Chronique Tenji Tokitsu

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La chronique de Kenji Tokitsu

Etude sur les maîtres du sabre japonais - 1


A partir de ce numéro, Me Kenji Tokitsu écrira chaque mois un article sur les maîtres
de sabre japonais car, pour lui, c'est autour de l'art du sabre que s'est constituée la
conception classique des arts martiaux japonais. Dans cette série d'articles, il exposera une
analyse et une interprétation des ouvrages des maîtres de sabres qui ont marqué l'histoire du
sabre japonais.
Les arts martiaux japonais tels que nous les connaissons
aujourd'hui se rattachent à une conception globale qui s'est formée
principalement autour de la pratique du sabre. La réflexion sur l'art du
sabre que j'entreprends ici n'est donc pas circonscrite à cet art, son propos
est le Budo, c'est à dire l'ensemble des arts martiaux japonais.
Précisons tout d'abord que par « sabre japonais », il ne faut pas
entendre seulement le kendo. Certes, le kendo moderne ne pourrait pas
exister sans la pratique de l'art de sabre des samouraïs. Mais, si vous êtes
rigoureux dans le choix des mots, vous ne pouvez pas parler du « kendo »
de l'époque des samouraïs car ceux-ci n'utilisaient pas le terme kendo et,
ce qui est bien plus important, leur pratique du sabre différait
sensiblement du kendo moderne. Au cours de cette série d'articles, je
pense pouvoir montrer les différences et les similitudes entre l'art du sabre
ancien et le kendo.
J e voudrais tout d'abord présenter un schéma simple de l'évolution
de l'art du sabre afin de bien situer, les uns par rapport aux autres, les
maîtres de sabre que nous allons étudier.
Les grandes périodes de l'histoire du sabre japonais.
J e distingue quatre grandes périodes dans l'histoire du sabre japonais.

1- La période de formation.
Elle va du milieu de XVe jusqu'au milieu de XVI I e siècle. C'est un
moment crucial de la formation et de l'évolution de la voie du sabre. Par la
suite, les adeptes de sabre s'y référeront sans cesse. C'est à partir de
cette époque que la filiation des principales écoles de sabre traditionnel
peut être retracée avec certitude. Et, bien que la plupart d'entre elles se
plaisent à rappeler que leurs racines remontent à l'époque Kamakura, ou Portrait présumé de
encore plus loin, la plupart du temps les documents fiables ne vont pas Miyamoto Musashi
plus loin que le XVe siècle.
Du dernier tiers de XVe jusqu'à la fin de XVI e siècle, le J apon a vécu des guerres continuelles
entre les féodaux. C'est dans l'expérience des champs de bataille que les adeptes de cette époque ont
forgé les techniques et attitudes de base du sabre. Les techniques de sabre étaient alors relativement
simples mais puissantes. Elles étaient utilisées avec une recherche personnelle des techniques les plus
efficaces qui s'appuyait sur l'expérience des champs de bataille et des affrontements entre adeptes.
L'histoire de Miyamoto Musashi par laquelle nous allons commencer cette chronique en est un exemple.

2- La période « classique » .
Selon mon analyse, la période de fermentation de l'art de sabre s'étend de la deuxième moitié
de XVI e siècle jusqu'au début de XI Xe siècle. Cette période est pour nous la matrice du Budo et c'est là
que nous devons chercher des indications sur le niveau qu'il est possible d'atteindre.
Les Shoguns de la famille Tokugawa ont établi et stabilisé leur pouvoir sur l'ensemble du J apon
entre 1600 et 1640. I ls imposèrent un gouvernement fort et assurèrent une longue période de paix qui
se prolongea jusqu'au milieu du XI Xe siècle. Les samouraïs durent donc s'accoutumer progressivement à
leur situation de guerriers en temps de paix.
Au temps des guerres féodales, on pouvait résumer le but de sabre par la formule : « Combien
de têtes peut-on trancher ? ». Avec la paix, ce pragmatisme simple va se transformer en une recherche
de progression dans l'art de sabre. La voie de l'action leur étant fermée, les adeptes de sabre vont
intérioriser leur art avec la recherche de la voie, « do ». L'investissement dans cette recherche sera
d'autant plus profond que le « do » trouve une partie de son sens dans les rapports entre le seigneur et
ses vassaux. L'objectif est maintenant : « Comment peut-on avancer dans la voie de sabre sans tuer
réellement son adversaire ? ». L'art du sabre atteint son sommet vers la fin de cette période.
3- La floraison de l'art du sabre.
J e considère que la troisième période de
l'histoire de l'art du sabre va du premier tiers de
XI Xe jusqu'à la fin de XI Xe siècle. L'art du sabre
s'épanouit en mettant fin à la période féodale
japonaise, celle de sa domination, par la propre
force de sabre.
En effet, au cours de la seconde moitié du
XI Xe siècle, le J apon va connaître une période de
troubles consécutifs à la menace d'invasion que
font peser les puissances occidentales. C'est le
moment où les J aponais commencent à prendre
conscience de la force des Occidentaux et à
chercher les moyens les plus efficaces de s'y
opposer. L'attitude et la conscience de la société
globale se reflètent dans la manière de pratiquer le
sabre. I l va atteindre sa plénitude produisant des
étincelles d'acier entre les deux forces des
samouraïs, dont l'une défend le Shogunat, l'autre
cherche à évincer ce système. Le règne des
Shogun a pris fin en 1867 et le nouveau régime,
dans sa volonté d'instaurer une puissance militaire
et industrielle moderne, a aboli les privilèges des
samouraïs. Mais, malgré les difficultés, une partie
des samouraïs qui ont survécu aux durs
affrontements de la période de transition ont
continué la tradition et la pratique du sabre. I ls ont
d'abord dû s'habituer à l'interdiction du port de
sabre et affronter la tendance alors dominante à la
dépréciation de la culture traditionnelle qui
supportait leur identité. Le sabre des samouraïs disparaît à la fin de XI Xe siècle avec la mort de ceux qui
avaient vécu les derniers combats de sabre.

4- Le kendo du début XXe siècle jusqu'à la fin de deuxième guerre mondiale.


La conception et la pratique du kendo moderne ont été élaborées et déterminées vers la fin de
l'ère Meiji (1868-1912). Ce que désigne le terme kendo aujourd'hui n'est donc pas exactement ce
qu'avaient pratiqué les adeptes de sabre plus anciens. Le terme kendo date de l'ère Meiji, auparavant,
divers termes avaient été utilisés pour désigner l'art de sabre, par exemple, Geki-ken, Ken-jutsu, Gei-
jutsu, To-jutsu, Ken-po, etc.
Bien que cette période soit courte, son importance est de servir d'intermédiaire entre le kendo
pratiqué dans la continuité de l'attitude des samouraïs et le kendo moderne.

5- De 1945 jusqu'à aujourd'hui.

En 1945, les destructions étaient très importantes au J apon et dans l'ébranlement de la défaite,
c'est toute la société japonaise qui se trouvait remise en cause. Après la guerre, le J apon a été occupé, la
pression des « alliés » était très forte et tous les arts martiaux traditionnels ont été interdits. Les adeptes
de karaté ont été les premiers à obtenir l'autorisation de pratiquer leur discipline car ils l'ont alors
présentée comme une forme de boxe, ce qui permettait de l'assimiler à un sport : la boxe anglaise. I l
n'en allait pas de même pour le kendo, même pratiqué avec des sabres en bambou, il évoquait
l'étrangeté barbare du J apon de la guerre. Lorsque le kendo a pu reprendre officiellement, c'est dans une
société qui avait changé, et l'esprit de sa pratique a été modifié par l'intégration de l'idée moderne de
sport de combat.
Miyamoto Musashi.
J e vais commencer l'étude de l'art des principaux maîtres de sabre en présentant Miyamoto
Musashi car il est sans doute, parmi les grands adeptes de sabre, celui dont le nom est le plus familier
aux Européens, grâce aux traductions de son traité de sabre « Gorin no sho » (Ecrits sur les cinq roues)
et des romans de Eiji Yoshikawa : « La pierre et le sabre » et « La parfaite lumière ».
Miyamoto Musashi était depuis longtemps renommé au J apon mais le roman dans lequel E.
Yoshikawa raconte sa vie l'a rendu encore plus célèbre dans le grand public. L'auteur a accentué le
versant introspectif du personnage, c'est pourquoi on dit parfois « Yoshikawa Musashi » pour qualifier
l'image que le public japonais se fait aujourd'hui de Miyamoto Musashi. Le roman a été publié en
feuilletons de 1935 à 1939. I l est, d'une certaine façon, la prise de position de Yoshikawa dans le débat
sur les qualités réelles de Miyamoto Musashi qui se développa entre les écrivains japonais au début des
années trente.

C'est Naoki, célèbre auteur de romans sur les samouraïs, qui déclencha la polémique en écrivant
que Musashi n'atteignit à l'excellence en sabre que quelques années avant sa mort. I l pense que Musashi
dans sa jeunesse était seulement expert en auto publicité, et que sa force en sabre n'était pas
extraordinaire. I l en prend comme preuve le combat contre Sasaki Kojiro où Musashi a utilisé un sabre
de bois afin d'avoir un sabre plus long que celui de Kojiro et a, de plus, retardé volontairement le
moment de combat pour énerver son adversaire. I l ajoute que Musashi écrit qu'il a combattu plus de 60
fois dans sa vie mais que la plupart de ses adversaires n'étaient que des samouraïs peu connus. Ce point
de vue n'est pas dénué de véracité.
Un autre écrivain a contre attaqué en
défendant les qualités de Musashi. Le débat s'est
élargi, entraînant Eiji Yoshikawa dans la
controverse. Ce débat a eu un retentissement
important dans la société japonaise car celle-ci se
préparait alors pour la Deuxième guerre mondiale
et affirmait avec force son identité culturelle
japonaise.
I l est toujours possible de développer la
controverse à propos du sabre de Miyamoto
Musashi puisque celui-ci appartient au passé. Par
contre, ses calligraphies, ses peintures à l'encre
de Chine et ses sculptures sont parvenues jusqu'à
nous ; leur qualité artistique est indéniable et
elles sont connues dans l'histoire de l'art japonais.
Du point de vue littéraire, le style de son fameux
« Gorin no sho » est remarquablement clair et
simple en regard de celui des écrits des
contemporains et, en ce qui concerne le contenu,
seul un grand adepte de sabre a pu l'écrire.
Comme l'a écrit Musashi : « En appliquant le
principe du sabre aux autres arts, je n'ai plus Hyoho Niten I chi Ryu une partie du style fameux de
besoin de maître dans les autres domaines. ». J e Miyamoto Musashi :
pense donc que d'après la qualité de l'ensemble J uji Uke, blocage en croix du sabre adverse.
de son oeuvre, il ne pouvait qu'exceller dans l'art
du sabre.

Le roman de E. Yoshikawa se termine par le combat de Musashi contre Kojiro à Ganryu-jima,


Musashi avait alors 29 ans. C'est le seul moment de la jeunesse de Musashi sur lequel nous possédions
des documents précis. Et la popularité, pendant plusieurs générations de l'image de Musashi crée par E.
Yoshikawa montre que le romancier a su condenser en lui une image idéale du samouraï à laquelle était
attachée la population japonaise.

Mais qui, en fait, était véritablement Miyamoto Musashi ?

Depuis la parution du livre de E. Yoshikawa, plus d'une vingtaine d'ouvrages sur Musashi ont été
publiés au J apon. Ma façon de présenter les maîtres de sabre part d'une recherche historique mais diffère
du travail des historiens parce que j'interprète les documents à partir de mon expérience de l'art martial
pour redonner vie aux grandes figures de l'histoire de mon art et essayer d'en retirer des enseignements
pour notre pratique.
La première difficulté que rencontre l'historien en cherchant à identifier le véritable Miyamoto
Musashi est que celui-ci a utilisé plusieurs noms au cours des différentes périodes de sa vie, ce qui était
habituel dans le milieu des samouraïs de son époque. Comme nom de famille, il emploie selon des
périodes et la situation : Hirata, Takemura, Shinmen, Hirao et Miyamoto. A son prénom Musashi, qui
était alors un prénom usuel, il attache un suffixe guerrier : tantôt Masana, tantôt Masanobu.

Comment apprécier le sabre de Musashi ?

Pour apprécier justement son art de sabre, il faut bien comprendre qu'à cette époque les
rencontres au sabre entre différentes écoles signifiaient, dans la plupart des cas, la mort. La décision de
lancer ou d'accepter un défi demandait une extrême prudence. La simple bravoure ne suffisait pas pour
survivre à un duel à mort, il fallait le niveau. I l est indéniable que Musashi ne s'est jamais trompé dans
l'estimation juste de la force de son adversaire, ce qui lui a permis d'éviter de combattre contre un
adversaire capable de le vaincre. Musashi appelle cette perception « mikiri », terme qui lui est particulier.
La traduction littérale est « mi » : regarder ou voir, et « kiri » : coupe. Cela veut dire « voir avec une
minutie tranchante » ou « aller jusqu'au bout d'un regard » et signifie « discerner l'état des situations ou
des choses avec une rigueur tranchante ». J e pense que ce discernement rigoureux caractérise le sabre
de Musashi aussi bien que son expression esthétique. S'il juge son adversaire susceptible de lui être
supérieur, il évite de combattre. Un discernement d'une rigueur tranchante doit être pour Musashi à la
base de la stratégie, individuelle ou collective. En situation de combat à deux, c'est le « mikiri » de trois
centimètres qui détermine une prise de « ma », et décide de l'issue du combat. C'est de la justesse du «
mikiri » que dépend pour un général le choix judicieux des personnels selon la situation, en temps de
guerre ou paix. Le « mikiri » condense en un mot un des enseignements de Sun-Tseu : « Si tu te connais
toi-même, et connais ton adversaire, le combat est sûr. »

Miyamoto Musashi avait en effet une conception large de l'art du sabre qui, pour lui, participait
de la stratégie des arts martiaux, discipline qu'il nommait « hyôhô ». Pour Musashi être simplement fort
individuellement n'avait pas tellement de valeur car il savait bien que la force d'une seule personne est
limitée et est même sans importance au cours d'une grande bataille comme celles auxquelles il a
participé à plusieurs reprises au cours de sa vie. I l aurait voulu déployer pleinement son talent à une plus
grande échelle car il croyait avoir trouvé un principe applicable à tous les phénomènes de la vie humaine.
C'est ainsi qu'après l'âge de 30 ans il continua de passer la plus grande partie de sa vie en voyages afin
d'approfondir son art. En même temps, il cherchait un seigneur qui puisse le charger d'élaborer des
stratégies à une grande échelle. Toutefois la rigueur de Musashi donne parfois une impression
inquiétante comme le tranchant de son sabre, cela est encore perceptible dans ses oeuvres d'art. C'est
sans doute une des raisons pour lesquelles il n'a jamais pu obtenir auprès d'un des grands seigneurs
féodaux la situation qu'il aurait souhaitée. Personnellement, je suis certain que Musashi était un très
grand adepte de sabre. Mais je pense que dans l'histoire de sabre japonais bien d'autres adeptes ont
atteint des sommets encore plus hauts.

