Exploitations Agricoles Familiales

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Exploitations agricoles

familiales en Afrique
de l’Ouest et du Centre
M. Gafsi, P. Dugué, J.-Y. Jamin, J. Brossier, coord.
Exploitations agricoles familiales
en Afrique de l’Ouest et du Centre
Enjeux, caractéristiques et éléments de gestion
Collection Synthèses

Bioclimatologie. Concepts et applications,


Sané de Parcevaux, Laurent Huber,
2007, 336 p.
Plantes transgéniques : faits et enjeux
André Gallais et Agnès Ricroch,
2006, 284 p.
L’agronomie aujourd’hui
Thierry Doré, Marianne Le Bail, Philippe Martin, Bertrand Ney,
Jean Roger-Estrade, coord.,
2006, 384 p.
Reproduction sexuée des conifères et production de semences
en vergers à graines
Gwenaël Philippe, Patrick Baldet, Bernard Héois, Christian Ginisty,
2006, 572 p.
La photosynthèse
Processus physiques, moléculaires et physiologiques
Jack Farineau, Jean-François Morot-Gaudy,
2006, 412 p.
Exploitations agricoles familiales
en Afrique de l’Ouest et du Centre
Enjeux, caractéristiques et éléments de gestion

Mohamed Gafsi,
Patrick Dugué,
Jean-Yves Jamin,
Jacques Brossier,
coordinateurs

Éditions Quæ
RD 10, 78026 Versailles Cedex, France
Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) a été créé en 1983 dans le cadre de
la Convention de Lomé entre les États du Groupe ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et les pays
membres de l’Union européenne. Depuis 2000, le CTA exerce ses activités dans le cadre de
l’Accord de Cotonou ACP-CE.
Le CTA a pour mission de développer et de fournir des services qui améliorent l’accès des
pays ACP à l’information pour le développement agricole et rural, et de renforcer les capa-
cités de ces pays à produire, acquérir, échanger et exploiter l’information dans ce domaine.
Les programmes du CTA sont conçus pour : fournir un large éventail de produits et services
d’information et mieux faire connaître les sources d’information pertinentes ; encourager
l’utilisation combinée de canaux de communication adéquats et intensifier les contacts et les
échanges d’information, entre les acteurs ACP en particulier ; renforcer la capacité ACP à
produire et à gérer l’information agricole et à mettre en œuvre des stratégies de GIC, notam-
ment en rapport avec la science et la technologie. Le travail du CTA tient compte de l’évolu-
tion des méthodologies et des questions transversales telles que le genre et le capital social.
Le CTA est financé par l’Union européenne.

CTA, Postbus 380, 6700 AJ Wageningen, Pays-Bas


Site Web : www.cta.int

Photo de couverture :
chef d’exploitation agricole et son fils en zone cotonnière, Koutiala, Mali. P. Dugué © Cirad

© Éditions Quae, 2007 ISBN : 978-2-7592-0162-4 ISSN : 1777-4624


© Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit la photocopie à usage collectif sans autori-
sation des ayants droit. Le non-respect de cette disposition met en danger l’édition, notamment scientifique.
Toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisation des éditeurs ou du
Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
Avant-propos

es agricultures africaines étant généralement centrées sur la famille, les produc-


L tions sont d’abord mobilisées pour assurer les besoins des ménages et ne
permettent pas toujours de réaliser les investissements nécessaires à l’amélioration
des systèmes de production. En outre, les contraintes des exploitations agricoles
africaines, telles que la difficulté d’acquisition des intrants, le recours à l’énergie
humaine et, parfois, à l’énergie animale, concourent à en limiter la productivité.
Pourtant dans bien des situations, les paysans innovent, diversifient leurs produc-
tions et valorisent de nouvelles opportunités de commercialisation liées à l’accrois-
sement de la demande des villes. C’est dans ces dynamiques d’évolution, portées le
plus souvent par les exploitants agricoles familiaux, qu’il faut rechercher de
nouvelles formes d’innovation.
Cependant, ces agricultures sont complexes du fait de la diversité des situations
dans lesquelles elles se développent. Elles sont fortement influencées par les
facteurs du milieu naturel (édaphiques, climatiques notamment), mais elles doivent
également s’insérer dans des systèmes d’activités locaux et un tissu économique
régional voire international qui vont influer sur la stratégie du producteur.
Au final, l’unité élémentaire d’observation et de compréhension des phénomènes
englobant toutes ces interactions physiques et socio-économiques est celle de l’ex-
ploitation agricole familiale. Telle est la démarche qui a été adoptée pour les recher-
ches menées en partenariat au sein du Pôle régional de recherche appliquée au
développement des savanes d’Afrique centrale (Prasac). L’exploitation agricole
familiale africaine a fait l’objet de plusieurs publications à la fin des années 1970.
Cependant, malgré les évolutions et les capacités d’adaptation qu’a montrées cette
structure familiale, on peut constater l’absence de publications majeures portant sur
les enjeux et les problématiques des exploitations agricoles familiales en Afrique.
Cet ouvrage regroupe des travaux originaux réalisés récemment en Afrique de
l’Ouest et du Centre sur l’exploitation agricole et son environnement proche
(marché, territoire, ressources naturelles) par les économistes et les agronomes
d’institutions scientifiques du Sud et du Nord. Il s’appuie, entre autres, sur des
recherches réalisées au sein du Prasac, dans les savanes du Cameroun, du Tchad et
de République centrafricaine. Il repose aussi sur des travaux menés au Centre du
riz pour l’Afrique (Adrao) dont des chercheurs ont fourni plusieurs contributions

5
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

originales. Il a ainsi permis de renforcer le partenariat entre les pays du Nord et du


Sud en valorisant plusieurs thèses et des programmes de recherche-développement
menés avec les partenaires du développement rural.
L’organisation et le contenu de cet ouvrage ont été guidés par des objectifs pédago-
giques. Il présente les méthodes d’analyse des exploitations relatives à leur struc-
ture, leur fonctionnement et leur gestion, et fait le point sur les évolutions récentes
des exploitations agricoles familiales et les défis qu’elles devront individuellement
et collectivement relever dans le futur. Il fournit à différentes catégories d’acteurs
les bases théoriques, les concepts et les outils fondamentaux pour comprendre les
exploitations agricoles familiales africaines et en faciliter la gestion par la mise au
point de démarches de conseil et de recherche en partenariat.
Compte tenu de la qualité de cet ouvrage et de son intérêt pour toutes les commu-
nautés scientifiques, bien que les contributions à cet ouvrage soient essentiellement
francophones, nous suggérerions volontiers qu’une version anglaise puisse voir le jour,
ce qui permettrait d’y incorporer des travaux de nos collègues qui écrivent en anglais,
et contribuerait ainsi à rapprocher les chercheurs anglophones et francophones.
Cet ouvrage représente un excellent référentiel méthodologique. Il analyse les évolu-
tions en cours dans les exploitations agricoles africaines et en dresse une vision
actualisée. Par comparaison aux systèmes de production agricole du Nord intensifiés
à outrance, il met en évidence que les exploitations agricoles familiales africaines
peuvent constituer un modèle de production plus respectueux de l’environnement et
des relations humaines. Les évolutions récentes dictées par l’économie de marché et
la croissance démographique, ainsi que la nécessaire intensification des systèmes
techniques doivent par conséquent s’opérer dans le respect de ces acquis écologiques
et sociaux. Le positionnement de la recherche, qui vise à fournir des voies d’amélio-
ration et à accompagner les producteurs, doit donc prendre en compte cette double
exigence : accroître la productivité des agricultures et préserver les ressources natu-
relles et l’environnement. Cette exigence inscrit nos travaux et nos institutions dans
le champ du développement durable.
Ainsi, cet ouvrage constitue un plaidoyer pour un renforcement des recherches, des
dispositifs d’accompagnement et des politiques agricoles en faveur des exploitations
et des agricultures familiales à une période où les États et certains bailleurs doutent
des capacités des agricultures familiales à progresser et à se moderniser. Enfin, il
convient de féliciter l’ensemble des auteurs qui ont contribué à cet ouvrage et tout
particulièrement l’équipe de coordination.

L. Seiny-Boukar, Coordinateur général du Prasac, N’Djamena, Tchad


et Papa A. Seck, Directeur Général de l’Adrao, Cotonou, Benin

6
Sommaire

Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Partie 1
Environnement des exploitations agricoles
P. DUGUÉ

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Place de l’agriculture dans les économies régionales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21


Caractéristiques des systèmes de production en Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Chapitre 1. Ressources, acteurs et institutions :


un environnement qui change . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
P. DUGUÉ
Des exploitations agricoles mieux insérées dans le marché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Une agriculture encore peu artificialisée, fondée sur les ressources naturelles . . . . . . . . 32
Des sociétés rurales en mutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Évolution des rapports entre paysans et institutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Chapitre 2. Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45


P. DUGUÉ, J. BROSSIER
Sécuriser les revenus des exploitations agricoles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Gérer les territoires et les ressources naturelles
dans une conjoncture de croissance démographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Quels types d’agriculture proposer ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Rôles de l’agriculture familiale africaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

Pour approfondir le sujet


Chapitre 3. Démographie et évolution des exploitations agricoles :
analyse selon les théories de Malthus et Boserup en Côte d’Ivoire . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
M. DEMONT, P. JOUVE, J. STESSENS, E. TOLLENS
Localisation et recueil des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Repérage de l’évolution des systèmes agraires et des facteurs clés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
Diversification progressive de l’assolement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Apport des théories de Malthus et Boserup pour interpréter
l’évolution des exploitations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

7
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Partie 2
L’exploitation agricole familiale en Afrique :
définitions et apports théoriques
J. BROSSIER
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

Chapitre 4. Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ? . . . . . . . . . . . 73


J. BROSSIER, J.-C. DEVÈZE, P. KLEENE
Inadéquation du modèle famille-exploitation en Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Centres de décision de l’exploitation agricole africaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Comment appréhender l’exploitation agricole : exemples dans différentes situations . . . . 82
Comment définir l’exploitation agricole africaine ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Chapitre 5. Apport des théories sur l’exploitation agricole
dans une perspective de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
J. BROSSIER
Théorie économique de la production
et gestion de l’exploitation agricole familiale africaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Le budjet partiel et son utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Illustration des concepts et fonctionnement des exploitations :
stratégie d’extensification d’un chef d’exploitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Théorie du comportement adaptatif appliqué à l’exploitation agricole . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Tenir compte des enjeux économiques, sociaux et politiques
des exploitations familiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Pour approfondir le sujet
Chapitre 6. Gestion de la force de travail, place de la femme et reproduction sociale . . 105
Y. GUILLERMOU
Structures socio-économiques dans les sociétés agraires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Concept de base : le mode de production domestique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
La situation particulièrement précaire des femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
Pour approfondir le sujet
Chapitre 7. Simulation et modélisation
du fonctionnement de l’exploitation agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
E. PENOT
La modélisation : une forme de représentation de l’exploitation agricole . . . . . . . . . . . . 113
Usages du logiciel de modélisation Olympe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118

Partie 3
Diversité et dynamiques des exploitations agricoles africaines
J.-Y. JAMIN
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Chapitre 8. Modélisation de la diversité des exploitations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123


J.-Y. JAMIN, M. HAVARD, E. M’BÉTID-BESSANE, P. DJAMEN, A. DJONNEWA, K. DJONDANG, J. LEROY

8
Sommaire

Modèles et outils d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123


Typologies de structure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
Typologies de fonctionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Typologies à dire d’expert et implication des agents du développement . . . . . . . . . . . . . . 137
Actualisation et emploi des typologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Diversité des exploitations familiales africaines : exemples de typologies . . . . . . . . . . . . 143
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Chapitre 9. Dynamique et évolution des exploitations agricoles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
J.-Y. JAMIN, M. HAVARD, E. MBÉTID-BESSANE, É. VALL, A. FALL
Approche de la dynamique de l’exploitation familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Comprendre les dynamiques des exploitations familiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Exemples d’évolution des exploitations agricoles familiales africaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Pour approfondir le sujet
Chapitre 10. Diversité des exploitations et utilisation de la jachère
dans la zone cotonnière du Burkina Faso . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
G. SERPANTIÉ, F. PAPY, T. DORÉ
Problématique et hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Discussion et conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Pour approfondir le sujet
Chapitre 11. Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines
à Madagascar. Diversité et flexibilité des exploitations agricoles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
J. RAMAMONJISOA, C. AUBRY, M.-H. DABAT, M. ANDRIARIMALALA
Contexte et Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
Discussion et conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
Pour approfondir le sujet
Chapitre 12. À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin . . . 195
A. FLOQUET
Question décisive des capitaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Mobilité sociale et ses déterminants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Trajectoires et décisions paysannes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

Partie 4
Gestion de l’exploitation agricole familiale africaine
M. GAFSI
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

Chapitre 13. Gestion de l’exploitation agricole :


éléments théoriques et pratiques de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
M. GAFSI, A. LEGILE
Gestion de l’exploitation agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213

9
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Pratiques de gestion dans les exploitations agricoles familiales africaines . . . . . . . . . . . . 221


Quels outils et démarches de conseil de gestion promouvoir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
Chapitre 14. Gestion stratégique et choix des investissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
M. GAFSI
Stratégie d’exploitation agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Choix d’orientation : quelles activités développer ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Gestion des investissements : exemples de décisions stratégiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
Chapitre 15. La gestion technique de la production agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
I. MICHEL -DOUMIAS, B. MATHIEU, P. DUGUÉ
Cadre de représentation des décisions techniques prises par les agriculteurs . . . . . . . . 241
Exemples de gestion dans le Nord-Cameroun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244
Perspectives pour le développement agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256
Chapitre 16. Organisation du travail et gestion des ressources humaines . . . . . . . . 259
M. GAFSI, E. M’BÉTHID-BESSANE, K. DJONDANG
Organisation du travail dans les exploitations familiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
Méthode d’analyse de la gestion du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262
Renforcer le capital humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
Chapitre 17. Gestion du foncier et des ressources naturelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
P. DUGUÉ
Évolution du point de vue des agronomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
De la gestion de la fertilité du sol à la gestion des ressources naturelles . . . . . . . . . . . . . 270
Pratiques de gestion des ressources naturelles par les exploitants agricoles . . . . . . . . . . 271
Démarches de conseil, illustration dans le cas des zones cotonnières . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
Chapitre 18. Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines . . . . 279
M. ROESCH
Capital et investissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280
Comptes de l’exploitation agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Adéquation entre recette et dépense, trésorerie, épargne et crédit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
Gestion quotidienne de l’équilibre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Chapitre 19. Mesure des performances économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
M. GAFSI, E. M’BÉTHID-BESSANE
Critères de performance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Méthode d’analyse des performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301
Pour approfondir le sujet
Chapitre 20. Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations
cacaoyères au Cameroun et demande d’innovation technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303
L. TEMPLE, J.-R. MINKOUA NZIE, O. DAVID
Définition de la diversification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303
Cas des exploitations cacaoyères du Sud Cameroun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304
Déterminants micro-économiques de la diversification dans le Sud Cameroun . . . . . . . . . . . 307
Impact de la diversification sur la demande d’innovation technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310

10
Sommaire

Pour approfondir le sujet


Chapitre 21. Gestion de production et coordination entre exploitations agricoles :
exemple de l’organisation du travail en double riziculture irriguée au Sénégal . . . . 313
P.-Y. LE GAL
Position du problème : contexte, double culture du riz et organisation collective . . . . 314
Une diversité de performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Des acteurs individuels aux comportements incertains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316
Coordonner et s’adapter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318
Conclusion : vers un cadre générique d’analyse et d’intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Pour approfondir le sujet
Chapitre 22. Gestion de la main-d’œuvre
dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
O. ERENSTEIN, S. N’CHO
Comment améliorer la productivité et la compétitivité des riziculteurs ? . . . . . . . . . . . . . 321
Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322
Rôle de la main d’œuvre dans la production agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323
Composantes et emploi de la main-d’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
Facteurs modifiant la gestion de main d’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327
Discussion et conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
Pour approfondir le sujet
Chapitre 23. Gestion du foncier et de la biomasse végétale :
fondement de l’association de l’agriculture et de l’élevage
en zone de sédentarisation au Nord-Cameroun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
A.-L. DONGMO, M. HAVARD, P. DUGUÉ
Ourolabo III, un terroir d’activité à la croisée des territoires coutumiers . . . . . . . . . . . . 332
Échanges fonciers, enjeux entre agriculteurs et éleveurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
Des familles sédentarisées, un bétail toujours transhumant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335
Pour une intégration durable des systèmes de production . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 338
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343

Partie 5
Accompagnement des producteurs
P. DUGUÉ
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347

Chapitre 24. Processus d’innovation dans les exploitations familiales . . . . . . . . . . . . . . 349


N. SIBELET, P. DUGUÉ
Processus sociologique et technique porté par les agriculteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349
Le courant diffusionniste dominant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 350
Évolution de l’innovation paysanne dans le temps, dans l’espace physique et social . . . 354
Typologie des innovations pour améliorer la synergie
entre paysans et agents extérieurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362
Partenariat et coproduction de l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364
Reconnaître les capacités des paysans à inventer et à innover
et accompagner ces processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

11
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Chapitre 25. Conseil aux exploitations familiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369


G. Faure, P. DUGUÉ, V. BEAUVAL
D’une approche normative à une approche centrée sur l’acteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369
Principes du conseil aux exploitations familiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377
Gestion d’un dispositif de conseil aux exploitations familiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381
Ressources à mobiliser dans un dispositif de conseil aux exploitations familiales . . . . 388
Besoin de faire évoluer et de diversifier les méthodes de conseil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 399
Pour approfondir le sujet
Chapitre 26. Apprendre pour changer :
exemple de la culture du riz dans les bas-fonds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403
T. DEFOER, M.C.S. WOPEREIS
Conditions de production du riz de bas-fond dans deux villages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 404
Apprentissage participatif et recherche-action en Côte d’Ivoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405
Résultats de la démarche adoptée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 410
Perspectives pour une diffusion de la démarche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 411
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
Pour approfondir le sujet
Chapitre 27. Expérience de conseil à l’exploitation familiale
dans l’Ouest du Burkina Faso . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417
A. BONNASSIEUX, B. ZONOU
Conseil à l’exploitation familiale dans un contexte
de mutation des politiques d’appui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 418
Apprentissage de longue durée pour s’approprier de nouveaux outils . . . . . . . . . . . . . . . . 419
Motivations au sein du groupe de conseil : l’exploitation et l’individu . . . . . . . . . . . . . . . . 421
Approche nouvelle de l’exploitation,
intégrée dans les dynamiques d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 422
Limite de la méthode et difficultés d’application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
Quelles perspectives ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 426

Pour approfondir le sujet


Chapitre 28. Conseil à l’exploitation agricole familiale,
facteur d’émancipation des agriculteurs béninois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427
D. VIOLAS, P. GOUTON
Dispositif de conseil prenant en compte les besoins
et les compétences des agriculteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 428
Évolutions récentes, extension des dispositifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432
Renforcement des capacités des agriculteurs, besoin d’élargir le conseil . . . . . . . . . . . . . 435

Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 443

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 463

Liste des sigles et des abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 465

Liste des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 469

12
Introduction générale

En un demi-siècle, les agricultures africaines ont évolué très rapidement, passant de


systèmes de production voués à assurer l’autosubsistance des familles paysannes à
des systèmes fortement intégrés au marché. Ces systèmes de production sont ainsi
très exposés aux réformes des politiques agricoles nationales et à celles du
commerce international qui, depuis quelques années, touchent de plein fouet les
produits d’exportation historiques de l’Afrique, comme le café, l’huile d’arachide, le
coton, etc. L’urbanisation rapide du continent – la moitié de la population subsaha-
rienne vit aujourd’hui dans des villes – a aussi favorisé l’essor d’une importante
demande intérieure pour des produits autrefois qualifiés de vivriers et d’autosubsis-
tance. Riz, manioc, sorgho, maïs, igname, mais aussi viande ou huile, sont donc
maintenant fournis par les agriculteurs africains pour les consommateurs urbains
des grandes villes de leur pays ou de la région. Les modes de consommation alimen-
taires se diversifiant rapidement, surtout dans les couches aisées de la population
urbaine. Par ailleurs on assiste à une forte expansion de l’agriculture périurbaine
– maraîchage et petit élevage en tête – pour satisfaire les besoins des citadins en
produits frais. L’agriculture africaine, longtemps vue comme traditionnelle, est donc
insérée dans des dynamiques régionales et mondiales qui offrent de nouvelles
opportunités mais imposent aussi de nouvelles contraintes.
Dans le même temps, et malgré l’exode rural qui a contribué à l’accroissement des
villes, l’augmentation de la population agricole et rurale reste forte et continue. La
pression croissante sur les terres agricoles impose des changements importants : les
systèmes de production ne peuvent plus s’appuyer sur l’abondance des terres qui
permettait la pratique de longues jachères ou la transhumance sans contrainte pour
les troupeaux. En quelques décennies, des systèmes de production stables du point
de vue des relations entre les ressources naturelles et la productivité des cultures et
de l’élevage se sont transformés en systèmes dont la durabilité est incertaine. Ce qui
entraîne dans certains cas – mais heureusement pas partout – une dégradation des
capacités de production. Par ailleurs, les agriculteurs et les éleveurs africains sont
fortement soumis aux aléas climatiques interannuels et sont à la merci de futurs
changements climatiques du fait d’une faible maîtrise du milieu et des aménage-
ments limités des zones de production : développement timide de l’irrigation, rareté
des aménagements antiérosifs des versants ou des bas-fonds ; aires pastorales proté-
gées… Si l’on ajoute un fort désengagement des États africains du secteur agricole

13
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

et une structuration inégale et encore quelquefois balbutiante de la profession et


des services (banques, stockage, commercialisation, approvisionnement), ces aléas
se traduisent par un niveau de risques élevé pour de nombreux agriculteurs.
Au cœur même des exploitations, dans les familles africaines, d’importants change-
ments sociaux sont perceptibles. Les structures sociales traditionnelles, souvent
lignagères, s’affaiblissent, les liens sociaux se distendent au sein des grandes
familles, une partie des actifs obtiennent ou affirment une indépendance croissante.
Les « dépendants », comme on les appelait autrefois – femmes et jeunes –, prennent
de plus en plus d’autonomie et investissent une part de leur temps de travail dans
leurs propres activités agricoles mais aussi, de plus en plus, non-agricoles. Les struc-
tures sociales traditionnelles (chefferies villageoises, conseils des anciens) sont
concurrencées à la fois par les institutions mises en œuvre par les États dans le
cadre de la décentralisation (communes rurales, comités de gestion…) et par des
formes diverses d’organisations animées par de nouveaux acteurs (organisations de
producteurs, foyers de jeunes, associations de femmes…).
Ces changements des agricultures africaines, de leur environnement et au sein
même des exploitations agricoles familiales, soulèvent la question des politiques
publiques vis-à-vis de ce secteur dont l’importance – en termes d’emploi, de cohé-
sion sociale, de souveraineté alimentaire et de stabilité économique – reste primor-
diale pour la plupart des États africains. Ces dernières années, ces politiques,
souvent imposées par les organisations internationales (Banque mondiale, Fonds
monétaire international), ont surtout été guidées par le souci de réduire l’interven-
tion de l’État et son coût, et par conséquent se révèlent souvent peu volontaristes à
l’inverse des politiques des années 60-70. Surtout, elles sont peu opérationnelles et
manquent de pragmatisme. Plus grave, ces politiques ne s’appuient pas suffisam-
ment sur des stratégies de développement élaborées en concertation avec les
acteurs concernés, en particulier les paysans et leurs organisations professionnelles.
Dans ce contexte évolutif, une caractéristique demeure cependant : au-delà des
aléas politiques et historiques, les exploitations africaines, agricoles ou pastorales,
restent essentiellement familiales. Ni les modèles d’inspiration socialiste des années
60-70, ni « l’agrobusiness » ou l’agriculture d’entreprise capitaliste des années 90, ne
se sont vraiment imposés, excepté dans le domaine des plantations pérennes où
existent de réelles économies d’échelle et une forte intégration à l’industrie (canne
à sucre, hévéa par exemple). Les exploitations familiales restent donc incontourna-
bles en Afrique. Mais en s’adaptant, elles évoluent : elles sont aujourd’hui centrées
sur des familles plus restreintes. De petits exploitants agricoles émergent, particu-
lièrement en zone périurbaine, les femmes et les jeunes ont leurs propres activités
souvent très diversifiées, tant en milieu périurbain qu’en milieu rural. Toutefois, des
questions restent posées quant à l’avenir de ces exploitations familiales. Les crises
de certaines filières vont-elles se traduire par une crise des agricultures familiales ?
Les exploitations familiales sont-elles encore une chance pour l’Afrique ? Quelles
sont les nouvelles adaptations nécessaires ? Faut-il imaginer et promouvoir un autre
modèle d’agriculture ?
Il n’appartient pas à cet ouvrage de répondre directement à toutes ces questions. Elles
sont en effet du ressort des États africains et des acteurs du développement agricole
de ces pays, et en premier lieu, des agriculteurs eux-mêmes et de leurs organisations

14
Introduction générale

professionnelles. Le Réseau des organisations de paysans et de producteurs d’Afrique


de l’Ouest (Roppa) déclare ainsi clairement son engagement pour un développement
agricole qui « impose de mettre en avant l’exploitation familiale comme base de la
vision d’avenir qu’ont les organisations professionnelles pour l’agriculture et le monde
rural ». Les organisations paysannes du Roppa considèrent que la famille rurale est le
socle des sociétés agraires dans les pays africains, et qu’il faut continuer à améliorer
la productivité de l’agriculture en accordant une attention particulière aux petits
exploitants et aux agricultrices (www.roppa-ao.org). Par ailleurs, certains des inspira-
teurs du Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique,
www.nepad.org) voudraient promouvoir un autre modèle d’agriculture, plus
« moderne », fondé sur la mobilisation du capital et une forte artificialisation du
milieu, même si cette agriculture pourrait d’ailleurs rester en partie familiale.
Bien que, comme on vient de le voir, les exploitations agricoles familiales d’Afrique
subsaharienne doivent faire face à des évolutions rapides et à d’importants enjeux,
l’analyse de leur fonctionnement et de leurs processus d’adaptation est presque
absente des travaux récents sur le développement rural. Les principales publications
de référence sur les exploitations agricoles datent essentiellement des années 70. En
effet, dans les années qui ont suivi l’indépendance des pays africains, au cours de la
période du développement agricole fortement impulsé par les États, de nombreux
travaux ont porté sur l’exploitation agricole et les structures agraires au sud du
Sahara. Sur le plan méthodologique, dans les années 70-80, le réseau d’Amélioration
des méthodes d’investigation en milieu rural africain (Amira) a ainsi favorisé l’asso-
ciation de disciplines et de compétences très diverses. En termes de développement,
les projets financés par les organismes d’aide publique pour le développement
(Banque mondiale, Caisse centrale de coopération économique devenue Agence
française de développement, etc.) étaient très demandeurs de données statistiques,
de connaissances sur le monde agricole, etc. Au sein des institutions de recherche,
nationales et internationales (comme le Cirad) et des organisations non-gouverne-
mentales, tout un mouvement se consacrait à la recherche-développement et à la
recherche-système en milieu paysan, incitant les chercheurs à travailler en dehors des
stations, directement avec les exploitations agricoles. Il en est résulté une importante
production scientifique, aussi bien en termes d’articles méthodologiques que d’ou-
vrages orientés vers le conseil aux intervenants en milieu rural.
Cette production s’est peu à peu tarie au début des années 90, en même temps que
se raréfiaient les travaux sur les exploitations agricoles dans les pays du Nord. Les
principales questions scientifiques semblaient en effet résolues : on savait désormais
comment étudier, analyser, classifier les exploitations agricoles. De plus, du côté du
développement, la priorité des bailleurs de fonds s’est tournée vers l’ajustement
structurel et le financement des infrastructures. Enfin, la place de l’agriculture dans
les économies nationales, et même dans les revenus des ménages ruraux, s’est signi-
ficativement réduite, même si elle reste importante et essentielle pour la sécurité
alimentaire des États africains.
Mais les évolutions actuelles de l’environnement des agricultures africaines
(marché, services, changements climatiques, pression démographique) amènent les
chercheurs et les décideurs à se poser de nouvelles questions sur la place et les rôles
des exploitations familiales et des ménages ruraux dans la vie économique et

15
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

sociale. Comment ces exploitations s’adaptent-elles aux évolutions de leur environ-


nement, au désengagement de l’État, à la mondialisation des échanges, aux
nouveaux marchés urbains ? Comment, dans un contexte où les notions de solida-
rité sociale et d’entraide en milieu rural résistent difficilement à la vague libérale,
trouver des formes d’organisation qui permettent à ces minuscules briques que sont
les exploitations familiales de peser dans les filières économiques et dans les déci-
sions politiques ? Comment faire reconnaitre les autres « fonctions » souvent non
marchandes de ces agricultures (rôle social et culturel, sécurité alimentaire, gestion
de l’environnement, etc.) ? Comment, alors que les organismes de développement
étatiques et leurs « armées » d’agents d’encadrement ont « fondu au soleil libéral »,
continuer à apporter un appui, un conseil, aux acteurs paysans qui restent
incontournables, mais dont l’effectif croissant complique la démarche ? Comment
aider les chefs d’exploitation, mais aussi les femmes et les jeunes, à mieux gérer
leurs activités, leurs revenus, leurs capitaux, leurs équipements, alors que leur envi-
ronnement – intégration au marché inéluctable et rentabilité économique immé-
diate indispensable à la survie – ne permet plus de se fier au seul bon sens paysan ?
Comment venir en aide aux exploitations agricoles pour que ces impératifs de renta-
bilité ne conduisent pas à une dégradation irréversible des capacités de production
d’un milieu qui n’est plus géré « en bon père de famille » ?
Aujourd’hui, les agricultures africaines sont confrontées à de nouvelles questions
économiques et écologiques, à un affaiblissement de l’aide publique au développe-
ment (6 % de son montant destiné au le secteur rural), au maintien du modèle de
production familiale qui reste largement majoritaire dans l’Afrique agricole (ce qui
n’est pas synonyme d’immobilisme). Cette situation justifie bien l’intérêt d’un
ouvrage sur les exploitations agricoles familiales africaines.
Même si des référentiels théoriques disponibles sur l’exploitation agricole africaine
sont souvent anciens pour les plus connus – mais pas forcément obsolètes –, il est
apparu intéressant, d’un point de vue scientifique mais aussi en termes d’enjeux de
développement, de faire le point sur les structures, le fonctionnement et les évolu-
tions des exploitations agricoles familiales. Cela nous permet de mettre en lumière
et d’accompagner l’émergence, observée depuis quelques années, de nouvelles
études sur le fonctionnement des exploitations et les démarches de conseil.
Plusieurs chercheurs africains ont ainsi réalisé récemment des thèses dans ces
domaines, et il faut espérer que cet ouvrage contribuera à faire connaître leurs
travaux et à en susciter d’autres.
Nous avons fait le choix de donner à cet ouvrage la forme d’un manuel qui présente
les derniers travaux théoriques et pratiques, de façon à leur donner un accès large
et aisé. Une abondante bibliographie fournira des informations plus détaillées à
ceux qui souhaiteront approfondir telle ou telle question.
Cet ouvrage à visée pédagogique a été écrit par des économistes et des agronomes,
pour permettre une meilleure compréhension des pratiques de gestion technique et
économique des agriculteurs et proposer des démarches d’accompagnement. Il
souhaite apporter aux techniciens de terrain, aux conseillers agricoles, aux ensei-
gnants et aux étudiants, les bases théoriques, les concepts et les outils fondamentaux
pour comprendre ce que sont les exploitations agricoles familiales africaines subsa-
hariennes et pour en faciliter la gestion.

16
Introduction générale

Ce n’est pas un livre sur l’agriculture africaine. Les exemples choisis pour illustrer
nos propos n’ont pas pour but de dresser un tableau exhaustif de toutes les formes
que prend cette agriculture, ni de tous les défis auxquels elle est confrontée. À partir
de ces travaux, un certain nombre de leçons plus ou moins générales sont propo-
sées, ainsi que des méthodes d’analyse des questions abordées. Ce n’est pas non plus
un mode d’emploi normatif du diagnostic des systèmes de production ou de leur
bonne gestion, centré sur les outils ; il s’inscrit plutôt dans une conception systé-
mique de l’exploitation agricole et dans une démarche partenariale de construction
avec les acteurs d’outils et de méthodes d’aide à la décision.
Cet ouvrage a été construit à partir de contributions en langue française. Il en
découle donc une limite géographique : les situations décrites se rapportent essentiel-
lement à l’Afrique subsaharienne francophone. Ainsi, peu de travaux anglo-saxons
actuels sont exposés en détail, même s’ils ne sont pas absents des références citées.

 Organisation de l’ouvrage
L’ouvrage comporte des chapitres principaux, des chapitres illustratifs et des encadrés.
Les chapitres principaux correspondent aux fondements de l’ouvrage. Ces chapitres
présentent à la fois des approches et des outils analytiques, pour pouvoir appré-
hender les exploitations agricoles familiales africaines, et des analyses et des appli-
cations effectives portant sur ces exploitations. Dans chaque partie, les chapitres
illustratifs « pour approfondir le sujet » sont ceux qui apportent des compléments ou
approfondissent certains aspects traités par les chapitres principaux. Ces chapitres
rassemblent plusieurs contributions originales. Les encadrés correspondent à des
illustrations courtes introduites dans le corps des chapitres principaux ; certains sont
signés par leurs auteurs, les encadrés introduits par les auteurs du même chapitre
ne sont pas signés.
Dans la première partie introductive, l’ouvrage aborde la problématique d’ensemble
de l’agriculture africaine et le contexte dans lequel s’inscrit cette activité. Sont ainsi
mis en évidence les atouts, les contraintes, les dynamiques d’ordre social, technique
ou économique, dans lesquelles opèrent les exploitations agricoles familiales.
Dans une deuxième partie, nous analysons ce que sont les exploitations agricoles
familiales africaines aujourd’hui, quels sont leurs contours, comment elles fonction-
nent, qui les pilote et quels rôles elles jouent. Cette partie présente les concepts,
théories, outils et méthodes nécessaires pour appréhender l’objet exploitation
familiale. Elle est complétée par des analyses sur l’évolution des systèmes de
production des savanes, sur la gestion de la force de travail et la place de la femme,
et sur le rôle de modélisation dans la gestion des exploitations.
Dans une troisième partie, nous présentons la diversité des exploitations agricoles
et les méthodes pour l’appréhender. Nous examinons ensuite les dynamiques d’évo-
lution de ces exploitations, et les approches possibles de leurs trajectoires passées et
de leurs scénarios d’évolution future. Trois exemples permettent de montrer l’im-
portance de cette diversité et illustrent les dynamiques d’évolution rencontrées.

17
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

La quatrième partie propose des outils méthodologiques pour comprendre et


analyser les pratiques de gestion des exploitations agricoles africaines. Le début de
cette partie est consacré aux éléments théoriques et méthodologiques de la gestion
et à leur utilité dans le contexte de l’Afrique subsaharienne. Le dernier chapitre
présente quatre cas concrets de gestion des exploitations africaines, allant de la
gestion stratégique à la gestion de la fertilité du sol.
La cinquième et dernière partie de l’ouvrage aborde la question de l’accompagne-
ment des producteurs et des méthodes qui y sont liées. Tout d’abord, la démarche
de recherche-action est proposée en appui aux processus d’innovation, puis le
conseil à l’exploitation familiale est explicité dans un objectif de renforcement des
capacités de gestion des agriculteurs.
Les tableaux, figures et encadrés sont numérotés par chapitre.
La bibliographie de tous les chapitres a été regroupée en fin d’ouvrage.
Un index rassemble les mots-clés des différents domaines abordés, notamment en
sciences agronomiques et en sciences sociales et permet au lecteur de retrouver
rapidement où est abordée une notion (par exemple, modèle d’action, conseil), un
lieu (pays), etc.

 Remerciements
Nous remercions Monsieur Luigi Omodei Zorini, Professeur d’économie à
l’Université de Florence (Italie), et Monsieur Guy Faure, chercheur au Cirad à
Montpellier, pour leurs relectures attentives et leurs suggestions. Nous remercions
également Madame Ophélie Héliès qui a corrigé et mis à jour la bibliographie en
juin 2007.

18
Partie 1

Environnement
des exploitations
agricoles
Patrick DUGUÉ, coordinateur
Introduction

La compréhension du fonctionnement des exploitations agricoles et l’élaboration de


programmes d’appui à l’agriculture familiale nécessitent de bien connaître les évolu-
tions de leur environnement. En Afrique de l’Ouest et du Centre – région sur
laquelle porte cet ouvrage –, les exploitations agricoles doivent faire face à des évolu-
tions rapides de leur environnement agro-écologique (les territoires et leurs
ressources), économique (les marchés et leurs règles), social et institutionnel.
L’urbanisation de l’Afrique subsaharienne et la libéralisation des marchés internatio-
naux ont modifié la place et les rôles de l’agriculture dans les économies nationales
et régionales.

 Place de l’agriculture dans les économies régionales


Pour les pays d’Afrique subsaharienne l’agriculture demeure un secteur primordial.
Malgré l’urbanisation de la population (17 % en 1960, 34 % en 1990, 52 % prévu
pour 2025) et le développement des secteurs non-agricoles dans certains pays
(commerce, tourisme, exploitation minière), l’agriculture continue à employer 67 %
de la force de travail et représente 20 % du produit intérieur brut de cet ensemble
régional (Dixon et al., 2001 ; United Nations, 2004). Elle demeure le principal
moyen de subsistance de la population pauvre. L’agriculture fournit d’abord des
produits alimentaires pour les producteurs eux-mêmes et leur famille et les consom-
mateurs des villes qui se nourrissent plutôt des productions locales – excepté pour
des produits de base dans certains pays où les importations massives de farine de
blé, de riz, de poudre de lait approvisionnent la population urbaine. Mais l’agri-
culture représente aussi une source de richesses via les exportations (revenus pour
les producteurs, les commerçants et les services connexes ; rentrées fiscales, devises
pour les États, etc.). En Afrique de l’Est, 47 % de la valeur de l’ensemble des expor-
tations provient de l’agriculture. En Afrique australe, ce ratio n’est plus que de 14 %
du fait de l’essor des secteurs non-agricoles. En Afrique de l’Ouest et du Centre,
l’agriculture ne représente que 10 % des exportations totales en raison des trans-
ferts de produits agricoles vers les marchés régionaux et locaux (huile de palme) et
de l’expansion des secteurs minier (or) et pétrolier (Banque mondiale, 2000). Cela
illustre les défis à relever par les agriculteurs de ces régions : d’une part assurer

21
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

l’approvisionnement vivrier des populations urbaines et rurales en produits de


qualité et à des prix compétitifs par rapport aux marchés d’importation et, d’autre
part maintenir des produits attractifs (qualité) et concurrentiels (prix) pour les
marchés internationaux comme ceux du coton, du cacao ou des produits plus
spécifiques comme le sésame, le karité, etc.

 Caractéristiques des systèmes


de production en Afrique
La première partie présente tout d’abord ces évolutions en s’appuyant sur des études
antérieures et des contributions originales (chapitres 3, 6, 10 et 20). Ensuite, sont
exposés les grands défis auxquels l’agriculture familiale africaine sera confrontée
dans les prochaines décennies ainsi que les différents rôles de l’agriculture.
Avant de traiter de ces évolutions et des perspectives socio-économiques, il est bon
de rappeler que les caractéristiques des systèmes de production agricole africains
dépendent en premier lieu des conditions naturelles de production (climat, altitude,
et types de sol). Dans l’étude « Systèmes d’exploitation agricole et pauvreté »
commandée par la FAO, Dixon et al. (2001) distinguent 14 types de système de
production en Afrique subsaharienne. En nous inspirant de cette étude, nous consi-
dérons huit grands types de systèmes de production en Afrique de l’Ouest et du
Centre (tableau 1, carte 1), certains systèmes décrits par Dixon étant quasiment
absents de la zone traitée dans cet ouvrage – par exemple, les grandes exploitations
mécanisées fréquentes en Afrique de l’Est et australe, et les systèmes de production
de montagne soumis à des contraintes particulières (froid, pente) comme au
Rwanda et au Burundi. La typologie proposée s’applique uniquement aux exploita-
tions familiales. Pour être plus complet, il faudrait ajouter les systèmes de produc-
tion capitalistiques (agro-entreprises), qui sont peu présents dans cette région de
l’Afrique en dehors des secteurs hévéicole et oléicole et très localement pour les
élevages de bovins laitiers et de volaille (cycle court). Dans ces filières, la place
occupée par les exploitations familiales est en hausse du fait de l’expansion des
plantations villageoises (palmier à huile surtout) et des élevages de taille moyenne
pour le lait, la viande de volaille et les œufs.
Au début du XXe siècle, les systèmes de production étaient moins variés car la
densité de population rurale était faible, donc les terres agricoles et pastorales
restaient abondantes. Les systèmes de production étaient surtout orientés vers
l’autoconsommation, et les produits de cueillette (caoutchouc naturel, noix de kola,
etc.) étaient les principales denrées commercialisées parfois sur de longues
distances. À cette époque, on distinguait trois grands systèmes de production :
système pastoral ; productions végétales après jachère (céréales, tubercules princi-
palement) sur une grande partie de l’Afrique subsaharienne ; chasse et cueillette
associées à un peu d’agriculture en zone forestière humide. L’agriculture irriguée,
notamment sur de grands espaces, n’existait pas. Au cours du XXe siècle, ces
systèmes de production ont subi des évolutions rapides liées, dans un premier temps,
à l’essor des cultures d’exportation mises en place par les puissances coloniales, puis
à la fin du XXe siècle, à l’accroissement de la population rurale et donc à la hausse

22
Introduction

de la demande en produits vivriers. Ainsi, les systèmes de production se sont diver-


sifiés mais ils restent, pour la plupart, fortement conditionnés par le facteur pluvio-
sité qui détermine les productions possibles dans chaque zone climatique. Un
deuxième critère de différenciation des systèmes de production est la disponibilité
en terre et sa qualité (forêt ou friche). Par exemple les systèmes à base de tubercules
(igname) ou de banane plantain sont réalisables si la terre est fertile et la jachère de
longue durée possible ; la plantation de cacaoyers est envisageable surtout après
défrichement de la forêt. Les systèmes de production périurbains et urbains et, dans
une moindre mesure les systèmes irrigués, sont moins dépendants des facteurs
pluviosité et réserve de terre à défricher.
Dans la majorité des situations, les systèmes de production se sont sédentarisés en
grande partie à cause de la raréfaction des ressources en terre par habitant en
milieu rural et donc de l’abandon des pratiques d’abattis et brûlis. En outre, la
sédentarisation s’est renforcée dans les régions où les exploitations et les États ont
investi et aménagé l’espace (plantations, périmètres irrigués et bas-fonds aménagés,
etc.). Ce phénomène est surtout remarquable dans les systèmes pluviaux lorsque la
culture continue devient alors nécessaire, la jachère n’étant plus possible en raison
du manque de terre.

1. Pastoral
2. Agriculture-élevage en zone sèche
3. Agriculture-élevage en zone subhumide (céréales, coton, …)
4. Système à base de jachère (tubercule ou riz) en zone humide
5. Système avec chasse et cueillette
6. Système à base de cultures pérennes en zone forestière humide
7. Système périurbain
8. Système irrigué

Carte 1. Localisation des principaux systèmes de production agricole en Afrique de l’Ouest et du Centre.

23
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 1. Typologie des systèmes de production en Afrique de l’Ouest et du Centre.


Système Caractéristiques Pluviométrie Contraintes
de production principales (mm/an) principales
1. Pastoral Élevage extensif 200 - 400 – sécheresse
dominant, augmentation – dégradation des parcours
des surfaces – localement concurrence
en agriculture pluviale avec les cultures irriguées
et pluviales
2. Agriculture- Céréales (mil, sorgho) 300 - 700 – aléas pluviométriques
élevage dominantes – baisse de fertilité du sol
en zone sèche + légumineuses – accès limité au foncier
+ petits ruminants du fait de la croissance
Culture manuelle démographique
et traction animale – accès limité à l’eau d’irrigation
pour diversifier et sécuriser
la production (maraîchage)
3. Agriculture Céréales (maïs, sorgho) 700 - 1 200 – baisse de fertilité du sol
élevage en zone + coton + élevage bovin – accès limité au foncier du fait
subhumide en progression de la croissance démographique
Système en traction – pression parasitaire plus forte
animale dominante pour l’élevage (trypanosomoses)
4. Système à Productions végétales 1 000 - 2 000 – réduction de la durée de la
à base jachère annuelles et pluviales jachère du fait de la pression
(tubercule, riz) dominantes : tubercules démographique
en zone humide (igname dominant – conséquences : baisse de
et subhumide + manioc) ou riz pluvial fertilité du sol et enherbement
excessif
5. Système Chasse et cueillette > 1 500 – limitation des produits
à base comme source de chasse et de cueillette en raison
de chasse et de revenu et d’aliments de l’accroissement démographique
de cueillette Productions végétales mais surtout de l’exploitation
de zone de forêt : de la forêt
manioc, plantain, maïs, – nécessité d’évoluer vers le type
haricot 4 ou 6
6. Système Cultures pérennes > 1 500 – accès restreint aux terres fertiles
à base dominantes : café, cacao, (forêt et très longue jachère)
de cultures palmier, hévéa pour de nouvelles plantations
pérennes – concurrence entre cultures
en zone pérennes et vivrières
forestière
7. Système Maraîchage, Proximité – insécurité foncière
périurbain arboriculture, élevage des grandes (concurrence avec l’habitat)
et urbain laitier et cycle court villes – surproduction saisonnière
fréquente
8. Système Riz, maraîchage En majorité – accès restreint au foncier irrigué
irrigué et élevage > 800 – alimentation en eau limitante
(en périphérie à certaines périodes
des périmètres) – dégradation des sols sous
irrigation (mauvais drainage)

24
Chapitre 1
Ressources, acteurs et institutions :
un environnement qui change
Patrick DUGUÉ

L’environnement de l’exploitation agricole correspond à l’ensemble des ressources,


des acteurs et des institutions qui sont en lien direct ou indirect avec le système de
production et les activités. Pour analyser cet environnement, une première méthode
considère d’une part un environnement proche dont les éléments peuvent être
influencés par les décisions des agriculteurs ou de leurs organisations locales
(village) ou régionales et, d’autre part un environnement lointain ou global sur
lequel l’agriculteur ne peut pas agir (figure 1.1). Une autre démarche, qui est retenue
ici, situe l’environnement de l’exploitation par rapport aux grandes évolutions des
agricultures africaines et plus globalement des sociétés rurales observées ces trente
dernières années. En adoptant cette démarche historique, on se propose d’analyser :

Environnement proche Environnement lointain


« modifiable » « non modifiable »
Services Marchés nationaux
Actions collectives : et internationaux
Exploitation
organisations de producteurs, agricole Politiques économiques
associations d’usagers, etc. nationales et régionales
Collectivités locales Changements climatiques
(villageoises, communales, etc.)
Coordination avec les firmes

Figure 1.1. L’exploitation agricole et les types d’environnement.

25
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

– l’intégration croissante des exploitations agricoles au sein du marché sous diverses


formes (marché vivrier local, marchés nationaux et internationaux, etc.) ;
– la pression accrue de l’agriculture sur les ressources naturelles renouvelables ;
– les mutations sociales au sein des sociétés et des familles rurales qui correspon-
dent souvent à une réduction de la taille des unités de production et à l’émergence
d’activités gérées par des individus ;
– le développement des organisations paysannes qui deviennent de plus en plus
autonomes, ce qui modifie les relations entre les producteurs et les institutions
(services publics, firmes, collectivités locales, pouvoirs politiques).

 Des exploitations agricoles mieux insérées


dans le marché
Un des objectifs majeurs des chefs d’exploitation en Afrique de l’Ouest et du Centre
est de répondre aux besoins vitaux des membres de leur famille : l’alimentation, la
santé et l’éducation. Pour cela, ils utilisent leurs productions agricoles dont une
partie est autoconsommée. Traditionnellement cet objectif s’appuie sur des straté-
gies de valorisation des ressources naturelles locales (la terre, l’eau et la végétation
naturelle) combinant des activités de cueillette et des productions végétales et
animales.

Ouverture aux marchés locaux et urbains


Dans le passé, l’approvisionnement vivrier pouvait être sécurisé grâce au stockage
de certaines denrées parfois pendant plusieurs années (céréales dans des greniers,
racines du manioc en terre, etc.). Le surplus de production était vendu pour faire
face à des besoins particuliers (payer l’impôt) et acquérir quelques biens de consom-
mation courants fournis par l’artisanat local ou produits hors du pays (lampe,
pétrole).
Cette situation qui reposait sur un fort approvisionnement local (vivres, produits de
pharmacopée traditionnelle et ustensiles divers) n’est plus d’actualité. Les exploita-
tions agricoles sont, en grande majorité, de plus en plus reliées aux marchés des
biens de consommation et de commercialisation des produits agricoles. Cette
tendance s’est amorcée avec le début des échanges commerciaux entre Européens
et Africains le long de la côte du Golfe de Guinée et s’est accentuée durant la
période coloniale : imposition des ruraux, apparition de nouveaux produits de
consommation, essor des cultures commerciales, etc. Elle s’est renforcée durant la
période qui a suivi l’indépendance des États. Même dans les zones sahéliennes peu
concernées par les cultures d’exportation, les exploitations agricoles sont aujour-
d’hui reliées aux marchés urbains d’abord pour la vente des produits animaux (petit
et gros bétail) et, selon les années, pour la vente ou l’achat de produits alimentaires
(huile, céréales). Dans ces zones à fort risque climatique, les familles rurales assu-
rent leur sécurité alimentaire par des achats après avoir vendu du bétail mais
surtout par des revenus extra-agricoles et par les dons de la famille émigrée dans des

26
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

zones plus favorisées (villes africaines et européennes, zones cotonnières et fores-


tières, périmètres irrigués).
L’intégration d’une exploitation agricole au marché doit s’analyser à la fois en aval
de la production mais aussi en amont. En plus de l’acquisition d’intrants et de maté-
riel (ce qui dans certaines situations reste très limité), de plus en plus d’exploitations
achètent ou louent de la terre et rémunèrent de la main-d’œuvre pour certains
travaux. Dans certains cas, le recours au crédit est nécessaire pour faire face à ces
dépenses. L’augmentation de la population rurale, l’intensification des systèmes de
production et l’évolution des exploitations agricoles – allant parfois jusqu’à l’appa-
rition de paysans sans terre – ont favorisé la mise en place de marchés de la terre,
du travail et dans une moindre mesure du crédit dans la plupart des régions.

Degré d’intégration des exploitations


selon les politiques locales et mondiales
Le degré d’intégration au marché diffère selon l’organisation des filières (exporta-
tion ou marché local), la facilité d’accès aux marchés (régions enclavées ou non) et
les systèmes de production, capables ou non de dégager des surplus de production.
Ainsi Toulmin et Guèye (2003) considèrent trois grands types d’exploitation pour
l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.
• Le type 1 regroupe les exploitations spécialisées où domine une (ou plusieurs)
culture de rente pour l’exportation (café, cacao, hévéa, fruits). Elles sont fortement
connectées à des agro-industries ou à la grande distribution (approvisionnement
des supermarchés en fruits, légumes, volaille…). Globalement, ces exploitations
spécialisées restent numériquement marginales sauf dans quelques secteurs comme
l’élevage à cycle court (volaille, porc).
• Le type 2 correspond aux exploitations dans lesquelles sont associées des cultures
d’exportation, des cultures vivrières et l’élevage pour le marché local et l’auto-
consommation. Ces exploitations tentent de diversifier leurs productions pour faire
face aux aléas climatiques et aux incertitudes du marché. Ce groupe comprend la
grande majorité des exploitations familiales des zones de production cotonnière ou
issues de cultures pérennes par exemple.
• Le type 3 se caractérise par des exploitations accordant la priorité aux productions
destinées à l’autoconsommation. La commercialisation ne concerne qu’une faible
part de la production correspondant aux surplus non consommés. Dans cette caté-
gorie, se trouvent les ménages ruraux les plus pauvres, les plus vulnérables, ayant de
très faibles capacités d’investissement. Pour ce type d’exploitation, l’intérêt que peut
apporter une plus forte intégration au marché est incertain, et cela peut les fragi-
liser encore plus (endettement). Ces exploitations devraient plutôt chercher à être
plus autonomes et moins sensibles aux risques, notamment climatiques.
Les exploitations d’Afrique de l’Ouest et du Centre sont confrontées à la libéralisa-
tion des marchés et aux évolutions récentes des politiques agricoles (privatisation,
désengagement des États) imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international (FMI) et confortées par l’Organisation mondiale du commerce
(OMC).

27
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Deux grands mécanismes, entre autres, affectent l’agriculture d’Afrique subsaha-


rienne. Tout d’abord, l’arrêt des politiques publiques de soutien aux filières d’expor-
tation qui s’est concrétisé par la privatisation de certaines agro-industries dans les
secteurs du coton (encadré 1.1), de l’hévéa, du palmier à huile (encadré 1.2). Ces
entreprises ne disposent plus de fonds publics pour subventionner les intrants,
apporter des crédits et conseiller les producteurs. L’abandon des mécanismes de
stabilisation des prix depuis les années 80-90 amène les acheteurs à rémunérer les
producteurs sur la base du prix mondial, ce prix étant soumis à de fortes fluctuations
et à une tendance à la baisse depuis une dizaine d’années (figure 1.2). Les agri-
culteurs se sont adaptés à ces évolutions et ont pu maintenir les productions
commerciales (coton, huile de palme par exemple) ou bien ils se sont reconvertis
radicalement (cas de l’abandon du café dans l’Ouest du Cameroun, encadré 1.3).
Ensuite, l’abaissement des taxes d’importation des produits alimentaires (riz,
viande, lait en poudre, etc.) dans la plupart des pays africains a tendance à favoriser
le consommateur urbain mais pénalise l’agriculteur céréalier ou l’éleveur africain.
De même, une aide alimentaire mal conçue (arrivée tardive, volume trop important,
mauvaise répartition géographique) peut entraîner une baisse des prix des produits
agricoles locaux préjudiciable à un grand nombre d’exploitations familiales.
L’absence de mécanismes de régulation des prix et de protection raisonnée de
certaines filières et le faible poids économique des organisations de producteurs, des
interprofessions et du secteur privé local affectent une grande partie des filières agri-
coles et d’élevage de ces régions. L’émergence d’institutions professionnelles et
économiques régionales comme le Roppa, l’UEMOA, la Cemac, la CEDEAO
permet d’envisager une résolution partielle de ces problèmes. Ces institutions pour-
raient promouvoir des politiques régionales s’appuyant sur des systèmes de protection
des filières agricoles africaines et la constitution de marchés régionaux.

250

200
Base 100 : 1990

150

100

50
Produits agricoles
Linéaire (Produits agricoles)
0
1957 19591961 196319651967196919711973 1975197719791981198319851987 198919911993199519971999 2001 20032005
Années

Figure 1.2. Évolution des cours réels des produits agricoles entre 1957 et 2005 (Source : Géronimi et al.,
2007).

28
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

Encadré 1.1. La qualité du coton délaissée après la libéralisation de la filière au Bénin


Yérima BORGUI
Pour maîtriser la qualité dans les filières agro-industrielles d’exportation une coordina-
tion efficace est nécessaire. Parmi ces moyens, le système de rémunération du coton-
graine au Bénin – intégrant à la fois contrats, règles de calcul des prix, formes de crédits
et modalités de remboursement, classement du coton selon la qualité –, joue un rôle
central. En effet, il est déterminant dans la capacité d’adaptation de la filière aux aléas
du marché mondial, le revenu des producteurs et celui des organisations professionnelles
de la filière et, par conséquent les recettes d’exportation du pays.
Dans la filière du coton, libéralisée et privatisée depuis 1992, le secteur privé a un rôle
prépondérant pour l’importation et la distribution des intrants ainsi que pour l’égrenage
du coton-graine. La capacité nationale d’égrenage de coton-graine a atteint 587 500 tonnes
en 1999 avec la construction d’usines privées et la fin du monopole de la société nationale,
la Sonapra. Cela aboutit à une forme de gestion qualifiée de « management interprofes-
sionnel » qui repose sur plusieurs organisations professionnelles de producteurs et sur des
opérateurs économiques en aval. Ces acteurs coordonnent le pilotage de la filière afin de
répondre aux objectifs de l’interprofession, – dont les bénéficiaires sont les égreneurs et
les producteurs –, à savoir accroître la production au moins à la hauteur des capacités
d’égrenage existantes et améliorer la qualité de la fibre à l’exportation.
Dès lors, un changement des règles du jeu était attendu, avec l’émergence de nouveaux
acteurs (les organisations professionnelles), ainsi qu’avec le transfert de l’autorité de déci-
sion de l’État vers la sphère collective privée. Mais fondamentalement, les règles cons-
truites par l’État dans le cadre du système de rémunération ont été maintenues et seuls
les centres de décision ont changé. En fait, plutôt que d’accroître l’efficacité du système
de rémunération, des stratégies individuelles ou collectives ont été conçues pour s’appro-
prier les rentes générées par ce système : profit individuel des égreneurs, revenu et capa-
cité de financement des biens publics par les producteurs et les groupements villageois,
rentes de position des réseaux d’agents des sociétés d’égrenage.
Cependant, cela met en évidence une asymétrie entre la capacité d’appropriation de la
rente par les acteurs et la capacité d’évaluation des pertes qu’ils subissent. La maîtrise de
la qualité du coton est ainsi devenue subsidiaire, alors que la qualité du coton béninois
se détériore depuis 1997 et pèse sur son image de marque et donc sur son prix de vente
à l’export. Par conséquent, la libéralisation et la privatisation n’ont pas modifié les règles
entre les acteurs, mais ont contribué plutôt à leur maintien par les stratégies créées. Ces
stratégies sont légitimées par :
– la rareté du coton-graine. La production nationale, de l’ordre de 350 000 tonnes, bien
en deçà de la capacité nationale d’égrenage, amène les sociétés d’égrenage à rechercher
la quantité de coton-graine sans exigence de qualité ;
– la multiplication des transactions collusoires apparues avec la libéralisation de la filière, et
renforcées par la rareté du coton et le besoin de financement des plans de développement
local des maires de certaines communes ;
– l’information insuffisante fournie par les sociétés d’égrenage sur la répartition géographique
de la qualité de la fibre.
Ainsi, l’expérience béninoise montre que la libéralisation et la privatisation des filières
agricoles induit des stratégies qui utilisent les failles des règles existantes plutôt que de
les changer. Ce processus est soutenu notamment par des personnalités de l’élite bureau-
cratique du secteur public. Connaissant parfaitement ces règles, elles se font coopter par
le secteur privé ou s’introduisent dans le vide créé par le désengagement de l’État du
pilotage de la filière. L’intérêt individuel agit ainsi aux dépens de la performance écono-
mique globale de la filière du coton béninois qui est fondée sur l’amélioration de la
qualité à l’exportation et l’augmentation de la production.

29
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 1.2. Le désengagement de l’État de la filière du palmier à huile bouleverse


les exploitations de Côte d’Ivoire
Yao Séverin KOUAMÉ
En Côte d’Ivoire, la culture du palmier à huile sélectionné a démarré dans les années 60
dans le cadre de la politique nationale de diversification agricole. Créée pour réduire la
trop forte dépendance de l’économie nationale vis-à-vis du café et du cacao, la filière du
palmier à huile reposait sur une société publique, Palmindustrie, organisée par l’État.
Cette société à été dotée d’importants moyens pour l’appui aux producteurs villageois et
pour créer son propre outil de production et de transformation des régimes. En 1995, à la
veille de la privatisation de la filière, 60 % du verger national de palmier était constitué de
parcelles villageoises et 40 % était géré directement par la firme agro-industrielle.
Les planteurs villageois souhaitant s’engager dans la culture du palmier à huile sélec-
tionné ont bénéficié : de l’octroi des intrants à crédit (semences sélectionnées, plantes de
couverture, matériel agricole, etc.) ; d’un circuit de collecte bord-champ des régimes pris
en charge par la société publique garantissant ainsi un débouché sûr et régulier ; de
l’élargissement du crédit agricole à certaines prestations sociales (prêts pour financer la
rentrée scolaire) ; du paiement mensualisé de la production.
Les recommandations techniques étaient standardisées mais leur application ne posait
pas trop de problèmes vu les conditions avantageuses offertes aux planteurs villageois
par la société d’encadrement. Il était interdit d’associer la culture du palmier à une
culture vivrière, et de procéder à la transformation semi-artisanale des régimes en vue
de la vente de l’huile sur les marchés locaux.
La privatisation de la filière en 1996 a modifié les relations entre les planteurs et les agro-
industries. L’arrêt d’une politique volontariste d’appui aux exploitations familiales a
conduit les planteurs à s’organiser eux-mêmes pour s’approvisionner en intrants
(semences), et pour financer de nouvelles plantations (Akindes et Kouamé, 2001).
De plus, la période qui a suivi la privatisation a été marquée par une baisse du prix
d’achat des régimes par les agro-industries, consécutive à la baisse du prix des corps gras
sur le marché mondial. Dans ce contexte, les planteurs ont dû transformer leur système
de production reposant sur la culture du palmier, culture qu’ils n’ont toutefois pas
délaissée vu ses avantages par rapport au café et au cacao. Les possibilités de vente des
régimes en dehors du circuit agro-industriel se sont multipliées grâce à la diffusion
rapide de la presse à vis verticale et à l’engouement des consommateurs urbains pour
l’huile rouge issue de la transformation artisanale.
On peut aujourd’hui distinguer deux grands types de système de culture incluant le palmier.
• Le système extensif se rencontre chez des villageois ayant encore d’importantes réserves
en terre. L’installation de la plantation et son entretien jusqu’à l’entrée en production
sont assurés en grande partie par de la main-d’œuvre extra-familiale, souvent étrangère
ou allochtone. Elle est rétribuée soit par le droit de cultiver des cultures vivrières en inter-
calaire du palmier – et pour attirer la main-d’œuvre le planteur peut être amené à
réduire la densité du palmier – soit par un accord de métayage, fondé sur le partage de
la récolte. Du fait de sa faible capacité d’investissement monétaire, le planteur emploie
bien souvent des semences « tout venant » moins coûteuses que le matériel sélectionné et
certifié, et l’application d’engrais est devenue marginale. Ces deux pratiques entraînent
une baisse des rendements et de la production.
• Le système intensif est réservé aux planteurs disposant d’une forte capacité d’investis-
sement (fonctionnaires, employés, retraités, etc.). Généralement, l’activité agricole n’est
pas l’occupation première de ces planteurs. Ils utilisent généralement les semences sélec-
tionnées et les engrais comme autrefois. Ils peuvent même développer leur plantation
sans posséder de terres et ont alors recours à un contrat de location de terre conclu avec
le propriétaire pour la durée d’exploitation de la palmeraie.

30
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

Encadré 1.3. Les exploitations familiales des Hautes terres de l’Ouest du Cameroun
confrontées au désengagement de l’État de la filière du café
André KAMGA
Dans les Hautes terres de l’Ouest du Cameroun, le caféier arabica a été introduit par
le pouvoir colonial vers 1920 et est resté, après l’indépendance de l’État, une culture
de rente et le pivot du développement économique de cette région. Le Fonds national
de développement rural (Fonader), organisme public, fournissait le crédit nécessaire à
l’achat des engrais, pesticides, fongicides et organisait l’approvisionnement. Des
coopératives encadrées par les services de vulgarisation permettaient aux agriculteurs
de vendre leur production de café – sans se soucier du transport – dans de bonnes
conditions. Le désengagement de l’État de cette filière a provoqué la dissolution du
Fonader en 1988-1989 et la libéralisation totale du commerce du café en 1993. La
baisse constante du prix du café sur le marché mondial a entraîné la faillite de la filière
arabica. Progressivement, en raison de leur faible revenu, les caféières ont été aban-
données puis arrachées. Celles qui subsistent sont conduites de façon extensive en
recourant à de faibles doses d’engrais minéraux à cause de la hausse continue de leur
prix – multiplié par 3 entre 1990 et 1994 à cause de la dévaluation du franc CFA, entre
autres. La baisse du prix du café à l’exportation conjugué au désengagement de l’État
de la filière est bien à l’origine de la régression rapide de la caféiculture dans cette
région (Kamga, 2002).
La forte densité de population rurale des Hautes terres de l’Ouest (250 habitants / km2)
constituait aussi un facteur limitant l’extension et le maintien du caféier. La quasi-dispa-
rition de cette production a libéré des terres, donnant la possibilité aux agriculteurs de
diversifier les cultures, notamment vers des cultures vivrières de vente, principalement
les cultures maraîchères, au début des années 70, avant la crise caféière. Les cultures
maraîchères ont même bénéficié de l’appui accordé par l’État à la filière arabica, par le
détournement des engrais destinés au caféier vers ces cultures. Néanmoins, l’essor du
maraîchage a coïncidé avec le déclin du café arabica, car les hommes responsables de
cette culture d’exportation devaient trouver une autre source de revenu pour répondre
aux besoins monétaires de leur famille.
L’absence d’appui de l’État et des organisations paysannes pour l’approvisionnement
en engrais et pesticides a fortement influencé la nature des systèmes de culture maraî-
chers. On observe fréquemment des associations de légumes qui limitent les infesta-
tions d’insectes et les maladies des cultures ainsi que le recours à la fiente de poulet
comme fertilisant moins coûteux que l’engrais. L’impact du désengagement de l’État
ne se manifeste pas seulement sur les choix techniques des agriculteurs, il touche aussi
l’organisation sociale et le fonctionnement des exploitations agricoles. L’homme (chef
d’exploitation) percevait le revenu issu des caféiers alors que les femmes assuraient
une bonne partie des travaux d’entretien. Celles-ci avaient la responsabilité de la
production vivrière. Aujourd’hui hommes et femmes d’une même famille se retrou-
vent parfois associés parfois concurrents pour l’accès à la terre et pour la vente des
produits maraîchers. Les dynamiques de développement actuelles, fortement orien-
tées par des besoins croissants en produits vivriers des marchés urbains locaux et
régionaux, comprennent aussi la production de maïs et de haricot et l’élevage de
porcs et de poulets. Outre ces activités de production, les ruraux s’investissent dans
diverses activités procurant un revenu comme la fabrication d’emballage pour le
transport des produits maraîchers, le commerce de ces produits et tous les métiers de
l’artisanat traditionnel (maçonnerie, menuiserie). Ces dynamiques de développement
constituent une alternative au modèle de la filière intégrée soutenu par l’État dans le
passé.

31
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Les agriculteurs, même si peu d’entre eux en sont conscients, ont intégré un système
économique mondialisé dans lequel ils sont en concurrence avec les éleveurs
d’Amérique du Sud, les arboriculteurs d’Afrique du Sud, les riziculteurs et les
producteurs de café d’Asie. Cette mise en concurrence, – qui peut être acceptable
dans une économie libérale –, est faussée par le maintien des subventions à un
niveau élevé à des filières agricoles dans l’Union européenne et aux États-Unis.
Si l’intégration des exploitations agricoles au marché est difficilement contournable,
elle conduit à accroître la prise de risque des exploitants et donc leur vulnérabilité
du fait des dysfonctionnements et de la volatilité des marchés. Les chefs d’exploita-
tion recherchent avant tout à assurer les besoins fondamentaux de leur famille et,
en tout premier lieu, l’autosuffisance alimentaire. Ainsi, les États et certaines orga-
nisations paysannes comme le Roppa cherchent à élaborer des politiques écono-
miques et agricoles qui répondraient à l’objectif de souveraineté alimentaire : un
pays doit être en mesure de nourrir sa population en favorisant les productions de
ses agriculteurs et éleveurs afin de minimiser les importations alimentaires et les
risques liés aux marchés internationaux (pénurie, flambée des prix, problème de
transport, conflits, etc.).

 Une agriculture encore peu artificialisée,


fondée sur les ressources naturelles

Raréfaction et dégradation des ressources naturelles


L’agriculture subsaharienne a eu à sa disposition pendant longtemps un important
capital en ressources naturelles non exploitées. Dans le passé, étant donné les faibles
densités de population, les agriculteurs et les éleveurs ont pu faire face à leurs besoins
sans dégrader les terres agricoles, les parcours ou les espaces arborés. Les pratiques
traditionnelles d’utilisation et de gestion de ces ressources, comme la jachère et la
transhumance, suffisaient à entretenir le potentiel productif. Les phénomènes de
dégradation des ressources naturelles sont apparus avec les grandes périodes de
sécheresse, coïncidant avec les années 1973 et 1984, et ont affecté plus particulière-
ment le Sahel mais aussi les zones soudanienne et guinéenne (carte 2). Au centre de
la Côte d’Ivoire, des milliers d’hectares de caféiers ont été détruits par des feux de
brousse durant la saison sèche de l’année 1984, phénomène rarissime auparavant.
Les paysans peuvent difficilement agir sur certains facteurs limitants, spécifiques des
milieux tropicaux, comme l’importance du parasitisme en zone humide, la faible
teneur en phosphore de la majorité des terres cultivées, la minéralisation rapide de la
matière organique du sol, etc. La conjonction des épisodes de sécheresse (qui restrei-
gnent la production de biomasse végétale) et de l’accroissement de la population
rurale (qui contraint à l’abandon progressif de la jachère au-delà de 50 habitants/km2)
a accéléré les phénomènes de dégradation des écosystèmes dans la plupart des pays
sahéliens (Burkina Faso, Sénégal, Niger, Mali, Nord du Cameroun et Nord du Bénin,
Tchad, etc.). L’ampleur de l’érosion hydrique et des pertes en eau par ruissellement,
la baisse de fertilité des sols exploités en culture continue et la dégradation de la

32
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

300
300 300
600 300
600
900 600
900
600
900
900

Isohyètes moyennes de la période 1950-67 en mm


Isohyètes moyennes de la période 1968-97 en mm

Carte 2. Évolution des isohyètes en zone sahélienne d’Afrique de l’Ouest et du Centre (données Cills).

couverture végétale (arbres, strate herbacée) ont été largement étudiées (Pieri, 1989 ;
Jouve et al., 2002). Face à ces difficultés, les agriculteurs ont opté pour une stratégie
d’innovation ou de migration.

Innovation
Dans les zones les plus peuplées, les paysans ont innové pour freiner ces évolutions
alarmantes, conformément au modèle d’intensification des systèmes de production
de Boserup (1965) (chapitre 3) : mise en valeur des bas-fonds, gestion du ruisselle-
ment et de l’érosion par de petits aménagements, plantation de vergers, valorisation
des ressources fourragères via la collecte et le stockage de la fumure organique.
Mais tous les problèmes sont loin d’être résolus. Ainsi, dans les zones les plus
sèches, l’agriculture est toujours confrontée au manque de ressources en eau
(pluviale, souterraine, superficielle) ou au manque de moyens financiers pour valo-
riser les ressources existantes.

Migration
La dégradation des ressources naturelles affecte plus particulièrement les zones les
plus peuplées et les plus sèches. Cela explique en grande partie les migrations de
populations rurales (agriculteurs, éleveurs) vers d’autres régions mieux pourvues en
ressources naturelles, notamment les zones de savane et de forêt. Globalement,
il reste d’importantes réserves de terres en zone soudanienne et guinéenne où la
pression démographique dans les campagnes est encore faible (moins de
25 habitants/km2), à l’est du Sénégal et de la Guinée, à l’ouest du Mali et du Ghana,
au nord de la Côte d’Ivoire et du Bénin, au centre du Cameroun (Carte 3). Ces
régions pourraient encore accueillir des producteurs migrants si les conditions
sociopolitiques le permettent encore.

33
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Densité inférieure à 10 hab./km2


Densité comprise entre 10 et 25 hab./km2
Densité comprise entre 25 et 50 hab./km2
Densité comprise entre 50 et 100 hab./km2
Densité supérieure à 100 hab./km2
Villes
1 000 000
500 000
200 000 300 000
100 000

500 km

Carte 3. Les densités de populations rurales en Afrique subsaharienne (Source : WALTPB, OCDE,
Club du Sahel, Mac Globe repris par Faure, 2005).

Les producteurs ne disposent pas toujours des moyens et des appuis pour contre-
carrer la dégradation ou la raréfaction des ressources naturelles. En effet, le
contexte socio-économique actuel, en particulier la libéralisation des marchés et des
filières, ne permet pas de mieux gérer les ressources naturelles. Par exemple, l’en-
tretien de la fertilité du sol suppose que les paysans disposent d’engrais minéraux et
organiques et qu’ils aient donc des revenus suffisants pour acheter des intrants, du
bétail et des matériels de transport. La détérioration des termes de l’échange
– rapport du prix de production au prix de l’engrais – et l’abandon des politiques de
subvention et de crédit limitent fortement l’emploi de la fumure. À partir des statis-
tiques de la FAO, Mortimore (2003) met en évidence une baisse de la consomma-
tion d’engrais entre 1980 et 1993 dans six pays d’Afrique de l’Ouest (Niger, Mali,
Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire, Sénégal), une hausse entre 1995 et 1998 en Côte
d’Ivoire puis de nouveau une diminution. Ces changements sont causés par l’arrêt
des politiques de subvention pour l’achat d’engrais, par le démantèlement des
filières d’approvisionnement en engrais gérées par l’État, en particulier dans les
zones sèches, comme dans le bassin arachidier du Niger et du Sénégal.
Dans le passé, la gestion et l’exploitation des ressources naturelles ont surtout été
abordées sous l’angle technique par les agronomes, les zootechniciens et les fores-
tiers qui, dans bien des cas, ont considéré que les agriculteurs et les éleveurs étaient
les seuls responsables de la dégradation des écosystèmes naturels et cultivés. Il est
avéré aujourd’hui que l’absence de soutien à l’agriculture, la baisse des prix des
produits à l’exportation, la faiblesse des politiques dans les domaines de l’énergie,
de la gouvernance et du développement local ont aggravé les processus de dégrada-
tion des ressources naturelles. En cas de déficit alimentaire, il est bien difficile d’in-
terdire à un paysan de couper du bois pour le vendre et pour nourrir sa famille. De
plus, certaines techniques proposées par les agronomes et adoptées par une partie
des agriculteurs se sont révélées néfastes pour l’environnement. Le dessouchage,
par exemple, devait améliorer la qualité des travaux effectués en traction animale et

34
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

accroître la productivité du travail mais cette pratique a empêché la mise en place


d’un parc arboré ou la reconstitution rapide de la jachère après culture, et a ainsi
accéléré la baisse de fertilité des sols cultivés.

Le marché de la terre
Durant plusieurs décennies, les tensions sociales pour l’accès aux ressources natu-
relles, en particulier à la terre, ont été quasiment inexistantes. Dans les pays où le
pouvoir était centralisé, les enjeux sociopolitiques se sont focalisés sur la maîtrise
des circuits de commercialisation et le contrôle des populations (mobilisation de la
force de travail, vente d’esclaves). Traditionnellement, la terre ne devait pas faire
l’objet de transaction. Le gestionnaire des terres du village ne pouvait pas refuser à
un migrant une portion de terre car le droit de nourrir sa famille, quelle que soit son
origine, était inaliénable. Si les dons de terre ont été très courants jusque dans les
années 80, et encore aujourd’hui dans les zones peu peuplées, les gestionnaires des
terres ont toujours gardé un lien fort (quasi religieux ou mystique) avec la terre de
leurs ancêtres même après cession à un étranger. La raréfaction des terres à mettre
en culture est due à l’augmentation de la population rurale et parfois à l’accroisse-
ment de la surface cultivée par actif ; cette évolution a, dans certaines régions,
provoqué des mutations profondes dans la gestion du foncier entraînant des
tensions et des conflits. La surface cultivée par actif a beaucoup augmenté dans les
zones d’adoption de la traction animale. Par exemple, en zone cotonnière du
Burkina Faso, un actif cultive 0,48 ha dans les exploitations en culture manuelle et
0,93 ha en culture attelée (Faure, 1994). L’emploi des herbicides a aussi contribué à
cette extension mais, de même que la motorisation, il n’est pas généralisé. Dans les
zones forestières où la traction animale ne s’est pas développée, l’agriculture reste
essentiellement manuelle malgré l’introduction récente de la tronçonneuse et des
appareils de pulvérisation motorisés.
Le statut de la terre a évolué progressivement. D’un bien collectif (géré par la société
villageoise, le lignage), il est devenu un bien individuel (Le Bris et al., 1991). La terre
a acquis dans la plupart des situations une valeur marchande. Ainsi, le prêt de terre
sans contrepartie disparaît, divers systèmes de location se généralisent (location
annuelle payée en numéraire ou par du travail, location pluriannuelle dans le cas de
culture pérenne), la vente de terre progresse, même si, dans bien des cas, elle ne fait
pas l’objet d’un acte officiel. Les termes d’un contrat de cession de terre peuvent être
différemment interprétés par le vendeur et l’acheteur. Ainsi, en zone forestière de
Côte d’Ivoire, les cessions de terre entre autochtones et paysans migrants ivoiriens
ou étrangers ont été nombreuses et peu onéreuses pour l’acquéreur. À partir des
années 90-95, certains vendeurs autochtones mais surtout leurs descendants ont
remis en cause ces ventes de terre et ont considéré que les cessions concernaient le
droit d’usufruit de la terre pour la durée de vie de la plantation (café, cacao), période
au-delà de laquelle la terre devait revenir au propriétaire initial, alors que les paysans
allochtones considéraient leurs acquisitions comme définitives.
Dans la plupart des pays, la vente de terre agricole n’est pas légale sauf s’il y a un
enregistrement foncier en bonne et due forme comprenant un relevé cadastral, un
bornage et le paiement de taxes foncières. Ces dispositions ont pu être prises pour

35
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

des sociétés privées agro-industrielles, des ranchs d’élevage mais très peu pour des
exploitations familiales du fait de leur coût. Malgré cette interdiction, des ventes de
terre de gré à gré devant témoin se multiplient, notamment pour mettre en place
des systèmes de culture intensifs comme le maraîchage, la riziculture irriguée,
l’arboriculture, etc.

La gestion des ressources communes


L’état des écosystèmes est aussi affecté par la difficulté des sociétés rurales à conserver
les modes de gestion collective des diverses ressources communes (Ostrom, 1999). On
peut citer : les espaces non cultivés utilisés par les éleveurs et l’ensemble de la popu-
lation rurale pour prélever du bois, des ressources fourragères pour leur bétail et
divers produits de cueillette ; les points d’eau ; les résidus de culture provenant de
parcelles individuelles mais utilisés collectivement dans le cadre de la vaine pâture.
Cette gestion collective n’est pas spécifique de l’Afrique subsaharienne mais elle a
quasiment disparu sur les autres continents, comme en Amérique du Sud où les
espaces pastoraux sont devenus des propriétés privées (excepté dans certaines zones
non colonisées et mises en valeur par des populations indigènes). L’accroissement
de la population rurale et l’augmentation des effectifs d’élevage entraînent des
conflits entre groupes professionnels ayant des objectifs antagonistes en particulier
entre agriculteurs et éleveurs et, localement, entre les ruraux et les gestionnaires des
aires protégées (service public gestionnaire des parcs nationaux et des forêts clas-
sées, guide de chasse gérant une zone louée à l’État, etc.). Comme dans le cas du
foncier cultivé, les États ont des difficultés à mettre en place des cadres réglemen-
taires reconnus par tous et donc fonctionnels. Dans la plupart des situations, un
modèle de production agricole est dominant. Ainsi les systèmes mixtes combinant
agriculture et élevage se généralisent dans les zones de savanes en voie de densifi-
cation démographique, ce qui incite le système d’élevage bovin extensif à migrer ou
à évoluer rapidement, comme le montre Dongmo en zone cotonnière du Cameroun
(chapitre 23).
Il demeure que « la tragédie des communs » reste d’actualité. La plupart des
communautés villageoises rencontrent des difficultés pour gérer leur territoire et
pour développer des synergies entre différents systèmes de production (productions
végétales et animales en relation avec l’arbre). Les espaces collectifs qui correspon-
dent aux terres peu fertiles ne sont pas gérés faute d’entente, alors que la produc-
tion de bois-énergie devient une question cruciale et que l’alimentation du bétail en
saison des pluies est incertaine faute d’espace suffisant réservé à l’élevage.
La gestion des ressources naturelles au sein des exploitations agricoles et des terri-
toires ruraux ne doit pas être raisonnée uniquement par rapport aux systèmes de
production agricole. Une analyse globale doit être menée à l’échelle des éco-
systèmes et des territoires afin d’étudier aussi les interactions entre les processus qui
exploitent les ressources naturelles : les productions végétales pour l’alimentation
(des hommes et du bétail) et pour la vente, les productions animales et les produits
de cueillette (dont le principal est le bois). À moins de favoriser l’utilisation
d’énergie fossile (pétrole, gaz) – ce qui deviendra de plus en plus coûteux pour les
États –, la question de l’approvisionnement en combustible des populations rurales

36
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

risque de se complexifier dans les prochaines décennies. Cette crise énergétique


pourrait dans certains cas accélérer les migrations de population, dans d’autres,
encourager les plantations d’arbres et développer une filière bois-énergie utile aux
populations urbaines et fournissant un revenu complémentaire aux ruraux.

 Des sociétés rurales en mutation


Les évolutions sociales sont perceptibles à deux niveaux : la famille (famille
nucléaire ou famille élargie) ; les groupes sociaux plus larges (la communauté villa-
geoise, le groupe ethnique, etc.). Les modifications observées dans le groupe fami-
lial au sein de l’exploitation (chapitre 4) portent sur la segmentation des grandes
exploitations, les relations entre aîné et cadet, les répartitions du travail et des
responsabilités entre homme et femme, etc.

Communautés villageoises, pouvoirs coutumiers


La communauté villageoise a toujours constitué le mode d’organisation sociale
dominant dans la grande majorité des sociétés rurales africaines. Les structures de
développement et l’administration se sont appuyées sur la communauté villageoise
pour mettre en place des programmes et des projets (systèmes de santé et d’éduca-
tion, programmes agricoles et de gestion des ressources naturelles). Encore aujour-
d’hui, leurs représentants, – les chefs de village et de lignage –, demeurent les
interlocuteurs des intervenants extérieurs. Cette vision souvent idéalisée de l’orga-
nisation sociale villageoise ne doit pas faire oublier les rapports hiérarchiques entre
les groupes dominants (familles nobles ou fondatrices du village) et les groupes
dominés (descendants d’esclaves, dernières familles arrivées).
Des organisations sociales dépassant le cadre du village peuvent exister dans les
situations de pouvoir centralisé s’appuyant sur des chefs de canton (Burkina Faso,
Tchad), des sultans et des lamibés (à l’Est du Niger, au nord du Nigeria et du
Cameroun). De vastes territoires coutumiers (les sultanats, les lamidats) sont encore
dominés et, dans une certaine mesure, administrés par ces autorités traditionnelles
avec l’accord ou la complicité des autorités politiques.
Les mutations sociales, perceptibles à l’échelle du terroir villageois et à celle du
territoire coutumier, proviennent en partie des phénomènes de concurrence entre
acteurs pour l’accès aux ressources naturelles et de l’impact des flux de population
(exode rural, arrivée de migrants), mais aussi du désir d’émancipation des jeunes
après leur période de scolarisation et de migration temporaire en ville. Plus récem-
ment, le jeu politique local autour de la décentralisation et l’émergence d’organisa-
tions paysannes non liées directement aux autorités coutumières modifient aussi les
rapports entre les groupes sociaux.

Migrations et mutations sociales


L’installation de paysans migrants dans les zones à fort potentiel de production
est presque toujours gérée par les autorités traditionnelles. Autrefois, les États ont

37
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

favorisé l’installation de migrants dans des zones peu peuplées mais ces projets ou ces
structures d’intervention ont quasiment disparu (Autorité pour l’aménagement des
vallées des Volta au Burkina Faso, Projets Nord-Est Bénoué et Sud-Est Bénoué au
Cameroun, Programme terres neuves au Sénégal oriental). L’accueil de migrants est
considéré par les autochtones comme un atout pour le développement économique
de leur territoire, au moins dans un premier temps. Ce peuplement rapide de zones
peu peuplées par des paysans volontaires (front pionnier pour la culture du coton, du
cacao, etc.) s’accompagne d’activités de production et de service, de l’installation
d’infrastructures subventionnées en partie par les migrants et de la fourniture régu-
lière et au moindre coût de denrées alimentaires (Dugué et al., 2004). Les tensions
sociales entre autochtones et migrants deviennent perceptibles quand le poids démo-
graphique s’inverse et surtout lorsque les autorités traditionnelles n’arrivent plus à
contrôler l’accès aux ressources et ne maîtrisent plus le jeu politique local. Ainsi, des
migrants peuvent prendre des responsabilités dans les communes rurales par le biais
d’élections démocratiques, ou, encore plus facilement, ils prennent le contrôle d’or-
ganismes professionnels des filières où ils sont majoritaires (coopérative, union de
producteurs). Les tensions se cristallisent sur les questions foncières qui demeurent
presque toujours contrôlées par les autorités coutumières autochtones.
Au contraire, l’exode rural touche les zones où l’agriculture ne permet plus de
subvenir aux besoins des populations rurales (cas des zones sahélo-soudaniennes
peuplées) et où elle est peu attractive économiquement (pays Baoulé de Côte
d’Ivoire). Lorsque les villes et les secteurs non-agricoles comme le commerce et
l’industrie fournissent des emplois, les jeunes ruraux sont pressés d’abandonner
l’agriculture et leur village pour exercer d’autres métiers jugés plus rémunérateurs.
Ces différentes formes d’exode rural sont à l’origine de mutations sociales fortes qui
affectent la cohésion sociale au sein des communautés villageoises et les liens de
solidarité entre les familles et entre les générations. Dans les zones où l’agriculture
est en crise, les familles rurales restées au village sont devenues économiquement
dépendantes des ressortissants installés en ville ou à l’étranger. Ces paysans accep-
tent mal cette situation et reconnaissent difficilement qu’ils n’arrivent plus à nourrir
leur famille à partir de leurs productions. Leurs conditions de vie, leur rôle social et
leur métier de paysan sont remis en cause. De plus, ils sont, eux aussi, tentés par
l’aventure de la ville ce qui marginalise encore plus l’agriculture et son rôle dans la
gestion des territoires de ces régions.
Inversement, dans les zones bénéficiant d’un bon potentiel de production, on a pu
assister au retour des jeunes au village à la suite des difficultés rencontrées en ville.
Au Cameroun et, de façon plus exacerbée, en Côte d’Ivoire, ces jeunes ont constitué
une force d’opposition vis-à-vis de leurs aînés et des autorités traditionnelles, reven-
diquant plus d’autonomie voire le pouvoir dans les organisations de producteurs. Ils
peuvent ainsi être amenés à réclamer les terres que leurs parents avaient cédées aux
migrants. Ces évolutions sont en grande partie à l’origine des conflits fonciers en
zone forestière de Côte d’Ivoire. L’absence de stabilité des producteurs (en particu-
lier des jeunes) et les relations de méfiance entre les différents groupes sociaux
(jeunes, anciens, autochtones, migrants) ont affecté les liens de solidarité qui permet-
taient de faire face aux pointes de travail ou aux problèmes d’approvisionnement en
vivres de certains. Dans ce contexte, il est très difficile d’élaborer des programmes de

38
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

développement local et de gestion des ressources naturelles qui devraient découler


aussi des politiques de décentralisation. Les nouvelles collectivités locales, comme les
communes, ne peuvent être légitimes et efficaces que si elles ont la confiance de tous
les groupes sociaux, du moins d’une majorité. Dans bien des cas, on observe une
superposition des pouvoirs : le pouvoir coutumier a souvent un rôle prédominant à
l’échelle du village, l’administration est toujours très présente, les collectivités locales
communales ou régionales sont en phase d’émergence.

Place de l’école en milieu rural


La place accordée à l’école et le rôle que les ruraux ont voulu lui donner interfèrent
beaucoup dans les relations entre jeunes et anciens, entre paysans et ressortissants
des villes.
Lorsque le système éducatif reste suffisamment performant et que des perspectives
de travail hors du secteur agricole demeurent, l’école est considérée par les ruraux
comme un outil de promotion sociale permettant aux jeunes de trouver un emploi en
ville. Dans le cas contraire, les ruraux se détournent de l’école et accordent plus
d’importance à un apprentissage traditionnel qui permet aux jeunes de trouver un
emploi ou de développer une activité en milieu urbain (menuiserie, mécanique, etc.).
Dans tous les cas, le système éducatif a peu favorisé la profession agricole faute de
dispositifs de formation adaptés aux jeunes ruraux souhaitant devenir exploitants
agricoles (encadré 25.6, chapitre 25). Le système scolaire classique qui repose sur la
maîtrise d’une langue et du calcul a toutefois favorisé l’émergence d’une classe
de leaders paysans capables de discuter avec les pouvoirs publics, les porteurs
de projets de développement et les bailleurs de fonds tant sur la scène nationale
qu’internationale.

 Évolution des rapports entre paysans et institutions


Les institutions qui interfèrent avec le monde paysan relèvent aujourd’hui autant du
secteur public (État, autorités traditionnelles reconnues) que du secteur privé
(commerçants, agro-industriels) et associatif (organisations paysannes, associations
de développement, etc.).

Désengagement des États du secteur agricole


La libéralisation des économies, la démocratisation du jeu politique et la décentra-
lisation ont façonné le paysage institutionnel actuel. Jusqu’au début des années 90,
les services d’appui à l’agriculture étaient peu diversifiés et relevaient du secteur
public. Intervenaient des sociétés de développement à caractère régional (Carder
au Bénin, ORD puis CRPA au Burkina Faso, AVB en Côte d’Ivoire, Sodeva et
SAED au Sénégal) ou rattachées à une filière spécialisée (sociétés cotonnières,
sociétés agro-industrielles pour l’hévéa et le palmier à huile).
La plupart des sociétés publiques de développement par produit ont eu aussi
un mandat de développement rural régional dans leur zone d’intervention. Les

39
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

difficultés budgétaires des États et les programmes d’ajustement structurel ont


contraint ces sociétés, au début des années 90, au recentrage de leurs activités sur
leur mandat initial (appuyer une production, organiser une filière), puis à leur
dissolution ou leur privatisation. Dans bien des cas, ces sociétés de développement
assuraient conjointement le conseil aux agriculteurs, la commercialisation des
produits, le crédit pour l’acquisition des intrants, etc. Ce type d’organisation en
filière intégrée, qui demeure dans la plupart des bassins de production du coton, a
montré aussi son efficacité technique dans les secteurs du palmier à huile et de
l’hévéa, mais il s’est révélé trop coûteux pour être pris en charge uniquement par les
acteurs de la filière sans subvention des États (encadré 1.2).
Le désengagement de l’État du secteur agricole devait s’accompagner d’un investis-
sement fort du secteur privé dans les services d’appui : la banque pour le crédit, les
fournisseurs pour l’approvisionnement en intrants et en matériel couplé à des
services de conseil, les commerçants pour l’écoulement des produits. Or, les entre-
prises privées ont peu investi dans ces services et en particulier ont hésité à fournir
du crédit au secteur de l’agriculture familiale, considéré à fort risque. L’atomisation
de la production, la petite taille des exploitations et le coût élevé des services dans
ces conditions expliquent les réticences du secteur privé, les agriculteurs ont donc
plutôt misé sur leurs propres forces en créant des organisations professionnelles. Et
au début des années 90, ils ont reçu l’appui de quelques bailleurs de fonds de la
coopération bilatérale, puis récemment d’agences de coopération multilatérale
comme la Banque mondiale.

Diversité et évolution des rôles des organisations paysannes


Le paysage des organisations paysannes depuis la création des premiers groupe-
ments villageois (1960-1980) jusqu’à nos jours a beaucoup changé. La privatisation
et la dissolution des sociétés publiques de développement ont incité les groupe-
ments à créer des unions ayant les capacités financières et humaines suffisantes
pour gérer des services, notamment l’approvisionnement en intrants et la vente des
produits. Ces unions, regroupées ensuite en fédérations de producteurs, sont orga-
nisées par filière ou par grande région agro-écologique. Plus récemment, des unions
et des fédérations se sont rassemblées en organisations nationales représentant la
majorité des producteurs ruraux à l’échelle d’un pays : CNCR au Sénégal, Fupro au
Bénin, AOPP et Cnop au Mali... En 2000, ces organisations ont créé le Roppa qui
représente les paysans de dix pays d’Afrique de l’Ouest (encadré 1.4).
L’arrivée des organisations professionnelles agricoles dans le jeu sociopolitique a
bousculé les ordres sociaux établis correspondant aux différents pouvoirs tradition-
nels. Tant que ces organisations fonctionnaient à l’échelle du village, elles étaient
contrôlées par les autorités traditionnelles qui plaçaient à leur tête des personnes
proches, scolarisées, capables de tenir les comptes et de dialoguer avec les interve-
nants extérieurs. Les enjeux économiques et de pouvoir sont devenus beaucoup plus
importants lorsque des organisations paysannes de plus grande envergure se sont
créées pour gérer à plus grande échelle la commercialisation des intrants et des
productions, le crédit ou des installations industrielles. De plus, ces jeux de pouvoir
ont été perturbés par le clientélisme politique et le multipartisme.

40
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

Encadré 1.4. Le Roppa


Le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest
(Roppa) fondé en 2000 regroupe des organisations ou des cadres de concertation de dix
pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée,
Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo). Cet ensemble n’est pas fermé et son ambi-
tion, à moyen terme, est d’accueillir des organisations paysannes de l’ensemble des pays
de la CEDEAO qui représente l’Afrique de l’Ouest économique.
Depuis 1998, le contexte socio-économique qui conditionne les activités des exploita-
tions familiales et des organisations a été caractérisé par trois éléments majeurs qui cons-
tituent le fondement de la motivation et de la mobilisation de nombreux leaders paysans
de l’Afrique de l’Ouest pour créer et animer le Roppa.
• L’intégration sous-régionale. La construction d’un espace commun sur les plans écono-
mique, social et institutionnel construit par l’UEMOA est aujourd’hui une réalité. En
effet, l’harmonisation des échanges commerciaux et des politiques de développement,
notamment la préparation de la politique agricole de l’UEMOA, concrétise l’intégration
sous-régionale, avec des décisions stratégiques ayant des conséquences sur les activités
et l’avenir des producteurs.
• La décentralisation dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Les décisions prises responsa-
bilisent de plus en plus les collectivités territoriales. Une telle option confirme la volonté
théorique d’impliquer les acteurs dès le départ et exige de leur part des attitudes et des
capacités nouvelles.
• La mondialisation. L’activité économique est « tirée » par le marché mondial, ce qui
oblige les producteurs à entrer en compétition sur les marchés nationaux et internatio-
naux avec d’autres producteurs (européens, américains ou asiatiques) alors que les
conditions de production et de mise en marché des produits sont inégales.
Le Roppa doit pouvoir compter sur des organisations paysannes, ou des cadres de
concertation nationaux forts, capables de dialoguer avec l’État. Aussi, une des priorités
du Roppa est de renforcer, par le biais de formations, de voyages d’études et de rencon-
tres, les organisations et les cadres de concertation paysans dans les pays où ils sont
encore insuffisamment développés.
En définitive, il met en avant l’exploitation familiale comme base de la construction
d’une vision d’avenir par les organisations paysannes de l’agriculture et du monde rural.
Pour les organisations paysannes au sein du Roppa, la famille rurale est le socle des
sociétés agraires dans les pays africains, alors qu’elle a été ignorée par la plupart des
actions et des politiques qui ont voulu apporter un appui à l’agriculture. Le Roppa veut
promouvoir l’amélioration des conditions des activités des familles rurales, qui ne sont
pas limitées à la seule activité de production agricole.
(www.roppa.info)

Il est encore trop tôt pour faire le bilan des actions des groupements paysans surtout
celles des organisations nationales et internationales créées il y a peu. Leurs acti-
vités centrées sur la défense du monde rural vis-à-vis des États et des institutions
internationales comme l’OMC sont plus complexes à évaluer. Des réussites
marquantes dans l’appui aux agriculteurs et aux éleveurs sont attribuées à des orga-
nisations paysannes : par exemple, le développement de la filière de la pomme de
terre dans la région du Fouta Djalon en Guinée, la négociation sur la baisse du taux
du crédit agricole au Sénégal, la fourniture d’intrants à crédit aux producteurs d’oi-
gnon au Cameroun et aux éleveurs de la République centrafricaine, etc. À une autre

41
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

échelle, les avancées obtenues en 2004 par les producteurs de coton à l’OMC résul-
tent en partie des efforts de communication et de sensibilisation entrepris par le
Roppa et l’Association des producteurs de coton africains (Aproca) lors du sommet
de l’OMC à Cancún en 2003.

Évolutions des relations entre le monde rural


et les structures d’appui et l’administration
L’émergence des organisations paysannes, la démocratisation et l’apparition d’une
classe de jeunes paysans alphabétisés ont modifié les rapports entre les ruraux et les
agents des structures de développement et de recherche. Durant la période colo-
niale et jusque dans les années 80, les paysans étaient considérés par ces agents
comme des exécutants qui devaient appliquer les modèles techniques proposés. Les
ruraux étaient donc chargés de produire et les sociétés de développement s’occu-
paient des autres activités (approvisionnement en intrants, commercialisation des
surplus non consommés, etc.). Ce modèle d’encadrement descendant a échoué et les
organisations paysannes ont revendiqué leur participation à la programmation et à
la mise en œuvre des actions de développement. Ainsi, les agents des services tech-
niques ont été amenés à considérer les paysans comme des partenaires de discussion
et de négociation. Ces avancées diffèrent selon les pays, les régions et les secteurs de
production. Les agriculteurs des zones peu peuplées où il y a peu de produits pour
la vente, ainsi que les éleveurs et les pêcheurs, ont plus de difficulté à s’organiser et
sont moins bien représentés dans les organisations faîtières nationales.
Les démarches participatives et la responsabilisation des acteurs ruraux ont aussi
touché des programmes de gestion des ressources naturelles (ressources arborées,
aires protégées, etc.) qui ont été caractérisés pendant longtemps par des conflits
entre ruraux et agents des services de l’environnement.
Les collectivités locales ont pris place plus récemment dans le paysage institu-
tionnel. Les communes rurales et, dans une moindre mesure, les conseils régionaux
vont être amenés à gérer une partie des services (école) et des ressources à la place
de l’État ou des autorités traditionnelles. Les premières expériences de décentrali-
sation au Mali et au Sénégal laissent supposer que les organisations paysannes
poursuivront leur appui au secteur productif et à la défense des intérêts de leurs
membres (fonction syndicale), alors que les collectivités locales se chargeront plutôt
de la gestion des territoires et des ressources naturelles et de la coordination des
interventions. La réussite de la décentralisation dépend donc de la coordination
entre ces différents acteurs et de la mobilisation de moyens humains et financiers
(taxes et impôts locaux, appui de l’État central) pour mettre en place de nouveaux
services à l’agriculture et des dispositifs de gestion de l’espace.
Dans ce contexte institutionnel, on peut s’interroger sur la place et les rôles dévolus
à l’État. Pour que les exploitations agricoles se développent, il faut que l’État pour-
suive ses efforts dans le domaine de l’éducation de base et de la santé, dans des
infrastructures de communication (route, téléphonie), etc. La recherche agricole,
qui a fait aussi des efforts pour améliorer la concertation avec les producteurs et
leurs organisations, doit aussi être soutenue par la puissance publique. En plus de
ces fonctions traditionnelles de soutien au monde rural, l’État doit avant tout

42
Ressources, acteurs et institutions : un environnement qui change

Encadré 1.5. Reconstruction fragile des exploitations agricoles mozambicaines


après une longue guerre
Michel FOK A.C., Carlos TOMAS(†)
Après une indépendance durement acquise en 1975, le Mozambique est immédiatement
entré dans une guerre civile, la paix est revenue seulement en 1992. Pour satisfaire les
besoins alimentaires des populations rurales, le Mozambique dépendait fortement des
aides internationales qui ont perduré, bien au-delà du retour à la paix, au point de nuire
au redémarrage des productions céréalières. De plus, pour générer les ressources moné-
taires des paysans, le gouvernement mozambicain a misé sur la relance des productions
de rente, en particulier sur le coton.
Dans le cadre d’un appui à la société cotonnière Lomaco-Montepuez, 900 exploitations
agricoles ont été enquêtées dans la Province du Cabo Delgado au nord du Mozambique.
Les résultats permettent d’évaluer les difficultés rencontrées par les exploitations agri-
coles pour reconstituer une capacité d’accumulation dans le contexte de sortie de guerre
et d’économie libérale.
Durant cette longue guerre, les populations rurales ont été obligées de se déplacer, ce qui
a entraîné le morcellement des familles et la perte du bétail et de certains équipements,
ainsi que de nombreuses pertes humaines. Aujourd’hui un nombre élevé de famille est
monoparentale. Plus de 10 % des chefs d’exploitation sont des femmes veuves. Les exploi-
tations agricoles se sont constituées autour de couples jeunes ou d’un seul parent, les
enfants sont généralement en bas âge, le ratio du nombre d’actifs sur le nombre de
bouches à nourrir est faible et il y a peu de main-d’œuvre. La taille moyenne des familles
rurales est de 3,4 personnes, effectif très inférieur à celui des exploitations des zones
cotonnières d’Afrique de l’Ouest. La surface moyenne de l’exploitation est de 2 ha et les
capacités d’accroître cette surface sont très faibles en l’absence de capitaux propres et de
dispositifs d’appui (crédit, approvisionnement en matériel) pour s’équiper en culture
attelée. La perte du bétail lors de la guerre est un frein à tous les programmes de déve-
loppement qui reposeraient en partie sur les capacités d’investissement des agriculteurs.
La guerre a aussi entraîné une modification radicale des systèmes de production. Avant
l’indépendance, l’agriculture mozambicaine était composée de grandes exploitations moto-
risées – possédées par des agriculteurs noirs aisés, anciens mineurs mozambicains de retour
d’Afrique du Sud ayant investi leurs économies dans l’agriculture – et de petites exploita-
tions familiales en culture manuelle. Aujourd’hui, toutes les exploitations sont de petite
taille et ne disposent pas du savoir-faire de la culture attelée, et encore moins des
ressources financières nécessaires pour acquérir la motorisation conventionnelle – qui était
présente dans les grands domaines avant la guerre. Le choix d’une politique économique
libérale sans crédit et sans subvention d’équipement agricole et d’achat d’intrants a limité
l’extension des surfaces cultivées par actif et l’accroissement de la production de coton, bien
que les agriculteurs de cette province déclarent avoir cultivé régulièrement du coton (84 %
des agriculteurs entre 2001 et 2003). Ils ont dégagé des revenus réguliers, ils ont pu sécu-
riser l’alimentation familiale et développer le petit élevage. Toutefois, les dysfonctionne-
ments de la filière coton sont nombreux et les sociétés cotonnières ont peu d’expérience
dans l’accompagnement des petites exploitations familiales issues de la guerre.
Cette expérience conduite au Nord du Mozambique montre l’importance des productions
de rente pour les paysans dans un pays qui sort d’une guerre. De telles opportunités ne sont
pas suffisantes à assurer un développement économique, de plus il faut veiller à ce qu’elles
soient durables. Reconstruire des exploitations agricoles sur des fondements viables est un
processus long, et, si les familles nucléaires qui émergent ne sont pas soutenues pour
gagner en productivité, à travers la mécanisation par exemple, cette reconstruction restera
très lente et très fragile.

43
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

assurer ses fonctions régaliennes : la justice et la sécurité des biens et des personnes.
L’insécurité, sous diverses formes, s’accroît dans plusieurs pays d’Afrique sub-
saharienne, la corruption permet aux nantis de dévoyer la justice et par exemple de
s’accaparer des terres, de régler des conflits à leur avantage... Dans ce contexte,
aucun développement économique n’est envisageable et les paysans hésitent à
investir sur le long terme.
La faiblesse des États, la corruption et le manque d’anticipation des crises sont aussi
à l’origine des conflits armés et des guerres civiles qui ont malheureusement touché
certains pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Libéria, Sierra Leone, Guinée
Bissau, Tchad, Côte d’Ivoire). Ces conflits sont souvent liés à l’exploitation de
ressources minières et entretenus par des concurrences politique et économique
entre pays non-africains. Ces situations de guerre ont des conséquences drama-
tiques pour les exploitations agricoles : baisse drastique des revenus à cause du
démantèlement et du dysfonctionnement des circuits de commercialisation (cas du
coton en Côte d’Ivoire depuis 2002), décapitalisation lorsque les paysans doivent se
déplacer et abandonner cheptel et matériels, etc. (encadré 1.5). La reconstruction
des économies agricoles après des conflits armés nécessite des dispositifs et des
méthodes d’intervention spécifiques très coûteux comme le déminage qui touche en
premier lieu le monde paysan.

44
Chapitre 2
Des politiques pour soutenir
l’agriculture familiale
Patrick DUGUÉ et Jacques BROSSIER

L’évolution de l’environnement des exploitations agricoles – du terroir villageois à


l’OMC – amène à poser la question du renouvellement des politiques et des institu-
tions pour relever les défis de l’agriculture africaine : amélioration de la productivité
des exploitations agricoles, augmentation du revenu des familles rurales, conserva-
tion du potentiel de production, paix sociale, etc. Dans ce chapitre, on abordera
succinctement les questions de politiques agricoles. Les nouvelles formes de services
à l’agriculture, tel que le conseil aux producteurs sont traitées chapitre 25.

 Sécuriser les revenus des exploitations agricoles


Depuis le début des années 60, les pouvoirs publics des pays africains ont demandé
aux paysans d’améliorer leur productivité pour ne pas être devancés par les agricul-
tures des autres continents. Mais ces paysans ne bénéficient pas de politiques de
soutien comme les agriculteurs d’Europe, des États-Unis et de certains pays asia-
tiques (subvention, crédit bonifié, formation, etc.). Ces politiques de soutien entraî-
nent des phénomènes de concurrence déloyale que subissent les agriculteurs
africains ; il semble donc difficile aujourd’hui de leur demander toujours plus d’efforts
s’ils n’ont pas la garantie de sécuriser leur revenu, au moins par des mécanismes limi-
tant la fluctuation des prix agricoles. Mais l’agriculture et les sociétés rurales afri-
caines disposent encore de certains atouts : terres vierges, biodiversité, productivité et
qualité des produits dans certains secteurs (coton, cacao), etc. Limiter les risques des
activités agricoles est une condition indispensable pour pérenniser les services de
crédit. Ainsi, des fonds de stabilisation des prix et des caisses de prévoyance sont
nécessaires, mais ils ont bien du mal à voir le jour en Afrique subsaharienne dans un
contexte de désengagement des États. Les risques climatiques et biologiques sont plus
difficiles à cerner mais ces phénomènes interpellent aussi les États et les bailleurs de
fonds, par exemple en ce qui concerne l’appui à l’aménagement hydro-agricole et le
contrôle des pressions parasitaires (lutte anti-acridienne, santé animale).

45
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Les organisations paysannes souhaitent – à juste raison – qu’un débat de fond


s’ouvre sur la rémunération équitable des produits agricoles afin de sauvegarder
l’agriculture familiale qui est garante de la cohésion sociale, de la gestion raison-
nable du territoire et des ressources naturelles, et donc de la paix sociale. Étant
donné les écarts très élevés de productivité par actif (ou par hectare) entre les
exploitations africaines et celles des pays du Nord ou de l’hémisphère australe, une
mise en concurrence même loyale amènerait certainement à marginaliser les
producteurs d’Afrique subsaharienne. Plusieurs économistes, dont Mazoyer (2001),
prônent un protectionnisme raisonné qui serait organisé à l’échelle des ensembles
sous-régionaux africains et qui se réfèrerait aux institutions actuelles (UEMOA,
Cemac, CEDEAO). Dans les négociations de l’OMC, cette option risque d’être
contrée par les défenseurs d’une libéralisation totale des marchés et de la circula-
tion des produits agricoles sans barrières douanières. Les États africains et encore
plus les organisations paysannes sont peu préparés à ces négociations. D’une part,
les États restent très dépendants des aides budgétaires des institutions de Breton
Woods – dont les thèses sont souvent plus libérales que celles de l’OMC –, d’autre
part, les organisations paysannes manquent d’informations et de ressources
humaines pour bâtir des argumentaires qui pèseraient dans les négociations.
Les changements climatiques à l’échelle planétaire et l’intérêt des pays du Nord
pour la conservation de la biodiversité – notamment pour des raisons médicales,
agricoles et sanitaires – pourraient motiver des politiques de gestion de l’environne-
ment originales et favorables aux agricultures familiales des pays du Sud. Les pays
du Nord pourraient subventionner les paysans des régions tropicales pour gérer la
biodiversité mais surtout pour accroître les capacités de stockage du carbone émis
à l’échelle de la planète afin de limiter son réchauffement. De tels mécanismes sont
expérimentés localement en Amérique centrale et en Inde.

 Gérer les territoires et les ressources naturelles


dans une conjoncture de croissance démographique
En Afrique et en Asie, la population rurale continue toujours à croître et dans le
même temps le taux d’urbanisation progresse. En Europe, en Amérique du Nord et
en Amérique du Sud, les campagnes se dépeuplent plus ou moins rapidement (Bosc
et Losch, 2002 ; figures 2.1 et 2.2). Entre 1975 et 2000, le taux de croissance de
la population agricole africaine a été le double de celui de l’Asie (+ 56 % contre
+ 25 %). Cette particularité explique bien la genèse des conflits pour l’accès aux
ressources, en particulier la terre, dans les zones les plus peuplées du continent
africain, alors que globalement les États sont faibles.

Nouvelles échelles des programmes d’appui à la production


Dans le passé, les politiques agricoles se sont focalisées sur l’appui à la production
et à la commercialisation par le biais des filières administrées par l’État.
Puis, les agronomes et les spécialistes de l’environnement ont promu des
programmes ayant pour but de garantir la durabilité de la production et prévoyant

46
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale

2 500 000
1975
2000
Population agricole (x 1 000)

2 000 000

1 500 000

1 000 000

500 000

0
Afrique Amérique latine Asie Océanie Europe +
États-Unis

Figure 2.1. Évolution de la population agricole par groupe de pays de 1975 et 2000 (Source : FAO, 1999).

80

60

40
Écart en %

20

0
Afrique Asie Océanie

- 20 Amérique latine

- 40
Europe +
États-Unis
- 60

Figure 2.2. Évolution de la population agricole entre 1975 et 2000 (écarts en %) (Source : FAO, 1999 ;
Bosc et Losch, 2002).

d’aider les populations rurales à mieux utiliser les terres agricoles, les zones de
parcours, les ressources arborées et l’eau. Ces programmes ont surtout été destinés
aux exploitations agricoles et aux terroirs villageois agricoles, plus rarement aux
unités pastorales et aux aires protégées gérées par l’État (parcs nationaux, forêts
classées, zones cynégétiques, etc.). Ces programmes ont obtenu des résultats inté-
ressants dans la résolution des conflits, le contrôle de l’érosion et du ruissellement
et, plus localement, la restauration de la strate arborée.

47
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Pour relever le défi qui conjugue augmentation de la production par actif et préser-
vation des ressources naturelles dans une conjoncture de croissance démographique,
l’appui au monde rural doit être organisé à trois échelles.
• L’exploitation agricole. S’il dispose d’un minimum de moyens et d’une certaine
sécurité foncière, l’agriculteur est en mesure d’innover afin d’améliorer ses perfor-
mances technico-économiques et de préserver les capacités de production de son
exploitation. Les exemples sont nombreux en zone soudano-sahélienne : cordons
pierreux au Burkina Faso, reconstitution du parc arboré au nord du Cameroun,
valorisation des résidus de récolte en zone cotonnière du Mali.
• Le territoire géré par une collectivité ou une communauté. À cette échelle, s’éta-
blissent les coordinations entre les acteurs pour gérer des ressources communes et
résoudre des problèmes tels que la gestion des eaux de ruissellement d’un bassin
versant, l’aménagement des bas-fonds, etc.
• La région. À cette échelle sont planifiés et coordonnés les programmes de déve-
loppement et d’aménagement du territoire. Des avancées ont été réalisées dans ce
domaine sur des petites régions dans le cadre de projets de développement local.

Concertation entre les acteurs et prospective


Mais la mise en valeur de vastes espaces ruraux se fait aujourd’hui sans concertation
et sans étude prospective, par exemple sur les fronts pionniers en zone forestière
(cacaoyer) ou en région de savane (cotonnier, igname). En effet, les pouvoirs publics,
les organisations paysannes et les collectivités rurales ne disposent généralement pas
des informations qui leur permettraient d’orienter l’occupation des terres et leur mise
en valeur (surfaces défrichées, répartition des terres selon les groupes sociaux, nombre
de migrants installés, etc.). Il est donc nécessaire et urgent d’une part d’observer et de
quantifier les phénomènes en cours et, d’autre part de renforcer les capacités des
acteurs publics et ruraux pour la coordination et la mise en place des plans d’aména-
gement et de gestion du territoire. Dans ce cadre de concertation, ces acteurs pour-
ront anticiper les conflits et préparer l’avenir (sécurité alimentaire, développement
économique, préservation des ressources, maintien de la biodiversité…).
Les espaces ruraux sont-ils en mesure de supporter une population croissante ? Cette
question reste d’actualité (Bosserup versus Malthus) comme l’illustrent Demont
et al. (chapitre 3). À l’échelle d’une région ou d’un pays, l’accroissement de la popu-
lation urbaine constitue un atout indéniable pour les agriculteurs et les éleveurs à
condition que leurs produits concurrencent les produits importés, car ils voient ainsi
croître la demande en produits alimentaires. La densification de la population rurale
et l’apparition de bourgs ruraux créent des emplois nouveaux dans le commerce et
les services. Toutefois, il sera vraisemblablement difficile de dépasser un seuil critique
de peuplement, surtout dans des régions de faible capacité de production, sans
recourir à des investissements importants, par exemple dans l’hydraulique agricole.
L’évaluation de ces seuils nécessiterait des méthodes et des références – inexistantes
pour le moment. Les États sont très demandeurs d’appuis pour mieux exploiter des
ressources hydriques et faire face à des coûts d’investissement très importants pour
aménager des périmètres irrigués. En revanche, ils sont de plus en plus réticents à
intervenir pour déplacer les populations ou orienter les flux migratoires.

48
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale

Le marché de la terre est-il envisageable ?


Sans remettre en question la nécessité d’aménager le territoire (ce qui incombe à
l’État ou aux pouvoirs décentralisés), les tenants de l’économie libérale soutiennent
que la privatisation du foncier et l’ouverture d’un marché de la terre sont des condi-
tions nécessaires à l’intensification de l’agriculture et à une bonne gestion de la ferti-
lité du sol (Le Bris et al., 1991). Un agriculteur qui disposerait d’un titre de propriété
serait plus motivé pour bien gérer ses terres – à condition qu’il en ait les moyens
(disponibilité en travail, en intrants, en matière organique) – et les transmettre en
bon état à ses enfants. Il est indéniable que la précarité des statuts d’exploitation des
terres (location annuelle, prêt sans garantie...) dans des régions très peuplées ou
accueillant des migrants n’incite pas les agriculteurs à aménager les terres agricoles
et à gérer la fertilité du sol. Une solution serait de reconnaître et d’officialiser les
procédures de délégation (location, métayage) afin de garantir au producteur non-
propriétaire un temps d’exploitation compatible avec la durée de rentabilisation de
ses investissements (aménagement, fumure de fond, plantation agro-forestière,
culture pérenne) (Lavigne Delville et al., 2003).
Les sociétés rurales conservent encore des liens quasi religieux avec la terre des
ancêtres. L’irruption d’un marché de la terre sans mesures d’accompagnement ni de
régulation constituerait un bouleversement social et culturel qui n’apaiserait certai-
nement pas les tensions actuelles. La question foncière, loin d’être résolue, reste
même taboue dans certaines régions. Même les États qui ont adopté une économie
libérale régulée par le marché hésitent à mettre en œuvre des lois foncières visant
à promouvoir un marché de la terre et un droit de propriété accordé aux individus.
Ce marché, dans une forme libérale et non régulée, favoriserait les agriculteurs les
plus aisés qui pourraient ainsi agrandir leur exploitation et les urbains qui souhai-
tent créer ex nihilo une unité de production. S’engager dans cette voie remet en
cause le modèle de développement rural actuel fondé sur l’agriculture familiale, les
sociétés villageoises et les liens de solidarité entre individus. Ainsi, les organisations
paysannes revendiquent le maintien de la terre comme un bien des familles rurales,
géré par les communautés villageoises, et elles craignent la mise en place d’un
marché foncier non contrôlé qui bénéficierait aux plus riches et ferait apparaître des
paysans sans terre.

 Quels types d’agriculture proposer ?


L’agriculture familiale a montré des capacités d’adaptation remarquables ces
quarante dernières années : intégration au marché, intensification des systèmes de
production, diversification de la production et des activités, adaptation à la baisse
des prix agricoles (Bélières et al., 2003). Adaptation n’est toutefois pas synonyme
d’amélioration des performances et des conditions de vie. Beaucoup reste à faire
pour rendre l’agriculture plus compétitive et plus moderne à la fois sur les plans
technique, organisationnel et surtout économique. Des arguments forts militent en
faveur de la reconnaissance de l’agriculture familiale et de l’appui qu’il faut lui
apporter : maintien de la cohésion sociale dans les familles et les villages, et entre
les villes et les campagnes ; source d’emplois en milieu rural dans un contexte où le

49
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

chômage est important en ville ; soutien d’une population rurale à même de gérer
les ressources naturelles et les territoires. En écho à cet argumentaire, les organisa-
tions paysannes comme le Roppa se sont mobilisées pour promouvoir une agri-
culture familiale performante et compétitive afin de contrer les promoteurs d’une
agriculture d’entreprise.

Émergence de l’agriculture d’entreprise


Sur le continent sud-américain, on remarque une dichotomie entre, d’une part un
secteur compétitif très mécanisé, fortement consommateur d’intrants, tourné vers
l’exportation et la grande distribution et, d’autre part un grand nombre de petits
paysans en voie de marginalisation. En Afrique subsaharienne, surtout en zone
francophone, l’agriculture d’entreprise (agrobusiness) qui repose sur la mobilisation
du capital et une force de travail salariée est peu développée. Cela peut s’expliquer
par le faible niveau d’équipement de ce continent (routes, ports) mais surtout par la
méfiance du secteur privé et des détenteurs de capitaux à l’égard des risques qu’ils
entrevoient à investir dans l’agriculture.
En zone forestière, les plantations agro-industrielles – hévéa, palmier – voient leur
extension limitée aujourd’hui par des contraintes d’accès au foncier. Les agro-
industries tentent de nouer des relations contractuelles avec les exploitations fami-
liales se trouvant à proximité pour favoriser le développement des cultures
pérennes (achat et transport de la récolte, parfois fourniture de crédit).
Les projets et les propositions de loi destinés à stimuler l’émergence de l’agriculture
d’entreprise existent aujourd’hui dans certains pays (Burkina Faso, Sénégal) mais
les réalisations sont peu nombreuses et interfèrent peu avec l’agriculture familiale.

Diversité de types d’exploitation agricole et diversité d’activités


Si l’agriculture d’entreprise est encore peu présente en Afrique subsaharienne fran-
cophone, les élites urbaines commencent à apparaître dans le paysage agricole. Ainsi
une bonne partie des bovins d’élevage appartient à des commerçants ou à des fonc-
tionnaires résidant en ville. Les élevages de porcs et de volailles en périphérie des
villes sont aussi la propriété d’urbains qui souhaitent diversifier leurs activités. Au sud
du Burkina Faso en bordure de la frontière du Ghana, des exploitations de plusieurs
dizaines d’hectares, motorisées et reposant sur des cultures a priori rentables (maïs,
arboriculture), appartiennent à des fonctionnaires (retraités ou pas) et à des commer-
çants de Ouagadougou. Les performances de ces exploitations fonctionnant avec des
salariés sont très variables comme leur durée de vie (Ouédraogo, 2006). Outre leur
intérêt pour un projet agricole qui peut se justifier économiquement, ces nouveaux
acteurs sont également attentifs au contrôle des terres en friche dans une situation où
elles se raréfient et prennent de la valeur surtout en zone périurbaine.
L’agriculture familiale renvoie à une diversité de systèmes de production et bien
souvent pour chaque système, à une diversité de productions combinées à des acti-
vités non-agricoles génératrices de revenu. Les politiques agricoles et les programmes
d’appui devraient encourager cette diversification en valorisant pour chaque région
les avantages comparatifs dont les agriculteurs disposent actuellement. En Afrique

50
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale

subsaharienne, de nouveaux modes de coordination avec le marché (via des contrats


et des cahiers des charges) sont en cours d’exploration alors que ces modalités
commencent à être efficaces en Amérique latine : promotion des produits spécifiques
à un terroir donné (produits de terroir) ; qualité des produits issus de l’agriculture
biologique ; des circuits de commercialisation courts et la recherche d’une proximité
entre producteurs et consommateurs (commerce équitable).
Ces marchés très restreints concernent peu de producteurs africains et leur essor reste
conditionné par les capacités d’organisation de ces producteurs et par le comporte-
ment et le pouvoir d’achat des consommateurs des pays du Nord.

Dynamisme de l’agriculture périurbaine


Les travaux récents conduits sur l’agriculture périurbaine (Temple et Moustier,
2004) et sur les systèmes d’activités ruraux remettent en cause le modèle de l’exploi-
tation agricole centrée uniquement sur la production. Le développement de l’ex-
ploitation se conçoit de plus en plus par rapport à une combinaison d’activités
agricoles et non-agricoles. L’agriculture périurbaine s’avère un moyen performant
pour nourrir les villes à faible coût, pour valoriser des espaces non-constructibles
(bas-fond) et surtout pour sécuriser les revenus d’une partie de la population
urbaine en situation précaire comme cela est décrit par Ramamonjisoa et al. à
Antananarivo (Madagascar) (chapitre 11). Malgré ses atouts, la pérennité de ce
type d’agriculture est incertaine face à l’urbanisation croissante et à la pression sur
le foncier constructible. Une meilleure adéquation entre les besoins des villes et
l’offre des producteurs ruraux ou des périphéries des villes est à rechercher. Outre
la difficulté de fournir des produits alimentaires en quantité suffisante, de façon
régulière et à un prix abordable, se pose aujourd’hui le problème de la qualité sani-
taire des produits. Cette question deviendra cruciale si la grande distribution (les
chaînes de supermarchés) prend le pas sur le commerce traditionnel des produits
alimentaires et impose des normes sanitaires draconiennes. Cette évolution est déjà
perceptible en Afrique australe, en Asie du Sud-Est et surtout en Amérique latine.

 Rôles de l’agriculture familiale africaine


Les politiques publiques et les organisations de producteurs reconnaissent de plus en
plus le caractère multifonctionnel de l’activité agricole, ainsi elles essaient de
prendre en compte les diverses fonctions remplies par l’exploitation agricole :
production de biens et de services agricoles, entretien des paysages et des ressources
naturelles, participation au maintien d’une activité économique et sociale impor-
tante en zone rurale. C’est vrai aussi bien dans les pays du Nord (loi d’Orientation
agricole française de 1999) que dans les pays en développement comme en témoigne
le plaidoyer du Roppa en Afrique de l’Ouest (Barbedette, 2004). Ainsi, la contribu-
tion de l’agriculture a été évaluée pour d’autres fonctions que celles qui lui sont
dévolues habituellement par la FAO dans le projet Roles of Agriculture1.

1. Le projet Roles of Agriculture (FAO) est conduit au Mali par l’IER, avec une étude comparative entre l’Office
du Niger et la zone Mali-Sud, en exploitant les données existantes. http://www.fao.org/es/esa/roa/index–fr.asp

51
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Fonction de production et nouvelles activités


de l’agriculture familiale
Naguère, les exploitations agricoles familiales n’avaient pas besoin d’autres activités
que celle de production pour survivre alors qu’actuellement, dans certaines régions,
des exploitations de plus en plus nombreuses doivent mettre en œuvre d’autres acti-
vités, agricoles et non-agricoles, afin de subvenir aux besoins de l’ensemble de la
famille. On parle de système familial d’activités au sein duquel peuvent s’articuler
des activités très diverses et emboîtées, y compris les revenus de l’émigration, si
importants en Afrique. Cette nouvelle configuration a des conséquences sur la
structure décisionnelle du système de l’exploitation-famille.
Par ailleurs, ce nouveau regard sur le monde rural permet de cerner les fonctions
macroéconomiques de l’exploitation agricole familiale africaine et d’évaluer plus
complètement les coûts et les bénéfices des politiques agricoles.

Encadré 2.1. Concept d’externalité en analyse économique


Le concept d’externalité ou effet externe exprime le fait qu’un agent (A) peut bénéficier
(externalités positives) ou au contraire pâtir (externalités négatives) des actions menées
par d’autres agents (B, C, D,…) – les-dites actions étant partiellement (ou pas du tout)
insérées dans une relation marchande avec A.
En sens inverse, l’agent A est lui-même à l’origine d’externalités positives ou négatives
envers les autres agents.
Ainsi, une typologie élémentaire des externalités peut être établie en croisant deux
critères : le sens – émis par l’agent ou reçu par lui – et l’effet positif ou négatif.
Les différentes externalités : externalités positives reçues ; externalités négatives reçues ;
externalités positives émises ; externalités négatives émises.
Une troisième dimension, temporelle cette fois, doit être introduite. Une externalité peut
être actuelle, c’est-à-dire avec un effet immédiat au temps To entre A, B ou C, ou au
contraire différée dans le temps ; elle est alors seulement potentielle en To, avec éventuel-
lement une incertitude quand à sa date d’effet, son intensité, voire son accomplissement.
En pratique, l’univers des externalités, positives ou négatives, émises ou reçues, actuelles
ou potentielles est très vaste et varié.
Une même opération, par exemple la réhabilitation du système d’irrigation de l’Office du
Niger au Mali, peut générer pendant la période de réhabilitation des externalités néga-
tives pour certains comme l’arrêt de l’irrigation pour les agriculteurs et positives pour
d’autres, à savoir la fourniture de travail pour les entreprises de bâtiment et de travaux
publics, etc. Puis, durant sa période d’exploitation, se manifestent des externalités posi-
tives pour les uns, l’accroissement de la disponibilité en eau d’irrigation permettant de
nouvelles activités comme le maraîchage, le développement de nouveaux activités écono-
miques, l’essor des groupements de producteurs, etc., et négatives pour d’autres, comme
la salinisation et l’alcalinisation ayant des effets défavorables sur les rendements. Les
agriculteurs eux-mêmes sont donc partagés entre ces deux types d’externalités.
À l’extrême, le champ des externalités se complexifie, devenant par là même inopérant
– les externalités de nature différente pouvant se neutraliser. Cette complexification a
sans doute entraîné une désaffectation relative de l’emploi de ce concept ces dernières
décennies, notamment en sciences de gestion. Références : Meade (1952), Scitovsky
(1954), Coase (1960), Pérez et al. (2004).

52
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale

Encadré 2.2. Le Mali, cadre de l’étude


L’économie du Mali repose essentiellement sur le secteur rural, qui contribue en moyenne
pour 45 % au PIB (1994-1998), avec un taux de croissance moyen de 3,6 % par an. Cette
augmentation est due essentiellement aux céréales (et plus particulièrement au riz) dont
la production a atteint près de 2 millions de tonnes en 1998, au coton dont la production
a doublé depuis 1994 pour atteindre environ 525 000 tonnes, et aux produits d’élevage
dont l’activité a fortement bénéficié du regain de compétitivité sur les marchés des pays
côtiers à la suite de la dévaluation du franc CFA et de la reconstitution du cheptel.
Si le rôle de l’agriculture malienne dans l’alimentation est suffisamment connu, la
présente étude a mis en évidence d’autres rôles, non valorisés. Ainsi, le rôle de l’agricul-
ture dans la réduction de la pauvreté semble être important. De l’avis des producteurs
dans les zones où ont été effectuées les enquêtes (Kébé, 2003), il y a moins de pauvres
aujourd’hui qu’il y a dix ans. Cette situation s’expliquerait essentiellement par la crois-
sance agricole des dix dernières années qui a eu un impact sur les revenus des produc-
teurs aussi bien en zone cotonnière que dans la zone de l’Office du Niger. Cependant,
l’insuffisance d’infrastructures et l’asymétrie d’information, l’absence de marché pour
certains biens et services (foncier, crédit) limitent les effets de la croissance sur les
revenus des producteurs. Il semble que des mécanismes sociaux de redistribution exis-
tent et permettent de mieux lutter contre la pauvreté rurale et urbaine. Les dons en
nature en période de récolte, les envois de céréales à des parents installés en ville sont
quelques-uns de ces mécanismes mal connus et non valorisés dans l’élaboration et la
mise en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté.

Les études économiques ne prennent généralement pas en compte les fonctions


autres que la fonction de production, surtout si elles ne sont pas rémunérées par le
marché. Ces activités sont appelées sous-produits (qui peuvent parfois devenir plus
importants que les produits principaux) ou externalités, c’est-à-dire externes à la
relation marchande (vocable surprenant car elles sont liées à la production étudiée)
(encadré 2.1).
Les autres fonctions macro-économiques de l’agriculture familiale sont illustrées
par une étude récente au Mali, un des 12 pays inclus dans le projet Roles of
Agriculture de la FAO (Kebé, 2003). Deux zones économiques majeures du Mali
sont étudiées : l’Office du Niger et la zone cotonnière du Mali-Sud (encadré 2.2).

Fonction environnementale
Les fonctions environnementales (se caractérisant par des externalités positives ou
négatives) de l’agriculture s’apprécient à une échelle méso-régionale plutôt que
micro-économique, encore que certaines externalités négatives liées à une mauvaise
gestion des ressources naturelles sont perceptibles et « réparables » à l’échelle de
l’exploitation agricole.
Pour ce qui est de la fonction environnementale, les résultats sont mitigés. Les exter-
nalités négatives semblent souvent plus importantes que les externalités positives.
Par exemple, les phénomènes de dégradation du sol par érosion hydrique en zone
cotonnière et par salinisation et alcalinisation en zone de l’Office du Niger devien-
nent assez importants. Les mesures politiques de libéralisation du marché des

53
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

intrants et la suppression des subventions ont tendance à renforcer les externalités


négatives. Cependant, il existe des bénéfices « cachés » comme des activités de
production mises en œuvre avec la remontée de la nappe dans la zone de l’Office du
Niger et génératrices de revenus. Par ailleurs, dans certaines zones du bassin coton-
nier, les changements de pratique de certains producteurs montrent une capacité
réelle d’adaptation pour lutter contre les phénomènes de dégradation : par exemple,
l’association de l’agriculture et de l’élevage, la lutte antiérosive, l’introduction
d’arbres en zone cultivée, etc.
Les conséquences en matière de politique agricole sont importantes. À la lumière
de la politique environnementale du Mali, d’importants efforts semblent être en
cours à la fois d’un point de vue technique et institutionnel. Cependant, l’ampleur
des externalités négatives liées à l’environnement est telle qu’il est indispensable de
réduire leur impact. Pour cela, le renforcement des capacités des acteurs locaux
(collectivités décentralisées, organisations paysannes) et la sensibilisation des
partenaires au développement semblent être les voies les plus appropriées.

Sécurité alimentaire1 et rôle social des exploitations familiales


La fonction de l’agriculture familiale n’est pas seulement la production, mais aussi
la sécurisation de l’approvisionnement via le stockage, l’épargne sous forme moné-
taire ou de cheptel, etc. En matière de sécurité alimentaire, l’agriculture contribue
de manière importante à la disponibilité des biens.
Ainsi pour la décennie 1990-2000, le taux d’accroissement de la production agricole
en céréales a été supérieur à la croissance démographique dans les deux régions
étudiées au Mali. De plus, le marché des céréales s’est bien développé aussi bien
pour les importations (riz) que les exportations (mil, sorgho et maïs). Cela montre
que ces systèmes ont une certaine souplesse pour répondre à la demande interne et
externe dès l’instant que l’environnement économique et le milieu naturel ne sont
pas défavorables. Pour ce qui est de l’accès aux produits, la situation s’est avérée
plus complexe du fait de la détérioration du pouvoir d’achat des urbains avec la
dévaluation du franc CFA. La situation en zone rurale s’est certainement améliorée
dans l’ensemble du fait des mécanismes sociaux de redistribution. Cependant, le
marché des céréales locales, et donc leurs prix, sont restés très dépendants des aléas
pluviométriques, par conséquent cela a affecté fortement les petits agriculteurs non-
autosuffisants dont le nombre a augmenté en raison de l’éclatement des exploita-
tions agricoles. Pour ce qui est de la qualité nutritionnelle des aliments, la
diversification des productions (légumes, fruits, produits d’élevage etc.), la multipli-
cation des marchés locaux (foires hebdomadaires) et la présence de petites unités
de transformation (laiterie, minoterie, moulin) ont contribué progressivement à
l’amélioration de l’offre en aliments en ville mais aussi en zone rurale.
Le rôle de « tampon » et la capacité d’adaptation de l’agriculture ont été appréciés
lors de la dévaluation du franc CFA. Si les prix des produits alimentaires ont flambé
au cours des premières années qui ont suivi la dévaluation, ils se sont stabilisés du

1. L’analyse micro-économique de la sécurité alimentaire est traitée selon un modèle économique simple
(par exemple la stratégie d'extensification pour assurer la sécurité alimentaire, p. 94, chapitre 5).

54
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale

fait de l’accroissement de l’offre agricole et de la substitution des produits locaux


– auparavant jugés non échangeables – aux produits importés. La dynamisation des
échanges entre le Mali et les pays de la sous-région a aussi contribué à une relative
stabilité des prix facilitant l’accès aux aliments à des prix abordables. Cependant,
dans les pays de la sous-région importateurs de céréales maliennes (Burkina Faso,
Niger et Nord de la Côte d’Ivoire), les systèmes de production sont très similaires
et ils sont donc soumis aux mêmes aléas climatiques, ce qui fragilise la stabilité de
l’ensemble du système régional d’offre et de demande en produits alimentaires et
plus particulièrement en céréales.

Interventions dans les processus de migration


L’agriculture a un impact essentiel sur la répartition de la population entre les zones
urbaines et rurales. Le développement et la transformation de l’agriculture peuvent
ralentir, ou accélérer, le taux d’émigration. Au contraire, ces évolutions peuvent
induire des flux migratoires nets positifs, et conduire à une distribution plus équili-
brée de la population, socialement plus viable, qui permettrait d’améliorer le bien-
être des populations concernées. Les frais inhérents à ces flux sont pris en charge par
les populations concernées et n’affectent pas le budget de l’État. Certes, le départ de
ruraux de zones fragiles à faible potentiel de production permet de réduire la pres-
sion sur les ressources naturelles voire de limiter leur dégradation, mais, inverse-
ment l’arrivée massive de ruraux dans des zones à fort potentiel de production
s’accompagne souvent de dégradation sur le plan écologique, comme cela s’est
produit sur les fronts pionniers cotonniers où les pouvoirs publics n’ont pas contrôlé
la qualité du défrichement. Dans certains cas, une émigration rurale (rurale-urbaine
ou rurale-rurale) contrôlée peut permettre d’éviter une concentration démogra-
phique trop forte dans le lieu de destination (qu’il soit urbain ou rural), et donc de
réduire les coûts sociaux liés à une urbanisation chaotique ou mal gérée, ou de
limiter les coûts sociaux et environnementaux liés à une densité de population rurale
trop forte. Dans d’autres cas, une émigration rurale plus forte peut tout à la fois
alléger la pression sur les ressources naturelles et améliorer le bien-être et les
revenus des populations migrantes et des populations restées. Le fait d’éviter de tels
coûts ou de favoriser de tels bénéfices est une externalité de l’agriculture.
Les mécanismes d’ajustement (coût de déplacement d’installation…) ont été tota-
lement pris en charge par les ruraux depuis l’arrêt des projets de migration, comme
le projet de Terres neuves au Sénégal, l’aménagement de la vallée du Bandama en
Côte d’Ivoire (AVB), l’aménagement des vallées des Volta au Burkina (AVV) ou les
projets Nord-Est Bénoué et Nord au Cameroun.
Au Mali, il semble que l’agriculture ait fortement contribué au ralentissement de la
migration en créant des conditions d’accueil adéquates. Les deux régions étudiées
(Office du Niger, Mali-Sud) offrent des exemples de création d’emplois directs suite
à l’intensification des opérations culturales et des activités connexes (transforma-
tion et commerce notamment). Le taux d’urbanisation est relativement élevé mais
le Mali reste encore un pays fortement rural. Par ailleurs, la grande migration vers
les pays d’Europe reste sous-évaluée et sa contribution au développement rural et
agricole peu valorisée.

55
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Dimension culturelle
L’agriculture est un élément constitutif de la dimension culturelle en milieu rural et
elle le reste pour bon nombre d’urbains. Les ruraux, dans leur grande majorité, esti-
ment que l’agriculture et le monde rural ont un rôle socio-économique important et
salutaire. Cependant, ce rôle, considéré comme primordial, est aussi perçu par les
ruraux comme insuffisamment mis en valeur. Les ruraux estiment que la culture
rurale doit participer à la construction de la culture nationale, même s’ils apprécient
diversement l’avenir qui sera réservé aux cultures locales et aux valeurs qu’elles
portent comme la solidarité, l’entraide et « la parenté à plaisanterie », ces traditions
culturelles étant fortement perturbées par les mécanismes de fondation de la
culture nationale et par les flux migratoires.

 Conclusion
En un demi-siècle les agricultures africaines ont évolué rapidement, passant de
l’autosubsistance à des systèmes de production fortement intégrés aux marchés
locaux et internationaux, elles sont donc devenues tributaires des réformes du
commerce international. Pour se développer, l’agriculture doit rester compétitive en
termes d’exportation sur le marché mondial et garder des parts de marché voire les
reconquérir sur les marchés locaux et nationaux pour les produits alimentaires essen-
tiels (céréales, huile, lait, viande). Dans le même temps, l’accroissement de la popu-
lation rurale a modifié profondément les systèmes de production qui ne peuvent plus
se fonder uniquement sur l’abondance de terre, sur la pratique de la jachère ou la
transhumance des troupeaux. En quelques décennies, les sociétés paysannes sont
passées de systèmes de production dans lesquels les relations entre les ressources
naturelles et la production étaient stables, à des systèmes non durables dont les capa-
cités de production se sont détériorées. Par ailleurs, les effets des aléas climatiques
restent très importants dans les systèmes agricoles et d’élevage africains et ils
risquent d’augmenter dans les décennies à venir du fait des changements climatiques
planétaires.
Ainsi, les exploitations agricoles ont tout intérêt à préserver une diversité de
productions et d’activités, dans le secteur non-agricole si besoin, afin de sécuriser les
revenus et de pourvoir aux besoins familiaux. Plus largement, les agricultures fami-
liales doivent être soutenues par des politiques agricoles adéquates qui préservent
leurs avantages comparatifs notamment du point de vue socio-économique (emploi,
cohésion sociale, souveraineté alimentaire). Ces politiques doivent être élaborées
en concertation avec l’ensemble des acteurs et en particulier les organisations
paysannes. Les objectifs des programmes d’appui seront d’améliorer les perfor-
mances technico-économiques des exploitations agricoles, de renforcer leurs capa-
cités d’intervention, d’organisation et de coordination avec les autres acteurs
économiques.
Les auteurs de cette étude sur les rôles de l’agriculture malienne recommandent,
– en complément des appuis à l’agriculture familiale (sensu stricto) –, de conduire
une politique de décentralisation qui valorise les initiatives intra et intercommunales
pour mettre en œuvre un développement local durable. Ils préconisent que les textes

56
Des politiques pour soutenir l’agriculture familiale

sur la décentralisation évoluent et accordent une plus grande place aux institutions
et aux organisations sociales locales, renforcent les organisations socioprofession-
nelles et socioculturelles et promeuvent des valeurs culturelles nationales d’essence
agricole et rurale.
Toutefois, dans le contexte actuel de libéralisation économique et de faiblesse finan-
cière des États africains, il semble difficile de développer des systèmes d’aide aux
exploitations familiales et au monde rural qui prendraient en compte ces différentes
fonctions, comme ceux qui se mettent en place aujourd’hui en Europe. La mise en
place d’aides spécifiques non corrélées aux quantités produites s’appuyant sur la recon-
naissance de la multifonctionnalité de l’agriculture nécessiterait des financements
internationaux conçus dans la durée, par exemple pour conserver la biodiversité, pour
accroître la séquestration de carbone…

57
Pour approfondir le sujet
Chapitre 3
Démographie et évolution
des exploitations agricoles :
analyse selon les théories de Malthus
et de Boserup en Côte d’Ivoire
Matty DEMONT, Philippe JOUVE,
Johan STESSENS et Eric TOLLENS

La littérature sur l’évolution des systèmes agraires en Afrique de l’Ouest propose


une grande diversité de théories sur le développement agraire. Deux grandes écoles
de pensée tentent d’expliquer le lien entre l’accroissement démographique et le
développement agricole. Malthus (1798) défend la thèse selon laquelle une popula-
tion sans contrôle des naissances croît suivant un ratio géométrique tandis que la
production agricole évolue suivant un ratio arithmétique. Ce différentiel de crois-
sance aboutit à des crises (famine, guerre, migration) qui se traduisent par une auto-
régulation naturelle de la population. Boserup (1965) présente une thèse selon
laquelle la croissance démographique incite les paysans à adopter des techniques de
culture plus intensives et donc à innover. Ces deux thèses sont analysées dans le cas
de l’évolution du Nord de la Côte d’Ivoire.

