Le Phuoc Anh
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Université Toulouse - Jean Jaurès
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Phuoc Anh LE
le lundi 13 juin 2016
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LISST-CIEU UMR 5193 / UT2J ET LRA / ENSA Toulouse
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Jury :
Pierre-Marie DECOUDRAS, Professeur émérite, Université de la Reunion - Rapporteur
Pierre FERNANDEZ, Professeur, ENSA Toulouse - Examinateur
Paulette GIRARD, Maître de conférences honoraire, ENSA Toulouse - Invitée
Maurice GOZE, Professeur émérite, Université Bordeaux-Michel-de-Montaigne - Rapporteur
Jérome IONESCO, Architecte Urbaniste, AUA Toulouse aire métropolitaine - Invité
11
ARCHITECTURE, PAYSAGES, IDENTITÉS :
APPROCHES URBAINES APPLIQUÉES
AU CAS DU LAC DE L’OUEST À HANOÏ
Phuoc Anh LE
À ma famille,
… et à Hanoï, ma chère capitale
1
REMERCIEMENTS
Une autre personne, qui a joué un rôle très important dans ce travail, est Madame
Paulette Girard. C’est elle qui a ouvert les portes de mes études en France dans cette
jolie « ville rose ». Ses conseils pour ma démarche de recherche ont été bien
nécessaires. Encore une fois, merci infiniment.
Dans le contexte vietnamien où l’accès à l’information n’est pas toujours aisé, je suis
très reconnaissant aux personnes qui m’ont aidé pour la collecte de données,
notamment à Trần Huy Ánh, Trần Việt Thắng, Lê Tuấn Long et Đinh Quang Trung.
Je tiens également à remercier le professeur Peter Weissberg et mon directeur de thèse
pour la correction des textes en français, et mon amie, Caroline Herberlin, pour la
correction du résumé en anglais.
Pendant mes séjours à Toulouse, j’ai reçu l’aide chaleureuse de plusieurs amis et
collègues français et vietnamiens. Je pense en particulier aux professeurs Gilbert de
Terssac et Nicolas Golovtchenko dont la sollicitude amicale a beaucoup compté pour
moi. Merci à Đào Nguyễn Dạ Hương, Đỗ Xuân Sơn, Nguyễn Thị Oanh, Trần Thị
Hoa, Nguyễn Đỗ Long, Trần Ngọc Mai et Đoàn Ngọc Tú pour les innombrables
façons dont ils m’ont aidé pendant ces dernières années. Je ne peux énumérer ici
toutes les personnes dont par mille façons ce travail a bénéficié, ils se reconnaîtront et
je leur exprime toute ma gratitude.
Enfin, je dédie cette thèse à tous les membres de ma famille, point d'appui
indispensable à l’aboutissement de ce long cheminement. Ce travail rend hommage
également à mon grand-père, l’architecte Tạ Mỹ Duật. Bien qu’il nous ait quitté avant
mon entrée à l’université, c’est lui qui m’a transmis ma passion pour la profession.
Ses questionnements et réflexions sur la question de l’identité dans l’architecture ont
constitué aussi l’une des raisons majeures qui m’a poussé à choisir le sujet de
recherche.
SOMMAIRE
PARTIE I - INTRODUCTION
I. 1 PROBLÉMATIQUE
Les préoccupations générales et théoriques
I. 2 OBJECTIFS DU TRAVAIL
Les questions de recherche
Les hypothèses
II. 1 CONCEPTS
Paysage
Identité paysagère
Processus socioculturel
La flore
La faune
Le climat et l’ambiance
Hanoï socialiste
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
TABLE DES MATIÈRES
ANNEXES
PARTIE I - INTRODUCTION
Introduction 6
I.1 PROBLÉMATIQUE
Source : http://fineartamerica.com
Même si c’était une condamnation un peu trop sévère, on avoue que la question
d’identité d’un milieu renferme une signification beaucoup plus importante que des
motifs simplement pragmatiques tels que le développement du tourisme ou les
1
Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, Liège, éditeur Pierre Mardaga, 1997, p. 22.
2
M.M. Weber, Explorations into Urban Structure, Philadenphia, 1963; cité par Norberg-Schulz dans le
même ouvrage, p. 19.
3
Norberg-Schulz, op.cit., p. 180.
Introduction 7
Cependant, dans les milieux où existe déjà une identité remarquable, son maintien ne
va pas toujours de pair avec la conservation. Les besoins de développement créent des
pressions très fortes, particulièrement pour des pays comme le Vietnam, où la
question d’identité est beaucoup évoquée mais dans la réalité souvent délaissée en
faveur d’intérêts à court terme. De plus, la difficulté quant à la protection de l’identité
est augmentée par le fait que même la majorité des architectes, urbanistes ou autres
concepteurs urbains, qui sont parmi les rares groupes conscients de l’importance du
problème, bien qu’ils déclament sans cesse des slogans5, ne comprennent pas
vraiment ou suffisamment en quoi se constitue l’identité locale dans l’architecture ou
l’aménagement et ne savent donc pas quelles pistes sont susceptibles d’être suivies.
La plupart d’entre eux, s’ils s’y intéressent, tâtonnent dans les recherches formelles
qui finissent souvent par des copies manquant de créativité.
Fig. 2 – L’opéra folklorique, 15 rue Nguyễn Đình Fig. 3 - Un tableau phố du peintre Bùi Xuân Phái
Chiểu, Hanoï. Photo de l’auteur
Etant une sorte de construction culturelle de la réalité physique (le quartier ancien de Hanoï), les
tableaux phố (rue) du peintre Bùi Xuân Phái, avec le support des médias, ont beaucoup influencé la
perception publique des hanoiens sur l’identité de leur capitale. Pour les architectes, ils servent de
référence importante de l’architecture indigène lorsqu’ils cherchent à intégrer un nouveau bâtiment,
même dans un contexte colonial comme l’illustre la photo 3.
4
Ibid, p. 19-23.
5
On peut citer ici le slogan de l’Association des Architectes du Vietnam: Pour une architecture
progressiste, moderne et pleine d’identité nationale (en vietnamien: Vì một nền kiến trúc tiên tiến, hiện
đại và đậm đà bản sắc dân tộc). En fait, il résulte de la décision No. 5 session VIII du Comité Central
du Parti (Communiste) en Juillet 1998, qui déclare Construire et développer une culture Vietnamien
progressiste et pleine d’identité nationale. La décision est alors considéré depuis comme ligne directive
pour tous les domaines culturels ou artistique dont l’architecture et urbanisme.
Introduction 8
Photo de l’auteur
Jusqu’à présent, il y a plusieurs débats dont le résultat est souvent confiné à des
conclusions à caractère général et vague, où la notion d’identité reste insuffisamment
théorisée ou développée en profondeur. Parfois, elle est exprimée avec des ambigüités
et confusions, ou dépend d’une perception trop subjective. Dans certains cas, au nom
de sa protection, on a mis trop d’accents sur les particularités physiques définies d’une
manière arbitraire ou rétrécie, et on se heurte donc à de nombreuses plaintes (par
exemple, l’uniformisation des façades de quelques rues à Hanoï avec la seule couleur
de badigeonnage6, ou les chemins aux villages de Đường Lâm avec le même type de
revêtement7). Une autre tendance est liée à des sociologues ou anthropologues qui
mettent au contraire l’accent sur le sujet. Dans cette approche, le paysage identitaire
6
Il s’agit des rues Tràng Tiền – Hàng Khay et Hàng Ngang – Hàng Đào, à l’occasion du 1000ème
anniversaire de la capitale. Les autorités ont choisi le jaune et décidé de gérer l’affaire eux même en
disant : « si on laisse badigeonner les gens les couleurs ne seraient pas identiques, alors on va s’occuper
de l’opération ».
Source : http://vietbao.vn/Xa-hoi/Chinh-trang-cac-tuyen-pho-quanh-ho-Hoan-Kiem/11125362/157/
7
L’entretien avec architecte Emmanuel Cerise, Co-directeur de l’Institute des Métiers de la Ville (IMV
- Hanoï), qui participe au projet de restauration des villages de Đường Lâm, Hanoï.
Introduction 9
est rarement abordé d’une manière directe, mais effleuré pour la majorité comme un
contournement lorsqu’ils parlent de l’identité d’une communauté, d’une nation ou
d’une culture en général. Sous l’angle pratique, les intervenants reçoivent donc peu de
directions ou d’idées concrètes et claires. Étant caractérisée comme un concept large
et difficile à saisir, l’identité est parfois assez vulnérable8. Il est donc toujours
nécessaire d’entreprendre, dans un contexte donné, une étude plus approfondie sur ce
sujet au lieu de se satisfaire des directions nébuleuses.
Toutefois, dans les sociétés plus ouvertes ou les villes plutôt cosmopolites, l’identité
pourrait être aussi un terme délicat lorsqu’on parle de la culture ou politique, car elle
peut, en soulignant les différences, décourager donc l’intégration. Plus inquiétante, en
opposition à la globalisation, « la revendication de l'identité culturelle s'exprime
parfois au travers d'un nationalisme agressif et de l'élimination des cultures
minoritaires »9. Étant donnée comme un reflet physique de la culture ou une
matérialisation de la nature des sociétés, l’architecture ou le paysage urbain
pourraient-ils se positionner en dehors de ces débat ? Si non, jusqu'à quel point alors
cette question devrait occuper les architectes, urbanistes ou d’autres acteurs du
développement ?
Les questions ne s’arrêtent pas là, mais se compliquent encore avec l’opinion de
certaines personnes selon laquelle l’identité n’est pas forcément nécessaire. D’après
eux, c’est pour nous une contrainte, un obstacle, une camisole de force. Rem
Koolhass, en invoquant les environnements urbains manquant de caractères, valorise
l’absence de leur identité même :
Plus radical, il suppose que cette réalité n’est pas le produit du hasard, mais qu’elle
découle d’un processus intentionnel :
8
Simon Bell, Elements of Visual Design in the Landscape, London, Spon Press, 2001, p. 107.
9
Conseil International des Monuments et des Sites (ICOMOS), Document de NARA sur l'authenticité,
1994.
http://www.icomos.org/fr/notre-reseau/comites-scientifiques-internationaux/liste-des-comites-
scientifiques-internationaux/179-articles-en-francais/ressources/charters-and-standards/186-document-
de-nara-sur-lauthenticite
10
Rem Koolhass, From Bauhaus to Koolhaas (Entretien avec Katrina Heron), Issue 4.07, Wired, Juillet
1996.
Source: http://www.wired.com/1996/07/koolhaas/
Introduction 10
Continuant à aller plus loin, il condamne également les centres urbains historiques,
conçus comme un cœur où se condensent les valeurs et les sens, ou l’essentiel et donc
l’identité. Selon Koolhass, c’est effectivement ce milieu inséparable de notre fierté
qui est la raison pour laquelle la majorité des gens, à cause de leur « exil collectif loin
du centre », se sentent comme « des citoyens de seconde classe ». La libération de
l’emprise du centre et du carcan de l’identité semble alors contribuer à l’égalité
sociale12.
Les villes asiatiques apportent une source de référence importante pour illustrer les
idées provoquantes de Koolhass13. Il existe une convergence explicite entre les
propriétés qu’il stimule avec la logique de l’urbanisation urbaine, qu’elle soit
spontanée ou planifiée, qui s’y déroule. Yoshinobu Ashihara, en comparant les villes
japonaises à celles de l’Europe dont Paris est représentif, constate que cette dernière
semble être une bonne adresse destinée aux visiteurs mais dispose peu de place pour
le développement, car son harmonie parfaite ne s’avère pas très tolérante, même aux
moindres ajouts. A l’inverse, une ville « amibe » comme Tokyo, bien qu’elle paraisse
incohérente, n’ayant pas de centre et de bornes précis, est toujours prête, comme les
mollusques sans os ou les corps unicellulaires, à proliférer sans cesse et à régénérer ou
ressusciter après les désastres. Autrement dit, par rapport à des villes chargées
d’identités, elle permet beaucoup plus facilement les additions ainsi que les
extractions, et s’adapte mieux au changement du contexte en fournissant davantage de
possibilités et de potentialités14.
11
Rem Koolhass, Junkspace, Repenser radicalement l’espace urbain, Editions Payot & Rivages, Paris,
2011, p. 45.
12
Ibid, p. 47-49.
13
Rem Koolhass et Bruce Mau, O.M.A, S, M, L, XL, The Monacelli Press, 2nd edition, 1998.
14
Yoshinobu Ashihara, L'ordre caché: Tokyo la ville du 21° siècle?, Hazan, 1994.
15
Tiểu Vũ, Chuyển đổi kiến trúc nông thôn truyền thống sang hiện đại : Nhu cầu có thật (Le transfert
de l’architecture rurale traditionnelle à celle de la modernité : Une demande réelle), Xây dựng,
Journal électronique du Ministère de la Construction, 15/12/2009.
Introduction 11
exotiques de caractères plutôt urbains, avec lesquels ils se familiarisent au cours des
visites ou par les médias. Si l’on considère que « l’identité implique des caractères
indigènes »16, est-ce que les gens ici n’ont pas besoin d’identité ? Et si c’est le cas,
cela explique-t-il pourquoi la quête d’« identité nationale » est jusqu’à présent un
« slogan suspendu » mais n’entrant pas dans la réalité 17?
Quel est le vrai rôle de l’identité ? Pourquoi existe-t-il en parallèle deux types de
regard contradictoires sur la même question ? Comment réconcilier ces deux flux ou
courants de pensée? Existe-il entre elles des convergences? Dans les villes que
Koolhass ou Ashihara encensent ou pour lesquelles ils plaident, « toujours fondées
par des hommes en mouvement, prêts à repartir »18, ces hommes sont-ils joyeux et
contents, ou au contraire, trop égocentriques et affectés souvent par d’autres
problèmes psychologiques ?
En supposant que la vérité ne réside ni dans l’un ni dans l’autre mais entre les deux,
l’auteur espère que ces contradictions ne reflètent que des procédés différents d’une
même réaction contre une approche trop rigide, mécanique et totalitaire donc
régressive de l’identité, qui nuirait aux opportunités du développement et à la liberté
individuelle, bien que, comme Albert Camus nous dit, « la liberté n’est pas un
privilège, mais une responsabilité »19. Il présume aussi de l’existence d’un certain
seuil dont la nature flexible et contextualisée permettrait à l’identité de prendre sa
place dans la construction des habitats inclinés sur l’équilibre des valeurs et
satisfaisants pour tous.
http://www.baoxaydung.com.vn/news/vn/quy-hoach-kien-truc/chuyen-doi-kien-truc-nong-thon-truyen-
thong-sang-hien-dai-nhu-cau-co-that.html
16
Nguyễn Luận, Bản sắc trong thiết kế kiến trúc (L’identité dans la conception architecture), Kiến trúc
Việt Nam (Magazine de l’Architecture Vietnamienne), N°. 10/2010.
http://www.kientrucvietnam.org.vn/Web/Content.aspx?zoneid=200&distid=17881&lang=vi-VN
17
Nguyễn Trí Thành, Đổi mới nhận thức về vấn đề bản sắc dân tộc trong kiến trúc (Renouveler la
perception de l’identité nationale en architecture), Kiến trúc (Magasine de l’Architecture), N°. 9/2013.
http://ashui.com/mag/tuongtac/phanbien/9573-doi-moi-nhan-thuc-ve-van-de-ban-sac-dan-toc-trong-
kien-truc.html
18
Rem Koolhass, Junkspace, Repenser radicalement l’espace urbain, Editions Payot & Rivages, Paris,
2011, p. 55.
19
Albert Camus, Citations sur la liberté.
http://statusmind.com/freedom-facebook-status-25/
Introduction 12
notamment grâce à ces lacs que la ville dispose de traits particuliers par rapport à
d’autres villes situées aussi sur le bord des fleuves. De plus, tandis que le fleuve
Rouge, jusqu’à présent, se voit encore « immense, large, hors d’échelle, ne permettant
pas la complicité naturelle des deux rives », les lacs enrichissent déjà depuis
longtemps la composition urbaine en autorisant « le recul et la distance visuelle
nécessaire pour assembler les éléments majeurs dans une distribution paysagère »20.
En dehors de la dimension esthétique, les surfaces d’eau servent aussi comme source
de mémoire collective à laquelle sont associées de nombreux événements historiques
et légendaires. Ainsi, ces éléments patrimoniaux, à la fois naturels et culturels,
deviennent extrêmement importants pour la ville et ils constituent une partie
indissociable de son identité, ce qui a été souligné par l’historien Dương Trung
Quốc : « Hanoï n’aurait plus la silhouette d’une ville millénaire si elle perdait les eaux
sur lesquelles elle mire son front »21.
20
Pierre Clément, « Les leçons de Hanoï » ; dans Pierre Clément et Nathalie Lancret (sous la direction
de), Hanoï – Le cycle des métamorphoses : Formes urbaines et architecturales, Paris, Éditions
Recherches/Ipraus, 2001, p. 9.
21
Dương Trung Quốc, « Hà Nội và những mặt gương soi bóng » (Hanoi et les miroirs d’eau), Thế giới
mới (Nouveau monde), 2001.
http://www.nhandan.org.vn/vietnamese/20011008/bai-vh3.html
22
C’est surtout la rivière Tô Lịch qui avait cette fonction. On peut trouver les poèmes folkloriques qui
exaltent les bateaux à voile sur la rivière.
http://thanglong.cinet.vn/Pages/ArticleDetail.aspx?siteid=1&sitepageid=63&articleid=480
23
Georges Azambre, « Les origines de Hanoï » (8/1954) ; dans Plusieurs auteurs français (choisis et
traduits par Lưu Đình Tuân), Một số tư liệu quý về Hà Nội (Quelques documents précieux de Hanoï),
NXB Trẻ (Maison de publication de Jeunesse), Ho Chi Minh ville, 2010, p. 13.
Introduction 14
Photos de l’auteur
Doté d’une superficie de 526 ha26, le Lac de l’Ouest est le plus grand lac de Hanoï.
Profondément rattaché à l’histoire de la capitale, ce milieu est associé à de nombreux
mythes ou légendes et il fait l’objet d’innombrables poèmes, tableaux ou
photographies. Outre l’existence de la grande surface d’eau, la séduction s’exerce
encore avec la matérialisation du passé lointain par le biais d’une concentration
énorme de vestiges historiques (surtout des temples et pagodes) dans l’environnement
du lac; tous contribuant à une beauté extraordinaire dont l’atmosphère est aussi réelle
qu’imaginaire. Le site, regardé encore comme faubourg il y a environ vingt ans, a déjà
été l’objet de plusieurs projets d’aménagement ambitieux pour l’extension de la ville.
Pour diverses raisons, ces projets n’ont pas été réalisés et l’urbanisation ne commence
24
Pendant les 50 dernières années, la ville a perdu 80% la surface des eaux, dont 21 lacs ont été
comblés depuis 15 ans. Source : JICA.
http://tuanvietnam.vietnamnet.vn/2009-03-16-ha-noi-san-lap-80-dien-tich-mat-nuoc-de-xay-dung-
25
A l’époque coloniale, les français ont remblayé, à partir de la fin du XIXème siècle, plusieurs lacs et
rivières de Hanoi pour convertir la ville à des plans d’urbanisme à l’occidentale.
26
Porte d’informations du district de Tây Hồ (Lac de l’Ouest)
http://tayho.gov.vn/tayho/portal/vi/News-details/148/89/Gioi-thieu-quan.html
Introduction 15
Photo de l’auteur
27
En 1986, le Sixième congrès du Parti Communiste a déclaré l'ouverture du Đổi Mới, le nom
vietnamien du « Renouveau ». En fait, c’est une réforme économique qui amène à de grands
changements du pays dans plusieurs domaines.
28
Ministère de la Construction du Vietnam, Planification de Hanoi jusqu’à 2020.
Introduction 16
Bien que les schémas directeurs apportent parfois le doute sur leur faisabilité, le Lac
de l’Ouest, avec ce qui se passe aujourd’hui, deviendra certainement le centre de la
capitale agrandie de demain. A la différence des centres conventionnels composés des
quartiers, il s’agit ici d’une surface d’eau très étendue qui soutient des connexions
plus visuelles que physiques. En fournissant un nombre infini d’images multiples en
panoramas, c’est un endroit exceptionnel où on peut regarder simultanément le passé
et le présent, le réel et le virtuel (mythe), la conservation et le développement, des
villages traditionnels et de grands bâtiments modernes, l’homme et la nature… Au
total, ce sont tous ceux qui représentent l’identité de Hanoï. Le site est donc
particulièrement sensible et il exige beaucoup de prudences devant toutes sortes
d’interventions. Une stratégie globale et appropriée suivie des analyses minutieuses
s’avère essentielle pour ne pas laisser conduire à des projets mercantiles et brutaux,
dont la catastrophe dépasserait l’échelle territoriale et détruirait gravement l’identité
de la ville entière.
Fig. 11 – L’urbanisation
sauvage et la menace
d’une banalisation.
29
Pour illustrer, on peut citer Isac Chiva et Françoise Dubost quand ils écrivent : le jugement
esthétique, comme tout jugement de goût, est inscrit dans un contexte historique et socialement
conditionné, qu'il n'échappe donc pas aux normes du goût dominant et aux modes du moment ; dans
« L'architecture sans architectes : une esthétique involontaire ? », Architecture rurale : questions
d'esthétique, Études rurales N° 117, 1990, p. 10.
Introduction 17
Par ailleurs, de nombreux exemples contemporains ont prouvé que dans certaines
circonstances, le développement pourrait être perçu comme une bonne opportunité
pour rétablir ou renforcer l’identité, ou bien remédier aux erreurs du passé (ce qui
semble le cas de l’environnement du Lac de l’Ouest depuis ses dernières phases
d’urbanisation). Alors comment fait-on d’un milieu médiocre et manquant de
caractère un paysage impressionnant et fort en identité ?
Considéré comme une recherche appliquée, ce travail désire donc répondre à la fois
aux préoccupations générales et théoriques ainsi que celles particulières et pratiques.
Premièrement, il vise une compréhension profonde et systématique du concept de
l’identité paysagère, de ses éléments composants et des facteurs générateurs ou
modifiants. En abordant les thèmes, cette partie tente aussi de mieux expliquer
l’existence des opinions très divergentes sur la question. Les résultats qui en
proviennent seront appliqués au contexte particulier du Lac de l’Ouest pour
déterminer en quoi se constitue l’identité de ce paysage. La recherche s’achève avec
les réflexions et suggestions, comme pistes concrètes et susceptibles d’être suivies
pour maintenir et renforcer cette identité dans le processus d’urbanisation, qui
deviendra plus extensif dans un avenir proche. Ces pistes se veulent appropriées non
seulement avec le contexte physique direct, mais aussi avec celui social plus large, qui
tient compte des limites et de la complexité actuelle, avant de se lancer dans une
perspective plus internationalisée ou même cosmopolite.
30
Norberg-Schulz, op.cit., p. 18.
Introduction 18
Car c’est probablement une notion évolutive, existe-il un processus valable pour la
constituer à partir d’un contexte naturel et socio-culturel donné?
L’objectif ici n’est pas de dresser une liste ou un éventail complet des éléments
identitaires à sauvegarder (ce qui est par ailleurs impossible), mais d’évoquer un
cadre ouverte à la fois théorique et pratiquement saisissable dont la mise en place
nous semble nécessiter la participation de tous les acteurs du développement.
Pour un site qui a connu plusieurs mutations, il y a toujours pour chaque période
historique ses propres éléments qui nous frappent le plus. Ce travail, en allant aux
détails pour esquisser le tableau actuel, essayera aussi, avec des analyses de différents
processus de la transformation du site et de l’évolution de la perception publique, d’en
tirer des traits les plus communs comme points de relais qui servent de bases pour les
futures suggestions. D’une certaine manière, quoiqu’un site ne soit pas forcément un
Introduction 19
être vivant, cela ressemble un peu à la recherche des réponses aux questions évoquées
par Milan Kundera lorsqu’il écrit sur les autoportraits de Francis Bacon31.
Fig. 12 – Francis Bacon et l’interrogation sur les limites du moi. Autoportraits 1968, 1969, 1971, 1972,
1976 (de gauche à droite).
Les hypothèses
Parallèlement à ces questions et afin de favoriser la démarche, les hypothèses ci-
dessous ont été élaborées pour mieux conduire l’analyse:
Cette première hypothèse est formulée avec une condition sous-jacente, c’est la
démocratisation qui prévaudrait devant les mouvements nationalistes totalitaires.
Dans un monde ouvert et surtout en milieu urbain, la construction de l’identité ne peut
plus attendre autant des habitants à travers les éléments indigènes ou vernaculaires
comme auparavant ; tandis que les approches des professionnels ne peuvent
qu’apporter plus de variations au regard ou à l’interprétation de l’identité, plutôt
qu’offrir à la dernière des images plus claires et largement partagées telles que celles
qui possèdent les formes historiques. Cette confirmation serait particulièrement
importante pour un pays comme le Vietnam où les architectes et urbanistes sont
confrontés souvent à des plaintes concernant la perte d’identité et aux demandes de la
31
France Borel et Milan Kundera, Bacon, portraits et autoportraits, Les Belles lettres / Archimbaud,
1996, p 11. Dans la préface du livre, Kundera écrit : « ...Les portraits de Bacon sont l'interrogation sur
les limites du moi. Jusqu'à quel degré de distorsion un individu reste-t-il encore lui-même ? Jusqu'à
quel degré de distorsion un être aimé reste-t-il encore un être aimé ? Pendant combien de temps un
visage cher qui s'éloigne dans une maladie, dans une folie, dans une haine, dans la mort, reste-t-il
encore reconnaissable ?... Où est la frontière derrière laquelle un moi cesse d'être moi ? »
Introduction 20
reconstituer avec leur pratique. Une fois qu’elle est justifiée, on serait bien libéré des
espoirs illusoires.
Un paysage du Yin : Jusqu'à présent, les éléments les plus importants qui
constituent l’identité préférée du paysage du Lac de l’Ouest appartiennent plutôt au
Yin (Négativité).
Selon la philosophie orientale, les éléments qui constituent le monde peuvent être
convertis en deux sortes : négative ou positive. Habituellement, la négativité (yin)
appartient à la souplesse, l’émotion, la statique, la lenteur, l’introversion, la stabilité,
le passé, la virtualité… et au contraire, la positivité (yang) inclut la dureté, le
rationnel, la force, la rapidité, le mouvement, l’extraversion, le développement, le
présent, le réel… D’une façon absolue, la négativité et la positivité sont toujours en
équilibre. Néanmoins dans la réalité, on peut avoir des déséquilibres relatifs qui
résultent de la position de l’homme, d’où il perçoit le monde32.
Photo de l’auteur
La deuxième hypothèse suppose alors que pour la perception publique, dans le passé
ainsi que présentement, le paysage « préféré » du lac reflète une ambiance inclinée
plus vers le Yin par ses composants, ce qui n’est pas toujours évident lorsqu’on
regarde la logique des interventions importantes actuelles. Et une fois cette hypothèse
prouvée, elle peut servir de point d’appui clé pour renforcer des particularités du lac,
par exemple, comme un espace de contemplation avec des activités modérées au lieu
d’un paysage trop animé, et valoriser la dominance d’une certaine naturalité ou
l’atmosphère légendaire en évitant les éléments physiques ayant un contact trop
violent et agressif avec l’eau ou des patrimoines religieux. Une telle perspective si
légitime distinguerait mieux Hanoi d’autres villes internationales dont l’eau est plutôt
un miroir qui reflète, avec de grands bâtiments sur la rive, la vitesse du
développement économique.
32
Trần Ngọc Thêm, Cơ sở văn hóa Việt Nam (Base de la culture vietnamienne), Éditeur de
l’Éducation, 1999.
Introduction 21
Pour la troisième hypothèse, cette proposition ne coïncide pas totalement avec les
expériences du monde entier, et parfois même les contredit. Dans plusieurs cas, les
caractères forts d’un paysage peuvent être imposés par une politique ou des idées
extrêmement arbitraires voire totalitaires. L’identité se forme d’une approche donc
très peu ou pas du tout humaine dans laquelle il n’existe aucune place pour la
consultation ou les désirs du grand public.
L’identité pourrait aussi être créée ou maintenue avec une approche quantitative
excessive ou une application trop rigide des règles rigoureuses. En général, c’est une
façon assez facile pour la gestion urbaine, mais est-ce qu’elle convient avec l’esprit de
l’époque qui demande beaucoup plus de dynamique, de flexibilité et pluralité de sens?
Surtout dans le contexte du Vietnam, la réalité montre de nombreux exemples dont le
résultat abouti semble ridicule par rapport à l’objectif de début à cause des
manipulations énormes.
Dans la mémoire collective, les impressions d’un lieu pourraient provenir aussi d’une
partie de processus ou utilisations pas très durables, ou plus précisément non
écologiques au regard présent. Dans un autre temps, espace et à petite échelle, ils
peuvent recevoir une tolérance de la nature, ce qui devient beaucoup plus difficile à
l’heure actuelle avec des changements contextuels et idéologiques.
Introduction 22
La recherche commence par une analyse des textes existants, qu’il s’agisse des
notions, des idées ou des doctrines parfois très différentes même ayant l’air
contradictoire. A travers une synthèse avec plusieurs confrontations et mises en
relation, elle essaye de dessiner un cadre théorique, illustré des exemples et données
graphiques créés par l’auteur lui-même ou provenant de plusieurs sources, pour
comprendre le concept d’identité du paysage et ses facteurs dans leurs multi-facettes.
Ensuite, ce cadre théorique est utilisé pour comprendre tous ceux qui constituent
l’identité paysagère du Lac de l’Ouest. Tel qu’on l’a déjà présenté, c’est loin d’être un
portrait total et absolu pour une époque donnée, non seulement parce qu’il serait trop
ambitieux, mais en réalité cela n’existe pas et l’effort rend réductrice la démarche,
comme on va le constater plus tard.
Dans cette exploration ayant la forme d’une étude de cas, la recherche continue avec
des observations soigneuses et minutieuses sur place, accompagnée de notes,
d’esquisses, de photos faites par l’auteur et d’archives telles que des cartes
géographiques et d’urbanisme, des photos aériennes, des articles et des photos de
journaux, de magazines et sur l’Internet. Outre les données scientifiques, la poésie, la
littérature, la peinture ou les œuvres d’art en général méritent également d’être
consultées parce qu’elles représentent et influencent à la fois la perception publique
de l’identité. Enfin, des entrevues informelles et non-directives avec plusieurs
personnes de rôles différents sont effectuées éventuellement afin d’arriver à un aperçu
de l’ensemble ou de recueillir des suggestions pour les étapes suivantes.
Parmi les choix de matériaux, le fait qu’on ne trouve pas d’anciennes gravures ou de
peintures folkloriques représentant le lac pourrait signifier que, comme on va
développer plus tard en abordant la perception publique dans la IVème partie, le lac
entier par son immensité ne participe que peu dans l’habitat ou à la mise en place des
activités familières. Contrairement à la tradition d’autres pays asiatiques tels que la
33
Colin H. Davidson, Notes de cours AME 6502 : Méthodologie de recherche, Faculté de
l’aménagement, Université de Montréal, 2001.
Introduction 23
Orientées vers les directions plutôt pratiques, les réflexions ou suggestions prétendues
comme pistes susceptibles pour maintenir l’identité du paysage du lac seront établie
en combinant une revisite des idées théoriques constituées précédemment et les
résultats de l’analyse du contexte. Elles s’enrichissaient aussi avec des références de
multiples échelles provenant des expériences extérieures. En gardant toujours un recul
nécessaire pour une stratégie plutôt qualitative, ouverte et flexible, l’aperçu gagné, à
certains niveaux, est encore divisé ou fragmenté. Les particularités recueillies seraient
donc de nouveau remises en connexion pour trouver les points les plus forts, les
éléments les plus potentiels ou les thèmes les plus en commun pour mieux caractériser
l’esprit du lieu, le prestigieux « Genius Loci ».
34
La situation a tendance à être améliorée, mais par rapport à des pays démocratique comme la France,
il y a encore un gros décalage.
Introduction 24
35
Carlo Emilio Gadda; cité par Italo Calvino, Leçons américaines, Gallimard, 1989.
36
BCRTEE - British Columbia Round Table on the Environment and Economy, State of
Sustainability : Urban Sustainability and Containment, Victoria, 1994.
37
Peter Jacobs, Le développement urbain viable, 3e Sommet des grandes villes du monde, Montréal,
1991, p. 13-14.
38
Erik H. Erikson, Identity, youth and crisis, W. W. Norton & Company, Inc., 1968, p. 9. Dans ce
livre, il a écrit: “The more one writes about this subject [identity], the more the word becomes a term
for something as unfathomable as it is all-pervasive. One can only explore it by establishing its
indispensability in various contexts”.
Introduction 25
Par ailleurs, le choix des éléments constituant l’identité consiste à rechercher les
« images collectives » ou les « représentations mentales communes », ce qui, d’après
Lynch, demande une enquête auprès d’une grande quantité d’utilisateurs du paysage
de différentes couches sociales39. Néanmoins, un tel procédé dépasse aussi le cadre du
travail et l’auteur, architecte, ne peut en contrepartie que consulter des articles et des
livres ainsi que participer à un nombre limité d’entrevues informelles afin de trouver
un portail général de l’identité du Lac de l’Ouest. Dans d’autres contextes, il est fort
probable que ce portail serait mieux décrit avec une consultation publique suivie des
questionnaires détaillés.
39
Kevin Lynch, L’image de la cité, Paris, Dunod, 1999; Traduction française de l’ouvrage The image
of the City, Cambridge, The M.I.T. Press, 1960.
Introduction 26
Réalisée pour une grande partie sous forme d’étude de cas (le paysage d’un site
particulier), cette recherche, par la représentativité des problèmes qu’elle affronte,
permettra, dans une certaine mesure, une généralisation. Avec la construction du
cadre théorique, elle prétend fournir un outil d’analyse et des conclusions susceptibles
d’être appliquées dans d’autres contextes de développement. En effet, les relations
conflictuelles entre la culture, l’économie et l’environnement, auxquelles la question
de la sauvegarde de l’identité est associée, existent partout, notamment dans les pays
en voie de développement où l’identité (ou d’autres valeurs culturelles) a été souvent
délaissée pour privilégier la croissance économique.
PARTIE II – PAYSAGE ET IDENTITE
Paysage et Identité 28
II.1 CONCEPTS
Paysage
Le concept de paysage est assez large et complexe. Prenant ses racines dans la
peinture et la littérature1, le terme donne souvent au grand public des références à la
dimension symbolique ou esthétique, que cela soit un milieu naturel ou culturel. Dans
le monde scientifique, ses références dépendent des domaines de recherche, ce qui
implique souvent des confusions dans les débats multidisciplinaires (par exemple,
avec celui d’environnement ou d’écosystème). Ainsi, une clarification du terme
s’avère nécessaire pour bien situer les éléments d’étude.
D’une façon simple, le paysage pourrait être compris en tant qu’ « arrangement dans
l’espace physique des objets et des activités »2. Cependant, la complexité se trouve
dans le fait que la perception de la réalité physique, composée de ces éléments
statiques et mobiles, varie à travers les cultures, les groupes (ou sous-cultures) et
même les personnes3. Cela explique pourquoi sur un même endroit ou devant une
même scène certains le jugent comme beau ou attirant mais d’autres ne sont pas
sensibles à cette beauté. Ils pourraient être conduits ensuite à des conflits d’intérêt
parfois énormes, en particulier dans le domaine de la protection des vues où
l’intervention en général devient plus difficile4.
Comme Alain Roger nous l’a montré, le passage du pays au paysage, comme celui de
la nudité au nu5, n’est jamais évident pour tout le monde. Etant une notion riche,
chargée de significations et d’émotions, le paysage ne peut pas être réduit à
l’environnement seul, voire opposé6 par rapport aux caractères objectifs et physiques
de ce dernier.
1
En remarquant l’entrée du paysage dans la peinture des « Primitifs » italiens au XIVe siècle en
Occidence, ou le Shanshui (montagne et eaux), un terme chinois équivalent qui évoque le paysage
littéraire et pictural. Augustin Berque parle aussi des civilisations paysagères avec ses propres critères
dans Cinq propositions pour une théorie du paysage, Editions Champ Vallon, Collection
Pays /Paysages, 1994.
2
James S. Duncan JR., « Landscape and the Communication of Social Identity », The Mutual
Interaction of People and Their Built Environment, A Cross-Cultural Perspective, Mouton Publishers,
p. 391.
3
Simon Bell, op. cit., p. 3.
4
À titre d’exemples, on peut mentionner le cas des efforts de la « patrimonialisation d’un paysage »
avec les « sites classées » en France, ou dans le cas des paysages urbains, les comportements très divers
face aux certains patrimoines Moderniste et industriels, même en Europe et Amérique du Nord où ces
notions sont plus ou moins par rapport aux restes déjà mieux partagées.
5
Alain Roger, Nus et paysages. Essai sur la fonction de l'art, Aubier, 1978.
6
Alain Roger, « Paysage et environnement : pour une théorie de la dissociation », Jardins et paysages,
Éd. Larousse, 1996. Dans cet essai, l’auteur a mis l’accent sur la distinction entre l’approche naturaliste
qui est plus appropriée à l’environnement et l’approche culturaliste qui convient mieux au paysage.
Paysage et Identité 29
Même si nous sommes tous attirés, notre perception diverge aussi puisque nous ne
donnons pas à chaque élément de cette composition physique le même jugement de
valeur. Les impressions seront très différentes, ce qui reflète par exemple dans la
manière dont les gens prennent des photos avec des cadrages variés. De plus, la
perception pourrait changer aussi pour la même personne, dépendant des points de
vue et de ses différents états d’esprit au moment où il perçoit le paysage. Nguyen Du
a bien décrit l’effet de cette dépendance en écrivant : « Pour un cœur triste existe-il un
paysage joyeux ? »7.
Source : http://kerdonis.fr
Tenant compte du fait qu’il n’existe pas une perception absolument identique pour
tout le monde, il devient nécessaire d’insister sur la présence indispensable de
l’observateur pour la production d’un paysage, ce que George Bertrand a énoncé
clairement dans sa définition : « La production d’un paysage est généralement
envisagée comme un processus tripolaire dans lequel interviennent un observateur, un
mécanisme de perception, un objet »8.
7
Nguyễn Du, Truyện Kiều (Histoire de Kieu), 1804-1809. C’est l’œuvre la plus importante de l’un des
personnages les plus célèbres dans l’histoire de la poésie vietnamienne. Cette citation, dont la version
d’origine est « Người buồn cảnh có vui đâu bao giờ ? », a été traduite par Abel Des Michels, professeur
à l’École des langues orientales vivantes, 1884.
8
George Bertrand, « Le Paysage entre la Nature et la Société », La théorie du paysage en France
(1974-1994), Éditions Champ Vallon, collection Pays/Paysages, 1995, p. 106.
Paysage et Identité 30
SUJET – OBJET –
OBSERVATEUR ESPACE MATÉRIEL
MÉCANISME DE PERCEPTION
9
George Bertrand, « Paysage et géographie physique globale », Revue de géographie des Pyrénées et
du Sud-Ouest, 1968.
10
Irène Cinq-Mars, « L’écoute des gens et le sens des paysages », Le Devoir, 15 et 16 Septembre 2001,
p. 3.
11
Dans une vision plutôt culturaliste, Alain Roger rattache la naissance du paysage à un processus
d' « artialisation » en énonçant que «Tout paysage est un produit de l'art», de telle sorte que la beauté
n’existe pas un soi.
Paysage et Identité 31
« Un paysage est une image culturelle, une œuvre picturale qui représente,
restructure ou symbolise l’environnement. Cela ne veut pas dire que le
paysage est immatériel. Il peut être représenté dans une variété de matériaux
et sur de nombreuses surfaces - dans la peinture sur toile, dans les écrits sur
papier, sur le sol, la pierre, l'eau et les végétations. Un parc paysager est plus
palpable, mais pas plus réel, ni moins imaginaire, qu’une peinture de paysage
ou qu’un poème »12.
Fig. 18 & 19 – Un panneau (à gauche) qui raconte l’histoire du Pont Neuf de la ville de Toulouse (à
droite). La mise en place de ce genre de moyen peut orienter d’une autre manière le regard des
visiteurs et renforcer leur image mentale.
Photos de l’auteur
Une autre caractéristique essentielle qu’il convient d’aborder est que ce que l’on
trouve, comme Roger Brunet l’a montré, n’est que « l’apparence, le reflet d’une
structure spatiale » qui représente « des états d’équilibres successifs des systèmes qui
les ont produits »14. En rejoignant l’idée de la combinaison dynamique et dialectique
mentionnée par Bertrand, cette considération de la structure spatiale (ou « objet » dans
la définition de Bertrand) comme production des systèmes s’avère extrêmement
importante pour les intervenants (architectes, architectes paysagistes, urbanistes…),
les destinateurs principaux de ce travail. Cela met l’accent sur une compréhension des
12
Denis Cosgrove et Stephen Daniels, The iconography of Landscape, Cambridge University Press,
Cambridge, 1988, p. 1; Traduction est faite par l’auteur.
13
Lynch, op. cit., p. 13.
14
Roger Brunet, « Analyse des paysages et sémiologie : Éléments pour un débat », La théorie du
paysage en France (1974-1994), Éditions Champ Vallon, collection Pays/Paysages, 1995, p. 16-17.
Paysage et Identité 32
relations entre les éléments du paysage, des facteurs modifiants, du contexte et des
logiques (ou processus) qui l’ont créé (ou sous-tendu)… À partir de ces données, on
pourra prévoir la tendance d’évolution du paysage. Ainsi, une telle conception devient
obligatoire si l’on veut éviter un résultat formé surtout des idées subjectives et
arbitraires. Cette considération semble encore plus importante à l’égard d’un objectif
particulier comme la recherche de solutions pour maintenir l’identité paysagère.
Pour résumer, le paysage, en tant que production du processus, pourrait donc être
aperçu à la fois comme images et signification de ces images. Dans le sens large, le
terme image inclut non seulement le visuel mais en général le sensoriel (recueillie par
tous les sens15) et le terme signification implique la compréhension du système qui va
des jugements esthétiques jusqu’aux connaissances socio-culturelles et scientifiques.
Néanmoins, afin de favoriser la lecture, le terme paysage dans cette étude sera, dans
la majorité de cas, compris implicitement comme objet – réalité physique, structure
spatiale résultant des systèmes (ou d’un système composé des sous-systèmes
interdépendants, d’après Motloch16), arrangement dans l’espace physique des objets et
des activités... De toute façon, une telle exploration du concept s’avère extrêmement
nécessaire pour les aménagistes avant d’intervenir sur le milieu, car leurs choix des
éléments à traiter, bien qu’ils soient physiques, dépendent étroitement du regard
subjectif et évolutif du grand public.
La photographie participe au
processus d’artialisation. Par rapport
à la peinture, ses images sont plus
« vraies » mais encore loin une
simple somme de données physiques.
15
Par exemple, le toucher, les parfums et les sons participent aussi à modifier l’image mentale ou la
perception recueillie. Il existe donc la notion du « paysage sonore », le « soundscape » à côté de
« landscape », et des plaintes contre le « totalitarisme de l’œil ».
16
John L. Motloch, Introduction to Landscape Design, John Wiley & Sons, 2001, p. 13.
Paysage et Identité 33
Identité paysagère
Dans certains sens, le passage du pays au paysage et l’irréductibilité du paysage à
l’environnement par les filtres culturel, conduit au fait que chaque paysage implique
déjà une identité qui lui est propre17. Toutefois, comme il est toujours en perpétuelle
évolution, il nous convient de bien cerner les propriétés importantes qui participent à
construire son identité.
17
DONADIEU Pierre & PERIGORD M., Clés pour le paysage, Ophrys, 2005, p. 31.
D’après ces auteurs, à l’ origine du terme, le paysage était un pays, une portion du territoire offrant des
perspectives plus ou moins importantes avec une identité bien marquée.
18
Lynch, op. cit., p. 9.
19
Ibid., p. 5.
Paysage et Identité 34
Différences physiques
Différences sociales
20
Amos Rapoport, Human Aspects of Urban Form: Towards a Man-Environment Approach to Urban
Form and Design, Pergamon Press, 1977, p. 229-230.
Paysage et Identité 35
Différences temporelles
En haut : Le Corbusier,
Projet pour Saint-Dié, extrait
du plan de masse
21
Lynch, op. cit., p. 126.
Paysage et Identité 36
Ce sont aussi les relations entre les éléments séparés qui, une fois qu’elles existent,
expliqueraient pourquoi un paysage ayant une identité veut dire qu’il possède un
esprit, un sens propre ou un Genius Loci. Cet « esprit » ou « le sens du lieu » pourrait
être expérimenté (senti) d’une façon immédiate, émotionnelle, subconsciente ou
intuitive en synthétisant à la fois toutes les impressions provenant de l’ensemble des
éléments naturels et artificiels ainsi que d’autres compréhensions des histoires,
significations ou mythes attachées au milieu22. L’impression serait forte si les
relations étaient étroites ou tous éléments (tangibles et intangibles) contribuaient à un
thème commun (une convergence de messages). Au contraire, l’absence de telles
relations perceptibles fait du paysage une constitution, une collection désordonnée ou
une simple somme de ses parties, mais non plus un ensemble cohérent ayant une
identité.
Fig. 24 & 25 – Interventions différentes dans les quartiers coloniaux ayant la même
morphologie architecturale : L’intégration discordante à la rue Khu Hòa Bình (la ville de
Dalat, Vietnam, à gauche) et la rénovation à Serangoon Road (Singapour, à droite).
Photos de l’auteur
« désordre apparent n’est parfois que le reflet d’une forme d’organisation plus
raffinée »23.
Fig. 27 (à droite) : Une installation de l’artiste Raffael Rheinsberg qui utilise les composants
électriques pour interpréter la désorganisation apparente des villes japonaises en la
rapprochant de l’une des formes technologiques les plus structurées de la civilisation actuelle.
Source : Alfred Wolf, dans Philip Jodidio, Formes nouvelles, Taschen, 2001, p. 175
Les caractères ci-dessus manifestent la supériorité des aspects qualitatifs par rapport
aux aspects quantitatifs pour une étude de l’identité paysagère. Les considérations
synthétiques et dialectiques sont donc très importantes, bien que les évaluations des
détails soient aussi très nécessaires pour démythifier (ou décoder) l’identité paysagère
ou le Genius Loci, un concept ayant l’air assez abstrait et intangible.
accrocher puis un schéma élaboré pour que l’image mentale reste dans notre mémoire,
l’espace devrait être bien structuré avec un système de repérage et de la
hiérarchisation24. En évitant une collection désordonnée, tout cela contribue à
renforcer les relations et mieux constituer un sens ou message commun.
« Tout comme cette page imprimée est lisible si on peut la percevoir comme un
canevas de symboles reconnaissables et liés entre eux, de même une ville
lisible est celle dont les quartiers, les points de repères ou les voies sont
facilement identifiables et aisément combinés en un schéma d’ensemble »26.
24
Yi-Fu Tuan, Espace et lieu. La perspective de l’expérience, Infolio, 2006.
25
Lynch, op. cit.
Lynch a effectué des entretiens avec des usagers de l’espace urbain et leur a demandé de produire les
représentations de la ville sous forme de croquis et de cartes mentales accompagnées d’une brève
description des éléments qu’ils jugent les plus caractéristiques.
26
Ibid, p. 3.
Paysage et Identité 39
propres qui demeurent relativement identiques dans le temps pour exprimer une
permanence.
Si le temps pouvait être conçu comme un flot ou un mouvement, le lieu serait saisi
comme une pause. Le sens du lieu est produit par une alternance entre enracinement
et détachement27. Enraciner pour le percevoir, appréhender, ressentir, puis détacher
pour avoir l’occasion de le distinguer des autres. Cette alternance pourrait se produire
aussi dans un même endroit physique avec les détachements mentaux afin de
comparer aux expériences passées restant dans la mémoire. Parfois, si l’enracinement
apporte de faibles sensations, le détachement pourrait les rendre plus puissantes. Alors
les images ordinaires et habituelles d’un lieu pourraient devenir les impressions en
profondeurs, avec le sens d’appartenance très fort lors qu’on le quitte : « Quand on
habite c’était l’endroit où on habite. Quand on part l’endroit devient une âme »28.
Une chose serait mieux comprise lorsqu’on confronte ses caractères à ceux des autres.
Suivant cette logique, les espaces n’ayant pas d’identité seraient comment ? Le
concept du « Non-lieu » de Marc Augé nous fournit des références importantes:
Le lieu donne à chacun un espace qu'il incorpore à son identité, dans lequel il peut
rencontrer d'autres personnes avec qui il partage des références sociales. L’identité
personnelle serait donc définie ou constituée avec ces expériences indissociables du
lieu. A l’autre sens, le lieu serait mieux caractérisé et mémorisé grâce à l’interrelation
dialectique avec l’expérience. C’est pourquoi la reconnaissance d’un lieu peut parfois
s’effectuer d’abord avec le souvenir d’une expérience riche ou importante qui s’y est
passée avant d’être continuée ensuite avec celui des particularités physiques. Cette
dialectique est bien expliquée aussi dans un texte d’Ares Kalandides en citant la
définition de la place selon Doreen Massey :
27
Tuan, op. cit.
28
Chế Lan Viên, Tiếng hát con tàu (La chanson du train) dans Ánh sáng và Phù sa (La lumière et les
alluvions), 1960. Il s’agit des phrases les plus célèbres et souvent citées de ce poème. La version
d’origine en vietnamien « Khi ta ở chỉ là nơi đất ở. Khi ta đi đất đã hóa tâm hồn » est traduite en
français par l’auteur.
29
Augé Marc, NON-LIEUX. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, La Librairie du
XXIe siècle/Seuil, 1992, p. 100
30
Doreen Massey, « A global sense of place », dans Space, Place and Gender, Polity Press,
Cambridge, 1994, pp. 146-56.
Paysage et Identité 40
leur propre histoire (trajectoires) qui peut venir de loin, tant en terme
d’espace que de temps. Ces trajectoires peuvent ne pas être uniques en soi,
mais les manières complexes dont elles se croisent dans ce lieu particulier,
sont tout à fait singulières »31.
La capacité que nous offre un lieu pour y pratiquer de multiples activités et contacts
humains est donc très nécessaire, et l’identité serait moins forte si ce lieu ne permet
que de seuls regards.
31
Ares Kalandides, Place Branding and Place Identity. An integrated approach, Tafter Journal
11/01/2012; Traduction est faite par l’auteur.
http://blog.inpolis.com/2012/01/11/place-branding-and-place-identity-an-integrated-approach-tafter-
journal/
32
Augé Marc, op. cit.
Paysage et Identité 41
Si nous considérions que les particularités percevables ci-dessus font partie des
caractères propres à un milieu et l’aident à se distinguer des autres, nous pourrions
concevoir l’identité en tant qu’une production ou une construction culturelle à partir
de ces matériaux, qu’ils s’agissent à la fois des éléments permanents et des relations
entre eux. Comme l’a montré l’analyse précédente, ces particularités se déterminent à
travers un processus qui doit percevoir et reconnaître la systémique, la hiérarchisation,
la stabilité et la continuité, l’ « imagibilité » ou la capacité de créer chez les gens des
images lisibles et claires, l’histoire, les expériences fournies sur place, la question de
temps et l’itinéraire de la découverte…
Habituellement, le paysage peut se diviser en deux types : paysage naturel (ou natif)
et paysage culturel (ou artificiel). Le travail actuel, de par son objectif, s’occupe du
deuxième, celui où la présence humaine a laissé des traits importants ou a modifié en
grande partie le milieu naturel, autrefois. De toutes façons, une telle dichotomie est
plutôt conventionnelle et relative. D’une part, si la nature était conçue comme
l’opposé de l’homme, un paysage connu qui est absolument naturel n’existerait pas
(on doit être sur place pour le percevoir et ainsi, participer au paysage et y laisser
certaine influence). D’autre part, un milieu artificiel comme une ville serait aussi
naturel qu’un bois si l’on considérait la nature comme « le système vivant avec son
habitat », et « l’homme fait partie de ce système vivant »33.
Appuyé sur les concepts précédemment définis, qu’il convient toujours de considérer
comme produits des systèmes, les textes suivants essayent de décrire et expliquer
comment des facteurs naturels et culturels ont créé et modelé l’identité du paysage. En
rendant explicites les modes d’impact, ils prétendent fournir aussi un regard plus clair
et profond sur des causes de la perte d’identité aujourd’hui.
Processus naturel
Les forces naturelles, ou le processus naturel en général, constituent certainement le
premier facteur générateur de l’identité paysagère. Leur contribution est indéniable,
même dans le cas des paysages ayant l’air tout à fait culturel tels que celui d’un
centre-ville. Elles déterminent une série de particularités reflétées dans le relief, la
flore et la faune, la lumière, le son, le climat, le changement saisonnier (ou le temps,
considéré comme l’ordre des successions des phénomènes et des changements35)…
Ces particularités jouent le rôle de propriétés ou d’attributs inhérents et aident un
33
Kevin Lynch, Good city form, The MIT Press, 2000, p. 256.
34
Simon Bell, op. cit., p. 106.
35
Norberg-Schulz, op. cit., p. 56.
Paysage et Identité 44
milieu à se distinguer des autres. Les forces naturelles influencent non seulement sur
l’objet – réalité physique, mais aussi le sujet – observateur (frapper la cognition,
l’attention sur une chose plus que sur l’autre…) ainsi que sur le mécanisme de
perception qu’il utilise (déterminer des conditions d’observation, offrir ou non des
points de vue ou des observatoires, un dégagement du champ de vision…) et par
conséquent, sur l’image mentale recueillie.
Fig. 29 – La section du canal Rideau qui traverse la Fig. 30 – En hiver, le processus naturel apporte
ville d’Ottawa, Canada. La photo de Richard des changements saisonniers en la transformant
McGuire, prise en été. à la plus grande patinoire du monde et crée
Source : https://files.nyu.edu donc un autre parcours avec ses propres
observatoires pour regarder le paysage urbain.
Source : http://www.ccn-ncc.gc.ca
Outre des impacts directs aux particularités naturelles, le processus naturel modifie
encore indirectement les constructions humaines dans le paysage, ce qui se manifeste
dans l’utilisation des matériaux, la conformité à la topographie, la flexibilité au
climat… Cependant, ces particularités sont plutôt décidées par l’homme et elles
dépendent davantage des facteurs socio-culturels qui seront analysés plus tard.
36
Par « directes », on veut se concentrer à une échelle locale et les distinguer aux incidences plutôt
« indirectes » des échelles plus vastes ou globales telles que le réchauffement de la Terre ou le
rehaussement du niveau de la mer dont on a beaucoup parlé.
Paysage et Identité 45
l’autre ou elle est appréciée comme plus belle et plus intéressante selon le point de
vue aujourd’hui (tandis que dans le passé, nos ancêtres dépendaient beaucoup plus de
la nature et ils pourraient avoir un point de vue complètement différent). De telles
évaluations, parfois, se font sans tenir compte du contexte immédiat : par exemple,
avec l’influence de la mode. Or, le maintien de l’identité concerne souvent le choix
des éléments à conserver. C’est un processus dans lequel on a tendance à choisir des
éléments spectaculaires, dramatiques ou, en termes généraux, beaux et
impressionnants selon un point de vue subjectif et temporaire (sans entretenir une
continuité avec l’histoire) et, ainsi, des particularités jugées moins belles pourront être
considérées comme inintéressantes et seront délaissées facilement. Mais dans la
réalité, ces particularités délaissées pourraient être les plus représentatives pour aider
la distinction car elles reflètent sincèrement le processus naturel propre du milieu. De
plus, leur modification pourrait causer d’autres changements inattendus à l’égard de
l’identité ou des problèmes écologiques. C’est pourquoi elles constituent vraiment une
partie importante qu’on doit s’efforcer de protéger37.
Autrefois, l’homme était extrêmement sensible à des éléments naturels. Pour les
approprier à son cadre de vie, il pouvait modeler jusqu’à certains niveaux mais la
majorité des interventions reste modérée en suivant des savoir-faire tirés d’un long
processus avec plusieurs ajustements (comme les exemples des digues, canaux ou
rizière en forme d'escalier…). A cause d’une autonomie encore limitée, l’homme est
dépendant, conditionné par les forces naturelles pour lesquelles il réserve beaucoup de
respects38, allant jusqu’à les diviniser parfois. A propos des paysages résultants de ce
rapport, quoique très beaux, beaucoup parmi eux appartiennent à des cultures où
n’existe pas la notion de paysage39. La dimension esthétique s’y élève en répondant
37
Micheal Hough, Out of Place : Restoring Identity to the Regional Landscape, New Haven &
London, Yale University Press, 1990, p. 24-26.
38
Bien que les niveaux de respect varient une culture à l’autre et le décalage peut être assez important
comme le cas entre l’Orient et l’Occident, ce qui sera développé plus tard.
39
Augustin Berque (sous la direction de), « Paysage, milieu, histoire », Cinq propositions pour une
théorie du paysage, Éditions Champ Vallon (Seyssel), collection Pays/Paysages, 1994, p. 15-16. Dans
ce livre, Berque souligne que la notion du paysage n’a pas toujours existé, ni partout.
Paysage et Identité 46
aux besoins réels de la vie quotidienne dans une relation étroite avec la nature, sans
avoir forcément une tentative d’embellissement ou de mise en scène40.
De nos jours, avec les progrès de la science et technologie, l’homme se sent libéré
d’une dépendance directe à la nature et pense donc qu’il peut faire tout ce qu’il veut
avec elle (après s’être envolé et descendu sur la Lune même !). Et puis, avec
l’augmentation de l’avidité accompagnée des besoins énergétiques en excès et des
changements d’échelle de production, il a tendance à voir la nature en tant que
ressource à exploiter ou objet à conquérir pour satisfaire ses ambitions. Son rapport
avec la nature devient de moins en moins direct et l’homme y perd une grande partie
du sens de ce rapport. Autrefois les anciens avaient un rapport précis et sensible aux
ressources de la nature, aujourd’hui seul un groupe limité d’experts en ressent la
nécessité.