Le
Niveau et la profondeur.
Réfléchir à cette question est nécessaire pour un adepte du Budo contemporain car il doit
concevoir clairement la grandeur et la hauteur de la montagne qui lui fait face s'il veut véritablement
l'escalader. La conscience de la hauteur et de la grandeur de l'objectif est le point de départ obligé de
quiconque songe à élaborer une méthode. Comme pour la réflexion linguistique, il est indispensable
d'avoir des doubles critères, diachroniques et synchroniques, pour aborder le phénomène du niveau dans
les arts martiaux. Ainsi le niveau de Musashi doit être conçu d'abord par rapport à la situation
particulière de l'époque où il a vécu. Ses qualités s'affirment en regard de celles de ses contemporains. I l
est ensuite nécessaire de situer le niveau atteint par Musashi par rapport aux adeptes qui ont vécu avant
et après lui. Pour prendre un exemple, l'art de sabre était bien plus raffiné à la fin de l'époque Edo et
certains adeptes voyaient alors l'art de sabre à partir d'un sommet que Musashi ne pouvait pas concevoir.
Cela n'a donc pas de sens de se demander : « Qui était le plus fort ? Musashi ou un tel d'une autre
époque ? » Car l'art de sabre est comme tout autre art, il est susceptible de progresser, d'évoluer et
donc aussi de se dégrader selon l'époque et la situation.
Ce qui importe pour nous est, d'une part
d'essayer de concevoir la qualité et le niveau d'un
adepte dans sa situation historique et, d'autre part
de situer ses qualités par rapport à celles qui
dominent à d'autres moments historiques, en
particulier de les confronter à notre propre
situation et à notre pratique. S'il n'y a pas ce
double travail, je pense que nous ne pouvons pas
réellement tirer bénéfice des éléments historiques
pour l'élaboration d'une méthode.
Les critères d'appréciation du niveau en
sabre.
La notion de niveau n'est pas simple et les
mêmes critères ne peuvent pas être appliqués
uniformément à toute l'histoire de sabre. I l me
parait indispensable de tracer quelques lignes de
démarcation dans cette histoire, afin de tenir
compte des particularités du temps dans lequel a
vécu chacun des adeptes. Même si la forme est
semblable, le contenu du combat n'est pas toujours le même. J e pense que les critères applicables au
niveau varient selon que l'on se situe au moment où la formalisation du sabre émergeait des champs de
bataille (Musashi a vécu à la fin de cette période), au moment où l'art du sabre a atteint son point de
perfection deux siècles et demi plus tard ou aujourd'hui.
Rappelons le combat contre Sasaki Kojiro : Si nous reprenons le roman de E. Yoshikawa,
Musashi arrive sur le lieu de combat avec plusieurs heures de retard, ce qui énerve considérablement son
adversaire. Dans le contexte du combat de compétition, Musashi aurait été disqualifié et Kojiro vainqueur.
Mais Kojiro, qui n'est pas moins fort que Musashi, s'irrite et se voit infliger une défaite. Dans ce roman et
dans les autres documents, il est perceptible que Kojiro aurait pu être supérieur quant aux techniques de
combat, c'est une des raisons majeures de la ruse de Musashi. En tout cas, Kojiro a perdu une fois, une
seule fois. Par une seule défaite, il est envoyé dans le silence éternel ; le talent de Kojiro ne revient plus.
Si cela avait été un combat sportif, il aurait pu être vainqueur lors des prochains combats. Et en tirant
une bonne leçon de cette expérience, il aurait pu devenir plus vigilant et devenir un adepte sans faille. I l
en aurait été de même si Musashi et Kojiro s'étaient battus au shinaï et en armure de protection, ce qui
est devenu d'usage un siècle plus tard. A partir du deuxième affrontement, Kojiro aurait pu avoir une
chance de gagner et il aurait pu perfectionner son art et laisser une trace importante dans l'histoire. Or,
par une seule faute d'un instant, toutes ces suppositions deviennent vaines. Tel était le contexte du
combat au temps de Musashi.
Pour comprendre les ouvrages de Musashi, il faut d'abord comprendre que Musashi a créé et
forgé son art dans cette situation. I l a écrit plusieurs ouvrages au cours de sa vie. Très jeune, à l'âge de
22 ans, il écrit « Hyo do kyo » (le miroir de la voie martiale), il y note 28 savoirs essentiels pour l'art de
sabre. Plus tard, il écrit « Hyoho sanju-go ka jo » (35 articles sur l'art de sabre), c'est un ouvrage qui
prépare le « Gorin no sho » et présente une grande similitude avec celui-ci. Musashi a mis vingt mois à
écrire le « Gorin no sho » et il est mort une semaine après l'avoir terminé en 1645. I l avait alors 62 ans.
Les textes de Musashi sont beaucoup plus clairs que ceux de ses contemporains mais la
signification de chaque mot à une épaisseur telle que le sens est déformé si nous cherchons à établir une
correspondance mot à mot avec une langue autre que le japonais. C'est pourquoi je vais tenter de
présenter le « Gorin no sho » en apportant quelques commentaires nécessaires à sa compréhension, cela
à partir d'autres documents et de ma réflexion et de ma pratique de Budo.
Nous allons examiner à partir du prochain numéro l'art de Musashi qu'il désigne du terme « Hyôhô »
(méthode de stratégie).
LA CHRONI QUE DE KENJ I TOKI TSU
MI YAMOTO MUSASHI Le sabre et l'art de vivre à l'époque de la formation de l'art du sabre japonais.
J e présenterai aujourd'hui à travers l'ouvrage majeur de Miyamoto Musashi : le « Gorin no sho
» , écrit en 1645, ce qu'était un guerrier japonais à l'époque de la formation de l'art du sabre
et comment, pour lui, le sabre et la philosophie de la vie étaient une même réalité.
Le « Gorin no sho » est un des grands classiques du sabre japonais. Plusieurs traductions de
cet ouvrage ont déjà été publiées mais elles me paraissent insuffisantes J e donne ici des
extraits de ma propre traduction établie à partir de la version écrite en japonais ancien. J e
précise ce point car le japonais de l'époque de Musashi étant difficile à lire pour les
contemporains, il existe plusieurs retranscriptions de l'oeuvre en japonais moderne.

Le « Gorin no sho »
Le « Gorin no sho » est constitué de cinq rouleaux intitulés : de la terre, de l'eau, du feu, du vent et du
ciel (ou vide), ce sont les cinq éléments constituant l'univers selon la pensée bouddhiste. « Gorin » veut
dire les cinq roues désignant ainsi l'ensemble de ces cinq éléments.

Voici les premières lignes du « Gorin no sho » :


Le rouleau de la terre
« Niten I chi Ryu » (ni: deux, ten: ciel, ichi: un,
ryu : école) est le nom que je donne à la voie du
hyôho qui est la mienne et je vais mettre par écrit
ici pour la première fois ce que j'approfondis
depuis de nombreuses années. Au début du mois
d'octobre de la vingtième année de l'ère Kaneï
(1643), je suis venu pour cela sur le mont I wato
de la province Higo (Kumamoto) du Kyushu.
(Avant de prendre le pinceau) je salue le ciel, je
me prosterne devant la déesse Kwanon et je me
tourne vers Bouddha.
J e m'appelle Shinmen Musashi-no-kami, Fujiwara-
no-Genshin et suis un bushi, né dans la province
de Harima (Hyogo-ken). Ma vie compte
maintenant soixante années.
C'est dans une grotte appelée « Reigando » (Rei : âme ou esprit ; gan : rocher ; do grotte) que
Musashi s'installe pour écrire ; il y passera les deux dernières années de sa vie. Cette grotte était un lieu
retiré dépendant du temple I wato-dera, situé dans la profondeur de la montagne, entouré de rochers aux
formes impressionnantes entre lesquels l'eau descend en cascades. Près de l'entrée de la grotte se
trouvent plusieurs statues de divinités. C'était un endroit peu fréquenté, réservé à la méditation. Musashi
indique qu'il a commencé à écrire le « Gorin no sho » en ce lieu, à quatre heures du matin, le 10 octobre
1643.
Cette manière d'écrire l'oeuvre de sa vie donne une intuition de ce qu'était le sabre de Musashi.
Commencer cet ouvrage, c'est terminer sa vie. Et, de fait, il mourra une semaine après l'avoir achevé. I l
a donc ressenti la nécessité de commencer en ce lieu empli de la puissance mystérieuse de la montagne,
avant le lever du jour. I l a dû se mettre à écrire dans un calme profond, à la lueur d'une bougie, dans la
fraîcheur des ténèbres. Cette situation était indispensable pour que l'acte d'écrire se confonde avec les
existences sacrées. En saluant le ciel et en s'inclinant devant Kwanon et Bouddha, son écriture se mêle à
eux. Elle devient alors sacrée. Mais, lorsqu'il s'incline devant ces puissances sacrées, ce n'est pas à la
manière d'un chrétien qui s'incline devant la statue de J ésus. Dans les croyances japonaises, le sacré est
multiforme et accessible aux humains ; en écrivant ainsi, Musashi entre lui-même dans le sacré. Cette
conception du sacré qui est restée un trait dominant de la religion au J apon provient des anciennes
croyances locales animistes et shamanistes. Lorsque la pensée chinoise est parvenue au J apon au VI e
siècle, la culture bouddhiste y était en rapport étroit avec la pensée taoïste. Pour éviter des ambiguïtés,
je précise que les cinq éléments du Gorin no sho sont ceux du Bouddhisme ; le Taoïsme distingue aussi
cinq éléments fondamentaux mais ceux-ci ne sont pas exactement les mêmes, ce sont le bois, le feu, la
terre, l'eau et le métal. Depuis que le Bouddhisme est parvenu d'I nde en Chine où le Taoïsme existait
déjà depuis longtemps, ces deux modes de pensées se sont influencés réciproquement, en particulier en
ce qui concerne le développement théorique des doctrines. Au J apon, le Bouddhisme s'est développé sur
la base des anciennes croyances locales qui se sont un peu plus tard, à partir du VI I I e siècle, fondues
dans le Shintoïsme. Le trait le plus important des religions japonaises est le syncrétisme qui s'est ainsi
créé et développé pour constituer une base culturelle large. Les apports successifs de la culture chinoise
ont été absorbés par cette pensée tolérante. C'est pourquoi la manière de comprendre et de pratiquer le
Bouddhisme - en particulier le Bouddhisme zen, le Confucianisme, le Taoïsme qui sont tous venus de
Chine - est sensiblement différente au J apon de ce qu'elle est dans ce pays. Ce syncrétisme est visible
dans l'ouvrage de Musashi dès le premier paragraphe.

Bushi et samouraï

Conformément aux usages du temps,


Musashi utilise pour se désigner lui-même le
terme « bushi » et non pas « samouraï ». Ce
terme fait référence à la division de la société
japonaise en quatre ordres sociaux hiérarchisés :
guerrier, paysan, artisan et commerçant, que le
gouvernement des Shoguns Tokugawa avait déjà
institutionnalisés de façon stable à l'époque de
Musashi. En utilisant le terme « bushi », les
guerriers sous-entendent leur place dans cette
hiérarchie.
C'est à partir du Xe siècle que, dans les
différentes provinces du J apon, les « bushi »
commencent à s'organiser en clans. Plusieurs
d'entre eux viennent dans la capitale pour assurer
la sécurité des nobles, et c'est eux que le terme «
samouraï » désignera tout d'abord. Samouraï
provient du verbe « sabouraü » qui signifie «
servir » ou « rester à côté de », lorsqu'il s'agit
d'une personne importante. Le substantif du verbe
« sabouraü » est « sabouraï » qui est devenu «
samouraï ». Peu à peu ce terme va être utilisé par les personnes des autres ordres pour désigner les
guerriers en général. Cependant qu'au sein de l'ordre des guerriers, il sert à désigner les bushi haut
placés dans la hiérarchie. Par exemple, les citadins pouvaient appeler samouraï tous ceux qui portaient
les deux sabres mais, entre « bushi », on n'appelait pas « samouraï » ceux qui occupaient le bas de la
hiérarchie.

