El Peregrino de Lo Absoluto

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Le pèlerin de l'absolu : pour

faire suite au "Mendiant


ingrat", à "Mon journal", à
"Quatre ans de captivité à
[...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Bloy, Léon (1846-1917). Auteur du texte. Le pèlerin de l'absolu :
pour faire suite au "Mendiant ingrat", à "Mon journal", à "Quatre
ans de captivité à Cochons-sur-Marne", à "L'Invendable" et au
"Vieux de la Montagne", 1910-1912 / Léon Bloy. 1914.

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LE PÈLERIN DE L'ABSOLU
DU MÊMK AUTKL'H

1.1; HKVI'M.ATIUH nr iiuiiii; (dliristophe Colomb et sa Béatifica-


tion future). l'réface de .1. Uarhey d'Ainv\illy (épuisé).
l'iioi'os D'V.Ni:Mni:riii:.M:iH ni: HDII» ino.vs (Stnck).
11: î-Ai., pani]>lilcl hebdomadaire (les 1 numéros parus) (épuisé)-
M: HKSKSI'KIU:, roman.
r.iiiiisTOPiii: r.ni.iiMii M.VANT ir.s TAIKKAIX (épuisé).
I.A CIIKVAI.IKHI: ni: I.A MOIIT (Marie-Antoinette).
1i: ;-A!.rr iwu u-:s .un s.
si J:IU m: SAM; (l%70-li>71) (Crûs).
I.KO.N in.IIÏ niiVAM I.I:S C.OGIIONS (épuisé).
insiuiiu:? I>I':SOHI.I<,I:ANIT:S (Crè>).
I.A H:MMI: PAIVIU:, épisode contemporain.
I.I: MI-INDIAM iMiiiAT (Jmiriiiil de Léon Hlov).
i.i: m.s ni: ions xvi, portrait de Louis XVII. en héliogi uvure.
.il; M'ACIHSI:... l'aies irrespectueuses pour Kinile Zola cl quelques
autres. Curieux portrait tic Léon H!oy (Hihliolhèque des
Lettres françaises).
i:.\i::<ii':si: ni:s i.ncix COMMINS.
irsi>i:i(Mi':iu:s COLONNES ni: I.'IV.I ISI: (IJoppée.
— Le II.
l\ Judas.

Brunelicrc. — ilmjsinans. — llour<p-t, etc.).
MON JOIUNAI. (Dix-sept mois en Danemark), suite du Mendiant
[ni/rat.
yi-ATiu: ni: <:AM ivm': A <:G :IION>-SI IS-MAIIM'. suite du Men-
ANS
diant ln<jrat et de Mon Journal. Deux poitrails de l'auteur.
iii:i.MAim:s I:I roni.iii:ii>. Autre portrait '.Stock).
i.'i:roi'i':i: IIV/ANTINI: I;I U. S(:i[i.t'\iiii:ii'ii:ii {épuisé).
I.A iu':siiuti:i:noN ni: VII.I.IHUS ni: I.'ISI I:-ADAM (épuisé),
I'AOKS cuoisii's (i.sSi-l'JOj). Kncore un poitrail.
r.i:i i.i: yvi ri I:II\I: (Notre-Dame de la Saletle), avec gravure.
I.*INVI:NI>AIU.I:. suite du Mendiant Ini/rat, de Mon Journal et de
Quatre ans de eapticité à Cochons-sur-Marne. Deux gravures.
I.I: SANO ne PAIVIII:.
I I: vir.i x ni: I.A MONTAONI:, suite du
Mendiant Inijral, de Mon
Journal, de Quatre ans de captivité à Coclions-sur-Marnc et
de \'fnvenilabte. Deux gravures.
vu-: >r. MKI.AMI:, llcri/cre île la Saletle. écrite par elle-même.
Introduction par Léon Jiloy. Portrait de Mélanie.
I'AMI: M: NAI'OI.KON,
I:XI':OI M: nr.s i.ncrx COMMINS (nouvelle série).
si H I.A TOMUE uii IUYSMANS (Collection des curiosités littéraires).
IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE '.

Trois exemplaires sur Japon impérial


et vingt-deux exemplaires sur papier de Hollande,
numérotés.

JUSTIFICATION DU TIRAGE :

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés


pour tous pays.
,1 PHILIPPE PiAOUX

Ilappclez-vous, mon ami, cet heureux jour de l'an


passé où vous viriles me voir à Mévoisins avant de
retourner dans votre triste Poloqne. Vous ne pouviez
cire près de moi r/ue quelques heures, et nous avions
trop de choses à nous dire.
Alors nosdeiw âmes se reç/arderent silencieusement,
nos deux pauvres âmes que nous ne connaissons pas et
(/ni ne se connaissent pas elles-mêmes. Xons savions
.seulement f/ue Xotre Seiyticur Jésus-(Jhrist était avec
nous et se réjouissait de nous voir ensemble.
Je vous offre maintenant ce livre où les étrangers ne
discerneront peut-être <[ue la malice (/uiest dans leurs
c<curs, mais je sais que vous 1/ trouverez le mien qui
est (oui à vous, mon cher Philippe.

Lh'OX HLOY
lhmnj-Ui-Ucinc, 10 janvier 101 i.

1.
I9I°
Juillet

27. —Mes bons amis les Martincau, revenus


de la Salettc où ils ont passé quelques jours,
me parlent des chapelains qui me jugent un
écrivain des plus dangereux. Aucun de mes livres
ne doit être lu. M1*" Marlineau voulait pour son
jeune (ils le scapulairc du Mont Carmel. Le cha-
pelain à qui elle s'adressa lui conseilla, comme
une chose plus propre, une médaille à acheter
dans la boutique du pèlerinage, médaille pouvant
être fixée à une chaîne de montre ou placée res-
pectueusement dans un compartiment du porte-
monnaie !
110.— Je dois écrire un livre sur Mélanic, lîer-
gère de la Salette, j'en ai pris rengagement et
l'énorme difficulté de celte entreprise m'épou-
vante. VAX réalité, je n'ai que le document donné
par l'abbé C... qui fut, quelque temps, le direc-
teur de la sainte, c'est-à-dire sa 17c écrite par
10 I.K l'îiEaiN DIS
I/AHSOLI:

elle-même sur l'ordre formel de cet ecclésias-


tique. Mon livre ne pourrait être qu'un commen-
taire de ce document, insuffisamment histo-
rique au sens précis. Il me faudrait pouvoir
suivre Mélanie partout, en Angleterre, en Italie,
en France, et je n'ai rien ou presque rien. Il
me faudrait des voyages d'investigation, des
sommes relativement considérables, peut-être
aussi le moyen de séduire des gens. Je suis ex-
trêmement embarrassé. Dès la première ligne
je vais manquer de tout, excepté de cet unique
document qui est, il est vrai, magnifique, mais
qui ne va pas au delà de l'enfance de .Mélanie.
En attendant que cela se débrouille, je tra-
vaille au ]'icux de la Montagne, l'v volume de
ce Journal qui commence au Mendiant Ingrat.

Août

2. — Dans VKcho de Paris, article incroyable


de Frédéric Masson qu'on pourrait croire écrit
par un greluchon furieux de n'avoir pas hérité
d'une vieille gueuse. Le ton est inouï, surtout
dans une feuille si convenable.
On dirait que cet article a été fait,pour quel-
LK I'ÈLEIUN Di: I.'AIISOLI.' 1 I

ques pièces dz cent sous, par un petit jeune


homme privé de satisfactions amoureuses. [Au-
jourd'hui, après trois ans, je ne sais plus de
quoi ii s'agissait.]
.'{.
— Lettre de Philippe llaoux. U. évoque,
une fois de plus, « l'ineffable douceur » de son
pèlerinage à la Salette, avec moi, en juin dernier.
A propos de sa charmante (Miette il me cite le
mot vraiment pratique d'un bourgeois se plai-
gnant de ce que son (ils avait bon coeur : « C'est
à se désoler, car il faut être armé dans la vie. »
Ht il ajoute : « Combien est épouvantable le
mépris d'un don de Dieu ! — Seigneur, dit le
boutiquier, que votre Ksprit d'amour ne s'avise
pas de descendre en moi ou en mes descen-
dants ! »
o. — J'ai rêvé, cette nuit dernière, que les
maisons menaçaient ruine partout.
0. — Le Yclamai des Juifs est en train de
passer aux chrétiens.
7. — A M" e Marie A...

Chère Mario, une lettre de votre souir nous ap-


prend le bonheur qui vous arrive. Nous prierons ici
pour le petit chrétien qui vient «le naître en même
temps que pour sa mère. Si yolrc vieil ami avait lo
pouvoir, qui n'existe que clans les contes, de douer
12 I.E l'KLEKIN DE l/.MISOLU

cet enfant, je lui souhaiterais une arche pour navi-


guer, un peu plus lard, au-dessus du déluge de la
bêtise et de l'impiété contemporaines qui menacent
de tout submerger. Mais c'est vous-même et votre
cher mari qui lui ferez ce cadeau sans vous apau-
vrir, et peut-être, un jour, si Dieu me donne «le vivre
encore, serai-je trop heureux de me cramponner à
l'un de ses avirons. Donnez-le sans réserve à Celle
dont vous portez le Nom et qui est, en réalité, cette
Arche même, à Celle qui pleure et dont les larmes
furent l'occasion bénie de ma rencontre avec votre
père. Quel lien surnaturel entre nous !

Extrait d'un catalogue de librairie catholique :


« Notre-Dame des Eaux ou Manuel de piété
pour la saison des eaux » !!!
Véronique nous disait, hier soir, à propos des
aéroplanes qui troublent toutes les cervelles,
que le piège du démon, aujourd'hui comme au
commencement, c'est la curiosité et qu'en ce
sens, j'ai bien raison de direque tout ce qui est
moderne est du démon.
Un piètre venu chez nous parle, avec une sorte
d'éloquence, des paroles de Notre Seigneur en-
voyant les Apôtres : Jte,cuntes...,disant que les
prêtres ne devraient pas avoir de demeure lixe
et permanente, qu'il est contraire à l'esprit de
I.I: }'Î:LI:HIN DB L'ABSOLU \'.i

l'Evangile qu'un prêtre s'installe en une paroisse


avec des meubles, des habitudes, des relations;
que cela est peu conforme, sinon opposé, à la
vocation apostolique et qu'il serait à désirer que
les curés, transformés en missionnaires, al-
lassent continuellement d'un lieu à un autre,
sans cesse remplacés par d'autres. Ainsi finirait
le commerce si souvent scandaleux des dévotes.
Les liens d'amitié, l'admiration bète qui don-
nent à certains prêtres, curés ou vicaires, la
place de Dieu, ne seraient plus possibles et
l'Eglise y gagneraitintiniment. Mais quelle révo-
lution !
Ces idées me plaisent par leur conformité à
ce qui est annoncé des Apôtres des Derniers
Temps.
i). — Dans Paris-Journal :
Poèmes êvangëliqiies. M. l'abbé Pierre Le-
lièvre tente de mettre l'Evangile en vers, ce qui
est, comme on sait, la quadrature du cercle en
littérature. Il emploie pour les Paraboles un
rythme badin renouvelé de La Fontaine. Il a
la cheville plus malheureuse encore que l'au-
teur de l'alexandrin fameux : Laissez venir à
moi les petits enfants HLONDS. Voici comment
il « poétise » la parole du Christ sur le riche :
1 1
M: l'i'i I'IU.N ni: I.'AHSOI.U

— (Juant au riche? Un cluimcau plus toupie (/u'iine


\;tmjuillt'
Aurait philôt passé par le Irou d'une aiguille.

La Salutation Angélique devient L'.l /inonda-


tion de la ]'icri>c (Rondeau) :

— .le te salue, o loi que le Seigneur bénit,


0 Vierge la plus belle en qui la grâce abonde...
Non, ne le trouble, pas, lu vas donner au monde
Un iils qu'on nommera le Seigneur Jésus-Christ.
— Mais, lit candidement la Vierge qui rougit,
,
Je ne connais point d'homme...

10. — Jonche, par Madelin. Excellence de


cette lecture pour taire mépriser la Révolution,
plus bète encore qu'elle n'est atroce.
12. — Voici ce que me raconte Véronique.
Etant à la table de communion, le prêtre, au
moment de communier la personne précédente,
laissa tomber une hostie par terre, et passa sans
paraître s'en apercevoir. Véronique, revenue à
sa place, tourmentée par la pensée de cette hos-
tie, surmonte son extrême timidité au point
d'aller avertir un employé, croyant qu'à l'ins-
tant même on agirait. Il a fallu que non seu-
lement la messe s'achevât, mais encore le salut
l'i.i.FiMN ni: I.'AHSHI.I 1")
M:

et je ne sais combien d'autres prières, — le zèle


de ces prêtres étant extrême — avant que l'un
d'eux vint recueillir le Corps du Christ gisant
par terre !!!
i;{. —Je croyais (pie c'était fini pour nous
du mont de piété. II faut y retourner ce ma-
tin.
l't. — Deux catastropher, énormes. \U\ tam-
ponnement colossal à Saujon, plus de cent vic-
times en un train de. plaisir, et l'Imposition de
Hruxelles entièrement détruite par le feu. Dé-
tail terrifiant et comique. Une ménagerie avait
laissé échapper toutes ses hèles. La multitude
allblée déjà par l'incendie s'est vue en présence
des fauves déchaînés.
N'ai-je pas écrit que le moment approche
où les catastrophes se toucheront, où il n'y
aura plus que des catastrophes ? Celles-là pour
la Vigile de l'Assomption.
H).
— Dédicace pour le Désespéré :

Mou cher Léon lîellé, voici ce livre qui m'a fait


célèbre et qui m'a valu déjà vingt ans de proscrip-
tion. Je vous l'offre comme un plongeur échappé à
la dent des requins offre une perle à un amateur.
Vous ôtes l'unique ami que- j'aie pu trouver dans la
forteresse imprenable de Cochons, au temps de ma
16 I.K 1'Î:LI:HIN I>K L AIISOI.U

captivité. \ïn récompense de ce bienfait, il va vous


pousser des nageoires d'éditeur.

18. — Lu dans le Journal : « Le circuit de


l'Est est bouclé. Retour triomphal. Toujours
plus loin, toujours plus haut. »
Troyes, Nancy, les Vosges, la Meuse et les
Ardennes, la Flandre et l'Isle de France. Les
hommes volants ont fait ce voyage et leur
gloire est infinie.

Les habitants des villes et descampagnes regar-


«
dent le ciel, non plus pour y chercher et y apercevoir
un Dieu, mais parce qu'ils viennent d'y découvrir un
homme... Prométhée n'est plus enchaîné sur son roc
et quand le vautour viendra lui ronger le foie, il
montera dans l'Olympe, aussi haut que l'oiseau lui-
même, non plus chercher, mais porter le feu au
ciel ! »

L'auteur de ces lignes, que j'ai honte de trans-


crire, serait peut-être bien étonné d'apprendre
qu'il est un animal des plus nuisibles et que
son blasphème imbécile pourrait coûter cher
aux triomphateurs et à beaucoup d'autres. Des-
cendit autem Dominus ut videret...
A mon très cher ami Philippe Haoux :
LB PÈLERIN DE L'ABSOLI' 17

Vous ai-je ditquolo&im/ du Pauvre m'a rapporté


...
chez Juvon quatrc«vingt«onze francs, bien que, de
l'aveu môme do cet éditeur honorable, il se soit vendu
onviron 500 exemplaires (beaucoup plus, peut-être)? Il
est vrai qu'il a mis a ma charge, iguoblement, plu-
sieurs choses qui sont toujours à la charge dol'édi-
leur, sans qu3 je pusse mo défendre Voilà comme
je suis traité à mon âge, après tout ce que j'ai fait et
à l'occasion d'une telle oeuvro ! Loué soit Dieu qui
veut que je sois un pauvre l
Je n'ai pas encore commencé la vie de Mélanie.
Je voulais auparavant ms libérer complôtoment l'es-
prit en achevaut le Vieux de la Montagne qui lou-
che maintenant à sa fin. Ce livre très copieux est
plein de la Salette. Vous y trouverez lo récit de
notro pèlerinage et vous • croirez y être encore.
Aussitôt après, je m'immergerai, avec les Enfants
Témoins, dans la Lumière de Notre Dame de Com-
passion.
Devise imaginée par Brou pour un ex-libris
à mon usage: « Je saigne » (dans les deux sens
du mot).
19. — Parlé avec Vallette do ce qu'il y a d'é-
trange dans ma situation d'écrivain ne pouvant
vivre de sa plume et subsistant néanmoins,
par l'effet incompréhensible de ses livres sur
des gens de toute culture et de tout milieu qui
1S l.K .'ILKltlN I>i: I.'AIISOI.L'

lui procurent spontanément les ressources né-


cessaires.
Cela étonne beaucoup Yallette qui ne pense
pas, ou ne croit pas, à la force de la Prière.
« Cela », dit-il, « n'est jamais arrivé à personne. »
En quoi il se trompe. Il y a les Saints, dont je
ne suis pas, il est vrai.
"10.
— « Paris fête les aviateurs. » Unique
chose à lire dans les journaux. Toute vie in-
tellectuelle est suspendue. La politique môme
est ajournée. Triomphe énorme des vainqueurs
du « Circuit de l'Est ». On les croirait revenus
de Marathon ou de Salamine. Réception à l'Hô-
tel de ville, banquets et discours, inscription
au « Livre d'or de la* Cité », récompenses et
décorations. Sur le passage des héros, frémis-
sement religieux de tous les épis de l'orgueil
et de la sottise. Malheur à qui élèverait la voix
pour protester Je pense à Carlyle. Que dirait
1

ce terrible contempteur de la multitude ?


Mais le mépris lui-même est découragé quand
on vient à penser que le « Problème » est en-
core à résoudre, que ces pauvres gens n'ont
rien trouvé; qu'ils ne peuvent rien promettre
sans mentir aux autres ou à eux-mêmes ; que
loin d'avoir fait la « conquête de l'air » ils sont à
I.B PÈLERIN DE L'ABSOLU H»

sa meroi, que leur vie dépend» à ohaquo minute,


de cet Esprit invisible qui « souffle où il veut,
sans que personne puisse dire d'où il vient ni
où il va », qu'ils no sont, en réalité, que des
acrobates, et qu'au total leurs efforts sont ab-
solument eu vain. Quant à la foule, c'est à pleu-
rer. C'est la puérilité sénile d'un peuple, c'est
le gâtisme et la mort prochaine.

Tout sur torre appartient aux princes, hors lo vent.

Le vent est la réserve do Dieu qui n'a pas fait


l'homme pour voler. C'est comme le Jour Do-
minical auquel il n'est pas permis de toucher,
sous peine de mort.
Toutefois le triomphe des aviateurs ne fait
pas oublier le ventre. La Chambre syndicale
des marchands de vins et restaurateurs convo-
quait hier ses adhérents. Le président lançait
un appel chaleureux à l'Union de tous ces bra-
ves en vue de saigner avec sagesse et prudence
le consommateur. Les récoltes sont dérisoires,
mais il ne faut pas que la recette le soit.
Ordre du jour. Augmentation de tout ce qui
se boit ou se mange, provisoire d'abord, perma-
nente ensuite, bien entendu, quelque àbondan-
20 t.i: ri'.LEiux DE L\\H«OI.U

tes que puissent être les récoltes de l'avenir.


Par acclamation et à main tavée, l'assemblée
adopte cette résolution.
"21.
— Véronique lisant l'Evangile m'a dit
ceci : « Dieu ne commande aux hommes que ce
qu'il fait lui-même. » Et elle donne des exem-
ples, tout le Sermon sur la Montagne. Elle est
toute lumineuse, ma Véronique.
« Etre soi, conquérir sa personnalité. > Lieux
communs signifiant la Sainteté. On ne peut être
soi qu'en remontant à l'état qui a précédé la
Chute.
22. — ISairoplane engin de paix. Voilà ce
que je lis dans les feuilles, depuis quelques
jours. On a le projet d'un « circuit des capita-
les », c'est-à-dire d'une course d'aviateurs par-
tant de Paris, passant par Berlin, Bruxelles et
Londres pour revenir à Paris. Il parait que cela
assurerait la paix universelle. On ne dit pas
pourquoi.
On m'assure que les aviateurs se munissent
chacun d'un fétiche porte-bonheur. L'un em-
porte un chat, l'autre un singe, un troisième
peut-être un jeu de cartes. Autrefois on priait
saint Christophe. Tout est changé.
Sous ce titre idiot: « Engin de paix », le Jour-
I.I: pii.uniN ni- i.'.vusoi.u 2!
nul a donné un article d'une sotlisc tout à fait
exceptionnelle où il est parlé de nos champions
qui « tracent dans l'azur l'histoire do l'oeuvre
de concorde et de paix ». « Nos rois de l'air »,
« une chevauchée d'espace », « 2(K).(H)0 francs
de prix... Sport héroïque... En vain on cher-
cherait le ténor de l'air qui manque à l'appel...
Ils se surpasseront eux-mêmes, les conquérants
de l'air... C'est, entre beaucoup d'autres illus-
tres, Legagncux, le titi, le Gavroche de l'at-
mosphère, celui que les organisateurs de mee-
tings alFeclionncnt entre tous, parce qu'il se rit
du grand souffleur... C'est Latham dont la sé-
rénité est olympienne... C'est un troisième qui
s'est révélé avec la rapidité prodigieuse d'un
homme né pour les airs... Celui-là est le vir-
tuose de l'air, qui joue de son appareil comme
d'un violon... Livre d'or de l'aviation... Prodi-
gieuse phalange... Inoubliable manifestation de
beauté et une des plus grandioses qui se soient
jamais ofFertes à l'oeil humain... Kt maintenant
au rideau et pour le triomphe. »
Tout commentaire serait ridicule. Prenez exac-
tement le contrepied de ce lyrisme de bazar et
vous aurez la prose des journaux de demain ou
d'après-demain.
22 I.i: l'KLKBIN 11K
l.'.UlsOI.U

Surtout qu'on se hAtc de préparer des cer-


cueils.
2't. — Acte immense de Pie X. Il a décidé et
souverainement ordonné la communion quoti-
dienne, non seulement pour les adultes, mais
pour les enfants, lesquels devront être admis à
la première communion avant sept ans et môme
plus tôt, s'ils sont en état de discernement pré-
coce. Ce serait la lin du gallicanisme, queue
ignoble de Jansénius et l'infusion enfin du Sur-
naturel dans le catholicisme moderne. Quel
changement prodigieux ! Kt quel scandale 1

Ignis ardens,
27. — A Jeanne Termier :

Me voici donc en Périgord pour quelques jours.


...
A l'heure où je vous écris, dans le voisinage de vieux
arbres, infiniment loin des automobiles et des aéro-
planes, j'ai l'âme ravie d'entendre ma chère l'isle,
la douce rivière de mon enfance, qu'un barrage de
moulin fait mugir affectueusement tout près de moi,
Je me retrouve donc très-rôveur comme autrefois, il
y a quarante ans, lorsque j'ignorais encore tant de
belles choses modernes qui ont fait de moi le Vieux
que vous honorez de votre affection.
Alors, en celle qualité de rôveur juvénile, je vais
essayer de vous donner des nouvelles de votre père
LB PÈLERIN PB L'ABSOLU 23
qui ne sera peut-être pas de retour à V.,, quand cette
lettre y arrivera, Il ne m'a pas écrit, o'est vrai. Pour-
tant je sais une chose que vous ignorez peut-être, une
déception, un déboire amer qui a vivement affligé cet
homme encore jeune, — comme le sont, par privilège,
les polytechniciens môme les plus décrépits — et
conservant tenacement quelques illusions^
En arrivant en Suède, il s'était dit : Il y a ici l'Aca-
démie de Stockholm qui décerne, imbécileraent d'ail-
leurs, le prix Nobel, et il y a, là-bas, Léon Bloy
pour qui ce prix a été fondé. Or, jo suis de l'Institut
de France. J'irai donc trouver ces banlieusards de
la capitale intellectuelle du monde et, peut-être, leur
parsuaderai-je d'accomplir enfin leur devoir.
Ah I chère petite Jeanne, quelle confusion pour
votre malheureux père ! Je le vois rentrant à V. en
cheveux blancs, ruisselant de larmes, dépouillé de
ses dernières illusions et tout enveloppé dans une
immense veste Scandinave... Consolez-le et ombras-
sez-le pour moi, avec les plus grandes précautions.

31. — Le Sillon est condamné par le Pape.


Marc Sangnier qui se croit un homme provi-
dentiel et nécessaire, déclare qu'il poursuivra
personnellement sa propagande démocratique.
Au fond, Sangnier est une victime du Pape. Il
a cela de commun avec tous les hérétiques à
leur début.
21 LE rèLEHiN PB L'ABSOLU

Septembre

3. — J'aurais été bien étonné si Hanotaux


n'avait rien eu à dire de décisif sur la haute
question de l'aviation. Un article de lui vient
de paraître, intitulé : Plus d'air /plus d'espace /
Rien que ces mots sont déjà d'une jolie force.
Il est décidément pour Yengin de paix. € Réus-
sir », dit-il, « ce sera véritablement boucler la
boucle ». Il insiste sur « le caractère interna-
tional » de la chose. « Fini le temps où le génie
est mis au cachot les fers au pieds » 1

En effet on ne se représente pas Gabriel dans


cette posture.

« Facilitez, élargissez, ouvrez les portes et les


fenêtres toutes grandes (sans omettre de les impo-
ser, bien entendu), toujours plus d'air, plus de
lumière, plus d'espace, voilà la vérité /... Réunissez
les peuples, ne les séparez pas... L'air à tous, entente
amicale entre les puissances... Des cartes de l'air...
Nous ne connaissons pas plus l'atmosphère qu'on ne
connaissait l'Afrique, il y a trente ans. Il faut l'étu-
dier, voilà tout... Il n'y a pas d'argument qui vaille
un bon coup de barre vers le progrès. »
LE PÈLERIN PB L*AB30LU 25
Il faut lire do temps en temps Ilanotaux pour
savoir aveo quelle compétence et quelle auto-
rité un académicien peut écrire des centaines
de lignes pour ne rien dire.
5. — Le très remarquable auteur de l'Avène-
ment de Bonaparte et de Napoléon et Alexan-
dre T't Albert Vandal vient de mourir. Il hono-
rait infiniment l'Académie. Par qui ou par quoi
va-t-on le remplacer ?
8. — Imprimé du Tout-Paris. Demande de
renseignements sur moi pour la prochaine édi-
tion. Voici mes réponses : Titres honorifiques?
« Pamphlétaire et Mendiant ingrat ». Hôtel
particulier ? « La Morgue ». Je déclare ne sous-
crire à aucun exemplaire.
12. — Visite d'un malheureux prêtre de mes
amis. Il est sans argent, sans gile, ne mangeant
plusv que par occasion et presque réduit à la
mendicité. Tel est l'effet, dit-il, de la haine im-
placable d'un ecclésiastique prépondérant de
son diocèse qui le persécute depuis des années.
Il nous en a souvent parlé. J'ignore, il est vrai,
l'origine de cette haine. Ce pauvre prêtre a dû
se compromettre autrefois, faire je ne sais
quelle sottise ou imprudence qu'on ne lui par-
donne pas. Tout lui est reproché, entre autres
*J0 II: II:!.KIUN ni: i, AUSOI.U

choses, ses relations avec moi ! Chaque fois


qu'il croit avoir obtenu un poste promis et
sans lequel bientôt il ne pourra plus vivre, une
malveillance occulte l'en prive et il no peut
espérer aucun secours de son évoque. De Vigny
a raconté la Servitude militaire. C'est ici la ser-
vitude sacerdotale bien autrement redoutable.
IU. — Deux dédicaces au Désespéré :

A mon très cher ami Philippe Raoux, en souvenir


des belles heures passées ensemble à Corps et à la
Saletle et en attendant le Paradis où on ne se quit-
tera plus ; ce livre d'excessive douleur dont le litre
n'est qu'une antiphrase. « Le désespoir porté assez
loin », a dit Carlylo,« complète lo cercle et redevient
une espérance ardente et féconde ».

A Jacques, à Haïssn, à Vôra. Ce livre éu.mgc et


broussailleux, mais saturé de douleur, vous montrera
mieux qu'un autre, peut-être, mes bien-aimés, l'âme
si magnifiquement torturée de votre parrain. Ce
n'est pas une autobiographie, mais il n'y a pas une
page qui ne soit vraie, au moins dans le sens énig-
matique ou parabolique. Tels faits historiquement
faux sont la traduction en similitudes et cruellement
précise de certains épisodes à faire peur que je
n'ayais pas le droit de raconter. J'ai de tels secrets
1.8 TÈLBRIN PB L/AUSOLU 27

a garder et, depuis trente ans, un si lourd fardeau


sur le coeur I (Relire la page 01 de Mon Journal,) A
demain, a après-demain, a toujours.

15. — Me voiei, pour quatre jours, sur la dé»


lieieuse petite plage de Binic où je suis venu
rejoindre Jeanne et les enfants. DeSaint-Brieux
à Binio il m'a semblé que je voyageais en rêve.
Le paysage est trop beau, trop différent de tous
ceux que j'ai pu voir. Quelque chose du Paradis
terrestre a dû rester en Bretagne. L'Atlantide,
lieu présumé de l'Ëden, confinait sans doute à
notre Armorique.
16. *— Visite au recteur. On parle du décret
de Pie X touchant la première communion des
petits enfants, occasion de remarquer l'oppo-
sition par inertie qu'on pouvait prévoir, c'est-
à-dire l'obéissance éludée sous divers prétextes.
Ce recteur qui est probablement un homme de
bonne volonté, a reçu, comme tous ses confrè-
res, l'ordre épiscopal d'envoyer un rapport sur
les dispositions actuelles de ses paroissiens, en
vue de concilier la prudence et l'obéissance.
On voit où cela tend.
17. — Kermaria et Lanloup. Visité la très
vieille église de Kermaria, presque en ruines,
28 LB l'KLERIN DB L'ABSOLU

mais toujours livrée au culte et fort curieuse,


avec sou porche aux statues peintes des douze
Apôties, ses piliers noirs vêtus de la mousse de
plusieurs siècles et l'étrange fresque macabre,
en haut, tout le long de la nef. Illusion d'un
recul soudain jusqu'au fond du Moyen Age. Il
s'y fait encore des miracles.
Lanloup est un vrai village breton d'autre-
fois, malheureusement rempli de soldats en
manoeuvres. Ils vont partir cependant et nous
pourrons déjeuner en paix. En attendant, visité
l'Eglise, moins ancienne ou moins ruinée que
celle de Kermaria, mais combien intéressante 1

Usage breton que j'ignorais. Il est impossible


d'entrer dans l'enceinte qui enferme le cime-
tière et l'église située au centre du cimetière,
sans enjamber des blocs de granit. Barrière in-
suffisante contre les bestiaux et qui doit avoir
une signification symbolique. C'est une chose
touchante de voir toutes ces tombes groupées
autour de l'église, et tout cet humble village se
pressant à quelques pas de l'enceinte Que res-
1

tcra-t-il de tout cela dans quelques années ? La


Bretagne se civilise, hélas 1

Déjeuner, puis promenade à travers un bols


enchanté jusqu'à la petite anse de Bréheo,
I.E i'i:i.i:itiN DIÎ I/AIISOLU -'•
plage minuscule où se bâtissent déjàdes chalets
modernes. Pays délicieux qui, bientôt, n'exis-
tera plus.
18. — Dans une promenade sur la plage de
Binic, Jeanne me raconte son aventure avec un
petit mousse rencontré parmi les marins da-
nois venus, il y a quelques jours. Le trouvant
seul dans la rue,elle a parlé à cet enfant, élevé
chez les protestants dans la plus parfaite igno-
rance religieuse, de la Sainte Vierge, et a pu lui
faire accepter la médaille miraculeuse. Il a
même promis d'apprendre par coeur/'. Uv? Maria
qu'elle avait écrit pour lui en langue danoise.
Le pauvre petit, peu habitué à de semblables
attentions, en a paru fort louché et Jeanne a su
(pie plusieurs de sescamarades en ont élé plus
ou moins émus. Telle était peut-être L'unique
raison de ce voyage à Binic.
Après midi, promenade sur la roule qui con-
duit à Notre-Dame de la Cour des Anges. On
s'arrête en un endroit ravissant (pie mes lîlies
m'avaient annoncé comme un canton du Para-
dis. Une petite prairieombreuse pleinede pom-
miers et tout entourée d'un charmant ruisseau.
C'est un lieu de paix et de douceur où nous
passons près d'une heure. Pour la premiè-re
30 LB PÈLERIN DE
L'ABSOLU

fois, depuis des ans, je me vautre avec volupté


dans l'herbe fraîche.
. ,
19. — Retour à Paris. « Pendant que je vous
trace, en hâte, ces quelques lignes», m'écrit un
ami, « je vois passer sur ma tête deux aéropla-
nes. Les fous, où vont-ils ? Que veulent-ils ?
Leurs corps montent à mesure que leurs âmes
descendent. »
20. — J'apprends qu'un curé de province m'a
violemment condamné du haut de la chaire. La
gloire me visiterait-elle enfin?
23. — Visite imprévue d'un jeune religieux
que j'ai beaucoup aimé autrefois. Je crois môme
lui avoir appris l'existence de Dieu. Il est devenu
prêtre dans la Compagnie de Jésus. Je vois un
pauvre garçon très ennuyé d'être jésuite, se
sentant au fond d'un gouffre où il a fini par en-
trevoir que j'ai raison de mépriser ce que je
méprise, c'est-à-dire le monde religieux mo-
derne s'efîorcant de continuer ou de prolonger
un passé défunt dont Dieu ne veut plus. Alors
il vient à moi timidement, misérablement. Gela
me fait pitié d'autant plus qu'il lui reste de ses
quatorze ou quinze années de dépression jésui-
tique une impuissance déplorable de s'élever
a d'autres pensées que celles qui lui ont été en-
LE PÈLERIN DE L'ABSOLU 31

fournées par ses supérieurs. La Salette est


inadmissible pour lui, exactement comme s'il
était évoque. De mon côté, je ne peux oublier
certaines blessures telles que sa réponse à mon
envoi de Celle qui pleure, il y a deux ans, ré-
ponse qui fut ironique et détestable.
Reçu le prospectus d'un ouvrage intitulé
France et Papauté par un P.LECIIIEN qui se vend
chez Putois à Gien, avec une table des matiè-
res où oh voit que tout est expliqué dans le
passé, le présent et l'avenir.
24. — Notre petit Pierre accomplit aujour-
d'hui sa quatorzième année dans le Paradis et
moi je pleure à la messe, en pensant à lui et à
toute notre terrible vie depuis vingt ans.
29. — Sans courage pour écrire, je relis UEx-
pêdition des Almogavares de Schlumberger, li-
vre tout en or.
30. — Débarrassé du Vieux de la Montagne
dont je viens de livrer le manuscrit, et voulant
écrire la Vie complète de Métairie, je demande
à celui qui peut me les donner tous les docu-
ments indispensables, avaricieusement séques-
trés jusqu'ici.
32 I.IÏ I'ÈLEHIN DI: L'AUSOI.I'

Octobre

4. — En vued'une Introduction à la Vie de


Mélanic, travail qui me fait peur, je consulte
un savantissime ouvrage sur la Mystique, es-
pérant quelques idées. Expérience ennuyeuse
peu récompensée. Les innombrables docteurs
cités n'ont ordinairement que des superlatifs à
m'oirrir, en parlant de la Sainte Vierge. Quel
secours puis-je en attendre ?
Ordure trouvée dans je ne sais quel journal:

Un bien joli mot d'un prélat hostile à la politique


de Pie X. Il disait l'autre jour :
— Notre Saint Père pèche surtout par un léger
aveuglement qui l'empêche de voir et de juger les
choses modernes. Ah puisse Dieu lui ouvrir les
!

yeux...
11 s'arrêta un moment, puis, levant avec douceur

sa blanche main d'ecclésiastique, poursuivit :


— ... ou les lui fermer.

Je voudrais bien connaître le nom de ce


prélat.
8. — A une amie :
LK PÈLERIN DE L'ABSOLU 33
Je suis très heureux de la décision du Pape tou-
...
chant la première communion des petits enfants. Il
était temps d'en finir avec les scrupules abomi-
nables du gallicanisme en état de désobéissance aux
décrets du Concile de Trente, depuis trois cents ans.
Mais il est trop facile deprévoir la résistance de nos
évoques, résistance mielleuse qui consistera à éluder
la volonté du Saint Père par tous les moyens ima-
ginables, et Pie X, accablé de tristesse, ne se fait
certainement aucune illusion sur ce point. 11 sait si
bien que la vie surnaturelle s'est éloignée et s'éloi-
gne de plus on plus du monde chrétien l
Pour ce qui est du Sillon, je connais Marc San-
gnier et je suis loin de partager votre enthousiasme.
Sa soumission n'est qu'apparente. Eût-il même des
ntentions droites, je vois en lui.un homme profon-
dément inintelligent et vaniteux qui continuera son
imbécile propagande démocratique,sans jamaiscom-
prendre qu'il travaille à démolir l'autorité de l'Eglise.
Sur ce point encore, soyez sûre, chère amie, que le
Pape voit très clair et qu'il se résigne on gémissant.

9. — Je m'aperçois que je n'ai pas môme


mentionné la révolution en Portugal qui a eu
lieu il y a déjà quelques jours et dont les jour-
naux sont pleins. Banalité infinie, dégoûtante.
L'Espagne, on l'espère, va suivre ce bel exem-
ple, d'autres pays encore, et nous aurons enfin
3t I.E I'Î:I.I:RIN L>I:
I.'AISSOLU

cette anarchie européenne attendue par Satan


et le Saint-Esprit.
Le détenteur des documents sur Mélanie,
l'abbéC...qui m'avait proclamé le seul historien
possible de la sainte, refuse inexplicablement
de me les confier, jugeant absurdes mes récla-
mations et mes- plaintes.
En Périgord, un jeune homme pauvre veut
épouser une jeune fille pauvre qu'il aime. Ré-
ponse de son père : En mariage fias destmtimv.nl.
10. — A Termicr et à sa lille .Jeanne, à Car-
tilage :

Reçu votre lettre, hier dimanche, fêle de saint De-


nys, l'Auxiliateur, décapité à deux pas d'ici, il y aura
bientôt deux mille ans, fort antérieurement au Mou-
lin Roug<>. La 15ulle a beaucoup changé depuis cet
événement dont le Vieux de la Montagne est proba-
blement l'unique témoin vivant encore.
C'est ainsi «pic l'Aréopagile a voulu me consoler
de ladéfecliomlel'abbé CI..., curé de D... qui m'aban-
donne, refusant, ce matin même, en une lettre imper-
tinente, de me confier les documents qu'il possède,
indispensables pourtant à l'historien de la Bergère
qu'il a voulu voir en moi. .le ne comprends rien à
ce prôlre fantasque, tour à tour enthousiaste cl dé-
daigneux qui, après avoir déclaré très haut que je
I.B l'fcUvIUN DIÎ L'ABSOLU M")

suis le seul écrivain capable d'un tel livre, se dérobe


tout à coup avec une défiance injurieuse.
Je serai donc forcé de me contenter de ce que j'ai
dans les mains. Par la faute de cet homme qui man-
que inconcevablement à sa mission, la vie de Méla-
uie, sa vie entière que je voulais raconter sera rem-
placée par une dissertation sursa miraculeuse enfance
dont je suis loin de connaître tous les détails. Dieu,
sans doute, me veut toujours pauvre, môme en celte
manière. Peut-être aussi veut-il me donner Lui-
mémo, de Sa Main, ce (pie son prêtre me refuse,
comme il me donne mon pain de chaque jour.
A Carthage où vous êtes, les Vandales ariens du
vL> siècle coupaient la langue aux catholiques pour
les empêcher de louer Dieu, et ces martyrs sans lan-
gue parlaient encore mieux qu'auparavant, miracle
attesté par plusieurs témoins oculaires ou auriculai-
res, parmi lesquelles le célèbre Procope. Tel sera mon
sort.
Je ne vous vois pas très bien, Jeanne Termier,sur
les ruines de Carlhagc, comme le féroce et fugitif
.Marins exterminateur do barbaies. Il me semble que
celle antiquité païenne n'est pas ce qu'il faut pour
vous inspirer. Pourtant je ne sais pas. Les poêles
sont sujets, plus que les autres humains, à des mou-
vements réllexes cl il est possible (pie ce voyage,
surtout en compagnie île votre père, détermine en
vous une orientation nouvelle très inattendue.
WW^W^W^^^W^- w@$&

36 LE PÈLERIN DE L'ABSOLU

J'ai vu, jeudi dernier, le docteur venu pour un con-


grès et quia passé une heure avec moi, Cet « homme
de sang » m'a dit ne vous avoir pas lu, Jeanne, et
cela par principe, sa conception de la vie étant trop
différente delà vôtre.Telles ont été ses expressions.
J'ai renoncé à lui dire qu'une telle différence n'at-
testait en lui que la conception de la mort. Mais tout
ça, voyez-vous, « c'est des blagues >, comme le disait
avec plus d'énergie, en bourrant sa pipe, un vieil au-
diteur de réunions électorales, et je crois que ce bon
docteur, qui vous a probablement lu, finira par de-
venir un modeste calblin.
Je crois, en effet, mes.chers amis, que je serais
heureux près de vous,là-bas. Cette année parait avoir
modifié ou atténué mon horreur des voyages. Il est
possible qu'à l'avenir on ne voie plus que moi dans
les voitures ou les bateaux. Mais celle disposition
nouvelle n'est pas encore bien déterminée Pour le
moment les grands voyageurs semblent devoir être
les monarques. Le métier de roi peut mener loin,
surtout lorsqu'il est exercé avec la proverbiale gatlé
portugaise. Nous en voyons quelque chose en ce mo-
ment. Sans être prophète on peut prévoir les péré-
grinations prochaines d'Alphonse, de Guillaume, de
Nicolas et de quelques autres. Il faut bien que les
prédictions de la Saletle s'accomplissent.!.
il.
— La grande affaire est toujours la révo-
lution portugaise. Lu un article de Naudeau,
LB PBLBRIN DB L'ABSOLU 37

lettre datée de Lisbonne, où il raconte l'agitation


infernale de l'anticléricalisme. Ce journaliste in-
capable de voir la cause dans l'effet, admire cette
révolution, en déplorant qu'elle ait immédiate-
ment de telles suites. On n'est pas plus médio-
cre. Gomment faut-il être fait pour ne pas voir
que tout ce qui se passe aujourd'hui a pour cause
précisément cet anticléricalisme qu'il croit un
accident consécutif à l'effervescence politique ?
Les détails sont étrangement significatifs pour-
tant et combien hideux !
12. — Songeant avec amertume au refus des
documents, j'arrive enfin à une clairière. Il se
pourrait qu'une Vie de Mélanie, même docu-
mentée, ne valût pas une simple reproduction
de la pièce que je possède.
15. — On me dit qu'il y a à Agen une rue
de la Libre Pensée l Ce doit être la rue des
bordels.
16. — Non estregnum Dei esca et polus : sed
justitia et pax et gauditzm in Spiritu Sancto
(Rom. XIV, 17). Dans l'Absolu, ESCA et POTUS
ne peuvent signifier que les Espèces eucharis-
tiques. Saint Paul parle donc ici en prophète,
le Règne do Dieu ne devant être réalisé que par
la Troisième Personne.
3
38 LE l'î-LEHIN PK I.'AIÎSOLU

Quelle joie merveilleuse de lire l'Ecriture dans


de iels éclairs !
18. — Lu une petite biographie du Père Mil-
leriot que j'ai fort connu vers 1875. C'est amu-
sant, édifiant môme, si on veut, mais enfantin.
Ce P. Milleriot, dont les vertus paraissent indis-
cutables, était le type du jésuite rigolo et popu-
laire. En ce sens il fut un précurseur delà Croix.
Gaité avilissante, sainteté basse, si j'ose dire.
Mais il élait bien jésuite. Il a laissé sur moi
une tache ineffaçable, une sale tache de graisse
que je n'ai jamais pu enlever. J'étais alors très
malheureux, très pauvre et je désirais prendre
part à une retraite organisée par les Jésuites
à la campagne. Je m'en ouvris au P. Milleriot.
Réponse immédiate : Cinq francs par jour.
Ce fut tout. Je n'en suis pas encore rcveiu^
19. — La Maternelle par Léon Frappié, ou-
vrage ayant obtenu le prix Concourt, c'est-à-
dire l'admiration de Huysmans, je ne sais en
quelle année. Ce roman est curieux en ce sens
qu'il est une tentative de grande émotion sur la
misère allïeusc des enfants des pauvres à Paris,
sans que Dieu intervienne un seul instant. Tour
de force qui a sans doute ébloui le catholique
Huysmans.
LE PKLEIUN DE L'ABSOLU iVJ

23. — Rencontré un pauvre bonhomme qui


me dit son dégoût immense de tout ce qui se
passe aujourd'hui, sans comprendre que la
cause de tout le mal est l'oubli complet de Dieu
qui est précisément son fait.
25.— Balzac. JJéatrix. Deuxième ou troisième
lecture depuis trente ans. Je ne recommence-
rai pas. Toujours le bonheur par l'amour, dans
un décor de richesse. Toujours une religion en
lieux-communs, sans aucune compréhension du
Surnaturel. Le catholicisme pour Balzac, c'est
invariablement un refuge pour les coeurs bles-
sés, une consolation, rien de plus, rien (Vautre
surtout. Dans tous ses livres, l'Eglise est mon-
trée comme un engin de gouvernement, une ré-
gie supérieure,une mécanique préférable. Igno-
rance incroyable de tout ce qui n'est pas humain.
Je suis profondément dégoûté.
2(3.— Deux dédicaces. Dernières Colonnes de
ï/:s>lise :

.le nesuis pas une colonne. Un monolithe au fond


du désert. Voilà tout ce qu'on m'accorde. Très peu
de lions visitent ma solitude explorée seulement, à
des époques déterminées, par quelques chameaux
puants, et vous ôlcs un des rares audacieux que
40 LB l'ÈLERlN DÇ L'ABSOLU

j'ai vu venir, amenés par cette pensée généreuse


qu'un obélisque pouvait avoir besoin de consolations.

Christophe Colomb devant les Taureaux :

Est-on mieux devant les taureaux que devant les


cochons? C'est une question que j'essaierai de résou-
dre à T... où les pourceaux ont du moins sur ceux
de Paris cet avantage d'être comestibles. Il est vrai
que je n'ai pas découvert l'Amérique, mais j'ai in-
venté une fameuse poudre à punaises;'ce qui me met
sur le piédestal.

À Philippe Raoux :

Votre lettre triste est venue trouver un homme


triste. Je n'ai pas, comme vous, le chagrin d'être sé-
paré d'une enfant chérie, quoique...! — chagrin que
je n'aurais pas aujourd'hui beaucoup de force pour
supporter. Je ne suis ni seul ni en exil comme vous,
mon pauvre ami, mais j'ai d'autres peines. Je no veux
pas parler de l'énorme difficultéde subsister etde faire
subsister les miennes, tourmentcontinuel très adouci,
d'ailleurs, par quelques amis que Dieu m'a envoyés.
Je ne penso môme pas à l'injustice permanente, in-
vincible, que vous savez. Hier encore j'ai plaidé vai-
nement pour obtenir une nouvelle éditipn du Dèses-
léré, livre célèbre demandé constamment, épuisé
LB PÈLERIN DE L ABSOLU 41
depuis longtemps et qu'aucun éditeur ne veut réim-
primer, j'ignore pourquoi.
Non, il s'agit d'autre chose. Je me vois, aujour-
d'hui, dans l'impossibilité absolue d'écrire la Vie de
Mélanie. L'abbé G..., curé de D..., qui m'a tant aidé
pour Celle qui pleure, me refuse iaexplicablement
son concours. Ayant été, quatre ans, le confesseur
et le directeur de Mélanie, ayant forcé la sainte fille,
au nom de l'obéissance, à lui livrer toute sa vie,tout
ce qu'elle avait de plus précieux, possesseur de tous
les documents sans lesquels je ne peux pas être son
historien, il me les refuse tout à coup inconcevable-
ment et brutalement, après avoir déclaré qu'il ne
voyait pas au monde un autre homme que moi pour
cet ouvrage.
.
Bien que confondu et navré, j'ai pensé d'abord que
Dieu voulait ainsi me montrer ma voie, me faire com-
prendre que ma seule tâche présentement était, non
pas l'histoire stricte et documentée de Mélanie, mais
une sorte de préliminaire à cette histoire, une élude
d'ensemble de cette exceptionelle destinée accompa-
gnée ou suivio du récit deson enfance par elle-môme,
commenté plus ou moins lumineusement. Aussitôt
je me suis réjoui de celte tâche nouvelle, la suppo-
sant plus facile.
Combien je me trompais I En m'approchant, j'ai
vu que je me trouvais en présence d'un monstre de
difficulté. La Vie de Mélanie écrite par elle-même
i'2 i.r. rri.iîitiN ni: I.'AHSOU'

sur l'ordre de son confesseur est une Irfes belle série


tle visions donnant l'idée de la Sainteté la plus ex-
traordinaire, mais sans auciino cohésion historique.
Pas de dates, pas do ligures ou circonstances acces-
soires, a peine de vagues et distantes indications de
lieux. Le cadre manque toujours. A l'exception des
visions mômes cl des mouvementsd'amcde la sublime
enfant, je ne vois rien ou presque rien. Alors, que
faire ? Editer cette oeuvre défectueuse quant à la
forme et quelquefois obscure, en l'accompagnant
d'une paraphrase pieuse, mais timide et nécessaire-
mont incertaine, puis coilTer le tout d'v.itc espèce
d'oraison funèbre, voilà, certes, la besogne la plus
capable de me rebuter. En une lettre fort malgra-
cieuse,le curé de D... m'a dit que jedevais me borner
a l'enfance de Mélanic et me contenter pour cola de
ce que j'ai dans les mains, chose précisément impos-
sible pour les raisonsdites. J'en suis a modemander
si ce prêtre est dans son bon sens. Dénué de tout
document historique nouveau, je n'ai pas un pas à
faire au delà de Celle qui pleure et, dès lors le sujet
paraît épuisé.
L'abbé G... qui ne comprend rien à ma mission
d'artiste me voudrait homlieusard, persuadé bêtement
que cela serait plus efficace. Il me l'a écrit, de ma-
nière ou d'autre, bien des fois. Alors, cher ami, me
voilà presque forcé de renoncer à mon beau projet
et par conséquent très malheureux. Lundi, le jour
LB PÈLERIN D8 L'ABSOLU 43
môme oïi votre lotlro m'est vonuo, je mo suis senti
comme en agonie, otàl'heuro où je vousécris, j'ignore
la fin de cotte épreuve. Rien do pareil ne m'ost ja-
mais arrivé. J'ai toujours su, a pou près, où j'allais,
ce que jo faisais, ce quo jo dovais faire, co qui
m'était demandé. Je no sais plus rien do tout cela *

Je suis au point de ne plus sontir que de la répu-


gnance pour une oeuvre qui me remplissait d'en*
thousiasme.Puis je me dis qu'un artiste doit faire ce
qui lui platt, au contraire des autres hommes ordi-
nairement tonus de faire co qui leur déplaît ; quo
c'est là sa marque et sa loi qui no peut être changée,
Me voilà donc amené à l'abandon, au moins provi-
soire, do la Salette pour je ne sais quelle autre en-
treprise et, jo le répète, je suis très malheureux...
Jo regarde venir l'hiver qui va s'ajouter pour moi
à soixante-trois hivers. On nous annonce de toutes
parts la famine,suite naturelle et'juste dos désordres
météoriquesde cette année, conséquences cux-môraes
de l'inexprimable infamie de tout le monde. Vous
parlez des grèves et de l'ignoble Briand. N'oublions
pas que ce personnageest actuellement le successeur
do Dieu et que le bourgeois compte sur lui seul pour
sauver ses tripes. Il convient d'enparler avec respect.

27. — Un prédicateur parlant de Jésus à un


auditoire de dames et ne sachant plus comment
exprimer la beauté, la douceur, l'amabilité infi-
Ai LB PÈLBRIN DK
L'ABSOLU

niesdu Sauveur, trouve enfla eeoi : « Un Bour-


get divin »!
29, — Affreuse histoire de la persécution exer-
cée sur une malheureuse femme par son mari
enragé de la voir chrétienne et de ne pouvoir
immédiatement pourrir leur jeune enfant. Je
déplore la loi moderne qui ne permet pas do
supprimer les bêtes féroces.
30.— Hier, séance furieuse à la Chambré. Dans
cette cohue de scélérats ou d'imbéciles qui for-
ment ce qu'on veut appeler la représentation
nationale, l'odieux Aristide Briand, président
du Conseil» outragé et menacé dans sa personne
par l'extrême gauche qui l'accuse de vouloir la
dictature, parait être le seul homme de cette
assemblée qu'il domine par son sang-froid et son
bon sens. Faut-il que la France soit déchue pour
qu'un tel moutardier prenne cet aspect 1

Novembre

1*'.— J'ai vu rarement pleuvoir avec tant de


violence. Que de blasphèmes chez les fleuristes
ou marchands de couronnes et chez les bour-
geois dont c'est la coutume, en ce jour, d'encom-
Il; l'KI.KIUN 1>K I.'AIISOLL' 13

brerlcs cimetières de leur sentimentale impiété !

8. — Dédicace au Fils de Louis XVI :

Mon cher André Dupont, quand j'écrivis le Fils


de Louis A 17, j'ignorais encore que ce Louis XVII,
c'était moi-même, simplement. 11 suffira, pour vous
en convaincre,de relire mes autres livres. Comment
de telles tribulations auraient-elles pu convenir à un
mitre personnage et quel autre que le fils de tous les
rois aurait pu los supporter ?

II. — Je dis à un chrétien riche qui est venu


me voir mon désir extrême de ne pas terminer
ma vie douloureuse par un éventuel martyre
sanglant, sans avoir pu glorifier Mélanie, «cette
grande Fille crucifiée, calomniée, piétinée par
les boucs du sanctuaire et les agneaux enragés
du péristyle» ; mais il faut qu'on m'aide de tou-
tes manières, étant, par la volonté de Dieu et
mon propre choix, « le vieux mendiant au seuil
de l'Eglise ».
Nul eflet de cette ouverture, naturellement.
Il n'y a qu'une chose à dire aux riches : Vous
serez condamnés par ceux qui portent votre far-
deau.
Mot d'un député de la droite : « Monsieur le
3.
•iti LI: lÈLi-iu.N ni: L'AHSOI.U

Président du Conseil (Briand) est un sans-culotte


à la recherche d'un pantalon. »
12. — Haïssa nous annonce la conversion de
ce terrible braillard qui vint nous voir, il y a
plus de deux ans. [Voir Le Vieux de la Mon-
tagne, page 1IU.J 11 va se faire baptiser, au
grand désespoir de quelques pasteurs protes-
tants.
14. —Ce matin, apparition de Jacques m'ap-
portant une dépèche bizarre du converti qui lui
dit d'accourir avec moi à F...dans l'après-midi:
Quittez tout et venez, sans explication. Impossi-
ble de refuser. Voyage long et pénible. Nous
arrivons enfin. Le converti nous embrasse l'un
et l'autre avec des démonstrations excessives,
nous accueillant comme des apôtres.
Presque aussitôt, une grande scène médiocre-
ment évangélique. Tout le monde crie dans cette
maison et le converti vingt fois plus fort que les
autres. Sa femme que nous ne voyons pas, mais
que notre présence a l'air d'enrager, hurle des
anathèmes dans l'escalier et sa mère, que nous
ne voyons pas davantage, lui envoie sa malé-
diction du fond de la cuisine. Le malheureux,
sorti un instant pour attiser le vacarme, revient
sur nous, les yeux hors de la tète, et nous ex-
11: pixhRiN DK L'AIISOIC 17

plique enfin de la manière la plus véhémente


qu'il nous a fait venir pour écraser l'ennemi.
Cédant à sa femme, protestante fanatique, il
a consenti bêtement à recevoir une troupe de
pasteurs qui accourent de Paris en chemin de
1er, en autos, à bicyclettes, pour combattre sa
résolution ou, du moins, pour lui persuader d'en
diflerer l'accomplissement. Car ce braillard to-
nitruant et sympathique est considéré par eux
comme une brebis très précieuse qu'ils ont le
devoir de défendre contre les loups dévorants.
Il compte donc sur nous pour le soutenir dans
la discussion furieuse qu'il prévoit et pour acca-
bler ses adversaires.
J'ai répondu que je refusais absolument toute
discussion, que je ne concevais pas qu'il eût
été assez imbécile pour en accepter les risques
et que, prétendant m'avoir lu, — comme doit
le faire tout bon chrétien —il était inouï qu'il
me crût capable d'y consentir. « La vérité », lui
ai-jc dit, « est incompatible et ne soutire pas
d'objection. Ces misérables ne peuvent que vous
troubler en vous apportant leur boue et leurs
ténèbres. Laissez-moi les jeter moi-même à la
porte, je suis le premier homme du monde pour
ça. » Inutile de dire que Jacques était complè-
•13 I.R l'KLKRlN OH I.'ABSOI.U

temcnt et résolument avec moi, môme en cas


de gifles.
Notre converti se récria, disant qu'à cause de
sa femme, c'était impossible; qu'à la réflexion,
il comprenait que je ne voulusse pas discuter
avec des hérétiques, mais que notre seule pré-
sence lui ferait un coeur d'airain. Bref, il nous
installa dans un petit salon voisin de la pièce
où devaient être reçus les pasteurs. « Soit », lui
dis-je, « mais à une condition, c'est qu'on ne
gueulera pas, sinon j'interviens et je casse tout.
Vous me donnez, ridiculement d'ailleurs, le nom
d'apôtre, de votre apôtre. En cette qualité, je
vous commande le calme. » Il me promit, m'em-
brassant une fois encore, d'ôtre calme autant
qu'invincible et... il tint parole. Ce fut le mi-
racle de celte journée.
Les parpaillots arrivèrent successivement au
nombre de sept, comme les sept péchés capi-
taux ou les sept coupes de la Colère de Dieu, et
nous attendîmes deux mortelles heures dans ce
cabinet, en proie à l'ennui le plus atroce, incom-
modés, jusqu'à la suffocation, de la puanteur
de ces vases de protestantisme et n'entendant,
à travers une porte, que des paroles indistinctes,
sans aucun cri. Nous en étions à déplorer de
I.K l'îr.uniN ni: I.'AIISOLI* i'.<

nous être condamnés au silence. De temps en


temps, notre hôte venait nous voir une minute,
nous suppliant de patienter et nous faisant admi-
rer sa cuirasse. « Plût à Dieu, » lui disais-je,
<<que nous en eussions une contre l'ennui qui
nous dévore! » A la fin, comprenant que nous
étions à bout, il nous conduisit à une voiture et
nous embarqua, la séance, d'ailleurs, allant finir-
Je n'ai jamais rien vu de plus parfaitement
hideux et désolant que cette cité ouvrière fon-
dée par un milliardaire défunt dont le monument
décore l'unique place de cet enfer, lequel mo-
nument est bien la plus irréprochable infamie
sculpturale qu'on puisse contempler. L'empe-
reur de l'épicerie regarde son usine, comme Na-
poléon un champ de bataille, avec une expres-
sion d'orgueil et de muflerie indicible, cependant
que les allégories en bronze de l'Industrie et de
la Pensée (!) révent immortellement au-dessous
de son buste marmoréen dont leur chaudron-
nerie fait éclater la blancheur. Il ne fallut pas
moins que les supplications de notre converti
épouvanté pour que je résistasse à la tentation
de compisser l'effigie.
A la petite gare, au delà d'un cloaque im-
mense, nous fûmes rejoints par trois des pasteurs
">(> I.I: l'ir.iîMN ni- i. AIIMIU'

a\ant à leur tète le célèbro Koberly, ennemi


particulier île la Sainte Vierge et des Sacrements,
prêcheur e\vin»éli<jue l'oit admiré, .le n'oublie-
rai pas l'ignoble figure de ce vieillard qui res-
semble à un usurier de pauvres et qui nous
regardait furtivement à chaque minute, moi sur-
tout, n'ignorant pas que nous étions les apôtres
et comme s'il craignait que je ne lui sabotasse le
derrière, ce dont j'avais, je le confesse humble-
ment, un désir extrême. Nous fûmes délivrés à
Paris de cette obsession. Ainsi s'acheva une des
plus vilaines journées de ma vie, utile pourtant,
puisque notre ennui a pu être profitable à un
homme qui sera baptisé demain ou après-demain,
lu.—Jeanne me rappelle ce que Jacques nous
avait dit du néophyte, ayant refusé l'héritage de
son beau-père parce qu'il jugeait celte fortune
mal acquise. Un refus aussi extraordinaire dut
paraître aux pasteurs le symptôme le plus évi-
dent du dérangement de ses facultés, et le désir
du baptême ne pouvait que confirmer un tel
soupçon. Dès lors il est permis de supposer de
leur part une intention mystérieuse d'abuser de
la violence bien connue de ce malheureux pour
le faire enfermer. Le calme que j'ai obtenu de
lui, hier, aurait donc déjoué cette infamie.
I.I: i'i:i.i IUN »i: I.'AIISIILU M

17. — A Jacques :

Il tant que tu me renseignes. Je croyais, dans ma


randeur d'anti-moderniste, que \... m'enverrait une
dépêche disant: « Je suis baptisé. > Hien n'est venu,
.le ne sais rien et je me demande si ce voeileratour
sans caractère n'a pas rencontré quelque obstacle
nouveau. Je trouve son silence très injuste, après
une telle journée que nous lui devons et le service
probablement ciwrme qu'il nous doit.
18. — Jacques me tait lire une lettre de \...qui
a été baptisé près de Montpellier et qui a dû
l'aire sa première communion hier ou avant-hier.
Mais nous pensons que ce grand entant aurait
besoin d'être mis en garde contre certains ec-
clésiastiques ou laïques dévots qui ne manque-
ront pas d'essayer de tirer parti de sa conversion
pour le jeter dans désoeuvrés où il ne pourrait
que se dissiper. Je vais lui écrire.
19.
— Toujours le livre à faire. Je ne sais
plus que cette prière : —Je vous prie, Ma Dame
de Compassion, de me donner ce qui me man-
que, puisque je n'ai rien, et de faire tout pour
moi, en mon lieu et place, jusqu'à écrire Vous-
même, par ma main infirme, ce livre dont je
suis incapable.
A X. :
o*2 I.K l'fn-niN DU I.'AHSOI.I'

Do tout mon coeur, je vous félicite d'être enfin bap-


tisé. Mais il m'a fallu faire, le voyage de Versailles
pour l'apprendre ; ce qui me paraît très injuste. De-
puis une semaine, j'ai attendu chaque jour, chaque
heure, une dépêche m'apprenant cet événement. Vo-
tre silence est inconcevable.
Aujourd'hui je vous écris: J'ai hesoin de vous voir,
besoin très grand et très pressant, non pour moi,
mais pour vous-même. Quand vous nous appelâtes,
Jacques et moi, vous écrivîtes: (Juidez (oui cl venez.
C'était beaucoup demander. Nous avons fait cela qui
n'était pas très facile, et non pas en vain. Car notre
présence a été pour vous un bienfait jilus gr;ind que
vous ne pensez. Je ne vous demande pas de tout quit-
ter. Je vous dis seulement que cela presse.

20. — Voici venir le néophyte. Aussitôt


commencent des paroles étourdissantes. Cet
homme est un converti sonore. « Je suis fait
uniquement pour aimer, pour donner ma vie»,
nous crie-t-il, à chaque instant, et il est visible
qu'il le croit. Il sort de lui comme une main
pour vous prendre aux cheveux, si vous en avez,
et vous traîner par l'escalier en colimaçon de
sa pensée, car il tourne sur lui-môme furieuse-
ment et rabâche avec une véhémence qui s'ac-
célère de minute en minute jusqu'à la frénésie.
I.IÎ i'j:i.i HIN in: l-'.\i!Soi.u ">!l

Nous avons la sensation d'un malaise étrange


et je comprends la rage des protestants qui se
voient dépossédés de cet olifant.
Impossible de placer un mot. L'entrevue est
donc parfaitement inutile et je suis heureux de
restituer aux éléments le redoutable visiteur.
Je ne lui demandais certes rien, mais il no
veut pas s'éloigner autrement que dans une al-
titude somptueuse, et il me promet la plus ma-
gnifique assistance matérielle. « Les amis chez
(pii j'ai fait mon abjuration sont très riches et
très généreux >, vocifère-t-il en partant, « ils
voudraient vous connaître et vous recevoir chez
eux ».
Ouf !

22. — Lettre circulaire de Ylniransigeant.


Ce journal « qu'aucune question littéraire ne
saurait laisser indilférent », me pose cette ques-
tion : « Quelles sont les trois françaises qui
vous semblent se recommander plus particuliè-
rement au choix de nos Immortels ? » Je sup-
pose qu'il s'agit d'introduire les dames à l'Aca-
démie. Mais pourquoi trois*! Il y en a peut-être
dix mille aussi recommandables les unes que
les autres. Je ne réponds pas au papier, mais
je songe que l'Académie va devenir plus confor-
îi l i.i: IMU.KHIN ni; i.'.vnsoi.u

table, les fauteuils, désormais, devant être rem-


placés par des canapés.
Un vieux légitimiste qui tient pour la Sur-
vivance m'apprend cette chose déconcertante
qu'il y a un autre prétendant, un abbé de Va-
lois, simple vicaire à Marseille et personnage
de grand mérite, parait-il. Cet abbé serait un
descendant authentique du Masque de 1er (?)
aîné de Louis XIV ('??'?). Nous sommes en plein
roman. J'essaie de faire comprendre que, dans
tous les cas, je crois la Hace des Bourbons re-
jetée et qu'il n'y a plus à s'occuper de cette ver-
mine.
2'i. — Un ami nouveau se présente. Celui-là
est chimiste de sa profession, musicien aussi et
fort artiste. Il est ou croit être complètement
avec moi de toutes manières et se déclare pro-
fondément indigné de l'ignoble guerre à Mélanie.
La misère intellectuelle et morale du clergé, son
avarice affreuse l'épouvantent et il ne voit pas
plus que moi des motifs d'espérer. Il me raconte
qu'un curé d'Alais, paroisse de Saint-Joseph,
avait affiché, à la porte de son église, cette pan-
.
carte écrite de sa main : « Une femme honnête
ne doit jamais entrer dans l'église sans cha-
peau. > Sous les yeux môme de ce digne prô-
I.IÎ l'Ki.i-itiw ni: I.'AH>I)!.I!

tre, mon nouvel ami avait écrit sur la même


pancarte : « Toute l'emmc sans chapeau est une
putain. »
Naturellement l'écriteau disparut immédiate-
ment. Mais quelle fiche pour le paroissien Un !

autre prêtre, le môme, j'ose croire, terminait


ainsi une conférence ou instruction à des jeunes
lilles : « Imitez Marie, mes chères enfants, soyez,
comme elle, vierges-meres/// »
T,). — Uamassé dans le Journal une chro-
nique d'Hanotaux où il met sur la même ligne
saint François d'Assise, J.-J. Rousseau et Tols-
toï qui vient de crever. Conclusion : « On ne
peut pas vivre seul. On est même coupable d'y
prétendre et cela ne peut conduire qu'au déses-
poir. »IIanotaux pense que saint François d'As-
sise est mort désespéré.
28. — A un vrai piètre qui s'est employé
avec ferveur et insuccès à nie procurer les docu-
ments dont j'ai besoin :
Je vous retourne la réponse très peu satisfaisante
du curé d'Argoeuvcs... Ce qui me frappe tout d'abord,
c'est que ces braves gens, l'abbé Rigaux aussi bien
que l'abbé G... veulent être les détenteurs exclusifs
de Mélanie. La Bergère est leur propriété privée.
Avec des intentions que je veux croire bonues et sans
56 LB H*:U:RIN DE
L'ABSOLU

s'en apercevoir eux-mômes, ils nie paraissent « ... oc-


cupés à sauvegarder leur autorité et à dominer avec
orgueil ». Mais alors quel rôle me fait-on jouer et
pourquoi C... m'a-t-il proclamé l'historien de Mélanic?
L'abbé Uigaux^vous écrit: « Nous sommes loin,
hélas I de posséder tous les détails que Léon Bloy
énumérait dans sa lettreau curé de D... », et, un peu
plus loin, il dit que C..., dans sa retraite, « va tra-
vailler sur ses documents et sur ceux que je lui ai
livrés ». Je suis donc forcé de penser quo celle pau-
vre girouette de C..., après avoir décidé que je serais
l'historien de Mélanic, s'est ravisé, se disant que nul
autre que lui-môme ne pouvait ôtre cet historien. Kn
conséquence il garde ses documents et rafle d'une
main ferme ceux de son confrère d'Argoeuves qu'il a
dû nécessairement mettre en défiance contre moi.
Résultat. Au lieu du livre que j'aurais pu faire, si
on avait eu confiance en moi, on verra paraître, je
ne sais quand, une biographie bondieusarde où la
sublime Bergère sera mise juste au niveau et à la
portée des lecteurs de la Bonne Presse ; l'historien
substitué à moi n'étant pas précisément l'écrivaiu
supérieur qu'il faudrait pour faire accepter cette Vie
extraordinaire à des chrétiens d'un étage intellectuel
plus élevé. Ce sera la déconfiture suprême cl com-
plète, l'extermination définitive de Mélanic qui sera
l'accusatrice devant Dieu de celui qu'ollc nommait
son père.
LK Pl.LKRIN ni: I.'AHSOI.U

Ce malheureux C... assume beaucoup el son cas


me fait trembler. Il a lu mes livres et me connaît
fort bien, 11 ne peut pas ignorer ni méconnaître que
j'ai été désigné à lui très particulièrement et qu'il
prend ma place avec injustice. 11 est donc prévarica-
teur scions cl prutlens. N'est-ce pas effrayant ? Et
maintenant quelle est ma situation? Que devient ma
mission, à moi, que je croyais, que je crois encore,
malgré tout, si nettement déterminée et quelle sorte
de livre pourrais-jebien faire? En vérité, je n'en sais
rien.

