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BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)

DOSSIER 23
ASSOCIATIONS AGR OFORESTIÈRES / AGR OFORESTERIE

Les associations
Emmanuel Torquebiau agroforestières
Cirad-tera
Campus international de Baillarguet
TA 60/15
et leurs multiples enjeux
34398 Montpellier Cedex 5
France
Fabienne Mary
Cnearc
Avenue Agropolis
34394 Montpellier Cedex 5
France
Nicole Sibelet
Cirad-tera L’association d’arbres à d’autres productions
Campus international de Baillarguet végétales ou animales peut prendre de nombreuses
TA 60/15 formes. Les auteurs dressent un tableau de ces
34398 Montpellier Cedex 5 différentes pratiques agroforestières aux interactions
France complexes, et en analysent les multiples enjeux.

Paysage de bocage. Anjouan, Comores.


Hedge and field landscape. Anjouan, the Comoro Islands.
Photo N. Sibelet.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)
24 DOSSIER
AGR OFORESTRY / AGR OFORESTRY ASSOCIATIONS

RÉSUMÉ ABSTRACT RESUMEN


LES ASSOCIATIONS THE MULTIPLE CHALLENGES LAS ASOCIACIONES
AGROFORESTIÈRES ET OF AGROFORESTRY ASSOCIATIONS AGROFORESTALES Y SUS
LEURS MULTIPLES ENJEUX MÚLTIPLES DESAFÍOS
Trees may be associated with crops
L’association d’arbres à d’autres pro- or livestock in many different ways, La asociación de árboles con otras
ductions végétales ou animales peut which we have classified here into producciones vegetales o animales
prendre de multiples formes, que five broad categories: crops under puede realizarse de formas diversas.
nous proposons de classer en cinq tree cover, agroforestry in a linear Nosotros proponemos clasificarlas en
grandes catégories : les cultures sous arrangement, agroforests, sequential cinco amplias categorías: cultivos
couvert arboré, les techniques agro- agroforestry techniques and minor bajo cubierta arbórea, técnicas agro-
forestières en disposition linéaire, les agroforestry techniques. Because forestales en disposición lineal, agro-
agroforêts, les techniques agrofores- agroforestry is a multipurpose activi- bosques, técnicas agroforestales se-
tières séquentielles et les techniques ty which is complex in structure and cuenciales y técnicas agroforestales
agroforestières mineures. De par sa involves a high degree of biodiversity, menores. Por su alta biodiversidad,
biodiversité élevée, sa nature polyva- it gives rise to a unique and complex naturaleza polivalente y estructura
lente et sa structure complexe, l’agro- system of ecological, economic and compleja, la agroforestería pone en
foresterie met en jeu des interactions sociological interactions. Drawing on juego interacciones ecológicas, eco-
écologiques, économiques et sociolo- a number of case studies in tropical nómicas y sociológicas particulares.
giques particulières. À partir de regions, this article discusses the Partiendo de unos estudios de casos
quelques études de cas tropicaux, cet challenges arising from these interac- tropicales, este artículo analiza los
article discute des enjeux de ces in- tions in the following areas: ecologi- desafíos de dichas interacciones en
teractions dans les domaines sui- cal competition and complementarity los siguientes ámbitos: la competen-
vants : la concurrence et la complé- between trees and crops, the eco- cia y la complementariedad ecológica
mentarité écologiques entre les nomic potential of agroforestry prac- entre árboles y cultivos, la valoriza-
arbres et les cultures, la valorisation tices and the adoption and adapta- ción económica de las prácticas agro-
économique des pratiques agrofores- tion of innovative agroforestry forestales, la adopción y modificación
tières, l’adoption et la modification techniques by rural populations. de innovaciones agroforestales por
d’innovations agroforestières par les las poblaciones rurales.
populations rurales. Keywords: agroforestry, ecological in-
teraction, economic evaluation, inno- Palabras clave: agroforestería, inte-
Mots-clés : agroforesterie, interac- vation, Burundi, Indonesia, the racción ecológica, evaluación econó-
tion écologique, évaluation écono- Comoro Islands. mica, innovación, Burundi, Indonesia,
mique, innovation, Burundi, Indoné- Comores.
sie, Comores.
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DOSSIER 25
ASSOCIATIONS AGR OFORESTIÈRES / AGR OFORESTERIE

