Phonologie Semaine 19

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Phonologie, Master LFA – semaine 19 – Prof.

: André THIBAULT

Phonologie, Master LFA


Professeur : André THIBAULT

Semaine 19

Contenu du cours : le système phonologique de l’espagnol.

0. Introduction

L’espagnol connaît un système vocalique remarquablement simple, combiné à un système


consonantique beaucoup plus riche, et différent de celui du français à bien des points de vue.
Cela occasionne évidemment de nombreux problèmes d’apprentissage, tant pour les franco-
phones qui veulent apprendre à bien prononcer l’espagnol, que pour les hispanophones qui
désirent maîtriser la phonétique du français.

Comme c’est toujours le cas, il y a des différences régionales très importantes. Je présente ci-
dessous le système consonantique « académique » maximal, tel qu’on peut encore le rencon-
trer dans le tiers septentrional de l’État espagnol. Nous reviendrons ci-dessous aux principales
caractéristiques phonologiques « régionales » (mais en fait, démographiquement dominantes)
du système consonantique de l’espagnol.

1. Le système consonantique

Il convient, comme d’habitude, de distinguer l’inventaire total des sons de l’espagnol de


l’inventaire des phonèmes, c’est-à-dire des unités distinctives.

1.1. L’inventaire des sons


Labiodentales
Interdentales

Prépalatales
Alvéolaires
Bilabiales

Vélairees
Palatales

Occlusives sourdes p t k
Occlusives sonores b d g
Nasales m n ɲ ŋ
Affriquée sourde ʧ
Affriquée sonore ʤ
Fricatives β δ γ
Constrictives sourdes θ f ṣ x
Constrictives sonores θ̬ s̬
Latérale l ʎ
Vibrante simple ɾ
Vibrante multiple r
Semi-consonnes w j w

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1.2. L’inventaire des phonèmes

Labiodentales
Interdentales

Prépalatales
Alvéolaires
Bilabiales

Vélairees
Palatales
Occlusives sourdes p t k
Occlusives sonores b d g
Nasales m n ɲ
Affriquée sourde ʧ
Constrictives sourdes θ f ṣ x
Latérale l ʎ
Vibrante simple ɾ
Vibrante multiple r

La comparaison entre les deux tableaux permet déjà d’entrevoir que de nombreux sons ne
constituent en fait que des variantes combinatoires de certains phonèmes. Parmi les princi-
pales différences que l’on observe entre l’espagnol et le français, on doit mentionner d’abord :

• l’absence de constrictives sonores phonologiques (c’est-à-dire les [v, z, ʒ] du fran-


çais) ; on peut trouver des constrictives sonores, mais elles ne sont que des variantes
combinatoires des constrictives sourdes correspondantes (c’est le cas de [θ̬] et de [s̬]),
qui résultent de phénomènes assimilatoires (contact avec des consonnes sonores)
• l’existence de fricatives, [β, δ, γ], c’est-à-dire de sons qui, à l’origine occlusifs, se sont
affaiblis en position intervocalique (ce sont donc des variantes combinatoires) et dont
le nom est dû au fait que leur articulation est caractérisée par un léger bruit de « fric-
tion »
• l’espagnol connaît aussi deux constrictives sourdes phonologiques qui n’existent pas
en français, l’interdentale [θ] (la zeta)1 et la vélaire [x] (la jota)2.
• Quant au [s ̣], dans l’espagnol du centre et du nord de la Péninsule (donc, à l’exclusion
de l’Andalousie), il est « chuintant », c’est-à-dire qu’il est prononcé non pas comme
une prédorso-alvéolaire (ce qui est le cas du [s] français, sifflant), mais bien comme
une apico-alvéolaire (ce qui lui donne un son plus grave, assez proche du son du [ʃ]
français, lequel n’existe pas en espagnol). Il est très difficile pour un hispanophone de
distinguer le [s] et le [ʃ] du français.
• Les semi-consonnes ([w] et [j]) n’ont pas de statut phonologique (on y reviendra ci-
dessous, 1.5.6.).
• Des deux affriquées, seule l’une d’entre elles a un statut phonologique ([ʧ]), v. cours
de la semaine 13, point 2.1. (je n’y reviendrai pas cette semaine) ; l’autre affriquée
n’est qu’une variante combinatoire de la semi-voyelle palatale [j] (v. ci-dessous).
• Des quatre nasales représentées ici, seules trois ont un statut phonologique ; la vélaire
n’est qu’une variante combinatoire de l’archiphonème /N/ en contexte vélaire (ou une
variante libre en finale absolue).

