History of Segou
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History of Segou
de Maryse Condé
Cathy Vansintejan
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continents à la fois(les belles ténébreuses, les derniers rois mages, Moi, Ti-
tuba sorcière…). On peut donc lire cet ultime roman africain comme le sym-
bole de retrouvailles profondes de l’auteure avec l’Afrique de ses ancêtres,
avant de retrouver la diaspora noire, celle de son île natale en particulier, et
celle du monde en général, comme s’il lui avait fallu éprouver ce retour aux
sources préconisé par la mouvance de la négritude d’Aimé Césaire, avant de le
dépasser. (« En fin de compte, je pense que c’est un piège… la quête d’identi-
té d’un Antillais peut très bien se résoudre sans passer, surtout physiquement,
8)
par l’Afrique. »)
Le fait qu’une partie de la matière du roman ait été destinée à constituer
l’objet d’une thèse sur la tradition orale de la région en fait un document très
informé. L’histoire et la géographie des villes, l’observation des cultures et des
sociétés, les descriptions des paysages, de l’architecture, de l’habillement, font
preuve d’un savoir encyclopédique sur la région, un savoir harmonieusement
mêlé au récit.
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Histoire et histoires dans Ségou de Maryse Condé
suscitant une immense curiosité chez les habitants de Ségou ; il se fera refuser
l’entrée de la ville. Cet événement a bien eu lieu, reporté par l’homme en
question dans ses carnets de voyages9)et il a même inspiré l’auteure qui en dit
ceci : « ça m’a paru un moment assez symbolique du moment où Ségou était
une ville interdite et où personne ne pouvait y entrer sans permission. L’arri-
vée de ce Blanc est un signe indéchiffrable pour les gens de Ségou »10).
Dans la deuxième génération, on suit l’histoire de quatre fils de Dousika.
L’aîné, Tiékoro, se convertira très jeune à l’islam et connaîtra un destin peu
commun lié à ce choix. Le deuxième fils, Naba, jeune chasseur de lion hé-
roïque, se fera kidnapper pour être vendu comme esclave. Le troisième fils,
Siga, sera obligé d’accompagner son frère Tiékoro pour ses études à Tombouc-
tou, mais il sera employé chez des marchands de Fès avant de revenir vivre à
Ségou. Le quatrième, Malobali, servira différentes armées, avant d’être recueilli
par deux missionnaires français, puis de rencontrer une femme à Ouidah pour
finir emporté par une épidémie de variole à Abomey.
Dans la génération suivante, on suit principalement l’histoire de trois des
petits fils de Dousika. Mohammed, fils de Tiékoro et Maryem, suit les traces
de son père Tiékoro : envoyé étudier les textes sacrés de l’islam dans la ville de
Hamdallay dès l’enfance, il sera profondément croyant et fera figure de pro-
phète quand il rentrera à Ségou dans l’intention de convertir les habitants ré-
calcitrants; il reviendra pourtant vers la culture bambara à la fin de sa vie. Eu-
charistus, fils de Naba et Ayodélé, sera le premier élève noir d’une école
chrétienne à Fourah Bay College, en Sierra Leone, il ira suivre des cours de
prêtrise à Londres dans les années 1840 et reviendra diriger une paroisse flan-
quée d’une école à Lagos. Olubunmi, fils de Malobali et Romana, élevé à Sé-
gou, s’engagera dans le combat armé mené contre les Toucouleurs envahissant
la région, puis, après un bref passage dans l’armée des Français, il rentrera à
Ségou.
Dans la quatrième génération, on suit les destinées de Samuel, fils d’Eu-
charistus et Emma, d’Omar, fils de Mohammed et Ayisha, de Dieudonné, fils de
Olubunmi et Awa, et d’Ahmed, fils de Mohammed et Awa. Samuel, né à Lagos,
rencontrera un voyageur idéaliste rêvant de trouver un territoire où accueillir
les anciens esclaves, s’embarquera dès l’adolescence pour un long voyage qui
le mènera sur la Gold Coast à Accra, puis à l’intérieur des terres à Akumajo, et
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« Ah, une autre religion qui parlerait d’amour! Qui interdirait ces funèbres
sacrifices ! Qui délivrerait l’homme de la peur. Peur de l’invisible. Et
même peur du visible ! »(T1 p. 29)
« L’islam ! Voilà qu’il frappait une des meilleures familles du royaume ! Il
paraissait que le fils aîné de Dousika Traoré avait été converti par l’imam
de la mosquée de la Pointe des Somonos. Jusqu’alors, ces gens-là ne fai-
saient pas de prosélytisme parmi les Bambaras. »(T1 p. 47)
« Quelle force avait jeté cet adolescent sur le chemin de l’islam ? Où avait-
il trouvé le courage de se détourner de pratiques honorées par sa famille
et son peuple ? »
« Tiékoro fixait Koumaré. Peu à peu sa frayeur s’apaisait. Au lieu d’une
forme redoutable, il n’avait plus sous les yeux qu’un homme d’âge mûr,
presqu’un vieillard, la barbe raide et hirsute, portant autour de son corps
des têtes d’oiseaux, des cornes de biche enveloppées de drap rouge, des
queues de vaches et une peau de bouc grisâtre, véritable épouvantail.
Avec une paisible hauteur, il salua : - As salam aleykum… »(T1 p. 49)
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« Il était trop croyant pour accepter l’idée d’une vengeance des ancêtres
irrités par sa conversion. Pourtant cette crainte était là, tapie dans son
esprit. L’aurait-il pu qu’il aurait consulté un féticheur capable d’entendre
et d’interpréter les volontés des invisibles. »(T1 p. 114)
Son point de vue sur la guerre sainte dont il devine que les visées ne sont pas
nécessairement pures est critique.