Dans tous cas, une investigation minutieuse avant d’agir sur le processus naturel est
primordiale car des impacts sur le système peuvent conduire à des incidences qui ne
surgissent pas toute de suite ou elles sont mésestimées à cause d’une imprudence en
jugeant des valeurs à court et long terme. Si on prend l’exemple des barrages
hydroélectriques, sous certains angles, ils pourraient créer un paysage impressionnant
et plein de puissance comme une cascade artificielle nous témoignant de la force de
l’homme. D’un autre point de vue, avec la lacune de contrôle et de connaissance, la
perception de la nature comme objet à exploiter ou à conquérir pourrait nous faire
payer un prix si cher et incalculable. Les conséquences inattendues de la construction
des barrages gigantesques sur le fleuve Yangtse en Chine le montrent : la destruction
de l’écosystème, des milliers de villes et villages sont noyés, des problèmes sociaux
dus à une migration énorme, les transports en bateaux bousculés…41 Ces
constructions deviennent les symboles terribles du manque de vision, de l’avidité et
de la brutalité de l’homme.
Enfin, les graves catastrophes naturelles, qui sont assez fréquentes pendant ces
dernières décennies, ont modifié partiellement notre conception de la nature. Il
convient d’insister sur la sensibilité, toujours requise, peu importe l’échelle
d’intervention, devant chaque élément naturel à conserver ou à négliger pour protéger
l’identité d’un milieu, car ils peuvent constituer des « éléments cachés » mais très
importants pour maintenir l’équilibre du système.
40
On peut le qualifier d’une esthétique involontaire ou dérivée, d’après Isac Chiva et Françoise
Dubost, « L'architecture sans architectes : une esthétique involontaire ? », Études rurales N° 117, 1990,
Architecture rurale : questions d'esthétique, p. 14.
41
Tú Anh, Thủy điện Trung Quốc : Nhà nước giàu nhưng dân trắng tay (Hydroélectrique en Chine :
L’état gagne mais les gens perdent). RFI en vietnamien, 31/05/2013.
http://www.viet.rfi.fr/chau-a/20130531-thuy-dien-trung-quoc-nha-nuoc-giau-nhung-dan-trang-tay
Paysage et Identité 47
Fig. 32, 33, 34, 35, 36 - Exemples des impacts sur le processus naturel aux différentes échelles comme
illustration du rapport homme – nature, et la perception contemporaine de ce dernier.
Fig. 33 – Marais de Ô Loan, Phu Yen, Vietnam. Derrière de telles images pittoresques peut se cacher le
danger de salinisation des surfaces agricoles à proximité, causée par un mouvement d’élevage de
crevettes mal contrôlé à grande échelle. L’équilibre du système est en train d’être brisé, ce qui pourrait
modifier d’autres particularités intéressantes de la région dans un futur proche.
Source : http://vietnam.vnanet.vn/vnp/vi-vn/13/39705/nhiep-anh/danh-thang-dam-o-loan.html
Fig. 34 & 35 - Le colossal barrage des Trois-Gorges (sur le fleuve Yang Tsé, au centre de la Chine). Le
bouleversement du processus naturel, créé par sa construction, a fait une rupture totale avec le passé et
détruit des identités accumulées pendant des milliers d’années d’interaction entre l’homme et la nature.
Source :
http://www.viet.rfi.fr/chau-a/20130531-thuy-dien-trung-quoc-nha-nuoc-giau-nhung-dan-trang-tay
http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/05/24/le-colossal-barrage-des-trois-gorges-inquiete-la-chine/
Source :
http://lescouleursdemontemps.blogspot.fr/
Paysage et Identité 48
Processus socio-culturel
Le deuxième facteur générateur de l’identité paysagère appartient évidemment à
l’homme. Ressemblant à la nature, les traits humains existent dans plusieurs aspects et
niveaux : de l’architecture (forme, matériel, détail, proportion…), de l’aménagement
spatial (qui peut renvoyer même des impacts sur le processus naturels tels qu’abordé),
de la lumière, de la plantation, du son… jusqu’aux activités culturelles, les éléments
mobiles du paysage. Les influences concernent, non seulement la réalité physique,
mais aussi le sujet – observateur et son mécanisme de perception (directement, par les
gens qui font partie du paysage ou par le biais de leurs constructions). Cependant,
tandis que les forces naturelles participent en général à la formation de l’identité du
milieu par leurs traces et les lois relativement immuables, ce n’est pas toujours le cas
avec l’impact humain. Quelle est donc la part de chacun (forces naturelles et impact
humain) dans la construction de l’identité ?
Par définition, au départ, on s’accorde pour dire qu’un objet a une identité s’il lui est
attribué des particularités propres qui l’aident à se distinguer des autres (il entretient
avec les autres des différences perceptibles) et ces particularités (incluant aussi des
éléments non-visibles tels que des significations) doivent exister pendant une certaine
période pour avoir une permanence relative. Cette dernière signifie que ce n’est pas
toutes les particularités (ou différences) existant dans le milieu qui appartiennent à
l’identité et elle nous demande d’en exclure les éléments passagers ou temporaires,
ceux qui n’arrivent pas encore à laisser une impression bien inscrite dans l’image
mentale collective.
42
Empruntant à l’architecture, une forme vernaculaire pourrait se définir comme « propre à un pays, à
un terroir, à une aire donnée et à ses habitants ».
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Architecture_vernaculaire
43
Hough, op. cit., p. 179.
44
Ibid., p. 34.
Paysage et Identité 49
Le point de vue de Rapoport s’avère très significatif pour une étude dont l’objectif est
de maintenir et mettre en valeur l’identité d’un paysage culturel où la population
locale devrait être considérée davantage que la nature en elle-même. Les
préoccupations de ce qui est « vert » ou « écologique » reflètent un état d’évolution de
la culture universelle aujourd’hui, mais elles doivent toujours s’accorder avec d’autres
valeurs pour nourrir l’équilibre dans une perspective durable. Une approche soi-disant
« objective » en faveur de la nature à tout prix est donc celle à éviter. De plus, notre
compréhension du monde n’est jamais absolument objective46 et une vraie approche
écologique doit toujours tenir compte de l’homme comme partie indissociable de la
nature. Une attitude prudente est toujours demandée devant toutes sortes
d’intervention car les différences culturelles sont parfois énormes, ce qui implique
probablement à son tour des différences physiques surprenantes dans
l’aménagement : « Certaines cultures privilégient l’adolescence, d’autres la mort,
d’autres encore la vie après la mort »47.
Source :
http://www.carionmineraux.com/meteorite/
egypte2005/LeCairePyramides-01.jpg
45
Amos Rapoport, Pour une anthropologie de la maison, Paris, Dunod, 1972, p. 65.
46
Gadda a dit que « connaître, c’est insérer quelque chose dans le réel ; c’est donc déformer le réel » ;
cité par Italo Calvino, op.cit., p. 173.
47
Ruth Benedict, Patterns of Culture, Houghton Mifflin Compagny, Boston, 1959, p. 24; cité par
Rapoport dans Pour une anthropologie de la maison, Paris, Dunod, 1972, p. 17.
Paysage et Identité 50
Les particularités reflétées dans les formes vernaculaires sont le produit d’un long
processus interactif entre l’homme et la nature où la quantité des choix offerts (par les
conditions naturelles et socio-culturelles) est assez limitée. Dans le passé, le
développement se déroulait lentement et les sociétés se refermaient ou étaient moins
ouvertes, ce qui permettait aux formes vernaculaires d’évoluer peu et d’avoir donc
une stabilité ou une continuité relative dans le temps. Aujourd’hui, la situation n’est
plus la même et les formes vernaculaires deviennent pâles ou perdues parce qu’on a
trop de choix. De plus, ces choix ont tendance à être uniformisés. L’uniformisation ou
la globalisation ne se manifeste pas que dans les choix disponibles, mais encore dans
le procédé de prendre la décision. Ce procédé est souvent affecté par la diffusion des
valeurs internationales pratiquement occidentales telles que les besoins soi-disant
universels, le confort, l’économie et même l’esthétique… qui ne se conforment
parfois en rien au contexte local (naturel ainsi que socio-culturel). D’autre part, tandis
que les systèmes de valeurs orientales privilégient la collectivité, les systèmes de
valeurs occidentales, avec leur appréciation de l’individualité ou de l’originalité,
seraient ironiquement plus prêts à favoriser, s’il n’y avait pas de règles obligatoires
spécifiques, la perte d’identité (en démolissant l’homogénéité ou la continuité à
l’intérieur). En effet, cette surabondance de choix accompagnée d’esprit universel est
l’une des causes majeures qui ont affaibli les forces traditionnelles, considérées
comme force régulatrice des formes vernaculaires, et par conséquent, amoindri
l’identité du paysage.
48
Les Congrès International d'Architecture Moderne (1928-1956), dont l’objectif est de promouvoir
l’architecture et l’urbanisme fonctionnels.
49
Le slogan célèbre de l’architecte américain Louis Sullivan pour résumer le principe du
Fonctionnalisme.
Paysage et Identité 51
bâtiments Modernistes se situent librement dans leurs parcelles et créent les ilots tout
à fait différents. Les villes ne disposent plus du statut d’une entité discrète en
respectant les fondements artistiques pour l’organisation spatiale50. Elles deviennent
désormais une constitution de différentes zones avec leurs propres fonctions, dont les
liens sont assurés plus par des moyens mécaniques que par les modes plus humaines
comme le piéton.
La différence entre les cités, les régions ou même les nations est de plus en plus
effacée avec l’importation de masse des modèles plus ou moins ressemblants qui
prétendent devenir les passe-partout (Le Corbusier croit que les besoins humains sont
peu nombreux et ils sont très identiques51). De plus, l’un des objectifs les plus
importants du Modernisme est de favoriser l’industrialisation dans la construction, ce
qui rend son application si diffusée après la deuxième guerre mondiale, comme une
bonne solution pour régler des demandes urgentes et énorme de reconstruction
(notamment des logements sociaux). Une préférence qui en découle pour les
composants préfabriqués et la répétition des éléments identiques, peu importe
50
Comme le modèle que Camillo Sitte a défendu quand il écrivait en 1889 L’art de bâtir les villes :
L’urbanisme selon ses fondements artistiques, Paris, Editions du Seuil, 1996.
51
Le Corbusier, Vers une architecture, Editions Flammarion, [1923] 1995. Ce texte est considéré
comme une déclaration du Mouvement Modern.
Paysage et Identité 52
l’adresse du fabricant ainsi que la destination finale des chantiers. Avec de telles
limites, une recherche d’identité pourrait finir facilement, soit par l’absente d’identité
avec l’homogénéité et la banalité produites par les architectes ordinaires et
pragmatistes comme la plupart, soit par un genre d’identité personnelle issue des
maîtres de l’Expressionnisme, mais avec pas ou peu de liens avec l’identité locale.
L’identité paysagère concerne les formes vernaculaires, et pour mettre à part les
éléments passagers, seule la partie traditionnelle de ces forces contribue au maintien
de l’identité. La tradition est comprise, ici, dans le sens large, comme évolutive, mais
elle garde encore des bases propres et une continuité à travers des générations.
52
On peut parler du Néo-Modernisme, qui réutilise des bases du Mouvement Moderne comme le
langage, les vocabulaires et les principes pour faciliter l’application des systèmes de préfabrication,
avec une meilleure adaptation au contexte local dans l’organisation spatiale ou l’utilisation des
matériaux.
53
Dans les mots de Rem Koolhass, ces bâtiments géants démesurés sont appelés la Bigness, avec le
sous-texte est : « merde au contexte ». Rem Koolhass, Junkspace, Repenser radicalement l’espace
urbain, Éditions Payot & Rivages, Paris, 2011, p. 33.
54
Rapoport, op. cit., p. 19.
55
Jean-Claude Vigato, L'architecture et l'identité, un paradoxe, 2012, p. 9.
Source : http://40ans.nancy.archi.fr/wp-content/uploads/sites/5/2012/10/Article-JC-Vigato.pdf
Paysage et Identité 53
auteur, « l'édifice est par nature un abri construit identitaire » parce qu’il « participe
de l'identité du peuple qui l'a édifié et du territoire sur lequel il est édifié ». Dans
l'édification, la démarche du concepteur de l'édifice privilégie l'imitation en respectant
des types pour gager de l'adéquation aux usages comme de l'efficace symbolique56.
Pour l’architecture, telle qu’elle est réservée aux pratiques et aux savoirs, la notion est
fondée sur une double artialisation ou une double architecturation à la fois analytique
et synthétique57. Et c’est cette dernière qui fait du travail des architectes une démarche
si problématique en termes d’identité :
Dès les temps classiques, les architectes sont regardés probablement comme agents
qui troublent l’identité, à cause de la rupture qu’ils instaurent dans la production bâtie,
notamment pour les grandes constructions. Cette histoire nous rappelle la raison pour
laquelle Hough a laissé de côté le rôle des grands projets dans la recherche d’une
vraie identité indigène. Par rapport au passé, tandis que les grandes réalisations sont
bien marquées par leur ambition mais n’avaient pas trop de choix de langages ou de
mesures techniques pour se distinguer nettement du reste (à part le volume), les
bâtiments de nos jours peuvent créer des perturbations à une autre échelle,
particulièrement dans les contextes historiques. De plus, comme des héritages du
Modernisme, « l'attitude de la table rase et la préférence surannée pour l'objet isolé »59
chez la plupart des architectes aggravent encore plus la situation.
56
Ibid, p. 10.
57
Cette conception de l’architecture naît au XVe siècle en Italie et au siècle suivant en Occident avant
de se répandre sur le reste du monde. Sa double artialisation ou architecturation concerne d’abord
l’analyse des édifices antiques, et ensuite la fusion des formes nées de cette analyse avec les types
médiévaux dans une synthèse. Vigato, op. cit., p. 9.
58
Ibid, p. 10.
59
Kenneth Frampton, « L'architecture moderne tardive: l'objet tectonique » et « L'architecture moderne
tardive: le sujet topographique », dans Christine Flon (sous la direction de), Grand Atlas de
l'architecture mondiale, Paris, Encyclopædia Universalis, 1988, p. 394-397.
Cité par Vigato, op. cit., p. 3.
Paysage et Identité 54
bâtiments mettent les paysages urbains sur lesquels ils sont situés en fort contraste
avec d’autres milieux et leur existence possède un caractère permanent sur la longue
durée. Ils contribuent aussi à l’imagibilité de la ville en fournissant des points de
repère importants. Cependant, ce qui vaut la peine est ici leur unicité, et le reste de la
ville doit donc être assez homogène pour servir de toile de fond. Sinon, une ville qui
n’est constituée que de tels bâtiments serait probablement un pêle-mêle où
l’identification devient impossible.
Par rapport au musée de Gehry, l’opéra de Jørn Utzon nous montre une approche plus
conventionnelle et fiable. Quoiqu’il n’y ait pas de relation directe aux formes
vernaculaires, ce bâtiment élégant reflète l’esprit du lieu en s’y harmonisant et
ressortant à la fois. Le premier se fait des caractères modernes qu’il partage avec le
contexte, et le deuxième est assumé par la poursuite d’un langage expressionniste
frappant mais sublime et fin, qui communique bien avec le grand espace naturel de la
baie de Sydney grâce à de multiples métaphores qu’évoque sa forme (vagues, bateau à
voiles…). L’aspiration des habitants d’une nouvelle terre est manifestée à travers
d’une architecture emblématique, dynamique et d’avant-garde.
Source :
http://en.wikipedia.org/wiki/Sydney_
Symphony_Orchestra
60
L’expression de Vigato, op. cit., p. 8.
Paysage et Identité 55
Les deux villes, Bilbao (à gauche) et Los Angeles (à droite), partagent le même style
« sculptural » de l’architecte Frank O. Gehry. Une approche trop personnelle des stars
architectes peut ainsi devenir une épée à deux tranchants pour l’identité d’une ville.
L’histoire, comme ce qu’on avait su, n’est pas ce qu’on avait défini61. C’est souvent
un passé entièrement reconstitué et fantasmatique62. Sur un fond d’événements qui se
passent vraiment dans la réalité on les sélectionne, sauvegarde certains et efface
d’autres, modifie, déforme et ajoute même des faux (imaginer des mythes puis les
transcrire comme vrais) pour s’en servir à des buts subjectifs afin de pouvoir
manipuler plus facilement une partie ou même un peuple entier. L’histoire est alors
souvent inventée.
61
Selon Larousse, sa définition concerne des évènements et des faits réels.
Source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/histoire/40070?q=histoire#39991
62
Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, 1996, p. 86.
63
Eric John Ernest Hobsbawm, Extrait du Discours d’ouverture pour l’année académique 1993-1994 à
l’Université Européen Centrale à Budapest ; Traduction est faite par l’auteur.
http://archives.dailytimes.com.pk/editorial/09-Oct-2007/purple-patch-history-and-nationalism-e-j-
hobsbawm
Paysage et Identité 57
Autrefois, pendant les premiers temps de l’évolution, il était possible aux hommes
primitifs d’interagir dans leur habitat d’une façon plutôt naturelle ou instinctive. Pour
survivre et se développer, les exigences d’un mode de vie plus organisée conduisent à
la formation des modèles sociaux qui sont indissociables des idéologies plus ou moins
élaborées. Construites avec la subjectivité dans leur conception du monde et en
fonction des objectifs visés (dont la version énoncée n’est parfois qu’un prétexte pour
cacher de vrais objectifs qui sont tout à fait différents, par exemple, lors qu’il y a une
concurrence d’influences dans les conflits d’intérêt), ces idéologies imposent de plus
en plus les choix de comportement parmi les possibilités posées à l’homme. La
soumission s’effectue en suivant d’une définition des choix qu’on doit et qu’on ne
doit pas, compatibles ou incompatibles, peu importe l’existence ailleurs des règles
semblables ou opposées. C’est la création de la tradition. Le processus continue et
affecte aussi l’interprétation du passé de cette tradition elle-même, ainsi que des
valeurs d’autres traditions. Autrement dit, supposant qu’existe déjà à un moment une
tradition initiale formée « naturellement », elle va faire ensuite l’objet des
reconstructions dont la logique est toujours subjective65. Au cours du temps, le
développement d’une tradition, comme d’une culture, comprend non seulement la
continuité, mais également des ruptures marquées par des changements importants
dans la conscience collective.
« Les identités n'existent pas. Il n'y a pas d'identité française mais des
processus d'identification contradictoires qui définissent la géométrie variable
de l'appartenance nationale et citoyenne ».66
64
Bayart, op. cit., p. 48
65
Rapoport a prouvé, le choix d’une technique ou d’un matériau n’est jamais une action purement
rationnelle, mais il révèle des concepts ou croyances.
66
Jean-François Bayart, Il n’y a pas d’identité française, Le Monde.fr, 06/11/2009
Paysage et Identité 58
Ceux qui n’existent pas ici d’après Bayart sont des identités formées d’une manière
naturelle et objective. En fait, l’objet dont on parle est le produit des processus
d’identification, qui consistent souvent à la recherche des éléments jugés comme
originels, représentatifs et authentiques. Pourtant, l’authenticité est fabriquée aussi :
http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/11/06/jean-francois-bayart-il-n-y-a-pas-d-identite-
francaise_1263548_823448.html
67
Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, 1996, p. 85
68
Voir la définition de Larousse.
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/authenticit%C3%A9/6558?q=authenticite#6535
Paysage et Identité 59
Photo de l’auteur
villes vietnamiennes sont souvent considérées comme ayant perdu leur identité70, bien
que l’envahissement d’une architecture néo-vernaculaire soit présent partout.
Alors, à l’égal du paysage, l’identité dans la perception d’une personne ou d’un public
pourrait dépendre très peu de la réalité physique. On peut même avoir des impressions
très fortes d’un pays (peu importe elles sont vraies ou fausses), sans avoir besoin d’y
aller. Les images et significations nous arrivent à travers, soit des regards imprégnés
de sentiments et de préjugés d’autrui, soit des propagandes des systèmes de média.
Avec la globalisation actuelle qui mène à la concurrence entre des villes, l’identité,
comme un outil efficace pour le marketing, risque d’être encore plus inventée.
Quoique l’objet principal des architectes consiste plutôt au monde matériel, un point
de vue dialectique est primordial car l’identité est surtout une convention collective
avec des valeurs partagées.
70
Depuis le Doi Moi en 1986, la situation est toujours jugée comme grave, et la perte d’identité
nationale ou locale reste souvent le problème central à débattre dans les réunions ou conférences
organisées par l’Association des Architectes du Vietnam.
Paysage et Identité 61
Moyens de perception
Dans certaines circonstances, les moyens de perception font eux-mêmes partie de la
réalité physique et ils proviennent du processus naturel (belvédères, trajets disponibles
pour regarder) ou socio-culturel (transports en commun appartenant à une société…).
Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas, par exemple lorsque l’observateur utilise son
propre moyen de transport (vélo, moto, voiture, bateau, avion…) ou même s’il
regarde avec des lunettes. Une distinction, bien que relative, s’avère donc nécessaire
pour spécifier les moyens, surtout ceux de transport, comme facteur affectant le
mécanisme de perception (tandis que les deux premiers agissent plutôt sur l’objet –
réalité physique). Leur influence concerne les différences kinesthésiques, la série
temporelle, l’attention au détail ou les observatoires (regarder à partir d’un bus ou
d’un bateau)… et ainsi, ils modifient l’image recueillie. Edmund N. Bacon a abordé
cet effet en parlant de la figuration et l’impact du temps (temps s’arrête = perspective
et temps s’écoule = simultanéité) et en considérant la perception de l’espace comme
l’effet de mouvement71. L’analyse des systèmes de déplacement est donc, selon lui,
fondamentale dans la composition de la ville, mais aussi très nécessaire pour
améliorer la perception publique de cette dernière.
71
Edmund N. Bacon, D’Athènes à Brasilia, Editions Lausanne, 1967, p. 34-45 ; Traduction française
de l’ouvrage Design of Cities, New York, The Viking Press, 1967.
Paysage et Identité 62
Pour les vues projetées des autoroutes, les images recueillies en mouvement à haute
vitesse sont encore plus déformées. Elles ont tendance à se fusionner dans une série
presqu’infinie de bandes floues. Comme le sujet est souvent enfermé dans sa voiture
et affecté uniquement par la vision, mais privé d’autres effets sensoriels venant du
monde extérieur (vent, température, odeurs, sons…), un paysage intéressant pourrait
devenir homogène, ennuyeux et produire des problèmes psychiques. Dans la séquence
d’impressions reçues tout au long du trajet, l’identité de chaque milieu est rendue
beaucoup moins claire, même effacée si les différences résident aux détails. Ces
incidences expliquent pourquoi l’étude d’impact visuel prend une importance
considérable dans l’aménagement des bords des autoroutes, dont les fonctions ne se
limitent pas qu’à la sécurité ou l’isolation sonore pour des quartiers de deux côtés.
72
Par exemple, la création d’observatoires photographiques des paysages sous-marins ou l’adoption
d’indices paysagers, initiées par l’Agence des aires marines protégées, dans le cadre de démarches
participatives avec des plongeurs.
Source : http://www.aires-marines.fr/Connaitre/Paysages-sous-marins
PARTIE III – REGARD GENERAL SUR
LA CULTURE LOCALE, LA PHILOSOPHIE ORIENTALE
ET LEURS REFLETS DANS L’AMENAGEMENT
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 64
Bien que toutes les traditions impliquent souvent des subjectivités, leurs pratiques, au
fil des générations par l’éducation ou les institutions sociales, ont laissé des
stratifications indéniables dans les cultures actuelles. Elles montrent une adaptation
des peuples et reflètent donc une certaine logique objective des systèmes de valeurs
qui sont reconnus et partagés, afin d’assurer une stabilité sociale relative dans l’espace
et dans le temps. Autrement dit, pour exister jusqu’à présent, chaque idéologie doit
avoir à la fois des subjectivités et objectivités plus ou moins dans son contenu ou dans
ses fins. L’adoption d’un comportement prudent est nécessaire pour distinguer les
deux, et pour connaître par exemple, les prétextes inventés qu’un groupe quelconque
pourrait mettre en avant en dépit des intérêts publics.
1
Sur ce point, on peut consulter les analyses du « non-sens de la vie » d’Albert Camus dans l’Essai sur
l'absurde (1942), http://mael.monnier.free.fr/bac_francais/etranger/abscamus.htm; ou la phrase célèbre
de l’écrivain anglais Gilbert Keith Chesterton : « Le fou n'est pas l'homme qui a perdu la raison. Le fou
est celui qui a tout perdu, excepté la raison », http://evene.lefigaro.fr/citation/fou-homme-perdu-raison-
fou-tout-perdu-excepte-raison-21446.php
2
« La raison se perd par le raisonnement », disait Antonio Porchia dans Voix.
http://evene.lefigaro.fr/citations/mot.php?mot=raisonnement
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 65
L’esprit critique excessif est à éviter, et un regard avec plus de tolérances s’adapterait
mieux à la réception des valeurs traditionnelles ainsi que celles provenant d’autres
cultures. Un tel comportement aiderait à perfectionner l’équité et la rationalité relative
des cultures, et il contribuerait aussi au développement durable. En fin de compte, la
culture, la tradition et l’identité, bien qu’elles soient inventées, reste toujours utiles.
L’importance est que ce processus d’invention apporte un visage de plus en plus
humain.
3
Trần Ngọc Thêm, Cơ sở văn hóa Việt Nam (Base de la culture vietnamienne), Maison de publication
d’Éducation, 1999. Autrefois, l’occupation des Hans (l’ethnie socialement privilégiée et politiquement
dominante, représentant 92% de la population chinoise aujourd’hui) s’était arrêtée au delta du Fleuve
Jaune. Par rapport au présent, la frontière sud de la Chine à l’époque était donc déplacée très loin vers
le nord. La culture chinoise du sud est liée à l’agricole du riz, et participe aussi à l’espace géoculturel
des Bách Việt dont le peuple vietnamien actuel.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 66
plus et les activités agricoles sont liées étroitement aux phénomènes naturels (terre,
eau, temps…). Les habitants respectent donc toujours la nature et désirent une vie en
harmonie avec elle (tandis que les autres peuples dépendent moins de la nature et ont
tendance à la conquérir ou dominer4).
« L’amour de la nature est un des traits les plus beaux de la vie sentimentale
de notre peuple. Les plantes qui apparaissent dans les œuvres littéraires et
poétiques, sont mille fois plus riches dans la réalité. Mûrs par une inspiration
artistique, nos pères ont cherché à enrichir et à embellir la nature en
multipliant les plantes de nos jardins et en faisant rivaliser d’éclat les couleurs
et les parfums de leurs fleurs ».6
4
À titre d’exemple, on peut citer la perception de la nature du christianisme qui est révélée dans la
Genèse : Après avoir créé au commencement les cieux et la terre, au sixième jour l'homme et la
femme, Dieu les bénit, et Dieu leur dit: « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et
l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se
meut sur la terre ».
https://www.biblegateway.com/passage/?search=GEN%201:1&version=LSG;BDS
https://www.biblegateway.com/passage/?search=GEN%201:28&version=LSG;BDS
5
Augustin Berque, op. cit., p. 16.
6
Tạ Mỹ Duật, L’architecture moderne à caractère national, Manuscrit en français de l’architecte,
Archives de la famille, 10/1984, p.12.
7
« Tiểu cảnh » ou « hòn non bộ », en vietnamien.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 67
fantasques comme préférées en Chine ou au Japon. La nature est représentée ici dans
les aspects amicaux et familiers.
Source :
http://cayxanhcanhquan.com/nguyen-
tac-xay-dung-hon-non-bo-61-nct.aspx
8
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), Tô Ngọc Thanh, Nguyễn Chí Bền, Lâm Mỹ Dung et Trần
Thúy Anh, Cơ sở văn hóa Việt Nam (Base de la culture vietnamienne), Éditeur de l’Education,
02/2006, p. 35.
9
Phan Văn Lít & Buller Lew, Mountains in the Sea: The Vietnamese Miniature Landscape Art of Hòn
Non Bộ, Timber Press, 2001, p. 12.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 68
propre mécanisme d’auto régulation et pourrait exister sans nous, mais l’autre sens est
impossible10.
Généralement, cet esprit dialectique est très proche de la perception du monde comme
système que l’on a abordé. Pour la nature, des savoir-faire qui en résultent peuvent
indiquer la réciprocité entre des choses fortes diverses15. Pour la culture, c’est la
conception de l’individu comme indissociable du collectif, le deuxième est le système
10
James Lovelock, La Terre est un être vivant (l'hypothèse Gaïa), Flammarion, 1979.
11
Pour les Chinois, l’utilisation des baguettes provient d’une influence du Sud, d’après Trần Ngọc
Thêm., op. cit., p. 196.
12
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 47.
13
Thijs van Oostveen, « Taoism & Imperialism – Culture and Prefabricated Building Structures »,
Studio Hanoi – Design research winter trimester 2000-2001, University of Technology Eindhoven,
Department of Architecture, Building and Planning, Mars 2001, p. 97-98.
14
Nathalie Lancret, « La représentation de l’espace urbain en Asie du Sud-Est » ; dans Pierre Clément
et Nathalie Lancret (sous la direction de), Hanoï – Le cycle des métamorphoses : Formes urbaines et
architecturales, Paris, Éditions Recherches/Ipraus, 2001, p. 75.
15
Tels que le changement du temps et l’action des insectes : « Quand la libellule vole bas il pleuvra,
quand elle vole haut il y aura du soleil, au niveau modéré il est nuageux » (chanson folklorique).
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 69
qui contient le premier. Il explique aussi l’acceptation d’une synthèse des religions au
service des fins ou des intérêts communs, au lieu des séparations qui atténueraient leur
force. En rehaussant le sentiment de dépendance, il nous fait comprendre pourquoi les
gens d’ici sont si rattachés à la religion par rapport aux sociétés occidentales.
16
Ellie Zolfagharifard, How rice and wheat divided the world: Cultural differences between East and
West are all down to FARMING styles, Daily mail.
http://www.dailymail.co.uk/sciencetech/article-2623507/How-rice-wheat-divided-world-Cultural-
differences-East-West-FARMING-claims-study.html
17
Dans les champs du village à l’époque féodale, il y a plein de terrains communs, et la séparation
entre des classes sociales n’y était pas très nette. Le village restait une petite société des paysans,
caractérisé par le maintien d’un esprit communautaire et d’une sorte d’égalitarisme. Trần Quốc Vượng
(sous la direction de), op. cit., p. 238.
18
Ibid., p. 72.
19
Ibid., p. 42.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 70
Cette caractéristique, avec le respect d’une vie en harmonie, nous fait comprendre
pourquoi dans la tradition on n’aime pas trop le maniérisme ainsi que des attitudes
directes et rationnelles à l’Occidentale. Dans la construction de l’habitat, il existe
fréquemment des zones intermédiaires ou des espaces transitoires (le plus souvent
entre l’intérieur et l’extérieur, avec la véranda, le paravent et les écrans mobiles qui
filtrent la lumière et créent une sorte de microclimat en protégeant contre des rayons
directs du soleil et des regards rectilignes). Toutes choses directes ou tous contrastes
trop forts, même dans le goût pour l’esthétique, sont considérés comme le reflet d’un
déséquilibre ou l’accentuation de l’ego.
La flexibilité
L’esprit synthétique, dialectique et l’appréciation du sentiment conduisent à un
comportement flexible autant sur le plan du contexte physique que social. Il s’agit
d’une adaptation aux changements constants, et à l’interdépendance des choses,
considérées toutes en tant que lois naturelles. Effectivement, la flexibilité ou la
souplesse devient un principe vital. Il n’y a pas de règles trop rigides, trop fixes qui
soient imposées pour tous les temps et tous les lieux.
Dans un certain sens, les vietnamiens reçoivent donc plus facilement les éléments
culturels exotiques21. La flexibilité affecte aussi l’interprétation d’une doctrine ou
d’une idéologie, peu importe à quel point leur principe originel est élaboré
strictement. Lorsqu’il est nécessaire, même le Bouddhisme peut se dégager du
caractère passif ou du rigorisme pour « s’incarner » dans la vie et participer à la
libération et à la construction du pays, telle est la réalité qui se passait sous le règne
des rois Lý – Trần22.
La flexibilité, comme on l’a dit, est aussi le fruit des interactions avec l’eau, un agent
multiforme et difficile à saisir : fleuve, rivière, ruisseau, canal, lac, bassin… Pour se
concilier au contexte, qui se complique encore avec des intempéries, l’homme est
obligé d’agir plus souplement.
20
Ibid., p. 40.
21
Ibid., p. 48.
22
Ibid., p. 167-168.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 71
Il est important de noter que les idées de la philosophie Yin-Yang sont plus proches
de la base locale de la culture vietnamienne (en général, c’est la culture agricole du
Sud-Est asiatique24) que de la culture chinoise qui était, à l’origine, plus attachée à la
culture nomade au Nord. La contribution de Lao-Tsu, créateur du Taoïsme auquel le
symbole ci-dessus a été formé, au début de l’ère chrétienne, n’était que la synthèse et
la mise en doctrine des idées de la tradition de culture agricole au Sud (Lao-Tsu se
23
Même un objet semblant invariant comme une pierre se transforme aussi, bien que très lentement, en
interaction avec son environnement, au moins par la lumière ou par l’oxydation.
24
La version la plus élaborée de cette philosophie est l’I-Ching (« Classique des changements », en
français) dont le symbole de Yin-Yang et le bagua (qui signifie les huit figures de divination,
représenté par un diagramme octogonal avec un trigramme différent sur chaque côté). L’empereur
chinois Phục Hy (Fuxi ou Fu Hsi en français), est souvent considéré comme son auteur. Il est en fait un
personnage de la mythologie, et même dans cette histoire inventée, il est l’ancêtre d’un peuple du Sud.
C’est pourquoi aujourd’hui même les chercheurs chinois doutent encore du vrai auteur de l’I-Ching.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fuxi
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 72
Source :
Nguyễn Vũ Tuấn Anh, Minh triết Việt trong văn
minh Đông Phương (La sagesse Vietnamienne
dans la civilisation orientale), Editeur de la
Connaissance (NXB Trí thức), 2014.
http://diendan.lyhocdongphuong.org.vn/bai-
viet/33295-sach-minh-triet-viet-trong-van-minh-
dong-phuong/
Néanmoins, cet équilibre n’est pas absolu. À cause des particularités de la culture du
riz et du mode de vie sédentaire, c’est une harmonie qui s’oriente plutôt vers la Yin.
On préfère la stabilité25 plutôt que le mouvement, s’harmoniser avec la nature plutôt
que la dominer. Dans la commune, on apprécie le sentiment, la souplesse, la
« Les chercheurs chinois doutent de l’I-Ching en tant qu’un œuvre de leurs ancêtres », traduction en
vietnamien par Nguyễn Trung Thuần à parti d’un article publié dans Le monde des méconnaissances,
Éditeur de Giang Tô (Jiangsu), Chine, 2008.
http://www.lyhocdongphuong.org.vn/dich-hoc/chi-tiet/hoc-gia-trung-quoc-cung-chua-dam-nhan-kinh-
dich-cua-minh-2668/
I-Ching est un produit vietnamien.
http://www.lyhocdongphuong.org.vn/dich-hoc/chi-tiet/kinh-dich-la-cua-nguoi-viet-2667/
L’origine de l’I-Ching est au Vietnam
http://baodongnai.com.vn/baoxuan2012/201201/Triet-ly-am-duong-bat-nguon-tu-Viet-Nam-2125531/
25
L’aspiration à une vie stable se manifeste même dans la nomination des villages. Au Nord du
Vietnam, les noms dont le sens y est lié sont les plus présents.
Nguyễn Đức Nghinh, « Les villages traditionnels du Nord Vietnam en voie de transformation » dans
Philippe Papin et Olivier Tessier (sous la direction de), Le village en questions, Centre National des
Sciences Sociales et Humaines, p. 414-415.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 73
discrétion délicate plutôt qu’une clarté crue ou brutale. Ceci explique la rareté, dans
l’aménagement traditionnel, des axes visuels, des ouvertures ou percés trop directes et
linéaires, des limites trop claires, des contrastes trop fortes.
Sources : Plan et coupes de la pagode de Diên Hựu : Vũ Tam Lang, Kiến trúc cổ Việt nam
(Architecture ancienne du Vietnam), Maison de publication de Construction, Hanoi, 2011;
Photo de la pagode au Pilier unique : Bùi Thế Tâm ; Aménagement paysager du mausolée de
Ming Mạng : Chu Quang Trứ, Kiến trúc dân gian truyền thống Việt Nam (Architecture
folklorique traditionnelle du Vietnam), Maison de publication des Beaux-Arts, 1999, p. 101 ;
Retracés en couleur par l’auteur.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 74
Les valeurs de la théorie Yin-Yang, avec son modèle explicatif et l’insistante sur le
rôle d’un équilibre dynamique, reste quasiment intact pour la conception du monde.
Non seulement au passé, il s’impose à l’heure actuelle, et continue pour le futur avec
l’implication progressive dans la mode de vie des équipements informatiques dont les
principes opérationnels sont aussi basés sur une dualité (la numération binaire avec les
seuls chiffres 0 et 1, ou le statut illuminé – éteint des ampoules électroniques).
Certes, l’un des échanges les plus importants s’est fait avec la culture chinoise, en
deux sens. Avant la dynastie de Qin, c’était l’influence du Sud (incluant aussi la partie
sud du fleuve Yang Tsé) vers le Nord où se trouve le bassin du Fleuve Jaune. Dès le
temps de Qin, l’influence s’accomplit dans l’autre sens, du Nord vers le Sud.
Toutefois, pour le deuxième il y a des éléments qui appartenaient aux peuples du Sud
à l’origine28. Les Han les ont pris, synthétisé et développé. C’est pourquoi ils sont
reçus assez facilement par les Viet29 (le Taoïsme est un bon exemple). La plupart des
implantations imposées avaient lieu durant une période appelée la Domination
Chinoise (depuis l'échec de l’insurrection de Deux Sœurs Trưng en 43 après J.-C.
jusqu’à la victoire du Ngô Quyền en 938), mais plus exactement, c’était la période de
domination et d’anti-domination, où l’occupation alterne avec les luttes car les
Vietnamiens ne sont jamais domptés30. Cela démontre que la culture vietnamienne a
une forte identité et le voisin du Nord n’atteignait pas une homogénéisation, même au
bout des milliers d’années. Quoiqu’il y ait des influences chinoises, le fait que la
langue vietnamienne existe toujours témoigne bien de la résistance.
26
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 48
27
Le Vietnam peut être regardé comme un mini Asie du Sud-Est. Ibid., p. 54-55.
28
Nommés « Bách Việt », ou selon la traduction de Philippe Papin, « les cent tribus Việt », c’est-à-dire
« tous les Việt ».
29
Ibid., p. 147.
30
Ibid., p. 134-135.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 75
31
Ibid., p. 85.
Il s’agit d’une théorie des douze liens interdépendants qui explique les causes de la souffrance de
l'homme dans le cycle des renaissances et des morts, et les conditions pour que ces causes soient
effectives. L’émancipation ou l’éveil serait atteint avec l’extinction du désir égotique et de l'illusion.
32
Trần Ngọc Thêm, op.cit., p. 242.
33
Vô thường, en vietnamien, qui signifie que toutes choses sont constamment changeantes et la
permanence absolue n’existe jamais.
34
Vô ngã, en vietnamien, qui signifie qu’aucune chose ne peut exister d’une manière complètement
indépendante.
35
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 45.
36
Ibid., p.82.
37
La perversité et la décadence du régime féodal dès la fin du XVIème siècle jusqu’à la fin du
XVIIIème siècle ont beaucoup diminué le rôle du Confucianisme en tant qu’un moyen moral pour
gérer la société. « Au sein de la population, les courants d’idées humanistes s’élèvent et augmentent »,
Ibid., p. 176-177.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 76
Sur le plan physique, le Confucianisme se voit donc surtout dans les aménagements
officiels, tel que le montre l’organisation hiérarchique de la cité impériale
(particulièrement le palais impérial) ou des temples de littérature, avec des limites
bien définies entre l’intérieur et l’extérieur, des distinctions remarquable entre les
différentes zones et niveaux, ou l’accentuation de l’axe. Dans l’architecture
vernaculaire, l’influence était atteinte au moyen des règles contraignantes qui
empêchaient, par exemples, des constructions en niveau (pour éviter les regards
depuis le haut vers le roi dans son palanquin), l’utilisation de certains couleurs et
motifs d’ornementation réservés exclusivement à la famille royale ou aux mandarins,
le dépassement du nombre des travées de la maison…39
Source :
http://mytour.vn/location/4787-van-mieu-
quoc-tu-giam-truong-dai-hoc-dau-tien-viet-
nam.html
Source :
http://belleindochine.free.fr/images/Plan/hu
ePalaisimperiale.jpg
38
Phan Ngọc, La culture vietnamienne et une nouvelle approche, Éditeur de la Culture, Hanoi, 1994, p.
117-119; cité par Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op.cit., p. 169.
39
Code Annamite (Hoàng Việt luật lệ), approuvé par le roi Gia Long en 1815, cité par Georges
Azambre, op.cit., p. 23-24. Son contenu emprunte beaucoup celui de la dynastie Qing en Chine, avec
des ajustements pour qu’il soit approprié au contexte du Vietnam à l’époque.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 77
Le Taoïsme, en parlant des sens de l’équilibre Yin – Yang pour exalter une vie en
harmonie, peut être considéré comme produit d’une logique assez objective du rapport
entre l’homme et la nature dans la culture du riz. Le Confucianisme, notamment les
versions plus tardives, s’avère une idéologie inventée d’une manière plus subjective
pour servir un groupe de personnes comme outil à maintenir le pouvoir. L’abus de la
hiérarchie, de l’obéissance, de la loyauté, et les interprétations intentionnelles du
concept de l’état, de la nation ou du collectif… sont les éléments qui mettent plus en
doute le Confucianisme aujourd’hui, surtout dans les circonstances où on exige la
créativité, l’indépendance des réflexions ou d’autres valeurs individuelles.
Bien que les échanges créent plusieurs traits similaires ou proches, la culture
vietnamienne et la culture chinoise sont distinctes. Ceci provient des causes
objectives, liées à des conditions naturelles différentes dans lesquelles les deux
cultures prennent source. Celles de la première ont trait au climat de la côte qui est
chaud et l'humide, avec beaucoup de pluie et moussons. Pour la deuxième, il s’agit
d’un climat en plein milieu du continent, froid, sec, peu de pluie et forte
évaporation41. L’adoption des maisons sur pilotis dans le passé rappelle une bonne
preuve. Très répandu en Asie du Sud-Est, ce type d’habitation a été figuré sur les
objets rituels en bronze des Việt il y a des milliers années. Son remplacement par les
maisons en rez-de-chaussée n’est pas dû qu’aux influences chinoises, mais se faisait
au fur et à mesure de la construction des digues aussi. C’est pourquoi jusqu’au
XVIIIème siècle on le constatait encore à Hanoi42. Non seulement dans l’habitation,
l’application de cette forme pour certains đình (maison communale du village à
l’époque féodale, rattachée au culte des divinités tutélaires) résulte également de la
même raison.
40
Trần Ngọc Thêm, op.cit., p. 302.
41
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 33.
42
Chu Quang Trứ, op. cit., p. 28.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 78
e
Les échanges avec la culture occidentale avait commencé autour des XVI-XVII
siècles par des missionnaires catholiques portugais et espagnols, puis s’intensifient
ensuite avec les français pendant la période coloniale. Encore une fois, les valeurs
occidentales ont été sélectionnées et reçues d’une manière flexible (concernant
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 79
l’architecture, tandis que les églises catholiques sont construites partout en suivant des
modèles plus ou moins semblables; l’église de Phát Diệm, une des premières de ce
type au Vietnam, a adopté, quant à elle, le style traditionnel vietnamien). Parmi les
contributions indéniables, l’esprit analytique et la valorisation de la rationalité sont
des plus essentielles. Toutefois, durant cette période, ces influences s’arrêtaient
surtout aux milieux urbains et n’affectaient pas trop la campagne régie encore par la
culture populaire traditionnelle43.
Fig. 64, 65 & 66 – L’église de Phát Diệm avec l’adoption du style traditionnel vietnamien. Ici,
quand le contexte le permet, un bassin d’eau est disposé pour rétablir l’équilibre avec le
bâtiment. On y trouve encore une île artificielle (sur laquelle se situe la statue de Dieu), un
motif très fréquent qui symbolise le Yang (île) dans le Yin (eau).
43
Probablement, l’une des causes majeures consiste au respect de l’état colonial pour le modèle du
village et son autonomie (afin de faciliter sa gestion aussi), tandis que le village reste depuis toujours le
berceau de la culture traditionnelle ; D’après Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 185.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 80
44
Dès les années 1950 jusqu’à la décennie 1980, avant le déclin des coopératives agricoles dont le
modèle est de plus en plus remplacé par des formes forfaitaires.
45
La destruction des đình a été envisagée, même par des intellectuels, comme une action
révolutionnaire pour exclure de mauvais mœurs et coutumes de la société rurale. D’après Nguyễn Đức
Nhuận, « Le district rural vietnamien ou l’Etat en campagne », dans Habitations et habitat d’Asie du
sud-est continentale : pratique et représentation de l’espace, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 345.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 81
l’ambiguïté, voire la considère comme dangereuse car elle rend difficile le contrôle.
Pour faciliter la gestion et construire une société « plus moderne, civilisée et
progressiste », des formes éphémères, des acteurs informels, des éléments ruraux dans
le milieu urbain… sont mal vus ou délaissés, en faveur d’une politique ou des règles
qui visent à donner plus d’« ordres » et de « disciplines ». Bref, on passe des plutôt
Yin aux plutôt Yang.
46
Un concept dont l’ambiguïté entraîne depuis plusieurs problèmes autant sur le plan théorique que
pratique.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 82
Photo de l’auteur
suivre sous les yeux de la majorité. Ceci explique pourquoi il y a un grand écart dans
le jugement sur certaines choses qui apparaissent très vivantes et intéressantes à
l’égard des étrangers, alors que les locaux n’y accordent aucun intérêt car ils les
trouvent désorganisées et anarchiques, et ne les valorisent pas dans les projets
d’aménagement. Evidemment, cet esprit mécanique ne coïncide pas avec une
approche vraiment humaniste ou des critères du développement durable, mais c’est
encore une réalité dont il faut tenir compte.
Source : K.T.T Thành Công : Photo de l’auteur ; Complexe Wozocos : Panorama de l’architecture
contemporaine, Könemann, 2000, p. 850-851 ; L’inspiration des K.T.T pour les architectes de
MVRDV : Studio Hanoi – Design research winter trimester 2000-2001, University of Technology
Eindhoven, Department of Architecture, Building and Planning, Mars 2001.
La fusion des éléments implantés et locaux est un processus continu qui fait évoluer la
culture vietnamienne. Toutefois, cette évolution avec l'ordre chronologique déjà
énuméré ne va pas toujours de pair avec la succession des remplacements respectifs.
Les caractéristiques que l’on vient d’aborder constituent des stratifications culturelles
qui restent encore actives aujourd’hui dans la plaine du Tonkin. Elles produisent les
signes distinctifs qui sont présents en parallèle avec des traits communs provenant
d’une culture globale dirigée principalement par l’Occident à nos jours.
Ce sont aussi les échanges incessants qui éclaircissent en partie la raison pour laquelle
les Vietnamiens sont si obsédés par la question d’identité : « Peu de pays de par le
monde auront autant et si longuement sacrifié à la reconnaissance de leur identité que
le Vietnam »51. Bien qu’elle soit inventée, l’identité est envisagée comme une arme
51
Christian Pédelahore de Loddis, « Hanoï : figures et identité du patrimoine architectural », dans
Pierre Clément et Nathalie Lancret (sous la direction de), op. cit., p. 179.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 84
52
Parti Communiste du Vietnam, Đề cương văn hóa Việt Nam 1943 (Planification en 1943 pour la
culture vietnamienne), Journal électronique du Parti Communiste du Vietnam. Les trois qualificatifs à
développer pour la culture sont : national, populaire et scientifique.
Source : http://dangcongsan.vn/cpv/Modules/News/NewsDetail.aspx?co_id=10005&cn_id=609318
53
Jusqu’aux années quatre-vingt, il n’était pas rare que les architectes socialistes pensent qu’ils doivent
lutter contre des accents mis sur la tradition locale, en concevant une architecture progressive qui
dépasse les frontières nationales.
William Stewart Logan, Hanoi : Biography of a City, UNSW Press, 2000, p. 202.
54
Pour une meilleure investigation sur ce sujet, on peut consulter Caroline Herbelin, « Architects of the
Indochina School of Fine Arts and the question of modernity in Vietnamese architecture », conference-
workshop Beyond Teleologies: Alternative voices & histories in colonial Vietnam, Center for Southeast
Asian Studies, University of Washington, Seattle, 2007, p. 7-11.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 85
L’habitation est en fait un exemple représentatif. Plus que des lieux de passage, elle
devrait régler le mieux possible les principes d’harmonie. Dans le passé, la maison
traditionnelle constituait donc une unité d’équilibre entier, ce qui sera développée
dans le prochain chapitre.
55
Phó Đức Tùng, « Thuyết Âm – Dương trong kiến trúc Á Đông : Âm – Dương đối kháng » (La
théorie Yin – Yang en architecture orientale : L’opposition entre les deux), Kiến trúc (Architecture),
No. 3/2001, Union des Architectes Vietnamiens, p. 71.
56
Tạ Mỹ Duật, op.cit., p. 15.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 86
http://huedisan.com.vn
Fig. 74 – Carte du Tombeau du roi Gia Long. Étendu sur une superficie de 28 km2 avec
beaucoup de montagnes, collines et surfaces d’eaux, cet ensemble comprend également des
tombeaux et mausolées de ses femmes et d’autres membres de la famille. On trouve ici le rôle
accentué du chemin dans l’aménagement paysager de la « maison éternelle », à laquelle le roi
a lui-même participé à tous les étapes du projet incluant la construction.
L’attention accordée au cheminement explique aussi pourquoi les gens ne sont pas
ennuyés en utilisant les approches indirectes ou intermédiaires, voire les préfèrent
parfois. Ils les trouvent plus naturelles :
« Tout comme dans la nature, les Asiatiques ne se sentent pas mal à l'aise en
faisant des zigzags pour atteindre leur destination. La société occidentale a
tendance à créer des lignes droites en raison de la logique. Leur logique est
basée sur des idées scientifiques et mathématiques qui sont une abstraction de
la nature et donc antinaturelles ».58
57
Phó Đức Tùng, « Thuyết Âm – Dương trong kiến trúc Á Đông : Âm – Dương tiêu trưởng » (La
théorie Yin – Yang en architecture orientale : La transformation des deux), Kiến trúc (Architecture),
No. 6/2001, Union des Architectes Vietnamiens, p. 79-81.
58
Thijs van Oostveen, op. cit., p. 103; Traduction est faite par l’auteur.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 87
Source : UrbanPeek
59
Selon le dictionnaire Larousse, la perfection est définie comme ce qui est tel au plus haut degré,
complet, total ; ou d’après Wikipédia, elle signifie « ce qui est fait jusqu'au bout, totalement ».
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/parfait_parfaite/58175
http://fr.wikipedia.org/wiki/Perfection
60
Par exemple, on peut trouver cette idée dans la définition d’Alberti sur la beauté : « Harmonie de
toutes les parties, de quelque manière qu’elles apparaissent, arrangées selon de telles dimensions et de
tels rapports que rien ne puisse être ajouté, enlevé ou modifié, au risque de tout gâter » ; citée par
Bacon, op.cit., p. 243.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 88
C’est aussi parce que le Yin et le Yang se transforment sans cesse que le bâtiment
n’est pas considéré comme immuable, mais plutôt comme une chose éphémère.
Lorsqu’il ne s’avère plus nécessaire, il peut être démonté et reconstruit ailleurs (dans
l’architecture vietnamienne traditionnelle, on peut le faire non seulement avec les
maisons mais également avec les pagodes). Le bâtiment ressemble donc à un
organisme qui grandit et qui, à un moment donné, va mourir62, et un nouveau cycle
recommence, mais les caractéristiques principales se maintiennent encore comme une
âme et continuent à évoluer sous d’autres formes ou corps63. Ceci conduit à des
divergences dans le domaine de la conservation. Pendant que l’Occident a tendance à
conserver chaque brique comme un témoin historique (authenticité physique), l’Orient
se préoccupe plutôt de la conservation spirituelle (sens, significations) en s’intéressant
moins ou pas aux éléments physiques concrets. L’intention de les figer ou de résister
aux changements pourrait même se voir comme un comportement antinaturel. Les
temples et les pagodes pourraient donc être rénovés périodiquement64.
61
Norberg-Schulz, op.cit., p. 18.
62
On a des références très proches avec d’autres cultures orientales qui partagent la même idéologie.
D’après Zhang Liang, « Les Chinois se contentent d’une loi consistant à remplacer le vieux par le
nouveau, et considère que la vie et la mort est un cycle naturel. Ainsi, on ne soucie pas de la longévité
ou de la fugacité des réalités matérielles, on n’a pas l’ambition de ne les voir jamais périr ».
Zhang Liang, La naissance du concept de patrimoine en Chine (XIX-XXe siècles), Edition
Recherches/Ipraus, 2003.
63
Des similarités se trouvent également au Japon, où les gens peuvent détruire volontairement des
temples dans les cérémonies rituelles, puis les reconstruire tous les vingt ans. Ce phénomène témoigne
donc « une conception cyclique du temps, commune à toute l’Asie ».
Flora Blanchon, « L’espace en Asie : notes préliminaires », Aménager l’espace, Centre de recherche
sur l'Extrême-Orient de Paris-Sorbonne (CREOPS), Presse de l’Université Paris-Sorbonne, 1994, p. 30.
64
C’est en tenant compte de cette différence entre les cultures que le Document de Nara sur
l'authenticité (1994) peut être considérée comme une contrepartie (ou un prolongement conceptuel, en
terme officiel) à la Charte de Venise (1964), pour orienter la conservation et la restauration des
monuments et des sites.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 89
Fig. 78, 79, 80, 81, 82, 83 – Différence entre l’Orient et l’Occident pour les approches de conservation.
Fig. 78 – La pagode de Trăm Gian (Centaine de Travées) avant des travaux (en haut, à gauche).
Fig. 79 – Une partie de la pagode en reconstruction après avoir été démontée (en haut, à droite).
Fig. 80 – Une sculpture avant rénovation, avec l’effet esthétique du vieillissement (en bas, à gauche).
Fig. 81 – Des sculptures après avoir été repeint (en bas, à droite).
En 2012, sous prétexte d’une réparation, cette affaire catastrophique s’est passée à juste 20 km du
centre de Hanoi. Elle montre un cas représentatif de la pensée populaire encore très partagée, qui est
opposée à l’idée « académique » dominée des logiques occidentales. Lors de l’enquête, le vieux bonze
et des personnes âgées expliquent qu’ils reçoivent les dons et travaillent spontanément avec les
habitants locaux, mais ne connaissent pas les règles actuelles pour la conservation du patrimoine.
Source : http://huongdanphattu.vn/news/Tim-hieu-Phat-giao/Chua-Tram-Gian-bi-huy-hoai-Bau-vat-
khong-nguoi-trong-coi-3964/
Fig. 82 & 83 – Dovecote Studio, conçu par Haworth Tompkins Architectes, Suffolk, Grande Bretagne.
En occident, la conservation physique concerne non seulement les monuments historiques importants.
Parfois, on garde même les vestiges médiocres comme les marques du temps. L’exemple un peu
exagéré ci-haut montre bien cet esprit. Le maintien de tels éléments « morts », qui ne participent plus à
la structure du bâtiment, n’a aucune valeur dans la pensée orientale classique, caractérisée par la
conception cyclique du temps. De plus, le jeu de contraste trop fort entre l’ancien et le nouveau utilisé
ici ne convient pas à l’esthétique orientale qui souligne la discrétion et l’harmonie.
Source : http://haworthtompkins.com/built/proj04/index.html
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 90
Dans la composition du terme, le vent veut désigner ici l’air (ou les vagues de gaz)
qui avec l’eau sont indispensables pour la vie de l’homme ainsi que tout être vivant
sur la planète. Cependant, leur fonctionnement dépend de la forme et de la dimension
des objets qui les contiennent ou conduisent67. Dans la perception orientale antique,
l’univers se façonne à partir des flux d’énergie invisibles (perçus sous forme du vent
et des courants d’eau) qui sont toujours en mouvement et modèlent tous les êtres et les
choses68. Utilisé comme un moyen pour en recueillir le souffle vital, l’aménagement
est capable de disperser ou d’accumuler les flux, mais il ne peut pas les faire naître ou
disparaître. Un modèle conforme au Feng-shui dépend donc des propriétés du milieu
et de la personne (qui impliquent aussi la question du moment : il est bon mais juste
dans une période déterminée, après on doit modifier ou ajuster). Il n’existe pas un
modèle absolument bon pour tout le monde. Cette idée se trouve en contraste avec
celle de l’Occident qui, en se tournant vers les besoins dits universels, cherche
souvent des solutions communes pour tout.
65
Nathalie Lancret, op. cit., p. 74.
66
Trần Nhật Kiên, Le patrimoine villageois face à l’urbanisation : le cas des villages périurbains Triều
Khúc et Nhân Chính - Hanoi - Vietnam, Thèse de Doctorat en Géographie et Aménagement, Université
de Toulouse 2 le Mirail, 2010, p. 26.
67
Khương Văn Thìn, Hà Nội có thế rồng cuộn hổ ngồi (Hanoi a la forme du Dragon qui s’enroule et
du Tigre qui s’assied)
http : hanoi.vietnamplus.vn/Home/Ha-Noi-co-the-Rong-cuon-Ho-ngoi/20109/3031.vnplus
68
Phó Đức Tùng, « Phong thủy và bản sắc Á Đông trong kiến trúc » (Feng-shui et identité orientale en
architecture), Kiến trúc (Architecture), No. 2/2002, Union des Architectes Vietnamiens, p. 76.
69
Même les arbres dans le jardin, décidés en fonction non seulement de leur taille et forme, mais aussi
de leur sens.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 91
Fig. 84 & 85 – Les cloisons mobiles en bois ou en bambou utilisées à la véranda des maisons
traditionnelles pour mieux contrôler la circulation des courants d’air. Au sol, si ce n’est pas la terre
battue, le mortier rempli aux joints du carrelage doit permettre aussi une perméabilité de l’air et de
l’eau.
Photos : http://trelangkienviet.com
70
Au lieu de se voir comme obstacle à niveler, l’élévation de terrain peut constituer un lieu de prestige
à conserver, car elle y concentre des énergies de l’univers ; D’après Nguyễn Tùng, op. cit., p. 100.
71
Par exemple, l’orientation vers le Sud ou Sud-Est pour éviter les rayons directs du soleil et recevoir
le zéphyr. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas, en suivant le Feng-shui ; D’après Trần Nhật Kiên,
op.cit., p. 193.
72
On peut voir le Feng-shui comme l'un des arts métaphysiques taoïstes.
