Exploitations Agricoles Familiales
Exploitations Agricoles Familiales
Exploitations Agricoles Familiales
familiales en Afrique
de l’Ouest et du Centre
M. Gafsi, P. Dugué, J.-Y. Jamin, J. Brossier, coord.
Exploitations agricoles familiales
en Afrique de l’Ouest et du Centre
Enjeux, caractéristiques et éléments de gestion
Collection Synthèses
Mohamed Gafsi,
Patrick Dugué,
Jean-Yves Jamin,
Jacques Brossier,
coordinateurs
Éditions Quæ
RD 10, 78026 Versailles Cedex, France
Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) a été créé en 1983 dans le cadre de
la Convention de Lomé entre les États du Groupe ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et les pays
membres de l’Union européenne. Depuis 2000, le CTA exerce ses activités dans le cadre de
l’Accord de Cotonou ACP-CE.
Le CTA a pour mission de développer et de fournir des services qui améliorent l’accès des
pays ACP à l’information pour le développement agricole et rural, et de renforcer les capa-
cités de ces pays à produire, acquérir, échanger et exploiter l’information dans ce domaine.
Les programmes du CTA sont conçus pour : fournir un large éventail de produits et services
d’information et mieux faire connaître les sources d’information pertinentes ; encourager
l’utilisation combinée de canaux de communication adéquats et intensifier les contacts et les
échanges d’information, entre les acteurs ACP en particulier ; renforcer la capacité ACP à
produire et à gérer l’information agricole et à mettre en œuvre des stratégies de GIC, notam-
ment en rapport avec la science et la technologie. Le travail du CTA tient compte de l’évolu-
tion des méthodologies et des questions transversales telles que le genre et le capital social.
Le CTA est financé par l’Union européenne.
Photo de couverture :
chef d’exploitation agricole et son fils en zone cotonnière, Koutiala, Mali. P. Dugué © Cirad
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Sommaire
Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Partie 1
Environnement des exploitations agricoles
P. DUGUÉ
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Partie 2
L’exploitation agricole familiale en Afrique :
définitions et apports théoriques
J. BROSSIER
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Partie 3
Diversité et dynamiques des exploitations agricoles africaines
J.-Y. JAMIN
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
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Sommaire
Partie 4
Gestion de l’exploitation agricole familiale africaine
M. GAFSI
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
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Sommaire
Partie 5
Accompagnement des producteurs
P. DUGUÉ
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 443
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 463
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Introduction générale
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Introduction générale
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Introduction générale
Ce n’est pas un livre sur l’agriculture africaine. Les exemples choisis pour illustrer
nos propos n’ont pas pour but de dresser un tableau exhaustif de toutes les formes
que prend cette agriculture, ni de tous les défis auxquels elle est confrontée. À partir
de ces travaux, un certain nombre de leçons plus ou moins générales sont propo-
sées, ainsi que des méthodes d’analyse des questions abordées. Ce n’est pas non plus
un mode d’emploi normatif du diagnostic des systèmes de production ou de leur
bonne gestion, centré sur les outils ; il s’inscrit plutôt dans une conception systé-
mique de l’exploitation agricole et dans une démarche partenariale de construction
avec les acteurs d’outils et de méthodes d’aide à la décision.
Cet ouvrage a été construit à partir de contributions en langue française. Il en
découle donc une limite géographique : les situations décrites se rapportent essentiel-
lement à l’Afrique subsaharienne francophone. Ainsi, peu de travaux anglo-saxons
actuels sont exposés en détail, même s’ils ne sont pas absents des références citées.
Organisation de l’ouvrage
L’ouvrage comporte des chapitres principaux, des chapitres illustratifs et des encadrés.
Les chapitres principaux correspondent aux fondements de l’ouvrage. Ces chapitres
présentent à la fois des approches et des outils analytiques, pour pouvoir appré-
hender les exploitations agricoles familiales africaines, et des analyses et des appli-
cations effectives portant sur ces exploitations. Dans chaque partie, les chapitres
illustratifs « pour approfondir le sujet » sont ceux qui apportent des compléments ou
approfondissent certains aspects traités par les chapitres principaux. Ces chapitres
rassemblent plusieurs contributions originales. Les encadrés correspondent à des
illustrations courtes introduites dans le corps des chapitres principaux ; certains sont
signés par leurs auteurs, les encadrés introduits par les auteurs du même chapitre
ne sont pas signés.
Dans la première partie introductive, l’ouvrage aborde la problématique d’ensemble
de l’agriculture africaine et le contexte dans lequel s’inscrit cette activité. Sont ainsi
mis en évidence les atouts, les contraintes, les dynamiques d’ordre social, technique
ou économique, dans lesquelles opèrent les exploitations agricoles familiales.
Dans une deuxième partie, nous analysons ce que sont les exploitations agricoles
familiales africaines aujourd’hui, quels sont leurs contours, comment elles fonction-
nent, qui les pilote et quels rôles elles jouent. Cette partie présente les concepts,
théories, outils et méthodes nécessaires pour appréhender l’objet exploitation
familiale. Elle est complétée par des analyses sur l’évolution des systèmes de
production des savanes, sur la gestion de la force de travail et la place de la femme,
et sur le rôle de modélisation dans la gestion des exploitations.
Dans une troisième partie, nous présentons la diversité des exploitations agricoles
et les méthodes pour l’appréhender. Nous examinons ensuite les dynamiques d’évo-
lution de ces exploitations, et les approches possibles de leurs trajectoires passées et
de leurs scénarios d’évolution future. Trois exemples permettent de montrer l’im-
portance de cette diversité et illustrent les dynamiques d’évolution rencontrées.
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Remerciements
Nous remercions Monsieur Luigi Omodei Zorini, Professeur d’économie à
l’Université de Florence (Italie), et Monsieur Guy Faure, chercheur au Cirad à
Montpellier, pour leurs relectures attentives et leurs suggestions. Nous remercions
également Madame Ophélie Héliès qui a corrigé et mis à jour la bibliographie en
juin 2007.
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Partie 1
Environnement
des exploitations
agricoles
Patrick DUGUÉ, coordinateur
Introduction
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
22
Introduction
1. Pastoral
2. Agriculture-élevage en zone sèche
3. Agriculture-élevage en zone subhumide (céréales, coton, …)
4. Système à base de jachère (tubercule ou riz) en zone humide
5. Système avec chasse et cueillette
6. Système à base de cultures pérennes en zone forestière humide
7. Système périurbain
8. Système irrigué
Carte 1. Localisation des principaux systèmes de production agricole en Afrique de l’Ouest et du Centre.
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Chapitre 1
Ressources, acteurs et institutions :
un environnement qui change
Patrick DUGUÉ
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
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250
200
Base 100 : 1990
150
100
50
Produits agricoles
Linéaire (Produits agricoles)
0
1957 19591961 196319651967196919711973 1975197719791981198319851987 198919911993199519971999 2001 20032005
Années
Figure 1.2. Évolution des cours réels des produits agricoles entre 1957 et 2005 (Source : Géronimi et al.,
2007).
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
Encadré 1.3. Les exploitations familiales des Hautes terres de l’Ouest du Cameroun
confrontées au désengagement de l’État de la filière du café
André KAMGA
Dans les Hautes terres de l’Ouest du Cameroun, le caféier arabica a été introduit par
le pouvoir colonial vers 1920 et est resté, après l’indépendance de l’État, une culture
de rente et le pivot du développement économique de cette région. Le Fonds national
de développement rural (Fonader), organisme public, fournissait le crédit nécessaire à
l’achat des engrais, pesticides, fongicides et organisait l’approvisionnement. Des
coopératives encadrées par les services de vulgarisation permettaient aux agriculteurs
de vendre leur production de café – sans se soucier du transport – dans de bonnes
conditions. Le désengagement de l’État de cette filière a provoqué la dissolution du
Fonader en 1988-1989 et la libéralisation totale du commerce du café en 1993. La
baisse constante du prix du café sur le marché mondial a entraîné la faillite de la filière
arabica. Progressivement, en raison de leur faible revenu, les caféières ont été aban-
données puis arrachées. Celles qui subsistent sont conduites de façon extensive en
recourant à de faibles doses d’engrais minéraux à cause de la hausse continue de leur
prix – multiplié par 3 entre 1990 et 1994 à cause de la dévaluation du franc CFA, entre
autres. La baisse du prix du café à l’exportation conjugué au désengagement de l’État
de la filière est bien à l’origine de la régression rapide de la caféiculture dans cette
région (Kamga, 2002).
La forte densité de population rurale des Hautes terres de l’Ouest (250 habitants / km2)
constituait aussi un facteur limitant l’extension et le maintien du caféier. La quasi-dispa-
rition de cette production a libéré des terres, donnant la possibilité aux agriculteurs de
diversifier les cultures, notamment vers des cultures vivrières de vente, principalement
les cultures maraîchères, au début des années 70, avant la crise caféière. Les cultures
maraîchères ont même bénéficié de l’appui accordé par l’État à la filière arabica, par le
détournement des engrais destinés au caféier vers ces cultures. Néanmoins, l’essor du
maraîchage a coïncidé avec le déclin du café arabica, car les hommes responsables de
cette culture d’exportation devaient trouver une autre source de revenu pour répondre
aux besoins monétaires de leur famille.
L’absence d’appui de l’État et des organisations paysannes pour l’approvisionnement
en engrais et pesticides a fortement influencé la nature des systèmes de culture maraî-
chers. On observe fréquemment des associations de légumes qui limitent les infesta-
tions d’insectes et les maladies des cultures ainsi que le recours à la fiente de poulet
comme fertilisant moins coûteux que l’engrais. L’impact du désengagement de l’État
ne se manifeste pas seulement sur les choix techniques des agriculteurs, il touche aussi
l’organisation sociale et le fonctionnement des exploitations agricoles. L’homme (chef
d’exploitation) percevait le revenu issu des caféiers alors que les femmes assuraient
une bonne partie des travaux d’entretien. Celles-ci avaient la responsabilité de la
production vivrière. Aujourd’hui hommes et femmes d’une même famille se retrou-
vent parfois associés parfois concurrents pour l’accès à la terre et pour la vente des
produits maraîchers. Les dynamiques de développement actuelles, fortement orien-
tées par des besoins croissants en produits vivriers des marchés urbains locaux et
régionaux, comprennent aussi la production de maïs et de haricot et l’élevage de
porcs et de poulets. Outre ces activités de production, les ruraux s’investissent dans
diverses activités procurant un revenu comme la fabrication d’emballage pour le
transport des produits maraîchers, le commerce de ces produits et tous les métiers de
l’artisanat traditionnel (maçonnerie, menuiserie). Ces dynamiques de développement
constituent une alternative au modèle de la filière intégrée soutenu par l’État dans le
passé.
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Les agriculteurs, même si peu d’entre eux en sont conscients, ont intégré un système
économique mondialisé dans lequel ils sont en concurrence avec les éleveurs
d’Amérique du Sud, les arboriculteurs d’Afrique du Sud, les riziculteurs et les
producteurs de café d’Asie. Cette mise en concurrence, – qui peut être acceptable
dans une économie libérale –, est faussée par le maintien des subventions à un
niveau élevé à des filières agricoles dans l’Union européenne et aux États-Unis.
Si l’intégration des exploitations agricoles au marché est difficilement contournable,
elle conduit à accroître la prise de risque des exploitants et donc leur vulnérabilité
du fait des dysfonctionnements et de la volatilité des marchés. Les chefs d’exploita-
tion recherchent avant tout à assurer les besoins fondamentaux de leur famille et,
en tout premier lieu, l’autosuffisance alimentaire. Ainsi, les États et certaines orga-
nisations paysannes comme le Roppa cherchent à élaborer des politiques écono-
miques et agricoles qui répondraient à l’objectif de souveraineté alimentaire : un
pays doit être en mesure de nourrir sa population en favorisant les productions de
ses agriculteurs et éleveurs afin de minimiser les importations alimentaires et les
risques liés aux marchés internationaux (pénurie, flambée des prix, problème de
transport, conflits, etc.).
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
300
300 300
600 300
600
900 600
900
600
900
900
Carte 2. Évolution des isohyètes en zone sahélienne d’Afrique de l’Ouest et du Centre (données Cills).
couverture végétale (arbres, strate herbacée) ont été largement étudiées (Pieri, 1989 ;
Jouve et al., 2002). Face à ces difficultés, les agriculteurs ont opté pour une stratégie
d’innovation ou de migration.
Innovation
Dans les zones les plus peuplées, les paysans ont innové pour freiner ces évolutions
alarmantes, conformément au modèle d’intensification des systèmes de production
de Boserup (1965) (chapitre 3) : mise en valeur des bas-fonds, gestion du ruisselle-
ment et de l’érosion par de petits aménagements, plantation de vergers, valorisation
des ressources fourragères via la collecte et le stockage de la fumure organique.
Mais tous les problèmes sont loin d’être résolus. Ainsi, dans les zones les plus
sèches, l’agriculture est toujours confrontée au manque de ressources en eau
(pluviale, souterraine, superficielle) ou au manque de moyens financiers pour valo-
riser les ressources existantes.
Migration
La dégradation des ressources naturelles affecte plus particulièrement les zones les
plus peuplées et les plus sèches. Cela explique en grande partie les migrations de
populations rurales (agriculteurs, éleveurs) vers d’autres régions mieux pourvues en
ressources naturelles, notamment les zones de savane et de forêt. Globalement,
il reste d’importantes réserves de terres en zone soudanienne et guinéenne où la
pression démographique dans les campagnes est encore faible (moins de
25 habitants/km2), à l’est du Sénégal et de la Guinée, à l’ouest du Mali et du Ghana,
au nord de la Côte d’Ivoire et du Bénin, au centre du Cameroun (Carte 3). Ces
régions pourraient encore accueillir des producteurs migrants si les conditions
sociopolitiques le permettent encore.
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
500 km
Carte 3. Les densités de populations rurales en Afrique subsaharienne (Source : WALTPB, OCDE,
Club du Sahel, Mac Globe repris par Faure, 2005).
Les producteurs ne disposent pas toujours des moyens et des appuis pour contre-
carrer la dégradation ou la raréfaction des ressources naturelles. En effet, le
contexte socio-économique actuel, en particulier la libéralisation des marchés et des
filières, ne permet pas de mieux gérer les ressources naturelles. Par exemple, l’en-
tretien de la fertilité du sol suppose que les paysans disposent d’engrais minéraux et
organiques et qu’ils aient donc des revenus suffisants pour acheter des intrants, du
bétail et des matériels de transport. La détérioration des termes de l’échange
– rapport du prix de production au prix de l’engrais – et l’abandon des politiques de
subvention et de crédit limitent fortement l’emploi de la fumure. À partir des statis-
tiques de la FAO, Mortimore (2003) met en évidence une baisse de la consomma-
tion d’engrais entre 1980 et 1993 dans six pays d’Afrique de l’Ouest (Niger, Mali,
Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire, Sénégal), une hausse entre 1995 et 1998 en Côte
d’Ivoire puis de nouveau une diminution. Ces changements sont causés par l’arrêt
des politiques de subvention pour l’achat d’engrais, par le démantèlement des
filières d’approvisionnement en engrais gérées par l’État, en particulier dans les
zones sèches, comme dans le bassin arachidier du Niger et du Sénégal.
Dans le passé, la gestion et l’exploitation des ressources naturelles ont surtout été
abordées sous l’angle technique par les agronomes, les zootechniciens et les fores-
tiers qui, dans bien des cas, ont considéré que les agriculteurs et les éleveurs étaient
les seuls responsables de la dégradation des écosystèmes naturels et cultivés. Il est
avéré aujourd’hui que l’absence de soutien à l’agriculture, la baisse des prix des
produits à l’exportation, la faiblesse des politiques dans les domaines de l’énergie,
de la gouvernance et du développement local ont aggravé les processus de dégrada-
tion des ressources naturelles. En cas de déficit alimentaire, il est bien difficile d’in-
terdire à un paysan de couper du bois pour le vendre et pour nourrir sa famille. De
plus, certaines techniques proposées par les agronomes et adoptées par une partie
des agriculteurs se sont révélées néfastes pour l’environnement. Le dessouchage,
par exemple, devait améliorer la qualité des travaux effectués en traction animale et
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
Le marché de la terre
Durant plusieurs décennies, les tensions sociales pour l’accès aux ressources natu-
relles, en particulier à la terre, ont été quasiment inexistantes. Dans les pays où le
pouvoir était centralisé, les enjeux sociopolitiques se sont focalisés sur la maîtrise
des circuits de commercialisation et le contrôle des populations (mobilisation de la
force de travail, vente d’esclaves). Traditionnellement, la terre ne devait pas faire
l’objet de transaction. Le gestionnaire des terres du village ne pouvait pas refuser à
un migrant une portion de terre car le droit de nourrir sa famille, quelle que soit son
origine, était inaliénable. Si les dons de terre ont été très courants jusque dans les
années 80, et encore aujourd’hui dans les zones peu peuplées, les gestionnaires des
terres ont toujours gardé un lien fort (quasi religieux ou mystique) avec la terre de
leurs ancêtres même après cession à un étranger. La raréfaction des terres à mettre
en culture est due à l’augmentation de la population rurale et parfois à l’accroisse-
ment de la surface cultivée par actif ; cette évolution a, dans certaines régions,
provoqué des mutations profondes dans la gestion du foncier entraînant des
tensions et des conflits. La surface cultivée par actif a beaucoup augmenté dans les
zones d’adoption de la traction animale. Par exemple, en zone cotonnière du
Burkina Faso, un actif cultive 0,48 ha dans les exploitations en culture manuelle et
0,93 ha en culture attelée (Faure, 1994). L’emploi des herbicides a aussi contribué à
cette extension mais, de même que la motorisation, il n’est pas généralisé. Dans les
zones forestières où la traction animale ne s’est pas développée, l’agriculture reste
essentiellement manuelle malgré l’introduction récente de la tronçonneuse et des
appareils de pulvérisation motorisés.
Le statut de la terre a évolué progressivement. D’un bien collectif (géré par la société
villageoise, le lignage), il est devenu un bien individuel (Le Bris et al., 1991). La terre
a acquis dans la plupart des situations une valeur marchande. Ainsi, le prêt de terre
sans contrepartie disparaît, divers systèmes de location se généralisent (location
annuelle payée en numéraire ou par du travail, location pluriannuelle dans le cas de
culture pérenne), la vente de terre progresse, même si, dans bien des cas, elle ne fait
pas l’objet d’un acte officiel. Les termes d’un contrat de cession de terre peuvent être
différemment interprétés par le vendeur et l’acheteur. Ainsi, en zone forestière de
Côte d’Ivoire, les cessions de terre entre autochtones et paysans migrants ivoiriens
ou étrangers ont été nombreuses et peu onéreuses pour l’acquéreur. À partir des
années 90-95, certains vendeurs autochtones mais surtout leurs descendants ont
remis en cause ces ventes de terre et ont considéré que les cessions concernaient le
droit d’usufruit de la terre pour la durée de vie de la plantation (café, cacao), période
au-delà de laquelle la terre devait revenir au propriétaire initial, alors que les paysans
allochtones considéraient leurs acquisitions comme définitives.
Dans la plupart des pays, la vente de terre agricole n’est pas légale sauf s’il y a un
enregistrement foncier en bonne et due forme comprenant un relevé cadastral, un
bornage et le paiement de taxes foncières. Ces dispositions ont pu être prises pour
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
des sociétés privées agro-industrielles, des ranchs d’élevage mais très peu pour des
exploitations familiales du fait de leur coût. Malgré cette interdiction, des ventes de
terre de gré à gré devant témoin se multiplient, notamment pour mettre en place
des systèmes de culture intensifs comme le maraîchage, la riziculture irriguée,
l’arboriculture, etc.
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
favorisé l’installation de migrants dans des zones peu peuplées mais ces projets ou ces
structures d’intervention ont quasiment disparu (Autorité pour l’aménagement des
vallées des Volta au Burkina Faso, Projets Nord-Est Bénoué et Sud-Est Bénoué au
Cameroun, Programme terres neuves au Sénégal oriental). L’accueil de migrants est
considéré par les autochtones comme un atout pour le développement économique
de leur territoire, au moins dans un premier temps. Ce peuplement rapide de zones
peu peuplées par des paysans volontaires (front pionnier pour la culture du coton, du
cacao, etc.) s’accompagne d’activités de production et de service, de l’installation
d’infrastructures subventionnées en partie par les migrants et de la fourniture régu-
lière et au moindre coût de denrées alimentaires (Dugué et al., 2004). Les tensions
sociales entre autochtones et migrants deviennent perceptibles quand le poids démo-
graphique s’inverse et surtout lorsque les autorités traditionnelles n’arrivent plus à
contrôler l’accès aux ressources et ne maîtrisent plus le jeu politique local. Ainsi, des
migrants peuvent prendre des responsabilités dans les communes rurales par le biais
d’élections démocratiques, ou, encore plus facilement, ils prennent le contrôle d’or-
ganismes professionnels des filières où ils sont majoritaires (coopérative, union de
producteurs). Les tensions se cristallisent sur les questions foncières qui demeurent
presque toujours contrôlées par les autorités coutumières autochtones.
Au contraire, l’exode rural touche les zones où l’agriculture ne permet plus de
subvenir aux besoins des populations rurales (cas des zones sahélo-soudaniennes
peuplées) et où elle est peu attractive économiquement (pays Baoulé de Côte
d’Ivoire). Lorsque les villes et les secteurs non-agricoles comme le commerce et
l’industrie fournissent des emplois, les jeunes ruraux sont pressés d’abandonner
l’agriculture et leur village pour exercer d’autres métiers jugés plus rémunérateurs.
Ces différentes formes d’exode rural sont à l’origine de mutations sociales fortes qui
affectent la cohésion sociale au sein des communautés villageoises et les liens de
solidarité entre les familles et entre les générations. Dans les zones où l’agriculture
est en crise, les familles rurales restées au village sont devenues économiquement
dépendantes des ressortissants installés en ville ou à l’étranger. Ces paysans accep-
tent mal cette situation et reconnaissent difficilement qu’ils n’arrivent plus à nourrir
leur famille à partir de leurs productions. Leurs conditions de vie, leur rôle social et
leur métier de paysan sont remis en cause. De plus, ils sont, eux aussi, tentés par
l’aventure de la ville ce qui marginalise encore plus l’agriculture et son rôle dans la
gestion des territoires de ces régions.
Inversement, dans les zones bénéficiant d’un bon potentiel de production, on a pu
assister au retour des jeunes au village à la suite des difficultés rencontrées en ville.
Au Cameroun et, de façon plus exacerbée, en Côte d’Ivoire, ces jeunes ont constitué
une force d’opposition vis-à-vis de leurs aînés et des autorités traditionnelles, reven-
diquant plus d’autonomie voire le pouvoir dans les organisations de producteurs. Ils
peuvent ainsi être amenés à réclamer les terres que leurs parents avaient cédées aux
migrants. Ces évolutions sont en grande partie à l’origine des conflits fonciers en
zone forestière de Côte d’Ivoire. L’absence de stabilité des producteurs (en particu-
lier des jeunes) et les relations de méfiance entre les différents groupes sociaux
(jeunes, anciens, autochtones, migrants) ont affecté les liens de solidarité qui permet-
taient de faire face aux pointes de travail ou aux problèmes d’approvisionnement en
vivres de certains. Dans ce contexte, il est très difficile d’élaborer des programmes de
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
Il est encore trop tôt pour faire le bilan des actions des groupements paysans surtout
celles des organisations nationales et internationales créées il y a peu. Leurs acti-
vités centrées sur la défense du monde rural vis-à-vis des États et des institutions
internationales comme l’OMC sont plus complexes à évaluer. Des réussites
marquantes dans l’appui aux agriculteurs et aux éleveurs sont attribuées à des orga-
nisations paysannes : par exemple, le développement de la filière de la pomme de
terre dans la région du Fouta Djalon en Guinée, la négociation sur la baisse du taux
du crédit agricole au Sénégal, la fourniture d’intrants à crédit aux producteurs d’oi-
gnon au Cameroun et aux éleveurs de la République centrafricaine, etc. À une autre
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
échelle, les avancées obtenues en 2004 par les producteurs de coton à l’OMC résul-
tent en partie des efforts de communication et de sensibilisation entrepris par le
Roppa et l’Association des producteurs de coton africains (Aproca) lors du sommet
de l’OMC à Cancún en 2003.
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Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
assurer ses fonctions régaliennes : la justice et la sécurité des biens et des personnes.
L’insécurité, sous diverses formes, s’accroît dans plusieurs pays d’Afrique sub-
saharienne, la corruption permet aux nantis de dévoyer la justice et par exemple de
s’accaparer des terres, de régler des conflits à leur avantage... Dans ce contexte,
aucun développement économique n’est envisageable et les paysans hésitent à
investir sur le long terme.
La faiblesse des États, la corruption et le manque d’anticipation des crises sont aussi
à l’origine des conflits armés et des guerres civiles qui ont malheureusement touché
certains pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Libéria, Sierra Leone, Guinée
Bissau, Tchad, Côte d’Ivoire). Ces conflits sont souvent liés à l’exploitation de
ressources minières et entretenus par des concurrences politique et économique
entre pays non-africains. Ces situations de guerre ont des conséquences drama-
tiques pour les exploitations agricoles : baisse drastique des revenus à cause du
démantèlement et du dysfonctionnement des circuits de commercialisation (cas du
coton en Côte d’Ivoire depuis 2002), décapitalisation lorsque les paysans doivent se
déplacer et abandonner cheptel et matériels, etc. (encadré 1.5). La reconstruction
des économies agricoles après des conflits armés nécessite des dispositifs et des
méthodes d’intervention spécifiques très coûteux comme le déminage qui touche en
premier lieu le monde paysan.
44
Chapitre 2
Des politiques pour soutenir
l’agriculture familiale
Patrick DUGUÉ et Jacques BROSSIER
45
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
46
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale
2 500 000
1975
2000
Population agricole (x 1 000)
2 000 000
1 500 000
1 000 000
500 000
0
Afrique Amérique latine Asie Océanie Europe +
États-Unis
Figure 2.1. Évolution de la population agricole par groupe de pays de 1975 et 2000 (Source : FAO, 1999).
80
60
40
Écart en %
20
0
Afrique Asie Océanie
- 20 Amérique latine
- 40
Europe +
États-Unis
- 60
Figure 2.2. Évolution de la population agricole entre 1975 et 2000 (écarts en %) (Source : FAO, 1999 ;
Bosc et Losch, 2002).
d’aider les populations rurales à mieux utiliser les terres agricoles, les zones de
parcours, les ressources arborées et l’eau. Ces programmes ont surtout été destinés
aux exploitations agricoles et aux terroirs villageois agricoles, plus rarement aux
unités pastorales et aux aires protégées gérées par l’État (parcs nationaux, forêts
classées, zones cynégétiques, etc.). Ces programmes ont obtenu des résultats inté-
ressants dans la résolution des conflits, le contrôle de l’érosion et du ruissellement
et, plus localement, la restauration de la strate arborée.
47
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Pour relever le défi qui conjugue augmentation de la production par actif et préser-
vation des ressources naturelles dans une conjoncture de croissance démographique,
l’appui au monde rural doit être organisé à trois échelles.
• L’exploitation agricole. S’il dispose d’un minimum de moyens et d’une certaine
sécurité foncière, l’agriculteur est en mesure d’innover afin d’améliorer ses perfor-
mances technico-économiques et de préserver les capacités de production de son
exploitation. Les exemples sont nombreux en zone soudano-sahélienne : cordons
pierreux au Burkina Faso, reconstitution du parc arboré au nord du Cameroun,
valorisation des résidus de récolte en zone cotonnière du Mali.
• Le territoire géré par une collectivité ou une communauté. À cette échelle, s’éta-
blissent les coordinations entre les acteurs pour gérer des ressources communes et
résoudre des problèmes tels que la gestion des eaux de ruissellement d’un bassin
versant, l’aménagement des bas-fonds, etc.
• La région. À cette échelle sont planifiés et coordonnés les programmes de déve-
loppement et d’aménagement du territoire. Des avancées ont été réalisées dans ce
domaine sur des petites régions dans le cadre de projets de développement local.
48
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale
49
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
chômage est important en ville ; soutien d’une population rurale à même de gérer
les ressources naturelles et les territoires. En écho à cet argumentaire, les organisa-
tions paysannes comme le Roppa se sont mobilisées pour promouvoir une agri-
culture familiale performante et compétitive afin de contrer les promoteurs d’une
agriculture d’entreprise.
50
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale
1. Le projet Roles of Agriculture (FAO) est conduit au Mali par l’IER, avec une étude comparative entre l’Office
du Niger et la zone Mali-Sud, en exploitant les données existantes. http://www.fao.org/es/esa/roa/index–fr.asp
51
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
52
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale
Fonction environnementale
Les fonctions environnementales (se caractérisant par des externalités positives ou
négatives) de l’agriculture s’apprécient à une échelle méso-régionale plutôt que
micro-économique, encore que certaines externalités négatives liées à une mauvaise
gestion des ressources naturelles sont perceptibles et « réparables » à l’échelle de
l’exploitation agricole.
Pour ce qui est de la fonction environnementale, les résultats sont mitigés. Les exter-
nalités négatives semblent souvent plus importantes que les externalités positives.
Par exemple, les phénomènes de dégradation du sol par érosion hydrique en zone
cotonnière et par salinisation et alcalinisation en zone de l’Office du Niger devien-
nent assez importants. Les mesures politiques de libéralisation du marché des
53
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. L’analyse micro-économique de la sécurité alimentaire est traitée selon un modèle économique simple
(par exemple la stratégie d'extensification pour assurer la sécurité alimentaire, p. 94, chapitre 5).
54
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale
55
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Dimension culturelle
L’agriculture est un élément constitutif de la dimension culturelle en milieu rural et
elle le reste pour bon nombre d’urbains. Les ruraux, dans leur grande majorité, esti-
ment que l’agriculture et le monde rural ont un rôle socio-économique important et
salutaire. Cependant, ce rôle, considéré comme primordial, est aussi perçu par les
ruraux comme insuffisamment mis en valeur. Les ruraux estiment que la culture
rurale doit participer à la construction de la culture nationale, même s’ils apprécient
diversement l’avenir qui sera réservé aux cultures locales et aux valeurs qu’elles
portent comme la solidarité, l’entraide et « la parenté à plaisanterie », ces traditions
culturelles étant fortement perturbées par les mécanismes de fondation de la
culture nationale et par les flux migratoires.
Conclusion
En un demi-siècle les agricultures africaines ont évolué rapidement, passant de
l’autosubsistance à des systèmes de production fortement intégrés aux marchés
locaux et internationaux, elles sont donc devenues tributaires des réformes du
commerce international. Pour se développer, l’agriculture doit rester compétitive en
termes d’exportation sur le marché mondial et garder des parts de marché voire les
reconquérir sur les marchés locaux et nationaux pour les produits alimentaires essen-
tiels (céréales, huile, lait, viande). Dans le même temps, l’accroissement de la popu-
lation rurale a modifié profondément les systèmes de production qui ne peuvent plus
se fonder uniquement sur l’abondance de terre, sur la pratique de la jachère ou la
transhumance des troupeaux. En quelques décennies, les sociétés paysannes sont
passées de systèmes de production dans lesquels les relations entre les ressources
naturelles et la production étaient stables, à des systèmes non durables dont les capa-
cités de production se sont détériorées. Par ailleurs, les effets des aléas climatiques
restent très importants dans les systèmes agricoles et d’élevage africains et ils
risquent d’augmenter dans les décennies à venir du fait des changements climatiques
planétaires.
Ainsi, les exploitations agricoles ont tout intérêt à préserver une diversité de
productions et d’activités, dans le secteur non-agricole si besoin, afin de sécuriser les
revenus et de pourvoir aux besoins familiaux. Plus largement, les agricultures fami-
liales doivent être soutenues par des politiques agricoles adéquates qui préservent
leurs avantages comparatifs notamment du point de vue socio-économique (emploi,
cohésion sociale, souveraineté alimentaire). Ces politiques doivent être élaborées
en concertation avec l’ensemble des acteurs et en particulier les organisations
paysannes. Les objectifs des programmes d’appui seront d’améliorer les perfor-
mances technico-économiques des exploitations agricoles, de renforcer leurs capa-
cités d’intervention, d’organisation et de coordination avec les autres acteurs
économiques.
Les auteurs de cette étude sur les rôles de l’agriculture malienne recommandent,
– en complément des appuis à l’agriculture familiale (sensu stricto) –, de conduire
une politique de décentralisation qui valorise les initiatives intra et intercommunales
pour mettre en œuvre un développement local durable. Ils préconisent que les textes
56
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale
sur la décentralisation évoluent et accordent une plus grande place aux institutions
et aux organisations sociales locales, renforcent les organisations socioprofession-
nelles et socioculturelles et promeuvent des valeurs culturelles nationales d’essence
agricole et rurale.
Toutefois, dans le contexte actuel de libéralisation économique et de faiblesse finan-
cière des États africains, il semble difficile de développer des systèmes d’aide aux
exploitations familiales et au monde rural qui prendraient en compte ces différentes
fonctions, comme ceux qui se mettent en place aujourd’hui en Europe. La mise en
place d’aides spécifiques non corrélées aux quantités produites s’appuyant sur la recon-
naissance de la multifonctionnalité de l’agriculture nécessiterait des financements
internationaux conçus dans la durée, par exemple pour conserver la biodiversité, pour
accroître la séquestration de carbone…
57
Pour approfondir le sujet
Chapitre 3
Démographie et évolution
des exploitations agricoles :
analyse selon les théories de Malthus
et de Boserup en Côte d’Ivoire
Matty DEMONT, Philippe JOUVE,
Johan STESSENS et Eric TOLLENS
59
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Densité démographique 14 17 28 40
(habitants/km2)
Population autochtone (%) 97 8 9 91
Population allochtone (%) 3 92 91 9
Croissance démographique - 2,5 28,1 9,5 - 1,3
annuelle sur la période
1995-1998 (%)
Source : Demont et Jouve, 2000.
60
Démographie et évolution des exploitations agricoles
Riz pluvial
Riz pluvial Maïs
40 % 32 %
Igname
40 % Igname
30 %
Riz pluvial
4%
Riz pluvial
3% Patate douce 0,04 %
Figure 3.1. Densité démographique et assolement dans chaque village (Demont et al., 2000).
61
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
peuplée. Dans le village le moins peuplé (Tapéré), les systèmes de culture sont
dominés par trois cultures itinérantes, l’igname, le riz pluvial et l’arachide. Pour Le
Roy (1983), ce système de culture ancien à rotation triennale, igname-riz-arachide,
est le plus fréquent dans les régions de faible pression foncière. Quand cette pres-
sion augmente, l’igname est remplacée par d’autres cultures vivrières ou une culture
de rente comme le coton. Quels sont les facteurs qui expliquent cette évolution ?
Niveau Amortissement du capital total 11 171 72 308 101 356 100 469
d’investissement investi (FCFA/an)
dans les exploitations
agricoles
1 000 FCFA = 1,52 € ; 1 € = 656 FCFA Source : Demont et Jouve, 2000.
62
Démographie et évolution des exploitations agricoles
Rôle du coton
Le rôle du coton dans le processus d’évolution des exploitations agricoles a pu être
éclairci. Cette culture ne constitue pas, en elle-même, une innovation dans le nord
de la Côte d’Ivoire où le cotonnier est cultivé depuis longtemps (Sedes, 1965), mais
en revanche les pratiques culturales qui y sont associées sont modifiées : culture
pure, semis en ligne, épandage d’engrais, pulvérisation d’insecticides, recours aux
herbicides et mécanisation. Ces innovations techniques ont une origine exogène,
elles ont été introduites, diffusées et subventionnées par la société d’encadrement de
la culture du coton, la CIDT (Compagnie ivoirienne de développement des textiles).
Les pointes de travail pendant les périodes de sarclage par exemple sont surmontées
grâce à la culture attelée. De plus, l’emploi des intrants (engrais, herbicides) permet
de prolonger les cycles de culture si nécessaire pour répondre à la pression foncière.
63
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Acquisition d’équipements
Pour Boserup (1965), l’outillage agricole est un indicateur clé du stade d’évolution
d’un système agraire. Ainsi, l’augmentation du capital moyen investi dans les exploi-
tations en fonction de la densité démographique du village concorde avec cette
thèse (tableau 3.2). Elle provient essentiellement de la hausse des amortissements
– qui reflètent le coût réel supporté par le paysan – liés à l’équipement en culture
attelée. Les coûts de main-d’œuvre de la culture manuelle (préparer la terre,
désherber et maintenir la fertilité) augmentent rapidement avec l’intensification des
cultures. Grâce au sarclo-billonage mécanisé, les pointes de travail dues au sarclage
peuvent être surmontées (Pingali et al., 1987).
Thèse de Malthus
Dans la littérature, les indicateurs de performance économique sont typiquement
estimés proportionnellement à la surface agricole cultivée. Comparer la rentabilité
en termes de surface agricole cultivée, revient à adopter la thèse de Malthus, d’où
la mise en évidence d’effets malthusiens.
Comme décrit précédemment, l’augmentation du taux d’investissement en fonction
de la pression démographique révèle un processus d’équipement en matériel de
culture attelée lié à l’augmentation du coton dans l’assolement. La valeur ajoutée
nette la plus élevée est relevée dans le village le moins peuplé pratiquant presque
exclusivement l’ancien système de culture (igname-riz-arachide). Ainsi, pour l’en-
semble des villages, la valeur ajoutée nette semble corrélée négativement avec la
pression démographique, effet qui concorde avec la thèse de Malthus. La technique
64
Démographie et évolution des exploitations agricoles
Performance Valeur ajoutée nette 236 084 184 326 153 267 167 611
selon Malthus (FCFA/actif*an*ha cultivé)
Efficience économique (%) 73,5 73,5 59,9 53,3
Thèse de Boserup
Boserup s’oppose au pessimisme malthusien en prenant en compte les pratiques
agronomiques des agriculteurs. Ceux-ci conçoivent effectivement leur stratégie de
production dans le temps et dans l’espace (concept de système de culture). En effet,
la mise en place de la culture itinérante et le maintien de la jachère sont fondés sur
l’observation et l’expérience des agriculteurs, qui connaissent les dangers d’une
culture trop intensive et trop répétitive à l’origine de l’épuisement des sols, de la
multiplication des mauvaises herbes, des maladies et des parasites. La pratique de
la jachère écarte ces dangers parce qu’elle est le moyen efficace de reconstitution
des sols en éléments minéraux et organiques, de lutte contre les adventices et de
réduction des risques phytosanitaires spécifiques. Boserup ne se réfère pas unique-
ment au concept de superficie cultivée, mais à celui de surface agricole utile. Ainsi,
il intègre l’ensemble des terres qui concourent au fonctionnement du système de
culture dont celles en jachère, ce qui modifie fondamentalement le mode de calcul
des performances des exploitations et la conception de la dynamique des exploita-
tions agricoles. Celles-ci s’adaptent à l’augmentation démographique en augmen-
tant la valeur ajoutée par unité de surface utile, consommant ainsi moins d’espace.
Discussion
Alors que l’efficience selon Malthus diminue avec la hausse de la densité de popula-
tion (de 20,2 % en fonction des villages), elle est plus constante (variation de 12,1 %)
selon Boserup (tableau 3.3). Ainsi, cette phase de changement du système de
production ne doit pas être envisagée seulement comme une baisse de la rentabilité
(selon Malthus). Elle constitue aussi une tentative (selon Boserup) pour empêcher
que la rentabilité ne régresse encore plus.
65
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
66
Démographie et évolution des exploitations agricoles
Tableau 3.5. Performance économique des exploitations agricoles selon Malthus et Boserup.
Système de culture Résultats économiques
Exploitation Cultures Surface Surface Degré Valeur ajoutée nette
mécanisée pratiquées agricole agricole d’investissement (FCFA/actif*an*ha)
ou non cultivée utile (FCFA/actif*an)
(ha/actif) (ha/actif) Malthus Boserup
Culture Maïs-riz 1,3 6,5 4 362 79 955 18 155
manuelle Igname-riz-maïs 1,1 7,0 4 063 228 139 34 021
Coton-riz-autres 0,8 3,1 3 677 157 616 45 531
cultures
Culture Coton-riz-maïs 1,6 5,9 23 987 94 407 41 698
attelée Coton-riz-autres
cultures 1,3 4,8 16 728 172 629 49 320
Coton-riz 2,2 10,1 29 710 186 596 51 568
67
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Une nouvelle classe sociale apparaît. Les propriétaires fonciers recrutent le supplé-
ment de main-d’œuvre dont ils ont besoin parmi une classe sociale nouvelle consti-
tuée des ouvriers agricoles. Mais ce sont des tendances à plus ou moins long terme,
et, à court terme, le paysan Sénoufo migre à la recherche de terres vierges. La
migration constitue donc un phénomène régulateur puissant tant qu’il existera des
réserves de terre.
68
Partie 2
L’exploitation agricole
familiale en Afrique :
définitions et apports
théoriques
Jacques BROSSIER, coordinateur
Introduction
71
Chapitre 4
Qu’est-ce que l’exploitation agricole
familiale en Afrique ?
Jacques BROSSIER, Jean-Claude DEVÈZE et Paul KLEENE
73
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
74
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?
75
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
76
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?
L’unité de production
Au sein des unités de production, les relations entre les individus sont définies par la
parenté (l’alliance) et le statut social (sexe, âge, ordre de naissance et de mariage, etc.)
qui déterminent les règles d’accès aux facteurs de production, aux biens et à la succes-
sion ; il s’agit en général de relations hiérarchiques et non-égalitaires. La connaissance
du système de relations permet de décrire avec précision les unités de production, ou
exploitations agricoles, et leurs composantes (structure, fonctionnement, limites et
prérogatives), tout en précisant la société de référence (ethnie, région, pays).
Chaque unité de production (ou communauté) fonctionne selon des règles précises
ayant pour but de répondre aux objectifs sociaux des différentes unités, c’est-à-dire
fournir, d’une part des produits vivriers pour satisfaire les besoins alimentaires des
groupes et sous-groupes et, d’autre part des produits agricoles commercialisés pour
satisfaire des besoins collectifs et individuels en revenu monétaire qui sont accu-
mulés en partie comme investissements sociaux et productifs (paiement de la dot,
obligations religieuses, habitat, équipement agricole, fonds de commerce, etc.).
Cette connaissance du fonctionnement des sociétés locales a conduit à donner un
sens à la notion d’exploitation agricole dans différentes sociétés agraires africaines.
Selon la société, les unités sont plus ou moins grandes, les activités communes sont
plus ou moins importantes et parfois en concurrence avec des activités individuelles.
77
Tableau 4.1. Niveaux de décision et objectifs endogènes.
78
Objectif Niveau de décision
Individu Groupe
Cadet Femme Aîné Production Consommation Exploitation Résidence Lignage
1. Production d’autosubsistance (agro-pastoral) x x x x x
2. Production commercialisée x x x
3. Revenus monétaires et extra-agricoles x x
4. Revenus monétaires nets x x x
5. Valeur totale de production x x
6. Sécurité (inter-annuelle) x x x x
7. Régularité des revenus (intra-annuelle) x x x
8. Diversification des activités x x
9. Loisirs x x x
10. Prestige–autorité x x x
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
11. Cohésion x x x x
12. Autonomie x x x x x x
13. Satisfaction de certaines consommations x x
ressenties comme socialement impératives
14. Prérogatives foncières x x x x
D’après Ancey, 1975. La grille des niveaux et objectifs synthétise le mieux possible les caractéristiques des sociétés suivantes : Agni-Baoulé, Bambara,
Bissa, Bobo, Dagari, Djimini, Haousa, Lobi, Malinké, Mossi, Sénoufo, Sérère, Toucouleur, Wolof.
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?
79
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Encadré 4.4. La division du travail suivant les sexes dans les exploitations africaines
La division du travail et la répartition des activités suivant les sexes peut être très diffé-
rente selon les sociétés rurales. La participation des femmes aux travaux agricoles est
très variable, elle est limitée par exemple au semis ou à la traite dans certaines sociétés
d’éleveurs, mais généralement les femmes constituent la principale force de travail.
