Fouladou
Fouladou
Fouladou
SYLVIE
1. Dans cet article, nous utilisons le qualificatif <<peuln pour toutes les populations parlant le
pulaar, ayant des patronymes peuls et se reconnaissant comme telles, quelle que soit leur origine
sociale (libre ou servile).
I 16'
SÉNÉGAL I Fouta Toro L
o\
Q\
2. Les JiyaaGe, les anciens captifs des Peuls, se considèrent comme étant peuls, et sont vus comme
tels par les RimGe, même s’ils n’ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes connaissances que ces
demiers en matière d’élevage. Pour eux, il existe deux types de Peuls: les R i m k et les JiyaaGe.
3. Navétanes: travailleurs saisonniers venant au Sénégal pour la cukure de l’arachide.
168 SYLVE FANCHETTE
Le peuplement du Fouladou :
coexistence spatiale et emprunts entre les groupes
aussi bien que des Rim6e fuirent en grand nombre le Firdou, centre du
royaume, pour les provinces méridionales : <<Dansle sud du Fouladou, il y
avait peu de monde à l’époque et puisque c’était la guerre, les gens se
rapprochaient des gros villages4. >> Puis, quelques fidèles guerriers de
Moussa Mo10 fondèrent des villages afin de contrôler la frontière séparant
le Fouladou de la moyenne Casamance où s’étaient réfugiés les
Mandingues : Sare Kediang, Boguel, Sibikaranto, près de Medina Alpha
Sadou, Bodeyel Abdoul, Sare Pathe Kamako, Sare Kolis. Enfin, au
moment de la fuite en Gambie de Moussa Molo, d’autres guerriers sont
partis s’installer dans le sud du Fouladou.
Certains de ces guerriers Rim6e fondèrent des villages avec l’aide de
leurs Jiyaa6e. Ce fut le cas de Mounkou Diaw, fondateur de Sanka, chef-
lieu du Kanfodiang, de Djoubeirou Kande, fondateur de Bantankountou
Mawnde, chef-lieu de la province du Kamako, ou de Dembayel qui a
fondé Sare Dembayel, actuellement le plus grand village de JiyaaGe du
Fouladou. Les provinces périphériques du Fouladou, le Niampayo, le
Coudoura et le Kibo, une fois libérées du joug mandingue, furent peuplées
par des captifs appartenant aux chefs Rim6e ou Jiyaa6e qui se partagèrent
le pays, tout en reconnaissant la suzeraineté d’Alpha Molo. La polygamie
et le clientélisme permettaient de repeupler rapidement un secteur déserté6.
Avec les guerres d’Alpha et de Moussa Molo, le nombre des captifs n’a
fait que s’accroître, du fait des nombreuses prises que les guerriers
opéraient chez les Mandingues. Ainsi Moussa Mo10 possédait des
centaines de captifs dans ses concessions de Hamdalaye et de Ndorma.
Plus tard, l’abolition de l’esclavage, mCme si elle n’entra dans les faits
que très lentement, fut à 1 origine de l’éclatement de nombreuses locali-
tés, les captifs émancipés créant de nouveaux villages.
Enfin, durant la guerre de libération de la Guinée portugaise, des
groupes d’origine servile ont fui en grand nombre et se sont installés au
sud du Kamako. Certains vinrent comme navétanes chez les RimGe,
tandis que d’autres rejoignaient les villages de JiyaaGe.
La conquête coloniale, I’ émancipation
des esclaves et le développement de l’islam :
des flux migratoires contrastés vers une région pacifée
L’administration coloniale tenta de repeupler le Fouladou pour déve-
lopper les cultures vivrières et l’arachide. Dans ce but, elle favorisa
1’implantation de villages maraboutiques et l’installation de travailleurs
saisonniers. C’est seulement dans les années 1930 que des familles d’ori-
gine noble, ayant fui les exactions de Moussa Mo10 vers les régions
10. Sa creation fut l’oeuvre de Thierno Aliou Diallo, un marabout originaire du Fouta Djallon que
Moussa Mo10 avait fait venir à ses côtes durant la guerre contre les Mandingues (Thierno
Mouhamadou Diallo, marabout de Soboulde, entretien A. Ngaide, decembre 1995).