Le hyôhô
1) La démarche de Musashi
Continuons la lecture d'extraits du premier rouleau :
J e me suis entraîné dans la voie du hyôhô depuis ma jeunesse et, à l'âge de 13 ans, j'ai affronté pour la
première fois un duel au sabre...
A l'âge de trente ans, j'ai réfléchi et je me suis aperçu que si j'avais vaincu, je l'avais fait sans être
parvenu à l'ultime étape du hyôhô, peut être parce que mes dispositions natives m'avaient empêché de
m'écarter des principes universels de la voie, peut-être parce que mes adversaires manquaient de
capacité en hyôhô. J e me suis entraîné et ai cherché du matin au soir à parvenir à une plus profonde
raison. Arrivé à cinquante ans, je me suis trouvé pleinement dans la voie du hyôho. Depuis ce jour je vis
sans avoir besoin de rechercher la voie. Car, lorsque j'avance dans la voie d'un art en suivant la raison
du hyôhô, je n'ai plus besoin de maître dans ce domaine. Ainsi, pour écrire ce livre, je n'emprunte pas
aux anciens écrits bouddhistes ou confucianistes, je n'utilise ni les chroniques militaires, ni les exemples
habituels de l'art de la stratégie.
Le terme « hyôhô » signifie méthode de stratégie, et c'est pour Musashi une voie (do ou michi)
qui inclut une conception du monde. Tout au long du « Gorin no sho », il va aller en précisant le sens de
ce terme, aussi je préfère conserver le terme hyôho en l'explicitant plutôt que de le traduire par une
périphrase.
Musashi écrit que c'est après trente ans qu'il comprit que les victoires obtenues jusqu'alors en
combat n'étaient pas dues à ce qu'il avait atteint l'ultime niveau de l'art, qu'elles n'étaient que des
victoires relatives où intervenaient des éléments accidentels : la chance, l'insuffisance de ses adversaires,
etc. Pendant vingt années encore, il rechercha l'état immuable de l'art et c'est seulement vers la
cinquantaine qu'il considéra être parvenu à un état satisfaisant. Ce poème de Musashi me semble
exprimer sous une forme condensée l'aboutissement de sa recherche :
« Pénétrant si profondément dans la forêt pour ma recherche,
Me voici sorti de cette forêt, si près des hommes »
Cependant, c'est dès sa jeunesse que Musashi avait commencé de chercher une synthèse de son
art, il avait écrit à l'âge de 22 ans « Hyodo kyo » (Miroir de la voie des Arts Martiaux) qui est composé de
28 articles sur la stratégie. Plus tard, il écrivit le « Hyôhô sanju-go ka jo » (35 articles sur hyôhô) dont le
contenu se rapproche de celui du « Gorin no sho ».

2) La voie des guerriers

Ce que j'appelle hyôhô est la pratique nécessaire


dans les familles de guerriers. Celui qui dirige la
guerre doit l'apprendre et les soldats devraient
aussi la connaître. Cependant rares sont les «
bushi » qui la connaissent bien...
En tout cas, la règle pour les bushi (guerriers) est
d'avancer en même temps dans la voie des Arts
Martiaux et dans celle de la littérature. Même si
vous êtes maladroit, vous devez vous entraîner au
hyôhô en raison de votre situation.
Ce qu'un bushi doit avoir toujours à l'esprit est la
voie de la mort (savoir mourir). Mais la voie de la
mort n'est pas réservée seulement aux bushi. Un
moine, une femme, un paysan, toute personne
peut mourir pour raison d'honneur privé ou social
en choisissant sa mort. Dans la voie de hyôhô,
pour les bushi, le principe doit être de vaincre
dans tous les domaines. I l doit méditer comment
gagner en combat contre un ou plusieurs,
comment illustrer son nom et celui de son
seigneur et accomplir son devoir. C'est cela nature
du hyôhô. I l y a sans doute des personnes qui
pensent que même si elles apprennent le hyôho,
celui-ci ne sera pas efficace dans la pratique réelle.
Mais, selon moi, suivre la véritable voie du hyôhô,
c'est s'entraîner pour que le hyôhô soit utile à tout
moment et en toutes choses, et l'enseigner ainsi... I l existe aujourd'hui des personnes qui se répandent
partout en se déclarant adeptes de hyôhô mais elles pratiquent seulement le kenjutsu (sabre). I l y a
quelque temps, les prêtres shintoïstes du temple de Kantori près de Kashima (1) dans la province de
Hitachi-no-kuni, ont fondé une école en disant que l'art leur avait été transmis par les dieux et l'ont
diffusé dans toutes les provinces...
A partir des seuls principes du kenjutsu, on ne pourra pas bien comprendre le kenjutsu lui-même et on
sera loin de concevoir ce qu'est le hyôhô.
L'attitude de Musashi apparaît clairement dans ce paragraphe. I l recherche, à travers ce qu'il
appelle hyôhô, un pragmatisme applicable d'une façon générale. Mais son pragmatisme n'est pas une
technique au sens occidental du terme. I l n'y a pas de dualité technique-esprit. Pour Musashi la
technique n'est pas distincte de l'esprit. L'esprit doit donc être recherché dans la technique et le principe
de l'efficacité est toujours inclus dans la logique même de la technique. I l considère son hyôho comme
un grand principe applicable à tous les phénomènes. I l est un avec ses techniques : la technique, c'est
l'homme. Chacun des arts peut devenir un mode de vie s'il est compris comme une voie (do ou michi).
Cette façon de penser va se renforcer et se raffiner durant la période Edo (1603-1867) où la
société globale japonaise se coupe presque complètement de l'étranger. Le J apon va se replier sur lui-
même et constituer une société où les modèles culturels s'unifient en allant vers le raffinement et la
formalisation. C'est seulement dans les sociétés de ce type qu'il est possible de concevoir un principe
valable pour tous les phénomènes, semblable à celui que recherchait Musashi. Pour Musashi, la voie du
hyôho va bien au-delà du maniement du sabre. I l y fait entrer ce qu'une autre démarche rechercherait
dans la religion. Une anecdote, peut-être un peu romancée, rapporte qu'en chemin vers un combat
contre des adversaires nombreux, où ses chances étaient très faibles, il passa devant un temple
shintoïste. Prenant conscience soudain qu'il commençait à prier en demandant la protection des dieux, il
se redressa et se ressaisit, s'accusant de manquer de confiance en son hyôho car c'est au hyôhô, et à lui
seulement, qu'il devait confier son destin. C'est le sens de sa phrase célèbre : « I l faut respecter les
dieux et le Bouddha mais ne pas dépendre d'eux ». I l exprime par là, sous une forme tranchée et
explicite, une tendance qui reste d'habitude sous-jacente à la philosophie du budo. En effet, les guerriers
pouvaient être adeptes de différentes religions mais celles-ci étaient plutôt une coloration de la voie des
bushi que l'inverse.
Etude sur les maîtres de sabre japonais - Article n° 3
Miyamoto Musashi (suite)
La pratique et l'enseignement de l'art martial

Continuons de suivre la démarche de


Musashi dans le « Gorin no sho » . Nous
avons vu dans le dernier numéro comment
celui-ci définit son art le Hyôho. Après avoir
défini son orientation, Musashi présente le
plan de l'ouvrage. J e vais traduire cette
présentation car elle reflète sa conception de
l'enseignement de l'art martial.
Pourquoi j'écris mon hyôho en cinq rouleaux.
« J 'écris mon ouvrage en cinq rouleaux : les
rouleaux de la terre, de l'eau, du feu, du vent et
du ciel, afin de bien indiquer ce qu'est le hyôho en
le divisant en cinq voies.
Dans le rouleau de la terre, je donnerai une vision
générale de la voie de hyôho et le point de vue de
mon école. I l est difficile de comprendre la
véritable voie du sabre en s'appuyant uniquement
sur l'art du sabre (kenjutsu). I l convient de
comprendre les détails à partir d'une vision large
et d'atteindre à la profondeur en partant de la
surface. I l faut d'abord tracer un chemin droit sur
le terrain. C'est pourquoi je commence par le
rouleau de la terre.
Le second est le rouleau de l'eau. I l faut
apprendre à partir de la nature d'eau et rendre
notre esprit comme l'eau. L'eau suivra la forme du
récipient carré ou rond. Elle peut être une goutte
et aussi un océan. La couleur du gouffre est vert pur et, en m'inspirant de cette pureté, je présente mon
école dans le rouleau de l'eau.
Si nous pouvons discerner clairement le principe général de l'art du sabre et gagner ainsi librement
contre une personne, nous pouvons vaincre n'importe quel adversaire. Le principe est le même qu'il
s'agisse de vaincre une personne, mille ou dix mille ennemis...
Le troisième rouleau, c'est le feu. Dans ce rouleau, j'écrirai sur le combat et sur la guerre car le feu est
flamboyant, qu'il soit petit ou grand. Dans la voie de la guerre un contre un et dix mille contre dix mille
sont similaires. I l faut bien examiner cela en modifiant l'esprit tantôt grand et tantôt petit.
I l est facile de percevoir ce qui est grand et difficile de percevoir ce qui est petit, le changement des
choses n'est pas immédiat quand on est nombreux, mais pour une seule personne le changement est
rapide et suit son état d'esprit. C'est pourquoi il est difficile de prévoir les détails. I l faut bien examiner
cela.
Ce que j'écris dans le rouleau du feu vaut pour les situations d'urgence. I l faut donc bien s'y habituer afin
que les techniques jaillissent spontanément sans que l'esprit rompe avec l'habitude. C'est un point
important du hyôho, c'est pourquoi j'écris sur le combat et la guerre dans le rouleau du feu.
Le quatrième est le rouleau du vent. Ce que j'écris sur le vent n'est pas le contenu de mon école. J 'écrirai
sur les autres hyôho, sur leurs différents styles. C'est cela le rouleau du vent.
Sans connaître des autres on ne peut pas se connaître vraiment soi-même. Même si on pratique
quotidiennement la voie en pensant être dans une bonne direction, il peut arriver que l'on dévie de la
véritable voie si l'état d'esprit n'est pas juste. Si on n'avance pas dans une véritable voie, une petite
déformation d'esprit peut causer une grande déformation dans la voie. I l faut bien y réfléchir.
I l n'est pas étonnant que l'on considère dans les autres écoles que seul l'art du sabre est le hyôho. Mais
ce que j'entends par hyôho est bien différent. J 'écris le rouleau du vent pour informer des qualités des
autres formes de hyôho qu'on pratique dans les différentes écoles.
Le cinquième est le rouleau du ciel. Pour ce que j'exprime dans le rouleau du ciel, il ne convient pas de
distinguer entre profondeur et surface puisqu'il s'agit du ciel (vide). Après avoir assimilé les raisons
profondes, il devient possible de s'en éloigner, et on arrivera naturellement à se libérer de la voie du
hyôho et à obtenir la subtilité. On trouvera naturellement le hyoshi (cadence) qui convient à la situation
et la frappe apparaîtra tout seule, alors elle touchera naturellement. Tout cela est dans la voie du vide
(ciel). Ce qu'on trouve spontanément en suivant la voie véritable, je l'écris dans le rouleau du ciel (vide).
».
Ce plan peut sembler déroutant pour la logique occidentale car il ne correspond pas à une analyse des
techniques. I l reflète, ce qui est beaucoup plus important pour Musashi, l'état d'esprit qui doit dominer
chacune des phases de la progression dans la voie. En effet, pour Musashi, ce n'est pas d'abord
technique mais, comme nous l'avons vu dans l'article précédent, c'est une démarche de vie. Cependant,
au cours de l'ouvrage, les techniques sont exposées avec la plus grande précision. Pour lui, l'homme et la
nature sont du même ordre, faisant partie de la même entité cosmique, c'est ce qu'exprime l'orientation
du rouleau de l'eau. L'interprétation du sens du rouleau du ciel peut prêter à confusion. Celui-ci
représente l'aboutissement de la démarche, c'est à dire le vide, qui, dans la pensée orientale, n'est pas le
néant mais l'origine de l'existence.
Une pratique de l'art martial

Nous allons maintenant aborder la pratique de


l'art martial telle que la propose Musashi.
L'école de Musashi et les armes du bushi.
Les deux sabres
Ce qui a fait la renommée de l'école de Musashi
est l'usage simultané des deux sabres :
J e donne à mon école le nom de « Ni to »
(les deux sabres).
« J e l'appelle les deux sabres puisque tous les
bushi, du général au soldat, portent aux hanches
deux sabres. Autrefois, on appelait ces deux
sabres « tachi » et « katana », on les nomme
aujourd'hui « katana » et « wakizashi ». Tous les
bushi portent ainsi deux sabres, cela va de soi.
Porter les sabres aux hanches est la voie de bushi,
dans notre pays on ne se demande même pas
pourquoi. J 'appelle l'école les deux sabres pour
que l'on y apprenne bien la raison d'être et
l'usage de ces deux sabres. La lance et le
naginata (arme à long manche avec une lame Ci-dessous: Miyamoto Musashi, le plus connu des
grande comme un sabre) sont considérés comme samouraïs de la période Tokugawa. C'était un superbe
des armes complémentaires à utiliser au-dehors. bretteur et un maître dans l'art de combattre avec un
Dans mon école, un débutant doit s'entraîner avec sabre dans chaque main, comme le montre la gravure
le grand sabre d'une main et le petit de l'autre, de Kuniyoshi
c'est cela le principal. Si l'on doit mourir au
combat, il est souhaitable d'utiliser toutes les armes qu'on porte. Mourir avec des armes laissées au
fourreau sans pouvoir les utiliser est déplorable.
Toutefois, il n'est pas facile de manier librement une arme de chaque main. Une des raisons pour
lesquelles il convient de se servir des deux sabres est de s'habituer à utiliser le grand sabre d'une seule
main. On manie à deux mains une grande arme comme la lance ou le naginata mais le grand et le petit
sabre sont tous deux des armes à tenir d'une seule main.»
Nous remarquons une certaine confusion des termes. Comme Musashi l'explique lui-même dans un
paragraphe précédent, les deux expressions « tachi et katana », et « katana et wakizashi » signifient « le
grand sabre et petit sabre » mais katana désigne le petit sabre dans la première et le grand dans la
deuxième. A l'époque de Musashi l'appelation des sabres n'était pas encore tout à fait stabilisée.
« Tenir un grand sabre à deux mains est surtout déconseillé quand on se bat à cheval, quand on se bat
en courant, quand on se bat en terrain marécageux, dans une rizière profonde, un champ caillouteux, un
chemin abrupt, ou quand on se trouve dans une foule. Puisqu'on prend le grand sabre d'une seule main,
on peut prendre de la main gauche un arc, une lance ou toute autre arme. Prendre un sabre à deux
mains n'est pas l'attitude de la voie. Si on n'arrive pas tuer son ennemi d'une seule main, il suffit
d'utiliser les deux mains. Ce n'est pas compliqué. C'est pour apprendre à manier librement le grand
sabre d'une seule main qu'on utilise les deux sabres. Tout le monde rencontre au début des difficultés à
manier le grand sabre d'une main à cause de son poids mais ces difficultés ne concernent pas seulement
le sabre.
Pour un débutant, il est dur de bander un arc ou de manier un naginata. Quelle que soit l'arme
l'important est de s'y habituer, c'est ainsi, par exemple, que l'on arrivera à bander un arc puissant. Pour
le sabre aussi, c'est en s'exerçant chaque jour à la frappe que l'on parviendra à le manier avec facilité en
obtenant la force de la voie.».
Malgré l'affirmation de Musashi, les récits de la période Edo montrent à quel point il est difficile de
manier avec aisance un sabre d'une seule main. Lorsque l'entraînement avec le shinaï et les armures de
protection est devenu d'usage courant dans la grande majorité des dojos, certains adeptes ont utilisé
deux shinaï. Mais, alors même qu'ils étaient capables de bien combattre au dojo, leur capacité fut
souvent mise en doute car on se demandait ce qu'il adviendrait « s'ils prenaient des véritables sabres
dans une situation réelle ». En effet, lors d'un combat de sabre, il ne suffit pas de manier celui-ci mais de
pourfendre l'adversaire en parant ses attaques lancées avec un sabre lourd tenu à deux mains. I l n'est
pas possible de mesurer cette difficulté en combattant avec un shinaï. On disait souvent alors : « I l est
impossible d'utiliser les deux sabres sans avoir la puissance innée de Niten-sama », c'est-à-dire de
« maître Miyamoto Musashi » (Niten est le nom de l'école de Musashi, « sama » est une expression de
respect).
L'école de Musashi et les armes du Bushi

