L'attrait de La Démesure: Les Gratte-Ciel Des Temps Modernes

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Continuité

Les gratte-ciel des temps modernes


L’attrait de la démesure
Madeleine Forget

Présence du fer
Numéro 70, automne 1996

URI : https://id.erudit.org/iderudit/17159ac

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Éditeur(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (imprimé)
1923-2543 (numérique)

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Citer cet article


Forget, M. (1996). Les gratte-ciel des temps modernes : l’attrait de la démesure.
Continuité, (70), 18–20.

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Lesgratte-ciel destemps modernes

-« ^. L'attrait de la
démesure
S'il est un symbole indissociable dela ville, PAR M A D E L E I N E FORGET,

HISTORIENNE DE L'ARCHITECTURE
c'est bien le gratte-ciel.
Une expression dela démesure architecturalequi, L es gratte-ciel font désormais partie du paysage
urbain. Tout au plus s'attarde-t-on à un nouvel
immeuble à cause des désagréments que sa construc-
sans le fer, n'aurait su exister. tion provoque ou du battage publicitaire qui l'accom-
pagne. Plus de 100 ans sesont écoulés depuis l'appari-
tion des premiers gratte-ciel. Sur le territoire de laville
de Montréal, bâtisseurs et architectes ont édifié près
de 300 immeubles de grande hauteur, dont les deux
tiers ont été érigés après la Deuxième Guerre mondiale.
Désormais, le gratte-ciel n'est plus l'apanage des gran-
des villes : Longueuil, Dorval et Laval, par exemple,
s'enorgueillissent de ces nouvelles constructions.
Exploit technique et parfois financier, le gratte-ciel
symbolise encore de nos jours la puissance, la prospé-
rité et la modernité. Il confère un nouveau statut à la
municipalité où on l'érigé.
L'idée de gratte-ciel fait généralement écho au
gigantisme des tours new-yorkaises dans l'imaginaire
collectif, tout comme la Place Ville-Marie (1958-1962)
constitue dans l'esprit de plusieurs le premier édifice en
hauteur au Québec. Pourtant, ce type de construction
e
est apparu en solquébécois dès leXLX siècle.
Montréal, au même titre que New York et
Détroit et quatre ans seulement après Chicago, a eu
ses immeubles de grande hauteur au XIXe siècle. C'est
la seule ville québécoise et même canadienne de ce
siècle où ce type d'architecture s'est développé. On y
dénombre plus de 70 gratte-ciel avant la Deuxième
Guerre mondiale. Il existe bien sûr des exemples de
gratte-ciel érigés au siècle dernier dans d'autres villes,
tel l'édifice Price à Québec ou le Marine Building à
Vancouver, mais il s'agit de casisolés.
Ledéfitechnique
Les constructeurs montréalais ont profité des
apports européens ainsi que desinventions et des perfec-
tionnements technologiques américains pour construire
les premiers gratte-ciel La distribution du courrier par
pneumatique, le système de ventilation et de chauffage
L'immeuble Canada Life, rue Saint-Jacques, estlepremier gratte-ciel à ossature de même que le contrôle de la lumière par l'éclairage
métallique. Il a été construit en 1900. électrique ont permis d'assurer aux occupants plus de
Photo : MCCQ, Normand Rajotte confort etdebonnes conditionsd'hygiène et de sécurité.