Introduction
Associer des arbres à la produc-
tion agricole est une idée vieille
comme l’agriculture. C’est la friche de
l’agriculture sur brûlis, la forêt à
caféiers d’Éthiopie, le bocage nor-
mand, le parc arboré du Sahel, etc.
Perçues comme des options d’utilisa-
tion des terres pouvant contribuer à
résoudre certaines menaces pesant
sur l’environnement et les forêts, ces
pratiques traditionnelles ignorées de
l’agriculture productiviste connais-
sent un certain renouveau depuis
quelques années sous le nom d’agro-
foresterie. Parce qu’elle associe agri-
culture et « culture d’arbres » et parce
qu’elle est surtout le fait d’agricul-
teurs, l’agroforesterie a des implica-
tions écologiques, économiques et
sociologiques différentes de celles de
l’agriculture ou de la foresterie prises
séparément. Par ailleurs, en agrono-
mie, les expérimentations sont plus
rapides car les rotations sont plus
courtes qu’en matière forestière où,
souvent, l’agriculteur n’a pas été pris
en compte.
Du fait de la (bio)diversité due à
la présence des arbres, les change-
ments induits par l’innovation agrofo-
restière marquent durablement l’en-
vironnement, l’organisation sociale,
le fonctionnement économique des
exploitations et la structure du pay-
sage. Sous les tropiques, les situa-
tions où les activités agricoles sont
associées à des arbres sont innom-
brables (voir par exemple Dupriez et
de Leener, 1993, pour une vue d’en-
semble de l’agroforesterie africaine).
À travers quelques études de cas tro-
picaux, cet article aborde les dimen-
sions écologique, économique,
sociale et paysagère des pratiques
agroforestières.

Le durian, Durio zibethinus, arbre mythique de l’Asie du Sud-Est, dont le fruit est réputé
pour sa saveur et son odeur, est aussi utilisé comme garantie dans des mécanismes de
prêt informel. Arbre épargné dans un brûlis d’agriculture itinérante, à Sumatra.
The durian tree, Durio zibethinus, well known in south-east Asian mythology and
reputed for the odour and flavour of its fruit, is also used to guarantee informal loans.
A tree left intact in slash-and-burn cultivation in Sumatra.
Photo E. Torquebiau.
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AGR OFORESTRY / AGR OFORESTRY ASSOCIATIONS