A propos des armes, il est en général préférable


qu'elles soient de grande taille, il en va de même
des chevaux, il faut les choisir de grand taille et
résistants. I l est préférable de choisir une paire de
sabres tranchants et de grande taille, une lance et
un naginata tranchants, avec des pointes effilées,
un arc et un fusil puissant. I l faut bien prendre
soin de ses armes. I l ne faut pas avoir une
prédilection pour des armes particulières. Trop
pour une arme, cela peut vouloir dire pas assez
pour les autres. Sans imiter les autres, il faut
s'efforcer d'adapter ses armes à ses qualités
personnelles. La prédilection est négative aussi
bien pour un général que pour un soldat. I l faut
bien élaborer ses armes.
Pour Musashi, le hyôho comprend la pratique de
toutes les armes et, au cours des vingt dernières
années de sa vie, l'enseignement qu'il se propose
de donner ne se limite pas à la pratique du sabre,
c'est une formation au combat avec différentes
armes et à la stratégie. Mais il n'a pas rencontré
de Seigneur qui lui propose des fonctions de cette
envergure, les temps n'étaient plus à la guerre.
La voie du sabre ne se réduit pas à la rapidité de
la frappe. J 'écrirai de nouveau sur ce sujet dans le
deuxième rouleau, celui de l'eau. I l est
fondamental dans cette voie de savoir qu'on
manie le grand sabre dans un espace dégagé et le
petit sabre dans un espace étroit.
Dans mon école, on doit gagner aussi bien avec
une arme longue qu'avec une courte. C'est Daisho, sabre long et sabre court, J apon,
pourquoi je ne détermine pas la longueur du sabre. XVI e siècle. Musée Oriental de Venise.
Etre prêt à vaincre avec toutes les armes, c'est
cela la voie de mon école. L'avantage de prendre deux sabres au lieu d'un est manifeste lorsqu'on se bat
seul contre nombreux adversaires et lorsqu'on est entouré d'ennemis. I l n'est pas nécessaire d'en dire
d'avantage. I l faut parvenir à connaître dix mille en connaissant bien un seul. Si vous arrivez à pratiquer
la voie de hyôho, rien ne doit vous échapper. I l faut bien y réfléchir.
Ce dernier paragraphe explicite bien ce qu'est la voie du hyôho pour Musashi. Elle va bien au-delà du
maniement du sabre et est une stratégie qui repose sur la connaissance des hommes. Approfondir la voie
c'est rechercher en profondeur une pratique fondée sur la perspicacité et l'appréciation à la fois profonde
et spontanée d'autrui. Cette attitude deviendra une des dominantes de la recherche de la voie (do) au
cours de la période Edo (1603-1867). Dés le début de celle-ci, le J apon se refermera sur lui-même du
fait de la politique adoptée par les shoguns. Ceux-ci vont notamment interdire la fabrication et la
possession des armes à feu. L'art de cette période se caractérise par un investissement de l'énergie
retournée en profondeur dans un mouvement d'introspection. Au contraire, les sociétés occidentales
s'orientent à la même époque vers une diversification du savoir qui multiplie les domaines spécifiques et
les méthodes de combat y évoluent vers la primauté des armes à feu.
Pour la pratique du sabre, ce qui était important au temps des guerres féodales était le nombre
d'adversaires que l'on avait tués. Au cours de la longue paix féodale de l'époque Edo, l'objectif du sabre
devient progressivement d'atteindre le niveau le plus élevé, si possible sans tuer personne. Musashi a
vécu à la charnière entre ces deux périodes.
Le passage suivant indique bien l'importance de la notion de voie pour Musashi :
L'arc, le fusil, la lance et le naginata sont tous des armes de bushi, chacune d'elle fait partie de la voie de
hyôho. C'est pourtant avec raison que l'on appelle hyôho uniquement le sabre.
Le sabre est à l'origine de hyôho, puisque c'est par la voie de sabre qu'on gouverne le pays et la
personne. Par le principe du sabre, une personne peut en vaincre dix. Si un peut vaincre dix, cent
peuvent vaincre mille et mille vaincre dix mille. C'est pourquoi dans mon école les principes sont les
mêmes pour un et dix mille et j'appelle hyôho toutes les pratiques des bushi.
On peut parler de la voie pour les confucianistes, pour les bouddhistes, pour les maîtres du thé, pour les
maîtres de courtoisie, pour les danseurs mais ces voies sont distinctes de la voie de bushi. Toutefois,
celui qui progresse dans une voie rencontrera les autres voies. I l est important que chaque personne
persévère dans sa propre voie.

Hyôhô, Bushido et Budo.

Nous avons vu que Musashi définit les arts


martiaux conçus globalement comme hyôhô et
que cette conception de l'art recouvre une
manière de vivre. Existe-il une différence entre le
hyôhô, le budo et le bushido ? Le titre de cette
revue, Bushido, n'est-il pas significatif d'une
certaine confusion entre ces termes ? Nous allons
y réfléchir à partir de deux anecdotes relatives à
la vie de Musashi.
Vers 1635, Musashi fut reçu par le seigneur
Hosokawa, dans son château de Kumamoto, à
Kyushu, au Sud du J apon. Ce seigneur, adepte de
zen, s'entendit très bien avec Musashi qui, en
qualité d'invité, resta dans cette seigneurie
jusqu'à la fin de sa vie.
La venue de Musashi eut un grand retentissement
parmi les vassaux de la seigneurie car Musashi
était célèbre. L'un de ces vassaux de rang
inférieur, Yoko Tahei, considérait cette agitation
d'un oeil froid, disant que c'était trop pour un
simple rônin. Après la présentation officielle de
Musashi, le seigneur Hosukawa Tadatosi le retint
pour converser avec lui. Au cours de la
conversation, Tadatoshi demanda : « As-tu rencontré un Bushi hautement estimable dans ma
seigneurie ? ». Musashi lui répondit : « J e n'en ai vu qu'un seul. ». Tadatoshi fit alors venir les meilleurs
adeptes d'arts martiaux, Musashi n'en distingua aucun digne de cette appellation mais, ayant aperçu
Yoko Tahei, il alla le chercher. Celui-ci ne le connaissait pas car il n'était pas d'assez haut rang pour avoir
assisté à la présentation. Musashi dit à Tadatoshi : « Seigneur, veuillez lui demander quelle est son
attitude d'esprit dans la vie quotidienne. ». Alors Tahei, surpris de l'honneur que lui faisait son seigneur,
et encore plus de cette question personnelle qui était un honneur exceptionnel, répondit
respectueusement : « J e me suis trouvé couard et, pour vaincre ma nature, j'ai trouvé un état d'esprit
que j'appelle l'état d'esprit de « suemono ». (Le « suemono » est un objet utilisé lors des entraînements
de sabre. I l sert aux exercices de frappe et est destiné à être pourfendu.). J e pense que je suis un «
suemono » qui est susceptible d'être pourfendu n'importe quand, de manière imprévisible. Pour parvenir
à cet état d'esprit, j'ai fait des exercices de méditation, la nuit, dans la nature et, au moment où je dors,
je suspends mon sabre au plafond, en plaçant la lame au-dessus de ma gorge. Au début la peur
m'empêchait de dormir mais maintenant je dors facilement. Chaque jour, en franchissant à cheval la
porte de la maison pour venir à mon service, je me dis que je ne reviendrai pas vivant. ». Musashi dit : «
Seigneur, vous avez entendu, c'est cela l'esprit du budo. ».
Précisons tout d'abord qu'à l'époque de Musashi, les termes budo et bushido n'étaient pas distincts, c'est
seulement à l'époque moderne que va s'établir une distinction entre les deux termes budo et bushido. Le
budo désigne précisément la pratique des arts martiaux et le bushido l'ensemble de la manière de vivre
des bushis (guerriers) qui, par définition, inclut la pratique des arts martiaux. Si nous utilisions ces
termes au sens qu'ils ont aujourd'hui, c'est donc bushido, et non budo, qu'il conviendrait d'utiliser dans la
dernière phrase.
La morale du bushido que j'ai illustrée par cette anecdote s'est formée à partir du XVI I e siècle et Toko
Tahei se comporte précisément en adepte de bushido, en conformité avec ce qui sera écrit plus tard dans
le « Hagakuré » (XVI I I e siècle) : « Le bushido c'est savoir mourir ». Ce qui veut dire : « Savoir mourir
pour son seigneur », ceci était alors tellement évident qu'il n'était pas utile de le préciser.
Notons bien qu'un bushi exemplaire en bushido pouvait avoir un faible niveau en pratique des arts
martiaux. Toko Tahei était indéniablement un bushi digne de respect en bushido, ceci, quel qu'ait pu être
son niveau dans la pratique du sabre. Ce qui est sûr c'est qu'il était capable de combattre pour son
seigneur et de mourir dignement face à n'importe quel adversaire. I l faut comprendre que, même s'ils
étaient le plus souvent confondus par les bushis, les deux aspects que recouvrent les notions modernes
de bushido et budo étaient distincts. Le budo peut donc être une pratique contemporaine, le bushido ne
le peut en aucun cas.
En ce qui concerne Musashi, il n'est jamais devenu vassal d'un seigneur et l'on peut donc considérer,
qu'au sens moderne des termes, il a vécu dans le budo plutôt que le bushido. I l appelle hyôho l'art qu'il
pratiquait et proposait en modèle aux bushis. I l existe cependant une différence fondamentale entre le
budo contemporain et celui que pratiquait Musashi, c'est ce qu'illustre l'anecdote suivante.
Musashi rencontra un jour un adepte d'iaï dont nous ne connaissons pas le nom. Celui-ci cherchait, pour
mesurer son niveau d'iaï, un adepte d'un haut niveau. Rencontrant Musashi qui était déjà célèbre, il lui
demanda, « maître Miyamoto Musashi, veuillez me donner une leçon. ». Musashi accepta son défi avec
légèreté en pensant qu'il s'agissait d'un adepte de deuxième rang.
Musashi dégaina son sabre et son adversaire prit la garde d'iaï, la main sur la poignée de son sabre sans
le dégainer. Musashi fut surpris en constatant que son adversaire était un véritable adepte et comprit
tout de suite que, dans cette situation, celui-ci était susceptible de le vaincre. I l se dit : « I l aurait fallut
commencer en faisant plus d'attention contre l'iaï. ». I l jugea qu'il perdrait dans cette situation ou que,
dans le meilleur des cas, ils se pourfendraient mutuellement. Musashi déclara immédiatement, « Vous
m'avez vaincu sans dégainer le sabre (saya-uchi no kachi) ! ». L'adepte d'iaï, en entendant la déclaration
de défaite de Musashi, se dit : « J 'ai vaincu Miyamoto Musashi. ». I l relâcha un instant son esprit et
détacha sa main de la poignée de son sabre. C'est à ce moment précis que le sabre de Musashi l'abattit
en le pourfendant. Du point de vue de l'art de combat, cet adepte aurait dû faire un pas en arrière avant
de lâcher la poignée de son sabre.
J e ne sais si cette anecdote est authentique mais elle évoque bien l'art de Musashi. Elle montre la
différence fondamentale entre le budo de bushi (hyôho pour Musashi) et le budo moderne. Dans la
pratique contemporaine du budo, celui qui agirait ainsi, en compétition ou lors de rencontres entre dojos,
serait évincé de ce milieu pour le reste de sa vie. En tout cas cette situation est impossible pour le budo
moderne car aucun adepte contemporain ne vit avec le sabre à la manière de bushi. Dans le budo des
bushi la mort est directe, dans le budo contemporain la mort est souvent abstraite. Un bon exemple de
cette différence est le geste de « chiburi » ou « chiburui » (secouer le sabre pour en faire partir le sang)
dans la pratique d'iaï. La différence est évidente entre un bushi qui a connu l'expérience de faire ce geste
après avoir tué un adversaire et nous qui pratiquons ce geste dans un kata. Une même technique
gestuelle prend un sens différent selon l'époque où vit la personne. La pratique du kendo pour les bushi
était basée sur l'évidence du port des sabres, ils savaient donc se servir d'un sabre. Et nous pouvons
pratiquer le kendo aujourd'hui sans jamais faire l'expérience de prendre en main un sabre En effet, de
nombreux kendoka manipulent aujourd'hui leur shinaï sans rapport avec la technique de maniement d'un
véritable sabre. Les costumes et les armures ont la même forme traditionnelle mais certains adeptes
contemporains font des choses qu'un bushi connaissant la qualité d'un sabre n'aurait jamais faites.
C'est une chose évidente mais qui mérite d'être précisée car une certaine confusion dans l'utilisation des
terme budo et bushido existe, même au J apon, et, bien plus, dans les pays occidentaux ; en pratiquant
le budo en tenue traditionnelle, on peut avoir tendance à se projeter sur une image du passé. Or le budo
n'est pas la voie de Don Quichotte. Nous pouvons, comme Musashi en son temps, étudier une méthode
de vie à partir de la pratique du budo en aiguisant la perspicacité du corps et de l'esprit.