David Twicken, Les Trésors du Tao, Editions Chariot d’Or, 2004.
73
Minh Anh, Phong thủy cho nhà ở từ góc độ vật liệu (Le Feng-shui pour l’habitation sous l’angle des
matériaux), Xây dựng (Construction), Journal électronique du Ministère de la Construction,
23/09/2014.
http://www.baoxaydung.com.vn/news/vn/quy-hoach-kien-truc/phong-thuy-cho-nha-o-tu-goc-do-vat-
lieu.html
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 92
Par ailleurs, la conception des vagues de gaz mouvants incite à configurer en suivant
la ligne pour faciliter la mobilité. Ainsi, dans l’aménagement, notamment dans les
jardins ou les parcs, il existe fréquemment des courbes sinueuses très « naturelles »
sous forme de promenades ou de canaux d’eau. Dans la tradition occidentale avec
l’esprit analytique, les formes élémentaires telles que le cube, la sphère, le cylindre ou
la pyramide sont regardées comme les unités les plus petites qui composent toutes les
choses. La théorie de Feng-shui, en considérant les choses comme le résultat des flux
d’énergie, n’attache aucun rôle spécial à ces formes élémentaires74.
Effectivement, il peut exister dans le Feng-shui des principes qui sont difficiles à
expliquer d’une manière scientifique (certaines mœurs, par l’intention de forcer les
gens à y croire, ont été rendues mystérieuses et deviennent une partie de cette
théorie75). Cependant, le vrai Feng-shui, par principe, n’impose jamais de solutions
contraires à l’intuition saine et naturelle de l’homme. Lorsque son insertion dans le
programme évoque des conflits potentiels pour l’utilisation, un véritable maître
d’œuvre serait exigé afin que des réponses au Feng-shui s’harmonisent le mieux
possible dans l’ensemble.
74
Phó Đức Tùng, op.cit., p. 77.
75
Chu Quang Trứ, op.cit., p. 12.
76
Thiên địa nhân, selon l’origine en vietnamien.
77
Trần Ngọc Thêm, op.cit., p. 62.
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 93
Il est intéressant de noter une proximité entre cette approche et le paysage qu’on a
défini. Dans notre concept, la réalité physique concerne évidemment la terre et le ciel.
La division relative entre le sujet et le mécanisme de perception prend une autre
forme : le sujet-centre avec sa conscience intérieure sainte, et ses propres caractères
extérieurs comme bagages culturels ou produits du rapport avec le contexte au long de
sa propre évolution. La connaissance du monde n’est faite que des images formées de
l’interrelation entre les trois. Tandis que la conscience sainte peut être considérée
comme un miroir, les bagages culturels peuvent apporter plus ou moins des taches qui
déforment l’image sur le miroir. Et ce que l’homme peut faire pour une meilleure
connaissance du monde consiste à garder son centre-miroir le plus propre possible en
nettoyant les taches sur ses caractères79.
78
Nguyễn Văn Thọ, Quan niệm Tam Tài với con người (Le concept du Trio et l’homme)
http://antruong.free.fr/quanniemtamtai.html
79
Phó Đức Tùng, Thuyết Tam Tài và những nguyên tắc chung của kiến trúc Á Đông (La théorie du
Trio et les principes généraux de l’architecture Orientale).
http://www.ivce.org/magazinedetail.php?magazinedetailid=MD00000096
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 94
le corps, les colonnes sont utilisées comme éléments d’appui majeurs, le mur ne joue
que le rôle de séparation. Ceci concerne des particularités locales (la région plane où
la pierre est rare, mais le bois et le bambou sont abondants) et il favorise aussi la
flexibilité de l’espace. En outre, car le ciel n’est pas un fardeau, la place où la colonne
soutient la toiture doit donner la sensation de légèreté80.
Bien entendu, la logique formelle des maisons traditionnelles n’est pas conditionnée
seulement par la théorie Trio, mais résulte encore des savoir-faire qui se produisent
d’une manière plus objective des interactions avec la nature. Les métaphores ci-dessus
reflètent une interprétation de la réalité à travers l’architecture vernaculaire. Elles ont
été traduites de telle sorte qu’elles soient conformes à la théorie, puis continuent à
imposer et à maintenir l’influence sur les architectures « plus savant » comme les
monuments ou les grands designs.
Idéalement, l’objectif le plus important pour tous objets ici n’est pas la forme, mais la
conciliation et l’unité entre le vrai, le bien et le beau81. Ces trois éléments sont
inséparables et la valeur de chacun serait justifiée et reconnue en évaluant les rapports
qu’elle entretient avec les deux autres82. La propre valeur de chacun pourrait se
réduire voire disparaître une fois que l’équilibre des trois était brisé. Par voie de
conséquence, on a tendance d’apprécier l’esthétique des aspects simples ou naturels,
bien qu’ils semblent parfois un peu rustiques, mais ils sont envisagés comme plus
vrais. Par contre, des styles maniérés avec trop de gesticulations qui montrent une
préoccupation excessive à l’embellissement ou à la superficie amènent souvent à des
regards méfiants car on les trouve facilement comme faux. De même façon, il n’existe
pas dans cette perception les constructions considérées comme belles ou vraies si elles
s’adaptent mal aux fonctions demandées.
80
Phó Đức Tùng, « Thuyết Tam Tài trong bố cục mặt đứng kiến trúc Á Đông » (La théorie du Trio et
la composition de la façade en architecture orientale), Kiến trúc (Architecture), No. 4/2000, Union des
Architectes Vietnamiens, p. 34-37.
81
Chân thiện mỹ, en vietnamien.
82
En fait, l’idée de cette conciliation n’est pas un bien propre à la culture orientale, mais elle a été
abordée aussi dans certaines philosophies ou courants de pensée occidentale (par exemple, dans
l’article « Beau » écrit par Denis Diderot pour le deuxième tome de l'Encyclopédie en 1752, ou même
depuis le temps de Platon lorsqu’il disait dans La République : « La simplicité véritable allie la bonté à
la beauté »). Toutefois, dans les deux cultures, on voit également des raisonnements contradictoires à
cette idée, des auteurs qui pensent l’unité entre le vrai, le bien et le beau est impossible. La complexité
se trouve donc dans les définitions très variées de ce qui est beau.
Trần Đình Sử, Về mối quan hệ giữa các phạm trù chân thiện mỹ (A propos de la relation entre le vrai,
le bien et le beau), 23 Octobre 2013.
http://trandinhsu.wordpress.com/2014/04/13/ve-moi-quan-he-giua-cac-pham-tru-chan-thien-mi/
François-Marie Mourad, Quelques réflexions sur l'article « Beau » écrit par Diderot pour
l'Encyclopédie, 16 Janvier 2009.
http://pierre.campion2.free.fr/mourad_diderotbeau.htm
Le Figaro.fr, Citations et proverbes sur la beauté.
http://evene.lefigaro.fr/citations/mot.php?mot=beaute&p=4
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 95
L’harmonie entre le ciel, la terre et l’homme est une loi commune sans exception, ni
pour les palais impériaux, ni pour les maisons populaires. Il ne doit pas y avoir les uns
trop grands ou trop gros qui sont en opposition aux autres trop petits. Probablement,
c’est à cause de cet esprit que devant les pagodes locales, on voit rarement un
contraste aussi fort que celui créé par des grandes cathédrales gothiques avec le reste
dans les cités anciennes en Europe.
Source :
http://www.cuois2.com/2014/0
5/hinh-thu-phap-tranh-thuy-
mac.html
83
Utilisé dans l’étude des sciences humaines et sociales, le terme désigne une approche dénuée de
valeurs ou des jugements normatifs pour rendre objectives des descriptions de l'humanité et de la
société.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Science_positive
Culture locale, philosophie orientale et leurs reflets dans l’aménagement 96
La deuxième partie a constitué des bases théoriques préalables pour une meilleure
compréhension du paysage et de son identité. La troisième a exploré des généralités
culturelles qui expliquent certaines logiques opérationnelles et perceptives auprès de
la population locale. Revenant au site, cette partie est une mise en contexte concret du
Lac de l’Ouest. Son but principal est de trouver, selon le vocabulaire élaboré par
Hough, des attributs naturels et culturels uniques qui attendent à être révélés1. Cette
partie ne s’arrête pas à un simple relevé des particularités. Afin de mieux comprendre
l’évolution, elle essaye de décrire la situation actuelle comme résultat des
changements dans le processus.
Pour le faire, la liste des « noticeable differences » de Rapoport est une référence
importante. Les particularités constatées seront mises en relation causale avec des
processus générateurs ou modifiants. En fait, l’identité paysagère pourrait se
constituer des éléments positifs ainsi que négatifs. Ce travail, en adoptant le
développement durable comme objectif final de toutes sortes d’intervention, utilisera
ses critères comme des filtres qui aident à distinguer.
Si l’on voit le paysage juste en tant que relation, l’analyse à travers ses seules
fonctions ou signification serait bien légitime. Ce travail, avec le concept du paysage
comme production d’un processus conditionné par objet, sujet et mécanisme de
perception, adopte une démarche dans laquelle tous ces trois participants seront bien
identifiés. Il se préoccupe à la fois des relations ainsi que des éléments séparés.
L’intérêt apporté à l’objet dans une telle approche pourrait, l’auteur l’espère, aider à
découvrir des potentialités pour inventer de futures identités du site.
DEUXIEME PERIPHERIQUE
QUARTIER ADMINISTRATIF
QUARTIER COLONIAL
1
Hough, op. cit., p. 180-181.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 99
En effet, la formation de petits lacs et étangs actuels dans les alentours résulte aussi du
travail des habitants locaux pour adapter le grand lac, qui était immense et hors
échelle, aux modes de vie et de production du quotidien. Une partie de la surface
2
Đặng Duy Phúc, Hồ Tây ngọc biếc lung linh (Lac de l’Ouest, une perle brillante), Éditeur de Hanoi,
2000, p. 11.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 100
d’eau crée par la nature avait été comblée pour construire des divisions et former, par
exemple, le lac de Trúc Bạch pour l’aquaculture des poissons, ou les marais de lotus à
Quảng Bá.
Depuis le Đổi Mới en 1986, la terrible augmentation du prix des terrains a suscité
plusieurs comblements spontanés et furtifs, qui se produisent graduellement pour
grignoter de grands lacs ou parfois très vite pour faire disparaitre un petit étang après
juste une nuit. Sous la pression de l’urbanisation, la densification des bâtiments dans
les villages ne va pas de pair avec l’amélioration de l’infrastructure, et des eaux usées
sont souvent évacuées directement dans les lacs ou étangs sans aucun traitement
nécessaire. Rendus pollués et malodorants, ils perdent de plus en plus de valeur
esthétique et spirituelle. Le comblement de petites surfaces d’eaux est alors accepté
plus facilement comme l’élimination des saletés. Par conséquence, jusqu’en 1994, le
grand lac a déjà perdu 1/5 sa superficie par rapport à celle de 19703.
Fig. 90 & 91 – Avant et après l’apparition de l’hôtel InterContinental sur le lac de l’Ouest. La
pagode de Kim Liên (retracée en rouge) devient totalement coincée et depuis celle-ci, on ne
voit plus des panoramas.
Sources : Photo aérienne du Centre d’information et de documentation cadastrale du Vietnam
(à gauche) et photo satelite de Google Earth (à droite).
3
Logan William Stewart, Hanoi : Biography of a City, UNSW Press, 2000
4
Nguyễn Lân, « Entretien avec Monsieur Nguyễn Lân, Architecte du Chef de la ville de Hanoi », Kiến
trúc (Architecture), No.41/1993, Union des architectes vietnamiens, p. 21-22.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 101
Fig. 92 – La répartition des plans d’eau dans l’environnement du Lac de l’Ouest à travers le
temps. On voit ici une disparition graduelle des mares et étangs dans les villages au sud-ouest
et dans la péninsule de Quảng An à l’est.
Source : Faits par l’auteur à partir des cartes de Hanoi en 1974 et 1992 (Service de la
cartographie, Armée populaire du Vietnam), et des photos satellites prises en 2000 et 2015
(Google Earth).
1974 1992
2000 2015
5
Trần Quốc Vượng et Vũ Tuấn Sán, Hà Nội nghìn xưa (Mille ans de Hanoi), Maison de publication
de Hanoi, 2009, p. 229-232.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 102
Fig. 94 – Carte de Hanoi en 1770. Dans l’esprit oriental, il n’est pas nécessaire que les cartes
doivent représenter un site avec une proportion exacte telle qu’elle est dans la réalité.
L’essentiel d’ici, ce sont des valeurs ou l’importance que l’homme accorde à l’environnement.
Bien que le Lac de l’Ouest soit très grand physiquement, le fait qu’il a été beaucoup réduit sur
cette carte nous montre sa participation encore limitée aux activités quotidiennes à l’époque.
Source : Philippe Papin, Histoire de Hanoi, Paris, Fayard, p. 124 et 149. La carte est retracée
en couleur par l’auteur.
Affluent du fleuve Rouge à l’origine, Tô Lịch est une rivière étroite mais très longue
faisant partie intégrante de l’histoire de Hanoï. Grâce au changement de cours du
fleuve Rouge et à la formation progressive du lac de l’Ouest vers la fin du premier
millénaire, le site de Hanoï s’est fixé avec la rivière Tô Lịch, dont la configuration
d’un arc de cercle d’une dizaine de kilomètres constituait une bonne limite. En effet,
cette rivière jouait le rôle fondateur puis protecteur pour la ville, et elle était donc
considérée comme sa divinité tutélaire7. Dans le passé, il s’agissait aussi d’une voie
6
Đặng Duy Phúc, op. cit. , p. 69.
7
Philippe Papin, op.cit., p. 27-30.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 103
Source : http://www.36phophuong.vn
Jusqu'à la fin de XIX siècle, cette rivière permettait encore la liaison entre le lac de
l’Ouest et le fleuve Rouge. En traversant le lac au Sud, elle le rejoignait à la porte de
Hồ Khẩu (Bouche du Lac) et se connectait avec le fossé de la citadelle. Ensuite, elle
continuait en passant le quartier ancien avant de déboucher dans le fleuve Rouge à
l’endroit où se trouve actuellement la rue Chợ Gạo10. Pour favoriser l’aménagement
de la ville coloniale, les français ont détruit la citadelle, y compris ses fossés, et
remblayé aussi la partie de la rivière Tô Lịch qui traverse le quartier ancien11.
Fig. 96 – Extrait de la
carte de Hanoi (faite par
le Service Géographique
vers la fin de XIX), avec
l’ancien parcours de la
rivière Tô Lịch qui
traversait au Sud du Lac
de l’Ouest (Grand lac) ;
Retracé en couleur par
l’auteur.
8
Autrefois, l’eau de cette rivière pouvait même couler dans tous les deux sens, ce qui dépendait des
situations (en période normale ou celle de fortes précipitations). C’est pourquoi un ancien nom de
l’actuel Tô Lịch est « Nghịch Thủy », ou « l’eau qui coule à l’envers ».
Trần Quốc Vượng et Vũ Tuấn Sán, op.cit., p. 30.
9
Ibid., p. 30-31.
10
Ibid., p. 32.
11
Đặng Duy Phúc, op. cit. , p. 71.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 104
Par manque d’eau, la rivière était de plus en plus sèche, et rendue aux dimensions de
canaux ou de tranchées sur plusieurs endroits12 à cause de l’empiètement illégal des
constructions précaires13. Comme des lacs qui reçoivent les eaux usées sans traitement
et même les ordures, elle devient plutôt un égout ouvert. Ce changement de
perception est largement partagé dans la population locale, particulièrement pour les
parties de la rivière telles que celle mentionnée dans le site, qui est étroite et très
proche de l’habitat. Afin de régler la pollution, elle a fait en 2006 l’objet d’un projet
d’égout enterré14.
Fig. 97 – Situation actuelle de la partie de Tô Lịch qui traverse au Sud du lac de l’Ouest : La
transformation d’une rivière légendaire en un égout.
Source : Photos de l’auteur. Plan fait par l’auteur à partir de la photo satellite de Google Earth
prise en 2013.
Certes, il est difficile de considérer ce projet comme durable. C’est une solution
simple et pragmatique pour régler à court terme les problèmes de pollution et de
transport15. Mais sous l’angle du paysage et de la culture, on perdrait un patrimoine
historique et identitaire bien précieux de toute la ville, un grand héritage pour les
futures générations. Heureusement, à cause du manque financier et d’autres difficultés
liées à la livraison de terrains, le projet se déroulait très lentement puis il fut
temporairement suspendu. Dans certains sens, il s’agit d’une bonne occasion pour le
repenser, surtout en tenant compte des regrets exprimés plus tard, même par des
personnes habitant le long de la rivière16.
15
Selon le projet, après avoir couvert cette partie de la rivière, l’espace au dessus serait réservé à la
voirie.
16
Lors de l’enquête auprès des familles qui vivent à côté de la rivière dans la partie prévue enterrée,
66% des opinions sont contre le projet.
Source: Kiên Trung, op.cit.
17
Comité populaire du district de Tây Hồ, Danh tích Tây Hồ (Géonyme du Lac de l’Ouest), Maison de
publication de Politique Nationale, 2000, p. 7.
18
Ce tertre est aussi appelé populairement « Nùng », qui se réfère à une montagne légendaire jugée
comme le Nombril du dragon (abordé par Philippe Papin, op.cit., p.25-26). Mais des historiens ont
démontré que la vraie Nùng était située dans la Cité impériale de Thăng Long, à l’endroit où se
trouvent les fondations du Palais de Kính Thiên.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 106
Les traits typiques du relief porteurs de sens comme ceux mentionnés ci-dessus
pourraient apparaître à des échelles plus petites, par exemple, dans les endroits où il y
a des constructions religieuses. D’une manière conventionnelle, ils appartiennent à la
nature qui a produit. Toutefois dans la pensée des gens, c’est rarement une nature
perçue comme objective qui existe indépendamment de l’homme, mais souvent une
nature divinisée ou au moins ayant âme qui entretient avec nous des interactions.
Transcendant de simples croyances religieuses, ceci reflète l’esprit oriental pour
lequel le respect de la nature, ou le désir d’une vie en pleine harmonie entre l’homme,
la terre et le ciel, est toujours au centre des préoccupations.
Nguyễn Tào, Núi Nùng - Danh sơn chính khí đất Thăng Long (La montagne Nùng - Géonyme de Thăng
Long), 22/07/2010
http://thanglong.chinhphu.vn/Home/Nui-Nung--Danh-son-chinh-khi-dat-Thang-Long/20107/5076.vgp
19
Nguyễn Vĩnh Phúc, Mặt gương Tây Hồ (Miroir du Lac de l’Ouest), Maison de Publication de Hanoi,
2009, p. 12.
20
Autrefois, des zones extérieures de la digue constituent un espace agricole important pour des
villages intérieurs et elles faisaient partie de la structure à la fois physique et sociale de ces derniers. Il
y avait aussi des villages ou communes dont l’habitat a été partiellement transféré à l’extérieur pour
donner lieu à la construction de la citadelle, et les gens ne voulaient pas une dissociation administrative
pour mieux conserver des rapports existant (entre des familles, des proches et des voisins). D’ailleurs,
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 107
Fig. 98 – Les zones inondables à l’extérieur de la route digue et leurs trois types d’espace.
Source : Dessin de l’auteur, fait à partir des photos satellites prises en 2010 et 2015 (Google
Earth)
certains villages extérieurs ont déplacé leurs monuments religieux dans l’autre sens vers l’intérieur
pour les protéger des inondations. Alors, pour ces raisons, la digue s’avère un élément transitionnel
plutôt qu’une limite.
Nguyễn Ngọc Tiến, Một Hà Nội ngoài đê sông Hồng (Un autre Hanoi au-delà de la digue du fleuve
Rouge), Journal Hà Nội mới, 11/10/2014.
http://hanoimoi.com.vn/Tin-tuc/Phong-su-Ky-su/711174/mot-ha-noi-ngoai-de-song-hong-
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 108
fleuve, dont la configuration se transforme annuellement selon les cours d’eau. Avec
le sol rehaussé à travers le temps, les deux premiers sont moins affectés par les crues,
mais il existe toujours des menaces potentielles car « par rapport à il y a 60 ans, le
niveau du fleuve Rouge à Hanoi a augmenté de presque un mètre »21. Au contraire,
des lais du troisième connaissent fréquemment des effondrements. La situation est
encore plus dangereuse parce que ces endroits deviennent des lieux préférés des
jeunes qui, sous la pression actuelle de la vie urbaine, y trouve une nature sauvage est
une bonne destination pour l’excursion ou la photographie. Ceci incite aussi à des
constructions et à des exploitations sans aucun contrôle qui n’assurent pas la
sécurité22.
Fig. 99 & 100 – La nature sauvage et attrayante sur des lais (à gauche) et des exploitations spontanées
qui manquent des mesures de sécurité (à droite).
Photos: Trường Giang - Ngô Huy Hòa
Alors, c’est surtout le changement de la morphologie des cours d’eau lié aux activités
inadéquates de l’homme qui a déclenché de graves érosions dans les zones
21
Tạ Hòa Phương, Quy hoạch thành phố sông Hồng : Trách nhiệm trước lịch sử (Aménagement de la
ville du fleuve Rouge : Responsabilité devant l’histoire), Journal Xây dựng (Construction), 10/08/2008.
http://www.baoxaydung.com.vn
22
Hoàng Phan, Để bãi đá sông Hồng tiếp tục hoạt động, quận Tây Hồ coi thường « lệnh » TP Hà Nội
(En laissant continuer les activités sur l’esplanade de pierre du fleuve Rouge, le district du Lac de
l’Ouest néglige « l’ordre » de la ville de Hanoï, Journal électronique Pháp luật Việt Nam (Loi
vietnamienne), 12/10/2014.
http://baophapluat.vn/diem-nong/de-bai-da-song-hong-tiep-tuc-hoat-dong-quan-tay-ho-coi-thuong-
lenh-tp-ha-noi-198915.html
23
Tạ Hòa Phương, op.cit.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 109
inondables24. Il y avait eu des accidents regrettables, ayant lieu même dans des
endroits apparemment très calmes et pacifiques25. Sous prétexte d’une stabilisation,
une grande partie des rives a été bétonnée ou durcie et rendue inerte. Comme la
capacité d’absorbation diminue, la force des cours d’eau serait renvoyée à l’autre rive,
et continuera à y provoquer des éboulements. En même temps, l’exhaussement des
espaces riverains réduit la section transversale du cours d'eau dans les périodes de
crue et, avec la masse de sédiments déposés au fond du fleuve, fait malheureusement
monter le niveau d’eau et entraîner des inondations encore pire dans d’autres régions.
C’était la logique dont nous a averti Pierre Gourou dès le début du siècle dernier26. Il
est important de noter que, « le débit du fleuve pendant la saison de pluie a déjà
dépassé de loin ses limites27 ».
24
Trà My, Chỉnh trị sông Hồng đoạn qua Hà Nội: « Thỏa thuận lại » với dòng sông (Rectifier le fleuve
Rouge - partie traversant Hanoï: « Réconcilier » avec le fleuve), Journal Hà Nội mới, 15/11/2010.
http://hanoimoi.com.vn/Tin-tuc/Khoa-hoc/398874/thoa-thuan-lai-voi-dong-song
25
TTVN, Hiểm họa từ chụp ảnh ở khu bãi đá sông Hồng (Les dangers de la photographie sur
l’esplanade de pierres du fleuve Rouge), VTC News, 26/03/2013.
http://vtc.vn/hiem-hoa-tu-chup-anh-o-khu-bai-da-song-hong.2.371697.htm
26
Pierre Gourou, Les Paysans du Delta tonkinois. Etude de géographie humaine, Les Editions d’Art et
d’Histoire, Paris, 1936, p. 91.
27
Tạ Hòa Phương, op.cit.
28
Produit d’une collaboration entre la capitale du Vietnam et celle de la Corée du Sud, le projet « La
ville du fleuve Rouge » (Thành phố sông Hồng) est celui le plus ambitieux, qui propose (en 2007) de
construire 41,7 km de nouvelle digue et de faire déménager 170 000 habitants (soit 39 000 familles)
pour regagner 2462 ha au développement urbain. Inspirés de « La merveille du fleuve Han » à Séoul,
les auteurs prétendent réaliser à Hanoï une sorte de « La merveille du fleuve Rouge ». Cependant, la
différence énorme entre deux fleuves n’a pas été suffisamment étudiée, et le projet reçoit de
nombreuses critiques de la part des experts locals.
Voir plus d’information du rapport du projet sur : http://ashui.com/mag/chuyenmuc/quy-hoach-do-
thi/1289-toan-canh-du-an-thanh-pho-ven-song-hong.html
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 110
Fig. 101 – Le projet « La ville du Fleuve Rouge » et le risque pour Hanoï de devenir la
deuxième version de Séoul. On y trouve l’esprit pragmatique qui accompagne un style
international général et sans rapport avec ce contexte particulier.
Dans tous les cas, une intervention importante au niveau du système naturel exige
toujours des analyses ou évaluations sous plusieurs angles, et un maximum de
prudence. Occupant les esplanades riveraines, les zones inondables illustrent
vivement les influences du processus naturel sur le milieu. L’inondation annuelle
occasionne non seulement la crue, mais entraîne bien d’autres changements cycliques
manifestés dans la forme ou la texture du sol, la plantation, et même dans le mode de
vie des habitants qui reflète sincèrement le rapport entre l’homme et la nature. En fait,
l’inondation n’implique pas que des effets négatifs, mais elle apporte également des
avantages considérables (alluvions pour nourrir les terrains agricoles, ressource
alimentaire comme poissons et crevettes, lais avec un écosystème typique et très
varié…). C’est pourquoi des projets précipités, qui ne se préoccupent que des aspects
négatifs tels que la construction des batardeaux pour une « récupération » doivent être
toujours remis en question. Evidemment, la situation actuelle nous montre aussi
l’urgence de chercher bientôt les solutions globales pour régulariser le cours du fleuve
(qui n’implique pas seulement la partie qui traverse la capitale) et pour mieux gérer
l’utilisation du sol. Ces deux problèmes sont interliés et interdépendants. Il convient
d’abord de « réconcilier avec le fleuve », de trouver un juste compromis avec lui, pour
stabiliser ou redonner sa forme au statut optimal, avant de déterminer ensuite les
activités d’exploitation adéquates dans chaque espace et à chaque période concrète.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 111
La flore
Dans le passé, le milieu a été entouré de forêts29. À travers l’anthropisation, leurs
traces n’existent plus aujourd’hui. En dehors des plantations, les végétaux tout à fait
naturels demeurent très rares, et on ne les voit que dans quelques espaces riverains où
poussent des herbes aquatiques sauvages, ou dans le monde des algues sous l’eau.
Bien qu’ils aient l’air moins visibles ou moins impressionnants, ces éléments naturels
méritent du respect car ils peuvent jouer des rôles importants qui conditionnent
d’autres particularités de l’écosystème, tel le cas des foulques noires qu’on va aborder
plus loin.
Concernant les végétaux culturels, une espèce dominante sur le lac est le lotus, dont la
réputation est connue même à l’échelle nationale. La fleur de lotus rose, considérée
comme un symbole du Vietnam30, d’ici se distingue de celles d’ailleurs par son
esthétique exceptionnelle donnée par une composition de deux couches de pétales.
Elle sert en plus à aromatiser un thé pour créer un produit spécial qui est, lui aussi,
bien connu dans le pays. Depuis longtemps, les fleurs de lotus du Lac de l’Ouest
constituent alors une marque de prestige : « Là de l’or, ici du bronze noir. Là la
pergulaire, ici le lotus du Lac de l’Ouest 31 ».
Fig. 102, 103 – Du passé au présent, le lotus sur le lac de l’Ouest est une particularité
permanente.
Source : Ancienne carte postale et photos de l’auteur
Sur le site, il y a aussi plusieurs autres fleurs et plantes d’agrément, répandues dans
les jardins familiaux ou concentrées dans les champs. Les plus connues sont la fleur
de pêcher et le kumquat, indispensables dans les familles hanoiennes pendant la fête
de Nouvel An. Ces plantes sont cultivées notamment dans les villages à Nhật Tân et à
29
Đặng Duy Phúc, op. cit., p. 11.
30
Même ce n’est pas encore une décision officielle, les enquêtes montrent que la majorité des
personnes interrogées ont voté pour la fleur de lotus rose ; D’après Việt Quỳnh, Tranh luận nóng về
việc chọn Quốc hoa (Débat chaud sur le choix de la Fleur Nationale), VietnamNet, 25/03/2013.
http://vietnamnet.vn/vn/van-hoa/114153/tranh-luan-nong-ve-viec-chon-quoc-hoa.html
31
Traduction faite par l’auteur d’une chanson populaire, dont la version d’origine en vietnamien est :
Đấy vàng đây cũng đồng đen, đấy hoa thiên lý đây sen Tây Hồ.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 112
Tứ Liên (au Nord et Nord-Est du lac, y inclues les zones inondables), et elles font
partie indissociable de l’identité de ces milieux ainsi que de la ville32. Néanmoins, un
grand nombre de leurs terrains a disparu avec le processus d’urbanisation33.
La conservation des surfaces qui restent devient donc une demande primordiale, non
seulement pour la simple question d’identité, mais parce qu’elle rejoint bien la
tendance de l’agriculture urbaine pour un perspective de développement plus durable.
Heureusement, avec la création de petits services destinés aux touristes locaux qui
viennent redécouvrir les champs de fleurs depuis quelques années, les cultivateurs
sont plus contents avec un revenu augmenté, ce qui contribue aussi à maintenir le
métier et à mieux protéger des espaces agricoles contre l’envahissement des projets
d’immobiliers.
Dans le passé, le site comprenait encore certains types végétaux dont la concentration
massive avait donné des paysages extraordinaires. Il s’agit de la station de bambou à
Nghi Tàm et de la forêt de badamier à Yên Thái, les deux étaient notés et exaltés
dans le poème célèbre « Les huit paysages du Lac de l’Ouest »34. Plantés en grande
quantité au bord du lac dans le village de Nghi Tàm, les bambous jaunes formaient
avec le vent, la lumière et l’eau une beauté très séduisante qui incitait le Seigneur
Trịnh Giang à y ouvrir une station réservés à la famille royale pour la baignade en été.
Au village de Yên Thái, la forêt de badamier créait sous son ombre un endroit très
frais et attirant, et avec les changements saisonniers marqués sur les feuilles en été et
en automne, de loin on voyait des parasols aux multiples couleurs. Bien que ces
paysages n’existent aujourd’hui que dans les chansons folkloriques ou les histoires
perpétuées, ils pourraient nous donner des suggestions intéressantes sur les plantes
susceptibles de renforcer l’identité ou l’esprit du lieu dans le réaménagement de
l’espace public des villages.
32
A l’égal de la fleur de lotus du Lac de l’Ouest, la fleur de pêcher de Nhật Tân et le kumquat de Tứ
Liên sont considérés comme de bonnes marques, une fierté des hanoiens, même un patrimoine
culturelle et symbolique de la capitale.
33
En 2004, 38 ha des fleurs de pêcher ont été pris pour des projets immobiliers dont le plus grand est
celui de Ciputra ; d’après Hoàng Nghĩa Nam, Đào Nhật Tân còn, mất? (Les fleurs de pêcher de Nhật
Tân restent ou se perdent ?), Việt Báo, 08/01/2005.
http://vietbao.vn/Xa-hoi/Dao-Nhat-Tan-con-mat/70002241/157/
34
En vietnamien, ce sont « Bến trúc Nghi Tàm, rừng bàng Yên Thái », racontés dans l’œuvre Tây Hồ
bát cảnh de Lê Vĩnh Hựu, écrit au XVIIIème siècle ; Cité par Hướng Dương, Hoài niệm về Tây Hồ bát
cảnh (Souvenir des huit paysages du Lac de l’Ouest), Người Hà Nội (Les Hanoïens), 07/04/2009.
http://nguoihanoi.com.vn/modules.php?name=News&op=viewst&sid=5191&session=35
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 113
La faune
Comparée à la flore, la faune est apparemment plus abondante. Il s’agit de poissons
(28 espèces naturelles, sans compter l’élevage35), de crevettes, d’escargots, de moules,
de trionyx… Particulièrement, les crevettes et les escargots contribuent encore à
l’identité culturelle en se rattachant à des spécialités les plus connues du milieu. Leur
réputation dépasse le niveau local et fait aussi partie de l’identité de la ville.
Moins signalés que les escargots et crevettes, mais auprès des gens dont la vie
quotidienne s’enracine ici depuis longtemps, les poissons sont également très liés à
leur image mentale du lac car naturellement, ils constituent une source alimentaire
bien importante. L’immensité du lac avec son écosystème riche sert de base pour
développer des poissons de l’eau douce dont certains peuvent atteindre des poids et
des dimensions énormes. Celui le plus impressionnant est la carpe noire, que l’on en a
trouvé un de 90 kg en 198836.
35
Đặng Duy Phúc, op. cit., p. 260.
36
C’est un record jusqu’à présent. En fait, les grandes carpes noires sont de plus en plus rares mais
avant, surtout dans les années 80, on arrivait assez souvent à pêcher des carpes noires très lourdes qu’il
fallait se débattre comme contre des cochons.
Phạm Ngọc Dương, Săn « thủy quái » Hồ Tây (Chasser « les monstres aquatiques » au Lac de
l’Ouest), VTC News, 12/08/2009.
http://vtc.vn/san-thuy-quai-ho-tay.394.222737.htm
37
Ou le phóng sinh, en vietnamien. C’est vraiment un bon acte dans la tradition bouddhiste au début,
mais il devient aujourd’hui un mouvement plutôt formaliste, voire impitoyable dans certain sens, car il
crée des demandes et entraîne donc un cycle vicieux : attraper – vendre – libérer – rattraper.
38
Près du Lac de l’Ouest, on trouve plusieurs marchandes ambulantes qui vendent les escargots.
Néanmoins, quand l’auteur leur a demandé si leurs produits viennent du lac ou pas, elles rirent mais ne
répondent pas.
39
Ibid., p. 263.
40
En vietnamien: Chim sâm cầm.
41
Par exemple, dans la chanson célèbre Nhớ mùa thu Hà Nội (Souvenir de l’automne hanoien) du
musicien Trịnh Công Sơn.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 114
étaient un cadeau précieux que les habitants locaux offraient au roi42. En automne et
hiver, elles picorent dans les terrains marécageux où se trouvent des souchets de
Malacca. Avec la disparition au fur et à mesure de ces zones, puis la mauvaise gestion
de la chasse, on les voit très rarement aujourd’hui. L’environ du lac risque donc de
perdre un de ses célèbres symboles43.
Source : http://thethaovanhoa.vn/xa-
hoi/ho-tay-khong-con-cho-de-sam-cam-
tro-ve-n20110110095721267.htm
Alors, en dehors d’un paysage avec sa beauté exceptionnelle, d’un lieu mythique avec
ses patrimoines historiques… le Lac de l’Ouest évoque aussi une source de vie
extrêmement importante, des plats inoubliables reflétant une finesse dans la culture
gastronomique, des espèces qui sont devenues symboliques. Probablement, le lac ne
le serait plus en perdant les poissons, les crevettes, les escargots… ou ils restent mais
personne n’ose manger, à cause des détériorations à la suite de la pollution. En même
temps, l’ambiance romantique du paysage serait réduite considérablement avec
l’absence des foulques noires. Pour protéger ces éléments singuliers et donc
identitaires, le maintien d’une bonne qualité de l’eau et de la durabilité (ou viabilité)
de l’écosystème est essentiel, particulièrement en regardant les évaluations négatives
dans les rapports sur l’état actuel de l’environnement du lac44. Il ne s’agit plus d’ici
42
Son nom en vietnamien signifie l’oiseau mangeant ginseng, ce qui fait croire aux gens que sa viande
est très bonne.
43
L’année 2006 était la dernière fois que l’on voit encore les foulques noires présentes en masse sur le
lac de l’Ouest ; d’après Tố Liên, « Hồ Tây không còn chỗ để sâm cầm trở về » (Lac de l’Ouest n’a plus
de place pour recevoir les foulques noires), Thể thao và Văn hóa (Sport et Culture), Journal
électronique de l’Agence Vietnamienne d’Information, 10/01/2011.
http://thethaovanhoa.vn/xa-hoi/ho-tay-khong-con-cho-de-sam-cam-tro-ve-n20110110095721267.htm
44
Avec le teneur en ammoniac qui excède 3 fois la norme, l’Ecole de Médecine conclut que les
produits aquatiques au Lac de l’Ouest (y inclus le petit lac de Trúc Bạch) sont les plus pollués à Hanoi.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 115
d’un sujet proprement scientifique des experts ou des chercheurs, mais déjà d’une
préoccupation majeure bien partagée par le grand public.
Photo de l’auteur
Le climat et l’ambiance
Le climat de Hanoi se caractérise par la chaleur, l’humidité et la température qui varie
entre 8 - 10 en hiver et 35 - 37 en été. Grâce aux eaux, les environs du Lac de
l’Ouest bénéficient d’une atmosphère toujours plus fraîche, surtout en été45.
Cependant, une telle atmosphère agréable est soutenue également par l’aménagement
Nguyễn Thiêm, Hồ Tây giờ còn một chủ (Il reste un seul gestionnaire pour le Lac de l’Ouest
aujourd’hui), An ninh Thế giới (Sécurité du Monde), 06/02/2010.
http://ashui.com/mag/tuongtac/goc-nhin/2237-ho-tay-gio-con-mot-chu.html
45
On remarque une baisse de température entre 2 et 3, par rapport au centre-ville.
Đặng Duy Phúc, op. cit., p. 260.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 116
de l’homme. Avec la disparition peu à peu des espaces verts, des petits lacs ou des
étangs, et le remplacement des types villageois traditionnels par des modèles trop
denses résultant d’une urbanisation sauvage, la sensation particulière de la fraîcheur
pourrait s’en aller bientôt.
Photos de l’auteur
Dans les vues panoramiques, le Lac de l’Ouest se présente comme un paysage du Ciel
et de l’Eau. Parfois, notamment en automne et en hiver avec la fréquentation de la
brume, ces deux éléments dominants s’entrelacent dans un espace immense où la
présence humaine est rendue si minime. C’est surtout grâce à cet aspect surnaturel que
l’ambiance du site acquiert l’air mystérieux qui la rend plus en Yin. Le lac devient un
milieu parfaitement approprié à la méditation.
Source : Hoanghuyen-VnMedia
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 117
46
Đặng Duy Phúc, op. cit., p. 26.
47
La brume sur le lac apparaît aussi dans la chanson Souvenir de l’automne hanoien du musicien Trịnh
Công Sơn, op.cit.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 118
Route digue
A Hanoi, la digue sert encore à aménager les voies périphériques. Grâce à sa hauteur
dans un milieu assez plat, la route-digue constitue une source de vues panoramiques
extrêmement importantes pour les passagers. Cependant dans la section d’étude, cette
48
Arnauld Le Brusq et Léonard de Selva, Vietnam à travers l’architecture coloniale, Patrimoines et
Médias / Éditions de l’Amateur, 1999, p. 138.
49
Pierre Gourou, op.cit., p. 72.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 119
valeur pourrait se perdre bientôt si l’on continue à relâcher le contrôle sur la gestion,
et à laisser s’épanouir des formes de compartiment qui créent des murs serrant les
deux côtés. Avec la disparition peu à peu des ouvertures, la route digue pourrait être
rendue à un simple couloir qui ne permettrait plus des vues profondes vers les villages
dans l’épaisseur ou lointaines vers le lac.
Fig. 111 – Coupes transversales sur la digue du fleuve Rouge. Dessins faits par l’auteur
50
Proposée par Alexander après sa visite d’un temple japonaise, la notion « zen view » désigne le
phénomène où l’impression sera amplifiée lorsqu’on ne peut regarder que momentanément un site
fascinant en se déplaçant, du fait que ce site existe mais il est majoritairement caché, et ne se montre à
la vue que pendant de brefs moments. Dans ce cas, c’est l’obsession qui compte pour la mémoire d’un
lieu (le mot zen est lié à la capacité de résister à cette obsession pour atteindre la méditation).
Christopher Alexander, A pattern language, New York, Oxford University Press, 1977, p. 641-643.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 120
(façade vers la route principale en haut), soit par un quadrillage de dalles alternantes
en béton (façades vers les deux voies secondaires en bas). Pour le premier cas, parce
que les surfaces froides et rustiques de la pierre semblent ne pas trop plaire au regard
des passagers, elles deviennent depuis 2008 le support pour un très long tableau de
mosaïque en céramique51. Malgré un bon point de départ, le projet s’est déroulé en
absence d’un développement suffisamment profond des idées, d’une vision globale et
des coordinations nécessaires entre des acteurs. Par conséquence, ce « chemin de
céramique » sujet de fierté du départ est honni par certains. Il a été appelé « le chemin
pour faire de l’argent et la publicité »52, ou pire encore, des « ordures culturelles »53.
Contrairement aux attentes d’une vraie œuvre d’art à priori, ce tableau
surdimensionné est loin de l’être par sa mauvaise qualité de l’exécution, la banalité
des motifs, des noms et logos disproportionnés et mal posés des sponsors54, des sujets
incohérents et sans liens dont un grand nombre ne racontent guère l’histoire des lieux
qu’il traverse. De plus, présent dans une voie périphérique, le projet aurait dû
demander en complément des études sur la perception à haute vitesse, importante non
seulement pour l’esthétique, mais également pour les questions de sécurité.
Fig. 112 & 113 – Les deux façades de la digue : Le tableau de mosaïque en
céramique (à gauche) et les potagers spontanés (à droite). Photos de l’auteur
Dans le deuxième cas, il existait des carrés enherbés entre des dalles, conçus pour
garder une perméabilité et donner un aspect plus frais à la digue, mais en fait souvent
délaissés ou mal entretenus. Récemment, sous les yeux des habitants locaux, ils
51
Proposé et dirigé par la peintre – journaliste Nguyễn Thu Thủy, ce projet mesure 3,95 km de long et
environ 7000 m2 de superficie en mosaïque céramique. Il est reconnu par Guinness comme un record
du monde.
Đoàn Loan, « Con đường gốm sứ » ở Hà Nội đạt kỷ lục Guinness (Le « chemin de céramique » a
atteint un record de Guinness), Vnexpress, 10/09/2010.
http://vnexpress.net/tin-tuc/thoi-su/con-duong-gom-su-o-ha-noi-dat-ky-luc-guiness-2174786.html
52
Appellation de l’historien Lê Văn Lân ; Selon Hà Linh, Con đường Gốm sứ bị cảnh báo thành « rác
văn hóa » (Le chemin de céramique en devenant les « ordures culturelles »), Vnexpress, 09/09/2009.
http://giaitri.vnexpress.net/tin-tuc/gioi-sao/trong-nuoc/con-duong-gom-su-bi-canh-bao-thanh-rac-van-
hoa-1904651.html
53
Appellation du peintre Trần Lương ; Ibid.
54
Qui sont parfois même plus frappants et donc plus faciles à retenir que les contenus du tableau, et les
gens ont tendance d’appeler les sections selon le nom de leurs sponsors ; Ibid.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 121
Les deux interventions racontées ci-dessus nous apportent des leçons intéressantes.
Ainsi, un projet d’embellissement bien médiatisé, qui a pour but de produire
délibérément plus de sens, pourrait finir par la construction de contre-sens. A l’envers,
résultant des actions spontanées pour répondre aux besoins de la vie quotidienne, une
sorte d’identité peut émerger dans des formes plus vraies et plus naturelles qui, grâce
aux soins, ne manque pas d’attraction et convient bien à la tendance contemporaine
d’agriculture urbaine dans le monde aujourd’hui.
Citadelle de Đại La
Jadis, la muraille sur laquelle se trouve le chemin entretenait une relation étroite avec
la rivière Tô Lịch, considérée comme un fossé d’eau pour la défense de la capitale. A
travers l’histoire avec plusieurs processus d’urbanisation, il n’est presque plus
possible de voir la rivière depuis le chemin. L’ouverture la plus remarquable dans une
zone dont on vient de parler correspond malheureusement au fragment déjà comblé de
la rivière. Non loin de celle-ci, sur une dizaine mètres de trottoirs bordés d’arbustes,
on pourrait observer bien que difficilement la rivière apparaissant de temps à autre
derrière un terrain agricole. C’est probablement le dernier endroit susceptible pour
rétablir une connexion visuelle entre le chemin et la rivière.
Photo de l’auteur
Le chemin de Jeunesse
Les activités humaines ont laissé également d’autres traces importantes qui modifient
la configuration du lac. L’une des interventions les plus importantes est la
construction du barrage de Cổ Ngư au début du XVIIème siècle afin de créer le lac de
Trúc Bạch, étant l’endroit réservé à l’aquaculture des poissons55. Ce barrage faisait
ensuite partie de l’enceinte de la ville (appelée Thăng Long à l’époque), dans un effort
de fortification pour mieux se défendre contre les révoltes56. Il est utilisé aussi comme
une voie de communication mais son échelle restait encore bien modeste pendant la
période coloniale. Après la libération en 1954, en tant que nouvelle capitale socialiste,
Hanoi se transformait en un grand chantier avec plusieurs travaux publics importants,
dont l’élargissement du chemin de Cổ Ngư. Ce projet avait été confié aux jeunes
55
Đặng Duy Phúc, op. cit., p. 39.
Il existe aussi une autre hypothèse selon laquelle ce barrage a été construit depuis 1514 sous le règne du
roi Lê Tương Dực pour une double fonction: fortifier la cité impériale, et à la fois réserver au roi une
partie du lac comme son propre espace de loisirs.
Nguyễn Vinh Phúc, Mặt gương Tây Hồ (Miroir du Lac de l’Ouest), Maison de publication de Hanoi,
2009, p. 81-87.
56
Philippe Papin, op.cit., p. 154.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 123
En effet, le chemin de Thanh Niên avec ses espaces publics de deux côtés constituent
l’un des observatoires les plus importants pour le Lac de l’Ouest. Pendant longtemps,
quand les villages aux alentours n’étaient pas encore urbanisés, le paysage du Lac de
l’Ouest est, pour la plupart des habitants, observé principalement depuis ce chemin.
Cette place quasi exclusive ne se perd qu’au fur et à mesure des développements
urbains le long du chemin Lạc Long Quân au nord et de l’achèvement des voies et
promenades au bord du lac.
Source : Zing.vn
57
D’après Lê Văn Ba et Trần Tư, Ai đã đặt tên đường Thanh Niên, Hà Nội? (Qui a nommé le chemin
de Jeunesse à Hanoi ?), Journal Tiền Phong (Pionnier), 31/07/2005.
http://dantri.com.vn/xa-hoi/ai-da-dat-ten-duong-thanh-nien-ha-noi-68833.htm
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 124
Particulièrement, les voies au bord du lac constituent une piste cycliste très appréciée
même pour les gens qui proviennent de loin. En se souvenant de la logique que Tuan
souligne sur le lien entre l’expérience et la reconnaissance, la compréhension d’un
lieu ou la maîtrise spatiale en général, alors ces voies ont aidé, par le renforcement de
l’étendue de l’expérience, à mieux passer de l’espace au lieu, qu’il s’agit ici non
seulement du paysage du lac dans sa totalité, mais également de différents quartiers et
endroit spécifiques avec leur propre identité.
Cependant, quand on va au détail, il existe plusieurs problèmes qui n’étaient pas bien
considérés et réglés avec soin. Ces voies permettent un trafic dans les deux sens, mais
leur largeur est incompréhensiblement étroite. Dans certains emplacements (tels que
la côté près de la rue Thụy Khuê au sud du lac), des embouteillages se produisent
souvent, et avec l’envahissement intense des petits restaurants ambulants sur le
trottoir, l’atmosphère calme et poétique du paysage s’abaisse grandement. Le design
manque aussi de caractère, ce qui manifeste par la banalité ou la gratuité des formes et
matériaux choisis. L’aménagement est donc rendu assez ordinaire et ne contribue pas
trop à faire ressortir le Genius Loci.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 125
Photos de l’auteur
Mais prenons un recul, la problématique plus englobante, c’est que les nouvelles voies
au bord du lac améliorent et atténuent à la fois l’imagibilité du paysage. Améliorer,
parce que, en favorisant l’accessibilité aux visiteurs, il leur permet de comprendre
plus facilement les généralités de l’ensemble. On pourrait explorer rapidement les
environs du lac dans un seul parcours. En longeant le contour du lac, les nouvelles
voies mettent en séquence presque toutes les différentes scènes et ambiances typiques
isolées autrefois.
Cependant, tel que l’on a remarqué dans la partie de conception, la discontinuité est
aussi une condition pour faire sortir l’identité des composants, en aidant à mieux les
distinguer. Dans une certaine mesure, l’apparition de la nouvelle voie a effacé les
frontières existantes, et les différents villages ou quartiers particuliers sont confrontés
à un risque d’être tout dilués dans une homogénéisation non seulement par ces voies
comme facteur de liaison mais encore par des éléments ou motifs conçus sans souci
contextuel, dont surtout des maisons-tube comme type dominant.
Fig. 121 -
L’homogénéisation le long
des voies au bord du lac
avec la propagation des
maisons-tube. C’est la
nouvelle façade des
anciens villages.
Photo de l’auteur
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 126
L’imagibilité des villages, des quartiers et de certains des grands éléments constitutifs
du paysage du Lac de l’Ouest a été atténuée. En négligeant de se préoccuper du
contexte, un facteur de liaison pourrait devenir donc un élément de perturbation, voire
de l’effacement des singularités. L’accessibilité facile n’est donc pas toujours une
bonne chose. Le cheminement, traditionnellement plus apprécié dans l’idéologie
orientale, a été remplacé simplement et insensiblement par l’accès direct au but.
Les bâtiments religieux ont apparu ici depuis très longtemps, résultant d’un principe
déclenché sous la dynastie de Lý il y a mille ans : « Où il y a un beau paysage, là on
va construire les pagodes »59. Certains font partie de la structure interne des villages
pour satisfaire leur propre besoin de croyance, d’autres correspondent à des
événements indépendants. Plusieurs parmi eux ont été classés comme patrimoines
nationaux par leur beauté et leur signification importante60. Les vestiges historiques
qui demeurent jusqu’à aujourd’hui ont connu de grandes restaurations ou
reconstructions successives. La raison consiste au fait qu’ils étaient construits
principalement en bois dont la solidité et la résistance au temps restent assez limitées,
à la tradition de regarder le bâtiment en tant que quelques choses d’éphémère, ainsi
qu’aux demandes d’évolution pour élargir leur influence ou tout simplement de
réapproprier au goût de l’époque.
58
Il s’agit de 18 pagodes, 18 đình (maison communale du village) et 15 temples, sans compter encore
des maisons des ancêtres.
Comité populaire du district de Tây Hồ, op. cit., p. 10.
59
D’après les inscriptions sur une stèle trouvée dans la pagode de Linh Xứng ; cité par Chu Quang Trứ,
op. cit., p. 65.
60
On peut énumérer le temple de Quán Thánh, la pagode de Trấn Quốc (la plus ancienne de Hanoi,
dont la construction date depuis 545), la pagode de Kim Liên, le temple de Phủ Tây Hồ…
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 128
l’indépendance du pays en 1945, elles ont été considérées comme des traces de la
féodalité, inappropriées voire opposées à la nouvelle culture dites progressive du
Socialisme61. Les gravures et sculptures sophistiquées étaient jugées trop
somptueuses, superflues et inadaptées à la majorité de la population, et l’esthétique
qu’elles représentent était dépréciée. Dans certain sens, ceci nous rappelle les idées
sur la relation entre l’ornement comme travail gaspillé et la moralité qu’Adolf Loos a
évoqué au début du XXème siècle, lorsqu’il préétablissait les fondements de
l’architecture moderne à une époque où les styles académiques classiques ne
s’avéraient plus compatibles avec des mutations sociales et politiques62.
61
Afin de maintenir l’identité nationale, le président Hồ Chí Minh a promulgué dès 1945 le Décret
65/SL sur la conservation des vestiges anciens (bảo tồn cổ tích) qui impliquent évidemment les
bâtiments et les objets de l’époque féodale. Néanmoins, sous l’impact d’autres préoccupations pendant
la résistance et la pression de ses camarades ayant un esprit plus radical ou excessif, ce décret était peu
effectif dans la réalité. De plus, juste 2 ans après (1947), en lançant le mouvement Démolir pour la
résistance (Tiêu thổ kháng chiến), c’était aussi Hồ Chí Minh lui-même qui demandait une destruction
massive des temples et pagodes pour éviter que l’armée française puisse en profiter à des fins
logistiques.
http://thuvienphapluat.vn/archive/Sac-lenh/Sac-lenh-65-an-dinh-nhiem-vu-Dong-duong-bac-co-hoc-
vien-vb35914t18.aspx
http://www.baomoi.com/Ngay-161-Keu-goi-dong-bao-pha-hoai-de-khang-chien/121/3751348.epi
62
Adolf Loos, Ornement et crime (1908), Payot & Rivages, Collection Rivages Poche / Petite
Bibliothèque, 2003.
63
La disposition des autels de Hồ Chí Minh, considéré comme un saint pour le culte dans les đình,
temples et pagode, sert de bon exemple.
64
En 1946, on a brûlé l’ancien đình (maison communale) du village de Hồ Khẩu pour répondre au
mouvement Démolir pour la résistance. Il y avait aussi des constructions qui ont été détruites
essentiellement à cause de leur caractère emblématique de la féodalité. C’est le cas du đình du village
d’An Thọ, remplacé postérieurement par une maison culturelle, un modèle typique du régime
socialiste.
Vũ Kiêm Ninh, Câu chuyện đạo sắc cổ trở về đình An Thọ (Histoire d’un vieux décret retournant au
đình de An Thọ), 28/09/2011.
http://www.nguoihanoi.com.vn/modules.php?name=News&op=viewst&sid=21182
65
Pour plus amples informations sur la situation générale, voir Trần Nhật Kiên, op. cit., p. 37.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 129
il n’y a qu’une quantité mineure des monuments (notamment ceux qui sont reconnus
et donc examinés par l’Unesco, ou bénéficiaires des supports techniques auprès des
experts internationaux) dont la restauration a été faite en s’appuyant sur les normes
convenables. Pour le reste, tel que le montre la majorité des vestiges historiques situés
au bord du Lac de l’Ouest, la démarche s’effectue en suivant des approches arbitraires
régies encore par la pensée populaire du travail de la conservation.
Architecture coloniale
Pendant longtemps, la notion du patrimoine colonial n’existait pas au Vietnam71. A
l’exception de grands bâtiments publics qui sont bien entretenus pour loger des
organes étatiques importants, la plupart étaient négligés car on considérait qu’ils
représentent une période d'esclavage ou la mode de vie des petits bourgeois. Or, les
édifices coloniaux font aussi partie inhérente du paysage urbain historique. Ils
témoignent des événements et des interférences culturelles qui caractérisent le portrait
biographique d’une ville.
71
Dans l'idéologie socialiste, la définition officielle du patrimoine concernait les édifices vietnamiens
traditionnels, et on n’aimait pas parler de la contribution des français. L’attitude envers l’architecture
coloniale française ne change qu’au milieu des années 90 avec la dévalorisation des influences du bloc
soviétique.
William Stewart Logan, op. cit., p. 12.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 131
Peu nombreux sur le site, ce type d’architecture se voit principalement dans les
quartiers méridionaux. L’ensemble du lycée Chu Văn An (ancien lycée du
Protectorat), y inclus sa bibliothèque, est certes l’un des exemples les plus
remarquables. Maintenant depuis toujours sa fonction éducative, il a été classé
patrimoine national grâce au fait que plusieurs personnages influents avaient étudié ou
enseigné ici (le général Võ Nguyên Giáp, le premier ministre Phạm Văn Đồng…). En
ce qui concerne les maisons individuelles, elles sont en gros dégradées ou déformées
avec des greffes72, parfois de telle sorte que l’on ne puisse plus identifier leur forme
d’origine.
Photo de l’auteur
Situé en plein cœur du village de Yên Thái, la petite chapelle de Kẻ Bưởi, dont la
construction date depuis 1907, illustre bien un cas de l’oubli. Le problème ne vient
pas seulement de ses aspects coloniaux, mais encore du comportement empreint de
réserve de l’administration envers l’Eglise et toutes les propriétés catholiques en
général. Par rapport aux pagodes bouddhistes qui sont plus faciles à contrôler voire à
manipuler, les églises constituent un sujet délicat, et elles reçoivent moins d’intérêts
des autorités locales. Lorsqu’on est devant la chapelle, le laisser-faire est assez
frappant. Il se manifeste surtout avec le caractère provisoire de la partie d’extension,
qui a pour but de répondre juste aux besoins de superficie, mais probablement à cause
du manque de soutien financier, ne reflète aucune prétention esthétique pour s’adapter
à l’ancien bâtiment. A l’arrière, on trouve une surface immense comprenant un jardin
et même un grand étang laissé en friche avec des déchets de construction. Toutefois,
malgré son volume modeste, cette chapelle de style Renaissance montre une
architecture raffinée et s’intègre harmonieusement dans le paysage villageois. Elle
possède une grande potentialité pour enrichir la composition de l’ensemble et donner
au village un espace public de première importance.
72
Après 1954, de nombreuses maisons unifamiliales devenaient multifamiliales car elles devaient
accueillir les nouveaux arrivants qui étaient instalés par l’état (la plupart sont des cardes immigrés
provenant de la campagne avec leur famille). Il n’est donc pas surprenant de voir les greffes dans ce
contexte de densification et de subdivision. Pour plus ample information, voir Lauren Pandolfi, Une
terre sans prix. Réforme foncière et urbanisation au Vietnam, Hanoi, 1986 – 2000, Thèse de Doctorat
en Urbanisme et Aménagement, Université de Paris 8, 2001, p. 38-51.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 132
Située au nord du lac et juste à côté de la digue, la maison de madame Hai Vẽ avait
hébergé des dirigeants communistes dans les années 1941-1945. A l’époque, comme
la zone était assez sécurisée pour le Parti, le secrétaire général Trường Chinh est resté
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 133
73
Comité populaire du district de Tây Hồ, op. cit., p. 85-88.
74
Les feuilles du mûrier servent d’aliment pour nourrir les vers à soie. Avant, madame Hai Vẽ
pratiquait aussi cet artisanat traditionnel.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 134
vaste qui dilue l’effet visuel. Il reprend des motifs traditionnels, surtout pour sa
toiture, et évoque à nouveau l’image des anciens monuments (mais dans une version
beaucoup moins subtile en béton). Peut-être, est-ce aussi une reconnaissance implicite
que ces formes, peu importe leur origine féodale, aideraient les ancêtres à identifier
plus facilement le lieu lors du retour aux cérémonies organisées par les descendants ?