1
Ce son s’écrit ‹z› devant ‹a, o, u › et ‹c› devant ‹e, i› : caza « chasse », hizo « il/elle fit », zumo « jus » ; Cecilia.
2
Ce son s’écrit ‹j› devant ‹a, o, u › et ‹g› devant ‹e, i› : jamás « jamais », ojo « œil », Julio ; gente « gens »,
gitano « gitan ».

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• L’espagnol académique distingue, en théorie, une semi-consonne palatale et une


liquide latérale : le yod [j] et le [ʎ] (cf. cours de la semaine 15, point 2.3.)
• Enfin, toutes les catégories d’espagnol connaissent une opposition entre deux
vibrantes, l’une simple ([ɾ]) et l’autre multiple ([r]) ; v. cours 13, point 3.2.

1.3. Quelques paires minimales

Illustrons ci-dessous quelques oppositions qui n’existent pas en français :

• carro n. m. « automobile » [ˈkaro] ≠ caro adj. « cher, onéreux » [ˈkaɾo]


• caza n. f. « chasse » [ˈkaθa] ≠ casa n. f. « maison » [ˈkasa]
• Paca n. pr. f. « (forme familière de Francisca) » [ˈpaka] ≠ paja n. f. « paille » [ˈpaxa]
• cara n. f. « face » [ˈkaɾa] ≠ caja n. f. « caisse » [ˈkaxa]
• (que) haya (forme conjuguée du verbe haber « y avoir » à la 3e pers. du sing. du
subjonctif présent, « (qu’)il y ait ») [ˈaja] ≠ halla (forme conjuguée du verbe hallar
« trouver » à la 3e pers. du sing. de l’indicatif présent, « il trouve ») [ˈaʎa]
• et, bien sûr, toutes celles qui reposeraient sur des différences dans la position de
l’accent (je n’y reviendrai pas, nous en avons déjà parlé il y a quelques semaines).

1.4. Les oppositions minoritaires (mais « académiques »)

1.4.1. Le [j] et le [ʎ]

L’opposition entre le yod et la palatale latérale [ʎ] (cf. cours de la semaine 15, point 2.3.) est
très largement méconnue en Amérique latine. En Espagne, autrefois, seule l’Andalousie
l’ignorait, mais depuis quelques décennies la non-distinction s’étend toujours de plus en plus
vers le nord, tant et si bien qu’elle inclut aujourd’hui la capitale, Madrid. Il n’y a plus guère
que le tiers nord-est de l’Espagne qui respecte encore spontanément aujourd’hui cette
distinction. La disparition de l’opposition s’est faite aux dépens de [ʎ], disparu et remplacé
par [j] (et ses variantes, libres ou combinatoires).

Si l’on reprend l’exemple de paire minimale ci-dessous, haya ≠ halla, elle n’est donc pas
valide pour l’immense majorité des hispanophones, qui prononceront tous (même à Madrid)
ces deux mots exactement de la même façon (c’est-à-dire, selon les régions, [ˈaja], [ˈaʤa],
[ˈaʒa], voire [ˈaʃa] chez les jeunes Argentins de la région de la capitale, Buenos Aires).

1.4.2. La zeta (/θ/) et le /s/

Je vous invite à revoir le cours de la semaine 16, point 4.3. pour un aperçu de l’évolution dia-
chronique des constrictives de l’espagnol. Nous signalerons seulement ici que la distinction
entre /θ/ et /s/, illustrée ci-dessus par la paire caza ≠ casa, n’est pas valide en Andalousie, ni
dans pratiquement toute l’Amérique latine. Dans cette dernière, la disparition de l’opposition
s’est faite aux dépens de la zeta, remplacée par [s]. Il n’y a donc plus qu’un seul phonème /s/,
ce qui fait que ces locuteurs ne distingueront plus caza de casa, prononcés tous les deux
[ˈkasa]. En outre, le [s] latino-américain est prédorso-alvéolaire, comme celui du français, et
non pas apico-alvéolaire, comme celui des Espagnols. En Andalousie, la disparition de
l’opposition s’est soldée par deux résultats possibles : certaines régions prononcent [s] dans
les deux cas (c’est la solution qui s’est exportée dans le Nouveau Monde), elles sont dites
seseístas ; d’autres prononcent la zeta dans les deux cas (donc, [ˈkaθa] autant pour caza que

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pour casa) et sont appelées ceceístas. Ces deux phénomènes sont appelés respectivement
seseo et ceceo.