Document d'archive écrit en 1986


par Kenji Tokitsu - publié dans Bushido - arts martiaux d'aujourd'hui
LA CHRONI QUE DE KENJ I TOKI TSU -
MI YAMOTO MUSASHI

La pratique et l'enseignement de l'Art Martial


Poursuivant la traduction du « Gorin no sho
» , nous allons examiner la façon de
combattre de Musashi à travers les extraits
que je présente dans cet article.
La compréhension des passages du « Gorin
no sho » qui décrivent les techniques de
combat est difficile car ils sont très
concentrés et allusifs. Pour les rendre plus
vivants, je les ai rapprochés de la pratique
actuelle de l'Ecole de sabre de Musashi telle
qu'elle s'est transmise au travers des
générations
Lors de mon voyage de recherche au J apon, j'ai
eu l'occasion d'assister à une démonstration de
l'école de sabre de Musashi par un maître et son
dixième successeur. L'école de Musashi s'appelle
aujourd'hui l'Ecole « Hyoho Niten I chi Ryu » et, à
chaque génération, une seule personne hérite de
l'essentiel du savoir et de la responsabilité de
l'école. Cette école refuse depuis l'époque de
Musashi la succession héréditaire. La transmission
est attestée par la remise d'un rouleau sur lequel
est écrite la liste de toutes les techniques à pratiquer par l'école et d'un sabre en bois que Musashi a
façonné lui-même et qu'il a porté quotidiennement pendant les dernières années de sa vie. Aujourd'hui le
dixième successeur de l'école de Musashi s'appelle I maï Masa.
La conception du cri dans le « Gorin no sho »
Commençons par la lecture du texte de Musashi :
Les trois types de cris.
Les trois cris sont ceux qu'on pousse au début, pendant et après le combat. I l est important de pousser
le cri qui convient à la situation. Le cri vient d'un élan. On pousse des cris lors d'un incendie, dans le vent
ou dans des vagues. Le cri montre la force. En hyôhô de groupe, il faut pousser les cris le plus fort
possible au début de la bataille ; Durant le combat il convient d'attaquer en poussant des cris bas, à
partir du fond du ventre et, après avoir gagné, on pousse des cris hauts et forts. Ce sont les trois types
de cris.
En hyôhô individuel, vous poussez un cri « éï ! » en faisant semblant attaquer pour faire bouger
l'adversaire et vous frappez avec le sabre après ce cri. Vous poussez aussi un cri après avoir vaincu pour
proclamer votre victoire. Ces deux cris sont appelés « cris d'avant et d'après » (« sen go » et « no koé »).
Ne poussez pas un cri fort au moment où vous frappez avec le sabre. Si vous poussez des cris durant le
combat, ils doivent être conformes à vos hyoshi et être bas et légers. I l faut bien examiner cela.
Après la vague du cinéma de karaté et de kung-fu reste l'expression : le « cri qui tue ». Et si vous
assistez à une compétition ou à un entraînement de ces disciplines, vous entendrez des cris qui certes
loins de tuer, sont plutôt proches des cris des animaux et s'accompagnent de grimaces. Beaucoup de
karatékas s'imaginent que le cri est obligatoire et que plus il est fort, meilleur il est. Dans certaines
compétitions, les arbitres n'attribuent le point que si la technique est soulignée par un cri et, parfois,
même la force du cri compense l'insuffisance technique. En agissant ainsi, je me demande quelle
signification ils donnent au cri. Les cris perçants de l'école de sabre « J igen-ryu » sont bien connus mais
on ne les pousse pas comme le font la plupart des karatékas modernes. J e reviendrai sur ce point dans
un article traitant de l'école J igen-ryu. En tout cas, il faut comprendre que le cri et le kiaï sont deux
choses différentes mais que les deux peuvent coïncider.
Musashi dit ici clairement : « Ne poussez pas un cri fort au moment où vous frappez avec le sabre » ; les
pratiquants des arts martiaux doivent bien réfléchir à ce que signifie cette phrase.
Lorsque j'ai assisté à la démonstration de sabre de Me I maï, il a réalisé plus de la moitié des techniques
presque sans kiaï apparent et j'entendais seulement un kiaï très bas presque imperceptible si on
n'écoutait pas attentivement. C'était exactement comme l'a écrit Musashi : «... durant le combat, il
convient d'attaquer poussant des cris bas à partir du fond du ventre... Si vous poussez des cris durant le
combat, ils doivent être conformes à vos hyoshi et être bas et légers. »
J e pense qu'il nous faut bien réfléchir aussi à ce que signifient ces phrases.
Comment doit-on se déplacer ?
La façon de se déplacer doit être naturelle,
comme la marche. Musashi décrit avec précision
de quelle manière il convient de bouger les pieds.
La façon de déplacer les pieds.
I l faut poser le pied en appuyant d'abord le talon
avec force et en gardant les orteils légèrement
soulevés. Selon la situation, on déplace les pieds
d'un grand ou d'un petit pas, lentement ou
rapidement, mais toujours selon la forme de la
marche. I l faut éviter trois façons de se déplacer,
en sautant (tobi ashi), en glissant avec les pieds
légèrement soulevés comme s'ils flottaient (uki
ashi) et en piétinant fort (fumisuéru ashi). A
propos des déplacements, l'instruction que l'on
appelle les pieds de Yin (négatif) et de Yang
(positif) est importante. Elle recommande de ne
pas déplacer seulement un pied. Lorsqu'on
pourfend, lorsqu'on recule et lorsqu'on pare, il
faut toujours bouger le pied droit et le gauche
alternativement et il ne faut jamais déplacer
seulement un pied. Ceci doit être examiné soigneusement.
La façon de déplacer les pieds ne se limite pas pour Musashi à une technique mais elle est liée à une
attitude fondamentale de son hyôho.
Un jour un élève interrogea Musashi sur le principe du hyôho qui permet la progression. Musashi dit en
lui indiquant la bordure du tatami qui était large d'environ cinq centimètres : « Marche sur les bordures ».
Ce que fit l'élève. Musashi lui demanda encore : « Si ces bordures se trouvaient à deux mètres de
hauteur, serais-tu capable d'en faire autant ? »
- « Cela me semble un peu difficile ».
- « Et si elles avaient soixante centimètres de large ? »
- « Dans ce cas-là, j'en serais capable ».
Musashi demanda alors :
« Si on posait un pont de soixante centimètres de large entre le sommet du château de Himeji et celui du
mont de Masui-yama (distant d'une lieue), serais-tu capable de traverser le pont ? »
L'élève répondit : « J e n'en serai certainement pas capable ».
Musashi approuva d'un mouvement de tête et dit : « C'est cela le principe de la pratique du sabre. Tu
peux facilement marcher sur les bordures du tatami. S'il s'agit d'une hauteur de deux mètres, ton esprit
sera tranquille sur un plancher de soixante centimètres de large. Et si le pont se trouve aussi haut que
les sommets du château et du mont Masui, ton esprit ne sera pas tranquille car tu auras peur de te
tromper d'un pas. Cette peur provient du manque d'entraînement. Le début est facile, le milieu est
dangereux et après le milieu le danger augmente davantage. C'est pourquoi tu dois avoir l'esprit assuré,
tu ne courras alors aucun danger. Si tu apprends à marcher sur les bordures du tatami en fortifiant la
sensation d'énergie vitale, tu ne feras jamais de faux pas même si le pont large de soixante centimètres
se trouve à une très grande hauteur ».
L'attitude de Musashi vis-à-vis du combat
Comme l'a écrit Musashi tout au début du « Gorin no sho », il a livré plus d'une soixantaine de combats
avant d'atteindre l'âge de trente ans, plusieurs documents le confirment. Par la suite, il n'a que rarement
combattu. Le passage suivant précise sa manière de combattre.
Le trajet du sabre.
Musashi utilise avec diverses significations le terme « michi » dont le sens littéral est voie, chemin,
discipline, domaine d'activité, route, trajet, trajectoire, direction. Dans le texte qui va suivre, « michi »
signifie le trajet du sabre. I l ne convient pas de le traduire par voie mais il faut savoir que Musashi fait
entendre subtilement par « trajet » l'idée de la voie.
Connaître le trajet (michi) du sabre implique plusieurs choses, les voici. Si vous connaissez bien le trajet
du sabre que vous portez tout le temps, vous pouvez le manier librement même avec deux doigts. Si
vous vous efforcez de mouvoir le sabre avec rapidité, le trajet du sabre sera troublé et cela vous causera
des difficultés. I l est important de mouvoir le sabre calmement, avec naturel. Si vous essayez de
mouvoir le sabre comme un éventail ou un couteau, vous ne pouvez pas frapper convenablement car le
trajet du sabre sera perturbé. Vous ne pouvez pas pourfendre un homme avec un sabre en l'agitant
comme si vous hachiez avec un couteau. Si vous frappez de haut en bas, vous devez remonter le sabre
en suivant un trajet qui réponde naturellement à ce geste. De même, si vous frappez horizontalement,
vous devez ramener le sabre suivant un trajet convenable à l'horizontale. Dans le trajet (michi) du sabre,
il faut mouvoir le sabre en dépliant bien les bras. Si vous maîtrisez les cinq formules techniques de mon
école, vous frapperez mieux car le chemin de votre sabre sera stabilisé. I l
faut bien s'entraîner.
L'anecdote suivante donne une idée de la frappe de sabre de Musashi et
aussi de son attitude à l'égard du combat au cours de la seconde moitié de
sa vie.
Un jour Musashi fut accueilli par le seigneur Shimamura à Kokura dans l'île
de Kyushu. Au cours de leur conversation, un serviteur vint annoncer à
Musashi qu'un samouraï nommé Aoki souhaitait être reçu par lui. Celui-ci fut
introduit. Après un échange de politesses, Musashi lui demanda « Quel est
ton avancement dans le hyôho ? » Aoki répondit : « J e persévère tout le
temps ». La conversation se poursuivit et Musashi lui dit : « Tu peux déjà
enseigner dans la plupart des dojo. ». Aoki en fut très heureux. Au moment
où il allait se retirer, Musashi s'aperçut qu'il transportait un bokken (sabre
en bois) dans un joli sac en tissu auquel était attachée aussi une protection
d'avant-bras en cuir rouge (udé-nuki), et demanda: « Quel est cet objet
rouge ? » Aoki, un peu gêné, répondit : « C'est ce que j'utilise lorsque je
suis forcé de combattre au cours de mes voyages dans différentes
seigneuries » et il montra son grand bâton à la poignée duquel était
attachée la protection. L'humeur de Musashi changea tout d'un coup et il
dit : « Tu es un imbécile. A ton niveau, tu es encore loin de pouvoir songer
au combat de hyôho. J e t'ai complimenté tout à l'heure parce que j'ai pensé
que tu pourrais être un bon professeur pour les débutants. Si quelqu'un te
demande de combattre, ce que tu as de mieux à faire est de partir
immédiatement. Tu es encore loin du combat de hyôho ». Musashi fit alors
appeler un enfant qui commençait l'apprentissage du hyôho. I l colla un grain
de riz au départ de ses cheveux coiffés en chignon et lui ordonna de se tenir Avant l'époque Edo, on
debout, immobile. Musashi se leva alors, prit son sabre et l'abaissant d'un posait souvent ainsi le
coup, de haut en bas, il fendit avec précision le grain en deux et le fit voir à tachi
Aoki. Puis il recommença, trois fois en tout. Tout ceux qui étaient présents
en furent impressionnés mais Musashi dit : « Même avec une technique aussi assurée, il est difficile de
vaincre un ennemi ; il est hors de question, à ton niveau, de parler de combat ». Vraie ou non, cette
anecdote illustre la réputation d'extrême précision qu'avait le sabre de Musashi. L'exemple du grain de
riz rend plus concret ce que Musashi indique dans son texte par le trajet ou la voie du sabre ; la
trajectoire doit être d'une extrême précision et aller de pair avec un ajustement de la puissance du coup
à la nature de l'objet à trancher.
Le second élément à retenir est la prudence de Musashi et la gravité avec laquelle il envisageait le
combat.
Les cinq formules techniques de Miyamoto Musashi
Les cinq formules sont aujourd'hui reprises dans un kata de l'école de Musashi qui se pratique à deux. I l
s'avère qu'il existe pour chacune des cinq formules des différences entre la description donnée dans la «
Gorin no sho » et l'exécution que Me I maï, dixième successeur de Musashi, en fait aujourd'hui dans le
kata.
J e prévois un voyage de recherche au J apon au mois d'avril et pense, au cours de ce voyage, lors d'une
rencontre avec Me I maï, lui demander à quel moment de la transmission ces différences sont apparues.
Les cinq formules techniques.
J 'ai retenu le mot français formule pour traduire le terme « omoté » employé par Musashi pour désigner
les formes au travers desquelles il communique l'essentiel de sa technique de combat. Le terme « omoté
» est souvent utilisé dans les différentes disciplines des arts martiaux japonais. Le sens littéral du mot «
omoté » est la surface, l'extérieur, la figure extérieure, d'où ce qu'on voit ou montre à l'extérieur, la
façade ; par extension, ce mot a pris le sens de formule.
La façade est quelque chose d'officiel car elle est et doit être présentable vis-à-vis de l'extérieur, du
public. Ainsi en budo « omoté » désigne des techniques ou le mode d'action caractéristique d'une école.
Si « omoté » est la surface, il y a toujours ce qui est caché derrière cette apparence. Dans la culture
japonaise, à tout « omoté » correspond un « ura » : l'arrière ou le caché. Et le secret d'un art n'est pas
transmissible par les seules formules visibles, la transmission s'appuie sur ce qui n'est pas visible de
l'extérieur « ura ». Lorsque l'apparence risque d'être trop éloquente ou lorsqu'il y a concurrence entre
écoles, les adeptes d'un art constituent des codes de transmission et de pratique complexes sur le mode
du « omoté » et du « ura », qui est une version japonaise de la conception de yin (négatif) et yang
(positif) . Ainsi, ces doubles faces sont en usage dans les écoles d'arts martiaux mais la notion de « ura »,
partie cachée de l'art y est ou y a été souvent mystifiée pour des raisons diverses. Musashi, avec son
esprit pragmatique, indique dans les passages suivants du « Rouleau de l'eau » l'essentiel de son école
sans mystifier et dans un langage simple. Toutefois, comme il l'ajoute à la fin de chaque paragraphe, il
