prit dans ses bras en pleurant de joie. Alors
Jacob présenta ses femmes et ses enfants.
« Pourquoi ces troupeaux que j’ai rencontrés ? » demanda Ésaü. Jacob expliqua qu’il
désirait lui en faire présent. « J’ai assez de bétail, mon frère, dit Ésaü. Garde ce qui
t’appartient. » Cependant Jacob insista tellement qu’Ésaü finit par accepter. Désormais,
les deux frères étaient réconciliés à jamais.
Le lendemain, Jacob reprit la route du pays de Canaan et alla s’établir à Sichem.
ENTRACTE
JOSEPH
1. LA TUNIQUE BARIOLÉE
Parmi les douze fils de Jacob, Joseph devint le préféré du père car il ressemblait à sa
mère Rachel, morte en donnant le jour à son deuxième enfant, Benjamin. Le fin sourire,
l’élégance et les yeux veloutés de Joseph ravivaient en Jacob le souvenir de la belle,
douce et fougueuse Rachel, lumière de sa vie.
Les frères haïssaient Joseph pour cette préférence, mais aussi parce qu’il rapportait tout
à son père. Joseph ne pouvait se taire quand il découvrait la conduite indigne de ses
frères.
La haine des garçons empira lorsque Jacob offrit a Joseph une tunique à longues
manches taillée dans un voile doux, vaporeux, brodé de toutes les couleurs du ciel et de
la terre, et si léger qu’il tenait dans une main. Le père l’avait taillée dans la robe

de mariée des deux sœurs Léa et Rachel.


Et cette haine ne fit que croître quand Joseph, innocent, eut conté un songe à ses frères.
Il avait vu les fils de Jacob lier des gerbes de blé. Toutes s’étaient soudain rassemblées
autour de la sienne, puis s’étaient courbées devant elle. « Écoutez ce jeune
présomptueux ! ricanèrent les frères. Il se croit désigné pour nous commander ! »
Les réactions violentes des garçons ne l’empêchèrent pas de conter son deuxième rêve.
« J’ai vu s’incliner le soleil, la lune et onze étoiles devant moi, révéla-t-il. – Eh quoi !
s’emporta Jacob. Viendrions-nous, moi, ta défunte mère et tes frères, nous prosterner à
tes pieds ? » En lui-même, Jacob était persuadé que ce rêve indiquait qu’un destin
exceptionnel attendait Joseph. Mais, craignant de voir naître une fois de plus la colère
des frères, il n’avait lancé des paroles si vives que pour la détourner.
Certains jours, Jacob se reprochait sa préférence. « Un père, s’avouait-il, ne devrait
jamais distinguer l’un de ses enfants. »
Or Jacob, qui habitait le pays de Canaan, envoya un jour les frères aînés de Joseph faire
paître les troupeaux loin de là, dans les champs de Sichem. Après quelques jours, restant
sans nouvelles, il demanda à Joseph de partir à leur recherche. En chemin, l’adolescent
apprit qu’ils s’étaient rendus à Dotan et s’avança vers eux, vêtu de sa tunique brodée.
Quand, de loin, ses frères le virent arriver, ils projetèrent de s’en débarrasser à tout
jamais. « Lâchons les chiens, proposa l’un. Ils le déchireront et n’en feront qu’une
bouchée. » Cependant l’aîné, Ruben, effrayé, leur demanda de ne pas verser le sang de
leur frère et proposa de le jeter dans la citerne, qui était sèche, où grouillaient serpents
et scorpions. En lui-même il pensait qu’il pourrait, la nuit venue, sauver Joseph en
cachette.
Les frères saisirent donc Joseph, lui arrachèrent la tunique et le jetèrent nu dans la
citerne. Ne pouvant supporter d’entendre les cris déchirants du garçon, Ruben s’éloigna.
Les frères mangeaient leurs galettes devant la citerne quand ils virent arriver une
caravane d’Ismaélites qui se dirigeaient vers l’Égypte avec des chameaux chargés
d’aromates, de baume et de lotus. « Que gagnerons-nous à tuer notre frère et à verser
son sang ? dit alors Juda. Venez, vendons-le aux Ismaélites. » Les autres approuvèrent
et sortirent Joseph de la citerne. Pâle de terreur, il apparut plus mort que vif mais intact.
Ni les serpents ni les scorpions ne l’avaient touché.
Un peu d’argent et quatre paires de sandales : tel fut le gain de la vente de Joseph. Les
frères gardèrent la tunique et laissèrent le garçon aller vers son destin.
Quand Ruben revint à la citerne, la caravane s’était déjà fondue dans le lointain. De
douleur, il déchira ses vêtements, pleurant et criant : « Que vais-je devenir, maintenant
que vous avez vendu mon frère ? Et que dirons-nous à notre père ? »
Les frères égorgèrent un chevreau et trempèrent la tunique dans le sang. Puis ils
l’apportèrent à Jacob en disant : « Voici ce que nous avons trouvé. N’est-ce pas la
tunique de Joseph ? »
Jacob reconnut le tissu brodé et, voyant le sang, pensa qu’une bête féroce avait dévoré
Joseph. Il déchira ses vêtements, mit un cilice sur ses reins et prit, pour de nombreuses
années, le deuil du fils bien-aimé.
2. L’ESCLAVE DE PUTIPHAR
Après une marche harassante dans le désert torride, Joseph arriva au bord du Nil, en
Égypte, et les marchands ismaélites le conduisirent au marché aux esclaves. Là, il fut
acheté par Putiphar, un personnage très haut placé, chef des gardes de Pharaon.
Putiphar s’aperçut bien vite que Joseph n’était pas un esclave ordinaire. Le jeune
homme réussissait avec grâce tout ce qu’il entreprenait. Si bien que l’Égyptien lui fit
remplir des tâches toujours plus importantes et finit par lui confier l’intendance de sa
maison. Joseph s’occupait des biens de son maître avec autant de cœur que s’ils lui
avaient appartenu, et les jours coulaient heureux.
Malheureusement, la femme de Putiphar s’éprit du beau Joseph aux larges épaules, aux
yeux veloutés. Refusant de trahir son maître, il ne voulut rien entendre et repoussa les
avances de la dame. Dépitée, elle ne se remit pas de sa défaite.
Un jour de festivités, elle fit croire à son entourage qu’elle était malade, trop faible pour
aller célébrer le culte des idoles. Restée à la maison, elle se trouva donc seule avec
Joseph, fidèle au Dieu de ses pères, et s’étendit dans une pièce où il devait passer. Il
apparut bientôt.
« Viens près de moi ! » supplia-t-elle en saisissant la cape qu’il portait jetée sur l’épaule.
Mais Joseph préféra s’enfuir, et s’élança dehors en lui abandonnant le vêtement.
Folle de rage, la femme de Putiphar sortit en criant et fit croire aux gens accourus que
Joseph avait tenté de la séduire. « Voici la preuve de sa malhonnêteté ! hurlait-elle en
brandissant la cape. Il s’est enfui quand je me suis mise à crier, mais j’ai pu la lui
arracher… »
Et qu’arriva-t-il ? Que Putiphar fut bien obligé de croire sa femme, même s’il avait
quelques raisons de douter de ses paroles. Et il fit jeter Joseph en prison.
3. L’ÉCHANSON ET LE PANETIER
Pharaon ordonna un jour au maître échanson de lui apporter une coupe de vin aux
aromates, et au maître panetier de lui servir du pain. L’échanson revint le premier. À
l’instant où Pharaon approchait la coupe de ses lèvres, il aperçut – ô horreur ! – le
cadavre d’une mouche noyée dans le vin. Là-dessus, le panetier apporta le pain. Pharaon
le rompit et y trouva de la sciure de bois ! Furieux, il fit jeter l’échanson et le panetier en
prison.
Joseph avait déjà passé un an au cachot quand arrivèrent les deux compères. Le geôlier,
séduit par l’intelligence et la probité du jeune homme, le désigna pour s’occuper des
nouveaux prisonniers.
Quelques mois passèrent. Un matin, Joseph trouva les deux hommes perplexes, l’air
sombre, et leur en demanda la raison. « Nous avons chacun fait un rêve étrange,
répondit l’un d’eux, et aimerions savoir ce qu’ils signifient. Veux-tu demander au geôlier
d’appeler un grand mage ? » Mais Joseph répliqua : « Je m’y connais un peu en rêves.
Peut-être pourrais-je vous aider. »
À ces mots, les deux hommes éclatèrent d’un rire méprisant. « N’es-tu pas l’esclave de
Putiphar ? Alors comment pourrais-tu interpréter des rêves ? Demande-t-on aux ânes
de lire le destin dans les étoiles ? »
Un fin sourire illumina le visage de Joseph. « Avez-vous entendu parler du médecin
Kimtass ? » En effet la renommée du grand savant était parvenue à leurs oreilles.
« Écoutez donc, proposa Joseph, le récit de sa mésaventure. » Les deux prisonniers
s’assirent pour entendre l’histoire de Kimtass.
En dépit de son grand savoir, ce médecin se montrait modeste et désireux d’apprendre
toujours davantage. Aussi, espérant rencontrer des médecins encore plus savants que
lui, décida-t-il de parcourir des pays lointains. Ayant chargé son âne d’un sac empli de
remèdes et d’onguents, il voyagea longtemps. En chemin, il accomplit maintes
guérisons.
Un jour qu’il dormait au pied d’un arbre, la tête posée sur son sac, vint à passer un
vagabond en guenilles. L’homme enleva prestement ses hardes, les échangea contre les
habits du médecin et s’enfuit au galop sur le dos de l’âne. Kimtass ne put qu’endosser les
haillons et repartir à pied, son sac sur l’épaule.
Il atteignit bientôt la ville voisine. Des pleurs et des gémissements s’échappaient d’une
belle demeure. Kimtass entra, vit trois médecins au chevet d’un jeune garçon. Le père et
la mère les imploraient de sauver leur enfant unique.
Kimtass s’approcha, regarda le visage du garçon, et proposa au père de le guérir à l’aide
des remèdes contenus dans son sac. Les trois savants poussèrent les hauts cris. Allait-on
faire confiance à un vagabond, à un fou qui se disait médecin ? Alors le père prit le
pauvre diable aux cheveux et le jeta dehors. Peu de temps après, estimant que le garçon
était condamné, les trois médecins quittèrent la maison. La mère dit alors au père : « Tu
n’aurais pas dû renvoyer ce mendiant aussi durement. Qui sait ? Peut-être aurait-il guéri
notre enfant ! – Ne dis pas de bêtises, répliqua l’homme. N’as-tu pas vu ses haillons ?
Son sac ne contenait certainement pas de remèdes, mais tout juste un quignon de pain
et une vieille paire de chaussures bonnes à jeter. »
Tandis que les parents se disputaient, le fils mourut, et ils pleurèrent et se lamentèrent
jusqu’à perdre la voix. Dans la rue, Kimtass avait tout entendu. « Pourquoi n’ai-je pas
révélé mon nom ? se reprocha-t-il. Ils ont sûrement entendu parler de moi. Ils
m’auraient cru et j’aurais sauvé l’enfant. »
Il alla donc par la ville en criant : « Qui est malade ? Qu’il vienne à moi et je le guérirai,
car je suis Kimtass, le célèbre médecin ! » Mais les gens le regardaient et se moquaient.
Le voyageur s’assit alors sur la place du marché et étala ses remèdes devant lui. Les
passants s’approchèrent, inspectèrent étonnés les haillons, les fioles, les flacons. « Si tu
es vraiment Kimtass, dit enfin un badaud, pourquoi es-tu si mal vêtu ? » Le médecin
conta sa mésaventure, l’homme se risqua à lui demander des soins et l’on vit que ce
pauvre diable était en effet un grand savant. Les malades affluèrent.
Quand le père du garçon apprit cela, sa douleur fut terrible. « Je suis seul responsable
de la mort de mon fils, gémissait-il. Si je n’avais pas méprisé un homme pauvrement
vêtu, mon enfant serait encore en vie. » Il avait fallu ce malheur pour lui apprendre à
juger un homme non sur sa mise, mais sur son savoir et son maintien.
 