Concepts de Pour précise qu’elle soit, cette telle que l’ombrage dans les caféières
l’agroforester ie définition ne lève pas toutes les ambi- ou l’apport de fertilisant, comme dans
guïtés. Par exemple, l’association certains parcs arborés. Leur présence
caféiers-arbres d’ombrage, dans peut aussi répondre à une fonction uti-
Définition laquelle les deux composantes sont litaire, comme les arbres servant de
pérennes, est classée dans l’agrofores- support à des cultures grimpantes
En associant le préfixe agro- à terie. Pour Baldy et Stigter (1993), telles que le poivrier. Ils peuvent enfin
foresterie, les créateurs de l’expres- l’agroforesterie n’est qu’un cas particu- avoir une fonction de production com-
sion « agroforesterie » marquèrent lier des cultures multiples, dans lequel plémentaire au sein d’une parcelle,
cette science d’une ambiguïté qui l’une des deux composantes est sans que l’interaction écologique,
n’est pas encore totalement levée. La pérenne. Cette définition a le mérite de même si elle existe, y soit recherchée.
forêt n’apparaît que dans certains cas la simplicité et renvoie à celle que les Dans ce dernier cas se trouvent les
d’agroforesterie. Dans les autres cas, auteurs donnent des cultures multi- arbres fruitiers dans les parcelles, les
les plus nombreux, les arbres en jeu, ples : « [systèmes de culture dans les- « champs ouverts arborés » des géo-
isolés, en groupes de dimensions quels] deux ou plusieurs plantes occu- graphes. Souvent, les arbres ont, de
modestes, ne se présentent pas sous pent la même unité de surface de sol fait, plusieurs fonctions (Leonard,
la forme d’une forêt, mais sous une (...) de façon conjointe ou séquen- Oswald, 1996).
physionomie qui évoque plutôt l’ar- tielle ». Les cas où existe une associa-
boriculture. Ce qui n’enlève rien à l’un tion avec une production animale com- Les techniques agroforestières
des objectifs essentiels de l’agrofo- plètent le tableau de l’agroforesterie. en disposition linéaire
resterie, celui de jouer, dans un La ligne est une constante de
contexte agricole, un certain nombre Classifica tion de nombreux paysages agricoles, et sou-
de rôles dévolus à la forêt. l’agroforester ie vent l’arbre vient s’y loger. Ce sont les
Une définition de l’agroforeste- brise-vent et autres plantations de
rie faisant à peu près l’unanimité au- L’une des manières d’y voir plus lisière, le but de ces dernières étant
jourd’hui est la suivante : « La culture clair est de tenter de classer les diffé- parfois seulement de marquer le par-
délibérée de plantes ligneuses rentes pratiques agroforestières. Ce cellaire. Ce sont les haies vives desti-
pérennes en interaction écologique classement peut se faire selon des nées à contrôler les animaux. En plein
ou économique avec des cultures sai- critères géographiques, climatiques, champ, les bandes boisées et les
sonnières ou de l’élevage, simultané- mais aussi selon des critères d’objec- haies arbustives ont souvent un rôle
ment ou en séquence temporelle » tifs : une production supplémentaire anti-érosif. Ce sont des cultures en
(Nair, 1993, modifié). Le concept de (bois, fruits, fourrage, etc.) ou un ser- couloirs si les haies sont répétitives
plante pérenne (arbre ou arbuste qui vice (brise-vent, ombrage, lutte et régulièrement émondées afin de
reste en vie pendant la saison défavo- contre l’érosion, etc.). Toutes ces fertiliser les couloirs de culture qui
rable) est central dans cette défini- classifications, en mélangeant des les séparent. Le bocage, paysage
tion. Les interactions écologiques et critères de structure et de fonction, d’enclos végétaux constitués de
socio-économiques entre cette com- font apparaître de nombreux recou- haies, appartient à cette catégorie.
posante et la composante agricole pements entre catégories. Une classi-
sont toujours présentes. fication simple en cinq catégories est Les agroforêts
ici proposée. Elle est fondée sur des Parcelles à la physionomie typi-
Agriculture multi-étagée expérimentale au Burundi : critères structuraux de disposition – quement forestière, les agroforêts
haricots, bananiers et Grevillea robusta. dans l’espace ou dans le temps – des sont des associations multistrates de
Experimental multistorey agriculture in Burundi: beans, composantes de l’association ; autre- plusieurs espèces arborées et saison-
bananas and Grevillea robusta. ment dit, sur des critères physiono- nières, aux utilisations multiples et
Photo E. Torquebiau. miques faciles à reconnaître au pre- complémentaires, parfois nommées
mier coup d’œil (Torquebiau, 2000). « systèmes agroforestiers complexes »
(Michon et al., 1995). Autour des habi-
Les cultures sous couvert arboré tations, les jardins-forêts contribuent
À cette première catégorie appar- à de nombreux aspects de l’autocon-
tiennent toutes les combinaisons sommation familiale, tandis que les
d’arbres et de cultures dans lesquelles forêts villageoises, plus étendues,
la composante arborescente constitue sont souvent orientées vers la vente
un étage supérieur recouvrant des de produits tels que les fruits, le bois
cultures. Ce sont les arbres dispersés d’œuvre, le caoutchouc. Les parcelles
dans les parcelles agricoles. Ils peu- boisées à usages multiples sont une
vent avoir une fonction écologique variante simplifiée d’agroforêt.
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ASSOCIATIONS AGR OFORESTIÈRES / AGR OFORESTERIE

