La Palette de Narmer

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La palette de Narmer

L€gendes des images : Pour l’‚ternit€ ƒ Un peu d’histoire : ~ 5000 ans d’histoire

Période Thinite » La palette de Narmer


D’un point de vue historique, la symbolique de cette palette „ fard €voque l’unification,
par Narmer, des deux grandes r€gions g€ographiques du pays, la Haute et la Basse-
‚gypte. C’est ainsi que ce roi donna naissance „ la monarchie pharaonique qui se perp€tua
pendant pr…s de trois mill€naires. Chef-d’œuvre du mus€e du Caire, la palette de
Narmer est un exemple unique des pr€mices de l’art €gyptien. Son d€cor annonce
certaines des conventions qui r€giront cet art tout au long de la p€riode pharaonique.

La palette de Narmer - Dessin exécuté par son découvreur


Description

Un document exceptionnel appartenant au r…gne de Narmer nous est parvenu : une


magnifique tablette de schiste (ardoise) sculpt€e en bas-relief. Outre le fait une celle-
ci constitue s‡rement l’une des premi…res pages de l’histoire dynastique €gyptienne, cet
ouvrage est d’une telle beaut€ et d’une telle perfection technique qu’elle nous laisse
abasourdi. Certains ont mˆme €mis l’hypoth…se d’une fabrication plus tardive de la
tablette, concr…tement sous la IIe dynastie. Mais cette hypoth…se ne r€siste pas „ la
moindre analyse qui tienne compte de l’€volution iconographique r€elle sous l’€poque
thinite.

Mais sur cette tablette et sur d’autres semblables (on en poss…de plusieurs qui sont
compl…tes et quelques morceaux appartenant „ d’autres), il semble que l’€volution
artistique ait fait un v€ritable bond en avant. Elle rec…le d’une part des €l€ments et des
proc€d€s extrˆmement anciens et de l’autre les clefs de l’art €gyptien classique.

Cette tablette fut d€couverte par l’arch€ologue anglais James Quihell en 1897 dans
l’entrep‰t principal du temple d’Hi€raconpolis (Nekhen), l’actuel Kom el-Ahmar.
Actuellement, elle se trouve au Mus€e €gyptien du Caire. Sa forme rappelle celle d’un
bouclier triangulaire de 64 cm de hauteur, 42 cm de largeur et 2,5 cm d’€paisseur.
L’espace disponible est divis€ en diff€rents registres horizontaux. La pierre utilis€e
provient probablement du Ouadi Hammamat, une carri…re du d€sert arabique exploit€e
d…s cette €poque. Cette pierre r€sistante servait le plus souvent „ la fabrication
d’objets destin€s aux rituels religieux ou fun€raires. Les palettes en schiste,
nombreuses d…s l’€poque pr€pharaonique, ne sont „ l’origine que de simples rectangles ou
disques. Progressivement, elles €voluent vers des formes animales, adoptant la
silouhette d’une tortue ou d’un poisson. Š la fin de l’€poque nagadienne, leur d€cor
€voque plus souvent un €v€nement historique ou mythologique. On les qualifient alors
d’histori€es.

Les personnages sont parfaitement proportionn€s, „ diff€rentes €chelles pour indiquer


leur position sociale relative. Le roi a la plus grande taille de la composition. Les hauts
dignitaires sont plus petits et les porte-€tendards encore davantage.

La perspective caract€ristique de l’art €gyptien est ici pleinement refl€t€e. Nous


sommes au moment de la cr€ation du canon de Memphis (Men-nefer), r€gissant la
repr€sentation du souverain : “Une mˆme ligne traverse le milieu de la tˆte, le milieu du
torse, fr‰le le genou plac€ en arri…re et tombe „ €gale distance des deux talons”. Plus
tard, lors des IIIe et IVe dynasties, de nouvelles normes de repr€sentation seront
encore cr€€es, mais le moment crucial de conception canonique se produit pr€cis€ment
vers la fin de Nagada et pendant l’€poque thinite.

De tous les exemplaires d€couverts, la palette de Narmer est la premi…re pierre de ce


type „ ˆtre grav€e du nom d’un roi, mais surtout „ • raconter ƒ l’unification des Deux
Terres, „ savoir les royaumes de Haute et Basse-‚gypte [1]. Malgr€ la duret€ de la
pierre, la palette est d€cor€e des deux c‰t€s de sc…nes en relief. Le souverain r€alise
par l’€crit les hauts faits de son action militaire, politique et religieuse.

Il s’agit d’une variante, beaucoup plus grande que les exemplaires destin€s „ un usage
quotidien, de ces plaques de schistes de formes diverses sur lesquelles on €crasait la
malachite, dont la poudre verte servait de fard et de protection pour les yeux.

