Dossier de Presse - Primitifs Français 2004
Dossier de Presse - Primitifs Français 2004
Dossier de Presse - Primitifs Français 2004
Dossier de presse
Exposition
PRIMITIFS FRANCAIS
découvertes et redécouvertes
d u 2 7 f é v ri e r a u 17 m a i 2 0 0 4
M u s é e d u L o u v re
D é l é ga t i o n à l a c o m m u n i c a t i o n
Aggy Lerolle
T : 01 40 20 51 10
F : 01 40 20 54 52
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C o n t a c t p re s s e
Pascale Bernheim
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Sommaire
Le catalogue page 23
Commissaire de l’exposition
Dominique Thiébaut,
du musée du Louvre.
Aucun musée ne semble mieux placé que le Louvre pour abriter une exposition sur
la redécouverte des primitifs français. Notre collection de tableaux français des
XIVe et XVe siècles est admirable, ponctuée de chefs d'œuvres, que les conserva-
teurs successivement en charge du département des Peintures ont tenu à compléter
chaque fois que l'occasion s'en est présentée : sept œuvres sont entrées depuis 1986,
dont trois grâce à la générosité de la Société des Amis du Louvre qui, depuis le don
mémorable de la Piétà d'Avignon en 1905, n'a cessé de témoigner le plus vif intérêt
envers la peinture de cette époque. Or on le sait bien, de telles pièces sont très rares
sur le marché de l'art. C'est, d'autre part, dans l'enceinte du musée, au pavillon de
Marsan précisément, qu' Henri Bouchot, l'énergique conservateur des Estampes de
la Bibliothèque nationale, avait choisi de montrer en 1904 plusieurs centaines de
peintures, dessins et spécimens d'autres techniques, dans le cadre de sa mémorable
exposition des primitifs français. La présente exposition n'a nullement l'intention de
rivaliser, un siècle après, avec une entreprise d'une telle ampleur : il est bien enten-
du hors de question de déplacer des pièces d'aussi grandes dimensions que le
Couronnement de la Vierge d'Enguerrand Quarton, le Triptyque du Buisson ardent
de Nicolas Froment ou le Triptyque de Moulins. Elle s'est fixée une ambition plus
modeste, celle d'évoquer la contribution des historiens de l'art à la connaissance des
primitifs depuis cette date : malgré ses dérives nationalistes, la manifestation de
1904 a en effet marqué le véritable point de départ de leur étude critique. Pour ce
faire, Dominique Thiébaut, qui en est le commissaire, a choisi de resserrer le pro-
pos autour de trois "dossiers" particulièrement significatifs à ses yeux des avancées
de la recherche, en mêlant pièces montrées en 1904 et découvertes toutes récentes,
en faisant se côtoyer peintures, manuscrits, et objets - parfois surprenants- dus à
l'imagination des mêmes artistes. La place réservée à l'école provençale y est d'au-
tant plus remarquable que le Louvre peut se féliciter de reconstituer pour l'occasion,
non loin de la Piétà d'Avignon, le célèbre Triptyque de l'Annonciation d'Aix, véri-
table manifeste d'un art nouveau sur le sol français. La réunion de tous ses éléments,
aujourd'hui séparés à travers trois pays différents, constitue à elle seule un événe-
ment exceptionnel qui ne s'était pas produit à Paris depuis 1929 et à Londres depuis
1932 : les propriétaires des différents panneaux, la Ville d'Aix avec l'accord du cler-
gé et de la Direction de l'Architecture et du Patrimoine [du Ministère de la Culture
et de la Communication] pour l'Annonciation, les directeurs des musées de
Bruxelles, d'Amsterdam et de Rotterdam pour les volets, ont fait preuve d'un
enthousiasme envers ce projet et d'une générosité que je tiens à saluer chaleureuse-
ment. Je me félicite également de la collaboration exemplaire dont a bénéficié la
rédaction du catalogue puisque, aux côtés de Dominique Thiébaut, Philippe
Lorentz, professeur à l'Université Marc-Bloch de Strasbourg et François-René
Martin, pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, ont prêté leurs compté-
tences.
