Chronique Tenji Tokitsu
Chronique Tenji Tokitsu
Chronique Tenji Tokitsu
1- La période de formation.
Elle va du milieu de XVe jusqu'au milieu de XVI I e siècle. C'est un
moment crucial de la formation et de l'évolution de la voie du sabre. Par la
suite, les adeptes de sabre s'y référeront sans cesse. C'est à partir de
cette époque que la filiation des principales écoles de sabre traditionnel
peut être retracée avec certitude. Et, bien que la plupart d'entre elles se
plaisent à rappeler que leurs racines remontent à l'époque Kamakura, ou Portrait présumé de
encore plus loin, la plupart du temps les documents fiables ne vont pas Miyamoto Musashi
plus loin que le XVe siècle.
Du dernier tiers de XVe jusqu'à la fin de XVI e siècle, le J apon a vécu des guerres continuelles
entre les féodaux. C'est dans l'expérience des champs de bataille que les adeptes de cette époque ont
forgé les techniques et attitudes de base du sabre. Les techniques de sabre étaient alors relativement
simples mais puissantes. Elles étaient utilisées avec une recherche personnelle des techniques les plus
efficaces qui s'appuyait sur l'expérience des champs de bataille et des affrontements entre adeptes.
L'histoire de Miyamoto Musashi par laquelle nous allons commencer cette chronique en est un exemple.
2- La période « classique » .
Selon mon analyse, la période de fermentation de l'art de sabre s'étend de la deuxième moitié
de XVI e siècle jusqu'au début de XI Xe siècle. Cette période est pour nous la matrice du Budo et c'est là
que nous devons chercher des indications sur le niveau qu'il est possible d'atteindre.
Les Shoguns de la famille Tokugawa ont établi et stabilisé leur pouvoir sur l'ensemble du J apon
entre 1600 et 1640. I ls imposèrent un gouvernement fort et assurèrent une longue période de paix qui
se prolongea jusqu'au milieu du XI Xe siècle. Les samouraïs durent donc s'accoutumer progressivement à
leur situation de guerriers en temps de paix.
Au temps des guerres féodales, on pouvait résumer le but de sabre par la formule : « Combien
de têtes peut-on trancher ? ». Avec la paix, ce pragmatisme simple va se transformer en une recherche
de progression dans l'art de sabre. La voie de l'action leur étant fermée, les adeptes de sabre vont
intérioriser leur art avec la recherche de la voie, « do ». L'investissement dans cette recherche sera
d'autant plus profond que le « do » trouve une partie de son sens dans les rapports entre le seigneur et
ses vassaux. L'objectif est maintenant : « Comment peut-on avancer dans la voie de sabre sans tuer
réellement son adversaire ? ». L'art du sabre atteint son sommet vers la fin de cette période.
3- La floraison de l'art du sabre.
J e considère que la troisième période de
l'histoire de l'art du sabre va du premier tiers de
XI Xe jusqu'à la fin de XI Xe siècle. L'art du sabre
s'épanouit en mettant fin à la période féodale
japonaise, celle de sa domination, par la propre
force de sabre.
En effet, au cours de la seconde moitié du
XI Xe siècle, le J apon va connaître une période de
troubles consécutifs à la menace d'invasion que
font peser les puissances occidentales. C'est le
moment où les J aponais commencent à prendre
conscience de la force des Occidentaux et à
chercher les moyens les plus efficaces de s'y
opposer. L'attitude et la conscience de la société
globale se reflètent dans la manière de pratiquer le
sabre. I l va atteindre sa plénitude produisant des
étincelles d'acier entre les deux forces des
samouraïs, dont l'une défend le Shogunat, l'autre
cherche à évincer ce système. Le règne des
Shogun a pris fin en 1867 et le nouveau régime,
dans sa volonté d'instaurer une puissance militaire
et industrielle moderne, a aboli les privilèges des
samouraïs. Mais, malgré les difficultés, une partie
des samouraïs qui ont survécu aux durs
affrontements de la période de transition ont
continué la tradition et la pratique du sabre. I ls ont
d'abord dû s'habituer à l'interdiction du port de
sabre et affronter la tendance alors dominante à la
dépréciation de la culture traditionnelle qui
supportait leur identité. Le sabre des samouraïs disparaît à la fin de XI Xe siècle avec la mort de ceux qui
avaient vécu les derniers combats de sabre.