« Après cette histoire, dit Joseph, j’ajouterai quelques mots. Vous me voyez dans la peau
d’un esclave, et vous me pensez donc incapable de comprendre la signification des rêves.
Eh bien, sachez que je ne suis pas un esclave, mais le fils d’un grand homme, sage, juste
et pieux, qui m’a transmis une part de son savoir. Des marchands m’ont enlevé de mon
pays natal pour me vendre ici comme esclave. De plus, je suis emprisonné pour un crime
que je n’ai pas commis. »
Convaincus, l’échanson et le panetier se décidèrent à conter leurs rêves. « Je me trouvai
devant une vigne, commença l’échanson. Elle avait trois branches. Je vis fleurir puis
mûrir ses
grappes. Debout devant Pharaon, je cueillis les raisins, les pressai dans sa coupe, et la
tendis au roi. — Les trois branches, expliqua Joseph, ce sont trois jours. Dans trois jours,
Pharaon te fera sortir de prison et
tu seras de nouveau son grand échanson. Comme jadis, tu lui présenteras sa coupe et tu
seras un homme heureux. Puis-je te demander de te souvenir alors de moi, de parler à
Pharaon en ma faveur afin que je puisse quitter ce cachot où je suis injustement
enfermé ? »
L’échanson promit.
Le panetier, qui dans son rêve avait vu l’échanson tendre la coupe au roi, pensa que
Joseph était un grand devin.
« Quant à moi, dit-il, encouragé par les agréables prédictions, je portais trois paniers à
claire-voie sur la tête, l’un au-dessus de l’autre. Le panier supérieur contenait les pains
et brioches aimés de Pharaon, et les oiseaux venaient les picorer.
— Les trois paniers, expliqua Joseph, ce sont trois jours. Dans trois jours, Pharaon te
fera… trancher la tête, et les oiseaux viendront picorer ta chair. »
Et l’échanson, qui dans son rêve avait vu le panetier pendu au gibet, à son tour pensa
que Joseph était un grand devin.
Trois jours plus tard, Pharaon donnait un superbe banquet pour célébrer son
anniversaire. En décidant de la liste des serviteurs, il se souvint de l’échanson et du
panetier, et les fit sortir de prison. Ainsi que Joseph l’avait prédit, le roi rétablit
l’échanson dans ses fonctions et fit pendre le panetier. Une enquête avait révélé que la
mouche s’était noyée par hasard dans le vin, alors que le panetier, qui trempait dans un
complot contre Pharaon, avait volontairement mélangé la sciure de bois à la pâte à pain.
Cependant l’heureux échanson oublia Joseph, qui resta dans sa geôle.
4. DU CACHOT AU TRÔNE
Il y avait trois ans que Joseph végétait en prison lorsque Pharaon fit un rêve. Alors qu’il
se tenait au bord du Nil, il vit monter du fleuve sept vaches belles et grasses qui se
mirent à paître l’herbe. Puis sept autres vaches, celles-ci maigres et chétives, sortirent de
l’eau, s’arrêtèrent près des premières et, soudain, les dévorèrent. Mais sans paraître plus
grosses pour autant.
Pharaon s’éveilla, se rendormit et fit un autre rêve. Il vit sept beaux épis de blé pousser
sur une seule tige. Puis sept épis desséchés apparurent, qui engloutirent les premiers.
Mais sans devenir plus charnus pour autant.
Au matin, Pharaon fit appeler les plus grands mages d’Égypte et chacun donna son
interprétation. L’un dit que les sept vaches grasses étaient sept filles qui allaient naître
et les maigres sept filles qui allaient mourir. Un autre prétendit que les sept beaux épis
représentaient sept nouvelles provinces et les sept épis maigres sept provinces perdues.
Toutes explications qui déplurent à Pharaon. Très inquiet, il finit par tomber malade.
C’est alors que le grand échanson se souvint de Joseph et conta au roi comment le jeune
Hébreu avait si bien interprété son rêve et celui du panetier.
On fit aussitôt libérer Joseph, mais celui-ci refusa d’apparaître devant Pharaon avant de
s’être fait couper les cheveux et d’avoir endossé des vêtements propres.
Le jeune Hébreu fut ébloui par l’apparence du roi. Pharaon trônait en robe brodée d’or,
paré des ornements royaux, la tête surmontée d’une couronne dont les pierres
précieuses jetaient mille feux.
« Ce que Dieu prépare, dit Joseph après avoir écouté le récit du roi, Il le montre à
Pharaon. Les sept vaches grasses et les sept beaux épis, ce sont sept belles années.
Quant aux sept vaches maigres et aux sept épis desséchés, ce sont sept autres années,
mais des années de famine. Pendant les sept prochaines années, il y aura une abondance
extraordinaire sur toute l’Égypte. Puis leur succéderont sept années de disette qui
épuiseront le pays. »
Alors Joseph se permit de poursuivre : « Que Pharaon choisisse un homme intelligent et
sage pour veiller sur l’Égypte. Pendant les sept belles années, il faudra prélever un
cinquième de la récolte de blé. Chaque ville emmagasinera son grain et le réservera pour
les années de famine. »
Ce discours plut à Pharaon, qui dit à ses conseillers : « Connaissez-vous un homme plus
intelligent et plus sage que Joseph ? Ne mérite-t-il pas de devenir le chef de ma maison
(14) et de mon peuple ? » Mais les mages et les princes d’Égypte se récrièrent :
« Voudrais-tu, ô Roi, nous faire gouverner par un esclave, un homme qui a été acheté
pour si peu ?
— Cet Hébreu n’est pas un esclave, répliqua Pharaon. Il est inspiré par Dieu. » Il ôta
l’anneau royal de son doigt, le mit au doigt de Joseph et déclara : « Je te place à la tête
de mon empire. Je suis le Pharaon mais, sans ton ordre, nul ne lèvera la main ni le pied
dans toute l’Égypte. » Puis il le fit revêtir d’une robe de lin fin et lui passa au cou un
collier d’or.
Assis sur le chariot royal, Joseph fut ensuite conduit en procession solennelle à travers
la ville. Deux mille musiciens jouaient des cymbales et de la flûte. Devant lui marchaient
cinq mille hommes, l’épée levée. À sa droite et à sa gauche défilaient les grands d’Égypte
à la ceinture brodée d’or. Derrière le chariot, les serviteurs royaux brûlaient de l’encens,
des épices, et répandaient des parfums de myrrhe.
Pharaon fit construire un palais près de la résidence royale, installa dans le grand salon
d’apparat un trône en or et argent, incrusté de pierres précieuses. Et Joseph, que ses
frères avaient vendu comme esclave, s’assit sur ce trône pour gouverner l’Égypte.
Un tel homme devait être bien marié. Pharaon lui fit épouser Osnath, la fille d’un grand-
prêtre égyptien. Deux fils naquirent, appelés Manassé et Éphraïm. En effet, l’Égypte
bénéficia d’une abondance extraordinaire, et Joseph fit emmagasiner dans chaque ville
de grandes quantités de grain. Sept années plus tard, la fertilité cessa, et survint la
famine. Alors Joseph fit ouvrir les greniers.
5. VOYAGE DES FRÈRES EN EGYPTE
Dans les pays voisins, nul n’avait songé à engranger de provisions. Il arriva ce
qu’espérait secrètement Joseph : la famine s’étendit aussi sur le pays de Canaan, où
vivaient Jacob, ses fils et leur famille. Le patriarche dit aux frères : « J’ai appris qu’il y a
du blé en Égypte. Descendez là-bas pour en acheter, afin que nous ne mourions pas de
faim. » Dix frères partirent. Seul Benjamin resta près du père. Jacob craignait qu’il
n’arrivât malheur à l’autre fils de sa Rachel bien-aimée.
En fait, les frères regrettaient amèrement leur conduite envers Joseph. Ils partirent
heureux pour l’Égypte, espérant retrouver la trace de celui qu’ils avaient vendu comme
esclave, et puis le racheter. À peine arrivés au bord du Nil, ils se séparèrent pour
effectuer de meilleures recherches.
Comme le vice-roi Joseph avait placé des gardes aux portes des villes avec mission de
relever le nom des visiteurs ainsi que celui de leurs pères et grands-pères, il fut aussitôt
averti de l’arrivée des dix hommes et, au troisième jour, les fit venir devant lui. Ils ne le
reconnurent pas et se prosternèrent. « D’où venez-vous ? » demanda-t-il rudement.
L’interprète traduisit leur réponse : « Du pays de Canaan. »
« Vous êtes des espions ! accusa Joseph. – Non, Seigneur ! se récrièrent-ils. Tes
serviteurs sont venus pour acheter du blé. Nous sommes dix frères. » Le vice-roi les
regarda froidement. « Votre père vit-il encore ? A-t-il d’autres fils que vous ? – Notre
père vit encore, répondirent-ils, et il a eu douze fils. L’un a disparu, et le plus jeune est
resté auprès de lui. » Mais Joseph feignit de ne pas croire en leur honnêteté et ordonna
de les emprisonner.
Trois jours plus tard, il les fit comparaître devant lui. « Que l’un de vous reste ici en
otage, déclara-t-il. Les autres, partez en emportant le blé nécessaire et revenez avec
votre jeune frère. Voici à quoi je reconnaîtrai votre sincérité. »
Sans se douter que Joseph comprenait leur langue, les dix se dirent l’un à l’autre :
« Nous voici bien punis, nous qui avons refusé d’entendre les cris de notre frère quand il
nous suppliait de le libérer. » Joseph, ému de leur repentir, se détourna pour cacher son
émotion, puis il se ressaisit, désigna Siméon, le fit enchaîner, et laissa partir les autres.
Les geôliers reçurent l’ordre de n’apporter que les meilleures nourritures au prisonnier.
Le cœur lourd, les neuf voyageurs reprirent le chemin de Canaan avec leurs ânes chargés
de blé. À l’arrêt, celui qui ouvrit son sac pour donner du fourrage à l’âne trouva ce qu’il
avait remis aux gardes égyptiens en paiement du blé. Comment cela était-il arrivé ? Ils
frémirent de peur. N’allait-on pas, en plus, les prendre pour des voleurs ?
Arrivés chez Jacob, ils se dépêchèrent de conter leur aventure. Le vieux père pleura et se
lamenta. « Vous m’arrachez mes enfants ! Joseph a disparu, Siméon a disparu et
maintenant, vous voulez me prendre Benjamin ! Je ne laisserai pas partir Benjamin. »
Les frères accablés entreprirent de vider leurs sacs et, ô surprise ! chacun trouva la
somme qu’il avait cru donner en paiement du blé. Grande fut leur terreur. Ils ne
comprenaient pas comment cela se pouvait (en fait, Joseph en avait secrètement donné
l’ordre) et, plus ils pensaient aux manières étranges du vice-roi, plus ils s’inquiétaient.
Et toujours Jacob refusait de laisser partir Benjamin.
Or il advint un temps où furent épuisées les provisions rapportées d’Égypte. La famine
sévit. Le cœur du Patriarche se brisa à la vue de ses petits-enfants qui pleuraient de
faim. « Père, dit alors Juda en présence des autres frères, je te supplie de me confier
Benjamin et je promets solennellement de te le ramener. » Jacob finit par céder. « S’il le
faut absolument, qu’il en soit comme vous voulez. Mais emportez les meilleurs produits
d’ici, et offrez-les au vice-roi d’Égypte. Prenez un peu de baume et de miel, des
aromates, de la myrrhe, des pistaches, des amandes. Prenez aussi le double de la somme
nécessaire et rendez ce que vous avez trouvé dans vos sacs. Puissiez-vous trouver grâce
devant le vice-roi d’Égypte, afin qu’il libère Siméon et que vous reveniez tous avec
Benjamin. »
Quand Joseph apprit qu’ils étaient arrivés, accompagnés de Benjamin, il ordonna :
« Qu’ils viennent ! Ces gens mangeront à ma table. » Les frères tremblaient de peur en
entrant dans le palais, craignant d’être emprisonnés, et parlèrent aussitôt de l’argent
trouvé. « Vous ne me devez rien, répondit l’intendant. Votre blé m’a été payé. » Puis
l’homme fit amener Siméon, qui vint sans chaînes ni menottes, bien portant. Enfin il
distribua du fourrage aux ânes, et de l’eau pour que les frères puissent se rafraîchir
avant de paraître devant le vice-roi.
6. LA COUPE D’ARGENT
Quand Joseph aperçut Benjamin et vit à quel point celui-ci ressemblait à Jacob, il dut se
détourner pour cacher ses larmes. « Comment se porte votre père ? demanda-t-il enfin.
Vit-il encore ? » Étonnés de voir l’intérêt que le gouverneur de l’Égypte portait à leur
famille, les frères le rassurèrent sur la santé de Jacob et lui transmirent ses présents.
Leur surprise s’accrut encore quand ils passèrent à table. Joseph les avait fait placer
selon leur âge, de l’aîné au plus jeune. Après un repas copieux, il leur fit donner des
présents, mais la part de Benjamin était cinq fois supérieure à celle de ses frères.
Puis Joseph prit Benjamin à part et lui révéla qu’il était son frère. Pleurant de joie, le
cadet écouta le récit des peines de son aîné et sut combien celui-ci avait souffert avant
de devenir vice-roi. Cependant Joseph fit promettre à Benjamin de garder le secret, car
il voulait savoir si les frères se repentaient avec sincérité de l’acte criminel commis
envers lui.
« Quand vous retournerez avec votre blé vers Canaan, dit Joseph à Benjamin, mon
intendant vous arrêtera peu après la sortie de la ville en vous accusant d’avoir volé ma
coupe d’argent. Il vous fouillera et la trouvera dans ton sac, Benjamin. Tu reviendras ici
et je te condamnerai à devenir mon esclave. Je verrai ainsi l’attitude de nos frères. S’ils
se montrent prêts à se battre pour toi, à risquer leur vie pour ta liberté, je saurai qu’ils se
repentent de leur acte cruel envers moi. Je leur dirai alors qui je suis et nous réjouirons
tous. Sinon… »
Sinon, le vice-roi d’Égypte avait un plan très différent. Ainsi fut fait, et les frères
accablèrent Benjamin d’injures quand l’intendant eut découvert la coupe dans son sac.
Celui-ci supporta tout sans élever la moindre protestation, et tous retournèrent devant
Joseph qui montrait les signes de la plus grande fureur.
Les onze frères terrifiés se prosternèrent devant Joseph, la face contre terre, et ainsi se
réalisa son premier songe, qui lui avait montré les onze gerbes de blé de ses frères
courbées devant la sienne. « Qu’avez-vous fait ? tonna Joseph. – Seigneur, dit Juda, la
coupe a été trouvée dans le sac de notre jeune frère et nous ne savons comment le
justifier, mais nous déclarons tous responsables et prêts à accepter la punition. »
Cependant Joseph répliqua, très froid : « Il n’est pas digne d’un roi de punir des
innocents. Seul est coupable celui qui détenait la coupe dans son sac. Lui seul sera mon
esclave. Vous autres, retournez en paix auprès de votre père. » Puis Joseph indiqua que
l’audience était terminée et fit enfermer Benjamin.
Alors Juda, bravant sa colère, s’avança vers lui et le supplia, au nom de la douleur du
vieux Jacob, de ne pas retenir Benjamin : « Il est le plus jeune, dit-il, et aussi le seul qui
reste de sa mère Rachel, car le premier est mort. Si je reviens sans lui, mon père en
mourra. Je te demande donc de le remettre en liberté. S’il te faut un esclave, prends-moi
à sa place. Je suis plus fort que lui et je te rendrai de meilleurs services. »
Joseph contenait difficilement son émotion. Sûr de Juda, il tenait à éprouver les autres
et feignit de s’entêter. La rage de Juda s’accrut et des larmes de sang perlèrent dans l’un
de ses yeux. Les frères piétinèrent le sol avec tant de fureur qu’ils creusèrent des sillons
aussi profonds que ceux d’une charrue. Alors Joseph donna un coup de pied dans une
colonne de marbre, qui vola en éclats, et, subjugués de voir un Égyptien accomplir un
exploit digne de la force peu commune dont ils avaient hérité de Jacob, les frères furent
intimidés.
Mais Juda se reprit : « Si tu ne nous rends pas notre frère, nous détruirons ta ville, car
ton jugement est injuste ! – Pas aussi injuste que la vente d’un frère qui n’avait rien fait
de mal ! » répliqua Joseph. Juda ne se laissa pas démonter. « Nous allons teindre
l’Égypte du rouge de son sang ! tonna-t-il. – Il est vrai que vous y connaissez, riposta
Joseph, moqueur. N’avez-vous pas teint de sang la tunique de votre frère, puis raconté à
votre père qu’il avait été dévoré par une bête féroce ? »
Grondant de colère, les frères parlèrent entre eux de mettre la ville à feu et à sang. Il
était clair que chacun préférait renoncer à la vie plutôt qu’abandonner Benjamin. Alors,
n’y tenant plus, Joseph fit revenir Benjamin, ordonna aux serviteurs de quitter la pièce
et dit : « Je suis Joseph, votre frère. » À ces mots, les dix hommes furent tellement
abasourdis qu’ils restèrent sans voix. Le vice-roi reprit avec douceur : « Approchez-vous.
Je suis Joseph. » Ils s’embrassèrent en pleurant. « Ne vous affligez pas, dit Joseph. C’est
Dieu qui m’a envoyé ici pour que ni mon père ni vous ne mouriez de faim. Hâtez-vous de
retourner auprès de lui et dites-lui que je suis vivant. Puis revenez tous auprès de moi
avec vos familles car, durant cinq années encore, il n’y aura ni culture ni moisson. »
Quand Pharaon apprit que Joseph avait retrouvé ses frères, il en fut très heureux et
commanda de leur donner des chariots pour qu’ils puissent revenir s’installer en Égypte
avec leur famille et tous leurs biens. À son père, Joseph envoya dix ânes chargés des
meilleurs produits d’Égypte et dix ânesses portant du blé. Il reconduisit ses frères
jusqu’aux portes de la ville et les pria de revenir bien vite.
7. JOIE DE JACOB
En chemin, les frères s’interrogèrent. Comment annoncer la bonne nouvelle à Jacob ?
Une émotion trop forte pouvait être fatale au vieil homme. Près d’arriver, voici qu’ils
aperçurent la petite Sara, fille de l’un d’eux. Ils lui demandèrent de prendre sa harpe et
d’aller chanter cette chanson à son grand-père :
Mon oncle Joseph n’est pas mort,
mais vit en Égypte, près du Nil.
Il porte une couronne d’or,
et tient les clés de toutes les villes.
« Ah, si tu disais vrai, mon enfant ! soupira Jacob. (Il portait le deuil de son fils depuis
vingt-deux ans.) Chante-moi encore cette chanson qui m’emplit de joie. D’où la connais-
tu ? »
À cet instant, levant les yeux, il vit apparaître la caravane de ses fils juchés sur les
chariots du roi, vêtus du lin le plus fin. « Sara dit vrai, lui apprirent-ils. Joseph, ton fils,
vit encore et il est le maître de toute l’Égypte. » D’abord, Jacob pensa rêver. Mais en
recevant les riches présents de Joseph, en touchant les ânes et les chariots, il fut bien
obligé d’admettre que tout cela était réel et, le cœur gonflé de joie, il s’écria : « Dieu soit
béni ! Mon fils Joseph est vivant, j’irai en Égypte et je le verrai encore avant de
mourir ! » Il n’eut de cesse de prendre la route. Les soixante-cinq personnes de sa
famille l’accompagnèrent. Sur le point d’arriver, il envoya Juda prévenir Joseph. Celui-ci
prit son char, se dépêcha d’accourir à la rencontre de Jacob et se jeta à son cou. Tous
deux pleuraient en s’embrassant. « Je peux mourir à présent, mon fils, dit Jacob,
puisque je t’ai vu et je sais que tu vis. »
Avec la femme et les enfants de Joseph, la famille comptait soixante-dix personnes.
Quand Joseph présenta Jacob à Pharaon, le roi lui donna, pour lui et les siens, le pays de
Goshen, où ils pourraient faire paître leurs troupeaux. Le Patriarche y vécut encore dix-
sept ans et, à sa mort, bénit les fils de Joseph, Éphraïm et Manassé, puis ses propres fils.
Selon son vœu, tous allèrent l’enterrer auprès de ses pères, en pays de Canaan, dans le
tombeau de Makhpéla. Il avait 130 ans.
Quant à Joseph, il gouverna l’Égypte jusqu’à la fin de ses jours et mourut âgé de 110 ans.
MOÏSE
1. L’ENFANCE EN EGYPTE
Le berceau d’osier
Tant que vécut Joseph, les Hébreux furent heureux en Égypte. Les femmes juives
donnaient naissance à de nombreux enfants, tous vigoureux. Aussi les fils d’Israël se
multiplièrent-ils rapidement et devinrent-ils un peuple puissant. Or, des années et des
années après la mort de Joseph, un nouveau roi vint à régner. Il n’avait jamais entendu
parler de Joseph, ni des services que l’Hébreu avait rendus à l’Égypte. « Voyez les
Israélites ! dit Pharaon à ses conseillers. Ils sont devenus plus nombreux et plus
puissants que nous. Qu’une guerre survienne, ils pourraient s’allier à nos ennemis et
nous combattre. Réduisons leurs forces. » Alors commencèrent des vexations sans fin,
des oppressions injustifiées. Sous la surveillance d’officiers impitoyables, les Hébreux
durent accomplir les corvées, les

besognes pénibles qui mettaient les corps en lambeaux :