Henri Loyrette,
président directeur du musée du Louvre
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L’exposition de 2004
Pourquoi en 2004 une exposition sur les primitifs français, et pourquoi cette expo-
sition précisément, avec son parti pris historiographique ? Tout d’abord parce que
la date coïncide avec l’anniversaire de la mémorable exposition des primitifs fran-
çais organisée en 1904 au pavillon de Marsan et à la Bibliothèque nationale : cette
manifestation de grande ampleur qui fit prendre conscience à un large public de
l’existence d’une peinture française antérieure à l’école de Fontainebleau, donna en
même temps le véritable coup d’envoi aux études critiques dans ce domaine. C’était
pure justice, nous a-t-il semblé que de saluer, comme l’ont fait récemment nos col-
lègues de Bruges avec Impact 1902 en hommage à l’exposition des primitifs fla-
mands de 1902, la valeureuse initiative d’Henri Bouchot et de son " comité des pri-
mitifs français ". L'idée nous est venue au lendemain d'une autre manifestation
mémorable, organisée en 1993-1994 à la Bibliothèque nationale par François Avril
et Nicole Reynaud : si le propos des deux commissaires portait officiellement sur
l’enluminure française des années 1440-1520, c’est en réalité de la production pic-
turale sous toutes ses formes qu'ils ont traité avec des méthodes et des conclusions
radicalement nouvelles. Depuis, plusieurs contributions de première importance
sont venues enrichir encore notre connaissance des différentes " écoles " et des per-
sonnalités artistiques, mais aussi les relations que les peintres de cette époque tis-
saient avec d’autres foyers français ou européens (l’ostracisme de Bouchot n’est
plus de mise !) et les créations –parfois inattendues- à travers lesquelles leurs talents
se sont exprimés. Des documents, des œuvres ont resurgi, l’an dernier encore, qui
modifient sensiblement notre perception des primitifs français. Des polémiques pas-
sionnées divisent toujours le petit monde des spécialistes alors que les noms des
grands peintres du temps, hormis celui de Fouquet –nous pensons à Enguerrand
Quarton, Barthélemy d’Eyck, Colin d’Amiens, Nicolas Froment, Antoine de Lonhy,
Jean Poyer, Jean Hey, le probable Maître de Moulins ! - sont parfois moins fami-
liers à un public français que ceux de leurs homologues flamands et italiens. Leurs
créations – souvent promues au rang de chefs d’œuvre lors de la présentation de
1904- sont en réalité connues de tous ; elles sont d’ailleurs l’objet de la part de leurs
propriétaires d’une surveillance constante. Sur plusieurs d'entre elles, classées au
titre des Monuments historiques (souvent avant 1904), des travaux de remise en
valeur ont été entrepris ces dernières années sous le contrôle des directions régio-
nales des Affaires culturelles (Conservations régionales des Monuments histo-
riques) : on songe au Triptyque de Loches, à la Sainte Famille du Puy, à la Légende
de saint Mitre de la cathédrale d’Aix restaurés dernièrement, au Buisson ardent qui
va l’être, à l’Annonciation d’Aix dont le déplacement exceptionnel au Louvre, opéré
dans des conditions climatiques très strictes, fournit l’occasion d’envisager une
nouvelle présentation, plus sécurisée, dans l’église de la Madeleine, au Triptyque de
Moulins enfin, pour lequel une étude comparable est en cours.