En 1945, les destructions étaient très importantes au J apon et dans l'ébranlement de la défaite,
c'est toute la société japonaise qui se trouvait remise en cause. Après la guerre, le J apon a été occupé, la
pression des « alliés » était très forte et tous les arts martiaux traditionnels ont été interdits. Les adeptes
de karaté ont été les premiers à obtenir l'autorisation de pratiquer leur discipline car ils l'ont alors
présentée comme une forme de boxe, ce qui permettait de l'assimiler à un sport : la boxe anglaise. I l
n'en allait pas de même pour le kendo, même pratiqué avec des sabres en bambou, il évoquait
l'étrangeté barbare du J apon de la guerre. Lorsque le kendo a pu reprendre officiellement, c'est dans une
société qui avait changé, et l'esprit de sa pratique a été modifié par l'intégration de l'idée moderne de
sport de combat.
Miyamoto Musashi.
J e vais commencer l'étude de l'art des principaux maîtres de sabre en présentant Miyamoto
Musashi car il est sans doute, parmi les grands adeptes de sabre, celui dont le nom est le plus familier
aux Européens, grâce aux traductions de son traité de sabre « Gorin no sho » (Ecrits sur les cinq roues)
et des romans de Eiji Yoshikawa : « La pierre et le sabre » et « La parfaite lumière ».
Miyamoto Musashi était depuis longtemps renommé au J apon mais le roman dans lequel E.
Yoshikawa raconte sa vie l'a rendu encore plus célèbre dans le grand public. L'auteur a accentué le
versant introspectif du personnage, c'est pourquoi on dit parfois « Yoshikawa Musashi » pour qualifier
l'image que le public japonais se fait aujourd'hui de Miyamoto Musashi. Le roman a été publié en
feuilletons de 1935 à 1939. I l est, d'une certaine façon, la prise de position de Yoshikawa dans le débat
sur les qualités réelles de Miyamoto Musashi qui se développa entre les écrivains japonais au début des
années trente.
C'est Naoki, célèbre auteur de romans sur les samouraïs, qui déclencha la polémique en écrivant
que Musashi n'atteignit à l'excellence en sabre que quelques années avant sa mort. I l pense que Musashi
dans sa jeunesse était seulement expert en auto publicité, et que sa force en sabre n'était pas
extraordinaire. I l en prend comme preuve le combat contre Sasaki Kojiro où Musashi a utilisé un sabre
de bois afin d'avoir un sabre plus long que celui de Kojiro et a, de plus, retardé volontairement le
moment de combat pour énerver son adversaire. I l ajoute que Musashi écrit qu'il a combattu plus de 60
fois dans sa vie mais que la plupart de ses adversaires n'étaient que des samouraïs peu connus. Ce point
de vue n'est pas dénué de véracité.
Un autre écrivain a contre attaqué en
défendant les qualités de Musashi. Le débat s'est
élargi, entraînant Eiji Yoshikawa dans la
controverse. Ce débat a eu un retentissement
important dans la société japonaise car celle-ci se
préparait alors pour la Deuxième guerre mondiale
et affirmait avec force son identité culturelle
japonaise.
I l est toujours possible de développer la
controverse à propos du sabre de Miyamoto
Musashi puisque celui-ci appartient au passé. Par
contre, ses calligraphies, ses peintures à l'encre
de Chine et ses sculptures sont parvenues jusqu'à
nous ; leur qualité artistique est indéniable et
elles sont connues dans l'histoire de l'art japonais.
Du point de vue littéraire, le style de son fameux
« Gorin no sho » est remarquablement clair et
simple en regard de celui des écrits des
contemporains et, en ce qui concerne le contenu,
seul un grand adepte de sabre a pu l'écrire.
Comme l'a écrit Musashi : « En appliquant le
principe du sabre aux autres arts, je n'ai plus Hyoho Niten I chi Ryu une partie du style fameux de
besoin de maître dans les autres domaines. ». J e Miyamoto Musashi :
pense donc que d'après la qualité de l'ensemble J uji Uke, blocage en croix du sabre adverse.
de son oeuvre, il ne pouvait qu'exceller dans l'art
du sabre.
Depuis la parution du livre de E. Yoshikawa, plus d'une vingtaine d'ouvrages sur Musashi ont été
publiés au J apon. Ma façon de présenter les maîtres de sabre part d'une recherche historique mais diffère
du travail des historiens parce que j'interprète les documents à partir de mon expérience de l'art martial
pour redonner vie aux grandes figures de l'histoire de mon art et essayer d'en retirer des enseignements
pour notre pratique.