11. Wopa Ly, imam toucouleur de Boguel, fkvrier 1996.
12. Yaya Diallo,jurgu de Darou Beyda, fevrier 1996.
MIGRATIONS ET INTÉGRATION SPATIALE AU FOULADOU 173
_I
Ethnies surreprésentées par rapport au profil moyen
Pas d’information
Carte 2. Répartition des groupes peuls et des ethnies dans le Fouladou,par communauté rurale (1960).
16. Oumar Balde, dit Omar Mamboa, ancien chef de canton du Mamboa, entretien Ngaide à
Dioulacolon,juin 199.5.
178 SYLVIE FANCHETTE
Le regroupement despopulations
<<Lemodèle d’occupation de l’espace des Peuls en zone soudanaise repose sur la
sédentarité, le peuplement villageois, le fractionnement des unités migratoires, la
prédominance des groupes territoriaux sur les groupes parentaux. L’occupation de
l’espace se fonde beaucoup moins sur l’organisation des parcours que sur I’organisa-
tion des terroirs villageois.>>(Ba 1986: 72.)
Ce modèle s’applique également au Fouladou. Au contact des
Mandingues, les Peuls se sont mis à la riziculture de bas-fonds et, comme
eux, ils ont cherché à s’établir le long des nombreux marigots de la haute
Casamance. Les villages, localisés sur les pentes colluviales, sont adossés
aux forêts de plateaux qui procurent des parcours aux troupeaux de
bovins. Qu’il s’agisse des Peuls originaires du Fouta Djallon, du Gabou
ou de ceux établis dans le Fouladou depuis plusieurs générations, la loca-
lisation des villages est plus ou moins identique.
Toutefois, certains groupes se différencient par leurs modes d’organi-
sation et d’utilisation de l’espace et ils ont parfois tendance à se regrouper
en villages homogènes. Quant aux villages hétérogènes, ce sont en géné-
ral de gros établissements, d’anciennes places fortes, des marchés, des
localités administratives, ou bien ils sont situés aux frontières. En 1960,
les lieux habités par des Peuls de même origine constituent, en moyenne,
les deux tiers des villages du Fouladou mais ce rapport varie selon les
provinces et selon les groupes (CINAM-CERESA).
Au sud du Kamako, où la pression démographique est élevée, un plus
grand brassage ethnique s’est effectué, du fait de l’ancienneté du peuple-
ment peul et de la présence mandingue. Dans le Pathim Kandiaye, à l’est
du Fouladou, mis à part les Peuls Fouta qui se sont regroupés dans des
villages homogènes sur le plan social, la plupart des Jiyaa6e et des Rim6e
vivent ensemble.
Ailleurs, plus de la moitié des Jiyaa6e vit dans des villages homogènes,
tandis que seuls 20 9% des Rim6e se sont regroupés. Les RimGe habitent en
général des villages qui comportent beaucoup de JiyaaGe, ce qui montre
leur intérêt à vivre au contact d’autres groupes peuls. Dans ces villages
mixtes, soit les Rim6e sont majoritaires et ils ont amené leurs captifs
comme main-d’œuvre, soit ils ont rejoint leurs JiyaaGe. Ceux-ci détenaient
180 S Y L V E FANCHETTE
des savoirs mystiques, ils connaissaient bien la brousse en tant que chas-
seurs, et pouvaient intercéder auprès des divinités religieuses de la forêt
pour la fondation de nouveaux établissements.