travaux des champs,
fabrication des briques et du mortier. Ainsi Pharaon força les Hébreux à construire les
villes de Pithom et de Ramsès. Pour seul salaire, des coups. Accablés de rude labeur,
dépossédés de leurs biens, les fils d’Israël n’en continuèrent pas moins à mettre au
monde de nombreux et beaux enfants.
Or un peuple ennemi attaqua l’Égypte. Sans hésiter, les opprimés combattirent aux
côtés des Égyptiens et permirent à Pharaon de gagner une guerre que, sans leur aide, il
aurait perdue. Curieusement, ayant pu juger de la force des enfants d’Israël, les
Égyptiens se mirent à les craindre et à les haïr de plus belle.
Voici que Pharaon fît un songe. Devant lui, se trouvait une balance à deux plateaux, l’un
portant l’Égypte et l’autre un agneau. Ce fut l’agneau qui s’abaissa. À son réveil, Pharaon
fit venir ses mages, qui écoutèrent le récit, puis le plus ancien annonça : « Ton rêve
signifie qu’il naîtra, parmi les enfants d’Israël, un fils qui détruira l’Égypte. »
Les sages-femmes du royaume furent aussitôt appelées au palais. « Faites périr tous les
garçons hébreux dès la naissance ! ordonna le roi. Tout mâle nouveau-né, jetez-le dans
le Nil, et ne laissez vivre que les filles. »
Or, dans une famille de la tribu de Lévi, naquit un garçon. C’était un enfant magnifique,
souriant. Comme il ne pleurait jamais, sa mère Jocabed réussit à le cacher pendant trois
mois. Mais le cœur des parents était empli de crainte. « Que quelqu’un le découvre ici,
dit un jour Amram, le père, et il sera tué. Confions-le plutôt à la Providence… »
Jocabed prépara un berceau d’osier, l’enduisit de bitume et de poix, y plaça l’enfant et
alla le déposer au bord du Nil, entre les roseaux.
La couronne de Pharaon
Le roi d’Égypte n’avait qu’une fille, Bithya, et l’adorait. Héritière du trône, elle se
désespérait de n’avoir pas d’enfant.
Jocabed en larmes venait à peine de déposer le berceau entre les roseaux que la fille de
Pharaon, accompagnée de ses suivantes, descendit vers le Nil pour se baigner. À
quelques pas s’était cachée Myriam, sœur aînée du bébé. La princesse aperçut le berceau
et ordonna à sa servante d’aller le chercher. Le bel enfant pleurait. « C’est sans doute
quelque enfant hébreu », dit Bithya, prise de pitié. Une si grande tendresse habitait sa
voix que Myriam prit le risque de s’avancer.
« Veux-tu que je cherche une nourrice parmi les femmes des Hébreux ? demanda-t-elle.
– Va », répondit la princesse. Et Myriam alla chercher Jocabed.
Ainsi l’enfant retrouva-t-il les bras de sa mère. Il resta deux ans dans la maison de son
père, puis un jour Jocabed dut prendre le chemin du palais royal pour le rendre à la fille
de Pharaon. Celle-ci lui donna le nom de Moïse, qui signifiait « sauvé des eaux ».
Le roi Pharaon s’attacha tendrement au garçon. Le serrant contre son cœur, il lui parlait
souvent du destin qui l’attendait : hériter du trône d’Égypte. Or il se produisit un jour un
fait terrible. Moïse saisit la couronne du roi et la plaça sur sa propre tête. Des cris
indignés retentirent parmi les courtisans. Troublé par ce geste, Pharaon demanda aux
devins ce qu’il pouvait signifier.
« C’est clair ! s’écria l’un d’eux. Cet enfant ne pense qu’à te prendre la royauté. Il faut le
tuer avant qu’il ne puisse accomplir son dessein. Longue vie à Pharaon !
— Longue vie à Pharaon ! » clamèrent les mages, menaçants.
Mais voici que se leva Jéthro, un conseiller. « Ô Roi, supplia-t-il, ne t’empresse pas
d’écouter ceux qui veulent tuer l’enfant, car tu risques de verser un sang innocent. Moïse
est jeune, ne sait ce qu’il fait. Voici mon conseil, ô Roi : qu’on apporte deux bassines,
l’une emplie d’or et de pierres précieuses, l’autre pleine de charbons ardents. Si l’enfant
s’empare des pierres précieuses, nous saurons que son geste était réfléchi et qu’il mérite
la mort. Mais s’il choisit les braises, cela signifiera qu’il est innocent et simplement
attiré, comme tous les enfants, par les objets de couleur brillante. »
L’avis plut à Pharaon. Placé devant les deux bassines, Moïse fut attiré par l’or et les
pierres précieuses…, mais l’ange Gabriel poussa son bras, et l’enfant saisit un charbon
ardent, rouge vif, qu’il porta à sa bouche. Il se brûla les lèvres, le bout de la langue et de
là vint que, toute sa vie, Moïse bégaya.
La colère
Pour avoir choisi les braises, Moïse fut déclaré innocent et passa des années heureuses à
la cour de Pharaon. Enfant chéri par Bithya et le roi, il reçut l’éducation d’un prince
royal. Il apprenait avec tant de facilité que son savoir dépassa bientôt celui de ses
maîtres. Ainsi, malgré sa jeunesse, fut-il rapidement considéré par le peuple comme le
futur souverain.
Moïse, qui aurait pu s’enorgueillir de l’avenir brillant qui l’attendait, resta modeste et
n’oublia jamais son origine. Sa mère Jocabed venait souvent au palais, lui apprenait
l’histoire de ses ancêtres et de son peuple. Aussi fut-il peiné de voir les enfants d’Israël
toujours plus accablés. Visages noircis, dos courbés, enfants pliés sous le poids de
charges trop lourdes, vieillards malmenés. Un jour, indigné par tant d’injustice, Moïse
arracha son collier d’or, bijou princier, et se mêla aux travailleurs afin d’alléger leur
tâche.
Peu de temps après, il alla trouver Pharaon et lui dit : « Tu m’as donné les maîtres les
plus savants de ton empire. De l’un d’eux, j’ai appris que les esclaves dépérissent moins
vite si on leur accorde un peu de relâche. Un jour de repos par semaine leur permettrait
de reprendre des forces et de travailler avec plus d’ardeur. » Pharaon convint que le
jeune homme avait raison. « Quel jour serait-il préférable de donner aux Israélites ?
interrogea-t-il. – Le septième », répondit Moïse sans hésiter. Le septième jour était celui
du Shabbat, jour saint, car au septième jour de la Création l’Éternel s’était reposé de
l’œuvre accomplie. Ainsi les Israélites purent-ils observer le repos du Shabbat.
Le jeune prince prenait souvent la défense des esclaves maltraités. Un jour, il vit un
Égyptien battre sans raison un Hébreu. Hors de lui, il se mit à frapper l’Égyptien, mais
avec tant de colère que l’homme décéda. Espérant que personne ne l’avait vu, Moïse
enterra le corps dans le sable.
Or, le jour suivant, il vit deux Hébreux se quereller. « Pourquoi lèves-tu la main sur ton
frère ? demanda-t-il au plus violent. Celui-ci ricana : – Qui t’a fait notre seigneur et
juge ? Vas-tu me tuer comme tu as tué l’Égyptien ? »
L’homme se rendit aussitôt au palais pour révéler à Pharaon la scène que, caché, il avait
pu observer. Or le roi était justement très irrité d’entendre le jeune prince contester ses
décisions à l’égard des Hébreux. Le récit du meurtre le jeta dans une fureur violente et
c’est ainsi que Moïse, menacé de mort, dut s’enfuir d’Égypte.
2. LA FUITE AU PAYS DE MADIAN
Le bâton merveilleux
Ne sachant où aller, Moïse laissait le hasard guider ses pas. Bientôt las de marcher,
desséché par le soleil, il s’arrêta près d’un puits, dans le pays de Madian. C’était l’heure
où les pâtres mènent boire leurs troupeaux.
Moïse vit en effet arriver sept jeunes filles qui, avec leurs outres, s’empressèrent
d’abreuver leurs bêtes. Mais survinrent des bergers qui, avec des rires méchants, les
écartèrent du puits pour prendre leur place. Qui aurait pu assister à cette scène sans en
être indigné ? Moïse se leva et, à lui seul, força les pâtres à reculer.
« Comment se fait-il que vous rentriez si tôt aujourd’hui ? » s’étonna le père des jeunes
filles. L’homme se nommait Jéthro. C’était lui qui, lorsque Moïse s’était emparé de la
couronne de Pharaon, avait conseillé au roi de placer l’enfant devant les bassines de
braises et de pierres précieuses. Il s’était ensuite retiré de la cour égyptienne pour
devenir prêtre de Madian. Puis, ayant reconnu l’inanité du culte des idoles, il s’était
attiré l’animosité du peuple, qui l’avait destitué, et il vivait à l’écart avec ses sept filles.
De là venait que les bergers se permettaient de les rudoyer.
« Un Égyptien nous a défendues contre les pâtres », expliquèrent-elles ce soir-là,
répondant à la question de Jéthro. Elles contèrent comment il avait ensuite puisé l’eau
pour abreuver leur troupeau. « Où est-il ? demanda le père. Pourquoi ne l’avez-vous pas
amené ? qu’il partage notre repas ! »
En l’homme superbe, Jéthro ne reconnut pas le garçon qu’il avait sauvé. Moïse dit qu’il
venait d’Égypte, d’où il avait dû s’enfuir. Révélation imprudente : Jéthro pensa que le
gaillard avait forcément commis un crime. Ne voulant pas être accusé d’héberger un
criminel, il enchaîna Moïse par surprise et le jeta dans une fosse.
Comment, sans provisions, Moïse aurait-il pu survivre ? Séphora, qui l’avait aimé dès le
premier regard, lui porta secours. Elle vint chaque jour le nourrir en cachette, et cela
dura plusieurs mois.
Pendant ce temps, Jéthro put se réconcilier avec les Madianites, et des princes vinrent
lui rendre visite. Apercevant la très belle Séphora, tous souhaitaient obtenir sa main.
Jéthro les entraînait alors dans son jardin, où était enraciné un bâton qui, disait-on,
aurait été emporté par Adam du jardin d’Éden. Il était en saphir et portait gravé le nom
de l’Éternel. Le prêtre accorderait la main de sa fille à celui qui réussirait à déterrer le
bâton. À la grande joie de Séphora, qui aimait Moïse, tous échouèrent.
« Te souviens-tu de l’Égyptien que tu as jeté enchaîné ? » demanda-t-elle un jour à
Jéthro. Il avait complètement oublié. Elle tira son père vers la fosse, et celui-ci fut
stupéfait d’y trouver le prisonnier, vivant, qui priait. Comment n’était-il pas mort de
faim ? Une seule explication : le Dieu de Moïse l’avait sauvé.
Impressionné, Jéthro le fit sortir de la fosse et l’invita dans sa maison. Après s’être lavé
et restauré, Moïse se promenait dans le jardin quand il aperçut le bâton de saphir. Il
s’approcha et le cueillit sans difficulté. Il put donc épouser Séphora, sa bien-aimée, et il
ne se sépara jamais du bâton merveilleux qui devait, par la suite, jouer un rôle
important dans sa vie.
Le buisson ardent
Moïse devint le berger de Jéthro et vécut heureux avec Séphora et leurs deux fils.
Pendant ce temps, les Hébreux subissaient de nouvelles souffrances en Égypte. Pharaon,
atteint de la lèpre, exigeait, sur le conseil de ses médecins, de se baigner dans le sang
d’enfants fraîchement égorgés. De jeunes Hébreux disparaissaient chaque jour. Alors,
du peuple meurtri, un cri s’éleva vers l’Éternel, qui décida de sauver les enfants d’Israël.
Un agneau s’échappa un jour du troupeau de Moïse, et le berger se mit à le poursuivre. Il
rattrapa près d’une source la petite bête qui s’abreuvait avec avidité. « Que tu es assoiffé,
mon pauvre agneau ! dit Moïse. Et tu dois être fatigué de cette longue course ! » Se
reprochant de n’avoir pas deviné la soif qui le dévorait, Moïse le chargea sur ses épaules
pour lui épargner la fatigue du retour. Parce qu’il s’était montré plein de tendresse à
l’égard de l’agneau, l’Éternel l’élut pour devenir le pasteur de son peuple.
Moïse emmenait son troupeau paître loin des champs des Madianites de peur que son
bétail ne broutât leur herbe. Il atteignit un jour le fond du désert, au pied du mont
Horeb. À perte de vue, seuls des buissons épineux et des ronces couvraient le sol. Il
aperçut soudain un buisson en feu. Le temps passait, et le buisson ne se consumait pas.
Il s’approcha. Venant des flammes, la voix de Dieu s’éleva : « Moïse ! Moïse ! » Et le
berger répondit : « Me voici. – Quitte tes sandales, reprit la voix divine, car tu foules un
sol sacré. Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Je veux
délivrer mon peuple des souffrances qui l’accablent en Égypte et je t’ai choisi pour le
conduire au pays de Canaan, où coulent le lait et le miel. Va auprès de Pharaon et dis-lui
de laisser partir les enfants d’Israël. »
Moïse s’était couvert le visage, craignant de regarder le Seigneur. « Qui suis-je, s’écria-t-
il, effrayé, pour oser aborder Pharaon et lui faire cette demande ? » L’Éternel répondit :
« Je serai avec toi, et Il ajouta : Parce que tu es modeste, il viendra un temps où tu
resteras avec moi sur la montagne et, lorsque tu en redescendras, ton visage rayonnera
aux yeux des hommes. »
Mais Moïse continuait à douter. S’il réussissait auprès de Pharaon, comment s’y
prendrait-il ensuite pour conduire le peuple ? Comment le protéger des rayons ardents
du soleil, des pluies torrentielles, des morsures du froid ? Comment s’occuper des
femmes enceintes, des vieillards, des nouveau-nés ? Où trouver l’eau, la nourriture ?
« Fais ce que je te dis, insista l’Éternel, et ne t’inquiète de rien. Je serai avec toi, tu
réussiras tout ce que tu entreprendras. Cours vite vers les enfants d’Israël et dis-leur que
je vais les faire sortir d’Égypte. Je sais que Pharaon commencera par refuser, mais
j’étendrai ma main sur l’Égypte et il laissera mon peuple aller. »
Cependant Moïse continuait de douter. « Ni Pharaon ni les enfants d’Israël ne me
croiront. Comment sauront-ils que je suis l’envoyé du Seigneur ? » Il tenait son bâton à
la main. « Jette-le ! » ordonna l’Éternel. Aussitôt à terre, le bâton devint un serpent, et
Moïse bondit en arrière. « Ne crains rien, dit l’Éternel. Saisis le serpent par la queue. »
Et dès que Moïse l’eut saisi, le serpent redevint un bâton. « Mets ta main sur ta
poitrine ! » ordonna encore l’Éternel. Quand Moïse la retira, elle était couverte de taches
de lèpre. Il la replaça sur son sein, et la retira aussi saine qu’auparavant. « Si ces deux
prodiges les laissent incrédules, dit l’Éternel, tu prendras l’eau du Nil, tu la répandras à
terre et elle se changera en sang. » Or Moïse était si modeste qu’il persistait à se juger
indigne d’une telle mission. « De grâce, Seigneur, choisis quelqu’un d’autre. Tu sais bien
que je n’ai pas la parole facile. Comment parlerais-je au peuple ? » Dieu répliqua qu’il
inspirerait Moïse. Mais le berger supplia encore : « De grâce, Seigneur, envoie quelqu’un
d’autre. » La patience divine ayant malgré tout une limite, l’Éternel s’enflamma contre
Moïse et répondit avec colère : « Eh bien, ton frère Aaron t’assistera ! Prends ton bâton,
et pars. » Ainsi Moïse finit-il par se soumettre. Il retourna chez Jéthro, mit sa femme et
ses deux fils sur un âne et partit pour l’Égypte.
3. LE RETOUR EN EGYPTE
Rois et lions
Dès que Moïse eut retrouvé Aaron, son frère aîné, tous deux rassemblèrent les Anciens
parmi les enfants d’Israël. Moïse leur répéta les paroles de l’Éternel, exécuta les prodiges
pour les convaincre, et leur demanda de les accompagner chez

