Economie de L''environnement Et Economie Ecologique - 2ed. - PDFDrive - Com - Livres Economie & Livres MDD

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Collection

CURSUS Économie Ouvrages publiés sous la direction d’Alain Beitone Vincent Barou et
Benjamin Ting, Fluctuations économiques et crises, 2015
Mickaël Joubert et Lionel Lorrain, Économie de la mondialisation, 2015
Emmanuel Buisson-Fenet et Marion Navarro, La microéconomie en pratique, 2e édition, 2015
Marc Bassoni et Alexandre Joux, Introduction à l’économie des médias, 2014
Magali Chaudey, Analyse économique de la firme, 2014
Antoine Bernard de Raymond et Pierre-Marie Chauvin, Sociologie économique. Histoire et courants
contemporains, 2014
Denis Anne et Yannick L’Horty, Économie de l’emploi et du chômage, 2013
Didier Marteau, Les marchés de capitaux, 2012
Jean-Luc Gaffard, La croissance économique, 2011

Voir aussi
Dictionnaire de science économique, Alain Beitone (dir.), 2013 (4e édition)
Économie, sociologie et histoire du monde contemporain, Alain Beitone (dir.), 2013 (coll. U) Conception
de couverture : Hokus Pokus créations
Image de couverture : © Andrew Mayovskyy

© Armand Colin, 2015


http://www.armand-colin.com

Armand Colin est une marque de


Dunod Éditeur, 5 rue Laromiguière, 75005 Paris ISBN : 978-2-200-61302-0
INTRODUCTION
1. AUX ORIGINES COMMUNES DE L’ÉCOLOGIE ET DE
L’ÉCONOMIE
2. LA SORTIE DU PIÈGE MALTHUSIEN ET LA GRANDE RUPTURE
3. LE CHANGEMENT ENVIRONNEMENTAL PLANÉTAIRE ET
L’ACCÉLÉRATION DU TEMPS ÉCOLOGIQUE
4. DE L’ÉCONOMIE DE L’ENVIRONNEMENT À L’ÉCONOMIE
ÉCOLOGIQUE, DE LA CROISSANCE À LA PROSPÉRITÉ

Notre environnement se modifie à une échelle globale et à très grande vitesse.


Les crises écologiques profondes et durables que nous avons aujourd’hui à
affronter s’expliquent par l’action humaine et plus précisément par la domination
humaine sur les écosystèmes terrestres enclenchée avec la révolution
industrielle. L’explosion du développement économique depuis la fin du XVIIIe
siècle puis son accélération à partir de 1950 et sa mondialisation à partir du
début des années 1990 ont deux effets connexes : elles ont projeté l’humanité
dans une prospérité inédite ; elles ont simultanément projeté les écosystèmes de
la planète dans une crise sans précédent. Pour planter le décor de ce manuel, il
nous faut dans cette introduction revenir aux origines humaines du changement
écologique planétaire, puis détailler les crises écologiques contemporaines et
enfin montrer à quelles conditions l’analyse économique peut offrir des
instruments utiles pour penser et, il faut le souhaiter, résoudre ces crises.

1. AUX ORIGINES COMMUNES DE L’ÉCOLOGIE ET DE


L’ÉCONOMIE
On met volontiers l’accent dans le débat public sur une antinomie supposée
entre l’approche écologique et l’approche économique. La première insisterait
sur la préservation de l’environnement et du milieu naturel, dénonçant les
atteintes qu’ils subissent du fait de la poursuite compulsive d’un accroissement
indéfini du bien-être matériel. La seconde, ignorant presque toujours les
ressources naturelles, ferait bon marché des dommages que causent les activités
humaines à l’environnement et négligerait les limites physiques qu’impose la
finitude de la planète pour les sacrifier sur l’autel de l’expansion sans fin de la
production. Or la racine commune de ces deux mots (oikos, le foyer, l’habitat)
indique clairement leur commune attention à l’interaction entre l’homme et son
milieu, son environnement.
Il est vrai que l’écologie tend parfois à donner à la « nature » la priorité sur
les aspirations humaines ; qu’inversement l’économie donne souvent le
sentiment de négliger les impacts de l’activité humaine sur la « nature ». Mais
ces dérives disciplinaires sont récentes ; elles découlent de simplifications et de
spécialisations inhérentes aux démarches scientifiques, qui procèdent par
abstraction, par focalisation sur des objets ou des phénomènes à expliquer, en les
isolant de leur contexte et en raisonnant sous l’hypothèse « toutes choses égales
par ailleurs », qui suppose un jugement empirique sur l’importance relative des
différents mécanismes à l’œuvre dans les phénomènes à expliquer.
C’est pourtant bien dans la notion de rareté que l’économie puise son
inspiration, en en faisant la cause première de la nécessité des choix, individuels
et collectifs, dont l’analyse constitue l’essentiel de cette discipline. Au
fondement des principales religions, les grands mythes des origines en donnent
d’ailleurs une vision que l’on peut aisément traduire dans le langage de l’analyse
économique. Ainsi la Bible raconte-t-elle, dans le livre de La Genèse, qu’Adam
et Ève, d’abord créés à l’image de Dieu, immortels et immergés dans un univers
de l’abondance – le paradis terrestre – sont brutalement plongés dans le monde
de la rareté après la chute : devenus mortels – et de ce fait confrontés à la
finitude de la vie humaine et à la rareté du temps – et devant se résoudre à
l’effort pour faire face à « l’avarice de la nature », il leur faut désormais « gagner
leur pain à la sueur de leur front ». Est ainsi posée l’une des hypothèses centrales
de l’analyse économique moderne des choix des individus : le travail et l’effort
sont coûteux ; ce sont des « nuisances », des « biens négatifs » qui réduisent la
satisfaction individuelle, par opposition au « loisir » – dont l’étymologie est la
même qu’« oisiveté » –, temps consacré aux activités choisies, qui ne demandent
pas d’effort, auquel il faut renoncer chaque fois que l’on veut se procurer des
biens de consommation. C’est, dans l’analyse microéconomique, le choix
individuel primordial autour duquel se déclinent tous les autres.
L’histoire économique suggère que toutes les grandes évolutions
technologiques, tous les « progrès », sont nés de la nécessité de desserrer les
contraintes de la rareté ou de rendre moins pénibles les efforts qu’elle impose.
Avec la découverte du feu – de bois – les humains se sont affranchis de certaines
rigueurs de la nature et de certaines peurs, en même temps que la cuisson des
aliments améliorait leur mode de vie. En inventant l’agriculture et l’élevage, les
hommes ont rendu, au prix d’efforts physiques intenses, la nature moins « avare
» ; mais en domestiquant des animaux, ils ont également trouvé un moyen de
faciliter les transports et d’actionner des outils et des machines, découvrant une
nouvelle source d’énergie qui permettait d’économiser la « sueur de leur front ».
Tous les biens qui viennent assouvir leurs besoins premiers – se nourrir, se vêtir,
se loger, se chauffer, etc. – proviennent alors de la terre et leur production fait
donc l’objet d’usages rivaux des sols, dont la disponibilité est limitée. Migrer ou
conquérir repoussera, périodiquement, ces limites ; mais face à la rareté, c’est
dans l’amélioration des techniques de production – accroissant la productivité de
la main-d’œuvre et, dans certains cas, de la terre – que l’homme a trouvé la
solution (provisoire) à la rareté de ses ressources naturelles ou de son temps, et
au coût de son effort physique.
Par la suite, la maîtrise des énergies hydrauliques – pour le transport, fluvial
et maritime, et plus tard les moulins à eau – et éolienne – les voiles de bateaux,
puis les moulins à vent – va permettre d’épargner encore un peu plus les efforts
humains dans la production et le transport des biens. Les progrès techniques sont
ainsi nombreux ; ils autorisent une meilleure utilisation des ressources naturelles,
et un moindre effort. Mais ils n’engendrent pas pour autant d’augmentation
spectaculaire des niveaux de vie moyens.

2. LA SORTIE DU PIÈGE MALTHUSIEN ET LA GRANDE


RUPTURE
C’est en 1798 que Malthus publie la première édition de son Essai sur le
Principe de Population. « Quelles sont les causes qui ont gêné jusqu’à présent le
progrès de l’humanité vers le bonheur ? », s’interroge l’auteur. Il en voit surtout
une : « la tendance constante de tous les êtres vivants à accroître leur espèce au-
delà des ressources de nourriture dont ils peuvent disposer ». Le télescopage de
la progression arithmétique des subsistances et de la croissance géométrique de
ceux qui veulent subsister lui paraît inévitable.
Le « piège malthusien » dans lequel toutes les sociétés humaines furent
enfermées jusqu’au début du XIXe siècle repose plus précisément sur la
combinaison de trois lois : le taux de natalité s’accroît avec le niveau de vie ; le
taux de mortalité décroît avec le niveau de vie ; le niveau de vie décroît avec la
population. Si ces trois lois sont vérifiées, le niveau réel de revenu de long terme
est celui qui égalise taux de mortalité et taux de natalité, soit une situation
parfaitement stationnaire.
Il faut donc selon Malthus que des obstacles viennent freiner dans les
meilleurs délais « l’accroissement de la population et la forcent à se réduire
constamment au niveau des moyens de subsistance ». Malthus n’en connaît que
trois : « la contrainte morale, le vice et le malheur ».
Le grand paradoxe du raisonnement de Malthus est d’être devenu faux au
moment où il a été formulé. De l’an zéro au début du XIXe siècle, population et
niveaux de vie ne progressent que faiblement sous la contrainte des lois
malthusiennes. Alors que paraît la première édition du Principe de Population,
la révolution industrielle, tout autour de Malthus, va démentir son pessimisme.
L’économiste Gregory Clark (2007) est revenu sur l’erreur malthusienne.
Comment l’humanité s’est-elle sortie, se demande-t-il, de cette terrible équation
qui voulait qu’en 1800, « le bien-être moyen d’un individu ne soit pas meilleur
que celui d’un individu en 100 000 avant J.-C. » ? La réponse tient au progrès
technique : son taux de croissance avant 1800 se situait « bien en dessous de
0,05 % par an […], soit environ un trentième des taux modernes ».
La révolution industrielle constitue en fait la première véritable rupture de
l’économie humaine avec l’économie naturelle. Comme le montrent de
nombreux travaux historiques, cette révolution industrielle ne se résume
d’ailleurs pas au progrès technique. Il s’agit tout autant d’une révolution
institutionnelle : les droits de propriété, la mondialisation, en bref les nouvelles
institutions de l’économie de marché et du capitalisme, expliquent comment les
innovations technologiques ont été mises au service de l’avènement du
développement humain il y a deux siècles.
Cette révolution institutionnelle du début du XIXe siècle marque une rupture
fondamentale dans le développement démographique et économique de ce qui
devient alors l’Occident (rejoint à partir de la fin du XIXe siècle par le Japon),
rupture qui s’accélère à partir de 1950 et se mondialise à partir des années 1990
(le reste du monde rattrapant son retard à grandes enjambées depuis deux
décennies, à commencer par la Chine et dans une moindre mesure l’Inde).
On voit bien cette dynamique en observant les trois courbes fondamentales
du XXe siècle : la démographie, le développement humain et les émissions de
CO2. La population s’accroît, sa qualité de vie s’améliore mais son emprise
écologique devient considérable et menace de devenir insoutenable. Ces trois
courbes symbolisent la tension du début du XXIe siècle entre l’insolence du bien-
être humain et la fragilité de sa soutenabilité, tension qui plus que tout autre
détermine notre monde : le développement humain croît plus vite que la
population mais les émissions de CO2 finissent par croître plus vite que le
développement humain. La prospérité humaine est rattrapée par les crises
écologiques.
Figure 1 – Les trois courbes du XXe siècle
Source : Nations Unies, Global Carbon Project, Prados-de-la-Escosura

3. LE CHANGEMENT ENVIRONNEMENTAL PLANÉTAIRE


ET L’ACCÉLÉRATION DU TEMPS ÉCOLOGIQUE
Comment prendre la mesure du changement environnemental planétaire mis
en mouvement par la révolution industrielle ? On peut d’abord tenter de se
représenter de manière générale les processus à l’œuvre. C’est ce qu’ont fait le
biologiste Peter Vitousek et ses coauteurs (1997) dans un article dont on
reproduit ci-dessous, en l’adaptant, le schéma d’analyse.
En partant d’une population humaine toujours plus nombreuse (elle a franchi
la barre des 7 milliards d’individus) et consommatrice de ressources naturelles,
on constate trois grandes perturbations écologiques (la transformation des terres,
l’altération de la biochimie globale et des formes de la vie) pour déboucher
finalement sur les trois grandes crises écologiques contemporaines : le
changement climatique, la destruction de la biodiversité et la dégradation des
écosystèmes.
Trois grands chiffres doivent être associés à ces trois grandes crises : 2 à 6
°C, c’est la fourchette du réchauffement de la Terre à horizon de la fin du XXIe
siècle par rapport à la période préindustrielle du fait du changement climatique ;
30 %, c’est la perte de biodiversité depuis 1970 ; 60 %, c’est le pourcentage de
services écosystémiques dégradés mesuré en 2005.
Figure 2 – La transformation anthropogénique de la planète
Le temps écologique s’est donc brutalement accéléré depuis deux siècles,
comme le montre l’encadré suivant. L’homme, qui a fait son apparition il y a
seulement 7 millions d’années environ, a, en deux petits siècles, entièrement pris
possession d’une planète vieille de 4,5 milliards d’années et imposé à toutes les
formes de vie, dont les premières remontent à 3,5 milliards d’années, les
conséquences de l’explosion de son bien-être.
Cette domination humaine sur les systèmes terrestres est tellement absolue
qu’elle a justifié aux yeux des scientifiques une requalification de la chronologie
géologique. Nous sommes entrés, nous disent Crutzen et Stoermer (2000), dans
une nouvelle ère géologique, celle de l’Anthropocène, qui se caractérise par le
fait que l’homme devient la force géologique dominante sur la planète. Le début
de cette ère est donc logiquement marqué par l’invention de la machine à vapeur
de Watt (1784).
Figure 3 – Les grandes étapes du développement écologique et
Figure 3 – Les grandes étapes du développement écologique et
humain

Au-delà de la problématique désormais bien connue du changement


climatique, on peut prendre la mesure quantitative des effets du changement
environnemental planétaire en cours de trois manières : la modification de la
surface physique du globe, le franchissement des limites planétaires et
l’altération de la biodiversité.

3.1. LA MODIFICATION DE LA SURFACE PHYSIQUE DU


GLOBE DU FAIT DE L’EXPANSION HUMAINE
En 1700, seuls 5 % des terres de la biosphère étaient accaparés par des
activités humaines intensives (agriculture, villes), 45 % étaient dans un état
semi-naturel et 50 % totalement sauvages. En 2000, 55 % de la biosphère étaient
accaparés par des activités humaines intensives, 20 % étaient dans un état semi-
naturel et 25 % sauvages.

3.2. LE PÉRILLEUX FRANCHISSEMENT DES « LIMITES


PLANÉTAIRES »
Les « limites planétaires » (« planetary boundaries ») sont les seuils au-delà
desquels les phénomènes biophysiques induits par les activités humaines
deviennent dangereux pour la vie de l’humanité sur Terre. Rockström et ses
coauteurs (2000), qui ont mis en évidence ces limites de sûreté écologique pour
les sociétés humaines, nous disent qu’au-delà de ces limites, l’humanité n’a plus
la liberté de procéder à des choix pour son développement : elle doit subir la
dégradation de son bien-être du fait de la dégradation de son environnement. Dix
limites quantitatives ont été identifiées, couvrant les grandes crises écologiques
contemporaines : le changement climatique, la destruction de la biodiversité, la
perturbation du cycle de l’azote, la perturbation du cycle du phosphore, la
déperdition de la couche d’ozone, l’acidification des océans, la
surconsommation d’eau douce, l’altération des sols, la pollution par les agents
chimiques et enfin la pollution atmosphérique par les aérosols. Cette étude nous
indique que nous avons franchi la limite de sûreté en matière de changement
climatique, de perte de biodiversité et d’altération du cycle de l’azote.

3.3. LA DESTRUCTION DE LA BIODIVERSITÉ


La biodiversité désigne la diversité biologique, c’est-à-dire la diversité des
formes du vivant (Wilson, 1988) et se définit à trois niveaux : la diversité des
espèces, la diversité génétique et la diversité des écosystèmes.
Il existe entre 1,5 et 1,75 million d’espèces identifiées et nommées, mais
peut-être dix fois plus ou cent fois plus (on ne connaît que 5 % des océans et
mers qui forment 95 % de la biosphère et 70 % de la surface du globe et on
estime mal la richesse des espèces microbiennes : 700 types de bactéries dans la
seule bouche des humains).
L’état de la biodiversité détermine lui-même la qualité des services rendus
par les écosystèmes, dont 60 % seraient dégradés (Nations unies, 2005).
Tableau 1 – La vie sur Terre et les espèces menacées
Source : « Liste rouge » de l’International Union for Conservation of Nature (IUCN)

Ces différents services déterminent à leur tour l’ensemble de nos capacités


au sens d’Amartya Sen : notre santé (capacité d’accès à une alimentation
adéquate, capacité d’échapper aux maladies évitables, capacité d’accès à l’eau
potable, évolution dans une atmosphère saine, capacité d’accès à une source
d’énergie protégeant de la chaleur et du froid), notre sécurité (capacité d’habiter
dans un environnement sain et propre, capacité d’atténuer la vulnérabilité aux
chocs et stress écologiques), les éléments essentiels pour une vie agréable
(capacité d’accès aux ressources procurant des revenus et conduisant au bien-
être), et enfin de bonnes relations sociales (capacité d’extérioriser les valeurs
récréatives et beautés écologiques liées aux écosystèmes, capacité d’extérioriser
les valeurs culturelles et spirituelles liées aux écosystèmes, capacité d’observer,
d’étudier et de découvrir les valeurs cachées des écosystèmes).
Dans le même temps, pourtant, les progrès en matière de développement
humain ont été spectaculaires (encadré 1)
Figure 4 – Les services rendus par les écosystèmes
Source : Millennium Ecosystem Assessment, Nations Unies, 2005

Encadré 1 – Les progrès contemporains en matière de développement humain


L’inventaire des crises écologiques contemporaines, qui a quelque chose de décourageant, doit, selon le
raisonnement que nous adoptons dans cette introduction, être contrebalancé par un état du
développement humain dans le monde et de ses progrès en particulier depuis un siècle. Car c’est bien
un double mouvement – une prospérité inédite et des crises écologiques sans précédent – qui a été mis
en branle avec la révolution industrielle.
Le « miracle démographique » du XXe siècle (qui a vu une multiplication par quatre de la population
mondiale) témoigne à lui seul des formidables progrès de la nutrition, de la médecine, des techniques
mais aussi des politiques sociales au cours du dernier siècle. On peut vouloir préciser ce constat.
Selon les statistiques historiques de Maddison (2001), l’espérance de vie dans le monde a progressé de
seulement sept années entre l’an mil et 1900 (de 24 à 31 ans), mais elle a bondi de 35 années entre
1900 et 1999 (pour atteindre 66 ans). L’amélioration de la santé au cours du XXe siècle a été rien moins
que phénoménale à l’échelle historique : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la seconde
moitié du XXe siècle aura vu une amélioration sanitaire globale (baisse de la mortalité infantile et
hausse de l’espérance de vie) plus importante qu’au cours de toute l’histoire de l’humanité.
Sur la période la plus récente – 1970 à 2010 –, l’indice de développement humain des Nations unies
(qui mesure en les pondérant à part égale les progrès en matière de santé, d’éducation et de revenu)
s’est en moyenne amélioré d’environ 40 % : l’espérance de vie moyenne a progressé de 11 ans et le
revenu moyen a doublé, la pauvreté extrême s’étant quant à elle réduite de moitié (d’environ 50 % en
1981 à environ 20 % en 2008, surtout en Asie). Dans les faits, si 1,29 milliard de personnes vivaient en
2008 sous le seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale à 1,25 dollars par jour, ils étaient 1,94
milliard en 1981 (si on retient le seuil de 2 dollars par jour, on passe de 2,59 milliards à 2,47 milliards
de personnes).
Ces progrès sont, bien entendu, marqués par des inégalités fortes selon les régions, comme le montre le
tableau suivant :

Tableau 2 – Pourcentages de personnes vivant avec moins de 1,25 $ par


jour

1981 2008
Asie de l’Est et Pacifique 77,2 14,3
Chine 84 13,1
Europe de l’Est et Asie
9,6 2,7
centrale
Amérique latine et
11,9 6,5
Caraïbes
Moyen-Orient et Afrique
9,6 2,7
du Nord
Asie du Sud 61 61,1 36
Afrique Subsaharienne 51,5 47,5
Total 52,2 22,4
Total sans la Chine 40,5 25,2
Source : Banque mondiale, Objectifs du Millénaire, mise à jour 2012

Les progrès sanitaires sont également marqués par un gradient social (de santé), terme qui désigne la
relation entre le niveau de revenu et l’état de santé. Selon l’OMS, « partout dans le monde, plus on est
pauvre, moins on est en bonne santé ». Qui plus est, seuls 28 % des habitants de la planète bénéficient
d’un État providence complet, couvrant toutes les branches de l’assurance sociale. Le niveau des
dépenses sociales varie lui aussi considérablement, de l’ordre de 25 % du PIB pour les pays les plus
riches à moins de 4 % pour les pays pauvres. Paradoxe cruel enfin, compte tenu de la dynamique
démographique, le nombre de pays très pauvres a doublé au cours des quarante dernières années.

Le décor de ce manuel est donc celui d’une interdépendance entre bien-être


humain et soutenabilité environnementale.
Figure 5 – Bien-être humain et soutenabilité environnementale
Source : adapté du Millennium Ecosystem Assessment, Nations Unies, 2005.

Que peut nous apprendre d’utile l’analyse économique sur ces processus ?
Comment rendre compatible bien-être et soutenabilité ?

4. DE L’ÉCONOMIE DE L’ENVIRONNEMENT À
L’ÉCONOMIE ÉCOLOGIQUE, DE LA CROISSANCE À LA
PROSPÉRITÉ
L’économie de l’environnement, dont les prémisses remontent à l’école
libérale anglaise, est née comme une science de la gestion de la rareté et de
l’allocation efficace des ressources naturelles (Hotelling, 1931). Elle a évolué en
une « science de l’externalité » (Pigou, 1920). Elle se pose désormais la question
de la soutenabilité et ce faisant, change de nature pour évoluer vers l’économie
écologique.
La théorie économique n’a pas attendu la récente prise de conscience
écologique pour se poser la question des relations complexes entre activité
économique et ressources naturelles. L’économie ne découvre donc pas
aujourd’hui la question des contraintes imposées par la nature. Bien au contraire,
le monde physique a fait office de modèle pour les auteurs classiques, sans parler
de leurs proches parents physiocrates (dont Turgot et Quesnay furent au milieu
du XVIIIe siècle les figures de proue), aux yeux desquels seule la terre était
capable de donner plus qu’elle ne coûte et, à ce titre, formait la pierre angulaire
du développement. C’est en fait à l’observation du rôle des terres agricoles dans
le processus économique que l’on doit les premiers outils de l’analyse
économique moderne.
On peut même dire que la conscience de l’avarice de la nature et de « l’état
stationnaire » à laquelle elle conduit a nourri l’économie politique en son
origine. Mais ce que l’on appelle la « dynamique grandiose » de l’École
classique anglaise (dont la triade majeure comprend Smith, Ricardo et Mill) est
fondée sur l’hypothèse de la domination de l’homme par la nature. L’homme ne
détruit pas la nature : il profite de sa fertilité, mais en retour celle-ci lui impose
son rythme d’exploitation et sa finitude, et ne lui promet comme horizon que
l’état stationnaire. Selon les classiques, la croissance n’est possible que tant que
toutes les terres disponibles ne sont pas exploitées car ils considèrent la
productivité agricole comme une donnée non manipulable par le progrès des
techniques. Autrement dit, ce n’est pas la perspective de la détérioration des
fonds naturels, et moins encore celle de l’épuisement des ressources, qui
conduisent à la conclusion mélancolique – ou « lugubre », pour employer
l’expression de Carlyle – des classiques, mais la comparaison entre ce que peut
offrir la terre et ce qu’il faut aux hommes pour subsister. La « loi » de Malthus
est l’expression la plus aboutie de cette comparaison désabusée.
L’œuvre de David Ricardo (1817) est profondément marquée par le
raisonnement (erroné comme nous l’avons vu) de Malthus, que l’histoire
économique a cessé de valider au moment même où il était formulé. Mais
Ricardo le raffine considérablement en formulant sa théorie de la rente agricole.
C’est de la moindre productivité des terres mises progressivement en culture, de
l’épuisement de leurs rendements sans technologie nouvelle alors que croît la
population, que va découler « l’état stationnaire » de l’économie dont Ricardo
entrevoit pour la première fois la sombre perspective à la toute fin du chapitre V
des Principes de l’économie politique. Ce « déclinisme » économique, que l’on
retrouvera chez John Stuart Mill, sera transposé aux questions énergétiques par
Stanley Jevons, qui dénonce la dépendance de l’économie britannique à l’égard
d’un charbon bon marché mais épuisable dans The Coal Question (1865).
C’est pourtant bien l’analyse de l’école marginaliste, à laquelle Jevons
appartient (avec Menger et Walras), qui va libérer l’économie de ses racines
terrestres en apportant la bonne nouvelle de la possibilité d’une croissance
perpétuelle. La terre n’apparaît plus à ces auteurs néoclassiques, témoins de
l’industrialisation rapide du XIXe siècle, comme un facteur limitatif de la
croissance ; il suffit que le capital augmente au même rythme que la population
pour que la production continue d’augmenter aussi au même rythme (loi des
rendements d’échelle constants). Et aucune fatalité n’empêche le capital de
croître, puisqu’en tant qu’artefact, il est produit par l’homme. Exit donc l’état
stationnaire des classiques. Ce qui demeure cependant stationnaire chez les
néoclassiques, c’est le revenu par tête (le niveau de vie), car si la production
augmente comme la population, la production par tête reste inchangée. Il faudra
attendre les années 1920 et 1930 pour qu’un cadre analytique soit donné à
l’intuition des marginalistes. L’incidence des activités économiques humaines
sur les ressources épuisables et l’environnement trouve alors ses fondements
analytiques dans les travaux de Harold Hotelling (encadré 2), Frank Ramsey et
Arthur Cecil Pigou.

Encadré 2 – La « règle de Hotelling »


Dès le début des années 1930, Harold Hotelling propose une analyse économique de l’exploitation des
ressources naturelles épuisables qui prend explicitement en compte la dimension intertemporelle du
problème. Elle s’inscrit dans la lignée des analyses de Irving Fisher (1913) sur les choix d’épargne des
ménages et de Frank Ramsey (1928) sur le rôle du taux d’intérêt et de la préférence pour le présent
dans les choix intertemporels. L’intuition qui sous-tend l’analyse de Hotelling est simple : le stock
disponible de la ressource épuisable considérée étant fini – et supposé connu – le problème de son
exploitation optimale se résume à un arbitrage entre usage présent et usage futur. Il en déduit une règle
simple liant le rythme d’extraction de la ressource à son prix, le taux d’actualisation y jouant le rôle
central d’accélérateur que l’on retrouvera par la suite dans toutes les études coûts-bénéfices faisant
intervenir le temps, qu’il s’agisse de la « règle de Hartwick » (cf. partie 2, encadré 1) ou des travaux
récents sur les coûts et les bénéfices de la lutte contre le changement climatique.

où P(t) est le profit unitaire au temps t, P’(t) sa variation et δ est le taux de préférence pour le présent.
Selon cette règle, à mesure que la ressource s’épuise, le prix croît de manière exponentielle, pour tendre
vers l’infini lorsque le stock de la ressource rare tend vers zéro. Il n’y a donc jamais épuisement total de
la ressource.
Les implications logiques sont nombreuses, notamment en ce qui concerne le rôle du prix comme
incitation : parce que les producteurs anticipent que le prix sera plus élevé à l’avenir, ils tendent à
freiner l’exploitation de la ressource ; et, parce le prix augmente fortement avec la rareté, la demande
est de plus en plus dissuadée, incitant les utilisateurs de la ressource à se tourner vers d’autres sources
plus ou moins aisément substituables. En outre, si les propriétaires de la ressource épuisable constatent
un prix élevé et anticipent, pour une raison quelconque, une baisse future, ils ont intérêt à ralentir
l’extraction.
Une telle règle est, on le voit, un guide précieux pour les décisions de production des détenteurs de
ressources épuisables rares, telles que les énergies fossiles. Elle est ainsi susceptible d’inspirer les choix
des grands exportateurs de pétrole comme l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ou
de gaz (Russie). Elle peut également leur inspirer des comportements stratégiques face à une
perspective de diminution progressive de la demande adressée à eux, du fait de montée en puissance de
sources alternatives d’énergie ou de mise en place progressive d’un prix du carbone.
C’est la raison pour laquelle les vérifications empiriques de la « règle d’Hotelling » sont peu
concluantes : son observation requiert un grand nombre d’hypothèses rarement vérifiées dans la réalité.
Ainsi, en matière d’énergies fossiles, la découverte de nouveaux gisements vient périodiquement
modifier notre connaissance des stocks disponibles ; et de nouveaux procédés d’extraction peuvent, de
temps à autre, bouleverser les prix relatifs de différentes sources d’énergie, comme l’illustre la montée
en puissance, depuis quelques années, des gaz « non conventionnels » (principalement les « gaz de
schistes ») aux États-Unis, où le prix du gaz naturel a chuté dans des proportions spectaculaires.

Avec Arthur Cecil Pigou (1920), les externalités sont placées au cœur de
l’économie environnementale. Apparaît alors le problème général de la sous-
estimation par le système économique du coût réel de la consommation de
ressources naturelles. Comme le coût social de cette consommation dépasse
souvent le coût privé (ce qui suscite des « défaillances du marché »), le prix doit
être modifié pour égaliser les deux (cf. chapitre 1, 1. 3. Activité économique et
externalités).
Au début du XXe siècle, la science économique a donc parfaitement intégré,
et la question de la rareté des ressources, et celle des dommages écologiques du
mode de développement capitaliste. Mais ces limites la confortent davantage
qu’elles ne l’inquiètent.
Le défi de la soutenabilité, qui apparaît à partir des années 1970 dans le
débat académique et public – notamment les travaux de l’équipe Meadows au
Massachusetts Institute of Technology (MIT) et le rapport du Club de Rome –,
va conduire au véritable dépassement de l’économie de l’environnement.
L’enjeu de la soutenabilité consiste en effet à déterminer si nous pouvons espérer
voir le niveau actuel de bien-être au moins maintenu pour les périodes futures ou
les générations futures. Le point n’est plus de mesurer les dommages
écologiques de l’activité économique ni d’imaginer des moyens efficaces pour y
remédier, mais d’analyser si le système économique lui-même passera l’épreuve
du temps, compte tenu des modalités actuelles de production et de
consommation. La préoccupation du développement soutenable s’impose dans la
communauté internationale avec la publication du rapport Brundtland en 1987.
L’émergence de la préoccupation de la soutenabilité va cristalliser une
évolution disciplinaire, de l’économie de l’environnement vers l’économie
écologique. C’est sous l’impulsion des membres de l’association Resources for
the Future, fondée en 1952 par William Paley (Columbia University) et premier
think tank exclusivement consacré aux questions environnementales, et de
quelques esprits libres et vagabonds tels que Nicolas Georgescu-Roegen,
Kenneth Boulding et Herman Daly, que la nature sera rapatriée dans le
raisonnement économique sur un mode autre qu’instrumental. On ne peut en
effet faire l’économie de l’environnement et celle des ressources naturelles
comme on fait l’économie du travail, l’économie de la monnaie ou celle de la
finance. L’environnement change la nature de l’économie.
L’« économie écologique » se définit ainsi simplement comme l’étude
conjointe des systèmes naturels et des systèmes humains qui vise à dépasser à la
fois l’économie de l’environnement et l’écologie entendue au sens restreint
comme science du monde naturel. Cette nouvelle discipline a depuis deux
décennies sa société savante, sa revue « transdisciplinaire », et à son actif de
nombreux travaux originaux et rigoureux traitant de la coévolution sociale et
naturelle, de l’équité intergénérationnelle, de la valorisation des écosystèmes ou
encore des indicateurs de soutenabilité. L’économie écologique fusionne
l’écologie et l’économie afin d’évaluer la capacité des écosystèmes naturels à
soutenir les systèmes économiques. L’économie écologique interprète les
systèmes économiques comme une résultante de l’évolution de l’environnement
physique et biologique. Réciproquement, l’économie écologique évalue les
effets des systèmes économiques sur le monde naturel.
Dans cette nouvelle approche, l’objectif collectif des économies et des
sociétés ne peut se résumer à la croissance du PIB. Il faut faire toute leur place
aux indicateurs de bien-être et de soutenabilité qui visent à accroître et à mieux
diffuser le développement humain et à assurer la soutenabilité (figure 6).
Il s’agit donc d’inventer de mettre l’analyse économique au service de la
recherche de nouveaux chemins vers la prospérité.
Figure 6 – Mesurer le bien-être et la soutenabilité
Voici donc brossé à grands traits le cadre empirique et analytique de ce
manuel : il a pour ambition, pour la première fois en France, de présenter côte à
côte, de manière rigoureuse mais accessible, l’état des connaissances tant en
matière d’économie de l’environnement que d’économie écologique.
Un mot s’impose à ce sujet, et pour conclure cette introduction, sur le
caractère contradictoire ou au contraire compatible de ces deux approches, au-
delà de la chronologie déjà évoquée des préoccupations écologiques au cours du
XXe siècle (rareté des ressources, externalités, soutenabilité). Une ligne de
partage souvent mise en exergue concerne la nature de la soutenabilité qu’il
s’agit de viser. La soutenabilité « faible » postule que l’on peut substituer sans
difficulté du capital physique au capital naturel pour maintenir constant dans le
temps un stock de capital total, elle est censée être l’apanage des économistes de
l’environnement ; la soutenabilité « forte » commande au contraire de conserver
intact tout le capital naturel dont la perte serait irréversible, elle serait la marque
de l’économie écologique. Le problème de cette opposition tient à sa pertinence
scientifique : ni l’une ni l’autre version de la soutenabilité n’étant falsifiables, il
est malaisé de les transposer dans le champ de la modélisation. Cette opposition
est donc en partie stérile.
Nous voulons au contraire mettre en lumière la fécondité des compatibilités
entre les deux approches : comme on le verra, l’économie écologique élargit
l’horizon temporel de l’économie de l’environnement ; elle enrichit à la fois ses
analyses et ses méthodes, renouvelle autant l’éventail des questions que la boîte
à outil des économistes qui s’intéressent aux questions écologiques. Mieux,
l’économie écologique réintroduit la question du bien-être dans une économie de
l’environnement qui, à l’image de la science économique depuis trente ans, a eu
tendance à marginaliser les questions de répartition et l’enjeu des inégalités au
profit de la seule efficacité productive. Enfin, l’économie écologique a le grand
mérite de « pluraliser » l’approche économique des questions de
l’environnement, en articulant l’approche économique standard avec les autres
sciences sociales et les sciences « dures ».
Pour prendre l’exemple bien connu de l’introduction d’une taxe carbone, il
est tout aussi utile de s’interroger sur son juste niveau que sur les compensations
sociales nécessaires à son acceptation par les citoyens. Et il est également utile
de tenter simultanément d’introduire dans le débat public de nouveaux
indicateurs de soutenabilité environnementale qui permettent de décarboner à
long terme l’économie. L’économie de l’environnement et l’économie
écologique sont de fait et de plus en plus étroitement liées, d’où ce manuel
hybride.
PARTIE 1
ÉCONOMIE DE
L’ENVIRONNEMENT
CHAPITRE 1
ANALYSES ET POLITIQUES
1. ANALYSES
2. POLITIQUES




1. ANALYSES

1.1. RESSOURCES NATURELLES ET SYSTÈME


ÉCONOMIQUE
La quête de ressources naturelles se confond avec l’histoire de l’humanité.
L’Europe, au peuplement relativement dense depuis l’Antiquité, l’a subie
presque en permanence, défrichant les terres et se lançant dans des conquêtes
territoriales pour en desserrer la contrainte.
À partir de la fin du XVe siècle, grâce à la découverte de nouvelles routes
maritimes et de nouveaux continents, l’homme occidental a pris connaissance –
et souvent possession – de l’immensité des terres et des océans ; il a cru vaincre
ainsi la rareté des ressources naturelles. Les découvertes de nouveaux gisements
de minéraux et d’énergies fossiles ont pu sembler repousser indéfiniment les
limites que le monde physique imposait aux activités humaines. Même si,
quelque cinq cents ans plus tard, en 1972, le rapport du Club de Rome rappelait
les « limites à la croissance », l’alarme sembla excessive et ses effets de courte
durée. Avec la plus récente révolution industrielle, qui a vu l’avènement de
l’économie numérique – souvent qualifiée « d’immatérielle » –, l’humanité s’est
bercée de l’illusion que la croissance économique pouvait s’affranchir des
contraintes de la rareté des ressources. Pourtant, l’activité humaine fait un usage
toujours plus important de ressources naturelles : le XXe siècle désormais achevé
en donne l’exemple le plus frappant (tableau 1.1).
Tableau 1.1 – Le changement économique et écologique planétaire
au cours du XXe siècle (1890-1990)
Facteur d’augmentation
Population 4
Population 4
Population urbaine 13
Économie (PIB) 14
Production industrielle 40
Consommation d’énergie 13
Émissions de CO2 17
Émissions de SO2 13
Consommation d’eau 9
Prises de poissons marins 35
Superficie des forêts 0,8 (baisse de 20 %)

Lecture : la population mondiale a été multipliée par un facteur 4 entre 1890 et 1990.
Source : adapté de McNeill (2000)

1.1.1. QUELLES SONT LES RESSOURCES NATURELLES


NÉCESSAIRES À LA PRODUCTION ?
L’homme vit dans un environnement dont les éléments sont pour lui des
ressources naturelles, souvent indispensables à sa survie, tels l’air qu’il respire
ou l’eau qu’il boit. Il produit les biens qu’il consomme en transformant des
ressources naturelles, grâce à l’usage combiné de travail et de capital productif,
en biens de consommation. Cette transformation est un processus plus ou moins
long et complexe, parfois simple cueillette, parfois élaboration nécessitant une
technologie très sophistiquée. Vivant en un temps où l’agriculture occupait une
place centrale et prépondérante dans l’économie, les économistes classiques
eurent l’idée de représenter la croissance économique comme le résultat d’une
combinaison de trois facteurs de production : le travail, le capital productif
produit, et la « terre », qu’il convient d’interpréter comme le capital naturel,
source des ressources naturelles (cf. partie 2, chapitre 1, 1. 2., La notion de
capital naturel).
Quelles sont-elles ? En réalité, on ne peut en donner une liste exhaustive, car
elles diffèrent selon les activités et l’état des connaissances et des techniques.
Dans l’agriculture, la terre, bien sûr, est la principale, support et substrat des
cultures et de l’élevage, auquel il faut ajouter l’eau douce et les conditions
climatiques, ingrédients indispensables ; mais la technologie autorise, dans
certains cas, les cultures « hors sol » ou la réduction drastique des besoins en eau
des cultures. Dans la pêche, c’est la ressource halieutique ; mais l’élevage des
poissons, coquillages et crustacés est devenu, au fil du temps, une activité
comparable à l’agriculture. Quant à l’industrie et aux services, qui constituent la
plus grande part des activités productives dans les économies développées
contemporaines, leur mise en œuvre utilise et transforme de nombreuses
ressources naturelles : la terre – l’occupation des sols que nécessitent
l’implantation de l’activité, mais aussi, indirectement, celle que requièrent les
transports, la distribution, etc. –, l’eau – souvent consommée en quantités
considérables dans les activités industrielles modernes, en raison des exigences
de propreté dont elles s’accompagnent –, l’énergie, provenant de différentes
sources exigeant elles-mêmes des ressources naturelles, et les matières premières
nécessaires à la fabrication des produits, issues directement – les minerais, par
exemple – ou indirectement – les denrées agricoles notamment – de ressources
naturelles.
Parmi toutes ces ressources que l’activité économique puise dans
l’environnement naturel, certaines sont abondantes, d’autres pas ; mais, comme
l’avait déjà montré Adam Smith à propos de l’eau et du diamant, c’est la
confrontation de l’offre, déterminée par la disponibilité et l’état des techniques
d’exploitation, et de la demande, elle-même le plus souvent dépendante des
goûts et des technologies, qui importe. Ainsi le pétrole était-il connu au Moyen-
Orient depuis la plus haute antiquité, et apparemment aussi des Amérindiens ;
mais faute d’en maîtriser les usages énergétiques, la demande, et donc
l’exploitation, en étaient quasi inexistantes1. Il en va de même de très nombreux
éléments de l’environnement.
Diverses distinctions peuvent être introduites entre les ressources naturelles,
mais l’une d’elles apparaît fondamentale, du point de vue de l’analyse
économique : certaines ressources naturelles sont disponibles en quantité limitée
dans l’environnement, et sont donc épuisables ; d’autres, au contraire, résultent
d’un processus qui se reproduit indéfiniment, et sont appelées ressources
renouvelables. En pratique toutefois, la distinction est rarement aussi tranchée :
ainsi les minerais et les énergies fossiles sont-ils, clairement, des ressources non
renouvelables, présentes en quantités finies dans l’écorce terrestre, mais c’est
plutôt l’état des techniques qui fixe une limite économique à leur exploitation, en
déterminant son coût – elles ne sont jamais littéralement épuisées – ;
inversement, les terres agricoles ou les forêts sont des ressources naturelles en
principe renouvelables, mais les méthodes d’exploitation peuvent engendrer
l’épuisement des sols ou leur pollution, les rendant épuisables ; une fraction
importante de l’eau utilisée dans l’agriculture est recyclée naturellement par
l’évaporation et le ruissellement et se retrouve donc, en partie, sous forme de
pluie quelque part, mais l’eau extraite des aquifères fossiles ne se renouvelle pas.
En général, il est possible d’utiliser de manière plus ou moins durable la plupart
des ressources naturelles, à l’exception notable de celles qui sont détruites dans
le processus de production, au premier rang desquelles figurent les énergies
fossiles : les dures lois de la thermodynamique s’imposent aux transformations
de l’énergie. En revanche, l’eau, les métaux et de nombreuses matières
premières peuvent souvent faire l’objet de recyclage, ce qui les rend moins rares,
mais à un certain coût économique.

1.1.2. LE RÉGIME DE PROPRIÉTÉ DES RESSOURCES


NATURELLES
Qui bénéficie de l’exploitation d’une ressource naturelle, et qui en supporte
les coûts ? C’est évidemment la question centrale, car la répartition des bénéfices
et des coûts détermine les incitations qui pèsent sur les choix des agents
économiques concernés. Les nombreuses ressources naturelles abondantes sont,
aujourd’hui encore, « libres de droits », c’est-à-dire qu’elles sont propriété
commune, et qu’elles peuvent donc être exploitées, sans limite, par tous ceux qui
peuvent y avoir accès, et que les coûts de leur dégradation ou de leur épuisement
seront également supportés par tous, y compris ceux qui n’auront pris aucune
part à leur exploitation, notamment, bien sûr, les générations futures : ainsi
lorsque nos ancêtres ont chassé et tué les derniers mammouths, ils ne prenaient
en compte que le bénéfice présent qu’ils pouvaient en tirer, et négligeaient les
pertes et les coûts qu’ils infligeaient au reste de l’humanité et aux générations
futures, qui ne connaîtraient jamais le plaisir ou le frisson que procurait la
rencontre de l’un de ces pachydermes ; lorsque nos contemporains chassent les
derniers rhinocéros ou les derniers spécimens de certaines espèces en voie
d’extinction, leurs motivations sont également égoïstes et visent leur satisfaction
immédiate – ou d’ailleurs un impérieux besoin vital, ce qui soulève de sérieuses
difficultés analytiques – et ils réduisent tout aussi sûrement l’espace des choix
des générations futures.

1.1.3. PROPRIÉTÉ PRIVÉE DES RESSOURCES NATURELLES


ET RENTE
Bien qu’elle ait connu, dans l’histoire, une grande diversité de modalités et
de régimes juridiques, l’appropriation privée des ressources naturelles est un
phénomène presque aussi ancien que l’humanité ; elle a d’abord concerné les
terres agricoles et les mines recélant des métaux ou minéraux rares, dont le
contrôle a suscité de nombreux conflits. Aujourd’hui la plupart des ressources
naturelles rares sont régies par des droits de propriété privée, dont la nature
juridique précise diffère d’un pays à l’autre. Ce régime juridique assure que le
propriétaire de la ressource perçoit seul l’intégralité du revenu de son
exploitation et en supporte les coûts, les coûts directs du moins. La rareté
engendre, dans ce cadre, une rente, comparable à la rente de monopole, qui peut
être, au moins en partie, taxée par les autorités publiques sur le territoire
desquelles est située la ressource, par nature non délocalisable : la propriété
foncière sert ainsi d’assiette d’imposition principale dans les collectivités
locales, un peu partout dans le monde ; les revenus des mines et des énergies
fossiles ont, de tout temps, fourni au gouvernement des pays qui les abritent une
source commode et abondante de recettes fiscales. Les pays riches en ressources
naturelles n’en sont pas, pour autant, les plus prospères (encadré 1).
Mais comment cette rente est-elle déterminée ? Dans son ouvrage célèbre,
David Ricardo (1817) a élucidé de manière élégante cette question, de la plus
haute importance pour la compréhension des mécanismes des effets de la rareté
sur la répartition des revenus. Dans son analyse, la ressource rare est, assez
naturellement, la terre agricole dont la disponibilité en quantité limitée au
Royaume-Uni est flagrante, alors que l’industrie commence tout juste à prendre
son essor. Ricardo propose alors son fameux raisonnement en termes de « rente
différentielle » : l’idée est que les terres les plus fertiles sont les premières à être
mises en culture, mais qu’à mesure que s’accroît la pression de la demande, du
fait notamment de l’augmentation de la population, des terres moins fertiles
doivent être exploitées. Parce que ces nouvelles terres sont moins productives
que les premières, le coût de production unitaire est plus élevé, donc le prix de
vente requis pour la réalisation de la production sur ces nouvelles terres est plus
élevé. Mais le prix de marché étant unique, les propriétaires des terres les plus
fertiles bénéficient d’une rente « différentielle », la rente sur la terre marginale –
la moins fertile, donc la dernière mise en culture – étant nulle.
Ce raisonnement en termes de différence de rendements des gisements de
ressources naturelles est, à l’évidence, d’une grande utilité pour comprendre la
rémunération relative des propriétaires fonciers de terres agricoles, y compris
dans le monde contemporain et à l’échelle de la planète. Mais il permet
également d’expliquer les mécanismes qui, face à une demande croissante
d’énergies fossiles, incitent à rechercher et à mettre en exploitation des
gisements dont la production est plus coûteuse, engendrant ainsi des rentes
différentielles croissantes pour les détenteurs des ressources les plus aisément
exploitables.

