Le Saxophone Et L'orchestre Symphonique Tema 1 PDF
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Né vers le milieu du XIXe siècle, le saxophone connaît un parcours assez chaotique le menant des
musiques militaires aux orchestres symphoniques. Tour à tour salué, décrié, interdit, toléré, il aura
néanmoins une place toute particulière au sein des différentes formations orchestrales.
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Décret ministériel du 31 juillet 1845.
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seulement. Entre-temps, quelques directeurs de l’établissement (dont Ambroise Thomas) tenteront
en vain de la faire renaître, faute de financements.
Sax souhaite créer « un instrument qui par le caractère de sa voix pût se rapprocher des
instruments à cordes, mais qui possédât plus de force et d’intensité que ces derniers2 ». Il veut
également établir une connexion entre les pupitres de bois et de cuivres qui, en ce temps-là, sont trop
distincts du point de vue du timbre. Au XIXe siècle, d’autres facteurs partagent ses préoccupations.
De fait, les améliorations mécaniques et les nouveaux instruments de cette période résultent de la
recherche d’un timbre homogène dans les différents registres, ce qui apporte une meilleure stabilité
dans le jeu.
Excepté les musiques régimentaires, Le Dernier Roi de Juda, oratorio de Jean-Georges Kastner
composé en 1845, est la première œuvre attestée dont l’orchestre comporte un saxophone. Mais les
compositeurs du XIXe siècle utilisent l’instrument surtout au théâtre, notamment à l’opéra. Outre ses
activités de facteur, professeur ou encore éditeur, Sax est nommé directeur de la fanfare de l’Opéra
de Paris, formation composée essentiellement de cuivres et destinée aux musiques de scène. Voilà qui
expliquerait l’ascension rapide du saxophone vers l’orchestre de la prestigieuse institution, puisqu’on
l’entend dès 1852 dans Le Juif errant de Halévy. À la fois employé dans l’accompagnement pour
renforcer l’harmonie et comme soliste, le timbre de l’instrument vise de surcroît à évoquer l’Orient.
Car l’orientalisme est présent dans tous les arts : en peinture chez Ingres (La grande Odalisque, 1814 ;
Le Bain turc, 1862) ou Delacroix (La Mort de Sardanapale, 1827 ; La Chasse aux lions, 1854) ; en
littérature chez Hugo (Les Orientales, 1829) ou Flaubert (Salammbô, 1857). Ce courant marque aussi la
musique, comme en témoignent les titres des partitions : L’Africaine de Meyerbeer (1865) et, chez
Massenet, Le Roi de Lahore (1877) et Hérodiade (1881). On confie au saxophone de grands solos dans
les airs ou les intermèdes instrumentaux. Citons le Prélude et l’Intermezzo de l’acte III dans la
musique de scène de Bizet pour L’Arlésienne (1872) – plus tard intégrés aux suites symphoniques –,
ou le contre-chant si expressif dans l’air de Charlotte « Va ! Laisse couler mes larmes », à l’acte III du
Werther de Massenet (1886).
Au théâtre lyrique, le saxophone reste cependant un instrument ponctuel, même si un pupitre est
créé à l’Opéra de Paris. Quand l’instrumentiste fait défaut, il est alors joué par les clarinettistes ou
bassonistes de l’orchestre, parfois même remplacé par ces instruments. Plusieurs faits peuvent
expliquer cette situation : enseignement peu développé, nombre limité de musiciens compétents,
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préjugés des membres des autres pupitres et des chefs qui jugent le saxophone indigne de l’orchestre
symphonique.
L’élargissement du répertoire
Si le répertoire peine au départ à se développer, il s’étoffe à partir des années 1900 grâce aux
efforts de plusieurs interprètes. Elisa Hall (1853-1924), riche mécène américaine d’origine française,
commence l’étude du saxophone sur les conseils de son mari médecin, dans l’espoir de stimuler son
ouïe qu’elle risquait de perdre définitivement après avoir contracté la typhoïde. Afin de faire
découvrir la musique française et le nouvel instrument à la haute société de son pays d’adoption, elle
crée en 1899 le Boston Orchestral Club, formé de ses amis. De plus, grâce à sa fortune personnelle,
elle sollicite de grands compositeurs de son temps (d’Indy, Caplet, Schmitt, etc.). En 1901, elle
commande une œuvre à Claude Debussy, qui envisage divers intitulés (Rapsodie orientale, Fantaisie,
Rapsodie arabe), puis choisit de titrer simplement Rapsodie pour saxophone et orchestre. Mais le compositeur
se préoccupe davantage de Pelléas et Mélisande et de La Mer. Rappelé à l’ordre par la commanditaire à
plusieurs reprises, il en fait gêné par l’instrument : « Le saxophone est un animal à anche dont je
connais mal les habitudes. Aime-t-il la douceur romantique des clarinettes ou l’ironie un peu
grossière du sarrusophone (ou contrebasson) ? Enfin je l’ai fait murmurer des phrases mélancoliques,
sous des roulements de tambour militaire. Le saxophone, comme la Grande-duchesse, doit aimer les
militaires3. » Quelques semaines plus tôt, il avait écrit à André Messager : « Me voilà cherchant
désespérément les mélanges les plus inédits, les plus propres à faire ressortir cet instrument
aquatique4. » Il laisse l’œuvre inachevée, terminée par Roger-Ducasse. La Rapsodie pour saxophone est
créée le 14 mai 1919 (après sa mort), salle Gaveau, par le saxophoniste Yves Mayeur et l’Orchestre de
la Société des concerts du Conservatoire sous la direction d’André Caplet.