1.5. Les distributions lacunaires, les assimilations, les neutralisations et les archi-
phonèmes

1.5.1. Les vibrantes

• Les deux vibrantes, la simple et la multiple, ne s’opposent qu’à l’intervocalique


(souvenez-vous que c’est souvent le cas, comme on l’a vu la semaine dernière avec les
paires /s/ ~ /z/ et /s/ ~ /ʃ/ de l’allemand).
• En position initiale absolue (au début d’un mot), il y a neutralisation de l’opposition
entre la simple et la multiple, car dans cette position seule peut apparaître la multiple.
On posera donc dans ce contexte syllabique l’existence d’un archiphonème, /R/, dont
la réalisation phonétique est nécessairement [r], et dont les seuls traits pertinents sont
qu’il s’agit d’une consonne vibrante (sans plus de précision). Concrètement, cela si-
gnifie que si vous devez prononcer la rosa, vous ne pouvez dire que [laˈrosa] ; une
prononciation telle que [laˈɾosa] (faute typique pour un francophone qui a de la peine à
rouler ses « r » multiples) serait perçue comme équivalant au mot (inexistant) *larosa
(ce pourrait être un nom propre, éventuellement).
• En position implosive, c’est-à-dire en fin de syllabe (intérieure ou finale), il y a éga-
lement neutralisation de l’opposition entre les deux vibrantes ; on peut prononcer in-
différemment une vibrante simple (la solution la plus fréquente et la plus neutre) ou
une vibrante multiple (dans un contexte d’élocution emphatique, par exemple), cela ne
changera rien à l’interprétation qu’un hispanophone fera du mot. On considérera donc
dans ce contexte-là également que l’on a affaire à un archiphonème /R/, pouvant se
réaliser indifféremment [r] ou [ɾ]. Concrètement, cela veut dire que vous pouvez pro-
noncer amor [aˈmoɾ] (le plus normal) ou [aˈmor] (emphatique), ce sera toujours le
même mot.
• Comme second élément d’un groupe consonantique « occlusive (ou [f]) + vibrante »,
l’opposition est aussi neutralisée, au profit de la vibrante simple. On prononcera donc
tres [tɾes] et non pas *[tres] (qui n’est pas impossible, mais de toute façon cela vou-
drait dire la même chose ; ce ne serait pas un autre mot) ; frío [ˈfɾio] et non *[ˈfrio], etc.
• Comparons maintenant les transcriptions phonétiques aux transcriptions phonologi-
ques (faites attention à la notation de l’archiphonème, qui apparaît obligatoirement
dans tous les cas de neutralisation de l’opposition) :

o caro [ˈkaɾo] /ˈkaɾo/


o carro [ˈkaro] /ˈkaro/
o rosa [ˈrosa] /ˈRosa/
o amor [aˈmoɾ], [aˈmor] /aˈmoR/
o tres [tɾes], /tRes/
o frío [ˈfɾio], /ˈfRio/

1.5.2. Les fricatives

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les occlusives sonores connaissent en position
intervocalique un phénonème d’affaiblissement de leur articulation qui leur fait perdre leur
caractère d’occlusives pour les transformer en un type spécial de constrictives que l’on nom-
me « fricatives », par allusion au bruit de friction typique qui les caractérise. Ces sons n’ont

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aucune valeur phonématique ; ils ne peuvent évidemment pas permettre de former des paires
minimales par opposition avec le son occlusif correspondant, puisque leur distribution par
rapport à ceux-ci est complémentaire : on trouve les fricatives en position intervocalique (ou
entre voyelle et liquide) et les occlusives après une pause (en position initiale de groupe
phonique) ou une consonne nasale. Exemples (accompagnés de la transcr. phonol.) :