Encadré 1.1 – Un peu de macroéconomie : recherche de rente et « maladie


hollandaise »
À première vue, la possession d’abondantes ressources naturelles, surtout les plus précieuses, celles
dont la demande est forte et le prix élevé, devrait être facteur de prospérité économique. C’est pourtant
rarement le cas : à l’exception des pays d’Amérique du Nord (Canada et États-Unis), abondamment
dotés en terre et en ressources naturelles de toute sorte, les pays les plus économiquement développés
de la planète ne sont généralement pas les mieux lotis de ce point de vue ; certains, comme le Japon ou
la Corée du Sud, en sont même presque totalement dépourvus. À l’inverse, le continent africain regorge
de ressources naturelles, notamment minières, et les pays détenteurs d’énergies fossiles eux-mêmes ne
sont pas tous parmi les plus prospères. Comment expliquer cet état de fait, qui va contre le sens
commun ?
Plusieurs phénomènes se conjuguent généralement dans l’apparition de cette « malédiction des
richesses » ou « malédiction des ressources ». Ainsi, des travaux d’histoire économique, cherchant à
expliquer les différences de développement et de destin économique entre pays, et notamment entre les
anciennes colonies européennes d’Amérique – le Nord, devenu la région la plus prospère de la planète
dès la fin du XIXe siècle, tandis que la plupart des pays d’Amérique du Sud n’ont, à quelques exceptions
près, pas bénéficié d’un véritable essor économique avant le début du XXIe siècle – ont mis l’accent sur
le degré de concentration des ressources naturelles sources de rente (Acemoglu et alii, 2006) : les
mines, en particulier celles de métaux précieux, sont une ressource très concentrée, génératrice d’une
rente élevée et dont le contrôle par un petit nombre constitue un enjeu économique puissant qui
mobilise toutes les énergies, engendre des inégalités économiques profondes et tend à produire des
régimes politiques oligarchiques ; à l’inverse, les terres agricoles, à condition que leur propriété soit
répartie de manière pas trop inégalitaire, sont sources de rentes plus faibles, et dont la mise en valeur
mobilise leur propriétaire. Les conséquences politiques de tels mécanismes sont considérables :
oligarchie et régimes autoritaires d’un côté ; démocratie de l’autre. La recherche de rente et la nécessité
de disposer de main-d’œuvre bon marché pour son extraction, lorsque la ressource est concentrée,
peuvent susciter des guerres civiles et font naître des régimes très inégalitaires, tandis que la dispersion
de la propriété foncière est une incitation à la mise en valeur individuelle et source d’une répartition
plus égale des revenus, des richesses et des pouvoirs politiques.
Des mécanismes macroéconomiques sont également à l’œuvre dans la « malédiction des riches ». Ils
frappent aussi les pays qui n’ont bénéficié que tardivement d’une rente liée à une ressource dont le prix
est élevé. L’exploitation d’une telle ressource, et son exportation, engendrent d’importantes rentrées de
devises, dues aux excédents de la balance commerciale. Ces excédents poussent à l’appréciation réelle
de la monnaie nationale, qui sape la compétitivité du secteur manufacturier de l’économie considérée :
la mise en valeur d’une ressource naturelle précieuse rend ainsi plus difficile, voire impossible, l’essor
des activités productives manufacturières, sauf dans les secteurs qui utilisent directement cette
ressource et bénéficient, par rapport à leur concurrents étrangers, d’une fourniture moins onéreuse de
matière première, en raison de l’absence de coût de transport. Les exemples de pays souffrant d’une
forme plus ou moins sérieuse de cette « maladie hollandaise » abondent : tous les grands pays
producteurs de pétrole et autres énergies fossiles coûteuses – pays du Moyen-Orient, Algérie, Lybie,
mais aussi la Russie. C’est à la suite de la découverte de gaz naturel dans les eaux territoriales
néerlandaises, et pour rendre compte de la désindustrialisation qui a frappé ce pays à la fin des années
1970 et au début des années 1980, qu’a été élaborée cette analyse : d’où l’appellation2 ; mais elle aurait
également pu être baptisée « maladie anglaise », ou norvégienne, iranienne, ou russe…
Mais comment expliquer que certains grands producteurs d’énergies fossiles, en premier lieu les États-
Unis, y échappent ? Avant tout par le fait qu’ils ne sont pas massivement exportateurs de ces énergies.
C’est, en effet, par le commerce extérieur, la balance commerciale et l’appréciation réelle de la
monnaie nationale que transitent les effets macroéconomiques.

1.2. LA NATURE DES BIENS ENVIRONNEMENTAUX


Dans un ouvrage très diffusé, l’anthropologue américain Jared Diamond
(2007) s’intéresse à plusieurs exemples historiques de disparitions de
civilisations : il veut démontrer que, dans tous ces cas, la méconnaissance des
limites qu’imposait l’environnement naturel aux choix d’organisation
économique de la société a fini par avoir raison de sa prospérité, et a causé sa
perte. L’un des cas qu’il développe est celui des colonies vikings que les peuples
scandinaves installent, à partir du VIIIe siècle, dans plusieurs régions du Nord de
l’Europe et de l’Amérique : le Nord de l’Écosse et les îles Hébrides, l’Islande, le
Groenland et le Labrador, notamment. Pourquoi certaines ont-elles disparu –
celles du Labrador et du Groenland –, tandis que d’autres se sont maintenues
jusqu’à nos jours ? Le cas du Labrador semble le plus simple : c’est un problème
de rivalité avec les autochtones pour l’usage des ressources naturelles. Mais
comment expliquer le cas du Groenland, qui n’était que faiblement peuplé et
dont tout indique que les Inuits, qui l’habitaient avant l’arrivée des Vikings,
n’ont eu que peu de contacts avec eux au long des cinq siècles qu’a vécus la
colonie ? La thèse de Diamond est la suivante : les colons vikings ont voulu, à
tout prix, implanter leur mode de vie scandinave, et les techniques de production
– notamment d’élevage bovin – qu’il nécessite, dans un environnement naturel
qui, bien qu’apparemment semblable à celui de leurs contrées d’origine, en
différait en réalité profondément, notamment par la nature des sols et le climat ;
et ils ont fini par en épuiser les maigres ressources et disparaître, sans la moindre
agression extérieure.
Les ressources naturelles directement utilisées dans la production sont
aisément identifiables : les terres arables et les pâturages, les minerais, l’eau que
l’on boit et dont on abreuve le bétail, etc. Mais nous n’avons pas une conscience
claire – et souvent même pas une connaissance précise – de nombreux autres
éléments de notre environnement qui, pourtant, nous sont également bénéfiques,
voire indispensables : l’air que nous respirons, bien sûr, sans y penser, ou les
paysages dans lesquels nous vivons, mais aussi les abeilles dont la pollinisation
est indispensable à de nombreuses productions végétales que nous consommons.
Pour d’autres encore, nous ne percevons pas toujours les avantages qu’ils sont
susceptibles de nous procurer, alors que nous sommes très sensibles aux
nuisances qu’ils produisent : les loups sauvages du Mercantour ou les ours des
Pyrénées se nourrissent en prélevant parfois sur les troupeaux de moutons des
éleveurs de la région ; et pourquoi souhaite-t-on les préserver ? Pourquoi, plus
généralement, ne pas éliminer tout ce qui, dans l’environnement, apparaît «
nuisible », prédateurs, rongeurs, animaux porteurs de maladies transmissibles à
l’homme ? Quelle est l’utilité de la biodiversité, alors que nous ne connaissons
même pas toutes les espèces vivantes, ni même leur nombre ?
1.2.1. BIENS COLLECTIFS, BIENS RIVAUX ET LOGIQUE DE
L’ACTION COLLECTIVE
Le coût supporté par celui qui utilise les ressources naturelles et
environnementales est, du point de vue de l’analyse économique, l’aspect
crucial, car il façonne les incitations auxquelles sont soumis les utilisateurs. En
effet, si l’on suppose, pour l’instant, que les agents économiques sont rationnels
– dans le sens que la théorie microéconomique traditionnelle donne à ce terme –,
l’usage que chacun fera des ressources naturelles dépendra des coûts privés qui
en résultent pour lui. Or nombre de ressources naturelles, qui semblent être en
quantités abondantes, voire illimitées, et qui fournissent des services,
économiques et environnementaux, sont d’accès libre pour tous : l’immensité
des océans appartient à tous ; l’air que l’on respire également. Ces ressources
présentent, en apparence du moins, les caractéristiques de ce que Paul
Samuelson (1954) a appelé des « biens collectifs » : leurs usages sont dits « non
rivaux », au sens où l’utilisation qu’en fait un individu n’entrave en rien la
possibilité qu’ont les autres d’en faire usage ; et ces biens sont « non exclusifs »,
c’est-à-dire que personne ne peut, en principe, être exclu de leur usage. Il en
résulte deux conséquences majeures : la première est l’impossibilité de faire
payer les individus qui utilisent la ressource ; la seconde, corollaire de la
première, est que ces biens, littéralement « collectifs » ou indivis, souffrent des
maux habituels de l’action collective. En réalité toutefois, de nombreuses
ressources telles que l’atmosphère terrestre, les océans et les ressources
halieutiques, la biodiversité, etc., ne présentent que l’une de ces deux propriétés :
ce sont des « biens communs », non exclusifs mais rivaux.
Lorsque l’accès aux ressources naturelles est libre, la « logique de l’action
collective » (Olson, 1965) risque fort de s’imposer et engendrera généralement
des phénomènes de surexploitation, de dégradation ou d’absence de maintien de
la ressource : c’est ce que l’écologiste Garett Hardin (1968) a, dans un article
célèbre, qualifié de « tragédie des communs »3. L’observation de l’évolution de
la biodiversité, des ressources halieutiques des océans ou de la concentration de
gaz à effet de serre dans l’atmosphère montre, hélas, la pertinence de cette
analyse. Elle incite à conclure que la définition de droits de propriété privée sur
les ressources naturelles de ce type constitue la seule solution économiquement
viable, dans la mesure où l’individu propriétaire de la ressource, s’il peut exclure
les autres de la jouissance des bénéfices qu’il en tire, aura intérêt à économiser, à
préserver, à bien gérer et à faire fructifier cette ressource, pour lui-même et, en
raison de l’existence supposée d’une motivation « dynastique », pour ses
descendants : en un mot, de mettre en œuvre une gestion durable de la ressource.
C’est sur une telle logique que s’appuient les historiens économistes qui, à la
suite notamment de Hardin, mettent l’accent sur le rôle majeur joué par la
privatisation des terres agricoles communales dans l’amélioration de la
productivité agricole au cours des premières phases du « décollage économique
» de l’Angleterre, puis de l’Europe occidentale. C’est également sur cette base
qu’ont été définies, puis étendues, les eaux territoriales et les zones économiques
exclusives dans les océans, qui attribuent aux États riverains des droits de
propriété. Et c’est selon le même raisonnement que l’on crée des droits de
propriété privée échangeables sur les émissions polluantes – les quotas
d’émission de dioxyde de soufre (SO2), qui font l’objet d’un marché aux États-
Unis depuis la fin des années 1970, et les quotas d’émission de dioxyde de
carbone (CO2), échangeables depuis 2005 sur le marché européen du carbone
(cf. partie 1, chapitre 1, 2.3., Instruments de la politique environnementale) – et
que certains préconisent la brevetabilité du vivant, c’est-à-dire la possibilité de
faire protéger par des brevets4 la propriété des gènes identifiés dans le cadre de
la recherche génétique, etc.
Soutenue par l’analyse économique standard, cette logique de privatisation
des ressources naturelles apparaît comme l’une des caractéristiques marquantes
de l’évolution des économies marchandes depuis plusieurs siècles et semble ne
pas avoir de limite. Elle suppose toutefois que l’on introduise de la rivalité et de
l’exclusion dans l’accès à ces ressources, ce qui n’est pas toujours
techniquement possible, ni économiquement ou socialement souhaitable
(encadré 1.2).

Encadré 1.2 – La gestion des espaces boisés : diversité des formes


institutionnelles et des résultats
Dans un récent rapport, la FAO (Food and Agriculture Organisation, 2011), organisme des Nations
unies spécialisé, comme son nom l’indique, dans les questions agricoles et alimentaires, met l’accent
sur la multiplicité des canaux par lesquels les espaces boisés affectent le bien-être des populations et sur
la diversité des services économiques qu’ils rendent, notamment dans les pays les moins développés.
En effet, au-delà de la production marchande de la sylviculture traditionnelle – le bois et ses usages –,
les espaces boisés procurent aux habitants des zones voisines toutes sortes de produits, notamment de la
chasse et de la cueillette ; ils constituent en outre un environnement favorable à certaines cultures ; et
ils rendent des services écosystémiques plus globaux, tels leurs effets de régulation de l’humidité
atmosphérique et des précipitations, leurs fonctions de « puits à carbone » et de réservoir de
biodiversité.
Dans ces conditions, la question des modes de gouvernance et des formes institutionnelles les plus
adaptés à la conciliation de ces diverses fonctions et aux arbitrages socialement préférables se pose
avec acuité. En effet, alors que s’agissant des biens privés destinés à l’échange marchand, la propriété
privée des espaces boisés peut apparaître comme la solution qui permet de susciter les incitations les
plus conformes à l’intérêt collectif, il n’en va pas de même pour les autres services rendus par la forêt.
Confortant les conclusions des travaux d’Elinor Ostrom (voir plus loin), les analyses de la FAO
montrent que divers arrangements institutionnels peuvent produire des résultats satisfaisants, à
condition de bien articuler les politiques d’incitation, notamment en matière de lutte contre le
changement climatique ou pour la défense de la biodiversité, et d’aligner les incitations des décideurs,
publics et privés. En particulier, certaines analyses suggèrent que les politiques de constitution de
réserves foncières naturelles ne sont pas les plus souhaitables, car elles aboutissent à sanctuariser une
partie des espaces boisés, abandonnant le reste à des modes d’exploitation particulièrement nuisibles du
point de vue des externalités globales. C’est notamment le cas de la déforestation liée à l’extension des
cultures agricoles, en particulier la culture du palmier à huile ; mais également de politiques de gestion
de la ressource forestière fondées sur la plantation mono-espèce à croissance rapide (eucalyptus, par
exemple), qui nuisent gravement à la biodiversité des espaces boisés.

1.2.2. ENTRE MARCHÉ ET ÉTAT : LES INSTITUTIONS


EFFICACES
Les conclusions pessimistes des analyses en termes de « tragédies des biens
communs » sur la possibilité de gérer efficacement et de préserver des ressources
naturelles en propriété collective ont, en effet, été remises en cause par les
travaux qui mettent l’accent sur la diversité des configurations présentes dans les
biens environnementaux et dans les institutions qui émergent pour organiser leur
exploitation et leur préservation. C’est notamment ce qui ressort des analyses
menées par Elinor Ostrom (2011), première femme prix Nobel d’économie – en
2009 –, qui montre, d’ailleurs en accord au moins partiel avec l’analyse d’Olson
sur la « logique de l’action collective », que celle-ci aboutit à des résultats
favorables, du point de vue de la gestion durable de la ressource, dès lors que le
groupe n’est pas trop nombreux et que les institutions promeuvent la prise de
conscience des interdépendances. Mobilisant les concepts de plusieurs
disciplines des sciences humaines, Ostrom conclut qu’il existe de nombreuses
dimensions pertinentes dans l’analyse de la gestion des biens environnementaux,
qui ne peut être réduite à des alternatives dichotomiques telles que propriété
privée-propriété publique, marché-État, etc. La dimension spatiale de la
ressource joue, notamment, un rôle majeur : bon nombre des problèmes de
gestion des ressources environnementales ont un caractère local, qui les
apparente à des « biens collectifs locaux », au sens de Charles M. Tiebout
(1956), dans la mesure où les conséquences des décisions prises par les groupes
d’individus directement aux prises avec la ressource n’ont que peu de
conséquences sur les tiers ; d’autres ont plutôt la nature de « biens clubs »
(Buchanan, 1965), parce que leurs caractéristiques physiques et techniques
permettent d’exclure de leur jouissance ceux qui ne participent au financement
des coûts de leur gestion.
Ces analyses récentes vont donc dans le sens, non pas d’une privatisation,
mais d’une décentralisation des responsabilités en matière de gestion de
certaines ressources naturelles, comme les ressources halieutiques ou
l’atmosphère des villes5. Ostrom reconnaît toutefois que l’existence
d’interdépendances qui engendrent des effets de débordement ou « externalités »
(cf. encadré 1.4, Externalités globales et externalités locales) fait que la gestion
décentralisée par des groupes sociaux organisés n’est pas toujours la solution
efficace.

1.3. ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ET EXTERNALITÉS


L’économiste britannique Alfred Marshall avait, à la fin du XIXe et dans les
premières années du XXe siècle, porté l’analyse microéconomique en équilibre
partiel des marchés à un tel degré de perfection que la compréhension de
nombreux mécanismes économiques est, aujourd’hui encore, directement héritée
de ses analyses : l’offre, la demande et le prix d’équilibre qui résulte de leur
confrontation, tous ces éléments éclairent le fonctionnement des marchés, des
plus rudimentaires – les échanges individuels dans les économies de troc, par
exemple – aux plus sophistiqués – disons les marchés financiers contemporains.
Il avait pourtant souligné que les interactions marchandes ne sont pas les seules
qui importent pour l’activité économique : ainsi, dans son analyse des « districts
industriels » – ensembles d’entreprises spécialisées dans des activités
productives comparables et regroupées sur un même territoire6 –, Marshall
évoquait-il l’existence d’interdépendances technologiques, ne transitant pas par
les échanges marchands, des « externalités », dites marshalliennes, qui donnent
naissance à des économies d’échelle externes à l’entreprise7.
Ce n’est pourtant pas à Marshall, mais à l’un de ses plus brillants élèves,
Arthur Cecil Pigou, que l’on doit l’analyse systématique des externalités et
l’exploration de conséquences économiques de ces interdépendances hors
marché. Dans un ouvrage publié en 1920 et portant le titre très novateur de
Economics of Welfare (L’économie du bien-être, qui est à l’origine de la sous-
discipline du même nom dans la théorie économique contemporaine), Pigou met
l’accent sur les conséquences économiques de la présence des « effets externes »
ou « externalités », non pris en compte dans les rapports marchands et donc sans
influence sur le prix auquel s’effectuent les transactions entre agents privés.

1.3.1. LES MARCHÉS ET LES EFFETS EXTERNES


Dans sa représentation canonique des interactions marchandes, l’économiste
suppose en effet que le marché met en relation deux agents : le vendeur et
l’acheteur. Le premier cherche à se procurer, grâce à la cession du bien qu’il
détient mais dont il est disposé à se défaire, des ressources qu’il affectera à
divers usages : il souhaite donc en tirer le meilleur prix possible ; mais son prix
de réserve – le niveau en-deçà duquel il n’acceptera pas de céder le bien qu’il
possède – dépend des coûts privés qu’il a encourus pour produire ou se procurer
le bien qu’il veut vendre. Le second souhaite acquérir le bien et sa disposition à
payer dépend du budget dont il dispose et de l’intensité de son désir de posséder
le bien dont il se porte acquéreur. Il n’y a, dans cet échange, personne d’autre :
on suppose que l’usage qui est fait du bien acquis par l’acheteur ne concerne que
lui, et n’affecte personne d’autre. Mais est-ce là le cas le plus fréquent ? Dans la
réalité, la plupart des activités économiques et une bonne part des échanges
affectent, directement ou indirectement, des tiers, qui le plus souvent n’ont pas
voix au chapitre : comme l’indiquaient les manuels économiques des années
1960, c’est la présence de fleurs dans les environs qui permet aux abeilles de
produire le miel que l’apiculteur récolte et vend ; mais, comme le montrent les
nombreuses études récentes sur le rôle économique des abeilles et autres insectes
pollinisateurs, c’est surtout la présence de ceux-ci qui permet la production de
fruits et légumes (voir encadré 1.3). C’est la présence de la tour Eiffel qui attire à
Paris les touristes et procure aux hôteliers, restaurateurs et autres métiers du
tourisme leur clientèle. C’est l’usage du charbon dans les usines et les chaudières
qui rendait, au XIXe siècle, l’air des villes irrespirable, et l’usage, dans les
automobiles, de carburants fossiles qui pollue celui des villes de ce début de XXIe
siècle.

Encadré 1.3 – Comment évaluer économiquement une externalité : l’exemple


de la pollinisation
Dans l’analyse classique des externalités positives, l’un des exemples le plus souvent invoqués est celui
de l’apiculteur et du producteur de fruits, supposés être voisins : le premier profite du pollen que
contiennent les fleurs des arbres fruitiers de son voisin, tandis que le second bénéficie du service de
pollinisation que procurent, gratuitement, les abeilles élevées par le premier. Si chacun des deux
producteurs prend ses décisions de production indépendamment de l’autre, selon un schéma
décentralisé reposant sur la prise en compte des seuls coûts et bénéfices privés pécuniaires, les quantités
produites de miel et de fruits seront socialement sous-optimales. D’où les solutions classiques de la
négociation entre ces deux producteurs – chacun exprimant ainsi sa disposition à payer les services que
lui procure l’activité de l’autre –, ou de la fusion entre les deux activités, solution coasienne qui
internalise les externalités. L’une et l’autre de ces deux solutions permettent d’atteindre l’optimum
social, ou du moins de s’en approcher.
Mais l’exemple d’une relation réciproque et bilatérale masque, en partie, le véritable enjeu économique
de l’histoire : les abeilles sont les principaux insectes pollinisateurs, et leur action est indispensable à la
fécondation des fleurs de la plupart des arbres fruitiers et des légumes cultivés. Autrement dit, en leur
absence, l’essentiel de la production de fruits et de légumes disparaîtrait, sauf à mettre en œuvre,
comme le font les paysans de certaines régions chinoises, des techniques de pollinisation mécanique –
en l’occurrence manuelle, à l’aide d’une plume généralement. D’où les inquiétudes que suscitent la
forte mortalité des abeilles observée depuis quelques années dans plusieurs pays et les risques de
disparition de ces insectes, dont la production ne se limite pas au miel et à la cire. Dans certaines
régions très grosses productrices de fruits en monoculture – par exemple en Californie, pour les
agrumes ou les amandes –, les risques de pertes purement pécuniaires en cas de disparition ou même de
raréfaction des abeilles sont énormes.
Combien ? Quelques études ont tenté de produire une évaluation monétaire des bénéfices externes de la
pollinisation. Dans un rapport publié en 2006, la FAO (Food and Agriculture Organization) propose
une analyse critique comparée des différentes méthodes disponibles et des principales études publiées à
cette date. Le rapport cite, par exemple, les conclusions d’une étude américaine (Morse et Calderon,
2000) qui évalue à 14,6 milliards de dollars la valeur totale de la production agricole qui ne serait pas
disponible sans les services de pollinisation des essaims d’abeilles loués à cet effet par les producteurs.
Dans une autre étude citée, Gordon et Davis (2003) mobilisent la méthode des surplus – du
consommateur et du producteur – pour aboutir, dans le cas de l’Australie, à une évaluation de 12,9
milliards de dollars australiens. Un fact sheet publié en juin 2014 par l’Administration américaine cite
une contribution de 24 milliards de dollars à l’économie américaine.

La conséquence importante de la présence de tels « effets externes » est une


« défaillance du marché » : celui-ci ne prend pas en compte de tels effets induits
sur les tiers, qui ne sont pas parties prenantes à l’échange marchand ; or les
décisions de chacun sont prises sur la base des coûts et des bénéfices privés qui
résultent de ses choix8. En présence d’externalités, il existe un écart entre le coût
privé supporté par le décideur et le coût total supporté par l’ensemble de la
population, appelé « coût social » : s’il s’agit d’une externalité positive – les
abeilles et les arbres fruitiers –, le coût privé est supérieur au coût social – ou, ce
qui revient au même, le bénéfice privé est inférieur au bénéfice social – ; dans le
cas contraire – pollution, par exemple –, le coût privé est inférieur au coût social.
Cet écart entre coût privé et coût social a pour implication que l’équilibre de
marché – dit équilibre décentralisé, parce qu’il résulte de l’interaction de
nombreuses décisions individuelles indépendantes – ne correspond pas à un
optimum social, au sens de Pareto, contrairement à la situation canonique du
marché concurrentiel : autrement dit, le sort de certains membres de la société,
dans un sens plus ou moins large selon la nature de l’externalité, pourrait être
amélioré sans détériorer celui des autres ; ou du moins, comme dans tous ces cas
d’imperfection de marché, le coût que supporteraient les individus incités à
modifier leur choix serait inférieur au bénéfice que le reste de la société retirerait
de cette modification. La défaillance de marché due à la présence d’externalités
n’est ainsi, analytiquement, pas très différente des autres formes d’imperfection
de marché, telles que la concurrence imparfaite ou les imperfections
informationnelles : les conséquences en termes de sous-optimalité de l’équilibre
concurrentiel sont de même nature et les implications en termes d’intervention
publique sont elles aussi comparables (pour autant, il convient de distinguer
entre externalités locales et externalités locales – cf. encadré 1.4).

Encadré 1.4 – Externalités locales et externalités globales


La dimension spatiale des externalités rend l’analyse économique de leurs conséquences
particulièrement complexe et oblige à imaginer des solutions différentes selon l’extension
géographique de leurs effets. L’article fondateur de cette réflexion est celui de Charles Tiebout (1956)
sur les « biens collectifs locaux », qui modifie le cadre canonique proposé par Paul Samuelson (1954)
pour l’analyse des « biens collectifs ». Les « biens collectifs locaux » représentent des cas extrêmes
d’externalités positives, dans la mesure où le bénéfice de leurs services peut, souvent, profiter à des
résidents de collectivités territoriales voisines de celles qui les fournissent : autrement dit, ils sont non
rivaux et non exclusifs sur une certaine aire géographique, mais pas au-delà. Cette dimension spatiale,
qui rappelle l’intuition de Marshall sur les externalités technologiques présentes au sein des « districts
industriels », est l’un des fondements de la « nouvelle économie géographique » développée à la suite
des travaux de Paul Krugman (1991).
L’exemple des émissions polluantes des véhicules automobiles permet d’illustrer simplement les
implications de la dimension spatiale des externalités, en l’occurrence négatives. Parmi les émissions
de la combustion des carburants fossiles utilisés dans la plupart de ces véhicules, équipés de moteurs à
explosion, on trouve, bien sûr, les oxydes de carbone (mono et dioxyde de carbone) à l’origine de
l’effet de serre, mais également, en proportions diverses selon les carburants et les technologies
(motorisation échappement catalytique, etc.), d’autres gaz, dont l’ozone, l’oxyde d’azote, et des
particules de diverses dimensions et densités. Certaines de ces émissions se dispersent rapidement dans
l’atmosphère, tandis que d’autres demeurent concentrées au voisinage du lieu de leur émission, ou ne se
déplacent que lentement, selon leur masse. Dès lors, les conséquences en termes de pollution peuvent
être globales – dans le cas des GES notamment – ou locales – les particules, par exemple, dont la
concentration dans l’air des basses couches de l’atmosphère à proximité du boulevard périphérique
parisien est particulièrement élevée, dépassant même les seuils préconisés par la réglementation
européenne sur la qualité de l’air.
Parce que les populations affectées ne sont pas les mêmes, les autorités publiques susceptibles
d’intervenir pour internaliser ces coûts externes ou en limiter les nuisances ne sont pas de même niveau
non plus. Ce qui conduit naturellement à la problématique des modes de gouvernance et des institutions
(cf. partie 1, chapitre 1, 1.6.).

1.4. LES SOLUTIONS AU « PROBLÈME DU COÛT SOCIAL


»9
Comment restaurer l’optimalité ? La solution proposée par Pigou est la plus
immédiate et la plus connue : pour « internaliser » l’effet externe, c’est-à-dire
pour qu’il soit inclus dans le coût privé supporté par les décideurs, tout en
conservant la liberté de choix que permet l’échange marchand, il convient de
corriger le prix de marché, en l’égalisant au coût social. L’instrument par lequel
les autorités publiques peuvent concilier la décentralisation des décisions par le
marché et la prise en compte du coût social est donc une taxe ou une subvention,
selon que l’externalité est négative ou positive. En effet, la taxe/subvention ad
valorem, c’est-à-dire proportionnelle à la dépense, permet d’égaliser le coût
marginal privé, qui révèle la disposition marginale à payer, au coût social. C’est
le principe du « pollueur-payeur » (encadré 1.5) ; c’est également la justification
économique des subventions publiques ou des dépenses fiscales – les fameuses «
niches fiscales » si âprement débattues – encourageant les choix privés qui
engendrent des externalités positives, tels que l’éducation ou le bonus-malus
écologique pour l’achat d’un véhicule.

Encadré 1.5 – Le principe « pollueur-payeur » dans la Charte de


l’environnement
Votée en 2005, la Charte de l’environnement inscrit les grands principes de la préservation de
l’environnement et du développement durable et confère au principe « pollueur-payeur » une portée
constitutionnelle : Article 4
« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans
les conditions définies par la loi. »

Bien que fondée en théorie, cette solution suppose que le gouvernement


dispose d’une information précise et parfaite sur la nature des externalités et
l’écart qu’elles engendrent entre coût privé et coût social : la solution suppose
l’existence d’un « planificateur bienveillant » et omniscient. En pratique
toutefois, pourvu que la taxe ou la subvention ait le bon signe, elle devrait
permettre de se rapprocher de l’optimum social. La fiscalité écologique – de
même que celle qui vise les consommations présentant des risques pour la santé
– s’inscrit dans cette logique : même si elle engendre aussi des recettes
publiques, ce n’est pas son objectif premier, et les montants perçus seront
d’autant moins élevés qu’elle se révèle plus efficace dans la dissuasion des choix
privés générateurs d’externalités négatives.
Pourtant, cette solution centralisatrice et, d’un certain point de vue,
interventionniste – bien qu’elle ait pour objet de corriger les mécanismes de
marché, tout en les préservant –, est apparue à certains économistes, notamment
ceux qui insistent sur les défaillances de l’État, peu satisfaisante, pour la raison
même qu’elle suppose un gouvernement bienveillant et omniscient. Coase
(1960) a donc proposé une autre manière de résoudre le « problème du coût
social » et d’internaliser les externalités. Elle consiste à redistribuer ou à
redéfinir les droits de propriété, puis à laisser le marché libre d’établir le prix,
qui cette fois devrait refléter mieux le coût social, du moins si les conditions de
concurrence et de transparence sont respectées. Plusieurs modalités sont
envisageables, selon la nature de l’externalité considérée : s’agissant
d’externalités technologiques entre entreprises – comme dans l’exemple
canonique de l’apiculteur et du producteur de fruits –, la fusion des deux
entreprises en une seule permet d’internaliser les effets externes ; lorsque
l’externalité cause un dommage à des tiers – comme dans le cas d’une pollution
accidentelle –, le droit de la responsabilité civile permet d’imputer les coûts à
l’émetteur de l’externalité ; enfin, dans les cas d’émissions polluantes –
notamment industrielles, telles que le dioxyde de soufre (SO2), responsable des
pluies acides –, il est possible de créer des quotas d’émission, de les répartir,
d’une manière ou d’une autre entre les émetteurs, puis d’autoriser l’échange
marchand de ces droits, la création d’un tel marché permettant l’émergence d’un
prix qui fixe le coût marginal de l’émission polluante (cf. partie 1, chapitre 1, 4.,
Instruments de la politique environnementale).

2. POLITIQUES

2.1. LA VALORISATION ÉCONOMIQUE DES


RESSOURCES NATURELLES ET LE CALCUL COÛTS-
BÉNÉFICES
La valorisation économique des ressources naturelles en général et de la
biodiversité et des écosystèmes apparaît aujourd’hui aux yeux de beaucoup de
chercheurs et de décideurs comme une nécessité pour les préserver. Pour autant,
il importe de garder à l’esprit deux éléments de débat : le débat, très vif, sur la
valeur intrinsèque ou instrumentale de la nature qui oppose généralement les
écologistes aux économistes et le débat sur la qualité des méthodes utilisées pour
donner une valeur économique aux ressources naturelles qui sont en l’état
partielles et très imparfaites.
La crainte à l’égard de l’approche économique des ressources naturelles est
que l’application de méthodes trop frustes ne masque en fait un rapport purement
utilitaire à l’égard de la nature qui ne ferait qu’accélérer les crises écologiques
contemporaines. C’est par exemple la crainte exprimée par le chercheur Mark
Sagoff dans une série d’ouvrages et d’articles. À ses yeux, la principale valeur
de la nature est non marchande et la science économique est tout simplement
incapable de penser les questions éthiques attachées à sa préservation. Les
écologistes commettraient dès lors une lourde erreur en adoptant le langage des
économistes et en raisonnant en termes de capital naturel, de services
écosystémiques et de valeur économique de la biodiversité.
Le cadre général d’analyse de la valorisation économique des ressources
naturelles est le suivant : de la biodiversité dépend la vitalité et la résilience des
écosystèmes, donc leur capacité à rendre des « services » aux humains
(alimentation, dépollution, pollinisation, etc.). C’est l’illusion de la gratuité de
ces services qui conduit à leur surexploitation et à l’anéantissement de la
biodiversité qui les sous-tend (rappelons que les Nations unies ont estimé en
2005 que 60 % des services écosystémiques de la planète étaient dégradés ou en
voie de l’être). Ce qui n’a pas de prix serait dépourvu de valeur : valoriser, voire
« monétariser » les ressources naturelles sans pour autant les « marchandiser »,
ce serait, en fait, les protéger.
Comme le rappellent les auteurs du rapport TEEB (The Economics of
Ecosystems and Biodiversity) : « La nature est une source de valeur importante
au quotidien mais il n’en demeure pas moins qu’elle n’apparaît guère sur les
marchés, échappe à la tarification et représente un défi pour ce qui est de
l’évaluation. Nous sommes en train de nous apercevoir que cette absence
d’évaluation constitue une cause sous-jacente de la dégradation observée des
écosystèmes et de la perte de biodiversité ». L’idée a été défendue à la
conférence de Nagoya en octobre 2010 : enrayer la destruction de la biodiversité
implique d’en révéler la valeur économique.
Les services fournis par les écosystèmes et la biodiversité qui les sous-tend
sont en effet largement sous-évalués par les sociétés humaines qui les dégradent
par manque d’information adéquate et de connaissances sur les fonctions de ces
écosystèmes mais aussi du fait de logiques de pouvoir et de rapports de force. Or
ces écosystèmes fournissent aux humains des services qu’il est très difficile et
coûteux de reproduire, comme l’illustre bien l’exemple des ressources en eau de
la ville de New York.
Le bassin versant des montagnes Catskill a fourni pendant des décennies à
New York une eau considérée parmi les meilleures du pays par le Consumer
Reports. Mais dans les années 1990, il est devenu clair que cette ressource était
dégradée par l’activité agricole et industrielle et leurs eaux usées, l’eau de la
ville ne répondant plus aux normes de qualité. La municipalité a alors considéré
plusieurs options, dont l’installation d’une usine de filtration artificielle,
correspondant à la réplication humaine du service écosystémique gratuit en
apparence fournit par la nature. Le prix estimé pour cette nouvelle installation
était de six à huit milliards de dollars, plus des coûts annuels d’exploitation de
l’ordre de 300 millions de dollars. La ville de New York a alors décidé d’opter
pour la restauration du service écosystémique dégradé en investissant 660
millions de dollars dans l’achat de terrains et le nettoyage du bassin versant des
Catskill.
On pourrait également prendre l’exemple des travailleurs agricoles du comté
de Maoxian dans la province du Sichuan, en Chine, une région qui a perdu ses
pollinisateurs du fait de l’utilisation anarchique des pesticides et de la
surexploitation du miel. Tous les printemps, des milliers de villageois sont
contraints de monter aux arbres de fruits pour assurer manuellement la
pollinisation des fleurs en utilisant des « bâtons à pollinisation » trempés dans
des bouteilles en plastique de pollen. Le prix du service écosystémique « gratuit
» est ici représenté par le coût d’opportunité des milliers d’heures de travail de
ces villageois.
Mais au-delà de ces cas particuliers, peut-on évaluer plus systématiquement
la valeur économique d’une ressource naturelle ? Il faut d’abord tenter d’en
définir les multiples facettes.
Une espèce animale ou végétale peut avoir une valeur d’usage, directe
(alimentation, contemplation) ou indirecte (pollinisation, régulation du climat),
une valeur de non-usage (la « valeur d’existence »), une valeur d’option (la
possibilité d’utiliser la ressource à l’avenir), une valeur de quasi-option (une
valeur encore inconnue peut se révéler à l’avenir), ou encore une valeur de legs
(le fait de transmettre la ressource à autrui). Correctement estimée, la « valeur
économique » va donc bien au-delà de l’utilité immédiate : elle est le produit
complexe de toutes ces valeurs, produit illustré à la figure 1.1.
Figure 1.1 – Les multiples valeurs de la nature

En effet, comme le font remarquer les chercheurs qui ont participé au rapport
Chevassus-au-Louis au sujet de la biodiversité : « le passage à des valeurs
économiques ne peut se réduire à un chiffrage de dépenses ; il doit s’efforcer de
respecter la profondeur des conséquences des changements prévisibles sur le
bien-être des populations concernées, en sachant que ces populations peuvent ne
pas résider à proximité, du fait de l’existence d’effets indirects, ou ne pas être en
interaction physique avec les actifs considérés, mais leur attribuer des valeurs de
non-usage. »

2.1.2. LES MÉTHODES D’ÉVALUATION


De quelles méthodes dispose-t-on pour valoriser les ressources naturelles ?
On peut d’abord utiliser des méthodes biophysiques. L’évaluation biophysique
utilise une approche en termes de « coût de production » qui met l’accent sur les
« coûts physiques » d’un état environnemental donné (dépenses d’énergie, flux
de matières, etc.) ou de la production d’un bien ou service environnemental. On
laisse ici de côté ces méthodes pour se concentrer sur les approches en termes de
préférences des agents.
On peut également utiliser le marché, quand il existe, pour évaluer la valeur
d’un bien ou service environnemental. Il en ira ainsi par exemple des énergies
fossiles ou des minerais : on procédera à une monétarisation de la ressource au
prix du marché. On peut également évaluer directement les coûts de l’usage de la
ressource à partir par exemple de sa distribution (c’est alors la distribution de la
ressource qui est monétarisée). Il en va ainsi de l’eau : sa valeur est représentée
par les avantages qu’elle procure aux utilisateurs, mais son prix est celui du
marché. Il comprend les coûts de l’approvisionnement en eau (capital et charges
d’exploitation de l’extraction, du traitement et de l’acheminement de l’eau
jusqu’au point d’utilisation). Ces coûts vont faire l’objet d’une récupération de la
part du distributeur auprès de l’usager : les usagers doivent s’acquitter de
l’ensemble des coûts liés à l’extraction, à la collecte, au traitement et à la
distribution de l’eau, mais aussi à la collecte, au traitement et au rejet des eaux
usées. Le prix final de l’eau correspond finalement aux charges prélevées auprès
des consommateurs.
Mais comment faire lorsque les marchés sont manquants et ne peuvent servir
de guide pour la valeur économique d’une ressource naturelle ou que les
marchés, ce qui est toujours le cas en présence d’externalités négatives, sous-
estiment la valeur économique totale parce qu’ils ne prennent en compte que
certains aspects de celle-ci ? Il existe alors deux méthodes principales qui sont
des ramifications de la méthode coûts-bénéfices.
La méthode des préférences révélées prend appui sur les comportements et
les expériences naturelles pour estimer la fonction de demande des agents pour
un bien environnemental. Les chercheurs qui utilisent cette méthode étudient les
cas où les gens font face à des changements exogènes du prix et de la quantité
disponibles des biens et en déduisent la relation entre prix et quantité pour
reconstituer la fonction de demande des agents. Les deux méthodes principales
de préférences révélées sont la méthode des coûts de transport (ce que les agents
sont prêts à débourser pour accéder à la ressource) et la méthode des prix
hédoniques (qui déduit des préférences exprimées pour des biens, principalement
des lieux de résidence, qui possèdent des attributs environnementaux, comme la
proximité d’un parc ou d’un jardin, des informations sur les préférences en
matière de ressources naturelles).
Dans les cas où le bien environnemental – ou la nuisance – dont on cherche à
évaluer les coûts et bénéfices a clairement la nature d’un bien collectif local, il
est, en effet, possible de recourir à un mode d’évaluation indirecte qui repose sur
la propriété dite de « capitalisation » : lorsque les marchés fonciers et
immobiliers fonctionnent de manière raisonnablement libre, la valeur marchande
des biens fonciers et immobiliers – les terrains et les immeubles – peut être
considérée comme la valeur actuelle des services futurs rendus par le bien
considéré ; elle incorpore donc les coûts dus aux nuisances et les bénéfices des
aménités liées à leur position géographique. Cette capitalisation vaut pour les
taxes et impôts locaux supportés par le bien ou son propriétaire, pour les
aménités et nuisances engendrées par les politiques publiques, notamment
locales, et par l’environnement en général. En se fondant sur les différences de
prix affichés pour des biens fonciers ou immobiliers par ailleurs similaires, on
peut ainsi inférer la valeur que les propriétaires ou acheteurs potentiels attachent
aux services ou aux nuisances environnementales dont on cherche à évaluer les
coûts et les bénéfices.
Dans cette démarche aussi, les limites sont nombreuses, puisqu’elle suppose
que les marchés fonciers et immobiliers fonctionnent conformément à l’idéal-
type du marché concurrentiel, et que les intervenants sur ces marchés sont en
mesure d’anticiper parfaitement les coûts et bénéfices futurs engendrés par les
projets à évaluer.
La méthode des préférences déclarées s’appuie quant à elle sur les attitudes
des agents et consiste, au moyen d’enquêtes auprès des consommateurs, à
évaluer leur disposition à payer pour des biens et services environnementaux.
Lorsque les services environnementaux que l’on cherche à évaluer ne sont pas
échangés sur un marché, et qu’il n’existe pas de manière indirecte immédiate de
les valoriser, il est souvent possible de procéder à une évaluation des bénéfices et
nuisances ressentis par les personnes concernées au premier chef par les
décisions à prendre. Couramment utilisée dans les contextes de « biens collectifs
locaux environnementaux » – parcs naturels, autres aménités naturelles, mais
également pollutions et nuisances locales (urbaines, par exemple) –, la méthode
dite de la « disposition à payer » consiste à interroger directement un échantillon,
si possible représentatif, de la population concernée, sur la somme qu’ils seraient
disposés à débourser – ou celle qu’ils considéreraient comme un
dédommagement acceptable, selon les cas – pour conserver l’aménité en l’état,
ou pour en restaurer les qualités environnementales. On obtient ainsi des valeurs
monétaires, qui reflètent les perceptions subjectives des coûts et bénéfices par les
usagers.
Cette méthode – appelée également « évaluation contingente » – suppose,
évidemment, que les usagers soient raisonnablement informés sur les bénéfices
et les coûts du projet à évaluer. Dès lors qu’une information idoine est fournie
aux personnes interrogées, elle peut cependant être appliquée pour évaluer des
changements globaux (tels que le changement climatique). Mais elle demeure
soumise à des sérieuses limites, en raison même de ses prérequis informationnels
et parce qu’elle néglige les dimensions distributives des projets évalués.
On peut aussi imaginer appréhender les préférences des agents économiques
par des méthodes plus proches des sciences politiques en organisant une
évaluation collective de la valeur des ressources naturelles aboutissant, au terme
d’une délibération politique, à déterminer la valeur économique de la ressource
en débat, non seulement pour les individus mais aussi pour la collectivité. Enfin,
les valeurs d’option et de quasi-option peuvent être approchées en déterminant le
coût de remplacement ou de restauration d’une ressource naturelle ou encore le
coût évité d’un dommage écologique. Ces différentes méthodes sont
représentées à la figure 1.2.
Figure 1.2 – Les méthodes de valorisation fondées sur les
préférences

Source : adapté de TEEB.

2.1.2. DES TENTATIVES D’ÉVALUATION GLOBALE


Certains chercheurs ont tenté d’évaluer économiquement l’ensemble des
services écosystémiques de la planète, exercice dont la portée est limitée au vu
de l’ampleur de la tâche et des marges d’erreur10. Les rapports TEEB proposent
plutôt des « valeurs de référence » locales pour éclairer l’action publique et
privée en utilisant ces différentes méthodes (voir cas d’étude). C’est aussi
l’ambition du rapport Chevassus-au-Louis (2009). Avant lui, l’IFEN (Institut
français de l’environnement)11 avait proposé une première évaluation
économique des forêts françaises au terme de laquelle les chercheurs avaient
remarqué : « La forêt produit des biens et des services multiples. Certains,
comme le bois, sont marchands, d’autres, comme la fourniture d’un espace de
détente ou la protection des milieux et de la biodiversité, ne le sont généralement
pas… Il est possible d’associer des valeurs monétaires à un grand nombre de
services qui ne font pas l’objet de vente. On constate alors que les services non
marchands de la forêt française ont une plus grande valeur que la production de
bois ».
Un des intérêts du rapport Chevassus-au-Louis est qu’il s’efforce de sommer
ces différentes évaluations et propose ainsi un ensemble de « valeurs de
référence » pour différents services écosystémiques qui aboutit à une valeur
économique totale de 970 euros par hectare et par an, valeur destinée à éclairer
la décision publique.
Les auteurs insistent à cet égard sur la nécessité de distinguer « biodiversité
ordinaire » (qui seule fait l’objet de leur démarche d’évaluation) et « biodiversité
remarquable » et soulignent la « nécessité d’une spatialisation des valeurs de
référence » qui « pourra décevoir ceux qui, sur le modèle de la tonne carbone,
auraient souhaité des références nationales, voire internationales ».
La base canadienne de données EVRI (Environmental Valuation Reference
Inventory) recense des études empiriques sur la valeur économique des bénéfices
environnementaux et des effets sur la santé humaine. Pour servir de base aux
analyses coûts-bénéfices des projets qui sont susceptibles de menacer la
biodiversité, un groupe d’experts britanniques a récemment tenté de proposer
une évaluation économique aussi exhaustive que possible des services
écosystémiques et des bénéfices de la biodiversité dans le cas du Royaume-Uni.
Le rapport UK Ecosystem Assessment 2011 constitue, à ce jour, l’une des
tentatives les plus abouties d’évaluation et une mise à jour en a été publiée en
201412.
Cette valorisation économique des ressources naturelles est non seulement
utile à l’analyse économique, mais elle est surtout capitale dans sa fonction
d’incitation. Elle forme l’ossature de différentes méthodes de prise de décision
par les responsables publics ou privés, telles que les études d’impact sur
l’environnement, l’évaluation environnementale stratégique, l’évaluation
environnementale sectorielle ou encore l’analyse multicritères.
La philosophie des rapports TEEB (voir Défis et Débats) est précisément de
promouvoir « le paiement des services rendus par les écosystèmes » aux
populations défavorisées qui les exploitent pour leur survie. C’est aussi l’idée du
programme développé en commun par l’université de Stanford, le WWF et The
Nature Conservancy intitulé « Natural Capital» (voir Défis et Débats).
Cette idée se trouve également au cœur du programme mondial pour réduire
l’impact de la déforestation sur le changement climatique (programme «
Reduced Émissions from Deforestation and Degradation » ou « REDD+ »).
Selon les Nations unies, le Costa Rica a investi avec succès 200 millions de
dollars dans un programme d’indemnisations pour quatre « services
environnementaux » (la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les
services liés à l’eau, la valeur paysagère et la préservation de la biodiversité). Le
succès social (la pauvreté recule et les salaires augmentent au voisinage des
parcs nationaux), économique (l’écotourisme attire 1 million de visiteurs par an)
et écologique (26 % du territoire est protégé) du Costa Rica sert de modèle aux
pays en développement. Ainsi, le programme « Bolsa Floresta » mis en place
dans l’État brésilien de l’Amazonas et prévoyant une indemnisation équivalant à
6 500 dollars par communauté et 30 dollars par famille qui s’engage à ne plus
couper d’arbres, en est un exemple. La Chine a quant à elle investi 700 milliards
de yuans dans des programmes de ce type entre 1998 et 2010.

2.1.3. LE CALCUL COÛTS-BÉNÉFICES ET SES LIMITES


Comme dans la plupart des autres domaines de l’action publique, les
politiques environnementales confrontent sans cesse les décideurs publics à des
choix et à des arbitrages difficiles : faut-il investir dans telle filière de production
de l’énergie, plutôt que telle autre ? Doit-on autoriser la commercialisation ou la
culture des organismes génétiquement modifiés ? Est-il souhaitable d’introduire
une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre, ou bien doit-on lui préférer la
création ou l’extension d’un marché du carbone ?, etc. Il en va, plus
généralement, de même pour la plupart des choix de politiques ou
d’investissements publics, notamment d’infrastructures (encadré 1.6). Chacun
des choix possibles comporte des avantages et des inconvénients, ou encore,
dans le langage de l’économie, des coûts et des bénéfices. De ce point de vue, ils
ne se distinguent guère des autres choix économiques, si ce n’est par la difficulté
d’évaluer les coûts et les bénéfices et par leur dimension temporelle, l’horizon
étant souvent bien plus éloigné, et l’incertitude souvent plus grande, dans un
univers de connaissance très imparfaite.