" Refaire " l’exposition de 1904 était à vrai dire impossible… et peu pertinent : d’un
côté, un certain nombre de pièces capitales révélées à cette occasion ne seraient pas
venues à Paris, de l’autre, bien des œuvres, de qualité secondaire, ne sont plus
aujourd’hui considérées comme françaises ou même ne sont plus repérables ; quant
à son programme, consacré à la peinture des années 1328-1589, il péchait par son
ambition excessive et traitait de courants trop disparates. Ne parlons pas des dérives
nationalistes de Bouchot, de son désir forcené d’annexer à la France des foyers
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artistiques soumis à l’esthétique flamande ou de nier toute emprise de l’art italien
sur la production du XVIe siècle. A l’inverse, tenter de présenter un ample panora-
ma de la peinture française en s'appuyant sur les travaux les plus récents, c’était,
même en se limitant au seul XVe siècle, se heurter à des difficultés matérielles dif-
ficilement surmontables : on l’a vu l’an dernier pour la belle et savante rétrospecti-
ve Jean Fouquet organisée par François Avril à la Bibliothèque nationale de France
où trois des tableaux attribués au grand peintre de Tours manquaient cruellement. Il
n’était pas envisageable de renouveler cette dernière expérience - fatalement moins
bien - ni de prétendre à une certaine exhaustivité en se privant de la présence de l’ar-
tiste le plus inventif. Compte tenu des espaces et du budget qui nous étaient alloués,
nous avons préféré nous concentrer sur trois " dossiers " particulièrement intéres-
sants dans l’optique de cette "seconde - voire "troisième" - "redécouverte des pri-
mitifs français", pour reprendre, en la modifiant quelque peu, l’expression de
Francis Haskell : le cas de deux " écoles ", Paris et la Provence, celui d’une per-
sonnalité hors pair mais inconnue hors du cercle des spécialistes, le tourangeau Jean
Poyer. Chaque fois, dans la limite de nos moyens, nous avons tenu, sans négliger
pour autant les acquis de 1904, à faire état des dernières avancées de la recherche.
Un regret majeur cependant : l’absence du Portrait d’homme daté de 1456, l’un des
joyaux des collections princières de Liechtenstein qui quittent le château de Vaduz
pour être montrées à partir du mois de mars 2004 dans le nouveau Liechtenstein
Museum de Vienne. L’érudit belge Georges Hulin de Loo avait jugé cette fascinan-
te effigie la plus parfaite des œuvres exposées en 1904. Pour nous qui sommes ten-
tées d’y reconnaître une création de Barthélemy d’Eyck, l’occasion était bien sûr
idéale de la comparer aux miniatures du peintre favori de René d’Anjou, en l’oc-
currence à l’admirable Livre des Tournois… et au Triptyque de l’Annonciation
d’Aix, d'autant plus que les enluminures et tableaux donnés par le plus grand
nombre à cet artiste n'ont jamais, à notre connaissance, été juxtaposés. Voir réunis
au Louvre les différents éléments du célèbre triptyque -aujourd’hui dispersés à tra-
vers trois pays - est en revanche une immense satisfaction : à notre tour, nous sou-
haitons dire notre plus vive reconnaissance à tous ceux qui, à des titres divers,
auront contribué, par leur bienveillance et leur générosité, à rendre possible un tel
événement.
Dominique Thiébaut,
conservateur en chef au département des peintures du musée du Louvre
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L’exposition des Primitifs français de 1904
Enguerrand Quarton,
La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon,
Musée du Louvre,
département des Peintures © RMN/R.G. Ojeda
Le 12 avril 1904, l’Exposition des Primitifs français ouvrait ses portes à Paris, au
Pavillon de Marsan (l'actuel musée des Arts décoratifs) pour les peintures et les
quelques rares échantillons de sculptures, tapisseries, émaux, montrés en accompa-
gnement, et à la Bibliothèque nationale pour les manuscrits. Elle répondait à une
exposition fameuse, celle des Primitifs flamands, organisée à Bruges en 1902, qui
avait connu un succès considérable. Toutes deux s’inscrivent, comme d'autres mani-
festations organisées en 1904 à Sienne, à Düsseldorf et à Barcelone, dans ce mou-
vement plus vaste de réévaluation des Primitifs, vers 1900, que l'historien d'art
Francis Haskell a baptisé de " seconde redécouverte des maîtres anciens ".