Localisation et recueil des données


De 1995 à 1998, un projet a été conduit par l’Idessa (Institut des Savanes) de Côte
d’Ivoire et l’Université catholique de Leuven (Belgique) dans la région de
Dikodougou au sud de Korhogo. Un échantillon représentatif des villages a été
choisi en fonction de la diversité géographique des conditions physiques et
humaines de l’exploitation du milieu (sol, présence d’une culture de rente, densité
de la population, etc.). Puis pour chacun de ces villages, un échantillon représentatif

59
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

d’exploitations agricoles a été étudié au cours de trois campagnes agricoles. Pour


chaque exploitation, ont été recensés la superficie des champs, les cultures, les
rendements, les intrants utilisés, le coût de l’équipement, la structure du groupe
familial et les temps de travaux. De plus, de nombreuses enquêtes et interviews
informelles portant sur l’histoire, la sociologie et la commercialisation des produits
agricoles ont été menées. Nous disposons ainsi d’une base de données concernant
quatre villages et 47 exploitations agricoles pendant trois campagnes agricoles
(1995-1998).
Les villages étudiés diffèrent fortement quant à leur densité démographique et leur
genèse historique (tableau 3.1). La zone sud de Dikodougou (villages de
Ouattaradougou et Farakoro) se trouve sur un front pionnier de défriche de la forêt
secondaire. Si cette zone est restée peu peuplée jusque dans les années 80, elle se
caractérise depuis par un taux de croissance démographique très élevé à cause de la
colonisation progressive des terres vierges par des immigrants Sénoufo venant de
l’extrême Nord de la Côte d’Ivoire (région de Korhogo). Les villages de cette zone
sud sont donc relativement récents par rapport aux villages du Nord (Tapéré et
Tiégana), créés probablement au XIXe siècle.

 Repérage de l’évolution des systèmes agraires


et des facteurs clés
Cette diversité intrarégionale (tableau 3.1) constitue la base de la méthodologie
adoptée. Comme Jouve et Tallec (1996) l’ont observé dans de nombreux cas, « en
Afrique subsaharienne, du fait des conflits interethniques […] la densité d’occupa-
tion de l’espace est loin d’être homogène et ne reflète qu’en partie les plus ou moins
grandes potentialités agricoles du milieu ». Cela est aussi le cas pour la zone
d’étude, où la répartition de la population résulte d’une histoire guerrière au cours
du XIXe siècle. Cette hétérogénéité de peuplement se traduit par une diversité des
modes d’exploitation du milieu. On peut ainsi distinguer les différents stades d’évo-
lution des systèmes agraires et de production au fur et à mesure de l’accroissement
démographique et de l’augmentation de la pression foncière.

Tableau 3.1. Caractéristiques démographiques des villages étudiés et époque de création.


Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Variables Ancien Récent Récent Ancien
démographiques XIXe siècle années 60 années 60 XIXe siècle

Densité démographique 14 17 28 40
(habitants/km2)
Population autochtone (%) 97 8 9 91
Population allochtone (%) 3 92 91 9
Croissance démographique - 2,5 28,1 9,5 - 1,3
annuelle sur la période
1995-1998 (%)
Source : Demont et Jouve, 2000.

60
Démographie et évolution des exploitations agricoles

Inspirée de ces observations, la méthodologie consiste à identifier et à utiliser la diver-


sité géographique des modes d’exploitation agricole du milieu, puis à reconstituer leur
histoire. La comparaison entre les villages a permis de repérer le stade d’évolution des
systèmes agraires de chaque village et les facteurs clés du processus d’évolution abou-
tissant à la situation actuelle. Du fait de la proximité des quatre villages, les facteurs
ceteris paribus, comme le climat, l’accès aux marchés, les types de sol, etc., n’entrent
pas en ligne de compte. En revanche, on peut identifier des facteurs variables d’un
village à l’autre comme la densité démographique et la genèse historique du village.

 Diversification progressive de l’assolement


L’assolement villageois se diversifie progressivement avec la densité de peuplement
(figure 3.1) – la croissance démographique peut être très forte dans une zone peu

Tapéré (14 habitants/km2) Ouattaradougou (17 habitants/km2)

Riz inondé 2 % Maïs 1 %


Anacarde Riz inondé Arachide
Arachide 2% 0,01 % 9%
15 % Coton
Coton
1% 24 %

Riz pluvial
Riz pluvial Maïs
40 % 32 %
Igname
40 % Igname
30 %
Riz pluvial
4%

Farakoro (28 habitants/km2) Tiégana (40 habitants/km2)


Anacarde Gingembre
0% 0,4 % Pois de terre Anacarde
0,2 % 1%
Riz inondé
1% Arachide
9% Arachide
Coton 12 %
30 % Coton
Maïs Riz inondé 34 %
18 % 11 %
Maïs 5 %

Riz pluvial Igname


Maïs 13 % Riz pluvial
Igname
26 % Maïs Riz pluvial
6% 15 %
16 %

Riz pluvial
3% Patate douce 0,04 %
Figure 3.1. Densité démographique et assolement dans chaque village (Demont et al., 2000).

61
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

peuplée. Dans le village le moins peuplé (Tapéré), les systèmes de culture sont
dominés par trois cultures itinérantes, l’igname, le riz pluvial et l’arachide. Pour Le
Roy (1983), ce système de culture ancien à rotation triennale, igname-riz-arachide,
est le plus fréquent dans les régions de faible pression foncière. Quand cette pres-
sion augmente, l’igname est remplacée par d’autres cultures vivrières ou une culture
de rente comme le coton. Quels sont les facteurs qui expliquent cette évolution ?

Stabilité du ratio de la surface par actif


La densité démographique joue certainement directement sur le ratio homme/terre.
La conséquence logique d’une hausse de cette densité est la diminution de la
surface agricole utile par actif familial (U) (tableau 3.2). La surface (U) pour une
année donnée est égale à la somme de la surface cultivée, de la surface en jachère
et des ressources foncières cultivables.
Quant à la surface agricole cultivée par actif familial (S), elle reste relativement cons-
tante. Le fait qu’elle soit légèrement plus élevée dans les zones d’immigration résulte

Tableau 3.2. Économie des exploitations agricoles.


Caractérisation Variables mesurées Résultats par village
Tapéré Ouattara- Farakoro Tiégana
dougou
Dimension Nombre d’actifs agricoles 3,8 4,9 4,3 4,1
économique familiaux par an
des exploitations Nombre d’actifs agricoles 0,02 0,15 0,14 0,01
agricoles salariés par an
Surface agricole utile 8,7 8,4 6,6 3,9
par actif familial (U) (ha)
Surface agricole cultivée 1,1 1,6 1,5 1,1
par actif familial (S) (ha)

Degré Durée de la culture (C) (années) 3 6 6 9


d’intensification Durée de la jachère (J) (années) 22 18 16 21
des exploitations
agricoles Degré d’occupation du sol (%) 12 24 27 31
= C/(C+J) = S/U

Utilisation Engrais coton 316 2 858 3 646 4 224


d’intrants dans Herbicides coton 0 227 482 444
les exploitations
Insecticides coton 14 978 1.752 1.983
agricoles
(FCFA/ha cultivé1) Intrants coton total 330 4 064 5 880 6 651
Intrants sur cultures vivrières 55 393 1 134 1 109

Niveau Amortissement du capital total 11 171 72 308 101 356 100 469
d’investissement investi (FCFA/an)
dans les exploitations
agricoles
1 000 FCFA = 1,52 € ; 1 € = 656 FCFA Source : Demont et Jouve, 2000.

1. Toutes cultures aditionnées.

62
Démographie et évolution des exploitations agricoles

de la stratégie d’anticipation des immigrants. La mise en valeur des terres a pour


conséquence son appropriation. Par conséquent, l’augmentation démographique et
les stratégies d’anticipation se traduisent par une augmentation de l’occupation du sol
dans l’espace – baisse des surfaces en jachère – et dans le temps – allongement de la
durée de la culture.
Dans les villages du sud, l’augmentation de l’occupation du sol provient aussi de la
baisse de la durée de la jachère dans une stratégie d’appropriation de la terre.
Puisque le travail constitue le principal facteur de production en agriculture
manuelle ou peu mécanisée, la dimension économique d’une exploitation agricole
est d’abord constituée par le nombre total d’actifs et non par la superficie cultivée,
comme le suggère la plupart des études. Cependant, ces deux notions sont liées
(tableau 3.2). Les migrations vers des terres vierges représentent un flux qui mobi-
lise temporairement une force de travail importante sur une surface étendue. Dès
que les effets de la saturation du terroir villageois se font ressentir (diminution des
rendements, enherbement, développement de maladies), cette population migre
vers une autre région jusque-là peu exploitée et le front pionnier se décale.

Transformation des systèmes de culture


L’intensification entraîne une transformation du milieu biophysique – les terres en
jachère passent d’une phase arborée à une phase herbacée, perdant petit à petit leur
capacité à contrôler les adventices – et une modification des cultures, en particulier
en début de rotation. Le cycle triennal du système igname-riz-arachide suivi d’une
longue jachère de 22 ans domine dans les villages à faible pression démographique.

Évolution du système igname-riz-arachide


La pression foncière dans les villages, l’augmentation de la pression démographique
et l’émergence d’opportunités commerciales font apparaître de nouveaux systèmes
de culture, plus ou moins fondés sur l’ancien.
Un premier groupe de systèmes de culture correspond au simple allongement de la
période de culture du système igname-riz-arachide. Un deuxième groupe comprend
l’ajout de la culture de coton sur une ou plusieurs années.

Rôle du coton
Le rôle du coton dans le processus d’évolution des exploitations agricoles a pu être
éclairci. Cette culture ne constitue pas, en elle-même, une innovation dans le nord
de la Côte d’Ivoire où le cotonnier est cultivé depuis longtemps (Sedes, 1965), mais
en revanche les pratiques culturales qui y sont associées sont modifiées : culture
pure, semis en ligne, épandage d’engrais, pulvérisation d’insecticides, recours aux
herbicides et mécanisation. Ces innovations techniques ont une origine exogène,
elles ont été introduites, diffusées et subventionnées par la société d’encadrement de
la culture du coton, la CIDT (Compagnie ivoirienne de développement des textiles).
Les pointes de travail pendant les périodes de sarclage par exemple sont surmontées
grâce à la culture attelée. De plus, l’emploi des intrants (engrais, herbicides) permet
de prolonger les cycles de culture si nécessaire pour répondre à la pression foncière.

63
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Cela explique en partie la corrélation entre l’importance du coton dans l’assolement


villageois et l’accroissement démographique (figure 3.1) et donc la liaison entre le
développement du coton et l’emploi des intrants (tableau 3.2). On montre également
que l’utilisation d’intrants sur les cultures vivrières augmente avec la pression démo-
graphique (tableau 3.2). Dans bien des cas, le paysan cultive le coton pour accéder
facilement aux intrants qu’il applique ensuite entièrement ou partiellement sur les
cultures vivrières.

Acquisition d’équipements
Pour Boserup (1965), l’outillage agricole est un indicateur clé du stade d’évolution
d’un système agraire. Ainsi, l’augmentation du capital moyen investi dans les exploi-
tations en fonction de la densité démographique du village concorde avec cette
thèse (tableau 3.2). Elle provient essentiellement de la hausse des amortissements
– qui reflètent le coût réel supporté par le paysan – liés à l’équipement en culture
attelée. Les coûts de main-d’œuvre de la culture manuelle (préparer la terre,
désherber et maintenir la fertilité) augmentent rapidement avec l’intensification des
cultures. Grâce au sarclo-billonage mécanisé, les pointes de travail dues au sarclage
peuvent être surmontées (Pingali et al., 1987).

Effets de la croissance démographique


Quelle est la répercussion de cette dynamique sur les exploitations agricoles ? En
suivant la méthodologie de Dufumier (1996) et de Mazoyer et Roudart (1997), nous
avons estimé le taux d’investissement (amortissement du capital non proportionnel à
la surface, exprimé par actif agricole) et la valeur ajoutée nette (produit brut
– consommation intermédiaire – amortissement du capital proportionnel à la surface,
exprimé par an, par unité de surface et par actif agricole) des exploitations agricoles et
calculé des moyennes par village (tableau 3.3). On a retenu deux modalités de la valeur
ajoutée nette par actif et unité de surface en prenant en compte d’une part, selon
l’approche malthusienne, la surface cultivée, ce que le paysan emblave en différentes
cultures, et d’autre part, selon l’approche boserupienne, la surface de terre nécessaire
à la pratique de ces cultures, c’est-à-dire la surface cultivée ajoutée à la surface qu’il
est nécessaire de laisser en jachère pour que le système de culture fonctionne.

Thèse de Malthus
Dans la littérature, les indicateurs de performance économique sont typiquement
estimés proportionnellement à la surface agricole cultivée. Comparer la rentabilité
en termes de surface agricole cultivée, revient à adopter la thèse de Malthus, d’où
la mise en évidence d’effets malthusiens.
Comme décrit précédemment, l’augmentation du taux d’investissement en fonction
de la pression démographique révèle un processus d’équipement en matériel de
culture attelée lié à l’augmentation du coton dans l’assolement. La valeur ajoutée
nette la plus élevée est relevée dans le village le moins peuplé pratiquant presque
exclusivement l’ancien système de culture (igname-riz-arachide). Ainsi, pour l’en-
semble des villages, la valeur ajoutée nette semble corrélée négativement avec la
pression démographique, effet qui concorde avec la thèse de Malthus. La technique

64
Démographie et évolution des exploitations agricoles

Tableau 3.3. Performance des exploitations agricoles selon Malthus et Boserup.


Performance Variable calculée Résultats par village
économique Tapéré Ouattara- Farakoro Tiégana
dougou
Investissement Degré d’investissement 2 698 12 661 11 597 14 214
(FCFA/actif agricole*an)

Performance Valeur ajoutée nette 236 084 184 326 153 267 167 611
selon Malthus (FCFA/actif*an*ha cultivé)
Efficience économique (%) 73,5 73,5 59,9 53,3

Performance Valeur ajoutée nette 30 951 39 934 38 779 49 198


selon Boserup (FCFA/actif*an*ha utile)
Efficience économique (%) 65,7 72,4 64,9 60,3

de data-envelopment-analysis (DEA) (Charnes et al., 1978) fournit une estimation


de l’efficience des exploitations agricoles, exprimée en pourcentage de l’exploita-
tion la plus efficiente. Cette analyse comparée fait ressortir que l’efficience écono-
mique des exploitations agricoles diminue en fonction de la densité démographique,
en concordance avec la thèse de Malthus.

Thèse de Boserup
Boserup s’oppose au pessimisme malthusien en prenant en compte les pratiques
agronomiques des agriculteurs. Ceux-ci conçoivent effectivement leur stratégie de
production dans le temps et dans l’espace (concept de système de culture). En effet,
la mise en place de la culture itinérante et le maintien de la jachère sont fondés sur
l’observation et l’expérience des agriculteurs, qui connaissent les dangers d’une
culture trop intensive et trop répétitive à l’origine de l’épuisement des sols, de la
multiplication des mauvaises herbes, des maladies et des parasites. La pratique de
la jachère écarte ces dangers parce qu’elle est le moyen efficace de reconstitution
des sols en éléments minéraux et organiques, de lutte contre les adventices et de
réduction des risques phytosanitaires spécifiques. Boserup ne se réfère pas unique-
ment au concept de superficie cultivée, mais à celui de surface agricole utile. Ainsi,
il intègre l’ensemble des terres qui concourent au fonctionnement du système de
culture dont celles en jachère, ce qui modifie fondamentalement le mode de calcul
des performances des exploitations et la conception de la dynamique des exploita-
tions agricoles. Celles-ci s’adaptent à l’augmentation démographique en augmen-
tant la valeur ajoutée par unité de surface utile, consommant ainsi moins d’espace.

Discussion
Alors que l’efficience selon Malthus diminue avec la hausse de la densité de popula-
tion (de 20,2 % en fonction des villages), elle est plus constante (variation de 12,1 %)
selon Boserup (tableau 3.3). Ainsi, cette phase de changement du système de
production ne doit pas être envisagée seulement comme une baisse de la rentabilité
(selon Malthus). Elle constitue aussi une tentative (selon Boserup) pour empêcher
que la rentabilité ne régresse encore plus.

65
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Comparaison des performances économiques


Une typologie des exploitations agricoles recensées a été bâtie, notamment en se
fondant sur le degré de mécanisation, la présence du coton et les cultures princi-
pales de l’exploitation. Le système de production est fondé sur l’ancien système de
culture igname-riz-arachide et ses dérivés. Le système maïs-riz pluvial est caracté-
risé par l’apparition d’une succession de plusieurs années de maïs avec un cycle de
culture allant jusqu’à cinq années. Dans le système coton-riz-autres, le coton a pris
la place de l’igname, il peut être conduit manuellement ou mécanisé, son assole-
ment est très diversifié. Enfin, de grandes exploitations sont spécialisées dans la
culture de rente du coton et d’une ou de deux cultures vivrières, comme le riz
pluvial et le maïs.
La comparaison des performances économiques de ces systèmes montre que ceux
fondés sur le maïs ont la plus faible valeur ajoutée nette, en particulier à cause du
bas prix du maïs. Ils sont surtout présents dans la zone sud, où le maïs constitue l’ali-
ment de base préféré des allochtones Malinkés. Pour les autochtones de la région
de Dikodougou, l’igname est l’aliment de base préféré et le système igname-riz-
arachide prédomine pour autant que la pression démographique le permette. Ce
système obtient la valeur ajoutée nette la plus élevée, tout en occupant le plus faible
espace cultivé. Ce système ne se reproduit durablement que si la pression démogra-
phique reste faible. Il est présent donc seulement dans des villages à faible pression
foncière comme Tapéré.
Mais cette condition n’est pas remplie partout. Les migrations et les guerres reli-
gieuses ont laissé leur empreinte sur la répartition de la population de sorte que la
densité de peuplement est loin d’être homogène et diffère considérablement d’un
village à l’autre.

Baisse de la surface agricole utile par actif, choix du coton


Quoiqu’il en soit, au fur et à mesure que la densité de population augmente, les
surfaces agricoles utiles par actif diminuent tellement (tableau 3.2) que les paysans
sont contraints de migrer, d’allonger le cycle de culture et de défricher une partie
des jachères. Des systèmes dérivés du système igname-riz-arachide apparaissent et
on observe une baisse progressive des rendements.
Certains innovateurs, conscients de cette baisse de productivité, décident alors de
substituer à l’igname une autre culture de rente moins exigeante quant à la fertilité.
En cultivant le coton, l’exploitant vise à accumuler un revenu suffisant pour acquérir
un équipement pour la traction animale et, en adoptant cette culture, il modifie
profondément son système de production car l’itinéraire technique diffère beau-
coup du système traditionnel manuel. Cependant, l’adoption du coton se traduit par
une baisse de la rentabilité (prix moyen du coton inférieur à celui de l’igname) et
par un accroissement des pointes de travail (en concurrence avec les cultures
vivrières).
Il en résulte que les exploitations cotonnières non mécanisées sont plus petites. Cette
phase de changement du système de production est donc typiquement caractérisée
par des effets malthusiens. Ainsi, on observe plutôt des mouvements migratoires
(autorégulation malthusienne de la population) qu’une réelle intensification.

66
Démographie et évolution des exploitations agricoles

Tableau 3.4. Typologie des exploitations agricoles dans la région de Dikodougou.


Exploitation mécanisée ou non Exploitation sans cotonnier Exploitation avec cotonnier
Culture manuelle • Igname-riz-arachide Coton-riz-autres cultures
• Maïs-riz
• Autres cultures
Culture attelée – • Diversification coton-riz-
autres cultures
• Spécialisation coton-riz
ou coton-riz-maïs
Source : Demont et Jouve, 2000.

Introduction de la mécanisation et changements sociaux


L’approche selon Malthus n’est pas toutefois exempte de critiques. Les indicateurs
boserupiens de la performance économique des systèmes de production sont
obtenus en se rapportant à la surface agricole utile (tableau 3.5). L’évolution du
système igname-riz-arachide vers le système plus spécialisé coton-riz se traduit par
une augmentation progressive de la valeur ajoutée nette par unité de surface agricole
utile. L’ancien système de production ne peut persister que dans les villages à faible
pression foncière, l’adoption du système coton-riz va de pair avec un dédoublement
de la surface agricole disponible, illustrant les effets de la pression démographique.
En outre, la théorie de Malthus ignore l’effet des innovations, telle que la mécanisa-
tion, qui permettent d’échapper au cercle vicieux des rendements décroissants.
Grâce au passage de la culture manuelle à la culture attelée, l’agriculteur dépasse les
limites techniques de la culture manuelle et peut augmenter les superficies cultivées.
Si l’on se réfère à la méthode inspirée de Boserup (tableau 3.5), l’accès à la terre et
au travail joue un rôle très important et les exploitations qui disposent de terres
abondantes et d’une force de travail conséquente accèdent plus facilement à la
culture attelée. Une minorité d’exploitations mécanisées adopte le système coton-riz
grâce à la dotation inégalitaire du foncier. Leur entrée dans la phase d’accroissement
de surface et de développement de leurs activités productives liée à la mécanisation
accentue encore le phénomène de différenciation entre exploitations.

Tableau 3.5. Performance économique des exploitations agricoles selon Malthus et Boserup.
Système de culture Résultats économiques
Exploitation Cultures Surface Surface Degré Valeur ajoutée nette
mécanisée pratiquées agricole agricole d’investissement (FCFA/actif*an*ha)
ou non cultivée utile (FCFA/actif*an)
(ha/actif) (ha/actif) Malthus Boserup
Culture Maïs-riz 1,3 6,5 4 362 79 955 18 155
manuelle Igname-riz-maïs 1,1 7,0 4 063 228 139 34 021
Coton-riz-autres 0,8 3,1 3 677 157 616 45 531
cultures
Culture Coton-riz-maïs 1,6 5,9 23 987 94 407 41 698
attelée Coton-riz-autres
cultures 1,3 4,8 16 728 172 629 49 320
Coton-riz 2,2 10,1 29 710 186 596 51 568

67
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Une nouvelle classe sociale apparaît. Les propriétaires fonciers recrutent le supplé-
ment de main-d’œuvre dont ils ont besoin parmi une classe sociale nouvelle consti-
tuée des ouvriers agricoles. Mais ce sont des tendances à plus ou moins long terme,
et, à court terme, le paysan Sénoufo migre à la recherche de terres vierges. La
migration constitue donc un phénomène régulateur puissant tant qu’il existera des
réserves de terre.

 Apports des théories de Malthus et de Boserup


pour interpréter l’évolution des exploitations
Une partie du débat Malthus-Boserup peut être réduit à une divergence d’opinions
concernant l’estimation et la comparaison de la performance des exploitations.
Nous proposons la surface agricole utile comme le dénominateur correct de la
performance économique des exploitations agricoles dans les régions où subsistent
la jachère et la culture itinérante en Afrique subsaharienne.
Notre analyse a permis de nuancer les théories de Malthus et Boserup. Dans un
premier temps, les deux thèses coexistent. L’accroissement démographique
provoque d’abord des mécanismes malthusiens (enherbement, dégradation du
milieu biophysique, de la fertilité globale et de la rentabilité de l’ancien système de
production) aboutissant à des migrations et donc à une autorégulation de la popu-
lation. Mais, dans le même temps, apparaissent les conditions propices à l’intensifi-
cation des cycles de culture et à l’adoption de la traction animale. Dans une
deuxième phase, le système de production est modifié, ce qui illustre la réponse
boserupienne dans une situation où le système traditionnel n’est plus viable dans les
nouvelles conditions socio-économiques. Ainsi, nous avons montré comment les
agriculteurs répondent à une augmentation de la pression foncière. Le travail est le
facteur clé pour échapper aux mécanismes malthusiens, et des innovations cruciales
sont introduites pour assurer la reproduction durable des exploitations agricoles.

68
Partie 2

L’exploitation agricole
familiale en Afrique :
définitions et apports
théoriques
Jacques BROSSIER, coordinateur
Introduction

Que représente aujourd’hui l’exploitation agricole familiale en Afrique subsaha-


rienne ? Y a-t-il identité de l’agriculture familiale avec l’exploitation familiale ?
Quels sont les contours, les rôles et les fonctions de l’exploitation agricole sur ce
continent ? Il y a un quart de siècle, Jean-Marc Gastellu – regretté confrère – se
demandait « Mais où sont donc ces unités économiques que nos amis cherchent tant
en Afrique ? ». Ces questions ne sont donc pas nouvelles. Pour les traiter, il nous
faut étudier la notion d’exploitation agricole familiale sur les plans historique et
conceptuel. Certains décideurs ont « programmé » la disparition de l’exploitation
agricole familiale et prônent une agriculture d’entreprise en Afrique, d’autres
mettent beaucoup d’espoir dans sa modernisation. On s’interroge aussi sur la nature
des fonctions assignées à l’agriculture et aux populations rurales (gestion du terri-
toire, cohésion sociale et même conservation d’une grande partie du patrimoine de
biodiversité végétale, de traditions et de faits culturels) même si la fonction nourri-
cière reste primordiale en Afrique subsaharienne. Pour aborder cette question
fondamentale – quel(s) type(s) d’agriculture pour l’Afrique ? – il est nécessaire de
préciser ce que l’on entend par exploitation agricole, c’est l’objet de cette deuxième
partie.
Cette partie s’appuie sur des études antérieures et des contributions originales
présentées dans les chapitres 3 et 6. Elles permettent d’approfondir les questions
relatives à l’évolution des systèmes de production du fait de l’accroissement démo-
graphique (cas de la zone des savanes de Côte d’Ivoire, Demont et al., chapitre 3),
à la gestion de la force de travail et à la place de la femme dans les exploitations
agricoles (Guillermou, chapitre 6). Enfin, un éclairage sur la modélisation du fonc-
tionnement de l’exploitation agricole (Penot, chapitre 7) clôt cet ensemble.

71
Chapitre 4
Qu’est-ce que l’exploitation agricole
familiale en Afrique ?
Jacques BROSSIER, Jean-Claude DEVÈZE et Paul KLEENE

Historiquement, le besoin d’identifier l’exploitation agricole par les agronomes et les


économistes ruraux correspondait à un objectif économique poursuivi par des
pouvoirs publics, celui d’augmenter les cultures de rente. Cette vision utilitaire a
souvent abouti à une représentation de l’exploitation simplifiée, inefficace, voire
dangereuse, de nombreuses difficultés étant liées à la méconnaissance des structures
socio-économiques et de leur fonctionnement (encadré 4.1).
À l’époque des grandes opérations de développement rural menées en Afrique de
l’Ouest et du Centre au cours des premières décennies qui ont suivi l’indépendance
des États, il était nécessaire d’identifier un interlocuteur « responsable de l’exploi-
tation agricole familiale » et donc de définir l’exploitation, car les programmes d’ex-
pansion des cultures de rente étaient conçus sans réellement prendre en compte la
complexité des structures socio-économiques de production.
Clairement, ces programmes s’appuyaient sur le modèle européen du « ménage
exploitant », et ne comprenaient donc ni une approche approfondie et multidimen-
sionnelle du développement agricole africain (Mercoiret et al., 1989) ni un mode de
vulgarisation adéquat. Ils souffraient aussi du manque de connaissances sur les struc-
tures de production et leur fonctionnement, aussi bien à l’échelle de l’exploitation
agricole, qu’à celle des collectivités, du village.

 Inadéquation du modèle famille-exploitation


en Afrique
Conçus pour la plupart par des ingénieurs européens, les programmes de dévelop-
pement en Afrique subsaharienne avaient été élaborés en se référant au modèle de
la famille-exploitation, répandu en Europe dans les années soixante, sans se soucier
des différences qui pouvaient exister avec les exploitations africaines (encadré 4.2).

73
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 4.1. Les programmes de développement et l’exploitation agricole dans


les années 1960-1970
La plupart des programmes avaient comme objectif l’augmentation de la production des
cultures de rente (arachide, coton), incluant parfois des cultures vivrières (sorgho, mil,
maïs, riz). Des pratiques nouvelles mises au point par la recherche étaient introduites
(paquets technologiques) en appliquant une approche intégrée : elles comprenaient l’em-
ploi de semences améliorées et d’engrais, des techniques culturales améliorées et souvent
l’introduction de la culture attelée qui constituait l’un des points forts des programmes. De
plus, leur mise en œuvre était facilitée par un ensemble de mesures d’accompagnement :
l’encadrement et la formation en cascade par des agents faisant partie d’un système hiérar-
chique strict ; l’approvisionnement en moyens de production rendus accessibles par des
systèmes de crédit (à court terme pour les intrants, à moyen terme pour les équipements).
L’efficacité des opérations était renforcée par des dispositifs d’achat des productions agri-
coles (arachide), voire l’achat direct de la production par les opérateurs en charge des
programmes, notamment dans le cas du coton et parfois du riz. L’organisation de la
commercialisation par les opérateurs, avec obligation d’achat à des prix fixés à l’avance, et
l’instauration de barèmes de prix et de monopoles d’achat ont facilité le financement des
programmes. Les responsables de projets étaient confrontés par ailleurs à des difficultés
de récupération des crédits qui s’aggravaient en cas de baisse de rendement et de baisse
de prix, il fallait alors avoir recours massivement à la caution solidaire – principe appliqué
aux programmes de crédits par l’intermédiaire de structures coopératives ou de groupe-
ments de producteurs villageois, créés quelquefois artificiellement ou formellement. Ce
principe a été souvent mal compris et peu respecté.
La vulgarisation était fondée, le plus souvent, sur une démarche descendante (top-down),
en partant de l’hypothèse selon laquelle la diffusion des techniques agricoles ayant fait ses
preuves dans les stations de recherche devait se faire naturellement et mener à l’augmen-
tation de la production. Cependant, cette approche n’avait pas suffisamment tenu compte
du fait que pour augmenter la production il faut d’abord augmenter la productivité du
travail qui est, dans la plupart des situations africaines, le facteur de production le plus
contraignant. La prévision de rentabilité des « paquets technologiques » était souvent
fondée sur des taux d’adoption des innovations très peu réalistes. En effet, les données
nécessaires au calcul de la productivité du travail – force de travail, organisation, rémuné-
ration –, n’étaient pas disponibles ou pas utilisées par les services d’appui à l’agriculture.

Le succès qu’avait connu le développement agricole de l’Europe après la Deuxième


guerre mondiale pouvait et devait se produire aussi en Afrique. Il s’agissait donc
d’introduire ce modèle de développement, fondé sur une exploitation familiale qui
adopte le progrès technique, sur l’organisation de coopératives et sur le financement
des investissements par des banques mutualistes d’épargne et de crédit.
Le modèle de la famille-exploitation est, sur de nombreux points, bien différent en
Afrique subsaharienne, où se trouvent de nombreuses variantes des structures
socio-économiques réelles de production agricole. On ne peut les ramener facile-
ment à un seul dénominateur commun. Toutefois, quelques principes régulent les
relations entre les individus au sein des unités de production familiale en fonction
de la parenté et du statut social ; ils permettent de définir ces unités, leurs limites et
leur fonctionnement malgré leur diversité. La connaissance de ces structures était
restée du domaine des anthropologues, et rares étaient ceux qui les avaient étudiées
dans la perspective du développement agricole, les programmes de développement
agricole n’en ont donc pas tenu compte.

74
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?

Encadré 4.2. La famille-exploitation en France après guerre


En France, l’exploitation agricole familiale des années soixante était caractérisée par un
fort degré d’intégration sociale et économique.
La structure familiale est simple, fondée sur le « ménage », elle abrite sous le même toit
père, mère, enfants, parfois un ou plusieurs parents dépendants (grands-parents, oncles
ou tantes célibataires, personnes handicapées), la cellule familiale coïncide avec la
cellule agricole.
Un centre de décision unique gère l’ensemble des facteurs et des moyens de production
(foncier, main-d’œuvre familiale et salariale, machines et bâtiments, intrants, crédits,
consommations internes), en propriété ou en location. Le couple est responsable de
cette entité. Le chef d’exploitation, en même temps père de famille, est secondé par sa
femme, ensemble ils gèrent l’exploitation et le foyer.
Ils poursuivent des objectifs économiques communs : gestion conjointe des revenus agri-
coles et des dépenses du ménage (alimentation, habillement, éducation) et réinvestisse-
ment des profits dans l’appareil de production, épargne pour la retraite des parents et le
bien-être des enfants. Le contexte est celui d’une croissance économique élevée et créant
des emplois hors de l’agriculture. L’agriculture bénéficie du soutien politique dans le
cadre des lois d’orientation agricole, lois Pisani (subventions, primes, taux bancaires
favorables).
La réalité est bien sûr moins uniforme et moins « idéaliste » que ce modèle.
Cette organisation centrée sur le ménage, autrefois très répandue aussi bien en milieu
rural que dans le milieu des artisans et petits commerçants, a perdu de l’importance du
fait de la recherche d’emploi du conjoint en dehors de l’entreprise familiale et de l’émer-
gence de différentes formes d’organisation pour les entreprises agricoles familiales de
petite taille : exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), groupement agricole
d’exploitation en commun (Gaec), groupement foncier agricole (GFA), société à respon-
sabilité limitée (SARL) ou autre.

Ainsi, les agronomes et les techniciens agricoles furent rapidement confrontés à la


question de savoir à qui ils devaient adresser les messages techniques sur le terrain.
Mais ils ignoraient qui étaient les décideurs et quelles étaient les unités de produc-
tion qu’ils étaient supposés gérer (encadré 4.3).
À cette époque, les agronomes et les économistes ont procédé à plusieurs simplifi-
cations. À l’hypothèse de l’unicité de décision s’est ajoutée celle, simpliste, de la
maximisation des revenus monétaires – objectif poursuivi par ces décideurs. Il faut
aussi signaler le rôle qu’a joué le besoin de collecte de données statistiques qu’ex-
primaient les responsables économiques administratifs des ministères notamment
pour définir l’exploitation agricole. Cet effet déformant a été montré par Ancey
(1975) : pour lui les statistiques habituelles partent d’un point de vue réductionniste
qui consiste à attribuer à une unité élémentaire déterminée – en général l’exploita-
tion familiale, définie de façon plus ou moins adéquate – l’ensemble des fonctions
économiques. Cette volonté réductionniste ne peut aboutir qu’à une cote mal taillée
dès l’instant qu’au sein des unités de production familiales se chevauchent plusieurs
niveaux de décision. Il faut rendre à chaque niveau de décision ce qui lui appartient.
Les problèmes rencontrés pour identifier les producteurs (et productrices) et leurs
fermes ont conduit les agents de développement à interpeller des chercheurs,
intrigués par des événements surprenants sur les terrains de développement et

75
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 4.3. Comment les agents de développement repèrent les exploitants


africains ? Erreurs induites
En général, les agents de terrain – techniciens et vulgarisateurs – choisissaient pour
interlocuteurs les chefs de famille, ce qui n’était pas faux en soi, étant donné que les
anciens, investis de pouvoir social, se trouvaient le plus souvent aussi à la tête d’une unité
de production ; mais il restait à en définir les contours. Reconnus le plus souvent par
l’administration dans le but de récupérer des impôts, ces chefs de famille (chefs de
concession au Sénégal) étaient à la tête d’une unité de résidence (la concession) où ils
habitaient avec leurs femmes, enfants, d’autres parents (frères et demi-frères, leurs
femmes et leurs enfants, mères, tantes, etc.) et des étrangers. Ils pouvaient être en même
temps chefs de grande famille – ce qui se rapporte au lignage – et à ce titre faire partie
du conseil des anciens du village. Mais, dans d’autres cas, la concession provenait simple-
ment d’une subdivision de l’habitat, créée pour des raisons de surpeuplement ou à la
suite d’une séparation familiale.
Dans la concession, tous les habitants pouvaient faire partie de la même unité de produc-
tion, ou bien constituer plusieurs unités de production. Il pouvait encore exister des subdi-
visions, des sous-unités de production caractérisées par les parcelles des femmes ou des
jeunes non mariés. En ne s’adressant qu’aux chefs de famille, on ne touchait donc qu’une
partie des chefs d’exploitation, et on risquait de surestimer très largement le nombre de
personnes d’une exploitation à cause des subdivisions internes. L’unité de résidence cons-
tituait certes une première entrée possible. Mais, dans la plupart des cas, elle devrait être
complétée par les différentes unités et sous-unités de production, appelées communé-
ment « exploitations » et « sous-exploitations ». Si cette démarche était valable dans les
sociétés patrilinéaires et patrilocales, qui sont majoritaires, elle pouvait aboutir à une
vision totalement erronée de l’unité de production dans les sociétés matrilinéaires comme
l’a montré Gastellu (1980).
Les limites de cette approche des unités de production ont été montrées dans de
nombreuses situations. Un exemple frappant (Kleene, 1975) est celui d’un projet d’appui
à la riziculture aquatique en Moyenne Casamance (Sénégal), où les interlocuteurs
reconnus par l’administration étaient les chefs de famille. D’une part, ces familles étaient
composées de segments de lignages patrilinéaires et patrilocaux dont les actifs hommes
ne travaillaient pas tous ensemble dans les mêmes champs de cultures pluviales, ces
segments étaient subdivisés en différentes unités de travail ayant chacun un champ
commun et plusieurs champs individuels. D’autre part, les hommes ne s’occupaient pas
des mêmes cultures que les femmes, il y avait donc une séparation stricte entre les
champs des hommes et des femmes. La riziculture aquatique étant exclusivement du
domaine des femmes qui géraient leurs propres champs et la production de ces champs
de façon individuelle et autonome, le projet rencontra d’importantes difficultés d’impact
en ne s’adressant qu’aux hommes pour développer une culture qu’ils ne contrôlaient en
aucune façon.

d’investigation agronomique, anthropologique ou géographique. Les observations


des uns complétées des résultats d’enquête apportés par les autres ont fourni, à
partir des années 70, une analyse des structures de production dans un nombre
croissant de sociétés rurales africaines et, progressivement, des enseignements plus
généraux pouvant servir ailleurs.
Enfin, le modèle occidental reposait aussi sur le progrès technique qui demandait
d’importantes ressources financières pratiquement non disponibles dans les pays
africains.

76
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?

 Centres de décision de l’exploitation agricole africaine


Le repérage porte d’abord sur l’identification de « qui fait quoi et pourquoi » puis
sur le système de décisions et, enfin sur les fonctions d’objectif du centre de déci-
sion. Dans années 1970-1980, Gastellu, Ancey et les chercheurs de l’IRD (Institut
de recherche pour le développement) et du Cirad réunis au sein de l’association
Amira (Charmes, 1976, 2006 ; Couty, 1983) ont mis en évidence un emboîtement
des organisations sociales : le ménage et la famille mononucléaire – en considérant
la place spécifique des femmes, les plus âgées bénéficiant de plus d’autonomie, et
celle des jeunes actifs –, la grande famille africaine, le lignage, la société villageoise,
etc. Gastellu (1980) – dans un article au titre évocateur « Mais où sont donc des
unités économiques que nos amis cherchent tant en Afrique ? » – précise que les
centres de décision se comprennent au sein des communautés de production, de
consommation d’accumulation. Or, comme il n’est pas aisé de cerner ces ensembles
économiques, il propose de commencer par identifier la communauté de résidence.
Il parvient à définir les communautés économiques sur le terrain grâce à la décou-
verte d’un centre de décision principal, au recueil des dénominations vernaculaires
(car les communautés économiques existent bien et ont donc un nom) et à l’étude
des solidarités manifestées par des échanges privilégiés. Les centres de décisions
économiques sont définis par le statut social des différents membres de la famille.

L’unité de production
Au sein des unités de production, les relations entre les individus sont définies par la
parenté (l’alliance) et le statut social (sexe, âge, ordre de naissance et de mariage, etc.)
qui déterminent les règles d’accès aux facteurs de production, aux biens et à la succes-
sion ; il s’agit en général de relations hiérarchiques et non-égalitaires. La connaissance
du système de relations permet de décrire avec précision les unités de production, ou
exploitations agricoles, et leurs composantes (structure, fonctionnement, limites et
prérogatives), tout en précisant la société de référence (ethnie, région, pays).
Chaque unité de production (ou communauté) fonctionne selon des règles précises
ayant pour but de répondre aux objectifs sociaux des différentes unités, c’est-à-dire
fournir, d’une part des produits vivriers pour satisfaire les besoins alimentaires des
groupes et sous-groupes et, d’autre part des produits agricoles commercialisés pour
satisfaire des besoins collectifs et individuels en revenu monétaire qui sont accu-
mulés en partie comme investissements sociaux et productifs (paiement de la dot,
obligations religieuses, habitat, équipement agricole, fonds de commerce, etc.).
Cette connaissance du fonctionnement des sociétés locales a conduit à donner un
sens à la notion d’exploitation agricole dans différentes sociétés agraires africaines.
Selon la société, les unités sont plus ou moins grandes, les activités communes sont
plus ou moins importantes et parfois en concurrence avec des activités individuelles.

Les niveaux de décision, les objectifs


Par ailleurs, Ancey (1975) a repéré plusieurs niveaux de décision : l’individu (en
distinguant aînés, cadets et femmes), les groupes (comprenant le groupe restreint
de production et le groupe de consommation), l’exploitation, la résidence, la famille

77
Tableau 4.1. Niveaux de décision et objectifs endogènes.

78
Objectif Niveau de décision
Individu Groupe
Cadet Femme Aîné Production Consommation Exploitation Résidence Lignage
1. Production d’autosubsistance (agro-pastoral) x x x x x
2. Production commercialisée x x x
3. Revenus monétaires et extra-agricoles x x
4. Revenus monétaires nets x x x
5. Valeur totale de production x x
6. Sécurité (inter-annuelle) x x x x
7. Régularité des revenus (intra-annuelle) x x x
8. Diversification des activités x x
9. Loisirs x x x
10. Prestige–autorité x x x
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

11. Cohésion x x x x
12. Autonomie x x x x x x
13. Satisfaction de certaines consommations x x
ressenties comme socialement impératives
14. Prérogatives foncières x x x x

D’après Ancey, 1975. La grille des niveaux et objectifs synthétise le mieux possible les caractéristiques des sociétés suivantes : Agni-Baoulé, Bambara,
Bissa, Bobo, Dagari, Djimini, Haousa, Lobi, Malinké, Mossi, Sénoufo, Sérère, Toucouleur, Wolof.
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?

élargie, le village, le niveau au-delà du village, etc. Les travaux de Guillermou


(chapitre 6) et les études historiques anthropologiques de Meillassoux (1964 et
1975), Bonnafé (1987), Dupré (1982 et 1985) et Rondeau (1994) montrent bien le
rôle majeur attribué aux aînés dans le mode d’organisation du travail des sociétés
africaines.
Le ménage ne constitue pas un niveau privilégié, il faut plutôt parler d’un conti-
nuum depuis les plus petits centres de décisions jusqu’à la grande famille. En fonc-
tion de l’importance des décisions à prendre, plusieurs centres de décision sont
sollicités à différents niveaux de la hiérarchie familiale. La gestion annuelle
incombe en général au chef de l’unité de production, appelé l’aîné (chapitre 6), qui,
outre le champ commun, attribue les parcelles individuelles aux différents ayants
droit, hommes et femmes qui dépendent de lui.
Chaque centre de décision se définit aussi d’après les objectifs suivis par niveau de
décision ou de responsabilité. Ancey (1975) critique les objectifs habituellement
retenus dans les statistiques pour caractériser les grandes fonctions économiques. Il
estime que ces objectifs sont réducteurs, qu’ils présupposent une unicité de décision
et ne tiennent pas compte de la diversité des centres de décision : création de
revenus (unité budgétaire), consommation (unité de consommation), gestion des
terres, gestion du capital, gestion du travail. Ancey (1975) suggère de croiser chacun
des 8 niveaux individuels et collectifs de décision retenus avec les objectifs (il en
repère 14) propres à ces niveaux (tableau 4.1).
Ces travaux ont montré que le système de production agricole est, en Europe
comme en Afrique, un système complexe que l’on a toujours tendance à trop simpli-
fier, faute de bien le connaître. Comme l’indiquent Faure et al. (2004), les centres
de décision sont multiples, engendrant des discussions au sein de la grande famille
pour prendre en compte des intérêts parfois contradictoires. Les actifs de l’exploi-
tation agricole familiale africaine sont insérés dans un réseau social qui peut forte-
ment déterminer leur comportement et leurs prises de décisions ; ainsi, face aux
nombreuses incertitudes, l’exploitation familiale cherche à minimiser les risques
afin d’assurer sa reproduction.

La répartition des activités de production


Face à cette complexité, l’organisation de la production décrite par le repérage des
activités correspondantes fournit aussi une description des unités de production. En
outre, il est important de prendre en considération les conséquences de la division
sexuelle du travail dans les exploitations agricoles familiales africaines (encadré 4.4).
Pour comprendre la répartition des activités, on doit tout d’abord distinguer les acti-
vités menées en commun et qui répondent à un objectif commun des activités
conduites individuellement ou en sous-groupe et qui répondent à des objectifs indi-
viduels ou partagés par les membres du sous-groupe. Dans beaucoup de sociétés, il
existe encore des groupes de personnes qui habitent, travaillent et mangent
ensemble et qui constituent ainsi une unité de production. Toutefois, dans de nom-
breux cas, ces mêmes personnes ne travaillent pas toujours ensemble dans les
mêmes champs et ne mangent pas toujours ensemble à partir du même grenier.

79
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 4.4. La division du travail suivant les sexes dans les exploitations africaines
La division du travail et la répartition des activités suivant les sexes peut être très diffé-
rente selon les sociétés rurales. La participation des femmes aux travaux agricoles est
très variable, elle est limitée par exemple au semis ou à la traite dans certaines sociétés
d’éleveurs, mais généralement les femmes constituent la principale force de travail.
Toutefois, l’accès des femmes à la gestion de la production agricole peut être très réduit,
alors que, dans la plupart des sociétés, la femme joue un rôle important dans les activités
de postrécolte (battage, décorticage et transformation agroalimentaire) ainsi que dans
les activités commerciales qui en découlent.
La méconnaissance de cet aspect mène souvent à des choix malencontreux dans les
objectifs de projets portant sur le genre et le développement, les femmes s’occupant
toujours des activités de postrécolte et du commerce afférent.
En Afrique francophone, Guillermou (chapitre 6) montre que l’inégalité que les femmes
subissent s’exprime moins au niveau du surplus physique accaparé par les hommes qu’au
niveau du surplus invisible, à savoir le temps libre procuré aux hommes par le travail des
femmes. Il considère que l’apparente libération des femmes par leur accession à de
nouvelles responsabilités, y compris le statut de chef d’exploitation, n’est pas forcément un
signe de progrès économique et social, car il se fait le plus souvent dans des agricultures
en voie de paupérisation et n’est pas le gage d’une amélioration de leurs conditions de
travail et d’existence. Le progrès relatif de la condition des femmes qui, quelle que soit la
production, sont parmi les plus défavorisées risque d’avoir des effets très limités s’il va de
pair avec le développement de petites exploitations sans avenir économique.

Activités en commun
Parmi les activités menées en commun, figure en premier lieu l’obligation d’assurer
les besoins primaires des membres du groupe : alimentation, logement, habille-
ment, paiements des impôts et des autres charges (en fonction de la société et de
son degré d’évolution). Ainsi, le chef d’exploitation (chef de famille), responsable
de la satisfaction de ces besoins pour l’ensemble de ses dépendants, gère le champ
commun (parfois plusieurs). Tous les membres du groupe ont obligation de contri-
buer à la production du champ commun par leur travail (selon des règles fixées au
cas par cas). Les produits du champ commun servent à nourrir la famille ou sont
vendus pour satisfaire d’autres besoins communs, comme l’achat d’équipement
(bœufs, ânes, matériel agricole), souvent des frais de santé, la scolarisation des
enfants, le paiement de dots pour les fils, etc. Les revenus du champ commun,
produits dans le temps consacré au commun, servent aux besoins communs.

Activités individuelles
Parmi les activités menées individuellement, on englobe les champs que les femmes
cultivent pour fournir les condiments (cette obligation leur incombe assez souvent)
ou pour la vente de certaines productions pour satisfaire des besoins personnels
(achat d’animaux, de biens de consommation, dons aux parents, etc.). La gestion
d’un lot d’animaux (poulets, moutons, porcins, etc.) est une activité individuelle ; les
dépendants (hommes ou femmes) exploitent ce lot pour en tirer des revenus indivi-
duels. Le principe sous-jacent est que le produit de toute activité autorisée, menée
individuellement, revient à la personne qui a mené l’activité et suit le principe des

80
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?

bourses séparées selon lequel le mari n’a pas le droit de regard sur les revenus de sa
femme et réciproquement.
Parmi les activités menées en sous-groupe, on compte les champs cultivés avec l’au-
torisation du chef par les membres du sous-groupe (formé à l’intérieur ou à l’extérieur
de l’exploitation) lors des moments libres, non occupés par les travaux dans le champ
commun, et dont la production répond aux objectifs du sous-groupe, comme le
champ de cultures associées. Dans la société sénoufo, ce sont les champs secondaires,
ce qui prépare à une scission de l’exploitation.
Du fait de leur mobilité et du regroupement de lots d’animaux appartenant à
plusieurs propriétaires, le repérage des unités de production d’élevage est encore
plus complexe que celui des unités de productions végétales (associant ou non un
élevage sédentarisé). Par exemple, les exploitations laitières sont très diverses et il
n’est pas toujours facile de repérer les centres de décision : entre le gestionnaire du
troupeau, celui qui trait les vaches, celui ou celle qui réceptionne et vend le lait. Cela
illustre les limites du concept d’exploitation. L’urbanisation et l’augmentation de la
vente de lait entraînent d’ailleurs des évolutions diverses des exploitations laitières.

Les collectivités locales et le système agraire


Les collectivités locales (villages, territoires coutumiers, petites régions) sont
composées de plusieurs grandes familles. Avant d’entamer des actions concernant
ces collectivités, il est indispensable de connaître leur fonctionnement (quelle
instance, qui la compose, qui décide de quoi, comment et à quel moment ?). Au
cours de la période qui a suivi l’indépendance dans certains pays, et dans l’enthou-
siasme des idées socialistes, les structures villageoises ont été considérées comme
les mieux appropriées pour exercer des tâches de gestion commune des productions
et des biens et pour créer des coopératives.
Sans analyse préalable, l’hypothèse du village africain perçu comme une commu-
nauté socialiste authentique s’est heurtée à une réalité bien différente : celle d’une
communauté en apparence harmonieuse, mais gérée de façon à conserver la paix
sociale entre des grandes familles ayant souvent des intérêts antagonistes pour
l’accès aux ressources, notamment la terre et l’eau. Aussi, dans la majorité des cas,
ces coopératives ont été vouées à l’échec. Traditionnellement, dans la majorité des
cas, les autorités villageoises sont investies uniquement dans des rôles de représen-
tations religieuse et sociale, qui incluent souvent les questions foncières, mais elles
interviennent très rarement dans la gestion économique des biens au nom de la
collectivité villageoise.
Le passage de groupements villageois à vocation multiple à des organisations
spécialisées et à des collectivités territoriales reste une difficulté importante dans la
vie rurale en Afrique.

Diversité des exploitations agricoles


L’exploitation agricole est caractérisée par la description de ses activités, les produc-
tions obtenues et les facteurs de production mobilisés. On a alors une représentation

81
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 4.5. De l’exploitation agricole aux systèmes d’activités


Souadou SAKHO-JIMBARA
L’évolution des exploitations agricoles (fonctionnement et organisation) du bassin
arachidier du Sénégal a été étudiée depuis les années 80, afin de mettre en évidence les
changements et leurs conséquences pour l’agriculture. En effet, aux contraintes pesant
sur l’agriculture du bassin arachidier – surtout dans la zone Nord –, comme la dégrada-
tion des sols et la variabilité des pluies, s’ajoutent des difficultés plus récentes telles que
la saturation du foncier, la vétusté des matériels agricoles, le faible niveau des rende-
ments ainsi que les difficultés d’écoulement de la production.
Par conséquent, le fonctionnement des exploitations familiales – jusqu’à présent entière-
ment gérées par le chef de famille assurant la nourriture de base de sa famille à partir de
sa production de mil et disposant de revenus agricoles grâce à la seule culture arachidière –
a été complètement bouleversé. Ainsi, des ménages se sont segmentés ; ceux qui
travaillaient solidairement dans un champ commun et se partageaient les fruits de leur
travail sont devenus de plus en plus autonomes. Autrement dit, plusieurs groupes auto-
nomes de production et de consommation coexistent dans la concession, mais les échanges
de travail entre ses membres – mais aussi à l’échelle du village – se font rares. La mobilisa-
tion et la rémunération du travail et du capital foncier ont aussi fortement évolué. En plus
de la disparition des travaux d’entraide, on a constaté – à cause de la saturation foncière –
d’une part le développement de la location des terres (même entre les membres d’une
même concession) et, d’autre part l’abandon de la rémunération du travail par le prêt de
terres, deux phénomènes qui conduisent à une augmentation des charges de production.
Face à ces contraintes, les paysans ont tenté de trouver des solutions en diversifiant leurs
activités non-agricoles et donc en générant d’autres sources de revenus. L’agriculture
devient de moins en moins leur activité principale, à cause de ses rendements souvent
faibles et aléatoires, mais aussi en raison des contraintes socio-économiques. Par consé-
quent, les revenus non-agricoles sont d’une importance cruciale pour la reproduction des
exploitations agricoles familiales, ils correspondent à plus de la moitié du revenu global
de 15 des 18 exploitations enquêtées. Ainsi la place prise par les revenus non-agricoles
démontre que l’exploitation agricole est devenue un système d’activités.

de la diversité des exploitations suivant les productions, les structures d’exploitation


(surface, force de travail), la taille économique (autosubsistance, chiffre d’affaire,
ventes, etc.). Les potentialités productives du milieu déterminent des types de
systèmes de production correspondant à des grands systèmes (agraires) de produc-
tion ou à des zones agroclimatiques (Dixon et al., 2001 ; Mazoyer et Roudart, 1997)
(chapitre 1). En Afrique, cette diversité au sein de ces grands systèmes agraires est
en fait assez restreinte, même si elle a tendance à s’accroître (encadré 4.5).

 Comment appréhender l’exploitation agricole :


exemples dans différentes situations

Région du Siné-Saloum au Sénégal en milieu wolof


Au Sénégal, l’exploitation agricole wolof coïncide soit avec le « carré », soit avec une
fraction de celui-ci (Kleene, 1975). Le carré correspond à l’unité de résidence où

82
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?

vivent généralement plusieurs ménages. Il est composé d’un centre de décision prin-
cipal (exploitation principale) et de plusieurs centres de décision secondaires (sous-
exploitation). L’exploitation principale est conduite par le chef d’exploitation qui
contrôle le foncier et les vivres. Il exploite en direct environ 50 % de la superficie
cultivée ; il produit environ 90 % des céréales de subsistance, dispose d’environ 50 %
du total des heures de travail agricole effectuées ; il est propriétaire de la quasi-tota-
lité du capital, des animaux de trait et de l’équipement agricole de l’exploitation ; il
est seul capable de faire les investissements nécessaires pour la modernisation. Les
sous-exploitations sont conduites individuellement par chaque homme ou femme
dépendant du chef pour sa nourriture. Dans ces espaces, les budgets et les revenus
monétaires sont individualisés, les parcelles en culture de rente sont gérées indivi-
duellement, la terre est attribuée annuellement et les possibilités d’investissement
sont très réduites. Cette compréhension de l’exploitation agricole a facilité la mise en
place du conseil de gestion aux exploitants par la vulgarisation agricole au Sénégal
(Sodeva) de 1974 à 1980 (Benoît-Cattin, 1986 ; Benoît-Cattin et Faye, 1982).

Région du Mali-Sud, en milieu sénoufo


D’après Kleene et al. (1989), l’exploitation agricole sénoufo dans la région du Mali-
Sud peut se comprendre comme une équipe familiale de travailleurs cultivant,
ensemble, au moins un champ principal commun auquel sont liés, ou non, un ou
plusieurs champs secondaires, d’importance variable selon les cas et ayant leurs
centres de décision respectifs. On rencontre deux types d’exploitations. Dans un
premier cas, les membres de la famille constituent une seule équipe de travailleurs
cultivant un seul champ en commun, géré par un centre de décision unique ; ce sont
des exploitations simples. Dans le second cas, en plus de la mise en culture d’un
champ principal, les travailleurs sont regroupés en sous-équipes pour exploiter des
champs secondaires ; ces derniers procurent des revenus propres et sont gérés par
leurs centres de décision respectifs, différents de celui du champ principal ; on parle
alors d’exploitations composées. La prise en compte de ces deux types d’exploitation
a ainsi permis d’adapter le conseil de gestion aux exploitations agricoles, ce qui a été
réalisé par la CMDT (Compagnie malienne du développement des textiles) de 1983
à 1996 en zone Mali-Sud, avec l’appui de l’IER (Institut d’économie rurale).

Zone de l’Office du Niger


Les différences de statuts entre les champs d’une même exploitation ont des consé-
quences pour les prévisions en termes de choix de cultures (objectifs de production,
obligations sociales), de décision des superficies cultivées (force de la main-d’œuvre,
ordre de priorité des travaux et de l’utilisation de l’équipement disponible), de répar-
tition des parcelles et des assolements. En conséquence, la possibilité d’appliquer des
techniques plus intensives dépend de ces facteurs. Elle détermine le niveau de rende-
ment que l’on peut et doit atteindre, et en-dessous duquel l’intensification n’est plus
rentable. Ces conditions déterminent donc les quantités de semences, d’engrais, de
fumure organique (accès et disponibilité), de produits phytosanitaires qu’il faut
prévoir, tenant compte aussi des possibilités (ou non) d’accès au crédit des exploitants
et des sous-exploitants et de leur capacité de remboursement – la redistribution des

83
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

intrants au sein de telles structures rend souvent plus complexe leur remboursement,
créant des dettes internes difficilement récupérables.
Dans ce cadre, l’exemple des exploitations agricoles familiales dans la zone de
l’Office du Niger au Mali (68 000 ha de cultures irrigués) est très explicite. Soumise
à une pression foncière qui s’accentue, la riziculture d’hivernage est réalisée selon
le modèle du champ commun sous l’autorité du chef de famille qui est le chef d’ex-
ploitation, quel que soit le groupe ethnique d’origine. Souvent, il existe différentes
parcelles où les travaux en culture attelée (généralisée) et manuelle sont gérés par
ce centre de décision. La production du riz cultivé en commun est destinée à l’auto-
consommation, à la couverture des charges communes (redevance d’eau, intrants,
équipement) et à la vente au profit des besoins familiaux. Toutefois, quand il s’agit
des cultures maraîchères de contre-saison, qui se sont développées de façon très
importante ces 15 dernières années, les activités sont menées de façon individuelle
ou en sous-groupe (par exemple une mère aidée par ses enfants) par les femmes et
les hommes actifs de l’exploitation. De même, les activités de petit élevage sont indi-
viduelles, tandis que l’accumulation du capital bovin se fait aussi bien par les chefs
d’exploitation qu’individuellement. Il est évident que l’appui en termes de conseil
doit tenir compte de cette situation et que pour chacune de ces activités des groupes
sont spécifiquement ciblés.

Pays Gourmantché au Burkina Faso


Des mesures d’accompagnement et de crédit ont été menées en 1998-1999 au
Burkina Faso par l’Association Tin Tua, intervenant en pays Gourmantché, région
confrontée au problème de la taille de l’exploitation agricole familiale gour-
mantché. La petite taille des exploitations constitue un handicap majeur, caractéris-
tique des systèmes d’exploitation familiale d’un grand nombre de sociétés
africaines. À l’Est du Burkina Faso, le pays gourmantché est caractérisé par des
vastes zones peu peuplées, en partie incultes ou avec des sols peu profonds. Les
agriculteurs sédentaires, concentrés dans des îlots de bonnes terres, sont également
des éleveurs de longue date. Ce pays longtemps enclavé a été peu touché par la
modernisation agricole. Le taux d’adoption de la culture attelée est faible, de moins
de 20 %. La production est coordonnée au sein de petites unités, constituées par
des couples en vie maritale (concubinage puis mariage) à un âge très jeune (à partir
de 18 ans pour les garçons, 15 ans pour les filles) et cultivant leurs propres champs.
Des échanges de travail et l’entraide sont organisés avec les exploitations des
parents et des frères, ainsi qu’avec d’autres exploitations du village (groupes d’âge,
« vol1 » de champ, association de cultures, etc.). Ces échanges facilitent le travail,
essentiellement manuel, mais ne changent en rien la petitesse des unités de produc-
tion, qui ne s’agrandissent pas beaucoup malgré la polygamie. Dès qu’ils atteignent
l’âge de maturité sexuelle, les jeunes se séparent du champ commun parental, privé
ainsi d’un apport en travail important, malgré des contributions régulières sous
forme d’entraide. La production des biens au sein de la famille est encore plus
individualisée dans le domaine de l’élevage, où la constitution d’un troupeau

1. Dans ce cas, l’association de culture (groupe d’âge par exemple) prend elle-même l’initiative d’aller
sarcler le champ, à l’insu du propriétaire qui doit en contrepartie prendre en charge le repas, la bière, etc.

84
Qu’est-ce que l’exploitation agricole familiale en Afrique ?

commence dès la naissance de l’individu, par l’attribution d’un mouton par


exemple. Le manque de stabilité des structures de production qui en résulte pose
un problème pour l’investissement en culture attelée, qui, pour être rentable,
demande un minimum de superficie cultivée et de main-d’œuvre disponible au sein
de l’exploitation. La plupart des unités existantes, ne cultivant pas plus de 1 à 2 ha,
avec 1 à 3 actifs, ne peuvent pas atteindre les seuils requis pour investir dans la
culture attelée. Cependant, pour répondre à ces difficultés, une démarche d’équipe-
ment progressif (traction asine à 1 âne, puis 2, ensuite traction bovine) a été mise
en œuvre, ainsi que des accords d’utilisation partagée entre différentes unités. Elle
a nécessité un accompagnement approprié (effectué par l’association Tin Tua).
Tous ces exemples permettent d’entrevoir la complexité de la fonction de conseil et le
besoin de bien connaître la diversité des exploitations agricoles familiales africaines.

 Comment définir l’exploitation agricole africaine ?


Ces exemples illustrent la difficulté de distinguer à tout prix l’unité correspondant à
la notion d’exploitation agricole. Dans ce continuum et dans cet ensemble d’élé-
ments emboîtés, parler de l’exploitation agricole comme d’une unité a été considéré
par certains comme une aberration, leur proposition étant de ne parler que d’unité
de production. Toutefois, dans la pratique, le terme exploitation s’est imposé et
généralisé. Nous avons estimé que le terme exploitation est approprié à condition
que soient définis pour chaque société rurale ses structures, son fonctionnement et
les limites de ses prérogatives. Le titre du présent ouvrage est bien la preuve de
l’acceptation de ce principe et se conforme à l’appellation communément acceptée.
Compte tenu de la grande variabilité des situations, les analyses aboutissent à des
définitions de l’exploitation agricole familiale qui sont en fait très proches et
mettent l’accent sur les unités de production.
Beaucoup d’auteurs mettent en avant le caractère familial du système et, avec Bosc
et Losch (2002), définissent l’exploitation familiale comme une forme de produc-
tion qui se caractérise par le lien particulier qu’elle établit entre les activités écono-
miques et la structure familiale. La plupart des auteurs insistent sur les activités
communes conduites dans les grands champs et le rôle prépondérant des actifs
familiaux dans la production.
Il est important d’identifier les activités dont l’impact économique est suffisamment
important pour être l’objet d’actions de vulgarisation (appui, conseil) avec les
personnes qui en sont responsables (par exemple l’exploitation principale du chef
d’exploitation agricole pour le crédit d’équipement1). Ce sont peut-être des simplifica-
tions, mais elles se sont révélées utiles et suffisantes dans le cadre du développement.

1. Sans que les sociétés de développement ne prennent en compte dans les calculs de rentabilité prévi-
sionnelle ni les champs individuels des dépendants hommes et femmes dont les marges brutes ne vont
pas participer aux remboursements, (bien que l’équipement va pouvoir leur servir aussi), ni les champs
individuels des femmes en contre-saison autour d’un point d’eau pour la production maraîchère, etc. Ces
simplifications ont permis (lorsqu’elles étaient appliquées) d’éviter de graves erreurs qui se seraient
traduites par un faible taux de remboursement des prêts et qui auraient été préjudiciables au développe-
ment de l’agriculture sénégalaise dans les années 70.

85
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Par convention, Ancey définit l’exploitation familiale comme la collectivité humaine


réunissant ses efforts sur les grands champs à condition que le produit soit affecté à
l’alimentation collective des membres participants au travail et des dépendants
inactifs. C’est aussi la définition retenue par Kleene et al. (1989) (zone sénoufo,
Mali-Sud) pour qui l’exploitation agricole familiale africaine est une équipe fami-
liale de travailleurs cultivant, ensemble, au moins un champ principal commun
auquel sont liés, ou non, un ou plusieurs champs secondaires, d’importance variable
selon les cas et ayant leurs centres de décision respectifs.
Des chercheurs de l’Isra et du Cirad travaillant dans le bassin arachidier au Sénégal
ont abordé la question dès 1974 sur l’emboîtement des systèmes et introduisaient le
terme d’« unité sociale de base », correspondant à un centre de décision et de mise
en œuvre d’un ou de plusieurs systèmes de production. Cette unité constitue un
ensemble plus ou moins complexe, éventuellement décomposable en sous-ensem-
bles repérables par l’existence de centres de décision secondaires. Pour des raisons
de commodité, nous parlerons néanmoins d’exploitation agricole, à condition que
ce terme soit entendu dans le sens d’unité sociale de base.
La définition retenue encore aujourd’hui n’est pas immuable, car, du fait de la pres-
sion économique, la taille de l’exploitation diminue en liaison avec une « nucléari-
sation » familiale – la « grande famille africaine » laissant la place à des exploitations
pour tous les enfants « en ménage ».

86
Chapitre 5
Apport des théories sur l’exploitation
agricole dans une perspective de gestion
Jacques BROSSIER

Compte tenu de la complexité et de la diversité des structures agraires en Afrique,


quel peut être l’apport des théories élaborées dans les pays développés pour
comprendre l’exploitation agricole et son fonctionnement ? En fait, ces théories
assez générales, relativement indépendantes des contextes socio-économiques, sont
essentielles et demeurent efficaces pour mieux appréhender la réalité de l’agriculture
africaine et favoriser son évolution.
Nous présentons brièvement les théories concernant l’exploitation agricole africaine
en mettant en relief les questions liées à la gestion. En effet, cette approche gestion-
naire ou décisionnelle se comprend dans une optique d’efficience, de changement et
d’action (chapitre 13).
Deux théories complémentaires permettent de comprendre l’économie et la gestion
de l’exploitation agricole familiale africaine : d’une part, la théorie de la production,
fondement de la théorie microéconomique et, d’autre part, la théorie du comporte-
ment adaptatif, qui insiste sur le caractère itératif de la décision et l’apprentissage
qui y est lié.

 Théorie économique de la production et gestion


de l’exploitation agricole familiale africaine
Il s’agit de concepts généraux qui s’appliquent à tous les types d’exploitation économique.
Le modèle économique de la production est fondé sur la maximisation de la fonc-
tion d’utilité, dans le cadre des contraintes imposées par les ressources limitées en
facteurs de production et par les possibilités techniques de production. L’ensemble
de ces contraintes est caractérisé par la fonction de production qui relie les quan-
tités produites aux quantités de facteurs utilisés avec les techniques possibles. Quant
à la fonction d’utilité, elle traduit les préférences du producteur. Dans la version la

87
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

plus commune de la théorie, la fonction d’utilité du producteur se réduit au seul


profit, d’après l’argument – avancé notamment par Milton Friedman (1953) – selon
lequel seules peuvent se maintenir les entreprises qui obtiennent durablement les
profits les plus élevés.
Ce modèle est statique, il fait l’hypothèse que les fonctions d’utilité et de produc-
tion sont données, connues et non évolutives. Le risque et l’incertitude ne sont donc
pas intégrés.

Maximisation du revenu et non du profit


Dans le cas de l’agriculture, beaucoup de facteurs fixes appartiennent à l’agriculteur,
celui-ci ne cherche pas à maximiser le profit – qu’il n’est ni possible, ni utile d’iden-
tifier –, mais un solde qui est assimilable à un revenu et qui correspond au profit et
à la rémunération des facteurs fournis par l’agriculteur.
Le profit est calculé ainsi :
Π = P - CV - CF - KA - WA
Avec
Π, profit
KA, rémunération du capital fourni par l’agriculteur
WA, rémunération du travail fourni par l’agriculteur
P, valeur des ventes
CV, charges variables des facteurs achetés à l’extérieur
CF, charges fixes payées à l’extérieur
Or, comme KA et WA ne peuvent être calculés facilement1, la fonction que
l’agriculteur cherche à maximiser est Π + KA + WA (c’est-à-dire P - CV - CF),
généralement appelée revenu agricole (ou revenu).
Le fait que l’exploitant fournisse une part essentielle des moyens de production sans
que ceux-ci passent par un marché n’est pas sans importance pour comprendre le
fonctionnement des unités de production, d’autant que l’appellation « un exploitant »
traduit mal l’existence de plusieurs décideurs au sein d’une famille.

Loi des rendements décroissants et fonction de production


On exprime la loi des rendements décroissants de la façon suivante : la production
moyenne par unité de facteur (appelée productivité moyenne, PMo ou Y / X)
diminue lorsque la quantité consommée de ce facteur augmente.
Cette loi peut être représentée graphiquement avec les produits (Y) en ordonnée et
le facteur (X) en abscisse (figure 5.1). Sur ce graphique, sont aussi représentées la
fonction de production (Y = f [X]), la courbe de productivité moyenne (Y / X) et la
courbe dérivée, appelée productivité marginale (dY / dX ou ΔY / ΔX).

1. On peut calculer ces charges dites supplétives ou calculées, mais en faisant des hypothèses arbitraires
et discutables de la rémunération forfaitaire. La seule mesure économique est le coût d’opportunité de
ces facteurs.

88
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

y
Δy/Δx
y/x

Zone I Zone I bis Zone II Zone III


S
(y)1 maximum
optimum technique Y
économique

Δy/Δx
K
G
Px
Px/Py Y/X
Py 1
0
J F (x)1 Facteur X
ε variable

1 Δy/Δx Élasticité
y/x de production
xi
0

Zone I - rendement moyen et marginal croissant Y (production totale)


Zone Ibis - rendement moyen croissant du facteur x Δy/Δx (y', dérivée première, productivité marginale)
et rendement marginal décroissant y/x (productivité moyenne)
Zone II - rendement moyen décroissant ε ( Δy/Δx élasticité de production)
Zone III - rendement marginal négatif y/x

Optimum économique avec un certain rapport de prix


Px = prix du facteur x ; Py = prix du produit y
Px rapport de prix, (x)1 quantité de facteur optimum utilisé avec le rapport de prix,
Py 1
(y)1 quantité de produit optimum obtenu avec le rapport de prix

On peut aisément démontrer que la solution optimale économiquement se situe dans la zone II.
La zone III, correspondant à plus de consommation du facteur pour moins de produit, est à exclure.
Quant à la zone I, c’est la zone où les rendements moyens sont croissants, mais on perd toujours
de l’argent à produire car les coûts liés à la consommation du facteur X sont toujours supérieurs
aux recettes de la vente du produit Y. Au point E, ces coûts sont juste couverts par les recettes,
il n’y a donc pas de profit et on ne peut rester longtemps dans cette situation. Il vaut mieux se situer
en O ou en E plutôt qu'à n'importe quel point entre O et E.

Figure 5.1. Fonctions de production et de productivité.

89
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Pour illustrer la loi des rendements décroissants, on prend souvent l’exemple de la


production de blé en fonction de l’azote. La loi des rendements décroissants n’est
vraie que si les autres facteurs nécessaires à cette production n’augmentent pas.
Cette loi est fondée sur le principe selon lequel les facteurs de production ne sont
donnés qu’en quantité limitée. En l’absence de progrès technique pour améliorer la
fonction de production (hypothèse du modèle), les rendements ne pourraient que
décroître.

Prise de décision de production et coût d’opportunité


Le modèle tel qu’il est élaboré permet de répondre aux questions essentielles :
– quel est le choix de produits et quels produits recommander (quoi produire ?) ;
– à quel niveau de production (combien produire ?) ;
– avec quels facteurs de production (comment produire ?).

Combien produire ?
Quelle est la combinaison de facteurs optimale ?
Le niveau optimal de production est obtenu quand le coût de la dernière unité
produite (coût marginal) est égal à la recette de la dernière unité de production
(recette marginale ou prix de vente unitaire quand le prix est une donnée exogène).
Dans le cas d’un seul facteur et d’un seul produit, tel qu’il est présenté (figure 5.1),
il est assez aisé de répondre à la question : combien produire ?
En effet, cela dépend du rapport des prix. Ainsi, plus le prix du facteur est faible par
rapport au produit, plus on a intérêt à se rapprocher de l’optimum technique.
Inversement, si le prix du facteur est très élevé par rapport au prix du produit, on
ne doit plus produire, on doit se rapprocher du point E, voire du point 0.
Mathématiquement, le profit est égal à : Π = Py * Y - Px * X - coûts fixes
Py, prix du produit Y
Px, prix du facteur X
Le profit est à l’optimum lorsque le rapport des prix Px / Py est égal à la productivité
marginale (ΔY / ΔX) ou bien, lorsque le coût marginal de la dernière unité produite
(Px * Δx) est égal à la recette marginale de la dernière unité produite (Py * Δy)1. Trois
zones stratégiques sont visualisées et délimitées (I, II, III) (figure 5.1).
Ce raisonnement peut être généralisé lorsqu’il y a, – ce qui est fréquent –, plusieurs
facteurs et plusieurs produits. Les facteurs de production sont combinés de façon
optimale lorsque les rapports des productivités marginales de ces facteurs à leurs
prix respectifs sont égaux.

Quoi produire ? Le coût d’opportunité


Le choix des productions dépend du coût d’opportunité des différents produits. Par
facteur de production, nous entendons tout bien ou tout service fourni, acheté ou

1. Mathématiquement, l’optimum est obtenu lorsque la dérivée de la fonction profit s’annule :


ΔY * PY = ΔX * PX (ΔY / ΔX) * Py – Px = 0 ou bien : ΔY / ΔX = Px / Py ou ΔY/ Py = ΔX / Px

90
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

Produit Y1

A
Y1C
C Courbe de substitution (opportunité)
entre les biens Y1 et Y2

Y2C
B Produit Y2

Si l’on est en A, on produit le maximum de Y1 et, pour produire une quantité Y2C du bien Y2, il faut
libérer quelques facteurs et donc accepter de ne plus produire une quantité Y1C du bien Y1.
En arrêtant une partie de cette production, il y a un manque à gagner égal à (Y1C) * (Py1),
Py1 étant le prix de vente du bien Y1. Ce manque à gagner est le coût d’opportunité pour produire
une quantité Y2C du bien Y2. Ce coût dépend donc de la situation initiale de la décision, il varie
tout au long de la courbe ACB.

Figure 5.2. Courbe de substitution (opportunité) entre deux produits.

produit, utilisable pour produire un autre bien. Quand on utilise un facteur pour
une production, on renonce par là même à son usage antérieur ou à un autre usage.
Ce coût de renoncement ou coût d’opportunité correspond à la diminution de
revenu résultant de la suppression de tout ou partie de cette première ou autre utili-
sation. On décide de produire un bien lorsque son coût d’opportunité est inférieur
à sa valeur d’échange, autrement dit lorsque son prix sur le marché est supérieur à
la perte de recettes qu’entraîne la production de ce bien au détriment de biens
concurrents (figure 5.2). Il est indépendant du coût des facteurs de production.
On suppose que les facteurs de production, quels qu’ils soient, sont complètement
utilisés pour produire le bien Y1(A) ou le bien Y2(B) ou une combinaison de Y1 et
Y2 (courbe ACB) (figure 5.2). La loi des rendements décroissants détermine la
forme convexe de la courbe. Puisque les facteurs sont complètement utilisés, les
coûts de production des biens Y1 ou Y2 devraient être égaux. En fait, tout dépend
de la situation et de la décision que l’on veut prendre.

 Le budget partiel et son utilisation


Les décisions sont prises par comparaison : qu’est-ce que je perds ou qu’est-ce que
je gagne en prenant telle décision plutôt que telle autre ? La méthode dite du
budget partiel formalise cette comparaison. Cela est illustré par l’exemple suivant :
lorsque, à certaines périodes de l’année, l’exploitant a du temps non utilisé, le coût
d’opportunité de ce temps libre est nul. Pour cette raison, cet agriculteur essaie des
productions ou des activités qui peuvent rentabiliser son temps libre pendant ces
périodes même à un taux très bas. Ainsi, des agriculteurs vendent leur force de
travail à certains moments de l’année (pour les récoltes, etc.), font du commerce ou
partent temporairement en ville.

91
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Le budget partiel est un outil de gestion prévisionnelle, et, plus fondamentalement,


il offre un cadre général de raisonnement de toute décision.

Définition et principe
Le budget partiel est un budget qui permet de répondre à la question : « Qu’est-ce
que je perds ou qu’est-ce que je gagne, compte tenu de mes objectifs, à prendre telle
décision ? ».
Le budget partiel permet de préparer une décision qui s’exprime par une question
posée, par exemple :
– ai-je intérêt à faire telle culture (coton, mil, sorgho, etc.) ?
– ai-je intérêt à passer de 2 ha à 5 ha de coton ?
– ai-je intérêt à cultiver 3 ha de terres supplémentaires ? etc.
L’alternative s’exprime ainsi par « ai-je intérêt à prendre telle décision ou bien à ne
pas la prendre (sous-entendu : à continuer comme avant) » ?
Le budget partiel est conçu avec une hypothèse de solution déterminée, puis il
permet de tester une solution nécessairement sous-optimale.
Ce budget est dit « partiel » parce qu’il ne prend en compte que les changements
(favorables et défavorables) provoqués par la décision. Ce qui ne change pas n’in-
fluence pas la décision. Il se différencie en cela d’autres méthodes de budget global
ou de simulation qui élaborent par exemple des comptes de résultats (ou des budgets
de trésorerie) prévisionnels qui intègrent l’ensemble des charges et des produits de
l’exploitation après décision (ou l’ensemble des recettes et des dépenses).
Enfin, les caractéristiques du budget partiel en font beaucoup plus qu’un simple
outil, il fournit aussi fondamentalement un cadre à la démarche générale du raison-
nement de toute décision.

Raisonner toute décision


Le point de départ d’une décision est généralement la germination d’une idée :
« je me demande s’il ne serait pas intéressant de faire..., de modifier, etc. pour tenir
compte de telle évolution interne ou externe de la situation ou des objectifs ». Les
éléments de la décision sont : un problème au départ (modification voulue ou
imposée de la situation) et la formulation d’une hypothèse de réponse.
Raisonner une décision, c’est répondre à la question : qu’est-ce qui va changer si je
prends cette décision ? C’est donc identifier toutes les modifications qu’entraînerait
la décision si elle était prise. La rigueur du raisonnement d’une décision requiert
l’identification aussi complète que possible des conséquences d’une décision sur
l’ensemble du fonctionnement de l’exploitation (si possible : ne rien oublier). Il est
donc important de caractériser les réactions en chaîne du fait des interactions
(importance de l’approche globale de l’exploitation). Raisonner une décision, c’est
donc « peser le pour et le contre », c’est-à-dire classer et pondérer les conséquences
de la décision entre celles que l’on va juger favorables (pour) ou défavorables
(contre) par rapport aux objectifs poursuivis.

92
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

Tableau 5.1. Récapitulatif du budget partiel.


Éléments du budget partiel Comparaison
Ce que je perds Ce que je gagne
à prendre la décision à prendre la décision
Recettes Recettes en moins : Recettes en plus : produits
manque à gagner lié liés à la nouvelle activité
à l’abandon de telle activité
Charges Charges en plus : charges liées Charges en moins :
à la nouvelle culture et activité charges liées à l’activité
que je veux introduire que j’ai abandonnée
Total charges ou des recettes Total des charges Total des recettes
ou manque à gagner et charges en moins
Total Total monétaire (argent) et non-monétaire identifiable
(travail en plus ou en moins, non rémunérable, position sociale,
considération, mobilisation de plus de personnes, etc.)

La grille de décision peut alors être considérée comme le budget partiel de la déci-
sion, étendu à l’ensemble des changements (quantifiables ou non) provoqués par la
décision. Le budget partiel fournit précisément le cadre de raisonnement de toute
décision, en favorisant l’identification (puis éventuellement le chiffrage) des « pour »
et des « contre » et leur ordonnancement dans une comparaison des avantages et
des coûts (tableau 5.1). Il facilite la démarche de « peser le pour et le contre » d’une
décision, en forçant les réponses à la question : « Qu’est-ce qui change si... ».
Cet outil a aussi l’avantage considérable d’isoler clairement le coût et les avantages
d’une décision. Il montre ainsi en particulier ce qu’est un coût, à savoir l’ensemble
des conséquences (chiffrables ou non) défavorables d’une décision par rapport à
une situation où la décision n’est pas prise.
Les conséquences favorables sont bien entendu liées à l’existence du nouveau
produit et à la diminution de charges liées à l’abandon de l’autre produit. La décision
exprime un choix entre « je décide de… », ou bien « je continue comme avant ».
Une première conséquence défavorable de la décision de changement est d’engen-
drer une situation dans laquelle apparaissent des coûts nouveaux. Par exemple, si je
décide d’introduire le maïs à la place du coton comme tête d’assolement, j’ai des
charges nouvelles, celles pour cultiver le maïs. Une deuxième conséquence défavo-
rable de la décision est de renoncer aux avantages de la situation antérieure : par
exemple, si je décide d’introduire le maïs à la place du coton comme tête d’assolement
je perds les recettes du coton, c’est le coût de renoncer à faire du coton.
Toute décision suppose donc un coût de renoncement (coût d’opportunité), un
manque à gagner. Toute décision est reliée à un choix (une alternative) et tout choix
revient à éliminer ce qu’on ne choisit pas. Le coût du renoncement (ou coût d’oppor-
tunité) n’existe que s’il y a un choix. Si l’on ne renonce à rien, ce coût est nul. C’est
souvent le cas du facteur travail qui a un coût d’opportunité (ou de renoncement) nul
lorsqu’il n’y a pas d’autre possibilité d’emploi que l’agriculture. La migration d’un
jeune peut être interprétée comme la volonté de se créer des opportunités et donc
que le coût d’opportunité de son travail ne soit pas nul.

93
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Solde du budget partiel


Plutôt que de parler de coût, il convient de parler de solde du budget partiel qui
tient compte des changements dans l’ensemble des flux réels entraînés par la déci-
sion. Il est donc important de mettre en évidence tous les flux qui seront modifiés
par chaque décision, en particulier les échéances, et d’étudier les conséquences de
leur transformation. Cela permet de distinguer les facteurs fixes des facteurs varia-
bles : sont variables tous les facteurs qui sont modifiés par la décision, fixes, ceux qui
ne changent pas. Ce coût ou cet ensemble de flux n’est donc pas tant lié à un bien
comme le serait le coût de production, qu’à la décision de produire ce bien ; il est
donc très contingent, c’est-à-dire qu’il a de nombreuses sources de subjectivité. Il
dépend du décideur et de son projet, de la façon dont il voit la solution de référence
ou de comparaison.
Les facteurs de production fournis par l’agriculteur et sa famille (terre, travail,
capital) sont souvent considérés comme gratuits, ils ont cependant des coûts d’op-
portunité liés à leur meilleure utilisation possible. Inversement, il est fondamental
de faire la différence entre dépenses (ou charges) et coût d’opportunité. Pour les
facteurs fixes, le coût d’opportunité est différent des dépenses ; ainsi lorsque l’agri-
culteur décide d’affecter un hectare de terre à la culture du coton plutôt que du mil,
le coût d’opportunité est indépendant du coût de la terre, il est égal au manque à
gagner de ne plus faire de mil et par exemple se réfère aux besoins alimentaires. Le
coût de la décision de faire du coton est donc égal à la somme du coût d’opportu-
nité de la terre (ne plus faire de mil) et des dépenses liées aux intrants (engrais,
semences, produits de traitement, etc.) nécessaires pour le coton.
Le coût d’opportunité ne dépend donc pas du prix de la terre mais de ce que l’on y
cultive, il procède donc de la situation concrète de l’agriculteur.

 Illustration des concepts et fonctionnement


des exploitations : stratégie d’extensification
d’un chef d’exploitation
Les concepts présentés pour expliquer le fonctionnement des exploitations agricoles
et le comportement des responsables peuvent être illustrés par cet exemple. On peut
montrer qu’il n’y a pas d’incohérence dans les décisions d’extensification des agricul-
teurs compte tenu de leurs objectifs et des contraintes auxquels ils sont soumis.
L’objectif principal du responsable d’exploitation est souvent de produire assez
d’aliments pour nourrir ceux dont il a la charge (vivant dans le ménage-famille de
l’exploitation agricole) et avec les facteurs de production disponibles (le nombre
d’hectares dans un système agraire à base de cultures pluviales, et le nombre d’actifs
constituant la force de travail).

Évaluation de la production céréalière


Dans le système agraire à base de mil et de sorgho, la quantité de céréales disponible
est chiffrée en nombre de kilos de céréales (en utilisant la norme FAO par exemple).

94
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

L’objectif est de produire assez de céréales par personne à nourrir sur l’exploitation :
c’est-à-dire P / N = Production / nombre de personnes à nourrir, qui peut se décom-
poser sous forme d’équation :
(production / surface) * (surface / actif) * (actif / nombre de personnes)
ou bien P / N = P / S * S / A * A / N
avec P, production céréalière ; A, nombre d’actifs ; N, nombre de personnes à nourrir ;
P / S, rendement ; S / A, surface par actif ; N / A, nombre de personnes à nourrir par actif.

Stratégies de l’exploitant
Quelles sont les stratégies du responsable pour augmenter la quantité de céréales
par personne à nourrir, soit la fraction (P / N) ?
Certes, il est possible que le nombre de personnes (N) diminue, mais cette démarche
est lente et limitée, et touche à la vie sociale et culturelle. Elle affecte à moyen terme
le nombre d’actifs. L’augmentation de la production est liée à la hausse envisageable
des rendements (P / S) avec plus d’engrais, des nouvelles techniques etc., mais
jusqu’à maintenant les progrès ont été assez faibles en Afrique subsaharienne.
L’augmentation de la fraction surface par actif (S / A) par l’augmentation directe des
surfaces a été la voie la plus utilisée. Il faut souligner le rôle de la traction animale
et de l’irrigation (dans des grands périmètres ou des petits périmètres comme les
bas-fonds). Cette solution a été choisie car la terre était le facteur le moins limitant,
du fait des réserves foncières et de la faible densité de population. Mais ce facteur
devient plus rare, en particulier car le sol s’appauvrit.
L’augmentation du nombre d’actifs par personne à nourrir est plus aléatoire et peu
maîtrisable par la famille. Le nombre d’actifs a plutôt tendance à diminuer (émigra-
tion temporaire) et celui des personnes à nourrir à augmenter (amélioration de l’hy-
giène et des soins). Par ailleurs, on sait qu’il y a une relation entre le nombre d’actifs
et le dynamisme de l’exploitation : plus le nombre d’actifs est élevé, plus l’exploita-
tion est performante et capable d’accumuler des moyens et d’investir. Ainsi, la
grande famille a un effet favorable sur l’organisation du travail et permet surtout de
disposer d’une capacité d’investissement élevée.
Ce modèle ne fait pas intervenir les prix, mais cette démarche est acceptable dans
une économie peu monétarisée. Dans le cas d’exploitations cultivant du coton, les
revenus monétaires du coton peuvent servir à acheter les produits alimentaires et,
dans bien des pays d’Afrique, il est possible d’acheter du riz asiatique en cas de
déficit en céréales locales ou de prix trop élevé. Mais il apparaît que la stratégie
d’autosuffisance alimentaire des exploitations agricoles est dominante et la
recherche de sécurité alimentaire reste un objectif de la majorité des exploitations
agricoles face aux aléas économiques (baisse des prix, achat tardif du coton, etc.).

 Théorie du comportement adaptatif


appliquée à l’exploitation agricole
Présenter l’exploitation agricole comme une entreprise avec un centre de décision
unique et un seul objectif, c’est-à-dire optimiser son profit en combinant productions

95
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

et facteurs de production est une démarche peu adaptée à une agriculture fondée
sur la famille, comme c’est le cas en Afrique. En effet, la prise de décision n’est pas
aussi simple, l’unicité du centre de décision est contestable, les objectifs peuvent
être multiples, variables et contradictoires, les choix des combinaisons de produc-
tions et des facteurs de production peuvent être très réduits, etc. Ainsi, une repré-
sentation plus complexe, souvent appelée « systémique » de l’exploitation a été
proposée pour tenir compte des imbrications des niveaux de décision. La théorie du
comportement adaptatif élaborée par des chercheurs de Dijon (Inra, Enesad) en
rend compte (Brossier et al., 1997).
Le modèle a une visée théorique – ensemble cohérent d’hypothèses pour
comprendre le fonctionnement des exploitations agricoles et en particulier le choix
des systèmes de production et l’adoption des innovations – et une visée pratique –
élaborer des méthodes utilisables par les agriculteurs pour leur fournir une aide à la
décision et par divers agents en contact avec des agriculteurs. Comme l’indique Osty
(1978) : « Étudier l’exploitation agricole comme un système, c’est considérer d’abord
l’ensemble avant d’étudier à fond les parties que l’on sait aborder. L’exploitation
agricole est un tout organisé qui ne répond pas à des critères simples et uniformes
d’optimisation ». La modélisation systémique consiste à considérer qu’une exploi-
tation agricole n’est pas la simple juxtaposition d’ateliers de production, ni l’addition
de moyens et de techniques de production.
La théorie du comportement adaptatif (figure 5.3) repose sur le postulat de cohé-
rence et sur les concepts de finalité, projet, situation, perception et adaptation.

ENVIRONNEMENT
Produit de l'histoire
(mémoire)
Situation Finalités (projet)
(environnement et passé) Structure complexe de finalités
Atouts, contraintes, moyens, plus ou moins hiérarchisées,
facteurs de production : non dépourvue de contradictions internes
– facteurs de l'environnement peu maîtrisés et susceptible d'évolution.
(climat, sol, social, économique, etc.) Exemples :
– facteurs directement liés – revenu suffisant
à la structure du système – pérennité de l'exploitation
(situation familiale, capital, surface, – assurer l'avenir des enfants
force de travail, etc.) – genre de vie, etc.

Perception que l'agriculteur et sa famille


ont de la situation et des finalités.
Représentation

Décisions technico-économiques (actions)


prises (les pratiques)
Changement de situation Modification des finalités
Double adaptation

Figure 5.3. Modèle du comportement adaptatif d’un système : exemple de la famille-exploitation.

96
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

Hypothèses et concepts
Les décisions des agriculteurs s’expliquent par les objectifs qu’ils poursuivent et par
les moyens dont ils disposent. Postuler que « les agriculteurs ont des raisons de faire
ce qu’ils font » implique de chercher à comprendre ces raisons, tâche première et
pas la moindre pour qui veut donner des moyens aux décideurs de mieux réaliser
leur projet.
Les projets sont définis comme un ensemble complexe d’objectifs plus ou moins
hiérarchisés, parfois contradictoires, susceptibles d’évolution, non réductibles à
quelques critères simples (profit, survie, pouvoir, etc.). La situation familiale est tout
à fait essentielle pour comprendre les décisions des agriculteurs car elle détermine
à la fois la force de travail disponible, les besoins de consommation et l’expression
du projet.

Définition et perception d’une situation


La situation est définie par l’ensemble des facteurs et des contraintes qui permettent
ou qui limitent les possibilités d’action de l’exploitation. Les moyens disponibles
(matériels ou non) sont des éléments constitutifs de la situation.
Il est particulièrement important d’identifier chaque facteur de production limitant
pour comprendre les contraintes, définir les potentialités et préciser les possibilités
d’évolution des exploitations agricoles familiales africaines. Nous proposons un
classement des facteurs de production en fonction de leur degré de maîtrise et de
contrôle par l’agriculteur (tableau 5.2).

Tableau 5.2. Classement des facteurs de production en fonction de leur degré de


maîtrise et de contrôle par l’agriculteur et sa famille.
Atout et contrainte Exemple

Facteurs de l’environnement Conditions pédoclimatiques


peu modifiables par l’agriculteur Environnement économique (prix marché,
individuellement (à court terme rentes de situation, rapport avec l’amont et l’aval, etc.)
et à moyen terme) : atouts Environnement technique (progrès technique)
et contraintes utilisés ou subis Environnement social, politique et culturel, organisation
par le système donc internes collective, migration, organisation des services, etc.
Situation familiale, nombre d’enfants,
Facteurs modifiables
situation des enfants, succession, migration
à moyen terme et à long terme
par l’agriculteur : la structure Capacités, connaissances, formation,
du système, l’information information de l’agriculteur
Terre : quantité, qualité, surface irrigable
Situation et ressources financières, financement
Force de travail et nombre d’actifs familiaux
Equipements, bâtiments, matériels
Facteurs de production sensu stricto : achat de facteurs
Facteurs modifiables
variables (semences, engrais, pesticides, etc.)
et contrôlés par chaque
agriculteur (à court terme) Main-d’œuvre salariée
qui en a les moyens Surface mise en culture, taille du troupeau

97
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Le comportement d’un acteur est déterminé par sa perception d’une situation – et


non par la situation elle-même. En effet, l’agriculteur perçoit sa situation différem-
ment d’un observateur extérieur (conseiller, formateur, etc.), il ne hiérarchise pas
les contraintes de la même manière : une contrainte peut être très fortement
ressentie par l’agriculteur alors qu’elle apparaît mineure ou maîtrisable par un
observateur. La décision prise dépendant de la perception de l’agriculteur, les seuls
aspects quantifiables ne suffisent pas pour interpréter la décision. Dans toute déci-
sion, la perception du projet est confrontée à la perception de la situation. Par
ailleurs, l’action modifie aussi la perception de la situation.
On peut donc classer les facteurs et les opportunités en fonction de la plus ou moins
grande maîtrise qu’en ont les agriculteurs, ce qui définit la situation de l’exploita-
tion. Définir la situation par les contraintes fait clairement ressortir les actions
possibles ou envisagées en fonction des finalités du système. Contraintes et facteurs
d’une part et finalités et objectifs d’autre part sont comme les deux faces d’une
même pièce. Ainsi par exemple, disposer d’une superficie cultivable dans un bas-
fond de 3 000 m2 est un atout pour produire du riz, être limité à cette surface est
évidemment une contrainte. L’identification des contraintes (tableau 5.2) devient un
outil de gestion des exploitations agricoles.

Variables du processus de changement


dans l’expérience de Fonsébougou
Au cours de l’expérience pilote de Fonsébougou (Kleene et al., 1989), on a identifié
les variables du processus de changement chez les paysans sénoufo du Mali-Sud,
producteurs de coton et de cultures vivrières.
On a distingué (figure 5.4) les variables indépendantes endogènes, les variables
dépendantes modifiables et les variables exogènes.

E4 Variables exogènes que l’on peut modifier dans le but de changer la valeur des variables
dépendantes : thèmes techniques et méthodes de vulgarisation
et d’encadrement, approvisionnement.

E3 Variables dépendantes
E2 Variables
modifiables :
indépendantes endogènes
– décision du paysan
et structures sociales : E1 Résultats
(crédit, équipement,
– organisation du travail du processus
engrais, semences,
– structure de la parenté socio-économique
organisation du travail)
– régime foncier,
– choix d’activités nouvelles
distribution des revenus
– niveau de connaissances,
et des biens (héritage)
technicité

Processus de changement non contrôlé

E, domaine d’enquête ; E1, connaître les résultats ; E2, éléments de structure importants ; E3, variables
contrôlées par le paysan ; E4, fonctionnement des activités d’encadrement et de vulgarisation

Figure 5.4. Relations entre les variables qui agissent sur le processus de production. Les objectifs des
actions sont l’augmentation de la production et du revenu du paysan. Source : Kleene et al. (1989)

98
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

Les variables exogènes dépendent de l’environnement et doivent pouvoir être modi-


fiées pour faire évoluer les variables dépendantes endogènes dans un sens satisfai-
sant. Ce cadre a servi pour organiser les enquêtes.
Les résultats (enquête E1) proviennent des interactions dynamiques entre les varia-
bles dites endogènes de l’agriculteur, quelles soient indépendantes de l’environnement
(E2), dépendantes modifiables (E3), ou liées à un environnement socio-économique
qui se modifie (variables exogènes E4).

Fonctionnement du modèle
L’hypothèse de cohérence implique que toute action vise à modifier la situation de
l’acteur en l’adaptant, dans la mesure de ses possibilités, à ses objectifs (figure 5.5).
Ainsi, la réflexion, la décision et l’action font partie d’un même processus d’adaptation
permanente.

Système de finalités
porté par la famille

Système décisionnel
Systèmes de pilotage
d'autres activités

Système de pilotage
qui définit les stratégies
sur l'exploitation agricole :
les objectifs portés
par le gestionnaire

Situation
environnement
atouts
contraintes
Système de mémorisation
et d'information
(les indicateurs
des pratiques-clés)

Les pratiques

Systèmes
opérant
(les processus)

Figure 5.5. Les sous-systèmes définissant le système de l’exploitation agricole.

99
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Le projet n’est jamais constitué d’une structure complète et cohérente d’objectifs,


autrement dit, il n’est jamais complètement élaboré et il est toujours provisoire. On
peut donc parler d’un postulat de cohérence et non d’un modèle rationaliste. La fonc-
tion d’objectif n’est pas définie une fois pour toutes dans la théorie du comportement
adaptatif, ce qui la différencie de la théorie microéconomique d’une entreprise.

L’exploitation, un système en relation avec la famille


On peut distinguer plusieurs sous-systèmes fonctionnels au sein du système d’exploi-
tation (figure 5.5).
Comment sont déterminées les finalités de ce système et quelle est leur influence sur
son fonctionnement ? Quel système prend les décisions ? Qui est le chef d’exploita-
tion ? Le chef d’exploitation est toujours associé fortement à une famille.
Un des aspects importants de l’agriculture réside dans le caractère familial des
exploitations agricoles, ce qui les différencie des entreprises capitalistes. Un
modèle, élaboré il y a plus de quatre-vingts ans par un économiste russe (Tchayanov,
1925), expliquait le comportement des paysans : il considérait que seul le revenu du
travail paysan dans sa globalité avait une pertinence économique et que le fonction-
nement de l’exploitation paysanne reposait sur la recherche d’un équilibre entre
pénibilité du travail et consommation.
Pour tenir compte de ce déplacement et donc prendre en compte la famille, le
concept du système exploitation-famille a été développé : la famille devient le pôle
unificateur et donc porteur du projet et des objectifs. Ce concept semble bien
traduire les situations les plus fréquemment rencontrées dans l’agriculture africaine.
Ce concept et la théorie du comportement adaptatif constituent une référence théo-
rique intéressante pour analyser des phénomènes aussi importants aujourd’hui que la
pluriactivité, les changements dans la répartition des tâches et des responsabilités au
sein de la famille, l’intensification du travail (accélérateur des cadences dans beau-
coup d’exploitations en croissance, etc.), car c’est au niveau de la famille que sont le
plus souvent gérés les facteurs fournis à l’exploitation (répartition du temps de travail
des membres de la famille, argent transféré entre la famille et l’exploitation).

Processus agronomiques, techniques et économiques :


le système opérant
Teissier (1979) a souligné l’intérêt d’observer les pratiques agricoles de façon
détaillée et de les décrire selon une échelle de temps. Il est ainsi possible de saisir
les effets de l’évolution de la situation et des objectifs du système de pilotage. Cette
observation permet aussi d’appréhender la façon dont le système s’adapte aux chan-
gements saisonniers, aux variations interannuelles aléatoires ou non. On peut aussi
évaluer les procédures de contrôle, donc de maîtrise technique, mises en œuvre par
les agriculteurs.
Deux modes d’étude des pratiques existent. D’une part, on les étudie du point de vue
de leur efficience (efficiency), en fonction de modèles « biotechniques » et écono-
miques. C’est ce que l’on appelle la mesure des performances, la mesure des produc-
tivités, l’élaboration des rendements, etc. Ces modèles complexes sont essentiellement
techniques. Les modèles d’élaboration de la performance des exploitations ont été

100
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

enrichis par les agronomes (Sebillotte et Soler, 1990). De plus en plus, les pratiques
des acteurs occupent une place centrale dans ces modèles, mais les objectifs de ces
modèles demeurent souvent limités et réducteurs (un seul critère) en comparaison de
ceux du pilote. D’autre part, les pratiques sont étudiées du point de vue de l’ « effec-
tivité » (effectiveness) recherchée par le pilote. L’efficacité du processus qui est
mesurée uniquement par rapport au résultat, et non par rapport à ce que l’on cher-
chait à faire (Le Moigne, 1990, 1995), n’est pas suffisante. Pour repérer l’effectivité
(obtenir efficacement les résultats souhaités), il est indispensable de prendre en
compte des modèles techniques, car ils donnent une clé d’interprétation, mais il faut
les compléter par la prise en compte d’autres critères de mesure des objectifs.
Cette approche paraît tout à fait adaptée aux exploitations rurales ou agricoles
familiales africaines, compte tenu de leur forte dimension familiale, la famille
devant assurer l’alimentation du groupe familial autour de plusieurs activités et avec
plusieurs niveaux de décision. Peut-on définir l’exploitation agricole familiale afri-
caine indépendamment des systèmes agraires villageois, régionaux, écologiques ?
Comment identifier les exploitations itinérantes d’élevage ? (encadré 5.1)

 Tenir compte des enjeux économiques,


sociaux et politiques des exploitations familiales
Le rôle central de l’agriculture dans les économies nationales et l’importance des
populations rurales (en nombre) déterminent la place centrale des exploitations
agricoles familiales au sein des mutations futures des sociétés de la plupart des pays
d’Afrique subsaharienne. La gestion des exploitations agricoles est donc un facteur
clé du changement des agricultures familiales.
Il est nécessaire de recentrer les efforts d’appui au développement agricole et de
prendre en compte les dynamiques futures des exploitations agricoles. Il faut donc
déterminer les leviers prioritaires des mutations à favoriser. Les caractéristiques des
exploitations agricoles familiales africaines et les modifications de leur environne-
ment montrent l’importance des enjeux qui conditionnent leur avenir.
L’agriculture familiale traditionnelle, économe en intrants et en énergie, présente
une bonne capacité de résistance aux aléas extérieurs tant que les équilibres écolo-
giques sont préservés. En revanche, face aux évolutions rapides liées à la globalisa-
tion des économies, ces agricultures sont de plus en plus marginalisées du fait de
leur manque de compétitivité et de leur faible poids dans le commerce face aux agri-
cultures modernes subventionnées. L’enjeu est d’abord économique.
À la différence des entrepreneurs agricoles qui se considèrent comme des chefs
d’entreprises comme les autres, les paysans vivent au sein d’unités familiales où les
revenus ne sont pas différenciés en catégories (salaires, profits et rentes). Limiter
les risques est primordial pour survivre et pour, si possible, préserver une certaine
autonomie, et la principale valeur reste le travail. L’enjeu est donc culturel ; l’agri-
culteur doit se situer entre tradition et modernité, entre libération des capacités
individuelles et participations aux solidarités (familiales et communautaires) et aux
efforts collectifs, etc.

101
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 5.1. Les exploitations laitières en Afrique subsaharienne


Bernard FAYE, Christian CORNIAUX, Guillaume DUTEURTRE et Véronique ALARY
L’exploitation orientée vers les activités d’élevage a été largement abordée par les approches
systémiques. Cette unité de gestion associe l’homme (le gestionnaire ou le décideur), le trou-
peau (en propriété ou non) et les ressources (Landais, 1992). Les niveaux organisationnels
sont identifiés selon la présence d’un berger et en fonction de la ressource collective.
Deux types d’exploitation sont définis : celle où le décisionnaire est le propriétaire ; celle
où le décisionnaire est le berger. Des exploitations de type intermédiaire incluent des
bergers propriétaires et des gardiens de troupeau d’autrui. L’exploitation se rattache
donc bien à l’unité décisionnaire en fonction de ses moyens de production et de son
champ de décisions qui dépend des contrats relatifs aux troupeaux ou à la ressource.
C’est à ce niveau que sont identifiées les logiques combinées d’autoconsommation,
d’épargne, de commercialisation propre à l’activité laitière. Mais l’enchevêtrement des
échelles d’organisation des moyens de production rend parfois difficile la délimitation de
l’unité exploitation. Chez les pasteurs et dans certains groupes d’agro-éleveurs, on n’a
pas toujours affaire à une unité pilotée par un seul individu ayant un pouvoir décisionnel
sur un seul et même troupeau (le sien).
Ainsi, en milieu pastoral et agro-pastoral, l’organisation sociale mise en jeu pour produire
du lait au sein d’une concession où vit la famille repose sur différents niveaux de prise de
décision. Le gestionnaire du troupeau, généralement le chef de famille, décide de la
conduite des animaux sur les parcours et oriente le travail des bergers. Le trayeur choisit,
selon ses critères, de traire plus ou moins complètement les vaches, c’est-à-dire favorise
plus ou moins l’alimentation des veaux. Enfin, à l’échelle d’un foyer (voire d’une case dans
une situation de polygamie), celui ou celle qui réceptionne le lait trait décide de son
usage : autoconsommation, don ou vente. Dans la majorité des cas, ces trois fonctions
sont occupées par des individus différents dont les motivations peuvent s’affronter. Ces
conflits d’intérêts montrent l’absence d’unicité du pouvoir décisionnel en matière de
production laitière dans l’exploitation familiale. Ce pouvoir s’exerce davantage au sein de
chacune des unités de production que représentent les foyers dans une concession. Ainsi,
le chef de famille n’est pas le chef omnipotent de l’exploitation laitière.
En fait, l’ampleur du pouvoir du chef de famille dépend du statut des animaux du trou-
peau qu’il gère. S’il les possède ou s’ils lui sont confiés personnellement, il a une grande
marge de manœuvre. En revanche, son droit sur le lait est nul si ce n’est pas le cas, y
compris lorsque les vaches appartiennent à son(ses) épouse(s). Par ailleurs, pour conso-
lider la cohésion sociale de son foyer ou de sa concession, il est souvent amené à partager
ce droit. C’est notamment le cas chez les Peuls : les femmes récupèrent le lait des
animaux de leur mari. Autrement dit, il est aussi nécessaire de bien distinguer la
propriété de l’outil de production et celle de l’usage des revenus laitiers.
La sédentarisation des hommes et la monétarisation des échanges laitiers conduisent à
un morcellement des concessions et à une simplification des niveaux décisionnels. En
passant progressivement du milieu pastoral au milieu agro-pastoral et, enfin, à un
système périurbain, la taille des exploitations familiales a tendance à diminuer. La notion
d’exploitation est par conséquent à redéfinir dans chacune de ces situations.
Est-ce que ces questions sur les exploitations sont spécifiques de la production laitière
en Afrique ? Il semble que non, compte tenu de ce que l’on observe dans les exploita-
tions arachidières au Sénégal où définir l’exploitation s’avère aussi difficile. Certains
moyens de production (foncier, travail, équipement comme le semoir) sont propres à la
concession et d’autres spécifiques des ménages nucléaires. On devrait s’acheminer vers
une certaine hétérogénéité ou élasticité du concept que l’on retrouve partout en Afrique,
davantage ancré dans l’organisation sociale.

102
Apport des théories sur l’exploitation agricole dans une perspective de gestion

L’enjeu est aussi social, car si l’agriculteur se dégage du conformisme local en se


différenciant, il risque de s’isoler. De même, l’enrichissement plus rapide des plus
dynamiques ou des mieux « placés » est souvent source d’inégalité.
L’enjeu est enfin politique. Sur le terrain, les changements économiques, sociaux et
culturels entraînent une recomposition des rapports de force et des rôles complexes
des acteurs. Par ailleurs, sur le plan national, la mise en place d’un environnement
socio-économique sécurisé favorable au changement relève pour une bonne part de
la responsabilité politique et de la gouvernance. On observe des signes encoura-
geants pour une meilleure prise en considération de l’exploitation agricole familiale
africaine par les politiques publiques dans les pays où les agriculteurs s’organisent
mieux et peuvent ainsi participer au débat sur l’avenir de l’agriculture.

103
Pour approfondir le sujet
Chapitre 6
Gestion de la force de travail,
place de la femme
et reproduction sociale
Yves GUILLERMOU

Le facteur travail joue un rôle fondamental dans l’ensemble des exploitations agri-
coles familiales en Afrique subsaharienne. En dépit de l’extrême diversité des
conditions écologiques et socio-économiques, le fonctionnement et la pérennité
(reproduction) des exploitations reposent sur les différentes formes d’organisation
(mobilisation) et d’affectation de la force de travail. L’analyse des processus de
production de l’exploitation familiale soulève deux questions :
– le type de gestion de la force de travail est-il adapté aux contraintes ou aux objectifs
de chaque unité de production ?
– Quelles sont les modalités effectives de répartition des tâches (et d’accès aux
produits) qui en résultent ?
L’activité d’une exploitation familiale suppose la coopération étroite, mais rarement
égalitaire, de ses membres. Certains sont soumis à un surtravail lié à leur position
dépendante au profit d’autres membres qui contrôlent le processus de production.
Comment fonctionne un système fondé sur des modes de travail inégalitaires en
interne, mais exigeant en même temps une étroite solidarité entre les membres de
la cellule familiale ?

 Structures socio-économiques
dans les sociétés agraires
Ces questions ont retenu l’attention des chercheurs (anthropologues) pendant au
moins deux décennies (entre le milieu des années 60 et celui des années 80). Ils ont
tenté d’analyser en profondeur les mutations rapides des sociétés rurales africaines

105
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

soumises à de fortes pressions extérieures. En plus de la diversité des approches


proposées, ces travaux ont largement contribué à l’enrichissement du champ et du
cadre théorique de l’anthropologie économique, notamment par une utilisation
critique de concepts et d’instruments d’analyse du matérialisme historique. De
multiples études de cas ont permis de mettre en lumière aussi bien la complexité des
rapports sociaux précapitalistes que les capacités d’adaptation (inégales) des
sociétés paysannes africaines aux contraintes du système économique dominant.
Ces travaux ont contribué à appréhender de façon plus rigoureuse les formes de
production et de captation interne de surplus au sein de sociétés où les inégalités et
les formes d’exploitation qui y sont liées ne se réduisent pas aux divisions classiques
entre les classes sociales.
Pionnier de l’École française d’anthropologie économique, Meillassoux (1964) a
tenté d’appliquer les concepts fondamentaux du matérialisme historique à l’étude
de sociétés rurales africaines, notamment chez les Gouro en Côte d’Ivoire. Il
analyse l’évolution contradictoire des structures traditionnelles qui doivent
répondre à la fois aux besoins vitaux de la population et à ceux d’un secteur écono-
mique moderne, c’est-à-dire produire pour vendre et exporter, à la recherche de
main-d’œuvre et de produits de base à moindre coût. Il étudie particulièrement le
clivage entre aînés et cadets au sein d’un système lignager de plus en plus subor-
donné au système capitaliste. L’ouvrage intitulé « Femmes, greniers et capitaux »
(Meillassoux, 1975) vise en fait à proposer une théorie générale de la production et
de la reproduction dans les sociétés paysannes et des mécanismes d’exploitation de
celles-ci par le système capitaliste.

 Concept de base : le mode de production domestique


Sahlins (1976) applique le concept du mode de production domestique à l’ensemble
des sociétés rurales primitives dont l’activité se caractériserait par une production
destinée uniquement à la satisfaction des besoins fondamentaux, ce qui aurait pour
conséquence la sous-utilisation générale des ressources naturelles et des disponibilités
en force de travail, excluant par principe toute forme de surplus. Meillassoux (1975)
définit le type de société régi par le mode de production domestique – étant entendu
que celui-ci n’existe nulle part à l’état pur. Il s’agit d’une communauté agricole qui se
distingue nettement d’une horde de chasseurs cueilleurs tant sur le plan des techniques
que sur le plan des rapports de production. La communauté domestique s’adonne à
une activité agricole dont la production doit assurer non seulement la survie quoti-
dienne mais la reproduction de ses membres. Elle utilise la terre comme moyen de
travail et pas seulement comme objet (ce qui nécessite la transformation de la terre et
un investissement en énergie) et recourt principalement à l’énergie humaine et à des
moyens de production individuels. L’organisation sociale est fondée sur des rapports
qui régissent de manière rigoureuse, d’une part, l’accès aux moyens de production
naturels (terre et autres) et, d’autre part, la circulation équilibrée des femmes d’une
communauté à l’autre, en vue du maintien et de la reproduction de chacune.
Cette organisation revêt des formes relativement complexes, en raison du caractère
différé de la production agricole (contrairement à l’activité de chasse ou de cueillette)

106
Gestion de la force de travail, place de la femme et reproduction sociale

qui impose en permanence une répartition des tâches entre différentes catégories de
producteurs, y compris anciens et futurs producteurs – d’où l’importance des rela-
tions et de la solidarité intergénérationnelles –, ainsi qu’un circuit d’échanges matri-
moniaux destiné à assurer la reproduction de chaque cellule productive. D’après
Meillassoux (1975), la capacité de chaque producteur de produire un surplus est
subordonnée à son appartenance à la communauté. La production de chacun
dépend de la communauté et des rapports de production et de reproduction noués
pendant plusieurs générations successives. Chaque communauté (constituée sur la
base des exigences de la production matérielle) s’insère en effet dans un ensemble
organique de reproduction beaucoup plus vaste, lui permettant de faire face aux
aléas démographiques (mortalité, stérilité, etc.) et la mettant en relation régulière
avec d’autres communautés. Au sein de ce réseau, les doyens de chaque commu-
nauté (aînés sociaux) se voient investis d’un pouvoir étendu en matière de gestion de
la reproduction à travers le contrôle des alliances matrimoniales ; ce pouvoir
renforce celui qu’ils exercent à une échelle plus restreinte par le contrôle de la
production matérielle et par la gestion des biens vivriers. Le pouvoir des aînés
comporte, entre autres privilèges, la faculté de s’approprier une part du surproduit
de la communauté sous des formes diverses, notamment en imposant des prestations
de travail aux principaux producteurs directs que sont les femmes et les hommes
jeunes dépendants (cadets sociaux). Ces prestations, considérées comme une contre-
partie des multiples services rendus à la communauté et aux jeunes producteurs en
particulier (qui sont soumis à la seule intervention des aînés pour accéder au mariage
comme à la terre), n’en constituent pas moins des formes d’extorsion de surtravail.

 La situation particulièrement précaire des femmes


Toutefois, et contrairement à certains anthropologues qui prétendent analyser les
rapports entre aînés et cadets en termes de classes sociales, Meillassoux (1975)
insiste sur la différence profonde entre la condition des femmes, qui sont soumises
à une véritable exploitation permanente, et celle des cadets, astreints à des presta-
tions temporaires qui ne constituent en principe que des formes de restitution des
avances consenties par les aînés au cours de leur période productive – en dehors des
cas de prolongation abusive de cette situation. Cependant, cette analyse, qui reste à
un niveau très abstrait, fournit bien peu d’indications sur les formes réelles d’exploi-
tation de la femme dans le travail productif. L’auteur distingue deux formes d’exploi-
tation de la femme : l’exploitation de son travail, dans la mesure où son produit
remis à l’époux qui en assure la gestion ou la transmission à l’aîné ne lui revient pas
intégralement, et l’exploitation de ses capacités procréatrices surtout, puisque la
filiation, c’est-à-dire les droits sur la progéniture, s’établit toujours entre les
hommes. Cette question est, en revanche, abordée de manière plus précise par
Dupré (1982 et 1985) et Bonnafé (1987).

Les sociétés agraires congolaises


Dupré et Bonnafé ont mené des recherches approfondies sur plusieurs sociétés
rurales du Congo-Brazzaville au cours des années 1960-1970, ils ont mis en lumière

107
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

– chacun à sa manière – l’importance fondamentale de ce phénomène. La subordi-


nation et l’exploitation des femmes apparaissent comme une composante essen-
tielle du système social et économique dans chacun des cas étudiés, malgré des
différences considérables sur les autres plans (structures, formes de pouvoir,
valeurs, performances économiques, type d’évolution…).

Population des Nzabi dans la région sud-ouest du Congo


Chez les Nzabi, population forestière de la région du Niari (Sud-ouest du Congo),
l’organisation du travail agricole présente des différences importantes selon le sexe
qui ne se limitent nullement à la répartition des activités. Les travaux masculins sont
essentiellement collectifs. Ainsi, l’abattage des arbres pour l’ouverture des champs
réunit tous les hommes du groupe de résidence, auxquels s’ajoutent des travailleurs,
généralement apparentés, d’autres villages. En revanche, les travaux féminins, en
dehors de certaines formes de coopération très ponctuelles, sont essentiellement
individuels. Les femmes travaillent seules ou presque sur des champs isolés, attri-
bués par leurs époux, où elles assurent la grande majorité des tâches annuelles, du
semis ou du bouturage jusqu’à la récolte, tandis que l’ensemble du processus de
production est contrôlé par les hommes. « L’agriculture où les femmes sont les prin-
cipales productrices est pour elles le lieu d’une dépendance redoublée qui les sépare
techniquement et socialement de leurs moyens de production et les réduit à leur
force de travail », (Dupré, 1982).
L’exploitation réelle que subissent les femmes s’exprime cependant moins par le
surplus matériel produit par leur activité et accaparé par les hommes, que par un
surplus invisible, à savoir le temps libre procuré par le travail des femmes aux
hommes, et utilisé notamment par ceux-ci à organiser la circulation des femmes, à
travers un réseau complexe d’alliances matrimoniales couvrant un espace très vaste,
contribuant ainsi à la production de relations politiques entre les groupes, fonde-
ment de l’ordre nzabi (Dupré, 1982). Cet ordre, qui a su s’adapter aux vicissitudes
et résister aux agressions du système colonial, est cependant en pleine crise à la suite
de l’irruption massive des rapports marchands et monétaires, provenant de la multi-
plication des chantiers aurifères, forestiers et ferroviaires depuis les années 1960. Il
en résulte une dégradation incessante des conditions de la production, une perver-
sion générale des règles sociales, une crispation des anciens sur leurs privilèges
interdisant toute initiative aux femmes comme aux jeunes…
Il semble toutefois possible de tempérer ce sombre tableau grâce aux observations
effectuées lors d’une enquête dans le nord du Niari en 1983 (Guillermou, 1988). La
division sexuelle des tâches s’est assouplie (chez les Nzabi comme chez les autres
groupes ethniques), même si les femmes continuent à en assumer la plus lourde
part, surtout pour les cultures vivrières. En effet, en contrepartie de leur participa-
tion à la production – limitée en fait à l’ouverture des champs en forêt –, les
hommes exigent encore le plus souvent de leurs épouses la moitié des revenus
qu’elles tirent de la vente des produits vivriers. D’autre part, l’essor tout récent
(depuis 1983) de la culture du taro, tubercule vendu au Gabon voisin à un prix très
attractif, se traduit par une participation accrue des hommes à la production, au
moins en savane, dans les zones qui se prêtent à cette culture. Mais cette égalisation
apparente des rôles recouvre en fait une concurrence pour le contrôle des

108
Gestion de la force de travail, place de la femme et reproduction sociale

ressources monétaires, les hommes cultivant leurs propres champs de taro à des fins
purement commerciales, tout en laissant aux femmes la charge quasi exclusive des
cultures pour l’autoconsommation familiale (Guillermou, 1988).

Population des Beembé, région de la Bouenza


Les Beembé de la Bouenza (région proche du Niari) se distinguent par un dyna-
misme et une capacité d’adaptation qui leur ont permis de développer une agricul-
ture vivrière et marchande très performante, mais qui repose sur une exploitation
très dure du travail féminin. Les paysannes beembé passent la quasi-totalité de leur
temps aux champs, où elles travaillent surtout collectivement dans le cadre
d’équipes d’entraide organisées dans l’optique d’une productivité maximale. Elles
sont soumises à une discipline rigoureuse et étroitement contrôlées par les hommes.
Le kitemo, forme d’entraide traditionnelle propre aux peuples du Sud Congo, fonc-
tionne ici comme une forme d’embrigadement où le travail de chaque femme, stric-
tement mesuré, doit s’aligner sur celui de la plus performante, et où des règles
draconiennes assurent à la fois l’assiduité de chacune et la restitution intégrale du
travail reçu. De plus, aucune femme membre d’un kitemo ne choisit librement ses
compagnes de travail – « … ce qui charpente cette association, ce sont les relations
de parenté ou les amitiés qui unissent les maris des participantes » (Dupré, 1985).
Les hommes contrôlent également la commercialisation des produits et s’appro-
prient la totalité des recettes. Ils gèrent le budget familial, décident eux-mêmes de
toutes les dépenses, et parviennent ainsi, par un véritable renversement, à (se)
donner l’illusion d’entretenir leurs épouses.
On ne saurait pour autant en conclure un « parasitisme » masculin : les hommes
beembé s’adonnent à de multiples activités productives (artisanat, transport,
commerce), dont la complémentarité avec l’activité agricole contribue à la prospé-
rité locale. Mais cette complémentarité s’inscrit dans le cadre d’un système qui
réduit la femme au rôle de productrice et reproductrice et entraîne un rigoureux
contrôle social de sa fécondité. Les pratiques matrimoniales (mariage précoce,
polygamie…) répondent directement aux objectifs de la reproduction biologique de
la force de travail et de la mise à disposition de chaque homme adulte de la force
de travail féminine nécessaire (Dupré, 1985).

Population des Kukuya dans la région des plateaux du Centre-Nord


Enfin, les Kukuya des Plateaux (centre-nord) organisent leur production agricole sur
la base d’une division marquée – à caractère technique, économique et sexuel – entre
un secteur vivrier entièrement confié aux femmes et un secteur marchand exclusive-
ment contrôlé par les hommes. Dans le secteur vivrier, les femmes travaillent de
façon très autonome, recourant fréquemment à des formes de coopération souples
et adaptées aux exigences du calendrier agricole, en dehors de toute ingérence
masculine. En revanche, elles sont astreintes à de lourdes prestations de travail
gratuites dans le secteur marchand, où leur savoir-faire (notamment le maniement
de la houe longtemps ignoré des hommes) joue un rôle décisif.
L’autonomie formelle des paysannes kukuya dans le cadre du secteur vivier doit
cependant être relativisée : les groupes de travail (bula) s’inscrivent dans un
ensemble de contraintes techniques et sociales, qui rendent inéluctable une

109
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

entraide fréquente. Mais ces contraintes résultent elles-mêmes de la domination


des aînés (et de l’économie capitaliste), et les groupes bula sont de la sorte un des
moyens techniques du maintien de cette exploitation sociale (Bonnafé, 1987).
Quant au secteur marchand, dont l’essor remonte à la fin des années 40 avec l’in-
troduction de la culture du tabac, il est étroitement articulé au secteur vivrier, du
fait de la contribution irremplaçable de la force de travail féminine, le travail des
hommes se limite au défrichement, à la plantation et à la récolte, tandis que toutes
les autres tâches (notamment travail du sol, entretien, transport du produit) sont
confiées aux femmes, dont le calendrier traditionnel se trouve considérablement
alourdi. Les hommes récupèrent parfois le jour de repos habituel des femmes,
notamment en période de pointe (Guillot, 1973). On peut même ajouter que le
lancement des groupements précoopératifs – par le gouvernement congolais à
partir des années 70 –, a contribué, sous couvert d’expérimenter de nouveaux
rapports de travail, à renforcer ce déséquilibre, en instaurant une journée hebdoma-
daire de travail collectif sur les champs des groupements pour les deux sexes. En
effet, l’égalitarisme formel n’a fait que renforcer une inégalité fondamentale au
détriment des femmes, réduites plus que jamais à leur force de travail.

L’exploitation du travail des femmes


et l’avenir des unités de production agricoles
En analysant méticuleusement les processus de travail et la position sociale des
diverses catégories de producteurs dans chacune des sociétés étudiées, Dupré et
Bonnafé ont été conduits à désigner les femmes comme les principales pour-
voyeuses de surtravail (donc exploitées), et à distinguer nettement leur condition de
celle des cadets, dont la subordination a toujours un caractère transitoire – le
mariage devant leur permettre d’accéder à la condition d’aînés. Cette conclusion
rejoint entièrement la position de Meillassoux.

Évolution des rapports réels entre hommes et femmes


L’apport qualitatif de ces auteurs est considérable pour notre propos. En particulier,
il importe de prendre garde à la confusion issue de l’usage du terme « surtravail
féminin », de plus en plus utilisé dans le sens de surcharge de travail des femmes
(phénomène observable dans les campagnes africaines), et non dans le sens d’ex-
ploitation de la force de travail féminine, avec tout ce que cela implique en matière
de contrôle des processus de production et des produits.
Quel que soit l’intérêt des chiffres fournis par les organisations internationales sur
la place des femmes dans l’agriculture africaine, ils nous éclairent peu sur leur auto-
nomie et leur rôle réel au sein des exploitations familiales. En revanche, certaines
études mettent en lumière les conséquences de la modernisation des techniques sur
les conditions et sur le volume de travail respectif des deux sexes. Par exemple, dans
la zone cotonnière du Burkina, la culture motorisée se traduit par un doublement
du temps moyen de travail agricole des femmes, passant de 66 à 131 jours par an
(Tersiguel, 1998).
Mais la question la plus importante est celle de l’évolution des rapports réels et
donc d’actualiser les analyses de Dupré et de Bonnafé. Jusqu’à une période toute

110
Gestion de la force de travail, place de la femme et reproduction sociale

récente, la division inégale du travail agricole a été perçue, tant par ses victimes que
par ses bénéficiaires, comme une donnée naturelle, à laquelle nul ne saurait se sous-
traire. De plus, ce n’est pas dans une société dominée par les rapports de parenté
que la résistance des producteurs les plus défavorisés peut le mieux s’organiser. En
effet, la solidarité familiale, garante de la sécurité matérielle, les pousse bien plus à
la résignation. Cependant, divers facteurs se conjuguent depuis au moins deux
décennies pour conduire sinon à une remise en cause globale de l’ordre social
lignager ou villageois, du moins à des changements en profondeur.

Segmentation des unités de production


Parmi ceux-ci, la tendance à la segmentation des unités de production, phénomène
général à l’échelle du continent africain, semble jouer un rôle essentiel.
L’éclatement des grandes exploitations fondées sur la famille élargie au profit
d’exploitations limitées au ménage, plus proches du modèle européen classique,
contribue à une autonomisation de l’ensemble des travailleurs directs, y compris les
plus dépendants.
Femmes et cadets consacrent une part croissante de leur temps à leurs champs
personnels et entendent disposer librement de leurs produits. Il s’agit le plus
souvent d’un processus graduel, évitant toute confrontation directe avec les aînés ou
les chefs de famille, mais impliquant parfois une action concertée de l’ensemble des
dépendants. Ainsi, chez les Sénoufo du Mali-Sud, femmes et cadets se seraient
entendus pour réduire simultanément leur temps de travail sur le champ familial
collectif, plaçant le chef de concession devant le fait accompli. Toutefois, si les
femmes contrôlent mieux leur temps de travail et le produit de celui-ci, elles ont une
maîtrise du processus de travail qui reste limitée et faute d’accès aux facteurs de
production permettant de réels gains de productivité, elles voient leurs revenus
augmenter moins vite que ceux des hommes (Rondeau, 1994).
D’une manière plus générale, l’émancipation individuelle des catégories de
travailleurs directs les plus défavorisées – dans un contexte d’incertitude ou même
de crise économique – contribue-t-elle surtout à leur promotion sociale ou à leur
précarisation ?
De nos jours, dans la majorité des sociétés rurales africaines, des facteurs de nature
très diverse contribuent à l’augmentation des inégalités socio-économiques. Mais,
en dépit de l’importance croissante des problèmes rencontrés (touchant le foncier,
le capital technique, les rapports aux marchés, etc.), le contrôle de la force de travail
demeure le principal facteur de différenciation sociale.
D’une manière générale, les exploitations les plus favorisées et les plus perfor-
mantes sont celles qui disposent d’une abondante force de travail familiale judicieu-
sement utilisée dans l’activité agricole, mais aussi le cas échéant à l’extérieur – avec
un contrôle réel des revenus extra-agricoles affectés à l’amélioration du bien-être
familial et aussi à des investissements productifs. Cette organisation suppose une
forte cohésion et une solidarité interne réelle. À l’opposé, les micro-exploitations
confrontées à une pénurie chronique de main-d’œuvre connaissent une situation
précaire, et leur survie est conditionnée par la capacité de leurs membres actifs à
compenser par des revenus extérieurs l’insuffisance de leur production domestique
et à ajuster leur calendrier de travail annuel en conséquence.

111
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

 Conclusion
De l’ensemble de ces observations, il est possible de conclure très schématiquement
que la tendance est à la réduction des inégalités internes aux exploitations, et à un
renforcement des inégalités externes. Cependant, les inégalités entre les hommes et
les femmes, face à des résistances multiformes croissantes, se recomposent à un
rythme de plus en plus rapide, sans perdre nécessairement de leur intensité.
L’accession des femmes à de nouvelles responsabilités – y compris au statut de chef
d’exploitation – dans des agricultures en voie de paupérisation n’est pas en soi le
gage d’une meilleure maîtrise de leurs conditions de travail et d’existence.
L’amélioration relative de la condition des catégories de producteurs les plus défa-
vorisées qui renégocient constamment leur position au sein de l’unité familiale
risque d’avoir des effets limités si elle va de pair avec une répartition de plus en plus
inégale de la force de travail entre les groupes productifs (phénomène que le mode
de production domestique, selon Meillassoux, tendait justement à éviter).
La mobilisation de cette ressource stratégique par des formes de coopération à la
fois équitables et efficientes – par exemple dans le cadre de groupements de
producteurs réellement issus de la base (Guillermou et Kamga, 2004) – constitue un
enjeu décisif pour l’avenir de la majorité des exploitations familiales en Afrique.

112
Pour approfondir le sujet
Chapitre 7
Simulation et modélisation
du fonctionnement
de l’exploitation agricole
Éric PENOT

La modélisation de l’exploitation agricole a été développée en France pour mieux


comprendre le fonctionnement de l’exploitation et apporter un appui à son respon-
sable – le chef d’exploitation. Sa généralisation est surtout le fait des centres de
gestion avec pour objectif la réduction des charges fiscales et comme variable prin-
cipale la prise en considération du revenu. Des chercheurs et des agents du déve-
loppement agricole ont créé leur propre système expert de calcul des marges et des
revenus agricoles, outils souvent non utilisables par d’autres personnes que leur
concepteur. Quelques logiciels (dont Olympe) permettent d’aborder de façon géné-
rique, concrète et opérationnelle l’exploitation agricole à l’aide d’une analyse des
coûts et des bénéfices de toutes ses activités. Le logiciel Olympe est fondé sur l’ana-
lyse systémique et descriptive de l’exploitation agricole sans optimisation, ni règles
de décision a priori. Après avoir rappelé les intérêts de la modélisation, le logiciel
Olympe et ses applications sont présentés dans le contexte des agricultures des pays
en développement.

 La modélisation : une forme de représentation


de l’exploitation agricole
La modélisation est un outil de compréhension de situations complexes. Appliquée
à l’exploitation agricole, elle cherche à quantifier et à représenter la diversité des
activités et des sources de revenu des agriculteurs. Elle permet une analyse écono-
mique classique (rentabilité, productivité du sol, du capital et du travail) des activités
menées dans l’exploitation en prenant en compte les coûts et les revenus. À partir de
scénarios faisant varier les prix (intrants, main-d’œuvre, produits), les rendements ou

113
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

d’autres variables, la modélisation permet de dépasser l’analyse issue des enquêtes et


fournit une vision dynamique du devenir de l’exploitation à moyen et à long terme.
La modélisation des exploitations agricoles répond à plusieurs objectifs
– comprendre et analyser, quantifier, anticiper (prospective), comparer – et doit
fournir une aide à la décision des acteurs – agriculteurs mais aussi agents du déve-
loppement ou de la recherche – qui soit opérationnelle.
L’intérêt de la modélisation des exploitations agricoles est multiple. Elle propose
une représentation pratique sous forme de simulations en fonction des choix tech-
niques possibles ou potentiels, en fonction des aléas de prix et de production
couramment rencontrés par les producteurs et qui induisent un « risque » important
dans le choix des cultures et des degrés d’intensification choisis. Elle constitue
également un support de dialogue et de communication, soit avec les producteurs
via les conseillers de gestion, soit avec les décideurs ou bailleurs de fonds pour la
définition des projets par exemple. Le modèle peut aussi être un « récit en termes
de sciences » (Bouleau, 1999) par la reconstruction du passé (impact, conséquences
et externalités qui en découlent) et l’analyse prospective (exploration du futur
proche en termes d’impact de décisions). En ce sens, le modèle, représentant des
possibilités d’expressions multiples, évoque souvent une vision partisane de celui
qui l’applique, au sens du meilleur résultat parmi ces expressions possibles.
La validation sur le terrain grâce à la discussion des résultats avec les intéressés
permet, d’une part de restreindre la tendance naturelle du modélisateur à opter
pour la maximisation des résultats, et d’autre part de faire émerger une meilleure
représentation, plus proche de la réalité et des possibilités.
Tout modèle entraîne généralement une simplification du système décrit, soit dans les
modalités de fonctionnement, soit dans le nombre de variables explicatives. Il cons-
titue une approximation du système dans certaines limites d’utilisation. Il est donc
extrêmement important de bien circonscrire son domaine d’utilisation. Tout modèle
est fondé sur le postulat du principe de continuité des approximations selon lequel
des hypothèses voisines conduisent à des conclusions voisines. L’exploitation agricole
est certes complexe, mais c’est un système simple en comparaison de ceux possédant
plusieurs acteurs en interaction comme un système agraire d’une petite région. Elle
se caractérise généralement par un seul décideur et un nombre limité de facteurs de
production (foncier, capital, travail, information). Il est donc possible d’appréhender
par une modélisation fonctionnelle la complexité de ce système (l’exploitation) bien
défini dont toutes les composantes sont relativement bien connues.
Un modèle et les résultats qu’il procure ne valent que replacés dans leur contexte
politique, socio-économique et technique. L’analyse qualitative, en particulier identi-
fier les variables explicatives d’un choix stratégique, est indispensable pour interpréter
des résultats (quantifiés) de la simulation.
Pour le chercheur, le modèle peut apparaître comme une étape intermédiaire entre
théorie et empirisme en proposant des alternatives potentielles, des trajectoires, des
pistes d’étude. Pour les agents de développement et les conseillers agricoles, l’usage
d’un modèle relève d’abord de sa facilité d’emploi et de sa capacité à mieux intégrer
et à utiliser la somme d’informations disponibles sur une exploitation agricole pour
en tirer des recommandations d’actions.

114
Simulation et modélisation du fonctionnement de l’exploitation agricole

 Usages du logiciel de modélisation Olympe


Olympe est un logiciel de modélisation des exploitations agricoles développé par
l’Inra (Attonaty et al., 1999) en collaboration avec l’Institut agronomique méditer-
ranéen de Montpellier (IAMM) et le Cirad. Olympe est d’abord une base de
données et un calculateur (de type tableur) conçu pour gérer des données technico-
économiques de fonctionnement d’une exploitation agricole. Des fonctions auto-
matisées calculent les marges et les bilans par activité (productions végétales et
animales), puis à l’échelle du système d’exploitation et enfin à l’échelle des groupes
d’exploitations (mesures des flux). Par ailleurs, le logiciel permet de construire des
typologies d’exploitations, de les adapter, et de les faire évoluer en fonction d’une
simulation sur dix ans et de différents scénarios.

Simulation du fonctionnement de l’exploitation


C’est ensuite un outil de simulation du fonctionnement de l’exploitation agricole
dont l’approche est suffisamment détaillée pour aboutir à des résultats quantifiés
(revenu, marge, etc.) en fonction des stratégies paysannes.
Deux approches sont possibles en fonction de l’objectif recherché.
• La modélisation d’exploitations connues permet de tester en temps réel les choix
des agriculteurs et des hypothèses techniques pouvant déboucher sur un conseil de
gestion ou l’aide à la décision pour les développeurs sur des cas concrets dans un
environnement relativement homogène.
• La modélisation d’exploitations théoriques s’appuie sur des exploitations représen-
tatives des types issus d’une typologie mise au point antérieurement. Cette méthode,
qui rend plus lisible des situations complexes et diversifiées, améliore leur appréhen-
sion. Il est nécessaire de vérifier la validité des exploitations types en dialoguant avec
les agriculteurs et les agents de développement de la région concernée. Dans ce cas,
la modélisation peut servir soit à un conseil pour un groupe en raisonnant à partir
des exploitations types, soit à orienter les choix des décideurs pour des projets de
développement, des services publics, etc. (Penot et Deheuvels, 2007).
Outre l’appui aux décideurs (agriculteurs, opérateurs de développement), cette
démarche de simulation fournit une évaluation de l’impact des innovations tech-
niques sur le fonctionnement de l’exploitation à moyen terme. Elle est complémen-
taire des démarches qui consistent à effectuer une évaluation technico-économique
(à l’échelle de la campagne agricole) des innovations dans des exploitations volon-
taires qui les testent.

Logiciel adaptable à chaque cas : échelle d’analyse


Le logiciel Olympe est conçu de manière à adapter le niveau de précision et l’échelle
d’analyse à chaque cas. Il permet de simuler différentes évolutions possibles d’une
exploitation en fonction du choix des cultures et des décisions d’affectation des
facteurs de production (capital, travail, foncier) sur plusieurs dizaines d’années (pas
de temps initial de dix ans). Olympe fournit des prévisions de résultats économiques,
de trésorerie mensuelle, de disponibilité et de temps de travaux par système de

115
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

culture ou d’élevage aussi bien qu’à l’échelle globale de l’exploitation. C’est donc un
instrument qui améliore la lisibilité de l’exploitation et contribue à juger de sa viabi-
lité. La modélisation permet de caractériser les exploitations avec une vision dyna-
mique, c’est-à-dire de reconstruire une réalité observée sur une exploitation
existante ou à partir d’une typologie existante et d’inclure les changements en cours
ou souhaités par l’exploitant.
Pour mettre en œuvre le modèle Olympe, il est donc nécessaire de connaître préci-
sément, par enquêtes, les éléments suivants :
– l’origine et l’utilisation des revenus de ces exploitations ;
– les systèmes de production pratiqués et leurs performances, à savoir les caracté-
ristiques technico-économiques des systèmes de culture et d’élevage (coût de
production, rendement et variation selon les aléas climatiques, prix des produits), la
disponibilité en facteurs de production (foncier, capital de travail, capital financier),
l’environnement socio-économique (accès à l’information, cohésion sociale) ;
– les composantes qui déterminent les stratégies des agriculteurs et leurs évolutions.

Prospective et évolution des exploitations


Olympe est enfin un outil d’analyse prospective de l’évolution des systèmes de
production. Il permet de tester leur robustesse (c’est-à-dire que les résultats résis-
tent à des variations et sont stables) selon différents scénarios de prix (cycles de
prix) ou de production (année de sécheresse, année avec El niño, etc.). Il permet
aussi de simuler un passé connu pour mieux l’expliquer (par exemple une crise
économique, crise indonésienne 1997-2001) et d’analyser en détail les effets positifs
ou négatifs d’une crise sur les revenus des agriculteurs en fonction de leurs systèmes
de cultures et d’élevage (Penot et Hébraud, 2007).
Un exemple de quelques résultats obtenus sur une exploitation type de la province
de Ouest-Kalimantan (Indonésie) est présenté (Lecomte, 2001) (figures 7.1, 7.2,
7.3, 7.4). Le solde est égal au revenu net agricole moins les dépenses familiales
courantes.

Figure 7.1. Exploitations


hévéicoles types du village
Engkayu (Ouest Kalimantan,
Indonésie). Traitement avec
Olympe.
Répartition des surfaces
cultivées.

116
Simulation et modélisation du fonctionnement de l’exploitation agricole

Figure 7.2. Exploitations hévéi-


coles types du village Engkayu (Ouest
Kalimantan, Indonésie). Traitement
avec Olympe.
Synthèse des recettes, dépenses,
marge brute et solde.