Toutefois, l’accès des femmes à la gestion de la production agricole peut être très réduit,
alors que, dans la plupart des sociétés, la femme joue un rôle important dans les activités
de postrécolte (battage, décorticage et transformation agroalimentaire) ainsi que dans
les activités commerciales qui en découlent.
La méconnaissance de cet aspect mène souvent à des choix malencontreux dans les
objectifs de projets portant sur le genre et le développement, les femmes s’occupant
toujours des activités de postrécolte et du commerce afférent.
En Afrique francophone, Guillermou (chapitre 6) montre que l’inégalité que les femmes
subissent s’exprime moins au niveau du surplus physique accaparé par les hommes qu’au
niveau du surplus invisible, à savoir le temps libre procuré aux hommes par le travail des
femmes. Il considère que l’apparente libération des femmes par leur accession à de
nouvelles responsabilités, y compris le statut de chef d’exploitation, n’est pas forcément un
signe de progrès économique et social, car il se fait le plus souvent dans des agricultures
en voie de paupérisation et n’est pas le gage d’une amélioration de leurs conditions de
travail et d’existence. Le progrès relatif de la condition des femmes qui, quelle que soit la
production, sont parmi les plus défavorisées risque d’avoir des effets très limités s’il va de
pair avec le développement de petites exploitations sans avenir économique.
Activités en commun
Parmi les activités menées en commun, figure en premier lieu l’obligation d’assurer
les besoins primaires des membres du groupe : alimentation, logement, habille-
ment, paiements des impôts et des autres charges (en fonction de la société et de
son degré d’évolution). Ainsi, le chef d’exploitation (chef de famille), responsable
de la satisfaction de ces besoins pour l’ensemble de ses dépendants, gère le champ
commun (parfois plusieurs). Tous les membres du groupe ont obligation de contri-
buer à la production du champ commun par leur travail (selon des règles fixées au
cas par cas). Les produits du champ commun servent à nourrir la famille ou sont
vendus pour satisfaire d’autres besoins communs, comme l’achat d’équipement
(bœufs, ânes, matériel agricole), souvent des frais de santé, la scolarisation des
enfants, le paiement de dots pour les fils, etc. Les revenus du champ commun,
produits dans le temps consacré au commun, servent aux besoins communs.
Activités individuelles
Parmi les activités menées individuellement, on englobe les champs que les femmes
cultivent pour fournir les condiments (cette obligation leur incombe assez souvent)
ou pour la vente de certaines productions pour satisfaire des besoins personnels
(achat d’animaux, de biens de consommation, dons aux parents, etc.). La gestion
d’un lot d’animaux (poulets, moutons, porcins, etc.) est une activité individuelle ; les
dépendants (hommes ou femmes) exploitent ce lot pour en tirer des revenus indivi-
duels. Le principe sous-jacent est que le produit de toute activité autorisée, menée
individuellement, revient à la personne qui a mené l’activité et suit le principe des
80
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?
bourses séparées selon lequel le mari n’a pas le droit de regard sur les revenus de sa
femme et réciproquement.
Parmi les activités menées en sous-groupe, on compte les champs cultivés avec l’au-
torisation du chef par les membres du sous-groupe (formé à l’intérieur ou à l’extérieur
de l’exploitation) lors des moments libres, non occupés par les travaux dans le champ
commun, et dont la production répond aux objectifs du sous-groupe, comme le
champ de cultures associées. Dans la société sénoufo, ce sont les champs secondaires,
ce qui prépare à une scission de l’exploitation.
Du fait de leur mobilité et du regroupement de lots d’animaux appartenant à
plusieurs propriétaires, le repérage des unités de production d’élevage est encore
plus complexe que celui des unités de productions végétales (associant ou non un
élevage sédentarisé). Par exemple, les exploitations laitières sont très diverses et il
n’est pas toujours facile de repérer les centres de décision : entre le gestionnaire du
troupeau, celui qui trait les vaches, celui ou celle qui réceptionne et vend le lait. Cela
illustre les limites du concept d’exploitation. L’urbanisation et l’augmentation de la
vente de lait entraînent d’ailleurs des évolutions diverses des exploitations laitières.
81
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
82
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?
vivent généralement plusieurs ménages. Il est composé d’un centre de décision prin-
cipal (exploitation principale) et de plusieurs centres de décision secondaires (sous-
exploitation). L’exploitation principale est conduite par le chef d’exploitation qui
contrôle le foncier et les vivres. Il exploite en direct environ 50 % de la superficie
cultivée ; il produit environ 90 % des céréales de subsistance, dispose d’environ 50 %
du total des heures de travail agricole effectuées ; il est propriétaire de la quasi-tota-
lité du capital, des animaux de trait et de l’équipement agricole de l’exploitation ; il
est seul capable de faire les investissements nécessaires pour la modernisation. Les
sous-exploitations sont conduites individuellement par chaque homme ou femme
dépendant du chef pour sa nourriture. Dans ces espaces, les budgets et les revenus
monétaires sont individualisés, les parcelles en culture de rente sont gérées indivi-
duellement, la terre est attribuée annuellement et les possibilités d’investissement
sont très réduites. Cette compréhension de l’exploitation agricole a facilité la mise en
place du conseil de gestion aux exploitants par la vulgarisation agricole au Sénégal
(Sodeva) de 1974 à 1980 (Benoît-Cattin, 1986 ; Benoît-Cattin et Faye, 1982).
83
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
intrants au sein de telles structures rend souvent plus complexe leur remboursement,
créant des dettes internes difficilement récupérables.
Dans ce cadre, l’exemple des exploitations agricoles familiales dans la zone de
l’Office du Niger au Mali (68 000 ha de cultures irrigués) est très explicite. Soumise
à une pression foncière qui s’accentue, la riziculture d’hivernage est réalisée selon
le modèle du champ commun sous l’autorité du chef de famille qui est le chef d’ex-
ploitation, quel que soit le groupe ethnique d’origine. Souvent, il existe différentes
parcelles où les travaux en culture attelée (généralisée) et manuelle sont gérés par
ce centre de décision. La production du riz cultivé en commun est destinée à l’auto-
consommation, à la couverture des charges communes (redevance d’eau, intrants,
équipement) et à la vente au profit des besoins familiaux. Toutefois, quand il s’agit
des cultures maraîchères de contre-saison, qui se sont développées de façon très
importante ces 15 dernières années, les activités sont menées de façon individuelle
ou en sous-groupe (par exemple une mère aidée par ses enfants) par les femmes et
les hommes actifs de l’exploitation. De même, les activités de petit élevage sont indi-
viduelles, tandis que l’accumulation du capital bovin se fait aussi bien par les chefs
d’exploitation qu’individuellement. Il est évident que l’appui en termes de conseil
doit tenir compte de cette situation et que pour chacune de ces activités des groupes
sont spécifiquement ciblés.
1. Dans ce cas, l’association de culture (groupe d’âge par exemple) prend elle-même l’initiative d’aller
sarcler le champ, à l’insu du propriétaire qui doit en contrepartie prendre en charge le repas, la bière, etc.
84
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?
1. Sans que les sociétés de développement ne prennent en compte dans les calculs de rentabilité prévi-
sionnelle ni les champs individuels des dépendants hommes et femmes dont les marges brutes ne vont
pas participer aux remboursements, (bien que l’équipement va pouvoir leur servir aussi), ni les champs
individuels des femmes en contre-saison autour d’un point d’eau pour la production maraîchère, etc. Ces
simplifications ont permis (lorsqu’elles étaient appliquées) d’éviter de graves erreurs qui se seraient
traduites par un faible taux de remboursement des prêts et qui auraient été préjudiciables au développe-
ment de l’agriculture sénégalaise dans les années 70.
85
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
86
Chapitre 5
Apport des théories sur l’exploitation
agricole dans une perspective de gestion
Jacques BROSSIER
87
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. On peut calculer ces charges dites supplétives ou calculées, mais en faisant des hypothèses arbitraires
et discutables de la rémunération forfaitaire. La seule mesure économique est le coût d’opportunité de
ces facteurs.
88
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
y
Δy/Δx
y/x
Δy/Δx
K
G
Px
Px/Py Y/X
Py 1
0
J F (x)1 Facteur X
ε variable
1 Δy/Δx Élasticité
y/x de production
xi
0
On peut aisément démontrer que la solution optimale économiquement se situe dans la zone II.
La zone III, correspondant à plus de consommation du facteur pour moins de produit, est à exclure.
Quant à la zone I, c’est la zone où les rendements moyens sont croissants, mais on perd toujours
de l’argent à produire car les coûts liés à la consommation du facteur X sont toujours supérieurs
aux recettes de la vente du produit Y. Au point E, ces coûts sont juste couverts par les recettes,
il n’y a donc pas de profit et on ne peut rester longtemps dans cette situation. Il vaut mieux se situer
en O ou en E plutôt qu'à n'importe quel point entre O et E.
89
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Combien produire ?
Quelle est la combinaison de facteurs optimale ?
Le niveau optimal de production est obtenu quand le coût de la dernière unité
produite (coût marginal) est égal à la recette de la dernière unité de production
(recette marginale ou prix de vente unitaire quand le prix est une donnée exogène).
Dans le cas d’un seul facteur et d’un seul produit, tel qu’il est présenté (figure 5.1),
il est assez aisé de répondre à la question : combien produire ?
En effet, cela dépend du rapport des prix. Ainsi, plus le prix du facteur est faible par
rapport au produit, plus on a intérêt à se rapprocher de l’optimum technique.
Inversement, si le prix du facteur est très élevé par rapport au prix du produit, on
ne doit plus produire, on doit se rapprocher du point E, voire du point 0.
Mathématiquement, le profit est égal à : Π = Py * Y - Px * X - coûts fixes
Py, prix du produit Y
Px, prix du facteur X
Le profit est à l’optimum lorsque le rapport des prix Px / Py est égal à la productivité
marginale (ΔY / ΔX) ou bien, lorsque le coût marginal de la dernière unité produite
(Px * Δx) est égal à la recette marginale de la dernière unité produite (Py * Δy)1. Trois
zones stratégiques sont visualisées et délimitées (I, II, III) (figure 5.1).
Ce raisonnement peut être généralisé lorsqu’il y a, – ce qui est fréquent –, plusieurs
facteurs et plusieurs produits. Les facteurs de production sont combinés de façon
optimale lorsque les rapports des productivités marginales de ces facteurs à leurs
prix respectifs sont égaux.
90
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
Produit Y1
A
Y1C
C Courbe de substitution (opportunité)
entre les biens Y1 et Y2
Y2C
B Produit Y2
Si l’on est en A, on produit le maximum de Y1 et, pour produire une quantité Y2C du bien Y2, il faut
libérer quelques facteurs et donc accepter de ne plus produire une quantité Y1C du bien Y1.
En arrêtant une partie de cette production, il y a un manque à gagner égal à (Y1C) * (Py1),
Py1 étant le prix de vente du bien Y1. Ce manque à gagner est le coût d’opportunité pour produire
une quantité Y2C du bien Y2. Ce coût dépend donc de la situation initiale de la décision, il varie
tout au long de la courbe ACB.
produit, utilisable pour produire un autre bien. Quand on utilise un facteur pour
une production, on renonce par là même à son usage antérieur ou à un autre usage.
Ce coût de renoncement ou coût d’opportunité correspond à la diminution de
revenu résultant de la suppression de tout ou partie de cette première ou autre utili-
sation. On décide de produire un bien lorsque son coût d’opportunité est inférieur
à sa valeur d’échange, autrement dit lorsque son prix sur le marché est supérieur à
la perte de recettes qu’entraîne la production de ce bien au détriment de biens
concurrents (figure 5.2). Il est indépendant du coût des facteurs de production.
On suppose que les facteurs de production, quels qu’ils soient, sont complètement
utilisés pour produire le bien Y1(A) ou le bien Y2(B) ou une combinaison de Y1 et
Y2 (courbe ACB) (figure 5.2). La loi des rendements décroissants détermine la
forme convexe de la courbe. Puisque les facteurs sont complètement utilisés, les
coûts de production des biens Y1 ou Y2 devraient être égaux. En fait, tout dépend
de la situation et de la décision que l’on veut prendre.
91
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Définition et principe
Le budget partiel est un budget qui permet de répondre à la question : « Qu’est-ce
que je perds ou qu’est-ce que je gagne, compte tenu de mes objectifs, à prendre telle
décision ? ».
Le budget partiel permet de préparer une décision qui s’exprime par une question
posée, par exemple :
– ai-je intérêt à faire telle culture (coton, mil, sorgho, etc.) ?
– ai-je intérêt à passer de 2 ha à 5 ha de coton ?
– ai-je intérêt à cultiver 3 ha de terres supplémentaires ? etc.
L’alternative s’exprime ainsi par « ai-je intérêt à prendre telle décision ou bien à ne
pas la prendre (sous-entendu : à continuer comme avant) » ?
Le budget partiel est conçu avec une hypothèse de solution déterminée, puis il
permet de tester une solution nécessairement sous-optimale.
Ce budget est dit « partiel » parce qu’il ne prend en compte que les changements
(favorables et défavorables) provoqués par la décision. Ce qui ne change pas n’in-
fluence pas la décision. Il se différencie en cela d’autres méthodes de budget global
ou de simulation qui élaborent par exemple des comptes de résultats (ou des budgets
de trésorerie) prévisionnels qui intègrent l’ensemble des charges et des produits de
l’exploitation après décision (ou l’ensemble des recettes et des dépenses).
Enfin, les caractéristiques du budget partiel en font beaucoup plus qu’un simple
outil, il fournit aussi fondamentalement un cadre à la démarche générale du raison-
nement de toute décision.
92
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
La grille de décision peut alors être considérée comme le budget partiel de la déci-
sion, étendu à l’ensemble des changements (quantifiables ou non) provoqués par la
décision. Le budget partiel fournit précisément le cadre de raisonnement de toute
décision, en favorisant l’identification (puis éventuellement le chiffrage) des « pour »
et des « contre » et leur ordonnancement dans une comparaison des avantages et
des coûts (tableau 5.1). Il facilite la démarche de « peser le pour et le contre » d’une
décision, en forçant les réponses à la question : « Qu’est-ce qui change si... ».
Cet outil a aussi l’avantage considérable d’isoler clairement le coût et les avantages
d’une décision. Il montre ainsi en particulier ce qu’est un coût, à savoir l’ensemble
des conséquences (chiffrables ou non) défavorables d’une décision par rapport à
une situation où la décision n’est pas prise.
Les conséquences favorables sont bien entendu liées à l’existence du nouveau
produit et à la diminution de charges liées à l’abandon de l’autre produit. La décision
exprime un choix entre « je décide de… », ou bien « je continue comme avant ».
Une première conséquence défavorable de la décision de changement est d’engen-
drer une situation dans laquelle apparaissent des coûts nouveaux. Par exemple, si je
décide d’introduire le maïs à la place du coton comme tête d’assolement, j’ai des
charges nouvelles, celles pour cultiver le maïs. Une deuxième conséquence défavo-
rable de la décision est de renoncer aux avantages de la situation antérieure : par
exemple, si je décide d’introduire le maïs à la place du coton comme tête d’assolement
je perds les recettes du coton, c’est le coût de renoncer à faire du coton.
Toute décision suppose donc un coût de renoncement (coût d’opportunité), un
manque à gagner. Toute décision est reliée à un choix (une alternative) et tout choix
revient à éliminer ce qu’on ne choisit pas. Le coût du renoncement (ou coût d’oppor-
tunité) n’existe que s’il y a un choix. Si l’on ne renonce à rien, ce coût est nul. C’est
souvent le cas du facteur travail qui a un coût d’opportunité (ou de renoncement) nul
lorsqu’il n’y a pas d’autre possibilité d’emploi que l’agriculture. La migration d’un
jeune peut être interprétée comme la volonté de se créer des opportunités et donc
que le coût d’opportunité de son travail ne soit pas nul.
93
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
94
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
L’objectif est de produire assez de céréales par personne à nourrir sur l’exploitation :
c’est-à-dire P / N = Production / nombre de personnes à nourrir, qui peut se décom-
poser sous forme d’équation :
(production / surface) * (surface / actif) * (actif / nombre de personnes)
ou bien P / N = P / S * S / A * A / N
avec P, production céréalière ; A, nombre d’actifs ; N, nombre de personnes à nourrir ;
P / S, rendement ; S / A, surface par actif ; N / A, nombre de personnes à nourrir par actif.
Stratégies de l’exploitant
Quelles sont les stratégies du responsable pour augmenter la quantité de céréales
par personne à nourrir, soit la fraction (P / N) ?
Certes, il est possible que le nombre de personnes (N) diminue, mais cette démarche
est lente et limitée, et touche à la vie sociale et culturelle. Elle affecte à moyen terme
le nombre d’actifs. L’augmentation de la production est liée à la hausse envisageable
des rendements (P / S) avec plus d’engrais, des nouvelles techniques etc., mais
jusqu’à maintenant les progrès ont été assez faibles en Afrique subsaharienne.
L’augmentation de la fraction surface par actif (S / A) par l’augmentation directe des
surfaces a été la voie la plus utilisée. Il faut souligner le rôle de la traction animale
et de l’irrigation (dans des grands périmètres ou des petits périmètres comme les
bas-fonds). Cette solution a été choisie car la terre était le facteur le moins limitant,
du fait des réserves foncières et de la faible densité de population. Mais ce facteur
devient plus rare, en particulier car le sol s’appauvrit.
L’augmentation du nombre d’actifs par personne à nourrir est plus aléatoire et peu
maîtrisable par la famille. Le nombre d’actifs a plutôt tendance à diminuer (émigra-
tion temporaire) et celui des personnes à nourrir à augmenter (amélioration de l’hy-
giène et des soins). Par ailleurs, on sait qu’il y a une relation entre le nombre d’actifs
et le dynamisme de l’exploitation : plus le nombre d’actifs est élevé, plus l’exploita-
tion est performante et capable d’accumuler des moyens et d’investir. Ainsi, la
grande famille a un effet favorable sur l’organisation du travail et permet surtout de
disposer d’une capacité d’investissement élevée.
Ce modèle ne fait pas intervenir les prix, mais cette démarche est acceptable dans
une économie peu monétarisée. Dans le cas d’exploitations cultivant du coton, les
revenus monétaires du coton peuvent servir à acheter les produits alimentaires et,
dans bien des pays d’Afrique, il est possible d’acheter du riz asiatique en cas de
déficit en céréales locales ou de prix trop élevé. Mais il apparaît que la stratégie
d’autosuffisance alimentaire des exploitations agricoles est dominante et la
recherche de sécurité alimentaire reste un objectif de la majorité des exploitations
agricoles face aux aléas économiques (baisse des prix, achat tardif du coton, etc.).
95
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
et facteurs de production est une démarche peu adaptée à une agriculture fondée
sur la famille, comme c’est le cas en Afrique. En effet, la prise de décision n’est pas
aussi simple, l’unicité du centre de décision est contestable, les objectifs peuvent
être multiples, variables et contradictoires, les choix des combinaisons de produc-
tions et des facteurs de production peuvent être très réduits, etc. Ainsi, une repré-
sentation plus complexe, souvent appelée « systémique » de l’exploitation a été
proposée pour tenir compte des imbrications des niveaux de décision. La théorie du
comportement adaptatif élaborée par des chercheurs de Dijon (Inra, Enesad) en
rend compte (Brossier et al., 1997).
Le modèle a une visée théorique – ensemble cohérent d’hypothèses pour
comprendre le fonctionnement des exploitations agricoles et en particulier le choix
des systèmes de production et l’adoption des innovations – et une visée pratique –
élaborer des méthodes utilisables par les agriculteurs pour leur fournir une aide à la
décision et par divers agents en contact avec des agriculteurs. Comme l’indique Osty
(1978) : « Étudier l’exploitation agricole comme un système, c’est considérer d’abord
l’ensemble avant d’étudier à fond les parties que l’on sait aborder. L’exploitation
agricole est un tout organisé qui ne répond pas à des critères simples et uniformes
d’optimisation ». La modélisation systémique consiste à considérer qu’une exploi-
tation agricole n’est pas la simple juxtaposition d’ateliers de production, ni l’addition
de moyens et de techniques de production.
La théorie du comportement adaptatif (figure 5.3) repose sur le postulat de cohé-
rence et sur les concepts de finalité, projet, situation, perception et adaptation.
ENVIRONNEMENT
Produit de l'histoire
(mémoire)
Situation Finalités (projet)
(environnement et passé) Structure complexe de finalités
Atouts, contraintes, moyens, plus ou moins hiérarchisées,
facteurs de production : non dépourvue de contradictions internes
– facteurs de l'environnement peu maîtrisés et susceptible d'évolution.
(climat, sol, social, économique, etc.) Exemples :
– facteurs directement liés – revenu suffisant
à la structure du système – pérennité de l'exploitation
(situation familiale, capital, surface, – assurer l'avenir des enfants
force de travail, etc.) – genre de vie, etc.
96
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
Hypothèses et concepts
Les décisions des agriculteurs s’expliquent par les objectifs qu’ils poursuivent et par
les moyens dont ils disposent. Postuler que « les agriculteurs ont des raisons de faire
ce qu’ils font » implique de chercher à comprendre ces raisons, tâche première et
pas la moindre pour qui veut donner des moyens aux décideurs de mieux réaliser
leur projet.
Les projets sont définis comme un ensemble complexe d’objectifs plus ou moins
hiérarchisés, parfois contradictoires, susceptibles d’évolution, non réductibles à
quelques critères simples (profit, survie, pouvoir, etc.). La situation familiale est tout
à fait essentielle pour comprendre les décisions des agriculteurs car elle détermine
à la fois la force de travail disponible, les besoins de consommation et l’expression
du projet.
97
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
E4 Variables exogènes que l’on peut modifier dans le but de changer la valeur des variables
dépendantes : thèmes techniques et méthodes de vulgarisation
et d’encadrement, approvisionnement.
E3 Variables dépendantes
E2 Variables
modifiables :
indépendantes endogènes
– décision du paysan
et structures sociales : E1 Résultats
(crédit, équipement,
– organisation du travail du processus
engrais, semences,
– structure de la parenté socio-économique
organisation du travail)
– régime foncier,
– choix d’activités nouvelles
distribution des revenus
– niveau de connaissances,
et des biens (héritage)
technicité
E, domaine d’enquête ; E1, connaître les résultats ; E2, éléments de structure importants ; E3, variables
contrôlées par le paysan ; E4, fonctionnement des activités d’encadrement et de vulgarisation
Figure 5.4. Relations entre les variables qui agissent sur le processus de production. Les objectifs des
actions sont l’augmentation de la production et du revenu du paysan. Source : Kleene et al. (1989)
98
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
Fonctionnement du modèle
L’hypothèse de cohérence implique que toute action vise à modifier la situation de
l’acteur en l’adaptant, dans la mesure de ses possibilités, à ses objectifs (figure 5.5).
Ainsi, la réflexion, la décision et l’action font partie d’un même processus d’adaptation
permanente.
Système de finalités
porté par la famille
Système décisionnel
Systèmes de pilotage
d'autres activités
Système de pilotage
qui définit les stratégies
sur l'exploitation agricole :
les objectifs portés
par le gestionnaire
Situation
environnement
atouts
contraintes
Système de mémorisation
et d'information
(les indicateurs
des pratiques-clés)
Les pratiques
Systèmes
opérant
(les processus)
99
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
100
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
enrichis par les agronomes (Sebillotte et Soler, 1990). De plus en plus, les pratiques
des acteurs occupent une place centrale dans ces modèles, mais les objectifs de ces
modèles demeurent souvent limités et réducteurs (un seul critère) en comparaison de
ceux du pilote. D’autre part, les pratiques sont étudiées du point de vue de l’ « effec-
tivité » (effectiveness) recherchée par le pilote. L’efficacité du processus qui est
mesurée uniquement par rapport au résultat, et non par rapport à ce que l’on cher-
chait à faire (Le Moigne, 1990, 1995), n’est pas suffisante. Pour repérer l’effectivité
(obtenir efficacement les résultats souhaités), il est indispensable de prendre en
compte des modèles techniques, car ils donnent une clé d’interprétation, mais il faut
les compléter par la prise en compte d’autres critères de mesure des objectifs.
Cette approche paraît tout à fait adaptée aux exploitations rurales ou agricoles
familiales africaines, compte tenu de leur forte dimension familiale, la famille
devant assurer l’alimentation du groupe familial autour de plusieurs activités et avec
plusieurs niveaux de décision. Peut-on définir l’exploitation agricole familiale afri-
caine indépendamment des systèmes agraires villageois, régionaux, écologiques ?
Comment identifier les exploitations itinérantes d’élevage ? (encadré 5.1)
101
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
102
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion
103
Pour approfondir le sujet
Chapitre 6
Gestion de la force de travail,
place de la femme
et reproduction sociale
Yves GUILLERMOU
Le facteur travail joue un rôle fondamental dans l’ensemble des exploitations agri-
coles familiales en Afrique subsaharienne. En dépit de l’extrême diversité des
conditions écologiques et socio-économiques, le fonctionnement et la pérennité
(reproduction) des exploitations reposent sur les différentes formes d’organisation
(mobilisation) et d’affectation de la force de travail. L’analyse des processus de
production de l’exploitation familiale soulève deux questions :
– le type de gestion de la force de travail est-il adapté aux contraintes ou aux objectifs
de chaque unité de production ?
– Quelles sont les modalités effectives de répartition des tâches (et d’accès aux
produits) qui en résultent ?
L’activité d’une exploitation familiale suppose la coopération étroite, mais rarement
égalitaire, de ses membres. Certains sont soumis à un surtravail lié à leur position
dépendante au profit d’autres membres qui contrôlent le processus de production.
Comment fonctionne un système fondé sur des modes de travail inégalitaires en
interne, mais exigeant en même temps une étroite solidarité entre les membres de
la cellule familiale ?
Structures socio-économiques
dans les sociétés agraires
Ces questions ont retenu l’attention des chercheurs (anthropologues) pendant au
moins deux décennies (entre le milieu des années 60 et celui des années 80). Ils ont
tenté d’analyser en profondeur les mutations rapides des sociétés rurales africaines
105
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
106
Gestion de la force de travail, place de la femme et reproduction sociale
qui impose en permanence une répartition des tâches entre différentes catégories de
producteurs, y compris anciens et futurs producteurs – d’où l’importance des rela-
tions et de la solidarité intergénérationnelles –, ainsi qu’un circuit d’échanges matri-
moniaux destiné à assurer la reproduction de chaque cellule productive. D’après
Meillassoux (1975), la capacité de chaque producteur de produire un surplus est
subordonnée à son appartenance à la communauté. La production de chacun
dépend de la communauté et des rapports de production et de reproduction noués
pendant plusieurs générations successives. Chaque communauté (constituée sur la
base des exigences de la production matérielle) s’insère en effet dans un ensemble
organique de reproduction beaucoup plus vaste, lui permettant de faire face aux
aléas démographiques (mortalité, stérilité, etc.) et la mettant en relation régulière
avec d’autres communautés. Au sein de ce réseau, les doyens de chaque commu-
nauté (aînés sociaux) se voient investis d’un pouvoir étendu en matière de gestion de
la reproduction à travers le contrôle des alliances matrimoniales ; ce pouvoir
renforce celui qu’ils exercent à une échelle plus restreinte par le contrôle de la
production matérielle et par la gestion des biens vivriers. Le pouvoir des aînés
comporte, entre autres privilèges, la faculté de s’approprier une part du surproduit
de la communauté sous des formes diverses, notamment en imposant des prestations
de travail aux principaux producteurs directs que sont les femmes et les hommes
jeunes dépendants (cadets sociaux). Ces prestations, considérées comme une contre-
partie des multiples services rendus à la communauté et aux jeunes producteurs en
particulier (qui sont soumis à la seule intervention des aînés pour accéder au mariage
comme à la terre), n’en constituent pas moins des formes d’extorsion de surtravail.
107
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
108
Gestion de la force de travail, place de la femme et reproduction sociale
ressources monétaires, les hommes cultivant leurs propres champs de taro à des fins
purement commerciales, tout en laissant aux femmes la charge quasi exclusive des
cultures pour l’autoconsommation familiale (Guillermou, 1988).
109
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
110
Gestion de la force de travail, place de la femme et reproduction sociale
récente, la division inégale du travail agricole a été perçue, tant par ses victimes que
par ses bénéficiaires, comme une donnée naturelle, à laquelle nul ne saurait se sous-
traire. De plus, ce n’est pas dans une société dominée par les rapports de parenté
que la résistance des producteurs les plus défavorisés peut le mieux s’organiser. En
effet, la solidarité familiale, garante de la sécurité matérielle, les pousse bien plus à
la résignation. Cependant, divers facteurs se conjuguent depuis au moins deux
décennies pour conduire sinon à une remise en cause globale de l’ordre social
lignager ou villageois, du moins à des changements en profondeur.
111
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Conclusion
De l’ensemble de ces observations, il est possible de conclure très schématiquement
que la tendance est à la réduction des inégalités internes aux exploitations, et à un
renforcement des inégalités externes. Cependant, les inégalités entre les hommes et
les femmes, face à des résistances multiformes croissantes, se recomposent à un
rythme de plus en plus rapide, sans perdre nécessairement de leur intensité.
L’accession des femmes à de nouvelles responsabilités – y compris au statut de chef
d’exploitation – dans des agricultures en voie de paupérisation n’est pas en soi le
gage d’une meilleure maîtrise de leurs conditions de travail et d’existence.
L’amélioration relative de la condition des catégories de producteurs les plus défa-
vorisées qui renégocient constamment leur position au sein de l’unité familiale
risque d’avoir des effets limités si elle va de pair avec une répartition de plus en plus
inégale de la force de travail entre les groupes productifs (phénomène que le mode
de production domestique, selon Meillassoux, tendait justement à éviter).
La mobilisation de cette ressource stratégique par des formes de coopération à la
fois équitables et efficientes – par exemple dans le cadre de groupements de
producteurs réellement issus de la base (Guillermou et Kamga, 2004) – constitue un
enjeu décisif pour l’avenir de la majorité des exploitations familiales en Afrique.
112
Pour approfondir le sujet
Chapitre 7
Simulation et modélisation
du fonctionnement
de l’exploitation agricole
Éric PENOT
113
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
114
Simulation et modélisation du fonctionnement de l’exploitation agricole
115
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
culture ou d’élevage aussi bien qu’à l’échelle globale de l’exploitation. C’est donc un
instrument qui améliore la lisibilité de l’exploitation et contribue à juger de sa viabi-
lité. La modélisation permet de caractériser les exploitations avec une vision dyna-
mique, c’est-à-dire de reconstruire une réalité observée sur une exploitation
existante ou à partir d’une typologie existante et d’inclure les changements en cours
ou souhaités par l’exploitant.
Pour mettre en œuvre le modèle Olympe, il est donc nécessaire de connaître préci-
sément, par enquêtes, les éléments suivants :
– l’origine et l’utilisation des revenus de ces exploitations ;
– les systèmes de production pratiqués et leurs performances, à savoir les caracté-
ristiques technico-économiques des systèmes de culture et d’élevage (coût de
production, rendement et variation selon les aléas climatiques, prix des produits), la
disponibilité en facteurs de production (foncier, capital de travail, capital financier),
l’environnement socio-économique (accès à l’information, cohésion sociale) ;
– les composantes qui déterminent les stratégies des agriculteurs et leurs évolutions.
116
Simulation et modélisation du fonctionnement de l’exploitation agricole
Choix des
agriculteurs Choix de
à comparer la variable
« solde »
117
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
À l’échelle régionale
Olympe possède également un module d’agrégation des exploitations agricoles
selon des grands types, permettant une approche à l’échelle d’une petite région,
d’un bassin versant ou d’un périmètre irrigué. Cette approche est simplifiée par
rapport à la réalité car elle ne prend pas en compte les interactions possibles entre
acteurs. Elle permet de déterminer les évolutions en termes d’utilisation des
ressources naturelles (eau, terre), de flux d’intrants et de produits, etc., par type
d’agriculteurs et pour l’ensemble de la région considérée. Olympe a été utilisé à une
échelle collective surtout pour accompagner des groupes d’agriculteurs dans la
gestion et l’emploi d’une ressource commune comme l’eau dans un périmètre
irrigué dont la superficie est bien circonscrite.
Conclusion
L’utilisation d’une modélisation de l’exploitation agricole permet de construire des
scénarios prospectifs, de tester des hypothèses techniques (itinéraires techniques)
ou économiques (choix d’un crédit, organisation de la production…) et de mesurer
sur le plan économique (revenus, productivité du travail, marge par activités…)
l’impact des changements ou des évolutions en cours ou à venir. L’usage d’un outil
commun à plusieurs chercheurs ou agents de développement offre de nombreux
avantages : réaliser des analyses comparatives pertinentes et surtout fonctionnelles ;
travailler sur des fondements communs (vocabulaire économique identique, recours
aux mêmes démarches, par exemple l’analyse systémique). La modélisation est parti-
culièrement adaptée pour décrire l’économie des exploitations agricoles et identifier
leur trajectoire d’évolution. Elle contribue à expliquer les stratégies paysannes et
leurs déterminants. L’approche proposée suppose de replacer les résultats de la
modélisation dans leur contexte grâce à une véritable analyse socio-économique
tenant compte des facteurs sociaux, culturels et historiques qui concourent à la
compréhension des stratégies paysannes.
118
Partie 3
Diversité
et dynamiques
des exploitations
agricoles africaines
Jean-Yves JAMIN, coordinateur
Introduction
Cette partie traite de la diversité des exploitations, ainsi que de leurs dynamiques
d’évolution.
Dans le chapitre 8, nous examinerons comment la diversité des exploitations peut
être prise en compte, comment on peut bâtir des typologies d’exploitations agricoles
– fondées sur leur structure ou leur fonctionnement, ou élaborées à partir de dire
d’expert – et avec quels outils. Nous discuterons aussi l’intérêt de la prise en compte
de la diversité pour les actions de développement et la possibilité d’associer des
agents de développement à ces démarches. Différents exemples de typologies élabo-
rées dans différents contextes (rizicoles, cotonniers, ou pastoraux) illustrent la nature
de la diversité des exploitations et les méthodes utilisables pour l’appréhender.
Dans le chapitre 9, nous verrons que les exploitations ne sont pas dans une situation
figée, mais qu’elles évoluent en suivant, plus ou moins, des cycles en fonction de
l’histoire des familles qui les gèrent. Les dynamiques actuelles des exploitations
s’expliquent en grande partie par leur histoire, et il peut donc être intéressant de
prendre en compte les évolutions antérieures, par exemple en reconstituant leurs
trajectoires d’évolution. On peut alors bâtir des typologies de trajectoires qui
permettent de discuter des évolutions futures des types actuels. Des exemples
d’utilisation de ces outils sont donnés dans différents contextes.
Dans les chapitres 10, 11 et 12, nous examinerons en détail trois situations. Plusieurs
méthodes typologiques et historiques ont été combinées pour comprendre la diver-
sité et l’évolution des exploitations, puis pour proposer, à partir de cette analyse, des
pistes de réflexion et d’action pour le développement.
Dans le chapitre 10, une approche typologique est employée pour comprendre les
modes d’utilisation des terres au Burkina Faso, et en particulier la persistance des
jachères dans les paysages cotonniers soudaniens. Le fonctionnement des diverses
exploitations est analysé en privilégiant la compréhension des choix du système de
culture (permanent ou temporaire) et la caractérisation de l’intensité d’allocation
des moyens de production ayant un coût monétaire, rapportés à un environnement
économique. La phase du cycle de vie dans laquelle se trouve l’exploitation appa-
raît comme un critère important, ainsi que l’origine des exploitants (migrants ou
autochtones).
121
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
122
Chapitre 8
Modélisation de la diversité
des exploitations
Jean-Yves JAMIN, Michel HAVARD,
Emmanuel MBÉTID-BESSANE, Patrice DJAMEN,
André DJONNEWA, Koye DJONDANG et Jean LEROY
Même si l’on parle encore parfois de « l’exploitation agricole type » de telle ou telle
région, la plupart des acteurs du développement agricole reconnaissent maintenant
la diversité des exploitations agricoles au sein d’une même région (Colson, 1985).
En effet, selon Perrot et Landais (1993b), « la perception de la diversité des exploi-
tations a beaucoup évolué au cours du temps au sein des organismes chargés du
développement agricole. L’hétérogénéité des exploitations agricoles était consi-
dérée au début des années 60 comme un obstacle à la modernisation rapide de
l’agriculture, alors qu’aujourd’hui la prise en compte de la diversité est reconnue
par les organismes de développement comme une condition de l’amélioration de
l’efficacité de leurs interventions auprès des agriculteurs ».
Bien qu’elles partagent un environnement commun, les exploitations d’une même
région n’ont pas toutes la même histoire, n’ont pas aujourd’hui les mêmes caracté-
ristiques (surface, nombre d’animaux, force de travail, équipement), ne disposent
pas d’un accès identique au foncier ou aux diverses ressources du milieu naturel et
ne sont pas dirigées par des exploitants ayant le même âge ou le même niveau d’ins-
truction. De plus, certaines familles ont des activités importantes en dehors de
l’agriculture, d’autres pas.
123
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
pour les exploitants, car on reconnaît à chaque paysan sa spécificité humaine, mais
cette démarche est peu opérationnelle, que ce soit en termes d’analyse, de mise au
point de stratégies de développement, ou d’intervention, car il faudrait alors pouvoir
disposer de beaucoup de moyens, et pouvoir passer beaucoup de temps avec chaque
exploitant, – chacun étant considéré comme un cas particulier.
Historique et hypothèses
Les premières typologies ont été réalisées (tout au moins sous ce nom) dans le
domaine anthropologique, avec les scientifiques comme sujet d’étude (Wechniakoff,
1897). Depuis, cette démarche a été utilisée dans de nombreux secteurs. Établir une
typologie, c’est essayer d’analyser, d’ordonner, de répartir une diversité complexe, en
posant plusieurs hypothèses :
– des objets distincts les uns des autres sont identifiables ;
– ces objets ne sont pas tous identiques ;
– ces objets ne sont pas tous complètement et également différents. C’est-à-dire
qu’ils n’ont pas la même « distance », au sens mathématique du terme (Philippeau,
1992 ; Tomassone, 1988), en ce qui concerne les différences entre eux.
Dans le domaine agricole, les premières typologies datent des années 1970, avec les
travaux de l’Ina-PG (Capillon, Sebillote et Thierry, 1975 ; Capillon et Manichon,
1978) et de l’Inra (Brossier et Petit, 1977). Cet outil est très utilisé pour analyser et
comprendre l’agriculture d’une région et ses problèmes (diagnostic), identifier des
solutions techniques et cibler les exploitations concernées (pour un appui en conseil
agricole), planifier des opérations de développement, ou faire de la prospective
(Merlot et al., 2004). C’est aussi un outil statistique, utile dans le domaine de la poli-
tique agricole ; par exemple une typologie communautaire des exploitations agri-
coles européennes a été établie (CE, 1996). En Afrique, après une phase de
recherche plutôt centrée sur les systèmes agraires, cet outil a été rapidement utilisé
pour appréhender la diversité au sein des communautés rurales (Jouve, 1986).
124
Modélisation de la diversité des exploitations
Comment procéder
La réalisation de typologies qui portent sur des objets complexes comme les exploi-
tations agricoles implique de :
– préciser la nature des objets à classer ;
– identifier les limites de chaque objet ;
– choisir des critères de classement discriminants (afin de distinguer les différentes
exploitations) ;
– choisir des critères qui aient un sens par rapport à ce que l’on veut faire (et donc
clarifier les objectifs que l’on fixe à cette typologie) ;
– simplifier la réalité, la « modéliser », c’est-à-dire la caricaturer pour en faire
ressortir les aspects les plus importants. Une typologie est une des représentations
possibles de la réalité, ce n’est pas la réalité elle-même, ni la seule représentation
possible.
Il n’y a donc pas une seule typologie d’exploitations agricoles possible dans une zone
donnée. Selon les objectifs et les moyens mis en œuvre, des typologies différentes
seront élaborées (tableau 8.1) :
– des typologies simples, concernant certaines composantes de l’exploitation agri-
cole (surfaces, équipement…) ;
– des typologies descriptives, de structure des exploitations, fondées sur un
ensemble de variables quantitatives, ou/et qualitatives ;
– des typologies analytiques, fondées sur le fonctionnement actuel des exploitations
(objectifs, pratiques et stratégies) ;
– des typologies analytiques et historiques, fondées sur le fonctionnement actuel
des exploitations et leur évolution passée, leur trajectoire et leur archétype (type
ancien) ;
– des typologies à dire d’expert, fondées sur l’avis de personnes connaissant bien la
région (conseillers agricoles, chambres d’agriculture, etc.) ;
– des typologies à dire d’acteurs, reflétant la vision que les agriculteurs ont eux-
mêmes de la diversité de leurs exploitations et des évolutions possibles.
Dans ce chapitre, nous traiterons essentiellement des typologies de structure et de
fonctionnement, les éléments concernant les dynamiques et les évolutions des
exploitations agricoles étant traités plus spécifiquement dans le chapitre 9.
125
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Sources d’information
En l’absence d’enquêtes détaillées disponibles a priori, plusieurs sources de
données peuvent être utilisées, comme les recensements agricoles qui portent
souvent sur des éléments de structure (surface des exploitations, démographie,
équipement, cheptel) ou les statistiques agricoles qui renseignent souvent sur les
résultats techniques des exploitations (rendements de quelques grandes cultures).
Ces éléments, dont la fiabilité doit être discutée, fournissent un premier aperçu de
la variabilité existante et peuvent être analysés de façon simple, avec des outils
statistiques monodimensionnels (histogrammes, diagrammes circulaires, etc.).
Parfois critiquées, car peu approfondies, des typologies peuvent cependant être
bâties à partir de ces éléments, dans les régions où les données existantes sont assez
nombreuses et de qualité suffisante. Ces typologies, fondées essentiellement sur les
structures des exploitations et sur quelques indicateurs de résultats techniques,
donnent une première idée de la variabilité des exploitations.
Ainsi, en France, les chambres d’agriculture et les instituts techniques élaborent des
typologies à partir du Recensement général de l’agriculture, qui est régulièrement
actualisé. Dans les pays africains, un recensement aussi exhaustif est rarement
disponible. Néanmoins, des informations très complètes sont fréquemment recueil-
lies dans les zones où l’agriculture est très encadrée, comme les périmètres irrigués,
les régions cotonnières ou les plantations.
126
Modélisation de la diversité des exploitations
Pour approfondir cette démarche, par exemple intégrer des éléments de fonction-
nement des exploitations ou pour élaborer des typologies dans les zones où il
n’existe pas, ou trop peu, de données statistiques, il est nécessaire d’effectuer des
enquêtes pour recueillir l’information nécessaire. Il faut alors, avant de se lancer
dans des enquêtes lourdes et coûteuses, bien définir son objectif et les moyens que
l’on peut mettre en œuvre. Au préalable, il est recommandé de mener soi-même
quelques enquêtes afin de comprendre les grands principes du fonctionnement des
exploitations de la zone et d’identifier les informations à recueillir dans une enquête
touchant par la suite un plus grand nombre d’exploitations.
Typologies de structure
Méthode
Les typologies de structure caractérisent les moyens de production disponibles dans
les exploitations agricoles et permettent d’en obtenir une photographie à un
moment donné. Les critères de différenciation sont choisis empiriquement, mais ils
ne représentent parfois qu’une partie de la réalité.
Ces typologies sont les plus faciles à réaliser, car elles peuvent s’appuyer sur des
données de structure déjà recueillies ou assez faciles à collecter par des enquêtes
courtes.