Le virtuose américain d’origine allemande Sigurd Rascher (1907-2001) aura lui aussi une très
grande influence sur le répertoire. Clarinettiste de formation, il se met au saxophone dans les années
1930 et devient l’un des plus grands musiciens de son temps, explorant de nouveaux modes de jeux
comme le suraigu ou le slap5. Professeur dans des établissements réputés comme la Juilliard School à
New-York, il est aussi dédicataire de plus de cent quarante œuvres dont le Concerto pour saxophone et
3 Lettre à Pierre Louÿs, probablement début août 1903, in Claude Debussy, Correspondance (1872-1918), édition
établie par François Lesure et Denis Herlin, annotée par François Lesure, Denis Herlin et Georges Liébert,
Gallimard, 2005, p. 758. Debussy fait allusion à un air célèbre de La Grande-Duchesse de Gérolstein de Jacques
Offenbach.
4 Lettre à André Messager, 8 juin 1903, ibidem, p. 742.
5 Le slap est une technique de jeu consistant à faire claquer l’anche sur le bec par un procédé de ventouse pour
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orchestre à cordes op. 109 bis d’Alexandre Glazounov, composé en 1934 et créé par Rascher le 25
novembre de la même année à Nyköping (Suède). L’année précédente, le compositeur russe avait
écrit son Quatuor pour saxophones op. 109 qui remporta un vif succès. Déjà habitué à l’« animal à
anche » (pour reprendre la formule de Debussy), il avoue toutefois dans une lettre du 10 décembre
1933 adressée à son élève et ami Maximilian Steinberg qu’il a « peine à croire que ce sont les mêmes
instruments qu’on entend dans le jazz ».
Fondateur de l’école française, Marcel Mule (1901-2001) est sans conteste la plus grande figure du
saxophone en France au XXᵉ siècle. Débutant le saxophone à l’âge de huit ans sur les conseils de son
père, il a pour professeur François Combelle, auquel il succèdera comme soliste de l’orchestre de la
Garde républicaine en 1923. Avec trois collègues, (Georges Chauvet, René Chaligné et Hippolyte
Poimbœuf), le « Patron » fonde un quatuor de saxophones dont la renommée franchira les frontières.
D’abord appelé Quatuor de saxophones de la Garde républicaine puis, après un remaniement de la
formation, Quatuor de saxophones de Paris, il prend enfin le nom de Quatuor Marcel Mule. À
l’origine, son répertoire était constitué de transcriptions de grands maîtres (Couperin, Rameau, etc.).
Les musiciens attirent bientôt l’attention de compositeurs tels qu’Alexandre Glazounov, Eugène
Bozza ou encore Jean Françaix. La notoriété de Marcel Mule est si importante qu’en 1942, à la
demande du directeur du Conservatoire de Paris Claude Delvincourt, il rouvre la classe de
saxophone. Il formera de nombreux solistes (parmi lesquels Daniel Deffayet, Jean-Marie Londeix) et,
par son style de jeu, fondera une tradition d’interprétation.
Né vers 1900 à la Nouvelle-Orléans, le jazz envahit les cabarets et autres lieux de divertissement
nocturne des capitales européennes après la Première Guerre mondiale. On perçoit son écho dans la
création « savante », grâce au saxophone notamment. En effet, plusieurs compositeurs insèrent une
section de saxophones dans leurs œuvres pour créer un esprit jazz. Darius Milhaud s’inspire
fortement de cette nouvelle musique populaire américaine qu’il découvre à Londres et Harlem. Dans
son ballet La Création du monde (1923), l’instrument de Sax affirme son statut de soliste dès la première
page. Lorsque George Gershwin compose Un Américain à Paris en souvenir de son séjour en France
au printemps 1928, il utilise un pupitre de trois saxophones (alto, ténor et baryton) associés aux
klaxons qu’il a achetés avenue de la Grande-Armée. Cette combinaison de sonorités américaines et
de couleurs françaises contribue au succès de l’œuvre lors de sa création, au Carnegie Hall de New-
York le 13 décembre 1928. Leonard Bernstein utilise une section de saxophones plus complète
encore (soprano, alto, ténor, baryton et basse) dans la comédie musicale West Side Story (1957),
version moderne de Roméo et Juliette.
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Quant à Ravel, il s’inscrit dans la tradition du siècle précédent, ce dont témoignent l’orchestration
des Tableaux d’une exposition de Moussorgski (1922) où le saxophone apporte une couleur exotique, et
Boléro (1928). Les compositeurs russes de cette époque s’intéressent également à l’instrument.
Songeons à Dimitri Chostakovitch dans ses Suites de jazz (1934 et 1938), Prokofiev dans sa suite
symphonique Le Lieutenant Kijé (1933-1934) d’après la musique destinée au film d’Alexandre
Feinzimmer, et son ballet Roméo et Juliette (1935). On remarque ainsi qu’à partir des années 1920, le
saxophone est généralement employé dans l’orchestre symphonique pour apporter une couleur jazz,
un ton populaire, tout en conservant des idiomes propres à la tradition européenne.
Depuis le berceau des musiques militaires, il s’est introduit dans l’orchestre symphonique par
étapes, se glissant d’abord à l’opéra, puis dans des œuvres non vocales. Soulignons toutefois que le
répertoire symphonique l’intègre de façon occasionnelle. L’instrument est associé tantôt à l’exotisme
d’œuvres lyriques, tantôt à la musique populaire et en particulier au jazz. Il s’agit presque toujours
d’un contexte scénique (opéra, ballet, comédie musicale, musique de scène ou de film). Sa
connotation populaire l’a-t-elle empêché de conquérir définitivement les phalanges symphoniques ?
Pourtant, certaines partitions tendent à en faire un instrument de l’orchestre à part entière, comme la
Passion selon Saint Luc de Krzysztof Penderecki (1966), où les pupitres de hautbois et clarinettes sont
remplacés par des saxophones.