Encadré 1.6 – Un exemple d’analyse coût-bénéfice : la construction d’une


Encadré 1.6 – Un exemple d’analyse coût-bénéfice : la construction d’une
autoroute ou d’un tunnel ferroviaire
L’évaluation des coûts et des bénéfices des projets de construction d’ouvrages publics d’infrastructure,
notamment de transport, offre une illustration intéressante de la difficulté qu’il y a à tout synthétiser
dans un seul calcul monétaire. Outre les coûts pécuniaires directs engendrés par l’acquisition du foncier
et la construction de l’ouvrage proprement dite, il s’agit, en effet, de proposer une évaluation des coûts
non pécuniaires engendrés par ce mode d’artificialisation des sols : coûts des impacts sur la faune, la
flore et la biodiversité ; coût d’opportunité des terres agricoles utilisées ; coûts engendrés par les
nuisances, notamment sonores, etc. Quant aux bénéfices, si ceux que l’exploitant peut attendre des
péages sont aisément évaluables, les bénéfices indirects liés à une desserte routière plus sûre et plus
rapide que ce qui préexistait ne sont guère plus faciles à chiffrer en termes monétaires. C’est néanmoins
à ce type d’exercice que se livrent les autorités chargées de décider de la construction de ces ouvrages.
Une description sommaire de ces coûts et bénéfices attendus dans le cas, récent, de l’autoroute Aliénor
A65 Pau-Langon en offre un aperçu (http://guillos.fr/upload/fichiers/societeALIENOR.pdf). Un autre
exemple d’une telle tentative d’évaluation concerne le projet de tunnel ferroviaire Lyon-Turin (50 km,
soit plus long que le tunnel sous la Manche) permet de juger de la diversité des méthodes d’évaluation
et de la fragilité des conclusions (http://www.rprudhomme.com/resources/2007+ACB+Lyon-
Turin.pdf).

2.1.4. VALEUR D’OPTION ET PRINCIPE DE PRÉCAUTION


En raison des nombreuses limites que présentent les méthodes d’évaluation
évoquées ci-dessus, les analyses coûts-bénéfices ne peuvent, dans de nombreux
cas, s’appuyer sur des données observables ou aisément mesurables. Elles n’en
sont pas pour autant dépourvues d’intérêt ou de pertinence, mais doivent alors
recourir à des « prix imputés » : la modélisation économique des phénomènes à
évaluer permet, au prix, certes, d’hypothèses fortes sur les relations causales
entre variables, d’évaluer un ensemble de prix fictifs, qui peuvent ensuite servir
de base à l’évaluation des coûts et des bénéfices des projets envisagés.
L’incertitude qui entoure les évolutions futures des variables pertinentes –
voire, parfois, la nature même de ces variables – est alors telle que les autorités
publiques peuvent souhaiter recourir à un principe de précaution (encadré 1.7)
qui peut prendre, dans l’analyse économique, plusieurs formes : soit
l’introduction, dans les contraintes intégrées au modèle, de limites physiques –
telles que, par exemple, un seuil de concentration maximal de CO2 dans
l’atmosphère, ou un flux annuel d’émission polluante à ne pas dépasser – ; soit la
prise en compte explicite de valeurs d’option dans le calcul coût-bénéfice, pour
tenir compte des irréversibilités et des événements « catastrophiques » ou
extrêmes, dont la probabilité est, a priori, faible mais inconnue. C’est notamment
ce qui justifie le choix d’un taux d’actualisation très bas en présence
d’incertitude concernant les évolutions extrêmes (Weitzman, 2007, cf. section
suivante).

Encadré 1.7 – Le principe de précaution


Encadré 1.7 – Le principe de précaution
La Charte de l’environnement énonce, dans son article 5, le principe de précaution :
Article 5
« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques,
pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par
application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de
procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de
parer à la réalisation du dommage. »
Critiqué par de nombreux analystes, qui l’interprètent comme un encouragement à l’immobilisme et au
conservatisme, voire à l’obscurantisme, et source de polémiques innombrables, ce principe est, en
réalité, une injonction faite aux autorités publiques d’agir pour prévenir des dommages potentiellement
graves, notamment en termes de répercussions sur la santé humaine. Il impose aux autorités de se saisir
précocement de tout risque de danger menaçant l’environnement naturel et la santé, sans attendre de
disposer de certitudes scientifiques sur ces menaces. Mais se saisir ne veut pas dire systématiquement
interdire : les autorités doivent lancer des processus d’évaluations scientifiques indépendantes, et
prendre des mesures proportionnées, ce qui nous ramène à la question du calcul coûts-bénéfices ou au
jugement des autorités, voire à la perception qu’a l’opinion du danger potentiel. Les éléments que les
autorités doivent prendre en compte incluent l’ampleur du dommage possible anticipé, le niveau de
sécurité que les autorités souhaitent assurer à la population ou à l’environnement, les divers coûts des
mesures envisagées, et la consistance du dossier scientifique établissant le risque13.

2.2. LA PROJECTION DANS LE TEMPS :


L’ACTUALISATION
Le décideur public qui doit opter pour une politique environnementale sur la
base d’une analyse coûts-bénéfices va, en vertu du critère dit de Kaldor-Hicks
(du nom de deux économistes Nicholas Kaldor et John R. Hicks), comparer son
coût social et son bénéfice social. Mais cette comparaison couvre plusieurs
périodes différentes. Le décideur en question doit donc procéder à une
actualisation des coûts et des bénéfices pour déterminer la valeur actualisée des
bénéfices nets de la politique dont il doit évaluer la nécessité, ou encore sa «
valeur actuelle nette » (VAN), c’est-à-dire la valeur présente de tous ses
bénéfices et coûts présents et à venir. Comme l’illustre le tableau ci-dessous,
plus l’horizon est éloigné, plus les coûts apparaissent faibles ; et plus le taux
d’actualisation retenu est élevé, plus cet effet de myopie est important.
Tableau 1.2 – Valeur actualisée d’un million d’euros
à 30 ans à 100 ans
Taux d’actualisation de 2 % 552 000 138 000
Taux d’actualisation de 4 % 308 000 20 000
Taux d’actualisation de 8 % 99 000 400

Source : Rapport Lebègue (2005)


Le calcul d’actualisation est couramment utilisé pour évaluer la viabilité d’un
projet financier mais aussi pour évaluer la rentabilité des investissements
publics. Il est de grande importance dans l’analyse et le chiffrage des
conséquences économiques du changement écologique planétaire et plus
généralement de tous les processus d’altération ou de dégradation de
l’environnement. Dans cette perspective, ce n’est pas seulement le coût net de la
politique environnementale qu’il s’agit d’évaluer, mais aussi le coût de la non-
politique, celle qui aboutirait par exemple à laisser aller à son terme biophysique
le changement climatique, qui pourrait conduire à une augmentation de 6 °C de
la température la surface de la planète par rapport à l’ère préindustrielle.
Ce taux social d’actualisation, qui se présente théoriquement comme
l’agrégation actualisée de toutes les préférences individuelles à chaque période
considérée, aboutit donc à une comparaison entre le bien-être des différentes
générations dont on déduit des choix pour la génération présente : accroître par
exemple l’effort de préservation de la biodiversité pour freiner sa destruction
(voir cas d’étude), ce qui a un coût économique, ou au contraire transmettre aux
générations futures le coût de cette non-politique (sous la forme par exemple
d’une dégradation des services écosystémiques).
Frank Ramsey (1928) a le premier posé l’équation qui permet de comprendre
ce que sont les composantes essentielles du taux d’actualisation social.
r = ρ + e × g
où r est le taux d’actualisation social ;
ρ est le taux de préférence pour le présent ;
e est la valeur absolue de l’élasticité de l’utilité marginale de la
consommation ;
et g est le taux de croissance par tête du revenu annuel en moyenne pour la
période future considérée.
Détaillons ces différentes variables. Le taux de préférence pour le présent
(également appelé taux pur de préférence temporelle) est une notion subjective
selon laquelle la valeur d’une consommation présente est toujours supérieure à
celle de cette même consommation dans l’avenir. Convaincu qu’elle ne pouvait
être une boussole fiable pour les sociétés, Ramsey décrivit cette préférence pour
le présent comme une « pratique éthiquement indéfendable qui doit tout à une
faiblesse de l’imagination ». Il s’agit en effet d’un taux d’impatience sociale à
consommer et c’est pourquoi Ramsey pensait qu’il devait être le plus faible
possible, le plus proche de zéro.
On peut interpréter le paramètre de l’élasticité de l’utilité marginale de la
consommation (c’est-à-dire la variation en pourcentage de l’utilité résultant de la
variation en pourcentage de la consommation, cette élasticité pouvant être égale
à 1, supérieure à 1 ou inférieure à 1) comme une mesure d’aversion aux
inégalités (il peut alternativement représenter l’aversion aux inégalités spatiales,
aux inégalités temporelles et au risque). En effet, une unité supplémentaire de
consommation procurera plus d’utilité à un pauvre qu’à un riche, car l’utilité
marginale de la consommation (l’accroissement de l’utilité lié à une unité
supplémentaire de consommation) décroît avec le niveau de la consommation :
plus on est riche, moins une unité en plus de consommation apportera de
satisfaction. Pour prendre en considération les inégalités de revenu à chaque
période, le paramètre de l’élasticité doit être différent de 1, valeur qui
supposerait soit l’égalité des revenus dans la société soit l’évolution linéaire de
l’utilité marginale avec le niveau de revenu.
Enfin, le taux de croissance futur de la consommation est généralement
considérée comme positif car nous pensons que comme nous sommes plus riches
que les générations passées, les générations futures seront vraisemblablement
plus riches que nous. Selon l’INSEE, le niveau de vie monétaire moyen en
France est passé, de 1970 à 2006, de 8 909 euros à 17 597 euros, soit une
augmentation de 100 % (à prix constants).
Mais si on affine la définition de la richesse pour y inclure le « capital
naturel » (forêts, eau, minerais, etc.), l’aisance des générations futures n’a plus
rien d’évident. L’économiste Partha Dasgupta (2007) suggère à cet égard
d’utiliser des taux d’actualisation négatifs pour prendre véritablement en compte
l’appauvrissement des générations à venir en capital naturel : si les ressources en
eau que nous léguerons aux générations futures sont à la fois raréfiées et
polluées, ces générations ne seront pas plus riches, mais plus pauvres que nous.
Le taux d’actualisation social repose donc fondamentalement sur des choix
éthiques (parfois qualifiés de « préférences ») et non sur des paramètres objectifs
ou techniques.
Ce taux d’actualisation est en particulier une variable centrale dans les
modèles de changement climatique. Le rapport Stern, publié en 2006, fut
commandé par le gouvernement Blair à Nick Stern, ancien économiste en chef
de la Banque mondiale pour répondre à deux questions : combien coûterait
d’agir contre le changement climatique (par exemple en réduisant fortement
notre consommation d’essence) et combien coûterait de ne pas agir contre le
changement climatique (le coût par exemple de la multiplication des événements
climatiques extrêmes pour les sociétés humaines) ? La réponse de Nick Stern et
son équipe est sans équivoque : le coût de l’inaction, selon diverses estimations,
est de quatre à cinq fois plus important que le coût de l’action. Cette évaluation
se fonde sur un taux d’actualisation sociale de 1,4 %,
Taux d’actualisation retenu par l’équipe Stern = 1,4 %.
Avec un taux de préférence pour le présent de 0,1 ;
une élasticité de 1 ;
un taux de croissance de 1,3 ;
soit 0,1 + (1,3 × 1) = 1,4.
Ce choix d’un taux d’actualisation relativement faible conduit donc à
s’écarter du relatif optimisme des études précédentes qui avaient estimé le coût
économique du changement climatique à 1 % du PIB futur.
Trois positions principales se sont exprimées sur les choix opérés par Stern,
qui permettent de comprendre encore mieux les différentes facettes de
l’actualisation sociale. Pour certains économistes, la pondération accordée aux
générations futures serait trop importante et l’appréciation des risques futurs
(incertains) trop forte de ce fait (Nordhaus, 2007). En choisissant un taux de
préférence pour le présent de 0,1, Stern aurait donc péché par sous-estimation de
la capacité des générations futures à faire face aux problèmes environnementaux.
Pour d’autres économistes, Stern n’a pas assez pris en considération les effets
d’inégalité du changement climatique en choisissant un paramètre de l’élasticité
égal à 1 (Dasgupta, 2007). La position la plus intéressante est peut-être celle de
Weitzman (2007), qui a tenté de justifier les choix de Stern en montrant que si
l’incertitude scientifique sur l’ampleur du changement climatique et de ses effets
est grande – au sens où il existe une probabilité, inconnue, que ces phénomènes
atteignent des valeurs extrêmes comme un réchauffement terrestre de 6 °C –
alors il est, en bonne théorie économique, justifié de « surpondérer » ce risque
comme le fait le rapport, en recourant à un taux de préférence pour le présent en
apparence trop bas.
Au-delà de ces controverses, le débat sur l’actualisation sociale s’est
développé en France ces dernières années notamment à la suite des travaux de la
commission Lebègue (2005), qui avait pour mission de réviser le calcul de
l’actualisation sociale en vigueur depuis 1985 et qui a recommandé au
gouvernement de retenir pour les investissements publics un taux de 4 %,
décroissant à partir de trente ans en 2004 (voir encadré 1.8).

Encadré 1.8 – Le rapport Lebègue (2005) et l’actualisation dans les décisions


d’investissement public en France
Le décideur public, qu’il soit national, territorial ou européen, ne peut, comme le fait l’investisseur
privé, se limiter à l’examen de la rentabilité purement financière, laquelle exprime l’intérêt d’un projet
par la seule prise en compte des flux financiers en termes de dépenses et recettes. Le décideur public
doit s’attacher à la rentabilité socio-économique qui traduit l’intérêt d’un projet pour la collectivité dans
son ensemble (usagers, puissance publique, contribuables, entreprises concessionnaires, collectivités
territoriales, riverains…) en faisant intervenir d’autres éléments que les seuls flux financiers : sécurité,
pollutions et nuisances, raréfaction de certains biens naturels tels que les ressources énergétiques ou
matières premières, progrès scientifique et technologique escomptés, effet de serre et changement
climatique, comportements des consommateurs et usagers, risques économiques et sociaux…
Le décideur public doit donc se donner aujourd’hui les moyens d’évaluer, au-delà de sa capacité à
mobiliser les fonds publics par la fiscalité et l’endettement, l’utilité sociale comme la rentabilité
économique des projets publics qu’il porte en intégrant trois composantes majeures de son analyse,
lesquelles reflètent l’« escompte social » sur l’avenir et traduisent la préférence temporelle de la
collectivité et sa responsabilité « intergénérationnelle » : la prise en compte du long terme (déchets
nucléaires, démographie et retraites, santé…), le développement durable et le risque.
Les propositions :
– Le taux d’actualisation de base est ramené de 8 % à 4 %.

– Ce taux doit faire l’objet de révisions périodiques tous les 5 ans, pour éviter d’être en déphasage avec
les principaux indicateurs macroéconomiques (croissance potentielle du pays, évolution des taux
d’intérêt à long terme, variables démographiques, etc.). Cette révision doit s’appuyer sur un exercice de
prospective sur la croissance économique.
Le choix, très significatif, de diviser par deux le taux d’actualisation des investissements publics traduit
une volonté de revaloriser l’avenir et notamment d’accorder plus d’importance aux questions
environnementales. Un rapport de France stratégie (2013)14 a détaillé la mise en œuvre de ces
recommandations dans les décisions françaises d’investissement public.

2.3. LES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE


ENVIRONNEMENTALE
En 1992 se tenait à Rio, au Brésil, le « Sommet de la Terre », réunissant la
quasi-totalité des dirigeants de la planète sous l’égide des Nations unies pour
fixer ensemble un certain nombre d’objectifs en matière de politique
environnementale. Depuis, les conférences internationales thématiques sur ce
sujet se sont succédé, et la plupart des pays se sont dotés d’objectifs
environnementaux, qu’il s’agisse de la lutte contre les pollutions
atmosphériques, de la lutte contre le changement climatique, de la préservation
de la biodiversité, ou de préoccupations environnementales plus locales.
L’échelle du problème diffère selon les cas. Certains objectifs peuvent être
atteints localement, et gérés par des autorités publiques décentralisées, voire par
des groupes de citoyens. D’autres ont une dimension nationale, et font l’objet de
politiques à cette échelle : les thèmes traités dans le cadre du « Grenelle de
l’environnement », en France en 2007, relèvent pour la plupart de cette
catégorie. D’autres enfin ont une dimension multinationale, voire globale, et
doivent mobiliser les efforts coordonnés ou collectifs de plusieurs
gouvernements : c’est le cas, au niveau des bassins fluviaux, de la pollution des
fleuves ou du partage de leurs eaux ; c’est également le cas des grands
problèmes environnementaux planétaires, tels que le changement climatique lié
aux émissions de gaz à effet de serre.
Les instruments mobilisés par les autorités publiques aux différents niveaux
pour mener les politiques environnementales sont de nature et de portée très
diverses. Du point de vue de l’analyse économique, ils s’inscrivent dans la
logique, développée précédemment, de réduction des externalités négatives
qu’engendrent les nuisances environnementales ou d’encouragement au
développement d’activités économiques. Influencer les préférences des
consommateurs et les informer, limiter de manière réglementaire l’espace des
choix des agents économiques, notamment privés, et modifier les signaux de
marché – les prix relatifs et les rentabilités relatives – de manière à internaliser
les externalités, tels sont les principes inspirant les grandes catégories
d’instruments des politiques environnementales.

2.3.1. L’INFORMATION ET L’ÉDUCATION : ÉCLAIRER ET


INFLUENCER LES CHOIX DES CONSOMMATEURS
Améliorer l’information de tous les intervenants sur la nature et l’origine des
émissions polluantes, sur leurs conséquences en termes de changement
climatique par exemple, sur les différences existantes en la matière entre les
diverses sources d’énergie, entre les différentes techniques de production, entre
les divers types de produits de consommation, etc., apparaît comme un axe
d’action primordial pour les politiques environnementales. De ce point de vue,
l’intense campagne d’information menée par les gouvernements et les
institutions internationales en s’appuyant sur les travaux du GIEC, relayés
depuis longtemps par les associations de protection de l’environnement et,
depuis peu, par les grands médias, est absolument cruciale, de même que
l’attribution, en 2007, du prix Nobel de la paix à Al Gore et au GIEC souligne
l’importance de leur contribution à la formation et à la diffusion la plus large
possible d’un savoir partagé sur ces questions. C’est donc également avec raison
que l’une des mesures phares retenues par le gouvernement à l’issue des phases
préparatoires du « Grenelle de l’environnement » concerne l’information des
consommateurs : « l’étiquetage-carbone », c’est-à-dire l’obligation faite aux
commerçants d’indiquer sur les étiquettes la quantité de carbone émise pour
produire, transporter et commercialiser chacun des produits offerts à la vente, de
même que, le cas échéant, pour leur utilisation, apparaît ainsi comme une mesure
bienvenue, bien que, probablement, difficile à mettre en œuvre en raison de ses
implications fortes en termes de traçabilité notamment. Ces remarques valent
pour de nombreux domaines dans lesquels les autorités publiques cherchent à
informer les décideurs privés, à influencer directement leurs comportements, le
tri des déchets, par exemple.
Mais informer les consommateurs, leur faire prendre conscience de leur
responsabilité individuelle dans les processus globaux aux conséquences
négatives pour eux-mêmes et pour autrui ne saurait suffire. L’analogie avec la
lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme ou la vitesse excessive sur les routes
permet de souligner les limites d’une stratégie uniquement fondée sur
l’information des consommateurs : écrire sur les paquets de cigarettes que «
Fumer tue », ou sur les publicités pour les boissons alcoolisées que « L’abus
d’alcool est dangereux » n’est certes sans doute pas inutile, notamment en
direction de certains publics, dont les plus jeunes ; mais imagine-t-on que l’on
obtiendrait des résultats tangibles dans ce genre de croisade de santé publique si
l’on se contentait de ces mentions légales ?

2.3.2. LA RÉGLEMENTATION, UN INSTRUMENT SIMPLE MAIS


COÛTEUX ET PAS TOUJOURS EFFICACE
L’arme réglementaire est généralement celle que préfèrent les décideurs
publics, car elle semble s’attaquer directement à la cause du problème pour en
interdire ou en limiter l’utilisation ; la réglementation est, en outre, souvent
perçue comme n’ayant pas de coûts économiques directs pour les différentes
parties prenantes. Il est indéniable que l’intervention réglementaire peut être
efficace : interdire l’usage de certaines substances, bannir certains composants,
imposer des limites quantitatives à certains rejets ou certaines émissions
polluantes, toutes ces modalités sont couramment mobilisées par les autorités,
aux différents échelons, pour lutter contre des nuisances ou dans le cadre des
politiques sanitaires. L’interdiction de l’essence au plomb, de l’amiante, du
bisphénol dans les biberons, sont autant d’exemples de mesures relevant de la
réglementation. Dans l’Union européenne (UE), c’est également la démarche
adoptée pour les substances chimiques toxiques, dans le cadre de la directive
REACH adoptée en 2004, qui fait obligation aux industriels de faire la preuve de
l’innocuité des substances qu’ils mettent sur le marché ou qu’ils utilisent dans la
fabrication de leurs produits ; dans le cas contraire, la commercialisation est
interdite ou sévèrement réglementée. Le domaine des produits pharmaceutiques
offre également de nombreux exemples de ce mode d’intervention publique, qui
offre l’immense avantage de mettre les produits et substances visés hors d’état
de nuire.
En outre, du point de vue des incitations, les interdictions et normes
environnementales peuvent également produire des effets durablement
bénéfiques, comparables aux raretés analysées plus haut. En effet, dès lors que
l’usage de certaines substances est interdit, que des limites sont imposées à
certains rejets, etc., la norme fait naître une incitation à l’innovation, pour
remplacer le produit interdit ou réduire les rejets visés. On peut, dans ce registre,
citer le cas des pots d’échappement catalytiques, développés pour réduire
certaines émissions des moteurs au gazole, la réduction de la consommation de
carburant des véhicules automobiles en réponse à l’abaissement des quantités
maximales de gaz à effet de serre émis, ou encore la valorisation de certains
déchets – lisiers dans les élevages industriels, par exemple – dès lors que leur
rejet dans l’environnement naturel est strictement réglementé.
Toutefois, la réglementation présente l’inconvénient de la contrainte et, plus
grave encore, du point de vue économique, de l’uniformité imposée : or la
réduction des quantités de rejets polluants est, à l’évidence, plus ou moins
coûteuse selon les cas (techniques utilisées et procédés de fabrication,
environnement immédiat, etc.). Dès lors, on montre aisément qu’il est presque
toujours préférable – au sens de plus efficace, ou encore moins coûteux – de
recourir à des mécanismes décentralisés fondés sur des prix, à chaque fois que
cela apparaît possible et que l’information des acheteurs est suffisante.

2.3.3. LES SOLUTIONS PIGOUVIENNES : TAXES ET


SUBVENTIONS ENVIRONNEMENTALES
Comme le montrait Arthur Pigou (1920) dans son analyse pionnière, les
pouvoirs publics peuvent utiliser les instruments fiscaux, taxes et,
éventuellement, subventions, pour agir directement sur les prix relatifs des biens
et les coûts relatifs des différents modes de production, de manière à modifier
ainsi les incitations auxquelles sont soumis les agents privés dans leurs choix
décentralisés, de consommation ou de production (encadré 1.9). Comme dans le
cas précité de la lutte contre le tabagisme, on a de bonnes raisons de penser que
l’efficacité de la taxation est plus grande que celle d’une simple information,
même si elles apparaissent complémentaires ; elle sera d’autant plus grande que
l’élasticité-prix de la demande du bien taxé (ou subventionné) est forte. Bien sûr,
la fiscalité écologique souffre aussi de quelques faiblesses, notamment parce que
l’on connaît mal l’ampleur des réactions des producteurs et consommateurs aux
augmentations de prix ou de coûts – incertitude sur la valeur des élasticités – et
que les taxes sont susceptibles d’avoir des effets sur la compétitivité externe des
producteurs nationaux et sur le pouvoir d’achat des consommateurs (encadrés
1.10 et 1.11) : mais est-ce là une raison suffisante pour s’en priver ? S’arrête-t-
on, d’ailleurs, à ce genre de considérations lorsqu’il s’agit d’augmenter les taxes
sur les tabacs ?

Encadré 1.9 – La taxe carbone dans le monde


En 2009, à la suite du « Grenelle de l’environnement », un débat a eu lieu en France sur l’institution
d’une « taxe carbone ». Il s’agissait de dissuader les émissions de dioxyde de carbone (CO2),
principales responsables de « l’effet de serre » à l’origine du changement climatique, en taxant les
usages d’énergies fossiles des particuliers et de certaines entreprises, les plus émettrices étant déjà
couvertes par le dispositif des quotas européens d’émission de carbone (voir La politique climatique de
l’Union européenne, encadré 1.10). Adoptée par le Parlement à l’automne 2009, la taxe carbone
française n’a jamais été mise en œuvre : censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle
dérogeait au principe d’égalité des contribuables devant l’impôt (Laurent et Le Cacheux, 2010), elle a
finalement été abandonnée par le gouvernement au printemps 2010 au motif qu’elle risquait de faire
perdre aux entreprises françaises de la compétitivité, dans la mesure où les autres pays membres de
l’Union européenne n’avaient pas adopté de dispositifs similaires.
La province canadienne de Colombie britannique15, bien que membre d’une fédération et de ce fait
immergée dans un marché unique avec les provinces voisines, n’a pas été arrêtée par de telles
considérations, au demeurant discutables. Elle a mis en place, depuis 2008, une taxe carbone, dont le
montant est croissant – 25 dollars canadiens la tonne de CO2 en 2011, 30 en 2012 – et dont la portée
symbolique est forte, dans une Amérique alors massivement hostile à l’idée même de toute intervention
publique pour lutter contre un changement climatique que beaucoup – les climato-sceptiques –
considèrent soit inexistant, soit sans lien avec les activités humaines, et dans une fédération dont
plusieurs provinces sont lancées dans la production à grande échelle de carburants fossiles, souvent non
conventionnels – schistes bitumineux de l’Alberta, gaz de schistes, etc.
La liste des pays ou états fédérés qui ont introduit une taxe carbone s’allonge peu à peu. Les pionniers
ont été les pays scandinaves – la Suède, dès 1991, puis le Danemark en 1993 – ; ils ont aujourd’hui des
niveaux de taxe relativement élevés (plus de 120 euros la tonne de carbone en Suède en 2015), bien que
le champ couvert par la taxe exclue souvent les principaux émetteurs, notamment industriels. Plus
récemment, l’Australie, pourtant très gros producteur de charbon et gros consommateur d’énergies
fossiles, et de ce fait longtemps hostile à toute forme de contrainte, réglementaire ou de prix, sur les
émissions de GES, s’est dotée d’une taxe carbone : votée en novembre 2011, elle est entrée en
application le 1er juillet 2012. Mais elle a été abolie en 2013 par le gouvernement conservateur de Tony
Abott. La Californie a, quant à elle, introduit, le 1er janvier 2013 un système de quotas d’émission de
GES sur le modèle européen16.
En France, une Contribution climat-énergie (CCE) a été discrètement introduite en 2014 dans la
fiscalité des carburants (TICPE, Taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques). Son
montant était de 14,5 € par tonne de carbone au 1er janvier 2015, et doit être augmenté à 22 € au 1er
janvier 2016, ce qui correspond à 2 centimes par litre de carburant environ, une hausse peu perceptible
grâce à la baisse du prix du pétrole intervenue en 2014.

Encadré 1.10 – Une taxe sur le carbone ajouté en France ou en Europe ?


Les diverses tentatives d’introduction d’une taxe carbone dans un seul pays se heurtent toutes à une
objection économique majeure : la perte de compétitivité, au moins à court terme, des producteurs
nationaux, par rapport à leurs concurrents installés dans des pays dans lesquels le prix du carbone est
nul – parce qu’il n’y existe ni taxe carbone, ni marché du carbone – ou plus faible. Le risque est que les
producteurs locaux soient évincés par les producteurs étrangers des marchés des biens dont la
production engendre des émissions de GES importantes, ou qu’ils soient incités à délocaliser les
productions fortement émettrices. Ces phénomènes, désignés sous le terme générique de « fuites de
carbone », sont apparemment de grande ampleur dans certains secteurs (Commission européenne,
2009). Ils expliquent la divergence constatée en Europe entre les évolutions des émissions de
production et celles de consommation, qui tiennent compte du contenu en carbone des produits
importés (cf. Politique climatique).
L’une des solutions à ce problème des « fuites de carbone » que subissent les pays dont le prix du
carbone est plus élevé que dans le reste du monde – et se voient ainsi infliger une « double peine »,
puisqu’ils restreignent leurs propres émissions de production, perdant ainsi de l’activité et de l’emploi,
mais encourageant l’essor des industries émettrices dans les pays tiers – est l’instauration d’un
prélèvement carbone aux frontières, frappant les importations en provenance des pays dont le prix du
carbone est nul ou faible, et calculé sur la base de leur contenu total en carbone (production et
transport, Godard, 2011). De manière équivalente – du moins si prix du carbone et taxe sont
raisonnablement voisins l’un de l’autre –, on pourrait, comme l’avaient proposé les gouvernements
français et italien en 2010, soumettre les importateurs de ces produits à l’obligation d’acquérir des
quotas d’émission sur le marché européen du carbone, à l’image de ce que vient de déciderl’UE pour
les compagnies aériennes desservant les aéroports européens (Laurent et Le Cacheux, 2012a). Mais ces
deux solutions suscitent, en Europe, l’opposition des gouvernements qui considèrent qu’il s’agit de
mesures discriminatoires, susceptibles de déclencher des rétorsions.
Pour éviter tout traitement discriminatoire des importations et faire en sorte que le prix du carbone soit
bien le même pour le consommateur, quelle que soit l’origine du produit qu’il acquiert, il est possible,
en s’inspirant de l’exemple de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de concevoir une taxe générale sur le
contenu en carbone des produits, la taxe sur le carbone ajouté (TCA) (Laurent et Le Cacheux, 2012b).
Son principe est simple : taxer, à chaque étape de la production, du transport et de la commercialisation
du produit, la quantité de carbone – ou de GES – émise par le vendeur. Les importations seraient ainsi
imposées au même taux que les productions nationales. Si le vendeur est soumis au marché européen
des quotas d’émission, les montants déjà acquittés sont automatiquement déductibles de la TCA, de
même que ceux éventuellement acquittés par l’importateur dans le pays d’origine du produit ; les
exportations, en revanche, peuvent être exemptées, selon le principe de taxation à destination, qui
prévaut également dans le cas de la TVA.
La TCA permet ainsi d’obtenir, dans l’ensemble du marché du pays qui l’impose, un prix uniforme du
carbone, évitant les distorsions dommageables, notamment celles qui incitent les consommateurs à
privilégier les biens importés intensifs en carbone en provenance de pays pratiquant un prix nul ou
faible du carbone, voire des subventions aux carburants fossiles, très répandues.
La difficulté principale est d’ordre pratique : la mise en œuvre d’une TCA suppose l’instauration
généralisée d’une comptabilité carbone, afin de mesurer précisément les émissions à chaque étape.
Mais c’est bien ce qu’il a fallu faire lors de l’instauration en France, en 1954, de la TVA ; et, dans le
cas de la TCA, il conviendra surtout de normaliser et d’étendre les progrès spontanés de la comptabilité
carbone, qui ont été spectaculaires au cours des années récentes.

Encadré 1.11 – Le « double dividende »


La fiscalité écologique – et notamment la fiscalité carbone, qui frappe les énergies fossiles,
omniprésentes dans nos modes de vie et de consommation – est souvent présentée comme coûteuse
pour l’économie : en premier lieu, bien sûr, elle réduit le volume des activités frappées par la taxe, et
c’est là son principal objectif et cette réduction est socialement efficace – et même optimale, si la taxe
est parfaitement calibrée –, mais aussi l’emploi dans ces activités, ce qui, en période de chômage élevé,
est difficilement supportable ; en second lieu, elle risque d’engendrer une perte de compétitivité des
entreprises installées sur le territoire national, si les pays concurrents n’adoptent pas de mesures
similaires ; enfin, elle ampute le pouvoir d’achat des ménages, notamment les plus modestes, dont la
part du budget de consommation consacrée à l’acquisition de sources d’énergie est élevée.
Mais parce qu’elle incite à réduire les émissions polluantes et engendre un surcroît de recettes
publiques, la fiscalité écologique est source d’un « double dividende » : moins de pollution et la
possibilité d’alléger d’autres prélèvements obligatoires, ayant des caractéristiques moins souhaitables et
engendrant une « perte sèche » pour la société.
Le « double dividende » le plus bénéfique est obtenu lorsque les recettes publiques additionnelles
procurées par la fiscalité écologique sont affectées à l’allègement de la fiscalité pesant sur le travail.
Dans ce cas, en effet, la diminution du coût de la main-d’œuvre pour les employeurs engendre une
hausse de la demande de travail, qui permet à la fois une augmentation de l’emploi et une hausse des
rémunérations ; en économie ouverte, cet effet favorable est renforcé par le gain de compétitivité que
procure la baisse du coût salarial et, dans le cas où la fiscalité écologique frappe aussi les importations
– ce qui est souhaitable –, par une hausse des prix relatifs des produits importés (Laurent et Le
Cacheux, 2009).
Les conditions dans lesquelles ce « double dividende » joue de la manière la plus favorable ont été
étudiées dans de nombreux travaux récents, notamment, pour le cas français, Hourcade et alii (2009),
Chiroleu-Assouline et Fodha (2011) et Callonec, Reynes et Yasser (2011).
Une précision s’impose, toutefois : plutôt que d’un « double dividende », il conviendrait sans doute de
parler de deux « demi-dividendes », car plus l’effet dissuasif sur l’activité ou la consommation
polluante est important, moins la seconde partie du dividende sera elle-même sensible : dans ce cas, en
effet, les recettes engendrées par la taxe écologique seront faibles, et limité, dès lors, l’allègement des
charges pesant sur le travail.
Outre ce « double dividende statique », qui se manifeste à technologies données, notons qu’il existera,
en général, un « double dividende dynamique », potentiellement plus important encore, engendré par
l’incitation ainsi engendrée à l’innovation et à l’adoption de technologies moins gourmandes en
énergies fossiles ou en procédés polluants, et plus intensives dans les facteurs dont le coût aura ainsi été
allégé, dont la main-d’œuvre.

Dans les cas les mieux documentés empiriquement – comme la


consommation de carburants fossiles, sur lesquels une taxation est pratiquée
depuis plusieurs décennies dans tous les pays développés et la plupart des pays
en développement –, les estimations disponibles montrent l’efficacité des
signaux de prix : ainsi, une étude menée sur la France établit-elle clairement la
corrélation inverse entre le prix relatif du gazole, depuis longtemps beaucoup
moins taxé en France que l’essence, et la part du parc automobile français que
représentent les véhicules diesel qui a fortement progressé depuis les années
1990 (voir figure 1.3).
Figure 1.3 – Le parc automobile français

Source : INSEE
Source : INSEE

Inversement, comment s’étonner de la tendance à la hausse de la


consommation de carburants, lorsque l’on constate que, contrairement aux idées
reçues et à la perception commune, le prix réel de ceux-ci – c’est-à-dire le prix
corrigé de l’inflation générale des prix à la consommation, soit le prix relatif –
n’était, jusqu’à 2008, pas plus élevé en France qu’en 1960 ? Il est vrai qu’en
raison de l’inertie liée aux habitudes, à l’existence d’un stock de capital dont la
consommation d’énergie fossile ne peut être modifiée – consommation des
véhicules, dispersion de l’habitat et distance domicile-travail, performances
thermiques des locaux résidentiels et d’habitation, etc. –, l’élasticité-prix de la
consommation à court terme est faible. Mais le recours, en synergie avec les
taxes, à des incitations à l’isolation thermique des bâtiments (incitations fiscales,
par exemple), à l’acquisition de véhicules à faible consommation (bonus-malus
automobile), favorise la réactivité de la demande aux signaux de prix (encadré
1.12).

Encadré 1.12 – Écotaxes et valorisation des déchets


Les déchets et rejets divers constituent l’un des problèmes environnementaux majeurs des économies
contemporaines, très gourmandes en matières premières, notamment fossiles, minières et minérales : le
stockage et le traitement des déchets engendrent des nuisances considérables et, souvent, des pollutions
importantes et durables ; les coûts de collecte et de traitement sont élevés, etc. Tout le monde a en tête
les images des montagnes d’ordures ménagères à ciel ouvert sur lesquelles s’affairent des chiffonniers
et autres récupérateurs de matériaux valorisables, aux abords des mégalopoles des pays en
développement – et pas uniquement. On peut citer aussi les sacs plastique dont les fragments ont envahi
les océans, jusqu’aux pôles, ou encore les invasions d’algues vertes sur les côtes bretonnes, alimentées
par les déchets d’une agriculture qui rejette massivement des effluents riches en nitrates et phosphates.
Or une grande partie des déchets pourrait être valorisée, et l’est lorsque les signaux de prix y incitent.
Les métaux, qui peuvent être facilement fondus et réintroduits dans la chaîne de production, font,
depuis des siècles, l’objet de récupération et de recyclage, que la hausse des prix des matières premières
encourage – songeons à l’aluminium ou au cuivre, que certains vont jusqu’à voler sur les voies ferrées
ou les chantiers de construction. Le tri des ordures ménagères s’est, lui aussi, progressivement imposé,
suite à des campagnes publiques de sensibilisation.
En France, comme dans la plupart des pays développés, des écotaxes ont été introduites pour favoriser
le recyclage, soit à la charge des fabricants – pour les emballages, afin de les inciter à la sobriété –, soit
à celle des acheteurs – dans les cas, notamment, de l’eau, pour financer le retraitement des eaux usées,
et des appareils électroniques et électroménagers, pour financer la collecte des composants polluants.
Mais on pourrait aller beaucoup plus loin, comme le prévoyait d’ailleurs le projet initial de taxe
générale sur les activités polluantes (TGAP) rédigé par le gouvernement français en 1999 – et très
édulcoré ensuite au cours des débats parlementaires, jusqu’à ne plus que concerner quelques secteurs.
Taxer les déchets peut, en effet, inciter les producteurs à en faire un usage économique, qui limitera les
rejets. Car d’un point de vue analytique, les déchets sont des produits « fatals », ou « produits joints »,
qui peuvent très souvent être valorisés, à condition que le producteur y trouve son intérêt, ce qui est,
une fois de plus, affaire de prix relatifs : ainsi les effluents des élevages industriels de porcs ou de
volailles peuvent faire l’objet d’un traitement de méthanisation, et les résidus être utilisés dans la
fertilisation des sols, ce qui permet de réduire sensiblement les rejets de matière organiques dans les
eaux de surfaces et les nappes phréatiques. En 2007, le « Grenelle de l’environnement » avait prévu de
généraliser ces pratiques ; mais les lois et décrets d’application ont été très en retrait sur ces questions,
notamment pour ménager les producteurs.

2.3.4. LES SOLUTIONS COASIENNES : QUOTAS ET MARCHÉS


D’ÉMISSION
L’autre manière de modifier les incitations privées, proposée par Ronald
Coase (prix Nobel d’économie, en 1991), consiste à modifier les droits de
propriété privée pour y intégrer les sources des émissions polluantes : il s’agit
alors, par exemple, comme l’ont expérimenté les États-Unis depuis la fin des
années 1970 pour le dioxyde de soufre (SO2), ou encore comme on l’a fait en
Europe depuis 2005 pour le dioxyde de carbone (CO2), de créer des « quotas
d’émission », attribués selon une certaine procédure, aux agents à l’origine des
effets que l’on cherche à combattre, et d’autoriser les échanges de ces quotas sur
un marché. Généralement reconnue comme un mode de régulation efficace, la
création de « quotas d’émission » négociables se heurte toutefois à plusieurs
difficultés qui rendent sa généralisation problématique : d’une part, un tel mode
de régulation suppose une capacité de contrôle importante, pour vérifier que les
agents privés se conforment bien aux droits qu’ils ont acquis, ce qui rend la
technique malaisément généralisable aux consommateurs privés, par exemple ;
d’autre part, les mécanismes marchands sont susceptibles, dans certaines
circonstances, d’emballements spéculatifs qui brouillent, de temps à autre, les
signaux de prix. En outre, le recours aux quotas négociables suppose, pour être
vraiment efficace, que les autorités émettent une quantité totale de quotas
suffisamment faible pour que les objectifs globaux de réduction d’émission
soient respectés et que l’offre de quotas ne soit pas supérieure à la demande,
comme le montre l’expérience récente du marché européen du carbone17. Enfin,
ce mode de régulation marchande pourrait parfaitement être rendu plus efficace
par une extension de son champ d’application à d’autres secteurs et par la vente
des quotas d’émission, susceptible de procurer aux pouvoirs publics des
ressources financières. Ne concernant initialement que les producteurs
d’électricité et une partie de l’industrie lourde (aluminium, sidérurgie, etc.), soit
quelque 11 000 établissements industriels dans l’UE, le marché européen du
carbone a vu son champ étendu, à compter du 1er janvier 2012, aux compagnies
aériennes desservant l’UE ; on pourrait imaginer d’y assujettir également les
importateurs de produits dont le processus de production ou le transport vers le
marché européen engendrent d’importantes émissions de GES. D’autre part,
alors que les dotations initiales de quotas d’émission ont été distribuées
gratuitement depuis leur création en 2005, une part croissante de ces quotas
devrait être vendue aux enchères, comme le sont les licences de production dans
certains secteurs (télécommunications, par exemple), ce qui favoriserait
l’émergence de prix plus conformes aux évolutions de la demande, notamment
celles qui résultent des progrès techniques permettant de réduire les rejets, et
procurerait à l’État – ou au budget européen – des ressources bienvenues, par
exemple pour financer des investissements d’infrastructures de transports plus «
propres » ou la recherche dans le domaine des énergies renouvelables ou des
économies d’énergie, ou encore les transferts financiers destinés à aider les pays
en développement dans leur transition vers une économie faiblement intensive
en carbone.
La solution de création de marché, décentralisatrice, présente l’avantage
économique de permettre aux pouvoirs publics de fixer le volume global des
émissions polluantes autorisées, et de laisser à la confrontation de cette offre
avec la demande émanant des divers émetteurs le soin de déterminer le prix,
donc le coût encouru par unité d’émission polluante. Que la distribution initiale
des quotas d’émission soit gratuite ou payante, le prix s’établissant sur le
marché, qui ne dépend que de l’offre et de la demande totales, sera le même, et
c’est son niveau seul qui importe pour les incitations auxquelles les émetteurs
sont soumis. Comme dans le cas de la taxe, l’efficacité du dispositif découle
d’une répartition décentralisée des efforts de réduction des émissions, chaque
émetteur étant confronté à son propre calcul coût-bénéfice, fonction de son
propre coût de réduction des émissions polluantes : le mécanisme de prix
apparaît ainsi comme efficace, dans la mesure où il encourage les réductions
d’émission les moins coûteuses.
Mais cet instrument n’est pas exempt de difficultés (Laurent et Le Cacheux,
2009). En premier lieu, il peut donner lieu, de la part des émetteurs, à d’intenses
actions de lobbying, pour obtenir des pouvoirs publics des exemptions, ou la
fixation d’un volume total d’émissions autorisées plus élevées que ce qui est
socialement souhaitable. En outre, les fluctuations du prix de marché peuvent
être importantes, et ne pas refléter les « fondamentaux » du marché des quotas :
à l’instar des marchés de matières premières, dont il présente les principales
caractéristiques, le marché des quotas d’émission peut faire l’objet de
spéculations ; et il est généralement très sensible aux variations conjoncturelles,
susceptibles de fausser durablement les signaux de prix, avec des conséquences
négatives sur les incitations des émetteurs : ainsi, sur le marché européen, le prix
de la tonne de carbone s’est effondré en 2009, du fait de la baisse des émissions
engendrées par la Grande récession, et ne s’est jamais durablement redressé
depuis, son niveau oscillant autour de 5-6 euros.

1. Dans son célèbre récit de voyage, Le devisement du monde, Marco Polo (1307, 2001-2009) évoque un
puits de pétrole dans le royaume de Mossoul, entre Arménie et Géorgie : « Il y a une fontaine qui soint huile
en moult grant quantité ». Selon lui, les habitants de cette contrée l’utilisent pour l’éclairage.
2. Le modèle de référence sur cette question est celui de Corden et Neary (1982).
3. En anglais, « tragedy of commons », en référence aux prés communaux qui constituaient une part
importante des terres agricoles exploitées par les villageois dans la plupart des pays européens, par
opposition aux terres possédées, en propriété privée, par les nobles. Le terme « tragédie des biens
communaux » serait sans doute plus approprié.
4. Rappelons que le brevet est un instrument du droit de la propriété intellectuelle qui protège les droits de
l’inventeur. Apparu en Europe occidentale dès le XVIIIe – en même temps que les droits d’auteur, pour les
créateurs d’œuvres de l’esprit –, dans le grand mouvement d’émancipation des individus, notamment des
savants et des artistes, jusqu’alors dépendants pour leur subsistance, de leurs protecteurs et mécènes, il
confère à son détenteur un « monopole légal », protégé par l’État, sur les revenus qu’engendre son
innovation. Ce faisant, bien sûr, il transforme la connaissance ainsi produite, de bien collectif en bien privé.
Il en résulte une perte pour tous les utilisateurs potentiels de ce nouveau savoir, qui ne peuvent y accéder
gratuitement et doivent acquitter un droit au détenteur du brevet ; mais ce dispositif juridique permet de
rémunérer l’innovateur – ou l’artiste dans le cas des droits d’auteur –, maintenant donc une incitation à
l’innovation qui, sans la protection du brevet, serait inexistante.
5. Il s’agit là d’un fondement de la décentralisation qui, analytiquement, rejoint la logique des « biens
collectifs locaux ». Sur la continuité analytique que l’on peut trouver entre les biens purement privés, à un
extrême du spectre, et les biens collectifs globaux purs, à l’autre extrême, voir l’analyse de James Buchanan
(1968).
6. Par exemple la coutellerie, à Thiers ou la conception de logiciels dans la Silicon Valley.
7. La postérité de cette notion est considérable. Elle sous-tend, notamment, toute la théorie moderne de la
croissance économique, dite « théorie de la croissance endogène » et une bonne part de la « nouvelle
économie géographique ».
8. L’hypothèse de rationalité individuelle, traditionnelle dans l’analyse économique, et que l’on invoque ici,
ne doit pas être interprétée de manière restrictive : certains peuvent avoir, dans leurs préférences
individuelles, des motivations altruistes à l’égard des générations futures ou de leurs semblables, ou encore
un amour des animaux ou un goût pour la nature sauvage, etc., qui les incitera à inclure, dans le calcul de
leur propre « coût privé », les répercussions de leurs choix sur ces dimensions. Il n’y a là rien
d’incompatible avec l’hypothèse de rationalité individuelle. En revanche, l’ignorance des conséquences de
nos actes sur l’environnement et sur les autres, et même l’incertitude posent problème (cf. partie 1, chapitre
1, 2.1.).
9. Référence est ici faite à l’important article de Ronald Coase (1960), qui lui a valu le prix Nobel
d’économie en 1991, et dans lequel il propose des solutions alternatives à celles que la tradition
pigouvienne avait promues. Cet article est à l’origine d’importants développements dans l’analyse
économique du droit, notamment des droits de propriété et de la responsabilité.
10. Costanza R., d’Arge R., de Groot R. et alii (1997).
11. IFEN (2005).
12. Disponible à cette adresse : http://uknea.unep-wcmc.org/Resources/tabid/82/Default.aspx
13. Pour une analyse plus poussée du principe de précaution et de ses implications, voir Godard (1997).
14. Voir
http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/CGSP_Evaluation_socioeconomique_17092013.pdf
15. Les informations sur cette expérience sont accessibles sur le site du gouvernement de la Colombie
britannique, à l’adresse : http://www.fin.gov.bc.ca/tbs/tp/climate/carbon_tax.htm.
16. Voir infra. Les informations sur le marché californien du carbone sont disponibles à l’adresse :
http://www.arb.ca.gov/cc/capandtrade/capandtrade.htm.
17. Au début d’avril 2012, alors que la récession dans l’UE laissait prévoir une baisse de la demande de
quotas d’émission, le prix de la tonne de carbone a atteint un nouveau point bas, à un peu plus de 6 euros.
Voir partie 1, chapitre 2, La politique climatique de l’Union européenne.
CHAPITRE 2
DÉFIS DU XXIe SIÈCLE
1.  POPULATION(S)
2.  L’ÉNERGIE EN TRANSITIONS
3.  « L’EFFET-REBOND » ET L’IDENTITÉ DE KAYA
4.  LA CRISE DES RESSOURCES NATURELLES RENOUVELABLES
5.  LES DENRÉES AGRICOLES
6.  « ÉCONOMIE VERTE » ET « EMPLOIS VERTS »
7.  LA GOUVERNANCE ENVIRONNEMENTALE GLOBALE
8.  LES ENJEUX DE LA COP 21

Les nombreux domaines d’application. Dans ce chapitre, nous passons en revue


analyses développées dans le premier chapitre ont à l’évidence de

quelques-uns de défis auxquels l’humanité doit faire face et la manière dont les
outils d’analyse présentés plus haut peuvent être mobilisés pour en éclairer les
enjeux.