Lorsque l’encadrement agricole est relativement dense, les données existent en
grand nombre, mais on prendra garde au risque de biais lié aux sources. Par
exemple, en zone cotonnière, la plupart des données disponibles se rapportent à la
culture du coton et aux paysans qui la pratiquent ; les données sur les autres
cultures, sur l’élevage, ou sur les exploitations non-productrices de coton, sont quasi
absentes, ce qui peut amener à sous-estimer leur importance. De même, dans les
zones d’irrigation, la composante irriguée des systèmes de production est souvent
bien connue, ce qui n’est pas le cas des cultures pluviales ou des activités d’élevage
et peut donc conduire à ignorer des composantes fondamentales des exploitations.
Quelques enquêtes exploratoires préliminaires permettront de relativiser la perti-
nence des données existantes, même si ensuite ces enquêtes très ciblées ne pourront
pas être utilisées pour élaborer une typologie concernant l’ensemble des exploita-
tions de la zone.
Lorsque les données de structure disponibles sont insuffisantes, le recueil des infor-
mations doit être organisé de façon systématique, avec des questionnaires fermés
très simples, comprenant un nombre limité de sujets. Cependant, il faut rester
prudent – même avec un questionnaire simple – quant à la fiabilité des enquêtes,
car les exploitants ne répondent pas forcément facilement ou de façon sincère à
certaines questions (foncier contrôlé ou nombre d’animaux possédés par exemple).
Les données de structure, en général de type quantitatif, se prêtent bien à des traite-
ments statistiques informatisés : statistiques élémentaires monodimensionnelles,
statistiques multidimensionnelles comme l’analyse en composantes principales (ACP),
classifications automatiques comme la classification ascendante hiérarchique (CAH).
127
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Deux méthodes automatiques sont souvent utilisées pour construire des typologies
de structure : la segmentation et l’analyse multidimensionnelle.
• Dans la segmentation, les critères discriminants sont choisis un à un de façon graduelle
en commençant par le plus discriminant jusqu’à l’obtention de types assez homogènes.
Cette méthode n’est valable que si le nombre de critères discriminants est réduit.
• Dans l’analyse multidimensionnelle, plusieurs critères discriminants sont mobilisés à
la fois. On distingue les analyses en composantes principales (ACP), les analyses facto-
rielles des correspondances (AFC) et la classification ascendante hiérarchique (CAH).
Les ACP et les AFC servent à la caractérisation des exploitations par rapport aux
variables retenues, tandis que la CAH sert au regroupement des exploitations en fonc-
tion du poids des variables considérées. Les mécanismes d’utilisation de ces méthodes
statistiques ont été détaillés par Philippeau (1992) et Tomassone (1988) pour les ACP
et les AFC et par Dervin (1996) et Fresco et Westphal (1988) pour les CAH.
Quelle que soit la méthode choisie, il est utile de commencer par une description initiale
des données, en faisant une première lecture de la variabilité des indicateurs retenus au
moyen d’analyses descriptives simples : moyennes, écart-types, représentation sous
forme d’histogrammes ou de diagrammes circulaires. Cette première étape permet
ensuite de mieux comprendre les analyses multidimensionnelles plus complexes.
Pour illustrer ce dernier point, nous étudierons l’exemple de l’Office du Niger
(Jamin, 1994).
128
Modélisation de la diversité des exploitations
Pour analyser conjointement plusieurs variables, on peut les croiser deux à deux, mais
s’il y en a beaucoup il est préférable de passer à des analyses multidimensionnelles,
comme des ACP, pour étudier les variables de structure (figure 8.2 ).
DET
CHHA
PTHA
AN
SFCP
RDT MCHG
CHRU
BFHA POPT
axe 1
PROD
BOEU
SURF
axe 2
AN : années depuis installation ; BFHA : bœufs/ha ; BOEU : bœufs ; CHHA : charrues/ha ; CHRU : nombre de
charrues ; DET : dettes ; MCHG : surface maraîchage ; PROD : production riz ; POPT : population totale ; PTHA :
population totale/ha ; RDT : rendement riz ; SURF : surface riz ; SFCP : surface cultures pluviales ;
Dans cet exemple, parmi les variables de structure, celles relatives à la taille de l’exploitation
(surface, main-d’œuvre, production, équipement) concourent fortement à l’axe 1 (qui porte ici 27 %
de la variabilité) et sont donc les variables qui contribuent le plus aux différences entre les exploita-
tions. Sur l’axe 2 (14 % de la variabilité), sont observés plutôt des ratios rapportés à la surface (main-
d’œuvre/ha, équipement/ha) mais aussi l’endettement. Cette démarche peut être poursuivie avec les
axes d’ordre 3, 4, 5 et 6, mais les variables introduites ont de moins en moins de poids explicatif dans
la variabilité totale (respectivement 11 %, 8 %, 7 % et 5 % pour les axes 3, 4, 5 et 6).
Figure 8.2. ACP sur 307 exploitations. Cercle des corrélations entre variables de structure à l’Office
du Niger, axes 1 et 2.
L’ACP, tout comme la CAH, ne peut expliquer la variabilité qu’à partir des variables
qu’elle contient – même si cela paraît évident, il est important de le souligner. Si
l’ACP (ou la CAH) n’intègre que des variables de taille, alors ce sont forcément des
variables de taille qui vont ressortir comme ayant le plus de poids explicatif des
différences entre exploitations. À l’inverse, si dans l’analyse ne sont introduites que
des variables relatives à l’âge du chef d’exploitation et des membres de sa famille,
les exploitations seront différenciées d’après ces variables.
129
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Il faut donc bien réfléchir à la sélection des variables de structure introduites dans
l’analyse, puis relativiser les résultats de ces analyses automatiques en utilisant d’au-
tres informations qualitatives dont on peut disposer sur les exploitations, en parti-
culier le fonctionnement.
Situer les différentes exploitations sur les axes d’une ACP fournit des indications sur
leur proximité en termes de structure (figure 8.3) : des paquets d’exploitations ayant
des caractéristiques proches peuvent être identifiés dans le plan formé par les axes 1
et 2 de l’ACP et éventuellement dans les plans suivants (axes 1 et 3, axes 2 et 3, etc.)
mais la part de l’information qu’ils expliquent décroît rapidement.
Cela peut aussi permettre de guider l’échantillonnage, soit au sein des paquets
d’exploitations proches sur le plan de ces axes, soit en ciblant les cas particuliers,
les extrêmes par exemple, qu’il peut être intéressant de retenir pour des enquêtes
ultérieures.
Tigabougou (N5)
axe horizontal : axe 1, axe vertical ; axe 2
limites imposées : - 5,75 à 6,41/horizontal, - 4,10 à 4,85/vertical
exploitant résidant résidant enquêté
non-enquêté non-résidant enquêté
On observe que beaucoup d’exploitations s’échelonnent le long de l’axe 1, axe dont sont proches les
variables de taille (figure 8.2). Les autres variables, proches d’axes d’ordre 2 ou 3, expliquent moins
les différences entre les exploitations. Mais on note aussi la présence de très grandes exploitations
peu endettées (en bas à droite), comme de très petites exploitations peu endettées (en bas à
gauche) ou au contraire fortement endettées (en haut à gauche).
Figure 8.3. Position des exploitations de l’Office du Niger sur le plan des axes 1, 2 de l’ACP précédente.
130
Modélisation de la diversité des exploitations
Typologies de fonctionnement
Définitions et objectifs
Les typologies de fonctionnement visent à analyser puis à classer les processus de
production et de prise de décision dans les exploitations.
Pour comprendre le fonctionnement des exploitations, il faut disposer de données
sur les différentes composantes et sur les relations entre ces composantes. Sebillotte
(1979) définit le fonctionnement d’une exploitation comme l’enchaînement de
prises de décision de l’agriculteur et de sa famille dans un ensemble de contraintes
et d’atouts en vue d’atteindre des objectifs qui régissent des processus de produc-
tion et que l’on peut caractériser par des flux divers, au sein de l’exploitation d’une
part, entre elle et l’extérieur d’autre part. Ce concept amène à différencier plusieurs
niveaux d’objectifs de l’agriculteur (Capillon, 1993) : un niveau global traduisant les
objectifs généraux de l’agriculteur en termes de revenu, de travail et d’avenir de l’ex-
ploitation ; un niveau stratégique déterminant les principales orientations à moyen
terme incluant le choix des productions, leur degré d’intensification, les principaux
moyens de production et les modes de financement ; un niveau tactique concernant
les décisions à court terme, par exemple, choix de travailler d’abord sur une parcelle
plutôt que sur une autre, de privilégier une opération plutôt qu’une autre.
Réaliser des typologies de fonctionnement nécessite de conduire des enquêtes avec
les exploitants. On change donc d’échelle : les temps d’enquête sont relativement
importants, les échantillons retenus seront donc restreints ; il n’est plus possible,
comme pour les typologies de structure, d’inclure toutes les exploitations d’une
région dans la typologie.
131
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
132
Modélisation de la diversité des exploitations
133
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Tout en s’efforçant de ne pas faire une enquête trop longue (2 à 3 heures), il convient
de réserver un moment pour parler de la vision que l’exploitant a de l’avenir
– essayer de rejoindre des exploitations qu’il juge comme des modèles, avoir sa propre
stratégie de développement, etc. Il est également important de lui laisser le temps
d’exprimer ses opinions sur des sujets de son choix et de poser librement des ques-
tions. Outre la politesse et la considération vis-à-vis de l’exploitant que cela traduit
– et qui seront appréciées –, la discussion peut soulever de nouvelles questions.
Schéma de fonctionnement
La construction de typologies de fonctionnement repose d’abord sur un raisonne-
ment qui s’appuie sur un modèle synthétique de fonctionnement orientant et
guidant le mode opératoire. Ce qui revient à adopter un schéma de fonctionnement
(Capillon, 1993) qu’on essaie d’appliquer à toutes les exploitations ; les différences
observées dans les relations entre les composantes du schéma conduisent alors à
définir les types. Ce traitement manuel des schémas de fonctionnement permet de
récapituler l’information disponible, de l’homogénéiser, de l’ordonner. Cette étape
facilite les comparaisons entre exploitations (figure 8.4).
Les schémas de fonctionnement peuvent être élaborés librement pour chaque exploi-
tation, ou à partir d’un cadre physique commun, ce qui facilite les comparaisons et
les regroupements, même si cela peut rendre difficile le traitement de certains cas
particuliers que le cadre commun permet cependant d’identifier plus aisément.
Certains éléments nécessaires pour établir ces schémas de fonctionnement ont des
répercussions sur les données à recueillir et donc sur les temps d’enquête et la
confiance à obtenir de la part des agriculteurs. Ainsi, les données visant à quantifier
les performances économiques sont évidemment très intéressantes (case résultats
de la figure 8.4). Mais dans certains contextes agricoles, quand la production est
centrée sur des cultures vivrières et très diversifiée, ces données sont difficiles à
obtenir. Dans d’autres situations, zones cotonnières, périmètres irrigués, zones de
plantations fortement intégrées au marché, elles sont d’un accès plus aisé.
L’élaboration de types d’exploitations présentant de fortes similitudes se fait
progressivement, par rapprochement des fonctionnements similaires. Sont pris
aussi en compte les résultats des analyses multidimensionnelles, l’organisation des
différents systèmes de culture et d’élevage, ainsi que les atouts et les contraintes des
exploitations, de façon à identifier les variables les plus discriminantes.
134
Modélisation de la diversité des exploitations
HISTOIRE FONCIER
• Installé depuis 1955 • Riz casier : 2,0 ha
• Départ progressif des bras valides • Hors-casier : 2,5 ha
• Mort fréquente des bœufs de trait • Maraîchage : 0,1 ha
• Instabilité foncière
FAMILLE
CONTRAINTES ATOUTS
• Couple âgé, 71 ans, seuls
Ne s’occupent que du maraîchage Internes Internes
• Absence totale • Besoins limités
de main-d’œuvre • Appui fille et gendre
OBJECTIFS
Externes Externes
• Assurer l’autosubsistance • Accès limité au crédit • Possibilités d’avoir
• Se maintenir sans investir (peu solvable) quelques intrants
• Trouver quelqu’un pour cultiver • Instabilité foncière à crédit (limité)
le champ de riz (menaces de diminution • Ancien champ pluvial
• Payer ses dettes chaque de surface) inondable pour culture
campagne pour éviter l’éviction • Crainte de l’éviction riz hors-casier
ou une diminution de surface
RÉSULTATS STRATÉGIES
• Champ de riz confié à son gendre (casier et hors)
Riz casier 86
• Minimiser les intrants pour minimiser le crédit
• Rendement = 2,3 t
• Exploitation commune du jardin avec sa femme
• Marge Brute = 213 560 FCFA
• Embauche occasionnelle de manœuvres pour jardin
• MB/ha = 106 780 FCFA
• Maïs en hivernage dans jardin (soudure avant riz)
• Charges/MB = 54 %
• Rev Net - Auto = 171 600 F
SPÉCULATIONS
• Riz casier ON = vivrier + collecte
Riz casier 87
• Riz hors-casier = vivrier
• Rendement = 1,5 t
• Maraîchage = vente + autoconsommation
• Marge Brute = 104 800 FCFA
• MB/ha = 52 400 FCFA
CONDUITE
• Charges/MB = 50 %
• Décisions propres seulement pour le jardin
• Rev Net - Auto = 62 800 FCFA
• Riz casier extensif, faible fumure
• Riz hors-casier très extensif
Riz Hors-casier 87
• Double culture maïs/oignon dans le jardin
• Rendement = 0,6 t
• Marge Brute = 42 000 FCFA
CHOIX APPAREIL DE PRODUCTION
• MB/ha = 16 800 FCFA
• Veut conserver surface actuelle
Maraîchage
• Oignon : 500 kg = 75 000 F
AMÉLIORATIONS (AGRICULTEUR)
aucune (pas de décision autonome)
PROBLÈMES CONCLUSIONS
• Ni successeur, ni main-d’oeuvre Exploitation très fragile, quasi disparue
• Revenu très faible,
• Sans main-d’oeuvre, sans équipement, sans héritier
aucune accumulation possible,
• Intensification : pas d’argent pour des salariés,
aucune sécurité
le gendre risque d’avoir du mal à gérer 2 exploitations
• Mauvais planage 1 ha,
• Survie = augmentation du maraîchage
mauvais drainage
135
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Tableau 8.3. Typologie élaborée par des chercheurs à l’Office du Niger (Mali), enquête
auprès de 66 riziculteurs.
Type Sous-type Intitulé % des paysans enquêtés
Type Sous-type
A Grandes familles rizicoles, plus de 5 hommes, 12
plus de 10-15 ha irrigués, installation ancienne
A1 Très grandes familles, agriculture intensive, 6
grand élevage
A2 Grandes familles, intensification, 3
élevage en croissance
A3 Grandes familles intensifiant peu, diversification, 3
activités extra-agricoles
B Familles rizicoles de taille moyenne, 33
3 à 6 hommes, 5 à 15 ha irrigués, bon équipement
B1 Agriculture intensive innovante, riz, maraîchage, 8
élevage important, extension
B2 Recherche de la stabilité, sans risque, 8
diversification, capital limité
B3 En extension, développement récent, 13
intensification et diversification
B4 Difficultés pour intensifier, stabilité grâce 4
au maraîchage, faible cohésion
C Petites familles rizicoles, 0 à 3 hommes, 35
moins de 5 ha irrigués, installation/séparation
récente
C1 Intensification avec le réaménagement, 8
bon équipement, développement rapide
C2 Objectif de stabilité, équipement minimal, 15
fragilité
C3 En difficulté, endettement, plus d’équipement, 12
dépendance de l’extérieur
D Non-résidants, activité principale extra-agricole, 20
résidence souvent hors du village
D1 Recherche de revenus élevés dans l’agriculture, 6
intensification, innovation
D2 Objectif d’autoconsommation, intensification 14
minimale, absentéisme
NC Non-irrigants, situation aléatoire en marge Pas d’enquête
de l’Office, clients et salariés des irrigants systématique ;
E Évincés, à la suite d’un endettement répété, 100 % des personnes
hors-casier, pluvial, élevage et salariat en marge de l’Office
P Paysans et éleveurs de la zone pluviale, du Niger
mil et élevage, salariés des irrigants
R Réfugiés du nord, activité agro-pastorale
disparue, manœuvres des irrigants
136
Modélisation de la diversité des exploitations
137
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Cette méthode présente deux grands intérêts. D’une part, elle est assez rapide, car
elle est fondée sur l’avis des experts plutôt que sur de longues enquêtes, d’autre part,
elle valorise les savoirs de l’encadrement agricole fortement associé et, par la même
occasion, les agents d’encadrement conduisent une réflexion commune et se forment
à de nouveaux concepts. Mise en œuvre dans différentes régions françaises (Perrot
et Landais, 1993b ; Erguy et al., 1996), cette méthode est rarement utilisée seule en
Afrique, où elle est plus fréquemment associée à des démarches exigeant un retour
des experts sur le terrain afin qu’ils complètent leur formation et les informations.
138
Modélisation de la diversité des exploitations
La partie la plus délicate, mais aussi la plus révélatrice, est celle où l’on entreprend,
à partir de ces enquêtes, l’élaboration d’une nouvelle typologie ou bien des modifi-
cations d’une typologie existante. À l’Office du Niger, les agents ont choisi de
changer profondément la typologie. Le classement initial, fondé d’abord sur l’his-
toire puis sur le fonctionnement actuel, a été modifié pour mettre en avant les
performances rizicoles actuelles de l’exploitation, et seulement ensuite son histoire
et la structure qui en résulte (tableau 8.4).
Cette nouvelle vision correspondait bien aux priorités des agents : décrire d’abord
la situation actuelle et les performances rizicoles des exploitations, sujets sur
lesquels ils travaillent et qu’ils ont pour mandat d’améliorer. Cette démarche a fait
aussi ressortir la vision fondée sur la distinction des « bons » et des « mauvais »
paysans, des performants et des moins performants. On s’est également aperçu que
ce remodelage avait eu pour effet de faire « disparaître » une catégorie d’exploitants
cadrant mal avec le discours officiel : les doubles-actifs, très nombreux en pratique,
mais officiellement bannis des casiers irrigués, et parmi lesquels on retrouve la
plupart des agents de la structure d’encadrement.
Tableau 8.4. Typologie à dire d’expert. Réalisée par les agents de l’Office du Niger
au Mali, correspondance avec typologie des chercheurs (tableau 8.3).
Groupe Sous- Descriptif Riziculteurs
groupe enquêtés (%)
Groupe 1 Systèmes intensifs, intensification du riz. 7
(Regroupe les types A1, A2, B1, C1, D1, tableau 8.3)
1A Très grandes familles ayant intensifié 1
et investissant ensuite hors-agriculture
1B Familles de taille variable, paysans pilotes, 4
investissant hors agriculture
1C Familles de taille variable, intensification récente, 2
accumulation de capital en cours
Groupe 2 Paysans sécurisés ; rendement correct, diversité 28
des activités. (Reprend les types A2, A3, B2, B3
et les C1 qui ont diversifié, tableau 8.3)
2A Capital important ; situation de transit vers le groupe 1 8
ou limitation par l’état du casier ou la cohésion familiale
2B Capital faible ; familles stables grâce à la diversité 20
de leurs activités et familles en cours d’intensification
sur la riziculture
Groupe 3 Exploitations en équilibre précaire. 30
Rendements en riz faibles, équipement minimum.
Diversification vitale. (Types B2, B4 et C2, tableau 8.3)
3A Grandes familles sur la pente descendante, 2
avec des problèmes de cohésion
3B Petites familles recherchant la stabilité 28
Groupe 4 Familles en difficulté. Rendements faibles 18
et manque d’équipement. (Type C3, tableau 8.3)
Groupe 5 L’agriculture comme appoint alimentaire. 17
Non-résidants de type D2 (tableau 8.3)
139
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Cet exemple montre qu’une typologie est rarement neutre. Ses auteurs, qu’ils soient
chercheurs ou agents de développement, ont des objectifs propres, explicites ou
implicites, et éventuellement une histoire commune avec ces exploitations qui
ressort directement ou indirectement dans un travail.
140
Modélisation de la diversité des exploitations
Cependant, les typologies peuvent être utiles pour s’interroger sur les conseils à
apporter à différents types d’exploitants. Ainsi, à l’Office du Niger, on a essayé avec
les conseillers agricoles de réfléchir aux conseils qui pourraient être pertinents pour
différents types d’exploitation et aux propositions techniques qui pourraient servir
de base de discussion avec eux. Par exemple, des propositions ont été discutées pour
les grandes exploitations qui intensifient (A1), pour les petites exploitations à la
recherche de l’équilibre (C2) et pour les exploitants non-résidants dont le seul
objectif est l’autoconsommation (D3) (tableau 8.5).
Tableau 8.5. Conseils proposés aux exploitations (cf. typologie, tableau 8.3).
Type Riziculture Maraîchage Diversification Diversification
agricole hors culture
A1 Viser les rendements Parcelle commune : Différents axes Valoriser le capital :
maxima : – spéculation à très de diversification : maisons, transport,
– forte fumure (150 N, P) forte valeur (pomme – maïs en hivernage décorticage, travail
– repiquage précoce de terre, ail, salade, dans les jardins du sol à façon,
– travail du sol soigné carotte) individuels transformation du
et planage Parcelles individuelles : – fourrages pour maraîchage (séchoirs)
– développer double – diversification les animaux
culture en saison froide maximale – pisciculture possible
et chaude – apport d’engrais, sur des surfaces
– herbicides possibles insecticides, importantes
– augmentation semences qualité
de surface possible
– accès à la motorisation
avec matériel adapté
à la taille des parcelles
C2 Rechercher la stabilité : Recherche Prématurée Petit commerce
– réduire la double la diversification de riz ou de produits
culture au minimum en utilisant peu maraîchers,
pour la soudure d’intrants et en évitant transformation
– investissement les espèces à risque artisanale des produits
en travail de repiquage (pomme de terre,
et de désherbage ail...)
plus que dans le travail
du sol ou l’apport
d’engrais (75 N, impasse
momentanée sur P)
– semis direct prégermé
sans herbicide possible
en double culture
D2 Viser rendement moyen : À limiter Exclue Centrée sur le métier
– Apport minimum à la consommation d’origine (souvent,
d’intrants (75 N, familiale pas de capital)
impasse sur P)
– travail du sol minimum
ou non travail du sol
– repiquage ou semis
en sec sans herbicide
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Modélisation de la diversité des exploitations
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
les productions des différentes cultures, les intrants, les animaux, les matériels agri-
coles, la main-d’œuvre, les attelages et les activités extra-agricoles. L’enquête n’a
demandé en moyenne que trente minutes par exploitation, car globalement
les exploitations des savanes d’Afrique centrale cultivent de faibles superficies
(2 à 3 ha), possèdent peu de capital en animaux et en équipement. Les familles sont
relativement peu nombreuses (5 à 6 personnes). Ainsi, les enquêtes ont concerné
2 500 exploitations des six terroirs de référence du Prasac et les données ont servi à
créer une base de données régionale.
Au Cameroun et au Tchad, la méthode de segmentation a été utilisée pour élaborer
une typologie à partir de ces enquêtes. Deux critères, le sexe du chef d’exploitation
(CE) et l’accès à la traction animale, ont été jugés discriminants pour concevoir le
conseil aux exploitations (Djonnewa et al., 2000 ; Djondang et Leroy, 2001) et pour
les questions d’équipement (Vall et al., 2002). En République centrafricaine, des
méthodes d’analyse multidimensionnelle (notamment l’ACP) ont été utilisées à
partir de plusieurs critères de structure (Mbétid-Bessane, 2002).
Le fonctionnement des exploitations a aussi été étudié car deux exploitations ayant
une même structure n’ont pas forcément le même fonctionnement. Les données ont
été collectées à l’aide de guides d’entretien ouverts laissant plus de place aux discus-
sions (histoire, objectifs, stratégies, atouts, contraintes, performances et pratiques
des exploitations). Ces entretiens, couplés à des observations, ont concerné 40 à
100 exploitations selon les villages. Ils se sont déroulés en 2 ou 3 passages de 1 à
2 heures chacun.
L’objectif initial était d’élaborer une typologie unique pour l’ensemble de la zone. En
pratique, les contextes politiques, sociaux et économiques se sont révélés trop diffé-
rents pour le permettre. En effet, les stratégies des exploitations dans une situation
relativement favorable comme le Cameroun, – société cotonnière active, infrastruc-
tures routières très développées, opportunités de commercialisation nombreuses –,
diffèrent fortement de celles opérant dans un contexte très contraint comme en
République centrafricaine – effondrement de la société cotonnière, infrastructures
routières minimales et souvent impraticables en saison des pluies, opportunités de
commercialisation très restreintes. De plus, dans les trois pays, les organisations de
développement partenaires du Prasac avaient émis des demandes différentes.
Les typologies de structure avaient pour objectif de cerner la variabilité des moyens
de production, mais aussi de constituer des échantillons pour les études sur le
fonctionnement des exploitations et les travaux de recherche thématiques (suivi de
parcelles, d’animaux, etc.).
Au Cameroun et au Tchad, la segmentation des exploitations à partir du sexe du
chef d’exploitation et de l’accès à la traction animale a mis en évidence quatre types
d’exploitation (tableau 8.6). Selon les besoins des utilisateurs, des sous-types sont
différenciés. Par exemple, au Cameroun, pour les travaux sur la traction animale, le
type II a été scindé entre bouviers, paysans ne possédant pas d’attelage et utilisant
les animaux de trait d’un propriétaire sur leurs propres parcelles 1 jour sur 4 en
moyenne, et locataires proprement dits.
En République centrafricaine, les résultats de l’ACP ont mis en évidence trois types
de producteurs (tableau 8.7).
144
Modélisation de la diversité des exploitations
Tableau 8.6. Répartition des exploitations dans la typologie de structure réalisée par
segmentation (Cameroun, Tchad).
Pays Types définis en fonction du sexe et de la traction animale
Types I Types II Type III Type IV
Femmes, Homme et Homme et Homme et
pas de traction non utilisateur de utilisateur de propriétaire de
animale traction animale traction animale traction animale
Cameroun 10 10 46 34
(% par type)
Tchad 9 9 56 26
(% par type)
Source : Mbétid-Bessane et al., 2003.
Dans les trois pays, ces typologies de structure, réalisées sur l’ensemble des exploi-
tations des terroirs, ont été utilisées par les autres composantes du projet pour
choisir des échantillons de travail. Ainsi, au Cameroun, les études sur le fonction-
nement des exploitations ont été conduites sur des échantillons tirés au hasard dans
les quatre types définis par la typologie de structure.
Typologies de fonctionnement
Plusieurs typologies de fonctionnement ont été réalisées dans le cadre du Prasac.
145
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Au Cameroun et au Tchad, un peu plus de la moitié des exploitations ont des diffi-
cultés pour assurer la sécurité alimentaire de leur famille, environ 20 % (souvent de
jeunes paysans) sont en situation de léger surplus monétaire et alimentaire et
peuvent envisager de capitaliser, les autres exploitations (environ 30 %) sont en
cours de capitalisation. Ces chiffres indiquent une forte différenciation entre les
exploitations avec, d’une part de grandes exploitations au capital et aux revenus
importants et, d’autre part des exploitations sans capital et en déficit céréalier. Les
146
Modélisation de la diversité des exploitations
exploitations (surtout des jeunes) qui arrivent à dégager des surplus alimentaires et
monétaires en vue de capitaliser sont peu nombreuses et leur fonctionnement met
en évidence les difficultés rencontrées par les paysans à entamer un processus de
développement de l’exploitation qui leur permettrait de vivre de l’agriculture. Ainsi,
de nombreuses exploitations ne parviennent pas à dépasser la couverture des
besoins alimentaires et monétaires prioritaires (types C3 et T1). C’est une des
raisons de l’exode important des jeunes vers les villes – ils espèrent y trouver les
moyens de capitaliser en dehors de l’agriculture pour pouvoir ensuite relancer cette
activité – et de la migration vers les fronts pionniers pour trouver des conditions
plus favorables, en particulier des terres disponibles.
En République centrafricaine, les exploitations en difficulté (25 %) et celles en
phase de capitalisation (17 %) sont moins nombreuses que les exploitations de
niveau intermédiaire qui ont de légers surplus monétaire et alimentaire (58 %). De
nombreuses exploitations y sont en cours d’évolution (croissance, déclin), la situa-
tion paraît moins figée qu’au Cameroun et au Tchad, et les paysans peuvent donc
envisager un développement de leur exploitation.
En République centrafricaine, une clé de détermination des types de fonctionne-
ment a été construite pour faciliter l’utilisation de la typologie par les agents du
développement. À partir de quatre critères simples (nombre d’actifs, niveau d’équi-
pement, capital d’élevage, revenu monétaire dominant), une exploitation (hors
échantillon) peut être rattachée à un type de fonctionnement (tableau 8.9).
147
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
148
Modélisation de la diversité des exploitations
Type Type
Type A Type B Type C Type D
A et B C et D
Figure 8.5. Pratiques de gestion des ressources alimentaires et monétaires des exploitations agricoles
au Nord Cameroun.
149
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
volontariat, ensuite les typologies aident les animateurs à constituer des sous-
groupes en fonction des problèmes spécifiques qui se posent. En outre, les typolo-
gies fournissent aux animateurs des référentiels sur les exploitations. Ils peuvent
ainsi mieux apprécier les évolutions possibles et par conséquent conseiller plus judi-
cieusement. À l’aide des typologies, il est aussi possible de mieux caractériser les
cibles touchées par le conseil, en examinant la répartition des exploitations
conseillées dans les différents types de fonctionnement (tableau 8.11), et donc de
procéder aux ajustements nécessaires.
On remarque que dans tous les types de fonctionnement, excepté celui en phase de
déclin (C1), des exploitations se sont engagées dans la démarche de conseil. Mais
les exploitants dégageant des surplus alimentaires et des revenus relativement
importants (C5 et C6) et les jeunes en phase de croissance (C4) sont les plus inté-
ressées par le conseil. En revanche, les exploitations en difficulté, ne dégageant pas
ou peu de revenus (C2 et C3), ne voient pas bien ce que le conseil peut leur apporter
et sont enclins au fatalisme.
Dans le cadre de la vulgarisation, les typologies permettent de diversifier les actions
de formation et d’introduction d’innovations en fonction des types d’exploitations
définis, et aussi de mettre en évidence quelles sont les exploitations réellement
concernées par les thèmes et les innovations vulgarisées, et celles qui ne le sont pas.
Intérêts et limites
Les méthodes et les outils typologiques développés ont permis de caractériser et de
représenter la diversité des exploitations. Les informations générées sont utiles à la
150
Modélisation de la diversité des exploitations
151
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
152
Modélisation de la diversité des exploitations
Conclusion
Agriculteurs riziculteurs, agriculteurs cotonniers, éleveurs laitiers, dans les trois cas,
nous avons vu à travers les typologies présentées que les situations des exploitants
sont très diverses. Cette diversité peut être caractérisée par l’emploi de typologies.
Mais la situation de ces exploitations n’est pas statique. Les exploitations évoluent,
au sein d’un type, d’un type à l’autre, vers de nouveaux types. Nous verrons dans le
chapitre 9 comment appréhender ces évolutions, et quels éclairages elles peuvent
apporter sur le fonctionnement des exploitations. Puis dans les chapitres 10 et 11,
nous verrons, à travers l’exemple d’une zone rurale du Burkina Faso, et d’une zone
urbaine de Madagascar, comment s’exprime la diversité des exploitations dans
différents contextes, et en quoi elle est importante pour le fonctionnement du
système agraire dans son ensemble, mais aussi comment elle influe sur les pratiques
agricoles et la fertilité des systèmes de culture.
153
Chapitre 9
Dynamique et évolution
des exploitations agricoles
Jean-Yves JAMIN, Michel HAVARD,
Emmanuel MBÉTID-BESSANE,
Éric VALL et Alioune FALL
Les exploitations agricoles familiales ne sont pas dans un état immuable. Elles
évoluent du fait de plusieurs facteurs, en particulier de leur dynamique propre, en
fonction des objectifs et de l’évolution démographique de la famille et des relations
entre ses membres. Des changements dans l’environnement écologique et social
immédiat, voire des modifications plus larges de l’environnement économique
régional, national ou mondial, influent aussi sur le devenir des exploitations.
L’image de la diversité des exploitations obtenue dans les typologies est un instan-
tané qu’il est utile de compléter par l’histoire et les projets des agriculteurs pour
pouvoir accompagner les exploitations dans leurs évolutions.
155
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Niveau de
capitalisation
Reprise
Déclin
Figure 9.1. Cycle de vie d’une exploitation (Chia, 1987 repris in Brossier et al., 1997).
Chia (1987) distingue quatre phases principales dans les exploitations françaises
(figure 9.1) :
– la phase d’installation du jeune agriculteur (I) ou démarrage de l’exploitation.
La priorité va être la construction de l’appareil de production de la nouvelle
exploitation ;
– la phase de transition (II), durant laquelle l’agriculteur cherche à stabiliser la
construction de l’exploitation ;
– la phase de stabilisation et de croissance (III), quand l’exploitation a atteint sa
vitesse de croisière et peut réaliser des investissements ;
– la phase de déclin (IV), lorsque l’agriculteur proche de la retraite ne renouvelle
plus son appareil de production s’il n’a pas de successeur.
Si l’agriculteur a un successeur, la phase de déclin est évitée, et un nouveau cycle
peut redémarrer avec un niveau de capital « initial » plus élevé que lors d’une
installation ex nihilo. Dans la réalité, compte tenu des aléas extérieurs ou de
problèmes internes à la famille, l’évolution d’une exploitation va bien sûr être
moins régulière.
Dans le cas des exploitations africaines, ce cycle correspond assez bien à ce qui se
passe dans les petites exploitations agricoles formées d’un seul ménage. Cependant,
l’augmentation de la main-d’œuvre au fil du temps, avec les enfants qui grandissent,
va jouer un rôle plus important que le capital qui est lui-même souvent faible. En
l’absence d’enfants, ou si ceux-ci quittent l’exploitation pour migrer, le déclin est
inéluctable, et l’exploitation disparaît peu à peu, se réduisant par exemple à une
petite parcelle vivrière exploitée par une veuve âgée qui doit largement faire appel
à de l’aide.
Dans le cas des exploitations plus importantes, différents cycles se chevauchent, et
la stabilité est en général plus grande. En effet, dans une grande famille, plusieurs
156
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
157
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
mais s’il ne redistribue pas suffisamment les revenus, ou si ses fils ont d’autres
projets, ils quitteront l’exploitation, soit pour fonder leur propre exploitation, soit
pour partir travailler en ville ou en migration plus lointaine. Il peut en être de même
avec les femmes, qui, si elles ne disposent pas de suffisamment d’autonomie (possi-
bilité de cultiver leurs propres parcelles leur permettant d’entretenir leurs enfants,
indépendamment de leurs coépouses dans le cas des ménages polygames), risquent
de retourner dans leur famille d’origine avec leurs enfants.
Certaines décisions de l’agriculteur peuvent modifier de fond en comble la vie de
l’exploitation, comme partir migrer sur un front pionnier où il faudra recréer une
nouvelle exploitation avec, le plus souvent, un capital initial très faible.
158
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
159
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
et les parcelles des cultures de rente (coton, riz irrigué…) vont être communes à
l’ensemble de l’exploitation, tandis que les cadets et les femmes vont pouvoir
disposer d’un espace économique individuel autonome grâce à une parcelle maraî-
chère, un petit commerce, ou une activité artisanale.
160
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
temps
1987 riz 2 ha + HC 2,5 ha cultivés par gendre
0 TH Jardin 0,1 ha
2 PT équipement 0
Mort des 2 bœufs restants
Gendre cultive le champ de casier à sa place
Mort d’une fille mariée (diminution de l’aide)
Vente petits ruminants et 1 bœuf (achat vivres)
Mort de 2 bœufs
HC repris par gendre
Diminution de surface par Office du Niger Vente de petits ruminants, mariage fils + fils part exode
Nouveau champ mal plané 3 bœufs malades meurent
Charrue prêtée, abimée + charrette prêtée, cassée
Extension du village, Mort d’une fille mariée (diminution de l’aide)
diminution surface jardin Arrêt culture HC (ni main-d’œuvre, ni matériel)
HC : riz hors casier ; M5, N8, N9 : villages ; O.N. : Office du Niger ; PT : personnes totales ; TH : travailleur homme
Sur la gauche de l’axe du temps (en italique), sont représentés les événements extérieurs qui ont
joué directement sur l’exploitation.
À droite de l’axe, les événements ou les décisions internes à la famille.
Dans les cases situées sur l’axe, l’état de quelques paramètres clés du système de production (main-
d’œuvre, surfaces, équipement) à des dates charnières.
Figure 9.2. Évolution d’une famille installée à l’Office du Niger dans les années 1950.
161
Figure 9.3. Trajectoires d’évolution des exploitations de l’Office du Niger.
A1 A3 B1 B4 endettement NC
C2 s ON
e intensific. rge
162
ag
ge
nt ma
➝
r a îch nsif bétail lateme
e ent éc
cha
B2 em E
ma ext intensification endett Situation
raî nsif
riz
té
a
diversification e équipt. mini. précaire
m xte
iz e
rch
bili
r
A2 marges ON
➝
équipt.
➝
c he rité dettes es
sta
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➝
bétail /
e
sé
B3 C1 ion D1
ict
rch
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he
éviction/
on
C3 dettes
rec
intensification
ati
intensification t
en
ic
nce
➝
démo. sa ret
m n r
sif
➝
bétail de m qu e Ω
en
➝
démo. ipe
➝
paysans/éleveurs
roissa
en uipe
CI
int
é q me
➝
CI
➝
nt zone pluviale,
nc
stabilité C2 D2
➝
équipt. intensification installation avec équipement réfugiés du Nord
bétail l
ion e
tai
accu. hors bé
➝
agric. t
situat
en
a t em
l riziculture
éc
e nt d'appoint
t t em
éclatement de nouvelles
A B en C
installations
récentes
➝
CI
➝
CI
➝
HC CP
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
➝
bétail démo. HC
➝
bétail
➝➝
équipt.
➝
équipt. δ
fonctionnaire
A grandes familles B familles moyennes C petites familles commerçant
statut « divers »
défriche CP ent ent
t em défriche CP a tem
➝
bétail écla écl CI : cultures irriguées
jeu ne ent
art tem CP : cultures pluviales
dép en det HC : hors casier
TH : travailleur homme
α β γ ON : office du Niger
ARCHÉTYPES plusieurs TH plusieurs TH un seul TH
Augmentation
(installations plusieurs lots plusieurs lots un seul lot
anciennes) gros bétail pas de bétail pas de bétail Diminution
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
163
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
et des rendements réguliers, sans trop intensifier, pour rejoindre un type C2. Si elles
n’y arrivent pas (mauvaise année, négociation impossible d’un plan de remise à flot
avec les banques et les créanciers), ces exploitations sont évincées de leurs terres
irriguées par l’Office du Niger et rejoignent le groupe des exploitations exclues du
système irrigué (type E).
164
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
165
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Ti
A1 (6 %) A2 (11 %) B2 (24 %) B1 (34 %) C1 (8 %) C2 (17 %) > 40 ans
2% 13 % 4%
Abandon coton
Acquisition Diversification vivriers Activités
- Attelage Coton en culture para-agricoles
- bétail manuelle
Acquisition bétail
ont reconstitué rapidement leurs moyens de production, mis l’accent sur l’intensifica-
tion du cotonnier et opté pour la spécialisation dans la production cotonnière ; ils rejoi-
gnent alors les agriculteurs spécialisés dans le cotonnier (A1). D’autres, en voulant en
finir avec l’instabilité du marché du coton, ont augmenté leur cheptel et ont opté pour
la spécialisation en élevage marchand (A2). Enfin, les producteurs qui n’avaient pas
laissé une place importante au coton dans la diversification n’ont pas su saisir cette
opportunité et ont rejoint la trajectoire de type B après avoir perdu leur attelage (B2).
166
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
167
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
IV Achat second V
Propriétaire associé bœuf Propriétaire de 2 bœufs ou plus (28 %)
Achat 1 bœuf (3 %) 5,6 ha ; 1,4 ha/actif
1,7 ha ; 0,64 ha/actif Prestige, Indépendance, Pouvoir
Rare
II III
car difficile
Locataire (34 %) : 2,1 ha ; Bouvier (24 %)
0,79 ha/actif 1,6 ha ; 0,64 ha/actif
Migrant : Manœuvre
Année Arrivée
Passage à la traction animale
Échanges de travaux : I
IV réalise des prestations, et II et III Manuel (11 %)
fournissent main-d’œuvre en échange 0,7 ha ; 0,48 ha/actif
ou paient prestations
Figure 9.5. Trajectoires d’évolution à Mafa Kilda, village du Nord-Cameroun (d’après Cuvier, 1999).
Les différents types d’exploitations aujourd’hui présents sont ainsi replacés dans
une perspective dynamique. Les conditions du passage d’un type à l’autre ont été
analysées, il est donc possible de conseiller les exploitants en phase d’installation sur
les stratégies d’équipement qu’ils peuvent adopter en fonction des moyens dont ils
disposent.
Dans la zone nord du Cameroun, plus des deux tiers des agriculteurs ne possèdent
pas d’attelage. Mais, en raison des difficultés à satisfaire les besoins de la famille
avec les surfaces traditionnellement allouées, la majorité des jeunes agriculteurs
non-équipés souhaitent acquérir un attelage pour accroître leur réserve foncière.
L’exploitant emprunte alors l’attelage d’un paysan équipé pour augmenter progres-
sivement sa réserve foncière jusqu’à un seuil d’environ 3 ha, nécessitant l’achat
d’animaux de trait. La location d’attelage, phase transitoire avant l’achat d’équipe-
ment, est un processus long, pouvant atteindre 20 ans du fait de l’absence de crédits
d’acquisition des animaux et de la difficulté qu’ont les paysans à constituer une
épargne suffisante pour acheter un attelage (les animaux et la charrue industrielle
coûtent environ 70 000 Fcfa en traction asine, 130 000 Fcfa en traction équine et
200 000 Fcfa minimum avec une paire de bœufs). Pour diminuer cette durée, l’agri-
culteur procède par étapes successives de capitalisation et de décapitalisation des
animaux de rente. Il achète tout d’abord des petits ruminants ou des porcins.
168
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
Ensuite, soit il achète un bovin qui sera engraissé puis vendu ou qui sera mis en atte-
lage bovin (association avec un autre propriétaire), soit il achète un attelage asin qui
lui permet de travailler en autonomie. La constitution de la paire de bovins marque
la fin du processus d’acquisition de l’attelage car les outils de travail du sol (charrue,
ensemble sarcleur…) peuvent être obtenus à crédit auprès de la Sodécoton ou bon
marché chez les artisans-forgerons.
L’emprunt d’attelage est à la fois très répandu, diversifié et réglementé. En effet, les
locataires d’attelages sont des anciens cultivateurs manuels, ou des nouveaux
migrants trop âgés pour être bouviers ou n’ayant pas de connaissances au village
susceptibles de les employer. En revanche, les bouviers sont généralement des
jeunes qui, dès leur arrivée, sont pris en charge par un parent ou un frère. Dès la
deuxième année, le jeune s’installe comme chef d’exploitation et le travail proposé
par l’hôte devient un emploi sous forme d’échange de services, à travers le contrat
de bouvier. Le contrat, 3 jours de travail chez le propriétaire pour 1 jour chez
chaque bouvier, est très contraignant pour celui qui l’accepte mais il garantit l’accès
à un attelage. Néanmoins, ces contrats sont très recherchés dans ce village parce
qu’ils permettent d’amorcer la constitution d’une réserve foncière. En effet, être
bouvier, c’est bénéficier de la confiance et du parrainage d’un « grand frère ». Cette
protection est déterminante pour négocier l’acquisition de quelques arpents de
terre dans un terroir qui devient saturé. La coexistence de petites cellules familiales
indépendantes de type nucléaire a semble-t-il favorisé l’émergence de la contractua-
lisation des prêts d’attelages, mais aussi du marché des terres agricoles. Dans d’au-
tres villages plus traditionnels où les unités de production regroupent plusieurs
ménages (parents et enfants mariés), le père (ou le grand frère), propriétaire
éminent de l’attelage, le « loue » gratuitement aux cadets.