Cette palette pr€sente une ordonnance logique et une grande sobri€t€ dans le dessin ;
cette œuvre fait ressortir les conventions et caract€ristiques essentielles auxquelles
sont soumises les repr€sentations et hi€roglyphes dans l’art pharaonique :

 La surface est divis€e en registres, ce qui constitue un moyen d’organiser


l’espace selon un concept intellectuel et sans perte d’espace.
 Le roi est repr€sent€ dans une taille plus grande que tous les autres
protagonistes ; le roi massacrant les vaincus deviendra un th…me r€curent de
l’iconographie royale.
 Pour la repr€sentation humaine, les hommes sont figur€s de profil et/ou plus
rarement de face.
 Des hi€roglyphes sont attach€s aux acteurs du drame.

€ l’avers (recto)

La tablette est divis€e en quatre registres. Ce type d’organisation de l’espace est


nouveau, €tant encore „ peine €bauch€ dans le tombeau d’Hi€raconpolis (Nekhen). La
fameuse ligne de terre permet d’€viter que les personnages et les objets ne se
m€langent et suppose un saut qualitatif par rapport aux formes de repr€sentation de
l’€poque de Nagada.

Le 1er registre - Plac€ au-dessus de toutes les repr€sentations nous r€v…le le nom du
roi, dans le glyphe (serekh, un pr€curseur du cartouche, qui repr€sente le palais royal.
Le rectangle contient une repr€sentation du poisson-chat (silure) que nous lisons nar, et
imm€diatement au-dessous, €galement „ l’int€rieur du rectangle, la faŽade du palais
royal form€e de traits verticaux au sein desquels appara•t la masse de sculpteur que
nous lisons mer. Les deux traduisent donc le nom Narmer, • le poisson-chat qui frappe ƒ.
Ce nom prend tout son sens lorsque l’on sait qu’il existait une vari€t€ de poisson-chat qui
infligeait une douleur cuisante en provoquant une forte d€charge €lectrique „ celui qui le
touchait.

Le nom du roi est entour€ de deux tˆtes f€minines portant des oreilles et des cornes
bovines aux formes douces et onduleuses. Elles sont l’enseigne de Bat, une divinit€ qui
sera rapidement assimil€e par la d€esse vache Hathor. L’iconographie de cette d€esse,
repr€sent€e ici pour la premi…re fois, demeurera invariable. Ainsi appara•t pour la
premi…re fois un €l€ment qui deviendra tr…s banal dans la repr€sentation artistique des
dieux €gyptiens : la fusion de traits humains avec des traits animaux.

Le 2e registre - On passe ici du symbole „ la repr€sentation d’un €v€nement particulier.


Le roi est identifi€ par son nom, ses serviteurs portent leurs titres.

Le roi se pr€sente comme un organisateur, pr€c€d€ par quatre porte-€tendard humains


qui remplacent les enseignes divines des palettes pr€c€dentes et qui d€finissent le
territoire aux quatre points cardinaux ; ils ins…rent la royaut€ dans la dur€e extra-
temporelle, de l’œuf – le placenta royal – „ la d€ification – le chien Khentamentyou – tout
en affirmant la domination royale sur la vall€e et sur le delta du Nil, par le truchement
des deux faucons, celui du sud et celui du nord. Ainsi que le d€montrent les empreintes
de sceaux r€cemment d€couvertes sur le site d’Abydos, le chien Khentamentyou, dieu
gardien des n€cropoles occidentales dont le nom signifie • Celui qui est „ l’avant des
Occidentaux ƒ, d€signe le roi mort et d€ifi€ ; il €voque aussi la frange la plus occidentale
de la vall€e du Nil, l„ o‘ €taient construites les grandes n€cropoles. De mˆme que le
soleil dispara•t au couchant pour r€appara•tre chaque jour au levant, Khentamentyou –
l’ouest – pr€c…de le placenta royal – l’est ; cela signifie que le passage „ l’au-del„ est
forc€ment suivi d’une renaissance : la royaut€ est conŽue d…s l’origine comme €ternelle.

La sc…ne se d€roule sous la protection de la d€esse Hathor, figur€e „ deux reprises, sur
le registre sup€rieur

Sur cette face de la palette, le roi porte la coiffe rouge (deschret) de Basse-‚gypte, il
se livre „ ses activit€s rituelles et gouvernementales, tandis que la procession royale
comporte tous les auxiliaires humains du pouvoir : les prˆtres en la personne des quatre
porte-€tendard ; la bureaucratie personnifi€e par le scribe (tjet), reconnaissable aux
encriers qu’il porte sur l’€paule ; enfin le fonctionnariat palatin incarn€ par le porte-
sandales du roi qui tient €galement les objets n€cessaires aux ablutions royales –
aigui…re, bassin, serviette.
Toute cette procession s’avance vers le temple d’Horus et il inspecte le butin symbolis€
par des ennemis ligot€s et d€capit€s (la tˆte coup€e plac€e entre les jambes, exprime
l’ampleur de la d€faite). Au-dessus des dix ennemis d€capit€s nous trouvons une barque
avec sa cabine et une porte accoupl€e „ un faucon. Il s’agit de deux localit€s : “la porte
d’Horus” et “le nome du Harpon”.