Conçue et mise en œuvre par Henri Bouchot (1849 -1906), le conservateur du
Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, l’exposition parisienne avait
surtout pour ambition de prouver l'existence d'une véritable école de peinture fran-
çaise antérieure au règne de François Ier (1494-1547), même si officiellement la
période retenue couvrait les " trois dynasties des Valois ", de l’avènement de
Philippe VI à celui d’Henri IV (de 1328 à 1589). La vision qu'elle proposait du XVIe
siècle était d'ailleurs très partiale, puisque l’Ecole de Fontainebleau était presque
passée sous silence et quasiment occulté l’apport des artistes italiens, ces "
Primaticiens" venus introduire en France la norme classique et "contredire tout ce
qui touche à notre art national". L’ambiance nationaliste des années 1900 explique
en grande partie ces choix comme le parti, pour la période précédente, de minimi-
ser l'apport fondamental des grands rénovateurs de l'art flamand, les frères Van
Eyck et le Maître de Flémalle. C’est avant tout à travers la peinture et les manus-
crits que Bouchot entendait réhabiliter l’art de ceux qu’il qualifiait d’" imagiers " et
"réparer, dans la mesure du possible, les injustices d’un long oubli à l’égard de nos
vieux peintres ". La démonstration se fondait sur les travaux entrepris par plusieurs
générations d'érudits depuis le milieu du XIXe siècle, le comte de Laborde, le mar-
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quis de Chennevières, suivis entre autres par Paul Mantz, le chanoine Requin, Paul
Durrieu, qui avaient patiemment collecté les sources relatives à cette période.
Restait à faire la synthèse de ces recherches et surtout à étudier ce patrimoine d'un
point de vue critique : c’est la tâche à laquelle s'attelèrent Bouchot et le comité d'or-
ganisation. En dépit des imperfections de son catalogue, rédigé à la hâte, l’exposi-
tion de 1904 et les compte rendus qu'elle a suscités, dans le milieu scientifique
comme dans la presse, ont incontestablement donné une impulsion décisive aux
études sur les primitifs français.
Dans leur évocation de la peinture des primitifs français, les organisateurs de l’ex-
position de 1904 se heurtèrent à une difficulté majeure, celle de définir les limites
géographiques, politiques et stylistiques d'une France qui n'avait pas manqué de
changer de visage entre le règne de Philippe III et celui de Henri IV. La vision que
Bouchot proposait de la France d'alors, s'apparentait plus à celle de Jules Ferry qu'à
celle de Charles VII ou de Louis XI !
De surcroît, le savant belge Hulin de Loo l'avait noté dès 1902, les historiens d'art
français de l'époque étaient meilleurs archivistes que "connaisseurs". Dans la sélec-
tion des œuvres présentées au Pavillon de Marsan, figuraient, sous une attribution à
l'école française, nombre de productions qui relevaient souvent de foyers artistiques
étrangers : si les productions italiennes étaient rares, on comptait en revanche
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nombre de pièces espagnoles (par exemple le petit tableau double face prêté par
Durrieu, que l'on s'accorde aujourd'hui à juger valencien, les quatre panneaux - en
réalité du catalan Martorell - donnés en 1905 au musée par la Société des amis du
Louvre, allemandes (la Pietà de Saint-Germain- des- Prés, peinte à Paris vers 1500
par un maître colonais), et surtout flamandes. Pour repousser les frontières du
domaine français, Bouchot n'avait pas hésité à créer artificiellement des écoles,
comme la Lorraine, la Navarre, l'Est de la France dont la production picturale était
pour le moins mystérieuse. Ses ambitions nationalistes étaient plus évidentes enco-
re quand il donnait naissance à une école d'Artois : par ce biais, il s'autorisait en
effet à annexer un des grands rénovateurs de l'art flamand - et un des plus grands
peintres de son temps -, le Maître de Flémalle, sous le prétexte que la petite Vierge
en gloire du musée Granet, montrée à l'exposition aurait été peinte pour l'abbaye
d'Eaucourt en Artois. Personne à vrai dire ne s y trompa, à commencer par ses col-
laborateurs qui firent preuve dans leurs écrits d'un certain embarras !
