La Palette de Narmer
La Palette de Narmer
La Palette de Narmer
L€gendes des images : Pour l’‚ternit€ ƒ Un peu d’histoire : ~ 5000 ans d’histoire
Mais sur cette tablette et sur d’autres semblables (on en poss…de plusieurs qui sont
compl…tes et quelques morceaux appartenant „ d’autres), il semble que l’€volution
artistique ait fait un v€ritable bond en avant. Elle rec…le d’une part des €l€ments et des
proc€d€s extrˆmement anciens et de l’autre les clefs de l’art €gyptien classique.
Cette tablette fut d€couverte par l’arch€ologue anglais James Quihell en 1897 dans
l’entrep‰t principal du temple d’Hi€raconpolis (Nekhen), l’actuel Kom el-Ahmar.
Actuellement, elle se trouve au Mus€e €gyptien du Caire. Sa forme rappelle celle d’un
bouclier triangulaire de 64 cm de hauteur, 42 cm de largeur et 2,5 cm d’€paisseur.
L’espace disponible est divis€ en diff€rents registres horizontaux. La pierre utilis€e
provient probablement du Ouadi Hammamat, une carri…re du d€sert arabique exploit€e
d…s cette €poque. Cette pierre r€sistante servait le plus souvent „ la fabrication
d’objets destin€s aux rituels religieux ou fun€raires. Les palettes en schiste,
nombreuses d…s l’€poque pr€pharaonique, ne sont „ l’origine que de simples rectangles ou
disques. Progressivement, elles €voluent vers des formes animales, adoptant la
silouhette d’une tortue ou d’un poisson. Š la fin de l’€poque nagadienne, leur d€cor
€voque plus souvent un €v€nement historique ou mythologique. On les qualifient alors
d’histori€es.
Il s’agit d’une variante, beaucoup plus grande que les exemplaires destin€s „ un usage
quotidien, de ces plaques de schistes de formes diverses sur lesquelles on €crasait la
malachite, dont la poudre verte servait de fard et de protection pour les yeux.
Cette palette pr€sente une ordonnance logique et une grande sobri€t€ dans le dessin ;
cette œuvre fait ressortir les conventions et caract€ristiques essentielles auxquelles
sont soumises les repr€sentations et hi€roglyphes dans l’art pharaonique :
€ l’avers (recto)
Le 1er registre - Plac€ au-dessus de toutes les repr€sentations nous r€v…le le nom du
roi, dans le glyphe (serekh, un pr€curseur du cartouche, qui repr€sente le palais royal.
Le rectangle contient une repr€sentation du poisson-chat (silure) que nous lisons nar, et
imm€diatement au-dessous, €galement „ l’int€rieur du rectangle, la faŽade du palais
royal form€e de traits verticaux au sein desquels appara•t la masse de sculpteur que
nous lisons mer. Les deux traduisent donc le nom Narmer, • le poisson-chat qui frappe ƒ.
Ce nom prend tout son sens lorsque l’on sait qu’il existait une vari€t€ de poisson-chat qui
infligeait une douleur cuisante en provoquant une forte d€charge €lectrique „ celui qui le
touchait.
Le nom du roi est entour€ de deux tˆtes f€minines portant des oreilles et des cornes
bovines aux formes douces et onduleuses. Elles sont l’enseigne de Bat, une divinit€ qui
sera rapidement assimil€e par la d€esse vache Hathor. L’iconographie de cette d€esse,
repr€sent€e ici pour la premi…re fois, demeurera invariable. Ainsi appara•t pour la
premi…re fois un €l€ment qui deviendra tr…s banal dans la repr€sentation artistique des
dieux €gyptiens : la fusion de traits humains avec des traits animaux.
La sc…ne se d€roule sous la protection de la d€esse Hathor, figur€e „ deux reprises, sur
le registre sup€rieur
Sur cette face de la palette, le roi porte la coiffe rouge (deschret) de Basse-‚gypte, il
se livre „ ses activit€s rituelles et gouvernementales, tandis que la procession royale
comporte tous les auxiliaires humains du pouvoir : les prˆtres en la personne des quatre
porte-€tendard ; la bureaucratie personnifi€e par le scribe (tjet), reconnaissable aux
encriers qu’il porte sur l’€paule ; enfin le fonctionnariat palatin incarn€ par le porte-
sandales du roi qui tient €galement les objets n€cessaires aux ablutions royales –
aigui…re, bassin, serviette.