Figure 7.3. Exploitations hévéi-


coles types du village Engkayu (Ouest
Kalimantan, Indonésie). Traitement
avec Olympe.
Exemple de comparaison de solde
pour 7 types d’agriculteurs du village
Engkayu selon les types de cultures
adoptés.

Choix des
agriculteurs Choix de
à comparer la variable
« solde »

Figure 7.4. Exploitations hévéi-


coles types du village Engkayu (Ouest
Kalimantan, Indonésie). Traitement
avec Olympe.
Exemple de comparaison d’une
exploitation avec du poivre, avec et
sans aléa climatique (impact sur le
solde de deux années avec El Niño et
importante sécheresse en 10 ans).

117
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

À l’échelle régionale
Olympe possède également un module d’agrégation des exploitations agricoles
selon des grands types, permettant une approche à l’échelle d’une petite région,
d’un bassin versant ou d’un périmètre irrigué. Cette approche est simplifiée par
rapport à la réalité car elle ne prend pas en compte les interactions possibles entre
acteurs. Elle permet de déterminer les évolutions en termes d’utilisation des
ressources naturelles (eau, terre), de flux d’intrants et de produits, etc., par type
d’agriculteurs et pour l’ensemble de la région considérée. Olympe a été utilisé à une
échelle collective surtout pour accompagner des groupes d’agriculteurs dans la
gestion et l’emploi d’une ressource commune comme l’eau dans un périmètre
irrigué dont la superficie est bien circonscrite.

 Conclusion
L’utilisation d’une modélisation de l’exploitation agricole permet de construire des
scénarios prospectifs, de tester des hypothèses techniques (itinéraires techniques)
ou économiques (choix d’un crédit, organisation de la production…) et de mesurer
sur le plan économique (revenus, productivité du travail, marge par activités…)
l’impact des changements ou des évolutions en cours ou à venir. L’usage d’un outil
commun à plusieurs chercheurs ou agents de développement offre de nombreux
avantages : réaliser des analyses comparatives pertinentes et surtout fonctionnelles ;
travailler sur des fondements communs (vocabulaire économique identique, recours
aux mêmes démarches, par exemple l’analyse systémique). La modélisation est parti-
culièrement adaptée pour décrire l’économie des exploitations agricoles et identifier
leur trajectoire d’évolution. Elle contribue à expliquer les stratégies paysannes et
leurs déterminants. L’approche proposée suppose de replacer les résultats de la
modélisation dans leur contexte grâce à une véritable analyse socio-économique
tenant compte des facteurs sociaux, culturels et historiques qui concourent à la
compréhension des stratégies paysannes.

118
Partie 3

Diversité
et dynamiques
des exploitations
agricoles africaines
Jean-Yves JAMIN, coordinateur
Introduction

Cette partie traite de la diversité des exploitations, ainsi que de leurs dynamiques
d’évolution.
Dans le chapitre 8, nous examinerons comment la diversité des exploitations peut
être prise en compte, comment on peut bâtir des typologies d’exploitations agricoles
– fondées sur leur structure ou leur fonctionnement, ou élaborées à partir de dire
d’expert – et avec quels outils. Nous discuterons aussi l’intérêt de la prise en compte
de la diversité pour les actions de développement et la possibilité d’associer des
agents de développement à ces démarches. Différents exemples de typologies élabo-
rées dans différents contextes (rizicoles, cotonniers, ou pastoraux) illustrent la nature
de la diversité des exploitations et les méthodes utilisables pour l’appréhender.
Dans le chapitre 9, nous verrons que les exploitations ne sont pas dans une situation
figée, mais qu’elles évoluent en suivant, plus ou moins, des cycles en fonction de
l’histoire des familles qui les gèrent. Les dynamiques actuelles des exploitations
s’expliquent en grande partie par leur histoire, et il peut donc être intéressant de
prendre en compte les évolutions antérieures, par exemple en reconstituant leurs
trajectoires d’évolution. On peut alors bâtir des typologies de trajectoires qui
permettent de discuter des évolutions futures des types actuels. Des exemples
d’utilisation de ces outils sont donnés dans différents contextes.
Dans les chapitres 10, 11 et 12, nous examinerons en détail trois situations. Plusieurs
méthodes typologiques et historiques ont été combinées pour comprendre la diver-
sité et l’évolution des exploitations, puis pour proposer, à partir de cette analyse, des
pistes de réflexion et d’action pour le développement.
Dans le chapitre 10, une approche typologique est employée pour comprendre les
modes d’utilisation des terres au Burkina Faso, et en particulier la persistance des
jachères dans les paysages cotonniers soudaniens. Le fonctionnement des diverses
exploitations est analysé en privilégiant la compréhension des choix du système de
culture (permanent ou temporaire) et la caractérisation de l’intensité d’allocation
des moyens de production ayant un coût monétaire, rapportés à un environnement
économique. La phase du cycle de vie dans laquelle se trouve l’exploitation appa-
raît comme un critère important, ainsi que l’origine des exploitants (migrants ou
autochtones).

121
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Dans le chapitre 11, le croisement de la description des systèmes de production agri-


cole avec celle des systèmes d’activités des ménages agricoles rend compte de la
grande diversité des exploitations agricoles périurbaines d’Antananarivo (capitale
de Madagascar). En effet, dans ce contexte de forte compétition pour les ressources
et les espaces, la diversité des combinaisons d’activités, agricoles, para-agricoles et
extra-agricoles, apporte aux ménages la souplesse nécessaire pour affronter un envi-
ronnement incertain. Par ailleurs, l’exploitation agricole est étudiée sous l’angle de
son rapport au territoire et des différents services qu’elle rend, la démarche est ainsi
ouverte au concept de la multifonctionnalité de l’agriculture.
Dans le chapitre 12, au Bénin, les différents types de capitaux que les paysans accu-
mulent au cours de leur vie sont analysés puis les facteurs de la mobilité sociale sont
présentés. Une méthode de construction interactive de typologies de trajectoires
d’accumulation a été utilisée pour expliciter les choix des paysans et leurs
conséquences.

122
Chapitre 8
Modélisation de la diversité
des exploitations
Jean-Yves JAMIN, Michel HAVARD,
Emmanuel MBÉTID-BESSANE, Patrice DJAMEN,
André DJONNEWA, Koye DJONDANG et Jean LEROY

Même si l’on parle encore parfois de « l’exploitation agricole type » de telle ou telle
région, la plupart des acteurs du développement agricole reconnaissent maintenant
la diversité des exploitations agricoles au sein d’une même région (Colson, 1985).
En effet, selon Perrot et Landais (1993b), « la perception de la diversité des exploi-
tations a beaucoup évolué au cours du temps au sein des organismes chargés du
développement agricole. L’hétérogénéité des exploitations agricoles était consi-
dérée au début des années 60 comme un obstacle à la modernisation rapide de
l’agriculture, alors qu’aujourd’hui la prise en compte de la diversité est reconnue
par les organismes de développement comme une condition de l’amélioration de
l’efficacité de leurs interventions auprès des agriculteurs ».
Bien qu’elles partagent un environnement commun, les exploitations d’une même
région n’ont pas toutes la même histoire, n’ont pas aujourd’hui les mêmes caracté-
ristiques (surface, nombre d’animaux, force de travail, équipement), ne disposent
pas d’un accès identique au foncier ou aux diverses ressources du milieu naturel et
ne sont pas dirigées par des exploitants ayant le même âge ou le même niveau d’ins-
truction. De plus, certaines familles ont des activités importantes en dehors de
l’agriculture, d’autres pas.

 Modèles et outils d’analyse


Pour représenter les exploitations d’une zone donnée, il est donc rare de pouvoir
identifier une exploitation agricole type ou moyenne, même dans les situations où
l’on rencontre d’importantes contraintes techniques et une volonté normative forte
de la part de l’encadrement, comme dans les périmètres irrigués par exemple (Jamin,
1994). À l’inverse, considérer chaque exploitation comme un cas unique est valorisant

123
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

pour les exploitants, car on reconnaît à chaque paysan sa spécificité humaine, mais
cette démarche est peu opérationnelle, que ce soit en termes d’analyse, de mise au
point de stratégies de développement, ou d’intervention, car il faudrait alors pouvoir
disposer de beaucoup de moyens, et pouvoir passer beaucoup de temps avec chaque
exploitant, – chacun étant considéré comme un cas particulier.

Qu’est-ce qu’une typologie ?


Pour simplifier la réalité de la diversité, pour la rendre plus facile à appréhender, on
est amené à élaborer des typologies d’exploitations agricoles, c’est-à-dire à
regrouper dans des types ou des classes, les exploitations qui sont jugées « sembla-
bles » selon différentes méthodes. Sur quelles caractéristiques portent ces ressem-
blances (structure, fonctionnement, histoire), comment sont-elles déterminées,
lesquelles privilégier pour mettre dans un même groupe différentes exploitations ?
Telles sont les questions au cœur de la démarche typologique pour les exploitations
agricoles.
La typologie, ou classification par types, ou classification typologique, est une
méthode qui, à partir d’ensembles, vise à élaborer des types, c’est-à-dire des
modèles génériques constitués en regroupant des données ayant certains traits en
commun. Le terme typologie désigne à la fois la démarche (science de l’élaboration
de types) et le résultat (l’agencement des différents types que l’on obtient en suivant
cette procédure), par exemple la typologie des exploitations d’une région (Landais,
1998).

Historique et hypothèses
Les premières typologies ont été réalisées (tout au moins sous ce nom) dans le
domaine anthropologique, avec les scientifiques comme sujet d’étude (Wechniakoff,
1897). Depuis, cette démarche a été utilisée dans de nombreux secteurs. Établir une
typologie, c’est essayer d’analyser, d’ordonner, de répartir une diversité complexe, en
posant plusieurs hypothèses :
– des objets distincts les uns des autres sont identifiables ;
– ces objets ne sont pas tous identiques ;
– ces objets ne sont pas tous complètement et également différents. C’est-à-dire
qu’ils n’ont pas la même « distance », au sens mathématique du terme (Philippeau,
1992 ; Tomassone, 1988), en ce qui concerne les différences entre eux.
Dans le domaine agricole, les premières typologies datent des années 1970, avec les
travaux de l’Ina-PG (Capillon, Sebillote et Thierry, 1975 ; Capillon et Manichon,
1978) et de l’Inra (Brossier et Petit, 1977). Cet outil est très utilisé pour analyser et
comprendre l’agriculture d’une région et ses problèmes (diagnostic), identifier des
solutions techniques et cibler les exploitations concernées (pour un appui en conseil
agricole), planifier des opérations de développement, ou faire de la prospective
(Merlot et al., 2004). C’est aussi un outil statistique, utile dans le domaine de la poli-
tique agricole ; par exemple une typologie communautaire des exploitations agri-
coles européennes a été établie (CE, 1996). En Afrique, après une phase de
recherche plutôt centrée sur les systèmes agraires, cet outil a été rapidement utilisé
pour appréhender la diversité au sein des communautés rurales (Jouve, 1986).

124
Modélisation de la diversité des exploitations

Comment procéder
La réalisation de typologies qui portent sur des objets complexes comme les exploi-
tations agricoles implique de :
– préciser la nature des objets à classer ;
– identifier les limites de chaque objet ;
– choisir des critères de classement discriminants (afin de distinguer les différentes
exploitations) ;
– choisir des critères qui aient un sens par rapport à ce que l’on veut faire (et donc
clarifier les objectifs que l’on fixe à cette typologie) ;
– simplifier la réalité, la « modéliser », c’est-à-dire la caricaturer pour en faire
ressortir les aspects les plus importants. Une typologie est une des représentations
possibles de la réalité, ce n’est pas la réalité elle-même, ni la seule représentation
possible.
Il n’y a donc pas une seule typologie d’exploitations agricoles possible dans une zone
donnée. Selon les objectifs et les moyens mis en œuvre, des typologies différentes
seront élaborées (tableau 8.1) :
– des typologies simples, concernant certaines composantes de l’exploitation agri-
cole (surfaces, équipement…) ;
– des typologies descriptives, de structure des exploitations, fondées sur un
ensemble de variables quantitatives, ou/et qualitatives ;
– des typologies analytiques, fondées sur le fonctionnement actuel des exploitations
(objectifs, pratiques et stratégies) ;
– des typologies analytiques et historiques, fondées sur le fonctionnement actuel
des exploitations et leur évolution passée, leur trajectoire et leur archétype (type
ancien) ;
– des typologies à dire d’expert, fondées sur l’avis de personnes connaissant bien la
région (conseillers agricoles, chambres d’agriculture, etc.) ;
– des typologies à dire d’acteurs, reflétant la vision que les agriculteurs ont eux-
mêmes de la diversité de leurs exploitations et des évolutions possibles.
Dans ce chapitre, nous traiterons essentiellement des typologies de structure et de
fonctionnement, les éléments concernant les dynamiques et les évolutions des
exploitations agricoles étant traités plus spécifiquement dans le chapitre 9.

Tableau 8.1. Les typologies permettant d’analyser les exploitations agricoles.


Typologies Besoin de connaissance des exploitations agricoles
Histoire Situation actuelle Perspectives
Structure – X –
Fonctionnement – X X
Archétype X – –
Trajectoire X – X
Dire d’experts – X X
Dire d’acteurs – X X

125
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Choisir une méthode en fonction des objectifs, des moyens


et des données disponibles
Dans un contexte donné, une méthode doit être choisie en fonction des objectifs et
des moyens dont on dispose. Les objectifs visés par la réalisation d’une typologie
peuvent en effet être multiples : décrire une situation agraire, aider à poser un
diagnostic, orienter des actions de développement, s’interroger sur l’adoption d’une
innovation, contribuer à former des conseillers agricoles, etc.

Échelle, zonage préalable


Si la région considérée est grande, ou très hétérogène, on pourra avoir intérêt à
commencer par faire un zonage, en particulier si l’on perçoit qu’il y a de grandes
différences spatiales dans le milieu naturel, dans les modalités de mise en valeur, ou
dans l’environnement des exploitations. Le zonage permet en effet d’identifier des
ensembles géographiques homogènes pour différents critères : sols, pluviométrie,
végétation, artificialisation du milieu, systèmes de production dominants, environ-
nement socio-économique, infrastructures, etc. À l’intérieur de chaque zone homo-
gène, il est plus aisé d’élaborer une typologie d’exploitations qui soit cohérente.
Ensuite, les typologies élaborées dans les différentes zones sont rapprochées afin de
repérer les similitudes et les différences entre elles et éventuellement de les
fusionner.
Dans le cas des très grandes régions, à l’échelle continentale, les typologies portent
sur les orientations générales des systèmes de production et sont élaborées à partir
de la bibliographie ou de bases de données globales du type FAO (Dixon et al.,
2001).

Sources d’information
En l’absence d’enquêtes détaillées disponibles a priori, plusieurs sources de
données peuvent être utilisées, comme les recensements agricoles qui portent
souvent sur des éléments de structure (surface des exploitations, démographie,
équipement, cheptel) ou les statistiques agricoles qui renseignent souvent sur les
résultats techniques des exploitations (rendements de quelques grandes cultures).
Ces éléments, dont la fiabilité doit être discutée, fournissent un premier aperçu de
la variabilité existante et peuvent être analysés de façon simple, avec des outils
statistiques monodimensionnels (histogrammes, diagrammes circulaires, etc.).
Parfois critiquées, car peu approfondies, des typologies peuvent cependant être
bâties à partir de ces éléments, dans les régions où les données existantes sont assez
nombreuses et de qualité suffisante. Ces typologies, fondées essentiellement sur les
structures des exploitations et sur quelques indicateurs de résultats techniques,
donnent une première idée de la variabilité des exploitations.
Ainsi, en France, les chambres d’agriculture et les instituts techniques élaborent des
typologies à partir du Recensement général de l’agriculture, qui est régulièrement
actualisé. Dans les pays africains, un recensement aussi exhaustif est rarement
disponible. Néanmoins, des informations très complètes sont fréquemment recueil-
lies dans les zones où l’agriculture est très encadrée, comme les périmètres irrigués,
les régions cotonnières ou les plantations.

126
Modélisation de la diversité des exploitations

Pour approfondir cette démarche, par exemple intégrer des éléments de fonction-
nement des exploitations ou pour élaborer des typologies dans les zones où il
n’existe pas, ou trop peu, de données statistiques, il est nécessaire d’effectuer des
enquêtes pour recueillir l’information nécessaire. Il faut alors, avant de se lancer
dans des enquêtes lourdes et coûteuses, bien définir son objectif et les moyens que
l’on peut mettre en œuvre. Au préalable, il est recommandé de mener soi-même
quelques enquêtes afin de comprendre les grands principes du fonctionnement des
exploitations de la zone et d’identifier les informations à recueillir dans une enquête
touchant par la suite un plus grand nombre d’exploitations.

 Typologies de structure

Méthode
Les typologies de structure caractérisent les moyens de production disponibles dans
les exploitations agricoles et permettent d’en obtenir une photographie à un
moment donné. Les critères de différenciation sont choisis empiriquement, mais ils
ne représentent parfois qu’une partie de la réalité.
Ces typologies sont les plus faciles à réaliser, car elles peuvent s’appuyer sur des
données de structure déjà recueillies ou assez faciles à collecter par des enquêtes
courtes.
Lorsque l’encadrement agricole est relativement dense, les données existent en
grand nombre, mais on prendra garde au risque de biais lié aux sources. Par
exemple, en zone cotonnière, la plupart des données disponibles se rapportent à la
culture du coton et aux paysans qui la pratiquent ; les données sur les autres
cultures, sur l’élevage, ou sur les exploitations non-productrices de coton, sont quasi
absentes, ce qui peut amener à sous-estimer leur importance. De même, dans les
zones d’irrigation, la composante irriguée des systèmes de production est souvent
bien connue, ce qui n’est pas le cas des cultures pluviales ou des activités d’élevage
et peut donc conduire à ignorer des composantes fondamentales des exploitations.
Quelques enquêtes exploratoires préliminaires permettront de relativiser la perti-
nence des données existantes, même si ensuite ces enquêtes très ciblées ne pourront
pas être utilisées pour élaborer une typologie concernant l’ensemble des exploita-
tions de la zone.
Lorsque les données de structure disponibles sont insuffisantes, le recueil des infor-
mations doit être organisé de façon systématique, avec des questionnaires fermés
très simples, comprenant un nombre limité de sujets. Cependant, il faut rester
prudent – même avec un questionnaire simple – quant à la fiabilité des enquêtes,
car les exploitants ne répondent pas forcément facilement ou de façon sincère à
certaines questions (foncier contrôlé ou nombre d’animaux possédés par exemple).
Les données de structure, en général de type quantitatif, se prêtent bien à des traite-
ments statistiques informatisés : statistiques élémentaires monodimensionnelles,
statistiques multidimensionnelles comme l’analyse en composantes principales (ACP),
classifications automatiques comme la classification ascendante hiérarchique (CAH).

127
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Deux méthodes automatiques sont souvent utilisées pour construire des typologies
de structure : la segmentation et l’analyse multidimensionnelle.
• Dans la segmentation, les critères discriminants sont choisis un à un de façon graduelle
en commençant par le plus discriminant jusqu’à l’obtention de types assez homogènes.
Cette méthode n’est valable que si le nombre de critères discriminants est réduit.
• Dans l’analyse multidimensionnelle, plusieurs critères discriminants sont mobilisés à
la fois. On distingue les analyses en composantes principales (ACP), les analyses facto-
rielles des correspondances (AFC) et la classification ascendante hiérarchique (CAH).
Les ACP et les AFC servent à la caractérisation des exploitations par rapport aux
variables retenues, tandis que la CAH sert au regroupement des exploitations en fonc-
tion du poids des variables considérées. Les mécanismes d’utilisation de ces méthodes
statistiques ont été détaillés par Philippeau (1992) et Tomassone (1988) pour les ACP
et les AFC et par Dervin (1996) et Fresco et Westphal (1988) pour les CAH.
Quelle que soit la méthode choisie, il est utile de commencer par une description initiale
des données, en faisant une première lecture de la variabilité des indicateurs retenus au
moyen d’analyses descriptives simples : moyennes, écart-types, représentation sous
forme d’histogrammes ou de diagrammes circulaires. Cette première étape permet
ensuite de mieux comprendre les analyses multidimensionnelles plus complexes.
Pour illustrer ce dernier point, nous étudierons l’exemple de l’Office du Niger
(Jamin, 1994).

Exemple : réalisation d’une typologie


dans la zone de l’Office du Niger, Mali
Dans un premier temps, sont décrits quelques caractères fondamentaux des exploi-
tations considérées ici comme des unités de production pour bien les différencier
des concessions (ou unités de résidence) qui peuvent regrouper plusieurs unités de
production. Les analyses de la taille (surface, nombre de personnes), de l’équipe-
ment (nombre de bœufs de traction, de charrues) ou du degré d’intensification
(taux de double culture, rendements) ont mis en évidence une forte diversité des
conditions de production selon les exploitations (figure 8.1).

35 % U.P. Moyenne : 2,5 bœufs/U.P. 40 % U.P. Moyenne : 25 %


Écart type : 3,1 35 Écart type : 10 %
30
< à 2 bœufs 30 Minimum/augmentation
25 de surface : 25 %
(Minimum nécessaire : 25
20 1 attelage + 2 bœufs)
20
15
15
10 10
5 BF/UP 5
% DC
0 0
0 2 4 6 8 > 10 0 10 20 30 40 > 50

U.P. : unités de production ; BF : Bœuf ; DC : terres en double culture


Figure 8.1. Équipement des exploitations en bœufs de labour, taux de double culture par exploitation
dans trois villages dont les casiers rizicoles ont été réaménagés en 1987.

128
Modélisation de la diversité des exploitations

Pour analyser conjointement plusieurs variables, on peut les croiser deux à deux, mais
s’il y en a beaucoup il est préférable de passer à des analyses multidimensionnelles,
comme des ACP, pour étudier les variables de structure (figure 8.2 ).

DET

CHHA
PTHA

AN
SFCP
RDT MCHG

CHRU
BFHA POPT

axe 1
PROD
BOEU

SURF

axe 2

AN : années depuis installation ; BFHA : bœufs/ha ; BOEU : bœufs ; CHHA : charrues/ha ; CHRU : nombre de
charrues ; DET : dettes ; MCHG : surface maraîchage ; PROD : production riz ; POPT : population totale ; PTHA :
population totale/ha ; RDT : rendement riz ; SURF : surface riz ; SFCP : surface cultures pluviales ;

Dans cet exemple, parmi les variables de structure, celles relatives à la taille de l’exploitation
(surface, main-d’œuvre, production, équipement) concourent fortement à l’axe 1 (qui porte ici 27 %
de la variabilité) et sont donc les variables qui contribuent le plus aux différences entre les exploita-
tions. Sur l’axe 2 (14 % de la variabilité), sont observés plutôt des ratios rapportés à la surface (main-
d’œuvre/ha, équipement/ha) mais aussi l’endettement. Cette démarche peut être poursuivie avec les
axes d’ordre 3, 4, 5 et 6, mais les variables introduites ont de moins en moins de poids explicatif dans
la variabilité totale (respectivement 11 %, 8 %, 7 % et 5 % pour les axes 3, 4, 5 et 6).
Figure 8.2. ACP sur 307 exploitations. Cercle des corrélations entre variables de structure à l’Office
du Niger, axes 1 et 2.

L’ACP, tout comme la CAH, ne peut expliquer la variabilité qu’à partir des variables
qu’elle contient – même si cela paraît évident, il est important de le souligner. Si
l’ACP (ou la CAH) n’intègre que des variables de taille, alors ce sont forcément des
variables de taille qui vont ressortir comme ayant le plus de poids explicatif des
différences entre exploitations. À l’inverse, si dans l’analyse ne sont introduites que
des variables relatives à l’âge du chef d’exploitation et des membres de sa famille,
les exploitations seront différenciées d’après ces variables.

129
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Il faut donc bien réfléchir à la sélection des variables de structure introduites dans
l’analyse, puis relativiser les résultats de ces analyses automatiques en utilisant d’au-
tres informations qualitatives dont on peut disposer sur les exploitations, en parti-
culier le fonctionnement.
Situer les différentes exploitations sur les axes d’une ACP fournit des indications sur
leur proximité en termes de structure (figure 8.3) : des paquets d’exploitations ayant
des caractéristiques proches peuvent être identifiés dans le plan formé par les axes 1
et 2 de l’ACP et éventuellement dans les plans suivants (axes 1 et 3, axes 2 et 3, etc.)
mais la part de l’information qu’ils expliquent décroît rapidement.
Cela peut aussi permettre de guider l’échantillonnage, soit au sein des paquets
d’exploitations proches sur le plan de ces axes, soit en ciblant les cas particuliers,
les extrêmes par exemple, qu’il peut être intéressant de retenir pour des enquêtes
ultérieures.

Tigabougou (N5)
axe horizontal : axe 1, axe vertical ; axe 2
limites imposées : - 5,75 à 6,41/horizontal, - 4,10 à 4,85/vertical
exploitant résidant résidant enquêté
non-enquêté non-résidant enquêté

On observe que beaucoup d’exploitations s’échelonnent le long de l’axe 1, axe dont sont proches les
variables de taille (figure 8.2). Les autres variables, proches d’axes d’ordre 2 ou 3, expliquent moins
les différences entre les exploitations. Mais on note aussi la présence de très grandes exploitations
peu endettées (en bas à droite), comme de très petites exploitations peu endettées (en bas à
gauche) ou au contraire fortement endettées (en haut à gauche).

Figure 8.3. Position des exploitations de l’Office du Niger sur le plan des axes 1, 2 de l’ACP précédente.

130
Modélisation de la diversité des exploitations

Les méthodes de classification par segmentation et de classification ascendante


hiérarchique (CAH) sont adaptées à l’élaboration de typologies pour des macro-
régions, où l’on dispose de données sur un très grand nombre d’exploitations. Les
résultats d’une ACP ou d’une AFC (les nouvelles variables) sont aussi utilisables
pour faire une CAH sur un nombre réduit d’exploitations pour visualiser des
regroupements.

 Typologies de fonctionnement

Définitions et objectifs
Les typologies de fonctionnement visent à analyser puis à classer les processus de
production et de prise de décision dans les exploitations.
Pour comprendre le fonctionnement des exploitations, il faut disposer de données
sur les différentes composantes et sur les relations entre ces composantes. Sebillotte
(1979) définit le fonctionnement d’une exploitation comme l’enchaînement de
prises de décision de l’agriculteur et de sa famille dans un ensemble de contraintes
et d’atouts en vue d’atteindre des objectifs qui régissent des processus de produc-
tion et que l’on peut caractériser par des flux divers, au sein de l’exploitation d’une
part, entre elle et l’extérieur d’autre part. Ce concept amène à différencier plusieurs
niveaux d’objectifs de l’agriculteur (Capillon, 1993) : un niveau global traduisant les
objectifs généraux de l’agriculteur en termes de revenu, de travail et d’avenir de l’ex-
ploitation ; un niveau stratégique déterminant les principales orientations à moyen
terme incluant le choix des productions, leur degré d’intensification, les principaux
moyens de production et les modes de financement ; un niveau tactique concernant
les décisions à court terme, par exemple, choix de travailler d’abord sur une parcelle
plutôt que sur une autre, de privilégier une opération plutôt qu’une autre.
Réaliser des typologies de fonctionnement nécessite de conduire des enquêtes avec
les exploitants. On change donc d’échelle : les temps d’enquête sont relativement
importants, les échantillons retenus seront donc restreints ; il n’est plus possible,
comme pour les typologies de structure, d’inclure toutes les exploitations d’une
région dans la typologie.

Collecte des données


La construction des typologies de fonctionnement ne peut se faire de façon automa-
tique. Elle doit être raisonnée par rapport à un modèle synthétique de fonctionne-
ment qui oriente et guide le mode opératoire à adopter pour rendre compte de la
diversité des exploitations. On doit donc, dans un premier temps, adopter un
schéma général de fonctionnement, qu’on essaie ensuite d’appliquer à toutes les
exploitations. Ce sont les différences observées au sein des relations entre les
composantes du schéma et des grandes caractéristiques de ces composantes qui
permettent de définir différents types. On peut par exemple utiliser comme base les
schémas proposés par Osty (1978), Petit (1981), Sebillotte (1986), ou Capillon
(1993) (chapitre 5).

131
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Quelles informations recueillir ?


Les typologies de fonctionnement peuvent être centrées sur la situation actuelle et
les projets des agriculteurs, c’est-à-dire sur leurs objectifs et leurs stratégies, ce qui
nécessite d’en discuter de manière assez approfondie avec eux.
Elles peuvent aussi s’appuyer sur l’analyse des pratiques des agriculteurs, c’est-à-dire
sur l’observation de leurs façons de faire. On essaye alors d’en déduire ce que cher-
chent à obtenir les paysans et comment ils procèdent pour atteindre les résultats
qu’ils visent.
On va donc chercher à recueillir des informations sur les pilotes de l’exploitation
(l’agriculteur et sa famille, leur âge et leurs objectifs), sur l’environnement socio-
économique et le milieu naturel, sur les composantes du système de production
agricole (cultures et élevages) et sur les autres activités ou sources de revenu. Si
possible, on va aussi chercher à collecter des éléments sur les résultats techniques et
économiques obtenus.
Pour ne pas allonger démesurément la durée d’enquête (déjà importante) et le trai-
tement de l’information (qui doit suivre rapidement l’enquête), il est indispensable de
s’appuyer sur la littérature existant déjà dans la zone et il peut être utile d’effectuer
une pré-enquête, pour pouvoir répondre à quelques questions essentielles.
– Qu’est-ce qu’une exploitation agricole dans la zone considérée ?
– Est-ce que l’exploitation correspond au foyer, à la famille élargie, à une unité
sociale facilement identifiable ?
– Quelle est la nature des relations entre les membres d’une même exploitation ?
– Qui gère les différents systèmes de culture, d’élevage ?
– Quel est le rôle du chef d’exploitation ? Quels sont les rôles des autres membres
de la famille ?
Ces informations sont particulièrement importantes dans les zones où l’exploitation
agricole n’est pas une entité évidente avec un contour technique, économique,
immobilier et social immédiatement perceptible. Ainsi, comme l’a montré Gastellu
(1980) en Afrique, les unités économiques actives ne sont pas toujours simples à
identifier, car les unités de résidence, de consommation, de production et d’accu-
mulation ne sont pas toujours confondues. L’exploitation agricole peut alors être
assimilée à l’unité de production, c’est-à-dire aux individus qui produisent en
commun, même s’ils possèdent par ailleurs des champs individuels, ou habitent dans
une concession regroupant aussi des membres d’autres unités de production
(chapitre 4).
Pour mener des enquêtes sur le fonctionnement des exploitations – contrairement
aux enquêtes de structure qui s’appuient sur des données existantes ou des ques-
tionnaires rapides fermés –, des guides d’entretien semi-directifs sont prévus.
(tableau 8.2, un exemple utilisé au Mali). Outre des précisions sur certaines varia-
bles de structure ou sur les résultats techniques et économiques, on s’intéresse parti-
culièrement à d’autres aspects du fonctionnement – activités non-agricoles,
endettement, place des différents systèmes de culture et d’élevage dans l’alimenta-
tion et la trésorerie –, et à l’histoire de l’exploitation qui permet de comprendre
comment on en est arrivé à la situation actuelle.

132
Modélisation de la diversité des exploitations

Exemple : guide d’enquête en zone irriguée


Un guide d’enquête en zone irriguée a été conçu de façon à collecter pour chaque
rubrique, des données ou des informations (tableau 8.2).

Tableau 8.2. Guide d’enquête en zone irriguée (Jamin, 1994).


Rubriques Informations à collecter
Superficies exploitées Surfaces irriguées, simple et double culture, irrigation
hors-casier, parcelles pluviales, évolutions récentes
Campagne en cours État d’avancement des travaux, problèmes rencontrés
Présentation de la famille Démographie, arbre généalogique sommaire
Main-d’œuvre Qui travaille dans les champs, pour quelle opération ?
Aide, salariat, prix de la main-d’œuvre
Équipement actuel Animaux de trait, matériels agricoles, évolutions
Engrais et fumure organique Quantités utilisées, source (→ cheptel)
Cheptel Bovins (trait, lait, viande), gardé sur l’exploitation,
confiage à des bergers, autre
Ovins, caprins, porcins, chevaux, ânes, volaille,
autres élevages
Résultats des principales Techniques utilisées, problèmes rencontrés,
cultures rendements obtenus
Maraîchage ou autre système Surface officielle, autre culture, localisation
Répartition entre les membres de la famille,
répartition du revenu.
Cultures pratiquées chaque saison.
Concurrence avec le riz de contre-saison
Cultures pluviales Localisation, surfaces, depuis quand, cultures, résultats
Chasse, pêche Importance actuelle et passée
Activités non-agricoles de toute Commerce, transport, artisanat, salariat (où ?), pension,
la famille (femmes comprises) retraite, émigration, commerce de bétail, etc.
Calendrier Répartition des activités dans l’année (→ pointes de travail)
Histoire Histoire de la famille depuis l’installation
(raison de l’installation)
Activités passées, évolution des surfaces, équipement
endettement
Successions, départs, mariages
Salariés Permanents, temporaires, journaliers. Qui les recrute, où ?
Comment mobilise-t-on l’argent pour les payer ?
Répartition familiale Céréales, condiments, vêtements
des dépenses La famille est-elle autosuffisante en céréales (riz + mil) ?
Comment sont utilisés les revenus des femmes
(maraîchage…) ?
Social Organisations paysannes ou autres,
avis sur leur fonctionnement
Encadrement Avis sur les structures d’encadrement, les projets
de développement
Bilan L’exploitant est-il satisfait de sa situation ? Pourquoi ?
Avenir Quel avenir pour l’exploitant, pour ses enfants ?
Projets, perspectives
Avis libre, questions

133
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tout en s’efforçant de ne pas faire une enquête trop longue (2 à 3 heures), il convient
de réserver un moment pour parler de la vision que l’exploitant a de l’avenir
– essayer de rejoindre des exploitations qu’il juge comme des modèles, avoir sa propre
stratégie de développement, etc. Il est également important de lui laisser le temps
d’exprimer ses opinions sur des sujets de son choix et de poser librement des ques-
tions. Outre la politesse et la considération vis-à-vis de l’exploitant que cela traduit
– et qui seront appréciées –, la discussion peut soulever de nouvelles questions.

Analyse des données


Même si les échantillons sont plus réduits que pour des typologies de structure,
l’utilisation de méthodes statistiques peut être intéressante pour l’analyse des
données d’enquête. La coexistence de données quantitatives et qualitatives ne
permet plus d’utiliser l’ACP, mais des analyses multivariées restent possibles,
comme les analyses factorielles de correspondance (AFC). Il faut alors répartir les
réponses aux questions qualitatives selon différentes modalités qui pourront être
codées dans l’AFC. Par exemple, les réponses à une question sur l’autosuffisance
alimentaire peuvent être codées de la façon suivante : 1, assurée chaque année ;
2, jamais assurée ; 3, situation variable selon les années.

Schéma de fonctionnement
La construction de typologies de fonctionnement repose d’abord sur un raisonne-
ment qui s’appuie sur un modèle synthétique de fonctionnement orientant et
guidant le mode opératoire. Ce qui revient à adopter un schéma de fonctionnement
(Capillon, 1993) qu’on essaie d’appliquer à toutes les exploitations ; les différences
observées dans les relations entre les composantes du schéma conduisent alors à
définir les types. Ce traitement manuel des schémas de fonctionnement permet de
récapituler l’information disponible, de l’homogénéiser, de l’ordonner. Cette étape
facilite les comparaisons entre exploitations (figure 8.4).
Les schémas de fonctionnement peuvent être élaborés librement pour chaque exploi-
tation, ou à partir d’un cadre physique commun, ce qui facilite les comparaisons et
les regroupements, même si cela peut rendre difficile le traitement de certains cas
particuliers que le cadre commun permet cependant d’identifier plus aisément.
Certains éléments nécessaires pour établir ces schémas de fonctionnement ont des
répercussions sur les données à recueillir et donc sur les temps d’enquête et la
confiance à obtenir de la part des agriculteurs. Ainsi, les données visant à quantifier
les performances économiques sont évidemment très intéressantes (case résultats
de la figure 8.4). Mais dans certains contextes agricoles, quand la production est
centrée sur des cultures vivrières et très diversifiée, ces données sont difficiles à
obtenir. Dans d’autres situations, zones cotonnières, périmètres irrigués, zones de
plantations fortement intégrées au marché, elles sont d’un accès plus aisé.
L’élaboration de types d’exploitations présentant de fortes similitudes se fait
progressivement, par rapprochement des fonctionnements similaires. Sont pris
aussi en compte les résultats des analyses multidimensionnelles, l’organisation des
différents systèmes de culture et d’élevage, ainsi que les atouts et les contraintes des
exploitations, de façon à identifier les variables les plus discriminantes.

134
Modélisation de la diversité des exploitations

HISTOIRE FONCIER
• Installé depuis 1955 • Riz casier : 2,0 ha
• Départ progressif des bras valides • Hors-casier : 2,5 ha
• Mort fréquente des bœufs de trait • Maraîchage : 0,1 ha
• Instabilité foncière

FAMILLE
CONTRAINTES ATOUTS
• Couple âgé, 71 ans, seuls
Ne s’occupent que du maraîchage Internes Internes
• Absence totale • Besoins limités
de main-d’œuvre • Appui fille et gendre
OBJECTIFS
Externes Externes
• Assurer l’autosubsistance • Accès limité au crédit • Possibilités d’avoir
• Se maintenir sans investir (peu solvable) quelques intrants
• Trouver quelqu’un pour cultiver • Instabilité foncière à crédit (limité)
le champ de riz (menaces de diminution • Ancien champ pluvial
• Payer ses dettes chaque de surface) inondable pour culture
campagne pour éviter l’éviction • Crainte de l’éviction riz hors-casier
ou une diminution de surface

RÉSULTATS STRATÉGIES
• Champ de riz confié à son gendre (casier et hors)
Riz casier 86
• Minimiser les intrants pour minimiser le crédit
• Rendement = 2,3 t
• Exploitation commune du jardin avec sa femme
• Marge Brute = 213 560 FCFA
• Embauche occasionnelle de manœuvres pour jardin
• MB/ha = 106 780 FCFA
• Maïs en hivernage dans jardin (soudure avant riz)
• Charges/MB = 54 %
• Rev Net - Auto = 171 600 F
SPÉCULATIONS
• Riz casier ON = vivrier + collecte
Riz casier 87
• Riz hors-casier = vivrier
• Rendement = 1,5 t
• Maraîchage = vente + autoconsommation
• Marge Brute = 104 800 FCFA
• MB/ha = 52 400 FCFA
CONDUITE
• Charges/MB = 50 %
• Décisions propres seulement pour le jardin
• Rev Net - Auto = 62 800 FCFA
• Riz casier extensif, faible fumure
• Riz hors-casier très extensif
Riz Hors-casier 87
• Double culture maïs/oignon dans le jardin
• Rendement = 0,6 t
• Marge Brute = 42 000 FCFA
CHOIX APPAREIL DE PRODUCTION
• MB/ha = 16 800 FCFA
• Veut conserver surface actuelle
Maraîchage
• Oignon : 500 kg = 75 000 F
AMÉLIORATIONS (AGRICULTEUR)
aucune (pas de décision autonome)

PROBLÈMES CONCLUSIONS
• Ni successeur, ni main-d’oeuvre Exploitation très fragile, quasi disparue
• Revenu très faible,
• Sans main-d’oeuvre, sans équipement, sans héritier
aucune accumulation possible,
• Intensification : pas d’argent pour des salariés,
aucune sécurité
le gendre risque d’avoir du mal à gérer 2 exploitations
• Mauvais planage 1 ha,
• Survie = augmentation du maraîchage
mauvais drainage

Figure 8.4. Exemple de schéma de fonctionnement d’une exploitation rizicole.

135
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Il est important de raisonner en termes de proximité de fonctionnement et non de


rechercher à élaborer des types correspondant à des classes d’effectif égal. Le
tableau 8.3 montre l’exemple d’une typologie réalisée au Mali par des chercheurs.

Tableau 8.3. Typologie élaborée par des chercheurs à l’Office du Niger (Mali), enquête
auprès de 66 riziculteurs.
Type Sous-type Intitulé % des paysans enquêtés
Type Sous-type
A Grandes familles rizicoles, plus de 5 hommes, 12
plus de 10-15 ha irrigués, installation ancienne
A1 Très grandes familles, agriculture intensive, 6
grand élevage
A2 Grandes familles, intensification, 3
élevage en croissance
A3 Grandes familles intensifiant peu, diversification, 3
activités extra-agricoles
B Familles rizicoles de taille moyenne, 33
3 à 6 hommes, 5 à 15 ha irrigués, bon équipement
B1 Agriculture intensive innovante, riz, maraîchage, 8
élevage important, extension
B2 Recherche de la stabilité, sans risque, 8
diversification, capital limité
B3 En extension, développement récent, 13
intensification et diversification
B4 Difficultés pour intensifier, stabilité grâce 4
au maraîchage, faible cohésion
C Petites familles rizicoles, 0 à 3 hommes, 35
moins de 5 ha irrigués, installation/séparation
récente
C1 Intensification avec le réaménagement, 8
bon équipement, développement rapide
C2 Objectif de stabilité, équipement minimal, 15
fragilité
C3 En difficulté, endettement, plus d’équipement, 12
dépendance de l’extérieur
D Non-résidants, activité principale extra-agricole, 20
résidence souvent hors du village
D1 Recherche de revenus élevés dans l’agriculture, 6
intensification, innovation
D2 Objectif d’autoconsommation, intensification 14
minimale, absentéisme
NC Non-irrigants, situation aléatoire en marge Pas d’enquête
de l’Office, clients et salariés des irrigants systématique ;
E Évincés, à la suite d’un endettement répété, 100 % des personnes
hors-casier, pluvial, élevage et salariat en marge de l’Office
P Paysans et éleveurs de la zone pluviale, du Niger
mil et élevage, salariés des irrigants
R Réfugiés du nord, activité agro-pastorale
disparue, manœuvres des irrigants

136
Modélisation de la diversité des exploitations

L’interprétation des cas extrêmes et l’identification d’archétypes, c’est-à-dire des


types d’exploitations anciens tels qu’ils existaient il y a plusieurs décennies, peut
faciliter ce travail. Il peut donc être utile de prendre aussi en compte l’histoire de
l’exploitation et de reconstituer sa trajectoire d’évolution (chapitre 9).

 Typologies à dire d’expert et implication


des agents du développement
L’élaboration de typologies par des chercheurs revêt quelques inconvénients : les
méthodes mises au point sont relativement coûteuses en termes de mobilisation de
compétences (chercheurs, étudiants), seul un petit nombre d’exploitations est pris
en compte, et l’utilisation des résultats par les projets de développement n’est pas
toujours à la hauteur des investissements.
Associer les agents du développement à une démarche typologique a, de ce point
de vue, plusieurs avantages. L’exercice s’appuie sur leur connaissance souvent
approfondie des exploitations et de leur fonctionnement, il permet de traiter un
nombre important de cas, et il est finalisé par des objectifs de développement.
S’ajoute la formation des agents de développement, d’une part au dialogue avec les
agriculteurs et d’autre part à la prise en compte de la diversité. Mais cette approche
présente aussi des risques de biais importants, liés aux préjugés que peuvent avoir
ces agents sur la situation.
Plusieurs démarches peuvent être proposées pour associer les agents de développe-
ment à la construction d’une typologie. Par exemple, la typologie peut être bâtie
entièrement à dire d’expert, ou impliquer les agents de développement à la phase
de collecte de données par enquête – pratique qui permet de confronter les certi-
tudes des agents d’encadrement aux logiques des paysans.

Typologie à dire d’expert


Une méthode pour élaborer une typologie à dire d’expert a été proposée par Perrot
et Landais (1993b).
Les indicateurs discriminants sont choisis au cours d’une enquête auprès d’obser-
vateurs avertis, professionnels considérés comme des experts de l’agriculture
locale : ingénieurs et cadres de structures de développement et de recherche agri-
coles, représentants d’organisations paysannes, agents de vulgarisation et
conseillers, cadres et techniciens d’organismes de collecte et d’approvisionnement.
Ces experts doivent avoir une bonne ancienneté dans la région et maîtriser les
caractéristiques des exploitations afin de pouvoir les regrouper en fonction de leur
mode de fonctionnement.
Par cette méthode, on procède à la caractérisation globale des systèmes de produc-
tion à l’aide de critères multiples (5 à 12). Tout d’abord sont définis les types d’ex-
ploitation, non par leurs frontières mais par leur centre. La construction de ces
typologies peut être laborieuse car elle nécessite une suite d’itérations entre les
déclarations des experts et la réalité.

137
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Cette méthode présente deux grands intérêts. D’une part, elle est assez rapide, car
elle est fondée sur l’avis des experts plutôt que sur de longues enquêtes, d’autre part,
elle valorise les savoirs de l’encadrement agricole fortement associé et, par la même
occasion, les agents d’encadrement conduisent une réflexion commune et se forment
à de nouveaux concepts. Mise en œuvre dans différentes régions françaises (Perrot
et Landais, 1993b ; Erguy et al., 1996), cette méthode est rarement utilisée seule en
Afrique, où elle est plus fréquemment associée à des démarches exigeant un retour
des experts sur le terrain afin qu’ils complètent leur formation et les informations.

Implication des agents du développement dans les enquêtes


L’utilisation de typologies à dire d’expert, à l’exclusion d’autres typologies, risque de
biaiser la vision de l’agriculture d’une région si les experts sollicités ne connaissent
pas très bien l’agriculture locale. Par exemple dans le cas du démarrage d’un projet,
s’il est fait appel à des agents issus d’une autre région, ils auront tendance à « voir »
ce qu’ils connaissent déjà par ailleurs. Au contraire, s’ils connaissent « trop bien »
cette région, avec des objectifs de développement très orientés, ils vont être amenés
à ne percevoir que la partie de la réalité à laquelle on leur a demandé jusque-là de
s’intéresser – par exemple le riz irrigué ou le coton –, ou encore ils vont mettre en
avant une opposition entre les paysans selon qu’ils suivent ou non les techniques
recommandées par l’encadrement.
Pour impliquer ces agents de développement, il peut alors être intéressant de les
inciter à redécouvrir les exploitations de la zone, en les associant à la réalisation des
enquêtes. Une formation minimale préalable aux techniques d’enquête est alors
nécessaire et, en particulier, à l’attitude à adopter, c’est-à-dire ne plus se placer en
position d’expert ou d’agent d’encadrement, mais en position d’explorateur à l’écoute
des paysans. Se placer dans cette posture suppose effectuer en commun des restitu-
tions, et analyser les premières enquêtes, les problèmes soulevés et les trop grandes
certitudes qu’elles ont pu générer. Outre le résultat obtenu en termes de typologie et
de possibilité d’inclure un grand nombre d’exploitations si plusieurs agents participent
aux enquêtes, la démarche a pour intérêt de former les cadres du développement à la
prise en compte de la diversité des exploitations et de les aider à changer de posture
pour être plus en position d’écoute et de conseil que de transmission de messages
standards aux paysans. Dans différentes situations, cette approche s’est révélée un bon
outil de formation des cadres du développement (Jamin, 1993 et 1994).

Exemple : typologie à dire d’expert mise au point à l’Office du Niger


À l’Office du Niger au Mali, à partir d’une typologie existante, les agents d’encadre-
ment ont d’abord été conviés à placer les exploitations qu’ils connaissaient dans une
grille préétablie. Puis, chaque agent a effectué quelques enquêtes approfondies, qui
visaient principalement à le former aux techniques d’enquête et à le faire changer
de posture. Ensuite, à partir d’un questionnaire simplifié, chaque agent du projet a
réalisé une dizaine d’enquêtes. Le plus souvent, ces enquêtes ont été conduites en
binôme, précaution nécessaire à la fois pour des questions de confiance en soi, mais
aussi de formation mutuelle, dans une phase où les agents sont encore néophytes en
matière d’enquête.

138
Modélisation de la diversité des exploitations

La partie la plus délicate, mais aussi la plus révélatrice, est celle où l’on entreprend,
à partir de ces enquêtes, l’élaboration d’une nouvelle typologie ou bien des modifi-
cations d’une typologie existante. À l’Office du Niger, les agents ont choisi de
changer profondément la typologie. Le classement initial, fondé d’abord sur l’his-
toire puis sur le fonctionnement actuel, a été modifié pour mettre en avant les
performances rizicoles actuelles de l’exploitation, et seulement ensuite son histoire
et la structure qui en résulte (tableau 8.4).
Cette nouvelle vision correspondait bien aux priorités des agents : décrire d’abord
la situation actuelle et les performances rizicoles des exploitations, sujets sur
lesquels ils travaillent et qu’ils ont pour mandat d’améliorer. Cette démarche a fait
aussi ressortir la vision fondée sur la distinction des « bons » et des « mauvais »
paysans, des performants et des moins performants. On s’est également aperçu que
ce remodelage avait eu pour effet de faire « disparaître » une catégorie d’exploitants
cadrant mal avec le discours officiel : les doubles-actifs, très nombreux en pratique,
mais officiellement bannis des casiers irrigués, et parmi lesquels on retrouve la
plupart des agents de la structure d’encadrement.

Tableau 8.4. Typologie à dire d’expert. Réalisée par les agents de l’Office du Niger
au Mali, correspondance avec typologie des chercheurs (tableau 8.3).
Groupe Sous- Descriptif Riziculteurs
groupe enquêtés (%)
Groupe 1 Systèmes intensifs, intensification du riz. 7
(Regroupe les types A1, A2, B1, C1, D1, tableau 8.3)
1A Très grandes familles ayant intensifié 1
et investissant ensuite hors-agriculture
1B Familles de taille variable, paysans pilotes, 4
investissant hors agriculture
1C Familles de taille variable, intensification récente, 2
accumulation de capital en cours
Groupe 2 Paysans sécurisés ; rendement correct, diversité 28
des activités. (Reprend les types A2, A3, B2, B3
et les C1 qui ont diversifié, tableau 8.3)
2A Capital important ; situation de transit vers le groupe 1 8
ou limitation par l’état du casier ou la cohésion familiale
2B Capital faible ; familles stables grâce à la diversité 20
de leurs activités et familles en cours d’intensification
sur la riziculture
Groupe 3 Exploitations en équilibre précaire. 30
Rendements en riz faibles, équipement minimum.
Diversification vitale. (Types B2, B4 et C2, tableau 8.3)
3A Grandes familles sur la pente descendante, 2
avec des problèmes de cohésion
3B Petites familles recherchant la stabilité 28
Groupe 4 Familles en difficulté. Rendements faibles 18
et manque d’équipement. (Type C3, tableau 8.3)
Groupe 5 L’agriculture comme appoint alimentaire. 17
Non-résidants de type D2 (tableau 8.3)

139
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Cet exemple montre qu’une typologie est rarement neutre. Ses auteurs, qu’ils soient
chercheurs ou agents de développement, ont des objectifs propres, explicites ou
implicites, et éventuellement une histoire commune avec ces exploitations qui
ressort directement ou indirectement dans un travail.

 Actualisation et emploi des typologies


Un des problèmes posés par les typologies est la vitesse de leur obsolescence, qui
peut être assez importante dans les régions où l’agriculture évolue rapidement. Pour
rendre les typologies plus durables, il est utile de les rendre moins directement
dépendantes de la situation actuelle des exploitations en les ancrant dans l’histoire
(chapitre 9). Une autre possibilité est d’essayer de les actualiser périodiquement,
notamment à l’aide d’observatoires permanents, ou lorsque les critères discrimi-
nants choisis s’appuient sur des variables de structure relativement faciles à mettre
à jour, à partir des bases de données statistiques courantes ou à partir d’enquêtes
rapides. On peut aussi utiliser des groupes d’experts qui pourront actualiser les
typologies existantes à partir des connaissances provenant de leurs contacts quoti-
diens avec les exploitants, sans qu’il soit besoin de recourir à de nouvelles enquêtes.
Mais il peut aussi être nécessaire de reprendre plus profondément les travaux de
typologie entrepris dans le passé pour prendre en compte de nouvelles préoccupa-
tions du développement, comme l’environnement ou la multifonctionnalité
(Landais, 1998), qui deviennent essentielles dans de nombreuses régions du monde,
y compris en Afrique.

Utilisation des typologies pour l’action


Les typologies sont avant tout des outils d’analyse et de connaissance. Mais, elles
sont aussi utiles pour raisonner les orientations, les thèmes et les cibles du conseil
agricole, sans toutefois qu’il soit souhaitable d’aboutir à un conseil automatique,
systématisé par type.
Pour promouvoir un conseil technique particulier, les typologies doivent être réflé-
chies dès le départ par rapport à cet objectif précis. On perd alors le côté générique
et la compréhension globale de la diversité, mais cette attitude peut être plus opéra-
tionnelle.
En facilitant l’identification des grandes catégories d’exploitations dans une même
zone, une typologie permet de déterminer des critères, par exemple par rapport à
l’intérêt de développer pour tel groupe d’exploitants une démarche de conseil – les
plus lettrés, les plus nantis, les petits paysans, ceux équipés en traction animale, ceux
produisant du riz dans les périmètres, etc. (exemple dans le tableau 8.5). Elle reste
cependant dépendante du choix a priori des critères de classification, qui n’ont pas
forcément été identifiés en fonction d’un objectif de conseil. Elle ne doit pas servir
à identifier les participants au conseil ou à les répartir en groupes homogènes
imposés, car la constitution de groupes doit aussi répondre à d’autres logiques que
l’homogénéité des situations : volontariat, réseau social, intérêt pour un thème
particulier, etc. (Faure et al., 2004).

140
Modélisation de la diversité des exploitations

Cependant, les typologies peuvent être utiles pour s’interroger sur les conseils à
apporter à différents types d’exploitants. Ainsi, à l’Office du Niger, on a essayé avec
les conseillers agricoles de réfléchir aux conseils qui pourraient être pertinents pour
différents types d’exploitation et aux propositions techniques qui pourraient servir
de base de discussion avec eux. Par exemple, des propositions ont été discutées pour
les grandes exploitations qui intensifient (A1), pour les petites exploitations à la
recherche de l’équilibre (C2) et pour les exploitants non-résidants dont le seul
objectif est l’autoconsommation (D3) (tableau 8.5).

Tableau 8.5. Conseils proposés aux exploitations (cf. typologie, tableau 8.3).
Type Riziculture Maraîchage Diversification Diversification
agricole hors culture
A1 Viser les rendements Parcelle commune : Différents axes Valoriser le capital :
maxima : – spéculation à très de diversification : maisons, transport,
– forte fumure (150 N, P) forte valeur (pomme – maïs en hivernage décorticage, travail
– repiquage précoce de terre, ail, salade, dans les jardins du sol à façon,
– travail du sol soigné carotte) individuels transformation du
et planage Parcelles individuelles : – fourrages pour maraîchage (séchoirs)
– développer double – diversification les animaux
culture en saison froide maximale – pisciculture possible
et chaude – apport d’engrais, sur des surfaces
– herbicides possibles insecticides, importantes
– augmentation semences qualité
de surface possible
– accès à la motorisation
avec matériel adapté
à la taille des parcelles
C2 Rechercher la stabilité : Recherche Prématurée Petit commerce
– réduire la double la diversification de riz ou de produits
culture au minimum en utilisant peu maraîchers,
pour la soudure d’intrants et en évitant transformation
– investissement les espèces à risque artisanale des produits
en travail de repiquage (pomme de terre,
et de désherbage ail...)
plus que dans le travail
du sol ou l’apport
d’engrais (75 N, impasse
momentanée sur P)
– semis direct prégermé
sans herbicide possible
en double culture
D2 Viser rendement moyen : À limiter Exclue Centrée sur le métier
– Apport minimum à la consommation d’origine (souvent,
d’intrants (75 N, familiale pas de capital)
impasse sur P)
– travail du sol minimum
ou non travail du sol
– repiquage ou semis
en sec sans herbicide

141
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Certaines typologies sont particulièrement orientées vers l’accompagnement du


conseil et de l’innovation technique. L’opérationnalité est alors privilégiée sur l’analyse
du fonctionnement. Ainsi, dans le concept de Recommendation Domains ou domaine
de recommandation (issu de la recherche anglo-saxonne), le domaine n’a pas un
caractère géographique, il représente un groupe homogène d’exploitants ayant les
mêmes problèmes pour une culture ou une activité donnée et relevant donc des
mêmes conseils (Harrington et Tripp, 1984), par exemple les domaines liés à l’équi-
pement de l’exploitation ou au milieu naturel. Mais cela ne veut pas dire que les
exploitations d’un même domaine ont les mêmes potentialités de développement à
moyen terme (Bingen, 1987). Typologie et domaines de recommandation sont définis
pour regrouper les agriculteurs pour des actions de développement en tenant compte
de la diversité des exploitations, mais la définition d’un type est en général plus
complexe que celle d’un domaine, plus systémique et moins orientée vers l’action
immédiate sur une culture donnée (Rey, 1989). D’une façon générale, les typologies
constituent un outil utile pour le conseil agricole, mais elles ne sauraient en consti-
tuer le cadre rigide. En termes de conseil, il faut en effet distinguer ce qui peut relever
de problématiques de groupe (techniques culturales, choix d’une activité, etc.) des
problématiques individuelles (projets à moyen et à long terme de l’exploitation).
Les typologies peuvent aider les décideurs à définir et à mesurer l’impact des poli-
tiques de développement, elles peuvent aussi guider la recherche et le développe-
ment dans les thématiques à prendre en compte pour accompagner les agriculteurs.
Dans le cas de l’Office du Niger, les questions soulevées lors de la réalisation de la
typologie, – sur la marginalisation d’une partie des agriculteurs, sur la présence de
réfugiés ou autres exclus sans terre et sur le rôle des cultures implantées en dehors
des casiers officiels –, ont conduit les autorités et le bailleur de fonds, d’une part à
planifier une extension des surfaces aménagées afin de faciliter l’intégration de ces
personnes et, d’autre part à mettre en œuvre des programmes d’accompagnement
pour les paysans endettés. Elles ont aussi guidé l’orientation des recherches, par
exemple pour trouver des solutions privilégiant la souplesse dans le calendrier agri-
cole, la diversification des cultures ou la sécurisation des résultats techniques, alors
qu’à l’origine elles visaient principalement l’intensification rizicole maximale.
Les typologies sont donc tout à la fois des méthodes de diagnostic, des outils péda-
gogiques, des guides pour l’action auprès des agriculteurs, et des moyens de
produire une information utile aux décideurs. Elles s’insèrent dans une démarche
d’ensemble en direction du développement. La typologie est un outil qui se trans-
forme en fonction de l’évolution des problèmes posés par l’agriculture (Landais,
1996). C’est donc une démarche qui peut prendre des formes diverses, à adapter en
fonction des terrains, des objectifs, des questions, des acteurs de sa mise en œuvre,
du temps disponible, des données préexistantes…

Exemple de démarche typologique à l’Office du Niger au Mali


La démarche adoptée a suivi différentes étapes :
– interrogations initiales sur le développement de la zone et la diversité ;
– choix de villages en zone réaménagée et non-réaménagée ;
– analyse rapide (multivariée) de la diversité des structures avec les données existantes ;

142
Modélisation de la diversité des exploitations

– choix de 65 exploitations à enquêter en détail ;


– enquêtes sur le fonctionnement ;
– élaboration d’une typologie par les chercheurs (fonctionnement et trajectoires) ;
– test rapide de l’intérêt de cette typologie avec les cadres du développement ;
– extension et reformulation de la typologie avec les agents du développement ;
– utilisation de la typologie (orientation des recherches, formation, conseil agricole,
questions aux décideurs).

 Diversité des exploitations familiales africaines :


exemples de typologies
L’élaboration de typologies en conditions tropicales africaines présente quelques
spécificités.
La première est relative à la notion d’exploitation agricole en Afrique (chapitre 4),
sur laquelle il convient toujours de s’interroger avant de se lancer dans une typo-
logie : on ne peut en effet classer ces systèmes si l’on ignore leur nature exacte, leurs
frontières, ou les différents centres de décision qui les pilotent. Au besoin, il
convient d’ailleurs d’identifier des sous-systèmes pour des activités présentant une
grande autonomie au sein de l’exploitation (sous-exploitation maraîchère des
femmes ou des cadets par exemple).
La seconde spécificité a trait aux données disponibles, souvent peu nombreuses,
hétérogènes, et dont la fiabilité statistique est incertaine. Les zones fortement enca-
drées par des sociétés de développement font exception, mais les données disponi-
bles sont souvent très orientées par rapport à l’objectif de ces sociétés et il convient
donc de chercher à les compléter, sans toutefois les négliger, car, par leur étendue,
elles constituent des bases intéressantes pour discuter la pertinence et la possibilité
de généralisation d’études plus ponctuelles.
Les deux exemples qui suivent traitent de deux types d’exploitations très différentes
par leur nature (agricoles et pastorales), mais aussi par leur environnement – enca-
drement important dans le cas des exploitations cotonnières, quasi inexistant dans
le cas des élevages laitiers (encadré 8.1, p. 152 et 153).

Diversité des exploitations cotonnières d’Afrique centrale


Le Pôle régional de recherche appliquée au développement des savanes d’Afrique
centrale (Prasac) s’est intéressé au conseil de gestion aux exploitations. Pour cela, il
fallait déterminer à quelles exploitations s’adresser pour démarrer des actions de
conseils. Une analyse de la diversité des exploitations agricoles des savanes du
Cameroun, de la République centrafricaine et du Tchad a donc été conduite. Les
typologies élaborées ont pris en compte la structure et le fonctionnement des
exploitations (Mbétid-Bessane et al., 2003).
Pour construire les typologies de structure, les données ont été collectées par
enquête essentiellement par des questions fermées sur la famille, les superficies et

143
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

les productions des différentes cultures, les intrants, les animaux, les matériels agri-
coles, la main-d’œuvre, les attelages et les activités extra-agricoles. L’enquête n’a
demandé en moyenne que trente minutes par exploitation, car globalement
les exploitations des savanes d’Afrique centrale cultivent de faibles superficies
(2 à 3 ha), possèdent peu de capital en animaux et en équipement. Les familles sont
relativement peu nombreuses (5 à 6 personnes). Ainsi, les enquêtes ont concerné
2 500 exploitations des six terroirs de référence du Prasac et les données ont servi à
créer une base de données régionale.
Au Cameroun et au Tchad, la méthode de segmentation a été utilisée pour élaborer
une typologie à partir de ces enquêtes. Deux critères, le sexe du chef d’exploitation
(CE) et l’accès à la traction animale, ont été jugés discriminants pour concevoir le
conseil aux exploitations (Djonnewa et al., 2000 ; Djondang et Leroy, 2001) et pour
les questions d’équipement (Vall et al., 2002). En République centrafricaine, des
méthodes d’analyse multidimensionnelle (notamment l’ACP) ont été utilisées à
partir de plusieurs critères de structure (Mbétid-Bessane, 2002).
Le fonctionnement des exploitations a aussi été étudié car deux exploitations ayant
une même structure n’ont pas forcément le même fonctionnement. Les données ont
été collectées à l’aide de guides d’entretien ouverts laissant plus de place aux discus-
sions (histoire, objectifs, stratégies, atouts, contraintes, performances et pratiques
des exploitations). Ces entretiens, couplés à des observations, ont concerné 40 à
100 exploitations selon les villages. Ils se sont déroulés en 2 ou 3 passages de 1 à
2 heures chacun.
L’objectif initial était d’élaborer une typologie unique pour l’ensemble de la zone. En
pratique, les contextes politiques, sociaux et économiques se sont révélés trop diffé-
rents pour le permettre. En effet, les stratégies des exploitations dans une situation
relativement favorable comme le Cameroun, – société cotonnière active, infrastruc-
tures routières très développées, opportunités de commercialisation nombreuses –,
diffèrent fortement de celles opérant dans un contexte très contraint comme en
République centrafricaine – effondrement de la société cotonnière, infrastructures
routières minimales et souvent impraticables en saison des pluies, opportunités de
commercialisation très restreintes. De plus, dans les trois pays, les organisations de
développement partenaires du Prasac avaient émis des demandes différentes.
Les typologies de structure avaient pour objectif de cerner la variabilité des moyens
de production, mais aussi de constituer des échantillons pour les études sur le
fonctionnement des exploitations et les travaux de recherche thématiques (suivi de
parcelles, d’animaux, etc.).
Au Cameroun et au Tchad, la segmentation des exploitations à partir du sexe du
chef d’exploitation et de l’accès à la traction animale a mis en évidence quatre types
d’exploitation (tableau 8.6). Selon les besoins des utilisateurs, des sous-types sont
différenciés. Par exemple, au Cameroun, pour les travaux sur la traction animale, le
type II a été scindé entre bouviers, paysans ne possédant pas d’attelage et utilisant
les animaux de trait d’un propriétaire sur leurs propres parcelles 1 jour sur 4 en
moyenne, et locataires proprement dits.
En République centrafricaine, les résultats de l’ACP ont mis en évidence trois types
de producteurs (tableau 8.7).

144
Modélisation de la diversité des exploitations

Tableau 8.6. Répartition des exploitations dans la typologie de structure réalisée par
segmentation (Cameroun, Tchad).
Pays Types définis en fonction du sexe et de la traction animale
Types I Types II Type III Type IV
Femmes, Homme et Homme et Homme et
pas de traction non utilisateur de utilisateur de propriétaire de
animale traction animale traction animale traction animale
Cameroun 10 10 46 34
(% par type)
Tchad 9 9 56 26
(% par type)
Source : Mbétid-Bessane et al., 2003.

Tableau 8.7. Typologie de structure des exploitations en République centrafricaine


à partir de l’ACP.
Caractéristiques Types I Type II Type III
agriculteurs agro-éleveurs doubles-actifs
Producteurs (%) 64 19 17
Population / exploitation 6,7 6,0 4,9
Nombre d’actifs / exploitation 3,3 2,9 2,4
Équipement traction animale (%) 10 11 0
Surface cultivée (ha) 2,6 2,0 1,1
Valeur du cheptel (FCFA) 163 000 658 000 65 000
Revenu monétaire dominant agriculture élevage cueillette-chasse-pêche
Source : Mbétid-Bessane, 2002.

Dans les trois pays, ces typologies de structure, réalisées sur l’ensemble des exploi-
tations des terroirs, ont été utilisées par les autres composantes du projet pour
choisir des échantillons de travail. Ainsi, au Cameroun, les études sur le fonction-
nement des exploitations ont été conduites sur des échantillons tirés au hasard dans
les quatre types définis par la typologie de structure.

Typologies de fonctionnement
Plusieurs typologies de fonctionnement ont été réalisées dans le cadre du Prasac.

Valorisation des objectifs et des stratégies des agriculteurs


Les premières typologies privilégient les objectifs et les stratégies des agriculteurs
comme critères déterminants du fonctionnement. Dans les trois pays, trois grands
types de fonctionnement ont été reliés aux objectifs poursuivis par les agriculteurs :
le revenu monétaire élevé et la capitalisation, l’autosuffisance alimentaire et le
revenu monétaire, la sécurité alimentaire (tableau 8.8). Les agriculteurs ont déve-
loppé différentes stratégies en fonction de leur environnement.

145
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 8.8. Les types de fonctionnement des exploitations au Cameroun, au Tchad


et en République centrafricaine.
Pays Types Dénomination Effectif (%)
par pays
Cameroun C6 Grandes exploitations d’agro-éleveurs dégageant 13
(Terroirs Fignolé des surplus alimentaires et monétaires, possédant
et Mowo) la traction animale et capitalisant dans l’élevage
C5 Exploitations dégageant des revenus 16
extra-agricoles importants
C4 Jeunes exploitations en phase de croissance 15
dégageant des surplus alimentaires et monétaires.
Certaines possèdent des attelages
C3 Exploitations de taille moyenne sans attelages 32
assurant difficilement l’autosuffisance alimentaire
et dégageant de faibles revenus
C2 Jeunes exploitants sans attelages en situation précaire, 15
car n’assurant pas la sécurité alimentaire,
dégageant de faibles revenus
C1 Exploitations en phase de déclin gérées par des vieux 9
Tchad T5 Grandes exploitations dynamiques en phase 27
(Terroir de diversification possèdent des attelages,
Béhongo) autosuffisance alimentaire assurée et dégagent
des revenus monétaires importants
T4 Exploitations en phase de capitalisation 10
et à stratégie extra-agricole importante
T3 Jeunes exploitations en phase d’investissement, 10
la moitié possède un attelage
T2 Exploitations en situation difficile et à stratégie 15
de revenus d’élevage
T1 Exploitations en situation difficile ne couvrant 39
pas les besoins alimentaires
République R6 Exploitations à stratégie cotonnière intensive 6
centrafricaine R5 Exploitations à stratégie d’élevage marchand 11
R4 Exploitations à stratégie vivrière marchande 34
R3 Exploitations à stratégie de répartition 24
de risques entre activités
R2 Exploitations à stratégie apicole 8
R1 Exploitations à stratégie cueillette-chasse-pêche 17
Sources : Mbétid-Bessane et al., 2003 ; Mbétid-Bessane, 2002 ; Ngardouel, 2002.

Au Cameroun et au Tchad, un peu plus de la moitié des exploitations ont des diffi-
cultés pour assurer la sécurité alimentaire de leur famille, environ 20 % (souvent de
jeunes paysans) sont en situation de léger surplus monétaire et alimentaire et
peuvent envisager de capitaliser, les autres exploitations (environ 30 %) sont en
cours de capitalisation. Ces chiffres indiquent une forte différenciation entre les
exploitations avec, d’une part de grandes exploitations au capital et aux revenus
importants et, d’autre part des exploitations sans capital et en déficit céréalier. Les

146
Modélisation de la diversité des exploitations

exploitations (surtout des jeunes) qui arrivent à dégager des surplus alimentaires et
monétaires en vue de capitaliser sont peu nombreuses et leur fonctionnement met
en évidence les difficultés rencontrées par les paysans à entamer un processus de
développement de l’exploitation qui leur permettrait de vivre de l’agriculture. Ainsi,
de nombreuses exploitations ne parviennent pas à dépasser la couverture des
besoins alimentaires et monétaires prioritaires (types C3 et T1). C’est une des
raisons de l’exode important des jeunes vers les villes – ils espèrent y trouver les
moyens de capitaliser en dehors de l’agriculture pour pouvoir ensuite relancer cette
activité – et de la migration vers les fronts pionniers pour trouver des conditions
plus favorables, en particulier des terres disponibles.
En République centrafricaine, les exploitations en difficulté (25 %) et celles en
phase de capitalisation (17 %) sont moins nombreuses que les exploitations de
niveau intermédiaire qui ont de légers surplus monétaire et alimentaire (58 %). De
nombreuses exploitations y sont en cours d’évolution (croissance, déclin), la situa-
tion paraît moins figée qu’au Cameroun et au Tchad, et les paysans peuvent donc
envisager un développement de leur exploitation.
En République centrafricaine, une clé de détermination des types de fonctionne-
ment a été construite pour faciliter l’utilisation de la typologie par les agents du
développement. À partir de quatre critères simples (nombre d’actifs, niveau d’équi-
pement, capital d’élevage, revenu monétaire dominant), une exploitation (hors
échantillon) peut être rattachée à un type de fonctionnement (tableau 8.9).

Tableau 8.9. Clé de détermination des types d’exploitations en République centrafricaine.


Nombre Équipement Capital Revenu dominant Type
d’actifs d’élevage (> 50 % du total)
≥4 Important Moyen Revenus du coton A1
≥ 3,5 Moyen Important Revenus du bétail A2
3–4 Faible Moyen Revenus vivriers B1
3–4 Faible Moyen Aucun B2
<3 Nul Faible Revenus apicoles C1
<3 Nul Faible Revenus cueillette-chasse-pêche C2
Source : Mbétid-Bessane, 2002.

Typologies fondées sur les pratiques de gestion


Dans une deuxième phase, les typologies réalisées s’appuient sur les pratiques de
gestion des agriculteurs en réponse à une question précise.
Au Cameroun, en appui à la mise en œuvre du conseil de gestion, deux grandes
catégories d’exploitations ont été distinguées selon le mode de gestion des
ressources alimentaires et monétaires ; elles sont subdivisées chacune en deux types
(Balkissou, 2000) (tableau 8.10 et figure 8.5.). En République centrafricaine, une
étude sur les pratiques des exploitations concernant la gestion du travail et de la
trésorerie a été menée pour mieux comprendre les processus de décision des agri-
culteurs afin d’orienter le conseil de gestion aux exploitations (Mbétid-Bessane,
2002). Ainsi deux types de pratiques de gestion ont été identifiés (tableau 8.10).

147
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 8.10. Typologies de fonctionnement des exploitations agricoles au Cameroun


et en République centrafricaine.
Pays Catégorie/Type Définition Effectif (%)
Cameroun 1 Exploitations parvenant à l’autosuffisance alimentaire 43
à partir de leur production, l’homme assure
pratiquement toutes les fonctions
A Grandes exploitations d’agro-éleveurs 29
dégageant des surplus alimentaires
et monétaires importants
B Exploitations de taille moyenne assurant 14
la sécurité alimentaire par leur production,
et dégageant un revenu monétaire de la vente
du coton, l’homme est le principal producteur,
mais la femme contribue aussi
2 Exploitations en situation critique, les femmes 57
y jouent un rôle majeur dans la satisfaction
des besoins alimentaires et monétaires
C Petites exploitations agricoles en situation 28
de déficit alimentaire, malgré la disponibilité
en terre (déficit comblé par le revenu du coton),
et dégageant un revenu grâce aux activités
extra-agricoles des femmes. La femme joue
un rôle important grâce à ses revenus d’appoint
D Petites exploitations agricoles en situation 29
critique (manque de terre et de capital) ;
les périodes de soudure sont difficiles,
les femmes jouent un rôle déterminant
dans la sécurité alimentaire et les revenus
République 1 Exploitations à gestion centralisée ayant 29
centrafricaine une stratégie cotonnière intensive et de l’élevage
marchand. La gestion de ces exploitations
est placée sous la responsabilité du père
de famille, il y a un seul centre de décision
2 Exploitations à gestion décentralisée, 71
ayant des stratégies de répartition de risques
entre activités (vivrière marchande, apicole
et cueillette-chasse-pêche). La gestion
est partagée entre le père de famille
et son épouse, il y a deux centres de décision

Utilisation des typologies


Pour définir une politique de développement agricole durable, il est utile d’évaluer
l’importance d’un problème à partir du nombre et du type d’exploitations concer-
nées. Cette évaluation est désormais possible, à moindre coût, grâce à une enquête
légère et rapide pour identifier les types intéressés.
À l’aide d’une clé de détermination, on peut repérer les types d’exploitation : clas-
sement des exploitations, effectif des différents types dans un espace donné (village,
commune, région, etc.).

148
Modélisation de la diversité des exploitations

Couverture des besoins alimentaires

Chef exploitation Femme

Produire céréales Produire Produire


Légumineuses céréales
Autosuffisance Achat céréales
Alimentaire Autoconsommation
Vente Autres et vente
Coton Revenus Achat céréales

Type Type Type Type Type


A et B C D A et B C et D

Flux et utilisation de la trésorerie


Chef exploitation Femmes et autres membres de l’EA
(25-30 % des revenus)

Vente du coton Vente du coton, des légumineuses


Activités extra-agricoles
Activités extra-agricoles
Investissement
Dépenses prioritaires
Achat céréales
Achat céréales
Dépenses prioritaires

Type Type
Type A Type B Type C Type D
A et B C et D

Figure 8.5. Pratiques de gestion des ressources alimentaires et monétaires des exploitations agricoles
au Nord Cameroun.

Suivi et choix d’un échantillon d’exploitations


Pour mesurer les effets des évolutions socio-économiques sur les exploitations, une
actualisation périodique des typologies est nécessaire dans un échantillon donné. Il
est possible aussi de prévoir le suivi d’un échantillon de référence des différents
types d’exploitations. Cette méthode est un bon moyen d’évaluer l’impact des poli-
tiques agricoles et des actions de développement sur les exploitations d’une région,
elle a été mise en pratique au Cameroun par la cellule de suivi et d’évaluation de la
Sodecoton en 1999.
Les typologies – qui caractérisent la diversité des exploitations et reflètent les diffé-
rences de moyens de production, d’objectifs, de stratégies, de stades de développe-
ment et de pratiques – sont utilisées dans les travaux de recherche en milieu paysan
et dans les activités de recherche-développement, de vulgarisation et de conseil
d’exploitation, par exemple pour choisir les échantillons d’exploitations, puis pour
valider (extrapoler) les travaux menés sur un échantillon.

Conseil aux exploitations et vulgarisation de nouvelles techniques


Les travaux menés ont aussi permis de mieux préciser l’apport des typologies
au conseil. Des groupes de producteurs pour le conseil sont créés sur la base du

149
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

volontariat, ensuite les typologies aident les animateurs à constituer des sous-
groupes en fonction des problèmes spécifiques qui se posent. En outre, les typolo-
gies fournissent aux animateurs des référentiels sur les exploitations. Ils peuvent
ainsi mieux apprécier les évolutions possibles et par conséquent conseiller plus judi-
cieusement. À l’aide des typologies, il est aussi possible de mieux caractériser les
cibles touchées par le conseil, en examinant la répartition des exploitations
conseillées dans les différents types de fonctionnement (tableau 8.11), et donc de
procéder aux ajustements nécessaires.

Tableau 8.11. Répartition des exploitations en conseil de gestion à Mowo et Fignolé


(Nord Cameroun) par rapport à la typologie des exploitations de ces terroirs.
Type Définition En conseil Tout le
(%) village (%)
C6 Grandes exploitations d’agro-éleveurs ayant des surplus 38 13
alimentaires et monétaires, possédant des attelages
et capitalisant dans l’élevage
C5 Exploitations dégageant des revenus extra-agricoles importants. 16 16
Certaines possèdent des attelages
C4 Jeunes exploitations en phase de croissance dégageant 23 15
des surplus alimentaires et monétaires.
Certaines possèdent des attelages
C3 Exploitations de taille moyenne assurant difficilement 11 32
l’autosuffisance alimentaire et dégageant de faibles revenus.
Pas d’attelage
C2 Jeunes exploitants en situation précaire, n’assurant pas 12 15
la sécurité alimentaire et dégageant de faibles revenus.
Pas d’attelage
C1 Exploitations en phase de déclin gérées par des agriculteurs âgés 0 9
Source : Ousmanou, 2002.

On remarque que dans tous les types de fonctionnement, excepté celui en phase de
déclin (C1), des exploitations se sont engagées dans la démarche de conseil. Mais
les exploitants dégageant des surplus alimentaires et des revenus relativement
importants (C5 et C6) et les jeunes en phase de croissance (C4) sont les plus inté-
ressées par le conseil. En revanche, les exploitations en difficulté, ne dégageant pas
ou peu de revenus (C2 et C3), ne voient pas bien ce que le conseil peut leur apporter
et sont enclins au fatalisme.
Dans le cadre de la vulgarisation, les typologies permettent de diversifier les actions
de formation et d’introduction d’innovations en fonction des types d’exploitations
définis, et aussi de mettre en évidence quelles sont les exploitations réellement
concernées par les thèmes et les innovations vulgarisées, et celles qui ne le sont pas.

Intérêts et limites
Les méthodes et les outils typologiques développés ont permis de caractériser et de
représenter la diversité des exploitations. Les informations générées sont utiles à la

150
Modélisation de la diversité des exploitations

fois pour les organismes de recherche et pour ceux en charge du développement.


Les typologies (cas types) représentent des références pour le conseil et les simula-
tions. En effet, elles permettent de mesurer les effets de l’environnement socio-
économique sur les caractéristiques et la performance des exploitations, de
comparer entre elles des exploitations effectivement comparables, mais aussi d’ap-
précier, évaluer et orienter les actions de recherche et de recherche-développement
par l’élaboration de références adaptées dont le domaine de validité est délimité, et
la structure précisée.
Cependant, la mise en œuvre de ces méthodes a des limites. La première concerne
la collecte de données par enquête, très exigeante en temps. Cela nous a amené à
travailler sur des dispositifs lourds, mais aussi sur de petits échantillons forcément
peu représentatifs, et enfin à mener des opérations couvrant une zone limitée. De
plus, la fiabilité des données recueillies lors des enquêtes rapides par des personnes
non-expérimentées (temporaires, étudiants) est parfois contestable. La seconde
concerne les méthodes de traitements utilisées, toutes influencées par le choix des
critères discriminants et des variables à analyser. Bien que les typologies présentent
un grand intérêt, ces limites freinent leur utilisation par les organismes de dévelop-
pement. La simplification des typologies, à l’exemple de la clé d’identification déve-
loppée en République centrafricaine, et l’implication de cadres et d’ingénieurs du
développement dans leur élaboration sont indispensables à leur plus large diffusion.

Encadré 8.1. Diversité des exploitations laitières africaines :


de l’autoconsommation à l’élevage spécialisé
Bernard FAYE, Christian CORNIAUX, Guillaume DUTEURTRE, Véronique ALARY
Produit traditionnel, mais aussi symbole de la modernité, le lait témoigne en Afrique de
la grande diversité des acteurs économiques engagés dans la production agricole. À partir
d’une typologie des exploitations laitières décrites dans la littérature et dans différents
contextes, nous avons discuté la pertinence du concept d’exploitation agricole familiale
dans le secteur de l’élevage en Afrique.
La production de lait en Afrique est essentiellement vouée à l’autoconsommation et au
don. Elle constitue la base de l’alimentation des familles, qu’elles soient nomades ou
sédentaires. Mais pour les pasteurs, le lait constitue également une monnaie d’échange.
Et joue un rôle dans les relations de confiage.
Concept d’exploitation chez les éleveurs
La notion d’exploitation chez les éleveurs est problématique : elle se heurte en effet aux
pratiques de scission du troupeau et de la famille pendant les périodes de transhumance,
à l’enchevêtrement des titres de propriété des animaux composant les troupeaux, à l’im-
portance de l’autoconsommation du lait et aux pratiques de rétribution en nature du
gardiennage. Cette notion d’exploitation chez les éleveurs a été développée par le minis-
tère de l’élevage au Tchad dans un document daté de 1993.
La croissance de la demande urbaine en lait et produits laitiers a modifié les systèmes de
production avec parfois une division du troupeau, la partie productive étant sédentarisée
autour des villes, et la partie reproductive (ou vouée à l’engraissement) étant maintenue
en zone pastorale. Les notions de troupeau, et donc d’exploitations laitières, se
complexifient donc. La contrainte foncière, mais aussi alimentaire, dans les zones
proches des bassins de consommation, conduit les producteurs à ne conserver autour des
villes que les animaux en production. Les animaux non-productifs (femelles taries, jeunes

151
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 8.1. (suite)


sevrés, mâles non voués à la reproduction) sont mis à la garde d’un berger dans les zones
pastorales. Cette différenciation spatiale se traduit par des flux d’animaux, mais aussi de
fourrages et de services, entre zones pastorales et périurbaines. À l’extrême (par exemple
en Mauritanie), les producteurs laitiers achètent les femelles en fin de gestation pour
bénéficier du démarrage de la lactation et revendent ou abattent les femelles dès l’arrêt
de leur production laitière (Faye et al., 2001). Les exploitations se spécialisent, la diver-
sification des activités et des lieux aboutit à deux types d’exploitations : des éleveurs nais-
seurs et des éleveurs laitiers.
De manière parallèle, des systèmes agricoles se tournent vers les activités d’élevage et
notamment la production d’étables laitières. Ces nouveaux agro-éleveurs pratiquent un
élevage généralement plus intensif, fondé sur la complémentation alimentaire des
animaux, la valorisation du fumier ou de la traction et la livraison journalière du lait.
Dans l’ensemble, il s’agit là de situations plus conformes au concept d’exploitation agri-
cole familiale.
L’examen de la littérature souligne la grande diversité des « exploitations laitières afri-
caines » et l’intérêt de les replacer dans le contexte des « trajectoires d’accumulation et
d’appauvrissement » ou de « transformation des systèmes de production ».
Typologie de producteurs en Ouganda
En Ouganda, dans le bassin laitier de Mbarara, Alary et al. (2004) ont identifié six grands
types de stratégies économiques, correspondant à six types de producteurs, que l’on
retrouve ailleurs sur le continent africain.
• Les extensifs principalement localisés en zone pastorale, s’appuient sur des races
locales et l’essentiel de la production de lait est autoconsommée, bien qu’il représente
près du tiers de la marge brute. Les charges sont principalement représentées par les
frais d’approvisionnement en eau et par une part importante consacrée aux frais vétéri-
naires (lutte contre les tiques).
• Les vendeurs de surplus relèvent des systèmes traditionnels ou pastoraux, voire agro-
pastoraux, pour lesquels le lait commercialisé ne correspond qu’au surplus une fois
l’autoconsommation assurée. Il répond à une opportunité de commercialisation, plutôt
qu’à une stratégie de vente raisonnée, mais peut représenter un quart de la marge brute.
• Les épargnants regroupent les producteurs, en général ce sont des agro-éleveurs pour
lesquels l’activité d’élevage est une forme d’investissement tremplin pour d’autres acti-
vités ou pour disposer d’un capital facilement mobilisable à court ou moyen terme. Le
lait représente une part assez marginale du revenu (environ 7 à 8 % de la marge brute)
comparée au revenu de la vente des cultures de rente (café, matooké en particulier).
• Les diversifiés se distinguent par la volonté de tirer parti de toutes les activités agri-
coles et d’élevage de leur exploitation. De fait, on observe un équilibre entre les diffé-
rentes sources de revenus (lait, vente de bétail, culture de rente, culture vivrière, autres
produits non-agricoles). Le lait représente 30 % de la marge brute.
• Les intensifs sont des agro-pasteurs qui font le choix d’un fort investissement dans
l’activité d’élevage. Pour cela, ils font appel à une main-d’œuvre extérieure ce qui induit
des charges salariales élevées. Le lait représente une part appréciable de leur revenu
(environ un quart de la marge brute) mais les coûts de production apparaissent élevés à
cause des charges en salaire.
• Les spécialisés lait sont principalement des éleveurs modernistes possédant des vaches
génétiquement améliorées. Ils tirent un maximum de revenu du lait qui représente
60 % de la marge brute. Le poste de l’alimentation est plus élevé que chez les autres
producteurs.

152
Modélisation de la diversité des exploitations

Une telle typologie permet d’identifier différentes tendances :


– une certaine appropriation des ressources depuis l’espace collectif des pasteurs jusqu’à
la propriété délimitée des laitiers ;
– un rétrécissement de l’unité de gestion au ménage sensu stricto (les parents et les
enfants). Cependant, on peut aussi observer des unités davantage nucléaires chez les
pasteurs que chez les éleveurs laitiers spécialisés qui font vivre une famille plus élargie.
Chez les éleveurs pastoraux, les mécanismes de la dot et du préhéritage conduisent à une
plus forte autonomisation des générations suivantes ;
– une spécialisation. L’élevage à vocation mixte (lait + viande) évolue vers un élevage
laitier où le revenu tiré du lait devient prépondérant ;
– la commercialisation du produit au détriment ou en complément de l’autoconsommation ;
– une évolution du mode de vie.
Définition de l’unité de production
La difficulté de mener des enquêtes dans les exploitations d’éleveurs est due au fait que
les moyens de production ne correspondent pas toujours à l’unité de résidence ou à
l’unité de consommation. Les décisions de gestion du troupeau (notamment achat,
vente, réforme) sont parfois dispersées à l’intérieur du ménage nucléaire alors que la
valorisation du lait (que ce soit pour l’autoconsommation ou la vente) peut dépendre
d’une seule personne.
Dans la littérature, l’exploitation d’élevage est présentée comme une unité de gestion qui
associe l’homme (le gestionnaire ou le décideur), le troupeau (qu’il soit possédé ou pas)
et les ressources (Landais, 1992). Différents niveaux organisationnels sont utilisés selon
qu’il y ait un berger ou pas, ou bien qu’il y ait une ressource collective ou pas. Dans cette
perspective, on pourrait définir deux grands types d’exploitations : d’une part celles où
le décisionnaire est le propriétaire, et d’autre part celles où le décisionnaire est le berger.
Entre les deux, il existe un continuum incluant des bergers propriétaires et des gardiens
de troupeau d’autrui.

 Conclusion
Agriculteurs riziculteurs, agriculteurs cotonniers, éleveurs laitiers, dans les trois cas,
nous avons vu à travers les typologies présentées que les situations des exploitants
sont très diverses. Cette diversité peut être caractérisée par l’emploi de typologies.
Mais la situation de ces exploitations n’est pas statique. Les exploitations évoluent,
au sein d’un type, d’un type à l’autre, vers de nouveaux types. Nous verrons dans le
chapitre 9 comment appréhender ces évolutions, et quels éclairages elles peuvent
apporter sur le fonctionnement des exploitations. Puis dans les chapitres 10 et 11,
nous verrons, à travers l’exemple d’une zone rurale du Burkina Faso, et d’une zone
urbaine de Madagascar, comment s’exprime la diversité des exploitations dans
différents contextes, et en quoi elle est importante pour le fonctionnement du
système agraire dans son ensemble, mais aussi comment elle influe sur les pratiques
agricoles et la fertilité des systèmes de culture.

153
Chapitre 9
Dynamique et évolution
des exploitations agricoles
Jean-Yves JAMIN, Michel HAVARD,
Emmanuel MBÉTID-BESSANE,
Éric VALL et Alioune FALL

Les exploitations agricoles familiales ne sont pas dans un état immuable. Elles
évoluent du fait de plusieurs facteurs, en particulier de leur dynamique propre, en
fonction des objectifs et de l’évolution démographique de la famille et des relations
entre ses membres. Des changements dans l’environnement écologique et social
immédiat, voire des modifications plus larges de l’environnement économique
régional, national ou mondial, influent aussi sur le devenir des exploitations.
L’image de la diversité des exploitations obtenue dans les typologies est un instan-
tané qu’il est utile de compléter par l’histoire et les projets des agriculteurs pour
pouvoir accompagner les exploitations dans leurs évolutions.

 Approche de la dynamique de l’exploitation familiale


Le premier facteur naturel d’évolution des exploitations est la transformation de la
famille avec le temps. Le chef d’exploitation commence par s’installer et à stabiliser
petit à petit son exploitation. Puis il consolide ses projets et vieillit, il a des enfants,
et va alors préparer sa succession. À l’occasion de la succession, l’exploitation peut
être morcelée en plusieurs entités.

Cycle de vie et succession


Ce cycle recommencera avec les nouvelles exploitations. Chia (1987) l’a nommé le
cycle de vie des exploitations. En effet, l’exploitation étant étroitement liée à la
famille, à sa démographie et à ses projets, elle a aussi « un cycle de vie », comme la
famille qui la dirige et la fait fonctionner (Tchayanov, 1925).

155
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Niveau de
capitalisation

Reprise

Déclin

PHASE I PHASE II PHASE III PHASE IV Temps


Installation Transition Croissance Stabilité Déclin

Figure 9.1. Cycle de vie d’une exploitation (Chia, 1987 repris in Brossier et al., 1997).

Chia (1987) distingue quatre phases principales dans les exploitations françaises
(figure 9.1) :
– la phase d’installation du jeune agriculteur (I) ou démarrage de l’exploitation.
La priorité va être la construction de l’appareil de production de la nouvelle
exploitation ;
– la phase de transition (II), durant laquelle l’agriculteur cherche à stabiliser la
construction de l’exploitation ;
– la phase de stabilisation et de croissance (III), quand l’exploitation a atteint sa
vitesse de croisière et peut réaliser des investissements ;
– la phase de déclin (IV), lorsque l’agriculteur proche de la retraite ne renouvelle
plus son appareil de production s’il n’a pas de successeur.
Si l’agriculteur a un successeur, la phase de déclin est évitée, et un nouveau cycle
peut redémarrer avec un niveau de capital « initial » plus élevé que lors d’une
installation ex nihilo. Dans la réalité, compte tenu des aléas extérieurs ou de
problèmes internes à la famille, l’évolution d’une exploitation va bien sûr être
moins régulière.
Dans le cas des exploitations africaines, ce cycle correspond assez bien à ce qui se
passe dans les petites exploitations agricoles formées d’un seul ménage. Cependant,
l’augmentation de la main-d’œuvre au fil du temps, avec les enfants qui grandissent,
va jouer un rôle plus important que le capital qui est lui-même souvent faible. En
l’absence d’enfants, ou si ceux-ci quittent l’exploitation pour migrer, le déclin est
inéluctable, et l’exploitation disparaît peu à peu, se réduisant par exemple à une
petite parcelle vivrière exploitée par une veuve âgée qui doit largement faire appel
à de l’aide.
Dans le cas des exploitations plus importantes, différents cycles se chevauchent, et
la stabilité est en général plus grande. En effet, dans une grande famille, plusieurs

156
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

générations sont représentées, il y a donc moins d’à-coups liés aux modifications


dans la composition familiale : lorsqu’un agriculteur devient très âgé, il a souvent
progressivement confié l’exploitation à l’un de ses fils ou à un frère cadet.
Cependant, ces exploitations peuvent aussi connaître des crises, par exemple
au moment d’une succession : les frères restés ensemble avec leur aîné tant que le
père était en vie, même s’il ne dirigeait plus vraiment l’exploitation, peuvent décider
de se séparer en deux ou trois exploitations qui démarrent alors chacune un
nouveau cycle de vie, avec seulement une fraction du foncier, du capital et de la
main-d’œuvre.
Dans le cas des sociétés polygames, les phases de croissance peuvent être accélérées
par l’entrée de plusieurs épouses dans la famille. Le chef d’exploitation ajoute ainsi
une main-d’œuvre plus importante, à court terme avec les nouvelles femmes et à
moyen terme avec les enfants de celles-ci.
Compte tenu du fait que la main-d’œuvre des exploitations agricoles africaines est
essentiellement familiale et que les niveaux de mécanisation sont faibles, les événe-
ments susceptibles d’influer sur la démographie familiale jouent un rôle de tout
premier plan dans l’évolution des exploitations.
Outre les naissances et les décès, il faut aussi prendre en compte les mariages,
en particulier dans les situations où la polygamie existe, car le fait de passer
d’un ménage monogame (avec une seule cuisine) à un ménage polygame (avec
plusieurs cuisines et souvent plusieurs greniers) peut fortement modifier le fonc-
tionnement de l’exploitation, mais aussi jouer sur son avenir, les solidarités entre
frères et demi-frères n’étant pas les mêmes, en particulier à la disparition du chef
d’exploitation.
Autre élément très important et très répandu, les migrations. Il peut s’agir de migra-
tions agricoles ou pastorales (recherche de terres libres ou de pâturages), ou du départ
d’un fils ou d’un frère cadet en ville ou à l’étranger. L’exploitation perd alors de la
main-d’œuvre, mais elle peut aussi y gagner des revenus non-agricoles susceptibles de
stabiliser sa trésorerie.
Les incitations économiques ne sont pas les seules à faire évoluer les structures
familiales : l’évolution générale des sociétés rurales africaines conduit les chefs
d’exploitation à accorder de plus en plus d’autonomie aux cadets, sous peine de les
voir quitter l’exploitation familiale pour créer la leur.

Projets de l’exploitant, choix de vie


Le deuxième facteur d’évolution des exploitations est lié aux projets de l’agriculteur
et de sa famille, à ses choix de vie. Comme on vient de le voir, si le cycle de vie d’une
exploitation présente certains caractères communs à toutes les exploitations, le chef
d’exploitation peut modifier notablement ce cycle en ayant plusieurs épouses, ou en
gardant ses fils auprès de lui dans le cadre d’une famille élargie, ou bien dans les
fronts pionniers, les zones de colonisation agricole récente ou les périmètres irri-
gués, en faisant venir des parents du village d’origine.
Il s’agit bien des projets de l’agriculteur et de sa famille. Le chef d’exploitation peut
décider d’avoir une stratégie de croissance, de garder tous ses enfants auprès de lui ;

157
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

mais s’il ne redistribue pas suffisamment les revenus, ou si ses fils ont d’autres
projets, ils quitteront l’exploitation, soit pour fonder leur propre exploitation, soit
pour partir travailler en ville ou en migration plus lointaine. Il peut en être de même
avec les femmes, qui, si elles ne disposent pas de suffisamment d’autonomie (possi-
bilité de cultiver leurs propres parcelles leur permettant d’entretenir leurs enfants,
indépendamment de leurs coépouses dans le cas des ménages polygames), risquent
de retourner dans leur famille d’origine avec leurs enfants.
Certaines décisions de l’agriculteur peuvent modifier de fond en comble la vie de
l’exploitation, comme partir migrer sur un front pionnier où il faudra recréer une
nouvelle exploitation avec, le plus souvent, un capital initial très faible.

Évolution liée à l’environnement écologique,


économique, politique
Un troisième facteur d’évolution est lié à l’environnement écologique, foncier,
économique et social immédiat de l’exploitation : occurrence de sécheresses,
diminution des ressources naturelles des espaces communautaires, diminution
des réserves foncières (ce qui va limiter les possibilités d’extension et conduire
à raccourcir les jachères), ouverture d’une nouvelle route désenclavant le village,
arrivée d’un projet de développement réhabilitant un périmètre irrigué ou aidant
à aménager un bas-fonds, arrivée de réfugiés écologiques ou politiques qui
vont fournir une main-d’œuvre bon marché, ouverture d’une caisse de crédit
communautaire ou d’une banque agricole, etc. Ces facteurs ne jouent en général
pas directement sur l’évolution de l’exploitation, ils présentent plutôt des opportu-
nités que l’agriculteur pourra saisir ou non, et des contraintes auxquelles il devra
s’adapter.
Le quatrième type de facteur d’évolution est lié aux grandes modifications d’ordre
macro-économique : développement important des villes africaines représentant de
nouveaux marchés pour les produits vivriers, augmentation générale du niveau de
vie générant une demande plus importante de produits comme les légumes, le lait
et la viande, mondialisation des échanges, etc. Ces grandes modifications sont en
général progressives, mais elles peuvent aussi produire des à-coups (crise des cours
du coton ou du cacao, libéralisation de l’économie, ajustement structurel) qui
peuvent précipiter certaines évolutions des exploitations.
Les politiques de développement agricole jouent sur l’évolution des exploitations à
travers l’influence qu’elle peuvent avoir sur la modification du contexte économique
d’ensemble (libéralisation d’une filière, dévaluation), sur des projets de développe-
ment de grande ampleur (fréquents dans les années 60 et 70, plus rares aujour-
d’hui), par le soutien aux circuits de financement de l’agriculture et donc aux projets
des agriculteurs (mise en place d’un réseau bancaire pour le crédit agricole), sur les
modifications des lois régissant l’accès à la terre ou à l’eau, etc.
Dans une même région, chaque exploitation va avoir sa propre histoire, fruit du jeu
combiné des facteurs liés au vieillissement naturel de la famille, à la dynamique
propre de l’exploitation, et aux réactions que l’exploitant et sa famille auront face
aux évolutions locales et aux changements plus globaux.

158
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

Éclatement des exploitations agricoles africaines


On constate une tendance à l’éclatement, à la nucléarisation des exploitations afri-
caines, même dans les régions où, traditionnellement, une exploitation correspon-
dait à une grande famille. Or beaucoup de travaux de recherche montrent que les
grandes exploitations ont un fonctionnement plus stable dans un environnement
écologique et économique souvent incertain (économies d’échelle, capacité d’inves-
tissement, possibilité d’accumulation permettant d’amortir les coups durs, etc.).
À l’inverse, les petites exploitations ont des difficultés à accumuler le capital
minimal nécessaire, en particulier pour la traction animale, et sont très sensibles
aux aléas extérieurs ; elles compensent cette fragilité par un renforcement de la
solidarité, comme l’entraide (échanges de travail ou de matériel).
Les causes de cette nucléarisation sont multiples.
Chez les Gourmantchés en Afrique de l’Ouest, chez les Bandas, les Moundangs, ou
les Mafas en Afrique centrale, les jeunes se marient très tôt et, pour acquérir leur
autonomie, cultivent, parfois même avant le mariage, un champ à eux, qu’ils vont
partager avec leur femme. Les nouveaux ménages sont ainsi immédiatement auto-
nomes, tout en maintenant des relations d’échanges (main-d’œuvre, matériel,
semences) avec l’exploitation d’origine.
En cas de difficultés économiques, les tensions autour des maigres ressources
deviennent telles que la famille se disperse pour éviter les conflits, pour permettre
à chacun de tenter sa chance de son côté, voire pour assurer la survie par des
migrations. Les terres disponibles dans le village devenant limitantes, les capacités
d’extension foncière de l’exploitation ne peuvent suivre son évolution démogra-
phique. Une partie de la famille (souvent les cadets, d’abord seuls, puis avec leur
femme) fait le choix de partir vers un front pionnier (Mossis dans l’Ouest du
Burkina, chapitre 10), une zone irriguée (Office du Niger au Mali), ou en émigra-
tion lointaine (Mossis en Côte d’Ivoire, Djermas au Nigeria et au Ghana).
Quand le fonctionnement commun marchait bien, la tendance était, traditionnelle-
ment, de rester ensemble pour être plus fort, par exemple dans la zone de l’Office
du Niger, ou en pays sénoufo, les familles ont 10-15 personnes dans la même exploi-
tation, parfois jusqu’à 30 ou 40. Mais aujourd’hui, les opportunités de réussite
économique rapide peuvent aussi tenter les jeunes, plus impatients, et qui vont donc
chercher à s’individualiser même dans un contexte économique favorable. La sépa-
ration va alors être perçue comme une opportunité d’émancipation sociale à saisir,
pour profiter des modèles de consommation modernes ou favoriser l’envoi des
enfants à l’école plutôt qu’aux champs.
La nucléarisation n’empêche pas l’existence de coopérations privilégiées au sein de
la grande famille, en particulier pour les échanges de travail, mais aussi pour l’em-
prunt ou l’échange de matériels agricoles coûteux, impossibles à acquérir dans le
cadre d’une exploitation nouvelle et petite (cas de la traction animale dans le Nord-
Ouest de la République centrafricaine par exemple).
Pour éviter l’éclatement de leur exploitation, certains chefs de grande famille
peuvent être conduits à permettre une certaine autonomie au sein de l’exploitation.
Ainsi, les parcelles céréalières (mil, sorgho, manioc) assurant l’alimentation de base

159
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

et les parcelles des cultures de rente (coton, riz irrigué…) vont être communes à
l’ensemble de l’exploitation, tandis que les cadets et les femmes vont pouvoir
disposer d’un espace économique individuel autonome grâce à une parcelle maraî-
chère, un petit commerce, ou une activité artisanale.

 Comprendre les dynamiques des exploitations


familiales
La compréhension des dynamiques passées des exploitations agricoles est utile pour
comprendre leur fonctionnement actuel et pour pouvoir bâtir des scénarios d’évo-
lution de ces exploitations. L’histoire peut servir à affiner une typologie, à replacer
les types actuels sur une trajectoire d’évolution, et à identifier les scénarios d’évolu-
tion possibles pour les différents types d’exploitations d’une région (Capillon et
Manichon, 1979 ; Capillon, 1993).

Prise en compte de l’histoire des exploitations dans des enquêtes


Le recueil des informations peut s’effectuer sous forme d’enquête, d’entretien
ouvert, suivant une liste d’éléments clés de l’évolution des exploitations qui est à
adapter au contexte (Jamin, 1993 et 1994) :
– installation ou reprise de l’exploitation, ou arrivée après migration ;
– mariages et naissances, arrivées ou départs de parents, décès ;
– séparations éventuelles (partage du capital, de la main-d’œuvre et des terres) ;
– évolution de l’équipement, animaux de trait et matériel (acquisitions, pertes,
ventes) ;
– évolution des surfaces cultivées et des principales cultures ;
– changements de systèmes de culture ou de systèmes d’élevage ;
– évolution du capital animal, cheptel bovin en particulier ;
– événements climatiques ou sociopolitiques exceptionnels, référence de date
et impact sur l’exploitation (sécheresse, inondation, indépendance, troubles
sociaux…) ;
– aménagements particuliers (périmètre irrigué, bas-fonds, terrasses, route…) ;
– démarrage ou arrêt d’activités non-agricoles, migrations saisonnières ou durables ;
– autres éléments, etc. (laisser un temps de parole libre).

Identifier des trajectoires d’exploitation d’après l’histoire


Comme dans le cas du fonctionnement, les éléments recueillis peuvent être récapi-
tulés de façon propre à chaque exploitation. Un cadre identique peut servir aux
différentes exploitations, ce qui permet de comparer, d’identifier les trajectoires
similaires ou présentant des phases d’évolution communes. Une représentation
suivant un axe temporel est pratique, car elle a l’avantage d’un déroulement linéaire
et la fin d’un cycle de vie d’une exploitation ne correspond pas à un retour total en
arrière (figure 9.2).

160
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

temps
1987 riz 2 ha + HC 2,5 ha cultivés par gendre
0 TH Jardin 0,1 ha
2 PT équipement 0
Mort des 2 bœufs restants
Gendre cultive le champ de casier à sa place
Mort d’une fille mariée (diminution de l’aide)
Vente petits ruminants et 1 bœuf (achat vivres)
Mort de 2 bœufs
HC repris par gendre

1984 riz 2 ha + HC 2,5 ha non cultivés


0 TH Jardin 0,1 ha
2 PT 5 bœufs + 0 charrue + charrette

Diminution de surface par Office du Niger Vente de petits ruminants, mariage fils + fils part exode
Nouveau champ mal plané 3 bœufs malades meurent
Charrue prêtée, abimée + charrette prêtée, cassée
Extension du village, Mort d’une fille mariée (diminution de l’aide)
diminution surface jardin Arrêt culture HC (ni main-d’œuvre, ni matériel)

1980 riz 4 ha + HC 2,5 ha + jardin 0,5 ha


3 TH 8 bœufs + 1 charrue + 1 charrette
2 PT 15 petits ruminants

Sécheresse, Transforme champs et culture pluviale en hors casier


trop faible rendement des cultures pluviales (sorgho remplacé par le riz) grâce au débordement du drain
Inondation des terres proches du drain Achat de bœufs

1972 riz 5 ha + pluvial 2,5 ha + jardin 0,5 ha


1 TH petits ruminants
5 PT 4 boeufs + 1 charrue + 1 charrette

Suppression du coton remplacement par du riz Achat de boeufs et de petits ruminants


Crédit de l’Office du Niger pour l’achat de bœufs Achat de charrette, mort de la vache
Naissance d’un fils, départ jeune frère (retour au village)

1958 coton 2 x 2 ha riz vivrier 1 ha


2 TH sorgho pluvial 2,5 ha + jardin 0,5 ha
4 PT 2 boeufs + 1 charrue

Office du Niger diminution surface du coton Achat d’une vache


Défriche terres de culture pluviale

1955 coton 2 x 3 ha + riz vivrier 1 ha


2 TH jardin 0,5 ha
4 PT 2 boeufs + 1 charrue

Transfert par l’Office du Niger au N8 Démarrage de l’exploitation autonome


(oncle au N9)
(Équipement de l’Office du Niger, crédit 10 ans

1951 installation à Molodo (M5) avec son oncle


3 TH pas d’équipement
6 PT (labour motorisé par l’Office du Niger)

Installation par l’Office du Niger


Mésentente avec le chef de canton départ de Werekela (Koutiala)

HC : riz hors casier ; M5, N8, N9 : villages ; O.N. : Office du Niger ; PT : personnes totales ; TH : travailleur homme
Sur la gauche de l’axe du temps (en italique), sont représentés les événements extérieurs qui ont
joué directement sur l’exploitation.
À droite de l’axe, les événements ou les décisions internes à la famille.
Dans les cases situées sur l’axe, l’état de quelques paramètres clés du système de production (main-
d’œuvre, surfaces, équipement) à des dates charnières.

Figure 9.2. Évolution d’une famille installée à l’Office du Niger dans les années 1950.

161
Figure 9.3. Trajectoires d’évolution des exploitations de l’Office du Niger.

A1 A3 B1 B4 endettement NC
C2 s ON
e intensific. rge

162
ag

ge
nt ma


r a îch nsif bétail lateme
e ent éc

cha
B2 em E
ma ext intensification endett Situation

raî nsif
riz

a
diversification e équipt. mini. précaire

m xte
iz e
rch

bili

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A2 marges ON


équipt.


c he rité dettes es

sta
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bétail /

e

B3 C1 ion D1
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rec
intensification
ati

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démo. sa ret
m n r
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bétail de m qu e Ω
en


démo. ipe


paysans/éleveurs

roissa
en uipe
CI
int

é q me


CI


nt zone pluviale,

nc
stabilité C2 D2


équipt. intensification installation avec équipement réfugiés du Nord
bétail l

ion e
tai
accu. hors bé


agric. t

situat
en
a t em
l riziculture
éc
e nt d'appoint
t t em
éclatement de nouvelles
A B en C
installations
récentes


CI


CI


HC CP
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre


bétail démo. HC


bétail

➝➝
équipt.


équipt. δ
fonctionnaire
A grandes familles B familles moyennes C petites familles commerçant
statut « divers »
défriche CP ent ent
t em défriche CP a tem


bétail écla écl CI : cultures irriguées
jeu ne ent
art tem CP : cultures pluviales
dép en det HC : hors casier
TH : travailleur homme
α β γ ON : office du Niger
ARCHÉTYPES plusieurs TH plusieurs TH un seul TH
Augmentation
(installations plusieurs lots plusieurs lots un seul lot
anciennes) gros bétail pas de bétail pas de bétail Diminution
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

À partir des différents schémas d’évolution et en procédant à des comparaisons, on


voit apparaître des similitudes dans l’histoire, dans les trajectoires suivies par les
différentes exploitations pour arriver à la situation actuelle. Il peut être utile d’iden-
tifier des archétypes, c’est-à-dire les grands types d’exploitations qui existaient il y a
quelques décennies et qui sont à l’origine des types actuels.
Les 5 archétypes identifiés dans l’histoire des exploitations de l’Office du Niger
(Mali) diffèrent par la main-d’œuvre lors de leur installation, la surface attribuée
par l’Office du Niger, le capital possédé (cheptel bovin pour l’essentiel), l’origine
sociale et les activités non-agricoles initiales et la période d’installation (critère lié
au précédent).
• Archétype α. Origine paysanne, plusieurs hommes à l’installation, au moins 2 lots
de terre (4-6 ha de cotonnier et 2-4 ha de riz), cheptel bovin.
• Archétype β. Voisin de α, mais sans capital, pas de cheptel bovin.
• Archétype γ. Origine paysanne, un seul homme, un seul lot (2-3 ha de coton, 1-2 ha
de riz), aucun cheptel, installation après 1970, petit lot rizicole (< 3 ha).
• Archétype δ. Non-résidants (doubles-actifs vivant en ville) installés récemment ;
métier principal de fonctionnaire ou commerçant, etc.
• Archétype Ω. Réfugiés écologiques et économiques, arrivés après les grandes
phases d’installation et d’attribution, sans accès au foncier irrigué.
À partir de ces archétypes, certaines exploitations ont une croissance relativement
continue, accumulant peu à peu du capital, du foncier, de la main-d’œuvre, tandis
que d’autres ont une histoire plus tourmentée. La croissance est plus ou moins
rapide selon le point de départ de l’exploitation mais aussi selon la capacité du chef
d’exploitation d’origine (au moment de l’installation) et surtout de ses successeurs
à préserver l’unité familiale (en évitant les scissions avec installation des cadets dans
d’autres exploitations).
Certaines trajectoires illustrent une évolution croissante plutôt régulière (par
exemple le passage de l’archétype α au type A à l’Office du Niger, figure 9.3) Mais
dans d’autres trajectoires, des phases de croissance dans les périodes où les condi-
tions sont favorables (climat stable, opportunités foncières en irrigué et en pluvial)
alternent avec des périodes de redémarrage avec un capital proche de zéro, du fait de
l’éclatement des familles, d’une mortalité accidentelle du cheptel de trait, ou d’une
série de mauvaises récoltes conduisant à un surendettement et à une décapitalisation.
Certaines périodes favorables peuvent permettre à une partie des exploitations de
saisir une opportunité de croissance, alors que d’autres vont plutôt rechercher la
sécurité. Ainsi, à l’Office du Niger, des exploitations ayant une structure comparable
ont évolué très différemment dans les années 1990, en fonction de l’attitude qu’elles
ont eue vis-à-vis de l’intensification de la riziculture rendue possible par une réhabi-
litation des casiers irrigués, ou des possibilités de diversification offertes par l’arrivée
de la route goudronnée facilitant l’écoulement des produits maraîchers.
On peut ainsi élaborer une typologie qui est fondée non seulement sur le fonction-
nement actuel des exploitations, mais aussi sur leur trajectoire. On peut ainsi réca-
pituler les évolutions passées des exploitations et discuter les évolutions possibles
des types actuels. Par exemple, à l’Office du Niger (figure 9.3), les petites exploita-
tions en difficulté (type C3) cherchent à se stabiliser avec un équipement minimal

163
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

et des rendements réguliers, sans trop intensifier, pour rejoindre un type C2. Si elles
n’y arrivent pas (mauvaise année, négociation impossible d’un plan de remise à flot
avec les banques et les créanciers), ces exploitations sont évincées de leurs terres
irriguées par l’Office du Niger et rejoignent le groupe des exploitations exclues du
système irrigué (type E).

Trajectoires connues à partir de typologies à dire d’expert


À partir de typologies construites à dire d’expert (chapitre 8), les relations historiques
possibles entre les différents types d’exploitation ont été recherchées par Perrot et al.
(1995) : certains types sont-ils issus de types particuliers ? D’autres ont-ils une histoire
commune ? Par exemple dans une région française étudiée, l’élevage a été fortement
contraint par la mise en place de quotas laitiers et de plans de reconversion, ce qui
imposait de prendre en compte les évolutions des exploitations, la typologie élaborée
lors d’une étude précédente ayant de fortes chances d’être devenue obsolète.
Toujours en se fondant sur les informations fournies par les experts (des conseillers
agricoles de la région), différents types d’exploitation ont été placés sur un même
schéma en explicitant les évolutions qui pouvaient permettre de passer d’un type à
un autre (croissance de l’exploitation, intensification des productions, spécialisation
ou diversification, reconversions…), mais aussi en ajoutant des informations
recueillies à cinq ans d’intervalle. Les évolutions ont été visualisées sur des plans
factoriels, à partir d’analyses multivariées, ce qui a facilité la discussion avec les
conseillers agricoles.
Au-delà des évolutions moyennes (par exemple hausse des surfaces de 20 %), les
exploitations ont été réparties en trois grands groupes selon leur évolution propre :
stabilité dans le type initial, changement de type, ou disparition. Certains archétypes
se sont ainsi révélés plus stables que d’autres ; les changements ont pu conduire à
des systèmes plus pérennes, ou au contraire provoquer la disparition d’exploita-
tions. La mise en place des quotas laitiers a ainsi conduit de nombreux petits
producteurs de lait à cesser totalement leur activité, peu de petits exploitants s’en-
gageant dans la reconversion lait-viande.
Après 5 ans, il est apparu nécessaire de créer de nouveaux types, lorsque le fonc-
tionnement d’un nombre significatif d’exploitations avait évolué vers un même
modèle ne correspondant pas à un des pôles d’agrégation identifiés auparavant.
À l’inverse, des types s’étant « vidés » de leurs exploitations au fil du temps ont été
supprimés. Dans d’autres cas, le barycentre d’un pôle d’exploitations s’étant déplacé,
le type a été conservé, mais avec des caractéristiques modifiées. On n’a donc pas
construit une typologie entièrement nouvelle, mais on a fait évoluer l’ancienne
typologie, en supprimant ou en adaptant les groupes existants, ou en créant de
nouveaux groupes.
L’analyse des trajectoires d’exploitations agricoles, associée à une typologie qui en
valorise les résultats, permet ainsi de comprendre les dynamiques des systèmes de
production, de fonder une analyse prospective de l’agriculture dans une petite
région, tout en impliquant ceux qui sont intéressés par les évolutions possibles des
exploitations, les organismes de développement et les professionnels agricoles.

164
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

 Exemples d’évolution des exploitations agricoles


familiales africaines

Trajectoires des exploitations cotonnières en Afrique centrale :


évolutions en fonction des conditions socio-économiques
Les typologies réalisées en Afrique centrale (chapitre 8) se sont aussi appuyées sur
les trajectoires des exploitations. Ces trajectoires ont été étudiées en vue de prédire
le devenir des exploitations et de mieux les accompagner dans leur évolution.

Définition des archétypes


En République centrafricaine, ces typologies ont permis de mieux comprendre les
facteurs d’évolution des exploitations à partir des 3 archétypes existant à l’installation
des agriculteurs, et différenciés par le mode de culture (attelée ou manuelle) et le type
de cultures (polyculture avec cotonnier et cultures vivrières ou polyculture vivrière).
• Archétype A0. Il regroupe les exploitations pratiquant le cotonnier et la poly-
culture vivrière et ayant accès à la culture attelée, 27 % des exploitations actuelles
en sont issues.
• Archétype B0. Il regroupe les exploitations pratiquant le cotonnier et la poly-
culture vivrière en culture manuelle, 60 % des exploitations actuelles en sont issues.
• Archétype C0. Il regroupe les exploitations pratiquant la polyculture vivrière en
culture manuelle, 13 % des exploitations actuelles en sont issues.
Chaque archétype a connu des différenciations au cours du temps pour aboutir aux
exploitations actuelles, moyennant des trajectoires d’évolution différentes, donc des
cycles de vie distincts (figure 9.4).

Trajectoire du type A : intensification, utilisation d’un attelage,


production de coton
Les jeunes producteurs de la trajectoire A issue de l’archétype A0 ont su utiliser à
leur installation l’attelage disponible dans leur village pour le labour, en fournissant
en contrepartie au propriétaire le travail manuel pour les sarclages et les récoltes.
Ils ont vite augmenté les surfaces cultivées et ont surmonté le défaut de main-
d’œuvre familiale par le recours à l’entraide villageoise et au mariage (A), Cette
stratégie a permis, avec le temps, d’augmenter le revenu puis de prétendre à un
crédit d’attelage et constituer aussi un troupeau (A’).
La première différenciation des exploitations s’est produite sous les effets de l’instabi-
lité des prix du coton. Les producteurs qui ont pu résister à cette instabilité ont béné-
ficié de la hausse de prix en période d’expansion du cotonnier, ils ont pu intensifier la
culture et se spécialiser dans la production cotonnière (A1). À l’inverse, les autres
producteurs ont opté rapidement pour la minimisation des risques en diversifiant leurs
activités par le renforcement des activités vivrières et d’élevage (A’’). Après la diversi-
fication des activités (A’’), la seconde différenciation s’est produite sous les effets d’un
autre boom cotonnier. Les producteurs qui avaient conservé une place importante au
coton dans la diversification des activités ont bénéficié de la hausse du prix. Certains

165
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Ti
A1 (6 %) A2 (11 %) B2 (24 %) B1 (34 %) C1 (8 %) C2 (17 %) > 40 ans
2% 13 % 4%

Intensification Élevage Renforcement diversification Vivriers Développement Accroissement


Coton Marchand Marchands apiculture para-agricole

4% A’’ (26 %) 7% B’’ (46 %) 17% 33 ans


23 % 3% 40 % 6%
Faible actif
Diversification Acquisition attelage Apicuture Coton/Apicuture
Vivriers/élevage Accroissement Coton

A’ (27 %) B’ (50 %) C’ (23 %) 28 ans


10 %

Abandon coton
Acquisition Diversification vivriers Activités
- Attelage Coton en culture para-agricoles
- bétail manuelle
Acquisition bétail

A (27 %) B (60 %) C (13 %) 23 ans

Augmentation Augmentation Augmentation


Surface Surface Surface
Entraide Entraide Entraide
Mariage Mariage Mariage

Archétype A0 (27 %) Archétype B0 (60 %) Archétype C0 (13 %)


Culture attelée, Culture manuelle, Culture manuelle, t0 : 18 ans
coton, vivriers coton, vivriers vivriers

Perspectives d’évolution de A1 et B2 dans une hypothèse de libéralisation complète


de la filière cotonnière

Figure 9.4. Trajectoires d’évolution et différenciation des exploitations agricoles centrafricaines


(Mbétid-Bessane, 2002).

ont reconstitué rapidement leurs moyens de production, mis l’accent sur l’intensifica-
tion du cotonnier et opté pour la spécialisation dans la production cotonnière ; ils rejoi-
gnent alors les agriculteurs spécialisés dans le cotonnier (A1). D’autres, en voulant en
finir avec l’instabilité du marché du coton, ont augmenté leur cheptel et ont opté pour
la spécialisation en élevage marchand (A2). Enfin, les producteurs qui n’avaient pas
laissé une place importante au coton dans la diversification n’ont pas su saisir cette
opportunité et ont rejoint la trajectoire de type B après avoir perdu leur attelage (B2).

166
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

Trajectoire du type B : difficulté d’accès à la culture attelée,


abandon du coton, diversification
Les jeunes producteurs de la trajectoire B, issue de l’archétype B0, ont rencontré
des difficultés pour accéder à la culture attelée, car dans leur entourage il n’y avait
pas d’exploitations équipées en attelage au moment de leur installation. Toutefois,
après leur mariage, ces producteurs ont su augmenter leurs revenus en faisant deux
cycles de cultures vivrières par an ou des cultures dérobées (B).
La première différenciation de ces exploitations concerne le maintien de la
culture cotonnière. Certains agriculteurs qui ont estimé cette culture trop
contraignante l’ont vite abandonnée pour rejoindre la trajectoire du type C (C’).
D’autres, en revanche, ont continué la culture cotonnière tout en diversifiant
leurs activités (B’). La deuxième différenciation des exploitations s’est produite
sous l’effet de l’acquisition d’attelage. Des producteurs ont opté pour un accrois-
sement de la surface cotonnière, ils ont alors acquis un attelage et ont donc
regagné la trajectoire du type A. Les autres producteurs ont suivi deux options :
soit la diversification des activités (B2), soit l’adoption de l’apiculture dans
leur système (B’’). Une troisième différenciation des exploitations a été provo-
quée par la baisse des prix du coton. Les exploitations proches des villes et
avec un faible nombre d’actifs ont arrêté la culture cotonnière et développé
l’apiculture, trajectoire du type C (C1). Des exploitations proches des villes
avec un nombre d’actif moyen se sont spécialisées dans la production vivrière
(B1) ou ont renforcé la diversification des activités pour limiter les risques liés au
marché (B2).

Trajectoire du type C : absence de coton, cultures vivrières,


cueillette-chasse-pêche
Les jeunes producteurs de la trajectoire C issue de l’archétype C0 n’ont pas cultivé
le cotonnier à leur installation. Après le mariage, ils ont augmenté les surfaces
vivrières pour assurer l’autosuffisance alimentaire et augmenter leur revenu (C).
Mais, étant donné qu’une bonne partie des productions vivrières couvrait tout juste
leurs besoins alimentaires en année de mauvaise récolte, ces producteurs ont vite
introduit d’autres activités (para-agricoles) pour générer des revenus monétaires
(C’). La différenciation des exploitations est liée à la main-d’œuvre disponible. Les
exploitants dont l’expansion agricole est limitée par le défaut de main-d’œuvre se
sont spécialisés dans la cueillette, la pêche et la chasse (C2). Ceux qui ont un
nombre d’actifs moyen ont introduit le cotonnier et l’apiculture, ces exploitations
rejoignent le type B (B’’).

Utilisation de la typologie et des trajectoires


des exploitations au Cameroun
Au Cameroun, les trajectoires d’exploitations ont été utilisées pour comprendre les
modalités de passage de la culture manuelle à la culture attelée (figure 9.5) dans un
contexte de très petites exploitations, sans capital initial au moment de leur instal-
lation (Havard et al., 2004).

167
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

IV Achat second V
Propriétaire associé bœuf Propriétaire de 2 bœufs ou plus (28 %)
Achat 1 bœuf (3 %) 5,6 ha ; 1,4 ha/actif
1,7 ha ; 0,64 ha/actif Prestige, Indépendance, Pouvoir

Faible capacité achat terre puis Achat terre puis


d'investissement achat attelage achat élevage

Rare
II III
car difficile
Locataire (34 %) : 2,1 ha ; Bouvier (24 %)
0,79 ha/actif 1,6 ha ; 0,64 ha/actif

Aide familiale ou amicale

Migrant : Manœuvre
Année Arrivée
Passage à la traction animale
Échanges de travaux : I
IV réalise des prestations, et II et III Manuel (11 %)
fournissent main-d’œuvre en échange 0,7 ha ; 0,48 ha/actif
ou paient prestations

Figure 9.5. Trajectoires d’évolution à Mafa Kilda, village du Nord-Cameroun (d’après Cuvier, 1999).

Les différents types d’exploitations aujourd’hui présents sont ainsi replacés dans
une perspective dynamique. Les conditions du passage d’un type à l’autre ont été
analysées, il est donc possible de conseiller les exploitants en phase d’installation sur
les stratégies d’équipement qu’ils peuvent adopter en fonction des moyens dont ils
disposent.
Dans la zone nord du Cameroun, plus des deux tiers des agriculteurs ne possèdent
pas d’attelage. Mais, en raison des difficultés à satisfaire les besoins de la famille
avec les surfaces traditionnellement allouées, la majorité des jeunes agriculteurs
non-équipés souhaitent acquérir un attelage pour accroître leur réserve foncière.
L’exploitant emprunte alors l’attelage d’un paysan équipé pour augmenter progres-
sivement sa réserve foncière jusqu’à un seuil d’environ 3 ha, nécessitant l’achat
d’animaux de trait. La location d’attelage, phase transitoire avant l’achat d’équipe-
ment, est un processus long, pouvant atteindre 20 ans du fait de l’absence de crédits
d’acquisition des animaux et de la difficulté qu’ont les paysans à constituer une
épargne suffisante pour acheter un attelage (les animaux et la charrue industrielle
coûtent environ 70 000 Fcfa en traction asine, 130 000 Fcfa en traction équine et
200 000 Fcfa minimum avec une paire de bœufs). Pour diminuer cette durée, l’agri-
culteur procède par étapes successives de capitalisation et de décapitalisation des
animaux de rente. Il achète tout d’abord des petits ruminants ou des porcins.

168
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

Ensuite, soit il achète un bovin qui sera engraissé puis vendu ou qui sera mis en atte-
lage bovin (association avec un autre propriétaire), soit il achète un attelage asin qui
lui permet de travailler en autonomie. La constitution de la paire de bovins marque
la fin du processus d’acquisition de l’attelage car les outils de travail du sol (charrue,
ensemble sarcleur…) peuvent être obtenus à crédit auprès de la Sodécoton ou bon
marché chez les artisans-forgerons.
L’emprunt d’attelage est à la fois très répandu, diversifié et réglementé. En effet, les
locataires d’attelages sont des anciens cultivateurs manuels, ou des nouveaux
migrants trop âgés pour être bouviers ou n’ayant pas de connaissances au village
susceptibles de les employer. En revanche, les bouviers sont généralement des
jeunes qui, dès leur arrivée, sont pris en charge par un parent ou un frère. Dès la
deuxième année, le jeune s’installe comme chef d’exploitation et le travail proposé
par l’hôte devient un emploi sous forme d’échange de services, à travers le contrat
de bouvier. Le contrat, 3 jours de travail chez le propriétaire pour 1 jour chez
chaque bouvier, est très contraignant pour celui qui l’accepte mais il garantit l’accès
à un attelage. Néanmoins, ces contrats sont très recherchés dans ce village parce
qu’ils permettent d’amorcer la constitution d’une réserve foncière. En effet, être
bouvier, c’est bénéficier de la confiance et du parrainage d’un « grand frère ». Cette
protection est déterminante pour négocier l’acquisition de quelques arpents de
terre dans un terroir qui devient saturé. La coexistence de petites cellules familiales
indépendantes de type nucléaire a semble-t-il favorisé l’émergence de la contractua-
lisation des prêts d’attelages, mais aussi du marché des terres agricoles. Dans d’au-
tres villages plus traditionnels où les unités de production regroupent plusieurs
ménages (parents et enfants mariés), le père (ou le grand frère), propriétaire
éminent de l’attelage, le « loue » gratuitement aux cadets.

Trajectoires d’exploitations en Afrique de l’Ouest


Dans le bassin arachidier du Sénégal, les trajectoires d’exploitations ont été utilisées
pour comprendre comment a été adoptée la traction animale (Havard et al., 2004).
La dynamique d’adoption est fonction d’une part de la taille de l’exploitation agricole
et, d’autre part du contexte socio-économique. En général, entre 1960 et 1970, le
premier attelage des paysans a été l’âne. Cet âne a ensuite été remplacé le plus
souvent par le cheval, et dans quelques cas au sud du bassin arachidier par des bovins.
Depuis les années 80, on a observé des changements rapides de situation en traction
animale. Si, dans les anciennes exploitations, la traction était payée par le travail
agricole effectué à l’extérieur comme sourga (manœuvre), dans les exploitations
plus récentes, les plus jeunes ont bien souvent acquis le premier animal de trait en
faisant du transport en saison sèche. Les stratégies d’équipement des paysans sont
variées ; la priorité va vers les équins, puis vers les bovins pour ceux qui en ont les
moyens. En effet, avec une paire de vaches ou de bœufs, l’objectif prioritaire est la
capitalisation, puis la valorisation par d’autres productions (veau, lait, embouche),
bien avant la traction. Dans le sud du bassin arachidier, où les sols sont moins
sableux et la pluviométrie plus abondante, les bœufs de trait sont surtout préférés
pour leur endurance plus importante que celle des ânes ou des chevaux.

169
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Le taux d’équipement des exploitations n’a pas changé depuis vingt ans. Les seules
évolutions notées ont été les acquisitions par les nouvelles exploitations et le remplace-
ment des animaux de trait dans les autres. Quelques exploitations du nord du bassin
arachidier ont remplacé le cheval par un âne quand elles se retrouvaient en difficultés
monétaires, ou quand le cheval est mort et qu’elles ne pouvaient pas le remplacer. Dans
le sud du bassin arachidier, les rares exploitations en traction asine souhaitent passer en
traction équine (l’âne est en effet considéré comme le cheval du pauvre, c’est une étape
de démarrage de la traction animale, ou une alternative en cas de difficultés), et celles
ayant des difficultés en traction bovine reviennent à la traction équine (figures 9.6 et 9.7).

+ Équine
en propriété

Traction
En propriété
bovine

En confiage

En propriété
Traction
équine
En confiage

En propriété
Traction
asine
En confiage

Périodes 1970 1980 1990-95 1996-2000


Figure 9.6 : Trajectoires d’évolution des grandes exploitations (>10 ha et 14 actifs) du village de Keur
Bakary (Sénégal).

+ Équine
en propriété

Traction
En propriété
bovine

En confiage

En propriété
Traction
équine
En confiage

En propriété
Traction
asine
En confiage

Périodes 1970 1980 1990-95 1996-2000


Figure 9.7. Trajectoires d’évolution du groupe des exploitations moyennes (9-10 ha) du village de Keur
Bakary (Sénégal).

170
Dynamique et évolution des exploitations agricoles

Les paysans sont très attachés à la traction équine qui présente de nombreux avan-
tages : rapidité d’exécution des travaux, longévité de carrière, facilité de transport,
maniabilité et facilité de dressage, mais aussi bonne adaptation aux travaux légers
(semis, sarclages) sur des sols sableux faciles à travailler. Pratiquement 90 % des
exploitations au sud et 60 % au nord disposent d’un cheval, d’une houe et d’un
semoir. Elles sont donc opérationnelles pour les semis et les sarclages dès les
premières pluies. Les autres exploitations doivent passer par la location pour
effectuer ces travaux.

 Conclusion
Des typologies de trajectoires d’évolution ont été utilisées dans de nombreux autres
contextes africains. Elles permettent de mieux comprendre comment chaque type
d’exploitation est arrivé à la situation actuelle. Elles sont aussi un outil essentiel
pour former les personnels d’encadrement de l’agriculture qui prennent ainsi cons-
cience que les exploitations agricoles africaines ne sont pas figées dans une tradition
agricole immuable, mais font au contraire preuve d’un dynamisme et d’une faculté
d’adaptation importants, avec des réussites et aussi des échecs, qui ne sont pas le
reflet du fait que l’on est un « bon » ou un « mauvais » paysan, mais qui résultent
d’une histoire complexe fortement contrainte par un environnement changeant. Les
relations entre l’évolution du capital des exploitations et les trajectoires de vie des
paysans au Bénin sont illustrées au chapitre 12.

171
Pour approfondir le sujet
Chapitre 10
Diversité des exploitations et utilisation
de la jachère dans la zone cotonnière
du Burkina Faso
Georges SERPANTIÉ, François PAPY et Thierry DORÉ

L’analyse de la diversité des structures et des stratégies des exploitations agricoles


familiales permet de comprendre la diversité des pratiques agricoles, notamment les
modes d’exploitation du milieu. Dans les régions cotonnières des savanes souda-
niennes d’Afrique de l’Ouest, zones où les systèmes de culture sont considérés
comme parmi les plus modernisés d’Afrique de l’Ouest, des systèmes de culture
temporaires persistent pourtant en maints endroits. Nous en expliquerons les
raisons au moyen de ce type d’analyse.

 Problématique et hypothèses

Diversité des modes d’exploitation du milieu en zone tropicale


Dans les savanes africaines, l’agriculture est souvent fondée sur l’alternance de
phases de culture et de restauration des écosystèmes : culture itinérante par des
groupes nomades ou sédentaires, cultures suivies de jachère dans les zones plus
peuplées (Floret et al., 1993).
Dans des conditions climatiques, édaphiques et écologiques données, le grand
système de culture (GSC), c’est-à-dire le système qui englobe les modalités de
succession des strates végétales spontanées et cultivées, peut être décrit par : la
durée de la phase de culture ; la durée de la phase de jachère ; l’intensité d’utilisa-
tion agricole du milieu (IUA = rapport entre nombre d’années de culture et la
durée, en années, de l’ensemble du cycle culture-jachère).
La notion de système de culture (SC) est, dans cet article, réservée aux modalités
culturales des différentes phases de culture.

173
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Persistance de la culture temporaire en zone cotonnière


Avant 1950, la culture itinérante était généralisée dans la plupart des zones
de savane, comme en pays Bwa (Burkina Faso) où elle était complétée avec des
cultures permanentes sous parc (champ incluant des arbres) autour du village
(Serpantié et al., 1999). Aujourd’hui, la culture itinérante n’est pas toujours possible,
comme dans de nombreux bassins cotonniers où, à la suite de l’afflux de paysans,
s’est imposée la culture permanente et continue dans l’espace cultivable. Mais il
subsiste de vastes espaces, des plateaux en particulier, où la culture temporaire
persiste et coexiste avec des cultures continues (Le Roy, 1993 ; Tersiguel, 1995 ;
Dugué et al., 1997 ; Serpantié, 2003).
Le maintien de la culture temporaire est contradictoire avec certaines orientations
de développement rural. En effet, depuis Portères (1950), la sédentarisation de
l’agriculture est un thème récurrent. Pourtant, malgré des incitations à la culture
permanente – comme l’introduction des cultures de rente, le développement de la
traction animale, des engrais et des herbicides –, la culture temporaire persiste dans
certaines situations.

Analyse au niveau du territoire et de la parcelle


Dans la zone Bwa étudiée, le faible peuplement des plateaux est dû à plusieurs
causes. Les sols y sont peu attractifs pour les migrants qui ont préféré souvent les
plaines, les autochtones occupent aussi les plaines pour contrôler certains domaines
fonciers, et les terres sableuses plus proches de bourgades autochtones sur les
plateaux sont ainsi mieux défendues contre les appétits fonciers des migrants. Mais
pourquoi les agriculteurs préfèrent-ils la culture temporaire à la culture permanente,
en dépit des techniques modernes de production bien adoptées en zone cotonnière
y compris sur les plateaux ? De nombreux migrants présents dans ces espaces conser-
vent des systèmes avec jachère alors que leur accès aux terres est limité.
À l’échelle de la parcelle, nous avons montré en quoi consistait l’effet de la jachère
sur les cultures suivantes et combien elle était bénéfique (rotations coton-maïs ou
coton-sorgho), même si les cultures suivantes reçoivent une fertilisation chimique
(Serpantié, 2003). Ces effets positifs ne suffisent pas à expliquer le recours fréquent
à la jachère, car, dans cette région, existent aussi des systèmes de culture utilisant le
fumier pour compenser les baisses de rendement potentiel et les herbicides pour
lutter contre l’accroissement de l’enherbement (Serpantié, 2003). Il est donc apparu
nécessaire d’aborder la question à l’échelle des exploitations pour identifier les
causes du choix d’un mode de production.

Analyse au niveau de l’exploitation


En Afrique de l’Est, Solbrig (1993) suggère que les exploitants des plateaux seraient
de petits agriculteurs de subsistance autochtones qui ont été refoulés des meilleures
terres par des paysans d’origine extérieure installés sur des exploitations modernisées
en cultures commerciales.
En zone cotonnière burkinabée, les zones de plateau seraient-elles aussi dévolues à
de petites exploitations agricoles de subsistance, autochtones ? Il y a certes plus de
paysans autochtones que de migrants sur les plateaux, et les plus grosses exploitations

174
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso

agricoles autochtones, misant sur des cultures de rente, se trouvent effectivement


essentiellement en bas-glacis (bas de pente), afin de pouvoir protéger leurs droits
fonciers contre la pression des migrants et de profiter des terres riches. Mais à cette
tendance près, la répartition des exploitations entre plaine et plateau n’est pas liée à
leur origine (Serpantié, 2003).
Beaucoup de paysans autochtones, comme certains migrants, préfèrent les plateaux,
car, malgré des terres moins favorables, ils sont plus proches des gros villages regrou-
pant marché, route, école, centre religieux, responsabilités sociales. Mais certains s’y
sont aussi installés à la suite d’une éviction foncière de la plaine. Étudier la diversité
des exploitations des plateaux est donc nécessaire si l’on veut comprendre la diver-
sité des pratiques culturales et l’importance de la culture temporaire.
Une hypothèse peut être avancée : le choix d’un mode de production dépendrait des
moyens à disposition de l’exploitant (foncier, main-d’œuvre, équipement), très
variable selon les exploitations, et de ses intérêts économiques, liés à son environ-
nement. Tout changement dans l’environnement économique pourrait donc modi-
fier l’équilibre entre les cultures temporaire et permanente. Les enquêtes visaient
donc d’une part à mettre en évidence une relation entre les structures des exploita-
tions agricoles et le choix du grand système de culture, et d’autre part à cerner l’effet
du changement d’environnement économique.
Aux déterminants structurels peuvent aussi s’ajouter des décisions stratégiques,
telles que les stratégies foncières, la façon de gérer le risque, l’attitude face au chan-
gement économique, le rapport à l’innovation, ce qui constituera une autre hypo-
thèse. L’étude des décisions stratégiques a nécessité un suivi de longue durée des
fonctionnements des exploitations, sur un échantillon plus réduit.

 Méthode

Région étudiée
La région choisie est la région Bwa de la zone cotonnière burkinabe, autour de la
localité de Bondoukui. Elle est représentative des anciennes zones de culture coton-
nière et d’immigration, mais riches en terres d’intérêt secondaire. Dans cette région
centre-soudanienne (pluviosité de 900 mm en 6 mois), sont présents aujourd’hui
deux milieux contrastés, souvent combinés dans le même territoire foncier des
villages autochtones : un tiers de plaine très peuplée (densité de population de
80 hab. / km2) par les migrants mossi et les autochtones bwa, avec des sols limoneux,
riches et totalement cultivés ; deux tiers de plateau peu peuplé (densité de popula-
tion de 20 hab. / km2) par des autochtones qui sont majoritaires et quelques
migrants présents, où les sols sableux secs ou hydromorphes sont occupés pour un
tiers par des cultures et pour deux tiers par des jachères (Serpantié, 2003).

Caractérisation du mode d’exploitation du milieu


Trois variables indépendantes permettent d’analyser le mode de production :

175
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

– l’intensité d’intrants, estimée par le coût monétaire des intrants par hectare cultivé.
C’est un indicateur du degré d’intensification ;
– les pratiques de substitution aux jachères (fumier, herbicide) ;
– le type de grand système de culture, identifiable à l’aide des conventions suivantes
correspondant aux seuils d’intensité d’utilisation agricole du milieu de Ruthenberg (1971).
L’intensité d’utilisation agricole (IUA) se décline en trois groupes.
• Culture permanente (IUA > 0,66) : la parcelle principale est cultivée pendant
plus de 15 ans, ou bien l’exploitation agricole reprend une jachère de moins de 6 ans
et abandonne une culture de 10 ans.
• Culture prolongée (transition vers la culture permanente) : culture dont la durée
dépasse 10 ans après une jachère de plus de 5 ans, ou approchant 10 ans avec une
fumure organique régulière ou herbicides. En cas d’accroissement de superficie par
défriche, il y a simplement conquête de jachère.
• Culture temporaire (IUA < 0,66) : renouvellement d’une parcelle cultivée depuis
moins de 11 ans (provenant d’une défriche de jachère de durée quelconque) au
moyen d’une reprise d’une jachère de plus de 5 ans. Comme les durées de culture
varient peu (5 à 10 ans), la durée de jachère permet de différencier les deux types
de cultures temporaires :
– culture itinérante, jachère de durée supérieure ou égale à 15 ans ;
– culture à jachère, jachère de durée comprise entre 6 et 15 ans.