Pharaon. Mais sur le chemin, les hommes prirent peur et,


l’un après l’autre,
quittèrent les deux frères. Aussi Moïse et Aaron s’avancèrent-ils seuls vers la demeure
royale. Une haute muraille percée de quatre cents entrées entourait le palais. À chaque
porte, des ours, des lions et
des léopards montaient la garde. Ces fauves déchiquetaient tous ceux que les gardes ou
les mages leur désignaient. Aucun visiteur ne pouvait passer tant qu’on n’avait pas
écarté les animaux.
Lorsque Moïse et Aaron se présentèrent, les bêtes féroces se précipitèrent sur eux en
effet, mais pour leur faire fête et se frotter à leurs jambes. Après avoir franchi la
muraille, Moïse et Aaron s’avancèrent vers la porte du palais. À leur vue, les mages
lâchèrent deux lions féroces et affamés. Moïse leva son bâton et les fauves, après avoir
léché les pieds des visiteurs, les escortèrent jusqu’à la salle du trône.
Ce jour-là, Pharaon fêtait son anniversaire avec tous les grands de la terre (15) , venus
offrir des couronnes au plus glorieux souverain d’Orient et d’Occident. Rois et princes
furent impressionnés à la vue de Moïse et Aaron éclairés par le soleil, semblables à des
anges. Grands et forts comme des cèdres du Liban, leurs yeux étincelaient autant que
Vénus, l’étoile du matin, et leurs barbes semblaient aussi dures que des branches de
palmiers. Moïse tenait son bâton à la main.
Pharaon pensa que ces princes inconnus venaient d’un lointain pays pour célébrer son
anniversaire. « Qui êtes-vous ? demanda le souverain. – Nous sommes les messagers de
l’Éternel, répondirent-ils. Le Dieu des Hébreux nous envoie pour te demander de laisser
partir son peuple. »
Entendant cela, Pharaon entra dans une violente colère. « Quel est ce Dieu auquel je
devrais obéir ? Alors que le monde entier me fête et me gâte, vous arrivez les mains
vides et, de plus, vous osez me demander une faveur ! Je ne connais pas votre Éternel et
je ne laisserai pas partir les Hébreux. »
Comme ils insistaient, Pharaon impressionné par leur apparence fit apporter les
archives royales qui comportaient la liste des dieux adorés des divers peuples. Le scribe
en fit la lecture. L’Éternel, Dieu des Hébreux, n’y figurait pas. Pharaon le fit observer
aux visiteurs. « Notre Dieu vivant ne peut être répertorié parmi les dieux éteints »,
riposta Moïse. Réponse qui plongea le souverain dans le plus grand embarras.
« Comment est-il, ce Dieu ? Vieux, jeune ? Depuis quand est-il monté sur le trône ?
Combien de villes possède-t-il ? Combien de peuples a-t-il conquis ? »
Moïse et Aaron durent se démener pour faire comprendre à Pharaon qu’ils n’étaient pas
les messagers d’un monarque lointain, mais ceux du Créateur qui avait créé le ciel et la
terre, insufflé la vie aux êtres et qui durerait jusqu’à la fin des temps. Voyant Pharaon
afficher une mine sceptique, ils poursuivirent : « Notre Dieu soulève des montagnes et
brise le roc. Son arc est le feu. Ses flèches sont les flammes. Il a l’éclair pour glaive, et les
nuages pour bouclier. Il dispense la pluie et la rosée. Il défait les royaumes et Il les crée.
Il couronne les rois et Il les détrône. Il…
— Vous mentez ! interrompit Pharaon, pâle de colère. C’est moi qui suis le maître du
monde ! Je me suis créé moi-même et j’ai créé le fleuve Nil (16) .
Je ne connais pas votre Dieu et je ne laisserai pas partir les Hébreux ! » Le souverain
détourna son regard. Et la fête reprit.
Bâtons et serpents
La visite des frères avait cependant intrigué Pharaon. Ni lui ni les courtisans n’avaient
reconnu en Moïse celui qui, adolescent, avait fui le pays. Le souverain fit appeler les
mages et les Anciens d’Égypte, conta comment les deux hommes s’étaient présentés et
fit part de leur demande.
« Mais comment, s’étonna un mage, ont-ils pu entrer dans le palais sans être
déchiquetés par les lions ? » Pharaon décrivit l’étrange attitude des bêtes, qui s’étaient
montrées douces et câlines. Le mage en conclut qu’ils avaient affaire à d’autres mages ou
sorciers, et proposa au roi de mettre leurs pouvoirs à l’épreuve.
On convoqua donc Moïse et Aaron. « Ainsi, ricana Pharaon, vous prétendez être les
envoyés du Dieu des Hébreux ! Eh bien, prouvez-le ! »
Aaron jeta son bâton à terre, et le bâton devint serpent. « À votre tour ! » ordonna le roi
aux mages. Ceux-ci jetèrent leurs bâtons à terre, et les bâtons devinrent serpents.
Voyant cela, Pharaon éclata d’un rire méprisant, et persifla : « Belle preuve, vraiment,
pour témoigner de la grandeur de votre Dieu ! Un galopin en ferait autant. » Il fit venir
les enfants de l’école des mages, chacun jeta son bâton à terre et les bâtons devinrent
des serpents qui grouillèrent sur le sol. À tel point qu’on ne savait plus où mettre les
pieds.
Mais voici que le serpent d’Aaron se précipita sur ses semblables et les dévora l’un après
l’autre. Cependant les Égyptiens n’en firent pas grand cas. « Rien d’extraordinaire,
observa le mage. Les serpents ont pour coutume de manger leurs frères. Pour témoigner
vraiment de la puissance de votre Dieu, il faudrait que votre serpent redevienne bâton et
avale tous nos bâtons de bois. »
Aaron saisit la queue de son serpent et celui-ci, dans sa main, reprit l’apparence du
bâton. Les mages l’imitèrent, puis chacun jeta son bâton et, aussitôt, celui d’Aaron se
mit à engouffrer ses frères. Mais sans épaissir ni s’allonger.
Cette fois, Pharaon fut saisi de frayeur, craignant d’être à son tour dévoré par le bâton.
Les mages l’entourèrent, montant la garde autour de lui. Si bien qu’il retrouva son
arrogance et renvoya les deux frères en se moquant de leur demande. Son cœur
s’endurcit. Au lieu de laisser partir les Hébreux, il donna des ordres pour leur rendre la
vie encore plus dure.
Voyant comment le peuple souffrait, Moïse ramena sa femme et ses deux fils chez
Jéthro. Il voulait pouvoir consacrer tout son temps aux enfants d’Israël.
4. LES DIX PLAIES
Le sang
Plein de rancune envers Moïse et Aaron, Pharaon fit appeler les contremaîtres égyptiens
pour leur ordonner : « Comptez le nombre de briques fabriquées hier et avant-hier par
les Hébreux, et dites-leur en mon nom : “Vous irez désormais ramasser vous-mêmes la
paille qui vous était fournie pour la fabrication des briques, et votre production ne
pourra diminuer pour autant. Il en sera chaque jour ainsi, même le septième qui était
jusqu’à présent jour de repos.” »
Dès l’aube, les Hébreux s’en allèrent aux champs pour
ramasser la paille, mais ils
tombèrent sur les paysans, qui les chassèrent. Le soir venu, le nombre de briques fut
évidemment bien inférieur à celui des jours précédents. Les officiers fouettèrent les
Anciens d’Israël qui étaient chargés d’inspecter le travail.
À son retour du pays de Madian, Moïse comprit avec douleur que sa visite à Pharaon,
loin d’améliorer le sort des Hébreux, les avait plongés dans une détresse encore plus
grande. Deux d’entre eux s’en prirent à Moïse et à Aaron. « Qu’avez-vous fait ?
accusèrent-ils. Vous avez attiré sur nous la haine de Pharaon, vous avez mis un glaive
dans sa main ! »
Moïse avait le cœur lourd. « Seigneur ! s’écria-t-il, révolté. Pourquoi accables-Tu ce
peuple ? Pourquoi m’as-Tu envoyé auprès du roi ?
— Retourne auprès de Pharaon ! ordonna l’Éternel. J’ai endurci son cœur et l’endurcirai
encore. Puis je répandrai des plaies sur l’Égypte jusqu’à ce qu’il accepte de laisser
partir les enfants d’Israël. Va trouver Pharaon le matin, quand il vient près du Nil. Tiens-
toi sur son passage, ton bâton à la main, répète ta demande et ajoute ceci : “Si tu
refuses, je vais frapper les eaux du Nil avec mon bâton et elles se changeront en sang.”
— Seigneur ! protesta Moïse. Je ne peux pas frapper le Nil qui m’a sauvé quand j’étais
enfant. » L’Éternel transigea. Il reviendrait à Aaron de frapper le Nil.
Tous deux se postèrent donc sur le passage de Pharaon et, malgré la menace, le roi
refusa de libérer les enfants d’Israël. Aaron leva son bâton, frappa le Nil, et toutes les
eaux d’Égypte se changèrent en sang.
Les poissons agonisèrent.
Quand les Égyptiens voulurent puiser de l’eau, que ce fût au fleuve, aux rivières, aux
sources ou aux citernes, ils remontèrent des cruches et des gobelets emplis de sang. Les
ménagères versaient-elles quelques gouttes d’eau sur la farine pour faire le pain, elles
obtenaient une pâte sanguinolente. Tous les mets qui se cuisaient dans l’eau prenaient la
couleur et le goût du sang.
Seule l’eau des Hébreux était restée pure. Des Égyptiens rusés tentèrent de la dérober. À
peine la touchèrent-ils qu’elle se métamorphosa en sang. Ils demandèrent aux Hébreux
de recueillir un peu d’eau dans leurs mains afin qu’ils puissent boire. Elle rougit sur
leurs lèvres, et toutes les ruses échouèrent.
Les grenouilles
Après sept jours, l’eau des Égyptiens redevint claire et limpide. L’Éternel dit alors à
Moïse : « Va trouver Pharaon et demande-lui de laisser partir mon peuple. S’il refuse,
j’infesterai le pays de grenouilles. »
Pharaon refusa. Alors Aaron, tenant son bâton, étendit sa main sur le Nil et, aussitôt,
des milliers et des milliers de grenouilles émergèrent du fleuve et partirent à l’assaut de
l’Égypte, où elles pullulèrent. Ainsi put-on voir où passait la frontière avec l’Éthiopie, et
contraindre des fermiers éthiopiens qui avaient pris des champs égyptiens à les rendre.
Mais ce fut le seul bénéfice.
Les grenouilles infestèrent toutes les eaux d’Égypte et s’engouffrèrent dans les maisons.
Se glissant dans les fours et les pétrins, elles engloutissaient le pain ou la pâte. Les
Égyptiens les buvaient avec leur eau, et elles continuaient à coasser dans leur corps.
Elles envahirent le palais de Pharaon, forcèrent la porte de sa chambre et assaillirent
son lit.
Le roi terrifié fit alors appeler Moïse et Aaron. « Priez l’Éternel d’écarter les grenouilles,
supplia-t-il. Je promets de laisser partir les Hébreux. » Moïse pria, et les grenouilles
périrent. Mais quand elles eurent disparu, le cœur de Pharaon s’endurcit et il refusa de
libérer les enfants d’Israël.
La vermine
L’Éternel dit alors : « Qu’Aaron frappe la poussière de la terre avec son bâton, et elle
deviendra vermine dans tout le pays. » Ainsi fut fait.
Toute la poussière d’Égypte s’envola en poux, punaises, puces, moustiques et cafards,
tiques et pucerons. Ils s’abattirent sur les hommes et les bêtes, grouillèrent,
fourmillèrent, pullulèrent dans les demeures, piquèrent les hommes et le bétail.
Pharaon, qui se grattait avec frénésie, demanda leur aide aux mages et sorciers d’Égypte.
Ils restèrent impuissants. « C’est la main de Dieu », dirent les devins, qui lui
conseillèrent de céder. Et Pharaon céda, mais bientôt se reprit, à peine débarrassé de la
vermine.
Les bêtes sauvages
Sur l’ordre de l’Éternel, Moïse prévint le souverain que, s’il revenait sur la promesse
donnée, son pays subirait l’assaut de bêtes sauvages. Pharaon persista.
Les bêtes sauvages déferlèrent. Serpents, scorpions, rats, crapauds envahirent les
champs. Les chauves-souris tournoyèrent autour des maisons où, par la moindre fente,
s’infiltraient mouches, bourdons, frelons et taons. Effrayé par l’essaim qui bourdonnait
autour du trône, Pharaon fit appeler Moïse et lui demanda d’implorer Dieu, promettant
que, cette fois, il laisserait partir les enfants d’Israël.
Cependant, dès que les bêtes eurent disparu, le souverain changea d’avis. La peste
Cette fois, le Seigneur envoya la peste. Les chevaux, les ânes, les chameaux, les chèvres,
les moutons et leurs petits périrent dans les champs. Au matin, quand les Égyptiens
ouvrirent les portes des étables et des écuries, ils trouvèrent le bétail gisant devant les
mangeoires. Mais aucune bête appartenant aux Hébreux ne fut touchée.
Pharaon fit appeler Moïse, promit, puis revint sur sa promesse. Les ulcères
L’Éternel dit alors : « Que Moïse emplisse ses mains de cendre et la lance vers le ciel,
devant Pharaon. » Ce qu’il fit.
La cendre retomba en poussière, et cette poussière se propagea dans toute l’Égypte,
provoquant des ulcères sur ceux qu’elle atteignait. Les Égyptiens furent couverts de
plaies, puis guérirent. Mais Pharaon ne céda pas.
La grêle
« Lève-toi de bon matin, dit l’Éternel à Moïse, et préviens Pharaon de ceci : s’il ne laisse
pas partir les Hébreux, l’Éternel enverra cette fois les plaies contre lui-même, ses
serviteurs et ses sujets. »
Moïse répéta au roi les paroles du Seigneur et ajouta : « Si l’Éternel avait envoyé la peste
sur les hommes, toi et ton peuple vous auriez disparu de la terre. Voici ce que le
Seigneur m’a ordonné de te dire : puisque tu persistes à tyranniser les Hébreux et que tu
refuses de les laisser partir, demain à pareille heure une grêle monstrueuse, telle qu’il
n’en est encore jamais tombée, s’abattra sur le pays. Tous ceux, hommes et bêtes, qui
seront à découvert, périront par la grêle. »
« Si ton Dieu veut nous frapper, s’étonna Pharaon, pourquoi préviens-tu ? Et Moïse
répondit : – Le Seigneur ne désire pas la mort du pécheur, mais son repentir. »
Le lendemain, à la même heure, Moïse dirigea son bâton vers le ciel et la grêle s’abattit
au milieu d’éclairs et de grondements de tonnerre. Elle fit ployer les ceps de vigne, brisa
les arbres fruitiers. Toutes les plantes flétrirent. Parmi la grêle tourbillonnaient des
flammes étranges, que l’eau n’éteignait pas et qui ne faisaient pas fondre les grêlons.
Elles brûlèrent l’herbe. Hors des abris, hommes et bêtes furent mortellement touchés.
Des villages entiers tombèrent en cendres. Seul fut épargné le pays de Goshen, où
vivaient les enfants d’Israël.
Pharaon fit appeler Moïse et Aaron. Il se reconnut coupable et affirma qu’il laisserait
partir les Hébreux dès que la grêle et le tonnerre auraient cessé. Tonnerre et grêle
s’arrêtèrent. Cependant Pharaon, délivré, s’endurcit comme par le passé.
Les sauterelles
Sur l’ordre de l’Éternel, Moïse étendit son bâton au-dessus de la terre. Un vent d’est
souffla jour et nuit sur le pays, apportant des milliers et des milliers de sauterelles en
une nuée si épaisse qu’elle cachait le soleil aux yeux des Égyptiens. Les insectes
dévorèrent les fruits, les feuilles et l’herbe que la grêle avait épargnés. Ils dévastèrent
toute la verdure des champs et des arbres.
Les Égyptiens attrapèrent les sauterelles et, en prévision de temps difficiles, les mirent à
saler dans des pots, casseroles et tonneaux (17) . Quand Pharaon apeuré eut fait venir
Moïse pour le délivrer, les sauterelles en salaison s’envolèrent avec les autres, emportées
par un vent puissant. Toutes, jusqu’à la dernière, allèrent se noyer dans la mer des
Joncs.
Pharaon allait-il cette fois s’estimer vaincu ? Il n’en fut rien.
Les ténèbres
« Dirige ta main vers le ciel, dit alors l’Éternel à Moïse, et les ténèbres opaques se
répandront sur l’Égypte. » Ce fut la neuvième plaie.
Seuls les enfants d’Israël continuèrent à profiter de la lumière. Plongés dans un bain de
ténèbres, les Égyptiens ne se distinguaient pas l’un l’autre et, pendant trois fois vingt-
quatre heures, ne purent même pas voir leurs propres mains. L’épaisseur des ténèbres
était telle qu’elle arrêta tout mouvement. Plus personne ne bougea. Ceux qui étaient
couchés n’osèrent se lever. Ceux que les ténèbres avaient surpris en chemin durent
s’asseoir sur place pour attendre le retour du jour.
« Vous pouvez partir ! dit alors enfin Pharaon à Moïse. Emmenez vos enfants, mais que
votre bétail demeure en Égypte. » Moïse répondit : « Notre troupeau nous
accompagnera. Pas un sabot du bétail des Hébreux ne restera ici. » Pharaon en fureur
lui cria : « Disparais de ma vue, et garde-toi désormais de paraître en ma présence, sous
peine de mort ! » Moïse répliqua : « Qu’il soit fait ainsi. Je ne me présenterai plus
devant toi. À moins que tu ne m’appelles. »
La mort des premiers-nés
« J’enverrai une dernière plaie sur l’Égypte, déclara l’Éternel à Moïse et à Aaron, et cette
fois Pharaon laissera partir les enfants d’Israël. Il vous chassera, même. Dans chaque
famille d’Égypte, le premier-né périra. Depuis le premier-né de Pharaon, qui devait
régner après lui, jusqu’au premier-né de l’esclave qui fait tourner la meule, de même que
tous les premiers-nés des animaux. Cela se produira un prochain jour, vers minuit. »
5. LA SORTIE D’ÉGYPTE
Cela se passa le dixième jour du mois. Auparavant l’Éternel avait indiqué aux Hébreux
quelle serait la conduite à tenir. Il faudrait consommer un agneau rôti cette nuit-là.
Le soir venu, en immolant la bête, chaque père prit un peu de sang, alla teindre les deux
poteaux et le linteau de sa maison. Dieu reconnaîtrait les demeures des Hébreux à ce
signe, et Il épargnerait leurs premiers-nés.
Quand l’agneau fut rôti, on le mangea en tenue de route, dans l’attente du départ :
ceinture aux reins, chaussures aux pieds, bâton à la main.
Il était minuit lorsque Pharaon fut réveillé par des pleurs et des clameurs. Toute l’Égypte
résonnait d’un tumulte effroyable, car il y avait au moins un mort par maison. Pâles et
hagards, criant et pleurant, les serviteurs vinrent informer Pharaon du malheur terrible
qui s’était abattu sur l’Égypte.
Accompagné de sa fille Bithya, Pharaon partit à la recherche de Moïse et d’Aaron. « Où
habite Moïse ? Où habite Aaron ? » criait le roi, rue après rue. L’humble demeure des
deux frères ne se distinguait en rien de celle des autres Hébreux. « Moïse ! Moïse !
appela Pharaon, en frappant enfin à la bonne porte. Prie ton Dieu de nous épargner ! »
Les deux frères étaient encore à table. « Qui es-tu ? demanda froidement Moïse, sans
bouger. – Je suis Pharaon ! répliqua le roi. – Pharaon ? fit mine de s’étonner Moïse.
Pharaon lui-même ? Je n’y crois pas. Les rois n’ont pas coutume de venir frapper aux
portes des gens ordinaires. » Et Pharaon, tremblant, supplia : « Viens à la fenêtre,
Moïse, et tu verras. »
Quand Moïse parut, Bithya lui fit des reproches amers : « Pourquoi as-tu semé le
malheur parmi nous ? Est-ce ma récompense pour t’avoir recueilli, élevé, soigné ? »
Moïse répondit avec douceur : « Dix plaies ont frappé ton pays. L’une d’elles t’a-t-elle
touchée ? Non, aucune. Le Seigneur t’a épargnée en souvenir de tes bienfaits et de
l’amour que tu m’as porté.
— Il est vrai que j’ai été protégée, reconnut Bithya. Cependant le deuil qui s’est abattu
cette nuit sur l’Égypte a raccourci ma vie. » À cela, Moïse répliqua : « J’avais prévenu
ton père de la colère de l’Éternel, mais il a refusé de libérer mon peuple. »
Alors Pharaon cria : « Partez ! Partez ! Vous et vos frères ! Qu’il n’en reste pas un seul
dans mon pays ! Emportez votre bétail et tous vos biens ! Partez sur-le-champ !
— Le Seigneur nous a ordonné de rester dans nos demeures jusqu’au lever du jour »,
déclara Moïse. Et comme Pharaon insistait avec fougue pour que le peuple d’Israël
quittât l’Égypte encore dans cette nuit, Moïse lui en demanda les raisons.
« Parce que je suis moi aussi un premier-né, avoua le souverain, et que j’ai peur de
mourir. — Ne crains rien, répondit Moïse. Dieu t’a épargné, toi et ta famille, afin que tu
reconnaisses Son pouvoir et Sa
justice.
— Bénissez-moi ! » demanda Pharaon. Puis il donna l’ordre de laisser partir les enfants
d’Israël, et la nouvelle se répandit de porte en porte. Voulant attirer sur eux la protection
d’un Dieu si puissant, les Égyptiens offrirent aux anciens esclaves des vases d’or,
d’argent, des vêtements brodés.
Au matin, les enfants d’Israël se rassemblèrent, emportant contre eux la pâte à pain qui
n’avait pas eu le temps de lever (18) . Ils emportèrent aussi le corps embaumé de
Joseph.
Ils avaient séjourné plus de deux siècles en Égypte et longtemps souffert du joug de
l’esclavage. Ils partaient, libres, vers un nouveau destin.
6. LA TRAVERSÉE DE LA MER ROUGE
Le peuple d’Israël se rassembla à Ramsès et se mit en marche vers l’est, en direction de
Soukkot. Ils étaient six cent mille hommes, accompagnés de leurs femmes et de leurs
enfants, qui partaient vers le pays de Canaan, la Terre promise. À leur suite, le bétail.
Les Hébreux, qui croyaient entamer une marche de quelques semaines, partaient en fait
pour une errance de quarante ans, temps qu’ils mettraient pour perdre la mentalité
d’esclaves.
Le départ précipité n’avait pas permis d’amasser des provisions. Ils firent cuire la pâte à
pain au soleil. Quittant Soukkot, ils se dirigèrent vers Étam, à l’orée du désert. Une
colonne de nuée les guidait le jour, une colonne de feu la nuit.
Au premier matin, les Égyptiens s’étaient réveillés déconcertés. Qui allait dès ce jour
ramasser la paille et fabriquer les briques ? Accomplir les travaux domestiques ? Servir à
table ? Accompagner les maîtres à la promenade, un siège sur l’épaule ? Déployer la
natte et la dépoussiérer à petits coups de balai ?
L’Égypte se sentait dépouillée. Ayant entendu les plaintes de ses sujets, Pharaon décida
de poursuivre le peuple hébreu afin de le ramener dans le pays. Il fit atteler son char et
s’élança, suivi des officiers pressés dans tous les autres chars d’Égypte.
À la vue de la puissante armée qui fondait sur eux, les Hébreux furent pris de terreur et,
amers, dirent à Moïse : « Manquait-il des tombeaux en Égypte, pour que tu nous aies
menés mourir ici ? Si nous avançons dans le désert, nous serons dévorés par les bêtes
sauvages ; si nous entrons dans la mer, nous serons noyés par les flots ; si nous
retournons avec les Égyptiens, ils nous infligeront des souffrances encore pires que par
le passé. »
Oui, le peuple hébreu était encerclé. Cependant Moïse le tranquillisa et engagea les
hommes à s’avancer vers la mer Rouge. La nuée, qui d’ordinaire les précédait, alla se
placer derrière eux, plongeant les Égyptiens dans l’obscurité. Moïse étendit sa main sur
la mer et l’Éternel fit souffler un vent d’est si puissant qu’il divisa les eaux en deux
parties et assécha un chemin entre elles.
Les Hébreux s’avancèrent entre deux murailles semblables à des pans de glace. On
raconte qu’en surgirent des branches chargées de figues, pommes, dattes, grenades,
jujubes et que les mères, par ces douceurs, purent apaiser les enfants effrayés. La forêt
de coraux, vert émeraude, turquoise, rubis ou grenat sombre, leur arracha des cris
d’émerveillement. Des étoiles de mer, des poissons zébrés des couleurs de l’arc-en-ciel
les accompagnèrent au long de la traversée.
Les hommes atteignaient presque l’autre rive quand, devant les Égyptiens, la nuée se
dissipa. Les poursuivants virent alors le chemin à sec, les enfants d’Israël qui
s’enfuyaient. Ils se jetèrent tous dans la mer, Pharaon et les officiers, avec chars et
chariots.
Mais voici que les murailles d’eau se brisèrent en flots écumeux, submergeant l’armée, la
brassant dans ses remous. Les corps et les chars en pièces refluèrent, gisants, sur le
rivage. Seul Pharaon survécut.
Moïse et les enfants d’Israël entonnèrent un hymne à la gloire de l’Éternel. Myriam, la
sœur de Moïse et d’Aaron, saisit un tambourin et, après elle, toutes les femmes
dansèrent avec leur tambourin en chantant le refrain :
Chantez l’Éternel, il est souverainement grand.
Coursier et cavalier, il les a lancés dans la mer.
7. LA MARCHE DANS LE DÉSERT
Le pain du ciel
Les Hébreux s’arrachèrent en rechignant au rivage de la mer Rouge pour s’enfoncer
dans le désert de Shour, dont le sol grouillait de serpents et de scorpions. Mais à
l’approche de la colonne de nuée, les bêtes s’enfuirent pour aller se recroqueviller dans
les cavités rocheuses. Ils marchèrent pendant trois jours sans trouver d’eau. Celle qu’ils
découvrirent alors, à Mara, était tellement amère (19) qu’ils ne purent la boire. Le
peuple perdit courage et, plein de reproche envers Moïse, se lamenta. Moïse implora
l’Éternel, qui lui indiqua une certaine plante. Il la jeta dans l’eau, et elle devint douce.
Au quinzième jour du deuxième mois, quand ils atteignirent le désert de Sin, les fugitifs
avaient épuisé leur provision de pâte à pain. Qu’allaient-ils manger ? Cette fois encore,
ils s’adressèrent à Moïse et à Aaron avec colère : « Que ne sommes-nous morts dans le