Toute cette procession s’avance vers le temple d’Horus et il inspecte le butin symbolis€
par des ennemis ligot€s et d€capit€s (la tˆte coup€e plac€e entre les jambes, exprime
l’ampleur de la d€faite). Au-dessus des dix ennemis d€capit€s nous trouvons une barque
avec sa cabine et une porte accoupl€e „ un faucon. Il s’agit de deux localit€s : “la porte
d’Horus” et “le nome du Harpon”.
C’est dans l’ach…vement du processus d’unification des deux terres que se situe ce
document, principe de dualit€ consubstanciel „ la royaut€ €gyptienne. L’image s’est fix€e
en un st€r€otype appel€ „ traverser trois mill€naires : celle du roi massacreur. Tandis
qu’au plan social, l’ascension vertigineuse de l’€lite se traduit par la monumentalit€ des
tombeaux et l’accumulation du mobilier fun€raire, elle s’exprime ici par une sorte
d’exaltation de la violence, violence totalement domin€e par l’institution monarchique,
qui, loin de traduire simplement des €v€nements, sublime la force et la puissance,
exprime une id€ologie dont se g€n€rera l’image du Pharaon „ travers les si…cles „ venir.
La pr€sence du godet notifie que le r‰le premier de l’objet n’a pas €t€ oubli€, qu’il s’agit
bien d’une palette „ fard et non d’un simple et innocent support pour une iconographie de
caract…re monarchique.
Le 4e registre - La sc…ne repr€sente le roi sous la forme d’un taureau, trapu et
menaŽant, pi€tinant un homme tomb€ „ terre et abattant „ coups de cornes un mur
d’enceinte dont certaines briques sont d€j„ tomb€es. C’est une repr€sentation de la
victoire du souverain sur les hommes et sur les fortifications.
Sur cette sc…ne, c’est encore le roi qui est repr€sent€ par l’animal symbolisant la force
(avec le lion). L’€pith…te • taureau puissant ƒ sera tr…s fr€quemment appliqu€e au
pharaon au cours de l’histoire €gyptienne. Par exemple, parler de : Thoutmosis III
(Toutm…s) et de son ka comme • Taureau victorieux qui a brill€ dans les anneaux de
Th…bes ƒ (Ouaset) ; ou encore du nom d’Horus d’Am€nophis III (Amenhotep) qui €tait
• Horus, Taureau victorieux qui appara•t dans la vie ƒ.
€ l’envers (verso)
Le 1er registre - Comme „ l’avers, le premier registre qui chapaute les repr€sentations
inf€rieures, contient le nom du roi entour€ de deux figures de la d€esse Hathor.
Le 2e registre - Ici, on distingue le roi dans toute sa majest€. Narmer est revˆtu des
attributs du pouvoir que conserveront tous les souverains d’‚gypte : couronne blanche
(hedjet) de Haute-‚gypte ; barbe postiche ; un pagne court qui renferme des
broderies ; une queue d’animal attach€e „ sa ceinture, h€ritage des chasseurs de
l’€poque archa“que ; lourde massue qu’il abat sur un captif, proclamant ainsi sa victoire
sur l’ennemi. C’est le geste que les pharaons feront reproduire sur le pyl‰ne des temples,
jusqu’„ l’€poque gr€co-romaine. Ainsi, le roi ne peut se confondre avec aucun de ses
sujets. La musculature, les os des genoux… construisent l’anatomie du roi et lui
conf…rent la puissance. D€j„, il se place sous la protection du faucon Horus, dieu du ciel.
Derri…re la tˆte de l’ennemi figure un signe, le “harpon”, qui est justement le nom d’une
r€gion du Delta.
Derri…re le roi, nous voyons le porteur de sandales, qui est €galement son porte sceaux,
vˆtu d’un pagne, charg€ de sandales et d’une petite jarre d’eau. Le roi, comme tous les
personnages de la palette, est repr€sent€ “pieds nus” [2].