Pensant m'ôtre utile, quelqu'un m'a donné à


lire des papiers concernant une Marie-.loscphc
qu'on veut croire une sainte et dont l'histoire
serait, m'assure-t-on, une preuve constante à
l'appui de la Salette. J'essaie d'avaler cette
pièce copieuse qui me dégoûte el me révolte
aussitôt. A chaque instant cette personne qui
dit avoir une mission que je ne discerne pas,
fait parler Notre Seigneur comme ne parlerait
pas un commis-voyageur un peu intelligent.
Cola ressemble aux sottises démoniaques dont
les spiriles sont émerveillés. Je m'arrête au
milieu de celte ignoble lecture.
ni). — Jacques s'est décidé à courir à Mont-
pellier, chez les 1)... en la maison de qui notre
5S I.E I'KLEMN DU L'AUSOLU

néophyte a fait son abjuration —pour laquelle,


sans doute, il fallait du décor — gens abomi-
nablement riches et désireux de le voir, j'ignore
pourquoi. Jacques est encore plus curieux de
les connaître et surtout de savoir ce qu'il y a
de réel dans les affirmations réitérées et gueu-
lées de X... qui s'est porté garant des intentions
sublimes de ces animaux disposés à me couvrir
d'or, avant môme que j'aie eu l'occasion ou la
pensée d'exprimer un désir quelconque de cette
assistance à laquelle je suis infiniment éloigné
de croire et dont l'idée seule me fait vomir.
Voici la lettre de mon cher filleul :

Je reviens de Montpclii.;" absolument déçu. 11 n'y


n, au moins pour le moment et pour longtemps sans
doute, absolument rien à espérer des 1)... qui son
bien les gens les plus déconcertants que j'aie jamais
YUS. Je tacherai de l'expliquer ça. Ils sont la parfaite
image du calholicismc (qu'on dit ilorissantjd'Améiï-
que. Très riches, solidement établis dans le monde,
pas du tout picusards, très orthodoxes, et, en môme
temps, très confortables et privés absolument de
l'esprit de l'Eglise. C'est invraisemblable. Ils n'ont
pas trouvé mieux que l'Evangile, non, mais ils ont
.y'oiilc i\ l'Evangile une philosophie prise à Chicago.
Kn un mol, des ca(lwlî(/ucs anlilufins !!! Spectacle
LE l'ÈLERIN DE L-'AIÎSOLU 59

profondément déprimant. Jamais ils ne le compren-


dront. Quant àX...il s'était engagé sans aucunepro-
messe ni ouverture quelconque de leur part. Ils en
ont été fort étonnés. Cette fois, c'est un peu plus
fort que notre voyage à F... Je n'en veux pas à X...
qui vient de naître, mais il n'est pas permis d'être
si enfant.

Décembre

1». — A X. :

Jacques a dû vous écrire déjà le résultat de son


voyage. Il était partisans conviction, uniquement sou-
tenu par l'espérance de m'ôlre utile. A sa place, je
n'aurais eu aucune confiance, ayant dit ou écrit sou-
vent que le plus étonnant de tous les miracles, —égal
pour le moins à la résurrection d'un mort — serait
de déterminer un riche à l'accomplissement d'un
acte généreux. Mais la démarche de ce pauvre Jac-
ques à laquelle je me serais opposé, si je l'avais pré-
vue, comment imaginer qu'elle dût être à ce point
mortifiante et inutile ?
Il paraît que vous vous étiez engagé delà façon la
plus téméraire et que les D... n'avaient fait aucune
promesse. On ne peut pas être plus enfant ni plus
léger que vous ne l'avez été en celle alt'aire stupide
n'aboutissant qu'à la déception et à l'excessive humi-
00 Ltî PKLERl.N Di: L'AISSOI.U

lialion de mon infortuné filleul qui a dépensé son


temps et son argent pour le seul plaisir de contem-
pler des gens riches. Décela je ne peux prendre mon
parti. S'il ne s'était agi que de moi, si j'avais été seul
humilié, je n'y penserais déjà plus, sachant très bien,
que tous les riches sans exception, sont les esclaves
du démon et par conséquent in.apables do toute no-
blesse. Mais je ne me résigne pas à celte ignoble
avanie subie pour moi par Jacques que vous n'auriez
jamais dû embarquer sans une certitude absolue.
Si vous n'étiez pas un enfant idiotifié par une lon-
gue pratique du protestantisme, vous sauriez que les
Américains, môme catholiques — à leur manière —
sont, en raison de leur ascendance bâtarde, les hom-
mes les plus étrangers au sentiment de Vhonneur.
Un Français aurait eu honte de laisser Jacques venu
par pure charité, quitter sa maison avec un pareil
poids sur le «eur. Fût-ce de mauvaise grâce, il au-
rait voulu faire quelque chose.
Voilà donc, mon cher X..., ce que vous avez fait dès
votre entrée dans l'Fglisc. Avec des intentions que
nousvoulons croire très bonnes, maispar l'ellet d'une
légèreté inconcevable, vous avez blessé deux Ames,
celle de mon lilleul et la mienne. Vous en êtes en-
core à ignorer qu'on ne doit jamais promettre ce
qu'on n'est pas sûr de pouvoir tenir. Je vous prie, en
conséquence, de ne pas vous occuper de mes affaires.
Vous ôles un ami trop dangereux. C'est Dieu qui
1 i: l'î-LEMN I)K L'AHÎOLU Gl
pourvoit à mesbesoins depuisbeaucoup plus de vingt
;ins, Dieu seul. Je suis le pauvre de Dieu et je ne
«lois pas compter sur les hommes, particulièrement
sur les hommes riches dont vous êtes ébloui et qui
sont, en réalité, les amis, les serviteurs du diable,
capables seulement de procurer la haine et le dé-
sespoir.

2. —Dédicaces pour René Marlineau :

Le Révélateur du Globe. Vagissements de l'écri-



vain nouveau-né.
Propos d'un Entrepreneur de démolitions. Sou-

venir lointain de l'époque où je commençais à me
démolir moi-même. 11 y a beaucoup de sottises dans
ces vieilles pages.
Un Jlrclnn d'Kxcommuniés. Pauvre brelandier

que j'étais alors ! Je jouais avec fureur sans m'aper-
cevoir jamais que mon trèlle avait quatre feuilles.
Histoires désobligeantes. Il y a là, en effet, deux

ou trois histoires qui me désobligent moi-même et
que je voudrais raturer dans une édition future.
J'étais dans la puante atmosphère du (iil Mas, à
quelques milliards de lieues do Celle gui pleure.
Sueur de Sang. — C'est le moment de ma vie qui
m'étonne le plus. Vingt-trois ans s'étaient écoulés
depuis le Drame. J'ai pu {e/'<.Tn7e,commo par miracle,
cl je crois vraiment que ce livre est la meilleure lus-
i
02 LE PÈLERIN DE L\\USOLU

toirc qu'il y ait de l'Année terrible. II est vrai que je


ne pouvais avoir— ayant été un combattant —les mô-
mesimpressionsque les frères Margueritte qui tétaient
encore en 1870.
Ici on assassine les grands hommes. — Qui pour-
rait-on bien assassiner aujourd'hui ? Question à
poser à l'Académie de Stockholm.
La Femme pauvre. — Un de mes amis rencontre
un personnage qui lui dit :« Je suis un hommejustc.
On raconte partout que Léon Bloy est une horrible
canaille. On l'accuse d'être un faux pauvre, un cam-
brioleur, un assassin disponible, un ivrogne crapu-
leux, un calomniateur infâme, un envieux et un
lAche. Il paraît môme qu'il a des moeurs épouvan-
tables. Je m'en fous. A-l-il du talent, oui ou non ?
Telle est la question pour moi. Eh ! bien, voici :
Léon l»loy ne suit pas écrire. Instruisez-vous, ù Mar-
tineau. »
Le Mendiant Ingrat. — Qu'est-ce qu'un mendiant
ingrat ? C'est celui qui, ayant reçu d'un riche une au-
mône de deux sous, no donne pas sa vie et celle de
tous les siens pour payer le bienfaiteur. Si ce men-
diant est Notre Seigneur Jésus-Christ, le bienfaiteur
est quille de la Sueur de Sang, des Crachats, des
Soufflets, de la Flagellation, do l'Ignominie, du
Crucilicment et de la Mort. Il ne reste plus (pie la
Résurrection clla Gloire qui lui seront certainement
acquises par surcroît.
LIÎ l'KLEHIN DU L'AHSOLU 03
Christophe Colomb devant les Taureaux. — Ce petit
livre d'un auteur qui se nourrissait exclusivement
de vache enragée.
Je m'accuse.... —d'ôtreun déserteur de l'armée in-
nombrable des cochons et j'espère humblement ne
pas échapper à mon châtiment.

Je lis depuis quelques jours, à petites gorgées,


un livre acheté fort cher, il y a deux ans : His-
toire abrégée de la possession des Ursalines de
Loudun eu des peines du Père Surin. L'auteur
est le P. Surin lui-môme. Il n'y a peut-être pas
délivre aussi étonnant. Ce père jésuite dont la
canonisation, je crois, est demandée, avait ap-
pelé sur lui les tourments des religieuses qu'il
exorcisait et qu'il parvint à délivrer. Il fut,plus
de vingt ans, obsédé de la façon la plus terrible,
se croyant un damné, sans que rien ni personne
fût capable de le faire changer de sentiment.
Je n'ai rien lu de pareil à cette confession où il
s'accuse de ses bonnes actions, comme s'il se
fût agi des plus grands crimes.

Le confesseur me remontra qu'on ne s'accusait


point de ses bonnes oeuvres et que je me moquais.
-Jf^ lui répondis que c'était sincèrement do quoi je me

sentais coupable, parce que l'ordre de Dieu étant


Ci LE 1'Î:LEIUN DH L'ABSOLU

qu'un damné ne puisse plus faire le bien et n'en fasse


point en effet, j'étais plus coupable d'avoir renversé
cet ordre, étant actuellement réprouvé, que si j'avais
tué tous les hommes ; la vue que j'avais de la ma-
jesté divine me paraissant si grande que tous les
crimes du monde n'étaient à mes yeux que des
fautes légères en comparaison de mon opposition à
cet ordre divin. Ainsi je me confessais on damné et
non pas en homme vivant sur la terre qui a encore
quelque espérance.

Tout ce passage, avec la réponse excellente


du confesseur, peut paraître stupéfiant autant
qu'incroyable. Quelle admirable simplicité pour-
tant ! Les vies des saints ne présentent rien de
plus beau.
4. — Réponse- de X..., tout fumant de rage :

Monsieur, par charité chrétienne, je m'abstenais,


jusqu'à ce jour, de vous juger dans mon for intérieur.
Après l'abominable lettre que vous m'avez écrite —
que vous m'avez fait l'honneur de m'écrirc — ma
charité chrétienne m'oblige à vous conseiller plus de
modestie et plus do charité. Je n'ai point été placé par
Dieu sur votre chemin pour vous faire des rentes (!)
et jo crains bien, monsieur, que nous n'avions ja-
mais eu la môme conception, la seule chrétienne, du
vrai travail et de la vraie piété. Je resterai donc, à
LE PÈLERIN DB L'AHSOLU 05

votre égard, dans les sentiments de la plus pure


charité, tout disposé, etc.

Le goujatisme imprévu d'un néophyte si cha-


ritable ainsi constaté, voici ma réponse à cette
réponse :

Je pense, mon cher X..., que vous m'avez écrit


dans un moment de délire ou d'ébriété, et qu'ayant
retrouvé votre équilibre, vous sentirez que vous
avez le devoir de me demander pardon.
Vous rougirez sans doute de celte phrase aussi
injurie que grossièrement injurieuse : « Je n'ai pas
été placé sur votre chemin pour vous faire des ren-
tes. » Vous-ai je donc demandé quelque chose ?
Oiibliez-v.ousquc c'est vous-même qui, spontanément,
m'avez tout offert, jusqu'à l'hospitalité somptueuse

levos Américains pour moi, pour ma femme et mes
filles, comme si la place des gens craignant Dieu
était chez des millionnaires ?
Si vous êtes réellement devenu chrétien, c'est que
des pauvres ont prié et souffert pour vous.
Vous parlez beaucoup de charité, Quand vous sc-
ie/, un peu instruit, ce qui vous manque déplorable-
ment, vous saurez quo cette vertu capitale est fondée
sur l'humilité, laquelle consiste à reconnaître ses
toits, à recevoir sans murmure les reproches qu'on
a mérités et a se faire tout petit devant ses aines et
4.
66 , I.E PÈLERIN DE L'ABSOI.U

ses supérieurs. J'attends vos excuses. Votre vieil


ami.
Grande tristesse. J'ai vu un pauvre homme
semblable à un naufragé qui perdrait ses forces
et serait sur le point de lâcher répave. Ce soir,
pendant la prière en commun, la pensée d'Eve
s'est tout à coup présentée à moi comme une
consolation. Je voyais cette Mère inimaginable
dont tous les êtres humains sont les enfants et
de qui la pénitence dut être une chose au delà
de toute compréhension, puisqu'elle voyait avec
une intelligence prophétique pouvant être com-
parée à celle des anges toutes les conséquences
de sa faute à travers la forôt des siècles.
o. — Lettre de Pierre van der Meer de
YValcheren, ce Hollandais aimable, écrivain cé-
lèbre dans son pays, qui vint me voir l'an passé.
Il demande la permission de venir, ce qui est
accordé spontanément et avec joie. [A la dis-
tance de trois années, comment ne verrais-je
pas dans ce fait l'accomplissement immédiat
de la consolation pressentie la veille ? Je sais
aujourd'hui que cet étranger qui m'est devenu
si cher, m'était envoyé par la Mère de tous
les vivants.]
Deuxième réponse de X..., très cochonnée :
Li: PÈLERIN DE I.'.MISOLU 07

Non, monsieur, je ne vous dois aucune excuse et


ne vous en ferai aucune et je ne désire désormais au-
cune relation avec vous, ce qui ne m'empêche pas
de nourrir a votre égard les sentiments les plus cha-
ritables. Mes supérieurs savent me diriger comme il
le faut. Mais je ne vous ai jamais reconnu et ne vous
reconnaîtraijamais tel, ni YOUS, ni Jacques Marilain...

On aime a se souvenir des anges gardiens


quand on pense que ce charitable est médecin
et qu'il a une clientèle. Autrefois, au temps du
Pal, je lui aurais écrit pour en finir : « Je ne
peux que féliciter l'Eglise de l'acquisition
qu'elle vient de faire en votre personne. Elle
était déjà pourvue de saltimbanques, il ne lui
manquait plus qu'un dentiste. »
Le roman comique de cette conversion qui
encombre mon Journal menaçant de devenir
fastidieux, je me hAte de le résumer. Mon pau-
vre filleul, étrangement revenu du néophyte
qu'il pensait avoir conquis, ne vit plus en lui
(pie contradiction et mensonge. Il crut mùme
à une singulière et démoniaque obsession. Que
penser d'un baptisé de la veille, inaugurant sa
vie religieuse en repoussant du pied et reniant
avec fureur ceux qui ont voulu le sauver, qui
08 I.K PÈLERIN DE L-'.UlSOLU

l'ont peut-être sauvé, en effet, du cabanon ?


J'ai appris un fait épouvantable. Aussitôt après
son baptême, X... aurait couru s'excuser chez
les pasteurs !...
D'apôtres que nous étions au début, nous
devînmes presque immédiatement de « sales
jésuites », des « menteurs infâmes » (?). Des
épithètes plus énergiques encore nous furent
servies, car ce charitable est facilement crapu-
leux. Quelques amis s'élant groupés autour de
nous, chacun obtint sa ration d'injures, sans
qu'il leur fût possible d'y rien comprendre. Je
n'ai jamais rien vu d'aussi étrange.
Il parait (pie le malheureux est atteint de la
rage de pollicilalion, virus observé dans les
bassins du Rhône et de la Garonne. Il promet
la lune à tout le monde et se tire d'ailaire en-
suite sans nul embarras. Dans un moment de
calme relatif, ce nouveau catholique a envoyé
à Jacques une dissertation véhémente et du pro-
testantisme le plus infect, d'où il ressort qu'il
a la mission spéciale de passer parmi les hom-
mes pour faire leur bonheur. Si cette mission
souffre des échecs, c'est la faute des hommes
qui ont tel ou tel « interdit » (telle ou telle
prévarication habituelle), qui empêche l'action
LE PÈLERIN DR L'ABSOLU 09
de la Providence. Tout est de la faute des pau-
vres à (jui dès lors on peut tout promettre en
sûreté de conscienceet sans aucun risque. Doc-
trine puiséo manifestement chez les Américains
catholiques et milliardaires où notre imbécile
a fait son abjuration.
« Ce malheureux >, m'écrivait un exorciste,
« a un tempérament d'une violence anormale,
avec une impulsion irrésistible et inconsciente
à l'exagération, au mensonge méridional. A cela
s'ajoute le venin reçu de Luther qui a rempli
son esprit d'erreurs, qui a plongé sa volonté
dans le désordre (qu'il prend pour l'activité)
et qui lui fait croire à une mission spéciale, à
une inspiration directe, etc.
« En môme temps il a certainement une na-
ture d'enfant et un fond généreux. Ce qu'il y a
de désolant, c'est qu'il soit arrivé au baptême
sans aucune préparation, sans aucun balayage
préalable. Les prêtres se sont mis à plat ventre
devant lui, manifestant un ébahissement sans
bornes qu'un « frère séparé » put songer à se
convertir, admirant son « courage chrétien »,
le recevant comme un sauveur, manquant ab-
solument enfui aux devoirs les plus évidents.
(Il y a eu dans la (Jroix du Tarn, je crois, un
70 Li; FÈLKHIN DE L'ABSOLU

récit de cette conversion, article à faire vomir


un crocodile.) Ou ne Ta pas instruit, il est allé
au baptême comme à une manifestation. On
l'a trompé sur ses devoirs envers ses enfants,
lui conseillant d'ajourner leur baptême, pour
ne pas exaspérer leur mère. La charité avant
tout ! Il ne sait pas ce que c'est que l'Eglise,
il ne sait pas qu'il n'a plus qu'à se taire et à
recevoir. L'autorité d'un vrai prêtre l'aurait re-
dressé sans doute et aurait pu en faire un vrai
chrétien. »
11. — Fin du feuilleton. X... m'a envoyé des
excuses ridicules.
A Jacques :
Puisque tu dois le revoir, dis-lui qu'il m'est
...
1res facile de lui pardonner ses injures, puisqu'elles
ne m'ont pas offensé, mais nous ne voulons pas qu'il
remette le pied chez nous. Ceci est formel et il faut
qu'il b comprenne. Je no refuse pas absolument
de le voir ailleurs, jamais ici. D'abord parce que la
confiance est partie. Nous le croyons un menteur ou
tout au moins un versatile déséquilibré. Puis, nous
voyons en lui un youjal. Un homme dont l'Ame ne
serait pas basse n'aurait jamais pu, mémo dans un
accès de colère bêtô, dire et surtout écrire certaines
paroles...
LE PKi.EitiN ni: L'ABSOLU 71

11a découvert avant-hier, qu'il n'avait pas été «suf-


fisamment doux et humble de coeur », ce qui est d'un
comique ineffable. Aujourd'hui ou demain, il décou-
vrira peut-être, quelqu'un aidant, que ses excuses
ont été héroïques. Alors les injures pourront recom-
mencer. Tu as mille fois raison de dire que cet in-
dividu ne pourra jamais me comprendre. C'est un
catholique resté protestant, je connais ça. Pourquoi
et de quel droit un tel bavard est-il entré dans ma
vie? Encore une fois,dis-lui que je lui pardonne très
volontiers, ma femme aussi, mais qu'il doit nous laisser
tranquilles désormais. La sottise et la duplicité nous
sont également insupportables.
Etant, d'ailleurs, latin ad uiufiicm, je discerne in-
failliblement le ridicule, et il a été vraiment trop co-
pieux.
Evénement immense. Pierre van (1er Meer
|aujourd'hui mon bien-aimé filleul depuis trois
ans] me demande un prêtre pour l'instruire. Il
est catholique de désir et voudrait le devenir
tout à fait. Je pense aussitôt à un chapelain du
Sacré-Conir qui lui conviendrait.
Vers la coopération. OEuvre de M. l'abbé Cuq.
Papier envoyé par quelqu'un qui veut m'ins-
Iruire. ('/est l'épicerie dans le .aeerdoee. L'abbé
(iUq « fournit les huiles, cafés, savons, encens,
etc., à des conditions déliant toute concurrence
72 LE FKI.KHIN DE L',\BSOLU

loyale ». J'essaie de penser à l'Evangile en


considérant ce prospectus où je lis, entre au-
tres choses, ceci : « Chocolat délicieux Saini-
Bcrnard, garanti pur cacao et sucre vanillé.
Excellente oeuvre catholique. » On insinue que
c'est une manière de combattre le modernisme.
Cela vient naturellement des Bouches-du-Rhône.
12. —Visite à l'abbé L... au Sacré-Coeur pour
van dcr Meer. Prêtre pieux et intelligent, ad-
mirablement disposé pour moi et pour ceux,
quels qu'ils puissent être, que je lui présente-
rai. Je lui donne le Saint par les Juifs avec
cette dédicace : « Ce livre sorti de plusieurs
années de prières et de souffrances, qui eût été
remarqué, il y a trois siècles — quand il y avait
encore des amants de la Parole de Dieu— mais
qui ne peut plus intéresser personne aujour-
d'hui. »
1.').
— Présentation à l'abbé L... de van der
Meer. Celui-ci revient satisfait de l'accueil, mais
je ne vois pas d'autre résultat que le conseil de
s'instruire et le prêt d'un Concile de Trente. Il
me semble qu'il y avait mieux à faire.
A Philippe llaoux :
Vous n'ignorez pas que Pic X exige la première
...
communion dès l'âge de sept ans. Ce décret est d'une
LE PÈLERIN DE L'ABSOLU 73
importance extrême, d'une portée infinie. C'est la
rupture définitive avec toute la tradition gallicane.
Notre admirable pontife voyant clairement et surna-
lurellementque le monde croule, que la société chré-
tienne agonise, a décidé la Croisade universelle de
l'Innocence. Les petits enfants recevront désormais
le Corps du Christ dans leurs âmes pures encore, au
lieu de le recevoir, comme auparavant, beaucoup
plus lard, dans leurs ûmes souillées déjà, et le Sa-
crement pourra, dès lors, produire tous ses .merveil-
leux effets.
Ce qui est tout à fait remarquable, c'est que ce
décret est comme une déclaration de guerre à l'Epis-
copat, au Clergé tout entier. Jamais il ne s'était rien
YU de pareil. Songez donc Tous les curés de France,
1

depuis les plus considérables jusqu'aux plus infimes,


comptent traditionnellement sur l'époque de la pre-
mière communion comme les concierges sur le jour
de l'An. Il y a les toilettes, les cierges, les cadeaux
en argent ou en nature, d'autres avantages encore.
Naturellement les évoques troublés de préoccupations
économiques sont peu disposés & changer ces choses
et, presque partout, la première communion perd
son caractère surnaturel pour devenir, du côté des
parents, une fête de famille où la vanité a le beau
rôle, et du côté du clergé, de plus en plus, une for-
malité profitable.
La conséquence inévitable et certainement prévuo
5
7 i LE PÈLERIN DE I.'AHSOI.U

par Pie X, c'est un instinct universel <le résistance


par l'inertie ou l'échappatoire pouvant aller jusqu'à
la désobéissance formelle. Vous savez peut-être (pic
nos évoques fort éloignés d'obéir avec promptitude:
et simplicité ont, d'un commun accord, présenté au
Pape leurs objections et que le Pape a répondu par
un commandement absolu qui le met aussi haut que
ses plus grands prédécesseurs.
De tout cela résulte la situation extraordinaire que
voici : un simple prêtre qui veut faire son devoir
sera forcé, quatre-vingt dix-neuf fois sur cent, de
donner à un enfant le sacrement de l'Kucharistie en
priant les parents de n'en rien dire à personne, afin
d'échapper à la colère et aux châtiments de son évè-
que. Nous en sommes là...

M).
— A l'abbé L..., chapelain au Sacié-Coeur:

Mon cher abbé, l'issue de votre premier entretien


avec van der Mcer m'a un peu déconcerté. .J'avais
espéré uni' marche plu- rapide. Nous avez sans doute
vos raisons. Permettez-moi cependant de vous ra-
conter une petite histoire assez douloureuse.
L'an dernier, un jeune juif, brillant ingénieur, ma-
rié, père de famille, esprit très cultivé, homme de la
plus raie distinction intellectuelle cl momie, vint me
voir, un beau jour d'été. lOxtraoïdinaireinenl sollicité
par la grâce, impressionné par mes livres et forte-
LK l'KLERIN DE L'ABSOI.I/ 7")

ment travaillé par moi depuis quelque temps, il s'a-


vouait vaincu, ne trouvant plus en lui d'objections.
Je me rappelle avec attendrissement cet homme si
noble se jetant dans mes bras et me disant : « Je suis
chrétien enfin ! je veux être chrétien comme vous. »
Nous pleurâmes ensemble. Kccc verc hrneliln in t/uo
dolus non est, pensai-je.
Ma réponse fut très simple:* Apprenez seulement
le questionnaire du catéchisme des petits enfants que
vous connaisse/, d'ailleurs, en partie, puis demandez
le baptême. C'est votre droit strict, et le saint diacre
Philippe n'exigea rien de l'eunuque éthiopien, sinon
un acte de foi et de désir. La grâce du sacrement fera
le reste. »
La suite est inliniment déplorable. 11 alla trouver
un prêtre, un quelconque sulpicicn bourré île formu-
las qui ajourna le baptême,disant qu'il fallait aupa-
ravant s'instruire à fond, comme si Dieu demandait
à ses pauvres enfants d'être des théologiens. Il lui
prescrivit la lecture de je ne sais combien d'ouvra-
P's apologétiques, Freppel et autres,qui devaient in-
l'.iilliblement rebuter et faire vomir un homme déjà
très occupé pour ne pas dire surmené par ses fonc-
tions. 11 alla jusqu'à lui dire cette parole véritable-
ment monstrueuse « Votre conversion ne doit pas
'.

t'ire- un mariage d'amour, mais un mariage de rai-


vui ! ! !
»
Résultat. Le zèle de mon néophvte ainsi rebuté s'est
70 LE i Î:LEIUN DE J.'.UiSOI.U

complètement éteint et tous les fruits, qui pouvaient


être immenses, de celte conversion magnifique ont
été perdus. Je ne voudrais pas ôlre au lit de mort de
ce prêtre...
Je vous ai envoyé un enfant très doux et très hum-
ble que Dieu appelle. Pourquoi ne le laissez-vous
pas venir tout de suite à Jésus-Christ? Ego planluvi,
/u saccrclos rign, Dcus incremenlum dabil. L'admira-
ble Pie X ne YOUS parlerait pas autrement. Vous lui
donnez à lire le copieux Concile de Trente. Assuré-
ment il n'y a pas de lecture plus profitable à proposer
a un homme déjà réconcilie, mais autrement, est-ce
possible? est-ce prudent surtout?
Il vous obéira, étant, jusqu'à ce jour, un homme
de bonne volonté, mais l'Ennemi dans les grilles du-
quel il est encore, ne manquera pas de se servir de
cette lecture môme pour lui présenter des difficultés
en apparence insolubles dont il n'a présentement au-
cune idée. Vous voyez la suite.
Pourquoi ne pas avoir une magnifique et plénière
confiance en Dieu ? N'est-ce pas lui qui forme tous
nos bons désirs? Mon jeune ami en est rempli. Oue
peut-on lui demander de plus? J'avais espéré, rùvé,
— les yeux fixés sur notre Saint Père de Rome,
dont la surnaturelle confiance est un des plus beaux
spectacles qu'on ait jamais vus — qu'il pourrait ôlre
baptisé à Noël ou, du moins, à l'Epiphanie et que de
merveilleux effets s'ensuivraient. Dois-jo renoncer à
LB PÈLERIN DB L'ABSOLU 77

ce rêve ? Je suis triste et angoissé. Puisse Notre


Seigneur et Ma Dame de Compassion à qui j'ai donné
ma vie, vous inspirer !
18. — Dédicace d'un de mes rarissimes exem-
plaires du Désespéré:
A mon incomparable ami Pierre Termier. Voici ce
fameux Désespéré revu et corrigé pour vous, tel à peu
près qu'il sera présenté dans une édition future. Il
n'y manque plus qu'une préface que je n'écrira
peut-être jamais.
D'autres livres venus plus tard sont mieux écrits
ou plus fortement pensés, mais je crois qu'on a raison
de me nommer toujours l'auteur du Désespéré» Il
n'existe probablement pas de livre aussi complète*
ment ingénu. Qualité merveilleuse que je ne retrouve
plus dans aucun de mes tiroirs. Le titre, d'ailleurs,
est une antiphrase pour cacher très mal l'optimisme le
plus exalté. Vous l'avez compris, mon cher Termier.
Vous n'étiez pas alors entré dans ma vie et j'ima-
gine que jo vous aurais fait horreur. Il fallait, au
temps marqué, que Ma Dame de Compassion daignât
me présentera vous. J'étais, à cette époque, déjà si
lointaine, trop peu décemment vêtu.
Visite d'un ami. Il s'agit de la première com-
munion de son fils qui devait être très prochaine
et il nous oppose une parfaite obstination. Nous
7S LE PÈLERIN DE L'ABSOLU

avons beau lui parler de Noël. Il ne voit pas


de différence entre ce jour et un autre. Igno-
rance épaisse et foi modique. Surtout impuis-
sance à concevoir le Surnaturel. On doit voir
cela partout.
19. — Un vrai prêtre, indigné du refus qui
m'est toujours fait des documents indispensa-
bles a l'histoire de Mélanie, me communique
la lettre qu'il vient d'écrire à celui qui me les
refuse :

...
sentiment, co qu'il faut, c'est, pour les
A mon
dirigeants d'abord (les prêtres surtout) si dénués,hé-
las d'esprit surnaturel, une histoire de Mélanie
1

écrite magistralement par un chrétien de haut vol


doublé d'un grand artiste, afin qu'il n'y ait aucune
prise à la moquerie... Il faut, dès le commencement,
que l'orgueil du lecteur et son intelligence soient
subjugués par l'impression d'une supériorité acca-
blante... Vous aviez senti, d'autre part, que celte
histoire no pouvait pas être écrite par vous a cause
des sentences de l'Index dont vous avez été vic-
time... Dans ces conditions, je regardais l'interven-
tion de Léon Bloy, le doux mystique e! l'artiste rôvé,
comme une grâce du ciel... Quelque chose me dit
au coeur que vous pleurerez un jour d'avoir empê-
ché son oeuvre.
LE pfanniN DE L'ABSOLU 79
Que va penser ou sentir l'abbé G. de cette
lettre qui le réduit à rien et le met en de-
meure, comme de la part de Dieu, de s'effacer
devant moi ?
A M"" 0 Pauline B., en la priant de ne pas m'ac-
cuser de négligence :
Considérez en moi un pauvre homme condamné
à courir toujours à la cuisine, soit parce que le feu
est sur le point de s'éteindre, soit parce qu'il va trop
fort et menace de carboniser le rôti, lui d'autres ter-
mes,je ne cesse d'écrire de divers côtés à des prêtres
ou à des laïques, pour des encouragements, des re-
montrances plus ou moins respectueuses, des con-
versions, des abjurations ou des repêchages. Car on
s'adresse beaucoup à moi, depuis quelque temps...
l'.icntôt on me demandera des miracles. Alors, n'est-
ce pas ? je serai tout à fait dans mou élément.

22. —•
A une dame qui m'a envoyé des fruits :

Ainsi donc vous avez pensé à moi, vous avez voulu


me faire ce plaisir. C'est exactement comme si vous
m'aviez donné le baiser le plus affectueux. J'ai le
chagrin de ne pouvoir vous offrir en retour que l'ami-
tié d'un pauvre écrivain regardé généralement comme
une bête féroce dans le monde affable et charmant
où nous avons le bonheur de vivre. Mais vous savez
80 LE PÈLERIN DE 1,'ABSOLU

que les juges se trompent quelquefois. Dans mon cas


très particulier, je vous prie d'imaginer — si cela est
possible à Saint-A., — un agneau dissimulé sous la
peau d'un tigre, ou, si vous le préférez, un vieil Ane
très doux sous la menaçante carapace d'un rhinocé-
ros. Vous vous formerez ainsi une idée approxima-
tive de l'auteur de tous mes livres...

24. — Lu le Procès de. Jeanne d'Arc publié


chez Hachette par Joseph Fabre, je ne sais en
quelle année. L'injustice atroce de ces juges ec-
clésiastiques du xv* siècle est vraiment angois-
sante. Ils n'ont pas changé d'ailleurs, ou si peu.
Mais ils ne disposent plus du pouvoir séculier,
heureusement pour moi et quelques autres.
25. — Noël. Première communion de Thérèse
Brou, arrière-pelite-nièce de Jeanne d'Arc. Im-
pression délicieuse, attendrissement profond.
J'ai prié de grand caïur pour cette enfant qui
représente à ma pensée, sur son humble chaise,
à un pas de moi, toute l'histoire de la France
chrétienne.
27. —Un ami a envoyé des bonbons. Jeanne
le remercie, mais sa lettre faisant allusion au pe-
tit nombre de mes lecteurs, elle répond que,
n'eussé-je pour me lire que les Trois Personnes
divines, cela suffirait.
LK PÈLERIN DE L'ABSOLU 8 1

29. — Pierre van der Meer devait être baptisé


dans huit jours, à l'Epiphanie, en môme temps
que son fils, aimable enfant de sept ans. Mais
ce petit garçon est atteint de la coqueluche et
le sacrement est nécessairement ajourné.
I9I l
Janvier

1". — Décret du Papv blâmant avec énergie


les prêtres d'all'aires, tous i eux, réguliers ousé-
euiiers, qui prennent part à des opérations in-
dustrielles ou financières, de quelque nature
qu'elles soient. Ordre leur est donné de se dé-
mettre dans le délai'de quatre mois, (loup ter-
rible pour un grand nombre. Pie X mourra as-
sassiné, très probablement.
2. — L'abbé (]... qui me refuse les documents
dont j'ai besoin est un homme qui ne veut pas
s'humilier et (pie, pour sa punition, Dieu prive
d'intelligence. Mon parti est pris. Je publierai
ce que je possède, avec une introduction. Ce
sera tout.
4. — En copiant pour l'éditeur la }'it*<l^ Me-
lunie écrite par elle-même, ce qui décuple pour
moi l'impression de la lecture, je crois rece-
voir quelque chose de ce (pie la ïîergère a reçu
elle-même dans sa petite enfance de lîienheu-
S(.J l.K lll.KlilN ni: I.'AHSIU.U

reuso, et le livre nie paraît facile maintenant.


D'autre part, songeant toujours à Napoléon,
la lecture inLnmiltente d'Albert Sorel est l'oc-
casion (l'une vue d'ensemble de plus en plus
précise de cette époque inouïe qui semble com-
mencer à Louis XVI pour finir à la Restaura-
tion. Napoléonest au centre et jeconçois mieux
ce préfigurant de l'Lsprit-Saint. Sorel m'avait
paru un cuistre, je vois désormais en lui presque
un grand homme.
Lettres de van (1er Mecr et de. son aimable
femme. Ils ne savent comment exprimer leur joie
de nous connaître et surtout de sentirqu'ils de-
viennent chrétiens. Ils se disent « fous de dé-
sir ». Quelle bénédiction sur nous, sur moi !
« Dites-vous bien, Monsieur Léon Rio*, (pie vos
livres ont eu une profonde influence sur notre
transformation. »
i). — J'écris à van der Meer que le « mon-
sieur » qu'il me donne protocolairement est une
injustice, ayant travaillé et souffert, trente ans,
pour devenir enfin Léon Bloy tout court. C'est
comme si, parti du grade de caporal, j'étais de-
venu, après beaucoup de campagnes et de bles-
sures, maréchal de France. Le « monsieur » me
l'ait rentrer dans le rang:.
i.u l'i'i.rniN i»n i.'.\i!-ni.r S7

7. — « Attendez que j'aie accompli mon ('so-


lution », nous dit un inoribondque nous essayons
de convertir.
0. — excellente rosserie ecclésiastique. L'abbé
Uataud, cure de Notre-Dame des Victoires, à
(jui j'avais fait recommander un brave ouvrier,
non content d'avoir t'ait attendre ce pauvre
homme, trois heures, avant-hier, l'a t'ait encore
attendre aujourd'hui fort longtemps pour lui
répondre enfin qu'il ne pouvait pas l'employer,
étant pourvu. Les pauvres, à commencer par
Notre Seigneur .lésus-Christ, sont désignes pour
toujours attendre et pour n'être jamais em-
ployés.
10. — Pierre van (1er Meer vient me voir. Je
ne cesse d'admirer les opérations divines dans
cette Ame de primitif.
12. — L'archevêque de Houen, Mgr Fuzet,
dans une lettre pastorale sur la première com-
munion des enfants, dit, invoquant « le bon
sens », qu'il ne faut « rien décider à la légère,
rien précipiter». C'est une leçon qu'il donne au
Pape.
13. — A propos des lépreux et du l'ère l)a-
inien, l'apôtre de Molokaï, diminutif polynésien
de Moloch. Au moyen Age, en Bretagne, il y avait
SS 1.1: i'i:i.i-itlN IIK i, AiisuLi'

une terrible cérémonie liturgique, une sorte de


messe mortuaire célébrée pour les lépreux au
moment où chacun de ces misérables allait être
relégué, pour y mourir affreusement, dans un
lieu solitaire, ,1e pense à cette liturgie sur la
France lépreuse qui semble condamnée à périr.,.
1«).
— Lettre du chimiste qui vint me voir le
21 novembre dernier. Il me dit avoir convergé
longuement avec un prétrequi lui a affirmé que
Mélanie, reçue deux fois par Pie IX (!!!) a dé-
savoué pur écrit son secret, etc.
Il y a quinze jours, ce prêtre avait reçu une
lettre de Home l'informant que le Secret de la
Saleltc est condamné depuis longtemps. Men-
songe qui devient fastidieux.
Ce chimiste a un don particulier pour mettre
la main sur dea prêtres sots ou infâmes. Je vou-
drais qu'il m'épargnât de telles saletés.
10. —Je reçois mon congé. Notre proprié-
taire, personne mystérieuse, paraissant n'être
qu'un prête-nom, je crois démêler que c'est par
la volonté d'un certain prêtre, actuellement
curé d'une des plus riches paroisses de Paris,
cpie nous sommes expulsés. Notre chagrin fait
partie de ses combinaisons de curé d'all'aires.
Eifet probable du récent décret papal. Dans
I.I: l'îir.i'.iuN ni: i.'.vmoi.r S'.>

quatre mois il faut avoir bâclé toutes les spé-


culations ecclésiastiques. Cet aimante coté de
la Hutte aura élé vendu à des sauvages et trans-
formé ignoblement par des entrepreneurs ou
des architectes (pie Dieu confonde Montmar- !

tre, alors, n'existera plus.


21. — Le malheur, une l'ois de plus, tombe
sur nous. Véronique est gravement malade,
Congestion pulmonaire. Danger de mort.
22. — La maladie suit son cours effrayant,
mais un bon médecin envoyé par la Providence
a pu l'enrayer. Uicardo Viùes venu, pour dé-
jeuner, dans notre douloureuse maison, est prié
par la malade de lui faire un peu de musique
très douce qu'elle entendra de loin.
Cette journée — fête de la Sainte Famille —
a renouvelé pour moi les souvenirs les plus
cruels. Ce malin, à l'église, je ne cessais de pleu-
rer, me rappelant nos années terribles. Mais
alors nous avions peu ou point d'amis. Le
temps de la miséricorde est enfin venu.
2'i. — Le médecin déclare Véronique hors
de danger.
2o. — La Correspondance Romaine du IH dé-
cembre a publié ceci : « Léon Bloy illuministe,
décédé récemment ».
\)0 ix i'î:i.i;niN ni: I.'ADSOI.U

lia propriétaire, informée de mon indignation


et sachant que j'aurais le droit de rester jus-
qu'en octobre, m'écrit une lettre comique, me
suppliant d'avoir de la gdnérositô et de démé-
nager vers le milieu de mai. Mon entêtement
nuirai', à une pieuse boutique, c'est clair.
2(>.
— La convalescence maintenant est cer-
taine.
27. — L'alerte terrible de ces derniers jours
nous a tous déprimés. Je ne parviens pas à me
ressaisir complètement ni à réaliser ceci que
nous avons vu notre Véronique sur le point
de mourir.
28. — Le petit van der Meer est toujours
couebé et le baptême du père et du fils ajourné
par conséquent. On avait fixé la Chandeleur. Je
propose saint Matthias apôtre de l'Lsprit-Saint,
patronage extraordinairement précieux.
29. — Véronique, ayant reçu la communion
dans son lit, a eu un mot charmant : «. C'est la
première fois que j'ai dit au Bon Dieu d'entrer. »
En ellet, le piètre, monté avant nous, avait
frappé à la porte.
Il m'arrive je ne sais quelle visite. Je me
cramponne comme je peux à tout être humain
pouvant me donner quelque consolation. La
i.tî H:U:IUN DH I.'AIISOI.U '•!

tristesse m'écrase et toute force m'abandonne.


'M. — Le moribond dont il fallait attendre
« l'évolution * vit encore. Plus tard », me dit-il,
<.<

^ plus tard, vous verrez ». A quoi je réponds :

« Plus tard, je ne verrai rien, si je suis mort,


.le peux mourir cette nuit. » Tout est inutile,
Un chanoine Féron, professeur au séminaire
de Tournai, a entrepris d'expurger les Martyrs
de Chateaubriand. Partout où il rencontre le
mot amour, il le remplace par le mot vio-
lence ! etc. C'est à croire qu'un démon obscène
tourmente cet homme vertueux. /
Février
'.]. 'fermier qui m'a envoyé hier cent
— A
francs plus que nécessaires, « pour que notre
journée de la Chandeleur ne s'achève pas sans
quelque chose qui ressemble à la joie et au sou-
rire » :

Vous me l'avez donné souvent, ce quelque chose,


mais, en ce jour de Chandeleur, j'y ai été particulière-
ment sensible. Janvier nous a traités si cruellement!
Véronique revient de loin, mais si lentement et il lui
faut des soins si attentifs, si continuels ! C'est une
D'J I.I: j'i:i.i:itl.N ni: I.'AIISOI.U

sorte de miracle que ma pauvre femme dont la .«solli-


citude e sauvé cette enfant soit encore debout. Klle-
inèmo avait été malade peu auparavant. .le n'aurais
pas eu laid de force. Oui, j'avais besoin d'un peu de
réconfort, cor je n'ai jamais senti de tristesse plus
noire, même dans les pires jours. Avec cela il l'aul
chercher un nouveau gîte, chose infiniment difficile,
les propriétaires ayant pris à tAche, par leurs exigen-
ces, d'exaspérer ks pauvre» jusqu'au désespoir...

— Secours
('). extraordinaire apporté avec sim-
plicité par la <oeur de Martineau qui ressemble
à une princesse très douce et très humble, cl
que je vois aujourd'hui pour la première l'ois.
Sa présence, quelques Usures, (ait de la lumière
et de la chaleur dans notre maison.
8. — Dédicace du Salut par les Juifs :

A Alfred Pouliner, voici mon meilleur livre et l'un


des mieux imprimés qui soient. Compte/, les mots,
comme vous compteriez les foui mis d'une fourmilière,
et dites-vous que le total représente à peine les gout-
tes de sueur et souvent les larmes que ce livre de
si peu de pages a réellement coulées. Autrefois, au
temps des belles cathédrales, le Salut par les Juifs
eut été singulièrement remarqué et m'aurait peut-
être valu au moins la braise de quelque joyeux bû-
cher. Aujourd'hui il n'y a plus pour le lire que quel-
I.I: riiinis I>K I.'AHSHI.I' '.K{

«pics mordus comme YOUS dont chacun, il est vrai,


îno donne l'illusion d'une multitude.

11. — A la soeur de Marlineau :

Ma chère Madeleine, vous êtes si hauteparle creur


que je ne croirais pas vous plaire en vous parlant du
bien que vous nous ave/ l'ait, <jue vous nous faites en
ce moment, cl qui est plus grand (pie vous ne pensez.
Mais vous ne trouverez pas mauvais que je vous
parle de vous-même.
Vous avez certainement senti combien notre ren-
contre a été extraordinaire. Je vous ai vue pour la
première l'ois, il y a quelques jours à peine, mai-
depuis dix ans déjà, vous étiez entrée dans ma vie
e|, Inut do ruite. a une grande profondeur. Votre
frère m'avait dit vos peines et Dieu voulut que j'en
fusse louché d'une manière grave, très particulière,
bien qu'aux veux du monde, vous ne fussiez pour
moi qu'une étrangère. Les personnes habituées uni-
quement aux impressions et aux jugements vulgaires
ne peuvent concevoir que la parenté de la chair, la
proximité visible. 11 y a bien autre chose pourtant/
Il y a la parenté spirituelle qui est un mystère.
Nous avons tous, dans ce vaste monde, des frères
et des soeurs qui ne nous seront montrés que dans
la vie future, des Ames extrêmement éloignées de
nous en apparence et qui, cependant, nous sont plus
01 M: nantis i>:-:
I.'AIISOI.U

proches quelquefois «pu* 1rs Ames de ceux qui tien-


nent à nous par les liens du san#. Ma vie, vous le
savez, a été exceptionnellement douloureuse. Kh !

bien, quand je soutirais presque au-dessus de me-;


forces, il m'a semblé souvent que je pavais pour
d'autres, pour des inconnus qui ne pouvaient pas
payer el que ma souffrance passait au-dessus des
têtes plus mi moins chères qui m'entouraient pour
aller infiniment loin, pour aller à des captifs, à
des opprimés vivants ou dél'untsqui correspondaient
mvstérieusement à moi. (l'est ce que notre sainte
Kglise nomme la Communion tles Saints et c'e-l un
des l)ou/e Articles de la Foi.
Il arrive cependant que ces inconnus pour qui on
souffre et pour qui ou prie, sont manifeslésquelquo-
fois sensiblement, dès cette vie, et c'est ce qui nous
est arrivé. Car je suppose que, sans le savoir, vous
ave/, vous-même sou lier t pour moi. S'il n'en était pas
ainsi, comment se pourrait-il que j'eusse été poussé
irrésistiblement à prierpour vous, Madeleine, comme
je n'ai jamais prié pour personne ? Comment aurais-
je pu vous sentir tant d'années si près de moi, si im-
plorante et si douce ? Voilà, chère amie, ce que je
sentais le besoin de vous écrire, du fond de mon
co'ur.

1^.— Poutbicr m'apporte un lambeau d'arti-


cle où je suis dit « le chanoine dévergonde de
il! i'î:u:iUN I>K i. Aitsor.r '.•.">

la cathédrale des écrivains catholiques où lïar-


boy, llello, Huysmans tiennent, les emplois d\ -
vùques ».
Les /.oupsonl donné, en même temps (pie mon
portrait, nnarticle long et insensé do Marc Sté-
phane qui prétend m'admirer.
II ne agonisante m'envoie ceci de Moravie :
« Soullïir passe, avoir souil'ert ne passe
jamais. »

\'.L — A lîolvalDclahaye, directeur des Loups:


Je reçois la collection des L<iii/is, votre volume de
vers cl je me hAte de vous remercier, .le devrais aussi
remercier, semble-t-il, Mare. Stéphane. Mais mon em-
barras est extrême, .le suis un pauvre bonhomme
d'écrivain public, n'ayant a ma disposition qu'un tout
petit dielionnairede cantonnier, el j'avoue n'avoir
pas compris, (le bon monsieur dit-il du bien de moi
ou du mal? .le n'en sais rien. Lue gracieuse, lettre
dont il m'honora, il y a bientôt deux ans, lettre trop
bienveillante sans doute, m'informait, de la façon la
|>lus préiise, (pie j'étais un *• individu répugnant » ;
quatre jours après, une autre lettre proclamant que
j'étais le plus bravo garçon de la terre. Alors je ne sais
plus. C'est peut-être une simple nuance que mon in-
telligence fruste est incapable de discerner.
(Juoi qu'il en soit, je remercie. Cela fait du bien
l'O i.i-: i'î:i.i:iiiN ni-: L'AUSOI.U

(l'entendre parler île soi de L-mps en temps, delà


donne l'illusion d'ôtre citent.

14. — Forcés de chercher un nouveau gîte,


nous avions cru le trouver à Mcudon. Il faut y
renoncer. Hodin y habite et le. voisinage de cette,
divinité ne vaut rien pour nous.
17. — Le baptême des van der Meer est dé-
cidément fixé au 24.
19. — J'apprends la mort d'un vieillard que
je voyais tous les jours à la Basilique depuis six
ans et qui édifiait par sa piété. Il avait cette par-
ticularité de marcher dans lame, ^yant toujours
à la main son vieux chapeau, quelque temps
qu'il fit. « Il marchait toujours », m'explique-t-
on, « en la présence de Dieu et c'est pourquoi
il restait continuellement découvert ». On l'en-
terre aujourd'hui.
20. — A Pierre van der Meer. Je l'entretiens
dans sa joie et son espérance. « Je suis votre
parrain d'en bas. Vous avez été fait chrétien pour
me secourir spirituellement. »
Nous avons une petite bonne d'une saleté
monstrueuse. Il y a des êtres sur qui pèsent des
générations d'ordure et qui ont une tendance
invincible vers le fumier.
I.E i'i-[.i:iîiN ni-: i. AHSOI.U '.'7

v22.
—-
Dans le Journal. Titre d'un arlicle :
LA PKSTK. L'instruction publique.
2!1.
— On m'a présenté à Auteuii un prêtre
(jui voulait me connaître. Peu intéressant. C'est
un vieillard gras qui veut paraître bonhomme,
très savant, me dit-on, et dénué d'illusions sur
le clergé contemporain. Et c'est tout. Il semble
n'avoir rien à dire. En réalité, il ne dit rien. Il
parait aimer le calembour et ignore complète-
ment mes livres. Pourquoi a-t-on voulu me le
faire connaître ? Je no peux penser à lui sans
que le mot Jlaccidit'' se présente à mon esprit.
Location à Bourg-la-Heine.
Extraordinaire décoration, par les enfants, de
mon vaste cabinet de travail où on déjeunera
demain, après le baptême. Plantes et Heurs
partout.
Vi. — Saint Matthias. Baptême à Saint-.Mé-
dard, paroisse actuelle de nos tilleuls. Admira-
ble et combien impressionnante liturgie de la
Régénération des adultes et de celle des enfants!
Le père a reçu les noms de Pierre-Matthias et
le fils ceux de Pierre-Léon, patronages ollerts
par moi, et les voici chrétiens et tout lumineux.
Il me semble que je deviens aveugle de joie.
Je ne sais plus le temps qu'il fait. C'est comme
6
D8 LE l'îxKiiiN DI: L'ABSOLU

s'il pleuvait de l'or et des parfums. Suis-je donc


quelqu'un du ciel pour avoir pu donner ces âmes
à Dieu, ces chères Ames qui parleront pour moi
contre tous les chiens de l'enfer à l'heure de
mon agonie ?
^5. — Le Mercure de France rachète à Juven
le Sang- du Pauvre. Je suis enfin débarras-ié de
cet épouvantable éditeur.
2(5.
— Curieuse lettre de mon chimiste :

Combien on a tort de croire que la chimie est une


science ingrate! Kilo est,au contraire, pour celui qui
sait voir au delà de ses cornues, féconde en ensei-
gnements.
A la vérité rien ne semble plus banal qu'une syn-
thèse précise, plus froid qu'une analyse brutale. Kl
pourtant celte synthèse et cette analyse, considérées
dans leur essence,sont toujours une confirmation de
la grande loi des compensations qui régit le monde
moral aussi bien (pie le monde physique.
Dieu est l'n, la Création est une. Tout a été or-
donné suivant un plan d'ensemble qui se vérifie dans
les détails les plus intimes et dans les manifestations
les plus grandioses. Tout se compense absolument,
rigoureusement,cl c'est, dans l'élément le plus indis-
pensable à notre vie, dans l'air que nous respirons
(pie nous trouvons l'exemple le plus saisissant, la
LK IM:U:MN ni: I/AIISOI.U O'J

confirmation la plus'indiscutable de cette immuable


loi.
L'air est composé île 20 parties d'oxygène, gaz vi-
tal* par excellence et de 80 parties d'azote, gaz ômi-
Lcmmcnt mortel. Si le quantum d'oxygène était aug-
menté, notre vie serait bien plus agréable, mais î^os
combustions seraient trop rapides et nous serions
enils à bre('délai. Si, au contraire, la proportion d'azote
était plus grande, les manifestations vitales, diamé-
tralement opposées, aboutiraient au môme résultat.
Nous serions rapidement intoxiqués.
L'oxygènecst le symbole du bien, l'azote le symbole
du mal. 11 y a eu de tout temps, il y a actuellement,
il y aura toujours quatre fois plus de méchants que
de bons. Si le coefficient des bons augmente, c'est
l'allégresse générale, on est trop heureux.Si les mé-
chants prennent le dessus, les catastrophes survien-
nent.
Nous payons un jour de bonheur relatif par quatre
jours d'angoisses et de soucis de toutes sortes.
11 y a quatre fois plus île
pauvres (pie de riches,
c'est-à-dire qu'il faut les souffrances physiques et mo-
rales de quatre déshérités pour compenser la joie d'un
repu...
L'oxygène et l'azote, le bien et le mal impossibles
à dissocier Que de mystères, que d'enseignements
1

au fond d'une éprouvetlc 1


100 LE l'ÎXUIUN DE L'AUSOLU

Décourageante visite de cet ingénieur israëlite


dont j'ai raconté l'histoire, le 10 décembre der-
nier. Je lui parle de ses belles dispositions du
2îi août 11)09. Il n'en reste, en apparence, rien.
Le malheureux pense que la l^oi est un état
d'anesthésie.L'histoire des van der Meer que je
croyais capable de le toucher ne fait aucune im-
pression sur lui et je suis profondément mal-
heureux.
27. — Voici ma réponse :

Très cher ami, je me sons pressé do vdus écrire,


violemment pressé. Cunrclor nimis. Vous m'avez dit,
hier, un mot désolant qui me trouble et m'afflige.
Désolant parce que médiocre et qu'un homme tel que
vous ne doit pas dire des choses médiocres, surtout
à moi. Je dois reconnaître, il est vrai, que vous en
avez eu un peu de honte presque aussitôt ; mais tout
de mémo vous l'avez dit, ce mol déplorable qui me
poursuit, et cela m'a suffi pour vous voir captif dana
une bien triste prison.
Vous avez parlé {.Yaneslhésie. La foi chrétienne-,
subslnnlinrerum sperandnrum,vous semble une anes-
Ihésio. Si les mots ont un sens précis, cela» signifie
que lo croyant est un malade privé do sensibilité mo-
rale cl surtout d'activité intellectuelle. Léon Bloy,
par exemple, pour ne nommer «pie ce seul croyant,
LE l'KLKiu.N ni-: L'AUSOI.U 101

est un de ces malheureux innombrables — parmi


lesquels il s'esl inexplicablement rencontré de très
grands hommes — qui ont renoncé à penser et sont
ainsi devenus incapables d'agir et de sentir. En d'au-
tres termes, le fait d'adhérer à Dieu qui est la Vie
môme, ce qui n'est possible que par la Foi, serait
une abdication formelle de la vie.
Comment est-il possible c 3 vous soyez descendu
jusqu'à cet étage ? Vous que j'ai vu si haut un jour
il y aura bientôt deux ans ! El cela me crève le coeur
ot je ne sais plus que vous dire. Je ne suis pas un
prêcheur, vous le savez bien. S'il m'a été donné par-
fois de toucher certaines Ames, au point de procurer
leur transformation, c'est uniquement parce que je
leur montrais la mienne et je me désole de ne pou-
voir ainsi atteindre la vôtre. Quand on n'a pas la foi,
on ne peut pas savoir ce que c'est qu'une aine, parce
qu'on ignore nécessairement ce qu'elle a coulé. .l/«*i-
ifno />relio empli eslis, disait le juif saint Paul, vojre
immense eou<in germain.
Vous voulez le bien, cela est fort évident pour moi.
Nous êtes môme tout disposé à vous dépouiller. Mais
quel bien ? Vous parlez (l'améliorer la condition de
ceux qui soullVent. Comment pouvez-vous croire
que cela est possible, si vous n'avez en vue que leur
bien-ôlre matériel? Kt vous ôtes forcé de n'avoir que
cela en vue, puisque vous n'avez absolument rien à
donner a leurs aines. Nul n'a l'ail autant pour eux,
il
_
102 LE l'ÈLKHIN DB L'AUSOLU

matériellement, que les hommes de grande foi que


l'Eglise nomme les Saints. Mais les saints savaient
que le corps humain n'est que l'apparence de l'homme
et ils travaillaient surtout pour les Ames, lesquelles
ne meurent pas. lis savaient aussi que la Souffrance
cstbonne,surnalurellement, pour tous, et que l'homme
qui no souffre pas ou qui ne veut pas souffrir est un
enfant déshérité du Fils de Dieu qui épousa la Dou-
leur, car celui-là seul peut entrevoir le prix de son
Ame qui accepte de souffrir.
Vous ne prétendez pas sans doute, comme font les
socialistes, qu'il n'y ait plus de pauvres et que la souf-
france disparaisse de ce monde. Alors, 7ui donc paie-
rail ? Cela ferait une société de pourceaux insolva-
bles d'une hideur indicible.
Je n'en parle pas à mon aise. J'ai souffert volon-
tairement et par voeu formel, depuis environ trente-
six ans, beaucoup plus que vous ne savez, beaucoup
plus que je n'ai dit ou écrit, et je no voudrais pas,
pour des milliards, n'avoir pas eu celte vie terrible
qui m'a mis au seuil de la Joie. Je l'ai tant désirée
pour vous, celle joie, et j'aurais été si heureux de
payer ! Car voici la loi spirituelle. Chaque fois qu'un
homme jouit dans son corps ou dans son Aine, il y a
(/11 cl qu'un qui paie.
Vous avez eu des joies, étant homme de coeur et
d'esprit, mais la Joie, vous no la connaissez pas. C'est
une merveilleuse tille de Dieu, voilée de sang et d'or-
Mi IMSUilUN DU I.'AIISOM' 103

dures, qui fait peur au monde. « Si tu savais », disait


Rusbrock l'Admirable, « les jouissances que Dieu
donne et le goût délicieux du Saint-Esprit » ! Pour-
quoi n'en voulez-vous pas ?... Je vous embrasse de
tout mon coeur, avec une grande compassion.

Quelle artiste nous découvrons en Christine


vander Meer, la compagne de Pierre-Matthias!
Elle invente et réalise, avec une habileté incon-
cevable, des broderies qui donnent l'illusion
de la peinture des plus anciens Primitifs. Par
l'ellet d'une combinaison ou disposition des soies
que je suis bien incapable d'expliquer, elle ob-
tient les reliefs, les ombre?, les reflets, les vi-
brations de la lumière, comme pouvaient le faire,
avec leurs pinceaux du Paradis terrestre, les
(Uotlo, les Fra Angelico, les Filipo Lippi dont
elle est cousine germaine à la mode de l'éter-
nité. Ses broderies, dont elle seule parait avoir
le secret et la pratiqueront do véritables toiles
d'une ingénuité merveilleuse et pénitente où
chaque ligure a l'air d'exprimer lu joie de souf-
frir d'amour, de pleurer à la porte du ciel.
101 LE l'I-LEIUN 1)13
L'ABSOLU

Mars.

2. — A la soeur de Marlineau :

Chère Madeleine, je suis peut-être bien présomp-


tueux, mais je pense à vous si afïeclueusement qu'il
me semble que vous devez attendre une lettre de moi.
Puis nous veicien carême. C'est le temps où les chré-
tiens véritables, les amis de Dieu,ceux qui connais-
sent l'amour et la douleur, doivent se souvenir plus
tendrement les uns des autres. Alors,naturellement,
mon coeur va vers vous avec une grande douceur et
le désir profond que mon amitié, que je veux croire
voulue de Notre Seigneur et de sa Mère en larmes,
vous soit consolante.
J'ai pensé, mon amie, que vous seriez touchée
d'apprendre une très belle histoire que voici :
Au commencement de décembre, un jeune Hol-
landais que je connaissais à peine, l'ayant vu seule-
ment une ou deux fois l'année précédente, vint me
dire de la façon la plus humble qu'il voulait devenir
catholique, ayant été sans religion jusqu'alors et
môme incertain de l'existence de Dieu. Il ajoutait
que la lecture de mes livres l'avait décidé et me
priait de le présenter à un prêtre qui eût la charité
de l'instruire. Je connaissais précisément un chape-
lain du Sacré-Coeiu, excellent prêtre, remarquable
LB PÈLBRIN DB L'ABSOLU 105

par son esprit autant que par sa charité, qui devait


convenir parfaitement à mon néophyte, lequel est
un poète fort estimé dans son pays et que la niai-
serie d'un directeur banal aurait peut-être rebuté.
Le résultat a dépassé mon espérance. Vendredi der-
nier, 24 février, fôto de Saint-Matthias, ont eu lieu le
baptôme de ce nouveau chrétien, le baptême de son
fils, charmant enfant de 7 ans, et enfin le mariage
catholique du père et de la mère. J'étais le parrain
du père et du (ils, ma femme, la marraine du père
et notre Madeleine la marraine du petit garçon. Je
vous laisse à penser si nos coeurs débordaient.
Sachez que ces nouveaux venus dans l'Eglise ont
des ûmes magnifiques. Je voudrais vous faire lire
leurs lettres. Ils ne savent comment exprimer leur
joie, leur reconnaissance.Si le martyre leur était pré-
senté,ils l'accepteraient avec ivresse. Je les ai vus hier,
avant-hier, je les verrai demain. C'est à peine si on
peut se regarder sans être sur le point de fondre en
larmes. El voyez, Madeleine, quelle bénédiction pour
moi Ce.s bien-aimés ne cessent de dire que leur
1

conversion est mon oeuvre ou du moins que je l'ai


irrésistiblement déterminée. C'est comme si Notre
Seigneur Jésus me baisait sur les lèvres, de son
adorable Bouche. C'est comme si sa Mère, Ma Dame
de Compassion me prenait dans ses bras et me près*
sait sur son Coeur. Je no saispa* exprimer cela...
Vous savez la terrible peine que nous avons eue,
100 LE l'ÈLEMN DE L'ADSOLU

si peu de temps auparavant, la dangereuse maladie


de notre Véronique. J'ai penséque nous avions ainsi
acheté cette joie merveilleuse, car vous ne l'ignorez
pas, douce Madeleine, fille aimée de Dieu, il faut tout
acheter, tout payer.

!i. — Brou me passe un livre (1) de Charles


Morice. Il est ressuscité. C'est Jésus qui se mon-
tre à Paris et se fait interviewer. Certes celtebro-
chure n'est rien, mais faut-il que le pressenti-
ment d'une manifestation divine quelconque
soit universel pour que môme ce boulevardier
n'y échappe pas !

'i. — Voici une petite corvée. Feuilles de re-


censement à remplir. Le travail ^st insignifiant,
la chose m'inspire une répulsion extraordinaire.
Je me souviens du châtiment de David au
deuxième livre des Itois. J'ai confiance, d'ailleurs,
en ces mouvements de dégoût instinctif qui res-
semblent à des avertissements surnaturels.
Lettre extraordinaire. On voudrait de moi
une copie en caractères gothiques avec enlumi-
nures, de Y Exégèse des Lieux Communs. Tra-
vail énorme. « Votre prix sera le mien», m'est-
il dit. Adresse dans un bureau de poste à Paris.
LE PÈLERIN DK L'AHSOLU 107

Signature : Serge Barclay de Tolly. Ce person-


nage serait-il un descendant du ministre de la
Guerre, en Russie, en 1812? Il va jusqu'à m'oflnr
une villa confortable dans la province de Kiew.
5. — Réponse :

Monsieur, votre lettre est, en elfel, 1res « insolite ».


Passionné comme je le suis pour l'histoire et, en par-
ticulier, pour l'histoire de Napoléon, j'ai été saisi en
lisant le nom fameux de Barclay de Tolly. Si celle
lettre n'est pas une mystification, — ce que pourrait
me faire craindre l'adresse très étrange qui m'est
donnée — je serai forcé de constater le miracle le
plus surprenant à notre époque d'américanisme : Un
grand seigneur s'intéressant à un artiste pauvre !
En principe, votre proposition ne me déplaît pas,
mais elle m'épouvante un peu. Il y a des difficultés
(pie jo vous dirai quand j'aurai l'honneur de vous
voir. Je crois môme que j'aurais beaucoup mieux a
vous offrir que ce que vous demandez. Mais cola, je
ne veux pas l'écrire.
Puisque vous voulez bien m'assurer de votre « pro-
fonde admiration », je présume que vous n'auriez
aucune répugnance à me voir chez moi. Ma santé
eslbonne,mais je marehopéniblemenl, et je vis ensoli-
t aire. Une auto vous mettrait ;\ ma porte rapidement et

j'imagine que notre entrevue n'aurait rien de banal.


Voulez-vous qu'il en soit ainsi ? Une dépêche nie
108 I.E l'ÈLKRIN DE I.'ABSOI.U

fixerait chez moi. Mais je voudrais que ce fût bientôt.


J'aime les choses qui se font vite. Puis, comme Na-
poléon, en 1812, je crains votre jonction avec un
autre Bagration,
[Cette affaire n'a jamais eu de suite, naturel-
lement.]
7. — Lettre désespérée d'un prêtre en disgrâce
et relégué dans une paroisse impossible. Je ne
sais comment cela finira pour ce malheureux
incapable de résignation, exaspéré jusqu'au dé-
lire par le mercantilisme sacerdotal dont il est
témoin. Je le réconforte comme je peux, sans
beaucoup d'espoir. Croit-il être plus malheureux
que je ne l'ai été depuis quarante ans ? Et je n'ai
pas toujours été seul. Cependant je n'ai jamais
cessé d'espérer. Pourquoi n'a-t-il pas confiance ?
Dieu vous veut où vous êtes, clans le dénùment,
la solitude et le mépris. Vous avez la prière, l'Écri-
ture ; faites-vous ermite et sanctifiez-vous. Vous
naissiez à peine que j'étais déjà malheureux. Voilà
quarante ans que jo fais antichambre et que tous les
domestiques me crachent à la figure. Est-il donc si
difficile d'accepter ce que Dieu veut ?

8. — La Basilique du Sacré-Coeur, promenoir


de touristes, surtout dans l'après-midi. A côté
i.u i'î:;,i:itiN DE I.'AKSOI.U 10'^

de moi, quatre femmes évidemment en joie ou


dQj'oie, soûles peut-être, riaient sans interrup-
tion et le ilôt des visiteurs passait et repassait,
devant le Saint Sacrement exposé, comme des
bestiaux. Il est inconcevable que le Supérieur
ne fasse rien pour empêcher celte constante
profanation.
9. — Aucune nouvelle de Barclay de Tolly.
Le silence de ce Russe ou prétendu Russe et
l'obligation fort gênante où je suis de l'attendre
chaque jour, me sont pénibles, je l'avoue, sa
lettre m'ayant donné à espérer. Kst-cc une basse
et cruelle mystification ? Il faudrait pouvoir
écarter cela.
10.