C’est dans l’ach…vement du processus d’unification des deux terres que se situe ce
document, principe de dualit€ consubstanciel „ la royaut€ €gyptienne. L’image s’est fix€e
en un st€r€otype appel€ „ traverser trois mill€naires : celle du roi massacreur. Tandis
qu’au plan social, l’ascension vertigineuse de l’€lite se traduit par la monumentalit€ des
tombeaux et l’accumulation du mobilier fun€raire, elle s’exprime ici par une sorte
d’exaltation de la violence, violence totalement domin€e par l’institution monarchique,
qui, loin de traduire simplement des €v€nements, sublime la force et la puissance,
exprime une id€ologie dont se g€n€rera l’image du Pharaon „ travers les si…cles „ venir.

Le 3e registre - sur ce registre, on distingue le godet circulaire entour€ de longs cous


entrelac€s de deux panth…res fantastiques que deux hommes tiennent en laisse. Ici, le
monarque g…re la victoire, il exerce le double pouvoir sur la Haute et sur la Basse-
‚gypte, tout en maintenant l’unit€ du pays gr’ce au rite du sema-taouy dont cette
premi…re figuration utilise en partie une iconographie emprunt€e au Proche-Orient.

La pr€sence du godet notifie que le r‰le premier de l’objet n’a pas €t€ oubli€, qu’il s’agit
bien d’une palette „ fard et non d’un simple et innocent support pour une iconographie de
caract…re monarchique.
Le 4e registre - La sc…ne repr€sente le roi sous la forme d’un taureau, trapu et
menaŽant, pi€tinant un homme tomb€ „ terre et abattant „ coups de cornes un mur
d’enceinte dont certaines briques sont d€j„ tomb€es. C’est une repr€sentation de la
victoire du souverain sur les hommes et sur les fortifications.

Sur cette sc…ne, c’est encore le roi qui est repr€sent€ par l’animal symbolisant la force
(avec le lion). L’€pith…te • taureau puissant ƒ sera tr…s fr€quemment appliqu€e au
pharaon au cours de l’histoire €gyptienne. Par exemple, parler de : Thoutmosis III
(Toutm…s) et de son ka comme • Taureau victorieux qui a brill€ dans les anneaux de
Th…bes ƒ (Ouaset) ; ou encore du nom d’Horus d’Am€nophis III (Amenhotep) qui €tait
• Horus, Taureau victorieux qui appara•t dans la vie ƒ.

€ l’envers (verso)

L’envers, quant „ lui, est divis€ en trois registres.

Le 1er registre - Comme „ l’avers, le premier registre qui chapaute les repr€sentations
inf€rieures, contient le nom du roi entour€ de deux figures de la d€esse Hathor.
Le 2e registre - Ici, on distingue le roi dans toute sa majest€. Narmer est revˆtu des
attributs du pouvoir que conserveront tous les souverains d’‚gypte : couronne blanche
(hedjet) de Haute-‚gypte ; barbe postiche ; un pagne court qui renferme des
broderies ; une queue d’animal attach€e „ sa ceinture, h€ritage des chasseurs de
l’€poque archa“que ; lourde massue qu’il abat sur un captif, proclamant ainsi sa victoire
sur l’ennemi. C’est le geste que les pharaons feront reproduire sur le pyl‰ne des temples,
jusqu’„ l’€poque gr€co-romaine. Ainsi, le roi ne peut se confondre avec aucun de ses
sujets. La musculature, les os des genoux… construisent l’anatomie du roi et lui
conf…rent la puissance. D€j„, il se place sous la protection du faucon Horus, dieu du ciel.
Derri…re la tˆte de l’ennemi figure un signe, le “harpon”, qui est justement le nom d’une
r€gion du Delta.
Derri…re le roi, nous voyons le porteur de sandales, qui est €galement son porte sceaux,
vˆtu d’un pagne, charg€ de sandales et d’une petite jarre d’eau. Le roi, comme tous les
personnages de la palette, est repr€sent€ “pieds nus” [2].