La tendance à l’homogénéisation des villages s’est amorcée après
l’abolition de l’esclavage, au début du siècle, époque à laquelle les Rim6e
se sont mis à l’agriculture et les Jiyaa6e à l’élevage. Le besoin de complé-
mentarité qui existait au siècle demier a moins de raison d’être, sauf pour
les grands éleveurs. Autrefois, les Jiyaa6e vivaient avec leurs maîtres dans
la même concession et travaillaient dans leurs champs. Peuplées de colla-
téraux et de JiyaaGe, certaines concessions pouvaient compter plus de
trente foyers. Après l’abolition de l’esclavage, certains Peuls émancipè-
rent leurs JiyaaGe et les laissèrent travailler àleur compte :
<<Lesrelations entre pullo e t j i p a d o se sont terminées avec la colonisation. Ceux qui le
voulaient pouvaient partir. Ceux qui vivaient dans la concession du Peul n’avaient rien
et ne travaillaient que pour leur noble. I1 y avait des captifs qui étaient courageux, qui
avaient de grandes familles et qui demandaient à leur Peul de s’en aller20. >)
Quant aux villages gabounkés, ils regroupent également des popula-
tions de même origine. Ils ont été fondés par des familles partageant plus
ou moins les mêmes aspirations : pratiquer l’islam, fuir les potentats de
l’époque coloniale et s’adonner à l’agriculture. Toute personne se pliant
aux conditions de l’islam pouvait demander une parcelle pour installer sa
concession et, s’il y avait de la place, un bambeyzl. Or, les conditions de
vie très rigides dans ces villages n’attirèrent pas les Foulakoundas, peu
enclins à supporter le pouvoir religieux des marabouts.
Les Peuls Fouta, quant à eux, habitent souvent des villages hétérogènes
(dans les quatre cinquièmes des cas), du fait de la spécificité de leur passé
migratoire. Certains navétanes se sont installés chez des Foulakoundas au
sud du Fouladou où ils constituent une minorité. Dans la province du
Firdou, en partie dépeuplée au début du siècle, les chefs de village ont
cherché à attirer des populations étrangères. C’est l’arrivée des navétanes
qui l’a permis. Dans les années 1930, lejarga de Soulabaly, ancien fief
d’Alpha Molo, les accueillait, leur disant d’amener leurs amis et familles.
<(Leschefs de village préféraient faire venir des Peuls Fouta car ils ne bougent pas
comme les Foulakoundas qui, eux, ne tiennent pas en place. Comme il n’y avait pas assez
de monde dans le village, lejurga retenait les navétanes et les mariait avec ses filles**.>>
Les grands éleveurs, privés de main-d’œuvre servile, ont également
cherché à embaucher des navétanes pour augmenter leurs cultures d’ara-
chide et les chaumes pour leurs troupeaux en saison sèche. En même
temps, le défrichement des brousses permettait d’éclaircir la forêt, dimi-
nuant ainsi les risques de trypanosomiase. Comme la brousse était vaste
en limite des forêts, il n’y avait pas encore de risques que l’agriculture et
l’élevage se concurrencent.
<<Iciil y a assez de brousse pour le troupeau, donc pas de problèmes s’il y a beaucoup
de gens. Je préfère qu’il y ait des gens dans le village car si je meurs, ce ne sont pas les
vaches qui vont m’enterrer. Les gens peuvent défricher autour du village, mais qu’ils
ne touchent pas à la brousse=. )>
Dans la province du Pathim, au centre du Fouladou, oh la pression sur
la terre est peu élevée, les Peuls Fouta ont fondé leurs propres villages ou
occupé en grand nombre des villages foulakoundas, provoquant le départ
des anciens maîtres des lieux. Ainsi, dans plusieurs villages de cette
province, lors d’enquêtes menées en mars 1996, on a recensé jusqu’à
trente concessions de Peuls Fouta, alors que les Foulakoundas n’en comp-
tent pas plus de trois ou quatre. Lorsque la pression foncière est devenue
trop forte, les grands éleveurs foulakoundas ont fini par partir. Plusieurs
villages ont ainsi été fondés par des Foulakoundas puis peuplés progressi-
vement par des navétanes originaires du Fouta Djallon.