« Cette idée d’un jihad n’était pas pour déplaire entièrement à Tiékoro.
Pourtant, il se demandait si ces desseins religieux avoués n’en cachaient
pas d’autres plus méprisables : appétit de pouvoir temporel, soif de ri-
chesses matérielles, rivalités de toute sorte. »(T1 p. 119)
« Pour la premiere fois, Tiékoro eut l’impression d’avoir trahi les siens. Ne
s’était-il pas épris d’une religion au nom de laquelle on les traquait et on
les massacrait ? »(T1 p. 159)
« Se convertir ! Renier les dieux de ses pères et à travers eux toute la civi-
lisation, toute la culture qu’ils avaient élaborée, cela paraissait à Malobali
un crime qui ne pouvait mériter de pardon. »(p. 226)
Le conflit de conscience atteint son paroxysme chez Tiéfolo qui perçoit son
frère Tiékoro comme un ennemi de la culture bambara à abattre.
« Il lui semblait qu’il ne tenait pas seulement entre ses mains le sort du
clan, mais l’avenir de Ségou dont la survie dépendait de sa réponse. Tié-
koro disparu, l’islam n’aurait plus de propagateur ni dans la concession ni
même dans le royaume. Le respect dû à la foi des ancêtres serait restau-
ré. »(p. 341)
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« En réalité, il était tombé en transe. Laissant là son corps d’homme, son
esprit voyageait dans la région d’en bas. Ce voyage dura sept jours et sept
nuits. En temps des humains, le voyage de Koumaré ne dura que trois
jours et trois nuits. »(T1 p. 47)
« Koumaré surtout était attentif, car il devait suivre l’âme de Dousika dans
son voyage jusqu’à la demeure des ancêtres… afin que lui soit interdite la
réincarnation dans le corps d’un enfant mâle. »(T1 p. 143)
Les esprits parlent entre eux, et le personnage les entend comme s’il s’agissait
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de vivants :
« La rue s’enfonçait dans l’obscurité et l’on entendait le murmure des es-
prits s’interrogeant : - Où va-t-elle à pareille heure avec son enfant ?
- Est-ce qu’elle n’est pas la fille de Diosséni-Kan-
dian ?
Depuis longtemps, on n’avait pas appelé Nadié ainsi. »(p. 173)
Les esprits sont traités à égalité avec les êtres vivants et tangibles :
La place de choix donnée aux esprits ou au commerce des humains avec eux,
constitue une preuve supplémentaire de l’importance qui leur est accordée.
Le chapitre 8 de la deuxième partie du tome 2, commence par trois pages en-
tières de conversation de Koumaré avec les esprits des ancêtres(pp. 177-
179), et finit par deux pages et demie où l’esprit d’Olubunmi est traité comme
un personnage pensant à part entière(pp. 183-185).
La fiction part à la rencontre de la pensée animiste, et celle-ci est donnée
à voir comme une évidence. Ce traitement de l’intérieur semble être un par-
ti-pris de l’auteure, qui ne se place pas à l’extérieur de cette culture, mais qui a
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conquis le regard intérieur, sans jugement, de celui qui habite les êtres et les
choses au-delà des siècles. Son écriture est perméable aux croyances, ce qui
est une manière de marquer son camp.
D’autres sujets, tels que la polygamie, les sacrifices humains, le partage
des femmes d’un défunt entre ses frères, jusqu’aux viols, semblent traités de
manière sciemment dénuée de jugements préconçus. Priorité est donnée à
l’appréhension interne de la réalité, donnant peu de prise au regard analytique,
extérieur. Le lecteur entre ainsi de plain pied dans un univers autre, dans son
foisonnement, avec un regard non pas voyeur ou moralisateur, mais un regard
qui tente de saisir sans embellir, de rendre ce qui fut avec une main qui ne
tremble pas.
Dans le roman Ségou, Maryse Condé semble avoir voulu saisir l’Histoire
du continent africain au travers d’une région particulière, en captant l’essence
des éléments qui ont altéré sa trajectoire. Il s’agit bien d’un récit d’aventure
épique, peuplé de personnages soumis à des retournements romanesques,
mais l’Histoire y est intimement mêlée pour redonner à entendre les grandes
interrogations sur le destin de l’Afrique.
~ Fin ~
Notes
1)Ségou : les murailles de terre(1983)et Ségou : la terre en miettes(1984)
Éditions Robert Laffont, Paris
2)Heremakhonon(1976)10/18, Paris et Une saison à Rihata(1981)Laffont, Pa-
ris
3)Autobiographical thightropes Hewitt, Leah D. University of Nebraska Press :
Lincoln & London, 1990
4)Interview accordée au Nouvel Observateur : http://bibliobs.nouvelobs.com/ro-
mans/20170609.OBS0492/maryse-conde-l-ecrivain-qui-ne-peut-plus-ecrire.html
5)Le fabuleux et triste destin dʼIvan et Ivana éd. JC Lattès, 2017
6)Esclavage et abolitionisme : Mémoires et systèmes de représentation M-C.
Rochmann, éd. Karthala, 2000
7)Base de données « île en île » : http://ile-en-ile.org/conde/
8)Afrique, un continent difficile, cit.,(p. 23)M. Condé « Notre Librairie » No 74,
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1984
9)Voyage dans lʼintérieur de lʼAfrique, réalisé sous la direction et le patro-
nage de lʼAfrican Association au cours des années 1795, 1796 et 1797 par
Mungo Park, chirurgien
10)intervention de Maryse Condé dans l’émission Apostrophe du 8 juin 1984 sur
France2
11)griot : membre de la caste des poètes musiciens, dépositaires de la tradition orale
(Petit Robert)
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