169
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Le taux d’équipement des exploitations n’a pas changé depuis vingt ans. Les seules
évolutions notées ont été les acquisitions par les nouvelles exploitations et le remplace-
ment des animaux de trait dans les autres. Quelques exploitations du nord du bassin
arachidier ont remplacé le cheval par un âne quand elles se retrouvaient en difficultés
monétaires, ou quand le cheval est mort et qu’elles ne pouvaient pas le remplacer. Dans
le sud du bassin arachidier, les rares exploitations en traction asine souhaitent passer en
traction équine (l’âne est en effet considéré comme le cheval du pauvre, c’est une étape
de démarrage de la traction animale, ou une alternative en cas de difficultés), et celles
ayant des difficultés en traction bovine reviennent à la traction équine (figures 9.6 et 9.7).
+ Équine
en propriété
Traction
En propriété
bovine
En confiage
En propriété
Traction
équine
En confiage
En propriété
Traction
asine
En confiage
+ Équine
en propriété
Traction
En propriété
bovine
En confiage
En propriété
Traction
équine
En confiage
En propriété
Traction
asine
En confiage
170
Dynamique et évolution des exploitations agricoles
Les paysans sont très attachés à la traction équine qui présente de nombreux avan-
tages : rapidité d’exécution des travaux, longévité de carrière, facilité de transport,
maniabilité et facilité de dressage, mais aussi bonne adaptation aux travaux légers
(semis, sarclages) sur des sols sableux faciles à travailler. Pratiquement 90 % des
exploitations au sud et 60 % au nord disposent d’un cheval, d’une houe et d’un
semoir. Elles sont donc opérationnelles pour les semis et les sarclages dès les
premières pluies. Les autres exploitations doivent passer par la location pour
effectuer ces travaux.
Conclusion
Des typologies de trajectoires d’évolution ont été utilisées dans de nombreux autres
contextes africains. Elles permettent de mieux comprendre comment chaque type
d’exploitation est arrivé à la situation actuelle. Elles sont aussi un outil essentiel
pour former les personnels d’encadrement de l’agriculture qui prennent ainsi cons-
cience que les exploitations agricoles africaines ne sont pas figées dans une tradition
agricole immuable, mais font au contraire preuve d’un dynamisme et d’une faculté
d’adaptation importants, avec des réussites et aussi des échecs, qui ne sont pas le
reflet du fait que l’on est un « bon » ou un « mauvais » paysan, mais qui résultent
d’une histoire complexe fortement contrainte par un environnement changeant. Les
relations entre l’évolution du capital des exploitations et les trajectoires de vie des
paysans au Bénin sont illustrées au chapitre 12.
171
Pour approfondir le sujet
Chapitre 10
Diversité des exploitations et utilisation
de la jachère dans la zone cotonnière
du Burkina Faso
Georges SERPANTIÉ, François PAPY et Thierry DORÉ
Problématique et hypothèses
173
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
174
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso
Méthode
Région étudiée
La région choisie est la région Bwa de la zone cotonnière burkinabe, autour de la
localité de Bondoukui. Elle est représentative des anciennes zones de culture coton-
nière et d’immigration, mais riches en terres d’intérêt secondaire. Dans cette région
centre-soudanienne (pluviosité de 900 mm en 6 mois), sont présents aujourd’hui
deux milieux contrastés, souvent combinés dans le même territoire foncier des
villages autochtones : un tiers de plaine très peuplée (densité de population de
80 hab. / km2) par les migrants mossi et les autochtones bwa, avec des sols limoneux,
riches et totalement cultivés ; deux tiers de plateau peu peuplé (densité de popula-
tion de 20 hab. / km2) par des autochtones qui sont majoritaires et quelques
migrants présents, où les sols sableux secs ou hydromorphes sont occupés pour un
tiers par des cultures et pour deux tiers par des jachères (Serpantié, 2003).
175
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
– l’intensité d’intrants, estimée par le coût monétaire des intrants par hectare cultivé.
C’est un indicateur du degré d’intensification ;
– les pratiques de substitution aux jachères (fumier, herbicide) ;
– le type de grand système de culture, identifiable à l’aide des conventions suivantes
correspondant aux seuils d’intensité d’utilisation agricole du milieu de Ruthenberg (1971).
L’intensité d’utilisation agricole (IUA) se décline en trois groupes.
• Culture permanente (IUA > 0,66) : la parcelle principale est cultivée pendant
plus de 15 ans, ou bien l’exploitation agricole reprend une jachère de moins de 6 ans
et abandonne une culture de 10 ans.
• Culture prolongée (transition vers la culture permanente) : culture dont la durée
dépasse 10 ans après une jachère de plus de 5 ans, ou approchant 10 ans avec une
fumure organique régulière ou herbicides. En cas d’accroissement de superficie par
défriche, il y a simplement conquête de jachère.
• Culture temporaire (IUA < 0,66) : renouvellement d’une parcelle cultivée depuis
moins de 11 ans (provenant d’une défriche de jachère de durée quelconque) au
moyen d’une reprise d’une jachère de plus de 5 ans. Comme les durées de culture
varient peu (5 à 10 ans), la durée de jachère permet de différencier les deux types
de cultures temporaires :
– culture itinérante, jachère de durée supérieure ou égale à 15 ans ;
– culture à jachère, jachère de durée comprise entre 6 et 15 ans.
176
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso
Résultats
177
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Tableau 10.1. Effets des variables de structure (origine de l’exploitant, équipement) sur
les paramètres et les pratiques des exploitations agricoles du plateau (Serpantié, 2003).
Indicateurs des exploitations agricoles Indicateurs de structure
Origine de l’exploitant Attelage
σ Autochtone Migrant Sans Avec
Fréquence dans l’échantillon (%) 62 38 29 71
Attelage chez les migrants (fréquence en %) 25 a 52 b
Besoins exprimés en unité résident (UR) 4,8 5,32 a 9,85 b 3,85 a 8,35 b
Moyens disponibles Main-d’œuvre 0,16 0,74 b 0,64 a 0,75 b 0,68 a
(UTH/UR)
Cheptel (UBT/UR) 0,94 1,04 a 0,72 a 0,35 a 1,15 b
Équipement (exploitations 67 a 80 b 0 100
en culture attelée en %)
Pratiques liées Surface cultivée par 0,6 1,12 b 0,79 a 0,92 a 1,02 a
à des stratégies unité résident (ha/UR)
Surface cultivée par unité 1,0 1,57 b 1,29 a 1,28 a 1,54 a
de main-d’œuvre (ha/UTH)
Exploitation agricole ayant 73 a 65 a 70 a 70 a
un champ sur sol pauvre
et sec (%)
Cultures commerciales 23,2 43,0 a 37,1 a 32,2 a 44,0 b
(% SC)
Exploitations 64 a 53 a 52 a 63 a
cotonnières (%)
Pratiques Apport d’engrais (kg/ha) 47 12,1 a 10,3 a 9,3 a 16,6 b
indicatrices du SC
Pratiques Âge du champ principal 8,6 7,7 a 10,6 b 7,3 a 9,4 a
indicatrices du GSC (ans)
Champ principal 77 b 53 a 58 a 73 a
sur jachère longue (% expl.)
Fumure organique régulière 4a 37 b 6a 21 a
(nb expl.)
Pour chacun des critères, origine de l’exploitant et attelage, les paires de moyennes portant
deux lettres différentes a ou b sont significativement différentes au seuil p = 0,05.
SC, système de culture ; GSC, grand système de culture
178
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso
179
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
180
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso
Par exemple, dans l’exploitation Sb, un jeune autochtone double-actif utilise ses
revenus extérieurs pour payer les salaires de sarclage des cultures prolongées et
acheter de la fumure organique en sac (guano), il intensifie ainsi son activité agricole
et dépend moins des jachères. L’exploitation Sa est celle d’un migrant mature double-
actif, dont la part de l’activité agricole est faible par rapport aux autres activités, il
pratique des cultures prolongées mais aussi des cultures temporaires pour mieux
valoriser sa main-d’œuvre et conquérir du foncier et, ainsi, à terme accroître son acti-
vité agricole. L’exploitation Da est celle d’un notable autochtone, pour qui l’agri-
culture ne représente qu’une faible part des activités, qui s’est orienté vers la culture
itinérante après un essai de culture permanente au village, il n’investit visiblement
pas dans l’agriculture.
Logiques technico-économiques
Culture prolongée et culture permanente
L’emploi du fumier permet de pratiquer la culture permanente avec un rendement
stable ou croissant (Serpantié, 2003). Cela nécessite cependant d’avoir du cheptel,
de pouvoir le gérer sur place sans le confier, de disposer de moyens de transport et
d’une force de travail abondante pour le sarclage ou des substituts comme les herbi-
cides, et bien sûr d’avoir accès à des pâturages. En effet, l’intégration de l’élevage,
qui fournit du fumier et permet le sarclage attelé, nécessite de la main-d’œuvre de
gardiennage, et conduit à une spécialisation de la flore adventice qui impose un
désherbage manuel de finition. Ces agro-éleveurs sont donc très dépendants de
l’existence de pâturages proches ; ce sont, dans les exploitations étudiées, des
jachères produites par la culture temporaire d’autres paysans… C’est un des para-
doxes de la culture permanente sur des terres pauvres : les deux modes de produc-
tion doivent coexister.
181
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Culture temporaire
La culture temporaire est la seule solution sur les terres pauvres mais enher-
bées, en économie de subsistance, lorsque l’agriculteur cherche à réduire sa
force de travail, qu’il ne dispose ni d’autres revenus, ni d’un capital qui lui
permettrait de courir quelque risque. C’est le cas de toutes les exploitations
agricoles en phase de préretraite. Les anciens préfèrent les sols les plus légers
des plateaux, moins productifs mais plus faciles à entretenir. L’enherbement y
est toujours contrôlable. Dans les exploitations en développement, limitées en
travail, sans héritage (comme Ka ou Il), avec un sol peu fertile et en l’absence
d’un métier rémunérateur, l’intensité d’intrants appliquée est moyenne et la
gamme d’intrants incomplète (pas de fumier, prudence sur les herbicides). Les
jachères représentent une terre disponible comme attribut foncier initial et des
conditions de production économes en travail et en intrants. Les investissements
monétaires n’étant rentables qu’à partir d’un certain seuil de surface, les
processus de développement par capitalisation restent lents. C’est une des
raisons du maintien de la culture temporaire seule dans des exploitations agri-
coles jeunes ou matures mais bloquées dans leurs perspectives d’évolution, ou
du départ de la zone. Les exploitants qui abandonnent ces exploitations s’instal-
lent dans les terres de bas-glacis, plus vite rentables, ou émigrent s’il n’y a pas
terres disponibles.
Discussion et conclusion
Échantillon
L’échantillon d’exploitations étudiées est réduit, ce qui impose la prudence. Mais il
permet de représenter la diversité des structures des exploitations, sans pour autant
refléter tous les types de fonctionnement possibles. Nos deux niveaux d’enquête,
enquête extensive et monographies, aboutissent cependant à des résultats convergents.
182
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso
183
Pour approfondir le sujet
Chapitre 11
Systèmes d’activités en zones agricoles
périurbaines à Madagascar.
Diversité et flexibilité
des exploitations agricoles
Joselyne RAMAMONJISOA, Christine AUBRY,
Marie-Hélène DABAT et Mahefa ANDRIARIMALALA
Contexte et méthodologie
185
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
186
Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines à Madagascar
Résultats
187
Tableau 11.1. Répartition des systèmes d’activité des ménages agricoles dans les sites.
188
Site Système Système de Variations Activités Activités
d’activités production agricole des productions agricoles para-agricoles extérieures
Effectif Effectif Éléments
A B C communs
Plaine rive droite 8 3 9 5 Riz irrigué Volailles, bœufs, Briques, pêche, Salariés ville,
(20 enquêtes) cultures contre-saison salariat agricole, commerce
location matériel
Plaine rive gauche 12 7 1 6 Riz irrigué Cultures contre-saison Briques, pêche, (salarié ville)
(20 enquêtes) salariat agricole
Alasora 14 6 1 7 Maraîchage Riz selon accès eau, Briques, vente directe Petit commerce,
(21 enquêtes) bœufs, volailles salariés ville
Intra-muros 3 15 12 4 Cresson Maraîchage, riz, Vente directe, Salariés ville,
(30 enquêtes) volailles, porcs salariat agricole retraités
Collines 1 1 3 16 8 Maraîchage peu sauf crise Salariat agricole Salariés ville
(20 enquêtes) peu intensif, riz
Collines 2 12 5 3 8 Maraîchage Diversité maraîchère, Salariat agricole, Artisans, retraités
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
s’ils ont fortement perturbé l’activité agricole, ont été contemporains de la forte
croissance industrielle de la capitale ; nous faisons donc l’hypothèse que les
ménages agricoles de cette rive ont dû alors rechercher d’autres activités qui se sont
poursuivies depuis le retour de l’eau.
189
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
190
Tableau 11.2. Systèmes de production agricole et autres activités intra-muros et dans la plaine.
Type Surface Statut Productions Productions Main-d’œuvre Activités Activités
(effectif) végétales animales et équipement para-agricoles extérieures
Sites AI1 (3) 2 à 3 ha Location Cresson, Volailles, porcs Familiale, salarié Vente directe –
intra-muros et propriété maraîchage, riz temporaire
Manuel et pulvérisateur
en propriété
BI1 (15) 1 à 2 ha Location, Cresson (volailles) Familiale seule (vente directe) Salariés ville
métayage (maraîchage) Manuel (salariat agricole) (famille)
CI1 (2) 1 à 4 ha Propriété Riz, maraîchage 2-3 vaches Salariés permanents – Fonctionnaires,
(cresson) laitières Attelages, pulvérisateur retraités
CI2 (10) 2 à 5 ares Métayage Cresson – Familiale seule, – Salariés
seul seul Manuel seul plus de mi-temps
Plaine rizicole AP1 (3) 30-70 ares Propriété Riz Bœufs (2-7), Familiale + Briques, pêche, –
(location) volailles (20-40) salarié temporaire pisciculture
Attelage, outils
AP2 (11) 3-10 ares Propriété Riz, manioc, Bœufs (2-8), Familiale Briques, pêche –
pomme de terre volailles (20-65), Manuel Salariat agricole
(contre-saison) porcs (>5)
AP3 (5) 10-20 ares Riz Volailles (<15) Familiale Briques, pêche –
Manuel Salariat agricole
BP1 (9) 10-20 ares Riz – Familiale Briques, pêche Salariés ville
Salariat agricole (famille)
CP1 (2) 70 ares Propriété Riz Bœufs (5-7), Familiale + – Commerçants
à 1 ha volailles (25-75) salarié permanent
Attelage, outils
CP2 (10) 2-15 ares Métayage Riz Volailles (<25) Familiale + salarié (briques) Salariés ville
temporaire, Manuel
Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines à Madagascar
191
A, B, C, groupes de systèmes d’activité ; familiale, main-d’œuvre familiale ; manuel, outils agricoles manuels ; pulvérisateur, pulvérisateur à dos.
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
192
Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines à Madagascar
Ce retour plus ou moins durable a pu toucher d’autres sites, mais de façon moins
spectaculaire.
Dans les entretiens, il est rare qu’un départ de l’agriculture soit annoncé. On peut
rapprocher cela de la fréquence de la propriété d’une partie au moins de la terre,
notamment en plaine, de la relative rareté des migrants, de l’importance de l’exploi-
tation dans l’autoconsommation en riz de la famille élargie – celle vivant sur l’ex-
ploitation et celle vivant en ville (Dabat et al., 2004) –, de son rôle de lieu de
résidence voire de valeur refuge en cas de crise, pour conclure à un attachement des
ménages à l’exploitation, même lorsque d’autres activités sont plus importantes en
termes de revenu et de travail. Cependant, la pérennité des exploitations n’est pas
partout acquise face à l’expansion urbaine. On peut ainsi se demander si l’activité
de briqueterie sur les rizières n’est pas une façon d’amorcer la réalisation de la rente
foncière, la parcelle pouvant être vendue comme terrain à bâtir dès lors qu’elle n’est
plus utilisable, ni pour les briques, ni pour le riz. On observe en tous cas dans le
paysage de telles évolutions. Ainsi, si des mesures ne sont pas prises pour maintenir
l’agriculture urbaine, il est probable que « l’attachement » ne suffira pas à limiter la
disparition d’exploitations agricoles.
Discussion et conclusion
Nos résultats rejoignent ceux d’autres études sur la complexité et la flexibilité des
exploitations agricoles périurbaines dans les pays du Sud (Moustier, 1999 ;
Madelano, 2000). Le cadre d’analyse proposé, croisant systèmes d’activités et
systèmes de production agricole, permet de classifier les exploitations, mettant en
évidence l’interdépendance entre activités et révélant des formes de flexibilité. Les
déterminants, choisis a priori, de la variabilité spatiale des types se sont révélés
pertinents mais non exclusifs. En particulier, la situation foncière et sociale semble
importante, mais n’est pas analysée ici.
Deux principales limites sont à souligner. D’une part, nous n’avons pas quantifié le
poids des différentes activités dans les ménages agricoles. Des suivis détaillés sur un
échantillon, en particulier de la trésorerie, du travail (en s’inspirant des méthodes
de bilan travail-ménage proposées par Dedieu et al., 1999) ou de la destination des
produits agricoles, pourraient être d’un grand intérêt, mais sont hors de notre
portée. On pourrait proposer d’inclure des ménages de notre typologie dans des
observatoires existants, typologie qui servirait alors de base d’échantillonnage et de
corps d’hypothèses.
D’autre part, d’autres cadres de réflexion et d’analyse peuvent être utilisés, notam-
ment ceux fondés sur les multifonctionnalités de l’agriculture (Laurent, 2002)
notamment dans les pays du Sud (Losch, 2002). L’exploitation agricole est alors
analysée sous un nouvel angle, son rapport au territoire, particulièrement pertinent
en agriculture urbaine. Dans cette optique, des cadres de représentation de l’inser-
tion territoriale des exploitations, croisant insertion par l’activité et par la résidence
(Duvernoy et al., 2002) ou niveaux (unité de production, acteurs) et ressources
(productives, relationnelles, symboliques), objets de leur ancrage territorial (Gafsi,
2002), pourraient être utilisés pour instruire une spécificité majeure de l’agriculture
193
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
194
Pour approfondir le sujet
Chapitre 12
À l’échelle d’une vie :
trajectoires et décisions
paysannes au Bénin
Anne Floquet
Ce texte illustre les différents types de capitaux que les paysans africains, béninois
ici, accumulent au cours de leur vie. Il présente également les facteurs de mobilité
sociale ascendante et leur érosion progressive, dans le contexte du Bénin. La
méthode de construction interactive de typologies de trajectoires d’accumulation,
utilisée pour expliciter les choix des paysans et leurs conséquences, est analysée.
195
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Ce processus n’est souvent perçu par ses acteurs que lorsque le niveau de producti-
vité de la terre a beaucoup baissé.
Capital social
En plus de tous les capitaux physiques et des capitaux humains qui sont incorporés
dans les connaissances et les savoir-faire, un individu peut tirer des revenus de son
capital social. Incorporé dans les relations sociales, le capital social ne peut être
approprié individuellement mais chaque individu dispose d’un ensemble de droits
vis-à-vis d’autrui (son capital social) à partir desquels il peut espérer des revenus
mobilisables en cas de crises et, bien évidemment un ensemble d’obligations vis-à-vis
de tiers. Ces flux de revenus sont régis par des normes sociales et des relations affec-
tives et ils transitent par des réseaux sociaux dans lesquels sont intégrés les individus.
196
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin
Outre que le capital social procure des bénéfices directs et appropriés individuelle-
ment, il rend aussi l’action plus efficace, en facilitant l’action collective, en réduisant
les coûts de transaction grâce à une plus grande confiance entre partenaires et à un
accès à des réseaux sociaux élargis. Il peut se définir comme un capital actif indivi-
duel, construit à partir de relations sociales qui génèrent des revenus et des utilités
pour certains individus, et comme une quantité agrégée de capital qui crée des
externalités (effets externes) supposées positives dans la plupart des cas, puis-
qu’elles rendent plus efficaces les actions collectives (Requier-Desjardins, 1999).
Cette notion permet de prendre en compte les investissements sociaux, les dons, le
temps et la sympathie, consacrés lors des cérémonies d’enterrement ou de baptême
qui constituent des moments où les liens de solidarité sont confirmés, renforcés et
élargis au gré de l’extension des réseaux sociaux des membres de la famille et de
leurs alliés. Le capital social s’accumule autant au niveau d’un individu que d’un
groupe, qui en tire des aptitudes variables à coopérer, à régler ses conflits internes
et à faire valoir ses intérêts.
Narajan (1999) distingue deux grands types, celui lié à la solidarité et la cohésion
interne au sein d’un petit groupe (bonding social capital) qui établit des liens et celui
qui permet à des individus d’être connectés à des réseaux étendus et d’avoir ainsi
accès à des informations et des ressources diversifiées sur de vastes espaces (bridging
social capital) qui établit des ponts avec l’extérieur. Narajan remarque que des
groupes sociaux peuvent accumuler du capital social en quantité, et néanmoins
connaître la grande pauvreté, être incapables de régler leurs conflits ni de faire valoir
leurs droits. Ces groupes accumulent essentiellement du capital social de cohésion
sous forme de multiples groupes de solidarité et d’entraide réciproque, mais ils ont
isolés du reste de la société et de l’État tandis qu’une petite minorité profite de ses
réseaux étendus de relations et de l’accès aux diverses opportunités qu’ils permettent.
Les familles souffrant de pauvreté chronique sont petites, leurs membres sont en
mauvaise santé. On observe qu’elles sont enchâssées dans des réseaux sociaux assez
étroits, incapables d’entraide réciproque, elles ont mauvaise réputation dans leur
milieu et sont incapables de faire valoir leurs opinions et leurs intérêts dans la
sphère publique (Cleaver, 2003).
Le capital social est donc rarement une forme de substitution à d’autres capitaux,
qui permettrait aux plus pauvres de s’en sortir. En revanche, on peut penser que le
capital social est une ressource permettant aux familles non-pauvres de gérer les
crises et de mobiliser des ressources socialement et spatialement lointaines.
Au Bénin (figure 12.1), les phénomènes de mobilité observés et explicités par les
paysans eux-mêmes reposent sur les flux (accumulation et perte) de tous ces types
de capitaux.
197
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1° 2° 3° 4°
N
➢
12°
12°
Département
Villes principales
11°
11°
Densité de population :
habitants par km2 (1992)
5 – 10
10 – 20
Natitingou 20 – 50
10°
10°
50 – 100
100 – 200
200 – 500
500 – 7000
Parakou
9°
9°
8°
8°
Village O.
reste de front
Zone cotonnière pionnier
avec quelques
disponibilités Abomey Oueme Village T.
7°
7°
Cotonou Atlantique
6°
Zone périurbaine,
1° 2° 3° 4° vente de terres
100 km
Figure 12.1. Localisation des situations décrites et densités de population (d’après Herrmann et al., 2000).
198
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin
199
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
faible) à une trajectoire plus élevée (à ressources propres et niveau de vie plus élevé)
sont donc réduites.
Cette réduction du capital naturel initial se répète dans le temps et dans l’espace.
En général, la fertilité initiale n’a pas été transformée en des formes stables de
capital naturel (physique ou humain) qui permettraient aux générations suivantes
de se développer. La conséquence en est la fin de la « relative » égalité des chances
dans les conditions de démarrage des jeunes.
200
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin
salariée et que celle-ci est également très difficile à mobiliser et peu fiable. Ainsi
parvient-on à une configuration paradoxale de petites exploitations de moins de
5 hectares dont le problème dominant est le manque de main-d’œuvre.
Les épouses et les enfants dépendants assument un certain nombre de tâches au
profit d’un aîné qui, en retour, par son assise économique et sociale, les met à l’abri
des vicissitudes de la vie en assumant certaines charges en situation de crise et
certains investissements initiaux – dot de la première épouse, octroi de terre à un fils,
octroi de terre et droits sur la force de travail de dépendants pour une épouse. Les
femmes doivent le plus souvent attendre le moment où, en fin de phase de procréa-
tion, elles jouiront de leur temps et de celui de leurs filles en âge de travailler pour
accumuler richesses et prestige que confèreront l’autonomie économique et une
descendance prête à les prendre en charge quand leurs forces déclineront.
201
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
propriétaires que de petites superficies. Ils ont libéré alors les fils méritants en leur
louant une terre et en payant la dot de la première épouse. Le contrat entre géné-
rations est alors encore respecté mais l’accumulation du jeune installé s’avère diffi-
cile et il est rare qu’il puisse acheter des terres ; sa situation s’améliore s’il hérite.
Les fils qui se libèrent tôt parce qu’ils n’ont rien à attendre de leur père ni tout de
suite ni plus tard doivent s’installer en travaillant comme salariés agricoles. Même
avec de l’endurance, leur chance d’ascension sociale est très limitée et, à la moindre
crise, ils reviennent au statut de manœuvres agricoles ainsi que leur épouse. La
« libération » de ces enfants de paysans pauvres survient de plus en plus tôt, dès l’âge
de quinze ans. Certains d’entre eux tentent leur chance en migrant, d’autres vivent
de petits boulots sur place, cherchant le pécule qui permettra de louer des terres et
de se marier. La pauvreté des jeunes transparaît même dans les statistiques (World
Bank, 2003).
Accumulation progressive
De telles séquences, du type acquisition de poules, de chèvres et de bovins ou
revenu non-agricole, investissement dans l’agriculture, achat de terres, etc. ont
souvent été mises en évidence (Ellis et Freeman, 2004). On observe des successions
et des interactions positives entre des activités qui se relaient, entre des cultures
annuelles et l’accumulation de palmiers ou d’animaux, entre des activités agricoles
et non-agricoles (Floquet, 1994). Les hommes importants (big men) des villages
sont ceux qui parviennent à diversifier fortement leurs sources de revenu (agri-
culture, plantation, élevage, prestations d’équipement motorisé, commerce), le
revenu d’une activité permettant la capitalisation dans une autre.
202
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin
Migration
Au Bénin, la migration – jeunes hommes qui partent à l’aventure, ou jeunes femmes
comme domestiques – constitue une stratégie assez courante mais pas toujours
couronnée de succès pour tenter d’accumuler un capital de démarrage. Certains
migrants tissent des relations sociales qui vont leur permettre de développer ensuite
des activités assez lucratives de courtage de main-d’œuvre ou de commerce mais la
plupart n’auront rien fait d’autre que de changer temporairement de champ.
L’importance de ce capital des aventuriers, toujours à l’affût d’opportunités, est bien
perçue par les hommes jeunes.
203
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
champs de son créancier (Cebedes, 2004). Les paysans qui entrent dans cette spirale
cultivent leurs propres champs avec retard et peu de soin. Quand ils cultivent du
cotonnier, ils s’endettent du fait de leurs médiocres performances (Floquet et
Amadji, 2003). Beaucoup vont devoir revendre les intrants achetés à crédit, à un
prix inférieur à celui qu’ils auront à rembourser. De l’endettement permanent à la
vente de tous les actifs, y compris les terres, il n’y a qu’un pas, vite franchi quand la
demande en terre est forte. Reste comme recours l’envoi des enfants comme
domestiques contre une petite somme et la promesse d’une rémunération
mensuelle versée aux parents.
204
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin
205
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
206
achat de terres installation des enfants
mariage femme aisée et plantations dans et hors agriculture
construction grande famille aide des enfants bien assis
commerce
motocyclette formation des enfants
transfrontalier et
achat de terres bâchée ou camion
agriculture
sur place (coton)
migration
pluriannuelle
activité, épargne
héritage activité demandant
épargne sous forme un peu de capital
démarrage activité (coton, achat revente
de palmiers
mariage génératrice demandant de vivriers, etc.)
champ vivrier un peu de capital
migration temporaire installation difficile
des enfants
aide des enfants aide réduite des enfants
construction en banco,
vélo
dépendant mariage
travaillant manœuvre famille grandit
pour parent endettement époux manœuvres
endettement chronique
crises et envoi
installation très difficile
des enfants en domesticité
des enfants
peu d'aide des enfants
découragement, travail des vieux
alcoolisme, divorce, jusqu'à un âge avancé
dislocation famille
niveau de prospérité
temps et position de l'individu dans le cycle de vie
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin
207
Figure 12.2. Trajectoires des hommes dans un village du Zou, Bénin (Floquet et al., 2004b).
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
plantation. Ils sont vulnérables à toutes les crises. Dans un mode d’organisation où
les jeunes actifs deviennent autonomes tôt, la période d’accumulation de capital de
leur père aussi se raccourcit. Or, si ce dernier n’a pas atteint un seuil minimal
d’accumulation, il est voué à la pauvreté et à la dépendance durant ses vieux jours.
La situation est encore plus criante chez les femmes dont la période d’accumulation
est plus brève. La préparation de la retraite est du reste une préoccupation de plus
en plus affirmée chez les hommes âgés et certaines femmes, mais toutes les straté-
gies choisies ne s’y prêtent pas.
L’outil peut être utilisé pour engager des discussions sur des sujets habituellement peu
touchés par le conseil de gestion, car jugés comme relevant de choix intimes. Pourtant,
ces choix vont profondément influencer les possibilités d’évolution économique des
producteurs et productrices ainsi que celles de leurs descendants.
208
Partie 4
Gestion
de l’exploitation
agricole familiale
africaine
Mohamed GAFSI, coordinateur
Introduction
211
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
212
Chapitre 13
Gestion de l’exploitation agricole :
éléments théoriques
et pratiques de gestion
Mohamed GAFSI et Anne LEGILE
Finalités de la gestion
L’exploitation agricole est une réalité complexe, modélisable en tant que système
ouvert (Dillon, 1976 ; Osty, 1978 ; Brossier et al., 1997). Une des dimensions impor-
tantes, voire la première du point de vue économique, est celle relative à l’action de
production.
213
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Performance de l’exploitation
Si les buts et les objectifs diffèrent selon les exploitations agricoles (ou les entre-
prises d’une façon générale) et évoluent au cours de la vie d’une même exploitation,
la recherche de la performance est une préoccupation constante. Toute exploitation
cherchant à survivre dans un milieu avec de multiples contraintes et sous l’influence
de différents acteurs doit pour cela être performante. La performance peut se
définir par la recherche de revenus élevés, de la rentabilité technique et économique,
de la pérennité de l’exploitation et de l’emploi, etc. De nombreuses définitions sont
possibles, mais elles restent tout de même incomplètes.
Dans une visée plus opérationnelle, la notion de performance a été complétée par
deux autres concepts.
• L’efficacité : une exploitation agricole efficace réalise les objectifs qu’elle s’est fixés.
• L’efficience : une exploitation efficiente cherche à obtenir le maximum de résultats
avec le minimum de moyens, les ressources sont gérées au moindre coût.
L’exploitation est performante si elle est simultanément efficace et efficiente, autre-
ment dit, si elle réalise ses objectifs tout en minimisant l’emploi de ses moyens. La
performance des exploitations peut être donc mesurée par les résultats au regard
des objectifs fixés par chaque agriculteur et du déploiement rationnel des facteurs
de production.
214
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion
est le véritable gestionnaire, il fixe les objectifs, prend les décisions, pilote l’exploitation,
mesure les résultats et veille à l’amélioration de la performance de son exploitation, il
assure donc la fonction de direction. Il en résulte des conséquences importantes.
• L’agriculteur agit en chef d’exploitation et ne peut pas confier la gestion de son
exploitation à un intervenant extérieur, même à un expert. Il lui est possible, cepen-
dant, d’externaliser certaines tâches comme la tenue d’une comptabilité ou l’étude
d’un nouvel investissement.
• Le chef d’exploitation fixe les orientations et les objectifs de l’exploitation en
fonction de ses motivations, de ses capacités et de ses expériences, de ses moyens,
des opportunités de l’environnement socio-économique, etc. La diversité d’objectifs
peut ainsi expliquer les différences de résultats d’exploitations localisées dans la
même zone et soumises aux mêmes conditions naturelles et socio-économiques.
La question de la direction et du pouvoir de décision renvoie à celle des rapports de
pouvoir et de gouvernance dans la gestion des entreprises. Les rapports de pouvoir
ont été peu étudiés dans le contexte de l’exploitation agricole, peut être car la forme
juridique de cette dernière est souvent individuelle, une cellule nucléaire gouvernée
par les rapports familiaux. Cette question se pose dans toutes les entreprises, dans
les exploitations agricoles en Europe (avec le développement des formes sociétaires
et du salariat) et en Afrique subsaharienne (avec les champs collectifs et les champs
individuels qui correspondent à des micro-exploitations dans l’exploitation agricole
globale). Cette question a été étudiée par Mintzberg (1986). Retenons simplement
ici que l’exercice de la fonction de direction dans l’exploitation agricole débouche
sur différents modes de gestion qui favorisent plus ou moins la coordination, la
participation et la performance (Mbétid-Bessane, 2002).
Les objectifs généraux des exploitations agricoles familiales sont la création de la
richesse et la satisfaction des besoins de la famille. Mais, on trouve une grande
diversité d’objectifs plus précis et spécifiques à un type d’exploitation, à un stade du
cycle de vie de l’exploitation, à sa structure sociale et familiale, aux caractéristiques
sociologiques et professionnelles de l’agriculteur, etc., par exemple :
– assurer la subsistance et l’autosuffisance alimentaire de la famille ;
– dégager un revenu monétaire satisfaisant les besoins de bien-être familial ;
– capitaliser et développer l’exploitation ;
– pérenniser et assurer l’avenir de l’exploitation.
Les objectifs peuvent être précisés concernant l’organisation du travail, le raisonne-
ment des investissements, la conduite technique des activités (culture ou élevage),
la valorisation des produits, etc. Les objectifs de second plan sont : améliorer les
résultats techniques ; valoriser des ressources communes (irrigation, travail…) ;
acquérir et développer la traction animale ou la mécanisation ; optimiser la vente
des produits (stratégies commerciales, stockage...).
215
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
216
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion
217
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Nouvelles
informations
Champs de la gestion
La gestion de l’exploitation agricole peut être subdivisée en gestion stratégique et
gestion tactique. La gestion stratégique consiste à fixer le cap (Guichard et
Michaud, 1994), à tracer les grandes orientations de l’activité de l’exploitation et à
218
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion
Gestion stratégique
La gestion stratégique concerne le long terme de l’exploitation et comprend les
décisions stratégiques qui engagent son avenir. Elle porte sur les options de déve-
loppement de l’exploitation à la lumière des moyens disponibles et de l’évolution
des conditions de l’environnement naturel et socio-économique. Si la gestion stra-
tégique est un domaine classique de la gestion d’entreprise, cette approche est rela-
tivement récente pour la gestion de l’exploitation agricole. Ces questions de
recherche ont été abordées dans les années 90 et les premiers travaux ont été
publiés notamment par Harling (1992), Attonaty et Soler (1992), Guichard et
Michaud (1994). Mais ces approches ont été très peu appliquées aux exploitations
agricoles familiales africaines, ce qui ne veut pas dire que les agriculteurs africains
ne poursuivent pas de stratégies pour développer leurs exploitations et s’adapter
aux évolutions du contexte socio-économique.
Ainsi, il nous paraît justifié de recourir à l’approche de la gestion stratégique des
exploitations agricoles familiales africaines pour deux raisons.
• La première est l’importance que revêt la vision stratégique. Comme toute entre-
prise, comprise comme un système, l’exploitation familiale est guidée par un projet
pour l’avenir. Cependant, ce projet porté par le groupe familial n’est pas toujours
clairement défini. Or, comme le dit Sénèque, le philosophe grec, « il n’y a pas de vent
favorable pour celui qui ne se sait pas où il va », avoir une vision stratégique et fixer
le cap sont des conditions nécessaires pour réussir. Étant tournée vers le futur, la
gestion stratégique invite l’agriculteur à se projeter, à se forger un dessein, à anticiper
son action de gestionnaire pour pouvoir gérer dans l’incertitude.
• La seconde est le besoin d’un nouveau mode de pilotage des exploitations agri-
coles familiales africaines. En effet, la gestion de ces exploitations est aujourd’hui
face à de nouvelles exigences, telles que l’évolution de l’agriculture familiale et les
changements du contexte de la production agricole (chapitre 1). Les anciens repères
qui guidaient la conduite des exploitations familiales sont remis en question, voire
dépassés. Les interrogations des producteurs sont nombreuses et n’ont pas de
réponses préétablies : quelle est la stabilité prévisible de revenu ; quels sont les choix
de production possibles après la libéralisation des filières ; faut-il diversifier ou
intensifier et comment ?
Un nouveau mode de pilotage caractérisé par une dimension stratégique s’impose :
raisonner et définir une bonne orientation à prendre et rester vigilant pour l’adapter
chaque fois que les circonstances le rendent nécessaire.
La gestion stratégique n’est pas un acte ponctuel à un moment donné dans le cycle
de vie de l’exploitation, mais c’est un processus permanent (Lorino et Tarondeau,
1998 ; Gafsi, 1997) qui se construit dans le temps (Avenier, 1997). C’est un
processus d’apprentissage (Attonaty et Soler, 1992) qui consiste moins à
programmer ex ante les décisions qu’il faut prendre dans le futur, qu’à veiller à ce
que les décisions prises en temps réel soient cohérentes et convergent vers une cible
219
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Gestion opérationnelle
La gestion opérationnelle concerne le moyen terme et le court terme de l’exploita-
tion. Elle comprend les décisions tactiques et courantes qui portent sur la mise en
œuvre de la stratégie choisie : l’organisation et la conduite des processus de produc-
tion, la collecte et la gestion de l’information, l’organisation et la gestion du travail,
etc. L’agriculteur est amené à prendre ce type de décisions dans le but de faire
évoluer son exploitation dans la direction choisie. Plusieurs modèles de prise de
décision ont été proposés. Le plus célèbre est le modèle canonique de Simon (1960)
qui décompose le processus de prise de décision en trois étapes :
– l’intelligence du problème, c’est-à-dire délimiter le problème et les facteurs à
prendre en considération ;
– la modélisation, c’est-à-dire identifier et évaluer des solutions alternatives réalisables ;
– le choix, c’est-à-dire déterminer des critères, les pondérer pour hiérarchiser les
solutions et en choisir une satisfaisante.
220
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion
221
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
de leurs pratiques. En effet, pour bon nombre d’observateurs extérieurs, il n’est pas
facile d’identifier les stratégies mises en œuvre car elles ne reposent pas sur des
logiques simples et axées uniquement sur la production – ce qui ne veut pas dire
qu’elles soient inexistantes.
Les approches de conseil de gestion devront donc tenir compte de ces caractéristiques
afin de proposer des outils et des démarches adaptés aux réalités des exploitations
agricoles africaines.
Difficulté de prévoir
L’agriculture est par essence une activité risquée – au sens d’incertaine dans ses
résultats – car elle met en œuvre des processus biologiques souvent fortement
dépendants du climat. De même sur le plan économique, les agriculteurs subissent
davantage les événements qu’ils ne les contrôlent : individuellement ils n’ont en
effet aucun poids sur les cours de leurs produits, et ils n’en n’ont pas beaucoup plus
lorsqu’ils sont organisés et regroupés surtout si les ventes concernent des matières
premières soumises aux aléas du marché mondial.
Ces risques sont plus élevés en Afrique car il existe peu de moyens de s’en prémunir.
Par ailleurs, les problèmes rencontrés peuvent rapidement engendrer des consé-
quences d’importance vitale, par exemple, une récolte de mil ravagée par une
attaque de criquets signifie l’absence de nourriture pour la famille pendant un an.
La prédominance de l’incertitude se révèle aussi dans le quotidien familial, le fonc-
tionnement traditionnel des sociétés africaines repose sur une solidarité imposée
par la précarité. Le nombre de personnes à nourrir peut donc varier fortement en
fonction de la présence ou non de visiteurs, il est alors difficile de déterminer les
besoins alimentaires pour une période donnée.
Ces phénomènes conduisent nombre d’agriculteurs africains à une gestion au jour
le jour et les contraignent à une grande adaptabilité ; ils estiment que leurs choix
ayant de fortes chances d’être remis en cause pour une raison ou une autre, les
prévisions à moyen et à long terme ne font pas partie des habitudes. Cette attitude
est à l’origine d’une grande souplesse qui peut être un atout dans un contexte diffi-
cile, mais elle se révèle malheureusement aussi fortement pénalisante. Par exemple,
les agriculteurs peuvent mettre en culture des surfaces supérieures à leurs capacités
d’entretien. Cette pratique peut être considérée comme anti-aléatoire – répartition
des risques – lorsque les parcelles sont dispersées dans l’espace et sur des terrains
bien différents (glacis, bas-fond inondable) mais elle représente aussi une perte
d’investissement en travail, en semences et parfois en intrants.
La difficulté de prévision, liée à la difficulté de se projeter au-delà d’un avenir très
proche (augmentation des facteurs d’incertitude donc des risques de non-réalisa-
tion), conduit donc à un fonctionnement fondé sur la prise en compte de contraintes
ou parfois d’opportunités conjoncturelles, plus ou moins correctement appréciées.
Cette situation caractérise surtout les petites exploitations familiales dont la capa-
cité d’investissement est faible voire quasiment nulle. Par ailleurs, une minorité
d’exploitations familiales plus aisées dispose d’une épargne régulière et d’un réel
projet d’avenir pour leur exploitation et leur famille, à savoir l’acquisition d’animaux
222
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion
223
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
assez courte et ont pour but de sécuriser la fin de carrière du chef d’exploitation, car
la transmission du patrimoine à ses descendants directs n’est pas toujours la règle, il
peut revenir à ses neveux (système matrilinéaire) ou à ses frères.
224
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion
225
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
bœuf de traction par vol ou maladie se traduit très souvent par le retour à la loca-
tion ou à la culture manuelle, les moyens financiers permettant rarement de
racheter un animal immédiatement pour reconstituer la paire, le second est vendu
pour répondre aux besoins de la famille, et le rachat d’animaux pourra prendre
plusieurs années.
Pour appréhender ces stratégies, il faut déterminer des facteurs déclenchant le
passage d’un stade à un autre dans la trajectoire de l’exploitation : opportunité
ponctuelle, contrainte devenue insupportable, pression sociale… Ces d’éléments ne
pourront être identifiés que par une approche systémique de l’exploitation dans son
environnement. Cette démarche adoptée pour aborder la gestion des exploitations
agricoles en France est devenue pertinente dans le contexte africain aussi.
226
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion
Il est donc nécessaire d’adapter les démarches et les outils aux besoins et aux capa-
cités des producteurs qui, même s’ils sont pour la plupart analphabètes, ont des
pratiques de gestion à court terme. Il importe d’identifier ces pratiques et de les
intégrer dans la démarche de conseil de gestion. En Afrique, pour l’instant il est
possible de développer des démarches qui soient véritablement au service des
paysans. Il serait dommage de vouloir rentabiliser le conseil de gestion en lui confé-
rant un rôle réduit par exemple au suivi statistique des exploitations qui conduit
souvent à multiplier les enregistrements au détriment de l’aide à la décision.
227
Chapitre 14
Gestion stratégique
et choix des investissements
Mohamed GAFSI
229
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
orientation de longue durée, qui se traduit par le choix des activités agricoles et
extra-agricoles et par la mobilisation des moyens nécessaires pour atteindre dans un
environnement changeant les objectifs fixés à l’exploitation agricole par son
propriétaire. Bien évidemment, la fixation des objectifs est un préalable à l’adoption
d’une stratégie. En effet, cette étape capitale permet d’expliciter le projet porté par
le groupe familial. Nous avons évoqué plus haut l’importance d’une vision straté-
gique, d’un projet d’avenir. La stratégie vient ensuite comme un moyen pour
réaliser ce projet, c’est une démarche réfléchie permettant de réaliser les objectifs
et d’améliorer les performances de l’exploitation familiale. Si les performances ne
sont pas améliorées, la validité de la stratégie adoptée est mise en cause.