Certains Peuls Fouta disent que si les Foulakoundas ne peuvent vivre
avec eux, << c’est que les Foulakoundas buvaient du konjam (vin de palme)
et dansaient alors que les Peuls Fouta prient. Les Foulakoundas ne suppor-
tent pas de les voir prier et verser de l’eau à tous moments pour faire leurs
ablutionsZ4>>.
Au sein des villages mixtes, les familles de même origine se regroupent
par quartiers. De même, les JiyaaGe habitent souvent un quartier à part
dans les villages oÙ ils sont minoritaires.
taille que les grands éleveurs peuls d’origine noble et, même s’ils se sont
mis à l’élevage, ils n’ont pas les savoir-faire ni les relations sociales
nécessaires à l’expansion des troupeaux. Les femmes, principales déten-
trices du cheptel chez les Peuls d’origine noble, jouent un rôle peu
important chez les JiyaaGe ou les Peuls Fouta.
Les Gabounkés : de grands défricheurs
Dans les villages gabounkés les plus importants, les grands troupeaux
sont peu nombreux car le terroir cultivé est très vaste et éloigne d’autant
plus les pâturages. D’un autre côté, le marabout de Medina el Hadj,
voulant contrôler ses adeptes, avait cherché à limiter la prospérité écono-
mique de certaines familles, susceptibles de remettre en cause son pouvoir
économique et politique. À la suite d’un conflit avec celui-ci, un grand
éleveur, pourtant fervent musulman, a dû quitter le village. Ceux qui ont
voulu faire prospérer leur troupeau et qui étaient moins attachés à la
famille du marabout sont allés s’installer au nord de Kolda ou à l’est du
Fouladou, oÙ la pression foncière est plus faible.
L’emplacement et la taille des terroirs gabounkés se distinguent des
autres. En effet, situés souvent à l’amont des bas-fonds, où il est possible
de défricher de grands espaces, ils sont d’une taille bien supérieure à la
moyenne. Les bambey occupent une part minime du terroir, les villages
étant en général lotis. À Medina el Hadj, par exemple, de nombreuses
familles n’ont pas de bambey car les derniers arrivés y ont installé leurs
concessions. Les habitants sont obligés d’aller défricher des champs en
brousse assez loin. L’agriculture y est plus collective, et même les cultures
de rente, comme l’arachide, sont faites dans les maru30. À Guiro Yero
Bocar, les champs de la famille maraboutique sont plus grands que ceux
des Peuls Foulakoundas.
L’étroitesse des bas-fonds limite le développement de la riziculture ce
qui pousse les femmes gabounkés à cultiver de l’arachide pour leur propre
usage3’.
Les JiyaaGe : une grande diversité des pratiques agricoles et pastorales
Le peu d’animaux que possèdent les JiyaaGe est mis en commun sous
la garde d’un jom WUYO, en général l’éleveur possédant le plus de bétail.
Certains Peuls expliquent le manque d’engouement pour l’élevage des
anciens captifs par le fait que
e . .. leurs ancêtres n’étaient pas intéressés par l’élevage. Ils pensaient que c’étaient des
choses réservées aux Peulss2.>) << Une des raisons pour lesquelles les Jiyaa6e ne
parviennent pas à se constituer de grands troupeaux est que cela demande beaucoup de
travail. En plus, pour les RimGe l’élevage est leur tradition, ils ont des secrets que les
JiyaaGe ne possedent pas33. >>
Les Peuls Fouta: des << étrangers >> à faible pouvoir foncier
Les populations originaires du Fouta Djallon, très diversifiées, regrou-
pent aussi bien d’anciens captifs propriétaires de troupeaux que des
Rim6e vivant dans des villages maraboutiques et ne pratiquant pas l’élevage
ou des navétanes démunis. La possibilité de s’émanciper financièrementpar
le navétanat ou de s’adonner à l’enseignement coranique paraît avoir
bouleversé les statuts d’autrefois. Toutefois, les Peuls Fouta pratiquent
moins l’élevage que les Foulakoundas. <<Ilsne connaissent pas l’élevage.