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Coups de projecteurs sur...
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suivante. L’intense activité graphique de ces artistes s’explique par leur intervention
dans divers arts “ appliqués ” ne relevant pas de la peinture de chevalet stricto sensu
(l’enluminure, le vitrail, la tapisserie, l’orfèvrerie, voire la sculpture). Les
recherches pionnières de Nicole Reynau (1965 et 1973) et de Geneviève Souchal
(1973), qui ont mené des enquêtes élargies sur les oeuvres réalisées dans ces diffé-
rentes techniques, ont été décisives dans les connaissance actuelles sur la peinture
à Paris au XVe siècle.
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La peinture en Provence dans les années 1440-1520 :
l’existence d’une véritable école
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Enguerrand Quarton
Enguerrand Quarton bénéficie d’un statut privilégié parmi les grands peintres fran-
çais du XVe siècle. Il est le seul dont la résurrection se fonde sur deux œuvres cer-
taines et admirables. En 1889, le chanoine Requin publiait un contrat, d’une préci-
sion exceptionnelle, passé en 1453 entre “ maistre Enguerand ”, du diocèse de Laon,
et un chanoine avignonnais, Jean de Montagny, agissant au nom des chartreux de
Villeneuve-lès-Avignon : l’artiste devait réaliser, pour l’autel dédié à la Sainte
Trinité de leur église, un retable qui figurerait la Vierge couronnée par la Trinité. Le
tableau, une ambitieuse représentation symbolique de l’univers, se trouve aujour-
d’hui au musée de cette localité.
Un an plus tôt, le maître picard et son associé le limousin Pierre Villate, s’étaient
engagés à peindre une Vierge de Miséricorde entre saint Jean Baptiste et saint Jean
l’Evangéliste destinée à la chapelle de la famille Cadard au couvent des Célestins
d’Avignon indentifié en 1904 par le comte Durrieu parmi les primitifs du musée
Condé de Chantilly. Le problème de la part respective des deux artistes fut bien sûr
Enguerrand Quarton, aussitôt posé : différents avis coexistent toujours.
La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon,(détail)
Musée du Louvre, département des Peintures Dès sa redécouverte, Quarton fut placé au même rang que Fouquet, sur le devant de
© RMN/R.G. Ojeda
la scène artistique française, et son nom avancé plus tard, en 1959, pour l’auteur du
chef d’œuvre de l’école provençale, la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon. Forte de ses
deux points de repère assurés, la critique eut longtemps tendance à voir en Quarton
- localisé à Aix, Arles et Avignon entre 1444 et 1466 - essentiellement un peintre
de retables monumentaux. En 1970, Michel Laclotte lui avait attribué le Retable
Requin, œuvre imposante elle aussi, moins aboutie que les précédentes, mais déjà
caractéristique de son désir d’équilibrer une “ volonté d’abstraction décorative et
spirituelle par un sens aigu du réel ”.
Le profil de l’artiste a singulièrement évolué ces dernières années : on sait aujour-
d’hui qu’il exerça aussi le métier de verrier. Sans doute faut-il reconnaître sa main
dans quatre petits panneaux composant un diptyque de dévotion privée et lui attri-
buer l’invention d’une peinture murale dont le souvenir nous est transmis par un
relevé, exécuté juste avant la destruction de celle-ci en 1859. A partir de 1977,
François Avril apporte les principales nouveautés dans le domaine de l’enluminure.
Il décèle alors son intervention dans un grand missel illustré en 1466 pour le chan-
celier de Provence, Jean des Martins - sa dernière œuvre connue par conséquent -,
et dans un livre d’heures inachevé où sa participation se limite à trois miniatures,
les autres revenant probablement à Barthélemy d’Eyck. On retrouve également sa
marque dans deux pages ajoutées aux célèbres Heures du maréchal de Boucicaut et
dans un livre d’heures, réapparu l’an dernier à Namur, dont la décoration lui a été
confiée aux côtés de trois autres artistes provençaux. A vrai dire, son incursion dans
ce domaine n’a rien de surprenant pour un peintre, né en Picardie, aux confins de
l'Ile-de-France, dans une région où cette tradition était solidement implantée. De
longue date, des échos de l’enluminure parisienne avaient d'ailleurs été relevés dans
le Couronnement de Villeneuve pour expliquer la fraîcheur du chromatisme, la tech-
nique picturale et l’élégance des rythmes linéaires.