pays d’Égypte, assis auprès des marmites de viande et mangeant à


satiété ! Vous avez entraîné le
peuple dans le désert pour le faire mourir de faim ! »
Pendant la nuit, le vent du nord balaya la poussière et la pluie lava le sol. Au matin, le
soleil solidifia la rosée en une croûte semblable à de la glace. C’est là que, tombant du
ciel, la manne vint se poser en une couche poudreuse.
« Qu’est-ce que cette gelée blanche ? » interrogèrent les enfants d’Israël au matin.
« C’est le pain que vous donne l’Éternel, répondit Moïse. Que chacun en ramasse selon
ses besoins, mais que personne n’en réserve pour demain. » Ceux qui manquèrent de
confiance et firent provision de manne la virent aussitôt fourmiller de vers et durent la
jeter.
La manne fraîche tombait chaque matin. Dès que les Hébreux avaient prélevé la ration
du jour, le reste fondait sous le soleil, s’écoulait en ruisseaux où venaient boire les
animaux. Au sixième jour, l’Éternel ordonna d’en récolter le double en prévision du
Shabbat, afin que soit respecté le repos du jour saint. Le septième jour, la manne ne
tomba pas, mais celle de la veille resta saine jusqu’à la fin du Shabbat.
Le goût de la manne était miraculeux. On pouvait la consommer soit bouillie, soit en
galettes cuites au four. Elle avait la saveur d’un mélange de lait, de miel et de pain
d’épices, mais pouvait prendre le goût désiré. Il suffisait de penser, en mangeant, au
mets de son choix.
Ainsi le désert fut-il transformé en pays de cocagne. Et cela pour quarante ans, jusqu’à
l’arrivée des enfants d’Israël aux confins du pays de Canaan.
L’eau du rocher
De là, les enfants d’Israël poursuivirent vers Rephidim, où ils s’arrêtèrent pour camper.
Ils ne trouvèrent nulle source, nul point d’eau où étancher leur soif. Le peuple en colère
lança de nouveaux reproches à Moïse : « Pourquoi nous as-tu fait sortir d’Égypte ? Pour
nous laisser mourir de soif ? »
Moïse se plaignit à l’Éternel, qui lui dit d’aller vers le mont Horeb et de frapper le rocher
avec son bâton. Ce qu’il fit. Le roc se fendit sous les yeux du peuple, et une source jaillit.
Bataille contre les Amalécites
Or la manne avait fait des jaloux. À peine les Hébreux s’étaient-ils désaltérés à la source
qu'Amalek, un descendant d’Ésaü, lança ses troupes à l’assaut. Les Amalécites
espéraient anéantir le peuple d’Israël, fatigué par la marche, pour s’approprier la
nourriture magique.
Moïse appela son disciple Josué, lui commanda de choisir parmi le peuple des hommes
aptes au combat. « Quant à moi, dit-il, je me tiendrai au sommet de cette colline et je
prierai. »
Quand les deux armées s’affrontèrent, Moïse pria, les mains levées vers le ciel. Aussi
longtemps qu’il gardait les bras tendus, Josué gagnait. Quand, faiblissant, il les laissait
retomber, Amalek l’emportait. Devant la fatigue de Moïse, l’issue du combat parut
incertaine.
C’est alors qu’Aaron et Hour, mari de Myriam, assirent le prophète sur une pierre et
soutinrent chacun l’un de ses bras. Au coucher du soleil, Josué écrasa Amalek.
Jéthro
Jéthro, le beau-père de Moïse, ayant appris ce qu’il était advenu des Hébreux, vint lui
amener Séphora et les deux garçons. Arrivé devant le camp, il vit la nuée lui barrer
l’entrée. Le prêtre de Madian écrivit un message et le piqua sur une flèche, qu’il lança
dans le camp. Ainsi Moïse, prévenu, retrouva-t-il sa femme et ses enfants.
Le lendemain, Jéthro vit Moïse siéger du matin au soir pour rendre la justice au peuple.
Tâche épuisante. Il lui suggéra de se faire aider par des hommes de qualité. « Qu’ils
jugent les petites causes et portent devant toi les affaires importantes. » Et Moïse fut
soulagé.
Après ce conseil fort utile, Jéthro repartit et, désormais, s’attacha à faire connaître le
Dieu des Hébreux aux Madianites.
Qui veut la Loi ?
De Rephidim, les enfants d’Israël partirent vers le désert du Sinaï, où ils arrivèrent le
premier jour du troisième mois après la sortie d’Égypte, et l’Éternel pensa qu’il était
temps de leur donner la Loi.
Avant cela, elle avait été proposée à d’autres peuples. Aucune nation ne devait pouvoir
prétendre qu’elle aurait accepté la Loi si l’Éternel la lui avait offerte.
Interrogés en premier, les enfants d’Ésaü demandèrent ce qu’elle exigeait. « Tu ne
tueras point, fut la réponse. – Impossible, déclarèrent les fils d’Ésaü. Nous sommes des
hommes de guerre. Nous vivons par l’épée et tuons nos ennemis pour les piller. »
L’Éternel poursuivit sa quête. « Voulez-vous accepter ma loi, la Tora ? demanda-t-Il à
un autre peuple. – Qu’y trouve-t-on ? s’enquirent les intéressés. – Tu ne voleras point,
répondit le Seigneur. – Désolés, répondirent les hommes. Nous ne pouvons abandonner
les coutumes de nos ancêtres, qui ont toujours vécu de vol et de pillage. »
De l’est à l’ouest, du nord au sud, l’Éternel proposa la Loi à tous les peuples. Mais quand
les uns apprirent qu’ils devraient s’interdire les faux témoignages, les autres renoncer à
convoiter la femme ou la maison de leur prochain, tous repoussèrent l’offre divine.
L’Éternel revint alors vers les enfants d’Israël, et ceux-ci acceptèrent le précieux cadeau.
« Si vous gardez mon alliance, dit-il, vous serez mon trésor entre tous les peuples. »
Le don de la Loi
Le Seigneur appela Moïse sur le mont Sinaï et lui dit : « Enjoins le peuple de se tenir pur
aujourd’hui et demain, de laver ses vêtements afin d’être prêt pour le troisième jour. Le
troisième jour, je descendrai aux yeux de tous sur le mont Sinaï. Que personne, sous
peine de mort, ne touche le pied de la montagne. »
Chacun se prépara, exalté, et enfin le troisième jour arriva. Les Hébreux s’avancèrent en
silence vers le mont Sinaï. La terre entière s’était figée, toute créature avait suspendu
son souffle. Seul le mont Sinaï, en feu, tremblait de la base au sommet.
Alors retentit la voix du Seigneur : Je suis l’Éternel, ton Dieu… Dix Paroles (20) ,
suivirent :
Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, où tu étais en esclavage.
Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi, tu n’adoreras pas les idoles. Tu n’invoqueras pas
le nom de Dieu à l’appui du mensonge. Tu respecteras le jour du Shabbat. Tu
travailleras pendant six jours et, au septième, qui est le jour consacré
à l’Éternel, tu te reposeras.
Tu honoreras ton père et ta mère, afin que l’Éternel prolonge tes jours sur la Terre. Tu
ne commettras pas d’homicide.
Tu ne commettras pas d’adultère.
Tu ne commettras pas de vol.
Tu ne porteras pas de faux témoignage.
Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, ni sa femme, ni son serviteur, ni sa
servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui lui appartient.
Le peuple écouta, frappé de respect. La voix divine emplit l’univers entier. Moïse reçoit
les Tables de la Loi
Après les Dix Paroles vint l’heure, pour Moïse, de se rendre au sommet du mont Sinaï
afin de recevoir les Tables de pierre et les préceptes. Josué l’accompagna jusqu’au pied
de la montagne, où il planta sa tente pour les quarante jours que Moïse devait passer
avec le Seigneur.
Moïse avait fait quelques pas quand une petite nuée apparut. Elle s’ouvrit, l’enveloppa et
s’envola avec son fardeau.
Au sommet du mont, Moïse trouva les deux Tables de pierre où étaient gravées, en
lettres de feu noires, les Dix Paroles. Il resta encore quarante jours et quarante nuits
pour recevoir du Seigneur l’enseignement qui, transmis aux enfants d’Israël, en ferait un
peuple saint.
Il y aurait des lois alimentaires à respecter : « Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le
lait de sa mère. » Seront consommables les mammifères herbivores, ruminants, au
sabot fendu, qui auront été vidés de leur sang, les poissons pourvus de nageoires et
d’écailles, les volatiles de basse-cour.
Comment se conduire envers les esclaves, punir le meurtrier, réparer les coups et
blessures, se montrer toujours juste et responsable, ne léser personne ni dans son corps
ni dans ses biens, protéger les faibles, accueillir l’étranger, voici ce que le Seigneur
apprit à Moïse.
Il ordonna aussi : « Les enfants d’Israël me feront un sanctuaire. » Il en expliqua la
construction jusque dans les moindres détails. Ainsi : à l’intérieur, une arche abritera les
Tables de la Loi. Construite en bois précieux, elle sera recouverte d’or pur et munie de
barres de bois pour être transportée sur les épaules des prêtres. Deux chérubins la
protégeront de leurs ailes déployées.
Un chandelier d’or pur aura sept branches, comme les sept jours de la semaine. Sur
chaque branche, la lumière jaillira d’une coupe en forme d’amande avec pommes et
fleurs.
Quarante jours durant, l’Éternel expliqua comment construire l’édifice et tout ce qu’il
devait comporter : le Tabernacle fait de dix tentures brodées de fil d’azur, de pourpre
ainsi que d’écarlate et jointes par des agrafes d’or, l’autel majestueux sur lequel Israël
brûlera des sacrifices.
L’Éternel dit aussi quels seront les vêtements du grand-prêtre : la tiare d’or ; l’éphod,
tunique portée sur une robe bordée d’une frange de grenades entremêlées de clochettes
d’or ; le pectoral, plaque ornée de douze pierres précieuses portant gravé chacune le
nom de l’une des douze tribus d’Israël.
Après les quarante jours, Moïse emporta les deux Tables de pierre burinées par le doigt
divin. Le veau d’or
Pendant ce temps le peuple, ne voyant pas revenir Moïse, pensa qu’il avait disparu à
jamais. Des hommes se souvinrent de dieux aux formes animales adorés en Égypte et
allèrent trouver Aaron. « Forge-nous un dieu ! » exigèrent-ils avec véhémence.
Aaron comprit qu’un refus lui coûterait la vie et pensa trouver un subterfuge :
« Apportez-moi les anneaux d’or qui ornent les oreilles de vos femmes, de vos sœurs et
de vos filles. »
Certaines refusèrent, mais les hommes apportèrent les pendants qui ornaient leurs
propres oreilles et Aaron, consterné, les jeta dans le feu. Quand le métal fut devenu
incandescent, les insurgés le travaillèrent jusqu’à lui donner la forme d’un veau.
« Voici ton dieu, Israël », dirent-ils ensuite, présentant l’idole au peuple. En proie à un
chagrin violent, Aaron vit hommes et femmes danser, pleins d’allégresse, autour du
veau.
C’est alors que l’aurore se leva pour la quarantième fois, depuis le départ de Moïse, sur
le mont Sinaï. L’Éternel lui ayant indiqué de retourner vers ses frères, il chargea les
Tables de pierre sur ses épaules.
Gravées par la main de Dieu, elles étaient légères. Or voici qu’elles s’alourdirent de plus
en plus, à mesure que Moïse descendait. Étonné, il les contempla et vit les lettres
s’envoler l’une après l’autre. Dépouillées de l’esprit divin qui les avait imprégnées, les
Tables ne furent bientôt plus que de la pierre brute, lourde et inerte.
Moïse retrouva Josué qui l’attendait, et bientôt il aperçut le camp, vit le veau et les
danses. Plein de courroux, il jeta les Tables, qui se brisèrent au pied de la montagne,
puis il se fraya un chemin jusqu’au veau d’or, le saisit, le jeta dans le feu et, ses forces
décuplées par la rage, le tritura jusqu’à obtenir un tas de cendres.
Ces cendres, il les répandit dans l’eau ; cette eau, il la fit boire au peuple. Enfin, par
l’intermédiaire des descendants de Lévi, il fit tuer trois mille idolâtres.
Quant à lui, il alla s’établir hors du camp. Là, dans la tente d’assignation, se rendirent
tous ceux qui eurent à le consulter. C’est là aussi que l’Éternel vint parler à Moïse,
comme un homme s’entretient avec un autre. Une colonne de nuée descendit, s’arrêta
devant l’entrée de la tente et, voyant cela, le peuple se prosterna.
Grande était la colère de Moïse envers les enfants d’Israël, et tout aussi grand le
courroux de l’Éternel. Toutefois chacun s’attacha à plaider la cause du peuple aux yeux
de l’autre. L’Éternel pardonna.
Moïse tailla deux pierres et les lima jusqu’à les rendre semblables aux Tables de la Loi.
Les ayant chargées sur ses épaules, il grimpa vers le sommet du mont Sinaï. Là, il resta
quarante jours et quarante nuits sans manger ni boire, écrivant sous la dictée de Dieu.
Quand le prophète redescendit, portant les nouvelles Tables de la Loi gravées par le
Seigneur, son visage lançait des rayons lumineux. Intimidés, les enfants d’Israël
n’osèrent l’approcher. Moïse les appela et leur transmit tous les commandements que
l’Éternel lui avait dictés. Ayant achevé de parler ; il couvrit son visage d’un voile.
Le prophète n’ôterait désormais ce voile que pour parler à l’Éternel ou transmettre la
parole divine. Et tant qu’il parlait, son visage rayonnait.
Tabernacle et Lévites
Il fut alors temps de construire le Tabernacle, sanctuaire pour le culte, d’après les ordres
de l’Éternel. Cela prit six mois. Chacun apporta ce qu’il possédait de plus précieux : or,
argent, cuivre, lin, laine, poil de chèvre, peaux de béliers. Des orfèvres, menuisiers,
tisserands, brodeurs réalisèrent des chefs-d’œuvre.
Le Tabernacle, une grande tente qui pouvait se démonter, se partageait en deux parties.
La plus grande, le Sanctuaire, comportait le chandelier en or massif, la table des pains
de proposition et l’autel des parfums. La petite partie, le saint des saints, abritait un
coffre recouvert d’or, surmonté de deux chérubins aux ailes étendues. Quand Moïse y
eut placé les deux Tables de la Loi, ce coffre devint l’Arche d’alliance.
Un parvis encerclait le Tabernacle. On y trouvait l’autel des holocaustes, qui servait aux
sacrifices, ainsi que le bassin d’airain, où se purifieraient les prêtres.
Lorsque tout fut achevé, Moïse prit de l’huile d’onction, sanctifia le Tabernacle et tout ce
qu’il contenait. Une nuée s’installa dès lors au-dessus du saint des saints. L’Éternel y
résidait.
Puis Moïse consacra Aaron comme grand-prêtre. Les fils d’Aaron furent institués
prêtres, et tous les descendants de Lévi désormais voués au service divin.
Après avoir été solennellement revêtu des habits du grand-prêtre, Aaron s’avança vers
l’autel, offrit le sacrifice d’un veau, d’un bouc, d’un taureau, d’un bélier et, de ses mains
tendues, bénit le peuple. Un feu jaillit alors du ciel, flamba sur l’autel et consuma
l’holocauste. Les enfants d’Israël poussèrent des cris d’allégresse et se prosternèrent à
terre.
Cependant deux des fils d’Aaron, trop fiers de leur nouvelle fonction, voulurent allumer
un feu que l’Éternel ne leur avait pas ordonné. Les flammes les dévorèrent.
Jour après jour, les enfants d’Israël apprirent à connaître les commandements de Dieu
et à les respecter. Mais certains, parfois, perdaient la foi.
« Nous sommes dégoûtés de la manne, se plaignirent quelques-uns auprès de Moïse,
donne-nous de la viande ! Où sont les poissons, les concombres et les melons que nous
trouvions en Égypte ? Ici, nous manquons de tout ! »
Moïse, découragé, alla chercher du réconfort auprès de l’Éternel. Et l’Éternel fit souffler
un vent puissant, qui amena des colonies de cailles. Les Hébreux s’emparèrent des
oiseaux et les dévorèrent avec gloutonnerie. Certains s’empiffrèrent au point de tomber
malades, et d’en mourir.
Quand l’heure fut venue de quitter le Sinaï, les Lévites démontèrent le Tabernacle et le
peuple se mit en route. Groupées chacune sous sa bannière, les douze tribus (21)
s’avancèrent dans l’ordre fixé par l’Éternel : à l’est, ouvrant la marche, Juda, Issachar et
Zabulon ; au sud et à droite, Ruben, Siméon et Gad ; au nord et à gauche, Dan, Asher et
Nephtali ; à l’ouest, formant l’arrière-garde, Éphraïm, Manassé et Benjamin. En tout
quatre groupes rangés autour du sanctuaire précieusement gardé par les Lévites.
La présence divine se manifestait constamment au-dessus du Tabernacle, le jour par la
nuée, la nuit par un météore de feu. Dès que la nuée s’élevait, les enfants d’Israël
savaient qu’ils devaient reprendre la route et les prêtres hissaient l’Arche d’alliance sur
leurs épaules. La marche durait tantôt un jour et une nuit, tantôt une semaine ou deux.
Quand la nuée se fixait, le peuple s’installait, et à chaque fois définitivement, comme si
l’arrêt devait durer des jours, des mois ou des années, quitte à repartir le lendemain.
Quand les enfants d’Israël arrivèrent enfin en vue de Canaan, la Terre promise, ce ne fut
pas la joie, mais la crainte, qui les saisit : qu’allait-on trouver dans ce pays ?
8. LES DOUZE EXPLORATEURS
Sur la demande des Israélites, Moïse réunit douze hommes, un par tribu, et les envoya
en explorateurs. « Observez le pays et ses habitants, ordonna-t-il. Il nous faut savoir si le
peuple est robuste ou faible, nombreux ou peu considérable. Les villes sont-elles
ouvertes ou fortifiées ? Si elles sont ouvertes, « c’est que les hommes, robustes, ont
confiance en leur force. Des hommes faibles habiteront des villes fortifiées. Observez le
sol : produit-il beaucoup ou peu ? Y a-t-il des arbres ? Tâchez de rapporter quelques
fruits du pays. » C’était le temps des premiers raisins. Parmi les explorateurs, se
trouvaient Josué, de la tribu d’Éphraïm, et Caleb, de la tribu de Juda. Quarante jours
plus tard, les explorateurs se présentèrent, ainsi chargés : à l’aide d’une perche, deux
d’entre eux transportaient une grappe de raisin accrochée à son sarment, cinq tenaient
chacun une figue et cinq autres une grenade.