C’est fatiguant. Ils n’osent pas. Ils ne connaissent que le Coran et le
commerce. Ils n’ont pas l’idée de l’élevage. Ils n’ont pas la connais-
anc ce^^. >> Certains confient leurs animaux aux Foulakoundas ou
regroupent tous leurs animaux au sein d’un seul troupeau. Lorsque les
parcours sont abondants, ces Peuls s’adonnent davantage à l’élevage.
Selon les provinces où ils se sont installés, leurs conditions de vie et
leurs pratiques agropastorales diffèrent. Dans la province du Kamako où
ils constituent une minorité, ils vivent un peu en marge de la société et
disposent d’un faible pouvoir foncier. En revanche, dans l’est du Fouladou
ou à la frontière sénégalo-gambienne, ils se sont regroupés en villages où
ils sont majoritaires et accèdent à une plus grande liberté d’usage de l’es-
pace agropastoral.
Installés récemment dans les villages foulakoundas de la province du
Kamako, les Peuls Fouta ont rarement accès aux bas-fonds. Lorsqu’elles
pratiquent la riziculture, leurs femmes empruntent des parcelles à l’année.
A défaut, elles partent en brousse cultiver de l’arachide avec leur mari, sur
des terres difficiles. Des chefs de familles nombreuses ont toutefois
réussi, à force de travail, à cultiver en brousse de grandes parcelles d’ara-
chide et à capitaliser dans le bétail. Ils s’adonnent souvent à un petit
commerce en saison sèche.
Les Peuls Fouta se singularisent par leur propension à cultiver beaucoup
de manioc qu’ils plantent dans leurs bambey enclos comme dans leur
région d’origine. Leur système de culture diffère peu de celui des
Foulakoundas auquel ils ont emprunté les techniques et les instruments
aratoires. Au bout d’une ou deux générations, les femmes peules Fouta
adoptent parfois les habitudes des Mandingues et abandonnent la traite des
vaches aux jeunes gens pour se consacrer principalement à la riziculture.
jarga. Les bambey se trouvent à l’intérieur des carrés mais, dans les quar-
tiers les plus peuplés, ils tendent à disparaître. Tout nouveau venu
construit sur le bambey des premiers installés. Les concessions sont grou-
pées autour de la mosquée et les champs vivriers rejetés en périphérie. La
construction de mosquées en dur a favorisé la fixation des villages.
À Medina el Hadj, les familles aisées et les marabouts ont abandonné
la case peule en terre et en chaume pour de grandes habitations recou-
vertes de tôle ondulée, tandis qu’à Guiro Yero Bocar, dans les concessions
des fondateurs, les grandes maisons carrées aux toits de chaume dominent.
Les Jiyaa6e
I1 serait difficile de définir un type d’habitat typiquementjiyaado, tant
est variée la configuration des villages. Ces populations d’origines très
diverses ont été influencées par les modes de vie peuls à des degrés
variables et disposent de ressources très inégales. Toutefois, les conces-
sions des JiyaaGe sont toutes moins structurées que celles des autres
groupes peuls et moins souvent encloses de hinting. Sans doute, la moins
grande propension à la pratique de l’élevage ne les pousse pas à protéger
leurs habitations des animaux44.
Dans la plupart des villages ou des concessions de JiyaaGe, les femmes
habitent des cases communes, appelées bumba. De grande taille, elles
peuvent abriter cinq à six femmes, alors que chez les Peuls d’origine
noble, il est rare que plus de deux femmes partagent la même case.