• mi dedo « mon doigt » [miˈδeδo] /miˈdedo/


• un dedo « un doigt » [unˈdeδo] /uNˈdedo/ (il y a un archiphonème nasal ici, v. ci-
dessous 1.5.5.)
• me ha dicho « (il, elle) m’a dit » [meaˈδiʧo] /meaˈdiʧo/
• me han dicho « (ils, elles) m’ont dit » [meanˈdiʧo] /meaNˈdiʧo/ (idem)
• dime « dis-moi » [ˈdime] /ˈdime/

Attention : il n’y a pas d’archiphonème */D/ ici ! Comme l’occlusive [d] et sa correspondante
fricative [δ] ne s’opposent jamais, il n’y a pas de neutralisation de leur opposition. Elles ne
sont, dans tous les cas, que des variantes combinatoires d’un seul et même phonème.

Voyons maintenant des exemples avec les bilabiales [b] et [β] :

• ¡Vamos! 3 « allons-y ! » [ˈbamos] /ˈbamos/


• Barcelona « Barcelone » [baɾθeˈlona] /baRθeˈlona/ (attention à l’archiphonème /R/)
• un viaje « un voyage » [umˈbjaxe] /uNˈbiaxe/ (attention à l’archiphonème nasal)
• un billete « un billet » [umbiˈʎete] /uNbiˈʎete/ (id.)
• haber « y avoir », a ver « voyons voir » [aˈβeɾ] /aˈbeR/
• cava « champagne catalan » [ˈkaβa] /ˈkaba/
• Cuba [ˈkuβa] /ˈkuba/

Attention : encore une fois, il n’y a pas d’archiphonème */B/ ici ! Comme l’occlusive bilabiale
et la fricative correspondante ne permettent jamais de former des paires minimales, il n’y a
évidemment pas lieu de parler de neutralisation de l’opposition, une telle opposition n’exis-
tant jamais en espagnol. J’insiste lourdement là-dessus, parce que dans les examens il y a
généralement beaucoup de confusion sur ce point.

Voyons enfin des exemples avec les vélaires [g] et [γ] :

• hago « je fais » [ˈaγo] /ˈago/


• tengo « j’ai » [ˈteŋgo] /ˈteNgo/ (attention à l’archiphonème nasal)
• ¡Gol! « but ! » [gol] /gol/
• lagarto « lézard » [laˈγaɾto] /laˈgaRto/ (attention à l’archiphonème /R/)

Au risque de me répéter, je précise qu’il n’y a pas d’archiphonème */G/, pour les mêmes
raisons que celles évoquées ci-dessus. Il y a simplement deux variantes combinatoires d’un

3
Vous aurez remarqué que les deux graphèmes ‹v› et ‹b› correspondent exactement à la même chose, phonéti-
quement et phonologiquement, pour un hispanophone – ce qui est la source d’innombrables fautes d’orthogra-
phe, et cause un problème supplémentaire aux hispanophones qui doivent, tant bien que mal, arriver à discrimi-
ner acoustiquement et articulatoirement les sons [v] et [b] dans les nombreuses langues qui les connaissent et les
distinguent.

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seul et même phonème /g/, qui se répartissent de façon complémentaire : la fricative en


position intervocalique, l’occlusive en position initiale de groupe phonique ou après nasale.

1.5.3. Les affriquées

1.5.3.1. L’affriquée sourde /ʧ/

Seule l’affriquée sourde, /ʧ/, a un statut phonématique en espagnol. Elle n’est pas la variante
combinatoire d’un autre phonème. En outre, elle ne connaît elle-même qu’une seule réalisa-
tion phonétique possible, [ʧ]. On la rencontre en position initiale de syllabe, que ce soit au
début du mot ou à l’intérieur :

• chulo « mec » [ˈʧulo] /ˈʧulo/


• techo « toit » [ˈteʧo] /ˈteʧo/

Exceptionnellement, dans des emprunts à d’autres langues, on peut aussi rencontrer ce son en
position finale de syllabe :

• Puig « (nom de famille catalan) » [puʧ] /puʧ/


• putsch « coup d’état » [puʧ] /puʧ/ (emprunt à l’allemand)