Pour l’exploitation agricole, la démarche stratégique est le processus par lequel le
chef d’exploitation et le groupe familial élaborent la stratégie à poursuivre pour
réaliser les objectifs fixés pour l’exploitation agricole familiale. Cette démarche
comporte donc plusieurs étapes qui représentent une grille d’analyse stratégique :
les buts (analyse des relations entre l’exploitation et la famille), les moyens (analyse
du système interne de l’exploitation), l’environnement dans lequel fonctionne
l’exploitation, le choix des activités (figure 14.1).
Groupe
familial
Buts
Activités
extra-agricoles
Moyens Activités
agricoles
Figure 14.1. Grille d’analyse stratégique de l’exploitation agricole familiale (source : adapté de Guichard
et Michaud, 1994).
230
Gestion stratégique et choix des investissements
231
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
et sur la sécurité, alors que ceux qui jouissent d’une certaine sécurité financière vont
accorder plus d’importance aux besoins sociaux et d’estime par exemple.
232
Gestion stratégique et choix des investissements
233
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
234
Gestion stratégique et choix des investissements
235
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Stratégies de diversification
Même les systèmes de production très spécialisés, comme les systèmes pastoraux
stricts (D’aquino et al., 1995) ou les exploitations cotonnières (Gafsi et Mbétid-
Bessane, 2003), maintiennent une certaine diversification avec les activités des
cultures vivrières pour les besoins de consommation familiale, perçues comme un
élément essentiel de la sécurisation de la famille.
D’autres paramètres interviennent dans le choix des activités des exploitations agri-
coles, telles que les possibilités de développer des cultures destinées aux marchés
d’exportation (coton, café) ou aux marchés urbains (cultures maraîchères, horti-
culture, production vivrière), (encadré 14.1, chapitre 20). Outre que les cultures
d’exportation procurent des débouchés rémunérateurs et garantis, elles rendent
plus facile l’accès aux intrants. Depuis la libéralisation des filières, ces deux avantages
ne sont plus exclusivement liés à ces productions et les producteurs commencent à
les délaisser. Elles sont remplacées, par exemple, par des cultures vivrières (Gafsi et
Mbétid-Bessane, 2003), ou par des cultures maraîchères chez les caféiculteurs de
l’Ouest du Cameroun (encadré 1.3).
236
Gestion stratégique et choix des investissements
237
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
prestige social, peuvent favoriser cette décision. La disponibilité des moyens finan-
ciers et le niveau de richesse de l’exploitation sont aussi des facteurs internes. Les
études ont montré que la traction animale s’est plus développée dans les grandes
exploitations et dans celles qui pratiquaient des cultures de vente, génératrices de
moyens et de capitalisation. Le troisième facteur interne est relatif au niveau de scola-
risation et aux compétences de gestion du producteur, atouts nécessaires au raison-
nement de la stratégie d’équipement et d’une vision à long terme de l’exploitation.
Quant aux facteurs externes, on peut en citer trois. Le premier est le facteur agro-
écologique, la traction animale reste marginale dans les zones arides où la faible pluvio-
métrie limite l’agriculture, et dans les zones humides (plus de 1 200 mm par an) et
boisées à cause des maladies rendant difficile l’élevage des animaux de trait. Le
deuxième facteur relève des possibilités d’accéder à de nouvelles terres et d’avoir une
stratégie d’extension foncière. Enfin, le troisième concerne les incitations externes, tels
les crédits alloués aux paysans par les sociétés de développement, et les efforts de vulga-
risation et d’appui technique aux producteurs désireux d’utiliser la traction animale.
238
Gestion stratégique et choix des investissements
239
Chapitre 15
Gestion technique
de la production agricole
Isabelle MICHEL -DOUNIAS, Bertrand MATHIEU et Patrick DUGUÉ
241
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
242
Gestion technique de la production agricole
243
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
244
Gestion technique de la production agricole
a d
Tch
Lac
400
12 °N
500 mm
600
Limite Nord
Mont Maroua
Mandana 700
NIGER
800
Mayo-Louti
Limite de Province
Ngong
Poli 1 000
1 200
Touboro
Figure 15.1. Localisation de la zone d’étude dans le Nord du Cameroun et du bassin cotonnier.
245
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
246
Gestion technique de la production agricole
travail, peut convenir lorsque les surfaces cultivées sont assez faibles (inférieures à
2 ha), mais l’agriculteur s’expose à des risques plus élevés de déficit hydrique ou de
pénurie de plants liés à un accident climatique.
247
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. Le niébé est fréquemment associé aux quatre cultures principales. De plus, le sorgho et l’arachide sont
parfois conduits en association. Par souci de simplification, nous nous limitons dans la suite du texte à
citer, pour une parcelle donnée, le peuplement cultivé dominant qui structure les décisions de conduite
en début de saison des pluies. De même, nous ne distinguons pas dans nos propos les différentes variétés
en présence.
2. Sur des sols à dominante sableuse (ferrugineux sur grès) et en l’absence d’apport généralisé de fumure
organique, la préparation du sol avant le semis (labour dans la plupart des cas) a pour objectif principal
un premier désherbage.
248
Gestion technique de la production agricole
Pour analyser les modes de conduite du coton, l’accent a été mis sur les décisions
prises par le chef de famille, principal producteur de coton et principal décideur
pendant la phase d’installation des cultures. Cependant, l’organisation du travail de
toute l’exploitation est prise en compte, notamment les règles sociales qui lient les
différents acteurs en présence, les décisions techniques cotonnières sont donc
appréhendées en interaction avec les autres cultures et avec les autres membres de
l’exploitation (Dounias, 1998 ; Dounias et al., 2002).
249
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Bien que se dessinent de grandes logiques partagées par tous les agriculteurs qui
sont confrontés à des conditions agro-climatiques similaires (ordre habituel des
semis des différentes cultures, semis direct adapté aux tous premiers semis…),
plusieurs types de modèle d’action ont été identifiés ; ils révèlent une diversité d’ob-
jectifs et de priorités. Ainsi, les agriculteurs arbitrent le choix entre le cotonnier et
les autres cultures en cas de difficulté de réalisation des semis et des sarclages ; ils
décident des modalités de réalisation prévues (labour, semis direct…) et de la diffé-
renciation plus ou moins poussée des parcelles au sein de la sole cotonnière (une
partie seulement peut être semée prioritairement sur l’arachide avec des modalités
d’implantation différentes). Ces différents modèles d’action sont très liés au niveau
des ressources productives présentes dans l’exploitation agricole.
250
Gestion technique de la production agricole
251
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. Sauf pour quelques sociétés agro-pastorales comme les Sereer (Sénégal) et les Toupouri (Cameroun) qui
avaient développé des systèmes de polyculture élevage bovin bien avant l’introduction de la culture attelée.
252
Gestion technique de la production agricole
Systèmes Systèmes
de culture d’élevage
Besoins des
SC1
Constitution lots d’animaux
Transformation Fourrage des rations = calendrier
SC2 Stockage disponible et distribution fourrager
par système
SC3 d’élevage
Parcours
…
naturels
Achats
hors exploitation
Figure 15.2. Les éléments d’un système fourrager (d’après Lelandais, 1996).
partie par le pâturage. En saison sèche, la vaine pâture assure jusqu’à 70 % des
besoins en matière sèche du bétail, surtout pour les petits effectifs qui sont en perma-
nence dans le terroir agropastoral villageois (Dugué, 1998a). En saison des pluies,
l’alimentation provient en très grande partie des parcours naturels, la complémenta-
tion1 est alors réservée aux animaux de trait les jours de travail. Les agro-éleveurs
doivent prévoir une complémentation alimentaire de leur bétail surtout durant la
deuxième moitié de la saison sèche (février-mai) lorsque les ressources fourragères
se raréfient dans les champs comme sur les parcours naturels.
Les pratiques de complémentation ont été étudiées dans deux villages (Ourolabo et
Héri, tableaux 15.1 et 15.2, figure 15.1) entre 1994 et 1996, montrant la faible part de
résidus de culture récoltés et stockés par les agro-éleveurs en vue d’affourager le
bétail en saison sèche. Environ 10 % des résidus fourragers sont stockés, le reste est
laissé au champ pour la vaine pâture ; la culture la plus concernée est le niébé qui
fournit en fin de saison des pluies une fane de bonne qualité fourragère. Les fanes
d’arachide sont peu utilisées dans la mesure où cette culture est récoltée en
septembre avant la fin des pluies et que la majeure partie des fanes pourrit au champ.
253
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. Dongmo (chapitre 23) observe en 2002 pour Ourolabo une complémentation à base de résidus de
culture un peu supérieure, de l’ordre de 140 kg de matière sèche /UBT en saison sèche (21 jours de
consommation de matière sèche). Cela peut s’expliquer par une plus forte pression sur les ressources
fourragères à cette saison, en raison de l’augmentation continue des effectifs de bovin dans ce village
depuis 1995.
254
Gestion technique de la production agricole
Alimentation au pâturage
(parcours + vaine pâture + arbres)
Besoins de complémentation
Temps
Variabilité temporelle des différentes phases
255
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Il apparaît alors pertinent de les aider à planifier les besoins fourragers en fonction
d’objectifs zootechniques, et d’évaluer les conséquences de cette planification sur la
conduite des systèmes de culture, c’est-à-dire de mettre au point un modèle d’ac-
tion. L’aide à la décision doit intégrer d’une part les capacités des producteurs à
s’approvisionner en aliments concentrés (coût et période d’achat du tourteau de
coton, disponibilité en aliments concentrés dans le village et sur les marchés envi-
ronnants), et d’autre part les aléas climatiques (retard des pluies et de la pousse de
l’herbe des parcours) et économiques (irrégularité d’approvisionnement en
aliments concentrés) (figure 15.3).
Aide à la décision
L’aide à la décision des agriculteurs ne peut pas se concevoir uniquement à partir de
références techniques normatives comme une date de semis, une dose de fertilisant,
une ration alimentaire, même si ces références sont utiles au raisonnement. En effet,
les décisions des agriculteurs ne se prennent pas uniquement à partir de la conduite
des états du milieu, du peuplement végétal d’une parcelle ou d’un ensemble d’ani-
maux. Fortement déterminées par la gestion globale de ressources productives dans
l’exploitation agricole, les décisions s’inscrivent dans des ensembles organisés qui
dépassent la parcelle ou le lot d’animaux. D’après Milleville (1998), ce qui est obser-
vable à une échelle réduite résulte pour partie de compromis et d’arbitrages réalisés
à des niveaux plus englobants : l’exemple du muskuwaari désigne la sole comme
256
Gestion technique de la production agricole
257
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
258
Chapitre 16
Organisation du travail et gestion
des ressources humaines
Mohamed GAFSI, Emmanuel M’BÉTID-BESSANE et Koye DJONDANG
259
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
260
Organisation du travail et gestion des resources humaines
aux femmes ou aux enfants (les dépendants d’une façon générale). Mais dans une
logique de cohérence, tous les moyens de l’exploitation, provenant des champs indivi-
duels comme du champ collectif, sont utilisés pour couvrir les besoins alimentaires de
la famille et atteindre les autres objectifs du groupe familial. D’ailleurs, nous avons
constaté que, dans la très grande majorité des cas, les décisions à prendre concernant
le foncier (en termes de localisation des champs et de superficie à emblaver pendant
la campagne agricole) sont raisonnées globalement dans la famille.
Mobilisation de la main-d’œuvre
Comme nous l’avons souligné, la force de travail des exploitations agricoles est
essentiellement familiale. Toutefois, le manque de main-d’œuvre familiale lors des
périodes de pointe au cours de la campagne agricole rend nécessaire le recours à
une force de travail extérieure. Plusieurs types de main-d’œuvre viennent compléter
le travail familial : le salariat, les invitations, l’entraide.
Le recours au salariat n’est pas exceptionnel et s’est accru rapidement ces dernières
années avec la progression de l’intégration de l’agriculture familiale au marché. Les
producteurs aisés préfèrent généralement payer un salarié à la journée ou à la tâche
plutôt que de recourir à d’autres modes plus traditionnels comme l’invitation. Selon
eux, cela revient plus cher, mais le travail est bien fait. Le salarié est rémunéré en
espèces ou en nature, notamment en produits vivriers ou animaux. L’échange en
nature le plus pratiqué se fait en céréales (Djondang, 2003). Une autre forme
d’échange en nature consiste pour le demandeur de la traction animale à envoyer
un ou plusieurs actifs travailler dans les champs du propriétaire de la traction
animale pendant un ou plusieurs jours et en retour le propriétaire envoie l’attelage
travailler sur l’exploitation du locataire selon les clauses du bail.
L’invitation combine deux aspects : travail et festivité. Elle est fondée sur le principe
de la réciprocité et, de ce fait, est gérée par des normes sociales strictes. L’exploitant
invitant lance son invitation et prépare pour tous ceux qui viennent, hommes et
femmes, un repas et des boissons locales. Cela nécessite donc des dépenses et par
conséquent des moyens financiers. Les agriculteurs démunis empruntent pour
pouvoir réaliser une invitation et remboursent l’emprunt au moment du paiement
des récoltes. Certains producteurs disposent des moyens financiers suffisants pour
procéder à plusieurs invitations au cours de la campagne.
Enfin, les producteurs qui ne sont pas en mesure de recourir à l’invitation ou au
salariat sont ceux qui ne disposent pas d’une épargne en bétail ou qui sont dans une
situation de précarité financière. Pour faire face au déficit de la main-d’œuvre, ils
développent les pratiques d’entraide qui revêtent aussi un caractère de réciprocité.
Cette forme de travail sans rémunération monétaire consiste en l’échange de travail
avec les autres producteurs ou en un coup de main des amis, de la belle-famille, des
parents, etc.
L’importance des différentes formes de recours à la main-d’œuvre extérieure
dépend du type d’exploitation. Les grandes exploitations ont beaucoup plus recours
au salariat, forme moderne de recours à la main-d’œuvre extérieure. Les exploita-
tions intermédiaires, quant à elles, ont plus recours à l’invitation et enfin les petites
exploitations utilisent surtout l’entraide (Mbétid-Bessane, 2002).
261
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
262
Organisation du travail et gestion des resources humaines
envisager une description détaillée des différents processus techniques pour chaque
production dans l’exploitation et ne pas oublier de prendre en compte toutes les
opérations postrécolte, comme le transport des récoltes et parfois des résidus,
l’utilisation des résidus de culture, le séchage, le décorticage éventuel des récoltes,
ainsi que les transformations préalables à la vente ou à la consommation.
Dans une perspective plus globale, on peut inclure les activités non-agricoles du
groupe familial afin d’améliorer le raisonnement de l’organisation et des différents
arbitrages concernant l’allocation de la ressource de travail familial.
L’estimation des temps de travaux n’est pas standardisée. Elle peut varier d’une
exploitation à l’autre et, particulièrement dans les exploitations africaines, elle
dépend fortement du degré d’équipement. L’analyse des différents processus tech-
niques permet donc d’apprécier les besoins quantitatifs de travail pour chaque
période de la campagne agricole et d’identifier les périodes de pointe.
On distingue les travaux d’élevage (traite, gardiennage, soin…) qui sont en général
non différables et relativement réguliers ; les travaux des cultures plus saisonniers
qui dépendent beaucoup des conditions climatiques ; les travaux généraux souvent
irréguliers et saisonniers qui comprennent l’entretien des bâtiments, la commercia-
lisation, la cueillette, la pêche et les travaux non-agricoles.
Pour estimer les besoins du travail dans les exploitations africaines, l’ordre de gran-
deur utilisé est la journée de travail, car il est bien adapté principalement aux
travaux de cultures. Il est cependant très flexible ; il peut varier, pour les exploita-
tions centrafricaines, selon les saisons de 4,5 à 10 heures par journée durant la
campagne agricole (Mbétid-Bessane, 2002). Les travaux d’élevage nécessitent un
ordre de grandeur fondé sur l’heure de travail. Dans l’optique d’un calendrier pour
l’ensemble de l’exploitation, il faut veiller à la cohérence des unités de mesure.
263
Tableau 16.2. Répartition dans l’année des travaux agricoles et détermination des principales périodes de travaux.
264
Mois Janv. Févr. Mars(1) Avril Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.
Arachide Labour Semis Sarclage Sarclage Récolte
(0,50 ha) 30 h 28 h 240 h 270 h 100 h
Maïs Labour Semis Sarclage Sarclage Récolte
(0,50 ha) 30 h 28 h 240 h 270 h 100 h
Manioc Bouturage Sarclage Sarclage
(1,00 ha) 100 h 200 h 160 h
Sorgho Labour Semis Sarclage Sarclage Sarclage Récolte
(0,25 ha) 40 h 45 h 200 h 200 h 160 h 50 h
Coton Défrichage Déssouchage Labour Semis Sarclage Sarclage Sarclage Récolte Récolte
(0,75 ha) 40 h 315 h 64 h 90 h 500 h 500 h 400 h 80 h 80 h
Engrai Phytosan Engrais Phytosan
90 h 50 h 100 h 50 h
Phytosan
50 h
Périodes I II III IV V VI
Total travaux de cultures par période 471 h 1 349 h 1 050 h 1 820 h 210 h
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
45
Heures de travail par jour disponible
40
35
30
25
20
15
10
0
Janv Févr. Mars Avril Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.
I II III IV V VI
Périodes
Le calendrier de travail résulte de la projection sur la même figure des besoins et des ressources dispo-
nibles du travail période par période le long d’une campagne agricole. En abscisse, les périodes de la
campagne, en ordonnée, le volume de travail en journées ou en heures de travail. Sur ce calendrier,
on peut mentionner les différents types de travaux.
Figure 16.1. Exemple de calendrier de travail dans les exploitations cotonnières de la République
centrafricaine (tableau 16.2).
265
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Le capital humain
Le capital humain englobe la formation, les compétences, les savoir-faire, etc., et il
n’apparaît pas au premier plan au cours de l’analyse de l’organisation et de la
gestion du travail. Mais les évolutions dans la gestion des ressources humaines et les
avancées de la recherche ont mis l’accent sur l’importance du capital humain dans
la gestion des entreprises en général, et des exploitations agricoles en particulier
(Coutinet, 1999 ; Fafchamps et Quisumbing, 1999 ; Kilpatrick, 2000).
En réalité, depuis Becker (1975) et Schultz (1975), le rôle du capital humain dans
le développement économique a fait l’objet de nombreux travaux. L’accumulation
du capital humain, notamment par la formation et l’apprentissage, peut améliorer
la croissance économique de la même façon que l’accumulation du capital physique
(Appleton et al., 1996). Des études récentes de l’OCDE ont montré que dans les
pays membres, une année supplémentaire d’étude aboutit, en moyenne et à long
terme, à un accroissement de la production par habitant de 4 à 7 % (OCDE, 2001).
266
Organisation du travail et gestion des resources humaines
Formation et apprentissage
Le renforcement du capital humain des exploitations familiales africaines se traduit
concrètement par deux voies : la formation et l’apprentissage (Kilpatrick, 2000).
La formation intègre la scolarisation, mais aussi l’alphabétisation qui est un
problème d’une grande actualité dans le milieu rural de l’Afrique subsaharienne.
En effet, dans ce milieu souvent excentré et dépourvu d’infrastructures, la scolari-
sation est très limitée. Les actions d’accompagnement des producteurs, comme les
actions de conseil aux exploitations, se sont heurtées à la question de l’alphabétisa-
tion (Foy-Sauvage et Rebuffel, 2003 ; Djondang, 2003). En effet, seuls les produc-
teurs alphabétisés peuvent tirer bénéfice de ces actions. Pourtant, des enquêtes
effectuées récemment auprès des groupes d’agriculteurs ou d’éleveurs dans des
contextes différents (Côte d’Ivoire, République centrafricaine, etc.) témoignent de
la forte demande des producteurs d’actions de formation. Ils souhaitent que la
formation leur permette d’accéder à des connaissances utiles tant du point de vue
professionnel que de leurs conditions de vie (Bonnassieux, 2000). D’après ces
enquêtes, les besoins exprimés par les producteurs sont très divers. Ils souhaitent :
– maîtriser la commercialisation des productions ;
– acquérir des connaissances techniques pour, notamment, intensifier les modes de
production et diversifier les sources de revenus dans un contexte de rareté des
ressources ;
– améliorer la santé et la nutrition de la famille ;
– négocier et conduire les démarches administratives ;
– développer les capacités de communication (lecture, écriture, réunions, etc.).
Le renforcement du capital humain passe aussi par des processus d’apprentissage à
partir de l’expérience professionnelle individuelle ou également à partir des expé-
riences collectives dans des dispositifs participatifs associant les paysans, les agents
de développement et les chercheurs (Djamen et al., 2003 ; chapitre 26). Ce genre de
dispositif permet de stimuler la créativité et la capacité d’innovation des producteurs.
L’acquisition de compétences, par une formation formelle ou par un processus
informel d’apprentissage, permet au producteur de gagner et de valoriser un capital
humain, qui s’avère être une ressource nécessaire pour gérer l’exploitation dans un
contexte de changements majeurs (Gafsi, 1999).
267
Chapitre 17
Gestion du foncier
et des ressources naturelles
Patrick DUGUÉ
269
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
270
Gestion du foncier et des ressources naturelles
271
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
sant la location dans la durée (de 5 à 10 ans par exemple), les agriculteurs qui louent
pour une seule campagne agricole n’ont pas intérêt à investir dans l’amélioration et
même dans le maintien de la fertilité des terres.
• L’achat de parcelles agricoles est de plus en plus fréquent mais encore rarement
reconnu dans un cadre légal et officiel. Le prix de la terre reste donc assez faible
(parfois moins de 10 fois le prix de location annuelle) et l’agriculteur acheteur
obtient surtout un droit d’usufruit et il peut lui être difficile de vendre cette terre ou
de la céder à ses descendants. La durée d’utilisation l’encourage toutefois à gérer au
mieux la terre qu’il a achetée.
• L’attribution de terre dans des zones moins soumises à la pression démogra-
phique. Cette stratégie consiste à déplacer toute ou une partie de la force de travail
de l’exploitation soit en périphérie du territoire habituellement mis en valeur (par
la création de nouveaux campements de culture à 10 ou 15 km des anciennes
parcelles), soit en créant une nouvelle exploitation dans une autre région sur des
fronts pionniers (Dugué et al., 2004). Dans ce cas, la terre est facilement attribuée
et la mise en valeur aisée.
Ces pratiques sont conditionnées par les capacités de financement des exploitations
pour louer ou acheter des terres et payer les propriétaires terriens et les intermé-
diaires avant la mise en culture. Les exploitations agricoles bien équipées ou dispo-
sant d’une importante main-d’œuvre peuvent plus facilement louer des terres en
fournissant en contrepartie du travail ou des prestations (labour, traitement des
vergers…). L’acquisition de nouvelles terres est aussi facilitée par la cohésion sociale
existant dans les groupes de paysans migrants. Par exemple, sur les fronts pionniers,
la constitution de nouvelles exploitations s’organise à partir de campements regrou-
pant des paysans issus de la même famille ou de la même région d’origine. La cohé-
sion sociale d’un tel groupe, qui nomme un chef de campement reconnu de tous les
migrants, facilite les négociations avec les propriétaires terriens et le respect des
règles d’attribution et d’exploitation des terres.
Quelle que soit la situation, le chef d’exploitation cherche avant tout à constituer un
domaine foncier qui satisfasse ses objectifs dans la durée et en particulier qui valo-
rise la main-d’œuvre disponible. Cette stratégie entraîne une « course à la terre » et
l’apparition de paysans sans terre qui doivent chaque année louer des terres sans
garantie d’y travailler durablement. Ce phénomène récent en Afrique subsaha-
rienne pourrait s’amplifier à l’avenir, ce qui amènerait cette partie du continent
dans une situation foncière comparable à celle que connait l’Amérique latine depuis
plusieurs décennies.
272
Gestion du foncier et des ressources naturelles
273
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
274
Gestion du foncier et des ressources naturelles
275
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
les agriculteurs y trouvent leur compte, ce qui se traduit assez rapidement par un
accroissement de la surface cultivée ou mieux des rendements. En revanche, les
communautés d’agriculteurs et d’éleveurs ont beaucoup de mal à faire face collec-
tivement à une baisse de fertilité du milieu et à la dégradation des ressources natu-
relles (parcours, forêts...) appartenant à la communauté et relevant de l’action
collective (Ostrom, 1999).
276
Gestion du foncier et des ressources naturelles
277
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
278
Chapitre 18
Financement et trésorerie
des exploitations
familiales africaines
Marc ROESCH
279
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Capital et investissements
280
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines
Le prix d’achat du produit à la récolte est fixé à l’avance et les dettes sont rembour-
sées à la livraison de la récolte.
L’exploitant décide du montant de l’investissement en faisant un compromis entre
ses capacités de production, le niveau de risque qu’il accepte de prendre (par le
choix du niveau d’endettement) et l’endettement autorisé par l’organisme qui fait
l’avance. De plus en plus souvent, l’organisme qui assure l’encadrement technique
et la commercialisation des produits conclut un accord avec le système bancaire
pour la gestion du financement de la campagne agricole (Roesch, 2004).
• Pour les autres cultures, l’exploitant doit financer sur fonds propres les facteurs
de production et les services. Si nécessaire, il a recours à l’emprunt auprès des orga-
nismes de microfinancement, des commerçants, des usuriers ou des relations
proches.
281
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Le budget de l’exploitation
Il est géré par le chef d’exploitation. Il est alimenté par les recettes de l’activité agri-
cole (élevage compris) et des activités extra-agricoles du chef d’exploitation (arti-
sanat, salariat, commerce, migration etc.). Une part des recettes des dépendants
(enfants et parenté vivant dans l’exploitation) peut y contribuer suivant des règles
établies, ou à la demande du chef de famille. Dans la majorité des cas, le chef d’ex-
ploitation n’a pas de compte personnel, confondu avec le compte de l’exploitation.
Le budget de l’exploitation agricole est rythmé par les activités agricoles mais égale-
ment par les autres activités du chef d’exploitation. Les dépenses suivent un rythme
différent de celui des recettes, lié pour partie à l’activité agricole, et, pour une
grande part aux activités à caractère social. Tout l’art de l’exploitant est de réussir à
surmonter les difficultés de gestion, c’est-à-dire à faire coïncider ces rythmes de
façon à éviter les à-coups de trésorerie.
Le moyen d’atténuer ces à-coups est de jouer sur l’épargne, le crédit, les stocks de
produits agricoles et le capital.
282
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines
283
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Ainsi, l’exploitant peut adosser ses emprunts au paiement du coton et obtenir ainsi
plus facilement des crédits de la part des institutions de microfinancement, des
commerçants et des usuriers (Roesch et al., 2002).
200 000
50 000 Dotation
Vente frère
arachide Dotation Vente
épouse niébé
0
août-00 sept-00 oct-00 nov-00 déc-00 janv-01 févr-01 mars-01 avr-01 mai-01 juin-01 juil-01 août-01
Noël Achat
Rentrée des Dot
Récolte coton chèvres
classes Aménagement Vélo
- 50 000 poulailler Pulvérisateur
Rembousements
Dépenses dettes et crédits
Epargne santé
- 100 000 Intrants, Locations terres...
284
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines
Les trois périodes de rentrée de fonds des exploitants de l’Afrique de l’Ouest (zone
des savanes et Sahel) sont : les mois d’octobre avec les récoltes de céréales, de janvier
avec le premier marché de coton et les premiers produits maraîchers, et d’avril avec
le deuxième marché de coton, la fin des produits maraîchers, la vente d’oignon.
Les périodes de manque de trésorerie sont les mois de décembre, de mai et de juin.
En décembre, les exploitants hésitent à vendre trop rapidement leurs céréales pour
en conserver le maximum et créer des stocks pour plus d’un an. Ils limitent leurs
ventes au strict nécessaire. Mais les besoins de liquidité pour les fêtes de Noël et
pour le paiement de la main-d’œuvre des récoltes de coton provoquent un appel de
fonds au mois de décembre. À cette période, apparaissent les premières demandes
de crédit. Les exploitants préfèrent faire appel à un crédit à court terme, rembour-
sable avec les recettes des activités secondaires ou le paiement des productions
commercialisées dans des circuits organisés (coton, riz, oignon) que de prélever
dans les greniers de céréales ou de vendre un animal. Si les crédits sont rares (et
chers), l’exploitant peut décider de vendre des céréales, mais la période n’est géné-
ralement pas favorable, les cours sont au plus bas.
En mai-juin, les exploitants ont puisé dans leurs réserves alimentaires et les stocks de
céréales sont soit épuisés, soit juste suffisants pour couvrir les besoins de la saison des
pluies. À cette période, il faut louer des terres, labourer, acheter les intrants néces-
saires à la production, embaucher de la main-d’œuvre pour les premiers sarclages.
La demande de fonds est donc très élevée. En conséquence, les mises en culture sont
souvent proportionnelles à la capacité de mobilier les fonds nécessaires.
285
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
une forme plus difficilement mobilisable. Quand il existe un marché du bétail, cette
épargne est transformée en animaux.
Chaque type d’épargne a une fonction différente. L’épargne facilement mobilisable
est utilisée pour rééquilibrer la trésorerie au quotidien. L’épargne difficilement
mobilisable est réservée aux cas d’urgence – dans ce cas, l’exploitant fera un crédit
relais le temps de mobiliser l’épargne – ou aux investissements notamment ceux
nécessaires à la campagne agricole.
Lorsque toutes les dépenses prévisibles sont provisionnées, l’exploitant peut mobi-
liser son épargne pour effectuer les investissements lourds destinés à la production
agricole.
L’essentiel de l’épargne est donc une épargne de précaution, d’anticipation des
dépenses nécessaires à la reproduction de l’exploitation.
Le crédit
Le crédit permet d’ajuster la trésorerie quand l’épargne, autre que celle de précau-
tion, fait défaut. Il est sollicité auprès de la parenté, des commerçants, des usuriers,
et, si elles existent, des caisses de microfinancement.
Le recours à ces différentes sources de crédit est décidé en fonction de la nature du
crédit nécessaire, du montant, de la durée du prêt et de la facilité d’accès au crédit.
Un « petit crédit » peut être demandé sur les dépenses courantes. Cela concerne
surtout les commerçants, ils ouvrent une « ardoise » et sont remboursés en cash ou
en nature. Pour répondre à une demande de crédit d’urgence, les usuriers sont en
mesure d’apporter très rapidement une somme importante. Le mode de rembourse-
ment est fixé au moment de l’emprunt (nombre de sacs de riz, de mil, de fèves à livrer
à la récolte, paiement en cash à la récolte du coton ou de la canne à sucre, etc.).
Dans le cas d’une demande de microfinancement, les crédits sont débloqués après
une procédure souvent assez longue (de l’avis des usagers) qui comprend une
épargne préalable, l’établissement d’un dossier, l’examen par un comité. Ces prêts
sont réservés aux investissements de la campagne agricole, à la constitution de
stocks pour un commerce. Ils servent également à rembourser les emprunts faits
aux usuriers ou à la famille.
Dans la plupart des demandes de crédit, les exploitants proposent en gage la
production agricole. Une culture commerciale dont la production est payée à une
date connue des créanciers est une garantie acceptée. En revanche, le bétail ne
constitue pas une bonne garantie à cause des risques de mortalité, de disparition des
animaux ou la difficulté d’identifier un animal. L’équipement des exploitations
(vélo, mobilier, matériel agricole ou de transformation) est trop rudimentaire et de
faible valeur pour servir de garantie.
286
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines
à limiter le recours au crédit et à prélever le moins possible dans son épargne ou son
capital. Cet équilibre (ou plutôt ce déséquilibre) doit être géré quotidiennement.
De ce fait, la gestion financière des exploitations n’est pas tournée vers la construc-
tion progressive d’un projet à moyen et à long terme, mais est engagée dans une
sorte de course permanente à l’argent pour arriver à boucler une année agricole.
Cette préoccupation se traduit par la multiplicité de recettes, d’épargnes et de
crédits, qui constituent le budget de l’exploitation, pour que toute défaillance de
l’une des composantes puisse être rééquilibrée par les autres.
L’analyse d’un budget d’une exploitation agricole, comme l’analyse de la rentabilité
d’un investissement dans une exploitation est un exercice complexe et qui n’a de
valeur que si l’ensemble des éléments de l’exploitation (l’activité des membres
comprise) est pris en compte.
287
Chapitre 19
Mesure des performances
économiques
Mohamed GAFSI et Emmanuel M’BÉTID-BESSANE
Critères de performance
Les critères de performance ne sont pas standards et varient d’une exploitation à
l’autre selon les buts poursuivis. Dans les exploitations familiales africaines, ces buts
combinent, – souvent et à des niveaux d’importance variable –, l’autosuffisance
alimentaire et la recherche de revenu monétaire. Dans un contexte comparable,
comme celui des exploitations asiatiques, McConnel et Dillon (1997) ont proposé
une série de critères de performance des exploitations ; nous en avons retenu cinq :
productivité, rentabilité, stabilité, dispersion et pérennité.
Dans une exploitation familiale donnée, certains de ces critères sont plus pertinents
que d’autres. Un producteur peut avoir principalement un objectif de revenu moné-
taire et serait sensible par conséquent à l’évaluation des performances de son
exploitation en termes de rentabilité monétaire. Un autre peut être plus sensible à
un compromis entre la productivité, la stabilité et la pérennité. Il serait donc erroné
d’évaluer les performances de ces deux exploitations avec les mêmes critères.
D’ailleurs, ce genre de pratiques, qui ont été adoptées par des experts imprégnés du
modèle de l’exploitation des pays développés, peut aboutir à des appréciations
289
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
négatives (inefficacité, faible productivité, etc.) portées sur les exploitations afri-
caines, voire au jugement de l’irrationalité des agriculteurs, par exemple en raison
des mauvais résultats du critère de rentabilité financière.
La productivité
La productivité mesure l’efficience relative de l’utilisation des facteurs de produc-
tion. Puisqu’il y a rareté de certains facteurs (terre, travail, capital, ressources natu-
relles), la mesure de la productivité permet de rechercher leur meilleure utilisation.
La productivité est définie comme le rapport entre la production et un ou plusieurs
facteurs utilisés pour obtenir cette production par unité de temps : kilos de sorgho
par hectare, francs CFA par journée de travail, etc. La productivité physique renvoie
à des unités de mesure physique (exemple du rendement pour les cultures). La
productivité en valeur calcule la production en valeur par unité physique d’un
facteur de production.
La rentabilité
La rentabilité mesure les gains générés par l’activité du producteur. Ces gains
peuvent être appréciés d’une manière approximative dans les exploitations de subsis-
290
Mesure des performances économiques
tance qui sont peu ou pas connectées au marché. Comme pour le critère de produc-
tivité, la part d’autoconsommation doit être évaluée au prix du marché et ajoutée au
calcul. Dans les exploitations intégrées au marché, ayant des objectifs de revenu
monétaire, la rentabilité renvoie à la réalisation d’un profit, calculé en termes moné-
taires : c’est le montant total des produits diminué du montant total des charges de
production pour une période donnée (souvent l’année). Dans la littérature agricole,
le terme profit est souvent décrié, puisqu’il renvoie à une conception entrepre-
neuriale de l’exploitation agricole au détriment de ses caractéristiques familiales
(Brossier et al., 1997). On préfère la notion de revenu agricole, qui revient à calculer
le profit sans tenir compte de la rémunération préalable du travail familial. Du point
de vue comptable, le terme plus générique employé est le résultat de l’exercice comp-
table (souvent annuel) qui mesure le résultat des activités de production (appelé
résultat d’exploitation) et le résultat des autres activités (activité financière de
l’exploitation et mouvements exceptionnels dans le fonctionnement de celle-ci).
Outre que le calcul du résultat de l’exercice permet de constater le bénéfice ou le
déficit de l’exploitation, la rentabilité sert aussi à apprécier l’importance de ce béné-
fice et les voies par lesquelles il a été obtenu. À ce propos, l’analyse économique et
financière des exploitations agricoles distingue deux types de rentabilité (Iger,
1992 ; CNCER, 1994).
• La mesure de la rentabilité économique est fondée sur le ratio des résultats bruts
des activités de production (y compris la transformation et la commercialisation des
produits) ramenés au volume total de la production en valeur. Ce critère évalue les
performances de l’exploitation liées à l’activité fondamentale, et il reflète les capa-
cités techniques et managériales du chef d’exploitation ainsi que les potentialités du
système de production agricole relativement à son environnement agro-écologique.
• La rentabilité financière permet d’apprécier le bénéfice tiré de la mobilisation des
capitaux propres de l’agriculteur. Elle est calculée par le ratio du montant des résultats
nets (résultats d’exercice) divisé par le montant des capitaux propres de l’exploitant.
Dans les exploitations africaines, dont l’objectif principal est d’assurer la sécurité
alimentaire du groupe familial, le critère de la rentabilité économique paraît plus
adapté que celui de la rentabilité financière.
La stabilité
Le critère de stabilité se réfère à la l’absence ou à la minimisation des fluctuations
interannuelles dans la production en termes physiques (quantités produites, rende-
ments à l’hectare) ou en valeur (revenu agricole estimé). La stabilité en valeur
suppose aussi une stabilité des prix des intrants et des produits agricoles.
(∑ (
1
[ ∑( [
n 2 2 n
CV = 100( V / X )= 100 )
X i − X / ( n - 1) / Xi / n
i =1 i =1
291
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
292
Mesure des performances économiques
perçus les bonnes années pour compenser les déficits des années défavorables. Ainsi,
certains producteurs – qui ont plus de marge de manœuvre en termes de moyens ou
qui gèrent leurs exploitations avec un raisonnement à long terme et une vision
d’avenir – investissent dans l’élevage dans une perspective d’épargne, puis de régula-
tion. Les producteurs préfèrent, en général, l’activité et le système de production les
plus stables. Mais en fonction des prix, une activité instable peut être choisie de
préférence à une autre plus stable en raison d’un gain espéré à long terme. Ou
encore, une culture de céréale moins stable que la culture de coton peut être retenue
dans l’assolement parce qu’elle est nécessaire à la sécurité alimentaire de la famille.
La dispersion
Si le critère de stabilité s’intéresse aux fluctuations interannuelles et, généralement
retient l’attention de l’exploitant dans un souci de sécurité, le critère de la disper-
sion des productions ou des revenus concerne les fluctuations au cours de l’année
ou de la campagne agricole. Il mesure la répartition des flux de production ou de
revenu à l’échelle de l’année temporelle. Il indique si les produits ou les revenus
sont obtenus en une seule fois ou échelonnés. Par conséquent, ce critère est forte-
ment lié à la gestion de la trésorerie de l’exploitation.
Identification
Deux cas extrêmes sont caractérisés :
– cas de la dispersion parfaite de la production ou du revenu. Les flux mensuels ont
des montants égaux durant l’année, par conséquent le flux de chaque mois repré-
sente 8,3 % du montant annuel ;
– cas d’une concentration totale de la production ou du revenu. Ils sont perçus en
une seule fois, pendant un mois dans l’année.
Mais souvent, vu la diversité des activités pratiquées dans les exploitations familiales
africaines, les systèmes de production se situent entre ces deux extrêmes. Les petites
exploitations souhaitent souvent un niveau élevé de dispersion des flux de produc-
tion et de revenu, alors que certains producteurs préfèrent les rentrées de revenu en
une seule fois (le cas du coton) afin de réaliser des dépenses élevées en investisse-
ment, etc.
Outre son effet sur la trésorerie (recours minimum à l’endettement, meilleure cohé-
rence dans les besoins de dépenses et les moyens disponibles), la dispersion des
productions permet aussi une meilleure valorisation des facteurs de production
(équipements utilisés plus souvent, besoins de travail plus échelonnés et main-
d’œuvre familiale mieux employée).
293
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Tableau 19.2. Revenus mensuels estimés et calcul de l’indice de dispersion (en francs CFA).
Mois Revenu (production) mensuel par culture Revenu
Arachide Manioc Riz Coton mensuel total
Janvier 0 0 0 0 0
Février 24 000 13 550 0 0 37 550
Mars 12 000 27 100 0 0 39 100
Avril 6 000 27 100 0 0 33 100
Mai 6 000 27 100 17 600 442 000 492 700
Juin 6 000 27 100 8 800 0 41 900
Juillet 6 000 27 100 4 400 0 37 500
Août 0 27 100 4 400 0 31 500
Septembre 0 27 100 8 800 0 35 900
Octobre 0 27 100 0 0 27 100
Novembre 0 27 100 0 0 27 100
Décembre 0 13 550 0 0 13 550
Montant annuel 60 000 271 000 44 000 442 000 817 000
Moyenne 5 000 22 583 3 667 36 833 68 083
Ecart type 7 160 8 826 5 576 127 594 134 252
CV (%) 143,2 39,1 152,1 346,4 197,2
IC (indice de concentration) 0,41 0,11 0,44 1,00 0,57
ID (indice de dispersion) 0,59 0,89 0,56 0,00 0,43
On calcule, pour chaque culture, ainsi que pour le total des revenus mensuels, le
coefficient de variation (comme indiqué dans le précédent critère). Le coton,
comme n’importe quelle autre activité dont les revenus sont perçus au cours d’un
seul mois, représente une concentration complète et son coefficient de variation est
de 346,4. Son indice de concentration est de 1. L’indice de concentration (IC) de
toute autre activité peut être calculé en divisant le coefficient de variation de cette
activité par le coefficient de variation du revenu-coton. On trouve ainsi pour l’ara-
chide, 0,41 ; pour le manioc, 0,11 et pour le riz, 0,44. L’indice de dispersion (ID)
d’une activité ou d’un système de production est : ID = 1-IC (indice de concentra-
tion). Le calcul de l’indice de dispersion pour tout le système de production suit la
même démarche. Il est ainsi de 0,43 pour l’exploitation analysée.
La pérennité
La pérennité n’est pas un critère spécifique aux exploitations familiales africaines.
La pérennité d’une exploitation signifie la capacité de cette exploitation à maintenir
sur le long terme, si ce n’est améliorer, sa productivité et sa rentabilité à un niveau
satisfaisant indépendamment des fluctuations annuelles. La pérennité se traduit à
long terme par des résultats technico-économiques positifs ou en amélioration.
Mais avant les résultats finaux, l’accent doit être mis sur le développement, sinon le
renouvellement, du potentiel de production à travers l’effort d’investissement dans les
294
Mesure des performances économiques
différents types de capitaux (physique, humain, social, naturel). Nous soulignons égale-
ment ici l’importance de la gestion raisonnée, en bon père de famille et dans une
perspective de durabilité, des ressources naturelles collectives ou individuelles. Le
devenir de l’exploitation familiale peut être menacé par les contraintes du marché et
des politiques publiques, mais aussi par la dégradation des réserves de ressources natu-
relles, notamment celles non-renouvelables. En effet, les exploitations agricoles fami-
liales se trouvent dans un contexte d’importante pression démographique (chapitre 1)
et, en corollaire, de raréfaction des ressources disponibles. Cela peut conduire à une
spirale de non-durabilité du système : la pression sur les ressources conduisant à la dété-
rioration de l’environnement naturel et à l’augmentation de la pauvreté qui entraîne
l’instabilité économique, sociale et politique, etc. Les exploitations agricoles, en parti-
culier les petites exploitations familiales de subsistance, sont les premières à participer
à cette spirale et aussi ses premières victimes. En revanche, en améliorant les pratiques
de la gestion des ressources dans une perspective de durabilité, les producteurs peuvent
éviter d’entrer dans cette spirale et assurer la pérennité de leurs exploitations.
La mesure de la pérennité reste une démarche qualitative. Comme l’appréciation
de la durabilité, concept très proche de la pérennité, elle comporte plusieurs dimen-
sions : économique, écologique et sociale. Plusieurs items peuvent être énumérés
sous chacune de ces dimensions et faire l’objet d’une appréciation pour une exploi-
tation donnée. La grille IDEA a été conçue pour évaluer la durabilité d’une exploi-
tation agricole (Vilain, 2000).