1. POPULATION(S)
Malthus l’avait bien compris : la population humaine et sa dynamique
constituent le facteur premier dans toute analyse des interactions entre les
hommes et leur environnement, tant au plan local, sur un territoire donné, qu’à
l’échelle globale de la planète ; déterminants essentiels, aussi, de la soutenabilité
des modes de vie et de développement économique. Comme nous l’avons déjà
évoqué dès l’introduction de cet ouvrage, la lugubre prédiction qui a fait la
réputation de Malthus et de son célèbre Essai sur le principe de population
(1798) s’est, jusqu’à présent, révélée erronée : la croissance économique des
siècles passés, notamment celle, très soutenue, observée depuis la Révolution
industrielle, a certes permis un accroissement sans précédent de la population
mondiale ; mais ce dynamisme démographique est allé de pair avec une
augmentation moyenne des niveaux de vie dans la grande majorité des régions
du monde. Pas de paupérisation entraînant inéluctablement une phase de
régression démographique, au contraire ! La proportion de la population très
pauvre – ceux dont le revenu monétaire est inférieur à 1,25 $ par jour, selon la
définition de la pauvreté absolue adoptée par le Programme des Nations unies
pour le développement (PNUD) – n’a cessé de baisser au cours des dernières
décennies, notamment depuis l’adoption, par les Nations unies en 2000, des
Objectifs de développement du millénaire : elle a été divisée par deux, de 36 %
de la population mondiale (soit un peu plus de 1,9 milliard d’individus) en 1990,
à 18 % (un peu plus de 1,2 milliard) en 2010 (Nations unies, 2014a) ; et
l’incidence de la faim et de la malnutrition a elle aussi beaucoup régressé,
passant de près d’un milliard d’individus en 1990 à 795 millions en 2015 (FAO,
2015).
Pourtant, l’inquiétude suscitée par les évolutions démographiques futures ne
saurait être écartée d’un simple haussement d’épaules : la population mondiale
continue de croître à un rythme soutenu. Évaluée à un peu moins d’un milliard à
la fin du XVIIIe siècle, au moment où Malthus publiait son Essai, elle avait
ensuite doublé en un siècle et demi, puis atteignait 3 milliards en 1960, et doubla
à nouveau au cours des quatre décennies suivantes. De 7,3 milliards en 2015,
elle devrait, selon la projection médiane des Nations unies révisée en 2012,
dépasser 9,5 milliards en 2050, et avoisiner les 11 milliards à la fin du siècle.
Même si c’est peu perceptible, le rythme d’accroissement annuel a diminué
depuis son pic des années 1960 : il a été divisé par deux entre la seconde moitié
des années 1960 (+2,07 % par an) et 2015 (+1,04 % entre 2015 et 2020) ; en
variation absolue, le pic a été atteint au cours des 5 dernières années, qui ont vu
la population mondiale croître de plus de 80 millions d’individus par an –
l’équivalent de la population de l’Allemagne ! –, selon les données de la
Division Population des Nations unies1. Or en quelques décennies, les tensions
sur les ressources naturelles et les dégradations de l’environnement se sont
tellement accentuées que l’on ne peut que s’inquiéter des conséquences qu’aura
l’ajout de quelque 2 milliards d’êtres humains d’ici 2050, et près de 4 milliards
d’ici 2100, si les tendances récentes du développement économique et des modes
de vie se perpétuent.
Tant l’explosion démographique observée au cours des deux siècles qui ont
suivi la Révolution industrielle que le ralentissement récent et projeté par les
experts des Nations unies sont la résultante d’un processus que les démographes
appellent la transition démographique : avec l’augmentation du niveau de vie,
l’amélioration de la nutrition et les progrès de l’hygiène et de la médecine qui
l’accompagnent, la mortalité – d’abord infantile et périnatale – diminue
rapidement et l’espérance de vie à la naissance augmente – elle était inférieure à
40 ans au XVIIIe siècle, a dépassé, en moyenne dans le monde, le cap des 50 ans
dans les années 1960, et atteint aujourd’hui 70 ans2 ; le taux de fécondité –
nombre d’enfants par femme – commence ensuite à décroître, notamment parce
que les parents constatent que la probabilité de survie des enfants qui naissent
augmente. La dynamique démographique passe ainsi progressivement d’un
régime quasi-stationnaire, où la natalité et la mortalité sont très élevées, mais
l’accroissement démographique faible, à un nouveau régime, supposé lui aussi
tendre vers un sentier stationnaire, où la fécondité est basse – en théorie un peu
supérieur à 2 enfants par femme, pour assurer le renouvellement des générations
– et la mortalité faible, l’espérance de vie s’accroissant désormais aux âges
élevés. Mais au cours de cette transition démographique, entamée d’abord en
Europe aux cours du XVIIIe siècle, puis se répandant progressivement dans le
reste du monde, la population augmente fortement, avant de tendre à nouveau
vers un plateau, comme c’est le cas actuellement, en moyenne, en Europe, où la
population devrait même diminuer après 2020. En Afrique sub-saharienne, où la
plupart des pays ne font qu’entamer la transition démographique, le taux de
croissance annuel de la population est encore, en 2015, proche de 2,7 % par an.
Le ralentissement démographique est donc bien réel, mais inégal selon les
régions, de sorte que le dynamisme démographique mondial reste soutenu. Trop
?

2. L’ÉNERGIE EN TRANSITIONS
Longtemps les humains n’ont eu recours, dans leur vie quotidienne comme
dans leurs activités productives, qu’à leur propre force physique, et à un petit
nombre de sources d’énergie renouvelable : le bois, pour cuire les aliments et se
chauffer, l’huile ou la cire pour s’éclairer, les animaux domestiques pour le
transport et la force motrice ; plus tard, toujours pour actionner les machines, les
moulins à eau puis les moulins à vent. Avec l’invention, par Denis Papin, puis le
perfectionnement décisif, par James Watt, de la machine à vapeur, l’Angleterre,
puis l’Europe occidentale, et peu à peu l’humanité tout entière sont entrées dans
une ère radicalement nouvelle : celle des énergies fossiles – le charbon, puis le
pétrole et, d’une certaine manière, l’énergie nucléaire dont la base du
combustible est le minerai d’uranium (encadré 2.1).

Encadré 2.1 – Rareté du bois et attrait économique du charbon dans


l’Angleterre du XVIIIe siècle
Les historiens-économistes ont, depuis quelques années, fait des progrès considérables dans la collecte
ou la reconstitution de données chiffrées sur la production, les prix et les revenus des périodes passées.
Les développements de cette nouvelle branche de l’économie – la cliométrie – ont notamment permis
d’analyser les évolutions des prix relatifs de certains produits de première importance dans le
fonctionnement des économies du passé : les denrées alimentaires, bien sûr, mais aussi les différentes
sources d’énergie, permettant de mieux comprendre les incitations qui, à certaines époques charnières,
ont pu engendrer des évolutions majeures dans les modes de production ou de consommation.
Pomeranz (2001) suggère ainsi que la hausse du prix relatif du bois dans l’Angleterre du XVIIe et du
début du XVIIIe siècle a joué un rôle décisif dans le perfectionnement technique de la machine à vapeur
et dans l’essor de la révolution industrielle. Le bois était, en effet, alors une ressource aux usages
multiples, tous en pleine progression : matériau de construction pour les logements et les bateaux,
source quasi unique d’énergie pour le chauffage, la cuisson des aliments, l’artisanat. Or l’Angleterre est
une île relativement exigüe et la pression démographique avait sensiblement réduit les surfaces boisées,
entraînant une surexploitation des forêts et une raréfaction du bois dont le prix relatif s’est beaucoup
accru.
Le charbon de bois, très utilisé pour la combustion, devenait ainsi relativement plus coûteux que le
charbon fossile, présent en abondance dans le sous-sol anglais et connu depuis longtemps, mais peu
exploité en raison des difficultés techniques que présentait son extraction. Or il se trouva que la
machine à vapeur de Watt non seulement fonctionnait avec cette source d’énergie, mais aussi résolvait
les principaux problèmes techniques de l’exploitation des mines de charbon : le pompage de l’eau qui
s’accumulait dans les galeries, plus tard le transport du minerai par les machines mues par des moteurs
à vapeur, puis la ventilation des galeries profondes.
Cette analyse, qui n’enlève rien au génie de Watt, suggère que les contraintes de la rareté peuvent
susciter des avancées technologiques, ou du moins encourager l’adoption et la diffusion de
technologies nouvelles. Cela peut inciter à l’optimisme, même si, bien sûr, ces enchaînements n’ont
rien d’automatique : l’analyse économique élémentaire suggère cependant que l’ampleur du gain
potentiel est un puissant moteur de la recherche de solutions aux problèmes.

Ces énergies nouvelles, dont l’utilisation s’est intensifiée depuis la révolution


industrielle anglaise du milieu du XVIIIe siècle, ont entre elles deux traits
communs essentiels : leur combustible est épuisable – les stocks existants, bien
que partiellement inconnus, sont assurément finis, du moins sur notre planète – ;
et leur usage produit des déchets nuisibles – monoxyde et dioxyde de carbone
(CO et CO2), gaz à effet de serre, dans le cas des combustibles fossiles, déchets
radioactifs dans le cas du combustible nucléaire. Tant en raison des coûts
croissants de certaines énergies fossiles – mais les fluctuations des prix sont
considérables et la découverte de nouvelles techniques d’exploitation permet
parfois de faire drastiquement baisser les prix, comme l’illustre le
développement de l’exploitation des gaz de schiste, aux États-Unis, ou des
schistes bitumineux d’Alberta au Canada – qu’avec la montée des
préoccupations liées au changement climatique induit par l’accumulation dans
l’atmosphère de gaz à effet de serre, on observe, depuis quelques années, un
développement rapide de nouvelles technologies améliorant le rendement des
sources anciennes d’énergie renouvelable (hydraulique, éolien, bois et
agrocarburants), mais aussi de l’exploitation de nouvelles sources d’énergie
(soleil, marées, biomasse) qui modifient, de manière encore marginale, le « mix
énergétique » mondial (figure 2.1).

2.1. LA FORMIDABLE CROISSANCE DE LA


CONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE
La consommation d’énergie a connu, surtout depuis le début du XXe siècle,
une croissance spectaculaire, principalement alimentée par des ressources
énergétiques fossiles dont les prix sont demeurés relativement bas : le monde
consommait environ 400 millions de tonnes d’équivalent pétrole (tep) en 1800 ;
il en consommait plus de 30 000 millions en 1990 (McNeill, 2000). La quasi-
totalité de l’énergie consommée était renouvelable jusqu’à la fin du XIXe siècle ;
la consommation énergétique par personne est passée, en moyenne mondiale,
d’environ 20 gigajoules par personne et par an en 1820 à environ 80 en 2000,
tandis que la population mondiale était multipliée par 7 environ3. Les usages de
ces nouvelles sources d’énergie – non renouvelables – se sont diversifiés : depuis
la révolution industrielle, la production et le transport ont, bien sûr, absorbé des
quantités croissantes d’énergie ; mais c’est également le cas, de plus en plus,
directement dans les utilisations domestiques, destinées à améliorer le confort,
avec le développement de l’équipement électrique – chauffage et climatisation,
appareils électroménagers, etc.
Figure 2.1 – Évolution du mix énergétique mondial, 1973-2012 (en
%)
Source: AIE

C’est ainsi l’intensité énergétique de la production – la quantité d’énergie par


unité de volume produit (mesuré habituellement par le PIB en volume) – qui
s’est accrue tendanciellement, mais diversement selon les pays et les périodes.
La part des énergies fossiles – c’est-à-dire des dérivés fossiles du carbone
(charbon, pétrole et gaz naturel) – a, elle-même, beaucoup augmenté, de sorte
que l’intensité carbonique de la production – la quantité de gaz à effet de serre
(GES) engendrés par la combustion du carbone fossile – s’est accrue elle aussi.
Mais des différences sensibles entre pays se sont affirmées au cours des
dernières décennies : l’intensité énergétique de la production a baissé dans
l’Union européenne depuis le premier choc pétrolier (1973), alors qu’elle
continuait d’augmenter aux États-Unis et dans la plupart des pays émergents. Au
sein même de l’Union européenne, les écarts d’intensité énergétique sont très
importants : en 2013, les valeurs les plus faibles étaient enregistrées au
Danemark (0,09 tep / 1 000 euros de PIB en volume), en Italie (0,1), la plus
élevée en Bulgarie (0,6), la France et l’Allemagne se situant à des niveaux
voisins (respectivement 0,143 et 0,13). Bien peu au regard des valeurs atteintes
en Russie (0,33) ou en Chine (0,26).

2.2. DES DOTATIONS NATURELLES TRÈS INÉGALES


La disponibilité des différentes sources d’énergie primaire est très inégale
selon les continents et les pays ; elle a beaucoup évolué depuis le premier choc
pétrolier, les découvertes de nouveaux gisements d’énergies fossiles ayant été
nombreuses et les techniques d’exploitation s’étant modifiées (figures 2.2, 2.3 et
2.4). Les pays de l’OCDE et la Chine étant aujourd’hui les plus gros utilisateurs
d’énergies, notamment fossiles, les échanges internationaux concernent une part
importante de la consommation mondiale d’énergie (tableau 2.1), certaines
régions, comme l’UE, étant très dépendantes du reste du monde pour leurs
approvisionnements (cf. encadré 2.2).
Figure 2.2 – Production de pétrole brut par région, 2013 (% du
total)

Figure 2.3 – Production de gaz naturel par région, 2013 (% du


total)
Figure 2.4 – Production de charbon par région, 2013 (% du total)

Tableau 2.1 – Production, exportation et importation d’énergies


fossiles pour les principaux pays, 2010 (millions de tonnes, et
pourcentage de la production mondiale entre parenthèses)
Source : AIE

Encadré 2.2 – La dépendance énergétique européenne


Jusqu’au début du XXe siècle, les pays européens ont pu subvenir eux-mêmes à leurs besoins
énergétiques, longtemps grâce au bois des forêts européennes, puis par l’exploitation du charbon dont
le sous-sol européen était relativement richement doté. Mais l’essor de la consommation énergétique et
l’usage croissant des dérivés du pétrole, longtemps très bon marché, induisant notamment l’abandon de
nombreuses mines de charbon, trop coûteuses, ont profondément changé la donne : en 2010, l’Union
européenne a importé près de 1,5 milliard de tep (tonnes d’équivalent pétrole) d’énergie.
Les projections réalisées dans le cadre du « paquet énergie-climat » de l’UE et de la politique
énergétique européenne ne sont guère encourageantes : sauf inflexion dans les comportements de
consommation ou dans les sources de production d’énergie primaire – davantage d’énergies
renouvelables ou des découvertes importantes de gisements d’énergies fossiles, telles que les gaz de
schiste, dans le sous-sol européen –, le taux de dépendance énergétique de l’UE, aujourd’hui un peu
supérieur à 50 %, devrait dépasser 65 % en 2030 et pourrait atteindre 80 % à l’horizon 20504.
Les objectifs du « paquet énergie-climat » – réduction de 20 % des émissions de GES de l’UE,
réduction de 20 % de l’intensité énergétique de la production, et une part des énergies renouvelables
dans la consommation totale d’énergie atteignant 20 %, à l’horizon 2020 – s’inscrivent ainsi dans une
perspective volontariste de réduction de la dépendance énergétique. En revanche, le débat sur l’énergie
nucléaire, dont le combustible est intégralement importé, n’a pas d’incidence dans cette dimension.
La France, quant à elle, a une structure singulière de production d’énergie, du fait de l’importance de
l’électricité d’origine nucléaire. Sa dépendance énergétique, telle qu’évaluée conventionnellement s’en
trouve sensiblement amoindrie, à condition, bien sûr, de faire abstraction du fait que le combustible
nucléaire est, lui aussi, intégralement importé.

Figure 2.5 – Structure de la consommation d’énergie primaire en


France, de 1973 à 2013 (% du total)
Source : INSEE

2.3. PRIX, COÛTS PRIVÉS ET COÛTS SOCIAUX DES


ÉNERGIES DE DIFFÉRENTES SOURCES
Les sources d’énergie, notamment fossile, étant généralement concentrées,
leur contrôle constitue un enjeu stratégique et la question de l’appropriation de la
rente qu’elles engendrent est l’un des aspects récurrents du fonctionnement des
marchés, comme l’ont illustré les principaux chocs pétroliers : au pouvoir d’un
cartel de pays importateurs s’est substitué, au moment du premier choc pétrolier
(1973), un cartel de pays exportateurs (l’Organisation des pays exportateurs de
pétrole, OPEP), dont le pouvoir de marché s’est ensuite érodé du fait de la
diversification de la demande et de l’offre, des économies d’énergie, de
nouvelles technologies et de nouvelles découvertes apparaissant en réponse à des
prix élevés, jusqu’à provoquer un effondrement des prix mondiaux du pétrole,
qui sont demeurés bas entre 1986 et 2000 environ.
En outre, en matière énergétique, les écarts entre coûts privés et coûts
sociaux sont omniprésents et, généralement, de grande ampleur. C’est le cas au
niveau de la production, l’exploitation des gisements d’énergies primaires –
extraction d’énergies fossiles, exploitation des centrales nucléaires et gestion de
leurs déchets, construction et réalisation de barrages pour l’énergie
hydroélectrique, d’éoliennes, de panneaux solaires, etc. –, étant génératrice de
nombreuses externalités négatives et de risques environnementaux, non inclus
dans les évaluations marchandes ; mais également au stade de la consommation,
avec les émissions polluantes diverses engendrées par la combustion des
énergies fossiles, singulièrement les émissions de GES et leurs conséquences
climatiques.
Cette omniprésence d’externalités, le plus souvent négatives, justifie
l’intervention des pouvoirs publics qui, notamment dans les pays développés –
au premier rang desquels l’UE –, cherchent, au moyen de taxes et de
subventions, à influer sur les choix énergétiques des agents privés. Mais
l’inclusion, dans les évaluations économiques, des coûts sociaux soulève des
difficultés et compliquent les arbitrages, comme l’illustrent les controverses
autour de l’énergie nucléaire.

2.4. L’HORIZON LONG DES CHANGEMENTS DU MIX


ÉNERGÉTIQUE
La part considérable qu’a prise la consommation énergétique dans les modes
de vie et de consommation des populations, surtout dans les pays les plus
développés, pose toutefois aux politiques publiques des problèmes
d’acceptabilité et d’équité. En effet, une imposition plus lourde de l’énergie a
des effets très sensibles sur le pouvoir d’achat, notamment des catégories les
moins favorisées de la population. Et si les incitations pécuniaires sont, à
l’évidence, efficaces, les élasticités à court terme des demandes et offres
d’énergie sont faibles, l’inertie provenant essentiellement des choix
d’investissement pour la production et d’équipement pour la consommation,
financièrement lourds et généralement amortissables sur des périodes longues.
Les installations de production et réseaux de distribution de l’énergie sont, en
effet, très coûteuses ; et il en va de même pour les investissements faits par les
ménages, dont les choix résidentiels et de modes de vie sont influencés par les
coûts de l’énergie.

3. « L’EFFET-REBOND » ET L’IDENTITÉ DE KAYA


Jevons formule, au chapitre VII de son ouvrage The Coal Question (1865), le
paradoxe qui a gardé son nom et qui conserve toute sa pertinence pour
comprendre nombre d’enjeux écologiques aujourd’hui : l’accroissement de
l’efficacité technologique dans l’utilisation d’une ressource naturelle comme le
charbon ne réduit pas la demande pour cette ressource, mais l’accroît au
contraire. La consommation est en un sens déchaînée par l’accélération
technologique du fait de la baisse des coûts que celle-ci entraîne.
La demande est alors emportée dans une course qui démultiplie l’impact de
la consommation sur les ressources naturelles et abrège en réalité le temps qui
sépare le système économique du déclin : « le système économique multiplie la
valeur et l’efficacité de notre matériau principal ; elle accroît indéfiniment notre
richesse et nos moyens de subsistance et conduit à une extension de notre
population, de nos productions, de nos échanges, qui est appréciable dans le
présent, mais nous conduit nécessairement vers une fin prématurée ». Jevons
conclut : « Il est illusoire de penser qu’un usage plus économique d’un carburant
conduit à une consommation moindre. C’est l’exact opposé qui est vrai »
(Jevons, 1865).
Le paradoxe de Jevons (également appelé de manière imagée l’« effet-
rebond »), généralisé à la question des conséquences écologiques de l’efficacité
énergétique engendré par le système économique, se formule donc simplement :
l’accroissement de l’efficacité énergétique (la baisse de la quantité d’énergie
utilisée pour produire un bien du fait de l’amélioration des technologies),
engendre simultanément des économies d’énergie à court terme et une hausse de
la consommation du bien à moyen terme qui peut annuler ces économies et
finalement engendrer une plus grande consommation d’énergie.
Il faudra attendre les années 1920 et 1930 pour qu’un cadre analytique soit
donné aux intuitions de Jevons. L’incidence des activités économiques humaines
sur les ressources épuisables et l’environnement trouve alors ses fondements
dans les travaux de Hotelling, Pigou et Ramsey, qui prolongent mais aussi
corrigent les travaux de Jevons. Hotelling en particulier souligna l’importance de
la dynamique des prix et des incitations comme déterminants de l’exploitation
des matières premières non renouvelables dont fait partie l’énergie fossile : à
mesure que le prix d’une ressource énergétique augmente, les agents sont incités
à développer des sources alternatives d’énergie. C’est pourquoi Jevons s’est
trompé en prophétisant le « déclin énergétique » de l’économie britannique, qui
a pu poursuivre son développement industriel, comme les autres pays
occidentaux, en passant du charbon au pétrole puis au gaz et, demain, aux
énergies renouvelables.
Le paradoxe de Jevons conserve néanmoins toute sa force, même s’il a fait
l’objet de raffinements théoriques et empiriques importants. Daniel Khazzoom
(1980) montra au début des années 1980 comment l’appliquer, au niveau
microéconomique, à la question de l’alimentation énergétique des logements.
Len Brookes (1990) reprit cette idée pour l’appliquer, cette fois au plan
macroéconomique, à l’enjeu climatique : à ses yeux, les instruments
économiques qui visent à accélérer les progrès technologiques se révèleront non
seulement inefficaces pour réduire les émissions de GES, mais contre-productifs.
On peut comprendre cette position à l’aide d’une autre illustration du
paradoxe de Jevons, celle de la dynamique des émissions mondiales de GES
depuis une quarantaine d’années. « L’identité de Kaya » (Kaya, 1990)
décompose la croissance des émissions de gaz à effet de serre en une somme de
quatre taux de croissance : celui de la population, du PIB par tête, de l’intensité
énergétique (c’est-à-dire la consommation d’énergie primaire par unité de PIB)
et de l’intensité carbonique (c’est-à-dire le niveau d’émissions de GES par unité
de consommation d’énergie primaire). Le GIEC calcule ainsi que la croissance
annuelle de 1,9 % des émissions de GES dans le monde de 1970 à 2004
s’explique par une croissance annuelle de la population de 1,6 %, une croissance
annuelle du PIB par tête de 1,8 %, une baisse annuelle de l’intensité énergétique
de 1,2 % et une baisse de l’intensité carbonique de 0,2 % (tableau 2.2).
La dynamique globale des gaz à effet de serre est donc la suivante : les
progrès dans l’efficacité énergétique et la « décarbonisation » de l’énergie
consommée n’ont pas suffi à compenser la hausse de la population et celle du
revenu par habitant. L’effet volume climatiquement néfaste de l’économie
mondiale (plus d’habitants, plus riches) va donc de pair avec un effet valeur qui
est lui bénéfique (c’est la double amélioration technologique qui permet de
consommer moins d’énergie par unité de croissance et d’émettre moins de
carbone par unité d’énergie consommée).
Tableau 2.2 – Décomposition de Kaya pour l’économie mondiale
(1970-2004)
Monde 1970-2004 (en % de croissance annuelle)
Population + 1,6
PIB par tête + 1,8
Intensité énergétique − 1,2
Intensité carbonique − 0,2
Effet net + 1,9

Source : GIEC

Le GIEC ajoute que le défi d’un découplage absolu entre croissance du PIB
par habitant et émissions de gaz à effet de serre – nécessaire pour atteindre les
objectifs climatiques que les responsables politiques ont tiré des travaux
scientifiques – est « intimidant ».
Mais les données de l’EIA montrent que sous certaines hypothèses, les
évolutions futures dans certaines régions du monde, et notamment l’Union
européenne, pourraient être favorables (tableau 2.3).
Tableau 2.3 – Les paramètres de l’équation de Kaya (1990-2020)
Source : EIA

Tableau 2.4 – Identité de Kaya pour l’OCDE-Europe (taux de


croissance annuel moyen)
1990-2005 2005-2020
Intensité carbonique −0,6 −0,6
Intensité énergétique −1,4 −1,7
PIB par habitant 1,7 1,4
Population 0,7 0,4
Total 0,4 −0,5

Source : EIA et calcul des auteurs

Tableau 2.5 − Identité de Kaya pour l’OCDE (taux de croissance


annuel moyen)
1990-2005 2005-2020
Intensité carbonique −0,2 −0,5
Intensité carbonique −0,2 −0,5
Intensité énergétique −1,2 −1,7
PIB par habitant 1,7 1,4
Population 0,9 0,6
Total 1,2 −0,2

Source : EIA et calculs des auteurs

On voit ainsi (tableau 2.4) que l’identité de Kaya pour l’OCDE-Europe (les
pays également membres de l’Union européenne, donc les plus développés
d’entre eux) de 2005 à 2020 prend la forme suivante :
Taux de croissance des émissions = Intensité carbonique (− 0,6) + Intensité
énergétique (− 1,7) + PIB par habitant (+ 1,4) + Population (0,4) = − 0,5
Un des problèmes méthodologiques posés par ce qui est parfois qualifié de «
postulat Khazzoom-Brookes » est de savoir si c’est l’amélioration technologique
qui est la cause véritable de la consommation supplémentaire de biens ou de
services. Un autre problème tient à la diversité des valeurs que peut prendre
l’effet-rebond dans la consommation d’un bien ou d’un service d’un secteur à un
autre, ce qui rend l’effet macroéconomique agrégé douteux. Demeure enfin le
problème de pouvoir distinguer entre effet-rebond direct et indirect (la
consommation d’autres énergies ou biens complémentaires peut augmenter du
fait de l’amélioration d’une énergie ou bien). Les études empiriques disponibles
sur le « paradoxe de Jevons », phénomène essentiel pour comprendre la
dynamique écologique des sociétés contemporaines, sont, un siècle et demi après
sa formulation, encore trop partielles (pour une recension récente des études en
présence, voir Sorrelle, 2009).

4. LA CRISE DES RESSOURCES NATURELLES


RENOUVELABLES
Selon l’économiste d’Harvard Robert Stavins (Stavins, 2010), un paradoxe
apparent marque l’exploitation des ressources naturelles : les ressources non
renouvelables (tels les minerais et les énergies fossiles) sont relativement bien
protégées du fait de la bonne définition de leurs droits de propriété (précisément
parce qu’elles sont en quantité finie). Mais les ressources renouvelables (telles
que les stocks de poissons et les forêts) subissent l’exploitation la moins
soutenable car leur régime institutionnel est bien plus flou. Ceci illustre bien
l’importance, développée au chapitre précédent, des incitations, bonnes ou
mauvaises, au moyen desquelles les institutions façonnent les comportements
économiques et leurs conséquences écologiques. Nous passons ici en revue l’état
de quatre types de ressources renouvelables : la biodiversité, les réserves
halieutiques (autrement dit les espèces vivantes aquatiques, au premier rang
desquelles les poissons), les forêts et l’eau.

4.1. LA BIODIVERSITÉ
D’après le think tank Resources for the future, la biodiversité (diversité
biologique), que l’on peut caractériser en termes généraux comme la diversité
totale de toutes les formes de vie, se définit à trois niveaux : la diversité des
espèces, la diversité génétique et la diversité des écosystèmes. On se réfère
généralement dans le débat public à la première dimension, qui recoupe la
variété et l’abondance des espèces dans un espace géographique donné (on
évalue alors la biodiversité en y recensant le nombre d’espèces et de sous-
espèces vivantes). Comme on l’a vu en introduction, il existe un lien étroit entre
préservation de la biodiversité et vitalité des écosystèmes. Les services rendus
par les écosystèmes à l’humanité (dépollution, pollinisation, alimentation, etc.)
sont en effet gravement affectés par la dégradation de la biodiversité : les
écosystèmes riches en diversité biologique sont à la fois plus productifs, plus
stables et plus résilients. Ils sont donc mieux à même d’assurer leurs fonctions,
de soutenir le bien-être humain et d’absorber des chocs de grande ampleur,
comme le changement climatique, sans en être fondamentalement altérés.
La biodiversité, ressource locale, est aussi un bien commun global, dans la
mesure où elle bénéficie à tous les humains à travers le monde. On le perçoit
bien si on considère la biodiversité globale non seulement comme le support
d’un bien-être matériel mais aussi comme un réservoir de connaissances sur le
vivant. La biodiversité est ainsi un savoir sur l’homme et sa destruction est une
destruction d’intelligence qui affecte la santé et le bien-être humain au-delà
même de la question de l’épuisement des services rendus par les écosystèmes.
Ce patrimoine mondial, fruit de plus de 3 milliards d’années d’évolution, est
aujourd’hui estimé autour de 1,75 millions d’espèces connues (peut-être 10
millions d’espèces au total). Il est détruit à un rythme qui serait de 100 fois à 1
000 fois supérieur dans la période contemporaine au rythme naturel
caractéristique du passé terrestre (sur les 500 derniers millions d’années,
secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, 2006).
L’indice Living Planet calculé par le WWF, qui suit l’évolution de3 038
espèces vertébrées (poissons, oiseaux, mammifères, reptiles, amphibiens) sur le
globe servant d’échantillon témoin de la biodiversité terrestre globale, a
globalement baissé de 52 % entre 1970 et 20105. Dans le détail, il a chuté sur la
période de 39 % pour les espèces terrestres et pour les espèces marines et de 76
% pour les espèces d’eau douce ; la chute est beaucoup plus marquée dans les
régions tropicales que dans les régions tempérées du globe. Selon un autre calcul
effectué par l’International Union for Conservation of Nature (IUCN)6, en 2009,
36 % des espèces sous observation étroite étaient menacées, dont 70 % pour les
plantes, 35 % pour les invertébrés et 22 % pour les vertébrés (dont plus de 30 %
pour les amphibiens et les poissons).
La perte de biodiversité se constate également au niveau des écosystèmes : le
déboisement ou la déforestation ont ainsi conduit à la disparition de 6 millions
d’hectares par an de forêts primaires depuis 2000. Dans les Caraïbes, le couvert
corallien dur a fortement régressé au cours des trois dernières décennies. Près de
35 % des mangroves ont disparu au cours des deux dernières décennies dans les
pays pour lesquels on dispose de données satisfaisantes.
Cette perte accélérée de biodiversité, extrêmement coûteuse pour le
développement humain, n’est pas causée principalement, comme ce fut le cas
par le passé, par des phénomènes naturels mais par des facteurs
anthropogéniques, c’est-à-dire qu’elle résulte de l’action humaine (par ordre
d’importance, par la destruction de l’habitat des espèces, l’introduction
d’espèces étrangères, la surexploitation des ressources, les diverses pollutions et
enfin le changement climatique).
Il n’est donc guère surprenant que l’année 2010 ait été décrétée « année de la
biodiversité » par les Nations unies. C’est hélas aussi l’année au cours de
laquelle l’échec de la stratégie mise en place en 1992 pour sa préservation est le
plus patent. En 2002 en effet, les parties à la Convention sur la diversité
biologique, entrée en vigueur en 1993 et comptant désormais 193 États
signataires, avaient pris l’engagement de réduire « de manière significative »
d’ici 2010 le taux de perte de biodiversité « au plan global, régional et national »
dans la perspective de « contribuer à la lutte contre la pauvreté » et au « bénéfice
de la vie sur la planète ».
Une vingtaine d’indicateurs quantitatifs servant de baromètres des progrès
accomplis avaient été retenu en 2002, parmi lesquels l’évolution de la population
de vertébrés, le risque d’extinction pour les oiseaux ou encore la surface des
zones protégées. Huit ans après, comme le reconnaissait sans détour Ahmed
Djoghlaf, secrétaire exécutif de la Convention, le 18 janvier 2010 en ouverture
de « l’année de la biodiversité » : « nous ne sommes pas parvenus à tenir la
promesse de réduire substantiellement le taux de perte de biodiversité ».
L’évolution, telle qu’elle ressort par exemple des données établies par la liste
rouge de l’IUCN, va en effet dans le sens inverse de celui souhaité par la
Convention : plus d’espèces sont en danger critique et davantage d’espèces sont
menacées qu’en 2002 (voir tableau 2.6). L’accord conclu à Nagoya fin 2010
trace de nouvelles perspectives pour la préservation de la biodiversité, dont on
ne peut qu’espérer qu’elles soient enfin suivies d’effet (voir le point 7 de ce
chapitre La gouvernance environnementale globale).
Bien commun au plan mondial, la biodiversité est aussi, au plan local, un
exemple de ressource gérée en commun ou à propriété collective, dite « common
pool resource » ou « common property resource ». Ces ressources impliquent
une rivalité dans la consommation mais il est impossible ou difficile d’exclure
les individus de leur usage : ceux-ci peuvent alors être tentés de se comporter en
« passager clandestin » en maximisant leur gain et en minimisant leur coût ce qui
conduira à la surexploitation et finalement la disparition de la ressource.
L’exemple des stocks mondiaux de poissons montre bien l’ampleur du
problème.
Tableau 2.6 – Espèces menacées (2002-2009)

Source : IUCN

4.2. LES STOCKS DE POISSONS


Depuis 1970, dans un contexte de réglementation internationale défaillante,
la capacité de pêche des navires a été multipliée par un facteur six tandis que les
prises moyennes par navire ont baissé d’environ 40 %. Au total, 90 % de la
masse des espèces exploitées commercialement a été perdue au cours des quatre
dernières décennies. Aujourd’hui, les espèces pleinement exploitées ou
surexploitées constituent plus des deux tiers des stocks mondiaux, tandis que les
espèces en voie de régénération ne représentant que 1 % du total (tableau 2.7). À
ce rythme, la ressource sera définitivement épuisée avant que les moyens de la
préserver à long terme n’aient été découverts et mis en œuvre.
Le dernier inventaire des Nations unies (FAO, 2010) note que « la proportion
de stocks de poissons de mer sous-exploités ou exploités modérément est passée
de 40 % au milieu des années 1970 à 15 % en 2008 ; inversement, la proportion
de stocks surexploités, épuisés ou en phase de reconstitution a augmenté, passant
de 10 % en 1974 à 32 % en 2008. La proportion de stocks pleinement exploités
est restée relativement stable depuis les années 1970 et se situe à environ 50 % »
(tableau 2.7).
Tableau 2.7 – Statut des stocks mondiaux de poissons en 2009
Sous-exploités 3 %
Modérément exploités 11 %
Pleinement exploités 53 %
Surexploités 30 %
Épuises 3 %
En voie de régénération 1 %

Source : FAO 2012

4.3. LES RESSOURCES EN EAU


Selon les Nations unies, le volume total d’eau sur Terre est d’environ 1,4
milliard de km3 mais le volume des ressources en eau douce est de seulement 35
millions de km3, soit environ 2,5 % du volume total. Qui plus est, de ces
ressources en eau douce, environ 24 millions de km3, soit 70 % du total, sont
sous forme de glace et de permafrost dans les régions montagneuses, les régions
de l’Antarctique et l’Arctique. La quasi-totalité de l’eau douce potentiellement
disponible pour l’usage humain est stockée dans le sol sous la forme d’eaux
souterraines.
L’eau douce est utilisée à 70 % pour l’irrigation, à 22 % pour l’industrie et 8
% pour l’usage domestique. L’usage de l’eau douce a augmenté plus de deux
fois plus vite que le taux d’accroissement de la population au cours du siècle
dernier. Or, ces prélèvements d’eau devraient augmenter de 50 % d’ici 2025
dans les pays en développement, et de 18 % dans les pays développés. Les
besoins alimentaires devraient augmenter de 70 % d’ici à 2050, avec une
demande grandissante pour les produits d’origine animale : cette hausse de la
demande alimentaire devrait entraîner une augmentation de 19 % de l’eau
utilisée par le secteur agricole.
Plus de 1,4 milliard de personnes vivent actuellement dans les bassins
hydrographiques où l’utilisation de l’eau dépasse les niveaux minimaux de
recharge, ce qui conduit à l’assèchement des cours d’eau et à l’épuisement des
eaux souterraines. Dans 60 % des villes européennes de plus de 100 000
personnes, l’eau souterraine est utilisée à un rythme plus rapide que son
renouvellement. En 2025, les Nations unies estiment que 1,8 milliard de
personnes vivront dans des pays ou régions victimes de pénuries d’eau absolues,
et deux tiers de la population mondiale pourraient être en conditions de stress.
Selon le PNUE (2010), « les projections indiquent que le maintien du statu quo »
en matière d’exploitation des ressources en eau de la planète « conduit à un écart
important et non durable entre l’approvisionnement et les prélèvements d’eau à
l’échelle mondiale que ne peuvent combler que des investissements dans les
infrastructures et une réforme des politiques de l’eau ».
La répartition des ressources en eau est en outre marquée par des inégalités
importantes. Ainsi le rapport des Nations unies sur l’évaluation des ressources en
eau (2012) estime que si 86 % de la population des régions en développement
aura accès d’ici 2015 à l’eau potable, un milliard de personnes ne disposent pas
d’un tel accès aujourd’hui. De plus, les infrastructures sanitaires ne suivent pas
le rythme de l’évolution urbaine mondiale, dont la population devrait
pratiquement doubler d’ici 2050 pour atteindre 6,3 milliards de personnes : plus
de 80 % des eaux usées dans le monde ne sont ni collectées ni traitées.
Enfin, comme le notent les Nations unies (2012), crise de l’eau et
changement climatique sont étroitement entremêlés : « l’eau est le premier
vecteur par lequel le changement climatique influe sur l’écosystème terrestre et,
partant, sur les moyens de subsistance et sur le bien-être des sociétés. Le
changement climatique planétaire devrait exacerber les stress actuels et futurs
qui pèsent sur les ressources en eau du fait de la croissance démographique et de
l’utilisation des terres, ainsi que la fréquence et la gravité des sécheresses et des
inondations ». La sécheresse que subit actuellement, depuis plus de trois ans, la
Californie révèle les difficultés de la gestion et de la répartition de l’eau,
notamment dans les régions où l’agriculture irriguée est importante.

4.4. LES FORÊTS


Selon le PNUE, « les forêts constituent une composante essentielle des
infrastructures environnementales dont dépend le bien-être de l’humanité. Les
biens et services forestiers soutiennent l’essentiel des moyens d’existence
économique de plus de 1 milliard de personnes ». Le PNUE ajoute que « les taux
élevés actuels de déforestation et de dégradation des forêts sont dus à la
demande de produits dérivés du bois et à la pression qu’exercent d’autres usages
des terres, en particulier l’agriculture et l’élevage extensif » (tableau 2.8). Une
étude récente (Gallai, N., Salles, J.-M., Settele, J. et Vaissière, 2009) chiffre à
3,7 milliards de dollars l’évitement des émissions de gaz à effet de serre grâce à
la conservation des forêts.
Tableau 2.8 – L’état des forêts mondiales
Couvert forestier
1990 2010
Couvert (hectares) forestier mondial 4,17 milliards 4,03 milliards
Superficie des plantations mondiales
178 millions 264 millions
forestières (hectares)
Déforestation

1990-2000 2000-2010
Perte nette annuelle de forêts
8,3 millions 5,2 millions
(hectares/an)
Déforestation annuelle (hectares/an) 16 millions 13 millions
Augmentation annuelle des
3,36 millions millions
plantations forestières (hectares/an)

Source : PNUE

5. LES DENRÉES AGRICOLES


7 milliards d’humains en octobre 2011, 7,4 milliards en 2015 ; 9 à 10
milliards en 2050, selon les projections de l’ONU. Peut-on « nourrir la planète »,
et avec quelles méthodes de production ? Lorsqu’il évoquait le « grand banquet
de la nature » et l’impossibilité d’y trouver, indéfiniment, une place pour tous,
c’est à l’agriculture que pensait Malthus, à sa fonction nourricière.
De toutes les activités productives, l’agriculture – avec laquelle on regroupe
habituellement la sylviculture, l’aquaculture et la pêche – est celle qui dépend le
plus directement des ressources naturelles ; elle est aussi devenue, notamment
avec l’évolution moderne des techniques agricoles, l’une de celles dont
l’influence sur le milieu naturel est la plus forte. Son importance pour l’humanité
n’est pas moindre : non seulement elle « nourrit la planète », mais elle fournit
également, depuis la nuit des temps, de nombreuses matières premières
essentielles à la vie : le bois pour se chauffer et cuire les aliments, pour la
construction des logements ; les fibres naturelles (laine, lin, coton, etc.) qui ont,
pendant des millénaires, été les principaux matériaux du vêtement ; la traction
animale, source principale d’énergie motrice et de transport jusqu’à la révolution
industrielle et bien plus tard dans de nombreuses régions du globe, etc.
Depuis les débuts de l’agriculture, au néolithique, la pression foncière n’a
cessé de se renforcer, au point que l’on estime aujourd’hui à moins d’un quart le
pourcentage des terres émergées qui n’a pas été altéré par la main de l’homme
(McNeill, 2000). Quant à la pression que constitue la pêche sur les ressources
halieutiques des océans, elle s’est également considérablement renforcée au
cours des dernières décennies, dépassant aujourd’hui les limites de ce qui
apparaît écologiquement soutenable (encadré 2.3).

Encadré 2.3 – La fin de la pêche ?


Les ressources halieutiques des océans sont surexploitées et s’épuisent rapidement. Les pêcheurs
doivent explorer des zones de pêche de plus en plus lointaines, pratiquer la pêche dans des eaux de plus
en plus profondes. Alors que la consommation de poissons et crustacés ne cesse d’augmenter – 27,5
millions de tonnes en 1961, 109,8 millions de tonnes en 2007 dans le monde, dont respectivement 13
millions et 72,7 millions pour la seule Asie (FAO) –, les volumes pêchés dans le monde stagnent depuis
la fin des années 1980, s’établissant à 91 millions de tonnes en 2012. La consommation moyenne par
tête dans le monde a presque doublé depuis les années 1960 – de 10kg/an à près de 20kg/an en 2012 –
et une part croissante de cette consommation est désormais fournie par les produits de l’aquaculture,
dont le développement est extrêmement rapide : 13 millions de tonnes en 1990, 67 millions en 2012. En
Asie, cette activité représente aujourd’hui la moitié de la production totale de poissons et crustacés.
L’aquaculture n’est, bien sûr, pas une innovation : dès la plus haute Antiquité, on a élevé des poissons,
principalement d’eau douce ; et on élève depuis longtemps des coquillages – huitres et moules,
notamment – sur les côtes. En revanche, l’aquaculture marine à grande échelle est une pratique
relativement récente, qui s’apparente plus nettement à l’élevage animal terrestre : sélection génétique,
apport alimentaire, mais aussi problèmes sanitaires, effluents polluants en sont les caractéristiques
communes.
L’aquaculture semble ainsi offrir un potentiel intéressant de produits substituts de ceux de la pêche, à
l’instar de l’agriculture se substituant à la chasse. Il existe pourtant une différence essentielle qui
empêche de pousser la comparaison à son terme : dans la majorité des élevages d’aquaculture marine,
le poisson est nourri avec… des farines de poisson sauvage, ce qui n’atténue en rien la pression de la
surpêche, bien au contraire.

Tableau 2.9 – Pêcheurs et aquaculteurs (en milliers)


Source : FAO, 2014

5.1. AGRICULTURE ET ENVIRONNEMENT NATUREL


Avec l’apparition de l’agriculture, environ 8 000 ans avant notre ère, le
rapport que l’homme entretenait avec son environnement naturel a radicalement
changé : jusqu’alors, son mode de vie et d’alimentation ne le différenciait guère
des autres animaux ; omnivore, il prélevait certes sur son environnement sa
nourriture, mais ce faisant, n’exerçait pas une influence très différente de celle
des chevreuils ou des loups. S’accompagnant d’une sédentarisation, l’invention
de l’agriculture a permis des apports caloriques plus réguliers ; mais en
sélectionnant des espèces végétales pour les cultiver, et des espèces animales
pour les élever, l’homme a accru son influence sur son environnement naturel.
Du Moyen Âge jusqu’à la première révolution agricole, qui a pris naissance en
Angleterre dans la première moitié du XVIIIe siècle, la productivité agricole
s’améliore, mais c’est surtout par l’extension territoriale – déforestation,
assèchement des zones humides, etc. – que l’impact de l’agriculture sur
l’environnemental naturel s’accroît, notamment en transformant les paysages ;
les techniques de production agricoles continuent de n’utiliser que peu d’intrants
d’origine extérieure à ce secteur, et les rejets dans l’environnement naturel sont
faibles. C’est, comme le montre McNeill (2000), avec la deuxième révolution
agricole, celle de la mécanisation et de l’utilisation des engrais et pesticides de
synthèse, qui naît aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et se diffuse
progressivement en Europe occidentale, puis dans le reste du monde, qu’en
même temps qu’augmentent formidablement les rendements agricoles, l’impact
environnemental s’accroît considérablement, du fait des prélèvements –
notamment en eau – et des rejets – effluents polluants, GES, etc. –, de
l’extension des surfaces cultivées, de l’appauvrissement des sols en matière
organique, de l’incidence négative des méthodes culturales sur la biodiversité,
etc. L’intensification de l’agriculture est alors spectaculaire ; l’utilisation des
engrais chimiques en constitue l’un des symptômes les plus visibles : 4 millions
de tonnes, environ, étaient utilisées dans le monde en 1940, 40 millions en 1965,
et plus de 150 millions en 1990 (McNeill, 2000), et environ 176 millions en
2009 (FAO).
Dans de nombreuses régions du monde (tableau 2.10), l’activité agricole
demeure pour l’essentiel vivrière, occupant une part importante de la population
et utilisant peu d’intrants non agricoles. Mais depuis la seconde moitié du XXe
siècle, l’agriculture tend à devenir, dans les pays développés et, plus récemment,
dans les pays émergents, un secteur comparable à l’industrie manufacturière, qui
utilise des intrants provenant de l’exploitation des ressources naturelles et des
autres secteurs productifs – industries manufacturières et services –, et dont les
produits sont ensuite transformés par une longue chaîne de conditionnement et
de distribution en aval, avant d’être proposés au consommateur, sous forme de
produits agro-alimentaires ou autres – textiles, agrocarburants, matériaux, etc. –,
n’ayant qu’un très lointain rapport avec les denrées agricoles elles-mêmes.
Dès lors, l’analyse économique de l’agriculture doit prendre en compte les
aspects marchands et non marchands de cette activité. Pour les premiers, il lui
faut s’affranchir d’une tradition qui représente l’agriculture comme un secteur
primaire, vendant ses produits directement au consommateur final, pour tenir
compte d’un processus de production complexe, inséré dans une longue chaîne
segmentée et, le plus souvent, internationalisée. Et pour les seconds, recourir aux
outils d’évaluation des impacts négatifs de l’agriculture sur l’environnement
naturel – émissions polluantes, destruction de biodiversité, etc. –, mais aussi des
services écosystémiques non marchands.
Tableau 2.10 – Parts de l’agriculture dans le PIB et de l’emploi
agricole dans l’emploi total de quelques pays (2011-2012, en %)
Part dans le PIB Part dans l’emploi
Allemagne 1 2
Brésil 5,7 15
Cambodge 33,5 51
Chine 10 35
États-Unis 1 2
France 1,72 3
Madagascar 26,4 --
Pakistan 25,1 45
Vietnam 18,4 47

Source : Banque mondiale

5.2. L’INÉGALE RÉPARTITION ET L’INÉGALE


ÉVOLUTION DES TERRES AGRICOLES
La surface totale occupée par les activités agricoles représentait en 2009, un
peu plus de 13 milliards d’hectares, soit 37,6 % des surfaces émergées (dont 25,8
% dédiés au pâturage). Ces terres agricoles sont très inégalement réparties à la
surface du globe – environ 3 milliards d’hectares en Amérique latine et autant en
Asie, 2 milliards d’hectares en Afrique, 2,2 milliards d’hectares en Europe et 1,9
milliards d’hectares en Amérique du Nord –, et surtout réparties différemment de
la population. La pression foncière de l’agriculture s’exerce ainsi de manière
différente selon les continents : alors qu’en Europe, la part des surfaces
émergées consacrée à l’agriculture baisse continûment depuis plusieurs
décennies – la déprise agricole se faisant au profit de la forêt, d’une part, de
l’artificialisation des sols d’autre part –, elle augmente dans la plupart des autres
régions du monde (tableau 2.11). Si la surface totale consacrée à l’agriculture
dans le monde a augmenté de 430 millions d’hectares entre 1961 et 2009, cette
augmentation recouvre des hausses de 570 millions d’hectares en Asie, 140
millions d’hectares en Amérique du Sud, 110 millions d’hectares en Afrique,
mais aussi des baisses de 140 millions d’hectares en Europe, 40 millions
d’hectares en Amérique du Nord. Mais les surfaces disponibles pour une mise en
culture sont, selon la FAO, importantes dans la plupart des régions : environ 500
millions d’hectares dans l’ensemble des pays développés, 800 millions
d’hectares en Afrique et 800 millions d’hectares en Amérique du Sud.
La surface agricole mondiale a augmenté moins vite que la population. Selon
les données de la FAO, la surface agricole par habitant est passée, dans le
monde, de 0,36 à 0,20 hectare par personne entre 1970 et 2009 ; mais les
différences entre grandes régions sont importantes : en Afrique, de 0,44 à 0,22
hectare par personne, en Amérique du Nord de 1 à 0,61 hectare par personne, en
Asie de 0,20 à 0,12 hectare par personne, en Europe de 0,55 à 0,38 hectare par
personne.
L’écart croissant entre évolutions démographiques et disponibilité des terres
cultivables suscite, depuis quelques années, une vague d’acquisitions
transcontinentales de terres arables, principalement en Afrique, en Asie du Sud
et en Amérique du Sud : selon un récent rapport de l’International Land
Coalition (ILC, 2011), la surface totale des terres arables acquises par des non-
résidents entre 2000 et 2010 est d’environ 200 millions d’hectares, dont 134
millions d’hectares en Afrique, et 29 millions d’hectares en Asie ; trois quarts de
ces terres sont destinées à l’agriculture, et majoritairement aux cultures pour la
production d’agrocarburants.7
Si dans les pays développés, la surface agricole se réduit, au profit des
surfaces boisées et de surfaces artificialisées8, l’augmentation des surfaces
cultivées se fait, partout ailleurs, au détriment de la forêt, principalement de la
forêt primaire.