Christine donne à Jeanne une broderie
magnifique, Notre-Dame de la Saletle dans la
gloire de son Apparition, les deux enfants
l'écoutant à ses pieds. Dessin naïf et profond,
témoignage d'une âme aluiméc des choses divi-
nes. Mais c'est bien ce que j'ai dit plus haut,
une suggestion douloureuse qui convient d'ail-
leurs ici. Mèmcdnns sa gloire éblouissante, Mario
est toujours la Dame de Compassion et deTrans-
lixion. On la voit pleurer, et on entend tout un
monde sangloter dans l'Invisible.
Véronique se met au piano et improvise, pa-
7
110 I.K l'ÈLEMN DE I.'ABSOLU

rôles et musique, une chanson de l'incohérence


la plus délicieuse. C'est sa belle vie complète-
ment revenue. Quelles joies nous réserve cette
enfant et quel salaire de toutes les souiFrances
du passé !
On me raconte ceci. Le curé de Saint-Laurent,
l'abbé Olmer si apprécié dans un de mes livres,
avait inventé un bonhomme automatique placé
à la porte de son église et aspergeant d'eau bé-
nite les personnes qui glissaient une pièce de
deux sous dans sa tire-lire. Il parait que l'auto-
rité diocésaine a trouvé cela, tout de même,
un peu trop fort et lui a défendu de conti-
nuer.
18. — Visite d'un inspecteur do la Sûreté
venu pour m'interroger sur l'ignoble Houquin
(voir le Vieux de la Montagne] qui va être en-
lin cotl'ré et jugé. Je prends soin de ne certifier
aucun l'ait dont je ne pourrais donner la preuve
immédiate, mais je fournis des opinions abso-
lues, déclarant que je tiens l'individu pour un
sale bandit capable de toutes les vilenies et de
toutes les sortes de crimes qu'on peut accom-
plir sans danger pour la mâchoire ou pour la
colonne vertébrale.
21. — On parle de la mère de Mélanie, lier-
1,'ADSOLU 1 1 1
IM l'KLKIUN DR

gère de la Salette dont je transcris la Vie mer-


veilleuse.
Cette misérable femme, si cruelle envers sa
lille et d'une dureté de coeur presque incroya-
ble, obéissait assurément à une impulsion d'en
bas, irrésistible pour elle. Les hommes dont la
conscience est trouble ont peur et horreur du
Surnaturel, de l'Absolu. Il se pourrait même
que, dans le cas très exceptionnel de l'ignorante
mère de Mélanie, il y ait eu comme un reste
de sentiment chrétien très faussé lui faisant voir
ou pressentir en cette enfant une démoniaque,
('liez Mélanie, en effet, et dès sa petite enfance,
le Surnaturel transparait d'une manière trop
excessive pour que sa mère, livrée à l'esprit du
monde, n'en ait pas été bouleversée.
Pensée qui grandit en moi, singulièrement.
2-2.
— Nouvelle lettre du piètre désespéré à
qui j'écrivis le 7. Aucun de mes arguments n'a
porté. Il veut avoir raison de se révolter, de se
ronger le coeur, de juger les autres sans se juger
lui-même. Il semble évoluer du côté du protes-
tantisme. Déjà il en parle la langue. Je n'ai plus
l'ien à dire à ce malheureux. Un évèque pater-
nel pourrait le sauver en courant charitable-
ment après lui. Fénelon, qui n'était pourtant
112 i.i: lii.i-niN I»K I.'AUSOLU

pas un saint, n'eût pas hésité,onpeut le croire.


Mais l'évoque de ee prêtre en agonie est trop
occupé de gymnastique et de fanfares.
2îl. — Lettre nous disant que Home devient
un lieu dangereux. Les Italiens vont avoir une
exposition universelle que le Pape contrarie,
ayant décidé que les grands pèlerinages n'au-
ront pas lieu cette année. Fureur des exposants
et boutiquiers de toute espèce qui avaient compté
sur ces visiteurs. Je me suis dit souvent que
Pie X doit bien penser qu'on ne supportera pas
longtemps un Vicaire de Jésus-Christ aussi gê-
nant.
2o. — Forcés de nous abriter dans un café,
nous sommes victimes d'un phonographe qui
s'oppose à tout effort de conversation. Peste
moderne devenue universelle. Je prévois le jour
où les prédicateurs seront remplacés en chaire
par ces instruments diaboliques. On m'assure
que cela se pratique déjà en Amérique dans
certains temples.
Lettre puante d'un jeune sot que j'ai congé-
dié et qui s'efforce de rentrer par la fenêtre ou
par le tuyau de la cheminée. Il croit que je ne
peux pas m'empêcher de le chérir et il me
nomme son « doux père ».
I.K t>î:l.EltlN DK I.'.MtSOI.U 113

20. — Dimanche do Loetare. RéjouiS'loi. Il


me tombe justement uno réclame pour la Ju-
rançonne, « liqueur et élixirs de Lourdes ». La
brochure est ornée d'un médaillon d'Henri IV,
Gallue restitutori ! et présentée par un comte
Xavier de Cathelincau. C'est une belle atlaire.
Il s'agit de s'enrichir en soutenant l'Eglise. Le
nom de cette liqueur est emprunté à ce fameux
vin de Jurançon dont le porc de Henri IV fit
boire, dit-on, quelques gouttes à son fils nou-
veau-né, la parpaillolte et chienne de mère s'é-
criant : « C'est la brebis qui donne le jour au
lion. »

C'est à Lourdes, dit le papier, que nous avons dé-


cidé d'installor nos usines ; car notro oeuvre étant
foncièrement catholique, nous avons cru de noire
devoir do la dédier à la Vierge miraculeuse en nous
établissant près de son sanctuaire. Tant vaudra Vaf'
faire, tant vaudra l'OEuvre.

Lourdes est nommée « la Rome française ».


Ce document ajoute peu de chose à mon mé-
pris qui est au complet depuis longtemps.
28. — Un reporter quelconque m'écrit qu'il
voudrait m'interviewer sur la question des égli-
1 1 i I.E PKLKIUN DK 1,'AHSÛI.U

ses de village. II voudrait savoir ce que je pense


après Maurice Barrés. Ma réponse :
Monsieur Barrés est un si grand homme qu'il n'ost
pas convenable ni môme possible de penser « après
lui ». D'ailleurs, je déteste les interviews. J'ai écrit
plusieurs volumes qu'il vous est loisible do consul-
ter pour connaître mon sentiment sur divers objets.
Je vous prie donc de me priver de votre visite.
J'agrée, conformément a votre désir et dans la me-
sure de mes moyens, l'assurance de votre profond
respect et de votre admiration, mais j'aimerais mieux
de bonnes injures. Elles me rajeuniraient de trente
ans. J'ai l'honneur, etc.
30. — A un avocat généalogiste (!?)

Monsieur, voilà quatre ans que vous vous moquez


de moi. Xe trouvez-vous pas que la mystification, la
fumisterie d'un prétendu héritage, a suffisamment
duré? Vous me parlez d'un avoué de Périgueux,d'un
avocat à choisir, de jo ne sais quels héritiers avec
lesquels il faudrait s'entendre. Il faut croire que cette
farce vous amuse et que vous avez du loisir. Moi je
suis un artiste que les tripotages d'argent fout vomir,
et j'ai voué ma vio à de nobles oeuvres, ce qui vous
semblera sans doute bien ridicule. Avec un peu d'ef-
fort, cependant, YOUS concevrez peut-être ma repu-
l.K PiaBWN DU J.'.MISOI.U 115

gnancc à distraire uno parcelle, de mon temps poin-


égayer des gens d'affaires «]iii m'ont choisi pour leur 3

plastron.
A une jeune tiaucéc :

Votre pore m'apprend YOS fiançailles, nouvelle qui


nous a fort surpris. Je pourrais, à cette occasion,
vous envoyer les lieux-communs de circonstance
dont la liste est assez longuo et que j'ai malheureu-
sement omisdans mon Exéycse. D'autres se charge-
ront volontiers de vous les offrir, n'en douiez pas.
Etranger, depuis longtemps, aux allégresses et con-
gratulations d'ici-bas, je me contenterai d'accomplir
ce que votre excellent père me demande amoureuse-
ment et j'ai commencé dès ce matin, avec une grande
douceur.
La féerie de ce jour parle do la joie des coeurs de
ceux qui cherchent la Face du Seigneur, et les deux
leçons de la messe, Epîlre et Evangile, parlent de
Résurrection. En un sens profond, tout sacrement
est une résurrection et no peut être que cela. Celui
que vous voulez recevoir vous fera toute nouvelle et
vous « exhibera toutô glorieuse », comme l'Eglise
épousée du Christ, « n'ayant ni tache, ni ride, ni
rien de semblable, mais sainte et irrépréhensible ».
Telles sont les paroles de l'Esprit-Saint qui seront
lues a votre messe de mariage.
Je ne connais pas M. Pierre C..., mais il suffit qu'il
I H> M; rir.i:niN ni: i.*.\nsor r

soit aimé de vous et des vôtres. Je no peux que I»;


féliciter, en déplorant un peu qu'il soit, d'après vo-
tre père, mou « admirateur fervent », ce qui l'expose
à mécontenter le sien. Ou'il y prenne garde .Mais1

vous me le présenterez un jour et je serai peut-être


assez heureux pour le guérir.

Avril

1.
— Lettre de mon ingénieur israélite m'ap-
prenant qu'il entre demain dans une clinique
pour se faire opérer de l'appendicite. Il a trouvé
ma lettre du 27 février « extrêmement belle et
émouvante », mais il a renoncé à me répondre,
n'étant pas encore « prêt à certaines accepta-
tions». Mais, «quand je suis très oppressé ou fa-
tigué, je dis le Pater que Termier et vous m'avez
enseigné et cela m'apaise, me rafraîchit incroya-
blement. Je déplore que le catholicisme ne se
borne pas là, sans quoije serais déjà catholique.
Vous avez ma promesse que, demain, je le di-
rai avant mon opération.»
Tenebroe densissimoe super terrain Aegypti.
Pauvre malheureux !
5. —Bouleversante dépêche m'apprenant qu'il
LB PKLBMX DB L'ADSOLU 117

vient de mourir d'une pneumonie infectieuse,


après trente-six heures seulement de maladie...
0. — A Tcrmier :

Votre dépêche reçue hiersoir, très tard, m'a accablé.


Ce matin à la messe, vêtu des vêtements de ce mort,
j'ai prié cl pleuré pour lui. Voici sa dernière lettre
venue samedi. Un do ses derniers actes, une de ses
dernières pensées ont donc été pour moi. Pauvre chère
Ame sans lumière ! Celte lellre que vous ne lirez pas
sans un serrement do coeur, élait une réponse déso-
lante à la mienne que je vous ai lue, le 2S février,
et dont j'ai gardé copie.
Désolante, oui, on ce sens que l'esprit de ce mal-
heureux ne se laissait pas pénétrer, quoique le coeur
lût profondément louché. 11 disait lo Pater avec joie.
Tout est donc à espérer. Plût h Dieu qu'il eût dit
aussi VAve Maria que j'ai dû certainement lui con-
seiller !

Mais, dites ! quelle effrayante responsabilité sur


ce misérable pretro do Neuilly rebutant et dégoûtant
une telle Ame qui s'offrait, il y a deux ans, et qu'il
avait le devoir de précipiter au baptême ! Si je savais
son nom, il recevrait de moi une lettre terrible.
Je remarque et je vous prie de remarquer que vo-
tre ami sera enterré demain, fôte de Notre Dame de
Compassion !...
7.
118 I.K ri-xKHiN I>K
I.'AIISOLI:

A roccasion de cette mort, un mécréant que


j'aime sans pouvoir le transformer, nie parle de
l'état de son âme, à lui, des comptes à rendre.
«Certaines fois»,dit-il, « je m'applaudis, je m'ad-
mire pour telle bonne action, mais une petite
voix vient interrompre mon contentement : Tu
cherches à t'en faire accroire. Tu es (1er de
toi pour ceci ou pour cela ; oui, mais te rap-
pelles-tu cette autre chose que tu fis à telle épo-
que et qui te souille le coeur, etc. ? » Quelle
tristesse de ne pouvoir amener de telles âmes
aux pieds d'un prêtre !

7. — l'a rire de (Unqnante-cinq milliards.


Sous ce titre un journal a osé publier une image
de la plus énorme infamie, « photographie prise
après un banquet du Club des Quatre-cents, ce
cercle fameux des multimillionnaires améri-
cains ».
« On peut évaluer à cinquante-cinq milliards
la fortune des joyeux soupeurs réunis ici pour
rire à gorge déployée. »
Cette somme gigantesque, supérieure au to-
tal des budgets de tous les Etats du monde, sup-
pose, pour chacunde ces soupeurs, une moyenne
de 1«*)0 millions, — ramassés dans quelles ordu-
LE FÉLBRIN DE l/ABSOLU 110

res I Elle représente les larmes et le sang des


deux tiers au moins de [plusieurs générations
sur la surface entière du globe !
C'est cela, sans doute, qui les fait rire, ces
effrayants animaux dont les faces de croquants
bâtards apparaissent d'autant plus abjectes. On
se sent désarmé et découragé en présence de
ce défi à la Justice, de cette incroyable horreur.
Dieu est trop loin et trop silencieux, vraiment...
Mais que penser d'une nation où pullulent
et triomphent de tels malfaiteurs dont l'impu-
nité déshonore la conscience humaine?
11. — Un missionnaire m'envoie cette note :

Lu dans uuo chapelle du Pas-de-Calais un éton-


nant distique au-dessous d'un tableau (?) représen-
tant la Passion. Au pied d'une croix plongée dans
les ténèbres de la neuvième heure sont agenouillées
des carmélites au visage béat. Puis cette légende :
C'est sur ce mont sacré que les chastes abeilles
Vont picorer le miel des divines vertus.

12. — Mercredi Saint. Première communion


de Pierre van der Meer et de son fils, au Sacré
Coeur. Renouveau des impressions surnaturel-
les reçues au môme lieu, en 1900, à la première
1:20 I.K I-ÎMKIS DK I/AIISOI.I
1

communion de mes autres filleuls, Jacques,


Haïssa et Véra.
La pensée seule du déménagement me donne
la lièvre, mais je continue à croire, et de plus
en plus, que cette expulsion de Paris est
une grâce de Dieu qui ne veut pas de nous
comme combustibles. 11 y a soixante ans que
Mélanie conseillait à ceux qui voulaient l'écou-
ter de ne pas habiter Paris condamné aux ilam-
mes.
li.— Visite de cet abbé qui me fut présenté
le "2?> février et que je commençais à oublier,
n'ayant gardé de luique le souvenir d'une heure
d'ennui. Cette fois il a des choses à dire, et
quelles choses ! Ce prêtre a choisi le Vendredi
Saint pour m'apporler un peu de poison, en sa-
lissant un autre prêtre qu'il sait mon ami. Je
proteste comme je peux, mais le venin produit
son elfet. Alors, après le départ de celte sou-
tane, commence une angoisse étrange, peu ex-
plicable, puisque je présume la calomnie, mais
horriblement douloureuse.
18. — Seul avec les enfants, j'essaie de dissi-
per une tristesse alfreuse,incompréhensible.Cet
état de déreliction devient si cruel que je de-
mande secoii.a ^ ma Véronique, la priant de
I.E l'iiKHix M: I.'AIISOM' 1*21

me venir en aide, lui disant que je porte, depuis


plus de trente ans, un très lourd fardeau qui
m'écrase et dont rien n'a pu me délivrer, quel-
que chose de terrible que Dieu a mis sur moi,
une sorte de pressentiment aussi angoissant que
la vision précise des plus épouvantables malheurs.
La chère entant, émue de tendresse, me con-
sole de son mieux en me montrant son àmc de
sainte.
Le Secret do Mélanie dit qu'en 1SIH Lucifer
et un grand nombre de démons seront déchai-
nés. C'est précisément cette année-là que ma
vie parisienne à commencé. Il esl étrange que
je le remarque aujourd'hui pour la première fois.
Véronique, apprenant ce fait, en est saisie.
II). — A rabbé0...queje soupçonne d'être un
espion de l'espèce la plus dangereuse :
.Monsieur l'abbé, votre visite, le Vendredi-Saint, ;\
l'heure précise où on crucifiait \otre-Seigneur, m'avait
laissé la plus pénible impression. Le v/iuix de ce jour
et de cette heure par un piètre pour démolir un au-
tre prêtre, m'avait un peu bouleversé. Aujourd'hui
je crois entrevoir une trame d'espionnage et de ca-
lomnies où j'ai décidé de n'avoir aucune part et c'est
uniquement pour me dégager de toute présumable
complicité que je vous écris. Je tiens à déclarer que
122 !.K l'KI.ERIN ni- I.'ADSOM'

je ne crois pas aux accusations ellYoyables que vous


avez portées contre l'abbé l,...que je pense connaître
mieux que vous. 11 a ses défauts, sans cloute, ainsi
que la plupart de ses confrères les plus respectables,
mais cela, non, jamais ! Ah ! que vous eussiez mieux
fait, vendredi, d'aller adorer la Croix, en lisant le su-
blime office du jour l
22. — A un artiste malheureux qui croit avoir
besoin de mes conseils :
J'apprends par votre soeur que vous parlez de moi
avec enthousiasme et je sais aussi que vous avez, en
ce moment, beaucoup do peine. Ces deux motifs me
portent à vous écrire. Vous n'ignorez pas que ma vie
déjà longue a été plus que très pénible. C'est donc
avec une terrible expérience cl, si j'ose le dire, avec
Pautorilé d'un artiste chrétien à qui vous voulez bien
accorder un peu de grondeur, que je vous dis du
fond de mon Ame: Vous n'acez rien à craindre. L'é-
preuve extraordinaire dont vous souffrez actuelle-
ment est voulue de Dieu et me donne à croire que
vous (Mes parmi les prédestinés.
Si vous voulez que je vous parle de moi, contentez-
vous de savoir que le Désespéré est à peu près une
autobiographie et que la Femme pauvre, livre plus
douloureux encore, en est une autre, quant à la
deuxième partie. J'ai donc enduré tout cela et môme
d'autres tourments que je ne pouvais pas raconter
M: 1'Î:LI:I(1N DK I.'ABSOLU \'2'A

parce qu'ils auraient paru trop invraisemblables. Kh !


bien, j'ai toujours mis ma confiance en Dieu, m'ef-
forçanl de le servir, malgré ma constante indignité,
et 11 m'a gardé comme la pupille de son oeil, me
consolant lorsque j'étais dans l'extrême tribulalion
et me secourant de la façon la plus merveilleuse tou-
tes les fois que j'étais en péril. Donc ayez confiance,
vous aussi, et méprisez les fantômes dont on veut
vous épouvanter. Vous serez gardé et bien gardé
pour peu que vous vous montriez (idole.
20. — Essayé de lire un livre qu'on m'a re-
commandé : Quelques traits de la vie du R, P.
Paul de Moll, bénédictin, 18*21-1896, Je n'y
parviens pas. On nous présente ce religieux
comme le plus immense thaumaturge des siè-
cles et les « quelques traits » sont un répertoire
de ses miracles continuels.Gela fait une masse
de plus de 200 pages. Cela se passe en Belgique
et c'est écrit en belge. Par trois fois le livre
m'est tombé des mains. J'ai la sensation de lire
les réclames pour les pilules Pink ou la Tisane
américaine. Un immense ennui tombe sur moi
et, en même temps, je suis saisi d'une secrète
horreur. Avec saint Gérard Magella je me sen-
tais dans le voisinage de Dieu, avec ce Père Paul,
c'est le contraire.
121 I-K l'ÈLKIUN Ï)K i.'.vnsoi.r

Mai

2. — Véronique au jardin, voyant un rouge-


gorge sur un arbre, l'appelle d'un petit clappe-
ment de langue ; l'oiseau descend peu à peu,
s'approche comme fasciné et vient se poser dans
sa main où elle lui donne à manger. Notre pe-
tite bonne a été témoin de ce fait que Véronique
ne nie pas.
tt. — Au pied de la Croix, Mélanie a trouvé
le Paradis terrestre qui est la Souirrance et il
n'y en a pas d'autre. Kn réalité l'homme est
toujours dans le Jardin de Volupté. Seulement
après la Chute, il s'est vu nu, il a vu nus la
terre et tout ce qui est sur la terre ; il a connu
que la Soulfrancc n'est autre chose que la Vo-
lupté toute nue.
Les étonnantes pages de Mélanie, La Jionne
Année, ont fait naître en moi le désir de mon-
trer sous cet aspect le Paradis terrestre et ce sera
l'objet de mon Introduction.
Interview drolatique fabriqué par Brou et par
moi-même, en vue de me délivrer de l'obses-
sion d'un reporter enragé que je ne voulais
I.K i'ii.i;niN ni: i.'.wssor.u 12.")

pas laisser pénétrer dans ma maison. Le pau-


vre diable a signé cela, hier soir, dans \'/n-
transi géant.

COUUTOLSL YISITL
AU « MHNDIANT [NOUAT »

Chez LIÎON BI.OY

La Butte rapidement grimpée, je m'arrêtai, indé-


eis, devant le 10 de la rue du Ghevalier-de-la-Barre,
j'avoue même que ce ne fut pas sans appréhension
ijiie je tirai la sonnette de l'antre redoutable. L'amé-
nité bien connue de Léon Bloy m'enlève toute vel-
léité de me vanter d'un accueil chaleureux ; il vint
lui-môme ouvrir, prit ma carte et sans la lire me de-
manda ce que je venais f .. chez lui.
— Vous interviewer, cher maître !
Léon Bloy, à ces mots, se précipita sur une trique
probablement accrochée en permanence au boulon
de sa porte et siffla un molosse qui vint en grognant
se ranger à ses côtés.
Puis il lut ma carte, m'examina curieusement et
voyant mon air consterné, se mit à sourire, déposa
sa trique, renvoya son chien et, d'une voix extrême-
ment douce qui me fit froid dans le dos :
— M. Toussaint, me dit il, votre nom me désarme.
120 I.IÎ PÈLERIN DH i,'.\nsoi.r

Je suis dévot, nul ne l'ignore, et le rappel de tous les


saints évoqués par votre nom me fait penser au jour
des morts. Entrez donc, vous sortirez vivant d'ici.
Vous semble/, ignorer que je ne me prête à au-
cune de ces saletés que vous nomme/ interviews, et
qu'a la dénomination de « cher maître », je préfére-
rais les derniers outrages. Cependant, pour une fois,
etseulement par égard poiir votre nom, je vous écoute:
— Ou dit que vous quittez Montmartre. Pourquoi
ce départ ?
— Parce que je suis exactement informé que Pa-
ris va sauter ; qu'ayant encore à embêter mes con-
temporains, je ne veux pas servir de combustible à
l'incendie qui se prépare et dont vous serez, je le
crains bien, une des premières huches.
— Que pensez-vous de l'Eglise et de ses rapports
avec le gouvernement ?
— Je ne sais pas coque vou. *Ucndezpar l'Eglise,
je n'entreprendrai pas de vous éclairer ; ia vie est
trop courte ! (Jiiant au gouvernement, je serai plus
explicite. Depuis quarante ans la France est gouver-
née par dos gens à qui personne n'oserait confier son
porte-monnaie.
— [/aviation vous intérossc-l-elle? Suivez-vous les
progrès des aéroplanes ot des dirigeables ?

Passionnément J'apprends chaque jour avec
1

la plus extrême satisfaction qu'un de ces acrobates


s'est cassé la figure.
LB PâLBRIN DE L'ABSOLU 127

— Avez-vous uncopinion sur la question marocaine


et redoutez-vous pour vos compatriotes une guerre
prochaine ?
— Je ne connais des Marocains que les reliures,
mais je préfère de beaucoup la peau do truie pour
mes exemplaires de luxe. Quant à la guerre pro-
chaine, je l'attends avec impatience, persuadé qu'elle
sera exterminatrice et que le nombre des imbéciles
— vous entendez, Monsieur !
— sera considérable-
ment diminué.
— Et la jeune littérature ?
— Il n'y a pas de jeune littérature, il n'y a que des
gens de talent et des Jean-f...
En terminant ces derniers mots, il me fixa, en
ajoutant :
— Jo ne sais à laquelle de ces deux catégories
YOUS appartenez...
Ce fut son dernier mot ; la patience commençait
à s'épuiser, le molosse, surpris de la longue urbanité
de son maître, donnait des signes d'impatience, je
pris la fuite.
MAURICE TOUSSAINT.

4. — A un petit jésuite qui me harcèle de-


puis quelque temps et de qui j'ai reçu, ce matin,
une lettre de huit pages presque illisibles, di-
sant qu'il m'aime comme personne no m'a
T28 I.E riaEuiN DE L'ABSOLU
.

aimé et qu'il est mon plus vieil ami, m'ayant


« connu sur le Calvaire ».
Je n'ai pas répondu à vos lettres antérieures pour
les raisons que voici : 1° Je n'aime pas les Jésuites.
Vous avouez vous-même que votre correspondance
peut être interceptée. Tel est l'esprit de la maison
de saint Ignace et cela me fait horreur. Vous m'ai-
mezet vous m'admirez parce que. vous êtes 1res jeune.
On saura vous guérir de celte maladie. '2° Vous vous
recommandez de... qui nie doit plus qu'il ne sait,
maisqui, devenu Jésuite, m'a fermé son coeur, connue
vous me fermerez, un jour, le vôtre. 3> Votre écri-
ture est illisible. Je ne sais rien de plus découra-
geant, de plus irritant que ce travail de décliilVragc
intligé à un homme qui a peu de temps et peu de
patience. Votre avant-dernière lettre m'est tombée
des mains. J'y ai renoncé dès la première page. Cette
fois, j'ai eu plus de constance et le travail a été dur,
mais je ne suis pas beaucoup plus avancé, un trop
grand nombre de mots m'ayant échappé. l> Enfin
je suis désormais forcé de n'écrire que peu de let-
tres ; mes amis plus nombreux que vous ne pensez,
le savent et respectent mes occupations. Vous priez
pour moi. Je vous eu remercie. C'est ce que vous
pouvez faire de mieux.
0. — Un moribond à qui nous avons fait ac-
cepter les sacrements, au prix de très grands
LTÏ l'hl.KRIN DK I.'AISSOI.U 12(.>

efforts, et dont la persistante vie; ressemble à


un miracle, semble aller mieux. Sa femme, ee
matin, me demande de sa part le Salut par
les Juifs. S'il peut avaler ça, le retour à la
santé parfaite est espérable.
Nouvelle lettre de mon petit jésuite. Cette
l'ois il a soigné son écriture, mais il ne démord
pas et il est peiné « jusqu'aux larmes » de mes
prévisions. Je suis pourtant bien forcé de me
défendre. Il me dit que, dans son milieu, il n'en-
tend (pie des vulgarités ou des sottises et (pie
c'est pour cela qu'il a compté sur moi. Beau
profit d'appartenir à la compagnie de Jésus !

8. — J'apprends l'arrestation du llouquin.


Tout arrive.
il. — Apparition du Yùnix de. la Montagne,
cinquième volume-de mon journal, (lotte nouvelle
me surprend au milieu des préparatifs de notre
déménagement. Faire un livre, même détesta-
ble, c'est quelque chose, mais il faut être auteur
pour savoir l'horrible tribulalion des dédicaces
ou des envois, surtout quand on déménage.
[2. — Appelé chez le juge d'instruction pour
éclairer ce magistrat sur la moralité du Houquin,
je ne peux (pie répéter ce que j'ai déjà dit, le
1<S mars, à l'inspecteur de la Sûreté; mais à la
130 LK l'ÈLERIN DE L'AHSOMJ

sortie, je gagne le prix de vertu en m'abstenant


de gifler impétueusement un usurier venu au
Palais pour quelque sale manigance et qui s'a-
vise de me reprocher avec aigreur certaines in-
fidélités.
21. — Après plusieurs jours d'énorme fati-
gue, on est à peu près installé à Bourg-la-l\eine.
Pour notre bienvenue, le curé, du haut de la
chaire, nous annonce un accident d'aéroplane
arrivé, ce matin, à Issy-les-Moulineaux, et qui a
coûté la vie à notre misérable ministre de la
Guerre, Maurice Berteaux. J'avoue ne sentir ni
compassion ni douleur de cette mort « subite
et imprévue ». J'apprends, un peu plus tard, que
cet ennemi de Dieu qui méditait, on peut le
croire, quelque turpitude supérieure à réaliser
sans délai, a été littéralement fauché.
-À~2.
— La course en aéroplanes de Paris à
Madrid, commandée par feu Bertcaux, a conti-
nué. Un nommé Védrines a été vainqueur. Cent
mille francs gagnés etgloire immense. Les feuil-
les renseignées par ce héros limousin qui n'est
pas gascon pour un centime, racontent (pie,
passant au-dessus des Pyrénées, il a été forcé
de combattre des aigles qui s'opposaient à son
vol. Victor Hugo nous manque pour cjianter ça.
i.rc I'ÎXEMN on; I/AUSOMJ 131

24. — Dédicace pour le Vieux de la Monta-


gne :
Mon cher Pierre Tcrmicr. Le voici, ce Vieux loul
plein de vous. Persuadez-vous qu'il n'y a presque
pas une page que vous n'ayez écrite avec moi, telle-
ment nous sommes ensemble depuis si longtemps !

25. — Raoux propose cette suscription aux


images reproduisant la mort de Rerteaux : « On
ne fait jamais tout le mal qu'on veut l'aire. »
21).

Knvois du Vieux de la Montagne.
A Félix Range : 1

VAX attendant la lunica molesta et le bûcher qui


doit nous réunir un jour.

A Léon Ronhommc :

Wells i\ imaginé un bonhomme invisible à la con-


dition d'être complètement nu. Léon lionhointne,vèlu
décemment,je veux le croire, est tout tic même invi-
sible. C'est plus tort.

Î3I.
— Autre envoi.
A Ricardo Vines :

Le vieux de la Montagne fut, au xn° siècle, le


fondateur estimé d'une brillante école d'assassins.
Vi'2 I.E rikliRlN D13
L'AUSOLI'

L'auleur de ce livre est un type dans le même genre,


à ceei près qu'il ne trouve pas de disciples, ses le-
çons coûtant trop cher. Alors, on vivote comme on
peut, en égosillant des animalcules.

Juin
lor.
— Suite des envois ou dédicaces.
A Frédéric Rrou :

Je voudrais écrire sur celle page quelque chose


qui valut l'encre et le papier. Je ne trouve que ceci:
Jevous ai vu pour la première lois, le 20 aoûll'JOi.
Vous êtes le locataire principal de treis de mes livres
dont l'un, le plus douloureux, vous est dédié. Cela va
faire sept ans sans le moindre accroc. Nous sommes
donc en pleine année clim;ilcri(/ue de notre amitié,
c'est-à-dire celle où nous (.levons nous brouiller, si
c'est le destin.
A Jeanne Tcrmicr :

A la filleule littéiaire du Mendiant ingrat, aïeule


surtout dos poètes ;'i venir qui croiront en Dieu et
chercheront son Fils adorable parmi les « balayures»
de ce monde.

A René Martineau :
LIÎ i'î:u:niN DI; L'AUSOM; 133

Je vous ai connu tourangeau, il y a dix ans, vous


ôles devenu versaillais et moi je suis descendu delà
Montagne. Nous ne valons plus rien ponrYussassinal,
et les Lieux Communs, impatients de se venger, nous
guettent comme des tigres. Mais ils ne nous suivront
pas où il nous reste d'aller : vous, mon ami, vers la
sereine Histoire, et moi vers le Martyre sanglant,
lorsque Celle qui pleurait, au lendemain de ma nais-
sance, aura versé assez de larmes pour obtenir que
je devienne son témoin.

A André Dupont :

De toutes vos forces vous avez voulu me glorifier


ou, du moins.me donner un pou île celte justice que
tant d'autres me refusent. Soyez-en béni et Dieu
fasse que celle? obarilé vous soit infiniment profita-
ble. Je vous porte dans mon coeur, depuis sept ans,
mon cher André. C'est plus qu'il ne fallait à la ges-
tation des amitiés antédiluviennes.

2. — A (1. V... :

Kncoreune dédicace. On ne connaît pas assez ce


supplice consécutif à la production d'une oeuvre. II
est vrai que c'est une occasion detager ses senti-
ments. Pour la plupart de mes envois d'auteur, je me
lire d'affaire en invoquant les adverbes les moins
s
131 LE l'ÈLKRIN DK L'AIISOLU

capables de m'euchaîner. Pour vous, ce sera la con-


jonction :
G. V... ET son ami passionné L. li...

Ce privilégié conjoint m'a lâché d'une façon


infecte, quatre mois plus tard.
4. — A Thérèse G... :

« La fourmi n'est pas prêteuse », mais, quelque-


fois, elle donne très volontiers, (-'est ce (pic La
fontaine a ignoré. Or je suis du genre furmica Ico.
Ecrit par une chaleur extrême qui me rend fort im-
bécile.

y. — CJuwlt's Gaubert anarchiste, par Eu-


gène Martha (?). Il y a un peu de talent dans ce
livre et des allusions (pie je ne saisis pas. L'hor-
reur cl le néant de l'anarchie y sont montrés
par ou sans la volonté de l'auteur, quelquefois
(l'une manière assez angoissante. Il y a surtout
la guerre aux oeuvres d'art, l'incendie du Lou-
vre, instinct bizarre et singulièrement démons-
tratif du trouble cérébral procuré par celte doc-
trine de mort et de ténèbres. Qui est Marlha :'
On dirait une femme en certains endroits.
(>.
— Une pauvre femme depuis longtemps
étrangère à la pratique des sacrements et même
Mî l'ÎXEIUN DE f/,\liSOI.U 13î>

hostile, s'étant décidée à la confession, pénètre


dans une église et demande un prêtre. Elle voit
venir un religieux extrêmement remarquable
par sa haute taille, sa figure exceptionnellement
amaigrie par la pénitence, et l'intense lumière
de ses yeux. « J'ai cru voir Notre-Seigneur »,
a-t-elle dit. Elle se confesse et aussitôt voit
sortir du confessionnal un tout autre prêtre,
de petite taille, plein d'embonpoint et de phy-
sionomie très ordinaire.
7. — A un jeune homme :

Vous m'écrivez des lettres do huit pages, alors


...
iju'il suffirait de m'écrire vingt lignes très simples,
.suis aucune liUéralure. Vous comparez ma pauvre
Véronique à « ces Vierges sublimes... ». Vous nie
comparez moi-môme à un « réservoir immense de
splendeur ». Vous osez m'écrire, avec un manque
de tact inouï, que je me dois absolument à vous
<^

connue une femme coquette aux malheureux qu'elle


attise » ; vous parlez de ma « personnalité géante •»
et de mes « regards de tendresse paternelle ». Votre
ami lt... qui n'a certes pas le sens du ridicule, me
nommait « son doux père ».
Je trouve cela insupportable, odieux et il n'y a pas
de plus sur moyen de me déplaire. Je veux croire que
vous êtes très jeune et jo ne vous repousse pas. Mais
J3l3 LI; piaiiiUN DI; L'AHÎÎH.L'

je suisun solitaire très occupé. J'exige <ju'on m'écrive


avec simplicité et pas plus de vingt lignes.

Dans quatre jours, le Rouquin passe en cor-


rectionnelle, Brou et moi sommes assignés en
témoignage. Nous serons sans doute copieuse-
ment injuriés par son avocat, secrétaire coque-
bin de l'illustre Joseph Monard un de mes en-
nemis intimes. C'est de l'agrément qui nous
arrive.
(.).
— Lu le nouveau livre de Baumann, La
Fosse aux Lions. Mauvais litre n'éclairant pas
le sujet. C'est une tentative de retour aux idées
bonaldienncs et patriarcales du gentilhomme
terrien. Cela se passe en Vendée, dernier pays
dit-il, où il y ail encore des paysans chrétiens.
Quoique désespéré d'avance, Baumann semble
espérer que ce retour est possible. Le suffrage
universel est, hélas invoqué. Style terne, mal-
!

gré une volonté trop évidente d'être tragique et


coloré. Les acteurs sont riches, donc sans inté-
rêt pour moi.
12. — Jugement du Rouquin. Je suis le pre-
mier témoin appelé. Ma déposition est suffi-
samment dure, mais très courte. Je savais Brou
formidablement armé, je le croyais déter-
LK l'JLlini.N DE L'ABSOLU 137
miné à écraser l'immonde personnage, et je
ne voulais pas déflorer son triomphe. Désap-
pointement complet. Brou ose à peine parler
d'une voix sourde, peu intelligible, chargeant
aussi peu que possible un adversaire qu'il avait
promis d'accabler. Vainement le substitut met
les choses au point, rappelant le passé malpro-
pre elles moeurs infâmes de l'inculpé déjà con-
damné à Grenoble ; l'heureux et rayonnant
llouquin, allégé des accusations de sa principale
victime, s'est tiré d'affaire avec huit mois de
prison seulement. L'année prochaine il pourra
recommencer ses farces.
Son avocat a malheureusement oublié de nous
injurier,ce défenseur héroïque ayant assez d'at-
tendrir les juges sur la misère qui incitait son
client à raller l'argent qui lui passait par les
mains.
A la sortie, reprochant à Brou la faiblesse dé-
plorable de son altitude, il m'a dit n'avoir pu
se résoudre à frapper un homme par terre. Me
voilà fixé. Il est de ceux qui pensent qu'il faut
rtre bon.pour la vermine.
Note supplémentaire. Lorsque le Président
m'a commandé de lever la main : Ah oui
! !

ai-je dit, en obéissant après un soupir, (le ma-
.s.
13S Mï l'Èl.ERIN DE l/AHSOLU

gistrat surpris m'a fait observer que je mon-


trais de la répugnance. Pas de réponse. J'aurais
pu dire, imprudemment, que ce geste imbé-
cile n'a jamais empoché aucun coquin de
mentir.
13. — Un pauvre religieux m'écrit : « Lcpé*
ché est une blessure, les péchés sont des bles-
sures, mais l'amour-propre est un empoisonne-
ment ».
15. — A une amie. Je la mets en garde con-
tre les reproches à mes livres qu'elle pourrait
entendre dans son milieu, lui expliquant (pie
la l'orme du pamphlet dont on parle avec tant
d'aigreur n'est pour moi, en réalité, qu'une cui-
rasse, une armure pour proléger le missionnaire.
Si je n'étais pas ce qu'on veut appeler « le re-
doutable phainphétaire », je n'aurais jamais pu
faire avaler mon christianisme. Tout le monde
m'aurait vomi.
17. — Tous les journaux sont remplis du
« Circuit européen d'aviation ». Quarante ou
cinquante aéroplanes partent demain matin. Je
pense qu'il conviendrait de dire les prières des
agonisants.
18. — Il y avait ce malin plusieurs centaines
de mille hommes pour voir s'envoler les avia-
IE PKI.F.IUN DR L'AHSOLU 139'

leurs. Dès le cominenceincnt deux se sont tués.


L'un d'eux, un officier, a été brillé vif.
Dédicace pour la Femme pauvre :
Quanti vous relirez ces pages, ma chère amie, di-
tes-vous que ce n'est presque pas un roman et qu'il
est bien vrai qu'il y ades créatures de Dieu qui souf-
frent ainsi. Celle pensée ajoutera quelque chose à
votre douceur et vous tVra plus forte contre l'illusion
banale de ce qu'on est convenu d'appeler le bonheur
dans notre prison douloureuse.

11).
— Jeanne nie raconte un lève extraordi-
naire. Mlle voyait une femme vêtue de blanc,
blanche elle-même d'une blancheur inouïe. Elle
se croyait en présence de la Sainte Vierge lors-
que cette apparition lui dit intellectuellement :
Je suis la l'esté !
ïîl. Dédicace pour le Désespéré :
Mon bion-aiiné liileul Pierre-Matthias, voici un
rarissime exemplaire de ce livre célèbre qu'aucun
éditeur ne veut réimprimer, on ne sait pourquoi. Tu
verras, en lisant celle quasi-autobiographie, dans
quel bain d'huile bouillante elle dut être écrite et lu
sais, par la série de mon Journal, aussi bien que par
la Femme pauvre, ce que Dieu a mis sur mes épau-
les pendant le quart de siècle qui a suivi. Penche-loi
1 |0 l.li l'i'l.UilN in'. I. AltSOMJ

sur ce puits noir et dis-loi profondément que, peut-


être, il a fallu toutes ces tortures d'un pauvre homme
pour (pie tu devinsses chrétien.

23. — A 'fermier :

J'étais triste et vous m'avez consolé une fois do


plus. Je ne sais pas mieux que de vous copier ce que
m'écrivait un artiste pauvre que j'ai eu la joie de
secourir quelques fois : Vous ave/, à votre compte,
au grand Livre de l'Klcrnel, un livret de caisse d'é-
pargne que je vous envie. » Vous voudriez, dites-
vous, pouvoir m'envoyer « la voie lactée ». (l'est pré-
cisément ce que vous faites depuis des années,
puisque vous m'envoyez votre coeur.
« Aucun homme ne peut voir que ce qui est en lui»,
écrivais-je. il y a plus de dix-sept ans.«Si nous voyons
la voie lajtée, c'est qu'elle existe véritablement dans
notre Ame.» Après cela que Messieurs les astronomes
disent tout ce qu'ils voudront. Cela fait passer le
temps de !a vie et c'est moins bète que de jouer à
la muiille ou de pratiquer l'aviation. Je pense obs-
tinément qu'un simple Pater, dit avec foi par un
homme très humble,a plus de puissance pour percer
le ciel (pie le télescope le plus gigantesque et que
tout ce qui n'est p.-».s la Prière est illusion.
Je mourrai sans récompense terrestre, c'est fort
probable, mais sans illusions ni déceptions trop cruel-
M: ri':i i.nl.N iii. i.'Aitsoi.L' 1 i 1

les de ce côté de la vie, et si j'ai h' bonheur «le dé-


crocher quelqueséloiles,comme prétendait ce bavard,
ce scia pour les mettre dans le coeur de quelques
amis tels <111o vous.

Mon chimiste à qui j'ai envoyé le Vieux me


remercie d'une manière déconcertante. Il n'a
vu absolument dans ce livre que ies pages con-
cernant les Juifs, sans y rien comprendre. Je
rallume pour lui ma lanterne :

Je réponds à votre étonnement » par mon ex-


•<

trême stupéfaction. Ainsi donc vous n'avez remar-


qué- dans tout mon livro que les quelques pages sur
les Juifs, et ces pages vous les avez lues avec les lu-
nettes de M. Drumont! C'est décourageant. J'espérais
plus de vous que de beaucoup d'autres et voilà tout
ce que vous pouvez me donner: un article de la Libre
Parole et cette distinction bondieusarde et insensée
de « deux races juives, celle de Jésus et celle de Ju-
das », laquelle distinction prouve que vous n'avez
pas même lu les pages dont vous vous étonnez,puis-
que c'est précisément cette distinction vitupérée par
moi,comme une chose du plus bas étage intellectuel,
que vous m'opposez.
Je parle dans l'Absolu, je croyais que vous l'aviez
compris, el vous ne semblez pas vouloir île l'Absolu.
1 ("2 I.K I'I:LI:IHN i>i: i.'.utsoi.u

Alors comment noi:s entendre ? Puis vous venez


bien tard. C'est en 1802, il y a dix-neuf ans, que j'ai
publié le Salut par les Juifs où la question juivo est
traitée à fond et d'infiniment haut, dans le sens du
chapitre XI de saint Paul inspiré do l'Ksprit-Saint,
en son épître aux Romains que vous semble/ ignorer.
Tout récemment en 1909, j'ai publié le Sang du Pau-
vre où se trouvent les mômes affirmations aux deux
chapitres XVI! et XVIII qui sont parmi les choses
dont je suis le plus lier ; et vous n'avez pas bronché.
Pourquoi ?
Enfin vous entreprenez de m'opposer à moi-môme
en citant ceci ou cela. Quantum mutalus ! vous
écriez-vous. Vain triomphe. Môme en écartant l'hy-
pothèse de l'antiphrase ou ironie, souvent présuma-
blc chez moi, il ne me coûte rion d'avouer qu'à l'épo-
que, lointaine déjà, du Désespéré, sans remonter aux
temps mythologiques de mes années de lycéen, j'ai
pu dire ou écrire des sottises que mon Age plus mûr
a restituées au néant. J'appelle ça un changement
heureux et normal.
Mais il y a autre chose que vous ne voyez pas,
m'ayant si peu ou si mal lu ; c'est la méthode d'ar-
gumentation devenue mienne de saint Thomas
d'Aquin, laquelle consiste à épuiser l'objection de
l'adversaire, en le laissant parler tant qu'il peut.
C'est ce que j'ai fait dans le Salut par les Juifs, livre
assez fortement construit, je crois.
I.K rîiniiN ui> I.'AUSOI.U 1 n
Hion tlo plus facile, vous le savez, que «le dénatu-
rer la pensée d'un auteur en isolant certains textes
ou les combinant avec astuce. On l'a beaucoup fait
contre moi. Telle n'est pas votre pente, je le sais.
Vous m'ignorez, tout simplement. Alors lisez-moi.
C'est le conseil cpie je donnais à une dévote, bien-
veillante par miracle, quoique liseuse de la Croix,
dans les deux lettres qui vous ont si fort étonné.
('omme vous, elle m'avait servi les « deux races ;>...
C'est vous dire à quel rez-de-chaussée vous me pa-
raissez descendu. Vous pouvez remonter encore,
mais il faut vouloir l'Absolu.

24. — Brou à Bourg-Ia-Reine. Il voit, devant


une maison d'assez belle apparence, un groupe
de gens en deuil fort affaires. L'un d'eux sonne.
Un individu en bras de chemise entr'ouvre la
porte, demandant ce qu'on désire. « Nous
sommes les héritiers, est-il répondu, et nous
voudrions visiter l'immeuble pour nous rendre
compte. » Refus énergique de l'homme en bras
de chemise qui ne veut pas de cette invasion
un dimanche et qui ferme sa porte. Méconten-
tement du groupe. Brou s'approche. « (lue vou-
lez-vous ? » lui demandc-t-on avec fureur. —
« Mais », répond Brou, «je suis héritier aussi. » Il
s'attendait à un engueulement. C'est seulement
I ll IL' 1
l'i I.HIN \>\>.
I.'.\lt-ii| l'

la stupéfaction la plus intense, la consternation


même qu'il produit et il s'éloigne,songeant qu'il
vient de jeter un pavé dans une grenouillère.
2«i.
— Des amis récents, gagnés par mes li-
vres, ont décidé de nous recueillir cet été, à la
campagne, dans les environs de Périgueux, où
ils nous ont accommodé une petite maison. No-
tre départ est fixé au i juillet.
28. — Songe de .Jeanne. Nos chers amis, Hor-
rel et Haugel,étaient à Home et voyaient le Pape.
Us lui donnaient, à genoux, un de mes livres. A
la première page Jeanne lisait ces mots écrits
par moi en très gros caractères : Seul contre
tous, je lutte désespérément pour ramener la
foi dans les coeurs morts. C'est tout. Jeanne
avait l'impression d'une force, d'une précision
extraordinaires.
21).

Petit article d'André Dupont dans l'In-
transigeant :

Le vieux de la Monlaç/ne,\M\v Léon Hloy. «Cinquième


roue du carrosse do ses lamentables mémoires. »
Les ennemis d'antan sont morts, ceux qui restent
et qui ont perdu leur rancune p.voc leurs dents se
refusent à risquer leurs pan tout! es dans les mêlées.
Les jeunes ont à la fois do l'attrait et de la terreur
1,1! l'i'l.KHIN l)i: I.'AIISOI.C ] 4j
pour ce vieux pauvre qui menace et (jui pleure. Ils
cvitenl lo contact de ce désespéré charge de soixante
ans de misère et ne consentent à prononcer son nom
que chez eux, à voix basse.
Les injures se sont tues, l'admiration et la colère
môme se sont tues. « Il comprend alors que c'est le
bon plaisir de Dieu qu'il soit seul parmi les tourments
et il jva seul dans l'immensité noire, portant devant
lui son coeur comme un llambeau. »
Tout est inutile désormais, le courage, la pitié ou
l'amour. Les Ames pendent trop bas.
En justicier obéissant, debout au seuil de l'Eglise
dévastée, mendiant plein de sanglots et de prières, il
attend la Vierge des Sept Douleurs, Celle qui rira au
dernier jour.

30. — A Termier :

Avant-hier, vigile des saints Pierre et PaulJ'avais


environ trente ans de moins. J'étais dans la petite
église de Bourg-la-Rcine qui nous est accueillante
et douce. Je me suis retrouvé tout à coup, comme
autrefois et comme d'autres fois, au milieu d'un in-
cendie. Un jour, en Danemark, j'ai essayé d'exprimer
cela : L'Ami de Dieu ! Vous n'avez pas oublié cette
page. Le coeur dévoré, les yeux brûlés de larmes, je
pensais à vous, à votre malade, très particulièrement.
Il nie semblait qu'en un tel moment j'aurais pu lui
9
146 LB rÊLBRI."» DB l/ABSOLU

dire avec autorité:a Soyez guérie»,et quo cela n'au-


rait pas été on vain. Lo miracle n'est pas autre chose
que la suite nécessaire, infiniment simple, d'un acte
de foi tout à fait complet, parce qu'alors lo plus mi-
sérable des hommes substituo réellement, et totale-
ment, à lui-môme Jésus-Christ. Au sensévangôliquo
le plus incontestable, Dieu est le serviteur très obéis-
sant de ceux qui l'aiment et les mauvais chrétiens se
doivent reconnaître à ce signe qu'ils ne peuvent pas
faire de miracles. J'ai dit souvent ces choses. Qui
veut les entendre et les comprendre ? Il faudra bien
pourtant qu'on y vienne, puisque le christianisme est
absolu, et que les montagnes elles-mêmes doivent
obéir aux plus petits frères du Fils do l'Homme.
Notre départ est fixé à mardi matin. Dix ou douze
heures de chemin de fer, c'est beaucoup pour moi.
Mais il paraît que Dieu me veut migrateur sur la fin
de ma vie et je n'ai pas mieux à faire quo d'y con-
sentir le plus joyeusement qu'il se pourra.

Juillet
4. — Départ. Voyage. Installation. Chaleur
atroce, lassitude immense. Accueil affectueux de
notre hôte, le docteur Ampelosse, malheureuse-
ment neurasthénique, privé de toute énergie
vingt jours sur trente,et plus malheureusement
u: I'ÈI.I'IUN in: I.'AII-III.U 1 17

encore dénué de vie religieuse.Comment un tel


malade a-t-il pu s'emballer pour moi, au point
de déclarer à qui veut l'entendre que je suis un
écrivain de génie, Ynnique écrivain, et que c'est
précisément la véhémence de mon enthousiasme
chrétien qu'il admire ? Mystère de plus dans
ma vie encombrée déjà d'un assez grand nom-
bre de mystères.
Kn acceptant, avec autant de résignation que
de joie, cette villégiature périgourdine, j'ai sur-
tout espéré d'agir utilement sur l'Ame de ce
malheureux. Sera-ce possible ?
Notre petite maison, très paysanne, bien
qu'aménagée asssez confortablement, est située
au bord de l'Isle, l'aimable rivière de mon en-
fance, à quelques pas du château de Piélevé,
demeure d'Ampelosse, et à dix minutes de Saint-
Expédit, village rudimentaire habité par cent
cinquante ou deux cents êtres humains d'une
rusticité incontestable.
C'est à Piélevé que je fus hébergé quelques
jours, l'année dernière, au début de mes rela-
tions avec l'excellent docteur qui conçut alors
le projet,maintenant réalisé, de nous avoir tout
l'été dans son voisinage.
«i.
— Vu la vieille église aux trois quarts clé-
118 I.R l'KI.KHIN RH I.'AUSOM)

truite et privée de tout le décorqu'elle put avoir


au xiv° ou xv» siècle, longtemps avant les muti-
lations et profanations huguenotes, quand elle
était, comme tant d'autres ruines actuelles, une
église abbatiale où priaient des peuples chrétiens
qui ne se souviennent plus, aujourd'hui, d'au-
cune prière. Mais la vétusté de ces pauvres pier-
res nous touche le coeur et nous pensons, avec
un sentiment de très douce mélancolie, que c'est
là seulement que nous pourrons, pendant trois
mois, visiter Notre Seigneur Jésus-Christ.
Le curé non moins indigent que son église
toujours déserte se réjouit d'apprendre que nous
serons les assistants fidèles de sa messe quoti-
dienne, exhalant des plaintes amères sur le pa-
ganisme incurable de ses paroissiens, à commen-
cer par notre hôte qui devrait donner l'exemple
à la canaille.
7. — Article de néant dans la Correspondance
de Rome Ci) où je suis, à propos du Vieux, traité
de moderniste et d'illuministe 1!!
Le thermomètre marque plus de 30° à l'ombre.
8. — Voyage à Périgueux pour quelques achats
nécessaires. Je n'ai pas le courage ni le temps
de pénétrer dans cette ville où je suis né, il y a
si longtemps, mais qui ne peut plus me donner
I.I; l'îai.ui.N DU
I.'AHSOLU M^

que de l'amertume et dont le faubourg, voisin


de la gare, me comble de dégoût.
1).
— passages incriminés par la Correspon-
dance de Home. Mauvaise Coi évidente et sottise
parfaite. C'est précisément ce qu'il y a de meil-
leur ».*, de plus fortement chrétien dans mon
livre. Chose touchante. On ne me reproche au-
cune erreur, mais simplement et uniquement
d'exister, de dire que j'ai une mission, comme
si chacun n'avait pas la sienne. Le reproche de
modernisme ne signifie rien, sinon la vilenie et
le besoin de mentir d'un accusateur qui veut
aiguiller le soupçon. Mon cas, très honorable,
est celui de Mélanie. C'est ma personne qui est
détestée. Toutkce que nous disons, elle et moi,
on l'accepterait peut-être de n'importe qui. Nous
sommes les Antipathiques. Mais parce qu'onVoit
en moi un artiste, je le suis plus encore que
Mélanie.
10. —Service funèbre et messe. Nous étions
en tout quatre assistants, sans compter un cra-
paud venu pour chercher un peu de fraîcheur
et une cigale égarée loin du soleil.
13. — Ce devrait être, aujourd'hui, jeune et
abstinence laïques, puisque c'est vigile du
14 juillet, la plus grande fôte de l'année.
1T)0 r.i! l'ILUUN DU l.'.MlSOI.r

l't. — Orage avorté, pluie médiocre aussitôt


suivie d'une ehaleur plus écrasante. Ni lettres,
ni journaux. Le 14 juillet on ne distribue rien.
Le dimanche de Pâques ou de Pentecôte, oui,
mais non pas le grand jour de la Fête Nationale.
15. — A M- de L... :

Vous avez voulu me faire le grand honneur et la


grande joie de m'éerire que vous n'avez jamais « rien
lu de plus beau » que ma Femme pauvre 11 est vrai
qu'o me l'a déjà dit, mais rarement d'une manière
qui m'ait été aussi agréable et dans un moment plus
opportun. Je vous remercie donc du fond du coeur
d'avoir fait cette charité à un vieil écrivain (pie les
hommes ont peu récompensé et qui n'espère d'eux
aucun salaire, ayant uniquement travaillé pour Dieu.
Vous l'avez compris sans doute.
Je YÛUS admire, .Madame, de n'avoir pas eu peur
de montrer un peu de votre Ame au monstre que je
parais être et que je suis en effet, puisque j'appar-
tiens à celte race perdue des êtres humains qui pen-
sent encore et qui osent dire leur pensée.

10. — Dimanche, messe paroissiale. Incom-


modés par d'ignobles jeunes filles d'un château
voisin qui ne cessent de rire et de grimacer,
ayant apporté un journal de caricatures qu'elles
M: II' il îiiN m-: I.'AHSOI.U 151

lisent pendant la messe. Qu'est-ce que ces pe-


tites salopes viennent faire à l'église ?
Le meunier, homme juste qui ne met que très
peu de plâtre dans sa farine, me parle des « pau-
vres gens » qui sont forcés, par crainte de la
pluie, de moissonner le dimanche, me donnant
à entendre que ces païens sont dignes de com-
passion, sinon d'éloges.
Feuilleton extraordinaire de la Gazelle de
France expliquant que le patron des aviateurs
est nécessairement le prophète Klie.. On avait
bien pensé à Ilénoeh, mais le char de feu a dé-
terminé la préférence. Ce qu'il faut admirer
ici, c'est qu'on ait pensé aux deux seuls hom-
mes qui ne soient pas morts, d'après la tradition,
pour patronner des gens qui se cassent invaria-
blement les reins.
17. — On me donne des nouvelles de l'abbé
Bethléem, l'auteur imbécile de Jlomans à lire
et romans à proscrire, dont j'ai parlé dans le
Vieux. Cet abbé me reproche surtout de pro-
pager les divagations de Mélanie, ses « visions
imaginées ». Il est de ces pretres-autcurs qui
renieraient cent fois Jésus-Christ pour se venger
d'un blAme. Bas-bleuisme ou putanat sacerdo-
tal. °
152 I.I: in.citiN i>i: J.'AIISOI.U

18.
— Il parait que l'évoque de Grenoble est
mort... « Voici un autre mort », m'écrit Horrel,
« et c'est peut-être la même chose dans l'ab-
solu ». (Coupure de journal) :

>
Ktats-l.'nis. iïnsevelt sousdes tues d'or. — Un acci-
dent peu banal vient d'arriver a San Francisco, a un
employé du Trésor. Conduisant un truck dans les
sous-sols de l'établissement,cet employé fut soudain
littéralement enseveli sous une masse de sacs d'or
qui glissèrent d'un caveau auprès duquel il passait.
Dégagé do suite par ses camarades, il fut relevé dans
un tel état qu'on a peu d'espoir de le sauver.
Fin de la lettre de Borrcl :

J'ai lu avec ravissement un canon du concile


d'Orléans, au vi° ou vu siècle, où les évoques sont
5 '
nommés les bûtes naturels des pauvres et des pèlerins,
et un autre concile de la même époque déclare que
ceux qui loucheront aux biens des hôpitaux seront
considérés comme meurtriers des pauvres. Le progrès
dû à Voltaire exige qu'aujourd'hui ce soit précisément
l'inverse.

La terrible chaleur semble augmenter chaque


jour.
20. — Notre curé dévore mes livres. Etant
un homme simple et de bonne volonté, il ac-
I.K l'î'.l.i'.lUN Dt I.'AIISULU 153

copte très bien qu'un laïque puisse avoir quel-


que chose à lui apprendre, ce qui est inouï de
la part d'un piètre habitué jusqu'à ce jour à se
désaltérer exclusivement à la source de pissat
d'Ane qu'on est convenu de nommer la Bonne
Presse. Je l'instruis, autant que je peux, du mou-
vement littéraire contemporain, en lui faisant
observer la paralysie générale de nos écrivains
catholiques. J'ai le bonheur d'être compris.
21. — Il y eut un temps où je ne faisais pas
de villégiature et où je nie croyais malheureux!
22. — Je commence à désespérer de mon as-
cendant sur Ampelosse et sur sa femme, plus
obstinée que lui, me semble-t-il. Nulle hostilité
visible, mais une si parfaite ignorance et un
désir si évident de continuer à croupir ! Quand
je parle religion, ce que je fais avec une pru-
dence extrême, il est clair qu'on aime mieux en-
tendre ça que d'être sourd.
24. — La chaleur devient telle qu'on se de-
mande si tout ne va pas périr.
25. — A Jean de L... :

Après votre lettre du 5, après les deux lettres un


peu enivrantes pour moi de MmC de L...,je mériterais
des châtiments si je ne vous écrivais pas. J'y suis for-
tement déterminé, d'ailleurs, par le sentiment d'un
9.
15 t LE PKL1-IUN DE L'ABSOLU

devoir qui paraît ôlre mien tout a fait. Sans parler


de la chaleur horrible qui m'écrase ici depuis vingt
jours ni des moustiques furieux qui me dévorent, com-
ment voulez-vous que je dorme en paix sachant qu'un
homme ai m 6 de moi semble installé dans cette affir-
mation déplorable qu'il « n'est pas parmi les fidèles
de l'Absolu »?
D'abord contradiction manifeste, puisque vous me
lisez au point de « vomir tout le reste », Puis con-
tradiction encore et beaucoup plus grave, puisque
vous êtes chrétien. Vous savez pourtant qu'il faudra,
de gré ou de force, y venir un jour, que Dieu est
l'Absolu dans tous les sens et que nous sommes à
Lui par Notre Seigneur Jésus-Christ in r/uo omnia
constant', en sorte que, par l'effet delà plus étonnante
inattention, vous dites, en réalité, que vous n'êtes
pas au nombre des fidèles de Jésus-Christ.
Je suis tellement dans celte pensée de l'Absolu que,
quand on lie me parle pas absolument, il me semble
qu'on nome dit rien du tout et alors—je ne comprends
pas. Mon inintelligence, toujours en raison directe
du Kelatif, réalise parfois ainsi comme un spectacle
monstrueux*. Quand on me dit, par exemple, en don-
nant un coup de pied à l'Evangile, qu'il est possible
d'ôtre le disciple de Jésus-Christ sans tout (fuitler,
je devions idiot instantanément. C'est môme un di-
vertissement à offrir.
Observation identique pour l'antisémitisme dont
I.E PÈLERIN DR 1,'AHSÛLU 155

j'ai l'ahurissement et la douleur d'apprendre que vous


n'êtes pas exempt. J'avais pourtant orné voire biblio-
thèque d'un bel exemplaire du Salul par les Juifs.
Qu'en avez-vous fait ? Il y a surtout, oli ! surtout le
chapitre XI île saint Paul aux Romains que vous ne
pouvez guère contester. C'est l'Ksprit-Saint qui parle.
11 y est dit que les dons et la vocation de Dieu sont

sans repentance : Sine pcenilenfia enim .sunl donn cl


vocalio Dei. Cela est dans l'Absolu et terriblement
formel. Donc les Juifs sont toujours le Peuple de Dieu
et tout leur est promis. Combien d'autres textes en-
core Que m'importe alors qu'il y ait des usuriers,
1

des spéculateurs infâmes, îles francs-maçons ? Dois-


jc prendre la résolution de ne plus manger de pain,
parce que la plupart des boulangers sont îles voleurs?
Imposture capitale, d'ailleurs, si on y insiste. Le
sophisme diabolique du juif Drumont a été de faire
croire que les Juifs sont dc^ protagonistes ou, si vous
voulez, des incitalcurs, alors qu'il ne peuvent jamais
être — par Décret divin — que des instruments plus
ou moins subtils aux mains de leur maîtres tempo-
raires— les chrétiens — qui ont crucifié par eux le
Rédempteur. Je vous prie de lire avec attention cha-
cun des mots de cet alinéa qui n'est pas un lieu com-
mun.
La Parole de Dieu me suffit. Quand même tm.'sloa
Juifs — o absurdité ! — seraient dm canailles, à
''exception d'unseul qui serait un juste, sous le cela-
150 l-B PÈLKIUN DB L'AnSOI.U

men, cet unique porterait sur lui la Promesse, la Pa-


role d'honneur de Dieu, dans sa plénitude et dans
sa force, et rien n'y serait changé.
Au surplus sachez que je niante, chaque matin, un
Juif qui se nomme Jésus-Christ, que je passe une
partie de ma vie aux pieds d'une Juive au Coeur
transpercé dont je me suis fait l'esclave, enfin que
j'ai donné ma confiance à un troupeau de Youpins —
comme vous les appelez — l'un présentant l'Agneau,
un autre portant l^s Clefs du ciel, un troisième
chargé d'instruire toutes les nations, etc., et je sais
qu'on ne peut être chrétien qu'avec de tels senti-
ments. Tout le reste est contingence banale et n'existe
absolument pas.

27. — Excursion dans une grande île de no-


tre rivière. Ainpclosse nous en avait parlé
comme d'une chose extraordinaire et n'avait
pas exagéré. Il me semble que je m'en souvien-
drai toujours, de même qu'on se souvient de
ces images puériles et merveilleuses qu'on ad-
mirait dans l'enfance et qui semblent \)lus réelles
que tout ce qui peut ôtre vu au cours de la vie.
Illusion d'une foret enchantée. Ombre et si-
lence sous deSichùnes druidiques dont quel-
ques-uns sont plusieurs fois centenaires. On
veut, parait-il, les abattre par spéculation igno-
i.v l'ia.ERiN m: L'ABSOLU 157

ble et c'est de quoi pleurer. Je souffre de ne


pouvoir sauver cette solitude sublime où pour-
raient être construits un ermitage et une cha-
pelle. Nous revenons avec celle pensée triste
et saturés d'admiration.
2S. — La canicule atroce continue. Telles
sont, par décret, mes villégiatures : l'horreur
durement sentie de n'ôtre pas dans l'Absolu
qui doit, être mon presbytère et dont je ne
peux sortir qu'en m'exposaut aux plus odieu-
ses contingences météoriques et humaines.
31. — Je suis trop fameux en Moravie. Mon
ami Joscf Floriau me fait connaître les sen-
timents plus que bizarres d'une religieuse de
son pays qui parait m'avoir lu. Cette soeur Vé-
ronique, Polonaise de l'Ordre de saint François,
l'a chargé de m'écrire que je dois prier pour le
Pape Léon XIII qui soutire dans c le feu de soif»
pour n'avoir pas été attentif à la voix de Léon
Bloy qui est, d'après elle, * le coq chantant ».
Elle insiste pour que soit secouru par moi ce
pape « qui ne voulut pas régner ».
A Josef Elorian :

Votre soeur Vérouique est dans l'illusion la plus


étrange. Elle dit que Léon XIII est puni de sac! êso-
158 IM l'ÈLKHIN DK 1,'AHSOLU

hcissance pour n'avoir pas élé altcnlif a ma voix I


Evidemment soeur Véronique imagine, me supposant
inspiré de Dieu, que je suis un homme fort célèbre
dont la voix retentit très loin et très fort. C'est le con-
traire qui est la vérité. Je suis inconnu à peu près
universellement, surtout à Home, et Léon XIII n'a
jamais du entendre prononcer mon nom. Sansdoule,
à la rigueur, il aurait pu le connaître, s'il avait dai-
gné faire un recensement exact de toutes les forces
intellectuelles de la France. Travail de recherche peu
compliqué qu'il aurait fallu confier à un homme d'un
discernement supérieur et animé de l'esprit de jus-
tice. Mais Léon XIII, hélas n'avait de zèle que pour
!

la politique, et quelle politique ! Ce malheureux


pape n'a donc pu être coupable, en ce qui nous oc-
cupe, (pie d'une prévarication très indirecte, très
aveugle, et non pas du tout comme l'entend votre
franciscaine.
Je ne sais pas, d'ailleurs, comment il se pourrait,
sauf miracle, même avec la meilleure volonté, que
ma voix arrivât au Chef de I'Lglise. Apôtre, si on
veut, du christianisme xbso!u, je suis et je dois être
un objet d'horreur ou tout au moins de défiance ex-
trême pour la plupart des membres du clergé mo-
derne, évoques ou simples prêtres, qui veulent, au
méprisdesaint Paul, que l'Evangile soit « conforme»
aux maximes du monde Si je devenais assez célè-
!

bre pour qu'il ne fût plus possible de m'cloulVer,


r.[•; i'î:f.i:niN DB I,'ABSOLU 159

mille voix ennemies s'élèveraient contre la mienne,


et la vérité, en ce qui me concerne, n'arriverait pas
jusqu'au seuil du Vatican. Vous l'avez éprouvé en
Moravie, à l'occasion de Celle t/ui pleure que vous
cherchiez à répandre et vous ne pouvez guère avoir
d'illusions.
J'ai l'ait cependant ce qui m'était demandé pour
l'Ame de Léon XIII, persuadé que ce Pape est loin
d'avoir accompli son devoir sur la terre et qu'il peut
avoir beaucoup à soulïrir. .Mais, je vous en prie, di-
tes à soeur Véronique (pie je ne veux pas qu'elle mo
prenne pour ce (pie je ne suis pas, c'est-à-dire pour
un prophète et que ce rôle ne me convient pas du
tout. Je suis feulement un pauvre homme essayant
de dire la vérité à ceux qui la veulent entendre et
c'est tout. Je ne lui demande que de me secourir de
ses prières, mon chemin étant très rude.

l'aris-Journal commence un roman de Paul


Bourget, La Grande Soeur. Occasion peut-être
de faire ce que je lis en Danemark pour Fécon-
dité de Zola, une série de notules au jour le
jour.
Je ne sais pas si je pourrai tirer grand'ebosc
de ce feuilleton. La médiocrité du début est
parfaite. Il s'agit d'abord d'un « manque d'a-
daptation entre la culture cérébrale et le milieu »,
100 LE PÈLBRIN DI- l/AUSOLU

c'est-à-dire d'un jeune homme pauvre qui donne


des leçons dans une maison riche el qui en est
ébloui jusqu'à < l'hypertrophie » Je crois voir
1

Paul à vingt ans.


II se donne, d'ailleurs, tout entier dans ces
trois lignes :
D'ordinaire l'existence [sic) humaine est d'autant
plus profonde qu'elle est plus étroite, pourvu toute-
fois que celte étroitesse n'aille pas jusqu'à l'indi-
gence.
11 veut dire probablement que la pauvreté en-
richit le coeur, mais que la misère le ruine. Telle
est sa traduction d'un axiome rudimentaire. Un
peu plu9 loin :
Cet organisme trop vibrant était touché de névro-
pathie, mais, on ne l'a pas remarqué assez (avant
Hourget), le déséquilibre peut déplacer notre axe in-
térieur d'un côté ou d'un autre, vers le haut ou vers
le bas (!). Le fils du petit libraire s'était, lui, désé-
quilibré par en haut.