La première difficulté que rencontre l'historien en cherchant à identifier le véritable Miyamoto
Musashi est que celui-ci a utilisé plusieurs noms au cours des différentes périodes de sa vie, ce qui était
habituel dans le milieu des samouraïs de son époque. Comme nom de famille, il emploie selon des
périodes et la situation : Hirata, Takemura, Shinmen, Hirao et Miyamoto. A son prénom Musashi, qui
était alors un prénom usuel, il attache un suffixe guerrier : tantôt Masana, tantôt Masanobu.
Pour apprécier justement son art de sabre, il faut bien comprendre qu'à cette époque les
rencontres au sabre entre différentes écoles signifiaient, dans la plupart des cas, la mort. La décision de
lancer ou d'accepter un défi demandait une extrême prudence. La simple bravoure ne suffisait pas pour
survivre à un duel à mort, il fallait le niveau. I l est indéniable que Musashi ne s'est jamais trompé dans
l'estimation juste de la force de son adversaire, ce qui lui a permis d'éviter de combattre contre un
adversaire capable de le vaincre. Musashi appelle cette perception « mikiri », terme qui lui est particulier.
La traduction littérale est « mi » : regarder ou voir, et « kiri » : coupe. Cela veut dire « voir avec une
minutie tranchante » ou « aller jusqu'au bout d'un regard » et signifie « discerner l'état des situations ou
des choses avec une rigueur tranchante ». J e pense que ce discernement rigoureux caractérise le sabre
de Musashi aussi bien que son expression esthétique. S'il juge son adversaire susceptible de lui être
supérieur, il évite de combattre. Un discernement d'une rigueur tranchante doit être pour Musashi à la
base de la stratégie, individuelle ou collective. En situation de combat à deux, c'est le « mikiri » de trois
centimètres qui détermine une prise de « ma », et décide de l'issue du combat. C'est de la justesse du «
mikiri » que dépend pour un général le choix judicieux des personnels selon la situation, en temps de
guerre ou paix. Le « mikiri » condense en un mot un des enseignements de Sun-Tseu : « Si tu te connais
toi-même, et connais ton adversaire, le combat est sûr. »
Miyamoto Musashi avait en effet une conception large de l'art du sabre qui, pour lui, participait
de la stratégie des arts martiaux, discipline qu'il nommait « hyôhô ». Pour Musashi être simplement fort
individuellement n'avait pas tellement de valeur car il savait bien que la force d'une seule personne est
limitée et est même sans importance au cours d'une grande bataille comme celles auxquelles il a
participé à plusieurs reprises au cours de sa vie. I l aurait voulu déployer pleinement son talent à une plus
grande échelle car il croyait avoir trouvé un principe applicable à tous les phénomènes de la vie humaine.
C'est ainsi qu'après l'âge de 30 ans il continua de passer la plus grande partie de sa vie en voyages afin
d'approfondir son art. En même temps, il cherchait un seigneur qui puisse le charger d'élaborer des
stratégies à une grande échelle. Toutefois la rigueur de Musashi donne parfois une impression
inquiétante comme le tranchant de son sabre, cela est encore perceptible dans ses oeuvres d'art. C'est
sans doute une des raisons pour lesquelles il n'a jamais pu obtenir auprès d'un des grands seigneurs
féodaux la situation qu'il aurait souhaitée. Personnellement, je suis certain que Musashi était un très
grand adepte de sabre. Mais je pense que dans l'histoire de sabre japonais bien d'autres adeptes ont
atteint des sommets encore plus hauts.
Le
Niveau et la profondeur.
Réfléchir à cette question est nécessaire pour un adepte du Budo contemporain car il doit
concevoir clairement la grandeur et la hauteur de la montagne qui lui fait face s'il veut véritablement
l'escalader. La conscience de la hauteur et de la grandeur de l'objectif est le point de départ obligé de
quiconque songe à élaborer une méthode. Comme pour la réflexion linguistique, il est indispensable
d'avoir des doubles critères, diachroniques et synchroniques, pour aborder le phénomène du niveau dans
les arts martiaux. Ainsi le niveau de Musashi doit être conçu d'abord par rapport à la situation
particulière de l'époque où il a vécu. Ses qualités s'affirment en regard de celles de ses contemporains. I l
est ensuite nécessaire de situer le niveau atteint par Musashi par rapport aux adeptes qui ont vécu avant
et après lui. Pour prendre un exemple, l'art de sabre était bien plus raffiné à la fin de l'époque Edo et
certains adeptes voyaient alors l'art de sabre à partir d'un sommet que Musashi ne pouvait pas concevoir.