Test de la première hypothèse


La première hypothèse suppose que les structures d’exploitation agricole et l’envi-
ronnement économique ont un effet sur l’existence de la culture temporaire en zone
de plateau.
L’analyse est circonscrite à la zone de plateau où la culture temporaire est encore
présente, le site d’étude concerne trois villages. Une enquête représentative de la
totalité des exploitations agricoles (113 enquêtées au hasard sur 226 recensées) a
été menée en 2000. Elle a porté sur des indicateurs d’origine, de dimension, de
moyens, de stratégie, de grand système de culture et de système de culture. Les indi-
cateurs des grands systèmes de culture (GSC) sont l’âge de la parcelle principale, la
durée de la jachère antérieure, l’utilisation du fumier. L’indicateur du système de
culture (SC) est la dose d’engrais. Cette enquête comporte aussi une question sur
l’année d’introduction de l’herbicide sur la parcelle principale.
Pour classer les exploitations, deux paramètres de structure essentiels, l’autochtonie
et le niveau d’équipement, ont été reconnus par une analyse factorielle des
correspondances multiples (Serpantié, 2003), et sont utilisés dans d’autres typolo-
gies en zone cotonnière du Burkina (Rebuffel, 1996). Le niveau d’équipement est
un indicateur synthétique, car il est très corrélé à l’effectif de l’exploitation en rési-
dents ou en actifs, et au stade du cycle de vie de l’exploitation agricole – les exploi-
tations non- équipées étant celles des jeunes et des anciens.

Test de la deuxième hypothèse


La deuxième hypothèse concerne le fonctionnement de quelques exploitations
agricoles du plateau, comme facteur jouant sur l’existence de culture temporaire.

176
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso

Le fonctionnement de 10 exploitations agricoles a été suivi sur une longue durée,


avant et après la dévaluation du franc CFA en 1994, événement qui a fortement
modifié les structures des prix des intrants et des produits. Elles ont été échantillon-
nées à partir d’une typologie de structure comprenant 5 types. Les avantages écono-
miques des choix opérés sont estimés par le calcul des rendements et des revenus et
par des entretiens sur la tactique de prise de risque. La moyenne de ces résultats est
calculée sur deux ou trois ans, afin d’obtenir un revenu avant et après dévaluation.

 Résultats

Première hypothèse : effet des structures des exploitations


agricoles et de l’environnement économique sur les pratiques
dans la zone du plateau
Le tableau 10.1 donne les principaux résultats et leur significativité.

Effet du critère structural : exploitation d’un autochtone


ou exploitation de migrant
Par rapport aux exploitations agricoles autochtones bwa, celles des migrants mossi
sont deux fois plus grandes et sont mieux équipées, mais ont moins de main-d’œuvre.
Elles possèdent à peu près autant de bétail mais les migrants mossi le conduisent
eux-mêmes, les autochtones les confiant à des éleveurs pastoraux peul, ce qui réduit
leur accès au fumier. Un tiers des migrants (37 %) pratique la fumure organique sur
le champ principal, contre 4 % chez les autochtones bwa. Les migrants pratiquent
autant de cultures commerciales que les autochtones, mais avec moins de surface par
résident et par actif, leur agriculture est donc plus intensive en travail. Les sols
exploités sont les mêmes. Les champs des migrants sont plus anciennement cultivés,
ce qui montre que la culture prolongée y est plus fréquente ; ils sont plus souvent
issus d’une courte jachère. Les Mossi sont un peu mieux équipés que les Bwa, car
leurs exploitations sont plus grandes, ce qui compense leur moindre force de travail.
On vérifie ici les observations classiques sur le caractère plus confiné, sur des
parcelles plus dégradées, de l’agriculture des paysans migrants du fait de leur accès
limité au foncier. En comparaison des autochtones bwa, les migrants ont par consé-
quent des pratiques significativement plus intensives en travail et plus durables,
notamment grâce à l’emploi de fumier.

Effets du critère structural équipement


Les petites exploitations non-équipées (28 % régionalement, 29 % sur le plateau)
sont celles des jeunes venant de s’émanciper ou des anciens en préretraite. Elles
sont comparées aux exploitations ayant réussi à réunir un équipement (charrue,
bœufs, charrette) même incomplet.
Les exploitations agricoles équipées sont beaucoup plus grandes que les non-équipées,
elles possèdent beaucoup plus de bétail et un peu moins de main-d’œuvre, par

177
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 10.1. Effets des variables de structure (origine de l’exploitant, équipement) sur
les paramètres et les pratiques des exploitations agricoles du plateau (Serpantié, 2003).
Indicateurs des exploitations agricoles Indicateurs de structure
Origine de l’exploitant Attelage
σ Autochtone Migrant Sans Avec
Fréquence dans l’échantillon (%) 62 38 29 71
Attelage chez les migrants (fréquence en %) 25 a 52 b
Besoins exprimés en unité résident (UR) 4,8 5,32 a 9,85 b 3,85 a 8,35 b
Moyens disponibles Main-d’œuvre 0,16 0,74 b 0,64 a 0,75 b 0,68 a
(UTH/UR)
Cheptel (UBT/UR) 0,94 1,04 a 0,72 a 0,35 a 1,15 b
Équipement (exploitations 67 a 80 b 0 100
en culture attelée en %)
Pratiques liées Surface cultivée par 0,6 1,12 b 0,79 a 0,92 a 1,02 a
à des stratégies unité résident (ha/UR)
Surface cultivée par unité 1,0 1,57 b 1,29 a 1,28 a 1,54 a
de main-d’œuvre (ha/UTH)
Exploitation agricole ayant 73 a 65 a 70 a 70 a
un champ sur sol pauvre
et sec (%)
Cultures commerciales 23,2 43,0 a 37,1 a 32,2 a 44,0 b
(% SC)
Exploitations 64 a 53 a 52 a 63 a
cotonnières (%)
Pratiques Apport d’engrais (kg/ha) 47 12,1 a 10,3 a 9,3 a 16,6 b
indicatrices du SC
Pratiques Âge du champ principal 8,6 7,7 a 10,6 b 7,3 a 9,4 a
indicatrices du GSC (ans)
Champ principal 77 b 53 a 58 a 73 a
sur jachère longue (% expl.)
Fumure organique régulière 4a 37 b 6a 21 a
(nb expl.)
Pour chacun des critères, origine de l’exploitant et attelage, les paires de moyennes portant
deux lettres différentes a ou b sont significativement différentes au seuil p = 0,05.
SC, système de culture ; GSC, grand système de culture

rapport aux besoins estimés par le nombre d’équivalents-résidents. Leurs stratégies


de production sont plus diversifiées. Paradoxalement, les surfaces cultivées par actif
sont peu différentes des précédentes et les sols exploités sont les mêmes. Elles sont
plus nombreuses à utiliser le fumier, mais ont le même taux de culture temporaire.
Les exploitations équipées pratiquent des systèmes de culture plus intensifs en
engrais et herbicides. Il s’agit d’exploitations plus aisées, ayant plus de cheptel et
plus intensives en intrants, ce qui leur permet de diversifier les productions et de
pratiquer plus facilement des substitutions à la jachère (production et transport de
fumier, herbicide), sans pour autant nécessairement abandonner la jachère. Il s’agit
d’une diversification des modes de production.

178
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso

Effet de la dévaluation du franc CFA


sur les grands systèmes de culture (GSC)
L’application d’herbicide concernait 2 % des exploitations en 1990, 10 % en 1994 et
33 % en 2000. Le passage à la culture prolongée (> 10 ans) souvent avec apport de
fumier était adopté dans 7 % des cas en 1990, 10 % en 1994 et 40 % en 2000. Les
deux progressions vont de pair et se sont nettement accélérées depuis 1995. Si la
saturation progressive des meilleurs sols du plateau peut expliquer cette évolution,
la dévaluation de 1994 a aussi joué un rôle facilitateur, par son effet sur les prix
unitaires (coton-graine, +100 % ; engrais, +150 % ; herbicide, stable). L’emploi du
fumier a été favorisé par le renchérissement des engrais et du coton, et les traite-
ments herbicides se sont développés car leur coût, auparavant prohibitif, a baissé
relativement après dévaluation.

Deuxième hypothèse : effet du fonctionnement des exploitations


agricoles sur l’adoption de cultures temporaires
Typologie
Les exploitations du plateau ont été choisies sur un paramètre de structure « exploi-
tation d’autochtone » et un paramètre synthétique se référant à l’équipement, au
stade dans le cycle de vie de l’exploitation et à la taille (tableau 10.2). Le stade du
cycle de vie dans lequel se trouve l’exploitation reflète en effet son évolution en
taille, en cheptel et en équipement. Cependant, l’échantillon ne comprend pas les
grosses exploitations bwa, car elles se trouvent seulement en bas-glacis.

Tableau 10.2. Exploitations agricoles échantillonnées sur le plateau et exploitations-test


choisies dans la typologie.
Type d’exploitation Caractéristiques Migrants Autochtones
Petites et moyennes Objectifs subsistance Agriculture principale, Agriculture principale
(anciens non-équipés) Phase préretraite recherche proximité Proximité (Lo)
village (Gu)
Agriculture principale, Agriculture secondaire,
Proximité (Is) Temps libre,
Proximité (Da)
Grande exploitation Objectifs vivrier Agriculture principale Pas d’exploitation
bien équipée et revenu, Commerce spéculatif, d’autochtones matures
(matériel, cheptel) phase maturité enseignement Coran (Ma) sur le plateau
Agriculture secondaire
proximité marché (Sa)
Petites et moyennes Objectifs vivrier Agriculture principale, Agriculture principale
en cours d’équipement et revenu, phase proximité (Il) Éviction du bas-glacis (Sd)
développement
Agriculture principale, Agriculture principale,
proximité, (Ka) proximité, temps libre (Sb)

179
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Les 10 exploitations agricoles étudiées présentent des types de fonctionnement liés


aux critères structurels choisis.
Trois types de fonctionnement sont identifiés :
– très petites exploitations en préretraite, à faible main-d’œuvre, en régime de
subsistance, ayant décapitalisé au profit des exploitations des descendants (exploi-
tations filles), peu capables d’investir en intrants, recherchant un système de
production peu exigeant en travail et sans risques.
– grandes exploitations matures, qui ont eu le temps de se développer et de s’enrichir
en main-d’œuvre, capital et cheptel, ayant des stratégies vivrières et commerciales
plus ou moins spéculatives donc à fort risque, l’exploitation étant sécurisée par les
investissements ;
– petites exploitations, soit jeunes et en phase de développement, soit plus âgées
mais bloquées, mal équipées, ayant une faible force de travail, une faible capacité
d’investissement et une prise de risque moyenne, recherchant des vivres et des
revenus pour s’équiper et économisent sur les intrants.

Relation entre le fonctionnement, les systèmes de culture


et les grands systèmes de culture
Il existe un lien très clair entre le type de fonctionnement et le système de culture
mis en évidence par l’indicateur d’intensité des intrants (tableau 10.3) : les exploita-
tions agricoles matures de grande taille appliquent de fortes quantités d’intrants par
unité de surface, les anciens en appliquent très peu, et les exploitations agricoles en
cours de développement pratiquent des doses intermédiaires.
En revanche, les relations entre les types de fonctionnement et les grands systèmes
de culture (GSC) sont moins nettes. On trouve des cultures temporaires et des
conquêtes de jachère dans les trois types, chez les migrants comme chez les autoch-
tones. Il existe cependant des différences dans les modalités de culture temporaire :
les migrants pratiquent la culture à jachère et les autochtones la culture itinérante.
Cette différence a des raisons foncières. D’une part, les migrants ont moins accès au
foncier ; d’autre part, ils cherchent à se constituer un terroir. Cette stratégie impose
de ne pas abandonner une terre plus de 10 ans afin de ne pas prendre le risque
qu’elle soit attribuée à un autre.
L’utilisation intensive et combinée du fumier, des engrais, des herbicides et d’une
forte quantité de main-d’œuvre est très efficace pour accroître durablement les
rendements sans jachère, et s’observe uniquement chez le type d’exploitation
mature des migrants. Il faut en effet avoir pu accumuler du bétail et qu’il soit gardé
sur place et non confié. La dévaluation et aussi la saturation des meilleurs sols du
plateau ont renforcé la pratique de la culture permanente. L’application de fumier
reste rare chez les autochtones bwa qui ne gèrent pas directement leur bétail, mais
qui conservent d’autres opportunités de progrès, telles que le renouvellement des
sols par les vieilles jachères.
Les deux exploitations agricoles de chaque type ont des fonctionnements générale-
ment proches. Elles se différencient par la place parfois importante dévolue à des
activités autres qu’agricoles sur le plateau (cas des exploitations Sa, Sb, Da). Les
fonctions des activités agricoles et non-agricoles traduisent des stratégies différentes.

180
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso

Tableau 10.3. Grands systèmes de culture et niveaux d’intensification en intrants des


exploitations agricoles (coût en Fcfa constants 1996 / ha).
Système extensif en intrants Système intensif en intrants
GSC principal 0-20 000 Fcfa/ha 20 000-40 000 40 000-60 000 60 000-80 000
Conquête de Sd1, Ka2 Sa2 (I), Ka2 Mas2 (I), Sa1 (I)
jachères longues
Culture Lo1 Lo2, Is1 Da2, Il1, Sd1 Ma1 (I), Sb1
itinérante
Culture Is2 Gu1, Il2, Ka1 Ka2 Sa1 (II)
à jachères
Culture prolongée Sd2 (herbicide, Ma2 (II)
(modes de parcage) (herbicide,
prolongation) Sb2 (salaires) parcage)
Sa2(II) (fumier)
Culture Da1 (culture Ma1 (II)
permanente de case), Gu2 (parcage)
(notation des EA : Is1 = « Is » avant 1994 -------> Is2 = « Is » après 1996)
GSC, grand système de culture

Par exemple, dans l’exploitation Sb, un jeune autochtone double-actif utilise ses
revenus extérieurs pour payer les salaires de sarclage des cultures prolongées et
acheter de la fumure organique en sac (guano), il intensifie ainsi son activité agricole
et dépend moins des jachères. L’exploitation Sa est celle d’un migrant mature double-
actif, dont la part de l’activité agricole est faible par rapport aux autres activités, il
pratique des cultures prolongées mais aussi des cultures temporaires pour mieux
valoriser sa main-d’œuvre et conquérir du foncier et, ainsi, à terme accroître son acti-
vité agricole. L’exploitation Da est celle d’un notable autochtone, pour qui l’agri-
culture ne représente qu’une faible part des activités, qui s’est orienté vers la culture
itinérante après un essai de culture permanente au village, il n’investit visiblement
pas dans l’agriculture.

Logiques technico-économiques
Culture prolongée et culture permanente
L’emploi du fumier permet de pratiquer la culture permanente avec un rendement
stable ou croissant (Serpantié, 2003). Cela nécessite cependant d’avoir du cheptel,
de pouvoir le gérer sur place sans le confier, de disposer de moyens de transport et
d’une force de travail abondante pour le sarclage ou des substituts comme les herbi-
cides, et bien sûr d’avoir accès à des pâturages. En effet, l’intégration de l’élevage,
qui fournit du fumier et permet le sarclage attelé, nécessite de la main-d’œuvre de
gardiennage, et conduit à une spécialisation de la flore adventice qui impose un
désherbage manuel de finition. Ces agro-éleveurs sont donc très dépendants de
l’existence de pâturages proches ; ce sont, dans les exploitations étudiées, des
jachères produites par la culture temporaire d’autres paysans… C’est un des para-
doxes de la culture permanente sur des terres pauvres : les deux modes de produc-
tion doivent coexister.

181
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

La culture permanente est donc réservée à des exploitations matures riches en


main-d’œuvre et bien pourvues en moyens, ou à des exploitations jeunes qui ont pu
rapidement capitaliser du bétail, grâce à un héritage ou à un deuxième métier rému-
nérateur. L’intensité d’intrants est élevée et la gamme d’intrants utilisés est
complétée par les herbicides.
Le maintien de parcelles en culture temporaire chez ces paysans privilégiés semble
jouer un rôle d’optimisation de la productivité du travail, pour valoriser la main-
d’œuvre sous-occupée. La conquête de jachères serait aussi utile pour l’agrandisse-
ment de la surface agricole. Cette pratique de reprise de jachères apparaît donc
avantageuse mais non indispensable pour les exploitations agricoles matures de
migrants. Les seuls paysans à avoir nettement accru leur revenu après dévaluation
(Ma, Sd) sont ceux qui ont appliqué massivement de la fumure organique et des
herbicides sur des terres non encore épuisées, – ce qui leur a permis d’économiser
de l’engrais dont le prix est devenu prohibitif –, et qui peuvent spéculer sur le maïs,
devenu plus rentable que le cotonnier.

Culture temporaire
La culture temporaire est la seule solution sur les terres pauvres mais enher-
bées, en économie de subsistance, lorsque l’agriculteur cherche à réduire sa
force de travail, qu’il ne dispose ni d’autres revenus, ni d’un capital qui lui
permettrait de courir quelque risque. C’est le cas de toutes les exploitations
agricoles en phase de préretraite. Les anciens préfèrent les sols les plus légers
des plateaux, moins productifs mais plus faciles à entretenir. L’enherbement y
est toujours contrôlable. Dans les exploitations en développement, limitées en
travail, sans héritage (comme Ka ou Il), avec un sol peu fertile et en l’absence
d’un métier rémunérateur, l’intensité d’intrants appliquée est moyenne et la
gamme d’intrants incomplète (pas de fumier, prudence sur les herbicides). Les
jachères représentent une terre disponible comme attribut foncier initial et des
conditions de production économes en travail et en intrants. Les investissements
monétaires n’étant rentables qu’à partir d’un certain seuil de surface, les
processus de développement par capitalisation restent lents. C’est une des
raisons du maintien de la culture temporaire seule dans des exploitations agri-
coles jeunes ou matures mais bloquées dans leurs perspectives d’évolution, ou
du départ de la zone. Les exploitants qui abandonnent ces exploitations s’instal-
lent dans les terres de bas-glacis, plus vite rentables, ou émigrent s’il n’y a pas
terres disponibles.

 Discussion et conclusion

Échantillon
L’échantillon d’exploitations étudiées est réduit, ce qui impose la prudence. Mais il
permet de représenter la diversité des structures des exploitations, sans pour autant
refléter tous les types de fonctionnement possibles. Nos deux niveaux d’enquête,
enquête extensive et monographies, aboutissent cependant à des résultats convergents.

182
Diversité des exploitations et utilisation de la jachère dans la zone cotonnière du Burkina Faso

Utilité sociale des systèmes avec jachère


La culture temporaire est toujours largement pratiquée, mais sous différentes
formes. Parce qu’ils ont généralement des exploitations plus grandes et que, condui-
sant leur propre bétail, ils ont du fumier, les allochtones des plateaux pratiquent
plus souvent des systèmes de culture à jachère et des cultures permanentes que les
autochtones qui font encore beaucoup de culture itinérante.
La place de la culture prolongée et permanente s’accroît, mais varie suivant les
types d’exploitations agricoles. Indépendamment de l’origine ethnique, les moyens
disponibles et l’environnement économique déterminent les systèmes de culture : il
existe une bonne concordance entre l’intérêt pour la culture prolongée et le type
d’exploitation agricole (stade, taille, équipement), et entre l’intensité d’application
des intrants et leur prix. La dévaluation du franc CFA a particulièrement avantagé
les grandes exploitations matures et leur a permis de développer l’emploi des herbi-
cides et de la fumure organique. Chez les anciens en préretraite, seule l’option de
la culture temporaire permet de limiter le travail et les risques financiers. Chez les
jeunes exploitants, exclus du bas-glacis et qui ne sont pas doubles-actifs, la culture
temporaire apparaît comme un passage obligé, de préférence sur des sols hydro-
morphes du plateau, fertiles mais enherbés. Si, à cause de la saturation de ces
meilleurs sols, ces exploitants étaient contraints à la culture prolongée ou à une
extension sur des terres sèches, leurs résultats s’en ressentiraient, leur revenu dimi-
nuerait, et l’émigration s’accroîtrait encore.

Utilité économique et environnementale


Les jachères profitent aussi à tous par le biais des ressources végétales et animales
qu’elles procurent (Serpantié, 2003), par leurs effets sur la conservation des terres
(Fournier et al., 2000) et par la souplesse foncière qu’elles représentent. Dans ces
conditions, la culture prolongée n’apparaît pas comme une alternative à privilégier,
mais comme une pratique complémentaire de la culture temporaire au sein d’un
système de production marqué par une grande diversité d’exploitations et de caté-
gories sociales, par le coût élevé des intrants et la qualité médiocre des terres.
L’importance de l’émigration (deux jeunes sur trois) et la stagnation de la popula-
tion des plateaux laissent encore une bonne place à la culture temporaire pour les
exploitants n’ayant pas accès aux herbicides et à la fumure. Cependant, la sensibi-
lité de ce système à l’environnement économique et la mobilité des ruraux montrent
la précarité de la persistance de la culture temporaire : un retour massif des
migrants, des intrants moins chers, ou des filières valorisant les terres secondaires
(telle l’arachide) modifieraient toutes les données.

183
Pour approfondir le sujet
Chapitre 11
Systèmes d’activités en zones agricoles
périurbaines à Madagascar.
Diversité et flexibilité
des exploitations agricoles
Joselyne RAMAMONJISOA, Christine AUBRY,
Marie-Hélène DABAT et Mahefa ANDRIARIMALALA

L’agriculture périurbaine, objet complexe, est appréhendée par la recherche selon


diverses disciplines et via ses multiples fonctions. Mais les études portant sur les
exploitations agricoles sont peu nombreuses : face à cette mosaïque d’agricultures
(Bryant, 1997), on trouve surtout dans ce domaine des descriptions statistiques
(Speybrock et al., 2004), ou des études focalisées sur certains systèmes de production,
notamment les systèmes d’élevage et les systèmes maraîchers (Killanga et al., 1999 ;
Siegmund-Schultze et al., 1999 ; Bonnet et Duteurtre, 1999 ; Gockowski, 1999 ; Yapi
Affou, 1999 ; N’Diénor et Aubry, 2004).
Dans le cas d’Antananarivo, capitale de Madagascar, nous avons utilisé une
approche de la diversité des exploitations agricoles qui croise une description des
systèmes de production agricole et des systèmes d’activité des ménages agricoles.

 Contexte et méthodologie

Une ville en extension, des exploitations agricoles mal connues


L’agglomération d’Antananarivo comprend la Commune urbaine d’Antananarivo
(CUA, 6 arrondissements) et 17 communes jointives. Elle s’étend sur une superficie
de 437 km2 et compte près de 1,5 million d’habitants en 2001 (10 % de la population
du pays). L’extension urbaine rapide au cours de la dernière décennie, notamment du

185
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

fait de l’industrialisation massive, a entraîné une forte ascension économique de


l’agglomération (40 % du PIB de Madagascar en 2001). L’agriculture, partout
présente dans et autour de la ville, a été le premier fournisseur d’espaces pour
répondre aux besoins d’une urbanisation longtemps réalisée sans planification
d’ensemble ni analyse préalable des risques. Or, on constate l’accroissement des
problèmes d’assainissement, des inondations dans les zones basses et de l’érosion sur
les pentes. Plusieurs signaux d’alarme (épidémie de choléra, inondations répétées,
glissements de terrains) ont attiré récemment l’attention des autorités sur ces
problèmes mais aussi, en retour, sur ce que représente cette réserve foncière agricole.
Dénuée d’encadrement technique et social depuis au moins deux décennies, l’agri-
culture intra-muros et périurbaine d’Antananarivo a été très peu étudiée jusqu’ici.

Représentation de la diversité des exploitations agricoles


en contexte d’agriculture urbaine
Nous considérons ici l’entité de l’exploitation agricole comme un système piloté par
l’agriculteur et sa famille. Nous pouvons donc caractériser la diversité des exploita-
tions sur la base du fonctionnement technico-économique du système de production
agricole (Capillon et Sebillotte, 1980). Cependant, en contexte de proximité urbaine,
on montre l’importance des activités de l’agriculteur et des membres de sa famille en
relation avec la ville : pluriactivité via les emplois en ville, ventes directes des produits
agricoles, etc. (Ezgablier et al., 1995 ; Bryant, 1997). En accord avec Laurent et al.
(2003), nous considérons donc que la cohérence de l’exploitation doit être recherchée
au-delà du seul système de production agricole : nous analysons alors la combinaison
des activités du ménage agricole (Laurent et al., 1994 ; Blanchemanche, 2002), en
cherchant à situer le poids du système de production agricole en son sein. Les acti-
vités retenues sont la production agricole (cultures, élevages), les activités para-agri-
coles et extérieures. Nous appelons ici activités para-agricoles les activités qui
utilisent directement le territoire ou les moyens de production de l’exploitation pour
en tirer un revenu supplémentaire, et activités extérieures les autres activités rému-
nérées hors de l’exploitation. Nous considérons les membres de la famille résidant sur
l’exploitation, en mettant en avant l’unité de résidence que constitue celle-ci
(Gastellu, 1980). La représentation de la diversité des exploitations passe alors par
une typologie croisée entre systèmes d’activités et systèmes de production agricole.

Méthodologie d’enquête et d’échantillonnage


Dans chaque exploitation, l’enquête porte sur la composition de la famille, les activités
des membres (nature, temps et position dans l’année, part dans le revenu et relations
avec les activités agricoles), l’histoire de l’exploitation, le milieu, le système de production
agricole (taille, statut foncier, combinaison des productions, modes de conduite tech-
nique, destination des produits) et sur les perspectives de pérennité du système d’activité
et du système de production agricole. Faute de données statistiques ad hoc, il est difficile
de connaître précisément la place de l’agriculture dans l’agglomération et de procéder à
un choix d’exploitations à enquêter statistiquement représentatives. Nous avons donc
choisi des sites sur des critères susceptibles a priori de différencier les activités des
ménages et les systèmes de production agricole, compte tenu du contexte, à savoir :

186
Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines à Madagascar

– l’accessibilité de la ville (distance, facilité de déplacement, piste praticable, ligne


de bus, etc.), pouvant conditionner les activités extérieures et la valorisation des
ressources de l’exploitation ;
– l’accès à l’eau, facteur de production fondamental pour les systèmes agricoles dans
le contexte d’Antananarivo.
En croisant ces deux critères, nous avons retenu six sites, intra-muros et périurbains.
En leur sein, nous avons demandé à des personnes ressources (maires, présidents
de quartier, notables, agriculteurs) d’indiquer des ménages diversifiés (productions,
activités). La longueur des enquêtes et les moyens disponibles ont conduit à retenir
environ 20 ménages par site.

 Résultats

Des systèmes d’activité et de production diversifiés,


inégalement répartis dans l’espace
À partir des 131 enquêtes réalisées en 2002 et 2003 dans les six sites, ressortent trois
groupes de systèmes d’activités, croisés avec un nombre variable de systèmes de
production agricole (tableau 11.1) :
– le groupe A rassemble des ménages qui se consacrent seulement aux activités agri-
coles et para-agricoles ;
– en groupe B, le chef d’exploitation est à temps plein sur ces activités, et au moins
un résident exerce une activité extérieure ;
– en groupe C, le chef d’exploitation exerce une activité extérieure au moins à mi-temps.

Coexistence dans tous les sites des trois groupes


de systèmes d’activité
On constate que les trois groupes d’activité existent dans tous les sites, inégalement
répartis dans l’espace. L’accessibilité de la ville est une condition nécessaire à la
fréquence des groupes B et C : ainsi, le site de colline 1, relié à la capitale par une
route directe et des transports par minibus, comporte plus d’exploitations du groupe C
que le site de colline 2, plus éloigné et mal relié (piste) ce qui rend difficiles les
migrations pendulaires (déplacements quotidiens domicile-travail). En effet, les
activités extérieures des groupes B et C sont directement liées à la ville : salariat
dans les industries, dans les services (employés de maison), commerçants (gargote,
épicerie). On rencontre aussi des activités liées à la construction pour les hommes
(maçons, menuisiers, charpentiers) et à l’artisanat d’art pour les femmes (broderie,
couture, vannerie) : il s’agit souvent d’activités à temps partiel ou irrégulières
(commandes, chantiers), moins sensibles à l’accessibilité de la ville que les précé-
dentes. Ce critère joue ainsi pour déterminer la nature ou la fréquence des activités
extérieures mais n’est pas suffisant : la part des exploitations du groupe C sur la rive
droite du fleuve Ikopa qui partage la plaine rizicole est plus élevée que sur la rive
gauche, à distance du centre ville et facilité de déplacement très voisines. Or, les
travaux d’aménagement hydraulique de la rive droite de l’Ikopa entre 1992 et 2000,

187
Tableau 11.1. Répartition des systèmes d’activité des ménages agricoles dans les sites.

188
Site Système Système de Variations Activités Activités
d’activités production agricole des productions agricoles para-agricoles extérieures
Effectif Effectif Éléments
A B C communs
Plaine rive droite 8 3 9 5 Riz irrigué Volailles, bœufs, Briques, pêche, Salariés ville,
(20 enquêtes) cultures contre-saison salariat agricole, commerce
location matériel
Plaine rive gauche 12 7 1 6 Riz irrigué Cultures contre-saison Briques, pêche, (salarié ville)
(20 enquêtes) salariat agricole
Alasora 14 6 1 7 Maraîchage Riz selon accès eau, Briques, vente directe Petit commerce,
(21 enquêtes) bœufs, volailles salariés ville
Intra-muros 3 15 12 4 Cresson Maraîchage, riz, Vente directe, Salariés ville,
(30 enquêtes) volailles, porcs salariat agricole retraités
Collines 1 1 3 16 8 Maraîchage peu sauf crise Salariat agricole Salariés ville
(20 enquêtes) peu intensif, riz
Collines 2 12 5 3 8 Maraîchage Diversité maraîchère, Salariat agricole, Artisans, retraités
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

(20 enquêtes) intensif, riz arboriculture, location matériel


élevage laitier
(1 à 6 vaches)
Total 131 enquêtes 50 39 42 38
Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines à Madagascar

s’ils ont fortement perturbé l’activité agricole, ont été contemporains de la forte
croissance industrielle de la capitale ; nous faisons donc l’hypothèse que les
ménages agricoles de cette rive ont dû alors rechercher d’autres activités qui se sont
poursuivies depuis le retour de l’eau.

Forte différenciation des systèmes en fonction de l’accès à l’eau


L’accès à l’eau induit une forte différenciation des systèmes de production : rizicul-
ture dominante en plaine, maraîchage dominant hors des zones inondables ou irri-
guées. Les cycles culturaux du riz varient en fonction de la maîtrise de l’eau, ainsi
que la possibilité de faire du maraîchage de contre-saison après drainage des
rizières et jusqu’à la prochaine mise en eau. À Alasora, commune rurale jouxtant la
capitale, l’endommagement du barrage traditionnel a entraîné une différenciation
forte des systèmes de production : développement du maraîchage, briqueterie sur
les rizières aujourd’hui exondées, riz dans la partie ouest de la commune branchée
sur une prise d’eau directe dans le fleuve. Dans la ville même d’Antananarivo, la
récupération agricole des eaux usées, croissante avec la densification de l’urbanisa-
tion, conduit à transformer l’amont des bas-fonds rizicoles en cressonnières – l’eau
riche en éléments fertilisants induit une végétation trop importante du riz au détri-
ment de la formation de grains. En plaine, on rencontre de nombreuses volailles
adaptées au milieu aquatique (canards, oies) ; dans les collines, le maraîchage colo-
nise de plus en plus les pentes aménagées en terrasses, lorsque la proximité de
sources d’eau le permet. L’élevage laitier est présent en faible effectif en raison des
ressources fourragères limitées mais assure une double fonction, la vente de lait et
l’apport de fumier pour le maraîchage (N’Diénor, 2002).

Diversité des activités para-agricoles


Les activités para-agricoles sont variées. Le salariat agricole temporaire est fréquent,
pour le riz (repiquage et récolte) et parfois pour le maraîchage ; la location
d’attelages se rencontre en rizières (labour, nivelage) et celle des pulvérisateurs à
dos en maraîchage. La vente directe des produits maraîchers sur les marchés de la
capitale est fréquente pour les agriculteurs des bas-fonds intra-muros et des
communes proches (Alasora), là encore, l’accessibilité de la ville est une condition
de cette valorisation. Deux autres activités para-agricoles concernent spécifique-
ment les zones rizicoles de plaine : la pêche après récolte du riz valorise la lenteur
du drainage et sert à l’autoconsommation et à un peu de vente directe ; et surtout
la briqueterie, activité de saison sèche, se pratique dans certaines rizières, les fours
artisanaux sont fréquents dans le paysage, surtout sur la rive gauche. Ainsi, la diver-
sité des systèmes d’activité et de production est-elle bien reliée aux deux détermi-
nants posés par hypothèse. Cependant, bien connaître le rôle respectif des
différentes activités dans les exploitations mérite une analyse plus poussée.

Relations entre systèmes d’activité et systèmes de production


La part de chaque activité dans le temps de travail, le revenu ou la trésorerie des
ménages n’a pas été quantifiée, ce qui aurait nécessité des suivis difficiles à mettre
en œuvre. Cependant, les enquêtes et la bibliographie permettent de mettre en

189
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

évidence des relations fonctionnelles entre activités, d’approcher certaines quantifi-


cations, de comprendre le rôle des exploitations dans les stratégies des ménages.
Nous illustrerons cela dans le cas des systèmes cressonniers des bas-fonds intra-
muros ainsi que dans les systèmes rizicoles de la plaine (tableau 11.2).

Systèmes de production intra-muros et dans la plaine


Intra-muros, les systèmes de production dépendent de la situation topographique et
du statut foncier. En amont, les eaux usées – moins de 15 % des maisons sont
reliées au réseau d’égout, le reste des eaux usées aboutit dans les bas-fonds – sont
utilisées pour la culture du cresson, la riziculture n’étant possible qu’en aval. Les
propriétaires traditionnels (AI1, CI1) pratiquent des systèmes diversifiés en utili-
sant ce gradient topographique, et commercialisent directement cresson, cultures
maraîchères et volailles, en autoconsommant le riz. Les locataires ou métayers (BI1,
CI2), plutôt localisés en amont, se concentrent sur la production du cresson à cycle
court qui est facilement commercialisé et procure des rentrées d’argent fréquentes.
Dans la plaine, les surfaces exploitées sont très petites, mais souvent en propriété,
témoignant d’implantations familiales anciennes. Le riz est souvent la seule culture
pratiquée, surtout autoconsommée, seules 3 exploitations sur 40 enquêtées (1 AP1,
2 CP1) en commercialisent régulièrement plus d’une tonne par an (Bouteau, 2002).
L’élevage de volailles est particulièrement rémunérateur – un canard ou une oie
peut procurer un revenu équivalent à un are de riz –, car il est valorisé auprès des
classes aisées de la capitale, en magrets, foie gras, etc.

Importance relative des activités agricoles et para-agricoles


Les relations entre ces systèmes de production et les autres activités des ménages
ainsi que le positionnement de l’exploitation dans les stratégies familiales sont très
variables entre ces types (Andriarimalala, 2002 ; Rakotonirina, 2002 ; Andrianarivo,
2003).
• Intra-muros, le type CI1, propriétaire traditionnel, réinvestit des revenus exté-
rieurs réguliers et conséquents dans l’activité agricole pour l’achat d’intrants et le
paiement de salariés permanents, l’achat de terres, ou la constitution d’un petit
élevage laitier. L’exploitation agricole est alors une source de revenu importante, un
lieu d’investissement, une source d’autoconsommation, un lieu de résidence et un
patrimoine familial que l’on fait fructifier.
• La situation est voisine pour le type CP1, composé d’exploitations en plaine sur la
rive droite, qui réinvestissent les revenus du commerce dans l’exploitation via
l’achat de bœufs, de matériels et le paiement de salariés permanents. L’exploitation
sert aussi à l’autoconsommation en riz mais sa part dans le revenu est plus faible
qu’en CI1. Les fonctions de résidence, de constitution et de préservation du patri-
moine familial semblent ici importantes.
• À l’inverse, pour les types CI2 et CP2, les exploitations sont de taille très réduite
et au statut foncier précaire, la base agricole est faible, il s’agit souvent de migrants.
Les faibles revenus issus d’un travail peu qualifié ou du salariat agricole servent
juste à faire vivre la famille et en aucun cas à investir dans l’exploitation. L’activité
extérieure limite la diversification et l’intensification agricoles : le cresson est limité
à quelques cycles par an (CI2) et le riz ne couvre pas l’autoconsommation (CP2).

190
Tableau 11.2. Systèmes de production agricole et autres activités intra-muros et dans la plaine.
Type Surface Statut Productions Productions Main-d’œuvre Activités Activités
(effectif) végétales animales et équipement para-agricoles extérieures
Sites AI1 (3) 2 à 3 ha Location Cresson, Volailles, porcs Familiale, salarié Vente directe –
intra-muros et propriété maraîchage, riz temporaire
Manuel et pulvérisateur
en propriété
BI1 (15) 1 à 2 ha Location, Cresson (volailles) Familiale seule (vente directe) Salariés ville
métayage (maraîchage) Manuel (salariat agricole) (famille)
CI1 (2) 1 à 4 ha Propriété Riz, maraîchage 2-3 vaches Salariés permanents – Fonctionnaires,
(cresson) laitières Attelages, pulvérisateur retraités
CI2 (10) 2 à 5 ares Métayage Cresson – Familiale seule, – Salariés
seul seul Manuel seul plus de mi-temps
Plaine rizicole AP1 (3) 30-70 ares Propriété Riz Bœufs (2-7), Familiale + Briques, pêche, –
(location) volailles (20-40) salarié temporaire pisciculture
Attelage, outils
AP2 (11) 3-10 ares Propriété Riz, manioc, Bœufs (2-8), Familiale Briques, pêche –
pomme de terre volailles (20-65), Manuel Salariat agricole
(contre-saison) porcs (>5)
AP3 (5) 10-20 ares Riz Volailles (<15) Familiale Briques, pêche –
Manuel Salariat agricole
BP1 (9) 10-20 ares Riz – Familiale Briques, pêche Salariés ville
Salariat agricole (famille)
CP1 (2) 70 ares Propriété Riz Bœufs (5-7), Familiale + – Commerçants
à 1 ha volailles (25-75) salarié permanent
Attelage, outils
CP2 (10) 2-15 ares Métayage Riz Volailles (<25) Familiale + salarié (briques) Salariés ville
temporaire, Manuel
Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines à Madagascar

191
A, B, C, groupes de systèmes d’activité ; familiale, main-d’œuvre familiale ; manuel, outils agricoles manuels ; pulvérisateur, pulvérisateur à dos.
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

L’exploitation est un lieu de résidence et un appoint de consommation plus qu’une


véritable unité de production.
• Les types B sont dans une situation intermédiaire mais variable dans la diversifi-
cation agricole et le poids des activités para-agricoles. Les revenus des activités
extérieures contribuent cependant seulement à la survie de la famille.

Revenu des différentes activités


Pour les types A, les revenus peuvent être importants. Intra-muros (type AI1), l’in-
tensification du cresson (jusqu’à 8 cycles par an) associée à la vente directe conduit
à des revenus de l’ordre de 500 000 à 700 000 FMG/mois (40 à 55 $ US) pour ce seul
produit (Andriarimalala, 2002). Il y a réinvestissement sur l’exploitation, notam-
ment par l’achat de terres. Cependant, la consommation urbaine du cresson
diminue du fait des craintes de pollution par les eaux usées (suspicion de présence
de germes et de métaux lourds dans les feuilles). Dans la plaine (types AP1, AP2),
les surplus monétaires provenant d’activités para-agricoles sont investis prioritaire-
ment dans l’élevage (bovins, volailles). On observe la même combinaison des acti-
vités riz-canards-pêche-briques dans les types A ou B de la plaine, ces activités se
succédant pour partie dans le temps sur les mêmes parcelles agricoles.
En plaine, la briqueterie est une activité rémunératrice. Une production annuelle
de 10 000 briques (soit 0,8 are de terre utilisée), moyenne pour une exploitation AP3
ou BP1, représente, – d’après une étude agro-socio-économique réalisée par le
Ministère de l’aménagement du territoire, l’AFD et le BPPA –, un revenu minimum
d’1 million de FMG pendant la période de production (juillet-septembre)
(Rakotonirina, 2002). C’est plus qu’un salaire moyen d’employé dans l’industrie, et
l’équivalent de 0,2 à 0,3 ha de riz. Très dynamique vu la demande en matériel de
construction pour l’extension urbaine, cette activité minière – utilisant l’argile
superficielle des rizières, la briqueterie s’arrête dès que l’on atteint des couches de
sol moins favorables (gley), le sol, alors impropre tant à la brique qu’à la riziculture
est souvent remblayé pour construire – peut remettre en cause la pérennité de la
riziculture, même si des autorisations restrictives doivent théoriquement être obte-
nues auprès des présidents de quartier pour la pratiquer.

Flexibilité des systèmes d’activité et du rôle de l’exploitation


Pour le ménage agricole, la combinaison d’activités est une source de flexibilité face
à un environnement changeant. Un exemple en a été donné dans les collines maraî-
chères de l’Est, lors de la crise politique de 2002 (N’Diénor, 2002). Ainsi, avec la
cessation quasi totale des activités industrielles et commerciales en ville pendant
plusieurs mois, privant les types C et B d’une source importante de revenu, on a
assisté dans le site 1, où ces types abondent, à un retour sur l’exploitation. On a noté
l’intensification du système agricole, passant des légumes-feuilles à cycle court
(traditionnellement cultivés et commercialisés par les femmes) à des cultures plus
rémunératrices mais exigeantes, comme la tomate. Les bonnes conditions de
commercialisation pendant quelques mois, du fait du blocage d’Antananarivo, ont
pu temporairement compenser les difficultés liées à un milieu plus contraignant et
à une moindre connaissance des cultures que sur le site 2 (N’Diénor et Aubry, 2004).

192
Systèmes d’activités en zones agricoles périurbaines à Madagascar

Ce retour plus ou moins durable a pu toucher d’autres sites, mais de façon moins
spectaculaire.
Dans les entretiens, il est rare qu’un départ de l’agriculture soit annoncé. On peut
rapprocher cela de la fréquence de la propriété d’une partie au moins de la terre,
notamment en plaine, de la relative rareté des migrants, de l’importance de l’exploi-
tation dans l’autoconsommation en riz de la famille élargie – celle vivant sur l’ex-
ploitation et celle vivant en ville (Dabat et al., 2004) –, de son rôle de lieu de
résidence voire de valeur refuge en cas de crise, pour conclure à un attachement des
ménages à l’exploitation, même lorsque d’autres activités sont plus importantes en
termes de revenu et de travail. Cependant, la pérennité des exploitations n’est pas
partout acquise face à l’expansion urbaine. On peut ainsi se demander si l’activité
de briqueterie sur les rizières n’est pas une façon d’amorcer la réalisation de la rente
foncière, la parcelle pouvant être vendue comme terrain à bâtir dès lors qu’elle n’est
plus utilisable, ni pour les briques, ni pour le riz. On observe en tous cas dans le
paysage de telles évolutions. Ainsi, si des mesures ne sont pas prises pour maintenir
l’agriculture urbaine, il est probable que « l’attachement » ne suffira pas à limiter la
disparition d’exploitations agricoles.

 Discussion et conclusion
Nos résultats rejoignent ceux d’autres études sur la complexité et la flexibilité des
exploitations agricoles périurbaines dans les pays du Sud (Moustier, 1999 ;
Madelano, 2000). Le cadre d’analyse proposé, croisant systèmes d’activités et
systèmes de production agricole, permet de classifier les exploitations, mettant en
évidence l’interdépendance entre activités et révélant des formes de flexibilité. Les
déterminants, choisis a priori, de la variabilité spatiale des types se sont révélés
pertinents mais non exclusifs. En particulier, la situation foncière et sociale semble
importante, mais n’est pas analysée ici.
Deux principales limites sont à souligner. D’une part, nous n’avons pas quantifié le
poids des différentes activités dans les ménages agricoles. Des suivis détaillés sur un
échantillon, en particulier de la trésorerie, du travail (en s’inspirant des méthodes
de bilan travail-ménage proposées par Dedieu et al., 1999) ou de la destination des
produits agricoles, pourraient être d’un grand intérêt, mais sont hors de notre
portée. On pourrait proposer d’inclure des ménages de notre typologie dans des
observatoires existants, typologie qui servirait alors de base d’échantillonnage et de
corps d’hypothèses.
D’autre part, d’autres cadres de réflexion et d’analyse peuvent être utilisés, notam-
ment ceux fondés sur les multifonctionnalités de l’agriculture (Laurent, 2002)
notamment dans les pays du Sud (Losch, 2002). L’exploitation agricole est alors
analysée sous un nouvel angle, son rapport au territoire, particulièrement pertinent
en agriculture urbaine. Dans cette optique, des cadres de représentation de l’inser-
tion territoriale des exploitations, croisant insertion par l’activité et par la résidence
(Duvernoy et al., 2002) ou niveaux (unité de production, acteurs) et ressources
(productives, relationnelles, symboliques), objets de leur ancrage territorial (Gafsi,
2002), pourraient être utilisés pour instruire une spécificité majeure de l’agriculture

193
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

urbaine, sa double proximité, géographique et fonctionnelle, avec la ville (Gafsi,


2002 ; Thinon et Torre, 2003).
Nos travaux apportent des informations sur ces questions, comme les relations des
exploitations au territoire via les filières de proximité des produits (vente, auto-
consommation), l’utilisation de ressources de la ville (eaux usées) ou pour la ville
(briqueterie) ou encore la diversité des relations avec l’emploi urbain. Des éléments
sont apportés sur les fonctions de ces exploitations et notamment leurs fonctions de
sécurité alimentaire et économique que la dureté de la crise de 2002 a exacerbées.
Cependant, l’instruction de cette multifonctionnalité des exploitations et de leur
ancrage territorial nécessiterait que soient analysées plus finement les stratégies
foncières des ménages agricoles et les fonctions symboliques et patrimoniales de
l’exploitation. Cette étude devrait être croisée avec l’analyse des projets urbains sur
le territoire agricole, car la pérennité des exploitations agricoles dans les différentes
zones de l’agglomération dépend aussi fortement des acteurs urbains.

194
Pour approfondir le sujet
Chapitre 12
À l’échelle d’une vie :
trajectoires et décisions
paysannes au Bénin
Anne Floquet

Ce texte illustre les différents types de capitaux que les paysans africains, béninois
ici, accumulent au cours de leur vie. Il présente également les facteurs de mobilité
sociale ascendante et leur érosion progressive, dans le contexte du Bénin. La
méthode de construction interactive de typologies de trajectoires d’accumulation,
utilisée pour expliciter les choix des paysans et leurs conséquences, est analysée.

 Question décisive des capitaux


À l’échelle du cycle de vie d’un paysan, l’existence d’une exploitation est une succes-
sion de crises plus ou moins bien surmontées, le plus souvent en mobilisant ce qui a
été accumulé précédemment par lui-même et par ses aînés.

Un capital naturel qui paraît inépuisable


Les économies rurales africaines se construisent souvent à partir du capital de fertilité
des sols accumulé naturellement. Tant que la jachère qui suit la culture est suffisam-
ment longue, cette mobilisation ne pose pas de problème. La pression foncière s’accen-
tuant, la productivité des cultures tend à baisser avec le temps, l’amélioration de la
productivité étant moins rapide que l’augmentation du coût des intrants et du travail.
Parfois, le capital naturel est transformé en d’autres actifs, plantations et cheptel en
particulier, et plus rarement, en capital physique, tels que des aménagements de bas-
fonds ou des équipements améliorant la productivité du travail et de la terre. Le plus
souvent, le capital naturel est exporté hors des agrosystèmes, sans intensification
durable (Boserup, 1965).

195
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Ce processus n’est souvent perçu par ses acteurs que lorsque le niveau de producti-
vité de la terre a beaucoup baissé.

Capital productif, capital épargne


En agriculture, beaucoup de capitaux ont une double fonction de production et
d’épargne. En cas de crise, la fonction d’épargne non-monétaire est décisive pour la
survie de l’individu et de sa famille, ou pour préserver la majeure partie du capital
productif. L’élevage de volaille et de petits ruminants, la plantation des palmiers
(vendus sur pied), ou des plantations mises en gages jouent un rôle important pour
la gestion de ces crises (Floquet, 1994). Cette épargne a le grand avantage de croître
naturellement et de procurer des revenus.
La double fonction de l’agriculture la différencie des épargnes sous forme de bijoux ou
de pagnes, qui sont mobilisables mais ne produisent rien, et des capitaux sous forme
d’équipements productifs (charrues par exemple) difficiles à liquider en cas d’urgence.
L’accumulation de capital épargne vivant est essentielle pour la plupart des paysans.
Mais dans la région du Bas Bénin, les femmes, les jeunes et les non-propriétaires
fonciers sont exclus de la plantation et donc de l’accumulation de capital par l’arbre.
Cela constitue un important facteur de vulnérabilité vu la fréquence des épizooties
touchant les cheptels.

Capital humain, formation


L’accumulation de capital dans une société où prime le travail manuel est fondée sur
l’accroissement de la force de travail (main-d’œuvre servile, familiale, et plus
récemment salariée). Quand le capital naturel se réduit, il devient pertinent de
réduire la taille des familles et d’améliorer l’aptitude des individus et des familles à
diversifier leurs sources de revenu. Les démographes montrent que l’Afrique sub-
saharienne est en pleine transition démographique mais que ce phénomène survient
alors que la disponibilité foncière a diminué (Snrech, 1994).
L’urbanisation absorbe les couches jeunes de la population, au moins de façon tempo-
raire. Les études sur la pauvreté mettent en évidence un effet positif de la scolarisation
sur la prospérité – si elle dure plus de quatre ans –, et d’autant plus que les études se
prolongent. Cependant, la formation est un investissement dont les répercussions se
manifestent à long terme et cet effet reste assez aléatoire malgré ces tendances positives.

Capital social
En plus de tous les capitaux physiques et des capitaux humains qui sont incorporés
dans les connaissances et les savoir-faire, un individu peut tirer des revenus de son
capital social. Incorporé dans les relations sociales, le capital social ne peut être
approprié individuellement mais chaque individu dispose d’un ensemble de droits
vis-à-vis d’autrui (son capital social) à partir desquels il peut espérer des revenus
mobilisables en cas de crises et, bien évidemment un ensemble d’obligations vis-à-vis
de tiers. Ces flux de revenus sont régis par des normes sociales et des relations affec-
tives et ils transitent par des réseaux sociaux dans lesquels sont intégrés les individus.

196
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin

Outre que le capital social procure des bénéfices directs et appropriés individuelle-
ment, il rend aussi l’action plus efficace, en facilitant l’action collective, en réduisant
les coûts de transaction grâce à une plus grande confiance entre partenaires et à un
accès à des réseaux sociaux élargis. Il peut se définir comme un capital actif indivi-
duel, construit à partir de relations sociales qui génèrent des revenus et des utilités
pour certains individus, et comme une quantité agrégée de capital qui crée des
externalités (effets externes) supposées positives dans la plupart des cas, puis-
qu’elles rendent plus efficaces les actions collectives (Requier-Desjardins, 1999).
Cette notion permet de prendre en compte les investissements sociaux, les dons, le
temps et la sympathie, consacrés lors des cérémonies d’enterrement ou de baptême
qui constituent des moments où les liens de solidarité sont confirmés, renforcés et
élargis au gré de l’extension des réseaux sociaux des membres de la famille et de
leurs alliés. Le capital social s’accumule autant au niveau d’un individu que d’un
groupe, qui en tire des aptitudes variables à coopérer, à régler ses conflits internes
et à faire valoir ses intérêts.
Narajan (1999) distingue deux grands types, celui lié à la solidarité et la cohésion
interne au sein d’un petit groupe (bonding social capital) qui établit des liens et celui
qui permet à des individus d’être connectés à des réseaux étendus et d’avoir ainsi
accès à des informations et des ressources diversifiées sur de vastes espaces (bridging
social capital) qui établit des ponts avec l’extérieur. Narajan remarque que des
groupes sociaux peuvent accumuler du capital social en quantité, et néanmoins
connaître la grande pauvreté, être incapables de régler leurs conflits ni de faire valoir
leurs droits. Ces groupes accumulent essentiellement du capital social de cohésion
sous forme de multiples groupes de solidarité et d’entraide réciproque, mais ils ont
isolés du reste de la société et de l’État tandis qu’une petite minorité profite de ses
réseaux étendus de relations et de l’accès aux diverses opportunités qu’ils permettent.
Les familles souffrant de pauvreté chronique sont petites, leurs membres sont en
mauvaise santé. On observe qu’elles sont enchâssées dans des réseaux sociaux assez
étroits, incapables d’entraide réciproque, elles ont mauvaise réputation dans leur
milieu et sont incapables de faire valoir leurs opinions et leurs intérêts dans la
sphère publique (Cleaver, 2003).
Le capital social est donc rarement une forme de substitution à d’autres capitaux,
qui permettrait aux plus pauvres de s’en sortir. En revanche, on peut penser que le
capital social est une ressource permettant aux familles non-pauvres de gérer les
crises et de mobiliser des ressources socialement et spatialement lointaines.
Au Bénin (figure 12.1), les phénomènes de mobilité observés et explicités par les
paysans eux-mêmes reposent sur les flux (accumulation et perte) de tous ces types
de capitaux.

 Mobilité sociale et ses déterminants


Les ressources naturelles exploitées par l’activité agricole constituent un capital
dont l’accès gratuit permet d’amorcer une « pompe » à accumuler pour quiconque a
des bras valides.

197
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

1° 2° 3° 4°
N


12°
12°

Département
Villes principales

11°
11°

Densité de population :
habitants par km2 (1992)
5 – 10
10 – 20
Natitingou 20 – 50

10°
10°

50 – 100
100 – 200
200 – 500
500 – 7000

Parakou


Village O.
reste de front
Zone cotonnière pionnier
avec quelques
disponibilités Abomey Oueme Village T.

en terre zone de vieille


colonisation et sols
Mono
appauvris
Lokossa Porto-Novo Plateau d'Allada,
épuisement avancé

Cotonou Atlantique

Zone périurbaine,
1° 2° 3° 4° vente de terres

100 km

Figure 12.1. Localisation des situations décrites et densités de population (d’après Herrmann et al., 2000).

De l’abondance à la pénurie en terres fertiles


On trouve encore des situations de relative abondance foncière sur des lambeaux
résiduels de front pionnier au centre du Bénin, dans une zone qui concentre aujour-
d’hui les migrations provenant des régions surpeuplées du nord et du sud du pays.

Des terres disponibles dans une région encore peu peuplée


Dans le village d’O., entre Savè et le Nigeria (figure 12.1), toutes les catégories
d’hommes auraient une probabilité assez élevée d’ascension sociale si l’on prend en

198
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin

compte les facteurs essentiellement individuels : ardeur au travail, volonté de


réussir, réflexe d’épargner, reconversion dans les travaux champêtres pour ceux qui
exercent des métiers peu demandés, identification avec ceux qui ont réussi
(Cebedes, 2004). Dans ce milieu encore peu peuplé où le désenclavement est
récent, les ressources naturelles n’ont pas été surexploitées et des terres cultivables
sont encore disponibles. La route, construite il y a dix ans, et l’accès au micro-crédit
ont permis un développement économique rapide, incitant à étendre les superficies
au-delà de 5 ha et à embaucher des salariés pour parvenir à cultiver ces surfaces.
Les rendements vivriers sont encore assez élevés. Les cultures d’anacardiers
permettent une accumulation assez stable sous forme de plantation. La pauvreté
touche les jeunes et les nouveaux migrants. On note quelques cas d’évolution défa-
vorable, à la suite d’une maladie ou d’un choix peu judicieux d’activités, mais globa-
lement, le pourcentage d’hommes et de femmes qui sont dans un processus
d’accumulation et de progression sociale est élevé et évolue positivement avec le
temps. Chaque bras valide aurait sa chance s’il n’est pas paresseux. Les points de
départ sont peu différenciés, mais on note des bifurcations dans les trajectoires à
l’âge adulte, dans les modes d’accumulation qui peuvent être rapides et continus
chez les uns, lents et déclinant au cours de la vieillesse chez les autres.

Région densément peuplée


Dans la même zone agro-écologique, mais dans une région beaucoup plus densé-
ment et anciennement peuplée à proximité de Dassa, le village T., enserré dans des
collines granitiques présente une situation très différente. Une comparaison des
niveaux de prospérité des hommes et des femmes du village permet de retracer
rétrospectivement la différenciation sociale au cours de trois périodes : il y a 25 ans,
10 ans et aujourd’hui. Globalement, la situation économique des hommes se serait
fortement dégradée. Auparavant, les hommes adultes pratiquaient des cultures
diversifiées sur des terres encore fertiles, en particulier l’igname, et les jeunes
travaillaient longtemps à leur coté.
Il y a plus d’une décennie, les hommes qui avaient des terres et des liquidités ont
commencé à cultiver du coton et les femmes se sont lancées à la conquête des bas-
fonds. Les autres hommes ont migré vers des fronts pionniers en quête de terres
fertiles pour démarrer leur exploitation. Aujourd’hui, les terres se sont fortement
appauvries et les bas-fonds sont saturés. Beaucoup de jeunes sont sans terre et les
émigrants qui suivent les traces de leurs aînés vers les fronts pionniers n’y trouvent
plus que des emplois de journaliers et encore difficilement du fait de la crise de la
filière du coton. Deux hommes sur trois, des jeunes surtout, n’ont pas de terre, culti-
vent de petites superficies, vivent de petits boulots, ont des difficultés à se marier et
à construire une maison, même une paillote (Cebedes, 2004). Des jeunes et des
femmes cassent des cailloux pour vendre le gravier à des entreprises du bâtiment.
Ils côtoient quelques individus qui sont parvenus à accumuler des capitaux variés et
assez stables (terre, plantation, troupeau, attelage, capital commercial, etc.) et qui
créent de bonnes conditions d’installation pour leurs enfants en achetant des terres.
Non seulement on observe des trajectoires qui divergent à l’âge adulte, mais aussi
des trajectoires dont les points de départ sont fortement différenciés. Les possibilités
de passage d’une trajectoire basse (sans ressources autonomes et à niveau de vie

199
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

faible) à une trajectoire plus élevée (à ressources propres et niveau de vie plus élevé)
sont donc réduites.
Cette réduction du capital naturel initial se répète dans le temps et dans l’espace.
En général, la fertilité initiale n’a pas été transformée en des formes stables de
capital naturel (physique ou humain) qui permettraient aux générations suivantes
de se développer. La conséquence en est la fin de la « relative » égalité des chances
dans les conditions de démarrage des jeunes.

Fin des solidarités intrafamiliales


Le corollaire de l’abondance de terres fertiles est que l’accumulation est liée à la
capacité de mobilisation de main-d’œuvre, le plus souvent familiale, autrefois aussi
servile. Dans les quelques poches de relative disponibilité foncière, de telles straté-
gies s’observent encore aujourd’hui.

Différenciation liée à la place dans le cycle de vie


Ainsi, dans un village du nord du département du Mono, la différenciation est
surtout fondée sur la position de l’exploitation dans le cycle de vie. La prospérité est
synonyme d’enfants assez grands pour travailler et qui, n’ayant pas encore fondé
d’unité de production autonome, aident l’exploitant ou l’exploitante à emblaver de
grandes superficies, en cotonnier surtout. Le village est grand producteur de coton,
culture à forte demande en main-d’œuvre. Tout producteur, et toute productrice,
valide estime avoir ses chances dès lors qu’il reçoit une parcelle du chef de ménage
et parvient à la mettre en valeur, et dès qu’il acquiert progressivement une auto-
nomie de décision et la maîtrise de son temps – en étant libéré de ses obligations
vis-à-vis du chef de ménage –, et enfin, dès qu’il a lui-même des enfants de plus en
plus grands qui vont l’aider à agrandir son champ. Ces enfants contribuent à l’ex-
pansion de la production cotonnière du père ou de la mère, puis la freinent quand
ils créent leur unité autonome.
Cette trajectoire n’est possible que parce que les agriculteurs parviennent encore à
louer ou acheter et à défricher de nouvelles terres de savane à quelques dizaines de
kilomètres de leur village et donc à garantir des conditions minimales d’installation
de leurs dépendants qui peuvent ainsi espérer suivre les traces de leurs aînés en
retour de leurs efforts. L’organisation familiale Adja permet au chef de ménage de
tirer profit de la force de travail de ses (nombreuses) épouses grâce à une dot élevée
qui les met dans une situation d’obligées vis-à-vis du mari et les amène non seule-
ment à prendre en charge la majeure partie de la charge des enfants mais aussi à
travailler pour le mari durant quelques années. Mais ce contrat tacite ne vaut que
parce que les jeunes épouses et les enfants peuvent espérer atteindre un jour le
statut économique et social de leurs aînés.
Den Ouden (1994) a comparé les stratégies de mobilisation de la main-d’œuvre de
familles Adja, et analysé sous quelles conditions les dépendants acceptent de
travailler pour le compte d’un chef d’exploitation et comment cette dépendance
finit par s’effriter dès que le producteur n’a plus la puissance de les conserver sous
son contrôle et de faire face à leurs exigences. La difficulté provient du fait que le
revenu tiré de l’agriculture ne permet pas non plus de bien payer la main-d’œuvre

200
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin

salariée et que celle-ci est également très difficile à mobiliser et peu fiable. Ainsi
parvient-on à une configuration paradoxale de petites exploitations de moins de
5 hectares dont le problème dominant est le manque de main-d’œuvre.
Les épouses et les enfants dépendants assument un certain nombre de tâches au
profit d’un aîné qui, en retour, par son assise économique et sociale, les met à l’abri
des vicissitudes de la vie en assumant certaines charges en situation de crise et
certains investissements initiaux – dot de la première épouse, octroi de terre à un fils,
octroi de terre et droits sur la force de travail de dépendants pour une épouse. Les
femmes doivent le plus souvent attendre le moment où, en fin de phase de procréa-
tion, elles jouiront de leur temps et de celui de leurs filles en âge de travailler pour
accumuler richesses et prestige que confèreront l’autonomie économique et une
descendance prête à les prendre en charge quand leurs forces déclineront.

Conséquences foncières et sociales


Ce mode d’organisation fonctionnait tant que les changements de statut durant le
cycle de vie permettaient à un cadet ou à une cadette d’atteindre la situation de leur
aîné en vieillissant. Mais, de plus en plus, la saturation foncière rend impossible
l’installation des fils sur des terres héritées de taille suffisante, d’autant que les pères
ont encore misé sur une stratégie de la prospérité fondée sur une grande famille et
vont donc devoir partager une petite exploitation entre un nombre élevé d’héritiers.
Les ressources naturelles ont été également profondément dégradées avec le temps,
et les parents ont « mangé la fertilité de la terre ». L’essor du marché du foncier favo-
rise la liquidation progressive du patrimoine comme moyen de résolution des crises,
d’autant plus fréquemment et rapidement que la demande des citadins en terre s’in-
tensifie, soit pour construire en périphérie des villes, soit pour se constituer une
épargne et une activité productive pour la retraite. Cela crée un profond sentiment
d’amertume dans la jeune génération qui estime que : « nos parents ne nous ont rien
laissé ». À cela s’ajoute l’égocentrisme du chef de ménage quand il s’approprie, sans
le redistribuer de façon juste, le revenu d’une culture de rente comme le coton. Tout
ceci provoque une rupture des contrats entre générations et entre hommes et
femmes, qui consistaient à combiner temporairement les efforts pour accumuler des
actifs et à dépasser un seuil où ces actifs sont systématiquement soumis au risque de
mobilisation en cas de crise.

La pauvreté des jeunes d’aujourd’hui


Les conditions de démarrage des jeunes exploitants sont devenues de plus en plus
inégalitaires et ces inégalités s’avèrent difficiles à combler.

Accumulation de capital difficile


Ainsi, sur le plateau d’Allada, seul un petit groupe de producteurs aujourd’hui
adultes et aisés a bénéficié de conditions d’installation privilégiées, certes souvent
tardives. Leurs pères ont mieux installé ceux de leurs fils qui les avaient aidés. Cela
a permis à ces fils d’accumuler du capital grâce à une spirale vertueuse d’installation
de palmeraies et d’achat de terres. Mais beaucoup de pères n’avaient pu se
permettre d’affecter une part de l’héritage à leurs fils, car eux-mêmes n’étaient

201
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

propriétaires que de petites superficies. Ils ont libéré alors les fils méritants en leur
louant une terre et en payant la dot de la première épouse. Le contrat entre géné-
rations est alors encore respecté mais l’accumulation du jeune installé s’avère diffi-
cile et il est rare qu’il puisse acheter des terres ; sa situation s’améliore s’il hérite.
Les fils qui se libèrent tôt parce qu’ils n’ont rien à attendre de leur père ni tout de
suite ni plus tard doivent s’installer en travaillant comme salariés agricoles. Même
avec de l’endurance, leur chance d’ascension sociale est très limitée et, à la moindre
crise, ils reviennent au statut de manœuvres agricoles ainsi que leur épouse. La
« libération » de ces enfants de paysans pauvres survient de plus en plus tôt, dès l’âge
de quinze ans. Certains d’entre eux tentent leur chance en migrant, d’autres vivent
de petits boulots sur place, cherchant le pécule qui permettra de louer des terres et
de se marier. La pauvreté des jeunes transparaît même dans les statistiques (World
Bank, 2003).

Conséquences sociales de l’appauvrissement


L’appauvrissement entraîne un éclatement des unités familiales et on note que
beaucoup de jeunes hommes sont des célibataires tardifs tandis que des jeunes
femmes restent avec leurs petits enfants dans leur famille paternelle. L’émiettement
des unités de production et la moindre solidarité intrafamiliale confèrent une plus
grande autonomie aux jeunes producteurs mais au prix d’une vulnérabilité en début
et en fin de vie active.

Reste l’accumulation à petits pas


Dès lors que les producteurs ne peuvent plus compter sur un héritage des parents
ou sur le capital naturel du milieu, leur capacité à acquérir des capitaux productifs
se fait le plus souvent par une accumulation à petits pas.

Accumulation progressive
De telles séquences, du type acquisition de poules, de chèvres et de bovins ou
revenu non-agricole, investissement dans l’agriculture, achat de terres, etc. ont
souvent été mises en évidence (Ellis et Freeman, 2004). On observe des successions
et des interactions positives entre des activités qui se relaient, entre des cultures
annuelles et l’accumulation de palmiers ou d’animaux, entre des activités agricoles
et non-agricoles (Floquet, 1994). Les hommes importants (big men) des villages
sont ceux qui parviennent à diversifier fortement leurs sources de revenu (agri-
culture, plantation, élevage, prestations d’équipement motorisé, commerce), le
revenu d’une activité permettant la capitalisation dans une autre.

Diversification vers des activités non-agricoles


Krishna (2004) a comparé l’évolution sur 25 ans d’un millier de ménages dans
35 villages en Inde. Il met en évidence que seulement 11 % des ménages classés
pauvres au départ ont pu échapper à la pauvreté, essentiellement en diversifiant
leurs sources de revenu, notamment grâce à la migration temporaire vers les villes.
Sen (2003) montre, en analysant le parcours de ménages en pauvreté chronique
entre 1988 et 2000 au Bengladesh, qu’avec l’âge, certains sont devenus moins

202
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin

dépendants des activités de manœuvres agricoles en utilisant toutes les opportu-


nités non-agricoles (commerce, migrations) et agricoles (technologiques) à leur
portée. De tels processus d’accumulation par la diversification dépendent de la
capacité des paysans à se saisir des diverses opportunités de l’environnement écono-
mique et politique. Au sud du Bénin, les activités non-agricoles contribuent à une
part croissante du revenu des hommes (40 à 50 %) et plus encore des femmes. Les
transformations de produits agricoles, le petit commerce, l’exploitation de
ressources naturelles, etc., sont en expansion du fait de la demande urbaine crois-
sante. En zones périurbaines, ceux qui ont un certain niveau de formation tentent
de nouvelles pistes, telles que l’élevage semi-intensif et la production de divers
produits agro-alimentaires, les autres se contentant des petits boulots de portefaix
et transporteurs à pousse-pousse (Floquet et Mongbo, 1998).

Migration
Au Bénin, la migration – jeunes hommes qui partent à l’aventure, ou jeunes femmes
comme domestiques – constitue une stratégie assez courante mais pas toujours
couronnée de succès pour tenter d’accumuler un capital de démarrage. Certains
migrants tissent des relations sociales qui vont leur permettre de développer ensuite
des activités assez lucratives de courtage de main-d’œuvre ou de commerce mais la
plupart n’auront rien fait d’autre que de changer temporairement de champ.
L’importance de ce capital des aventuriers, toujours à l’affût d’opportunités, est bien
perçue par les hommes jeunes.

Chocs et spirales de paupérisation


Pour démarrer une spirale d’accumulation, il faut atteindre un seuil de revenu
minimal.

Fragilité de l’accumulation à petits pas


L’accumulation à petits pas est en effet vite menacée par les diverses crises qui jalon-
nent l’existence, aléas divers, maladies, accouchements difficiles, décès, etc. Des
économistes qualifient ces crises de variations stochastiques des revenus, car, même
si ni leur intensité ni le moment de leur occurrence ne peuvent être prévus, elles
sont assez inéluctables. La capacité à gérer ces crises va dépendre des recours que
l’individu peut avoir : capital épargne mobilisable, relations sociales à faire jouer
pour avoir un emploi. Si la crise est gérée au détriment des actifs productifs, il y a
un risque élevé d’être pris au piège de la pauvreté et il devient d’autant plus difficile
d’en sortir que la famille est en pleine croissance, avec de nombreuses naissances,
beaucoup de charges et peu de force de travail.

Capital épargne faible


Or, le capital épargne reste faible chez les hommes jeunes, et plus encore chez les
femmes jeunes, puisqu’ils n’ont pu accumuler ni arbres ni troupeaux. Et la misère
des uns peut faire la fortune des autres : pour gérer une crise, un paysan emprunte
de l’argent ou des vivres à un plus nanti et le rembourse avec un intérêt élevé, en lui
remettant une récolte sous-évaluée, ou en travaillant en début de saison sur les

203
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

champs de son créancier (Cebedes, 2004). Les paysans qui entrent dans cette spirale
cultivent leurs propres champs avec retard et peu de soin. Quand ils cultivent du
cotonnier, ils s’endettent du fait de leurs médiocres performances (Floquet et
Amadji, 2003). Beaucoup vont devoir revendre les intrants achetés à crédit, à un
prix inférieur à celui qu’ils auront à rembourser. De l’endettement permanent à la
vente de tous les actifs, y compris les terres, il n’y a qu’un pas, vite franchi quand la
demande en terre est forte. Reste comme recours l’envoi des enfants comme
domestiques contre une petite somme et la promesse d’une rémunération
mensuelle versée aux parents.

Capital social peu profitable


Le capital social ne permet guère aux pauvres de s’en sortir, du moins pas aux
pauvres chroniques. Les exploitants pauvres ne profiteront guère de leur groupe
d’entraide, qui ira plutôt travailler sur le champ des créanciers ; ils ne parviendront
pas à entrer dans un groupe de tontine pour épargner des sommes leur permettant
de gérer une crise. Ils sont en général qualifiés de façon peu flatteuse, comme s’ils
étaient responsables de leur état. D’un village à l’autre, leur groupe a été dénommé
par les autres paysans « les paresseux », « seul Dieu peut encore les sauver »,
« hommes animaux », « désordonnés », etc. Pour mobiliser du capital social, il faut
donc en avoir accumulé soi-même, ou au moins que sa parenté l’ait fait.

Accumulation tronquée des femmes


Comme les femmes n’ont pas un accès sécurisé à la terre et ont une période d’accu-
mulation limitée par les années de procréation, leur niveau d’accumulation est
presque toujours plus bas que celui des hommes. En période de procréation, leurs
activités sont perturbées et le spectre de ces activités est limité par les maladies des
enfants qui exigent leur présence et utilisent leur capital. Elles sont alors souvent au
chômage et, pour se relancer, doivent attendre la récolte d’une culture ou le bon
vouloir d’un mari, père ou frère. Celles qui sont prospères ont un capital commer-
cial, mais celui-ci est plus labile que celui des troupeaux ou des palmeraies.

Cas de trajectoires féminines d’accumulation


Il y a malgré cela dans tous les villages quelques cas de trajectoires féminines d’ac-
cumulation. Les effectifs et l’ampleur de l’accumulation varient selon les opportu-
nités. Les femmes qui viennent de familles aisées et épousent des maris eux-mêmes
aisés vont, sauf mésentente au sein du ménage, utiliser le capital qui leur vient de
leur maison d’origine pour leurs activités car leur mari les soutient. Elles peuvent
alors se lancer dans des activités qui demandent de plus en plus de capital, comme
la transformation des produits agricoles, l’agriculture avec salariés, puis le
commerce et l’usure. Dans de tels ménages, la coopération est renforcée par la posi-
tion économique de la femme qui, une fois bien assise, prend en charge de
nombreuses dépenses et prête des liquidités à son époux. Dans la commune de
Savè, bien que n’héritant pas des terres, beaucoup de femmes ont pu installer des
plantations d’anacardier. Dans d’autres régions, ces femmes achètent des terres à
bâtir et construisent pour elles-mêmes puis pour la location.

204
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin

Statut de la femme au sein du ménage et richesse du ménage


Les processus d’accumulation des femmes varient d’un milieu à un autre puisqu’aux
variations d’opportunités économiques s’ajoutent des différences dans leurs statuts,
leurs devoirs et leurs droits au sein des ménages. On assiste aujourd’hui à l’émer-
gence de nombreux nouveaux modèles d’organisation des ménages. Dans les
milieux agricoles où la main-d’œuvre est recherchée, comme dans le département
du Mono et de nombreuses zones cotonnières du centre du Bénin, les jeunes
hommes ont besoin de leur épouse pour démarrer – cette compagne des temps
difficiles où l’on ne mange pas tous les jours. Elle acquiert progressivement son
autonomie quand les premiers enfants viennent la remplacer au champ et peut alors
commencer à accumuler grâce à son travail et celui de ses filles. Les hommes profi-
tent de leur prospérité pour épouser une ou plusieurs autres épouses et même s’ils
déclarent avec un certain cynisme viser des femmes aisées qui apportent de la fraî-
cheur dans la maison et ne vous « tirent pas vers le bas », l’augmentation des charges
familiales pèse en général sur les premières épouses qui doivent prendre en charge
une plus grande part des dépenses et voient quant à elles leurs revenus diminuer.
Dans les milieux où les ressources agricoles se raréfient et où les jeunes dépendent
essentiellement de revenus aléatoires de petits boulots et d’activités non-agricoles, le
jeune époux donne un petit capital à sa nouvelle épouse, avec lequel elle est priée de
se débrouiller. Beaucoup de jeunes filles de ces zones épargnent avec ardeur dès
l’âge de 12 ans à partir des revenus de transformation de produits et de petit
commerce pour pouvoir démarrer une activité autonome après le mariage, sachant
qu’elles n’auront pas grand-chose à attendre de ces maris. Mais ce type de capital
sera vite érodé quand les jeunes femmes vont devoir en parallèle conduire leurs acti-
vités et gérer des maternités. Dans d’autres zones à ressources raréfiées, c’est la
perspective du mariage qui s’éloigne et les jeunes mères restent dans la maison pater-
nelle, comptant sur la solidarité familiale pour contribuer à l’éducation des enfants.
Finalement, les femmes n’ayant pour la plupart pas accumulé d’actifs stables, elles
auront recours en vieillissant au soutien des enfants. On rencontre de plus en plus
de vieilles femmes vivant dans la misère dans les villages.

 Trajectoires et décisions paysannes


Pour étudier les processus d’accumulation et de paupérisation, des méthodes inspi-
rées de démarches participatives, comme le classement selon le niveau de prospé-
rité, ont été utilisées. Ce classement d’un échantillon de paysans et de paysannes
selon leur prospérité par des informateurs locaux est subjectif, les individus étant
classés par rapport à une norme implicite locale de cette prospérité. Ce classement
est de fait multicritères et l’explicitation même des critères par les intéressés au
travers de descriptions détaillées des situations des personnes passées en revue en
fait l’intérêt. Les critères englobent le plus souvent les divers actifs de l’intéressé, sa
position dans le cycle de vie et diverses qualités morales. L’alimentation (régularité
et suffisance, qualité) est un critère omniprésent. Le classement peut aussi être
complété par des entretiens biographiques.

205
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Variation des normes entre les localités et dans un même milieu


Ces normes varient d’une localité à l’autre et dans une moindre mesure dans un
même milieu. D’une zone à une autre par exemple, la culture locale valorise plus le
paraître du chef de ménage (sa maison et son moyen de transport, sa capacité à la
polygamie) ou bien l’aptitude à bien nourrir sa famille et à éduquer et installer les
enfants. Les variations de normes reflètent les différentes stratégies de développe-
ment adoptées.
Au sein d’un même milieu, il faut tenir compte des variations locales de normes
dans le déroulement de la démarche et croiser les points de vue. Là où les grands
producteurs âgés qualifient un groupe de petits producteurs de « jeunes paresseux
qui ne veulent pas tenir la houe », les jeunes peuvent voir des « aventuriers, pleins
d’esprit d’initiative », « qui ont encore leur chance, si Dieu le veut » ! Ces comparai-
sons de normes d’un village à un autre et à l’intérieur d’un même village, constituent
des éléments intéressants pour conduire une réflexion avec les producteurs.

Identification et interprétation des trajectoires


Les trajectoires ainsi identifiées peuvent être traduites sous forme graphique
(figure 12.2), pour être restituées aux paysans et aux paysannes. Même si l’avenir ne
peut être la reproduction des trajectoires passées, l’analyse de ces dernières est une
source d’enseignement sur ce qui, à actifs équivalents au démarrage, a fait la force
des uns et la faiblesse des autres, ce qui a entraîné les uns dans des spirales d’appau-
vrissement et ce qui a permis une accumulation assez sécurisée pour les autres.

Pénurie foncière, appauvrissement des terres


Dans la région du Bas Bénin, les paysans sont aujourd’hui dans une situation, pour
beaucoup assez nouvelle, de pénurie foncière généralisée et de fin de la régénéra-
tion naturelle de la fertilité ; leur prospérité dépend alors de leur dotation en terres,
en éducation et en autres actifs. C’est la fin d’une époque où l’accès plus ou moins
libre à des ressources permettait une redistribution des cartes à chaque génération.
Dès lors, la pauvreté risque d’être transmise d’une génération à une autre en s’ag-
gravant. Dans ce contexte, il est de plus en plus difficile de prendre de bonnes déci-
sions à long terme. Néanmoins, l’analyse du passé et du présent permet d’identifier
quelques facteurs propices à l’accumulation durable et à la résistance aux aléas.
Cette réflexion ne permettra probablement pas à ceux qui sont déjà dans la
pauvreté de façon chronique de s’en sortir, mais elle peut aider les paysans vulnéra-
bles à mieux se prémunir des crises en anticipant les conséquences de leurs choix
productifs et domestiques.

Fin des modèles d’exploitations sur plusieurs générations


Les typologies de trajectoire mettent en évidence la disparition des types d’exploi-
tations fonctionnant avec plusieurs générations quand le milieu s’appauvrit en
capital naturel, en terres, et en opportunités économiques. Bien qu’autonomes très
tôt, les jeunes ne sont pas dans une situation qui leur permette d’entrer dans un
processus d’accumulation, surtout s’ils fondent rapidement une famille. Ils n’ont
que difficilement accès à des terres, sous des statuts fonciers qui n’autorisent pas la

206
achat de terres installation des enfants
mariage femme aisée et plantations dans et hors agriculture
construction grande famille aide des enfants bien assis
commerce
motocyclette formation des enfants
transfrontalier et
achat de terres bâchée ou camion
agriculture
sur place (coton)
migration
pluriannuelle
activité, épargne
héritage activité demandant
épargne sous forme un peu de capital
démarrage activité (coton, achat revente
de palmiers
mariage génératrice demandant de vivriers, etc.)
champ vivrier un peu de capital
migration temporaire installation difficile
des enfants
aide des enfants aide réduite des enfants
construction en banco,
vélo
dépendant mariage
travaillant manœuvre famille grandit
pour parent endettement époux manœuvres
endettement chronique
crises et envoi
installation très difficile
des enfants en domesticité
des enfants
peu d'aide des enfants
découragement, travail des vieux
alcoolisme, divorce, jusqu'à un âge avancé
dislocation famille

niveau de prospérité
temps et position de l'individu dans le cycle de vie
À l’échelle d’une vie : trajectoires et décisions paysannes au Bénin

207
Figure 12.2. Trajectoires des hommes dans un village du Zou, Bénin (Floquet et al., 2004b).
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

plantation. Ils sont vulnérables à toutes les crises. Dans un mode d’organisation où
les jeunes actifs deviennent autonomes tôt, la période d’accumulation de capital de
leur père aussi se raccourcit. Or, si ce dernier n’a pas atteint un seuil minimal
d’accumulation, il est voué à la pauvreté et à la dépendance durant ses vieux jours.
La situation est encore plus criante chez les femmes dont la période d’accumulation
est plus brève. La préparation de la retraite est du reste une préoccupation de plus
en plus affirmée chez les hommes âgés et certaines femmes, mais toutes les straté-
gies choisies ne s’y prêtent pas.
L’outil peut être utilisé pour engager des discussions sur des sujets habituellement peu
touchés par le conseil de gestion, car jugés comme relevant de choix intimes. Pourtant,
ces choix vont profondément influencer les possibilités d’évolution économique des
producteurs et productrices ainsi que celles de leurs descendants.

Atouts de la diversification d’activités


Les typologies de trajectoires permettent aussi de repérer des processus vertueux
d’accumulation à petits pas par la diversification d’activités. Là où les ressources
foncières le permettent, la combinaison de l’agriculture saisonnière avec les planta-
tions permet une meilleure résistance aux problèmes rencontrés, car les revenus des
plantations sont moins sensibles aux aléas et permettent de renouveler le capital
nécessaire au démarrage de la nouvelle campagne. La combinaison entre agri-
culture et activités non-agricoles est plus hasardeuse et son succès dépend de l’accès
à une gamme variée d’opportunités économiques et à leur choix judicieux. La capa-
cité d’information et d’adaptation rapide des paysans à ces opportunités souvent
fluctuantes est décisive. La transformation du capital productif en capital humain
par l’investissement dans la formation des enfants n’est pas toujours « payante »
quand les filières de formation sont mal choisies. De nombreux artisans n’exercent
pas leur métier dans les villages, parce que leur métier n’y est pas demandé, tandis
que certains besoins dans d’autres métiers ne sont pas couverts.
Enfin, les comparaisons d’un milieu à un autre permettent de mettre en évidence
des processus de différenciation forte avec la paupérisation rapide de ceux pris dans
un piège de pauvreté ou au contraire de solidarités plus ou moins intenses vis-à-vis
des jeunes sans ressources, qui ne s’expliquent pas tant par l’accès aux ressources
que par les formes d’organisation sociale.

208
Partie 4

Gestion
de l’exploitation
agricole familiale
africaine
Mohamed GAFSI, coordinateur
Introduction

Comment améliorer les performances de l’exploitation agricole familiale africaine ?


Comment comprendre ses logiques de fonctionnement ? Quelles sont les spécifi-
cités de la gestion ?
En répondant à ces questions, la quatrième partie de cet ouvrage présente des éléments
théoriques et méthodologiques permettant de comprendre le fonctionnement de
l’exploitation agricole familiale africaine et d’éclairer l’action des gestionnaires.
Cette partie repose sur l’hypothèse selon laquelle la lutte contre la pauvreté, la
prospérité et la pérennité des exploitations agricoles familiales africaines ne dépen-
dent pas uniquement de la dotation de ces exploitations en moyens de production
(notamment financiers et technologiques), mais aussi de la capacité des agriculteurs
à raisonner et à mieux gérer leurs exploitations. Plusieurs chapitres présentent et
défendent une conception élargie de la gestion de l’exploitation agricole familiale
africaine à court et à long terme, ainsi que des domaines variés de gestion allant de
la gestion technique de la production à la mesure des performances économiques.
Le premier chapitre (chapitre 13) aborde les principaux éléments théoriques de la
gestion des exploitations agricoles familiales africaines. Les chapitres suivants ont une
visée plus opérationnelle. Ils cherchent à analyser d’une manière concrète les diffé-
rents domaines de gestion de l’exploitation agricole familiale africaine (figure 1). La
présentation de chaque domaine concilie à la fois les outils analytiques propres à ce
domaine et les applications de ces outils dans le contexte de l’exploitation africaine.

Stratégie (Chapitre 14)

Gestion technique MO et organisation du travail (Chapitre 16)


(Chapitre 15)
Foncier et ressources naturelles (Chapitre 17)

Financement et trésorerie (Chapitre 18)

Analyse des résultats (Chapitre 19)

Figure 1. Les domaines de gestion de l’exploitation agricole.

211
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Le premier des domaines est celui de la stratégie de l’exploitation agricole, notam-


ment les choix d’orientation, le projet de l’agriculteur et de sa famille (chapitre 14).
La réussite et la performance de l’exploitation ne se réalisent pas sans vision
d’avenir ni projet familial porteur.
Les domaines abordés ensuite sont plus classiques pour les exploitations agricoles
et plus concrets pour les agriculteurs. Il s’agit du domaine de la gestion technique
et la conduite des processus de production végétale et animale (chapitre 15). Le
domaine de l’acquisition et la gestion des facteurs de production est analysé par les
trois chapitres suivants qui étudient chacun un facteur de production : la main-
d’œuvre et l’organisation du travail (chapitre 16) ; les ressources naturelles
(chapitre 17) ; le financement (chapitre 18). Enfin, la mesure de la performance,
finalité de l’action de gestion (chapitre 19), est étudiée en particulier sous l’angle de
la mesure et de l’analyse des résultats technico-économiques.
Pour approfondir ces thèmes, quatre chapitres (20, 21, 22, 23) apportent chacun un
éclairage, à partir d’une étude de cas, sur l’une des thématiques traitées dans cette
partie.

212
Chapitre 13
Gestion de l’exploitation agricole :
éléments théoriques
et pratiques de gestion
Mohamed GAFSI et Anne LEGILE

Ce chapitre vise deux objectifs : fournir des éléments théoriques et méthodologiques


fondamentaux pour la conduite et la gestion de l’exploitation agricole en général, et
préciser les approches et les pratiques de gestion des exploitations agricoles africaines.

 Gestion de l’exploitation agricole


Quels sont les buts de l’organisation et de la gestion de l’exploitation agricole fami-
liale ? Qui en assure la gestion ? Quelles sont les fonctions de gestion et comment
sont-elles reliées à la prise de la décision ? Qu’est-ce que recouvre la gestion de
l’exploitation agricole familiale ?

Finalités de la gestion
L’exploitation agricole est une réalité complexe, modélisable en tant que système
ouvert (Dillon, 1976 ; Osty, 1978 ; Brossier et al., 1997). Une des dimensions impor-
tantes, voire la première du point de vue économique, est celle relative à l’action de
production.

Identifier les facteurs de production et les produits


Comme toute entreprise, l’exploitation agricole est une unité qui produit des biens
et des services, en utilisant des facteurs de production, en vue de créer de la richesse
et faire vivre une famille. Or la réalisation de ces objectifs qui sont la création de la
richesse et la satisfaction des besoins de la famille, ne va pas de soi (chapitre 5), car
les choix des types de produits et des quantités à produire sont déterminants et sont
loin d’être une question banale.

213
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

La production de ces biens et services dépend de l’utilisation et de la combinaison


d’un certain nombre de facteurs de production (terre, travail, capital d’exploitation)
qui ne sont pas illimités. Outre les arbitrages nécessaires pour satisfaire ces diffé-
rentes combinaisons, chaque facteur de production requiert une analyse et des
choix particuliers. Les facteurs limitants, par exemple le travail à une période
donnée, font l’objet d’arbitrage pour être utilisés efficacement.
Les biens et les services résultent de processus biologiques et techniques de produc-
tion végétale (céréales) ou animale (viande) complexes qui exigent un minimum
d’organisation, d’autant plus qu’ils sont très sensibles aux aléas climatiques. Enfin,
il ne suffit pas de produire des biens et des services pour réaliser les objectifs, il faut
aussi se préoccuper de la valorisation et de la commercialisation de ces produits.
Vu ces contraintes inhérentes au fonctionnement d’une exploitation agricole, la
gestion constitue un moyen pour traiter les différents points évoqués afin de réaliser
les objectifs fixés pour la création de la richesse et la satisfaction des besoins de la
famille. D’une manière générale, la finalité de la gestion est d’améliorer les perfor-
mances de l’exploitation agricole. Cela se traduit par une volonté permanente d’amé-
lioration et d’efficacité. Mais comment définir le terme performance ?

Performance de l’exploitation
Si les buts et les objectifs diffèrent selon les exploitations agricoles (ou les entre-
prises d’une façon générale) et évoluent au cours de la vie d’une même exploitation,
la recherche de la performance est une préoccupation constante. Toute exploitation
cherchant à survivre dans un milieu avec de multiples contraintes et sous l’influence
de différents acteurs doit pour cela être performante. La performance peut se
définir par la recherche de revenus élevés, de la rentabilité technique et économique,
de la pérennité de l’exploitation et de l’emploi, etc. De nombreuses définitions sont
possibles, mais elles restent tout de même incomplètes.
Dans une visée plus opérationnelle, la notion de performance a été complétée par
deux autres concepts.
• L’efficacité : une exploitation agricole efficace réalise les objectifs qu’elle s’est fixés.
• L’efficience : une exploitation efficiente cherche à obtenir le maximum de résultats
avec le minimum de moyens, les ressources sont gérées au moindre coût.
L’exploitation est performante si elle est simultanément efficace et efficiente, autre-
ment dit, si elle réalise ses objectifs tout en minimisant l’emploi de ses moyens. La
performance des exploitations peut être donc mesurée par les résultats au regard
des objectifs fixés par chaque agriculteur et du déploiement rationnel des facteurs
de production.

Le gestionnaire : le chef d’exploitation


Nous venons de montrer que la gestion est nécessaire et répond à une finalité. Nous
devons répondre aussi à la question : qui gère et pour quoi ?
En France, la gestion a été souvent confondue avec les techniques et instruments de
gestion maîtrisée par des experts, comme les centres de gestion (Marshall, 1984 ;
Brossier et al., 1991). Dans les exploitations agricoles familiales, le chef d’exploitation

214
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion

est le véritable gestionnaire, il fixe les objectifs, prend les décisions, pilote l’exploitation,
mesure les résultats et veille à l’amélioration de la performance de son exploitation, il
assure donc la fonction de direction. Il en résulte des conséquences importantes.
• L’agriculteur agit en chef d’exploitation et ne peut pas confier la gestion de son
exploitation à un intervenant extérieur, même à un expert. Il lui est possible, cepen-
dant, d’externaliser certaines tâches comme la tenue d’une comptabilité ou l’étude
d’un nouvel investissement.
• Le chef d’exploitation fixe les orientations et les objectifs de l’exploitation en
fonction de ses motivations, de ses capacités et de ses expériences, de ses moyens,
des opportunités de l’environnement socio-économique, etc. La diversité d’objectifs
peut ainsi expliquer les différences de résultats d’exploitations localisées dans la
même zone et soumises aux mêmes conditions naturelles et socio-économiques.
La question de la direction et du pouvoir de décision renvoie à celle des rapports de
pouvoir et de gouvernance dans la gestion des entreprises. Les rapports de pouvoir
ont été peu étudiés dans le contexte de l’exploitation agricole, peut être car la forme
juridique de cette dernière est souvent individuelle, une cellule nucléaire gouvernée
par les rapports familiaux. Cette question se pose dans toutes les entreprises, dans
les exploitations agricoles en Europe (avec le développement des formes sociétaires
et du salariat) et en Afrique subsaharienne (avec les champs collectifs et les champs
individuels qui correspondent à des micro-exploitations dans l’exploitation agricole
globale). Cette question a été étudiée par Mintzberg (1986). Retenons simplement
ici que l’exercice de la fonction de direction dans l’exploitation agricole débouche
sur différents modes de gestion qui favorisent plus ou moins la coordination, la
participation et la performance (Mbétid-Bessane, 2002).
Les objectifs généraux des exploitations agricoles familiales sont la création de la
richesse et la satisfaction des besoins de la famille. Mais, on trouve une grande
diversité d’objectifs plus précis et spécifiques à un type d’exploitation, à un stade du
cycle de vie de l’exploitation, à sa structure sociale et familiale, aux caractéristiques
sociologiques et professionnelles de l’agriculteur, etc., par exemple :
– assurer la subsistance et l’autosuffisance alimentaire de la famille ;
– dégager un revenu monétaire satisfaisant les besoins de bien-être familial ;
– capitaliser et développer l’exploitation ;
– pérenniser et assurer l’avenir de l’exploitation.
Les objectifs peuvent être précisés concernant l’organisation du travail, le raisonne-
ment des investissements, la conduite technique des activités (culture ou élevage),
la valorisation des produits, etc. Les objectifs de second plan sont : améliorer les
résultats techniques ; valoriser des ressources communes (irrigation, travail…) ;
acquérir et développer la traction animale ou la mécanisation ; optimiser la vente
des produits (stratégies commerciales, stockage...).

Les fonctions de la gestion : prendre des décisions,


organiser et contrôler leur mise en œuvre
Plusieurs définitions de la gestion de l’exploitation agricole ont été proposées. Les
pionniers de la gestion de l’exploitation agricole en France ont défini la gestion

215
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

comme l’art des combinaisons rentables pour augmenter le profit (Chombart de


Lauwe et al., 1969). Cette définition relève d’une approche normative centrée sur le
développement des outils et des méthodes permettant d’élaborer un diagnostic
d’une exploitation agricole ; elle est très imprégnée de l’idée d’industrialisation de
l’agriculture très répandue en France, après la Deuxième guerre mondiale. Une
autre approche est proposée par Petit (1981) qui aborde la gestion sous l’angle de
la prise de décision. Gérer c’est prendre des décisions, c’est-à-dire négocier avec son
environnement (Brossier et al., 1997), et les exploitations agricoles doivent faire en
permanence des choix pour survivre.
La gestion est certes une science des choix, mais c’est aussi une science de l’action
qui emploie de nombreuses techniques pour aider à prendre des décisions et à les
mettre en œuvre. Des travaux anglo-saxons proposent des définitions de la gestion
qui associent ces deux aspects (McConnell et Dillon, 1997 ; Rolls, 2001). Ainsi, pour
Dillon (1980), la gestion est le processus par lequel les ressources et les situations
sont mobilisées par le chef d’exploitation dans ses actions, avec plus ou moins
d’informations, pour réaliser ses objectifs. C’est aussi la science (et l’art) d’optimiser
l’utilisation des ressources dans l’exploitation agricole et le fonctionnement de cette
exploitation en relation avec les objectifs spécifiques de la famille (McConnell et
Dillon, 1997). Ces deux définitions mettent en avant la problématique d’optimiser
l’emploi des ressources, ce qui renvoie à la notion d’efficience. Elles soulignent
aussi qu’il est important de définir un but à l’action de gestion, et de se référer aux
objectifs de l’agriculteur et de la famille, ce qui renvoie à la notion d’efficacité.
La référence aux objectifs du chef d’exploitation et de sa famille, qui ne se réduisent
pas forcément à celui du profit, est une particularité de la gestion des exploitations
agricoles familiales. Cette idée est aujourd’hui admise, aussi bien dans le secteur de
la recherche en gestion agricole que dans le secteur professionnel.
La définition de Kay et Edwards (1999) mentionne plus explicitement le rapport
entre gestion et processus de décision : la gestion de l’exploitation agricole peut être
pensée en tant que processus de décision. Elle est un processus permanent… Les
décisions portent sur l’allocation des ressources (foncier, travail, capital) parmi des
usages alternatifs et concurrentiels. Ce processus d’allocation force le gestionnaire
à identifier les buts qui vont guider et orienter la prise de décision.
Pour les professionnels agricoles, la gestion est pour le chef d’exploitation l’ensemble
des actions relatives à la prise de décision, à leur mise en œuvre et à leur suivi dans
son entreprise pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés (Iger, 1992). Cette défini-
tion s’appuie sur les trois verbes, prévoir, agir, contrôler, qui définissent l’action de
gestion selon les fondateurs des sciences de gestion, F.W. Taylor et H. Fayol cités par
Morin (1998). En général, la gestion de l’exploitation agricole comprend donc trois
fonctions séquentielles, prévision, mise en œuvre et contrôle, qui sont assurées par
les exploitants et demandent un important effort de réflexion et de raisonnement.

L’action de gestion : prévision, action, contrôle


La plus importante et la plus fondamentale de ces fonctions est la prévision. Elle
signifie se projeter dans le futur et choisir des objectifs-cibles, se forger un avenir
souhaité. Kay et Edwards (1999) soulignent que rien d’important ne se réalise sans
prévision.

216
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion

Concrètement, la prévision revient à décider des réponses à apporter, le plus souvent


chaque année, aux trois questions : que produire, comment, quelle quantité ? La
réponse constitue le plan annuel de production de l’exploitation agricole, qui peut
être complété par celui de l’organisation et la gestion du travail, de la conduite tech-
nique d’un processus de production, de la commercialisation des produits, de
la gestion de trésorerie, etc. Chaque année, le plan pluriannuel de l’exploitation
agricole peut être actualisé.
Théoriquement et habituellement dans l’approche classique de la gestion d’exploita-
tion agricole, les décisions de planification concernant la production doivent s’appuyer
sur les principes de la théorie de l’économie de la production (théorie marginaliste).
Mais pratiquement, ces outils analytiques sont peu employés et les agriculteurs utili-
sent des outils plus accessibles comme les budgets partiels et la simulation budgétaire
(Brossier et al., 1997 ; McConnell et Dillon, 1997 ; chapitre 5). Kay et Edwards (1999)
décrivent le processus de prévision et distinguent plusieurs étapes à suivre par les
producteurs gestionnaires pour élaborer un plan de production : définir les buts pour-
suivis pour les activités de l’exploitation ; identifier les ressources disponibles (terre,
main-d’œuvre, capital d’exploitation) ; allouer les ressources aux différents usages. Les
producteurs identifient les solutions possibles, les analysent et sélectionnent celles qui
répondent le mieux aux objectifs fixés. Toutes ces étapes demandent un raisonnement
prenant en compte des échéances à long terme et à court terme.
Certains auteurs parlent d’organisation, mais le sens est le même : une fois le plan
élaboré, il doit être mis en œuvre. Comparée avec la planification, l’organisation est
plus une action de conduite qu’une action d’analyse ou un processus de prise de déci-
sion stratégique. Néanmoins, la mise en œuvre comprend une quantité innombrable
de décisions dites opérationnelles ou de court terme. La fonction d’organisation a
pour but d’assurer la mise en œuvre du plan de production. Cette fonction comprend
une division et une coordination des tâches nécessaires, une acquisition et une
organisation dans le temps des ressources nécessaires, le suivi et le pilotage du
processus de mise en œuvre. Par conséquent, coordination, animation, acquisition et
supervision sont les éléments clés de la fonction d’organisation.
La fonction de contrôle est fondamentale dans la gestion. Elle est à l’origine du
contrôle de gestion, de la recherche permanente d’amélioration. Elle comprend le
suivi des résultats, l’enregistrement des données, la comparaison des résultats par
rapport aux prévisions ou aux références proposées, et si nécessaire des proposi-
tions pour entreprendre des actions correctives. Cette fonction assure que le plan
prévu est bien suivi et que sa mise en œuvre donne les résultats escomptés. Elle joue
aussi le rôle d’alerte pour apporter des ajustements nécessaires aux moments
adéquats. De ce fait, les données issues du suivi et les résultats intermédiaires
deviennent une nouvelle source d’informations nécessaires à l’ajustement du plan
en cours ou à l’amélioration de futures prévisions.
Les trois fonctions présentées constituent le processus de gestion de l’exploitation agri-
cole. La figure 13.1. illustre le fonctionnement de ce processus itératif permettant l’ajus-
tement des décisions et l’amélioration permanente des performances de l’exploitation.
Ce processus comprend les deux dimensions de la gestion, en tant que science de la déci-
sion et en tant qu’art de l’action. Gérer l’exploitation agricole, c’est décider le futur de
cette exploitation en s’appuyant sur les informations provenant du passé et du présent.

217
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Prévision Mise en œuvre Contrôle

Nouvelles
informations

Figure 13.1. Fonctions et processus de gestion.

Décisions stratégiques, tactiques, courantes


Il est clair que la prise de décision est au cœur de la gestion de l’exploitation agri-
cole. Mais, les décisions ne sont pas toutes de même nature. Le temps et l’effort
consacré par le gestionnaire à la prise de décision n’est pas le même dans toutes les
situations. Certaines décisions peuvent être prises instantanément, alors que d’autres
peuvent prendre plusieurs mois (voire des années) d’investigation et de raisonne-
ment. Selon Kay et Edwards (1999), les décisions varient selon leurs caractéristiques.
L’importance d’une décision est appréciée le plus souvent par le montant d’argent
engagé, l’ampleur des gains ou des pertes potentiels, la fréquence, l’urgence, la
réversibilité et le nombre d’alternatives possibles.
Depuis les travaux d’Ansoff (1965), on distingue trois types de décisions : stratégiques,
tactiques et courantes.
Les décisions stratégiques sont importantes, peu fréquentes et souvent irréversibles,
elles engagent l’avenir de l’exploitation agricole et concernent le plus souvent
l’achat du foncier, l’installation d’un fils, la mise en place d’un système d’irrigation,
la plantation d’un verger, etc.
Les décisions tactiques sont plus fréquentes et souvent réversibles. Ces décisions
portent en général sur l’assolement, les rotations, la conduite technique d’une acti-
vité de production végétale ou animale, l’organisation du travail, les modes de valo-
risation des produits, etc. Théoriquement, ces décisions ont une portée limitée, un
horizon temporel qui n’excède pas la campagne agricole ou le cycle annuel.
Les décisions courantes sont celles prises au jour le jour. Elles résultent des choix
quotidiens de l’exploitant et sont fondées sur son savoir-faire et ses intuitions.
Les décisions sont donc de différents types. Mais, il faut se défendre d’une interpré-
tation mécanique et hâtive, car ce qui pourrait être tactique pour une exploitation,
pourrait être stratégique pour une autre. De plus, des décisions courantes erronées
peuvent s’accumuler dans le temps et générer un problème sérieux pour l’exploitation
agricole.

Champs de la gestion
La gestion de l’exploitation agricole peut être subdivisée en gestion stratégique et
gestion tactique. La gestion stratégique consiste à fixer le cap (Guichard et
Michaud, 1994), à tracer les grandes orientations de l’activité de l’exploitation et à

218
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion

choisir les stratégies adaptées pour y parvenir. La gestion tactique ou opérationnelle


consiste à entreprendre les actions à court terme qui permettent à l’exploitation
d’évoluer selon les orientations prévues jusqu’à atteindre le cap fixé.

Gestion stratégique
La gestion stratégique concerne le long terme de l’exploitation et comprend les
décisions stratégiques qui engagent son avenir. Elle porte sur les options de déve-
loppement de l’exploitation à la lumière des moyens disponibles et de l’évolution
des conditions de l’environnement naturel et socio-économique. Si la gestion stra-
tégique est un domaine classique de la gestion d’entreprise, cette approche est rela-
tivement récente pour la gestion de l’exploitation agricole. Ces questions de
recherche ont été abordées dans les années 90 et les premiers travaux ont été
publiés notamment par Harling (1992), Attonaty et Soler (1992), Guichard et
Michaud (1994). Mais ces approches ont été très peu appliquées aux exploitations
agricoles familiales africaines, ce qui ne veut pas dire que les agriculteurs africains
ne poursuivent pas de stratégies pour développer leurs exploitations et s’adapter
aux évolutions du contexte socio-économique.
Ainsi, il nous paraît justifié de recourir à l’approche de la gestion stratégique des
exploitations agricoles familiales africaines pour deux raisons.
• La première est l’importance que revêt la vision stratégique. Comme toute entre-
prise, comprise comme un système, l’exploitation familiale est guidée par un projet
pour l’avenir. Cependant, ce projet porté par le groupe familial n’est pas toujours
clairement défini. Or, comme le dit Sénèque, le philosophe grec, « il n’y a pas de vent
favorable pour celui qui ne se sait pas où il va », avoir une vision stratégique et fixer
le cap sont des conditions nécessaires pour réussir. Étant tournée vers le futur, la
gestion stratégique invite l’agriculteur à se projeter, à se forger un dessein, à anticiper
son action de gestionnaire pour pouvoir gérer dans l’incertitude.
• La seconde est le besoin d’un nouveau mode de pilotage des exploitations agri-
coles familiales africaines. En effet, la gestion de ces exploitations est aujourd’hui
face à de nouvelles exigences, telles que l’évolution de l’agriculture familiale et les
changements du contexte de la production agricole (chapitre 1). Les anciens repères
qui guidaient la conduite des exploitations familiales sont remis en question, voire
dépassés. Les interrogations des producteurs sont nombreuses et n’ont pas de
réponses préétablies : quelle est la stabilité prévisible de revenu ; quels sont les choix
de production possibles après la libéralisation des filières ; faut-il diversifier ou
intensifier et comment ?
Un nouveau mode de pilotage caractérisé par une dimension stratégique s’impose :
raisonner et définir une bonne orientation à prendre et rester vigilant pour l’adapter
chaque fois que les circonstances le rendent nécessaire.
La gestion stratégique n’est pas un acte ponctuel à un moment donné dans le cycle
de vie de l’exploitation, mais c’est un processus permanent (Lorino et Tarondeau,
1998 ; Gafsi, 1997) qui se construit dans le temps (Avenier, 1997). C’est un
processus d’apprentissage (Attonaty et Soler, 1992) qui consiste moins à
programmer ex ante les décisions qu’il faut prendre dans le futur, qu’à veiller à ce
que les décisions prises en temps réel soient cohérentes et convergent vers une cible

219
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

qui est l’état souhaité de l’exploitation. Cette conception de la gestion stratégique


est d’autant plus importante que le contexte socio-économique actuel des exploita-
tions agricoles dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud est très incertain.
Ce processus peut être décrit en plusieurs étapes en interaction.
• Finalisation. Il s’agit de définir une vision stratégique en s’appuyant sur les fina-
lités du système de l’exploitation et de la famille, donc définir un état futur souhaité
de ce système. Cela se traduit par le fait de fixer des objectifs qui constitueront des
références pour la prise de décision et l’appréciation des performances. Cette étape
vise à préciser ce que l’on veut devenir.
• Diagnostic. Il s’agit d’un diagnostic interne et externe. Le diagnostic interne
cherche à apprécier les ressources du système exploitation-famille, donc à connaître
les atouts et les contraintes. Le diagnostic externe porte sur l’analyse de l’environ-
nement socio-économique de l’exploitation ; il a pour but d’identifier les opportu-
nités que peut saisir l’agriculteur pour développer ses activités ou les difficultés qui
peuvent entraver le fonctionnement de son exploitation et dont il faut limiter l’effet.
• Choix d’une stratégie. Il découle des deux étapes précédentes, c’est-à-dire de ce
que veut faire le producteur et de ce qu’il peut faire étant donné ses atouts et
contraintes ainsi que les opportunités et les menaces de l’environnement.
• Mise en œuvre et pilotage stratégique. Dans un contexte d’incertitude, il ne suffit
pas de définir la stratégie pour la mettre en œuvre ensuite ; c’est le processus d’ajus-
tement des choix stratégiques au regard de l’évolution de l’environnement qui est
important. Il s’agit d’un pilotage stratégique permettant le passage de la gestion
stratégique à la gestion opérationnelle (Hemidy et Cerf, 1999). Pour le producteur,
ce processus de pilotage stratégique n’est pas permanent, mais correspond plutôt à
des moments clés au cours du cycle de production et d’information (calcul des résul-
tats annuels, par exemple) ou bien en liaison avec des changements importants dans
l’environnement socio-économique de l’exploitation.
On retrouve ces étapes, sous une forme différente, dans la théorie du comporte-
ment adaptatif (Petit, 1981 ; Brossier et al., 1991 ; chapitre 5). La gestion stratégique
est un processus interactif et n’est pas une procédure figée de planification.

Gestion opérationnelle
La gestion opérationnelle concerne le moyen terme et le court terme de l’exploita-
tion. Elle comprend les décisions tactiques et courantes qui portent sur la mise en
œuvre de la stratégie choisie : l’organisation et la conduite des processus de produc-
tion, la collecte et la gestion de l’information, l’organisation et la gestion du travail,
etc. L’agriculteur est amené à prendre ce type de décisions dans le but de faire
évoluer son exploitation dans la direction choisie. Plusieurs modèles de prise de
décision ont été proposés. Le plus célèbre est le modèle canonique de Simon (1960)
qui décompose le processus de prise de décision en trois étapes :
– l’intelligence du problème, c’est-à-dire délimiter le problème et les facteurs à
prendre en considération ;
– la modélisation, c’est-à-dire identifier et évaluer des solutions alternatives réalisables ;
– le choix, c’est-à-dire déterminer des critères, les pondérer pour hiérarchiser les
solutions et en choisir une satisfaisante.

220
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion

Dans le domaine de la gestion de l’exploitation agricole, Kay et Edwards (1999) ont


détaillé ce processus en sept étapes, ajoutant notamment la mise en œuvre de la
décision, le suivi et l’évaluation des résultats. Des travaux de Sebillotte et Soler
(1990) sur la modélisation des décisions de campagne ont abouti à la proposition du
modèle d’action. Il représente une sorte de planification et des règles de mise en
œuvre de l’action de l’agriculteur lors d’une campagne agricole.

 Pratiques de gestion dans les exploitations agricoles


familiales africaines
La section précédente a mis en évidence la notion de performance comme finalité de
la gestion et de ses trois fonctions séquentielles : la prévision, l’action et le contrôle.
Comment cette approche conceptuelle est-elle appliquée aux exploitations agricoles
familiales en Afrique subsaharienne ? Avant d’aborder cette question, il convient de
préciser deux points relatifs au contexte et aux spécificités de ces exploitations.
• Le premier point concerne la difficulté d’aborder de manière globale les exploi-
tations agricoles africaines étant donné leur diversité – structures des exploitations,
systèmes de production et intégration dans l’économie de marché (partie 3). Les
caractéristiques des exploitations vont influencer leurs pratiques de gestion, mais
des éléments communs peuvent être identifiés, montrant les spécificités des exploi-
tations agricoles africaines. Les exemples sont issus de structures familiales repo-
sant sur un système mixte (production vivrière et cultures de rente, agriculture et
élevage) de dimension économique très modeste, comme dans le cas des exploita-
tions des zones de savane d’Afrique de l’Ouest et du Centre et plus particulièrement
du Nord Cameroun.
• Le second point a trait au métier d’agriculteur. Dans de nombreux pays africains,
une bonne partie de la population paysanne est au plus bas de l’échelle sociale, être
agriculteur est un état subi plutôt qu’un métier choisi ; cet état d’esprit conditionne
fortement le comportement de certains agriculteurs (dans des exploitations de
subsistance ou des petites structures faiblement intégrées au marché) qui ne se
considèrent pas comme des décideurs ayant un projet professionnel. Dans ce
contexte, les notions de performance et de gestion sont peu valorisées et difficiles à
appréhender. Toute l’attention est portée sur l’objectif prioritaire qui est de nourrir
la famille et sur lequel sont concentrés tous les moyens disponibles. Ainsi au Nord
Cameroun par exemple, il est admis qu’un paysan cultive ce que sa famille va
manger, sachant que la quantité produite peut ne pas être suffisante. Une analyse
réductrice conclurait à un état d’esprit fataliste – légendaire en Afrique –, alors qu’il
serait judicieux de comprendre les spécificités des approches et des pratiques de
gestion des producteurs africains.
La prédominance de l’incertitude dans un environnement de contraintes fortes sur
les prévisions et l’importance des déterminants sociaux dans la prise de décision
expliquent les particularités des exploitations africaines.
Ces facteurs influencent d’autant plus les processus de gestion qu’il y peu d’indica-
teurs fiables pour que les agriculteurs africains évaluent leur situation et la pertinence

221
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

de leurs pratiques. En effet, pour bon nombre d’observateurs extérieurs, il n’est pas
facile d’identifier les stratégies mises en œuvre car elles ne reposent pas sur des
logiques simples et axées uniquement sur la production – ce qui ne veut pas dire
qu’elles soient inexistantes.
Les approches de conseil de gestion devront donc tenir compte de ces caractéristiques
afin de proposer des outils et des démarches adaptés aux réalités des exploitations
agricoles africaines.

Difficulté de prévoir
L’agriculture est par essence une activité risquée – au sens d’incertaine dans ses
résultats – car elle met en œuvre des processus biologiques souvent fortement
dépendants du climat. De même sur le plan économique, les agriculteurs subissent
davantage les événements qu’ils ne les contrôlent : individuellement ils n’ont en
effet aucun poids sur les cours de leurs produits, et ils n’en n’ont pas beaucoup plus
lorsqu’ils sont organisés et regroupés surtout si les ventes concernent des matières
premières soumises aux aléas du marché mondial.
Ces risques sont plus élevés en Afrique car il existe peu de moyens de s’en prémunir.
Par ailleurs, les problèmes rencontrés peuvent rapidement engendrer des consé-
quences d’importance vitale, par exemple, une récolte de mil ravagée par une
attaque de criquets signifie l’absence de nourriture pour la famille pendant un an.
La prédominance de l’incertitude se révèle aussi dans le quotidien familial, le fonc-
tionnement traditionnel des sociétés africaines repose sur une solidarité imposée
par la précarité. Le nombre de personnes à nourrir peut donc varier fortement en
fonction de la présence ou non de visiteurs, il est alors difficile de déterminer les
besoins alimentaires pour une période donnée.
Ces phénomènes conduisent nombre d’agriculteurs africains à une gestion au jour
le jour et les contraignent à une grande adaptabilité ; ils estiment que leurs choix
ayant de fortes chances d’être remis en cause pour une raison ou une autre, les
prévisions à moyen et à long terme ne font pas partie des habitudes. Cette attitude
est à l’origine d’une grande souplesse qui peut être un atout dans un contexte diffi-
cile, mais elle se révèle malheureusement aussi fortement pénalisante. Par exemple,
les agriculteurs peuvent mettre en culture des surfaces supérieures à leurs capacités
d’entretien. Cette pratique peut être considérée comme anti-aléatoire – répartition
des risques – lorsque les parcelles sont dispersées dans l’espace et sur des terrains
bien différents (glacis, bas-fond inondable) mais elle représente aussi une perte
d’investissement en travail, en semences et parfois en intrants.
La difficulté de prévision, liée à la difficulté de se projeter au-delà d’un avenir très
proche (augmentation des facteurs d’incertitude donc des risques de non-réalisa-
tion), conduit donc à un fonctionnement fondé sur la prise en compte de contraintes
ou parfois d’opportunités conjoncturelles, plus ou moins correctement appréciées.
Cette situation caractérise surtout les petites exploitations familiales dont la capa-
cité d’investissement est faible voire quasiment nulle. Par ailleurs, une minorité
d’exploitations familiales plus aisées dispose d’une épargne régulière et d’un réel
projet d’avenir pour leur exploitation et leur famille, à savoir l’acquisition d’animaux

222
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion

et d’équipement, la scolarisation des enfants, la stratégie d’extension foncière (15 à


20 % de l’ensemble au Nord Cameroun).

Déterminants sociaux dans la prise de décision


En Afrique, l’appartenance à un groupe social identifié, qu’il soit familial, ethnique,
religieux, etc., est un atout et, dans les cas extrêmes, une condition de survie.
L’activité agricole ne permet pas de se positionner dans la société, mais implique de
se conformer au modèle dominant du groupe social auquel on se rattache. Se diffé-
rencier du groupe, que ce soit dans ses objectifs ou dans ses pratiques, représente
souvent un risque de marginalisation que peu de producteurs osent prendre. Ainsi
la finalité prioritaire sera de constituer une famille et de subvenir à ses besoins,
l’agriculture étant considérée dans ce cadre comme un passage obligé pour une
majorité de ruraux.
Les études portant sur la gestion des exploitations agricoles en Europe ont montré
l’importance du rôle de la famille dans le pilotage du système (définition des choix
et des orientations stratégiques), il est cependant assez aisé de traduire ces objectifs
en termes économiques ou techniques. Par exemple, la volonté d’installer un enfant
va engendrer la création d’un atelier supplémentaire demandant des investisse-
ments dont la rentabilité aura été mesurée d’après des résultats techniques et
économiques prévisionnels.
En Afrique, ces liens sont plus difficiles à établir tant les moteurs de la décision, y
compris dans la conduite technique et économique des activités, sont très influencés
par les normes et les coutumes sociales. Dans certaines régions par exemple,
personne ne peut aller semer tant que le chef de terre n’a pas donné son accord.
La nécessité d’être en accord avec le modèle social dominant se retrouve aussi dans
les stratégies mises en œuvre. Dans un village d’accueil de migrants du Nord
Cameroun, la trajectoire d’évolution des exploitations est presque toujours iden-
tique. Ainsi, un jeune célibataire arrive du village d’origine pour se louer comme
manœuvre pendant une ou deux campagnes agricoles auprès d’un frère qui dispose
d’un attelage (charrue et paire de bœufs). Pendant ce laps de temps, il constitue une
petite réserve qui va lui permettre de fonder sa famille et de cultiver pour son
propre compte avec l’objectif à terme de devenir lui-même chef d’exploitation avec
son attelage et d’employer ses jeunes frères. Acquérir une paire de bœufs coûte
cher et d’aucuns pourraient imaginer acheter d’abord un âne, très utile pour les
opérations de sarclage notamment, afin de développer progressivement les surfaces
et donc les revenus. Cependant travailler avec un âne serait vécu comme une humi-
liation dans le village où la reconnaissance passe par la possession d’une paire de
bœufs. La plupart vont donc attendre une opportunité (bonne récolte de coton, prix
du maïs élevé, aide d’un parent…) pour accéder à ce statut convoité.
Les agriculteurs qui disposent à la fois de ressources foncières (ou d’une certaine
sécurité foncière en cas de location des parcelles) et d’une capacité d’investissement
minimum ont généralement identifié des objectifs à moyen terme comme l’acquisi-
tion d’un équipement ou d’un bien (maison en ville) ou la constitution d’un troupeau
ou d’un verger. Dans certaines situations, ces projets sont raisonnés sur une période

223
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

assez courte et ont pour but de sécuriser la fin de carrière du chef d’exploitation, car
la transmission du patrimoine à ses descendants directs n’est pas toujours la règle, il
peut revenir à ses neveux (système matrilinéaire) ou à ses frères.

Problèmes rencontrés dans le suivi et l’évaluation


Le diagnostic du fonctionnement de l’exploitation et l’analyse des possibilités
d’amélioration font partie des principes fondamentaux de la gestion. Il est donc
indispensable de disposer de données objectives et si possible chiffrées et d’être en
mesure de les interpréter correctement.

Manque d’information et de formation


Le manque d’information et de formation d’une grande majorité d’agriculteurs afri-
cains est à l’origine d’une mauvaise connaissance de la réalité. L’analphabétisme qui
empêche notamment de disposer de données vraiment fiables et de réaliser certains
calculs et les difficultés à expliquer les résultats obtenus par les décisions prises et les
événements intervenus – défaut de connaissance de certains mécanismes qui laisse
une grande part aux explications par la magie ou la chance – sont autant d’éléments
qui contribuent à fausser le jugement. Par exemple, la rentabilité des activités est une
notion relativement abstraite et rarement estimée par un calcul de revenu écono-
mique, comme en témoignent les réflexions d’agriculteurs ayant participé à des
groupes de conseil de gestion : « avant quand on avait récolté beaucoup de sacs, on
pensait qu’on gagnait » ; « cette année j’ai noté combien j’avais dépensé dans mon
champ de maïs et comme les bœufs l’ont dévasté je sais que j’ai perdu 40 000 FCFA,
les autres années quand je n’avais pas de récolte je savais que je ne gagnais rien mais
je ne pensais pas que je perdais ».

Difficulté d’évaluer les recettes, usage du crédit coton


Suivant les cas, c’est l’évaluation approximative des recettes ou même le prix de
vente seul qui peut servir de référence pour la prise de décision. Dépenser (par
exemple pour l’achat d’intrants) pour une culture destinée à l’autoconsommation
peut ainsi poser problème, car dans la mesure où la production n’est pas vendue, les
paysans ont du mal à lui attribuer une valeur et donc en retour à décider d’investir
pour obtenir une récolte plus importante.
De même, dans certaines filières intégrées comme celle de la production coton-
nière, le montant des crédits dus qui englobe souvent d’autres charges que celles du
coton (intrants pour les cultures vivrières en rotation avec le coton, remboursement
des crédits pour les matériels type charrette, charrue…) est retiré de la valeur de la
production de coton-graine livrée par les paysans qui ont donc l’impression de ne
« rien gagner ». Au contraire, certains disent que le cotonnier est la seule culture qui
leur rapporte vraiment de l’argent car c’est l’unique moment de l’année où ils
peuvent disposer d’une somme d’argent conséquente reçue en une seule fois.
L’échelonnement des recettes perçues pour les autres spéculations rend difficile une
évaluation objective du montant total perçu ; les ventes sont en effet réalisées au fur
et à mesure des besoins de la famille et les rentrées d’argent sont donc immédiate-
ment réutilisées. Les agriculteurs comptent donc sur la vente du coton pour les

224
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion

investissements importants qu’ils soient productifs (matériel agricole, bœufs de


traction…) ou d’ordre social (mariage).
Au Nord Cameroun, où il existe une véritable habitude du crédit, le coton sert aussi
de garantie pour demander un prêt (« prendre le bon »). Comme cette recette
est sûre, elle est mise en avant à chaque fois qu’il faut emprunter et ce, quel que
soit l’objet du prêt (« je te rembourserai au moment de la paye coton »). Dans de
nombreux cas, à la suite du défaut d’évaluation du revenu potentiel et de l’addition
de l’ensemble des crédits, la paye du coton suffit à peine à rembourser l’ensemble
des dettes ; la seule solution est alors d’entamer un nouveau cycle de crédit jusqu’à
la prochaine récolte. Le coton devient alors une spéculation obligée sur laquelle
repose l’ensemble des besoins monétaires.

Estimation de la valeur de la récolte : production ou rendement


Les difficultés observées dans l’évaluation et la maîtrise de certains indicateurs
économiques ou de trésorerie peuvent se retrouver dans le domaine technique. La
valeur de la production récoltée sera ainsi toujours préférée au rendement, notion
abstraite puisque ce n’est pas la réalité de ce que le champ a donné et qui suppose
de maîtriser la règle de trois. Une production de 1,2 tonne de maïs sera toujours
meilleure qu’une tonne, peu importe que cette tonne ait été obtenue sur 0,5 ha et
1,2 tonne sur 0,75 ou 1 ha. Ce type de raisonnement favorise une politique d’agran-
dissement des surfaces qui est d’ailleurs une stratégie anti-aléatoire dominante qui
revient à augmenter ses surfaces pour augmenter ses chances, attitude qui pose
d’autres problèmes en termes d’organisation du travail et d’entretien de la fertilité
du sol.
Ces exemples illustrent parfaitement les concepts mis en évidence par Brossier et al.
(1991). Les représentations que l’agriculteur a de son environnement et de ses
objectifs vont influencer ses décisions. Cela est d’autant plus vrai en Afrique, où les
agriculteurs manquent d’éléments quantitatifs d’appréciation et que les aspects
sociaux conditionnent fortement les comportements de gestion.

Les stratégies complexes des exploitants


Nous avons défini la gestion stratégique comme un processus permanent qui
concerne l’avenir à long terme de l’exploitation, c’est-à-dire des décisions qui l’en-
gagent sur une voie donnée, et nous avons évoqué la difficulté de beaucoup d’agri-
culteurs africains – surtout ceux dont la situation économique n’est pas aisée – à
formuler un projet, et la prédominance d’une vision à court terme relative aux
contraintes et aux incertitudes qui pèsent sur le fonctionnement des exploitations.
Est-ce à dire pour autant qu’il n’existe pas de gestion stratégique chez les agriculteurs
africains ? Là encore il s’agirait d’un regard très réducteur, même si dans certaines
situations d’extrême précarité la seule stratégie observée est celle de la survie avec le
souci permanent d’assurer le repas de la journée.
Dans les cas plus favorables, il est possible d’identifier des stratégies et des trajec-
toires d’évolution d’exploitation (Mbétid-Bessane, 2002), mais elles sont souvent
perturbées par les aléas climatiques, sociaux et économiques. Ainsi, la perte d’un

225
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

bœuf de traction par vol ou maladie se traduit très souvent par le retour à la loca-
tion ou à la culture manuelle, les moyens financiers permettant rarement de
racheter un animal immédiatement pour reconstituer la paire, le second est vendu
pour répondre aux besoins de la famille, et le rachat d’animaux pourra prendre
plusieurs années.
Pour appréhender ces stratégies, il faut déterminer des facteurs déclenchant le
passage d’un stade à un autre dans la trajectoire de l’exploitation : opportunité
ponctuelle, contrainte devenue insupportable, pression sociale… Ces d’éléments ne
pourront être identifiés que par une approche systémique de l’exploitation dans son
environnement. Cette démarche adoptée pour aborder la gestion des exploitations
agricoles en France est devenue pertinente dans le contexte africain aussi.

 Quels outils et démarches


de conseil de gestion promouvoir ?
Une des priorités en matière d’appui à la gestion est de promouvoir l’intégration de
la mesure et de la prévision dans la prise de décision.
L’objectif n’est pas tant d’élaborer de nombreux indicateurs sur les résultats obtenus
que de disposer de quelques éléments clés qui amènent les paysans à s’interroger
sur la pertinence de leurs choix. Les outils ne sont donc pas une fin en soi et peuvent
être variés et adaptés en fonction des besoins, ils doivent servir à une démarche
d’analyse globale du fonctionnement de l’exploitation visant son amélioration.
La comptabilité est un support intéressant pour la gestion dans la mesure où elle
fournit des repères pour les activités menées. Cependant, il n’est pas indispensable
de tenir une comptabilité complète pour faire de la gestion. La comptabilité est une
représentation chiffrée et normalisée de la réalité, ce qui la rend parfois difficile à
appréhender (et pas seulement pour les agriculteurs africains !). Il n’est pas toujours
simple par exemple d’expliquer que le résultat économique n’est pas de l’argent
disponible, et des documents complexes comme le bilan sont difficiles à utiliser parce
qu’ils correspondent à une vision abstraite de la situation de l’exploitation.
Pour que l’agriculteur apprécie rapidement l’intérêt d’une démarche de gestion, il
est important de travailler sur des supports et des thèmes très concrets, par exemple
les raisonnements par les flux (monétaires, céréales, quantités de matières fertili-
santes) sont intéressants car proches du vécu des agriculteurs.
De même, si les enregistrements sont nécessaires à l’obtention de données fiables,
il faut veiller à ce qu’ils n’occupent pas une place centrale dans la démarche au
détriment des analyses et que la période de collecte soit adéquate – la demande
d’enregistrement dès le début de la démarche de conseil de gestion peut décourager
certains agriculteurs qui n’en voient pas l’intérêt. C’est un dilemme des approches
de conseil de gestion, car la collecte des données peut se révéler fastidieuse – d’au-
tant plus qu’elles sont souvent sous-utilisées –, mais ne pas disposer des informa-
tions pertinentes pour discuter et prévoir le pilotage de l’exploitation risque de
bloquer rapidement le raisonnement et d’aboutir à des décisions erronées.

226
Gestion de l’exploitation agricole : éléments théoriques et pratiques de gestion

Il est donc nécessaire d’adapter les démarches et les outils aux besoins et aux capa-
cités des producteurs qui, même s’ils sont pour la plupart analphabètes, ont des
pratiques de gestion à court terme. Il importe d’identifier ces pratiques et de les
intégrer dans la démarche de conseil de gestion. En Afrique, pour l’instant il est
possible de développer des démarches qui soient véritablement au service des
paysans. Il serait dommage de vouloir rentabiliser le conseil de gestion en lui confé-
rant un rôle réduit par exemple au suivi statistique des exploitations qui conduit
souvent à multiplier les enregistrements au détriment de l’aide à la décision.

227
Chapitre 14
Gestion stratégique
et choix des investissements
Mohamed GAFSI

Ce chapitre vise à donner des repères théoriques et méthodologiques concernant la


gestion stratégique de l’exploitation agricole africaine, et à les illustrer par des
exemples dans ces exploitations. La première section précise la définition de la stra-
tégie et les étapes de la démarche stratégique. La seconde section aborde la ques-
tion du choix d’orientation et les facteurs importants qui le déterminent. Enfin, la
troisième section présente des exemples de décisions stratégiques dans le domaine
de la gestion des investissements, notamment pour acquérir la traction animale et
implanter des cultures pérennes.

 Stratégie d’exploitation agricole


Pour Chandler (1962), fondateur de la stratégie d’entreprise, la stratégie consiste en
la détermination des buts et des objectifs à long terme d’une entreprise, l’adoption
des moyens d’action et d’allocation des ressources nécessaires pour atteindre ces
objectifs. Cette définition met l’accent sur deux éléments essentiels, les buts et les
ressources, mais elle est incomplète puisqu’elle ne comprend pas l’environnement
dans lequel fonctionne l’entreprise. Or, un des enseignements fondamentaux de l’ap-
proche systémique est de situer l’entreprise dans son environnement et de prendre
en compte les interactions multiples. D’autres définitions, notamment celle d’Ansoff
(1965), incluent l’environnement de l’entreprise. La stratégie permet alors de créer
les conditions d’ajustement entre l’environnement et l’entreprise de sorte que celle-
ci dispose d’un potentiel maximum de performance. L’environnement est source de
défis, de contraintes, mais aussi d’opportunités favorables pour l’entreprise.

Définition de la stratégie de l’exploitation agricole familiale


Partant de ces trois éléments de la stratégie d’entreprise, on peut retenir la défini-
tion suivante de la stratégie de l’exploitation agricole familiale : la stratégie est une

229
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

orientation de longue durée, qui se traduit par le choix des activités agricoles et
extra-agricoles et par la mobilisation des moyens nécessaires pour atteindre dans un
environnement changeant les objectifs fixés à l’exploitation agricole par son
propriétaire. Bien évidemment, la fixation des objectifs est un préalable à l’adoption
d’une stratégie. En effet, cette étape capitale permet d’expliciter le projet porté par
le groupe familial. Nous avons évoqué plus haut l’importance d’une vision straté-
gique, d’un projet d’avenir. La stratégie vient ensuite comme un moyen pour
réaliser ce projet, c’est une démarche réfléchie permettant de réaliser les objectifs
et d’améliorer les performances de l’exploitation familiale. Si les performances ne
sont pas améliorées, la validité de la stratégie adoptée est mise en cause.
Pour l’exploitation agricole, la démarche stratégique est le processus par lequel le
chef d’exploitation et le groupe familial élaborent la stratégie à poursuivre pour
réaliser les objectifs fixés pour l’exploitation agricole familiale. Cette démarche
comporte donc plusieurs étapes qui représentent une grille d’analyse stratégique :
les buts (analyse des relations entre l’exploitation et la famille), les moyens (analyse
du système interne de l’exploitation), l’environnement dans lequel fonctionne
l’exploitation, le choix des activités (figure 14.1).

Groupe
familial

Buts

Activités
extra-agricoles

Moyens Activités
agricoles

Exploitation agricole Environnement

Figure 14.1. Grille d’analyse stratégique de l’exploitation agricole familiale (source : adapté de Guichard
et Michaud, 1994).

Buts prioritaires du groupe familial


L’exploitation agricole africaine est guidée par un projet familial. D’une façon
consciente ou non, les choix d’activités sont arrêtés en conformité avec les buts du
chef d’exploitation et des membres de sa famille, de même que les grandes décisions
d’investissement et de développement de l’exploitation. Ces buts sont souvent multi-
ples, contradictoires et peu explicites (Gasson et al., 1988 ; Brossier et al.,1991).

230
Gestion stratégique et choix des investissements

Globalement, en accord avec McConnel et Dillon (1997), nous considérons que


l’exploitation agricole familiale poursuit la finalité de maximiser à long terme le
bien-être économique et social de la famille, selon les marges de manœuvre du
producteur. Le terme bien-être englobe le revenu monétaire, la subsistance alimen-
taire, la production en interne des produits nécessaires à la consommation familiale
et des facteurs de production comme la capitalisation, les bénéfices immatériels tels
ceux permettant d’atteindre un niveau d’éducation ou de protection sanitaire, etc.
Les auteurs montrent que la majorité des exploitations agricoles familiales asia-
tiques ont, à des degrés divers, deux buts fondamentaux : la recherche de revenus
monétaires et la subsistance du ménage agricole.
Dans le contexte africain, au Burkina Faso, Dugué (1986) a distingué les trois buts
poursuivis par les exploitants :
– l’autosubsistance à court terme ;
– la recherche d’un revenu monétaire élevé et la capitalisation ;
– l’autosuffisance alimentaire avec des besoins monétaires faibles, qui revient à la
combinaison des deux autres buts, plus fondamentaux.
Ces objectifs ont été aussi relevés dans les exploitations cotonnières de la
République centrafricaine (Mbétid-Bessane, 2002) et dans la zone soudanienne du
Tchad (Djondang, 2003). Les plus fréquents sont la recherche de l’autosuffisance
alimentaire et l’obtention de revenu monétaire (58 % des exploitations centrafri-
caines étudiées et 56 % des exploitations tchadiennes). Les exploitations qui
donnent la priorité aux revenus monétaires et à la capitalisation restent peu
nombreuses (17 % en République centrafricaine et 15 % au Tchad), bien que leur
nombre ne cesse d’augmenter.
En plus de ces buts prioritaires, – assurer l’autosuffisance alimentaire et le revenu
monétaire pour le groupe familial –, les agriculteurs africains ont d’autres objectifs
comme acquérir une certaine sécurité et la pérennité des moyens de subsistance,
avoir les moyens de respecter les coutumes et les obligations sociales locales,
préserver et développer le patrimoine, avoir une position sociale, améliorer le
niveau de vie, etc.
Pourquoi un groupe familial donne-t-il la priorité à tel ou tel but pour la conduite
de l’exploitation ?
Plusieurs facteurs justifient le choix des buts prioritaires. D’une part, ce sont des
facteurs liés à la situation de l’exploitation (Brossier et al., 1991) : la taille de l’exploi-
tation, ses capacités et ses moyens, son degré d’intégration au marché, les opportu-
nités offertes par son environnement, etc. Ainsi, une exploitation de grande taille et
bien intégrée au marché accorderait la priorité au but de revenu monétaire et de
capitalisation. Au contraire, une petite exploitation disposant de peu de moyens
accorderait plus d’importance à son autosubsistance. D’autre part, ce sont des
facteurs liés aux besoins prioritaires du groupe familial. Cette explication se réfère à
la théorie de la hiérarchie des besoins de Maslow (1954), qui décrit cinq niveaux de
besoins : physiologiques, de sécurité, sociaux, d’estime, d’accomplissement
personnel. Un individu ou un groupe humain n’est sensible aux paramètres d’un
niveau que si les niveaux de besoin précédents sont satisfaits. Ainsi, les agriculteurs
qui sont économiquement défavorisés vont centrer leur priorité sur l’autosubsistance

231
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

et sur la sécurité, alors que ceux qui jouissent d’une certaine sécurité financière vont
accorder plus d’importance aux besoins sociaux et d’estime par exemple.

Analyse des moyens de l’exploitation familiale


L’analyse des moyens dont dispose l’exploitation familiale est une étape nécessaire
dans la démarche stratégique. En effet, en fonction de ses capacités matérielles et
des potentialités humaines de l’exploitation, le chef d’exploitation opte pour telle ou
telle stratégie. L’objectif est d’identifier les atouts et les faiblesses des moyens dispo-
nibles : les moyens sont-ils bien adaptés ? Sont-ils bien valorisés, ou au contraire,
sous-exploités ? Sont-ils contraignants ? Y-a-t-il des potentiels non exploités ?
L’analyse porte non seulement sur les moyens existants, mais également sur les
évolutions probables (disponibilité et valorisation) de ceux-ci.
Les moyens concernent les facteurs de production : foncier, matériel, capital finan-
cier, travail.
Avec l’augmentation de la pression démographique, le facteur foncier devient de plus
en plus crucial pour beaucoup d’exploitations par ses aspects quantitatif et qualitatif.
La question de l’accès à la terre est aujourd’hui fondamentale dans la stratégie des
paysans, à la fois pour disposer d’une ressource foncière en quantité suffisante et
pour se l’approprier dans une perspective patrimoniale visant le moyen et long terme.
La qualité des sols est un autre aspect important. Beaucoup d’études récentes mon-
trent la baisse de la fertilité des terres en Afrique subsaharienne (FAO, 2003 ; de
Ridder et al., 2004). En liaison avec le facteur foncier, le diagnostic stratégique porte
aussi sur les conditions climatiques et sur la possibilité d’irriguer – on utilise seule-
ment 2 % des ressources en eau pour l’irrigation en Afrique subsaharienne contre
20 % dans les autres pays en voie de développement, d’après Dixon et al. (2001).
Concernant le matériel, il faut étudier les possibilités d’utiliser la traction animale
en location ou en propriété pour les cultures, les différents équipements de sarclage
des cultures, les charrues, les charrettes pour le transport, etc.
L’étude du capital financier comprend celle des moyens de financement à court
terme pour une campagne, et à long terme pour des investissements importants. Le
capital financier peut être acquis sous forme monétaire ou sous forme d’épargne en
élevage. Il est important d’intégrer les sources de revenu pour la famille, autres que
l’activité agricole, notamment les revenus provenant du travail à l’extérieur et des
migrants.
Le dernier facteur de production, le travail, doit être analysé en tenant compte des
dimensions quantitative et qualitative. Du point de vue quantitatif, le facteur travail
est très limitant dans beaucoup d’exploitations familiales africaines, notamment
dans les familles nucléaires, qui sont plus fréquentes en Afrique centrale (Mbétid-
Bessane, 2002 ; Djondang, 2003). L’analyse porte sur le nombre d’actifs, la disponi-
bilité en temps voulu des ressources en main-d’œuvre, les possibilités de
l’agriculteur de recourir à la main-d’œuvre salariale ou à des formes d’entraide
(échanges, invitations, groupes de travail collectif…). Du point de vue qualitatif, on
s’intéresse à l’organisation du travail au sein de l’exploitation notamment sur les
champs collectifs et individuels, aux compétences, à la formation et aux savoir-faire.

232
Gestion stratégique et choix des investissements

Outre ces facteurs de production classiques, de nouvelles approches en gestion,


fondées notamment sur les ressources (Wernerfelt, 1984), montrent l’importance
du capital naturel (Ekins et al., 2003), du capital social (Coleman, 1988 ; Putnam,
2000), du capital humain (Barney, 1991). Ces approches ont été utilisées, notam-
ment par le DFID, pour analyser les moyens d’existence des exploitations agricoles
dans les pays en voie de développement (Scoones, 1998).
Dans le cas des exploitations familiales africaines, d’autres ressources conditionnent
leur subsistance, comme les compétences de gestion de l’agriculteur, l’information et
la gestion de l’information dans l’exploitation, l’existence d’un réseau de commercia-
lisation des produits, la proximité d’un marché local solvable, des moyens de
transport, l’accès aux intrants, les appuis en matière d’encadrement, d’innovation
technique et de crédit, etc.

Composantes de l’environnement de l’exploitation


Le diagnostic stratégique interne de l’exploitation porte sur ses activités, ses moyens
et ses rapports avec le groupe familial, le diagnostic externe analyse les composantes
de l’environnement de l’exploitation et anticipe les évolutions futures. L’objectif est
de détecter les opportunités et les menaces qui peuvent influencer la conduite de
l’exploitation et donc la stratégie de l’agriculteur. Avec le passage d’une agriculture
de subsistance à une agriculture de plus en plus liée au marché, le système d’exploi-
tation devient de plus en plus ouvert et est donc davantage exposé à l’environne-
ment. Les exploitations africaines connaissent aujourd’hui une phase de transition
très critique et un environnement socio-économique et institutionnel très instable
(chapitres 1 et 2).
Les composantes de l’environnement immédiat sont celles qui ont une influence
forte sur les activités de l’exploitation : le milieu naturel, le marché (existant et
potentiel), les partenaires économiques (acteurs de la filière, les fournisseurs de
services, les transporteurs, etc.), le milieu social et institutionnel local, les organismes
d’accompagnement présents (offices de développement, organisations paysannes,
organisations non-gouvernementales, projets, instituts de recherche, services, etc.).
Le milieu naturel et le marché sont des composantes fondamentales pour les exploi-
tations familiales. Comme les agriculteurs ont encore peu recours aux progrès tech-
niques (irrigation, semences améliorées, intrants, mécanisation, etc.), les conditions
naturelles sont déterminantes dans le choix des activités (Adegbidi, 2003 ;
Djondang, 2003). Les cultures choisies sont adaptées aux conditions pluviomé-
triques et à la qualité des sols, au risque d’inondation ou de sécheresse, à la possi-
bilité de produire en contre-saison, etc.
Les mouvements de libéralisation du marché qui touchent les filières des différentes
cultures d’exportation et l’évolution des exploitations familiales vers une intégration
croissante ont renforcé le rôle de l’environnement économique dans les stratégies
paysannes. La présence et l’accès à un marché solvable, la possibilité de s’approvi-
sionner en intrants et l’octroi de crédits sont des facteurs très importants. En outre,
la proximité des villes et des marchés urbains favorise le développement des acti-
vités de cultures vivrières destinées à la vente (Mbétid-Bessane, 2002) et des
cultures maraîchères (Tujague, 2001).