*
Malgré des origines sociales et géographiques diverses et la persistance
de certains clivages sociaux, les Peuls du Fouladou cint connu une intégra-
tion sociale et spatiale assez poussée, du fait de la généralisation de
l’agropastoralismeet de l’islam, du nivellement de la société lors des guerres
contre les Mandingues et du recours à plusieurs milliers de travailleurs
saisonniers pour la culture de l’arachide à partir des années 1930.
Le navétanat a bouleversé, chez les migrants, la structuration sociale
très hiérarchisée de la société foutanienne. Fuyant les crises politiques ou
sociales, qu’ils soient anciens captifs ou libres, les navétanes du Fouta se
sont mis au service des Foulakoundas et ont été relégués aux travaux agri-
coles. Peu ou mal intégrés dans ces villages, ils ont essayé de se regrouper.
Anciens captifs et nobles se sont donc mêlés dans de nouveaux villages et
l’organisation spatiale hiérarchisée des misiide45 et des r ~ u n d du
e ~Fouta
~
Djallon a disparu.
44. À Sare Dembayel, le plus grand villagejiyuado de la rkgion, les descendants des fondateurs
du village, anciens guerriers de Moussa Molo, vivent dans une très grande concession, de même type
que celles des grands Cleveurs, regroupant une soixantaine de cases.
192 SYLVE FANCHE’ITE
Dans cette riche région soudanienne aux pâturages encore peu exploi-
tés au début du siècle, l’éradication des grandes épizooties (notamment la
trypanosomiase), l’abolition de l’esclavage et l’extension de la culture de
l’arachide ont également favorisé le développement de l’élevage. Les
anciens serviteurs, déchargés des travaux pour leurs maîtres, ont pu
travailler pour leur propre compte. C’était une façon pour eux de se
<< foulaniser >>. Simultanément, l’émancipation des JiyaaGe a obligé les
RimGe à se mettre à l’agriculture et notamment aux cultures spéculatives.
L’adoption de l’élevage a permis une certaine émancipation des
JiyaaGe, alors que la forte pression démographique et pastorale dans
certaines provinces comme le Kamako47 a limité les possibilités d’ac-
croissement des troupeaux des Peuls Foulakoundas. Ainsi, malgré leurs
origines diverses, les populations du Fouladou ont adopté un système de
production plus ou moins similaire fondé sur la pratique de l’agriculture
et de l’élevage.
Le faible pouvoir de certains chefs de village, l’éclatement des grandes
concessions et le morcellement des troupeaux familiaux qui permettaient
une gestion sur de vastes espaces, le poids démographique des villages
gabounkés face aux autres villages et l’émergence d’autorités religieuses
ayant capté le pouvoir politique des communautés rurales, tout cela
risque, dans un contexte de pression démographique et de course à la
terre, de susciter des dissensions entre les divers groupes peuls.
Déjà, entre Gabounkés et Foulakoundas, des conflits à propos des
rizikres avaient éclaté dans les années 1940. Nombreux sont les villages
foulakoundas désormais uniquement peuplés de Peuls Fouta, après le
départ des fondateurs vers des espaces pastoraux moins encombrés. Entre
certains Jiyaabe et leurs anciens maîtres, de vieilles querelles demeurent,
notamment du fait des dégâts causés par les animaux de ces derniers. Les
liens qu’ils entretiennent, souvent sur le mode de la parenté à plaisanterie,
rendent difficile l’application des lois sur le dédommagement des cultures.
L’accès au cheptel constitue un nouveau critère pour différencier les
populations sur l’échelle sociale. I1 faudrait étudier les rapports qu’entre-
tiennent les Peuls RimGe avec de nouveaux grands éleveurs JiyaaGe pour
mesurer si leur statut actuel est surtout déterminé par l’origine sociale ou
le pouvoir économique. De même, avec le développement de l’islam, une
nouvelle stratification de la société a commencé à s’édifier.