Cela n'a donc pas de sens de se demander : « Qui était le plus fort ? Musashi ou un tel d'une autre
époque ? » Car l'art de sabre est comme tout autre art, il est susceptible de progresser, d'évoluer et
donc aussi de se dégrader selon l'époque et la situation.
Ce qui importe pour nous est, d'une part
d'essayer de concevoir la qualité et le niveau d'un
adepte dans sa situation historique et, d'autre part
de situer ses qualités par rapport à celles qui
dominent à d'autres moments historiques, en
particulier de les confronter à notre propre
situation et à notre pratique. S'il n'y a pas ce
double travail, je pense que nous ne pouvons pas
réellement tirer bénéfice des éléments historiques
pour l'élaboration d'une méthode.
Les critères d'appréciation du niveau en
sabre.
La notion de niveau n'est pas simple et les
mêmes critères ne peuvent pas être appliqués
uniformément à toute l'histoire de sabre. I l me
parait indispensable de tracer quelques lignes de
démarcation dans cette histoire, afin de tenir
compte des particularités du temps dans lequel a
vécu chacun des adeptes. Même si la forme est
semblable, le contenu du combat n'est pas toujours le même. J e pense que les critères applicables au
niveau varient selon que l'on se situe au moment où la formalisation du sabre émergeait des champs de
bataille (Musashi a vécu à la fin de cette période), au moment où l'art du sabre a atteint son point de
perfection deux siècles et demi plus tard ou aujourd'hui.
Rappelons le combat contre Sasaki Kojiro : Si nous reprenons le roman de E. Yoshikawa,
Musashi arrive sur le lieu de combat avec plusieurs heures de retard, ce qui énerve considérablement son
adversaire. Dans le contexte du combat de compétition, Musashi aurait été disqualifié et Kojiro vainqueur.
Mais Kojiro, qui n'est pas moins fort que Musashi, s'irrite et se voit infliger une défaite. Dans ce roman et
dans les autres documents, il est perceptible que Kojiro aurait pu être supérieur quant aux techniques de
combat, c'est une des raisons majeures de la ruse de Musashi. En tout cas, Kojiro a perdu une fois, une
seule fois. Par une seule défaite, il est envoyé dans le silence éternel ; le talent de Kojiro ne revient plus.
Si cela avait été un combat sportif, il aurait pu être vainqueur lors des prochains combats. Et en tirant
une bonne leçon de cette expérience, il aurait pu devenir plus vigilant et devenir un adepte sans faille. I l
en aurait été de même si Musashi et Kojiro s'étaient battus au shinaï et en armure de protection, ce qui
est devenu d'usage un siècle plus tard. A partir du deuxième affrontement, Kojiro aurait pu avoir une
chance de gagner et il aurait pu perfectionner son art et laisser une trace importante dans l'histoire. Or,
par une seule faute d'un instant, toutes ces suppositions deviennent vaines. Tel était le contexte du
combat au temps de Musashi.
Pour comprendre les ouvrages de Musashi, il faut d'abord comprendre que Musashi a créé et
forgé son art dans cette situation. I l a écrit plusieurs ouvrages au cours de sa vie. Très jeune, à l'âge de
22 ans, il écrit « Hyo do kyo » (le miroir de la voie martiale), il y note 28 savoirs essentiels pour l'art de
sabre. Plus tard, il écrit « Hyoho sanju-go ka jo » (35 articles sur l'art de sabre), c'est un ouvrage qui
prépare le « Gorin no sho » et présente une grande similitude avec celui-ci. Musashi a mis vingt mois à
écrire le « Gorin no sho » et il est mort une semaine après l'avoir terminé en 1645. I l avait alors 62 ans.
Les textes de Musashi sont beaucoup plus clairs que ceux de ses contemporains mais la
signification de chaque mot à une épaisseur telle que le sens est déformé si nous cherchons à établir une
correspondance mot à mot avec une langue autre que le japonais. C'est pourquoi je vais tenter de
présenter le « Gorin no sho » en apportant quelques commentaires nécessaires à sa compréhension, cela
à partir d'autres documents et de ma réflexion et de ma pratique de Budo.