1.5.3.2. L’affriquée sonore [ʤ]

L’affriquée sonore [ʤ] n’a pas de statut phonématique ; elle ne représente qu’une prononcia-
tion possible, renforcée, du yod ([j], lequel n’est lui-même qu’un allophone du phonème /i/, v.
ci-dessous 1.5.6.), dans les contextes suivants : initiale absolue ; initiale intérieure après
nasale. Exemples :

• ¡Ya está! « ça y est ! » [ʤaesˈta] /iaesˈta/ (en d’autres mots, [ʤ] n’est qu’une façon de
prononcer le /i/ devant une autre voyelle à l’initiale d’un groupe phonique)
• un yogur « un yaourt » [uɲʤoˈγuɾ] /uNioˈguR/ (attention à l’archiphonème nasal /N/ et
à l’archiphonème vibrant /R/)

1.5.4. Les constrictives sonores

Les constrictives sonores du tableau phonétique (que j’aurais mieux fait d’appeler « sonori-
sées ») ne sont en fait que des variantes combinatoires du phonème constrictif correspondant,
en contexte sonore (c’est-à-dire, plus précisément, suivi d’une consonne sonore). Exemples :

• mismo « même » [ˈmis̬mo] /ˈmismo/


• diez mil « dix mille » [djeθ̬ˈmil] /dieθˈmil/

Il n’existe évidemment aucune possibilité de créer une paire minimale en opposant [s] à [s̬] ou
[θ] à [θ̬], la sonorisation étant entièrement dépendante du contexte phonétique immédiat.

1.5.5. Les nasales

L’opposition phonologique entre les trois consonnes nasales de l’espagnol n’est valable qu’en
position initiale de syllabe (que ce soit au début du mot ou à l’intérieur). Exemples :

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• mañana « demain » [maˈɲana] /maˈɲana/


• año « année » [ˈaɲo] /ˈaɲo/ ≠ ano « anus » [ˈano] /ˈano/ ≠ amo « chef » [ˈamo] /ˈamo/

En position implosive, c’est-à-dire en position finale de syllabe (que ce soit à l’intérieur du


mot ou en finale absolue), il y a neutralisation de l’opposition, et l’on doit poser un archipho-
nème nasal /N/, lequel se réalise de différentes façons selon l’environnement phonétique :

Devant consonne bilabiale, on aura la nasale bilabiale correspondante, [m] :

• un viaje « un voyage » [umˈbjaxe] /uNˈbiaxe/


• un billete « un billet » [umbiˈʎete] /uNbiˈʎete/

Devant consonne dentale ou alvéolaire, on aura plus ou moins [n] :

• un dedo « un doigt » [unˈdeδo] /uNˈdedo/


• me han dicho « (ils, elles) m’ont dit » [meanˈdiʧo] /meaNˈdiʧo/
• un salto « un saut » [unˈsalto] /uNˈsalto/

Devant consonne palatale, on aura la nasale palatale [ɲ] :

• un yogur « un yaourt » [uɲʤoˈγuɾ] /uNioˈguR/


• un chulo « un mec » [uɲˈʧulo] /uNˈʧulo/
• un llavero « un porte-clé » [uɲʎaˈβeɾo] /uNʎaˈbeɾo/

Et enfin, devant consonne vélaire, on aura évidemment la nasale vélaire [ŋ], laquelle ne peut
absolument pas apparaître en position initiale de syllabe :

• tengo « j’ai » [ˈteŋgo] /ˈteNgo/


• banco « banque » [ˈbaŋko] /ˈbaNko/
• ángel « ange » [ˈaŋxel] /ˈaNxel/

Lorsque la nasale se retrouve en finale absolue, elle peut se réaliser phonétiquement de


différentes manières (ce sont en fait des variantes libres) :

• avión « avion » [aˈβjon], [aˈβjoŋ], [aˈβjõŋ],voire [aˈβjõ] ; mais toujours : /aˈbioN/

1.5.6. Le statut phonématique de [w] et [j] ?

Il y a des interprétations divergentes sur la manière d’évaluer le statut des sons [w] et [j] en
espagnol. Certains auteurs leur reconnaissent un statut de phonèmes consonantiques à part
entière ; d’autres considèrent qu’il ne s’agit au contraire que de variantes combinatoires des
phonèmes vocaliques de même point d’articulation, respectivement /u/ et /i/, dans le contexte
phonétique suivant : « en dehors de l’accent, en contact avec une autre voyelle ». Exemples :