233
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 14.1. Évolution des systèmes cotonniers au Nord Cameroun avec la


culture de l’oignon
Magalie CATHALA
Dans le Nord Cameroun, le cotonnier est cultivé par 90 % des exploitations agricoles et
apporte 60 % du revenu monétaire des exploitations. Mais, l’essoufflement de la filière du
coton (1990-2003), dû entre autres à la baisse des prix et à la réduction des appuis aux
producteurs, a favorisé les cultures à forte valeur ajoutée en saison sèche (sorgho repiqué,
oignon). En conséquence, les systèmes de production cotonniers évoluent en incluant le
sorgho repiqué ou l’oignon. Ainsi, l’oignon, introduit dans les années 80, s’est fortement
développé ces dernières années dans les provinces de l’Extrême-Nord et du Nord. En cinq
ans, les surfaces plantées en oignons ont plus que doublé dans le Nord Cameroun. De ce
fait, en 2003, cette filière a été déclarée comme prioritaire par l’État camerounais. Cet
engouement pour la production d’oignons amène à se demander pourquoi et comment
cette culture a été adoptée par les producteurs de coton du Nord Cameroun.
Les enquêtes menées dans deux villages de cette province montrent que cette production
répond à deux types de stratégies : renforcement de la diversification ou spécialisation.
La stratégie de renforcement de la diversification est adoptée par des producteurs occa-
sionnels qui produisent de façon irrégulière depuis un certain nombre d’années, pour
compléter le revenu du coton ou faire face aux imprévus. L’agriculteur limite ses inves-
tissements et, le plus souvent, loue une motopompe voire même la parcelle de culture.
La production est vendue sur de petits marchés non reconnus pour la vente d’oignon.
Même si l’oignon est une culture rémunératrice, elle ne se substitue pas au coton.
La stratégie de spécialisation est adoptée par des producteurs confirmés, pour qui l’inser-
tion de l’oignon traduit une volonté de se spécialiser dans la culture la plus rémunératrice
du système. Pour cela, les producteurs n’hésitent pas à investir : achat de motopompe,
construction de cellules de stockage, achat de semences de qualité (violet de galmi),
emploi de main-d’œuvre salariée, acheminement de la production jusqu’aux marchés du
Sud du pays. Le coton est toujours présent dans l’exploitation, mais sa surface diminue au
profit de la spécialisation de l’exploitation dans la production d’oignon.
La décision de cultiver de l’oignon est motivée d’une part, par les incertitudes de la
culture du coton ces dernières années, et, d’autre part, par l’accès à de nouvelles
ressources, comme l’irrigation sur sols vertiques (zone de Houla), la disponibilité de
terres propices à la culture d’oignon, la proximité des axes routiers et des marchés, la
valorisation d’un savoir-faire familial.
L’essor de la culture de l’oignon démontre la capacité des agriculteurs à s’adapter à un
contexte socio-économique changeant. Toutefois, on peut se demander comment va
évoluer le paysage du bassin cotonnier avec la mise en valeur des bas-fonds par la culture
de l’oignon, et aussi par les cultures maraîchères et le riz pluvial. L’intensification des
cultures va remettre en cause la fertilité des bas-fonds, mais aussi exiger de maîtriser des
techniques de production de plus en plus spécialisées et de répondre à une demande de
production de plus en plus précise. Enfin, sur le plan organisationnel, le rôle des produc-
teurs dans la filière de l’oignon devra être défini pour répondre aux demandes du marché.
(source : Cathala et al., 2003)

Les buts de l’agriculteur et la vision qu’il a de l’avenir de l’exploitation sont détermi-


nants pour saisir les opportunités et les valoriser, ainsi que pour réduire les effets
d’une menace. De plus, la stratégie de l’exploitation n’est pas figée, elle est en inter-
action forte avec l’environnement et son évolution. Par conséquent, l’agriculteur doit
adopter un comportement de vigilance et d’anticipation pour la réussite de
l’exploitation. En effet, les changements dans l’environnement peuvent donner accès

234
Gestion stratégique et choix des investissements

à de nouveaux de créneaux d’activités (encadré 14.1) ou de valorisation de moyens,


par exemple l’accès à l’irrigation, ou au contraire imposer des contraintes sur les acti-
vités ou les moyens de l’exploitation, comme la limitation des ressources pastorales
pour les éleveurs du Ferlo au Sénégal (Thiam, 2003).

 Choix d’orientation : quelles activités développer ?


Traditionnellement, les activités agricoles de production animale et végétale
fondent la légitimité de l’exploitation agricole. Ces activités constituent un système
de production agricole qui présente une cohérence globale et exprime les grandes
décisions de l’agriculteur. Or, comme le soulignent Paul et al. (1994), dans de nomb-
reux pays, les stratégies familiales dans les exploitations agricoles familiales dépas-
sent les simples activités agricoles et comprennent d’autres activités. La notion de
système d’activité remplace celle du système de production agricole pour rendre
compte des stratégies paysannes et de la logique familiale dans le choix des activités.
Le choix des activités est raisonné de façon cohérente au sein du groupe familial, et
les activités couvrent aussi bien les cultures vivrières, les cultures de rente, l’élevage,
la pêche, la cueillette, la transformation, le petit commerce, l’artisanat, etc.
Le choix du type d’activités, et surtout de la combinaison des activités, est l’une
des principales décisions stratégiques à prendre dans les exploitations familiales.
D’après les approches fondées sur la notion de système d’activités (Paul et al., 1994)
ou celle de moyens d’existence (Scoones, 1998), ce choix global, raisonné à l’échelle
de la famille, porte sur une gamme d’activités agricoles et non-agricoles.
La combinaison d’activités agricoles et non-agricoles, comme la migration saisonnière
ou la maçonnerie, a pour but par exemple de mieux valoriser le travail familial,
– élément central des facteurs de production. Les activités non-agricoles rémunèrent
souvent mieux le travail et permettent d’obtenir rapidement un revenu global impor-
tant. D’après Reardon (1994), les paysans sahéliens obtiennent 39 % de leur revenu
total en dehors des exploitations. Des enquêtes plus récentes dans la zone soudanienne
du Tchad montrent que 87 % des exploitations familiales agricoles exercent une acti-
vité non-agricole dont les revenus représentent 28 % de leur revenu total (Djondang,
2003). Mais le marché du travail des activités non-agricoles est très aléatoire.
Quelles activités développer ? Quelle(s) spéculation(s) choisir ? Dans quelle
optique, spécialisation ou diversification ? Avec quel degré d’intensification ?

Agriculture pluviale et agriculture de subsistance


Deux caractéristiques permettent de comprendre la logique des stratégies des
agriculteurs.
• La première concerne le type d’agriculture : l’agriculture pluviale est très dépen-
dante des milieux agro-écologiques, en particulier des conditions pluviométriques.
En effet, ces conditions limitent beaucoup la marge de manœuvre des producteurs.
Ainsi, dans les zones arides ou semi-arides, les systèmes de production sont fondés
essentiellement sur l’élevage, notamment d’animaux de races rustiques. Dans les
zones humides ou subhumides, les systèmes de production sont fondés sur des

235
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

cultures annuelles et pérennes (Dixon et al., 2001). Le facteur agro-écologique


influe fortement sur le choix du type d’activités. Les conditions pluviométriques
sont appréciées par le volume et la variabilité des précipitations annuelles et l’effet
de sécheresse qui représente un risque majeur pour les agriculteurs africains. Avec
les mêmes facteurs de production, la récolte peut varier du simple au double selon
la météorologie de l’année.
• La seconde caractéristique est celle d’une agriculture de subsistance qui est
dominée par les stratégies antirisques des paysans.
En effet, les stratégies paysannes (OCDE, 1996) accordent la priorité à la sauve-
garde à long terme de la famille et de ses moyens d’existence, ce qui se traduit par
une attitude de forte aversion au risque et conduit à de faibles investissements et à
la diversification des activités (Hazell, 2000 ; Adegbidi, 2003). D’autre part, elles
comprennent la volonté de maximiser le bien-être familial, donc visent à optimiser
la valorisation économique et sociale des ressources disponibles ce qui incite à une
certaine spécialisation économique et à l’intensification des modes de production.
Ces deux composantes des stratégies paysannes varient fortement selon les condi-
tions socio-économiques des producteurs. Toutefois, dans les petites exploitations
familiales africaines, la stratégie de reproduction domine la stratégie d’intégration
au marché. La plupart des exploitations étant pauvres et pratiquant une agriculture
de subsistance, la minimisation du risque prend souvent le dessus sur la valorisation
optimale des ressources. Pour cette raison, la diversification des activités est une
caractéristique constante des exploitations familiales africaines.

Stratégies de diversification
Même les systèmes de production très spécialisés, comme les systèmes pastoraux
stricts (D’aquino et al., 1995) ou les exploitations cotonnières (Gafsi et Mbétid-
Bessane, 2003), maintiennent une certaine diversification avec les activités des
cultures vivrières pour les besoins de consommation familiale, perçues comme un
élément essentiel de la sécurisation de la famille.
D’autres paramètres interviennent dans le choix des activités des exploitations agri-
coles, telles que les possibilités de développer des cultures destinées aux marchés
d’exportation (coton, café) ou aux marchés urbains (cultures maraîchères, horti-
culture, production vivrière), (encadré 14.1, chapitre 20). Outre que les cultures
d’exportation procurent des débouchés rémunérateurs et garantis, elles rendent
plus facile l’accès aux intrants. Depuis la libéralisation des filières, ces deux avantages
ne sont plus exclusivement liés à ces productions et les producteurs commencent à
les délaisser. Elles sont remplacées, par exemple, par des cultures vivrières (Gafsi et
Mbétid-Bessane, 2003), ou par des cultures maraîchères chez les caféiculteurs de
l’Ouest du Cameroun (encadré 1.3).

Agriculture, élevage et système de production mixte


En dépit des stratégies de diversification, deux grands types de producteurs se distin-
guent, les éleveurs (pasteurs, le plus souvent nomades) et les agriculteurs. Toutefois, les
systèmes de production mixtes agriculture et élevage sont de plus en plus fréquents

236
Gestion stratégique et choix des investissements

notamment en raison de la pression foncière et de l’intensification de l’agriculture


(Powell et Williams, 1993 ; D’aquino et al., 1995 ; Ramisch, 1999 ; Barbier et Hazell,
2000). En fait, l’association de l’agriculture et de l’élevage a été souvent avancée comme
la clef de développement des exploitations paysannes (Landais et Lhoste, 1990 ; Powell
et al., 1993 ; Okoruwa et al., 1996 ; Williams et al., 2000 ; Upton, 2004). La complémen-
tarité entre les cultures et le bétail augmente la productivité agricole et améliore l’effi-
cacité des facteurs de production (Ramisch, 1999). Les systèmes de production mixtes
sont développés par d’anciens pasteurs ou également par des cultivateurs qui se lancent
dans l’élevage, notamment dans les zones cotonnières. D’une part, des sociétés coton-
nières, comme la CMDT au Mali ou la Sodecoton au Cameroun, ont incité les agricul-
teurs à s’équiper et à utiliser la traction animale dans le but d’intensifier la production,
d’autre part, les revenus du coton constituent un capital important permettant de
mettre en place un élevage. Seuls les agriculteurs qui ont capitalisé à partir de
ressources monétaires régulières provenant des cultures de rente, notamment le coton,
ont donc les moyens de développer l’élevage et les activités de cultures. Cette décision
est stratégique pour l’exploitation et bien raisonnée par les producteurs.

 Gestion des investissements :


exemples de décisions stratégiques
Nous abordons dans cette section deux exemples de décisions stratégiques pour
l’exploitation agricole familiale africaine : l’acquisition et l’utilisation de la traction
animale ; la plantation des cultures pérennes. Ces deux décisions appartiennent au
domaine de la gestion des investissements qui est par nature stratégique pour la vie
des exploitations.

Acquisition et utilisation de la traction animale


L’acquisition de la traction animale est une décision stratégique pour les exploita-
tions familiales africaines. Pour beaucoup d’entre elles, notamment dans les zones
de plaine des savanes subsahariennes et là où la situation sanitaire du bétail le
permettait, la traction animale est devenue une composante essentielle (Vall et al.,
2003). L’accès à la traction animale se traduit immédiatement par des changements
majeurs dans l’exploitation familiale : augmentation de la taille (superficie), orien-
tation du système de production (élevage, nouvelles activités de production,
embouche, lait), organisation et besoins de travail.
L’acquisition de la traction animale a un effet favorable sur les revenus des agricul-
teurs. D’après Havard et Abakar (2002), elle permet, en moyenne, de tripler la
marge brute de la production végétale de l’exploitation, dans le contexte des exploi-
tations du Nord Cameroun.
Des facteurs internes, comme le projet et les motivations de l’agriculteur, influent sur
la décision d’acquérir la traction animale. Pour les jeunes producteurs sénégalais,
l’acquisition de la traction animale est incontournable pour qu’ils créent leur propre
exploitation. Dans des zones moins équipées (Vall et al., 2003), la traction animale
est un moyen essentiel pour développer l’exploitation. D’autres raisons, comme le

237
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

prestige social, peuvent favoriser cette décision. La disponibilité des moyens finan-
ciers et le niveau de richesse de l’exploitation sont aussi des facteurs internes. Les
études ont montré que la traction animale s’est plus développée dans les grandes
exploitations et dans celles qui pratiquaient des cultures de vente, génératrices de
moyens et de capitalisation. Le troisième facteur interne est relatif au niveau de scola-
risation et aux compétences de gestion du producteur, atouts nécessaires au raison-
nement de la stratégie d’équipement et d’une vision à long terme de l’exploitation.
Quant aux facteurs externes, on peut en citer trois. Le premier est le facteur agro-
écologique, la traction animale reste marginale dans les zones arides où la faible pluvio-
métrie limite l’agriculture, et dans les zones humides (plus de 1 200 mm par an) et
boisées à cause des maladies rendant difficile l’élevage des animaux de trait. Le
deuxième facteur relève des possibilités d’accéder à de nouvelles terres et d’avoir une
stratégie d’extension foncière. Enfin, le troisième concerne les incitations externes, tels
les crédits alloués aux paysans par les sociétés de développement, et les efforts de vulga-
risation et d’appui technique aux producteurs désireux d’utiliser la traction animale.

Investissement dans les cultures pérennes


L’installation des cultures pérennes représente un investissement à long terme
(plusieurs dizaines d’années) pour les exploitations. La décision d’investir dans les
cultures pérennes est une décision irréversible, stratégique pour les exploitations
car une plantation de cultures pérennes constitue à la fois un capital productif
durable et un patrimoine pour les familles.
Cette décision est étroitement liée au cycle de vie de l’exploitation et aux objectifs
du groupe familial (encadré 14.2). En dehors des besoins de renouvellement, les
plantations sont souvent créées à l’occasion de l’installation du chef d’exploitation
dans le village ou à la reprise de l’exploitation appartenant à des parents vieillissants
par un jeune.
Créer une plantation traduit la volonté du producteur de subvenir aux besoins
futurs de sa famille. La plantation est perçue comme une épargne pour la famille,
assurant les besoins fondamentaux même en cas de disparition du planteur ou de
son incapacité à travailler, et aussi comme un capital de retraite pour les paysans.
En plus de ces deux facteurs (objectifs familiaux et cycle de vie), les moyens de finan-
cement sont un facteur important. Les exploitants recourent souvent à l’autofinance-
ment. Certains producteurs commencent par travailler avec un membre de la famille,
pour d’autres paysans ou dans d’autres secteurs d’activités avant d’investir les revenus
collectés dans la création de leur propre plantation. Des financements externes sont
possibles, notamment par des projets qui incitent les paysans à créer leur plantation.
D’autres facteurs externes jouent un rôle important. On peut citer les risques liés
aux fluctuations des prix de production qui incitent les producteurs à diversifier leur
production en créant de nouvelles plantations et de nouveaux débouchés. Nous
avons évoqué cette stratégie lorsque nous avons abordé le comportement des
paysans en général, face aux risques. Un autre facteur important est la sécurité
foncière. En effet, la plantation des cultures pérennes suppose un accès au foncier
sur une période suffisamment longue.

238
Gestion stratégique et choix des investissements

Encadré 14.2. Investissement dans les cultures pérennes au Sud-Ouest du


Cameroun
Bénédicte CHAMBON
Dans les exploitations hévéicoles du Sud-Ouest du Cameroun, la décision d’investir dans
des cultures pérennes repose sur de nombreux facteurs.
Certaines phases du cycle de vie de l’exploitation sont favorables aux cultures pérennes.
Tout d’abord à l’installation du chef d’exploitation dans le village (jeunes de retour au
village, après avoir arrêté leurs études ou tenté de gagner leur vie à la ville ; personnes
plus âgées, originaires ou non du village, qui ont décidé de s’y établir), le paysan
commence alors par accumuler le capital nécessaire (achat du foncier) avant de planter.
La deuxième phase favorable est celle de la consolidation et du renouvellement du
capital productif en fonction des moyens humains et financiers disponibles. Le vieillisse-
ment des plantations et la baisse de production qui en résulte déclenchent de nouvelles
plantations. La troisième phase correspond à la reprise de l’exploitation, alors que les
plantations stagnent depuis plusieurs années, par exemple par un fils de retour au village.
Il installe des plantations et exploite celle de son père et est ainsi assuré d’en bénéficier
pleinement puisque le revenu revient de droit à celui qui a créé la plantation.
La décision de plantation répond au besoin d’obtenir une source de revenu élevé et
durable et de satisfaire les besoins de la famille. Elle est souvent associée à la perspec-
tive de fonder une famille, particulièrement lorsque la surface en cultures pérennes est
encore limitée. Les plantations représentent aussi une sorte d’assurance-vie, un capital à
céder aux enfants, ou encore un capital pour la retraite des paysans et des non-paysans
d’origine rurale.
Développer une plantation exige un investissement monétaire important (autofinance-
ment ou financement externe). Les paysans se servent généralement des capitaux épar-
gnés provenant des revenus agricoles (cultures vivrières commercialisées, plantations
matures) ou non-agricoles (salaire agricole ou non-agricole, métayage). Le capital néces-
saire à la plantation varie fortement selon la culture choisie et le matériel végétal utilisé
(156 000 à 614 000 FCFA/ha, d’après Plaza, 2002). L’investissement en capital peut être
remplacé, en partie, par un investissement en travail. Mais certaines pratiques paysannes
limitent l’investissement en capital, pourtant nécessaire, ce qui risque souvent de péna-
liser la productivité de la plantation. Les financements externes comprennent des crédits
accordés par les projets de développement (aide ponctuelle et coût de crédit élevé), des
emprunts à des villageois (famille, amis, acheteurs de la production) ou aux tontines
(taux d’intérêt élevé, somme limitée). Globalement, les possibilités de financement
externe sont peu nombreuses et peu adaptées à l’investissement dans les cultures
pérennes.
Plusieurs facteurs socio-économiques interviennent, notamment l’incertitude sur les
marchés, la sécurité foncière et les incitations des organismes de développement. Les
producteurs réagissent fortement aux fluctuations des cours des matières premières. Un
prix à la hausse incite à créer une plantation, un prix bas sur plusieurs années encourage
de nouvelles plantations en particulier si le revenu de l’exploitation dépend d’une seule
spéculation. Ainsi, la diversification des cultures pérennes et des débouchés est un des
moyens mis en œuvre par les paysans pour se prémunir contre des variations futures des
prix (Ruf, 2000).Cependant, investir dans les cultures pérennes suppose une certaine
sécurité foncière, car il faut compter trois à sept ans pour l’entrée en production.
Enfin, les incitations matérielles et l’appui technique des organismes de développement
comptent dans la décision des paysans, comme les programmes Fonader (Fond national
de développement rural) pour l’hévéa et le palmier à huile. Plus récemment, la création
de plantations a été encouragée par l’accès au matériel végétal sélectionné.

239
Chapitre 15
Gestion technique
de la production agricole
Isabelle MICHEL -DOUNIAS, Bertrand MATHIEU et Patrick DUGUÉ

L’agriculteur combine plusieurs catégories de décisions selon différents pas de temps


(chapitre 13) : des décisions stratégiques à long terme ; des décisions tactiques à
caractère cyclique (répétées à chaque campagne agricole, elles concernent la conduite
technique des productions, la mobilisation et la répartition des ressources productives
de l’exploitation entre les différentes activités et opérations de production à réaliser) ;
des décisions pour la mise en œuvre au jour le jour ou décisions courantes. Les déci-
sions techniques qui vont être développées dans ce chapitre regroupent les décisions
tactiques et de mise en œuvre (Aubry et Michel-Dounias, 2006).
Les décisions techniques sont bien sûr fortement conditionnées par les choix straté-
giques, et, inversement, les décisions prises lors de la campagne agricole peuvent avoir
des conséquences à long terme et remettre en cause les décisions stratégiques initiales.
Cependant, les orientations stratégiques ne sont pas remises en cause en permanence
par l’agriculteur, et nous considérerons le cadre stratégique comme fixe, à un moment
donné. Les décisions prises par le chef d’exploitation peuvent aussi interférer avec des
décisions prises collectivement dans un bassin versant ou dans un territoire agro-
pastoral lorsque l’agriculteur utilise des ressources communes – par exemple, dans le
cas de la mise en valeur d’un bas-fond ou encore de la vaine pâture des résidus de
culture (chapitres 17, 21 et 23). Après avoir présenté certains concepts clés utilisés pour
l’analyse des décisions techniques dans l’exploitation, nous décrirons comment les agri-
culteurs prennent leurs décisions individuellement pour gérer la conduite des cultures
annuelles et les ressources fourragères afin d’alimenter leur bétail en saison sèche. Les
situations étudiées concernent la région des savanes du Nord Cameroun.

 Cadre de représentation des décisions techniques


prises par les agriculteurs
Souhaitant contribuer à l’amélioration des systèmes techniques de production, les
agronomes ont longtemps privilégié la conception de techniques innovantes par

241
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

l’expérimentation en station ou en parcelles paysannes. En Afrique subsaharienne,


à partir des années 1950, ces démarches expérimentales ont accompagné le dévelop-
pement des filières de production. Elles ont abouti à des recommandations norma-
tives et sectorielles, spécialisées par production, très utiles pour les agriculteurs qui
ont pu mettre en place de nouvelles productions (cotonnier, cultures maraîchères,
élevage de monogastriques). Rapidement, les limites de cette approche normative
ont été constatées, avec des écarts fréquents entre les préconisations et les pratiques
de l’agriculteur qui gère un ensemble de productions (plusieurs cultures, différents
types d’élevage) en fonction de ses capacités d’intervention définies par la main-
d’œuvre familiale, l’équipement et la trésorerie qui sert à rétribuer de la main-
d’œuvre additionnelle ou à acheter des intrants.

Pourquoi analyser les décisions techniques


dans l’exploitation agricole ?
La compréhension des conditions dans lesquelles les agriculteurs exercent leurs
activités est apparue comme un préalable indispensable à l’élaboration de nouvelles
techniques, point de départ dans les années 1970 de nouveaux courants de
recherche portant sur l’analyse des pratiques des agriculteurs. Les pratiques sont
considérées comme un résultat observable, visualisable, d’une intention de faire
– elle-même fonction des objectifs de l’agriculteur –, dans un contexte de
contraintes et d’opportunités. De nombreux travaux de recherche ont porté sur
l’analyse de la diversité des pratiques, en lien avec celle des exploitations agricoles
(Milleville, 1987 ; Landais et Deffontaines, 1990), et ont abouti à la construction de
typologies d’exploitations agricoles.
Si l’analyse des pratiques que l’agriculteur a déjà réalisées permet de déterminer
certaines contraintes rencontrées, cette démarche s’avère cependant insuffisante
pour appréhender l’ensemble des possibilités qui se présentent à chaque instant, et
les raisons qui amènent à faire un choix parmi ces possibilités (Sebillotte et Soler,
1990). Or les connaissances relatives aux fondements de l’action de l’agriculteur se
révèlent indispensables pour conseiller les agriculteurs sur des problèmes
complexes tels que l’organisation du travail nécessaire à la conduite de productions
dans l’exploitation, et pour guider la conception de nouvelles pratiques. L’analyse
des processus de décision qui sont à l’origine des pratiques s’est donc imposée aux
agronomes au début des années 80, et s’est inspirée des travaux théoriques dans
d’autres disciplines (sociologie, psychologie, ergonomie, sciences de gestion) et
dans d’autres secteurs d’activités (industrie, administration).

Un concept clef pour formaliser les décisions techniques :


le modèle d’action
Les décisions qui ont un caractère répétitif pour chaque campagne agricole, comme
la conduite des cultures annuelles ou la mobilisation de la ressource en travail,
permettent aux agriculteurs, avec l’expérience, d’élaborer implicitement un
programme prévisionnel. En effet, les agriculteurs ne prennent pas leurs décisions
au dernier moment, mais au contraire prévoient et anticipent. Il est possible de

242
Gestion technique de la production agricole

formaliser l’ensemble des connaissances et des raisonnements que chacun d’eux


utilise pour conduire ses cultures sur le territoire de son exploitation et faire face
aux aléas du climat. La première formalisation proposée, le modèle d’action, se
réfère à des objectifs à atteindre, à un plan d’action prévisionnel et à un corps de
règles de décision liées.
D’après Sebillotte et Soler (1990), le modèle d’action se compose :
– d’un ou plusieurs objectifs généraux qui définissent le terme vers lequel convergent
les décisions de l’agriculteur ;
– d’un programme prévisionnel et des états-objectifs intermédiaires qui définissent
des points de passage obligés et des moments où l’agriculteur pourra faire des bilans
en vue de « mesurer » où il en est de la réalisation de ses objectifs généraux. Se trou-
vent ainsi fixés les indicateurs qui serviront aux décisions ;
– d’un corps de règles qui, en fonction d’un champ d’événements futurs perçus
comme possibles par l’agriculteur, définit pour chaque étape du programme la
nature des décisions à prendre pour parvenir au déroulement souhaité des opéra-
tions et la nature des solutions de rechange à mettre en œuvre si, à certains
moments, ce déroulement souhaité n’est pas réalisable.
Les différentes catégories de règles de décisions utilisées se rapportent à l’organisa-
tion des travaux des champs. Elles concernent notamment l’allocation des moyens
de travail, le déclenchement et l’enchaînement des différentes opérations, l’arbi-
trage entre des opérations concomitantes et la gestion des intrants (Papy, 2001). La
combinaison de ces règles aboutit à un déroulement prévisionnel des travaux. Les
observations de faisabilité, prenant en compte le contexte réel de travail, expliquent
les conditions de la réalisation effective des opérations prévues. Des solutions de
rechange ou des ajustements sont décidés par l’agriculteur face aux aléas clima-
tiques et à des difficultés imprévues. On peut ainsi dégager ce qui, dans le mode de
conduite, relève de choix techniques anticipés et ce qui relève d’ajustements.
L’élaboration du modèle d’action suppose des entretiens détaillés au cours desquels
l’agriculteur est mis en situation de décision. Cela nécessite aussi des suivis de
pratiques afin de pouvoir confronter ce que l’agriculteur a prévu à ce qu’il a fait.
Ce cadre général d’analyse des processus de décision des agriculteurs a été adopté
pour représenter et analyser de façon plus fine des décisions techniques portant sur
différents objets dans l’exploitation, constituant autant d’entrées pertinentes utilisées
en fonction des situations étudiées :
– la gestion d’une sole de culture annuelle (ensemble des parcelles portant une
même culture une même année) ;
– la gestion des troupeaux ;
– la gestion des ressources productives, à répartir entre cultures et troupeaux, et
entre parcelles d’une sole et entre lots d’animaux.
Les ressources productives comprennent la terre – en référence aux décisions de
choix d’assolement pour les cultures, déterminant leur surface dans l’exploitation,
leur localisation, et leur succession au cours du temps – , l’équipement et la main-
d’œuvre (organisation du travail), les intrants et l’eau d’irrigation, la gestion des
biomasses fourragères (issues de parcelles cultivées ou des parcours, stockées ou
consommées par les troupeaux in situ). Dans l’exploitation agricole, les ressources

243
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

productives sont forcément limitées, leur usage conduit à l’interdépendance des


processus de production dans l’exploitation (Papy, 2001). Par exemple, la façon dont
les ressources en main-d’œuvre et en équipement sont affectées dans une exploita-
tion détermine la réalisation des différentes opérations culturales, et influe sur la
conduite des soles et des parcelles. De même, les décisions d’assolement et de
conduite des cultures affectent la constitution du système fourrager pour les trou-
peaux. En retour, l’utilisation de la fumure animale produite dans l’exploitation
influe sur la gestion des engrais pour les cultures, et plus largement, sur leur
conduite et leur localisation.

 Exemples de gestion dans le Nord Cameroun


Trois objets de gestion sont présentés ci-après et se rapportent à la région du Nord
du Cameroun (figure 15.1).
• Cas d’une sole de culture de contre-saison, le sorgho repiqué muskuwaari. Il s’agit
d’une monoculture complexe, à calendrier décalé, conduite quasiment indépen-
damment des autres productions de l’exploitation agricole.
• Cas d’une sole de culture pluviale, où le cotonnier est en interaction avec une diver-
sité de cultures mobilisant différents acteurs, nécessitant l’analyse de l’organisation
du travail dans l’exploitation.
• Cas de la complémentation alimentaire des bovins en saison sèche qui nécessite de
constituer au préalable des stocks fourragers puis de les gérer durant cette saison.
Les méthodes d’analyse ont été largement inspirées de travaux réalisés dans d’au-
tres contextes : par Aubry et al. (1998) pour la sole d’une culture ; Chatelin et
Mousset (1997) pour l’organisation du travail ; Ingrand et al. (1993), Duru et al.
(1995), Girard et Hubert (1999) pour l’élevage et les systèmes fourragers.

Gestion technique d’une sole de culture de contre-saison,


le sorgho repiqué (Muskuwaari)
Dans le bassin du lac Tchad (10°4 N., 14°2 O.), les terres argileuses plus ou moins
inondables et difficilement cultivables en saison des pluies sont valorisées par la
culture du sorgho repiqué de saison sèche. La plante, appelée muskuwaari en
langue peule dans le Nord Cameroun, est repiquée en septembre-octobre et accom-
plit son cycle à partir des réserves en eau accumulées dans ces sols. À l’échelle du
territoire villageois, la culture est localisée à l’intérieur de soles collectives (appe-
lées karal, pl. kare) correspondant aux terres argileuses, essentiellement des verti-
sols. Ces vastes superficies constituent des unités paysagères bien délimitées où la
plupart des arbres sont éliminés pour limiter les dégâts d’oiseaux granivores. Le
karal désigne également une surface d’un seul tenant que possède un agriculteur à
l’intérieur d’une sole collective pour y cultiver le sorgho repiqué (Mathieu, 2005).

Calendrier cultural : préparation des pépinières et repiquage


Afin d’utiliser au mieux la réserve en eau du sol, le repiquage a lieu dès que l’état
hydrique du sol le permet. Un élément clé de la réussite de la culture est de parvenir

244
Gestion technique de la production agricole

a d
Tch
Lac

400

12 °N

500 mm

600

Limite Nord
Mont Maroua
Mandana 700

NIGER
800
Mayo-Louti
Limite de Province

Limite Sud Pitoa


Garoua
900 9 °N

Ngong

Poli 1 000

1 200
Touboro

Limite nord et sud du bassin cotonnier

Figure 15.1. Localisation de la zone d’étude dans le Nord du Cameroun et du bassin cotonnier.

à coordonner la préparation des plants élevés en pépinières sans irrigation et le


repiquage qui doit être effectué dans des conditions favorables sur des sols variés
dans l’ensemble des parcelles de l’agriculteur, dans les conditions aléatoires de la fin
de saison des pluies.
Pour un type de sol donné, le créneau de réalisation du repiquage est court (10 à
20 jours selon le sol et la pluviométrie) et difficilement prévisible puisque l’agri-
culteur ne sait pas, a priori, quand s’achève la saison des pluies. Si le sol est trop
humide ou qu’une forte pluie intervient juste après la transplantation, les plants
pourrissent. Si le repiquage est retardé, l’horizon supérieur du sol déjà sec empêche
l’enracinement ce qui provoque la mort du plant.

245
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

La préparation des parcelles comprend généralement le fauchage puis le brûlage de


la végétation herbacée et arbustive qui s’est développée pendant la saison des pluies.
Pour le repiquage, la trouaison s’effectue à l’aide d’un plantoir (grand morceau de
bois pourvu d’une pointe en fer), puis généralement deux plants sont placés par trou
et l’on remplit d’eau. La densité de repiquage est volontairement faible (environ
10 000 plants / ha) pour limiter la concurrence pour l’eau. Ces opérations sont
longues et doivent s’enchaîner rapidement pour valoriser au mieux l’humidité du sol.
Pour faire face à ces problèmes, les agriculteurs suivent tous les mêmes règles géné-
rales de conduite de la culture. Les semis en pépinière sont échelonnés dans le temps
à partir du mois d’août, afin de disposer de plants à un stade favorable au repiquage
tout au long de la période de plantation. Compte tenu de la lenteur des opérations,
l’implantation d’une grande superficie de sorgho repiqué avec une main-d’œuvre
forcément limitée n’est possible qu’en utilisant les gradients de type de vertisol et de
topographie, entre les kare, mais aussi à l’intérieur d’un karal à l’échelle d’une
surface équivalente à un demi ou un quart d’hectare. Les agriculteurs s’appuient sur
cette hétérogénéité intra et interparcellaire pour étaler la période de plantation, en
débutant par les portions de terre qui s’assèchent le plus vite. Ils acquièrent ainsi une
connaissance fine de leur karal, découpé en parcelles selon la topographie et la
nature du sol. Si la période d’intervention est très courte, ils ont souvent recours à
des manœuvres saisonniers si la main-d’œuvre familiale est insuffisante, et plus
récemment au traitement herbicide au cours de la préparation du sol.
Malgré la difficulté de planifier précisément les opérations culturales en raison de
la date incertaine de la fin de la saison des pluies, les agriculteurs établissent impli-
citement un programme prévisionnel pour le déclenchement et l’enchaînement des
semis et des opérations d’implantation. À partir de l’analyse de leurs raisonnements
confrontée au suivi des pratiques pour un échantillon d’exploitations, ces règles de
décision ont été mises en évidence, elles révèlent une part importante de règles
d’ajustement pour faire face aux aléas climatiques.
Des grands types de gestion des semis et de l’implantation de la sole à muskuwaari
ont été distingués, notamment en fonction des ressources productives des exploita-
tions (main-d’œuvre, équipement, surface et nature des terres à muskuwaari)
(Mathieu, 2005).
Concernant la production de plants en pépinière, les agriculteurs combinent, à des
niveaux variables, l’échelonnement des semis et la diversité des types de sol et des
variétés dans différents emplacements afin d’étaler leur approvisionnement en
plants. Les agriculteurs les plus prévoyants respectent souvent une date précise
pour la réalisation du premier semis, issue de l’analyse fréquentielle empirique des
pluies, afin de s’assurer une production de plants même en cas d’interruption
précoce des pluies, tout en ménageant le stock de semences pour les pépinières
suivantes. Ils font ensuite varier l’installation des pépinières dans le temps et dans
l’espace pour sécuriser la disponibilité en plants quel que soit le scénario climatique,
d’autant plus si les surfaces à repiquer sont importantes et hétérogènes.
Mais beaucoup d’agriculteurs adoptent une gestion simplifiée des semis en réalisant
deux à trois grandes pépinières et en ajustant les semis à la pluviométrie de fin de
saison des pluies, ce qui explique que le nombre de pépinières et les surfaces semées
sont très variables selon le climat de l’année. Cette organisation, moins exigeante en

246
Gestion technique de la production agricole

travail, peut convenir lorsque les surfaces cultivées sont assez faibles (inférieures à
2 ha), mais l’agriculteur s’expose à des risques plus élevés de déficit hydrique ou de
pénurie de plants liés à un accident climatique.

Ressources productives, emploi d’un herbicide total


Pour la conduite de l’implantation, les parcelles sont repiquées dans un ordre précis,
mais variable selon le scénario climatique. Deux grands types de modèles d’action
ont été identifiés selon la capacité de l’agriculteur à mener en même temps les chan-
tiers de préparation et de repiquage pour l’implantation de la sole.
Ainsi, les ressources productives apparaissent essentielles pour le raisonnement de la
conduite. Dans un cas, l’agriculteur dispose de peu de main-d’œuvre et d’une super-
ficie relativement réduite, il réalise donc une seule opération à la fois (préparation du
terrain puis repiquage), parcelle par parcelle, en s’appuyant au mieux sur l’hétérogé-
néité édaphique de son karal pour repiquer au meilleur moment du point de vue de
l’humidité du sol. Dans un autre cas, l’agriculteur choisit, pour aller plus vite si néces-
saire, de conduire en même temps les opérations de préparation du terrain et de repi-
quage. Pour cela, il répartit la main-d’œuvre familiale dans les différents chantiers et
décide d’employer des manœuvres salariés. Ce mode de conduite se révèle systéma-
tique dans les grandes exploitations où l’importance des surfaces repiquées (au
minimum 2 ha) exige une exécution rapide des différents chantiers. Mais cette orga-
nisation peut aussi constituer une règle d’ajustement pour accélérer l’implantation en
cas de dessèchement rapide du karal ou de retards dans l’avancement des travaux
d’abord engagés parcelle par parcelle. Compte tenu de l’importance des ajustements
dans la conduite du karal, il n’y a donc pas d’appartenance stricte d’une exploitation
à l’un ou l’autre des deux grands types de modèles d’action mis en évidence.
L’utilisation croissante d’un herbicide total (glyphosate) pour la préparation du
terrain entraîne une évolution des règles de décision pour la conduite du musku-
waari. L’emploi d’herbicide total se justifie pour la maîtrise d’adventices vivaces,
mais aussi pour accélérer et sécuriser l’implantation, en particulier lors des années
les plus sèches où les parcelles doivent être rapidement nettoyées compte tenu de
la dessiccation rapide du sol.
Face à la généralisation de cette technique, l’analyse des processus de décision offre
une représentation commune de la conduite technique du sorgho repiqué, permet-
tant de discuter avec les agriculteurs de l’adaptation du traitement pour une utilisa-
tion la plus modérée possible de l’herbicide. Les règles de décision relatives à la
localisation du traitement et au dosage ont ainsi été précisées en valorisant les
savoir-faire liés à l’enchaînement des travaux d’implantation en fonction de l’hété-
rogénéité des milieux cultivés. Cette démarche a enrichi le contenu du conseil et a
renforcé les processus d’apprentissage de gestion technico-économique du sorgho
repiqué, en plus de l’accompagnement du changement technique.

Organisation du travail et conduite technique d’une sole


de culture pluviale dans les exploitations cotonnières
Dans le bassin de la Bénoué (9°2 N., 13°23 O.), la majorité des agriculteurs sont
essentiellement des producteurs de coton, seule culture dont la filière organisée

247
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

garantit l’achat de toute la production, donc procure un revenu régulier, et permet,


en plus, de bénéficier de l’attribution de crédits de campagne pour les intrants
(engrais, pesticides). Malgré un encadrement agricole normatif qui vise des niveaux
de production élevés, on observe une forte diversité des conduites techniques du
cotonnier, se traduisant par une importante variabilité des rendements obtenus
(de 0 à 2,7 tonnes par hectare de coton-graine), la même année, souvent au sein
d’une même exploitation. Ces pratiques sont déterminées par des règles de décision
très diverses selon les agriculteurs. Cependant, il est possible de comprendre ces
processus de décision et de les formaliser.

Interaction entre acteurs et cultures de l’exploitation agricole


En situation de faible artificialisation du milieu, les exploitations agricoles mobilisent
fortement la famille pour des opérations manuelles lourdes, tels les sarclages, les
semis, tout en utilisant des attelages pour le labour. Dans cette région d’accueil de
paysans immigrants, les ressources productives des exploitations sont contrastées. On
rencontre des exploitations ayant une faible main-d’œuvre familiale sans attelage en
propriété et peu de foncier, et des exploitations avec une main-d’œuvre nombreuse
et diversifiée mobilisant plusieurs unités d’attelage et travaillant de grandes superfi-
cies. Comme dans la plupart des situations de cultures pluviales africaines, les exploi-
tations agricoles sont composées de plusieurs acteurs (au minimum le chef de
famille, les épouses, les enfants) qui gèrent différents ensembles de parcelles.
Or la grande majorité des systèmes de culture comprend simultanément quatre
grandes cultures pluviales, le cotonnier, le maïs, l’arachide (souvent culture des
épouses) et le sorgho dont les durées de cycle sont proches1. La saison des pluies
s’étale environ sur six mois (d’avril à octobre), avec un cumul moyen annuel de
1 000 mm. Mais les pluies sont réparties de façon très irrégulière, elles sont néan-
moins suffisamment abondantes pour favoriser l’enherbement des parcelles.
Comme dans la plupart des zones de savanes soudano-sahéliennes en Afrique, le
système agricole de la région est assujetti à un facteur rare qui est le temps dispo-
nible, soit pour semer si les pluies démarrent tardivement, soit pour sarcler si les
pluies sont précoces, et, souvent, les deux situations se conjuguent (Milleville,
1998). Cette tension exacerbe les conflits entre les différents travaux culturaux à
mener : préparation du sol avant semis2, semis et sarclage en début de cycle. Les
décisions techniques ne se prennent pas à l’échelle de la parcelle, ni même de la sole
d’une culture, mais pour l’ensemble des parcelles de tous les membres de l’exploi-
tation agricole, sans oublier les autres activités (dont l’élevage), et les échanges de
main-d’œuvre et d’équipement avec d’autres exploitations agricoles (importance de
l’entraide en Afrique).

1. Le niébé est fréquemment associé aux quatre cultures principales. De plus, le sorgho et l’arachide sont
parfois conduits en association. Par souci de simplification, nous nous limitons dans la suite du texte à
citer, pour une parcelle donnée, le peuplement cultivé dominant qui structure les décisions de conduite
en début de saison des pluies. De même, nous ne distinguons pas dans nos propos les différentes variétés
en présence.
2. Sur des sols à dominante sableuse (ferrugineux sur grès) et en l’absence d’apport généralisé de fumure
organique, la préparation du sol avant le semis (labour dans la plupart des cas) a pour objectif principal
un premier désherbage.

248
Gestion technique de la production agricole

Pour analyser les modes de conduite du coton, l’accent a été mis sur les décisions
prises par le chef de famille, principal producteur de coton et principal décideur
pendant la phase d’installation des cultures. Cependant, l’organisation du travail de
toute l’exploitation est prise en compte, notamment les règles sociales qui lient les
différents acteurs en présence, les décisions techniques cotonnières sont donc
appréhendées en interaction avec les autres cultures et avec les autres membres de
l’exploitation (Dounias, 1998 ; Dounias et al., 2002).

Le cotonnier dans l’organisation du travail


en début de saison des pluies
En fonction de ses objectifs et de ceux de sa famille (alimentation, accumulation de
revenus…), des moyens dont il dispose (foncier, équipement, main-d’œuvre), ainsi
que de sa connaissance des plantes qu’il cultive et du milieu qu’il exploite (climat,
sols, dynamique des adventices…), l’agriculteur définit un plan prévisionnel d’ins-
tallation des principales productions en négociant avec les autres membres de son
exploitation.
Les superficies à semer sont déterminées à l’avance, au moins dans les grandes
lignes, et aussi l’ordre des semis et les techniques à mettre en œuvre. En général, le
sorgho est semé en premier, puis l’arachide (avec l’enchaînement à respecter :
d’abord le semis des cultures du chef d’exploitation, puis celles des épouses), puis le
cotonnier et en dernier le maïs. Semé dès la première pluie utile (c’est-à-dire à
partir du 20 avril, après une pluie d’au moins 20 mm), le sorgho est semé générale-
ment sans labour. Pour les autres cultures, des divergences peuvent apparaître selon
les années et selon les agriculteurs. Si l’arrivée des pluies est précoce et si celles-ci
sont régulières, les parcelles sont généralement labourées avant d’être semées, ce
qui est faisable quand le sol est mouillé à plus de 20 cm de profondeur, permettant
ainsi une lutte plus efficace contre l’enherbement. En cas de pluies tardives, avec
une pression moindre des adventices, les semis sont effectués sans labour, du moins
pour les parcelles d’arachide, afin de gagner du temps. L’ordre des semis peut même
être modifié selon les priorités que fixe l’agriculteur, une partie de la surface en
cotonnier peut être semée, éventuellement sans labour, avant les parcelles d’ara-
chide, – celles des épouses le plus souvent –, qui sont alors labourées pour lutter
efficacement contre un enherbement déjà envahissant.
À partir de l’héritage de ses aînés, mais aussi en fonction de son expérience et des
échanges avec les autres, l’agriculteur se forge ainsi progressivement et implicitement
des règles qui constituent son plan prévisionnel d’action. Ses prévisions incluent
toujours d’autres solutions en fonction des événements de l’année qui risquent de se
produire (décalage du début des pluies, pousse rapide des adventices, fatigue des
animaux de trait…), et les agriculteurs se fondent sur des indicateurs (retard des
pluies, profondeur d’humectation des sols, développement des adventices…) pour
juger de la situation et guider leur action. Les prévisions comportent une certaine
souplesse, l’anticipation laissant toujours une part aux adaptations nécessaires face
aux fortes irrégularités du climat et aux difficultés imprévues, comme par exemple
l’enherbement trop rapide de l’ensemble du parcellaire qui nécessite le recours à un
appoint de main-d’œuvre pour les sarclages (salariat ou entraide), voire qui entraîne
l’abandon de la culture en cas de contraintes économiques trop fortes.

249
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Bien que se dessinent de grandes logiques partagées par tous les agriculteurs qui
sont confrontés à des conditions agro-climatiques similaires (ordre habituel des
semis des différentes cultures, semis direct adapté aux tous premiers semis…),
plusieurs types de modèle d’action ont été identifiés ; ils révèlent une diversité d’ob-
jectifs et de priorités. Ainsi, les agriculteurs arbitrent le choix entre le cotonnier et
les autres cultures en cas de difficulté de réalisation des semis et des sarclages ; ils
décident des modalités de réalisation prévues (labour, semis direct…) et de la diffé-
renciation plus ou moins poussée des parcelles au sein de la sole cotonnière (une
partie seulement peut être semée prioritairement sur l’arachide avec des modalités
d’implantation différentes). Ces différents modèles d’action sont très liés au niveau
des ressources productives présentes dans l’exploitation agricole.

Prise risque dans les décisions techniques


Dans le cadre de ses objectifs, l’agriculteur planifie ses interventions et celles des
autres actifs à partir des moyens en travail disponibles dans l’exploitation ou acces-
sibles par ailleurs, et des alternatives et des ajustements envisageables en cas de
difficulté. Ce faisant, il fixe implicitement des niveaux de risques qu’il juge accepta-
bles pour les conditions et les facteurs limitants qui influent sur le développement
du cotonnier et des autres espèces cultivées.
Par exemple, parmi les exploitations sans attelage, qui sont les plus nombreuses,
certains agriculteurs labourent systématiquement avant de semer le cotonnier, d’au-
tres non. Il existe de nombreuses modalités d’accès à un attelage pour les agricul-
teurs qui n’en sont pas propriétaires : sous forme d’emprunt auprès d’un membre
de la famille, en échange de travail ou d’argent, avec ou sans crédit… Et selon les
modalités, le temps d’attente n’est pas le même, les délais les plus importants sont
subis par ceux qui louent l’attelage à crédit.
Les agriculteurs qui ont la possibilité de prévoir un labour bénéficient souvent d’une
entraide, notamment familiale, ainsi des jeunes s’installent à proximité d’un aîné qui
possède un équipement, des agriculteurs âgés encore indépendants sont aidés par
leurs fils. D’ailleurs, ces exploitations ont des superficies totales importantes par
rapport à la faible main-d’œuvre familiale, le labour permet de limiter la durée de
sarclage, tout en retardant cette opération. Cette stratégie correspond bien à la
volonté d’acquérir du foncier chez les plus jeunes et de conserver la terre chez les
plus âgés. De plus, prévoir le labour de la sole cotonnière avec la garantie qu’il ne
sera pas trop tardif permet d’assurer les semis précoces des cultures jugées priori-
taires comme le sorgho et l’arachide (notamment les parcelles d’arachide des
épouses) avant ceux du cotonnier.
Inversement, d’autres agriculteurs concentrent leurs efforts et ceux de leur famille
sur des superficies totales plus réduites et ont des objectifs de rendement plus élevés
pour le coton. Il est alors possible d’effectuer un semis direct de la plupart des
cultures, dont le cotonnier semé en priorité par rapport à l’arachide. Par contre, ces
agriculteurs prévoient une parcelle de cotonnier supplémentaire, hors attribution de
crédits de campagne, semée après labour quand c’est possible, et qui garantit un
surplus de production même s’il est faible. Ces agriculteurs prennent des risques très
élevés, car selon les conditions pluviométriques de l’année et le précédent cultural,
la stratégie de semer directement le cotonnier peut se révéler hasardeuse sans

250
Gestion technique de la production agricole

emploi d’herbicides en raison du risque de salissement trop rapide des parcelles. La


nécessité de labourer oblige à louer un attelage et attendre qu’il soit disponible.
On remarque la variabilité interannuelle très forte des dates de semis des premières
séquences de cotonnier, du semis très tôt (semis direct possible) au semis très tardif
(attente d’un attelage car nécessité d’un labour). De même, le recours important au
semis direct rend plus difficile le contrôle des adventices, malgré la priorité donnée
au sarclage du cotonnier (avant les autres cultures), d’où l’observation d’une
variabilité de la maîtrise du désherbage selon les parcelles et les années.
Parmi les propriétaires d’attelage, on observe différents cas selon les superficies totales
cultivées en fonction de l’équipement et de la main-d’œuvre disponibles. Parmi ceux
qui poursuivent une stratégie de conquête foncière, certains prennent le risque d’être
débordés certaines années et reportent ce risque sur le cotonnier, ils obtiennent alors
des résultats variables selon les années, ils planifient un labour systématique pour de
grandes superficies cotonnières mais qui n’est pas réalisé en priorité. D’autres s’organi-
sent de manière à assurer des semis et des sarclages à temps, quelles que soient les
conditions de l’année, planifiant aussi bien du semis direct que du labour selon les
caractéristiques des parcelles destinées au coton, travaillant celle avec labour en prio-
rité, quitte à modifier l’enchaînement des semis des différentes cultures et des parcelles.

Une trajectoire type


Plus généralement, nous pouvons replacer ces différents types de comportement
des agriculteurs, caractérisés par des objectifs et des prises de risques spécifiques,
dans la constitution au cours du temps des ressources productives de l’exploitation
agricole. Du fait des conditions de succession et d’installation, les jeunes débutent
en général sans attelage, avec au mieux quelques parcelles données par le père. La
trajectoire la plus classiquement observée dans les zones cotonnières, si toutes les
conditions sont réunies est la suivante :
– à l’installation, avec peu de ressources en travail, se mettent en place des systèmes de
culture cotonniers extensifs, mobilisant fortement la traction animale via l’entraide ;
– avec l’agrandissement de la famille et l’acquisition de l’attelage, on assiste à une
période d’intensification de la conduite cotonnière, avec des exigences de rende-
ment plus fortes et des règles de conduite différentes, en général plus diversifiées ;
– ensuite, de manière à anticiper l’installation des fils, lancement d’une stratégie de
conquête foncière ;
– puis, après une phase de déclin qui s’accompagne souvent de la perte de l’attelage,
retour à une situation proche de celle du début.
Certains agriculteurs, plus isolés et moins bien insérés socialement, ne parviennent
pas à acquérir l’attelage, ils travaillent sur de petites superficies relativement à la
taille de la famille et développent des activités secondaires.
Les enquêtes montrent également que les décisions techniques ne sont pas remises
en question brutalement, les nouveaux projets sont issus des anciens. En cas de chan-
gements structurels temporaires non prévus dans l’exploitation agricole (par
exemple la perte accidentelle d’animaux d’attelage avant le démarrage de la
campagne agricole), les décisions techniques sont peu modifiées ; seuls interviennent
des ajustements en termes de superficie totale cultivée.

251
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Cette façon d’appréhender les situations des exploitations agricoles permet de


comprendre la diversité des comportements techniques à une échelle régionale et
leur logique d’évolution dans le temps. De plus, l’identification des modèles d’ac-
tion permet de cerner la variabilité des pratiques entre les parcelles d’une même
sole, et entre les années, et d’affiner le conseil technique, comme par exemple
raisonner l’utilisation d’herbicides avec certains types d’agriculteurs pour certaines
parcelles et certaines années.

Gestion de la complémentation alimentaire des bovins


en zone cotonnière du Cameroun dans le bassin de la Bénoué
En Afrique sahélienne et soudanienne, l’élevage était surtout le fait des sociétés
pastorales peules qui alimentaient leurs troupeaux à partir de parcours naturels.
L’introduction de la culture attelée a amené les agriculteurs1 à s’intéresser à l’élevage
des bovins ; le développement des cultures pour la vente (cotonnier, arachide,
igname, maïs…) leur a procuré des revenus réinvestis en partie dans l’élevage. En
effet, en l’absence d’un marché foncier agricole, cette forme d’épargne sur pied a
souvent été préférée à l’épargne bancaire ou à la constitution d’un capital immobilier.
Ces agriculteurs peuvent soit confier leur bétail à un éleveur peul, soit le gérer eux-
mêmes, l’alimentation repose alors sur le pâturage de parcours naturels et sur la
vaine pâture des résidus de culture au champ (Dugué et al., 2004). Cependant, l’ac-
croissement des effectifs de bovins dans certaines régions (zones cotonnières, péri-
phérie des périmètres irrigués aménagés de l’Office du Niger au Mali) a engendré
une pression de plus en plus forte sur les ressources fourragères, par conséquent des
tensions, voire localement des conflits entre agriculteurs, agro-éleveurs et éleveurs
pour l’accès à ces ressources.

Utilisation des fourrages pour l’alimentation en saison sèche


Une analyse des pratiques d’élevage a été menée chez des agro-éleveurs produc-
teurs de coton au Cameroun en se focalisant sur la gestion des ressources fourra-
gères (Dugué, 1998a). Comme pour les études précédentes, les concepts de modèle
d’action et de système fourrager ont été adoptés (Lelandais, 1996).
Le système fourrager d’une exploitation agricole est l’ensemble des moyens de
production, des techniques et des processus mis en place sur un territoire pour
assurer la correspondance entre un ou des systèmes de culture, et un ou plusieurs
systèmes d’élevage, et inclut l’utilisation des aliments achetés et des pâturages natu-
rels (figure 15.2). L’analyse des systèmes fourragers nécessite de travailler à l’interface
des processus biologiques végétaux et animaux qui ont des dynamiques différentes
dans l’espace et dans le temps, et d’étudier s’ils sont en adéquation, tout en intégrant
les décisions des agriculteurs qui régissent ces processus (Duru et al., 1988).
Dans le cas du Nord Cameroun, le bétail des exploitations des producteurs de coton
(en général 2 à 10 bovins et une dizaine de petits ruminants) est nourrit en grande

1. Sauf pour quelques sociétés agro-pastorales comme les Sereer (Sénégal) et les Toupouri (Cameroun) qui
avaient développé des systèmes de polyculture élevage bovin bien avant l’introduction de la culture attelée.

252
Gestion technique de la production agricole

Systèmes Systèmes
de culture d’élevage

Besoins des
SC1
Constitution lots d’animaux
Transformation Fourrage des rations = calendrier
SC2 Stockage disponible et distribution fourrager
par système
SC3 d’élevage
Parcours

naturels

Achats
hors exploitation

Figure 15.2. Les éléments d’un système fourrager (d’après Lelandais, 1996).

partie par le pâturage. En saison sèche, la vaine pâture assure jusqu’à 70 % des
besoins en matière sèche du bétail, surtout pour les petits effectifs qui sont en perma-
nence dans le terroir agropastoral villageois (Dugué, 1998a). En saison des pluies,
l’alimentation provient en très grande partie des parcours naturels, la complémenta-
tion1 est alors réservée aux animaux de trait les jours de travail. Les agro-éleveurs
doivent prévoir une complémentation alimentaire de leur bétail surtout durant la
deuxième moitié de la saison sèche (février-mai) lorsque les ressources fourragères
se raréfient dans les champs comme sur les parcours naturels.
Les pratiques de complémentation ont été étudiées dans deux villages (Ourolabo et
Héri, tableaux 15.1 et 15.2, figure 15.1) entre 1994 et 1996, montrant la faible part de
résidus de culture récoltés et stockés par les agro-éleveurs en vue d’affourager le
bétail en saison sèche. Environ 10 % des résidus fourragers sont stockés, le reste est
laissé au champ pour la vaine pâture ; la culture la plus concernée est le niébé qui
fournit en fin de saison des pluies une fane de bonne qualité fourragère. Les fanes
d’arachide sont peu utilisées dans la mesure où cette culture est récoltée en
septembre avant la fin des pluies et que la majeure partie des fanes pourrit au champ.

Tableau 15.1. Suivi des pratiques de complémentation à Ourolabo et Héri (Dugué,


1999). Taux moyen de collecte des résidus fourrager pour les exploitations.
Résidus de culture Taux de collecte des résidus dans deux villages
(% de la production disponible)
Ourolabo Héri
Fane d’arachide 10 4
Fane de niébé 18 16
Paille de maïs 4 0
Repousse de sorgho (fourrage) 70 100
Ensemble des résidus fourrager 10 17

1. La complémentation correspond à toutes les pratiques d’affourragement et d’alimentation du bétail,


généralement apportée sur le lieu de repos nocturne, ce qui nécessite récolte, transport, stockage ou
achat de d’aliments : résidus de culture, cultures fourragères, sous-produits agro-industriels (tourteaux
d’huilerie) ou artisanaux (drêche de bière traditionnelle, son de céréales).

253
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 15.2. Suivi des pratiques de complémentation à Ourolabo et Héri (Dugué,


1999). Quantités moyennes d’aliments concentrés utilisées par exploitation durant
la saison sèche 1995-1996 en kilos de matière sèche et fréquence d’utilisation.
Compléments Quantités (kg MS) relevées dans les exploitations
de deux villages (fréquence d’utilisation)
Ourolabo (11 exploitations) Héri (9 exploitations)
Tourteau de coton 207 (8/11) 220 (6/9)
Drêche de bière de sorgho 135 (9/11) 95 (4/9)
(Matière sèche)
Son de maïs 57 (5/11) 0
Autres aliments
pain de céréale 7 (1/11) 0
épis de céréale 7 (5/11) 15 (7/9)

Ainsi, le stockage de résidus pailleux correspondait en moyenne en 1995 à 31 kg de


matière sèche par UBT en saison sèche dans les exploitations d’agro-éleveurs
étudiées dans le village d’Héri, et à 76 kg à Ourolabo, ce qui représente respective-
ment 5 et 12 jours de consommation de matière sèche par UBT1.
Par contre, les aliments concentrés (tourteau de coton, drêche, son et grains de
céréales) occupent une place plus importante dans l’alimentation du bétail en
saison sèche, surtout pour les apports de matière azotée digestible (MAD). La
moitié des exploitations enquêtées couvrent plus de 50 % des besoins en MAD de
leur bétail pour cette période en apportant ces aliments concentrés. Le tourteau de
coton joue un rôle central en fournissant près des deux tiers de MAD de la ration
apportée aux ruminants le soir ou le matin dans les parcs et les étables.

Modèle d’action et évolution du système (culture et élevage)


L’analyse de ces pratiques a été rendue possible par un suivi hebdomadaire de la
complémentation et par la quantification des stocks fourragers et des aliments
concentrés. L’utilisation du concept de modèle d’action a été difficile, car les agro-
éleveurs commencent seulement à complémenter de façon régulière (chaque
année) l’alimentation du bétail. Ils n’ont donc pas pu se forger une expérience dans
ce domaine, et encore moins un plan d’action prévisionnel avec les règles de déci-
sion associées.
Seul l’achat de tourteau de coton est planifié en fonction du nombre de bovins à
nourrir en saison sèche. Cette planification est d’autant plus facile à réaliser que le
tourteau est livré à crédit au village par la société cotonnière, et doit être commandé
par les producteurs dès le mois de novembre. Pour les autres types d’aliments du bétail,
on observe plutôt des comportements opportunistes en fonction de la disponibilité en

1. Dongmo (chapitre 23) observe en 2002 pour Ourolabo une complémentation à base de résidus de
culture un peu supérieure, de l’ordre de 140 kg de matière sèche /UBT en saison sèche (21 jours de
consommation de matière sèche). Cela peut s’expliquer par une plus forte pression sur les ressources
fourragères à cette saison, en raison de l’augmentation continue des effectifs de bovin dans ce village
depuis 1995.

254
Gestion technique de la production agricole

temps de travail au moment des récoltes, de la proximité des parcelles disposant de


résidus fourragers de qualité, etc. La constitution des stocks fourragers est donc assez
aléatoire et peut varier du simple au double selon les années (figure 15.3).
Cette variabilité n’est pas seulement le fait des agro-éleveurs, mais dépend de la
pression exercée par les éleveurs transhumants en début de période de vaine pâture.
Leur troupeau, dont l’effectif peut varier de 50 à 200 bovins, peut consommer très
rapidement la production de résidus fourragers d’une parcelle de maïs de quelques
hectares. À ce jour, pour une majorité d’agro-éleveurs, les systèmes d’alimentation
du bétail (pâturage et complémentation) interfèrent peu avec la conduite des
systèmes de culture.
Cependant, les choses évoluent. En effet, face aux contraintes liées à la vaine pâture,
à la variabilité de plus en plus forte de la date de livraison du tourteau de coton, et
plus globalement à la raréfaction des ressources fourragères, les agro-éleveurs déve-
loppent de nouvelles stratégies pour sécuriser l’alimentation du bétail en saison sèche.
Si la plupart ont recours à la transhumance, certains innovent en introduisant des
cultures fourragères, en général en dérobée après la culture de maïs. Le sorgho
koïdawa et le niébé rampant ou « niébé cheval » sont deux cultures locales, préfé-
rées aux cultures fourragères exotiques proposées par la recherche comme Mucuna
pruriens par exemple. Ces agro-éleveurs, encore peu nombreux, construisent un
système fourrager en modifiant les systèmes de culture à base de maïs.

Dernière pluie et Fin Livraison Première pluie


début des récoltes des récoltes tourteau utîle

Oct. Nov. Déc. Janv. Février Mars Avril Mai

Pâture dirigée Début de vaine Pousse


(résidus) pâture Herbe

Alimentation au pâturage
(parcours + vaine pâture + arbres)

Stockage des résidus Alimentation sur stock résidus

Alimentation à base de concentrés

Besoins de complémentation

Temps
Variabilité temporelle des différentes phases

Figure 15.3. Eléments pour le raisonnement d’un système d’alimentation du bétail.

255
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Il apparaît alors pertinent de les aider à planifier les besoins fourragers en fonction
d’objectifs zootechniques, et d’évaluer les conséquences de cette planification sur la
conduite des systèmes de culture, c’est-à-dire de mettre au point un modèle d’ac-
tion. L’aide à la décision doit intégrer d’une part les capacités des producteurs à
s’approvisionner en aliments concentrés (coût et période d’achat du tourteau de
coton, disponibilité en aliments concentrés dans le village et sur les marchés envi-
ronnants), et d’autre part les aléas climatiques (retard des pluies et de la pousse de
l’herbe des parcours) et économiques (irrégularité d’approvisionnement en
aliments concentrés) (figure 15.3).

 Perspectives pour le développement agricole


Les chefs d’exploitation sont amenés à gérer des systèmes complexes, généralement
contraints par le temps de travail et la disponibilité en trésorerie.

Utilisation du concept de modèle d’action


Les deux premiers exemples présentés (culture de contre-saison en sorgho musku-
waari, culture cotonnière en interaction avec d’autres cultures) sont en situation
stabilisée, le concept général de modèle d’action est pertinent pour représenter les
capacités de gestion de la production à l’échelle du cycle agricole ou du cycle annuel.
Ces études mettent notamment en évidence les facultés de réponse aux événements,
en infléchissant les modes de conduite en fonction des conditions particulières de
chaque campagne. Ces modes d’action reposent sur des savoir-faire complexes,
permettant par exemple de tirer parti de l’hétérogénéité du karal pour organiser
l’implantation du muskuwaari. Mais, compte tenu de l’importance du risque et de
l’incertitude dans ces agricultures à dominante manuelle, les comportements tech-
niques procèdent aussi bien de l’adaptation que de l’anticipation, ainsi que l’avaient
déjà souligné Biarnès et Milleville (1998). Plus les agriculteurs sont confrontés à des
situations difficilement contrôlables, plus la part des ajustements augmente dans le
modèle d’action, comme le démontrent les producteurs de muskuwaari, contraints
par la difficulté de prévoir la fin de la saison des pluies pour caler leurs interventions
culturales.

Aide à la décision
L’aide à la décision des agriculteurs ne peut pas se concevoir uniquement à partir de
références techniques normatives comme une date de semis, une dose de fertilisant,
une ration alimentaire, même si ces références sont utiles au raisonnement. En effet,
les décisions des agriculteurs ne se prennent pas uniquement à partir de la conduite
des états du milieu, du peuplement végétal d’une parcelle ou d’un ensemble d’ani-
maux. Fortement déterminées par la gestion globale de ressources productives dans
l’exploitation agricole, les décisions s’inscrivent dans des ensembles organisés qui
dépassent la parcelle ou le lot d’animaux. D’après Milleville (1998), ce qui est obser-
vable à une échelle réduite résulte pour partie de compromis et d’arbitrages réalisés
à des niveaux plus englobants : l’exemple du muskuwaari désigne la sole comme

256
Gestion technique de la production agricole

unité pertinente de gestion technique ; pour la culture cotonnière, c’est l’ensemble


des parcelles de l’exploitation, en distinguant les surfaces gérées par chaque attribu-
taire. Ce qui nous amène à souligner une autre particularité des exploitations afri-
caines : le rôle primordial de l’organisation du travail, ressource rare et complexe, car
constituée et partagée par plusieurs acteurs, liés par un ensemble de règles sociales
(Milleville, 1998). Elle donne lieu à des arbitrages, révélateurs à la fois de la diver-
sité statutaire des attributaires de parcelles et de la hiérarchie établie entre cultures.
L’analyse des décisions de l’agriculteur relatives à la gestion technique de la produc-
tion, formalisée par le concept de modèle d’action, se traduit par différentes utilisa-
tions concrètes. Elle a montré tout d’abord sa pertinence pour comprendre la
diversité des pratiques des agriculteurs, d’une part, à une échelle régionale en lien
avec les types d’exploitations agricoles, et d’autre part au sein-même de l’exploita-
tion agricole, mettant en évidence la diversité de la production végétale à l’intérieur
d’une sole une même année de culture, ou interannuelle suivant les variations du
climat. Cette compréhension explicite l’origine des facteurs limitant la production
végétale identifiés par la réalisation de diagnostics agronomiques. Elle sert aussi à
orienter les programmes de conception de systèmes de culture et d’élevage, de
façon à tenir compte d’une diversité d’objectifs et de contraintes.

Prévoir des dispositifs d’appui


Ces démarches contribuent également et plus directement à construire des disposi-
tifs d’appui et de conseil aux agriculteurs, qui ne se limitent pas à vulgariser des
techniques, mais qui aident plutôt les agriculteurs à prendre leurs décisions, à mieux
planifier et organiser leurs interventions face aux aléas et incertitudes qu’ils peuvent
rencontrer (chapitre 25).
Dans le cas de l’alimentation du bétail en saison sèche, il s’agit d’accompagner et de
renforcer un processus d’apprentissage, en aidant les agro-éleveurs à distinguer les
périodes critiques pour l’alimentation du bétail et à identifier des stratégies pour y
faire face.
Dans les cas du muskuwaari et de la culture cotonnière, deux grands types de
conseils découlent de ces démarches. Tout d’abord, à niveau de ressources égal, il
s’agit de chercher à optimiser avec les agriculteurs une organisation et des conduites
techniques via par exemple l’utilisation raisonnée d’herbicides. Ensuite, le conseil a
pour but de réduire l’incertitude que rencontrent certains agriculteurs pour accéder
à l’attelage et à la main-d’œuvre par la mise en place d’association entre des exploi-
tations agricoles différentes, de préparer le départ de certains actifs de la famille ou
au contraire l’agrandissement de l’exploitation, et d’étudier les conséquences sur les
conduites techniques.
Enfin, pour l’utilisation de l’herbicide sur la culture de muskuwaari, un dispositif
original d’expérimentation a été mis en place en milieu paysan. Le test ne porte pas
sur des opérations culturales prédéterminées mais sur de nouvelles règles de déci-
sion, et il est associé à l’analyse des choix techniques d’agriculteurs et à l’évaluation
des effets de ces choix sur le fonctionnement du champ de sorgho. Ce dispositif s’est
révélé très pertinent pour accompagner le changement technique.

257
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Il reste qu’en situation africaine, l’importance de l’éclatement de la décision tech-


nique entre plusieurs exploitations gérant des ressources communes, comme les
ressources fourragères mais aussi l’eau d’irrigation, pose la question de la coordina-
tion entre des décisions individuelles et des décisions collectives. La confrontation
entre décisions individuelles prise à l’échelle de l’exploitation et des décisions
collectives est illustrée dans le chapitre 17 et concerne la gestion du foncier et des
ressources naturelles. Si la modélisation à l’échelle de l’exploitation agricole éclaire
sur les interactions en jeu, les décisions collectives nécessitent des démarches spéci-
fiques aux territoires et aux organisations concernées (Le Gal et Papy, 1998).

258
Chapitre 16
Organisation du travail et gestion
des ressources humaines
Mohamed GAFSI, Emmanuel M’BÉTID-BESSANE et Koye DJONDANG

Vu la faible utilisation de la mécanisation et des nouvelles technologies dans l’agri-


culture africaine, le facteur travail, notamment le travail physique, occupe une place
essentielle dans l’activité agricole. Il est souvent le facteur limitant dans les exploi-
tations agricoles familiales (chapitre 22). Par conséquent, son organisation et son
efficacité représentent des éléments clés dans la gestion des exploitations. À l’instar
des évolutions de la fonction de gestion des ressources humaines constatées au
cours des dernières décennies dans les entreprises en général, la gestion du travail
ne comprend pas seulement la dimension quantitative (nombres d’actifs, salaires,
mesures de productivité, etc.), mais aussi des aspects qualitatifs (organisation,
formation, compétences, savoir-faire, etc.). La notion de capital humain (Becker,
1975) recouvre bien l’ensemble de ces dimensions.
Les objectifs de ce chapitre sont les suivants : comprendre les pratiques d’organisa-
tion et de gestion du travail dans les exploitations familiales, présenter des méthodes
pour analyser et améliorer la gestion du travail, et montrer l’importance du capital
humain comme facteur d’efficacité et de performance des exploitations familiales.

 Organisation du travail dans les exploitations familiales


Dans les exploitations agricoles familiales africaines, l’essentiel du travail, voire sa tota-
lité, est fourni par les membres de la famille. Cette caractéristique a un certain nombre
de conséquences quant à l’importance de la taille de la famille, aux modalités de répar-
tition et d’organisation du travail et aux modes de mobilisation de la main-d’œuvre.

Taille de la famille et force de travail agricole


Dans les exploitations africaines, et surtout dans les terroirs où il y a peu de pression
foncière, la quantité du travail fournie par la famille détermine le niveau d’activité, en

259
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

termes de surface cultivée des exploitations de cultures ou de nombre de têtes de bétail


de celles d’élevage. Par ailleurs, dans les exploitations de cultures, la traction animale
et le niveau d’équipement jouent également un rôle déterminant dans le niveau d’ac-
tivité. La taille et la composition de la famille, en particulier le nombre des membres
de la famille en âge de travailler, déterminent fortement le volume d’activité et par
conséquent la taille de l’exploitation. Dans la zone cotonnière de la République centra-
fricaine, Mbétid-Bessane (2002) a montré que la surface cultivée par exploitation est
directement proportionnelle au nombre d’actifs familiaux, avec un coefficient de 0,75.
Il en résulte que les exploitations d’Afrique centrale, très souvent composées de struc-
tures familiales nucléaires, ont une plus petite surface exploitée que celles d’Afrique
de l’Ouest fondées plutôt sur des structures familiales plus larges (Djondang, 2003).

Organisation du travail et répartition des activités


Le travail est défini par les composantes familiales, ce qui a pour conséquence une
modalité d’organisation fondée généralement sur une répartition des activités selon
le sexe.
Les hommes défrichent de nouvelles parcelles, travaillent dans les champs et s’oc-
cupent de la commercialisation des cultures de rente. Ils pratiquent aussi des acti-
vités de pêche, de cueillette, etc., ou de service (commerce, transport, etc.). Les
femmes travaillent dans les champs avec les hommes (principalement lors des
semis, du sarclage et de la récolte), s’occupent du transport, de la transformation et
de la commercialisation des produits (de l’agriculture, de la pêche ou de la
cueillette). La répartition du travail s’effectue selon la nature de la tâche, l’effort
physique qu’elle exige (le défrichement et la préparation du sol comme le buttage
sont du ressort des hommes, par exemple) et aussi selon la nature de l’activité et le
type de culture. Dans les exploitations d’Afrique centrale, la culture cotonnière et
l’élevage sont des activités à dominante masculine et les cultures vivrières sont à
dominante féminine (tableau 16.1).
Tableau 16.1. Importance du temps de travail (%) par activité et par sexe.
Répartition par sexe Activités
Cotonnier Cultures Élevage Apiculture Activités para-agricoles
vivrières (chasse, pêche, cueillette)
Hommes = 100 55 20 4 7 14
Femmes = 100 10 77 1 0 12
Source : Mbétid-Bessane, 2002.

La suprématie masculine sur la production principale (comme le cotonnier, l’élevage,


l’arachide, le riz, etc.) s’explique par la volonté de gagner un revenu monétaire permet-
tant de couvrir les grosses dépenses (investissements, mariage, fêtes, dépenses de soin)
et d’augmenter le capital de l’exploitation (achat d’animaux, par exemple). La prédo-
minance féminine sur les cultures vivrières et les plantes à sauce résulte de la mission
de gestion des besoins alimentaires de la famille qui incombe à la femme. Cette moda-
lité d’organisation se traduit par la coexistence dans la même exploitation des champs
collectifs sous la responsabilité du chef de famille et des champs individuels, propres

260
Organisation du travail et gestion des resources humaines

aux femmes ou aux enfants (les dépendants d’une façon générale). Mais dans une
logique de cohérence, tous les moyens de l’exploitation, provenant des champs indivi-
duels comme du champ collectif, sont utilisés pour couvrir les besoins alimentaires de
la famille et atteindre les autres objectifs du groupe familial. D’ailleurs, nous avons
constaté que, dans la très grande majorité des cas, les décisions à prendre concernant
le foncier (en termes de localisation des champs et de superficie à emblaver pendant
la campagne agricole) sont raisonnées globalement dans la famille.

Mobilisation de la main-d’œuvre
Comme nous l’avons souligné, la force de travail des exploitations agricoles est
essentiellement familiale. Toutefois, le manque de main-d’œuvre familiale lors des
périodes de pointe au cours de la campagne agricole rend nécessaire le recours à
une force de travail extérieure. Plusieurs types de main-d’œuvre viennent compléter
le travail familial : le salariat, les invitations, l’entraide.
Le recours au salariat n’est pas exceptionnel et s’est accru rapidement ces dernières
années avec la progression de l’intégration de l’agriculture familiale au marché. Les
producteurs aisés préfèrent généralement payer un salarié à la journée ou à la tâche
plutôt que de recourir à d’autres modes plus traditionnels comme l’invitation. Selon
eux, cela revient plus cher, mais le travail est bien fait. Le salarié est rémunéré en
espèces ou en nature, notamment en produits vivriers ou animaux. L’échange en
nature le plus pratiqué se fait en céréales (Djondang, 2003). Une autre forme
d’échange en nature consiste pour le demandeur de la traction animale à envoyer
un ou plusieurs actifs travailler dans les champs du propriétaire de la traction
animale pendant un ou plusieurs jours et en retour le propriétaire envoie l’attelage
travailler sur l’exploitation du locataire selon les clauses du bail.
L’invitation combine deux aspects : travail et festivité. Elle est fondée sur le principe
de la réciprocité et, de ce fait, est gérée par des normes sociales strictes. L’exploitant
invitant lance son invitation et prépare pour tous ceux qui viennent, hommes et
femmes, un repas et des boissons locales. Cela nécessite donc des dépenses et par
conséquent des moyens financiers. Les agriculteurs démunis empruntent pour
pouvoir réaliser une invitation et remboursent l’emprunt au moment du paiement
des récoltes. Certains producteurs disposent des moyens financiers suffisants pour
procéder à plusieurs invitations au cours de la campagne.
Enfin, les producteurs qui ne sont pas en mesure de recourir à l’invitation ou au
salariat sont ceux qui ne disposent pas d’une épargne en bétail ou qui sont dans une
situation de précarité financière. Pour faire face au déficit de la main-d’œuvre, ils
développent les pratiques d’entraide qui revêtent aussi un caractère de réciprocité.
Cette forme de travail sans rémunération monétaire consiste en l’échange de travail
avec les autres producteurs ou en un coup de main des amis, de la belle-famille, des
parents, etc.
L’importance des différentes formes de recours à la main-d’œuvre extérieure
dépend du type d’exploitation. Les grandes exploitations ont beaucoup plus recours
au salariat, forme moderne de recours à la main-d’œuvre extérieure. Les exploita-
tions intermédiaires, quant à elles, ont plus recours à l’invitation et enfin les petites
exploitations utilisent surtout l’entraide (Mbétid-Bessane, 2002).

261
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

 Méthode d’analyse de la gestion du travail


En agriculture, la question de l’organisation et de la gestion quantitative du travail
butte souvent sur le problème de la mesure du temps de travail (Jégouzo et al.,
1989 ; Lacroix et Mollard, 1991). En effet, on peut s’interroger, d’une part sur
l’intérêt de ces mesures vu leur coût, et d’autre part sur la faisabilité de telles
mesures, en raison du caractère familial du travail agricole (difficulté de dissocier
temps professionnel et temps domestique) et de sa forte variabilité dans le temps
(en lien avec la nature des processus biologiques sur lesquels il porte).

Calendrier et bilan du travail


Des recherches dans les domaines de l’économie, de l’agronomie et de l’ergonomie,
ont étudié finement des temps de travaux, en ciblant un chantier ou des opérations
techniques bien précises et en utilisant des chronométrages des tâches élémentaires
et des outils informatiques de simulation. D’autres recherches ont privilégié une
approche plus globale de l’exploitation avec une évaluation moins exhaustive des
temps de travaux. Elles ont formalisé des méthodes d’analyse et de gestion du travail
sans recourir à des mesures quantitatives détaillées. Les méthodes les plus reconnues
et les plus utilisées sont celle du calendrier de travail, – issues des travaux de Reboul
conduits dans les années 60 (Reboul, 1964, 1984) –, et la méthode du bilan de travail
– formalisée plus récemment par des chercheurs de l’Inra Theix et de l’Institut de
l’élevage (Dedieu et al., 1993). Nous présenterons dans la suite la méthode du calen-
drier de travail qui semble être plus générale, et a été par conséquent appliquée à des
exploitations africaines (Cochet et al., 2002 ; Mbétid-Bessane, 2002). En partant des
mêmes principes, la méthode du bilan de travail développe un peu plus l’analyse du
travail en proposant une structuration des types de travaux et des ressources de
main-d’œuvre ; bien qu’elle semble convenir plus spécifiquement aux exploitations
d’élevage, elle peut être appliquée à d’autres types d’exploitation.
La méthode du calendrier du travail, comme d’ailleurs la méthode du bilan de
travail, repose sur l’établissement d’une comparaison entre les besoins totaux en
travail pour chaque période de la campagne agricole et le volume de travail dispo-
nible. Le but du calendrier est de prévoir ou d’évaluer les équilibres entre l’offre et
le besoin de travail. En effet, ce calendrier permet d’identifier les pointes de travail
et les déficits pour lesquels il serait (ou aurait été) nécessaire de prévoir des solu-
tions de main-d’œuvre extérieure.

Méthode d’établissement du calendrier de travail


Nous présentons la méthode de la détermination des besoins de travail et du
volume du travail disponible.

Estimation des besoins en travail


Les besoins de travail sont évalués à partir d’une estimation non-exhaustive des
temps de travaux nécessaires pour l’ensemble des opérations à effectuer pour
mener à bien l’ensemble d’une production (de culture ou d’élevage). Il faut donc

262
Organisation du travail et gestion des resources humaines

envisager une description détaillée des différents processus techniques pour chaque
production dans l’exploitation et ne pas oublier de prendre en compte toutes les
opérations postrécolte, comme le transport des récoltes et parfois des résidus,
l’utilisation des résidus de culture, le séchage, le décorticage éventuel des récoltes,
ainsi que les transformations préalables à la vente ou à la consommation.
Dans une perspective plus globale, on peut inclure les activités non-agricoles du
groupe familial afin d’améliorer le raisonnement de l’organisation et des différents
arbitrages concernant l’allocation de la ressource de travail familial.
L’estimation des temps de travaux n’est pas standardisée. Elle peut varier d’une
exploitation à l’autre et, particulièrement dans les exploitations africaines, elle
dépend fortement du degré d’équipement. L’analyse des différents processus tech-
niques permet donc d’apprécier les besoins quantitatifs de travail pour chaque
période de la campagne agricole et d’identifier les périodes de pointe.
On distingue les travaux d’élevage (traite, gardiennage, soin…) qui sont en général
non différables et relativement réguliers ; les travaux des cultures plus saisonniers
qui dépendent beaucoup des conditions climatiques ; les travaux généraux souvent
irréguliers et saisonniers qui comprennent l’entretien des bâtiments, la commercia-
lisation, la cueillette, la pêche et les travaux non-agricoles.
Pour estimer les besoins du travail dans les exploitations africaines, l’ordre de gran-
deur utilisé est la journée de travail, car il est bien adapté principalement aux
travaux de cultures. Il est cependant très flexible ; il peut varier, pour les exploita-
tions centrafricaines, selon les saisons de 4,5 à 10 heures par journée durant la
campagne agricole (Mbétid-Bessane, 2002). Les travaux d’élevage nécessitent un
ordre de grandeur fondé sur l’heure de travail. Dans l’optique d’un calendrier pour
l’ensemble de l’exploitation, il faut veiller à la cohérence des unités de mesure.

Volume de travail disponible


Le volume de travail disponible est calculé à partir du nombre d’actifs familiaux
travaillant principalement sur l’exploitation agricole. Le nombre d’actifs est multi-
plié par le nombre de jours disponibles, pour chaque période de la campagne, pour
obtenir la quantité potentielle de travail. Par simplification et dans le cas des exploi-
tations africaines, tous les actifs sont comptés de la même manière : une journée de
travail d’une femme ou d’un grand fils est égale à une journée de travail d’un
homme. La notion de jours disponibles est importante.
Il faut en fait enlever, pour une période donnée, les jours où on ne peut pas
travailler pour des raisons météorologiques, les jours de fête ou non-travaillés pour
d’autres raisons spécifiques aux coutumes sociales locales.
Notons que le calendrier de travail porte généralement sur l’ensemble des activités
de l’exploitation. Il peut, toutefois, être détaillé pour une production, un ensemble
de productions (cultures, par exemple) ou un actif. Le tableau 16.2 et la figure 16.1
montrent un exemple d’application de la méthode du calendrier de travail dans une
exploitation agricole centrafricaine (Mbétid-Bessane, 2002) représentative d’un
groupe issu de la typologie réalisée par l’auteur. Ce qui est important est la
démarche méthodologique pour la réalisation du calendrier du travail et non pas le
résultat en tant que tel.

263
Tableau 16.2. Répartition dans l’année des travaux agricoles et détermination des principales périodes de travaux.

264
Mois Janv. Févr. Mars(1) Avril Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.
Arachide Labour Semis Sarclage Sarclage Récolte
(0,50 ha) 30 h 28 h 240 h 270 h 100 h
Maïs Labour Semis Sarclage Sarclage Récolte
(0,50 ha) 30 h 28 h 240 h 270 h 100 h
Manioc Bouturage Sarclage Sarclage
(1,00 ha) 100 h 200 h 160 h
Sorgho Labour Semis Sarclage Sarclage Sarclage Récolte
(0,25 ha) 40 h 45 h 200 h 200 h 160 h 50 h
Coton Défrichage Déssouchage Labour Semis Sarclage Sarclage Sarclage Récolte Récolte
(0,75 ha) 40 h 315 h 64 h 90 h 500 h 500 h 400 h 80 h 80 h
Engrai Phytosan Engrais Phytosan
90 h 50 h 100 h 50 h
Phytosan
50 h
Périodes I II III IV V VI
Total travaux de cultures par période 471 h 1 349 h 1 050 h 1 820 h 210 h
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Nombre de jours par période 80 j 41 j 61 j 31 j 61 j 91 j


% jours disponibles 69 % 81 % 88 % 83 % 30 %
Jours disponibles par période 28 j 50 j 28 j 51 j 28 j
Besoins par jour disponible pour culture 16 h 45 27 h 37 h 30 35 h 45 7 h 30
Besoins par jour pour récolte manioc 3h 3h 3h 2h 2h 2h
Besoins par jour pour élevage 1h 1 h 30 1 h 30 1h 1h 0 h 30
Besoins par jour pour para-agricole(2) 2h 2h 1h 1h 1h 1h
Total besoins de travail par jour disponible 6h 23 h 15 32 h 30 41 h 30 39 h 45 11 h
Temps de travail familial 15 h 21 h 25 h 30 30 h 25 h 30 18 h
par jour disponible (3 actifs)
(1) Les travaux ont lieu première quinzaine de mars. (2) para-agricole : cueillette, chasse, pêche.
Organisation du travail et gestion des resources humaines

45
Heures de travail par jour disponible

40

35

30

25

20

15

10

0
Janv Févr. Mars Avril Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.

I II III IV V VI
Périodes

Récolte de manioc Élevage Temps de travail familial disponible


Activités para-agricole Cultures

Le calendrier de travail résulte de la projection sur la même figure des besoins et des ressources dispo-
nibles du travail période par période le long d’une campagne agricole. En abscisse, les périodes de la
campagne, en ordonnée, le volume de travail en journées ou en heures de travail. Sur ce calendrier,
on peut mentionner les différents types de travaux.
Figure 16.1. Exemple de calendrier de travail dans les exploitations cotonnières de la République
centrafricaine (tableau 16.2).

Saisonnalité des travaux agricoles


On distingue trois phases de saisonnalité des travaux agricoles dans les exploitations.
Au cours de la première phase, de janvier à mars, la main-d’œuvre disponible dépasse
largement les besoins de travail. Il s’agit de la saison sèche pendant laquelle les acti-
vités de production végétale sont réduites à cause du climat, seules les activités de
production animale et certaines activités telles la chasse, la pêche, etc., sont menées.
Pendant la deuxième phase, d’avril à septembre, le travail familial disponible
n’arrive pas à couvrir le fort besoin de temps de travail, car c’est la saison pluvieuse
qui correspond à la mise en place et à la conduite des cultures. La main-d’œuvre
familiale doit faire face à plusieurs activités et plusieurs travaux en même temps.
C’est vraiment la période de saturation de la main-d’œuvre familiale. Le déficit du
travail familial rend donc nécessaire l’appel à la force de travail extérieure pour
réaliser certains travaux en temps opportun. D’où le recours à la main-d’œuvre
salariée, à l’invitation ou à l’entraide.
Enfin la troisième phase, d’octobre à décembre, correspond à la fin des travaux de
récolte où les besoins de travail redeviennent à nouveau inférieurs aux ressources
disponibles. La plupart des cultures sont récoltées et les producteurs s’adonnent aux
activités de chasse et de cueillette.

265
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

 Renforcer le capital humain


Des améliorations dans l’organisation du travail et dans l’analyse des besoins et des
ressources en main-d’œuvre permettent, certes, d’augmenter les performances des
exploitations agricoles et d’améliorer les conditions de vie des producteurs. Mais
un autre facteur, le capital humain, relevant de la gestion des ressources humaines
joue également un rôle très important dans l’efficacité du travail et la réussite des
exploitations.

Le capital humain
Le capital humain englobe la formation, les compétences, les savoir-faire, etc., et il
n’apparaît pas au premier plan au cours de l’analyse de l’organisation et de la
gestion du travail. Mais les évolutions dans la gestion des ressources humaines et les
avancées de la recherche ont mis l’accent sur l’importance du capital humain dans
la gestion des entreprises en général, et des exploitations agricoles en particulier
(Coutinet, 1999 ; Fafchamps et Quisumbing, 1999 ; Kilpatrick, 2000).
En réalité, depuis Becker (1975) et Schultz (1975), le rôle du capital humain dans
le développement économique a fait l’objet de nombreux travaux. L’accumulation
du capital humain, notamment par la formation et l’apprentissage, peut améliorer
la croissance économique de la même façon que l’accumulation du capital physique
(Appleton et al., 1996). Des études récentes de l’OCDE ont montré que dans les
pays membres, une année supplémentaire d’étude aboutit, en moyenne et à long
terme, à un accroissement de la production par habitant de 4 à 7 % (OCDE, 2001).

Le niveau d’éducation en agriculture


En agriculture, les recherches ont montré que le niveau d’éducation des producteurs
a un effet positif sur la productivité de l’exploitation. Bien que cet effet varie en fonc-
tion des contextes géographiques, globalement, on estime que quatre années d’édu-
cation permettent d’augmenter, à long terme, la production agricole de l’exploitation
de 8 à 10 % (Lockheed et al., 1980 ; Phillips, 1994 ; Weir, 1999). L’éducation peut
améliorer la productivité directement par la qualité du travail réalisé, par la faculté
à s’adapter aux changements (Weir, 1999 ; Gurgand, 2003), et par une disposition
d’esprit propice à adopter des innovations techniques et organisationnelles. Barrett
et al. (2001) ont, par exemple, montré l’importance du niveau d’éducation des rizi-
culteurs ivoiriens dans leur capacité d’adaptation au changement radical lié à la
dévaluation du franc CFA en 1994. L’alphabétisation et le développement des capa-
cités de calcul peuvent aider les producteurs à collecter et à analyser les informations
internes et externes à leur exploitation, à développer une capacité d’anticipation,
nécessaire notamment lors des changements radicaux, et à les sensibiliser aux enjeux
et aux opportunités de la production agricole et des activités non agricoles. Par
conséquent, l’augmentation et la valorisation du capital humain conduisent à amé-
liorer les pratiques techniques et managériales des agriculteurs et à accroître leur
chance de réussite.

266
Organisation du travail et gestion des resources humaines

Formation et apprentissage
Le renforcement du capital humain des exploitations familiales africaines se traduit
concrètement par deux voies : la formation et l’apprentissage (Kilpatrick, 2000).
La formation intègre la scolarisation, mais aussi l’alphabétisation qui est un
problème d’une grande actualité dans le milieu rural de l’Afrique subsaharienne.
En effet, dans ce milieu souvent excentré et dépourvu d’infrastructures, la scolari-
sation est très limitée. Les actions d’accompagnement des producteurs, comme les
actions de conseil aux exploitations, se sont heurtées à la question de l’alphabétisa-
tion (Foy-Sauvage et Rebuffel, 2003 ; Djondang, 2003). En effet, seuls les produc-
teurs alphabétisés peuvent tirer bénéfice de ces actions. Pourtant, des enquêtes
effectuées récemment auprès des groupes d’agriculteurs ou d’éleveurs dans des
contextes différents (Côte d’Ivoire, République centrafricaine, etc.) témoignent de
la forte demande des producteurs d’actions de formation. Ils souhaitent que la
formation leur permette d’accéder à des connaissances utiles tant du point de vue
professionnel que de leurs conditions de vie (Bonnassieux, 2000). D’après ces
enquêtes, les besoins exprimés par les producteurs sont très divers. Ils souhaitent :
– maîtriser la commercialisation des productions ;
– acquérir des connaissances techniques pour, notamment, intensifier les modes de
production et diversifier les sources de revenus dans un contexte de rareté des
ressources ;
– améliorer la santé et la nutrition de la famille ;
– négocier et conduire les démarches administratives ;
– développer les capacités de communication (lecture, écriture, réunions, etc.).
Le renforcement du capital humain passe aussi par des processus d’apprentissage à
partir de l’expérience professionnelle individuelle ou également à partir des expé-
riences collectives dans des dispositifs participatifs associant les paysans, les agents
de développement et les chercheurs (Djamen et al., 2003 ; chapitre 26). Ce genre de
dispositif permet de stimuler la créativité et la capacité d’innovation des producteurs.
L’acquisition de compétences, par une formation formelle ou par un processus
informel d’apprentissage, permet au producteur de gagner et de valoriser un capital
humain, qui s’avère être une ressource nécessaire pour gérer l’exploitation dans un
contexte de changements majeurs (Gafsi, 1999).

267
Chapitre 17
Gestion du foncier
et des ressources naturelles
Patrick DUGUÉ

La production agricole dépend entre autres des aptitudes du milieu à produire.


Celles-ci sont fonction des caractéristiques du climat et des capacités de l’agriculteur
à mobiliser de la main-d’œuvre, des techniques et des intrants (fertilisant, pesticide,
amendement) et à aménager ou à artificialiser le milieu cultivé (aménagement en
courbe de niveau pour limiter l’érosion, mise en place d’un système d’irrigation, etc.).

 Évolution du point de vue des agronomes


Les agronomes ont longtemps restreint la notion de fertilité au diagnostic de l’état du
sol cultivé et ils ont alors privilégié la fertilité chimique du sol facilement repérable
par des analyses (Sebillotte, 1993).

De la gestion de la fertilisation minérale


à la gestion du taux de matière organique
Cette vision a été à l’origine de la diffusion des engrais minéraux qui a fait l’objet
dans les années 1970-1980 de nombreux projets de vulgarisation soutenus par la
FAO en zone tropicale et en particulier en Afrique subsaharienne. L’utilisation des
engrais minéraux et l’abandon progressif de la pratique de la jachère sont à l’origine
des risques d’acidification des sols. La gestion du taux de matière organique du sol
est ainsi apparue primordiale pour le maintien des capacités productives des exploi-
tations agricoles (Piéri, 1989). Plus récemment, les agronomes se sont préoccupés
de la composante biologique des sols, notamment le contrôle des parasites se trou-
vant dans les sols (graines d’adventices, champignons), la préservation de la macro-
faune et de la microfaune du sol – ces derniers jouant un grand rôle dans la
minéralisation de la matière organique, dans la circulation de l’eau à travers
l’horizon cultivé, et dans la structure du sol. Ces derniers points apparaissent très

269
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

importants dans les situations où l’horizon de surface a tendance à se compacter,


phénomène qui accroît notablement les pertes en eau par ruissellement.

Les obstacles à l’approche intégrée de la fertilité du sol


Les recommandations des agronomes privilégiant une approche intégrée des diffé-
rentes composantes de la fertilité du sol n’ont été que partiellement prises en
compte par les agriculteurs africains. Ceux-ci ont toujours préféré les modes de
gestion de la fertilité du sol les moins coûteux financièrement et les moins risqués,
c’est-à-dire le maintien de la pratique de la jachère tant que les ressources foncières
le permettaient. En l’absence de jachère, la gestion de la fertilité du sol des systèmes
de culture continue a rencontré de nombreux obstacles. Les exploitations agricoles
africaines manquent de trésorerie ou n’ont pas accès au crédit pour acheter des
engrais et des amendements, elles ont de faibles disponibilités en fumure organique
car les matières constitutives (fourrage, combustible, matériaux de construction)
sont la plupart du temps déjà utilisées. De plus, le coût du travail de certaines tech-
nologies proposées est élevé (émondage des arbres fertilisants, transport de fumure
et de biomasse végétale, aménagement antiérosif).
Le concept de fertilité du sol apparaît donc à la fois polysémique et peu opérationnel.
Celui de fertilité du milieu est moins réducteur et correspond pour l’agriculture à l’ap-
titude culturale d’un milieu donné combinant caractéristiques du climat (eau, lumière,
température) et fertilité du sol avec ses différentes composantes (physique, chimique,
biologique). La fertilité d’un milieu est en fait fortement conditionnée par les capacités
des agriculteurs à le mettre en valeur et donc aux modes d’organisation collective pour
gérer les territoires, à l’accès aux intrants et donc au crédit, à la force de travail mobi-
lisable et enfin à la possibilité d’utiliser certains outils et équipements (Sebillotte, 1989).
De ce fait, on retient la définition proposée par Pichot (1996) : la fertilité d’un milieu
correspond à l’aptitude à satisfaire durablement les besoins des populations rurales au
travers des systèmes de production et d’aménagement qu’elles mettent en œuvre.

 De la gestion de la fertilité du sol


à la gestion des ressources naturelles
Pour maintenir les capacités productives de son exploitation l’agriculteur doit inter-
venir à différentes échelles.
• À titre individuel et à l’échelle de la parcelle cultivée. Les agriculteurs sont bien
conscients qu’il faille entretenir la fertilité de leurs parcelles par des apports de
fumure, lutter contre l’érosion hydrique, préserver les arbres utiles…, mais ils n’ont
pas toujours les moyens pour intervenir efficacement.
• À un niveau collectif et à l’échelle du territoire de la communauté (village, campe-
ment). Certaines ressources constituent un bien collectif et peuvent être utilisées
par tous les membres de la communauté : les ressources fourragères des parcours
communs, le bois des forêts communautaires mais aussi des produits des parcelles
cultivées comme les résidus de culture en cas de vaine pâture et des produits issus
des parcs arborés.

270
Gestion du foncier et des ressources naturelles

De ce fait, la gestion de la fertilité du milieu dans l’exploitation agricole n’incombe


pas uniquement à son responsable et dépasse ainsi les parcelles mises en culture. Par
exemple, les zones non cultivées sont largement mises à contribution pour alimenter
les troupeaux des exploitations et devraient être gérées de façon à maintenir leur
capacités productives : gestion des parcours par les éleveurs, gestion des ressources
arborées pour conserver l’effet des arbres sur l’entretien de la fertilité du sol, gestion
des feux de brousse pour la chasse, et entretien des parcours pouvant s’embuis-
sonner. Toutes ces pratiques sont indispensables pour préserver par exemple l’effet
améliorant de la jachère arborée et maintenir un élevage productif pourvoyeur de
fumure animale fort utile à l’entretien de la fertilité des zones cultivées.
Pour des raisons historiques et sociales, les sociétés rurales africaines ont voulu
conserver des modes de gestion des ressources naturelles et du foncier dans lesquels
la décision collective avait du poids, de façon à pouvoir assurer une distribution plus
équitable des ressources naturelles entre leurs membres. Dans les situations de
faible pression démographique, ces mécanismes de redistribution et de gestion des
ressources naturelles ont bien fonctionné. Ils apparaissent de moins en moins
adaptés lorsque la population rurale augmente et que la quantité de ressources
naturelles par actif diminue.

 Pratiques de gestion des ressources naturelles


par les exploitants agricoles
Il convient de faire la distinction entre la gestion du foncier qui relève de décisions
stratégiques de l’agriculteur et les pratiques d’entretien de la fertilité du sol qui
dépendent plutôt de décisions prises à l’échelle de la campagne agricole.

La gestion du foncier agricole


En Afrique subsaharienne, la terre était considérée comme un bien de la collectivité
qui choisissait en son sein un gestionnaire (chef de terre) ayant pour fonction de
répartir la terre entre les différentes familles ou lignages présents sur le territoire. Du
fait de l’accroissement de la population rurale, certains agriculteurs ont développé des
stratégies pour maintenir et si possible accroître leur surface cultivable. Un chef d’ex-
ploitation est très souvent amené à étendre sa surface cultivée pour faire face à l’aug-
mentation du nombre de ses enfants, ainsi l’accroissement des charges domestiques
(des besoins de vivres mais aussi des besoins en revenus monétaires supplémentaires)
et l’augmentation de la force de travail de l’exploitation ont fréquemment pour consé-
quence de vouloir cultiver une plus grande surface. L’agriculteur peut aussi chercher
à diversifier les milieux qu’il cultive pour valoriser des opportunités offertes par le
marché (développement de la riziculture et du maraîchage en bas-fond).
Pour atteindre ces objectifs, les chefs d’exploitation utilisent différentes pratiques.
• La location de terre contre un paiement en nature, en espèces ou en travail, est la
pratique la plus courante mais elle n’est généralement pas satisfaisante du point de
vue de la gestion de la fertilité du milieu. En l’absence de contrat explicite garantis-

271
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

sant la location dans la durée (de 5 à 10 ans par exemple), les agriculteurs qui louent
pour une seule campagne agricole n’ont pas intérêt à investir dans l’amélioration et
même dans le maintien de la fertilité des terres.
• L’achat de parcelles agricoles est de plus en plus fréquent mais encore rarement
reconnu dans un cadre légal et officiel. Le prix de la terre reste donc assez faible
(parfois moins de 10 fois le prix de location annuelle) et l’agriculteur acheteur
obtient surtout un droit d’usufruit et il peut lui être difficile de vendre cette terre ou
de la céder à ses descendants. La durée d’utilisation l’encourage toutefois à gérer au
mieux la terre qu’il a achetée.
• L’attribution de terre dans des zones moins soumises à la pression démogra-
phique. Cette stratégie consiste à déplacer toute ou une partie de la force de travail
de l’exploitation soit en périphérie du territoire habituellement mis en valeur (par
la création de nouveaux campements de culture à 10 ou 15 km des anciennes
parcelles), soit en créant une nouvelle exploitation dans une autre région sur des
fronts pionniers (Dugué et al., 2004). Dans ce cas, la terre est facilement attribuée
et la mise en valeur aisée.
Ces pratiques sont conditionnées par les capacités de financement des exploitations
pour louer ou acheter des terres et payer les propriétaires terriens et les intermé-
diaires avant la mise en culture. Les exploitations agricoles bien équipées ou dispo-
sant d’une importante main-d’œuvre peuvent plus facilement louer des terres en
fournissant en contrepartie du travail ou des prestations (labour, traitement des
vergers…). L’acquisition de nouvelles terres est aussi facilitée par la cohésion sociale
existant dans les groupes de paysans migrants. Par exemple, sur les fronts pionniers,
la constitution de nouvelles exploitations s’organise à partir de campements regrou-
pant des paysans issus de la même famille ou de la même région d’origine. La cohé-
sion sociale d’un tel groupe, qui nomme un chef de campement reconnu de tous les
migrants, facilite les négociations avec les propriétaires terriens et le respect des
règles d’attribution et d’exploitation des terres.
Quelle que soit la situation, le chef d’exploitation cherche avant tout à constituer un
domaine foncier qui satisfasse ses objectifs dans la durée et en particulier qui valo-
rise la main-d’œuvre disponible. Cette stratégie entraîne une « course à la terre » et
l’apparition de paysans sans terre qui doivent chaque année louer des terres sans
garantie d’y travailler durablement. Ce phénomène récent en Afrique subsaha-
rienne pourrait s’amplifier à l’avenir, ce qui amènerait cette partie du continent
dans une situation foncière comparable à celle que connait l’Amérique latine depuis
plusieurs décennies.

La gestion des ressources naturelles de l’exploitation


Les agriculteurs disposent d’un ensemble de pratiques et d’indicateurs pour gérer
les ressources naturelles qu’ils utilisent. Cela concerne principalement l’entretien
de la fertilité des terres et la valorisation de l’eau (de pluie ou d’irrigation)
indispensable à la production. Ces pratiques ont fait l’objet de nombreux travaux
qui ont montré que la pression sur le foncier cultivable correspondant à la densité
de population rurale et la disponibilité en eau pour les cultures (tableau 17.1) sont
des éléments déterminants.

272
Gestion du foncier et des ressources naturelles

Tableau 17.1. Déterminants des choix techniques de gestion de la fertilité du milieu,


en fonction de la pluviométrie et de la densité de population.
Densité de Zonage en fonction de la pluviométrie : choix techniques
population rurale
Zone sèche Zone humide
Forte – priorité à la valorisation des eaux – mise en valeur des bas-fonds
> 50 hab. / km2 (pluviales et d’irrigation) – développement des cultures
Aménagement de glacis pérennes garantissant
et de bas-fond un couvert permanent du sol
– forte valorisation de la fumure – association cultures annuelles
animale, utilisation modérée et cultures pérennes
des engrais minéraux
– utilisation des engrais
– réintroduction de l’arbre minéraux et des herbicides
dans les zones cultivées s’ils sont disponibles
Faible – priorité à la valorisation des eaux – priorité à la pratique
< 20 hab. / km2 pluviales dans quelques situations, de la jachère de longue durée
par exemple dans les bas-fonds et déplacement des zones
– pratique de la jachère de longue de culture
durée et déplacement des zones
de culture

Disponibilité en terre cultivable


La disponibilité de surfaces de terre cultivable facilement accessible (espaces en
jachère herbacée ou arborée, forêt…) influence fortement les choix techniques des
agriculteurs. L’alternance de culture et de jachère et l’extension des zones cultivées
sur des espaces jamais mis en valeur sont préférés à toute autre alternative comme
la sédentarisation des systèmes de culture et l’apport de fertilisants. Les paysans
considèrent que la jachère reste la meilleure technique de reconstitution de la ferti-
lité du sol et un moyen efficace de limiter l’enherbement des parcelles cultivées.
Mais la diminution de la durée de la jachère réduit l’efficacité de cette pratique
(encadré 17.1). Et les agriculteurs doivent alors composer avec d’autres techniques,
telles que l’apport d’engrais minéraux et l’application d’herbicides lorsque ces
intrants sont accessibles. Dans le cas contraire, ils sont obligés d’accroître l’investis-
sement en travail pour contrôler l’enherbement afin de sauvegarder les récoltes.
Dès lors que les agriculteurs sont confrontés à une baisse notable de la fertilité du
sol, s’ils disposent de fumure animale et des moyens de transport adéquats, ils valo-
risent bien ce type de fumure. Généralement, la fumure animale ne peut pas couvrir
tous les besoins de fertilisation de l’exploitation sauf chez les agro-éleveurs qui
possèdent un élevage important, c’est-à-dire dont le ratio dépasse 2,5 UBT / ha
cultivé (Dugué, 2000).

Emploi des engrais, agroforesterie


L’utilisation de fertilisants est conditionnée par leur disponibilité, leur prix et les
capacités d’investissement des exploitations. Mais l’agriculteur est aussi très
sensible au risque qu’il prend en recourant à la fumure surtout si elle nécessite un

273
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 17.1. Évolution des pratiques de gestion de la fertilité des terres en


Guinée forestière
Jocelyne DELARUE
La pratique de la jachère de longue durée (plus de 10 ans voire 15 ans) subsiste en Guinée
forestière dans les zones peu peuplées (moins de 15 hab. / km2), par exemple au Nord de
Macenta. Les agriculteurs d’un même village gèrent collectivement un ou plusieurs blocs
de culture où ils regroupent leurs parcelles. Dans ces conditions de bonne fertilité du sol,
ils peuvent cultiver deux années de suite du riz pluvial et réserver la troisième année à
l’arachide ou au manioc.
Baisse de la durée de jachère
Aujourd’hui, dans les zones les plus peuplées en particulier autour de N’Zérékoré,
l’augmentation de la part des terres de versant consacrées aux cultures pérennes conju-
guée à l’accroissement de la population des 20 dernières années a contribué à diminuer
fortement la durée de jachère possible pour le riz pluvial. Selon les villages et les
familles, elle est de 2 à 7 ans. Étant donné que la durée minimale de renouvellement de
la fertilité peut être estimée à 7 ans selon divers auteurs, la reproductibilité du système
de riziculture pluviale sur les versants apparaît comme dorénavant compromise. Hormis
quelques îlots de forêts préservés par des décisions villageoises, ou quelques reliques
forestières sur les sommets, les seuls espaces boisés sont constitués par les plantations
(café principalement) sous couvert arboré. Les friches sont à dominante herbacée de
Chromoleana odorata, qui s’est massivement répandue dans la région à partir du début
des années 90.
Ceux qui disposent de moyens financiers suffisants louent des terres supplémentaires,
sur les versants ou des parcelles de bas-fond, pour maintenir à 4 ans au moins la durée
de jachère de leurs propres parcelles. Certains ne peuvent plus cultiver le riz pluvial tous
les ans, d’autres ne le cultivent plus du tout, en particulier dans les zones de forte densité
de population près de la ville de N’Zérékoré et se contentent de cultiver en bas-fond.
Culture du riz pluvial : facteurs limitants
Le riz pluvial est cultivé durant une année par la majorité des producteurs, suivi éven-
tuellement d’une deuxième année de manioc, de maïs, ou d’arachide pour la vente. Une
partie du bois de la défriche est également vendu par certains agriculteurs proches de
N’Zérékoré, soit en bois de chauffe, soit après une transformation en charbon ce qui
correspond à une exportation d’éléments minéraux et organiques. Les associations cultu-
rales avec le riz sont nombreuses : maïs et manioc, le plus souvent, mais également
gombo, sorgho, petits piments, taro, feuilles diverses. L’utilisation d’engrais minéraux est
marginale du fait de leur prix élevé lié à la dévaluation constante du franc guinéen. La
fumure organique animale (porcs, petit ruminants) n’est disponible qu’en très petite
quantité à cause de l’absence de troupeaux bovins dans cette région. Dans ce contexte,
les agriculteurs misent sur le développement des cultures pérennes en particulier sur le
palmier associé à une plante de couverture (Pueraria phaseolides) et à des apports limités
d’engrais minéraux qui devraient garantir le maintien de la fertilité des plantations.
Beaucoup d’espoir avait été mis dans l’aménagement des bas-fonds pour une riziculture
intensive, mais après quelques années de mise en culture les rendements en riz ont
tendance à stagner voire à diminuer. Différentes hypothèses sont avancées pour expli-
quer cela. Les apports de nutriments sont réduits car le ruissellement venant des glacis
périphériques est limité par l’installation d’un canal périphérique, les aménagements
sont mal entretenus et les doses de fumure minérale sont faibles.
(source : Delarue, 2007)

274
Gestion du foncier et des ressources naturelles

investissement monétaire. L’augmentation des aléas pluviométriques en zone sahé-


lienne (pluviométrie annuelle inférieure à 600 mm) a détourné beaucoup d’agricul-
teurs de l’emploi d’engrais minéraux pour les céréales (mil, sorgho, maïs) car leur
rentabilité est aléatoire. Dans les zones les plus sèches, les paysans préfèrent
réserver la fumure animale pour les cultures irriguées de contre-saison (pomme de
terre) valorisant mieux cette fumure. En zone sahélienne, les agriculteurs ont bien
observé que la fumure (minérale ou organique) favorise le développement végétatif
des céréales ce qui accroît leurs besoins en eau et donc leur sensibilité au stress
hydrique en phase de montaison et de floraison. Cela se confirme par la priorité que
les paysans des zones sèches accordent actuellement aux techniques permettant de
réduire le ruissellement (cordons pierreux) et de mieux valoriser l’eau (aménage-
ment de bas-fond, développement de la petite irrigation...).
L’agroforesterie, qui dans le principe pourrait s’appliquer à toutes les situations
écologiques, n’a pas été mise en œuvre de façon uniforme. La technique de culture
en couloirs s’avère coûteuse en travail (élagage des arbres, épandage des émondes
sur le sol) et occupe beaucoup de surface cultivable. Conçue pour les zones tropi-
cales humides (pluviométrie annuelle supérieure à 1 200 mm) par les agronomes,
cette technique n’a pas été adoptée par les agriculteurs dans ces régions. Les
paysans ont plutôt misé sur des systèmes agroforestiers issus de leurs savoirs tradi-
tionnels. Dans certaines régions de savanes, un regain d’intérêt s’est manifesté pour
la constitution de parcs arborés. Ainsi, au Nord du Cameroun, ont été observées des
pratiques récentes de conservation et d’élevage des jeunes Faidherbia albida malgré
la pression du bétail. En zone forestière, les paysans s’intéressent de plus en plus à
l’association d’essences nobles d’arbres de bois d’œuvre avec les cultures pérennes.
Le manque de main-d’œuvre et le déficit de trésorerie sont fréquents dans les
exploitations et sont un frein à la mise en place d’un programme de fertilisation des
cultures et de gestion de la fertilité des terres conforme aux recommandations des
agronomes. Les exploitants sont donc amenés à faire des choix et à utiliser la quan-
tité de fertilisant dont ils disposent sur les cultures qui en ont le plus besoin (maïs,
cotonnier, pomme de terre) ou sur les zones dont le niveau de fertilité est considéré
comme trop faible (Dugué, 1998b). Pour cela, ils utilisent leurs propres indicateurs
de la fertilité du sol en observant la couleur du sol, l’activité de la macrofaune en
début de saison des pluies et le développement d’adventices.

Valorisation de l’eau pluviale et intervention collective


Par contre, les aménagements de parcelles destinés à mieux valoriser l’eau pluviale
peuvent être étendus à grande échelle et couvrir toute la surface de l’exploitation
sensible au ruissellement. Comme pour les bas-fonds, se pose ensuite la question de
l’entretien et de la pérennité des aménagements. L’exemple de la réalisation et de
l’entretien de ce type d’aménagement renvoie une fois de plus à la nécessité d’une
coordination entre les agriculteurs exposés aux mêmes problèmes. La gestion de la
fertilité d’une parcelle en bas-fond aménagé ne peut pas se concevoir sans l’inter-
vention de tous les agriculteurs cultivant dans ce bas-fond (entretien du drain prin-
cipal et des canaux d’amenée de l’eau…). Il en est de même lorsque l’érosion
ravinante a fait son apparition dans un glacis cultivé et qu’une intervention collec-
tive s’avère nécessaire. Ces modes de gestion collective sont fréquents lorsque tous

275
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

les agriculteurs y trouvent leur compte, ce qui se traduit assez rapidement par un
accroissement de la surface cultivée ou mieux des rendements. En revanche, les
communautés d’agriculteurs et d’éleveurs ont beaucoup de mal à faire face collec-
tivement à une baisse de fertilité du milieu et à la dégradation des ressources natu-
relles (parcours, forêts...) appartenant à la communauté et relevant de l’action
collective (Ostrom, 1999).

 Démarches de conseil, illustration


dans le cas des zones cotonnières
Pendant longtemps, les services de vulgarisation se sont contentés d’apporter un
conseil pour la fertilisation des cultures en recommandant pour chacune d’elles une
dose d’engrais minéral. Ce conseil se faisait sans tenir compte de la diversité des sols
et surtout des capacités de financement des exploitations. Il est vrai que jusque dans
les années 1980-1990, l’acquisition des engrais était encore facile (subvention,
crédit, système public d’approvisionnement). Actuellement, la pratique de la
jachère ne pouvant plus se maintenir dans la mesure où les campagnes continuent
à se peupler, il devient urgent de proposer aux exploitants des méthodes d’appui
et de conseil pour la gestion des ressources naturelles et particulièrement de la
fertilité du sol.
Les agriculteurs et la recherche ont mis au point diverses techniques de restauration
et d’entretien de la fertilité du sol s’appuyant le plus possible sur les ressources faci-
lement mobilisables dans les exploitations et les terroirs villageois (biomasse végé-
tale, animaux, travail disponible en saison sèche). De nombreux projets ont promu
des méthodes de gestion des ressources naturelles impliquant une mobilisation indi-
viduelle (le paysan dans ses parcelles) mais aussi une mobilisation collective souvent
difficile à organiser (gestion des conflits entre agriculture et élevage, gestion de
l’eau de ruissellement et aménagement collectif des ravines et des bassins versants,
contrôle des feux de brousse). Nous aborderons uniquement ici les expériences de
conseil pour la gestion de la fertilité du sol à l’échelle de l’exploitation qui concer-
nent principalement les zones cotonnières. Ces expériences ont été conduites au
Bénin par les chercheurs de l’Inrab et du Kit, au Mali par l’IER et le Kit, au
Cameroun par l’Irad et le Cirad (Defoer et Budelman, 2000 ; Djenontin et al.,
2003).
Les principes de base de la gestion peuvent être appliqués au cas particulier de la
gestion des terres : prévoir, mettre en œuvre et ajuster puis évaluer les actions
réalisées.

Analyser la situation actuelle et définir un programme d’actions


L’objectif du conseil est d’améliorer les capacités du chef d’exploitation à établir un
programme d’actions pour la gestion de la fertilité. Le travail commence par la réali-
sation d’un diagnostic : évaluer la surface de ses parcelles et de ses jachères ; établir
une cartographie du parcellaire en localisant les zones les plus dégradées et les

276
Gestion du foncier et des ressources naturelles

chemins d’eau ; estimer la production de fumure animale, de résidus de récolte et le


taux d’utilisation (quantifier les pertes). Ce diagnostic porte aussi sur les contraintes
pour transporter tous les matériaux utiles à la gestion des terres, sur les difficultés à
mobiliser la main-d’œuvre familiale en saison sèche, sur les contraintes foncières et
les relations avec les gestionnaires des terres dans le village et évidemment sur les
pratiques en cours dans l’exploitation (dose d’engrais, parfois surdosage ou sous-
dosage, gestion des résidus par le feu ou selon d’autres techniques).
Le plan prévisionnel construit avec le chef d’exploitation en concertation avec les
membres de la famille (qui devront investir beaucoup de travail) se raisonne à deux
échelles de temps.
• Pour la campagne agricole et la saison sèche suivante : prévision d’assolement et
de rotations intégrant la possibilité de développer des cultures associées (fourrage)
ou dérobées (couverture du sol) ; valorisation maximale de la fumure disponible
(dont l’engrais minéral acheté à comptant ou à crédit) ; gestion des résidus de
culture au sol (collecte, compostage, brûlis, mise en andain, enfouissement) ; prévi-
sion de récolte de résidus fourrager en fin de campagne en fonction des besoins des
animaux.
• Pour les deux ou trois années ultérieures : prévision de réalisation d’aménage-
ments des parcelles en essayant d’associer les voisins (construction de cordons pier-
reux, plantation de haies-vives et de jachères arborées). Vu l’ampleur de
l’investissement en travail, ces aménagements ne peuvent pas être réalisés en une
seule année, même si les problèmes de dégradation des terres sont aigus. Si les
réserves foncières le permettent, l’agriculteur doit raisonner ses rotations en
incluant des jachères constituées de plantes qui restaurent la fertilité (graminées
pérennes, légumineuses herbacées et arborées) ou des jachères naturelles de longue
durée, dans la mesure où il peut contrôler les feux et les passages des troupeaux.

Mise en œuvre, suivi et évaluation du programme


Le conseil porte sur des ajustements à faire par exemple en fonction des aléas clima-
tiques : l’arrivée de pluies précoces permet de semer plus tôt et d’envisager des
cultures dérobées fourragères, ce qui donne donc la possibilité d’accroître la
production de fumure organique par stabulation d’une partie du bétail. À ce stade
et durant les premières années d’intervention du projet, il faut aussi encourager les
rapprochements entre paysans pour favoriser le travail collectif solidaire qui est
souvent un gage de succès pour ces travaux d’aménagement des parcelles.
Les paysans formés doivent suivre de près les actions entreprises en notant les
dépenses et le travail investis et en évaluant les gains de production obtenus. Ils
disposent souvent d’indicateurs pour évaluer l’évolution de la fertilité : développe-
ment d’espèces d’arbustes ou d’herbacées, importance des vers de terre, modifica-
tion des passages d’eau, dépôts de sable... Pour apprécier les progrès réalisés, il faut
encourager et faciliter les échanges entre paysans travaillant sur les mêmes
problèmes de restauration de la fertilité du sol. Le couplage entre l’action à grande
échelle (avec des solutions ayant fait leurs preuves) et l’expérimentation de
nouvelles techniques permet d’enrichir les savoir-faire des techniciens et des
paysans.

277
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Prendre en compte la diversité des exploitations agricoles


Si les méthodes de conseil pour la gestion de la fertilité du sol peuvent être généra-
lisables dans une région donnée, le contenu du programme d’interventions doit
nécessairement prendre en compte les caractéristiques et les spécificités des exploi-
tations. Une typologie des exploitations permet de construire différents scénarios de
progrès. Par exemple dans la zone cotonnière du Mali, comme au Bénin, on peut
distinguer trois types d’exploitations en fonction de leurs capacités à gérer la fertilité
du sol.
• Type 1. Il comprend les grandes exploitations disposant d’un troupeau bovin (plus
de 20 têtes) et d’un grand nombre d’actifs, qui ont donc des atouts pour produire et
transporter de la fumure organique. Mais, étant donné la surface cultivée, les
besoins en fumure sont très importants, ils ne peuvent être pourvus qu’en ayant
recours aux engrais minéraux et au parcage de troupeaux d’éleveurs transhumants.
• Type 2. Il comprend les exploitations de taille moyenne, en culture attelée mais
sans troupeau bovin. Elles sont souvent en déficit de fumure organique et de main-
d’œuvre pour transporter les pailles pour le compostage par exemple.
• Type 3. Ce sont les petites exploitations sans culture attelée et ayant quelques
petits ruminants. Elles ont une très faible capacité d’intervention. En fait leur
production de résidus de culture sert surtout aux autres types d’exploitations.
Le conseil peut être apporté au cas par cas mais cela sera très coûteux. Il est certai-
nement plus intéressant de travailler en constituant des groupes d’exploitations qui
rencontrent les mêmes problèmes et surtout qui disposent de capacités d’interven-
tion comparables. Mais il ne faut pas exclure le développement des relations de
travail entre ces groupes, l’agro-éleveur peut par exemple acheter du fourrage
auprès des petites exploitations en échange du transport de leur production de
coton.

278
Chapitre 18
Financement et trésorerie
des exploitations
familiales africaines
Marc ROESCH

Les objectifs d’une exploitation agricole sont essentiellement de deux ordres :


– premièrement, la reproduction simple, c’est-à-dire réussir à assurer l’alimentation
et les besoins essentiels des membres de l’exploitation ;
– ensuite, la constitution d’un capital. Il représente un capital productif, une
épargne dans laquelle puiser en cas de problème, l’épargne retraite de l’exploitant.
La gestion financière de l’exploitation a pour rôle de réaliser les investissements
nécessaires à la production agricole, de trouver d’autres ressources financières agri-
coles et non-agricoles pour assurer l’alimentation et les revenus de l’exploitation, et
tenter de construire ou de préserver le capital.
Les exploitations agricoles africaines sont caractérisées par un niveau de capital très
faible et un niveau de risque financier très élevé à cause des risques climatique et
sanitaire et de l’endettement récurrent. Tout l’art du chef d’exploitation consiste à
minimiser les risques en gérant sa trésorerie au plus près pour éviter la décapitali-
sation et le surendettement.
Gérer sa trésorerie signifie prévoir ses recettes et ses dépenses et organiser leur
concordance, constituer des réserves pour les imprévus, pour avoir recours au crédit
ou décapitaliser en cas de nécessité. L’abondement au capital ne peut se faire que si
la reproduction simple est assurée.
Après une présentation des caractéristiques du capital d’une exploitation et du
mode d’organisation des comptes, le présent chapitre décrit l’organisation des
recettes et des dépenses et leur adéquation. En conclusion, sont abordés les modes
d’ajustement dont dispose l’exploitant pour faire face aux problèmes de ce type de
gestion financière.

279
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

 Capital et investissements

Acquisition et financement du capital


Le capital d’une exploitation est constitué des terres, du bétail, du matériel agricole,
des plantations ligneuses, ainsi que de la maison d’habitation, de quelques bâti-
ments agricoles (poulailler, magasin de stockage) et des objets de valeur des
membres (vélo, bijoux…).
La terre est, la plupart du temps, un bien attribué par le lignage qui ne peut être
vendu. Le marché de la terre commence seulement dans certaines régions d’Afrique
subsaharienne (zone périurbaine, périmètres aménagés) et dans certaines condi-
tions, en particulier si le bornage des terres a été effectué, s’il existe un plan d’occu-
pation. L’accumulation de terre et la décapitalisation foncière sont le plus souvent le
résultat d’un rapport de forces ou de transactions à caractère social et non financier
(Lavigne-Delville et al., 2003).
Le bétail est par excellence le mode de capitalisation le plus fréquent dans la zone
soudano-sahélienne et sahélienne. Si, pour les sociétés pastorales, il représente
surtout un élément de statut social, pour les autres, c’est un moyen très souple d’ac-
cumuler du capital et de s’en servir pour amortir les à-coups des mauvaises récoltes,
des dépenses urgentes comme les problèmes de santé, etc. Ce capital est aussi une
assurance vieillesse. Les dividendes de ce capital, loin d’être négligeables, ont été
estimés entre 13 % et 20 % par an (Le Masson et Sangaré, 2002).
Les plantations (palmier à huile, café, cacao, anacardier…), moins souples d’utilisa-
tion que le bétail, remplissent pour partie les mêmes fonctions : source de divi-
dendes, assurance vieillesse. En revanche, la décapitalisation ou recapitalisation est
plus difficile. Ce type de capital se rencontre dans les zones plus tropicales humides,
là où le capital fondé sur le bétail est plus risqué (maladie) et moins rentable
(animaux petits à croissance lente).
Le niveau d’équipement est souvent très faible (motopompe, charrue, semoir,
sarcleuse). Dans le cas de la traction bovine par exemple, la valeur du capital cor-
respond surtout à celle des animaux.
Pour une large majorité des exploitations agricoles africaines, l’objectif premier
n’est pas d’accumuler du capital, mais bien de réussir à passer d’une campagne agri-
cole à l’autre avec le moins de pertes possibles. Du capital est accumulé si les condi-
tions ont été favorables (climat, santé, prix des produits…). La gestion et aussi les
décisions d’investissement se font donc prioritairement en fonction de cet objectif à
court terme.

Les investissements de campagne agricole


Pour chacune des productions agricoles, deux cas se présentent.
• La production fait partie d’une filière organisée (coton, cacao, palmier à huile, riz,
oignon, etc.). Dans ce cas, la société, le groupement ou l’office, fournit à crédit à
l’exploitant un certain nombre de facteurs de production en nature (engrais,
semences, pesticides…) ou de services (travaux du sol, approvisionnement en eau).

280
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines

Le prix d’achat du produit à la récolte est fixé à l’avance et les dettes sont rembour-
sées à la livraison de la récolte.
L’exploitant décide du montant de l’investissement en faisant un compromis entre
ses capacités de production, le niveau de risque qu’il accepte de prendre (par le
choix du niveau d’endettement) et l’endettement autorisé par l’organisme qui fait
l’avance. De plus en plus souvent, l’organisme qui assure l’encadrement technique
et la commercialisation des produits conclut un accord avec le système bancaire
pour la gestion du financement de la campagne agricole (Roesch, 2004).
• Pour les autres cultures, l’exploitant doit financer sur fonds propres les facteurs
de production et les services. Si nécessaire, il a recours à l’emprunt auprès des orga-
nismes de microfinancement, des commerçants, des usuriers ou des relations
proches.

 Comptes de l’exploitation agricole


La gestion des comptes d’une exploitation agricole comprend d’une part les
comptes de l’exploitation agricole qui sont gérés par le chef de l’exploitation, et
d’autre part les comptes individuels des membres de l’exploitation ou de la conces-
sion (femmes, enfants, parentés à charge) dont la gestion est séparée mais non indé-
pendante. Pour bien représenter la gestion de l’exploitation, il est important de
connaître les comptes individuels.

Les budgets individuels


Chaque membre (les femmes, les enfants ou la parenté présente dans l’exploitation)
gère son budget propre qui est alimenté par les recettes des activités en dehors de
l’exploitation (petit commerce, salariat, migration) ou les recettes de la production
agricole personnelle (champs cultivés après les travaux sur le champ communautaire,
petites parcelles de maraîchage, petit élevage en propriété individuelle).
Ces recettes servent à couvrir les dépenses considérées comme personnelles (vête-
ments, loisirs, mais aussi l’alimentation hors de l’exploitation) et les dépenses d’in-
vestissement pour les parcelles personnelles ou l’achat d’animaux. Elles couvrent
aussi les dépenses complémentaires pour l’alimentation communautaire, par
exemple les dépenses faites par les femmes pour les condiments entrant dans la
préparation des repas pris en commun, les compléments alimentaires pour les
enfants. Les femmes ont donc à trouver les ressources financières non seulement
pour leurs dépenses personnelles, mais aussi pour des dépenses communes à l’en-
semble de la famille. Plus l’exploitation se trouve en situation difficile, plus les contri-
butions individuelles sont importantes, notamment celles des femmes. Au Sahel, très
fréquemment, les femmes ont à assumer la totalité de la charge de l’alimentation
ainsi que des dépenses pour l’exploitation agricole (soins aux animaux, travaux agri-
coles) pendant toute la période d’absence du chef d’exploitation parti en migration.
Les budgets individuels contribuent à atténuer les à-coups subis par le budget de
l’exploitation qui est supposé assurer la couverture des besoins fondamentaux de la
famille.

281
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Le budget de l’exploitation
Il est géré par le chef d’exploitation. Il est alimenté par les recettes de l’activité agri-
cole (élevage compris) et des activités extra-agricoles du chef d’exploitation (arti-
sanat, salariat, commerce, migration etc.). Une part des recettes des dépendants
(enfants et parenté vivant dans l’exploitation) peut y contribuer suivant des règles
établies, ou à la demande du chef de famille. Dans la majorité des cas, le chef d’ex-
ploitation n’a pas de compte personnel, confondu avec le compte de l’exploitation.
Le budget de l’exploitation agricole est rythmé par les activités agricoles mais égale-
ment par les autres activités du chef d’exploitation. Les dépenses suivent un rythme
différent de celui des recettes, lié pour partie à l’activité agricole, et, pour une
grande part aux activités à caractère social. Tout l’art de l’exploitant est de réussir à
surmonter les difficultés de gestion, c’est-à-dire à faire coïncider ces rythmes de
façon à éviter les à-coups de trésorerie.
Le moyen d’atténuer ces à-coups est de jouer sur l’épargne, le crédit, les stocks de
produits agricoles et le capital.

Les dépenses à période fixe


Parmi les dépenses auxquelles doit faire face un ménage rural, certaines interviennent
à une date ou à une période fixe, connue à l’avance. Ce sont généralement des dépenses
obligatoires servant à la reproduction du système productif ou du système social.
Les dépenses à caractère social sont celles des fêtes religieuses (Noël, la Tabaski), le
denier du culte ou bien le don au marabout ou aux autorités, la rentrée scolaire, la
dot (quand les mariages se font à des périodes fixes de l’année). Elles ont lieu géné-
ralement au cours de deux périodes : septembre-octobre et décembre-janvier.
Les dépenses nécessaires à la production agricole concernent la location de terres
en avril-mai, l’achat d’intrants d’avril à juin, le paiement de la main-d’œuvre pour
les sarclages (juillet) ou pour les récoltes (novembre à janvier).
Des dépenses sont à prévoir pour l’alimentation de soudure. Généralement, les
exploitants arrivent à estimer les stocks alimentaires nécessaires pour l’année et
peuvent donc évaluer à la récolte le déficit alimentaire à combler éventuellement.
Le montant à affecter à ces dépenses est généralement prévisible et dépend souvent
des projets du chef d’exploitation (surface mise en culture, quantité d’intrants
achetée, faste donné au mariage ou aux fêtes).

Les dépenses obligatoires imprévisibles et non différables


Certaines dépenses sont imprévisibles et ont un caractère obligatoire. C’est essen-
tiellement le cas des dépenses de santé, celles liées aux naissances ou aux décès.
D’autre part, leur montant est rarement prévisible. L’exploitant constitue une
cagnotte minimale pour ces dépenses, si elles sont supérieures, il prélève sur son
capital (animaux, stocks de produits agricoles).

Les dépenses pouvant être différées


Bien que nécessaires, les grosses dépenses pour le ménage (habillement, équipe-
ment ménager, aménagement de l’habitat) sont différables jusqu’au moment où les
ressources sont disponibles. Le délai peut varier de quelques mois à un an.

282
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines

Les dépenses d’équipement et d’investissements pour l’agriculture (bœufs, char-


rues, charrettes, motopompes…) sont finalement à la fois les moins urgentes et les
plus faciles à différer. Elles dépendent entièrement de la volonté de l’exploitant.
Pour cette raison, elles sont décidées quand toutes les autres dépenses ont pu être
satisfaites. Cependant, ce sont aussi celles qui peuvent améliorer la productivité de
l’exploitation. Reporter ces dépenses, c’est donc aussi retarder l’investissement qui
permettra d’augmenter la production.

Les recettes à période fixe : les cultures de rente


Les recettes perçues à période fixe sont celles tirées de la vente d’une production
qui bénéficie d’un circuit de commercialisation organisé : produits d’exportation
(coton, palmier à huile, café, cacao), ou produits pour les marchés urbains (riz dans
les périmètres irrigués, igname, oignons, certains légumes).
La recette étant prévisible, l’exploitant peut anticiper son utilisation.

Les recettes des activités extra-agricoles


Il s’agit souvent de recettes venant d’activités de salariat (main-d’œuvre essentielle-
ment dans l’artisanat, la maçonnerie, etc.), ou de commerce. Les montants restent
faibles, mais ont un caractère régulier sur quelques mois, souvent durant la saison sèche
où il y a peu de besoin de travail pour les activités agricoles. Elles servent souvent à
couvrir les dépenses courantes pendant une période ou évitent de prélever dans les
stocks de l’exploitation. Ces activités permettent aussi d’adosser un crédit à ces recettes.

Les recettes des productions agricoles des filières


« non organisées »
En Afrique de l’Ouest, la récolte des principales productions s’échelonne d’octobre
à février. Les recettes de ces productions écoulées sur les marchés (céréales, légu-
mineuses, racines et tubercules, produits maraîchers) sont directement dépendantes
du moment choisi pour la vente et de la fluctuation du cours sur ces marchés. Les
cours sont très variables tout au long de l’année et d’une année à l’autre. L’ampleur
de cette variation est difficilement prévisible. Par exemple, au Nord Cameroun
pendant la campagne 1998-1999, le cours du maïs a varié de 11 000 à 7 000 FCFA
entre janvier et décembre contre 6 000 à 15 000 FCFA pour la même période en
2000. Dans ces conditions, il est difficile de choisir le meilleur moment pour vendre.

Exemple dans le cas de la filière du coton


Dans la filière cotonnière, la société cotonnière fournit les engrais et les pesticides,
le matériel de traitement, l’encadrement technique. Elle organise la commercialisa-
tion du coton en deux fois, ce qui procure un paiement en janvier et en avril. Les
montants perçus par les exploitants sont élevés (de l’ordre de quelques centaines de
milliers de francs CFA). Les caractéristiques de cette recette en font un élément
central de la stratégie de gestion des exploitants, mais aussi des commerçants et des
organismes de crédit : le montant approximatif de la recette attendue est connu 6 à
8 mois à l’avance (à la mise en culture) ; un montant assez précis est connu 2 à
3 mois à l’avance ; la date de paiement est fixée ; l’exploitant est sûr d’être payé.

283
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Ainsi, l’exploitant peut adosser ses emprunts au paiement du coton et obtenir ainsi
plus facilement des crédits de la part des institutions de microfinancement, des
commerçants et des usuriers (Roesch et al., 2002).

 Adéquation entre recette et dépense,


trésorerie, épargne et crédit
Recettes et dépenses ne se situent pas aux mêmes périodes. Les stratégies des exploi-
tants pour faire coïncider les dépenses aux recettes sont très diverses et très
complexes. Par exemple, l’exploitant vend un sac de céréale pour acheter un chevreau
qui sera vendu pour, ensuite, payer une partie de la somme de l’école et racheter un
sac de céréale si son prix est à la baisse. On trouvera ci-dessous un exemple d’un
exploitant de la zone cotonnière du Nord Cameroun (Vall et al., 2007).

Exemple de trésorerie d’un exploitant


de la zone cotonnière du Nord Cameroun
À partir des relevés des recettes et des dépenses, il est possible de construire une
courbe des disponibilités financières (Vall et al., 2003 ; Vall et al., 2007). Le calen-
drier annuel de recettes et de dépenses d’un exploitant producteur de coton a été
établi (figure 18.1).

250 000 Recettes


Recettes
Dépenses

200 000

Récolte du Commercialisation Paiement


coton du coton du coton
150 000 Réservation des et
Valeurs en francs CFA

terres à louer Ventes


stocks
sorgho
et maïs
100 000

50 000 Dotation
Vente frère
arachide Dotation Vente
épouse niébé
0
août-00 sept-00 oct-00 nov-00 déc-00 janv-01 févr-01 mars-01 avr-01 mai-01 juin-01 juil-01 août-01
Noël Achat
Rentrée des Dot
Récolte coton chèvres
classes Aménagement Vélo
- 50 000 poulailler Pulvérisateur

Rembousements
Dépenses dettes et crédits
Epargne santé
- 100 000 Intrants, Locations terres...

Figure 18.1. Exemple de trésorerie d’un agriculteur du Nord Cameroun.

284
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines

Les trois périodes de rentrée de fonds des exploitants de l’Afrique de l’Ouest (zone
des savanes et Sahel) sont : les mois d’octobre avec les récoltes de céréales, de janvier
avec le premier marché de coton et les premiers produits maraîchers, et d’avril avec
le deuxième marché de coton, la fin des produits maraîchers, la vente d’oignon.
Les périodes de manque de trésorerie sont les mois de décembre, de mai et de juin.
En décembre, les exploitants hésitent à vendre trop rapidement leurs céréales pour
en conserver le maximum et créer des stocks pour plus d’un an. Ils limitent leurs
ventes au strict nécessaire. Mais les besoins de liquidité pour les fêtes de Noël et
pour le paiement de la main-d’œuvre des récoltes de coton provoquent un appel de
fonds au mois de décembre. À cette période, apparaissent les premières demandes
de crédit. Les exploitants préfèrent faire appel à un crédit à court terme, rembour-
sable avec les recettes des activités secondaires ou le paiement des productions
commercialisées dans des circuits organisés (coton, riz, oignon) que de prélever
dans les greniers de céréales ou de vendre un animal. Si les crédits sont rares (et
chers), l’exploitant peut décider de vendre des céréales, mais la période n’est géné-
ralement pas favorable, les cours sont au plus bas.
En mai-juin, les exploitants ont puisé dans leurs réserves alimentaires et les stocks de
céréales sont soit épuisés, soit juste suffisants pour couvrir les besoins de la saison des
pluies. À cette période, il faut louer des terres, labourer, acheter les intrants néces-
saires à la production, embaucher de la main-d’œuvre pour les premiers sarclages.
La demande de fonds est donc très élevée. En conséquence, les mises en culture sont
souvent proportionnelles à la capacité de mobilier les fonds nécessaires.

Ajustements par l’épargne, le crédit et les secours


L’épargne
L’épargne existe essentiellement sous les formes suivantes :
– les billets dans la maison, sous le matelas. Cette épargne est réservée au paiement
des frais de santé dans l’urgence, c’est la cagnotte ;
– les stocks de produits agricoles qui sont vendus progressivement, pour les
dépenses courantes ou lors des périodes favorables pour faire les achats d’investis-
sement familial (vélo, habillement, habitat) ;
– le bétail (ovin, caprins, porcs) qui constitue une épargne à moyen terme pouvant
être déstockée pour les très gros frais urgents.
Une autre forme d’épargne est la tontine. Une cotisation est demandée à période
fixe et la somme peut être récupérée soit au hasard par tirage au sort du bénéfi-
ciaire, soit après négociation avec les autres membres de la tontine. Par son mode
de fonctionnement, elle est plus adaptée aux dépenses de consommation qu’aux
investissements ou aux dépenses d’urgence.
L’épargne se fait rarement sous forme monétaire (risque de vol, de perte, de sollici-
tation de la part des membres proches) ou dans les institutions bancaires (indiscré-
tion de la part des caissiers du système bancaire de proximité, confiance limitée
dans les systèmes bancaires). De même, les stocks de céréales sont facilement
connus de l’entourage qui peut solliciter un appui. L’épargne est donc convertie sous

285
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

une forme plus difficilement mobilisable. Quand il existe un marché du bétail, cette
épargne est transformée en animaux.
Chaque type d’épargne a une fonction différente. L’épargne facilement mobilisable
est utilisée pour rééquilibrer la trésorerie au quotidien. L’épargne difficilement
mobilisable est réservée aux cas d’urgence – dans ce cas, l’exploitant fera un crédit
relais le temps de mobiliser l’épargne – ou aux investissements notamment ceux
nécessaires à la campagne agricole.
Lorsque toutes les dépenses prévisibles sont provisionnées, l’exploitant peut mobi-
liser son épargne pour effectuer les investissements lourds destinés à la production
agricole.
L’essentiel de l’épargne est donc une épargne de précaution, d’anticipation des
dépenses nécessaires à la reproduction de l’exploitation.