Nous allons examiner à partir du prochain numéro l'art de Musashi qu'il désigne du terme « Hyôhô »
(méthode de stratégie).
LA CHRONI QUE DE KENJ I TOKI TSU
MI YAMOTO MUSASHI Le sabre et l'art de vivre à l'époque de la formation de l'art du sabre japonais.
J e présenterai aujourd'hui à travers l'ouvrage majeur de Miyamoto Musashi : le « Gorin no sho
» , écrit en 1645, ce qu'était un guerrier japonais à l'époque de la formation de l'art du sabre
et comment, pour lui, le sabre et la philosophie de la vie étaient une même réalité.
Le « Gorin no sho » est un des grands classiques du sabre japonais. Plusieurs traductions de
cet ouvrage ont déjà été publiées mais elles me paraissent insuffisantes J e donne ici des
extraits de ma propre traduction établie à partir de la version écrite en japonais ancien. J e
précise ce point car le japonais de l'époque de Musashi étant difficile à lire pour les
contemporains, il existe plusieurs retranscriptions de l'oeuvre en japonais moderne.
Le « Gorin no sho »
Le « Gorin no sho » est constitué de cinq rouleaux intitulés : de la terre, de l'eau, du feu, du vent et du
ciel (ou vide), ce sont les cinq éléments constituant l'univers selon la pensée bouddhiste. « Gorin » veut
dire les cinq roues désignant ainsi l'ensemble de ces cinq éléments.
Bushi et samouraï
Le hyôhô
1) La démarche de Musashi
Continuons la lecture d'extraits du premier rouleau :
J e me suis entraîné dans la voie du hyôhô depuis ma jeunesse et, à l'âge de 13 ans, j'ai affronté pour la
première fois un duel au sabre...
A l'âge de trente ans, j'ai réfléchi et je me suis aperçu que si j'avais vaincu, je l'avais fait sans être
parvenu à l'ultime étape du hyôhô, peut être parce que mes dispositions natives m'avaient empêché de
m'écarter des principes universels de la voie, peut-être parce que mes adversaires manquaient de
capacité en hyôhô. J e me suis entraîné et ai cherché du matin au soir à parvenir à une plus profonde
raison. Arrivé à cinquante ans, je me suis trouvé pleinement dans la voie du hyôho. Depuis ce jour je vis
sans avoir besoin de rechercher la voie. Car, lorsque j'avance dans la voie d'un art en suivant la raison
du hyôhô, je n'ai plus besoin de maître dans ce domaine. Ainsi, pour écrire ce livre, je n'emprunte pas
aux anciens écrits bouddhistes ou confucianistes, je n'utilise ni les chroniques militaires, ni les exemples
habituels de l'art de la stratégie.
Le terme « hyôhô » signifie méthode de stratégie, et c'est pour Musashi une voie (do ou michi)
qui inclut une conception du monde. Tout au long du « Gorin no sho », il va aller en précisant le sens de
ce terme, aussi je préfère conserver le terme hyôho en l'explicitant plutôt que de le traduire par une
périphrase.
Musashi écrit que c'est après trente ans qu'il comprit que les victoires obtenues jusqu'alors en
combat n'étaient pas dues à ce qu'il avait atteint l'ultime niveau de l'art, qu'elles n'étaient que des
victoires relatives où intervenaient des éléments accidentels : la chance, l'insuffisance de ses adversaires,
etc. Pendant vingt années encore, il rechercha l'état immuable de l'art et c'est seulement vers la
cinquantaine qu'il considéra être parvenu à un état satisfaisant. Ce poème de Musashi me semble
exprimer sous une forme condensée l'aboutissement de sa recherche :
« Pénétrant si profondément dans la forêt pour ma recherche,
Me voici sorti de cette forêt, si près des hommes »
Cependant, c'est dès sa jeunesse que Musashi avait commencé de chercher une synthèse de son
art, il avait écrit à l'âge de 22 ans « Hyodo kyo » (Miroir de la voie des Arts Martiaux) qui est composé de
28 articles sur la stratégie. Plus tard, il écrivit le « Hyôhô sanju-go ka jo » (35 articles sur hyôhô) dont le
contenu se rapproche de celui du « Gorin no sho ».