Le fils du petit professeur, Paul Bourget, n'a


pas eu cette aventure. Il a dû se déséquilibrer
par les deux bouts, et c'est ainsi qu'il est devenu
académicien.
LE l'Èl.KiUN DK I/A!1SÛI.U 161

Ce pauvre Bourget est si étroitement dénué


de personnalité qu'il lui est impossible d'écrire
sans emprunter des formes de Balzac ou de
Stendhal et cela de plus en plus, me semble-t-il.
D'autres que moi, sans doute, le remarqueront.

Août

1er.
— Suite du feuilleton :

Quel physiologiste (11 paraît que Paul commence


a sentir le ridicule d'être pst/choloyue à perpétuité)
expliquera la permanence, clans les profondeurs in-
conscientes d'un organisme de femme, d'un instinct
avertisseur qui la met en communication avec ren-
iant sorti de sa chair et les dangers qu'il peut cou-
rir ?

Le plus vigoureux de nos stylistes, Cam-


bronne, aurait su répondre à cette question.
Il possédait cette faculté redoutable et si peu dé-
linio (Déiinis-la donc, imbécile 1) qui est l'imagina-
tion du sentiment.

Si on se rappelle que c'est Bourget qui parle


en se regardant lui-même, on comprendra le
102 LI; l'ÈLiiniN DU L'ABSOLU

mot redoutable. Fort contre l'ennui, comme Ja-


cob contre l'Ange, cette lecture me promet tout
de même un peu d'agrément.
J'apprends que les leçons du jeune homme
pauvre lui rapportent cinq cents francs par
mois, chose tout à fait vraisemblable. Il s'agit,
n'est-ce pas ? de ne pas déconsidérer l'adoles-
cence de Paul qui donna des leçons avant de
devenirimmortel. Lapauvretéd'un jeune homme
intellectuel consiste à être privé de châteaux
et de dames aux ongles « brillants comme les
pierres de leurs bagues », et l'indigence du
môme jeune homme, c'est de n'avoir que six
cent francs de loyer et de se bourrer unique-
ment de pommes de terre.
2. — Borrel ne se lasse pas de me faire part
de ses trouvailles :

Sur le caveau provisoire d'un entrepreneur


...
juif de sépultures, à Montparnasse, on lit ce mot stu-
péfiant : Ascenseur. Kli oui, les maccihès, tout
!

comme vous el moi, prennent maintenant l'ascen-


seur pour venir respirer l'air frais. Uenscigncmcntu
pris, il est vrai qu'un ascenseur dessert les caveaux
Provisoires. Mais faire de la réclame avec ça!
La République met au concours 100.000 fraucs
LE l'îaiîRIN DK I-'AIJSOLU 103

(Tombez à plal ventre) pour rémunérer un artiste (W


(jui se sentira le coeur assez à l'abri du mal de mer
pour portraiturer les gueules putrides de MmC' liouci-
eautet de M 1" 9 de Rothschild !!! Je ne me rappelle
pas si le monument doit être on bronze ou en mar-
bre, ou en une autre matière. Voyez-vous ce sujet
proposé à Michel-Ange Ceci est affiché et placardé
1

en blanc, couleur officielle de l'Etat, dans tout Paris.

Suite du feuilleton :

Les situations valent ce que valent les sensibilités.


Sous des dehors gauches et maladroits, celle d'Kugène
Montrieux était exquise.

Maigre récolte. Je savais déjà, depuis environ


trente-cinq ans, que la sensibilité de liourget
est parfaitement exquise et que, par conséquent,
sa situation,en tout temps et en tout lieu, par-
ticulièrement à l'Académie, n'a pu manquer
d'être exquise. Style ;

Il se sentait heureux, gai, léger, à respirer l'air


de la jolie et clairo matinée de mai. Il regardait le
ciel d'un azur tendre, lin et vaporeux, la caresse du
soleil sur les maigres arbres du boulevard parés de
leur verdure nouvelle...
164 LE I'III.KRIN DR L'ABSOLU

3. — Premières communions. Trois enfants


seulement. Je me sens très ému en priant pour
ces pauvres pelits à qui sera refusée, sauf mi-
racle, toute vie surnaturelle consécutive à ce
sacrement, dans leur milieu bestial de paysans
païens et hypocrites.
Malgré la chaleur, la belle amitié des Ampe-
losse a l'air de moisir. Déjà l'enthousiasme des
premiers jours semble presque éteint. Nous ne
savons pourquoi. Il est vrai que de nouveaux
hôtes, un inconnu et sa femme, sont à Piélevé.
Il ont sur nous cet avantage d'être quelconques
et surtout d'ignorer Dieu, ce qui nous enfonce.
On est toujours poli, attentif même à ne pas
nous déplaire, mais nous devenons peu à peu
inexistants et, dans le pays, on commence avoir
en nous des amis pauvres hébergés. Situation
nouvelle. Naguère, à Paris, on ne savait pas se
passer de nous et la table était toujours mise.
Quand nous arrivions, une ou deux fois par
quinzaine, des cris de joie nous accueillaient.
Tout ça est changé. Depuis plus de quatre semai-
nes, pas une seule fois nous n'avons été invités
à partager un repas. Nous pourrions mourir de
faim à la distance d'un jet de pierre. C'est inouï
en Périgord où il y a encore des traditions
LB I'KLERIN DE L'AHSOLU 105

d'hospitalité. Je n'y comprends rien. Quant aux


espérances que nous avions pu concevoir pour
les âmes de ces pauvres gens, il faut décidé-
ment y renoncer. Mais alors, que sommes-nous
venus faire ici?
4. — Suite du feuilleton :

On ne choisit pas son destin, puisqu'on ne choisit


pas son amour. Il (le héros, c'cst-à-clirc Iîourget)
appartenait au groupe de ces jeunes plébéiens de
forte culture qui reviennent, a travers Taiue et ses
élèves, aux antiques vérités sociales... Le malheur
veut que chez la plupart de ces jeunes gens il y ait
désaccord entre la raison et la sensibilité. Ils pen-
sent traditionnellement et sentent romanliquement.

Notre Paul, heureusement équilibriste, a pu


échapper à ce malheur. Si quelque chose est
remarquable en lui, c'est le niveau identique
de sa raison et de sa sensibilité et leur égal
degré de température. Au surplus, il se recon-
naît « beaucoup d'imagination », « ayant com-
posé, entre sa quinzième et vingt-cinquième an-
née, un millier de vers ».

11traversait cette crise do la quatrièmo génération


qui est l'épreuve de toutes les aristocraties, les in-
166 LU l'KLEiti.N ni: I/AIISOI.U

duslrielles el les financières comme les autres. On


tlirait (jiie la nature sociale désireuse de retremper
sans cesse les familles dans le creuset commun, ré-
pugne à la fixation des supériorités dans une môme
lignée. Elle procède tantôt par l'épuisement du type
el la dégénérescence, tantôt, etc.

Bourget, qui est au moins un duc dans l'aris-


tocratie du roman-feuilleton, est heureusement
privé de lignée et par conséquent n'a pas à crain-
dre l'épuisement de son type. 11 nous l'ait en-
trevoir d'ailleurs, un peu plus loin, que « les
réalités de la vie sexuelle » ont dû être, « pour
son adolescence chaste, une épreuve extrême-
ment douloureuse ».
(i. — Suite du feuilleton. — lia main d'un
industriel, très riche, naturellement :

Kilo était bien remarquable celte main, si intellec-


tuelle dans sa vigueur, avec ses doigts longs et dé-
liés.
Paroles de l'industriel :

On ne dit pas: ma fortune, mon établissement,on


dit : la fortune que je laisserai à mon fils, etc. On
dit : mon héritage. Pour un père, c'est le plus beau
mot de la langue.
i.i- i'ïaEMN m: L'ABSOLU 1G7

Mais alors, quand on n'est pas père ou qu'on


ne peut pas l'être, quel est donc le plus beau
mot ?
Le besoin de se survivre dans ses oeuvres par
quelqu'un de son sang est une des plus belles choses
humaines.

Idée peu géniale empruntée par Paul a son


ami Frédéric Masson, dans l'Introduction ri-
dicule de celui-ci à son assommante histoire du
lloi de Home.
Tout de même, survivre à Bourget dans les
(«livres de Paul Bourget !!! entendez-vous
cela, o chastes étoiles ?
7. — llieii à glaner dans le feuilleton. Il y a
un jeune homme, riche bien entendu, qui san-
glote et pousse des cris d'horreur, parce que sa
maman fait la noce, ce qui est, on en convien-
dra, aussi neuf cpie vraisemblable, d'autant plus
vraisemblable (pie cet adolescent parait ignorer
l'existence de Dieu. Son précepteur Paul Bour-
get, colonne del'IOglise, a oublié de l'en infor-
mer.
Notre curé continue à dévorer mes livres
avec le plus joyeux appétit. C'est si nouveau
pour lui lleniarqueétrange. Il ignore les Mar-
1
I6S LE PELERIN DE L'ADSOLU

tyrs Auxilialeurs dits Apotropéens qui furent


les grands Invoqués du Moyen Age, bien que
sa pauvre vieille église soit dédiée à l'un d'eux.
« On ne nous en a jamais parlé au séminaire »,
m'explique-t-il. Quel enseignement leur dônne-
t-on à ces pauvres séminaristes ? Rupture la-
mentable des Traditions anciennes. Interruption
de la vie sublime dès le xvi' siècle.
Entrepris ma très difficile Introduction à la
Vie de Mélanie.
8. — La chaleur augmente encore. Un ther-
momètre exposé au soleil, quelques minutes,
éclate à 0^J. On succombe dans cette four-
naise.
U. — Suite du feuilleton :

C'est uue vérité banale qu'à souffrir à deux on


souffre moins.

C'est peut-être l'unique explication du ma-


riage de Paul. Mais je renvoie cela à l'auteur
de VKxégèse des Lieux communs qui nous dira
peut-être ce qui se passe quand on est trois ou
quatre ou môme cinquante. Style :

Eugène n'aurait-il pas tenté de secouer la pointe


enfoncée dans son coeur en se révoltant là contre ?
LE l'ÈLKRIN DB L'.UÎSOI.U 161)

Le délicat et timide Eugène (lise/ Paul) n'avait ja-


mais pu lire sans s'y reconnaître, comme jadis Mau-
rice de Guérin, le vers fameux (cheville, pourquoi
fameux ?) de La Fontaine : « Il était douteux, in-
quiet ».

Ceci pourrait bien venir do moi. Barbey


d'Aurevilly m'a raconté plus d'une fois, et j'ai
dû le dire à Paul, qu'une de ses grandes im-
pressions de jeune homme avait été le début de
cette fable Le lièvre et les grenouilles récité par
son camarade à Stanislas, Maurice de (iiiérin.
« Il y faisait tenir », me disait Barbey, « toute
l'élégie de l'inquiétude ».
Ah ! si Bourgct pouvait savoir que je lis avec
un tel soin sa Grande Soeur ! Arrive une his-
toire de montre absolument imprévue,hors-d'oeu-
vre inexplicable qui se présente comme des che-
veux de cuisinière sur la confiture. C'est tout
simplement la montre de Paul, un « miracle de
bijouterie » qu'il fallait bien placer quelque part
et qu'il fait sonner « avec un joli iimbre argentin
et clair ». Mais il refuse de dire le prix qu'elle
lui a coûté, craignant de passer pour un « pro-
digue », et il continue sa petite couillonnade
dramatique.
Article de l'abbé Moreux, Les Bizarreries do
10
170 M; I'KLEIUN ni- L'ABSOLU

la foudre,oh sont racontés,en assez grand nom-


bre, des faits réellement bizarres où il semble
que la foudre se soit complue aux plus étran-
ges mystifications: gens mis plus ou moins com-
plètement à nu par le tonnerre ; objets trans-
portés à distance,avec détails comiques,etc.,etc.

Partout c'est la fantaisie, le caprice à Vétal de règle,


souvent la facétie macabre, et tout cela nous appa-
raît tel parce (/ne nous sommes dans l'ignorance la
plus profonde des lois qui régissent l'électricité.

Celui qui parle ainsi est un prêtre! Cet ecclé-


siastique ignorant saint Paul n'est pas même
averti par ce fait qu'il raconte comme une sin-
gularité : « La foudre tombe sur un buveur dé-
gustant du vin dans un gobelet d'argent ; elle
lui arrache la coupe des mains et la transporte
au milieu d'une cour, sans renverser une goutte
de liquide. » Spiritualia nequilioe in coeleslibus.
llecu Le Ohrist et la Patrie par (irillot de
Civry..lc lis par curiosité cette étude antimilita-
riste. Lieux communs déclamatoires pour dissi-
muler une frousse sentimentale. Confusion sys-
tématique, obstinée, de l'internationalisme avec
le catholicisme. « 11 n'y a pas de race élue »,
M: PKLKHIN OK L'AUSOLU 171

ose-t-il dire, et cela pour les Hébreux aussi bier.


que pour les Français. Il insiste avec une véhé-
mence fort ennuyeuse sur cette rengaine : « Le
meurtre isolé fait horreur, le meurtre en grand
nombre est glorieux. » Tel est le niveau intel-
lectuel de cet occultiste.
10. — Je croyais que l'excessive chaleur était
le pire mal. Il y a les mouches en nombre in-
fini qui me tourmentent sans relftchc, me don-
nent la lièvre, me désespèrent et cela quand j'ai
le plus besoin de toute ma force. Je suis à l'en-
droit le plus difficile de mon Introduction.
11. — A André Dupont:

Je reçois votre petite lettre qui ne dit nas un mot


du fâcheux accident dont vous avez été victime. Lé-
gèreté ou distraction inconcevable. Il a fallu une
feuille lue, hier malin, pour me l'apprendre. Ainsi
donc vous étiez, officier de cavalerie à mon insu,
et vous avez clé lue avant-hier par une auto, ayant
lait auparavant une- copieuse noce. C'est du propre.
Vous comprenez avec quel saisissement j'ai pu lire ça.
N'y pensons plus. J'ai reçu votre article du (Jalho-
lir/uv et j'en suis très content, mon cher défunt. Je
regrette seulement que vous n'ayez pas un cimetière
plus agréable (pie cette revue bol^'C Joui de môme
vos (piaire pages m'ont un peu réconforté.
172 I.K PÈLERIN DE L'ABSOLU

12. — Lettre de Florian, suite de l'histoire


de soeur Véronique, peu compréhensible pour
moi. Cette soeur veut que Léon XIII ait été par-
faitement informé de moi et de mes écrits < par
l'intermédiaire de mon ange gardien et de l'ange
gardien de ce pape » ! Elle dit savoir, par révé-
lation, que Louis XVI, loin d'être saint et mar-
tyr, « est un maudit en enfer pour des péchés
cachés contre le VI' commandement », ce qui
est curieux. Mais elle affirme aussi qu'un roi de
France doit sortir de la « semence » de Naun-
dorlf. Puis, quelque chose d'inouï concernant
Boniface VIII, Basile II et Napoléon considérés
comme de très grands saints ! C'est tout à fait
fantastique.
Je voudrais que cette personne parlât ainsi
de certains grands acteurs historiques dont je
n'aurais pas dit un mot dans mes livres qu'elle
me semble avoir lus à travers la traduction de
Florian, sans les comprendre, et dont elle me
paraît hypnotisée. Le Bulgaroctone, par exem-
ple, en service près de « la Sainte Vierge » et
« tout proche de saint Michel » Voilà ce qui
1

me dépasse complètement.
« Je la croyais seulement pieuse », me dit
Florian. « Maintenant je vois que ces choses
LE PÈLERIN DK L-'.\HSOLU 173

lui viennent de quelque compréhension surna-


turelle de votre oeuvre. II est certain qu'elle a
le don de discernement des esprits. >
Je pense, moi, qu'il faudrait mettre à l'épreuve
son humilité. Ce serait décisif.
14. — Appel aux petites âmes! Titre d'une
brochure pieuse découverte par un de mes amis.
18. — Dédicace du Salut par les Juifs à une
jeune fille :
Voici celui de mes livres que je préfère et qui m'a
le plus coûté. Il n'a que H>0 pages, mais dites-vous
«pic chacune d'elles est pcut-ôlre une goutte du Sang
de Jésus au Jardin de son Agonie, et priez «pielque-
l'ois pour le pauvre homme qui les a recueillies à ge-
noux et en pleurant.
Nous remarquons, une fois de plus, comme
une chose bizarre «pie, depuis notre installation
ici, nos hôtes ne nous ont pas une seule fois
prié de manger chez eux, omission dont nous
n'aurions jamais pu être capables. Nous ne sa-
vons «pie penser.
20. — Orage raté, comme plusieurs autres
déjà. Tonnerre et pluie, tout juste pour exaspé-
rer le soleil et les insectes. .
Bourget cesse d'être notable, mais l'Angle-
10.
171 LE PÈLEHIN DE L'AUSOLU

terre est en feu et on s'y massacre. C'est une


consolation.
21.— Mon filleul Jacques Maritain m'écrit
qu'il a eu l'occasion d'assister à un congrès
cantonal sous la présidence de Mgr Gibier.
Cet excellent évèque de Versailles est persuadé
que le salut de la France est dans la gymnas-
tique et ses malheureux curés, eussent-ils des
âmes contemplatives, sont forcés de s'en occu-
per. Le pontife confond évidemment les deux
vocables : Régénéra lion et rétablissement.
Exploit, qu'on me certifie authentique, d'un
curé de Paris s'adressant aux enfants qu'il pré"
pare à la première communion. « Eh bien, mes
!

enfants », leur dit-il, « qui est-ce qui veut com-


munier l'année prochaine avec brassartou cette
année sans brassait ? Que ceux qui sont pour
le brassarl lèvent la main ».
Tous, naturellement, ont levé la main. Et
voilà comment le pape est obéi.
22. — Achevé l'Introduction à la 17e de Mê-
lante. Je ne sais ce que vaut ce travail qui m'a
coiïté les plus pénibles efforts.
Parcouru un opuscule d'Ernest d'Hcllo reçu
ce matin, série; de prières médiocres, raclure de
vieux tiroir, llello était un hôte bienveillant et
u: I>Î;LI-:IMN DI; L'\nsoi-u 175

ambitieux, toujours disposé à l'hospitalité la


plus somptueuse ; mais il vit venir chez lui
trop d'idées pauvres qu'il croyait opulentes,
qu'il traitait en conséquence et qui le ruinèrent.
Fin inattendue, tout à fait soudaine, de la
Grande Soeur de Bourgel. J'avais renoncé à mes
notes, mais j'espérais au moins ['explication du
titre. Il faut renoncer même à cela et se dire
que ce roman-feuilleton inerme et châtré res-
semble à ces cartes énigmatiques qui curent du
succès, il y a vingt ans : « Où est le concierge ?
Où est le garde champêtre? etc. » Kn attendant
la solution, l'impuissance de cet académicien
parait avoir quelque chose d'oriental.
2.').
— Lettre délicieuse de mon cher tilleul
Pierre-Matthias van der Meer annonçant sa 1res
prochaine visite, accompagné de sa femme
Christine et de leur aimable enfant.
2(>. — Depuis deux jours les feuilles sont
remplies de la disparition de la Joconde inex-
plicablement volée au Louvre. Que signifie
cette rage contre les oeuvres d'art qu'on fait
disparaître quand on ne s'efforce pas de les dé-
truire ? Je ne regrette pas beaucoup le sourire
mystérieux, n'ayant pas la fine sensibilité de
Paul, ami de ce lieu commun. Il serait curieux
176 LE PKI.ERIN DK L'ABSOLU

d'entendre là-dessus l'auteur de la mystérieuse


Grande Soeur.
29. — Idée flottante. Si, pour mon livre sur
Napoléon, je relevais dans le Missel romain ce
que disait la Liturgie,chacun des jours les plus
importants de la vie de cet homme extraordi-
naire Gela me donnerait peut-être l'ossature
!

surnaturelle de sa destinée.
ÎH. —Visite à Ampelosseque je trouve morne
et accablé. Impossible de secourir ce malheu-
reux qui se refuse à toute consolation religieuse
et qui n'a près de lui que des inférieurs préfé-
rés à nous. J'ai pensé souvent que la neuras-
thénie qu'on rencontre partout maintenant et
qui a tellement le caractère d'une illusion dia-
bolique, devrait être traitée par l'exorcisme.
Abolition de la volonté, impulsion fréquente
vers le suicide, comment ne pas reconnaître
l'Knnemi à de tels signes et aussi comment ne
pas voir que ce mal, si parfaitement inconnu
avant lSG'i, s'est propagé surtout depuis l'insti-
tution démoniaque du divorce ?
Tout cela est horriblement triste et il est
temps que viennent à notre secours nos tilleuls
bion-aimés.
LE PÈLEIU.S DK L'AUSOLU 177

Septembre

U.

Ils sont venus hiersoir, nos cher filleuls,
les van der Meer. Je suis prié de lire mon In-
troduction à la Me de Afélanie et je n'aurai ja-
mais un succès plus enivrant. Une chère âme
pleurait dans la lumière... Je commence à voir
l'importance de ce travail accompli avec tant
de peine et l'extraordinaire secours que j'ai
reçu.
4. —Visite à Ampelosse de Pierre et de moi.
Aveux lamentables de cet obsédé qui se croit
inguérissable et qui parle en désespéré. Vaine-
ment je lui conseille d'aller trouver Pie X qui
le guérirait peut-être. Il objecte absurdement
l'impossibilité du voyage. Sa femme pourrait
l"y décider et c'est assurément ce qu'elle ne
fera pas. Amariorem morte mulierem, a dit Sa-
lomon.
(5.
— On tâche de vivre dans la fournaise.
Parlé avec notre curé de l'airreuse misère d'âme
d'un grand nombre démembres du clergé. Ainsi
passent les heures brûlantes.
8. — Messe de la Nativité de Marie. Pierre à
178 LE PÈLERIN I>B L'AH::OLU

l'harmonium accompagne le violon de noire


Madeleine et mon délice est inexprimable. En
dehors de nous, une seule assistante chenue et
désertique dont le pauvre curé eût été forcé de
se contenter si nous n'existions pas.
9. — Il est parlé du manque de foi de beau-
coup de prêtres. Thème trop connu. Universel
soupir de toutes les âmes simples et droites en
présence de cette horreur.
Messe du pelit Pierre-Léon. Ce cher enfant
prédestiné et ne respirant que pour Dieu a re-
tenu à peu près exactement tous les gestes du
prêtre à l'autel. Il s'ellorce de les reproduire
devant un petit tabernacle fabriqué par lui,
s'étant accoutré de je ne sais quels simulacres
d'ornements. Du fond de son éternité, avant
même qu'il créât le visible et l'invisible, Dieu
se complaisait en cette Ame délicieuse qu'il tire
à lui de si bonne heure, avec tant de force.
10. — Appris la mort de Joseph Menard. Il
était devenu député et pouvait se croire promis
à toutes les cimes. Fin d'une vie laide et mé*
diocre.
Donné quelques-uns de mes livres au curé.
Dédicaces:
LE PÈLBRIN DU L'AHSOLU 179

Le Fils de Louis XVI. Lisez attentivement l'épigra-


phe et dites-vous que je n'ai pas écrit la dixième par-
tie des horreurs que suppose un tel sujet historique.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marr.e. Si
ce livre vous donne autant de joie qu'il représente
de douleur, vous mourrez de plaisir avant d'en voir
la fin.
À,7/imu/«i/>/e.«Inaclietable» serait peut-être mieux
dit. Songez qu'on ne pourrait pas nourrir un honnête
choval avec ce que me rapporte ma littérature.
lïxêgcse des Lieux communs. L'Oraison dominicale
et la Salutation angélique sont aussi des lieux com-
muns — éternels. Mais le Rourgeois les ignore.
Payes choisies. Plut à Dieu qu'un ange eut été
chargé de ce choix ! Des 100 pages de ce pauvre
bouquin, ([lie resterait-il ?

V.\.— Destruction d'une avenue d'arbres ma-


gnifiques dont la vue nous enchantait. Nous
les voyons couchés sur le s;d. abattus par la vo-
lonté d'un ignoble propriétaire. Il est au pou-
voir d'un goujat de détruire les plus belles
couvres de Dieu.
M. — Je ne vois presque plus Ampelosse.
Mon ennui est extrême de trouver toujours près
de lui cet homme de néant, son hôte et son
ombre, dont la compagnie parait lui sultire et
180 LB PÈLERIN DE L'ADSOI.U

je suis consterné, effrayé, en songeant que mon


voisinage, pendant trois mois, lui aura été si
parfaitement inutile.
17. — Le curé devait diner chez nous. Ne le
voyant pas venir, nous décidons de le relancer.
Pierre, plus agile que moi, court au presbytère
et le trouve encombré d'un curé du voisinage,
un ecclésiastique bellâtre et sot qui nous a déjà
dégoûtés deux ou trois fois, mais dont il ne sait
pas se débarrasser. Ce confrère, ministre sans
aucun zèle et probable espion, lui fait peur.
« Nous, les prêtres, d'abord, les laïques après. »
Ainsi a parlé l'intrus pour s'imposer à sa table
et l'empêcher de venir à la nôtre. C'est un pas-
teur gyrovague et pique-assiette, fort empressé
de plaire aux dames des chefs-lieux de cantons
circonvoisins. J'ai su qu'on peut le rencontrer
partout excepté au milieu de son troupeau qui,
d'ailleurs, ne souffre pas de son absence,n'ayant
aucun besoin de son ministère. Combien sont-
ils, dans le ci-devant royaume très chrétien,
ces épouvantables prêtres ?
20. — Déjeuner avec Pierre chez le curé.
Tout allait bien lorsque arrive la soutane men-
tionnée le 17. Alors je ne sens plus que de la
crispation de coeur et un extrême besoin de
LI: I'KLICIUN m-: LAIIMJM; 181

« dissiper ce superbe ». Je parle naturellement


île mon horreur pour les piètres mondains qui
ne désirent certes pas le martyre, de ceux qui
expédient leur messe en un quart d'heure, ce
qui est le cas de celui-ci. Je parle surtout de
mes notes journalières sur les hommes et les
choses d'ici et, en particulier, sur les ecclésiasti-
ques, ce qui semble faire impression. Remarqué,
entre autres vilenies, une assez forte nuance de
mépris pour saint Benoit Labre, sentiment de
séminaire que je combats aussitôt en plaçant
cet admirable guenilleux auprès de saint Fran-
çois de Sales toujours exalté par les élégants
du sacerdoce, comme un géant auprès d'un
pygmée.
22. — Jeanne Termier m'écrit avoir entendu
ceci au réfectoire de ta Saletle : «. La Salette n'a
pas encore eu son Lasserre » On a l'ait ce qu'on
1

a pu pour l'avilir, mais cet opprobre lui a man-


qué jusqu'à ce jour, c'est bien vrai.
1\. — Madeleine l'ail irruption avec fracas,
toute ruisselante. VAX jouant avec le bateau du
meunier, elle est tombée dans l'eau, heureuse-
ment peu profonde en cet endroit, et a pu se
.précipiter immédiatement à la maison où sa
mère l'aide à changer de vêlements. Mais cela
11
IN- 11: rî.i.uti.N nr I.'AKSOI.U

pouvait être grave et nous en avons été un peu


bouleversés. Occasion de sentir combien je suis,
aujourd'hui, peu armé contre les terreurs, les
chagrins ou les catastrophes qui ont rempli ma
vie douloureuse.
m. — A Alfred Pouthicr :
l.e terrible soleil s'éteint, mais moi, je ne m'allume
guère. J'ai ru tout juste assez «le. l'oives pour écrire
les (piaraule pages de mou Introduction à la Vie tic
Mcl;tni\ dur pensum «piie.-t. m'a>sure-t-on, un chef-
d'oeuvre. J'y consens très volontiers, mais il ne me
reste plus un globule «le génie. J'avais cependant
promis et même rêvé de vous conditionner une let-
tre sublime,aussitôt après ma libération. 11 faut donc
enlin que je m'exécute, que je marche sans appareil
de locomotion, c'est rude.
Vos Soliloques me plaisent. Je le dis très haut.
Certaines pièces m'ont vivement impressionné, je le
déclare. Vous avez eu les honneurs du Silence el
c'était justice. Vous êtes chevalier «le cet Ordre in-
signe dont je suis le Grand Maître. Il convient alors
«pic vous grimpiez à moi comme le lierre grimpe à
un vieux ehône insulté par les ouragans. Tout cela
est dans la nature.
Malheureusement je n'entends rien à la poésie. Je
suis le bourgeois du Surnaturel, le philistin du Mira-
cle, el je comprends rarement ce qui m'est dit ondes
i.i-: rîir.uiiN ri: I.'AI;M>M 1S:{

lignes d'inégale longueur par dos personnes chevelues


qui entreprennent de nu; révolutionner. Lorsqu'il
m'est arrivé d'écrire Mir Baudelaire, Verlaine ou
JeanneTermier, vous avez dû adii.iivrla virtuosité peu
oi'diuaire de nies réticences et combien i'e\'oelle a ne
rien exprimer du tout. C'est bien simple. Je ne suis
pas.
(hiand on me présente un poème, mon premier
mouvement est île fuir dans la direction de mes
puits, les puits de mon âme, si vuis voulez. Il y a
celui de la Douleur qui est sans margelle et dans le-
quel sont tombés deux de mes entants. Il y a celui
«le l'Inquiétude, que je rencontre infailliblement aus-
sitôt que j'ai réussi à esquiver le premier. Il y a ce-
lui de l'Kspérance, insondable, goulïre très fermé
(pie je n'ai jamais pu explorer de l\eil qu'à travers
les très vieilles planches de l'Arche du Déluge qui
eu interdisent l'accès — en pleurant et frémissant de
ne pouvoir y abreuver tous mes chameaux. 11 y en
a d'autres encore que je n'ose dire... Je me réfugie
là en homme pratique, assuré que les poêles ne m'y
suivront pas.
Pourtant \ous avez eu celle audace. Alors je vous dis
qu'il m'e>l tout à fait égal que vous ayez suivi Bau-
delaire, avant de me suivre, (le pauvre grand rêveur
louiTii-'iK sait, depuis longtemps, ce que vous avez
paru en' 'u.-iir deux ou trois fois, c'esl-à-dire que
nous sommes tous, môme les crapules, môme les im-
ISi i.i: l'iiiiiiN i>i: i.'.uisoi.r

héciles, infininiont plus près de >it*n que ilrs créa-


1

tures et (jii'U est notre unique Fin.


Toujours on homme pratique et i|ui ne s'en fait
pa> accroire, je nie mel< moi-même nu déii d'avoir
uno antre pensée ot vous qui nie laites riionneur de
me suivre après avoir tant suivi l^audelaire, «on mar-
chant au milieu <le chiens mélancoliques»,vous êtes
hien forcé do sentir «pie nous \o\nnsolair, lui du fond
de sa tombe, moi du haut de ma montagne.

'app;<reillc souvent pour le ciel, très souvent.


.1

lu homme, quel qu'il soit, m'inHi^e des supplices.


La vie est une cité inerte.
...
Avec une câlin au seuil de chaque porte.

Eh ! oui, c'est là votre vision personnelle, plus pré-


cise et plus aiguë, me somhle-t-il, (pie la vision de
lîaudelaire dont vous avez cru être l'enfant...

20. — Les journaux annoncent la morl d'Henry


Houssayc, le dernier homme de lalenl qu'il y
eul à l'Académie. Ce Corps illustre appartient
désormais aux llanotaux de la politique et aux
Donnay ou aux Rostand de la chienlit nationale.
Immense catastrophe à Toulon. Le cuirassé
la Liberté détruit par une explosion et détrui-
sant autour de lui les vaisseaux voisins. On avoue
400 morts, sans compter les blessés.Cela immé-
I.I: rî:i.nii\ m. I.'AKMU.I; |S">

(Maternent après les fanfares de triomphe pro-


clamant « la renaissance de notre marine •>.
'27. —Mot de Déliassé ministre de celle ma-
rine renaissante : « ('/est un injush désastre '.'
1
>

Dieu seul est coupable.


2S. — Le célèbre Edison, si absurdenient ad-
miré par Villiers de l'Isle-Adam, a l'ait celte ré-
ponse à un interviewer berlinois qui lui deman-
dait ses impressions sur l'Allemagne qu'il vient
de parcourir :
— Il y a entre votre pays et la France une
différence qui m'a frappé. En France, j'ai vu
partout des cathédrales ; chez vous, partout des
cheminées... (le sont les cheminées que je pré-
fère !
A rapprocher de cette appréciation célèbre
d'un autre Américain : — A Paris vous ave/, la
Vénus de; Milo, mais à Chicago nous tuons cent
mille cochons par jour I

Octobre

2. — Pignoufs-sur-1'Isle.Etrange petite ville


balzacienne où des vestiges d'un passé lointain
sont rencontrés par nous à chaque pas. On s'y
18(1 r.i: pî:i.rnix ni: r.'.wssou-

est beaucoup massacré à l'époque des hugue-


nots. La très vieille église, fort curieuse, fui un
lieu de pèlerinage, un centre de piété dans des
temps anciens. Nous visitons la crypte où des ca-
davres très nombreux turent préuipiléset qui de-
vint ainsi un ossuaire découvert seulement deux
cents ans plus tard. L'industrie principale de ce
chef-lieu de canton parait cire l'exportation des
imbéciles.
(). — Ampelosse nous a proposé une excursion
dans les bois situés au-dessus de Sainl-Expédil.
A cette hauteur une sorte d'étang ou de mare
aux fées croupit sous de magnifiques ombrages.
Le pauvre docteur tenait à nous montrer cette
mélancolique image de lui-même.
En descendant un peu, nous voici sur un pla-
teau sauvage où ne poussent que des genévriers
et d'où l'on voit l'admirable vallée de l'Isle, ri-
vière autrefois chrétienne qui se déroule main-
tenant, comme un scolopendre venimeux, dans
cette campagne de Jésus-Christ que le blasphème
et l'avarice ont empoisonnée.
Nous allons partir dans quelques jours. Dieu
merci ! nous n'entendrons plus parler de cet
affreux curé de L... parasite et cauchemar du
nôtre. Gela devient une obsession d'épouser le
M: ii'i.iiiiN m: I.'AI'.SUI.U 1S7

souci constant de ce pauvre piètre à l'égard de


son indigne confrère dont il nous raconte les
turpitudes : mépris de ses devoirs, vagabondage
continuel, cupidité, duplicité, curiosité tournée
vers les femmes, les Wiilnthêes, comme on dit
au séminaire, peut-être pis encore. N'ayant pas
assez de caractère pour s'en débarrasser, il s'en
plaint sans cesse. La nuit dernière, il avait été
forcé de l'héberger et,ce matin, l'indigne prêtre,
inquiet de ma présence à l'église, avait attendu
mon départ pour bâcler odieusement sa messe,
selon sa coutume. Celte histoire nous exaspère.
[Aujourd'hui, 11 juillet 10lit, vingt-deux mois
s'étant écoulés, on nous apprend la mort pres-
que subite de notre malheureux ami, le curé de
Saint-Kxpédit. La personne du pays qui nous
en informe raconte (pie le jour même, dimanche
dernier, il avait dû remplacer au loin le confrère
absent, probablement allairé parmi les jupes, et
revenir en toute hâte pour officier de nouveau
dans sa propre église, après quoi il s'est couché
pour mourir. Il y a lieu de supposer (pic cet ex-
cès de fatigue intligé à un homme déjà malade
a été la cause déterminante de sa mort. Parasite
même du cercueil, le frétillant curé de L. sera
consolé sans doute par ses Philothées.j
ISS î.i l'i'i.i iii\ n:: i.'.\ii>i>i..;

7. — Péri^ueux. Il ne l'ait pas bon revoir, à


soixante-quatre ans, les choses qu'on aima on
qu'on admira dans l'enfance Sans doulc, il y a
Saint-Front, la fameuse cathédrale romano-hy-
/antiue vénérée par les archéologues du monde
entier, dont la beauté colossale étonne mes
compagnons et moi-même. Mais ce n'est pas la
cathédrale aux vieilles pierres d'autrefois, ma
cathédrale, et la restauration, quelque pieuse et
attentive qu'elle ait été, en a fait une chose nou-
velle <jni déconcerte mes souvenirs, dépendant
elle me force de pensera la Basilique de Mont-
martre qui n'est qu'une complication fâcheuse
du même type et que le rapprochement écrase.
Douloureux serrement de coeur en apercevant
de loin le petit domaine paternel, aliéné depuis
longtemps, qui fut le lieu de ma naissance et
de mes premières années. Le paysage même a
changé. Plus un île ces chers arbres que je con-
naissais tous, cpie j'appelais par leurs noms
amoureusement, chacun d'eux ayant été pour
quelque chose dans les premières empreintes
de mon âme. Un pâturage stupide les a rem-
placés.
Ainsi de tout le reste. J'ai voulu revoir la lé-
proserie, bâtisse vénérable du xn° siècle qui
11: l'i i i:ui\ ni: I." ui-oi.r 1 >>••

me lit lanl rêver, (lot habitacle plein de mys-


tère, au pied (l'un énorme rocher et séparé par
la rivière de tous les humains de la plaine,
était, cinquante ans, la demeure isolée
il y ^
d'un vieux pécheur «pie je vois encore et qu'on
appelait romanliquement .lean-le-Gabarior. Au-
jourd'hui, c'est un chalet tyrolien ou alsacien
avoisinc par des villas ridicules.
La nuit des embellissements modernes est
tombée sur tontes les choses lumineuses. La
rivière elle-même est embellie. Tout ce que j'ai
vu si grand et si HT, quand j'avais quinze ans,
est devenu cette morne élégance bourgeoise
qui procure le désespoir.
La Tour de W'sone et les Arènes, ruines
puissantes attestant la splendeur antique de la
cité romaine (pie fut Périgueux, il y a deux
mille ans, ornent maintenant des squares mu~
nicipauxd'une cof/uetterieu\ïcvm\\e !... Ma chère
Tour située, autrefois, au milieu des champs, à
l'ombre énorme de laquelle s'abritaient les
boeufs quand ils arrivaient au bout du sillon,
et dont les pierres indestructibles faisaient la
joie des àncs paissants qui venaient y gratter
leur dos..., ma pauvre vieille Tour encagée clans
une grille et surveillée par un gardien qui vend
ii.
11)0 I.K l'ri.iitiN n:; i.'Aii-Jni.r
des cartes postales !... Nous l'ayons avec rapi-
dité vers Saint-Kxpédit.
11.
— Retour à Rourg-la-Rcinc.
15. — Lettre à ce pauvre curé dont nous
avons été les f.euls paroissiens lidèles pendant
trois mois et qui pleurait de nous voir partir.
A propos de saint lîlaise, Martyr Auxilialeur à
qui son église est dédiée et dont je lui ai fait
connaître l'importance comme Impélrateur cé-
leste, je parle des patronages de paroisse ordi-
nairement négligés par des curés ignares ou
peu croyants :

Quand vous célébrez dans voire église déserte,


«'juaiul ie jeune rustre qui vous sert la messe ne ré-
pond pas ou répond mal, dites-vous que saint lîlaise
est là qui répond pour lui... On voit partout, dans les
églises paroissiales, des autels plus ou moins /iriv/'-
icyiés ;i la Sainte Vierge, à saint Joseph, etc. Mais
le Patron, qui donc y pense ?... Vous aurez beau
prier la Merc de Dieu et les plus grands Saints, ils
vous répondront : — Adresse-loi à saint lîlaise, tu
os son département et nous ne devons pas empiéter
sur lui.

10. — Petite catastrophe extraordinaire, si


toutefois il peut être dit que l'extraordinaire ait
I.I: II':II:UIN n;; I.'AIIMII.C lut
jamais été supposable dans nia vie. Les Ampe-
losse nous lâchent soudain, sans explication ni
apologie, sans ombre de (juoi que ce soit pou-
vant expliquer leur conduite, nous réduisant à
penser qu'ils ont assez de nos personnes et (pie
l'hospitalité peu coûteuse dont ils nous grati-
nèrent trois mois, les a guéris pour toujours de
leurs sentiments. VAX réponse à une carte où je
recommandais au docteur quelques objets lais-
sés derrière nous, lui déclarant au surplus ma
peine d'avoir vécu près de lui tant de jours sans
avoir pu lui être utile d'aucune manière, je re-
çois une lettre foudroyante m'accusant de man-
quer de franchise, d'amitié, d'esprit pacifique
et d'avoir fait pleurer sa femme !
Nous avons beau savoir qu'Ampelosse est un
malade, c'est tout de même ti'op fort et je de-
mande aussitôt des éclaircissements.
22. — On se décide à m écrire de Paris où
on est revenu, qu'on ne peut rien me dire par
écrit, mais qu'une explicationest nécessaire en
etl'et et qu'on m'attend. C'est la femme qui
parle cette fois, et le ton de cela est d'une
hauteur inouïe.
Je réponds alors qu'étant peut-être quelqu'un,
(juoique pauvre, et âgé de soixante-cinq ans,
10:2 LI: pii.ntis ni-: I.'AMSOI.U

ayant d'ailleurs autre chose à taire et rien du


tout à nie reprocher à l'égard de mes bienfai-
teurs, la haine du ridicule m'empêche d'accepter
une pareille mise en jugement. Qu'on vienne
bonnement me faire des excuses et que cela li-
nisse.
Il y a des âmes qui semblent se perdre, Dieu
les laissant tomber jusqu'au point connu de lui
seul où elles trouveront leur tremplin. Jusqu'où
celles-ci devront-elles descendre ?
23. — De lîorrel. — Un supérieur de com-
munauté disant l'office au choeur, apprend sou-
dain je ne sais quelle catastrophe. Il s'arrête,
ferme son livre et dit : « Mes frères, telle chose
vient d'arriver. Laissons Voffice et PUIONS. » !!!
27. — Je donne à mon tilleul Pierre van der
Meer le premier brouillon démon Introduction
à la Vie de Mélanie. Kn tête ceci :

Mon cher Pierre-Matthias, lu es le Benjamin de


mes grands filleuls. Il convient donc que je te donne
ce premier manuscrit du plus récent de nies ouvrages.
Tu sais dans quelle tribulation il fut enfanté. Ces
pages disputées aux mouches du Péi'.gord te rappel-
leront l'une des stations les plus étranges, une vil-
légiature incommode, mais non sans douceur pour
nos Ames et dont le souvenir nous sera précieux.
i.i: rî:i.uu\ ni: i'AHSOI.U IU3

Très aimé Pierre vomi si tard dans ma vie, je pense


quelquefois qu'il ne se peut pas que lu sois étranger
aux peines extraordinaires et si longues qui ont pré-
cédé notre, rencontre. Tout de suite, j'ai eru savoir
(pie Dieu t'envoyait, p:iree qu'il y avait dans ton
passé, ou dans celui de les ascendants— peut-être
aussi dans le ini/stêrien.r avenir de les <lescend;inls —
quelque chose qui correspondait à ma destinée et
qu'en ce sens lu m'étais plus proche que la phi-
part de mes frères, beaucoup plus procite en vérité.
C'est ainsi que je conçois toute l'histoire! humaine,
laquelle est un adorable monstre pour la pensée, un
incommensurable tourbillon d'Ame.; se précipitant
les unes sur les autres en undésordre apparent, mais
divinement calculé sui" l'ineffable répartition des
fiouttes de Sang roulant par terre sous les oliviers de
<iethsémani. Au sens absolu, la vie chrétienne est
une agonie, l'rolixius urabat, est-il dit tic Notre
Sauveur. Nous n'avons pas autre chose à faire.

Je sais enfin ou je crois savoir ce qui a déter-


miné notre brouille avec les Ampelosse. C'est
une excellente dame de Pignoufs qui a fait le
coup, une quincaillèrc notoire que nos hôtes nous
avaient présentée comme une cousine très pré-
cieuse. Privés de tout lest spirituel et critique
dans ce désert des intelligences et des Ames, nous
avions cru légèrement à une amitié possible avec
l'.li I.I: i'f i.i.itiN ni: I.'AIKOI.I'

cette vendeuse de clous à (jui nous supposâmes


de la boulé, sans nous méfier sullisainmenl de
sa marchandise. Jeanne eut l'imprudence de lui
confier on socrol no lie étonnement d'être trai-
tés de si haut j)ai les châtelains de IMélevé cjui
avaient tant insisté pour nous avoir. La clou-
tière s'est hâtée de rapporter le propos,en ayant
soin de l'envenimer d'un peu de limaille, et la
châtelaine oll'enséo, déployant une « susceptibi-
lité do couturière », a versé des larmes de rage
qui ont aggravé, à nos dépens, la neurasthénie
de son malheureux conjoint.
Tout cela, d'ailleurs, est très normal et nous
enseigne, une t'ois de plus, qu'il n'est pas pos-
sible, moralement ou intellectuellement,de com-
muniquer «l'un étage à l'autre. Les intérieurs et
les supérieurs sont incompatibles. Les intérieurs
sont toujours les pauvres, naturellement.
2S. — Le sottisier catholique. Je trouve ceci
dans un catalogue de librairie pieuse ;

Lettres à mon cousin. Ce livre, d'une lecture atta-


chante et dont l'intérêt se soutient comme dans un
roman vécu, décrit, sous l'orme de lettres ou de jour-
nal; les étapes d'une i'une chrétienne à la poursuite du
Lien social. L'auteur y t'ait de la mystique et de la
M: i'î 11 itiN in: I.'AIS^II] r 19.')

sociologie d'une façon littéraire^') et vivant*' autant


<|iie précise et méthodique... [/ouvrage donne la sen-
sation du tli/numt'sme de la vie inysl ijue !!!

Ô'I.
— Un ami nie remercie en plusieurs pa-
ges de lui avoii' envoyé le Metix de la Monta-
tf/ia. Sa lettre est datée de Mexico, 11 octobre,
et mon livre a couru après lui de.Iarnae à Alexan-
drie, puis à Bombay, à Singapore, à Shanghaï, en-
suite à San-Franseisco pour l'atteindre entin à
Mexico. Il n'y a peut-èlre que nies livres pour
galoper ainsi après leurs lecteurs.

Novembre

1".— Ko rit au-dessous d'un de nies portraits :

Mon visage, peut-être, mon visage Immain seule-


ment, à l'exclusion de mon visage angélique bien
inconnu des contemporains et de moi-même. Otiand
vous voudrez savoir, mon cher Pouliner, qui je suis
exactement, ne me le demandez pas, ne le demandez
à personne sinon à Dieu qui vous répondra peut-être
que vous êtes un fort agréable garçon, mais qu'il
ne veut pas vous confier un secret de celte impor-
tance.
190 LE l'KLHRIN DK L'AD^OI.U

3. — A Ampelosse, dernière tentative, mal-


gré tout :

Je continue à no recevoir aucune explication. Vo-


tre lettre stupéfiante, venue le 19 octobre, demeure
pour moi une énigme dont vous me refusez la solu-
tion fort injustement. Brou qui a reçu votre visite a
parlé de je ne sais quels bavardages qui auraient
déterminé votre attitude nouvelle si surprenante pour
moi. Est-ce donc à dire qu'il vous a suffi de n'im-
porte quelle insinuation malveillante ou sotte, et sur-
tout invérifiée, pour me retirer immédiatement votre
amitié et môme votre estime ? Ce serait inouï. Moi
j'aurais besoin de preuves certaines avant d'accuser
ou même de soupçonner un ami.
Il est vrai que vous m'avez fait connaître votre dé-
sir d'une entrevue. Cela ne se pouvait pas, d'abord
parce que les quelques lignes exprimant ce désir sem-
blaienlpeuamicales ; cnsuileparee quecet appel,cette
sommation plutôt, impliquait précisément le soupçon.
Vous deviez avoir confiance en moi et me donuer hum-
blement l'explication que je vous demandais, en me
priant de vous pardonner. Voilà tout.
Nous avons la certitude absolue de n'avoir en-
couru aucun reproche. Nous n'oublions pas l'hospi-
talité que nous reçûmes chez vous et nous ne l'avons
pas oubliée un instant. Nous n'oublions rien.
Il est vrai, pour tout dire aujourd'hui, que, clti
LI: i'î:r.!:uiN ni: i. ABSOLU \\}~

5 juillet au 10 octobre, nous n'avons pas élé invités,


une seule t'ois, à nous asseoir a votre table, alors que
d'autres, — et «piels antres — y étaient accueillis
!

chaque jour. Nous n'y avions aucun droit sans


doute, et l'intimité familiale doit sulïire amplement
à îles chrétiens. .Mais comment, aurions-nous pu ne
pas être étonnés de celte nouveauté d'altitude ? Le
mystère commençait déjà. J'ai su «pie, dans le village,
d'autres S'«MI étonnaient, se demandant si nous étions
des locataires quelconques ou simplement îles amis
pauvres logés par bonté, mais tenus soigneusement
à l'écart.
Habitué depuis «piaranle ans à tous les genres
d'humiliation, je n'aurais jamais parlé de cela, sup-
posant «1 e voln; part une certaine gène procurée
par nos habitudes religieuses, mais maintenant «pie
nous somm«\s, parait-il, les coupables, pourquoi ne
parlerais je pas «le ce qui nous a l'ait «le la peine?
Nous ne vous avions pas demandé celle villégiature,
vous le savez, bien, (l'était un rêve caressé par vous
amoureusement, toute une année à l'avance. Nous
devions nous attendre à une continuation en Péri-
gord îles procédés si alVectucux de Paris et nous
n'avons pu être «pie fort surpris d'un tel change-
ment.
Ah ! pauvre ami, «pie ma déccplion a été grande !

Je m'étais dit «pie, dans celle durée «le trois mois, il


y aurait «mire nous de longs et confidentiels entre-
l'JS Mî l'ÙLRIUN DK L'AIISOLI?

lions où je mettrais tout ce que je peux avoir de


coeur el d'intelligence, que notre amitié grandissant
ainsi, je parviendrais peut-être à vous constituer un
état d'âme plus heureux', à vous guérir même, à vous
être entin véritablement utile... et voilà où nous en
sommes !

4. — Grande nouvelle. Mgr Amette est élevé


au cardinalat. La vertu est toujours récompen-
sée.
Autre nouvelle, plus glorieuse. La France,
pour vivre en paix avec l'Allemagne, lui cède,
sans compensation appréciable, la moitié du
Congo. Etonnante application, par des athées
pleins de coliques, du texte évangélique : Et ci
qui vult te eu m contendere et iunicam tuam tôl-
ière, dimitte ei et pallium.
5. — Je vais enfin commencer mon Napoléon.
Mes immenses lectures ont assez duré et ne
peuvent être continuées utilement. Puis il faut
([lie prenne lin cette longue conspiration du si-
lence dont j'ai tant souffert el un livre sur Na-
poléon serait peut-être le moyen.
Etrange aventure. La savante Mme Curie, veuve
de l'inventeur qui a si mal fini, aurait enlevé,
ravi à sa famille un ancien élève de son mari.
LK I'Ù.MIIIN m-: I.'AISSOI.U 19.)

On s'étonne que le feu ait pu prendre dans une


telle elieminée.
{>.
— « Minuit sonnait à toutes les horloges
de Londres. » Cette phrase empruntée à tous les
romans-ieuillelons, de Féval à Monlépin, donne
en raccourci et fort expressivement l'histoire de
Napoléon.
Maurice Barrés vient de faire, au dire de YK-
cho de Paris, la découverte d'un phénomène
physiologique vraiment extraordinaire. « Vous
êtes », écrit-il à un jeune homme, « le /ils de
deux soldats ». Or l'explication se trouve im-
médiatement après dans le même numéro du
même journal.

Le Mans. — Statue élevée au conventionnel Hené


Levas-eur ((Ihirui'gicn <'uTu</<.7R,fj/,) aux années du
Nord — 17 IL»).

Communiqué par mon tilleul Jacques Mari-


tain :

Défense de la philosophie « Ces modernistes »,


!

écrit Pie X, « <pii posent en docteurs de l'Kglise, qui


portent aux nues la philosophie moderne et regardent
de si haut la seolastique, n'ont embrassé celle-là que
parce que, ignorants de colle-ci, il leur a manmié/ï/is-
"200 LE l'ÈLEHIN DE L'ADSOI.U

trumcnt nécessaire pour percer les confusions et dissi-


per les sophismes ». El encore : « Quelle en est la
cause habituelle (du modernisme)? Evidemment c'est
un dédain superbe de l'antique sagesse, le mépris
de ce système philosophique dos princes de la sco-
laslique (pie l'approbation de l'Eglise a pourtant con-
sacré de tant de manières.» Et enfin :« Premièrement,
Nous voulons et ordonnons que la philosophie seolus-
lique soit mise à la base des sciences sacrées. El
quand Nous prescrivons la philosophie scolastique,
ce que Nous entendons surtout par là —ceci est ca-
pital — c'est la philosophie que Nous a léguée le
Dr Angélique... S'écarter de saint Thomas, surtout
clans les questions métaphysiques, ne va pas sins
détriment grave. »

8. — Réponse prodigieuse d'Ampelosse.


« C'est par déférence pour Léon lîloy qu'il rompt
un silence qui eût été éternel ponv tout autre. »
Il ne peut avaler que- nous l'ayons accusé ou
soupçonné de quoi que ce soit. C'est tout sim-
plement « monstrueux » et il est « forcé de
prendre mes soixante-cinq ans en très forte con-
sidération » pour supporter un pareil outrage.
A cette occasion et, par l'clfet d'un goujalisme
surprenant que je ne lui connaissais pas, il in-
jurie bassement et ignoblement ma femme qui
t.v, PÎXHHIN m-: I.'AIÎSOU: '201

a le tort impardonnable de n'être ni cloulière


ni couturière, d'avoir été élevée ailleurs que
dans les ateliers ou les boutiques, et surtout
d'avoir épousé un artiste pauvre.
Jusque-là pourtant, c'est assez banal. Ce qui
est vraiment prodigieux, comme je viens de le
dire, c'est un passage bien inattendu sur le iné-
pris qu'on doit avoir de la table, à commencer
sans doute par la Cène Dominicale et les Aga-
pes des premiers Cbréliens, — cocasserie sub-
lunaire que je n'aurais jamais osé espérer :

1011 bien, oui, Léon Iî oy, nous ne vous avons pas


! 1

reçu à notre table pendant notre séjour à Piélevé.


Cela est un fait indéniable et je vais vous dire pour-
quoi : c'est parer r/ue cela ne nous est jias venu à l'idée-
Pas une seule l'ois nous n'avons pensé vous avoir à
notre table, pour la raison bien simple une la table ne
*i(/ni/ie rien pour nous. Nous n'aimons ni manger ni
boire, et, ce que je considère comme un vieiu sou-
venir des réunions de* iufes jiré/iisluri'/uei; qui fai-
saient se grouper des brutes tenaillées par la faim,
n'a jamais eu de charme pour nous...

11 est cllrayant de penser que celui qui écrit


ces choses n'est pas même un imbécile 1

10.

La Revue du Temps présent a publié
202 LI: PÈLEHIN ni; L'ABSOLU

un article fie Jean Loew sur l'exposition d'Henry


de Groux au Salon d'Automne. L'auteur, qui
déclare m'admirer profondément, est catholi-
que, ce qui lui permet de voir à peu près dis-
tinctement certaines choses, lia vu, par exem-
ple, l'attraction exercée sur de Groux par le
naturalisme le plus abject, ce qui a eu pour
etl'et de lui faire peindre un « Zola aux Outra-
ges » après son Christ aux Outrages. Victoire
déplorable des pires instincts et faillite d'une
vocation supérieure. Cet article est autant sur
moi que sur de Groux et j'ai la meilleure part.
L2. — A Jean Loew :

Cher monsieur, Je vous remercie pour les choses


obligeantes que vous avez bien voulu în'écriro en
m'envoyant votre article. Je Tai lu deux fuis. Cela,
ai-je besoin de le dire ? m'arrive très rarement. Ce
que vous dites d'Henry de Groux est à peu près
exact. Vous ave/, très bien vu le naturalisme enragé
de ce mal heureux qui a cessé d'être un peintre depuis
le jour où, devenant l'admirateur du plus énorme
cochon de lettres, il a cessé d'être mon ami. Il est
inouï qu'on parle encore de ce déchu qui est pour
moi un décédé. Cependant il est inexact (pie de
Groux ait mendié pour moi. Nous avons mendié en-
semble, tout au plus.
LK I'KI.EHIN m: L'AIÎSOI.L' 20.$

Dans l'hiver do 1)1 à i»2, nu début «lo nos relations,


alors qu'il était navré do misère et quasi mourant,
nous l'avons recueilli, plusieurs, mois, dans notre
maison et je crois bien que nous l'avons sauvé, ma
femme cl moi. Lu retour de nos soins, il nous a
traités d'une façon horrible, quelques années plus
lard. J'ai raconté tout cela dans un île mes livres
pour n'avoir pas à y revenir.
« Il n'aimait que son Ame », dites-vous. Hélas !
qu'en a-l-il fait de sa pauvre âme ? Dieu sait pour-
tant ce que j'avais tenté pour l'orienter, pour l'ai-
guiller (Juelqu'un sait-il (pie c'est moi qui lui ai
!

donné le litre de son unique tableau, le Christ aux


Oulniifcs par lequel il est devenu célèbre. Je suis h;
parrain de sa fille aînée Kli-abelh et ma femme est
sa marraine. La pauvre enfant a-t-elle été élevée
dans la haine ou seulement dans l'ignorance de nos
personnes! C'est une pensée tort nmère.
Vous ne me flattez pas quand vous dites que je suis
« moins écrivain que pamphlétaire ». Je pensais (pie
quolqucs-unsdr mes ouvrages méritaient mieux. N'im-
porte, il y a de beaux endroits dans votre article :
Nous étions des chercheurs de Dieu, des compagnons
<h saint-, <>n nous a menés à (iuignol... >>,par exem-
ple, et je vous sent; affectueusement la main.

\'.).
— Lu la vie de saint Dida.cc honoré au-
jourd'hui par rKglisc. « Son coeur », dit l'his-
201 I.K l'î-i.EniN DK I/AIISOM'

torien, était le plus bel hôpital qu'on eût ja-


«
mais vu. Il y avait place peur toutes les misères
de son temps ».
17. — De Philippe Raoux à qui j'ai communi-
qué la lettre colossale d'Ampelosse :

Vous semble/, avoir reçu la mission, envers ceux


...
qui ne vous comprennent pas, d'extraire de leur tré-
fonds d'Ame des réponses étonnantes... Il y a certai-
nement, consignées dans vos livres,desclioses inouïes
qui ne pouvaient être répondues qu'à vous, des cho-
ses immenses, des monuments de' l'Ame de vos con-
temporains. Pourquoi faut-il «pie vous payiez, ces tré-
sors de préliminaires et douloureux ennuis ?

20. — Mort de mon frère Henri. C'était le


seul -qui eût des pratiques de vie chrétienne. Mais,
intellectuellement, le pauvre homme était juste
au niveau delà Jhnne Presse et me considérait
avec tristesse comme un lîloy qui avait fort mal
tourné.
21. — J'apprends que le nouvel évèquc de
Grenoble a ('é!:uté en plaçant son diocèse, non
pas sous la protection de Notre-Dame de la Sa-
Iettejnais sous celle de Noire-Dame de la Garde.
II est marseillais. On peut s'indigner de cette
Lie i'i::u:iiiN DH I.'AHSOI.L' "203

inconscience monstrueuse, mais comment faire


pour s'en étonner ?
2Î>.
— De mon ami l'abbé Picnt Cornuau :
Vous ai-je raconte un fait très impressionnant con-
cernant Pie X'.' Il n'y a pas longtemps, le Pape avait
chez lui,en audience privée,Mgr Cazet,jésuite, vicaire
apostolique de Madagascar. Ils causaient îles temps
allïeux cpie nous traversons. Pic X parut tout à coup
s'effondrer dans un abîme de tristesse, laissant tomber
sa tète très bas. presque jusqu'à ses genouv,el se tai-
sant. Mgr Cazet alors lui demanda respectueusement
la cause de cette tristesse accablante et Pie X, relevant
la tête, lui répondit : — Mon (ils, ce que je vois est
effrayant. Sera-ce moi? Sera-ce mon successeur? Ce
(pli est sur c'est que. le Pape quittera Home et, pour
sortir du Vatican, il lui faudra passer sur les cada-
vres de ses prêtres...
Ceci a été rapporté tout récemment à une per-onne
sûre que je connais beaucoup, par un lîaniabite, le
P. Lechien. auteur d'un livre où il est parlé très con-
venablement de la Salctte". France et l'u/mulc.

27. — A Vincent d'Indy qui m\i envoyé son


livre sur iJeethoven :

.l'ai été très louché de l'envoi de votre livre dédi-


cacé si honorablement pour moi. .le vais le lire en
20G LK l'ÈLEniN DU |/AI)SOLU

tremblant, car mon embarras est extrême. J'ai, avant


tout, le devoir de confesser mon ignorance parfaite
et mon incompréhension totale de la musique. Je
n'y suis pourtant pas insensible, lïeethovcn, Chopin,
d'autres encore, m'ont fait pleurer, quelquefois, mais,
par l'effet probable d'une étrange infirmité qui m'est
toute personnelle, je ne parviens pas a voir en la
musique autre chose qu'une technique infiniment
compliquée en vue de sensations voluptueuses et
surtout imjircciscs. Avec cela et malgré cela, je vou-
drais écrire pour les Tablettes de la Scholn un arti-
cle sur votre livre qui ne peut être, j'en suis très
persuadé, qu'une <euvrc des plus remarquables. Alors
vous voyez ma peine, mon angoisse.
Ibuiretisement il y a l'époque extraordinaire où
vécut lieelhoven. le grand Empire, la proximité de
Napoléon qui lit, à sa manière, une si victorieuse
musique par toute l'Europe. Contemporain, par mon
désir et ma volonté, de ces événements prodigieux,
j'aurais peut-être quelque chose à une autour du grand
musicien qui dédia ou voulut dédier à Napoléon sa
Symphonie héroïque. C'est ma seule ressource et il
me faudra une sacrée intuition de ce que j'ignore. Je
vais essayer. En attendant lo résultat fort incertain,
je vous prie tic croire à ma bonne volonté.
LE i'î:Li:rtiN DE L'ABSOLU 207

Décembre
3. — De Jacques Maritnin :

...Nouveau miracle de Pie X. 11 m'a été raconté,


avec toutes sortes de garanties d'exactitude, par
mon ami Dom lîaillet, grand propagateur de tes li-
vres.
Un séminariste habitant Rome était en train de
chavirer dans le modernisme. Or voici qu'un jour
il voit le Pape entrer dans sa chambre, lui reprocher
ses pensées et l'admonester vivement. Hors de lui
et croyant a une hallucination extraordinaire, le sé-
minariste court au Vatican et demande une audience.
Et le Pape (qui, naturellement, n'avait pas bougé du
Vatican) lui fait répondre : Diles-lui (pie je n'ai rien
à ajouter. Ce que je lui ait dit doit lui suffire.

4. — A Jacques de qui j'ai reçu, hier, une


petite somme dont le besoin était extrême :

Mon bien-aimé filleul, Tu ne me parles que d'un


miracle et il y en a deux. Voici le second. Hier ma-
tin, dimanche, nous étions sans le sou. En ce pre-
mier dimanche de l'Avent, nous avions « levé nos
Ames vers Dieu », en essayant, comme le veut la
Liturgie, de « revêtir Jésus-Christ » lequel, j'ai
20$ I.IÎ I'KI.KIUN DU I/AHSOI.U

houle de le dire, nous paraît toujours un vêtement


trop étroit. Dieu, cepen lant « vir dolorum et sciais
infirmitntem », (jui tient compte, même des plus lâ-
ches velléités, avait daigné nous préserver de l'an-
goisse, exceptionnellementj'étais tout à t'ait en paix.
J'avais dit à Jeanne : « Je pense rjue nous ne serons
pas sans secours, mais si rien n'arrive, j'emploierai
nos derniers centimes à courir à Versailles. » A l'ins-
tant ta lettre arrivait.

A Tcrmicr qui est malade :

Ne pouvant aller à Vaughard, je veux du moins


vous écrire. On prie pour von-, ici, et si quelqu'un
a le devoir de se souvenir de vous, à la veille de l'Im-
maculée Conception, c'est moi très certainement.
Ouel lien entre nous II y a six ans vous me filles
1

envoyé par Notre Dame de la S.dette, pour me ré-


veiller d'un sommeil de près de, trente ans. Un autre
aurait pu être choisi, cinquante autres, si vous vou-
lez, mais non, c'est vous qu'il fallait, vous seul que
six années de mon contact n'ont pu lasser ni dégoû-
ter.
Dès lors quel changement dans ma vie J'ai pu 1

écrire Celle </ui pleure et voici que la Vie de Mêla-


nie va paraître. VA c'est à vous seul que cela est dû,
encore une l'ois. Si je suis aimé de la Souveraine,
comme j'ai l'audace de le croire, combien ne l'êtes-
LK PÎ:UÎIUN DR L'AHSOI.U 200

vous pas ! Songez donc. Si elle est ma débitrice,


vous ôles mon créancier, et je suis insolvable Voilà !

donc une Reine des Anges forcée de penser à vous


toutes les fois que je lui parle. II m'arrive quelque-
fois de vous envier.

0. —Petite lettre de Marc Stéphane m'offrant


ses excuses pour m'avoir autrefois « engueulé »
à propos de Curie dont la veuve le dégoûte de-
puis qu'elle fait la noce.
Nos prêtres de Bourg-la-Ucine ignorent que
je suis un écrivain catholique, et cette igno-
rance parait d'autant plus invincibleque je leur
ai donné quelques-uns de mes livres. [Après
deux ans, elle dure encore (l!H.'3).J
10. — De Pierre Matthias van der Meer m'en-
voyant vingt francs :
Vehcmenlerdoleo, carissime mi Palrino Léo, quoii
non plus argenti ad te mitlere possum. Accipe hune
obolum a liberis luis spirilualibus quorum anima'
nondum resonarent Dcum sine tuo juvaminc.
Christina, Petnis-Leo et ego te, uxorem filiasque
tuas amabiles amplcctimur magno amore. Jésus et
sancta Maria te tuasque semper proleganl. Pclrus-
Matthias.
A Pierre-Matthias :

12.
210 ii: I'KLKRIS ni; i,'.\nsoi.u

Magnopere diligo lo, iili mi. Avortât nos Deus nos-


1er ab opulentia pcssima et ab exeerabili lilia cjus,
hoc est cupidilalo, soilieet « radix omnium nialo-
runi »,dieil Apostolus.
Sed contra et aliumle, Prodigus in lucom profer-
tur, shnulque in cxilium phariso>orum creseens est
usque ad custodiam poreorum et orbitalem nimiam
siliquaium.
Tune, illa tempe-date, surgit gaudens et vadil hi-
lai'iter in Domum Palris panibus abundantem.
Talis est propensio tua, beale (ili.
Chnstinam carissimam et parvulum Pclrum dilcc-
lissimum flagranlissime amplector. Yale. L. 1>.

1*2.
— Un ami, inquiet de mes audaces, l'ait
observer que, quelle que puisse être ma mis-
sion particulière, je lais cependant partie du
troupeau. — Mon père, dit Véronique, est le
cliien du troupeau.
Cet ami voudrait que, pour la Vie de Mêlante,
je sollicitasse Y imprimatur qu'il croit néces-
saire et que je n'obtiendrais certainement d'au-
cun évoque. En me donnant cet avis, il obéit à
une impulsion qui l'etfraierait, s'il pouvait la
voir. Si je faisais ce qu'il me conseille, le livre
ne paraîtrait jamais et je serais dans la foule
I.I: nantis I>IÏ
I.'AUSOI.U
-
I I

des lâches et desinlidèles conduits par des évo-


ques voués à Satan.
Précisément, le même jour, j'apprends qu'un
libraire du nom de Weibel, éditeur de livres ou
objets relatifs à la Salette, a reçu tout dernière-
ment la visite de son curé lui intimant de la
part de Mgr Amélie, ennemi personnel de la
Sainte Vierge, la défense formelle de vendre dé-
sormais le Secret de. Mêlunie.
VA.
— Lettre d'un inconnu qui se déclare ca-
tholique et même, je crois, royaliste. Il aime
Huysinans et déplore mes sentiments à l'égard
de celte Colonne. Cependant il me croit sincère
et me propose de discuter. S'il vient par sur-
prise, je lui dirai : —Joseph de Maistre a écrit :
« Si quelqu'un, dans une bibliothèque, se sent
attiré par Voltaire, Dieu ne laitue pu*. » C'est
la même chose pour Huysmans.
Ki. — Brou me lit une fantaisie amusante qu'il
vient d'écrire. Il s'agit d'un individu qui n'a ja-
mais su faire que tics galles et dont c'est l'im-
périeuse vocation. C'est une sorte de don qu'il
ne sait pas utiliser. Après de nombreuses tenta-
tives dont l'énumération est fort comique, le
malheureux est sur lo pente du désespoir lors-
que, soudainement illuminé, il s'avise delà di-
'2\'2 I.I: IM'I.KHIN ni: I.'AHSOI.U

plomatie. Marc Twain n'a pas trouvé mieux.