295
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Valeur ajoutée
Le premier indicateur (tableau 19.3) est la valeur ajoutée (valeur ajoutée = produc-
tion - consommations externes = 846 040 FCFA pour l’exploitation analysée). Il
mesure l’importance de la création de richesse par l’activité de l’exploitation
(chapitre 13), dont la finalité est d’améliorer le bien-être économique et social de la
famille. Il permet de calculer le taux de marge :
Taux de marge = (valeur ajoutée / production) x 100
C’est la marge réalisée par l’exploitation pour 100 francs CFA de production. Dans
le cas de l’exploitation analysée, le taux de marge est de 72 %.
296
Tableau 19.3. Document de résultat annuel (2004) d’une exploitation de République centrafricaine.
Surface de 5,5 ha : 3 ha en coton ; 1 ha en arachide ; 1 ha en maïs ; 2 ha en manioc en association ; 0,5 ha en riz.
Description des produits, intrants et charges Quantité Prix unitaire Valeur totale Observations
récoltée (FCFA) (FCFA)
Produits (cultures, Arachide 480 kg 125 60 000 Prise en compte de toute la production.
élevage, cueillette…) Maïs 600 kg 100 60 000 La production non vendue (autoconsommée,
Riz 400 kg 110 44 000 don, rémunération de travail) est valorisée
au prix du marché
Manioc 2 464 kg 110 271 040
Coton 2 950 kg 150 442 500
297
D, Total amortissements 47 500 FCFA (tableau 19.4) ; E, Valeur Ajoutée = A - B = 846040 FCFA ; F, Revenu agricole disponible = E - C = 787040 FCFA
G, Revenu agricole durable = F - D = 739 540 FCFA ; H, Revenu familial total = G + S = 739 540 FCFA (S est le revenu hors exploitation ; ici S = 0)
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
298
Mesure des performances économiques
Analyse de l’efficience
L’efficience est estimée par le calcul de la productivité de chaque facteur de produc-
tion indépendamment des autres ou bien également de tous les facteurs ensemble.
299
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
durable (739 540 FCFA) moins la rémunération du travail (363 000), calculée sur la
base de 300 francs CFA par jour, et la rémunération du capital (35 000), qui repré-
sente l’application d’un taux de marché (ou un coût d’opportunité) de 10 % au
montant du capital. Cette valeur résiduelle est égale à 341 540 francs CFA, soit une
productivité de 62 098 francs CFA par hectare.
Cette productivité est plus proche de la réalité que le premier résultat (revenu
agricole durable / nombre d’unités du facteur) obtenu (134 462 FCFA / ha), et
elle est d’ailleurs du même ordre que le coût de location de la terre (estimé à
55 000 FCFA / ha).
La productivité du travail est de 537 francs CFA par jour, valeur supérieure au prix du
marché. Cela signifie que les actifs de la famille ont intérêt à travailler sur leur exploi-
tation et n’ont pas intérêt à vendre leur force de travail dans d’autres exploitations.
La productivité du capital est de 46 %, ce qui représente une bonne valorisation des
capitaux.
300
Mesure des performances économiques
Cette valeur correspond à l’ensemble des charges indiquées dans le tableau 19.3
(B + C + D), l’estimation du coût des autres facteurs de production n’ayant pas été
intégrée dans le calcul de ces charges (travail familial, terre non louée, capital,
tableau 19.5).
Le coût total des facteurs de production est :
(294 500 + 89 000 + 47 500) + 363 000 (pour le travail) + 55 000 (pour la terre) +
35 000 (pour le capital) = 884 000 FCFA
Productivité totale brute = 1 170 540 / 884 000 = 1,32
Productivité totale nette = revenu net / total des coûts
(1 170 540 - 884 000) / 884 000 = 286 540 / 884 000 = 32 %.
Conclusion
L’analyse qui vient d’être faite a été centrée plus particulièrement sur les perfor-
mances technico-économiques de l’exploitation. Elle a utilisé principalement la
productivité et la rentabilité comme critères de performance et peut être complétée
par le calcul des autres critères, notamment la stabilité et la dispersion. Une analyse
détaillée de chaque activité peut également être faite, pour apprécier son impor-
tance et sa contribution à la performance globale de l’exploitation. La méthode des
marges (marge brute, marge directe et marge nette) est souvent utilisée. Soulignons
enfin que cette analyse technico-économique peut être complétée par deux autres
types d’analyse : le niveau de capitalisation et les efforts d’investissements de
l’exploitation ; les pratiques de gestion de la trésorerie, etc.
301
Pour approfondir le sujet
Chapitre 20
Diversification des systèmes de cultures
dans les exploitations cacaoyères
au Cameroun et demande
d’innovation technique
Ludovic TEMPLE, Jules-René MINKOUA NZIE et Olivier DAVID
Définition de la diversification
Nous définissons la diversification comme l’élargissement de la gamme des produits
d’une exploitation, de ses activités ou de ses marchés. C’est une stratégie de dimi-
nution des risques techniques ou économiques. Pour certains auteurs, la spécialisa-
tion est également une stratégie de diminution des risques dans la mesure où elle
favorise l’émergence d’institutions (coopératives, syndicats…) dont les actions poli-
tiques orientent les mécanismes de régulation des marchés.
Dans les filières des cultures pérennes tropicales, la diversification peut être intro-
duite à l’intérieur de la filière existante par la recherche de marchés de qualité qui
exigent des itinéraires techniques particuliers (Cheyns et al., 2001) ou par l’intégration
de nouvelles activités dans la filière comme la transformation et la commercialisation.
303
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
On observe aussi une reconversion dans des cultures horticoles dans les zones périur-
baines (Moustier, 1997), ou dans des cultures pérennes (palmier, agrumes, hévéa)
(Giry et Steer, 2003 ; Aulong et al., 2000 ; Ndabalishye, 2003). La diversification peut
concerner des cultures vivrières complémentaires des cultures existantes sur les plans
technique et économique (Temple et Fadani, 1997). Dans certaines circonstances, le
système de production est diversifié à la suite de l’intégration de fonctions sociales
(création d’emploi) ou environnementales (gestion des ressources naturelles, eau,
air, biodiversité ; entretien du paysage). On peut citer la mise en place de méca-
nismes de rémunération des planteurs de caféier au Costa Rica au regard de leur
fonction environnementale, les incitations à des plantations agroforestières au
Honduras dans le cadre des projets localisés dans les zones de collecte des eaux qui
approvisionnent les villes (Rain forest). Les processus de diversification varient donc
selon les contextes.
304
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun
305
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Cultures vivrières
Certains ménages possèdent un ou plusieurs champs où sont associées plusieurs
cultures vivrières. Le manioc, le maïs, le macabo, le bananier et l’arachide jouent un
rôle déterminant dans la diversification, le manguier, l’igname, le niébé, le haricot,
le piment, le gombo, l’oignon, le soja, la tomate et l’avocatier sont associés moins
fréquemment (tableau 20.4).
Dans les champs de cultures vivrières, les productions sont toujours associées pour
répondre aux besoins alimentaires multiples de l’exploitation, mais aussi pour éche-
lonner et diversifier le calendrier alimentaire. Ainsi, la combinaison de plantes
ayant des cycles végétatifs différents permet de récolter successivement les produits
nécessaires à l’alimentation dans un contexte marqué par l’accès limité au marché
et par des ressources monétaires faibles. L’objectif est aussi l’utilisation optimale de
la terre dans l’espace et dans le temps : juxtaposition de plusieurs strates de culture,
successions des cultures dans le temps. L’agriculteur cherche aussi à minimiser les
besoins en main-d’œuvre, par exemple, certaines associations (plantain et maïs)
sont utilisées pour réduire les travaux de désherbage.
306
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun
Déterminants micro-économiques
de la diversification dans le Sud Cameroun
Un indicateur de diversification a été conçu à partir du nombre de cultures dans
l’exploitation et de la fréquence d’apparition des principales cultures de diversifica-
tion dans les parcelles de cacaoyer (palmier, safou, plantain, orange, manioc) ; les
exploitations enquêtées sont classées en 4 types (tableau 20.5).
307
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Ensuite, des variables quantitatives et qualitatives ont été retenues pour mesurer les
relations statistiques avec le type d’exploitation par des analyses de variance et des
tests de comparaison des moyennes : âge, expérience, niveau d’éducation, superficie
de l’exploitation, taille du ménage, nombre de femmes du ménage, dépenses en
intrants par hectare, accès au marché urbain, information sur les prix, production de
cacao par hectare, exercice d’une activité non-agricole, niveau de revenu global, zone.
Le type « non diversifié » n’étant pas significatif, l’analyse de variance a porté plutôt
sur les trois autres types d’exploitation. Le tableau 20.6 présente les variables dont
les résultats sont significatifs.
Les principales variables micro-économiques qui favorisent la diversification sont
l’âge des planteurs, la taille de l’exploitation, le travail de la femme, l’accès au
marché.
• L’âge des planteurs. On note une différence significative entre le troisième niveau
de diversification et les deux premiers niveaux : plus un agriculteur est âgé plus la
probabilité de diversification est forte.
308
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun
309
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Conclusion
En Afrique tropicale au Sud du Cameroun, la diversification est ancrée dans l’agri-
culture familiale de plantation. Historiquement, le processus de diversification est
déterminé par la recherche de la sécurité alimentaire voire par des variables socio-
logiques, mais l’extension des marchés urbains stimule ce processus qui permet de
stabiliser et d’augmenter les revenus monétaires. En conséquence, la transforma-
tion des systèmes de culture s’accélère, faisant émerger des demandes techniques
spécifiques que les dispositifs de recherche et de vulgarisation n’ont pas toujours
anticipées.
310
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun
Des bassins de production se créent par produit, ce qui risque de conduire à une
augmentation des contraintes phytosanitaires. De par leur structure socio-écono-
mique, les petites exploitations ne sont pas favorables à une intensification des
systèmes de production, notamment par l’achat d’intrants, pour répondre à ces
contraintes. Une première stratégie serait de soutenir le changement du mode de
production, d’une agriculture familiale à une agriculture d’entreprise qui intensifie
l’emploi des intrants, voire à une agriculture industrielle. Une deuxième stratégie
consisterait à accompagner la transformation – fondée sur une évolution technique
progressive – des agricultures familiales en une production intégrée, en s’appuyant
sur la valorisation des mécanismes de régulation et les externalités positives des
associations culturales.
Les résultats positifs enregistrés avec cette deuxième stratégie montrent que des
marges de progrès peuvent être rapidement obtenues. Mais la réussite de ces projets
dépend d’un changement d’attitude de la part des intervenants en milieu rural, pour
une plus grande proximité et interactivité avec les producteurs afin d’accélérer le
processus d’innovation (techniques et nouvelles productions) et de le rendre compa-
tible avec les contraintes et la valorisation des ressources. Une de ces ressources est
la complémentarité entre les connaissances empiriques des producteurs et celles
plus scientifiques des chercheurs ; dans un processus interactif, la recherche doit
s’engager dans un dispositif de validation de ses résultats. L’innovation n’est plus
produite par le simple transfert d’une connaissance ou d’une technique mais par un
processus d’interaction entre les principaux opérateurs associés dans un changement
technique durable.
311
Pour approfondir le sujet
Chapitre 21
Gestion de production et coordination
entre exploitations agricoles : exemple
de l’organisation du travail en double
riziculture irriguée au Sénégal
Pierre-Yves LE GAL
De nombreux travaux portent depuis une trentaine d’années sur la façon dont les
agriculteurs gèrent leurs systèmes de production au sein de leurs exploitations
(Keating et McCown, 2001). Des recherches menées en France ont étudié différents
types de décision de gestion autour du concept générique de modèle d’action
(Sebillotte et Soler, 1990) : organisation du travail (Papy et al., 1990), conduite de
culture (Aubry et al., 1998), gestion de l’irrigation (Labbé et al., 2000) et des systèmes
d’élevage (Coléno et Duru, 1999). Ces approches ont également été appliquées sur
des cas africains (Dounias et al., 2002).
Ces travaux analysent la façon dont les agriculteurs coordonnent leurs différentes acti-
vités et équilibrent offre et demande en ressources au sein de leurs exploitations. Pour
autant celles-ci ne constituent pas des systèmes fermés dès lors que l’agriculteur
s’approvisionne en intrants et services, et commercialise ses productions. Ces relations
avec d’autres opérateurs économiques suscitent de nouvelles coordinations, avec des
effets sur le fonctionnement et les performances du système interne de production.
Ces relations sont particulièrement prospères lorsque les agriculteurs partagent un
équipement commun (périmètre irrigué, matériel agricole) ou passent des contrats
avec l’aval (agro-industries, grande distribution). Sur ce plan, les exploitations agri-
coles africaines ne se distinguent pas fondamentalement de leurs homologues occi-
dentales. Leur taille réduite rend souvent nécessaire la gestion partagée de
ressources telle que l’eau et le matériel (Le Gal, 2002) ; l’agriculture contractuelle
prend de l’importance, tant au sein de bassins d’approvisionnement agro-industriels
(Gaucher et al., 2003) qu’avec l’implantation grandissante de la grande distribution
dans les villes africaines (Weatherspoon et Reardon, 2003).
313
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Comprendre la façon dont les agriculteurs se coordonnent entre eux et avec d’au-
tres opérateurs économiques devient alors central pour définir les gains de perfor-
mance à attendre d’une meilleure organisation de ces relations. Ce point de vue est
illustré par l’analyse de la gestion de la double riziculture irriguée dans le Delta du
fleuve Sénégal. Après avoir présenté le contexte, nous montrons comment la diver-
sité des performances observées sur trois périmètres irrigués s’explique par la façon
dont les organisations paysannes en charge de leur gestion réagissent aux incerti-
tudes générées par les agriculteurs individuels et les prestataires de service méca-
nisés. Nous concluons en proposant un cadre général d’analyse et d’intervention
pour ce type de situation de gestion.
314
Gestion de production et coordination entre exploitations agricoles
Cette question a été étudiée sur deux périmètres du delta, Boundoum et Thiagar,
couvrant respectivement 2 400 et 1 600 ha. Constatant que le village correspondait
au niveau global de gestion des équipements agricoles partagés, nous nous sommes
limités à trois situations : Diawar à Boundoum, Ndiethene et Thiagar à Thiagar.
Dans chaque cas, les calendriers de travaux ont été reconstitués à l’aide du suivi des
parcelles individuelles, et d’interviews des différents acteurs du système (paysans,
responsables d’organisation paysanne, prestataires de service) pour comprendre
leurs processus de décision (Le Gal et Papy, 1998).
160
140
120
100
%
80
60
40
20
0
1991/92 92/93 93/94 94/95 95/96 96/97 97/98 98/99 1999/2000
Figure 21.1. Évolution du taux de double culture de riz à Boundoum et Thiagar (1991-2000).
315
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
50
%
40
30
20
10
0
1991 1992 1993 1991 1992 1993 1992
site : Thiagar Ndiethene Diawar
Figure 21.2. Évolution des superficies en double culture semées après le 15 août par site et par variété
(Le Gal, 1998).
316
Gestion de production et coordination entre exploitations agricoles
Diawar
Surface (ha)
30 Superficie en double culture : 188 ha
20
10
0 date
15/2 1/3 15/3 1/7 15/7 31/7 15/8
Ndiethene
Surface (ha)
30 Superficie en double culture : 178 ha
20
10
0 date
15/2 1/3 15/3 1/7 15/7 31/7 15/8
partagés, comme dans le cas étudié. Ainsi, pouvoir réaliser rapidement la succession
riz-riz à l’échelle du périmètre suppose, du point de vue de la récolte, que les
parcelles soient à la fois mûres et portantes pour permettre le passage des moisson-
neuses-batteuses, et que ces états s’échelonnent sur un temps suffisamment court.
Ce délai est lui-même fonction de l’équilibre entre surfaces à récolter et débit du
chantier de récolte qui dépend lui-même du nombre de moissonneuses-batteuses
fonctionnelles et de leurs performances individuelles.
317
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Ces différents éléments sont sous le contrôle d’acteurs indépendants, dont les
comportements présentent une large part d’incertitudes croisées. Ainsi, les agricul-
teurs n’ont aucune certitude de la date exacte de récolte de leurs parcelles, qui
dépend de la vitesse d’avancement du chantier de récolte mécanique dans les
mailles hydrauliques relevant de leur village. De ce fait, ils préfèrent retarder au
maximum la date de drainage de leurs parcelles, de manière à poursuivre aussi long-
temps que possible l’alimentation hydrique du riz pour amener à maturité les
dernières panicules produites.
De leur côté, les prestataires de service peuvent difficilement promettre une date de
passage aux organisations paysannes avec lesquelles ils passent contrat. Un tiers à
la moitié des journées potentielles de travail sont en effet perdues en pannes de
matériel ou affectées à des prestations hors périmètre (Le Gal et Papy, 1998). Les
machines opérationnelles ont des performances en général faibles, mais surtout très
variables d’un jour à l’autre. Cette variabilité, en grande partie due à un manque
d’entretien, de pièces détachées et de capacités financières pour l’achat des pièces,
voire du carburant, rend toute planification des travaux aléatoire.
Les organisations paysannes chargées d’organiser le chantier de récolte à l’échelle
de chaque village se trouvent ainsi placées devant une situation complexe à carac-
tériser et à contrôler. Si la maturité des parcelles est facilement observable, il en va
différemment de l’état d’humidité et de la portance qui dépendent non seulement
de la date de drainage (information non relevée par les organisations paysannes)
mais également des conditions climatiques post-drainage, de la nature des sols, du
planage de la parcelle et d’éventuelles fuites dans le réseau hydraulique. Il leur est
alors difficile de s’engager avec des prestataires sur la base d’un minimum de
surfaces récoltables sans risque d’enlisement et de casse des matériels. Il leur faut
pour autant réduire le plus possible la durée du chantier de récolte, tout en sachant
que les performances des matériels sont aléatoires.
Coordonner et s’adapter
Face à de telles situations où pèsent fortement des aléas de toute nature et d’ori-
gines diverses, ces organisations paysannes ont conçu des réponses spécifiques
visant à assurer un minimum de cohérence d’ensemble à la conduite de la récolte
en particulier, et à celle de la double culture en général. Ces réponses relèvent de
trois stratégies complémentaires et diversement adoptées selon les villages : la
contractualisation des relations avec les prestataires de service, la simplification des
problèmes posés et l’ajustement aux aléas rencontrés.
La contractualisation s’est essentiellement traduite par l’attribution du monopole
des prestations aux entreprises de travaux agricoles du village, alors que la règle
locale consiste à s’engager sur de simples accords verbaux, susceptibles d’être
dénoncés au gré des opportunités de travail. Cette solution donne plus de visibilité
aux capacités de chantier à partir desquelles élaborer un processus de planification,
puisque le nombre potentiel de machines disponibles est alors connu. En contre-
partie de ce marché captif, les prestataires se sont vus obligés de récolter toutes les
parcelles, même en cas de faible production ou de conditions difficiles. Cet accord
318
Gestion de production et coordination entre exploitations agricoles
a également eu l’avantage de réduire les sources de conflit entre les acteurs sociaux
d’un même village.
Parallèlement, le problème de l’hétérogénéité des états parcellaires a été simplifié
en centralisant la décision de démarrage du chantier de récolte au niveau de l’orga-
nisation paysanne gestionnaire de l’ensemble du périmètre, et en ne déclenchant la
récolte qu’une fois 80 % des parcelles parvenues à maturité. Ainsi, les risques de
rupture de chantier du fait de parcelles peu portantes ont été limités et la vitesse du
chantier a pu augmenter. Cette conduite n’a été mise en place qu’à Thiagar où les
accès aux parcelles sont très dépendants du réseau hydraulique et de pistes. À
Diawar où la plupart des parcelles disposent d’un accès direct, chaque agriculteur a
été laissé libre de choisir sa date de récolte et son prestataire.
Néanmoins, l’irrégularité des performances des moissonneuses-batteuses a amené
les organisations paysannes à s’ajuster aux retards rencontrés en cours de chantier,
en dérogeant à la règle du monopole et de la centralisation des décisions. Des pres-
tataires extérieurs aux villages ont alors été sollicités de façon à compléter le parc
de moissonneuses-batteuses et à accélérer la vitesse d’avancement de la récolte.
Cependant, la réussite de cette stratégie d’ajustement était limitée par la disponibi-
lité d’équipements dans la région en cours de récolte, les villages ont donc progres-
sivement délégué la prospection de nouvelles machines aux organisations paysannes
responsables de chaque maille hydraulique, donnant ainsi plus de flexibilité au
système de contractualisation.
319
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
320
Pour approfondir le sujet
Chapitre 22
Gestion de la main-d’œuvre dans les
exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire
Olaf ERENSTEIN et Simon N’CHO
321
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
limité (Binswanger et Pingali, 1988). En effet, le boom rizicole ivoirien est surtout
la conséquence de l’augmentation des ressources dédiées à la production et non de
la hausse de la productivité (Humphreys et Rader, 1981).
La Côte d’Ivoire est caractérisée par une grande diversité des systèmes de produc-
tion du riz (Becker et Diallo, 1996). Néanmoins, les exploitations rizicoles ivoirien-
nes ont des caractéristiques communes. Constituées souvent des ménages paysans
(Ellis, 1988), leurs moyens d’existence sont liés à la terre et à l’emploi de la main-
d’œuvre familiale pour la production agricole. L’intégration aux marchés est
partielle, ces marchés fonctionnant d’ailleurs de manière imparfaite. Ces exploita-
tions sont soumises à des contraintes structurelles de main-d’œuvre – affectée par
l’épidémie de Sida –, à la stagnation agricole et économique et à des problèmes
sociopolitiques. La main-d’œuvre devient donc un facteur déterminant et contrai-
gnant pour le développement rizicole (Lavigne-Delville, 1998 ; Lavigne-Delville et
Boucher, 1998).
La gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles ivoiriennes a été
analysée pour mieux comprendre les mécanismes de gestion de cette ressource,
pour améliorer et faciliter le développement des systèmes de production agricole
africains. Ainsi, le mode d’organisation de la main-d’œuvre détermine comment les
exploitations s’adaptent aux contraintes locales existantes, il constitue donc un
élément important du diagnostic des systèmes de production. Ensuite, le mode de
gestion choisi impose des contraintes potentielles au développement des systèmes
agraires.
Méthodologie
Notre contribution est fondée sur l’analyse des systèmes de production (Collinson,
2000), sur la théorie des changements technologiques et institutionnels (Hayami et
Ruttan, 1985) et sur l’économie institutionnelle (Hoff et al., 1993). Les données ont
été obtenues dans les années 90 dans le cadre d’une approche de recherche et de
développement sur des sites choisis par l’Adrao en Côte d’Ivoire (figure 22.1). Ils sont
représentatifs des diverses zones agro-écologiques et des systèmes de production du
riz de la région ouest-africaine.
Les systèmes de production ont été caractérisés par trois composantes socio-écono-
miques : la description préliminaire des systèmes de production par une étude natio-
nale de reconnaissance (Becker et Diallo, 1996) ; le choix et le suivi de 40 ménages
rizicoles dans chaque site entre 1993 et 1996 (Dalton et al., 1998) ; le diagnostic par
des enquêtes dans trois villages de chaque site (Coulibaly, 1998 ; Dahoun, 1998 ;
Dongo, 1999 ; Tiehi, 1999).
Notre contribution est centrée sur les aspects socio-économiques de la gestion de la
main-d’œuvre dans ces différents sites. Certaines zones ont été décrites par
ailleurs : Boundiali par Barry et al. (1998) et Le Roy (1998), Touba par Chaleard
(1998), Gagnoa par N’Cho (2001). Le tableau 22.1 présente quelques caractéris-
tiques physiques, biologiques et socio-économiques de chaque site.
322
Gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire
Boundiali
Touba
Danané
Gagnoa
Zone agro-écologique
Sahel Savane soudanienne Savane guinéenne Forêt
323
Tableau 22.1. Caractéristiques des sites de recherche.
324
Caractéristiques relevées Sites d’étude
Boundiali Touba Gagnoa Danané
Zone agro-écologique Savane Transition Forêt à pluviométrie Forêt à pluviométrie
guinéenne savane-forêt bimodale monomodale
Pluviométrie (mm/an) 1 500 1 400 1 400 1 900
Période humide Mai-septembre Mai-octobre Mars-juillet Avril-octobre
Septembre- novembre
Localisation 9.52º N ; 6.49° W 8,28º N ; 7,68° W 6,15º N ; 5,87° W 7,26° N ; 8,15° W
Densité de population 8 13 33 43
rurale (hab./km2)
Cultures de rente Cotonnier, anacardier Riz, cotonnier Cacaoyer, caféier Caféier, cacaoyer
Cultures vivrières Riz, mais, igname Riz, mais, igname Riz, mais, manioc Riz, manioc
main-d’œuvre entre les différents sites étudiés.
(personnes / ménage)
Ethnie autochtone Sénoufo Mahouka Bété Yacouba
Présence de migrants Faible Faible Forte (Mossi et autres) Faible
Orientation Autoconsommation Marché Autoconsommation Autoconsommation
de la production de riz et autoconsommation et marché
Utilisation d’intrants Herbicides (24 %) Herbicides (51 %), Herbicides (16 %) Aucun
extérieurs pour le riz NPK/urée (2/1 %) urée/NPK (42/34 %)
coût de production, sa gestion est donc primordiale dans le développement du
les herbicides (tableau 22.1). En fait, la main-d’œuvre est le principal facteur du
Main-d’œuvre rémunérée
La main-d’œuvre extérieure rémunérée est temporaire, principalement engagée à
la tâche (figure 22.2). L’emploi de main-d’œuvre salariée (annuelle ou semestrielle)
n’a pas été noté, sans doute en raison des petites superficies des plantations
pérennes dans l’échantillon étudié (cacaoyer, 0,4 ha et caféier, 0,8 ha), conformé-
ment aux résultats d’autres études (N’Cho, 2001). La rémunération est payée en
espèces ou en nature selon les zones, l’âge du manœuvre, la durée et la tâche à
accomplir, et varie de 250 à 1 000 francs CFA par jour. Les travailleurs locaux sont
généralement des paysans qui complètent leur revenu agricole ou des individus sans
terre qui louent leur force de travail en période de culture. Les migrants (saison-
niers ou permanents) recherchent du travail principalement dans la zone de la
« boucle du cacao » donc en zone forestière au sud de la Côte d’Ivoire, y compris
dans la région de Gagnoa.
Source de main-d'œuvre
(100%)
Familiale Extra-familiale
(56 %) (44%)
À la tâche Journalière
(95%) (5%)
Figure 22.2. Représentation schématique des composantes de la main-d’œuvre agricole dans les zones
étudiées.
325
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Main-d’œuvre collective
La préférence pour l’échange au lieu du paiement en nature a souvent une raison
sociale, car il s’agit d’entretenir le capital social et la solidarité. De plus, le paiement
en nature est souvent restreint, notamment en période de soudure.
La mobilisation de la main-d’œuvre collective a aussi une importante fonction sociale.
Elle a un caractère festif notamment chez les Sénoufo (Boundiali) – forme la plus
achevée (Ndabalischye, 1995) – et une fonction économique. En effet, elle répond
souvent à l’inadéquation entre une demande et une offre limitée du fait de l’absence
locale de migrants dans les sites d’étude (Coulibaly, 1998 ; Dongo, 1999 ; Tiehi, 1999).
Elle améliore les modalités d’exécution des opérations culturales et réduit le danger
de décalage qui pourrait augmenter les besoins de main-d’œuvre de certaines activités
comme le gardiennage et la récolte. Le travail en groupe peut aussi être plus productif,
car il s’accompagne d’une stimulation sociale et d’une émulation pour travailler plus
vite et plus dur (Coulibaly, 1998) – bien que parfois la qualité du travail s’en ressente
(Richards, 1986). Le travail collectif peut aussi diminuer le coût de transaction qui
dépend directement de l’intensité de travail dans la riziculture, ce qui a été observé
dans d’autres zones rizicoles traditionnelles d’Afrique de l’Ouest (Richards, 1986).
326
Gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire
enfants pour 15 % (tableau 12.8). Le travail agricole en Afrique est souvent divisé
par tâche et type de culture selon la catégorie sociale, l’âge et le sexe.
Ainsi, les travaux de préparation de terrain sont principalement exécutés par les
hommes, le désherbage et la récolte par les femmes et la surveillance des champs de
riz par les enfants. Cette division du travail génère un calendrier de travail particu-
lier pour chaque groupe. L’emploi des enfants est souvent lié à un secteur agricole
sous-développé et à des contraintes de main-d’œuvre familiale (Admassie, 2002).
Les hommes et les femmes contribuent à des apports de main-d’œuvre familiale et
extra-familiale. Ils participent équitablement à la riziculture, mais l’homme prend en
charge les travaux dans les cultures pérennes et autres. La séparation des tâches
reflète la répartition entre les cultures de rente et les cultures vivrières (tableau 22.2).
Les causes anciennes de la division du travail entre homme et femme n’ont peut-
être plus de raison d’être, l’homme devait être disponible pour chasser, protéger la
famille et le clan... Aujourd’hui la répartition des activités se fait surtout d’après les
besoins en termes d’énergie, de minutie et de précision (Ndabalischye, 1995).
Néanmoins, le maintien de cette division du travail reflète des blocages sociolo-
giques à des changements institutionnels, facilités par l’inégalité de pouvoir entre
les sexes. En conséquence, cela peut générer une utilisation inappropriée de la
ressource de main-d’œuvre et ainsi réduire l’efficacité du système (Elad et Houston,
2002).
Tableau 22.2. Répartition (%) de la main-d’œuvre agricole par culture et par type dans les
ménages rizicoles dans la zone étude (n = 160). (Warda Farm management and household
survey, 1993-1995).
327
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
La spécificité du site n’est pas le seul facteur qui joue sur la gestion de la main-
d’œuvre. En effet, il existe des différences significatives entre chaque zone. Les
ménages rizicoles optant pour des choix différents : préférences, ressources,
options, par exemple accès au marché ou à des techniques.
328
Gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire
Discussion et conclusions
Dans les exploitations rizicoles ivoiriennes, la disponibilité en main-d’œuvre est
souvent plus contraignante que la terre et la gestion de cette ressource est
complexe. Cela remet en cause la pertinence des modèles de développement en
Afrique qui mettent l’accent sur le processus d’intensification par unité de surface
(par exemple pour la gestion de l’eau et de la fertilité). Ce processus peut convenir
à un contexte de densité élevée de population rurale ou à la nécessité de conserver
la ressource foncière. Mais l’intensification agricole entraîne souvent aussi un
accroissement des besoins de travail et des contraintes de main-d’œuvre. Il faut
donc développer de nouvelles technologies et des institutions pour alléger la
contrainte de la main-d’œuvre et améliorer sa gestion.
En effet, la productivité du travail doit être augmentée pour réduire le coût de
production et accroître l’efficience de la production agricole en Afrique (Brader,
2002). Une des options est de développer des innovations techniques qui permet-
tent de limiter l’emploi de main-d’œuvre. Cela demande un changement de para-
digme dans la recherche et dans le développement agricole qui traditionnellement
mettent l’accent sur le rendement (donc la productivité de la terre). La prise en
compte des pratiques des exploitants doit donc être privilégiée. En effet, on a cons-
taté que les technologies appropriées qui réduisaient le besoin de main-d’œuvre ont
eu une diffusion relativement rapide là où elles étaient adaptées : par exemple,
l’emploi des herbicides plutôt que des engrais chimiques en Afrique, l’adaptation
des décortiqueuses artisanales plutôt que l’installation de rizeries industrielles en
Côte d’Ivoire et dans la région, l’usage de la traction animale plutôt que la motori-
sation (Pingali et al., 1987). La petite mécanisation offre donc un potentiel de déve-
loppement mais aucune technologie ne constitue une solution universelle. Par
ailleurs, la traction animale n’est pas toujours appropriée, mais elle est rentable si
elle est associée à l’intensification agricole en termes de densité de population et
329
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
d’accès aux marchés (Ehui et Polson, 1993). Il faut donc déterminer une gamme
d’options pour améliorer la gestion et la productivité de la main-d’œuvre. L’analyse
intégrée des systèmes de production et l’implication du paysan dans le processus de
recherche et de développement deviennent primordiales, autant pour comprendre
correctement les contraintes réelles que pour identifier et adapter des opportunités
techniques et institutionnelles.
La persistance du travail non rémunéré et le mode de division du travail montrent
la complexité des sociétés rurales africaines et leur attachement à des valeurs socio-
logiques ou à des habitudes. Les limites de ces structures et les sources éventuelles
de conflits doivent être prises en considération dans les efforts du développement
agricole. Cependant, ces institutions ne sont pas tout à fait rigides et elles peuvent
changer face à de nouvelles opportunités économiques. Ce processus sera facilité
par une meilleure intégration des exploitations agricoles africaines dans les marchés
dont le fonctionnement devra être amélioré.
330
Pour approfondir le sujet
Chapitre 23
Gestion du foncier
et de la biomasse végétale :
fondements de l’association
de l’agriculture et de l’élevage en zone
de sédentarisation au Nord Cameroun
Aimé DONGMO LANDRY, Michel HAVARD et Patrick DUGUÉ
331
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. Au Nord Cameroun, la notion de terroir villageois dépasse l’étendue de terre d’une juridiction coutu-
mière occupée par un groupe humain. Elle embrasse tout autre espace que s’approprie la collectivité à
des fins productives sur des territoires voisins. Le terroir villageois est donc l’espace de vie et d’activité
d’une ou de plusieurs communautés qui cohabitent dans un cadre réglementaire établi.
332
Gestion du foncier et de la biomasse végétale
N
Lac
Nord Province Tchad
Limite de province
Limite de département
Diamaré
Maroua Extrême
Nord
Mayo
Louti
Garoua
Bénoué
Province
du Nord
Faro
Mayo Rey
0 100 km
Échanges fonciers,
enjeux entre agriculteurs et éleveurs
La surface agricole utilisable – qui correspond pour un agriculteur à l’ensemble des
terres en propriété et des terres obtenues par location pour une campagne donnée
– dans le terroir agropastoral est estimée à 914 ha. Les agriculteurs de Ourolabo III
exploitent 600 ha dont 72 % sous forme d’usufruit direct et 28 % en location. La
location foncière porte sur près de 30 % de la superficie agricole totale du terroir
agropastoral (figure 23.3, tableau 23.1).
Le terroir pastoral (campements d’éleveurs mbororos) fournit 70 % des terres
louées par le terroir agricole (village d’agriculteurs d’Ourolabo III). Ces terres
proviennent essentiellement du hurum, espace de pâturage délimité pour l’élevage
333
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Mayo Ourolabo II
Terroir voisin
Route
qui bénéficie
Piste à bétail d'environ 50 %
Habitat Terroir pastoral : des terres prêtées
Kassalabouté + Ourobocki du terroir pastoral
Pâturage étudié
Terroir agricole
Ourolabo III
Route
Sangueré Bamé
Terroir voisin saturé, Mayo
334
Gestion du foncier et de la biomasse végétale
Ensemble terroir
Système ouvert
Entrée troupeaux
en saison sèche
Sortie animaux
en saison des pluies
Figure 23.3. Échanges et flux de ressources entre les territoires des agriculteurs et des éleveurs.
à un tiers ce droit d’usage pour une période généralement de courte durée (1 à 2 ans).
La mise en location des terres du territoire d’éleveurs constitue une rente pour les
uns, et pour les autres un moyen de renforcer des relations (gardiennage du bétail
d’agriculteurs) et de faciliter l’accès aux intrants (tourteau de coton, engrais) par les
groupements d’intérêt collectif d’agriculteurs. Toutefois, un troisième groupe d’éle-
veurs s’oppose à la mise en culture du hurum, il milite pour son remembrement au
profit de l’élevage et de la réappropriation des surfaces déjà défrichées.
Dans tout le terroir agropastoral, les échanges fonciers se font par entente tacite
entre individus de différentes communautés. L’absence de propriété foncière, la
concision des contrats de location et l’absence d’une instance de coordination ou de
gestion des ressources à usage collectif restent des freins à la gestion durable des
ressources fourragères et foncières du terroir. L’équité sociale entre les commu-
nautés d’agriculteurs et éleveurs d’une part, et au sein de chaque communauté
d’autre part, reste également un enjeu important dans la gestion du foncier et des
biomasses végétales.
335
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Territoire
Zones
origine
de pâturage
Stocks résidus
du territoire
Pâturage
des résidus Pâturage résidus
de culture Pâture Transhumance
de cultures
de saison sèche des bas-fonds vers le sud :
pluviales
muskuwaari (perte de poids) Rey bouba, Tchéboa
Début saison sèche Saison sèche Fin saison sèche Saison des pluies
novembre-février février-mars avril-mai mai-octobre
Temps
Figure 23.4. Pratiques d’alimentation des bovins sur l’ensemble du territoire et de la petite région.
336
Gestion du foncier et de la biomasse végétale
consiste à ramener le troupeau (ou une partie) dans son territoire d’origine si des
stocks fourragers et des réserves de concentrés (tourteau de coton, son de maïs,
etc.) ont été constitués. La priorité est donnée à l’alimentation des veaux, des vaches
allaitantes et des animaux affaiblis, et le rationnement est organisé de manière à
couvrir toute la période. La deuxième stratégie consiste à transhumer sur des
espaces surpâturés, le long de la vallée de la Bénoué. La période de soudure est
alors difficile et peut causer une perte de poids importante des animaux. En mai, en
fonction de l’état du troupeau, certains éleveurs se rendent plus au sud de la région,
pour bénéficier des premières repousses végétales après les premières pluies.
• La régénération et la valorisation des pâturages naturels marquent la quatrième
phase. Dans la majorité des territoires à vocation agricole, la restriction des pâturages
et des pistes pour le bétail ne permet pas aux animaux de séjourner au village pendant
la période de culture. Les animaux doivent transhumer sur des zones particulières de
pâturages jusqu’au début des récoltes.
La gestion de l’élevage fait donc appel à une complémentarité des espaces et des
ressources localisés à l’échelle du terroir et de la région. À l’exception de quelques
pâturages sécurisés ou reconnus comme tels, la multifonctionnalité des espaces et
les interactions engendrées par la mobilité des troupeaux restent mal connues et peu
prises en compte dans les politiques de développement de l’élevage. Ainsi, il est illu-
soire de prévoir une sédentarisation forcée et complète des troupeaux, tant que les
éleveurs ne trouveront pas in situ (dans les territoires où ils résident) les ressources
fourragères nécessaires à cette sédentarisation. La productivité numérique (basée
sur le nombre de têtes de bœufs) est un indicateur endogène important d’évaluation
et de hiérarchisation sociale de l’éleveur – ce qui est illustré par le fait que les
éleveurs sédentarisés à Ourolabo III envoient une partie de leur troupeau pâturer
en permanence dans la province de l’Adamaoua.
337
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Évolution de la jachère
Au sein des exploitations mieux loties en terres, la jachère, qui est un pilier du
système traditionnel de gestion de la fertilité des sols, occupe en moyenne 0,8 ha par
exploitation, avec de grandes disparités selon les terroirs (2 ha par exploitation dans
le terroir pastoral, contre 0,3 ha seulement dans le terroir agricole). Les jachères
occupent 14 % de la superficie totale du terroir agropastoral. Dans le terroir agri-
cole, les superficies de jachère sont passées de 10 % de la surface totale du terroir
en 1994-1995 (Dugué, 1999) à seulement 6 % en 2003 (données issues des relevés
de terrain). En même temps, l’acception donnée par les paysans à cette termino-
logie a évolué. Dans les terroirs saturés, la jachère désigne aujourd’hui un abandon
forcé de parcelle en raison des contraintes (surcharge du calendrier cultural,
parcelle inondée et en général, forte colonisation de la parcelle par les mauvaises
herbes) plutôt qu’une mise en repos du sol souhaitée pour restaurer la fertilité,
conformément à l’acception d’origine. Dans les campements mbororos, elle désigne
toute parcelle laissée en friche ou sur laquelle les animaux sont parqués pour
338
Gestion du foncier et de la biomasse végétale
rehausser sa fertilité organique mais surtout minérale, car les éleveurs (non-cultiva-
teurs de cotonnier) ont un accès limité aux engrais minéraux nécessaires à la culture
du maïs.
339
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
des céréales à perte pour en racheter à prix d’or en cas de disette. À la différence
du terroir agricole, la capitalisation du bétail (2 à 3 bovins par personne) est une
garantie de la sécurité alimentaire dans le terroir pastoral.
Il apparaît donc que la meilleure forme d’intégration territoriale des communautés
d’agriculteurs et d’éleveurs au sein du terroir agropastoral est celle qui réussira à
maintenir une équité sociale, dans une écologie viable tout en assurant une produc-
tion économiquement rentable. Les échanges fonciers et les systèmes traditionnels
d’élevage transhumants existants participent à cette logique. Mais ils restent
l’œuvre d’individus ou de collectivités poussés par des intérêts plus privés que
collectifs. Le morcellement d’espaces pastoraux au profit de l’agriculture, la prédo-
minance du droit de vaine pâture traditionnel dans un contexte d’accroissement des
effectifs d’animaux chez les agriculteurs, l’insécurité d’usage du foncier, l’absence
de politiques publiques et l’inexistence de structures locales de coordination ciblées
selon les particularités des terroirs sont finalement des éléments sur lesquels
doivent porter les efforts de concertation, d’appui et de conseil pour favoriser une
meilleure intégration d’activités. Dans une perspective de décentralisation des
terroirs (et de sédentarisation du bétail), il est également nécessaire de raisonner la
gestion du bétail au sein d’un terroir en fonction des ressources disponibles.
340
Gestion du foncier et de la biomasse végétale
évalués à 0,10 UFL. Il en résulte un besoin total journalier de 0,61 UFL par tête,
qui est satisfait par une ingestion de 0,85 g matière sèche par jour et par tête sur un
pâturage dont la valeur énergétique est estimée à 0,73 UFL par kg de matière sèche.
Disponible fourrager
Le disponible journalier est obtenu en rapportant la production totale des pâtu-
rages (556 tonnes en saison des pluies) au nombre de jours de la saison des pluies
(6 mois x 30 j).
Pour l’ensemble du cheptel du terroir agricole (260 bovins et 493 petits ruminants),
les besoins quotidiens s’élèvent à 1 720 kg de matière sèche par jour contre 990 kg de
matière sèche par jour théoriquement disponible sur les 132 hectares de pâturage.
Dans le terroir pastoral, le cheptel (783 bovins, 376 petits ruminants) a un besoin
journalier de 4 235 kg de matière sèche par jour contre un disponible théorique
quotidien de 2 175 kg de matière sèche.
En saison sèche, le disponible fourrager du terroir agropastoral est globalement
constitué à 60 % de paille de maïs et à 30 % de fanes de légumineuses ; ce qui lui
donne une valeur énergétique moyenne de 0,55 UFL par kg de matière sèche. Le
disponible potentiel en résidus de récolte est destiné à fournir l’alimentation des
animaux pendant 6 mois. La priorité est donnée d’abord à l’entretien des animaux
mais l’éleveur peut aussi viser une croissance modérée de son cheptel.
Pour les bovins, le gain moyen quotidien peut ainsi varier de 0 (à l’entretien) jusqu’à
200 g par jour (en croissance modérée) pour un animal standard de 250 kg. Cela
correspond aux besoins énergétiques journaliers respectifs de l’ordre de 3,36 à
3,48 UFL par bovin et par jour qui représentent une ingestion comprise entre 6,11 et
6,32 kg de matière sèche par bovin et par jour.
Pour les petits ruminants, le gain moyen quotidien peut être de 0 (entretien) à 50 g
(croissance modérée) pour un animal standard de 20 kg. Cela suppose des besoins
énergétiques journaliers variant de 0,33 à 0,48 UFL par animal et par jour et néces-
sitant des ingestions respectives de 0,60 à 0,87 kg de matière sèche par animal et par
jour.
341
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
soit 1,12 UBT ou 7 petits ruminants par exploitation du terroir agropastoral. Cette
charge permettrait de maintenir le système viable. Au-delà de cette charge, le trou-
peau supplémentaire devrait transhumer hors du terroir agropastoral, comme c’est
déjà le cas pour la totalité des bovins d’élevage des campements mbororos.