« Il est vrai que le pays ruisselle de lait et de miel, ainsi que l’avait
promis l’Éternel, déclarèrent dix hommes à Moïse et au peuple : voyez ces fruits
magnifiques. Mais les villes sont fortifiées et les hommes si forts, si vigoureux, que nous
paraissons des sauterelles à leurs yeux. Ils nous écraseront. » Cependant Josué et Caleb,
qui s’étaient tenus en retrait, s’écrièrent : « Ne craignons rien ! Montons dans ce pays et
prenons-en possession, car nous vaincrons. » Les dix poussèrent les hauts cris :
« Jamais nous ne réussirons. Les hommes de ce peuple bien plus fort que nous sont des
géants ! Lorsque nous étions grimpés dans les arbres pour cueillir les fruits, ils nous
regardaient en disant, tordus de rire : “Voyez donc ces sauterelles, là-haut dans
les arbres, qui ressemblent à des hommes !” Oui, des sauterelles. Ainsi paraissions-nous
à leurs yeux ! » Or en fait les Cananéens, de stature très lourde, s’étaient étonnés de voir
des hommes d’une telle agilité !
N’ayant jamais vu personne grimper si haut dans les arbres, ils avaient ri de constater
que, vus d’en bas, les Hébreux paraissaient si petits. Et ces derniers avaient tenu à
grimper très haut car les branches élevées portaient les plus beaux fruits !
Mais le peuple n’écouta que les dix, et des cris de colère s’élevèrent contre Moïse et
Aaron, avec des gémissements et des lamentations : « Que ne sommes-nous restés en
Égypte où, au moins, nous avions de quoi manger ? Que ne sommes-nous morts dans le
désert ? Pourquoi l’Éternel nous mène-t-il dans ce pays où nous mourrons par le glaive,
où l’on nous prendra nos femmes et nos enfants ? Allons, retournons en Égypte !
Choisissons un chef qui nous y mènera ! »
Alors Caleb et Josué tentèrent de calmer le peuple : « Comment pouvez-vous manquer
de confiance à ce point ? Après tous les miracles que l’Éternel a accomplis pour vous ?
Après les efforts de Moïse pour faire de vous, anciens esclaves, des hommes libres ? »
Mais ils parlèrent en vain.
L’Éternel décida de punir le peuple. « Je vous traiterai comme vous l’avez désiré. Vos
cadavres joncheront le désert, vous tous qui avez murmuré contre moi. Vous n’entrerez
jamais dans le pays où j’avais promis de vous établir. Seuls entreront Josué, Caleb et vos
enfants qui n’avaient pas encore vingt ans quand je vous fis sortir d’Égypte. Tous, vous
errerez dans le désert pendant quarante ans, expiant vos infidélités. » Les dix
explorateurs qui avaient découragé le peuple périrent sur-le-champ.
Le lendemain, les enfants d’Israël dirent à Moïse : « Nous reconnaissons que nous avons
péché, et voulons entrer dès aujourd’hui au pays promis. » Moïse les avertit qu’ils ne
réussiraient pas. Certains s’obstinèrent et grimpèrent au sommet d’une montagne de
Canaan. Mais Moïse resta dans le camp avec l’Arche. Les Cananéens battirent les
enfants d’Israël et les forcèrent à la retraite.
9. LA MORT DE MYRIAM
Le peuple abattu reprit le chemin du désert, où il chemina en une longue marche qui
dura trente-huit ans. Peu à peu, s’éteignirent les aînés. Une source suivait, permettant à
hommes et bêtes de se désaltérer. Les Hébreux se trouvaient aux environs de Qadesh
lorsque Myriam mourut. Moïse et Aaron, retirés dans leur tente, pleuraient la perte de
leur sœur quand ils virent arriver des Hébreux au visage courroucé. La source d’eau
s’était tarie. Et cela, à l’instant même de la mort de Myriam. Ainsi fut-il révélé aux yeux
de tous que l’eau jaillissait grâce au mérite de Myriam, et qu’elle était aimée de Dieu.

Mais les Hébreux, sourds au chagrin des frères de Myriam,


commencèrent à se
lamenter et à récriminer : « Pourquoi nous avoir fait sortir d’Égypte si c’était pour nous
mener dans ce désert hostile à toute vie, où il n’y a ni figuiers, ni vignes, ni grenadiers, ni
eau à boire ! Car nous allons mourir de soif, nous et notre bétail. »
Moïse et Aaron se rendirent dans la tente sacrée, où ils implorèrent l’Éternel, qui dit à
Moïse : « Prends ton bâton, convoque le peuple et, assisté d’Aaron, parle au rocher. »
Ce que firent Moïse et Aaron. Mais en oubliant leur humilité coutumière. Ils frappèrent
deux fois le rocher en disant : « Voyez donc, rebelles et récalcitrants, si nous ne
pouvons faire sortir de l’eau de ce rocher ! » L’eau jaillit, et les Hébreux étanchèrent leur
soif.
Moïse et Aaron s’étaient attribué le mérite du miracle au lieu d’indiquer qu’ils se
conformaient aux paroles du Seigneur. Pour cet instant de vanité, l’Éternel les
condamna à partager le sort de leurs frères sortis d’Égypte. Ils n’entreraient pas en Terre
promise.
10. LA MORT D’AARON
De Qadesh, le trajet le plus court vers Canaan passait par le pays d’Édom. Arrivé au pied
du mont Hor, Moïse envoya une ambassade au roi d’Édom, un descendant d'Ésaü, pour
obtenir la permission de traverser le pays. Il s’engageait à mener le peuple au long des
routes avec le souci de n’abîmer aucune culture, sans passer par les champs ni les
vignobles.
Pendant qu’il attendait la réponse, le Seigneur lui dit : « Aaron va maintenant se séparer
de son peuple. Conduis-le, lui et son fils Éléazar, sur le mont Hor. Là tu prendras les
vêtements sacerdotaux de ton frère et tu en revêtiras son fils. »
C’est après cela que mourut Aaron, dans la quarantième année après la sortie d’Égypte.
Il avait 123 ans. Le peuple le pleura pendant trente jours.
11. LE SERPENT D’AIRAIN
Que de fois le peuple perdit-il courage ! Voici que Moïse l’entraîna dans un nouveau
détour, le roi d’Édom ayant refusé l’autorisation de passage. Il fallut repartir dans le
sens opposé. C’en était trop. De nouvelles récriminations retentirent aux oreilles de
Moïse : « Pourquoi nous as-tu entraînés dans ce désert où nous n’avons qu’un misérable
aliment pour toute nourriture ! »
« … misérable aliment » : il s’agissait de la manne céleste qui les avait nourris pendant
quarante années. Alors le Seigneur fit apparaître une cohorte de serpents brûlants qui se
dispersèrent dans le camp et firent de nombreuses victimes parmi les ingrats. Les autres
Hébreux, repentants, se précipitèrent vers Moïse et le supplièrent : « Prie l’Éternel de
nous débarrasser des serpents ! »
Sur l’ordre du Seigneur, Moïse fabriqua un serpent d’airain et le fixa au sommet d’une
perche. Ceux qui avaient été mordus par un reptile n’eurent qu’à lever les yeux vers lui
pour être sauvés.
Le serpent d’airain devait accompagner le peuple d’Israël pendant plusieurs siècles.
12. BALAQ ET LE MAGE BALAAM
Puis les Hébreux, arrivés devant la mer Morte, se trouvèrent en présence des Amoréens.
Moïse envoya des ambassadeurs demander le droit de passage, ainsi qu’il l’avait fait
pour le pays d’Édom. Le roi Sihon, lui aussi, refusa. Mais, cette fois, il n’y avait pas le
choix : les Hébreux, s’ils voulaient atteindre le pays de Canaan, ne pouvaient qu’accepter
le combat.
Israël gagna et s’empara du pays amoréen. Og, roi de Bashan, n’attendit pas la venue des
ambassadeurs de Moïse. Il alla au-devant des Hébreux à la tête de son armée, mais fut
également battu et dut céder son territoire.
Ayant conquis les royaumes de Sihon et d’Og, les enfants d’Israël allèrent planter leurs
tentes dans les plaines de Moab, en face de Jéricho. Balaq, le roi de Moab, fut pris de
terreur. Il souhaita recourir à un certain Balaam, mage des bords de l’Euphrate, réputé
pour l’efficacité de ses malédictions, et envoya des messagers le chercher.
Or Balaam, en songe, vit l’Éternel lui interdire d’obéir à Balaq. Il laissa donc les
messagers repartir seuls vers Moab. Mais le roi s’entêta. Il envoya cette fois pour
messagers des princes chargés de cadeaux, qui obtinrent gain de cause. Dès le
lendemain matin, Balaam sangla son ânesse et prit le chemin de Moab.
L’ânesse allait trottant bon train quand elle aperçut un ange du Seigneur qui, un glaive à
la main, lui barrait le chemin. Elle fit un écart et voulut poursuivre à travers champs
mais le mage, qui n’avait rien vu, la frappa pour la ramener sur la route.
Un peu plus loin, elle avançait sur un chemin bordé d’une clôture de pierres quand
l’ange lui barra encore la route. Elle se fit toute maigre pour passer entre l’ange et la
clôture, mais le pied de Balaam se frotta au mur, et elle reçut une nouvelle volée de
coups.
À son troisième essai, l’ange se posta en travers d’un chemin si étroit que l’ânesse, ne
pouvant se glisser ni à droite ni à gauche, se coucha. Pris de colère, Balaam lui infligea
une violente correction. Alors l’Éternel fit parler l’ânesse, qui se lamenta : « Que t’ai-je
fait pour que tu me frappes trois fois de suite ? » À quoi Balaam – il n’était pas à un
enchantement près ! – répondit : « Tu te moques de moi. Si j’avais une épée, je te
trancherais la tête.
— Ne suis-je pas ta fidèle ânesse ? répliqua l’animal. Ai-je coutume d’agir mal envers
toi ? » Balaam reconnut qu’elle disait vrai et, à cet instant, le Seigneur dessilla ses
yeux. Le mage vit l’ange qui se tenait devant lui, son glaive à la main.
« Pourquoi as-tu frappé ton ânesse ? accusa l’ange. C’est moi qui, trois fois de suite, lui
ai barré le chemin. Sache que ce voyage déplaît à l’Éternel. Si, la troisième fois, ton
ânesse s’était obstinée à vouloir passer, je t’aurais fait mourir et lui aurais, à elle, laissé
la vie. »
Balaam reconnut ses torts, dit qu’il allait rebrousser chemin, mais l’ange du Seigneur
ordonna : « Poursuis ta route vers Moab, et seules les paroles que je te dicterai sortiront
de ta bouche. »
Dès son arrivée, Balaam prévint honnêtement Balaq, mais le roi persista et entraîna le
mage au sommet d’une montagne qui dominait les tentes d’Israël. « Maudis-les ! »
ordonna-t-il.
Deux fois de suite, en deux lieux différents, ce furent cependant des bénédictions qui
tombèrent sur les Hébreux. Balaq, têtu, voulut se livrer à une troisième tentative. Alors,
tout en haut de la montagne, Balaam s’écria :
Que tes tentes sont belles, ô Jacob,
Tes demeures, ô Israël […]
Qui te bénira sera béni,
Qui te maudira sera maudit.
Balaq, pris de colère, renvoya vertement Balaam chez lui et dut se décider à laisser les
Hébreux entrer dans le pays de Canaan.
Seigneur, laisse-moi vivre !
Arrivé sur les rives du Jourdain, face à Jéricho, le peuple fut recensé. Il comptait deux
millions et demi d’âmes, dont plus de six cent mille hommes vaillants. Tous ceux qui
avaient dépassé vingt ans lors de la sortie d’Égypte étaient morts dans le désert. Seuls
vivaient encore Moïse, Josué et Caleb.
Dieu dit alors à Moïse de se préparer pour son dernier voyage. Mais le prophète ne put
l’accepter, et plaida : « Seigneur ! Ai-je mérité de finir en poussière et vermine alors que
j’ai galopé comme un cheval en tête des enfants d’Israël ?
— Tu n’échapperas pas au destin de l’être humain, répondit l’Éternel. Même Adam, que
j’ai créé de mes propres mains, a dû périr.
— Adam avait commis une faute grave, observa Moïse. Tu lui avais donné un seul
commandement, celui de ne pas manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien
et du mal, et il a désobéi. Mais moi, Maître de l’Univers, j’ai respecté tous tes nombreux
commandements.
— Les Patriarches sont morts aussi, reprit l’Éternel. Même Noé le juste, même
Abraham qui accepta de m’offrir son fils en holocauste, même Isaac qui consentit à être
sacrifié, et même Jacob, père des douze tribus et des Lévites. »
Peu convaincu, Moïse poursuivit avec fougue : « Aucun Patriarche n’est monté au ciel et
leurs pieds n’ont jamais touché les nuages. Aucun n’a pu, comme moi, Te regarder en
face. Aucun n’a rapporté la Loi sainte aux enfants d’Israël. Laisse-moi vivre, Seigneur,
afin que je continue à chanter Ta gloire ! Pendant quarante années, j’ai souffert pour la
survie de ton peuple. Est-ce là ma récompense : être condamné à mourir de ce côté-ci du
Jourdain, sans même voir la Terre promise ?
— Ainsi en ai-je décidé ! répliqua l’Éternel.
— Seigneur, supplia Moïse, laisse-moi devenir l’une de ces bêtes qui paissent librement
l’herbe des champs, afin que je puisse entrer dans le pays saint ! » Mais l’Éternel
repoussa cette requête. « Seigneur, reprit le prophète, que je devienne alors un oiseau !
Je pourrai ainsi survoler le pays saint ! » L’Éternel refusa, et Moïse se remit à supplier :
« Un poisson, Seigneur ! Laisse-moi au moins devenir un poisson du Jourdain, et qu’un
nuage parfois me soulève juste assez pour que je puisse voir le pays des enfants
d’Israël !
— N’insiste pas ! » dit l’Éternel. Cependant Moïse supplia encore : « Laisse-moi
seulement embrasser d’un coup d’œil le pays d’Israël ! » Et cela, l’Éternel le lui accorda.
Les derniers jours
« Seigneur ! dit encore Moïse. Ne laisse pas Ton peuple comme un troupeau sans berger.
Il faut à sa tête un homme qui sache le diriger et l’éclairer. » Le choix de l’Éternel se
porta sur Josué. « Je l’inspirerai, dit-il. Appelle Lévites le placèrent dans le Tabernacle,
près de l’Arche d’alliance.
Au dernier jour, Moïse fit défiler les douze tribus du peuple auquel il avait consacré sa
vie et trouva une bénédiction pour chacune. Puis le prophète parla à tout Israël : « J’ai
120 ans aujourd’hui et ne peux plus vous servir de guide car, ainsi en a décidé l’Éternel,
je ne traverserai pas le Jourdain. Soyez forts, vaillants, et l’Éternel ne vous abandonnera
pas. » Il revêtit Josué de son manteau et lui recommanda : « Toi aussi, sois fort et
vaillant. C’est toi qui mèneras le peuple dans la Terre promise, et qui partageras le pays
entre les tribus. L’Éternel t’assistera. Sois donc sans peur et sans faiblesse. »
Tous deux, le maître et l’élève, dirent ensuite la Loi au peuple, Moïse récitant, et Josué
expliquant. L’on vit alors que le visage de Moïse rayonnait comme le soleil et que celui
de Josué resplendissait comme la lune.
Seul, Moïse gravit le mont Nébo. Quand il fut arrivé au sommet, l’Éternel lui fit
contempler la Terre promise. Il donna aux yeux de Moïse le pouvoir d’embrasser tout le
pays d’un seul coup d’œil. Le prophète vit le proche et le lointain, le creux et le relief, le
découvert et le caché, tout cela en un seul regard, et il entrevit aussi le destin du pays.
C’est là que Dieu prit l’âme de son fidèle serviteur. Les proches de Moïse emportèrent
son corps pour l’ensevelir dans la vallée, mais nul n’a connu sa sépulture jusqu’à ce jour.
Le peuple porta son deuil pendant trente jours. Il n’y eut jamais plus, en Israël, un
prophète tel que Moïse. Le Seigneur lui avait parlé face à face, comme un homme
s’entretient avec un autre.
XII
JOSUÉ
1. RAHAB ET LES DEUX ESPIONS
Après la mort de Moïse, il revint donc à Josué de diriger le peuple. Pleurant son maître,
il laissa passer un mois de deuil avant d’entamer les préparatifs pour entrer dans le pays
de Canaan, la terre que le Seigneur avait désignée aux enfants d’Israël. Trois jours avant
le départ, Josué envoya deux explorateurs dans la ville de Jéricho, située en face, sur