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le Maître de la Piétà d’Avignon
Découverte en 1834 par Prosper Mérimée, tout jeune inspecteur des monuments
historiques, au fond d’une chapelle obscure dans l’église paroissiale de Villeneuve-
lès-Avignon, la Pietà n’acquiert vraiment son statut de chef d’œuvre qu’à l’exposi-
tion de 1904. Dès l’ouverture de celle-ci, deux des membres du Comité des
Primitifs français, Georges Berger et Henri Bouchot - qui président aux destinées
de la toute jeune Société des Amis du Louvre - entreprennent des négociations avec
le maire de la commune : le tableau est finalement acquis en juillet 1905.
L’admiration suscitée par sa présentation au pavillon de Marsan ne s’est jamais
démentie : citons-en pour preuve les multiples copies réalisées par des artistes
(Mondrian, Lüthy, Giacometti…), impressionnés par la force spirituelle de l’ima-
ge, la rigueur de sa construction, son dessin tour à tour flexible et aigu .
L’une des créations les plus hautes de son temps, la Pietà d’Avignon demeure l’une
des plus mystérieuses : aucun document ne précise son emplacement avant la
Révolution (l’ancienne collégiale Notre-Dame devenue l’église où la vit Mérimée,
plutôt que la chartreuse d’où on l’a fait également provenir ?), l’époque de sa réali-
sation ni son auteur. Sa date présumée, vers 1455, se fonde sur celle d’une autre
Pietà, apparemment citée en 1457 dans un inventaire du château de Tarascon, qui
lui emprunte le geste exceptionnel de saint Jean enlevant la couronne d’épines .
Tout au long du XIXe siècle, des hypothèses extravagantes n’ont pas manqué de cir-
culer sur le peintre de la Piétà : les noms de Jean Bellin (Bellini), de Fouquet, des
Vivarini sont avancés. Si, au lendemain de l’exposition, la puissance tragique du
tableau orientent certains critiques vers une piste “ ibérique ” (le catalan Bermejo
ou le Portugais Gonçalvès), l’hypothèse provençale séduit la plupart d’entre eux.
Mais qui, de tous ces peintres révélés par les archivistes, pouvait bien être le Maître
de la Pietà d’Avignon ? Charles Sterling, l’éminent spécialiste des primitifs français
fut un temps frappé chez lui par une “ énergie ”, un “ sens de la grandeur ” qu’il ne
retrouvait pas chez l’auteur du Couronnement de la Vierge, doté selon lui “ d’une
délicatesse quasi féminine ” ; il se résolut néanmoins en 1959 à sauter le pas : il
s’était convaincu entre temps que le chromatisme de la Pietà était initialement
moins “ funèbre ” et comportait ces teintes lumineuses et singulières (jaune paille,
rose framboise, vert absinthe) qui sont l’une des signatures du grand peintre. Il
étayait sa magistrale démonstration par des rapprochements de détail portant sur la
morphologie des visages, la structure des rochers, les cassures des plis, la présence
de grands revers d’un blanc éclatant… qu’il put matérialiser visuellement dans sa
monographie sur l’artiste parue en 1983. Surtout, il soulignait la récurrence, à tra-
vers les quatre grands retables, d’un même “ chiffre ornemental ” composé d’une
“ triade de grandes figures dont les deux latérales sont inclinées vers le personnage
central ”. La production enluminée de Quarton, révélée en 1977, autorise désormais
de nouvelles comparaisons : le Christ en croix longiligne, à la taille étranglée, du
Missel de Jean des Martins appartient à la même famille que celui qui repose sur
les genoux de la Vierge dans le tableau du Louvre.