Les vestiges les plus célèbres liés à la guerre sont certainement la petite sculpture
dressée au bord du lac de Trúc Bạch, où le pilote américain, l’actuel sénateur John
McCain, a atterri en parachute après que son avion eut été abattu ; et le lac de Hữu
Tiệp au village de Ngọc Hà, avec le reste du corps d’un bombardier B52 écrasé
pendant la campagne Điện Biên Phủ sur le ciel75. Dans le premier cas, l’œuvre en soi
est simple, silencieuse et n’attire pas trop de regards des passagers. La réputation de
McCain sur la scène politique, et surtout sa candidature aux élections présidentielles,
il y a quelques années, l’ont rendu plus connu. Pour la deuxième, le mode
d’exposition in-situ, en faisant ressortir le caractère authentique, a donné de fortes
impressions sur des gloires et des férocités de la guerre. Il apporte aussi des
métaphores formées par le contraste entre le reste d’une machine à tuer et
l’atmosphère pacifique d’un village rattaché à la culture de fleurs. D’une manière
tranquille au milieu des vicissitudes de la vie quotidienne, ces vestiges réveillent les
souvenirs profonds d’un temps inoubliable pour les habitants de la capitale.
75
Nommée l’opération Linebacker II par les américains.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 135
La « Néo – Renaissance »
Il y a de la chance dans le malheur. Le délaissement et la pauvreté ont conduit à la
détérioration et à la disparition d’un nombre de valeurs, mais ils empêchaient
également un processus de rénovation et de reconstruction des monuments sans
regret, qui a lieu plus tard. Dans la période socialiste, l’ancienneté ou l’esthétique du
vieillissement faisait de Hanoi une ville bien attrayante, particulièrement sous les
yeux des visiteurs occidentaux76. De plus, en termes d’activité, des temples et pagodes
au lac de l’Ouest, avec leur propre avantage du paysage, pouvaient encore accueillir
les gens pour garder une certaine vie spirituelle.
Bien entendu, les généralités ci-dessus trouvent aussi des illustrations ailleurs, mais
elles sont plus particulièrement vraies dans l’environnement du Lac de l’Ouest. Etant
un milieu suburbain il y a peu de temps, le site témoigne de la vague d’urbanisation
76
Qui ont leur impression dominante de Hanoi comme une ville calme, retenue, délabrée, mais avec
une élégance implicite.
William Stewart Logan, op. cit., p. 6.
77
Nhà nghỉ, en vietnamien.
78
Dans une société agricole où les caractères ruraux sont encore omniprésents même au milieu urbain,
l’esprit matérialiste que le socialisme précipitait dans une période n’a pas pu empiéter sur les croyances
chez les habitants. Les modes de commerce et de production à petite échelle, qui sont plutôt basés sur
les opportunités occasionnelles qu’orientés professionnellement, participent aussi à renforcer cette
réalité.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 136
allant de pair avec les premières fièvres foncières (1989-1995). Quand on a plus de
moyens, non seulement de grands patrimoines classés, mais de petits monuments
villageois font aussi l’objet des investissements. La restauration, la rénovation, la
reconstruction deviennent un mouvement répandu. Dans ce contexte, caractérisé aussi
par le manque des politiques de gestion et des méthodes scientifiques pour la pratique,
des interventions se heurtent à de nombreuses controverses et réclamations car elles
nient plusieurs valeurs partagées.
79
Un dirigeant du Ministère de la Culture a dit lors d’une interview avec un journaliste : « Si l’on
confiait le travail (de restauration) à un bon architect, on pourrait facilement mettre à neuf les
vestiges ». Pour lui, la question de l’authenticité ou de l’esthétique du vieillissement ne se pose pas.
Trần Huy Ánh, Cổng chùa Trấn Quốc làm thế tục hóa không gian tín ngưỡng ? (La porte de la pagode
Trấn Quốc profane-t-elle l’espace religieux ?), Vietnamnet, 04/01/2010.
http://vietbao.vn/Van-hoa/Cong-chua-Tran-Quoc-lam-the-tuc-hoa-khong-gian-tin-
nguong/20887606/181/
80
Ibid.
81
Particulièrement les films reposant sur les histoires anciennes de la Chine ou de la Corée, qui sont
émis quotidiennement sur les chaînes de télévision locale.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 137
et la mise en œuvre des projets. L’unification entre « le vrai, le bon et le beau » n’est
plus un souci, ce qui manifeste avec trop de soins mis sur l’apparence ou le contenant
plutôt que sur le contenu. Le béton est peint pour imiter le bois. Au lieu de garder
l’aspect naturel, la peinture est largement utilisée avec une palette trop colorée voire
criarde, et donne aux bâtiments une expression parfois clinquante et déconcertante.
Avant, l’emploi du badigeon et de la chaux pour les enduits permettait une bonne
respiration des surfaces extérieures au changement climatique. Il empêche le
développement de la moisissure sans nuire à la mousse, et assure ainsi une meilleure
esthétique au vieillissement ou aux « couleurs du temps ». Maintenant, on utilise
rarement la chaux en donnant la préférence au ciment, une matière dure mais sa
combinaison avec la brique cause souvent des problèmes82. Concernant le revêtement
au sol, la perméabilité exigée par le Feng-shui n’existe plus, et la circulation de l’aire
entre la terre et le ciel est interrompue avec des carrelages en céramique couverts
d'émail industriel. Pour les nouvelles reconstructions, leur forme et proportion
partagent plusieurs références chinoises, coréennes ou japonaises.
Fig. 130 & 131 – L’ancienne porte de la pagode Võng Thị (à gauche), et la nouvelle
porte qui vient d’être construite (à droite), avec des influences chinoises manifestées
dans le style et l’utilisation des couleurs (le jaune est trop vif).
Photo de l’auteur
La sculpture ne s’arrête pas à une assimilation des influences, mais affiche beaucoup
de copié-collé avec des éléments exotiques83. Des motifs sont repris et répétitifs, tels
qu’ils sortent du même moule. A propos des détails, ils montrent un manque d’âme ou
de vivacité, tandis que dans le passé, celles-ci étaient plus valorisées que le semblant
82
Leurs réactions aux changements de température et d’humidité sont diférentes. Tandis que le ciment
est plus ou moins inerte, la brique absorbe l’humidité et ainsi, la dilatation qui en découle peut fissurer
l’enduit en ciment.
83
Les lions en pierre placés pendant longtemps devant les portes d’entrée des pagodes constituent un
cas représentatif. Après avoir reçu plein de critiques, ils y sont maintenant interdis. Appartenant à la
culture chinoise, ces lions symbolisent le pouvoir et l’intimidation. Leur aspect agressif est
incompatible aux pagodes vietnamiennes qui sont traditionnellement ouverts et accessibles à tous.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 138
La rénovation s’effectue de façon impétueuse sans trop regarder l’état actuel des
éléments et leur signification : « Les médias décèlent toujours des projets de
restauration qui transforment un monument de centaines d’années en une
construction… de quelques mois »86. En regardant au fond, il ne s’agit pas juste des
différences dans le concept d’authenticité, ou de la pensée populaire suivant laquelle
le bâtiment se voit comme un être vivant rattaché à un cycle de vie déterminé. Le
problème vient également de la négligence et du caractère facile qui remplacent la
méticulosité et le scrupule, ce qui fait disparaître la subtilité des idées et des sagesses
traditionnelles.
Photos de l’auteur
(prises en 2014 et
2015)
Tous ces faits démontrent deux processus parallèles. D’une part, la renaissance des
temples et pagodes est à la fois le résultat et le signe de l’accroissement de la foi dans
la religion chez une partie importante de la population. D’autre part, elle implique une
crise des valeurs dont l’attribution aux certaines choses est remise en cause :
84
L’expression en vietnamien est « sống hơn giống ».
85
Chu Quang Trứ, op. cit. , p. 10.
86
Trần Huy Ánh, op. cit.
87
Ibid.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 139
La pagode Trấn Quốc nous donne une illustration représentative d’un monument
historique extrêmement important qui était classé par l’Etat mais a subi une
intervention très discutable il y a peu de temps. Erigée sous les ordres du roi Lý Nam
Đế (544 - 548), c’est la pagode la plus ancienne de Hanoi. Au début, la pagode portait
le nom de Khai Quốc et se trouvait dans les zones inondables à côté du fleuve Rouge.
Elle a été le centre bouddhiste de la capitale Thăng Long ainsi que du pays pendant
une très longue période de prèsque 400 ans88. A cause des érosions pendant le règne
du roi Lê Kính Tông (1600-1619), elle était trasférée sur l’île Kim Ngư (Poisson
d’Or) qui demeure sa position actuelle. Tournée vers le lac, la pagode n’était d’abord
88
De la dynastie des Lý à celle de Trần (1010-1400).
Đặng Duy Phúc, op. cit., p. 36-38.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 140
accessible que par le bateau. Quand le barrage de Cổ Ngư (l’actuel chemin de Thanh
Niên) était construit, on a fait un petit sentier pour donner l’accès à la pagode depuis
le chemin. C’est pourquoi la porte à laquelle conduit le sentier n’a été que secondaire.
Sa dimension modeste la laissait entrevoir sous l'ombre des arbres et créait un aspect
irréel et mystérieux, tel que l’entrée au nirvana. En 2009, jugeant que la porte à
l’époque n’était pas originelle89, et que l’on peut donc avoir une autre plus ambitieuse,
le promoteur a détruit la porte ancienne puis a reconstruit une nouvelle à trois entrées
qui est plus grande et avec un design « tombé du ciel »90. Le sentier sympathique
d’autrefois est élargi et « embelli » avec le pavé et les balustrades en pierre. Il prend la
forme d’un accès principal disproportionné, ce qui efface partiellement la mémoire du
lieu et rend ambigu l’aménagement de l’ensemble de la pagode (car on doit aller
jusqu’au fond puis se tourner pour trouver les portes de la pièce centrale).
Fig. 135 & 136 – Le petit sentier amenant « au nirvana » autrefois (à gauche) et
l’accès monumental d’aujourd’hui (à droite).
89
Pourtant, elle a été reconstruite en suivant la forme originelle, qui est celle de la porte existant
lorsque la pagode était classée monument historique national dans les années 1960.
90
Khánh Linh, Cổng chùa Trấn Quốc từ... trên trời rơi xuống? (La porte de la pagode Trấn Quốc est…
tombée du ciel ?), 28/12/2009.
http://dzunglam.blogspot.fr/2009/12/cong-chua-tran-quoc-tu-tren-troi-roi.html
http://www.vietnamnet.vn/vanhoa/200912/Cong-chua-Tran-Quoc-tu-tren-troi-roi-xuong-886540/
91
Ils lui murmurent furtivement leur envie.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 141
sont toujours prêts à recourir à un autre si ils trouvent que le nouveau est plus effectif,
ou lorsque leur demande n’est pas satisfaite »92.
92
Hoàng Xuân, 'Loạn thánh, loạn thần' ở VN tới mức nào ? (A quel point est-elle l’anarchie du culte
des saints et des génies au Vietnam ?), BBC vietnamese, 14/06/2015.
http://www.bbc.com/vietnamese/forum/2015/06/150614_hoangxuan_loanthanhthan
La négociation, la ‘sortie la nuit’ avec les saints ici veulent dire qu’en priant devant les autels dans les
temples et pagodes, on promet d’apporter une offrande précieuse plus tard, quand l’affaire serait bien
finie avec réussite. Parfois, on profit aussi des relations personnelles avec les bonzes ou avec les
spécialistes dans les cérémonies de culte, en espérant avoir une priorité auprès des saints.
93
Dans la plupart des cas, c’est le bonze présidant la pagode ou le monsieur gérant le temple, qui joue
parfois aussi le rôle de maître d’œuvre au lieu des architectes.
94
En regardant surtout aux articles 1, 3, 4, 6, 9, 11, 12 et 13 de la Charte de Venise.
ICOMOS – Conseil International des Monuments et des Sites, Charte Internationale sur la
Conservation et la Restauration des Monuments et des Sites, IIème Congrès international des
architectes et des techniciens des monuments historiques, Venise, 1964.
95
En confrontant à la notion de la diversité culturelle suggérée par le Document de NARA.
ICOMOS – Conseil International des Monuments et des Sites, Document de NARA sur l'authenticité,
Conférence de Nara, 1994.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 142
Situées à côté d’une surface d’eau très étendue, les pagodes du lac de l’Ouest ont
beaucoup d’avantages pour créer un « autre monde », ou une sensation de
transcendance chez les visiteurs pour sortir de leur vie quotidienne, particulièrement
quand il y a de la brume. Mais dans un contexte d’urbanisation avec une forte densité,
plus l’invasion massive des éléments profanes, la sollicitation aujourd’hui s’avère
plus soutenue et manifeste que la méditation97. La dimension populaire et matérielle
prévaut clairement sur la dimension intellectuelle et spirituelle.
À l’opposé, il n’est pas rare de voir en Occident les églises, dont l’espace physique est
parfaitement conservé avec des règles très strictes liées à l’authenticité et au rayon de
protection. Elles connaissent en fait une vie religieuse beaucoup plus tranquille, voire
secondaire par rapport aux activités touristiques. Sous un certain angle, ces
monuments sont plus proches des musées. Leur contenant extérieur était figé en
faveur des souvenirs, tandis que la confiance dans la religion, ou la foi de l’existence
d’un monde idéal et d’une idéologie parfaite, qui est indispensable pour qu’une église
puisse rester elle-même avec sa fonction d’origine, a été érodée dans la société
postmoderne. Le sens ici peut être réduit voire disparaître (comme l’exemple des
églises reconverties en immeubles d’habitation99), mais le matériel doit être protégé
au maximum possible.
98
Comme on va le voir plus tard, le đình était la maison communale ou le bâtiment polyvalent du
village à l’époque féodale, mais aujourd’hui n’assume qu’essentiellement la fonction religieuse et les
fêtes locales.
99
« Plafonds hauts, grande pièce principale : on est déjà pas si loin du concept du loft ! » Une fois que
les gens ne croyent plus l’existence du Dieu, alors sa « maison » changerait de propriétaire.
http://www.topito.com/top-eglises-transformes-appartement-maison
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 144
croyance n’est pas trop conditionné par l’allure des bâtiments. Enracinée dans la
civilisation agricole qui dépend de la nature avec plein de facteurs imprévus pouvant
faire facilement l’objet des divinisations, la croyance continue à se nourrir avec des
particularités de la société vietnamienne contemporaine qui rendent difficile un
autocontrôle des habitants sur leur vie. Le conflit, le paradoxe, ou la situation de stress
à un certain niveau, s’ils ne sont pas excessifs, seraient vus comme normaux, car les
gens les trouvent naturels100. Ils ne perturbent pas trop comme pour le cas des
occidentaux, qui par leur esprit analytique et rationnel, aiment aller jusqu’au bout du
raisonnement pour trouver la solution.
Source : http://www.topito.com/top-
eglises-transformes-appartement-
maison
100
Thijs van Oostveen, op. cit. , p. 102.
101
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 47.
102
Hoàng Đình Tuấn, Organisation spatiale des villages suburbains dans le processus d’urbanisation
à Hanoi prévue jusqu’à 2020 en fonction de la sauvegarde et du développement des valeurs culturelles
traditionnelles, Thèse de doctorat, Université d’Architecture de Hanoi, 1999, p. 1.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 145
Fig. 138 – La répartition des villages autour du Lac de l’Ouest, et les artisanats qui
leur sont ou ont été associés. Dessin de l’auteur
façade changeait mais la structure interne restait intacte »108. Au temps colonial, la
structure du village a été maintenue suivant la stratégie « diviser pour mieux gérer ».
Les Français réutilisaient la mécanique opérationnelle existante des villages pour leur
service. Alors chaque village fonctionne comme un petit Etat (ou un Etat dans l’Etat)
indépendant dans les limites des pouvoirs locaux109. Le Vietnam traditionnel, dans la
remarque des observateurs étrangers, se comporte donc souvent comme une
fédération de communes110.
C’est grâce à la stabilité de son organisation sociale (ou du contenu) que la structure
spatiale (ou le contenant) d’un village traditionnel a peu changé. Elle pourrait être
schématisée comme le plan ci-dessous, qui inclut des éléments constitutifs que l’on
trouvera également dans les villages situés sur les rives du Lac de l’Ouest.
Fig. 139 –
Plan schématique d’un
village traditionnel dans
la plaine du Tonkin.
1. Cordon de bambous
2. Voies
3. Porte
4. Banian
ou grand arbre sacré
5. Đình
(Maison communale)
6. Marché
7. Pagode
8. Temple
9. Puits du village
10. Étang du village
11. Petit « salon de thé »
12. Habitations
13. Champs
Dessin de l’auteur
L’investigation des éléments structuraux qui se déroule dans les textes suivants va
nous fournir une compréhension plus concrète des rôles et des significations du
village. Pour chaque élément, on commence par des traits généraux avant d’aller
directement sur le site pour analyser son évolution. Eparpillés en grande quantité
108
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 146.
109
Ibid, p. 185.
110
Vũ Quốc Tú ; Cité par Olivier Tessier, op. cit., p. 76.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 147
autour du lac, les anciens villages constituent absolument des facteurs primordiaux,
une clef de voûte pour la formation de l’identité du paysage.
Après le féodalisme, le contexte social a connu des mutations telles que l’on n’a plus
besoin de faire chacun des villages une forteresse indépendante avec une haie de
bambous liée à de telles fonctions et significations. Sous la pression de la demande
d’extension de l’habitat en raison de la croissance démographique naturelle et
particulièrement de l’urbanisation, les cordons de bambous ont ainsi peu à peu
disparus. La disparition de cet élément important pour l’imagibilité du village est un
des premiers facteurs causant la réduction de l’identité.
Du milieu avoisinant de la ville, les cordons de bambou des anciens villages entourant
le Lac de l’Ouest sont évidemment supprimés plus tôt que ceux dans les zones rurales
plus éloignées. Même avant la Réforme, ils se trouvaient déjà en état fragmentaire,
sans continuité113. Les villages étaient séparés alors par des rizières, qui se
présentaient encore dans les plans jusqu’en 1992114. Cependant, à partir de cette
111
Trần Ngọc Thêm, op. cit., p. 98.
112
Pierre Gourou, Les paysans du delta tonkinois, Paris, Publication de l’Ecole française d’Extrême-
Orient, Les Editions d’art et d’histoire, 1931, p. 250.
Pour mieux comprendre ces significations symboliques, la citation suivante de Gourou dans la même
page s’avère intéressante : « Lorsqu’en période de troubles un village a participé à l’agitation ou a
donné asile à des rebelles, la première punition qu’on lui inflige est de l’obliger à couper sa haie de
bambous. C’est une grave blessure à son amour-propre, une marque infamante ; le village se sent dans
une situation aussi gênée qu’un être humain que l’on aurait dévêtu et que l’on abandonnerait nu au
milieu d’une foule habillée ».
113
Au village Tây Hồ, l’un des derniers endroits où l’on trouvait encore le reste d’une haie de bambous
avant qu’il soit coupé était l’espace près de l’étang du đình ; d’après l’entretien avec madame Phượng.
114
Voir dans les annexes.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 148
Les plans d’eau éparpillés dans le site participent également à la distinction des
villages, surtout sur la rive est. Or, ils sont aussi menacés par des remblayages,
comme c’était le cas de la mare à l’entrée du village de Tây Hồ (dont une grande
partie a été comblée pour la construction des bureaux de l’autorité locale et d’une tour
d’appartements). Pour ceux qui restent, certains sont délaissés et deviennent stagnants
avec la croissance galopante des jacinthes d’eau et l’accumulation des déchets.
D’autres sont cachés par les maisons, les stands de boisson, ou les bazars qui poussent
spontanément comme « des sauts en parachute ». Tout cela influence l’effet visuel
que peuvent apporter des plans d’eau en tant que limite naturelle. La protection et la
revalorisation de ces éléments sont indispensables si l’on veut non seulement
maintenir une discontinuité nécessaire pour distinguer les villages, mais en même
temps améliorer le cadre de vie des habitants avec des types de paysage intimes et
variés.
Fig. 140 & 141 – La mare située à l’entrée du village Tây Hồ, avant et après les
remblayages.
Source : Photo aérienne prise au début des années 1990 du Centre d’information et de
documentation cadastrale du Vietnam (à gauche), photo satellite prise en 2002 de
Google Earth (à droite)
L’immense surface du Lac de l’Ouest constitue absolument l’une des limites les plus
importantes pour les villages. Dans le passé, cette limite n’a jamais connu un contexte
aussi animé qu’aujourd’hui. Au contraire, les terrains contigus au grand lac étaient
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 149
considérés comme le bout, le dernier point, le point final des villages115. À l’exception
des endroits où sont placés les temples et pagodes, la plupart de ces espaces étaient
déserts et occupés par des herbes folles, des roseaux, des marais de lotus, des
cimetières, ou des étangs séparés du grand lac par les petits barrages pour garder les
poissons élevés116. Presque personne n’y habitait, à cause de l’atmosphère ténébreuse
et des vents violents provenant du lac. D’habitude, l’eau comme élément essentiel
pour la vie est souvent un point de départ pour la formation et le développement de
l’habitat mais ici, ce rôle appartient principalement aux petits lacs et étangs des
alentours. Jadis, il n’existait pas non plus un chemin le long de la rive du grand lac. Le
seul accès au lac se faisait par les petits sentiers qui conduisent depuis l’intérieur des
villages.
115
Cuối làng, en vietnamien. Pour mieux comprendre la notion en comparaison avec d’autres
expressions désignant les lieux spécifiques du village, voir Nguyễn Tùng, Về không gian làng (A
propos de l’espace villageois) ; dans Philippe Papin et Olivier Tessier (sous la direction de), Le village
en questions, Publication du centre de l'Ecole Française d’Extrême-Orient, Hanoi, 2002, p. 99.
116
D’après les entretiens sur place avec les personnes agées dans les deux villages Tây Hồ et Hồ Khẩu.
Ils disent qu'à l'époque, plusieurs endroits étaient tellement déserts que les filles et les femmes
hésitaient même à y aller. Et ceci est montré en partie par les cartes et les photos aériennes, surtout pour
les villages au sud-ouest et ceux de la péninsule Quảng An à l’est.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 150
Dans le passé, la rivière Tô Lịch et la rue Thụy Khuê constituaient également les
limites importantes pour les villages méridionaux, sauf le village Thụy Khuê (dont le
territoire s’étend jusqu’à la rue Hoàng Hoa Thám). Les maisons se rassemblaient
essentiellement au nord de la rue Thụy Khuê, tandis que les espaces au sud, incluant
les deux rives de la Tô Lịch, comprenaient surtout des superficies agricoles et des
cimetières. Grâce à l’ambiance naturelle, il y a aussi dans la zone riveraine des
monuments religieux très connus tels que les temples de Thăng Long, Đồng Cổ et
Long Tỉnh (qui appartiennent respectivement aux villages Hồ Khẩu, Đông Xá et Yên
Thái). Au cours du temps, sous l’impact de l’urbanisation et des usurpations
successives, la Tô Lịch est de plus en plus étroite et rendue aux dimensions d’un
égout. Son rôle de limite pour ainsi dire n’existe plus, et la rivière se noie quasi
complètement dans le tissu urbain actuel. A l’égard de cette situation, la rue Thụy
Khuê où se trouve une série de portes d’entrée devient une frontière, un visage
important des villages. Quoi qu’il en soit, l’urbanisation se produit ici depuis déjà
longtemps et dans un rapport plus intime avec le développement des villages. La
façade qui donne sur la rue Thụy Khuê est donc historiquement plus représentative
que celle donnant sur les voies au bord du lac.
117
A l’origine, c’est le nom d’un personnage d’une œuvre de l’écrivain Nam Cao. Le terme est devenu
populaire pour désigner les gens qui osent tout faire sans aucune hésitation car ils n’ont rien à perdre.
118
Pour mieux comprendre ce processus qui n’a pas lieu qu’aux seuls environs du Lac de l’Ouest, voire
Laurent Pandolfi, Une terre sans prix. Réforme foncière et urbanisation au Vietnam, Hanoi, 1986 –
2000, Thèse de Doctorat en Urbanisme et Aménagement, Université de Paris 8, 2001, p. 337.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 151
Fig. 144 – Les nouvelles façades des villages, qui donnent sur le
lac avec les composants très peu villageois.
Accès et portes
Pour garantir l'indépendance et faciliter le contrôle, les villages traditionnels de la
plaine du Nord ont peu d’entrées. Dans plusieurs cas, ils sont accessibles par un étroit
sentier bordé de mares119. C’est exactement le type que l’on pouvait trouver jadis à
l’entrée du village Tây Hồ. De nos jours, les mares ici ont été remblayées pour
construire des bureaux et des logements. Faute d’éléments marquants, l’accès actuel à
ce village est simplement une rampe incurvée qui est assez difficile à repérer
lorsqu’on se deplace sur la route digue Xuân Diệu.
Le village dispose souvent des portes d’entrée. Chargées non seulement de la fonction
habituelle de défense mais encore des significations symboliques, les portes ont une
grande importance pour l’identité du village. Il y a beaucoup d’informations qui
s’expriment dans leur échelle, les matériaux utilisés, leur style architectural, les
inscriptions parlant des vœux communs… ou des traces témoignant des événements
119
Pierre Gourou, op. cit., p. 251.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 152
historiques. Rarement trouvées isolées, les portes de village étaient souvent conçues
en combinaison avec d’autres éléments naturels (plan d’eau, arbres) pour formuler un
ensemble intéressant.
Le village Hồ Khẩu est un cas exemplaire où les portes sont porteuses des significations
beaucoup plus symboliques que fonctionnelles. Ici, dans une distance d’environ 50m, il y a 3
portes correspondant respectivement aux entrées du village, du đình (ancienne porte principale
du village), et de la pagode. Pourtant, du fait que le moyen de déplacement le plus populaire
est le motocycle, l’entrée la plus fréquentée n’est qu’un contour n’ayant pas de porte qui se
situe à proximité. À part la porte menant à la pagode, les deux autres qui disposent des
marches, deviennent maintenant les espaces publics petits mais importants. On y trouve des
« salons de thé » à la villageoise, voire un marché qui se réunit tous les matins.
Dans la zone méridionale du Lac de l’Ouest, les portes de village sont toutes ouvertes
sur la rue Thụy Khuê, et rendent cette dernière originale et bien connue comme la rue
ayant le plus de portes de village à Hanoi. Parce qu’elles participent à l’identité
communautaire et constituent une fierté des habitants, les portes reçoivent toujours
des attentions. La plupart ont été maintes fois restaurées ou repeintes de temps à autre,
particulièrement pour les sentences parallèles inscrites sur les murs de deux côtés, ou
pour le tableau horizontal en haut avec le conseil que le roi donna aux villageois
autrefois. La qualité des travaux en gros s’avère loin d’être perçue comme excellente.
De même que les problèmes généraux liés à la restauration des vestiges historiques,
l’authenticité physique ou l’esthétique du vieillissement n’est pas une préoccupation
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 153
Comme évoqué, jadis il n’y avait pas de voie au bord du grand lac. Les accès au
village depuis cette voie que l’on trouve aujourd’hui étaient développés à partir des
anciens sentiers conduisant au lac auparavant. C’est pourquoi, jusqu’à présent, il
n’existe pas de porte d’entrée ici. Cependant, en tenant compte du fait que les villages
se tournent vers le lac (ce qui se manifeste non seulement avec l’architecture mais
également avec les activités dans les espaces publics récemment créés), est une réalité
inéluctable dans la nouvelle ère, la construction des portes pour le marquer paraît
aussi quelque chose qui mérite d'être envisagée. Evidemment, cela n’implique pas
nécessairement une reprise des formes du passé, car elle pourrait par contre diminuer
la place des portes d’origine dans la rue Thụy Khuê.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 154
Trame viaire
Dans un village, les rues s’intègrent dans une trame conditionnée d’abord par des
caractéristiques géographiques naturelles. Tortueuses et difficiles à prévoir, elles nous
conduisent à des vues très variées. Avec l’absence d’une distinction claire entre les
types de voie, accompagnée encore par le manque parfois des points de repère bien
définis, ce système donne souvent le sens d’un labyrinthe :
Toutefois, ce labyrinthe provoque en fait rarement une grande inquiétude pour la perte
d’orientation. Puisque le village n’est habituellement pas trop étendu pour se
conformer au déplacement à pied, on sait bien que l’on peut se perdre mais on s’en
sortira bientôt. Même pour les villages au sud du Lac de l’Ouest, qui deviennent
maintenant comme un gigantesque village à cause de la disparition des espaces
agricoles, cette question ne semble pas non plus trop grave. Au contraire, de telles
trames viaires paraissent assez stimulantes pour la découverte.
Fig. 148 – L’aspect labyrinthique créé par le dédale de ruelles et venelles au village Hồ Khẩu.
Photos de l’auteur
Normalement, la rue principale traverse tout le village pour relier les hameaux les uns
avec les autres et avec des lieux importants tels que le đình, les puits publics, le
marché… Depuis cette voie, les rues secondaires mènent à des habitations situées
dans l'épaisseur et se terminent souvent par des impasses. Au fil du temps, les grandes
parcelles au début sont subdivisées pour construire le logement des enfants puis des
120
Pierre Gourou, op. cit., p. 252.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 155
Fig. 149 : Évolution de la trame viaire des deux villages Tây Hồ (en haut) et Hồ Khẩu (en bas)
depuis 2000 jusqu’en 2014. Comme la période est marquée par une forte densification, de
nombreuses impasses ont apparu en suivant la subdivision des parcelles.
Source : Plans de l’auteur, faits à partir des photos satellites de Google Earth, du document
cadastral du Service d’Urbanisme et d’Architecture de Hanoi, et des vérifications sur place.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 156
Dans le passé, la trame viaire était aussi régie par les principes de géomancie, parce
que les voies sont exactement les canaux conduisant le souffle de la nature, qui peut
éventuellement être favorable ou funeste (inspiration ou expiration). Les voies doivent
aider à disperser l’air ou à le concentrer dans certains endroits pour stimuler le
potentiel du terrain selon les besoins. Tout comme pour les maisons, la disposition des
voies peut s’appuyer sur une carte énergétique préétablie et ajustée graduellement par
les maîtres de Feng-shui. Les voies ne doivent donc pas couper « les veines du
Dragon »121. Elles évitent aussi de se rapprocher de la pagode d’une manière trop
directe, pour que cette dernière ne soit pas trop touchée par le rythme des activités du
village (en milieu rural, les pagodes ont rarement la clôture).
Parfois, le pavé des rues est également un élément important qui souligne l'identité
d’un village. Mise en place au fur et à mesure, puis avec des restaurations à travers le
temps..., le pavé est rarement homogène. Mais c’est grâce à cette hétérogénéité que
l’on peut connaître des histoires intéressantes, par exemple sur une période de
prospérité, avec les caractéristiques des briques et la longueur des rues pavées, sur la
formation des couples qui devaient toujours avant leur mariage contribuer au village
un certain nombre de briques pour le pavage, ou sur une mode de vie agricole avec la
forme de la chaussée dont les deux côtés réservés aux buffles restaient non revêtus122.
Pour les villages aux alentours du Lac de l'Ouest tels que Hồ Khẩu ou Tây Hồ, le
processus d'urbanisation rapide a bétonné presque toutes les rues de village.
Cependant, comme le système d'infrastructure ici n’est pas complet ou à niveau, il est
fort probable qu’elles font encore objet de futures interventions. Une prise de
conscience profonde des particularités mentionnées ci-dessus est donc nécessaire, en
espérant qu'un jour les traces cachées du passé seront présentes de nouveau à travers
121
Pierre Gourou, op. cit., p. 256-257.
122
Parce qu’ils aiment patauger dans un sol mou ; d’après Gourou, op. cit., p. 252.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 157
une approche plus subtile, et sans rencontrer des problèmes comme dans la leçon de
Đường Lâm123. Une fois qu’elle sera bien effectuée, la mise en valeur de la trame
viaire entraînera aussi non seulement un embellissement des voies elles même, mais
donnera encore une toile de fond sur laquelle les maisons pouront se présenter d’une
façon beaucoup plus vivante (voir la fig. 152).
Un autre point remarquable est que les rues du village, en plus de la fonction de
circulation, constituent aussi une sorte d’espace public typique qui favorise beaucoup
les échanges humains. Ceci est soutenu par le fait que les rues, conçues à l’origine
pour servir bien sûr les moyens de transport non motorisés, sont rarement trop larges,
et ont souvent des virages qui apparaissent soudainement. Il est difficile qu’on ne se
donne pas des salutations en se croisant dans de tels corridors. La largeur d’une rue
varie sur la longueur, ce qui est susceptible de créer beaucoup de lieux de pause
potentiels, où les vieux s’arrêtent pour se parler, les enfants jouent à des jeux, les
marchands ambulants s’installent pour un bref moment… Dans certains endroits,
l’ambiance est rendue encore plus conviviale par la présence des stands de boissons
ou de petits restaurants, dont les tables et les chaises se mettent même sur une partie
de la chaussée. Avec la densité croissante de la construction, les rues ont tendance à
devenir plus étroites à cause des empiètements. Dans les virages, la visibilité est plus
réduite avec l’édification des maisons sur les coins. Comme les rues ne sont pas
suffisamment larges pour y rajouter les trottoirs, un partage en commun entre le
piéton et les véhicules automobiles dont la majorité sont les motocycles124 est
inévitable. Alors les aspects positifs pour la communication humaine demeurent, mais
ils reçoivent peu d'attention par rapport à des questions telles que la sécurité de la
circulation, ou la prévention des incendies (surtout quand la densité bâtie continue à
augmenter mais des mares ont été comblées).
Les rues du village sont aussi l’endroit où l’ambiguïté entre les espaces public et
privé, un reflet de l’esprit dialectique local, est bien manifeste. Outre les fonctions
connues, les rues sont utilisées fréquemment comme une extension de l’espace de vie
ou de production pour les maisons de deux côtés. En milieu urbain, la persistance de
cette tradition est un problème gênant pour la gestion, et elle ne conforme pas à des
normes conventionnels d’une mode de vie « moderne et civilisée », qui reposent
habituellement sur les délimitations précises et claires. Or, c’est elle aussi qui donne à
la rue une allure tellement vivante, surprenant beaucoup de visiteurs occidentaux.
123
Lors de la restauration des rues de ce village connu (le premier village classé patrimoine national en
2006), l’ancien pavé composé des briques très variées qui peuvent nous parler beaucoup de l’histoire
du lieu est pourtant considéré comme disparate. On a décidé de revêtir les rues par un seul type de pavé
nouveau, et produit donc une homogénéisation regrettable.
124
Sauf pendant quelques moments particuliers (comme la nuit, ou très tôt le matin), il est difficile pour
les voitures d’entrer profondément à l’intérieur des villages, surtout ceux situés au sud du Lac de
l’Ouest, à cause de la largeur étroite des voies et des activités occupant la chaussée.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 158
Fig. 150, 151, 152, 153 – L’ambiguïté entre l’espace public et l’espace privé se
manifeste sur les rues ou les ruelles du village.
Dans la culture agricole, les rues du village sont souvent utilisées pour le séchage des
pailles et des chaumes. Quand le village est urbanisé, elles continuent d’être une
extension de l’espace de vie, par exemple un lieu pour sécher les vêtements, pour
mettre les chaises afin de former un petit coin de repos, ou même pour faire la
cuisine, tel qu’on peut le voir au village Hồ Khẩu.
125
Dans les villages Quảng Bá, Tây Hồ et Thụy Khuê, à certains endroits où les ruelles débouchent sur
la voie qui longe le bord du lac (dont le niveau est supérieur), les villageois, au lieu de faire une pente
douce pour donner l’accès aux véhicules motorisés, ont construit des marches pour n’accepter que le
piéton, et par là assurer la tranquillité et l’intimité.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 159
Autrefois, quand la densité bâtie était faible et il n’y avait pas encore de hautes
maisons, les grands arbres majestueux jouaient le rôle des points de repère très
importants pour l’orientation à l’intérieur et l’identification depuis l’extérieur du
village. C’était le cas des trois kapokiers plantés près des entrées du village Tây Hồ,
dont l’impression restait encore dans la mémoire des vieux villageois. Ils ont été
abattus pour céder la place aux constructions129. Alors on a perdu des éléments
identitaires majeurs qui enrichissaient la composition du paysage et qui favorisaient la
reconnaissance du village de loin.
126
C’est aussi grâce à ces caractéristiques que le banian et le figuier des pagodes constituent une
expression en vietnamien (cây đa cây đề) pour désigner les personnes agées ayant beaucoup de
contributions dans un domain ou dans un milieu de travail.
127
Ngô Huy Giao, « Cây đa văn hóa Việt Nam» (Le banian, un symbole culturel vietnamien), Kiến trúc
Việt Nam (Architecture vietnamienne), n°1, 2002, Ministère de la Construction, p. 44-45.
128
« Lý cây đa » ou la « Mélodie du banian » est l’une des chansons populaires les plus connues au
Nord du Vietnam, utilisée aussi pour endormir les enfants.
129
L’entretien avec madame Phượng qui habite au village.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 160
Quoique les histoires liées à des arbres soient vraies ou inventées, le rôle que jouent
les banians, figuiers, kapokiers… dans la vie spirituelle et dans le paysage villageois
par leur monumentalité constitue déjà un élément patrimonial. En effet, de nombreux
vieux arbres sont reconnus officiellement. Dans quelques cas, ceci a conduit pourtant
à de nouveaux enjeux ou à des résultats pas très favorables. Tel est l’exemple des
arbres classés des temples du village Tây Hồ, où l’aspect naturel et harmonieux a été
diminué par des clôtures130 et des panneaux d’indication peu raffinées.
130
Après que le banian du temple de Kim Ngưu avait été classé patrimoine, on a construit une grille
pour le protéger. Cet arbre devient donc isolé, et la relation organique qu’il entretenait avant avec
l’ensemble est affectée considérablement.
131
Chu Quang Trứ, op. cit., p. 82-83.
132
Trần Quốc Vượng, op. cit., p. 175-176.
133
D’habitude, un village a de un à trois Génies protecteurs. Mais dans le đình au village Nghi Tàm on
en trouve six, et les habitants sont très fiers de cette exception.
134
Đặng Thế Đại, Vai trò của tín ngưỡng thành hoàng trong đời sống cộng đồng làng Việt (Le rôle du
culte des divinités populaires dans la vie des communautés rurales Việt) ; dans Philippe Papin et
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 162
Olivier Tessier (sous la direction de), Le village en questions, Publication du centre de l'Ecole
Française d’Extrême-Orient, Hanoi, 2002, p. 405-407.
135
Ibid, p. 393.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 163
Pour les đình, jouer le rôle fondamental dans la structure spatiale et dans la vie sociale
du village n’est pas synonyme de se trouver toujours en plein centre ou près de
l’entrée principale. Il peut être sur un côté vers la périphérie, voire au fond du village,
afin de profiter au maximum des atouts paysagers ou topographiques (l’ouverture à de
belles vues, l’éminence, l’accessibilité à l’eau…), qui lui permettent aussi une
conformité aux principes de Feng-shui. Le đình doit avoir une allure stable et solide
pour favoriser le développement du village et des habitants. Le choix de sa position et
de son orientation, dans la perception locale, est bien lié à la vie de toute la
communauté136. Les mauvais impacts dûs au détournement du đình que supposent les
gens du village Hồ Khẩu constituent un exemple. Pendant long temps, le đình ouvrait
sur la grande porte à trois entrées dans la rue Thụy Khuê. Lors de l’arrivée au village
pour faire sa nouvelle mission, un mandarin, gêné par une réception pas très soignée
auprès des villageois, décida de détourner le đình pour l’actuelle orientation, jugée
inappropriée. Comme il y a moins de réussites aux examens depuis, beaucoup de gens
pensent que ce fait est causé par le détournement de leur đình137.
Plan de l’auteur
Si la situation le permettait, l’ouverture sur une surface d’eau était appréciée pour un
đình, parce que l’eau symbolise l’abondance et la prospérité. Ainsi, bien que les
terrains en bordure du Lac de l’Ouest soient autrefois peu peuplés, on y trouve
plusieurs đình tels que ceux de Quảng Bá, Nghi Tàm, Yên Phụ, Thụy Khuê, Trích Sài
et Võng Thị. Quant aux villages de Hồ Khẩu et Tây Hồ, les deux đình étaient jadis
édifiés aussi sur les monticules à proximité directe du lac. Ils n’ont été réinstallés à
l’intérieur sur les positions actuelles qu’après des érosions. A l’époque, la nouvelle
adresse du đình Tây Hồ se trouvait quand même à côté d’un grand étang.
Malheureusement, le rapport avec l’eau a été rompu plus tard avec la construction des
maisons.
136
Ibid, p. 390.
137
L’anecdote est racontée par madame Oanh et le monsieur gérant du đình au village Hồ Khẩu. Le
mandarin n’était pas bien reçu parce qu’il venait d’ailleurs mais pas de la région, et les villageois
n’aimaient pas cet obligation.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 164
Fig. 159 – Đình du village Tây Hồ. Son rapport avec l’étang
a été brisé par la construction des maisons dont le terrain
relevant du droit public au début a été transféré au droit privé
plus tard. La densification a fait perdre aussi le caractère
ouvert qui était jadis inhérent à l’espace de đình.
En plus de l’eau, le đình se combine encore avec les grands arbres majestueux pour
former un ensemble particulier. « L’ensemble du đình est tout une architecture de
paysage »138. Le tout banian – eau – toiture du đình139 crée une image profondément
familière et emblématique du pays natal.
L’intérêt sur la dimension pittoresque du đình, en tant qu’un ensemble paysager, est
un facteur important pour créer chez chacun des habitants son sentiment
d’appartenance à la communauté villageoise, mais il n’est pas le seul. Dans le passé,
« tout homme a sa place dans la maison commune (đình) déterminée par ses titres, par
les services rendus à l’Etat, à la commune, par sa fortune. Ces liens sociaux et
religieux sont d’une telle force que l’Annamite quitte rarement son village ou en tout
cas y revient toujours »140. Le đình est donc un élément unificateur qui rassemble les
138
Chu Quang Trứ, op. cit., p. 83.
139
L’expression en vietnamien : Cây đa – bến nước – mái đình.
140
Emile Delamarre, « La réforme communale au Tonkin », Revue du Pacifique, n°I, 1924, p. 211-
212 ; cité par Tessier, op. cit. , p. 76-77.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 165
Fig. 160 – Đình du village Ngọc Hà (à gauche, qui est en restauration actuellement).
Source : Institut de Recherche en Architecture, Conservation des héritages architecturaux et
paysagers de Hanoi, Maison d’édition de Construction, Hanoi, 1998, p. 28.
Fig. 161 – Đình du village Yên Phụ (à droite). Photo de l’auteur
A l’ère de la « Nouvelle Culture », comme ailleurs, plusieurs đình situés autour du lac
de l’Ouest ont été détruits ou oubliés pour répondre au mouvement Démolir pour la
résistance (Tiêu thổ kháng chiến), ou parce que l’on les considérait comme
représentants du régime féodal. En 1946, le đình du village Hồ Khẩu était brûlé pour
éviter d’être tombé dans les mains des français. L’ancien đình du village An Thọ
rencontrait le même destin. Le culte du Génie était négligé ou parfois rattaché à la
superstition, tandis que l’espace des activités communautaire nécessitait un visage
plus conforme à l’esprit de l’époque. Alors on a édifié un club culturel sur l’ancienne
fondation du đình An Thọ. Néanmoins, comme le club n’avait pas de visiteur, il était
dégradé, puis abandonné aux herbes sauvages pendant certain temps. Ce bâtiment est
transformé postérieurement en bureau administratif, et connait donc la fin de ses
fonctions d’origine. Dans les années 1958-1960, au village Hồ Khẩu, on remplace le
đình brûlé par une salle de conférence de la coopérative Đông Thành (specialisé en
papeterie), et construit plus tard une maison culturelle sur l’autre côté de la rue. A
propos du village Đông Xã, le đình ici a un meilleur sort, car au lieu d’une
démolition, on ajoute juste une petite maison culturelle dans la même parcelle. Dans
141
L’absence du Génie protecteur peut être réglée par juste une lettre Génie sur l’autel pour les récents
villages ; d’après Đặng Thế Đại, op. cit., p. 394-395.
142
Ecrivain Sơn Nam ; cité par Đặng Thế Đại, op. cit., p. 395.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 166
En gros, la dimension religieuse des đình n’est que rétablie ou développée à nouveau
à partir des années 1990. Pour le village Hồ Khẩu, en raison de la dispersion de la
coopérative, la salle de conférence a été utilisée comme un đình temporaire qui
fonctionnait pendant dix ans environ, avant que l’actuel đình soit construit en béton
récemment. Outre le culte et des fêtes, les activités communautaies s’y animent de
plus en plus. Au contraire, la maison culturelle d’en face, désirée autrefois comme
une bonne substitution pour la nouvelle ère, à présent se voit timidement dans un coin.
Son seul caractère qui attire l’attention, regrettablement, provient de l’ambiance
chaleureuse d’un bia hơi143 logé dans un espace locatif au rez-de-chaussée.
Alors, malgré des vicissitudes, le đình reprend au fur et à mesure des fonctions
inhérentes à son histoire. Son retour aujourd’hui partage également les trait communs
que connaissent des momuments historiques après leur revalorisation: la mise à neuf
arbitraire, la socialisation, la parade, le problème de la qualité de finition... Toutefois,
le rôle primordial du đình comme l’élément le plus important pour façonner et nourrir
l'identité des villages, autant sur la morphologie physique que sur la vie spirituelle, est
indéniable. Au cas où elles seraient accompagnées d’une approche favorable, la
conservation et la mise en valeur des đình deviennent essentielles pour le maintien de
l’identité, ce qui a été prouvé à travers le temps.
143
Un genre de brasserie très typique à Hanoi, où on sert uniquement des bières pressions brassées le
jour même et servies à partir de fûts.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 167
Le marché
C’est ici un autre endroit où l'on peut sentir clairement l’esprit du village ainsi que les
caractères locaux. À l’égard de cet espace, les éléments bâtis ne jouent qu’un rôle
mineur car pour la majorité, ils sont plutôt informes et éphémères, ce qui permet une
grande flexibilité et mobilité. On s’en souvient surtout par l’ambiance très vivante et
typique des activités, des sons et des odeurs. Tandis que dans les endroits « officiels »
comme le đình, le respect des règles ou un ritualisme régit plus ou moins le cadre
physique et social, le marché est, au contraire, connu par une démonstration fidèle
sans cacher des attitudes naturelles et sans façon de la vie quotidienne. Il est un peu
« informel » mais donc plus « vrai », ce qui se manifeste dans l’accommodation de la
place (pour les comptoirs et kiosques), l’exposition des produits, la manière dont
s’habillent les gens, le langage, le comportement, voire la négociation ou les
injures144…
144
C’est pourquoi est née l’expression hàng tôm hàng cá (les vendeuses de crevettes et de poisons)
pour indiquer les gens qui sont méchants.
145
Qui était autrefois l’entrée principale et officielle pour accéder au đình avant que le đình soit
détourné par le mandarin.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 168
c’est toujours ici où les rapports entre la ville et la campagne, entre les quartiers intra-
muros et les banlieues, continuent à se nourrir. En dehors de la dimension
commerciale, le marché forme aussi un espace de communication extrêmement
important, ce qui le distingue d’autres types apparaissant plus tard comme le
supermarché. Parfois, on va au marché pour rencontrer et parler avec les gens plutôt
que pour acheter quelque chose. Cet espace s’ouvre à tout le monde, peu importe le
revenu, car il fournit des choix à multiples prix146. Ainsi, en aidant à créer et maintenir
des relations sociales, il apporte des impacts bien positifs sur la santé psychique ou le
bien-être des personnes147, ce qui devient encore plus significatif dans la vie stressée
d'aujourd'hui.
Fig. 164 – Marché Bưởi au début du XXème Fig. 165 – Marché Bưởi d’aujourd’hui
siècle. Source : Ancienne carte postale Photo de l’auteur
Situé à la croisée de la rue Thụy Khuê et du chemin Lạc Long Quân, le marché Bưởi
se trouve face au đình sur le territoire du village Yên Thái. Dans le passé, outre les
articles essentiels pour la nourriture, on vendait ici des productions artisanales très
connues telles que la soie et les brocarts décorés, le papier, les outils agricoles, les
plants servant de reproducteur, les géniteurs… qui arrivaient des villages avoisinants.
Les grands marchands étaient installés dans les kiosques en rangées avec la toiture
146
Au Vietnam jusqu’à présent, les supermarchés ne sont pas encore accessibles pour les pauvres.
147
Stephanie Geertman, Hanoi - Fresh markets, a way of life and public health under threat, Public
Forum « Public Markets in the Corporate City », Hanoi, 03/2011, p. 4.
http://healthbridge.ca/Fresh%20Markets_Summary%20full%20paper%20ENG.pdf
148
Phan Cẩm Thượng, « Chợ phiên nơi làng xã » (Marché périodique aux villages), Sport et Culture,
Journal de l’Agence Vietnamienne d'Information, 03/06/2012.
http://thethaovanhoa.vn/van-hoa-giai-tri/cho-phien-noi-lang-xa-n20120603065946250.htm
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 169
couverte de tuiles, pendant que les petits vendeurs se mettaient directement en plein
air aux bords de la route avec leurs paniers.
Quoique cette prolifération ait modifié le paysage villageois, elle fait pourtant partie
des lois connues de l’urbanisation locale. Traditionnellement, malgré la faible
importance de ses éléments bâtis, le marché occupe une place particulière dans le
concept urbain. En vietnamien, le terme thành thị désignant la ville ou le caractère
urbain est un mot composé, qui peut être traduit littéralement en murail et marché. Le
nom Kẻ Chợ indiquant Hanoi en tant qu’un milieu urbain se forme aussi du mot
kẻ qui signifie un particulier ou une terre, et du mot chợ qui signifie le marché151. Le
développement de petits commerces le long des rues du village qui va en parallèle
149
Nguyễn Tùng, Nelly Krowolski, Ba chợ làng ở đồng bằng sông Hồng (Trois marchés ruraux du
delta du fleuve Rouge) ; dans Philippe Papin et Olivier Tessier (sous la direction de), op. cit., p. 605.
150
Stephanie Geertman, op. cit. , p. 1.
151
D’après Philippe Papin (op. cit.,, p. 161), Kẻ Chợ, l’ancien nom populaire de Hanoi, signifie les
gens du marché. En fait, le kẻ dans la langue vietnamienne a plutôt un double sens, qui désigne soit les
gens, soit un lieu.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 170
Fig. 166, 167, 168, 169 – Le marché qui a lieu devant le đình du village Hồ Khẩu (en
haut, à gauche), et le long des rues du village.
Photos de l’auteur
Contrairement aux đình qui sont ouverts et ont tendance à s’intégrer à l’intérieur de la
trame bâtie et de la vie quotidienne du village, les temples et pagodes cherchent plutôt
à se tourner vers l’extérieur afin de créer un monde à part et à mieux dispenser leur
influence. Ils se trouvent un peu isolés pour aider à émanciper l’esprit ou à échapper à
la vie profane. Leur organisation spatiale est moins ritualiste et montre des attentions
particulières à la localisation et à l’orientation. D’habitude, les temples et les pagodes
occupent des places distinctes dans le village (éminences, par exemple), et ne sont
accessibles que par certaines voies d’accès qui leur sont propres.
152
Pour mieux comprendre la formation du quartier ancien, connu aussi sous le nom « cité des trente-
six rues », voir Philippe Papin, op. cit., p. 171-173. On peut citer à titre d’exemple la phrase suivante :
« A l’origine, les rues étaient donc des lieux d’échanges (commerciaux) où l’habitat était groupé autour
d’un appontement » (Papin, p. 173).
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 171
LAC DE L’OUEST
Fig. 170 – Position isolée des pagodes Hoằng Ân (village Quảng Bá) et Phổ Linh
(village Tây Hồ), qui sont séparées de l’habitat par les mares et les terrains agricoles.
Source : Photo satellite prise en 03/2000 de Google Earth
153
Vers le IIIème siècle avant JC, selon des recherches.
154
Chu Quang Trứ, op. cit, p. 75.
155
Đinh Gia Khánh; cité par Đặng Thế Đại, op. cit., p. 405.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 172
Tandis que le đình se rattache plutôt au Yang (penché sur les activités, les hommes,
les autorités, les règles, les rites, en ayant la position centrale, l’ambiance animée…),
la pagode est liée plutôt au Yin (inclinée vers la méditation, les femmes, sans
caractères officiels, en possédant la place périphérique ou discrète, l’atmosphère
calme…), les deux se complètent pour que le village soit en équilibre harmonieux156.
Cette opposition relative n’implique pas nécessairement un éloignement entre le đình
et la pagode. Dans quelques cas, ils peuvent être juxtaposés et créent un ensemble
comme au village Võng Thị, voire partagent la même cour comme au village Đông
Xá. La dualité dans la pensée des Việt, encore une fois, y était ainsi manifestée.
Photo de l’auteur
La pagode consiste rarement en un seul bâtiment. Il s’agit souvent d’un ensemble qui
dispose d’un emplacement discret avec sa propre ambiance, et diffère des đình, plus
ouverts. Néanmoins, dans la fermeture des pagodes il y a également des ouvertures
sur l’espace lointain, sur la surface d’eau ou sur les jardins d'agrément. La séquence
qui en découle nous conduit depuis le monde réel vers le monde irréel (espace réservé
au culte du Bouddha), puis à revenir au monde réel mais dans une autre forme qui est
la nature idéalisée avec des aménagements paysagers. A l’intérieur de ce petit univers
que constitue la pagode, les espaces du dedans et du dehors ne se renferment pas,
mais se combinent pour créer un flux continu157.
Le choix d’être à la lisière, ou même hors de l’enceinte du village parfois pour mieux
diffuser l’influence, peut entraîner des effets imprévus, surtout si le village a plus
d’une pagode comme à Hồ Khẩu. Dans ce village, la pagode Tĩnh Lâu est tournée
vers l’extérieur en se situant au bord du lac. Bien qu’il soit beaucoup rétréci à cause
des empiétements, son territoire reste encore immense en comparaison avec celui de
la pagode Chúc Thánh qui occupe une place en plein centre. Serrée dans un espace
entouré des maisons à forte densité, celle-ci est en train d’être reconstruite et sera
logée dans un nouveau bâtiment à étage, la seule solution faisable en tenant compte de
sa situation étriquée. Récemment, la pagode Tĩnh Lâu avait adopté la même
156
Đặng Thế Đại, op. cit., p. 401-402.
157
Chu Quang Trứ, op. cit., p. 75, 82.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 173
conception, mais ses raisons sont différentes. Le bonze qui dirigeait les travaux a
parlé des problèmes de l’humidité, mais la logique implicite158 de la construction à
étage paraît provenir du goût pour le grandiose ou de la référence des pagodes
étrangères. Que la nature du problème soit une compétition d’influence ou juste un
marketing excessif pour recevoir les contributions, l’échelle supérieure et l’aspect
fastueux (les colonnes et balustrades sculptées en marbre) de la pagode Tĩnh Lâu en
comparaison avec celle de Chúc Thánh ont engendré dans la mentalité locale une
distinction entre les pagodes des visiteurs et des villageois, des riches et des classes
moyennes159. L’existence de telles différenciations n’est jamais encouragée dans la
philosophie bouddhiste.
Fig. 172 – Pagode Tĩnh Lâu. La zone grise faisait partie de son territoire avant la
période socialiste. Relevé de l’auteur
Fig. 173 – Pagode Chúc Thánh, avec les façades avant et après la reconstruction (voir
son emplacement dans la figure 162). Source : Pagode Chúc Thánh
158
Elle est ressentie lors de l’interview avec le bonze.
159
D’après ce que certains villageois ont dit à l’auteur.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 174
Par rapport aux pagodes, les temples, en tant que lieux consacrés au culte des saints et
des génies, ont un aspect encore plus mystérieux. Pour un grand nombre, leur position
est l’endroit où l’histoire, peu importe réelle ou mythifiée, a eu lieu et laissé des traces
témoignant. Suivant les légendes, des irrégularités naturelles peuvent même être
personnifiées et y jouer un certain rôle. Aussi fabuleuses que soient leurs sens, elles
constituent des supports physiques importants pour la croyance commune.
L’ensemble des deux temples sacrés, Phủ Tây Hồ (Palais du Lac de l’Ouest), le plus
fréquenté à Hanoi, et Kim Ngưu (Bufflon d’Or), est un cas bien représentatif. Situés
au promontoire de la péninsule Quảng An où se trouve le village Tây Hồ, ils occupent
la place la plus belle et la plus mythique du Lac de l’Ouest. Outre la dimension
esthétique, leur signification spirituelle doit beaucoup au lien entre le réel et les
histoires légendaires qui prenaient lieu dans ce site. Réservé au culte de la mère Liễu
Hạnh, l’une des Quatre Immortels dans la croyance populaire vietnamienne, le Phủ
Tây Hồ a été construit pour rendre hommage à la mémoire d’une histoire inventée
suivant laquelle, ce fut ici que Phùng Khắc Khoan (un personnage réel, un as de la
poésie à l’époque) rencontra une fée, qui fut la princesse Liễu Hạnh. Le deuxième
temple, Kim Ngưu, porte un nom ancien du Lac de l’Ouest. Il est associé au mythe de
la naissance du lac, qu’un bufflon d’or créa en formant une cavité lorsqu’il tourna en
rond et piétina si profondément la terre160.
Plan et photos
de l’auteur
Malgré leur réputation, la valeur architecturale de ces monuments après les récentes
interventions n’est pas meilleure, voire considérablement réduite. Le Phủ Tây Hồ
n’était pas vraiment très ancien (l’actuelle version en béton était construite au début
160
Philippe Papin, op. cit., p. 30-31.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 175
du XXème siècle), tandis que le présent temple Kim Ngưu ne date que de 2000
(l’ancien temple avait été démoli en 1947). Ainsi, il semble qu’ils ne doivent pas se
soumettre à un contrôle trop rigoureux des règles sur le patrimoine. En conséquence,
leur restauration illustre bien le fait que depuis le Đổi Mới, plus le vestige attire
l’intérêt, plus il rencontre des risques. Par rapport à leur esthétique soignée et discrète
dans le passé dont il reste encore des traces161, les deux temples aujourd’hui montrent
un grand décalage avec les valeurs traditionnelles, en donnant un effet tapageur avec
des couleurs voyantes et une décoration clinquante.