5.3. LES TECHNOLOGIES ET LES RENDEMENTS


AGRICOLES
Depuis la deuxième révolution agricole, l’usage d’intrants d’origine extra-
agricole – minérale ou chimique – dans les cultures s’est intensifié. Ainsi, les
apports d’engrais chimiques ont atteint, selon la FAO, 119 kg/ha en moyenne
dans le monde en 2007, avec des variations considérables selon les pays : ainsi,
par exemple, en Afghanistan, 4,6 kg/ha, au Ghana, 34,9 kg/ha, en France 136,9
kg/ha, en Égypte, 575,4 kg/ha et en Chine… 647,6 kg/ha. Des différences tout
aussi considérables sont observées dans l’usage des pesticides9. Dans le même
temps, la part de l’agriculture irriguée s’est accrue (cf. encadré 2.4).

Encadré 2.4 – L’eau douce, une ressource renouvelable ou épuisable ?


L’agriculture a besoin d’eau douce. Longtemps à dominante pluviale dans la plupart des régions du
globe – notamment en Europe occidentale et en Amérique du Nord –, les cultures font un recours
croissant à l’irrigation. Le tableau suivant illustre la part de l’agriculture irriguée et la part que
représente cet usage dans la consommation totale d’eau douce d’un échantillon de pays.
Une part, variable selon les pays, de l’eau douce consommée est renouvelable : l’eau utilisée pour les
usages de consommation humaine est en partie retraitée et récupérée ; celle qui est utilisée pour
l’irrigation ruisselle et s’infiltre pour partie, tandis que la transpiration des plantes irriguées en rejette
une partie dans l’atmosphère. Mais une part croissante de l’eau douce provient d’aquifères fossiles, ou
à renouvellement très lent, ce qui soulève le problème de l’épuisement de la ressource dans certains
pays ou certaines régions, notamment dans les régions arides – péninsule Arabique, Sahara – où
d’immenses aquifères fossiles sont intensivement exploités pour l’irrigation des terres agricoles.

Couplée aux progrès de la sélection génétique, cette augmentation massive


des intrants a permis une hausse des rendements à un rythme très soutenu – un
peu plus de 2,1 % par an, en moyenne dans le monde de 1961 à 2000 (FAO).
Pourtant, depuis environ une décennie, l’augmentation des rendements semble
ralentir, voir s’inverser pour certaines cultures.
Tableau 2.11 – Agriculture irriguée et usage d’eau douce dans
quelques pays (2003-2005)
quelques pays (2003-2005)
Prélèvements d’eau douce
Part des surfaces irriguées
par l’agriculture (% du
dans le total cultivé (%)
prélèvement total)
Allemagne 4,0 20
Bangladesh 54,3 96
Chili 82,4 64
Chine 47,5 68
Égypte 100 86
États-Unis 12,5 41
France 13,3 10
Inde 32,4 86
Ouzbékistan 87,4 93
Pakistan 81,1 96
Pays-Bas 60,0 34

Source : Banque mondiale (2008)

Les effets des changements de composition de l’atmosphère sur les


rendements des cultures sont mal connus et, a priori, ambigus : l’augmentation
de la concentration de CO2 dans l’atmosphère permet théoriquement une
meilleure photosynthèse ; mais l’augmentation de la température moyenne et
surtout de la variabilité climatique et des extrêmes diminue les rendements.
Toutefois, les progrès de la génétique et de la sélection peuvent peut-être
compenser ces tendances.

5.4. LA CONSOMMATION ET LA DEMANDE DE


DENRÉES AGRICOLES
L’augmentation considérable de la production de denrées agricoles au cours
du dernier siècle a permis de faire face à la croissance démographique tout en
améliorant la nutrition humaine moyenne : pour l’ensemble de la population
mondiale, la ration moyenne journalière est passée d’un peu plus de 2 200 kcal
en 1960 à environ 2 800 kcal en 2000 et devrait, selon la FAO, atteindre environ
3 000 kcal en 2030, soit le niveau moyen observé dans les pays développés à la
fin des années 1960 ; en Chine, elle est passée de 1 500 kcal par jour en 1960 à
un peu plus de 3 000 kcal en 2000. Parallèlement, la proportion de la population
survivant avec un apport calorique quotidien inférieur au seuil considéré comme
nécessaire à une vie en bonne santé (2 200 kcal par jour) n’a cessé de baisser,
notamment au cours du XXe siècle, passant ainsi de 57 % de la population
mondiale au milieu des années 1960 à environ 10 % au début du XXIe siècle, ce
qui, il est vrai, représente encore plus de 800 millions de personnes (FAO).
Augmentation de la production de denrées et ralentissement de la croissance
démographique mondiale pourraient ainsi se conjuguer pour dessiner un avenir
dans lequel l’agriculture subviendrait sans tensions excessives aux besoins de
l’alimentation humaine. Pourtant, deux tendances de la demande de denrées
agricoles sont susceptibles d’engendrer une pression plus forte sur l’offre de
produits agricoles et des effets externes négatifs accrus. D’une part, avec
l’élévation du niveau de vie d’une fraction croissante de la population mondiale,
la ration alimentaire quotidienne moyenne non seulement augmente en quantité
mais se modifie au profit de la viande, dont la production nécessite beaucoup
plus d’intrants que les végétaux : on estime à environ 7 calories végétales la
quantité d’aliments du bétail nécessaire pour produire une calorie animale – de
sorte que plus de la moitié de la production végétale (notamment le maïs et le
soja) de l’agriculture mondiale est aujourd’hui destinée à l’alimentation animale
– ; et la quantité d’eau nécessaire et de GES émis pour produire de la viande est
beaucoup plus importante que celle nécessaire aux productions végétales.
D’autre part, le développement de la production d’agrocarburants – éthanol,
à partir de sucre, soit de canne soit de betterave ou de maïs, et biodiesel, à partir
d’oléoprotéagineux, colza, huile de palme, etc. – a contribué, ces dernières
années à accroître sensiblement la demande de ces denrées, alimentant la tension
sur les prix mondiaux et la pression foncière.
La question de la soutenabilité de l’agriculture soulève donc de nombreuses
interrogations et confronte les décideurs publics à de nombreux arbitrages,
l’évaluation des coûts et des bénéfices, marchands ou non, posant de redoutables
défis analytiques (encadré 2.5).

Encadré 2.5 – Comment réduire les externalités négatives et améliorer les


services écosystémiques de l’agriculture ?
Les activités agricoles sont source d’externalités, négatives – pollutions diverses – et positives –
notamment l’entretien des paysages, dans les pays développés, où la « nature » a, depuis des
millénaires, été façonnée par l’homme.
Progressivement, la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne a développé des
instruments pour inciter les agriculteurs européens à adopter des pratiques culturales et d’élevage plus
respectueuses de l’environnement et productrices d’effets externes plus conformes aux attentes de la
société. Des normes ont été édictées et les modalités de soutien au revenu des agriculteurs ont été
modifiées : en ne soutenant plus les prix, mais les revenus au moyen d’aides directes, de plus en plus
assorties « d’éco-conditionnalité », la PAC a cherché à infléchir la tendance productiviste de
l’agriculture européenne, au profit de pratiques plus respectueuses de l’environnement naturel. Mais les
conditions imposées ne semblent pas toujours très satisfaisantes et les résultats sont, pour l’heure, peu
concluants.
Dans le cadre national, le « Grenelle de l’environnement » (2007) a également fixé d’ambitieux
objectifs de réduction des consommations d’intrants – notamment les pesticides – afin de limiter les
effets externes négatifs de l’agriculture sur l’environnement naturel et la santé humaine. Mais là encore,
la mise en œuvre se heurte à des oppositions fortes et au manque d’instruments appropriés de politique
publique.

6. « ÉCONOMIE VERTE » ET « EMPLOIS VERTS »


Il existe plusieurs définitions, plus ou moins extensibles, de « l’économie
verte » et des « emplois verts » qui coexistent aujourd’hui. Pour le PNUE, «
l’économie verte » est une « économie dans laquelle les liens vitaux entre
l’économie, la société et l’environnement sont pris en considération et dans
laquelle la transformation des processus de production et des structures de
consommation et de production, tout en contribuant à réduire la quantité par
unité produite de déchets, de pollution et d’usage des ressources, matériaux,
énergie revitalisera et diversifiera l’économie, en créant de nouvelles
opportunités d’emplois décents10, promouvant le commerce soutenable,
réduisant la pauvreté, améliorant l’équité et la distribution du revenu ». En
somme, « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de
l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques
environnementaux et la pénurie de ressources. ».
Remarquons d’emblée que le périmètre de l’économie verte ne se limite pas
aux pays riches : le bien-être des habitants des pays en développement dépend
directement de l’adoption de pratiques économiques qui favorisent la
soutenabilité environnementale et l’inclusion sociale. Le rapport du PNUE de
2010 sur l’économie verte insiste à ce titre sur le fait que l’« économie verte peut
réduire la pauvreté persistante dans des secteurs importants tels que l’agriculture,
la foresterie, l’eau douce, la pêche et l’énergie. Une approche durable de la
foresterie et des méthodes agricoles écologiques contribuent à préserver la
fertilité des sols et les ressources en eau, en particulier pour l’agriculture de
subsistance dont dépendent les moyens d’existence de près de 1,3 milliard de
personnes ».
On peut commencer, pour tenter de gagner en précision, par distinguer trois
exigences en matière d’« économie verte ». La première vise à développer des
secteurs de l’économie qui, tout en créant de l’emploi, peuvent limiter l’impact
des activités humaines sur l’environnement. La deuxième, plus ambitieuse,
consiste à changer la nature des modes de production et de consommation sous
la contrainte écologique, c’est-à-dire à amorcer une véritable transition
écologique des structures économiques. La troisième vise à transformer nos
systèmes de mesure de la valeur sociale, c’est-à-dire à redéfinir la notion même
de développement en insistant davantage sur sa dimension social-écologique
(soutenabilité environnementale, égalité, santé, éducation). Appelons par
commodité la première dimension « éco-industries », la deuxième « transition
écologique » et la troisième « développement soutenable ».
La première dimension est aujourd’hui la mieux analysée et la plus avancée.
Le rapport conjoint du PNUE et du BIT de 2008 sur les « emplois verts » définit
ceux-ci comme des emplois qui réduisent l’impact sur l’environnement des
entreprises et des secteurs économiques, pour le ramener à des niveaux viables.
On trouve ces emplois dans l’agriculture, l’industrie, les services et
l’administration qui contribuent à la préservation ou au rétablissement de la
qualité de l’environnent11.
C’est cette acception restreinte qui est également privilégiée par Eurostat
dans son rapport sur « les biens et services environnementaux » de 2009, définis
comme un ensemble hétérogène de production de technologies, de biens et de
services qui empêchent ou réduisent la pollution et minimisent l’usage des
ressources naturelles. Les activités environnementales sont regroupées en deux
grandes catégories : la protection de l’environnement et la gestion des ressources
naturelles, soit ce qu’il est convenu d’appeler les éco-industries ou éco-activités.
Le périmètre des « emplois verts », afin d’être correctement estimé, doit
prendre en compte non seulement ces éco-industries, mais aussi les activités
économiques qui dépendent des services écosystémiques ainsi que les effets
induits du développement de tous ces secteurs sur le reste de l’économie. Une
étude récente conduite au niveau européen (GHK et alii, 2007) propose ainsi un
chiffrage sans doute trop généreux, mais suggestif du total des « emplois verts »
dans l’Union européenne à 27 (tableau 2.12) : limités aux éco-industries, ceux-ci
atteindraient 4,6 millions en 2000, répartis en 2,4 millions d’emplois directs, 1,3
millions d’emplois indirects et 0,9 millions d’emplois induits (c’est-à-dire
dépendant des ressources investies dans les emplois directs et indirects). Si on
étend la définition des « emplois verts » (au-delà de la définition d’Eurostat) aux
activités qui dépendent de ressources environnementales (comme l’agriculture,
l’exploitation des forêts ou l’écotourisme), le total atteindrait plus de 10 % de
l’emploi dans l’Europe des 27, et même 17 % si les emplois indirects et induits
sont ajoutés (tableau 2.12). Selon cette comptabilité large, un emploi sur six en
Europe serait plus ou moins « vert ». Bien entendu, toutes ces activités ne sont
pas nécessairement favorables à l’environnement (on songe en particulier à la
très grande majorité des pratiques agricoles), mais elles dépendent bel et bien de
services écosystémiques.
Tableau 2.12 – Les « emplois verts » dans l’UE 27 en 2000 (en
milliers)

Source : GHK et alii, op. cit.

En France, l’emploi dans les éco-industries (ou éco-activités) a été évalué


pour l’année 2008 à 405 000 emplois, soit 1,58 % de l’emploi total. Selon la
comptabilité du ministère de l’Écologie, proche de celle d’Eurostat, les emplois
des éco-activités se répartissent en trois catégories : la protection de
l’environnement (qui vise à prévenir, diminuer les émissions de polluants et les
autres dégradations causées à l’environnement), la gestion des ressources
naturelles (qui vise à diminuer les prélèvements sur les ressources naturelles) et
les activités transversales (R & D environnementale et services généraux publics
de l’environnement).
Les deux tiers de ces emplois tiennent au domaine de la protection de
l’environnement (255 500), la gestion des ressources naturelles (113 700) et les
activités transversales (35 700) représentant le tiers restant (tableau 2.13). Dans
le détail, la gestion des déchets (100 100), la gestion des eaux usées (92 800) et
les énergies renouvelables (50 400) constituent 60 % des emplois
environnementaux. Ce total est bien entendu modeste, mais ces emplois sont en
forte progression depuis le milieu des années 1990 : + 36 % contre 14 % de
progression pour l’emploi total en France. Ainsi par exemple, l’emploi a
progressé entre 1993 et 2009 de 60 % au sein des cinq filières privées plus
particulièrement suivies par les services statistiques du ministère de l’Écologie
(tableau 2.14).
Tableau 2.13 – Les « emplois verts » en France en 2008
Emploi en 2008 Part en %
Protection de l’environnement 255 500 63,1
Protection de l’environnement 255 500 63,1
Déchets 100 100 24,7
Eaux usées 92 800 22,9
Réhabilitation des sols et des eaux 25 900 6,4
Bruit 13 100 3,2
Nature, paysage, biodiversité 10 900 2,7
Pollution de l’air 9 900 2,4
Déchets radioactifs 2 800 0,7
Gestion des ressources 113 700 28,1
Énergies renouvelables 50 400 12,4
Récupération 33 500 8,3
Maîtrise de l’énergie 23 000 5,7
Gestion des ressources en eau 6 800 1,7
Activités transversales 35 700 8,8
Services généraux publics 25 400 6,3
R & D 10 300 2,5
Total 404 900 100,0

Source : Observation et Statistiques (SOeS) du Commissariat général au développement durable (CGDD)

Tableau 2.14 – Nombre d’emplois dans cinq filières d’éco-activités


privées
1993 2009
Gestion des déchets 29 508 62 229
Gestion de l’eau 31 232 46 835
Récupération 20 621 30 134
Travaux d’isolation 14 011 16 228
Gestion du patrimoine naturel 521 1 911
Total des cinq secteurs 95 893 157 337

Source : Observation et Statistiques (SOeS) du Commissariat général au développement durable (CGDD)

Par ailleurs, selon une comptabilité plus large tenant compte des activités «
périphériques » (« un ensemble d’activités dont la finalité n’est pas
environnementale mais produisant des biens et services favorables à la
protection de l’environnement ou à la gestion des ressources naturelles »), il y
aurait en France, en 2008, 950 000 emplois verts, soit près de 3,5 % de l’emploi
total.
Une autre façon de cerner la réalité de l’économie verte en France consiste à
apprécier le total des dépenses pour l’environnement effectuées dans le pays, que
l’on nomme, selon le périmètre considéré, la dépense de protection de
l’environnement (gestion des eaux usées, des déchets, protection de l’air, lutte
contre le bruit, biodiversité et paysage, sol) ou la dépense nationale liée à
l’environnement (les actions précédentes auxquelles s’ajoutent les dépenses liées
à la production et distribution d’eau et les espaces verts urbains, voir tableau
2.15).
Tableau 2.15 – Dépense nationale liée à l’environnement en
France en 2008 (en millions d’euros)
Eaux usées 13 314
Air 3 030
Bruit 2 115
Déchets 14 037
Déchets radioactifs 681
Biodiversité et paysages 1 696
Recherche et développement 3 651
Sol, eaux souterraines et de surface 1 740
Administration générale 3 560
Dépense de protection de l’environnement 43 827
Production et distribution d’eau 8 628
Récupération 5 467
Dépense de gestion des ressources 14 095
Espaces verts urbains 3 670
Total (Dépense nationale liée à l’environnement) 61 592

Source : Observation et Statistiques (SOeS) du Commissariat général au développement durable (CGDD)

On mesure que la dépense de protection de l’environnement en France est


modeste : elle atteint 43,8 milliards d’euros en 2008 soit 2,25 % du produit
intérieur brut, et 61,5 milliards d’euros en 2008 soit 3,2 % du produit intérieur
brut si on comptabilise la dépense nationale liée à l’environnement. À titre de
comparaison, les dépenses totales de santé représentent en France en 2008
environ 11 % du PIB.
On abordera plus en détail la troisième dimension de l’économie verte, la
question des indicateurs de développement, dans la partie suivante de l’ouvrage.
Qu’en est-il de la partie centrale qui concerne la transition écologique des
structures économiques ? L’économie circulaire vise à limiter au maximum
l’usage de ressources non recyclables et l’énergie, l’économie de fonctionnalité
vise à transformer les biens en services pour en limiter la production.
Comment définir l’économie circulaire ? On peut le faire en partant du
modèle économique actuel, qui est linéaire (figure 2.6).
Figure 2.6 – L’économie linéaire

Une économie circulaire visera au contraire des prélèvements limités,


l’utilisation d’énergies renouvelables et la minimisation des déchets (figure 2.7).
Figure 2.7 – L’économie circulaire

Compte tenu du périmètre de « l’économie verte » et des « emplois verts »


ainsi définis, la « politique économique verte » emprunte aux instruments
traditionnels de l’économie de l’environnement mais aussi aux instruments
nouveaux de l’économie écologique (cf. Partie 2 de cet ouvrage). Pour le PNUE
(2010), il s’agit de la réduction ou élimination des subventions préjudiciables à
l’environnement ou dommageables, du traitement des dysfonctionnements du
marché dus aux externalités ou à l’imperfection des informations, de mesures
d’incitation économiques, d’adoption d’un cadre réglementaire adapté, de
marchés publics verts, de stimulation de l’investissement. On pourrait ajouter à
cette liste la tarification du carbone, le financement de l’innovation et la
recherche à visée écologique, les investissements dans la formation pour
permettre le développement des métiers de l’écologie, le développement de
nouvelles infrastructures pour accueillir les innovations en matière de
consommation et enfin l’élaboration, l’harmonisation et la diffusion de nouveaux
indicateurs de pilotage de l’action publique centrés sur le bien-être individuel et
social incluant la dimension environnementale.
Le PNUE estime qu’investir 2 % du PIB mondial (1 300 milliards d’euros)
par an d’ici à 2050 dans dix secteurs clés permettrait « d’impulser la transition
vers une économie à faible émission de carbone où les ressources sont utilisées
de façon plus rationnelle » à travers la transformation verte des secteurs clés que
sont l’agriculture, le bâtiment, l’énergie, la pêche, la foresterie, l’industrie
manufacturière, le tourisme, le transport, l’eau et la gestion des déchets.

7. LA GOUVERNANCE ENVIRONNEMENTALE
GLOBALE
La première conférence des Nations unies sur l’environnement, organisée à
Stockholm du 5 au 16 juin 1972, afin d’examiner « la nécessité d’adopter une
conception commune et des principes communs qui inspireront et guideront les
efforts des peuples du monde en vue de préserver et d’améliorer
l’environnement », se tint dans l’indifférence quasi générale des chefs d’État et
de gouvernement. Dès les premiers pas de ce qui allait devenir la gouvernance
environnementale mondiale, s’est donc posée la question de sa portée réelle et de
son efficacité. Certes, le texte de la déclaration finale de la conférence contient
des idées et des principes souvent remarquables, dont beaucoup seront d’ailleurs
repris par le rapport Brundtland « Notre avenir commun » (1987), quinze années
plus tard (encadré 2.6).

Encadré 2.6 – Les débuts de la gouvernance environnementale mondiale à


Stockholm
« L’homme est à la fois créature et créateur de son environnement, qui assure sa subsistance physique
et lui offre la possibilité d’un développement intellectuel, moral, social et spirituel. Dans la longue et
laborieuse évolution de la race humaine sur la terre, le moment est venu où, grâce aux progrès toujours
plus rapides de la science et de la technique, l’homme a acquis le pouvoir de transformer son
environnement d’innombrables manières et à une échelle sans précédent. Les deux éléments de son
environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à
la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même.

[…]

Pour que ce but puisse être atteint, il faudra que tous, citoyens et collectivités, entreprises et institutions,
à quelque niveau que ce soit, assument leurs responsabilités et se partagent équitablement les tâches.
Les hommes de toutes conditions et les organisations les plus diverses peuvent, par les valeurs qu’ils
admettent et par l’ensemble de leurs actes, déterminer l’environnement de demain. Les autorités locales
et les gouvernements auront la responsabilité principale des politiques et de l’action à mener en matière
d’environnement dans les limites de leur juridiction. Une coopération internationale n’est pas moins
nécessaire pour réunir les ressources nécessaires afin d’aider les pays en voie de développement à
s’acquitter de leurs responsabilités dans ce domaine. Un nombre toujours plus élevé de problèmes
d’environnement, de portée régionale ou mondiale ou touchant au domaine international commun,
exigeront une coopération étendue entre les pays et une action de la part des organisations
internationales dans l’intérêt de tous. La Conférence demande aux gouvernements et aux peuples d’unir
leurs efforts pour préserver et améliorer l’environnement, dans l’intérêt des peuples et des générations
futures. »

Source : Déclaration finale de la conférence des Nations unies sur l’environnement, 1972

Certes, Stockholm aboutit à la création, en décembre 1972, du Programme


des Nations unies pour l’environnement (PNUE), qui est aujourd’hui une
institution respectée à défaut d’être vraiment puissante. Mais sans les États et
leur volonté de lui donner corps, la gouvernance environnementale mondiale est
condamnée à rester lettre morte.
Pourtant, le nombre d’accords multilatéraux environnementaux (AME) a
considérablement augmenté depuis 1972, en particulier après la Conférence de
Rio, qui commémorait en 1992 le 20e anniversaire de Stockholm. La seule
décennie 1990 verra ainsi la signature de plus de 100 accords différents. La
gouvernance environnementale mondiale devient alors victime de son succès :
du trop peu (on compte en tout et pour tout moins de 40 accords avant
Stockholm), on passe au trop plein. On ne compte pas moins aujourd’hui de 500
accords et institutions sur l’environnement, ayant conduit à des milliers de
décisions dont la logique d’ensemble et la portée juridique sont sujettes à
caution. Or, tous les textes signés ne sont pas ratifiés et encore moins appliqués,
loin s’en faut. Ainsi, parmi la vingtaine d’accords principaux régissant
l’atmosphère, les espaces maritimes, la biodiversité ou les substances toxiques,
le niveau de ratification varie aujourd’hui de 94 États membres des Nations
unies à la quasi-universalité (presque tous les États membres des Nations unies
sont parties à l’accord), avec de fortes disparités régionales (tableau 2.16).
Tableau 2.16 – État des ratifications pour quatre accords
multilatéraux environnementaux en 2007 (en nombre de pays
ayant ratifié)
ayant ratifié)

Source : UNEP

C’est un fait : dans ce contexte général de profusion de textes sous l’égide


d’une architecture internationale de moins en moins lisible et efficace, il
convient de souligner que la gouvernance environnementale mondiale produit
des résultats contrastés.
Évalués à l’aune des deux crises écologiques majeures des dernières
décennies, le changement climatique et la destruction de la biodiversité, ils
peuvent même être considérés comme médiocres. Depuis la conférence de
Stockholm de 1972, qui marque l’entrée des États-nations dans un processus
général de coopération internationale en matière environnementale, la situation
sur ces deux fronts n’a cessé de se dégrader. Le 20e anniversaire de la
conférence de Stockholm à Rio en 1992, où furent pourtant signées les
conventions internationales sur le changement climatique et la biodiversité, n’a
pas permis d’infléchir cette tendance, bien au contraire.
Mais à l’inverse, le processus de négociation et de coopération internationale
peut parfaitement bien fonctionner : c’est le cas du protocole de Montréal
protégeant la couche d’ozone. Le protocole de Montréal, signé par 24 pays et la
CEE en septembre 1987 à la suite de la convention de Vienne (signée en 1985),
est un produit à la fois de l’intelligence scientifique et du savoir-faire
diplomatique. Intelligence scientifique, car c’est grâce aux photos satellite que
l’humanité a réalisé qu’elle était en train de détruire la couche d’ozone qui la
protège des rayons ultraviolets les plus dangereux. C’est ainsi que le débat
pourra s’engager sur une base scientifique indiscutable. Savoir-faire
diplomatique, car cet accord, décrit par Kofi Annan comme « peut-être le plus
grand succès en matière d’accords internationaux », contient tous les ressorts
d’une gouvernance environnementale efficace et juste.
Visant l’élimination de tous les gaz appauvrissant la couche d’ozone, en
particulier les gaz chlorofluorocarbures (CFC), il a progressivement été étendu à
tous les États de la planète. Il est ainsi le seul accord qui puisse se prévaloir
d’une ratification universelle (196 États) depuis l’adhésion le 16 septembre 2009
du Timor oriental. Il s’appuie également sur l’imposition de cibles
contraignantes de réduction quantitatives transparentes. Celles-ci concernent les
pays développés comme les pays en développement et tiennent compte de la
production nationale mais aussi des importations et exportations, de sorte que la
fiabilité des données rapportées par chaque État est aisément vérifiable. Le
Protocole a en outre mis en place des instruments de coopération scientifique et
des transferts financiers pour réduire les coûts d’élimination de ces gaz dans les
pays en développement. Enfin, il a introduit une certaine flexibilité dans sa mise
en œuvre, en autorisant la révision de ses objectifs selon les résultats obtenus et
l’état de la science et en confiant à un panel d’experts la capacité de décider
d’exemptions partielles pour certains pays au vu de leurs circonstances
économiques ou sociales.
Au total, 97 % des substances chimiques détruisant la couche d’ozone
contrôlées par le Protocole ont été éliminées et les scientifiques espèrent
désormais que la couche d’ozone retrouvera vers 2020 son niveau d’avant 1980.
La gouvernance environnementale mondiale n’est donc pas vouée à l’échec,
comme on le conclut trop souvent, mais elle doit être réformée en profondeur
pour parvenir à être véritablement efficace. Le problème de la fragmentation de
ses institutions est un défi redoutable, que les fondateurs du PNUE, «
programme » des Nations unies à vocation large et non agence spécialisée,
voulaient justement éviter.
L’avant-dernier grand sommet généraliste sur les questions d’environnement,
dix ans après celui de Rio, à Johannesburg (août 2002), a de ce point de vue
accouché d’un résultat paradoxal : il a d’un côté réaffirmé le rôle central du
PNUE dans la gouvernance environnementale globale, mais a en même temps
abouti à une série d’accords mal définis sur le plan juridique et assez disparates
quant aux sujets qu’ils couvrent : l’eau, l’agriculture ou les gaz à effet de serre.
La fragmentation de la gouvernance environnementale mondiale fut ainsi encore
accentuée par un sommet qui voulait justement tenter d’y remédier. Les
ministres de l’Environnement réunis à Malmö (Suède) en mai 2000 pour la
première session du premier Forum ministériel mondial pour l’environnement
avaient pourtant recommandé « une approche plus cohérente et coordonnée entre
les instruments internationaux sur l’environnement ».
La gouvernance environnementale se trouve donc prise, au plan global, dans
une contradiction : elle suppose, pour être pleinement efficace, une coopération à
géométrie variable entre les États souverains en fonction des différentes
questions environnementales concernées (eau, substances toxiques, etc.) ; mais
elle nécessite également une architecture institutionnelle intégrée pour éviter les
chevauchements, les doublons et les contradictions, et ce d’autant plus que les
interrelations entre les grands problèmes environnementaux contemporains
(climat, biodiversité, écosystèmes) sont de plus en plus fortes et apparentes. La
gouvernance environnementale globale doit donc être à la fois approfondie et
spécialisée, pour se rapprocher au plus près de l’idéal d’un gouvernement avisé
des biens collectifs mondiaux, mais aussi généraliste et intégrée, pour utiliser au
mieux des ressources financières rares et un capital humain limité.
L’année 2010 fut à cet égard paradoxale : elle a permis une remarquable
consolidation dans un domaine trop longtemps négligé – la biodiversité – et des
progrès non négligeables dans le champ du climat. Mais, du coup, la
fragmentation de la gouvernance environnementale globale, dont une réforme
cohérente est attendue depuis de nombreuses années, s’est encore accentuée.
Sur le climat d’abord, le sommet de Cancun, mené de main de maître par une
présidence mexicaine aussi prudente dans la méthode que déterminée à aboutir, a
enfin donné un contenu à la promesse de la « feuille de route » tracée à Bali en
2007 (voir encadré 2.7) et permis de rapatrier la substance de l’accord de
Copenhague (décembre 2009) dans le cadre des Nations unies. Les accords de
Cancun et de Durban (2011) sont loin d’être suffisants pour contrer les
conséquences les plus dramatiques du changement climatique, mais ils ont
assurément permis la réparation du cadre multilatéral des Nations unies, abîmé à
Copenhague et la préparation des futures négociations (voir point suivant de ce
chapitre).
Mais le succès écologique le plus retentissant est venu au terme d’une «
année de la biodiversité » entamée par un aveu d’échec collectif, lorsque le
secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique reconnaissait sans
détour le 18 janvier 2010 : « nous ne sommes pas parvenus à tenir la promesse
de réduire substantiellement le taux de perte de biodiversité. ». L’accord de
Nagoya (encadré 2.7), même s’il doit absolument être étayé par des stratégies
nationales à la hauteur des engagements mais surtout par un financement
pérenne, ouvre vraisemblablement une nouvelle ère dans la gouvernance globale
de la biodiversité. A fortiori parce qu’il a été suivi de quelques semaines par la
promesse de la création de l’IPBES (Intergovernmental Platform on Biodiversity
and Ecosystem Services, décidée le 20 décembre 2010 et définitivement créée en
avril 2012), plate-forme scientifique s’inspirant du GIEC et s’appuyant sur les
réseaux constitués pour le Millenium Ecosystems Assessment (2005) et les
rapports TEEB (Économie des écosystèmes et de la biodiversité). Cette nouvelle
institution de coopération scientifique mondiale aura pour vocation non
seulement de présenter un état complet de la biodiversité et de la vitalité des
écosystèmes de la planète mais surtout d’offrir aux responsables politiques une
palette de politiques publiques pour mieux préserver et conserver ces ressources
capitales.

Encadré 2.7 – Les accords de Cancun et Nagoya


Accord de Cancun (11 décembre 2010) sur le changement climatique
• La limite de 2 °C de réchauffement terrestre est réaffirmée, les cibles de l’accord de Copenhague pour
les pays développés et en développement sont intégrées dans le cadre onusien (convention sur les
changements climatiques) ;
• Proposition d’un système de vérification des émissions pour les pays en développement tous les deux
ans ;
• Réaffirmation de la nécessité d’une nouvelle phase d’engagement dans le cadre du protocole de Kyoto
dont la première phase expire en 2012 ;
• Réaffirmation de la nécessité d’un financement pérenne pour l’adaptation et l’atténuation dans les
pays en développement, à court terme (30 milliards de dollars d’ici en 2012) et moyen terme (100
milliards de dollars par an à compter de 2020) ;
• Création d’un Fonds vert pour l’adaptation, dont les sources de financement restent à déterminer, dans
le contexte plus large d’un « cadre de Cancun pour l’adaptation » ;
• Mécanisme institutionnel permettant des transferts de technologie entre pays riches et en
développement ;
• Plan d’action contre la déforestation ;
• L’accord de Cancun est non contraignant.
• Accord de Nagoya (30 octobre 2010) sur la biodiversité
• « Protocole d’Aïchi » sur la stratégie 2011-2020 : division par deux ou élimination de la destruction
des habitats naturels (forêts incluses), 17 % d’aires terrestres et 10 % des zones marines et côtières
protégées, « efforts spéciaux » sur les récifs coralliens, 15 % des zones dégradées doivent être
restaurées, subventions néfastes éliminées ou réduites ; absence de financement pérenne (décision
reportée) ;
• « Protocole de Nagoya », sur l’accès et le partage des avantages issus des ressources naturelles
génétiques (entré en vigueur en 2012) qui règlemente l’exploitation des ressources naturelles et limite
la bio-piraterie (consentement obligatoire des États fournisseurs, obligation de partage des bénéfices
notamment) ;
• L’accord de Nagoya est non contraignant. Il est entré en vigueur en octobre 2014. À la mi-2015, il
avait été signé par 92 pays, et ratifié par 62.

Le climat et la biodiversité seront donc organisés autour d’un même modèle :


une plate-forme scientifique chargée de produire et de diffuser un consensus à
usage des décideurs, un accord international fixant des objectifs généraux en
rapport avec ce consensus, la mise en œuvre au plan national de stratégies pour
atteindre ces objectifs. Reste dans un cas comme dans l’autre la question
lancinante du financement, qui a trouvé un début de réponse à Cancun mais dont
les options (taxation des flux financiers, de transport ou des marchés du carbone)
ne sont pas encore sérieusement discutées dans le détail.
Demeure surtout la perspective d’ensemble de la gouvernance
environnementale globale ainsi dessinée. Ces progrès, réels et appréciables,
n’ont pas réglé ses problèmes structurels : sa balkanisation, son incohérence et sa
fragilité juridique. Il est d’ailleurs trompeur d’évoquer en la matière un «
système » : il s’agit bien plutôt d’un réseau en formation.
Pour donner chair à cette réflexion institutionnelle, le PNUE a avancé en
juillet 2010 des propositions partant des ambitions que devraient se donner la
gouvernance environnementale globale pour mieux souligner l’écart avec la
réalité. En découlent certaines options privilégiées de réforme (sur les 24 options
initialement considérées, le document du PNUE n’en retient plus que 9, dont les
principales sont détaillées dans le tableau 2.17).
Tableau 2.17 – La gouvernance environnementale globale :
objectifs, problèmes et options
Options privilégiées de
Objectifs généraux Lacunes
réforme
Manque de capacité et de Créer un réseau mondial
représentation des pays en d’information multiniveaux et
développement ; nécessité plurithématiques d’expertise
d’une meilleure scientifique indépendante pour
Disposer d’une interface solide et
interopérabilité et d’une évaluer l’impact du
crédible entre la science et le politique
meilleure disponibilité des changement environnemental
données ; mauvaise sur le bien-être humain et
gouvernance de l’interface signaler en amont les crises à
entre science et politique venir
Écart criant entre promesses et
réalisations ; intégration
inadéquate entre
développement et Instituer une organisation à
Mettre en place une autorité mondiale environnement ; absence vocation universelle pour
reconnue et réactive en matière de d’institution de référence dans définir, coordonner et assurer
soutenabilité environnementale le champ dense d’institutions le suivi de l’agenda
édictant des normes en matière environnemental global
de coopération
intergouvernementale
environnementale.
Coordination inadéquate en
termes de projets et de
politiques publiques en
Établir un mécanisme
Assurer le caractère effectif, efficient matière environnementale ;
institutionnel pour assurer une
et cohérent des politiques manque d’évaluation
coopération globale entre les
environnementales dans le cadre du systématique du caractère
différents secrétariats des
système des Nations unies effectif des décisions ; absence
AME
de supervision d’ensemble des
de supervision d’ensemble des
accords multilatéraux
environnementaux (AME)
Absence d’un système de suivi
des financements ; faiblesse du
Élargir l’assiette des
lien entre accords sur les
S’appuyer sur un financement financements en permettant la
objectifs et accords sur les
suffisant, prévisible et cohérent réception de dons privés et
financements ; gouvernance
philanthropiques
d’ensemble défaillante du
système de financement
Mettre sur pied des équipes
Faiblesse du niveau de soutien chargées d’intégrer les
au regard des besoins existants problématiques de
; absence de cadre général développement et
Répondre de manière cohérente aux
intégré pour l’aide au d’environnement et/ou des
besoins d’assistance des États
développement ; gouvernance bureaux chargés de cette
d’ensemble du système mission dans les institutions
d’assistance défaillante intergouvernementales
existantes

Source : PNUE, Building on the Set of options for improving international environmental governance of the
Belgrade Process, 20 juillet 2010

8. LES ENJEUX DE LA COP 21


Pour commencer de saisir les enjeux du sommet de Paris sur le climat en
décembre 2015 (la « COP 21 », c’est-à-dire la conférence des parties, 21e du
nom), il est utile de partir du préambule de la Convention des Nations unies sur
les changements climatiques rédigée au début des années 1990. Celui-ci évoque
la notion capitale de « responsabilité commune mais différenciée » (encadré
2.8).

Encadré 2.8 – Le préambule de la Convention-cadre des Nations unies sur les


changements climatiques
Les Parties à la présente Convention,
Conscientes que les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de
préoccupation pour l’humanité tout entière,
Préoccupées par le fait que l’activité humaine a augmenté sensiblement les concentrations de gaz à
effet de serre dans l’atmosphère, que cette augmentation renforce l’effet de serre naturel et qu’il en
résultera en moyenne un réchauffement supplémentaire de la surface terrestre et de l’atmosphère, ce
dont risquent de souffrir les écosystèmes naturels et l’humanité,
Notant que la majeure partie des gaz à effet de serre émis dans le monde par le passé et à l’heure
actuelle ont leur origine dans les pays développés, que les émissions par habitant dans les pays en
développement sont encore relativement faibles et que la part des émissions totales imputable aux pays
en développement ira en augmentant pour leur permettre de satisfaire leurs besoins sociaux et leurs
besoins de développement, […].
Conscientes que le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils
coopèrent le plus possible et participent à une action internationale, efficace et appropriée, selon leurs
responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et
économique…

Source : Nations unies

Ce qui est en jeu dans les négociations menées dans le cadre des Nations
unies n’est donc pas, à la lumière de ce texte fondateur, la reconnaissance d’une
faute des uns envers les autres, mais plutôt d’une erreur collective dans notre
stratégie de développement qui a conduit au changement climatique et d’une
coresponsabilité différenciée doublée d’une solidarité commune à laquelle
chaque pays est appelé à être associé selon ses besoins et ses capacités. Il s’agit
bien aujourd’hui de se répartir de manière juste et efficace la lutte contre le
changement climatique. Car il y a urgence à agir.
Au cours de la dernière décennie, les gaz à effet de serre ont été émis à une
cadence accélérée et, en 2014, le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère
a connu la hausse la plus prononcée depuis presque trois décennies, atteignant un
niveau de 15 % supérieur à celui de 1990. Comme le souligne le dernier rapport
du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de
2014, la césure n’a jamais été aussi marquée entre une crise qui va en
s’intensifiant et des négociations internationales qui stagnent. Le constat
climatique est objectivement inquiétant : nous sommes, sans bien en mesurer
toutes les conséquences, en train d’entrer dans le monde incertain des 3 °C de
réchauffement terrestre (par rapport à l’ère préindustrielle), réchauffement qui
interviendra d’ici à la fin du XXIe siècle.
En 1997, lors de la conférence internationale de Kyoto, un premier
engagement, en principe contraignant, de réduction des émissions de GES a été
pris par les pays les plus avancés économiquement, les autres en étant dispensés
en raison de leur moindre niveau de développement et de leur faible contribution
à l’accumulation passée de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère : les
pays du premier groupe – ceux de l’OCDE et de l’ancienne Union soviétique,
représentant, pour l’année de référence (1990), environ 60 % du flux total
d’émissions de GES – s’engageaient, par ce Protocole, à réduire leurs émissions
d’au moins 5 %, par rapport au volume émis en 1990, à l’horizon 2012. Cet
objectif a été tenu, mieux les dernières données disponibles montrent une
réduction de l’ordre de 10 %.
Et pourtant, depuis 1990, les émissions mondiales ont non seulement
continué d’augmenter à un rythme soutenu dans la majorité des pays développés
(c’est l’effondrement de l’ex-URSS qui explique les bons résultats de Kyoto),
mais se sont accélérées dans les pays émergents (surtout en Chine) qui ne se sont
pas vus attribuer d’objectifs contraignants par le traité. Résultat : près de 60 %
d’augmentation des émissions depuis 1990. Le cadre d’action défini par le
Protocole de Kyoto souffre en fait quadruple problème :
• Un problème d’efficacité : les instruments aujourd’hui déployés ne nous
permettent pas de contenir la dynamique des émissions mondiales de gaz à
effet de serre. Les émissions ont explosé depuis 1990 et ont été très peu
freinées par la récession majeure de 2008-2009 (les émissions de CO2 ont
progressé de 5,8 % en 2010, alors qu’elles n’avaient que faiblement reculé
de 2008 à 2009, de 1,4 %) ; la direction actuelle des émissions est donc
diamétralement opposée à celle que nous indique la science : depuis la
Conférence de Rio (1992), le taux de croissance annuel des émissions est
passé de 1 % (1990-2000) à 3,1 % (2000-2010).
• Un problème de transparence : l’approche par les cibles quantitatives
d’émissions en volume se prête à un certain nombre de biais qui faussent
les résultats obtenus. La date de référence choisie (généralement 1990) est
ainsi problématique pour les pays de l’ex-URSS dont beaucoup ont depuis
rejoint l’Union européenne. Qui plus est, le Protocole de Kyoto ne
comptabilise que les émissions de production (émissions réalisées sur un
territoire donné) mais pas les émissions de consommation (les émissions
issues de la production d’un pays qui se trouvent incluses dans les produits
consommés par un autre pays), alors que ces dernières croissent beaucoup
plus rapidement dans les pays développés.
• Un problème d’inclusion : un accord climatique international doit
impérativement inclure tous les grands émetteurs de gaz à effet de serre, y
compris les pays émergents (la Chine est devenue le premier émetteur de
gaz à effet de serre en 2007 et émet aujourd’hui presque le quart des rejets
mondiaux).
• Un problème d’incitation : les réductions d’émissions en volume sont
perçues par les pays en développement comme une « contrainte carbone »
qui pèse de manière injuste sur leur développement économique ; en
période de crise économique, les cibles quantitatives peuvent aussi devenir
difficilement acceptables pour les pays développés.
Toute réforme qui entendrait dépasser le système actuel de négociations
climatiques internationales doit dès lors proposer des solutions à ces quatre
problèmes. Raisonner en termes de volume d’émissions pose en outre de
redoutables questions. Quelles références considérer et sur quelle base fixer des
objectifs nationaux : les émissions nationales, les émissions par tête, les flux
actuels de carbone dans le monde ou encore les responsabilités passées dans
l’accumulation du stock actuel de GES ?
À partir de quand faut-il comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre ?
La révolution industrielle, c’est-à-dire le début du XIXe siècle par exemple, date
des premières émissions de gaz à effet de serre ? Ou plutôt 1990, date à laquelle
les scientifiques ont révélé aux responsables politiques et aux industriels que les
émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine provoquaient un changement
climatique planétaire potentiellement dangereux ?
Le problème se complique encore un peu plus si à la dimension temporelle
on ajoute la dimension spatiale, c’est-à-dire les flux de carbone entre pays.
Depuis le milieu des années 1990, l’écart ne cesse en effet de se creuser entre les
émissions de consommation et les émissions de production des pays développés,
autrement dit entre les émissions qui sont issues de la production nationale des
pays riches et les émissions issues de la production des autres pays du monde,
incorporées dans les produits consommés dans les pays riches. Parce que les
industries les plus polluantes ont fui la réglementation environnementale des
pays développés, ces émissions leur reviennent aujourd’hui sous la forme de
produits manufacturés, importés principalement de Chine.
Des données récentes du Global Carbon Project permettent de prendre la
mesure de ce commerce du carbone (transfert d’émissions des pays riches vers
les pays en développement, puis retour des émissions vers les pays riches) : alors
que l’écart entre émissions de production et de consommation pour les pays
riches était de 3 % en 1990, il a grimpé à 16 % en 2010.
Pour autant, ce nouvel état de fait ne retourne pas complètement, comme on
le croit parfois, la répartition des émissions mondiales : même calculées par
rapport à la consommation et non à la production, les émissions des pays en
développement, emmenés par la Chine, ont bien dépassé celles des pays riches
(ce dépassement, qui a eu lieu en 2005 pour les émissions de production, s’est
produit en 2009 pour les émissions de consommation). De même, les pays
émergents ont une responsabilité dans ces émissions liée au défaut de leur
réglementation environnementale, défaut dont ils tirent profit pour un
développement économique souvent à courte vue. On ne peut donc pas se
représenter ce commerce du carbone comme un échange forcé et inégal.
Cette complexité explique pourquoi de plus en plus d’experts sont d’avis que
la condition essentielle du succès d’un plan climatique est l’instauration d’un
régime efficace de tarification du carbone. C’est ce que préconisent notamment
le Fonds monétaire international, l’OCDE et la Banque mondiale. Le GIEC lui-
même juge que sans l’établissement rapide d’une tarification mondiale du
carbone, il sera virtuellement impossible d’empêcher le réchauffement planétaire
de dépasser les 2ºC au-dessus du niveau préindustriel.
L’accord que les États membres de l’Union européenne ont conclu à
l’automne 2014 illustre bien les limites d’une stratégie qui ne serait fondée que
sur des cibles de réduction d’émissions, sans régime efficace de tarification du
carbone. Le « paquet climat-énergie » européen peut en effet être envisagé
comme une pyramide sans base : la cible de réduction de 40 % des émissions de
gaz à effet de serre d’ici à 2030 n’est pas soutenue par des objectifs
contraignants en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables,
eux-mêmes n’étant pas étayés par une réforme véritable de la tarification du
carbone sur le continent. Au fondement de l’accord européen, on trouve ainsi un
marché du carbone dysfonctionnel laissé à l’abandon. Résultat : des
engagements sans instruments et une cible de réduction d’émissions «
ambitieuse » mais en suspension au-dessus d’un grand flou.
De même, si l’accord bilatéral Chine-États-Unis, négocié en secret et
annoncé à la surprise générale en novembre 2014, est bienvenu, il manque aux
ambitions affichées des moyens adéquats.
Il faut que le sommet de Paris aboutisse à un résultat autrement plus
substantiel. Il ne peut être question de faire l’impasse sur les cibles nationales de
réduction d’émissions, mais celles-ci doivent impérativement s’accompagner de
moyens adéquats et coordonnés, incluant l’ébauche d’un prix mondial du
carbone. En d’autres termes, il faut viser un accord « engagements + instruments
» plutôt qu’un accord « engagements seulement ».
Le débat qui doit s’ouvrir – et qui peut s’appuyer sur de nombreuses
contributions académiques – doit porter sur le prix souhaitable du carbone au
plan mondial et l’interconnexion entre les prix existants et à venir, en
considérant autant les dimensions d’efficacité et d’équité. C’est la tenue de ce
débat qui déterminera le succès du sommet de Paris bien plus que l’affichage de
cibles de réduction d’émissions qui ne seraient garanties que par la « volonté
politique » des États.
La position récemment exprimée par les États-Unis en faveur d’un texte qui
ne serait que « politiquement » et non « juridiquement » contraignant renforce
encore l’idée que l’on ne peut décidément s’en tenir aux seuls engagements des
États. Si, dans le cas européen, la cible de réduction d’émissions demeure
contraignante (mais sans être soutenue par des instruments robustes), nous
risquons de nous retrouver fin 2015 avec un accord mondial dont les cibles elles-
mêmes seront imprécises en plus d’être incertaines (une pyramide sans base ni
sommet) et nettement insuffisantes pour nous éviter un monde de 3º C de
réchauffement ou plus.
La tenue de cette négociation sur le juste prix mondial du carbone ouvrirait
la voie, au-delà du sommet de Paris, à la construction d’une nouvelle
gouvernance climatique polycentrique, où toutes les initiatives territoriales
pourraient être valorisées. Il faudrait alors viser la convergence graduelle des
prix du carbone vers un prix unique.
On le voit bien, la négociation sur le climat n’est donc pas seulement une
décision technique sur la foi de données scientifiques mais un dialogue politique
sur des critères éthiques. Il faut que le sommet de Paris soit informé par ces
critères tant il est vrai que changement climatique et justice climatique sont
indissociables.