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Barthélemy d'Eyck
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le Maître de l’Annonciation d’Aix
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Jean Poyer
La destinée critique de Jean Poyer est des plus singulières. Si l'on en juge par les
documents relatifs à son activité à Tours entre 1483 et 1498 - après la disparition de
Jean Fouquet -, il était apprécié aussi bien des autorités locales que de la famille
royale, alors en résidence dans le Val de Loire. Ses talents sont encore loués au
début du XVIe siècle et même cinquante ans après sa mort - survenue semble-t-il en
1503 - tout particulièrement dans le domaine de la perspective où il aurait surpassé
le grand maître tourangeau et ses deux fils. Poyer connaît un regain de célébrité au
XIXe siècle quand plusieurs érudits proposent de lui attribuer l'illustration d'un
Jean Poyer, Noli me tangere (détail),
manuscrit très populaire, les Grandes Heures d'Anne de Bretagne. La découverte
Eglise de Censeau, © J.-F. Lyon, d'un mandat de paiement relatif à cet ouvrage somptueux, ordonné par la reine Anne
Conservation des
Antiquités et Objets d’Art du Jura
de Bretagne en faveur de son rival Jean Bourdichon, met fin brutalement à cette
brillante renommée : l'artiste tombe quasiment dans l'oubli…A la fin des années
1970, plusieurs spécialistes, François Avril en tête, réunissent un petit corpus de
manuscrits et de feuilles découpées dont les données stylistiques et la qualité remar-
quable s'accordent avec ce que l'on sait de l'artiste. Pour séduisante qu'elle soit, la
résurrection de ce peintre remarquable est fragile et ne repose que sur une conver-
gence de probabilités.
Un premier noyau d'œuvres, rassemblé autour des Heures Briçonnet et du Triptyque
de la chartreuse du Liget, daté 1485 - que Bouchot avait exposé en 1904 comme
une production de l'école de Fouquet - trahit une nette dépendance à l'égard du style
fouquettien mais aussi des échos de l'art d'Andrea Mantegna perceptibles dans les
recherches spatiales, d'une audace étonnante, le chromatisme saturé et certains
motifs décoratifs. Un, voire deux, voyages de l'artiste dans la péninsule italienne
sont d'ailleurs probables. La plupart des pièces montrées ici appartiendraient à un
second groupe, composé de nombreux manuscrits, certains luxueux comme les
Heures dites d'Henry VIII, et d'une série de dessins à sujet biblique, vraisemblable-
ment des "petits patrons" destinés à une vitrerie. Poyer a sans doute fourni par
ailleurs les modèles de plusieurs verrières conservées. La culture plus avancée qui
se dégage de toutes ces oeuvres, la palette délicate, à base de blancs, de roses, de
bleus pâles, souvent traités en camaïeux, le dessin plus souple, la facture moins ser-
rée, semblaient militer en faveur d'une date assez tardive, au point que certains spé-
cialistes avaient douté qu'elles puissent être l'œuvre du maître tourangeau, disparu
au tout début du XVIe siècle. La découverte en 2000 et 2002 des deux tableaux de
Censeau et du Repas chez Simon le pharisien de Lons-le-Saunier, manifestement
très liés par leur style aux productions de cette seconde séquence, conforterait la
thèse d'un seul artiste pour l'ensemble : en effet, le triptyque qu'ils composent
semble avoir été peint pour Jean IV de Chalon, prince d'Orange, seigneur de
Nozeroy, dont la date de mort, 1502, est parfaitement conciliable avec celle de
Poyer. D'un génie inventif et personnel, d'une indéniable sensibilité poétique, Poyer
doit être regardé comme un des plus grands peintres de sa génération, aux côtés de
Jean Hey (alias le Maître de Moulins) et de Jean Perréal, à l'aise aussi bien dans l'en-
luminure, la grande peinture que dans cet art monumental qu'est le vitrail.