17. — Niveau de l'évoque de Moulins. Paro-
les de ce pontife :
La vie do Mélanio est trop extraordinaire. On ne
voit rien do comparable dans les vies dos saints. M6-
lanie certainement ne niant pas, niais elle s'est trom-
pée. Ces choses ne lui sont pas arrivées.

La personne qui me communique ce docu-


ment ajoute : — On peut être aussi bèto évi-
demment (pic l'est cet homme, puisqu'il four-
nit jiistcmeat celte mesure, mais j'affirme qu'on
ne peut pas être plus hôte.
18. — On me fait lire une circulaire impri-
mée de l'éditeur Wcibel informant sa clientèle
de la défense à lui faite par l'Archevêque de
Paris, le '27 juillet, de vendre le Secret de la
Saletle en haine et mépris du commandement
formel de ta Sainte Vierge : Eh ! bien, mes en-
fants, vous le jere<, passer à tout mon peuple.
Voihà trois semaines que la Semaine religieuse
de Paris nous assomme du cardinalat de Mgr
Amettc, titulaire de Sainte-Sabine, et des fôtes
ou cérémonies romaines à cette occasion. J'i-
gnore ce qui a dû être manigancé par cet arri-
viste pour obtenir le chapeau rouge, mais il est
n: ii'i.imiN m: I/AUSOI.U -lit
remarquable que le décrochage de son galurin
ait été accompagné ou précédé immédiatemenl
d'une telle déclaration de guerre à .Marie.
Un journal racontant les pompes de l'entrée
solennelle de son Imminence à Notre-Dame de
Paris, termine l'article par ces mots :

Los innombrables lidèle^ qui ont pu aper< evoir


...
hier le nouveau Cardinal peuvent se llall^r d'avoir
vu, sous la pourpre romaine qui le vieillit un peu,
mais lui donne un air de majesté, un homme heu-
reux .

Heureux et lier, sans doute, d'avoir pu se mo-


quer ainsi de tout le inonde, à commencer par
la Sainte Vierge.
11).
— .1 lu gloire des cuft'fs. Tel est le titre
d'une chronique de Paris-Journal. Il y est parlé
de « l'émoi lyrique senti par ceux qui péné-
>

trent dans un café. C'est une sottise de dire


qu'on s'y abrutit. Les apéritifs « possèdent une
valeur rituelle » et « le consommateur est une
sorte de communiant » :
Ktpar la nous touchons à l'essentiel. Kn notre
époque où les anciennes religions perdent un à un
leurs temples et leurs fidèles, le café est un des lieux
'21 i I.E rùi.KiuN m: L'AHSÛI.C

où s'êlahurent les nouveaux liens de l'humanité, les


nouveaux émois religieux, les nouvelles parlicipnlions
au Divin. J'avouerai, si on ino presse, que l'huma-
nilé, avide de communion, pourrait mieux choisir
ses ondroits... Mais noire temps se refuse à créer dé-
libérément de grandes t'êtes humaines... Sachons
donc nous contenter des réalisations pauvres, mais
spontanées et sincères, qu'il nous offre, et honorons
d'un culte fait surtout d'espérance, les cafés, ces
chapelles provisoires.

Gela n'est pas signé Marc Twain ou Jonathan


Swift, comme on pourrait croire, mais, très sé-
rieusement, d'un autre nom que j'aurai oublié
dans un quart d'heure.
Le vieil hôtel où M. Denys Cochin hospitalise
le nouveau chapeau de Mgr Amclte est défendu,
dit-on, par un portier redoutable. — C'est vrai,
répondent les familiers, mais il nous faut ici un
concierge bourru, autrement nous serions enva-
his par les mendiants; ce serait la vraie maison
du bon Dieu !
22. — A Termier :

Mon cher malade, Comment vous portez-vous ? Je


ne sais rien depuis le 8, jour do l'Immaculée Concep-
I.K l'îl.HlIIN DK I.'AUSOI.U -15
lion. Vos filles m'ont dit, ce jour-i'>, que tout allait
bien. J'en suis resté là et je me ronge do ne pouvoir
courir chez YOUS.
« Le Rhin coule à travers mon Ame », selon l'ex-
pression de Tauler. Préoccupations de Imle sorti 1. On
voudrait ne penser qu'a Dieu, en ce temps de l'A vent,
à l'approche de Noël que j'entends, qualifier partout
de « fôle charmante et qui ne me paraît pa< moins
•>

terrible que le Vendredi Saint. Homme d'Absolu, que


tu es étrange !
Au lieu de regarder le Verbe nouveau-né, comme
le boeuf pieux île lîethléem, je broute sa paille. 11
vient d'accomplir ce voyage dans la chair des hom-
mes, ce voyage incompréhensible et ellVayanl qui a
l'ait tomber des millions d'anges, et me voici obstrué
île Napoléon,de Beethoven, de Crom\vell,etc..de mon
éditeur même qui me fait attendre des épreuves, de
combien d'autres amas de poussière !
Alors, que puis-je vous dire, si vous êtes encore
malade, et que puis-je vous dire, si vous êtes bien
portant? Je vois bien ce que vous êtes pour moi, mais
je ne vois pas ce que je suis pour vous, sinon une
sorte de panier vide avec lequel vous revenez du
marché...
Oue nous dit, ce matin, l'Kglise? Que l'Kspril du
Seigneur repose sur la lleur sortie de la racine de Jessé;
que cet esprit est septiforme,allant de la Sagesse a la
f U'aintc ; qu'il
ne jugera pas selon la vision des yeux,
"2 10 I.K lù.i-itiN ni: I.'AU-OI.U

ni selon l'ouïe des oreilles; mais qu'il jugera les pau-


vres selon la justice el l'équité...
l^xclusion des riches qui n'auront pas même l'hon-
ncur d'être jugés. Inter/iciel impium. Voilà tout ce
que leur accorde Isaïo parlant, le ±2 décembre, de-
vant le pnescpium, disponible encore, où va naître
le « Roi des gens ». Alors Marie s'élance vers Elisa-
beth et voici le Mnyni/icat !
Kt moi, je ne trouve rien à vous dire, demeurant
là, non moins silencieux et certainement plus cho-
tif que la pauvre à ne qui n'osait pas braire de joie,
espérant un peu d'être purgé de ma vieillesse «a ve-
tustale purgalus », mais n'espérant presque plus de
purger les autres île leur incurable jeunesse.
Vous serez sans doute affligé de me voir en si mi-
sérable état. Sans sortir de Valable, je salue amou-
reusement le groupe Termier et j'embrasse de tout
mon coeur le pasteur vigilant de cet aimable trou-
peau.
23. — On tue les gens à Paris, en plein jour,
sous les yeux de tout le monde. Hier ou avant-
hier, assassinat d'un garçon de recelte, rue Or-
denér, détroussement de la victime en présence
d'une multitude et fuite en auto des assassins.
Ce matin on apprend qu'une actrice enter-
rée, l'été dernier, avec ses bijoux, a reçu la visite
nocturne de cambrioleurs inconnus venus pour
!.«: ii:u:niN I>K
I.'AHSOW -17
dépouiller sou cadavre qui a failli les asphyxier.
Telles sont nos moeurs.
[Aujourd'hui, à la distance de près de deux
ans, je pense à la Roumanie mettant sur pied
une grande armée de chacals pour envahir sans
danger les champs de bataille de la guerre
turco-balkaniquc où elle n'a pris aucune part.
Juillet 1913.]
24. — A l'église, je suis accablé par un dis-
cours interminable d'un des vicaires pour dé-
montrer aux paroissiens l'existence des anges.
La Semaine religieuse m'apprend que nous
avons enfin un « Théâtre François Goppée » !
"-
Le nom du Poète auquel est dédié ce nouveau
théAtreendit le but et les tendances » !!! affirme
le prospectus.
30. — A un ami, antisémite furieux, relevant
à peine d'une maladie qu'on croyait mortelle :

D'après oc que vous m'écrivez, il est bien certain


que votre compte était réglé. Voire guérison pro-
clame, dites-vous, la faillite de la science. Soit. Fail-
lite frauduleuse, ajouterai-je, proclamée depuis
longtemps et combien de fois ! Mais voire guérison
proclame bien autre chose. Comment et pourquoi
avez-vous été rendu à l'apparente vie île ce monde ?
Voici ce que je suppose. Vous êtes l'ami, quelque
13
•21S il-: l'ivi.inuN ni: L'AII-SOI.U

peu rétif et chicanier, il est vrai, mais quand môme


l'ami de Léon Bloy, et il se pourrait bien que votre
résurrection fût un résultat tout simple, une suite
naturelle, si j'ose dire, de la conversion de deux
juives dont je fus l'apôtre et le parrain, lesquelles
sont devenues d'admirables chrétiennes, — toutes
leurs prières et toutes leurs oeuvres devant avoir, en
bonne justice, d'étonnants effets en retour sur moi
et, par conséquent, sur ceux qui m'intéressent, ces
derniers fussent-ils d'irréductibles contempteurs
Pnlrinrchtc nostri Ahruhiv.
Je vous souhaite une heureuse année, en priant
Dieu qu'il vous comble de ses bénédictions cl de ses
lumières.

Haine du Beau identique chez ies catholiques


modernes et les protestants, mais avec cette
différenceessentielle: chez les catholiques,c'est
la déliquescence, chez les protestants, c'est la
santé.
31. — Il me faut subir la lecture en chaire
d'une lettre de notre cher cardinal, relative au
cinquième centenaire de la naissance de Jeanne
d'Arc, Pie X ayant exprimé le désir que cet
anniversaire soit particulièrement honoré. Je
n'ai retenu qu'un mot : « Seigneur JJKMSSEZ 1

LES RICHES » !!! C'est ainsi que Son Eminence


M: IÎ:U;IUN IH: I.'AUSOI.U -10
parle à Jésus-Christ en présence du Saint Sa-
crement dans toutes les églises de son diocèse,
aujourd'hui. C'est son premier geste cardina-
lice.
Il n'est pas inutile de rappeler, à propos de
.Jeanne d'Arc, que ce prince de l'Eglise — avant
le chapeau— lit décommander à Paris, le S mai
1010, les illuminations et les pavois prescrits
par lui-même et déjà préparés en l'honneur de
Jeanne d'Arc, PARCE HUE le roi d'Angleterre
venait de mourir, — probablement aussi pour
obéir à une injonction de l'Ambassade, — im-
posantainsi à l'Héroïne qui débarrassa la France
des Anglais, le deuil d'un roi d'Angleterre !
Vilenie et ignominie qu'on a peine à conce-
voir, dont onne voit pas d'exemples dans l'His-
toire et qui ne pourront jamais être dépassées.
*912
Janvier

2. — Lettre d'un pauvre homme évangélisé


par nous depuis deux ans, devenu enfui chré-
tien de pratique et très joyeux de sa conver-
sion pour laquelle il nous bénit.
Réponse de l'ami antisémite à ma lettre du
l!0 décembre. Il n'a rien compris. Avee, l'obsti-
nation et l'obduraiion invincibles des sectaires
de son écolo, il me reparle exclusivement des
deux races (celle de Jésus et celle de Judas),
comme si cela avait un sens. Rien à taire, (l'est
la présence du démon.
4. — Dans Comoedia :

De Montmartre a Bourg-la-Reine.
Là où le doux André Tlienriet vécut, ceint de l'é-
charpe municipale, habite désormais l'amer Léon
Hloy, l'auteur du Mendiant Iiu/ral, et il inscrit sur
son changement d'adresse : « On est prié de ne pas
encourager les visiteurs inutiles. » 11 avait déjà écrit
jadis : « Je chemine en avant de mes pensées en exil
221 I.K i'i:LKitiN DK L'AUSOLU

dans une grande colonne de silence. » Baudelaire


avoue, dans une lettre, n'avoir pas de quoi affran-
chir sa correspondance. En 1895, Léon Bloy notait
ainsi sa misère : « Il n'y a pas à dire, je suis nrimi-
rxhlemenl malheureux. Plus de chemise, plus de
souliers, plus de chapeau; plus de vêtements. La dé-
tresse augmente charpie jour et nul expédient n'ap-
paraît. On cherche le moyen de ne pas mourir. Ce
malin, tôle des Trois-Uois, il reste un sou dans la
maison. Froid atroce, impossibilité de se réchauffer.
Ouand je m'éveille, le matin, j'ai souvent, depuis
des ans et des ans, l'impression d'être un de ces mi-
sérables condamnés à la mort lente et qui, tout rom-
pus des tortures de la veille, sont tirés d'un affreux
sommeil pour endurer de nouveaux tourments... »
Ce n'est pas de la littérature, c'est de la vie gravée
à l'eau-forte. Que les ombrag- s de Bourg-la-Heine
soient cléments au pauvre écrivain !

Ce ton est nouveau. Est-ce à dire qu'on va


cesser de m'insulter maintenant ? Cela me dé-
soriente et me déconcerte.
8. — Conlirmation de mon grand filleul Pierre-
Matthias van der Meer. La cérémonie a lieu
rue Las Cases, près de Sainte-Clolilde, en une
petite chapelle dite des catéchismes. Tout de
suite Pierre, place au premier rang avec son
fils qui est aussi mon filleul, m'apprend que
LE !>LM;IIIN I>K L'AUSOI.U '2'2Ô

cet aimable enfant ne recevra pas le sacrement,


un règlement diocésain ne le permettant pas
avant l'Age de il ans. Qu'est-ce que ce règle-
ment, alors que le Concile de Trente ne donne
d'autre limite que l'Age de 7 ans et qu'il s'agit
d'un enfant admirablement préparé ? Le pau-
vre petit en a, d'ailleurs, un vrai chagrin et moi
un grand serrement de coeur. Impression que
l'aspect de notre cardinal, bénissent' des riches,
n'était pas pour atténuer. J'ai vu rarement une
ligure aussi parfaitement antipathique.
N'importe, Pierre Matthias est confirmé sous
le nom nouveau, conseillé par moi, de Harnabé.
!). — Lecture de Thiers. Achevé le terrible
chapitre Lcipsick et lïanau qu'il m'est impos-
sible de relire sans soull'rance. l\ien de pareil
dans toute l'histoire. Un tel gaspillage des forces
humaines, des dévouements, du sang humains !

Et quels massacres prodigieux ! Sans doute


cette pauvre canaille de Thiers ne pouvait com-
prendre le rôle surnaturel do Napoléon, mais
ouest forcé de reconnaître qu'il a raison hu-
mainement quant aux tantes politiques et aux
conséquences visibles et alVreuses de ces fautes.
Ht c'est bien assez pour faire soutint*.
IL — Promenade à Gif. Quel souvenir pour
n.
2'JG i-i-: I'KI-EHIN ni: L'AB-'OJ.I'

moi évoque ce lieu! La visite que j'y fis, en 84,


à Mm' Juliette Adam, dans l'un des moments les
plus douloureux de ma vie. Elle me donna cent
francs et, bonnement, me retint à dîner sur sa
terrasse en vue du beau paysage mélancolique.
11 parait qu'elle vit encore, la pauvre Païenne,
propriétaire de l'ancienne abbaye de Gif. Quel
Age a-t-elle et que sera sa mort ? Puisse l'au-
mône qu'elle me lit un jour lui être profitable
à sa dernière heure!
12. — Joseph Florian, mon ami et propaga-
teur en Moravie, m'écrit qu'il a changé d'adresse
et de diocèse, parce (pie la communion lui était
refusée dans le diocèse de Briïnn et voici que
dans celui d'OImiilz où il est maintenant, c'est
la môme chose. Tout cela on haine de la Sa-
lettc qu'il a voulu faire connaître. 11 me parle
d'un prêtre ami de mes livres qui est menacé
aussi et qui ne sait ce qu'il doit faire. On me
demande conseil. Que puis-je sinon leur con-
seiller l'acceptation de cette sorte de martyre ?
Mais je vois que le choléra ecclésiastique est
plus dangereux encore dans ce pays que dans
le nôtre.
['.). — Préface du Désespéré pour une réédi-
tion qu'on me fait espérer :
i.i: I'I:I.I:IIIN ni-: i. AISSUI.I' l'ii
Je suis rauleur du Désespéré, c'est incontestable,
mais seulement du Désespéré, et il en sera toujours
ainsi, eussé-je écrit cent autres livres.Cela est parmi
les choses qu'aucun homme n'a le pouvoir de chan-
ger. Il fallait cela pour (pie ma réputation de pam-
phlétaire fut indéracinable a jamais. J'écrirais 17m/-
lalion de Jésus-Chrisl ou la Somme de saint Thomas
<pie je serais toujours le pamphlétaire du Désespéré.
Faut-il tout de même que ce soit un livre impor-
tant Faut-il du moins que la vanité de quelques
!

littérateurs corpusculaires soit vulnérable, même


après leur mort — car je les ai enterrés presque
!

tous en vini^l-einq ans — pour que des blessures


si vieilles ne soient pas encore cicatrisées Files ne !

le seront jamais sans doute, celle vanité leur étant


im/iersonnelle. Fn même temps que je cillais d'une
main valide quelques fantoches tels que Paul l'our-
let, Catulle Mendès. Alphonse Oaudel, Maupassanl
et une douzaine d'autres encore de qui les pauvres
noms n'existent déjà plus dans aucune mémoire, il
se trouva (pu1,sans même le vouloir ni le savoir, mes
claques tombaient sur la multitude.
Ce seul l'ail suffirait, je pense, à démontrer que le
Déseyiéré n'est pa< un pamphlet d'occasion ou d'ac-
tualité, mais véritablement une satire sociale. Les
personnages ci-dessus, quel que puisse être leur si-
(fiinlemenl, n'y sont pas nommé;.Ils sont, d'ailleurs,
tellement précaires et périssables, qu'à une faible
2-S Li: l'ÈLlilUN DK L'ABSOLU

distance, leurs noms mômes, on petites capitales, ne


seraient rien de plus que ces étiquettes collectives
imaginées par les romanciers ou les caricaturistes
pour la délimitation des espèces ou dessous-genres...
Lorsque j'écrivis \c Désespéré, il y a plus d'un quart
de siècle, j'avais l'intention de lixcr, en une parabole
durable, l'ignominie, merveilleuse alors et mainte-
nant dépassée, de la république des lettres. Nouveau
venu, quoique tard venu, dans ce monde étrange,
les individus m'étaient inconnus pour la plupart.
Iluysmans, que je crova:.s mon ami et que je prépa-
rais assidûment au baccalauréat du catholicisme, se
chargea de me documenter et il le lit avec un grand
zèle. 11 avait, je l'ai su plus tard, des injures à ven-
ger et, n'étant pas de sa personne un homme de
guerre, mon intrépidité naïve lui parut bonne à ex-
ploiter. Il m'avait rendu quelques menus services
d'argent, j'avais sur les yeux un bandeau de pièces
de cent sous et, plein du désir de faire un chrétien
de ce bienfaiteur, je lui supposais un désintéresse-
ment sublime. Jamais un lâche ne fut aussi bien
servi.
Mon livre paru, il me renia, comme il convenait, se
di;-.3iit étranger à mes fureurs, cessa de me connai-
reet, presque aussitôt, devint une des « Dernières
Colonnes de l'Kglise ».
Un égoïste ordinaire aurait pu se contenter de
quelques victimes de son choix et m'aurait dit :
LE ri-LEiUN ni: L'ABSOLU --0
« Gela va bien ainsi. Quatre ou cinq tôles suffisent
pour votre expose" île l'infamie contemporaine, dai-
gnez de vous rendre impossible en attaquant, dès vo-
tre premier livre, tous les dispensateurs de la re-
nommée. » Iluysmans fit exactement le contraire,
comprenant très bien que j'étais un de ces compa-
gnons qu'il faut égorger quand ils deviennent inu-
tiles ou compromettants.
Il fut ainsi le premier organisateur de la conspi-
ration du silence dont j'ai soulVeit plus de vingt ans
et qui a coûté la vie à deux petits enfants morts de.
ma misère. J'ignore ce que Dieu a pu faire de ce mal-
heureux (pie j'avais donné à son Kglise et que tant
de catholiques ont admiré, en m'ignoiant ou me
maudissant, le jugeant une recrue, pi'éeieuse. Mais
je sais bien qu'un peu avant sa mort qui fut atroce,
j'ai attendu vainement jusqu'à la dernière heure, es-
pérant toujours qu'il m'enverrait quelqu'un et ne
croyant pas po-sible qu'il voulût mourir sans mon
pardon...
.le suis donc resté ju>te au point où m'a laissé ce
sépulcre blanchi devenu l'habitant noir d'une tombe
où nul ne pleure ; c'est-à-dire que je suis toujours
l'auteur du Dèsesjicrc, exclusivement. Plus de vingt
autres livres, dont quelques-uns supérieurs, ont été
publiés en vain depuis ce début et celui-là même,
devenu introuvable, périrait sans cette édition nou-
velle que j'avais cessé d'espérer.
230 i.u nxiiiUN ni: L'AIHOI.U

Qu'importe, après tout, quand la sotte vie do ce


monde est désormais sans saveur et quand on se pré-
pare tranquillement à paraître devant Dieu?
L'histoire du Désespéré n'intéresserait personne.
Imprimé en 1SSG par un canotier devenu éditeur à
voiles, mis au rebut, la veille de la mise en vente,
par cet éditeur soudainement tige que plusieurs
polissons de lettres menaçaient de la trique ou tout
au moins île la police correctionnelle, il me fallut
chercher une autre lanière de transmission. La pitié
divine me lit rencontrer un très pauvre homme, un
humble marchand de papiers imprimés, sur le point
«le faire faillite, qui espéra le retour de la fortune on
me publiant.
11 y eut alors, par le froid noir de la commençante

aune;' 87, une bataille sombre, un Mylau de compo-


sition et di corrections dans l'oflieinc puerpérale
1

d'un imprimeur famélique où ne pleuvait qu'un ar-


gent rare. Plusieurs fois il me fallut exécuter dos
charges à la .Murât sur un typographe épileptiquc et
vagissant qui n'admettait pas (pie je méprisasse les
contemporains. Je me souviensd'un jouroù, relisant
des épreuves gluantes a grand'peine obtenues cl
mourant de faim littéralement, j'entendais le patriar-
che de cette caverne se réjouir tout près de moi, en
dévorant avec sa famille un quartier d'Ane dont je
n'osais pas demander ma part.
Mon livre parut enfin, très dénué de splendeur et
LB PBLBRIN D8 L'ABSOLU 231
trois mois trop tard. La curiosité s'était détournée
sur d'autres objets. Mon pauvre vendeur de papiers
ne put échapper a la ruine et mourut, dix ans après,
dans la misère. Il y eut, il est vrai, quelques chro-
niques astucieuses calculées pour me nuire dans le
présent et dans l'avenir, sans aucune compensation
do notoriété.
Barboy d'Aurevilly, que j'aimais et qui.m'aimail à
sa manière depuis longtemps, aurait pu parler uti-
lement. Il ne le voulut pas et ce fut pour moi la sur-
prise la plus étrange, la plus amôre. La veille, il avait
fait plusieurs kilomètres dans sa chambre en me
parlant de mon livre qu'il venait do lire avec trans-
ports et qu'il proclamait un chef-d'oeuvre. Le lende-
main, le vent avait tourné, une ou plusieurs dames
lui ayant dit que ce livre était au-dessous do tout. Il
faut avoir connu d'Aurevilly pour savoir l'incroyable
versatilité do cet écrivain, si haut et si noble pour-
tant, qu'une légèreté inouïe faisait capable de flotter
également sur les eaux basses ou les eaux profondes
et qui donnasouvent l'illusion delà plus monstrueuse
inconstance.
Il mefallut avaler cola comme tant d'autres choses,
ayant ce destin d'avaler, ma vie durant, tout ce qu'un
homme peut avaler. Aucune voix écoulée no s'élo-
vant pour moi, on eut le loisir de me fabriquer une
petite légende que le court dialogue suivant peut of-
frir on raccourci : — Ali oui, Léon Bloy, une fa-
1
232 LU pfxiîIUN Dlî L ABSOLU

mcuse cnnaillc ! — Une canaille ! dites-vous. One


savez-vons donc de lui ? — Oh ! rien du tout, mais
tout le monde sait, etc. Oui,j'ai l'honneur déposséder
une légende, la légende du Désespéré! Il y en a,
parmi les illustres, qui paieraient cela bien cher !
Puisque, par un eiïel imprévu, ce livre qui n'a pu
me faire vivre s'obstine à ne pas mourir, je le pré-
sente donc aujourd'hui a la génération nouvelle sortie
du fumier de la génération qui le vil éclore. Quel-
ques-uns, peut-être, parmi les jeunes, y trouveront
le réconfort que j'avais voulu donner à leurs aînés
et pourront, si Dieu le veut, sentir quelque frisson
généreux, en voyant un homme accepter une vie
dont les galériens ne voudraient pas, et subir celle
vie trente ans pour avoir le droit de dire quelque
chose.
« Je suis entré dans la vie littéraire 1res tard y,
écrivais-je en 1897, « après une jeunesse effrayante
et à la suite d'une catastrophe indicible qui m'avait
précipité d'une existence exclusivement contempla-
tive. J'y suis entré comme un élu disgracié entre-
rait dans un enfer de bouc et de ténèbres, flagellé
par le Chérubin d'une nécessité implacable, An;/elns
Domini coarctans eum. A la vue de mes hideux com-
pagnons nouveaux, l'horreur m'est sortie par tous
les pores. Comment se pourrait-il que mes tentaiives
littéraires eussent été autre chose que des sanglots
ou des hurlements ? » (Moi} Journal.)
LIÏ i):i.i:iiiN ni3 L'AHSOLU 233
Je le répète, quelques-uns trouveront peut-être
qu'un tel spectacle est assez unique et, s'ils sont ca-
pables de l'Absolu, ils auront, j'imagine, un peu plus
que de l'estime intellectuelle pour le vieil auteur de
ce Désespère qui est à peu près une autobiographie.
LKO.N BÎ.OY.

1i. —' Lecture de YOlivicr Gromwcll de Car-


lyle, traduction de mon cher camarade Edmond
Barthélémy. Bataille de Dunbar et lin du se-
cond volume.
Terrible homme de guerre que cet Olivier au
nom si étrange, mais combien sa piété parpail-
lote et sa prédicante manie me dégoûtent Car- !

lyle qui n'a pas plus le sens du ridicule que la


perception de l'hypocrisie de son héros, ne
s'arrête pas de proclamer son admiration. « Un
homme ivre de Dieu », s'éerie-t-il sottement :
Je me suis demandé s'il y avait jamais eu quelque
part, dans la moderne Histoire européenne ou môme
dans l'Histoire ancienne, un homme apportant dans
la pratique des affaires de ce bas monde un coeur
plus rempli de l'idée du Très-Haut ?

Saint Bernard, évidemment, n'est rien en


comparaison. Nos sectaires contemporains ne
sont pas plus hôtes.
2.H LE l'ÈLicniN ni; L'AHSOLU

1G. — Une dame qui m'appelle son « cher


cousin » parce qu'elle épousa, il y a trente-cinq
ans, un neveu de ma mère, me relance pour un
héritage de « quelques sous » à recueillir d'une
personne que je n'ai pas connue même de nom.
Il parait qu'étant l'aîné de la famille, il faudrait
mon consentement à la vente d'un titre indivis.
Réponse :
Madame, j'ai ou l'honneur do recevoir de vous uue
première lettre, en juillet dernier, louchant le môme
objet. Je vous ai répondu par l'aveu de mon igno-
rance cl de mon incompréhension totales dos choses
que vous vouliez, bien me communiquer. Je ne me
souviens pis d'avoir jamais entendu parler d'une
Mla9X....nonplusque de lafamilleZ...eljoncsaiscom-
ment je pourrais avoir des intérêts en commun avec
ces personnes. Ayant élé déjà berné indignement à
l'occasion d'un prétendu héritage, étant, d'ailleurs,
rempli de dégoût pour toutes les manigances d'ar-
gent, vous pourrez comprendre que celte nouvelle
chose ne doit m'inspirer (pie de la délianee et do
l'ennui. Cependant si, comme vous le dites, tout (?)
dépenddemou consentement, je suis prêt a ledonner
pour ne pas nuire à d'autres, mais à une condition
formelle, c'est que je n'aurai pas à faire un seul pas
et que je n'aurai strictement (prune signature à don-
ner. Je vous prie doue de faire en sorte qu'on m'en-
LE PÈLERIN DE I,'ABSOLU 235
Yoie une pièce toute préparée. J'ajoute que ne sa- «

chant rien de l'affaire et ne comprenant pas un mot


à l'argot do MM. les notaires, j'exige que cette pièce
soit intelligible, sinon je ne ferai rien et je ne répon-
drai môme plus.
.

19. — On s'occupe fort en Russie d'un cente-


naire de 1812. Raoux m'écrit à ce sujet et me
parle de la grande armée morte de froid. Je lui
réponds que la grande armée sans victoires de
nos catholiques mourra, cette année peut-être,
du froid qui est en elle-même...
Pour me consoler de cette amertume, une let-
tre m'arrive d'Eugène Borrel à qui j'ai lu hier
la préface du Désespéré et l'article sur Beetho-
ven promis à Vincent d'indy qu'on trouvera
quelques pages plus loin.
De Borrel :
Mon très cher Léon Bloy, Je suis encore dans l'ad-
miration de votre préface et de l'article sur Beetho-
ven, et, pour codernier,j'ai lasonsation très netteque,
parmi les innombrables auteurs qui se sont occupés
do lui, aucun n'a encore rien dit. C'est vous qui, de-
puis un siècle bientôt que sa grande amo a paru de-
vant Dieu, avez trouvé la première parole valable.
Le seul qui ait eu le droit do parler a été Berlioz,
mais il ne s'est occupé que du point do vue artis-
"236 LE 1'I:LI-IUN DE I/AUSOI.U

tique. Les autres ont compulsé des archives, remué


des atomes, établi précisément ce (pie Beethoven
avait l'ait dans la matinée du 15 juin 1807. Oue nous
importe ?
Le plus remarquable des biographes, avant Vin-
cent d'Imly, avait été R. Rolland, mais il est sor-
bonnard et la consigne est de ne pas parler de la
faiblesse d'esprit qui a poussé quelques grands hom-
mes (heureusement de plus en plus rares) vers les
pratiques religieuses. Aussi son livre très bien fait,
d'ailleuis, n'apportc-l-il pas la plus légère goutte
pour désaltérer ceux qui attendent les torrents para-
disiaques pour élanclier leur soif.
Ce qui est étonnant/ c'est que parmi les quelques
écrivains qui honorent le xix" siècle, ni Barbey, ni
Yilliers, ni llello, ni personne, n'ait touché, môme
en passant, à Beethoven. Il fallait cela pour que,
vous arriviez cl, en quelques lignes, pour que vous
fracassiez tous vos pré léecsseurs dont les gros
bouquins sont pulvérisés du coup. VAX mémo temps
c'est l'illumination totale de la vie de Beethoven. Vous
avez eu l'intuition, dans un éclair, de ce que nous dé-
chiffrons péniblement à la lueur de nos petites lam-
pes. Kt Beethoven m'apparaîl encore plus grand, plus
extraordinaire, plus voulu de la Providence. Mais
cela il n'y avait que vous à pouvoir le dire, parce
que vous êtes le seul écrivain habitué à respirer l'air
des hauteurs.
LE lÈLnniN un L'AUSOLU 237
21. — L'Ame de Napoléon. Knorme difficulté
du début de ce nouveau livre.
21).
— Un jeune homme habitant le XIII° ar-
rondissement et catholique très fervent m'ap-
prend qu'un homme s'est coupé la gorge dans
Téglise. « Les victimes de nos prêtres dans ce
quartier de misère », dit-il, « sont innombra-
bles ; victimes de leur lâcheté, de leur bassesse
de cceur, de leur avarice. Notre curé ne disait-il
pas, faisant une quête pour la restauration de
r^glise, qu'il ne voulait rien donner lui-même
(et il est riche) par humilité! pour que son nom
n'eût pas à figurer sur la liste des donateurs ».

Février
l'r. — Article publié dans les Tablettes de la
Schola :
BEETHOVEN
PAU VlNCKNT n'I.NDY

A KiHjène Ilorrtl.
I

J'ai devant moi un portrait inconnu de lîeethoven.


11 a été mis sous nies yeux par mon ami Kené Mar-
liucaii, l'Iiisloricn connu d'Emmanuel Chabrier. D'où
"J3S i K l'Ki.i-iu.N nu I.'AUSOI.I-

vient celte pointuro non signée et par quelles mains


a-l-elle passé depuis un siècle ? Car elle ">'". pas
moins d'un long siècle. L'original n'a certainement
pas dix-huil ans et, déjà, il semble porter le ciol et la
terre. La physionomie est d'un lion dans le genre
de notre Félix Raugel, ayant l'air de secouer les as-
tres quand il agile sa crinière.
A celle époque lointaine Ludwiglîeethoven n'était
encore qu'un petit virtuose par destination, étonnant
déjà, il est vrai, dont l'Allemagne enragée de mu-
sique, alors, avant et depuis, commentait à s'émer-
veiller. Ce serait peut-être l'occasion, si l'apparente
vie de ce monde était moins courte,de l'aire fonction-
ner mon chauvinisme et de contester le néerlandais
Reethoven h l'Allemagne abrutie par le Rrussianismc
depuis le déclin du Grand Empire. .Mais à quoi bon?
On me lapiderait par-dessus le Rhin avec les osse-
ments de Mozart, de Sébastien Bach, de Wagner
môme. La musique allemande est un préjugé aussi
incurable que l'anti-sémitisme et pour (.les raisons
analogues. Au jugement universel, éperdumenl dé-
siré par tous les coeurs purs, il y aura des ajourne-
ments et des chicanes de procédure à n'en plus sor-
tir, suscités par des anti-sémites et îles musiciens
allemands.
Regardons plu lot ce porlrajt. C'est presque celui
d'un enfant. Les couturières viennoises, à commen-
cer par la vaporeuse princesse Bagration, laquelle
11: l'i'i.MiiN i»i; I.'AUSOI.I; -VJ

est lxiisse, ne le trouveront pus beau. (!V>1 bien cer-


tain que sou ne/, en bossoir a quelque chine de pé-
nible et que labouelie manque de iinesse; mais quels
yeux, quels sourcils jupilérécns, quel Iront ! Ilsciail
intéressant, peut-être même un peu foudroyant pour
la pensée, de voir, à côlé de cette image, celle île
Napoléon à la même époipie, si quelqu'un la possé-
dait. Ils étaient presque contemporains, — à peine
quatorze mois d'intervalle,— lîeethoven étant, comme
tout li; monde, cadel de Napoléon. A ci; même âge
de seize ou dix-huit ans, le futur Dominateur ne de-
vait pas paraître plus beau que le jeune virtuose à
qui « Dieu avait conlié de conter un jour aux hom-
mes la Si/mj)hi>m'e puslorale •». L'adolescent l'ona-
parto ressemblait, dit-on, à un petit singe malicieux
et agité, en attendant que son Ame prodigieuse et
cent batailles grandioses lui eussent constitué celle
Face inouïe, sur laquelle Henri Heine devait lire, un
jour, distinctement, ces simples mots : « Tu n'auras
pas d'autre Dieu que moi. » J'avoue que l'idée seule
d'une lelle confrontation me bouleverse et je me de-
mande si, île ces deux monstres de génie, le petit
organiste de lionn ne paraîtrait pas le plus extraor-
dinaire.
Ce qui est sur et parfaitement mystérieux, c'est que
Dieu les a voulus en même temps : l'un pour .secouer
la terre comme elle n'avait jamais été secouée par
aucun Titan et pour disparaître Irentôl, en laissant
'2 10 n: 1
îiI:HIN un I.'.\II<OI.I;

après lui le plus haut oanliijuo de gloire que les


hommes aient jamais chaulé ; l'autre pour t^rolottor
dans la pénombre d'une douleur sublime qui sera
sentie do tous les coeurs vivants jusqu'à la fin du
monde; la douleur d'une Ame quasi surhumaine qui
ne rencontre pas sa limite et ne peut exprimer son
infini.
Napoléon qui croyait peut-être que fîoethc était le
plus grand des Allemands et qui le caressa volontiers,
ne paraît pas avoir connu même le nom de Beetho-
ven qui lui avait pourtant dédié sa Sijmphonie lièro'i-
fjnc, mais qui ne se serait pas laissé caresser. Le
vainqueur du Danube et de tous les Meuves n'étaitpas
fait, d'ailleurs, pour comprendre sa musique. I! en
pratiquait une autre où il excellait et il était artiste à
sa manière que nul n'égala et que les invincibles
Anges eux-mêmes ne pourront pas surpasser.

Pour toi, pauvre Beethoven, point de bonheur ;\


«
attendre du dehors. Tu devras te créer toutes choses
en toi-même. Dans le monde idéal seulement tu trou-
veras qui t'aime. » Il se parle ainsi a lui-môme, le
cher grand homme qui ne put jamais se faire aimer
d'aucune femme et que son art même ne put conso-
ler.
M: l'ii.iiii.N ni: I.'AIIÎÛI.I '2 i I

Triste coeur tendre dans une envi'loppi; dédaignée '


11 est terriblement
rate que le génie soit aimé des
femmes. « Klles aiment ce qui brille », disait Krnest
llello dont la laideur fui hyperbolique, « elles n'ai-
menl pas ce qui resplendit ». Lisez ce lamentable por-
trait physique tracé par Vincent d'Indy :
«... Voici qu'au tournant de la rue paraît un petit
homme trapu, à l'air renfrogné, aux yeux vifs sous
des sourcils grisonnants, les cheveux en broussaille
détordant un li;tul-(U'-furmc gris à larges bords. Avec
son teint île brique, son foulard blanc, son col dont
les pointes lui entrent dans les joues, avec sa lon-
gue redingote bleu-clair qui lui tombe jusqu'aux
chevilles et dont les poches sont bourrées de papiers
et de cornets acoustiques, avec son binocle ballant
et ea démarche gesticulante, il est la figure légen-
daire devant laquelle s'esclaffent les gavroches vien-
nois el qui faisait dire à M" « de Breuning : « Je n'ose
vraiment pas me promener avec lui » !
,
Les cornets ncoustif/uvs, hélas ! Il était devenu
complètement sourd. Ouclle étrange misère pour le
géant de la symphonie, pour leplusgrand musicien
du monde ! Il fallait donc (pie le ridicule injuste,
mais classique, de la surdité vint aggraver la dis-
grâce physique de sa personne. « Beethoven », dit
encore Vincent d'Indy, « être éminemment pur et
profondément chrétien, ne pouvait concevoir l'amour
sensuel qu'à la façon des commandements de Dieu :
i i
'21'2 u: PÎLIUUN in: I.'AIISOM'

on mariage seulement ». On pont inférer de là qu'il


mourut vierge — vicrye et sourd ! — cl cola, d'un
tel homme, n'est peut-être pas très loin du sublime.
Captif deux fois, séquestré, cadenassé dans le cachot
miraculeux de son génie, ne travaillant, semble-t-il,
que pour les esprils angéliques, et réduit à se nour-
rir exclusivement du pain moisi do l'admiration dos
hommes, cet amoureux grandiose et louchant, tou-
jours déçu, calmé seulement par un regard vers
« l'au-delà des étoiles », écrit, au lendemain du ma-
riage de Juliette (îuieciardi qui le désespéra, la cé-
lèbre sonate dénommée iippnsswnulu, « terrible cri •

de délresse et de désespoir, se terminant en glorieuse


fanfare ». Citons encore Vincent d'Indy :
« Nul pianiste n'en devrait entreprendre l'interpré-
tation s'il n'a lui-môme soull'ert... Cette (CIIYIO nous
parait l'une des plus carnetéristiquesau point de vue
de l'autobiographie de Beethoven. Dès le premier
mouvement, ces deux thèmes qui semblent faits l'un
pour l'autre, puisqu'ils procèdent du même rythme
et de la môme nature harmonique, et qui en arri-
vent, par une constante dépression, à se déformer
et à se détruire, malgré les tentatives de la pérorai-
son, n'est-ce pas — encore mieux défini (pie dans la
sonate dilc:/l» clair de lune— le roman douloureux
de l'année 1802? Après une prière calme, presque
religieuse, la passion reprend, exaspérée, mais, cette
fois, avec un ardent désir de remontée, et dans le
n: i'î:i.i:itiN nu I.'AII -oi.f '21 ^

triomphe linal, proclame par un insuffisant piano qui


doit se faire cors, trompettes el timbales, no l'eiiten-
(le/.-vous pas crier: ('/est moi ! Je suis redevenu Bee-
thoven i.nlin ! »
Il n *\ail jamais cessé de l'être sans doute, mais
qu'aïuait-il pu faire, sinon cela : le redevenir sans
cesse et de plus en plus? Les très grands Artistes,
claquemurés ou non, ne peuvent que courir après
leurs Ames, comme ils peuvent, en souffrant autant
qu'ils peuvent,el,par ce moyen,gagner leur vie éter-
nelle, en redevenant toujours eux-mêmes. Vérité
trop évidente. Plus un homme est grand, plus il
sent la Chute Originelle el le besoin de récupérer
son identité paradisiaque.
Beethoven « profondément chrétien », ses oeuvres
le prouvent, n'était pas un saint à la manière de
François d'Assise ou de n'importe quel autre imita-
teur du Christ. On ne me l'apprendra pas. Il fut un
des plus grands artistes du inonde, ce qui est, hélas !
autre chose, les dévols imbéciles ne manquent pas
une occasion de le dire. C'est peut-être pour cela
qu'il n'y a pas de croix sur sa tombe, ainsi que le
témoigne un croquis d'après nature de Vincent
d'Indy, au cimetière de WVhring, le 17 juin ISSO.
Jusqu'à celte époque du moins, cinquante-trois ans
après sa mort, on a pu voir celte monstrueuse indi-
gnité. LaMissn solemnis,« l'un des plus grandschefs-
d'oeuvre de toute la musique », est une chose chré-
1.1: nu IUN ni: I,'AH*OI.U
i 1
-
lionne pourtant. Los Séraphins et les Troues le
savent, les Dominations aussi, cl Noire Seigneur Jé-
sus-Christ ne l'ignore p;is.

III

Fussé-je vingt fois musicien, ce qui n'est pas ilu


tout mon cas, il me semble qu'après Vincent d'Iinl.V
je n'aurais pas lopins polit mot à «lire dos oeuvres de,
Beethoven. Lisez son livre et vous verrez si cela ne
fait pas tomber les bras de voir avec quelle force
tranquille, avec quelle sérénité puissante l'éducateur
infaillible de la Schola fait passer devant YOUS les
formes successives de la plus grande Ame d'artiste
que la divine Providence ait confiée a un pauvre
homme. Car il est bien sAr qu'on ne peut parler que
de l'Ame quand il s'agit d'un Beethoven.
« C'est ainsi qu'après plus de vingt ans d'une car-
rière déjà remplie de chefs-d'oeuvre, Beethoven pou-
vait dire, à l'aube d.ï sa quarante-septième année :
« MAINTENANT JE SAIS COMPOSER » Qu'importe le sens
!

technique du mot comj)oser? Il savait bien ce qu'il vou-


lait dire.—Jusqu'ici je n'avais pas assez souffert pour
être sArde mon Ame, pour la tenir dans ma main comme
unecavale domptée.!Mainlenantc'est fini. Elle m'appar-
tient bien et s'il lui pousse des ailes comme h un Pé-
gase, nous irons ensemble dans les cieux I... Son
Ame, sa chère Ame, il ne voulut jamais qu'elle,
I.I: i'î:u:iiiN m: I.'AUSOI.I; -i'>
croyant la trouver dans tous ees fantômes de femmes
qui traversèrent sa vie pour le lorlmvr î
Car il fut malheureux vraiment comme les pierres,
étant lui-même semblable à un de ces galets pitoya-
bles roulés ça et là par les values de l'Océan. La
plus grande partie, de sa vie, de 17'.>_\ si on veut, à
1S15, il l'ut, de loin ou de près, dans le tourbillon de
la guerre, au milieu des mouvements de troupes,
des bombardements, des invasions, des ramages
épouvantables ; toute l'histoire apocalyptique du HUM
et du jusant de la Révolution française. Deux fois
au moins Napoléon le contraria horriblement dans
ses pacifiques habitudes viennoises. Le canon d'Aus-
lerlilz, d'abord, puis le canon plus formidable d'Ks-
sling et de Wagram achevèrent de briser son infirme
tympan. Cet immense rêveur au coeur si tendre, il
lui fallut être, plus de vingt ans, le témoin, heureu-
sement sourd, île ce fracas inouï de tout un monde.
Mais quels durent être les émois de sa pauvre Ame à
l'aspect de la dévastation stratégique des rives de son
beau Danube et des environnantes campagnes où il
aimait à promener sa méditation solitaire i
Ah ! c'est bien toujours la même chose, la mémo
rançon des grands artistes, la souffrance mesurée à
leur grandeur Patentes patenter tor/nentn patientur.
1

L'obscurité souvent, la misère presque toujours, la


haine des médiocres, la dérision des chélifs, les hu-
miliations infinies, les deuils atroces et, pis que tout
il.
:?l(> i.i: iri.iiitiN ni: I'AISSOLI'
cela, l'immortel vautour (|iii les ronge, ces Tantales
de Dieu qui meurent de l'aim sous l'arbre du Para-
dis. A ne considérer «jno 1'arliste en Beethoven, qui
oserait dire qu'il a jamais pu se rassasier ? Pas plus,
je pense, que Miehel-Ange ou Shakespeare, ou Na-
poléon. Aucune couvre ne peul assouvir de tels hom-
mes. Si Napoléon avait pu vain ne la Russie et abat-
tre l'Anglete/re, que n'aurail-il pas ambitionné île
conquérir. Acstnnl infi'li.v... Le monde est trop étroit
pour ces lorpntcules de Juvénal.
Que n'a-t-on pas dit de la surdité de Beethoven ?
Quelqu'un croit-il qu'il aurait l'ait de plus grandes
choses avec une ouïe de sauvage ? Si Dieu l'empêcha
d'entendre les bruits de ce monde, c'est qu'il fallait
qu'en une manière les bruits de l'autre lui devins-
sent perceptibles; et qu'il fut ainsi capable de nous
traduire, vaille que vaille, en langue déchue, les
rumeurs du Paradis.
Voici quelque chose de beau qui nous est offert
par Vincent d'Indy :
VAX 1821, Beethoven disait, en plaisantant, avoir
«
prononcé l'oraison funèbre de Napoléon, dix-sept ans
avant la mort du Captif de Saint-Hélène. Aussi bien
celle oraison funèbre il aurait pu se l'appliquera lui"
môme, car les deux grands hommes soulïYirenl, à la
(in de leur vie, un destin pareil, tous deux isolés,
l'Homme de guerre dans une île de l'Océan, le Mu-
sicien dans son art inaccessible à la masse, tous deux
I-B l'ÈLKRIN D8 L'ABSOLU 2 17

séparés du reslo du mondo, l'arlisto do génie par sa


terrible infirmité, comme le conquérant déchu par
lamor inexorablo olla non moins inexorable Angle-
terre. »
Oui, sans doute, mais, parce que la vie prétendue
sensible n'est qu'un songe et que l'inlirmilô physique,
par conséquent, n'est que le songo d'un songe, il
arrivaquo, dans son agonio, le sublime sourd'e/i/cn-
dil enfin.— «Entondez-vous la cloche? » cria-t-il ;
« Voici que le décor chango ! » ot il expira dans

un éclat do tonnerre, au miliou d'une lempôto de
neige, le 26 mars 1827.
LÉON BLOV.

Lettre navrée de l'abbé Gornuau me commu-


niquant la réponse d'un prôtre sur lequel il avait
compté pour propager la Vie de Mêlante et qui
se dérobe, craignant de se compromettre. Celui-
là, paraît-il, est un bon prôtre. Qu'attendre des
autres, sinon la persécution ? Gornuau en arrive
à craindre une condamnation du Saint Office, à
cause de ce que je dis, page 29 de l'Introduc-
tion : « la Passion de l'Esprit-Saint ». J'ai dit
cela, il y a vingt ans, dans le Salut par les Juifs.
Il est vrai que ce livre n'a pas été remarqué.
Ah l on ne me ménagera pas les amertumes et je
"2 iS i.i: rri.i'iUN ni: L'AIISMI I'
le savais. Il faut croire que le diable a besoin
d'ôtre déchaîné. Ce résultat pourrait être procuré
par mon livre.
.le renvoie à Cornuau ia lettre de son corres-
pondant en lui citant le texte fameux : Si con-
silium hoc est I)eo} non polcritis dissolvere illud,
neforle et Deo repugnare inventa dni. Le prin-
cipal grief porte sur ceci qu'il ne faut pas de
choses extraordinaires. Kcce nova facio omnia,
dit le Seigneur. Traduction sulpieieniie : « Je
ne ferai rien d'extraordinaire ». Kn supposant
que mon livre puisse être condamné, ce que je ne
crois pas, cette condamnation ne pourrait être
connue qu'après que mon livre, répandu partout}
aurait produit tout son elfet. Donc, paix dans
nos âmes el confiance en Dieu.
Continué L'Ame de Napoléon avec acharne-
ment. Malgré la difficulté, malgré la tristesse de
voir la misère s'approcher, j'obtiens un assez
honorable résultat et je vois ou crois voir une
belle oeuvre grandir.
3. — L'hiver exceptionnellement tardif se dé-
clare enfin avec férocité. Le thermomètre est
tombé, ce matin, au-dessous de dix degrés et
noire provision de charbon est épuisée. On
brûle de la poussière. Une fois de plus, je sens
w. l'i'i.riiiN m: I.'AII-OIU 2 i!>

la vieille grilfe de la misère et la tristesse m'ae-


cable. Il faut travailler cependant.
o. — Trouvé dans le Journal un article inti-
tulé De la mendicité par Urbain (lohier. c Un
homme <jui tend la main n'est plus digne d'in-
térêt... Les humbles, c'est-à-dire ks mendiants,
rejetons-les. Les humbles ! llicn quo ce mot
donne la nausée. Iln'ya pas de place pour l'hu-
milité dans une démocratie.» Je découvre ainsi
que le Magnificat n'est pas une démocratie.
\). — Mise en vente de la Vie de Mêlante.
10. —Mort du ci-devant Père Hyacinthe Loy-
son. Dernières paroles decet apostat: « .le puis
paraître devant Dieu. Je suis en paix avec ma
conscience et avec ma raison ! »
14.
— Confirmation à Versailles de mon pe-
tit tilleul Pierre-Léon van der Mcer, aucun rè-
ylcmcnt dans ce diocèse ne s'y opposant comme
dans celui de Paris. On sait que nos évêques
sont tous des papes et qu'ils font ce qu'ils veu-
lent, à l'exception peut-être de Mgr Amettequi
fait ce que veut l'ambassadeur d'Angleterre,
quand il s'agit de Jeanne d'Arc (Voir plus haut,
'M décembre 1011). Après la confirmation, l'évê-
que de Versailles, moins altier que son métro-
politain, a daigné nous recevoir. Occasion pour
•J.'iU i.i: iii.i.iiiv m: i.'Aiism.r

moi de lui oll'rir lii Vie de Mêlante. (le pontife,


ignorant jusqu'à mon nom, ainsi qu'il convient
à un dignitaire ecclésiastique, informé seule-
ment, séance tenante, de ma qualité d'écrivain
catholique et laïque — capable, par conséquent,
d'atteindre les âmes situées hors de l'Kglise —
nous a parlé, avec un enthousiasme i'rigori-
lique, des conversions innombrables procurées
par la JJunne Soujjrance de Coppée. J'aurais pu
répondre que ces conversions, certainement très
sentimentales, pourraient être misesen balance
avec le vomissement contraire de tous les in-
tellectuels. Je me suis prudemment précipité au
silence.
18. — Ktonnante visite de W.dil le prophète
de Montmartre, pauvre bondieusard à ligure de
sacristain de village et commissionnaire attitré
de tous les aveugles de la piété qui l'investis-
sent de leur confiance. Il se dit envoyé par un
comité de je ne sais quoi, pour connaître la ré-
duction de prix qu'on pourrait obtenir en ache-
tant la Vie île Mélanie en quantité considérable,
100 à :i0() exiîin plaires. Aventure éblouissante
Je réponds à ce messager qui ne sait rien des
choses de la librairie, que je ne suis pas ven-
deur de mes livres et qu'il doit se concerter avec
u: H.I.!:KIN m: i. AHSIU.U -,')1

Val lotte que je l'engage à voir dès demain.


It). — \V. a vu Yallelte ce matin et l'allaire
a été conclue sans dilïiculté. Mélanie me protège,
(Quelques dédicaces :

A. M Alfred Pouthier. — IJUC. j'ai du connaître


°
autrefois en Russie, quand j'étais un oins blanc
A ma filleule Raissa Maritain. — lîaïssaou Ra-
l'iicl signifie brebis dans la vieille langue de les an-
cêtres, et voici que Celle tjni pleure t'envoie sa ber-
gère.
A une personne complètement sourde.— D'un
habitant des ténèbres une habitante du silence.
à
A Philippe Raoux. — De la Sa lot le. en Pologne,
il y a j)enI être di>c mille lieues ; de Bourg la-Keine
il n'y a pas même un pas.
A Félix Raugel. — La plus belle musique du
inonde peut-elle être autre chose que l'harmonie de
la respiration des saints ?
A M1'' T...— (.«e livre donné sur la grand'roule par
('elle qui pleure a un vieu\ mendiant.
A un chirurgien illustre autant qu'incroyant. —
Pour l'opérer tle ses écailles, sans aneslhésie.
A Véronique. — Voici ce livre que lu aimes, ma
lille bion-aimée. Lis-le souvent avec tout ton coeur,
pour qu'il le remplisse d'un grand désir de devenir
petite et sacrifiée, comme fut Mélanie jusqu'à son
dernier jour.
'J52 LK l'ÈLEIUN DE L'AH.SOLU

A mes filleuls Pierre-Matthias et Pierre-Léon


van der Meer de Valcheren. — Uhi thésaurus, ibr
cor. Mon trésor, c'est vous, c'est les quelques Ames que
j'ai eu l'honneur de présenter au seuil de l'Kglise.
Comment mon coeur ne serait-il pus avec vous, mes
bien-aimés ?
A Christine van der Meer. —
Ta patronne, une
des plus étonnantes martyres, fui abominablement
suppliciée, à l'agc de dix ans, par ÏOII propre père,
pour sa récompense d'avoir détruit toutes les ido-
les qui se trouvaient dans la maison. MAlanie nous
encourage à profiler de cet exemple-
A Emile Baumann. — VM lui faisant remarquer
que les inondations qui l'épouvantèrent, il y a deux
ans, étaient, en réalité, les larmes do Notre-Dame
de la Salelte.
A André Dupont — qui a eu l'audace de mar-
cher en avant du Vieux de la Mnnlayne, ce qui l'ex-
pose à l'admiration de nos plus fétides contempo-
rains.
20.— A mon filleul Jacques. J'insiste sur son
devoir de chrétien laïque, de donner lui-môme
le baptême à son beau-père, vieil israélitc mo-
ribond, môme en cas de refus obstiné, à la der-
nière heure.
Le passade de ce
qu'on nomme la vie à ce qu'on
nomme la mort est un moment dont la durée appu-
LE PÈLEIUX J)B L'ABSOLU
253

rente est rien ou presque rien, mais dont la durée


réelle est inconnue. En supposant même l'obstination
invincible, il se peut très bien qu'alors, avant que
l'âme ait quitté ce monde, illuminée soudainement,
clic ait un horrible regret de son refus et une joie
infinie du secours arrivant quand môme.

21. — Une dépêche m'informe du baptême,


ce matin, « en pleine connaissance et volonté ».
24. —Lettre complétant la dépêche :

C'est encore bien plus beau que tu no peux croire.


Mais aussi c'est déchirant, car il va bieutôt mourir.
Et c'est la première lois que je vais voir cela. Avant-
hier, mercredi des Cendres, il a demanda au méde-
cin, nous ayant tous fait sortir, la vérité sur son étal.
Le médecin lui a parlé en chrétien. Alors il a dit, lui
si extraordinairement peureux : « Il faut me prépa-
rer. Je veux faire ce que me demandent les enfants.»
Le médecin nous a appelés. Je l'ai baptisé moi-môme.
Et après cela,la Grâce du bon Dieu s'est vue comme
avec les yeux. Elle a entièrement transformé son Ame.
11 a d'abord demandé à porter à son cou les médail-

les qu'il avait sous son oreiller. Puis il a dit qu'il


voulait voir un prêtre qui lui enseignai la vérité. Puis
qu'il voulait avoir tout ce qu'on donne a ceux qui
vont mourir. Nous lui avons copié, avec des lettres
russes, l'Oraison Dominicale et l'acte de charité.
15
-Ôi LK PÈLERIN DK 1,'AIISOI.U

Celait une chose admirable de le voir et de l'enten-


dre épeler péniblement ces divines paroles, aidé de sa
fille. 11 porte su. son coeur le papier où sont écrites
ces prières, avec des invocations à Marie. Que te dire
mon cher ami ? Aujourd'hui Barnabé-Judc, c'est son
nom, a reçu le saint Viatique et rLxlrème-Onetion.
Demain, si Dieu lui donne de vivre encore, l'ôvéque
de Versailles viendra le confirmer. Il a toute la foi.
Le prêtre qui s'occupe de lui est dans l'émerveille-
ment. Ne sachant pas les prières, pendant toute la
cérémonie d'aujourd'hui, il n'a cessé do l'aire de grands
signes de croix. Avec cela, des yeux pleins de lumière,
une paix céleste et celle noblesse merveilleuse delà
Race aînée enfin illuminée !
Pensera ce qu'il était, il y a trois jours, et à ce
qu'il est aujourd'hui, c'est absolument bouleversant.
.Mais pour le corps, c'est lamentable. 11 a été beau-
coup mieux le jour du Baptême, mais ensuite... Alors
malgré ce que j'ai vu de la Miséricorde divine dont
le contact si manifosteest écrasant, j'ai peurde l'ago-
nie qui peut élre longue. Priez pour nous, mes bien-
aimés...

Cette lettre m'a été communiquée à peu près


en munie temps que m'est arrivée la nouvelle
de la mort de ce bienheureux enfant d'Abra-
ham. J'ai su que l'évèque de Versailles, quoique
empoisonné de gymnastique, n'avait pas dé-
mw$m^^lïw&

LB PÈLERIN DE l/ABSOLU 255


daigné de porter à ce pauvre malade la Confir-
mation, démarche pastorale qu'il ne faudrait
sans doute pas demander à l'Archevêque de
Paris.
27. — La Folie de Jésus. Article immonde
signé d'un insecte littéraire du nom de Paul
Reboux, lequel appuie la thèse d'un cuistre
infâme qui a entrepris de démontrer patholo-
giquement que le Fils de Dieu était un aliéné.
Le dégoût infligé par de tels pourceaux est in-
dicible. On m'apprend que ce Heboux est fils
d'une modiste et qu'il a eu pour précepteur
Victor Gharbonnel Chapeaux et apostasie
1 1

28. — D'un interviewer, à propos de La


Colline inspirée. Barres parle :

J'aurai, toute ma vie, répété la même chose, taché


d'exprimer une profonde symphonie qui est en moi
et do l'exprimer toujours plus complète et plus nuan-
cée, avec ses mille chants qui doivent s'accorder,
s'harmoniser. 11 n'y a pas plus dans mon dernier
livre que dans mon premier do volonté claire ; je
transcris plus que je n'écris. Jo m'écoule l (Chariot
s'amuse.) La réflexion, la volonté n'interviennent que
pour employer au mieux les matériaux, les thèmes
qui naissent on moi spontanément.
'250 I.K l'fcl.KHIN I)i: I, AliSOI.U

Il est pénible que le sens du ridicule fasse


défaut si complètement à ce joli académicien.
29. — Un religieux de Lorraine qui vient
d'hériter, l'ait dire pour nous quatre cents
messes.

Mars
1". — Le graveur Georges Lemaire me fait
cadeau d'un des tout premiers exemplaires de
sa médaille commémorative de 1870, instituée
pour les combattants. J'apprends que le seul
roi de Serbie a été favorisé de la sorte.
4. — Continué l'Ame de Napoléon. Quel tra-
vail chaque chapitre, occasion d'angoisse, de-
!

vant être tiré, comme un poème, de mon pro-


pre fonds, sans le secours vraiment profitable
d'aucune documentation.
11. —Lettre cocasse d'un jeune Hollandais
qui ambitionne mon amitié. Use dit espèrantiste,
homme de commerce, et veut devenir prêtre.
Lu Le vrai (!) Jfuj'smans, par un Gustave
Coquiot qui prétend l'avoir bien connu. Ce Co-
quiot est un simien. N'imaginant rien de plus
beau que lluysmans, il a pris exactement son
style pour parler de lui, au point que son pauvre
M: i'Ki.i:»i.N m-: L AIIVJI.U -.)/
livre pourrait être cru l'oeuvre de Iluysmans
lui-même. J'y suis désigné comme pamphlé-
taire, naturellement :

\']{Iluysmans entretient ses amis «les eflluves


saints qui, maintenant, l'assaillent.

12. —Dédicace de l'Invendable à Pierre van


der Meer :

« Ce (pie je connais de plus invendable et, p^ut-


étre, de pins impayable, c'est ma tendresse pjur toi,
mon cher filleul. »

1').
— Nouvelle visite du prophète de Mont-
martre mentionné le 18 février. Le comité (?)
qui a déjà acheté U00 exemplaires de la Vie de
Mêlante, voudrait maintenant acquérir toute
une édition de cet ouvrage. Il parait que l'en-
thousiasme est extrême. Mus ces gens pré-
tendent m'imposer l'insertion, dans le livre
môme, d'une page bondieusarde et ridicule de
leur fabrication. Mon refus s'exprime en un lan-
gage peu châtié.
14. —Voici une surprise merveilleuse, une
des belles émotions de ma vie. Mon livre en-
voyé à llachilde a déterminé en elle un enthou-
"238 M; rîaeiuN ni: I,'AHSOLU

siasme extraordinaire ; et cela, c'est le fait de


Mélanie seule qu'elle admire éperdùment. Ra-
childe a été comme foudroyée par le récit de
la petite Bergère. Aussitôt, jetant de côté tous
les romans vénéneux dont elle a pour métier
de rendre compte, elle a passé la nuit sur ce
livre et, tout de suite, a fait pour Paris-Journal
un article qu'elle tient à me lire. Son émotion
était telle que je la voyais presque en larmes.
10. — Lettre extrêmement douloureuse de Flo-
rian à qui on refuse partout les sacrements en
Moravie et que cela désespère. Refus anticano-
nique et monstrueux de la Table sainte et du
tribunal de la Pénitence à un enfant de l'Eglise
nullement excommunié, coupable seulement d'ai-
mer ostensiblement La Salettc et d'avoir traduit
mes livres ! Il me demande conseil.
17. — A Rachilde dont je viens de lire l'article
dans Paris-Journal :
Hncluldc, ma très chère amie, je viens de le lire,
votre très bel article, avec une émotion vivement par-
tagée par ma femme. Nous sortions de l'église et nous
avons remarque que cette joie, faiblement espérée,
nous arrivait précisément le dimanche de Lvlarc (Ré-
jouis-toi). Ce n'est pas la première fois (pie YOUS
montre/ votre coeur à propos de moi. Mais aujour-
LB PÈLERIN DE L'ABSOLU 259
d'hui cela va plus loin et je l'ai profondément senti.
Ah I que j'en ai connu des dévotes, ma bonne Ra-
childe, qui ne vous valent pas. Je ne sais rien vous
dire de plus, vous m'avez boulevorsé.

18. — La contre-partie ne se fait pas atten-


dre. Une carmélite m'écrit une longue lettre.
Elle voudrait des modifications importantes. Son
opinion sur le Secret est, au fond, celledes en-
nemis et paraît lui avoir été suggérée. Elle va
jusqu'à dire : « Mélaniene serait-elle pas l'ins-
trument de Satan pour déshonorer le prêtre,
aussi bien que l'envoyée de Marie pour l'aver-
tir ? » Cette pauvre religieuse ne voit pas de
quelle haine hypocrite et doucereuse elle se fait
l'écho.
10.— Je remercie Pouthier pour une brochure
venue hier soir, en le priant de ne rien m'en*
voyer de Frédéric Masson qui est un gâteux de
naissance et qmfait vraiment trop dans ses livres,
VAme dé Napoléon^ chapitre VIII. Le Sacre
envisagé comme l'Ëxtrôme-Onction administrée
à l'Europe moribonde.
21. — A une jeune fille .*

Mademoiselle, je serais tout a fait indigne des cho-


ses aimables que vous avez bien voulu m'écrire si je
200 u: ri:i.i:iiiN DK I/AISSOI.U

prétextais mes occupations pour n'y pas répondre.


Je vous prie donc de dire a mon cher ami Ilicanlo
Vhïcs que je suis très mécontent de lui. D'abord il
semble avoir pris la résolution de ne plus me voir,
ce (pli est par trop catalan. Knsuile, et cela est beau-
coup plus grave, il vous laisse inexcusablcmcMt igno-
rer (jue la qualification de Mnîfrc m'est odieuse,
n'étant pas huissier ni même académicien. Ouaiid il
m'accuse d'être terrible, c'est une autre perfidie. Il
sait très bien (|ue je suis le plus doux des taureaux,
n'ayant éventré jusqu'ici (pie de lamentables rosses
désignées déjà pour l'équarrisseur, et toujours prêt à
m'agenouiller gentiment aux pieds d'un généreux
toréador. Kn m'exeusanl de vous charger d'une telle
mission, je vous prie, .Mademoiselle, de ne voir en
moi (pie votre très humble serviteur.

'M. — Trouvé dans Tolstoï, Sonate à Kreutzer :

lui ville, un homme peut vivre cent ans et ne pas


remarquer qu'il est mort et pourri depuis longtemps.

J'en conclus que nous subsistons dans un très


puant charnier.
r.H l'KI.EMN DE [/AÎIÎOLC 201

Avril
l'r. — Location d'une chaumière à Saint-Piat,
dans l'Eure-et-Loir.
4. — Jeudi saint.— Eglise de I3ourg-la-llcine.
Communions très nombreuses et probablement
peu fréquentes. Ce pays de bourgeois veut qu'on
croie qu'il tient à la religion, en temps pascal.
11. — D'un très humble religieux qu< me lit
avec amour :
Voici une belle pensée du l\ île Coudren : « Je
m'étonne », disait ce saint prêtre,* de n'être pas com-
blé de richesses et d'honneurs. La richesse est une
malédiction que j'ai bien méritée par mes péchés. >•

Donc, si, depuis si longtemps, vous vous promenez


dans le Paradis terrestre de la Souffrance et de la
Pauvreté, regardez-vous comme un béni de Dieu.

Du même :

Les ileux lléioltes el les ileti.v Cfii'itimenls.


Les Princes de la Synagogue ont obstinément re-
fusé de reconnaître Notre Seigneur Jésus-Christ
comme Fils de Dieu. Ils n'ont pas voulu croire en Lui
malgré ses miracles éclatants, la sublime perfection
13.
202 I.K l'îci.iRiN iu: I.'AHSMI.U

de sa doctrine et la merveilleuse beauté et sainteté


de sa Vie. Leur crime inouï a attiré sur la descendance
d'Israël d'épouvantables châtiments qui continuent
depuis (lix-ncut'cenls ans. Pi la le lui-même, un païen
pourtant, ctVrayé de la colossale iniquité que lui de-
mandaient de sanctionner, par une condamnation lé-
gale, les enfants dégénérés du grand Abraham, leur
dit, à bout d'arguments et en se lavant les mains :
Je cède à la violence morale que vous me faites,
>.<

mais je suis innocent de la sentence que vous m'ar-


rache/, et de l'effusion du sang de ce Juste. » Fcou-
lez leur réponse terrifiante : Que son sang retombe
<<

sur nous et sur nos enfants ! »


Ah les malheureux Comme ils ont été exau-
! !

cés !
Depuis plus de soixante ans, les Chefs d<i l'Fglise
de France frappés du plus opaque aveuglement, ré-
cusent, avec une non moins Apre obstination que les
Juifs, le .Message miséricordieux de la .Mère du Cru-
cifié, de la Reine du Paradis qui nous l'apporta en
pleurant, le 10septembre 1810, et le communiqua à
Mélanie Calval, Bergère de la Saletle, afin que les
ministres de Dieu l'enseignassent à tout le peuple
chrétien. Les Papes, les meilleurs Fvêuues, les plus
saints prêtres, ont cru à la véracité de la Voyante.
D'ailleurs de nombreux miracles oui attesté la réa-
lité du fait de l'Apparition, reconnu par l'Fglise.
N'importe, la grande majorité de nos Pasteurs
u: I'ÎCUÎKIN DI: Î/AH-OI.U "203

semble dire, el avec quelle hauteur à l'Ambassadrice


!

de Dieu :« Si vous trouvez trop pesant le Iîras de vo-


tre Fils, eh bien ! ne le retenez pas plus longtemps
et qu'il nous écrase. Nous préférons les catastrophes
inconnues dont vous nous menacez et qui paraissent,
chaque jour, plus prochaines, a l'humiliation défaire
passer votre Message à votre Peuple. Submergez,
si vous le voulez, la Chrétienté dans l'océan de tou-
tes les douleurs ; broyez-la sous l'avalanche des plus
inimaginables calamités ; mais tenez pour assuré
que nous ne vous obéirons jamais, parce que vous
nous avez manqué de respect !!! »
«Il estbien certain, «lisait Mélanie, le 2 juillet 1880,
que de grands mau\, de grands lléau\ tomberont
sur notre pauvre France et que la Révolution de '.>.'?
n'esl rien en comparaison de ce qui va survenir. »

10. — Idiotie du Comité (?) de Montmartre.