faut bien examiner et s'entraîner car il est impossible de transmettre complètement la pratique d'un art
dans un écrit même simple et sans prétention. Voici les cinq formules techniques essentielles telles que
les décrit Musashi.
Première formule technique
Prenez la garde chudan (moyenne) en pointant votre sabre vers le visage de l'adversaire ; lorsque celui-
ci lance une attaque, évitez-la en repoussant son sabre vers la droite et prenez ensuite l'initiative de
l'attaque. Si vous n'avez pas réussi votre attaque et qu'il enchaîne par une autre attaque, frappez de
haut en bas en retournant immédiatement la pointe de votre sabre à partir de la position précédente.
Laissez votre sabre là où il se trouve après ce mouvement vers le bas et frappez le bras de l'adversaire
au moment où il attaque de nouveau. Ceci est la première formule.
Les cinq formules sont difficiles à comprendre par la seule lecture, il est nécessaire de les comprendre
dans la pratique effective. En approfondissant les cinq principales techniques, vous pourrez comprendre
votre propre sabre et celui des adversaires. J 'insiste sur ce point pour l'Ecole des deux sabres qui est la
mienne, il n'a pas d'autre base que ces cinq formules techniques. I l faut s'entraîner.
Avant de donner la traduction des autres formules techniques, il me parait intéressant de nous arrêter un
moment à la première et de la rapprocher de la façon dont Me I maï la réalise actuellement dans le kata.
Me I maï prend les deux sabres à l'horizontale, les pointes dirigées vers le visage de son adversaire. C'est
la garde chudan (moyenne). La lame de chaque sabre est tournée vers l'extérieur. I l appelle cette garde
« enso no kamaé » et explique que c'est une garde qui demande un esprit large et calme, qui contient
tout un univers entre les deux sabres.
L'adversaire attaque de haut en bas, Me I maï abaisse ses deux sabres et laisse le sabre de l'adversaire
trancher l'air ; l'adversaire relance une autre attaque, I maï l'arrête avec son petit sabre tenu de la main
gauche et donne un coup tranchant dirigé vers le bras de l'adversaire avec son grand sabre tenu de la
main droite. Le coup est dirigé de bas en haut, en partant de la gauche. Cela ne correspond pas
exactement à la description faite par Musashi.
Deuxième formule technique.
Dans la seconde formule, vous prenez le sabre en jodan (haut) et frappez d'un seul coup au moment où
l'adversaire amorce son attaque. Si vous n'avez pas réussi à le pourfendre, laissez votre sabre en bas et
frappez de bas en haut au moment où l'adversaire relance son attaque. Faites de même si cette situation
se répète.
Dans cette formule existent plusieurs façons de maîtriser votre esprit et les hyoshi. Donc, si vous
approfondissez l'art de mon école à partir des cinq formules de frappe, vous pourrez bien comprendre les
cinq voies du sabre et vous gagnerez de toutes les façons car il faut bien s'entraîner.
Dans la seconde formule du kata, Me I maï prend son sabre droit en jodan (haut), au-dessus de son
épaule droite, et son autre sabre en chudan (moyen), pointé vers le visage de l'adversaire. I I appelle
cette garde « garde de feu ». L'adversaire attaque en frappant du haut en bas. I maï pare avec son sabre
droit et continue son mouvement de parade pour conduire le sabre de l'autre vers le bas, en appuyant
sur le dos de ce sabre. Ensuite, l'adversaire relance une autre attaque, I maï la bloque cette fois en
croisant ses deux sabres au-dessus de son front. Les lames des trois sabres se croisent un instant en un
seul point. Mais cette position ne dure qu'un instant car immédiatement I maï écarte largement ses deux
sabres en formant un quart de cercle pour renvoyer le sabre adverse vers le bas et, sans arrêter un
instant le mouvement, il frappe vers la tête de son adversaire avec son grand sabre tenu de la main
droite.
Les principes énoncés dans ces cinq formules sont également applicables aux arts de combat à main nue,
tels que le karaté. Elles méritent une lecture attentive qui ne s'arrête pas à la description des gestes,
même si celle-ci est très précise. L'important est ce qui réside au fond de ces gestes, ce dont ils
découlent au niveau de l'énergie, de la précision, de la perception de la cadence (hyoshi) et de la
distance (ma) et de la prévision de l'adversaire (yomi). Dans le prochain article où nous continuerons
d'examiner l'art de Musashi, je présenterai les trois dernières formules.
(A suivre...)
LA CHRONI QUE DE KENJ I TOKI TSU
Poursuivant la présentation de l'art de
Musashi, je donnerai aujourd'hui la
traduction commentée des trois dernières
des cinq formules au travers desquelles il
communique l'essentiel de sa technique de
combat, puis je commenterai quelques
extraits du « Rouleau du feu » dans lequel
Musashi expose concrètement sa stratégie
du combat.
Voici la troisième formule technique telle que Musashi la présente dans le « Rouleau de l'eau » :
Dans la troisième formule, vous tenez le sabre la pointe vers le bas (gedan) et vous frappez la main de
l'adversaire par en bas, à l'instant où il attaque. S'il pare en frappant votre sabre de haut en bas pour le
faire tomber, détournez son sabre en utilisant le hyoshi franchissant (kosu hyoshi) et frappez
horizontalement pour lui couper le bras. L'essentiel de cette formule est de frapper d'un seul coup à
l'instant où l'adversaire démarre l'attaque. Cette garde basse (gedan) est nécessaire aussi bien pour un
débutant que pour un adepte avancé dans la voie, il faut s'y exercer sabre en mains.
Le terme « kosu » hyoshi provient d'un verbe « kosu » qui signifie devancer, traverser, franchir (un col
de montagne), dépasser, surpasser. Dans ces cinq formules, Musashi ne précise pas s'il convient
d'utiliser les deux sabres et ici ses descriptions correspondent plutôt à l'utilisation d'un seul sabre.
Comme pour les formules précédentes, je rapprocherai de cette formule, l'exécution de la partie
correspondante du kata des cinq formules de l'école de Musashi faite par Me I maï, dixième successeur de
Musashi. Dans cette formule, Me I maï prend les deux sabres en baissant les pointes vers le sol. I l qualifie
cette position de « ritsu-zen » (zen debout). L'autoportrait de Musashi publié dans le numéro 36 de
Bushido le représente dans cette posture.
L'adversaire frappe de haut en bas et I maï l'arrête avec son sabre gauche. Cette situation est proche de
celle de la première formule mais, par comparaison, le corps d'I maï est un peu plus éloigné de celui de
son adversaire, de sorte que son sabre droit n'atteint pas le bras de celui-ci. L'adversaire attaque à
nouveau et I maï pare avec son sabre gauche en l'appuyant sur le dos du sabre adverse qu'il conduit vers
le bas. I l dirige son sabre droit vers le bras de l'adversaire pour le trancher en frappant horizontalement
de gauche à droite en passant au-dessus des deux sabres gardés en contact.
Quatrième formule technique
Vous tenez votre sabre du côté gauche et, de cette position, vous frappez vers le haut le bras de
l'adversaire au moment où celui-ci vous attaque. S'il frappe votre sabre pour l'abaisser, vous laissez son
sabre continuer sa trajectoire et vous coupez en biais de bas en haut jusqu'au-dessus de votre épaule en
tranchant son bras. C'est cela le trajet (voie) du sabre. Si l'adversaire relance son attaque à nouveau,
vous pouvez le vaincre de la même façon. I l faut bien examiner cela.
Le sabre gauche d'I maï pointe vers l'adversaire, en chudan et il amène, en le croisant par-dessous, son
sabre droit vers le côté gauche ; la pointe en est alors dirigée vers l'arrière ; son buste est presque de
profil par rapport à l'adversaire qu'il voit par-dessus son épaule droite. C'est une position particulière à
prendre en raison des caractéristiques du lieu de combat où peuvent se trouver des obstacles qui
empêchent de prendre la position habituelle.
L'adversaire attaque du haut en bas à deux reprises et, chaque fois, I maï pare avec son sabre gauche en
même temps qu'il frappe horizontalement de son sabre droit comme s'il retirait celui-ci du fourreau. Du
fait de ce mouvement d'attaque, son adversaire recule. I maï, après son deuxième mouvement d'attaque
horizontale de gauche à droite, prolonge le mouvement du sabre jusqu'au-dessus de son épaule droite et,
à partir de là, il frappe en biais vers le bas l'épaule gauche de son adversaire.
Cinquième formule technique
Vous prenez le sabre à droite et, en suivant la réaction de l'adversaire, vous déplacez votre sabre en
biais vers le haut puis vous frappez directement de haut en bas. Cette formule aussi est utile pour bien
comprendre le trajet (voie) du sabre.
I maï prend son sabre gauche en chudan, le sabre droit à côté de sa hanche droite ; les deux sabres sont
pointés vers l'adversaire, et le sabre droit est placé en retrait. Comme la précédente, on utilise cette
position lorsqu'il y a des obstacles ou lorsqu'on se trouve dans une situation particulière.
L'adversaire attaque de haut en bas, I maï esquive en faisant un demi-pas en arrière et il appuie avec son
sabre gauche vers l'extérieur sur le sabre adverse qui vient de trancher dans le vide jusqu'en bas, il
frappe immédiatement avec son sabre droit la tête de l'adversaire en faisant un demi-pas en avant.
Si vous vous entraînez à manier les sabres en suivant ces formules, vous arriverez à mouvoir aisément
un sabre pesant. I l n'est pas nécessaire de donner beaucoup de détails à propos de ces cinq formules.
Vous arriverez à apprendre les techniques fondamentales de mon école, les hyoshi de base et à discerner
le sabre (attaque) de l'adversaire en approfondissant votre art suivant ces cinq formules. En développant
ces techniques, vous arriverez à capter l'intention de l'adversaire et, en conséquence, à employer le
hyoshi qui convient. Vous gagnerez alors de différentes façons. I l faut bien y réfléchir.
Ces passages montrent bien à quel point il est difficile d'expliciter, dans un écrit, des gestes qui sont si
brefs et si concrets lorsqu'on les montre
directement.
Musashi et la stratégie du combat
Voici quelques passages du « Rouleau du feu » qui
semblent caractéristiques de la stratégie de
Musashi. I l y expose concrètement comment
combattre. Cette stratégie est directement issue
de son expérience ; pour le montrer, je
rattacherai à ces principes le déroulement de
combats qu'il a menés tels que je peux les
reconstituer à partir des documents existants.
Les trois façons de prendre l'initiative (sén).
I l existe trois façons de prendre l'initiative (sén)
en combat. La première consiste à attaquer avant
l'adversaire, ce que j'appelle « ken no sén ».
Le terme « ken » signifie « accrocher », « fixer
dans son esprit » ou « commencer ». Musashi
emploie ici ce terme dans le sens de « fixer la
volonté d'attaque dans son propre esprit » c'est-
à-dire « s'apprêter à attaquer ». « Ken no sén »
peut donc être traduit par « prise de l'initiative
dans une situation où vous lancez le premier une
attaque ».
La seconde correspond à une situation où
l'adversaire attaque le premier. J 'appelle cette
prise d'initiative « taï no sén ».
Le terme « taï » signifie « attendre ». « Taï no sén
» signifie donc « prise de l'initiative en recevant
l'attaque de l'adversaire ».
La troisième correspond à une situation où mon
adversaire et moi, nous nous apprêtons tous deux
à attaquer. J 'appelle ce sén « taï taï no sén ». Tels
sont les trois types de sén.
I l faut noter que Musashi emploie ici le terme « taï
taï » dans le sens de « se heurter » ou « contrer ».
Taï taï exprime une situation où l'adversaire et
moi, nous sommes tous deux prêts à attaquer. Le
sens du terme taï n'est pas le même que dans
l'exemple précédent.
Quel que soit le type de combat il n'existe pas d'autre façon de déclencher l'affrontement que ces trois
types de sén. La prise du sén est essentielle pour le hyôho car c'est elle qui déterminera une victoire
rapide au cours du combat.
I l y a des petites précisions à donner à propos du sén mais il est inutile d'entrer dans le détail car il s'agit
d'indiquer comment gagner par la sagesse du hyôho que j'enseigne, en discernant l'esprit de l'adversaire
et en se laissant guider par la raison de chaque moment.
1 - Ken no sén
Lorsque je veux attaquer, je reste calme au début puis je prends l'initiative en attaquant tout d'un coup.
I l faut prendre l'initiative (sén) avec des mouvements extérieurement rapides et forts, l'esprit demeurant
stable dans le fond. J e renforce mon esprit, je bouge mes pieds un peu plus rapidement que d'ordinaire
et je prends l'initiative de la situation en frappant d'un seul coup dès que je me suis approché de
l'adversaire. J e gagne avec l'esprit profondément fort, ouvert, orienté du début à la fin vers l'acte
d'écraser l'adversaire. Toutes ces attaques sont « ken no sén » (prise de l'initiative en attaquant le
premier).
2 - Taï no sén
Lorsque l'adversaire vient vers moi, je feins d'être faible et ne fais pas un mouvement. J e m'éloigne tout
d'un coup, vigoureusement, au moment où il s'approche tout près de moi ; puis je feins de lancer une
attaque, l'adversaire va alors être trompé. J e saisis ce moment où il est vulnérable pour le vaincre en
frappant en force. C'est ainsi que je prends le sén. ÿgalement, lorsque l'adversaire lance une attaque, je
le reçois avec une plus grande vigueur et je le domine en le frappant au moment où son hyoshi
(cadence) va se modifier. Tel est le principe de « taï no sén » (prise d'initiative de la situation. du combat
en recevant l'attaque de l'adversaire).
3 - Taï taï no sén (prise de l'initiative dans la situation où l'adversaire et moi sommes tous deux en état
de nous élancer).
Lorsque l'adversaire attaque le premier, je m'approche calmement de lui avec vigueur et je feins d'être
résigné à ne pas attaquer en venant tout près de lui. L'adversaire se relâchera un moment en ayant la
sensation d'avoir dominé la situation du combat ; je le frappe précisément à ce moment. Egalement,
lorsque l'adversaire m'attaque calmement, je bouge légèrement et assez rapidement et, m'approchant