Si le terroir agropastoral est exploité en système fermé, c’est-à-dire par un élevage
non-transhumant, alors le disponible fourrager estimé à 570 tonnes correspondrait
seulement à 95 jours de consommation du bétail autochtone, pour une saison de
culture qui dure 6 mois. Une enclosure des territoires associée à la limitation des
transhumances entre territoires et à l’affectation des ressources pastorales aux
collectivités obligerait les propriétaires d’animaux à s’orienter vers de nouvelles stra-
tégies. La première option à caractère défensif serait de diminuer, de la moitié au
moins, le cheptel autochtone sur le terroir agropastoral. Une option à caractère
offensif consisterait à améliorer le disponible fourrager, c’est-à-dire à doubler la
productivité des pâturages et des jachères du terroir agropastoral et à prévoir à court
terme une stabilisation (contrôle et limitation) de la taille du cheptel. Elle se tradui-
rait par une incitation à évoluer vers des systèmes intensifs avec engraissement et
mise en marché rapide.
En saison sèche
Le système ouvert actuel rend complexe la question de la production et de la
gestion des ressources fourragères. En 2003, en plus du bétail des territoires voisins
qui font des déplacements journaliers à l’intérieur du terroir agropastoral, une
demi-douzaine de troupeaux d’éleveurs transhumants étrangers sont parqués dans
le terroir d’agriculteurs pour un séjour de 1 à 2 mois.
En raisonnant dans un système fermé dans lequel tous les résidus de récolte ne
profitent qu’aux animaux originaires du terroir agropastoral, on constate que, sur le
plan technique, la meilleure stratégie alimentaire consiste à maintenir sur le terri-
toire seulement 33 % du cheptel d’élevage en supplément du cheptel habituellement
sédentaire (petit ruminant et animaux de trait) pendant les six mois de saison sèche.
Cette charge optimale correspondrait à un cheptel ruminant global (y compris petits
ruminants) de 538 UBT (1 bovin = 1 UBT et 1 petit ruminant = 0,08 UBT). Une
telle stratégie permettrait d’assurer un entretien adéquat d’animaux ou dans le
meilleur des cas un gain de poids de 258 g par UBT par jour (à raison de 250 g par
bovin et 50 g par petit ruminant) pour l’ensemble bovin et petit ruminant, c’est-à-
dire un accroissement pondéral de 47 kg par UBT pour l’ensemble de la période de
saison sèche.
Étant donné que la charge actuelle du troupeau sédentaire (869 petits ruminants et
126 bovins de trait) représente 256 UBT, un accroissement de 110 % permettrait
d’atteindre le seuil de saturation des ressources par des animaux sédentaires, à
condition que les grands troupeaux d’élevage du terroir agropastoral continuent de
transhumer hors du territoire pendant toute la saison sèche. Pour gérer durable-
ment le système fermé, l’incorporation d’aliments concentrés aux rations et un
réaménagement des systèmes de culture (choix des assolements, association des
cultures, culture fourragère en fonction des objectifs d’élevage) sont nécessaires à
l’échelle individuelle. De même, la fermeture des territoires agropastoraux aux
troupeaux étrangers n’est possible que si la gestion du territoire est prise en main
342
Gestion du foncier et de la biomasse végétale
Conclusion
Dans la région du Nord Cameroun, les processus d’appropriation foncière consti-
tuent des éléments de construction, d’organisation et d’intégration des terroirs. De
même, l’élevage est au cœur de la valorisation de l’espace et de la gestion des flux
de biomasse entre les exploitations agricoles et entre les terroirs, à différentes
périodes de l’année. Les producteurs ont des pratiques d’échange des ressources et
d’intégration des activités qui répondent à leurs capacités d’investissement (tech-
nique et financière) et à leurs marges de manœuvre (du point de vue de la régle-
mentation). Ces échanges fructueux portent surtout sur des synergies (échanges
commerciaux, prestations des terres, vente de fourrage, parcage du bétail). Mais, en
situation de compétition ou d’antagonisme, les interactions sont modifiées par un
cadre réglementaire désormais mal adapté à ce nouveau contexte.
Le défrichement des espaces de parcours entrave le développement de l’élevage et
la durabilité de la sédentarisation entreprise par les éleveurs. La présence d’ani-
maux d’élevage au sein des exploitations agricoles remet en question des modalités
du droit de vaine pâture traditionnellement accordé aux éleveurs. De même l’éro-
sion et la baisse de fertilité des sols sont aggravées par l’exportation (non contrôlée)
des résidus de récolte par le bétail transhumant, dans un contexte marqué par la fin
des jachères.
Actuellement, il est nécessaire de rénover, d’actualiser et de garantir les cadres
réglementaires et les organisations sociales élaborés en concertation avec tous les
acteurs pour encourager l’adoption des techniques améliorant les systèmes de
production. La mise en place d’un cadre de concertation entre les acteurs dans le but
d’une gestion collective des ressources communes en accès libre (foncier, biomasse
végétale) est un préalable à l’expression d’un conseil technico-économique visant
l’accroissement de la production.
343
Partie 5
Accompagnement
des producteurs
Patrick DUGUÉ, coordinateur
Introduction
347
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. Beaudoux E., 2000. Accompagner les ruraux dans leurs projets. L’Harmattan, 235 p.
Mercoiret M.-R., 1994. L’appui aux producteurs ruraux. Karthala. 463 p.
Collectif, 1986. L’enseignement agricole et la recherche-développement, Gret Ciface. Gret, Paris, 106 p.
348
Chapitre 24
Processus d’innovation
dans les exploitations familiales
Nicole SIBELET et Patrick DUGUÉ
Une des raisons fondamentales justifiant une réflexion sur l’innovation réside dans
le fait que développement et innovations sont intimement liés. Les agronomes se
sont longtemps considérés comme des acteurs essentiels dans les processus d’inno-
vation en milieu rural. Ils estimaient que les progrès des exploitations agricoles
dépendaient de la capacité des chercheurs à proposer des solutions pertinentes, de
la présence de services de vulgarisation chargés de diffuser les messages techniques
et enfin, de la réceptivité des paysans au « progrès technique ». Cette démarche
descendante misant avant tout sur les savoirs des agronomes a montré ses limites, et
de nombreux programmes de transfert de technologies ont échoué. Ainsi, les fortes
capacités d’innovation des agriculteurs sont démontrées, comme dans les exemples
relatifs au Nord Cameroun et au Niumakélé (Anjouan, Comores) présentés ci-après.
349
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. Zaï : technique de préparation du sol inventée par des paysans mossi (Nord Ouest du Burkina Faso)
consistant à creuser manuellement des petites cuvettes en fin de saison sèche et à y apporter la fumure
organique. Ce travail localisé à chaque poquet de mil ou de sorgho favorise la gestion de l’eau pluviale
et des nutriments, la levée des plantes et donc le développement des cultures dans les sols non sableux.
350
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
100 % a
Population
0 t1 t2 t3 t4 t5 t6 Temps
Rogers définit cinq étapes dans le processus d’innovation et autant de catégories d’adoptants : les
innovateurs, entre 0 et t1 ; les adoptants précoces, entre t1 et t2 ; la majorité précoce, entre t2 et t3 ;
la majorité tardive, entre t3 et t4 ; les retardataires, au-delà de t4.
Figure 24.1. Courbe de la diffusion des innovations selon Rogers.
351
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
352
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
353
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
354
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
400 mm
500 mm
600 mm
Maroua
700 mm
Limite Province
de Province de Extrême-Nord
Guider 800 mm
Garoua
900 mm
S
herbicides ont permis de soutenir ces processus d’innovation, influencés aussi par
l’évolution de l’environnement des exploitations agricoles (disponibilité en terre
donc extension des surfaces cultivées, demande des marchés urbains).
• La culture d’oignon, qui concerne aujourd’hui environ 12 000 producteurs au
nord du Cameroun, s’est développée pendant plus de vingt ans (de 1970 à 1990)
sans intervention de la vulgarisation ou de la recherche (Cathala et al., 2003). Les
producteurs ont mis au point les itinéraires techniques et en particulier les tech-
niques de fertilisation, de protection contre les parasites et d’irrigation (passage de
l’arrosage manuel à l’irrigation motorisée). Dès les années 80, le recours aux engrais
(engrais complet vendu pour le cotonnier) a permis d’accroître les rendements mais
aussi le taux de perte par pourrissement. Les producteurs visaient des rendements
élevés et de gros bulbes pour une mise en marché dès la récolte, le paiement se
faisant au volume. Les difficultés de commercialisation qui sont apparues dans les
années 90 en raison d’un faible étalement dans le temps de la production ont amené
les producteurs, les agronomes et les techniciens à travailler ensemble à la mise au
point de cases de conservation et à l’adaptation de la fertilisation à la culture de
l’oignon. Le dialogue entre agronomes et producteurs est donc récent. L’analyse
du processus d’adoption de l’oignon dans les nouvelles zones de culture a mis
en évidence une diversité des comportements des producteurs par rapport à l’inno-
vation. Ce processus n’est pas linéaire.
355
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
356
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
0 25 50 km
Il est difficile de quantifier tous les aspects de l’innovation. Cependant, deux critères
peuvent être retenus : l’augmentation des rendements et l’augmentation de la produc-
tion totale sur le finage villageois. Une parcelle intensifiée (c’est-à-dire embocagée,
fertilisée et cultivée trois ans sur quatre pour une production de racines, tubercules et
bananiers) a un rendement dix fois supérieur à celui d’une parcelle cultivée avec des
associations traditionnelles (riz-maïs et Cajanus cajan cultivée trois ans sur cinq).
À Ongoju, village le plus avancé dans la démarche d’intensification, les rendements
ont été multipliés par dix sur un tiers du finage. La production totale du finage
d’Ongoju a été multipliée par 2,7 alors que la population a doublé (Sibelet, 1995).
En vingt-cinq ans, grâce à ce système cohérent d’innovations, la production agricole
a presque triplé, alors que la population a doublé, ces systèmes de production étant
par ailleurs plus respectueux de l’environnement.
357
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Les stratégies des paysans sont peu prises en compte tout comme leurs activités non-
agricoles souvent cruciales pour leur famille. Le paysan rêve-t-il de lutte contre l’éro-
sion ? Les paysans rêvent plutôt d’une meilleure alimentation, d’un meilleur habitat,
d’un travail moins pénible, d’une moindre dépendance des aléas climatiques, de la
transmission d’un patrimoine physique et culturel à leurs enfants. Ils sont aussi cons-
cients de la valeur de leur environnement, ils savent pertinemment qu’il faut
préserver les ressources naturelles qui les font vivre. Mais pour atteindre demain, il
faut déjà vivre ce jour. Une plante antiérosive a plus de chance d’être acceptée si elle
a d’autres utilités que la seule lutte contre l’érosion, il faut qu’elle contribue aussi à
la satisfaction des besoins du présent (fruits, fourrage, bois de service…).
Si les solutions proposées ne sont pas adoptées par les paysans, ce n’est pas parce que
ces derniers sont résistants au progrès. Les paysans résistent à la nature des propositions
car celles-ci ne conviennent pas à la structure ni aux mécanismes de régulation de leur
système technico-socio-économique, ni aux stratégies qui ont déterminé ce système.
D’un point de vue méthodologique, la résistance des paysans à des propositions
extérieures ne doit pas aboutir à une condamnation idéologique, « ils sont résistants
ou hostiles au progrès », mais elle doit être comprise comme une expression de la
structuration du champ que l’on veut changer, et, en tant que telle, elle est peut-être
porteuse d’indications précieuses sur la réalité du champ dont on cherche à trans-
former la structuration (Friedberg, 1993). Il convient alors d’analyser les résistances
non plus pour les combattre mais pour comprendre la structuration qui les porte.
Pour être prospectif, il faut contrebalancer l’analyse des résistances paysannes par
celle des dynamiques en cours, des ambitions et des souhaits des paysans pour le
futur, et des potentiels des sociétés rurales concernées.
358
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
(A)
1. Embocagement : clôture 2. Chargement du système d'élevage :
vache au piquet
(C) (B)
Figure 24.4. Relation entre les éléments de l’innovation : intégration agriculture élevage et change-
ment de système de culture.
359
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Phases de l’innovation
1 2 3 4
< 1945 1950-1960 1970-1980 1990-2000
Diversité
des options
prises pour
l'innovation
1 2 3
< 1970 1970-1985 1985-2000
Diversité
des options
prises pour
l'innovation
1 2 3
< 1990 1990-2000 1990-2000
Diversité
des options
prises pour
l'innovation
Figure 24.5. Trajectoires d’innovation des paysans au Nord Cameroun (D’après Vall et al., 2006).
360
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
Le marché et l’organisation des filières orientent ces processus. Par exemple, pour
des raisons économiques, les producteurs de coton cherchent à diversifier leurs
pratiques de culture attelée (progression du nombre d’équidés, équipement moins
onéreux fournis pas des forgerons villageois).
Aux Comores, selon la période dans l’histoire, l’innovation n’a pas la même forme,
ni le même espace d’application. Par exemple, avant que le plateau central autour
du village ne soit complètement récupéré par les paysans après l’indépendance en
1975, les animaux ne pouvaient guère y accéder et donc apporter de la fumure orga-
nique surtout de façon intensive toute l’année par l’attache des bovins au piquet
dans les parcelles (figure 24.6). La plantation d’arbres se faisait majoritairement en
girofliers dans les années 1970, puis s’est poursuivie en ylang-ylang (Cananga
odorata) dans les années 1980 à la suite de la chute des cours mondiaux du girofle.
En parallèle, ne regarder qu’une partie du système peut conduire à prouver fausse-
ment le retard supposé d’une société. Certains outils, vêtements, modes d’action ou
rites anciens peuvent perdurer aux côtés de nouveaux objets ou de nouvelles
pratiques. Hirschman (1968) parle de signes persistants indiquant un « arôme de
retard », – alors que tout change –, et qui font dire que rien n’a changé. D’après
Hirschman, « les difficultés particulières pour percevoir un changement en train de
se faire font qu’on laisse passer à coup sûr beaucoup de possibilités d’accélérer ce
changement et de profiter des occasions qui se présentent. Les obstacles à la
perception du changement se convertissent alors en un important obstacle au chan-
gement lui-même ». Aurait-on dit en 2005, en France, que les agriculteurs biolo-
giques sont hostiles au progrès car ils combinent culture attelée et motorisée pour
des raisons à la fois de respect de l’environnement, de rentabilité et de production
de fumier ?
1960-1970 Indépendance 1970-1980 1980-1990
Terroirs 1975
périphériques = Distribution
terres moins fertiles des terres
et en pente (parfois aux paysans
non cultivables)
pouvant accueillir
les animaux des
paysans autochtones
Plateau central =
meilleures terres
exploitées par la
société agricole Élevage paysan Rétrocession Extension
coloniale sur les terroirs de l’ensemble de la zone
périphériques, des terres du plateau cultivée et intensifiée
pas ou peu de valorisation aux paysans, par la poursuite
de la fumure animale début d’intégration de l’intégration
de l’élevage élevage,
dans les zones arbre,
de culture système de culture
Bovin dont la fumure est peu ou pas valorisée Bovin dont la fumure est valorisée Habitations, village
361
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
362
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
363
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
364
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
365
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
366
Processus d’innovation dans les exploitations familiales
d’écoute et d’empathie peut apporter une base méthodologique pour une meilleure
coopération.
367
Chapitre 25
Conseil aux exploitations
familiales
Guy FAURE, Patrick DUGUÉ et Valentin BEAUVAL
369
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
coton y sont parmi les plus élevés du monde en agriculture pluviale. La riziculture
irriguée à l’Office du Niger au Mali a également connu un essor important, un
modèle intensif fondé sur la maîtrise de l’eau et un ensemble de techniques ont été
adoptés. Dans ce contexte, la recherche a identifié les propositions techniques et a
contribué à leur adaptation aux conditions locales. Les structures publiques d’appui
à l’agriculture et les projets financés par la communauté internationale ont joué un
rôle crucial grâce à un réseau de vulgarisateurs chargés de diffuser l’information
technique, de dispenser des formations aux paysans, d’organiser la distribution des
intrants et parfois de faciliter la commercialisation des produits.
Dans d’autres secteurs, les échecs de la Révolution verte ont été tout aussi remar-
quables. Les évolutions de la productivité de la terre et du travail sont insignifiantes,
notamment dans les régions dont le potentiel agricole est faible et qui ne disposent
pas de perspectives favorables de commercialisation pour les produits agricoles
(marchés locaux peu dynamiques, éloignement des villes où parviennent des
produits agricoles subventionnés de pays du Nord, etc.). Dans toutes les régions
sahéliennes et dans les espaces ruraux éloignés des grandes villes, donc moins insérés
dans des circuits marchands, l’emploi de variétés améliorées, la consommation
d’intrants et la mécanisation restent encore très marginales.
D’autre part, la vulgarisation reste centrée sur la diffusion de messages techniques
simples. Cela ne permet pas de résoudre efficacement des problèmes complexes
comme la gestion de la fertilité des terres qui dépend de plusieurs éléments (eux-
mêmes en interaction) du système de production. La vulgarisation ne s’intéresse pas
non plus à l’amélioration du fonctionnement de l’exploitation et à son organisation
pour lever certaines contraintes.
370
Conseil aux exploitations familiales
371
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Par la suite, plusieurs autres formes de conseil ont été expérimentées en zone tropi-
cale, certaines se sont parfois inspirées des expériences de conseil à l’exploitation
menées en France.
• Méthodes d’autodéveloppement. Elles visent à favoriser les échanges entre produc-
teurs au cours de la mise en place de nouvelles techniques, en s’appuyant sur un réseau
d’expérimentations et de formations géré par les paysans eux-mêmes (comme en France
dans les Ceta et les Civam). Des exemples remarquables sont observés en Amérique
centrale (Hocdé et Miranda, 2000) et ont été ébauchés en Afrique. Ces groupes, qui
fonctionnent avant tout à partir de la participation de l’ensemble de leurs membres sans
toujours avoir recours à un conseiller, ont été qualifiés de groupes d’autodéveloppement.
• Conseil fondé sur des référentiels technico-économiques. Un conseil est élaboré à
partir des données techniques et économiques fournies par des agriculteurs apparte-
nant à des réseaux de fermes de référence (chambres d’agriculture en France, au
Brésil, au Venezuela). Les résultats obtenus par une diversité de producteurs dans une
région donnée sont analysés collectivement (chercheurs, techniciens et producteurs)
et servent à élaborer des référentiels technico-économiques et des stratégies d’amélio-
ration d’une production ou d’un système de production (Bonnal, 1992). L’approche est
collective et le conseil n’est pas conçu spécifiquement pour chaque exploitation.
• Le conseil économique et financier fondé sur la comptabilité. L’analyse de la situa-
tion de l’exploitation s’appuie principalement sur le bilan comptable et les résultats
économiques et financiers (Pesche et al., 1996). Le conseiller visite chaque exploi-
tant adhérant au dispositif de conseil et collecte les données. L’analyse des résultats
économiques par culture ou au niveau de l’exploitation s’effectue en groupe ou
individuellement. Le conseil est souvent personnalisé.
372
Tableau 25.1. Principales caractéristiques de 10 expériences de conseil aux exploitations familiales dans plusieurs pays d’Afrique de
l’Ouest en fonction des structures d’appui1. (Dugué et Faure, 2003).
Caractéristiques du conseil Mali Burkina Faso Côte d’Ivoire Cameroun Bénin
aux exploitations familiales
CPS- UPPM FNGN UNPC- SCGEAN Aprocasude DPGT- Aprostoc Cagea CADG
Urdoc Sofitex Prasac
Structures d’appui 1997 1998 1996 2000 1997 1997 1998 1998 1995 1995
Population alphabétisée dans la zone (%) 20 40-45 25 29 30 65 30 25 33 30
Centre d’intérêt économique ** ** ** ** ** ** * – ** **
des participants technique ** * * ** – – ** ** * *
autres – – – – Crédit Fiscalité – – Foncier –
Outils et Diagnostic-Inventaire * * * * ** – ** *
méthodes utilisés Suivi - Analyse ** ** ** ** ** ** * – ** **
Analyse prévisionnelle * ** ** * ** ** * – ** **
Échanges ** – – ** – – ** ** * *
entre paysans
Expérimentation ** – * – – – ** ** – –
technique
Utilisation – * * * * – – ** *
de l’ordinateur
Conseil individuel * ** ** * ** ** * ** **
Conseil de groupe ** * * ** Prévu Prévu ** ** * *
Conseillers Nombre de conseillers 5 4 9 10 1 1 14 10 18 12
et paysans Nombre de paysans 350 180 160 150 40 50 400 4500 360 600
Nombre de paysans 120 90 40 150 40 40 200 500 40 50
par conseiller (prévu)
Paysan-formateur Oui Non Oui Non Prévu Non Oui Oui Parrainage Parrainage
Gestion Centre de OP OP OP et OP OP Projet OP Prestataire Prestataire
du dispositif prestations société spécifique privé en privé en
cotonnière contrat avec contrat
Conseil aux exploitations familiales
373
OP ou avec OP
OP seule
* : faible ou limité ; * : moyen à développé ; ** : intense ou très développé ; OP : organisation paysanne.
1 Les appellations des organismes sont celles de 2001, année de démarrage.
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Cette analyse montre que les dispositifs ont une ancienneté qui permet d’évaluer
correctement les résultats obtenus et de comparer les méthodes. Par ailleurs, à l’ex-
ception du Bénin où 3 000 exploitations étaient concernées en 2004 et où les orga-
nisations paysannes et le ministère de l’Agriculture sont fortement impliqués
(chapitre 28), les dispositifs restent le plus souvent expérimentaux et concernent un
faible nombre de familles paysannes.
Les domaines d’intervention et les dispositifs mis en œuvre varient fortement d’un
pays à l’autre.
On peut aussi distinguer différents types de conseil.
• Dans quelques cas se mettent en place des groupes d’autodéveloppement
(Aprostoc au Cameroun, certains groupes au Bénin) qui valorisent les savoirs
paysans et l’expérimentation technique. Les producteurs sont rarement alphabé-
tisés et possèdent généralement des exploitations de petite taille. Ce type d’activités
peut s’adresser à une large gamme d’exploitations.
• Le conseil technico-économique repose sur des investissements initiaux importants
en alphabétisation et en formation de base (CPS-Urdoc au Mali, encadré 25.1 ;
UNPC-Sofitex au Burkina Faso ; DPGT-Prasac au Cameroun, encadré 25.2). Il
s’adresse à des exploitations de taille variable, mais généralement mieux dotées en
facteurs de production que la moyenne. Les participants sont souvent jeunes. Cette
forme de conseil s’appuie sur des animations en groupe et sur des échanges entre
producteurs (comparaison de résultats technico-économiques, choix de solutions, etc.).
• Le conseil à l’exploitation en tant que conseil de gestion économique (UPPM et
FNGN au Burkina Faso, SCGEAN et Aprocasude en Côte d’Ivoire, Cagea et
CADG au Bénin, etc.) est le plus souvent mis en œuvre dans des situations ouvertes
sur des marchés porteurs (producteurs d’ananas et exploitations cotonnières au
Bénin, éleveurs et cacaoculteurs du sud de la Côte d’Ivoire, etc.) et pour des exploi-
tants maîtrisant l’écriture et le calcul (dans une langue nationale ou en français).
Cependant, ce type de conseil est assez coûteux pour les très petites exploitations
familiales. Fondé sur l’étude des résultats comptables et sur une approche plus indi-
viduelle, il peut, en revanche, répondre aux besoins d’exploitations de taille
moyenne ou de grande taille qui souhaitent se développer et ont assez souvent
recours à des emprunts bancaires.
Ces différentes formes de conseil s’efforcent de renverser la tendance, en vigueur
depuis de nombreuses années, qui faisait du technicien, adossé aux systèmes de
recherche, le vecteur central du transfert de technologies vers les agriculteurs. Le
conseil à l’exploitation cherche à renforcer les capacités du producteur pour qu’il
maîtrise le fonctionnement de son exploitation, améliore ses pratiques et puisse
prendre les meilleures décisions. En ce sens, ces démarches dépassent la logique de la
vulgarisation classique (le transfert et l’adoption de techniques), en rendant les
producteurs capables de définir leurs besoins, de préciser leurs objectifs tant au
niveau de leur exploitation que de leur famille, de mettre en œuvre les actions
programmées et, plus largement, l’ensemble du processus de gestion concernant
l’unité familiale de production. Ce type de conseil est défini par l’expression « conseil
aux exploitations familiales » (Cef). L’idée centrale mise en avant par cette approche
est de placer le producteur et sa famille au centre de la pratique de conseil, en lui
permettant de s’approprier réellement la maîtrise des outils apportés par ce conseil.
374
Conseil aux exploitations familiales
375
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
376
Conseil aux exploitations familiales
Cependant, le conseil ne s’oppose pas à la vulgarisation agricole qui reste utile pour
toucher un large public. Il s’adresse, d’une part, à une population plus restreinte du
fait du coût du conseil mais ces exploitations peuvent jouer un rôle primordial dans
la mise au point d’innovations, d’entraînement ou de catalyseur au sein des sociétés
rurales et, d’autre part, à des exploitants qui ont l’opportunité et la capacité de faire
des choix en termes de productions (animales ou végétales), d’options technologiques
(intrants, équipements, etc.) et d’organisation du travail (familial ou salarié, etc.).
Analyser
377
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
S’il intervient sur plusieurs années, le Cef devient stratégique ; il peut alors
concerner l’introduction de la culture attelée ou de la petite motorisation dans l’ex-
ploitation en comparaison du coût en main-d’œuvre pour les opérations conduites
manuellement, ou bien le remplacement d’une culture après le constat d’une baisse
de marge, ou encore l’achat et le choix d’un équipement onéreux, etc.
378
Conseil aux exploitations familiales
Pédagogie active
La mise en œuvre d’un conseil à l’exploitation suppose de définir précisément la
démarche méthodologique et pédagogique qui sera utilisée ; le même outil pouvant
conduire à des dynamiques complètement différentes selon son mode d’emploi. Par
exemple, l’analyse des marges brutes des cultures par un vulgarisateur d’une société
cotonnière débouche très souvent sur la nécessité de respecter l’itinéraire technique
normatif recommandé pour le cotonnier afin de maximiser la production. Utilisée
dans un autre cadre, cette analyse peut amener à identifier différentes manières de
conduire la culture du cotonnier (sans forcément chercher à maximiser le rende-
ment), à prendre en compte la sécurité alimentaire de la famille, ou à identifier
d’autres cultures de rente pouvant être plus rentables dans la zone que le cotonnier,
en fonction des moyens dont dispose le paysan.
Les méthodes pédagogiques doivent s’appuyer sur des démarches participatives et
sur l’apprentissage mutuel entre les paysans et le conseiller (Cerf et al., 2000)
(encadré 25.3). Adopter une attitude participative a donc plusieurs conséquences
dans la démarche du Cef.
379
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
• Valoriser les savoirs paysans. En effet, il faut ancrer le conseil dans le vécu des
paysans, parce que leurs connaissances et leurs expériences peuvent permettre de
répondre aux questions posées par certains participants. Les démarches de conseil
doivent favoriser les dynamiques de groupe : échanges d’opinions entre participants
pendant les réunions, réflexion sur les pratiques et les conditions de mise en œuvre,
valorisation des expériences paysannes qui apportent des éléments de réponse, etc.
• Raisonner l’utilisation des outils afin de favoriser le processus d’apprentissage et
promouvoir l’autonomie des participants. Il n’est pas neutre de préciser qui collecte
les données (le paysan ou le conseiller), qui les analyse (le paysan, le conseiller ou
un informaticien), et où (au champ, au village ou au bureau du conseiller). Il
importe de privilégier un travail de collecte et d’analyse par les paysans, avec l’appui
du conseiller dans un premier temps ; cette option garantit que les outils de gestion
seront adoptés par l’agriculteur mais peut paraître coûteuse en temps (déplacement
du conseiller, temps de formation et de suivi, etc.) et peu compatible avec des
analyses fiables (erreurs dans les relevés, fautes de calcul, etc.). Il convient donc de
concevoir des outils qui, certes, répondent aux demandes paysannes, mais égale-
ment adaptés aux capacités des paysans.
• Enrichir progressivement le conseil en fonction des demandes formulées par les
agriculteurs afin de favoriser une progression dans l’apprentissage et une utilisation
effective des outils, tout en gardant de la souplesse pour répondre à des besoins non
identifiés au début du processus de conseil.
• Préciser le rôle du conseiller car il n’est pas, comme dans beaucoup de dispositifs
de vulgarisation pyramidaux, la personne qui seule détient les connaissances, qui
380
Conseil aux exploitations familiales
381
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. Gouvernance. Au Moyen Âge, en Angleterre, ce terme était utilisé pour définir le mode d’organisa-
tion du pouvoir féodal. Il est utilisé aujourd’hui pour désigner au niveau mondial les mécanismes de
régulation économique et politique des relations entre pays. À un niveau local, il recouvre les arrange-
ments entre acteurs pour la gestion d’un bien commun ou d’un service collectif.
382
Conseil aux exploitations familiales
des institutions dans la zone concernée et donc des rapports de force entre les
acteurs (poids de la vulgarisation, expériences antérieures de conseil à l’exploita-
tion, intérêt des organisations paysannes pour promouvoir de nouveaux services,
activités des ONG dans le domaine de la formation agricole, etc.). Ainsi, les dispo-
sitifs institutionnels sont très divers, il n’y a donc pas de modèle général mais des
principes fondamentaux (tableau 25.2).
383
Tableau 25.2. Analyse comparative des différents dispositifs de conseil en fonction de la participation paysanne dans la gouvernance.
384
Service Cef géré directement par une OP Service Cef au sein d’une interprofession Cef mis en œuvre par un prestataire privé
Qualités ou par un centre de prestations de services
géré par une OP
L’OP doit être suffisamment structurée Les objectifs de l’interprofession doivent Le prestataire explicite les services qu’il
pour gérer ce service de conseil être clairs. Elle doit comprendre peut fournir et les coûts correspondants.
sans affaiblir ses autres activités. que s’engager dans le conseil signifie Il doit s’inscrire dans une logique
L’OP dispose et affecte des moyens pour un effort poursuivi dans la durée. commerciale de recherche de marchés.
ce service. Elle établit un cahier des charges Les règles de financement du service Il doit être enclin à l’innovation.
Préalables explicitant les tâches de chaque acteur doivent être transparentes. Un contrat détaillé doit définir les relations
du conseil (adhérent, OP). Les OP membres de l’interprofession entre le prestataire et les participants
Il existe des mécanismes de contrôle au sein doivent participer au choix des conseillers, au conseil ou leur organisation.
de l’OP par les membres pour s’assurer du à l’orientation du contenu du conseil
bon fonctionnement des activités de conseil. et à l’évaluation des résultats.
Les producteurs ont le pouvoir de décision Financement du service facilité par Le prestataire crée un centre de gestion
(embauche ou licenciement du personnel, le prélèvement sur la vente du produit. spécialisé et financièrement autonome.
orientation du programme, évaluation) Le Cef facilite l’émergence d’une vision Le prestataire développe plusieurs produits
et la gestion courante du Cef est assurée commune des acteurs de la filière sur et s’adapte aux demandes solvables
Avantages par leurs salariés. le développement agricole de leur région. (souplesse d’intervention).
Impact positif probable sur la gestion de l’OP. La mise en concurrence des prestataires
Références technico-économiques peut bénéficier aux producteurs (rapport
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Encadré 25.4. Le rôle du secteur privé dans les activités de conseil au Bénin
Le Padse (Programme d’améliorations et de diversification des systèmes d’exploitation)
n’intervient pas directement sur le terrain auprès des producteurs. Dès l’origine, il a opté
pour un travail avec des opérateurs privés qui, aujourd’hui, traitent à avec des organisa-
tions paysannes sous forme de contrats d’objectifs (chapitre 28). L’ensemble regroupe
une trentaine de conseillers, relayés par une centaine d’animateurs paysans pour des
formations en langue locale. Le nombre d’agriculteurs concernés directement par le
processus de conseil était d’environ 3 000 en janvier 2004.
Les opérateurs privés entretiennent des relations contractuelles avec leurs clients (orga-
nisations paysannes, producteurs et groupements féminins) et s’efforcent de préciser
leur offre de formation pour aborder la gestion, le contenu de leurs interventions, les
produits qu’ils délivrent (comptes de résultat, suivi de trésorerie, calculs des marges
brutes et des coûts de production, etc.), le nombre de visites de terrain qu’ils effectuent
auprès des adhérents, le nombre de réunions qu’ils organisent.
385
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
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Conseil aux exploitations familiales
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
• Des outils permettant une progression dans la démarche afin de tenir compte de
la dimension de formation du conseil. Les outils peuvent devenir plus complexes au
cours du temps. Cette progression dépend du niveau scolaire de chaque groupe : au
Sud Bénin, quelques adhérents utilisent l’informatique ; dans la zone de l’Office du
Niger (Mali) et au Cameroun, beaucoup de membres ont un faible niveau d’alpha-
bétisation. Dans les zones défavorisées sur le plan éducatif, les premières séances
de travail sont essentiellement destinées à former les participants (renforcement en
alphabétisation, initiation aux concepts de base de la gestion, maîtrise des outils de
gestion, etc.). Au Nord Cameroun, en fonction des demandes paysannes, des
thèmes simples (gestion de la trésorerie, des stocks alimentaires, du travail…)
peuvent être abordés en mobilisant des concepts facilement compréhensibles
(quantité de céréales par personne et par an, journée de travail…).
Progressivement, le conseiller utilise des concepts plus complexes (marge brute par
culture, résultat global d’exploitation, budget de trésorerie…) qui nécessitent un
niveau d’abstraction plus élevé (Djamen et al., 2003).
• Des outils donnant des résultats rapidement utilisables. Le paysan souhaite cons-
tater rapidement l’intérêt du Cef et accepte rarement de consacrer une année
entière à la collecte de données avant de passer à une phase d’analyse puis de
programmation de ses activités. Ces outils doivent donc associer rapidement les
phases de collecte d’information, d’analyse et de réflexion sur les conséquences
pour l’exploitation. Par exemple, dans l’Ouest du Burkina, pour traiter les marges
brutes des cultures, il est suffisant de faire appel à la mémoire des paysans pour
obtenir les données nécessaires, et ainsi, le même jour, conduire une analyse et tirer
des conclusions pour la campagne future. En revanche, lorsque la collecte de
données s’étale sur toute une année (par exemple pour le suivi de trésorerie), il est
impératif de prévoir des analyses régulières (mensuelles ou trimestrielles, etc.).
• Des outils adaptés à la demande des producteurs et non l’inverse. Le producteur
ne doit pas être obligé de suivre tout un programme mis au point par les concep-
teurs du dispositif de Cef, si son souhait est seulement de résoudre un ou quelques
problèmes particuliers. Aussi est-il préférable de construire des outils qui peuvent
répondre à des demandes variées, par module thématique. Par exemple à l’Office
du Niger au Mali, les paysans disposent d’un choix de thèmes : conduite de l’éle-
vage, diversification de la production, gestion de la trésorerie, etc. Dans la plupart
des expériences de Cef, les outils ne sont pas figés, ils évoluent au cours du temps
pour prendre en compte les réactions et les besoins des participants.
• Des outils construits en commun. Le Cef vise à construire un raisonnement afin
d’analyser une situation et résoudre un problème, il faudrait donc que le conseiller
privilégie une démarche de participation des paysans pour élaborer les outils qui
leur sont utiles pour répondre aux questions qu’ils se posent. Une telle approche
garantit que l’on répond bien aux demandes paysannes et que les producteurs s’ap-
proprient réellement cette réflexion, néanmoins elle doit être conduite par un
conseiller expérimenté et ayant un niveau de formation initiale suffisant.
À ce jour, la plupart des outils disponibles sont utilisables uniquement par des agri-
culteurs alphabétisés en français ou en langue locale. Le recours au dessin et à des
pictogrammes pour les paysans non-alphabétisés reste à expérimenter.
390
Conseil aux exploitations familiales
Le conseiller
Le conseiller constitue la pierre angulaire des dispositifs de Cef. Les personnes qui
pilotent des dispositifs doivent avoir une réelle volonté de gestion et d’amélioration
des compétences du conseiller (Hemidy et Cerf, 1999).
Profil, compétences
Étant donné la complexité des démarches du Cef, les compétences que doit réunir
le conseiller sont multiples :
– connaître le fonctionnement des exploitations agricoles et l’agriculture de sa zone
d’intervention ;
– parler la langue nationale (écrit et oral) ;
– être informé des principales techniques de production de la zone d’intervention
(conduite des cultures et des troupeaux, gestion de la fertilité des terres, etc.) ;
– maîtriser des méthodes d’analyse économique et financière des résultats obtenus
par les exploitations (analyse des marges, compte d’exploitation, etc.) ;
391
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Paysans formateurs
Plusieurs expériences de Cef font appel à des paysans formateurs pour démultiplier
certaines actions sur le terrain. La plupart du temps il s’agit de leur confier des
responsabilités sur une partie des activés du Cef : formation technique, analyses
technico-économiques simples, appui à l’enregistrement ou à l’analyse des données,
etc.
Ces initiatives sont récentes et, de ce fait, difficiles à évaluer aujourd’hui. Dans
certaines situations, les résultats sont encourageants et les producteurs sont de plus
en plus associés aux démarches du conseil, cela permet notamment de réduire les
coûts des dispositifs. Parfois, les participants au conseil fournissent spontanément de
tels appuis démontrant leur motivation pour un tel travail. Dans d’autre cas, les
résultats sont plus décevants : le paysan formateur est perçu comme un paysan relais,
simple démultiplicateur des activités du conseiller ; ou encore les participants ne
reconnaissent pas les compétences du paysan formateur ; ou bien plus simplement
les règles du jeu ne sont pas bien définies (tâches à exécuter, temps à consacrer,
modalités d’indemnisation…).
392
Conseil aux exploitations familiales
393
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
394
Conseil aux exploitations familiales
L’élaboration d’un système d’information sur les prix des produits agricoles et des
intrants facilite les choix d’assolement.
395
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
chacun des outils utilisés par les producteurs (objectif du travail, signification des
indicateurs, mode de calculs, interprétation possible, etc.) et propose une organisa-
tion des séances de travail collectives ou individuelles. Ce guide est parfois complété
par des fiches de programmation et d’évaluation des activités, des fiches techniques
sur les productions et les résultats économiques des exploitations.
Contribution de l’informatique
L’informatique est utilisée par quelques dispositifs de Cef en Afrique de l’Ouest
pour traiter les données collectées par les paysans (Bénin, UPPM au Burkina Faso).
S’il est évident que la majorité des paysans ne peuvent pas manipuler l’ordinateur,
la méthode offre cependant des avantages. Certaines données peuvent être validées
à partir de tests simples. De plus, les analyses peuvent être plus approfondies car des
calculs plus complexes sont envisageables. Les données sont stockées, ce qui facilite
les comparaisons entre exploitations et les analyses historiques sur plusieurs années,
riches d’enseignements. Mais les difficultés sont aussi importantes : entretien
coûteux et difficile du matériel, sauvegarde irrégulière des données entraînant leur
perte, délais souvent plus longs que souhaités entre le recueil des fiches, la saisie des
données et la restitution des résultats aux paysans.
L’informatique est également parfois employée par les gestionnaires :
– pour effectuer plus rapidement et plus sûrement les calculs assez fastidieux dans
les approches classiques de comptabilité et de gestion de l’exploitation ;
– pour générer des références locales sur les systèmes de culture et d’élevage et les
exploitations (analyse des données de l’ensemble des exploitations des participants
avec agrégation possible par type d’exploitation ou par région) ;
– pour tester l’effet de la variabilité de certains paramètres (un prix, un rendement,
etc.) sur les résultats techniques et économiques de quelques exploitations types.
Certains programmes (Lindo, Gams, Olympe, etc.) de programmation linéaire ou
non-linéaire, permettent d’optimiser une ou plusieurs fonctions objectifs (revenu de
l’exploitation, rémunération de la journée de travail, etc.) en prenant en compte
différentes contraintes (terres, main-d’œuvre, etc.) et en intégrant différents risques
(climatique, économique, etc.). Ces programmes sont cependant d’un emploi
délicat et réservés à des personnes bien formées, et sont encore rarement utilisés
dans les dispositifs de conseil à l’exploitation.
Les résultats des calculs et des simulations ne peuvent en aucun cas servir à élaborer
directement des recommandations normatives au producteur car la réalité est
toujours plus complexe que les modèles. Ils servent à engager un dialogue avec lui,
à stimuler la réflexion, à valider des hypothèses.
Financement du Cef
La situation actuelle
À l’heure actuelle, en Afrique de l’Ouest et du Centre, une très large partie du
financement des programmes de Cef (à hauteur d’environ 80 %) est assurée par les
bailleurs de fonds internationaux ou des organisations non-gouvernementales. Il
396
Conseil aux exploitations familiales
Coût du conseil
Aujourd’hui, le coût du conseil reste élevé car le nombre d’exploitations touchées par
un conseiller est relativement limité (de 20 à 60 selon les expériences en cours en
Afrique francophone). D’après les données fournies par les gestionnaires des dispo-
sitifs de Cef en 2002, ce coût variait entre 60 000 et 120 000 FCFA par exploitation
participante et par an (Dugué et Faure, 2003). Il peut représenter environ 50 % du
revenu moyen d’un producteur des zones où ces dispositifs interviennent.
Ce chiffre doit être cependant relativisé. En effet, dans ce calcul ne sont pas pris en
compte les bénéficiares indirects des interventions du conseil par le biais de la diffu-
sion des informations et des techniques dans le cadre des réseaux informels. Un
calcul plus réaliste des coûts intégrant les bénéficiaires directs et indirects fournirait
des comparaisons plus faciles avec les programmes de vulgarisation classique qui
comptabilisent tous les paysans d’une même zone, même s’ils ne sont pas touchés
directement par les actions du vulgarisateur. De plus, le coût par producteur peut
diminuer fortement quand le dispositif est rodé, et que des efforts sont faits pour
développer des outils simplifiés.
397
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Afin de maîtriser les coûts du conseil, un certain nombre de mesures peuvent être
prises :
– augmenter le nombre d’exploitations participantes par conseiller. Les gestion-
naires de dispositifs de conseil estiment qu’un conseiller expérimenté peut inter-
venir auprès de 40 à 150 exploitations alors qu’actuellement ce chiffre oscille entre
20 et 60. Cette orientation donne plus d’importance au conseil de groupe qu’au
conseil individuel ;
– favoriser l’émergence de paysans conseillers ou paysans animateurs pour déve-
lopper des activités particulières. Le coût journalier d’une intervention est généra-
lement modeste, car il correspond souvent à l’embauche d’un travailleur pour les
remplacer dans leur champ (1 500 à 3 000 FCFA / j) ;
– assurer des liens étroits entre les participants au conseil et les réseaux locaux de
diffusion des savoirs et des techniques. Les paysans participant au conseil sont
souvent des personnes dynamiques, leaders d’opinion, qui peuvent contribuer à
faire évoluer l’agriculture de leur zone.
Modalités de financement
La prise en charge des coûts du Cef par les producteurs est très faible, ce qui pose
le problème central du financement si les acteurs souhaitent étendre les dispositifs
en cours (Van den Ban, 2000). La répartition des charges entre les acteurs dépend
du type de conseil et du dispositif mis en place, et notamment de la place accordée
à la formation, au conseil de groupe ou au conseil individuel.
Les réflexions en cours montrent que les sources de financement peuvent être
multiples.
• La cotisation des bénéficiaires peut varier en fonction du service fourni. Dans le
cas d’un contenu de formation essentiel (alphabétisation, formation de base facili-
tant l’accès au conseil), la contribution des participants est minime. Elle peut être
plus forte quand il s’agit de traiter du conseil technico-économique à l’exploitation.
Quand on aborde le conseil individualisé (dossier de crédit, choix d’un investisse-
ment), notamment pour les grandes exploitations familiales ou les entreprises, le
bénéficiaire se doit de couvrir une large part des coûts du service.