Par curiosité, je me suis l'ait envoyer le papier
qu'on voulait me l'aire insérer dans une nou-
velle édition de la 17'? dn Mi'lanic. La stupidité
de celte page me parait plus intolérable que le
premier jour. Cela commence naturellement
par « Souvenons-nous » ; il est parlé des «yeux
Termes », du «divin Frère », des « devoirs d'é-
tat», et cela fiii.it par « Ne l'oublions jamais ».
Le crétinisine du monde catholique a quelque
'2lH I.E PKI.BIUN DE I/AHSOI.U

chose de surnaturel et ressemble sacrilègoment


au Kepos du Septième Jour.
17. — Les journaux sont remplis de la catas-
trophe du Titanic^ le plus immense des trans-
atlantiques. Dès son premier voyage, il vient
d'èlreéventré par un iceberg. Un millier d'hom-
mes à peine ont pu être sauvés sur quatre mille
environ (pie portait ce bâtimentdiabolique chargé
de richesses. Des milliardaires ont été noyés.
Un luxe inouï les environnait, en même temps
qu'il y avait, à fond de cale, une sorte d'enîer
pour les pauvres émigrants. J'ai pitié de ces
derniers, mais quel autre sentiment que la plus
douce consolation pourrais-je éprouver,en pen-
sant aux autres ? Kxcandescel in illos aqua ma-
ris.
11).— On m'envoie un numéro du Miroir où
se trouve un article d'une fétidité inouïe sur
Arthur Meyer, article dicté par lui-même où
le vieux drôle se donne en exemple à tous les
arrivistes.
2'i. — Vue étape de la conversion de lluys-
mans. L'auteur, André du Kresnois, m'est fort
inconnu. Il parait avoir voulu déshonorer com-
plètement Jluysmans, en publiant des fragments
de lettres où se manifestent affreusement la
u: PÈLERIN DK L'AIISOI.U "205

sécheresse et la vilenie du personnage. Le so-


leil y est nommé « l'astre ignoble » et les latri-
nes « le petit confessionnal corporel ». Je con-
naissais déjà ces charmantes expressions. Je
savais aussi sa haine pour la Salelte, son mé-
pris pour les montagnes et sa parfaite inintelli-
gence de toute grandeur naturelle ou surnatu-
relle. J'ai suffisamment dit tout cela dans les
Dernières Colonnes de VPJglise, mais voici du
nouveau.
La Salelte, en tant que pèlerinage, est sans intérôl,
mais je rapporte des documents sur l'Apparition qui
n'est pas du tout celle racontée par le Clergé. (Tout
document tendant a salir ou a llètrir était authen-
tique pour IIuysmans.)Il y a là de bonnes révélations
à faire et qui ne seront pas du goût de l'Lglise qui a
volontairement falsifie les faits et fabriqué une madone
tjui débite des discours médiocres sur les récoltes.
L'église faussaire et cette Madone 1!!
1

Une lettre du 10 octobre 181)1, c'est-à-dire


de l'époque présumée du commencement delà
conversion, nous olFre ceci :
le me contamine dans mon bureau et trouve le
temps long. Quelques pratiques, tantôt religieuses,
tantôt obscènes, me remontent un peu, niais c'est de
durée si courte 1...
1265 LE ri:i.EKix nu I.'AISSOIX

Voilà donc la recrue précieuse que nos catho-


liques ont tant admirée Ayant connu Iluys-
!

mans beaucoup mieux et beaucoup plus que


personne, ayant d'ailleurs souffert par lui cl
pour lui, je sais et j'affirme que sa conversion
fui parfaitement sincère ; mais il devint catho-
lique avec la très pauvre ame et la miséreuse
intelligence qu'il avait, gardant comme un tré-
sor l'épouvantable don de salir tout ce qu'il
touchait, et mourut enfin sans avoir compris
qu'il avait le devoir d'implorer, dans les cru-
elles soull'ranees de sa lin, le pardon et les pri-
ères d'un certain homme qu'il avait traité,quinze
ans auparavant, avec la plus horrible injustice
et presque réduit au désespoir.
iio. — Fin de l'A ma de Napoléon.
~2$.
— La Semaine religieuse, qu'on ne peut
jamais trop lire, m'apprend qu'après une messe
solennelle, à la Madeleine, pour les naufragés
du Titanic, parmi lesquels se trouvaient tant de
précieux millionnaires, Algr Amette, en quel- <<

ques mots émus, associa, dans un hommage


suprême, les morts du Titanic et ceux du
champ de bataille » !!!
Ce pauvre cardinal n'en rate pas une.
2i). — L'événement qui remplit toutes les
M: l'IXEHIN Pli I. A1ISOI.U -'»/
feuilles et toutes les cervelles, c'est la capture
et la mort de l'anarchiste Bonnot, chef d'une
bande qui terrifiait Paris et la province depuis
des semaines : vols, cambriolages, assassinats.
En remontant jusqu'à Ravachol, je peux dire
(pic je n'ai jamais rien vu de plus ignoble, de
plus totalement immonde en fait de panique et
d'ellervescence bourgeoise.
Le misérable s'était réfugié dans une bicoque,
à Choisy-lc-lloi- Une multitude armée a fait le
siège de celte forteresse défendue par un seul
homme qui s'est battu jusqu'à la lin, quoique
blessé, et qu'on n'a pu réduire qu'avec une
bombe de dynamite posée par un héros (!) qui
a opéré en se couvrant d'une charrette de foin
et cuirassé de matelas.
Les journaux ne parlent j'ie d'héroïsme. Tout
le inonde a élé héroïque, excepté Honnol. La
population entière, au mépris des lois ou règle-
ments de police, avait pris les armes et tiraillait
en s'abrilant. Quand on a pu arriver jusqu'à
lui, Honnol agonisant se défendait encore et il
a fallu l'achever.
(ilorictise victoire de dix mille contre un. Le
pays est dans l'allégresse et plusieurs salauds
seront décorés.
26S LE PÈLERIN DE L'ABSOI.I'

Heureusement Dieu ne juge pas comme les


hommes. Les bourgeois infâmes et tremblant
pour leurs tripes qui ont pris part à la chasse,
en amateurs, étaient pour la plupart, j'aime à le
croire, de ces honorables propriétaires qui vi-
vent et s'engraissent de l'abstinence ou de la fa-
mine des pauvres, chacun d'eux ayant à rendre
compte, quand il crèvera, du désespoir ou de la
mort d'un grand nombre d'indigents. Protégés
par toutes les lois, leur infamie est sans aucun
risque. Sans Dieu, comme Bonnot, ils ont l'hy-
pocrisie et l'argent qui manquèrent à ce malheu-
reux. J'avoue que toute ma sympathie est ac-
quise au désespéré donnant sa vie pour leur
faire peur et je pense que Dieu les jugera plus
durement.
Cette brillante alTaire avait nécessairement
excité la curiosité la plus généreuse. Ayant duré
plusieurs heures, des autos sans nombre avaient
eu le temps d'arriver de Paris, amenant de no-
bles spectateurs impatients de voir et de savou-
rer l'extermination d'un pauvre diable. Le coin*
ble de l'infamie a été la présence, dans les autos,
d'une autre armée de photographes accourus,
comme il convient, pour donner aux journaux
tous les aspects désirables de la bataille.
u: l'Li.rniN ni: I.'AIÎMUI' -Gl>

Mai

2. — A Aurrlicn (loulanges, auteur tlun tirs


l)Oii article sur moi dans les Marches de Pro-
vence, revue marseillaise :

Cher monsieur, l'Apôtre saint Philippe m'a envoyé,


hier, les Marchfs. Je réponds très rarement aux ar-
ticles qu'on daigne écrire .sur moi de temps en temps,
la vie étant, comme vous le savez, très courte et l'in-
telligence de mes juges ou leur bonne foi, plus courte
encore. Cependant je veux vous dire que vous m'avez
donné une émoi ion très douce et qui n'est pas loin
de ressembler à une sensation amoureuse. C'est une
sorte de justice qui m'est ordinairement et discipli-
naircmenl refusée par les hommes à plumes. Si vous
me donnez votre adresse, je vous enverrai mon livre
sur Napoléon devant paraître en octobre. Ce livre
qui n'aura pas plus de trois cents pages est le résul-
tat de dix ans de méditations douloureuses et le plus
grand effort de ma vie d'écrivain.

Relu Le Maître de la 'J'erre de Renson qui m'a


tant impressionné en 11)01). Mon sentiment dé-
finitif est moins favorable. Plus artiste que pen-
seur, Benson qui a en vue ee qu'on nomme la
'270 LK I'KLEIUX DE L'AUSOLU

fin des temps et l'Antéchrist, ne me parait pas


avoir pressenti exactement ce qu'il peut y avoir
à pressentir. Il suppose une humanité substi-
tuant le culte liturgique d'elle-même au culte
divin. Je crois, au contraire, à l'indifférence la
plus abjecte, la plus universelle et totale. Puis
Benso'i, ici comme ailleurs, cherche surtout
l'angoisse intérieure, la peur. Et cela ne peut
pas venir de Dieu.
I). — « Le Drame du Titanic » par un mon-
sieur qui raconte ses impressions au Journal,
sans omettre qu'il a été admirable de sang-froid :
M. Gugenlieim, le milliardaire appelé « roi du cui-
vre », me serra la main avec un calme merveilleux'
disant: « Pour moi,ça m'est égal,j'ai fait ma fortune,
J'ai vécu ma vie. >>

10. — A quelqu'un qui n'a pas encore vécu sa


vie, en lui donnant un de mes livres :

(.l'est tout ce (pie peut faire [tour vous un pauvre,


(lai* tout peut changer, excepté cela, Dieu le voulant
ainsi. Autrefois je cherchais des pièces de cent .sous ;
aujourd'hui, Agé de soixante-cinq ans et père de deux
grandes Mlles, je cherche des sommes beaucoup plus
fortes. C'est toute Indifférence. Il convient de souffrir
LE PKLRRIN DE L ABSOLU '2 I 1

et d'être profondément humilié, quand on s'éloigne


du monde pour aller au-devant de la Face de Dieu.

12.— Dans le Vieux de la Montagne, page il!),


j'ai eu l'occasion de parler d'Eugène Calvat, frère
de Métairie, « un pauvre vieux maçon très hum-
ble et vivant de son travail à soixante-dix-sept
ans, circonstance qui parait singulièrement ho-
norable pour les chapelains prospérant sur la
montagne ». Un pèlerin de mes amis a eu l'idée
peu banale de s'y taire accompagner par ce
vieillard et voici ce qu'il m'écrit :
Le frère de Mélanie voulut bien se joindre à moi,
mais non sans m'infornier au préalable de la mal-
veillance dont il était l'objet de la part I\CA Chape-
lains de la Saleltc.
— Loin de me faire visite, lorsqu'ils descendent à
Corps, les Chapelains affectent île m'éviler. .le fus
appelé, un jour, à faire un travail de maçonnerie dans
leurs bâtiments. En bons comptables qu'ils sont, ils
retinrent sur ma journée les deux ou trois heures de
mon voyage. Je ne saurais, d'ailleurs, m'étonner de
leurs procédés à mon égard, quand je pense à la ma-
nière dont ils ont traité ma soeur. Pour ne citer qu'un
seul fait, Mélanie lors de sa dernière visite à la Sa-
lelle, ayant, avant son départ, demandé un café au
lait, le malin, l'hôtelier, eu lui présentant la lasse, lui
272 LE I'IXEUIN m: L'ABSOLU

réclama un franc! .Ma soeur s'exécuta,mais nous par-


tîmes tous deux profondément écoeurés. Au surplus,
vous pourrez juger par vous-môme de leur désinté-
ressement.
Arrivés à la Salelte, on nous conduisit à l'hôtelle-
rie et là s'engagea le dialogue suivant :
— Quelles sont les conditions du séjour ? deman-
dai-jc.
11 y a deux classes, monsieur. Première classe,

ncuffrancsparjourel par.personne ; deuxième classe,
six francs. Payable J'avance.
— Veuillez donc me donner deux chambres et je
Yais vous payer deux journées de six francs.
L'hôtelier, d'un air mystérieux, me dit à l'oreille,
en me désignant le frère de Mélanie :
— Mais ce monsieur serait plus à son aiseaveclcs
domestiques, il prendrait ses repas cf logerait avec
eux.
Craignant que ce triste marchand de soupe ne réa-
lisât cette noble idée, je lui dis aussitôt :
— Vous voudrez bien me donner une chambre à
deux lits et vous mettrez un couvert pour le frère de
Mélanie, à côté du mien.
L'hôtelier se leva en maugréant, mais non sans
avoir encaissé les douze francs...
A table,j'avais comme voisin de gauche un Chape-
lain très bavard et au regard très fureteur. J'avais
mis près de mon assiette Celle (/al pleure. Les re-
I.R rfcu-niN DIÎ L'AHSOU- -7.J

gards du Chapelain se portaient continuellement sur


ce livre. Je le lui présentai.
— Je crois, lui dis-je, qu'il est difficile de causer
de la Salette sans avoir lu préalablement cet ouvrage.
Il me demanda de vouloir bien le lui prêter jus-
qu'au lendemain matin. Ce que je fis. La conversa-
tion continua.
ObscrvanLson silence à l'égard du frère de Méla-
nie, je dis à cet ecclésiastique :
— Monsieur le Chapelain, j'ai à ma droite Calvaf,
frère de Mélanie.
— Ah!..
Telle l'ut toute sa réponse, et il parla d'autre
chose. Je fus, (\bi ce moment, fixé sur l'ignominie
île ces aubergistes.
Le lendemain, en me rendant Celle r/ui pleure, le
Chapelain me dit textuellement :
Mn ce qui concerne le Secret de Mélanie, Home

consultée par nous a répondu : On est libre de le
croire ou de le rejeter.
La colère me prit et je lui dis :
— De quel droit pouvez-vous scinder un témoi-
gnage ? Vous conservez donc l'Apparition qui vous
permet de tenir auberge et vous rejetez le Secret qui
vous gène...
Mon interlocuteur était déjà parti. Les larmes du
pauvre Calvat et le regard douloureux qu'il me jeta
ne m'eussent pas permis, d'ailleurs, d'aller plus loin.
271 LE PÈLER'.N DE L'AUSOLU

18. — Lettre recommandée d'une dame fa-


meuse dans le monde catholique. Je regrette le
pourboire au facteur. Elle m'écrit pour me dire
un mal atroce d'Anne-Catherine Emmerich, es-
pérant me déchaîner contre l'admirable vision-
naire. Voilà une personne qui me connaît bien !

-'2. — <•<
Plus près Je loi, nwn Dieu
Hymne exé-
!
cute ;\ bord du Titanic, la nuit, au moment du nau-
frage Paroles cl musique « authentiques » ! Kn
!

souvenir du vaisseau et des « vaillants » qui ont


péri le 15 avril.»
Cela se vend à Paris chez une sorte d'éditeur
américain. Qui donc ce misérable espère-t-il
tromper ?
Une feuille éminemment torchcculalive pu-
blic ceci :

Le baron île Rothschild, s'adressant aux petits ca-


pitalistes, leur disait : « Si vous voulez mal manger et
bien dormir, placez voire urgent en Ville de Paris
ou en rente 3%. Si au contraire, vous préférez bien
manger et mal dormir, achetez des valeurs indus-
trielles. "Oue de vérité dans celle boutade! Plus jus-
tement encore, nous pouvons ajouter : Si vous voil-
iez bien manger et bien dormir, placez vos capitaux
en maisons de rapport.
I.K i'i'xuniN VF. L'ABSOLU 275
25. — Versailles, visite au vicaire général de
l'évèque. Bienveillance probable de cet ecclé-
siastique, me disant beaucoup de bien de la
Vie de Mélanicet de Celle qui pleure qu'on lui
a fait lire. Il pense que la dill'usion désirable
delà 1 le est une chose certaine, mais qu'elle
se fera d'elle-même, m'assurant (pie je ne trou-
verais pas un évéque pour la propager, ce que
je sais trop.
27. — Un monsieur que je ne connais pas
m'écrit que, pour lui, le seul écrivain, c'est moi,
mais (pic je manque d'amour et que cela n'est
pas chrétien. Il craint que, mentionnant sa let-
tre, je ne le traite d'idiot dans mon prochain
Journal. Ah il peut être bien tranquille.
!

28. — D'un ami qui est en Egypte :


.le vous écris d'un pays de grands et vénérables
souvenirs saboté parle mercantilisme et la eanaille-
rie modernes, horreurs que vous :-enlirie/ doulou-
reusement. L'arbre de la Vierge est entouré de pla-
cards-réclames pour des marchands de whisky, le<
Pyramides servent de repoussoirs aux alliehes « Mi-
ehelin » et * Yieliy-Célestins *, etc. C'est une odieuse
infamie.
2'.). — On me prête Mémoires et correspon-
dance de Louis Jtosïel. Livre très étonnant qui
270 LK rî.i.i:niN DK L'AHSOI.U

fait voir, en ce malheureux chef de la Commune,


un homme de guerre vraiment supérieur et
une belle à me que le sophisme démocratique
avait égarée sans remède, l'ignominie surpre-
nante et la stupidité inouïe de ses compagnons
n'ayant pu le mettre en fuite. Le vieux Thiers,
refusant obstinément sa gràçe et livrant une
pareille tète à des officiers généraux concus-
sionnaires ou capitulards qui pouvaient crain-
dre des révélations, s'est montré parfaitement
infâme. Qui pourrait s'en étonner ?
Réponse de l'éditeur anglais Nelson à qui un
ami avait proposé dj ma part la réédition de
Sueur de Sang : « Nous regrettons de vous in-
former (pie voire livre ne nous intéresse, pas. »
Bénie soit la Providence qui me préserve de
pareilles grilles .l'apprends que ce Nelson,
!

vrai commerçant anglais, s'arroge le droit de


coupure et peut-être de remaniement dans les
livres qu'il publie, aussitôt qu'il les a payés. Il
parait (pie Vandal aurait consenti, pour son
Avènement de Bonaparte, à celte ignoble cui-
sine.
L'insolence du drôle, m'écrivant comme à un
débutant, ne pourra être surpassée que par sa
platitude, le lendemain du jour où, ayant ob-
LK ri-:i.ERiN I>I: I.'ABSOI.C '277

tenu un grand succès, je le ramasserai sur mon


paillasson.

Juin
2. — A Otto Friedrichs qui m'a envoyé sa
brochure contre Frédéric Masson, ennemi na-
turel delà Survivance :

Je vous remercie d'avoir gillé le Masson. Incon-


testablement ce l'Yédéric est un tics choix les plus
honteux qu'ait pu faire l'Académie, laquelle, depuis
des iuslres, s'approvisionne pourtant de canaîTes ou
d'imbéciles, Dieu le sait !
Mais cclui-la est vraiment hors de pair, dans les
deux sens. C'est la plus belle truffe de sottise et de
méchanceté qu'ait pu flairer et découvrir le groin de
la Coupole. Votre réponse si nette et si lière aura
peut-être l'heureux elVet d'exaspérer 1' « hystérie »
de ce malfaisant vieillard et de le conduire plus
proinptcmenl à l'inéluctable gAlisme proclamé d'a-
vance par ses quarante volumes.
Ku ce qui me concerne, votre brochure cstunbien-
fail.Croirie/.-vous que j'ai eu l'outrecuidance d'écrire
un livre sur Napoléon sans la permission de ce pro-
priétaire du grand homme ? Kssaycz de concevoir son
indignation quand ce livre paraîtra.
10
-78 LK PÈLKHIN Ï)B I.'ABSOI.U

3. — Le grand événement de ces deux der-


niers jours a été le voyage à Paris de la reine
de Hollande, occasion de copie pour les jour-
naux. Je lisais, ce matin, que cette Wilhelmine
a éprouvé le besoin calviniste de visiter la sta-
tue de Coligny et de déposer de sa main une
gerbe de llcurs en hommage à cette canaille his-
torique.
\. — A Raïssa qui veut me présenter à un
prêtre :

Je se rai content de rencontrer un prêtre que tu


aimes. Dis à Jacques ceci en réponse à certaines ob-
jections : « Notre parrain, c'est l'Avcuglc-né. Tel est
son secret. Depuis qu'il est devenu clairvoyant, il dit
ce qu'il icil, sans se mettre en peine d'aucune chose,
'loi, son tilleul, tu dis ce que tu penses. 11 faudrait
comprendre que ça ne peut pas s'ajuster toujours. »

Je cite les versets 11 et 12 du chapitre XXIX


d'Isaïe et j'ajoute : Liber omnium et nullius,
scienles et nescientes cuitemnunt ciun simililer.
D'un inconnu habitant Montmartre :

.le ne puisrésislerau besoin de vous livri'r eesquel-


ques ligues de cauchemar extraites d'une ul'licheap-
posée il n'y a pas longtemps -ur nos murs.
u: I'ÈI.EHIN DK L'ABSOLU 279
Le litre : .20 pour 100 de nos malades sont enferrés
vivants. « 11 est démontré dans un livre couronné et
récompensé par l'Académie de médecine d'un prix
de 2.000 francs, que l'on lue 10 malades sur 100 et
que 20 pour 100 sont enterrés vivauls. Le docteur Sé-
verin Icard, auteur de cet ouvrage, dit : « Pour la
constatation, le premier infirmier venu peut décréter
que la mort est totale et le corps est aussitôt porté sur
les dalles où on l'ouvre promptement d'un grand coup
de bistouri. Ni chef de service ni interne ne vérifie
la réalité du décès. » 11 cite des hôpitaux où les infir-
miers commencent l'ensevelissement aussitôt que le
malade entre en agonie. Ce médecin a vu « le corps
d'un enfant étendu sur la dalle d'autopsie, dont le
coeur battait encore deux heures après qu'on avait
commencé à le Inivniller ».
Celte affiche demandait le rétablissement des reli-
gieuses.
Mais que penser d'un peuple a>sez avachi pour
qu'une telle affiche n'ait pas eu d'effet au moment
même de<< élections où elle a été certainement lue ?

îi. — A Emile Baumann :

J'ai le devoir de vous dire, aussitôt après lecture


et avant que surviennent d'autres impressions, la
joie tiès réelle que m'a donnée votre dernier livre
Trois \ il les s.iinles. Combien sommes-nous, aujour-
2S0 I.K i'î:i mis DV. L'AUS n.r
iriiui, à travailler uniquement pour Dieu, parmi ceux
«|iiî savent ce rire .',le pense (|iie les cinq doigts de la
main seraient eneore hop pour les compter. C'est
une lvlle solitude assez douloureuse, n'est-ce pas ?
Nous savons qu'il tant souffrir, parée ipie c'est la loi
du Christ, mais;, aujourd'hui, les'chrétiens qui ne sont
pas aveugles doivent se préparer à de suréminente-
douleurs que ne connurent p;is les anciens chrétiens.
Vous savez ce qui l'ut dit à la Saletle. Le momie mo-
derne est livré à Satan, par décret, depuis plus d'un
demi-siècle cl la grande forteresse, l'Lglise, est en-
tamée. Vous semble/ espérer je ne sais quel retour
îles peuples à Dieu, j'ai vu cela dans votre livre. Moi,
je m.' l'espère pas. Le passé est bien défunt, bien
aboli. Sans doute, il faut que Dieu triomphe à la fin.
mais après quelles ténèbres effroyables ! J'ai passé
ma vie à écrire cela et je suis regardé comme un
insensé. Les charnels devraient voir pourtant que
leur société se disloque. Il esl vrai que les spirituels
ne sont pas plus clairvoyants. Peut-être le sont-ils
moins. On voit partout îles prêtres et des fidèles,
idiotiliés par la nonne Presse, affirmer, avec une as-
surance qui est à faire sangloter, que tout va très bien
etque la Foi est en progrès, cependant que le démon
nous mange les entrailles. Voire place est-elle donc
parmi ces aveugles ? Je vous l'écrivais, il y a deux
ans : « Que puis-je désirer, sinon le martyre? >Non
pas le martyre facile imbécilement supposé par nos
11: rîi.KitiN m: I.'AUSUI.I: '2^1

chrétiens, niais lo martyre ave- l'horreur des tor-


tures physiques et l'horreur plus grande <lo< ténèhre>
palpables et «le la parfaite ignominie. Serie/.-vous
alors mon compagnon? F»rii >rihti-- fnrlinr imt:i(
cnicixtio, dit l'Ksprit-Saint.

(i. — On me parle d'un millionnaire pieux qui


refuse de venir en aide aux pauvres, quoiqu'il
ait « un coeur d'or ». (l'est incroyable ce qu'il y
a de coeurs d'or dans le inonde, surtout parmi
les catholiques opulents 1

U.

Un ami tort étranger à la littérature me
parle étonnamment du Salut par 1rs Juifs, à son
avis le plus haut de mes livres. Il le lit sans
cesse, disant que tous les autres, admirés d'ail-
leurs par lui, n'expriment que des sentiments
humains, tandis que celui-là est tout surnatu-
rel et que, dans sa pensée, il a fallu que je fusse
aidé par (/uclqu'tui qui m'aurait instruit à l'a-
vance. En quoi il ne se trompe pas.
Cette opinion fortement exprimée d'un homme
de peu de culture est bien extraordinaire.
11. — Lettre d'une personne inconnue qui
parait être une femme et qui signe étrangement
M.-H. Cimetière Cette personne envoie des
!

timbres pour la réponse du « Vénéré Maître »


16.
-S- 1.1: H r.i.niN iii: I/AU-UU'

que je suis, Klle veut «|ii<^ je sois son « Ange de


lion Conseil » et s'oll're à moi « corps et âme ».
.le ne vois pas le moyen <h' répondre à nclli'
lettre dont je ne sens que le ridicule et que je
comprends à peine.
1-. — Le vieux poète LéonDierxa été trouvé
mort dans son lit, hier matin. Le dernier acte
connu de ce pauvre homme ignorant Dieu, c'est
d'avoir déclamé dimanche quelque* vers devant
un mur sur lequel on venait de fixer une pla-
que de marbre en l'honneur de Mallarmé.
Ah ! il est bien avec moi, le bon Cornuau !
Il pense, comme moi, que rivalise croule et il
nous parle de cet ex-évèque de Dijon, Le \or-
dez, franc-maçon avéré qui s'était engagé, par
diabolique serment, à rendre nulles toutes les
ordinations qu'il ferait dans son diocèse, au
point que cette infamie ayant été découverte, il
fallut réordiner une multitude de prêtres. Les
conséquences infinies de cette prévarication
épouvantable sont à faire trembler.
Il nous dit aussi (pie Pie X, d'après un témoi-
gnage de Kampolla, serait guidé, dans tous ses
actes, par la Révélation de la Salctte et qu'il a
une ferme confiance dans le Secret de Mélanie
qu'il nomme une sainte ; mais que la crainte
11: 11 ! i i;l\ K. I
V\I:>'I»I.1 "J^.'t

d'un schisme en Fiance l'empêche, j u< |n à


«
*
ce
jour, de so prononcer.
17. — A Alfred lNnithier :

idier ami, s'il ne faut *111 quelque» lignes pour


• -

vous faire * rudement plai»ii' -, je n'ai pis le c<rur


de vous le- l'el'user cl je m'exécute l'iu-tint. .!':ii ;*i

remarqué, comme vous c' eiuuine plu-ieurs nulles,


(|iie les choses embêtantes solil toujour» pour - loul

le suile >., mais j'ai remarqué aussi, au moins en ce
ipii me concerne, qu'elle- ne sont pas seulement pour
le dimanche actuel, mais encore pour les dimanches
qui suivent, sans parler «les mardis, vendredis, ou
samedis o/eurrenlsetautres joins non férié». l.cscho-
scs embêtantes m'ont beaucoup aidé à concevoir l'in-
fini, et l'éloquence méiiv de (lainbronne est impuis-
sante à les conjurer.
C/est vrai qu'en principe nous parlons ;\ la lin du
nuis et môme avant, ce qui, d'ailleurs, ni' me fait
pas rire, mais l'application de ce principe échappe
totalement à ma clairvoyance. Plusieurs choses man-
quent encore qui ne peuvent être remplacées par
des epilhetes rares ni ih's prosopopées jaculatoire».
On espère que tout s'arrangera.

18. — Visite, d'un très jeune prêtre, vicaire


dans notre paroisse. Il a In on cru lire Ccllt'
qui phmrr. que je lui avais donnée, mais il
2Si I.K I'I:LI:U[\ m: I.'AUSOIU

n'aime pas mon style qu'il croit modem / C'est •

un enfant pieux, mais très ignorant, eomme il


convient quand on soit du séminaire, où il a
eu peut-être des succès.
A Yallette :

Je viens «le l'aire une découverte qui pourrait, à


notre époque de ventes insensées, intéresser pas-
sionnément les richissimes amateurs d'art. 11 s'agit
d'un missel, pouvant être comparé, sans exagé-
ration, aux célèbres livres d'heures de René d'Anjou,
d'Anne de lïrctagne, du frère de Charles V, ou à
l'admirable bréviaire de Grimani qui est un des tré-
sors de Venise. L'autour, un vieil artiste qui a em-
ployé vingt-cinq ans a cet étonnant travail estimé
plus de 30.000 francs, serait disposé a le vendre. Il
vit très retiré dans un coin de la banlieue «le Paris
et ne fait personnellement aucune démarche, mais
il m'a autorisé a livrer son nom et son adresse
aux acheteurs éventuels et je compte, pour les attein-
dre.sur la grande publicité du Mercure. On sait queje
me suis fort occupé d'enluminure, ayant moi-même
rêvé, autrefois, le renouvellement de cet art miracu-
leux qui fut, près de mille ans, l'une des plus gran-
des choses du Moyen Age.
A ce titre, j'ose espérer que mon appel ne sera
pas tout t\ fait inentendu.
11; li.r.iuiN ni. I.'AII-DU: •_'*.">

;(!ette lettre a été publiée par le Mercure de


/'r<ui<e,\c juillet, sans aucun résultat.]
1

K). — A un ami :

...Mon état île malheureux nV-l ignoré de pe; -s. unie.


Mes livres-ont plein de ma soull'rance. J'ai toujours
été malheureux, hifii u'avant pas voulu que je t'u se
récompensé parler hommes cl que son témoin le plus
intrépide eût une pari quelconque des dieu- <l«* ce
monde, il est clair (pic je n'avais rien de mieux à
l'aire que de tirer prolit de cette situation, en jouis-
sant d'une misère qui me rapproche de Jésus-Christ,
comme d'autres jouissent de leur opulence qui les en
éloigne. Si mes livres vous ont l'ait quelque, bien,
vous le devez précisément à cet étal douloureux et
constant sans quoi je n'euss(! liés oertainem-vil écrit
aucune page méritant d'être lue par de véritables
hommes, et des témoignages t"ls (pie, le voire auront
été mon salaire, le plu* précieux.

Un blessé se présente, un agonisant, eroi-


rait-on. Il dirige une tonte petite revue très ex-
clusivement catholique et, ne voulant pas être
bondieusard, il lui faut lutter de manière horri-
ble contre la médiocrité et la vilenie ecclésias-
tique. Cela représente une sorte d'enfer. Je le
savais certes, mais de l'entendre d'une bouche
si douloureuse, c'est singulièrement poignant.
tiSb M: i'i:i.i:iiiN ni: i/Aitsoi.u

-il. — 11 nous faudra partir bientôt, je ne sais


quel jour. Nous nous sommes préparés diffici-
lement un refuge, à la campagne. Mais j'ignore
quand et comment nous pourrons en jouir. L'en-
droit est aimable ou parait tel, et, si Dieu veut,
j'y pourrais travailler paisiblement, tout en pré-
parant mon àmc aux Evénements que je vois
venir, que je suis à peu près seul à voir venir
et dont il me fut dit, il y a plus de trente ans,
que j'en devais être, un jour, le témoin, quand
j'aurais assez souilert.
Depuis quelque temps, la Belgique semblait
m'avoir oublié. Mais le Matin d'Anvers a de la
mémoire et on me fait lire l'admirable article
qu'il me décerna, il y a une dizaine de jours. II
y est dit que je suis un écrivain à peu près in-
comparable, mais que la beauté de mes pages
étant un cilet de ma misère, ce serait du van-
dalisme de l'atténuer.
Imagine-t-on un Léon Bloy heureux ?... Jamais do
la vie. Bénissons donc celte constante misère qui
flagelle son talent jusqu'à lui faire pousser tant d'ad-
mirables cris et, surtout, gardons-nous d'envoyer une
aide quelconque à Léon Bloy qui, depuis trente ans
meurt de faim,si ce n'est l'expression de notre admi-
ration profonde et l'assurance que, sous aucun pré-
F.I: l'taïutiN m: i. Ai'.S'H.r 'l^i
lexlc, nous no consentirons à adoucir son soit. 11 v
a dos j^énios nnxi|ucls il faut le patihnlaire...

Il est évident que le belge incontestable qui


écrit cela n'a jamais été flagellé et qu'il est de
ces indigents dont il est permis d'adoucir le
sort. Il exprime, d'ailleurs, si bien, dans la lan-
gue de son pays, la pensée intime des honnêtes
gens de tous les pays du monde !
22. — Le diocèse de Paris célèbre, aujour-
d'hui, la vigile de saint Jean-Baptiste, la fête
du Précurseur ayant été fixée à demain 23, par
décret du 28 juillet 1011. Qu'est-ce (pie ce dé-
cret et que signifie celle rupture de la Tradi-
tion ? La fôte de saint Jean fixée au 2'{ nie
déconcerte. On va donc; remanier l'année ecclé-
siastique. Comment le Pape ennemi de^ moder-
nistes a-t-il pu y consentir ?
21).

Il faut faire de l'argent pour notre
imminente villégiature. Horrible vente de
SOU exemplaires du Salut par les Juifs au bou-
quiniste (îougy pour la somme de 'i00 francs,
lieauté du Commerce. Chacun de ces exemplai-
res m'ayant été payéO fr. îiO et revendu au moins
\\ francs, Gougy aura regagné ses 'i00 francs
quand il aura trouvé i'.VA acheteurs, et les
•JSS i i: i î i I:IUN m: I.'AI;MUI'

(jli7 volumes restants ne lui auront pas coûté


un centime.
Au sortir de cette caverne, vu, devant le Pan-
théon, les préparatil'sd'unc dégoûtante apothéose
de Jean-Jacques Rousseau qui doit avoir lieu
demain à l'occasion du bicentenaire de ce ré-
prouvé.
Pierre van (1er Meer nie lit, en le traduisant,
un article d'une revue catholique de Hollande
où il a lui-même t'ait mon éloge, quelques jours
auparavant. L'auteur est un prêtre qui ne signe
pas et qui est présenté ridiculement comme un
prêtre ascétique. Il s'agit de savoir si je suis un
guide compétent pour la vie spirituelle. Ce prê-
tre qui parait n'avoir lu, de ses ascétiques yeux,
que Celle qui pleure et la 1~ic de Mêlante, dé-
clare tout d'abord que ce dernier livre, ramas- <*

sis de toutes les absurdités », ne lui inspire


qu'une extrême répugnance. Celle qui pleure
est détestable.
Il se peut que j'impressionne, plus ou moins
heureusement, d'une manière peu durable, des
âmes très éloignées de Dieu, mais la lecture de
mes livres ne peut que nuire aux bons catholi-
ques, etc. Tel est l'imbécile.
I.K iii.i.KiN in: I.'ADSOI.C "1S'.>

Juillet

2. — Installation pénible dans notie chau-


mière de Saint-Piat (Eure-et-Loir). Impossible;
sans le dévouement de mon tilleul Pierre van
der Meer <jui a été assez généreux pour nous
accompagner.
:t. — Pierre devait nous quitter. Il manque
le train, un désordre inouï ayant été créé dans
l'horaire par l'invention monstrueuse d'une no-
tation nouvelle des heures, stupidité incon-
cevable dont je parlerai. Il revient donc pour
assister avec nous à un terrible orage qui nous
inonde, car celte maison en contre-bas reçoit
volontiers Peau des nues, quand elle est torren-
tielle.
o. — Visite de notre curé. Prêtre bizarre et
sympathique. Bienveillance évidente, mais je suis
pour lui tout à fait un inconnu et je doute qu'il
puisse me lire.
Ayant subi autrefois, en qualité de précep-
teur, le contact du monde, il ne se laissera pas
conquérir facilement. Il admire des livres im-
béciles.
17
'2(.'0 i.t: îrii'iuN ni-: I.'AIKOI.U

Pour ce qui est de l'Ecriture, il eu est encore


à la traduction ridicule de Lasserre : f'num
est necessarium, « un seul mets suffit » Je ne 1

vois pas comment nous pourrons nous enten-


dre. Par miracle, cependant, c'est un prêtre
pieux et attentif aux devoirs de son ministère.
Cela doit nous suffire.
10. — Revu notre curé. Il a lu Le Sang du
Pauvre sans y rien comprendre. Il consent par
bonté à m'accorderune certaine force d'écrivain,
mais (pie sont mes pages auprès de celles
d'hommes de génie (sic) tels que René Bazin,
Brunetière et surtout Bourget ?
Il lui manque d'admirer lluysmans dont la
crudité naturaliste l'indispose. C'est regrettable.
Au surplus, la marque certaine du génie, c'est
d'être académicien. Il n'y a pas à sortir de là.
Je l'ai quitté profondément triste.
12. — Une personne qui nous aide quelque-
fois m'envoie un secours indispensable dans
une lettre ignoble, m'avertissant qu'à raison de
ce bien fait, elle supprimera autre chose et regret-
tant que nous ne puissions régler nos dépenses
sur ce qu'on nous donne, etc. C'est la bourgeoise
que nous connaissions qui ne peut s'empêcher
d'humilier ceux qu'elle secourt et qui trouverait
I.I: îii.iHiN DI: I.'AUSOLI! -'.M

tout simple que nos filles fussent élevées comme


do petites ouvrières.
Ma supériorité d'écrivain reconnue par elle
pourtant, ne saurait nous élever à son niveau,
puisqu'elle a l'argent, et on l'accablerait d'éton-
ncment si on lui disait que c'est elle qui reçoit.
14. —J'encourage un ami très mal embarqué
et qui craint de se noyer : « Ouand vous serez
en présence du danger, persuadez-vous qu'il
n'y a devant vous que des fantômes et parlez
avec l'assurance d'un bomme qui a Quelqu'un
de puissant derrière lui. »
A Jeanne Termier :

Je suis honteux de vous écrire on ce jour de dé-


goiUalion nationale ; mais je n'ai malheureusement
plus le choix, craignant d'arriver trop la ni et ne vou-
lant pas (pie ma lettre soit reçue par h» ML--- 1».
que vous allez devenir. Ce sentiment est compré-
hensible. Je dois tant à Jeanne Termier, à commen-
cer par l'étonnante amitié de son père, et je vomirais
avoir quelque chose à lui dire, à la veille du jour
où sa vie va tellement changer. Mais ce n'est pas
facile. Je suis peu doué pour l'épithalame et le sa-
crement de mariage est, à mes yeux, si saint et si
grave.
Mon expérience personnelle ici ne me sert de rien.
-02 î.i: l'iii-m.N DK i.'" iisoi.r

Lorsqu'il plul à Dieu de ni'envoyer une compagne,


il y a plus île vingt-deux ans, j'étais une épave a
recueillir, la plus triste et la moins profitable qui piU
Être recueillie sur le rivage le plus désola. Il avait
fallu pour une telle trouvaille, l'intuition de douleur
et le miraculeux esprit de sacrifice de celle qui est
devenue ma femme comme on se jette dans un puits
ou dans une fournaise, simplement parce qu'elle es-
pérait ainsi sauver un homme qui lui semblait plus
malheureux que les autres. Dieu, qui est incompré-
hensible, a voulu bénir cette union que la sagesse
du monde eut estimée si dangereuse.
Tel n'est pas votre cas, très chère amie. Vous êtes
aussi loin de la margelle du puits nue de la gueule
du four, et les plus douces tendresses vous environ-
nent. One puis-je, sinon admirer, avec les formes de
l'adoration, la Volonté infaillible qui décida de vous
traiter avec douceur ? Dites-vous, cependant, que
cette douceur est grave, comme toutes les choses
divines et qu'elle engage singulièrement votre couir.
Sanctifiez yotre joie par le souvenir compatissant
des êtres innombrables qui n'en connaissent aucune
sur la terre et n'ont pas môme l'espérance d'une vie
meilleure. Ainsi faisaient les chrétiennes d'autrefois
quand elles allaient, comme vous, à de nouveaux
devoirs, mais par des routes sublimes, alors «pleines
de potences et de chapelles ».
Voilà, chère Jeanne, tout ce qui vient à la pensée
M'. lïiKius ni: I.'AH-OU- '2 .*!l

vieil ami qui vous considère de tri's loin et qui


«.lu

vous 1K'nit du fond d'une villégiature nouvelle, —


nul ne pouvant échapper a son destin.
l.'i
. — Aune jeune fille :

avançant
VAX dans la vie, chère enfant, vous sen-
...
tirez de plus en plus quelles bénédictions on appelle
sur soi, quand on entreprend de consoler ceux que
le monde croit forts et qui souffrent d'autant plus que
personne n'a pitié d'eux. Dieu qui est le fort des
forts est celui qui a le plus besoin de pitié. Il l'a dit
lui-môme par Moïse dans l'Kcriture : « Il sera cou-
sole dans ses serviteurs» et il suflil de regarder du
,
côté du Calvaire pour comprendre cette Parole.
Les plaintes des faibles, tout le monde peut les
entendre et s'attendrir, et cela est évidemment très
bien, mais les plaintes de lu forée ! Oui est assez gé-
néreux, qui a le coeur assez haut pour les entendre?
Je vous en prie, méditez la-dessus. Ce «pie je vous
écris en ce moment, soyez sûre que personne ne
vous le dirait. Si vous vous appliquez a celte pensée,
j'affirme que, sans même vous apercevoir de l'effort,
vous vous sentirez tout près de Dieu, ayant franchi
d'un seul coup beaucoup d'espaces intermédiaires, et
votre coeur sera merveilleusement agrandi pour la
Joie et pour la Soulfrance supérieures. Vous serez
comme exallée sur des sommets et vous découvrirez
des horizons admirables que la niaiserie sentimen-
20 i LE PÈLERIN PB L\\BSOLU

taie des prédications ordinaires vous laisserait tou-


jours ignorer.
Il faut avoir compassion de Dieu qui souffre et de
ceux qui souffrent avec lui, en-haut.

16.— «Voici», m'écrit mon filleul Pierre, « deux


perles que j'ai trouvées sur le fumier de mes
lectures : 1° Dans une histoire de l'Église à l'u-
sage des séminaristes, on parle avec mépris de
la « perfection exagérée ». 2° Dans Paris-Jour-
nal, un certain de Lautrec trouve que « le di-
manche ne rime à rien » et propose de changer
le nom de ce jour du Seigneur en « soldi », dies
solis, »
Le zèle sacerdotal de notre curé est évident.
S'il égale sa cécité littéraire, tout est sauvé.
Il me prête « le plus beau de tous les livres».
Je le feuillette et je pense que ce sera toute
nia lecture. Titre : Lui!... sans nom d'auteur.
C'est une compilation très copieuse de lieux com-
muns apologétiques, sans style ni personnalité,
pour établir que Dieu existe indiscutablement
et qu'il faut l'aimer et le servir pour être heu-
reux. Citations des auteurs modernes les plus
médiocres, Coppée et Bourget, entre autres.
Ignorance compacte de toute littérature supé-
I.K PKLKHt.N DE L'AHSOLU 295
rieure. Il est vrai que Hello est cité aussi, mais
de manière à faire pleurer, tout ce qui pourrait
donner de lui l'idée d'un liant écrivain ayant
été écarté. L'auteur, un prêtre probablement,
appartient à cette désolante multitude incapa-
ble de sentir le Beau et qui va d'instinct à tout
ce qui est en bas.
Ce livre, soyons juste, peut convenir à des
payans ou des ouvriers ne sachant rien des ru-
diments du christianisme et inaptes à distin-
guer ce qui est beau de ce qui ne l'es» pas. G'est
tout ce que je peux répondre à notre curé.
18. ~ Horrible sentiment d'angoisse, la nuit
surtout, dans notre demeure où je présume que
Dieu ne fut jamais accueilli [j'ai su, plus tard.
qu'un homme s'y était pendu], et dont le proprié-
taire nous parait abominable.
2o. — Premières épreuves de L'Ame de Xa-
poléon.
21).
— A un jeune prêtre que je ne verrai
peut-être jamais :
Je suis heureux de pouvoir vous donner quelques-
uns de mes livres. Vous lirez d'abord In Femme pau-
vre, n'est-ce pas ? Connaissant déjà le Mewlùmt In-
(fui, vous venez (pie certains chapitres, sinon tous,
dans la deuxième partie, sont empruntés à ma vie,
296 I.E PÎaERIN DE I/ABSOLU

mais dans In deuxième partie seulement. Le Désespéré,


devenu presque introuvable et que je ne {mis vous
donner, raconte d'autres tourments fort antérieurs a
mon mariage. Vous vous direz, mon enfant, qu'il y
a un homme que Dieu a voulu affliger de la sorte
plus de quarante ans et vous sentirez peut-ôtre le
besoin de prier pour lui.

Un autre prêtre qui se dit « homme de son


siècle » et que j'accompagnais en gémissant, ne
put se retenir, un certain jour, de pousser un
cri d'admiration en voyant s'éloigner une auto
qui avait failli nous écraser, ajoutant (pie cette
voiture atroce lui semblait plus belle que l'at-
telage le plus somptueux.
— Oui, sans doute, lui répondis-je, les auto-
mobiles sont l'oeuvre des hommes, et les che-
vaux ne sont que l'oeuvre de Dieu.
Aussitôt après, nouveau cri d'admiration à la
vue d'un aéroplane.
— Autrefois, lui ai-je dit, on entendait dans
les déserts le chant des psaumes; aujourd'hui
on entend le ronflement des aéroplanes.
Sa réponse fut que c'était une autre manière
de louer Dieu Supérieure, sans doute.
1

30. — On m'écrit ceci :


u: I'KLEHIN va I/AIISOI.U '2'J7

Une jeune fille du monde ayant été, après un cfut-


(jrîn de coeur, séjourner quelque temps chez les Bé-
nédictines de la rue .Monsieur (lesquelles, entre pa-
renthèse, feraient mieux de ne pas héberger ainsi
n'importe qui), est revenue de là avec un roman de
sentimentalité dégoûtante et malsaine, intitulé La
Cité des Lampes que l'Académie, naturellement, se
hAte de couronner. Kl le fait servir la mystique chré-
tienne à ses curiosités voluptueuses et adapte sacri-
lègement les paroles de sainte Gertrude à ses sales
élans. Ce serait un .soulagement de voir traiter ce
joli livre comme il le mérite.

•il. — Nous finissons ce mois de juillet dans


la pluie et dans la boue.

Août

1" Arrivée des van der Meer.


7. — Aurélien Coulangcs, dont j'ai eu déjà
l'occasion de parler dans ce journal, a décidé de
donner à mes livres et à ma personne un nu-
méro entier de ses Marclies de Provencv. de-
vant paraître en octobre. VAX conséquence il
mobilise, depuis des semaines, tous ceux de mes
amis qui peuvent écrire: Jeanne Termier-lîous-
17.
29S I.B PÈLERIN I)B L'ABSOLU

sac, René Martineau, Edmond Barthélémy,


Emile Baumann, Jacques Maritain, Alfred Pou-
thier, van der Meer, etc. On veut pour moi une
sorte d'apothéose au moment où paraîtra V Ame
de Napoléon dont je relis les dernières épreu-
ves. « Léon Bloy devant les Cochons », d'après
une photographie symbolique du regretté doc-
teur Ampelosse, servira de frontispice.
8. — Lecture d'une plaquette de Suarès sur
Napoléon. Je n'ai jamais rien lu de plus bas. Ce
Suarès qui est un surhomme, paraît-il, parle de
Napoléon du haut de l'Himalaya.
Temps exceptionnellement délicieux pour
quelques heures ou quelques jours, on ne sait
pas. Promenade sur la route de Maintenon en
passant par le charmant village de Grogneul. J'ai
rarement vu un pays aussi beau. J'en suis ravi
au point de ne pas sentir la fatigue d'une ex-
cursion si longue.
13. —Pluie continuelle, bouc, froid et misère.
15. — Article de Lucien Descaves : « Donnez-
nous notre bain quotidien ». Il s'agit d'une ma-
nigance philanthropique dénommée la balnéa-
lion populaire ! La philanthropie semble avoir
épaissi notre Lucien. Il était plus drôle au temps
de la Teigne ou de la Vieille Rate. Mais le blas-
I.I: l'ixERi.s DK L'ABSOLU 2(.)0

phème va toujours, n'exigeant aucun génie.


18. — Après-midi noire. Je travaille dans une
quasi-obscurité, dans les éclats du tonnerre ac-
compagnés d'une pluie effroyable. Il faut lutter,
à coups de balai, contre l'inondation de notre
maison. La boue, naturellement, augmente.
21. — Pour les Marches de Provence, à publier
en fac-similé au-dessous de « Léon Bloy devant
les Cochons » :

Mon cher Coulanges, n'ayant pas d'autre portrait


remarquable de ma gracieuse personne, je vous
ofl're celui-ci exécuté l'an dernier, en Périgord, par
un pèlerin passionné. Cette image qui paraîtra sin-
gulière au milieu des étonnantes choses qu'on dit de
moi dans votre maison, a au moins l'avantage d'ôlre
symbolique de ma destinée de Fils prodigue delà Lit-
térature, découragé par la multitude des pourceaux
quirenvironnentetdont il est devenu, pour ses péchés,
le famélique pasteur.

24. —Chartres. Messe àS heures dans la cha-


pelle de Notre-Dame-sous terre. Impression
étrange. Je voudrais pouvoir entendre souvent
la messe en ce lieu où il m'a fallu, pour ainsi
dire, llotter dans les ténèbres, avant d'arriver
devant l'autel. Image sensible des Catacombes.
300 LE PELEHIN DE l/AB?OI.U

Nous étions tous là, à l'exception de Véronique


médiocrement remplacée par moi.
Après la messe, visité la Cathédrale comme
nous pouvons, en une heure, pénétrés de cette
immense gloire oubliée qui fut celle des cons-
tructeurs admirables d'autrefois.
28. — On m'envoie cette coupure de VImpar-
tial des Andelj's, journal de la Démocratie ré-
publicaine, du 7 août :

ENTERRÉE VIVANTE ?...

A Saint-Jean-Pla-de-Gorts, importante commune


de l'arrondissement de Céret, vient de se produire un
événement qui a causé dans la région une. grosse
émotion.
Dimanche dernier, à onze heures du matin, avait
lieu, au cimetière, l'inhumation d'une femme Marie
Noguès, Agée de soixante-cinq ans, décédée subi-
tement.
Quelques heures plus lard, vers trois heures, un
groupe d'enfants et de jeunes gens crurent enten-
dre des appels venant de la fosse où la femme Noguès
avait été enterrée. Le plus vif émoi se répandit aussi-
tôt dans le village. La population accourut affolée.
Le maire, M. Margail, donna l'ordre d'exhumer le
cercueil sans tarder.
LE pi-: LE ni N DE L'ABSOLU 301

Mais lorsque celui-ci" fut déterré, la famille de la


morte s'opposa à ce c/u'il fût ouvert.
1!!!!

29. — A Rachilde qui me promet de faire


quelque chose dans le fameux numéro des Mar-
ches de Provence :

Mon amie, je savais bien que vous feriez ce que je


vous demandais. Les gens de cette petite revue mar-
seillaise que vous ignorez sont des pauvres passion-
nés pour moi qui ont inventé de grouper, dans un
fascicule exceptionnel, après lequel il faudra peut-
être mourir, toutes les admirations disponibles. 11 y
aura, croyez-le, des choses pas ordinaires et il sera
nécessaire de vous rouler un peu ;\ mes pieds. Ce-
pendant il n'est pas indispensable que vous fassiez
mon « éloge». C'est une besogne dont je me charge-
rais moi-même, si personne ne se présentait. Soyez
plutôt la Tarasque vaincue, mais furieuse encore et
mugissante. Et ce sera très beau.
Vous me reprochez d'avoir manqué de courtoisie
en ne vous parlant pas de Son Printemps. Je me le
suis déjà reproché à moi-même. La vérité, c'est que
ce livre m'a été dur cl que je ne savais pas vous le
dire. Au fond le vice m'intéresse beaucoup plus que
la Yerlu, je l'avoue-, cl la diablesse tourmentée de
Dieu, sans le savoir, que j'aime en vous, j'ai été fort
302 LE PÈLERIN DE L'ARSOLU

ennuyé de la trouver si absente. Si eucore votre pe-


tite vierge était tout à fait vertueuse, au point de
finir dans le feu. Mais elle finit dans l'eau et cela
me décourage...
Quand je vous nomme mon « amie », ce n'est pas
un protocole mondain ni littéraire. Vous savez que
je ne suis pas comme les autres. C'est quelque chose
de bien plus profond, je vous assure. Je n'oublie pas
votre lecture de l'article sur Mélanie, le jeudi de la
Mi-Caréme. Vous aviez les yeux gonflés, ma pauvre
Hachilde, et moi, j'étais bien près de pleurcr.Ce jour-
lîi on s'est rencontré vraiment sur une belle route
lumineuse que vous ne connaissiez pas.

C'est aujourd'hui la Décollation de saint Jean-


Baptiste. Notre pauvre curé, dans la pieuse pen-
sée, je le suppose, d'honorer le Précurseur, a
tenu à nous lire chez lui, dans une chambre soi-
gneusement fermée, quelques articles homicides
signés « Pierre l'Ermite », auteur qu'il proclame
délicieux et inimitable. Ce Pierre l'Ermite, bien
digne de la Bonne Presse qui l'hospitalise, est,
parait-il, un vicaire tout en sucre de Sainte-Clo-
tilde. Séance terrible. Le lecteur, qui ne voit
pas notre prostration, parait croire qu'un grand
écrivain nous est par lui révélé.
30. — Temps horrible. La pluie, la boue, l'ap-
LK l'KI.K.HIN DF. l/.\HSOI.U 303
préhension du départ de mes filleuls qui vont
s'en aller, tout cela me déprime cruellement.

Septembre
2. — Embarquement des filleuls. Qu'allons-
nous devenir dans notre boueuse et froide soli-
tude ?
3. — A l'abbé Cornuau qui m'a envoyé une
lettre fort belle à publier dans les Marches :
Très cher ami, comment avez-vous pu craindre que
votre article nie mécontentAt? Il m'a donné, bien au
contraire, la joie la plus vive. Ce suffrage d'un w\\
prêtre, ami de Dieu,.sera pour moi le plus précieux et
jo demande qu'on lui donne la première place.
Ainsi donc, mon bien-aimé souffrant, vous avez pu,
de vos mains douloureuses, écrire cet éloge d'un pau-
vre qui est, en môme temps, et par conséquent, un
méprisé, nu hors la loi, un méconnu, un inconnu !
Cola vaut beaucoup de prières, et quelles prières !
Elle ne vous seront pas refusées, croyez-le.
Je vous aime profondément et même au point de
ne savoir l'exprimer. Mais il y a, dans mon passé,
des trésors de souffrances où je poux puiser quand je
parle à Dieu de ceux que j'aime.
— Je vous offre, mon Sauveur, par les Mains im-
301 LE I'Î:LERIN DE L'ABSOLU

maculées de votre Mère dont je suis l'esclave, tel coup


de couteau reçu tel jour a votre service ; tel écorche-
ment de mon coeur, lorsque, voulant monter vers
vous, tout le monde m'abandonnait ; je vous offre les
larmes brûlantes et les profonds sanglots que vous
savez bien, quand je pensais, par votre GrAce,à l'amer-
tume infinie de n'être pas un Saint et d'avoir reçu,
tellemeut en vain, dans ma poussière, les gouttes de
Sang de votre Agonie. Je vous oflVe enfin, audacieu-
sement et avec une immense clameur d'effroi, toutes
mes transgressions, toutes les impuretés et iniquités
de ma vie mauvaise qui vous ont forcé de me racheter
a si grand prix. Oui, tout cela que je sais et tout le
reste que j'ignore, je vous l'offre pour tel et tel par
les mains de la Purissime.
Votrelettrc m'est arrivée hier. Elle a pu être écrite
au moment môme où je priais comme cela.

\. — Lecture du septième volume des Mé-


moires de Ségur. Fatigue. L'importance donnée
par cet auteur à l'Académie française parait au-
jourd'hui très comique.
5.— Lettre très longue et très ennuyeuse d'un
vieux curé de Lorraine qui croit avoir lu Celle
qui pleure et la Vie de Mélanic. Objections in-
nombrables, malgré son goût déclaré pour ces
deux livres. Il est, à la fois, pour et contre. Je
LE PÈLERIN DB [/ABSOLU 305

suis trop peu respectueux pour le clergé. Pres-


que tout ce cpie j'affirme est, en môme temps,
plausible et contestable. Pour ce qui est de la
vie intégrale de Mélanie, c'est un sujet tellement
délicat et qui exposerait tellement l'auteur à
scandaliser qu'il vaudrait mieux y renoncer.
Telle est, à peu près, la conclusion. Il y a des
veaux qui parviennent à un Age très avancé,
sans qu'on ait eu besoin de les bistourner. Fé-
condité particulière à la vache sulpicienne.
0. — A Jeanne Termier-Boussac en réponse à
une lettre où elle me parle d'un artiale envoyé
par elle à Coulanges :
Votre article que je n'ai pas lu est extrêmement
beau. No suflit-il pas que vous l'ayez écrit avec en-
thousiasme ? Que dis-je ? avec votre enthousiasme à
vous, infailliblement gouverné et tenu en main, corn me
un étalon dressé, par un discernement sur et une
sensibilité supérieure incapable de s'égarer. En gé-
néral les éloges qu'on a voulu me donner ont été ac-
compagnés de gaffes sérénissimes qui mo préser-
vaient du péril d'en être enivré. Avec vous je n'ai rien
a craindre...
11. — Le temps, abominable tant de fois, de-
vient horrible ! Absence complète du soleil
et froid noir. Menace de neige.
30(3 LE PKL1ÎRIN DE I.'ABSOI.U

Dans le Journal, article affreux sur les pré-


paratifs allemands de la guerre probable. Avia-
tion militaire. Les allemands ont imaginé un
appareil hideux assez semblable à une chauve-
souris. Gela s'appelle nu taube, c'est-à-dire un
pigeon, peut-être môme une colombe, étant don-
née la sentimentalité germanique ; c'est l'engin
qui doit fonctionner dans la guerre future. Le
taube est un appareil blindé, cuirassé, pourvu
d'une mitrailleuse pour l'extermination des aréo-
planes français. Ce sera la bataille aérienne et
l'Allemagne, parait-il, s'acharne J de tels prépa-
ratifs avec une volonté, une ténacité diaboliques.
Kn même temps silence et discrétion inpéné-
trables.
Que sera cette guerre à laquelle nulle autre
n'aura ressemblé ? La guerre du Saint-Esprit at-
tendue, prévue par moi pendant plus de trente
ans, avant même que je connusse les prédictions
apoca!y[\iqucs de la Salette !

A Pouthier :

Je vous écris, sans aucune apparente nécessité,


uniquement pour me fuir, semblable à un ignoble
soldat, s'évadant avant môme que la bataille soit
engagée, ailes aux pieds — celles du Mercure, bien
LE I'i'r.KRIN DK I.'AHSW.U 307

entendu — et bouclier sur le dos. Je vous écris pour


échapper au trac et au désespoir.
L'été, uniformément séniî-j et grelottant jusqu'ici,
est devenu tout à coup centenaire, livide, glacé, cada-
vérique, fantomatique, apocalyptique. Le ciel impla-
cableet constamment plombagincux, darde sur nous,
du matin qu'on ne conçoit pas jusqu'à l'inimaginable
soir, îles milliards d'aiguilles de glace qui me font
désirer le soleil de minuit des pays polaires. Telle
est notre villégiature.
Je ne dis rien de la crotte qui fut un rêve dès le
commencement. Je ne dis rien non plus de l'inonda-
tion qui nous menace presque chaque jour. Je me
tairai également sur les scolopendres, les hôtes rou-
ges, les araignées noires, la moisissure et les cham-
pignons vénéneux qui poussent continuellement sur
mes déplorables croqucnols. Ouanl aux habitants, je
ne suis pas assez écrivain pour les traduire. On de-
manderait volontiers des anthropophages. On aurait
au moins la chance d'être roli et de passer ainsi un mo-
ment agréable. Sans la présence de quelques amis qui
sont venus patauger charitablement avec nous, le
mois dernier, je ne sais pas si je sciais encore assez
valide pour claquer des dents, en vous écrivant ces
choses. Je suis tellement déprimé «pie je ne trouve
môme pas un pauvre lieu commun à vous offrir. Notre
jardin Henri d'escargots et de limaces est une image
trop avantageuse «le mon cerveau. Nul moyen de fuir
30S I.K I'ÈLKRIN m$ I/AUSOI.U

avant deux ou trois semaines. Le Pactole décroît à


mesure que l'Eure enfle ses vagues....
Tout cela, d'ailleurs, est très bien, extrêmement
bien. Ne fallait-il pas, o Pouliner, que m'advint cette
suprême tribulalion a la veille des jours heureux de
mon triomphe? Car il est assuré, n'est-ce pus ? mon
triomphe ? Mille éditions de l'Ame de Napoléon
et vingt éditeurs agités de concupiscence pleurant
des larmes d'or sur mon décrottoir ! Voyez-vous
cela ? Le pauvre Goulanges ne se doute pas du ton-
nerre qu'il va susciter... Attendons en nous chauffant
les pieds comme nous pourrons.

Quelqu'un bli\me cette lettre qui semble ex-


cessive. A ce propos voici quelques réflexions :
On ne voit bien le mal de ce monde qu'à la
condition de l'exagérer. J'ai écrit cela, je ne
sais où. Dans l'Absolu, il ne peut y avoir d'exa-
gération et, dans l'Art qui est la recherche de
l'Absolu, il n'y en a pas davantage. L'artiste
qui ne considère que l'objet même ne le voit pas.
Il en est ainsi pour le moraliste, le philosophe
et môme l'historien. Peut-être surtout l'histo-
rien. Pour dire quelque chose de valable, aussi
bien que pour donner l'impression du Beau,
il est indispensable de paraître exagérer, c'est-
à-dire de porter son regard au delà de l'objet
I.R l'ÈLKHIN 1>K
l.'.\U*OI.U 301)

et, alors, c'est l'exactitude môme sans aucune


exagération, ce qu'on peut vérifier dans les
Prophètes qui furent tous accusés d'exagérer.
J'ai senti cela en écrivant L'Ame de Napoléon.
Cette grande figure m'échappait toutes les fois
que les images et les expressions qui s'olfraient
«à moi étaient insuffisamment énormes. Je voyais

si bien qu'il me fallait, n'importe comment,


suivre mon Ame, à moi, qui s'emportait au de-
là du personnage historique et dans tous les
sens, orbitée par le sentiment profond d'une
présence divine autour de cet homme incom-
parable. Certes je m'attends à de rudes criti-
ques, mais plus tard, lorsque le recul aura été
suffisant, on comprendra que je n'ai rien exa-
géré, probablement môme que je suis resté au-
dessous de ce qu'il aurait fallu dire.
L'hyperbole est un microscope pour lé dis-
cernement des insectes et un télescope pour se
rapprocher des astres.
lo. — Adoration du Saint Sacrement dans
notre église. Le curé, depuis plusieurs jours,
s'est donné un mal infini pour la décorer. L'in-
convénient est qu'on se croirait dans un carre-
four de Paris, au 14 juillet. Cependant ce bon
prêtre a peut-être un peu raison de croire que
«'10 I.B I-KI.KlilN DK I.'AIISOI.U

celle attraction banale est utile C'est Dieu qui


le sait.
i(). — LesSc7itimcntalistcs\mrBenson.J'ignore
pourquoi nie fut recommandé ce livre qui m'a en-
nuyé constamment et que je comprends à peine.
Il est possible que cela soit agréable ou profita-
ble à des Anglais, mais ma latinité y répugne in-
vinciblement. Je n'admettrai jamais qu'on soit
ennuyeux.
Pour me ranimer, lu le prophète Nahum dont
Y Omis îXiniw est d'une beauté accablante.

21).
— Cette villégiature annuelle et péniten-
tielle, heureusement touche à sa fin et je vais pou-
voir, par la Miséricorde infinie, rentrer chez moi
dans huit jours, pour m'y préparer au jugement
particulier et au Jugement universel, lesquels
sont fort à considérer.
27. — En souffrant beaucoup du froid, j'écris
une lettre assez longue à un jeune piètre de la
Sarlhe que je me suis onéreusement chargé d'ins-
truire. Je m'étonne de sa crainte de m'avoir dé-
plu en exprimant son mépris pour Y Action pré-
lenduefrançaisect pour le soi-disant catholicisme
dénué de surnaturel de ses coryphées. Je m'étonne
surtout de son amour pour le bellAtre Sangnier
que sa tendresse à l'égard des indigents ruine
IK 1-KI.EKIN I)K I. AltSOl.U Ml
si peu et dont le dénûment intellectuel est à
l'aire pleurer.

La démocratie est une opinion de dégénère. Vous


...
avez pu entrevoir que je n'appai lien- | r.-onne, si-
.

non aux Trois Personnes qui sont e:> Dieu. Relisez


mon hors-d'o-uvre. page !l!'M <î i \ /< </e lu M<>nlo-

(jne. Contempteur absolu du Nomlu :e me glorifie


de n'avoir jamais volé et je ne ois .
.ueun avenir
politique. A mes yeux tout e-l u- lin: rejetc, et la
,
désobéissance à Notre-Dame de 'i ^ah sera [.unie
d'une manière épouvantable. M;dcdu m> mulris cr.i-
ilic.it funil.imcnl.i.. J'attends Dieu seul et Notre Sei-
gneur Jésus-Christ est mon prétendant. Miami on me <

parle d'autre chose, c'est comme si on me jetait au


visage de la boue et des excrément-. J'en suis encore
à la Huile l'n;iin Snnct.uii de Bonil'aee VIII, la lîulle,
fameuse autrefois et maintenant si peu connue, des
Deux (ilaives dans une seule main, c'est-à-dire la
Théocratie absolue et, sans chercher à savoir com-
ment elle pourra se réaliser, il me. suflil d'être certain
cpie c'est un avènement nécessaire (pie Dieu réalisera,
bien plus tôt peut-être qu'on ne pense...

[Il est presque inutile de dire que, plusieurs


jours après, mon jeune prêtre s'est déclaré fort
sceptique à l'endroit de la lîulle Cnum Sunvtam
312 L'ABSOLU
i-B I'J-:LBRIN DK

dont il n'entendit, sans doute, jamais parler


dans son séminaire.]
Ah ! s'écriait souvent, en levant les bras

au ciel, une pauvre vieille soeur de mon père
que ma paresse d'enfant affligeait, ah l quand
il faut porter les chiens à la chasse 1...
29. — Rencontré un parfait rustre m'appor-
tant des notes exorbitantes de camionnage et
de jardinage auxquelles il ne vénérien changer,
gueulant et déguculant devant moi son inatta-
quable probité. Rien à faire. Je suis en présence
d'un des beaux sp<\ miens de la canaillerie et
du goujat'~«me beaucerons. La force de ces igno-
bles paysans est en ceci que, quelle que soit la
preuve de leur mauvaise foi, ils font comme si
rien ne leur était dit. Nécessité d'accepter l'in-
justice pour avoir la paix. Je ne me souviens
pas d'avoir vu un aussi répugnant voyou. Il est
réellement épouvantable et j'ai l'impression
d'avoir senti le contact d'un sale démon.
On parlait, ce matin, de la vie éternelle, mys-
tère écrasant pour la raison. Il nous est ensei-
gné que le Fils de Dieu est mort pour chacun
de nous en particulier. Donc le Paradis est pour
chacun de nous, l'enfer aussi, n'y eùt-il qu'un
seul homme. Merveille insondable ! En réalité,
LE l'KI.EHIX l»K L'AUSOI.U 313
il n'y a qu'UN seul homme et ce seul homme
est Notre Seigneur Jésus-Christ. Quand viendra
le dernier jour, il se jugera Lui-mémo et ce
sera le Jugement universel.
.10.
— Nuit horrible,continuellement troublée
par les fantômes de l'inquiétude. Manque d'ar-
gent, nécessité de payer nos dettes ici et dif-
ficultés excessives de notre déménagement. Tout
cela avec les déformations affreuses procurées
par le demi-sommeil et les ténèbres. Avant
quatre heures, n'y tenant plus, je me lève pour
prier, mais je souffre toujours,Dieu, sans doute,
le voulant ainsi. J'ai lame bouleversée.