Le crédit
Le crédit permet d’ajuster la trésorerie quand l’épargne, autre que celle de précau-
tion, fait défaut. Il est sollicité auprès de la parenté, des commerçants, des usuriers,
et, si elles existent, des caisses de microfinancement.
Le recours à ces différentes sources de crédit est décidé en fonction de la nature du
crédit nécessaire, du montant, de la durée du prêt et de la facilité d’accès au crédit.
Un « petit crédit » peut être demandé sur les dépenses courantes. Cela concerne
surtout les commerçants, ils ouvrent une « ardoise » et sont remboursés en cash ou
en nature. Pour répondre à une demande de crédit d’urgence, les usuriers sont en
mesure d’apporter très rapidement une somme importante. Le mode de rembourse-
ment est fixé au moment de l’emprunt (nombre de sacs de riz, de mil, de fèves à livrer
à la récolte, paiement en cash à la récolte du coton ou de la canne à sucre, etc.).
Dans le cas d’une demande de microfinancement, les crédits sont débloqués après
une procédure souvent assez longue (de l’avis des usagers) qui comprend une
épargne préalable, l’établissement d’un dossier, l’examen par un comité. Ces prêts
sont réservés aux investissements de la campagne agricole, à la constitution de
stocks pour un commerce. Ils servent également à rembourser les emprunts faits
aux usuriers ou à la famille.
Dans la plupart des demandes de crédit, les exploitants proposent en gage la
production agricole. Une culture commerciale dont la production est payée à une
date connue des créanciers est une garantie acceptée. En revanche, le bétail ne
constitue pas une bonne garantie à cause des risques de mortalité, de disparition des
animaux ou la difficulté d’identifier un animal. L’équipement des exploitations
(vélo, mobilier, matériel agricole ou de transformation) est trop rudimentaire et de
faible valeur pour servir de garantie.

 Gestion quotidienne de l’équilibre


Tout l’art de la gestion financière dans les exploitations est de réduire les écarts en
durée et en montant entre les dépenses et les recettes possibles. L’exploitant cherche

286
Financement et trésorerie des exploitations familiales africaines

à limiter le recours au crédit et à prélever le moins possible dans son épargne ou son
capital. Cet équilibre (ou plutôt ce déséquilibre) doit être géré quotidiennement.
De ce fait, la gestion financière des exploitations n’est pas tournée vers la construc-
tion progressive d’un projet à moyen et à long terme, mais est engagée dans une
sorte de course permanente à l’argent pour arriver à boucler une année agricole.
Cette préoccupation se traduit par la multiplicité de recettes, d’épargnes et de
crédits, qui constituent le budget de l’exploitation, pour que toute défaillance de
l’une des composantes puisse être rééquilibrée par les autres.
L’analyse d’un budget d’une exploitation agricole, comme l’analyse de la rentabilité
d’un investissement dans une exploitation est un exercice complexe et qui n’a de
valeur que si l’ensemble des éléments de l’exploitation (l’activité des membres
comprise) est pris en compte.

287
Chapitre 19
Mesure des performances
économiques
Mohamed GAFSI et Emmanuel M’BÉTID-BESSANE

L’objectif de ce chapitre est présenter la démarche et les outils d’évaluation de la


performance de l’exploitation agricole familiale. La performance a été définie
(chapitre 13) par les notions d’efficacité – relative à la réalisation des objectifs fixés –,
et d’efficience – relative à l’utilisation des facteurs de production. Dans cette
perspective, la performance d’une exploitation peut être mesurée par les résultats de
celle-ci au regard des objectifs de l’agriculteur et de l’utilisation des facteurs de
production pour obtenir ces résultats. Avant de proposer une démarche de mesure
des performances adaptée aux exploitations familiales africaines, sont présentés les
critères et les indicateurs de performance pertinents dans le contexte africain.

 Critères de performance
Les critères de performance ne sont pas standards et varient d’une exploitation à
l’autre selon les buts poursuivis. Dans les exploitations familiales africaines, ces buts
combinent, – souvent et à des niveaux d’importance variable –, l’autosuffisance
alimentaire et la recherche de revenu monétaire. Dans un contexte comparable,
comme celui des exploitations asiatiques, McConnel et Dillon (1997) ont proposé
une série de critères de performance des exploitations ; nous en avons retenu cinq :
productivité, rentabilité, stabilité, dispersion et pérennité.
Dans une exploitation familiale donnée, certains de ces critères sont plus pertinents
que d’autres. Un producteur peut avoir principalement un objectif de revenu moné-
taire et serait sensible par conséquent à l’évaluation des performances de son
exploitation en termes de rentabilité monétaire. Un autre peut être plus sensible à
un compromis entre la productivité, la stabilité et la pérennité. Il serait donc erroné
d’évaluer les performances de ces deux exploitations avec les mêmes critères.
D’ailleurs, ce genre de pratiques, qui ont été adoptées par des experts imprégnés du
modèle de l’exploitation des pays développés, peut aboutir à des appréciations

289
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

négatives (inefficacité, faible productivité, etc.) portées sur les exploitations afri-
caines, voire au jugement de l’irrationalité des agriculteurs, par exemple en raison
des mauvais résultats du critère de rentabilité financière.

La productivité
La productivité mesure l’efficience relative de l’utilisation des facteurs de produc-
tion. Puisqu’il y a rareté de certains facteurs (terre, travail, capital, ressources natu-
relles), la mesure de la productivité permet de rechercher leur meilleure utilisation.
La productivité est définie comme le rapport entre la production et un ou plusieurs
facteurs utilisés pour obtenir cette production par unité de temps : kilos de sorgho
par hectare, francs CFA par journée de travail, etc. La productivité physique renvoie
à des unités de mesure physique (exemple du rendement pour les cultures). La
productivité en valeur calcule la production en valeur par unité physique d’un
facteur de production.

Produit principal et sous-produits, produits non vendus


Généralement, lors du calcul de la productivité, on se contente du produit principal
souvent destiné à la vente. Or, dans les exploitations familiales africaines, surtout
celles axées sur la subsistance, de multiples sous-produits sont valorisés, ils sont
importants dans la vie de l’exploitation et doivent être pris en compte lors du calcul
de productivité en valeur. Par exemple, pour le riz, les graines sont la production
principale, les sous-produits (paille et son) sont valorisés dans l’alimentation du
bétail et les balles de riz sont utilisées pour l’amélioration du sol.
En outre, le calcul de la productivité doit prendre en compte l’ensemble des
produits de l’exploitation vendus ou non. Les produits non vendus (autocon-
sommés, stockés, faisant l’objet d’un don, etc.) doivent être évalués à leur prix de
marché. Ce point est important pour pouvoir calculer la productivité dans les
exploitations autosuffisantes.

Associer la productivité à d’autres critères


Pour mesurer l’efficience de l’utilisation des facteurs de production, la productivité
est un critère important de mesure de la performance, surtout pour les facteurs de
production très limitants comme le travail et le capital, et dans une certaine mesure,
la terre dans certains terroirs qui connaissent une pression foncière. Ce critère est
mis en avant par les défenseurs de l’intensification. Il est, certes, important surtout
pour les exploitations familiales de subsistance ; mais le prendre comme seul critère
d’évaluation risque d’engendrer des stratégies aux effets indésirables (dégradation
des sols, pertes de fertilité, coûts excessif des intrants, etc.). D’où l’importance
d’employer le critère de productivité en association avec un autre critère comme la
rentabilité et la pérennité.

La rentabilité
La rentabilité mesure les gains générés par l’activité du producteur. Ces gains
peuvent être appréciés d’une manière approximative dans les exploitations de subsis-

290
Mesure des performances économiques

tance qui sont peu ou pas connectées au marché. Comme pour le critère de produc-
tivité, la part d’autoconsommation doit être évaluée au prix du marché et ajoutée au
calcul. Dans les exploitations intégrées au marché, ayant des objectifs de revenu
monétaire, la rentabilité renvoie à la réalisation d’un profit, calculé en termes moné-
taires : c’est le montant total des produits diminué du montant total des charges de
production pour une période donnée (souvent l’année). Dans la littérature agricole,
le terme profit est souvent décrié, puisqu’il renvoie à une conception entrepre-
neuriale de l’exploitation agricole au détriment de ses caractéristiques familiales
(Brossier et al., 1997). On préfère la notion de revenu agricole, qui revient à calculer
le profit sans tenir compte de la rémunération préalable du travail familial. Du point
de vue comptable, le terme plus générique employé est le résultat de l’exercice comp-
table (souvent annuel) qui mesure le résultat des activités de production (appelé
résultat d’exploitation) et le résultat des autres activités (activité financière de
l’exploitation et mouvements exceptionnels dans le fonctionnement de celle-ci).
Outre que le calcul du résultat de l’exercice permet de constater le bénéfice ou le
déficit de l’exploitation, la rentabilité sert aussi à apprécier l’importance de ce béné-
fice et les voies par lesquelles il a été obtenu. À ce propos, l’analyse économique et
financière des exploitations agricoles distingue deux types de rentabilité (Iger,
1992 ; CNCER, 1994).
• La mesure de la rentabilité économique est fondée sur le ratio des résultats bruts
des activités de production (y compris la transformation et la commercialisation des
produits) ramenés au volume total de la production en valeur. Ce critère évalue les
performances de l’exploitation liées à l’activité fondamentale, et il reflète les capa-
cités techniques et managériales du chef d’exploitation ainsi que les potentialités du
système de production agricole relativement à son environnement agro-écologique.
• La rentabilité financière permet d’apprécier le bénéfice tiré de la mobilisation des
capitaux propres de l’agriculteur. Elle est calculée par le ratio du montant des résultats
nets (résultats d’exercice) divisé par le montant des capitaux propres de l’exploitant.
Dans les exploitations africaines, dont l’objectif principal est d’assurer la sécurité
alimentaire du groupe familial, le critère de la rentabilité économique paraît plus
adapté que celui de la rentabilité financière.

La stabilité
Le critère de stabilité se réfère à la l’absence ou à la minimisation des fluctuations
interannuelles dans la production en termes physiques (quantités produites, rende-
ments à l’hectare) ou en valeur (revenu agricole estimé). La stabilité en valeur
suppose aussi une stabilité des prix des intrants et des produits agricoles.

Méthode d’appréciation du critère de stabilité


La stabilité des rendements, des prix ou des revenus, peut être mesurée par le coef-
ficient de variation (CV) donné par l’écart-type et la moyenne d’un échantillon
d’observations. Il est calculé comme suit :

(∑ (
1

[ ∑( [
n 2 2 n
CV = 100( V / X )= 100 )
X i − X / ( n - 1) / Xi / n
i =1 i =1

291
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

où V est la variance de l’échantillon, X est sa moyenne, Xi est la ie observation et n


est le nombre d’observations. Le tableau 19.1 présente une série annuelle d’obser-
vations de rendement des cultures dans deux exploitations (l’exploitation 1 se
trouve dans la zone soudanienne du Tchad et l’exploitation 2 au Nord Cameroun).
Ce coefficient varie en fonction des types d’activités et des exploitations. C’est un
nombre pur, il ne peut être utilisé que dans la perspective d’une comparaison entre
activités ou entre exploitations. Par exemple, le coefficient de variation du rende-
ment du coton calculé à partir des 18 observations (exploitations 1 et 2) est de
21,7 %. Cela suppose, abstraction faite des fluctuations de prix, que les revenus
d’une exploitation ne produisant que du coton sont deux fois plus stables que ceux
d’une exploitation qui ne produit que du sorgho. Également, la comparaison entre
les coefficients de variation des rendements du coton dans les deux exploitations
montre que le rendement dans l’exploitation 1 est trois fois moins stable que celui
de l’exploitation 2.
Tableau 19.1.Variations annuelles des rendements des cultures dans deux exploitations
(Tchad, Nord Cameroun).
Année Variation des rendements (kg/ha) selon le type d’exploitation
Exploitation 1 Exploitation 2 Exploitation 1
Coton Coton Sorgho
1994 800 1 140 740
1995 850 1 123 500
1996 670 1 250 400
1997 500 1 060 920
1998 875 1 070 1 050
1999 1 005 1 123 1 450
2000 1 125 1 250 800
2001 830 1 120 670
2002 700 1 080 420
Moyenne 817 1 135 772
Ecart type 184 71 337
CV (%) 22,5 6,2 43,6

Application du critère de stabilité


Le critère de stabilité est très important dans les exploitations agricoles africaines,
car la production des céréales pour assurer la sécurité alimentaire du groupe fami-
lial reste une fonction primordiale et stratégique.
Dans les exploitations agricoles de la zone soudanaise du Tchad, les années de
grande instabilité ont conduit à la situation de famine. Quand les conditions le
permettent, les producteurs recourent à des stratégies diverses pour gérer l’instabi-
lité de la production et des prix : diversification des activités, choix des races d’ani-
maux et de variétés de cultures adaptées au contexte agro-écologique, mise en place
de double culture, augmentation des capacités de stockage des produits, etc. Une
autre stratégie consiste épargner ou à investir les surplus de production et de revenu

292
Mesure des performances économiques

perçus les bonnes années pour compenser les déficits des années défavorables. Ainsi,
certains producteurs – qui ont plus de marge de manœuvre en termes de moyens ou
qui gèrent leurs exploitations avec un raisonnement à long terme et une vision
d’avenir – investissent dans l’élevage dans une perspective d’épargne, puis de régula-
tion. Les producteurs préfèrent, en général, l’activité et le système de production les
plus stables. Mais en fonction des prix, une activité instable peut être choisie de
préférence à une autre plus stable en raison d’un gain espéré à long terme. Ou
encore, une culture de céréale moins stable que la culture de coton peut être retenue
dans l’assolement parce qu’elle est nécessaire à la sécurité alimentaire de la famille.

La dispersion
Si le critère de stabilité s’intéresse aux fluctuations interannuelles et, généralement
retient l’attention de l’exploitant dans un souci de sécurité, le critère de la disper-
sion des productions ou des revenus concerne les fluctuations au cours de l’année
ou de la campagne agricole. Il mesure la répartition des flux de production ou de
revenu à l’échelle de l’année temporelle. Il indique si les produits ou les revenus
sont obtenus en une seule fois ou échelonnés. Par conséquent, ce critère est forte-
ment lié à la gestion de la trésorerie de l’exploitation.

Identification
Deux cas extrêmes sont caractérisés :
– cas de la dispersion parfaite de la production ou du revenu. Les flux mensuels ont
des montants égaux durant l’année, par conséquent le flux de chaque mois repré-
sente 8,3 % du montant annuel ;
– cas d’une concentration totale de la production ou du revenu. Ils sont perçus en
une seule fois, pendant un mois dans l’année.
Mais souvent, vu la diversité des activités pratiquées dans les exploitations familiales
africaines, les systèmes de production se situent entre ces deux extrêmes. Les petites
exploitations souhaitent souvent un niveau élevé de dispersion des flux de produc-
tion et de revenu, alors que certains producteurs préfèrent les rentrées de revenu en
une seule fois (le cas du coton) afin de réaliser des dépenses élevées en investisse-
ment, etc.
Outre son effet sur la trésorerie (recours minimum à l’endettement, meilleure cohé-
rence dans les besoins de dépenses et les moyens disponibles), la dispersion des
productions permet aussi une meilleure valorisation des facteurs de production
(équipements utilisés plus souvent, besoins de travail plus échelonnés et main-
d’œuvre familiale mieux employée).

Méthode d’appréciation du critère de dispersion


L’indice de dispersion (ID) peut être construit à partir de la dispersion des montants
(quantités) mensuels des revenus (productions) par rapport au montant (quantité)
total annuel. Il peut être calculé pour une activité ou pour tout le système de
production. Le tableau 19.2 montre la répartition mensuelle de la production (ou le
revenu) pour quatre activités dans une exploitation centrafricaine.

293
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 19.2. Revenus mensuels estimés et calcul de l’indice de dispersion (en francs CFA).
Mois Revenu (production) mensuel par culture Revenu
Arachide Manioc Riz Coton mensuel total
Janvier 0 0 0 0 0
Février 24 000 13 550 0 0 37 550
Mars 12 000 27 100 0 0 39 100
Avril 6 000 27 100 0 0 33 100
Mai 6 000 27 100 17 600 442 000 492 700
Juin 6 000 27 100 8 800 0 41 900
Juillet 6 000 27 100 4 400 0 37 500
Août 0 27 100 4 400 0 31 500
Septembre 0 27 100 8 800 0 35 900
Octobre 0 27 100 0 0 27 100
Novembre 0 27 100 0 0 27 100
Décembre 0 13 550 0 0 13 550
Montant annuel 60 000 271 000 44 000 442 000 817 000
Moyenne 5 000 22 583 3 667 36 833 68 083
Ecart type 7 160 8 826 5 576 127 594 134 252
CV (%) 143,2 39,1 152,1 346,4 197,2
IC (indice de concentration) 0,41 0,11 0,44 1,00 0,57
ID (indice de dispersion) 0,59 0,89 0,56 0,00 0,43

On calcule, pour chaque culture, ainsi que pour le total des revenus mensuels, le
coefficient de variation (comme indiqué dans le précédent critère). Le coton,
comme n’importe quelle autre activité dont les revenus sont perçus au cours d’un
seul mois, représente une concentration complète et son coefficient de variation est
de 346,4. Son indice de concentration est de 1. L’indice de concentration (IC) de
toute autre activité peut être calculé en divisant le coefficient de variation de cette
activité par le coefficient de variation du revenu-coton. On trouve ainsi pour l’ara-
chide, 0,41 ; pour le manioc, 0,11 et pour le riz, 0,44. L’indice de dispersion (ID)
d’une activité ou d’un système de production est : ID = 1-IC (indice de concentra-
tion). Le calcul de l’indice de dispersion pour tout le système de production suit la
même démarche. Il est ainsi de 0,43 pour l’exploitation analysée.

La pérennité
La pérennité n’est pas un critère spécifique aux exploitations familiales africaines.
La pérennité d’une exploitation signifie la capacité de cette exploitation à maintenir
sur le long terme, si ce n’est améliorer, sa productivité et sa rentabilité à un niveau
satisfaisant indépendamment des fluctuations annuelles. La pérennité se traduit à
long terme par des résultats technico-économiques positifs ou en amélioration.
Mais avant les résultats finaux, l’accent doit être mis sur le développement, sinon le
renouvellement, du potentiel de production à travers l’effort d’investissement dans les

294
Mesure des performances économiques

différents types de capitaux (physique, humain, social, naturel). Nous soulignons égale-
ment ici l’importance de la gestion raisonnée, en bon père de famille et dans une
perspective de durabilité, des ressources naturelles collectives ou individuelles. Le
devenir de l’exploitation familiale peut être menacé par les contraintes du marché et
des politiques publiques, mais aussi par la dégradation des réserves de ressources natu-
relles, notamment celles non-renouvelables. En effet, les exploitations agricoles fami-
liales se trouvent dans un contexte d’importante pression démographique (chapitre 1)
et, en corollaire, de raréfaction des ressources disponibles. Cela peut conduire à une
spirale de non-durabilité du système : la pression sur les ressources conduisant à la dété-
rioration de l’environnement naturel et à l’augmentation de la pauvreté qui entraîne
l’instabilité économique, sociale et politique, etc. Les exploitations agricoles, en parti-
culier les petites exploitations familiales de subsistance, sont les premières à participer
à cette spirale et aussi ses premières victimes. En revanche, en améliorant les pratiques
de la gestion des ressources dans une perspective de durabilité, les producteurs peuvent
éviter d’entrer dans cette spirale et assurer la pérennité de leurs exploitations.
La mesure de la pérennité reste une démarche qualitative. Comme l’appréciation
de la durabilité, concept très proche de la pérennité, elle comporte plusieurs dimen-
sions : économique, écologique et sociale. Plusieurs items peuvent être énumérés
sous chacune de ces dimensions et faire l’objet d’une appréciation pour une exploi-
tation donnée. La grille IDEA a été conçue pour évaluer la durabilité d’une exploi-
tation agricole (Vilain, 2000).

 Méthode d’analyse des performances


L’analyse des performances d’une exploitation agricole consiste à mesurer, pour une
période donnée, ses résultats en termes d’efficacité et d’efficience. Elle comporte :
– l’analyse technico-économique des résultats qui évalue la capacité de l’exploita-
tion à créer de la richesse et à arriver à une meilleure valorisation des facteurs de
production ;
– l’analyse de la solidité de l’exploitation qui se réfère au niveau de capitalisation et
aux efforts d’investissements dans le but du maintien ou du renforcement du poten-
tiel de production de l’exploitation à long terme ;
– l’analyse des pratiques de gestion de la trésorerie qui concerne la gestion courante
des différents flux physiques et monétaires dans l’exploitation.
Nous présentons une analyse simple, partant de l’hypothèse qu’une exploitation pour-
suit un objectif de maximisation du revenu agricole. Ce revenu est estimé en termes
monétaires directement pour les exploitations très intégrées au marché ou indirecte-
ment pour les exploitations de subsistance en attribuant des valeurs aux produits
autoconsommés. Analyser la performance nécessite l’accès à des informations sur les
activités, sur les flux et sur les résultats de l’exploitation, souvent fournies par les
documents comptables. Mais pour les exploitations qui ne disposent pas de compta-
bilité, comme c’est le cas des exploitations africaines, il faut recueillir ces informations
par un entretien avec le producteur, fondé sur sa mémoire (Cochet et al., 2002). Cette
méthode est loin d’être parfaite, mais faute de mieux, on peut y recourir tout en étant
conscient des limites des informations collectées. Une attention particulière doit être

295
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

portée à la précision et à la rigueur des unités de mesure (surfaces, quantités, etc.)


employées par les producteurs.

Calcul et analyse des résultats globaux


L’analyse technico-économique des résultats globaux nécessite l’élaboration d’un
document rassemblant, pour une période donnée (généralement une année), l’en-
semble des produits et des charges de l’exploitation. Ce document est l’équivalent
d’un compte de résultat pour une exploitation disposant d’une comptabilité. Il peut
être établi à partir d’un entretien avec l’agriculteur portant sur les processus de
production de l’ensemble des activités, étape par étape, de la préparation des sols
jusqu’à la récolte, la vente ou la transformation des produits.
Pour chaque étape, sont relevés les différents produits et les charges en valeur, ainsi
que le nombre de jours de travail familial. Ce mode de calcul repose sur la valorisa-
tion, au prix du marché, de la totalité des productions et des sous–produits, quelle
que soit leur destination (vente, autoconsommation, don, rémunération d’un salarié).
Par contre, les cessions internes ne sont pas comptabilisées.
Dans les charges, on distingue les consommations externes (les charges d’approvi-
sionnement, semences, engrais, produits phytosanitaires, aliments, produits vétéri-
naires, etc. ; le coût du carburant, le transport, les frais de stockage, d’entretien et de
réparation du matériel, les loyers et fermage, etc.) des autres charges d’exploitation
(rémunération des salariés et coûts générés par l’entraide ou l’invitation, taxes
payées, etc.). Les charges sont très souvent classées en charges opérationnelles et en
charges de structure, mais nous avons choisi un classement des charges dans l’optique
du calcul des soldes intermédiaires de gestion, qui sont importants dans l’analyse des
performances technico-économiques.

Résultats d’une exploitation de république centrafricaine


Le tableau 19.3 présente un exemple de document récapitulatif des résultats d’une
exploitation de République centrafricaine et la méthode de calcul des différents
indicateurs.
Le tableau 19.4 présente l’inventaire du capital d’exploitation (bâtiments, matériels,
animaux, etc.) obtenu au cours d’un entretien avec le producteur et le calcul de
l’amortissement annuel qui indique le niveau de capitalisation dans l’exploitation.

Valeur ajoutée
Le premier indicateur (tableau 19.3) est la valeur ajoutée (valeur ajoutée = produc-
tion - consommations externes = 846 040 FCFA pour l’exploitation analysée). Il
mesure l’importance de la création de richesse par l’activité de l’exploitation
(chapitre 13), dont la finalité est d’améliorer le bien-être économique et social de la
famille. Il permet de calculer le taux de marge :
Taux de marge = (valeur ajoutée / production) x 100
C’est la marge réalisée par l’exploitation pour 100 francs CFA de production. Dans
le cas de l’exploitation analysée, le taux de marge est de 72 %.

296
Tableau 19.3. Document de résultat annuel (2004) d’une exploitation de République centrafricaine.
Surface de 5,5 ha : 3 ha en coton ; 1 ha en arachide ; 1 ha en maïs ; 2 ha en manioc en association ; 0,5 ha en riz.
Description des produits, intrants et charges Quantité Prix unitaire Valeur totale Observations
récoltée (FCFA) (FCFA)
Produits (cultures, Arachide 480 kg 125 60 000 Prise en compte de toute la production.
élevage, cueillette…) Maïs 600 kg 100 60 000 La production non vendue (autoconsommée,
Riz 400 kg 110 44 000 don, rémunération de travail) est valorisée
au prix du marché
Manioc 2 464 kg 110 271 040
Coton 2 950 kg 150 442 500

Location attelages 2 ha 20 000 40 000 Prestation de service chez d’autres producteurs


Bois de chauffe – – 13 000
Caprins 18 cabris 10 000 180 000 Production valorisée au prix du marché
Volailles 30 poules 2 000 60 000
A. Total produits 1 170 540
Consommations externes Semences 22 000
Engrais 105 000
Produits phytosanitaires 90 000
Transport 30 000
Entretien et réparations 47 500
Loyer et fermage 30 000
B. Total consommations externes 324 500
Autres charges Main-d’œuvre 59 000
Main-d’œuvre familiale (1 210 j) Non encore pris en compte
C. Total charges de main-d’œuvre 59 000
Mesure des performances économiques

297
D, Total amortissements 47 500 FCFA (tableau 19.4) ; E, Valeur Ajoutée = A - B = 846040 FCFA ; F, Revenu agricole disponible = E - C = 787040 FCFA
G, Revenu agricole durable = F - D = 739 540 FCFA ; H, Revenu familial total = G + S = 739 540 FCFA (S est le revenu hors exploitation ; ici S = 0)
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 19.4. Capital d’exploitation, inventaire et amortissement d’une exploitation


centrafricaine.
Capital Valeur (FCFA) Durée de vie (année) Amortissement (FCFA)
Bergerie + poulailler 4 000 2 2 000
Grenier 4 000 2 2 000
Multiculteur 200 000 10 20 000
Charrette 80 000 10 8 000
Houes 22 000 4 5 500
Vélo 60 000 10 6 000
Équipement d’attelages 40 000 10 4 000
Bœufs 290 000 8 –
Total 700 000 47 500

Revenu agricole disponible


Un deuxième indicateur est celui du revenu agricole disponible. Il représente le
revenu généré par l’activité de l’exploitation, une fois toutes les charges payées
(sans rémunération du travail familial ou amortissement). C’est un indicateur
proche du revenu disponible, connu en France et calculé dans une perspective de
liquidité, ce qui n’est pas le cas dans les exploitations africaines où les flux en nature
sont de loin plus importants que les flux monétaires. Le revenu agricole disponible
est un indicateur important, puisqu’il permet de caractériser l’aptitude de l’exploi-
tation à dégager un revenu et d’évaluer ses performances techniques et commer-
ciales (pour les activités de vente). Il est utilisé pour calculer le taux de rentabilité
économique de l’exploitation.
Taux de rentabilité économique = (revenu agricole disponible / production) x 100
Ce taux est de 67 % pour l’exploitation analysée.
Le revenu agricole disponible doit être suffisant pour : satisfaire les besoins de la
famille (rémunération du travail et des capitaux de la famille) ; assurer la croissance
de l’exploitation (rémunération des capitaux via l’amortissement, autofinancement
de nouveaux investissements) ; conserver une marge de sécurité pour la gestion des
risques (épargne en élevage, critère de stabilité).

Revenu agricole durable


Le troisième indicateur est le revenu agricole durable. Cet indicateur vient
compléter celui du revenu agricole disponible qui rend compte d’une vision à court
terme, et n’inclut pas de provision pour le remplacement et le renouvellement des
outils de production (amortissement) quand ceux-ci se dégradent et deviennent inex-
ploitables. Or l’entretien, voire le renforcement, de l’outil de production est une
condition nécessaire pour la pérennité de l’exploitation. Pour cette raison, nous
convenons avec McConnel et Dillon (1997) de calculer un revenu agricole durable
prenant en compte le renouvellement à long terme du capital d’exploitation, c’est-à-
dire en enlevant le montant des amortissements du revenu agricole disponible.
Pratiquement, le montant des amortissements n’est pas réellement prélevé. Toutefois,
il peut être assimilé au montant d’autofinancement des nouveaux investissements

298
Mesure des performances économiques

réalisés ou au montant épargné (en élevage éventuellement). Le terme durabilité est


employé ici dans un sens restrictif puisqu’il ne concerne que le capital d’exploitation
et ne prend pas en compte les autres composantes de la durabilité (écologique,
sociale, autres dimensions économiques).

Revenu familial total


Le quatrième indicateur est le revenu familial total. Il correspond à la somme de
l’ensemble des revenus de la famille provenant de l’exploitation agricole et en
dehors de l’exploitation. Dans notre étude, comme il n’y a pas de revenu en dehors
de l’exploitation, le revenu familial total est égal au revenu agricole durable.
Les quatre indicateurs permettent d’analyser les performances technico-écono-
miques de l’exploitation. Toutefois cette analyse peut être complétée par une
analyse pluriannuelle de la même exploitation afin de suivre l’évolution des diffé-
rents indicateurs dans le temps, ou par une comparaison avec d’autres exploitations.
En effet, les mêmes indicateurs sont utilisables dans une analyse comparative avec
d’autres exploitations du village ou de la zone agro-écologique présentant globale-
ment les mêmes types d’activités.

Analyse de l’efficience
L’efficience est estimée par le calcul de la productivité de chaque facteur de produc-
tion indépendamment des autres ou bien également de tous les facteurs ensemble.

Calcul de la productivité d’un facteur


Le calcul de la productivité d’un facteur consiste à diviser le revenu agricole durable
par le nombre d’unités du facteur concerné. Ainsi, la productivité du facteur foncier
est de 739 540 francs CFA pour 5,5 ha, soit 134 462 francs CFA par hectare. On obtient
aussi 611 francs CFA par jour de travail et 106 francs CFA pour 100 francs CFA de
capital.
Mais cette méthode de calcul de la productivité est biaisée parce que si on attribue
le total du revenu agricole durable à la surface totale (5,5 ha, dans le cas du facteur
foncier, par exemple), cela signifie qu’il ne reste rien pour rémunérer les autres
facteurs (travail et capital) ou que ces facteurs n’ont joué aucun rôle dans l’obten-
tion de ce revenu, ce qui est faux. Pour corriger ce biais, il est préférable de calculer
la productivité selon la méthode des valeurs résiduelles (McConnel et Dillon, 1997).
Il s’agit de définir le facteur dont on souhaite calculer la productivité (la terre, par
exemple). Il faut d’abord rémunérer les deux autres facteurs (travail et capital) sur
la base de leurs coûts de marché, puis déduire ces rémunérations du revenu agricole
durable, et enfin diviser le reste (valeur résiduelle) par le nombre d’unités du
facteur concerné.
On suivra la même procédure pour calculer la productivité de chacun des deux
autres facteurs de production. Le tableau 19.5 montre comment calculer la produc-
tivité des facteurs : terre, travail et capital, en utilisant la méthode des valeurs rési-
duelles. Par exemple, pour le calcul de la productivité du facteur foncier (I dans le
tableau), la valeur résiduelle attribuée au facteur foncier est égale au revenu agricole

299
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 19.5. Productivité des facteurs de production.


Facteur /quantité Valeur (FCFA) Observation, coût unitaire
Terre (5,5 ha) Valeur totale 550 000 100 000 FCFA/ha
Rémunération 55 000 10 % de la valeur de la terre,
de la terre équivalent du loyer de la terre
Travail (1 210 j) Valeur totale 363 000 300 FCFA / j
Rémunération 363 000
du travail
Capital Valeur totale 700 000
Rémunération 35 000 5 %, taux de marché
du capital
I. Productivité Valeur résiduelle 739 540 - 363 000 - 35 000 341 540 / 5,5
de la terre = 341 540 FCFA = 62 098 FCFA/ha
J. Productivité Valeur résiduelle 739 540 - 55 000 - 35 000 649 540 / 1 210
du travail = 649 540 = 537 FCFA / jour de travail
K. Productivité Valeur résiduelle 739 540 - 55 000 - 363 000 321 540 / 7 000
de la terre = 321 540 FCFA = 46 FCFA / 100 FCFA de capital

durable (739 540 FCFA) moins la rémunération du travail (363 000), calculée sur la
base de 300 francs CFA par jour, et la rémunération du capital (35 000), qui repré-
sente l’application d’un taux de marché (ou un coût d’opportunité) de 10 % au
montant du capital. Cette valeur résiduelle est égale à 341 540 francs CFA, soit une
productivité de 62 098 francs CFA par hectare.
Cette productivité est plus proche de la réalité que le premier résultat (revenu
agricole durable / nombre d’unités du facteur) obtenu (134 462 FCFA / ha), et
elle est d’ailleurs du même ordre que le coût de location de la terre (estimé à
55 000 FCFA / ha).
La productivité du travail est de 537 francs CFA par jour, valeur supérieure au prix du
marché. Cela signifie que les actifs de la famille ont intérêt à travailler sur leur exploi-
tation et n’ont pas intérêt à vendre leur force de travail dans d’autres exploitations.
La productivité du capital est de 46 %, ce qui représente une bonne valorisation des
capitaux.

Rémunération des facteurs


Cette méthode ne donne pas la valeur exacte de chaque facteur, puisque chaque fois
la rémunération des deux facteurs, autres que celui dont on calcule la productivité,
est fondée sur une estimation selon le prix du marché et ne reflète pas la rémuné-
ration réelle par l’activité de l’exploitation qui peut être au-dessus ou en dessous de
ce prix de marché. Pour éviter ce biais, on peut calculer la productivité de l’en-
semble des facteurs de production groupés, ce qui est en outre plus cohérent avec
une approche systémique de l’exploitation agricole. Il s’agit de calculer la producti-
vité totale brute des facteurs de production : elle est égale à la production totale
divisée par le coût de tous les facteurs ayant contribué à l’obtention de ce revenu.

300
Mesure des performances économiques

Cette valeur correspond à l’ensemble des charges indiquées dans le tableau 19.3
(B + C + D), l’estimation du coût des autres facteurs de production n’ayant pas été
intégrée dans le calcul de ces charges (travail familial, terre non louée, capital,
tableau 19.5).
Le coût total des facteurs de production est :
(294 500 + 89 000 + 47 500) + 363 000 (pour le travail) + 55 000 (pour la terre) +
35 000 (pour le capital) = 884 000 FCFA
Productivité totale brute = 1 170 540 / 884 000 = 1,32
Productivité totale nette = revenu net / total des coûts
(1 170 540 - 884 000) / 884 000 = 286 540 / 884 000 = 32 %.

 Conclusion
L’analyse qui vient d’être faite a été centrée plus particulièrement sur les perfor-
mances technico-économiques de l’exploitation. Elle a utilisé principalement la
productivité et la rentabilité comme critères de performance et peut être complétée
par le calcul des autres critères, notamment la stabilité et la dispersion. Une analyse
détaillée de chaque activité peut également être faite, pour apprécier son impor-
tance et sa contribution à la performance globale de l’exploitation. La méthode des
marges (marge brute, marge directe et marge nette) est souvent utilisée. Soulignons
enfin que cette analyse technico-économique peut être complétée par deux autres
types d’analyse : le niveau de capitalisation et les efforts d’investissements de
l’exploitation ; les pratiques de gestion de la trésorerie, etc.

301
Pour approfondir le sujet
Chapitre 20
Diversification des systèmes de cultures
dans les exploitations cacaoyères
au Cameroun et demande
d’innovation technique
Ludovic TEMPLE, Jules-René MINKOUA NZIE et Olivier DAVID

L’histoire agraire du Sud-Cameroun est marquée par la prédominance de l’agricul-


ture de plantation de cacaoyers (Courade, 1974). Depuis quelques années, la chute
et l’instabilité des cours internationaux du cacao, la croissance des marchés urbains
(données d’enquêtes auprès de ménages réalisées par Cirad-DSCN-IITA) et la
pression foncière due à la croissance démographique (Nkendah et Temple, 2003)
créent des conditions favorables à la diversification agricole. Ce processus – par
ailleurs peu explicité par les statistiques disponibles – modifie les besoins de
conseils et d’innovation des producteurs.

 Définition de la diversification
Nous définissons la diversification comme l’élargissement de la gamme des produits
d’une exploitation, de ses activités ou de ses marchés. C’est une stratégie de dimi-
nution des risques techniques ou économiques. Pour certains auteurs, la spécialisa-
tion est également une stratégie de diminution des risques dans la mesure où elle
favorise l’émergence d’institutions (coopératives, syndicats…) dont les actions poli-
tiques orientent les mécanismes de régulation des marchés.
Dans les filières des cultures pérennes tropicales, la diversification peut être intro-
duite à l’intérieur de la filière existante par la recherche de marchés de qualité qui
exigent des itinéraires techniques particuliers (Cheyns et al., 2001) ou par l’intégration
de nouvelles activités dans la filière comme la transformation et la commercialisation.

303
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

On observe aussi une reconversion dans des cultures horticoles dans les zones périur-
baines (Moustier, 1997), ou dans des cultures pérennes (palmier, agrumes, hévéa)
(Giry et Steer, 2003 ; Aulong et al., 2000 ; Ndabalishye, 2003). La diversification peut
concerner des cultures vivrières complémentaires des cultures existantes sur les plans
technique et économique (Temple et Fadani, 1997). Dans certaines circonstances, le
système de production est diversifié à la suite de l’intégration de fonctions sociales
(création d’emploi) ou environnementales (gestion des ressources naturelles, eau,
air, biodiversité ; entretien du paysage). On peut citer la mise en place de méca-
nismes de rémunération des planteurs de caféier au Costa Rica au regard de leur
fonction environnementale, les incitations à des plantations agroforestières au
Honduras dans le cadre des projets localisés dans les zones de collecte des eaux qui
approvisionnent les villes (Rain forest). Les processus de diversification varient donc
selon les contextes.

 Cas des exploitations cacaoyères du Sud Cameroun


Dans les exploitations cacaoyères du Sud Cameroun, les pratiques culturales sont
marquées par une agriculture extensive qui s’est diversifiée en fonction d’objectifs
déterminés pour garantir la durabilité de l’activité agricole (Leplaideur et al., 1981 ;
Losch et al., 1991) : préserver la sécurité alimentaire du groupe social grâce à l’au-
toconsommation et à la redistribution de la production vivrière ; rechercher des
revenus monétaires pour couvrir des besoins économiques (paiement de l’impôt,
scolarisation, investissement, consommation, épargne), sociaux (redistribution
sociale, deuils, mariages) et patrimoniaux (marquages fonciers). La perception de
revenus monétaires reste essentiellement liée aux productions d’exportation
commercialisées sur les marchés internationaux.
Sur les marchés urbains, la hausse de la demande en productions vivrières et horti-
coles apporte des opportunités de diversification des revenus, d’autant plus attrac-
tives que les prix sont plus stables sur les marchés nationaux en comparaison des
marchés internationaux et que les écarts entre le prix de revient du cacao et son prix
de vente se sont resserrés (Ruf, 2001). En conséquence, dans les zones de planta-
tions d’Afrique centrale, la production vivrière pour la commercialisation augmente
et les cultures horticoles se développent.
En l’absence de recensement agricole depuis 1984 dans la plupart des pays de cette
région, ces changements n’ont pas été évalués, il est donc difficile de proposer des
orientations stratégiques (recherche, formation des vulgarisateurs...) qui répondent
à la demande d’appui de la part des producteurs.
Nous proposons de décrire ce processus de diversification des systèmes de culture
dans le Sud Cameroun. Ensuite, à l’aide d’une typologie des exploitations, les varia-
bles micro-économiques déterminantes seront identifiées. Enfin, nous analyserons
la demande d’innovation technique. Les résultats proviennent d’une enquête
conduite en 2002 dans 234 exploitations cacaoyères (tableau 20.1) dans les
provinces du Centre et Sud-Ouest du Cameroun (Réseau régional d’analyse et de
recherches sur les politiques cacaoyères en Afrique de l’Ouest et du Centre de 2002
à 2003) (Minkoua Nzie, 2003).

304
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun

Tableau 20.1. Structure de l’échantillon d’enquête au Cameroun.


Département Arrondissement Nombre d’enquêtes
Lékié Sa’a 60
Mbam et kim Makénéné 60
Fako Muyuka 64
Méme Mbongé 45
Total 234

Diversification des systèmes de culture


D’après les enquêtes, les exploitations cacaoyères se diversifient essentiellement de
deux manières : soit par l’élargissement du damier de parcelles dont dispose l’ex-
ploitant, c’est-à-dire la juxtaposition de nouvelles parcelles ; soit par la modification
du système de culture des parcelles existantes.
Ainsi, 52 % des exploitations ont une structure de production diversifiée. Dans 40 %
des exploitations la parcelle cacaoyère est juxtaposée à une ou plusieurs parcelles
vivrières ; dans 10 % des cas, des parcelles de palmier à huile sont cultivées en sus
des parcelles cacaoyères (tableau 20.2). La diversité des systèmes de culture se
retrouve également dans les parcelles vivrières existantes.

Tableau 20.2. Type de valorisation des parcelles.


Type de valorisation parcellaire Nombre Fréquence
d’exploitations dans l’échantillon (%)
Cacaoyer + palmier + caféier + champ vivrier 1 0,4
Cacaoyer + palmier + champ vivrier 6 2,5
Cacaoyer + caféier + champ vivrier 1 0,4
Cacaoyer + palmier 16 6,8
Cacaoyer + cafier 2 0,8
Cacaoyer + champ vivrier 84 35,9
Cacaoyer seul 114 48,7
Total 234 100

Diversité des cultures dans les cacaoyères


Dans 97 % des parcelles de cacaoyer, d’autres cultures sont présentes (Endamana
et al., 2001).
Le tableau 20.3 donne l’intensité de présence des différentes cultures dans les
parcelles de cacaoyer de l’échantillon d’exploitations. Il a été demandé à chaque
planteur de citer trois espèces (parmi les plus importantes) introduites dans les
parcelles. Le bananier (plantains et bananes), le safoutier, les agrumes (oranger,
mandarinier, citronnier), le palmier à huile et l’avocatier sont les cultures de diversi-
fication les plus fréquentes de la cacaoyère. Les cultures qui sont présentes avec une
fréquence inférieure à 5 % sont : maïs, macabo, canne à sucre, arachide, goyavier,
manguier, igname, caféier, haricot, kolatier, piment, njangsang, papaye, ananas.

305
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 20.3. Diversification des parcelles cacaoyères : fréquence de présence d’une


culture associée au cacaoyer. Chaque exploitation peut cultiver plusieurs parcelles
de cacaoyer.
Type de culture Présence des associations au cacaoyer
Culture 1 Culture 2 Culture 3 Total Fréquence
Bananier 120 77 44 241 0,27
Safou 89 79 22 190 0,21
Agrumes 42 41 26 109 0,12
Palmier à huile 62 20 12 94 0,11
Avocatier 11 24 29 64 0,07
Autres 68 67 52 187 0,21
Total 392 308 185 885 1

Dans les plantations de cultures pérennes (cacaoyer, palmier, caféier...), le bana-


nier a une place centrale pour plusieurs raisons. Dans une première étape, le
bananier sert à mettre en valeur la forêt, puis il a une fonction d’ombrage des
jeunes plants (cacaoyer, palmier, agrumes...) et contribue au financement de l’ex-
ploitation pendant la durée d’entrée en production de la plantation. Enfin, le
bananier assure la sécurité alimentaire des exploitations grâce à l’autoconsom-
mation dans l’attente de revenus futurs. Dans les zones de vieillissement de la
cacaoyère (Leiké), l’insertion croissante d’arbres fruitiers transforme les planta-
tions cacaoyères en agro-forêts fruitières (Dury, 2000). Selon les régions, le choix
de la production fruitière dominante varie, et progressivement apparaissent des
zones de concentration d’espèces fruitières : mandarinier d’obala, safou de
makénéné…

Cultures vivrières
Certains ménages possèdent un ou plusieurs champs où sont associées plusieurs
cultures vivrières. Le manioc, le maïs, le macabo, le bananier et l’arachide jouent un
rôle déterminant dans la diversification, le manguier, l’igname, le niébé, le haricot,
le piment, le gombo, l’oignon, le soja, la tomate et l’avocatier sont associés moins
fréquemment (tableau 20.4).
Dans les champs de cultures vivrières, les productions sont toujours associées pour
répondre aux besoins alimentaires multiples de l’exploitation, mais aussi pour éche-
lonner et diversifier le calendrier alimentaire. Ainsi, la combinaison de plantes
ayant des cycles végétatifs différents permet de récolter successivement les produits
nécessaires à l’alimentation dans un contexte marqué par l’accès limité au marché
et par des ressources monétaires faibles. L’objectif est aussi l’utilisation optimale de
la terre dans l’espace et dans le temps : juxtaposition de plusieurs strates de culture,
successions des cultures dans le temps. L’agriculteur cherche aussi à minimiser les
besoins en main-d’œuvre, par exemple, certaines associations (plantain et maïs)
sont utilisées pour réduire les travaux de désherbage.

306
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun

Tableau 20.4. Diversification des parcelles vivrières : fréquence de présence des


cultures (par exemple, manioc) associées aux vivriers.
Culture associée aux cultures vivrières Présence de la culture associée Fréquence
Culture 1 Culture 2 Culture 3 Total
Manioc 38 13 0 51 0,28
Maïs 21 7 1 29 0,16
Macabo 10 16 2 28 0,16
Bananier 14 7 4 25 0,14
Arachide 7 6 3 16 0,09
Autres 15 13 2 30 0,17
Total 105 62 12 179 1

Objectifs et résultats de la diversification


Ainsi, la stratégie de l’exploitant consiste à densifier les cultures dans les plantations
cacaoyères et les cultures vivrières, donc à intensifier le travail. Par ailleurs, dans les
zones périurbaines, on observe également des exploitants pluriactifs qui installent
une monoculture vivrière (plantain, manioc…) avec des capitaux issus d’autres
secteurs d’activités (Lemeilleure et al., 2003) ; les rendements qu’ils obtiennent sont
plus élevés en raison d’une meilleure technicité.
Auparavant, cultiver des systèmes associés de façon extensive (faible densité, diversité
culturale) était un moyen de gérer le risque phytosanitaire. Mais ces dernières années,
les contraintes phytosanitaires s’accroissent et l’emploi des intrants chimiques devient
nécessaire, alors que les moyens financiers des exploitations familiales sont insuffisants.
Les déterminants économiques des associations culturales dans l’agriculture de
plantation diversifiée reposent sur la recherche d’interactions positives entre
cultures, difficiles à mesurer par des indicateurs économiques classiques. Elles se
distinguent des économies d’échelle qui motivent l’intensification et la spécialisa-
tion, voir s’y opposent (Vermersch, 2000). Ces choix sont parfois des freins à l’opti-
misation agronomique des systèmes de culture, en termes de maximisation des
rendements. Par conséquent, les objectifs des chercheurs (accroissement de la
productivité, protection des ressources naturelles) ne sont pas toujours compatibles
avec ceux des producteurs (sécurité alimentaire, minimisation des risques, diminu-
tion des quantités de travail ou cohésion sociale) (Nounamo et Foaguegue, 1999).

 Déterminants micro-économiques
de la diversification dans le Sud Cameroun
Un indicateur de diversification a été conçu à partir du nombre de cultures dans
l’exploitation et de la fréquence d’apparition des principales cultures de diversifica-
tion dans les parcelles de cacaoyer (palmier, safou, plantain, orange, manioc) ; les
exploitations enquêtées sont classées en 4 types (tableau 20.5).

307
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 20.5. Les types de diversification.


Nombre de cultures associées différentes Nombre d’exploitations Classe Type
0 4 Pas diversifié 0
1à3 79 Peu diversifié 1
4à5 75 Moyennement 2
diversifié
6 à 12 76 Très diversifié 3

Ensuite, des variables quantitatives et qualitatives ont été retenues pour mesurer les
relations statistiques avec le type d’exploitation par des analyses de variance et des
tests de comparaison des moyennes : âge, expérience, niveau d’éducation, superficie
de l’exploitation, taille du ménage, nombre de femmes du ménage, dépenses en
intrants par hectare, accès au marché urbain, information sur les prix, production de
cacao par hectare, exercice d’une activité non-agricole, niveau de revenu global, zone.
Le type « non diversifié » n’étant pas significatif, l’analyse de variance a porté plutôt
sur les trois autres types d’exploitation. Le tableau 20.6 présente les variables dont
les résultats sont significatifs.
Les principales variables micro-économiques qui favorisent la diversification sont
l’âge des planteurs, la taille de l’exploitation, le travail de la femme, l’accès au
marché.
• L’âge des planteurs. On note une différence significative entre le troisième niveau
de diversification et les deux premiers niveaux : plus un agriculteur est âgé plus la
probabilité de diversification est forte.

Tableau 20.6. Résultats statistiques.


Typologie Caractérisation de l’exploitation
(nombre Âge Surface Taille Nombre de Accès aux
d’exploitations) (ha) ménage femmes actives marchés
Pas diversifié 53 2,2 7 2 1 750
N0 = 4 (20) (0,9) (4,7) (0,6) (500)
Peu diversifié 47 6 8 2,32 1 604
N1 = 79 (14) (5) (5) (2) (258)
Moyennement diversifié 46 5 8 2,28 1 523
N2 = 75 (17) (5) (4) (2) (315)
Très diversifié 51 8 11 2,86 1 471
N3 = 76 (12) (8) (5) (2) (267)
Test Fisher 5 % 3,0 4,9 10,4 9,5 4,42
Z calculé à 5 %
(1) et (2) 0,33 1,24 0 0 2,16*
(1) et (3) 2,0* 2,0* 3,71* 3,1* 3,13*
(2) et (3) 2,5* 3,0* 4,05* 3,05* 1,09*
Différence significative des moyennes pour un niveau de risque α = 5 %. Les valeurs des
variables sont les moyennes, entre parenthèses les écarts-types.

308
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun

• La taille de l’exploitation. La diversification augmente avec la taille de l’exploita-


tion. Cette relation est également constatée si on considère la taille du ménage.
• La femme active. Le troisième niveau de diversification est significativement
différent des niveaux 1 et 2, la diversification augmente avec le nombre de femmes
dans le foyer.
• L’accès au marché, estimé par le coût de transport vers les marchés urbains de
Yaoundé et de Douala. Il indique une différence de moyennes significative entre les
classes 1 et 2, et entre les classes 1 et 3. L’accès au marché a donc un effet sur le
degré de diversification.
Cet éclairage sur les déterminants micro-économiques de la diversification reste
partiel car l’enquête est réalisée en un seul passage. Conformément à notre hypo-
thèse, la diversification s’explique par une stratégie anti-risque par rapport à une
culture principale. Néanmoins, elle est mise en œuvre par certains types de produc-
teurs, qui disposent au préalable d’une certaine sécurité (grandes exploitations), ou
sont plutôt âgés, ou encore bénéficient de coûts de transport faibles vers les marchés
urbains en expansion (proximité géographique, état satisfaisant des voies secondaires
pour que des véhicules accèdent aux plantations).
L’identification de la variable de l’âge peut s’expliquer par la relation entre des
pratiques sociales (polygamie) et le cycle de vie des exploitations. En l’occurrence,
plus un planteur est âgé plus la probabilité d’avoir un grand nombre de femmes est
élevée. Il attribue des parcelles de forêt ou des anciennes cacaoyères aux femmes
pour qu’elles puissent assurer leur sécurité alimentaire. Contraintes par la recherche
de liquidités régulières pour faire face aux dépenses courantes, ces femmes diversi-
fient leur production dans des cultures vivrières voire maraîchères pour la vente. La
dynamique de la diversification dépend donc de l’accès des femmes au foncier.

 Impact de la diversification sur la demande


d’innovation technique
L’accélération de la diversification – qui a pour but d’élargir les sources de revenus
monétaires – s’accompagne de contraintes nouvelles dans l’organisation des
marchés des produits vivriers et horticoles. Par ailleurs, la diversification repose sur
une diversité des systèmes de culture et se traduit par des besoins de changements
techniques multiples.

Maintien d’une agriculture extensive


La diversification ne s’accompagne pas ou peu d’intensification dans l’emploi des
intrants, le rendement du plantain dans les systèmes d’association culturale au
Centre du Cameroun en est un indicateur : il est passé de 4 tonnes par hectare en
1977 (Leplaideur et al., 1981) à 5 tonnes en 2000 (Temple et al., 2003), alors que les
rendements en station expérimentale sont fréquemment de 30 tonnes par hectare.
Le maintien de l’exploitation extensive s’explique par la relative bonne productivité
du travail dans les systèmes fondés sur la valorisation des ressources naturelles

309
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

(maintien de la fertilité, absence de parasites...). Dans une situation où l’accès aux


réserves forestières est relativement libre (pour un migrant, la mise en valeur d’une
parcelle implique de négocier une contrepartie en nature qui est reversée aux popu-
lations autochtones à plus ou moins long terme), mais où on observe une pénurie
de capital (faiblesse des revenus et inexistence du crédit rural), les agriculteurs valo-
risent le facteur de travail qui est le plus rare comparé à la terre et le plus disponible
comparé au capital. Les petites exploitations familiales restent peu favorables à une
intensification en intrants, car cela suppose des dépenses monétaires, et à la suite
d’un gain de revenu monétaire, le planteur est soumis à l’alternative d’affecter cette
somme à des soins de santé pour son entourage ou à l’acquisition d’intrants.

Évolution de la pression foncière et de la fertilité


Le système extensif est remis en cause dans certaines zones où la pression foncière
ne permet plus une gestion de la fertilité par des jachères longues (Temple et
Achard, 1995). La diminution de la durée de jachère nécessaire à la reconstitution
des réserves de fertilité et à l’assainissement sanitaire remet en cause la durabilité
de la gestion extensive de la production. Elle se traduit par une pression croissante
des contraintes biologiques, la mise en culture des parcelles de plus en plus éloi-
gnées, des coûts de transport en hausse.
Deux trajectoires d’adaptation des systèmes de production sont alors envisageables.
Une première orientation consiste à intensifier l’apport des intrants d’abord dans
les grandes plantations ou chez les planteurs pluriactifs, voire à proposer une
modernisation de l’agriculture vivrière sur le modèle des agricultures des pays du
Nord. Une deuxième orientation consiste à explorer les possibilités d’intensification
en travail qui valorisent le mieux les mécanismes de régulation naturelle, les
connaissances des producteurs, les ressources scientifiques locales et internatio-
nales. Un processus de ce type a été mis en œuvre au Cameroun à partir d’une
nouvelle technique de multiplication horticole du bananier (Kwa, 2003) après vali-
dation et diffusion. Cette stratégie a augmenté la productivité du bananier et favo-
risé la diversification des activités en milieu rural (création du métier de
pépiniéristes de plantules) sans entraîner nécessairement une hausse du coût des
intrants (Temple et al., 2003). Les potentiels d’amélioration des agricultures exten-
sives sont encore importants.

 Conclusion
En Afrique tropicale au Sud du Cameroun, la diversification est ancrée dans l’agri-
culture familiale de plantation. Historiquement, le processus de diversification est
déterminé par la recherche de la sécurité alimentaire voire par des variables socio-
logiques, mais l’extension des marchés urbains stimule ce processus qui permet de
stabiliser et d’augmenter les revenus monétaires. En conséquence, la transforma-
tion des systèmes de culture s’accélère, faisant émerger des demandes techniques
spécifiques que les dispositifs de recherche et de vulgarisation n’ont pas toujours
anticipées.

310
Diversification des systèmes de cultures dans les exploitations cacoyères au Cameroun

Des bassins de production se créent par produit, ce qui risque de conduire à une
augmentation des contraintes phytosanitaires. De par leur structure socio-écono-
mique, les petites exploitations ne sont pas favorables à une intensification des
systèmes de production, notamment par l’achat d’intrants, pour répondre à ces
contraintes. Une première stratégie serait de soutenir le changement du mode de
production, d’une agriculture familiale à une agriculture d’entreprise qui intensifie
l’emploi des intrants, voire à une agriculture industrielle. Une deuxième stratégie
consisterait à accompagner la transformation – fondée sur une évolution technique
progressive – des agricultures familiales en une production intégrée, en s’appuyant
sur la valorisation des mécanismes de régulation et les externalités positives des
associations culturales.
Les résultats positifs enregistrés avec cette deuxième stratégie montrent que des
marges de progrès peuvent être rapidement obtenues. Mais la réussite de ces projets
dépend d’un changement d’attitude de la part des intervenants en milieu rural, pour
une plus grande proximité et interactivité avec les producteurs afin d’accélérer le
processus d’innovation (techniques et nouvelles productions) et de le rendre compa-
tible avec les contraintes et la valorisation des ressources. Une de ces ressources est
la complémentarité entre les connaissances empiriques des producteurs et celles
plus scientifiques des chercheurs ; dans un processus interactif, la recherche doit
s’engager dans un dispositif de validation de ses résultats. L’innovation n’est plus
produite par le simple transfert d’une connaissance ou d’une technique mais par un
processus d’interaction entre les principaux opérateurs associés dans un changement
technique durable.

311
Pour approfondir le sujet
Chapitre 21
Gestion de production et coordination
entre exploitations agricoles : exemple
de l’organisation du travail en double
riziculture irriguée au Sénégal
Pierre-Yves LE GAL

De nombreux travaux portent depuis une trentaine d’années sur la façon dont les
agriculteurs gèrent leurs systèmes de production au sein de leurs exploitations
(Keating et McCown, 2001). Des recherches menées en France ont étudié différents
types de décision de gestion autour du concept générique de modèle d’action
(Sebillotte et Soler, 1990) : organisation du travail (Papy et al., 1990), conduite de
culture (Aubry et al., 1998), gestion de l’irrigation (Labbé et al., 2000) et des systèmes
d’élevage (Coléno et Duru, 1999). Ces approches ont également été appliquées sur
des cas africains (Dounias et al., 2002).
Ces travaux analysent la façon dont les agriculteurs coordonnent leurs différentes acti-
vités et équilibrent offre et demande en ressources au sein de leurs exploitations. Pour
autant celles-ci ne constituent pas des systèmes fermés dès lors que l’agriculteur
s’approvisionne en intrants et services, et commercialise ses productions. Ces relations
avec d’autres opérateurs économiques suscitent de nouvelles coordinations, avec des
effets sur le fonctionnement et les performances du système interne de production.
Ces relations sont particulièrement prospères lorsque les agriculteurs partagent un
équipement commun (périmètre irrigué, matériel agricole) ou passent des contrats
avec l’aval (agro-industries, grande distribution). Sur ce plan, les exploitations agri-
coles africaines ne se distinguent pas fondamentalement de leurs homologues occi-
dentales. Leur taille réduite rend souvent nécessaire la gestion partagée de
ressources telle que l’eau et le matériel (Le Gal, 2002) ; l’agriculture contractuelle
prend de l’importance, tant au sein de bassins d’approvisionnement agro-industriels
(Gaucher et al., 2003) qu’avec l’implantation grandissante de la grande distribution
dans les villes africaines (Weatherspoon et Reardon, 2003).

313
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Comprendre la façon dont les agriculteurs se coordonnent entre eux et avec d’au-
tres opérateurs économiques devient alors central pour définir les gains de perfor-
mance à attendre d’une meilleure organisation de ces relations. Ce point de vue est
illustré par l’analyse de la gestion de la double riziculture irriguée dans le Delta du
fleuve Sénégal. Après avoir présenté le contexte, nous montrons comment la diver-
sité des performances observées sur trois périmètres irrigués s’explique par la façon
dont les organisations paysannes en charge de leur gestion réagissent aux incerti-
tudes générées par les agriculteurs individuels et les prestataires de service méca-
nisés. Nous concluons en proposant un cadre général d’analyse et d’intervention
pour ce type de situation de gestion.

 Position du problème : contexte, double culture du riz


et organisation collective
Les périmètres irrigués rencontrés dans le Delta du fleuve Sénégal couvrent des
superficies variables (de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’hectares) divisées
en parcelles de 0,25 à 4 ha par exploitation. Chaque périmètre comprend donc un
nombre conséquent d’agriculteurs (jusqu’à plusieurs centaines), partageant un
réseau hydraulique commun assujetti à des stations de pompage. La gestion de ces
aménagements est confiée depuis les années 90 à des organisations paysannes dont
les représentants paysans décident des modes de distribution de l’eau, de la main-
tenance des réseaux, du choix de la tarification et de la gestion des flux financiers
(Le Gal et Dia, 1991).
Du fait de la nature argileuse des sols, ces périmètres sont essentiellement dédiés à
la culture du riz. L’itinéraire technique comprend une préparation du sol effectuée
à l’aide de tracteurs conventionnels et, à l’époque de cette recherche (dans les
années 90), l’utilisation de moissonneuses-batteuses pour la récolte. Ces gros équi-
pements sont la propriété des organisations paysannes gestionnaires des périmètres
ou de prestataires privés.
La double culture consiste en la succession de deux cultures de riz la même année
sur les mêmes parcelles. Elle a été fortement promue par l’État et les bailleurs de
fonds lors du transfert de gestion des périmètres aux organisations paysannes,
comme un moyen d’augmenter la valorisation des périmètres et les revenus des
paysans. Elle pose néanmoins un problème d’organisation collective du travail, dans
la mesure où les deux cycles se chevauchent en juillet-août et qu’un retard des semis
au-delà du 15 août augmente les risques de chute de rendement par stérilisation des
épillets (Dingkuhn et al., 1995).
Ce problème se traduit en ces termes : comment respecter le calendrier cultural
optimal en coordonnant les décisions individuelles de semis puis de drainage des
parcelles avant récolte avec les interventions collectives concernant, d’une part la
gestion de l’eau à l’échelle du périmètre (essentiellement le choix de la date de
démarrage de la station de pompage), d’autre part la conduite des opérations méca-
nisées à l’aide d’équipements partagés entre un grand nombre d’agriculteurs ?

314
Gestion de production et coordination entre exploitations agricoles

Cette question a été étudiée sur deux périmètres du delta, Boundoum et Thiagar,
couvrant respectivement 2 400 et 1 600 ha. Constatant que le village correspondait
au niveau global de gestion des équipements agricoles partagés, nous nous sommes
limités à trois situations : Diawar à Boundoum, Ndiethene et Thiagar à Thiagar.
Dans chaque cas, les calendriers de travaux ont été reconstitués à l’aide du suivi des
parcelles individuelles, et d’interviews des différents acteurs du système (paysans,
responsables d’organisation paysanne, prestataires de service) pour comprendre
leurs processus de décision (Le Gal et Papy, 1998).

 Une diversité de performances


Un premier niveau d’évaluation des performances consiste à observer l’évolution
des superficies cultivées en double culture sur une longue période. Après un début
prometteur, correspondant à la période d’observation directe jusqu’en 1993, la
fréquence de double culture a globalement chuté à Thiagar (figure 21.1) où la simple
culture ne couvre pas toujours l’ensemble du périmètre, et a subi des variations
erratiques d’une année à l’autre à Boundoum.
Ces variations dénotent un relatif rejet de la double culture par les paysans. Outre les
difficultés rencontrées dans le financement des campagnes agricoles (Bélières et al.,
1991), celui-ci s’explique par les risques agronomiques que doivent alors prendre les
paysans et qui sont mesurés par la proportion de surface semée au-delà du 15 août
(figure 21.2). Cette donnée varie d’un village et d’une année à l’autre, mais prend le
plus souvent des valeurs élevées (jusqu’à 80 %). Elle amène les agriculteurs à opter
pour des variétés de cycle plus court (Aïwu, IR1529), moins productives mais suppor-
tant mieux un retard de semis. Dans certains cas, le deuxième cycle ne peut être mis
en place à temps et l’agriculteur revient à un système de simple culture.

Taux de double culture de riz


200

180 Boundoum Thiagar

160

140

120

100
%

80

60

40

20

0
1991/92 92/93 93/94 94/95 95/96 96/97 97/98 98/99 1999/2000

Figure 21.1. Évolution du taux de double culture de riz à Boundoum et Thiagar (1991-2000).

315
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Taux de double culture annuelle


90
Variétés :
80 Aïwu
Jaya
70
IR1529
60

50
%

40

30

20

10

0
1991 1992 1993 1991 1992 1993 1992
site : Thiagar Ndiethene Diawar

Figure 21.2. Évolution des superficies en double culture semées après le 15 août par site et par variété
(Le Gal, 1998).

Ces retards de semis proviennent de l’enchaînement des opérations allant de la


récolte du précédent à la mise en place de la culture suivante, et des calendriers de
travail qui en découlent. Ceux-ci diffèrent d’une année à l’autre et d’un village à
l’autre. Ainsi, la comparaison entre les villages de Diawar et Ndiethene en 1992
montre que, pour des superficies et des dates de semis équivalentes, la récolte
démarre 15 jours plus tard à Ndiethene. De plus, récolte et préparation du sol sont
effectuées successivement à Ndiethene alors que ces deux chantiers avancent en
parallèle à Diawar (figure 21.3). Dans les deux villages, les débits de chantier sont
très variables d’un jour à l’autre, avec parfois des arrêts de plusieurs jours. Ces diffé-
rences entre villages résultent de la combinaison entre les comportements des
acteurs individuels (agriculteurs, prestataires de service) et les dispositifs mis en
place par les organisations paysannes pour coordonner ces comportements afin
d’atteindre leurs objectifs en matière de double culture.

 Des acteurs individuels aux comportements incertains


De manière générale, les comportements individuels sont source d’incertitudes réci-
proques au sein des organisations collectives (Crozier et Friedberg, 1977). Les
raisons peuvent en être diverses (mauvaise maîtrise des décisions à prendre,
recherche de pouvoir ou de marges de liberté), mais ces incertitudes vont peser sur
les performances de l’organisation, et ces effets augmentent avec l’intensité des
interdépendances entre acteurs.
Cette situation se retrouve sur les périmètres irrigués collectifs, que ce soit dans l’ex-
pression des demandes individuelles en eau face à une offre collective (de Nys, 2004)
ou dans la mise en œuvre d’un calendrier de travail fondé sur des équipements

316
Gestion de production et coordination entre exploitations agricoles

Diawar
Surface (ha)
30 Superficie en double culture : 188 ha

20

10

0 date
15/2 1/3 15/3 1/7 15/7 31/7 15/8

Ndiethene
Surface (ha)
30 Superficie en double culture : 178 ha

20

10

0 date
15/2 1/3 15/3 1/7 15/7 31/7 15/8

Semis Préparation du sol Récolte

Figure 21.3. Calendrier de travail en double culture à Diawar et Ndiethene en 1992.

partagés, comme dans le cas étudié. Ainsi, pouvoir réaliser rapidement la succession
riz-riz à l’échelle du périmètre suppose, du point de vue de la récolte, que les
parcelles soient à la fois mûres et portantes pour permettre le passage des moisson-
neuses-batteuses, et que ces états s’échelonnent sur un temps suffisamment court.
Ce délai est lui-même fonction de l’équilibre entre surfaces à récolter et débit du
chantier de récolte qui dépend lui-même du nombre de moissonneuses-batteuses
fonctionnelles et de leurs performances individuelles.

317
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Ces différents éléments sont sous le contrôle d’acteurs indépendants, dont les
comportements présentent une large part d’incertitudes croisées. Ainsi, les agricul-
teurs n’ont aucune certitude de la date exacte de récolte de leurs parcelles, qui
dépend de la vitesse d’avancement du chantier de récolte mécanique dans les
mailles hydrauliques relevant de leur village. De ce fait, ils préfèrent retarder au
maximum la date de drainage de leurs parcelles, de manière à poursuivre aussi long-
temps que possible l’alimentation hydrique du riz pour amener à maturité les
dernières panicules produites.
De leur côté, les prestataires de service peuvent difficilement promettre une date de
passage aux organisations paysannes avec lesquelles ils passent contrat. Un tiers à
la moitié des journées potentielles de travail sont en effet perdues en pannes de
matériel ou affectées à des prestations hors périmètre (Le Gal et Papy, 1998). Les
machines opérationnelles ont des performances en général faibles, mais surtout très
variables d’un jour à l’autre. Cette variabilité, en grande partie due à un manque
d’entretien, de pièces détachées et de capacités financières pour l’achat des pièces,
voire du carburant, rend toute planification des travaux aléatoire.
Les organisations paysannes chargées d’organiser le chantier de récolte à l’échelle
de chaque village se trouvent ainsi placées devant une situation complexe à carac-
tériser et à contrôler. Si la maturité des parcelles est facilement observable, il en va
différemment de l’état d’humidité et de la portance qui dépendent non seulement
de la date de drainage (information non relevée par les organisations paysannes)
mais également des conditions climatiques post-drainage, de la nature des sols, du
planage de la parcelle et d’éventuelles fuites dans le réseau hydraulique. Il leur est
alors difficile de s’engager avec des prestataires sur la base d’un minimum de
surfaces récoltables sans risque d’enlisement et de casse des matériels. Il leur faut
pour autant réduire le plus possible la durée du chantier de récolte, tout en sachant
que les performances des matériels sont aléatoires.

 Coordonner et s’adapter
Face à de telles situations où pèsent fortement des aléas de toute nature et d’ori-
gines diverses, ces organisations paysannes ont conçu des réponses spécifiques
visant à assurer un minimum de cohérence d’ensemble à la conduite de la récolte
en particulier, et à celle de la double culture en général. Ces réponses relèvent de
trois stratégies complémentaires et diversement adoptées selon les villages : la
contractualisation des relations avec les prestataires de service, la simplification des
problèmes posés et l’ajustement aux aléas rencontrés.
La contractualisation s’est essentiellement traduite par l’attribution du monopole
des prestations aux entreprises de travaux agricoles du village, alors que la règle
locale consiste à s’engager sur de simples accords verbaux, susceptibles d’être
dénoncés au gré des opportunités de travail. Cette solution donne plus de visibilité
aux capacités de chantier à partir desquelles élaborer un processus de planification,
puisque le nombre potentiel de machines disponibles est alors connu. En contre-
partie de ce marché captif, les prestataires se sont vus obligés de récolter toutes les
parcelles, même en cas de faible production ou de conditions difficiles. Cet accord

318
Gestion de production et coordination entre exploitations agricoles

a également eu l’avantage de réduire les sources de conflit entre les acteurs sociaux
d’un même village.
Parallèlement, le problème de l’hétérogénéité des états parcellaires a été simplifié
en centralisant la décision de démarrage du chantier de récolte au niveau de l’orga-
nisation paysanne gestionnaire de l’ensemble du périmètre, et en ne déclenchant la
récolte qu’une fois 80 % des parcelles parvenues à maturité. Ainsi, les risques de
rupture de chantier du fait de parcelles peu portantes ont été limités et la vitesse du
chantier a pu augmenter. Cette conduite n’a été mise en place qu’à Thiagar où les
accès aux parcelles sont très dépendants du réseau hydraulique et de pistes. À
Diawar où la plupart des parcelles disposent d’un accès direct, chaque agriculteur a
été laissé libre de choisir sa date de récolte et son prestataire.
Néanmoins, l’irrégularité des performances des moissonneuses-batteuses a amené
les organisations paysannes à s’ajuster aux retards rencontrés en cours de chantier,
en dérogeant à la règle du monopole et de la centralisation des décisions. Des pres-
tataires extérieurs aux villages ont alors été sollicités de façon à compléter le parc
de moissonneuses-batteuses et à accélérer la vitesse d’avancement de la récolte.
Cependant, la réussite de cette stratégie d’ajustement était limitée par la disponibi-
lité d’équipements dans la région en cours de récolte, les villages ont donc progres-
sivement délégué la prospection de nouvelles machines aux organisations paysannes
responsables de chaque maille hydraulique, donnant ainsi plus de flexibilité au
système de contractualisation.

 Conclusion : vers un cadre générique d’analyse


et d’intervention
La gestion de systèmes de production faisant intervenir de nombreux acteurs – indé-
pendants au plan juridique mais interagissant dans le cadre de relations du type
clients-fournisseurs – nécessite la mise en place d’outils de coordination qui assu-
rent la mise en cohérence des décisions individuelles autour d’un objectif et d’un
fonctionnement communs.
En plus de la nécessité de conduire des actions dans chaque groupe d’acteurs
(meilleure maîtrise de la conduite des cultures par les agriculteurs, de la gestion de
leur matériel par les prestataires de service), apparaît le besoin d’accompagner les
ensembles ainsi formés dans l’amélioration de la coopération et de l’efficacité
collectives. La prédominance de stratégies d’ajustement telles que celles décrites ici
donne en effet peu de visibilité aux acteurs impliqués dans ces relations, qu’ils soient
collectifs ou individuels. La pérennité de leurs systèmes de production s’en trouve
compromise, qu’il s’agisse de la viabilité d’un périmètre irrigué ou du maintien
d’une agro-industrie dans une zone donnée.
Des travaux réalisés à l’échelle collective soulignent la nécessité de combiner quatre
dimensions opérationnelles pour améliorer l’efficacité de ces systèmes de produc-
tion (Tanguy et Soler, 1998) :
– le choix de dispositifs organisationnels dont les institutions à mettre en place et
leurs règles de fonctionnement ;

319
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

– le choix de dispositifs contractuels incluant les systèmes de paiement des services


et des biens ;
– l’organisation des flux de matière entre les acteurs ;
– les systèmes d’information permettant de suivre, évaluer et contrôler le fonction-
nement de l’organisation en place.
Une telle orientation dépasse le seul cadre de l’exploitation agricole. Elle permet
d’agir en priorité sur l’environnement de celle-ci, à une échelle englobant un grand
nombre d’agriculteurs. Cette position est d’autant plus intéressante que l’appui
direct aux petits producteurs pose des problèmes importants de mise en œuvre en
situation africaine. Bien que non directement liée au fonctionnement interne des
exploitations, elle cherche à tenir compte de leur diversité à travers la construction
de typologies qui sont ensuite intégrées aux modèles de simulation utilisés pour
accompagner la conception de nouveaux modes d’organisation collective (Le Gal,
2002 ; Gaucher et al., 2003). Elle vient donc utilement compléter, voire suppléer,
des interventions plus directement focalisées sur l’exploitation agricole et ses
dynamiques de changement.

320
Pour approfondir le sujet
Chapitre 22
Gestion de la main-d’œuvre dans les
exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire
Olaf ERENSTEIN et Simon N’CHO

La consommation de riz est en hausse en Afrique de l’Ouest, ainsi que la produc-


tion. Néanmoins, l’augmentation de la production est notoirement insuffisante pour
couvrir la consommation, il en résulte des importations en augmentation constante,
qu’il n’est pas possible de maintenir. Le défi est donc d’accroître la production rizi-
cole ouest-africaine de manière durable et suffisante (Lançon et Erenstein, 2002).
La Côte d’Ivoire a une longue tradition de consommation et de production du riz.
Elle était le deuxième pays producteur de riz en Afrique de l’Ouest dans les années 90.
Le pays a été brièvement autosuffisant dans les années 1975-1976, mais uniquement
grâce à des subventions coûteuses (Humphreys et Rader, 1981). Cette situation n’a
pas duré en raison de l’ajustement structurel, de la dévaluation du franc CFA, de la
libéralisation de la filière et d’une politique rizicole favorisant les importations bon
marché. Au tournant du siècle, le pays avait un taux d’autosuffisance de 60 % pour
le riz et il y a actuellement un intérêt politique à maintenir un prix bas à la consom-
mation et à relancer la production nationale.

 Comment améliorer la productivité et la compétitivité


des riziculteurs ?
Les efforts de développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest se sont souvent
focalisés sur l’intensification des techniques de culture (Lavigne-Delville, 1998 ;
Lavigne-Delville et Boucher, 1998 ; Pearson et al., 1981 ; Richards, 1986).
Cependant, l’intensification fondée sur l’achat des intrants extérieurs n’a pas eu
beaucoup de succès en Afrique, car, souvent, ces pratiques ne diminuent pas les
coûts de production. Le modèle prôné par la révolution verte n’est pas adapté à une
grande partie de l’Afrique – car la terre y est abondante et l’accès au marché est

321
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

limité (Binswanger et Pingali, 1988). En effet, le boom rizicole ivoirien est surtout
la conséquence de l’augmentation des ressources dédiées à la production et non de
la hausse de la productivité (Humphreys et Rader, 1981).
La Côte d’Ivoire est caractérisée par une grande diversité des systèmes de produc-
tion du riz (Becker et Diallo, 1996). Néanmoins, les exploitations rizicoles ivoirien-
nes ont des caractéristiques communes. Constituées souvent des ménages paysans
(Ellis, 1988), leurs moyens d’existence sont liés à la terre et à l’emploi de la main-
d’œuvre familiale pour la production agricole. L’intégration aux marchés est
partielle, ces marchés fonctionnant d’ailleurs de manière imparfaite. Ces exploita-
tions sont soumises à des contraintes structurelles de main-d’œuvre – affectée par
l’épidémie de Sida –, à la stagnation agricole et économique et à des problèmes
sociopolitiques. La main-d’œuvre devient donc un facteur déterminant et contrai-
gnant pour le développement rizicole (Lavigne-Delville, 1998 ; Lavigne-Delville et
Boucher, 1998).
La gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles ivoiriennes a été
analysée pour mieux comprendre les mécanismes de gestion de cette ressource,
pour améliorer et faciliter le développement des systèmes de production agricole
africains. Ainsi, le mode d’organisation de la main-d’œuvre détermine comment les
exploitations s’adaptent aux contraintes locales existantes, il constitue donc un
élément important du diagnostic des systèmes de production. Ensuite, le mode de
gestion choisi impose des contraintes potentielles au développement des systèmes
agraires.

 Méthodologie
Notre contribution est fondée sur l’analyse des systèmes de production (Collinson,
2000), sur la théorie des changements technologiques et institutionnels (Hayami et
Ruttan, 1985) et sur l’économie institutionnelle (Hoff et al., 1993). Les données ont
été obtenues dans les années 90 dans le cadre d’une approche de recherche et de
développement sur des sites choisis par l’Adrao en Côte d’Ivoire (figure 22.1). Ils sont
représentatifs des diverses zones agro-écologiques et des systèmes de production du
riz de la région ouest-africaine.
Les systèmes de production ont été caractérisés par trois composantes socio-écono-
miques : la description préliminaire des systèmes de production par une étude natio-
nale de reconnaissance (Becker et Diallo, 1996) ; le choix et le suivi de 40 ménages
rizicoles dans chaque site entre 1993 et 1996 (Dalton et al., 1998) ; le diagnostic par
des enquêtes dans trois villages de chaque site (Coulibaly, 1998 ; Dahoun, 1998 ;
Dongo, 1999 ; Tiehi, 1999).
Notre contribution est centrée sur les aspects socio-économiques de la gestion de la
main-d’œuvre dans ces différents sites. Certaines zones ont été décrites par
ailleurs : Boundiali par Barry et al. (1998) et Le Roy (1998), Touba par Chaleard
(1998), Gagnoa par N’Cho (2001). Le tableau 22.1 présente quelques caractéris-
tiques physiques, biologiques et socio-économiques de chaque site.

322
Gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire

Boundiali

Touba

Danané

Gagnoa

Zone agro-écologique
Sahel Savane soudanienne Savane guinéenne Forêt

Figure 22.1. Localisation des zones d’étude en Côte d’Ivoire.

 Rôle de la main-d’œuvre dans la production agricole


Dans la zone d’étude, on constate un manque général et structurel de capital dans
les exploitations rizicoles. En effet, l’essentiel du capital ménager comprend une
gamme limitée d’équipements agricoles, les outils manuels sont les plus nombreux
et seulement un tiers des ménages possèdent un pulvérisateur. Environ 22 % des
ménages – localisés surtout dans les zones Nord de Boundiali et de Touba – ont des
moyens et des outils de traction (traction animale surtout). Les ressources finan-
cières sont généralement très limitées – ce qui complique l’éventuelle acquisition
des intrants sur le marché.
Les exploitations rizicoles étudiées cultivent en moyenne une superficie de 3,9 ha
par ménage, variant de 1,9 ha à Danané à 5,6 ha à Boundiali (tableau 22.1). Les
ménages cultivent en moyenne un peu plus de 3 champs (3,3) et 54 % de la super-
ficie cultivée est consacrée au riz. Le régime foncier est généralement celui de la
propriété familiale (49 % des ménages), un don (28 %) ou la location (23 %). La
disponibilité de terre n’est pas une contrainte forte, une grande partie de la terre
reste en jachère et des densités de population sont toujours relativement faibles.
Les ménages rizicoles comprennent près de 8 personnes : en moyenne 7,8 membres
dont 3,9 adultes, 2,6 adolescents et 1,3 enfant. On trouve les familles les plus
nombreuses dans le Nord (tableau 22.1). Les membres productifs du ménage contri-
buent aux diverses activités agricoles du ménage. Les possibilités de travail rému-
néré dans des activités non-agricoles sont faibles et dépendent de l’accès au marché.
Les ressources disponibles et les techniques employées ont forgé des systèmes de
production agricoles extensifs (en terme d’utilisation de la terre). L’apport d’intrants
sur la culture de riz est faible, excepté dans la zone de Touba, et concerne en général

323
Tableau 22.1. Caractéristiques des sites de recherche.

324
Caractéristiques relevées Sites d’étude
Boundiali Touba Gagnoa Danané
Zone agro-écologique Savane Transition Forêt à pluviométrie Forêt à pluviométrie
guinéenne savane-forêt bimodale monomodale
Pluviométrie (mm/an) 1 500 1 400 1 400 1 900
Période humide Mai-septembre Mai-octobre Mars-juillet Avril-octobre
Septembre- novembre
Localisation 9.52º N ; 6.49° W 8,28º N ; 7,68° W 6,15º N ; 5,87° W 7,26° N ; 8,15° W
Densité de population 8 13 33 43
rurale (hab./km2)
Cultures de rente Cotonnier, anacardier Riz, cotonnier Cacaoyer, caféier Caféier, cacaoyer
Cultures vivrières Riz, mais, igname Riz, mais, igname Riz, mais, manioc Riz, manioc
main-d’œuvre entre les différents sites étudiés.

Superficie cultivée 5,6 3,9 4,3 1,9


par ménage (ha)
Taille de la famille 11,2 7,8 6,3 5,5
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

(personnes / ménage)
Ethnie autochtone Sénoufo Mahouka Bété Yacouba
Présence de migrants Faible Faible Forte (Mossi et autres) Faible
Orientation Autoconsommation Marché Autoconsommation Autoconsommation
de la production de riz et autoconsommation et marché
Utilisation d’intrants Herbicides (24 %) Herbicides (51 %), Herbicides (16 %) Aucun
extérieurs pour le riz NPK/urée (2/1 %) urée/NPK (42/34 %)
coût de production, sa gestion est donc primordiale dans le développement du
les herbicides (tableau 22.1). En fait, la main-d’œuvre est le principal facteur du

système. Nous tenterons d’expliquer les différences observées dans l’emploi de la


Gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire

 Composantes et emploi de la main-d’œuvre


Dans les exploitations rizicoles des zones étudiées, la main-d’œuvre agricole est à la
fois familiale et extra-familiale (figure 22.2). La principale source est la famille qui
contribue pour 56 % à la force de travail utilisée par le ménage (toutes cultures
confondues) ; elle est non-rémunérée et représente une prestation intra-ménage.
Le recours à des ressources extra-familiales (46 %) est nécessaire pour faire face
aux pointes de travail et augmenter la superficie cultivée.

Main-d’œuvre rémunérée
La main-d’œuvre extérieure rémunérée est temporaire, principalement engagée à
la tâche (figure 22.2). L’emploi de main-d’œuvre salariée (annuelle ou semestrielle)
n’a pas été noté, sans doute en raison des petites superficies des plantations
pérennes dans l’échantillon étudié (cacaoyer, 0,4 ha et caféier, 0,8 ha), conformé-
ment aux résultats d’autres études (N’Cho, 2001). La rémunération est payée en
espèces ou en nature selon les zones, l’âge du manœuvre, la durée et la tâche à
accomplir, et varie de 250 à 1 000 francs CFA par jour. Les travailleurs locaux sont
généralement des paysans qui complètent leur revenu agricole ou des individus sans
terre qui louent leur force de travail en période de culture. Les migrants (saison-
niers ou permanents) recherchent du travail principalement dans la zone de la
« boucle du cacao » donc en zone forestière au sud de la Côte d’Ivoire, y compris
dans la région de Gagnoa.

Source de main-d'œuvre
(100%)

Familiale Extra-familiale
(56 %) (44%)

Non-payée Payée (52%)


(48%)

Collective (51%) Individuelle (49%) Temporaire Salariée (0%)


(groupe de travail) (amitié, alliance,...) (100%) (saisonnier, permanant)

À la tâche Journalière
(95%) (5%)

Figure 22.2. Représentation schématique des composantes de la main-d’œuvre agricole dans les zones
étudiées.

Main-d’œuvre extérieure non rémunérée


La main-d’œuvre extérieure non-rémunérée correspond à un échange de travail, en
général limité à une zone définie, tel que l’échange des temps de travaux des actifs
entre des exploitations, sous forme individuelle ou collective (figure 22.2). Les
individus échangent des prestations par amitié, par alliance, par lien du sang et par

325
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

obligations socioculturelles (Ndabalischye, 1995). Les groupements d’entraide ont


un lien commun, par exemple sociologique (ethnie, genre, âge), géographique
(voisinage d’exploitation, village) ou économique (filière, activité coopérative), les
activités sont exécutées successivement chez chaque membre du groupe.
Elle comprend aussi l’invitation, qui est une demande d’un apport de travail sans paie-
ment (sauf la nourriture le jour de l’invitation) et sans obligation de réciprocité (Tiehi,
1999). Le paysan qui reçoit se charge en général de fournir la nourriture aux travailleurs.
Il existe aussi des formes hybrides entre les formes précédentes, par exemple dans le cas
où un groupe de travail vend aussi ses services aux autres (Coulibaly, 1998 ; Dongo,
1999), ou bien un membre vend son tour pour avoir de la liquidité (Richards, 1986).
Les transactions de main-d’œuvre sont souvent peu rémunérées en argent. Cela
reflète les imperfections du fonctionnement du marché du travail, qui d’une part a
les caractéristiques spécifiques d’un marché du travail local – demande très saison-
nière, offre souvent limitée, coûts de transactions élevés pour embaucher quelqu’un
– (Coulibaly, 1998 ; Dongo, 1999) et, d’autre part ne génère pas de rémunération
monétaire selon la destination de la production agricole. À Danané, par exemple,
la rémunération journalière est plus élevée pendant la période d’installation des
cultures de rente (Tiehi, 1999). En revanche, d’après Stessens (2002), la rémunéra-
tion de la main-d’œuvre pour la récolte se fait en espèces (souvent 20 % de la
récolte), apportant ainsi une aide pour gérer la période de soudure.

Main-d’œuvre collective
La préférence pour l’échange au lieu du paiement en nature a souvent une raison
sociale, car il s’agit d’entretenir le capital social et la solidarité. De plus, le paiement
en nature est souvent restreint, notamment en période de soudure.
La mobilisation de la main-d’œuvre collective a aussi une importante fonction sociale.
Elle a un caractère festif notamment chez les Sénoufo (Boundiali) – forme la plus
achevée (Ndabalischye, 1995) – et une fonction économique. En effet, elle répond
souvent à l’inadéquation entre une demande et une offre limitée du fait de l’absence
locale de migrants dans les sites d’étude (Coulibaly, 1998 ; Dongo, 1999 ; Tiehi, 1999).
Elle améliore les modalités d’exécution des opérations culturales et réduit le danger
de décalage qui pourrait augmenter les besoins de main-d’œuvre de certaines activités
comme le gardiennage et la récolte. Le travail en groupe peut aussi être plus productif,
car il s’accompagne d’une stimulation sociale et d’une émulation pour travailler plus
vite et plus dur (Coulibaly, 1998) – bien que parfois la qualité du travail s’en ressente
(Richards, 1986). Le travail collectif peut aussi diminuer le coût de transaction qui
dépend directement de l’intensité de travail dans la riziculture, ce qui a été observé
dans d’autres zones rizicoles traditionnelles d’Afrique de l’Ouest (Richards, 1986).

Répartition du travail entre hommes et femmes


Dans les exploitations rizicoles des zones étudiées, la contribution de la main-
d’œuvre agricole varie aussi selon le sexe. Les hommes représentent la principale
ressource de travail et ils contribuent à 55 % de la force de travail utilisée par le
ménage (toutes cultures confondues). Les femmes participent pour 30 % et les

326
Gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire

enfants pour 15 % (tableau 12.8). Le travail agricole en Afrique est souvent divisé
par tâche et type de culture selon la catégorie sociale, l’âge et le sexe.
Ainsi, les travaux de préparation de terrain sont principalement exécutés par les
hommes, le désherbage et la récolte par les femmes et la surveillance des champs de
riz par les enfants. Cette division du travail génère un calendrier de travail particu-
lier pour chaque groupe. L’emploi des enfants est souvent lié à un secteur agricole
sous-développé et à des contraintes de main-d’œuvre familiale (Admassie, 2002).
Les hommes et les femmes contribuent à des apports de main-d’œuvre familiale et
extra-familiale. Ils participent équitablement à la riziculture, mais l’homme prend en
charge les travaux dans les cultures pérennes et autres. La séparation des tâches
reflète la répartition entre les cultures de rente et les cultures vivrières (tableau 22.2).
Les causes anciennes de la division du travail entre homme et femme n’ont peut-
être plus de raison d’être, l’homme devait être disponible pour chasser, protéger la
famille et le clan... Aujourd’hui la répartition des activités se fait surtout d’après les
besoins en termes d’énergie, de minutie et de précision (Ndabalischye, 1995).
Néanmoins, le maintien de cette division du travail reflète des blocages sociolo-
giques à des changements institutionnels, facilités par l’inégalité de pouvoir entre
les sexes. En conséquence, cela peut générer une utilisation inappropriée de la
ressource de main-d’œuvre et ainsi réduire l’efficacité du système (Elad et Houston,
2002).

 Facteurs modifiant la gestion de la main-d’œuvre


Nous rappelons ici trois facteurs significatifs qui influent directement sur la gestion
de la main-d’œuvre : les cultures de rente et vivrières possibles dans chaque site
déterminées par l’agro-écologie (tableau 22.1) ; l’emploi de la traction animale en
Zone Nord (Touba, Boundiali) limité par l’agro-écologie ; le développement agricole
de chaque site qui a directement influé sur la disponibilité et les options de la gestion
de la main-d’œuvre. Traditionnellement, le Nord a été une zone d’émigration, alors
que Gagnoa est une zone d’accueil de migrants et d’autochtones revenant au village.

Tableau 22.2. Répartition (%) de la main-d’œuvre agricole par culture et par type dans les
ménages rizicoles dans la zone étude (n = 160). (Warda Farm management and household
survey, 1993-1995).

Main-d’œuvre familiale Main-d’œuvre extra-familiale Total


Homme Femme Enfant total Homme Femme Enfant Total Homme Femme Enfant Total
Riz 30 22 18 70 31 23 1 55 30 23 11 64
Culture 13 4 4 21 26 4 2 32 19 4 3 26
de rente
Autres 5 3 1 9 8 4 1 13 6 3 1 10
cultures
Total (%) 48 29 23 100 65 31 4 100 55 30 15 100
Jours/ 124 76 60 260 135 65 8 208 259 141 68 468
ménage/an

327
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

La spécificité du site n’est pas le seul facteur qui joue sur la gestion de la main-
d’œuvre. En effet, il existe des différences significatives entre chaque zone. Les
ménages rizicoles optant pour des choix différents : préférences, ressources,
options, par exemple accès au marché ou à des techniques.

Objectif de production rizicole


Un facteur important pour le paysan est la destination de la production rizicole, à
savoir l’orientation vers le marché ou la consommation familiale. Dans chaque
zone, pour la plupart, l’autoconsommation de la production est importante, situa-
tion qui résulte de la faible compétitivité de la riziculture face au riz importé et de
la possibilité de conduire des cultures de rente plus rémunératrices que le riz. Les
producteurs qui n’ont pas d’autre culture de rente (par exemple à Touba) ou qui ont
une riziculture plus productive (par exemple irriguée) ont tendance à orienter la
production rizicole vers la vente. En moyenne, dans la riziculture 70 % de la main-
d’œuvre familiale est utilisée et 55 % de la main-d’œuvre extra-familiale (tableau
22.2). Au contraire, sur les cultures de rente, la répartition de la main-d’œuvre est
inverse (21 % familiale et 32 % extra-familiale), le producteur a alors plus de liqui-
dités et son exploitation est mieux intégrée au marché du travail. La main-d’œuvre
est rémunérée de façon différente selon les spéculations agricoles, les zones, les
technologies, les ménages, la productivité du travail et la valeur de la production.
En général, la rémunération du travail rizicole est relativement basse, ce qui
conforte l’orientation de ce produit pour l’autoconsommation.

Statut social du producteur


Le statut social du riziculteur au sein du ménage influe aussi directement sur la prise
de décisions, la flexibilité et le pouvoir de négociation. En effet, il y a en moyenne
1,5 riziculteur par ménage (variant de 1,3 à Touba à 1,9 à Gagnoa). Le plus souvent,
le chef d’exploitation (93 % des ménages) assure la production de riz, mais, parfois
sa femme (13 % des ménages) est responsable de cette culture, ou ses descendants
(6 %) ou d’autres membres de la famille (5 %). La parcelle de riz peut être collec-
tive ou individuelle et dans ce cas souvent plus orientée vers le marché. Le statut du
riziculteur détermine aussi l’étendue de la parcelle et les possibilités d’employer de
la main-d’œuvre familiale ou extra-familiale (Tiehi, 1999). Les femmes productrices
de riz ont souvent un accès limité aux ressources, en particulier parce que les
hommes s’approprient les cultures de rente. Par exemple, à Boundiali, le riz de bas-
fond est traditionnellement une activité féminine et individuelle pour les femmes
âgées, pendant que les autres femmes travaillent sur les parcelles collectives sur le
plateau (Barry et al., 1998 ; Coulibaly, 1998) ; l’accès au foncier des riziculteurs
migrants est limité à certains sites, souvent en riziculture de bas-fond et avec une
orientation plus prononcée vers le marché.

Apports des changements techniques et institutionnels


La situation n’est pas statique non plus : des changements technologiques ou insti-
tutionnels peuvent bouleverser la gestion du travail. Lors de l’essor rizicole des

328
Gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations rizicoles en Côte d’Ivoire

années 1975-1976, les riziculteurs ont massivement mobilisé la main-d’œuvre pour


augmenter la production, situation qui s’est inversée ensuite en raison de la faible
performance économique de la filière pendant la période de libéralisation de la
politique rizicole (Le Roy, 1998). On observe aussi une augmentation des échanges
monétaires (Stessens, 2002 ; Tiehi, 1999) et des modifications dans la division de
travail (Barry et al., 1998 ; Dahoun, 1998).
L’adoption rapide de la traction animale et du coton dans le Nord a eu pour consé-
quences une expansion de surface, un remaniement de l’allocation du travail et un
changement technologique (Coulibaly, 1998 ; Dongo, 1999 ; Stessens, 2002). Les
changements les mieux intégrés (herbicide et traction animale) sont ceux qui ont
permis de sauvegarder la main-d’œuvre. Auparavant, la riziculture de bas-fond était
souvent d’un intérêt marginal par rapport à celle de plateau – entre autres en raison
de la pénibilité du travail et des croyances liées à ces lieux, par exemple elle risque
d’induire la stérilité (Dahoun, 1998). L’aménagement des bas-fonds peut donc
relancer l’intérêt de cultiver du riz mais souvent aux dépens des femmes (Lavigne-
Delville, 1998) et des migrants (Dahoun, 1998 ; Lavigne-Delville et Boucher, 1998).

 Discussion et conclusions
Dans les exploitations rizicoles ivoiriennes, la disponibilité en main-d’œuvre est
souvent plus contraignante que la terre et la gestion de cette ressource est
complexe. Cela remet en cause la pertinence des modèles de développement en
Afrique qui mettent l’accent sur le processus d’intensification par unité de surface
(par exemple pour la gestion de l’eau et de la fertilité). Ce processus peut convenir
à un contexte de densité élevée de population rurale ou à la nécessité de conserver
la ressource foncière. Mais l’intensification agricole entraîne souvent aussi un
accroissement des besoins de travail et des contraintes de main-d’œuvre. Il faut
donc développer de nouvelles technologies et des institutions pour alléger la
contrainte de la main-d’œuvre et améliorer sa gestion.
En effet, la productivité du travail doit être augmentée pour réduire le coût de
production et accroître l’efficience de la production agricole en Afrique (Brader,
2002). Une des options est de développer des innovations techniques qui permet-
tent de limiter l’emploi de main-d’œuvre. Cela demande un changement de para-
digme dans la recherche et dans le développement agricole qui traditionnellement
mettent l’accent sur le rendement (donc la productivité de la terre). La prise en
compte des pratiques des exploitants doit donc être privilégiée. En effet, on a cons-
taté que les technologies appropriées qui réduisaient le besoin de main-d’œuvre ont
eu une diffusion relativement rapide là où elles étaient adaptées : par exemple,
l’emploi des herbicides plutôt que des engrais chimiques en Afrique, l’adaptation
des décortiqueuses artisanales plutôt que l’installation de rizeries industrielles en
Côte d’Ivoire et dans la région, l’usage de la traction animale plutôt que la motori-
sation (Pingali et al., 1987). La petite mécanisation offre donc un potentiel de déve-
loppement mais aucune technologie ne constitue une solution universelle. Par
ailleurs, la traction animale n’est pas toujours appropriée, mais elle est rentable si
elle est associée à l’intensification agricole en termes de densité de population et

329
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

d’accès aux marchés (Ehui et Polson, 1993). Il faut donc déterminer une gamme
d’options pour améliorer la gestion et la productivité de la main-d’œuvre. L’analyse
intégrée des systèmes de production et l’implication du paysan dans le processus de
recherche et de développement deviennent primordiales, autant pour comprendre
correctement les contraintes réelles que pour identifier et adapter des opportunités
techniques et institutionnelles.
La persistance du travail non rémunéré et le mode de division du travail montrent
la complexité des sociétés rurales africaines et leur attachement à des valeurs socio-
logiques ou à des habitudes. Les limites de ces structures et les sources éventuelles
de conflits doivent être prises en considération dans les efforts du développement
agricole. Cependant, ces institutions ne sont pas tout à fait rigides et elles peuvent
changer face à de nouvelles opportunités économiques. Ce processus sera facilité
par une meilleure intégration des exploitations agricoles africaines dans les marchés
dont le fonctionnement devra être amélioré.

330
Pour approfondir le sujet
Chapitre 23
Gestion du foncier
et de la biomasse végétale :
fondements de l’association
de l’agriculture et de l’élevage en zone
de sédentarisation au Nord Cameroun
Aimé DONGMO LANDRY, Michel HAVARD et Patrick DUGUÉ

L’évolution des systèmes de production du Nord-Cameroun est similaire à celle des


zones de savanes africaines. En effet, au Nord Cameroun, jusqu’au milieu du
XXe siècle, les agriculteurs, réfugiés sur des hautes terres à la suite des conquêtes
musulmanes du XIXe siècle, se sont consacrés à une agriculture de subsistance sans
bétail sur des espaces saturés. Simultanément, les éleveurs peuls musulmans ont eu
une existence nomade sur de grandes étendues de vallées qu’ils valorisent exclusi-
vement par le bétail.
Dès 1945, l’orientation des migrations d’agriculteurs vers des zones arables (vallées
de l’Extrême-Nord, zones peu peuplées du Nord) a contribué à un rapprochement
progressif des domaines d’activités des agriculteurs et des éleveurs dans ces terri-
toires. Toutefois, l’accroissement des flux migratoires à partir des années 80, – cette
fois à l’initiative d’agriculteurs –, s’est accompagné d’une extension des surfaces
cultivées favorisée par l’usage de la traction animale introduite dès les années 50
avec la culture du cotonnier. Le développement de la traction animale a constitué
certes une première expérience d’élevage pour la majorité d’agriculteurs et a servi
de cadre d’implémentation des systèmes mixtes d’agriculture et d’élevage dans des
unités de production, mais cela a contribué parallèlement à une restriction des
jachères et des ressources pastorales (pâturages naturels, points d’eau, pistes à
bétail). Finalement, l’élevage transhumant, numériquement croissant et tradition-
nellement considéré comme maître des espaces vacants, est pris en étau dans un
parcellaire soumis à un mode de culture continu et en perte progressive de fertilité.

331
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Cette évolution est devenue un problème majeur de l’intégration l’élevage à l’agri-


culture dans des terroirs du Nord Cameroun.
Pour s’adapter à la situation, les producteurs des zones de savanes ont opté pour des
stratégies intermédiaires propres à leur contexte de production, à la place des
modèles productivistes promus qui visaient essentiellement l’intensification par
l’intégration agriculture-élevage (Landais et Lhoste, 1990). En Afrique de l’Ouest
(Augusseau et al., 2004 ; Meaux et al., 2004) comme en Afrique centrale (Gautier
et al., 2005), les niveaux d’organisation sociale et spatiale des territoires et la nature
des relations socio-économiques et culturelles entre les différentes catégories socio-
professionnelles ont donné lieu à différentes formes de cohabitation de l’agriculture
et de l’élevage.
Au Nord Cameroun, notamment dans le terroir agropastoral d’Ourolabo III1, zone
de sédentarisation d’éleveurs et d’accueil d’agriculteurs migrants déjà saturée
(Dugué, 1999), les agriculteurs et les éleveurs gèrent et valorisent de manière
partagée le foncier et la biomasse végétale grâce à des stratégies d’intégration
territoriale et des activités des différentes communautés.

 Ourolabo III, un terroir d’activités à la croisée


des territoires coutumiers
L’étude est menée au Nord Cameroun (figure 23.1), sur un terroir agropastoral du
lamidat de Garoua disposant d’une composante agricole constituée par le village
Ourolabo III et d’une composante pastorale constituée des campements d’éleveurs
de Kassalabouté et d’Ourobocki. Le village Ourolabo III, à 50 km au sud de Garoua,
est une zone d’installation d’agriculteurs migrants venus de l’Extrême-Nord et du
Mayo Louti à partir de 1976. Il est dirigé par un djaoro. Ce village jouxte au Nord-Est
deux campements d’éleveurs (Kassalabouté et Ourobocki) installés depuis 1970 et
dirigés chacun par un ardo. Nous posons par convention que le village Ourolabo III
est assimilé au terroir agricole et les deux campements d’éleveurs peuls au terroir
pastoral (figure 23.2).
En définissant le terroir agropastoral comme l’ensemble du terroir agricole et du
terroir pastoral, nous considérons le terroir d’étude non seulement comme le
support de production, mais aussi, comme le lieu d’expression des relations dyna-
miques entre ses composantes (Guillaume, 1979). Au sens de Lewin (1939) cité par
Liu (1997), cette conception vise à élaborer des constructions et des analyses qui
caractérisent les objets et les événements en termes d’interdépendance, et pas
seulement en termes de similitudes ou de différences. Dans le cas de Ourolabo III,
cette approche permet d’appréhender les interactions entre les agriculteurs et
les éleveurs, qu’il aurait été difficile de percevoir par des analyses séparées des
territoires coutumiers isolés.

1. Au Nord Cameroun, la notion de terroir villageois dépasse l’étendue de terre d’une juridiction coutu-
mière occupée par un groupe humain. Elle embrasse tout autre espace que s’approprie la collectivité à
des fins productives sur des territoires voisins. Le terroir villageois est donc l’espace de vie et d’activité
d’une ou de plusieurs communautés qui cohabitent dans un cadre réglementaire établi.

332
Gestion du foncier et de la biomasse végétale

N
Lac
Nord Province Tchad

Limite de province
Limite de département

Chef lieu de province

Diamaré
Maroua Extrême
Nord

Mayo
Louti

Garoua

Bénoué

Province
du Nord
Faro
Mayo Rey

0 100 km

Figure 23.1. Les provinces du Nord et de l’Extrême-Nord du Cameroun.

 Échanges fonciers,
enjeux entre agriculteurs et éleveurs
La surface agricole utilisable – qui correspond pour un agriculteur à l’ensemble des
terres en propriété et des terres obtenues par location pour une campagne donnée
– dans le terroir agropastoral est estimée à 914 ha. Les agriculteurs de Ourolabo III
exploitent 600 ha dont 72 % sous forme d’usufruit direct et 28 % en location. La
location foncière porte sur près de 30 % de la superficie agricole totale du terroir
agropastoral (figure 23.3, tableau 23.1).
Le terroir pastoral (campements d’éleveurs mbororos) fournit 70 % des terres
louées par le terroir agricole (village d’agriculteurs d’Ourolabo III). Ces terres
proviennent essentiellement du hurum, espace de pâturage délimité pour l’élevage

333
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Tableau 23.1. Caractéristiques du terroir agropastoral.


Variables Caractéristiques du terroir Valeur (%) total
Type d’exploitations Terroir d’agriculteurs (nombre d’exploitations) 220 83
agricoles par territoire
Terroir d’éleveurs (nombre d’exploitations) 46 17
Superficie moyenne Propriété (ha) 3,4 83
par exploitation Louée (ha) 0,7 16
Totale (propriété + louée) (ha) 3,6 100
Prêtée (ha) 1,5 29
Jachère (ha) 0,8 14
Cultivée (ha) 2,1 57
(S totale - S prêtée = S jachère + S cultivée)
Ressources humaines Actifs 3 –
Personne à charge (nombre / exploitation) 5,5 –

Mayo Ourolabo II
Terroir voisin
Route
qui bénéficie
Piste à bétail d'environ 50 %
Habitat Terroir pastoral : des terres prêtées
Kassalabouté + Ourobocki du terroir pastoral
Pâturage étudié

Terroir Piste à bétail


agricole

Terroir agricole
Ourolabo III
Route

Sangueré Bamé
Terroir voisin saturé, Mayo

pas d'échanges Ensemble du terroir


de terres avec Ourolabo III agropastoral étudié

Figure 23.2. Le terroir agropastoral étudié et ses composantes.

mais continuellement rétréci au profit des cultures ou comme réserve foncière à


usage agricole individuel. Le restant des terres louées dans le terroir agricole (30 %)
provient d’échanges internes entre unités de production, les terres fatiguées sont
rétrocédées aux nouveaux migrants ou aux paysans sans terre par les premiers
usufruitiers. Les éleveurs mbororos cultivent seulement 20 % de leur réserve
foncière, ils prêtent la plus grande partie aux agriculteurs voisins (55 %) et laissent
le reste en jachère (24 %). L’usufruit foncier est attribué par l’autorité traditionnelle
locale lors de la première mise en valeur, tandis que la location consiste à transférer

334
Gestion du foncier et de la biomasse végétale

Ensemble terroir
Système ouvert

Prêts de terres, friches


Terroir pastoral Terroir agricole
Terres disponibles… En voie de saturation
au détriment du parcours
Ourolabo III
226 expl.,
Campements mbororos 5 parcelles de 0,43 ha/expl.
40 expl.,
1 à 2 parcelle de 1 ha-expl.
Exp 1 Exp 2
Confiage d’animaux Prêts de terres
d’élevage fatiguées
Exp 3

Entrée troupeaux
en saison sèche

Sortie animaux
en saison des pluies

Figure 23.3. Échanges et flux de ressources entre les territoires des agriculteurs et des éleveurs.

à un tiers ce droit d’usage pour une période généralement de courte durée (1 à 2 ans).
La mise en location des terres du territoire d’éleveurs constitue une rente pour les
uns, et pour les autres un moyen de renforcer des relations (gardiennage du bétail
d’agriculteurs) et de faciliter l’accès aux intrants (tourteau de coton, engrais) par les
groupements d’intérêt collectif d’agriculteurs. Toutefois, un troisième groupe d’éle-
veurs s’oppose à la mise en culture du hurum, il milite pour son remembrement au
profit de l’élevage et de la réappropriation des surfaces déjà défrichées.
Dans tout le terroir agropastoral, les échanges fonciers se font par entente tacite
entre individus de différentes communautés. L’absence de propriété foncière, la
concision des contrats de location et l’absence d’une instance de coordination ou de
gestion des ressources à usage collectif restent des freins à la gestion durable des
ressources fourragères et foncières du terroir. L’équité sociale entre les commu-
nautés d’agriculteurs et éleveurs d’une part, et au sein de chaque communauté
d’autre part, reste également un enjeu important dans la gestion du foncier et des
biomasses végétales.

 Des familles sédentarisées,


un bétail toujours transhumant
La sédentarisation ou la volonté des éleveurs de s’installer se traduit par un change-
ment de mode de vie et de cadre. Les campements temporaires cèdent la place à des
villages construits, tandis que la pratique de l’agriculture et la proximité du marché
et des infrastructures communautaires (puits, routes, écoles, etc.) viennent tisser des
liens d’appartenance au territoire d’installation. Cependant, la sédentarisation ne

335
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

signifie pas forcément la stabilisation complète du bétail sur le territoire. À l’excep-


tion des bovins de trait et des petits ruminants qui restent sédentaires toute l’année
sur le terroir agropastoral, les troupeaux de bovins d’élevage (dont l’effectif est
important) transhument.

Un usage collectif de la biomasse végétale : la transhumance


Dans l’année, quatre phases correspondent aux différentes modes d’alimentation
du bétail transhumant (figure 23.4).
• La première phase est celle de la valorisation des résidus de culture pluviale, de
novembre à février. Le bétail est conduit successivement sur les résidus de récolte
du terroir agropastoral d’origine et sur les territoires cultivés voisins. Le site perma-
nent de parcage (de nuit) du troupeau est le plus souvent choisi par le berger seul,
sans concertation avec l’usager principal de la parcelle ou au contraire moyennant
une contrepartie (sel, tourteau de coton, etc.). Les résidus de récolte ne constituent
donc pas pour l’agriculteur un élément (un argument) de négociation du parcage,
en raison du droit de vaine pâture reconnu aux éleveurs (droit reconnu aux éleveurs
transhumants pour pâturer librement les résidus de récoltes dès la fin des récoltes).
En cas de nécessité ou de contestation par les agriculteurs, les éleveurs recherchent
souvent l’aval de l’autorité traditionnelle locale (lawan ou djaoro). Au fur et à
mesure que les résidus des cultures pluviales se raréfient, le troupeau se déplace
vers les bas-fonds à la recherche du fourrage frais, mais surtout en attendant la
récolte du muskuwaari (sorgho cultivé en début de saison sèche sur les sols argileux
gorgés d’eau).
• Entre la deuxième quinzaine de février et le mois de mars, la valorisation des
résidus du muskuwaari correspond à la deuxième phase de la transhumance.
• La troisième phase correspond à la période de pénurie fourragère, ou période de
soudure. Les stratégies sont essentiellement défensives pendant les mois d’avril et
de mai dès que les résidus de muskuwaari sont épuisés. La première stratégie

Territoire
Zones
origine
de pâturage
Stocks résidus
du territoire
Pâturage
des résidus Pâturage résidus
de culture Pâture Transhumance
de cultures
de saison sèche des bas-fonds vers le sud :
pluviales
muskuwaari (perte de poids) Rey bouba, Tchéboa

Début saison sèche Saison sèche Fin saison sèche Saison des pluies
novembre-février février-mars avril-mai mai-octobre
Temps

Gestion communes agriculteurs/éleveurs des résidus de récolte du territoire


Gestion individuelle des bovins d'élevage (appartenant aux agriculteurs) et de trait
Alimentation du troupeau d'élevage hors territoire

Figure 23.4. Pratiques d’alimentation des bovins sur l’ensemble du territoire et de la petite région.

336
Gestion du foncier et de la biomasse végétale

consiste à ramener le troupeau (ou une partie) dans son territoire d’origine si des
stocks fourragers et des réserves de concentrés (tourteau de coton, son de maïs,
etc.) ont été constitués. La priorité est donnée à l’alimentation des veaux, des vaches
allaitantes et des animaux affaiblis, et le rationnement est organisé de manière à
couvrir toute la période. La deuxième stratégie consiste à transhumer sur des
espaces surpâturés, le long de la vallée de la Bénoué. La période de soudure est
alors difficile et peut causer une perte de poids importante des animaux. En mai, en
fonction de l’état du troupeau, certains éleveurs se rendent plus au sud de la région,
pour bénéficier des premières repousses végétales après les premières pluies.
• La régénération et la valorisation des pâturages naturels marquent la quatrième
phase. Dans la majorité des territoires à vocation agricole, la restriction des pâturages
et des pistes pour le bétail ne permet pas aux animaux de séjourner au village pendant
la période de culture. Les animaux doivent transhumer sur des zones particulières de
pâturages jusqu’au début des récoltes.
La gestion de l’élevage fait donc appel à une complémentarité des espaces et des
ressources localisés à l’échelle du terroir et de la région. À l’exception de quelques
pâturages sécurisés ou reconnus comme tels, la multifonctionnalité des espaces et
les interactions engendrées par la mobilité des troupeaux restent mal connues et peu
prises en compte dans les politiques de développement de l’élevage. Ainsi, il est illu-
soire de prévoir une sédentarisation forcée et complète des troupeaux, tant que les
éleveurs ne trouveront pas in situ (dans les territoires où ils résident) les ressources
fourragères nécessaires à cette sédentarisation. La productivité numérique (basée
sur le nombre de têtes de bœufs) est un indicateur endogène important d’évaluation
et de hiérarchisation sociale de l’éleveur – ce qui est illustré par le fait que les
éleveurs sédentarisés à Ourolabo III envoient une partie de leur troupeau pâturer
en permanence dans la province de l’Adamaoua.

Difficultés à valoriser individuellement la biomasse produite


Faible quantité de résidus stockés
En 2003, les quantités totales de résidus stockés par les exploitants à des fins fourra-
gères (50 tonnes) représentent moins de 10 % du disponible estimé à 612 tonnes. La
moyenne des résidus stockés par exploitation pratiquant le stockage est de 500 kg de
matière sèche pour 3 à 4 UBT (unité de bovin tropical). Dans le terroir des agri-
culteurs, les stocks de résidus de récolte disponibles à la fin de la campagne 2003
(43 tonnes de matière sèche) ne suffisaient à entretenir correctement le bétail
sédentaire (106 bovins de trait) que pendant 2 des 3 mois rudes d’une saison sèche
qui dure 6 mois.
Pour s’adapter, les agriculteurs étalent l’affourragement de manière à couvrir la
totalité de la période critique en complétant avec du tourteau de coton, mais surtout
en réduisant la ration fourragère journalière. Dans le terroir pastoral, les quantités
moyennes de résidus stockés sont estimées à 800 kg pour 60 bovins par exploitation.
Les quantités stockées dans ces campements mbororos sont destinées à répondre
aux urgences (veaux, animaux fragiles ou malades) et non à alimenter tout le
cheptel.

337
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Très faible restitution de fumier au sol


Le recyclage de la biomasse végétale par le bétail ne s’accompagne pas toujours d’un
retour équivalent de fumure organique sur les parcelles. Dans le terroir pastoral, le
parcage d’animaux concerne un tiers des exploitations (16 sur 46). Ce parcage
correspond en moyenne à un séjour continu (pendant la pâture ou le soir au retour
de la pâture) de 84 bovins-mois sur une surface moyenne de 1,25 ha par exploitation.
Si l’on estime la production annuelle de fèces à 1 tonne par bovin, on en déduit
qu’un apport de l’ordre de 4 à 5 tonnes de fumier par hectare est possible dans les
exploitations qui pratiquent le parcage. Dans le terroir agricole, le parcage est
estimé à 160 bovins-mois au cours de la campagne 2003, il est pratiqué seulement
par 7 exploitations sur les 220 recensées. Le bétail transhumant extérieur au terroir
agropastoral valorise la biomasse sans être parqué, alors que le parcage permettrait,
d’après de nombreux points de vue de chercheurs, un transfert de fertilité vers les
terroirs d’origine des transhumants.
L’épandage du fumier est très marginal ; il ne concerne que 10 exploitations, à raison
de 1 500 à 2 000 kg par exploitation sur une superficie de 0,5 ha (soit 3 à 4 t / ha).
Certaines exploitations qui détiennent 1 à 2 paires de bœufs ne pratiquent pas
l’épandage de la poudrette de ferme car ils estiment que les quantités produites sont
insignifiantes.

 Pour une intégration durable


des systèmes de production

Gérer les mutations et les enjeux fonciers


Actuellement, le terroir est saturé et les installations récentes de 1994 à 2003 (Dugué,
1999), d’après le recensement de 2003, sont compensées par autant de départs.

Évolution de la jachère
Au sein des exploitations mieux loties en terres, la jachère, qui est un pilier du
système traditionnel de gestion de la fertilité des sols, occupe en moyenne 0,8 ha par
exploitation, avec de grandes disparités selon les terroirs (2 ha par exploitation dans
le terroir pastoral, contre 0,3 ha seulement dans le terroir agricole). Les jachères
occupent 14 % de la superficie totale du terroir agropastoral. Dans le terroir agri-
cole, les superficies de jachère sont passées de 10 % de la surface totale du terroir
en 1994-1995 (Dugué, 1999) à seulement 6 % en 2003 (données issues des relevés
de terrain). En même temps, l’acception donnée par les paysans à cette termino-
logie a évolué. Dans les terroirs saturés, la jachère désigne aujourd’hui un abandon
forcé de parcelle en raison des contraintes (surcharge du calendrier cultural,
parcelle inondée et en général, forte colonisation de la parcelle par les mauvaises
herbes) plutôt qu’une mise en repos du sol souhaitée pour restaurer la fertilité,
conformément à l’acception d’origine. Dans les campements mbororos, elle désigne
toute parcelle laissée en friche ou sur laquelle les animaux sont parqués pour

338
Gestion du foncier et de la biomasse végétale

rehausser sa fertilité organique mais surtout minérale, car les éleveurs (non-cultiva-
teurs de cotonnier) ont un accès limité aux engrais minéraux nécessaires à la culture
du maïs.

Gestion des ressources fourragères


En ce qui concerne la gestion des ressources fourragères, la restriction progressive
des espaces pastoraux contribue à terme à la fragilisation de l’activité d’élevage. Les
éleveurs mbororos estiment que le mitage et la mise en culture des espaces de
parcours sont accélérés par deux phénomènes :
– le premier est lié aux changements de mode de vie et des systèmes de production
des éleveurs après la sédentarisation (pratique de l’agriculture, consommation de
plus en plus importante de céréales, etc.) ;
– le second provient de la différenciation socioprofessionnelle des éleveurs. Ainsi,
un premier groupe est constitué des éleveurs mbororos qui détiennent un important
cheptel (plus de deux troupeaux), ils ont une double stratégie qui vise, d’une part le
maintien et le développement d’un élevage transhumant (conduit par les enfants)
et, d’autre part l’agriculture intensive (parcage sur des parcelles destinées à la
culture des céréales) et le maintien d’un espace pastoral pour l’élevage des animaux
leur tient à cœur. Le deuxième groupe, en situation intermédiaire, comprend des
éleveurs ayant un à deux troupeaux. Dans le troisième groupe, les éleveurs ne dispo-
sent que de quelques têtes (ou pas du tout) de bovins, ils se consacrent au gardien-
nage des troupeaux des tiers et, par conséquent, la pratique de l’agriculture tend à
devenir pour ces derniers une condition de survie ; la mise en location des terres
qu’ils prélèvent sur des pâturages réservés est un moyen d’accroître et de diversifier
des revenus et également d’entretenir de bonnes relations avec les agriculteurs.
Sur le plan de la distribution des ressources, on remarque dans le terroir agricole
que 30 % des exploitations cultivent moins de 1 ha, et 45 % entre 1 et 3 ha, ce qui
représente en général la totalité de la surface agricole utilisable. Or, du point de vue
de la sécurité alimentaire, Abakachi (2001) montre que dans l’Extrême-Nord du
Cameroun, les exploitations cultivant moins d’un hectare sont en situation chro-
nique d’insécurité alimentaire. Pour ces derniers, seule la diversification (associa-
tion arachide, céréale ou niébé, cotonnier) et (ou) l’intégration des animaux (petits
ruminants) à l’exploitation agricole leur permettent de se maintenir au-dessus du
seuil critique de survie. L’association des animaux aux systèmes de cultures constitue
donc une alternative optimiste pour le développement des exploitations et des
terroirs. Pour survivre, ces paysans sans terre louent des terres ou prêtent leur main-
d’œuvre aux grands propriétaires terriens.

Rentabilité des systèmes et sécurité alimentaire


Du point de vue de la rentabilité des systèmes de production, la quantité de céréales
produite, qui est un indicateur du niveau de sécurité alimentaire, révèle des dispo-
nibilités de l’ordre de 288 kg dans les campements mbororos et de 248 kg par
personne dans le terroir agricole. Ces résultats sont très proches des quantités mini-
males recommandées (200 kg de céréales par personne à charge) par la FAO
(Abakachi, 2001). Ils témoignent de la fragilité de la sécurité alimentaire dans cette
zone où les conditions de marché contraignent souvent le petit exploitant à vendre

339
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

des céréales à perte pour en racheter à prix d’or en cas de disette. À la différence
du terroir agricole, la capitalisation du bétail (2 à 3 bovins par personne) est une
garantie de la sécurité alimentaire dans le terroir pastoral.
Il apparaît donc que la meilleure forme d’intégration territoriale des communautés
d’agriculteurs et d’éleveurs au sein du terroir agropastoral est celle qui réussira à
maintenir une équité sociale, dans une écologie viable tout en assurant une produc-
tion économiquement rentable. Les échanges fonciers et les systèmes traditionnels
d’élevage transhumants existants participent à cette logique. Mais ils restent
l’œuvre d’individus ou de collectivités poussés par des intérêts plus privés que
collectifs. Le morcellement d’espaces pastoraux au profit de l’agriculture, la prédo-
minance du droit de vaine pâture traditionnel dans un contexte d’accroissement des
effectifs d’animaux chez les agriculteurs, l’insécurité d’usage du foncier, l’absence
de politiques publiques et l’inexistence de structures locales de coordination ciblées
selon les particularités des terroirs sont finalement des éléments sur lesquels
doivent porter les efforts de concertation, d’appui et de conseil pour favoriser une
meilleure intégration d’activités. Dans une perspective de décentralisation des
terroirs (et de sédentarisation du bétail), il est également nécessaire de raisonner la
gestion du bétail au sein d’un terroir en fonction des ressources disponibles.

Combiner la gestion du bétail à celle du terroir


Les pâturages du terroir agropastoral (422 ha) sont constitués de parcours naturels
(70 %) et de jachères (30 %). Le terroir pastoral abrite 70 % de ce pâturage et le
reste (132 ha) est détenu par le terroir agricole.
En estimant à 1 350 kg de matière sèche par hectare, le rendement en fourrage
consommable dans ces pâturages (Labonne, 2002 ; Boudet 1978 ; Breman et de
Ridder, 1991), il se dégage une disponibilité de 570 tonnes de matière sèche
consommable sur les pâturages et les jachères du terroir agropastoral pendant la
saison des pluies. En saison sèche, les résidus de récolte fournissent 630 tonnes de
matière sèche auxquels il faut ajouter 60 tonnes issues des pâturages inondés et des
berges de cours d’eau. Cela fait une disponibilité de 690 tonnes de matière sèche
consommable. Les besoins du bétail en biomasse végétale, calculés par des indica-
teurs liés au système d’élevage en vigueur et aux objectifs de production, varient
selon les saisons.

Besoins du cheptel en fonction des objectifs d’élevage


En saison des pluies, un bovin de 250 kg à croissance modérée (GMQ = 200 g) a
des besoins d’entretien et de croissance estimés à 3,2 UFL (Cirad, Gret, ministère
des Affaires étrangères, 2002). En ajoutant les besoins supplémentaires liés au
déplacement (3 à 5 km par jour) on estime à 3,5 UFL le besoin journalier total par
UBT standard en croissance et engraissement. L’animal pâture des graminées et des
légumineuses naturelles dont la valeur énergétique moyenne au stage végétatif est
évaluée à 0,70 UFL. Il consomme 5 kg de matière sèche par jour pour satisfaire ses
besoins.
Un petit ruminant standard de 20 kg (GMQ = 50 g) a des besoins d’entretien et de
croissance estimés à 0,51 UFL et des besoins liés au déplacement (2 à 4 km par jour)

340
Gestion du foncier et de la biomasse végétale

évalués à 0,10 UFL. Il en résulte un besoin total journalier de 0,61 UFL par tête,
qui est satisfait par une ingestion de 0,85 g matière sèche par jour et par tête sur un
pâturage dont la valeur énergétique est estimée à 0,73 UFL par kg de matière sèche.

Disponible fourrager
Le disponible journalier est obtenu en rapportant la production totale des pâtu-
rages (556 tonnes en saison des pluies) au nombre de jours de la saison des pluies
(6 mois x 30 j).
Pour l’ensemble du cheptel du terroir agricole (260 bovins et 493 petits ruminants),
les besoins quotidiens s’élèvent à 1 720 kg de matière sèche par jour contre 990 kg de
matière sèche par jour théoriquement disponible sur les 132 hectares de pâturage.
Dans le terroir pastoral, le cheptel (783 bovins, 376 petits ruminants) a un besoin
journalier de 4 235 kg de matière sèche par jour contre un disponible théorique
quotidien de 2 175 kg de matière sèche.
En saison sèche, le disponible fourrager du terroir agropastoral est globalement
constitué à 60 % de paille de maïs et à 30 % de fanes de légumineuses ; ce qui lui
donne une valeur énergétique moyenne de 0,55 UFL par kg de matière sèche. Le
disponible potentiel en résidus de récolte est destiné à fournir l’alimentation des
animaux pendant 6 mois. La priorité est donnée d’abord à l’entretien des animaux
mais l’éleveur peut aussi viser une croissance modérée de son cheptel.
Pour les bovins, le gain moyen quotidien peut ainsi varier de 0 (à l’entretien) jusqu’à
200 g par jour (en croissance modérée) pour un animal standard de 250 kg. Cela
correspond aux besoins énergétiques journaliers respectifs de l’ordre de 3,36 à
3,48 UFL par bovin et par jour qui représentent une ingestion comprise entre 6,11 et
6,32 kg de matière sèche par bovin et par jour.
Pour les petits ruminants, le gain moyen quotidien peut être de 0 (entretien) à 50 g
(croissance modérée) pour un animal standard de 20 kg. Cela suppose des besoins
énergétiques journaliers variant de 0,33 à 0,48 UFL par animal et par jour et néces-
sitant des ingestions respectives de 0,60 à 0,87 kg de matière sèche par animal et par
jour.

Adapter les systèmes d’exploitation à la saisonnalité


des ressources
En saison pluvieuse
Si l’on considère une exploitation actuelle du terroir agropastoral en système ouvert,
on constate que seuls les animaux de trait et les petits ruminants sont en permanence
sur le terroir. Le disponible journalier moyen du pâturage est de 3,2 tonnes de
matière sèche. En considérant comme prioritaire la satisfaction des besoins de ce
cheptel sédentaire (valeur 1,7 tonnes de matière sèche par jour obtenue à partir des
effectifs de 186 bovins de trait, 671 caprins, 198 ovins estimés), on remarque qu’après
leur alimentation, seulement 1,5 tonne de matière sèche resterait disponible pour les
autres animaux. Cela représente une possibilité de sédentarisation supplémentaire
de 300 bovins d’élevage dans le terroir agropastoral pendant la saison des cultures,

341
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

soit 1,12 UBT ou 7 petits ruminants par exploitation du terroir agropastoral. Cette
charge permettrait de maintenir le système viable. Au-delà de cette charge, le trou-
peau supplémentaire devrait transhumer hors du terroir agropastoral, comme c’est
déjà le cas pour la totalité des bovins d’élevage des campements mbororos.
Si le terroir agropastoral est exploité en système fermé, c’est-à-dire par un élevage
non-transhumant, alors le disponible fourrager estimé à 570 tonnes correspondrait
seulement à 95 jours de consommation du bétail autochtone, pour une saison de
culture qui dure 6 mois. Une enclosure des territoires associée à la limitation des
transhumances entre territoires et à l’affectation des ressources pastorales aux
collectivités obligerait les propriétaires d’animaux à s’orienter vers de nouvelles stra-
tégies. La première option à caractère défensif serait de diminuer, de la moitié au
moins, le cheptel autochtone sur le terroir agropastoral. Une option à caractère
offensif consisterait à améliorer le disponible fourrager, c’est-à-dire à doubler la
productivité des pâturages et des jachères du terroir agropastoral et à prévoir à court
terme une stabilisation (contrôle et limitation) de la taille du cheptel. Elle se tradui-
rait par une incitation à évoluer vers des systèmes intensifs avec engraissement et
mise en marché rapide.

En saison sèche
Le système ouvert actuel rend complexe la question de la production et de la
gestion des ressources fourragères. En 2003, en plus du bétail des territoires voisins
qui font des déplacements journaliers à l’intérieur du terroir agropastoral, une
demi-douzaine de troupeaux d’éleveurs transhumants étrangers sont parqués dans
le terroir d’agriculteurs pour un séjour de 1 à 2 mois.
En raisonnant dans un système fermé dans lequel tous les résidus de récolte ne
profitent qu’aux animaux originaires du terroir agropastoral, on constate que, sur le
plan technique, la meilleure stratégie alimentaire consiste à maintenir sur le terri-
toire seulement 33 % du cheptel d’élevage en supplément du cheptel habituellement
sédentaire (petit ruminant et animaux de trait) pendant les six mois de saison sèche.
Cette charge optimale correspondrait à un cheptel ruminant global (y compris petits
ruminants) de 538 UBT (1 bovin = 1 UBT et 1 petit ruminant = 0,08 UBT). Une
telle stratégie permettrait d’assurer un entretien adéquat d’animaux ou dans le
meilleur des cas un gain de poids de 258 g par UBT par jour (à raison de 250 g par
bovin et 50 g par petit ruminant) pour l’ensemble bovin et petit ruminant, c’est-à-
dire un accroissement pondéral de 47 kg par UBT pour l’ensemble de la période de
saison sèche.
Étant donné que la charge actuelle du troupeau sédentaire (869 petits ruminants et
126 bovins de trait) représente 256 UBT, un accroissement de 110 % permettrait
d’atteindre le seuil de saturation des ressources par des animaux sédentaires, à
condition que les grands troupeaux d’élevage du terroir agropastoral continuent de
transhumer hors du territoire pendant toute la saison sèche. Pour gérer durable-
ment le système fermé, l’incorporation d’aliments concentrés aux rations et un
réaménagement des systèmes de culture (choix des assolements, association des
cultures, culture fourragère en fonction des objectifs d’élevage) sont nécessaires à
l’échelle individuelle. De même, la fermeture des territoires agropastoraux aux
troupeaux étrangers n’est possible que si la gestion du territoire est prise en main

342
Gestion du foncier et de la biomasse végétale

par la collectivité locale. Cette mutation devrait nécessairement être accompagnée


d’un aménagement et simultanément de la délimitation d’espaces pastoraux à usage
collectif et destinés spécifiquement à recevoir des troupeaux transhumants
(éleveurs non-sédentarisés ou excédents d’animaux issus des territoires agropasto-
raux fermés) de la région.
L’appropriation ou la diffusion de nouveaux systèmes de gestion nécessite une prise en
compte du contexte socioprofessionnel, des logiques d’usage, des atouts et des
contraintes du milieu. Tout projet collectif ou individuel d’amélioration de la produc-
tion de biomasse et de sa gestion (culture fourragère, parcage, etc.) doit s’accompagner
d’une renégociation et de la légitimation des règles d’accès et d’usage.

 Conclusion
Dans la région du Nord Cameroun, les processus d’appropriation foncière consti-
tuent des éléments de construction, d’organisation et d’intégration des terroirs. De
même, l’élevage est au cœur de la valorisation de l’espace et de la gestion des flux
de biomasse entre les exploitations agricoles et entre les terroirs, à différentes
périodes de l’année. Les producteurs ont des pratiques d’échange des ressources et
d’intégration des activités qui répondent à leurs capacités d’investissement (tech-
nique et financière) et à leurs marges de manœuvre (du point de vue de la régle-
mentation). Ces échanges fructueux portent surtout sur des synergies (échanges
commerciaux, prestations des terres, vente de fourrage, parcage du bétail). Mais, en
situation de compétition ou d’antagonisme, les interactions sont modifiées par un
cadre réglementaire désormais mal adapté à ce nouveau contexte.
Le défrichement des espaces de parcours entrave le développement de l’élevage et
la durabilité de la sédentarisation entreprise par les éleveurs. La présence d’ani-
maux d’élevage au sein des exploitations agricoles remet en question des modalités
du droit de vaine pâture traditionnellement accordé aux éleveurs. De même l’éro-
sion et la baisse de fertilité des sols sont aggravées par l’exportation (non contrôlée)
des résidus de récolte par le bétail transhumant, dans un contexte marqué par la fin
des jachères.
Actuellement, il est nécessaire de rénover, d’actualiser et de garantir les cadres
réglementaires et les organisations sociales élaborés en concertation avec tous les
acteurs pour encourager l’adoption des techniques améliorant les systèmes de
production. La mise en place d’un cadre de concertation entre les acteurs dans le but
d’une gestion collective des ressources communes en accès libre (foncier, biomasse
végétale) est un préalable à l’expression d’un conseil technico-économique visant
l’accroissement de la production.

343
Partie 5

Accompagnement
des producteurs
Patrick DUGUÉ, coordinateur
Introduction

Cette dernière partie aborde les méthodes d’accompagnement des producteurs


dans les processus d’innovation et de la gestion de leur exploitation agricole. Le
chapitre 24 traite plus spécifiquement de l’innovation et des méthodes de recherche
en partenariat. Il met en relief le besoin de renforcer les capacités des agriculteurs
à dialoguer avec les chercheurs et les techniciens, notamment en vue de construire
des innovations techniques et organisationnelles susceptibles d’améliorer les perfor-
mances et la durabilité des systèmes de production. En s’appuyant sur diverses
expériences de conseil à l’exploitation agricole menées en Afrique de l’Ouest et du
Centre, le chapitre 25 présente une démarche de construction des dispositifs de
conseil visant le renforcement des capacités de gestion de l’agriculteur.
La participation des producteurs est une question commune aux deux domaines
abordés dans cette cinquième partie. Après plusieurs décennies consacrées au trans-
fert des technologies et des méthodes, les acteurs du monde rural sont de plus en
plus conscients du besoin de mieux associer les producteurs et leurs organisations à
la conception et à la gestion des programmes de recherche et des services. Face au
désengagement de l’État, les organisations paysannes ont même pris l’initiative de
créer et de gérer elles-mêmes les services indispensables (approvisionnement en
intrants, commercialisation des produits agricoles, plus rarement service de conseil).
La prise en compte des stratégies des producteurs et de leurs objectifs est aussi
fondamentale dans les démarches des agronomes qui s’intéressent aux pratiques des
agriculteurs, à l’innovation et à la coordination des activités au sein des territoires.
On pourra se référer aux travaux de Milleville (1987 et 2007) qui a mis en exergue
la distinction entre technique et pratique, il rejoint ainsi les considérations présen-
tées dans le chapitre 24, l’innovation est considérée comme un processus de chan-
gement socio-technique qui se distingue de l’invention ou de l’objet technique. De
même Sebillotte (2002) a largement contribué à la reconnaissance de la place de
l’agriculteur dans les objets d’étude des agronomes qui s’intéressent aujourd’hui à
des niveaux d’analyse complémentaires de celui de la parcelle cultivée. Pour
comprendre et accompagner les exploitations dans le changement technique et
organisationnel, les agronomes doivent aussi aborder les décisions des agriculteurs
(dans l’exploitation agricole) et comprendre les interactions entre producteurs et les
autres acteurs économiques (à l’échelle du territoire).

347
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Les démarches d’accompagnement des producteurs ruraux s’appuient sur les


connaissances du fonctionnement et de la diversité des exploitations agricoles et des
pratiques gestionnaires dont les fondements théoriques et méthodologiques ont été
présentés dans les troisième et quatrième parties de cet ouvrage. Cette dernière
partie vise surtout à donner des éléments utiles aux techniciens et aux chercheurs
pour la construction de dispositifs d’appui et de conseil aux exploitations et la mise
en place de recherches en partenariat. Pour d’autres domaines proches et complé-
mentaires comme celui de la formation des ruraux ou de l’appui à l’organisation des
producteurs, le lecteur pourra se référer à l’importante littérature parue sur ces
sujets1.

1. Beaudoux E., 2000. Accompagner les ruraux dans leurs projets. L’Harmattan, 235 p.
Mercoiret M.-R., 1994. L’appui aux producteurs ruraux. Karthala. 463 p.
Collectif, 1986. L’enseignement agricole et la recherche-développement, Gret Ciface. Gret, Paris, 106 p.

348
Chapitre 24
Processus d’innovation
dans les exploitations familiales
Nicole SIBELET et Patrick DUGUÉ

Une des raisons fondamentales justifiant une réflexion sur l’innovation réside dans
le fait que développement et innovations sont intimement liés. Les agronomes se
sont longtemps considérés comme des acteurs essentiels dans les processus d’inno-
vation en milieu rural. Ils estimaient que les progrès des exploitations agricoles
dépendaient de la capacité des chercheurs à proposer des solutions pertinentes, de
la présence de services de vulgarisation chargés de diffuser les messages techniques
et enfin, de la réceptivité des paysans au « progrès technique ». Cette démarche
descendante misant avant tout sur les savoirs des agronomes a montré ses limites, et
de nombreux programmes de transfert de technologies ont échoué. Ainsi, les fortes
capacités d’innovation des agriculteurs sont démontrées, comme dans les exemples
relatifs au Nord Cameroun et au Niumakélé (Anjouan, Comores) présentés ci-après.

 Processus sociologique et technique


porté par les agriculteurs
Le terme d’innovation est polysémique. Il est souvent assimilé à une invention, une
solution, ou proposition technique ou un ensemble de techniques (appelé paquet tech-
nique, set of innovations). Dans ce chapitre, nous considérons l’innovation comme un
processus socio-économique de changement, accompli par un groupe social et fondé
sur des inventions endogènes ou exogènes. Ce processus est endogène, ce qui n’exclut
pas qu’il soit favorisé – ou dans certains cas perturbé – par des agents extérieurs (cher-
cheurs, vulgarisateurs, commerçants…) au groupe social, ou qu’il soit influencé par
des facteurs exogènes (marché, politique agricole, évolution du climat, etc.).
Innover n’est ni inventer ni imiter. L’invention ou la trouvaille (technique de
sarclage, herbicide, forme d’organisation, etc.), qui peut être le fait d’un paysan, du
chercheur, etc., doit être distinguée de l’innovation qui peut être définie comme une
nouvelle façon de faire ou de s’organiser.

349
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Fondamentalement, le processus d’innovation agricole est accompli par l’agriculteur.


Celui-ci valorise une invention en l’intégrant à son système de production, ce qui
l’amène à revoir ses pratiques et les relations qu’il entretient avec son entourage. Ce
processus dépasse donc la simple mise en œuvre d’une technique. Innover, c’est donc
utiliser ou pratiquer une invention. L’innovation ne se caractérise pas par l’adoption
ou la modification de l’invention de départ mais par la modification des pratiques
antérieures.
Si l’innovation agricole ne peut être que le fait des agriculteurs, les inventions (ou
conceptions d’idées nouvelles, prémices de l’innovation) sont créées et diffusées soit
par des agriculteurs comme les techniques du zaï1, soit par des agents extérieurs aux
sociétés rurales (chercheurs, agents de développement, conseillers, commerçants, …).
Les acteurs agriculteurs innovent, c’est-à-dire modifient leurs pratiques et les agents
extérieurs peuvent catalyser ou inhiber les processus d’innovation.
La thèse sous-jacente à notre propos est que les sociétés paysannes ont la capacité
d’innover, et assez fréquemment, d’inventer, thèse qui va à l’encontre des discours
évoquant la résistance des paysans face au progrès. Pour sortir des biais qui confor-
tent ce type de discours, nous proposons un panorama historique du concept d’inno-
vation, de la vulgarisation et des perceptions qu’ont les acteurs de ces processus.
Deux études en Afrique (Comores, Cameroun) illustrent la capacité des paysans à
produire des innovations modifiant fortement les systèmes de production et le fonc-
tionnement des exploitations agricoles. L’innovation paysanne évolue dans le temps,
dans l’espace physique et la société alors que les agents de développement
voudraient que leurs propositions s’appliquent massivement. Ensuite, pour analyser
les rapports entre les paysans et les différents intervenants extérieurs, une typologie
de l’innovation paysanne est proposée. Enfin, en considérant les relations entre les
acteurs, notamment le hiatus entre la réalité de l’innovation paysanne et le défaut
de prise en compte de ces innovations par les agents extérieurs, nous proposerons
des pistes pour l’accompagnement des processus d’innovation par les partenaires de
la recherche et du développement.