Fig. 175 & 176 – La porte achevée en 2000 du temple Kim Ngưu (à gauche), a été
tout récemment remplacée par une nouvelle porte (à droite), qui est plus grande mais
beaucoup moins subtile, surtout lorsqu’on regarde de près. Photos de l’auteur
D’une manière plus tranquille et ne captivant pas trop l’attention du grand public, les
temples du village Hồ Khẩu s’avèrent moins influencés par les récents mouvements
de restauration ou de renovation. Ainsi, ils sauvegardent encore plusieurs traits
charmants et particuliers. Ce village est pourvu de trois temples, dont les génies
vénérés ont non seulement des relations avec le village, mais aussi des liens familiaux
entre eux-même. Le temple Vệ Quốc se situe dans la rue Thụy Khuê, sur un ancien
tertre nommé Đại Ngư162, dont la preuve visible aujourd’hui est le niveau plus haut du
temple par rapport à celui de la rue. Avant, le temple avait la vue directe sur la rivière
Tô Lịch, ce qui n’est plus possible après avec la construction des maisons. Le
deuxième temple s’appelle Dực Thánh, où l’on pouvait aussi contempler le Lac de
l’Ouest autrefois163. Les deux temples ci-dessus ont pris les noms des deux généraux
qui avaient servi le roi pour combattre les agresseurs à l’époque des Lý. Ils étaient des
frères jumeaux, issus du village Hồ Khẩu, puis ont été reconnus génies du village.
Situé également dans la rue Thụy Khuê mais sur l’autre côté, le temple Thăng Long
rend le culte à la Mère (Mẫu), qui était la princesse Thủy. Elle était une fille très belle
que le roi Lý a mariée au général Vệ Quốc. C’est pourquoi sur les inscriptions
161
L’ancienne porte du temple Phủ Tây Hồ, par exemple, qui n'a heureusement pas fait l’objet d’une
remise à neuf.
162
Comité populaire du district de Tây Hồ, op. cit., p. 101.
163
Ibid, p. 102.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 176
trouvées dans ce temple, en dehors des textes chantant la princesse il y a encore les
poèmes exaltant les deux généraux. Erigé tout près de la Tô Lịch, le temple Thăng
Long jadis se mirait évidemment dans les eaux de la rivière. À l’origine, l’eau était
donc un élément indissociable du paysage des trois temples.
Selon les légendes, ces trois temples ont été construits sous la dynastie des Lý, et leur
force sacrée a aidé le pays dans les luttes contre les envahisseurs ou les catastrophes
naturelles164. Certainement, ils ont connu au fil du temps beaucoup de modifications à
travers des restaurations, voire des reconstructions partielles ou intégrales. Cependant,
il apparaît que leur rapport avec l’eau n’est rompu que depuis quelques dizaines
d'années, une durée assez courte en comparaison avec leur histoire. Si l’on regarde les
cartes, les temples Vệ Quốc et Thăng Long donnaient encore des vues sur la rivière
Tô Lịch dans un passé peu lointain, car jusqu’en 1992, il existait toujours plusieurs
espaces vides situés entre la rue Thụy Khuê et la rivière. Avec le processus
d'urbanisation qui s'intensifie depuis, les temples sont de plus en plus entourés des
maisons et ils doivent disposer des clôtures pour garantir leur propre ambiance. De
164
Comité populaire du district de Tây Hồ, op. cit, p. 100.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 177
nos jours, ces temples deviennent des structures totalement fermées. La vue est plutôt
orientée vers le paysage intérieur composé des cours et des arbres d’agrément.
En général, les temples et pagodes constituent avec les đình les éléments bâtis les plus
distinctifs du paysage des villages ainsi que de celui du Lac de l’Ouest. Tel qu’on l’a
dit, ils sont des supports physiques indispensables pour l’aspect sacré et mystérieux
du site. Cependant, depuis que la situation économique s'améliore, ces monuments
deviennent les éléments très sensibles car ils sont souvent confrontés à des intentions
de restauration ou de reconstruction. Dans plusieurs cas, l’idée de geler à un certain
niveau les vestiges pour préserver le plus possible les marques du temps ou en faveur
d’une esthétique du vieillissement n’est pas faisable, parce qu’elle s’oppose aux
conceptions traditionnelles de la culture locale et à des besoins internes de la
population. Une telle approche peut aussi glisser facilement vers une muséification
qui ne correspond pas à la logique naturelle, quand ces monuments sont encore
vivants et continuent à évoluer. Dans le contexte d’une société en pleine mutation, un
équilibre entre ancien et nouveau ainsi que le maintien et le développement des
valeurs qui restent constantes dans le temps sont des objectifs dont la poursuite pose
clairement de nombreux défis.
Maison traditionnelle
En ce qui concerne la morphologie, dans le passé, « les maisons du Delta tonkinois
étaient uniformes, et les différences sont faibles en face de cette homogénéité »165. Il
s’agissait d’un ensemble comprenant l’entrée, le jardin, la mare ou l’étang (parfois
partagé), la cour, le bâtiment principal (autel, salon et chambres) et un ou deux
bâtiments secondaires (cuisine, toilette, entrepôt, abris d’animaux, atelier et salle
d’exposition pour les produits artisanaux parfois). En raison de la discrétion et d’une
meilleure combinaison avec la cour, le bâtiment secondaire est placé
perpendiculairement par rapport au principal, et les accès ne sont jamais rectilignes
sur le même axe. Pour mieux répondre à des variations climatiques, la disposition de
la véranda devient indispensable, et l’espace habité se rend très flexible avec plusieurs
éléments mobiles en bois et en bambou. Ces deux matériaux constituent aussi les
poteaux et la charpente pour la toiture, les murs servent de parois simplement. Dans le
jardin, on trouve des cages d’oiseux ou poissons d’agrément, et surtout divers types
de plantes utilitaires (légumier, fruitier, médicinale) et de décoration, dont certains tels
que l’aréquier et le bananier166, par leur caractère symbolique et par leur familiarité,
deviennent eux même des emblèmes de l’identité vietnamienne.
Source : http://kienthuc.net.vn
165
Pierre Gourou, op. cit., p. 348.
166
Les vietnamiens ont l’expression trước cau sau chuối (aréquiers en avant et bananiers en arrière)
pour indiquer un principe de plantation du jardin domestique. Dans la parcelle, les aréquiers se placent
devant la véranda pour donner de l’ombre et la sérénité, tandis que les bananiers sont plantés en arrière
pour que leurs grandes feuilles protègent la maison contre les vents froids venant du nord pendant
l’hiver. Comme les feuilles du bananier sont facilement déchirées, ce choix d’emplacement est plus
convenable esthétiquement.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 179
167
Pierre Gourou, op. cit., p. 259.
168
Appelée aussi l'urbanisation d'initiative individuelle.
169
C’est l’exemple des maisons de madame Phượng au village Tây Hồ et du monsieur Học au village
Nhật Tân. Toutefois, ceci est possible, parce que les vieux parents sont encore vivants et maîtrisent la
situation. Quand ces gens partent, la volonté serait moins assurée avec les enfants, ce qui est déjà
ressenti lors de l’entretien de l’auteur dans la maison à Nhật Tân, bien que les enfants disent qu’ils
partagent toujours les mêmes valeurs de maison ancienne avec leurs parents.
170
C’est le cas de la maison de madame Liễu au village Hồ Khẩu.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 180
Outre les raisons objectives qui seront abordées plus tard, la disparition de l’habitation
ancienne est aussi due à des raisons subjectives liées à la manière dont les gens
regardent les valeurs patrimoniales. Un changement est nécessaire pour améliorer le
confort, mais dans pas mal de cas, au lieu de répondre juste aux problèmes
fonctionnels, on a pensé comme si c’était indispensable à l’abandon des formes du
passé. Les hautes maisons de plusieurs étages construites en béton et en verre sous
forme des boîtes sont considérées comme le reflet d’un mode de vie moderne et
civilisé, tandis que les basses maisons traditionnelles sans étage deviennent le
synonyme du retardataire ou d’une chose démodée. Ainsi, ne sont pas rares les cas où
la maison ancienne était démolie puis remplacée par une forme exotique étrange,
même si le propriétaire n’est pas obligé d’étendre son espace ou de diviser de nouveau
la parcelle. C’est simplement un changement d’image du style de vie qu’on veut
qu’elle représente.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 181
Fig. 183 – Habitation traditionnelle dans le village Nhật Tân. Sur le plan, en dehors de l’ancien
bâtiment où vivent encore les vieux parents, les deux terrains situés à gauche ont été vendus à
des gens de l'extérieur, alors que les autres sont répartis aux enfants pour leurs logements
(l’année de construction est marquée sur chaque bâtiments).
Propriétaire: Monsieur Học. Relevé de l’auteur
A l'exception de quelques cas particuliers situés au coin des rues, la maison de ville
consiste principalement en maison tube, un nom populaire qui désigne un type
développé à partir des compartiments traditionnels. Concentrées dans le quartier
ancien de Hanoi, la version d’origine a une largeur étroite, de 3 à 4 mètres
normalement, mais comme la profondeur peut atteindre des dizaines de mètres, sa
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 183
coupe longitudinale est rythmée avec les cours pour assurer l’éclairage et la
ventilation naturelle entre les volumes. Avant, les compartiments avaient souvent un
seul étage au maximum, et le rez-de-chaussée ouvrait sur la rue pour recevoir les
activités commerciales. Aujourd’hui, les maisons tube sont beaucoup plus hautes en
comprenant plusieurs niveaux. Elles sont peu profondes, et pour augmenter la surface
d’utilisation, disposent rarement des cours intérieures.
Boutique Cuisine et wc
Echoppe Salon Chambre
Cour
Rue
Cour
Dans la vision du confort moderne, les maisons tube sont plus fatigantes avec le
passage du déplacement horizontal au déplacement vertical171. Faute de cour, elles
sont en gros moins aérées, particulièrement lorsqu’un bâtiment est plus haut que ceux
des voisins, ses murs aveugles de deux côtés seraient transformés facilement en
grands accumulateurs de chaleur. L’espace au rez-de-chaussée peut faire surgir aussi
des inconvénients, parce qu’il assume de multiples fonctions à la fois : boutique,
garage, salon, cuisine, salle à manger… Evidemment, le règlement de ces problèmes
n’est pas impossible. Une amélioration des maisons tubes est tout à fait réalisable sous
les mains des architectes vraiment professionnels, mais de tels exemples sont peu
nombreux. La plupart des gens continuent encore à édifier les maisons qui donnent un
goût déconcertant au regard des étrangers172. Alors quelle est la logique qui soutient le
remplacement des maisons traditionnelles par les maisons tube ? Pourquoi ce modèle
est-il toujours si préféré, de telle sorte qu’il persiste, se développe, et devient un genre
d’architecture néo-vernaculaire qui détermine l’identité des villes vietnamiens
contemporaines ?
171
Il y a récemmment des maisons individuelles qui sont équipées de l’ascenseur, mais c’est encore
loin d’être un courant répandu pour la majorité.
172
Alain Henry, « Mobilités culturelles. A la recherche d’une ‘empreinte’ vietnamienne », dans Gilbert
de Terssac, Trương An Quốc et Michel Catlla (sous la direction de), Viet-Nam en transitions, ENS
Editions, 2014, p. 265-266.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 184
Fig. 185 – Exemple de la genèse des maisons tubes dans le village Hồ Khẩu.
Autrefois, madame Oanh et sa famille possédaient une habitation traditionnelle avec
cour et jardin (en bas, à gauche). Pour des raisons économiques, ils ont détruit
l’ancien bâtiment et ont divisé le terrain en 5 lotissements, dont 4 sont vendus à
l'extérieur, et ils n’en gardent qu’un seul. Aujourd’hui, il y a ici 5 maisons tube de 5
familles différentes. Grâce au passage desservant une maison située en arrière, un
côté de celle de madame Oanh dispose des fenêtres pour améliorer la ventilation
naturelle, ce qui est assez rare et donc très précieux pour une maison tube. Au rez-de-
chaussée, l’entrée est aussi utilisée pour garer les motos et faire du petit commerce,
un atout essentiel pour ce type d’habitation.
Relevé de l’auteur
morphologie d’une maison sans étage et entourée de jardin n’est plus exécutable.
Habituellement, plus les lotissements sont petits, plus leur prix est abordable et donc
on les vend plus facilement, sauf le cas de beaux emplacements tels que ceux qui
donnent la vue sur le lac, où un grand terrain pourra avoir un prix par mètre carré plus
élevé. Parfois, le morcellement des parcelles ne se produit pas en une seule occasion,
mais a lieu progressivement en fonction des besoins. Dans ce contexte, qui inclut
aussi la demande d’une disposition optimale des voies d’accès173, la maison tube est la
possibilité unique qu’offrent les anciennes parcelles après leur division.
Le choix des maisons tube s’avère spécialement adapté à une période historique,
quand l’Etat abandonnait la politique utopique de la subvention du logement, et
permettait à la population de construire elle-même son logement dans les conditions
économiques difficiles174. Avec une seule façade, une structure simple et facile à
construire, cette typologie a un haut coefficient d'utilisation foncière en n’exigeant pas
un gros budget. De plus, la possibilité de réserver une pièce polyvalente au rez-de-
chaussée175 destinée au commerce ou au service convient parfaitement à la situation
d’une société manquant du travail, ou le salaire gagné d’un seul travail est insuffisant
pour vivre. Ainsi, les maisons tube peuvent devenir facilement une sorte de maison
boutique ou de shop-house. En constituant la clef essentielle du dispositif et de sa
souplesse, la pièce du rez-de-chaussée rend la maison tube compatible avec une
époque de transformation dont le mode de vie se caractérise par les traits aussi urbains
que ruraux. Cette qualité inhérente à la maison tube inspire à créer une tendance qui
affecte encore d’autres typologies en les rendant plus appropriées au contexte social.
C’est le cas des villas coloniales ou des grands ensembles, où se greffe aussi au rez-
de-chaussée une pièce polyvalente ouvrant sur la rue176.
173
La division en terrains étroits mais profonds permet de mieux utiliser la rue existante, pendant que
pour les terrains de même superficie mais moins profonds et ayant une large façade, il existerait ceux
situés en arrière et on devrait percer un petit passage pour les desservir. Comme ces lots ne donnent pas
sur la rue principale, on gagne moins avec leur vente, et la construction du passage constitue aussi une
perte. Évidemment, une telle solution est parfois incontournable si la parcelle d’origine est trop
profonde, ou bien si le propriétaire veut vendre la partie en avant pour bénéficier d’un meilleur prix et
ne garde que l’arrière pour entretenir une vie tranquille.
174
Hoàng Đạo Kính, « Phố trong tiến hóa đô thị » (La rue dans l’évolution urbaine), Quy hoạch đô thị
(Urbanisme), No. 03, 2011, p. 39-45.
Avant, à l’époque de l'économie subventionnée, comme d’autres produits, les matériaux de
construction n’étaient pas en vente libre. Alors au milieu urbain, même pour une petite extension, les
gens devaient accumuler les matériaux nécessaires pendant des années à travers des échanges
personnels ou des ventes et achats furtifs.
175
Il arrive parfois une utilisation non seulement du rez-de-chaussée, mais de quelques niveaux de plus.
Tel est le cas qu’on peut trouver au village Tây Hồ, où des familles construisent leurs hautes maisons
qui fonctionnent comme un petit tour de mini appartements à louer, et ils occupent juste un ou deux
étages en haut.
176
Asma Khawatmi, « Le compartiment à Hanoi : structure/usage/temporalité », dans Pierre Clément et
Nathalie Lancret (sous la direction de), op. cit., p. 285.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 186
Il n’est donc pas surprenant de voir que la préférence accordée à la maison tube
continue à se manifester dans des nouveaux projets de lotissement, même si les
terrains sont suffisamment étendus pour permette d’autres formes d’habitation. Une
bonne illustration de ceci peut être trouvée sur une section de la rue principale du
village de Võng Thị. En plus, les mauvaises expériences vécues dans les logements
collectifs au temps de l'économie subventionnée, ainsi que dans certains projets
d’appartements récemment achevés (particulièrement ceux adressés aux personnes à
faible ou à moyen revenu), ont laissé une impression peu agréable des dégradations
rapides et des problèmes compliqués nés du partage des biens communs ou des
restrictions dans la restauration. Basé sur les normes du confort de type occidental, le
mode de vie rattaché aux appartements se conforme aux citadins mais convient
difficilement aux villageois, qui sont soucieux d’être séparés de leur environnement
familier et de ne pas savoir quoi faire pour vivre.
Même au cas où il n’existe pas le besoin de faire du commerce, le choix des maisons
tube au lieu des appartements provient encore de l’intérêt pour la terre, un sentiment
qui s’enracine dans la civilisation agricole et persiste jusqu'à ce jour. En suivant le
principe « la terre doit nourrir les êtres», chacun avait donc un droit naturel à la
terre177. Dans le passé, la richesse terrienne était honorable, et pouvait faire du
propriétaire un notable du village en lui donnant un meilleur classement dans l’ordre
des préséances178. Comme tout revenu excédentaire ne pouvait difficilement être
investi ailleurs que dans la terre, la richesse terrienne demeurait la plus stable, par
rapport à la thésaurisation qui était improductive et dangereuse 179. Rien n’est plus sûr
que la terre, car elle ne peut pas se générer mais le logement le peut180. La terre
garantit mieux sa valeur, sa capacité de revente, ou les opportunités d’investissements
en général :
Villa
Depuis leur apparition, les villas sont considérées comme un type d’habitation de rêve
pour la plupart des gens. A l’époque coloniale, elles n’étaient réservées qu’à la classe
dirigeante française ou aux quelques bourgeois locaux. Edifié sur un grand terrain et
entouré de jardins, ce modèle implanté, qui comprend le rez-de-chaussée et de un à
deux étages normalement, représente des valeurs idéales du confort et de la qualité de
vie à l’occidentale.
182
Tel que Pandolfi a précisé, c’est la cause majeure du fait qu’une grande quantité (de 75% à 90%)
des bâtiments construits à Hanoi depuis l'ouverture du pays ne disposent pas de permis de construire.
Ibid., p. 248.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 188
Parmi les investisseurs de premières villas, beaucoup ont vécu et ont fait leurs études
en Europe de l’Est, et ont su saisir les opportunités lors des mutations socio-politiques
dans ces pays pour devenir riche rapidement. Leurs maisons de rêve représentent des
essais multiples composés d'innombrables éléments exotiques et éclectiques, et les
plus typiques sont les toitures en forme de « bulbe d’oignon »184 ou de flèche. Bien
qu’elles soient de plus en plus démodées et remplacées partiellement par des formes
plus contemporaines, ces architectures hybrides sont loin de disparaître. La preuve de
ceci est leur transformation en d’autres styles soi-disant néo-classiques qui sont plus
183
Ce processus est issu des changements politiques concernant la propriété foncière et immobilière,
qui sont mis en place après la libération de la capitale en 1954.
184
Un motif architectural très fréquent pour les églises chrétiennes en Russie et en Europe de l’Est.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 189
Fig. 186 – Un petit « quartier des villas » dans le village Quảng Bá.
Photos de l’auteur
185
Expression utilisée populairement au Vietnam pour appeler tous types d’architecture ayant des
ornements classiques occidentaux, peu importe leurs origines, temps et styles.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 190
quoique très rarement, des exemples de ce modèle sur le site186. Mais en regardant la
situation assez banale de ceux qui restent, si l’on veut conserver des témoins d’une
époque particulière et enrichir le tableau du paysage urbain historique, les ensembles
complets de khu tập thể (KTT, ou zone de logements collectifs construite pendant la
période socialiste) à Trung Tự, Kim Liên ou Giảng Võ187 s’avèrent plus représentatifs
et méritants.
186
On peut trouver quelques-uns à l’extérieur de la digue dans les zones inondables au sud-est du lac.
187
Ce sont parmi les exemples les plus connus des KTT à Hanoi.
188
A cause des restrictions du budget, une telle solution aide à éviter l’équipement obligatoire de
l'ascenseur dans le bâtiment et l’utilisation des technologies de construction trop complexes (surtout
pour la fondation).
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 191
Concernant les autres types d’habitation, le Lac de l’Ouest est aussi un endroit qui
témoigne de quelques modèles expérimentaux importants. Destinés principalement à
des personnes fortunées, aux cadres supérieurs du Parti ou à la population expatriée,
ils étaient souvent aménagés comme un petit quartier entouré de clôtures et plus ou
moins inaccessibles au grand public. Ils s’inscrivent éventuellement sur les terres
agricoles, qui étaient jadis la propriété du village, mais connaissaient ensuite une
collectivisation pour devenir celles des coopératives, avant d’être aliénées à des
entreprises publiques ou privées. Malgré l’intégration dans le corps du village, ces
projets ne participent que peu ou pas à la vie communautaire. Pour valoriser l’esprit
du lieu, certains sont appelés « village » tels que le « Village Vietnam-Japon »
(construit en 1993-1997) dans l’ancien (et vrai) village Thụy Khuê, ou le « Village
d'Architecture de Paysage de Võng Thị » (1992) dans le village qui lui donne le nom.
Bâti sur une superficie de plus de 5000 m2, le Village d’Architecture de Paysage
(VAP) est certes l’un des exemples les plus marquants, qui comprend 24 maisons
d’un étage. Dans le dessein de créer le prototype d’un nouveau modèle d’habitat, ce
projet est conçu selon les auteurs comme une interprétation contemporaine du village
traditionnel. Il se caractérisse surtout par une végétation très dense, afin de donner
l’impression d’un jardin habité. Au début, les limites entre des parcelles étaient
minimisées pour rendre plus ouvert l’espace de l’ensemble et favoriser la
communication entre les voisins. Le VAP dispose d’une petite maison communale
faisant penser aux đình, et même d’un code spécifique élaboré par ses habitants qui
rappelle les hương ước189 des anciens villages. Toutefois, après la construction, on
peut constater des contradictions. En choisissant un emplacement au plein cœur de
Võng Thị, avec la pagode et le đình situés juste à côté, le VAP désire s’intégrer
entièrement dans l’espace physique et social du village. Or, à cause des raisons de
sécurité, et pour pouvoir fonctionner comme un petit village dans le grand village, il
se munit d’une propre grille, ce qui lui confère l’aspect d’une parcelle un peu séparée
et donc moins amicale sous les yeux des villageois. Au fil du temps, avec l’érection
des haies privées entre les maisons, les différences apparentes qui distinguent le VAP
d’autres projets de résidences pavillonnaires se réduissent et ne consistent qu’en
densité végétale ou en forme simple mais assez élégante, qui évoque les belles
proportions de l’architecture vernaculaire (mais qui ressemble aussi à des maisons sur
pilotis des minorités). Quoi qu’il en soit, le VAP fournit une leçon urbanistique
instructive et une référence importante grâce à des idées humaines qu’il veut
transmettre et à sa liaison avec la tradition, par rapport à des projets de simples
lotissements qui continuent à envahir, dont la seule obsession n’est que la
profitabilité.
189
Une sorte de constitution qui est propre à chaque village. Elle détermine toutes les règles communes
sur le comportement, les devoirs et pouvoirs, les mœurs et coutumes… à appliquer dans le village.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 192
190
Pierre Gourou, op. cit., p. 274.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 193
191
Comme le plus souvent les mares ne fournissent pas l’eau potable, on doit rincer, par exemple le riz,
une dernière fois dans l’eau de puits après l’avoir lavé avec l’eau de mare ; d’après Gourou, op. cit., p.
258.
192
C’est le cas du puits Mắt Rồng (Oeil du Dragon) au village Yên Thái, qui a été comblé en 1985. Les
villageois le regrettent beaucoup depuis, et ils ont tendance à rattacher toutes les malchances à ce
comblement.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 194
hameaux, mais il en reste un seul aujourd’hui. Néanmoins, le fait que le dernier est
conservé avec soins, quoique la démarche n’y soit pas tout à fait bien adaptée,
témoigne de la préoccupation des villageois et du rétablissement des significations
spirituelles d’anciens puits.
Photo de l’auteur
Concernant la croyance populaire, outre les temples et pagodes déjà abordés, il existe
également d’autres petits points de culte publics ou collectifs éparpillés dans le
village. Ces bâtiments ont tous une fusion de fonctions, qui sont parfois divergentes
dans un espace très restreint. Destiné spécifiquement au culte des gens morts sans
sépulture ou sans héritiers, le cầu pourtant peut servir aussi à la vente de la viande et
des légumes, tel qu’au village Đông Xá193. Plus particulièrement, le cầu de Hồ Khẩu
abrite encore un petit restaurant avec ses dispositifs complets (tables et chaises,
cuisine, entrepôt…), et tous les activités, y inclus le culte, ont lieu dans le même
espace ayant forme d’un passage couvert sur la voie principale du village. Les
maisons des ancêtres ne sont pas, elles non plus, mono-usages. Bien qu’elles aient une
apparence tranquille, elles constituent non seulement un abri pour les autels réservés
aux mânes des ancêtres, mais encore une sorte de petit đình pour des grandes familles.
Alors la pensée dialectique, ou la vision holistique typique des Việt, trouvent toujours
de bons reflets.
193
Le cầu de ce village est destiné au culte des anonymes qui sont morts en 1945 à cause de la famine.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 195
Fig. 191 & 192 – Le cầu (ci-haut) et la maison des ancêtres de la famille Nguyễn (ci-
bas) dans le village Hồ Khẩu.
Relevés de l’auteur
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 196
Le travail âpre dans les champs requiert indispensablement la présence des stands de
boisson ou des échoppes. Ils créent un lieu de repos, un point de service proche de
l’espace de production, et un arrêt sur les voies reliant les hameaux. Au sein du
village, ces typologies existent aussi en répondant au mode d’auto-fourniture, car
outre l’eau et le thé servi sur place, on y trouve également de l’alcool, du tabac, et de
petits produits de consommation courante qui sont mis en vente. En fait, ces endroits
jouent encore un rôle extrêmement important à l’égard des communications sociales.
Comme une sorte de « salon de thé » en plein air et à la villageoise, c’est ici où les
gens se voient lors d’une pause ou d’un temps libre, échangent des salutations et des
nouvelles avant de rentrer au village ou à la maison. Quand les anciens villages sont
englobés dans le corps urbain, ces espaces peuvent éventuellement connaître de
nouvelles formes, mais leur sens n’a jamais disparu. Au contraire, pendant une longue
période, ils s’avèrent une excellente contrepartie pour compenser des éléments
ennuyeux et rigides résultant des approches urbanistiques mécaniques, et donc aident
à redonner l’aspect vivant au cadre de vie. En d'autres termes, ces espaces ne font pas
seulement du commerce, mais ils sont aussi des « public outdoor rooms »194 typiques,
et les vendeurs sont de vrais « personnages publics » indispensables pour maintenir
une structure sociale195.
D’après la croyance locale, il y a toujours une relation étroite avec des interactions
entre le monde des vivants et celui des morts. Le choix de position et la construction
des tombes, en tant que maison pour les morts, peuvent avoir de grands impacts sur la
vie des vivants. Selon les principes du Feng-shui, chaque cas particulier conduit à un
emplacement qui lui est propre. Ainsi, les tombes pouvaient autrefois s’éparpiller en
plusieurs endroits : sur les champs extérieurs, dans le village et à proximité directe de
l’habitat, ou à côté des pagodes pour favoriser le salut de l'âme, comme le cas des
tombes que l’on voit encore à la pagode Tĩnh Lâu196. Cette dispersion existe en
parallèle avec la forme d’une concentration dans les cimetières, un choix simple et
moins aimé par les riches auparavant197. Dans ce cas, régi par la géomancie, les
tombes suivent aussi les orientations différentes, mais elles ne sont pas bien alignées
comme dans l’aménagement des cimetières postérieurs. Semblable au monde des
vivants, la disposition des tombes dans le cimetière peut être comparée à celle des
maisons dans les anciens villages, ou dans les projets de lotissements pour les
nouveaux cimetières. Et comme les maisons dans les villages urbanisés, les tombes
actuelles se serrent et reflètent exactement le goût et la condition économique des
gens qui les ont construits. Par rapport au village, la seule différence réside dans le
194
Christopher Alexander, A pattern language, New York, Oxford University Press, 1977, p. 348-352.
195
Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Liège, Pierre Mardaga éditeur, 1991,
p. 76-78.
196
Ici, outre quelques tombes ordinaires en rangée à droite de l’entrée principale, il y a encore une
grande tombe d’un mandarin qui est faite du marbre et occupe une position solennelle à gauche.
197
Nguyễn Tùng, op. cit., p. 106.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 197
manque de végétations, qui est due pour partie au souci des mauvaises influences des
racines sur les tombes.
L'affaissement du sol et la montée de l’eau (dont la raison est liée aux ruptures de la
digue ainsi qu’aux activités humaines) ont noyé plusieurs cimetières villageois,
autrefois situés en bordure du Lac de l’Ouest, et font du lit de ce dernier un
gigantesque cimetière198. De plus, l’urbanisation massive et les changements dans la
conception ont entraîné le transfert d’une grande quantité des tombes. Sur la rive
orientale, en dehors d’un grand cimetière restant au village Quảng Bá, la plupart des
tombes se sont réinstallées dans de nouveaux locaux situés à l’extérieur de la digue.
Dans les villages méridionaux, les anciens cimetières qui longeaient la rivière Tô Lịch
n’existent plus. Exceptionnellement, il y a deux tombeaux à Hồ Khẩu qui, grâce à leur
surélévation, ont subsisté après les submersions et se voient aujourd’hui comme les
roches sur le lac. En rappelant une partie de l’histoire du site, ces témoins apportent
aussi une touche mystérieuse au paysage sans trop affecter la perception visuelle.
Cependant, tandis que le maintien de tels tombeaux comme un élément patrimonial
avec une présence assez discrète peut ne pas donner matière à trop de discussions, la
recherche d’une forme plus durable pour les cimetières comme celui du village Quảng
Bá s’avère une question beaucoup plus complexe.
Fig. 193 - Les deux tombeaux se trouvent au milieu du lac. Photo de l’auteur
198
Dans les années 1970, il y a eu même une tendance à plonger pour chercher les antiquités dans les
anciens tombeaux noyés au fond du lac.
Nguyệt Diễm, Giải mã bí ẩn nghĩa địa cổ dưới đáy Hồ Tây (Décoder les secrets des anciens cimetières
au fond du Lac de l’Ouest), Người đưa tin (Informateur), 27/12/2012.
http://www.nguoiduatin.vn/giai-ma-bi-an-nghia-dia-co-duoi-day-ho-tay-a16035.html
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 198
Terrains agricoles
A l’époque féodale, tous les villageois ont droit chacun à sa propre part sur les terrains
publics, dont la proportion peut changer périodiquement. Cette caractéristique est un
facteur primordial pour renforcer la cohérence communautaire et maintenir le
sentiment d’appartenance des habitants à leur village, car elle s’applique non
seulement à ceux qui restent sur place, mais même à ceux qui partent, lors de leur
retour. « Peu importe où t’es allé, on te distribuera une terre quand tu reviens »199. On
peut être moins riche en retournant au village, mais la vie y sera toujours assurée. Un
tel principe n’existe plus de nos jours, mais il nous aide à mieux comprendre la racine
des attachements.
En raison d’un fonds limité, les surfaces agricoles des villages autour du Lac de
l’Ouest sont destinées majoritairement à la culture des fleurs et des plants d’agrément
(ou du mûrier pour l’élevage des vers à soie auparavant), afin de bénéficier d’une
meilleure retombée économique par rapport à la riziculture. Ceci convient aussi à la
qualité d’un sol qui est très fertile grâce aux alluvions déposés par le fleuve Rouge200
et les rivières Thiên Phù et Tô Lịch.
Sous l’angle visuel, les terrains agricoles jouent un rôle particulier pour
l’identification des villages. D’une part, ils servent de fond sur lequel les villages
ressortent vivement comme des unités distinctes. Ils créent des contrastes ou des
discontinuités, sans lesquels les villages se mêleraient facilement dans un continuum
sans fin. Or, telle est la situation que connaît la plupart des villages sur le site actuel
(sauf quelques exceptions au nord-est). D’autre part, ce sont aussi eux qui, avec leurs
propres couleurs, textures ou types de plantes, caractérisent les villages qui leur sont
rattachés. En effet, les champs de fleurs de pêche ou de kumquat, immanquables pour
la fête de Nouvel An lunaire, ne sont pas seulement représentatifs des villages Nhật
Tân et Tứ Liên, mais constituent encore la fierté du paysage du Lac de l’Ouest et
même de la capitale.
199
Tương Lai, op. cit., p. 480.
200
Jadis, le site entier fesait partie du lit du fleuve Rouge. Voir la figure 91 à la page 97.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 199
Fig. 194 –
Répartition des
terres agricoles
dans la
péninsule de
Quảng An en
2000.
Fig. 195 –
Répartition des
terres agricoles
dans la
péninsule de
Quảng An en
2013.
Relevés faits
par l’auteur à
partir des
photos
satellites
(Google Earth)
et des analyses
sur place
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 200
Les terres agricoles n’impliquent pas que les espaces extérieurs, mais elles sont
insérées aussi à l’intérieur du tissu villageois201. Elles donnent des ouvertures
précieuses, particulièrement quand la densification actuelle a tendance à transformer
les ruelles et venelles en tuyaux tout sombres. C’est grâce à cette disposition que les
anciens villages au Lac de l’Ouest préservent encore une ambiance distincte par
rapport à l’atmosphère oppressante d’autres milieux totalement urbanisés. Outre la
création des « pauses » et des éléments de repère importants dans les parcours, ces
espaces vides permettent également des jeux entre l’ombre et la lumière et donc
produisent de temps à autre des effets théâtraux assez attirants. Regrettablement, le
processus de réduction et de disparition des terres agricoles a lieu aussi à l’intérieur
des villages202. Il ne reste que très peu de sol public, et les jardins et potagers dans les
parcelles privées risquent de disparaître à tout moment203.
Photo de l’auteur
201
Dans ce cas, il est probable qu’elles soient à l’extérieur au début, et quand le village s’étendait, elles
étaient enclavées au fur et à mesure.
202
Tel est l’exemple au village Quảng Bá que Pandolfi (op. cit., p. 342-343) a remarqué. Lors de la
fermeture de la coopérative agricole, les terres de cultures horticoles étaient redistribuées aux salariés
pour qu'ils les exploitent à leur compte. Comme c’étaient des parcelles de jardins insérées très proches
de l’habitat, elles se sont transformées facilement en maisons.
203
Officiellement, il existe des terrains appelés thổ canh (jardins autour des maisons, terrains occupés
par des activités artisanales ou agricoles privées, mares et étangs à usage familial…) où les gens
n'avaient qu'un droit d'exploitation, mais ils ne pouvaient les vendre ou bâtir dessus (ce droit est réservé
aux terrains thổ cư). Cependant, l’application des règles est très flexible dans la réalité, et l’Etat
intervient rarement sur les constructions si leur usage reste personnel. Voir Pandolfi, op. cit., p. 339.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 201
l’identité de Hanoï réside dans une combinaison harmonieuse entre les caractères
urbains et ruraux, depuis toujours comme tous les villes dans le pays :
En termes de philosophie, c’est un modèle avec le yin dans le yang, qui diffère de
celui des villes occidentales se polarisant plutôt sur le yang seul. Alors, la
conservation et l’amélioration des terres agricoles assureront une continuité historique
de Thăng Long – Hanoi, une ville qui est devenue la capitale depuis plus de mille ans
mais « jusqu’au XIXème siècle avait encore d’innombrable rizières en plein centre »,
voire « au cœur de la citadelle » 205. Cette continuité correspond tout à fait aux
tendances mondiales et contemporaines de l’agriculture urbaine, particulièrement
lorsqu’on peut accroître la productivité avec des progrès de la technologie et avec des
services d'accompagnement appropriés destinés au tourisme durable.
« … chaque village vietnamien est une identité et une entité en soi, et qu’il se
distingue des autres par ses traditions, ses pratiques sociales, ses règles
morales et son génie tutélaire qui représente son protecteur et qui incarne son
âme… »206
Différant de simples unités administratives, chaque village traditionnel est une entité
avec sa propre structure sociale. Son indépendance ou son autonomie relative renforce
la vie communautaire interne et explique une relation beaucoup plus ouverte et intime
chez les gens ici par rapport aux citadins. Il y a une multitude d’éléments intangibles
qui produisent des effets sensoriels particuliers dans le paysage villageois. Dans le
cadre de la recherche, cette portion aborde deux exemples représentatifs, dont le
premier consiste en événements temporaires, tandis que pour le deuxième ce sont des
activités plus permanentes.
204
Lê Hồng Kế, Thăng Long – Hà Nội 1000 năm đô thị hóa (De Thăng Long à Hanoi, 1000 ans de
l’urbanisation), Maison de publication de Politique Nationale, Hanoi, 2010, p. 168.
205
Lê Văn Lan, cité par Lê Hồng Kế, op. cit., p. 169.
206
Nguyễn Văn Ký, La société vietnamienne face à la modernité, Paris, L’Harmattan, 1995, p 28-29 ;
cité par Olivier Tessier, op. cit., p. 75.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 202
Cérémonies-fêtes207annuelles
Il s’agit d’un événement symbolique frappant, une manifestation explicite à la fois
visuelle et auditive. À ce moment, le village change de figure avec tout l’attirail de la
procession, et les bannières et fanions sont suspendus partout.
Fig. 197 & 198 – Processions traditionnelles dans la peinture folklorique (à gauche), et dans la réalité
actuelle lord de la fête du village Quảng Bá (à droite).
le grand lac211 pour aller présenter des offrandes dans le đình de Trích Sài, car la
femme du génie Đức Ông vénéré dans le đình du village Tây Hồ était ancien habitant
du village Trích Sài212. À la suite des processions et d’autres cérémonies, on peut
participer à des jeux folkloriques populaires comme le combat de coqs (chọi gà)213, et
à des spectacles de chants traditionnels comme le ca trù214 ou le chầu văn215. Il existe
aussi des jeux particuliers qui sont propres à chaque village, comme le jeu à
balançoire (đu tiên) et la prise de la loche dans la jarre (bắt trạch trong chum) pour le
village Hồ Khẩu, ou le jeu d’échecs humains (cờ người) pour le village Tây Hồ.
« Une fête est un excès permis, voire ordonné, une violation solennelle d'un
interdit »216. Entendu comme « une soupape de sécurité », elle participe au « maintien
de l’équilibre interne d’un groupe » et à la « régénération de la vie collective »217.
Ceux-ci sont tout à fait exacts pour les fêtes traditionnelles du village où, en dehors
des cérémonies religieuses, la liberté parfois excessive accordée aux participants dans
les jeux peut être considérée comme une compensation pour une vie dure régie par
plusieurs éléments imposés du Confucianisme218. Toutefois, ce qui est particulier,
c'est que les fêtes de village organisées dans la région du Lac de l’Ouest, bien qu’elles
reflètent des aspects de la civilisation agricole, mais en raison de la nature d'une zone
211
Ils partent du temple Phủ Tây Hồ puis débarquent au quai du village Võng Thị.
212
Văn Hậu, « Hội làng Tây Hồ » (Fêtes du village Tây Hồ); dans Lê Trung Vũ et Lê Hồng Lý (sous la
co-direction de), Lễ hội Việt Nam (Cérémonies-Fêtes Vietnamiennes), Maison de publication de
Culture et Information, 2005, p. 81.
213
Au village Hồ Khẩu, se trouve en face du đình une terrasse ronde pavée en birques et réservée
spécifiquement aux combats de coqs, ce qui démontre l’attraction de ce jeu lors des fêtes.
214
Classé au patrimoine culturel mondial de l'Unesco depuis 2009, c’est un type de musique
traditionnel qui était adoré par la famille royale, par les mandarins et par les intellectuels.
215
Une forme d’expression musicale typique liée à un rite de la croyance populaire. Elle sert de moyen
pour transférer, par le biais de personnes intermédiaires qui sont les médiums (ông Đồng bà Cốt), les
messages depuis le monde des morts (y inclus des saints) à celui des vivants.
216
Sigmund Freud, Totem et Tabou, Payot, 2004 (1913), p.161.
217
Franck Ribard, Le Carnaval noir de Bahia, ethnicité, fête afro à Salvador, Collection Recherches et
documents - Amérique latine, L'Harmattan, 1999, p.105.
http://blogs.mediapart.fr/blog/gwenael-glatre/260808/pour-une-theorie-politique-de-la-fete#_edn3
218
Nguyễn Vinh Phúc, op. cit, p. 272.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 204
suburbaine, sont toujours plus élégantes et plus douces par rapport au caractère
rustique des fêtes ayant lieu dans les milieux entièrement ruraux219.
Artisanat
Une autre particularité intangible remarquable du village se trouve dans ses activités
artisanales, dont les impressions gagnées ne sont pas que visuelles, mais encore
olfactives (par exemple, l’aromatisation de thé avec le lotus au village Quảng Bá) ou
auditives (la fabrication de papier au village Yên Thái autrefois, avec le son des coups
de pilon qui entrait même dans un chant folklorique223). De telles activités, au cas où
219
Un bon exemple est le jeu « prendre la loche dans la jarre », pratiqué en couple lors des fêtes au
village Hồ Khẩu autrefois. Pour le jouer, le garçon doit utiliser une main pour prendre la loche, et une
autre pour tenir le poignet de la fille pendant qu’elle s’efforce de s’échapper. Le garçon ne doit pas
tenir trop fort le poignet de la fille pour éviter de le faire rougir. Cette règle est un trait propre au village
Hồ Khẩu, dont le but est de rendre le jeu plus élégant et plus charmant par rapport à sa pratique dans
d'autres endroits (où le garçon peut faire mal au poignet de la fille, enlacer son corps, voire toucher
librement sa poitrine en jouant).
Ibid., p. 273-275.
220
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 97.
221
Đặng Thế Đại, op. cit., p. 397.
222
Trần Quốc Vượng (sous la direction de), op. cit., p. 99.
223
En vietnamien : « … Mịt mù khói toả ngàn sương
Nhịp chày Yên Thái, mặt gương Tây Hồ »
Traduction en français : « … La fumée se répand dans la brume
Le battement des pilons à Yên Thái, le miroir d’eau du Lac de l’Ouest »
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 205
elles pourraient être perçues en plein milieu urbain, ne seront pas moins attrayantes
que l’effet donné par des formes physiques.
La papeterie est apparue dans les villages Hồ Khẩu, Đông Xá, An Thọ et Yên Thái
depuis très longtemps. Dans le passé, ses produits ont atteint un très haut niveau de
qualité dont la réputation dépassait la frontière224. Chacun des villages se spécialisait
dans une sorte de papier avec ses propres secrets, et il y avait même des types
spéciaux très beaux et très durables qui jadis étaient réservés au roi pour écrire les
décrets (produit du village Yên Thái). Pendant la période du collectivisme,
l'organisation de la production était assumée par les coopératives. Le métier continuait
d’être maintenu comme une grande fierté des habitants, particulièrement lorsqu’un
atelier local a été choisi pour fabriquer les papiers servant à imprimer le premier
exemplaire du Testament du Président Hồ Chí Minh.
La région de Bưởi (formée des villages ci-dessus) était convenable pour la papeterie
grâce à son emplacement qui est très proche des rivières. Ceci favorisait le transport
des matériaux ainsi que des productions, et assurait la fourniture de l'eau, un agent
extrêmement important pour la fabrication artisanale du papier. Le processus de
production comprenait plusieurs parties : extraire de l'écorce du plant dó
(rhamnoneuron balansae), macérer puis laver des écorces avec l’eau, pilonner pour les
transformer en poudre, cuire, filtrer, étaler la pâte de papier, sécher, couper,
empaqueter, transporter les papiers, et les mettre en vente. Toutes ces étapes
contribuaient à former un paysage particulier, caractérisé à la fois par l’animation des
activités qui se passaient à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur des maisons, et par les
224
Selon les histoires écrites, y inclus celles des Chinois, la papeterie d’ici est bien connue depuis le
IIIème siècle après J.C., et ses produits ont servi de cadeau du roi vietnamien Lý Cao Tông (1176-
1210) pour offrir à la cour impériale chinoise.
Làng nghề giấy Kẻ Bưởi Yên Thái, VietnamPlus, TTXVN, 27/06/2010.
http://hanoi.vietnamplus.vn/Home/Lang-nghe-giay-Ke-Buoi-Yen-Thai/20106/1975.vnplus
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 206
éléments physiques typiques comme les mares225 et les fours en terre atteignant
jusqu’à 5 mètres de haut qui étaient omniprésents226.
En plus de la papeterie, dans la région de Bưởi il y a deux villages Trích Sài et Võng
Thị qui étaient très connus avec le tissage de brocart. C’est le produit de plus haute
gamme parmi les types tissés en soie228, même la Chine n’a pas d’équivalent. Car il
était très coûteux, il n’était jadis réservé qu’aux seuls membres de la famille impériale
et à la classe aristocratique. Le tissage de la soie est un artisanat existant dans
beaucoup d’endroits, mais le tissage de brocart ne pouvait être trouvé qu’ici parce que
d’une part, ces villages se situaient tout près de la citadelle, où se concentraient des
principaux consommateurs. D’autre part, c’était un métier extrêmement exigeant, et
ce n’était pas n’importe quelle personne qui pouvait aussi le maîtriser après avoir
suivi la formation. Il est donc difficile qu’un tel produit particulier et très lié au goût
225
D’après l’entretien sur place entre l’auteur et les vieux, on utilisait aussi l’eau des mares pour la
fabrication du papier dans les endroits éloignés de la Tô Lịch. Alimentée de la pluie, leur niveau était
supérieur à ceux du grand lac et de la rivière. Ce n’est que plus tard pendant la période des coopératives
qu’on a dû parfois alimenter les mares avec l’eau pompée du grand lac.
226
Bùi Văn Vượng, « Làng giấy dó Yên Thái » (Village de papier dó Yên Thái), Magazine Thăng Long
Hà Nội ngàn năm (Thăng Long Hanoi ville millénaire), N° 22, 2004.
http://home.thuhoavn.com/?p=483
227
D’après monsieur Nguyễn Thế Đoán. Dans le dessein de rétablir la papeterie traditionnelle même à
une échelle très modeste, ce maître artisan avait racheté et avait accumulé les matériaux nécessaires,
mais il n’est finalement pas arrivé à le faire.
Nguyễn Hòa, Nghệ nhân cuối cùng của dòng họ làm giấy tiến vua (Dernier maître artisan de la famille
ayant fabriqué le papier pour le roi), VNexpress, 05/08/2013.
http://doisong.vnexpress.net/tin-tuc/chuyen-doi/nghe-nhan-cuoi-cung-cua-dong-ho-lam-giay-tien-vua-
2860281.html
228
Juste 20% des fils de soie qui ont la meilleure qualité sont choisis pour le tissage de brocart, le reste
sera utilisé pour fabriquer les types de soie normaux. Les produits ne répondent pas suffisamment à la
demande de consommation, et un brocart coûte le même prix qu’un sào de terre (une unité de mesure
locale, soit de 360 m2).
Đỗ Hằng, « Hồi sinh lĩnh Bưởi » (Renaissance du brocart de Bưởi), Journal Lao động (Travail),
10/08/2010.
http://laodong.com.vn/van-hoa/hoi-sinh-linh-buoi-53557.bld
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 207
Les villages artisanaux du Lac de l’Ouest entretenaient jadis des liens étroits avec les
rues marchandes spécialisées dans le vieux quartier, car c’était un débouché pour
leurs produits. « Les artisans de Yên Thái et Hồ Khẩu, par exemple, confiaient leurs
pièces d’étoffe et leurs rames de papier aux marchands de la rue de la Soie et de la rue
du Papier »232. Le fait que ces artisanats se perdaient peu à peu a coupé la liaison et
ainsi, a influencé de façon indirecte sur l’identité des rues marchandes, dont les noms
qui sont encore maintenus coïncident rarement avec les produits vendus ici
actuellement.
229
Boutique Lụa Hà, 538 rue Thụy Khuê.
230
L’actuelle pagode Kim Liên du village Nghi Tàm a été érigée sur les bases de l’ancien palais
construit en 1138 pour la princesse Từ Hoa, la fille du roi Lý Thần Tông. Passionnée de sériciculture,
elle a fondé ce village en transmettant ce métier à la population.
Comité populaire du district de Tây Hồ, op. cit., p. 26.
231
Philippe Papin, op. cit., p. 73.
232
Ibid., p. 174.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 208
Auparavant, la pêche était évidemment un métier important pour tous les villages
situés au bord du Lac de l’Ouest. L’immense plan d'eau avec les orages soudains a
enlevé la vie de nombreux pêcheurs, qui ne se munissaient que des moyens et outils
rudimentaires. Les temples réservés au culte de l’âme des noyés sont donc devenus un
élément bien associé à la vie des villageois. Ces constructions n’existent plus
maintenant. Le temple Bát Hải du village Tây Hồ, le dernier de ce genre, qui selon les
gens était construit depuis le XVIème siècle en même temps que le đình, a été détruit
il y a peu de temps233. Il ne reste que quelques stèles qui sont collectées et ramenées
au đình234. Bien qu’il existe quelque part la pêche illégale, le Lac de l’Ouest avec tous
ses poissons et ses fruits aquatiques comestibles est aujourd’hui en principe placé sous
le contrôle d’une entreprise étatique qui est seule à avoir le droit d’exploitation. On a
non seulement démoli des temples mais aussi supprimé un métier traditionnel très
typique d’un site lacustre, et par là effacé des traits vivants et sympathiques du
paysage.
Photo de l’auteur
Outre ceux mentionnés ci-dessus ainsi que l’horticulture qui est déjà décrite quand on
parle des terrains agricoles, les villages autour du lac étaient et sont rattachés à
plusieurs autres artisanats traditionnels qu’il n’est pas possible d’approfondir dans le
cadre de la recherche. Ils sont notés pour la majorité dans la figure 142. Parmi les
métiers qui n’ont pas été abordés, les plus célèbres sont sans doute l'élevage de
poissons d'ornement du village Nghi Tàm, et particulièrement la fonderie de bronze
du village Ngũ Xã. Surtout destinée au culte, la fabrication de bronze de Ngũ Xã ne
pouvait presque pas exister en période dominée par la « nouvelle culture »,
notamment pendant la guerre où le cuivre était une matière première importante et
strictement contrôlée par le gouvernement, mais impossible à trouver sur le marché235.
233
Đào Ngọc Du, « Làng Tây Hồ đất thiêng » (Village de Tây Hồ, une terre sacrée), Văn nghệ,
11/2014.
http://vanvn.net/news/9/4520-but-ky--lang-tay-ho-dat-thieng---dao-ngoc-du.html
234
Elles sont érigées près de la porte d’entrée.
235
Thảo Vy, « Ngô Thị Đan - Nữ nghệ nhân duy nhất của đúc đồng Ngũ Xã » (Ngô Thị Đan – La seule
maître artisane de la fonderie de bronze à Ngũ Xã), Thể thao & Văn hóa (Sport & Culture), 2014.
http://www.thethaovanhoa.vn/buixuanphai/details/c132n20100310095933170/ngo-thi-dannu-nghe-
nhan-duy-nhat-cua-duc-dong-ngu-xa.htm
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 209
En général, les métiers traditionnels dans la région du Lac de l’Ouest ont tous subi de
forts impacts issus des changements de valeur et d'idéologie liés au modèle socialiste,
même si les villages ici demeuraient plutôt ruraux. A partir du Đổi Mới, le processus
d’urbanisation a accéléré les changements du mode de vie et alors, les artisans
dévoués et pleins d'ardeur au travail sont de moins en moins nombreux.
Heureusement, il reste des métiers qui, malgré une interruption, n’avaient pas encore
entièrement disparu et ont récemment prospéré de nouveau, lorsque la société a
commencé à changer les attitudes envers les produits faits à la main.
Une autre interprétation de la situation actuelle des villages pourrait se résumer en une
transformation du yin vers le yang, avec les remplacements du vide et de la végétation
par la construction, du bas par le haut, du calme par l’agitation (même dans les
temples et pagodes, la méditation cède la place à des sollicitations bruyantes)…
Comme le passage des villages aux villages urbains est une logique naturelle, la
résistance à cette transformation n’est pas simple. Cependant, il convient d’éviter une
perte de contrôle du processus pour que les villages maintiennent un yin relatif par
rapport au reste de la ville, parce que toutes les caractéristiques attrayantes des
villages relèvent de ce yin.
A priori, les villages donnent l’impression qu’ils sont tous dilués complètement dans
le continuum urbain. Ceci semble vrai pour les regards lointains, mais en pénétrant à
l’intérieur, il y a des distinctions nettes avec une richesse propre et subtile à découvrir,
ce qui nécessite donc plus de sensibilités auprès des visiteurs. Même dans les endroits
comme au sud du lac où la frontière des villages a été effacée presque totalement,
l’identité de chaque village reste encore reconnaissable, avec l’intensification des
éléments physiques typiques et des activités vers le noyau (autour du đình) ou le long
des rues principales.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 211
Photos de l’auteur
Fig. 202 – Vue du dehors : La dilution des villages méridionaux dans le continuum urbain (à gauche).
Fig. 203 – Vue du dedans : Un espace villageois typique à Hồ Khẩu (devant le temple Dực Thánh).
Malgré les impacts de l’urbanisation, le village produit encore une ambiance distincte,
bien que « tranquille, serein, aéré et simple », les qualificatifs les plus connus236, ne
sont plus toujours évidents. Les interférences entre le passé et le présent, l’Orient et
l’Occident, peuvent parfois nous surprendre par une combinaison de contrastes
attrayante qui ne manque pas de charme. Evidemment, il est inévitable que dans
l’ensemble, « le bloc de verdure » ait cédé la place à « l’accumulation de maison »237.
Mais dans pas mal d’endroits, le désir de retrouver « la poésie », « le lyrisme », et
« l’impression d’être dans un parc public »238, ou dans un jardin habité, n’est pas
encore tout à fait impossible ou illusoire.
236
Nguyễn Luận, « Nét quê xứ Bắc » (Caractéristiques campagnardes du Tonkin), Kiến trúc
(Architecture), n° 1, 2001, Union des Architectes Vietnamiens, p. 78.
237
Selon une description de Gourou : « Un village n’apparaît pas dans le paysage comme une
accumulation de maisons, mais comme un bloc de verdure » ; Pierre Gourou, op. cit., p. 225.
238
Les qualificatifs de la campagne vietnamienne d’après l’architecte Tạ Mỹ Duật lorsqu’il parle d’une
architecture moderne à caractère national ; dans Tạ Mỹ Duật, op. cit., p. 11.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 212
Fig. 206 –
Répartition des
plans d’eau et des
constructions dans
la péninsule de
Quảng An en 2000
Fig. 207 –
Répartition des
plans d’eau et des
constructions dans
la péninsule de
Quảng An en 2013
Mais il fallait attendre jusqu’à la décennie 1990 pour voir les changements nets à
Hanoï. Les étrangers venant travailler et investir, les expatriés vietnamiens retournant
au pays, une partie de la population devenant riche grâce au bon profit des
opportunités et surtout des fièvres foncières… tous ces acteurs constituent une
nouvelle catégorie de clientèle qui a besoin des logements haut de gamme. Alors une
excellente occasion est ouverte à des groupes internationaux de promotion
immobilière, qui disposent déjà de fortes ressources sur le plan des finances et des
expériences. Doté des avantages indéniables liés à la position, au paysage, et aux
potentialités de développement, le Lac de l’Ouest deviennent vite le premier endroit à
penser pour les grands projets résidentiels, dont la nature est tout à fait différente par
rapport aux modèles précédents de logements collectifs, tant sur la morphologie que
sur l’objectif social visé.
239
Assemblée nationale du Vietnam, Loi sur l’investissement étranger au Vietnam, Hanoï, 29/12/1987.
http://thuvienphapluat.vn/archive/Luat-dau-tu-nuoc-ngoai-tai-Viet-Nam-1987-4-HDNN8-
vb37468.aspx
240
Traduction littérale de son nom officiel en anglais « Ciputra Hanoi International City ».
241
Traduction littérale de son nom officiel en vietnamien.
242
Disait Đào Ngọc Nghiêm, l’ancien Architecte du chef de Hanoi ; cité par Võ Thành Lân dans Võ
Thành Lân, Cú húc thẳng ngực giới kiến trúc sư Việt Nam? (Un coup direct à l’honnêteté des
architectes vietnamiens ?), TuanVietnam.net, 10/11/2010.
http://tuanvietnam.vietnamnet.vn/2010-11-09-cu-huc-thang-nguc-gioi-kien-truc-su-viet-nam-
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 216
Servant une population d’environ 50 000 habitants dans une superficie de 301
hectares243, Ciputra est en fait un gigantesque programme d'immobilier. Sa partie
essentielle est destinée au logement de luxe, avec les tours d'appartements et l’habitat
pavillonnaire en bande composé des maisons mitoyennes et des villas. Les
constructions commerciales, qu’ils s’agissent des immeubles de bureaux, des hôtels et
des centres d’achat, sont aménagées sur les côtés et participent à la composition des
façades. Le projet comprend aussi dans son intérieur certains équipements publics tels
que les écoles internationales, un hôpital, un centre de sport et de loisir …, pour
s’assurer qu’il puisse fonctionner comme une ville autonome, « une ville dans la
ville », ou « une enclave de prospérité autosuffisante »244. Orientée vers une cité
urbaine « moderne et conforme aux normes internationales », les mots qui se voient
souvent au Vietnam comme une exclusivité réservée à la population expatriée ou à
des locaux très aisée, Ciputra dispose d'un parcours de golf suivi des cours d’eau au
milieu des résidences. En dehors de la dimension marketing pour rehausser le
caractère luxueux du projet, le parcours de golf est conçu sous forme d’une ceinture
verte, et devient donc un moyen idéal pour plaider « un cadre de vie en pleine
nature », tout en permettant d’exploiter au maximum la rentabilité de l’usage du sol,
ce qui par contre est impossible avec les typologies traditionnelles comme les parcs
ou les jardins publics. La question d’accessibilité pour tous ne se pose pas ici.
243
Données de Ciputra Hanoi.
http://www.ciputrahanoi.com.vn/199/gioi-thieu.htm
244
Laurent Pandolfi, op. cit., p. 504.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 217
En réalité, il n’y a jusqu’à présent aucun véritable parc ou jardin public à Ciputra. Le
caractère naturel réside plutôt en une végétation assez dense et une densité bâtie
relativement faible, qui peuvent évoquer l’image d’un parc habité dans certains
endroits. Toutefois, les arbres les plus attirants et ombrageants sont plantés
principalement par les habitants sur le côté intérieur des haies dans les jardins privés.