Octobre

1". — Trouvaille et location d'une nouvelle


demeure à Mévoisins, tout près de Saint-Piat.
Villégiature pour l'année prochaine !

Lettre recommandée. Je croyais à de l'ar-


gent. C'est la vicomtesse Olga de Pitray, la ter-
rible raseuse. Elle tombe bien. Sa lettre est
imbécile et atroce. Cette vieille enragée renou-
velle sa tentative du 18 mai, espérant toujours
me recruter contre la merveilleuse voyante de
îs
31 i u; PKI.EKIN DE L'AHSOLU

Dîilmcn, a qui elle oppose idiotcmcnt Marie


d'Agreda, n'ayant rien compris ni à l'une ni à
l'autre. Elle ne trouve pas d'injures assez fortes
pour la « défroquée teutonne », non plus que
pour Brentano, son héroïque et admirable inter-
prète.
Elle veut aussi — et cela est inouï
— que je
me mette en campagne en faveur de Lasscrre,
auteur de la « Sublime histoire de Lourdes! » et
« traducteur injustement condamné de l'Kvan-
gile » ! Cette dame compte sur moi pour flétrir
ces « iniquités ».
2. — Qu'est-ce que les villégiatures? Besoin
étrange d'être mat, trois mois par an.
3. — Bienheureuse fuite.
o. — Bourg-la-Reine. Je reprends mes habi-
tudes. La plus constante est d'attendre le fac-
teur qui ne vient pas.
G.
— A quelqu'un :

Nous sommes enfin de retour, après beaucoup de


peines et proparés à souffrir encore. Ici ou ailleurs,
qu'importe ? .Mais je ne suis pas sans courage. Décidé
à lutter avec énergie, je ferme résolument ma porte
en priant les personnes de ma connaissance et môme
quelques-uns de mes amis, de ne pas troubler maso-
r.r IÎI.KIUN ni: I.'AIISMI.I: !îl,">

litudc. Vous me rendrez service, en observant cetle


consigne. Je vous prie de me pardonner et de m'ou-
blior.

7. — On me recommande un aut™ livre de


Benson : La vocation d'. Frank Guiseler. Ce ro-
man me donuera-t-il plus de satisfaction que
les Sentimentalistes qui m'ont tant ennuyé à
Saint-Piat ?
8. — A Tcrmicr :

Je vous reverrai donc,dimanche, avec joie, vous le


savez. Avant-hier déjà, j'espérais votre visite. Nous
sommes enfin délivrés de cette villégiature de pluie
et de boue. S'il faut souffrir encore —ce qui com-
mence déjà — ce sera du moins dans une maison ha-
bitable, dans un endroit sec et à une moindre dis-
tance de nos amis. Je ne veux rien vous raconter,
ceserait trop long. Je reviens avec vingt ans de plus,
considérant que j'ai environ neuf mois pour me pré-
parer à une nouvelle épreuve et à la mort devenue
l'objet constant de mes pensées. Ma femme, effrayée
do mon état d'affolement et de dépression, m'a
supplié de partir le premier, se chargeant de tout et
j'ai couru l'attendre à Versailles, heureux d'échapper
à la constriction de coeur procurée par le déménage-
ment et aussi par la crainte d'un créancier. Nous
31G I.E PKl.KHIN DK L AHSOI.I/

sommes ici avec cent sous vérifiés ce matin et la


recommandation classique do Juvenal :

Durnte nique exspectnte cicadas.

Il est vrai que nousavons Dieu aussi, Dieu surtout, et


que cela me suffit pour pleurer d'espérance chaque
jour. Mais, mon ami, que je suis las do cette incroyable
vie d'expédients et d'ignoble mendicité ! Dieu qui voit
la lassitude pitoyable d'un pauvre qui a vieilli a son
service, voudra peut-être me donner quelques der-
niers jours moins cruels, en accordant un peu de suc-
cès à ÏAme de Napoléon qui paraîtra dans deux se-
maines. Alors, enfin,je connaîtraislajoie de l'ouvrier
qui, ayant travaillé depuis l'aube, est autant payé que
celui de la onzième heure, et qui n'a plus besoin de
la pilié des hommes. Je ne dis pas cela pour YOUS,
mon bon 'fermier, qui êtes un humble et un dévoué,
mais pour d'autres qui m'ont fait sentir durement
leur protection.

Lecture du livre de Benson. Quelque chose


d'extraordinaire entre en moi. Avec une grande
émotion, je retrouve l'auteur de La Lumière
invisible, c'est-à-dire la proclamation toute puis-
sante et irrésistible du Surnaturel. Je ne sais si
des hommes tels que le protagoniste de ce li-
vre peuvent exister, mais qu'importe ?
I.E l'ILEHIN DR I.'AU.SOI.I: 317
0. — Fini le Bcnson. Déception. Je vois bien
que cet auteur a voulu donner l'idée d'un sacri-
fice énorme et tout à fait surnaturel. Mais il ne
précise pas ce sacrifice et l'immolation finale
doit paraître incompréhensible. Son protago-
niste ramène, non pas à Dieu, mais simplement
à sa mère, une fille perdue qui a honte de ce-
lui qui la sauve et ne comprend rien. Aussitôt
après, il a, dans l'église, une sorled'extasc, puis
court se faire assommer par un chenapan qu'il
n'avait aucun besoin de revoir.
II est évident que Benson a voulu montrer
une Ame en conflit avec une Volonté supérieure
à laquelle il doit obéir. Dieu exige un holo-
causte, mais pourquoi ? Cela n'est pas montré.
Cette façon de mysticisme sans but appréciable
déconcerte mon catholicisme latin. Impossible
de savoir pour quoi et pour qui cet homme se
sacrifie. Si c'est pour la gloire de Dieu, cette
gloire n'éclate pas. Si c'est pour la conversion
de quelqu'un, on n'en sait rien. Je consens que
ce soit pour ajouter « ce qui manque à la Pas-
sion » du Sauveur, mais rien ne le montre et
il faudrait le deviner. Pour moi, c'est un mys-
ticisme septentrional, cimmérien, hyperboréen,
assez semblable à celui des illuminés de la Rus-
is.
31S r.u PÈLERIN PK L'ABSOLU

sie. Il est vrai qu'on parle du chapelet, des sa-


crements, des moines avec un respect infini,
mais il semble cpie ce soit en vain et tout cela
donne l'impression de gestes littéraires. Alors
je suis, après ma lecture, comme un alïamé à
cpii on aurait promis un bon repas et qui voit
desservir une table décevante où nul n'a rien
apporté.
[\. — Ce soir, revenant de Paris, chargée
de divers paquets, Jeanne s'aperçoit de l'ab-
sence de l'un d'eux dont la perte serait pour
nous un désastre. Forcée de retourner sur-le-
champ à la gare du Luxembourg d'où elle était
partie et ne trouvant rien, elle s'assied, désolée.
Alors une femme inconnue à qui elle n'avait
pas parlé, s'approche et lui dit daller à tel
bureau lui assurant qu'elle y trouverait ce qu'elle
cherchait, ce qui se réalise aussitôt. La messa-
gère avait disparu...
15. — Le religieux qui a fait dire quatre
cents messes pour nous, en février, nous écrit
que, d'après une « sainte Ame » qu'il connaît, à
qui Dieu fait des révélations, il n'y a rien de
bon à attendre de 1912.
On me raconte ceci :
M: I'KLKRIN PK I.'AIISO'.U 3 lu

l'ne jeune femme du Nyanza ayant à peine reçu


les premières notions du catéchisme, venait de donner
le jour à deux petites jumelles. Llle les présente im-
médiatement aubapteme. Le missionnaire lui rappelle
que seuls sont admis, dès leur naissance, les enfants
des néophytes. Désolation de la pauvre mère. Mlle
objecte, en pleurant, le baptême administré au nou-
veau-né d'une de ses voisines également païenne. —
Oui, répond le Père, mais le pauvre petit était en dan-
ger de mort.
Or voici que, peu de temps après, l'une des jumel-
les tombe malade. Lu toute hAtc la fervente caté-
chumène la porte au missionnaire qui la baptise.
Aussitôt la mère de présenter l'autre lillelte ; elle
veut qu'on la baptise à sou tour. Fidèle observateur
de la règle, le Père demeure inflexible et la jeune
femme s'éloigne en gémissant. Mais quelle n'est pas
la surprise du Père lorsqu'il découvre l'enfant bien
portante et non baptisée abandonnée au seuil de
l'église. 11 rappelle incontinent la mère et celle-ci,
avec une conviction douloureuse et résolue:— Puis-
que tu refuses de la rendre enfant de Dieu, nourris-
la toi-môme. Pour moi, jene saurais nourrir en mOme
temps, l'enfant île Dieu et l'enfant du diable !
Le Père était vaincu. La deuxième fille fut faite
enfant de Dieu.
10. — L'Aine do Napoléon vient de paraî-
tre.
320 I.B iÈr.iïiMN ni: I.'AHSOLU

Visite d'un prêtre auteur m'apportant son der-


nier livre et ses plaintes. Avec la plus grande
amertume il se plaint de l'autorité ecclésias-
tique, de l'extrême dureté ou injustice dont il
est victime. Certes, je connais la sottise, la lâ-
cheté, la méchanceté de ce monde prétendu sa-
cerdotal, à commencer par Son Eminence ! Mais
ce pauvre prêtre, qui me semble plein de lui-
même et légèrement cahotin, me dit ce qu'il veut
et je suis sans aucun moyen de vérifier. L'ar-
chevêché lui refuse le celebret, sans vouloir lui
permettre de se justifier de telles ou telles ac-
cusations. C'est possible et même probable, mais
je ne sais rien et je ne vois rien. Il se croit ap-
pelé à un grand rôle. Je lui réponds qu'en sup-
posant la pire injustice, il doit la supporter en
prêtre, non des idoles, mais de Jésus-Christ,
c'est-à-dire avec patience, remettant à Dieu de
confondre ses ennemis, en acceptant toutes les
humiliations et outrages plutôt que de renoncer
à dire la messe. Mais il ne parait pas tenir à la
messe et se déclare incapable d'héroïsme. Je le
vois partir avec soulagement.
Essayé de lire son livre qui est une sorte de
roman. Littérature quelconque et intolérable
ennui.
I.K l'Il.intN DE I.'AIISOIU 3'J 1

17. — Lu dans la Revue Thomiste un article


de mon filleul Jacques Maritain : L?s deux Berg-
.sonisrnes. On sait mon peu de goût pour la
philosophie, à mes yeux la plus ennuyeuse fa-
çon de perdre le précieux temps de la vie et
dont le patois hyreanien me décourage. Mais,
avec Jacques, cela change singulièrement.
Je le savais supérieur, mon filleul hien-aimé,
et de combien de manières ! mais je ne m'atten-
dais pas à voir sortir un bras si tort de la gue-
nille philosophique. Un bras d'athlète et une
haute voix de lainentateur. J'ai senti, en môme
temps, comme une vague de poésie douloureuse,
une puissante vague de fond venue de très loin.
M. Bergson est devenu célèbre avec son Kvo-
lutionnisme, affreux mot barbare signifiant, je
le suppose, que ce professeur opère une évolu-
tion quelconque, à la manière, on peut le crain-
dre, des liserons sauvages si redoutés des hor-
ticulteurs, ou des coloquintes qui sont des
petites citrouilles grimpantes fort amères. N'im-
porte, le mot suffit, et comme il est tenu, aujour-
d'hui, pour indiscutable que tout va très bien et
que la religion est en progrès, un assez bon
nombre de nos excellents catholiques n'hésitent
presque pas à voir en M. Bergson une prochaine
322 LE PÈLERIN DE L'ABSOLU

colonne de l'Eglise. Au rancart saint Paul et


les vieux Prophètes grands ou petits. Le Penta-
teuque, irrémédiablement démonétisé, recule
devant Y Evolution créatrice (!) et le pauvre saint
Thomas est respectueusement invité à s'enseve-
lir dans la poussière scholastique.
Avec une précision et une force véritablement
terribles, Jacques Maritain dénonce « l'orgueil
de nature » dont souflVe la philosophie, sorte
de voile comparable à FelFrayant velamen que
saint Paul voyait sur la face des déicides. Le
philosophe arrivé à la limite de la philosophie,
ce qui parait être le cas de M. Bergson, est forcé
d'entrevoir l'existence d'un Dieu personnel, vi-
vant et agissant :

Pouvez-vous continuer de traiter avec Lui comme


un théoricien avec son idée et non comme un homme
avec son Seigneur ? Il y a des secrets que lui seul
peut révéler. Vous êtes vous-même un de ces secrets.
Vous connaîtriez votre tin et le moyen de l'atteindre,
si vous connaissiez ces secrets. Mais vous ne les
connaîtrez que s'il a plu à Dieu de les livrer lui-
même.
Vraiment les philosophes jouent un jeu étrange.
Ils savent bien qu'une seule chose importe et que
toute la bigarrure des discussions subtiles recouvre
LE I-tXEKIN DK L ABSOLU 3*23

une unique question : Pourquoi sommes-nous sur la


terre ? Et ils savent aussi qu'ils ne pourront jamais
répondre. Cependant ils continuent à se distraire
gravement. Ne voient-ils donc pas qu'on vient vers
eux de tous côtés, non par désir de partager leur
habileté, mais parce qu'on espère recevoir d'eu: une
parole de vie ? S'ils ont de telles paroles, pourquoi
ne les crient-ils pas sur les toils, en demandant à
leurs disciples de donner, s'il le fallait, leur sang
pour elles ? Sinon, pourquoi soulïrent-ils qu'on croie
recevoir d'eux ce qu'ils ne peuvent pas donner ?
Ah de grâce, si jamais Dieu a parlé, si. en quelque
!

endroit du monde, fill-ce sur le gibet d'un crucifié,


il a scellé sa vérité, dilcs-le nous, voilà ce que vous
devez nous apprendre ; ou bien èlcs-vous maîtres
en Israël pour 'gnorer ces choses ? lk\s qu'il s'agit
des choses divines et de notre salul, c'est à celle
question qui prime tout : Y a-t-il une Révélation ?
qu'il fanl répondre d'abord.
C'est ainsi que la raison conduit le philosophe,
jusqu'à un Vivant plus grand que lui, et dont le
ÎVom esl ineiVable. El certes, arrivé là. il pourra
apprendre de quoi renouveler sa science de fond en
comble. Mais le philosophe suivra-t-il la raison
jusqu'au boni ?

Telle esl la réponse de Jacques Marilain à


l'évolulionnisino beigsonien qui parait avoir
324 LK l'KLBHIN IJE L'AHSOLU

entrepris de grimper aux astres et qui me pro-


duit l'effet d'une sorte iVéqnilibrismc, car nous
en arrivons à parler une langue atroce. Qu'il
soit donc béni, mon fils spirituel. Pour n'avoir
demandé que la sagesse comme fit Salomon,
Dieu lui donne de surcroit d'être un robuste et
lumineux écrivain.
[Sous ce titre: La Philosophie JJergsonieruic,
Jacques Maritain vient de publier en un beau
volume, chez l'éditeur Marcel Rivière, les sept
conférences remarquables données par lui à l'Ins-
titut Catholique de Paris, du ÎJ avril au 24 mai.
Je parlerai de ce généreux apologétique de la
philosophie chrétienne à rencontre des rêveries
de l'encombrant et damnable cuistre acclamé
par la sottise d'un grand nombre de nos catho-
liques. Octobre 1013.]
22. — Envoi d'un exemplaire de luxe de
l'Ame de Napoléon au jeune dédicataire André
Martineau :

« Bcatius est mayis ilare c/uam acciperc. C'est un


plus grand bonheur de donner que de recevoir.» Pa-
role de Notre Seigneur Jôsus-Cln 4. Persuade-toi
donc, mon cher enfant, que mon bonheur de te don-
ner ce livre surpasse de heaucoup ta joie de le rece-
LE I'KLEHIN DK L'ADSOLU 325
voir. Tu comprendras cela plus lard, quand Dieu
l'aura fait la grâce de sentir ou de deviner le secret
tourment — comparable seulement à ceux de l'enfer
— des pauvres Ames qui ne peuvent pas ou qui ne
savent pas donner. Je t'embrasse et le bénis de tout
mon coeur.
23. — Autres envois. A René Martineau,père
d'André :

Puisque vous êtes rené, mon cher ami, je voudrais


savoir en quel temps vous ave/ bien pu naître pour
la première fois. Ce fut sans doute à l'époque très
inconnue où ne naissait encore aueu.i bourgeois.
Nous sommes étrangement privés de documents sur
celte période. Mais une conjecture est permise. Dé-
signé, il y a plus de dix ans, pour être le premier à
me secourir dans ma pire détresse,étant, à mes yeux'
par conséquent, le plus étonnant des hommes, il est
à présumer que vous fuies, je ne sais quand, un in-
dividu tout à fait inimaginable. Ce que je sais bien,
c'est que vous êtes, aujourd'hui, le père d'André, dé-
dicalaire prédestiné de AVIme de X.ïpoléon et que
c'est là votre récompense pour la vie présente et la
vie future.

A Jacques Maritain :

Tu as cru révéler mon secret pour écrire mes li-


vres, mais lu ignores que j'en ai un autre pour ne
19
326 r,E l'ÈLERIN DK L'AUSOI.U

rien écrire du tout. Condamné à devenir un auteur,


il m'a fallu, après l'éperon irrésistible de la Volonté
divine, la plus incroyable astuce. Cet autre secret
que je te permets de divulguer, c'est que je suis privé
d'intelligence, incapable encore, à G6 ans, de distin-
guer la droite de la gauche du Fils de Dieu et de
discerner les boucs d'avec les agneaux. La constante
misère matérielle, acceptée, d'ailleurs, sans joie,
étant l'unique ressource pour cacher cette indigence
excessive, je m'y suis précipité en gémissant et c'est
ce qui a trompé tout le monde, à l'exception de quel-
ques malins. Alors, puisqu'il m'était commandé d'é-
crire, j'ai écrit dans les ténèbres, dans mes ténèbres
à moi qui ne sont pas celles des autres, en comptant
sur Dieu seul, comme Jérémie, et voilà tout mon
prestige.

A Georges Rouault :

Voici la déposition du dernier témoin de ce ban-


queroutier sublime que fut l'Empereur.

Au docteur Joseph 'fermier, mon cher con-


frère :

Opération difficile qui réussira pcul-ôtre, si une


crise d'idiotie furieuse ne se déclare pas. 11 s'agissait
de changer la cervelle de mes contemporains.
LK PKLËRIN 1<K I.'AUSOLI' 327
A Otto Friedrichs :

Voici mon Waterloo, avec l'écrasement préalable


de Bliïcher et le remplacement de Grouchy par un
infaillible Archange.

24. — A Christine van der Meer :

Jeanne m'a dit que tu te reprochais de m'avoir


écrit une lettre absurde. Plût a Dieu qu'il m'en vînt
souvent de pareilles J'en ai déjà reçu de fort en-
!

thousiastes, une de Pierre surtout, mais la tienne


m'a percé le coeur délicieusement. Je ne trouve pas
d'autre expression.
« La Parole de Dieu », dis-tu. Ce que j'écris te
semble comme la Parole de Dieu ! C'est écrasant,
c'est une volupté à en mourir de joie et de honte.
Moi, le très pauvre homme, le charnel et le misé-
rable que je connais, parce qu'il me fut donné quel-
quefois d'accepter de souffrir un peu, de désirer la
guérison de quelques pauvres Ames non moins pré-
cieuses que la mienne ou île les chercher en pleurant
sur des routes dangereuses ; oui, à cause de cela,
je serais situé, je ne sais comment, dans ce tourbil-
lon de ténèbres et de lumière qu'on nomme la Parole
de Dieu, j'habiterais la foudre !...
Mais, en effet, c'est fou, cela, c'est du délire cl,
cependant, ce n'est pas absurde, et c'est tout à fait
enivrant. Il faut croire que j'ai besoin de cela pour
328 I.B l'KLEIUN DE I.'ARSOI.U

me remonter, car il me semble que ma confiance en


moi diminue à mesure que je deviens plus écrivain.
Non vraiment, ce n'est pas absurde. Nous sommes
des membres de Dieu, des Dieux, c'est le Maître qui
l'affirme de sa bouche. Alors nous avons le pouvoir
et par conséquent le devoir de parler divinement
toutes les fois que nous ne parlons pas en vain. Cons-
cients, comme nous le sommes, de notre misère et
de notre faiblesse excessives, c'est peut-ôtre le com-
ble de l'humilité de croire simplement qu'il en est
ainsi. J'admire donc ta foi, ma chôre Christine.

A André Dupont qui a parlé de m'intervie-


we r :

Livré a la liés fâcheuse corvée des envois de mon


livre, il ne m'a pas été possible de vous écrire plus
tôt. Voici, très rapidement, ce que vous pouvez faire.
Informé de l'apparition de l'Ame de Napoléon, vous
eûtes l'idée de vous précipiter chez moi pour me de-
mander ce que je pense des Balkans. Je vous répon-
dis avec douceur que, rempli, comme je le suis, de
Napoléon, je me foulaisabsolumenl des Bulgares,dos
Serbes, des Monténégrins et des Crecs,schismatiques
puants qui m'intéressent aussi peu que les Turcs.
Je me suis occupé des Bulgares, ily a quelques ans.
c'est vrai. Mais j'avais alors en vue le terrible tsar
Samuel et l'effrayant Bulgaroclone qui écrasa, pour
ix l'txp.itiN DIÎ L'AFISOLU 329
un siècle, cetlo misérable nation, longtemps avant
la première Croisade. Tout ce que je veux voir clans
la guerre actuelle, c'est le commencement probable
de l'énorme conflit européen que je ne me lasse pas
de prédire depuis vingt-cinq ans et d'où sortira peut-
être, après d'immenses carnages, un homme extraor-
dinaire envoyé de Dieu, comme le fut Napoléon.
Voilà tout.
Après cette déclaration, il ne vous a plus été pos-
sible de me retenir dans les Balkans, et nous n'a-
vons plus parlé que de Napoléon. Alors, puisant
dans mon livre et dans la curieuse brochure que je
vous envoie, vous pourrez me faire dire les choses
les plus remarquables.

Voilà plusieurs jours que les Marchesde Pro-


vence ont paru. C'est le plus grand, ou, pour
mieux dire, le seul grand cll'ort de publicité qui
ait été accompli pour moi. On voudrait tant
mon succès, et VAim de Napoléon parait une
telle occasion Aurélicn (loulanges a t'ait ce
1

qu'il a pu et même, probablement, un peu plus


qu'il ne pouvait, étant un pauvre. Mais je doute
(pie cela suffise pour en finir avec la (Conspira-
tion du Silence, inexterminable comme les an-
ciennes concubines ou les vieux crampons rouil-
les.
330 LE PÈLERIN DE L'ABSOLU

Gela commence par cette lettre de l'abbé Pient


Gornuau:
Monsieur le Directeur,
Je sollicite une place clans le numéro d'octobre de
votre Revue pour y parler de Léon Bloy d'un point
de vue d'où ses amis, l'envisageant sans doute comme
un grand artiste, ne l'auront peut-ôtre pas suffisam-
ment mis en lumière.
Oui, Bloy est un très puissant écrivain. Il l'est tel-
lement et il fait à ce point vibrer certaines Ames ca-
pables do pénétrer sa pensée, qu'après l'avoir lu,
elles ne peuvent plus lire personne. Je ne crois pas
qu'il puisse y avoir pour un écrivain de gloire au-
dessus de celle-là.
Mais Bloy est avant toutungrand chrélieu; et ceci
doit être dit sans ambages dans une Bévue qui se
donne l'honneur de le présenter au public.
Oui, chrétien, dans toute la force du mot ; c'csl-à-
dire ami du Christ jusqu'au sacrifice sans mesure,
jusqu'à la mort.
Non pas môme un chrétien dans le rang, mais un
chef, un de ceux qui ont positivement mission d'ap-
peler les Ames et de les conduire au Mattre.
Oh ! J'entends bien qu'il n'est pas constitué offi-
ciellement dans l'Eglise en celte fonction d'apostolat ;
et il ne s'esldu reste jamais donué le ridicule d'y pré-
tendre. Il éclaire avec amour le chemin des Ames de
LK l'ÈLEniN DK L'AHSOLU 331
bonne volonté ; et, les ayant ainsi conduites aux pieds
du prêtre, celui que la Providence semble désigner
à l'achèvement de l'oeuvre divine, fût-il le plus hum-
ble ; — il se relire en quelque coin de silence pour
remercier Dieu, avec des larmes, de l'avoir choisi
pour être son passeur.
Et cependant telle est sa mystérieuse et sublime
investiture dans cette mission très haute, et telles sont
les bénédictions de l'Esprit-Saint sur ses livres, que
ceux qui les lisent en en pénétrant la forée et la dou-
ceur vont presque nécessairement à Dieu, pour qui
ils ont été exclusivement écrits.
Et je suppose que si tant de catholiques modernes
se détournent de Bloy, c'est qu'ils ont llairé ce dan-
ger, n'ayant qu'une peur : d'être entraînés par une
surprise d'enthousiasme et jetés par ce terrible ami
de Dieu, sans compromissions ni atermoiement, dans
l'engrenage de l'héroïsme chrétien qui est leur épou-
vante.
Je sais des prêtres qui ont beaucoup reçu de Léon
Hloy, plus que d'aucun autre en ce monde, et qui n'en
font pas mystère. Sa passion pour la vérité sans al-
liage a enflammé leurvie. Son courage tranquille en
face de tous les sacrifices nécessaires a réconforté
leur coeur quelquefois tremblant.
Et sa fidélité inouïe, à travers les menaces et mal-
gré les séductions tentées, dans sa longue carrière
d'écrivain catholique, leur a inspiré cette horreur,
3'.\'2 LE l'î-LERIN DE L'ARSOI.U

qui honore les hommes, pour tous ces louches accom-


modements où sombre misérablement l'intégrité du
caractère.
A combien a-t-il enseigné les raccourcis qui mon-
tent à Dieu sans détours, ces chemins de l'Absolu au
bord desquels fleurissent les éclatantes vérités semée»
autrefois par Jésus, et qui sont les adorables et très
pures fleurs du saint Evangile !
Aussi, aux prêtres qui connaissent le prix des
Ames, qui les veulent grandes, qui ont d'ailleurs le
souci de leur ascension personnelle, je ne puis rien
souhaiter de plus vraiment efficace (pie de chercher
dans l'oeuvre de cet artiste impeccable la doctrine
sûre, généreuse et sans défaillance, qu'il y enchâsse
partout si magnifiquement, avec l'unique volonté de
servir vraiment la gloire de Dieu.
Et je songe avec éblouissement à la beauté vraie
de cette pensée, écrite par l'Ame qui le connaît le plus
au monde : « L'esprit de Léon Bloy est comme une
« cathédrale où le Saint-Sacrement serait toujours
« exposé. »
PlKNT COHNUAU.
Aumônier de la ilulte, en retraite.

Autre lettre de prêtre :

Monsieur,
Votre aimable invitation court la poste derrière moi
depuis une quinzaine de jours, il me faut donc, né-
I.K I'KI.ERIN DE J.'ABSOI.U 333

cessairement, recourir à une sorlede télégraphie pour


ne pas aggraver ce long retard.
Je suppose, du reste, que YOUS n'attendez pas d'un
humble prêtre une « appréciation littéraire » ; si vo-
tre généreuse initiative rencontre les bonnes volontés
qui lui sont ducs, vous aurez en abondance des ré-
ponses brillamment motivées et munies d'un prestige
qui manquerait trop manifestement à mes propos.
Kn revanche, je vous envoie bien volontiers, les ré-
flexions s'rielemenl sacerdolalesque m'inspire depuis
longtemps l'extraordinaire situation qui est faite à
Léon lîloy.
'Joui ce que railleur du llvehm iïExcommunies
a dit de la « haine sauvage, inexplicable », manifes-
tée par les catholiques modernes, contre l'Ait, est
dix mille lois justifié par leur altitude à son é^ard.
Depuis la mort ifLiMiest Ifello, Léon Bloy est le
seul écrivain de France dont l'a*livre splendidement
parce que inlèi/ralemcnl catholique rayonne ave-
magnificence sur les vérités essentielles et... nir les
ornières où se traînent habituellement les écrivains
prétendus religieux.
« Kl sui cuin non receperunl », mais c'est aussi le
seul de qui tous les Argus de la « lionne Presse »
s'obstinent avec une diabolique constance à détourner
leurs yeux innombrables...
(Jue si l'on rappelle, non sans amertume, la reten-
tissante musique provoquée par telle médiocre con-
iv.
33i LU PÈLERIN ni: L'AHSOI.U

version, de bonnes Ames ne manquent pas de vous


suggérer avec une évidente opportunité la leçon de
l'Fnfant prodigue... oubliant simplement que le Fils
aîné, le Fidèle, jouissait dans la maison du Père de
tout ce que nous réclamons pour lïloy et qui jusqu'ici
lui a été refusé.
L'énormité de l'injustice est indicible ; mais en
voici la trop certaine conséquence : c'est l'inévitable
déferlement de cette «Crueextraordinaire delîôlisc»
dont le Vieux de la Monlnr/ne dénonçait naguère
l'imminence.
Si les efforts tentés dans votre Kevue aboutissent
a l'édilication d'une digue, vous aurez un droit
indéniable à la gratitude de tous ceux qui sont en
passe d'être submergés.
En tout cas voici ma pierre.
LÉON ci: PKTIT.

Impossible de reproduire le long et somptueux


article de Jeanne Termier-Boussae, intitulé Les
Poètes et Léon Jiloy. Quelques citations seule-
ment pour donner une idée de celle élude re-
marquable qu'on viendra peut-être lire plus
lard, en pleurant un peu, dans le cimetière
tranquille où je dormirai :

...On a beaucoup cité la parole de Pascal : « Jésus


sera en agonie jusqu'à la lin du monde ; il ne faut
11: ri':i.riuN m: L'ABSOLU 335

pas dormir pendant ce temps-là. » Il me ?omhl<;


qu'on ne peut ouvrir un livre de Léon Bloy, un de
ces livres tout en souffrance, sans se la rappeler.
Est-il une Ame plus éveillée que la sienne et qui
soit plus directement atteinte et plus violemment
déclarée par la déréliclion terrible du Rédempteur,
par l'humiliation de sa grande Eglise défigurée et
presque méconnaissable ; par l'inintelligence ou la
torpeur de ses derniers fidèles ? Celte compassion
a l'accent d'une douleur personnelle, tant elle est
intense, véhémente, et sans accalmie.

Mais, ce qui s'éclaira d'une lueur singulière


pour l'Ame, incendiée d'amour, de ce chrétien sans
indolence, ce qu'il lui fut impossible de ne plus voir
a toute minute, autour de lui, c'est cet univers invi-
sible dont les aspects ne deviennent vraiment saisis-
sablcs qu'à de très rares élus de la Douleur. Le
monde inexploré des Ames qui a, lui aussi, ses
gouIVres et ses plaines, ses tourbières fétides et ses
lacs, lui apparut prochain et familier. Kl c'est pour
cette lucidité particulière, assumée, sembte-l-il,
comme un châtiment, que ses livres soûl inoubliables.
On avait des idées, des notions qu'on croyait clai-
res; on avait équilibre pour soi, tant bien (pie mal,
une métaphysique, harmonisant l'univers à sa façon,
situant chaque chose à sa place, et parquant délibé-
rément l'inconnaissablepour n'en être plus inquiété.
',Y.V.\ ii: l'ii.i-niN ni: I.'AHSHI.U

Les moins dogmatique- et les plus profonds d'entre


nous sont ainsi, et transportent dans leurs esprit-
d'analogues constructions puériles.
Léon IMoy saccage cette ordonnance et ces préten-
dues clartés, (l'est un des traits les plus remarqua-
bles de son génie <pie cette puissance d'enrichir de
mystère, d'illimiler aussitôt les sujets qu'il traite. Il
dresse devant nos yeux sa propre aperception du
monde, non plus précise et linéaire, mais chaotique, et
bouleversée, tissurce de goull'res nouveaux, inimagi-
nés jusqu'alors, (l'est le grand désordre d'après la
Chute, tel que le pouvaient voir les vertigineux mys-
tiques, où rien n'est à sa place, où nul ne sait son
vrai nom, ni de quel être il est solidaire, ni « s'il est
digne de haine ou d'amour ». Les mystères sont les
vrais personnages des livres de Bloy, non pas les
mystères aisément dénombrés d'une religion raison-
nable et sou.-ieuse de plaire, mais les mystères se
multipliant partout, surgissant de toute circonstance,
grandissant derrière les vivants rencontrés, soutenant
le très humble mendiant qui heurte à la porte, escor-
tant de leurs somptuosités ténébreuses les êtres les
plus indistincts.

On lui reproche d'être sans indulgence et plein


d'amertume. Parce qu'on n'a plus conscience, aujour-
d'hui, du poème de victoire et de joie plénière que
pourrait être la vie d'un chrétien, le spectacle dc<
Il: n'iutiN M: l.' \it-oii' '-Mi

limoneuses existences Ixun ^••ui-o- ne pénètre plus


d'épouvante, li> voisinage des ;niH• s aveugles, de> in-
nombrables l'ii'iirs sans ;umnir ne sature pli:- d'une
lri>tesse pesante. ( )n s'apitoie :-ur ces vi< s incom-
plètes ; (in lt'iir découvre des sentiments louchants,
des iiitenlions lionnes.
Léon lUoy se souvient seulement qu'il es! possible
à tout homme de renaître et d'enfanter Dieu, et que
l'amour n'existe pas, s'il n'est synonyme de toute-
puissanee. C'est pourquoi notre société raisonnable
et sa * mitoyenne morale •>, sont parfaitement insup-
portables à ect alVamé des réalités absolues, et c'est
pourquoi, comme le sombre Sam-ou entie les colon-
nes du Temple, le grand mépris .-alulaire apparaît
dans ses livres et les l'ait si terriblement frémir.

J'ai parlé du mépris de lîloy. .Maintenant, voici que


se précipitent à mon souvenir toute-; les autres for-
mes éblouissantes de >on Ame. Le scintillement per-
pétuel de son génie me représente, tour à tour, sa
verve infatigable, son discernement immédiat et fou-
droyant du ridicule, et cette ironie Iranquilleet joyeuse
qui prend tout son temps pour exécuter l'adversaire.
.Je voudraisglorilier son art très précieux, l'opulence
inouïe de son vocabulaire alimenté par une si rare
science de la langue latine, et je vomirais dire aussi
son très haut courage, la bonne humeur, si française ,
qui l'accompagne dans les plus noires pérégrinations,
3!ÎS 11: i'i':i.i:iti\ ni: I'AII-MIII-

montrer la vitalité merveilleuse de ce Désespéré


toujours enivré d'espérance, soutenu saiw cesse, el.
réconforté du vin sombre de sa douleur.
Mais ce qui m'appaiv.ît, avant tout, dans ses livres,
c'est la générosité magnilique, l'ainour absolu, la
profonde pitié sans faiblesse, la tendresse qui ré-
cbaulVe et qui ressuscite les sanglants et les oppri-
més. Nul ne s'est donné plus libéralement, plus aveu-
glément, que celui qu'on a nommé le Mendiant
Ingrat. Nul n'a été plus véhément dams l'admiration,
plus éperdu dans l'enthousiasme, plus sensible et plus
désarmé que ce redouté pamphlétaire. D'un bouta
l'autre de son oeuvre, on le voit portant toute son
Ame vers ceux qui souffrent injustement, vers les
aitisles fiers dont on lait la grandeur. A qui n'a-t-il
fait l'aumône, cl, d'ailleurs, pour une personnalité
de celte puissance, qui donc pouvait paraître sans
pauvreté ?
A lire son Journal, on entrevoit confusément les
physionomies douloureuses de ceux qui attendirent
de lui leur nourriture, qui vécurent de sa substance,
pour qui, dans les plus atroces luttes, épuisé des
courses vaines et des infructueuses tentatives, il trou-
vait le moyen d'écrire ces grandes lettres vivifiantes :
« Mon ami, j'ai essayé île vous dire que'que chose... »
Et dans ce peuple d'affamés, il y a de grands artis-
tes, «tourmentés par l'insomnie de leur propre coeur»,
qu'il savait exalter du sentiment de leur force, pour
i.r rî 11:uiN m: I.'AB-'W r '.V.VJ

qui, seul, il pouvait >- restituer à la vie et au llainhoir-


menl les vieilles images » devant lesquelles îles gé-
nérations s'agenouillèrent. Il y en n d'autres dont il
lait les noms pins obscurs, destinataire»! inconnus,
morts peut-être, de certaines lettres, ouvriers sans
éclat de taches à présent finies, dont nous ne savons
rien, sinon qu'ils furent troublés comme nous. ac- «<

cablés sous le poids du jour et de la elialeur », et


qu'ils souffrirent avant nous de voir, toujours ter-
reuse et souillée, indiscernable et dans les ténèbres,
la Face de, la Vérité.
Léon liloy est tellement le poète de la Pauvreté,
qu'il ne peutpas concevoir Dieu sous une autre forme.
N'est-il pas un peu le contemporain de ces Patriar-
ches qui tremblaient, de méconnaître un Ilote redou-
table dans le plus faible des vagabonds assisté-» ? Il
demande a toutes les créatures ce Proscrit dont nul
ne s'informe. Très humblement, el comme à lAtons
dans la nuit des symboles et des préfigures, il cherche
Celui qui ne parlera de lui-même que pour dire :
« J'avais faim et soif, j'étais étranger, malade et nu »,
et la somptueuse « oraison d'art », qui s'appelle Le
Salut par (es Juifs no lui parait pas,sans doute, autre
chose qu'une très dérisoire el très pitoyable aumône
à ce Pauvre par excellence...

On dira peut-être que je devrais m'arrèter ici.


.Te ne le peux pas. Il faut ùtre juste envers soi-
«HO LI: l'i'i.KiuN DI: I.'AUSOI.C

môme. Voilà trente ans que tout un inonde lit-


téraire ou prétendu tel est attentif à m'assassi-
ner par le moyen peu héroïque de la conspiration
du silence. Des suil'rages m'arrivent enfui, d'au-
tant plus précieux qu'ils ne sont pas universels.
Pourquoi n'en serais-je pas fier'.'Puis enfui j'é-
cris pour Dieu, étant, peut-être, aujourd'hui, son
unique témoin, et si je ne suis pas cela, je ne
suis rien. A ce titre il est nécessaire qu'on
m'entende, qu'on sache au moins que j'existe,
et je profite joyeusement de l'occasion.
Voici maintenant ce que disent mes filleuls :

LK SECRET DE LÉON BLOY

Les livres de Léon Bloy exercent sur cerlaincsAmes


une influence que l'art ou le génie ne suflisent pas
à expliquer. Pour tourner les oeurs vers Dieu, il
faut autre chose que la plus magnifique éloquence.
Quel est donc le secret de Léon Bloy ? Inutile de
chercher longtemps, il me l'a donné lui-môme :

Voici mon secret pour écrire les livres qui te plaisent :


C'est de chérir de toute mon àme — au point c!e
donner ma vie — les âmes telles que la tienne — con-
nues ou inconnues — appelées à me lire un jour.
il: i'iii:niN ni: I.'AIISUI V 'A\l

« Heatius est inagis dare (jnain aecipere ». — l.e


Meiuliant Iiu/rul a un besoin infini do donner. S'il
était riche, tout l'or <ln inonde ne suffirait pas à sa
munificence : ne pouvant pas nourrir avec les ri-
chesses d'iniquité tout un peuple de pauvres, il se
donne lui-môme, avec une extrême abondance ; il
écrit pour se donner. Kt sa pire amertume est sans
doute que, parmi ses contemporains, si peu veuillent
recevoir ce qui leur est olVert avec tant d'amour. 11
n'y a qu'un moyen d'agir sur les hommes : c'est de
désirer d'un grand désir leur servir de nourriture. Kt
c'est en cela, je crois, que ce pauvre serviteur de Jé-
sus imite le mieux son Maître.
Cette générosité et cette tendresse, qui le singula-
risent si cruellement dans nos temps de dureté froide
et impie, Bloy en l'ait largesse de toutos manières.
On parle toujours de ceux que fouaille son effroya-
ble polémique (laquelle porte beaucoup moins, je le
note en passant, sur tel ou tel fait matériel que sur
les déviations intérieures ou les défaillances d'Ame,
qu'il devine avec un instinct terriblement sûr) ; on
oublie ceux qu'il défend, môme parmi les modernes •
Hello, Verlaine, Villiers, sans parler de Rictus et de
Hosenfeld ! Sa violence n'est que la face inverse de
son amour, — de son amour pour la Vérité, c'est-à-
dire pour la Personne du Sauveur. Partout où il
voit quelqu'un souffrir injustice, il s'élance vers lui :
Christophe Colomb, Marie-Antoinette, Louis XVII,
'M'2 I.K I'Ù.KIUN KK I.'AUSOM;

la très noblo Mélanie ; les Juifs, détenteurs, malgré


leur crime et leur perfidie, des promesses de Dieu
qui sont sans repentanee ; le Pauvre enfin, le Pauvre
et la Pauvreté qu'il chérit tous deux à cause du Pau-
vre par excellence ; et inliniment au-dessus de tout,
Notre-Dame, la Reine du monde, qui pleure et qu'on
n'écoute pas, — tous ont reçu son témoignage. Le
secret de IMoy, c'est une extraordinaire dileclionpour
les Ames, un amour qu'auraient seuls pu comprendre
ces tendres hommes du moyen-Age, qui étaient doux
comme il est doux et qui aimaient les Larmes comme
il les aime. Car « on pleure beaucoup dans sa maison».
« Seigneur, je pleure très souvent. Kst-ce de tristesse
« en songeant à ce que je souffre ? Est-ce de joie en
« me souvenant de vous?» Oui ne comprend pas cela
ne comprend rien a son oeuvre, et spécialement au
livre sur Napoléon qui paraîtra ces jours-ci, et qui
n'est, selon moi, que l'étonnante expression du plus
profond et du plus généreux amour des Ames, a l'oc-
casion d'une Ame où son Ame s'est regardée.
Nous ne pouvons rien donner que nous n'ayons
reçu, étant à l'image de Celui qui reçoit tout de son
Père. C'est pourquoi plus on donne, pinson a besoin
de recevoir, plus on est mendiant; et c'est aussi pour-
quoi il n'y a que les pauvres qui donnent. Bloy est
un terrible mendiant, qui ne souffre pas la médio-
crité dans les hommes, et que Dieu ne contentera
qu'avec le martyre et la vision de sa Gloire. On dirait
u: I-I:I.I:HIN I»I; I.'AHSOI.U 'M'i
parfois que, dans son désir de la bienheureuse vision,
il ferme volontairement les yeux aux lumières ordi-
naires, et qu'il préfère marcher à tfttons vois le pur
éblouissement. Cette impatience mystique est, à mon
avis, à la source môme de l'art île Léon ISloy.
II s'agit pour lui, avant tout, tle « donner l'idée et
l'impression du mystère », c'est-A-diro do notre im-
puissance avoir en face la lumière qui nous éclaire,
cl de donner en môme temps, par la plus somptueuse
floraison d'images, une similitude sensible de cette
Vérité dont nous n'avons pas encore, l'intuition et que
nous ne connai^-e; s que per spéculum in cvnifjmate.
« Il est indispensaî,'e,dit-il,que la Vérité soit dans la
Gloire. La splendeur du style n'est pas un luxe, c'est
une nécessité.» Tout son art est animé par la passion
de voir; c'est parce que le sens est intuitif que l'ima-
gination sensibley tient une place si prépondérante.
11 ne faut pas prendre Léon lîloy pour un théologien

ou pour un docteur ; c'est un imagier, un enlumi-


neur, un peintre de verrières resplendissantes. Non !
C'est un pèlerin ilu Saint Tombeau. « Si l'Art est dans
mon bagage, tant pis pour moi ! Il ne me reste que
l'expédient de mettre au service de la Vérité ce qui
m'a été donné par le Mensonge. Ressource précaire
et dangereuse, car le propre de l'Art, c'est de façon-
ner des Dieux ! » — « Je suis bonnement un pauvre
homme qui cherche son Dieu, en l'appelant avec des
sanglots par tous les chemins... »
[][{ M: I'J'LKHIN ni: I.'AHSÛI.U
Il n'en est pas moins vrai que co puuvre homme est
un des plus grands écrivains français, un dc~> plus
liants parmi les artistes de génie, un de ceux à qui
Dieu a départi le plus royalement ces dons excep-
tionnels qui sont dans notre nature comme un écho
de sa Parole. .Mais cet Art indomptable et faiseur de
dieux, il l'a réduit à l'obéissance de la Foi, à la dis-
cipline de la Vérité révélée, au service de la sainte
Eglise. « La vérité bien nelle et qui éclate dans tous
mes livres, c'est que je n'écris que pour Dieu. » 11
est tout le contraire d'un anarchiste haïssant « les
bourgeois » ; il est un chrétien qui hait le lîounjeois,
c'est-à-dire, pour qui sait comprendre, un des roms
modernes tlu vieil Ennemi. Catholique et latin, il a
en horreur le désordre, le déséquilibre, le sentimen-
talisme, l'esprit protestant et révolutionnaire. « J'écris
les choses les plus véhémentes avec un grand calme.
La rage est impuissante et convient surtout aux
révoltés. Or, je suis un justicier obéissant. » Il place
au-dessus de tout la fidélité absolue à la vérité surna-
turelle. « Trop de science humaine et trop peu de
science divine, » dit-il en parlant de Villiers de l'Isle-
Adarn. C'est la môme impression que pour Edgar
Poe. « Ces poètes ne priaient pas et leur mépris, élo-
quent parfois, n'estque l'amertume deleur impatience
terrestre. Ils sont pleins de terre comme les idoles.»
Tout cela peut expliquer comment Léon Bloy
exerce sur les publicains une si merveilleuse, in-
i.t: i'i:n:iti\ ni: I.'AI.»OM .*{(ô

tluencc. C'est eux que \ ise son «ruvre, bien plus que,
les catholiques. Il y a des Ames périssantes qui cher-
chent la lîeauté dans les ténèbres, e( que l'apologé-
tique de Coppée ou de Marc Sangnier ferait fuir avec
horreur, Bien phis, la pure doctrine elle-môme —
perle réseivée aux fils du royaume — n'agit pas sui-
de telles aines, dont la raison est trop alanguie ou
déséquilibrée ; enfin la médiocrité d'un grand nom-
bre de prêtres, l'inlidélité tlo^ catholiques mondains
les épouvantent, liloy, en criant sur les toits, en ac-
cablant les lièdes et les avares, en faisant voir et
toucher la splendeur de la Foi, inspire à ces pauvres
Ames le pressentiment de la gloire de Dieu ; il va les
chercher au fond de leur nuit et les attire à la lu-
mière. Mais rien n'agirait, en définitive, sans le secret
que j'ai dit. C'est la churitc de ce prétendu pamphlé-
taire, c'est son amour de Dieu et des Ames qui em-
porte tout. Kl une telle action, que la Frovidence
exerce par lui, le console sans doute un peu de ses
longues douleurs, car celui qui donne ainsi des Ames
à Dieu doit être un ;tmi de Dieu. « Ami de Dieu ! »
s'écric-t-il. «Je suis sur le point de sangloter quand
j'y pense. On ne sait plus sur quel billot mettre sa
tête, on ne sait plus où on est, on ne sait plus où
il faut aller, on voudrait s'arracher le coeur, tant il
brûle, et on ne peut pas regarder une créature sans
trembler d'amour.On voudrait se traîner sur les ge-
noux, d'église en église, des poissons pourris pendus
3il» I.K rKi.RiuN in: i/.vnsoi.r

au cou, comme disait la sublime Angèle. Kt quand


on sort de ces églises après des heures où on a parlé
a Dieu comme un amoureux à une amoureuse, on se
voit tel que les pauvres bonshommes si mal dessinés
et si mal peints des chemins de croix, marchant et
gesticulant avec piété dans des fonds d'or. Toutes
les pensées qu'on ne savait pas, séquestrées jus-
qu'alors dans les cavernes du coeur,accourent ensem-
ble ainsi que des vierges mutilées, aveugles, allu-
mées, nues et sanglotantes. Ah ! certes, on de tels ins-
tants, le plus atroce de tous les martyres serait choisi
— avec quels transports !... »
JACQUES MARITAIN

LETTRE OUVERTE A M. DICK COSTER

A DFÎ.FT (Hollande).

Je connais L'/lme de Napoléon. Ah ! je n'oublierai


jamais ces heures, lorsque j'asssistais à la lecture,
par Bloy lui-môme, des chapitres à mesure qu'il les
avait écrits. La première impression était forte, je
l'assure, et cette langue merveilleuse, d'incompa-
rable style, qui provoque la nostalgie de la Beauté
éternelle, m'éblouissait, mais je jouissais encore plus
de la lumineuse conception, de la hauteur de la pen-
I.K I'KI.RHIN 1>K
l.'AUSOI.C 11 17

sôe, do celle; vue chrétienne sur l'H» 'oire d'où Dieu


n'csl jamais absent. C'est un livre d'un esprit puis-
sant et profond, qui se possède pleinement. Kl la
chose qui surtout me frappait, c'était qu'il parlait de
sa propre Ame en parlant île l'Ame de l'Empereur. Kl
puis, Bloy lit admirablement ; sa voix souple, allant
de la tremblante tendresse jusqu'à la grave ou véhé-
mente sonorité, vous empoigne, il connaît la langue,
son instrument, comme pas un autre ; des mots qu'on
a lus des centaines de fois et qui n'avaient plus de
relief pour vous, éclatent tout à coup comme des
bombes ou s'ouvrent comme des fleurs très douces.
Chaque fois, à celte lecture, l'émotion m'étreignail ;
j'écoulais avidement, le coeur battant, les yeux pleins
de larmes. N'était-ce pas admirable: un chrétien qui
aime Dieu, le Créateur des Ames, au-dessus de toute
chose, vous dit, et dans quelle langue, ce qu'il a pu
voir et pressentir en l'Ame de Napoléon !

Il nous indique le destin caché de Napoléon, envoyé


par Dieu sur la terre. Puisque rien n'arrive, selon ce
qui est dit dans le Catéchisme des enfants, sans
Son ordre ou Sa permission, Dieu est partout présent
dans l'Histoire. 11 faut toujours avoir cette pensée
dans l'esprit pour bien comprendre ce livre. Car Bloy
est avant tout, môme avant d'être le poète de génie
que nous aimons, un chrétien, un catholique romain
qui prie, qui communie, qui cherche son Dieu avec
MIS I.I: i'ï;n:niN ni: I.'AUSOIU

un immense désir, humblement, et «l<>iil l'Ame pal-


pite d'amour devant le pauvre autel d'une église île
village. 11 aime lesôtres évidemment chéris de Dieu,
les hommes qui, dans leur vie et leur mystérieuse
mission, sont comme des ombres de l'Omnipotence
et de la Splendeur divines. Qui, parmi les hommes,
est plus grand que Napoléon ?
Bloy cherche « l'identité » des personnages ; il se
demande ce que signifie tel événement, dansl' Absolu ;
il regarde d'en haut l'Histoire humaine, etainsi vue,
elle devient une Kcrituro aussi cachée que l'autre
qu'on appelle rKcrilure Sainte. Tout est symbole.
Alors, qu'est-ce que Napoléon ? Que signifient ces
batailles? Quel est le sens profond de sa lutte avec
le Pape ? Qu'est celle Ame, « sa vaste Ame » ? Quel
est le sens de son apparition sur la terre ?...
Je suis complètement incapable de le redire, mon
cher ami, surtout dans une langue qui m'est, hélas !

trop étrangère, ce que Bloy nous fait pressentir. Lis


ce livre, lis ce poème qui te conduira, au-dessus de
l'art, dans des régions de lumière, et je le promets
l'éblouissement parla Beauté et la Pensée chrétienne.
PlETER VAN DER MEER DK WALCIIEREN.

Immédiatement après mes chers filleuls, il y a


l'étonnant ami Alfred Pouthier, celui qui cou-
rut après moi, vingt ans :
I.I: I>Î:I.IMUN m: I.\\H>OI.I: lU'.t

La légende a fail de Léon Bloy * un hommo farou-


che et impossible ». Pour ceux qui l'ont pratiqué,
ils savent combien, dans celte légende, est médio-
cre la part de la vérité. Mais il n'est pas mauvais,
après tout, qu'il y ail, quelquefois, entre soi et le reste
du monde, une barrière que les indifférents ou les
tièdes, que ceux qui sont d'une autre race, ne tente-
ront même pas do franchir...
Il a été dit que Bloy était tout entier dans ses
livres. L'on n'en peut pas douter. Comment, a cet
accent inouï, les fictions de l'Imagination la plus
désorbitée pourraient-elles atteindre ? 11 faut la
vivre soi-môme, a chaque heure et intensément,
pour rendre ainsi une vie d'effroyable misère, d'an-
goisse sans espoir terrestre, suppliante et révoltée,
poursuivant, sur les (/erioux, le chemin douloureux,
hérissé des pierres des lapidations fraternelles ; une
vie sansaulre répit que la solitude intérieure ; me-
nacée enlin a chaque pas de s'arrêter, n'était le
réconfort de la Prière, ce bâton dans la main des
Pèlerins épuisés de lassitude.
.Mais si l'on ne tardera pas à découvrir l'humanité
que contient l'oeuvre de Léon Bloy, on est immédia-
tement saisi par sa puissance d'Ecrivain. Que celui-
ci dédaigne la Gloire telle qu'elle est communément
distribuée, on lo conçoit ; il aspire à une immorta-
lité moins aléatoire ! Mais il est écrit qu'il n'échap-
pera pas plus à l'une qu'à l'autre : qu'il le veuille,
20
330 LE PÈLERIN DE I.'ABSOLU

qu'il l'accepte ou non, il est et demeurera glorieux ;


le monument qu'il s'est bâti n'est pas de ceux qui
périssent.
L'autre sûr garant qu'il y ait de cela, c'est cette
nuit, c'est ce silence, où les Méprisants de tout ce
qui dépasse, s'acharnent avec une diabolique persé-
vérance à le murer vivant. Car « les profondeurs oui
quelquefois d'étranges surprises. Qui sait vraiment,
parmi la racaille, si ce « Pauvre » ne reparaîtra pas,
quelque four, à la surface des ténèbres, tenant à la
main une magnifique peur mystérieuse, — la fleur du
Silence, la fleur du gouffre ? »
Jamais le mot de Bu (Ton : « le style, c'est l'homme »,
ne se vérifia au môme degré que chez Léon Bloy.
Providentiel, prophétique Porte-Verbe aux lèvres
de feu, pleurant du sang au milieu de ses autels sac-
cagés, il fait songer au dernier Lion, retiré dans sa
tanière, allongé sur des ossements et n'attendant
plus rien que la fin de tout...
Léon Bloy a « élu domicile dans l'Absolu ». On
respire là un air surchargé do foudre. Plusieurs se
sont retirés de lui qui, cepcL lant, gardent ainsi qu'un
sceau ineffaçable, la marque de son coup de pouce
do pétrisseur d'Ames, comme il s'en est peu rencon-
tré, comme il ne s'en rencontrera peut-cHrc plus
après lui !...
Les occasions de dégoût ne manquent pas assez.
Seulement Léon Bloy n'en a laissé passer aucune
LE I'I:LERIN DI; L'AISSOLU 351
de crier, de vociférer le sien. C'est le fait d'une Ame
noble où n'entre pas la Peur. Il a ainsi décoché pas
mal de flèches mortelles ; môle les poisons corrosifs
à l'ambroisie des coupes ; il s'est assis, parmi les
convives, à la manière du spectre de Banquo. Et
d'aucuns de proclamer que Bloy est un pamphlétaire
et qu'il n'est que cela, pensant l'enterrer vif sous
cette étiquette l
Certes, cela vaut un peu mieux que d'être, pour
les Foules attendries, l'auteur de quelque vase brisé!
Mais il est permis d'ôtre tout de môme exaspéré que
toute une face de l'oeuvre de Léon Bloy soit, du coup,
niée et biffée, comme si elle ne sautait pas aux yeux
et ne crevait pas le coeur, la plus considérable, celle
où il est le plus lui !
Pamphlétaire, soit Bloy est autre chose encore,
1

notamment un grand, un unique artiste, grand par


la conviction, unique par l'expression. Mais «pie n'a-
t-ron pas dit? Or, cet homme farouche el impossible
est un homme simple et tendre; ce mendiant intjnit
est un généreux, un bien accueillant, qui met son
plaisir à combler en quelque manière tous ceux qui
l'approchent !

J'en appelle a quiconque l'a surpris, au milieu des


siens, de sa femme et de ses deux lilles, entouré de
quelques rares amis, causant ou lisant la page ré-
cente el alors, s'interrompant parfois, moins pour
juger do l'effet produit, par vanité d'auteur, que pour
352 LE PÈLERIN DE I,\\BSOU'

regarder en lui-même et écouler son Ame... La ré-


putation de la légende est surfaite, odieusement sur-
faite : mais qui est à sa place et à son vrai plan, et
à qui donc justice est-elle rendue ?
ALFRED POUTIIIER.

Il serait absurde, après cela, de ne pas citer


Edmond Barthélémy, déjà mentionné dans une
autre circonstance ; et le victorieux auteur de
L'Immolé, l'un des rares livres chrétiens de ce
temps, Emile Baumann :

J'ai beaucoup d'admiration pour l'écrivain qu'est


Léon Bloy. Avec un tel écrivain, la littérature est
encore la seule chose qu'elle doit être sous peine de
n'être rien qu'une chose oiseuse et vaine : je veux
dire qu'elle est action. Action ; expression militante
d'une foi, d'une conviction; manifestation pratique
d'une croyance. Placez Léon Bloy dans une Société
moins sceptique et moins incapable d'agir que la nôtre,
son oeuvre eût été comme une chanson de (/este, une
épopée, un chant, ce chant qui accompagne naturel-
cment l'action, ainsi que son rythme môme et sa joie
lintime. Réalisée de nos jours, celte oeuvre peutsembler
loin d'être cela ; et elle est cela pourtant, à sa ma-
nière, qui est aussi la manière de notre temps, la
seule qu'il permît. Epopée, non ; mais pamphlet ;
LU PÙLKIUN DK L'AIÎSOI.L* 353

c'est-à-dire,chez Léon Iîloy, chose substantiellement


pareille. Je demande si une page comme la Lamen-
tation de VEpée n'est pas un chant épique ; la
véritable chanson de geste de cette époipio, où,
parmi l'abondance des choses inépuisables, le mépris,
au point où le porte une Ame puissamment ingénue,
et dans son intensité même et sa vigueur agissante,
chante naturellement. Je l'ai entendue, voici bien
longtemps, celte juslicière Lamentation de VEpée,
et je sens encore l'émoi où elle me mit ; page où la
terrible fureur lyrique du pamphlétaire, qui vitupère
et qui frappe, passe foudroyante et directe comme
le vent même du boulet ; page où frémit, où tourbil-
lonne «quelque chose de ce tournoiement dont il est
question dan.i les Keritures » et dont le souflle est de
taille a mortilier tout net les lâchetés épanouies et
les vanités* prises de prurit » «l'un temps de déca-
dence. Avant ce chant de l'Kpée, j'avais connu
(comme j'ai connu depuis tout ce qui nous est venu
de Léon lîloy) les pages du Désespère, ce livre tout
secoué des tumultes d'une amequi combat, attaque,
se défend, avec des intervalles plus dou;eimMit
rythmiques, où le chant tente de se déployer dans
des sphères de merci, parmi les s Miles émotions
spirilualisées de la Religion, de l'Histoire, de l'Art.
Courts et non durables moments de répit Non du-
'.

rables : comme tout ce qui n'est pas (sauf la Religion)


la destinée de Léon Bloy, comme loutre qui n'e.«t pas
35 i LE IM-LERIN DE L'AHSOI.U

celle hilte immédiate, étroite, mais étrangement


mélodieuse, pleine de misère et pleine de gloire.
EDMOND BAHTIIÉLEMY.

Léon Bloy vil en état de guerre perpétuelle,


...
parce (|ue, voulant dès ici-bas le triomphe de Jésus-
Christ, il habite un monde où Jésus-Crist se voit
bafoué par ceux-là mêmes qui portent sur eux son
signe. Il a dans les yeux l'effigie divine à la ressem-
blance île qui nous sommes faits, et il rencontre des
caricatures misérables. La laideur le déjoule comme
l'attribut le plus sensible du péché ; aussi, nulle
métaphore ne lui paraît assez hyperbolique pour en
évacuer l'odieux. Il pense avec Barbey d'Aurevilly
qu' « ou doit la vérité à tous, sur tout, en tout lieu,
à tout moment, et qu'on doit couper la main à ceux
qui, l'ayant dans cette main, la ferment. »ll voudrait
avec ses yeux de chair, dévisager les êtres tels qu'ils
se manifesteront sous l'éclair du Jugement où tout
«.<

ce qui se cache apparaîtra»; et, les masques qu'il


voit grimacer surdos figures hypocrites, il les arrache.
11 voue au Pauvre l'adoration qu'on doit au Dieu

caché : le martyre s'olïVe à lui comme la porte la plus


désirable des béatitudes. Ktil a pour contemporains
des gens qui ont l'horreur parfaite de la pauvreté et
de la soulVrance.
Celte horreur, il la découvre dans les moindres
gestes ; car, devant son regard, rien n'est insigni-
I.K l'i'l.ICRIN DI: I.'AHSOI.U «JÔJ

liant, tout est « signe ». D'autant plus réaliste qu'il


est mystique, et d'autant plus mystique qu'il est réa-
liste, il possède, sans viser a être un observateur, par
la simple fixité de son point de yue transcendant, le
privilège de l'observation perçante.
Une pareille somme de qualités dopasse infiniment
ce qui suffirait pour mériter l'exécration du vulgaire.
C'est pourquoi il l'a obtenue sans mesure cl sans re-
tour possible ; la vindicte a été la plus atroce
qu'on pût faire durer contre un écrivain, celle du si-
lence. 11 s'est vu, lui,sensible aux moindres blessures,
au milieu d'ennemis multiples, sournois, implacables,
ou d'indifférents qui ont des oreilles pour ne pas en-
tendre et des mains pour ne pas donner. Faut-il s'é-
tonner s'il a dû se raidir, vociférer ri s'escrimer de
toute sa vigueur; si, n'ayant plus d'e;>.'• •, il ramassa
des pierres, et au besoin, autre chose ?
Un Saini,dira-t-on, se réjouirait dans les opprobres
cl se tairait. 11 se peut ; mais un artiste n'est pas un
Saint. La personnalité de Bloy se renforça, s'exaspéra
par l'effet des haines sous lesquelles un faible eût
succombé. Je n'en vois pas de plus débordante parmi
ceux de sa génération. Fn face d'une époque où la
plupart des gens ont peur d'èlre eux-mêmes, où per-
sonne n'ose plus dire, d'énergiques vérités, il se ré-
vèle vingt fois plus original, même excentrique et
dépaysé ; il a l'air d'un effrayant météore passant
sur les confins d'une planète que les étoiles ne visi-
350 LE PÈLERIN DE 1,'ABSOLU

tent plus ; et il restera toujours un solitaire en ce


sens qu'imiter sou style ou ses altitudes serait profon-
dément ridicule et surtout périlleux.

C'est un lieu commun d'admirer chez lui le mordant


de l'apostrophe, ce trait dont la cicatrice s'imprime
sur des visages immondes, tel que la brûlure de fou-
dre. Maison néglige trop ce que son Ame enferme de
tendre, môme de suave. L'amité chrétienne s'est
rarement exprimée comme elle s'éj anche dans ses
lettres. L'intimité de sa vie ressemble, en ses jours
de paix, à « celte tente de velours bleu pale, dans la
clairière silencieuse où l'émcraude et le corail d'une
végétation de livre d'heures si; profilaient avec une
tendresse mélancolique sur l'or d'un ciel byzantin ».
Je ne connais rien do plus doux que le dernier mol
de la Femme pauvre :
* Il n'y a qu'une tristesse, c'est de n'être pas des
Saints. »
Et n'est-ce pas lui qui a pu écrire, dans Celle qui
pleure, sur le Paradis, la seule page glorieuse qu'a-
près Dante un poêle catholique ail osée ?

L'oeuvre de Léon lîloy ressemble au buisson de


ronces où llambait,dans le désert, la Face mystérieuse
cl qui brûlait en crépitant, sans pouvoir se consumer.

LMILI: J3AUMANN.
LE l'HLERIN DE L\\BSOLU 337
Monexcellentet (idole René Martineau a donné
lui aussi, — avec sa belle précision de vendeur
de peaux d'ours et de commissaire-priseur de
rossignols, — une bibliographie des quatorze
ou quinze volumes publiés par moi depuis dix
ans ; et un illustre magistrat qui ne craint pas
l'insomnie a envoyé, sous le pseudonyme de Jean
Faber,troispages amusantes intitulées Le Mons-
tre :
Léon Bloy est bien un monstre ; il ne possède
...
et ne veut posséder aucun des biens précieux dont
s'euorgueillisscnt les hommes. Il hait l'or. Il méprise
les honneurs. Il se rit des décorations.
On l'écoulé et la peur s'accroît. Sa parole vous mé-
duse, tant elle est sincère. On s'aperçoit, avec un fré-
missement, qu'il est loyal, désintéressé, dévoué, fra-
ternel, et qu'on ne pourra heureusement pas s'enten-
dre.
lit voici qu'il dresse le poteau du supplice ; il veut
que vous soyez semblables a lui-même ! Le lit do
Procuste vous attend Quel homme d'aujourd'hui,
!

je vous le demande-, pourrait, malgré sa bonne vo-


lonté, entrer dans une couche aussi étroite ?
Il parle sans rien ménager. Il commet le-plus
...
effroyable de tous les crimes «le lèse-humanité : Il dit
ce qu'il pense !
L'humanité est une belle lille ; elle a droit à Pad-
358 LB PÈLERIN DE L'ABSOLU

rairation ; elle n'admet pas qu'on la discute ; elle


hurle de rage quand on la cingle. Mais le monstre,
qui paraît surtout manquer d'intelligence, ne com-
prend pas des idées si simples. 11 semble ignorerque
« le Mensonge seul s'achète et se vend » et que la
Vérité, monnaie vulgaire de jadis, est aujourd'hui
complètement démonétisée... Peut-on songer sans
crainte a ce qu'il adviendrait du monde, si les hom-
mes, à l'instar du monstre, allaient devenir, tout à
coup, loyaux, désintéressés, dévoués et fraternels?
... Je sens, mieux que jamais, que Léon Bloy est un
monstre, mais qu'il est un monstre de beauté. Quelle
monstrueuse force d'Aine ne lui a-l-il pas fallu, en elTct,
pour affirmer, devant un monde peuplé de mufles et
d'imbéciles, son idéal spiritualiste, pour être volon-
tairement un pauvre, pour aimer les pauvres, pour
se détacher si parfaitement des biens terrestres qu'il
soit indifférent a toutes les couronnes.
Ah ! sans doute, il y a dans le granit de celte oeu-
vre (et c'est là le grief) de justes et violentes satires,
qui dureront. Mais la synthèse de ses haines n'est
qu'un admirable cantique d'amour.
< ieu.v-là môme qu'il a fustigés s'honoreraient à se
faire ses défenseurs. Il ne serait pas déplaisant que
leurs figures, qu'il a vues dépourvues do relief, pris-
sent quelque ampleur en face de la sienne. Mais
peut-on demander à ceux-là de s'élever, ne fût-ce
qu'un jour, au-dessus de leur nature et d'être, eux
LE PÈLERIN DE L'AIISOI.U 359
aussi, des monstres ? Je crains que Bloy n'ait raison
jusqu'au bout...
Quoi qu'il en soit, les temps viendront. Il est trop
injuste que cet écrivain unique vieillisse, privé à la
fois d'argent et de gloire. Je demande la charité d'un
peu de justice pour ce monstre de heaulè qu'est le
Mendiant Ingrat.
JEAN FAIJER.