 Le courant diffusionniste dominant


Dans le passé, les économistes et les psychosociologues ont été les premiers à
proposer des théories de l’innovation. En économie, Schumpeter (1935) en est le
pionnier ; il considère que l’entrepreneur qui introduit des innovations est la clé de
la dynamique économique. La période de forte croissance économique en Europe
après la Seconde guerre mondiale (les Trente glorieuses) a favorisé la vision mono-
économique de l’histoire (Rostow, 1960), le sens du terme innovation est alors
réduit à technologie. En agriculture, les transferts de technologies constituent le
fondement de la Révolution verte.

1. Zaï : technique de préparation du sol inventée par des paysans mossi (Nord Ouest du Burkina Faso)
consistant à creuser manuellement des petites cuvettes en fin de saison sèche et à y apporter la fumure
organique. Ce travail localisé à chaque poquet de mil ou de sorgho favorise la gestion de l’eau pluviale
et des nutriments, la levée des plantes et donc le développement des cultures dans les sols non sableux.

350
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

Évolution des théories sur l’innovation


De nouveaux points de vue émergent à la fin des Trente glorieuses et avec les
apports de Schumacher, « Small is beautiful » (1973). Les projets de développement
agricole et rural évoluent progressivement, de l’innovation technologique à un
courant prônant le développement des ressources humaines dont fait partie la
recherche-développement.
Les psychosociologues mettent en avant la théorie du courant diffusionniste établie
par Rogers (1962). Il affirme que la distribution dans le temps des individus adop-
tant une innovation à un instant « t » suit une loi Normale (avec en abscisse le temps
et en ordonnée le nombre de personnes ayant adopté une innovation) qui se traduit
par une courbe de Gauss (ou courbe en cloche). En conséquence, la courbe illus-
trant le cumul du nombre de personnes ayant déjà adopté l’innovation est une
courbe en « S » dite courbe épidémiologique – elle est aussi celle de la diffusion
d’un microbe lors d’une épidémie non jugulée – (figure 24.1).
Le processus d’adoption de l’innovation est décrit par la séquence suivante : prise
de conscience, intérêt, évaluation, essai, adoption. De nombreuses réserves ont été
exprimées sur ces travaux. Par la suite, Rogers a tenté de fournir une explication
scientifique à la notion commune de la diffusion du progrès en tache d’huile tradui-
sant une idée mécaniste du progrès. Cette conception empirique était fondée sur
certaines idées reçues concernant la psychologie de l’agriculteur considéré comme
individualiste, désireux de copier, éventuellement envieux (Spinat, 1981). En outre,
la classification de Rogers n’est que temporelle et statistique et ne fait pas appel aux
aspects sociaux. De par sa spécialité – la psychosociologie –, et de par la société qui
l’environnait – les États-Unis des années 50 et 60 –, Rogers a conçu une théorie
selon laquelle l’agriculteur est un client potentiel chez qui il convient de lever
certains freins psychologiques à la prise de décision. Les vocables employés sont
symboliques (innovateur, retardataire…) et sont connotés positivement ou péjora-
tivement. Le parallélisme est dès lors vite établi entre la vulgarisation agricole et le
marketing, apparu dans les années 50 aux États-Unis : le vulgarisateur est un

100 % a
Population

0 t1 t2 t3 t4 t5 t6 Temps

Rogers définit cinq étapes dans le processus d’innovation et autant de catégories d’adoptants : les
innovateurs, entre 0 et t1 ; les adoptants précoces, entre t1 et t2 ; la majorité précoce, entre t2 et t3 ;
la majorité tardive, entre t3 et t4 ; les retardataires, au-delà de t4.
Figure 24.1. Courbe de la diffusion des innovations selon Rogers.

351
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

vendeur ; l’agriculteur est un client et l’innovation ou le conseil technique est un


produit commercialisable ; la relation entre l’agriculteur et le technicien agricole est
à sens unique. La diffusion des innovations se fait à grand renfort de publicité et
l’information se substitue à la formation. Cette méthode a été efficace en Amérique
du Nord pour la deuxième révolution agricole (motorisation et application de
produits chimiques) et a rapidement influencé les systèmes de vulgarisation et les
projets de développement dans les pays du Sud dans des contextes économiques et
sociaux pourtant fort différents.
Outre ces critiques, des réserves d’ordre méthodologique peuvent être émises.
Rogers affirme que son modèle est exhaustif, alors qu’il exclut les non-adoptants.
Or, si la distribution des différents types d’innovateurs en fonction du temps est
construite en incluant les non-adoptants, la courbe ne suit pas une courbe en « S »
(Sibelet, 1995), ce modèle ne s’applique donc pas à l’ensemble de la société. D’un
seul point de vue mathématique, la construction de la courbe est contestable, car
Rogers utilise en ordonnée le nombre d’innovateurs alors que les innovateurs de
l’instant t ne mettent pas en place les mêmes innovations que les innovateurs de
l’instant t+n du fait que l’innovation évolue dans le temps ; ainsi, les objets (points)
mentionnés sur la courbe ne sont pas de même nature (valeurs discrètes).
Cette théorie critiquable a toutefois été sous-jacente au modèle dominant de la
vulgarisation agricole de ces vingt dernières années, appelé Training and Visit et
promu par Benor et al. (1984). Dès que l’on cherche à instituer une vulgarisation via
des paysans pilotes ou des paysans relais et à faire diffuser des solutions techniques
en tache d’huile, la référence est, même inconsciemment, celle du modèle diffusion-
niste. Ainsi, cette méthode ignore toute la complexité d’un processus d’innovation,
ses facettes multiples (genèse, forme) et son évolution dans le temps, selon les
positions sociale et économique et les stratégies des acteurs.
Des sociologues et des économistes français ont élargi ce débat dans les années 70-80.
Mendras (1996) a repris les travaux de Rogers en leur associant une dimension
sociale, mais l’innovation est toujours conçue comme un objet introduit par un
médiateur dans une société paysanne, à partir de la société englobante. Bodiguel
(1975) insiste lui sur le contexte : ainsi l’innovation a une signification économique
et sociale, elle est porteuse d’une idéologie, qui tend à l’intégration de la société
paysanne dans la société englobante. Les auteurs de la revue Pour (1975) montrent
que l’innovation est multidimensionnelle.
Aujourd’hui, il existe un foisonnement de travaux sur l’innovation en milieu rural ;
ils sont constitués d’études de cas visant à évaluer la réussite ou l’échec des projets
de développement et à analyser les causes de l’adoption ou du rejet par les paysans
des solutions proposées par ces projets. Ils sont focalisés sur le suivi de l’invention
de départ et sur la démarche descendante des projets, et ils ont ainsi surtout mis en
avant les stratégies des acteurs et leurs capacités d’adaptation. Mais, dans le
domaine agricole, peu de travaux traitent réellement du processus d’innovation tel
qu’il a été défini. Au Cirad, les socio-économistes (Yung et Bosc, 1992) inspirés par
Schumpeter ont abordé l’innovation sous trois angles : quelles sont les raisons de
l’innovation ? Comment s’articulent processus d’innovation et stratégies des
producteurs ? Comment les processus d’innovation sont-ils influencés par les condi-
tions institutionnelles et économiques sur les processus d’innovation ?

352
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

Milleville (1987), en tant qu’agronome, a mis en avant l’analyse des pratiques


paysannes. Pour cet auteur la pratique est une technique mise en situation. Par
analogie, nous pouvons dire qu’il n’y a innovation que lorsqu’une nouveauté est
passée à l’état de pratique, l’innovation serait donc une invention mise en pratique.
Pour comprendre le processus d’innovation, le groupe Gerdal (Groupe d’expéri-
mentation et de recherche, de développement et d’action localisée) a accordé une
grande importance aux échanges et aux débats au sein d’un groupe d’agriculteurs en
interaction ayant des systèmes de production proches ; Gerdal a proposé la notion
de groupe professionnel local (Darré, 1984).
Finalement, ces auteurs sont passés globalement d’une vision linéaire faisant de l’in-
novation l’équivalent d’un transfert de technologies à une vision plus systémique
ancrée dans le milieu rural. Ils ont alors cherché à prendre connaissance du fonc-
tionnement du milieu rural, des mutations et des innovations endogènes et de ses
réactions aux interventions extérieures. Les interventions du développement et de
la recherche agricole ont évolué conjointement à ces avancées théoriques selon trois
phases.

Trois grandes phases historiques dans les interventions


du développement et de la recherche agricole
Les projets de modernisation de l’agriculture familiale se sont multipliés au cours
de la période 1950 à 1980. C’est l’époque de la Révolution verte, avec un rôle
central dévolu à la technique et au transfert de technologies des pays du Nord vers
les pays du Sud qui devaient résoudre les problèmes. Ces projets sont influencés par
le courant diffusionniste et s’appuient sur une vulgarisation de masse.
Ensuite, à partir des années 1980, les actions de développement deviennent plus
endogènes (développement autocentré) et s’appuient sur les ressources locales,
l’identification des besoins des producteurs et la recherche de solutions accompagnée
du test par les producteurs. C’est une démarche de recherche-développement, avec
une phase de développement pilote suivie de l’extension ou de la diffusion des résul-
tats à l’ensemble du territoire. Cette démarche est toujours descendante et fortement
liée aux techniques dites modernes et aux recommandations de la recherche, mais
une réflexion sur l’innovation organisationnelle et sur les mesures d’accompagne-
ment (crédit, formation, conseil) est intégrée aux projets de développement et, en
corollaire, des interventions sont programmées.
Depuis 1990, sont mis en avant le renforcement des capacités des acteurs et l’ac-
compagnement des processus d’innovation. C’est la reconnaissance des capacités
d’innovation des paysans (paysans expérimentateurs, réseaux locaux de diffusion de
l’information) et on s’intéresse aux solutions créées localement (en particulier à
partir de coopérations entre pays du Sud ou entre paysans), et au matériel végétal
local ou sélectionné par les paysans. Dans cette démarche dénommée recherche-
action en partenariat, le paysan est associé au processus de recherche qui vient
accompagner le processus d’innovation. Cette dernière phase a été mise en pratique
dès les années 70 en France par les Ceta et se poursuit au sein des Civam et dans
d’autres groupes de développement autonome. Cette démarche a joué un rôle
fondamental dans le développement agricole français.

353
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

 Évolution de l’innovation paysanne dans le temps,


dans l’espace physique et social
Pour de nombreux auteurs, les paysans d’Afrique ont peu innové et encore moins
inventé par eux-mêmes et sont peu enclins à adopter des inventions proposées. Des
freins à l’innovation sont incriminés : pesanteurs sociales, analphabétisme, etc. Ce
type de jugement a existé dans les deux cas présentés ci-après, alors que la capacité
des paysans à innover sera largement démontrée par l’analyse systémique, diachro-
nique et stratégique.

Exemples d’innovations paysannes


Au Cameroun, les structures d’encadrement prennent peu en compte les nouvelles
pratiques des agriculteurs ou les reconnaissent tardivement alors qu’elles ont été
mises en en œuvre par un grand nombre d’entre eux. Aux Comores, des experts
continuent à parler de « l’immobilisme des paysans » notamment face à des théma-
tiques qui leur sont chères : l’étable fumière, la lutte contre l’érosion par plantation
de vétiver en courbe de niveau. Or, dans les deux cas, des analyses qualitatives et
chiffrées prouvent la capacité des paysans à innover de façon conséquente.
Le processus d’innovation ne s’arrête pas à la mise en place d’une nouvelle culture
et des systèmes techniques associés. Il intègre les acteurs de la filière et en particu-
lier les commerçants qui assurent la collecte des produits et parfois fournissent du
crédit et des intrants.

Évolution des systèmes de culture


en zone cotonnière au Cameroun
L’analyse de l’évolution des systèmes de culture en zone cotonnière du Cameroun
(figure 24.2) au cours de ces quinze dernières années illustre la capacité des agricul-
teurs à innover (Dugué et al., 2006). Les principaux processus d’innovation observés
concernent les techniques d’installation des cultures, le contrôle de l’enherbement
et l’introduction de nouvelles cultures (oignon, cultures fourragères locales).
• Dans le cas de la culture du muskuwaari, sorgho de décrue de saison sèche, les
agriculteurs sont confrontés à un accroissement de la pression des mauvaises
herbes. Face à cela, ils ont recours aux herbicides totaux initialement vulgarisés pour
les cultures pluviales (coton, maïs).
• En revanche, dans le cas de l’arachide et du sorgho pluvial, les innovations sont
totalement issues des agriculteurs. Ils ont inventé le labour-semis de l’arachide : un
travail du sol superficiel permet d’enfouir les semences déposées dans la raie de
labour. Dans la région de Guider, la charrue à traction asine est maintenant utilisée
pour réaliser le premier et le deuxième sarclage du sorgho et pas seulement le
labour. Lors du premier sarclage, un double passage de la charrue permet d’ac-
croître la rugosité du sol et de limiter le ruissellement et par conséquent, d’amé-
liorer l’alimentation hydrique des cultures.
Les interventions des services techniques de la Sodecoton en faveur de la traction
animale (près de 55 000 attelages en 2004 contre seulement 36 000 en 1989) et des

354
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

400 mm

500 mm

600 mm
Maroua
700 mm
Limite Province
de Province de Extrême-Nord

Guider 800 mm

Garoua
900 mm
S

Province du Nord 1 000 mm


1 200 mm

Limites Nord et Sud du bassin cotonnier

Figure 24.2. Situation du Nord Cameroun.

herbicides ont permis de soutenir ces processus d’innovation, influencés aussi par
l’évolution de l’environnement des exploitations agricoles (disponibilité en terre
donc extension des surfaces cultivées, demande des marchés urbains).
• La culture d’oignon, qui concerne aujourd’hui environ 12 000 producteurs au
nord du Cameroun, s’est développée pendant plus de vingt ans (de 1970 à 1990)
sans intervention de la vulgarisation ou de la recherche (Cathala et al., 2003). Les
producteurs ont mis au point les itinéraires techniques et en particulier les tech-
niques de fertilisation, de protection contre les parasites et d’irrigation (passage de
l’arrosage manuel à l’irrigation motorisée). Dès les années 80, le recours aux engrais
(engrais complet vendu pour le cotonnier) a permis d’accroître les rendements mais
aussi le taux de perte par pourrissement. Les producteurs visaient des rendements
élevés et de gros bulbes pour une mise en marché dès la récolte, le paiement se
faisant au volume. Les difficultés de commercialisation qui sont apparues dans les
années 90 en raison d’un faible étalement dans le temps de la production ont amené
les producteurs, les agronomes et les techniciens à travailler ensemble à la mise au
point de cases de conservation et à l’adaptation de la fertilisation à la culture de
l’oignon. Le dialogue entre agronomes et producteurs est donc récent. L’analyse
du processus d’adoption de l’oignon dans les nouvelles zones de culture a mis
en évidence une diversité des comportements des producteurs par rapport à l’inno-
vation. Ce processus n’est pas linéaire.

355
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

L’agriculteur passe d’abord par une phase d’expérimentation à la fois de la produc-


tion (choix du terrain, des doses et de la fréquence d’irrigation et de fertilisation) et
de la mise en marché. Pour cela, il mobilise des réseaux de connaissances, en
s’appuyant le plus souvent sur des relations au sein du groupe ethnique. Après cette
phase, deux catégories de producteurs apparaissent. Un premier groupe comprend
des producteurs confirmés qui se sont spécialisés dans l’oignon, parfois en abandon-
nant d’autres cultures (comme le coton) afin de dégager du temps pour étaler la
période des repiquages (dès le mois de septembre) ; ils investissent aussi dans l’équi-
pement (motopompe, case de conservation) et parfois le foncier ; ils apportent une
attention particulière à la qualité de la semence. La seconde catégorie comprend les
producteurs occasionnels qui ne cultivent pas l’oignon chaque année et considèrent
cette production comme une source de revenu complémentaire ; ils diversifient ainsi
leurs productions afin de mobiliser une main-d’œuvre excédentaire en saison sèche
et de dégager un revenu visant à résoudre un problème ponctuel ; leurs performances
économiques sont moins bonnes que le premier groupe car ils mettent en marché dès
la récolte et ils ont des charges de location de matériel et parfois de la terre.
Ces dynamiques ont permis d’accroître régulièrement la production agricole pour faire
face à l’accroissement de la demande en produits vivriers de la population et développer
des productions de vente comme le coton (100000 t en 1989, plus de 300 000 t en 2006),
l’oignon (près de 35 000 t exportés hors de la région), l’élevage bovin et porcin.

Innovation des paysans du Niumakélé à Anjouan aux Comores


Les paysans du Niumakélé, région méridionale de l’île d’Anjouan (figure 24.3) ont
innové alors que cette région est réputée la plus reculée des Comores.
L’intensification agricole pratiquée par les paysans du Niumakélé repose sur un
système cohérent d’innovations qui comprend l’installation de clôtures, la conduite
des bovins au piquet, la plantation d’arbres et le remplacement du système de
culture à base de riz par un système fondé sur des productions de racines (manioc).
Ces quatre éléments sont de véritables sous-systèmes.
• La mise en place des clôtures nécessite un surcroît de travail, l’utilisation d’un
nouvel outil (la barre à mine), la multiplication et la plantation d’un matériel
végétal nouveau (boutures de gliricidia et sandragon).
• La vache au piquet. Les vaches sont attachées à un piquet contrairement au
système antérieur où elles étaient laissées plus ou moins en divagation. C’est un
nouveau système d’élevage qui impose un surcroît de travail pour l’affouragement
de l’animal. Les transferts de fertilité sont désormais concentrés afin d’amender une
parcelle privilégiée. Cela nécessite de remplacer la corde traditionnelle, fragile et
putrescible, par une corde solide pour éviter le saccage des cultures contiguës de
l’aire de stabulation et d’optimiser l’utilisation des ressources en fourrage.
• Le remplacement du système de culture à base de riz par un système de culture
fondé sur la production de racines, tubercules et bananes a plusieurs conséquences.
Il génère de nouvelles habitudes dans l’alimentation, exige une modification du
calendrier cultural et engendre une augmentation du rendement de la parcelle en
calories de 3 à 5 fois (sans fertilisation) jusqu’à 10 fois avec fertilisation.
• La plantation d’arbres et le développement des productions de rente issues de
l’arboriculture (giroflier, ylang-ylang) nécessite de multiplier le matériel végétal et
de l’implanter.

356
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

COM O R E S Route goudronnée


Capitale d'État Route goudronnée
en projet
Plus de 5 000 hab.
Plus de 2 000 hab. Route secondaire
Autre localité Aéroport, aérodrome

0 25 50 km

Figure 24.3. Situation d’Anjouan aux Comores.

Il est difficile de quantifier tous les aspects de l’innovation. Cependant, deux critères
peuvent être retenus : l’augmentation des rendements et l’augmentation de la produc-
tion totale sur le finage villageois. Une parcelle intensifiée (c’est-à-dire embocagée,
fertilisée et cultivée trois ans sur quatre pour une production de racines, tubercules et
bananiers) a un rendement dix fois supérieur à celui d’une parcelle cultivée avec des
associations traditionnelles (riz-maïs et Cajanus cajan cultivée trois ans sur cinq).
À Ongoju, village le plus avancé dans la démarche d’intensification, les rendements
ont été multipliés par dix sur un tiers du finage. La production totale du finage
d’Ongoju a été multipliée par 2,7 alors que la population a doublé (Sibelet, 1995).
En vingt-cinq ans, grâce à ce système cohérent d’innovations, la production agricole
a presque triplé, alors que la population a doublé, ces systèmes de production étant
par ailleurs plus respectueux de l’environnement.

Analyse et apports théoriques


Le hiatus entre le dynamisme des paysans et le manque de reconnaissance de leurs
innovations par les intervenants extérieurs a ouvert une nouvelle voie dans la théorie
en creusant quelques pistes épistémologiques, notamment en examinant la séman-
tique de l’innovation. Les pistes méthodologiques proposées permettent de sortir
d’une posture classique qui ne valorise pas les dynamiques endogènes des populations.

Problème de la nature des propositions


Les propositions des chercheurs et techniciens continuent à être les mêmes depuis
plusieurs décennies (bandes enherbées et cordons pierreux antiérosifs, étables
fumières, création d’organisations selon un modèle occidental…) tant pour la zone
cotonnière du Cameroun que pour l’île d’Anjouan aux Comores.

357
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Les stratégies des paysans sont peu prises en compte tout comme leurs activités non-
agricoles souvent cruciales pour leur famille. Le paysan rêve-t-il de lutte contre l’éro-
sion ? Les paysans rêvent plutôt d’une meilleure alimentation, d’un meilleur habitat,
d’un travail moins pénible, d’une moindre dépendance des aléas climatiques, de la
transmission d’un patrimoine physique et culturel à leurs enfants. Ils sont aussi cons-
cients de la valeur de leur environnement, ils savent pertinemment qu’il faut
préserver les ressources naturelles qui les font vivre. Mais pour atteindre demain, il
faut déjà vivre ce jour. Une plante antiérosive a plus de chance d’être acceptée si elle
a d’autres utilités que la seule lutte contre l’érosion, il faut qu’elle contribue aussi à
la satisfaction des besoins du présent (fruits, fourrage, bois de service…).
Si les solutions proposées ne sont pas adoptées par les paysans, ce n’est pas parce que
ces derniers sont résistants au progrès. Les paysans résistent à la nature des propositions
car celles-ci ne conviennent pas à la structure ni aux mécanismes de régulation de leur
système technico-socio-économique, ni aux stratégies qui ont déterminé ce système.
D’un point de vue méthodologique, la résistance des paysans à des propositions
extérieures ne doit pas aboutir à une condamnation idéologique, « ils sont résistants
ou hostiles au progrès », mais elle doit être comprise comme une expression de la
structuration du champ que l’on veut changer, et, en tant que telle, elle est peut-être
porteuse d’indications précieuses sur la réalité du champ dont on cherche à trans-
former la structuration (Friedberg, 1993). Il convient alors d’analyser les résistances
non plus pour les combattre mais pour comprendre la structuration qui les porte.
Pour être prospectif, il faut contrebalancer l’analyse des résistances paysannes par
celle des dynamiques en cours, des ambitions et des souhaits des paysans pour le
futur, et des potentiels des sociétés rurales concernées.

Importance de la dimension sociale


L’innovation a une forte dimension sociale. Les paysans innovent non seulement en
fonction de leurs moyens et de leurs besoins mais aussi en fonction de ce que la
société est prête à accepter. L’accord de la société est donné par les instances coutu-
mières de notables sous la forme d’une sorte de visa idéologique. Ainsi, les paysans
d’Anjouan n’ont pu embocager leur territoire d’exploitation et se soustraire à la
vaine pâture collective seulement lorsque les notables ont accordé un crédit à cette
pratique soit verbalement soit activement en s’adonnant eux-mêmes à cette pratique.
Au contraire, dans le Nord Cameroun, les autorités coutumières n’ont pas encore
révisé le droit de vaine pâture qui leur permet d’entretenir des relations sociales et
marchandes avec les éleveurs en transhumance ; les agriculteurs peuvent donc diffi-
cilement contourner ce droit et s’approprier des ressources fourragères et des
espaces en saison sèche pour leurs troupeaux uniquement (chapitres 17 et 23).
Rogers avait analysé l’innovation comme un processus individuel psychologique
alors que c’est avant tout un processus organisationnel, collectif et social.

Élargir son point de vue par une approche globale


La résistance au changement n’est ni plus ni moins rationnelle, ni plus ni moins légi-
time que l’action qui le provoque (Friedberg, 1993). Cette assertion renvoie au fait
qu’aborder une situation et des problèmes afférents (enherbement, érosion) sous
l’angle technique conduit à des solutions et à des outils de type technique. Les

358
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

(A)
1. Embocagement : clôture 2. Chargement du système d'élevage :
vache au piquet
(C) (B)

3. Changement du système de culture :


arborisation et remplacement du riz par le manioc

Figure 24.4. Relation entre les éléments de l’innovation : intégration agriculture élevage et change-
ment de système de culture.

projets de développement se résument souvent à un outil technique le plus souvent


déconnecté d’une vision plus large des politiques économique, sociale, culturelle, etc.
En termes méthodologiques, adopter une approche globale conduit à reconnaître
l’interdépendance des processus d’innovation. Ainsi, au Niumakélé (Anjouan), les
trois éléments de l’innovation sont corrélés (figure 24.4).
• (A) La clôture de la parcelle constituée d’une haie vive protège du vol de la vache
au piquet et des productions et de la divagation des animaux extérieurs : elle permet
donc l’intensification. Elle améliore également la production de fourrage.
• (B) La vache au piquet parcourt progressivement toute la parcelle dans l’année et
fertilise le sol. L’implantation du système de culture à base de manioc (contraire-
ment au riz) peut-être étalée sur une bonne partie de l’année.
• (C) Les arbres attirent les oiseaux prédateurs du riz, et le système de culture à
base de manioc tolère l’ombrage et les oiseaux contrairement au riz.
L’approche systémique et la prise en compte des interactions ont permis de
comprendre les processus d’innovation à l’origine de l’augmentation de la produc-
tion agricole. Au contraire, examiner seulement l’adoption des solutions techniques
proposées au Niumakélé (installer des étables fumières, planter du vétiver) a
conduit les experts à conclure, à tort, à l’immobilisme de la société. Les paysans du
Niumakélé ont combiné les quatre éléments nouveaux dans des systèmes différents
selon leurs besoins, leurs stratégies et leurs moyens, selon le temps et l’espace
géographique et social disponibles. Ainsi, nous considérons que l’innovation est
complexe, elle n’est pas mono-thématique, et son accompagnement nécessite une
approche systémique mobilisant différentes disciplines.

Importance de la dimension historique


L’approche globale de l’innovation doit aussi prendre en compte la dimension histo-
rique. La nouveauté n’est pas la même selon les époques.
La construction de trajectoires d’innovation au Nord Cameroun amène à consi-
dérer différentes phases (Vall et al., 2006) (figure 24.5). Dans les cas de l’acquisition
de la traction animale, de l’introduction de l’oignon ou de la constitution de stocks
fourragers, on peut distinguer trois phases :
– expérimentation, les paysans tâtonnent avec ou sans l’appui des techniciens ;
– diversification des options techniques ;
– recentrage sur un modèle technique unique pour des raisons économiques et
organisationnelles.

359
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Phases de l’innovation

1 2 3 4
< 1945 1950-1960 1970-1980 1990-2000

Traction Premiers Radiation et Verrouillage Redéploiement :


animale essais introduction sur 1 modèle paysans au cœur
volontariste dominant de l’innovation
soutenu par
Sodecoton

Diversité
des options
prises pour
l'innovation

1 2 3
< 1970 1970-1985 1985-2000

Oignon Premiers essais Expansion dans Étalement de


et diffusion localisée l’Extrême Nord la production
à certaines zones d’un modèle et conservation,
dominant expansion
(production des surfaces
de mars)

Diversité
des options
prises pour
l'innovation

1 2 3
< 1990 1990-2000 1990-2000

Constitution Premiers essais de stockage Généralisation Esquisse


de stocks de résidus fourragers du stockage de divers
fourragers et d’affouragement des résidus systèmes
fourragers par fourragers
les agro-éleveurs par les paysans

Diversité
des options
prises pour
l'innovation

Figure 24.5. Trajectoires d’innovation des paysans au Nord Cameroun (D’après Vall et al., 2006).

360
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

Le marché et l’organisation des filières orientent ces processus. Par exemple, pour
des raisons économiques, les producteurs de coton cherchent à diversifier leurs
pratiques de culture attelée (progression du nombre d’équidés, équipement moins
onéreux fournis pas des forgerons villageois).
Aux Comores, selon la période dans l’histoire, l’innovation n’a pas la même forme,
ni le même espace d’application. Par exemple, avant que le plateau central autour
du village ne soit complètement récupéré par les paysans après l’indépendance en
1975, les animaux ne pouvaient guère y accéder et donc apporter de la fumure orga-
nique surtout de façon intensive toute l’année par l’attache des bovins au piquet
dans les parcelles (figure 24.6). La plantation d’arbres se faisait majoritairement en
girofliers dans les années 1970, puis s’est poursuivie en ylang-ylang (Cananga
odorata) dans les années 1980 à la suite de la chute des cours mondiaux du girofle.
En parallèle, ne regarder qu’une partie du système peut conduire à prouver fausse-
ment le retard supposé d’une société. Certains outils, vêtements, modes d’action ou
rites anciens peuvent perdurer aux côtés de nouveaux objets ou de nouvelles
pratiques. Hirschman (1968) parle de signes persistants indiquant un « arôme de
retard », – alors que tout change –, et qui font dire que rien n’a changé. D’après
Hirschman, « les difficultés particulières pour percevoir un changement en train de
se faire font qu’on laisse passer à coup sûr beaucoup de possibilités d’accélérer ce
changement et de profiter des occasions qui se présentent. Les obstacles à la
perception du changement se convertissent alors en un important obstacle au chan-
gement lui-même ». Aurait-on dit en 2005, en France, que les agriculteurs biolo-
giques sont hostiles au progrès car ils combinent culture attelée et motorisée pour
des raisons à la fois de respect de l’environnement, de rentabilité et de production
de fumier ?
1960-1970 Indépendance 1970-1980 1980-1990
Terroirs 1975
périphériques = Distribution
terres moins fertiles des terres
et en pente (parfois aux paysans
non cultivables)
pouvant accueillir
les animaux des
paysans autochtones

Plateau central =
meilleures terres
exploitées par la
société agricole Élevage paysan Rétrocession Extension
coloniale sur les terroirs de l’ensemble de la zone
périphériques, des terres du plateau cultivée et intensifiée
pas ou peu de valorisation aux paysans, par la poursuite
de la fumure animale début d’intégration de l’intégration
de l’élevage élevage,
dans les zones arbre,
de culture système de culture

Bovin dont la fumure est peu ou pas valorisée Bovin dont la fumure est valorisée Habitations, village

Figure 24.6. Histoire de l’innovation à Anjouan.

361
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Les différents points méthodologiques abordés montrent comment se débarrasser


du déni, encore trop fréquent, des capacités d’innovation des paysans et comment
parvenir à identifier les processus d’innovation paysanne. Pour comprendre ces
processus, il est nécessaire de répondre aux questions suivantes :
– quelles sont les origines, quelles sont les conditions et quels sont les effets de
l’innovation ?
– quelles sont les caractéristiques et les modes de fonctionnement des agents extérieurs
(chercheurs, agents de développement) et des acteurs (les paysans) de l’innovation ?
– quelles sont les relations entre agents et acteurs ?

 Typologie des innovations pour améliorer


la synergie entre paysans et agents extérieurs
Cette typologie appliquée à la zone cotonnière du Cameroun et à l’île d’Anjouan aux
Comores repose sur le principe que tout processus d’innovation est porté par les
agriculteurs (tableau 24.1).

Tableau 24.1. Typologie de quelques innovations agricoles en zone cotonnière au


Cameroun et à Anjouan aux Comores.
Appui d’agents Origine de l’invention ou prémices de l’innovation
extérieurs (vecteurs)
Extérieure ou exogène Intérieure ou endogène
Processus Type A. Forte implication Type B. Dynamique paysanne
d’innovation des projets de développement recherchée comme point
soutenu diffusionniste de départ ou d’appui
– Gestion de l’enherbement – Introduction de la culture
du muskuwaari avec herbicides attelée asine
– Introduction ou intensification – Soutien à l’embocagement
du cotonnier et du maïs par la cellule recherche-
– Introduction de l’étable fumière développement en 1980
– Lutte antiérosive avec plantation
de vétiver en courbes de niveau.
Processus Type C. Innovation paysanne Type D. Dynamique paysanne
d’innovation s’appuyant sur des idées ou non soutenue ou non prise
spontané techniques venues de l’extérieur en compte
– Premier sarclage du sorgho – Culture de l’oignon
pluvial avec la charrue dans la phase d’extension 1970-1990
– Labour superficiel – Culture fourragère dérobée
+ semis de l’arachide (sorgho koïdawa, niébé cheval)
– Clôture fourragère autour – Valorisation des vertisols dégradés
des parcelles avec du sandragon par le muskuwaari
et du gliricidia (matériel – Vache au piquet
initialement introduit
comme tuteur de la vanille)

362
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

Deux facteurs permettent de distinguer ces processus :


– l’origine de l’invention ou les prémices de l’innovation. D’où vient l’idée, qui en
est le porteur ?
– le vecteur qui a permis que l’invention devienne innovation.
On distingue dans ce cas les processus d’innovation développés par des agents non-
agriculteurs (vulgarisateurs, formateurs, chercheurs) qui vont faciliter le processus
d’innovation sans en être les acteurs directs et les processus d’innovation spontanés
qui n’ont pas nécessité ou n’ont pas bénéficié d’interventions extérieures. Cette
typologie met en évidence les capacités des agriculteurs à innover.
• Les innovations s’appuient sur des inventions ou des idées émanant uniquement
du monde paysan sans l’intervention d’agents extérieurs, c’est le cas le plus fréquent
illustré par les exemples de l’introduction de l’oignon et du sorgho fourrager, des
aménagements des vertisols dégradés pour la culture du muskuwaari (type D).
• Les innovations valorisent des savoirs et des techniques proposés par des agents
extérieurs, c’est le cas de toutes les pratiques culturales et des itinéraires techniques
inventés par les paysans, mais qui ont recours à la traction animale ou à l’utilisation
de matériel végétal proposées auparavant par les services de vulgarisation (type C).
On distingue bien deux catégories : les processus d’innovation spontanés (type C),
portés uniquement par les agriculteurs (semis rapide de l’arachide, rôle fourrager des
haies vives) qui ne proviennent pas d’agents extérieurs sauf l’introduction bien anté-
rieure à cette invention du labour mécanisé ou de l’introduction du matériel végétal
utilisé (sandragon, gliricidia), et des processus développés par des acteurs extérieurs
(type A), par les groupements de producteurs et la Sodecoton pour l’utilisation des
herbicides totaux sur la culture du muskuwaari, par des projets de développement
pour installer des étables fumières et des cordons de vétiver antiérosifs.
Les agents extérieurs ont toujours eu tendance à privilégier leurs propres idées.
Mais certaines inventions paysannes ont été soutenues par ces agents après une
phase plus ou moins longue d’observation.
Des initiatives paysannes sont à l’origine de la culture attelée asine et de l’emboca-
gement. Les agriculteurs sont bien les inventeurs puis les innovateurs, les services
d’appui (en particulier la Sodecoton dans un cas, et la cellule recherche-développe-
ment dans l’autre) ont repéré ces innovations paysannes et les ont accompagnées en
élargissant les zones et le nombre de paysans concernés. Parallèlement à l’élargisse-
ment de la mise en œuvre de ces pratiques, les agriculteurs ont continué à innover :
sarclage précoce à la charrue asine, enrichissement végétal au pied des boutures de
gliricidia et de sandragon par des graminées fourragères.
Le processus de type C profite des apports extérieurs, mais seulement à la marge. Les
paysans valorisent des fragments de propositions extérieures en les décomposant et en
les recombinant. Par exemple, la recommandation de planter des arbres est retenue
non pas pour lutter contre l’érosion ni pour servir de tuteurs de la vanille – objectif
premier de leur introduction –, mais pour clôturer et pour produire du fourrage.
Pour un véritable accompagnement des dynamiques paysannes, il faut améliorer les
méthodes d’appui aux producteurs sans brider leur créativité. La prise en compte des
besoins réels des paysans permettrait d’élaborer des propositions moins simplistes,
moins axées seulement sur les techniques. La reconnaissance du pouvoir et du droit

363
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

des paysans à transformer ces propositions permettrait d’enrichir les interactions


entre les partenaires des processus d’innovations agricoles que sont les acteurs (les
paysans) et les agents (les agents extérieurs). Pour cela, nous nous focaliserons sur la
place et le rôle de la recherche dans ces processus d’innovation en proposant
quelques modes opératoires pour accompagner ces processus en particulier les
méthodes de recherche-action et de recherche en partenariat.

 Partenariat et coproduction de l’innovation


Après avoir admis que les paysans sont des innovateurs ou acteurs de l’innovation
et que les chercheurs, les développeurs et les autres agents du monde rural inter-
viennent comme agents extérieurs essayant d’améliorer les processus d’innovation
agricole, il est nécessaire d’expliciter la notion de partenariat. Les paysans peuvent
et doivent bénéficier de l’appui des agents extérieurs dans des domaines multiples
comme la formation, la construction d’un diagnostic partagé et explicité, la concep-
tion ou la mise à disposition d’inventions en partenariat (variété obtenue par sélec-
tion participative), les mesures d’accompagnement comme l’approvisionnement en
facteurs de production ou le crédit. La recherche-action – action research, terme
inventé en 1947 par Lewin (1951) – ou la recherche en partenariat s’imposent en
théorie et en pratique depuis une dizaine d’années (Liu, 1997 ; Verspieren, 1990).
Mais dans bien des situations agricoles, le schéma descendant reste dominant : le
chercheur fournit des solutions, les techniciens du développement vulgarisent des
solutions techniques, les agriculteurs adoptent les solutions proposées. Ainsi, les
paysans qui les permiers adoptent la nouvelle technique, paysans leaders ou pilotes,
serviraient de modèles à leurs voisins. Toutefois, dans ce schéma descendant, la
recherche fait des efforts en réalisant certaines étapes de façon participative (resti-
tution et analyse des résultats avec paysans) mais souvent les producteurs n’ont pas
véritablement le statut de partenaire.
Considérer les bénéficiaires de la recherche comme de véritables partenaires de
celle-ci s’impose non seulement dans un souci d’efficacité de la recherche (résoudre
les problèmes posés par les paysans et avec eux) mais aussi en termes de morale et
d’éthique. Au nom de quoi le chercheur serait-il omniscient et omnipotent ? Au nom
de quoi le chercheur pourrait-il se passer des desirata, des normes et des règles de la
société au service de laquelle il est ? Ainsi les démarches de la recherche-action ou
de la recherche en partenariat veulent associer le plus grand nombre de personnes
dans la diversité sans exclusion. Ces démarches reconnaissent les capacités de
connaissance, de libre-arbitre, l’aptitude au changement de l’acteur (Lahire, 2003).

Définition et objectifs de la recherche-action en partenariat


La recherche-action en partenariat est la rencontre d’une intention de recherche et
d’une volonté de changement. Elle vise à la fois à produire de la connaissance à
partir de la réalité et à proposer des changements par l’action. La recherche n’est
pas soumise à l’action et inversement, il s’agit de ménager un équilibre entre ces
deux entrées (Verspieren, 1990). Contrairement aux recherches classiques ou

364
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

partiellement participatives, la recherche-action en partenariat suppose une partici-


pation des paysans et des autres intervenants du monde de l’agriculture (autres que
les chercheurs) aux différentes étapes de la recherche : définition du problème,
choix des méthodes, recueil des données, analyses et formulation des résultats, resti-
tution aux partenaires. En outre, elle s’engage dans l’action aux côtés des différents
partenaires, et dans des étapes nouvelles, en amont et en aval des étapes classiques
de recherche.

Description de la démarche de la recherche-action en partenariat


La recherche-action en partenariat est une démarche de type cyclique avec six phases
majeures : diagnostic, formulation de la problématique, élaboration des hypothèses
(moyens, résultats…), expérimentation, évaluation et conclusion, capitalisation et
transmission.
La phase de diagnostic est encore trop souvent confondue avec l’analyse. D’après
Friedberg (1993), une analyse fournit seulement les moyens pour comprendre le
fonctionnement d’une organisation, elle ne constitue pas une évaluation, elle ne
permet pas de juger, et elle ne contient donc aucun impératif d’action. Le diagnostic
contient l’orientation du changement et il transforme les éléments d’une analyse en
action. L’orientation du changement ne peut se faire moralement et efficacement
qu’avec les acteurs (en première importance) et les agents (en seconde importance)
du changement. Les bénéficiaires doivent définir le sens souhaité pour le change-
ment. Le diagnostic, construit à partir de l’analyse des experts (chercheurs), des
souhaits et des normes des bénéficiaires, montre l’écart entre la situation analysée
dans son état actuel et la (ou les) situation(s) souhaitée(s). Élaborer et mettre en
œuvre des scénarios pour cheminer de cet état initial vers l’état souhaité permet
d’entrer dans l’action.
Concrètement, la démarche cyclique de la recherche-action en partenariat doit se
piloter comme un projet (Liu, 1997). Cela nécessite, notamment, de définir les
objectifs à atteindre, de mettre en place collectivement un dispositif de pilotage stra-
tégique et d’actions opérationnelles, de définir une stratégie d’action, de formaliser
des plans d’action et des plannings idoines. Sur ce dernier point en particulier, il ne
faut pas oublier de définir une fin de projet à une recherche-action en partenariat et
de prévoir le désengagement des agents.
La composition et le fonctionnement du collectif de pilotage et de mise en oeuvre
des actions sont fondamentaux et évolutifs. La coproduction d’innovations n’est pas
le seul fait des chercheurs et des agriculteurs. Elle s’appuie sur des réseaux d’acteurs
développant des relations de coopération ou conflictuelles (fournisseurs de
services : forgerons et fournisseurs de matériels agricoles, vétérinaires, banque,
conseiller, comptable…). Ces personnes évoluent dans plusieurs types d’environne-
ment institutionnel et politique (à l’échelon local, national ou international), en
liaison avec les représentants de ces institutions.
L’innovation renvoie à l’action collective, il s’agit par exemple du projet d’un
ensemble de paysans pour évoluer, changer, orienter leur système de production en
adéquation ou en conflit avec un autre groupe d’acteurs (pour l’accès aux ressources
par exemple). Il est important d’intégrer cette pluralité d’acteurs. La démarche de

365
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

la recherche-action en partenariat exige un apprentissage pour que les membres du


collectif acquièrent un langage commun et forment une communautée de pensée.
Le chercheur qui, au début, peut être amené à avoir un rôle central pour agréger ce
collectif – en s’interrogeant toujours sur qui participe et comment –, doit être à
même de confier le pilotage aux principaux bénéficiaires.

Quelques précautions à la mise en œuvre


de la recherche-action en partenariat
D’après Friedberg (1993), un projet de changement et la participation des intéressés
ne s’ordonnent pas, et ils n’apparaissent pas non plus spontanément ni automati-
quement. Ils doivent être construits et organisés, ils sont le produit d’un processus
de mobilisation du système d’acteurs, qui doit être sinon toujours organisé entière-
ment au démarrage du moins géré et structuré par une initiative. Tel est en défini-
tive le paradoxe du changement dirigé, qui est souvent nécessaire à l’émergence
d’un véritable partenariat de type participatif.
Une démocratie utopique, telle pourrait être qualifiée l’un des principes fondamen-
taux de la recherche-action en partenariat si l’on néglige un certain réalisme et si
quelques précautions ne sont pas prises. En réalité, les valeurs démocratiques ne sont
pas uniformément partagées par les sociétés humaines. Les sociétés gérontocratiques,
oligarchiques, patriarcales ou aristocratiques, n’accordent pas le principe d’égalité à
chacun. Par conséquent, des démarches en partenariat peuvent être incomplètes ou
limitées dans des sociétés dans lesquelles des groupes sociaux sont fortement dominés
(femmes, minorités ethniques ou politiques). Il faut donc en permanence analyser les
stratégies d’acteurs et les enjeux de pouvoir. Néanmoins, il faut prendre la précaution
de ne pas vouloir à tout prix concilier la représentation (des institutions officielles,
coutumières, associatives, économiques) et la participation (collectif de pilotage et
d’action) dans le même dispositif.
Le collectif de pilotage et d’action n’est pas tout puissant et ne se constitue pas par
hasard. Ce sont les partenaires qui le construisent progressivement ; il est évolutif
dans le temps et l’espace et il est le produit de confrontations multiples qui ne s’af-
fichent pas toutes. Certaines négociations sont explicites et peuvent aboutir à des
contrats ; d’autres sont implicites et les accords sont alors tacites. Des objets de
tension demeurent et leur traitement peut et doit être reporté pour que le projet
avance et construise de meilleures bases de négociation. Tous les enjeux des acteurs
ne sont pas dévoilés.
L’apprentissage de la coopération s’ajoute à l’acquisition de nouvelles compétences.
Les rythmes d’apprentissage sont différents selon les expériences et les disponibi-
lités de chacun. Il faut accepter des phases d’attente des uns et des autres. Par
ailleurs, dans les sociétés rurales où l’oral prédomine, les chercheurs habituellement
aguerris au mode de communication écrite ne doivent pas imposer leurs points de
vue sous cette forme. L’oral, pour ceux dont c’est la force, peut être aussi puissant
que l’écrit ; il faut donc faire un effort d’écoute. Parfois, les partenaires ont des
fondements culturels différents, par exemple les chercheurs des sciences physiques
et biologiques doivent faire appel aux socio-anthropologues, dont la posture

366
Processus d’innovation dans les exploitations familiales

d’écoute et d’empathie peut apporter une base méthodologique pour une meilleure
coopération.

 Reconnaître les capacités des paysans à inventer


et à innover et accompagner ces processus
Pour sortir du malentendu qui confond invention et innovation, il faut comprendre
d’où vient ce malentendu et entreprendre de se débarrasser d’une idéologie du déve-
loppement à caractère descendant, techniciste et diffusionniste encore présente dans
les programmes et les actions des projets de développement. Il ne faut cependant pas
négliger le rôle fondamental des agents des services agricoles (recherche, formation,
vulgarisation, services privés, etc.) dans l’accompagnement des processus d’innova-
tion voulus par les paysans. Ces agents restent une force de proposition, fournisseurs
d’idées nouvelles et d’inventions, et curieux de ce que les paysans eux-mêmes ont
entrepris dans ce domaine. Il serait utopique de croire que tous les problèmes du
monde agricole peuvent être résolus par les paysans eux-mêmes sans interventions
extérieures, ni politiques économiques, et sans les services.
La recherche-action en partenariat n’est pas un parti pris idéologique, son efficacité
est évaluée par sa contribution à résoudre les problèmes posés (Lewin, 1951). D’une
part, elle est plus efficace que les recherches de type descendant qui ne tiennent pas
compte de l’avis des bénéficiaires. D’autre part, d’un point de vue éthique, elle peut
contribuer à limiter l’ethnocentrisme persistant des sociétés économiquement domi-
nantes et l’autosatisfaction de communautés scientifiques au savoir « canonisé » et
niant l’intérêt d’autres savoirs.
Cela oblige non seulement à dépasser le stade de proposition de solutions (tech-
niques), mais aussi de s’intéresser à des systèmes complexes et pas uniquement aux
processus de production. Ainsi la gestion de l’exploitation, l’action collective (orga-
nisations paysannes, collectivités locales), la gestion d’espaces et de ressources et
l’organisation de services sont reconnus comme des objets de recherche et d’inter-
vention. Les produits attendus de la recherche ne sont pas seulement des inventions
mais aussi des méthodes et des démarches pour accompagner les processus d’inno-
vation. Toutefois, il ne faut pas céder à la tentation de vouloir laisser les agriculteurs
tout faire. Les chercheurs et les techniciens du développement doivent aussi rester
une force de proposition pour répondre aux attentes des producteurs (en terme d’in-
formation, d’échange de matériel végétal, d’expérimentation d’équipements, etc.).
La coproduction d’innovations exige donc le changement de posture des chercheurs
et des agents de développement. Le principal décideur ou pilote du processus est
l’agriculteur, par exemple au sein d’organisations partenaires. L’agriculteur innova-
teur reçoit du groupe social auquel il appartient le « visa idéologique » pour déve-
lopper des processus d’innovation qui le concerne. Les chercheurs et les
développeurs devront s’interroger sur leurs propres valeurs, celles véhiculées par
leurs propositions et celles des sociétés concernées. Cela peut être de nature à
réduire un parti pris idéologique encore fréquent : le scientisme qui fait abusivement
croire que tout ce qui est science est porteur de progrès.

367
Chapitre 25
Conseil aux exploitations
familiales
Guy FAURE, Patrick DUGUÉ et Valentin BEAUVAL

Les modalités d’amélioration des performances de l’exploitation familiale ont fait


l’objet de nombreux débats et ont donné lieu à des expériences diverses de vulgari-
sation et de conseil agricole. Ce chapitre s’appuie sur la comparaison de plusieurs
expériences de conseil aux exploitations familiales (Cef) menées dans une
douzaines de pays en Afrique de l’Ouest et du Centre (Faure et al., 2004 ; Dugué et
Faure, 2003). Il retrace les grandes évolutions de la vulgarisation agricole et du
conseil aux producteurs dans ces régions, et fait état des expériences récentes qui
consistent à promouvoir de nouvelles méthodes d’appui à l’exploitation familiale.
Ce chapitre précise les principes du conseil à l’exploitation familiale – les modalités
de mise en œuvre pouvant être fort diverses – et identifie les ressources nécessaires
pour ce type de dispositif, – à savoir les conseillers, les outils du conseil et son finan-
cement. En dernier lieu, il aborde la question de la gouvernance notamment la
place les producteurs et de leurs organisations dans cette démarche.

 D’une approche normative


à une approche centrée sur l’acteur
Depuis les indépendances des États, la vulgarisation agricole a longtemps été consi-
dérée comme une priorité pour améliorer la production agricole à travers la diffusion
de thèmes techniques. Les succès de la Révolution verte dans certaines situations
agricoles ont renforcé la volonté politique des pays d’appuyer la démarche de trans-
fert de technologies afin de favoriser l’adoption d’itinéraires techniques intensifs
fondés sur l’emploi de variétés améliorées, d’intrants chimiques et de la mécanisa-
tion. Des résultats très positifs ont été obtenus dans certains secteurs. Ainsi, grâce
aux efforts permanents de l’amélioration génétique et à la mise au point de recom-
mandations pour l’utilisation des engrais et pesticides, la production cotonnière a crû
de manière exceptionnelle dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les rendements en

369
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

coton y sont parmi les plus élevés du monde en agriculture pluviale. La riziculture
irriguée à l’Office du Niger au Mali a également connu un essor important, un
modèle intensif fondé sur la maîtrise de l’eau et un ensemble de techniques ont été
adoptés. Dans ce contexte, la recherche a identifié les propositions techniques et a
contribué à leur adaptation aux conditions locales. Les structures publiques d’appui
à l’agriculture et les projets financés par la communauté internationale ont joué un
rôle crucial grâce à un réseau de vulgarisateurs chargés de diffuser l’information
technique, de dispenser des formations aux paysans, d’organiser la distribution des
intrants et parfois de faciliter la commercialisation des produits.
Dans d’autres secteurs, les échecs de la Révolution verte ont été tout aussi remar-
quables. Les évolutions de la productivité de la terre et du travail sont insignifiantes,
notamment dans les régions dont le potentiel agricole est faible et qui ne disposent
pas de perspectives favorables de commercialisation pour les produits agricoles
(marchés locaux peu dynamiques, éloignement des villes où parviennent des
produits agricoles subventionnés de pays du Nord, etc.). Dans toutes les régions
sahéliennes et dans les espaces ruraux éloignés des grandes villes, donc moins insérés
dans des circuits marchands, l’emploi de variétés améliorées, la consommation
d’intrants et la mécanisation restent encore très marginales.
D’autre part, la vulgarisation reste centrée sur la diffusion de messages techniques
simples. Cela ne permet pas de résoudre efficacement des problèmes complexes
comme la gestion de la fertilité des terres qui dépend de plusieurs éléments (eux-
mêmes en interaction) du système de production. La vulgarisation ne s’intéresse pas
non plus à l’amélioration du fonctionnement de l’exploitation et à son organisation
pour lever certaines contraintes.

Émergence de nouvelles démarches de conseil


pour répondre à des demandes diversifiées
Formation et visites
Malgré ces carences évidentes, sous la pression de la Banque mondiale, de nom-
breux États ont continué à investir massivement jusqu’à la fin des années 90 dans
l’approche diffusionniste, notamment dans le cadre des programmes de formation
et visites (Benor et al., 1984). Ces programmes voulaient rationaliser les méthodes
de vulgarisation, en tirant parti des expériences positives observées en Inde dans les
systèmes irrigués. En apportant un soutien aux appareils administratifs, les démar-
ches employées visaient à favoriser le transfert de technologies standardisées. Une
relation étroite entre la recherche et la vulgarisation permettait d’identifier les tech-
niques performantes pour améliorer les rendements des cultures. Les thèmes à
vulgariser devaient être les mêmes pour l’ensemble des producteurs d’une même
région. Une animation autour de grands groupes de producteurs, l’organisation des
visites de champs de démonstration gérés par des paysans et un suivi rapproché de
quelques producteurs constituaient les principaux outils employés par le vulgarisa-
teur de terrain. La programmation rigoureuse du travail du vulgarisateur, incluant
des périodes de formation était censée garantir l’efficience de ses interventions.
Malgré la volonté de certains pays de favoriser l’identification des thèmes

370
Conseil aux exploitations familiales

techniques par les paysans eux-mêmes (programmation participative) et les efforts


consentis pour la formation des agents de vulgarisation, les progrès sont toujours
restées insuffisants. Ces agents n’ont pas pu répondre aux demandes diversifiées des
producteurs. Ayant reconnu les limites de cette approche, la Banque mondiale a
finalement cessé de promouvoir cette démarche, et a laissé les structures étatiques
de vulgarisation quasiment exsangues.
De façon beaucoup plus localisée, dès les années 70, des projets de recherche-
développement ont été mis en œuvre, souvent à l’instigation de courants novateurs
au sein de la recherche (Billaz et Dufumier, 1981 ; Jouve et Mercoiret, 1987 ;
Chambers et al., 1989), afin de répondre aux difficultés rencontrées dans le dévelop-
pement de certaines régions agricoles et des petites exploitations. Partant d’une
meilleure connaissance des réalités rurales, des pratiques et des stratégies des produc-
teurs, les projets ont cherché à mettre au point ou à adapter des techniques inno-
vantes en fonction des conditions du milieu et des caractéristiques des exploitations,
en prenant en compte les dimensions économiques et sociales et en valorisant les
savoirs locaux au même titre que ceux de la recherche. Le paysan est devenu progres-
sivement un acteur central des interventions, même si son degré de participation est
resté assez réduit dans la définition et dans l’évaluation des programmes d’appui.

Origine des diverses formes de conseil à l’exploitation familiale


Les acquis de la recherche-développement et les limites des approches classiques de
vulgarisation ont suscité un intérêt croissant de la part des organisations de produc-
teurs, des organisations non-gouvernementales, des agents du développement, et
des chercheurs pour identifier de nouvelles méthodes d’appui aux producteurs. Des
initiatives ont émergé provenant d’acteurs très divers : Röling et Engel (1992) ;
Mercoiret (1994) ; Pesche et al. (1996) ; Groupe de Neuchâtel (1999).
La grande diversité des systèmes de production d’une région à l’autre, ou au sein
même d’une région, explique la variabilité des besoins des producteurs qui se
traduisent par des demandes de conseil à l’exploitation très diverses. Ainsi, les
petites exploitations du Nord Cameroun cherchent à accroître leur production
vivrière pour éviter les périodes difficiles de soudure alimentaire. Celles disposant
de beaucoup de terres et d’une grande famille recherchent l’amélioration de leurs
revenus monétaires en achetant un nouvel équipement de traction animale. Au sud
du Bénin, le producteur d’ananas cherche à maîtriser l’échelonnement des planta-
tions pour répondre aux exigences du marché. Les questions sont d’ordre technique
mais aussi économique, financier, social, environnemental.
Dès la fin des années 1970, au Sénégal, des programmes de recherche-développe-
ment ont élaboré des méthodes de conseil technico-économique (Benoit-Cattin,
1986). Un ensemble de solutions testées de concert avec les producteurs était
proposé, après avoir réalisé avec eux un diagnostic de leur situation. Cette méthode
d’appui a été dénommée par ses auteurs « conseil de gestion » (CDG). Elle a pris en
compte l’ensemble de la situation d’une exploitation et a cherché, en dialoguant
avec le paysan, un cheminement d’amélioration durant souvent plusieurs années.
Dans les années 80, cette approche a été expérimentée au sud du Mali (Kleene
et al., 1989).

371
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Par la suite, plusieurs autres formes de conseil ont été expérimentées en zone tropi-
cale, certaines se sont parfois inspirées des expériences de conseil à l’exploitation
menées en France.
• Méthodes d’autodéveloppement. Elles visent à favoriser les échanges entre produc-
teurs au cours de la mise en place de nouvelles techniques, en s’appuyant sur un réseau
d’expérimentations et de formations géré par les paysans eux-mêmes (comme en France
dans les Ceta et les Civam). Des exemples remarquables sont observés en Amérique
centrale (Hocdé et Miranda, 2000) et ont été ébauchés en Afrique. Ces groupes, qui
fonctionnent avant tout à partir de la participation de l’ensemble de leurs membres sans
toujours avoir recours à un conseiller, ont été qualifiés de groupes d’autodéveloppement.
• Conseil fondé sur des référentiels technico-économiques. Un conseil est élaboré à
partir des données techniques et économiques fournies par des agriculteurs apparte-
nant à des réseaux de fermes de référence (chambres d’agriculture en France, au
Brésil, au Venezuela). Les résultats obtenus par une diversité de producteurs dans une
région donnée sont analysés collectivement (chercheurs, techniciens et producteurs)
et servent à élaborer des référentiels technico-économiques et des stratégies d’amélio-
ration d’une production ou d’un système de production (Bonnal, 1992). L’approche est
collective et le conseil n’est pas conçu spécifiquement pour chaque exploitation.
• Le conseil économique et financier fondé sur la comptabilité. L’analyse de la situa-
tion de l’exploitation s’appuie principalement sur le bilan comptable et les résultats
économiques et financiers (Pesche et al., 1996). Le conseiller visite chaque exploi-
tant adhérant au dispositif de conseil et collecte les données. L’analyse des résultats
économiques par culture ou au niveau de l’exploitation s’effectue en groupe ou
individuellement. Le conseil est souvent personnalisé.

Diversité des approches de conseil à l’exploitation familiale


en Afrique de l’Ouest et du Centre
À l’heure actuelle, plusieurs expériences de conseil aux exploitations familiales sont
menées en Afrique de l’Ouest et du Centre (Burkina Faso, Bénin, Mali, Côte
d’Ivoire, Cameroun, Guinée, Sénégal,…). Certaines ont été présentées lors d’un
atelier qui s’est tenu à Bohicon au Bénin, en novembre 2001 (Dugué et Faure,
2003). Cet atelier a rassemblé des représentants d’organisations paysannes, des
conseillers, des gestionnaires de dispositif de conseil et des chercheurs, il a permis
d’échanger des connaissances, de comparer des expériences puis d’élaborer des
recommandations pour améliorer les performances des dispositifs de conseil.
Les principales expériences de conseil et leur diversité ont été analysées (tableau 25.1),
notamment pour trois caractéristiques :
– les centres d’intérêt des participants, en particulier la relation entre les dimensions
technique et économique de l’appui-conseil ;
– les outils et les méthodes du conseil, l’importance relative des activités d’analyse
du passé et des activités de projection dans le futur ainsi que la part des échanges
d’expériences entre les paysans pour acquérir de nouvelles connaissances ;
– les modalités de gestion du dispositif de conseil, la nature des relations entre
paysans et conseiller et le degré de participation des organisations de producteurs
dans la gestion du dispositif.

372
Tableau 25.1. Principales caractéristiques de 10 expériences de conseil aux exploitations familiales dans plusieurs pays d’Afrique de
l’Ouest en fonction des structures d’appui1. (Dugué et Faure, 2003).
Caractéristiques du conseil Mali Burkina Faso Côte d’Ivoire Cameroun Bénin
aux exploitations familiales
CPS- UPPM FNGN UNPC- SCGEAN Aprocasude DPGT- Aprostoc Cagea CADG
Urdoc Sofitex Prasac
Structures d’appui 1997 1998 1996 2000 1997 1997 1998 1998 1995 1995
Population alphabétisée dans la zone (%) 20 40-45 25 29 30 65 30 25 33 30
Centre d’intérêt économique ** ** ** ** ** ** * – ** **
des participants technique ** * * ** – – ** ** * *
autres – – – – Crédit Fiscalité – – Foncier –
Outils et Diagnostic-Inventaire * * * * ** – ** *
méthodes utilisés Suivi - Analyse ** ** ** ** ** ** * – ** **
Analyse prévisionnelle * ** ** * ** ** * – ** **
Échanges ** – – ** – – ** ** * *
entre paysans
Expérimentation ** – * – – – ** ** – –
technique
Utilisation – * * * * – – ** *
de l’ordinateur
Conseil individuel * ** ** * ** ** * ** **
Conseil de groupe ** * * ** Prévu Prévu ** ** * *
Conseillers Nombre de conseillers 5 4 9 10 1 1 14 10 18 12
et paysans Nombre de paysans 350 180 160 150 40 50 400 4500 360 600
Nombre de paysans 120 90 40 150 40 40 200 500 40 50
par conseiller (prévu)
Paysan-formateur Oui Non Oui Non Prévu Non Oui Oui Parrainage Parrainage
Gestion Centre de OP OP OP et OP OP Projet OP Prestataire Prestataire
du dispositif prestations société spécifique privé en privé en
cotonnière contrat avec contrat
Conseil aux exploitations familiales

373
OP ou avec OP
OP seule
* : faible ou limité ; * : moyen à développé ; ** : intense ou très développé ; OP : organisation paysanne.
1 Les appellations des organismes sont celles de 2001, année de démarrage.
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Cette analyse montre que les dispositifs ont une ancienneté qui permet d’évaluer
correctement les résultats obtenus et de comparer les méthodes. Par ailleurs, à l’ex-
ception du Bénin où 3 000 exploitations étaient concernées en 2004 et où les orga-
nisations paysannes et le ministère de l’Agriculture sont fortement impliqués
(chapitre 28), les dispositifs restent le plus souvent expérimentaux et concernent un
faible nombre de familles paysannes.
Les domaines d’intervention et les dispositifs mis en œuvre varient fortement d’un
pays à l’autre.
On peut aussi distinguer différents types de conseil.
• Dans quelques cas se mettent en place des groupes d’autodéveloppement
(Aprostoc au Cameroun, certains groupes au Bénin) qui valorisent les savoirs
paysans et l’expérimentation technique. Les producteurs sont rarement alphabé-
tisés et possèdent généralement des exploitations de petite taille. Ce type d’activités
peut s’adresser à une large gamme d’exploitations.
• Le conseil technico-économique repose sur des investissements initiaux importants
en alphabétisation et en formation de base (CPS-Urdoc au Mali, encadré 25.1 ;
UNPC-Sofitex au Burkina Faso ; DPGT-Prasac au Cameroun, encadré 25.2). Il
s’adresse à des exploitations de taille variable, mais généralement mieux dotées en
facteurs de production que la moyenne. Les participants sont souvent jeunes. Cette
forme de conseil s’appuie sur des animations en groupe et sur des échanges entre
producteurs (comparaison de résultats technico-économiques, choix de solutions, etc.).
• Le conseil à l’exploitation en tant que conseil de gestion économique (UPPM et
FNGN au Burkina Faso, SCGEAN et Aprocasude en Côte d’Ivoire, Cagea et
CADG au Bénin, etc.) est le plus souvent mis en œuvre dans des situations ouvertes
sur des marchés porteurs (producteurs d’ananas et exploitations cotonnières au
Bénin, éleveurs et cacaoculteurs du sud de la Côte d’Ivoire, etc.) et pour des exploi-
tants maîtrisant l’écriture et le calcul (dans une langue nationale ou en français).
Cependant, ce type de conseil est assez coûteux pour les très petites exploitations
familiales. Fondé sur l’étude des résultats comptables et sur une approche plus indi-
viduelle, il peut, en revanche, répondre aux besoins d’exploitations de taille
moyenne ou de grande taille qui souhaitent se développer et ont assez souvent
recours à des emprunts bancaires.
Ces différentes formes de conseil s’efforcent de renverser la tendance, en vigueur
depuis de nombreuses années, qui faisait du technicien, adossé aux systèmes de
recherche, le vecteur central du transfert de technologies vers les agriculteurs. Le
conseil à l’exploitation cherche à renforcer les capacités du producteur pour qu’il
maîtrise le fonctionnement de son exploitation, améliore ses pratiques et puisse
prendre les meilleures décisions. En ce sens, ces démarches dépassent la logique de la
vulgarisation classique (le transfert et l’adoption de techniques), en rendant les
producteurs capables de définir leurs besoins, de préciser leurs objectifs tant au
niveau de leur exploitation que de leur famille, de mettre en œuvre les actions
programmées et, plus largement, l’ensemble du processus de gestion concernant
l’unité familiale de production. Ce type de conseil est défini par l’expression « conseil
aux exploitations familiales » (Cef). L’idée centrale mise en avant par cette approche
est de placer le producteur et sa famille au centre de la pratique de conseil, en lui
permettant de s’approprier réellement la maîtrise des outils apportés par ce conseil.

374
Conseil aux exploitations familiales

Encadré 25.1. Conseil aux exploitations familiales en zone irriguée au Mali de


1995 à 2002
Paul KLEENE, Yacouba COULIBALY et Idrissa FANE
Le conseil à l’exploitation familiale(Cef) est fondé sur l’adhésion volontaire et la partici-
pation active des producteurs, hommes et femmes, la dynamique de groupe, l’alphabéti-
sation et l’engagement dans la durée au processus d’appui et de formation. Au Mali, dans
les périmètres irrigués de l’Office du Niger, la méthode a servi à accompagner l’intensifi-
cation de l’agriculture et la transition d’une gestion centralisée vers une gestion paysanne.
L’Office du Niger
La zone de l’Office du Niger comprend cinq grands périmètres irrigués, regroupant
60 000 hectares cultivés par 20 000 exploitations familiales. Les principales activités sont
la riziculture irriguée d’hivernage, les cultures maraîchères de contre-saison et l’élevage.
Les rendements moyens en riz paddy ont atteint plus de 5 tonnes par hectare entre
1995 et 2000, mais ils ont baissé depuis. Les exploitations sont en majorité familiales,
attributaires de terres qui étaient propriétés de l’État. L’épargne se fait surtout sous
forme de bovins d’élevage (350 000 têtes), notamment dans les plus grandes exploita-
tions (10 % des unités de production).
Un besoin fortement exprimé par les producteurs
Depuis 1985, après une longue période d’exploitation dirigée, les champs des colons ont
été progressivement transformés en exploitations familiales. Le réseau d’irrigation a été
réaménagé, les systèmes de culture intensifiés, la population a doublé et la superficie par
exploitation a été divisée par deux. En 1996, malgré des progrès considérables, les
paysans déclarent : « nos rendements ont doublé, parfois triplé, mais nous n’avons
toujours rien en poche et nous sommes en pénurie alimentaire pendant les mois précé-
dant la nouvelle récolte ». Bref, l’intensification de l’agriculture qui nécessite plus d’in-
trants et de travail et le transfert de la gestion des périmètres irrigués aux paysans n’ont
pas conduit à la réussite technico-économique des nouveaux systèmes de production.
C’est pourquoi la méthode du conseil aux exploitations familiales a été introduite.
Caractéristiques de la méthode
Le conseil aux exploitations familiales répond aux besoins spécifiques de chaque type de
production : riziculture irriguée, cultures maraîchères, production laitière ou embouche
bovine, petites et moyennes entreprises de décorticage de riz. Il est mis en œuvre soit par
le Service conseil rural (service public gratuit de l’Office du Niger), soit par les Centres
de prestation de services (gérés par les paysans et payants), soit par des associations de
prestataires de services. Les intervenants de ces différentes structures sont formés et
accompagnés sur le terrain par des techniciens du projet de recherche-développement
(Urdoc) et les structures de pilotage du dispositif.
Le conseil est fondé sur :
– le renforcement des capacités d’analyse des situations et d’évaluation des résultats par
les producteurs eux-mêmes, hommes et femmes ;
– la dynamique de groupe dans un cadre d’animation favorisant les échanges entre les
producteurs, les conseillers et autres personnes ressources ;
– une programmation répondant aux besoins, mais structurée et rigoureuse dans son
application.
Évaluation des résultats par la recherche
Le projet Urdoc assure le suivi, l’évaluation et la formation permanente des conseillers. Il
fournit des références technico-économiques, mène des enquêtes d’impact auprès des
participants et fournit un appui aux structures de pilotage des dispositifs de conseil. Les
paysans s’intéressent particulièrement à la conduite de la pépinière de riz, à la gestion des
cultures vivrières, au calcul de la marge brute du paddy, à l’entretien des bœufs de labour,
à la conduite des cultures d’échalote et de pommes de terre (conduites par les femmes) et
au calcul prévisionnel des gains en cas de vente différée des échalotes après conservation.

375
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 25.2. Conseil aux exploitations familiales en zone de savane du Cameroun


Michel HAVARD, Patrice DJAMEN et Anne LEGILE
Au nord du Cameroun, le développement agricole (de la recherche à la vulgarisation au
producteur) a été organisée selon un schéma descendant focalisé sur la culture du coton-
nier. Il a été efficace car il correspondait aux référents de la société locale fondée sur un
système social hiérarchisé. Afin que la vulgarisation évolue dans le sens d’une meilleure
réponse aux multiples demandes des producteurs, le Prasac en partenariat avec le projet
Dpgt a mené une action de recherche-développement innovante dans le contexte du
Nord Cameroun, il s’agissait de construire une démarche de conseil aux exploitations
familiales (Djamen et al., 2003).
Démarche d’apprentissage mutuel
Le conseil aux exploitations familiales vise à développer les capacités et les responsabi-
lités décisionnelles des paysans. En première année, la démarche s’apparente à de la
formation sur des thèmes concrets, identifiés comme étant des facteurs de blocage dans
les exploitations : sécurité alimentaire, gestion de la trésorerie, programme prévisionnel
de campagne. Ces trois modules sont construits selon le même schéma : identification des
besoins et des ressources et comparaison des deux pour une étude de solutions. Chaque
année, les conseillers lancent des actions techniques et testent des innovations (produc-
tion de semences, fumure organique, matériels agricoles, etc.) avec les paysans volon-
taires. Les paysans augmentent ainsi leurs références et s’approprient plus rapidement la
démarche par l’apport d’éléments concrets.
Des outils évolutifs et adaptables
La démarche met l’accent sur des principes, plus que sur des outils standardisés. Les
supports sont constitués de guides pour aider les conseillers dans la conduite des séances.
Les informations sur l’exploitation sont reportées sur un carnet qui occupe une place
réduite pour permettre aux paysans non-alphabétisés d’avoir accès au conseil. Ce carnet
est utilisé en deuxième année, lorsque les paysans perçoivent mieux l’intérêt de disposer
de données précises pour la définition des indicateurs technico-économiques. En troi-
sième année, les outils sont perfectionnés pour aboutir à un conseil de type stratégique,
permettant au paysan d’élaborer son projet.
Réponse à des demandes variées
La priorité accordée au raisonnement et à la réflexion confère une grande souplesse
dans la mise au point d’outils répondant aux besoins spécifiques des organismes deman-
deurs. Ainsi, l’Association des producteurs stockeurs de céréales (Aprostoc) cherche à
améliorer l’appui technique à la culture du muskuwaari (sorgho repiqué) par une
approche économique ; la Société de développement du coton du Cameroun
(Sodecoton) teste de nouvelles formes d’intervention sur des thèmes techniques ; le
projet Eau-sol-arbre cherche à diversifier ses méthodes de diffusion des systèmes de
culture sous couverture végétale.
Des résultats probants
Les paysans participant à ce type de conseil sont relativement jeunes (35 ans) et 75 % sont
bien scolarisés. Ils cultivent une surface supérieure à la moyenne (3 ha contre 2 ha), sont
mieux équipés en traction animale que la moyenne des exploitations (45 % contre 35 %)
et dégagent 25 % de revenus en plus (550 000 FCFA). Ils ne constituent pas pour autant
une élite car tous les types d’exploitations présents dans un village participent au conseil
aux exploitations familiales.
Les principaux résultats observés sont l’amélioration du fonctionnement des exploita-
tions et la modification des relations entre les agents d’appui et les paysans. Ainsi, cet
appui évolue vers une véritable aide à la décision. Le partenariat établi avec le projet
Dpgt et la démultiplication opérée vers des organismes de développement (Sodecoton,
Aprostoc) vont favoriser la diffusion de la démarche. La principale difficulté réside dans
le manque de personnes capables d’assurer la fonction de conseiller.

376
Conseil aux exploitations familiales

Cependant, le conseil ne s’oppose pas à la vulgarisation agricole qui reste utile pour
toucher un large public. Il s’adresse, d’une part, à une population plus restreinte du
fait du coût du conseil mais ces exploitations peuvent jouer un rôle primordial dans
la mise au point d’innovations, d’entraînement ou de catalyseur au sein des sociétés
rurales et, d’autre part, à des exploitants qui ont l’opportunité et la capacité de faire
des choix en termes de productions (animales ou végétales), d’options technologiques
(intrants, équipements, etc.) et d’organisation du travail (familial ou salarié, etc.).

 Principes du conseil aux exploitations familiales

Processus d’apprentissage et d’aide à la décision


Le conseil à l’exploitation n’a pas pour but de modifier le processus de décision du
producteur mais de le rationaliser et de le rendre plus explicite. En l’absence de ce
conseil, le paysan prend de toute façon une décision. Dans le cadre d’une démarche
de Cef, la décision est probablement plus réfléchie car l’exploitant est incité à
formaliser sa réflexion, à discuter des avantages et des inconvénients de ses choix
avec ses voisins et avec le conseiller.
La gestion correspond à l’ensemble des processus de décision, elle apparaît avant
tout comme une méthode de prévision reposant, entre autres, sur le suivi et l’éva-
luation des actions entreprises (chapitre 13). C’est une démarche itérative d’analyse
des besoins, de définition d’objectifs, de mise en œuvre et d’évaluation des activités
pouvant aborder différents domaines : approvisionnement alimentaire de la famille,
conduite des cultures ou du troupeau, organisation de la main-d’œuvre, maîtrise
des flux financiers ou physiques (figure 25.1). Elle nécessite des analyses techniques,
économiques, financières, juridiques, etc.
Envisagé pour une année (ou bien une campagne agricole pour les cultivateurs), le
Cef est qualifié de tactique, car il conduit à ajuster les coûts (contrôle des dons,
réduction des coûts de main-d’œuvre, contrôle des dépenses d’intrants) et à orienter
les systèmes de culture et d’élevage, notamment les choix d’itinéraires techniques.

Analyser

Évaluer Prévoir et ajuster

Suivre et ajuster Agir

Figure 25.1. Le cycle de gestion.

377
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

S’il intervient sur plusieurs années, le Cef devient stratégique ; il peut alors
concerner l’introduction de la culture attelée ou de la petite motorisation dans l’ex-
ploitation en comparaison du coût en main-d’œuvre pour les opérations conduites
manuellement, ou bien le remplacement d’une culture après le constat d’une baisse
de marge, ou encore l’achat et le choix d’un équipement onéreux, etc.

L’écrit, les chiffres et l’alphabétisation


La gestion introduit davantage de rationalité dans des décisions qui auraient été
prises de toute façon. Pour cela, il est nécessaire de disposer d’éléments pour poser
un diagnostic, comparer des résultats, évaluer différentes solutions ; c’est pourquoi
la grande majorité des expériences de conseil à l’exploitation familiale (Cef) en
Afrique de l’Ouest et du Centre s’adresse à des producteurs scolarisés en français
ou alphabétisés en langue locale, utilisant des documents souvent présentés dans les
deux idiomes.
L’écrit joue un rôle important dans la collecte et le traitement des données. Il
modifie fortement les représentations qu’ont les paysans de leurs situations. Un
simple tableau constitue une abstraction importante qui transforme la réalité
observée. Noter ses dépenses mensuelles permet de visualiser des phénomènes qui
sinon restent peu perceptibles.
L’amélioration de certaines décisions nécessite donc des chiffres, des enregistre-
ments et des calculs. Les chiffres sont utiles pour garder la mémoire des faits, ils
proviennent de relevés de terrain précis (surface d’une parcelle, rendement d’une
culture, etc.) ou d’approximations estimées par le paysan (temps de travail pour une
culture en période de pointe, quantité de fourrage consommée par jour et par
animal, etc.). Bien souvent, une simple estimation est suffisante pour prendre la
bonne décision.
La comptabilité est un outil qui fournit des informations utiles et précises sur les
flux financiers et économiques de l’exploitation. Toutefois, il ne s’agit pas de « faire
de la gestion » en utilisant uniquement les résultats comptables, car la comptabilité
examine le passé alors que la gestion est orientée vers le futur. En outre, c’est une
technique assez complexe à maîtriser. Des outils complémentaires et d’autres infor-
mations sont nécessaires pour que l’exploitant puisse se projeter dans le futur,
suivre et évaluer ses activités dans toutes leurs dimensions (techniques, écono-
miques, financières) et comprendre les répercussions de ses choix sur l’ensemble de
la famille et de l’exploitation.
De plus, la comptabilité et les méthodes fondées sur l’optimisation des résultats
économiques à court terme n’intègrent pas la gestion de la fertilité des sols et plus
globalement les conséquences environnementales à moyen et à long terme des
systèmes de production dont on cherche à optimiser les performances économiques.
La notion de bonne gestion environnementale apparaît ainsi comme une externalité
non prise en compte dans les raisonnements économiques et financiers.
L’introduction de concepts nouveaux ou d’unités de mesure (le revenu, les charges,
le coût de production, la marge brute, le rendement, la dose d’un intrant, etc.)
contribue également à stimuler la réflexion et à diffuser de nouveaux indicateurs

378
Conseil aux exploitations familiales

d’évaluation des résultats de l’exploitation que les paysans utilisent progressive-


ment. Ces nouvelles notions doivent être proposées de façon adaptée dans le temps
en fonction du niveau des participants et de leurs attentes. La traduction de ces
concepts en langue nationale pose de nombreux problèmes qu’il convient de traiter
soigneusement. Par exemple, la traduction de « marge brute » en sénoufo se dit « un
bénéfice qu’on n’a pas encore dans la main ». Dans certaines régions (Mali, Bénin),
des groupes de techniciens et de paysans élaborent ensemble des lexiques.
De même, au cours de certaines expériences de conseil à l’exploitation se sont déve-
loppées des collaborations avec des organismes d’alphabétisation fonctionnelle, afin
d’augmenter la proportion de personnes susceptibles de participer à ces démarches.
Dans d’autres cas, l’alphabétisation de paysan à paysan est encouragée. Souvent, les
paysans considèrent que la possibilité de participer à un groupe de conseil les incite
à s’alphabétiser, car il leur est plus facile de mettre en pratique de ce qu’ils ont
appris (l’écriture, le calcul). Cependant, certains estiment que l’alphabétisation ne
devrait pas être une condition nécessaire à la mise en place d’une démarche de Cef.
Le fait de ne pas être alphabétisé n’empêche évidemment ni de raisonner, ni de
connaître les dates d’intervention dans son champ, ni de savoir apprécier les
volumes et les quantités, ainsi cela ne l’empêche pas de savoir comment améliorer
la gestion des stocks de céréales et mieux satisfaire les besoins vivriers de la famille.
On peut néanmoins constater et regretter que la mise au point d’outils pour non-
alphabétisés reste encore limitée. Au Sud-Mali, l’IER et la CMDT (Defoer et
Budelman, 2000) ont mis au point des méthodes pour la gestion de la fertilité du sol
en s’appuyant sur des cartes du parcellaire de l’exploitation et en utilisant des
symboles et des flèches pour visualiser les flux, les quantités de fumure et le nombre
d’animaux. En Côte d’Ivoire, le positionnement de dessins illustrant le stade de
développement du riz et des différentes opérations culturales sur un calendrier
permet de réfléchir à la gestion de l’itinéraire technique de cette culture dans les
bas-fonds (chapitre 26).

Pédagogie active
La mise en œuvre d’un conseil à l’exploitation suppose de définir précisément la
démarche méthodologique et pédagogique qui sera utilisée ; le même outil pouvant
conduire à des dynamiques complètement différentes selon son mode d’emploi. Par
exemple, l’analyse des marges brutes des cultures par un vulgarisateur d’une société
cotonnière débouche très souvent sur la nécessité de respecter l’itinéraire technique
normatif recommandé pour le cotonnier afin de maximiser la production. Utilisée
dans un autre cadre, cette analyse peut amener à identifier différentes manières de
conduire la culture du cotonnier (sans forcément chercher à maximiser le rende-
ment), à prendre en compte la sécurité alimentaire de la famille, ou à identifier
d’autres cultures de rente pouvant être plus rentables dans la zone que le cotonnier,
en fonction des moyens dont dispose le paysan.
Les méthodes pédagogiques doivent s’appuyer sur des démarches participatives et
sur l’apprentissage mutuel entre les paysans et le conseiller (Cerf et al., 2000)
(encadré 25.3). Adopter une attitude participative a donc plusieurs conséquences
dans la démarche du Cef.

379
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Encadré 25.3. Principes fondateurs du conseil aux exploitations familiales


1. Le conseil aux exploitations familiales (Cef) est une démarche globale qui renforce les
capacités des paysans et de leur famille pour suivre leurs activités, analyser leur situation,
prévoir et faire des choix, évaluer leurs résultats. Il prend en compte les aspects techniques,
économiques, sociaux et, si possible, environnementaux des activités des exploitations.
2. Les familles rurales sont placées au centre de la fonction de conseil qui a l’ambition
d’englober leurs différentes activités (production agricole, transformation, commerciali-
sation, autres activités génératrices de revenus), l’organisation du travail et la gestion des
flux monétaires afin de faciliter l’atteinte des objectifs familiaux.
3. Le conseil aux exploitations familiales repose sur des méthodes d’apprentissage
(incluant formation, échanges d’expériences…) et d’aide à la décision (comme le suivi
technico-économique des productions, le calcul de la marge brute, la gestion de la tréso-
rerie, etc.), qui valorisent les données collectées mais nécessitent une maîtrise minimale
du calcul et de l’écrit.
4. Les expériences de conseil aux exploitations familiales valorisent les savoirs paysans et
s’insèrent dans des réalités paysannes : les producteurs engagés dans ces démarches font
partie de réseaux d’échanges de techniques et de savoirs locaux, ils sont souvent
membres, voire responsables, d’organisations paysannes.
5. Les expériences de conseil aux exploitations familiales visent à construire des disposi-
tifs d’appui aux producteurs avec une participation forte des organisations paysannes et
une implication possible de nouveaux acteurs que sont les organisations non-gouverne-
mentales ou les bureaux d’étude. Elles cherchent à renforcer l’autonomie des producteurs
et de leurs organisations par rapport aux autres acteurs. (source : Dugué et Faure, 2003).

• Valoriser les savoirs paysans. En effet, il faut ancrer le conseil dans le vécu des
paysans, parce que leurs connaissances et leurs expériences peuvent permettre de
répondre aux questions posées par certains participants. Les démarches de conseil
doivent favoriser les dynamiques de groupe : échanges d’opinions entre participants
pendant les réunions, réflexion sur les pratiques et les conditions de mise en œuvre,
valorisation des expériences paysannes qui apportent des éléments de réponse, etc.
• Raisonner l’utilisation des outils afin de favoriser le processus d’apprentissage et
promouvoir l’autonomie des participants. Il n’est pas neutre de préciser qui collecte
les données (le paysan ou le conseiller), qui les analyse (le paysan, le conseiller ou
un informaticien), et où (au champ, au village ou au bureau du conseiller). Il
importe de privilégier un travail de collecte et d’analyse par les paysans, avec l’appui
du conseiller dans un premier temps ; cette option garantit que les outils de gestion
seront adoptés par l’agriculteur mais peut paraître coûteuse en temps (déplacement
du conseiller, temps de formation et de suivi, etc.) et peu compatible avec des
analyses fiables (erreurs dans les relevés, fautes de calcul, etc.). Il convient donc de
concevoir des outils qui, certes, répondent aux demandes paysannes, mais égale-
ment adaptés aux capacités des paysans.
• Enrichir progressivement le conseil en fonction des demandes formulées par les
agriculteurs afin de favoriser une progression dans l’apprentissage et une utilisation
effective des outils, tout en gardant de la souplesse pour répondre à des besoins non
identifiés au début du processus de conseil.
• Préciser le rôle du conseiller car il n’est pas, comme dans beaucoup de dispositifs
de vulgarisation pyramidaux, la personne qui seule détient les connaissances, qui

380
Conseil aux exploitations familiales

effectue un diagnostic externe et propose la solution. Le conseiller est la personne


qui apporte des informations et qui dispose d’un réseau de relations pour construire
avec les savoirs paysans de nouvelles connaissances, qui stimule et anime un
processus de réflexion, qui accompagne la décision en facilitant l’expression des
avantages, des inconvénients et des risques de chaque solution. Il s’agit de lancer
une dynamique participative entre les producteurs et les conseillers.

 Gestion d’un dispositif de conseil


aux exploitations familiales
La gestion d’un dispositif de Cef nécessite une réflexion collective préalable qui
engage tant les concepteurs et les gestionnaires du conseil que les pouvoirs publics
et les organisations paysannes directement concernées.

Mise en place d’un programme de conseil


aux exploitations familiales
Certaines questions vont conditionner les choix à venir en matière de méthodes et
outils, de profil du conseiller, et de nature des dispositifs.
• Pour quels producteurs les acteurs associés à la construction du dispositif de
conseil souhaitent-ils travailler sachant que les ressources humaines et financières
sont insuffisantes pour couvrir toutes les demandes ? Le choix est politique et
mérite pour le moins un débat : pour les grandes entreprises agricoles qui, selon
certains décideurs politiques, seraient susceptibles de mieux s’adapter à un monde
de plus en plus compétitif, pour les grandes exploitations familiales qui disposent de
marges de progrès importantes et qui produisent déjà la plus grande partie des
produits agricoles, pour les petites exploitations qui représentent la grande majorité
de la population rurale mais ont bien du mal à progresser, les chefs d’exploitation,
les femmes ou les jeunes paysans alphabétisés ?
• Des choix doivent être faits par les organisations paysannes et les gestionnaires des
dispositifs, car il n’est pas possible de tout traiter. Quels sont les besoins des paysans :
dans le domaine des cultures d’exportation, des cultures vivrières, de l’élevage ; dans
celui de la production agricole, de la transformation, de la commercialisation ?
• Quelles sont les demandes des paysans ? Outre des besoins identifiables de diffé-
rentes manières, il importe de préciser qui va les exprimer : les producteurs, leurs
organisations, les services de vulgarisation, les projets ? Les points de vue des
producteurs sont théoriquement écoutés dans le cadre des démarches participa-
tives, mais ce sont encore souvent les services techniques qui finalement interprè-
tent les demandes et effectuent les choix.
• Quelles méthodes et quels outils peuvent réellement aider les paysans dans leur
prise de décision en fonction des demandes identifiées ? Quel est le niveau de
formation nécessaire pour que les producteurs maîtrisent les outils ?
• Quels sont les qualités requises (profils, compétences) des conseillers ?
Généralistes ou spécialistes en gestion ? Faut-il privilégier l’origine rurale, l’appar-
tenance au groupe culturel concerné ou le niveau de formation des candidats ?

381
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

• Quelle sera l’implication des producteurs et de leurs organisations dans la gouver-


nance et la gestion des dispositifs de conseil ? Quel sera le niveau d’indépendance
du dispositif par rapport aux autres acteurs (service public de vulgarisation agricole,
banque, filières et interprofessions, etc.) ?
• Comment articuler le dispositif de conseil avec les autres services de l’agriculture
(crédit, vulgarisation, recherche, formation rurale, etc.) ?
• Qui peut financer le dispositif de conseil ? Dans quelles conditions et pour quelle
durée ?

Gouvernance paysanne dans la gestion des dispositifs


La gouvernance1 paysanne d’un dispositif de conseil est définie par la participation
paysanne aux dispositifs de Cef, non seulement au niveau des activités mêmes de
conseil mais aussi dans les opérations de programmation, de suivi et d’évaluation,
dans l’organisation des conseillers, dans la gestion des financements du conseil. Elle
correspond à l’ensemble des capacités intellectuelles et des moyens d’intervention
et de négociations des producteurs et de leurs organisations leur permettant de
participer pleinement et de façon autonome aux prises de décisions et à l’élabora-
tion de dispositifs d’accompagnement qui les concernent.

Une construction sociale


Le montage institutionnel d’un dispositif de Cef n’est pas neutre quant au contenu du
conseil et aux modalités de mise en œuvre. Par exemple, si une société de gestion des
périmètres irrigués participe au pilotage d’un dispositif de conseil, elle veillera à
orienter les activités de conseil sur les cultures irriguées et la gestion de l’eau, même si
les exploitations développent d’autres stratégies (cultures pluviales sur terres exon-
dées, élevage, activités non-agricoles). Afin que des producteurs puissent conduire une
réflexion indépendante et que leurs intérêts soient préservés, il importe de garantir un
certain degré d’autonomie du dispositif de conseil par rapport aux intervenants exté-
rieurs (services de l’État, sociétés de développement, banques), même s’il faut veiller
à ne pas s’opposer à ces institutions et plutôt chercher à établir des collaborations.
L’élaboration d’un dispositif de Cef nécessite le concours de nombreux acteurs : les
participants au conseil qui sont les premiers concernés, les organisations de producteurs
et leurs dirigeants qui peuvent exprimer les besoins de leurs membres ou gérer directe-
ment des conseillers, les bureaux d’étude ou les organisations non-gouvernementales
qui peuvent également jouer un rôle important dans la mise en œuvre directe du
conseil ou fournir des appuis complémentaires dans le domaine de la formation, et bien
sûr des équipes de chercheurs qui peuvent contribuer à l’élaboration d’outils d’aide à la
décision ou à la création des références technico-économiques des exploitations.
Les dispositifs devraient être construits par les différents acteurs impliqués (organi-
sation paysanne, État, ONG…), en fonction de la demande paysanne, de l’histoire

1. Gouvernance. Au Moyen Âge, en Angleterre, ce terme était utilisé pour définir le mode d’organisa-
tion du pouvoir féodal. Il est utilisé aujourd’hui pour désigner au niveau mondial les mécanismes de
régulation économique et politique des relations entre pays. À un niveau local, il recouvre les arrange-
ments entre acteurs pour la gestion d’un bien commun ou d’un service collectif.

382
Conseil aux exploitations familiales

des institutions dans la zone concernée et donc des rapports de force entre les
acteurs (poids de la vulgarisation, expériences antérieures de conseil à l’exploita-
tion, intérêt des organisations paysannes pour promouvoir de nouveaux services,
activités des ONG dans le domaine de la formation agricole, etc.). Ainsi, les dispo-
sitifs institutionnels sont très divers, il n’y a donc pas de modèle général mais des
principes fondamentaux (tableau 25.2).

Favoriser la responsabilisation des paysans


Les expériences passées d’appui aux producteurs dans différents domaines (amélio-
ration technique, commercialisation des produits, etc.) ont montré que les chances
de succès et de pérennisation des interventions étaient meilleures quand les paysans
assuraient eux-mêmes la gestion des dispositifs (ou y étaient associés) (Mercoiret,
1994 ; Beaudoux, 2000). Cette participation ne doit pas être une caution ou un alibi,
mais elle doit garantir une réelle réponse aux besoins des paysans, assurer une inser-
tion des activités dans les réseaux socioprofessionnels, mobiliser les leaders d’opi-
nion, légitimer les organisations paysannes (OP) comme interlocuteurs fiables des
services étatiques.
En Afrique de l’Ouest et du Centre, les producteurs et les organisations paysannes
participent à la gouvernance, en particulier à la définition – de manière plus ou moins
importante – des objectifs du conseil, à la validation des outils et des méthodes, à la
construction institutionnelle, à la gestion financière, au processus de recrutement et
à l’évaluation des conseillers, ainsi qu’au suivi et à l’évaluation du dispositif.
La gouvernance paysanne s’exprime à différents niveaux et selon différents
mécanismes :
– les participants au conseil peuvent préciser leurs demandes, définir le contenu du
programme et parfois proposer un calendrier de travail et évaluer les résultats
obtenus ;
– éventuellement, il s’agira de contribuer à l’organisation du travail du conseiller
(identification des demandes paysannes, validation du programme de travail) et à
son évaluation ;
– souvent dans l’ensemble du dispositif de conseil, des représentants de paysans
sont partie prenante dans la définition des orientations stratégiques, dans le suivi et
l’évaluation des activités.
La gouvernance paysanne ne signifie pas systématiquement que les organisations
paysannes gèrent directement l’ensemble des dispositifs de conseil. Les producteurs
peuvent déléguer la gestion courante du dispositif (gestion des conseillers, gestion
financière, animation du dispositif) à des organisations professionnelles (centre de
prestations de services gérés par des paysans), à des ONG ou des bureaux d’étude
(encadré 25.4). Ils peuvent également opter pour une cogestion du dispositif dans
le cadre d’une interprofession, par exemple au sein de la filière cotonnière ou
avicole (encadré 25.5). Dans la majorité des cas, les gestionnaires des dispositifs
cherchent à s’assurer de la participation des organisations paysannes par la mise en
œuvre de mécanismes qui associent réellement les producteurs (comité de pilotage,
évaluation participative, etc.) et ou par des relations entre les organisations
paysannes et les prestataires de services clairement définies (cahiers des charges
détaillés, audit externe, etc.).

383
Tableau 25.2. Analyse comparative des différents dispositifs de conseil en fonction de la participation paysanne dans la gouvernance.

Type de conseil aux exploitations familiales

384
Service Cef géré directement par une OP Service Cef au sein d’une interprofession Cef mis en œuvre par un prestataire privé
Qualités ou par un centre de prestations de services
géré par une OP
L’OP doit être suffisamment structurée Les objectifs de l’interprofession doivent Le prestataire explicite les services qu’il
pour gérer ce service de conseil être clairs. Elle doit comprendre peut fournir et les coûts correspondants.
sans affaiblir ses autres activités. que s’engager dans le conseil signifie Il doit s’inscrire dans une logique
L’OP dispose et affecte des moyens pour un effort poursuivi dans la durée. commerciale de recherche de marchés.
ce service. Elle établit un cahier des charges Les règles de financement du service Il doit être enclin à l’innovation.
Préalables explicitant les tâches de chaque acteur doivent être transparentes. Un contrat détaillé doit définir les relations
du conseil (adhérent, OP). Les OP membres de l’interprofession entre le prestataire et les participants
Il existe des mécanismes de contrôle au sein doivent participer au choix des conseillers, au conseil ou leur organisation.
de l’OP par les membres pour s’assurer du à l’orientation du contenu du conseil
bon fonctionnement des activités de conseil. et à l’évaluation des résultats.
Les producteurs ont le pouvoir de décision Financement du service facilité par Le prestataire crée un centre de gestion
(embauche ou licenciement du personnel, le prélèvement sur la vente du produit. spécialisé et financièrement autonome.
orientation du programme, évaluation) Le Cef facilite l’émergence d’une vision Le prestataire développe plusieurs produits
et la gestion courante du Cef est assurée commune des acteurs de la filière sur et s’adapte aux demandes solvables
Avantages par leurs salariés. le développement agricole de leur région. (souplesse d’intervention).
Impact positif probable sur la gestion de l’OP. La mise en concurrence des prestataires
Références technico-économiques peut bénéficier aux producteurs (rapport
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

disponibles au niveau de l’OP pour qualité de la prestation/coût).


négocier avec les partenaires, avec l’État.
Risque de dispersion des activités de l’OP Le service peut se focaliser sur une seule Si le contrat n’est pas précis, le prestataire
et des salariés. production (celle de la filière concernée) peut ne pas répondre à l’attente des
Charge importante en gestion de personnel sans aborder les autres problèmes paysans et peut chercher à ne pas transférer
supplémentaire (les conseillers), ce qui rend des exploitations. Il faut donc éviter les ses savoirs afin de conserver son marché.
la pérennité du conseil impossible si des approches filières trop étroites et identifier Si le conseil n’est pas subventionné,
Risques les externalités positives et négatives
ressources financières ne sont pas dégagées. la nécessité de rentabilité financière
Disparité entre les adhérents bénéficiant induites par la filière concernée. peut entraîner l’opérateur à s’adresser
du Cef et les autres. uniquement aux exploitants les plus aisés
Poids excessif des conseillers salariés pour couvrir ses coûts.
dans la gouvernance du dispositif.

Cef, conseil aux exploitations familiales ; OP, organisation paysanne.


Conseil aux exploitations familiales

Encadré 25.4. Le rôle du secteur privé dans les activités de conseil au Bénin
Le Padse (Programme d’améliorations et de diversification des systèmes d’exploitation)
n’intervient pas directement sur le terrain auprès des producteurs. Dès l’origine, il a opté
pour un travail avec des opérateurs privés qui, aujourd’hui, traitent à avec des organisa-
tions paysannes sous forme de contrats d’objectifs (chapitre 28). L’ensemble regroupe
une trentaine de conseillers, relayés par une centaine d’animateurs paysans pour des
formations en langue locale. Le nombre d’agriculteurs concernés directement par le
processus de conseil était d’environ 3 000 en janvier 2004.
Les opérateurs privés entretiennent des relations contractuelles avec leurs clients (orga-
nisations paysannes, producteurs et groupements féminins) et s’efforcent de préciser
leur offre de formation pour aborder la gestion, le contenu de leurs interventions, les
produits qu’ils délivrent (comptes de résultat, suivi de trésorerie, calculs des marges
brutes et des coûts de production, etc.), le nombre de visites de terrain qu’ils effectuent
auprès des adhérents, le nombre de réunions qu’ils organisent.

Encadré 25.5. Le conseil aux exploitations et l’UNPCB en zone cotonnière au


Burkina Faso
Dans la partie ouest du bassin cotonnier au Burkina Faso, la Sofitex, société semi-
publique chargée d’appuyer les producteurs de coton et de commercialiser la produc-
tion, a mis en place à titre expérimental un dispositif de conseil à l’exploitation
mobilisant 30 salariés permanents. L’Union nationale des producteurs de coton du
Burkina (UNPCB), actionnaire minoritaire de la Sofitex et qui intervient sur l’ensemble
du bassin de production, a été associée à ce dispositif. Elle n’a pas souhaité intervenir
directement dans le dispositif de conseil préférant se focaliser sur d’autres activités
considérées comme prioritaires (approvisionnement en intrants pour les céréales, appui
à la gestion des groupements de producteurs). En revanche, l’UNPCB est partie
prenante dans le suivi du conseil, cette organisation participe aux instances de pilotage
du dispositif à l’échelle de la zone ouest du bassin de production et des différents dépar-
tements concernés. Dans les deux autres zones de production du Centre et de l’Est, les
sociétés cotonnières privées ne souhaitent pas, pour le moment, mettre en place de tels
dispositifs. L’UNPCB réfléchit à la mise en place d’un conseil adapté à ces zones en s’ap-
puyant sur des prestataires de services (bureau d’étude ayant une bonne expérience dans
le Cef, ONG), et elle resterait partie prenante dans le pilotage de ces futurs dispositifs.

Suivi et évaluation du conseil à l’exploitation familiale


Le suivi des activités de Cef permet d’ajuster les objectifs du conseil et le travail des
conseillers en fonction des résultats obtenus, et l’évaluation apprécie les résultats et
mesure l’impact des activités de conseil sur les exploitations et leur environnement.
Nous nous intéressons ici uniquement à l’évaluation globale du Cef, car il existe peu
de mesures d’impact des dispositifs de conseil aux exploitations, notamment en
Afrique de l’Ouest. Pourtant, il serait important de disposer d’une telle information,
entre autres, pour justifier auprès des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds les
efforts financiers mobilisés pour de tels dispositifs, et pour promouvoir l’extension
de cette démarche.

385
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

L’évaluation nécessite de suivre et de tenter de comprendre les évolutions induites


dans différents domaines et à différents niveaux :
– dans les exploitations participant au Cef (élévation du niveau de formation, modi-
fication des pratiques de gestion, introduction d’innovations, hausse du revenu,
amélioration des conditions de travail, etc.) ;
– dans des exploitations proches de celles adhérant au Cef et qui progressent aussi
en valorisant les acquis obtenus par des bénéficiaires du conseil (effet tache d’huile,
mobilisation des réseaux socioprofessionnels de diffusion des techniques et des
savoirs, etc.) ;
– au sein de la communauté villageoise dans laquelle s’inscrivent les activités du
conseil (émergence de nouveaux projets collectifs, etc.) ;
– dans les relations entre paysans et conseiller (mobilisation des savoirs paysans,
processus d’apprentissage…) ;
– au sein des organisations paysannes par le renforcement de leurs capacités
(formation des responsables) et la dynamique d’organisation induite par leur parti-
cipation à la gestion des dispositifs de conseil à l’exploitation (reconnaissance du
rôle des organisations paysannes par les autres membres de la communauté,
amélioration de la gestion et des ressources financières de ces organisations, etc.).
L’évaluation dépend de la perception qu’a chaque acteur (État, organisation
paysanne, services d’appui, paysans, partenaires financiers, etc.) des objectifs du Cef
et des résultats attendus. Ces différentes perceptions peuvent être complémentaires
ou contradictoires.
• Les paysans participant aux activités du Cef et leurs organisations jugent les
méthodes employées et les résultats obtenus en fonction de leurs propres objectifs.
En plus de l’amélioration de la production et des revenus, d’autres aspects sont
souvent pris en compte tels que l’impact sur la famille et l’organisation du travail,
sur les relations sociales au sein de la famille et dans le village, etc., aspects parfois
considérés comme non-prioritaires par d’autres acteurs.
• Les structures d’appui au Cef et les partenaires financiers sont plus sensibles aux
améliorations concernant la production (augmentation des rendements et de la
qualité des produits, maîtrise des coûts de production, préservation des ressources
naturelles, etc.).
• Les services de l’État peuvent évaluer les résultats des dispositifs du Cef en esti-
mant le rapport coût / bénéfice et la durabilité des opérations, mais surtout en
s’assurant que les progrès issus de ces dispositifs bénéficient indirectement à un
grand nombre de producteurs.
La mesure de l’impact du Cef pose de nombreuses questions de méthode. Par
exemple, comment distinguer l’impact à long terme des actions du Cef sur les exploi-
tations et les effets liés aux changements du milieu naturel (sécheresse, attaque para-
sitaire, etc.) ou économique (fluctuation des prix des intrants ou des récoltes, etc.) ?
Comment mettre en place des méthodes à la fois rigoureuses, quantitatives et pas
trop exigeantes en temps et en moyens ?
Dans plusieurs situations, des démarches d’évaluation participative ou d’auto-
analyse sont proposées. Elles valorisent les opinions et les savoirs des paysans mais
aussi ceux des autres acteurs (Estrella et Gaventa,1999). Dans chacun des domaines

386
Conseil aux exploitations familiales

considérés et pour les différents acteurs impliqués (paysans, organisation paysanne,


service publics ou privés d’appui, État, etc.), la démarche d’évaluation consiste à :
– identifier les critères et les indicateurs que les acteurs jugent pertinents pour
évaluer l’impact du Cef (tableau 25.3). Les indicateurs doivent être simples, faciles
à renseigner et à interpréter, si possible quantifiables. Il est cependant nécessaire de
faire preuve d’imagination pour éviter les enquêtes lourdes impossibles à financer ;
– collecter les informations nécessaires en valorisant les données produites lors des
activités de conseil ou mener une enquête sur un échantillon raisonnable pour
renseigner les autres indicateurs (en s’intéressant par exemple aux exploitations
hors du dispositif de conseil) ;
– restituer les résultats de l’évaluation aux acteurs concernés pour la valider et tirer
des conclusions.

Tableau 25.3. Exemple d’indicateurs pour évaluer l’impact du conseil à l’exploitation


familiale (Cef).
Domaines Acteurs concernés Indicateurs
Exploitations en Cef Participants au Cef Contribution régulière des participants
Rendement dans l’exploitation
des participants
Rendement moyen du village
Diversification des productions
Meilleure harmonie et stabilité de la famille
(réalisation concertée de projets)
Évolution du revenu, de l’épargne,
de l’endettement
Autres exploitations Participants au Cef Nombre de « paysans-ressources »
et autres paysans associés au Cef ; nombre de visites
reçues dans l’exploitation
Type d’innovations diffusées
Type d’outils de gestion diffusés
Relations Participants au Cef Nombre de paysans par conseiller
conseiller-paysans Conseillers Nombre de paysans-conseillers
Responsables paysans Variabilité des sujets traités suivant
les groupes en Cef
Statut et stabilité des conseillers
Initiatives Participants au Cef Initiatives lancées par des paysans
de développement en Cef (approvisionnement,
commercialisation, etc.)
Membres Structures pérennes pour porter
de la communauté ces initiatives
Renforcement Responsables paysans Nombre de responsables paysans en Cef
des OP et évolution Structures d’appui Fréquence des réunions des comités
institutionnelle de pilotage du dispositif Cef
Source des financements du Cef
Stabilité des financements du Cef
Meilleure maîtrise de l’endettement des OP

387
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

En ce sens, la démarche d’évaluation participative est un processus collectif de


réflexion et d’apprentissage permettant de faire évoluer les points de vue de chaque
acteur, d’identifier des pistes d’amélioration. Il est certain qu’un tel processus prend
toute sa valeur si les évaluations peuvent être réalisées plusieurs années de suite
pour comprendre les évolutions au cours du temps.

Maîtrise du financement du conseil


Plusieurs expériences témoignent de l’association des représentants des produc-
teurs à la gestion financière du dispositif, afin de garantir une appropriation du Cef
par les producteurs.
Des mécanismes peuvent être mis en œuvre pour associer les producteurs, notam-
ment en responsabilisant progressivement les organisations paysannes. Dans un
premier temps, il est souhaitable que les organisations paysannes participent à l’éla-
boration et à la validation des programmes et des budgets (coûts salariaux, fonction-
nement, investissements, etc.), notamment au sein des comités de pilotage du Cef.
Au Bénin par exemple, la rédaction de contrats entre l’organisation paysanne et le
prestataire de service ou le gestionnaire du dispositif de conseil permet de mieux
formaliser les engagements de chacune des parties (définition du cahier des
charges, du mécanisme de financement, etc.).
La gestion des fonds, pour le paiement direct des services du prestataire ou des salaires
et des frais de fonctionnement des conseillers, est le stade le plus avancé de la responsa-
bilisation. Cette prise de responsabilité est souhaitable lorsque l’organisation paysanne
associée est structurée et dynamique et qu’elle a fait la preuve de ses qualités de gestion
(transparence des comptes, etc.). Cela demande un apprentissage important et long.

 Ressources à mobiliser dans un dispositif


de conseil aux exploitations familiales
Pour mettre en place un dispositif de Cef, les conseillers doivent proposer des outils
adaptés aux paysans. De plus, en termes de ressources de fonctionnement, il s’agit
aussi de recruter un conseiller compétent et de trouver des financements adéquats.

Des outils de gestion utiles pour le paysan


Les outils proposés par les conseillers et utilisés par les producteurs pour gérer leur
exploitation sont de nature diverse (fiches, carnet, manuel, almanach…). Ils servent à
classer les données collectées, à préparer la réflexion, à formaliser les raisonnements,
à évaluer et comparer des résultats, à élaborer des solutions, etc.
On peut identifier différents types d’outils.
• Des outils de formation et d’information pour les producteurs : destinés à initier
aux concepts de base de la gestion, à faire connaître de nouvelles techniques de
production, etc.
• Des outils d’inventaire : description de la situation initiale de l’exploitation (fiche
d’inventaire et caractérisation des parcelles, des plantations, des animaux, des

388
Conseil aux exploitations familiales

greniers et autres bâtiments, des équipements et matériels, des intrants, etc.). Ce


travail préalable est nécessaire au conseiller et au chef d’exploitation pour lancer
une première réflexion sur le fonctionnement.
• Des outils de caractérisation du fonctionnement de l’exploitation (répartition des
activités entre les membres, leur degré d’autonomie, activités extérieures de
certains et importance des revenus correspondant…).
• Des outils d’enregistrement et de suivi. Ils sont indispensables pour préciser le
fonctionnement des exploitations. Un suivi des travaux, des flux et des résultats de
l’exploitation (à un rythme quotidien, hebdomadaire ou mensuel) est nécessaire
pour traiter certaines questions (gestion de la trésorerie, des intrants, des stocks
vivriers…) mais il est évidemment exigeant en temps.
• Des outils de diagnostic et d’analyse pour interpréter les résultats de l’exploitation
et tirer des conclusions. Ce sont des fiches simples de suivi agronomique des
cultures ou des troupeaux, des fiches de calcul des marges des cultures (par parcelle
ou par sole), des diagrammes représentant les besoins et l’offre en travail. Ces infor-
mations sont essentielles, elles permettent de comprendre les résultats de la
campagne agricole passée et de préparer les choix pour la campagne à venir.
• Des outils d’aide à la décision pour définir des objectifs et programmer des acti-
vités. Ils permettent par exemple de prévoir les dépenses, les besoins en travail et
les résultats souhaités lors de la prochaine campagne agricole en fonction des objec-
tifs et des hypothèses proposés par la famille : cultures à retenir et rendements
espérés, assolement, quantités d’intrants prévues en fonction des cultures, de la
fertilité des sols et des ressources en trésorerie. Cette étape est la plus importante
dans une démarche de Cef, mais les diagnostics et les suivis sont souvent trop
détaillés et ne laissent pas assez de temps pour ce travail de prévision.

Caractéristiques des outils


Les outils du Cef doivent être efficaces et il faut que les producteurs se les appro-
prient facilement. Les outils du conseil répondent donc à certains critères : simpli-
cité, facilité d’emploi (maîtrise), progressivité dans l’apprentissage, rapidité
d’emploi, adaptabilité dans le temps.
• Des outils simples. La prise de décision repose sur la représentation qu’a le paysan
de sa situation, sur l’analyse de quelques indicateurs jugés importants pour résoudre
un problème spécifique et sur les règles forgées par l’expérience. La collecte d’infor-
mations doit être concentrée sur le problème spécifique à résoudre et les indicateurs
(choisis par l’exploitant) à partir de documents simples, adaptés au niveau d’alpha-
bétisation. Le paysan ne doit pas être transformé en enquêteur devant récupérer
une masse de données considérables, sous peine d’abandonner rapidement le dispo-
sitif de conseil. De plus, pour limiter les coûts du conseil et faciliter son extension,
les outils doivent êtres assimilés relativement rapidement.
• Des outils renforçant l’autonomie du producteur. Dans une démarche de renfor-
cement de la capacité des producteurs, il apparaît nécessaire de privilégier et d’in-
citer, autant que possible, les producteurs à collecter et analyser des données afin
qu’ils s’approprient les outils et les raisonnements puis deviennent progressivement
autonomes. Un tel choix demande des efforts importants en matière de formation
des participants et des appuis constants de la part du conseiller.

389
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

• Des outils permettant une progression dans la démarche afin de tenir compte de
la dimension de formation du conseil. Les outils peuvent devenir plus complexes au
cours du temps. Cette progression dépend du niveau scolaire de chaque groupe : au
Sud Bénin, quelques adhérents utilisent l’informatique ; dans la zone de l’Office du
Niger (Mali) et au Cameroun, beaucoup de membres ont un faible niveau d’alpha-
bétisation. Dans les zones défavorisées sur le plan éducatif, les premières séances
de travail sont essentiellement destinées à former les participants (renforcement en
alphabétisation, initiation aux concepts de base de la gestion, maîtrise des outils de
gestion, etc.). Au Nord Cameroun, en fonction des demandes paysannes, des
thèmes simples (gestion de la trésorerie, des stocks alimentaires, du travail…)
peuvent être abordés en mobilisant des concepts facilement compréhensibles
(quantité de céréales par personne et par an, journée de travail…).
Progressivement, le conseiller utilise des concepts plus complexes (marge brute par
culture, résultat global d’exploitation, budget de trésorerie…) qui nécessitent un
niveau d’abstraction plus élevé (Djamen et al., 2003).
• Des outils donnant des résultats rapidement utilisables. Le paysan souhaite cons-
tater rapidement l’intérêt du Cef et accepte rarement de consacrer une année
entière à la collecte de données avant de passer à une phase d’analyse puis de
programmation de ses activités. Ces outils doivent donc associer rapidement les
phases de collecte d’information, d’analyse et de réflexion sur les conséquences
pour l’exploitation. Par exemple, dans l’Ouest du Burkina, pour traiter les marges
brutes des cultures, il est suffisant de faire appel à la mémoire des paysans pour
obtenir les données nécessaires, et ainsi, le même jour, conduire une analyse et tirer
des conclusions pour la campagne future. En revanche, lorsque la collecte de
données s’étale sur toute une année (par exemple pour le suivi de trésorerie), il est
impératif de prévoir des analyses régulières (mensuelles ou trimestrielles, etc.).
• Des outils adaptés à la demande des producteurs et non l’inverse. Le producteur
ne doit pas être obligé de suivre tout un programme mis au point par les concep-
teurs du dispositif de Cef, si son souhait est seulement de résoudre un ou quelques
problèmes particuliers. Aussi est-il préférable de construire des outils qui peuvent
répondre à des demandes variées, par module thématique. Par exemple à l’Office
du Niger au Mali, les paysans disposent d’un choix de thèmes : conduite de l’éle-
vage, diversification de la production, gestion de la trésorerie, etc. Dans la plupart
des expériences de Cef, les outils ne sont pas figés, ils évoluent au cours du temps
pour prendre en compte les réactions et les besoins des participants.
• Des outils construits en commun. Le Cef vise à construire un raisonnement afin
d’analyser une situation et résoudre un problème, il faudrait donc que le conseiller
privilégie une démarche de participation des paysans pour élaborer les outils qui
leur sont utiles pour répondre aux questions qu’ils se posent. Une telle approche
garantit que l’on répond bien aux demandes paysannes et que les producteurs s’ap-
proprient réellement cette réflexion, néanmoins elle doit être conduite par un
conseiller expérimenté et ayant un niveau de formation initiale suffisant.
À ce jour, la plupart des outils disponibles sont utilisables uniquement par des agri-
culteurs alphabétisés en français ou en langue locale. Le recours au dessin et à des
pictogrammes pour les paysans non-alphabétisés reste à expérimenter.

390
Conseil aux exploitations familiales

Confidentialité des données


La confidentialité des données collectées lors des activités de Cef est un point
important qui mérite une discussion avec les producteurs et leurs organisations afin
d’éviter des malentendus, voire des conflits qui pourraient mettre en péril le travail
du conseiller.
D’une manière générale, les paysans partagent volontiers entre eux les résultats
techniques (doses d’intrants, choix variétaux, rendement, etc.) et technico-écono-
miques (coûts de production, marge brute, etc.), ils comparent et analysent les
résultats des uns et des autres. Ces échanges représentent le moteur des dyna-
miques de Cef et sont susceptibles de provoquer des changements importants dans
les décisions des participants. Mais il existe des exceptions, en fonction des sociétés
rurales, plus ou moins individualistes, mais aussi des productions. Par exemple, en
milieu horticole, quand il existe une compétition entre producteurs en raison de
l’étroitesse du marché, chacun garde jalousement ses secrets pour obtenir une
récolte de meilleure qualité ou plus étalée dans le temps.
Souvent, les personnes n’acceptent pas que les résultats économiques et financiers
de leur exploitation (compte d’exploitation, revenus, etc.) soient exposés et discutés
en public. Il est alors nécessaire de présenter les données de façon anonyme en
affectant un numéro à chaque exploitation.
De même, certains gestionnaires de dispositif veillent à réglementer de manière
claire l’utilisation des résultats individuels par des institutions extérieures (qui ne
sont pas partie prenante dans le conseil). Les résultats agrégés (au niveau d’une
catégorie d’exploitation, d’une zone, etc.), élaborés et stockés par les gestionnaires
des dispositifs de Cef, sont également des données précieuses qui ne peuvent être
diffusées sans l’accord des participants et des organisations partenaires. Par
exemple, une institution étatique gérant des périmètres irrigués peut souhaiter
connaître les marges exactes en riziculture pour évaluer l’augmentation possible de
la redevance hydraulique.

Le conseiller
Le conseiller constitue la pierre angulaire des dispositifs de Cef. Les personnes qui
pilotent des dispositifs doivent avoir une réelle volonté de gestion et d’amélioration
des compétences du conseiller (Hemidy et Cerf, 1999).

Profil, compétences
Étant donné la complexité des démarches du Cef, les compétences que doit réunir
le conseiller sont multiples :
– connaître le fonctionnement des exploitations agricoles et l’agriculture de sa zone
d’intervention ;
– parler la langue nationale (écrit et oral) ;
– être informé des principales techniques de production de la zone d’intervention
(conduite des cultures et des troupeaux, gestion de la fertilité des terres, etc.) ;
– maîtriser des méthodes d’analyse économique et financière des résultats obtenus
par les exploitations (analyse des marges, compte d’exploitation, etc.) ;

391
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

– exercer les méthodologies d’intervention (du diagnostic à l’évaluation) ;


– pratiquer l’animation de groupe (conduite de réunion, travail en groupe, etc.) ;
– utiliser l’informatique dans certains cas.
La mise en œuvre des démarches nécessite également des aptitudes pour travailler
en milieu rural, une disponibilité à s’adapter au calendrier des paysans, un sens de
l’organisation, une capacité d’écoute et de dialogue qui est importante pour
comprendre les points de vue des producteurs et valoriser leurs savoirs.
De manière générale, le profil d’un généraliste est semble-t-il préférable pour
travailler sur le conseil global à l’exploitation. Mais dans certaines situations, un
conseiller spécialisé peut être recommandé, comme par exemple un profil de
zootechnicien dans une zone d’élevage. Il est indispensable de créer un réseau de
compétences afin de favoriser les relations entre les conseillers, les techniciens
spécialisés et les paysans innovateurs pour pouvoir mobiliser des personnes
ressources selon les besoins (aide à la résolution de questions précises, formation
technique répondant à une demande du groupe de paysans en conseil, etc.).
Cependant, les points de vue des gestionnaires des dispositifs de Cef sur les
conseillers peuvent être différents des avis des responsables paysans notamment
quant au niveau de formation et à la rémunération des conseillers. Les responsables
paysans préfèrent souvent que le conseiller ait une formation de niveau intermé-
diaire (secondaire, pas de niveau supérieur au baccalauréat) afin de limiter le risque
de décalage trop important avec le monde paysan, et qu’il soit issu de leur milieu
(d’origine paysanne, parlant les langues locales) afin de développer des relations de
confiance. Ces choix ont également une incidence sur les coûts salariaux des
conseillers. Par ailleurs, les arguments des techniciens se portent sur la nécessité
d’une bonne maîtrise des principes de gestion et des techniques de conseil et donc
leur choix irait à des personnes ayant un niveau de formation plus élevé, comme
celui de technicien supérieur.

Paysans formateurs
Plusieurs expériences de Cef font appel à des paysans formateurs pour démultiplier
certaines actions sur le terrain. La plupart du temps il s’agit de leur confier des
responsabilités sur une partie des activés du Cef : formation technique, analyses
technico-économiques simples, appui à l’enregistrement ou à l’analyse des données,
etc.
Ces initiatives sont récentes et, de ce fait, difficiles à évaluer aujourd’hui. Dans
certaines situations, les résultats sont encourageants et les producteurs sont de plus
en plus associés aux démarches du conseil, cela permet notamment de réduire les
coûts des dispositifs. Parfois, les participants au conseil fournissent spontanément de
tels appuis démontrant leur motivation pour un tel travail. Dans d’autre cas, les
résultats sont plus décevants : le paysan formateur est perçu comme un paysan relais,
simple démultiplicateur des activités du conseiller ; ou encore les participants ne
reconnaissent pas les compétences du paysan formateur ; ou bien plus simplement
les règles du jeu ne sont pas bien définies (tâches à exécuter, temps à consacrer,
modalités d’indemnisation…).

392
Conseil aux exploitations familiales

Statut et formation du conseiller


Le statut du conseiller prend des formes variées suivant les situations : salarié d’une
organisation paysanne ou d’un centre de prestation de services géré par une orga-
nisation paysanne, salarié d’un bureau privé, ou d’une ONG, fonctionnaire détaché
auprès d’un centre de gestion ou d’une organisation paysanne.
Cependant, le degré d’investissement des organisations paysannes est, actuellement,
très variable en ce qui concerne la définition du profil du conseiller, son niveau de
formation, son recrutement, sa gestion au jour le jour, sa rémunération. La négocia-
tion de ces points est pourtant particulièrement importante quand les producteurs
sont amenés à prendre en charge la gestion du dispositif et progressivement le coût
du conseil. De cette réflexion dépend la qualité du travail du conseiller mais aussi les
résultats du dispositif d’appui et de conseil auprès des paysans (ils s’approprient ou
rejettent ce dispositf).
Pour effectuer un travail de qualité, le conseiller peut avoir besoin d’une formation
complémentaire (sur la zone d’intervention, sur l’analyse du fonctionnement des
exploitations, sur les méthodes et outils en appui-conseil, sur les techniques d’ani-
mation, etc.), notamment dès sa prise de fonction et tout au long de sa carrière. Les
pratiques en matière de formation des conseillers sont diverses. Les plus efficaces
alternent interventions en salle et sur le terrain. Les phases de terrain sont propices
à l’observation (diagnostic, compréhension des pratiques paysannes, identification
des savoirs locaux, etc.) et à la mise en pratique de nouvelles méthodes et outils
présentés en salle. Les phases de travail en salle permettent d’améliorer les connais-
sances mais aussi d’analyser collectivement les expériences de terrain. Dans une
démarche de formation professionnelle, les conseillers sont parfois encouragés à
travers des échanges (réunions, ateliers, visites de terrain, etc.) à faire le point sur
des difficultés rencontrées, à identifier des solutions, à imaginer de nouveaux outils,
à définir de nouvelles manières de travailler. Ces échanges, qui peuvent être orga-
nisés à l’échelle d’un ou de plusieurs pays, supposent la mise en place de réseaux
nationaux ou régionaux et nécessitent un financement.
Afin que le métier de conseiller soit reconnu, des initiatives diverses ont été prises
dans différents pays ou régions et ont facilité la création de collectifs de conseillers.
Ils sont amenés à réfléchir sur leur métier, à défendre leurs intérêts ; ou dans le cas
des prestataires de service privés, il peut s’agir de savoir mieux négocier avec les
partenaires et identifier de nouveaux marchés. Est aussi évoqué dans ce cadre l’in-
térêt de proposer un statut officiel du métier de conseiller, reconnu par les pouvoirs
publics, pour bénéficier d’un cadre légal de travail.

Programmation, suivi et évaluation des activités


La programmation et l’évaluation du travail du conseiller n’est pas une chose aisée
quand ce dernier doit répondre à des demandes variées, s’adapter aux contraintes
de calendrier des paysans mais aussi s’engager sur des résultats. Il doit trouver un
équilibre entre une programmation toujours un peu rigide, la nécessité de répondre
aux demandes ponctuelles des paysans et la prise en compte des évolutions rapides
de l’environnement technico-économique (baisse brutale des prix, retard des pluies,
etc.).

393
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Les agriculteurs participant au Cef influent sur la définition du contenu du


programme d’appui, sur le calendrier de travail et l’évaluation des résultats
(réponse aux attentes des producteurs, capacité d’adaptation aux sollicitations
intervenant en cours de campagne, qualité de la relation avec les paysans, disponi-
bilité, ponctualité…).
Dans quelques situations, les organisations paysannes, – en relation avec les partici-
pants au conseil, dans la zone d’action de chaque conseiller –, pilotent le travail du
conseiller par des mécanismes spécifiques, comme la création d’un comité paysan
de suivi du Cef ou l’organisation de réunions régulières de concertation. Dans la
plupart des cas, la structure d’appui au dispositif de Cef (équipe de chercheurs,
cellule de coordination, bureau d’études etc.) participe également à cet effort de
programmation, de suivi et d’évaluation. Elle formule des recommandations,
propose des formations, voire noue des contacts rapprochés avec les conseillers.
Dans certains cas, les gestionnaires du dispositif de conseil établissent un document
qui fixe les objectifs annuels du conseiller et précise les procédures d’évaluation de
son travail. Mais le plus souvent, les procédures ne sont guère formalisées ce qui
laisse la porte ouverte à des incompréhensions.

Des éléments utiles pour les conseillers


et les gestionnaires du conseil
Connaître son milieu
Le travail du conseiller dans le cadre du Cef s’appuie sur une bonne connaissance
du milieu, par exemple les sols, les variations pluviométriques, les caractéristiques
des exploitations (taille des familles, surface), les systèmes de culture, l’organisation
du travail. Dans de nombreuses régions, ces informations sont disponibles dans les
centres de recherche ou les organismes de développement, mais la difficulté est d’y
accéder et de les actualiser. Avec l’appui de personnes travaillant dans ce type de
structures, le conseiller peut lui-même acquérir ou actualiser les données dont il a
besoin et les mettre à la disposition des producteurs. Ainsi, le zonage d’une région
permet d’identifier des ensembles géographiques homogènes pour plusieurs
critères (sols, pluviométrie, système de production dominant, etc.) et les éléments
structurants (bourgs, marchés, routes).
La création d’une typologie des exploitations facilite l’identification des grandes
catégories d’exploitations dans une même zone (chapitre 4). Elle situe les partici-
pants au conseil de gestion parmi la population de la zone (souvent ce sont les plus
lettrés et les plus nantis, parfois des petits paysans, etc.). Elle reste cependant dépen-
dante du choix a priori des critères de classification. Elle ne doit absolument pas
servir à identifier les participants au conseil car la constitution des groupes répond à
d’autres logiques qui sont par exemple le volontariat ou, l’intérêt pour un thème.
La construction de références locales (itinéraires techniques, rendements, marges
brutes, etc.) à partir d’observations et d’enquêtes chez des producteurs constitue
une source importante d’informations. Cela permet d’identifier la marge de progrès
des participants en fonction des résultats obtenus par d’autres producteurs dans des
conditions similaires.

394
Conseil aux exploitations familiales

L’élaboration d’un système d’information sur les prix des produits agricoles et des
intrants facilite les choix d’assolement.

Maîtriser les techniques d’animation et de formation


Les outils du Cef doivent renforcer les capacités des producteurs, notamment pour
l’aide à la décision. Ils sont mis en œuvre dans le cadre d’une pédagogie pour
adultes faisant appel à des techniques actives d’animation et utilisés dans différentes
expériences (Mercoiret, 1994 ; Beaudoux, 2000).
Les séances en salle avec des groupes de producteurs permettent d’assurer la forma-
tion, de compléter le remplissage des fiches et des cahiers des producteurs, d’analyser
et de comparer les résultats. Stimuler la participation et les échanges entre produc-
teurs est une des fonctions essentielles du conseiller car la dynamique de groupe est
un des fondements de la démarche de conseil.
Les séances en salle sont toujours complétées par des visites au champ, – technique
classique et efficace de la vulgarisation agricole –, car le paysan a plus confiance
dans ce qu’il voit que dans ce qu’il entend et se méfie des conseillers qui donnent
des conseils sans avoir vu la réalité. Mais ces visites demandent une préparation
importante : trouver un thème intéressant le groupe, s’assurer que le paysan
présente bien son expérience, stimuler les échanges et les recentrer régulièrement
sur le sujet pour approfondir les analyses, faire émerger des conclusions.
À nouveau, le conseiller joue davantage un rôle de facilitateur et ne s’exprime pas
en tant qu’expert.
L’expérimentation en milieu paysan permet d’aller plus loin que la simple visite des
parcelles et n’est mise en œuvre que pour résoudre un problème identifié par une
majorité de participants (chapitre 26). À partir d’une thématique retenue par le
groupe, des producteurs proposent des essais et les mettent en place, le conseiller
fournit des éléments méthodologiques pour que les résultats soient exploitables.
Les résultats sont commentés par les paysans concernés et discutés en groupe.
Complétant les visites au champ, des échanges sont parfois organisés entre les
groupes de paysans participant au conseil et d’autres personnes (producteurs, cher-
cheurs, commerçants, etc.) de la même région ou d’une région plus lointaine et, ils
sont souvent très enrichissants. Il faut toutefois bien préparer ces échanges pour
valoriser au mieux l’investissement (en temps, en moyens financiers) consenti par
chacun : que cherche-t-on à connaître ? Pour résoudre quels problèmes ?
Le conseil individuel, approche développée dans quelques expériences de Cef, est
d’une autre nature que le travail en groupe. Il se déroule au sein d’une seule exploi-
tation et permet d’analyser plus en détail les résultats, d’aborder des thèmes plus
personnels (analyse de trésorerie, évaluation d’une dette, préparation d’un projet
d’investissement, etc.) et de construire à partir des échanges entre le conseiller et le
paysan des scénarios d’amélioration de l’exploitation.

Programmer et structurer le travail du conseiller


Un certain nombre de documents facilite le travail complexe du conseiller. Dans la
plupart des expériences de Cef, les promoteurs et les gestionnaires des dispositifs
ont élaboré un guide du conseiller qui explique la démarche de conseil, décrit

395
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

chacun des outils utilisés par les producteurs (objectif du travail, signification des
indicateurs, mode de calculs, interprétation possible, etc.) et propose une organisa-
tion des séances de travail collectives ou individuelles. Ce guide est parfois complété
par des fiches de programmation et d’évaluation des activités, des fiches techniques
sur les productions et les résultats économiques des exploitations.

Contribution de l’informatique
L’informatique est utilisée par quelques dispositifs de Cef en Afrique de l’Ouest
pour traiter les données collectées par les paysans (Bénin, UPPM au Burkina Faso).
S’il est évident que la majorité des paysans ne peuvent pas manipuler l’ordinateur,
la méthode offre cependant des avantages. Certaines données peuvent être validées
à partir de tests simples. De plus, les analyses peuvent être plus approfondies car des
calculs plus complexes sont envisageables. Les données sont stockées, ce qui facilite
les comparaisons entre exploitations et les analyses historiques sur plusieurs années,
riches d’enseignements. Mais les difficultés sont aussi importantes : entretien
coûteux et difficile du matériel, sauvegarde irrégulière des données entraînant leur
perte, délais souvent plus longs que souhaités entre le recueil des fiches, la saisie des
données et la restitution des résultats aux paysans.
L’informatique est également parfois employée par les gestionnaires :
– pour effectuer plus rapidement et plus sûrement les calculs assez fastidieux dans
les approches classiques de comptabilité et de gestion de l’exploitation ;
– pour générer des références locales sur les systèmes de culture et d’élevage et les
exploitations (analyse des données de l’ensemble des exploitations des participants
avec agrégation possible par type d’exploitation ou par région) ;
– pour tester l’effet de la variabilité de certains paramètres (un prix, un rendement,
etc.) sur les résultats techniques et économiques de quelques exploitations types.
Certains programmes (Lindo, Gams, Olympe, etc.) de programmation linéaire ou
non-linéaire, permettent d’optimiser une ou plusieurs fonctions objectifs (revenu de
l’exploitation, rémunération de la journée de travail, etc.) en prenant en compte
différentes contraintes (terres, main-d’œuvre, etc.) et en intégrant différents risques
(climatique, économique, etc.). Ces programmes sont cependant d’un emploi
délicat et réservés à des personnes bien formées, et sont encore rarement utilisés
dans les dispositifs de conseil à l’exploitation.
Les résultats des calculs et des simulations ne peuvent en aucun cas servir à élaborer
directement des recommandations normatives au producteur car la réalité est
toujours plus complexe que les modèles. Ils servent à engager un dialogue avec lui,
à stimuler la réflexion, à valider des hypothèses.

Financement du Cef
La situation actuelle
À l’heure actuelle, en Afrique de l’Ouest et du Centre, une très large partie du
financement des programmes de Cef (à hauteur d’environ 80 %) est assurée par les
bailleurs de fonds internationaux ou des organisations non-gouvernementales. Il

396
Conseil aux exploitations familiales

existe quelques exceptions, lorsque des apports financiers viennent diminuer la


dépendance vis-à-vis de l’extérieur : au Burkina Faso, un dispositif est soutenu finan-
cièrement par une société cotonnière ; en Côte d’Ivoire, un conseiller payé par l’État
est mis à disposition d’un centre de conseil géré par une organisation paysanne. Dans
tous les cas, ces programmes concernent un faible nombre d’exploitations agricoles
(entre 50 et 600 exploitations par programme) à l’exception du Bénin qui en 2003
affiche 2 359 participants. Ce constat amène un certain nombre de réflexions.
La participation des bénéficiaires à la prise en charge des coûts du Cef est un élément
important et nécessaire. La contribution des producteurs et de leurs organisations est
encore limitée, elle varie de 5 à 20 % du coût total dans les expériences en cours
(Dugué et Faure, 2003). Elle garantit le réel intérêt des participants aux démarches
de Cef, elle favorise une meilleure réactivité des conseillers aux demandes des
paysans et contribue à ce que les paysans s’approprient le dispositif. Cependant, le
coût du Cef ne doit pas constituer une charge excessive pour les exploitations et la
contribution demandée doit être calculée en proportion des revenus des paysans.
Étant donné leur montant en général faible, elle ne peut représenter qu’une part
modeste des coûts totaux et d’autres acteurs sont amenés à financer de manière
substantielle. Certains représentants des producteurs estiment que leur contribution
pourrait cependant atteindre 20 à 30 % du coût du dispositif, ce qui marquerait et
justifierait la réalité d’une gouvernance paysanne (Dugué et Faure, 2003).
Le conseil comprend une part importante de formation. Il s’agit d’un investissement
que réalise une personne – l’exploitant agricole – et qui est valorisé durant toute sa
vie active. La formation représente un service public et devrait donc être prise en
charge pour une large part par la collectivité. C’est le cas de beaucoup de forma-
tions agricoles de jeunes ou d’adultes. Mais c’est aussi le cas de la vulgarisation qui
est financée intégralement par l’État, par des fonds propres ou des prêts provenant
d’organismes internationaux (Banque mondiale, notamment). De ce fait, il paraît
normal que le Cef bénéficie aussi de subventions et ne soit pas intégralement à la
charge des producteurs, des organisations paysannes ou des filières agricoles.

Coût du conseil
Aujourd’hui, le coût du conseil reste élevé car le nombre d’exploitations touchées par
un conseiller est relativement limité (de 20 à 60 selon les expériences en cours en
Afrique francophone). D’après les données fournies par les gestionnaires des dispo-
sitifs de Cef en 2002, ce coût variait entre 60 000 et 120 000 FCFA par exploitation
participante et par an (Dugué et Faure, 2003). Il peut représenter environ 50 % du
revenu moyen d’un producteur des zones où ces dispositifs interviennent.
Ce chiffre doit être cependant relativisé. En effet, dans ce calcul ne sont pas pris en
compte les bénéficiares indirects des interventions du conseil par le biais de la diffu-
sion des informations et des techniques dans le cadre des réseaux informels. Un
calcul plus réaliste des coûts intégrant les bénéficiaires directs et indirects fournirait
des comparaisons plus faciles avec les programmes de vulgarisation classique qui
comptabilisent tous les paysans d’une même zone, même s’ils ne sont pas touchés
directement par les actions du vulgarisateur. De plus, le coût par producteur peut
diminuer fortement quand le dispositif est rodé, et que des efforts sont faits pour
développer des outils simplifiés.

397
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Afin de maîtriser les coûts du conseil, un certain nombre de mesures peuvent être
prises :
– augmenter le nombre d’exploitations participantes par conseiller. Les gestion-
naires de dispositifs de conseil estiment qu’un conseiller expérimenté peut inter-
venir auprès de 40 à 150 exploitations alors qu’actuellement ce chiffre oscille entre
20 et 60. Cette orientation donne plus d’importance au conseil de groupe qu’au
conseil individuel ;
– favoriser l’émergence de paysans conseillers ou paysans animateurs pour déve-
lopper des activités particulières. Le coût journalier d’une intervention est généra-
lement modeste, car il correspond souvent à l’embauche d’un travailleur pour les
remplacer dans leur champ (1 500 à 3 000 FCFA / j) ;
– assurer des liens étroits entre les participants au conseil et les réseaux locaux de
diffusion des savoirs et des techniques. Les paysans participant au conseil sont
souvent des personnes dynamiques, leaders d’opinion, qui peuvent contribuer à
faire évoluer l’agriculture de leur zone.

Modalités de financement
La prise en charge des coûts du Cef par les producteurs est très faible, ce qui pose
le problème central du financement si les acteurs souhaitent étendre les dispositifs
en cours (Van den Ban, 2000). La répartition des charges entre les acteurs dépend
du type de conseil et du dispositif mis en place, et notamment de la place accordée
à la formation, au conseil de groupe ou au conseil individuel.
Les réflexions en cours montrent que les sources de financement peuvent être
multiples.
• La cotisation des bénéficiaires peut varier en fonction du service fourni. Dans le
cas d’un contenu de formation essentiel (alphabétisation, formation de base facili-
tant l’accès au conseil), la contribution des participants est minime. Elle peut être
plus forte quand il s’agit de traiter du conseil technico-économique à l’exploitation.
Quand on aborde le conseil individualisé (dossier de crédit, choix d’un investisse-
ment), notamment pour les grandes exploitations familiales ou les entreprises, le
bénéficiaire se doit de couvrir une large part des coûts du service.
• La contribution des organisations de producteurs est souhaitable dans la mesure
où elles valorisent les acquis obtenus par les paysans qui participent au Cef (accès à
des données sur les productions et les revenus, diffusion des résultats à un public
plus large que celui des adhérents au dispositif de conseil). Malheureusement, ces
organisations ont souvent un faible degré d’autonomie dans ce domaine, et subissent
les fluctuations des prix des produits agricoles.
• Le prélèvement sur les filières peut être prévu à partir des ventes des produits ou
des intrants (cas de la filière du coton) ou bien par la vente d’un service (cas de la
redevance pour l’eau dans les périmètres irrigués). Comme dans le cas précédent,
les gestionnaires des filières (interprofessions) peuvent ainsi bénéficier d’informa-
tions fiables mais ont aussi tout intérêt à participer à la diffusion de savoirs, d’inno-
vations et d’outils de gestion.
• Une quote-part de l’État est envisageable par l’attribution de subventions, souvent
en liaison avec des financements extérieurs, ou par la mise à disposition de personnels
fonctionnaires choisis par les producteurs au titre de la formation des ruraux.

398
Conseil aux exploitations familiales

 Besoin de faire évoluer et de diversifier


les méthodes de conseil
Le conseil à l’exploitation s’est plutôt adressé jusqu’à maintenant aux chefs d’exploi-
tation et dans des contextes de production organisée et fortement connectée au
marché. Au début de cet ouvrage, a été rappelée la complexité de l’organisation de
l’entité composée de la famille et de l’exploitation. Dans bien des cas, le décideur
n’est pas unique et ne se confond pas toujours avec le chef d’exploitation. La mise
au point de méthodes de conseil doit s’appuyer sur les travaux des sociologues, des
anthropologues et des économistes qui mettent à jour les évolutions des unités de
production et de leur organisation sociale. Par exemple, il est nécessaire de diversi-
fier les méthodes en fonction des publics cibles en particulier pour les personnes
non-alphabétisées, les jeunes, les agriculteurs ne relevant pas d’une filière de
production intégrée (cotonnier, palmier à huile) ou de systèmes de coordination
organisés (cas des périmètres irrigués), mais surtout les femmes qui développent
leurs propres activités de production et de transformation et de ce fait jouent un
rôle essentiel dans l’économie des familles.

Impacts directs et indirects du Cef


Le conseil à l’exploitation fait partie des services à l’agriculture, comme l’approvi-
sionnement en intrants, le crédit, l’appui à la commercialisation, la recherche, la
formation des producteurs, etc. Il génère des effets directs et indirects qui intéressent
un grand nombre de familles paysannes comme :
– l’amélioration des résultats des exploitations sur les plans techniques, économiques
et financiers en favorisant une meilleure allocation des moyens de production dispo-
nibles. Les impacts du conseil dépassent le cadre des seuls participants qui sont
souvent des leaders d’opinion dans leur milieu. Le Cef a donc un effet d’entraînement
dans la communauté dans laquelle il s’inscrit ;
– le renforcement des capacités de gestion du chef d’exploitation et des actifs fami-
liaux. Ils prennent conscience de leur statut d’acteur disposant d’une marge de
manœuvre pouvant construire son avenir ;
– la contribution à la formation du monde rural en prolongeant les actions d’alpha-
bétisation et de post-alphabétisation ;
– le renforcement des capacités des organisations paysannes en formant un public
de paysans jouant un rôle important dans ces organisations et plus largement dans
leur communauté ;
– la modification des relations avec les autres acteurs du milieu rural grâce à la mise
en œuvre d’un dispositif cogéré par les organisations paysannes. Cela ouvrirait un
nouvel espace aux représentants paysans pour aborder des questions plus générales
autour de la production agricole, de l’organisation des filières, des politiques agricoles.