Pour l’espace extérieur, la végétation se fait essentiellement des arbustes qui servent à
ornementer les trottoirs, les bandes de séparation au milieu des chaussées, et les
ronds-points. La seule exception consiste en palmiers à chanvre, et notamment les
palmiers royaux (bien que leur ombre soit assez modeste), qui ont été choisis grâce à
leur prix peu élevé et la disponibilité des types suffisamment grands pour parvenir
rapidement à l’effet visuel attendu. Or, les palmiers royaux constituent un facteur
diminuant l’originalité du site. Etant une espèce exotique qui était importée à l’époque
française mais qui n’est devenue à la mode que depuis peu, les palmiers royaux sont
plantés partout aujourd’hui, des nouveaux quartiers urbains aux zones industrielles, à
Hanoï comme ailleurs.
Ciputra n’a pas non plus une place publique importante, outre des petites terrasses
situées au pied des tours ou insérées dans le quartier des maisons mitoyennes. Même
ces endroits sont plutôt vides, car en dehors de quelques terrains équipés pour des
jeux d’enfants, ils n’ont quasiment rien pour que les gens s’arrêtent et échangent une
conversation. Les trottoirs sont propres avec des plantations bien entretenues, mais il
est difficile d’y trouver un banc. Afin de maintenir une ambiance calme, tous les petits
commerces et services intégrés au milieu des résidences sont jugés nuisibles au repos
des habitants, et donc interdits complètement. Dans l’habitat il n’y a que l’habitation,
et rien d’autre. Alors à Ciputra, on a des voies mais n’a pas vraiment des rues. Il
n’existe pas une vie dans ces voies-là.
Ceci contraste clairement avec les villages abordés précédemment. D’une manière
plus générale, Ciputra diffère nettement de la tradition des Việt, où la pensée
dialectique permet toujours un mélange d’usages et crée des espaces caractérisés plus
par les activités que par les éléments matériels. Les quartiers chics avec les maisons
derrière les arbres peuvent plaire aux yeux de certains mais à part le regard, ils
n’ouvrent pas à d’autres expériences. Pourtant, une expérience riche est primordiale
pour la reconnaissance et la mémorisation d’un lieu, notamment pour les visiteurs, en
les aidant à le distinguer de simples passages. A Ciputra, les activités collectives sont
rares et pauvres. Constituée des gens venant de partout dont très peu sont locaux, cette
communauté, si on peut l’appeler ainsi, est déterminée essentiellement en fonction des
normes de revenu ou des intérêts communs. L’individualisme est poussé à l’extrême,
avec beaucoup d’habitants qui ne parlent presque jamais aux voisins ou ne les
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 218
Sous certains aspects, Ciputra peut être aussi considérée comme ayant identité car le
projet a créé un ensemble facile à identifier. C’est avant tout une cité d’habitation des
gens fortunés, qui créent une première homogénéité importante. Son architecture
reflète des unités de style, avec la domination d’un langage discutable mais convient
parfaitement au goût des nouveaux riches. Pour les sécuriser, les limites sont bien
établies avec les grilles, les murs, et notamment les grandes portes d’entrée très
frappantes. Elles sont encore renforcées par des contrôles de l’accès aux zones
résidentielles et des patrouilles fréquentes de polices privées. Mais est-ce que c’est
vraiment une sorte d’identité que l’on aime avoir ?
Photo de l’auteur
245
D’après les entretiens entre l’auteur et quelques habitants de Ciputra, qui sont aussi les amis et les
clients.
246
D. Anh, Biệt thự Vườn đào: « Quý tộc » ép nghĩa trang, nắn cả đường, (Villas des champs de
pêchers : Quand les « aristocrates » usurpent sur le cimetière et modifient la planification des voies de
communication), Vietnamnet.vn, 19/05/2014.
http://vietnamnet.vn/vn/kinh-te/175822/biet-thu-vuon-dao---quy-toc--ep-nghia-trang--nan-ca-
duong.html
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 219
Mais le caractère le moins durable de Ciputra, qui est lié directement à la question de
l’identité, est son comportement face à la culture traditionnelle et l’esprit du lieu. Le
projet a fait disparaître une grande superficie des anciens champs de pêchers, l’espace
cultivé majeur des habitants locaux. Le paysage du Lac de l’Ouest a donc perdu un
élément patrimonial important, et cette perte n’est pas allée de pair avec une
compensation en faveur des intérêts publics248. Concernant la morphologie,
l’organisation spatiale et l’architecture de Ciputra représentent une approche
entièrement coupée de l’histoire du site. Aucune continuité ou aucune trace du passé,
que ce soit architecturale, villageoise ou topographique, n’a été retenue pour servir de
référence dans la conception de la trame ou de nouvelles formes bâties du projet.
Dans un milieu où existaient auparavant les champs de pêchers ayant une
configuration parcellaire typique, les canaux racontant le mode de culture et les
particularités du relief…, on a exécuté une table rase entière et ainsi, effacé toutes les
supports de mémoire collective. Pour ce projet, les seules préoccupations du contexte
ne s’arrêtent qu’à une relation exploitante avec le paysage du lac et du fleuve Rouge,
l’atmosphère agréable et fraîche, et les valeurs positives des anciennes terres de fleurs
selon la géomancie249.
247
Souvent fermées, les portes seront ouvertes automatiquement par les gardiens lors de l’arrivée des
voitures. Au cas des motocycles, l’accès du conducteur peut être refusé ou accepté, tout dépend de son
habillement ou de ses justifications (par exemple, s’il est ouvrier, personnel de ménage…).
248
Non seulement pour le village auquel les terrains étaient rattachés avant, mais même pour la ville,
qui ne gagne pas beaucoup non plus avec ses politiques à l’époque.
249
Habituellement, les terres réservées à la culture de fleurs évoquent la fertilité et l’épanouissement.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 220
En un certain sens, cette cité urbaine est un non-lieu, particulièrement pour les
étrangers venant travailler au Vietnam. Manquant d’espaces publics, ou des lieux
d’échange des références sociales, elle s’avère plutôt un simple rassemblement de
l’habitat et des zones fonctionnelles majoritairement commerciales. Sans liaison avec
le contexte et comme des objets de consommation, elle recourt à un genre
d’architecture « déjà vue » envahissant plusieurs villes en Amérique du nord et au
Sud-Est asiatique, juste parce que ces styles sont plus rentables économiquement. Une
telle « figure moderne ayant une forte identité » comme énoncé est en fait une
destruction de l'identité commune. Alors Ciputra est plutôt une désintégration de la
ville qu’une ville intégrée251.
250
L'investissement se fait peu à peu en fonction des opportunités de commercialisation des terrains.
Laurent Pandolfi, op.cit., p. 519.
251
Interrogation de Pandolfi en parlant de nouvelles zones urbaines de Hanoi, op.cit., p. 501.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 221
Photo de la perspective :
http://starlakehotay.vn
Pendant que Ciputra poursuit un concept d’enclave avec une structure renfermée, Tây
Hồ Tây, par la nature de son programme, a une forme plus ouverte et intégrée.
Néanmoins, son tissu urbain et sa trame orthogonale avec les îlots répétitifs
homogènes ne reflètent non plus aucun héritage du passé. Le site était intimement lié
à l’eau, dont les traces se manifestent par un réseau des canaux qui joue un rôle autant
fonctionnel que paysager. Dans une recherche commandée par la municipalité et
effectuée par l’IMV en 2004253, ceci a été relevé en accompagnant des
252
« The next dream of Hanoi », comme le slogan dans une publicité.
253
Christine Larousse, Etude d’intégration des villages dans le projet de nouveau centre urbain du
secteur Tây Hồ Tây, Institut des Métiers de la Ville, Hanoi, 04 - 12/2004.
http://imv-hanoi.com/fr-FR/Home/etude1-138/17/Etude-dintegration-des-villages-dans-le-projet-de-
nouveau-centre.aspx
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 222
La variété des fonctions promet d’apporter à Tây Hồ Tây une ambiance animée, et
évite d’y générer les endroits ennuyeux à cause de l’absence d’activité pendant
certains moments. Concentrés autour d’un axe central, les espaces publics s’étendent
jusqu’au lac et jouent le rôle structurant pour l’organisation spatiale de l’ensemble.
Par rapport à Ciputra où ce rôle est assumé par un parcours de golf déguisé en espace
vert, il est magnifique que les places publiques ici ne soient pas seulement le résidu du
développement privé. Cependant, en y regardant de plus près, elles semblent plutôt
viser l’impression d’une monumentalité ou d’une parade que penser vraiment aux
besoins des gens. Avec les dimensions démesurées, elles aident à mieux exposer les
grands bâtiments, mais menacent de diluer les activités dans leur immensité. Pour
renforcer l’effet visuel des perspectives, les auteurs du projet ont mis trop d’accents
sur l’axe central au détriment d’une intimité dont l’intégration est aussi nécessaire.
Alors l’aménagement de Tây Hồ Tây reflète une conception d’espace tout à fait
différente des approches traditionnelles, qui n’apprécient jamais de telles percés trop
directes et linéaires.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 223
Les ruptures d’échelle entre le projet et son environnement, tant au niveau spatial que
sur les dimensions sociales, montre aussi le manque d’une étude approfondie du
contexte. L’existence des villages aux alentours n’a pas été exploitée pour valoriser et
enrichir le cadre de vie de Tây Hồ Tây, ce qui se voit déjà avec les limites du projet.
Ayant une forme géométrique simple, ces limites révèlent une insensibilité à la
morphologie organique des anciens villages. Bien qu’elles soient différentes des
clôtures de Ciputra, ces limites nous font penser également à une séparation entre
deux mondes contrastés ne favorisant pas la communication. Les petites maisons
villageoises sont confrontées d’une façon directe et brutale à des bâtiments
grandioses, dont le décalage sera encore accentué avec la futur tour de télévision. Les
bénéfices que peuvent avoir les villages avec l’apparition d’une nouvelle cité urbaine
avoisinante comme facteur stimulant le développement ne sont pas encore clarifiés.
Au contraire, les villages sont même menacés par les inondations que peut causer
l’implantation surélevée du nouveau projet. On ne pourrait pas trop compter sur des
promesses générales liées à la fourniture de l'emploi, qui ne consistent probablement
qu’en main-d’œuvre non qualifiée pour des travaux simples dans le processus de
construction. Manquant des préparations convenables, l’argent payé pour la libération
des terres agricoles peut amener des risques à long terme. C’est la leçon que donnent
plusieurs projets de nouvelle cité urbaine, lorsque les paysans ont perdu leur espace de
production mais ne savent que faire avec les grosses sommes perçues254. Il peut
arriver aussi des changements imprévus ou des problèmes difficiles à contrôler, qui
sont relatifs à la morphologie architecturale et au paysage villageois existant. Or, on
peut toujours avoir une autre histoire si en même temps que la construction du projet,
une partie du budget prévu peut être réservée à l’amélioration de l’infrastructure et
mettre en valeur les éléments patrimoniaux typiques des villages.
254
Des gens achètent, construisent, dépensent trop d’argent pour les besoins qui ne leur sont pas
vraiment nécessaires, et finissent parfois avec la toxicomanie ou l’alcoolisme. Comme l'argent s'envole
vite pendant qu’il n’y a plus de terre à cultiver, ils peuvent tomber facilement dans la délinquance et le
travail au noir.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 224
Après une longue période où la société était entravée par les conditions économiques
difficiles, il est évident que l’apparition des grands bâtiments luxueux est la bienvenue
255
Ba Thu, Tay Ho Tay New Town drives Hanoi forward, VIR, 26/03/2012.
http://www.vietnambreakingnews.com/2012/03/tay-ho-tay-new-town-drives-hanoi-forward/
256
Il s’agit du groupe Daewoo Engineering & Construction, et du Korea Development Bank.
257
L’actuel hôtel Hanoi.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 225
Photo : http://www.cleartrip.com
Les impacts négatifs sur le paysage y sont apportés par différents modes. Le premier à
mentionner est la privatisation du paysage, qui concerne aussi bien la vision que
l'accès physique. Des endroits importants qui offrent les vues extraordinaires sur le
panorama environnant deviennent tout à coup des adresses réservées exclusivement à
un petit groupe de personnes aisées. L’achèvement récent des rues et des allées de
promenade en ses bords, heureusement, a rendu au public l’accès au lac, mais pas
complètement. Il reste encore des conséquences désastreuses, par exemples, avec
l'immeuble d'appartements Hanoi Lake View (mis en fonctionnement depuis 2002)
qui a caché la vue vers le lac depuis le carrefour du chemin Thanh Niên et du chemin
Yên Phụ, avec l'hôtel Hanoi Club qui figure comme une grande barrière longeant le
lac au village Yên Phụ (il a même été rehaussé de deux étages en 2007), ou avec
258
L’ancien nom est Meritus.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 226
l'hôtel Inter Continental259 (mis en exploitation en 2007, mais l'exécution des travaux
de maçonnerie a été achevée depuis 1998) qui usurpe non seulement la vue mais
encore une partie énorme de la surface d'eau.
L'apparition de grands immeubles destinés à des fins commerciales, qui sont insérés
dans le tissu villageois ou lui sont juxtaposés, a provoqué des perturbations à la vie
des habitants. Le paysage culturel est modifié, ce qui change le sens des espaces,
notamment pour ceux étant associés à la spiritualité comme les đình, les temples et les
pagodes (par exemple le đình Yên Phụ avec l’influence de l’hôtel Hanoi Club qui est
trop grand et situé dans la proximité directe). Les éléments caractéristiques comme les
mares et les terrains agricoles sont remplacés par des bâtiments disproportionnés qui
fonctionnent indépendamment comme un monde isolé et produisent donc des ruptures
aussi visuelles que sociales.
En regardant à partir de différents points de vue, au pied des tours ou à distance pour
les vues panoramiques, ces ruptures sont toujours le facteur troublant le plus l’identité
du paysage du Lac de l’Ouest. Des projets modérés ayant une organisation dispersée
pour s’harmoniser avec l’environnement comme le complexe résidentiel Sedona, ou
prenant la forme d’un escalier avec la séparation des volumes pour atténuer la
sensation de hauteur et de lourdeur comme les hôtels Somerset et Sofitel Plaza, sont
très rares. Au contraire, de nombreux projets montrent une avidité insatiable en
poussant à l'extrême le coefficient d’occupation du sol et le nombre d’étages. La
conséquence qui en résulte est l’apparition parfois des blocs de bâtiments terriblement
lourds comme les tours jumelles du projet d’appartement Golden Westlake. Une fois
qu'il existe de tels précédents, ils ont tendance à être continués à une échelle de plus
en plus terrible encore, ce dont témoigne le projet Vinpearl Westlake avec le risque de
transformer le Lac de l’Ouest en une mare.
259
Le projet, anciennement intitulé The Lien Westlake Resort Hotel, a été démarré depuis 1991 et
délaissé pendant 7 ans avant d’être continué, à cause des impacts de la crise financière en Asie.
http://vtc.vn/cha-de-pha-san-intercontinental-doi-chu-co-doi-van.1.496910.htm
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 227
s’arrête pas qu’à la seule échelle des maisons individuelles mais se manifeste aussi
dans les grands projets tels que ceux du groupe Tân Hoàng Minh.
Fig. 219 & 220 – Hôtel Sheraton (à gauche) et le projet Le Roi Soleil du groupe Tân Hoàng
Minh (à droite). Photo de l’auteur ; image en perspective de Tân Hoàng Minh
Dans la représentation des perspectives, les nouveaux projets ont pris le paysage du
Lac de l’Ouest simplement comme une toile de fond valorisante. Toutes les richesses
et les diversités, qui sont données par l’écosystème, les monuments historiques, les
anciens villages…, semblent être oubliées, ou considérées comme ordinaires ou pas
suffisamment importantes pour mériter du respect. Dans quelques projets, le site est
représenté comme un milieu désertique qui attend d’être embelli avec les futures
constructions que le promoteur va apporter. Même si des fois les éléments
caractérisant le site sont figurés d’une manière plus sincère, l’obéissance des
architectes à des programmes démesurés a conduit à des ouvrages qui effrayent
beaucoup de gens par leur mépris du paysage, même s’ils n’existent encore que sur le
papier.
Source : http://vnre.reic.vn
Fig. 222 – DK2 (en haut), un projet d’appartements de luxe qui représente le site
comme un désert. Or, selon l’explication des auteurs, ils cherchent aussi à refléter
l’« esprit di lieu », en empruntant la morphologie des cours de Hanoï (vue en plan),
pour composer la façade. Source : http://www.designboom.com
Fig. 223 – La proposition gagnante de l’architecte Renzo Piano pour le concours d’un
nouveau théâtre, qui sera construit dans la Cité urbaine Tây Hồ Tây. Ici, c’est le
chapeau du roi qui sert de référence pour la forme du bâtiment.
Source : http://ashui.com
Si l’on se rappelle le concept selon lequel le paysage n’est que l’apparence d’une
structure spatiale représentant des systèmes qui l’ont généré, les conflits visuels à
l'excès pourraient être considérés comme l’expression ou la conséquence des
contradictions d’intérêts qui augmentent. A la différence des maisons individuelles
construites par des habitants eux-mêmes, les projets importants autour du Lac de
l’Ouest ont tous le permis de construction et ont dû passer un long processus
d’examen et d'évaluation avec beaucoup de procédures à faire avant d’être admis.
Cependant, mettons de côté les paroles pour faire de la publicité (comme par exemple
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 229
« une contribution à la communauté »), ces projets résultent rarement d’un véritable
consensus de toutes les parties concernées, ou d’un processus démocratique dans
lequel les habitants peuvent participer à la prise de décision260. Avec une telle
approche, la perturbation de l’identité du paysage est le reflet d’une logique évidente,
car elle découle d’une hétérogénéité ou des contradictions sociales internes.
Au Vietnam, cette histoire est encore plus nouvelle. L’architecture moderne n’est
abordée que rarement lorsqu’on parle de l’héritage colonial, ou des bâtiments liés aux
événements historiques concernant le Parti Communiste et les résistances du pays.
Pour la période socialiste, l’élément le plus important de la « ville rouge » qui est
envisagé comme patrimoine du présent, tient dans les quartiers de logements
collectifs. Néanmoins, ceci en reste à des propositions ou à des recommandations
préliminaires sans que l’on parvienne encore à un classement officiel accompagné des
outils juridiques concrets263. Pour les constructions isolées, le problème devient plus
compliqué quand les valeurs artistiques de l’époque, avec déjà un écart par rapport au
goût actuel, occupaient la dernière place dans l’ordre de priorité264.
Conçu par l'architecte cubain bien connu Antonio Quintana Simonetti, cet hôtel est un
mariage parfait entre le caractère libéral latin et les traits familiers vietnamiens. Il
nous fait songer aux structures de bois, ainsi qu’à des particularités traditionnelles
que, selon Logan, les architectes locaux aimaient beaucoup incorporer dans leurs
conceptions à l’époque : les toits «volants», la fusion entre l'architecture et le paysage,
l'utilisation des plans d'eau, et les aménagements sensibles pour créer des
microclimats265. Pour une période historique où la dimension artistique n’était pas
privilégiée par rapport à la fonction ou à l’économie, cet ouvrage devient donc encore
plus précieux. Léger, délicat, et montrant toujours une attraction exceptionnelle
jusqu’à maintenant, il diffère totalement de plusieurs autres « cadeaux » offerts de
manière imposée par des « pays frères ». Il a transcendé des approches excessives de
263
Song Hà, « Tập thể cũ, di sản của một thời đáng nhớ » (Les anciens KTT, le patrimoine d’un temps
mémorable), Journal de Construction, 19/11/2012.
http://ashui.com/mag/tuongtac/phanbien/7857-tap-the-cu-di-san-cua-mot-thoi-dang-nho.html
264
Le principe dominant pour les architectes à l’époque était de concevoir les bâtiments « commodes,
solides, économiques, et beaux quand la situation le permet » ; d’après « Nhìn nhận đánh giá tổng quát
kiến trúc Việt Nam giai đoạn 1945-1986 » (Récapitulatif de l’architecture vietnamienne pendant la
période entre 1945-1986), Tạp chí Kiến trúc (Revue d’Architecture), N° 236, Union des Architectes
Vietnamiens, 12/2014.
http://www.xaydung.gov.vn/en/web/guest/thong-tin-tu-lieu/-/tin-chi-tiet/ek4I/86/252730/nhin-nhan-
danh-gia-tong-quat-kien-truc-viet-nam-giai-doan-1945-1986.html
265
Logan, op. cit., p. 194.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 231
l'architecture socialiste menée alors par les architectes soviétiques, des approches
suivant lesquelles une architecture progressive doit savoir surmonter les traditions
locales ou les frontières entre les pays266.
266
Ibid, p. 202.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 232
Du point de vue actuel, l’hôtel Thắng Lợi peut être critiqué pour avoir caché les vues
vers le Lac de l’Ouest depuis le croisement des chemins Nghi Tàm et Âu Cơ.
Cependant, notons que l’environnement autour de cet hôtel a beaucoup changé par
rapport à ce qu’il était auparavant, quand la zone n’était pas encore urbanisée par
l’apparition des maisons serrées. On pouvait donc toujours regarder des espaces
immenses avec le ciel et l’eau comme les éléments essentiels. L’hôtel s’implante alors
comme une contribution à l’embellissement du paysage, et son approche est très
proche de celle des pavillons au bord de l’eau267 dans l’architecture traditionnelle
vietnamienne. Il semble aussi que l’ouvrage n’a pas fait trop attention au đình du
village Nghi Tàm et a caché pour partie la vue vers le lac depuis le đình. Ceci est
également compréhensible si l’on considère le contexte idéologique de l’époque,
quand le Feng-Shui était condamné comme une superstition, et le rôle des
constructions féodales était sous-estimé. Néanmoins, car il est assez bas, l’hôtel ne
domine pas l’espace de façon aussi excessive que de nombreux bâtiments
commerciaux érigés plus tard dans le période du Đổi Mới.
Tandis que l’hôtel Thắng Lợi adopte le style moderne, le Centre de repos du Comité
central du Parti, situé au village Tây Hồ, représente une autre tendance architecturale
qui était assez répandue pendant les années difficiles. Conçu par Nguyễn Ngọc
Chân268, l’un des premiers architectes formés par les Français à l’Ecole des Beaux-
Arts de l’Indochine, cet ouvrage, autrefois réservé exclusivement aux cadres
dirigeants supérieurs, est un ensemble agréable et harmonieux qui comporte des
villas, des salles de spectacle et de réunion, des bâtiments de service, des cours et
267
Thủy tạ ou nhà thủy tạ en vietnamien.
268
Đoàn Đức Thành, Thế hệ kiến trúc sư Việt Nam đầu tiên (Première génération des architectes
vietnamiens), Maison de publication de Culture et Information, 2008.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 233
jardins… Les ordres relativement classiques tiennent encore un rôle dominant dans le
traitement des volumes et des proportions, depuis l'architecture des villas jusqu’au
plan général, mais les formes sont purifiées par l’enlèvement des détails décoratifs
afin d’éviter de rappeler les images du passé colonial. Leur beauté simple
correspondait au contexte social à ce moment et ainsi, elle est représentative d’une
période de développement de l’architecture locale en particulier et du pays en général.
Malheureusement, après la transformation en une sorte d’hôtel, comme un nouveau
modèle d'affaire ouvert au public pour augmenter le revenu, les restaurations
effectuées aujourd'hui ont entraîné des banalisations et ont réduit donc un peu la
valeurs de ce témoin historique.
Fig. 225 – Centre de repos du Comité central du Parti Photos et relevé de l’auteur
Bien entendu, en plus de deux cas mentionnés, il existe encore dans l’environnement
du Lac de l’Ouest d’autres exemples remarquables que l’on ne peut pas aborder ici.
Leur point commun est qu’ils doivent tous se confronter à de graves menaces dues à
la pression de la nécessité d'améliorer l'efficacité de l'exploitation, et au manque de
prise de conscience de la société. Les travaux d’identification, d’évaluation, de
classification ainsi que l’émission des instructions détaillées pour la gestion
deviennent alors très urgents. En fait, la vulnérabilité actuelle de ces ouvrages
contraste vivement avec la position éminente qu’ils méritent.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 234
Le Lac de l'Ouest est surtout connu pour l’ambiance poétique et mystérieuse d'une
terre inséparable de l'histoire et des mythes. Son paysage est assez calme, mais
rarement lié à une atmosphère animée. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’on n’a pas
l’occasion de voir des types d'activités multiples et variés sur le lac.
Les plus anciennes et les plus traditionnelles sont liées à la pêche et à la pisciculture.
Naturellement, les villages autour du lac avaient tous une partie de leur population
étant des pêcheurs, y compris des célébrités comme Mục Thận qui devint le Génie
tutélaire vénéré à la fois dans les deux villages Trích Sài et Võng Thị. Aujourd'hui,
après les changements dans la gestion des ressources aquatiques, l'exploitation des
poissons devient le monopole d'une entreprise étatique. Les opérations de pêche à la
ligne ou même au filet existent encore chez les habitants mais de moins en moins, et
sont considérées en principe comme illégales.
Aujourd'hui, la navigation sur le Lac de l'Ouest est quasi uniquement destinée à des
fins touristiques. Les grands bateaux restaurants dotés de terrasses ont des formes et
des détails qui sont inspirés des bateaux dragons des rois d'autrefois. Ils se déplacent
lentement et ne perturbent pas trop la tranquillité de l'ambiance. Malgré l’existence de
certains problèmes liés à l’organisation des embarcadères ou au traitement des
déchets, les circuits en bateaux dragons pour la visite des temples et pagodes ou des
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 235
anciens villages ont recréé de façon vivante l’une des caractéristiques de base du
paysage du Lac de l’Ouest dans le passé.
Fig. 226 – Bateau dragon sur le lac . Fig. 227 – « Espace public » des pédalos canard.
Photos de l’auteur
Avec un prix de location très abordable, les pédalos en forme de canard constituent un
autre moyen intéressant pour effectuer des promenades sur le lac à l’échelle des
couples ou des familles. Le caractère populaire de ce véhicule l’a aidé à laisser
l’empreinte dans les souvenirs d’amour de nombreuses générations, surtout avant,
quand il n'y avait que très peu de lieux de divertissement et de loisirs à Hanoï. En fin
d'après-midi ou pendant le week-end durant la période chaude de l'été, cette activité
devient très animée sur les zones du Lac de l’Ouest et du lac de Trúc Bạch qui sont
situées des deux côtés du chemin Thanh Niên. Dans une certaine mesure, elle évoque
pour nous l’impression de véritables espaces publics sur l’eau.
Depuis quelques années, le Lac de l'Ouest est encore une adresse préférée des adeptes
du kayak. En fait, l’origine de ce sport peut être trouvée dès l’époque coloniale avec
les périssoires269 de la Société nautique de Hanoï, un club réservé aux Français et
placé au bout du chemin Cổ Ngư près du village Yên Phụ270. Au départ des Français,
ce sport périclita et ne fut pratiqué que par des sportifs professionnels. Ce n’est
qu’après le Đổi Mới qu’il commence à s’implanter de nouveau avec des occidentaux
venant habiter et travailler au Vietnam, et avec des jeunes rentrant au pays après leur
étude à l’étranger. Aujourd’hui, le lieu de départ des kayaks est un club nautique situé
sur le chemin Lạc Long Quân. Par rapport à la promenade en pédalo, cette forme
d'activité diffère non seulement par la sensation d'aventure, mais également par l’objet
qu’elle vise. En raison des difficultés liées à l’obtention de la licence d’exploitation du
service, les amateurs actuels ne peuvent pas louer mais doivent acheter eux-mêmes les
269
Une cousine européenne et ludique du kayak inuit, selon le Dictionnaire des bateaux fluviaux -
Projet BABEL
http://projetbabel.org/fluvial/perissoire.htm
270
Outre les périssoires, ce club avait aussi des voiliers.
http://yeuhanoi.vn/archive/index.php/t-317.html
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 236
équipements à un prix assez élevé271. Le kayak n’est donc pas encore une expérience
facilement accessible à tous.
Dans le passé, le Lac de l'Ouest a été utilisé comme une base d'hydravions pendant un
certain temps, la fonction la plus bruyante qu’il ait jamais connue. Situé sur un terrain
qui est maintenant le stade du lycée Chu Văn An, son ancienne aérogare laisse encore
des traces dont la plus marquante est un bâtiment abandonné se trouvant au bord du
lac. Récemment, il y a eu des discussions au sujet de la réutilisation du lac pour les
vols d'hydravions reliant Hanoï et la baie d’Halong à des fins touristiques272.
Cependant, dans le contexte où il existe des choix alternatifs (comme le fleuve Rouge
ou l'aéroport Gia Lâm), une telle opération au Lac de l’Ouest n’est plus pertinente
aujourd’hui, sauf en cas d'urgence (par exemple, pour le sauvetage ou la lutte contre
l'incendie). Les bruits stridents vont certainement affecter la tranquillité des temples et
des pagodes aux alentours et perturber la vie des gens, contrairement au passé où le
site n’était qu’une zone périphérique de caractère rural273.
Fig. 228 & 229 – Lac de l’Ouest comme base d’hydravions à l’époque coloniale (à gauche) et
le bâtiment restant de l’ancienne aérogare (à droite). Source : Đức Kế
Depuis longtemps, le Lac de l’Ouest est également une piscine publique grande et
familière pour beaucoup de Hanoiens. Grâce à de nombreux endroits relativement
271
C.M.T, Bơi thuyền đi uống cà-phê ở Hà Nội (Prendre le kayak pour aller boire un café à Hanoï),
Thể thao & Văn hóa (Sport & Culture), 16/03/2014.
http://thethaovanhoa.vn/gallery/the-thao/ha-noi-boi-thuyen-di-uong-caphe-n20140316004004770.htm
272
Hải Anh, Kiến nghị cho thủy phi cơ cất cánh từ Hồ Tây hoặc Gia Lâm (Recommandation pour le
décollage des hydravions depuis le Lac de l'Ouest ou Gia Lâm), Đời sống & Pháp luật (La Vie & la
Loi), 15/10/2014.
http://www.doisongphapluat.com/tin-tuc/su-kien-hang-ngay/kien-nghi-cho-thuy-phi-co-cat-canh-tu-ho-
tay-hoac-gia-lam-a55638.html
273
D’après l’historien Dương Trung Quốc, même les Français jadis n’utilisèrent la base d'hydravions
du Lac de l’Ouest que pendant un intervalle de temps pas trop long, dès les années 1920 jusqu’avant la
Seconde Guerre mondiale.
Đức Kế, Đi tìm dấu tích nhà ga thủy phi cơ từ thời Pháp thuộc (À la recherche des traces de
l’aérogare des hydravions de la période coloniale française), Người đưa tin (Informateur), 27/08/2014.
http://www.nguoiduatin.vn/di-tim-dau-tich-nha-ga-thuy-phi-co-tu-thoi-phap-thuoc-a146043.html
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 237
plats dont l’eau est peu profonde, il y a eu ici des célèbres plages, telles que la
« station de bambou de Nghi Tàm » de l’époque du Seigneur Trịnh Giang au
XVIIIème siècle. Au XXème siècle, la plus célèbre plage dans le site est celle du lac
de Quảng Bá, qui a été créée en 1932. Quand la capitale ne disposait pas encore des
piscines publiques omniprésentes comme maintenant, c’était l’une des adresses les
plus fréquentées des habitants pendant les jours d'été. Sa berge naturelle était
consolidée et réaménagée avec le déversement du sable et la mise en place des
matériels et des services essentiels (vestiaire, cabines, douche…)274. Même le lac de
Trúc Bạch avait possédé une plage conforme à l’époque coloniale, qui a été fermée
après un certain temps de fonctionnement, en raison de la pollution causée par des
eaux usées des quartiers environnants, et de la chaleur des eaux de décharge de la
centrale électrique de Yên Phụ. Près du temple Phủ Tây Hồ, il existe aussi des plages
sauvages qui sont toujours pleines de monde, où l’auteur lui-même a de beaux
souvenirs avec ses condisciples quand il était étudiant en premier cycle.
Alors que l’accès aux piscines payantes, dont la majorité appartient à des hôtels de
luxe n’est évidemment pas facile aux masses, la gratuité fait des plages naturelles du
Lac de l’Ouest des espaces publics vraiment importants. Malgré leur apparition, plutôt
spontanée que guidée concrètement par les plans d’aménagement officiels, ces plages
constituent un facteur qui contribue le plus au caractère humain du cadre de vie en
favorisant la communication et la cohésion sociale. Elles sont accessibles à tous,
n’importe qui peut entrer indépendamment des revenus et de la richesse. Même pour
ceux qui ont de l'argent, la naturalité et l'atmosphère ouverte restent toujours des
caractéristiques attrayantes, surtout quand on peut les avoir en plein cœur de la ville
au lieu de passer des heures pour aller à la mer. Malheureusement, de tels espaces
précieux n'ont pas reçu une attention suffisante de la part des autorités. Ils sont
considérés encore comme quelque chose d’informel, d’anti-conventionnel, et donc
souvent relâché ou négligé.
Fig. 230 - Une plage spontanée près du village Quảng Bá Photo de l’auteur
274
Nguyễn Vinh Phúc, op. cit., p. 43.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 238
275
Trần Huy Ánh, Trúc Bạch, Hồ Tây – Năm tháng những chuyện buồn vui (Lac de Trúc Bạch, Lac de
l’Ouest – Les histoires tristes et joyeuses à travers le temps), VietNamNet, 30/06/2008.
http://www.tuanvietnam.net/truc-bach-ho-tay-nam-thang-nhung-chuyen-buon-vui
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 239
Un portrait plus complet et détaillé de l’identité du lac aurait pu se produire avec les
enquêtes accompagnées d’une importante quantité de questionnaires. Néanmoins,
dans le cadre d’un travail individuel portant sur un site immense et complexe, et en
tenant compte de l’un des objectifs principaux, qui est de construire un modèle
d’analyse généralisable, l’auteur ne peut effectuer que des entretiens non directifs
dont l’information a été citée pour partie. Pour la même raison, l’auteur essaye de
synthétiser pour déceler des points essentiels avec l’analyse des types de
représentation ci-dessus, mais ne peut pas examiner un grand nombre d’échantillons.
En visant surtout les particularités mises en danger par les projets de développement,
l’auteur espère trouver des suggestions valables pour les futures recherches plus
approfondies.
pour les deux chemins longeant le lac aux nord-ouest et nord-est en est un rappel
solennel. Cette histoire, mais dans une autre version, où le rôle de Lạc Long Quân est
remplacé par le génie Huyền Thiên, a entraîné la naissance d’un temple situé au sud,
le Quán Thánh, appelé aussi Huyền Thiên Trấn Vũ Quán276.
Les légendes et les mythes associés au Lac de l'Ouest sont innombrables, une mention
complète est donc impossible et aussi inutile par rapport à l’objectif de thèse d’un
architecte. Ils se doivent d’exister au-delà de la présence dans les textes. Leur vraie
vie dépend beaucoup des supports physiques, qui concernent ici non simplement les
éléments de soutien direct tels que le plan d’eau ou les temples, mais encore les liens
entre ceux-ci avec le reste. L’impression qu’ils nous donnent est confortée par un
paysage typique qui lui-même évoque déjà un air de mystère, un autre monde. Bien
qu’il soit parfois impossible de nier l’apport de la brume, ces liens sont
particulièrement sensibles et le paysage du lac devient de plus en plus vulnérable face
à la pression de récents projets de développement. Dominant sur la naturalité, leur
échelle a tendance à rendre le lac plus petit que sa dimension réelle, alors que les
temples deviennent médiocres comme les objets de décor au pied de grands
bâtiments. En outre, des mesures de restauration, qui consistent en fait à banaliser les
vestiges ainsi qu’à effacer les traces d’ancienneté, représentent aussi une autre menace
sérieuse.
Les panneaux ou les stèles sur lesquels s’inscrivent les mythes ou les histoires liées à
la construction des temples constituent également un moyen efficace pour que le
message qu’ils transmettent soit vivant et parvienne aux visiteurs de manière plus
directe. Actuellement, leur design ne reçoit pas encore suffisamment d’attentions, tant
au niveau de la forme que de l’intégration dans l’ensemble. La représentation
ennuyeuse et le fait qu’il n’existe que les textes en vietnamien restreignent aussi les
efforts de compréhension chez les visiteurs étrangers.
En général, comme l’indique les paroles d'une chanson de Nguyễn Đình Thi, le Lac
de l’Ouest est l’endroit où « s’accumule l’âme des montagnes et des eaux pendant des
milliers années »277. N’importe quelle intervention destinée sur ce paysage exige donc
toujours un maximum de prudence, non seulement quant au contexte existant mais
aussi à l’histoire du site. De même que le Lac de l’Epée278 pour Hanoi d’hier, il ne
276
A l’époque coloniale, les français l’appelaient la pagode du Grand Bouddha, mais c’est en fait le
temple pour un génie.
277
Musicien Nguyễn Đình Thi, chanson Người Hà Nội (Les Hanoiens), écrite en 1947. Depuis sa
naissance, c’est toujours l’une des chansons préférées des Hanoiens.
278
Appelé aussi Petit Lac par les Français, qui est aujourd’hui le cœur de l’ancien centre de la ville.
Toutefois, à l’époque coloniale, le lac était un point de rencontre entre le passé et le futur, ce qui se
reflétait surtout à travers l’architecture.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 241
peut pas être un lieu uniquement réservé au futur, ou une « ressource » à exploiter
avec les idées pragmatiques qui ne s’intéressent qu’au présent.
Rechercher et énumérer les poèmes et les textes littéraires prenant le lac comme
source d'inspiration auraient pu constituer un long travail. Heureusement, beaucoup
parmi eux ont été collectés et présentés dans les deux livres de Nguyễn Vinh Phúc et
Đặng Duy Phúc. Ces œuvres nous permettent de s’imaginer le tableau avec les
caractéristiques principales qui ont fait devenir ce site un paysage exceptionnel.
Le Lac de l’Ouest était et est surtout un lieu de naturalité. La présence humaine était
minuscule et semblait se perdre dans le cadre naturel, ou au moins elle avait tendance
à être décrite de telle manière. L’impression de l’immensité des éléments naturels
comme le ciel et l’eau était exprimée explicitement. « Le Lac de l’Ouest prend
possession d’un ciel tout entier »282, et ce ciel se mêlait avec l’eau283 et faisait que le
paysage s'étendait à perte de vue. Lorsqu'il y a du brouillard, la scène devient encore
plus impressionnante par son caractère surnaturel.
279
Cao Bá Quát (1809-1854), Du Tây Hồ (Promenade sur le Lac de l’Ouest) ; présenté dans Đặng Duy
Phúc, op. cit., p. 209-212. Ce grand poète à lui seul a composé des dizaines poèmes sur le Lac de
l’Ouest.
280
Tây Thi (Xi Shi) est classée à la première place parmi les Quatre femmes les plus belles de la Chine
antique. Elle est souvent servie de référence pour valoriser la beauté dans la culture chinoise ainsi que
celle des pays voisins dont le Vietnam.
281
Nguyễn Vinh Phúc, op. cit., p. 137.
282
En vietnamien : « Hồ Tây riêng chiếm một bầu trời ».
Phùng Khắc Khoan (1528-1613) ; le poème est représenté partiellement dans Nguyễn Vinh Phúc, op.
cit., p. 138.
283
En vietnamien : « Nền trời sắc nước một màu », ce qui peut être traduit littéralement comme « Le
ciel et l’eau partagent la même gamme de couleur ».
Lê Thánh Tông (1442-1497) ; le poème entier est présenté dans Nguyễn Vinh Phúc, op. cit., p. 140.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 242
bruyante. Au contraire, il fait mieux ressortir la tranquillité, car il s’agit souvent des
sons très légers tels que ceux venant des vagues du lac, du battement des pilons (pour
la papeterie), des brises caressant les feuilles, d’une cloche résonnant de loin…, qui ne
peuvent être repérés qu’en ayant un silence comme toile de fond. Non seulement dans
le passé lointain, la tranquillité demeure encore jusqu'à récemment, si bien que les
gens ont parfois « envie d’écouter le son d'une cloche d'un vieux temple » 284.
Outre le ciel, l’eau et la brume, dans les œuvres poétiques et littéraires portant sur le
sujet du Lac de l’Ouest figurent aussi d’autres éléments marquants du système naturel
tels que les foulques noires, le lotus et le saule. L’image des troupes de foulques en
migration évoque chez les Hanoiens les souvenirs de l’automne (ou de l’hiver) ainsi
que la loi cyclique du temps avec des changements saisonniers. En plus de sa beauté,
le lotus apporte encore un parfum raffiné et implique le sens implicite de la pureté,
alors que les saules sur la rive du lac symbolisent la douceur et le romantisme.
284
En vietnamien : « Thèm nghe một tiếng chuông chùa vắng ».
Ngô Quân Miện, « Giây lát Hồ Tây » (Un instant au Lac de l’Ouest), dans le quatrain Đàn bốn dây
(Cithare à quatre cordes), Maison de publication de l’Union des Ecrivains, 2007.
285
Nguyễn Quý Đức (1648-1720) ; le poème entier est présenté dans Nguyễn Vinh Phúc, op. cit., p.
140-141.
286
Chanson Chiều Phủ Tây Hồ (Un après-midi au temple Phủ Tây Hồ) du musicien Phú Quang, dont la
parole est issue d’un poème de même nom du poète Thái Thăng Long.
287
En vietnamien : « Đêm vắng hồi chuông thu lẫn mộng ».
Nguyễn Thượng Phiên (1832-1905), Tây Hồ (Lac de l’Ouest) ; présenté dans Đặng Duy Phúc, op. cit.,
p. 237-238.
288
A titre d’exemples, on peut trouver plusieurs poèmes parlant des pagodes Trấn Quốc, Kim Liên, et
du temple Quán Thánh (ou Trấn Vũ Quán) dans Đặng Duy Phúc, op. cit., p. 218-239.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 243
Enfin, il est remarquable que de nombreux poèmes chantant le paysage aient été
composés pendant ou après les promenades en bateau sur le Lac de l’Ouest289. Bien
qu’il y ait peu de descriptions directes, on peut s'imaginer que les bateaux ici étaient
pour la plupart de petites barques assez simples. Elles ne perturbaient pas
l'atmosphère calme et contemplative du lac mais contribuaient encore au caractère
paisible existant.
En tant que modèle mémoriel pour la représentation de l’espace, les formes littéraires
prévalaient également sur les supports graphiques292. Cette supériorité prend aussi des
racines dans les bases indigènes de la culture locale. Elle résulte d’une conception de
l’espace, qui était identifié ou appréhendé plus par les activités ou les significations
accordées que par les éléments physiques concrets. Par conséquence, pour décrire
l’espace, on a donc tendance à le raconter plutôt que le dessiner.
289
Ce qui se reflète parfois même dans les titres. Tel est le cas du poème Cùng bạn chơi thuyền Hồ Tây
(Promenade en bateau avec un ami sur le Lac de l’Ouest), présenté dans Đặng Duy Phúc, op. cit., p.
208.
290
Phạm Vĩnh Cư, « Văn chương và hội họa Việt Nam » (Littérature et peinture au Vietnam),
Conférence internationale Littérature vietnamienne dans le contexte régional et international des
échanges culturels, Institut des Sciences sociales du Vietnam, Hanoi, 3-4/11/2006.
291
Le livre Đại Việt sử ký toàn thư (un ancien livre publié au XVIIème siècle sur l’histoire complète du
Vietnam) enregistre trois événements liés à la peinture pendant la dynastie des Trần (1226-1400). Il
montre que les Trần aimaient la peinture, connaissaient la valeur des tableaux, et les prenaient comme
moyens de récompenser les mandarins.
Trần Đình Sơn (interviewé par Lam Điền), Thư họa về Trần Nhân Tông do người Việt vẽ (Le tableau
de Trần Nhân Tông a été dessiné par les vietnamiens), Tuoitre.vn, 14/12/2012.
http://tuoitre.vn/tin/van-hoa-giai-tri/20121214/thu-hoa-ve-tran-nhan-tong-do-nguoi-viet-
ve/524821.html
292
Nathalie Lancret, op. cit., p. 74.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 244
Ainsi, bien que le Lac de l'Ouest soit mentionné et exalté dans la poésie et la
littérature depuis très longtemps, ce ne fut pas le cas avec la peinture. Il est difficile de
trouver les dessins représentant ce paysage à l’époque féodale. Peut-être, ils
existaient, mais furent abîmés avec le temps. Alors que la représentation picturale est
inséparable de la tradition paysagère occidentale, cette absence entraîne évidemment
des difficultés pour les recherches dans le domaine.
En dehors des figures divines réservées au culte et des ornements dans les décrets
royaux, les scènes de vie rurales reflétées dans la peinture folklorique constituent
probablement le motif le plus proche du paysage. Cependant, parce que ce sont des
activités quotidiennes, les dessins folkloriques les décrivent souvent dans un rapport
familier et il n’y a pas de scène grandiose. Le Lac de l’Ouest est trop grand et on ne
peut pas le reconnaître si sa présence est partielle ou minimisée. En outre, l'habitat
n’était pas situé majoritairement sur le front de lac. A part un certain nombre
d'activités productives sur l'eau comme la pêche ou la récolte du lotus, le lac est
notamment l’endroit destiné à la contemplation et à la méditation. Or, ce ne sont pas
vraiment les sujets de la peinture folklorique orientée vers la culture de masse, qui
préfère l’aspect naturel, simple et habituel plutôt que les grandes idées trop sublimes
de la peinture académique ou élitiste293. Révélant des influences chinoises et réservée
à des classes supérieures telles que les familles du roi et des mandarins, la peinture
académique ne se voit que principalement dans des tableaux ou des fresques
représentant les palais ou les paysages de Hue294 et des alentours. Les œuvres
picturales portant sur le Lac de l’Ouest qui ont été réalisées quand Thăng Long était
encore la capitale, le cas échéant, sont assez éloignées de notre temps pour pouvoir
survivre.
293
En fait, la sagesse populaire évoquée à travers la peinture est également très érudite, mais elle
s’exprime rarement de façon directe et explicite.
294
La dernière capitale des dynasties féodales du Vietnam.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 245
Fig. 232 & 233 – Photos du paysage du Lac de l’Ouest prises au début du XXème siècle
Source : Musée Albert-Kahn et carte postale ancienne
Dans la période régie par la nouvelle culture socialiste, le site maintenait toujours
l'état d’une zone suburbaine avec des caractéristiques rurales comme essentielles, son
paysage continuait d’évoluer mais il n’y avait pas des changements dramatiques au
niveau visuel, surtout pour les vues panoramiques. Quant à la motivation de la plupart
des artistes, leur peinture et leur photographie se concentraient sur l’encouragement
de la résistance et des événements excitants plutôt que sur l’exaltation des espaces
calmes et méditatifs. En dehors des photos de presse ou des productions de
propagande, les œuvres prenant le paysage comme thème prioritaire ne représentaient
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 246
pas encore des approches vraiment nouvelles par rapport aux principes de
composition précédents.
En termes de composition, les photos ne recourent plus trop à des formes classiques
comme avant, mais ont tenté d'introduire de nouvelles visions plus ouvertes et
contemporaines. Au lieu de l'harmonie, c’est l’impression qui monte sur le trône.
L'inclusion dans le cadrage des composants trop grands ou trop petits devient donc à
la mode. Les éléments d’avant-plan peuvent ne plus être nécessaires, ou si oui, c’est
parce qu’ils aident à approfondir le sens ou à souligner les contrastes plutôt que pour
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 247
Toutefois, en prenant un peu de recul, on trouve des choses qui ont peu changé. Après
une période d'enthousiasme initial avec la tendance à apprécier les caractères du yang,
les peintures et les photographies portant sur le Lac de l'Ouest redonnent la préférence
à des éléments enclins au yin tels que la naturalité (eau, ciel, végétation…), la ruralité
(villages, fêtes villageoises, artisanats, activités d’agriculture et d’aquaculture…), des
vestiges historiques et des constructions religieuses, la tranquillité et la sérénité,
l’espaces de détente et de contemplation, l’atmosphère irréelle…, plutôt que
d’encourager l'animation ou de focaliser dans d'immenses bâtiments295. Sans compter
des fins publicitaires, une présence considérable de grands bâtiments sur les photos, si
elle existe, sert souvent de fond pour mieux faire ressortir en contraste les éléments du
yin comme sujet central (un petit marchand ambulant, une scène de pêche idyllique…,
avec des bâtiments arrogants à distance). Dans une vie de plus en plus stressante, ceci
est certes lié à la demande d’un rétablissement de l'équilibre. Tandis qu’auparavant, la
vie en gros était relativement équilibrée ou inclinée vers le yin, l’excès du yang,
omniprésent aujourd’hui, conduit à la recherche d’espaces inverses, pour se calmer.
Le paysage du Lac de l’Ouest agit donc comme une soupape de décharge pour libérer
le stress, un milieu aidant à se débarrasser des soucis quotidiens.
295
Pour connaître les éléments préférés du paysge du Lac de l’Ouest dans la perception publique,
l'option de recherche sur image fournie par Google est un excellent outil.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 248
Une telle préférence ne signifie pas toujours qu’elle nie le rôle du développement en
faveur d’une nostalgie. Les tableaux et les photos montrent encore une admiration
pour la diversité à travers des représentations très vivantes et riches en couleur, en
texture, en forme, en temps, en style et en ambiance… L’exaltation des éléments
enclins au yin montre non seulement les prédilections accordées, mais également les
demandes implicites de leur protection dans le contexte du développement, tendance
évidente. D’une manière indirecte, les œuvres sont contre un développement à tout
prix, et suggèrent une reconnaissance de la position et de l'importance particulière de
ce paysage, comme un endroit exigeant prioritairement beaucoup de sensibilité.
Concernant l’outil d’analyse, cette section partage une certaine logique avec la
précédente en se focalisant aussi sur les représentations de l’objet. La différence ici
est l’objet comme on veut qu’il soit plutôt que le réel, car non seulement les plans de
développement, même les cartes anciennes peuvent donner à lire les aménagements
postérieurs à la date de la situation représentée296. Les données venant de l’objet réel,
c’est-à-dire du site dans la réalité, n’ont pour but que d’appuyer les critiques. Tenant
compte des limites, le travail cherche à explorer et à résumer les caractéristiques
principales, mais il ne prétendrait pas une investigation trop complète ou détaillée.
296
Nathalie Lancret, op. cit., p. 76-77.
297
Christian Pédelahore de Loddis, « Hanoï et les figures de l’eau », dans Pierre Clément et Nathalie
Lancret (sous la direction de), Hanoï – Le cycle des métamorphoses : Formes urbaines et
architecturales, Paris, Éditions Recherches/Ipraus, 2001, p. 43.
298
Ibid, p. 49.
299
Lý Thái Tổ, Edit de transfert de la capitale (en vietnamien :Chiếu dời đô), 1010; traduit et cité par
Philippe Papin, Histoire de Hanoi, Paris, Fayard, 2001, p. 46.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 250
forme plus ou moins sinueuse. Dans ces endroits où s’accumule toujours le souffle
vital (sinh khí) pour la vie de l’homme et d’autres êtres vivants300, le Lac de l’Ouest
est perçu comme le « cerveau liquide » (Não Thủy) pour la capitale301.
En fait, le choix de l'emplacement de Thăng Long n’est pas entièrement une propre
décision de Lý Công Uẩn. Il a pris comme référence les héritages du gouverneur
chinois Gao Pian302, ce que l’empereur lui-même a avoué aussi dans son Edit de
transfert de la capitale. Grand bâtisseur et géomancien de talent, Gao Pian avait
reconnu tôt les caractéristiques optimales du site et a établi le célèbre schéma dans
lequel le lac de l’Ouest détient une position centrale.
En tant que régulateur pour le système hydraulique, le lac joue encore un rôle majeur
pour protéger la ville des inondations. À l’époque, il était lié au fleuve Rouge par les
deux rivières Tô Lịch et Thiên Phù. Avec d’autres lacs plus petits, il absorbe la crue
du fleuve et les eaux pluviales303. En regardant son immensité, on comprend bien son
importance à la sécurité de la capitale.
300
Khương Văn Thìn, op.cit.
301
Trần Thanh Vân, Phong thủy và linh khí Thăng Long (Feng-shui et les gaz miraculeux de Thăng
Long), http : hanoi.org.vn/planning/archives/81
302
Cao Biền, en vietnamien, qui avait fait construire l’ancienne citadelle sur le milieu en 866.
303
Papin, op. cit., p. 29.
304
Pierre Gourou, op. cit., p. 259.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 251
passé mais aussi actuellement, c’est depuis les bords du Lac de l’Ouest que l’on peut
voir le plus clairement les trois sommets du mont Tản Viên quand il fait beau. Dans
un territoire plat, ceux-ci ne sont pas qu’une contribution à l’embellissement du
paysage, mais aussi un dispositif indispensable pour l’harmonie du Feng-shui, qui a
été mentionné dans l’Edit de transfert de la capitale ainsi que dans le schéma du Gao
Pian (en haut, à droit).
Le plan de Thăng Long publié en 1490 à l’époque de Hồng Đức305 est considéré
comme la première carte de la ville306. Après le schéma de Gao Pian, l’absence
pendant longtemps des représentations graphiques reflète ce dont Lancret a parlé à
propos de la domination des formes littéraires307 comme modèle mémoriel principal.
Durant la période féodale et jusqu'à avant la colonisation, le Lac de l’Ouest était
toujours présenté entièrement sur les plans comme un composant inséparable de la
capitale. Ceci confirme à nouveau la place irremplaçable du lac pour maintenir
l’harmonie de l’ensemble sous l’angle du Feng-shui, car les interventions physiques
de la cour centrale sur le site étaient encore peu nombreuses et éparpillées. En dehors
des villages formés de façon naturelle, les constructions remarquables comprenaient
l’enceinte extérieure (dès 1014, avec le talus composé de levée de terre et planté de
bambous) qui englobait la ville et le Lac de l’Ouest308, le barrage de Cổ Ngư (en
1514) et les aménagements pour le divertissement de la monarchie309, quelques
305
Cette époque est liée au règne de Lê Thánh Tông, un roi très connu en tant que grand réformateur.
306
Philippe Papin, op. cit., p. 123-124.
307
Nathalie Lancret, op. cit., p. 74.
308
C’était aussi un rempart contre la crue du fleuve Rouge et des rivières comme Tô Lịch et Thiên Phù
(Ibid, p. 69-70). Outre des éléments déjà parlés, il en reste des traces sur le décalage de niveau que l’on
peut trouver au nord de l’actuel chemin Lạc Long Quân.
309
Ibid, p. 126.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 252
La présence complète du Lac de l’Ouest, avec celle des cours d’eau comme éléments
indissociables de la capitale, manifeste aussi l’esprit dialectique oriental, qui diffère
des séparations de l’esprit analytique occidental montré ultérieurement dans les plans
de Hanoï à l’époque coloniale. Suivant une conception visant à mettre en concordance
le macrocosme et le microcosme, Thăng Long est donc représentée toujours comme
un ensemble cohérent avec les éléments naturels ayant configuré le site, mais ne se
limite pas qu’aux seuls milieux urbains. Cependant les villages périphériques dont
ceux autour du lac, qui entretiennent une relation réciproque avec la citadelle, n’ont
pas été marqués. À l’égard du plan de la ville dressé en 1770312 (sous la tutelle des
seigneurs Trịnh), on y constate aussi l’absence de la cité marchande (kẻ chợ), bien
qu’elle se trouve juste à côté du centre et était décrite par les voyageurs étrangers bien
avant. La raison est que ces endroits ne bénificaient pas de statut privilégié dans
l’ordre social. Alors la représentation a porté sur les espaces du pouvoir et d’autres
éléments nécessaires dont les dispositifs naturels pour refléter une conformité aux
modèles symboliques ou cosmologiques à l’époque313.
humaine par rapport au lac immense. Le paysage du côté rivière était ainsi plus animé,
alors que celui du lac demeurait assez silencieux.
Dans certains plans plus tardifs, par exemple la carte de Hanoï au début du XIXème
siècle ou celle de 1873 (avant que la ville soit devenue officiellement le territoire
français avec des changements de grande ampleur), le Lac de l’Ouest n’était présent
que partiellement. Le fait qu’on se concentrait de plus en plus sur l’objet principal
sans être obligé de représenter tout l’ensemble montre les influences occidentales,
après un long temps d’échange. Une telle focalisation permettait d’aller plus loin dans
le détail et favorisait l’exploitation du site en mieux révélant des potentialités
géographiques316. Toutefois, il existe encore des plans érigés à la fin du XIXème
siècle, qui continuent à figurer le lac entier dans sa dimension symbolique plutôt que
réelle.
Fig. 242 – Carte de Hanoï au début du XIXème siècle (à gauche). Les lacs de l’Ouest et de
Trúc Bạch se trouvent des deux côtés de l’enceinte au nord-ouest du plan.
Source : Nathalie Lancret, op. cit., p. 58.
Fig. 243 – Carte de Hanoï à la fin du XIXème siècle (à droite). Les deux lacs sont réduits et
placés au nord-ouest de la citadelle (entre la rivière Tô Lịch et le fleuve Rouge).
Source : Comité des historiens (Quốc sử quán) de la dynastie des Nguyễn, Đồng Khánh Địa
Dư Chí (Atlas géographique du Vietnam à l’époque du roi Đồng Khánh), 1886-1887.
316
Ce qui devient plus nécessaire avec le développement des échanges vers l’extérieur, en aidant à
mieux projeter les aménagements commerciaux et portuaires. Un regard neuf sur le territoire est alors
porté par le marchand, qui plus est le voyageur.
Nathalie Lancret, op. cit., p. 76.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 254
Au lieu des formes plus académiques ou rigoureuses choisies par les cartes françaises,
les cartes d’origine vietnamienne à l’époque féodale utilisaient toujours
simultanément différents modes d’expression graphique pour faciliter la lecture: vues
en plan, en élévation ou en axonométrie. Regardant le plan de Hanoï en 1873, un
document apparaissant assez tard et déjà très proche du langage cartographique
occidental, on voit encore la participation non seulement des éléments spatiaux mais
également des présences humaines et aviaires (les bateaux sur le fleuve Rouge, les
foulques noires). Même l’imaginaire figure aussi à côté du réel (les deux buffles
rappelant le mythe de création du lac), et tous étaient décrits ou expliqués
soigneusement en légende. Ces points spécifiques reflètent une fois de plus la pensée
dialectique locale dans la représentation de l’espace.