Enfin, voici la contribution du plus autorisé


de tous les témoins :
Kn 1903, le Mendiant Ingrat seul avait paru de
...
la série des cinq volumes qui constituent son Journal
jusqu'à ce jour.
Aujourd'hui cette couvre existe et, me souvenant
des années passées avec l'auteur, il me vient dans la
mémoire une vieille légende, celle du religieux qui
sorti de bon matin pour prier dans le bois, fut arrêté
par le chant merveilleux d'un oiseau qui n'était pas de
la terre. 11 l'écouta jusqu'à ce qu'il se fût envolé, puis
il revint seul au couvent, Agé de cent ans — car, dit
la légende, mille ans sont pour Dieu comme un jour
et un jour comme mille ans.
Les livres de Léon lîloy, sont ce chant que nous
ne nous lassons pas d'entendre.
Mon Journal ou mieux Dix-sept mois en Dane-
mark ; Quatre ans de Captivité à Cochons-sur-Marne ;
L'Invendable; Le Vieux de la Montai/nc, vibrent d'un
300 LE PÈLERIN DE L'ABSOLU

môme accent ;celui de l'Absolu divin, et les juge-


ments portés sur Léon Bloy et son oeuvre varient
selon la capacité d'un chacun de s'élever jusqu'à lui.
Mais où donc habite-t-il ?
Parcourant les volumes où il raconte sa vie intime,
nous le voyons toujours errant, sans pouvoir se fixer
dansaucune habitation delà ville ou de la campagne.
C'est vrai, et pourtant il n'a jamais quitté sa demeure.
« L'Ame de Léon Bloy est une cathédrale où le Saint
Sacrement est toujours exposé », c'est la maison de
« Ma Dame de Compassion ».
Quelques Ames ont pu y entrer avec lui, la porte
est basse et on y dit le chapelet par terre. C'est là
qu'il a écrit Celle (/m pleure, Le Sang du Pauvre, La
Vie de Mèlanie, après les Dernières Colonnes de
l'Eglise et VEpopée Byzantine. C'est là aussi qu'il a
rencontré L'Ame de Napoléon.
Entrons avec lui et joignons nos voix à la sienne
dans le vieux cantique breton :

Qui donc aurait le droit de haïr sa misère


Devant le pis de Dieu navré sur le Calvaire ?
Au sein de la douleur il n'a f/uepatience.
Jésus, mets twus au cevur l'amour de la souffrance.
JKANNE-LLON BLOY.

2o. — La réédition du Désespéré par Georges


Grès dans sa collection des « Maîtres du Livre »
I.i; PKf.KRIN I)K I.'AI'.SOUJ 301

est enfin décidée. Il y a vingt ans que j'attends


cela.
20. — C'est aujourd'hui, je tiens à en fixer le
souvenir, que j'ai décidé de réaliser le projet
déjà vieux, et combien enivrant ! d'une para-
phrase du Cantique des cantiques, pour y mon-
trer le Récit symbolique de la Passion.
27. — Guy de Gassagnac à qui j'ai envoyé
avant-hier l'Ame de Napoléon, me répond :
.Mou cher confrère, certaines tribus arabes l'ont
manger du coeur île lion à leurs enfants pour les
rendre nobles et braves. (-'est ce que vous nous olirez
avec votre beau livre sur l'Lmpereur.

Dédicaces. A Pouthier :

« A qui donc justice est-elle rendue ? * dites-vous


en finissant votre noble et si généreux article (dans
les Marches). Mais à moi, certainement. La justice,
en ce monde, est une chose a la mesure humaine.
Un jitrfc suppose nécessairement chez les autres
ce qu'il aperçoit en lui-môme. Kn ce sens, ceux qui
me méprisent ou me haïssent sont équitables, juste
autant que ceux cpii me glorifient. Ils me voient dans
leur miroir. Le vôtre me suffit, mon cher ami, et le
suIVragc de quelques-uns tels que vous, me console-
rait amplement des pires outrages, si j'avais besoin
21
3(V2 i.r. rn.KiiiN DI: I. Aiisnr.e

d'en être console. Même quand je souffre, je suis,


quelquefois, riioninic le plus heureux qu'il y ail au
monde. J'ai senti cela en vous lisant.

2S. — A Pierre van der Mecr :

lu nnetc eral Peints dormiens inter duos milites,


vinelus cttenis duabus. T'en souviens-tu, mon filleul
bien-aimé, de ces deux lourdes chaînes d'ignorance
et de péché, el aussi de ces deux soldats inattentifs
qui pouvaient bien cire, je le suppose, ton coeur et la
pensée, de qui « le trouble ne fut pas petit », allirme
saint Lue, lorsqu'ils s'aperyurenl de Ion évasion ?
Moi, j'étais dans la rue, comme un vieux misérable,
cherchant des aventures. Je t'ai rencontré alors et,
parce (pie ta face était lumineuse, je t'ai suivi de
loin, sans faire de bruit, en pleurant d'amour.

2lJ. —Vu, à l'Odéon, le vendeur en chef de


Flammarion. Il me dit que la vente de mon li-
vre est bonne, et qu'on peut espérer un succès.
Mais il faudrait une clameur quelque pari et
elle ne se t'ait pas entendre.
A Guy de Cassagnae :

Knnemi, vous le savez peut-être, d'un grand nom-


bre de mes contemporains, ayant épousé, d'amour la
Pauvreté à qui je suis 1res lidèle depuis très long-
LK l'KLEHIN I)K 1,'AHSUIX 303
temps, il est parfaitement contraire à mes habitudes
et à mes goûts, de demander la publicité pour mes
ouvrages. Vous êtes le .seul journaliste à qui j'aie en-
voyé mon livre, parce qu'on m'assurait que vous aviez
de la hauteur dans l'esprit, une indépendance par-
faite et une mille générosité.
On ne se trompait pas, sans doute, puisque vous
ayez tout de suite répondu à mon envoi, me disant
que je donnais à manger à ceux qui me lisent du
« coeur de lion ». Alors cette espérance m'est venue
que vous voudriez faire partager celte nourriture à
beaucoup d'autres.
Je ne demande rien pour moi. Contempteur de la
vilenie moderne, fier d'être pauvre et de souffrir
pour ce qui me parait la justice, je mendie pour Na-
poléon un peu de celle justice qui ne lui a pas été
accordée même par ses amis, pour Napoléon qui fut,
en réalité, le plus grand des malheureux. Tel est le
sens do mon livre, le plus haut suffrage, me dit-on,
(pie cet homme extraordinaire ail obtenu depuis cent
ans.
étranger à toute politique, ainsi qu'il convient à
un solitaire, je me suis dit cependant (pie, situé
comme vous l'êtes pour glorifier l'Kmpereur. vous
pourriez être tenté de faire quelque chose d'éclalanl,
non pour moi, je le répète, mais pour ce livre. Ce
serait tellement juste et tellement généreux .Mes !

soixante-six ans vous saluent.


30 i ri; 1'I:I.KRIN ni; I.'AISJUI.U

30. — Reçu un immense feuilleton du Temps


signé Paul Souday, où il est parlé de tous mes
livres à propos de L'Ame de Napoléon. Ce Sou-,
day est donc mon bienfaiteur el son article me
rajeunit de ying-cinq ans. Il y avait si longtemps
qu'on négligeait de parier de ma « scatologie »
de pamphlétaire. Pour ce tardigrade. Paul Sou-
day, je suis toujours « un Jérémie fangeux et
un Ezéchiel de l'égout ». On ne peut me lire
qu'en se bouchant le nez. Mon Absolu est con-
testable et je suis plein de contradictions, mais
quelle virtuosité ! etc. En somme article utile.
La conspiration du silence serait-elle vaincue
enfin ?
En même temps, un religieux franciscain de
la Terre sainte, leque' sans doute s'est bou-
ché le nez jusqu'à ;perdrc la respiration et \f
jugement, m'écrit ceci en réponse à l'envoi
des Marches :

Tout est bel et bien, la volonté est bonne ; nutis


muscles micn.v cl f)lus (/ucccln.

Dédicace à une jeune lille :

Ce livre t'est donné, ma chère petite Elisabeth, en


témoignage de grande affection chrétienne. Plus
u: PKi.Kiiix ni: I/AHSOM' 3(>r)

tard, dans dix ou vingt ans, peut-être beaucoup plus


tôt, cpiand j'aurai été brûle vif ou coupé on petils
morceaux', tu te souviendras du pauvre qui l'a parlé
do l'unique joie profonde : l'acceptation de la souf-
france et de l'injustice par amour pour l)ieu. Alors
la mère de saint Jean-Baptiste, qui est ta vraie mère,
le fera, comme à son (ils, une jolie robe en poils do
chameaux, elle le nourrira de sauterelles et de miel
sauvage, et te conduira en Paradis.

Novembre.

jor, _. Toussaint, A Jeanne Termier-Hous-


sae :

.l'ai lu plusieurs fois votre somptueux article. Il


est temps que je vous on parle. Vous le dirai-je '.' La
première lecture ne m'avait pas entièrement contenté.
I,a partie liminaire en quelques endroits nie sem-
blait un peu pénible. A tels alinéas, vous me parais-
siez embarrassée d'un poids très lourd, ne sachant
trop comment vous en délivrer, empêtrée dans les
« fondrières » et les « glaises •• d'un chemin obscur.
Os deux mots m"ont averti de voire peine qui fut
grande quelques instants, avouez-le. l'in- inimité
vous m'avez perdu de vue pour ne me retrouver que
lorsque vous avez pensé aux < âmes sans abîmes •«.
:Jt)6 1.1: l'Kr.Kiu.N DK I.'AUSOI.U

Alors, soudait», tout s'éclairait, vous redeveniez


agile, vivante, magnifique.
Relisant votre article, j'ai senti, chaque fois, celte
gùne, ce tâtonnement momentanés, mais combien
atténués par la splendeur de tout le reste Je- vous
!

assure, Jeanne, que je suis 1res lier d'avoir pu être


l'occasion et l'objet d'un tel lyrisme de pensée et
d'expression. Je ne sais pas si mon oeuvre est aussi
étonnante que vous le dites, étant, d'ailleurs, toujours
étonné moi-môme d'apprendrequ'un écrivain extraor-
dinaire existe en moi. Mais quelle vision précise,
quelle intelligence dans l'admirable endroit : « Léon
Bloy saccage celle ordonnance... » Ali ! chère el
1res chère, je voudrais vous serrer dans mes bras en
pleurant de joie el d'orgueil. Je ne sais plus qui vous
êtes. Je vous vois si près de moi el pourtant si lumi-
neuse, si conlianlc en Dieu qui a pris de la boue, et
quelle boue pour me l'aire ce que je suis, sans que
1

j'y fusse pour rien, éternellement.


N'est-ce pas votre cas, à vous aussi ? Vous voulez,
que je sois un immense artiste et je consens très
volontiers à ce miracle, sans y rien comprendre. De
mon côté je vois en vous un très haut poète et vous
serez bien forcée d'y consentir, sans comprendre
davantage. Nous sommes de singuliers Cires, situés
pour la Joie el pour la Douleur dans un pays fort
lointain, à l'Occident, j'imagine, au bord de cet At-
lantique nommé autrefois la Mer lênêfin use, où Dieu
«50/
u: I'KI.KUIN m: i/.Misni.r

fait pleuvoir les belles larmes de Ions ses Saints.


Soyons des colons fidtMes et ne cherchons pas ailleurs.
Voilà tout ce que je peux vous dire aujourd'hui, en
suppliant les cent quarante quatre mille compagnons
de l'Agneau d'environner l'abîme de votre àme, nuit
et jour.
Jeanne et Madeleine oui été entendre la grand'-
messe à Notre-Dame. Mlles m'apprennent qu'à
l'occasion de diverses recommandations pour
les défunts, le prêtre a recommandé particuliè-
rement l'Ame de Napoléon l
2. — A un ami inconnu qui m'a écrit une let-
tre extrêmement touchante que je n'ai pu lire
sans émotion.
Cher monsieur, je serais très peu digne des senti-
ments (pie vous exprimez, si je négligeais de vous
répondre. M'ayant lu, vous savez, combien ma vie a
été dure et de quelles injustices m'ont abreuvé mes
contemporains pour mon châtiment de n'avoirjamais
voulu faire de prostitution.
A GO ans, demeuré pauvreel même miséreux, après
vingt ouvrages qui m'eussent assuré gloire et richesse
si j'avais consenti à les étaler sur le trottoir, c'est une
grande consolation pour moi de voir venir «Milin d.'s
sulVrages tels (pie le vôtre et je vous bénis du fond
de mon coeur.
308 I.IÏ PÎ-I.KHIN ni: I/AUSOI.IT

OQ se dispense ordinairement, et si volontiers,


d'adresser un mot de remerciement ou d'encourage-
ment à un auteur qu'on aime et qu'on sait malheu-
reux. Ceserait pourtant charitable,et combien juste!
On m'envoie une feuille bordelaise. Sports,
où je lis ce titre : La Toussaint sportive! Blas-
phème dans l'inconscience et la stupidité abso-
lues.
4. — Dédicaces. A Véronique :

« La Face de Dieu, dans les ténèbres. » Tu liras


cela, ma chérie, à la deuxième page. C'est comme si
j'y avais écrit ton nom admirable qui ne peut pas
être proféré sans «pie la Face douloureuse de Jésus
se présente à la pensée. Ouelle prédestination ! Mais
quand je te regarde au fond de mon coeur, ma Véro-
nique, il me semble que celle Face adorable est dans
la lumière, et c'est peut-être ce qui m'a le plus aidé
a écrire ce livre.
A Madeleine :

Quand Jésus le fera la grAce de te mettre au pied


do sa Croix, ma petite Madeleine bien-aimée, tu com-
prendras, en le voyant soutl'rir cl mourir, (pie tous
les dons que lu auras pu recevoir, sont uniquement
pour sa gloire. Kl lorsque le Hon Larron dira : «Sou-
venez-vous de moi, Seigneur, quand vous viendrez
r.K PKI.KHIN ni: I.'AISSOI.U lW.)

en voire régne », ces paroles te sembleront une mu-


sique surnaturelle à quoi rien ne pourrait être com-
paré, pas môme la musique prodigieuse des canons
du grand Kmpercur qui Cul, à .sa manière, le Bon Lar-
ron de l'Histoire, crucifié à la droite du Fils de Dieu
et mourant de la douleur de ne pouvoir s'agenouiller
devant Lui.

A André Dupont :
.

Vous croyez peul-ètre, avec une vile multitude, (pie


Napoléon est mort à Sainte-Hélène. 11 est temps de
vous mieux instruire. Le terrible Kmpereur est mort
à IY'iigueux en ISiO, jusie au moment où je devais,
par ma naissance, le réincarner pour l'einbéleuiiuif
infini des conscrits de la littérature.

A Aurélien Coulangcs, l'éditeur des Marches


de Provence :

()ue Dieu vous bénisse, cher ami, pouree «pie vous


ave/, voulu faire, pour ce «pie vous avez l'ail et pour
ce que voulez l'aire encore. C'est un pauvre qui vous
dit cela du fond de ^on c»eur, un vieux pauvre- qui
demande l'aumône aux autres pauvres sur la plus
inférieur»; de toutes les marches qui conduisent au
Paradis.

.').
— Autres dédicaces. A 'IVrmier :
'Ï70 I.E rî-:r.EniN DK I/AUSOI.U

Je vomirais savoir ce que j'ignore pour vous faire


une belle dédicace géologique. Je veux espérer, ce-
peudaut, que vous apprécierez, en géologue, celui
de nies chapitres intitulé l.'J'Jscabeau, ou j'expose
l'idée plus ou moins neuve d'une géologie surnatu-
relle qui aurait cet avantage pratir/ue défaire de tous
les membres de .Jésus-Christ des propriétaires fon-
ciers, sans autres taxes ni contributions que la
mort.

A Christine van (1er Mcer

Oui a le don des larmes, ce livre écrit avec i\o<.


larmes, comme furent écrits tous mes autres livres.
Le jour ou j'écrirais avec de l'encre ordinaire, il fau-
drait pleurer d'autres larmes fort amères sur mon
sépulcre d'où s'écarteraient les Saint Anges. On ni 1

sait pas, Christine, ce (pie sont les larmes des amis


de Dieu,et on croit savoir quelque chose des innom-
brables et inintelligentes étoiles !

0. Un peu de fumier nous est envoyé. J'ap-


prends qu'un abbé Clara/, vicaire en chaleur
à Saint-Germain l'Auxerrois et autour, déjà,
d'un livre où le mariage des piètres était de-
mandé, vient de découvrir qu'il n'y a pas de
religion tenable, à l'exception du culte dePriape,
dieu des jardins, et qu'alors l'urgence d'une
I.K l'Ki.i-utN ni: I.'AISSOI.C "ÎT1

morale civique s'impose. II s'est presque tué


pour trouver ça. Si j'étais l'ami de ce citoyen
sans emploi, je lui conseillerais le commerce
des certes électorales transparentes.
7. — Dédicace à Pierre-Léon van der Meer :

Ouand tu seras assez grand pour lire LWnw Je


N.-ipnlcnn, mon cher filleul, je serai plus près de
loi qu'aujourd'hui, parce que j'aurai pris place parmi
les défunts avec le grand Napoléon. .Mon corps sera
dans un tombeau moins admirable que celui îles In-
valides, mais mon âme restera dans ton voisin a ire,
et, si Dieu le permet, elle te parlera très doucement,
comme peuvent parler les Ames qui n'ont plus de
voix terrestre. Il faudra t'en souvenir et l'écouler
attentivement, mon petit Pierre bien-aimé, en priant
de loul Ion <*<nir pour le pauvre parrain qui aura
peut-elle beaucoup à soull'rir dans le Purgatoire.

'.). — Bénédiction d'un aéroplane à Yillacou-


hlav, par l'évèque de Versailles, Mgr iibier. <

Paroles de ce pontife bénisseur de tous les


sports :
Lesévéques vonl en automobile aujourd'hui. bien-
lot peut-être ils voyageront en aéroplane. Ml vous,
jeunes apôtres dos missions étrangères, qui nous dit
qu'un jour ou l'autre, vous n'iriez pas porter l'Mvan-
372 I.K l'KLERIN OK L'AHSOI.U

gile et la civilisation aux peuples les plus lointains


sur les ailes d'un biplan ou d'un monoplan ? La re-
ligion ne saurait se désintéresser des progrès de
l'aviation.

Je sais, pour l'avoir, éprouvé personnellement,


que la religion de Mgr Gibier se désintéresse
parfaitement de la vie surnaturelle. La gymnas-
tique et l'acrobatismc lui sui'Osent. Etant évo-
que de la République, il a des vues naturelles
très supérieures à toute mystique. Mais il y a
des àmes qui pleurent...
10. —Naissance d'Anne-Marie van derMcer.
12. — Baptême de cette entant à Saint-Fran-
çois-Xavier.
Impression délicieuse qui nous met à plusieurs
millions de lieues de Versailles et de tous les
diocèses. Ce baptême, à rentrée de l'hiver, par-
mi temps alFrcux, s'accomplit pour nous dans
un paysage de livre d'heures, sous un ciel d'or,
au fond d'une campagne érémiliquc et mira-
culeuse où ne s'aperçoivent (pic des créatures
humaines sans péché ou des animaux très hum-
bles venus tout exprès du Paradis.
VA.
— Dédicace à mon vieil ami Frédéric
Brou :
i.r !'i*:i.i'iiiN \n: I.'AHSOU' 373

Je vous ai parlé déjà d'un « Napoléon sur le pavé »,


d'après nature, oeuvre ditçno de vous, si vous aviez
cent ans de moins ; mais ce livre vous dira toute ma
pensée. Kn raccourci, Napoléon fui un m(é — colos-
sal.sans doute — mais un raté comme vous et moi,
et voilà ce qui peut nous consoler.

Une très jeune bonne à notre service, invitée


comme les autres enfants de son âge, à suivre
les instructions du catéchisme, reçoit, dès le
commencement, de telles leçons, que nous dé-
cidons, presque aussitôt, d'en finir. Exemples :
Comment faut-il comprendre les six jours de la
création ? 1J Certainement ce ne sont pas des jours
de vingt-quatre heures. '2'On n'est même pas obligé
de croire que les êtres ont apparu d;tns l'ordre liminé
pur le récif. 'i> I/AIIKUU a divisé le récit en sk
!

jours pour donner um> haute idée du repos du sab-


bat.
Tel est renseignement donné à des enfants
dont la plupart ont à peine douze ans, par le
second vicaire de notre paroisse, jeuneprètre à
peine sorti du séminaire et tout rempli du mo-
dernisme (pion y peut apprendre. Inculquer à
des enfants l'esprit critique, c'est-à-dire le mé-
pris des précisions sublimes de Moïse arlili-
'M { r.K l'KU'HIN nr I.'AIISOI.C

cieusement et sacrilègement désigné l'uiitear —


les préparant ainsi à accueillir toutes les hypo-
thèses modernes ! Destruction de la simple foi
par le doute sur la Révélation écrite.
Tel est le travail diabolique d'un prêtre qui
croit faire le bien, qui se croit pieux, qui l'est
peut-être, et dont la sottise est à faire peur.
Mais comment admettre l'innocence d'une
sottise aussi dangereuse et dont le diable doit
tant profiter? A qui confier lésâmes des enfants,
puisque les éducateurs religieux, qui ne parlent
qu'avec horreur des éducateurs laïques, ensei-
gnent au fond les mêmes sophismes, avec l'au-
torité de leur caractère sacerdotal ?
lo. — A Klisabelh Joly :

... .le pense très souvent à toi, chère petite, et je


voudrais que mon amitié le tut profitable. Je le vou-
drais de toute mon unie, Dieu le sait, et j'espère mie
celte grâce ne me sera pas refusée. Je le parlais,
l'autre soir, de la vie supérieure, si parfaitement
ignorée de tous ceux qui cherchent le bonheur en
ce momie où le bonheur est certainement introu-
vable. Les anges de Noël n'ont promis que la />;n'.r sur
la terre, rien que la paix, aux hommes de bonne vo-
lonté. 11 faut s'en souvenir.
J'ai félicité Jeanne fermier d'avoir si ncltemenl
I.K î-ri.icniN ni: I/AHSOIJ- 375
discerné et si magnifiquement exprimé la confiante
vision du Mystère qui est au fond ol à la surface de
tous mes livres, (l'est un des témoignages les plus
précieux que j'aie obtenus, après celui de ma chère
femme. Mon bien-aimé tilleul Jacques Maritain lui-
même, dont l'article est si pénétrant et si beau, n'a
pas eu la môme force pour dire cela qui est pourtant
impliqué nécessairement dans son affirmation gran-
diose que «je place au-dessus de tout la fidélité abso-
lue à la vérité surnaturelle».
Jacques et Jeanne supposent en moi la sainteté,
avec raison sans doute, s'ils ont en vue la sainteté de
désir, comme on dit le baptême de désir. Ceux qui
me connaissent bien savent à quoi s'en tenir sur ce
point. 11 n'y a donc pas lieu de s'y arrêter. Il doit
suffire que Jacques ait montré les intentions réelles
de mon coeur et (pie Jeanne ait précisé supérieure-
ment la vision particulière de l'écrivain, quels que
puissent être ses mérites que jejuge trèseonteslables
ou ses démérites qui me paraissent ellYavants. Car,
enlin, je suis écrivain, m'adressanl à des connus ou
à des inconnus, et les lecteurs n'ont à considérer en
moi que l'écrivain. Comme tel j'ai toujours voulu de
toutes mes forces, et relu éclate à chacune de mes
pages, que mes pensées et mes sentiments se tradui-
sissent, pour ainsi dire, en actes, avec toute l'inten-
sité et tout le relief possibles.
Pénétré, hanté, possédé de la certitude (pie tout
370 r.i* rà.FMN ni' i/.\»soi.i'

est mystérieux, hommes et choses, parce, que symbo-


lique et figuratif, j'ai voulu montrer partout le mys-
tère, toujours évident pour moi, et le l'aire sentir avec
une violence extrême, jusqu'à produire laconslriction
ou la dilatation des coeurs. Et ce désir est si fort que
j'estime n'avoir rien fait jusqu'ici.
11 y a dans chaque Ame
— j'écris cela pour toi,
Elisabeth — un « abîme de mystère>. Chacun a son
gouffre qu'il ignore, qu'il ne peut pas connaître. Lors-
que les choses cachées nous auront été révélées,
selon la Promesse, il y aura AP^ étonnements inima-
ginables, .le ne sais pas qui t'a enseignée, ma pauvre
petite, mais je sais tropee qu'on a certainement omis
de rapprendre. On t'a dit que lu avais une Ame
immortelle qu'il s'agissait de sauver, etc. Mais nul
ne t'a dit que celte Ame est un abîme où tous les
mondes pourraient s'engloutir, où le (ils de Dieu
lui-même, Créateur de Ions les mondes, s'est en-
glouti ; (pie cette Ame est, en vérité, le Tombeau du
Christ pour la délivrance duquel, autrefois, des
multitudes ont donné leur vie.
On l'a dit aussi (pie Jésus était mort pour loi, pour
ton Ame, mais tu n'as pas su que tu avais le droit et
même le devoir de le suppos(,r..se///f au inonde, en co
sens que si lu étais l'unique tille d'Adam, la Seconde
Personne divin ; se serait incarnée, se serait fait
erueilierpour toi,comineelle l'a failpourdes milliards
d'autres, et qu'alors lu es inexprimablemenl el p;tr~
u: PJ'LKRIN DE I/AUSOI.U 377

ticulièrement précieuse, l'univers ayant été créé


pour toi seule, le Paradis, le Purgatoire et l'Knfer
ayant été préparés pour toi seule, et la Mère au coeur
transpercé souffrant et suppliant pour ta seule Ame.

On t'a sans doute parlé de la Communion des
saints, puisque c'est un article de loi, sans t'expli-
quer<[u'appartenantà Jésus-Christ comme un mem-
bre essentiel de son Corps divin, étant, dès lors,
non seulement participante, mais identifiée, c'esl-à-
clirc Dieu toi-même en cette manière, cl Dieu rédemp-
teur, il y a dc6 créatures humaines, en nombre
inconnu,qui dépendent de loi,devant être secourues,
sauvées partoi, Klisabeth, petite fille sans auréole des
vieux Cénomansqui combattirent César. La Commu-
nion des saints, antidote ou contrepartie de la Disper-
sion de Babel,atteste unesolidarité humaine si divine,
si merveilleuse, qu'il est impossible à un être humain
de ne pas répondre de tous les autres, en quoique
temps qu'ils vivent, en quelque temps qu'ils aient
vécu ou qu'ils soient appelés à vivre. Le moindre de
nos actes retentit à des profondeurs infinies et fait
tressaillir tous les vivants et tous les morts, en sorte
que chacun d'entre les milliards d'humains est réel-
lement seul devant Dieu. Tel est l'abîme de nos
âmes, tel est leur mystère.
J'ai plusieurs fois écrit cela.de manière ou d'autre,
et je voudrais (pic tu le comprisses, nui petite amie,
parce (pie ces pensées agrandissent le coeur et donnent
le mépris du monde. Seulement, pour y entrer et
pour s'y complaire, il faut n'avoir pas peur de souf-
frir. Tu connais un peu ma vie, du moins ce quf
j'en ai raconté. (Vilains épi-odes plus ipie doulou-
reux, très anciens déjà ci cachés dans la lumière,
j'ose le dire, m'autorisent à croire que nous louchons
à des événements immenses où les affamés du
mystère qui périssent d'inanition seront enfin ras-
sasiés. |)ès à présent je t'invite à la laide du
Mendiant ingrat.
« l.a vie», m'écrivait dernièrement Philippe Kaoux,
•<apparaît plus simple quand on va. lisant vos livres...
Votre yoix e-t celle d'une ème amoureuse qui clame-
rait sans cesse, suppliant et disant : « Laisse/ vos
vains soucis de la terre et suivez-moi. .le sais hs
sentiers, nous irons ensemble aux bords des Meuves
du Paradis et, en roule, écoutez-moi ; je vous conte-
rai des choses merveilleuses-et cela sera si doux, si
doux!... *

17. — Ueçu à la communion ceci que je trans-


cris aussitôt :
Je vais communier. Le piètre a prononcé les
parole* terribles que Ja piété charnelle dit conso-
lantes: DOMIXK, NON su.\r nioNUs... .Jésus va venir
et je n'ai qu'une minute pour me préparer à
Le recevoir... Dans une minute, Il sera sous
mon toit. >>
Je nt* nie souviens pas d'avoir balayé cette de-
meure où Il vu pénétrer eoinnie un roi on famine
un votent', car je ne sais que penser <le cette
visite. I/ai-je nièine jamais balayée, ma demeure
d'impudieité et de carnage ?
.l'y jette un regard, un pauvre regard d'époii-
vunle, et je lu vois pleine de poussière et
pleine d'ordures. Il y a partout comme une
odeur de putréfaction et d'immondices.
.le n'ose regarder dans les coins sombres.
Aux endroits les moins obscurs, j'aperçois
d'horribles taches, anciennes ou récentes, qui
nio rappellent que j'ai massacré des innocents,
en quel nombre et avec quelle cruauté !

Mes murs sont pleins de vermine et tout ruis-


selants de gouttes froides q-.ii me l'ont penser
aux larmes de tant de malheureux qui m'implo-
rèrent en vain, hier, avant-hier,il y a dix ans,
il y a vingt ans, il y a quarante ans...
Kt tenez Là, au-devant de cette porte pâle,
!

quel est ce monstre accroupi que je n'avais pas


remarqué jusqu'ici et qui ressemble à celui que
j'ai quelquefois entrevu dans mon miroir? Il pa-
rait dormir sur cette trappe de bronze scellée
par moi et cadenassée avec tant de soin pour
:Wl I ! I
l'i l'IUN I'!' !.' M-!*- »i e

ne pas entendre la clameur des morts cl le ne


Misrrm' lamentable.
Ali ! faut être vraiment Dieu pour no pas
il
craindre d'entier dans nno telle maison !
Ml Le voici ! I )uello sera mon altitude, et que
vais-je dire on l'aire '.'
Absolument rien.
Avant même qu'il ait franchi mon seuil,
j'aurai cesse de pensera Lui, je n'y serai plus,
j'aurai disparu, je ne sais comment, je serai in-
linimenl loin, parmi les images dl;s créatures.
11 sera seul et nettoiera Lui-même la maison,

aidé de Sa Mère dont je prétends être l'esclave


cl qui est, en réalité, mon humble servante.
Quand Ils seront partis. l'Ln et l'Autre, pour
visiter d'autres cavernes, je reviendrai et j'ap-
porterai d'autres ordures.
1S.

Eugène Borrel a vu ceci dans L\\m<'
tic. Napolt'ûn :

Au point île vue de la toi, il csl évident que vous


pourriez écrire la même hi-loiie surnaturelle de n'im-
porte quelle autre âme. t'ùl-ee, celle d'un huissier.

Sans doute, mon cher lîorrel, mais où pren-


dre rame d'un huissier ?
L'insuccès de mon livre parait assuré déjà,
I i: i-i it 1,1 N I>I I
' \i. ' >\ i
.Is I

ce <|iii serait une preuve concluante du décret


probable de Dieu ne voulant pas que j'obtienne
des hommes ma l('compense. Kn ce sens le
maintien de la consj)iration du silence aurait
quelque chose du surnaturel.
l(.b ( )n me rappiu le ce mot d'un vicaire de

Sainl-Thomas-d'Aquin : Ne laites pas chanter «

en latin. Le latin nuit à la piété. -


A 'Fermier :

Ymis voulez donc parier de moi un-' loi- de plu-,


...
à propos de l'Atlantide et de Christophe Colomb.
Ce rapprochement de mon nom et de celui de lu Co-
lombe Christoplioiv e-t ;ic ablaul. Vous allez renou-
veler ainsi votre Mlle Jeanne ipii ne voit pas mou
égal. Car vous clés une troupe singulière d'hypno-
tisés ou d'hallueinés qui tinirez par me l'aire croire
«pie je suis un personnage tout à l'ait e\lraordiiiaiic,
ce, qui me gênerait, .le vomirais bien savoir ce ipie
Dieu jiense de tout ea.

21. — Dédicace :

A mon tres-aimé Philippe Itaoux <pii a peut-être


aimé le chapitre, intitulé lSl-'sc;t/>c;ui. «.-... Vous n'ose-
rez plus cracher sur la terre qui e<l la l'ace de .b-su-:-
Christ, car vous sentirez que cela est vraiment ainsi >.
esl-il dit à la page KV.).
Addition [Kiiii* \"ous comprendrez, alnrs
lui seul : >.<

ce «pie \i»u< ne pouviez comprendre ;tup;irav;uil : le


besoin extrême el l'immense volupté de bai-er lu
terre, quand on esl un s;iinl. « One pensez-vous de.
cela, aimable charbonnier tpii fouillez la terre pour
ehaulVer les pauvres membres de .lésus-Christ .'

ii-2.
---
Furieusement lareelé par (HU'!<jues
amis, je commence une nouvelle série de /7.'.\v'-
i.'V.sy? tirs Liru.r l'.oimmuix.
N'importe quoi est plus important pour les
bonapartistes que l'Ame de Napoléon, .l'ai l'oc-
casion de le remarquer. Que, dira-l-on île cela
dans cinquante ans ?
v2o.
— « Panégyrique d'un lion par un san-
glier. » Mot d'un prêtre qui vient de nie lire.
^S. — A Philippe Haoux :

.l'ai reçu vol;, grand sac de charbon, avant-hier,


te te de Sainle-denevièvo des Anlcnts. .Je nie chauffe
donc en écrivant la seconde série de mes Licu.r
Communs demandée par tons mes amis et qui sera,
je veux l'espérer, un peu plus intense que la pre-
mière.
Oui. vous avez raison, il tant avoir besoin soi-même
de consolation pour cire, capable- de consoler les au-
tres, et vous dites cela avec profondeur. Ouclles
actions de grâces ne devons-nous pas à l)ieu qui
Il III l'IilN hl :
' \i;-nl I '.\^.\

non. a donné de s(,ulliii pour : 11111 j i vndie ••' 11


« • • •

i:lm<• merveilleii-e ! Vous ave/ eu |e cu-nr broyé,


ll!i certain jour, et VHI-; -a\r/ lii.'i vi'\ l.'ili jll~! ice
n'csl pas belle à voir, -an- doute, mai- quelle force
peu! inspirer -a face monte el cruelle a ceux qui
sont capable-de la it'u(.i i> l'T -an- j n r ! I .<• ii"ii\rnii
»»

livri' que je vifii- d'entreprendre et qui in*<»••<• 11[> -ra


h>ut l'hiver, vous le prouvera.
Moi aussi je «li>-('«»11«I<, chaque jour, dans des <^a <•- 1

ries .-oulcrrainrs cl redoutables où ni'apparais-enl


des ligures ili- démons, .l'y «ICSCIMUIS pour ipi'oii
puisse dire do moi. comme du Haute, que j'ai vu
l'enfer, .le vous assure qu'il l'uni de l'intrépidité cl
uni' rude eontiance en hieii pour accomplir de telles
explorations.
I )'aulres ont montré
ou voulu montre!' le des.-nii-
des moairs, lequel dessous est, pour ainsi dire, à ll'ur
de sol. Moi je voudrais montrer le (/CN*IU/>- du l;iii</;n/e
(pli ne peut être rencontré qu'à une effrayante pro-
fondeur... Ouand je remonte, j'ai le cieur crispé cl
ma pauvre tète e>l comme un tambour.
Vous pense/, bien, mon ami, (pie si je ne vous u_ ,

voie rien, c'e>t qu'il n'y a rien. Silence complet.


l,'.\uh>riiï (pii aurait pu m'èlrc si utile et dont le
rédacteur en chef s'était si fortement entçaijé. conti-
nue à ne rien faire. Nul ne l'ail rien. Je sais que mon
livre est un peu plus acheté que les autres, mais ]o
succès éclatant lui esl refusé, parce (pie ce livre qui
ils i l i
i-i' I.I i;!\ 1 <
1 "
I.'AI.^'M.I

devrait beaucoup retentir e>l signale mon nom, shn-


plem-nl. Je s.*tis aus^i que, dans le monde littéraire,
il st» dit couramment que je suis un grand t'-crivain.
quelques-uns di-ent le plus grand # ; mais il ne se
••

trouve personne pour le proclamer dans les impôt'


laule- l'euill.< publiques, cl la multitude m'ignore.
<)ue la volonté de Dieu suit l'aile cl «pi,- ma volonté
soil sa volonté !
Travail terrible que ces /Jeux Communs cl
qui me remplit de crainte. Il faudra que je sois
liés singulièrement secouru pour ne pas ressas-
ser les mêmes idées et les mêmes formes, pour
trouver de leinps en temps, au milieu de celle
boue, un tremplin d'où je puisse bondir.
'M. —Voici venir enlindeux articles. Guy de
(lassagnac s'est décidé. Il parle très généreuse-
ment de mon livre et de moi-même, c'est in-
contestable, mais je doute que la lecture de cette
chronique impressionne assez fortement les ad-
mirateurs de Napoléon pour les décider à me
lire. Il me présente comme un mystique et
même un apocalyptique, ce qui n'est pas pour
me l'aire bienvenir. Quelque amoureux que je
sois moi-même du merveilleux, cette présenta-
lion sullirail pour éteindre ma curiosité cl me
détourner d'un beau livre. A mon grand éton-
M i ; i M; i \ i ' i. i ' \ i -111 i ; i *. (

nenionl, (iuy (le (lassagnac tî(*-|»l• n-«> tjut'tt|iu*-.


épithètcs méprisantes pour les Bourbons. Il
cite mémo, à ce propos, un mot Irrs chevale-
resque «le son père : .If n'aime pas qu'on di-
<

minue mes adversaire* -, comme *i des advcr-


saires de .Napoléon étaient supposablcs. Puis, ii
n'y a pas de chevalerie en hisloue. Jl y a la
vérité, ou le mensonge, Bien de plus.
1,'aulre article, plus important, est de mon
ami Kdinond Barthélémy, dans le Mmutr il<>
irmue. Il nie loue à très haute voix, avec de
sourdes rélicences de critique. Mon Absolu
l'embarrasse, mai* il voit une grande supériorité
et le déclare très loyalement, non sans émotion.
Il Huit par ceci qu'en lisant certaines de nie*
phrases, qu'il cite, il croit entendre chanter en
lui l'allégro de la S)-m/>honir hrioïi/nr :
Ml je ferme le livre. Kl je nie lai—e aller à la joie
poignante de ni'ovader des scepticisme-;, de croire à
la grandeur, à la. beauté, aux pleurs...

Décembre
'i. -- A Bauge 1
:

Mon cher l'Yîlix, empêché demain d'aller entendre


le Messie, je veux au moins qu'une loi Ire atVeel lieuse
,'{St> I I
l'i'l i:i!is m-; I.'AH-'U.I

vous console de mou absence. Je viens de liro, avec


un peu d'émotion, votre Plan <le l'( h\it'>rin, et j'ai vu
eu VOIH un écrivain. C'est réellement beau et tort, ce
déroulement littéraire d'une iriiviv musicale que
je commence à connaître i\>«xy. bien «'I qui me paraît
au-dessus de tout. (>l enroulement amoureux de vos
plnasesà chacune des parties i|c iv nionuiiHMil colos-
sal, m'a l'ail, une l'ois de plus, l'assistant et l'audi-
teur bouleversé de votre Messie, car il est bien vîlrc,
par le miracle de la restitution et de la résurrection
de l'immense chef-d\euvre mie les croquemorls de
la musique moderne avaient paru enterrer.
J'ai remarqué; l'ingénieuse et lumineuse identifica-
tion de celte musique de douceur el de tonnerre, de
sanglot^ d'amour et de Sina'î, avec les enivres des
plu - grands peintres, et cela est tellement artiste,
mon cher ami ! On voit si |>ien que vous «Mes situé
en haut, dans l'absolu de la vision d'un Art univer-
sel où s'accusent en relief puissant tons les Témoins
de la Vie supérieure J'ai remarqué aussi que sur
!

cette cime, vous vous êtes souvenu du pauvre homme


qui s'est nommé témérairement « le Vieux de la Mon-
tagne » et d'être cité là, j'ai trouvé que c'était pour
lui un honneur extraordinaire. Je vous embrasse donc
sur la pointe extrême de l'Himalaya.

<».
— Le ('ai/iolif/uc. de Bruxelles veut bien
admirer mon livre, mais à condition de me
il i
f i.i HIN M i.'.\ii>'»i.r •>s/

mettre en parallèle avec Suarès et peut-être


un peu au-dessous de cet écrivain, auteur, pa-
rait-il, de quelque eliose sur Napoléon f.'). dette
feuille est scandalisée <-t déconcertée ealholi
(|iienu'nt par l'alinéa que voici :

Ilva, dansle< |)lu< humbles cgli<esde IVance, une


pauvre lampe allumée la nuil el lr jour, ilevanl le
Saint Sacrement de l'Autel. Il me vient relie idée,
absurde peut-être, que eelle laui|>e est quelque cho-e
comme la enntiance de Napoléon.
On n'est pas plus belge.
7. — Napoléon est si grand qu'on dirait que
l'empire du inonde ne tut pour lui qu'un />/*
aller.
11. — Lu, dans la Semaine religieuse, un dis-
cours de Pie X, extrêmement remarquable. S'a-
dressant à des prêtres,il leur parle de l'amour
qu'on doit avoir pour le Pape, surtout quand
on a l'honneur d'être prêtre; de l'obéissance sans
réserve aucune qui lui est due et hors de laquelle,
il ne peut y avoir de sainteté. L'insistance très
particulière du Souverain Pontife sur ce point
unique révèle une profonde angoisse. Il est
clair que la misère excessive du clergé contem-
porain lui est connue el qu'il n'a pas la moin-
!Ws i r ri' i lui s iir i
'AIISMI I

die illusion. Il sait et il dit <pie.sesinstructions,


ses ordres même, sont discutés, jugés et finale-
ment méprisés, et il le déplore avec amertume.
Notre archevêque n'a pas refusé Ynnpi imotm
à et» document <|ni a dû le faire sourire.
La même Semaine dite « religieuse m'ap- >

prend la douloureuse nouvelle » de la mort


<v

du Prie lîailly, * réminent religieux l'on da- ^>

teur de la lionne Presse.


Mgr Amette a tenu à taire connaître son af-
lliclionet informe le diocèse de ses prières fer-
ventes pour ce malfaiteur.
lli.— Du journal la (.'roi.y sans retouches de
style :

< IN HOC SH;NO VINCKS >•

Le P. Hailly était pétri d'esprit de foi. Du reste, on


ne respirait rien d'.iiitre autour du 1\ d'Alzon et du
P. Picard.
Ouand la (Iroi.c parut, on n'hésita pas un instant à
Vmner d'un grand crucifix, qui prêcherait à tous la
sainte folie de la croix par laquelle le monde a été
sauvé.
Mais, au camp libéral, ou s'émut vivement, et, sous
la pression d'une certaine opinion timide, l'arche-
vêque de Paris demanda la suppression du crucifix,
Il: pf i i:iii\ ni; l
' W.-MI r .'{S'.l

qui lui remplacé |>;ir mn' <ioix liv< humble et (|iii


semblait avoir peur «l"i*l|t*-i11r*nif.
Ai- i c.<ull;tt ne M' /il />;t* ;ilh,ii</rc : /»'> <h:*;tlniiun'iin'ti I*
tiiin/.t'ri'iif ilrus comme </i rie.
Iier;ml ee f;tit,'\\ fallut bien conclure que li' monde
ni' redoutait pa- tant la cnux, ri »j>»'u11<* vertu en jail-
Ii-<ail pour If salut.
Mlle reparut donc, et le jounia! marcha à toutes lc<
Cnni/llèles.
l.a fui triomphait !'.!

Il est clair que pour les i;ens de la /lonnc


/'resse, le thermomètre de la foi, c'est le regis-
tre d'abonnements. Us sont /jetris de l'esprit
de caisse.
21. — A un jeune piètre :

.l'ai rarement obtenu le sull'rage des catholiques


. .
cl surtout des prêtres qui veulent voir en moi unes-
prit très dangereux, parce que je pense dans l'Absolu
et que je me déclare indépendant. Il leur faut des
groupes et des troupes, et les solitaires leur sont
suspects. Il y a deux causes à cet ostracisme de mes
écrits dans le inonde catholique : l'inintelligence ex-
traordinaire des chrétiens modernes et leur profonde
aversion du lJeau. Cette dernière, a quelque chose de
satanique. Knlre une pai^e écrite avec splendeur et
nue autre pajje exprimant les mêmes idées avec pla-
'.V.U\ i r y\ i I'IUN l'i' i
V
\t -
-
< > i r
titudo, leur choix u'e-d jamais douteux, ils vont,d'ins-
tinct, à la platitude. Vous ave/ eu mille occasions de
vitir cela «'t vous le verre/ I• plus «MI plus, far If
• *

niveau baisse tous les jouis.


Aussi, tlt'jnii-i longtemps ai-jepris le parti d'écrire
su i tout, pour li's mécréants, ri non pas fii vain, puis-
que j'ai eu la joie d'en amener plusieurs à I t< i ~ t *. 1 " •* 1

l/inju-tii'i- parfaitement hideu-edo ceux qui devraient


être mes frères, je la Mipportf o• >innio je peux, avec
l'aide «If Dieu, sachant qu'elle e-l invincible, mais
non sans soulVrancc cl amertume. Alors, quand un
catholique, un prêtre vient à moi. connue vous le fai-
tes, il me semble «pie Notre Seigneur llau'ellé me
I»nisi> sur les lèvres e| je sens une consolation i|(''!i-
cieii-e.

A un pivliv :

Vous voilà doue solitaire, .le ne sais si je dois vous


eu féliciter, car il me semble que vous en soutire/,
mais il y a dos jours où je serais tenté de vous envier,
tant le contact du monde me paraît fa-lidieux et dé-
courageant. Il y a vraiment trop d'imbéciles.
Cependant je vois dans votre lettre une li^ne <pio
je n'approuve pas. « Je n'ai pas l'Ame d'un saint »,
dites-vous, parlant de vous-même. VA c'est à l'autour
de VLxèi/èse des Lieux ('ntnmuns (pic vous écrive;,
cola! Mb bien, je vous réponds avec cc.litudo que
!
i i: !•:' i rniN m i ' unoi r ll'.U

j'ai l'àme d'un -aiut ; «pif mon | !• »j iit-1 .i i i <• 111 i i'-l un
» »

alVrcu\ lhiiii-Lf''«»i<, «pif mon boulanger, n ut bou- M

clier, IIKIII épicier, qui -oui peiii-ètre «I"lu>ri iKl>• - ca-


liaiIIf-, oui tous des ùm 's de -aint-, étant loin iipp '-
lés( au--i liifii ipi'- vous c! nn»i, aii--i bien que -ainl
François ou r- i i M t l'aul, à la Vie ('-I •! li> •! et achetés
:
1<

«lu inciiie prix', m;ujiii> /'/ //" fin/ih t-ïtt*. Il n'y a pas
<I"h«>mm>> qui iif >"il un -ainl, virtuellement, et le
péché ou les péchés, induit' le- plu- noirs, ne sont que
I*
;
i 111
11 • « • ' n t <pii ne change rien à la -ubslanc e.
Voilà, je pense, le vrai poinl tic vin-. Ouand je vais
au café lire des journaux- ignobles ou stupides, je
regarde autour tic moi les pratiquants de ce lieu, je
vois leur joie liète, j'entends leurs sollises ou leurs
blasphèmes, et je nie dis tpie je >ui< là, parmi îles
âmes h maorie lies qui s'ignorent, des à ait's faites pour
l'adoration à jamais de la Trinité Sainte, aussi pre-
neuses (pie les esprits anuféliques ; et quelquefois
je pleure, non pas de compas-ion, mais d'amour, en
songeant que toutes ees âmes, quelle que soit leur
présente) récité, cl quels que soicnl les «restes appa-
rentsdes corps, iront quand même, invinciblement, à
Dieu qui est leur tin nécessaire.
Ah si on savait combien cela est beau! Mais vous
1

le savez, vous, et vous devriez me l'enseigner, si je ne


le savais pas. Ouels pauvres chrétiens nous sommes!
Nous avons reçu le Sacrement du Ilaptème, celui
de la (lonlirmation, celui de l'Ordre quelquefois,
:V.)-2 u: l'îaiiHiN m: L'ABSOI.C

et avec loul cela, nous manquons de caractère !


Il y a une Tonne illusoire d'humilité qui ressemble
à l'ingratitude. Nous avons été faits saints par Notre
Seigneur .Jésus-Christ et nous n'osons pas croire
et dire fermement que nous sommes des saints ! Ah !
mon cher ami, quelles belles et transportantes paro-
les pourraient être dites par un prédicateur qui serait
rempli de cette pensée !

2o. — Noël. Messe de Minuit. Cela commence


mal pour moi. Il me faut entendre, aussitôt après
le dernier coup de minuit, l'infàmc et crapuleux
cantique de café-concert : Minuit, chrétiens,..,
toujours demandé par le démon et que nos évè-
ques se garderaient bien de proscrire. Tout pou-
voir de me recueilli m'est ôté dès ce moment.
1'

D'ailleurs, l'horrible foule bourgeoise qui nous


presse n'est pas ce qu'il faudrait pour me dilater
le coeur. Je me réfugie alors dans Pâme du bon
père M... que je sais en train de prier pour nous
très loin, dans un pays de cendres et de dou-
leur.

w27.
— A une merveilleuse amie:

...Vuu< êtes une bonne chrétienne d'accepter que


Dieu vous donne si peu de santé, mais ceux qui vous
i o !'f.u:iu\ [>f-
i.'Aiismr IV.tii

aiment s'en affligent et je voudrais pouvoir vous don-


ner un peu île la mienne qui est insolente et scan-
daleuse. Je vomirais ainsi pouvoir partager avec no-
tre pauvre Véronique qui continue à manquer de
forces et qui passe ainsi dans la langueur les plus
beaux moment^ de sa jeunesse. C'est une grande amer-
Lime pour nous, mais combien adoucie par le spec-
tacle de sa belle ànie !

Vous savez, chère amie, qu'il y a des aines ex-


ceptionnelles dont Notre Seigneur est particulière-
ment amoureux. On saura pourquoi lorsque le mys-
tère de la Communion des Saints aura été dévoilé.
Il y a certainement de chères Ames que Dieu a dési-
gnées pour accomplir sa Passion en soull'rant pour
ceux qui ne veulent pas soull'rir. Vous êtes, je le pense,
une de ces Ames, et ma douce Véronique en est une
autre. Aime/.-la et priez avec elle. .le vous la recom-
mande comme une autre tille très candide en laquelle
vous verrez le l'aïadis quand vous la regarderez de
très près.
Oh ! ma douloureuse, délicieuse et bien-aimée Vé-
ronique, première née de ma misère et de ma souf-
france, si vous saviez ma tendresse respectueuse et
combien je compte sur elle pour mon pardon Il v a !

des gens rpii s'étonnent de moi, nie croyant très fort


et qui sont bien loin de savoir que je vais en guerre
appuyé seulement sur cette pauvre enfant qui est
pour moi toute la milice invincible de l'Innocence.
394 LE PÈLERIN DB L'ABSOLU

A la minute môme où je vous écris cela, je l'entends


chanter, dans la chambre voisine, YAdeste fidèles, et
il me semble que ce ne serait rien d'accepter le plus
terrible martyre...
KPILOGUK

Me voici parvenu à la fin de la vingtième an-


née de ce Journal. Yingtannées en six volumes.
Continucrai-je ce travail qui parait intéresser
quelques solitaires et que d'autres, peut-être, ju-
gent inutile ou fastidieux ?
Je n'en sais rien. A soixante-sept ans. je suis
si las et si dégoûté Depuis beaucoup plus d'un
!

quart de siècle j'ai tout enduré pour obtenir, un


jour, à force d'art, une autorité suffisante, une
chaire de Surnaturel d'où je pusse me faire en-
tendre des âmes. Car j'ai quelque chose à leur
dire, en vérité, quelque chose qui nie fut donné
pour elles et qu'un autre ne pourrait leur dire.
Il en sera certainement ce que Dieu voudra.
Jusqu'à ce jour il lui a plu de me rassasier de
peines et d'opprobres. Je dois déclarer, en même
temps, qu'il m'a envoyé aussi quelques amis pau-
vres sans lesquels je n'aurais pu vivre ; mais il
ÎVJ6 1.1: ri-LLiiiN m: L'AIISOLU

convenait à sa Providence que je fusse toute ma


vie aussi affligé qu'on le puisse être sans mou-
rir. Cela, sans doute, était nécessaire pour que,
ne ressemblant ni aux heureux ni aux demi-heu-
reux de ce monde et n'ayant pas même une
place parmi les malheureux ordinaires,, il me
lut possible d'écrire au moins quelques lignes
en témoignage de l'Agonie du Sauveur... Quel-
ques âmes vagabondes et douloureuses, jo le sais,
en furent touchées, et c'est, pour la mienne,
une bénédiction merveilleuse.
Mais, aujourd'hui, voici que m'apparaisscnl
enfin des signes bien incontestables de puissance.
On vient me voir comme un animal très unique
importé de quelque contrée inconnue. On veut
contempler un homme qui passe pour ne ressem-
bler à aucun autre et on fait le voyage de Bourg-
la-Rcine tout exprès. Cette avanie suprême jus-
qu'ici m'avait été refusée.
Des gens riches accourent chez moi, se dé-
clarant mes admirateurs, en réalité pour voir
un monstre, simplement, et se retirent sans un
mot de consolation ou d'ewouiagemcnt, heu-
reux d'avoir carotté une ou deux heures à un
pauvre artiste qui ne demandait absolument
rien, mais qui n'avait pu se défendre d'espérer
11: l'îi.nnN m: i.'.\r.soi.r 'M\l

quelque réconfort eflicaee de ces visiteurs inat-


tendus. Alors je vois que je suis un sot de con-
sentir à l'exhibition gratuite de mon âme, car
c'est vraiment mon âme que je leur montre
comme je la montrerais à un mendiant qui se-
rait l'ami de Dieu. Si c'est un monstre qu'ils
croient contempler, nie suis-je dit, ils devraient
au moins payer leur place, comme au cirque
ou à la ménagerie. Vaine pensée et plus vaine
plainte...
Eh ! bien, j'appelle cela un signe. Malheureux
écrivain, tu avais rêvé do conquérir des âmes
et lu n'as pu conquérir que des oreilles Tu 1

avais espéré que les chères et nobles images


sorties de ton coeur seraient comme un fleuve
pour porter à Dieu beaucoup d'autres coeurs !

Mais, tu le vois, on ne s'embarque pas. On reste


sur la rive, .on s'y attarde même voluptueuse-
ment pour voir couler tes larmes et ton sang,
et c'est un spectacle vanté qui a l'avantage de
ne rien coûter aux spectateurs. N'as-tu donc
pas compris ou as-tu oublié déjà ce que disait
le prophète belge : « Léon Hloy est admirable,
mais gardons-nous de le suivre et surtout de
rien faire pour lui. Ce serait du vandalisme. Il
a de si beaux cris quand il soutire ! »
3 )S LK l'KMCIU.N OE 1,'AHSOU'

Cela t'at écrit et même imprimé. Les pèlerins


tout en or ne disent pas tout à l'ait cela, mais
c'est tellement leur pensée lluc tibi signurn
!

quia unxit te Dcus. La souffrance et l'ignomi-


nie ne suffisaient pas. Il te fallait la dérision ju-
daïque et tu l'as enfui obtenue 1

LKON JÎLOY.
16 janvier 191 L
l'OST SCR1PTA

J'ai un ami de mes livres cl île ma personne, pas-


sionne loul particulièrement pour Le Salut pur les
Juif^, préférence fort sini/nlière déjà de la part d'un
homme peu cultivé, surtout dans le sens qu'il faudrait
pour apprécier un tel ouvrai/e certainement inacecs-
sihle à la multitude. Cet ami, voyageur de commerce,
ne se met jamais en route sans ce livre un il a lu un
très r/rand nombre de fois.
Voici rétonnante chose qui lui arriva :
Il est à Tiiurs, le '21 février l !> I i. forcé d'atten-
dre, une heure, dans le voisinage de la poste. La pluie
l'ohlit/c à se réfu;/ier dans un café on. naturellement,
il se met à relire le Salut par les Juifs, lue omhre,
tout à coup, tombe, sur son papier. Celte omhre per-
siste. Levant la tète, il voit un vendeur de lapis en
costume arahe, qui le reijarde silencieusement. Cet
étranger sale et fétide, parait avoir de SO ,', .')()<) ans,
aucune évaluation d'àije n'étant possible, l'nau comme
un fiiophète, ses qeu.r d'une ji.rite, d'un éclat insoute-
nable ont une telle prof auteur, i/n'il semble qu'en
s'// plongeant mi pourrait aller jusifti'an /imil des siè-
•iOO i.i: i'i':i,i!Hi\ m: i.'\nsoi.r
des. Telles sont, à peu près, les expressions du nar-
rateur me racontant, le surlendemain, cette aventure,
fcxtraordinairemenl impressionné, mon ami invite
l'élranqer à s'asseoir et lui demande s'il est israëlitc.
Sur son affirmation, il lui présente mon livre.
Connaissez-vous cela ?

L'homme lire de sa poche sept petits carnets remplis
de caractères hébraïques :
Ceci, dit-il, et cela (montrant mon livre), c'est la

même chose...
Mon ami apprend alors que res carnets sont réelle-
ment Le Salut par les Juifs, traduit en hébreu et divisé
en sept parties pour que le livre entier, In chaque
soir, puisse être achevé en une semaine.
Il a, dit cet inconnu, deux de mes frères en Israël
— 1/
qui font comme moi,et qui ont sur eux ces sept carnets.
L'un est à Hambourg, l'autre à Londres. Chaque soir,
le travail fini, à la même heure, no;/.s- sommes trois à
lire la mcmescpticmcpartie du livre de Léon liloq.etc.,
la semaine suivante nous recommençons /.'/
Ai/anl donné celte explication cl proféré quelques
autres jiaroles prouvant qu'il connaît très bien mon
livre, l'inconnu s'en va lentement et majestueusement
comme un prophète des anciens jours, de y rosses larmes
cmitant sur sa face.
Mon ami, complètement anéanti, a clé, plusieurs
heures après,en état d'wresse. et deux jours plus tard,
il était encore bouleversé.

LLOX HLOY.
LISTL ALPIIABLTinUL

DES NOMS CITKS DANS CKT OUVRAGE

A Basile II, lueur de Bul-


M' 1' Jillicite Adam. gares.
La Vénérable Mario Baudelaire.
il'Atçrccla. Lmile Baumann.
Mgr Amctte, Cardinal-Ar- Beellioven.
chevêque de Paris, en- Léon Belle.
nemi particulier de la Belval-Delahaye.
Sainle Vierge. Boberl-Hugh Benson.
Docteur Ainpulossc. Abbé Bethléem, cuistre.
Burgson. autre cuistre
B plus célèbre et moins
Madeleine B. suuir de amusant.
Bené Marlineau. Berlioz.
DOIII Baillet. Saint Bernard.
Balzac. Saint Benoit Labre.
Barbey-d'Aurevilly. Maurice Berteaux, agent
Maurice lianes. de change et ministre
Kdmond Barthélémy. de la Guerre.
il.VJ n: i'i.i.';tiiN ni: I.'AHS U.V

Sainl Plaise.
Ponit'ace Ylll. D
Ponnot, anarchiste Père Damien, apôtre de
Fugène Porrel. Molokaï.
Paul Pourgel, eunuque. Delcassé, ministre à tout
A ris li ilo lïriaml. l'aire.
Frédéric Prou. Sainl Didace.
Maurice Donnay,contem-
G porain de Lucien Des-
Eugène Calvat, frère de caves.
Mélanie. André Dupont.
Cari ylc.
Xavier «le Cathelineau. E
Mgr Cazet. jésuite, vi- Fdison.
caire apostolique de Anne-Catherine Fmmc-
Madagascar. ricli.
Victor Cdiarbomiel. apos-
tat. F
Chopin. Joseph Fabre.
Abbé ('., euré <le I). Fénelon.
Penys Cochin et son con- Abbé Féron,cxpurgateur.
cierge. Josef Florian.
Colignv. Saint François d'Assise.
( iuslave Coquiot. Saint François de Sales.
Pient Cornuau, aumônier Léon Frappié.
de la FioUt^cn retraite. André du Fresnois.
Crcniwcll. Otto Fricdriehs.
Aurélien Coulanges. Fouclié.
Abbé Cuq. Mgr Fu/.et, archevêque
M 1' Curie.
1
de Pollen.
LISTK ALPHABÉTIQUE 103

Père Lechien.
G Legagneux, aviateur.
Mgr Gibier, évèque de Abbé Leliôvre, poète.
Versailles. Georges Lemaire, gra-
Urbain Goliier. veur.
Gougy, boii(|uinislc. Léon XIII.
(îrillol do Givry. Jean Loew.
Iloiiry de Groux. Louis XVI.
.Maurice de Guérin. Hyacinthe Loyson, apos-
Gugenheiin,roiduciiivre. tat.

H M

Gabriel Ilanotaux, tou- Louis Madelin, historien


jours le munie. de rouché.
Lrncst Hello. Lugène Martha (!)
Henry Houssaye. Jacques cl U;ùssa Mari-
.I.-K. Huysmans. tain.
René et André Martineau.
I J Frédéric Masson, poly-
hocleur Séverin Icard. graphe.
Vincent d'Indy. Pierre cl Christine van
der Meer de Walche-
Saint Jean-Baptiste.
Sainte Jeanne d'Arc. ren, et leur lils.
Mélanie, berbère de la
Llisabcth Joly.
Salelle.
Joseph Menard.
L Père Milleiiol.
Henri Lasserre, liislorien Abbé Moreux, astronome.
de Lourdes. Charles Mo-riee.
Lallium, aviateur. Joseph de Maislre.
101 I.F. ri.i.uniN ni: L'ABSOLU

H. Rolland, historien de
N Reethovcn cl sorbon-
Napoléon. nard.
Naundorff. Louis Rossel, l'un des
Ludovic Naudeau. chefs do la Commune,
Nelson, éditeur anglais. assassiné par M.'1 hiers.
Nobel. Rosland Ldmond, pèro
de famille.
P Le Rouquin.
H. P. Paul do Moll, bé- (Jeorgcs Rouaull.
nédictin. J.-.I. Rousseau.
Abbé Léonce Polit.
S
Pic X.
Vicomtesse Olga de Pi- .Marc Sangnier.
Iray. (îustnve Schlumbcrger.
Alfred Pouliner. Albert Sorel.
Marc Stéphane.
R Père Surin.
Hacbildc. T
Philipi)e Raoux. Termier, de l'Institut.
Abbé Rataud, curé de .1
eau ne Termier-Roussae.
Notre-Dame des Vic- André Thouriel.
toires. Thiers.
Félix Raugel. Saint Thomas-d'Aquin.
Paul Reboux, AnJourii.il, Tolstoï.
chapeaux et apostasie. Marc; Twain.
Abbé Rigaux, curé d'Ar-
goeuves. V W
Hoberty, pasteur. Vallette.
Auguste Rodin. Abbé de Valois.
I.ISTK ALI'HAliKTIyLi: 10")

Albert Vamlal. Weibel, éditeur.


Védrincs, aviateur fa- Willielminc, reine de
meux. Hollande.
Paul Verlaine, poète in-
X
connu.
All'rcd de Vigny. X... converti comique.
Villicrs de rislc-Adam.
Hicardo Vides. Z
Voltaire. Kmile Zola.
TABLK DES MATIKUKS

DKOIC.VCK ô

1910
Les hommes volants 1(>
Gloire immense des aviateurs IN
L'aéroplane « engin do paix » 20
Ilanotaux 21
Binic 27
Révolution portugaise 33
Balzac
Le roman comique d'une conversion.
Dédicaces
Un vieux livre étonnant
.... 31)
Il)
(il
(«3
Suite et fin du roman comique (il
La communion des petits enfants 7 "2

1911
Véronique en danger N'.l
Baptêmes de Pierre van der Mcer et de son fils. U7
Désolante fin d'une pauvre âme 110
|0^ i r. riiriiiN in: I.'AMMIU"

« Un rire de cinquante-cinq milliards ».


.
IIS
. .
Sainl-Kxpédit 1 17
Feuilleton de Bourget : La c/rande Su'iir l.V.l
. . .
Un joli curé ISO
Les Solilof/ues d'Alfred Pouliner 1S2
Kdison IS.r)
Pignoufs-sur-1'Islc 1S.')
Périguetix ISS
Retour à Bourg-la-Reine. Ampelosse nie lâche 1H0
.
Miracle de Pie X 207
« Seigneur ! bénissez les riches » 21S

1912
Préface du Désespère 227
Olivier llromwell 233
liecthoven, par Vincent d'Indy 2ii7
Dernières paroles de Loyson 2i'.>
Dédicaces 251
Ftonnantc conversion d'un vieil israélite 253
. . •
Le « Titanic » '-lit
« Une étape de la conversion de Iluysmans ». 2lil
.
Excepte Bonnol, tout le monde fut héroïque. .
2li7
Récit d'un pèlerin de la Salettt
Admirable article du Malin d'Anvers
Saint-Piat
Villégiature affreuse
.... 271
2S0
2S<)
30f>
Retour .'Ht
Bergson et Jacques Maritain
Dédicaces
Les Marches de Provence
.... 321
321
329
TAHU: DK-! MUlbtRS 1 )'l

DéJicacis 3'iS
« J'ai vouli rmntrer partout le mystère ». '.M'n
. .
...Jésus va venir 37S
lÙMI.OCiL't-: .U.">
POST SCIUPTA 3W
ACHEVÉ ù'IMPRIMER
le vingt juin mil neuf cent quatorze
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CII. COLIN
A XATBN'NI

pour le
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DS

FRANCK

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ME KGVRE DE ERANCI
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IIVI: DI: CONDI':
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PAIIIS-VI*
I'" el !<• <le i >j • i ni. >i -, |.,| ni 'Lui* l'année M\

V.IIIIM

lAttératuro, l'oésio, Théâtre. Miisiquo, Pointure. Sculpture


Philosophie Histoii'O. Soeiologio, Seioncos, Voyages
Bibliophilie. Seioncos occultes
Critique, Littératures étrangères. Bévue do la Quinzaine

l..i Xovue do la Quinzaine s'.ilim ru h- à I'.' li.iii.'ci- .m Luit <|ii m l'i.•., .


.llenllic llll in lill n-«- f.iu-iiiliV.llilf il.' >l< ii il m 'lits, rt i-i'lisliliw n :i « -..: i

il' * ciioycl'ijn'-ilir ;m jniir le ji'iir > «lu ni- m \ r nii-n I iiuiM'isel >les i.|.',->
Kl le. se eninpii-e des rubriques situante* ;

i'iiilii'jui's (actualité) : Itoinv île Clu niii./iwle Ih II iv//i'v<;.KeU;


i ;
(îillll'llliillt |
Lettres allemandes : Henri AIL
/.*>< l'nèmes : C
.
vii< Hiili.-.mel. l.etlies an*/!;, ises: II. -m-,v-1». ll.u. n,
i

/..'s //.H/i.Hi.v llaelul.le : lleiiiietlf


• Lettres italiennes: ( îii>v.uini l*«i j -i i...
|

Cliar.i—m. '
Lettres e </,,i</Nu/es : Marcel It'-hii.
Littérature : Jean île ('mut muni. Lettres [,ortu(jaises : l'Ii. I.ehe-n.
Histoire : LMIIKUHI B irtliéleiny. Lettres américaines : ' i •.
" 11 «"- i
/'/ii/mu/i/ii'e ; (îeorges 1'.liante. Slauli.ii.
«

/.c Mouvement si-tentil'u/ue : Cicm- I.etli es hi^[iano-américaines: L'r.iu-


-es linhii, ei-e.. Ci>nlreras.
.s'ciVuiev me'i/('e,-Wi'.< : l)r P.iu\ N'nive Lettres h> ésiliennes : Tri-la.> .i .
ucl. ( luulia.
Science sociale Henri Ma/H.
: Lettres /ic'iir/rt'i-i'/»«'.< : Dcméti ii -
Lllinui/raiiliie, l-'ullxhoo : A. van Asleii.ilis.'
(îennep. Lettres loiimaines: Marcel M..i,
Aicliéoloyie, Voj/aye* : (lli.Merki. t. 111 i 11.
-

ijnesliitns jiiriilii[iies : José Tliéry. • •


,
Lettres russes : .lean (llui/cvillc.
<

'questions militait es <7 maritimes : Lettres [minimises : Michel Mul,-i


Jean Nm-el. inilcli.
Questions coloniales : Cari Siger. Lettres néerlandaises ; ,1.-1,. W.île . 1

L'sotérisme et Sciences l'sifchi(jUos : Lettres Scandinaves: l'.-Ci. F,a <"L -•


.lacipies lîrieil. nais ; l'ritiul" Palmée.
/.es llevues : (lliarles-Iloniv llirscli. Lettres lclici[ues : Jaiikn ('ai h
Les .lournau i : H. «le llurv.
i
La l-'rance ju<[ée a I l'.tran<[er I

'l'héàtiè : Maui-iei Finissant, file Dubois. •

Musu/ue : .1 cm Mai m >l. 1. Variétés : X...


A/7 : (îuslave Kaliu. j\ Lu Vie :ineeih)ti([iie : (iuill :i
Musées cl Collections ; Auguste Apollinaire,
Mai gui Hier. /..i Curiosité : Jacques l)aurr;i.
<:hroni<iue île la Suisse roin;tn<le :
Hené «le Week. i
l'ulilicatiniis récentes : Merci;
l'ehos : Meicm'e.
.
Les ahunnemenl.s parlent du premier des mois île janvier, arri!,
juillet et nclnhre.
France Etranger
I'N M'MKiti. lfr.25 UN NUMKIIO lfr.50
IN AN 25 > l.N AN 30 '
Six Mois 14 > Six MOIS 17 >
Tunis Mi n> 8 » 'l'unis MOIS 10 »

VIVEWE, 1 M I' Il I M K II I ï «: Il A I; I. K - i: u L I N

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