tout près de lui, je frappe son sabre de plusieurs façons, en suivant sa réaction je gagne en frappant
puissamment. Ces deux actions sont « taï taï no sén » (prise de l'initiative du combat au moment où les
deux adversaires sont prêts à attaquer).
Toutefois il est impossible d'écrire en détail ce qu'est le sén. I l faut le rechercher vous-même en lisant
bien ce que j'ai écrit. La réalisation de ces trois types de sén dépend toujours du moment et de la
situation et ce n'est pas forcément vous qui pouvez déclencher les gestes mais, si cela est possible, il est
préférable que ce soit vous qui les déclenchiez afin de conduire l'adversaire. En tout cas, à propos du sén,
il s'agit de gagner sans faute en employant la sagesse du hyôho. I l faut bien s'entraîner.
Voici maintenant comment Musashi prépare le combat en jouant sur l'état psychologique de son
adversaire, ce qui lui rend plus aisée la prise
d'initiative (sén).
I rriter l'adversaire.
On peut irriter son adversaire de différentes
manières, en lui donnant par exemple des
sensations de danger, d'impossibilité, ou de
surprise. I l faut bien examiner ce point. I l est
important surtout en hyôhô de groupe. I l faut
attaquer violemment à un endroit où l'adversaire
ne songeait pas être attaqué, à un moment où
son esprit n'est pas encore déterminé. L'important
est de gagner ainsi, par des techniques adéquates
qui permettent de prendre l'initiative.
Pour le hyôhô individuel aussi vous vous
montrerez lent au début et attaquerez tout d'un
coup avec force ; suivant la hausse ou la baisse
de l'esprit de l'adversaire, suivant ses techniques,
vous emploierez une technique adéquate sans
vous relâcher un instant. Ceci est important, et il
faut bien l'examiner.
Effrayer.
Vous pouvez effrayer l'adversaire de différentes
façons. On a peur de ce que l'on n'attend pas.
Effrayer l'adversaire en hyôho de groupe ne veut
pas dire seulement le faire dans l'affrontement.
Vous pouvez l'effrayer tantôt par des bruits,
tantôt en agrandissant de petites choses et tantôt
en feignant d'attaquer tout d'un coup par côté.
Vous dominerez le hyoshi qui apparaît au moment
où l'adversaire est effrayé et vous vaincrez. Pour
le hyôho individuel, vous pouvez effrayer par le corps, par le sabre et aussi par la voix. Faites
brusquement ce que l'adversaire n'attend pas, trouvez votre avantage au moment où il s'effraie et
obtenez directement la victoire. Ceci est important, il faut bien l'examiner.
Au cours des nombreux combats auxquels il s'était livré durant sa vie, Musashi a utilisé cette technique à
maintes reprises. Ses combats contre les frères Yoshioka sont particulièrement célèbres.
A l'âge de 21 ans, Musashi se bat avec Yoshioka Seijuro qu'il vainc. En réponse, le frère cadet, Yoshioka
Denshihiro lance un défi à Musashi qui le tue. Alors le clan Yoshioka lance un dernier défi pour rétablir
son honneur et Musashi l'accepte. Les deux premiers combats sont des duels, le dernier l'oppose à
plusieurs dizaines d'adversaires. Dans ces trois combats, Musashi a utilisé les stratégies du hyôho
décrites ci-dessus. Pour les deux premiers combats, il arrive en retard sur le lieu du combat, appliquant
les stratégies qu'il nommera dans le « Gorin no sho » : « irriter », et « effrayer ». Et, pour le troisième
combat, il vient en avance, contrant ainsi la pensée de ses adversaires qui prévoient que Musashi
arrivera en retard, comme d'habitude. Cette stratégie est conforme à ce qu'il écrira dans le « Rouleau du
feu » à propos de la stratégie du « changement de la montagne en mer » : « vous pouvez faire la même
chose deux fois, à la limite, mais pas trois fois ».
Plus tard aussi, lors de son fameux combat contre Sasaki Kojiro, Musashi utilisera la stratégie qui
consiste à irriter l'adversaire, en arrivant en retard.
La stratégie de Musashi dans son combat contre Yoshioka
J e vais reconstituer le déroulement du premier combat de Musashi contre Yoshioka en prenant pour point
de départ les documents connus et en réfléchissant à la façon dont il a employé la stratégie.
Dans sa jeunesse Musashi est plein d'ambition. Pour se faire connaître, la meilleure façon est de vaincre
publiquement des adeptes de haute réputation. Mais leur faire accepter un défi n'est pas une chose facile.
En 1604, Musashi, âgé de vingt et un ans, lance un défi contre Yoshioka Seijuro, maître principal du Dojo
Yoshioka qui était alors une des écoles les plus importantes de Kyoto. Avant de lancer son défi, Musashi
va regarder l'entraînement de l'école Yoshioka. Le dojo est somptueux avec une large porte d'entrée.
Musashi, qui n'a pas le droit d'entrer car l'accès du dojo est réservé aux élèves ou aux invités, s'arrête
devant les fenêtres qui donnent sur la rue. Le bruit sec des sabres en bois (bokken) s'entend au loin
accompagné de cris d'attaque et de riposte. Les écoles de Kyoto préconisaient habituellement les
attaques rapides et les mouvements spectaculaires. En regardant par un coin de la fenêtre, Musashi
pense que les techniques de cette école visent plutôt le combat en tenue civile que le combat en armure.
Trois ans auparavant, Musashi avait combattu sur les champs de bataille et il sait que, quand on porte
une armure, les techniques d'attaques légères sont peu efficaces même si elles sont rapides et variées.
Cette expérience lui a donné l'occasion de réfléchir sur les différences entre les combats en armure et en
vêtements civils. I l se trouve maintenant aux prises avec un adversaire redoutable pour le combat en
tenue civile car l'école Yoshioka y excelle.
Le défi de Musashi ayant été accepté, la rencontre
est fixée au 8 mars à dix heures du matin dans un
champ proche du temple Rendaï-ji, situé en
dehors de la cité. Pour ce combat Musashi emploie
les stratégies suivantes : « irriter l'adversaire », «
se mettre à la place de l'adversaire » et « effrayer
».
Yoshioka Seijuro arrivé avant l'heure est prêt à se
battre. I l va être dix heures mais Musashi n'arrive
pas. Puis, une cloche annonce dix heures, Musashi
n'est toujours pas là. Musashi a décidé d'arriver
en retard. I l avait appris cette stratégie à ses
dépens, l'année précédente, lors d'un combat
contre un adepte de l'école Shinkagé-ryu à
Kyushu (grande île du sud du J apon). Son
adversaire était arrivé avec presque quatre heures
de retard. Musashi, vexé et énervé, avait failli
perdre et il avait retenu de ce combat une leçon
vitale.
En partant de sa propre expérience, Musashi
imagine ce qui se passe dans l'esprit de Yoshioka
Seijuro. En se mettant à sa place, il voit surgir
dans l'esprit de son adversaire, l'angoisse du
combat car plus on attend plus les images de la
mort vous envahissent ; l'imagination engendre la
peur et on commence à sentir son corps s'alourdir.
Celui qui attend s'efforce de ne pas tomber dans
la stratégie de son adversaire mais plus il s'y
efforce, plus les images négatives s'accrochent. I l
vivra à plusieurs reprises des moments de frayeur,
hors de la présence de l'autre. Demeuré à
l'auberge, Musashi feint d'avoir mal au ventre et
entend la cloche de dix heures tranquillement
couché dans son lit. C'est seulement vers onze
heures qu'il se lève et commence à se préparer.
Le lieu du duel est à environ une heure de marche,
il fait tranquillement ce parcours. Lorsque Musashi
arrive, il est déjà midi passé et, effectivement, S. Yoshioka est irrité. Après la présentation mutuelle des
deux combattants, S. Yoshioka ne pouvant se retenir dit : « Tu n'es qu'un paysan et en plus inculte ! »
Musashi répond calmement par un sourire, ce qui énerve davantage son adversaire. Yoshioka prend son
sabre et le tient verticalement au-dessus de l'épaule droite (hasso). Musashi prend un sabre en bois et le
tient en garde moyenne. I ls demeurent un moment presque immobiles. Par des mouvements subtils des
pieds, Musashi cherche spontanément un meilleur terrain, c'est une habitude qu'il a prise car il s'entraîne
toujours dehors dans la nature. Pour Yoshioka, ce geste n'est pas spontané car, pour lui, la plupart du
temps, l'entraînement se fait au dojo, sur un parquet lisse. Tenant son sabre avec légèreté, Yoshioka fait
ressentir sa rapidité d'attaque mais sa garde ne présente aucune vulnérabilité. Musashi mettant de la
force dans son regard fait ressortir les deux petites rides verticales entre ses sourcils et conserve
l'ensemble du corps de Yoshioka dans son champ de vision. Yoshioka faisant ressentir son adresse et sa
force prend l'attitude d'attente que Musashi appelle « taï », il réagira en répondant à l'attaque de
Musashi. Soudain, Musashi recule de deux pas vers l'arrière en changeant sa garde en une garde de côté.
Yoshioka avance calmement, c'est à ce moment que Musashi s'élance avec un cri effrayant changeant la
cadence de ses mouvements. I l feint une attaque à l'épaule gauche de Yoshioka qui, au lieu de parer,
avance en tournoyant pour le devancer par une attaque à la tête de Musashi. C'est juste à l'instant où
Yoshioka croit avoir touché sa cible que son sabre est renvoyé vers le bas comme s'il était pris par un
tourbillon. Et, au moment où il tente de le relever, le sabre de Musashi brise son épaule gauche. Un voile
rouge passe devant ses yeux et il tombe par terre en perdant connaissance.
Dans ces cinq articles consacrés à Miyamoto Musashi, je me suis contenté de présenter
brièvement son art et sa stratégie à partir de son livre majeur, le « Gorin no sho » . Le cadre
d'une revue ne me semble pas propice à une analyse plus détaillée. J e publierai
prochainement une traduction intégrale du « Gorin no sho » dans un ouvrage approfondi sur
Miyamoto Musashi et son art. Pour donner une vision globale de l'art du sabre japonais, je
présenterai, à partir du prochain numéro, les maîtres de sabre les plus importants, en
commençant par les plus anciens et en remontant leur filiation. J e commencerai par
Tsukahara Bokuden puis suivrai sa filiation directe et indirecte avec Kamiizumi Nobutsuna,
Yagiyu Sekishusaï puis Yagiyu Munénori. J e rapporterai comment l'école Kashima, la plus
ancienne école de sabre japonais, a trouvé sa forme avec Bokuden et comment son art a été
transmis à Nobutsuna ; comment celui-ci contribua à la création de l'école Yagiyu qui se
développa au cours de l'époque Edo.
Présentation d'une thèse de Doctorat en langue et civilisation de l'Asie Orientale
« Miyamoto Musashi, Maître de sabre J aponais du XVI I e siècle, le mythe et la réalité, l'oeuvre
et son influence » par Kenji Tokitsu.
(Thèse soutenue le 17 juin 1993 à l'Université de Paris VI I , Directeur de Thèse M. J ean-Noël Robert.)
Miyamoto Musashi, guerrier et maître de sabre légendaire du XVI I e siècle japonais est l'auteur
d'un traité de stratégie écrit à propos de l'art du sabre, le Gorin-no-sho (Ecrit sur les cinq éléments) qui,
malgré les nombreuses difficultés d'interprétation qu'il comporte, est aujourd'hui encore une des
références principales de l'étude et de la pratique des arts martiaux au J apon.
J e présente de cet ouvrage et de l'ensemble de l'oeuvre écrite de Musashi et de ses élèves une
traduction, largement commentée, afin d'essayer d'en approcher, de la façon la plus fidèle, le contenu.
Comme toute traduction, ce travail a soulevé des questions d'ordre philologique mais, en plus, j'ai été
confronté à la difficulté de rendre claires des explications techniques destinées aux élèves proches de
Musashi et des attitudes corporelles relevant d'une technique étrangère à la plupart des lecteurs. Rendre
intelligible la technique était un problème crucial puisque c'est à travers celle-ci que Musashi développe
sa conception de la stratégie et plus largement de la vie. Pour éclairer le texte, je me suis appuyé sur
une comparaison entre les différentes interprétations de cette oeuvre en japonais moderne et aussi sur
ma pratique et mes études du karaté et de l'art du sabre japonais.
J 'avais 20 ans lorsque j'ai lu pour la première fois l'oeuvre principale de Musashi, le Gorin-no-sho.
En lisant Musashi, je cherchais au début principalement des éléments techniques applicables à la
pratique du karaté. Au bout de quelques années, j'ai eu l'impression d'avoir épuisé la pensée technique
de Musashi car le champ de son application en karaté était limité. Toutefois, j'ouvrais régulièrement le
Gorin-no-sho et j'ai constaté, plus tard, que l'intérêt de ce texte changeait avec les années. En effet, cet
ouvrage est bien plus qu'un manuel pratique de sabre car il traite d'une conception de la vie et de la
stratégie élaborées au moyen de la pratique du sabre. Même dans les passages techniques, Musashi ne
s'attache pas aux détails mais seulement aux traits essentiels de la technique. I l renvoie souvent à la
compréhension pratique et réelle, sabres en mains. C'est pourquoi l'intérêt de cet ouvrage varie selon les
degrés de compréhension, changeant avec le niveau des adeptes. I l s'agit d'une écriture qui indique
l'expérience de celui qui est parvenu au sommet de son art. I l peut être compris par ceux qui s'en
approchent mais ce n'est pas d'un guide pour ceux qui sont au point de départ.
J 'ai d'abord lu Musashi en cherchant une méthode d'arts martiaux qui permette de pratiquer
durant toute ma vie, comme l'a fait Musashi. Puisque j'étais guidé par Musashi dans la voie du karaté, je
devais aussi être capable d'exprimer mon art au moyen du sabre, de tenir un sabre comme le
prolongement de mes mains. J 'ai repris le kendo que j'avais pratiqué dans mon enfance. Une des
spécificités de l'Ecole de Musashi est le nito (usage simultané de deux sabres), je me suis donc intéressé
à la pratique du kendo en utilisant les deux sabres. J 'ai constaté que si, dans le milieu du kendo, on se
réfère souvent au texte de Musashi pour la technique et l'état d'esprit à rechercher en combat, la
pratique du nito est cependant marginale et considérée parfois comme une pratique déviante. J e vois
dans ce décalage entre la pratique et les référents qui existe aussi sur d'autres points un des problèmes
majeurs du kendo moderne. Avec la pratique du kendo, j'ai recommencé à lire autrement le Gorin-no-