Fig. 244 – Carte de Hanoï en 1873, qui illustre pour partie des éléments considérés
comme les plus importants dans le paysage du Lac de l’Ouest: les anciens villages, la
pagode de Trấn Quốc et le temple de Quán Thánh, les foulques noires, le lotus, les
deux buffles d’or liés au mythe de création du lac.
« Bâties ‘en présence du lieu même’, les images reposent sur la nouveauté du
terrain, sur un rapport immédiat à l’objet et sur la force massive du présent.
De fait, le nouveau venu n’a pas accès à la « mémoire vraie », à la mémoire
des lieux qui résulte d’une expérience vécue et reconduite implicitement de
génération en génération. La reconnaissance et la restitution de l’espace
lointain, de l’espace de l’autre s’effectue dans un présent sans passé… » 317
Tandis que sur la carte de 1873, les monuments historiques et les espaces naturels se
présentent vivement en grand nombre à la fois en plan et en légende, dans les cartes
postérieures d’origine française, ils étaient rendus absents ou neutres, et y perdaient
toute leur dimension mémorielle ou mystique. Sur la carte de 1883, le Lac de l’Ouest
se voit de façon très modeste, le seul monument marqué est la pagode du Grand
Bouddha. Même un vestige de premier importance, comme la pagode de Trấn Quốc,
avec son emplacement si privilégié, n’attirait pas encore l’attention des français à ce
moment.
Le Lac de l’Ouest figurait rarement d’une manière intégrale dans les plans de Hanoï.
Sa présence était souvent partielle et nous fait penser plus à une limite qu’à un
élément constituant de la ville. Il existait des exceptions, les cartes de « Hanoï et
environs », ou quelques plans élaborés plus tard illustrant les idées d’extensions
317
Nathalie Lancret, op. cit., p. 86.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 256
ambitieuses mais non encore réalisées. Ceci démontrait pour partie la place subalterne
du lac dans la composition urbaine. Il résulte également des ambiguïtés sur les
frontières administratives, qui étaient liées au statut de Hanoï dans les premiers temps
(devenue français depuis 1888, promue capitale de l’Indochine en 1902)318.
Une position marginale apporte aussi des avantages. L’éloignement des pôles urbains
a aidé des temples et pagodes dans le site à échapper aux opérations de destruction qui
touchent de nombreux édifices vietnamiens anciens au centre de la ville319, du fait
qu’ils empêchaient l’application d’un modèle urbanistique occidental ou qu’il fallait
les remplacer par les nouveaux bâtiments marquant le changement de pouvoir. La
pagode de Kim Liên, le temple de Quán Thánh… ont pu ainsi éviter le même sort que
certains monuments historiques situés autour du Petit Lac320, l’endroit jouant le rôle
de visage ou de vitrine pour l’administration coloniale. Il convient de noter qu’à
propos des politiques régies par les représentants de l’armée et de la religion
catholique au début de la colonisation, la question de conservation du patrimoine local
ne se posait pas.
À partir de premières années du XXème siècle, des cartes (comme celle de 1902)
commençaient à montrer l’envie d’étendre la ville vers l’est sur l’autre rive du fleuve
Rouge. Avec l’achèvement du pont Long Biên et le passage de la ligne de chemin de
fer, ce fleuve n’était plus une limite infranchissable. Quant au Lac de l’Ouest, il
semble qu’il était trop grand pour que la ville puisse l’englober. Jusqu’à la carte de
1929, les aménagements de nouveaux îlots ne gagnent que les espaces méridionaux
du Lac de l’Ouest et s’arrêtaient aux bords du lac de Trúc Bạch. Nommé Cổ Ngư à
l’époque, l’actuel chemin de Jeunesse ne constituait pas encore une voie de
communication principale. Parfois, la fréquentation y était si faible que les gens
n’osaient pas traverser le soir321.
Cổ Ngư était pourtant un rare endroit facilement accessible pour admirer le paysage
du lac et profiter de la fraîcheur de son ambiance. Après la Première Guerre mondiale,
avec la popularité de l'automobile comme moyen de transport personnel, ce chemin
est devenu l'adresse préférée des Français pendant l'été à la fin de journée322. En face
318
Ces frontières étaient définies par une distinction entre le territoire de la « municipalité » et celui de
la « concession », ou entre la ville française et ses faubourgs qui appartenaient au protectorat.
Philippe Papin, op. cit., p. 225-228.
319
France Mangin, p. 107.
320
On peut mentionner à titre exemple les pagodes telles que Báo Thiên (remplacé par la cathédrale),
Báo Ân (cédant la place à la direction des Postes) ou Tàu (l’actuel Hôtel de Ville).
321
Tungnam, Đường Cổ Ngư - đường Thanh Niên (Chemin Cổ Ngư - chemin Thanh Niên), 16/09/2010.
http://yeuhanoi.vn
322
Pour la communauté urbaine vietnamienne, la fréquentation du chemin Cổ Ngư pour les activités de
ce genre ne devient populaire qu’à partir des années 1935-1936 avec le mouvement Vui vẻ trẻ trung
(qui encourage les locaux à mener une vie joyeux et jeune).
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 257
Jusqu’à ce moment-là, bien que Hanoï ait été capitale de l’Indochine, son
aménagement ne suivait aucune vision prospective attestée. Le plan directeur apporte
ainsi un cadre conceptuel pour « organiser la forme urbaine, non pas au gré des
opportunités foncières et des mouvements de populations, mais dans une logique de
planification qui anticipe les développements »324. Influencé par l’esprit du zoning qui
était en vogue à l’époque, Hébrard avait conçu le Lac de l’Ouest comme élément
central d’un espace vert gigantesque pour toute la ville. Au lieu de garder sa forme, il
a divisé le grand lac en deux pièces d’eau plus petites qui se relient l’une à l’autre et
chacune reflète une ambiance légèrement différente. Les villages aux alentours
seraient conservés au niveau de leur structure afin de maintenir une continuité
harmonieuse avec de grands parcs formés sur une partie comblée de la surface d’eau.
L’intention de remblayer une grande partie du lac pour en faire des parcs est bien sûr
une idée audacieuse. Néanmoins, sous un angle quelconque, elle montre un certain
respect d’Hébrard pour les anciens villages traditionnels par rapport à une préférence
323
Architecte, archéologue et urbaniste de grande réputation, Ernest Hébrard a été nommé à la tête du
Service central d'architecture et d'urbanisme de Hanoï en 1923. Suite à la demande du gouverneur
Maurice Long, cet établissement public a été créé en correspondance avec la loi Cornudet adoptée en
1919, qui oblige tous les communes de plus de 10 000 habitants (en France métropolitaine ainsi que les
territoires d’outre-mer) à se doter d’un plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement.
Emmanuel Pouille, « Hanoï : Ernest Hébrard et la question de l’urbanisme en Indochine », dans Pierre
Clément et Nathalie Lancret (sous la direction de), op. cit., p. 118-119.
324
Ibid., p. 118-120.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 258
de la table rase comme nous le verrons plus tard. Les espaces verts prévus ont une
superficie approximativement égale à celle du centre de Hanoï à l’époque, et
manifestent donc une vision très lointaine et ambitieuse sur l'avenir325. La division du
grand lac en deux peut être interprétée comme un effort de réduire son immensité à
une échelle plus appropriée et créer des effets pittoresques (avec le pont, et le fait que
l’ensemble ne serait pas tout présent dans la même scène). Elle peut aussi provenir du
fait que le contour du lac n’était pas bien délimité comme maintenant, mais avec
d'innombrables champs de lotus et de roseaux qui rendaient vraiment difficile la
détermination des surfaces d’eau (ce qui est assez visible en regardant la photo
aérienne prise en 1936326). La conception d’Hébrard partage également des points
communs dans la forme et l'organisation spatiale avec de grands parcs et jardins
publics en métropole ou en Europe conçus au début du XXème siècle. Malgré
l’utilisation de nombreuses courbes, elle montre une structure géométrique nette avec
l'accentuation sur les axes, les limites, et les perspectives qui intègrent des dispositifs
monumentaux.
Pour diverses raisons, l'idée de créer cet immense espace vert ne s’est pas réalisée. Le
plan directeur d’Hébrard a contribué à changer le visage de plusieurs endroits
importants à Hanoï, mais n'a pas eu des impacts directs sur le paysage du Lac de
l'Ouest. Toutefois, il est indéniable qu’il a augmenté la position du lac et a encouragé
l’urbanisation vers ce site327. Sur la carte de la ville en 1925, le Lac de l’Ouest
apparaissait avec une portée beaucoup plus grande. Dans les plans postérieurs, la
présence du lac varie selon le degré de préoccupation du gouvernement colonial pour
l'expansion ou pour la consolidation et l'amélioration des zones urbaines existantes.
Parfois, le lac figure dans son intégralité comme on peut le voir sur le plan « Hanoï et
délégation spéciale » en 1943, ou il est réduit à un petit coin comme dans le plan
« Hanoï économique » en 1951. En parallèle avec les mutations politiques ou sociales
qui avaient lieu, cela montre les changements dans l'ordre de priorité avec le passage
des intérêts culturels ou patrimoniaux à long terme vers les objectifs pragmatiques et
transitoires à court terme.
325
Dans une certaine limite, cette disposition d’Hébrard peut se traduire aussi comme la création des
réserves foncières pour le futur.
Ibid., p. 124.
326
Voir dans les annexes.
327
En fait, une grande partie du plan directeur d’Hébrard est consacré à l’aménagement du quartier du
gouvernement général, qui se situe à l'extérieur des limites de la zone d'étude, mais assez près du lac de
l’Ouest.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 259
Fig. 247 – Plan de la ville de Hanoï, édité par le service géographique de l’Indochine en 1925 (à
gauche).
Source : Fonds Louis-Georges Pineau, Centre des archives de l’Institut français d’architecture, Paris
Fig. 248 – Hanoï économique, plan dressé par le service du cadastre du Nord-Vietnam, 1951 (à droite).
Source : Bibliothèque nationale de Hanoï
Au mépris de sa présence variable dans les cartes, le lac de l'Ouest occupe toujours
une place importante dans les propositions d’extension de la ville. Inspirée par le plan
directeur d’Hébrard, une esquisse générale dressée en 1940 pour l’aménagement des
zones suburbaines de Hanoï a proposé d’usurper sur le lac et d’établir une structure
axiale qui chevauche l’ancienne trame des villages. De telles interventions seraient
difficiles à être considérées comme respectueuses de l'environnement naturel et de
l'histoire du site. Cependant, à l’égal de grands parcs d’Hébrard, elles sont
compréhensibles si l’on les met dans le contexte dominé par l'esprit libre du
modernisme de l'époque, quand l'aspect patrimonial et la dimension écologique
n’étaient pas encore les obsessions répandues comme maintenant. C'est dans cette
optique que l’on devrait apprécier les significations et les valeurs du plan
d’aménagement dressé par Pineau en 1943. Bien que globalement, ce plan rappelle
celui d’Hébrard328, mais pour la région du lac de l’Ouest en particulier, il montre une
considération beaucoup plus attentive au site. Pineau n’avait pas touché la
configuration du lac, et il préservait aussi les villages traditionnels avec les espaces
verts intégrés. Dans certains endroits, une mixité limitée est prévue avec l’insertion
des fonctions nécessaires pour améliorer l’accessibilité des services publics (au
village Tây Hồ, par exemple). Sans trop modifier la ligne d’horizon, l’exploitation
foncière la plus remarquable se trouvait au nord-ouest et était donnée aux villas
unifamiliales de type européen. Les zones inondables à l’extérieur de la digue
328
Louis-Georges Pineau était le successeur d’Hébrard au service central d’architecture et d’urbanisme.
Il est véritablement celui qui reprend les réflexions et les attitudes contextualistes d’Hébrard.
David Peyceré, « Louis-Georges Pineau et ses archives à l’Institut français d’architecture », dans Pierre
Clément et Nathalie Lancret (sous la direction de), op. cit., p. 94-95.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 260
restaient intactes pour maintenir la section transversale du cours d’eau lors des crues
annuelles.
En 1951, le plan d’aménagement conçu par l’architecte Phạm Gia Hiển reprend
presque le même cadrage et la même limite du plan de Pineau. Concernant le Lac de
l’Ouest, la forme du contour n’était pas non plus affectée, mais les anciens villages
aux alentours commencent à être perturbés par l’implantation de nouvelles
morphologies dans les milieux stratégiques. Une démonstration claire est
l’organisation spatiale de la péninsule de Quảng An, où la structure concentrique
manifeste de façon explicite l’ambition de créer une figure emblématique dominante.
A cause des agitations sociales et de la dispersion des ressources dans les guerres,
l’application des plans d'expansion ambitieux reste limitée. En dehors de quelques
quartiers méridionaux et de ceux situés autour du lac de Trúc Bạch, une grande partie
du Lac de l’Ouest était encore exclue du processus d'urbanisation pendant l’époque
coloniale. Mais ces plans ont établi les bases référentielles précieuses pour les futurs
projets de développement. Bien qu’il y ait des différences dans l’évaluation ou dans
les approches choisies, le lac est toujours envisagé dans les plans d’aménagement
comme un endroit privilégié réservé à la nature et aux espaces de détente ou de
contemplation. La conservation des villages traditionnels est recommandée en
général, non seulement grâce aux respects de la culture locale ou à l’adaptabilité aux
conditions sociales et économiques, mais aussi en raison de la concordance entre le
paysage caractéristique des villages et l’ambiance sereine visée. Même inséré dans
l’environnement urbain, il est préféré que le lac reste un espace calme pour aider à
rétablir un équilibre harmonieux à l’échelle de la ville, plutôt que de rivaliser avec
d’autres zones de développement pour devenir un noyau animé. Le maintien des
caractères du yin est alors toujours désiré pour ce paysage, tant dans le présent que
dans l'avenir reflété à travers des plans.
Hanoï socialiste
Après le départ des français en 1954, Hanoï devient la capitale d’un pays socialiste.
L'augmentation de la population dûe aux flux d'immigration ainsi que la nécessité de
construire une image pour le nouveau régime ont conduit à des genèses successives de
multiples plans d’aménagement de la ville.
Dès les premiers plans érigés dans les années 1956-1960 et 1960-1964, le rôle du
centre d’un Hanoï élargi est toujours accordé au Lac de l’Ouest. Ce qui est intéressant,
c’est que ce centre soit composé d’un immense espace vert. Il s’agit d’une ceinture
verte qui englobe le lac et comprend également les villages traditionnels, les terres
agricoles, les quartiers coloniaux au sud et au sud-est (qui entourent le lac de Trúc
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 262
Fig. 252 & 253 – Plans d’aménagement de Hanoï érigés dans les années 1956-1960 (à gauche)
et 1960-1964 (à droite).
Source : Institut d’Urbanisme de Hanoï
Certes, l’idée d’une ville agrandie incluant le Lac de l’Ouest n’est pas nouvelle. Mais
dans les plans à l’époque française, le lac se situait au nord d’une ville qui s’étendait
plutôt vers le sud. Faire du lac le centre-ville est une grande différence, et cette
disposition est maintenue dans tous les plans d’aménagement à partir de cette période.
329
Ancien Palais du Gouverneur Général de l’Indochine.
330
Tạ Mỹ Duật, Hồ Tây với quy hoạch Thủ đô mở rộng (Lac de l’Ouest avec l’aménagement de la
capital élargie), Đại Đoàn Kết (hebdomadaire), 11/06/1977.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 263
Sur les plans érigés entre 1956 et 1964, la plupart de grandes avenues s’arrêtent à une
voie périphérique extérieure. La ceinture verte avec les villages anciens situés autour
du lac ne serait donc pas violée et pourrait exister plus ou moins comme une entité à
part. Cette idée ne se voit plus sur le plan de 1981. Dans le dessein d’engendrer de
nouvelles perspectives et renforcer les liens visuels entre le lac et les zones à distance,
la ceinture vert est divisée et fragmentée à l’ouest et au sud par innombrables percées
grandes et petites. Le lac devient maintenant un véritable noyau dans une disposition
concentrique331 caractéristique de la planification socialiste332. Les villages
traditionnels ici avec la trame et d’autres éléments typiques sont supprimés. Sous
l’angle de l’idéologie dominant à l’époque, leur présence au milieu urbain est
regardée comme synonyme de la féodalité ou d’une situation arriérée, donc un
obstacle pour un Hanoï moderne. L’atmosphère légère et sympathique des villages
anciens est remplacée par le caractère grandiose et monumental afin de souligner
intentionnellement le contraste avec le passé et d’apporter un nouveau visage plus
adapté à une capitale socialiste. Là, les formes considérées comme symbole universel
d’une société civilisée et progressiste doivent savoir dépasser le caractère local voire
national.
Dans ce contexte, même si les temples et pagodes pouvaient subsister, ils ne seraient
que les objets de décor qui se trouvent isolément. La diminution de leur signification
est sûre, mais il semble qu’elle n’attire pas trop l’attention des auteurs. Le caractère
radical de l’idéologie socialiste n’encourage pas non plus une pluralité de sens. Le
plan d’aménagement de 1981 se dirige nettement vers un changement complet du
paysage du Lac de l’Ouest. À l’égal des motifs pour lesquels le mouvement Moderne
a été critiqué, les répétitions monotones à grande échelle ainsi que les espaces
immenses entre les bâtiments dilueraient l’ambiance et rendraient difficile
l’identification. En gros, les formes mécaniques ont remplacé l’ancienne structure
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 265
organique. Dans l'urbanisme socialiste, comme le niveau de vie se traduit par les
normes plutôt quantitatives, en mètres carrés des terrains à aménager ou les
indicateurs de surfaces (d'équipement public, d'espace vert et de logement par
habitant), l'aménagement urbain était conçu comme la mise en œuvre spatiale des
objectifs définis par ces données333. Alors une telle approche s’intéresse peu à la
relation entre la morphologie bâtie ou la qualité spatiale et le comportement des gens,
ce qui peut causer des problèmes complexes en termes de sociologie urbaine.
Le rôle secondaire des architectes vietnamiens constitue aussi une raison conduisant à
l’inadaptation des plans au contexte naturel et culturel. Depuis 1960 et jusqu’en 1988
au moins, l’Institut d’Urbanisme de Hanoï en fait n’a jamais effectué lui-même un
plan d’aménagement, et les recherches étaient toutes assumées par les Soviétiques334.
Les projets de ce genre sont assez complexes et ils demandent un grand nombre
d’experts de compétence. À l’époque, le Vietnam manquait de telles personnes
qualifiées. De plus, comme les architectes locaux de premier rang étaient formés par
les Français pendant la période coloniale, il est clair que le caractère radical de leur
pensée socialiste reste encore à prouver.
En raison des effets de la guerre, des conditions économiques difficiles ainsi que d’un
optimisme excessif335, les plans d’urbanisme susmentionnés apportent les valeurs de
333
Pandolfi, op. cit., p. 68-69.
334
Tạ Mỹ Duật, « Lettre au Parti et au Comité populaire de la ville de Hanoi », 1988 ; dans Tạ Mỹ
Dương, op. cit., p. 245.
335
Logan, op. cit., p. 327.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 266
Outre des impacts objectifs, le fait que les projets d’urbanisme n’étaient pas fondés
sur les réalités économiques mais sur l'ambition des dirigeants ou sur les fins
politiques est la raison subjective majeure pour qu’ils existent seulement sur le papier.
En fait, la faisabilité de tels projets démesurés a été remise en cause dès le début par
les aménageurs du ministère de la construction337. L’approche urbanistique soviétique
n’autorisait pas non plus un ajustement flexible des plans lorsque cela est nécessaire,
ce qui est dû en grande partie à la centralisation de la prise de décision et de la
répartition des forces productives338.
336
Voir dans les annexes.
337
Pandolfi, op. cit., p. 69.
338
Logan, op. cit., p. 324.
339
Rappellons que dans la période de l’économie subventionnée, les habitants urbains ne pouvaient pas
acheter librement les matériaux de construction.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 267
Le manque de précision est une cause qui nécessite d’avoir des plans d’aménagement
plus détaillés, particulièrement pour un paysage historique sensible et très convoité
comme Lac de l'Ouest. De tels plans aideraient à promouvoir davantage le potentiel
de croissance, et en même temps, serviraient d’outil pour contrôler les désirs
d’intervention excessifs. Le processus de l’ouverture a diversifié les points de vue et a
facilité les voix critiques. Outre les exaltations comme des symboles du
développement, plusieurs projets d'investisseurs étrangers ont provoqué une profonde
inquiétude non seulement du côté des experts mais aussi du côté du grand public. Le
retard dans l'achèvement et la promulgation des plans détaillés mène souvent à des
340
Voir dans les annexes.
341
Avec le fait que leur applicabilité reste très limitée dans la réalité, ces plans colorés sont donc
fréquemment raillés et qualifiés comme « dessins de décor » pour des bureaux administratifs.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 268
doutes sur les fins, par exemple sur une prolongation de période transitoire qui peut
aider certains projets à échapper aux futures règles.
342
Voir l’ensemble dans les annexes.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 269
Fig. 256 – Des nouveaux quartiers créant une continuité avec les anciens villages,
perspective tirée du document de 1991.
Source : Trần Huy Ánh – Hanoi Data
Les observatoires potentiels et les axes visuels importants sont déterminés et spécifiés.
Dans l’angle de vue le plus prioritaire343, la péninsule Quảng An et le temple
légendaire Phủ Tây Hồ sont présents avec l’arrière-plan de champs de fleurs au nord-
ouest (qui longent le chemin Lạc Long Quân). Des excursions en bateau pour
découvrir les temples et les anciens villages sont rétablies avec la concrétisation de
l’itinéraire et des points d'arrêt. Les activités sur l’eau sont réparties en zones
dynamiques, statiques et transitionnelles pour favoriser la gestion et pour éviter
d’affecter les atmosphères caractéristiques associées à des monuments ou endroits
particuliers. L’ouverture d’une nouvelle plage publique assez longue est prévue sur la
rive ouest du lac. Elle revivifierait certainement le secteur, qui restait encore peu
développé jusqu'à ce moment-là.
343
Il est le seul qui est marqué sur le plan.
344
Voir dans les annexes.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 270
Fig. 257 – Plan détaillé proposé pour les quartiers méridionaux, document de 1991.
Source : Trần Huy Ánh – Hanoi Data
Puisqu’en attendant la révision, la voie était libre pour tous les projets d'aménagement
proposés par les investisseurs étrangers347, le schéma directeur de 1998 implique en
quelque sorte une légalisation de certains projets proposés précédemment. Ceci se voit
aussi dans les modifications du plan détaillé du Lac de l’Ouest approuvé en 2001,
345
Pandolfi, op. cit., p. 405.
346
Voir dans les annexes.
347
Pandolfi, op. cit., p. 500.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 271
dont la plus marquante est la présence de la Cité urbaine Ciputra qui occupe une part
de la ceinture verte prévue auparavant.
Source: Service
d’Urbanisme et
d’Architecture de Hanoï
En général, le plan de 2001 hérite des traits majeurs du plan de 1994 mais s’avère plus
réaliste et pragmatique. L’espace vert entourant le lac qui autrefois disposait d'une
grande superficie est diminué et rendu moins manifeste maintenant. Pour les parties
ouest et nord-ouest dans la zone délimitée par le chemin Lạc Long Quân et la
nouvelle voie périphérique conduisant au pont Nhật Tân, il cède presque totalement sa
place aux nouveaux projets de développement immobilier. La rivière Tô Lịch se
transforme en un égout enterré mais laisse son empreinte avec la rue ouverte au-
dessus. Les complications rencontrées dans la libération de terrains ici semblent être
la raison principale pour laquelle la succession de grands lotissements réservés aux
hôtels et tours de bureaux a été abandonnée et remplacée par une mise en place plus
ponctuelle. Les anciens villages continuent d’être conservés, et l’idée des itinéraires
de promenade en bateau sur le lac est gardée aussi. Le plan de 2001 retient et
développe les grands axes qu’avait suggérés celui de 1994. Parmi eux, les plus
remarquables sont l’axe ouest avec le projet de Cité Tây Hồ Tây et l’axe
emblématique est qui traverse la péninsule Quảng An et se prolonge jusqu’au fleuve
Rouge.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 272
L’idée de tels axes est passionnante et très significative. Cependant, en plus du fait
que le lien avec la citadelle de Cổ Loa devient abstrait quand il est rompu
soudainement au fleuve par le manque d’un pont, l’axe spatial élargi sur la péninsule
Quảng An est aussi nettement hors d’échelle. À l’égard de la délicatesse et de la
sensibilité face au contexte, qui sont les exigences essentielles pour une position
stratégique et emblématique tant au niveau esthétique que sur la dimension spirituelle,
la conception de cet axe est un recul par rapport à des plans précédents. Un rôle
important n’est pas nécessairement associé à quelque chose d’aussi grand, surtout
quand cette disproportion perturbe voire détruit l’environnement historique et la
sérénité existante des pagodes Phổ Linh et Hoằng Ân, et coupe entièrement les
348
Voir dans les annexes.
349
La capitale du pays à l’époque du roi An Dương Vương, au IIIème siècle avant J.C.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 273
relations avec les villages Tây Hồ et Quảng Bá auxquels ces pagodes appartiennent.
Le motif du jardin « à la française » avec des traits se référant au pouvoir absolu de
l’époque du roi Soleil Louis XIV semble tomber du ciel. Avec des espaces ouverts
trop vastes, il dilue l’ambiance de l’ensemble et révèle plus clairement la rudesse de
l’approche choisie.
La qualité des plans constitue bien sûr un autre problème, dont la raison ne provient
pas que de la faiblesse des travaux de prévision. Le plus grand inconvénient des
méthodes de planification actuelles est qu’elles poursuivent toujours les objectifs
déterminés subjectivement de l’extérieur mais tiennent compte très peu de l’opinion
des gens qui vivent à l'intérieur. Les modèles importés accompagnés des politiques de
planification et de gestion bureaucratiques pour créer un environnement « ordonné et
discipliné » conduisent souvent à des produits abstraits et imposés. Malgré certains
progrès récents, une approche participative avec l’implication de la communauté dans
la planification est encore très rare, et sa mise en œuvre s’arrête uniquement au niveau
des expérimentations à petite échelle. Dans les meilleurs cas, son introduction dans le
projet n’a pour objet que d’améliorer la faisabilité, mais ne reflète pas un vrai désir de
considérer les aspirations des habitants comme une partie intégrante et indispensable
du programme.
Un point notable du processus d'élaboration des plans d’urbanisme est que, dès le
début, il n’a pas suivi des mécanismes linéaires comme dans les pays développés,
mais il ouvre toujours de multiples opportunités pour la participation des réseaux
familiaux et coutumiers qui sont très actifs au sein des administrations350. A l'ère de
l'économie de marché, cette tradition dialectique pourrait être facilement manœuvrée
par des groupes d’intérêt. Avec les pouvoirs économiques énormes alors que la
350
Christian Pédelahore de Loddis, « Processus et acteurs de la transition urbaine vietnamienne » ; dans
Franck Castiglioni (sous la direction de), La ville vietnamienne en transition, KARTHALA Editions,
2006, p. 38.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 275
société n'a pas encore des institutions ou des organismes civiques suffisamment forts
pour jouer le rôle de contrepoids, les groupes d’entreprises dirigent l’aménagement et
ont tendance à faire de la ville entière des propriétés privées351. La physionomie
urbaine est maintenant décidée par ces groupes, dont le danger ne réside pas qu’à des
ruptures d’échelle qu’ils créent souvent, mais également dans d’autres effets négatifs
résultant de la poursuite des bénéfices économiques comme le but ultime au détriment
de l'environnement et de la culture. Les groupes non seulement régissent le processus
d’élaboration, mais sont aussi prêts à créer des antécédents en matière d’irrespect de
la mise en œuvre des plans. Ces derniers peuvent être laissés de côté pour de grands
projets, dont la tour géante du Vingroup sur la péninsule Quảng An est un bon
exemple352.
Avec l'intervention des groupes promoteurs à travers des projets comme celui de
Ciputra, des répétitions monotones et sans âme deviennent de plus en plus
nombreuses. Elles portent un visage bourgeois (ou kitsch) et beaucoup moins humain
par rapport à des quartiers de logements collectifs de l’époque socialiste d’autrefois.
Afin de parvenir à une rentabilité maximale en exploitant le potentiel paysager du Lac
de l’Ouest, la préoccupation majeure des investisseurs aujourd’hui est centrée sur des
projets réservés aux riches, que ce soient des hôtels, des ensembles résidentiels ou des
centres commerciaux de luxe. D’une manière indirecte, le rôle de l'État et de la
population dans la création du visage urbain est en train d’être transmis à des groupes
voraces. L'identité de la ville n’est plus façonnée par les habitants, ou par
l’administration municipale comme le vrai représentant de leurs intérêts, mais
manipulée par de petits groupes disposant d’une forte capacité financière. Avec l'aide
des médias, cette manipulation s’exécute non seulement sur la planification et la
réalisation, mais également sur la perception publique envers les projets.
Dans un tel contexte, la sorte d’identité vraiment humaine qui est souhaitée ne peut
qu’être rendue de plus en plus floue parce qu’elle n’a pas assez de place à se montrer.
Même lorsqu'ils ne sont pas dominés par des intérêts louches, sous les regards
imprégnés d’une conception rigide et bureaucratique de ce qui est « propre et
civilisée," de nombreux éléments reflétant sincèrement la vie quotidienne dans tous
ses aspects sont souvent considérés comme non formels, niés, et font face à des
mesures restrictives des autorités (notamment les activités sur le trottoir). Pendant ce
temps, beaucoup de choses "conformes" en fait ne représentent personne d’autre que
les groupes qui les ont eux-mêmes construites.
351
Mike Douglass (interviewé par Hương Giang), « Các tập đoàn xây dựng đang dẫn dắt quy hoạch »
(Les grandes entreprises d’immobilier sont en train de conduire l’aménagement), Tuổi Trẻ (Jeunesse),
10/10/2010.
http://chuyentrang.tuoitre.vn/TTC/Index.aspx?ArticleID=404882&ChannelID=3
352
Revoir l’image du projet dans la figure 221, p. 227.
Lac de l’Ouest : La transformation du paysage et de l’identité 276
Les problèmes mentionnés ci-dessus créent plusieurs risques potentiels qui demandent
des solutions de contrôle appropriées, dont l’une des pistes importantes est certes la
participation des habitants. Quoi qu’il en soit, tel que l’indiquent son programme ainsi
que ses grandes orientations353, le plan détaillé actuel partage en principe avec les
plans précédents des valeurs principales et une vision commune pour le paysage du
Lac de l’Ouest. Au fil du temps, bien que les modes d'approche et les formes
proposées soient différents, ce site a toujours été souligné comme une terre d’histoire,
des traditions culturelles et spirituelles, des activités de détente et de contemplation,
où trône la nature. Même quand le rôle du nouveau centre est accordé au lac, les plans
réservent encore des zones tampons pour conserver les caractéristiques essentielles ou
les atmosphères distinctives. Dans ces endroits, les interventions consistent à restaurer
ou à améliorer le cadre de vie plutôt qu’à développer des projets à grande échelle en
termes de hauteur ou de volume. S’il y avait des exceptions, ce seraient des bâtiments
qui devraient répondre à des exigences élevées sur le caractère symbolique et la
subtilité, et s’intégrer au maximum dans le paysage tout en évitant de perturber la
tranquillité existante. Par rapport à d'autres milieux qui sont plus ouverts au
changement, il est clairement souhaitable que le Lac de l’Ouest continue de maintenir
un paysage enclin au Yin pour garantir un équilibre harmonieux de la ville considérée
dans son ensemble.
353
Porte à l’information électronique du district Tây Hồ (Comité populaire du district Tây Hồ).
http://tayho.gov.vn/tayho/portal/vi/News-details/142/1066/Cong-bo-quy-hoach-phan-khu-do-thi-khu-
vuc-Ho-Tay-va-phu-can-(A6),-ty-le-12000.html
PARTIE V - REGARD D’ENSEMBLE
ET REFLEXION SUR LES PISTES
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 278
Dans le passé, ceci existe sous les aspects visuels plus harmonieux. Les conflits n’ont
pas d’occasion pour se voir clairement par la manifestation spatiale, à cause des
limites dans les choix de construction et des contraintes concernant les
réglementations féodales imposées, ou par l’intensité des activités, en raison de la
modération des moyens. Aujourd’hui, le contexte de l’époque a créé les conditions
favorables pour que l’esprit dialectique soit libéré et intervienne plus librement à une
1
Outre la représentation graphique, cette œuvre, considérée comme une fusion entre la peinture, la
photographie et la poésie, inclut donc encore un poème intitulé « L’arbre à palabres » :
Au Vietnam Les fils des vies se nouent
On a aussi notre arbre à palabres Autour de son tronc penché
On mange, on papote dehors Et le linge sèche
On papote, on mange dedans Fenêtre ouverte
Source : http://tuvietfr.com/exposition-vies-envers-et-endroit-a-linstitut-francais-a-hanoi/
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 279
échelle tout à fait différente. L’impression de désordre ou de chaos est donc difficile à
éviter. Ce n’est pas par hasard que la plupart des illustrations les plus représentatives
du junkspace que Koolhass utilise proviennent des villes asiatiques. L’affirmation de
cette réalité ne va pas toujours nécessairement avec des incitations, car les indigènes
sont maintenant influencés aussi par le goût des occidentaux. Cependant, du côté des
principaux acteurs de développement, le fait qu’on la regarde comme un élément
constitutif de la loi aidera à prévoir les interventions plus souples et plus faisables.
Pour avoir une conciliation entre une telle tradition et les normes contemporaines, les
espaces tampons (ou les zones de transition) où tout est permis peuvent être envisagés
comme une solution de compromis dans la conception.
Fig. 263 - L’insertion des espaces de loisir et du service touristique en milieu agricole. Ici, un
petit restaurant s’installe en plein centre d’un champ de lotus.
Photo de l’auteur
En milieu urbain, les rues sont l'endroit qui pose le plus de problèmes, mais c’est
également le plus intéressant et attrayant. Issues de la vision holistique, l’ambiguïté et
l’imbrication entre les espaces publics et privés deviennent une caractéristique qui
persiste de la campagne à la ville. Outre le trafic, les rues du village ou les trottoirs en
ville peuvent tous deux témoigner des vastes fonctions : séchage de nourritures,
ventes fixes ou ambulantes des fleurs et des fruits, service de boisson, restauration,
extension de l’espace d’habitation pour des activités domestiques (lavage, cuisine,
détente...), voire espace de production pour certains artisanats. Les fonctions ajoutées
produisent une ambiance très vivante et de grandes surprises aux yeux des visiteurs
occidentaux, étant habitués à l’esprit analytique avec des répartitions bien claires.
Quoiqu’elle soit mal jugée par les autorités et par de nombreux experts dont des
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 280
architectes, cette caractéristique fait partie intégrante du cadre de vie des locaux. C’est
ce que les habitants des nouveaux quartiers « modernes, civilisés, conformes aux
normes internationales » n’ont pas, et alors ils doivent aller la rechercher dans les
villages urbains environnants ou revenir au centre-ville. Elle explique aussi pourquoi
l’identité urbaine dépend parfois des choses petites et simples, mais qui sont en fait
l'incarnation de la tradition.
« Les vieux Hanoiens ont alors retrouvé avec un grand bonheur les
‘restaurants de poussière’ qui leur avaient tant manqué et sans lesquels,
disent-ils, Hanoi n’est pas vraiment Hanoi »2.
À une échelle plus grande, tel que le montre le paysage du Lac de l’Ouest,
l’entrelacement des villages et des quartiers, ou l’existence de certains éléments
ruraux au sein de la ville, sont des réalités qu’il convient de maintenir et même
valoriser avec les mises en scène éventuelles. Nier ce fait n’équivaut pas seulement à
effacer l'histoire et par là la mémoire collective ou le sens du lieu. C’est aussi aller à
l'encontre des tendances progressistes d’un développement durable, qui insiste sur
l'égalité sociale, la diversité culturelle et l'environnement écologique.
Comme Pédelahore de Loddis l’a relevé, l’élaboration et la réalisation des projets
d’urbanisme au Vietnam sont régies encore par des « dualismes et dialectiques de la
conciliation »3. La production de la ville est donc toujours un processus d'interaction
entre les éléments formels et informels, avec l'existence simultanée « des actions de
planification institutionnelles revendiquées comme unitaires et globalisantes, et des
stratégies et des pratiques individuelles fortement contextuelles et différenciées ».
Dans ce processus, des modes de travail associés à la négociation et au pragmatisme
expérimental sont inévitables. Ils reflètent la flexibilité traditionnelle des Việt devant
les contraintes imposées de manière coercitive depuis l’extérieur. Au lieu d’accepter
comme une loi et de chercher à concilier ouvertement ces éléments avec le processus
de planification en donnant la priorité aux intérêts communs, la poursuite des
procédés bureaucratiques ne peut pas atteindre le succès complet, et le manque de
transparence va faire facilement de la «tradition de flexibilité» un appât pour l’abus et
la manipulation des groupes d'intérêt4.
2
Philippe Papin, op. cit., p. 329.
3
Christian Pédelahore de Loddis, op. cit., p. 38-39.
4
L’un des exemples est que parfois sur des plans (tels que le Plan d’aménagement détaillé pour le
district du Lac de l’Ouest, échelle 1/2000 approuvé le 29/06/2001), la notion de « terre publique » n’est
pas toujours liée aux espaces publics ou aux bâtiments publics. Elle désigne en fait toutes les
superficies gérées par l’État ou par la municipalité, mais certaines peuvent être louées à de groupes
privés pour longtemps, ce qui leur permet de pouvoir réaliser les projets luxueux non destinés à la
masse.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 281
Afin de favoriser ce genre d’espace qui est plus symbolique que géographique6, au
lieu de chercher à masquer, les projets urbains devraient préparer les conditions
nécessaires pour une manifestation la plus naturelle possible des activités et des sens.
Ces derniers n’incluent pas que la présence humaine, mais aussi les éléments
informels et iconographiques qui seront greffés sur l’aménagement préétabli comme
toile de fond. De tels espaces renforceront également l’esprit communautaire en
encourageant la communication. Au niveau de l'esthétique, ils sont plus vivants et
plus conviviaux par rapport à la beauté froide et inexpressive des quartiers « ordonnés
et propres » dans de nombreuses nouvelles cités urbaines. Il est un fait que les
touristes étrangers venant au Vietnam sont surtout attirés par la richesse des échanges
sociaux7, ou l’extériorisation des activités individuelles et communautaires, plutôt que
l’originalité des architectures. Même pour les endroits les plus typiques comme le
quartier des trente-six rues et corporations (l’ancienne cité marchande), il est clair que
les maisons à compartiment, une fois qu’elles sont séparées de ces éléments
5
Lors d’une interview, Koolhass a dit: « Les gens peuvent habiter n'importe où. Et ils peuvent être
malheureux ou extatiques dans n’importe quel endroit. De plus en plus je pense que l'architecture n'a
rien à faire avec cette réalité ».
Rem Koolhass, « From Bauhaus to Koolhaas » (Entretien avec Katrina Heron), Wired, Juillet 1996.
http://www.wired.com/1996/07/koolhaas/
6
Dans la vision locale, même le concept de géographie ne prend pas trop en considération les données
« réelles et objectives ». La preuve est qu’il est souvent lié à la géomancie, dont la préoccupation
majeure est de savoir si la configuration du relief se conforme ou non à des modèles symboliques ou
cosmologiques déjà connus.
7
Michael Leaf, Vì sao bộ mặt đô thị Việt Nam bị chắp vá (Pourquoi le visage urbain au Vietnam est-il
si disparate), Interviewé par le journal Tuổi trẻ (Jeunesse), 21/12/2008.
http://chuyentrang.tuoitre.vn/TTC/Index.aspx?ArticleID=293764&ChannelID=2
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 282
À l’instar des composantes de l’espace physique, les activités peuvent être réparties
en flux, en zones ou concentrées dans un point précis. Pour les architectes et
paysagistes, ceci amène des suggestions concernant le design des espaces publics ou
des vides entre les bâtiments. Le caractère phénoménal des événements ou « le
déplacement de l’espace dans le temps » en cas de changement d’activités implique
aussi la nécessité d’avoir des espaces urbains plus flexibles, ayant des structures
multifonctionnelles, amovibles ou transformables, et dépendant moins des éléments
fixes, rigides ou mono-usage.
8
Beaucoup de Hanoiens aiment contempler certaines sites dans leur ville (par exemple le quartier des
trente-six rues ou le quartier colonial) aux moments où il n’y a pas ou très peu de personnes tels que tôt
le matin, tard le soir, ou pendant les jours de fête, lorsque les travailleurs immigrants retournent à leur
terre natale. Outre la tranquillité obtenue comme compensation pour les moments trop animés et
bruyants, il est alors à noter que ces quartiers, malgré le manque de présence humaine, sont tous des
paysages historiques plein de significations et rattachés à la mémoire collective. Les valeurs
intrinsèques de l’architecture des maisons ou de l’aménagement des quartiers n’apportent qu’une
contribution limitée.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 283
fournissant trop de données « objectives », mais n'indiquant pas celles qui sont
importantes. Par rapport aux plans anciens, elles sont comme les photos en
confrontation avec les schémas ou les figures symboliques. Une photo montre
toujours beaucoup d’informations, et ainsi, on ne sait parfois pas ce qu’elle veut dire.
Au nom de l’objectivité, elle n’est qu’un rassemblement des données brutes n'étant
pas encore traitées. Tandis que les « schémas » anciens sont en fait très proches des
cartes mentales que Lynch propose pour comprendre la perception publique.
Car l’espace est déterminé plus par les activités et les sens que par les éléments
physiques, il s'inscrivait jadis dans la mémoire collective souvent à travers la
littérature orale et écrite plutôt que les dessins. Les formes littéraires constituaient
véritablement le moyen prédominant pour représenter, interpréter, mémoriser, et
transmettre les caractéristiques spatiales. Maintenant, elles gardent encore une grande
partie de leurs valeurs. Particulièrement, depuis que le Fonctionnalisme est critiqué
pour avoir effacé la dimension culturelle dans l’architecture et l'urbanisme, on partage
de plus en plus l’idée de la ville comme « narration » ou « discours » au lieu de la
machine comme métaphore9.
9
Barrie Shelton, Learning from the Japanese city, E & FN Spon, Londre, 1999, p. 123.
10
Dans ce cas, tel que l’indique Nathalie Lancret en citant Pierre Nora (« Entre mémoire et histoire »,
Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997, p. 30), l’engouement à accumuler les archives en tant
que supports extérieurs peut même devenir un signe de la disparation de la mémoire traditionnelle.
Nathalie Lancret, op. cit., p. 53-54.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 284
en plus des arguments de Vigato, la raison pour laquelle les architectes sont
considérés comme un agent perturbateur vis-à-vis de la question d’identité.
Bien entendu, notre objectif n’est pas de nier totalement les démarches académiques
actuelles, mais d’ajuster et de rectifier pour les rendre plus complètes. Pendant que la
formation et la pratique architecturale tendent à utiliser les images d’une manière
excessive (et cet abus est encore soutenu à l’aide de l’ordinateur11), il convient de
réduire la domination de la culture visuelle et d'améliorer la culture de la lecture, ainsi
que d’encourager une exploration du contexte réel en le vivant et en l’expérimentant
par tous les sens. Si la situation le permet, il vaut mieux que l'usage facile des caméras
soit remplacé en partie par des esquisses faites sur place, un processus qui aidera à
mieux saisir le contexte grâce à l'interaction directe avec les éléments vraiment
importants de celui-ci. Les différentes formes de représentation effectuées à partir des
photos sans faire l'expérience, bien qu’elles constituent un pas en avant dans le
traitement des données, peuvent encore fausser la vérité par manque d’informations
ou de regards intérieurs.
11
Ce qui suscite des craintes communes que le design devienne un processus de « tromperie », en
fabriquant les « produits d'imagerie » impressionnants plutôt que les projets d’architecture aidant à
résoudre des vrais problèmes. La complexité visuelle masque la pauvreté conceptuelle, ou « Image
plutôt que Concept, Produit plutôt que Progrès » (« Image over Concept, Product over Progress »).
Oliver Wainwright, Towering folly: why architectural education in Britain is in need of repair, The
Guardian, 30/05/2013.
http://www.theguardian.com/artanddesign/architecture-design-blog/2013/may/30/architectural-
education-professional-courses
Vanessa Quirk, "Rendering / CLOG", ArchDaily, 21/12/2012.
http://www.archdaily.com/310498/rendering-clog/
12
Quảng trường, en vietnamien.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 285
depuis toujours, mais sous d'autres formes, et que ces formes conviennent
parfaitement à la culture dont elles sont issues.
13
Découverte pendant la Renaissance, la perspective avec le point de fuite central est, d’après Thijs van
Oostveen, le reflet de la croyance en une seule force primaire ou en un seul centre (Christianisme
monothéiste et son idée du créateur unique).
Thijs van Oostveen, op.cit., p. 97.
14
La densification des villages, avec le remplacement des habitations traditionnelles par les maisons
tube, renforce encore cet impression.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 286
Plan schématique
proposé par l’auteur
Les contributions de Lynch pour une meilleure structuration visuelle sont indéniables,
mais leur application exige un esprit flexible et ouvert suivant lequel, une « image
forte, claire et lisible », ou l’ « imagibilité », doit parfois être considérée dans son
contexte large. Au contraire, une approche trop rigide peut conduire à des
contradictions entre la forme et le contenu, notamment à l’égard des paysages
orientaux qui s’orientent vers une harmonie discrète au lieu des beautés trop explicites
ou brillantes (dans les termes de Venturi, c’est plutôt une adaptation des différences
qu’une juxtaposition des contrastes15).
15
Robert Venturi, op. cit., p. 60.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 288
Dans le dessein de mieux comprendre les lois ou les logiques existant et agissant sur
l’objet d’étude, cette section va élargir le contexte de l'analyse, tout en continuant à
chercher des suggestions applicables dans l’architecture ou dans l’aménagement en
général. Lorsque la seconde hypothèse concernant inclination vers le Yin du paysage
du Lac de l'Ouest a été affirmée, l'objectif maintenant est de tirer des conclusions plus
convaincantes sur la première et la troisième, qui sont liées aux possibilités de
maintenir l’identité dans le présent et dans l'avenir.
Dans le passé, les formes vernaculaires étaient conditionnées essentiellement par les
données provenant du contexte direct et représentaient un rapport homme – nature
intime. Maintenant, l’évolution de la science et de la technologie rend l’homme plus
indépendant. Le rapport avec le lieu devient lâche, et il est encore troublé par
l’envahissement de nombreux éléments exotiques.
16
Or, paradoxalement, ils sont en même temps parmi les gens qui s’en préoccupent et critiquent le plus
sur cette question.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 289
combinent dans un nouvel ordre qui leur est propre. Dans leurs mains, la tradition est
souvent regardée comme une sorte de matière première ou condiment pour créer des
effets nouveaux et originaux, car ils sont payés aussi pour faire la différence. Alors les
logiques subjectives peuvent être engendrées dès le début de la conception, sans tenir
compte des expériences ou des savoirs-faire transmis de génération en génération
comme pour l’architecture vernaculaire.
En fait, le plus grand facteur qui détruit en même temps la continuité ou l’unité
intérieure ainsi que les frontières ou la discontinuité avec l’extérieur est l'altération ou
la perte du sens qui atteint le niveau culminant dans le paysage postmoderne. Le genre
de logique qui existe et supporte des paysages contemporains n’est que logique
fragmentaire, car, tel que l'indique Augustin Berque, les « raisons » ont été brisées17.
Avec le processus de rationalisation, ou de la distanciation entre le sujet et l’objet18
qui se trouve au cœur du modèle occidental, la science devient une vérité absolue et
s’impose à tous, tandis que dans l’autre sens, l’asymbolie et la démystification qui en
découlent bouleversent l’ordre de la pensée. Ceci a impliqué des chaos culturels
manifestés via une crise de l'environnement de vie. Maintenant, après avoir su qu’« un
17
Augustin Berque, Les raisons du paysage : de la Chine antique aux environnements de synthèse,
Fernand Hazan, Paris, 2000. Le terme de « raison » d’ici n’est pas celui de la vision cartésienne, mais
signifie plutôt les logiques symboliques avec lesquelles l’homme façonne son environnement.
18
Et c’est aussi l’invention de la perspective et du point de fuite pour les dessins, où on peut apercevoir
une distinction claire entre le spectateur et ce qu’il observe, qui est l’un des repères les plus importants
de cette distanciation.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 290
monde approché par le seul angle de la science est tout simplement inhabitable »19, on
comprend qu’il faudrait chercher à recréer les sens perdus20. Toutefois, au bout d’un
long processus de rationalisation, l’homme moderne a été plus ou moins déraciné ou
déconnecté des relations qu’il avait auparavant avec des éléments indigènes. En plus,
les échanges culturels aisés d’aujourd’hui et la conscience de l’absence d’une logique
exclusive dominante font que la recréation des sens devient facilement, soit trop
ouverte (ou tolérante) à l’interprétation (et donc on est moins sûr), soit trop subjective
et donc arbitraire. Avec le développement d’innombrables formes de combinaisons
nouvelles suivant de différents systèmes de références21, les sens « recréés » sont donc
plus difficiles à reconnaître ou à décoder. En tant que conséquence d’une incertitude
face à l’avenir qui conduit à l’appréciation excessive du présent, un comportement
représentatif de l’ère postmoderne22, beaucoup de constructions ont été conçues
comme produit de consommation ou de plaisir temporaire, plutôt que comme
révélateur de la croyance ou de grands messages à transmettre.
19
L’expression de Paul H Guillon (2008), en parlant de l’ouvrage d’Augustin Berque.
http://www.ph-guillon.com/spip.php?article72
20
Augustin Berque recommande de réinsérer les logiques symboliques en esquissant une nouvelle
« éthique environnementale » post-cartésienne.
Augustin Berque, op. cit.
21
C’est pourquoi Rem Koolhass prévoit la culture dominant dans le XXIème siècle sera « la culture de
la diffusion, de la dispersion », qui remplacera « la culture de la congestion » du XXème siècle.
Rem Koolhass, From Bauhaus to Koolhaas (Entretien avec Katrina Heron), Issue 4.07, Wired, Juillet
1996.
Source: http://www.wired.com/1996/07/koolhaas/
22
Ou « les pieds dans le vide », le « culte du présent », par rapport à la tradition qui caractérise les
prémodernes et l’avenir pour les modernes.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9#cite_note-1
23
Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, Paris, UNESCO, 1952.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 291
Dans un tel contexte, la crise d'identité se présente partout. Pour la résister, plusieurs
courants de pensée nouveaux ou anciens dans le domaine de l’aménagement sont nés
ou ressuscités. Cependant, tandis que l’identité peut se voir en tant que production des
systèmes qui l’ont générée, il existe rarement des courants qui peuvent embrasser
toutes les relations dans un monde aussi multidimensionnel qu’aujourd’hui.
Autrement dit, il est difficile d’avoir un mouvement architectural ou de design urbain
qui est, de façon indépendante, capable de satisfaire ou d’apporter un consensus
complet, car tous les mouvements ont toujours pour chacun des points susceptibles de
provoquer des critiques venant d’optiques différentes. En raison de la perte du sens
déjà abordée, il n’existe plus à présent une vision unifiée de l’identité. Même pour
l’architecture moderne, lorsqu’elle voulait surmonter des limites concernant le
manque de préoccupation du contexte au travers des versions telles que le Néo-
Modernisme ou le Régionalisme Critique. Elle vise toujours, de par sa nature, la
recherche de nouvelles formes pour « représenter l’esprit de l’époque ». Sa négation
de la tradition ou ses ruptures par rapport au passé sont évidentes, comme une
manière de se réserver une place distincte dans l’histoire24. En faveur d’une
« architecture de communication », l’architecture postmoderne reprend les détails
traditionnels ou classiques, considérés comme intelligibles au grand public, et les met
dans un jeu de copier-coller, de disproportion et de déformation25, mais ne s’intéresse
pas vraiment au mode de vie local. C’est pourquoi elle est souvent condamnée comme
formaliste, superflue et superficielle. Les mouvements qui s’inspirent davantage des
typologies et des morphologies historiques, puis les mettent à jour pour s’adapter aux
besoins contemporains, tels que l’architecture traditionnaliste ou les nouvelles
approches vernaculaires, sont aussi jugés comme nostalgiques, non naturels, ne
reflétant pas sincèrement la logique d'évolution. Ce sont les critiques auxquelles
même les approches en vogue, comme le « New Urbanism » en Amérique du Nord,
ou en Europe avec le « Projet urbain » à la française, doivent parfois se confronter
également. Par exemple, si le développement exige une rupture pour marquer un bond
après un long sommeil, ou la logique interne n’est plus la même, pourquoi la
conception doit-elle partager encore quelques règles ou caractères morphologiques
anciens pour montrer une continuité dans la forme ?…
24
À titre d’exemple, on peut consulter les phrases de Mies van der Rohe : « L’architecture est toujours
la volonté d'une époque qui se traduit en espace, rien d’autre. (…) Il s’agit donc d’un vain effort que
celui d’appliquer à notre époque le contenu et les formes d’époques passées ».
L. Mies van der Rohe, « Baukunst und Zeitwille », dans Der Querschnitt, 4, 1924, p.31-32 ; traduit et
cité dans Giorgio Pigafetta et Ilaria Abbondandolo, Architecture traditionaliste – Les théories et les
œuvres, Architecture + Recherche / Pierre Mardaga, 1999, p. 24.
25
Dans l'architecture postmoderne, la recette préférée des architectes consiste à utiliser la convention
d’une manière non-conventionnelle, à disposer des objets communs d’une manière non-commune, à
placer des objets familiers dans un contexte non-familier, pour obtenir de nouveaux effets.
Robert Venturi, op. cit., p. 50.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 292
Il s’agit aussi de la perte de sens, comprise comme l’inexistence d’une vérité absolue
ou d’une interprétation unique, qui entraîne le triomphe de l’ambiguïté et de la
pluralité. L’esthétique contemporaine aime bien les masques, les déguisements26, le
trompe-l'œil. La désorientation se fait par n’importe quel moyen27. La forme ne suit
plus la fonction. Afin de parvenir à une pluralité, la logique hiérarchique ou
compositionnelle est souvent remplacée par une pure accumulation. Non seulement
dans le paysage urbain mais même dans l’architecture, « more is more »28. La
conséquence qui en résulte est la prolifération d’une sorte de Néo-Éclectisme partant
du salon et allant jusque dans la rue, avec un échange beaucoup plus « libre et aisé »
par rapport à l’Éclectisme de la fin du XIXème siècle. L’unité de style n’est plus un
objectif, mais au contraire. Avant, le mélange des éléments empruntés à différents
styles ou époques était facilement accepté, car ces éléments partageaient plus ou
moins les langages classiques dont le vocabulaire était composé des sculptures et des
ornements figuratifs, issus des modes de mise en œuvre relativement similaires, et
orientés vers une harmonie dans les proportions. De nos jours, le dialogue peut se
dérouler durement entre les éléments très variés, pour valoriser le contraste en incitant
les différences.
Fig. 268 – L’architecture est aussi une accumulation, comme dans un exemple à
Bilbao. Ici, on conserve juste les murs extérieurs d’un bâtiment historique pour faire
du collage sur la façade du nouveau complexe.
Photo de l’auteur
26
D’après Koolhass, dans nos paysages post-architectoniques actuels caractérisés par le Junkspace,
même le minimum n’est que du maximum déguisé. Et son rôle n’est pas de s’approcher du sublime,
mais plutôt de réduire la honte de la consommation, de drainer la gêne, et d’abaisser ce qui est élevé.
Rem Koolhass, Junkspace, Repenser radicalement l’espace urbain, Editions Payot & Rivages, Paris,
2011, p. 117.
27
Rem Koolhass, op. cit., p. 82-83.
28
Rem Koolhass, op. cit., p. 84. Il joue avec l’expression célèbre « les is more » de Mies van der Rohe,
connue comme le slogan du mouvement minimaliste.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 293
Source :
http://www.archdaily.com
29
Où « sous la bannière du droit d'être absolument soi-même, tous les modes de vie deviennent
socialement légitimes ».
https://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9#cite_note-1
30
https://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9#cite_note-1
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 294
En fait, l’identité que l’on aborde souvent est l’identité collective. Elle s'amoindrit
pour donner plus de place à l’identité personnelle. Mais quoi qu'il en soit, l’identité
collective est toujours une nécessité. L’homme ne peut pas se voir comme un individu
totalement indépendant et solitaire. Il a besoin d’appartenir à une (ou plusieurs)
communauté, bien qu’aujourd’hui la notion de communauté soit des plus complexes
au niveau de l’espace et de temps. Traditionnellement, c’est une communauté
concentrée dans un territoire géographique délimité, mais cela peut aussi être des
communautés dispersées. L’affirmation de l’identité personnelle est parfois également
l’insistance sur l’appartenance.
Fig. 270 & 271 – Communauté dans le passé (à gauche) et communauté d’aujourd’hui (à
droite).
Ces deux schémas illustrent aussi la réduction de l’identité communautaire (la fragilisation et
rapprochement des limites, la perturbation de l’homogénéité intérieure, l’appréciation de
l’identité personnelle, la poly-appartenance, l’uniformisation des cultures).
Dessins de l’auteur
En tout cas, un paysage identitaire est à la fois le reflet des caractéristiques culturelles
des communautés qui l’ont créé, et aussi le support pour le maintien et le
développement des caractéristiques culturelles elles-mêmes. Une homogénéisation
n’entraînerait pas que la perte d’identité, mais encore la destruction de l’humanité, car
elle occasionnerait non seulement une crise de valeurs ou l’effacement de « petites »
cultures. Même pour celle qui domine, l’absence d’une diversité culturelle va faire
perdre des systèmes de référence nécessaires pour son renouvellement. L'histoire a
prouvé que c’est grâce aux échanges que les civilisations peuvent évoluer.
31
Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, 1996.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 295
Néanmoins, quand l’identité collective est trop forte, elle empiétera sur la place de
l’identité personnelle. C’est le moment où l’identité collective devient une camisole
de force, ou un cauchemar par les idées ou les mesures extrêmes : « Plus identité est
forte, plus elle emprisonne, plus elle résiste à l’expansion, à l’interprétation, au
renouvellement, à la contradiction »32. À l'inverse, dans les espaces manquant de
caractères, il est plus facile pour les individus d’établir leurs propres empreintes. Les
espaces de ce genre apportent davantage d’ « opportunités » ou de « licences »,
particulièrement pour les métropoles, où les éléments ci-dessus constituent l’attraction
principale33, voire leur raison d’être34.