l’autre rive du Jourdain. Déguisés en marchands, les


hommes se rendirent au pied des murs épais qui ceignaient la ville, et réussirent à
passer la porte. Puis ils sillonnèrent les rues en vantant leur marchandise. « Qui veut des
poteries ? criaient-ils. Les belles poteries ! »
Ils furent frappés d’entendre les habitants parler avec terreur de Josué et de son peuple.
À la tombée de la nuit, ils trouvèrent à se loger chez Rahab, une aubergiste accueillante,
dont la maison
s’adossait au rempart de la cité. Mais ils s’étaient fait repérer. Le roi de Jéricho envoya
une patrouille d’hommes qui demandèrent à Rahab de les livrer.
« Ils m’ont demandé si l’on fermait les portes de la ville pour la nuit, déclara
l’aubergiste. J’ai dit oui, et ils sont vite repartis. Cela fait peu de temps. Si vous
dépêchez, vous pourrez les rattraper. » Auparavant, elle avait pris soin de cacher les
deux Hébreux sous le lin étendu sur sa terrasse (23) .
À peine la patrouille repartie, Rahab monta sur le toit et leur dit : « Je sais que votre
peuple est protégé par un Dieu tout-puissant, l’Éternel, qui vous a fait sortir d’Égypte, a
fendu la mer en deux, vous a rendus vainqueurs des royaumes de Sihon et d’Og. Les
habitants de Jéricho ont perdu courage, ils savent que vous prendrez la ville et le pays de
Canaan. Puisque j’ai été charitable envers vous, promettez-moi de m’épargner alors,
ainsi que ma famille. »
Les deux explorateurs, reconnaissants, lui dirent : « Quand tu verras notre peuple
approcher, attache un cordon rouge à ta maison afin que nous puissions la reconnaître.
Tous ceux qui se trouveront chez toi seront sains et saufs, mais que personne ne sorte.
Promets aussi de garder le secret. »
Rahab les fit descendre au moyen d’une corde, et ils se retrouvèrent de l’autre côté de la
muraille. Puis ils se dépêchèrent, ainsi qu’elle le leur avait conseillé, d’aller se cacher
pendant trois jours dans la montagne.
Quand leurs poursuivants eurent renoncé à les chercher, les deux Hébreux traversèrent
le Jourdain et rendirent compte à Josué de toute l’aventure. En apprenant que les
Cananéens tremblaient de peur, le peuple comprit que l’Éternel leur livrerait le pays.
2. LE PASSAGE DU JOURDAIN
Les enfants d’Israël se trouvaient donc installés sur les territoires d’Og et de Sihon, les
deux rois vaincus par Moïse. Ces pays (24) avaient été accordés aux tribus de Ruben,
Gad et à une partie de celle de Manassé.
Avant le départ, Josué s’adressa aux hommes des trois tribus. « Femmes et enfants,
précisa-t-il, resteront sur cette rive. Mais vous tous, hommes valides, vous marcherez
avec vos frères jusqu’à ce qu’ils soient à leur tour établis sur des terres. Vous reviendrez
alors vous fixer de ce côté-ci du Jourdain. »
C’était au printemps, et le fleuve roulait des crues torrentielles. Comment le faire
traverser à plus de deux millions d’êtres, suivis de leur bétail ?
L’Arche d’alliance, portée par les prêtres, partit en tête. Sitôt qu’ils eurent trempé leurs
pieds dans le Jourdain, les eaux d’amont s’arrêtèrent, formant un mur, tandis que les
eaux d’aval continuèrent à s’écouler vers la mer.
Les prêtres s’avancèrent jusqu’au milieu du lit, où ils s’immobilisèrent. Quand tout le
peuple eut traversé à pied sec, Josué leur ordonna de suivre à leur tour. À peine les
derniers prêtres eurent-ils atteint la berge que le Jourdain se remit à rouler ses flots
impétueux.
Douze pierres recueillies dans le lit du Jourdain se dressèrent soudain, en cercle, sur le
rivage. Josué lui-même avait rassemblé douze autres pierres à l’endroit, au milieu du
fleuve, où s’étaient tenus les prêtres. Marques qui devaient éternellement rappeler aux
hommes le passage miraculeux du Jourdain. Tout comme la mer Rouge quarante ans
plus tôt, il s’était ouvert pour laisser passer le peuple à pied sec.
À présent, les enfants d’Israël foulaient le sol de la Terre promise. Dans les plaines de
Jéricho, ils trouvèrent du blé et des fruits à volonté. Le lendemain de la Pâque, la manne
cessa de tomber.
3. LA PRISE DE JÉRICHO
Jéricho, la ville des Palmiers, était une cité imposante, entourée de murs d’enceinte très
épais. Comment s’en emparer ? Un homme, tenant une épée nue et se présentant
comme le chef de l’armée de l’Éternel, avait donné des instructions à Josué.
Pendant six jours, les Hébreux firent une fois par jour le tour de la ville en procession.
En tête, marchaient sept prêtres en grand apparat, munis de shofars (25) . Puis venait
l’Arche sainte, suivie des guerriers.
Au septième jour, les sept prêtres firent sept fois le tour. Au septième tour, quand le son
du shofar s’élança vers le ciel, le peuple poussa un cri immense, et les murailles
s’écroulèrent.
Seuls Rahab et les siens furent épargnés. Les Hébreux passèrent au fil de l’épée tous les
habitants et tous les animaux. Ils brûlèrent toutes les maisons et ce qu’elles contenaient
(26) . Nul ne devrait profiter du butin.