sho et aussi d'autres documents concernant Musashi et l'art du sabre en général. J 'ai alors entrepris une
étude historique et culturelle de l'oeuvre de Musashi en cherchant à y apporter une rigueur scientifique.
L'utilité d'un travail synthétique sur Musashi m'est apparue à la lecture des ouvrages japonais
sur le sujet. I l existe plusieurs livres qui présentent le texte original Gorin-no-sho avec une transcription
en langue japonaise moderne mais il m'est apparu que ce qu'on appelle la transcription en langue
japonaise moderne comporte nombreux passages rendus par des périphrases qui correspondent souvent
à des interprétations. Ce sont, bien sûr, les passages dont le sens est obscur et sur lesquels je
m'interrogeais. En effectuant attentivement les comparaisons et en retournant au texte original, j'ai
constaté quelques erreurs de transcription et aussi, dans plusieurs, des périphrases, des déformations du
sens.
En outre, les études japonaises sur Musashi se sont avérées très partielles. La plupart se limitent
à l'interprétation du Gorin-no-sho, quelques-unes traitent des techniques et un grand nombre de petites
études approfondissent les discussions sur le lieu de sa naissance et sur sa parenté. Les connaissances
sur Musashi et sur sa pensée me semblent y être morcelées. I l m'a donc semblé utile d'effectuer une
étude globale sur Musashi en la replaçant dans une vision de l'histoire du sabre japonais et, plus
largement, du budo.
J 'ai commencé par traduire le Gorin-no-sho. Pour les raisons que je viens d'évoquer, il s'agit d'un
travail difficile. I l m'est arrivé fréquemment de revenir à ma première traduction après avoir effectué
plusieurs essais. J e suis conscient que ma traduction finale est loin d'être parfaite mais, une traduction
dite parfaite est-elle possible lorsque les langues sont si différentes ? Si je poussais l'exigence, je
n'aurais jamais terminé la traduction car je peux toujours trouver des insuffisances. J e comprends bien
maintenant pourquoi les auteurs japonais ont eu recours si fréquemment à des périphrases. Néanmoins,
la traduction en langue française m'a permis d'approfondir un certain nombre d'idées qui paraissaient
aller de soi dans le texte japonais et dont j'ai découvert, en les traduisant, qu'elles étaient imprécises.
J 'ai tenté d'être le plus fidèle possible au texte original. Et, afin d'éclairer le double rapport de la pensée
de Musashi à l'art du sabre et à la pensée de son époque, j'ai complété la traduction par de nombreux
commentaires.
Pour compléter la compréhension de l'oeuvre majeure de Musashi, le Gorin-no-sho, je l'ai
comparée avec le Hyoho sanjugo-ka-jo, traité de sabre qu'il avait écrit deux années auparavant et dont
le texte recoupe largement celui du Gorin-no-sho. J 'en ai traduit les passages où il exprime des idées
différentes. J 'ai également traduit les textes écrits par ses disciples et par les adeptes qui ont continué
son école, ceci afin de mieux cerner les idées de Musashi et l'influence qu'elles ont eu par la suite. J 'ai
remarqué, en rapprochant ces textes, que celui de Musashi était incomparablement plus clair et plus
beau bien qu'il présente des difficultés. J 'y vois un témoignage de l'ampleur de la culture de Musashi.
J e donne aussi une traduction des autres écrits de Musashi, quelques textes de jeunesse, et une
oeuvre importante, le Dokkodo (La voie à suivre seul) écrit quelques jours avant sa mort où, à l'intention
de ses disciples, il condense de sa pensée en vingt et un préceptes.
L'étude de la vie de M. Musashi a été menée avec l'objectif de faire apparaître la spécificité de
son art de sabre et de tenter d'en préciser les origines. J 'y fais le point sur les documents biographiques
connus jusqu'ici et les discussions auxquelles ils ont donné lieu, par exemple, sur le lieu et la date de sa
naissance, il existe plusieurs documents contradictoires.
Musashi est souvent considéré comme un autodidacte mais cette étude m'a donné la conviction
qu'il a reçu une formation traditionnelle sérieuse sur laquelle il a pu bâtir ses idées nouvelles et ses
techniques particulières, et j'en ai cherché les sources. L'un d'elle est l'art du jitte transmis dans sa
famille depuis la génération de son arrière-grand-père et qu'il aurait appris très jeune sous la direction
de son père. Le jitte se manipule avec une main en tenant un grand sabre de l'autre. J e fais l'hypothèse
que cette technique a été, plus tard, un support important pour l'élaboration de sa technique des deux
sabres en substituant au jitte un sabre court.
La vie de Musashi a donné lieu à des interprétations controversées. Certes, il a réussi à acquérir
une réputation de grand adepte du sabre, mais on considère souvent que sa vie de guerrier est une suite
d'échecs. I l n'a pas pu obtenir, comme il le souhaitait, la place du maître du Shogun ou d'un des trois
plus grands Seigneurs. Or, il semble que Musashi estimait sa valeur suffisante pour refuser de s'attacher
au service d'un Seigneur de moindre rang. I l a refusé le compromis et a préféré vivre sans Seigneur.
Cette situation lui a permis d'approfondir librement son art du sabre et de la stratégie. J e ne pense donc
pas que Musashi ait échoué dans sa vie de guerrier puisqu'il est allé jusqu'au bout de son art. I l a assuré
la succession de son nom et la continuité de la famille par l'intermédiaire son fils adoptif I ori qui était un
excellent guerrier et administrateur et qui a parfaitement assumé son rôle.
Au-delà des épisodes biographiques, j'ai cherché à situer l'oeuvre de Musashi dans l'histoire de
l'art du sabre japonais et à en montrer l'influence et la continuité jusqu'à l'époque moderne dans les
techniques et dans une conception de l'art du combat qui gravite autour de la notion de « vaincre sans
porter de coup ».
Dans le Gorin-no-sho, Musashi définit les grandes phases de son évolution :
« J e me suis entraîné dans la voie de la stratégie depuis ma jeunesse et, à l'âge de 13 ans, je me suis
battu pour la première fois en duel.... A l'âge de 21 ans, je suis monté à Kyoto et me suis battu en duel
avec plusieurs adeptes du sabre d'écoles célèbres mais je n'ai jamais perdu.
Puis, j'ai voyagé dans plusieurs seigneuries et régions pour rencontrer les adeptes de différentes écoles.
J 'ai combattu plus d'une soixantaine de fois mais pas une fois je n'ai été vaincu. Tout cela s'est passé
entre ma treizième et ma vingt-huitième ou ma vingt-neuvième année.
A l'âge de trente ans, j'ai réfléchi et je me suis aperçu que, si j'avais vaincu, je l'avais fait sans être
parvenu à l'ultime étape de la stratégie. Peut-être parce que mes dispositions naturelles pour la voie
m'avaient empêché de m'écarter des principes universels, peut-être parce que mes adversaires
manquaient de capacité en stratégie.
J 'ai continué à m'entraîner et à chercher du matin au soir à parvenir à une plus profonde raison. Arrivé
à cinquante ans, je me suis trouvé naturellement dans la voie de la stratégie.
Depuis ce jour, je vis sans avoir besoin de rechercher davantage la voie. Lorsque j'applique la raison de
la stratégie à la voie de différents arts et artisanats, je n'ai plus besoin de maître dans aucun domaine. »
Lire ce résumé de la vie de Musashi implique un risque de méconnaissance de la dimension
humaine de la culture japonaise de son époque. J e ressens une sorte de rupture entre le sujet d'étude et
l'attitude intellectuelle par laquelle nous approchons aujourd'hui une culture où le poids des mots était
important parce qu'on les utilisait peu, avec une présence évidente du corps. L'approche intellectuelle
que nous privilégions rend la mort parfaitement abstraite. Etudier la culture des guerriers japonais au
travers les filtres de la langue et la culture française fait naître chez moi des interrogations violentes et je
me demande parfois si la sensation d'être liés avec le passé par les mots n'est pas fictive. Avec ses
singularités, Musashi reflète la sensibilité des XVI e et XVI I e siècles. Sa conception du corps, de la mort et
du monde sont différentes de la nôtre. Comment pouvons-nous approcher des sentiments de l'époque
sans essayer de saisir cette dimension ?
En lisant les documents modernes sur Musashi, j'ai eu le sentiment que nos contemporains ont
tendance à apprécier ses écrits au point de vue de la littérature, de l'esthétique ou de l'éthique, à partir
d'une conception strictement moderne, en effectuant un déplacement des idées de la mort et du corps,
base fondamentale des travaux de Musashi. J 'ai eu la sensation aiguë de lire des explicitations relatives
aux conceptions de Musashi sur le corps et sur la mort faites par des auteurs dont l'intérêt se situe
ailleurs, cadré par leur expérience d'intellectuels. J e me suis demandé dans quelle mesure, même en
restant sur le plan littéraire, il était possible d'apprécier cette oeuvre sans avoir de référence à la
pratique qui la fonde.
Pour surmonter ce problème, dans l'interprétation des aspects techniques, j'ai essayé de
m'approcher, autant que faire se peut, des sensations physiques évoquées dans le texte de Musashi en
me plongeant davantage dans la pratique du karaté et du kendo. Lorsque je parviens à mettre en oeuvre
une de ses techniques et j'ai la sensation que ses paroles m'imprègnent, je ressens une communauté de
sensations physiques. Cependant, lorsque je me rends compte de la conception de la mort inhérente à
ses paroles, je ressens qu'il existe un abîme infranchissable entre les hommes modernes et les adeptes
de sabre du XVI I e siècle. La sensation physique atteste d'une communauté d'expérience et en même
temps avive la sensation d'être étranger.
Dans les combats de sa jeunesse, perdre signifie mourir, le sabre y donne la mort. Une seule
faute commise et c'est l'irréparable. L'expérience est unique, il est trop tard pour tirer une leçon de sa
défaite en vue d'une revanche ultérieure. Musashi a forgé son art dans ces conditions. I l est déplacé de
porter sur lui un jugement à partir des critères du combat sportif comme le font plusieurs auteurs
japonais. Nous pouvons calculer sommairement qu'il s'est battu avec la fréquence d'un combat tous les
deux mois durant une dizaine d'années et l'issue de ces combats était le plus souvent mortelle. Quelle
tension cette vie a-t-elle impliquée ! Par la suite, après l'âge de 30 ans, il est entré dans une période
d'introspection et je pense que c'est alors qu'il a commencé à se familiariser avec la pratique du zen. A
partir de cette époque de maturité, Musashi construit une forme de combat où il domine son adversaire
sans lui porter de coup.
Ce qui est remarquable est que Musashi, à cette époque où le duel était souvent mortel, a
réalisé vers la fin de sa vie des combats où il a vaincu sans blesser son adversaire et même sans porter
de coup. Nous devons y voir une montée extraordinaire du niveau de son art et aussi un changement
radical de sa pensée sur le sabre. Au cours d'un duel, il cherche désormais à faire progresser son
adversaire. A l'issue du combat, celui-ci sait qu'il serait mort si Musashi avait prolongé son geste et cette
expérience le mène à une introspection. I l fait face à son insuffisance technique qui le renvoie à sa façon
de vivre le moment du combat, bref à l'insuffisance dans sa manière d'être. I l a été en situation de
mourir mais il vit. I l voit sa vie au travers de la phase de la mort et les phénomènes de la vie
apparaissent alors dans leur relativité, sur ce fond sombre. Cette expérience concrétise la conception
bouddhique selon laquelle la mort apparaît déjà dans la naissance, la séparation dans la rencontre, la
lumière dans l'ombre. Lorsque la forme du combat requiert cette attitude, le sabre cesse d'être l'arme
qui tue et se transforme en sabre qui fait vivre.
J e vois dans cet exemple une forme originelle de l'idéal du kendo actuel. En effet, en kendo au
niveau le plus haut, préalablement à tous les gestes techniques, les adeptes s'affrontent dans
l'interférence de leurs énergies vitales qu'on appelle ki. Le point remarquable du kendo, qui le distingue
des autres disciplines, est d'avoir préservé ce domaine d'affrontement en le situant comme l'objectif le
plus haut. C'est par là que le combat du kendo est conçu comme un moyen de formation de l'homme.
C'est aussi par là qu'il se distingue des sports de combat et sert de modèle aux autres disciplines des
arts martiaux japonais. J e pense que cet acquis est une concrétisation de la culture traditionnelle
japonaise. En même temps, il donne son contenu à la formation de l'homme que véhicule la notion
contemporaine de budo. Car c'est à partir d'une tension vers la formation de l'homme que le budo se
définit. Cette démarche recèle, à mon sens, la possibilité de développer certaines capacités humaines
actuellement laissées au second plan. En cultivant cet héritage, nous pouvons trouver à travers le budo
contemporain l'enseignement d'une manière de vivre.
L'étude de l'oeuvre de Musashi montre que la forme originelle de l'idée du budo moderne se
trouve clairement présente dans sa démarche. J 'ai cherché à préciser de quelle manière son oeuvre a
influencé l'art du sabre, comment elle est, encore aujourd'hui, reprise et interprétée par les budokas
contemporains. J e me suis attaché à définir la forme de relation entre les adversaires et les différentes
notions sous-jacentes à l'expérience physique du combat qui ouvrent sur la possibilité d'une formation à
la fois mentale et physique. Musashi est unique mais, dans l'histoire du sabre japonais, il n'est pas le
seul à avoir atteint ce niveau de conscience et de technique. L'étude du budo nous renvoie, par
l'intermédiaire de la pratique physique, à une interrogation plus large sur la culture japonaise et, en
particulier, sur les transformations du rapport à autrui, et je me propose d'en poursuivre l'élaboration
pratique et théorique.
Document d'archive écrit en novembre 1996
par Kenji Tokitsu - publié dans Cipango Cahiers d'Etudes japonaises n°5. I NALCO Centre universitaire
Dauphine, Paris

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