« Nous savons qu’en France les secteurs sauvegardés ont le plus souvent
abouti à un processus de gentrification ou d’abandon des centre-villes.
L’approche muséale, peu soucieuse des populations habitantes mais aussi des
espaces ou des constructions peu « nobles » pour l’expert, est souvent à la
base des interventions de sauvegarde »35.
L’homme ne peut pas vivre qu’avec les souvenirs du passé, ou avec la satisfaction
d’une esthétique figée, en perdant trop d’opportunités ou de libertés pour sa vie
personnelle. Des contraintes imposées en faveur d’une conservation trop stricte ont
entraîné plusieurs réactions négatives, telles que le délaissement des centres
historiques, ou le développement anarchique vers la banlieue (avec des étalements
urbains causant un grand gaspillage des ressources naturelles et de l’infrastructure).
32
Rem Koolhass, op. cit., p. 46.
33
« Les gens se rassemblent dans les villes probablement pour une raison principale: opportunité »,
selon Ronald Franklin Williams, dans Open space within the city limits, Mémoire de master en
architecture de paysage, Université de Californie à Berkeley, Juin 1974, p. 1.
34
Koolhass a dit : « ’Tolérance zéro’ est un mantra mortel pour une métropole: Qu’est-ce qu’une ville
sinon un espace de licence maximale ? ».
Rem Kolhass, « Delirious No More », Wired, Juin 2003.
http://www.wired.com/2003/06/i-ny/
35
Paulette Girard, Michel Cassagnes, « Khu phố cổ (Le vieux quartier marchand de Hanoï) – Tracés,
rues et parcellaires : la traduction spatiale d’une société »; dans Pierre Clément et Nathalie Lancret
(sous la direction de), Hanoi, le cycle des métamorphoses : Formes architecturales et urbaines, Paris,
Éditions Recherches/Ipraus, 2001, p. 284.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 296
Dans les endroits sensibles, il peut y avoir encore des projets discutables par leur
échelle, mais leur apparition est pourtant applaudie par certains, comme une façon
d’exprimer les mécontentements après avoir subi la stagnation pendant trop
longtemps.
Dans de nombreux cas, le « refus de l’identité » est une manière de résister à des
espaces, dont l’identité est formée ou soutenue par une approche quantitative qui
s’intéresse à des éléments superficiels, sans tenir compte du changement qualitatif des
logiques internes. La supériorité de l’accumulation par rapport à la hiérarchie, de
l’addition par rapport à la composition dans les espaces paraissant disparates, nommés
Junkspace ou Paysage Post-architectonique, révèle la diminution du sens. Mais elle
peut aussi être considérée comme une réaction contre les anciens types de hiérarchie
ou de composition, dont des règles, codes ou principes contraignants rendent la vie
restreinte dans les nouvelles circonstances. De nos jours, car l’accent est mis plus sur
la liberté individuelle et sur les opportunités, les logiques hiérarchiques ou
compositionnelles exigent des ajustements flexibles pour s’adapter au changement. La
perception de l’identité connaît actuellement un grand écart entre les regards
extérieurs, souvent conventionnels, et les regards intérieurs, où les gens rattachent leur
« esprit du lieu » à des valeurs plus réalistes et intimes.
À propos des milieux historiques, même si l’on les fréquente peu ou pas, leur
existence et leur absence sont deux choses tout à fait différentes. Dans le premier cas,
36
Rem Koolhass, Junkspace, Repenser radicalement l’espace urbain, Éditions Payot & Rivages, Paris,
2011, p. 49.
37
Rem Koolhass, « From Bauhaus to Koolhaas » (Entretien avec Katrina Heron), Wired, Juillet 1996.
http://www.wired.com/1996/07/koolhaas/
38
Comme l’a montré Gabriele Mastrigli dans la préface du livre, Koolhass ne cherche pas à interpréter
la réalité, mais à l’intensifier. Sa méthode de travail est d’isoler, puis de relier.
Rem Koolhass, Junkspace, Repenser radicalement l’espace urbain, Editions Payot & Rivages, Paris,
2011, p. 9.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 297
sans contact physique, ils se trouvent encore dans notre image mentale et contribuent
au sentiment d’appartenance à notre ville. Dans la mentalité, on sait qu’il y a ici des
monuments intéressants que l’on peut visiter quand on le veut. Ceci n’a pas lieu dans
les villes nées d’une table rase, où il n’y a aucun trace d’Histoire ni source de
mémoire. Basées uniquement sur le présent, de telles villes donneraient facilement
l’impression d’un lieu de passage39. Le sentiment d’être « citoyens de seconde
classe » pour les gens qui habitent loin du centre est dû à des causes intrinsèques de
nouveaux quartiers, telles que des problèmes liés à la qualité de vie ou au manque des
éléments dont on peut être fier, et non à la présence d’un centre historique qui détient
exclusivement trop de choses. En fin de compte, il s’agit d’un dualisme entre le
dedans et le dehors, entre l’ancien et le nouveau. Les deux sont importants dans une
dépendance et une complémentarité mutuelles. Le centre historique ainsi que les
quartiers périphériques ont leurs propres avantages et inconvénients, qu’il convient de
valoriser ou de limiter. Ils peuvent nous fournir des options alternatives nécessaires,
au lieu de provoquer le sentiment d’une relation supérieur-inférieur.
39
Il est à noter que « la Ville Générique est toujours fondée par des hommes en mouvement, prêts à
repartir ».
Ibid., p. 55.
40
Ibid., p. 22.
41
Ibid., p. 50-51.
42
Ibid., p. 19.
43
Tel que l'a remarqué Valéry Didelon en parlant de Koolhass: « à travers toute son œuvre il porte
cette idée que c'est la ville telle qu'elle est et non telle que nous voulons qu'elle soit qui est à la source
de tout projet ».
Entrevue entre DA et Valéry Didelon, « Une forme ironique, mélancolique et aguerrie de l’espérance »,
D'Architectures, 01/03/2012.
http://www.darchitectures.com/une-forme-ironique-melancolique-et-aguerrie-de-esperance-a545.html
44
Il dit que cette contradiction délibérée est énorme, mais nécessaire.
Rem Koolhass, « From Bauhaus to Koolhaas » (Entretien avec Katrina Heron), Wired, Juillet 1996.
http://www.wired.com/1996/07/koolhaas/
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 298
Outre ceux déjà mentionnés, un autre facteur qui fait de l’identité une question
complexe et difficile à saisir est la relativité de la notion dans l’oscillation entre le
particulier et le général. En fait, l’identité ne comprend pas seulement la différence ou
le particulier. Comme toutes autres notions culturelles liées au bien-être de l’homme,
elle tend toujours implicitement vers un équilibre ou une harmonie. Une différence
absolue n’a aucune valeur. L’identité implique la différence ou le particulier, mais il
s’agit d’un particulier dont les valeurs sont appréciées, reconnues et partagées. Ceci
signifie que le particulier doit contenir certaines généralités déterminées pour pouvoir
partager de mêmes références avec les autres (ou pour construire avec les autres un
cadre de référence commun). Si l’identité n’était formée qu’à partir des différences
qui sont impossibles à partager, ce ne serait pas une identité désirée.
45
Nicolai Ouroussoff, Why is Rem Koolhaas the World’s Most Controversial Architect?, ArchDaily, 17
Novembre, 2012.
http://www.archdaily.com/294302/why-is-rem-koolhaas-the-worlds-most-controversial-architect-by-
nicolai-ouroussoff
46
Autrement dit : « Le caractère national a encore une portée internationale. Dans le général, il y a le
particulier ».
Tạ Mỹ Duật, op. cit., p. 10.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 299
tendance qui va dans l’autre sens. La propagation d’une liberté excessive peut
conduire à la naissance des idées ou des mesures extrêmement conservatrices, à cause
des inquiétudes sur l’affaiblissement ou l’effondrement des systèmes d'ordre et de
valeurs déjà établis que peut occasionner cette propagation. La nouvelle identité
produite par des mesures extrêmes est nettement une camisole de force, ou un
cauchemar, mais elle est issue de la destruction des liens que l’on avait avant avec le
lieu ou avec la communauté. La prise en considération de cette question est donc très
importante pour mieux maîtriser la situation en évitant l’apparition des réactions
négatives.
Pour résumer, la conception d’identité entraîne souvent des points de vues opposés,
parce qu’elle accorde la priorité à des objets différents, en poursuivant des idées et des
objectifs différents. Le maintien d’identité est toujours une demande réelle, mais il
nécessite une conciliation entre ces éléments. La détermination des limites pour une
identité collective devrait être considérée dans un rapport équilibré et harmonieux. Si
des règles visant la conservation ou l’unité visuelle créent trop d’obstacles pour une
évolution dynamique, en faisant perdre trop d’opportunités pour les habitants locaux,
il convient de les atténuer ou modifier. Au contraire, il faut augmenter le contrôle si le
développement devient trop libre, et menace d’autres valeurs communes liées à
l’environnement, à l’histoire et à la culture. Bien entendu, car tout se transforme sans
cesse, il n’existe pas un seuil fixe qui correspond à un état d'équilibre statique. Alors
les politiques et mesures devraient disposer d'une flexibilité pour assurer un équilibre
dynamique, et être prêts à des ajustements pour s’adapter aux changements éventuels
du contexte.
Alors, si l’on désire une société équitable et démocratique, il faudrait que l’identité
soit la production d’un processus de concertation entre les sujets participants, plutôt
que celle imposée par quelques acteurs puissants. Dans tous les cas, l’intérêt des
habitants locaux devrait être l'objet privilégié lors de la conception, au lieu des images
servant d'outil marketing pour les groupes promoteurs immobiliers, du goût de
l'exotisme chez les visiteurs, ou des idées bureaucratiques des autorités.
47
Sur ce point, on peut trouver au Vietnam de nombreux exemples dans la vague de restauration des
temples et pagodes, au nom de la préservation de la tradition, ou dans la propagation des fausses
architectures coloniales pour les quartiers centraux à Hanoi et Hochiminh-ville, au nom d’une mise en
valeur de l’identité urbaine.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 301
Ainsi, on peut constater que le problème réside même dans le « rapport essentiel des
gens à la nature » dont Hough a parlé. D’une part, la présence de la nature est toujours
exaltée car « la signification mentale de la relation avec la nature dans un sens plus
large est la satisfaction de base de l’homme, l’aspect le plus profond de la
sensibilité »52. D’autre part, l’homme regarde aussi la nature comme une « ressource »
à exploiter par ses propres modes d’occupation. Dans le passé, une conciliation afin
d’obtenir « la soutenabilité d’un lieu » s'effectuait de façon naturelle et assez facile.
La raison est que c’était normalement une petite communauté indigène, qui exploitait
la ressource à une échelle modérée pour qu’elle puisse se régénérer. De nos jours, à
cause de la surexploitation pour répondre aux demandes extérieures, les gens sont
souvent soudainement en face des règles strictes imposées au nom de l'intérêt
commun, sans recevoir des aides nécessaires pour transformer leur mode de vie. La
48
Micheal Hough, op. cit., p. 179.
49
Ian L. McHarg, Design with Nature, The Natural History Press, 1969.
50
D. W. Walton, « Natural Illusions : A Critique of The Ecological Values and Expressions of Some
Designers an Public Artists in The Urban Landscape », Critiques of Built Works of Landscape
Architecture, vol. 3, School of Landscape Architecture, Louisiana State University, p. 5-10.
51
Dans certains cas, la présence des activités humaines devient même indispensable pour assurer un
équilibre écologique, comme l’exemple de la nécessité de maintenir la vie des tribus autochtones au
sein des réserves ou des parcs naturels en Afrique.
52
Kevin Lynch, Good city form, Cambridge, The M.I.T. Press, 2000, p. 257.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 302
mise en œuvre de telles politiques, qui ont pour but de protéger la nature mais ne
s'intéressent pas à l’intérêt des communautés immédiates, est inégale, peu réalisable,
et donc à éviter. En outre, la préservation des caractéristiques culturelles d’une
communauté se fonde aussi sur le maintien des modes d'exploitation, du
comportement envers la nature, et des sens attribués à cette dernière. Alors une
exploitation limitée à un degré raisonnable (l’usage sur place par exemple) serait
parfois admissible, au lieu de mettre en vigueur de manière imposée des interdictions
complètes.
À propos de la recherche des nouvelles identités, afin que ces identités se manifestent
le plus naturellement possible, il est important pour les projets de montrer sincèrement
le mode de vie ainsi que l’aspiration des habitants. Évidemment, cela ne veut pas dire
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 303
que le design ne doit que viser les solutions « obéissantes » pour répondre aux besoins
ordinaires ou pour résoudre les problèmes simples de la vie quotidienne, en délaissant
les valeurs spirituelles telles que la sublimation. La tradition reste toujours un
fondement important pour construire l’identité, mais elle doit être une tradition
vivante qui comprend des éléments encore pertinents ou compatibles avec les valeurs
communes de la culture mondiale contemporaine. Le partage ouvert d'idées lors de
débats et d'entretiens avec les habitants sera une bonne occasion pour déterminer
ensemble ces éléments d’une manière plus objective, et pour éviter des intentions
subjectives ou des réponses mécaniques à des slogans, qui conduisent souvent à des
clichés ou à une sorte de tradition figée reflétée dans l’architecture. Au travers de
telles conversations, les architectes aideront également les habitants à se sentir plus
fiers de leur tradition, qu’elle soit révélée dans l’organisation spatiale, le mode de
construction, les matériaux ou les détails architecturaux… Les habitants seront libérés
d’un sentiment d'infériorité pouvant apparaître lorsqu’ils regardent les éléments
anciens, jugés jusque-là comme désuets. Ils auront donc une meilleure préparation
pour que leur processus d'adhésion ne devienne pas un processus de solution53.
Fig. 272 – Maison du Tourisme et du Village de Hua Tat (Sơn La, Vietnam). Conçue par
l’auteur pour une communauté minoritaire, cette construction est une réadaptation de la forme
vernaculaire aux besoins contemporains, avec un minimum de l’égo de l’architecte pour
donner un maximum de place à la participation des habitants locaux.
53
Particulièrement dans le cas de l’urbanisation des villages, pour éviter le phénomène de la
dépréciation de l’habitation traditionnelle, que l’on a abordé au début dans la problématique.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 304
Les débats de ce genre s’avèrent aussi extrêmement utiles dans l'aménagement des
espaces publics, l’objet pour lequel la participation des habitants dans le processus de
conception reste souvent beaucoup plus limitée que pour l’architecture des bâtiments,
surtout au Vietnam. Le problème ne réside pas que dans la manière de travailler des
institutions bureaucratiques. Les gens, régis par l’esprit dialectique, ont des habitudes
très différentes en termes d'utilisation de l’espace, par rapport à des modèles importés
de l’Occident, présentant des répartitions fonctionnelles clairement définies. Si un
bâtiment a une mauvaise organisation spatiale, tôt ou tard, il fera l’objet des
rectifications pour s’adapter à ses utilisateurs. Mais pour les espaces extérieurs, cela
n’est pas aussi simple, et ils peuvent témoigner de très peu d’activités ou même être
laissés en friche parfois. C’est pourquoi la connaissance des besoins et de la manière
dont les gens utilisent les espaces est primordiale. Comme Jane Jacobs nous l’a fait
remarquer, « les gens ne fréquentent pas les espaces verts simplement parce que ceux-
ci existent et parce que les urbanistes et les architectes ont souhaité qu’ils les
fréquentent »54. Pour les projets, l’engagement d’une consultation publique dans les
étapes de l’élaboration et de l’approbation est donc très important. Comme « l’espace
public devrait être l’endroit où les gens sont présents », une approche participative
aidera à assurer l’intégration totale de cet espace dans un système « intimement relié
au tissu urbain ainsi qu’aux activités de la vie quotidienne » 55, ou un système basé sur
les processus naturel et culturel plutôt que sur une hiérarchisation56.
54
Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Liège, Pierre Mardaga, 1991, p. 98.
55
Ronald Franklin Williams, op. cit., p. 113-114.
56
Hough, op. cit., p. 116-118.
57
Même si elle n’est pas rattachée à des images de mauvais goût, une partialité en faveur de beaux
bâtiments réservés à une minorité riche dans un pays pauvre peut augmenter les mécontentements
sociaux, ce qui évoque la phrase de Claude Debussy : « De tous temps, la beauté a été ressentie par
certains comme une secrète insulte » (Extrait de Monsieur Croche). Au contraire, comme l'a prouvé
Stewart Brand en parlant du Building 20 du MIT (How Buildings Learn : What Happens After They're
Built), certains espaces semblant médiocres, sans caractère, peuvent pourtant être très aimés parce
qu’ils apportent une ambiance agréable, sans contrainte, et donc beaucoup de libertés aux activités des
gens, notamment dans l'appropriation de l’espace.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 305
d’adopter l’idée que « les places publiques ne sont pas juste le résidu du
développement privé, mais les figures dominantes de la ville »58.
Fig. 273 – Modèle « des doigts » Fig. 274 – Modèle déconseillé parce
suggéré pour relier les espaces publics qu’il sépare les quartiers et rend difficile
et assurer un accès ouvert et non l’accessibilité en créant les enclaves.
discriminatoire à tous les quartiers.
Source: Ronald Franklin Williams, op. cit., p. 119
Quant aux nouveaux quartiers réalisés par les groupes promoteurs, une manifestation
sincère du mode de vie et de la culture des habitants devrait s’exercer par un
processus ouvert, qui continue même après l’achèvement du projet. Au lieu de
maintenir rigoureusement une esthétique figée comme représentée sur les dessins en
perspective, il vaut mieux encourager des gens non seulement à montrer leurs
activités, mais également à effectuer certaines modifications ou réappropriations
éventuelles de l’espace physique. Comme l’indique Ivan Illich en soulignant la
différence par rapport à loger : Habiter, c’est pouvoir laisser des traces, non
uniquement sur l’espace intérieur, mais également sur le paysage extérieur59. Un tel
environnement de vie conviendrait mieux à la conception traditionnelle de l’espace
(défini plutôt par l’activité et les sens), et serait beaucoup plus humain et sociable en
comparaison avec l’aspect contraignant ou la propreté visuelle inexpressive de
certains quartiers existants, au nom de l’ordre ou de l’esthétique urbaine. Il favorise
aussi un équilibre harmonieux entre l’identité individuelle et l’identité collective, ou
l’identité des habitants et celle des groupes immobiliers. Au niveau du temps, il s’agit
encore d’un moyen de réduire l'écart dans le reflet de la vie entre, d’un côté, les
constructions conçues et planifiées pour des dizaines d'années au moins, représentant
une identité imposée selon la vision subjective d’un petit groupe (architecte,
investisseur, homme politique…) à un moment donné, et de l'autre, les expressions
vivantes qui changent quotidiennement, représentant de façon naturelle l’identité
communautaire, avec une mise à jour continue.
58
Thomas Fisher, « The New Urban Design », Progressive Architecture, March 1988, p. 79.
59
En revendiquant la liberté d’habiter mais non pas le droit au logement, il a écrit : « Habiter, c’était
demeurer dans ses propres traces, laisser la vie quotidienne écrire les réseaux et les articulations de sa
biographie dans le paysage ».
Ivan Illich, Conférence sur « L’art d’habiter », prononcée en 1984 devant The Royal Institute of
British Architects.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 306
Bien entendu, une telle orientation devrait s’accompagner des mesures de contrôle
adaptées pour que les éléments ajoutés ou modifiés ne rendent pas l’environnement de
vie encombré, chaotique, ou n’influencent pas les normes fondamentales concernant
la sécurité ou la circulation. Elle demande aussi une restructuration des espaces
publics et la redéfinition des zones de transition entre l’intérieur et l’extérieur, entre le
public et le privé. La valorisation de ces espaces serait une contribution significative
pour l’esprit du lieu, car en réservant la place, elle facilite la renaissance des
particularités traditionnelles liées au mode de vie (dialectique), à la perception spatiale
(se faisant avec des éléments plutôt intangibles), et à la conformité avec le climat
tropical.
Concrètement, les espaces publics nécessitent une conception qui leur permet de
répondre de façon flexible aux changements ou à la coexistence de divers activités et
atmosphères. Il convient de limiter des espaces monofonctionnels ou renfermés sur
une seule ambiance. La morphologie spatiale ne devrait pas être trop encadrée dans
les formes géométriques bien claires. Le choix des matériaux pour le revêtement du
sol et la disposition des éléments de séparation ou de couverture méritent aussi
beaucoup d’attentions, particulièrement à l'égard des impressions tactiles données
sous le pied, et de l’utilisation des éléments amovibles, démontables ou mobiles. À
propos des bâtiments, il serait souhaitable d’introduire éventuellement dans le
programme des espaces tampons tels que la loggia, la terrasse, la véranda, des reculs
alternatifs en avant au rez-de-chaussée… pour mieux exposer des scènes de la vie.
Dans le cas des projets déjà achevés comme Ciputra, ce qui est important est de
rendre des règles de gestion plus souples et plus ouvertes à des réappropriations. De
cette manière, on sera en mesure de faire des quartiers monotones et ennuyeux une
toile de fond, sur laquelle s'installent et jouent les éléments vivants qui représentent
davantage les caractéristiques culturelles. Telle est précisément la leçon que nous
enseignent les grands ensembles de logements collectifs construits à Hanoï pendant la
période subventionnée. Grâce au relâchement de la gestion, avec une sorte de
« laisser-faire », des architectures « mécaniques » portent un visage nettement plus
sociable et plus intéressant par rapport à des modèles idéalistes initialement prévus.
Une fois que la vie peut montrer à l’extérieur le maximum de sa diversité, ce sera
toujours l’une des choses les plus attrayantes, car comme l'a écrit Alberti : « Le plus
bel ornement de la ville est la multitude de ses habitants »60.
60
Leon Battista Alberti, De Re Aedificatoria, Florence, 1485 ; Cité par Christian Pédelahore de Loddis,
« Hanoï : figures et identité du patrimoine architectural », dans Pierre Clément et Nathalie Lancret
(sous la direction de), op. cit., p. 179.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 307
Fig. 275 – Afin d’aider les habitants à « mieux habiter » avec la possibilité de « laisser des
traces », l’architecte chilien Alejandro Aravena, lauréat du prix d'architecture Pritzker 2016,
va encore plus loin. Dans le projet Quinta Monroy Housing (2004, Iquique, Chili), suivant sa
conception, pour chaque logement on avait construit seulement la moitié au début (la photo à
gauche). L’autre moitié a été achevée plus tard par les habitants eux-mêmes (la photo à droite).
Source : http://www.pritzkerprize.com/2016/works
61
Tel qu’abordé à la fin de la IVème partie, ceci est dû d’une part à l’application mécanique des
modèles d’urbanisme issus de l’approche soviétique, qui privilégient des normes quantitatives définies
selon les objectifs des plans plutôt que les aspects qualitatifs tels que l’histoire ou la culture. D’autre
part, dans une situation où il manque de professionnels qualifiés, le taux d'urbanisation galopant rend
souvent la planification passive devant la réalité. Par conséquence, les projets sont élaborés dans la
hâte, mais il n’y a pas suffisamment de temps pour que les questions soient bien étudiées avec soin.
L’exclusivité du travail, donnée à des institutions centrales à Hanoï et Hochiminh-ville au lieu des
services d’urbanisme locaux, conduit également à des problèmes de l’adaptabilité, car des solutions
reflètent principalement les regards extérieurs.
Regard d’ensemble et réflexion sur les pistes 308
Pour les principaux acteurs du développement, ces questions urbaines sont tout à fait
résolubles. À l’échelle des bâtiments, les architectes devraient, par leurs conceptions
et leurs consultations, aider à augmenter la qualité de vie dans les maisons tube,
rendre celles-ci plus viables avec les améliorations de la ventilation et de l’éclairage
naturel, au lieu de chercher seulement à attirer l'attention avec des différences
superficielles qui perturbent l’identité. Sous un angle de vue plus large, la conception
de l’esthétique urbaine nécessite aussi d’être repensée. Une harmonie visuelle selon
les principes classiques d’Alberti ne se conforme plus au contexte contemporain, qui
exige actuellement le partage d’un nouvel esprit « néobaroque » en quelque sorte62.
Afin de favoriser une évolution dynamique, et également pour refléter sincèrement la
loi de transformation qui est rattachée à la notion du beau dans la vision orientale
traditionnelle, la physionomie urbaine doit adopter une esthétique plus ouverte aux
changements. La morphologie du paysage créée par les ensembles de maisons tube,
dont une grande partie se fonde sur l’urbanisation et sur l’extension des anciens
villages, ne ressemble plus à celle du passé, mais conserve cependant encore des
logiques traditionnelles de l’espace local non-euclidien. De plus, tout comme
l’architecture vernaculaire en général, de nombreuses maisons tube, quoiqu'elles
soient construites de manière spontanée avec plusieurs éléments temporaires,
produisent pourtant des formes non conventionnelles qui peuvent inspirer
considérablement l’architecture savante.
62
Si la Renaissance est remarquée dans l’architecture par l’appréciation de l’harmonie comme reflètent
les principes esthétiques d’Alberti (1404-1472), le Baroque, selon les travaux des architectes les plus
représentatifs tels que Francesco Borromini (1599-1667), se distingue surtout par une déformation
intentionnelle de ces principes, pour créer des tensions visuelles comme une manière de donner des
effets plus excitants. Alors dans ce sens, pour favoriser la comparaison, le point de vue suivant du
philosophe Francis Bacon s’avère aussi intéressant : « Toute beauté remarquable a quelque bizarrerie
dans ses proportions » (http://dicocitations.lemonde.fr).
CONCLUSION
Conclusion 310
Les recherches théoriques et analyses du site faites jusqu'à maintenant ont tenté
d'esquisser une approche englobant (ou intégrative) pour la question d’identité du
paysage en général, celle du Lac de l’Ouest en particulier. Plusieurs aspects et
facteurs ont été relevés, et certes, beaucoup devraient encore être complétés et
approfondis. L’identité est une notion complexe où parfois, dépendant du contexte et
de la perception, de petits éléments peuvent jouer un grand rôle. Ainsi, la conclusion
ne les énumère pas tous, mais aborde et insiste seulement sur les points qui sont, selon
l’observation subjective de l’auteur, souvent délaissés ou méconnus, au moins dans la
réalité du Vietnam.
5. L’identité dont on parle souvent est en fait l’identité collective. Elle est utile car
elle soutient le sentiment d’appartenance à une communauté ou à un lieu concret
comme un besoin psychologique fondamental, une condition préalable pour que
l’homme puisse trouver sa vraie liberté. Dans une vision plus large, elle aide à éviter
une homogénéisation culturelle complète qui nuit au développement de l’humanité.
Le fait qu’elle est parfois jugée négativement n'est que le fruit des approches trop
rigides, excessives, ou non conformes à l’évolution du contexte. Ces approches
conduisent à des conflits d’intérêts entre les facteurs qui s’opposent derrière la
question d’identité : le général et le particulier, la cohérence communautaire et la
liberté individuelle, le caractère national et la portée locale, le profit des groupes et le
pouvoir des habitants, ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors… Une sorte
d’identité durable devrait alors assurer un état d’harmonie dont le seuil peut changer
de manière flexible selon le moment et les circonstances. À l'instar du principe
d’équilibre Yin-Yang, tous les extrêmes ne sont pas bien car ils peuvent générer des
réactions difficiles à contrôler dans l’autre sens.
d’avoir un équilibre dans le comportement envers ces deux facteurs, et d’éviter une
priorité exclusive accordée à l’un ou l’autre (par exemple, au nom d’une objectivité,
donner la primauté à la nature en dépit de la culture). Bien que l’on ne puisse plus
tourner le dos à des échanges pour maintenir une homogénéité comme avant, le
paysage doit contribuer à un développement social plus humain. Concernant les
étapes de la mise en œuvre d’un projet d’aménagement, au lieu des mécanismes
subjectifs et bureaucratiques, une ouverture à la participation du public assurerait
mieux le consensus et la satisfaction des besoins. Le design et les politiques de
gestion urbaine doivent permettre à des gens de manifester et d’extérioriser leur vie
plus librement, comme une façon de leur aider à habiter dans le vrai sens par la
possibilité de laisser des traces.
9. Puisque l’histoire est unique pour chaque milieu, elle mérite toujours des respects.
Le rapport à l’histoire devrait se manifester à différents niveaux, au lieu d’être absent
dans les architectures « sans mémoire » impulsées par la culture techno-scientifique.
Conclusion 313
imagibilité). Les paysages les plus locaux dans leur caractère reflètent plutôt les idées
du Taoïsme que celles du Confucianisme (qui font partie de la tradition mais sont
d’origine chinoise). Tel que les scènes à l’intérieur des villages, ils apparaissent
parfois comme des labyrinthes ou des forêts, et diffèrent entièrement des paysages en
Occident où la configuration de l’espace est régie par les lois de la perspective.
13. Le paysage oriental traditionnel s’oriente vers une harmonie encline au Yin pour
mettre en valeur la stabilité. Toutefois, on est conscient qu’il convient de voir les
choses dans leur transformation inéluctable, rien ne peut être fixé perpétuellement. Le
bâtiment ressemble donc à un être vivant, qui doit se développer au fil du temps et
jusqu’à un moment donné peut cesser d'exister1. La demande d’une conservation
physique pour résister à ce processus se pose rarement car elle est envisagée comme
antinaturelle. Alors le goût esthétique est aussi ouvert au changement, et ne vise pas à
des modèles idéaux qui n’acceptent aucune addition ou extraction. En plus, le concept
d’une conciliation entre le vrai, le bien et le beau mène à la préférence pour une
beauté simple et naturelle, jugée comme vraie, tandis que les styles trop maniérés sont
considérés comme faux.
14. Pour représenter l’espace, les modes littéraires prévalent sur le graphique. Ce
dernier, s’il existe, se voit sous forme de schémas conceptuels plutôt que de plans ou
dessins décrivant de façon détaillée les caractéristiques matérielles. Cette réalité
coïncide avec la vision traditionnelle de l’espace, qui est perçu en tenant compte des
éléments plus symboliques que géographiques. En exprimant mieux les relations, les
formes littéraires constituent un meilleur modèle mémoriel pour la transmission des
1
Le fait que la majorité des architectures vernaculaires est construite à partir des matériaux d'origine
végétale renforce certainement cette vision.
Conclusion 315
sens, logiques ou messages. Elles aident à éviter des combinaisons subjectives des
données, qui ont lieu souvent dans le travail avec des représentations graphiques telles
que les cartes et les plans conventionnels ou les photos. Ceci suggère des
compléments et des ajustements pour l’approche actuelle de nombreux architectes,
qui s'appuie trop sur les images pour saisir le Genius Loci.
16. Le réseau des eaux du Lac de l’Ouest est non seulement un élément paysager ou
un régulateur hydraulique. Il crée aussi un écosystème extrêmement important, y
compris les zones humides sur le rivage qui sont menacées par des « consolidations »
en béton. Les crevettes, les escargots… ou les foulques noires ne seraient bientôt plus
que des symboles du passé si leur territoire était sans cesse violé ou pollué. Alors
l’eau du lac n’est pas qu’un liquide qu’il faut changer s’il est sale. C’est encore
l’habitat de plusieurs espèces, et en plus, un support pour des mythes et légendes2.
17. Outre l’écosystème formé par le réseau des eaux, les zones inondables situées à
côté du fleuve Rouge constituent l’endroit qui reflète le mieux les processus naturels à
travers des changements saisonniers. Le maintien de l’inondabilité de ces zones, grâce
à la conversion en parcs écologiques par exemple, aiderait à assurer l’évacuation des
crues, et en même temps à refléter plus sincèrement l’identité du lieu. Sans besoin
d’aller trop loin, le fait que l’on peut trouver une nature vierge à proximité directe du
centre-ville correspond également à la dialectique locale et à la philosophie Yin-Yang
dont l’accent est mis sur un équilibre immédiat de préférence.
2
Le projet d’« Améliorer la qualité des eaux du Lac de l’Ouest », qui consiste à remplacer l’eau du lac
par l’eau traitée du fleuve Rouge, est un bon exemple. À peine lancé, le projet a été bien vite rejeté
parce qu’il n’avait pas pu assurer que l’écosystème du lac demeurait intact après avoir subi un tel
bouleversement. L’aspect sacré et mystérieux du site serait aussi touché avec le remplacement de l’eau.
Tel qu’Ivan Illich nous l’a signalé en parlant d’un projet à Dallas, l’eau résultant des traitements
chimiques ne serait qu’une matière inexpressive appelée H20, qui n’a plus la capacité de refléter des
significations symboliques attendues.
Ivan Illich, H20 et les eaux de l’oubli, Lieu commun, 1985.
Conclusion 316
20. Les constructions mentionnées ci-dessus ne sont que des points saillants du
tableau. L’attraction du paysage du Lac de l’Ouest est dûe aussi à la présence discrète
des anciens villages, l’illustration la plus vivante pour l’indissociabilité entre la ville
et la campagne, ainsi que pour le principe « Yin dans le Yang et Yang dans le Yin ».
Malgré que l’« imagibilité » des villages ait été en partie amoindrie, ce qui reste ici est
encore très stimulant pour la découverte : le mariage entre l’eau et l’architecture, la
trame viaire typique sous forme d’os de poisson donnant le sens d’un labyrinthe, la
concentration assez dense des bâtiments historiques sauvegardés (portes du village,
đình ou maison communale, temple, pagode, marché, cầu ou point de culte public…),
l’habitation traditionnelle comme leçon d’une unité écologique auto-équilibre ou
comme un petit univers montrant la conception du rapport homme - nature, les
cimetières (dont plusieurs ont été noyés dans l’eau) avec la disposition des tombes
évoquant une sorte de « village dans le village » pour les morts, les « salon de thé » à
la villageoise avec les vendeurs comme « personnages publics » qui aident au
maintien des relations sociales, les champs de fleurs et de plants d’agrément liés aux
artisanats locaux, les fêtes agricoles se distinguant d'ailleurs par l’allure plus élégante
d’une zone suburbaine…
Conclusion 317
Les villages sont l’endroit qui révèle le plus clairement la pensée dialectique et les
caractéristiques essentielles de l’espace local traditionnel. Ils créent un choix
supplémentaire et alternatif à côté des modèles totalement urbains, et amènent aussi
des suggestions précieuses pour l’aménagement de nouveaux quartiers visant en
général une harmonie avec la nature et une forte cohérence communautaire. Le
maintien des éléments villageois au milieu urbain n’a pas seulement pour but de
refléter des lois traditionnelles, ou d’aider à faire la différence par les aspects
informels amusants. Avec une meilleure organisation, ils pourraient encore contribuer
considérablement à un développement plus humain et durable en encourageant la
communication, l’équilibre, l’égalité, la souplesse et la pluralité. La « ruralisation de
la ville » mérite donc être reconsidérée, car elle n’est pas toujours le synonyme des
valeurs négatives comme on le pense souvent.
21. L’urbanisation des villages situés dans le site est marquée, tout comme ailleurs,
par l’envahissement des maisons tube. Bien entendu, la disparition quasi totale de
l’habitation traditionnelle est très regrettable, mais il convient d’avouer que cette
nouvelle version des compartiments d’autrefois est le reflet sincère d’une période de
transformation. Il répond parfaitement aux demandes de logement (auto-construction
dans des conditions limitées), au mode de vie (intégration du commerce dans la
maison), et au sentiment des habitants (prédilection pour la terre). Quoiqu'elle semble
négative aux yeux de beaucoup, l’identité que les maisons tube produisent se rattache
en fait à une nouvelle forme indigène (ou néo-vernaculaire) pleine de vitalité, dont le
désordre apparent (ou à la différence de l’harmonie classique, pour être précis) n’est
que le fruit de l’évolution dans le nouveau contexte des logiques traditionnelles
(dialectique, flexibilité, cohabitation des générations3, esthétique ouverte…). Une telle
confirmation ne signifie pas qu’elle nie la nécessité d'avoir des contrôles pour éviter
une prolifération effrénée, mais elle nous aide plutôt à prendre conscience des valeurs
positives des maisons tube. Il est aussi à noter que plusieurs problèmes de cette
typologie pourraient être complètement résolus du point de vue de la conception, afin
de redonner des espaces plus viables en termes de ventilation et d'éclairage naturel,
ainsi que de refléter davantage l’esprit du lieu à travers des plans d’urbanisme au lieu
de s’arrêter à des lotissements.
22. Depuis l’ouverture du pays, l’image du Lac de l’Ouest commence à être liée à de
nouveaux quartiers urbains et grandes tours de luxe. En tant que signe de la prospérité
et de l’adhésion, ces constructions étaient bien saluées au début mais provoquent de
plus en plus de nombreux problèmes. Régis par l’esprit pragmatique et opportuniste,
la plupart des projets s’intéressent rarement au contexte historique et culturel, ou au
3
Auparavant, les différentes générations vivaient souvent ensemble dans les parcelles juxtaposées
(nées d’une subdivision de l’ancienne parcelle). Maintenant, ceci peut s’effectuer dans les étages d’une
même maison.
Conclusion 318
23. Le site dispose aussi des édifices intéressants construits dans les années difficiles
de la période socialiste. Parmi eux, l’hôtel Thắng Lợi et le Centre de repos du Comité
central du Parti, qui sont typiques des deux courants différents, s’avèrent les plus
remarquables. Ils ont surmonté la situation ainsi que les dogmes d’un
Internationalisme « progressiste », particulièrement dans le cas d’hôtel Thắng Lợi
lorsqu’il combine harmonieusement le langage du Modernisme avec les valeurs
traditionnelles. Alors que le patrimoine moderne ou patrimoine socialiste demeure, le
manque de conscience et la pression des exigences économiques à court terme sont en
train de menacer l’existence de ces constructions, qui sont pourtant indispensables
pour dresser un tableau complet du paysage urbain historique.
24. La surface d’eau du Lac de l’Ouest connaît assez d’activités, bien que ce paysage
fasse référence surtout à une ambiance calme et mystérieuse. Autrefois, les bateaux se
présentaient pour de multiples usages. Outre la pêche, la promenade, les processions
lors des fêtes, ils servaient aussi à la circulation, une fonction très importante quand le
lac était encore connecté avec la rivière Tô Lịch et le fleuve Rouge. Plusieurs temples
et pagodes au bord du lac avaient donc leurs accès principaux ouverts directement sur
l’eau. Aujourd’hui, le fonctionnement des bateaux dragons destinés au tourisme
mérite d’être maintenu, car il aide à sauvegarder en partie ces mémoires. Sous le
régime colonial, le lac était encore une base d’hydravions pendant un certain temps.
C’était également l’endroit où se passaient les activités sportives telles que la pratique
des voiliers et des périssoires, qui sont continuées à être présentes par les kayaks.
Cependant, les activités les plus animées et les plus significatives se voient avec les
pédalos canard et les plages publiques majoritairement spontanées. Malgré les
problèmes d’organisation, ou le fait qu’elles sont méprisées voire critiquées par des
autorités et quelques experts, ce sont elles qui, grâce au prix abordable ou à la
gratuité, transforment le plan d’eau du Lac de l’Ouest en un espace public
gigantesque. Elles participent à la protection de l’image du lac comme un bien
commun accessible à tous, peu importe la classe sociale, et offrent la possibilité de
vivre la nature en plein cœur de la ville. En ajoutant de nouvelles expériences et
angles de vue, elles rendent aussi le sens du lieu plus riche et profond.
Conclusion 319
25. Au fil de l’Histoire, à travers la réalité, ceux qui ont été exaltés dans la littérature,
la poésie, la peinture, la photographie…, ou les souhaits et les intentions révélés sur
les plans, le Lac de l’Ouest est de tout temps un paysage exceptionnel dont la
séduction est due à des caractéristiques enclines au Yin. C’est une terre « onirique »
avec des mythes et légendes, une terre du ciel et de l’eau, des temples et pagodes,
d’anciens villages et champs de fleurs… Même lorsqu’il est choisi pour devenir le
centre, ce paysage est toujours encore désiré comme un endroit qui représentera « une
capitale en harmonie avec la nature », un endroit qui aide à échapper aux pressions de
la vie quotidienne, plutôt qu’orienté vers l’ambiance animée ou le miroir reflétant un
développement en pleine ébullition.
Néanmoins, le problème qui se pose est qu’en dépit d'un consensus clair sur les désirs
en principe, la mise en œuvre des idées n’est pas toujours conforme. Quand
l’évolution du site passe d’un processus tournant le dos à celui qui ouvre sur et
embrasse le lac, en raison des changements dans la prise de conscience des valeurs
paysagères et économiques, le Lac de l’Ouest devient une sorte de « ressources » à
« exploiter » pour des nouveaux arrivants issus de différents secteurs. Face aux
concurrences, la voracité et le pragmatisme ont tendance à empiéter sur les besoins
spirituels ou le romantisme. L’identité collective est donc menacée par de propres
identités représentant des intérêts privés. Ceci est encore soutenu par des documents
d’urbanisme clairs dans les mots des textes mais ambigus ou non précisés sur les
plans pouvant aider à créer des « opportunités ». Auparavant, la prise de choix entre
un đình féodal ou une maison culturelle socialiste, entre un édifice colonial ou un
d’inspiration architecturale soviétique, révèle les différences idéologiques mais c’est
au moins en faveur des intérêts communs. Maintenant, la décision entre un village
ancien et de grandes tours est plus compliquée, car le problème n’est pas seulement
que la priorité sera accordée au passé ou à l’avenir, à la conservation ou au
développement, mais encore à qui appartient cet avenir : les habitants locaux, les
visiteurs venant de l’extérieur, ou les groupes d'investisseurs ? Cette complexité dans
la justification des besoins ou le jugement des valeurs, dans l’interprétation du passé
ainsi que de l’avenir, montre à quel point un mécanisme ouvert et démocratique, de la
planification des politiques jusqu’à un projet d’aménagement concret, est nécessaire
pour atteindre une harmonisation des intérêts, ce qui est incontournable pour la
formation d’une identité collective humaine et durable dans le paysage.
Conclusion 320
… et pour finir
Portant sur le sujet de l’identité du paysage, ce travail a commencé en faisant
référence de manière métaphorique aux questions de l’identité humaine qu’évoquent
les autoportraits de Francis Bacon. Comme pour l’homme, on trouve que le
phénomène de la réduction ou de la perte d’identité pour le paysage pourrait être
attribuable à deux causes. Premièrement, il résulte d’un processus d'évolution
naturelle. L’identité ne peut pas toujours s’associer à des images figées, mais est
obligée d’évoluer, comme un homme ne s’arrête pas pour toujours à l'âge de vingt
ans. L’identification devrait alors se baser non uniquement sur les éléments
permanents de la forme ou du visage, mais également sur ceux de ses activités ou
comportements. Deuxièmement, il peut s'agir d’une transformation en une nouvelle
sorte d’identité peu ou non désirée, qui découle des problèmes culturels et sociaux, au
même titre que l’expression extérieure d'un homme ayant des problèmes de santé
physique ou mentale dans son corps. La seule concentration sur le traitement de
l’image extérieure par les approches formalistes vise à régler les symptômes sans tenir
compte de la maladie. Dans cette situation, le maquillage n’apporte qu’une fausse
identité. De plus, le règlement des symptômes sans traiter la cause du problème peut
même entraîner d’autres maladies. Il est semblable au maintien d’une forme
d’obligation quelconque sur une zone par les politiques imposées, ce qui peut
engendrer les problèmes sociaux et transformer l’identité en une camisole de force.
Ainsi, il ne convient pas que l’identité soit focalisée sur des questions d’identification
ou sur la création des différences selon les intentions subjectives. Elle devrait
représenter un processus harmonieux comme une évolution saine de l’homme. Une
accentuation exagérée de la question d’identité, énoncée séparément dans les slogans
tels que « Vers une architecture imprégnée d’identité » au Vietnam, particulièrement
lorsque cette identité est souvent encadrée par les anciennes visions, conduit en fait
souvent à des préoccupations excessives à l’égard de l’apparence, et est donc difficile
à réussir. L’identité est importante, mais une approche juste est indissociable des
principes d’un développement équilibré et durable. Ce sont les conditions préalables
pour générer une identité naturelle que l’on désire.
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http://www.dailymail.co.uk/sciencetech/article-2623507/How-rice-wheat-divided-
world-Cultural-differences-East-West-FARMING-claims-study.html
« Nhìn nhận đánh giá tổng quát kiến trúc Việt Nam giai đoạn 1945-1986 »
(Récapitulatif de l’architecture vietnamienne pendant la période entre 1945-1986),
Tạp chí Kiến trúc (Revue d’Architecture), N° 236, Union des Architectes
Vietnamiens, 12/2014.
http://www.xaydung.gov.vn/en/web/guest/thong-tin-tu-lieu/-/tin-chi-
tiet/ek4I/86/252730/nhin-nhan-danh-gia-tong-quat-kien-truc-viet-nam-giai-doan-
1945-1986.html
342
PARTIE II
Fig. 15 – Maquette d’un projet de paysage de Lalanne Francois-Xavier…………… 29
Fig. 16 – Tableau Baie de Cannes, Picasso, 1958………………………………….. 29
Fig. 17 – La production du paysage…………….. …………………………………. 30
Fig. 18 – Un panneau racontant l’histoire du Pont Neuf de Toulouse…………...…. 31
Fig. 19 – Pont Neuf de Toulouse……………………………………………………. 31
Fig. 20 – Lac du Miroir, Matinée, Parc National d’Yosemite, 1928……………….. 32
Fig. 21 – Ville de Wiesbaden, Allemagne, vers 1900, plan d’emprise au sol…..… 33
Fig. 22 – Projet pour Saint-Dié, Le Corbusier, extrait du plan de masse…………… 35
Fig. 23 – Chancellerie, Gunnar Asplund, extrait du plan du site…………………… 35
Fig. 24 – Intégration discordante à la rue Khu Hòa Bình (Dalat, Vietnam)……...… 36
Fig. 25 – Une rénovation à Serangoon Road (Singapour)………………………….. 36
Fig. 26 – Le Times Square dont le chaos devient le thème commun……………….. 37
Fig. 27 – Une installation de l’artiste Raffael Rheinsberg………………………….. 37
Fig. 28 – Les supermarchés de grandes chaines comme exemple du non-lieu…… 40
Fig. 29 – Une section du canal Rideau, Ottawa, photo prise en été………………… 44
Fig. 30 – Canal Rideau transformé en patinoire pendant l'hiver………………….. 44
Fig. 31 – Éléments naturels et la perception indigène d’un milieu…………..…….. 45
Fig. 32 – Les rizières en escalier à Sapa, Vietnam…………………………………. 47
Fig. 33 – Marais de Ô Loan, Phu Yen, Vietnam……………………………………. 47
Fig. 34 & 35 – Le colossal barrage des Trois-Gorges (fleuve Yang Tsé, Chine)….. 47
Fig. 36 – Nature et Émotion, acrylique sur toile de Micke Mansier…………….… 47
Fig. 37 – Des pyramides en Égypte et la priorité donnée à la vie après la mort……. 49
343
PARTIE III
Fig. 50 – Exemple du paysage en miniature à la vietnamienne…………………… 67
Fig. 51 – Tableau « Tát nước đồng chiêm » du peintre Trần Văn Cẩn, 1958……… 69
Fig. 52 – Symbole de la théorie Yin-Yang………………..………………………… 71
Fig. 53 – Image habituelle de Lao-Tsu………………………….………………….. 71
Fig. 54 – Symbole Yin-Yang à la vietnamienne……………………………………. 72
Fig. 55 – Symbole Yin-Yang à la vietnamienne dans la peinture folklorique……... 72
Fig. 56 – Symbole Yin-Yang à la vietnamienne dans une ancienne inscription..….. 72
Fig. 57 – Plan et coupes de la pagode Diên Hựu………………………......………. 73
Fig. 58 – Pagode au Pilier unique………………………….……………………….. 73
Fig. 59 – Plan et coupes du mausolée de Minh Mạng à Hué…….…………………. 73
Fig. 60 – Temple de le Littérature de Hanoï………………………..……………… 76
Fig. 61 – Plan du Palais impérial à Hué……………………….…………………… 76
Fig. 62 – Anciennes maisons sur pilotis des Việt…………………………………… 78
Fig. 63 – Le đình du village Đình Bảng…………………………………………… 78
Fig. 64, 65, 66 – Église de Phát Diệm avec le style traditionnel vietnamien……… 79
Fig. 67 – Une peinture folklorique du village Đông Hồ………….………………… 80
Fig. 68 – Plan du quartier des logements collectifs de Giảng Võ………….……….. 81
Fig. 69 – Paysage du quartier des logements collectifs de Giảng Võ en 1989……... 81
Fig. 70 – Nouvelle habitation près du Lac de l’Ouest en 2002………………….….. 82
Fig. 71 – Un immeuble de logements collectifs du quartier Thành Công………….. 83
Fig. 72 – Complexe résidentiel Wozocos à Amsterdam………………….………… 83
Fig. 73 – Groupe de maisons conçu par l’Arch. Tạ Mỹ Duật, Hanoï, 1942………... 84
Fig. 74 – Carte du Tombeau du roi Gia Long…………………………………….… 86
Fig. 75 & 76 – Différence entre l’Est et l’Ouest dans le cheminement vers le but…. 87
Fig. 77 – Étude des proportions du corps humain, Léonard de Vinci…………..….. 88
Fig. 78, 79, 80, 81, 82, 83 – Différence entre l’Orient et l’Occident
pour la conservation……………………………………………………………..….. 89
344
PARTIE IV
Fig. 88 – La zone d’étude…………………………………………………………… 98
Fig. 89 – Hypothèse de la création du Lac de l’Ouest…………………………….. 99
Fig. 90 – Avant l’apparition de l’hôtel Inter Continental sur le Lac de l’Ouest…... 100
Fig. 91 – Après l’apparition de l’hôtel Inter Continental sur le lac de l’Ouest….… 100
Fig. 92 – Répartition des plans d’eau dans le site à travers le temps…………...…. 101
Fig. 93 – Un fragment restant de l’ancienne rivière Thiên Phù…………………… 102
Fig. 94 – Carte de Hanoï en 1770…………………………………………………. 102
Fig. 95 – Paysage de la rivière Tô Lịch autrefois………………………….………. 103
Fig. 96 – Extrait de la carte de Hanoi (vers la fin du XIXème siècle)…………….. 103
Fig. 97 – Partie de la rivière Tô Lịch traversant au sud du Lac de l’Ouest……….. 104
Fig. 98 – Les zones inondables à l’extérieur de la route digue……………………. 107
Fig. 99 – Nature sauvage sur des lais……………………………………………… 108
Fig. 100 – Exploitations spontanées sur des lais…………………..……………… 108
Fig. 101 – Perspective du projet « La ville du Fleuve Rouge »………………….. 110
Fig. 102 – Champ de lotus au Lac de l’Ouest dans le passé……………..……….. 111
Fig. 103 – Champ de lotus au Lac de l’Ouest aujourd’hui…………………….… 111
Fig. 104 – Les foulques noires…………………………………………………….. 114
Fig. 105 – Extrait de la carte de Hanoï en 1873…………….……………………. 114
Fig. 106 – Un bétonnage du quai………………………………………………….. 115
Fig. 107 – La densification des villages et le changement d’ambiance…………... 116
Fig. 108 – Rupture morphologique et des perturbations microclimatiques……… 116
Fig. 109 – La brume sur le Lac de l’Ouest………………………………………… 116
Fig. 110 – Les principaux éléments bâtis ayant modifié le relief naturel du site….. 118
Fig. 111 – Coupes transversales sur la digue du fleuve Rouge………..………….. 119
Fig. 112 – Le tableau de mosaïque en céramique longeant la digue………………. 120
Fig. 113 – Les potagers spontanés sur la digue…………………….…………….. 120
Fig. 114 – Les enceintes de Thăng Long vers XI-XIVème siècle………………... 121
Fig. 115 – La Tô Lịch et le chemin Hoàng Hoa Thám comme belvédère urbain…. 122
Fig. 116 – Chemin Cổ Ngư vers 1923…………………….………………..…….. 123
Fig. 117 – Chemin Thanh Niên d’aujourd’hui………………..………………….. 123
Fig. 118 – Une section de la voie au bord du lac………………………………….. 124
Fig. 119 – Logique incompréhensible dans la conception de la largeur de voie… 125
Fig. 120 – Ambiance trop animée causée par le trafic…………………………….. 125
Fig. 121 – Nouvelle façade des anciens villages…………………………….……. 125
Fig. 122 – Répartition des patrimoines religieux dans les environs du lac……..… 126
Fig. 123 - Ancienne Villa Schneider………………………………………………. 130
345
Fig. 253 – Plans d’aménagement de Hanoi érigés dans les années 1960-1964…… 262
Fig. 254 – Plan d’aménagement détaillé de la région du Lac de l’Ouest,
élaboré par l'Institut d'Urbanisme de Leningrad……………………………..……. 264
Fig. 255 – Plan de conservation des vestiges historiques et des villages traditionnels,
tiré du document d’aménagement des environs du Lac de l’Ouest
érigé par l’Institut d’Urbanisme de Hanoï en 1991……………………..………… 268
Fig. 256 – Perspective des nouveaux quartiers, tirée du document de 1991………. 269
Fig. 257 – Plan détaillé pour les quartiers méridionaux, document de 1991……… 270
Fig. 258 – Plan d’aménagement pour le district du Lac de l’Ouest, 2001…….….. 271
Fig. 259 – Lac de l’Ouest comme point de rencontre des axes de développement... 272
Fig. 260 – Perspective du développement de la péninsule de Quảng An………..... 273
Fig. 261 – Aménagement spatial de l’ensemble…………………………………… 273
PARTIE V
Fig. 262 – Coexistence de multiples usages et sens dans les rues de Hanoï………. 278
Fig. 263 - Petit restaurant installé en plein centre d’un champ de lotus…………… 279
Fig. 264 – Tableau « Hanoi Old Quarter », peintre Richard Hart-Jackson…….….. 282
Fig. 265 – Structuration et hiérarchisation de l’espace urbain occidental..……..… 285
Fig. 266 – Espace public à l’occidentale et espace public local…………………… 286
Fig. 267 – Intégration des formes villageoises dans le développement urbain……. 286
Fig. 268 – Architecture comme accumulation…………………………………..… 292
Fig. 269 – Une architecture « de signature » à Moscou………………………..….. 293
Fig. 270 & 271 – Communauté dans le passé et communauté d’aujourd’hui….….. 294
Fig. 272 – Maison du Tourisme et du Village de Hua Tat…………………..…….. 303
Fig. 273 & 274 – Modèle suggéré et modèle déconseillé
pour la mise en réseau des espaces publics………………………………..……… 305
Fig. 275 – La participation des habitants dans un projet résidentiel au Chili…..…. 307
349
REMERCIEMENTS…………………………………………………………………1
SOMMAIRE ……………….……………………………………………………….. 2
I. 1 PROBLÉMATIQUE ………………………………………...…...… 6
Les préoccupations générales et théoriques ……………...…..…... 6
a
I. 2 OBJECTIFS DU TRAVAIL ……………………………………… 17
Les questions de recherche …………………………...……….… 18
a
I. 3 MÉTHODE UTILISÉE ET SES MATÉRIAUX ………………... 22
I. 4 LIMITES DU TRAVAIL …………………………………………. 24
La flore …………………………………………………………...111
Photo : Inconnue
Photo : Inconnue
Plan d’aménagement détaillé des environs du Lac de l’Ouest, érigé par l’Institut
d’Urbanisme de Hanoï en 1991 – Patrimoines historiques et nouveaux villages.
Plan d’aménagement détaillé des environs du Lac de l’Ouest, érigé par l’Institut
d’Urbanisme de Hanoï en 1991 – Végétations et plans d’eaux.
Plan d’aménagement détaillé des environs du Lac de l’Ouest, érigé par l’Institut
d’Urbanisme de Hanoï en 1991 – Système de voirie.
Plan d’aménagement détaillé des environs du Lac de l’Ouest, érigé par l’Institut
d’Urbanisme de Hanoï en 1991 – Hôtels, constructions commerciales, équipements
publics et sportifs.
Plan général
révisé de
Hanoï pour
2020 adopté
en 1998.
Source : Institut
d’Urbanisme de
Hanoï
Annexes 365
Chemin
Hoàng Hoa Thám Rivière Rue Thụy Khuê
(Ancienne citadelle) Tô Lịch
Lac de
l’Ouest
Modèle 1
Modèle 2
Annexes 368
Intitulé Complexe d’Automne, ce projet a été conçu pour créer une image
métaphorique de deux feuilles qui tombent sur l’eau
Annexes 369
RÉSUMÉ
Dans l’aménagement, le respect de l’identité du paysage ou de l’esprit du lieu (Genius
Loci) acquiert une importance particulière. Cependant, cette exigence n’est pas
toujours facile à satisfaire, à cause de l’abstraction et de la complexité des notions, qui
entraînent souvent des difficultés dans la détermination des facteurs concernés, voire
encore des contradictions et conflits dans la perception.
ABSTRACT
In landscaping and environmental design, respect for the identity or the spirit of a
place (Genius Loci) is particularly important. However, understanding the spirit of a
place is not always easy. It is often difficult to define the relevant factors that shapes
place because of the abstraction and complexity of the concepts involved in thinking
of a landscape. The subjectivity in that matter can be very strong and can create
opposite ways of seeing the same space.
This thesis hopes to solve this problem. It seeks to understand the various dimensions
of the identity of a space. How is it generated? What factors makes it change? These
questions help to elaborate a theoretical framework for practice. The theoretical
benefits from this study will be applied to West Lake, an exceptional landscape in the
capital of Vietnam, Hanoi. This famous natural and historic site was a suburban
environment not too long ago, but now, it is planned to become the new center of the
city, and it goes under intense urbanization. Maintaining its essential characteristics
became a necessity and what is at stake is bigger than the scale of the place.
As an architect, the author, considered at first the form as the priority of his focus
when he started his research. However, going deeper into his work, he soon realized
that the question of identity could not be solved through an architectural approach in
the conventional sense, but the subject had to be studied from a multidisciplinary
point of view. A method too much centered on the forms themselves proved partial or
not relevant, especially nowadays as in postmodern society the relationship between
form and meaning has never been more fluid and loose. This is particularly true in the
local cultural context. The inhabitants are used to identify space not by concrete
physical element but according to the activities and the symbolic dimension of the
place as they are led by the dialectical mind. That is to say a mind dominated by the
syncretism of the East rather than analytical or Cartesian mind of the West. Thus,
rather than being used for striking visual effects, the forms are now used as a
backdrop or support for the most vivid manifestation possible of activities and senses.
In terms of aesthetics, such an approach is more faithful to the traditional way, which
favors a subtle charm rather than the too sharp or explicit visual effects.