18 CONTINUITÉ DOSSIER
Les premiers obstacles à surmonter étaient liés à c'est-à-dire une ossa-
la hauteur des structures, à la circulation des person- ture métallique ren-
nes et aux communications dans un espace aussi vaste. forçant une maçon-
L'innovation technique sans laquelle il n'y aurait nerie portante. Les
jamais eu de gratte-ciel est l'ascenseur. Si le monte- propriétaires enga-
charge existait déjà en Angleterre avant 1840, aucun gent les architectes
système de transport vertical des personnes n'avait été américains Babcock,
mis au point au milieu du siècle dernier. À partir de Cook et Willard qui
1853, on expérimente les premiers ascenseurs à optent pour le grès
vapeur que l'on retrouve quelques années plus tard rouge d'Ecosse et le
dans les grands magasins et hôtels de New York. Dès style néo-roman.
1862, la Montreal Steam Elevating Co, un fabricant L'édifice Canada Life,
d'ascenseurs à vapeur, a pignon sur rue à Montréal. voisin de la Banque
Le perfectionnement de 1 ascenseur est passé par plu- de Montréal, rue
sieurs phases : à vapeur, hydraulique, électrique. Il a Saint-Jacques, ne s'en
fallu dans un premier temps le rendre sûr, dans un laisse pas imposer par
deuxième, efficace, et, enfin, le plus économique pos- la colonnade du tem-
sible. Tous les gratte-ciel, du plus ancien au plus ple de la finance,
récent, sont dotés d'un ascenseur. richement décoré.
De nouvelles méthodes de construction voient L'architecte américain
également le jour avec la venue des gratte-ciel. Dès le Richard Waite n'a pas
début du siècle, la structure d'acier s'impose dans ce hésité, au moment de
type de bâtiment au Canada comme aux États-Unis. la construction en
Il s'agit d'une structure orthogonale de piliers et de 1895, à dissimuler
poutres métalliques assemblés avec des rivets. Jusqu'en l'une des premières
1920, la majorité des gratte-ciel utilisent cette techni- ossatures métalliques.
ue de construction. La popularité des structures Le c o d e de la Fn 1912, lemontagedelastructure d'acier de
3 'acier diminue en période de guerre, l'acier étant
réservé à toutes fins utiles à l'industrie militaire. On
construction édicté
en 1901 limite la
l'immeuble Duluth, prèsde l'égliseNotre Dame,
ra6< rak
""
Photo: Arthives de la tompa9nie Oominion Brids,es
optera alors pour la structure de béton armé. hauteur des immeu-
Les premiers gratte-ciel sont à la fois objets de blés à 10 étages. C'est ledébut de la seconde génération
modernité et objets du passé, l'emploi de matériaux et qui se poursuivra jusqu'à 1923 et qui correspond à la
de techniques d'avant-garde contrastant avec la com- naissance d'une formule classique. Elle englobe la majo-
position des façades et les nombreux archaïsmes archi- rité des gratte-ciel érigés dans le centre des affaires,
tecturaux. L'édifice Canada Life, rue Saint-Jacques, d'abord dans le Vieux-Montréal, puis dans le quartier
exprime bien cette dichotomie. Sous le parement, il y Saint-Antoine, soit lecentre-ville actuel.
a 1 acier. L'idée de construire des édifices en hauteur est
désormais admise. Les principaux problèmes techni-
Troisgénérations degratte-ciel ques étant en partie résolus, les architectes vont être
Des origines jusqu'à 1939, on compte trois géné- confrontés au problème de l'esthétique. Ils ne peuvent
rations de gratte-ciel. Les 70 gratte-ciel montréalais plus répéter les modèles européens. Pour trouver des
érigés entre 1887 et 1939 illustrent les grandes étapes solutions nouvelles, les architectes vont se tourner vers
de développement de ce nouveau programme archi- les productions architecturales de l'école de Chicago,
tectural. Les premiers sont liés au secteur tertiaire où le célèbre architecte américain Louis Sullivan a
(banques, compagnies d'assurances, etc.) et consti- donné naissance à une nouvelle esthétique du gratte-
tuent les deux tiers des immeubles construits avant la ciel. À Montréal, des édifices comme Guardian, New
Deuxième Guerre mondiale. Le premier gratte-ciel Birks ou Unity seront conçus selon un axe vertical,
résidentiel date de 1906 ; il s'agit des appartements comme une colonne. Ils seront donc dotés d'une base
Linton. Puis en 1911 et 1912 apparaissent les pre- accentuée comprenant le rez-de-chaussée et un ou
miers immeubles hôteliers et industriels : Ritz deux étages réunis sous un bandeau en ressaut marqué
Carlton, Vineberg et Sommer. par un revêtement spécifique, d'un fût caractérisé par
La première génération correspond à une période des étages identiques, que rythme un jeu d'ouvertures
transitoire et d'expérimentation que l'on nomme et de piliers engagés, et d'un chapiteau comprenant
volontiers de pré-gratte-ciel. Modestement, en 1887, un ou deux étages et formant un attique sous une cor-
l'édifice New York Life Insurance, sur la place d'Armes, niche fortement en saillie. Cela devient la formule
inaugure la première phase de construction d'immeu- classique du gratte-ciel où le trait le plus distinctif
bles de grande hauteur. On utilise une structure mixte, tient à la répétition et à la standardisation d'un même