• luego « ensuite » [ˈlweγo] /ˈluego/


• puedo « je peux » [ˈpweδo] /ˈpuedo/
• tienes « tu as » [ˈtjenes] /ˈtienes/

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• diablo « diable » [ˈdjaβlo] /ˈdiablo/

En d’autres mots, il n’est pas possible en espagnol d’opposer un mot qui se prononcerait
[ˈlweγo] à un autre mot qui se prononcerait [ˈlueγo] ; cette deuxième prononciation ne serait
perçue que comme la prononciation un peu plus lente, un peu plus appuyée, de la première.

Il est bien sûr possible d’opposer en espagnol deux mots tels que :

• hay « il y a » [aj] /ˈai/


• ahí « là » [ai] /aˈi/

On aura toutefois compris que c’est ici la place de l’accent qui est pertinente ; c’est le proso-
dème qui permet de différencier les deux mots, avec comme conséquence que le phonème /i/
se prononce tantôt [i] (lorsqu’il porte l’accent), tantôt [j] (lorsqu’il est en contact avec une
autre voyelle, accentuée celle-là).

2. Le système vocalique

Il est, comme on l’a dit en introduction, très simple ; non seulement ses niveaux d’aperture se
limitent au nombre de trois, mais en outre il ne connaît aucune différence distributionnelle
selon la position de la voyelle par rapport à l’accent (l’inventaire des sons vocaliques possi-
bles est le même en syllabe tonique, prétonique, post-tonique, intertonique, etc. ; cela est rela-
tivement rare dans les langues du monde). Contrairement au français, l’espagnol ne connaît ni
voyelles phonologiquement nasales, ni voyelles antérieures arrondies, ni différences de lon-
gueur phonologiquement pertinentes (je pense ici, par exemple, à l’opposition archaïsante /ε/
~ /ε:/ du français, cf. faites ≠ fête).

2.1. L’inventaire des phonèmes

Antérieures Postérieures
Fermées i u
Moyennes e o
Ouverte a

2.2. Assimilation de nasalité

On notera seulement le fait que les voyelles suivies d’une nasale implosive tendent à se
nasaliser plus ou moins fortement (selon les accents régionaux) ; il ne s’agit que de variantes
combinatoires, dues à un banal phénomène assimilatoire :

• la pasión [lapasjõŋ], [lapasjõŋ], voire [lapasjõ] ; mais toujours /lapaˈsioN/

2.3. La naissance d’une nouvelle opposition vocalique en andalou oriental

Je me contenterai de reprendre ici ce que nous avons déjà vu dans le cours de la semaine 15 :

Encore une fois, on constate que la situation actuelle dans certaines variétés d’espagnol
régional rappelle celle que l’ancien français a dû connaître au moyen âge. En andalou oriental,
le -s implosif se prononce comme l’aspirée [h], ou disparaît complètement de la prononcia-

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tion ; mais cette disparition s’accompagne d’un allongement compensatoire ainsi que d’une
ouverture du timbre de la voyelle précédente, ce qui donne naissance à de nouvelles oppo-
sitions phonologiques. Considérons les exemples suivants :

• pie [pje] /pie/ ~ pie(s) [pjɛː] /piɛ/


• dio [djo] /dio/ ~ Dio(s) [diɔː] /diɔ/
• ETA [ˈeta] /ˈeta/ ~ e(s)ta [ˈɛːta] /ˈɛta /

On constate ici in vivo comment une opposition phonologique peut naître dans une langue (ou
une variété de langue) donnée ; les traits de longueur et d’ouverture, qui ne sont que redon-
dants (et donc facultatifs) tant et aussi longtemps que la consonne se prononce encore (sous la
forme de [s] ou de [h]) deviennent définitoires (et donc obligatoires) lorsque la consonne
cesse définitivement d’être articulée.

3. La place de l’accent ; les prosodèmes

Je ne reviendrai pas là-dessus aujourd’hui, mais souvenez-vous que la place de l’accent en


espagnol est un trait distinctif (un prosodème), comme nous l’avons vu il y a quelques
semaines (cours de la semaine 14).

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