Une politique agricole favorable aux exploitations familiales


Il importe de renforcer la place des organisations de producteurs dans le développe-
ment agricole pour mieux prendre en compte les demandes paysannes et pour stimuler

399
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

les initiatives. Cette réflexion conduit à associer les responsables paysans à la définition
et à la mise en œuvre des politiques. Elle donne des arguments pour repenser la répar-
tition des responsabilités entre l’État et les organisations professionnelles, favoriser des
transferts de compétences et de moyens dans divers domaines (approvisionnement en
intrants, commercialisation, crédit, formation, etc.) selon le pays.
Dans ce contexte, les dispositifs d’appui et de conseil aux exploitations sont amenés
à évoluer. Le conseil à l’exploitation (Cef) doit s’inscrire en complémentarité avec la
recherche-développement, la vulgarisation et la formation agricole qui elles-mêmes
visent un public plus large et divulguent des connaissances et des recommandations
pour la production et la gestion des ressources naturelles. Les synergies avec les
actions d’alphabétisation et d’éducation (post-alphabétisation) sont à renforcer.
Le Cef fournit des appuis d’une nouvelle sorte à des exploitations qui ont un potentiel
d’évolution important et qui souhaitent progresser. Il faut cependant veiller à la coor-
dination du Cef avec les autres services à l’agriculture (crédit, approvisionnement).
Plus globalement, la rénovation des différents services à l’agriculture (leur contenu,
leur mode de gouvernance…) doit s’appuyer sur des dispositifs de formation des
ruraux, et mieux prendre en compte les attentes des producteurs (encadré 25.6)
Enfin, il serait vain de vouloir développer une gamme de services à l’agriculture sans
aborder la question des politiques agricoles. Pour changer d’échelle, le conseil à l’ex-
ploitation familiale (Cef) nécessite un environnement économique et institutionnel
sécurisé et des politiques régionales et nationales véritablement favorables aux
exploitations familiales. Ainsi, ces politiques doivent inclure des mécanismes de
protection contre les importations de produits agricoles subventionnés par les pays
du Nord, des investissements en milieu rural (éducation, alphabétisation, infrastruc-
tures,…), un accès adapté au crédit, etc. La durabilité des expériences de Cef ne peut
donc s’envisager sans un minimum de stabilité et sans être associée à des soutiens
publics (nationaux ou internationaux) – légitimés par la contribution du Cef à la lutte
contre la pauvreté et à l’accroissement de la compétitivité des agricultures familiales
africaines.

Encadré 25.6. Formations en milieu rural en Afrique de l’Ouest, adaptées aux


logiques d’apprentissage des paysans
Loïc BARBEDETTE et Denis PESCHE
Aujourd’hui, les systèmes de formation modernes sont peu attentifs au choix du
moment opportun pour transférer des connaissances, ce qui peut être un facteur de
déperdition. On constate également que les demandes de connaissances en rapport avec
le domaine agricole proviennent de populations très variées, rurale et non-rurale. Ainsi,
des paysans veulent apprendre auprès de ceux qui ont accès aux connaissances, des
fonctionnaires proches de la retraite préparent leur reconversion, des jeunes reviennent
au village pour développer des activités de production, etc. La communauté sociale
d’appartenance (famille élargie ou communauté villageoise) n’a donc plus l’exclusivité
de la production de la connaissance et du contrôle de la diffusion. La vulgarisation agri-
cole, les médias, la multiplication des occasions de déplacements et de découvertes
ouvrent autant de brèches : l’apprenant peut aujourd’hui en quelque sorte « faire son
shopping », à condition d’avoir accès aux sources, – cas d’une minorité et dans des
conditions très aléatoires.

400
Conseil aux exploitations familiales

Décalage de la formation par rapport au milieu rural


Les systèmes modernes de formation sont standardisés, normatifs et fortement déter-
minés par les aspects techniques et économiques et souvent déconnectés des mécanismes
d’apprentissage en milieu paysan.
• Déconnexion économique. Les fondements économiques des formations et du conseil
sont souvent très éloignés de l’économie familiale et locale réelle. De plus, des contenus
de formation n’ont de portée que s’ils sont soutenus par une politique de développement
rural adaptée, ce qui est rarement le cas.
• Déconnexion psychologique. Les motivations de l’apprenant s’appuient sur les ressorts
psychologiques du rêve, sur sa capacité à faire des projets, ou imaginer l’avenir. Cet
aspect est généralement ignoré par les formations dispensées. De plus, le monde de la
performance technico-économique et de la compétition entre individus ne constitue pas
(encore) le rêve de la majorité des paysans africains.
• Déconnexion sociale. Des responsables paysans sénégalais évoquent les évolutions
telles qu’ils les perçoivent : « aujourd’hui, on a déconnecté les connaissances du statut
social, on ne forme plus à un rôle social mais à un métier. La connaissance n’est plus un
bien commun qui appartient à la communauté, mais un capital individuel. Il n’y a plus
d’éducation permanente dans la vie, mais une école séparée de la vie ».
• Déconnexion du monde de la production. « Les actions doivent guider la formation et
non l’inverse » évoque un responsable paysan malien. La formation est aujourd’hui le
plus souvent déconnectée des conditions réelles du paysan et de ses aspirations. Le
souhait des paysans est que la formation paysanne leur donne des moyens pour devenir
autonomes, qu’elle soit proche de leurs réalités, de leur milieu de travail et respecte les
rythmes des travaux.
Évolution de la conception des formations
Pour autant, les modes traditionnels d’apprentissage connaissent aussi des crises. La
rapidité des évolutions en milieu rural (démographie, ouverture aux marchés) rend
caduques certains contenus véhiculés par ces modes d’apprentissage. En conséquence,
les formations proposées actuellement s’intéressent à la maîtrise par les acteurs du
processus de formation, et dépassent donc les considérations purement pédagogiques ou
d’ingénierie de formation.
• Face au constat d’obsolescence au moins partielle des connaissances et des savoir-faire
paysans, comment régénérer, à partir des paysans mais aussi avec d’autres producteurs
de connaissances, un fonds de connaissances utiles au monde rural ? La mobilité des
personnes, la progression des modes de communication et d’information laisse présager
des hybridations de connaissances. L’opposition entre savoirs traditionnels et connais-
sances modernes est alors dépassée.
• Les besoins de formation sont souvent identifiés par des personnes extérieures au monde
rural qui imposent des méthodes. Des exemples montrent, au Mali et au Sénégal, que les
organisations paysannes doivent assumer cette fonction d’identification des besoins.
• Quelles sont les connaissances disponibles pour la société rurale africaine, au service
de quel projet ? Le contenu et les modalités des interventions de formation doivent être
formulés à partir d’un consensus sur les politiques d’appui au monde rural. Cette inter-
rogation fondamentale est malheureusement souvent sans réponse, et les projets mis en
œuvre dans les pays en développement reposent sur un « prêt-à-porter conceptuel » (lutte
contre la pauvreté, compétitivité...) sans aucune vision préalable de l’avenir des zones
rurales, claire et partagée par les populations.
• Quelles sont les connaissances utiles pour le paysan aujourd’hui ? Des connaissances
techniques pour relever les défis de la compétitivité et de l’augmentation de la producti-
vité, des prescriptions comme dans les formations classiques, ou des éléments de choix ?

401
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Ces pistes, évoquées par des responsables paysans et des formateurs africains, condui-
sent à se pencher avec un regard nouveau sur deux chantiers importants dans les pays en
développement :
– la formation professionnelle agricole et rurale, qui semble de nouveau faire partie des
préoccupations internationales après de nombreuses années sans appui conséquent. Le
capital humain est un facteur-clé du développement et les stratégies élitistes fondées sur
des formations supérieures ont fait long feu. Comment apporter aux futures générations
d’agriculteurs et de ruraux les contenus et savoir-faire nécessaires à leurs futures acti-
vités ? De nombreuses expériences existent, elles révèlent des méthodes, des contenus,
des approches et des processus à privilégier. Sans vouloir dupliquer ces expériences,
comment en tirer parti pour fonder des dispositifs de formation professionnelle adaptés
aux modes d’apprentissages paysans et quels sont les moyens financiers nécessaires pour
former une masse critique d’agriculteurs et de ruraux ? ;
– l’appui-conseil au monde rural. Les systèmes nationaux de vulgarisation agricole ont
subi de nombreuses réformes et ont, dans certains pays, pratiquement disparu. Les ques-
tions qui se posent pour mettre en place de nouveaux dispositifs portent avant tout sur
la maîtrise et la gouvernance, la stabilité financière et sociale et la pertinence de leurs
fonctions. La question de la vision d’avenir du monde rural est souvent éludée au profit
des slogans habituels. Recréer une fonction de service technique et de conseil avec des
logiques paysannes est un enjeu important. Dans cette construction collective, il faut
aussi veiller à coordonner l’appui et le conseil aux producteurs (vulgarisation, conseil
global à l’exploitation) avec des formes renouvelées de formation des ruraux afin de
développer des synergies entre ces activités complémentaires.
(Source : Pesche et Barbedette, 2002)

402
Pour approfondir le sujet
Chapitre 26
Apprendre pour changer :
exemple de la culture du riz pluvial
dans les bas-fonds
Toon DEFOER et Marco C.S. WOPEREIS

Dans des environnements complexes, les paysans ont besoin pour progresser de
technologies qui donnent des résultats techniquement fiables et économiquement
rentables pour une large gamme de pratiques de gestion. L’introduction de
nouvelles technologies dans les systèmes de culture a souvent eu un impact limité
quand un seul aspect de l’itinéraire technique était pris en compte (Röling, 1996).
On a obtenu de meilleurs résultats quand les chercheurs et les agents de vulgarisa-
tion ont travaillé à l’intégration d’une nouvelle technologie dans les systèmes de
production en interaction avec les autres facteurs de production et les pratiques de
gestion. Pour aboutir à ce type de résultat, les paysans devraient être plus associés
à l’évaluation des différentes options dès le début du processus de conception des
technologies et systèmes innovants, afin d’adapter progressivement les innovations
à leur environnement.
Du fait de la diversité et de l’évolution permanente des systèmes de production, la
recherche n’est pas en mesure de fournir des réponses techniques spécifiques à
chaque situation agricole ; dans ces conditions, l’approche classique du transfert de
technologies trouve ses limites. Par conséquent, il est préférable de privilégier des
démarches visant à renforcer les capacités des agriculteurs à s’adapter, à faire face
aux aléas et à gérer leurs ressources. Ce type de démarche, fondé sur l’apprentissage
par « l’essai et l’erreur » doit engager en premier lieu les agriculteurs ainsi que les
principaux acteurs de la recherche et du développement.
Nous faisons l’hypothèse qu’une approche ascendante (bottom up) d’apprentissage
social et par l’action est nécessaire pour stimuler le changement de technique.
L’approche de l’« apprentissage participatif et recherche-action » (Apra) que nous
présentons est une démarche d’accompagnement du changement qui offre aux

403
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

paysans l’opportunité d’expérimenter, de découvrir et d’apprendre. Développée


initialement pour la gestion intégrée de la fertilité des sols au Mali et au Kenya
(Defoer et Budelman, 2000), cette démarche a été adaptée à la gestion de la rizi-
culture de bas-fond.
Dans le but d’améliorer la productivité du riz dans les bas-fonds pluviaux
d’Afrique subsaharienne, nous avons mis au point une méthode d’apprentissage
par l’action pour la gestion intégrée de la riziculture (Gir) adaptée à des produc-
teurs peu ou pas alphabétisés. L’observation des processus d’apprentissage nous a
permis d’évaluer les effets et les résultats de cette approche sous différents angles :
la productivité de la terre et du travail, les changements techniques, notamment
ceux promus par les producteurs, l’amélioration du niveau de connaissance des
paysans.
Ce chapitre se propose d’identifier des pistes pour améliorer et diffuser cette
démarche de recherche-action et d’apprentissage à plus grande échelle.

 Conditions de production du riz de bas-fond


dans deux villages
Deux villages sont concernés par notre approche : Bamoro et Lokakpli dans la
vallée du Bandama, située dans le centre de la Côte d’Ivoire, entre Bouaké et
Katiola. Ces deux villages proches diffèrent par leurs caractéristiques sociales et
leurs modes de gestion de l’eau dans les bas-fonds. Tous les paysans qui cultivent le
bas-fond de Bamoro sont originaires de ce village et ont de fortes affinités fondées
sur les relations familiales. Par contre, les paysans cultivant le site de Lokakpli vien-
nent de différents villages et la cohésion sociale de cette communauté de rizicul-
teurs est plus faible.
À Bamoro, l’eau vient d’un cours d’eau central avec quelques canaux de dérivation
qui inondent les champs et qui servent aussi à drainer l’excédent d’eau. Il n’y a pas
d’infrastructure d’irrigation, des diguettes en terre parcourent les parcelles et
ralentissent le flux hydrique dans le bas-fond. La principale contrainte est l’excès
d’eau après les fortes précipitations au début de saison des pluies en l’absence d’un
système de drainage efficace. Les paysans ne peuvent cultiver du riz que pendant
la saison humide. Une majorité prépare la terre manuellement, les autres ne labou-
rent pas avant le repiquage, mais coupent simplement les herbes qui se décompo-
sent au sol. Les paysans n’utilisent pas d’engrais et désherbent et récoltent
manuellement.
À Lokakpli, des infrastructures d’irrigation et de drainage ont été construites et
financées dans le cadre d’un projet de coopération avec le Japon en 1998. Un
barrage et deux canaux latéraux permettent une irrigation par gravité, l’eau est
drainée par un canal central. Tous les champs individuels sont entourés de diguettes
et le risque d’inondation est infime. Les agriculteurs peuvent cultiver deux cycles de
riz par an, utilisent des engrais minéraux et une majorité d’entre eux a recours aux
herbicides.

404
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds

 Apprentissage participatif et recherche-action


en Côte d’Ivoire
Cette approche de l’éducation paysanne est fondée sur l’apprentissage par l’action
et l’interaction sociale. Les animateurs ou agents de changement sont des person-
nels des services de recherche, de la vulgarisation, des ONG ; ils interviennent dans
des sessions où les groupes de paysans se rencontrent régulièrement.

Les principes
En Côte d’Ivoire, une équipe comprenant du personnel de l’Adrao et de l’Agence
nationale de vulgarisation Anader a été formée à cette approche ; elle a collaboré
avec deux groupes d’environ 30 paysans volontaires de Bamoro et de Lokakpli. Les
sessions se sont déroulées sur des parcelles de riz et dans un lieu choisi par les
paysans dans leur village, qui accueille en général le début et la fin de chaque
session. Entre mai et novembre 2001, les paysans et les facilitateurs se sont rencon-
trés chaque semaine dans chacun des villages. Lors des sessions, la discussion sur les
différences entre les pratiques paysannes de riziculture est encouragée et les
paysans sont invités à découvrir, observer, comprendre et innover. Les facilitateurs
apportent également de nouvelles informations et des idées fondées sur la connais-
sance et la compréhension scientifiques. Les outils d’apprentissage utilisés sont en
fait des applications de la théorie et des connaissances scientifiques traduites dans
des formes accessibles aux paysans ; cette traduction est appelée praxéologie (Nas
et al.,1987). Plusieurs outils d’apprentissage ont été construits à partir des principes
du diagnostic participatif en milieu rural (Chambers, 1997), de l’analyse des agro-
écosystèmes (Conway, 1987), et de l’évaluation rapide des systèmes de connais-
sances agricoles (Engel et Salomon, 1997). Pendant toute la saison culturale, les
paysans ont été encouragés à mettre en pratique les nouvelles idées issues des
sessions d’animation, sur une portion de leurs champs (la parcelle d’observation
Gir) et les comparer ensuite à leurs pratiques habituelles dans le même champ. Des
formulaires ont été élaborés pour que les paysans puissent enregistrer leurs obser-
vations, le calendrier des travaux et la nature des nouvelles pratiques testées dans
leur parcelle. Durant toute la saison culturale, l’équipe d’animation et les paysans
ont visité les parcelles tests lors de sessions collectives.

Évaluation des effets de cette nouvelle approche


Nous supposons que l’approche proposée améliore les connaissances, la motivation
et la capacité d’intervention des paysans. Nous faisons l’hypothèse que de ce fait les
paysans s’intéressent plus à la riziculture de bas-fond et qu’ainsi émergent des
processus d’innovation et une amélioration de productivité de la terre et du travail
dans ces situations (figure 26.1).
Nous avons évalué les effets de cette approche grâce à une enquête impliquant
20 agriculteurs participants au projet Apra-Gir et 20 agriculteurs non-participants
qui constituent le groupe témoin opérant dans des conditions semblables dans
des villages voisins. Les interviews individuelles ont porté sur trois niveaux de

405
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Connaissances • Améliorer les connaissances, • Changement


et pratiques paysannes la motivation de comportement
et les compétences • Actions pour la gestion
des paysans intégrée
• Susciter l’intérêt et approfondir de la riziculture (Gir)
les objectifs des paysans
Facilitation des échanges et les stratégies
par apprentissage participatif
et recherche-action (Apra)

Amélioration
de la productivité
Connaissances et et de l’efficacité
principes scientifiques de l’utilisation
Options technologiques des ressources

Figure 26.1. Cadre théorique de l’approche Apra-Gir (Apprentissage participatif et recherche-action


pour la gestion de la riziculture irriguée).

connaissance : la connaissance reproductive, factorielle et transformative (Merriam


et Caffarella, 1999)1.
Nous avons réalisé une deuxième enquête pour examiner quelles innovations les
paysans avaient appliquées dans leur parcelle test dans les deux villages. À la
récolte, les rendements des parcelles tests et des parcelles témoins ont été évalués
et comparés.

Mise en œuvre de la démarche


Modules d’apprentissage
Des modules ont été développés avec les paysans au cours du cycle du riz, de la
préparation du sol jusqu’aux activités postrécolte (encadré 26.1) (Defoer et al.,
2004). Chaque module suit un format inspiré de l’approche Farmers Fields School
promue par la FAO et se rapporte à un élément particulier des pratiques culturales
paysannes (repiquage, sarclage, etc.). À chaque module d’apprentissage correspond
une ou plusieurs références techniques, regroupées dans un manuel technique
(Wopereis et al., 2004).

1. La connaissance reproductive implique que l’apprenant est capable de mémoriser l’information


générée dans le processus d’apprentissage participatif et de recherche-action (Apra). Pour évaluer cette
connaissance des questions « vrai ou faux » sont utilisées.
La connaissance factorielle permet à l’apprenant de lister les raisons des faits connus. Pour évaluer cette
connaissance des questions ouvertes suivent les questions « vrai ou faux », afin de mentionner autant de
raisons que possible aux réponses fournies.
La connaissance transformationnelle signifie enfin que l’apprenant a intériorisé ce qui a été appris et est
capable d’innover lui-même, à partir des principes et des concepts abordés lors des sessions d’apprentis-
sage participatif et de recherche-action (Apra). Pour examiner la connaissance transformationnelle, des
situations hypothétiques mais réalistes ont été présentées aux paysans et nous leur avons demandé ce
qu’ils feraient dans une telle situation (Loevinsohn et al., 1998).

406
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds

Encadré 26.1. Les modules de l’approche Apra-Gir (Apprentissage participatif


et recherche-action pour la gestion de la riziculture irriguée)
Introduction Apra-Gir
Commencer le curriculum Apra-Gir (M1)
Identifier le site
Avant la campagne
Planifier les bonnes pratiques culturales (M6)
Utiliser de bonnes variétés de riz et de bonnes semences (M5)
Entretenir l’aménagement pour mieux gérer l’eau du bas-fond (M4)
Parcourir le bas-fond et le bassin versant (M3)
Faire une carte du bas-fond et du bassin versant (M2)
En cours de campagne
Gérer les expérimentations, faire des observations et des enregistrements : phase de
maturité (M24)
Faire des observations de terrain : la phase reproductive (M23)
Gérer de façon intégrée les insectes du riz : le cas des foreurs de tiges (M22)
Gérer les insectes du riz de façon intégrée : le cas de la Cécidomyie (M21)
Les insectes de la culture de riz (M20)
Gérer les expérimentations, faire des observations et des enregistrements en phase
végétative (M19)
Faire des observations de terrain : la phase végétative (M18)
Utiliser de façon efficace les herbicides en riziculture de bas-fonds (M17)
Gérer de façon intégrée les mauvaises herbes (M16)
Connaître les mauvaises herbes (M15)
Faire des observations de terrain : le repiquage et le début de la phase végétative (M14)
Évaluer les connaissances et apprécier l’application des pratiques Gir (M13)
Faire un bon repiquage et installer les expérimentations (M12)
Faire des observations sur le terrain : la préparation de la parcelle et l’installation de la
pépinière (M11)
Pour un sol en bonne santé (M10)
Bien planifier et gérer le temps (M9)
Établir une pépinière (M8)
Bien préparer la parcelle de riz (M7)
Après la campagne
Évaluer le curriculum Apra-Gir (M27)
Faire le bilan de la campagne (M26)
Faire la récolte et post-récolte (M25)
Fin Apra-Gir
Clôturer le curriculum Apra-Gir (M28)

Outils d’apprentissage
Plusieurs outils d’apprentissage ont été élaborés : des cartes de ressources, des
calendriers, des photos et diagrammes pour visualiser des phénomènes. Ce
processus rend plus explicites et visibles des éléments du système ou des interac-
tions entre éléments jusque-là inconnus des paysans. Les outils d’apprentissage sont
destinés aussi à améliorer les observations et les faire découvrir. Parmi les outils
proposés, un des plus importants est le calendrier cultural.
Le calendrier cultural présente une vision d’ensemble de tous les stades de développe-
ment de la plante, et aide à mieux planifier les opérations culturales (figure 26.2). Les

407
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Options d'amélioration de gestion

Pratiques
de gestion
0 S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S11 S12 S13 S14 S15 S16 S17 S18 S19 S20 S21

Semaine 1 à 21

Phase végétative Phase reproductive Phase de maturité


(développement horizontal) (développement vertical)

Construction du magasin Remplissage du magasin

Figure 26.2. Calendrier cultural du riz élaboré par les paysans.

paysans élaborent eux-mêmes ce calendrier. Des figurines, (préparées sur des petites
cartes), sont fixées sur un tissu sous une ligne de temps divisée en semaines : on
commence par placer la carte « la graine » sous le « 0 » de la ligne de temps, puis « la
plante mûre » à l’endroit correspondant à la fin du cycle de culture. Ensuite, les
paysans listent les stades importants du développement de la plante, floraison, stade
plantule (4 feuilles), début du tallage et tallage maximal, et placent chaque carte à
l’emplacement correspondant sur la ligne de temps. Généralement, les paysans ne
savent pas reconnaître le stade de l’initiation paniculaire, ils apprennent donc à décou-
vrir et à observer les nœuds, les entrenœuds et l’ébauche de panicule en coupant dans
le sens de la longueur la tige de quelques plants de riz. Après avoir placé les cartes
correspondant aux stades principaux de développement, les trois phases majeures du
développement de la plante sont identifiées : végétative, reproductive et maturation.
Ces phases sont comparées à la construction d’un bâtiment, dont on construit d’abord
les fondations (développement horizontal ou phase végétative du riz), ensuite les murs
et le toit (développement vertical ou phase reproductive du riz). Quand le bâtiment
(par exemple un magasin de stockage) est construit, il peut être rempli (phase de matu-
ration ou de remplissage des grains). Après la détermination des phases de développe-
ment de la plante, les paysans visualisent les pratiques culturales (semis dans la
pépinière, repiquage, désherbage, application d’engrais, récolte) à l’aide de picto-
grammes placés au-dessus de la ligne de temps. Ensuite, ils discutent pour savoir si leur
calendrier cultural contribue effectivement à la construction d’un grand magasin solide
ou s’ils peuvent l’améliorer. Les options d’amélioration de la gestion du temps et des
pratiques sont alors disposées au-dessus de la ligne des pratiques actuelles (figure
26.2). Enfin, les paysans précisent les conditions nécessaires pour mettre en œuvre ces
nouvelles options ainsi que les actions collectives à entreprendre.
La réalisation de ce calendrier permet aux paysans de mieux percevoir les relations
entre les stades de développement de la plante et les effets des opérations culturales
et de gestion de la rizière dans son ensemble. La comparaison entre les villages de
Bamoro et de Lokakpli montre que la réalisation de ce calendrier peut donner des
résultats assez différents en termes d’options d’amélioration de la conduite de la
culture et de gestion du bas-fond (encadré 26.2).

408
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds

Encadré 26.2. Le calendrier cultural comme outil d’apprentissage


À travers l’élaboration du calendrier cultural, les paysans de Lokakpli ont appris que
l’efficacité de l’application d’azote est déterminée par la capacité de la plante à absorber
des éléments nutritifs, elle-même étroitement liée à son stade de développement. Les
paysans ont découvert que, pour l’application d’azote, il vaut mieux attendre une
semaine après le repiquage quand les racines ont repris après le choc de transplantation.
C’est au tallage et à l’initiation paniculaire que les plantes ont besoin d’azote. Le calen-
drier cultural a permis aux paysans de « visualiser » la période optimale d’application de
cet élément et de planifier cet apport en conséquence.
À Bamoro, la mise à jour du calendrier cultural a déclenché une action collective pour
une gestion améliorée de l’eau. D’habitude les paysans repiquent le riz tardivement
(jusqu’à huit semaines après semis de la pépinière) parce qu’ils ont besoin de repiquer
de longs plants à cause du risque d’inondation. Les paysans ont appris que le tallage
prend fin environ neuf semaines après le semis et ont découvert que quand ils repiquent
tard, la capacité de tallage de la plante est presque entièrement perdue. Ils ont pris cons-
cience que la seule solution est d’améliorer la gestion de l’eau, donc de curer le canal de
drainage de façon à limiter les périodes d’excès d’eau. Ils étaient tous convaincus qu’une
action commune était nécessaire pour que cet investissement soit efficace. Creuser le
canal leur a demandé quatre jours de travail collectif. À la suite de cette action collec-
tive, les paysans gèrent mieux l’eau et peuvent repiquer des plants de 2 à 3 semaines avec
moins de risque d’inondation. Cette action a incité les agriculteurs à innover dans
d’autres domaines. Ils ont également appris et découvert les bénéfices du contrôle de
l’eau et du nivelage des champs pour lutter contre les ennemis du riz (adventices en
particulier). En conséquence, ils se sont organisés pour faire appel à un prestataire de
service pour labourer au tracteur l’ensemble du bas-fond cultivé. Auparavant, cette
opération se faisait individuellement donc manuellement puisque les prestataires ne
voulaient pas travailler pour un paysan et sur des petites surfaces.

Parcelles tests
Les paysans sont encouragés à mettre en application toutes les idées nouvelles
issues des sessions d’animation dans une partie de leurs champs dénommée
« parcelle test » car il est souvent plus facile d’innover à petite échelle. Chaque
paysan du groupe prépare son propre programme de test d’innovations.
Les observations au champ sont essentielles dans l’approche proposée et sont direc-
tement liées aux parcelles tests. Les paysans apprennent ensemble à faire des obser-
vations sur le terrain et en comprennent l’utilité pour interpréter les phénomènes
observés. L’art de l’observation est acquis grâce à la pratique sur la parcelle en petits
groupes de 4 à 6 paysans. Collectivement et avant d’aller au champ, les paysans s’en-
tendent sur l’objet (phénomène, maladie, etc.) qu’ils vont observer et identifient des
indicateurs d’observation. Tout au long du cycle du riz, les paysans font ainsi des
observations sur l’état de la parcelle (sol, eau), les stades de développement de la
plante, l’enherbement, les ennemis de la culture et la qualité de la récolte. Chaque
groupe désigne un animateur et un rapporteur et les constatations et les décou-
vertes sont discutées durant des sessions plénières au retour du champ.
En focalisant ses observations sur la parcelle test, le paysan peut comparer les effets
des innovations aux pratiques conventionnelles. Afin d’évaluer les performances
obtenues, le paysan note les pratiques clés de gestion de la culture de riz sur la

409
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

parcelle test à l’aide de pictogrammes représentant la plupart des indicateurs


d’observation. Lorsqu’un paysan n’est pas satisfait du résultat obtenu, il essaye de
trouver les facteurs explicatifs et, si possible, de proposer des adaptations des inno-
vations ou d’amélioration de la gestion de la culture.
Les paysans tirent des leçons de ces expériences et évaluent la faisabilité et les
ressources à mobiliser pour étendre les nouvelles pratiques ou les adapter pour
qu’elles conviennent mieux aux conditions locales. En outre, puisque les observa-
tions sont faites en groupe, suivies de discussions en sessions plénières, les paysans
peuvent découvrir les points faibles et les points forts des innovations des uns et des
autres. Cette démarche incite à adopter d’autres innovations ou à revoir celles qui
ont été testées. Ainsi, un cycle de créativité est instauré, menant à diverses options
pour une gestion améliorée qui peut aller largement au-delà des propositions
initiales1.

 Résultats de la démarche adoptée

Rendements en riz
Les rendements des parcelles témoins variaient entre 2 et presque 8 tonnes par
hectare. L’application des nouvelles pratiques sur les parcelles tests (Gir) a augmenté
significativement (p = 0,03) les rendements avec un gain moyen de 0,6 tonne par
hectare par rapport aux parcelles témoins (Warda, 2002).

Innovations techniques
À Lokakpli, les paysans ont testé en moyenne cinq innovations, axées surtout sur la
gestion du temps pour l’application d’urée. Au lieu d’un seul épandage souvent
après repiquage, les paysans ont appliqué l’urée en deux fois dans les parcelles tests :
2 semaines après le repiquage (pour stimuler le tallage) et environ 6 semaines plus
tard (à l’initiation paniculaire). Une autre innovation importante porte sur la gestion
de l’eau comprenant le maintien d’une couche d’eau de 2 à 3 cm en alternance avec
de courtes périodes de drainage durant l’application de l’engrais. En outre, la
programmation de la récolte a été améliorée afin d’augmenter la qualité du grain et
sa quantité en réduisant les pertes.
À Bamoro, les paysans ont testé en moyenne trois innovations. Les plus importantes
sont : le repiquage précoce, environ 2 à 3 semaines après le semis ; l’amélioration de

1. L’approche Apra appartient à la même famille de méthodes d’intervention en milieu rural que
l’approche du champ-école (Farmer Field Schools, FFS ), fondée également sur un processus d’appren-
tissage par l’action. Les deux méthodes se ressemblent donc. Cependant, une des principales différences
réside dans l’introduction des améliorations potentielles. Dans l’approche FFS, une attention particu-
lière est donnée à la parcelle de démonstration, gérée par l’ensemble du groupe dans le but de démon-
trer la supériorité d’une ou plusieurs techniques nouvelles. Dans l’approche Apra, les améliorations
potentielles ne sont pas préconçues, mais ressortent de l’interaction entre les paysans et l’équipe d’appui
Apra lors des sessions.

410
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds

la gestion de la pépinière par le choix d’une zone plus humide et la surélévation de


la planche de semis ; l’emploi de semences prégermées qui a permis de réduire la
quantité de semences nécessaire.

Acquisition de connaissances et comportements des paysans


Il n’y a pas beaucoup de différence entre les paysans participant à cette démarche
et le groupe témoin en termes de connaissance reproductive.
Cependant, en ce qui concerne la connaissance factorielle, les différences sont plus
prononcées. Par exemple, quand il s’agit du « pourquoi » de l’importance du repi-
quage précoce, tous les paysans participants (Apra) savent donner au moins une
raison et la moitié de ces paysans donnait 2 ou 3 réponses. En revanche, la moitié
des paysans du groupe témoin ne savait pas donner de raison valable. Ces résultats
semblent indiquer que les paysans qui ont participé au test ont une meilleure
connaissance des facteurs sous-jacents.
L’enquête a également cherché à fournir des indications de connaissance transfor-
mationnelle en demandant aux paysans comment ils réagiraient dans une situation
donnée. L’hypothèse est la suivante : les paysans participants à l’Apra utiliseront
leurs nouvelles connaissances ou compétences et agiront différemment du groupe
témoin. Confrontés à des dégâts sur le riz, la moitié des paysans du groupe témoin
a dit qu’il utiliserait des insecticides, sans analyse préalable de la cause du problème,
alors que 70 % des paysans participants à l’Apra rechercheraient d’abord la cause
avant de prendre des mesures, de plus ils demanderaient conseil auprès de leurs
collègues. Les paysans du groupe témoin semblent avoir plus tendance à invoquer
un appui extérieur (celui des vulgarisateurs) pour résoudre leurs problèmes. Ces
résultats indiquent que les paysans participants à l’Apra-Gir intériorisent bien les
connaissances acquises lors du processus d’apprentissage et d’expérimentation,
cherchent d’abord à analyser le problème rencontré avant d’agir et enfin sont plus
enclins à trouver des réponses collectivement.

 Perspectives pour une diffusion de la démarche

Étendre l’expérimentation
Cette démarche est en phase de mise au point et n’est pas encore prête à être
diffusée à grande échelle. Cependant, les résultats prometteurs obtenus à
Bamoro et Lokakpli et l’enthousiasme des paysans associés nous ont encouragés
à étendre l’expérimentation de cette méthode à d’autres sites en Côte d’Ivoire,
au Bénin, en Gambie, au Ghana, en Guinée, au Mali, au Nigeria et au Togo. En
2003, 23 sites étaient opérationnels. Les équipes (chercheurs, vulgarisateurs et
ONG) ont reçu une formation théorique et pratique pour tester cette approche.
Pour les saisons 2002-2003, 120 facilitateurs ont été formés (60 % venant des
services nationaux de vulgarisation, 25 % de personnels de recherche et 15 % de
personnels d’ONG).

411
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

L’objectif était alors de poursuivre l’expérimentation de cette approche et de déve-


lopper les outils d’apprentissage en prenant en compte les spécificités sociales et
écologiques des différents sites. Si nécessaire, de nouveaux modules d’apprentissage
seront développés, par exemple pour traiter des aspects d’organisation sociale et de
gestion de conflits. De plus l’approche Apra pourra traiter de la diversification des
cultures (autres que le riz) dans les bas-fonds, donc cette démarche devra inclure les
questions relatives à la gestion intégrée des ressources naturelles, au sens large, car
ce type d’agrosystème a aussi d’autres fonctions telles que le stockage et ou le drai-
nage de l’eau et le maintien de la biodiversité.

Paysans facilitateurs
Les paysans qui ont expérimenté cette méthode peuvent être associés à sa diffusion
grâce à l’apprentissage de paysan à paysan. En Côte d’Ivoire quatre paysans volon-
taires ont été formés comme facilitateurs et peuvent intervenir sur le terrain ou lors
d’ateliers auprès de nouveaux groupes de volontaires, au même titre que les cher-
cheurs et les agents de développement. Quatre villages de la région Centre de la
Côte d’Ivoire ont fait des demandes de formation et les paysans facilitateurs (ou
animateurs) ont animé des sessions dans ces villages. Ils sont assistés par des facili-
tateurs professionnels pour préparer les sessions, ou pour donner des explications
adéquates. En échange du temps consacré à l’activité de formation, les paysans faci-
litateurs doivent recevoir une indemnité. Un système de paiement a été testé en
Côte d’Ivoire avec la collaboration financière de l’Adrao et de l’Anader. Les
paysans achètent des coupons d’apprentissage (2 000 FCFA soit environ 3 € par
session), après la formation, ils paient avec un coupon le paysan facilitateur qui
pourra l’échanger contre du numéraire à l’Adrao-Anader. Les 20 premières sessions
sont subventionnées par l’Adrao, les sessions additionnelles sont payées à plein tarif
par les groupes de producteurs.

Nouvelles questions pour la recherche


L’approche Apra vise au renforcement des capacités des agriculteurs et donc au
développement du capital humain et du capital social.
Le travail de recherche (notamment de l’Adrao dans l’expérience citée) poursuit un
double objectif, d’une part mettre au point une méthode d’accompagnement des
agriculteurs efficace et transmissible à des collectifs (chercheurs, vulgarisateurs,
paysans facilitateurs) qui seront chargés de la mise en œuvre et, d’autre part,
comprendre les facteurs permettant d’augmenter les capacités des agriculteurs. Les
interactions entre paysans et facilitateurs sont primordiales, on constate qu’elles sont
souvent à l’origine des processus d’innovation car chacun apporte des idées nouvelles.
La position des facilitateurs doit être éclaircie. Est-ce que les technologies propo-
sées doivent être parfaitement au point, de manière que les paysans puissent imiter
et adopter les innovations ou bien est-ce que les outils d’apprentissage doivent
plutôt générer de nouvelles informations ou une nouvelle forme de technologie que
les paysans développent et affinent en fonction de leurs conditions de travail et de
milieu ? En d’autres mots, quels types d’input (connaissances, technologies

412
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds

nouvelles, systèmes complets innovants) – et sous quelle forme – les institutions de


recherche doivent-elles élaborer en amont et proposer à leurs partenaires ?
Comment traduire de la meilleure façon possible les connaissances scientifiques, et
donc quel doit être le type et la nature des outils d’apprentissage ? Comment
combiner au mieux l’apport de nouvelles connaissances venant de l’extérieur et les
savoirs paysans existants ou acquis lors de l’apprentissage expérimenté ? Ces ques-
tions de recherche se rapportent à la praxéologie et aux sciences cognitives,
auxquelles fait très rarement appel la recherche agronomique.

Innovation et relations sociales


Cette expérimentation a montré que les processus d’apprentissage ne sont pas
seulement individuels mais renvoient à des interactions sociales et à l’action collec-
tive. Ainsi, la recherche doit s’intéresser à l’influence des réseaux socioprofession-
nels de producteurs sur les processus d’apprentissage, de genèse de connaissances,
de diffusion d’informations et plus concrètement de mise en œuvre des actions.
Comment la communication et la réflexion en groupe peut-elle motiver les paysans
à apprendre et à mettre en œuvre de nouvelles pratiques ? Comment les paysans
élaborent-ils une idée, un savoir à partir des résultats d’expériences échangées avec
leurs pairs ? Quelles conditions réunir pour que les paysans entreprennent des
actions concertées ? Dans ces processus d’apprentissage, quelle est l’influence de
l’éducation de base, de la position sociale et politique de certains producteurs, de
l’origine ethnique des paysans, du genre, des règles et des obligations présentes
dans les sociétés rurales ?

Formation des facilitateurs, vers un dispositif régional


Les facilitateurs jouant un rôle crucial dans la méthode Apra, quelles sont donc les
compétences nécessaires pour faciliter l’apprentissage et la recherche-action au sein
des communautés rurales ?
Aujourd’hui en Afrique subsaharienne, les agents de vulgarisation ont encore une
expérience limitée de l’animation et de l’apprentissage en groupe. Bien qu’un bon
nombre de jeunes cadres des services de recherche et vulgarisation aient suivi des
formations en approche participative, force est de constater que la pratique se limite
souvent à l’application de quelques recettes et d’outils normatifs. Le renforcement
des capacités des producteurs par des processus d’apprentissage social n’est pas une
tâche facile dans laquelle les agents de recherche et développement peuvent se
lancer après une formation de courte durée. Acquérir des compétences dans ce
domaine nécessite des formations sur place, qui alternent théorie et pratique et sont
suivies par une auto-évaluation. Les cadres supérieurs des services de recherche et
de vulgarisation doivent faire partie des équipes de formation en place pour être
familiarisés à cette méthode et en découvrir les atouts. Les agents facilitateurs ne
doivent plus être évalués en fonction du nombre d’actions menées – comme c’est le
cas dans les programmes de vulgarisation – mais en fonction des résultats obtenus
dans les changements de comportement, de niveau technique et de pratiques chez les
paysans partenaires. Les services d’éducation maîtrisant les outils pédagogiques

413
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

doivent aussi contribuer aux formations en place des membres des équipes Apra. Ils
doivent être en mesure de faire évoluer les outils d’apprentissage ainsi que les cursus
de formation initiale des futurs chercheurs et des agents de développement.
Du fait de sa flexibilité et des possibilités d’adaptation aux différentes situations, la
méthode Apra peut devenir une démarche d’appui aux processus d’innovation dans
toutes les zones de riziculture de bas-fonds et s’ouvrir à d’autres systèmes de produc-
tion. La diversité des systèmes de production détermine la densité minimale de
centres (ou d’équipes) Apra à prévoir à l’échelle d’une région ou d’un pays. Pour cette
raison, il est conseillé de progresser étape par étape et de bien raisonner l’implanta-
tion et le nombre de centres Apra qu’une institution peut coordonner correctement.
Par ailleurs, les promoteurs de la démarche doivent être attentifs à l’auto-évaluation
et à l’analyse d’impact afin de garantir que l’approche Apra s’adapte et continue de
s’adapter aux conditions spécifiques du milieu et aux dynamiques locales.

Rôle des producteurs et de leurs organisations


Un des résultats de la démarche mise en œuvre pour plusieurs types de systèmes de
production rizicoles est l’émergence d’un réseau d’associations de producteurs. Ce
réseau peut aboutir à la constitution d’une plate-forme de concertation pour les
acteurs de la filière du riz sur le plan régional et national. Les réseaux de paysans et
les plates-formes de concertation sont des instruments fondamentaux pour renforcer
la confiance entre les acteurs et contribuer à la création de partenariats et de
systèmes de gestion décentralisés efficaces et flexibles (intrants, semences, etc.).
Après la phase de lancement, les réseaux paysans et les plates-formes d’acteurs
peuvent prendre une place centrale dans le pilotage des formations et la mise en
application de l’approche Apra.

 Conclusion
Pour accompagner les processus d’innovation dans la riziculture pluviale de bas-
fonds, une équipe composée d’agents de la recherche et de la vulgarisation a mis au
point une approche participative d’apprentissage et de recherche-action (Apra).
Les paysans associés mettent à l’épreuve sur une partie de leur champ les nouvelles
idées ou façons de faire qui surgissent durant les sessions d’observation, de
diagnostic et de formation. Ainsi est créé un cycle de créativité, menant à des
options d’amélioration qui vont parfois au-delà des innovations initialement propo-
sées ou identifiées. L’apprentissage social stimule l’innovation et la découverte par
soi-même, aboutissant à des améliorations sur le plan des connaissances, des
pratiques de gestion et des rendements de la culture.
Cette approche est particulièrement réussie si l’on traite d’abord d’un problème
spécifique pour commencer (par exemple la conduite du riz de bas-fond) afin que
les producteurs comprennent l’ensemble de la méthode. Il est alors par la suite
possible d’aborder d’autres systèmes de culture associés (maraîchage) ou plus
globalement la gestion intégrée des ressources naturelles dans le bas-fond ou à
l’échelle du bassin versant.

414
Apprendre pour changer : exemple de la culture du riz pluvial dans les bas-fonds

Cette approche n’est pas diffusable à grande échelle, car la démarche d’accompa-
gnement est encore dans la phase de mise au point. En effet, les capacités des agents
de vulgarisation dans le domaine de la formation des adultes, de l’apprentissage par
l’action et de la facilitation sociale, nécessitent d’être renforcées. Un autre point clé
pour une diffusion de l’approche Apra est d’envisager la formation de paysan à
paysan, et de créer des réseaux de producteurs qui devraient assurer la promotion
et l’adoption de cette méthode par un public plus large.

415
Pour approfondir le sujet
Chapitre 27
Expérience de conseil à l’exploitation
familiale dans l’Ouest du Burkina Faso
Alain BONNASSIEUX et Bienvenu ZONOU

Des formes nouvelles de conseil de gestion à l’exploitation familiale recouvrant une


diversité d’approches sont mises en œuvre depuis le début des années 90 dans
plusieurs pays d’Afrique subsaharienne (Dugué et Faure, 2003).
Certaines mettent l’accent sur une approche globale de l’exploitation familiale en
abordant des thèmes technico-économiques afin d’améliorer les pratiques des agri-
culteurs, elles concernent des groupes de paysans volontaires qui souhaitent se
former pour maîtriser le fonctionnement de leur exploitation et prendre des déci-
sions adaptées pour répondre à des contraintes techniques et financières. D’autres
privilégient des exploitations engagées dans une logique entrepreneuriale et visent
à améliorer leur rentabilité en mettant l’accent sur la comptabilité et la gestion ; ce
type de conseil, plutôt individuel, s’adresse le plus souvent à des exploitants alpha-
bétisés, fortement intégrés au marché et ayant des ressources supérieures à la
moyenne des exploitations. Ces expériences ont en commun de vouloir se démar-
quer des programmes de vulgarisation dont l’approche centralisée et sectorielle ne
permet pas de saisir la complexité des situations locales. Elles veulent apporter des
réponses aux questions que se posent les producteurs à partir d’un diagnostic de
leurs exploitations et de leurs pratiques de gestion.
Le conseil de gestion se présente donc comme une innovation importante pour le
pilotage des exploitations agricoles et la prise de décision. Son application ne peut
être dissociée des politiques d’encadrement du monde rural et constitue un change-
ment important dans les modes d’appui à l’agriculture familiale. En effet, cette
nouvelle approche soulève plusieurs questions concernant :
– les enjeux liés à l’introduction du conseil de gestion dans le cadre de la réforme
des politiques de formation et de vulgarisation ;
– le profil des producteurs intéressés ;
– les changements dans la perception du fonctionnement de l’exploitation familiale
et dans les pratiques de gestion ;

417
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

– les contraintes à l’application du conseil de gestion et les conditions dans


lesquelles cette méthode peut être diffusée et pérennisée1.
Nous allons tenter d’y répondre en partie en faisant le point sur une expérience de
conseil technique et économique à l’exploitation conçue pour renforcer les capa-
cités de l’agriculture familiale dans la zone cotonnière de l’Ouest du Burkina Faso.
Notre analyse portera sur les conditions de l’émergence du conseil dans cette
région, les caractéristiques de la méthode, les types de producteurs intéressés et
aussi les acquis, limites et perspectives de cette innovation.

 Conseil à l’exploitation familiale dans un contexte


de mutation des politiques d’appui
Le conseil à l’exploitation familiale (Cef) a été introduit en 1992 dans l’Ouest du
Burkina Faso. Dans cette région aux potentialités agro-climatiques favorables
(pluviométrie annuelle comprise entre 800 et 1 200 mm, terres assez riches), la
paysannerie joue un rôle clé dans la production de coton – qui fournit près de 60 %
des recettes d’exportation –, et dans les productions vivrières marchandes – maïs,
maraîchage et arboriculture fruitière. Les exploitations familiales, qui ont bénéficié
plus que dans d’autres régions de l’appui technique des services de vulgarisation
agricole, connaissent depuis quelques années un processus de différenciation crois-
sant en termes d’équipement, de niveaux de production, de revenu et d’intégration
au marché. Ces évolutions se sont poursuivies dans le courant des années 90, dans
un contexte économique incertain – fluctuations des prix du coton et des principaux
produits vivriers, augmentation des coûts de production – et de baisse de la fertilité
des terres – surexploitation de certaines zones, défrichements continus pour l’exten-
sion des cultures pour pallier la compétition pour l’accès à la terre. Pour faire face
à ces mutations, les paysans doivent renforcer leurs capacités d’adaptation donc
d’anticipation et de gestion.
Les services du ministère de l’Agriculture éprouvent des difficultés à répondre aux
préoccupations des producteurs les plus avancés qui jouent un rôle important dans
l’émergence de nouvelles organisations paysannes. Ces derniers sont de plus en plus
critiques à l’encontre des pratiques routinières des agents de vulgarisation. Les thèmes
diffusés de façon sectorielle et répétitive sont connus et faiblement adoptés donc peu
adaptés. La segmentation des problèmes, la non-prise en compte du fonctionnement
de la famille dans le choix des orientations de l’exploitation réduit l’impact de l’apport
de certaines techniques comme la fertilisation ou la culture attelée (Legile, 1998).
Ces problèmes sont mis en avant à une période cruciale. La libéralisation des poli-
tiques d’encadrement du monde rural et l’obligation d’adopter des mesures d’ajus-
tement structurel contraignent l’État à réduire ses interventions en matière de
développement rural pour laisser la place à de nouveaux acteurs, projets, organisa-

1. La terminologie de conseil à l’exploitation familiale (Cef) est utilisée aujourd’hui à la place de celle de
conseil de gestion (CDG) proposée dans les années 90 parce que le CDG renvoyait plutôt à des pratiques
financières et comptables des agriculteurs et ne rendait pas suffisamment compte de la problématique
plus générale du pilotage de l’exploitation (Pesche et Barbedette, 2002).

418
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso

tions non-gouvernementales, organisations professionnelles agricoles. Au début des


années 90, la mise en œuvre de stratégies innovantes constitue un enjeu pour
plusieurs de ces nouveaux acteurs dans l’Ouest du Burkina Faso. Ainsi le Projet de
développement rural intégré (Houet-Kossi-Mouhoun, PDRI-HKM), un projet
financé par la coopération française, et l’Inera associé au Cirad se positionnent dans
le champ de la promotion de l’agriculture familiale. Ils considèrent que le système
de formation en cascade, la méthode training and visits, utilisé par les structures
décentralisées du ministère de l’Agriculture avec l’appui de la Banque mondiale ne
rompt pas avec les pratiques descendantes de la vulgarisation et ne fait pas émerger
de dynamique paysanne (Faure et al., 1996).
Pour faire face aux problèmes des exploitations familiales, il faut concevoir une
méthode fondée sur l’analyse des situations vécues par les producteurs et qui rompt
avec le rôle habituel du technicien – adossé aux services de recherche, il était l’ac-
teur central du transfert de techniques vers les agriculteurs. Dans cette nouvelle
approche, les informations venant des paysans et concernant des paysans sont consi-
dérées comme des éléments clés pour introduire de nouvelles technologies, mais
également pour mieux orienter la recherche et la vulgarisation vers les besoins des
paysans (Röling, 1991).
La forme de conseil à élaborer doit être en adéquation avec le caractère familial des
exploitations agricoles de la zone cotonnière – imbrication du contexte économique
et social – et avec les modes de prise de décision de l’agriculteur – qui ne relèvent pas
des règles de la rationalité économique des entreprises modernes (Kleene, 1996).
Cela conduit à privilégier une méthode fondée en priorité sur une approche globale
de l’exploitation familiale, plutôt que sur l’optimisation des facteurs de production.
Il s’agit de renforcer la capacité du producteur à maîtriser le fonctionnement de son
exploitation, à améliorer ses pratiques et à prendre de meilleures décisions.
Pour concevoir cette méthode, une recherche-action a été conduite par une équipe
composée de techniciens, de chercheurs et de formateurs. Des experts ayant participé
auparavant à l’élaboration de méthodes de conseil de gestion au Sénégal et au Mali
ont été sollicités ainsi que l’appui du programme de Formation technique du monde
rural qui met l’accent sur le recueil des savoirs paysans et l’utilisation des langues
nationales dans les actions de formation rurale. Des groupes de producteurs volon-
taires et des agents de vulgarisation ont participé étroitement à cette expérience lors
de séances régulières dans plusieurs villages de la région Bobo-Dioulasso.
Plusieurs types d’outils sont mis au point : le carnet du conseil de gestion, en langue
dioula, à remplir par le producteur, le guide de l’animateur pour la conduite de
sessions de formation par les conseillers, des fiches techniques pour la réalisation
d’innovations dans l’exploitation.

 Apprentissage de longue durée


pour s’approprier de nouveaux outils
Après la phase d’expérimentation, les activités de conseil (Cef) ont été mises en
œuvre de 1994 à 1999 dans le cadre d’un processus de longue durée de formation

419
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

et d’échanges associant conseillers et paysans. Près de 300 producteurs, volontaires


dans 19 villages, et après une formation de recyclage en alphabétisation et la présen-
tation de la méthode, ont pris part à un processus de formation continue en partici-
pant périodiquement à des séances. Elles sont organisées autour de l’étude, étape
par étape, des tableaux du carnet et de leur analyse à partir de l’exemple de l’exploi-
tation d’un des participants. L’animation de ces séances est assurée par un agent
d’encadrement du service de l’agriculture formé au Cef, qui est dans certains
groupes, secondé par un paysan relais déjà familiarisé avec cette approche et formé
pour animer ces séances.

Le carnet du conseil de gestion


Parmi ces outils, le carnet du conseil de gestion (CDG) est l’outil fondamental du Cef.
Il est composé d’une série de tableaux en français et en dioula pour la collecte de
données sociales, techniques et économiques sur l’exploitation, leur analyse et la
mise au point de prévisions. L’usage du carnet, l’enregistrement de données sur l’ex-
ploitation et la réalisation de calculs nécessitent un bon niveau d’alphabétisation.
Les agents animateurs doivent posséder des connaissances fondamentales en tech-
niques agricoles et en gestion, et aussi des capacités d’écoute et d’analyse pour
répondre aux attentes des participants et les aider à prendre des décisions. En effet,
à partir des informations reportées dans le carnet, et après analyse de ces données
par le producteur et le conseiller agricole, on arrive à :
– représenter de façon chiffrée l’exploitation agricole ;
– schématiser les processus de production ;
– présenter les résultats (rendements, productions) et les apprécier sur le plan
économique et social ;
– concevoir un plan prévisionnel de campagne.

Pratiquer le conseil, s’engager sur deux ans


Le conseil à l’exploitation familiale est une méthode participative qui requiert une
mobilisation de longue durée des agriculteurs pour collecter des informations sur
l’exploitation, les analyser avec l’appui d’un conseiller et aboutir à des propositions
d’amélioration. Pour maîtriser la nouvelle méthode, les producteurs doivent s’en-
gager dans un processus d’apprentissage qui dure en moyenne deux ans. Il
comporte plusieurs phases qui se chevauchent.
• Tout d’abord, les données de l’exploitation sont collectées. Ces informations four-
nissent un aperçu de la composition de la famille de l’exploitant, du nombre d’actifs,
du niveau d’équipement, de la situation foncière, du cheptel, des spéculations, de
l’itinéraire suivi lors de la campagne. À partir des premières fiches, on peut dégager
les potentialités de l’exploitation familiale et caractériser le système de production.
• La phase d’analyse des données recueillies est amorcée dès le début du remplis-
sage du carnet, par exemple lorsqu’il faut estimer le nombre réel d’actifs, et elle
devient plus systématique lorsque les producteurs parviennent au calcul des marges
par culture et à l’établissement du compte d’exploitation et encore plus lorsqu’il faut
passer à l’élaboration du plan de campagne. La maîtrise de ces calculs constitue un

420
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso

enjeu très important parce qu’elle permet à l’agriculteur d’apprécier les résultats de
chaque spéculation et de les situer à un niveau global. Le plan de campagne est établi
à partir d’un croisement des informations consignées dans les fiches précédentes.
• Commence alors la phase de prévisions. Elles sont élaborées en tenant compte des
enseignements de la phase d’analyse. C’est un moment particulièrement innovant
pour les participants, car faire des projections dans l’avenir rompt avec leurs habi-
tudes du fait des représentations sociales de leur milieu – les croyances magiques et
religieuses sont très prégnantes – et en raison de l’incertitude et du risque qui rendent
les programmations aléatoires. Les dons aux divinités locales pour garantir la ferti-
lité, les remercier après la récolte sont perçus comme des formes de gestion du risque.
Les paysans ont introduit cette formule dans le langage du Cef : « Si Dieu donne la
vie et la santé, l’année prochaine je ferai tant de superficie pour telle culture ».

 Motivations au sein du groupe de conseil :


l’exploitation et l’individu
D’après les données collectées dans les groupes Cef suivis par le projet AFGP/SDR,
les agriculteurs qui sont les plus assidus aux activités en conseil de gestion sont en
majorité issus d’exploitations qui s’inscrivent dans une logique de renforcement de
leurs capacités, d’intensification et d’intégration croissante au marché (Bonnassieux
et al., 1998). Leur niveau d’équipement est plus élevé que la moyenne, notamment
en culture attelée. Mais de fortes disparités existent entre elles, quant à la taille, le
type d’équipements possédés, les rendements et les revenus.
Par exemple, les exploitations composées de familles élargies regroupent parfois
plus de 50 personnes, alors que d’autres sont limitées à un ménage de 3 personnes.
Entre ces deux extrêmes, se trouvent fréquemment des unités de taille intermé-
diaire avec entre 5 et 15 membres, qui sont souvent des jeunes agriculteurs devenus
récemment autonomes par rapport à l’exploitation familiale. Dans les exploitations
les mieux dotées et les plus intégrées au marché, le revenu par actif est équivalent à
celui de petits salariés en milieu urbain. Il est plus de huit fois supérieur à celui de
petites exploitations qui font peu de coton et parviennent difficilement à l’autosuf-
fisance alimentaire. Une différenciation très nette existe entre des exploitations
bien équipées, celles ayant un équipement incomplet et celles non-équipées qui ont
recours à la culture attelée sous formes de prestations.
Dans les zones de forte production cotonnière, les agriculteurs bien équipés consa-
crent les deux tiers de leurs superficies à la production de coton et de maïs. Ils ont
des rendements élevés et commercialisent leur excédent céréalier. En revanche, à
proximité de Bobo-Dioulasso, à cause des potentialités du marché urbain, les
cultures vivrières marchandes (maïs, sorgho, arachide, maraîchage) concurrencent
le cotonnier et l’aviculture se développe. Fréquemment, les jeunes producteurs
participants aux activités de Cef sont issus d’exploitations ayant un équipement
incomplet et sont engagés dans un processus d’intensification agricole et d’acquisi-
tion de matériel. Quelques-uns viennent d’exploitations non-équipées qui cultivent
un peu de cotonnier et sont confrontées à des difficultés pour assurer leur autosuf-
fisance alimentaire, leurs revenus sont très faibles.

421
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

L’agriculteur qui souhaite participer aux séances périodiques doit répondre à plusieurs
critères : être alphabétisé en dioula, volontaire, membre d’un groupement. La plupart
des membres des groupes sont des hommes, souvent de moins de 30 ans, mariés, avec
des enfants en bas âge. Près des deux tiers ont été scolarisés, pour la grande majorité
dans le primaire. Beaucoup ont suivi des formations techniques en agriculture. Ils ont
fréquemment le statut d’actif principal au sein de l’exploitation familiale, qui leur
donne un rôle important dans l’organisation des travaux. Les chefs d’exploitation, en
moyenne plus âgés, constituent une minorité car ils sont peu alphabétisés. En fait, la
majorité des membres des groupes Cef sont les fils des chefs d’exploitation.
Pour cerner les motivations des exploitants à participer aux activités de conseil, il est
nécessaire de s’interroger sur les relations qui existent entre les rationalités écono-
miques et les stratégies sociales des acteurs (Darré, 1991). La position au sein de
l’exploitation familiale, la possibilité de faire admettre de nouveaux modes de
gestion, la compatibilité de cette gestion avec le système qui prévaut dans l’exploita-
tion ont souvent plus d’influence que les facteurs liés à l’acquisition de connaissances
sensu stricto. L’exploitant est d’abord motivé par l’objectif de mieux gérer les revenus
des productions pour s’équiper et constituer un capital (troupeau, verger, habita-
tion), cela est net chez les jeunes agriculteurs qui ont acquis récemment leur auto-
nomie. Quant à celui qui n’est pas chef d’exploitation, il veut fréquemment améliorer
son niveau de formation pour jouer un rôle plus actif dans la conduite des activités
et participer aux prises de décision. Si un jeune agriculteur n’a pas cette possibilité
– par exemple à cause de la réticence du chef d’exploitation à modifier les pratiques
de gestion –, c’est l’occasion pour lui d’acquérir des compétences en vue de consti-
tuer plus tard sa propre exploitation. Des motivations personnelles sont liées aussi au
souhait d’élargir les perspectives d’action en dehors de l’exploitation : bénéficier de
voyages en dehors du village par le biais de la formation, accéder au statut de paysan
relais, obtenir des informations sur les opportunités d’accès au crédit, s’ouvrir l’esprit
dans un milieu où les occasions de se former sont rares.

 Approche nouvelle de l’exploitation,


intégrée dans les dynamiques d’apprentissage
Les évaluations périodiques ont montré les apports du conseil de gestion, à savoir
proposer une approche globale de l’exploitation appréhendée comme système de
production et système d’acteurs. Des paysans, des chercheurs, des techniciens, des
agents de vulgarisation se sont retrouvés lors de séances de conseil de gestion pour
s’interroger sur l’organisation des activités agricoles, tenter d’en améliorer la
gestion en partant de l’examen des données présentées par des producteurs et de
l’analyse de leurs pratiques. Cette démarche fondée sur les complémentarités entre
les apports des uns et des autres a incontestablement favorisé les synergies, et la
confrontation des différents points de vue a conduit chaque acteur à prendre du
recul par rapport aux représentations et aux pratiques habituelles, à rechercher les
solutions concrètes à apporter aux problèmes de l’exploitation.
L’étude du carnet, le recueil d’informations, l’enregistrement et l’interprétation ont
contribué au développement d’échanges entre les participants au cours des séances.

422
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso

Les discussions ainsi que les explications apportées par les animateurs ont permis,
mieux que dans le cadre des approches de la vulgarisation fondées sur le transfert
de connaissances, de percevoir l’importance de certaines notions : normes à
respecter pour une alimentation équilibrée des membres de l’exploitation, rotation
des cultures recommandée pour éviter un appauvrissement des sols, dosage d’en-
grais et de fumure minérale par spéculation, etc.
La participation aux activités de conseil s’est traduite par des améliorations des
pratiques dans plusieurs domaines. Les données consignées dans plusieurs tableaux
ont été rapprochées, par exemple la relation entre le nombre d’actifs et les superficies
à cultiver, ou la relation entre le nombre de personnes à nourrir et l’estimation de la
production vivrière ; cette mise en correspondance a contribué à une meilleure orga-
nisation du travail et à une maîtrise de la consommation de vivres. L’enregistrement
des dates des principales opérations culturales, des doses d’intrants utilisés fournit
des indicateurs qui permettent de mieux comprendre les résultats de certaines
productions. L’analyse des marges par culture fournit une évaluation de la rentabilité
de certaines spéculations (coton, maïs, arachide, etc.) qui peuvent ensuite être
comparées, ces conclusions se révèleront instructives pour choisir les productions.
Le remplissage du carnet de CDG a été un facteur de renforcement des compé-
tences en calcul. Dans plusieurs domaines, fertilisation des sols, lutte antiérosive,
alimentation du bétail, des producteurs ont proposé des solutions techniques pour
résoudre des difficultés mises en évidence lors des activités de conseil : fosses
fumières pour la fabrication de fumure organique, plantation d’arbres pour protéger
les parcelles contre l’érosion, constitution de réserves fourragères pour l’alimenta-
tion du bétail. Les agriculteurs les plus engagés dans le Cef ont acquis des compé-
tences, ce qui les a incités à exercer plus de responsabilités dans les organisations
paysannes locales et régionales.
La pratique du conseil de gestion s’est révélée très formatrice pour les agents de
vulgarisation engagés dans l’animation de séances. Ils acquièrent ainsi une meilleure
connaissance des producteurs et des caractéristiques de leurs exploitations. Les indi-
cations fournies par les participants sur les moyens disponibles, les pratiques, les
résultats ont aidé les agents de vulgarisation à mieux cibler leurs interventions.

 Limites de la méthode et difficultés d’application


Les activités de conseil de gestion ont été confrontées à certaines limites et
contraintes, tant au niveau de la méthode que des conditions de mise en œuvre, qui
ont réduit la portée de cette expérience.
• Prédominance des aspects techniques et comptables. Le conseil, tel qu’il a été
pratiqué, a plus souvent porté sur les aspects techniques et comptables de l’exploita-
tion. Il a consisté fréquemment à proposer un meilleur suivi des normes préconisées
par la recherche sur le plan technique, en partant de l’analyse des pratiques des
producteurs et des écarts avec les préconisations de l’encadrement. Les logiques
économiques vont dans le sens de la compétitivité des exploitations, de leur intégra-
tion croissante au marché, ainsi l’établissement des comptes a mobilisé l’attention
des conseillers et des exploitants, les calculs de marge brute par culture ont donc

423
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

nettement pris le pas sur les logiques sociales qui exercent aussi un rôle dans la
reproduction des exploitations familiales. En milieu rural, la solidarité entre familles,
qui se manifeste notamment à l’occasion des dons après les récoltes et des dépenses
cérémonielles, renforce les relations sociales qui contribuent à la sécurisation des
habitants. Avec le Cef, les tensions entre l’objectif de rentabilité de l’exploitation, la
solidarité et l’entraide se sont accrues. Les producteurs formés à cette approche
maîtrisent mieux les données de l’exploitation, et cette expérience les incite à être
plus prudents lorsqu’il s’agit de faire des dons pour entretenir les liens sociaux. En
effet, cette démarche tend à promouvoir des normes de gestion fondées plus sur
l’optimisation des facteurs de production que sur le maintien de solidarités locales.
• Diffusion de la méthode. À cause du grand nombre de tableaux à remplir, de la
complexité de certains d’entre eux, le carnet a été un outil souvent difficile à utiliser
par une bonne partie des producteurs qui avaient un faible niveau d’alphabétisa-
tion. La non-maîtrise des notions de calcul des rendements, des superficies et de la
production a compliqué le remplissage. Le carnet a incontestablement été mieux
maîtrisé par les producteurs scolarisés et récemment alphabétisés qui avaient un
bon niveau. Ces exigences en termes d’instruction pour l’utilisation du Cef réduisent
les possibilités de diffusion dans des zones rurales. Cependant, la progression de la
scolarisation et l’amélioration de la maîtrise de la transcription du dioula peuvent
contribuer à réduire ces difficultés. Des formules sont utilisées dans certains villages
pour montrer l’intérêt du conseil à ceux qui ne sont alphabétisés, par exemple par
des séances de restitution de résultats et des visites d’actions techniques réalisées
par les producteurs qui se sont servis de la méthode pour introduire des innovations.
Les réseaux informels qui réunissent des agriculteurs que rapprochent la proximité
des idées, des préférences, des activités ou l’habitat, et auxquels appartiennent des
producteurs adhérant au conseil, sont aussi des lieux d’échanges qui contribuent à
la diffusion de cette nouvelle approche de l’exploitation.
En raison du faible pouvoir de décision au sein de l’exploitation familiale de
certains actifs agricoles formés au Cef, comme les fils, la diffusion et l’impact de la
méthode ont été limités. Les connaissances acquises par les jeunes agriculteurs lors
des séances de conseil leur procurent des capacités qui les incitent à proposer de
nouveaux modes d’organisation et de gestion. Une partie des chefs d’exploitation
est réticente au changement, surtout ceux qui décident des dépenses sans concerta-
tion. Le conseil aboutissant à un besoin de transparence sur le fonctionnement de
l’exploitation et sur les gains obtenus risque de limiter le pouvoir du chef d’exploi-
tation. La cohésion d’une exploitation dans laquelle les membres sont au courant de
tout peut être ébranlée lorsque le responsable doit faire un choix entre les différents
besoins exprimés par ces membres. Au sein des groupes, le problème de la confi-
dentialité des données est crucial pour le fonctionnement des activités de conseil de
gestion, cela s’est traduit dans certains cas par un manque de participation aux
séances périodiques organisées, parce qu’en général un paysan ne souhaite pas
informer sur ce qui se passe exactement dans son exploitation.
• Le manque de moyens. L’identification des contraintes de l’exploitation et la
recherche de solutions pour y remédier ont été souvent des moments forts, suscitant
des échanges intenses entre les participants. Le conseil de gestion fait apparaître des
besoins. Cependant, il n’a réellement un impact que si les agriculteurs trouvent les
moyens de réaliser les actions techniques décidées pour résoudre certaines difficultés.

424
Expérience de conseil à l’exploitation familiale dans l’Ouest du Burkina Faso

Le Cef est une démarche intéressante à condition qu’elle favorise l’accès au crédit,
aux intrants et au matériel. Le manque de moyens, dans un contexte caractérisé par
les difficultés financières des groupements, la réduction des possibilités de crédit, la
hausse des prix des intrants, a réduit fortement l’efficacité des activités de conseil.
Ainsi, privilégier l’analyse des pratiques des paysans avec leur participation active ne
permet pas de pallier l’absence de soutien à l’égard d’une majorité d’agriculteurs qui
disposent de faibles moyens. Pour proposer des solutions qui tiennent compte de la
diversité des problèmes socio-économiques et des revenus des producteurs, il faut
considérer la variabilité des capacités d’action des agriculteurs au sein d’un même
groupe (Gubbels, 1999).
• Formation insuffisante du conseiller. La compréhension de la méthode par les
participants au Cef est en large partie liée au niveau de formation du conseiller, à
son expérience, à sa connaissance du milieu. La plupart des agents de vulgarisation
chargés de l’encadrement des groupes n’ont pas eu une formation professionnelle
qui les prédispose à poser des questions sur les systèmes de production, à s’inter-
roger sur la rationalité des pratiques des paysans et de leur choix. Les formations
reçues en Cef n’ont pas été suffisantes pour combler cette lacune. Les conseillers
ont manqué d’outils pour fournir des conseils adaptés aux besoins des différentes
catégories de producteurs, soit motorisés, soit en culture attelée avec des équipe-
ments complets et incomplets, soit encore en culture manuelle. De plus, l’appui des
techniciens et des chercheurs sur le terrain a été faible. C’est pourquoi dans beau-
coup de groupes, les analyses, qui sont décisives pour la maîtrise de la méthode, sont
restées sommaires et il n’a pas été possible de passer à un conseil en fonction des
particularités de chaque sous-groupe de producteurs.
Le recours à des paysans relais choisis à cause de leur dynamisme, de leur maîtrise
du conseil et surtout de leurs connaissances des exploitations localement s’est révélé
très utile dans certains villages pour soutenir les activités des conseillers en charge de
certains groupes. Quelques-uns ont réussi à poursuivre de manière quasi autonome
une démarche de conseil avec des producteurs qui se retrouvaient régulièrement
sans intervention du projet. Mais, ces initiatives n’ont pas été suffisamment soute-
nues dans un contexte de réorganisation des groupements de producteurs de coton
et d’incertitude sur le devenir des structures d’appui (Sanou Sangouansira, 1998).
• Financement incertain des dispositifs. La pérennisation des activités de conseil à
l’exploitation familiale est en partie liée au mode de financement des dispositifs et
à leur articulation avec les dynamiques locales. Dans l’Ouest du Burkina, la mise en
œuvre de programmes de Cef a été dans une première phase essentiellement tribu-
taire du financement de projets et donc de bailleurs de fonds. L’arrêt de ces inter-
ventions, sans concertation réelle avec les acteurs les plus concernés en milieu rural,
a entraîné une forte discontinuité dans l’appropriation du conseil par les groupes de
paysans. L’UNPCB et la compagnie cotonnière Sofitex pourraient redynamiser le
Cef dans le cadre d’un projet d’appui à la filière cotonnière qui serait opérationnel
en 2007. Dans d’autres zones du Burkina, la mise en œuvre d’approches de Cef avec
des moyens plus réduits a permis aussi d’asseoir les activités de conseil qui restent
dépendantes de l’aide extérieure, mais en relation étroite avec des organisations de
producteurs très structurées, comme l’Union provinciale des producteurs de coton
et de céréales du Mouhoun (UPPM) dans l’Ouest dans la région Dédougou, la
Fédération des unions de groupements Naam (FUGN) au Nord-Ouest, dans le

425
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Yatenga avec l’appui de techniciens de l’ONG Agriculteurs français et développe-


ment international (Afdi). En outre, au sein de la FUGN, dans le cadre de la
concertation sur les modalités de mise en œuvre du Cef, une participation crois-
sante des producteurs dans l’organisation des dispositifs et la prise en charge des
activités a été envisagée (Bicaba, 2001).

 Quelles perspectives ?
Les freins à la diffusion du conseil de gestion ont contribué à alimenter un certain
scepticisme dans les milieux du développement rural donnant lieu à des formules du
type « le conseil de gestion dans le contexte actuel est un luxe pour les paysans ».
Bien qu’il ne faille pas minimiser les difficultés, les interactions qui se sont dévelop-
pées entre les acteurs partie prenante dans les activités de Cef ont conduit à des
changements dans les perceptions et les pratiques des uns et des autres. Ainsi, les
paysans qui ont acquis des outils pour évaluer la pertinence de leurs itinéraires tech-
niques, mesurer la rentabilité de leurs spéculations et faire des prévisions, estiment
que « la production est devenue de plus en plus une question de tête plutôt qu’une
question de bras ». Les échanges entre les agents animateurs des formations et les
producteurs ont apporté aux animateurs un regard sur l’intérieur de l’exploitation
et les ont amené à percevoir les limites des messages standardisés de la vulgarisa-
tion par rapport aux problèmes qui leur étaient soumis. Les chercheurs ont aussi été
conduits à construire une approche de l’exploitation en tenant compte des
remarques des agents de terrain et des producteurs. Parce que cette méthode privi-
légie le dialogue avec le producteur, elle facilite l’application de normes et permet
d’obtenir une gamme d’informations diversifiées sur l’ensemble de l’exploitation.
À cause de ces avancées, le conseil aux exploitations familiales suscite beaucoup
d’intérêt dans un contexte de mutation des agricultures familiales. Pour renforcer et
approfondir les activités dans ce domaine, il faut chercher à résoudre plusieurs
problèmes qui ont limité la portée de cette expérience. L’articulation entre les acti-
vités de conseil et les dynamiques locales de développement doit être renforcée,
ainsi les organisations de producteurs doivent être associées à l’orientation des
dispositifs pour que le Cef soit en cohérence avec les attentes des producteurs. La
réflexion sur les outils et les capacités des conseillers doit se poursuivre. Il faut
également développer les activités de formation pour mettre en œuvre des appro-
ches de conseil qui permettent de mieux évaluer les pratiques paysannes, d’appré-
hender la complexité des systèmes de production, de faire des propositions en
fonction des besoins et des attentes des différentes catégories de producteurs. Une
contribution croissante des producteurs à la prise en charge des activités de Cef est
souhaitable pour qu’elles se pérennisent.
Mais, dans un contexte de baisse des revenus des agriculteurs, des ressources
complémentaires doivent être trouvées auprès des structures qui peuvent profiter
de l’apport du Cef : organismes de crédit, sociétés cotonnières, projets financés par
les institutions de coopération, etc. Toutefois, les producteurs doivent garder la
maîtrise des données de leurs exploitations et de leur usage pour déterminer leurs
priorités.

426
Pour approfondir le sujet
Chapitre 28
Conseil à l’exploitation agricole
familiale, facteur d’émancipation
des agriculteurs béninois
Dominique VIOLAS et Pascal GOUTON

Le désengagement de l’État des fonctions d’appui à la production agricole et l’inté-


gration croissante de l’agriculture béninoise dans une économie de marché mon-
dialisée amènent à une révision de l’organisation et du contenu des services à
l’agriculture. Ces services doivent avoir pour objectifs l’amélioration de la producti-
vité et de la compétitivité des exploitations agricoles tout en veillant à la préservation
de leurs capacités de production et des milieux qu’elles exploitent. L’agriculture du
Bénin a été marquée par une lente évolution des services de vulgarisation et des
méthodes d’accompagnement des exploitations agricoles. La période coloniale,
caractérisée par l’obligation des paysans à produire et à commercialiser certaines
denrées (palmier et arachide pour l’huile, etc.), a laissé la place en 1960 à un système
d’encadrement étatique moins coercitif mais laissant peu d’initiative aux agricul-
teurs. Dans les années 80, l’accompagnement des agriculteurs était focalisé sur le
conseil technique plus généralement dénommé vulgarisation. Ce système a fonc-
tionné grâce aux prêts et subventions de la Banque mondiale. La technicité des agri-
culteurs s’est améliorée surtout pour les systèmes de production fortement connectés
au marché pour lesquels des exigences de qualité et de régularité de la production se
sont fait sentir (coton, ananas). Faute de financement, ce dispositif coûteux de vulga-
risation n’est plus fonctionnel aujourd’hui. Au début des années 90, plusieurs institu-
tions et projets1 ont cherché à développer des démarches de conseil en privilégiant
un appui à la gestion de l’exploitation agricole et le renforcement des capacités des

1. En premier lieu le Centre de gestion des exploitations agricoles (CGEA) soutenu par le Projet d’appui
à la formation professionnelle des agronomes (Pafpa) au sein du département d’Économie et de socio-
logie rurale de la faculté des Sciences agronomiques (FSA) de l’Université d’Abomey Calavi puis la
Cellule d’appui à la gestion des exploitations agricoles (Cagea) abritée par le Centre de promotion et
d’encadrement des petites et moyennes entreprises (Cepede).

427
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

agriculteurs à prendre leurs décisions. Notre propos vise à tirer les enseignements
d’une expérience récente de conseil aux exploitations agricoles, menée grâce à
l’appui de la coopération française (Ambassade de France et Agence française de
développement) et à proposer des pistes pour l’extension et la pérennisation de ce
dispositif original d’appui aux agriculteurs béninois.

 Dispositif de conseil prenant en compte


les besoins et les compétences des agriculteurs
Le conseil à l’exploitation agricole familiale (CEAF) est une démarche d’accompa-
gnement d’agriculteurs et d’agricultrices volontaires qui souhaitent mieux gérer leur
exploitation afin de vivre décemment de leur métier. C’est un processus d’aide à la
décision qui, à travers la formation, le suivi rapproché et les visites d’échanges,
induit progressivement des changements au sein des exploitations.
Cela concerne l’ensemble des pratiques de l’agriculteur :
– techniques (intensification, gestion de la fertilité des sols, assolement, etc.) ;
– financières (prévision budgétaire, maîtrise des dépenses, calcul de la rentabilité
des activités, etc.) ;
– sociales (prise de responsabilité accrue, meilleure maîtrise des dépenses au sein
de la famille, etc.) ;
– organisationnelles (mise en marchés collective, etc.).
Ces nouvelles pratiques permettent aux exploitants non seulement de s’adapter aux
contraintes et aux mutations induites par la libéralisation des échanges telles que le
respect des normes qualitatives pour l’exportation de produits (coton, ananas,
anacarde) mais également de gérer la forte concurrence sur le marché national avec
des produits importés (céréales, huile, produits d’élevage).

Démarche fondée sur la formation et l’accompagnement


La démarche, actuellement mise en œuvre par le Projet d’amélioration et de diver-
sification des systèmes d’exploitation (Padse), s’est inspirée des travaux de l’Institut
agronomique de Bouaké (Côte d’Ivoire), et des centres de gestion français (Pesche
et al., 1996).
La formation et l’animation de groupe sont prépondérantes. Elles s’adressaient, au
début, aux agriculteurs maîtrisant le français. À partir de 2003, des agriculteurs
maîtrisant seulement une langue vernaculaire ont été intégrés au dispositif de conseil.
Le cycle complet (de 40 à 50 jours de formation en trois ans) comprend l’apprentis-
sage de méthodes et d’outils pour :
– collecter des données sur l’exploitation et la famille (inventaire, caisse, flux de tréso-
rerie, stocks de produits et d’intrants, suivi parcellaire, main-d’œuvre, prélèvements
familiaux, etc.) ;
– analyser des indicateurs de performance (marge après remboursement des intrants,
marge brute, coût de production, rémunération de la main-d’œuvre familiale, etc.) ;

428
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois

– prévoir (plan de campagne, budget de trésorerie, compte d’exploitation


prévisionnel) ;
– élaborer des projets. L’agriculteur formule des besoins en formations techniques,
pour la réalisation des dossiers de demande de financement en vue du développe-
ment d’activités (bilans, comptes de résultats, calculs de rentabilité, etc.)
Le suivi individuel par les conseillers de gestion, au minimum une fois par mois,
permet d’approfondir les enseignements reçus en séances de groupe et de veiller à
la qualité de la collecte des données. C’est lors de ces rencontres que s’installe le
dialogue entre l’agriculteur et le conseiller qui aboutit au conseil ou aide à la déci-
sion. La discussion autour des indicateurs technico-économiques (marges, coût de
production, rémunération du travail, prélèvements familiaux, etc.) permet d’identi-
fier les points faibles du système de l’exploitation familiale et de rechercher les solu-
tions pour en améliorer le fonctionnement.
Les conseillers récupèrent, auprès d’un millier d’agriculteurs dits de référence, un
double des données d’exploitation, agrégées sous la forme d’une synthèse
mensuelle. Ils procèdent à la saisie des agrégats dans une base de données, outil
indispensable pour les traiter dans leur ensemble et pour restituer les indicateurs de
performance aux agriculteurs, lors des réunions de groupe.
Ces rencontres sont organisées après chaque cycle de culture, soit au niveau
communal, soit par zone agro-écologique, et sont principalement axées sur la présen-
tation des moyennes interquartiles (25 % supérieur, 50 % médian et 25 % infé-
rieur) : cela permet à chacun de situer ses résultats par rapport à ceux des autres
groupes. À cette occasion, les agriculteurs analysent leurs forces et leurs faiblesses,
formulent leurs besoins en formations techniques et expriment leurs souhaits en
matière de visites d’échanges.

Intervention qui s’appuie sur le secteur privé


La logique d’intervention du projet Padse est fondée sur le « faire-faire » et s’appuie
sur des opérateurs privés (ONG, bureaux d’études, organisations professionnelles
agricoles) ayant une expérience d’animation et d’accompagnement du monde rural.
Ce choix vise à dépasser le caractère expérimental et précaire des expériences de
conseil aux exploitations fréquemment observé à ce jour en Afrique francophone.
Ces opérateurs bénéficient d’une relative autonomie dans la mise en œuvre tech-
nique de la démarche (recrutement du personnel, choix de l’équipement, création
des groupes en relation avec les organisations paysannes, partenaires, etc.). Ils sont
néanmoins soumis à l’obligation de résultat et contraints à respecter un cahier des
charges détaillé en matière de formation et de suivi des producteurs. Chaque opéra-
teur, organisation non-gouvernementale ou organisation professionnelle agricole,
doit passer un contrat d’objectif avec l’organisation paysanne locale (territoriale ou
filière) dont sont membres les exploitations agricoles qui bénéficient du conseil.
Le Padse assure, en plus du financement du conseil, la coordination et l’appui
méthodologique qui permettent de faire évoluer la démarche. Les dérives constatées
et non corrigées par les opérateurs sont sanctionnées par le non-renouvellement du
contrat annuel de prestation.

429
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Une implication grandissante des organisations professionnelles


agricoles
La démarche initiale a été portée par des organisations non-gouvernementales
(ONG) et des bureaux d’études. Ensuite, pour tenter de pérenniser le dispositif,
trois organisations professionnelles agricoles (GEA Bénin ; Union départementale
des producteurs du Ouémé-Plateau, de Mono-Couffo) ont été considérées comme
des opérateurs susceptibles de créer un service de conseil aux exploitations. Jusqu’à
présent, le fait que ces organisations soient maîtres d’œuvre n’induit pas de dyna-
mique particulière et les résultats obtenus, à budget égal, sont équivalents à ceux
des ONG. Les arguments généralement avancés en faveur d’une prise en charge
totale de l’activité de conseil par les organisations professionnelles agricoles
(meilleure implication des paysans dans la définition du service qui leur est apporté,
facilitation du contrôle et optimisation des ressources) ne sont pas encore vérifiés
au Bénin. L’engagement de ces organisations repose uniquement sur la volonté de
certains responsables qui ont perçu l’intérêt de ce type de démarche.
Ce constat souligne la nécessité d’un accompagnement stratégique des organisations
professionnelles agricoles (OPA) afin qu’elles soient capables de mieux positionner le
conseil à l’exploitation parmi la palette de services qu’elles offrent à leurs membres.
Pour les modes d’intervention futurs, le débat est en cours sur les avantages compa-
ratifs entre l’OPA maître d’ouvrage et l’OPA maître d’œuvre. Qu’elles soient opéra-
teurs ne constitue pas une obligation de fait car elles n’ont pas vocation à tout
assumer en interne et doivent agir avec discernement en fonction des missions prio-
ritaires qu’elles se fixent. Par exemple, au sein de l’Union des groupements de
producteurs d’ananas de Toffo (UGPAT), l’activité de conseil est la mieux intégrée
au fonctionnement de l’organisation aux exploitations membres, l’UGPAT a néan-
moins préféré confier cette activité de conseil à un opérateur privé. Ainsi, cette
organisation qui n’a pas de salarié, se concentre prioritairement sur la recherche de
marchés, la programmation des récoltes et l’approvisionnement en intrants à crédit.

Quels sont les impacts ?


Au niveau de l’exploitation agricole et de la famille
Au Bénin, les outils de gestion de base les plus employés par les agriculteurs en
CEAF sont le journal de caisse, le cahier d’utilisation de la main-d’œuvre et le
cahier d’utilisation des intrants. La tenue quotidienne de ces documents, considérée
par les agriculteurs comme relativement fastidieuse, leur permet de découvrir l’in-
térêt de noter. Ainsi, ils apprécient mieux l’importance de certains postes de
dépense et le poids des activités consommatrices de main-d’œuvre. À partir de ces
constats, ils font évoluer leurs pratiques. Les agriculteurs ne faisant pas partie du
dispositif constatent que les participants au CEAF changent de comportement, et
ils n’hésitent pas à les copier dans la conduite des travaux culturaux. Le changement
réside principalement dans la modification des perceptions et des représentations
des individus concernant leurs activités, tant sur le plan individuel que collectif, chez
les femmes comme chez les hommes : « Nous étions des ambitieux aveugles, nous
sommes devenus des ambitieux éclairés ».

430
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois

Le CEAF induit une rationalisation de la conduite de la production agricole qui se


traduit par une programmation plus poussée (adoption du plan de campagne et du
budget de trésorerie) et une progression des résultats techniques (mise en applica-
tion des recommandations dispensées par la recherche et la vulgarisation, depuis de
nombreuses années, mais jusque-là négligées). Cela touche à la fois l’exploitation
(prévisions des approvisionnements en intrants, de la main-d’œuvre, des mensua-
lités d’emprunt) et la famille (budgétisation des dépenses de nourriture, de santé,
de scolarité). De plus, les agriculteurs développent une démarche permanente de
questionnement, qui est à la source d’améliorations : abandonner ou accroître
certaines productions ? Diversifier ? Stocker ? Transformer ? Investir ? etc.
Dans un premier temps, ce souci de rationalisation des activités entraîne des déci-
sions radicales : arrêt de certaines spéculations jugées non-rentables (exemple du
maïs, base de l’alimentation chez les producteurs d’ananas) ou encore contestation
de certains fonctionnements sociaux1. Ces réactions parfois démesurées s’expli-
quent par le choc psychologique provoqué par l’effet de miroir que procure la parti-
cipation au CEAF et par la difficulté qu’ont parfois les agriculteurs à relativiser les
enjeux. Le rôle du conseiller est alors déterminant pour amener les paysans à
rechercher les meilleurs compromis permettant de sécuriser l’exploitation agricole
et la famille sans aboutir à l’exclusion sociale. Les adhérents au conseil les plus
anciens reconnaissent qu’après cette période de forte remise en cause de leurs
pratiques, ils apprennent à agir avec plus de discernement, de tact et de diplomatie.

Au niveau des organisations professionnelles agricoles


Le conseil à l’exploitation contribue indirectement à l’amélioration de l’organisation et
de la gestion des organisations paysannes. Pour les producteurs d’ananas de l’UGPAT,
le dynamisme des responsables n’est pas né avec le CEAF mais la maîtrise des outils
comptables et de gestion a conforté leur professionnalisme : ils négocient plus facile-
ment avec les exportateurs et les transformateurs grâce à la régularité de leurs approvi-
sionnements et à la qualité des produits qui respectent les normes du commerce
international. La production d’ananas est planifiée cinq mois à l’avance et, en cas de
non-respect des engagements, des pénalités sont appliquées aux producteurs défaillants.
Chacun sait combien il peut gagner sur sa parcelle (en moyenne un quart d’hectare) en
fonction de la destination de sa production (exportation, usine de transformation
d’Abomey ou marché local) ce qui lui permet d’établir des prévisions budgétaires.
L’influence grandissante du CEAF auprès des agriculteurs provoque autant
d’engouement que de rejet de la part des responsables des organisations paysannes,
quelle que soit leur taille (du local au national). Si de nombreux responsables,
surtout au niveau du village et de la commune, commencent à s’appuyer sur les
adhérents du CEAF pour animer leurs commissions de travail ou plus simplement
pour tenir ou vérifier les comptes, d’autres y voient une « école de rebelles » bien
outillés pour remettre en cause la gestion opaque et le fonctionnement despotique
de certaines OPA. Il est vrai qu’un adhérent du CEAF est souvent plus exigeant, il
revendique la tenue des assemblées générales et en profite pour poser des questions.

1. Au début, les adhérents du CEAF sont traités « d’avares » ou de « pingres » et sont stigmatisés par leur
entourage car ils ne sont plus aussi « généreux » lors des cérémonies.

431
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Bon nombre d’agriculteurs adhérents au CEAF sont aujourd’hui à des postes de


responsabilité dans différentes structures du monde rural (OP, bureau d’école, centre
de santé, gestion de points d’eau) et des collectivités territoriales (arrondissement,
commune). Cela démontre que la formation peut amener des changements et obliger
les notables à plus de rigueur et de transparence dans leur gestion. Cependant, il
s’avère impératif d’atteindre un nombre suffisant de personnes formées par groupe-
ment villageois afin d’éviter que les premiers initiés prennent à leur tour les postes
de responsabilité sans possibilité de renouvellement et de réaction de la part des
exclus. Via le CEAF, il faudrait former une dizaine d’agriculteurs par groupement
villageois, ce qui pourrait donner entre 500 et 600 adhérents par commune soit
environ 40 000 producteurs au Bénin. Environ 10 % des exploitations agricoles du
pays seraient ainsi concernés, cela constituerait un nombre suffisant, d’une part pour
stabiliser ce processus de formation par la gestion et, d’autre part pour créer le
creuset du changement des pratiques de gouvernance dans les campagnes.
À ce stade, l’évaluation de l’impact du conseil reste qualitative. Pour convaincre les
institutions qui pourraient appuyer et financer ce type de service, il est nécessaire
de lancer une démarche rigoureuse de suivi-évaluation de cette expérience tant
dans le domaine économique (revenu, productivité), agronomique (technicité,
durabilité des systèmes de production) que social (exclusion et cohésion sociales)
(Legile et Giraudy, 2005).

 Évolutions récentes, extension des dispositifs


Le dispositif opérationnel en 2004 est mis en œuvre, au bénéfice de 3 000 chefs d’ex-
ploitation, par cinq organisations non-gouvernementales (appui de 82 % des bénéfi-
ciaires : CADG, 47 % ; GERME, 14 % ; CRDB, 8 % ; GRAPAD, 7 % ; MRJC, 6 %)
et trois organisations professionnelles agricoles (appui de 18 % des adhérents soit
GEA Bénin, 6 % ; UDP Ouémé-Plateau, 8 % ; UDP Mono-Couffo 4 %). Elles
emploient une trentaine de conseillers de gestion relayés par une centaine d’anima-
teurs-relais qui dispensent des formations en langues nationales1 (72 % de l’effectif
total). La fonction d’animateur relais a été formalisée en 2003 par le programme
(Padse) en vue d’accroître le nombre d’agriculteurs adhérents au CEAF. L’objectif
est de développer un service de proximité, ce qui suppose que chaque animateur
relais constitue un groupe d’adhérents dans un cercle de faible rayon (maximum
3 km) afin de pouvoir assurer facilement les formations et le suivi (Padse, 2005).
Les conseillers possèdent en majorité le niveau du baccalauréat agricole et accom-
pagnent, en moyenne, 100 producteurs chacun. Les animateurs relais sont des agri-
culteurs issus des premiers groupes de conseil de gestion, formés en français et sont
souvent devenus des maîtres en alphabétisation dans leur langue respective. Ils
perçoivent une indemnité forfaitaire mensuelle de 20 000 FCFA. Ils interviennent
en langue vernaculaire et accompagnent chacun un groupe de 20 paysans (ces
groupes de producteurs alphabétisés en langue vernaculaire sont dénommés groupes
« alphas »).

1. mina, adja, fon, wèmè, goun, nagot, itcha, idatcha, mahi, baatonu, dendi, mokolé.

432
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois

Si l’impact du travail des animateurs relais est reconnu (95 % des groupes qu’ils
animent sont fonctionnels), leur statut et leur mission restent à clarifier par rapport
à ceux des conseillers dont le rôle central et la spécificité des compétences ne
doivent pas être contestés. Les animateurs relais ont souvent tendance à se consi-
dérer comme des conseillers à part entière et n’hésitent pas à revendiquer une
pérennisation de leur activité, des rémunérations plus conséquentes et des moyens
de locomotion (vélo et moto) pour assurer leurs déplacements. La reconnaissance
sociale induite par ce nouveau statut est indéniable mais provoque des ambitions et
des attentes en matière d’emploi et de revenus qu’il convient d’analyser en profon-
deur avant de proposer une orientation stratégique définitive sur cette question, au
risque de provoquer des dysfonctionnements.

Conseil à l’exploitation agricole familiale et alphabétisation


La démarche de CEAF au Bénin s’est adressée, à l’origine, à des agriculteurs maîtri-
sant le français. Cette approche, souvent qualifiée d’élitiste, a néanmoins permis
d’asseoir la démarche avec des publics très réactifs qui, même s’ils s’expriment faci-
lement en français, n’en maîtrisent pas moins leur langue maternelle qu’ils utilisent
en permanence dans leur milieu. Quand l’expérience s’est élargie au public alpha-
bétisé dans les langues vernaculaires, ce sont ces agriculteurs formés en français qui
ont traduit les outils, adoptés aujourd’hui par les groupes « alphas ».
Les premiers groupes formés en français se sont constitués au niveau communal1,
ce qui a engendré des frais de déplacement et d’hébergement conséquents lors des
formations (environ 5 500 FCFA par jour et par producteur) ce qui est supportable
dans une phase expérimentale mais pas dans une logique de formation à plus
grande échelle. La création des groupes « alphas » a permis de diminuer les coûts
d’intervention, mais les distances à parcourir pour les formations ou les suivis par
les conseillers peuvent encore représenter plus de dix kilomètres ce qui nuit, encore
aujourd’hui, à l’assiduité des adhérents aux formations et à la régularité du suivi.
L’idéal serait de travailler au niveau des villages, des quartiers ou des hameaux. Mais
étant donné que le public alphabétisé en langue locale y est souvent aussi restreint
que le public parlant français (seulement 5 à 10 % de la population rurale), deux
solutions se présentent : développer une stratégie d’initiation à la gestion pour un
public analphabète ou mettre en œuvre un programme d’alphabétisation fonction-
nelle centré sur les outils de gestion pour les agriculteurs volontaires. C’est la
deuxième voie qui semble la plus réalisable compte tenu du nombre important de
maîtres en alphabétisation vivant dans les villages et de la politique nationale en
matière d’alphabétisation.

Comment pérenniser ce service ?


L’ancrage naturel du CEAF au Bénin pourrait être le réseau des chambres d’agri-
cultures mais ce dernier ne possède pas encore l’assise nécessaire pour accueillir le

1. Au Bénin comme dans la majorité des pays d’Afrique francophone, la commune rurale regroupe
plusieurs villages voire plusieurs dizaines de villages.

433
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

dispositif. Une réflexion de fond sur la pérennisation du CEAF a été lancée en 2003
avec la proposition de créer un observatoire national du conseil à l’exploitation agri-
cole familiale. Cet observatoire pourrait, à terme, être constitué de représentants
d’une dizaine de familles professionnelles susceptibles de contribuer à la pérennisa-
tion du service à savoir : les adhérents du CEAF, les responsables des OPA et les
réseaux des chambres d’agriculture, les interprofessions, les prestataires en CEAF,
les prestataires en alphabétisation, le secteur du crédit rural, les collectivités locales,
les services publics dont ceux du ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la
pêche et ceux en charge des formations techniques et professionnelles. Ce collectif
serait en conformité avec les orientations de la politique sectorielle agricole du
Bénin pour qui la formation, le conseil et la vulgarisation au profit des agriculteurs
constituent des missions non-exclusives de l’État, c’est-à-dire pouvant être conduites,
pour tout ou partie, par le secteur privé et les OPA.
En 2004, le coût du dispositif de conseil aux exploitations (hors assistance technique
et hors maîtrise d’œuvre du Padse), se montait à 114 000 FCFA1 par producteur et
par an (soit 96 000 FCFA pour les contrats avec les opérateurs2 et 18 000 FCFA
pour le dispositif de suivi-évaluation du Padse). La contribution des adhérents était
estimée à 12 000 FCFA par an et correspondait au frais qu’ils engageaient eux-
mêmes (transport et repas pris lors de formations et visites d’échanges). Les tenta-
tives de contribution financière volontaire des adhérents n’ont pas donné de
résultats probants.
Le coût du CEAF est élevé et il apparaît que, malgré le profit évident qu’ils en reti-
rent, les adhérents ne sont pas encore prêts à le financer, même très partiellement.
Ils estiment que le financement de ce service est du ressort de l’État et des struc-
tures d’appui. La contribution des bénéficiaires devrait être graduelle en fonction
du niveau de service requis (de la maîtrise des outils de base à l’élaboration des
projets d’exploitation). Les modalités de recouvrement de cette contribution sont à
tester : soit par le paiement d’un droit d’adhésion permettant à l’agriculteur
d’accéder au service (solution envisageable mais la capacité de financement instan-
tanée est limitée) ; soit par une retenue à la source (sur la vente d’une production)
qui est généralement bien acceptée par les agriculteurs dans le cas des produits
soumis à la mise en marché collective.
Une contribution des organisations paysannes est plus difficile à mettre en place. Elles
ne souhaitent pas trop investir au profit d’un nombre limité d’agriculteurs dans la
mesure où les retombées positives de la démarche pour la collectivité ne sont pas clai-
rement perçues. Par exemple l’Association interprofessionnelle du coton prélève une
somme fixe par kilo de coton-graine commercialisé pour contribuer au financement
des fonctions critiques de la filière dont fait partie la formation des agriculteurs (avec
la recherche, la production de semences, l’approvisionnement en intrants, l’entretien
des pistes de production, etc.). Si le CEAF est jugé capital pour le renforcement des
capacités des producteurs de coton, le financement peut être pérennisé sans peine car,

1. 1 euro = 655,9 FCFA.


2. Il faut signaler que de 1999 à 2004, le coût de la contractualisation avec les prestataires est passé de
300 000 à 96 000 FCFA par producteur et par an grâce au recours aux animateurs relais paysans pour
l’extension au public alphabétisé en langues nationales.

434
Conseil à l’exploitation agricole familiale, facteur d’émancipation des agriculteurs béninois

au Bénin, les fonctions critiques de la filière cotonnière représentent actuellement une


somme annuelle minimale de 3,5 milliards de FCFA1. Cependant, si la démarche ne
touche pas (directement ou indirectement) un grand nombre de producteurs (gains de
productivité, production de référentiels technico-économiques, approche statistique,
etc.), cela risque de provoquer des dissensions au sein des familles professionnelles car
l’argent commun ne peut être réservé au profit d’un nombre limité de membres. En
définitive, pour sécuriser le financement du dispositif de conseil, une contribution
financière graduelle des bénéficiaires adaptée à leurs ressources, à leur demande et à
leur mode d’organisation, est nécessaire mais pas suffisante. Pour pallier le désengage-
ment progressif des bailleurs de fonds extérieurs, les organisations de producteurs, les
interprofessions, voire les collectivités locales seront amenées à contribuer au finance-
ment du CEAF de manière significative pour répondre à la demande des agriculteurs
au risque de se couper de leur base. L’État doit aussi apporter sa contribution, dans la
mesure où la formation des agriculteurs reste dans ses prérogatives (alphabétisation
fonctionnelle, formation des jeunes ruraux, formation initiale des conseillers).

 Renforcement des capacités des agriculteurs,


besoin d’élargir le conseil
L’expérience béninoise en matière de conseil à l’exploitation agricole familiale a
contribué au renforcement des capacités des agriculteurs, tant au niveau individuel
qu’au niveau collectif. On note un impact positif de ce service dans les exploitations
concernées mais aussi sur la structuration et le pilotage des organisations paysannes.
Il s’agit d’un travail de fond qui induit, lentement mais inexorablement, un change-
ment de comportement des agriculteurs au profit d’une conduite plus rationnelle
des activités quotidiennes qu’elles soient familiales, agricoles ou liées aux organisa-
tions professionnelles. D’acteurs passifs, habitués à appliquer docilement des direc-
tives venues d’ailleurs, les adhérents du CEAF s’émancipent progressivement pour
devenir des partenaires actifs qui anticipent et agissent avec discernement, sur la
base d’arguments chiffrés.
Leurs nouvelles compétences sont reconnues par leur entourage et les demandes
d’adhésions au dispositif de conseil sont largement supérieures aux capacités
actuelles d’intervention des opérateurs. Lancée en 1995 et en constante évolution,
la démarche est arrivée à une étape charnière qui nécessite de passer d’un schéma
de conseil de gestion (CDG) élitiste à un dispositif de conseil à l’exploitation agri-
cole familiale (CEAF) de masse par une phase d’extension permettant d’atteindre
un nombre significatif de producteurs, soit au minimum 10 % des exploitants agri-
coles du Bénin. Au-delà des déclarations d’intention, une plus grande implication
de l’État, des organisations professionnelles agricoles et des acteurs des filières
organisées s’avère indispensable pour amplifier les résultats probants déjà obtenus.

1. À l’origine, au Bénin, la retenue avait été fixée par l’AIC (association interprofessionnelle du coton)
à 20 FCFA / kg de coton-graine commercialisé (10 FCFA pour les producteurs et 10 FCFA pour les égre-
neurs). En réalité, elle est actuellement de 10 FCFA / kg compte tenu de la faiblesse des cours mondiaux
du coton fibre, pour une production minimale de 350 000 tonnes de coton graine.

435
Conclusion générale

Les exploitations agricoles familiales africaines sont aujourd’hui confrontées à des


changements rapides de leur environnement socio-économique mais aussi écolo-
gique. Elles sont plus fortement intégrées au marché et doivent faire face à la concur-
rence des agricultures des autres continents. L’accroissement de la population rurale
modifie les fondements de l’agriculture qui reposait sur des pratiques mobilisant peu
d’intrants et d’équipement mais était coûteuse surtout en travail ; le maintien de ces
pratiques suppose que des surfaces importantes en terres agricoles et pastorales
soient encore disponibles. Par conséquent, les exploitations agricoles familiales en
Afrique sont contraintes aujourd’hui dans bien des situations de pratiquer une agri-
culture continue sans jachère et de développer l’élevage sur des surfaces plus
petites, bref elles doivent intensifier leurs systèmes techniques. De ce fait, la gestion
des ressources naturelles qui se raréfient est devenue l’un des enjeux majeurs de la
durabilité des systèmes de production. Ces évolutions ont modifié les valeurs et les
normes sociales : le travail et la terre ont acquis progressivement une valeur
marchande, les systèmes d’entraide tendent à disparaître, les grandes exploitations
familiales se segmentent et les jeunes ruraux prennent plus tôt leur autonomie. Dans
ce contexte, il nous apparaissait important de revisiter la notion d’exploitation agri-
cole qui avait fait l’objet d’importants travaux de recherche dans le passé, jusqu’à la
fin des années 80. Concevoir des politiques agricoles, des méthodes d’accompagne-
ment des agriculteurs ou encore des innovations techniques et organisationnelles
exige une vision actualisée et renouvelée des exploitations agricoles familiales.
Comment ces contours ont-ils évolué ces dernières décennies ? Les chefs d’exploita-
tion et les membres des familles s’organisent-ils de la même façon aujourd’hui ?
Comment ont évolué l’organisation, le fonctionnement de l’exploitation et les
pratiques gestionnaires de ses décideurs ? Cet ouvrage a tenté de répondre à ces
différentes questions en proposant des méthodes et des outils d’analyse des exploi-
tations et des démarches d’accompagnement des producteurs.
Un des enseignements majeurs des récents travaux sur les exploitations agricoles
familiales est la mise en exergue de la notion de système d’activités rurales. La
diversification des activités va bien souvent au-delà de la production. Les actifs des
exploitations familiales se tournent de plus en plus vers des activités rémunératrices
dépendant d’autres secteurs ruraux (commerce, artisanat) et urbains (travail en
ville). Les systèmes de production agricole s’insèrent dans ces systèmes d’activités,

437
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

par conséquent, la gestion du travail, des revenus et la constitution d’un capital


deviennent plus complexes, et le projet de l’exploitation agricole ne se confond plus
obligatoirement avec celui de la famille ou du ménage rural. La gestion de la
production agricole a également fortement évolué à cause de l’abandon d’un cadre
d’intervention standardisé qui incitait l’agriculteur à produire à la fois pour nourrir
sa famille et pour fournir quelques produits d’exportation achetés par des sociétés
publiques (coton, caoutchouc, arachide, cacao). La libéralisation des économies, la
privatisation des sociétés vouées à l’export et l’accroissement rapide des besoins
vivriers en Afrique ont bouleversé ce schéma. Les exploitations familiales peuvent
effectivement saisir de nouvelles opportunités de commercialisation de leurs produits
mais sont souvent seules face aux différents acteurs des marchés. Ces constats nous
obligent à revoir nos méthodes d’analyse et d’intervention en approfondissant ces
questions de coordination entre les activités (agricoles, non-agricoles) au sein des
exploitations pluri-actives d’une part, entre les exploitations et les différents acteurs
des filières agricoles d’autre part.
Les différentes études de cas présentées dans cet ouvrage montrent les capacités
d’adaptation et d’innovation des exploitants. Dans bien des situations, les agricul-
teurs et les éleveurs innovent sans bénéficier d’appuis extérieurs (qu’ils viennent de
la recherche ou des structures de développement). Ils modifient ainsi leur assole-
ment et leurs pratiques de culture, de transformation voire de commercialisation.
Ces dynamiques paysannes répondent le plus souvent aux attentes actuelles des
marchés (par exemple l’augmentation de la consommation des fruits et légumes en
milieu urbain) ; elles sont plus massives et touchent plus de producteurs lorsque les
conditions de production sont favorables (pluviométrie non limitante, accès à l’eau
d’irrigation, terres encore fertiles) ainsi que les possibilités de mise en marché
(routes, pistes rurales, sécurité). Mais dans les zones marginales (régions semi-
arides), éloignées des grandes métropoles ou très enclavées, les mécanismes d’adap-
tation s’apparentent plus à ceux de la survie. Il ne faut pas oublier que de grandes
régions rurales d’Afrique subsaharienne se sont appauvries depuis vingt ans, surtout
lorsque sont apparus les conflits politiques et ethniques.
Mais ces capacités d’innovation des exploitations agricoles africaines ne suffisent
pas à concurrencer les agricultures des autres continents. Pour la plupart des
produits agricoles tropicaux d’exportation, l’Afrique a perdu des parts de marché.
Cela pourrait être le cas du coton, prochainement, si rien n’est fait pour soutenir les
filières africaines. Il faut rappeler que les agricultures d’Afrique subsaharienne ne
luttent pas à armes égales avec celles des autres continents : au-delà des contraintes
climatiques (l’Afrique reste le continent le plus affecté par les sécheresses), les agri-
culteurs africains ne bénéficient d’aucun système de subvention ni même de protec-
tion de leurs produits sur les marchés intérieurs. Les États ne pouvant pas s’appuyer
sur un secteur industriel naissant (comme en Asie) n’ont pas pu aider leurs agricul-
teurs. L’émergence des institutions économiques régionales est récente, elles ont par
conséquent encore peu de poids, alors que les pays africains ont rejoint l’OMC et
de ce fait sont fortement incités à libéraliser leur économie et à limiter les taxes à
l’importation. Le développement des exploitations familiales et l’amélioration des
conditions de vie des familles rurales passeront nécessairement par la mise en place
d’organisations paysannes mieux structurées, plus efficientes couvrant les différents

438
Conclusion générale

niveaux de décision (du local à l’international) et par l’affirmation de politiques


agricoles nationales et régionales qui leur soient plus favorables et leur apportent
un réel soutien.
Ce plaidoyer pour l’agriculture familiale n’exclut pas de promouvoir des coordina-
tions et des complémentarités avec d’autres formes d’agriculture (agro-indutries) si
elles aboutissent à une amélioration des conditions de vie des populations rurales.
Nous avons aussi largement illustré dans cet ouvrage l’importance et la diversité des
rôles des exploitations familiales en particulier en termes de production alimentaire
pour les populations rurales et urbaines. Elles contribuent ainsi à la souveraineté
alimentaire des États d’Afrique de l’Ouest et du Centre. De plus, ces exploitations
fournissent la grande majorité des emplois en milieu rural à une période où les
projets de mécanisation et de motorisation de l’agriculture vont subir la contrainte
de la hausse du prix des carburants. Le travail manuel et la traction animale retrou-
vent tout leur sens, ils débouchent sur plus d’emplois, sur la possibilité de mieux
valoriser les ressources fertilisantes locales (fabrication de compost et de fumier), et
aussi sur l’amélioration de la qualité (par exemple pour la fibre du coton conven-
tionnel récolté et trié manuellement, le coton « bio »…).
Par leurs activités (produire, transformer, vendre), les exploitations agricoles fami-
liales participent au développement économique de territoires encore peu touchés
par la petite industrie, par les petites et moyennes entreprises non-agricoles ou par
le tourisme. La présence d’exploitations performantes est le gage du développe-
ment des services à l’agriculture mais aussi des transports, de la santé et de l’éduca-
tion. Personne ne peut oublier, – lorsque les prix étaient rémunérateurs –, l’impact
des filières du coton, du cacao ou du café sur l’accroissement de l’équipement des
villages. Mais face aux difficultés économiques actuelles et en l’absence de poli-
tiques incitatives, on doit reconnaître que l’agriculture familiale n’est pas nécessai-
rement garante d’une gestion harmonieuse des ressources naturelles et de la
biodiversité. En effet, étant donné la baisse des prix agricoles et le renchérissement
des intrants (engrais, pesticides), les paysans doivent défricher de nouvelles terres,
cultiver de plus grandes surfaces pour maintenir leur niveau de vie. Dans certains
cas, la survie des familles passe par la coupe et la vente de bois, en quantité bien
supérieure à la capacité de régénération de la strate arborée des écosystèmes. De
même, la biodiversité végétale et animale est fragilisée par l’extension des défriche-
ments, la coupe des forêts reliques et la mise en culture des bas-fonds. Toutefois,
lorsque ces écosystèmes subsistent, les agriculteurs détiennent des savoirs précieux
sur les végétaux et la faune utiles pour la société (pharmacopée en particulier).
Le rôle social des exploitations agricoles familiales est attesté, car elles contribuent
à l’équipement des campagnes et procurent des emplois aux jeunes ruraux, et frei-
nent ainsi l’exode vers les villes où le taux de chômage dépasse très souvent 40 %.
Au-delà des aspects économiques liés aux exploitations (revenu, emploi), il faut
rappeler qu’elles participent à la cohésion sociale non seulement dans les campa-
gnes mais aussi à l’échelle des pays. L’exploitation agricole et plus largement les
sociétés villageoises peuvent ainsi garantir le minimum vital aux personnes de
retour de la ville et qui n’ont pas pu s’y insérer durablement. Les phénomènes d’ac-
culturation sont fréquemment observés en ville du fait de l’essor des moyens de
communication et du poids des médias occidentaux. En intégrant une partie de la

439
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

jeunesse, les exploitations agricoles familiales d’Afrique entretiennent activement


les richesses culturelles des pays, – richesses qui favorisent la cohésion et la paix
sociale –, et les maintiennent vivantes et ancrées. Finalement, en participant au
maintien des savoirs locaux (biodiversité et usage des plantes, héritages culturels) et
au développement des services, les exploitations familiales assurent des fonctions
non marchandes complémentaires de celles liées à la production agricole.
L’importance des rôles que joue l’agriculture familiale plaide en faveur de la pour-
suite ou plutôt de l’extension des travaux de recherche sur les exploitations agricoles
familiales. Il nous faut renouveler nos concepts, nos méthodes d’investigation en
vue d’aboutir à une meilleure connaissance des processus de changement en cours
et d’améliorer les méthodes et dispositifs d’accompagnement de ces exploitations.
Pour cela, il faut faire appel à d’autres disciplines que celles qui ont été mobilisées
auparavant (économie, agronomie, sciences de gestion) :
– la sociologie pour étudier les liens familiaux et la constitution du capital social
(élément important du fonctionnement de l’exploitation agricole familiale) ;
– les sciences de l’éducation pour travailler sur les processus d’apprentissage au sein
de l’exploitation et entre exploitations ;
– la géographie pour comprendre les modes d’occupation des espaces et la gestion
des territoires. Les travaux sur les exploitations familiales doivent être mieux articulés
avec ceux menés à l’échelle méso-économique et à l’échelle macro-économique.
Ainsi, élaborer une méthode de conseil ne se résume pas à identifier les besoins en
conseil des agriculteurs, mais nécessite également d’évaluer les capacités des
sociétés rurales, des filières et des économies régionales à organiser et à soutenir le
dispositif de conseil.
Les évolutions des contextes économique et écologique (libéralisation des
échanges, désengagement des États, pression accrue sur les ressources naturelles)
constituent le cadre de nos interventions en appui aux exploitations agricoles fami-
liales et déterminent fortement les problématiques de recherche scientifique et de
développement actuelles. Pour l’exploitation agricole, ces questions renvoient d’une
part à une meilleure gestion des ressources (au sens large) et des facteurs de
production et, d’autre part plus largement pour la société, à la nécessité de passer
d’un développement strictement économique à un développement durable (équité,
préservation de l’environnement, viabilité économique). Cet ouvrage à visée péda-
gogique n’a pas pu aborder toutes les questions qui se posent aujourd’hui aux
exploitations agricoles. D’autres travaux et donc d’autres ouvrages devraient par
exemple s’intéresser aux phénomènes de concurrence ou de complémentarité entre
les différents types d’exploitations agricoles : celles des familles rurales, celles des
urbains que l’on assimile à des entreprises agricoles, celles mobilisant des capitaux
étrangers, etc. Faut-il craindre l’émergence de ces entreprises ? Faut-il proposer
– comme cela a été le cas en Europe dans les années 70 – des lois foncières pour
soutenir l’agriculture familiale ?
La question des changements climatiques n’a pas été traitée dans cet ouvrage. Les
paysans et les éleveurs vont être confrontés à un renforcement des aléas climatiques
(sécheresse, inondation) et à une hausse de la température moyenne pour la zone
tropicale d’Afrique. Les exploitations agricoles auront-elles encore les moyens de

440
Conclusion générale

s’adapter ? Les techniciens doivent-ils anticiper en travaillant plutôt sur la gestion


des ressources en eau si ce facteur devient le plus limitant de la production ?
Le renchérissement du coût des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel) va se pour-
suivre durant les décennies à venir. Cela annonce pour les exploitations agricoles
familiales africaines une hausse des prix des intrants et des transports terrestre et
maritime et donc une contrainte supplémentaire à la commercialisation des
produits. Face à ces prévisions ne faudrait-il pas revoir les orientations prises par la
recherche agricole en vue d’intensifier les systèmes de production ? Des systèmes
plus économes en énergie fossile donc en intrants importés et intégrant mieux
l’énergie animale et les ressources fertilisantes locales ont certainement un avenir.
Peut-on imaginer que de plus en plus d’exploitations produisent des biocarburants
utilisables pour elles-mêmes ou constituant une source de revenu appréciable ?
Mais quelles que soient les orientations futures que prendront les exploitations fami-
liales – et donc l’évolution de leurs rôles et fonctions –, elles auront toujours besoin
d’améliorer leurs capacités d’adaptation et d’innovation et de faire évoluer leurs
techniques et leurs pratiques de gestion. Pour accompagner au mieux ces agri-
culteurs, il est important de continuer à mobiliser sur ces sujets les institutions de
recherche et les bailleurs de fonds qui ont eu tendance à délaisser ce niveau d’inter-
vention, ou objet d’étude, qu’est l’exploitation agricole familiale. Ainsi, dans une
étude récente intitulée « L’Agence française de développement face aux devenirs des
agricultures familiales », J.-C. Devèze (2006) propose-t-il d’inscrire les programmes
d’appui aux exploitations agricoles familiales dans un cadre d’intervention plus large,
à l’échelle d’une région ou d’un pays, qui dépasse le secteur agricole. Il propose que
l’accompagnement des agricultures familiales soit intégré aux politiques publiques
mises au point de façon concertée entre l’État, les acteurs professionnels et la
société civile. Au-delà des appuis classiques aux exploitations familiales (appui à l’in-
novation, conseil, organisation des producteurs) qu’il faut conforter et améliorer, il
paraît nécessaire d’intervenir dans trois domaines complémentaires : la formation
agricole et en milieu rural de tous, des plus jeunes aux chefs d’exploitation ; l’aména-
gement du territoire et l’accompagnement des flux de populations ; le financement
de l’agriculture et du monde rural.
Le récent rapport de la banque mondiale sur le développement dans le monde 2008
(World Bank, 2007) exprime clairement que l'appui aux exploitations familiales
agricoles en Afrique subsaharienne doit être prioritaire, car leur développement est
une condition sine qua non de la réduction de la pauvreté et du développement
économique dans cette région du monde.

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462
Index

A Conseil de gestion 115, 143, 226, 371, 417, 420


Accumulation 202, 205, 280 Conseiller 379, 391, 420, 425, 429, 432
Activité agricole 51, 106 Côte d’Ivoire 30, 38, 59, 321, 404
Agents de développement 137, 147, 367 Coton/Cotonnier 29, 63, 165, 224, 234, 248,
252, 376, 385
Agriculture d’entreprise 50
Coût d’opportunité 90
Agriculture familiale 49, 101, 353
Cultures maraîchères 190
Agriculture périurbaine 51, 185
Cultures pérennes 238, 239, 303
Aide à la décision 114, 256, 376, 389, 395
Analyse statistique 127, 134 Cycle de vie des exploitations 155, 179, 200,
219, 238, 239, 309
Animateur 150, 405, 432
Appui à l’agriculture familiale D
(service, dispositif, structures) 39, 226, 257, Dire d’expert 137, 164
363, 370, 383, 394, 418 Diversification 50, 167, 178, 203, 208, 234,
B 235, 236, 303
Bénin 29, 195, 278, 427 E
Burkina Faso 84, 174, 231, 385, 418 Élevage 102, 151, 236, 252, 331
C Enquête 132, 143, 160, 186, 411
Cacaoyer 303 Épargne 196, 203, 285
Caféier 31 Exploitation agricole (définition) 85, 102, 151
Calendrier cultural 407, 409 Externalité (concept) 52
Calendrier de travail 262, 316 F
Cameroun 31, 143, 167, 234, 239, 244, 252, Facteur de production 63, 90, 97, 214, 232,
292, 303, 331, 354, 362, 376 290, 299
Capital social 196, 204, 412 Fertilité 34, 195, 269, 273
Centre de décision 75, 79, 83 Financement 388, 396, 425, 434
Collectivités locales 42, 81 Foncier (conflit foncier, pression foncière,
Comptabilité 226, 378 marché de la terre) 35, 49, 201, 232, 238,
Condition des femmes 80, 107 271, 335
Congo-Brazzaville 107 Fonction culturelle 56
Conseil (agricole, technique) Fonction de production 53, 87
140, 257, 276, 277, 278, 372, 375, 385, 428 Fonction environnementale 53

463
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Fonctionnement des exploitations 82, 94, Performance économique 64


131, 144, 389 Politiques agricoles 27, 46, 149, 400
Formation (apprentissage-capital humain) Prise de décision 92, 102, 114, 131, 215, 218,
39, 138, 196, 224, 266, 370, 380, 385, 388, 242, 256, 351, 376, 377, 389, 395
393, 395, 400, 412, 425, 428, 433
Projets de l’agriculteur 97, 157, 223
G R
Gestion collective des ressources
Recherche-action 353, 364, 403, 419
naturelles 36, 275
Recherche-développement 151, 353, 371, 376
Gestion financière 279, 287, 388
Répartition des activités 79, 80, 108, 260, 327
Gestion opérationnelle 220
République centrafricaine 143, 165, 296
Gestion stratégique 219, 225, 229
Ressources naturelles (accès, gestion,
Guinée forestière 274
dégradation) 32, 197, 272
H Revenu 88, 100, 113, 145, 192, 203, 224,
Hévéa 239 291, 295, 298
I Risques des activités agricoles 45, 203, 222,
236, 250, 309
Indonésie 116
Riz 189, 274, 314, 321, 404
Innovation (concept, processus, exemples,
diffusion) 33, 63, 67, 142, 349, 362, 410, 417 S
Intégration (au marché) 27 Schéma de fonctionnement 134
Intensification 63, 166, 237, 290, 321, 356, 375 Sécurité alimentaire 54, 145, 292, 339
Sénégal 76, 82, 169, 314
J
Sociétés rurales (organisation sociale,
Jachère 65, 174, 180, 273, 274, 310, 338
changements) 37, 49, 105, 271, 366, 391, 413
L Sorgho 244, 354
Loi des rendements décroissants 88 Spécialisation 234, 235
M Stratégie 95, 145, 152, 180, 190, 206, 223,
Madagascar 185 229, 352, 358
Main-d’œuvre (gestion, évolution) 156, 177, Système d’activités 82, 187, 235
196, 200, 261, 322 T
Mali 53, 83, 136, 138, 163, 278, 375 Tchad 143, 292
Migration 33, 55, 159, 175, 198, 203 Traction animale 169, 237, 331
Modèle d’action 221, 243, 254, 256 Trajectoire 118, 163, 165, 200, 206, 226, 251,
Mozambique 43 359
O Trésorerie 279, 285, 293
Oignon 234, 355 Typologie 22, 66, 115, 124, 136, 138, 140,
Organisations paysannes (organisations de 149, 163, 206, 278, 362, 394
producteurs-organisations professionnelles) U
40, 41, 46, 314, 382, 430, 431
Unité de gestion 102, 153
Ouganda 152
Unité de production 76, 77
P V
Palmier à huile 30
Vulgarisation 74, 150, 351, 369, 395
Performance des exploitations
(productivité, rentabilité, pérennité, Z
stabilité, dispersion) 68, 100, 151, 214, 289 Zonage 126, 394

464
Liste des sigles
et des abréviations

Adrao Centre du riz pour l’Afrique, Bénin


Aduraa Analyse de la durabilité de l’agriculture dans l’agglomération
d’Antananarivo, Madagascar
AFD Agence française de développement, France
Afdi Agriculteurs français et développement international, France
AFGP/SDR Appui à la formation aux groupements paysans et aux structures
de développement rural, Burkina Faso
Amira Amélioration des méthodes d’investigation en milieu rural africain
AOPP Association des organisations professionnelles paysannes, Mali
Aproca Association des producteurs de coton africains
Aprocasude Association des producteurs d’ovins et caprins du Sud-Est,
Côte d’Ivoire
Aprostoc Association des producteurs stockeurs de céréales, Cameroun
ATT Association Tin Tua, Burkina Faso
AVB Aménagement de la vallée du Bandama, Côte d’Ivoire
AVV Aménagement des vallées des Volta, Burkina Faso
CADG Cellule d’appui au développement du conseil de gestion, Bénin
Cagea Cellule d’appui à la gestion des exploitations agricoles, Bénin
Carder Centre d’action régional pour le développement rural, Bénin
CDG Conseil de gestion
CEAF Conseil à l’exploitation agricole familiale
Cebedes Centre béninois pour l’environnement et le développement
économique et social, Bénin
Cedeao Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
Cef Conseil aux exploitations familiales
CGEA Centre de gestion des exploitations agricoles, Bénin
Cemac Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
Cepepe Centre de promotion et d’encadrement des petites
et moyennes entreprises, Bénin
Ceta Centre d’études techniques agricoles, France
CIDT Compagnie ivoirienne de développement des textiles, Côte d’Ivoire

465
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Cilss Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel


Cimmyt Centro Internacional de mejoramiento del maíz y trigo, Mexique
Cirad Centre de coopération internationale en recherche agronomique
pour le développement, France
Civam Centre d’initiative pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, France
CMDT Compagnie malienne de développement des textiles, Mali
CNCR Conseil national de concertation et de coopération des ruraux, Sénégal
Cnasea Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations
agricoles, France
CNCER Conseil national des centres d’économie rurale
Cnearc Centre national d’études agronomiques des régions chaudes,
France (Sup Agro)
Cnerta Centre national d’études et de ressources en technologies avancées, France
Cnop Coordination nationale des organisations paysannes, Mali
CNRA Centre national de recherche agronomique, Côte d’Ivoire
CNRS Centre national de recherche scientifique, France
CNRST Centre national pour la recherche scientifique et technique, Maroc
Codesria Council for the development of social science research in Africa,
Dakar, Sénégal
CPS Cellule planification et statistique, Mali
CRDI Centre de recherche pour le développement international, Québec
CRDP Centre régional de documentation pédagogique, Bénin
CRPA Centre régional pour la production agricole, Burkina Faso
CSFD Comité scientifique français de la désertification, France
DFID Department for international development, Grande-Bretagne
DPGT Développement paysannal et gestion de terroir, Cameroun
DSCN Direction nationale de la statistique et de la comptabilité nationale,
Cameroun
Enesad Établissement national d’enseignement supérieur agronomique
de Dijon, France
Enitac École nationale d’ingénieur des travaux agricoles de Clermont-Ferrand,
France
Ensam École nationale supérieure agronomique de Montpellier,
France (SupAgro)
Ensat École nationale supérieure agronomique de Toulouse, France
FAO Food and agriculture organisation, Rome, Italie
FMI Fonds monétaire international
Fonader Fonds national de développement rural, Cameroun
FSA Faculté des sciences agronomiques, Bénin
FUGN Fédération des unions de groupements Naam, Burkina Faso
Fupro Fédération des unions de producteurs, Bénin
GEA Groupement des exploitants agricoles, Bénin
Gerdal Groupe d’expérimentation, recherche développement et action localisée,
France
Germe Groupe d’appui, d’encadrement et de recherche en milieu rural, Bénin
Grapad Groupe de recherche et d’action pour l’agriculture et le développement,
Bénin

466
Liste des sigles et des abréviations

Gret Groupe de recherche et d’échange technologique, France


IAMM Institut agronomique méditerranéen, France
Icra Institut centrafricain de recherche agronomique,
République centrafricaine
Icra International Centre for development oriented research
in agriculture, France
Idessa Institut des savanes, Côte d’Ivoire (intégré au CNRA)
IER Institut d’économie rurale, Mali
IFDC International Center for soil fertility and agricultural development,
États-Unis
Iger Institut national de gestion et d’économie rurale, France
IIED International institute for environment and development,
Grande-Bretagne
IITA International institute of tropical agriculture, Nigeria
Ina-PG Institut national agronomique Paris-Grignon, France
Inera Institut de l’environnement et de la recherche agricole, Burkina Faso
INP Institut national polytechnique
Inra Institut national de la recherche agronomique, France
Inrab Institut national de la recherche agricole du Bénin, Bénin
Irad Institut de recherche agricole pour le développement, Cameroun
IRD Institut de recherche pour le développement, France
ISCS Interim Science Council Secretariat
Isra Institut sénégalais de recherches agricoles, Sénégal
Itrad Institut tchadien de recherche agronomique pour le développement,
Tchad
Kit / RTI Royal tropical institute, Amsterdam, Pays-Bas
Lares Laboratoire d’analyse et d’expertise sociale, Cotonou, Bénin
Lesor Laboratoire d’économie et sociologie rurale, Bouaké, Côte d’Ivoire
MAE Ministère des affaires étrangères, France
Nepad Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
OMC Organisation mondiale du commerce
ORD Organe de règlement des différends, Burkina Faso
Padse Programme d’amélioration et de diversification des systèmes
d’exploitation, Bénin
PAFPA Projet d’appui à la formation professionnelle des agronomes, Bénin
PDRI/HKM Projet régional de développement rural intégré, Houet-Kossi-Mouhoun,
Burkina Faso
Prasac Pôle de recherche appliquée au développement des savanes
d’Afrique centrale
Roppa Réseau des organisations paysannes et de producteurs
d’Afrique de l’Ouest
SAED Société nationale d’aménagement des terres du delta du fleuve
Sénégal et des vallées du Sénégal et de la Falémé, Sénégal
SCGEAN Service de comptabilité et de gestion des exploitations agricoles
du Nord, Korhogo, Côte d’Ivoire
Sodecoton Société de développement du coton, Cameroun

467
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Sodeva Société de développement et de vulgarisation agricole, Sénégal


Sofitex Société des fibres et textiles, Burkina Faso
Sonapra Société nationale de promotion agricole, Bénin
UDP Union départementale des producteurs, Bénin
UEMOA Union économique et monétaire ouest-africaine
UGPAT Union des groupements de producteurs d’ananas de Toffo, Bénin
Unesco United nations educational, scientific and cultural organization
UNPCB Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso
UPPM Union provinciale des producteurs de coton et de céréales
du Mouhoun, Burkina Faso
Urdoc Unité de recherche-développement-observatoire du changement,
Office du Niger, Mali
Warda-Adrao Voir Adrao

468
Liste des auteurs

Véronique ALARY Magalie CATHALA


Cirad, UPR Systèmes d’élevage, 18 rue croix Thibault 28000 Chartres, France
Campus international de Baillarguet, [email protected]
TA C18 / A, 34398 Montpellier Cedex 5, France
[email protected] Bénédicte CHAMBON
Irad-NRRP-Cirad
Mahefa ANDRIARIMALALA [email protected]
Université d’Antananarivo,
département de géographie, Ankatso, BP 907, Christian CORNIAUX
101 Antananarivo, Madagascar Cirad, UPR Systèmes d’élevage, BP 1813,
Bamako, Mali
Christine AUBRY [email protected]
Inra, UMR Sad-APT, 16 Claude Bernard,
75231 Paris, France Yacouba COULIBALY
[email protected] Nyeta conseil, BP 19, Niono, Mali
[email protected]
Valentin BEAUVAL
Agriculteur et consultant, Varanne Louresse, Marie-Hélène DABAT
49700 Doué, France Cirad, URP SCRID, Représentation du Cirad,
[email protected] Ampandrianomby, BP 853, Antananarivo,
Madagascar
Loïc BARBEDETTE [email protected]
Consultant, Goas Caradec22720 Plésidy, France
[email protected] Olivier DAVID
Irad, BP 1616 Yaoundé, Cameroun
Alain BONNASSIEUX [email protected]
UMR Dynamiques Rurales,
Université Toulouse le Mirail, France Toon DEFOER
[email protected] Centre de recherche international
pour la recherche agricole orientée vers le
Yérima BORGUI développement (Icra), Agropolis international,
Lares-Cotonou, 08 BP 0592 Tri postal, avenue Agropolis, 34394 Montpellier, France
Cotonou, Bénin précédemment Adrao-Warda, 01 BP 4029,
[email protected] Abidjan 01, Côte d’Ivoire. [email protected]

Jacques BROSSIER Jocelyne DELARUE


Inra Centre de Dijon, BP 86510, AFD, Direction de la recherche,
21065 Dijon Cedex, France 5 rue R. Barthes 75598 Paris Cedex 12, France
[email protected] [email protected]

469
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Matty DEMONT Idrissa FANE


Département d’Économie agricole Nyeta conseil, BP 19 Niono, Mali
et de l’environnement, Katholieke Universiteit [email protected]
Leuven, de Croylaan 42, 3001 Leuven, Belgique
[email protected] Guy FAURE
Cirad, UMR Innovation,
Jean-Claude DEVÈZE 73 rue Jean-François Breton, TA C85 / 15,
AFD, 20 ter rue de la république, 34398 Montpellier Cedex 5, France
22770 Lancieux, France [email protected]
[email protected]
Bernard FAYE
Patrice DJAMEN Cirad, UPR systèmes d’élevage,
Sadel-Gie, BP 293 Garoua, Cameroun Campus international de Baillarguet,
[email protected] TA C18 / A, 34398 Montpellier Cedex 5, France
[email protected]
Koye DJONDANG
Itrad, BP 5400, N’Djaména, Tchad Anne FLOQUET
[email protected] Cebedes 02 BP778, Cotonou, Bénin
[email protected]
André DJONNEWA
Irad, BP 222 Maroua, Cameroun
Michel FOK AH CHUEN
[email protected]
Cirad, UPR Systèmes cotonniers,
avenue Agropolis, TA B10 / 02,
Aimé Landry DONGMO
34398 Montpellier Cedex 5, France
Irad-Prasac, Station de Garoua, BP 415
[email protected]
Garoua, Cameroun
[email protected]
Mohamed GAFSI
UMR Dynamiques rurales,
Thierry DORÉ
École nationale de formation agronomique,
Ina-PG, 16 rue Claude Bernard, 75231 Paris, France
2 route de Narbonne, BP 22687,
[email protected]
31326 Castanet Tolosan, France
Patrick DUGUÉ [email protected]
Cirad, UMR Innovation,
73 rue Jean-François Breton, TA C85 / 15, Pascal GOUTON
34398 Montpellier Cedex 5, France Projet d’amélioration et de diversification
[email protected] des systèmes d’exploitation (PADSE), BP 1007
Parakou, Bénin
Guillaume DUTEURTRE
Cirad, UPR Systèmes d’élevage, Isra (Institut Yves GUILLERMOU
sénégalais de recherches agricoles)/BAME, Faculté de Médecine, Université Paul Sabatier
Bel Air, BP 3120, Dakar, Sénégal 37, allée Jules Guesde 31073 Toulouse, France
[email protected] [email protected]

Olaf ERENSTEIN Michel HAVARD


Cimmyt, CG Centre Block, National Cirad, UMR Innovation, Cirad-Irad, BP 2572
Agricultural Science Centre Complex, Yaoundé, Cameroun
DP Shastri Marg, Pusa, New Delhi 110012, India [email protected]
[email protected]
Jean-Yves JAMIN
Alioune FALL Cirad, UMR G-Eau, avenue Agropolis,
Centre Isra (Institut sénégalais de recherches TA C90 / 02, 34398 Montpellier Cedex 5,
agricoles), St Louis, BP 2057 St Louis, Sénégal France
[email protected] [email protected]

470
Liste des auteurs

Philippe JOUVE Jules René MINKOUA NZIE


Centre national d’études agronomiques des Université Yaoundé II, BP 1365 Yaoundé,
régions chaudes (Cnearc), 1101 avenue Agropolis, Cameroun
BP 5098, 34033 Montpellier Cedex 01, France [email protected]
[email protected]
Simon N’CHO
André KAMGA Warda-Adrao, 01 BP 2031 Cotonou, Bénin
Université de Dschang, BP 375 Dschang, Cameroun [email protected]
[email protected]
François PAPY
Paul KLEENE Inra, UMR Sad-APT, BP 01,
SCAC - Ambassade de France, BP 898 78850 Thiverval-Grignon, France
N’Djamena, Tchad [email protected]
[email protected]
Éric PENOT
Yao Séverin KOUAMÉ Cirad, UMR Innovation, Direction régionale
Laboratoire d’économie et de sociologie rurale du Cirad, Ampandrianomby, BP 853
(Lesor), Université de Bouaké, Antananarivo, Madagascar
22 BP 288 Abidjan, Côte d’Ivoire [email protected]
[email protected]
Denis PESCHE
Pierre-Yves LE GAL Cirad, UPR Politiques et marchés,
Cirad, UMR Innovation, 73 rue Jean-François Breton, TA C88 / 15,
73 rue Jean-François Breton, TA C85 / 15, 34398 Montpellier Cedex 5, France
34398 Montpellier Cedex 5, France [email protected]
[email protected]
Jocelyne RAMAMONJISOA
Anne LEGILE Université d’Anatananarivo, département
AFD, 5 rue R. Barthes 75598 Paris Cedex 12, de géographie, Ankatso, 101 Antananarivo,
France Madagascar
[email protected]
Marc ROESCH
Jean LEROY Cirad, UMR Innovation, IRD/Cirad French
Ambassade de France en Guinée, BP 570 Institute of Pondicherry, 11 St Louis Street,
Conakry, Guinée PB 33, 605001 Pondichéry, Inde
[email protected] [email protected]

Bertrand MATHIEU Souadou SAKHO-JIMBARA


Instituto de Agricultura Sostenible, SupAgro, UMR MOISA, 2 place Viala,
Consejo Superior de Investigaciones Cientifica, 34060 Montpellier Cedex 02, France
Apartado 4080, 14080 Cordoba, Espagne [email protected]
[email protected]
Georges SERPANTIÉ
Emmanuel M’BÉTID-BESSANE UR 168-95 Dynamiques socio-environnementales
Faculté des sciences économiques, et gouvernance des ressources
Université de Bangui, BP 1983 Bangui, IRD, 911 avenue Agropolis, BP 64501
République centrafricaine 34394 Montpellier Cedex 5, France
[email protected] [email protected]

Isabelle MICHEL -DOUNIAS Nicole SIBELET


IRC-SupAgro, UMR Innovation, Cirad, UMR Innovation,
1101 avenue Agropolis, BP 5098, 73 rue Jean-François Breton, TA C85 / 15,
34033 Montpellier Cedex 01, France 34398 Montpellier Cedex 5, France
[email protected] [email protected]

471
Exploitations agricoles familiales en Afrique de l’Ouest et du Centre

Johan STESSENS Dominique VIOLAS


Hoger Instituut Voor Arbeid (HIVA), Assistant technique de la Coopération
Duurzame Ontwikkeling, Katholieke française (Ambassade de France,
Universiteit Leuven, Kapucijnenvoer 33 blok H, SCAC projet PPMAB puis AFD projet
3000 Leuven, Belgique PADSE) Bénin
[email protected] [email protected]

Ludovic TEMPLE Marco C.S. WOPEREIS


Cirad, UMR Moisa, boulevard de la Lironde, Cirad, Direction scientifique,
TA B27 / PS4, 34398 Montpellier Cedex 5, France avenue Agropolis, TA 179 / 04, 34398
[email protected] Montpellier Cedex 5, France
précédemment Centre international
Éric TOLLENS pour la gestion de fertilité et le développement
Hoger Instituut Voor Arbeid (HIVA), agricole (IFDC), Division Afrique, BP 4483,
Duurzame Ontwikkeling, Katholieke Lomé, Togo
Universiteit Leuven, Kapucijnenvoer 33 blok H, [email protected]
3000 Leuven, Belgique
[email protected] Bienvenu ZONOU
DEP Ministère de l’agriculture,
Éric VALL de l’hydraulique et des ressources halieutiques,
Cirad, UPR Systèmes d’élevage, Cirdes, 03 BP 7010 Ouagadougou,
01 BP 454 Bobo-Dioulasso 01, Burkina Faso Burkina Faso
[email protected] [email protected]

Mise en pages : Bill production – 34000 Montpellier


Impression : Imprimerie CHIRAT - 42540 Saint-Just-la-Pendue
Dépôt légal : novembre 2007
N° d’impression : 7328

472
En un demi-siècle, les agricultures africaines ont évolué très rapidement,
passant de l’autosubsistance familiale à l’intégration aux marchés.
Les exploitations familiales d’Afrique subsaharienne, qui jouent un rôle
essentiel pour l’alimentation et les produits d’exportation, sont pénalisées
par l’accès limité à certains facteurs de production (intrants et équipement)
et par la concurrence liée à la mondialisation et aux politiques agricoles
des pays du Nord. Néanmoins, la demande alimentaire des villes africaines
constitue une opportunité pour les agriculteurs et les éleveurs. Pour être
en phase avec ces changements, la recherche et le développement
ont renouvelé leurs approches en termes de compréhension et de conseil
aux exploitations agricoles.
S’appuyant sur des expériences récentes en Afrique de l’Ouest et du Centre,
cette synthése pluridisciplinaire propose un ensemble de méthodes d’analyse
des exploitations, ainsi que des démarches de conseil ; des travaux théoriques
et méthodologiques alternent avec des études de cas. Quatre thèmes sont traités :
fonctionnement de l’exploitation agricole familiale et son environnement ; évolution
des systèmes de production (diversité, mécanismes) ; méthodes et pratiques
de gestion (stratégie, production, ressources humaines et naturelles, trésorerie) ;
appui aux producteurs (innovation, recherche–action, conseil à l’exploitation).
Cet ouvrage à visée pédagogique intéressera les universitaires et étudiants
spécialisés en économie et en agronomie, les chercheurs et les acteurs
du développement impliqués en Afrique.

Mohamed Gafsi, maître de conférences en sciences de gestion à l’Enfa Toulouse-Auzeville


UMR Dynamiques rurales, analyse les formes d’organisation et de gestion des exploitations
agricoles confrontées aux enjeux de la durabilité et aux conséquences de la libéralisation
des échanges, notamment en Afrique.
Patrick Dugué, agronome au Cirad à Montpellier, UMR Innovation, travaille sur la compréhension
et l’amélioration des systèmes de production en Afrique subsaharienne, plus particulièrement
les relations entre systèmes de culture et d’élevage.
Jean-Yves Jamin, agronome au Cirad à Montpellier, UMR Gestion de l’eau, acteurs, usages,
travaille sur les systèmes de production irrigués en Afrique subsaharienne et dans d’autres régions
du monde (fonctionnement des exploitations agricoles et des réseaux d’irrigation, organisation
des systèmes de culture).
Jacques Brossier, agronome et docteur en gestion, Président du Centre de recherches Inra
de Dijon, a encadré plusieurs travaux sur le fonctionnement et la gestion des exploitations,
ainsi que sur le développement durable et la gestion des ressources naturelles, en France
et dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Prix TTC : 36 Ε
ISBN : 978-2-7592-0068-9

CIRAD

éditions Cemagref, Cirad, Ifremer, Inra ISSN : 1777-4624


www.quae.com Réf. : 02053

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