1. Les données et projections démographiques des Nations unies sont accessibles à l’adresse :
http://esa.un.org/wpp/Excel-Data/population.htm. Le site de l’INED (Institut national des études
démographiques) permet également d’accéder facilement aux principales informations statistiques en
provenance de la même source : http://www.ined.fr/fr/publications/.
2. Les écarts entre pays sont encore considérables : ainsi, alors que l’espérance de vie à la naissance est
passée, en France, d’un peu plus de 67 ans en 1950 à environ 82 ans en 2015, en Sierra Leone – l’un des
pays les plus pauvres du monde –, elle n’atteignait pas 29 ans en 1950, et dépasse à peine 45 ans en 2015.
3. Sur l’histoire longue de l’énergie, voir notamment Smil (2010).
4. Voir, notamment, la communication de la Commission européenne sur les perspectives énergétiques à
l’horizon 2050 (http://ec.europa.eu/energy/energy2020/roadmap/doc/com_2011_8852_fr.pdf).
5. Cet indicateur est demeuré à peu près stable entre 2005 et 2007, selon les données publiées par le WWF à
l’automne 2010. Mais un élargissement de l’échantillon suivi fait apparaître une chute importante depuis
(WWF, 2014).
6. Voir les données sur le site : http://www.iucnredlist.org/
7. Le suivi des données est assuré et elles sont disponibles sur le site : http://www.landmatrix.org/en/
8. Selon le ministère de l’Écologie, les espaces artificialisés recouvrent les zones urbanisées (tissu urbain
continu ou discontinu), les zones industrielles et commerciales, les réseaux de transport, les mines,
carrières, décharges et chantiers, ainsi que les espaces verts artificialisés (espaces verts urbains,
équipements sportifs et de loisirs), par opposition aux espaces agricoles, aux forêts ou milieux naturels,
zones humides ou surfaces en eau.
9. Les données utilisées ici et bien d’autres sont disponibles sur le site de la FAO :
http://www.fao.org/economic/ess/ess-publications/ess-yearbook/yearbook2013/en/
10. Selon le BIT, « le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail – leurs aspirations à
accéder à un emploi et à une juste rémunération, à jouir de droits, de moyens d’’expression et de
reconnaissance, de justice et d’égalité entre les sexes. »
11. Le rapport précise : « On trouve des emplois verts dans un grand nombre de secteurs de l’économie,
depuis l’approvisionnement énergétique jusqu’au recyclage et depuis l’agriculture jusqu’à la construction et
les transports. Ils contribuent à diminuer la consommation d’énergie, de matières premières et d’eau grâce à
des stratégies d’amélioration du rendement, à réduire les émissions de carbone dans l’économie, à
minimiser ou à éviter totalement toutes les formes de déchets et de pollution et à protéger et restaurer les
écosystèmes et la biodiversité. »
PARTIE 2
ÉCONOMIE ÉCOLOGIQUE
CHAPITRE 3
ANALYSES ET POLITIQUES
1. ANALYSES
2. POLITIQUES

Face au défi de la soutenabilité, l’enjeu n’est plus de mesurer les dommages


écologiques de l’activité économique ni d’imaginer des moyens efficaces
pour y remédier, mais d’analyser si le système économique lui-même passera
l’épreuve du temps, compte tenu des modalités actuelles de production et de
consommation. Dans cette seconde partie, c’est la question du développement
soutenable qui est au cœur de l’analyse : l’économie écologique est l’étude de
l’interaction entre systèmes naturels et systèmes humains.

1. ANALYSES

1.1. ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ET SOUTENABILITÉ


Consommons-nous trop ?1 C’est, en quelques mots simples, la question qui
sous-tend l’analyse de la soutenabilité, et une bonne part de la problématique du
« développement durable » ou « développement soutenable ». Mais trop par
rapport à quoi ? L’analyse économique standard suppose, en général, que les
aspirations et désirs humains sont insatiables, que le « toujours plus » est une
tendance intrinsèque de la nature humaine, dont il découle que les individus sont,
en permanence, en situation de devoir choisir et arbitrer, soumis qu’ils sont à la
rareté des ressources dont ils peuvent disposer. Dès lors, accéder à de nouvelles
ressources, exploiter de nouveaux gisements, défricher des terres vierges, tout
cela doit permettre de relâcher la contrainte qui pèse sur les choix individuels et
collectifs. Mais on conçoit aisément qu’avec une population mondiale sans cesse
plus nombreuse et dont les aspirations à la consommation s’élèvent avec l’accès
à des modes de vie inspirés de ceux qui se sont répandus en Occident depuis la
révolution industrielle, la pression qui s’exerce sur les ressources et sur
l’environnement naturel de la planète s’intensifie.

1.1.1. LA NOTION DE DÉVELOPPEMENT DURABLE OU


SOUTENABLE
Obsession des économistes classiques, la question de la soutenabilité du
développement économique a disparu des préoccupations pendant plus d’un
siècle. Au début du XIXe siècle, dans une économie encore dominée par le
secteur agricole et l’exploitation des ressources naturelles, les rendements
décroissants semblaient imposer leur loi d’airain et mener inéluctablement vers
l’état stationnaire. Avec l’avènement de l’analyse marginaliste – Jevons,
Menger, Walras –, et l’accent mis, dans l’analyse de la croissance économique,
sur l’accumulation du capital productif, les possibilités d’accroissement de la
production grâce à la croissance extensive – par augmentation de la population –
et intensive – par augmentation de l’intensité capitalistique de la production
(stock de capital par tête) – apparaissaient sans borne. À la fin du XIXe siècle, les
découvertes de nouvelles sources d’énergie venant s’ajouter aux réserves de
charbon, encore abondantes alors en Europe, donnaient le sentiment prométhéen
d’une croissance économique illimitée : l’électricité – hydroélectrique au départ
– et le pétrole semblaient repousser indéfiniment les risques de pénurie que
Jevons (1865) avait, un temps, redoutés. De nouvelles technologies – le moteur à
explosion, notamment – et de nouveaux métaux – l’aluminium – allaient bientôt
permettre l’essor de nouvelles industries.
Les premières réflexions modernes sur la soutenabilité du modèle de
développement économique dominant depuis la révolution industrielle et en
passe de généralisation à l’ensemble de la planète sont apparues au début des
années 1970, alors qu’après des décennies de bas prix des matières premières,
notamment énergétiques, des tensions se manifestent sur les marchés mondiaux
– et, un peu plus tard, le premier choc pétrolier engendrera un quadruplement du
prix du pétrole. Le rapport du Club de Rome (dit « rapport Meadows », 1972)
s’alarme alors des « limites à la croissance » qui naissent de la finitude des
ressources naturelles et des atteintes de plus en grave à l’environnement. Ce
n’est toutefois qu’en 1987 – au moment, d’ailleurs, où le prix mondial du pétrole
s’effondre – qu’un autre rapport, émanant cette fois d’un groupe d’experts
auprès des Nations unies, le rapport Brundtland (1987), avance la notion de
développement durable – ou soutenable – et en donne une définition qui fait
aujourd’hui autorité. En 1992, le Sommet de la Terre, réuni par les Nations unies
à Rio, au Brésil, s’appuiera sur ce rapport pour définir les objectifs d’une
nouvelle croissance, encore bien utopique à l’heure du Sommet Rio +20 (juin
2012).

1.1.2. L’APPROCHE ÉCONOMIQUE DE LA SOUTENABILITÉ


La définition du développement soutenable donnée par le rapport Brundtland
est désormais largement acceptée : « le développement durable est un mode de
développement qui répond aux besoins des générations présentes sans
compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Par
opposition à l’analyse économique standard, elle met l’accent sur les besoins,
qu’il convient de comprendre comme se référant aux « besoins vitaux »,
notamment ceux des plus démunis, et non sur les aspirations, par essence moins
aisément définissables et moins prévisibles et vraisemblablement insatiables. La
référence est ici davantage aux « biens premiers » que John Rawls (1971) place
au cœur de son analyse de la justice, ou aux « capacités », sur la répartition
desquelles Amartya Sen fonde son « idée de justice » (2010). La notion pose
ainsi à l’analyse économique plusieurs défis redoutables, auxquels les
économistes ne peuvent apporter que des réponses partielles, et inabouties.
Dans la tradition utilitariste qui inspire les analyses économiques dérivées du
marginalisme, c’est en termes de bien-être, plutôt que de « besoins », que les
économistes tendent à formuler leurs analyses. Or les arguments de la fonction
de bien-être – ou utilité – individuelle sont habituellement le loisir – temps
disponible pour soi, étymologiquement proche de l’oisiveté, qui ne consomme
aucune ressource autre que le temps que lui laisse la nécessité de produire, afin
d’engendrer un revenu – et la consommation – précisément celle des biens que le
revenu permet d’acquérir, et dont la production nécessite l’emploi de facteurs de
production et de ressources naturelles D’où la reformulation du problème
proposée par les économistes dans la question liminaire de cette section.
L’insoutenabilité peut donc être reformulée comme découlant d’une
consommation courante excessive ; mais par rapport à quoi ? Dans la mesure où
l’on met l’accent sur les « besoins » ou le « bien-être » des générations futures,
la norme doit découler d’une réflexion prospective ; elle a donc la nature d’une
projection, reposant sur des anticipations. Deux grandes familles de réponses
doivent être distinguées : celles qui, dans la lignée des réflexions d’inspiration
plutôt « écologiste », adoptent un critère fondé sur les « limites » physiques et
biologiques de la planète et de l’environnement naturel qui la caractérise ; et
celles qui, dans la tradition de l’analyse économique marginaliste, élaborent un
critère fondé sur les possibilités de consommation futures.
Comme souvent, la démarche consiste à fonder l’analyse, de manière
analogique, sur les questions de choix individuels. Le raisonnement s’appuie
alors sur la définition du revenu individuel donnée par John Hicks (1939) : c’est
le montant maximum qui peut être alloué à la consommation courante sans
entamer la richesse, ou le patrimoine, de l’individu, qui constitue dès lors une
mesure de ses possibilités de consommation futures. Transposée à l’échelle
d’une population, cette définition de la consommation soutenable implique donc
d’adopter, pour l’analyse économique de la soutenabilité, une approche
patrimoniale, et de s’intéresser au stock de richesse qui permet à cette population
de consommer, qu’elle est susceptible d’amputer en consommant « trop », ou de
léguer aux générations futures qui pourront ainsi, grâce à elle, satisfaire leurs
besoins.
C’est à Robert Solow (1993)2, qui avait été, dans les années 1950, à l’origine
de l’analyse moderne de la croissance économique fondée sur une représentation
en termes de fonction de production combinant différents facteurs – capital et
travail, dans les modèles de croissance habituels –, que l’on doit l’application de
cette intuition à l’analyse de la soutenabilité économique : puisque la fonction de
production décrit la manière dont les quantités de facteurs sont combinées, en
mobilisant les technologies disponibles, pour produire une certaine quantité de
biens, il convient, pour définir le critère – ou la frontière – des possibilités de
consommation futures, d’évaluer un stock de richesse suffisamment inclusif pour
tenir compte de tous les ingrédients nécessaires, au-delà donc du seul capital
productif produit qui figure habituellement dans la fonction de production.
La « richesse » doit donc être appréhendée dans le sens le plus large, de
manière à y inclure l’ensemble des composantes du « capital » qui contribuent à
la production du bien-être des générations présentes, et peuvent être transférées
dans le futur, et léguées aux générations futures, leur permettant d’atteindre, à
leur tour, un bien-être au moins équivalent à celui dont profitent les générations
actuelles. Une consommation est « excessive » si elle ampute ce stock de
richesse.
Quelles sont ces composantes de la richesse qui contribuent à la production
du bien-être ? L’analyse moderne de la croissance – dite « croissance endogène
» –, qui met l’accent sur les contributions d’un ensemble de facteurs
accumulables – capital humain et connaissances, infrastructures publiques,
institutions – permet d’en préciser la liste. On en distingue habituellement quatre
: le capital productif produit – celui que les économistes ont toujours inclus dans
la fonction de production –, le capital humain – représentation sous forme de
stock du facteur travail également présent dans la fonction de production
traditionnelle –, le capital naturel – mesure économique de l’ensemble des
dimensions de l’environnement susceptibles d’être mobilisées dans la production
ou de rendre des « services » environnementaux ou écosystémiques – et le
capital social et institutionnel – dans lequel il convient d’inclure l’ensemble des
institutions qui concourent au bon fonctionnement de l’économie et à sa bonne
gouvernance, ainsi qu’une évaluation, plus problématique sans doute, du capital
social.
Cette approche patrimoniale de la soutenabilité, fondée sur une évaluation de
la richesse au sens large, permet de définir un critère, en principe simple – mais
en pratique difficilement quantifiables (cf. Indicateurs de soutenabilité) –, de
soutenabilité : si le flux correspondant à la variation de cette richesse au sens
large au cours de la période considérée – appelé « épargne nette ajustée » – est
négatif, alors ce stock a été amputé et la croissance n’est pas soutenable ; dans le
cas contraire, elle l’est.

1.1.3. SOUTENABILITÉ FAIBLE OU FORTE


Le choix du critère de soutenabilité apparaît ainsi comme un élément crucial
de la distinction entre deux grandes familles d’analyses de la soutenabilité :
celles qui mettent en exergue la finitude des ressources naturelles, qui
constituent une limite donnée et intangible aux possibilités de développement
humain ; et celles qui, privilégiant un critère lui-même dépendant des activités
humaines, donnent de la soutenabilité une vision plus évolutive, mais également
plus maîtrisable par l’homme. Cette distinction recoupe, au moins en partie, celle
faite habituellement entre « soutenabilité forte » et « soutenabilité faible ». Deux
postulats essentiels les distinguent : alors que la première considère que la norme
de soutenabilité n’est pas manipulable – c’est-à-dire qu’elle ne dépend pas des
comportements humains, qui ne peuvent que se restreindre dans les usages qu’ils
en font, mais pas accumuler pour desserrer la contrainte –, la seconde ouvre la
possibilité d’accumuler des facteurs susceptibles de produire du bien-être pour
les générations futures qui en hériteront ; et, corollaire du premier postulat, la
seconde fait l’hypothèse d’une substituabilité entre les différentes composantes
de la richesse au sens large, tandis que la première l’exclut en se focalisant
exclusivement sur les limites physiques imposées par les ressources naturelles.
Ainsi, dans l’analyse économique de la soutenabilité, l’avenir ne dépend pas
seulement du rythme d’épuisement, presque inéluctable, des ressources
naturelles, donc de la « sobriété » humaine, mais aussi des capacités de
prévoyance de l’homme et l’ingéniosité avec laquelle il répond aux défis que lui
pose la rareté, en accumulant différentes formes de capital et en innovant afin de
mieux tirer parti des ressources dont il dispose en combinant de manière plus
efficace les stocks de capital accumulés (encadré 3.1).
S’agissant, dans les deux cas, d’analyses prospectives, il convient de faire
des hypothèses sur les évolutions futures. Dans le cas de la « soutenabilité forte
», on suppose que les ressources naturelles et les services qu’elles rendent sont
connus, ce qui exclut la possibilité de nouvelles découvertes, susceptibles d’en
repousser les frontières. Dans le cas de la « soutenabilité faible », la mise en
œuvre du critère de soutenabilité impose également de faire des hypothèses sur
les évolutions futures, notamment des technologies, ce qui rend leur
opérationnalisation problématique.

Encadré 3.1 – La « règle de Hartwick »


S’inscrivant clairement dans une perspective de développement soutenable et s’inspirant des travaux de
Hotelling sur l’exploitation des ressources épuisables, John M. Hartwick a été l’un des pionniers de la
notion de « richesse véritable » ou « richesse au sens large » (cf. ci-après). Cherchant à établir un mode
de gestion optimale des ressources naturelles épuisables, de manière à ne pas léser les générations
futures, qui hériteront d’un stock amoindri de la ressource, il s’appuie sur une fonction de production
de type Cobb-Douglas pour démontrer que les recettes de l’exploitation de la ressource doivent être
intégralement réinvesties dans la formation de capital productif, de manière à maintenir intacte la
capacité totale de production léguée aux générations futures.
Cette « règle de Hartwick » a inspiré la création des « fonds souverains » que les pays producteurs de
matières premières, notamment d’énergies fossiles, alimentent avec les recettes de leur exploitation, et
qu’ils investissent, soit en projets d’investissements destinés à prendre le relais des ressources
épuisables – comme c’est notamment le cas à Abou Dhabi avec les grands projets de production
d’énergies renouvelables ou de diversification de l’économie, avec le développement de secteurs autres
que la production d’énergie –, soit en obligations ou actions, investissant alors dans le capital
d’entreprises existantes. L’exemple de la Norvège, grand exportateur d’énergies fossiles, illustre cette
stratégie de long terme, avec un flux important d’investissements directs étrangers.

1.1.4. LES DIMENSIONS DE LA SOUTENABILITÉ


Si l’élaboration de critères de soutenabilité se heurte à des difficultés liées à
l’évaluation et à l’incertitude, la définition canonique de la soutenabilité donnée
dans le rapport Brundtland pose à l’analyse économique d’autres conditions
difficilement conciliables avec le cadre analytique retenu. D’une part parce que
la notion de « besoins », reformulée dans les analyses économiques en termes de
« bien-être » suppose de faire des hypothèses sur ce qui importera pour les
générations futures. Selon un principe « universaliste » et conformément aux
postulats habituels de l’analyse économique – généralement fondée sur
l’hypothèse de préférences et de technologies données et invariantes –, les
besoins et aspirations des générations futures sont donc supposés semblables à
ceux des générations présentes, comme on le fait habituellement dans les
modèles de croissance, avec un agent représentatif dont l’horizon est infini ou
des générations imbriquées dont les préférences sont identiques, ce que rien,
dans l’histoire, ne permet réellement de conforter.
D’autre part, la notion de soutenabilité mise en exergue dans le rapport
Brundtland est déclinée selon trois grandes dimensions : économique, sociale et
environnementale. Or l’analyse économique de la soutenabilité met l’accent sur
la première, en adoptant une démarche fondée sur l’agent représentatif, qui
évacue les problèmes de répartition et d’inégalités.

Encadré 3.2 – Une évaluation optimiste de la soutenabilité des grandes


Encadré 3.2 – Une évaluation optimiste de la soutenabilité des grandes
économies
Dans une série de travaux récents, une équipe d’économistes de l’université de Stanford (Arrow et alii,
2010) cherche à évaluer la soutenabilité du processus de développement économique très soutenu que
connaissent, depuis plus de deux décennies, plusieurs grands pays émergents, dont la Chine, l’Inde et le
Brésil. Pour ce faire, ils mobilisent un indicateur directement inspiré de celui de la Banque mondiale :
la richesse au sens large, et le flux qui lui est associé, l’épargne nette ajustée. Leur verdict est étonnant :
le développement économique de ces grandes économies émergentes semble parfaitement soutenable,
en dépit de l’impression qu’elles donnent, en raison notamment de leurs besoins apparemment
insatiables en ressources naturelles et des flux de pollution considérables qu’elles engendrent – la
Chine étant ainsi devenue, depuis 2007, le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre.
Comment comprendre cette conclusion contre-intuitive ? Elle provient, en réalité, des hypothèses de
valorisation des différentes composantes de la « richesse » au sens large de ces économies, donc des
prix relatifs des différents types de capital dont elles disposent. Le problème vient principalement d’une
relative sous-évaluation du capital naturel, contrepartie d’une valorisation importante du capital humain
: la population de ces économies étant nombreuse et rapidement croissante, leur accumulation de
capital humain est telle qu’elle fait plus compenser leur consommation « excessive » de ressources
naturelles et les dégradations environnementales qu’elles engendrent ; la « qualité » de capital humain
s’améliore en outre considérablement, du fait de l’augmentation du niveau moyen d’éducation de ces
populations et de l’amélioration de leur état de santé, dont les auteurs montrent qu’il joue un rôle
important dans la valorisation du capital humain.
La fragilité des évaluations du capital humain et la sensibilité des conclusions des analyses
économiques de la soutenabilité aux hypothèses sur ce point, également mises en exergue dans un
article récent (Antonin, Melonio et Timbeau, 2011), avec les incertitudes qui entourent la portée de
l’hypothèse de substituabilité entre les différents stocks de capital et les hypothèses de valorisation du
capital naturel, incitent à la prudence dans l’interprétation. Les conclusions ne sont assurément pas
robustes, et guère généralisables : puisque la population mondiale croît, que son niveau moyen de santé
et d’éducation s’améliore, la soutenabilité serait assurée !

1.2. LA NOTION DE CAPITAL NATUREL


La « nature » a été, pendant des millénaires, la seule source de nourriture et
autres biens de consommation pour l’homme, qui n’a que très tardivement
commencé d’en maîtriser la production, avec le développement de l’agriculture
– et plus récemment de l’aquaculture. Dans une économie de cueillette pure,
telle qu’elle a pu exister au cours de ces millénaires, et bien au-delà dans de
nombreuses régions du monde, la production par unité de temps peut être
considérée, du point de vue de l’analyse économique, comme le « rendement »
d’un stock de capital, le capital naturel. Les travaux de premiers économistes «
modernes », qu’il s’agisse des physiocrates du XVIIIe siècle ou des classiques de
la fin de ce même siècle et du début du suivant, ont mis l’accent sur le rôle
central de ce capital naturel – la « terre » – dans la production des économies de
cette époque, encore très largement agricoles : dans ces analyses, c’est le
rendement de ce « capital naturel » qui conditionne le développement
économique.
Par la suite, avec la montée en puissance de l’industrie, puis des services, la
production apparaissait avant tout comme le résultat de la combinaison de
capital productif produit et de travail, et ne semblait plus dépendre du capital
naturel que de manière tout à fait mineure : dans l’analyse que fait Karl Marx du
fonctionnement des économies capitalistes, c’est la propriété du capital productif
produit qui permet de s’approprier la plus-value que le travail engendre ; et dans
la comptabilité nationale, élaborée à partir des années 1930, comme dans la
représentation analytique du processus de production qui s’impose à la même
période – la fonction de production, dont l’économiste Paul Douglas et le
mathématicien Charles Cobb proposent à cette époque la première expression
formelle –, capital productif et travail sont les deux facteurs de production, dont
la mise en œuvre, grâce à des technologies, permet de produire une valeur
ajoutée, source des revenus primaires que se partagent les détenteurs de ces deux
facteurs. Les ressources naturelles n’apparaissent dans cette formalisation que
par l’entremise des consommations intermédiaires de matière premières, dont le
coût – y compris une éventuelle rente de rareté perçue par les propriétaires des
capitaux naturels – concourt à la formation des coûts de production, mais ne sont
pas inclus dans la valeur ajoutée, pas plus donc que dans le revenu primaire.
Plus récemment, certains historiens de l’économie – notamment Kenneth
Pomeranz (2001) – ont mis en exergue l’influence décisive qu’a eue la rareté de
certains biens issus de ce capital naturel – en l’occurrence le bois, dans
l’Angleterre du XVIIIe siècle – dans la diffusion rapide de la nouvelle source
d’énergie – le charbon – emblématique de la première révolution industrielle.
Toutes ces analyses ont, cependant, en commun, de ne prendre en compte
que la partie marchande de ce qui est issu du capital naturel – les productions
agricoles et sylvicoles –, qui n’apparaît dans le raisonnement que sous forme de
« terre », au sens de la superficie émergée et exploitable de la planète.
L’exploitation des ressources halieutiques et géologiques des océans qui s’est
accélérée au cours des dernières décennies incite à élargir la notion de capital
naturel à l’ensemble du globe. De même, le recours croissant à des minéraux et
énergies fossiles impose d’y inclure le sous-sol. Et la mise en évidence des
nombreux services écosystémiques, non marchands, que fournit l’environnement
naturel conduit logiquement à une définition encore plus extensive, qui pose,
bien sûr, des problèmes d’évaluation plus complexes, mais permet de mieux
identifier les enjeux et les difficultés de la régulation de l’environnement naturel.
Le capital naturel apparaît ainsi comme une composante essentielle de la «
richesse au sens large » dont l’évolution dans le temps détermine la soutenabilité
du processus de développement économique et humain. C’est un élément de la
richesse particulièrement important pour les pays les plus pauvres.
Tableau 3.1 – La richesse des nations en 2005

Source : Banque mondiale, The Changing Wealth of Nations, 2011

1.3. BIENS MARCHANDS ET SERVICES


ÉCOSYSTÉMIQUES
L’analyse économique indique clairement la démarche qu’il convient de
suivre pour évaluer un stock de capital : sa valeur est égale à la somme
actualisée des valeurs de flux futurs de revenu, au sens de Hicks, qu’il est
susceptible d’engendrer. C’est donc sur la valorisation de ces flux qu’il convient
de focaliser l’analyse3. Concernant les flux de biens marchands issus de
l’exploitation des différentes composantes du capital naturel, deux difficultés
principales doivent être surmontées : le caractère prospectif de l’évaluation qui
suppose de former une anticipation sur les flux futurs ; et la question du prix
retenu dans l’évaluation de ces flux.
La première de ces difficultés provient de l’incertitude qui entoure les stocks
disponibles des ressources naturelles et les usages futurs possibles de ces
ressources : les connaissances et les technologies évoluent, pour une part en
réponse aux incitations économiques qui modifient les rentabilités relatives. Face
à cette incertitude, l’évaluateur n’a le choix qu’entre deux démarches : soit celle
fondée sur l’existant et le connu, tant du côté des « réserves prouvées » que des
technologies disponibles pour les exploiter ; soit l’élaboration de scénarios
prospectifs, dont il est malaisé de déterminer la probabilité.
La seconde difficulté a trait au choix des prix. Pratique habituelle de la
comptabilité nationale traditionnelle, le recours aux prix de marché soulève, dans
le contexte de la valorisation des flux futurs de biens issus des ressources
naturelles, deux objections majeures. En premier lieu, les prix courants
connaissent, pour la plupart des matières premières et des denrées agricoles, des
fluctuations considérables. La seconde objection est directement déduite de la «
règle d’Hotelling » (cf. première partie) : la rareté croissante de la plupart de ces
ressources doit se traduire par des prix futurs croissants, quelles que puissent être
les fluctuations observées sur les prix. Mais imputer des prix autres que ceux de
marché impose de recourir à une modélisation des évolutions futures de l’offre et
de la demande de ces produits, qui renvoie à l’incertitude évoquée plus haut.
Concernant les services écosystémiques, l’évaluation des flux pose des
problèmes encore plus redoutables, dans la mesure où l’incertitude qui entoure
leur nature exacte et leur ampleur est plus grande encore que dans le cas des
biens marchands, et où, en l’absence d’offre et de demande marchande –
puisqu’ils sont, pour la plupart, non appropriables –, la valorisation doit reposer
sur d’autres protocoles.

1.3.1. LES SERVICES ENVIRONNEMENTAUX ET LEUR


ÉVALUATION
Le prix Nobel de médecine 2011 a été décerné à trois biologistes dont les
travaux, qui portaient notamment sur la mouche drosophile – ou mouche du
vinaigre, petit insecte apparemment sans utilité –, ont permis d’élucider certains
des mécanismes du système immunitaire inné et acquis, avec des applications
potentielles considérables chez l’homme, en matière de vaccins, de traitement
des cancers, etc. Il s’agit là d’une illustration parmi d’autres de l’étendue des
services, souvent inattendus, que sont susceptibles de rendre l’environnement et
le milieu naturel. La nature des services environnementaux est, en pratique,
difficile à définir, et plus encore à délimiter de manière exhaustive, en raison,
notamment, des limites de la connaissance : notre savoir sur le monde qui nous
entoure est limité, en progression certes, grâce à la recherche scientifique, mais
très incomplet.
Pour l’analyse économique, tout ce qui a une influence, avérée ou même
potentielle, sur le bien-être des individus doit être considéré comme un bien.
Pragmatique, l’économiste s’attache à l’analyse des services environnementaux
qui sont susceptibles d’être évalués, soit parce qu’ils font l’objet de transactions
marchandes, soit parce qu’ils ont une incidence sur les coûts de production des
biens et services, marchands ou non marchands, qui sont comptabilisés par
ailleurs, soit encore parce qu’ils constituent, pour les individus, des aménités ou
des nuisances. Les services des ressources naturelles sont ainsi relativement
aisément évaluables, du moins si l’on s’en tient à leur valeur marchande ; pour
les services des milieux naturels ou de la biodiversité, il convient de prendre en
compte, d’une part, leurs effets sur la santé des individus et sur les processus
productifs, d’autre part, les aménités ou les nuisances qu’ils procurent à ceux qui
les fréquentent, avec toutes les difficultés que soulève l’évaluation de ces
dimensions du service environnemental (encadré 3.5).

1.3.2. RÉGIMES DE PROPRIÉTÉ DU CAPITAL NATUREL


La question de la propriété des ressources naturelles est aussi ancienne que
l’histoire de l’humanité et les économistes y ont longtemps apporté une réponse
univoque et dépourvue d’ambigüité, qui semble confortée par l’histoire du
développement économique et du « miracle » de l’expansion occidentale depuis
le XVIIIe siècle : la définition de droits de propriété privée sur les ressources
naturelles – en premier lieu sur les terres agricoles – est, assurément, le meilleur
dispositif institutionnel dès lors qu’il s’agit d’inciter à la gestion la plus efficace
de capital. Nombre de travaux d’histoire économique soulignent le lien entre la
propriété privée des terres agricoles – et leur clôture – et la « première révolution
agricole » qui, à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe a permis, d’abord en
Angleterre puis dans les pays d’Europe continentale occidentale, une
exploitation plus raisonnée des sols et une augmentation considérable des
rendements agricoles4. Les analyses en termes de « tragédie des communs »
confortent cette conclusion, en soulignant les ressources naturelles sur lesquelles
des droits de propriété privée n’ont pas été définis – par exemple les océans et
leurs ressources halieutiques – sont des « biens communs », non exclusifs mais
rivaux, susceptibles, faute d’un système d’incitations adéquats, de subir une
surexploitation, ce que conforte l’observation des évolutions récentes des
ressources halieutiques. On serait tenté de conclure qu’il suffit d’étendre les
institutions de propriété privée – éventuellement confiés aux États – à ces
domaines pour que les difficultés disparaissent5.
Pourtant, la présence simultanée de produits marchands et de services
écosystémiques non marchands dans le « rendement » de toutes les composantes
du capital naturel oblige à nuancer les préconisations de l’analyse économique.
Ces services écosystémiques étant essentiellement non marchands, ils sont à
l’origine d’externalités, donc d’un écart entre coût privé et coût social qui remet
en cause l’optimalité de la propriété privée, à moins de la compléter par des
contraintes publiques – soit au moyen d’interdictions, comme au sein des
espaces naturels protégés tels que les parcs nationaux, soit sous forme de
subventions ou aides accompagnées d’une « éco-conditionnalité », comme c’est
le cas dans la Politique agricole commune pour certaines pratiques culturales. En
outre, si certaines de ces externalités sont locales, d’autres – telles que les
émissions ou, au contraire, l’absorption de GES – ont une dimension globale
Dès lors, les arrangements institutionnels susceptibles de produire des usages
socialement souhaitables des différentes composantes du capital naturel ne
sauraient être uniformes, et leurs propriétés doivent, comme l’indiquent les
travaux d’Elinor Ostrom, faire l’objet d’analyses spécifiques.

1.3.3. USAGES CONCURRENTS, SUBSTITUABILITÉS ET


ARBITRAGES AU SEIN DU CAPITAL NATUREL
À supposer que l’on parvienne à attribuer aux différents éléments du capital
naturel une valeur monétaire, le problème d’agrégation ne s’en trouverait qu’en
partie résolu. On retrouve, en effet, dans ce domaine, des difficultés d’une nature
comparable à celles qui ont alimenté, dans les années 1940 et 1950, les
controverses cambridgiennes sur la mesure du capital productif produit : est-il
légitime de regrouper au sein d’une mesure unique – ou indicateur agrégé – des
éléments disparates, dont on ne peut assurer qu’ils sont substituables entre eux ?
Quel sens peut avoir un tel agrégat ?
Substituabilité et complémentarité sont en effet inextricablement imbriquées
parmi les composantes du capital naturel, notamment en raison de coexistence de
services écosystémiques et de productions marchandes. Les activités agricoles en
offrent une illustration : alors que certaines pratiques culturales ont un fort
impact négatif sur la biodiversité, d’autres permettent de mieux la préserver ;
certains organismes génétiquement modifiés (OGM) dispensent d’utiliser
certains pesticides ou, au contraire, permettent de mettre en place des cultures
sans recourir au labour – ce qui limite l’emploi de carburants dans l’agriculture,
donc les émissions de GES –, mais leur usage engendre des résistance à certaines
substances, etc.6 Dans un tout autre domaine, celui de la production d’énergie,
notamment renouvelable, la mise en œuvre des techniques exige souvent
d’accepter des sacrifices dans d’autres dimensions du capital naturel : la
production d’énergie nucléaire est peu émettrice de GES, mais elle engendre des
déchets dont la durée de vie et la dangerosité pour l’environnement sont
problématiques, des risques dont l’évaluation est difficile, et des dégradations de
divers éléments du capital naturel ; dans le même ordre d’idée, la construction
d’un barrage hydroélectrique modifie profondément les écosystèmes en amont et
en aval, nuisant ainsi à la biodiversité.
Outre les problèmes de mesure qu’ils soulèvent – et que les économistes ne
peuvent espérer résoudre de manière satisfaisante qu’en coopérant avec les
autres disciplines scientifiques, notamment la biologie et la géologie –, ces
exemples illustrent la nécessité qu’il y a à faire des choix, le plus souvent
politiques, entre usages concurrents des éléments qui constituent le capital
naturel. Ces arbitrages ne peuvent être opérés sans recourir à un calcul coût-
bénéfice, même si les méthodes d’évaluation ne permettent pas toujours des
conclusions tranchées, et si l’incertitude doit être explicitement introduite.

1.4. SYSTÈMES NATURELS ET SYSTÈMES HUMAINS


L’économie écologique se concentre sur l’étude conjointe des systèmes
naturels et des systèmes humains pour dépasser à la fois l’économie de
l’environnement, réduite à l’application du modèle néo-classique standard aux
enjeux écologiques, et l’écologie, entendue de manière restrictive comme
science du seul monde naturel.
L’exemple du changement climatique permet de comprendre immédiatement
que les crises écologiques contemporaines, dès lors qu’elles résultent des
activités humaines, ne peuvent se comprendre sans mettre en relation systèmes
humains et systèmes naturels.
Figure 3.1 – Le changement climatique, entre systèmes naturels et
humains

Source : adapté de GIEC, 2007.


Toute la difficulté consiste à penser ces questions de manière intégrée, non
pas en juxtaposant sciences de la nature (physiques et naturelles) et sciences
sociales, mais en les entremêlant, en les combinant, en les articulant. Les notions
d’interdépendance et d’effet de rétroaction se trouvent donc au centre de
l’analyse, car bien plus qu’une cohabitation, il y a une véritable synergie entre
systèmes humains et naturels. Ce processus est dynamique, puisque de part et
d’autre les systèmes évoluent et même coévoluent, c’est-à-dire évoluent
ensemble de manière dynamique. L’idée est donc d’étudier, au niveau macro ou
micro, de quelle manière les systèmes humains influencent les systèmes non
humains dont la dynamique aura en retour un impact sur les premiers7.
Dans son acception la plus large, la théorie de la coévolution postule que les
écosystèmes reflètent les caractéristiques des systèmes sociaux (état des
connaissances et des techniques, valeurs, organisation sociale) et que les
systèmes sociaux reflètent en retour les caractéristiques des systèmes naturels
(espèces, productivité, différenciation temporelle et spatiale, résilience)8.
Une hypothèse essentielle de l’économie écologique est donc cette notion de
co-dépendance, biologique et dynamique, entre systèmes humains et systèmes
naturels. On parle alors de « système socio-écologique », de « système social-
écologique » ou encore de « système couplé homme-environnement »9.
Le rapport Chevassus-au-Louis (2009) suggère ainsi de raisonner en termes
de « socio-écosystèmes » pour appréhender la question de la biodiversité. La
difficulté d’étude de ces systèmes tient à leur complexité et à leur caractère
dynamique : les systèmes humains évoluent en s’adaptant aux systèmes naturels
qui eux-mêmes réagissent au développement humain.
De ce cadre d’analyse des systèmes social-écologiques10 résultent plusieurs
concepts clés, et notamment ceux de vulnérabilité et de résilience.
Dans le contexte de l’étude du changement climatique, le GIEC propose de
définir la « vulnérabilité » de la manière suivante : le « degré par lequel un
système risque de subir ou d’être affecté négativement par les effets néfastes des
changements climatiques, y compris la variabilité climatique et les phénomènes
extrêmes. La vulnérabilité dépend du caractère, de l’ampleur et du rythme des
changements climatiques auxquels un système est exposé, ainsi que de sa
sensibilité et de sa capacité d’adaptation ».
Le PNUE, dans son quatrième rapport sur l’avenir de l’environnement
mondial L’environnement pour le développement publié en 2007, élargit cette
approche aux groupes humains : « une caractéristique intrinsèque de la
vulnérabilité est le risque qui pèse sur les personnes et/ou les écosystèmes. Ce
risque peut être dû à la sécheresse, aux inondations, à la variabilité et aux
changements climatiques, aux conflits et aux changements de prix extrêmes. La
vulnérabilité tient compte de l’exposition et de la sensibilité des personnes aux
effets d’événements de ce type et de leur capacité à résister et à s’adapter. »
La vulnérabilité est en effet généralement décrite dans la littérature sur les
désastres « naturels » comme la résultante de l’exposition au choc et de la
sensibilité à celui-ci, ces deux éléments constituant l’impact potentiel du désastre
sur un individu ou une collectivité. Il faut en quelque sorte moduler cette
appréciation de la vulnérabilité en tenant compte de la capacité d’adaptation et la
résilience pour avoir une idée de l’impact final du choc écologique sur les
populations.
La notion de résilience, aujourd’hui très répandue dans les travaux
scientifiques de différentes disciplines, est quant à elle née dans le champ de la
psychologie. Elle fut introduite par Holling en 1978 dans la littérature
écologique et désigne au sens large la capacité d’un système à tolérer un choc et
revenir à l’équilibre après celui-ci sans changer de nature. La résilience
écologique se combine donc à la résilience sociale en cas de choc écologique. La
résilience écologique désigne la capacité des écosystèmes à absorber un choc
(naturel ou humain) sans altération profonde, c’est-à-dire sans changer
fondamentalement (l’écosystème pourrait en effet survivre au choc mais voir par
exemple sa productivité naturelle chuter de manière drastique ou certaines de ses
fonctions s’altérer ou disparaître). La résilience sociale désigne de manière
parallèle la capacité des sociétés humaines à affronter des crises sans changer de
nature et en apprenant de ces crises. Les deux sont donc étroitement liées, ce que
l’on peut illustrer par le rôle joué par les mangroves dans les zones côtières
asiatiques.
Les mangroves sont des forêts aquatiques qui pourvoient les communautés
humaines côtières en ressources forestières et halieutiques. Elles protègent les
rivages contre l’érosion et les risques océaniques tels que les tsunamis. La
destruction des mangroves visant à faciliter la pêche à la crevette le long des
côtes asiatiques a considérablement augmenté la vulnérabilité des populations
côtières qui ont été ravagées économiquement et socialement par le tsunami
asiatique de décembre 2004 et qui ne retrouveront sans doute pas leur niveau
antérieur de bien-être avant longtemps (la destruction des mangroves est un
phénomène mondial, puisque leur surface a été réduite de 35 % depuis deux
décennies).
Une étude de 200511 a ainsi montré à partir de l’étude du quartier de
Cuddalore situé dans la région indienne de Tamil Nadu que les mangroves
avaient considérablement atténué les destructions causées par le tsunami : « Les
dommages subis par les villages varient considérablement. Dans le nord, on
comptait cinq villages proches des mangroves, deux sur la côte et trois derrière
les mangroves. Les villages sur la côte ont été complètement détruits, alors que
ceux qui étaient abrités derrière des mangroves n’ont pas subi de destruction. »
Plus généralement, les auteurs notent que « les activités humaines ont réduit la
superficie des mangroves de 26 % dans les cinq pays les plus touchés par le
tsunami, de 5,7 à 4,2 millions d’hectares entre 1980 et 2000 ».
Elinor Ostrom (2009) s’est attachée à mieux cerner le cadre analytique de ce
qu’elle nomme les « systèmes sociaux-écologiques complexes ». De tels
systèmes ne se prêtent pas aux typologies simplistes et supposent en effet une
certaine complexité d’analyse. On peut les décomposer en quatre éléments
essentiels : des systèmes de ressources, des unités de ressource, des utilisateurs
et enfin des systèmes de gouvernance.
Ostrom prend l’exemple d’un parc protégé où l’on trouve des forêts, des
espèces animales et végétales et des ressources en eau, celui-ci comprend : des
systèmes de ressources (le parc contient des zones boisées, faune et flore, des
systèmes hydriques) ; des unités de ressources (par exemple, les arbres, arbustes,
plantes contenues dans le parc, les différents types de faune, le volume et le débit
de l’eau), des utilisateurs (qui utilisent les ressources du parc à des fins de loisir,
de subsistance ou commerciales) et enfin des systèmes de gouvernance (un
gouvernement national, des ONG impliquées dans la gestion du parc, les règles
d’usage et d’exploitation des ressources).
Chacun de ces quatre sous-systèmes est lui-même constitué de plusieurs
variables de second niveau (par exemple, la taille d’un système de ressources, la
croissance d’une unité de ressources, le degré de coopération des utilisateurs ou
encore le niveau de la gouvernance). Ostrom définit ensuite deux notions
supplémentaires : les interactions entre utilisateurs (partage de l’information,
processus de délibération, etc.) et leurs résultats (résultats économique et
écologique). Cette analyse social-écologique complexe doit également prendre
en compte en amont le contexte social, économique et politique et en aval l’effet
sur d’autres systèmes social-écologiques, autrement dit ajouter aux quatre
systèmes internes déjà décrits deux systèmes externes. Ce cadre analytique est
décrit sommairement à la figure 3.2
Figure 3.2 – Contexte social, économique et politique
(développement économique, tendances démographiques, stabilité
politique, etc.)
Source : adapté d’Ostrom, 2009.

Le but de cet effort typologique dont la minutie peut être déroutante est non
seulement de décrire dans toute leur réelle complexité ces systèmes social-
écologiques, mais surtout de comprendre comment certains systèmes
parviennent à assurer leur pérennité tandis que d’autres sombrent dans la
surexploitation et la ruine social-écologique. Elinor Ostrom s’est donc également
employée à définir les principes efficaces de gouvernance susceptibles de régir
de manière soutenable ces systèmes social-écologiques (encadré 3.3). Son
intuition fondamentale est qu’il existe tout un nuancier de troisièmes voies
efficaces en matière de gouvernance environnementale entre le marché
(privatisation des ressources) et l’État (nationalisation des ressources). Ces
systèmes efficaces de gouvernance environnementale reposent sur quelques
principes clés.
Après examen attentif de plusieurs centaines de ces systèmes, Ostrom est
parvenue à définir huit principes de gouvernance permettant d’éviter ce qu’elle
nomme les « dilemmes sociaux » de la gouvernance environnementale.

Encadré 3.3 – Les huit principes d’une gouvernance environnementale


efficace selon Ostrom
1. Une définition claire des droits d’usage de la ressource naturelle et des limites bien définies de la
ressource elle-même ;
2. Une juste proportionnalité entre obligations d’entretien et de gestion et bénéfices retirés de l’usage de
la ressource naturelle ;
3. Des règles définissant quand et comment la ressource peut être utilisée, règles adaptées au contexte
local ;
4. Un droit de regard des individus sur les règles qui s’appliquent à eux ;
5. L’usage de la ressource ainsi que le respect des règles doit être supervisé par les usagers eux-mêmes
ou des tiers qui sont responsables devant les usagers ;
6. Les contrevenants aux règles communes sont sanctionnés par les usagers ou par des tiers
responsables devant eux ; les sanctions doivent être proportionnées aux violations des règles de
supervision ;
7. Des institutions locales doivent être à même de résoudre les conflits, avec diligence et à moindre
frais ;
8. La puissance publique doit reconnaître le droit des usagers de mettre en place leur propre système de
gouvernance.

Source : Ostrom, 1990

Systèmes naturels et systèmes humains doivent donc être étudiés de conserve


pour pouvoir espérer saisir la véritable nature des crises écologiques
contemporaines mais aussi pour pouvoir les atténuer et éventuellement les
résoudre.