4. LA PRISE D’AÏ
La route de Canaan s’ouvrait à présent devant les troupes de Josué. Encore fallait-il
franchir une chaîne montagneuse, défendue par la forteresse d’Aï. Josué envoya
quelques explorateurs, qui dirent à leur retour : « Ce n’est qu’une petite ville. Ne fatigue
pas tout le peuple par cette expédition. »
Or les habitants d’Aï repoussèrent les trois mille guerriers hébreux, les poursuivirent
dans les collines et tuèrent trente-six hommes.
Le peuple se découragea. Pourquoi cette défaite ?
Josué s’interrogeait, assombri, lorsque son regard se posa sur le pectoral du grand-
prêtre. Toutes les pierres précieuses brillaient de leur éclat habituel, sauf celle de Juda,
terne. Un tirage au sort parmi les membres de cette tribu désigna un nommé Akhan.
« Qu’as-tu fait ? questionna Josué. Ne me cache rien. » Akhan avoua qu’il avait péché
lors de la prise de Jéricho. Bravant l’interdiction de piller, il s’était emparé d’un manteau
de pourpre, ainsi que d’or et d’argent. Sa désobéissance ayant causé la défaite d’Israël, le
peuple le lapida et brûla tous ses biens.
Josué renouvela l’attaque contre la ville d’Aï, mais changea de tactique. Durant la nuit, il
posta le gros de son armée en embuscade dans les bosquets qui se trouvaient d’un côté
de la cité puis, au matin, il s’avança ouvertement de l’autre côté, à la tête d’une petite
troupe.
Quand le roi d’Aï vit arriver les attaquants, il livra bataille à la porte de la ville. Josué
feignit de lâcher prise et, avec ses hommes, s’enfuit à toutes jambes vers le désert,
entraînant les guerriers d’Aï à sa poursuite…
Ce fut alors un jeu d’enfant, pour les Hébreux embusqués, de s’emparer de la forteresse
et de mettre le feu. Pris entre les troupes ennemies comme dans une paire de tenailles,
les habitants d’Aï ne purent que se rendre.
5. LA RUSE DES GABAONITES
Après la prise d’Aï, Josué fit savoir aux peuples cananéens qu’il laisserait partir en paix
ceux qui accepteraient de quitter le pays. Quant aux autres, ils pouvaient se préparer à la
guerre.
Tous décidèrent de s’allier pour faire front à Josué, à l’exception des Gabaonites, qui
inventèrent un stratagème.
Couverts de haillons poussiéreux, menant des ânes décharnés qui portaient des outres
crevées, ils se mirent en route. Pour toutes provisions, ils emportaient du pain rassis,
piqué de moisissure.
Ainsi équipés et feignant une fatigue extrême, ils se présentèrent devant Josué et
dirent : « Nous venons d’un pays lointain, bien au-delà, bien au-delà de Canaan… La
renommée de votre Dieu, l’Éternel, est parvenue jusqu’à nous et nous souhaitons te
proposer une alliance… Ne nous repousse pas, nous qui avons parcouru un si long
chemin. Vois notre pain dur et moisi, que nous avons emporté tout chaud. Vois nos
outres à vin sèches et déchirées, que nous avions emportées bien pleines. Vois l’état des
beaux vêtements neufs que nous avions mis en ton honneur, de nos chaussures percées
par le voyage ! »
Josué, convaincu, signa un traité de paix avec les Gabaonites et les voyageurs repartirent
munis de provisions et de nouvelles outres à vin bien pleines.
Or, trois jours plus tard, quand Josué et ses troupes se furent remis en marche, ils
s’arrêtèrent aux portes d’une ville et s’aperçurent qu’ils se trouvaient devant Gabaon !
Fidèle à son serment, Josué épargna les hommes mais il les consigna au service du
Tabernacle. Toute leur vie, de père en fils, en tout lieu où se trouvait le sanctuaire, les
Gabaonites furent fendeurs de bois et porteurs d’eau.
6. SOLEIL, ARRÊTE-TOI !
Le roi de Jérusalem, ayant appris ce qu’il était advenu des villes de Jéricho, d’Aï, et
comment avaient réagi les Gabaonites, fut saisi de terreur. En effet, les habitants de
Gabaon, une grande ville, passaient pour des hommes forts et courageux.
Ce souverain proposa aux quatre rois voisins d’attaquer ensemble Gabaon et de punir
ses habitants de leur traîtrise. Ces derniers appelèrent Josué à leur secours. À la tête de
ses troupes, il marcha toute la nuit et, au petit matin, attaqua les forces ennemies.
Les Cananéens subirent une défaite cuisante. Tandis qu’ils s’enfuyaient dans la
montagne, une pluie de météorites s’abattit sur eux, faisant de nombreuses victimes.
Cependant le soleil commençait à descendre et Josué comprit avec désespoir que les
cinq rois allaient lui échapper. Il fit alors une prière à l’Éternel, et dit devant tout Israël :
Soleil, arrête-toi sur Gabaon !
Et toi, Lune, fais halte sur Ayyalon !…
Le soleil s’arrêta, la lune fit halte. Immobile dans le ciel, le soleil offrit sa lumière
pendant près d’un jour et Josué captura les cinq rois.
7. LE LOUP DU DÉSERT
Lentement, avec l’obstination de l’homme qui s’accroche au roc pour gravir la
montagne, Josué et ses troupes poursuivirent la conquête du pays.
Ils prirent les villes de Makkéda, Libna, Lakhich, Églon, Hébron, Debir dans un même
élan. Puis Josué soumit tout le territoire depuis Qadesh jusqu’à Gaza, et tout le district
de Goshen jusqu’à Gabaon. Enfin il ramena ses troupes au camp de Gilgal.
À cette nouvelle, quarante-cinq rois s’unirent pour repousser celui qu’ils appelaient le
« loup du désert ». Ils levèrent une armée aussi nombreuse que le sable du rivage de la
mer et vinrent camper, avec une multitude de chars et de chevaux, près du lac de
Mérom. Cependant Josué les prit de vitesse et tailla leur armée en pièces.
Désormais, plus aucun Cananéen ne s’opposa à Josué. En sept années de conquête, il
avait vaincu trente et un rois.
Il importait à présent de répartir les territoires entre les tribus. Celles de Ruben, Gad et
une moitié de Manassé avaient souhaité s’établir en deçà du Jourdain. Josué le leur
accorda et partagea le pays entre les autres tribus.
Après un tirage au sort, Juda, Siméon et Benjamin s’établirent dans le Sud. Les terres du
centre revinrent à Dan, Éphraïm et à l’autre moitié de la tribu de Manassé. Quant à
Issachar, Zabulon, Nephtali et Asher, ils se partagèrent le Nord.
Les Lévites, qui étaient destinés au service divin, ne reçurent pas de terres, mais
quarante-huit villes réparties sur l’ensemble du pays. Parmi celles-ci, six devinrent des
villes de refuge pour accueillir les meurtriers involontaires. Ceux-ci s’y trouveraient
protégés de toute vengeance tant que le tribunal de leur ville n’aurait pas décidé de leur
sort.
À présent, sa mission accomplie, le « loup du désert » pouvait quitter la vie terrestre.
« Je suis vieux et chargé de jours », dit Josué. L’âme en paix, il rassembla Israël, rappela
les miracles que l’Éternel avait accomplis pour le peuple et lui fit promettre de rester
fidèle à Dieu.
Il mourut âgé de 110 ans et fut enseveli sur une montagne d’Éphraïm, sa tribu. Sur sa
tombe, une colonne de pierre rappela le pouvoir étonnant que la foi lui avait donné. De
sa main levée, il avait immobilisé le soleil. Pareille journée ne se verrait plus jamais.
INDEX
[A]
Aaron  : Descendant de Lévi, frère de Moïse et de Myriam. Premier grand-prêtre.
Ancêtre des Lévites. Abel  : Second fils d’Adam et d’Ève, berger, jalousé et assassiné
par son aîné Caïn. Abraham (Abram)  : Premier Patriarche. Fils de Térah. Ancêtre
des Arabes par Ismaël, fils d’Hagar, ainsi
que des Juifs par Isaac, fils de Sara. Oncle de Loth.
Adam  : Premier homme, ancêtre de l’humanité. N’ayant pas su résister à la tentation,
il est chassé du Paradis avec Ève, sa compagne. Ses fils sont Caïn, Abel et Seth.
Aï  : Deuxième ville cananéenne attaquée par Josué. Il la conquiert par une ruse, à la
seconde tentative. Akhan  : Lors de la prise de Jéricho, transgresse l’interdiction de
pillage. Lapidé par le peuple. Amalek (Amalécites)  : Premier ennemi d’Israël
pendant la traversée du désert. Vaincu par Josué tandis que
Moïse priait, les bras soutenus par Aaron et Hour.
Amram  : Père de Aaron, Myriam, Moïse. Époux de Jocabed. Ange(s)  : Serviteurs
de l’Éternel, ils manifestent Sa volonté sur la terre. Ararat (mont)  : Sommet d’une
chaîne montagneuse de Turquie. Nommé dans la Bible comme étant le point
de chute de l’arche de Noé.
Arc-en-ciel  : Après le Déluge, signe de l’alliance de Dieu avec les hommes. Arche  :
Vaisseau construit par Noé, d’après les instructions divines, pour abriter sa famille et un
couple
d’animaux de chaque espèce lors du Déluge.
Arche d’alliance (Arche sainte)  : Coffre de bois, construit selon les indications de
Moïse, pour contenir les Tables de la Loi.
Asher  : Huitième fils de Jacob et second fils de Zilpa, servante de Léa. Ancêtre de la
tribu d’Asher. Azrun  : D’après la légende, fille d’Adam et d’Ève, sœur jumelle d’Abel.
[B]
Babel (tour de)  : Édifiée par Nemrod afin d’abattre le souverain qui réside au ciel et
le punir ainsi d’avoir exterminé les hommes par le Déluge. De là date la diversité des
langages.
Babylonie  : Partie de la Mésopotamie entourant la ville de Babylone. Balaam  :
Mage mésopotamien. Balaq, roi de Moab, fait appel à lui pour maudire l’armée de
Josué. Balaq  : Roi de Moab qui, ayant vu tomber Jéricho, fait appel au mage Balaam
pour empêcher les Hébreux de
poursuivre leur chemin victorieux.
Batouel  : Fils de Nahor, père de Rébecca et de Laban.
Beersheba  : Ville où vivent Abraham, puis Isaac.
Benjamin  : Dernier-né de Jacob, deuxième fils de Rachel ; ancêtre de la tribu de
Benjamin. Bilha  : Servante de Rachel ; donne deux fils à Jacob, Dan et Nephtali.
Bithya  : Fille de Pharaon qui découvre Moïse sur le Nil, et l’adopte.
[C]
Caïn  : Fils aîné d’Adam et d’Ève, frère d’Abel et de Seth. Laboureur. Il tue son frère
Abel. Caleb  : L’un des douze explorateurs envoyés par Moïse au pays de Canaan. Il est
le seul Hébreu sorti
d’Égypte, avec Josué, à pouvoir entrer en Terre promise.
Canaan  : « Terre promise », ainsi dénommée car l’Éternel l’a promise aux
descendants d’Abraham. Chaldée  : Région qui s’étend autour de la ville d’Ur.
Cham  : Fils de Noé, frère de Sem et de Japhet. Il est maudit par son père pour son
manque de respect envers Dan  : Cinquième fils de Jacob et premier-né de Bilha, la
servante de Rachel. Ancêtre de la tribu de Dan. Déluge  : Torrents d’eau, d’une durée
de quarante jours, envoyés par Dieu sur la Terre pour faire périr ses
habitants, violents et corrompus.
Diable (Satan)  : Incarnation du Mal.
Dina  : Fille de Jacob et de Léa.
[E]
Éden (Jardin d’Éden)  : Paradis. Jardin terrestre, planté par l’Éternel pour accueillir
Adam et Ève. Édom  : Territoire qui s’étend du sud de la mer Morte au nord de la mer
Rouge. Le roi d’Édom refuse le
passage à Moïse.
Égypte  : Pays du nord-est du continent africain, traversé par le fleuve Nil. Après
l’arrivée de Jacob et de sa famille, les Hébreux y vécurent d’abord heureux, puis en
esclavage.
Éléazar  : L’un des fils d’Aaron. Il lui succède en tant que grand-prêtre. Éliézer  : Le
plus ancien serviteur d’Abraham. Bien que son nom ne soit pas mentionné dans la Bible
à ce
propos, il est vraisemblablement celui qui part chercher une épouse pour Isaac.
Éliphaz  : Fils aîné d’Ésaü. Ancêtre des Édomites.
Éphraïm  : Fils cadet de Joseph, né en Égypte. Ancêtre de la tribu d’Éphraïm. Ésaü  :
Fils d’Isaac et de Rébecca, frère jumeau de Jacob et premier-né. Euphrate  : Fleuve
d’Asie qui se jette, après avoir été rejoint par le Tigre, dans le golfe Persique. Ève  :
Première femme et compagne d’Adam. Tentée par le serpent, elle lui fait goûter au fruit
de l’arbre de la
connaissance du bien et du mal. Mère de Caïn, Abel et Seth.
[F]
Femme de Loth  : Est transformée en statue de sel quand, désobéissant, elle se
retourne pour voir la destruction de Sodome et de Gomorrhe.
Femme de Putiphar  : Épouse du maître de Joseph en Égypte. Ayant tenté de le
séduire, elle est la cause de sa mise au cachot.
[G]
Gabaon (Gabaonites)  : Ville du pays de Canaan. Les Gabaonites arrachent par ruse
un traité d’alliance à Josué.
Gad  : Septième fils de Jacob et premier fils de Zilpa, la servante de Léa. Ancêtre de la
tribu de Gad. Gilgal  : Lieu où Josué fait camper le peuple après la traversée du
Jourdain. Douze pierres rappellent le
passage miraculeux.
Goshen  : Région située dans le delta du Nil, en Égypte, attribuée par Pharaon à Jacob
et à ses descendants. [H]
Hagar  : Servante égyptienne de Sara, qui donne à Abraham son fils Ismaël. Haran  :
Ville où l’Éternel apparaît à Abraham pour lui commander de se rendre dans le pays de
Canaan. Hébron  : Ville où Abraham dresse ses tentes lors de son arrivée dans le pays
de Canaan. Plus tard, à la mort
de Sara, il y acquiert la caverne de Makhpéla, qui devient le tombeau des Patriarches.
Hénoch  : Fils de Caïn et père de Mathusalem.
Holocauste  : Offrande d’animaux, dont les corps, en brûlant sur l’autel, produisent
une odeur agréable à l’Éternel.
Horeb (mont)  : Lieu où Moïse aperçoit le buisson ardent.
Hour  : Mari de Myriam. Avec Aaron, il soutient les bras de Moïse en prière pendant
que Josué combat Amalek.
[I]
Isaac  : Fils d’Abraham et de Sara. Son père accepte de l’offrir en sacrifice à l’Éternel,
qui le remplace par un bélier. Il épouse Rébecca qui lui donne des jumeaux, Ésaü et
Jacob.
Ismaël  : Fils d’Abraham et de l’Égyptienne Hagar. Ancêtre des Ismaélites. Israël
(Jacob)  : Nom de Jacob après avoir combattu avec l’ange de l’Éternel. Ses
descendants seront
nommés les enfants d’Israël.
Issachar  : Neuvième fils de Jacob et cinquième fils de Léa. Ancêtre de la tribu
d’Issachar. [J]
Jacob (Israël)  : Fils d’Isaac et de Rébecca. Achète le droit d’aînesse à son jumeau
Ésaü. Épouse Léa et Rachel. Père de douze fils qui seront les ancêtres des douze tribus et
des Lévites (voir Israël).
Japhet  : L’un des fils de Noé, frère de Sem et de Cham.
Jéricho  : Première ville cananéenne conquise par Josué. Ses murailles s’écroulent au
son du shofar (corne de bélier) et du cri poussé par le peuple.
Jéthro  : Conseiller de Pharaon, puis prêtre de Madian. Il a sept filles dont l’une,
Séphora, épouse Moïse. Jocabed  : Mère de Aaron, Myriam, Moïse. Épouse d’Amram.
Joseph  : Fils de Jacob et de Rachel. Époux d’Osnath, père de Manassé et d’Éphraïm.
Vendu comme esclave
par ses frères, il interprète le rêve de Pharaon, qui le nomme vice-roi d’Égypte. Josué
 : Choisi par Moïse pour livrer bataille à Amalek, devient ensuite son disciple et, après sa
mort, mène les
Hébreux au pays de Canaan, la Terre promise, qu’il divise entre les douze tribus.
Jourdain  : Fleuve qui se jette dans la mer Morte. Arrête son cours pour laisser les
Hébreux passer à pied sec
et entrer dans le pays de Canaan.
Juda  : Quatrième fils de Jacob et de Léa. Ancêtre de la tribu de Juda. [K]
Kouch  : fils de Cham, père de Nemrod.
[L]
Laban  : Fils de Batouel, frère de Rébecca, père de Léa et de Rachel qui épouseront
Jacob. Léa  : Fille aînée de Laban. Épouse de Jacob, mère de Ruben, Siméon, Lévi,
Juda, Issachar, Zabulon et Dina. Lévi  : Troisième fils de Jacob et de Léa. Ancêtre
d’Amram, d’Aaron (ainsi que Myriam et Moïse) et des
Lévites.
Lévites  : Tribu des descendants de Lévi, assistants des prêtres. Loth  : Neveu
d’Abraham, il le suit jusqu’au pays de Canaan et choisit la riche contrée de Sodome. Il
échappe,
avec deux de ses filles, à la destruction de la ville.
[M]
Madian  : Contrée d’Arabie où Moïse trouve refuge, auprès de Jéthro, quand il s’enfuit
d’Égypte. Makhpéla  : Tombeau des Patriarches, près d’Hébron. Caverne achetée par
Abraham pour y enterrer Sara. Là
seront ensuite enterrés Abraham, Isaac, Rébecca, Jacob et Léa. Manassé  : Fils aîné
de Joseph, né en Égypte, et ancêtre de la tribu de Manassé. Manne  : « Pain du ciel ».
Aliment qui nourrit les Hébreux pendant les quarante ans de la traversée du désert.
Mathusalem  : Descendant de Seth et grand-père de Noé. Il meurt à 969 ans. Mer
Morte  : Mer intérieure, point le plus bas de la terre. Son eau est fortement salée, à tel
point qu’aucune
plante n’y pousse.
Mer Rouge  : Mer qui sépare les côtes égyptiennes de la péninsule du Sinaï. Elle se
fend en deux pour laisser passer les Hébreux à pied sec et engloutit les Égyptiens lancés
à leur poursuite.
Mésopotamie  : Région d’Asie comprenant les vallées du Tigre et de l’Euphrate, ainsi
que le pays intermédiaire.
Moïse  : Prophète qui, sur l’ordre de l’Éternel, fait sortir les Hébreux d’Égypte et les
entraîne vers la Terre promise. Il leur transmet la Loi dictée par Dieu sur le mont Sinaï.
Époux de Séphora, fille de Jéthro.
Moria (mont)  : Endroit désigné par l’Éternel à Abraham pour le sacrifice d’Isaac.
Myriam  : Sœur de Moïse et d’Aaron. La source qui suivait les Hébreux dans le désert
se tarit à sa mort.
[N]
Nahor  : Fils de Térah, frère d’Abraham, père de Batouel, grand-père de Rébecca et de
Laban. Nébo (mont)  : Montagne qui surplombe le Jourdain, en face de Jéricho.
Moïse y meurt après avoir entrevu
la Terre promise.
Nemrod  : Fils de Kouch, petit-fils de Cham (le fils maudit par Noé). Grand chasseur
devant l’Éternel. Ordonne la construction de la tour de Babel. Fait jeter Abraham dans
la fournaise ardente. Est tué par Ésaü.
Nephtali  : Sixième fils de Jacob et deuxième fils de Bilha, la servante de Rachel.
Ancêtre de la tribu de Nephtali.
Nil  : Le plus long fleuve du monde. Arrose l’Égypte où, dans l’Antiquité, il est
considéré comme un dieu. Noé  : Descendant de Seth. Homme juste et bon, il reçoit de
l’Éternel l’ordre de construire l’arche. Il s’y réfugie
avec sa famille, accueille un couple de chaque espèce animale et échappe au Déluge. [O]
Og  : Roi de Bashan. Il refuse aux Hébreux le passage vers le pays de Canaan, impose le
combat aux guerriers de Moïse, est battu et doit céder son territoire.
Osnath  : Épouse égyptienne de Joseph, mère de Manassé et d’Éphraïm. [P]
Pâque  : Fête qui commémore la sortie d’Égypte.
Pharaon  : Nom des souverains égyptiens successifs. (Ils apparaissent dans cet
ouvrage à propos d’Abraham, de Joseph et de Moïse).
Putiphar  : Chef des gardes de Pharaon, qui achète Joseph aux marchands ismaélites.
[R]
Rachel  : Fille de Laban, sœur de Léa. Épouse de Jacob. Mère de Joseph et de
Benjamin. Rahab  : Femme habitant Jéricho, qui accueillit les deux explorateurs
envoyés par Josué. Rébecca  : Petite-fille de Nahor, sœur de Laban, elle rencontre au
puits le serviteur d’Abraham qui cherche
une épouse pour Isaac. Vingt ans après le mariage, naissent les jumeaux Jacob et Ésaü.
Ruben  : Premier fils de Jacob et de Léa. Ancêtre de la tribu de Ruben. Sara (Saraï)
 : Femme d’Abraham. Mère d’Isaac. Il naît alors que Sara, déjà vieille, pense n’avoir
jamais
d’enfant.
Satan  : voir Diable.
Sem  : Père des peuples « sémitiques ». Fils aîné de Noé. Frère de Cham et de Japhet.
Ancêtre d’Abraham. Séphora  : Fille de Jéthro. Épouse de Moïse.
Seth  : Troisième fils d’Adam et d’Ève. Ancêtre de Noé.
Shabbat  : Pour les Juifs, jour de repos et de prière, qui commence le vendredi soir
avant la tombée de la nuit et se termine le samedi soir. Quatrième Commandement : Tu
respecterasle jour du Shabbat .
Sichem  : Ville du pays de Canaan où s’installe Abraham.
Sihon  : Roi amoréen. Il refuse le passage aux Hébreux en route vers Canaan, lève son
armée et perd son territoire.
Siméon  : Deuxième fils de Jacob et de Léa. Ancêtre de la tribu de Siméon. Sinaï
(désert de)  : Péninsule désertique où les Hébreux séjournent pendant quarante ans.
Sinaï (mont)  : Montagne au sommet de laquelle Moïse reçoit la Loi divine.
Sodome  : Riche contrée où Loth choisit de s’établir. Détruite par le soufre et le feu à
cause de l’indignité de
ses habitants.
[T]
Tabernacle  : Sanctuaire portable construit par les Hébreux dans le désert. Térah  :
Père d’Abraham et de Nahor. Il quitte Ur avec ses fils et meurt à Haran. Torah  : Loi
divine.
[U]
Ur  : Ville de Chaldée où est établi Térah, le père d’Abraham.
[V]
Veau d’or  : Idole fabriquée par une partie du peuple hébreu tandis que Moïse se
trouve sur le mont Sinaï. [Z]
Zabulon  : Dixième fils de Jacob et sixième fils de Léa. Ancêtre de la tribu de Zabulon.
Zilpa  : Servante de Léa. Donne deux fils à Jacob, Gad et Asher.
vivre. C’est le point le plus bas de la terre. Son niveau subit des variations. En 1992, il
était à 395 mètres sous la surface de la mer Méditerranée.
6  D’après le Coran, livre saint des musulmans, Ismaël est le père du peuple arabe. 7  Il
faut lire cela en sachant que les Cananéens sacrifiaient des enfants premiers-nés pour
obtenir la
bénédiction de leurs dieux.
 
8  L’holocauste, sacrifice où la victime est entièrement consumée par le feu, est d’odeur
agréable à l’Éternel. Raison pour laquelle l’emploi de ce mot, concernant le génocide des
Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, est jugé impropre.
9  Sara mourut à 127 ans, avant le mariage d’Isaac. Abraham acquit la grotte de
Makhpéla, y ensevelit Sara. Lui-même s’éteignit à 175 ans. Ses fils Isaac et Ismaël
l’enterrèrent au côté de Sara.
10  L’aîné est chargé de maintenir la tradition familiale. Ici, la tradition de foi, de justice
et de bonté instituée par Abraham. Jacob sait qu’Ésaü, fourbe et incroyant, ne saurait
devenir un chef de cette sorte.  
11  Premier polygame de la lignée, il avait épousé deux femmes cananéennes.  
12  Mot à mot : celui qui lutte avec Dieu.
13  Famille.
14  Ensemble des personnes attachées au service du roi.
15  Du moins ceux des pays qui, à l’époque, étaient connus des Égyptiens. 16  Le Nil,
qui fertilisait les terres en débordant, était considéré comme un dieu en Égypte.
 
17  Les sauterelles constituaient à l’époque un mets apprécié.
18  La Pâque juive célèbre la sortie d’Égypte et dure huit jours. Il est prescrit, pendant
cette période, de remplacer le pain par des galettes de pâte cuite sans levure, les pains
azymes.  
19  Salée.
20  Texte également désigné par le terme grec de Décalogue, ou sous le nom des Dix
Commandements. 21  Elles ont pour ancêtres dix fils de Jacob et les deux fils de
Joseph. 22  Ce texte constitue le cinquième livre du Pentateuque, le Deutéronome.  
23  Le toit des maisons constituait une terrasse.
24  Plus tard, ils constitueront la Transjordanie.
25  Corne de bélier, utilisée en souvenir du sacrifice d’Isaac.
26  Les fouilles exécutées dans le niveau correspondant à la Jéricho de l’époque de
Josué ont mis au jour un terrain calciné qui comportait des grains d’orge et de blé, des
lentilles, des oignons, des dattes. Cela démontre que la ville a été brûlée en pleine
activité. Les processions autour des remparts auraient eu un effet rassurant sur les
habitants.
27  Cinq siècles plus tard, sous le règne d’Achab, Hiel de Béthel tenta de rebâtir la cité.
Il perdit son fils aîné.

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