DOSSIER 70 CONTINUITÉ 19
Lesgratte-ciel de la de celui de New York, appelé Set Back. Il donne plus
quatrième génération de latitude esthétique aux architectes puisque la hau-
s'inspirentdu style teur est déterminée parles dimensions dulot. Malgré
international. On les
qualifie souvent
cela, on continue de construire sur 10 étages seule-
de Glass Boxes. ment. Seuls les édifices de la Banque Royale du
Photo: M. Price Canada (1927), de l'Aldred (1929), de Bell
Téléphone (1927) etdelaSun Life (l'ajout dela tour
date de 1929-1931) dépassent les15 étages. Au cours
de cette période, l'attique et la corniche disparaissent
au profit de la verticalité. L'immeuble Aldred surla
place d'Armes en est un bon exemple. Sa structure
pyramidale, avec les volumes en retrait, rappelle la
forme d'un gâteau de noces.
L'après-guerre
Dans un contexte de croissance économique et
dans le sillage des idées d'après-guerre, Montréal
module pour les étages intermédiaires. Cette façon de adhère aux concepts d'aménagement et d'architecture
faire atteindra son apogée après la Deuxième Guerre modernistes, si populaires aux États-Unis. La ville
mondiale. répond à l'exigence première, soit la restructuration
La troisième génération de gratte-ciel, de 1924 à radicale, encore une fois, deson centre-ville. L'élargis-
1939, apparaît lorsque la Ville de Montréal change son sement du boulevard Dorchester (aujourd'hui René-
règlement de zonage et autorise la construction Lévesque) au début des années 1950,qui devient
d'immeubles de plus grande hauteur s'ils présentent désormais une artère de prestige, oriente le développe-
des volumes en retrait. Ce type de gratte-ciel se rat- ment des affaires et rend possible de grands projets
tache à la tradition des tours new-yorkaises. immobiliers.
D'ailleurs, le nouveau règlement municipal s'inspire À la fin des années 1950et pendant les années
1960, de part et d'autre du boulevard René-Lévesque,
les immeubles à bureaux s'imposent par leur volumétrie
sans commune mesure avec le cadre bâti antérieur. Ces
gratte-ciel delaquatrième génération s'inspirent du style
international. Onles qualifie souvent de Glass Boxes, en
raison de leur forme quise réduit à un parallélépipède
de verre et de métal. Dans les années 1960, certains
habitation lévy gratte-ciel (la tour de la Bourse [1964], le château
Champlain [1964], etc.) montrent des variations for-
• Gestion d'immeuble melles, mais demeurent conformes au style international
Développement decoopérativesd'habitation etde par leur implantation dégagée et leur typologie de tour.
résidences pourpersonnesâgées (OSBL) Cette tendance sepoursuit pendant la décennie 1970.
En 1986,la construction de l'Industrielle-Vie
52, côte du Passage, Lévis, Québec G6V 5S7 marque le début dela cinquième génération de gratte-
Téléphone :833 6652 Télécopieur :833 2466 ciel et un retour vers une architecture plus expressive,
utilisant des matériaux plus nobles. Ces gratte-ciel
postmodernes suscitent la polémique dans le milieu
de l'architecture et la curiosité de la population. Le
BOUTIQUE UNIQUE cycle de construction des gratte-ciel se clôt avec les
de meubles édifices 1000de La Gauchetière, les tours IBM-
Marathon et McGill College. Le taux de vacances
et d'objets décoratifs élevé des gratte-ciel, indice du redéploiement de l'éco-
recyclés nomie dans un nouvel espace mondial, signifie peut-
être lafin d'une époque pour Montréal.
La ville américaine que Montréal est devenue
depuis les dernières décennies du XIXe siècle poursuit
néanmoins son évolution. Et ici comme ailleurs, le
modèle américain d'aménagement et d'architecture
que sont les gratte-ciel, bien qu'il soit souvent dis-
48 côteduPassage,Lévis • 835-3341 crédité, n'en demeure pas moins mondialisé. ^

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