2. POLITIQUES

2.1. QUATRE CONCEPTIONS DU DÉCOUPLAGE


Les réflexions et travaux sur la notion de découplage entre économie et
environnement, dont l’intuition remonte à la « courbe environnementale de
Kuznets »12, datent du début des années 2000 et se sont, au plan institutionnel,
principalement développés au sein d’Eurostat (2001), de la Commission
européenne (2005) et de l’OCDE (2008). Selon cette dernière13, le découplage
désigne au sens large le fait de « briser le lien entre les maux environnementaux
et les biens économiques ». Il y a découplage lorsque le taux de croissance d’une
pression sur l’environnement (par ex. les émissions de CO2) devient inférieur à
celui de sa force motrice (par ex. la croissance du PIB). On parle de découplage
absolu si la pression sur l’environnement (par ex. le volume des émissions de
CO2) demeure stable ou décroît tandis que la variable mesurant la force motrice
augmente (par ex. le PIB réel en volume). Il y a découplage relatif lorsque la
pression sur l’environnement augmente mais à un taux de croissance moindre
que celui de la force motrice (taux de croissance du PIB > taux de croissance des
émissions).
Dans sa communication de 200514, la Commission européenne a reconnu la
nécessité d’enrichir cette approche en distinguant deux formes de découplage et
en évoquant la nécessité d’un « double découplage » : réduire l’usage des
ressources naturelles dans une économie en croissance économique d’une part et
réduire l’impact environnemental de cet usage de l’autre. Dans le premier cas, il
s’agit d’accroître la productivité en ressources naturelles de l’économie, qui peut
être mesurée de différentes manières et notamment par le biais de la productivité
matérielle de l’économie. On souhaite alors réduire l’intensité matérielle ou
augmenter l’efficacité matérielle de l’économie, autrement dit diminuer la
quantité de ressources naturelles nécessaire à la production d’une unité de
produit économique (ou de valeur ajoutée). On parle également consommation
intérieure matérielle (en tonne habitant an) par unité de PIB, celle-ci mesure,
selon l’OCDE, « les matières directement utilisées moins les exportations, c’est-
à-dire à l’extraction intérieure augmentée des importations et diminuée des
exportations ». On peut calculer des indicateurs de flux de matières au niveau
global et national.
Pour l’économie mondiale et au cours du XXe siècle, on a assisté à un
découplage relatif entre consommation intérieure matérielle (CIM) totale et PIB
par habitant : tandis qu’en moyenne la consommation matérielle par habitant
croissait d’un facteur 2 entre 1900 et 2005, le PIB par habitant augmentait d’un
facteur 5,5. Comme le notent Fridolin Krausmann et ses coauteurs (2009), on
remarque un déclin dans l’intensité matérielle de l’économie mondiale, c’est-à-
dire un accroissement de l’efficacité matérielle des économies de la planète
considérées ensemble en moyenne. L’intensité énergétique a ainsi décliné de
0,68 % par an et l’intensité matérielle de 1 % par an de 1990 à 2005. Pour autant,
la quantité d’énergie et de matériaux utilisée n’a cessé de croître (les seules
périodes de dématérialisation de l’économie globale sont, selon les auteurs, les
périodes de récession, immédiatement après les deux guerres mondiales, durant
la crise des années 1930 et juste après les chocs pétroliers).
On observe donc à l’échelle mondiale et au cours du XXe siècle,
conjointement, une hausse du taux métabolique (en tonnes de ressources
naturelles consommées par habitant et par an) et une baisse de l’intensité
matérielle de l’économie (mesurée en kg de ressources naturelles utilisé par
unité de production).
Pour la France, le ministère de l’Écologie calcule que la consommation
intérieure de matières, qui correspond à l’ensemble des matières physiquement
consommées par la population présente sur le territoire français, s’établit à 871
millions de tonnes en 2006. Cela représente 13,8 tonnes par habitant, sans
fléchissement global depuis 36 ans. Cette consommation intérieure est de plus en
plus dépendante des importations, en particulier pour les minerais métalliques et
produits dérivés. Mais on peut également calculer un « besoin total en matières
de l’économie française » correspondant à l’ensemble des matières nécessaires
au fonctionnement de l’économie, mobilisées sur le territoire ou à l’étranger. Il
est estimé par l’ensemble des flux directs (extraction intérieure et importations)
et des flux cachés (extraction intérieure inutilisée et flux indirects associés aux
importations). Ce besoin total en matières s’élève à 2 907 millions de tonnes en
2006, soit environ 46 tonnes par Français, quatre fois plus par habitant que la
consommation intérieure de matières.
Dans les faits, l’analyse des flux de matières ne permet de prendre en compte
que certaines ressources naturelles : la consommation intérieure matérielle ne
prend par exemple pas en compte les besoins en eau de l’économie (qui peuvent
être mesurés à l’aide d’autres instruments).
On s’en tiendra ici, pour y revenir ensuite, à deux limites bien connues de
l’approche par les flux de matière et le découplage. La première tient dans «
l’effet-rebond » mis en lumière par Stanley Jevons dès 1865 (voir partie 1,
chapitre 2, section 2) : l’amélioration de la productivité matérielle de l’économie
peut conduire à un accroissement des volumes de ressources naturelles
consommées. En outre, un découplage au plan national peut résulter du
déplacement vers d’autres pays de la consommation des ressources naturelles
associées à la production (il faut alors distinguer, on y reviendra, entre
consommation et production et entre flux apparents et flux cachés de matières) et
de l’impact environnemental néfaste qui y est associé.
Figure 3.3 – Quatre découplages

1. Découplage économie / bien-être : découplage de l’activité économique et du bien-être humain en par la


conception et la mis en œuvre de nouveaux indicateurs de développement humain ;
2. Découplage économie / ressources naturelles : découplage de l’activité économique de l’usage des
ressources naturelles par l’accroissement de la productivité matérielle ; on doit ici distinguer découplage
relatif ou absolu (cf. supra) ;
3. Découplage économie / impact environnemental : le revenu et l’emploi augmentent alors que se réduisent
les dégradations environnementales par le développement de l’économie verte (éco-industries,
fonctionnalité, circularité, etc.) ;
4. Découplage bien-être / impact environnemental : le bien-être humain augmente sans pour autant dégrader
l’environnement.

2.2. LA SOUTENABILITÉ : VERS DE NOUVEAUX


INDICATEURS
Nos modes de vie et de production sont-ils soutenables, au sens donné à ce
terme dans les sections qui précèdent ? Ou, pour le dire d’une manière plus
provocante, faudra-t-il, comme l’intimait le titre français du rapport Meadows
(Halte à la croissance !, 1972), mettre un terme à un modèle de croissance
souvent qualifié de productiviste, et aller vers la « décroissance » que d’aucuns
appellent de leurs vœux ? Comment juger du caractère soutenable des évolutions
économiques observées ?
La définition de la soutenabilité généralement privilégiée par les économistes
– le maintien dans le temps de la possibilité d’atteindre un bien-être au moins
égal à celui dont bénéficient les générations présentes – trace la voie de la
réflexion développée sur les indicateurs de soutenabilité : d’abord établir une
mesure du bien-être, puis se pencher sur les conditions de sa soutenabilité.
Effectivement, peu après la publication du rapport Meadows, William Nordhaus
et James Tobin (1973) ont proposé ce qui semble être le premier indicateur de la
soutenabilité économique : après avoir construit un indicateur de bien-être
économique (MEW, Measure of Economic Welfare) qui, partant de la mesure
conventionnelle (le PIB), lui soustrait certaines dépenses, considérées comme
contraintes ou défensives, plutôt que comme contribuant positivement au bien-
être – les dépenses liées aux déplacements domicile-lieu de travail, celles liées à
la justice et à la répression des crimes et délits, etc. – et lui ajoute une évaluation
monétaire de certains éléments non marchands négligés par la comptabilité
nationale – le temps de loisir, par exemple –, les auteurs élaborent un indicateur
du bien-être soutenable (SMEW, Sustainable Measure of Economic Welfare) qui
soustrait de l’indicateur de bien-être les variations d’une mesure de la richesse
publique et privée totale15. C’est de cette démarche que, selon différentes
variantes plus ou moins directement fidèles aux hypothèses de l’analyse
économique standard, les divers indicateurs de soutenabilité procèdent
généralement, implicitement ou explicitement.
2.2.1. UN FOISONNEMENT D’INDICATEURS
La réflexion sur la soutenabilité et sa mesure a suscité la création d’un
foisonnement d’indicateurs, dont les caractéristiques répondent diversement aux
impératifs que l’on peut déduire de la définition admise de la soutenabilité. Ces
indicateurs visent généralement à éclairer, le plus souvent au niveau national, sur
les principales dimensions de la soutenabilité – économique, sociale et
environnementale – afin, notamment, de guider les choix de politiques
publiques. Idéalement, ils devraient renseigner sur l’écart entre les flux courants
de consommation de ressources liées au milieu naturel et les limites qu’imposent
les dotations, naturelles, humaines, sociales et technologiques ; mais en pratique,
c’est rarement le cas, et la plupart des indicateurs existants, dont quelques
exemples sont donnés dans les (encadrés 3.4, 3.5 et 3.6) de cette section, se
concentrent sur l’une ou l’autre des dimensions de la soutenabilité, et sur
l’évaluation des flux courants plutôt que sur celle des flux soutenables.

Encadré 3.4 – Agenda 21 : les tableaux de bord et leurs limites


Adopté lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, l’Agenda 21 est un programme des Nations unies
qui enjoint aux pays signataires de se doter d’indicateurs destinés à suivre les composantes de ce qui
constitue les trois piliers de la soutenabilité – économique, sociale et environnementale. En application
de ce programme, les gouvernements nationaux, mais également les instances dirigeantes de l’Union
européenne (UE) et les divers niveaux de collectivités locales ont, un peu partout dans le monde,
élaboré des batteries d’indicateurs, baptisées « tableaux de bord ». Le nombre des variables dont les
évolutions sont mesurées et suivies dans ces tableaux de bord est généralement élevé, mais divers selon
les contextes, notamment selon le niveau de gouvernement concerné. La sélection des variables peut
être guidée par l’analyse, mais fait aussi souvent l’objet de consultations citoyennes.
Utiles parce qu’ils rassemblent quantité d’informations, souvent pertinentes, et parce qu’ils contribuent
à stimuler la collecte de données sur les indicateurs qui les composent, ces tableaux de bord présentent
toutefois de sérieuses limites, qui en font des outils peu performants du suivi de la soutenabilité. En
premier lieu, les variables qui y figurent n’ont, en général, que peu de rapport les unes avec les autres,
et des rapports pas toujours évidents avec la notion de soutenabilité : ainsi, dans le tableau de bord
Agenda 21 de l’UE, qui regroupe pas moins de 78 variables, classées en 10 thèmes, les indicateurs de
moyens – investissement, aide publique au développement, etc. – côtoient les indicateurs de
performance – PIB par tête, espérances de vie à la naissance ou en bonne santé, etc. – ; et les variations
de certains de ces indicateurs – toujours les espérances de vie, par exemple – renseignent plus sur les
performances actuelles du modèle de développement que sur sa soutenabilité. La complexité et la
diversité des tableaux de bord Agenda 21 les rendent difficilement interprétables et peu opérationnels
pour le suivi des politiques publiques : les décideurs publics peinent à suivre un tel volume
d’informations et ils sont généralement jugés sur un petit nombre de critères – le pouvoir d’achat, le
chômage, par exemple – ; en outre, les conflits d’objectifs et les arbitrages obligés ne sont pas
explicités, ce qui peut encourager à se concentrer sur les indicateurs les plus flatteurs. Enfin, et surtout,
rien ne permet de distinguer, dans ces tableaux, les variables qui se réfèrent à un niveau courant de
celles qui évaluent une limite ou un niveau soutenable.
La commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009) porte ainsi un jugement nuancé sur les tableaux de bord
destinés à évaluer la soutenabilité : utiles, sans doute, mais à condition qu’ils ne comportent pas un
nombre trop important de variables. Pour le dire de manière plus imagée : plutôt le tableau de bord d’un
véhicule particulier que celui d’un avion de chasse ou d’un hélicoptère.

Encadré 3.5 – Le PIB « vert » : un compteur de consommation, pas une jauge


Dans l’esprit des travaux pionniers de Nordhaus et Tobin (1973), qui, pourtant, avaient ignoré la
dimension environnementale et les ressources naturelles dans leur indicateur de bien-être soutenable,
plusieurs variantes de ce que l’on désignera par le terme générique de « PIB vert » (Green GDP, ou
environmentally adjusted GDP) ont été proposées ces dernières années, généralement dans le but
d’appréhender la soutenabilité. Soustrayant du PIB une estimation monétaire des flux de ressources
naturelles épuisables et des dommages causés à l’environnement naturel, selon des méthodes de
valorisation que les Nations unies s’efforcent d’harmoniser, les indicateurs de type « PIB vert » tentent
de prendre en compte explicitement la consommation d’un stock de capital naturel.
Cependant, outre les problèmes de valorisation communs à tous les indicateurs synthétiques,
monétaires ou pas, cherchant à intégrer des coûts environnementaux, le « PIB vert », s’il mesure mieux
que le PIB traditionnel ce que consomme une société, ne renseigne pas davantage sur la soutenabilité :
il faut pour cela savoir si cette consommation est excessive, au regard d’une norme, que rien ici ne
précise. Autrement dit, pour filer la métaphore du tableau de bord automobile, le « PIB vert » est un
meilleur compteur de vitesse que le PIB ; mais ce n’est pas une jauge du réservoir de carburant.

Encadré 3.6 – Les « empreintes »


Particulièrement évocatrice et, d’une certaine manière, intuitive, la notion « d’empreinte » a suscité
l’élaboration d’indicateurs physiques – ou « pseudo-physiques » – de soutenabilité environnementale
qui ont les faveurs de nombreux écologistes, associations et ONG, notamment parce que ces «
empreintes » évitent de recourir à la valorisation monétaire. La plus connue est « l’empreinte
écologique » élaborée par Wackernagel (1994) et publiée depuis lors chaque année par le WWF dans
son rapport Living Planet 16.
L’idée consiste à comparer la consommation courante de ressources naturelles renouvelables, y
compris les dommages causés à l’environnement naturel – mais pas les ressources épuisables fossiles –,
à la capacité de régénération de ces ressources par le milieu naturel : si le flux courant est supérieur à la
capacité de régénération naturelle, le sentier de consommation n’est pas soutenable ; en outre,
l’empreinte fournit une mesure chiffrée de l’écart à la soutenabilité.
L’empreinte écologique mesure la part de la capacité de régénération de la biosphère qui est absorbée
par les activités humaines (consommation), en calculant la surface de terre et d’eau biologiquement
productives qui est nécessaire pour maintenir le rythme de consommation actuel d’un pays donné.
L’empreinte du pays (côté demande) est ainsi la surface totale requise pour produire l’alimentation, les
fibres et le bois qu’il consomme, absorber les déchets qu’il produit et fournir l’espace nécessaire à ses
infrastructures (surfaces construites ou artificialisées). Côté offre, la biocapacité est la capacité
productive de la biosphère et son aptitude à fournir un flux de ressources biologiques et de services
utiles à l’humanité.
En pratique « l’empreinte écologique » évalue les capacités de régénération de l’environnement naturel
de la planète à l’aide d’une mesure de la capacité moyenne d’absorption et de production de l’ensemble
des flux par lesquels les activités humaines sollicitent l’environnement naturel à l’aide d’une mesure
moyenne des capacités de « bioproductivité » et d’absorption d’un « hectare bioproductif moyen », ces
capacités étant évaluées en divisant la capacité estimée de la planète par le nombre total d’hectares
bioproductifs de la planète (estimé à 11,2 milliards, terres émergées et océans inclus).
Dans la construction de cet indicateur, comme dans celui des indicateurs synthétiques dérivés de
l’analyse économique, les divers éléments hétérogènes de la consommation (demande) ou de la
biocapacité (offre) sont agrégés après conversion dans une unité de mesure commune (l’hectare
mondial), plutôt qu’en unités monétaires ; des « prix relatifs » implicites sont donc mobilisés, par le
biais de l’hypothèse de « bioproductivité » égale à la moyenne. L’hypothèse sous-jacente est donc bien
que les diverses formes de capital naturel sont substituables. Toutefois, à la différence des indicateurs
synthétiques économiques, l’offre bioproductive est fixe et exogène, dans l’esprit de la « soutenabilité
forte ». Il n’y a pas de place pour l’épargne et l’accumulation du capital : un surplus écologique positif
(une biocapacité excédant l’empreinte écologique) n’entraîne aucun accroissement du stock de capital
naturel et partant, une amélioration de la future capacité productive. A fortiori, économiser et
accumuler du capital manufacturé ou humain ne contribue aucunement à la soutenabilité. En outre, «
l’empreinte écologique » ignore l’épuisement des ressources non renouvelables : les seules
conséquences pour la soutenabilité de la consommation des énergies fossiles sont les déchets
(émissions de CO2 impliquées) et leur absorption.
Calculée pour la planète entière, « l’empreinte écologique » permet de communiquer de manière très
intuitive sur l’insoutenabilité : ainsi, l’indicateur montrait-il que les modes de vie et de consommation
en vigueur en 2010 auraient nécessité que la population mondiale disposât de 1,5 planète, alors qu’il
n’en fallait que 0,5 en 1960 ; ou encore que si tous les humains vivant en 2005 adoptaient le mode de
vie et de consommation de l’Américain moyen, il en faudrait 4,5 ! L’empreinte écologique permet aussi
d’établir, chaque année, la date du « jour du dépassement », date à partir de laquelle l’humanité
commence à consommer les ressources de la planète en quantité supérieure à ses capacités de
régénération : en 2015, c’est le 17 août, alors qu’en 1993, il n’était atteint que le 21 octobre. Toutefois,
comme l’indique le tableau, l’empreinte écologique globale ainsi évaluée varie peu dans le temps, en
dépit de l’accroissement massif de la population mondiale : selon cette approche, c’est la « biocapacité
» qui s’érode !
En revanche, « l’empreinte écologique » d’un pays est beaucoup plus problématique, dans la mesure où
elle ne tient pas compte des possibilités offertes par les échanges commerciaux, dont l’analyse
économique suggère qu’ils sont, au moins par partie, motivés précisément par des différences de
dotations naturelles. Les pays densément peuplés apparaissent, selon cet indicateur, non soutenables,
tandis que ceux qui disposent de vastes superficies pour une population faible semblent l’être
davantage.

Tableau 3.2 – L’évolution de l’empreinte écologique (1961-2007)


Source : WWF

2.2.2. LA CONSOMMATION SOUTENABLE ET LA RICHESSE


AU SENS LARGE
Alors que les approches inspirées de l’écologie mettent l’accent sur la
préservation des ressources naturelles et environnementales, ce qui les conduit à
privilégier des indicateurs de soutenabilité se référant à des limites physico-
biologiques (voir l’encadré 3.6 Empreintes), l’analyse économique de la
soutenabilité propose, quant à elle, de comparer un indicateur de consommation
courante avec une mesure du maximum compatible avec la préservation des
potentialités de consommation future, c’est-à-dire la richesse au sens large. La
démarche est plus complexe qu’il n’y paraît, puisqu’il faut d’abord sélectionner
et évaluer un indicateur pertinent de consommation courante contribuant
réellement au bien-être des populations, puis élaborer une mesure prospective du
niveau accessible dans le futur.
Conformément à la démarche présentée plus haut, la seconde étape consiste
donc à établir une liste aussi exhaustive que possible des composantes de la
richesse qui importent pour les potentialités futures de consommation, puis à les
agréger en recourant à un système de prix approprié.

2.2.3. L’ÉPARGNE NETTE AJUSTÉE


Initialement développé au sein de la Banque mondiale, l’indicateur de
soutenabilité économique le plus conforme aux préconisations théoriques est un
indicateur synthétique de flux qui s’inscrit dans le cadre de la comptabilité
nationale standard, tout en élargissant le champ de mesure. Se fondant sur la
notion de richesse au sens large, cet indicateur cherche à en évaluer la variation
au cours de la période – annuelle généralement – considérée : c’est l’épargne
nette ajustée (Banque mondiale, 2006 ; commission Stiglitz-Sen-Fitoussi,
2009)17.
Dans la version élaborée par la Banque mondiale, sa construction pour un
pays donné comporte les étapes suivantes :
— la mesure habituelle de l’épargne nationale est d’abord corrigée de la
dépréciation du capital productif produit, pour obtenir l’épargne nationale nette,
au sens de la comptabilité nationale ;
— on lui ajoute une évaluation de la variation – accumulation (+) ou
décumulation (−) – du capital humain, que la Banque mondiale réduit aux
dépenses d’éducation ;
— on lui soustrait des estimations de l’épuisement de diverses ressources
naturelles, pour refléter la diminution de la valeur des actifs naturels liés à leur
extraction ou à leur récolte.
Ces estimations de l’épuisement des ressources reposent sur le calcul de la
rente économique tirée de ces ressources ; elle est obtenue simplement par
différence entre les prix mondiaux et les coûts moyens unitaires d’extraction ou
de récolte (y compris un rendement « normal » du capital) ;
— enfin, on déduit les dommages résultant de la pollution globale par le
dioxyde de carbone.
Figure 3.4 – Épargne nette ajustée du monde, de l’OCDE et des
pays les moins avancés (PMA), 1970-2008 (% du RNB)
Source : Banque mondiale

Figure 3.5 – Épargne nette ajustée de quelques pays, 1970-2008


(% du RNB)

Source : Banque mondiale

Une épargne nette ajustée négative indique que la « richesse au sens large »
diminue et que le mode de développement économique du pays considéré ne
respecte pas la condition de soutenabilité (figures 3.4 et 3.5).

2.2.4. LA RICHESSE TOTALE


La définition de la richesse au sens large sur laquelle s’appuie la Banque
mondiale pour élaborer l’indicateur d’épargne nette ajustée n’inclut toutefois
qu’une petite partie des éléments du capital susceptibles de contribuer au bien-
être, et les évaluations qu’elle propose ne sont pas satisfaisantes : ainsi, le capital
humain est-il évalué simplement par les dépenses d’éducation, c’est-à-dire les
inputs consacrés à l’accumulation de compétences ; le capital naturel ne
comporte que les éléments donnant lieu à exploitation à des fins marchandes
(bois, minerais et énergies fossiles), évalués aux prix de marchés, et quelques
émissions polluantes (gaz à effet de serre et microparticules), évaluées sur la
base de prix imputés. Ainsi évaluée, la « vraie » richesse des nations apparaît
constituée principalement de capital humain : en 2005, celui-ci représentait en
effet plus des ¾ du stock total de richesse du monde, selon la Banque mondiale
(2011), et le capital naturel n’en constituait que 5 % !18
Pour pallier ces insuffisances, l’initiative « richesse totale » (en anglais
Inclusive Wealth) réunit, depuis 2010, des chercheurs qui, sous l’égide de
l’Université des Nations unies et du Programme des Nations unies pour
l’environnement, tentent de mieux mesurer les différentes composantes du
capital total : l’indicateur proposé (Inclusive Wealth Index, IWI) repose sur une
mesure du capital humain incluant non seulement les compétences – en se
fondant sur la valeur présente actualisée des revenus futurs engendrés par
l’éducation –, mais aussi le capital santé ; et sur une mesure du capital naturel
évaluant mieux les éléments déjà pris en compte par la Banque mondiale –
notamment en tenant des services écosystémiques des forêts19 – et incluant une
évaluation monétaire de la biodiversité. Ainsi élargie et amendée, la mesure de la
« richesse totale » du monde apparaît constituée pour 54 % de capital humain,
pour 28 % de capital naturel et pour seulement 18 % de capital manufacturé. Et,
résultat frappant du plus récent rapport (IWR, 2014), la richesse totale par tête a
été, en moyenne mondiale, constante entre 1990 et 2010 : l’accumulation de
capital manufacturé et humain a certes plus que compensé la réduction du stock
de capital naturel, en baisse dans toutes les régions du monde, à l’exception de
l’Europe, où il est quasi constant ; mais la croissance démographique a été telle
que l’augmentation du stock de richesse totale du monde a été tout juste
suffisante pour doter, en moyenne, les nouveaux humains d’un capital
comparable à celui de ceux qui vivaient en 1990.
Mais la liste des éléments pris en compte dans l’évaluation de la « richesse
totale » demeure incomplète, comme le reconnaissent les auteurs eux-mêmes
(IWR, 2014). Pour tenter de remédier à cette incomplétude, l’IWI introduit une
innovation notable dans la mesure de la soutenabilité : dans la logique de
l’analyse empirique de la croissance inspirée par les travaux de Solow, les
auteurs proposent une mesure de la « productivité totale des facteurs », part de la
croissance économique que n’explique pas l’accumulation des différents
éléments de capital mesurés, mesurant ainsi la contribution des « actifs
manquants », donc équivalent du « résidu de Solow » dans les analyses
traditionnelles. Ils mettent ainsi en évidence un autre résultat inquiétant : en
moyenne mondiale, ce « résidu » a décliné au rythme de 0,3 % par an au cours
des décennies étudiées, trahissant la baisse de productivité des composantes
mesurées du capital total sous l’effet vraisemblable des dégradations et
diminutions subies par les stocks d’actifs manquants.

2.2.5. LIMITES DE L’INDICATEUR DE SOUTENABILITÉ


ÉCONOMIQUE
Bien qu’analytiquement séduisantes, parce que s’inscrivant dans un cadre
d’hypothèses familier aux économistes et partant du cadre de comptabilité
nationale habituel, les démarches de l’épargne nette ajustée et de la richesse
totale présentent, dans leurs versions actuellement disponibles, de nombreuses
limites.
La première découle de l’incomplétude probable du recensement des
différentes composantes de la richesse : comment être certain que rien
d’essentiel n’a été omis ? Les découvertes scientifiques mettent sans cesse en
lumière de nouveaux mécanismes, de nouvelles interdépendances, de nouvelles
influences de certains éléments de notre environnement sur le bien-être humain,
ou inversement de nos activités sur notre environnement, comme l’illustre
l’exemple du changement climatique d’origine anthropique, longtemps ignoré.
Certes l’IWI propose bien une mesure des effets de ces omissions, mais elle
repose sur le PIB, dont on sait qu’il ne constitue pas une évaluation pertinente du
bien-être présent.
La deuxième difficulté a trait au choix du système de prix utilisé pour
valoriser les différentes composantes de la richesse au sens large, ou, de manière
équivalente, les corrections à apporter, au titre de ces composantes, à l’agrégat
d’épargne nette ajustée. Parmi les éléments regroupés dans la catégorie du
capital naturel, certains – notamment les ressources énergétiques – ont des prix
de marché, d’autres pas. Pour les premiers, il est tentant – et c’est ce que fait la
Banque mondiale – d’utiliser les prix courants de marché ; mais leur variabilité
dans le temps rend la mesure très instable, et suggère que cette solution est peu
satisfaisante dans une démarche prospective. Pour les seconds, il faut recourir à
des prix imputés, sur la base d’une analyse quantifiée des services
écosystémiques ou d’une évaluation des coûts des dommages que leur infligent
les activités humaines. Dans les deux cas, on peut préférer le recours aux prix
imputés ; mais il faut alors disposer d’un cadre analytique suffisamment robuste
pour évaluer ces prix et leur sentier d’évolution future (Blanchet, Le Cacheux et
Marcus, 2009). Recourant plus systématiquement aux prix imputés pour le
capital humain et le capital naturel, l’IWI est plus satisfaisant que l’épargne nette
ajustée, mais il n’est pas exempt de critiques sur les méthodes d’imputation,
qu’il s’agisse du capital santé fondé sur l’actualisation des gains monétaires
permis par l’augmentation de l’espérance de vie, ou du capital naturel, dont on
peut penser que son évaluation monétaire demeure incomplète.
Plus fondamentalement, l’hypothèse de substituabilité entre les différentes
composantes de la richesse au sens large, qui autorise leur agrégation, est
problématique, notamment lorsqu’elle est appliquée à certaines ressources
naturelles non renouvelables ou, ce qui est équivalent, à connaissant des
évolutions irréversibles. Dans ces cas, il est, en théorie, possible de tenir compte
de la finitude ou de l’irréversibilité en imposant une contrainte physique, qui se
traduira, selon la règle de Hotelling, par un prix croissant de manière
exponentielle à mesure que l’économie considérée se rapproche de la limite, dès
lors jamais atteinte.
Mais quel est le degré d’incertitude de nos connaissances sur ces limites, et
sur les technologies et savoirs qui seront disponibles dans l’avenir et permettront
peut-être de s’en libérer, ou au contraire en renforceront la prégnance ? La prise
en compte de l’incertitude, souvent radicale, qui entoure les évaluations utilisées
dans les indicateurs de soutenabilité économique est théoriquement possible :
l’analyse économique de la décision en univers incertain offre de nombreux
outils, y compris dans les domaines les plus récemment explorés comme celui de
l’incertitude « systémique » sur le modèle lui-même. Mais leur application
demeure embryonnaire.
Pour remédier à ces limites, et à titre indicatif, le rapport de la Commission
Stiglitz (2009) suggère de combiner, dans un tableau de taille aussi restreinte que
possible, l’indicateur d’épargne nette ajustée avec quelques indicateurs
physiques, tels que « l’empreinte carbone ». Une autre voie de recherche
consisterait à évaluer la « résilience » des économies en soumettant l’indicateur
de soutenabilité économique à des « tests de stress », à la manière de ceux
utilisés pour évaluer la solidité des bilans bancaires.

Encadré 3.7 – Les recommandations de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi


Sous-groupe 1 : Développements autour du Produit Intérieur Brut
1) Dans le cadre de l’évaluation du bien-être matériel, se référer aux revenus et à la consommation
plutôt qu’à la production.
2) Mettre l’accent sur la perspective des ménages.
3) Prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommation.
4) Accorder davantage d’importance à la répartition des revenus, de la consommation et des richesses.
5) Élargir les indicateurs de revenus aux activités non marchandes.

Sous-groupe 2 : Qualité de la vie
6) La qualité de la vie dépend des conditions objectives dans lesquelles se trouvent les personnes et de
leurs « capabilités » (capacités dynamiques). Il conviendrait d’améliorer les mesures chiffrées de la
santé, de l’éducation, des activités personnelles et des conditions environnementales. En outre, un effort
particulier devra porter sur la conception et l’application d’outils solides et fiables de mesure des
relations sociales, de la participation à la vie politique et de l’insécurité, ensemble d’éléments dont on
peut montrer qu’il constitue un bon prédicteur de la satisfaction que les gens tirent de leur vie.
7) Les indicateurs de la qualité de la vie devraient, dans toutes les dimensions qu’ils recouvrent, fournir
une évaluation exhaustive et globale des inégalités.
8) Des enquêtes devront être conçues pour évaluer les liens entre les différents aspects de la qualité de
la vie de chacun, et les informations obtenues devront être utilisées lors de l’élaboration des politiques
publiques.
9) Les instituts de statistique devraient fournir les informations nécessaires pour agréger les différentes
dimensions de la qualité de la vie, et permettre ainsi la construction de différents indices.
10) Les mesures du bien-être, tant objectif que subjectif, fournissent des informations essentielles sur la
qualité de la vie. Les instituts de statistique devraient intégrer à leurs enquêtes des questions visant à
connaître l’évaluation que chacun fait de sa vie, de ses expériences et ses priorités.

Sous-groupe 3 : Développement durable et environnement
11) L’évaluation de la soutenabilité nécessite un ensemble d’indicateurs bien défini. Les composantes
de ce tableau de bord devront pouvoir être interprétées comme des variations de certains « stocks »
sous-jacents. Un indice monétaire de soutenabilité a sa place dans un tel tableau de bord ; toutefois, en
l’état actuel des connaissances, il devrait demeurer principalement axé sur les aspects économiques de
la soutenabilité.
12) Les aspects environnementaux de la soutenabilité méritent un suivi séparé reposant sur une batterie
d’indicateurs physiques sélectionnés avec soin. Il est nécessaire, en particulier, que l’un d’eux indique
clairement dans quelle mesure nous approchons de niveaux dangereux d’atteinte à l’environnement (du
fait, par exemple, du changement climatique ou de l’épuisement des ressources halieutiques).

Source : Stiglitz J., Sen A. et Fitoussi J.-P. (2009)

2.3. LA JUSTICE ET LES INÉGALITÉS


ENVIRONNEMENTALES
La notion de « justice environnementale » est née aux États-Unis au milieu
des années 1980, dans le cadre de la lutte pour l’égalité raciale. Elle a d’abord
servi à désigner les inégalités raciales et ethniques (au sens américain du terme)
dans l’exposition aux risques environnementaux (pollutions, déchets toxiques) et
l’exclusion des minorités raciales, en particulier les Afro-Américains, les
Hispaniques et les Amérindiens, de la définition et la mise en œuvre des
politiques environnementales aux États-Unis (inégalités et discriminations
parfois caractérisées comme des manifestations de « racisme environnemental
»).
Le mouvement civique en faveur de la justice environnementale est parti du
comté de Warren en 1982, lorsque les habitants afro-américains de cette région
de Caroline du Nord s’opposèrent à la construction d’une décharge de déchets
toxiques à proximité de leur lieu d’habitation. Les protestations du comté de
Warren ont déclenché une enquête au sujet de situations similaires au sein
d’autres communautés du Sud des États-Unis et conduit à la publication d’un
rapport de la United Church of Christ en 1987 explicitement intitulé « déchets
toxiques et race aux États-Unis », première étude à documenter empiriquement à
l’échelle nationale le lien entre les caractéristiques raciales et sociales des
communautés vivant à proximité des sites toxiques (l’une des conclusions les
plus frappantes de cette étude fut que les non-Blancs étaient deux fois plus
représentés dans les zones présentant un danger pour la santé des résidents).
En 1990 paraît un autre ouvrage fondamental sur l’injustice
environnementale, Dumping in Dixie : Race, Class, and Environmental Quality
de Bullard qui démontre que « les communautés noires, en raison de leur
vulnérabilité économique et politique, ont été régulièrement la cible
d’installations nocives et de risques environnementaux et sont par conséquent
susceptibles de souffrir de plus grands risques pour la santé que le reste de la
population ». Le Congressional Black Caucus, coalition bipartite
d’universitaires, de chercheurs en sciences sociales et de militants politiques, se
réunit la même année avec les responsables de l’Environmental Protection
Agency (EPA) pour discuter de ces constatations accablantes et de la façon d’y
remédier. Au terme de ces débats, l’EPA institue le « Environmental Equity
Workgroup » pour enquêter sur le fait que « les minorités raciales et les
populations à faible revenu font face à un risque plus élevé du fait de leur
environnement que le reste de la population ». En 1992 est créée la première
administration chargée de la question de la justice environnementale : l’Office of
Environmental Equity (qui devient en 1994 l’Office of Environmental Justice).
L’alinéa 1-101 de l’Executive order 12 898 du 11 février 1994 rend
obligatoire pour toutes les agences publiques fédérales d’intégrer l’objectif de
justice environnementale dans leur mission en « identifiant et en traitant de
manière appropriée les effets environnementaux de ses programmes, politiques
et activités ou ceux affectant de manière disproportionnée et néfaste la santé
humaine des minorités et des groupes à faible revenu sur le territoire américain
».
La Environmental Justice Strategy conçue par l’EPA et rendue publique un
an plus tard en 1995 précisera la notion de justice environnementale dont on peut
aujourd’hui trouver une définition qui insiste surtout sur ses deux dimensions,
distributive et procédurale : « un traitement équitable et une implication réelle de
toutes les personnes quels que soient leur race, leur couleur de peau, leur origine
nationale ou leur niveau de revenu dans la définition, la mise en œuvre et le
contrôle des lois, des réglementations et des politiques environnementales »20.
Le « traitement équitable » est défini de la manière suivante : « aucun groupe, y
compris une minorité ethnique ou un groupe socio-économique, ne doit assumer
une part disproportionnée des conséquences environnementales néfastes
résultant d’activités industrielles, municipales et commerciales ou de l’exécution
de programmes ou de politiques fédérales, d’un État, locales et tribales ». «
L’implication réelle » est quant à elle soumise à quatre conditions tenant
essentiellement, pour les populations concernées, à la possibilité de participer à
l’élaboration des politiques environnementales.
En raison de ces développements institutionnels, la justice environnementale
est désormais une notion pleinement opérationnelle sur le plan juridique aux
États-Unis, comme le nouveau « Plan EJ 2014 », décidé en juillet 2010 et qui
prévoit de renforcer les actions de l’EPA en matière de justice environnementale,
le démontre.
Cet activisme légal et juridique ne signifie nullement que les inégalités
environnementales ont été corrigées ou que la justice environnementale a été
réalisée aux États-Unis. Comme le soulignent Bullard et alii (2007), les auteurs
du rapport marquant le 20e anniversaire de celui de 1987 : « Malgré des
améliorations significatives en matière de protection de l’environnement au
cours des dernières décennies, des millions d’Américains continuent à vivre,
travailler, jouer et aller à l’école dans des environnements dangereux et
insalubres ». Les auteurs poursuivent : « Plus de neuf millions de personnes
vivent dans un rayon de trois kilomètres (1,8 miles) des 413 sites de déchets
dangereux aux États-Unis… ces quartiers sont peuplés à 56 % de gens de
couleur, à comparer avec les 30 % de gens de couleur que compte le reste du
pays. ». La proportion de personnes de couleur est donc environ deux fois plus
importante et le taux de pauvreté une fois et demi plus important (18 % contre
12 %) que dans le reste du pays21.
Ces avancées politiques et juridiques pour la reconnaissance des injustices
environnementales se sont accompagnées d’un vif débat académique sur la
réalité du lien entre le statut socio-économique et racial d’un côté et les
inégalités environnementales de l’autre. Alors que la grande majorité des études
empiriques a été en mesure de déterminer un lien solide entre statut racial et
socio-économique et conditions inégales sur le plan environnemental (pour les
enquêtes, voir Bullard et alii, 2008, Pastor, 2007), d’autres (comme Banzhaf et
Walsh, 2006) ont défendu l’idée selon laquelle l’utilisation rationnelle des
terrains et la dynamique du marché sont les principaux responsables des
inégalités environnementales, ce qui laisse peu de rôle pour les injustices
comprises comme le résultat d’une volonté délibérée de transférer les risques
environnementaux dans les communautés défavorisées.
À la lumière de cette riche expérience des États-Unis en matière de justice
environnementale, la perspective induite par cette approche peut se résumer ainsi
: des politiques publiques visant l’équité sociale qui ne tiendraient pas compte
des conditions environnementales des citoyens manqueraient un aspect
fondamental de la question sociale. La relation entre conditions
environnementales, bien-être individuel et situation sociale est médiatisée par les
questions de santé et plus généralement par l’impact des conditions et des
politiques environnementales sur le bien-être des individus. La perspective des
inégalités environnementales permet de saisir cet enchaînement essentiel.

Encadré 3.8 – Quatre types d’inégalités environnementales


On peut distinguer quatre types d’inégalités environnementales :
• Les inégalités d’exposition et d’accès : cette catégorie désigne l’inégale répartition de la qualité de
l’environnement entre les individus et les groupes. Définition négative (l’exposition à des impacts
environnementaux néfastes) ou positive (l’accès à des aménités environnementales telles que les
espaces verts et les paysages). Dans cette catégorie d’inégalités sont inclus la vulnérabilité aux
catastrophes social-écologiques et le risque d’effet cumulatif des inégalités sociales et
environnementales – les inégalités environnementales n’étant ni indépendantes les unes des autres ni
indépendantes des inégalités sociales (revenu, statut social, etc.) ;
• Les inégalités distributives des politiques environnementales : il s’agit de l’inégal effet des politiques
environnementales selon la catégorie sociale, notamment l’inégale répartition des effets des politiques
fiscales ou réglementaires entre les individus et les groupes, selon leur place dans l’échelle des revenus
;
• Les inégalités d’impact environnemental : les différentes catégories sociales n’ont pas le même
impact sur l’environnement. Certains chercheurs qualifient cette catégorie « d’inégalités écologiques »
(voir Emelianoff, 2006) ;
• Les inégalités de participation aux politiques publiques : il s’agit de l’accès inégal à la définition des
politiques environnementales qui déterminent les choix touchant à l’environnement des individus.

Source : Laurent, 2011

On peut mettre en lumière l’importance de ces inégalités environnementales


à l’aide de la première catégorie que nous avons identifiée : les inégalités
d’exposition au risque environnemental.
À partir des travaux de Lucas et Walker (2004)22, l’Environmental Agency
britannique a été conduite à dresser le constat suivant : les habitants des 10 %
des territoires les plus défavorisés socialement du Royaume-Uni ont une
probabilité huit fois plus importante de résider dans des zones inondables que les
habitants des 10 % des territoires les plus avantagés. C’est aussi dans ces
territoires défavorisés que la qualité de l’air est la plus mauvaise (la
concentration en dioxyde d’azote résultant des activités industrielles et de
transport y est plus importante de 41 %23). On détaille au chapitre suivant le cas
français.

1. « Are We Consuming Too Much ? » est le titre d’un article de synthèse signé de quelques–uns des
meilleurs économistes de l’environnement, Kenneth Arrow, Partha Dasgupta, Geoffrey Heal, etc., publié en
2008. Voir également le récent article de Geoffrey Heal (2012).
2. Notons qu’il s’agit là d’un retour aux classiques, dont les analyses faisaient jouer au facteur « terre » un
rôle essentiel dans la production, avec l’idée que la productivité marginale décroissante des terres imposait
inéluctablement des limites à la croissance économique. Simplement, la « terre » des classiques doit être
réinterprétée comme incluant l’ensemble des ressources naturelles, c’est-à-dire le « capital naturel » (voir
plus loin).
3. Nous ne traitons pas ici du choix du taux d’actualisation, qui a fait l’objet d’une présentation détaillée
dans la première partie de cet ouvrage.
4. Douglass North (1990) est l’un des historiens de l’économie qui a mis l’accent sur le rôle des institutions,
et notamment des droits de propriété privée, dans le développement économique.
5. La définition, le long des côtes, d’une zone d’eaux dites « territoriales » (12 milles marins), et d’une
autre, plus large (200 milles), dite « zone économique exclusive » – qui fait de la France le pays disposant
du deuxième domaine maritime le plus vaste, juste derrière les États-Unis – répond à cette logique de «
privatisation », au profit des États. De même, le débat sur les droits des États sur l’Antarctique s’inscrit dans
ce cadre.
6. Bien que le capital naturel ne soit pas, à proprement parler, accumulable, il est parfois renouvable et, dans
de nombreux cas, reconstituable, ou réparable. La question de la résilience des composantes du capital
naturel est un domaine d’interdisciplinarité.
7. Van den Bergh J., Stagl, S. (2003).
8. John G. McPeak, David R. Lee, and Christopher B. Barrett (2006).
9. Pour une contribution fondatrice à ce champ, voir Gallopìn G.C., Gutman P., Maletta (1989).
10. Pour des exemples de relation entre les deux, voir notamment Berkes F., and C. Folke (1998).
11. Finn Danielsen et alii (2005).
12. L’idée élémentaire de ce que les économistes de l’environnement appellent la « courbe
environnementale de Kuznets » est de mettre en relation le processus de développement économique (dont
le niveau est mesuré par le revenu par habitant) avec les dégradations environnementales. Une relation en
cloche est alors postulée : les dégradations environnementales sont d’abord censées augmenter avec
l’élévation du revenu par habitant avant d’atteindre un pic, puis de se réduire. L’idée qui soutient cette
courbe a été introduite en 1992 dans le rapport sur le développement des Nations unies puis formalisée et
illustrée empiriquement par un article de Grossman et Krueger paru en 1995 (Grossman et Krueger, 1995).
13. Voir OCDE (2008).
14. Commission européenne (2005).
15. Comme le souligne la synthèse critique proposée dans le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi
(2009), l’indicateur SMEW ne comporte aucune évaluation de l’épuisement des ressources naturelles ou des
dommages infligés à l’environnement. Voir également Laurent et Le Cacheux (2015), pour une présentation
et une discussion des différents indicateurs existants.
16. Accessible à l’adresse : http://wwf.panda.org/about_our_earth/all_publications/living_planet_report/
17. La plus récente évaluation de l’épargne nette ajustée est disponible à l’adresse :
http://data.worldbank.org/news/the-changing-wealth-of-nations. Voir aussi la présentation critique des
indicateurs de soutenabilité dans Laurent et Le Cacheux (2015).
18. Les proportions sont encore plus frappantes dans le cas des seuls pays développés : le capital humain y
comptait pour plus de 80% de la « vraie richesse », et le capital naturel pour seulement 2% !
19. Ainsi valorisées, les forêts avaient, en 2005, une valeur patrimoniale de quelque 2273 000 milliards de
dollars, soit 56 fois le PIB mondial !
20. « Environmental Justice is the fair treatment and meaningful involvement of all people regardless of
race, color, national origin, or income with respect to the development, implementation, and enforcement of
environmental laws, regulations, and policies ». Voir
http://www.epa.gov/compliance/environmentaljustice/
21. Bullard, Robert D., Paul Mohai, Robin Saha, and Beverly Wright (2007).
22. Voir en particulier Lucas K., Walker G. (2004).
23. Ces mesures empiriques d’inégalités environnementales ont été confirmées par des travaux plus récents
(voir le site de l’Environment Agency).
CHAPITRE 4
DÉFIS DU XXIe SIÈCLE
1. LES INDICATEURS DE BIEN-ÊTRE ET DE SOUTENABILITÉ : UNE
VUE D’ENSEMBLE
2. L’ÉPARGNE NETTE AJUSTÉE : L’EXEMPLE DE LA FRANCE ET
DU CANADA
3. À QUOI SERT DE MESURER LE CAPITAL NATUREL ?
L’INITIATIVE NATURAL CAPITAL
4. LES INÉGALITÉS ENVIRONNEMENTALES EN FRANCE
5. LA JUSTICE ENVIRONNEMENTALE GLOBALE : PEUT-ON
PARLER DE « DETTE ÉCOLOGIQUE » ?

L’économie écologique, dont le chapitre précédent a décrit les principales


méthodes, constitue une grille de lecture nouvelle du monde. Elle soulève
des questions que les outils de l’économie de l’environnement ne permettent pas
de traiter et oblige à se doter de nouveaux instruments de mesure dont ce
chapitre donne quelques exemples.

1. LES INDICATEURS DE BIEN-ÊTRE ET DE


SOUTENABILITÉ : UNE VUE D’ENSEMBLE
Depuis près de quarante ans, des chercheurs de tous horizons s’efforcent de
dépasser les indicateurs économiques conventionnels, comme le Produit
intérieur brut (PIB), pour mieux mesurer le bien-être individuel et collectif et la
soutenabilité des économies et des sociétés. La recherche sur le bien-être
consiste à cerner les véritables déterminants de la prospérité humaine, au-delà
des seules conditions matérielles et du bien-être économique. La recherche sur la
soutenabilité (qui peut se comprendre comme le bien-être dynamique) consiste à
comprendre à quelles conditions le développement humain peut se projeter et se
maintenir dans le temps, sous une contrainte écologique de plus en plus forte.
On peut représenter ces différents indicateurs sous les traits de la figure 6 (p.
23). Le bien-être économique est appréhendé par des instruments de mesure
ayant trait au revenu et à l’emploi. On élargit ensuite le cadre du bien-être pour y
intégrer des indicateurs de développement humain objectifs et subjectifs (santé,
éducation, bonheur, usage du temps). On passe ensuite au progrès social,
autrement dit du bien-être au bien-être collectif en mesurant le niveau des
inégalités (dans toutes les dimensions du bien-être) la qualité des institutions et
la confiance.
De ce cadre statique on évolue vers une analyse dynamique pour approcher
la mesure de la soutenabilité. On peut disposer d’indicateurs physiques qui nous
renseignent sur les limites de la biosphère et ont trait aux grandes crises
écologiques contemporaines qui ont été passées en revue plus haut (climat,
écosystèmes et biodiversité). On tente alors de mesurer l’intensité des échanges
entre la sphère économique et la biosphère (analyse des flux de matière et
découplage). Enfin, on s’efforce de construire des indicateurs de richesse
véritable, telle que l’épargne nette ajustée. (voir figure 6 p. 23)

Encadré 4.1 – Comment se construit l’IDH des Nations unies : l’exemple de la


Chine en 2010
On commence par établir les valeurs maximales et minimales que prennent les différentes composantes
de l’indicateur de développement humain (revenu, santé et éducation).