Devant le roi, au-dessus de l’ennemi tomb€ „ terre, un faucon dot€ d’un bras humain
enserre une corde reli€e aux narines d’un homme surgissant d’un fragment de terre
plant€ de papyrus. Cette sc…ne pourrait ˆtre lue comme la repr€sentation du Delta dont
le sens est parfaitement clair : c’est au dieu Horus, le dieu protecteur des rois
€gyptiens, dans le temple duquel cette pi…ce avait €t€ consacr€e, que le roi Narmer est
redevable de sa victoire sur les ennemis. Horus les lui am…ne li€s, et les feuilles qui
sortent de leur sol indiquent „ l’initi€ que le nombre des prisonniers faits sur cette tribu
n’a pas €t€ inf€rieur „ six mille.

Le 3e registre, exprimant la d€faite, montre deux ennemis abattus avec deux symboles
en hi€roglyphe indiquant leur pays d’origine.

L’interpr‚tation

Voici d€j„ une repr€sentation canonique qui survivra tout au long de l’histoire €gyptienne
et qui garantit de faŽon symbolique et magique le r‰le du pharaon dans le maintient de la
ma’t, l’ordre atemporel (non concern€ par le temps) qui doit gouverner les €v€nements
du monde.

La structure d€corative de la tablette laisse supposer que nous sommes en pr€sence d’un
objet votif offert par le roi Narmer „ Hathor, la d€esse du ciel.

Ceci dit, comme €voqu€ plus haut, que repr€sente r€ellement la palette ? Comm€more-t-
elle l’unification de la Haute et de la Basse-‚gypte sous le pouvoir unique du pharaon ?
Comm€more-t-elle une victoire concr…te ? S’agit-il d’une repr€sentation rituelle
propitiatoire .

Il existe probablement plus d’une r€ponse aux questions pos€es ici, r€ponses qui
correspondent dailleurs aux th…ses soutenues „ diverses €poques. Š l’€poque de Narmer,
toute l’‚gypte fut sans doute militairement soumise par les rois de la Haute-‚gypte. La
tablette pourrait alors comm€morer davantage cette situation de conquˆte qu’une simple
victoire.

Par ailleurs, le faucon pos€ sur ce qui semble ˆtre la personnification d’un peuple du
Delta a fait supposer que la palette comm€morait un fait historique : la conquˆte ou
pacification du Delte Occidental. Il s’agissait probablement d’une r€volte men€e par une
coalition de villes „ la tˆte desquelles se trouvait Bouto, symbolis€e par un harpon, et
que Narmer dut €touffer.

Parmi toutes les interpr€tations possibles, celle qui co“ncide le mieux avec la mentalit€
€gyptienne est celle qui repr€senterait une situation atemporelle, la victoire du roi et le
maintient de son pouvoir face aux ennemis de l’‚gypte. Bref, cette repr€sentation aurait
une finalit€ magique : celle d’appuyer les capacit€ du roi „ maintenir la ma’t.

Š l’€vidence, toutes les caract€ristiques de l’…re pharaonique sont d€j„ en place „ cette
€poque : aspects religieux (Horus, Bat), signes distinctifs dans l’habillement (queue de
taureau, couronne), hi€rarchie (pr€sence de serviteurs), €criture (hi€roglyphes) et
id€ologie, pour ne pas dire propagande (le roi terrasse ses ennemis).

La palette de Narmer pr€sente aussi le grand int€rˆt de comporter des groupes de


hi€roglyphes qui servent „ former des noms : • Narmer ƒ, le roi, ou • Ou’sh ƒ, l’ennemi
vaincu (probablement libyen) ; „ inscrire les titres des principaux fonctionnaires ; „
nommer des lieux comme • la grande porte ƒ ; „ forger des €pith…tes, • le faucon
unique ƒ. Il s’agit l„ des premi…res attestations assur€es d’utilisation de l’€criture en
contexte.

[1] Bien que cela soit souvent €voqu€, pour Isabelle Franco, l’ennemi n’est pas un
€gyptien, il porte une barbe. Cette palette ne c€l…bre donc PAS la victoire du Nord sur
le Sud mais la d€faite des b€douins de l’Ouest du delta, les “Tie Henou” qui partiront
ensuite dans le d€sert.

[2] Comme les dieux, les pharaons et les hommes du peuple, Narmer est d€peint pieds
nus. Il est probable qu’il n’y ait plus „ voir que la description d’une pratique courante,
c’est-„-dire le roi suivi de son porte-sandales. On a sugg€r€ qu’ˆtre pieds nus d€note une
obligation forte entre le roi et la terre. Les sandales, r€serv€es aux grands, ont
certainement pu avoir une valeur symbolique. Une paire de sandales, dont les semelles
ont €t€ d€cor€es des ennemis du pharaon, a €t€ trouv€e dans le tombeau de
Toutankhamon.

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