• La contribution des organisations de producteurs est souhaitable dans la mesure
où elles valorisent les acquis obtenus par les paysans qui participent au Cef (accès à
des données sur les productions et les revenus, diffusion des résultats à un public
plus large que celui des adhérents au dispositif de conseil). Malheureusement, ces
organisations ont souvent un faible degré d’autonomie dans ce domaine, et subissent
les fluctuations des prix des produits agricoles.
• Le prélèvement sur les filières peut être prévu à partir des ventes des produits ou
des intrants (cas de la filière du coton) ou bien par la vente d’un service (cas de la
redevance pour l’eau dans les périmètres irrigués). Comme dans le cas précédent,
les gestionnaires des filières (interprofessions) peuvent ainsi bénéficier d’informa-
tions fiables mais ont aussi tout intérêt à participer à la diffusion de savoirs, d’inno-
vations et d’outils de gestion.
• Une quote-part de l’État est envisageable par l’attribution de subventions, souvent
en liaison avec des financements extérieurs, ou par la mise à disposition de personnels
fonctionnaires choisis par les producteurs au titre de la formation des ruraux.
398
Conseil aux exploitations familiales
399
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
les initiatives. Cette réflexion conduit à associer les responsables paysans à la définition
et à la mise en œuvre des politiques. Elle donne des arguments pour repenser la répar-
tition des responsabilités entre l’État et les organisations professionnelles, favoriser des
transferts de compétences et de moyens dans divers domaines (approvisionnement en
intrants, commercialisation, crédit, formation, etc.) selon le pays.
Dans ce contexte, les dispositifs d’appui et de conseil aux exploitations sont amenés
à évoluer. Le conseil à l’exploitation (Cef) doit s’inscrire en complémentarité avec la
recherche-développement, la vulgarisation et la formation agricole qui elles-mêmes
visent un public plus large et divulguent des connaissances et des recommandations
pour la production et la gestion des ressources naturelles. Les synergies avec les
actions d’alphabétisation et d’éducation (post-alphabétisation) sont à renforcer.
Le Cef fournit des appuis d’une nouvelle sorte à des exploitations qui ont un potentiel
d’évolution important et qui souhaitent progresser. Il faut cependant veiller à la coor-
dination du Cef avec les autres services à l’agriculture (crédit, approvisionnement).
Plus globalement, la rénovation des différents services à l’agriculture (leur contenu,
leur mode de gouvernance…) doit s’appuyer sur des dispositifs de formation des
ruraux, et mieux prendre en compte les attentes des producteurs (encadré 25.6)
Enfin, il serait vain de vouloir développer une gamme de services à l’agriculture sans
aborder la question des politiques agricoles. Pour changer d’échelle, le conseil à l’ex-
ploitation familiale (Cef) nécessite un environnement économique et institutionnel
sécurisé et des politiques régionales et nationales véritablement favorables aux
exploitations familiales. Ainsi, ces politiques doivent inclure des mécanismes de
protection contre les importations de produits agricoles subventionnés par les pays
du Nord, des investissements en milieu rural (éducation, alphabétisation, infrastruc-
tures,…), un accès adapté au crédit, etc. La durabilité des expériences de Cef ne peut
donc s’envisager sans un minimum de stabilité et sans être associée à des soutiens
publics (nationaux ou internationaux) – légitimés par la contribution du Cef à la lutte
contre la pauvreté et à l’accroissement de la compétitivité des agricultures familiales
africaines.
400
Conseil aux exploitations familiales
401
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Ces pistes, évoquées par des responsables paysans et des formateurs africains, condui-
sent à se pencher avec un regard nouveau sur deux chantiers importants dans les pays en
développement :
– la formation professionnelle agricole et rurale, qui semble de nouveau faire partie des
préoccupations internationales après de nombreuses années sans appui conséquent. Le
capital humain est un facteur-clé du développement et les stratégies élitistes fondées sur
des formations supérieures ont fait long feu. Comment apporter aux futures générations
d’agriculteurs et de ruraux les contenus et savoir-faire nécessaires à leurs futures acti-
vités ? De nombreuses expériences existent, elles révèlent des méthodes, des contenus,
des approches et des processus à privilégier. Sans vouloir dupliquer ces expériences,
comment en tirer parti pour fonder des dispositifs de formation professionnelle adaptés
aux modes d’apprentissages paysans et quels sont les moyens financiers nécessaires pour
former une masse critique d’agriculteurs et de ruraux ? ;
– l’appui-conseil au monde rural. Les systèmes nationaux de vulgarisation agricole ont
subi de nombreuses réformes et ont, dans certains pays, pratiquement disparu. Les ques-
tions qui se posent pour mettre en place de nouveaux dispositifs portent avant tout sur
la maîtrise et la gouvernance, la stabilité financière et sociale et la pertinence de leurs
fonctions. La question de la vision d’avenir du monde rural est souvent éludée au profit
des slogans habituels. Recréer une fonction de service technique et de conseil avec des
logiques paysannes est un enjeu important. Dans cette construction collective, il faut
aussi veiller à coordonner l’appui et le conseil aux producteurs (vulgarisation, conseil
global à l’exploitation) avec des formes renouvelées de formation des ruraux afin de
développer des synergies entre ces activités complémentaires.
(Source : Pesche et Barbedette, 2002)
402
Pour approfondir le sujet
Chapitre 26
Apprendre pour changer :
exemple de la culture du riz pluvial
dans les bas-fonds
Toon DEFOER et Marco C.S. WOPEREIS
Dans des environnements complexes, les paysans ont besoin pour progresser de
technologies qui donnent des résultats techniquement fiables et économiquement
rentables pour une large gamme de pratiques de gestion. L’introduction de
nouvelles technologies dans les systèmes de culture a souvent eu un impact limité
quand un seul aspect de l’itinéraire technique était pris en compte (Röling, 1996).
On a obtenu de meilleurs résultats quand les chercheurs et les agents de vulgarisa-
tion ont travaillé à l’intégration d’une nouvelle technologie dans les systèmes de
production en interaction avec les autres facteurs de production et les pratiques de
gestion. Pour aboutir à ce type de résultat, les paysans devraient être plus associés
à l’évaluation des différentes options dès le début du processus de conception des
technologies et systèmes innovants, afin d’adapter progressivement les innovations
à leur environnement.
Du fait de la diversité et de l’évolution permanente des systèmes de production, la
recherche n’est pas en mesure de fournir des réponses techniques spécifiques à
chaque situation agricole ; dans ces conditions, l’approche classique du transfert de
technologies trouve ses limites. Par conséquent, il est préférable de privilégier des
démarches visant à renforcer les capacités des agriculteurs à s’adapter, à faire face
aux aléas et à gérer leurs ressources. Ce type de démarche, fondé sur l’apprentissage
par « l’essai et l’erreur » doit engager en premier lieu les agriculteurs ainsi que les
principaux acteurs de la recherche et du développement.
Nous faisons l’hypothèse qu’une approche ascendante (bottom up) d’apprentissage
social et par l’action est nécessaire pour stimuler le changement de technique.
L’approche de l’« apprentissage participatif et recherche-action » (Apra) que nous
présentons est une démarche d’accompagnement du changement qui offre aux
403
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
404
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds
Les principes
En Côte d’Ivoire, une équipe comprenant du personnel de l’Adrao et de l’Agence
nationale de vulgarisation Anader a été formée à cette approche ; elle a collaboré
avec deux groupes d’environ 30 paysans volontaires de Bamoro et de Lokakpli. Les
sessions se sont déroulées sur des parcelles de riz et dans un lieu choisi par les
paysans dans leur village, qui accueille en général le début et la fin de chaque
session. Entre mai et novembre 2001, les paysans et les facilitateurs se sont rencon-
trés chaque semaine dans chacun des villages. Lors des sessions, la discussion sur les
différences entre les pratiques paysannes de riziculture est encouragée et les
paysans sont invités à découvrir, observer, comprendre et innover. Les facilitateurs
apportent également de nouvelles informations et des idées fondées sur la connais-
sance et la compréhension scientifiques. Les outils d’apprentissage utilisés sont en
fait des applications de la théorie et des connaissances scientifiques traduites dans
des formes accessibles aux paysans ; cette traduction est appelée praxéologie (Nas
et al.,1987). Plusieurs outils d’apprentissage ont été construits à partir des principes
du diagnostic participatif en milieu rural (Chambers, 1997), de l’analyse des agro-
écosystèmes (Conway, 1987), et de l’évaluation rapide des systèmes de connais-
sances agricoles (Engel et Salomon, 1997). Pendant toute la saison culturale, les
paysans ont été encouragés à mettre en pratique les nouvelles idées issues des
sessions d’animation, sur une portion de leurs champs (la parcelle d’observation
Gir) et les comparer ensuite à leurs pratiques habituelles dans le même champ. Des
formulaires ont été élaborés pour que les paysans puissent enregistrer leurs obser-
vations, le calendrier des travaux et la nature des nouvelles pratiques testées dans
leur parcelle. Durant toute la saison culturale, l’équipe d’animation et les paysans
ont visité les parcelles tests lors de sessions collectives.
405
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Amélioration
de la productivité
Connaissances et et de l’efficacité
principes scientifiques de l’utilisation
Options technologiques des ressources
406
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds
Outils d’apprentissage
Plusieurs outils d’apprentissage ont été élaborés : des cartes de ressources, des
calendriers, des photos et diagrammes pour visualiser des phénomènes. Ce
processus rend plus explicites et visibles des éléments du système ou des interac-
tions entre éléments jusque-là inconnus des paysans. Les outils d’apprentissage sont
destinés aussi à améliorer les observations et les faire découvrir. Parmi les outils
proposés, un des plus importants est le calendrier cultural.
Le calendrier cultural présente une vision d’ensemble de tous les stades de développe-
ment de la plante, et aide à mieux planifier les opérations culturales (figure 26.2). Les
407
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Pratiques
de gestion
0 S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S11 S12 S13 S14 S15 S16 S17 S18 S19 S20 S21
Semaine 1 à 21
paysans élaborent eux-mêmes ce calendrier. Des figurines, (préparées sur des petites
cartes), sont fixées sur un tissu sous une ligne de temps divisée en semaines : on
commence par placer la carte « la graine » sous le « 0 » de la ligne de temps, puis « la
plante mûre » à l’endroit correspondant à la fin du cycle de culture. Ensuite, les
paysans listent les stades importants du développement de la plante, floraison, stade
plantule (4 feuilles), début du tallage et tallage maximal, et placent chaque carte à
l’emplacement correspondant sur la ligne de temps. Généralement, les paysans ne
savent pas reconnaître le stade de l’initiation paniculaire, ils apprennent donc à décou-
vrir et à observer les nœuds, les entrenœuds et l’ébauche de panicule en coupant dans
le sens de la longueur la tige de quelques plants de riz. Après avoir placé les cartes
correspondant aux stades principaux de développement, les trois phases majeures du
développement de la plante sont identifiées : végétative, reproductive et maturation.
Ces phases sont comparées à la construction d’un bâtiment, dont on construit d’abord
les fondations (développement horizontal ou phase végétative du riz), ensuite les murs
et le toit (développement vertical ou phase reproductive du riz). Quand le bâtiment
(par exemple un magasin de stockage) est construit, il peut être rempli (phase de matu-
ration ou de remplissage des grains). Après la détermination des phases de développe-
ment de la plante, les paysans visualisent les pratiques culturales (semis dans la
pépinière, repiquage, désherbage, application d’engrais, récolte) à l’aide de picto-
grammes placés au-dessus de la ligne de temps. Ensuite, ils discutent pour savoir si leur
calendrier cultural contribue effectivement à la construction d’un grand magasin solide
ou s’ils peuvent l’améliorer. Les options d’amélioration de la gestion du temps et des
pratiques sont alors disposées au-dessus de la ligne des pratiques actuelles (figure
26.2). Enfin, les paysans précisent les conditions nécessaires pour mettre en œuvre ces
nouvelles options ainsi que les actions collectives à entreprendre.
La réalisation de ce calendrier permet aux paysans de mieux percevoir les relations
entre les stades de développement de la plante et les effets des opérations culturales
et de gestion de la rizière dans son ensemble. La comparaison entre les villages de
Bamoro et de Lokakpli montre que la réalisation de ce calendrier peut donner des
résultats assez différents en termes d’options d’amélioration de la conduite de la
culture et de gestion du bas-fond (encadré 26.2).
408
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds
Parcelles tests
Les paysans sont encouragés à mettre en application toutes les idées nouvelles
issues des sessions d’animation dans une partie de leurs champs dénommée
« parcelle test » car il est souvent plus facile d’innover à petite échelle. Chaque
paysan du groupe prépare son propre programme de test d’innovations.
Les observations au champ sont essentielles dans l’approche proposée et sont direc-
tement liées aux parcelles tests. Les paysans apprennent ensemble à faire des obser-
vations sur le terrain et en comprennent l’utilité pour interpréter les phénomènes
observés. L’art de l’observation est acquis grâce à la pratique sur la parcelle en petits
groupes de 4 à 6 paysans. Collectivement et avant d’aller au champ, les paysans s’en-
tendent sur l’objet (phénomène, maladie, etc.) qu’ils vont observer et identifient des
indicateurs d’observation. Tout au long du cycle du riz, les paysans font ainsi des
observations sur l’état de la parcelle (sol, eau), les stades de développement de la
plante, l’enherbement, les ennemis de la culture et la qualité de la récolte. Chaque
groupe désigne un animateur et un rapporteur et les constatations et les décou-
vertes sont discutées durant des sessions plénières au retour du champ.
En focalisant ses observations sur la parcelle test, le paysan peut comparer les effets
des innovations aux pratiques conventionnelles. Afin d’évaluer les performances
obtenues, le paysan note les pratiques clés de gestion de la culture de riz sur la
409
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Rendements en riz
Les rendements des parcelles témoins variaient entre 2 et presque 8 tonnes par
hectare. L’application des nouvelles pratiques sur les parcelles tests (Gir) a augmenté
significativement (p = 0,03) les rendements avec un gain moyen de 0,6 tonne par
hectare par rapport aux parcelles témoins (Warda, 2002).
Innovations techniques
À Lokakpli, les paysans ont testé en moyenne cinq innovations, axées surtout sur la
gestion du temps pour l’application d’urée. Au lieu d’un seul épandage souvent
après repiquage, les paysans ont appliqué l’urée en deux fois dans les parcelles tests :
2 semaines après le repiquage (pour stimuler le tallage) et environ 6 semaines plus
tard (à l’initiation paniculaire). Une autre innovation importante porte sur la gestion
de l’eau comprenant le maintien d’une couche d’eau de 2 à 3 cm en alternance avec
de courtes périodes de drainage durant l’application de l’engrais. En outre, la
programmation de la récolte a été améliorée afin d’augmenter la qualité du grain et
sa quantité en réduisant les pertes.
À Bamoro, les paysans ont testé en moyenne trois innovations. Les plus importantes
sont : le repiquage précoce, environ 2 à 3 semaines après le semis ; l’amélioration de
1. L’approche Apra appartient à la même famille de méthodes d’intervention en milieu rural que
l’approche du champ-école (Farmer Field Schools, FFS ), fondée également sur un processus d’appren-
tissage par l’action. Les deux méthodes se ressemblent donc. Cependant, une des principales différences
réside dans l’introduction des améliorations potentielles. Dans l’approche FFS, une attention particu-
lière est donnée à la parcelle de démonstration, gérée par l’ensemble du groupe dans le but de démon-
trer la supériorité d’une ou plusieurs techniques nouvelles. Dans l’approche Apra, les améliorations
potentielles ne sont pas préconçues, mais ressortent de l’interaction entre les paysans et l’équipe d’appui
Apra lors des sessions.
410
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds
Étendre l’expérimentation
Cette démarche est en phase de mise au point et n’est pas encore prête à être
diffusée à grande échelle. Cependant, les résultats prometteurs obtenus à
Bamoro et Lokakpli et l’enthousiasme des paysans associés nous ont encouragés
à étendre l’expérimentation de cette méthode à d’autres sites en Côte d’Ivoire,
au Bénin, en Gambie, au Ghana, en Guinée, au Mali, au Nigeria et au Togo. En
2003, 23 sites étaient opérationnels. Les équipes (chercheurs, vulgarisateurs et
ONG) ont reçu une formation théorique et pratique pour tester cette approche.
Pour les saisons 2002-2003, 120 facilitateurs ont été formés (60 % venant des
services nationaux de vulgarisation, 25 % de personnels de recherche et 15 % de
personnels d’ONG).
411
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Paysans facilitateurs
Les paysans qui ont expérimenté cette méthode peuvent être associés à sa diffusion
grâce à l’apprentissage de paysan à paysan. En Côte d’Ivoire quatre paysans volon-
taires ont été formés comme facilitateurs et peuvent intervenir sur le terrain ou lors
d’ateliers auprès de nouveaux groupes de volontaires, au même titre que les cher-
cheurs et les agents de développement. Quatre villages de la région Centre de la
Côte d’Ivoire ont fait des demandes de formation et les paysans facilitateurs (ou
animateurs) ont animé des sessions dans ces villages. Ils sont assistés par des facili-
tateurs professionnels pour préparer les sessions, ou pour donner des explications
adéquates. En échange du temps consacré à l’activité de formation, les paysans faci-
litateurs doivent recevoir une indemnité. Un système de paiement a été testé en
Côte d’Ivoire avec la collaboration financière de l’Adrao et de l’Anader. Les
paysans achètent des coupons d’apprentissage (2 000 FCFA soit environ 3 € par
session), après la formation, ils paient avec un coupon le paysan facilitateur qui
pourra l’échanger contre du numéraire à l’Adrao-Anader. Les 20 premières sessions
sont subventionnées par l’Adrao, les sessions additionnelles sont payées à plein tarif
par les groupes de producteurs.
412
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds
413
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
doivent aussi contribuer aux formations en place des membres des équipes Apra. Ils
doivent être en mesure de faire évoluer les outils d’apprentissage ainsi que les cursus
de formation initiale des futurs chercheurs et des agents de développement.
Du fait de sa flexibilité et des possibilités d’adaptation aux différentes situations, la
méthode Apra peut devenir une démarche d’appui aux processus d’innovation dans
toutes les zones de riziculture de bas-fonds et s’ouvrir à d’autres systèmes de produc-
tion. La diversité des systèmes de production détermine la densité minimale de
centres (ou d’équipes) Apra à prévoir à l’échelle d’une région ou d’un pays. Pour cette
raison, il est conseillé de progresser étape par étape et de bien raisonner l’implanta-
tion et le nombre de centres Apra qu’une institution peut coordonner correctement.
Par ailleurs, les promoteurs de la démarche doivent être attentifs à l’auto-évaluation
et à l’analyse d’impact afin de garantir que l’approche Apra s’adapte et continue de
s’adapter aux conditions spécifiques du milieu et aux dynamiques locales.
Conclusion
Pour accompagner les processus d’innovation dans la riziculture pluviale de bas-
fonds, une équipe composée d’agents de la recherche et de la vulgarisation a mis au
point une approche participative d’apprentissage et de recherche-action (Apra).
Les paysans associés mettent à l’épreuve sur une partie de leur champ les nouvelles
idées ou façons de faire qui surgissent durant les sessions d’observation, de
diagnostic et de formation. Ainsi est créé un cycle de créativité, menant à des
options d’amélioration qui vont parfois au-delà des innovations initialement propo-
sées ou identifiées. L’apprentissage social stimule l’innovation et la découverte par
soi-même, aboutissant à des améliorations sur le plan des connaissances, des
pratiques de gestion et des rendements de la culture.
Cette approche est particulièrement réussie si l’on traite d’abord d’un problème
spécifique pour commencer (par exemple la conduite du riz de bas-fond) afin que
les producteurs comprennent l’ensemble de la méthode. Il est alors par la suite
possible d’aborder d’autres systèmes de culture associés (maraîchage) ou plus
globalement la gestion intégrée des ressources naturelles dans le bas-fond ou à
l’échelle du bassin versant.
414
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds
Cette approche n’est pas diffusable à grande échelle, car la démarche d’accompa-
gnement est encore dans la phase de mise au point. En effet, les capacités des agents
de vulgarisation dans le domaine de la formation des adultes, de l’apprentissage par
l’action et de la facilitation sociale, nécessitent d’être renforcées. Un autre point clé
pour une diffusion de l’approche Apra est d’envisager la formation de paysan à
paysan, et de créer des réseaux de producteurs qui devraient assurer la promotion
et l’adoption de cette méthode par un public plus large.
415
Pour approfondir le sujet
Chapitre 27
Expérience de conseil à l’exploitation
familiale dans l’Ouest du Burkina Faso
Alain BONNASSIEUX et Bienvenu ZONOU
417
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. La terminologie de conseil à l’exploitation familiale (Cef) est utilisée aujourd’hui à la place de celle de
conseil de gestion (CDG) proposée dans les années 90 parce que le CDG renvoyait plutôt à des pratiques
financières et comptables des agriculteurs et ne rendait pas suffisamment compte de la problématique
plus générale du pilotage de l’exploitation (Pesche et Barbedette, 2002).
418
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso
419
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
420
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso
enjeu très important parce qu’elle permet à l’agriculteur d’apprécier les résultats de
chaque spéculation et de les situer à un niveau global. Le plan de campagne est établi
à partir d’un croisement des informations consignées dans les fiches précédentes.
• Commence alors la phase de prévisions. Elles sont élaborées en tenant compte des
enseignements de la phase d’analyse. C’est un moment particulièrement innovant
pour les participants, car faire des projections dans l’avenir rompt avec leurs habi-
tudes du fait des représentations sociales de leur milieu – les croyances magiques et
religieuses sont très prégnantes – et en raison de l’incertitude et du risque qui rendent
les programmations aléatoires. Les dons aux divinités locales pour garantir la ferti-
lité, les remercier après la récolte sont perçus comme des formes de gestion du risque.
Les paysans ont introduit cette formule dans le langage du Cef : « Si Dieu donne la
vie et la santé, l’année prochaine je ferai tant de superficie pour telle culture ».
421
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
L’agriculteur qui souhaite participer aux séances périodiques doit répondre à plusieurs
critères : être alphabétisé en dioula, volontaire, membre d’un groupement. La plupart
des membres des groupes sont des hommes, souvent de moins de 30 ans, mariés, avec
des enfants en bas âge. Près des deux tiers ont été scolarisés, pour la grande majorité
dans le primaire. Beaucoup ont suivi des formations techniques en agriculture. Ils ont
fréquemment le statut d’actif principal au sein de l’exploitation familiale, qui leur
donne un rôle important dans l’organisation des travaux. Les chefs d’exploitation, en
moyenne plus âgés, constituent une minorité car ils sont peu alphabétisés. En fait, la
majorité des membres des groupes Cef sont les fils des chefs d’exploitation.
Pour cerner les motivations des exploitants à participer aux activités de conseil, il est
nécessaire de s’interroger sur les relations qui existent entre les rationalités écono-
miques et les stratégies sociales des acteurs (Darré, 1991). La position au sein de
l’exploitation familiale, la possibilité de faire admettre de nouveaux modes de
gestion, la compatibilité de cette gestion avec le système qui prévaut dans l’exploita-
tion ont souvent plus d’influence que les facteurs liés à l’acquisition de connaissances
sensu stricto. L’exploitant est d’abord motivé par l’objectif de mieux gérer les revenus
des productions pour s’équiper et constituer un capital (troupeau, verger, habita-
tion), cela est net chez les jeunes agriculteurs qui ont acquis récemment leur auto-
nomie. Quant à celui qui n’est pas chef d’exploitation, il veut fréquemment améliorer
son niveau de formation pour jouer un rôle plus actif dans la conduite des activités
et participer aux prises de décision. Si un jeune agriculteur n’a pas cette possibilité
– par exemple à cause de la réticence du chef d’exploitation à modifier les pratiques
de gestion –, c’est l’occasion pour lui d’acquérir des compétences en vue de consti-
tuer plus tard sa propre exploitation. Des motivations personnelles sont liées aussi au
souhait d’élargir les perspectives d’action en dehors de l’exploitation : bénéficier de
voyages en dehors du village par le biais de la formation, accéder au statut de paysan
relais, obtenir des informations sur les opportunités d’accès au crédit, s’ouvrir l’esprit
dans un milieu où les occasions de se former sont rares.
422
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso
Les discussions ainsi que les explications apportées par les animateurs ont permis,
mieux que dans le cadre des approches de la vulgarisation fondées sur le transfert
de connaissances, de percevoir l’importance de certaines notions : normes à
respecter pour une alimentation équilibrée des membres de l’exploitation, rotation
des cultures recommandée pour éviter un appauvrissement des sols, dosage d’en-
grais et de fumure minérale par spéculation, etc.
La participation aux activités de conseil s’est traduite par des améliorations des
pratiques dans plusieurs domaines. Les données consignées dans plusieurs tableaux
ont été rapprochées, par exemple la relation entre le nombre d’actifs et les superficies
à cultiver, ou la relation entre le nombre de personnes à nourrir et l’estimation de la
production vivrière ; cette mise en correspondance a contribué à une meilleure orga-
nisation du travail et à une maîtrise de la consommation de vivres. L’enregistrement
des dates des principales opérations culturales, des doses d’intrants utilisés fournit
des indicateurs qui permettent de mieux comprendre les résultats de certaines
productions. L’analyse des marges par culture fournit une évaluation de la rentabilité
de certaines spéculations (coton, maïs, arachide, etc.) qui peuvent ensuite être
comparées, ces conclusions se révèleront instructives pour choisir les productions.
Le remplissage du carnet de CDG a été un facteur de renforcement des compé-
tences en calcul. Dans plusieurs domaines, fertilisation des sols, lutte antiérosive,
alimentation du bétail, des producteurs ont proposé des solutions techniques pour
résoudre des difficultés mises en évidence lors des activités de conseil : fosses
fumières pour la fabrication de fumure organique, plantation d’arbres pour protéger
les parcelles contre l’érosion, constitution de réserves fourragères pour l’alimenta-
tion du bétail. Les agriculteurs les plus engagés dans le Cef ont acquis des compé-
tences, ce qui les a incités à exercer plus de responsabilités dans les organisations
paysannes locales et régionales.
La pratique du conseil de gestion s’est révélée très formatrice pour les agents de
vulgarisation engagés dans l’animation de séances. Ils acquièrent ainsi une meilleure
connaissance des producteurs et des caractéristiques de leurs exploitations. Les indi-
cations fournies par les participants sur les moyens disponibles, les pratiques, les
résultats ont aidé les agents de vulgarisation à mieux cibler leurs interventions.
423
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
nettement pris le pas sur les logiques sociales qui exercent aussi un rôle dans la
reproduction des exploitations familiales. En milieu rural, la solidarité entre familles,
qui se manifeste notamment à l’occasion des dons après les récoltes et des dépenses
cérémonielles, renforce les relations sociales qui contribuent à la sécurisation des
habitants. Avec le Cef, les tensions entre l’objectif de rentabilité de l’exploitation, la
solidarité et l’entraide se sont accrues. Les producteurs formés à cette approche
maîtrisent mieux les données de l’exploitation, et cette expérience les incite à être
plus prudents lorsqu’il s’agit de faire des dons pour entretenir les liens sociaux. En
effet, cette démarche tend à promouvoir des normes de gestion fondées plus sur
l’optimisation des facteurs de production que sur le maintien de solidarités locales.
• Diffusion de la méthode. À cause du grand nombre de tableaux à remplir, de la
complexité de certains d’entre eux, le carnet a été un outil souvent difficile à utiliser
par une bonne partie des producteurs qui avaient un faible niveau d’alphabétisa-
tion. La non-maîtrise des notions de calcul des rendements, des superficies et de la
production a compliqué le remplissage. Le carnet a incontestablement été mieux
maîtrisé par les producteurs scolarisés et récemment alphabétisés qui avaient un
bon niveau. Ces exigences en termes d’instruction pour l’utilisation du Cef réduisent
les possibilités de diffusion dans des zones rurales. Cependant, la progression de la
scolarisation et l’amélioration de la maîtrise de la transcription du dioula peuvent
contribuer à réduire ces difficultés. Des formules sont utilisées dans certains villages
pour montrer l’intérêt du conseil à ceux qui ne sont alphabétisés, par exemple par
des séances de restitution de résultats et des visites d’actions techniques réalisées
par les producteurs qui se sont servis de la méthode pour introduire des innovations.
Les réseaux informels qui réunissent des agriculteurs que rapprochent la proximité
des idées, des préférences, des activités ou l’habitat, et auxquels appartiennent des
producteurs adhérant au conseil, sont aussi des lieux d’échanges qui contribuent à
la diffusion de cette nouvelle approche de l’exploitation.
En raison du faible pouvoir de décision au sein de l’exploitation familiale de
certains actifs agricoles formés au Cef, comme les fils, la diffusion et l’impact de la
méthode ont été limités. Les connaissances acquises par les jeunes agriculteurs lors
des séances de conseil leur procurent des capacités qui les incitent à proposer de
nouveaux modes d’organisation et de gestion. Une partie des chefs d’exploitation
est réticente au changement, surtout ceux qui décident des dépenses sans concerta-
tion. Le conseil aboutissant à un besoin de transparence sur le fonctionnement de
l’exploitation et sur les gains obtenus risque de limiter le pouvoir du chef d’exploi-
tation. La cohésion d’une exploitation dans laquelle les membres sont au courant de
tout peut être ébranlée lorsque le responsable doit faire un choix entre les différents
besoins exprimés par ces membres. Au sein des groupes, le problème de la confi-
dentialité des données est crucial pour le fonctionnement des activités de conseil de
gestion, cela s’est traduit dans certains cas par un manque de participation aux
séances périodiques organisées, parce qu’en général un paysan ne souhaite pas
informer sur ce qui se passe exactement dans son exploitation.
• Le manque de moyens. L’identification des contraintes de l’exploitation et la
recherche de solutions pour y remédier ont été souvent des moments forts, suscitant
des échanges intenses entre les participants. Le conseil de gestion fait apparaître des
besoins. Cependant, il n’a réellement un impact que si les agriculteurs trouvent les
moyens de réaliser les actions techniques décidées pour résoudre certaines difficultés.
424
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso
Le Cef est une démarche intéressante à condition qu’elle favorise l’accès au crédit,
aux intrants et au matériel. Le manque de moyens, dans un contexte caractérisé par
les difficultés financières des groupements, la réduction des possibilités de crédit, la
hausse des prix des intrants, a réduit fortement l’efficacité des activités de conseil.
Ainsi, privilégier l’analyse des pratiques des paysans avec leur participation active ne
permet pas de pallier l’absence de soutien à l’égard d’une majorité d’agriculteurs qui
disposent de faibles moyens. Pour proposer des solutions qui tiennent compte de la
diversité des problèmes socio-économiques et des revenus des producteurs, il faut
considérer la variabilité des capacités d’action des agriculteurs au sein d’un même
groupe (Gubbels, 1999).
• Formation insuffisante du conseiller. La compréhension de la méthode par les
participants au Cef est en large partie liée au niveau de formation du conseiller, à
son expérience, à sa connaissance du milieu. La plupart des agents de vulgarisation
chargés de l’encadrement des groupes n’ont pas eu une formation professionnelle
qui les prédispose à poser des questions sur les systèmes de production, à s’inter-
roger sur la rationalité des pratiques des paysans et de leur choix. Les formations
reçues en Cef n’ont pas été suffisantes pour combler cette lacune. Les conseillers
ont manqué d’outils pour fournir des conseils adaptés aux besoins des différentes
catégories de producteurs, soit motorisés, soit en culture attelée avec des équipe-
ments complets et incomplets, soit encore en culture manuelle. De plus, l’appui des
techniciens et des chercheurs sur le terrain a été faible. C’est pourquoi dans beau-
coup de groupes, les analyses, qui sont décisives pour la maîtrise de la méthode, sont
restées sommaires et il n’a pas été possible de passer à un conseil en fonction des
particularités de chaque sous-groupe de producteurs.
Le recours à des paysans relais choisis à cause de leur dynamisme, de leur maîtrise
du conseil et surtout de leurs connaissances des exploitations localement s’est révélé
très utile dans certains villages pour soutenir les activités des conseillers en charge de
certains groupes. Quelques-uns ont réussi à poursuivre de manière quasi autonome
une démarche de conseil avec des producteurs qui se retrouvaient régulièrement
sans intervention du projet. Mais, ces initiatives n’ont pas été suffisamment soute-
nues dans un contexte de réorganisation des groupements de producteurs de coton
et d’incertitude sur le devenir des structures d’appui (Sanou Sangouansira, 1998).
• Financement incertain des dispositifs. La pérennisation des activités de conseil à
l’exploitation familiale est en partie liée au mode de financement des dispositifs et
à leur articulation avec les dynamiques locales. Dans l’Ouest du Burkina, la mise en
œuvre de programmes de Cef a été dans une première phase essentiellement tribu-
taire du financement de projets et donc de bailleurs de fonds. L’arrêt de ces inter-
ventions, sans concertation réelle avec les acteurs les plus concernés en milieu rural,
a entraîné une forte discontinuité dans l’appropriation du conseil par les groupes de
paysans. L’UNPCB et la compagnie cotonnière Sofitex pourraient redynamiser le
Cef dans le cadre d’un projet d’appui à la filière cotonnière qui serait opérationnel
en 2007. Dans d’autres zones du Burkina, la mise en œuvre d’approches de Cef avec
des moyens plus réduits a permis aussi d’asseoir les activités de conseil qui restent
dépendantes de l’aide extérieure, mais en relation étroite avec des organisations de
producteurs très structurées, comme l’Union provinciale des producteurs de coton
et de céréales du Mouhoun (UPPM) dans l’Ouest dans la région Dédougou, la
Fédération des unions de groupements Naam (FUGN) au Nord-Ouest, dans le
425
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
Quelles perspectives ?
Les freins à la diffusion du conseil de gestion ont contribué à alimenter un certain
scepticisme dans les milieux du développement rural donnant lieu à des formules du
type « le conseil de gestion dans le contexte actuel est un luxe pour les paysans ».
Bien qu’il ne faille pas minimiser les difficultés, les interactions qui se sont dévelop-
pées entre les acteurs partie prenante dans les activités de Cef ont conduit à des
changements dans les perceptions et les pratiques des uns et des autres. Ainsi, les
paysans qui ont acquis des outils pour évaluer la pertinence de leurs itinéraires tech-
niques, mesurer la rentabilité de leurs spéculations et faire des prévisions, estiment
que « la production est devenue de plus en plus une question de tête plutôt qu’une
question de bras ». Les échanges entre les agents animateurs des formations et les
producteurs ont apporté aux animateurs un regard sur l’intérieur de l’exploitation
et les ont amené à percevoir les limites des messages standardisés de la vulgarisa-
tion par rapport aux problèmes qui leur étaient soumis. Les chercheurs ont aussi été
conduits à construire une approche de l’exploitation en tenant compte des
remarques des agents de terrain et des producteurs. Parce que cette méthode privi-
légie le dialogue avec le producteur, elle facilite l’application de normes et permet
d’obtenir une gamme d’informations diversifiées sur l’ensemble de l’exploitation.
À cause de ces avancées, le conseil aux exploitations familiales suscite beaucoup
d’intérêt dans un contexte de mutation des agricultures familiales. Pour renforcer et
approfondir les activités dans ce domaine, il faut chercher à résoudre plusieurs
problèmes qui ont limité la portée de cette expérience. L’articulation entre les acti-
vités de conseil et les dynamiques locales de développement doit être renforcée,
ainsi les organisations de producteurs doivent être associées à l’orientation des
dispositifs pour que le Cef soit en cohérence avec les attentes des producteurs. La
réflexion sur les outils et les capacités des conseillers doit se poursuivre. Il faut
également développer les activités de formation pour mettre en œuvre des appro-
ches de conseil qui permettent de mieux évaluer les pratiques paysannes, d’appré-
hender la complexité des systèmes de production, de faire des propositions en
fonction des besoins et des attentes des différentes catégories de producteurs. Une
contribution croissante des producteurs à la prise en charge des activités de Cef est
souhaitable pour qu’elles se pérennisent.
Mais, dans un contexte de baisse des revenus des agriculteurs, des ressources
complémentaires doivent être trouvées auprès des structures qui peuvent profiter
de l’apport du Cef : organismes de crédit, sociétés cotonnières, projets financés par
les institutions de coopération, etc. Toutefois, les producteurs doivent garder la
maîtrise des données de leurs exploitations et de leur usage pour déterminer leurs
priorités.
426
Pour approfondir le sujet
Chapitre 28
Conseil à l’exploitation agricole
familiale, facteur d’émancipation
des agriculteurs béninois
Dominique VIOLAS et Pascal GOUTON
1. En premier lieu le Centre de gestion des exploitations agricoles (CGEA) soutenu par le Projet d’appui
à la formation professionnelle des agronomes (Pafpa) au sein du département d’Économie et de socio-
logie rurale de la faculté des Sciences agronomiques (FSA) de l’Université d’Abomey Calavi puis la
Cellule d’appui à la gestion des exploitations agricoles (Cagea) abritée par le Centre de promotion et
d’encadrement des petites et moyennes entreprises (Cepede).
427
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
agriculteurs à prendre leurs décisions. Notre propos vise à tirer les enseignements
d’une expérience récente de conseil aux exploitations agricoles, menée grâce à
l’appui de la coopération française (Ambassade de France et Agence française de
développement) et à proposer des pistes pour l’extension et la pérennisation de ce
dispositif original d’appui aux agriculteurs béninois.
428
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois
429
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
430
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois
1. Au début, les adhérents du CEAF sont traités « d’avares » ou de « pingres » et sont stigmatisés par leur
entourage car ils ne sont plus aussi « généreux » lors des cérémonies.
431
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
1. mina, adja, fon, wèmè, goun, nagot, itcha, idatcha, mahi, baatonu, dendi, mokolé.
432
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois
Si l’impact du travail des animateurs relais est reconnu (95 % des groupes qu’ils
animent sont fonctionnels), leur statut et leur mission restent à clarifier par rapport
à ceux des conseillers dont le rôle central et la spécificité des compétences ne
doivent pas être contestés. Les animateurs relais ont souvent tendance à se consi-
dérer comme des conseillers à part entière et n’hésitent pas à revendiquer une
pérennisation de leur activité, des rémunérations plus conséquentes et des moyens
de locomotion (vélo et moto) pour assurer leurs déplacements. La reconnaissance
sociale induite par ce nouveau statut est indéniable mais provoque des ambitions et
des attentes en matière d’emploi et de revenus qu’il convient d’analyser en profon-
deur avant de proposer une orientation stratégique définitive sur cette question, au
risque de provoquer des dysfonctionnements.
1. Au Bénin comme dans la majorité des pays d’Afrique francophone, la commune rurale regroupe
plusieurs villages voire plusieurs dizaines de villages.
433
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
dispositif. Une réflexion de fond sur la pérennisation du CEAF a été lancée en 2003
avec la proposition de créer un observatoire national du conseil à l’exploitation agri-
cole familiale. Cet observatoire pourrait, à terme, être constitué de représentants
d’une dizaine de familles professionnelles susceptibles de contribuer à la pérennisa-
tion du service à savoir : les adhérents du CEAF, les responsables des OPA et les
réseaux des chambres d’agriculture, les interprofessions, les prestataires en CEAF,
les prestataires en alphabétisation, le secteur du crédit rural, les collectivités locales,
les services publics dont ceux du ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la
pêche et ceux en charge des formations techniques et professionnelles. Ce collectif
serait en conformité avec les orientations de la politique sectorielle agricole du
Bénin pour qui la formation, le conseil et la vulgarisation au profit des agriculteurs
constituent des missions non-exclusives de l’État, c’est-à-dire pouvant être conduites,
pour tout ou partie, par le secteur privé et les OPA.
En 2004, le coût du dispositif de conseil aux exploitations (hors assistance technique
et hors maîtrise d’œuvre du Padse), se montait à 114 000 FCFA1 par producteur et
par an (soit 96 000 FCFA pour les contrats avec les opérateurs2 et 18 000 FCFA
pour le dispositif de suivi-évaluation du Padse). La contribution des adhérents était
estimée à 12 000 FCFA par an et correspondait au frais qu’ils engageaient eux-
mêmes (transport et repas pris lors de formations et visites d’échanges). Les tenta-
tives de contribution financière volontaire des adhérents n’ont pas donné de
résultats probants.
Le coût du CEAF est élevé et il apparaît que, malgré le profit évident qu’ils en reti-
rent, les adhérents ne sont pas encore prêts à le financer, même très partiellement.
Ils estiment que le financement de ce service est du ressort de l’État et des struc-
tures d’appui. La contribution des bénéficiaires devrait être graduelle en fonction
du niveau de service requis (de la maîtrise des outils de base à l’élaboration des
projets d’exploitation). Les modalités de recouvrement de cette contribution sont à
tester : soit par le paiement d’un droit d’adhésion permettant à l’agriculteur
d’accéder au service (solution envisageable mais la capacité de financement instan-
tanée est limitée) ; soit par une retenue à la source (sur la vente d’une production)
qui est généralement bien acceptée par les agriculteurs dans le cas des produits
soumis à la mise en marché collective.
Une contribution des organisations paysannes est plus difficile à mettre en place. Elles
ne souhaitent pas trop investir au profit d’un nombre limité d’agriculteurs dans la
mesure où les retombées positives de la démarche pour la collectivité ne sont pas clai-
rement perçues. Par exemple l’Association interprofessionnelle du coton prélève une
somme fixe par kilo de coton-graine commercialisé pour contribuer au financement
des fonctions critiques de la filière dont fait partie la formation des agriculteurs (avec
la recherche, la production de semences, l’approvisionnement en intrants, l’entretien
des pistes de production, etc.). Si le CEAF est jugé capital pour le renforcement des
capacités des producteurs de coton, le financement peut être pérennisé sans peine car,
434
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois
1. À l’origine, au Bénin, la retenue avait été fixée par l’AIC (association interprofessionnelle du coton)
à 20 FCFA / kg de coton-graine commercialisé (10 FCFA pour les producteurs et 10 FCFA pour les égre-
neurs). En réalité, elle est actuellement de 10 FCFA / kg compte tenu de la faiblesse des cours mondiaux
du coton fibre, pour une production minimale de 350 000 tonnes de coton graine.
435
Conclusion générale
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438
Conclusion générale
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Conclusion générale
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Index
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Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
464
Liste des sigles
et des abréviations
465
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
466
Liste des sigles et des abréviations
467
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
468
Liste des auteurs
469
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
470
Liste des auteurs
471
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre
472
En un demi-siècle, les agricultures africaines ont évolué très rapidement,
passant de l’autosubsistance familiale à l’intégration aux marchés.
Les exploitations familiales d’Afrique subsaharienne, qui jouent un rôle
essentiel pour l’alimentation et les produits d’exportation, sont pénalisées
par l’accès limité à certains facteurs de production (intrants et équipement)
et par la concurrence liée à la mondialisation et aux politiques agricoles
des pays du Nord. Néanmoins, la demande alimentaire des villes africaines
constitue une opportunité pour les agriculteurs et les éleveurs. Pour être
en phase avec ces changements, la recherche et le développement
ont renouvelé leurs approches en termes de compréhension et de conseil
aux exploitations agricoles.
S’appuyant sur des expériences récentes en Afrique de l’Ouest et du Centre,
cette synthése pluridisciplinaire propose un ensemble de méthodes d’analyse
des exploitations, ainsi que des démarches de conseil ; des travaux théoriques
et méthodologiques alternent avec des études de cas. Quatre thèmes sont traités :
fonctionnement de l’exploitation agricole familiale et son environnement ; évolution
des systèmes de production (diversité, mécanismes) ; méthodes et pratiques
de gestion (stratégie, production, ressources humaines et naturelles, trésorerie) ;
appui aux producteurs (innovation, recherche–action, conseil à l’exploitation).
Cet ouvrage à visée pédagogique intéressera les universitaires et étudiants
spécialisés en économie et en agronomie, les chercheurs et les acteurs
du développement impliqués en Afrique.
Prix TTC : 36 Ε
ISBN : 978-2-7592-0068-9
CIRAD