Valeur maximale
Dimension Valeurs minimales
constatée
Espérance de vie 83,2 (Japon, 2010) 20
Durée moyenne de 13,2 (États-Unis,
0
scolarisation 2000)
Durée attendue de
20,6 (Australie, 2002) 0
scolarisation
Indice de scolarisation 0,951 (Nouvelle-
0
combiné Zélande, 2010)
Revenu par habitant (en 108,211 (Émirats
163 (Zimbabwe, 2008)
PPA en $) arabes unis, 1980)
Puis on calcule des sous-indices selon la formule suivante :
Indice dimensionnel = (valeur observée − valeur minimale) / (valeur maximale − valeur minimale)
Prenons l’exemple de la Chine. Voici les valeurs des données brutes pour ce pays pour l’année 2010 :

Espérance de vie à la naissance


73,5
(années)
73,5
(années)
Durée moyenne de scolarisation
7,5
(années)
Durée attendue de scolarisation
11,4
(années)
RNB par habitant (PPA en USD) 7 263
On peut alors calculer les indices suivants :
Indice d’espérance de vie = (73,5 − 20) / (83,2 − 20) = 0,847
Indice de la durée moyenne de scolarisation = (7,5 − 0) / (13,2 − 0) = 0,568
Indice de la durée attendue de scolarisation = (11,4 − 0) / (20,6 − 0) = 0,553
Indice d’éducation =
Indice de revenu = [ln(7 263) − ln(163)] / [ln(108 211) − ln(163)] = 0,584
L’IDH représente la moyenne géométrique des trois indices dimensionnels suivants : il pondère à part
égale l’éducation, la santé et le revenu.
Au final, l’indice de développement humain de la Chine en 2010 s’établira de la manière suivante :

Source : Rapport sur le développement humain, Nations unies, 2011

2. L’ÉPARGNE NETTE AJUSTÉE : L’EXEMPLE DE LA


FRANCE ET DU CANADA
La méthode d’évaluation de l’épargne nette ajustée consiste, on l’a vu, à
corriger la mesure de l’épargne – qui n’est autre, en théorie, que la variation
annuelle du stock de richesse de la nation – pour prendre en compte différents
flux qui doivent lui être soustraits si l’on veut évaluer la variation de la «
richesse véritable de la nation ».
La première étape consiste à passer de l’épargne brute à l’épargne nette, en
soustrayant une estimation de la dépréciation du stock de capital productif
produit : elle correspond à l’addition nette à la richesse, dans la mesure où la
dépréciation doit être compensée, et où donc la somme correspondante n’est pas
une véritable épargne, mais la dépense nécessaire au maintien en l’état du stock
existant. À cette évaluation de l’épargne nationale nette, il convient, en
revanche, d’ajouter les investissements faits dans d’autres catégories de capital,
en l’occurrence l’accumulation de capital humain grâce aux dépenses
d’éducation, habituellement traitées par la comptabilité nationale comme des
dépenses de consommation courante. Enfin, on retranche de cette évaluation de
l’épargne nette, une estimation de la dépréciation – lorsque s’il s’agit de
pollution de l’environnement – ou de la consommation – lorsqu’il s’agit de
l’exploitation de ressources naturelles, telles que les mines, les gisements ou les
forêts – du stock de capital naturel de la nation.
Les conséquences de ces diverses additions et soustractions à la mesure
comptable habituelle de l’épargne nationale brute sont illustrées dans la figure
4.1, qui compare, pour deux années, les données de deux pays dont les niveaux
de développement économique sont voisins : la France et le Canada. Selon la
comptabilité nationale habituelle, ils avaient, en 1999 comme en 2007, des taux
d’épargne nationale très proches, environ 20 % de leur Revenu national brut
(RNB). De même, la dépréciation estimée de leur stock de capital productif
produit était très similaire – un peu plus en France en 2007 –, de sorte que leurs
taux d’épargne nationale nette, au sens de la comptabilité usuelle, étaient
compris entre 5 et 10 % de leur RNB respectif. Leurs dépenses publiques
d’éducation sont, elles aussi, comparables. Mais, alors que la France, peu dotée
en ressources minérales et fossiles, et relativement peu émettrice de GES, ne
réduit, selon cette évaluation, que faiblement son stock de capital naturel, le
Canada, de son côté, a fortement accru, entre 1999 et 2007, le volume de ses
extractions d’énergies fossiles, amputant ainsi à un rythme plus soutenu son
stock de capital naturel.
Figure 4.1 – France et Canada selon l’épargne nette ajustée
Source : Banque mondiale, 2008

En 2007, l’épargne nette ajustée canadienne est, en définitive, sensiblement


plus faible que celle de la France : dans les deux pays, la richesse véritable
augmente, mais à un rythme moindre que ne le laisse penser la mesure usuelle de
l’épargne nationale, et moindre au Canada qu’en France, en raison de la
diminution du stock de capital naturel du premier.

Encadré 4.2 – Exemples d’évaluation économique des services écosystémiques


La protection des forêts éviterait les émissions de gaz à effet de serre qui coûteraient 3,7 trillions
de dollars
La réduction de moitié du taux de déforestation d’ici 2030 réduirait le total des émissions de gaz à effet
de serre de 1,5 à 2,7 GT CO2 par an, évitant ainsi d’entraîner les dommages dus au changement
climatique estimés à plus de 3,7 trillions de dollars en termes de VAN. Ce chiffre ne comprend pas les
nombreux bénéfices connexes des écosystèmes des forêts.

La sous-performance annuelle des pêcheries mondiales représente 50 milliards de dollars
La concurrence entre les flottes de pêche industrielle fortement subventionnées, associée à une
mauvaise réglementation et une application faible des règles en vigueur, a mené à la surexploitation de
presque tous les stocks de poissons à forte valeur commerciale, réduisant ainsi le revenu issu des
pêcheries marines mondiales de 50 milliards de dollars par an par comparaison à un scénario de pêche
plus durable.

L’importance des services écosystémiques des récifs coralliens
Bien que couvrant seulement 1,2 % des plaques continentales du monde, les récifs coralliens
abriteraient entre 1 et 3 millions d’espèces, et notamment un quart de la totalité des espèces de poissons
marins. Quelque 30 millions de personnes vivant en zones côtières et au sein de communautés
insulaires sont entièrement dépendants des ressources fondées sur les récifs coralliens comme principal
moyen de production alimentaire, de revenu et de moyen de subsistance.

Les produits et services écologiques représentent une nouvelle opportunité de marché
Les ventes mondiales d’aliments et de boissons issus de l’agriculture biologique ont récemment
augmenté de plus de 5 milliards de dollars par an pour atteindre les 46 milliards de dollars en 2007 ; le
marché mondial des produits du poisson portant un label écologique a augmenté de plus de 50 % entre
2008 et 2009 ; et l’écotourisme est le domaine de l’industrie du tourisme qui connaît la plus forte
croissance, la hausse estimée des dépenses mondiales le concernant atteignant 20 % par an.

En Suisse, l’apiculture pèse 213 millions de dollars par an
En 2002, une seule colonie d’abeilles assurait une production agricole annuelle d’une valeur de 1 050 $
en fruits et mûres fécondés, par comparaison à tout juste 215 $ issus des produits directs de l’apiculture
(par ex. le miel, la cire d’abeille, le pollen). En moyenne, les colonies d’abeilles suisses assuraient une
production agricole annuelle d’une valeur avoisinant les 213 millions de dollars par le biais de la
pollinisation qu’elles offrent, soit environ cinq fois la valeur de la production de miel.
À l’échelle mondiale, la valeur économique totale de la pollinisation par les insectes est estimée à 153
milliards d’euros, soit 9,5 % du rendement agricole mondial en 2005 (Gallai et alii 2009).

La plantation d’arbres améliore la qualité de vie urbaine à Canberra, en Australie
Les pouvoirs locaux de Canberra ont planté 400 000 arbres afin de réguler le microclimat, réduire la
pollution et améliorer par là même la qualité de l’air urbain, réduire les coûts d’énergie de la
climatisation ainsi que stocker et séquestrer le carbone. Au cours de la période 2008-2012, la valeur de
ces avantages devrait atteindre quelque 20 à 67 millions de dollars en termes de valeur générée ou
d’économies réalisées pour la ville.
Source : TEEB
3. À QUOI SERT DE MESURER LE CAPITAL NATUREL ?
L’INITIATIVE NATURAL CAPITAL
Lancé en octobre 2006, le projet Natural Capital (NATCAP) vise à mettre en
lumière le rôle essentiel joué par les services écosystémiques dans le bien-être
des populations et à proposer des solutions locales pour leur préservation. Ce
projet a pris la forme d’un partenariat entre trois parties principales, l’université
de Stanford, The Nature Conservancy, et le World Wildlife Fund
(www.naturalcapitalproject.org), auxquelles se joignent pour des projets locaux
d’autres institutions ou organisations. Le projet vise selon les chercheurs qui
l’animent1 deux grands objectifs :
(1) Le développement de nouvelles connaissances et d’outils pratiques et
crédibles. NATCAP a ainsi mis au point le système InVEST (Integrated
Valuation of Ecosystem Services and Tradeoffs soit Valorisation intégrée des
services écosystémiques et des arbitrages), une famille de logiciels qui aident les
décideurs à quantifier l’importance du capital naturel en termes biophysiques,
économiques et sociaux mais aussi produit des cartes qui localisent les bénéfices
tirés des ecosystèmes dans le présent et l’avenir et évalue les arbitrages associés
à des scénarios alternatifs ou des options politiques pour l’avenir.
InVEST permet d’estimer la fourniture biophysique de services
écosystémiques multiples dans une région donnée, traduit cette fourniture sous
forme de cartes de l’usage des services (en précisant qui et où sont les gens qui
bénéficient de ces services) et de valeur monétaire (la valeur que perçoivent les
utilisateurs des services), et peut prévoir les tendances à venir en matière de
fourniture de services et de valeur selon différents scénarios d’exploitation.
Parmi les applications en matière de politiques publiques du modèle InVEST
on trouve :
• L’aménagement écologique du territoire, fondé sur une évaluation de l’état
actuel et potentiel des services écosystémiques (cette application est déjà
utilisée dans la région de Baoxing en Chine mais aussi en Indonésie et en
Colombie) ;
• La conception de systèmes de paiement pour les services écosystémiques
(PSE), fondée sur la compréhension de la répartition des services, de leur
valeur et de la cartographie des populations qui en vivent ;
• La conception de stratégies d’adaptation au climat, fondées sur l’analyse
des changements futurs dans les modèles climatiques et de leur impact sur
les services écosystémiques.
(2) Le passage de la connaissance à l’action par les projets de démonstration.
Grâce à une série de projets de démonstration, les chercheurs de NATCAP
montrent comment le capital naturel peut être intégré dans les politiques
publiques. InVEST est ainsi utilisé dans les décisions touchant les ressources
naturelles en Chine, Colombie, Équateur, Indonésie, et aux États-Unis
(Californie, Hawaii). Des projets sont en cours de réalisation en Bolivie, au
Brésil, au Canada, au Mexique, au Pérou, en Tanzanie et d’autres régions des
États-Unis (Oregon, Washington).

4. LES INÉGALITÉS ENVIRONNEMENTALES EN FRANCE


L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît dès 1994 le concept de
« santé environnementale », déterminée par « les facteurs physiques, chimiques,
biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement » et
fait en 1999 de l’amélioration des conditions environnementales « la clé d’une
meilleure santé ». L’OMS a doublé cette reconnaissance conceptuelle d’une
innovation méthodologique, en concevant et popularisant une méthode
empirique permettant d’isoler la part proprement environnementale de la charge
de morbidité (l’OMS estime ainsi aujourd’hui à 24 % de la charge mondiale de
morbidité et 23 % des décès la part des facteurs environnementaux)2.
Le débat public sur la relation santé-environnement en France est très récent
et peut être précisément daté du Rapport de la Commission d’orientation du Plan
national santé-environnement de 2004. Dans la foulée de la canicule de l’été
2003 et de l’adoption de la Charte de l’environnement en 2004, celui-ci propose
un diagnostic détaillé de « la santé environnementale en France » et formule de
nombreuses recommandations. Détail intrigant : il ne contient que deux
occurrences du mot « inégalité » et laisse entièrement de côté la question de la
déclinaison sociale de la santé environnementale.
L’Organisation mondiale de la santé confirme pourtant dans de nombreux
travaux l’importance du prisme des inégalités environnementales pour les
politiques sanitaires3, mais cette reconnaissance progresse encore trop peu dans
les faits en France. Certes, la deuxième mouture du Plan National santé
environnement (PNSE2, 2009) se donne pour ambition : « la prise en compte et
la gestion des inégalités environnementales, c’est-à-dire la limitation des
nuisances écologiques susceptibles d’induire ou de renforcer des inégalités de
santé ». De même, le PNSE3, en cours de finalisation, entend poursuivre sur
cette lancée. Mais le constat, formulé par les pouvoirs publics eux-mêmes4,
s’impose : la montée en puissance des inégalités environnementales ne s’est pas
accompagnée de politiques publiques capables d’y répondre. C’est pourquoi la
nouvelle stratégie nationale de transition écologique vers un développement
durable 2015-2020 arrêtée en mars 2015 comprend un axe 3 qui vise à « prévenir
et réduire les inégalités environnementales, sociales et territoriales », tandis que
le Conseil économique, social et environnemental a rendu un avis en janvier
2015 qui entend identifier les urgences et créer des dynamiques pour réduire les
inégalités environnementales.
De la question scientifique – l’importance avérée des facteurs
environnementaux dans l’état de santé des citoyens –, découle naturellement une
question éthique et politique, celle de l’exposition et de la vulnérabilité
socialement différenciée des citoyens à ces facteurs. L’enjeu pour les politiques
publiques est potentiellement majeur : on pourrait réduire les inégalités sanitaires
en réduisant les inégalités environnementales.
Il importe ici aussi de procéder en deux temps : montrer en quoi ces
inégalités potentielles sont injustes (c’est le point de vue normatif) et montrer en
quoi elles sont réelles (c’est le point de vue positif).
Pour montrer en quoi ces inégalités environnementales peuvent être injustes,
il nous faut disposer d’une définition qui explicite notre conception de la justice.
On choisit ici, en définissant les inégalités environnementales, de les relier à la
théorie des capacités et du développement humain développée par le philosophe
et économiste Amartya Sen5.
Une inégalité environnementale, qui peut être la simple observation
empirique d’une disparité, se traduit par une injustice sociale dès lors que le
bien-être et les capacités d’une population particulière sont affectés de manière
disproportionnée par ses conditions environnementales d’existence, même si
cette situation résulte d’un choix. Les conditions environnementales d’existence
désignent, de manière négative, l’exposition aux nuisances, pollutions et risques
et, de manière positive, l’accès aux aménités et ressources naturelles. Le
caractère particulier de la population en question peut être défini selon différents
critères, sociaux, démographiques, territoriaux, etc. La justice environnementale
vise dès lors à repérer, mesurer et corriger les inégalités environnementales qui
se traduisent par des injustices sociales. Elle suppose l’adoption d’un arsenal
efficace de politiques publiques, qui inclue des moyens de recherche
conséquents.
L’opérationnalisation publique de cette préoccupation de la justice
environnementale est vieille de 20 ans aux États-Unis : on a célébré le 11 février
dernier le vingtième anniversaire du décret 12898 de l’administration Clinton
enjoignant les agences fédérales de promouvoir la justice environnementale en
faveur des minorités ethniques et des populations à faible revenu. La
problématique de la santé environnementale, vieille d’une décennie en France,
n’a pas encore conduit à une analyse systématique des inégalités
environnementales et encore moins à une réforme profonde des politique
publiques visant à les réduire.

4.1. LES POLLUTIONS DE L’AIR


Les études portant sur les effets sanitaires de la pollution atmosphérique
extérieure, et en particulier la pollution aux particules fines, au dioxyde d’azote
et à l’ozone, a progressé de manière décisive au cours des dernières années.
L’OMS a ainsi présenté fin 2013 une étude complète concluant au classement de
la pollution atmosphérique dans la catégorie des « cancérigènes certains », et
porté début 2014 au double du chiffre antérieurement admis le nombre de décès
prématuré lié à cette pollution (7 millions de morts en 2012). La conclusion des
experts de l’OMS est dénuée d’ambiguïté : « Peu de risques ont un impact
supérieur sur la santé mondiale à l’heure actuelle que la pollution de l’air ».
La pollution atmosphérique est un problème majeur dans l’Union
européenne de 2015 : le récent état de l’environnement publié par l’Agence
environnementale européenne6 indique que l’exposition aux particules fines
serait responsable de près de 450 000 décès prématurés sur le continent.
Une étude européenne de grande ampleur7 a récemment évalué avec
précision l’impact sanitaire de la pollution aux particules fines en France
révèlent des inégalités fortes en la matière. Les résultats considérés en moyenne
témoignent de l’ampleur du problème sanitaire : si les normes de l’OMS étaient
respectées en matière de pollution atmosphérique, l’espérance de vie à 30 ans
pourrait augmenter de 3,6 à 7,5 mois selon la ville française étudiée.
Mais le projet révèle aussi l’inégalité territoriale attachée à cette exposition :
l’impact sanitaire varie considérablement selon les espaces urbains (du simple au
double de Toulouse, ville étudiée la moins polluée à Marseille, ville la plus
polluée) et même à l’intérieur de ceux-ci. Habiter à proximité du trafic routier
augmente ainsi sensiblement la morbidité attribuable à la pollution
atmosphérique (à proximité de voies à forte densité de trafic automobile, on
constate une augmentation de 15 à 30 % des nouveaux cas d’asthme chez
l’enfant et des pathologies chroniques respiratoires et cardiovasculaires
fréquentes chez les adultes âgés de 65 ans et plus).
De l’impact sanitaire, on passe à l’inégalité territoriale et enfin aux publics
les plus vulnérables. En bout de chaîne, l’injustice est démultipliée, car la
pollution de l’air peut avoir des effets durables sur les capacités des enfants tout
au long du cycle de vie. Il n’est pas exagéré de parler d’injustice destinale, dès
lors que la recherche la plus avancée met en évidence l’incidence de l’exposition
environnementale néfaste sur le devenir social de l’enfant (ce que montrent de
manière éloquente les travaux de la chercheuse Janet Currie de l’Université
Princeton). De même, la recherche moderne en toxicologie insiste lourdement
sur l’impact des effets de l’environnement prénatal et périnatal quant au
développement biologique et social des enfants.
On peut évaluer cette question de manière plus systématique et précise,
comme le fait le projet Equit’Area, qui mesure avec minutie le différentiel
d’exposition des populations socialement défavorisées dans les agglomérations
françaises. Les résultats sont particulièrement probants pour l’exposition au
dioxyde d’azote dans les agglomérations lilloises et marseillaises. De manière
concrète, un enfant né aujourd’hui dans un quartier de Marseille à proximité
immédiate d’un axe de transport est la victime d’une inégalité environnementale
socialement injuste et qui peut l’affecter durablement.
L’impact sanitaire des pollutions de l’air intérieur (au sein des habitations et
des lieux de travail) est également, en France, très préoccupant. Une récente
étude8 montre que le radon, deuxième cause de cancer du poumon après le
tabagisme, provoque chaque année entre 1 200 et 3 000 décès (23 000 années de
vie perdues) tandis que près de 300 décès et 6 000 intoxications sont liés à des
intoxications au monoxyde de carbone (au total la pollution l’air intérieur serait
responsable de 20 000 décès par an). Or la localisation et la qualité du logement
(et notamment la hauteur, l’isolation et la ventilation des pièces), qui est bien
entendu facteur du niveau de revenu, influe fortement sur la qualité de l’air
intérieur. Il y a donc bien un enjeu social de l’air intérieur.

4.2. LES POLLUTIONS DU MILIEU


S’agissant des pollutions du milieu, c’est-à-dire celles qui touchent
directement les lieux dans lesquels les personnes vivent et évoluent
quotidiennement, un premier enjeu concerne le caractère équitable de la
répartition des sites classés dangereux ou toxiques sur le territoire national (le
caractère nocif de ces installations pour la santé n’est pas à prouver puisque c’est
précisément leur caractère nocif qui justifie leur classement en sites toxiques).
Or, ici aussi, des études récentes attestent que cette exposition environnementale
n’est pas socialement neutre. Une première étude de 20089 montre que les
communes françaises ne sont pas également affectées par les risques inhérents
aux sites de stockage des déchets dangereux : les villes dont les habitants ont les
revenus les plus faibles et qui comptent en leur rang la plus forte proportion
d’immigrés (à la fois étrangers et nationaux d’origine étrangère) sont bien plus
exposées que les autres communes.
Une étude encore plus récente10 vient conforter ces premiers résultats : non
seulement la présence d’incinérateurs est positivement corrélée à la présence de
personnes à faible revenu et d’immigrés mais de surcroît le lien de causalité dans
le temps est clair : les nouveaux incinérateurs sont installés à proximité des
populations vulnérables et non l’inverse. Cette question de la précédence
chronologique est un débat capital dans la littérature américaine sur la justice
environnementale, il est toujours possible en effet de faire l’hypothèse que les
populations défavorisées ou vulnérables s’installent à proximité des sites
toxiques pour des questions financières. Mais y compris dans ce cas, rien ne
justifie qu’elles soient exposées à des nuisances disproportionnées comparées au
reste de la population. Dans le cas français, la situation est encore plus simple :
pour un pour-cent de population d’origine étrangère en plus, une commune voit
augmenter de près de 30 % la probabilité de voir s’installer sur son territoire un
incinérateur.
Le bruit, considéré par les spécialistes comme le deuxième risque
environnemental en importance juste derrière la pollution atmosphérique du fait
de son impact (mesuré en années potentielles de vie perdues ajustées sur
l’incapacité), doit également être considéré comme une pollution du milieu11. La
relation entre inégalités sociales et expositions au bruit vient d’être mise en
lumière par une étude publiée début 2014 par l’Agence Régionale de Santé d’Ile-
de-France portant sur les grandes plateformes aéroportuaires franciliennes. Les
résultats révèlent que la part de population exposée croît avec le niveau de «
défaveur » socio-économique et que les IRIS où il y a une part importante de
personnes exposées sont les plus défavorisés. D’autres études sur le bruit,
réalisées par exemple dans la région de Marseille, parviennent à des conclusions
moins tranchées et montrent notamment que ce sont plutôt les catégories sociales
intermédiaires qui sont les plus exposées aux nuisances sonores (ce qui n’enlève
rien à la nécessité de l’action publique).
Les pollutions chimiques sont elles aussi inégalement réparties sur le
territoire national et les travaux de recherche français ont fortement progressé
dans cette voie également depuis quelques années. Le modèle PLAINE construit
par l’INERIS permet par exemple de cartographier la présence du nickel, du
cadmium, du chrome et du plomb, en se concentrant sur deux régions. Les
résultats obtenus pour le Nord-Pas-de-Calais pour le cadmium permettent
d’identifier deux zones de surexposition potentielle (Metaleurop et la périphérie
de l’agglomération lilloise).12 Cet enjeu des pollutions chimiques et de la
surexposition de certaines populations doit être relié à la multiplication des «
cancers environnementaux », c’est-à-dire des cancers imputables à des facteurs
environnementaux, que l’on estime désormais autour de 10 %.
La question de la dimension professionnelle des inégalités
environnementales apparaît alors avec force. L’exposition aux « perturbateurs
endocriniens » n’est ainsi pas homogène selon le milieu professionnel : c’est
dans l’industrie, l’agriculture, le nettoyage, la plasturgie que les expositions sont
les plus fortes. Or, comme pour la pollution aux particules fines, l’exposition
prénatale et périnatale peut avoir des conséquences durablement néfastes.
Certaines études établissent un lien entre l’exposition à l’arsenic in utero et une
mortalité infantile accrue, un poids inférieur à la naissance et une moindre
résistance aux infections infantiles. Ce type d’études a justifié l’interdiction en
France du bisphénol A, mais beaucoup reste à faire sur de nombreux autres
perturbateurs endocriniens.
Les inégalités environnementales liées au milieu professionnel sont fortes,
dans un contexte où, pour la première fois en 2011, le nombre de décès par
maladies professionnelles dépasse le nombre de décès par accident du travail. Il
suffit de rappeler à ce sujet la différence considérable d’espérance de vie entre
catégories professionnelles (de 7 ans entre cadres et ouvriers et de 6 ans entre
cadres et employés), écart qui a tendance à s’accroître et non à se réduire depuis
trente ans.

4.3. L’ACCÈS AUX RESSOURCES


Une autre facette des inégalités environnementales tient à l’accès inégal aux
ressources naturelles que sont l’alimentation, l’eau et l’énergie.
S’agissant de l’alimentation, où déterminants liés aux comportements et
environnement compris au sens large se cumulent (cf. dernière partie), une étude
récente révèle l’existence de différences sociales d’un facteur 2 à 3 pour les
pathologies en lien avec la nutrition, en particulier l’obésité et le diabète13.
L’accès à l’eau est également très inégal selon les territoires du fait de son coût
différencié pour le consommateur. Deux études indépendantes conduites ces
dernières années échelonnent respectivement le prix de l’eau du simple au
quadruple (Confédération générale du logement, 2013) et du simple au septuple
(60 millions de consommateurs, 2012)14.
Enfin, les inégalités énergétiques, à la fois absolues (pauvreté énergétique,
qui touche 8 millions de personnes en France) et relative (précarité énergétique
et écart de dépenses énergétiques entre ménages en fonction du niveau de revenu
et du lieu d’habitation, croissantes depuis deux décennies), qu’elles soient liées
au logement et à la mobilité, sont de mieux en mieux documentées en France,
même si la qualité des données nationales est encore loin de celles du Royaume-
Uni (pour des données et études récentes, voir Laurent et Hallegatte, 2013 et
GCDD 201315).

4.4. L’IMPACT DES CATASTROPHES SOCIAL-


ÉCOLOGIQUES
Enfin, l’exposition et la sensibilité aux risques naturels constitue une
inégalité majeure dont l’impact social va s’aggraver au cours des décennies à
venir faute de politique publique adaptée à l’ampleur du défi. Pour le dire dans le
langage des programmes de réduction des risques de catastrophe des Nations
Unies (Disaster Risk Reduction ou DRR), « il n’y a pas de catastrophes
naturelles, il n’y a que des risques naturels » : l’impact d’une catastrophe «
dépend des choix que nous faisons pour nos vies et notre environnement […].
Chaque décision et chaque action nous rend plus vulnérables ou plus résilients
»16.
L’enjeu ici consiste à comprendre qu’il y a au fond deux façons de voir les
risques naturels et notamment le changement climatique : la première émet
l’hypothèse que les catastrophes dites « naturelles » frappent au hasard et que les
humains n’y peuvent rien (c’est l’étymologie du mot « dés-astre », qui désigne la
mauvaise fortune). La seconde consiste à penser que la responsabilité humaine
est au cœur de ces événements, lesquels mériteraient plutôt le nom de «
catastrophes », qui oriente étymologiquement vers l’idée d’un dénouement,
heureux ou malheureux, d’un risque dont la réalisation, et en particulier l’impact
social, est dans les mains des humains.
Les grandes crises écologiques contemporaines (changement climatique,
destruction de la biodiversité, dégradation des écosystèmes) n’ont pas le même
impact social partout dans le monde : partout elles révèlent les inégalités sociales
et les aggravent17. Le rôle du capital social est par exemple de toute première
importance dans l’impact des catastrophes social-écologiques. La matrice de
cette inégalité face aux catastrophes sociales-écologiques est pour la France la
canicule de 2003, dont 90 % des 14 000 victimes avaient plus de 65 ans et dont
le décès fut lié à des causes sociales (isolement, pauvreté).

5. LA JUSTICE ENVIRONNEMENTALE GLOBALE : PEUT-


ON PARLER DE « DETTE ÉCOLOGIQUE » ?
On peut envisager au moins deux définitions de la notion de dette
écologique. La première tient à la dette que nous avons collectivement
contractée à l’égard de la biosphère (sous la forme par exemple de la destruction
de certaines espèces dont nous sommes responsables), à l’égard de nos
contemporains (sous la forme par exemple des conséquences néfastes des
évènements extrêmes que le changement climatique d’origine humaine
engendre) et à l’égard des générations futures (sous la forme par exemple de la
raréfaction des ressources en eau consécutive à leur surexploitation). Cette
définition de la dette écologique est à la fois la plus juste et la plus difficile à
appréhender. Mais ce n’est pas celle qui s’est imposée dans les forums
internationaux et le débat public. Depuis le début des années 1990 prévaut plutôt
l’idée selon laquelle les pays riches, parce qu’ils ont transféré aux pays pauvres
une partie du coût écologique de leur développement, se sont rendus coupables à
leur égard d’une faute qui appelle réparation.
Mais ce discours sur la dette écologique comme faute des pays riches souffre
d’un paradoxe : il réclame justice et réparation mais fait généralement l’impasse
sur le chiffrage des préjudices subis au nom de l’impossibilité morale de
monétariser les ressources naturelles. Il se cantonne du coup souvent dans
l’abstraction.
L’exercice quantitatif le plus intéressant sur cette notion de dette écologique
a été réalisé par une équipe emmenée par Thara Srinivasan (université de
Berkeley) et publié en 2008. Ces chercheurs se sont efforcés d’évaluer sur la
période 1961-2000 la répartition des coûts environnementaux (résultant de la
déforestation, du changement climatique ou encore de la surpêche) en
distinguant trois types de pays selon leur niveau de développement. Le calcul,
qui repose sur de nombreuses hypothèses, aboutit néanmoins à un résultat très
intéressant. Il montre que les pays pauvres supportent la même part « brute » des
coûts environnementaux globaux que les pays riches (20 %)tandis que les pays à
revenu intermédiaires supportent 60 % des coûts. Mais une fois ces coûts
pondérés par leur poids réel compte tenu du niveau de développement des pays
qui les assument (ce que l’on pourrait appeler le « coût net »), la répartition se
transforme radicalement : 45 % pour les pays pauvres, 52 % pour les pays
intermédiaires et seulement 3 % pour les pays riches.
Le point central de l’étude consiste à montrer que plus de la moitié de ces
coûts environnementaux pour les pays pauvres proviennent de l’activité des
autres catégories de pays, pas seulement des pays riches. Ce constat empirique
reflète la réalité complexe et changeante de notre monde en plein
bouleversement économique ainsi que le nuancier subtil que recouvre désormais
la catégorie de « pays en développement ». Plus que tout autre phénomène, c’est
cette dynamique qui brouille complètement aujourd’hui la notion de dette
écologique.
Cette évaluation conduit également à attribuer plus de 95 % de la dette
écologique des pays riches et intermédiaires envers les pays pauvres au
changement climatique. Si dette écologique il y a, il s’agit donc avant tout d’une
dette climatique (on retrouve cette idée de la prévalence de la question du
changement climatique dans les crises écologiques contemporaines en mesurant
que 51 % de l’empreinte écologique globale est aujourd’hui une empreinte
carbone alors que cette dernière ne représentait que 12 % de l’empreinte
écologique en 1961).

1. Voir Heather Tallis, Wang Yukuan, Fu Bin, Zhu Bo, Zhu Wanze, Chen Min, Christine Tam, et Gretchen
Daily (2010) et Peter Kareiva, Heather Tallis, Taylor H. Ricketts, Gretchen C. Daily et Stephen Polasky
(2011).
2. Voir OMS, « Quantifying environmental health impacts »,
http://www.who.int/quantifying_ehimpacts/en/
3. Voir notamment OMS, Environmental health inequalities in Europe. Assessment report, 2012.
4. « Malgré les travaux lancés par le deuxième plan national santé environnement (PNSE2), les inégalités
environnementales demeurent peu évaluées et donc peu traitées en tant que telles par les pouvoirs publics
car il n’existe pas à ce jour des données spatialisées pour l’ensemble de ces risques et de méthodologie
opérationnelle pour les additionner » in Inégalités territoriales, environnementales et sociales de santé –
Regards croisés en régions : de l’observation à l’action, Ministère des Affaires sociales et de la Santé,
Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2014.
5. Voir notamment Amartya Sen, L’idée de justice, traduit de l’anglais par Paul Chemla, avec la
collaboration d’Éloi Laurent, Flammarion, 2011.
6. European environmental agency, SOER 2015 — The European environment — state and outlook 2015.
7. Le projet Aphekom (Improving Knowledge and communication for Decision Making on Air Pollution
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25 villes européennes participant au projet.
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10. Lucie Laurian, Richard Funderburg (2014), « Environmental justice in France ? A spatio-temporal
analysis of incinerator location », Journal of Environmental Planning and Management, 57:3, 424-446.
11. Un rapport de l’Agence européenne de l’environnement publié en décembre 2014 indique que « le bruit
des transports et de l’industrie provoque chaque année au moins 10 000 morts prématurées, gêne 20
millions d’adultes, entraîne des troubles du sommeil chez 8 millions d’entre eux et cause plus de 900 000
cas d’hypertension et 43 000 hospitalisations. »
12. Voir Julien Caudeville, « Caractériser les inégalités environnementales » in Eloi Laurent Vers l’égalité
des territoires, La Documentation française, 2013.
http://www.verslegalite.territoires.gouv.fr/sites/default/files/partie%20II-B-2_web_0.pdf
13. Nicole Darmon, Gabrielle Carlin, « Alimentation et inégalités sociales de santé en France », Cahiers de
Nutrition et de Diététique, vol. 48, Issue 5, Novembre 2013, p. 233-239.
14. Dans le détail, l’étude de la CGL observe : « Des prix moyens départementaux qui varient du simple au
triple, des prix médians qui vont du simple au double, des écarts très importants au sein d’un même
département voire entre communes voisines, des prix élevés dans beaucoup d’endroits, une France rurale
qui paie son eau plus chère, des grandes villes qui tirent leur épingle du jeu, telle est la situation des prix de
l’eau en France. » (cf. http://www.lacgl.fr/-Etudes-.html). Quant à l’étude de 60 millions de consommateurs,
elle note : « En France, le prix moyen du service de l’eau varie de 2,76 euros/m3 en Auvergne à 4,15
euros/m3 en Bretagne. Mais à l’intérieur d’une même région, les écarts peuvent être très importants. Ainsi,
en Midi-Pyrénées, le prix varie de 0,30 euros/m3 (sans assainissement collectif) à 6,70 euros /m3. »
15. http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Dossier_CRDD_Precarite_energetique-2.pdf
16. Voir le site du UNISDR : http://www.unisdr.org/who-we-are/what-is-drr
17. Pour des exemples de catastrophes social-écologiques au cours de l’année 2013, voir E. Laurent, 2014,
Le bel avenir de l’État Providence.
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INDEX DES NOTIONS

A
actualisation 55
agrocarburants 100

B
biens collectifs 35, 111
biens communs 35, 135
biodiversité 11, 13, 14, 34, 35, 37, 45, 47, 51, 52, 55, 59, 86, 88, 95, 111-113,
118, 134, 136, 138, 153, 177
biosphère 13
bruit 175

C
canicule 170
capacités 15, 125, 156, 171
capital humain 127, 130, 151, 153, 155, 165
capital naturel 28, 56, 126, 127, 130, 131, 132, 135, 149, 153, 155, 165, 169
capital social et institutionnel 127
changement(s) climatique(s) 11, 14, 57, 59, 60, 63, 75, 91, 109, 112, 115, 137,
167, 177-179
contribution climat-énergie 64
couche d’ozone 110
crises écologiques 7, 10, 11, 14, 16, 109, 137, 142, 177

D
déchets dangereux 174
découplage 84, 142, 144, 164
décroissance 146
défaillance du marché 41
dette écologique 178, 179
développement humain 10, 15, 16, 22
disposition à payer 49
double dividende 65
droits de propriété 31, 36, 44, 68, 134

E
économie circulaire 105
économie écologique 22
économie verte 100, 105
écosystèmes 7, 11, 22, 14, 45, 50, 52, 86, 87, 111, 115, 138, 139, 167, 177
écotaxes 68
effet-rebond 82, 86
effets externes 41, 99
émissions de CO2 10
émissions de gaz à effet de serre 52, 92
émissions de GES 69, 83, 116
emplois verts 100, 102
empreinte 148, 156, 179
énergies fossiles 21, 27, 30, 32, 47, 63,
74, 77
épargne nette ajustée 130, 151, 154, 156, 165, 167
État providence 17
état stationnaire 19, 20
évaluation contingente 49
externalité(s) 21, 38, 39, 40, 43, 44, 81, 100, 107, 135

F
fiscalité écologique 43, 62, 65
flux de matières 143, 144, 164
fuites de carbone 64

G
gaz à effet de serre 61, 111, 115, 117, 130

I
identité de Kaya 83
incitation(s) 30, 34, 37, 51, 61, 62, 66, 70, 74, 81, 83, 86, 117, 133
indicateur(s) 22, 24, 88, 105, 136, 143, 146, 151
indice de développement humain 17, 164
inégalité territoriale 173
inégalité environnementale 170, 171, 176
intensité énergétique 77, 83, 144

J
justice environnementale 157, 160, 172

L
limites planétaires 13

P
passager clandestin 89
pertubateurs endocriniens 175
PIB vert 148
politique(s) environnementale(s) 52, 55, 59
pollution atmosphérique 172
pollutions chimiques 175
population 71, 82, 83, 91, 95, 96, 99, 124, 150, 171
préférences déclarées 49
préférences révélées 48
prix du carbone 21
prix imputés 53, 155
prospérité 7, 10, 16, 22, 32, 33, 163

Q
quotas d’émission 36, 44, 64, 69

R
rareté 8, 18, 21, 27, 31, 74, 124, 128, 131
réglementation 61, 62
rente 19, 31, 32, 81, 131
résilience 136, 138, 139, 156
ressource(s) naturelle(s) 9, 27, 28, 34, 44, 46, 51, 82, 86, 92, 124, 125, 128, 130,
131, 133, 134, 143, 144, 151, 176, 178
révolution agricole 94, 97, 134
révolution industrielle 10, 27, 71, 72, 75, 117, 124, 131
richesse au sens large 130, 132, 151, 153
richesse totale 153, 154
richesse véritable 128, 165, 167
risques naturels 177

S
santé environnementale 170
service(s) écosystémique(s) 11, 37, 45, 46, 55, 95, 103, 133, 135, 136, 153, 167,
168
services environnementaux 49, 52
soutenabilité 10, 18, 21, 22, 24, 123, 146, 164

T
tableaux de bord 147
taux d’actualisation 20, 54, 55, 56, 57
taxe carbone 24, 62
taxe sur le carbone ajouté 65
tragédie des communs 134
transition démographique 72

V
vulnérabilité 138
INDEX DES NOMS

A
Acemoglu Daron 32
Afghanistan 97
Afrique 96
Afrique sub-saharienne 73
Aïchi 113
Alberta 63, 75
Algérie 33
Allemagne 77
Amazonas 52
Amérique 33
Amérique du Nord 32, 96, 98
Amérique du Sud 32
Amérique latine 96
Angleterre 36, 73, 74, 94
Annan Kofi 110
Antarctique 90, 135
Arctique 90
Arménie 29
Arrow Kenneth J. 123, 129
Asie 93, 96
Australie 41, 63
Auvergne 176

B
Bali 111
Banzhaf Spencer 159
Baoxing 169
Berkes Fikret 138
Blair Tony 57
Blanchet Didier 155
Bolivie 170
Boulding Kenneth 22
Brésil 59, 125, 129
Bretagne 176
Brundtland Gro Harlem 22, 107, 125, 129
Buchanan James 38
Bulgarie 77
Bullard Robert D. 158, 159

C
Californie 63, 91
Canada 75, 167
Canberra 168
Cancun 111, 112
Caraïbes 87
Carlin Gabrielle 176
Caroline du Nord 157
Caudeville Julien 175
Chevassus-au-Louis Bernard 47, 50, 51, 138
Chine 10, 46, 52, 77, 79, 97, 99, 117, 118, 129, 130, 164, 169
Clark Gregory 10
Clinton Bill 172
Club de Rome 27
Coase Ronald 43, 44, 68
Cobb Charles 131
Colombie 63, 169
Comté de Warren 157
Copenhague 111, 112
Corée du Sud 32
Costa Rica 52
Costanza Robert 50
Crutzen Paul 13
Currie Janet 173

D
Danemark 63, 77
Danielsen Finn 140
Daly Herman 22
Darmon Nicole 176
Dasgupta Partha 56, 57
Diamond Jared 33
Djoghlaf Ahmed 88
Douglas Paul 131
Durban 111

E
Égypte 97
États-Unis 21, 33, 36, 68, 75, 77, 119, 135, 157, 159, 160, 172
Europe 64, 69, 73, 96, 98, 154
Europe occidentale 36, 73

F
Fisher Irving 20
France 23, 56, 58, 59, 62, 64-68, 73, 77, 80, 97, 103-105, 135, 144, 167, 170,
172, 173, 176, 177

G
Gallai Nicolas 168
Georgescu-Roegen Nicolas 22
Géorgie 29
Ghana 97
Godard Olivier 64
Gore Al 60
Groenland 33

H
Hardin Garett 35
Hartwick John M. 128
Hicks John 54, 126, 132
Holling Crawford Stanley 139
Hotelling Harold 18, 20, 82, 133, 155

I
Île-de-France 175
Îles Hébrides 33
Inde 129
Indonésie 169
Islande 33
Italie 77

J
Japon 10, 32
Jevons Stanley 19, 82, 86, 145
Johannesburg 111

K
Kaldor Nicholas 54
Kareiva Peter 169
Kaya Yoichi 83
Khazzoom Daniel 83
Krausmann Fridolin 144
Krugman Paul 42
Kuznets Simon 143
Kyoto 112, 116

L
Labrador 33
Lebègue Daniel 58
Len Brookes 83
Libye 33

M
Maddison Angus 17
Malmö 111
Malthus Thomas Robert 9, 10, 71, 92
Maoxian 46
Marcus Vincent 155, 173, 175
Marshall Alfred 38
Marx Karl 131
McNeill John R. 28, 75, 93, 95
McPeak John G. 138
Meadows Dennis 21, 125, 146
Melonio Thomas 130
Menger Carl 19
Mercantour 34
Midi-Pyrénées 176
Mill John Stuart 19
Montréal 109
Moyen-Orient 29, 33

N
Nagoya 45, 88, 112, 113
New York 46
Nordhaus William D. 57, 146, 175
Nord-Pas-de-Calais 175
North Douglass 134

O
Occident 10
Olson Mancur 35, 37
OPEP 21, 81
Oregon 170
Ostrom Elinor 37, 135, 140, 141, 142

P
Paley William 22
Papin Denis 73
Pareto Vilfredo 41
Paris 40, 114, 119
Péninsule Arabique 98
Pigou Arthur Cecil 18, 20, 21, 39, 43, 62, 82
Polo Marco 29
Pomeranz Kenneth 74, 131
Pyrénées 34

Q
Quesnay François 18

R
Ramsey Frank 20, 55, 56, 82
Rawls John 125
Ricardo David 19, 31
Rio 59, 108, 109, 111, 125, 147
Rockström 14
Royaume-Uni 31, 51, 161, 177
Russie 21, 33, 77

S
Sagoff Marc 45
Sahara 98
Samuelson Paul 35, 42
Sen Amartya 15, 125, 171
Sichuan 46
Sierra Leone 73
Silicon Valley 39
Smith Adam 29
Solow Robert 126, 154
Sorrelle 86
Srinivasan Thara 178
Stavins Robert 86
Stern Nicholas 57
Stiglitz Joseph E. 156
Stockholm 107-109
Stoermer Eugène 13
Suède 63

T
Tamil Nadu 140
Thiers 39
Tiebout Charles M. 38, 42
Timbeau Xavier 130
Timor oriental 110
Toulouse 173
Turgot Anne-Robert-Jacques 18

U
Union européenne (UE) 61, 69, 77, 79, 80, 81, 85, 100, 102, 116, 118, 147
Union soviétique 116

V
Van den Bergh Jan 138
Vienne 110
Vikings 34
Vitousek Peter 11

W
Wackernagel Mathis 148
Walras Léon 19
Watt James 73
Weitzman Martin 54, 57
Wilson Edward O. 14
LISTE DES ENCADRÉS


Encadré 1 – Les progrès contemporains en matière de développement humain
Encadré 2 – La « règle de Hotelling »
Encadré 1.1 – Un peu de macroéconomie : recherche de rente et « maladie
hollandaise »
Encadré 1.2 – La gestion des espaces boisés : diversité des formes
institutionnelles et des résultats Encadré 1.3 – Comment évaluer
économiquement une externalité : l’exemple de la pollinisation Encadré 1.4 –
Externalités locales et externalités globales Encadré 1.5 – Le principe «
pollueur-payeur » dans la Charte de l’environnement Encadré 1.6 – Un exemple
d’analyse coût-bénéfice : la construction d’une autoroute ou d’un tunnel
ferroviaire Encadré 1.7 – Le principe de précaution
Encadré 1.8 – Le rapport Lebègue (2005) et l’actualisation dans les décisions
d’investissement public en France Encadré 1.9 – La taxe carbone dans le monde
Encadré 1.10 – Une taxe sur le carbone ajouté en France ou en Europe ?
Encadré 1.11 – Le « double dividende »
Encadré 1.12 – Écotaxes et valorisation des déchets
Encadré 2.1 – Rareté du bois et attrait économique du charbon dans
l’Angleterre du XVIIIe siècle Encadré 2.2 – La dépendance énergétique
européenne
Encadré 2.3 – La fin de la pêche ?
Encadré 2.4 – L’eau douce, une ressource renouvelable ou épuisable ?
Encadré 2.5 – Comment réduire les externalités négatives et améliorer les
services écosystémiques de l’agriculture ?
Encadré 2.6 – Les débuts de la gouvernance environnementale mondiale à
Stockholm Encadré 2.7 – Les accords de Cancun et Nagoya
Encadré 2.8 – Le préambule de la Convention-cadre des Nations unies sur les
changements climatiques Encadré 3.1 – La « règle de Hartwick »
Encadré 3.2 – Une évaluation optimiste de la soutenabilité des grandes
économies Encadré 3.3 – Les huit principes d’une gouvernance
environnementale efficace selon Ostrom Encadré 3.4 – Agenda 21 : les tableaux
de bord et leurs limites Encadré 3.5 – Le PIB « vert » : un compteur de
consommation, pas une jauge Encadré 3.6 – Les « empreintes »
Encadré 3.7 – Les recommandations de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi
Encadré 3.8 – Quatre types d’inégalités environnementales Encadré 4.1 –
Comment se construit l’IDH des Nations unies : l’exemple de la Chine en 2010
Encadré 4.2 – Exemples d’évaluation économique des services écosystémiques
LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX


Figure 1 – Les trois courbes du XXe siècle Figure 2 – La transformation
anthropogénique de la planète
Figure 3 – Les grandes étapes du développement écologique et humain Tableau
1 – La vie sur Terre et les espèces menacées
Figure 4 – Les services rendus par les écosystèmes
Tableau 2 – Pourcentage de personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour
Figure 5 – Bien-être humain et soutenabilité environnementale
Figure 6 – Mesurer le bien-être et la soutenabilité
Tableau 1.1 – Le changement économique et écologique planétaire au cours du
XXe siècle (1890-1990) Figure 1.1 – Les multiples valeurs de la nature
Figure 1.2 – Les méthodes de valorisation fondées sur les préférences Tableau
1.2 – Valeur actualisée d’un million d’euros
Figure 1.3 – Le parc automobile français
Figure 2.1 – Évolution du mix énergétique mondial, 1973-2012 (en %) Figure
2.2 – Production de pétrole brut par région, 2013 (% du total) Figure 2.3 –
Production de gaz naturel par région, 2013 (% du total) Figure 2.4 – Production
de charbon par région, 2013 (% du total) Tableau 2.1 – Production, exportation
et importation d’énergies fossiles pour les principaux pays, 2010 (millions de
tonnes, et pourcentage de la production mondiale entre parenthèses) Figure 2.5
– Structure de la consommation d’énergie primaire en France, de 1973 à 2013
(% du total) Tableau 2.2 – Décomposition de Kaya pour l’économie mondiale
(1970-2004) Tableau 2.3 – Les paramètres de l’équation de Kaya (1990-2020)
Tableau 2.4 – Identité de Kaya pour l’OCDE-Europe (taux de croissance annuel
moyen) Tableau 2.5 – Identité de Kaya pour l’OCDE (taux de croissance annuel
moyen) Tableau 2.6 – Espèces menacées (2002-2014)
Tableau 2.7 – Statut des stocks mondiaux de poissons en 2009
Tableau 2.8 – L’état des forêts mondiales
Tableau 2.9 – Pêcheurs et aquaculteurs (en milliers)
Tableau 2.10 – Parts de l’agriculture dans le PIB et de l’emploi agricole dans
l’emploi total de quelques pays (2011-2012, en %) Tableau 2.11 – Agriculture
irriguée et usage d’eau douce dans quelques pays (2003-2005) Tableau 2.12 –
Les « emplois verts » dans l’UE 27 en 2000 (en milliers) Tableau 2.13 – Les «
emplois verts » en France en 2008
Tableau 2.14 – Nombre d’emplois dans cinq filières d’éco-activités privées
Tableau 2.15 – Dépense nationale liée à l’environnement en France en 2008 (en
millions d’euros) Figure 2.6 – L’économie linéaire
Figure 2.7 – L’économie circulaire
Tableau 2.16 – État des ratifications pour quatre accords multilatéraux
environnementaux en 2007 (en nombre de pays ayant ratifié) Tableau 2.17 – La
gouvernance environnementale globale : objectifs, problèmes et options
Tableau 3.1 – La richesse des nations en 2005
Figure 3.1 – Le changement climatique, entre systèmes naturels et humains
Figure 3.2 – Contexte social, économique et politique (développement
économique, tendances démographiques, stabilité politique, etc.) Figure 3.3 –
Quatre découplages
Tableau 3.2 – L’évolution de l’empreinte écologique (1961-2007) Figure 3.4 –
Épargne nette ajustée du monde, de l’OCDE et des pays les moins avancés
(PMA), 1970-2008 (% du RNB) Figure 3.5 – Épargne nette ajustée de quelques
pays, 1970-2008 (% du RNB) Figure 4.1 – France et Canada selon l’épargne
nette ajustée

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