Devant le roi, au-dessus de l’ennemi tomb€ „ terre, un faucon dot€ d’un bras humain
enserre une corde reli€e aux narines d’un homme surgissant d’un fragment de terre
plant€ de papyrus. Cette sc…ne pourrait ˆtre lue comme la repr€sentation du Delta dont
le sens est parfaitement clair : c’est au dieu Horus, le dieu protecteur des rois
€gyptiens, dans le temple duquel cette pi…ce avait €t€ consacr€e, que le roi Narmer est
redevable de sa victoire sur les ennemis. Horus les lui am…ne li€s, et les feuilles qui
sortent de leur sol indiquent „ l’initi€ que le nombre des prisonniers faits sur cette tribu
n’a pas €t€ inf€rieur „ six mille.
Le 3e registre, exprimant la d€faite, montre deux ennemis abattus avec deux symboles
en hi€roglyphe indiquant leur pays d’origine.
L’interpr‚tation
Voici d€j„ une repr€sentation canonique qui survivra tout au long de l’histoire €gyptienne
et qui garantit de faŽon symbolique et magique le r‰le du pharaon dans le maintient de la
ma’t, l’ordre atemporel (non concern€ par le temps) qui doit gouverner les €v€nements
du monde.
La structure d€corative de la tablette laisse supposer que nous sommes en pr€sence d’un
objet votif offert par le roi Narmer „ Hathor, la d€esse du ciel.
Ceci dit, comme €voqu€ plus haut, que repr€sente r€ellement la palette ? Comm€more-t-
elle l’unification de la Haute et de la Basse-‚gypte sous le pouvoir unique du pharaon ?
Comm€more-t-elle une victoire concr…te ? S’agit-il d’une repr€sentation rituelle
propitiatoire .
Il existe probablement plus d’une r€ponse aux questions pos€es ici, r€ponses qui
correspondent dailleurs aux th…ses soutenues „ diverses €poques. Š l’€poque de Narmer,
toute l’‚gypte fut sans doute militairement soumise par les rois de la Haute-‚gypte. La
tablette pourrait alors comm€morer davantage cette situation de conquˆte qu’une simple
victoire.
Par ailleurs, le faucon pos€ sur ce qui semble ˆtre la personnification d’un peuple du
Delta a fait supposer que la palette comm€morait un fait historique : la conquˆte ou
pacification du Delte Occidental. Il s’agissait probablement d’une r€volte men€e par une
coalition de villes „ la tˆte desquelles se trouvait Bouto, symbolis€e par un harpon, et
que Narmer dut €touffer.
Parmi toutes les interpr€tations possibles, celle qui co“ncide le mieux avec la mentalit€
€gyptienne est celle qui repr€senterait une situation atemporelle, la victoire du roi et le
maintient de son pouvoir face aux ennemis de l’‚gypte. Bref, cette repr€sentation aurait
une finalit€ magique : celle d’appuyer les capacit€ du roi „ maintenir la ma’t.
Š l’€vidence, toutes les caract€ristiques de l’…re pharaonique sont d€j„ en place „ cette
€poque : aspects religieux (Horus, Bat), signes distinctifs dans l’habillement (queue de
taureau, couronne), hi€rarchie (pr€sence de serviteurs), €criture (hi€roglyphes) et
id€ologie, pour ne pas dire propagande (le roi terrasse ses ennemis).
[1] Bien que cela soit souvent €voqu€, pour Isabelle Franco, l’ennemi n’est pas un
€gyptien, il porte une barbe. Cette palette ne c€l…bre donc PAS la victoire du Nord sur
le Sud mais la d€faite des b€douins de l’Ouest du delta, les “Tie Henou” qui partiront
ensuite dans le d€sert.
[2] Comme les dieux, les pharaons et les hommes du peuple, Narmer est d€peint pieds
nus. Il est probable qu’il n’y ait plus „ voir que la description d’une pratique courante,
c’est-„-dire le roi suivi de son porte-sandales. On a sugg€r€ qu’ˆtre pieds nus d€note une
obligation forte entre le roi et la terre. Les sandales, r€serv€es aux grands, ont
certainement pu avoir une valeur symbolique. Une paire de sandales, dont les semelles
ont €t€ d€cor€es des ennemis du pharaon, a €t€ trouv€e dans le tombeau de
Toutankhamon.