Les techniques agroforestières montre la figure 1, le domaine de


Interactions
séquentielles l’agroforesterie a des limites floues. écolog iques en
Cette catégorie regroupe des La présence d’une composante
cas où l’interaction entre arbres et pérenne dans les associations agrofo- agroforester ie
cultures a lieu dans le temps. restières a des conséquences socio-
L’agriculture itinérante, par l’intermé- économiques importantes : gestion L’étude scientifique des phéno-
diaire de la friche reconstitutrice de la dans la durée, valeur symbolique et mènes de concurrence et de complé-
fertilité du sol, en est l’archétype. Les sociale de l’arbre. Elle a aussi des mentarité en agroforesterie en est à
jachères boisées améliorées, dans conséquences écologiques, la présen- ses débuts. Les résultats de recher-
lesquelles les arbres plantés peuvent ce d’arbres pouvant être bénéfique che montrent la complexité des inter-
aussi avoir un rôle de production, (complémentarité), mais aussi induire actions qui s’expriment à différents
sont également classées dans ce une concurrence avec les cultures. niveaux : feuillages, racines, sol
groupe. Dans le système « taungya », Ces phénomènes sont fonction de la superficiel ou profond. Concurrence
l’espace disponible entre les arbres disposition spatiale et temporelle des et complémentarité s’expriment aussi
d’une plantation forestière est utilisé, arbres et des cultures. C’est la raison de manière différente selon les condi-
pendant les premières années, pour pour laquelle il est utile, comme le tions environnementales : une séche-
des cultures agricoles. montre la figure 2, de classer les tech- resse peut annuler l’effet positif
niques agroforestières en fonction du induit par la présence d’une légumi-
Les techniques agroforestières degré de recouvrement, dans l’espace neuse car la culture associée ne peut
mineures et dans le temps, des arbres et des profiter de l’azote supplémentaire
Cette dernière catégorie ras- cultures. Ainsi, l’agroforesterie simul- faute d’eau. L’agroforesterie a par
semble les cas un peu particuliers où tanée est séparée de l’agroforesterie ailleurs des implications environne-
des arbres sont associés à des pro- séquentielle, les phénomènes de mentales multiples, grâce aux diffé-
ductions animales spécifiques, à l’ins- concurrence ne pouvant se produire rents rôles que jouent les arbres dans
tar de certaines pêcheries de mangro- que dans le premier cas. de nombreux équilibres écologiques.
ve (aquaforesterie). Les associations
d’arbres à des productions dues à des
insectes (entomoforesterie) peuvent
également être incluses dans l’agrofo-
resterie. La production de laque à par-
tir d’hémiptères vivant sur les
branches de certains arbres, les vers à
soie nourris avec les feuilles du mû-
rier, ou l’apiculture, lorsque la produc-
tion de miel dépend de fleurs d’arbres
(notamment quand les ruches sont
installées dans les arbres), en sont
des exemples.
Il existe aussi des situations
complexes où sont associées deux ou
trois catégories de pratiques agrofo-
restières. Par exemple, la « jungle à
hévéa » de Sumatra (Gouyon et al.,
1993) est à la fois une agroforêt et
une jachère améliorée faisant partie
d’un cycle d’agriculture itinérante.
Par ailleurs, les animaux peuvent
consommer du fourrage d’arbres, di-
rectement ou par affouragement, ou
s’alimenter de cultures fourragères
ou sur des pâturages cultivés en as-
sociation avec des arbres. C’est le
grand domaine du sylvopastoralisme.
Figure 1. À la périphérie, les ovales représentent des situations non
Il existe enfin des situations intermé-
agroforestières. Au centre, le domaine flou de l’agroforesterie est délimité
diaires entre ce qui est agroforestier
par des tirets indiquant les passages vers ce qui n’est pas de l’agroforesterie.
et ce qui ne l’est pas. Comme le Les caractéristiques agroforestières augmentent vers le centre.
The oval shapes around the periphery represent non agroforestry cases.
In the centre, the blurred outlines of agroforestry activities are represented
by dashes showing the transition to other activities.
Agroforestry characteristics increase towards the centre.
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28 DOSSIER
AGR OFORESTRY / AGR OFORESTRY ASSOCIATIONS

Agr iculture multi-étagée


au Bur undi

La figure 3 présente une expé-


rience permettant d’étudier l’intercep-
tion de la lumière et la concurrence
racinaire dans une parcelle agrofores-
tière plantée de haricots, de bananiers
et de grevilleas (un arbre de la famille
des protéacées). Les résultats mon-
trent que l’effet combiné des arbres et
des bananiers sur les haricots n’est
pas égal à la somme de leurs effets
séparés. L’effet d’ombrage est infé-
rieur à ce à quoi l’on pourrait s’at-
tendre mais la concurrence racinaire
est plus importante que prévu. Il appa-
raît que les interactions lumineuses
permettent de jouer sur des effets de
Figure 2. Classification de complémentarité entre plantes à
l’agroforesterie fondée sur le degré de condition que l’on prête une attention
recouvrement spatial et temporel entre particulière au compartiment racinaire
les arbres et les cultures (van Nordwijk, (Akyeampong et al., 1999).
Purnomosidih, 1995, modifié).
Classification of agroforestry based on
On sait par exemple que les arbres Jachère agroforestière
the varying extent of tree and crop cover
over time and space (van Nordwijk,
peuvent avoir un effet sur le régime en Zambie
Purnomosidih, 1995, modified). des pluies et l’humidité du sol
(Mollison, 1988). En France, on En Zambie, la jachère naturelle,
reconnaît au bocage un effet ther- méthode traditionnelle de reconsti-
mique correspondant à un abaisse- tution de la fertilité du sol, tend à dis-
ment de latitude de l’ordre de 400 km paraître sous les effets conjugués de
(Parcevaux, 1990). Ces mêmes haies l’augmentation de la population et de
ont un effet sur le cycle hydrologique la collecte de bois pour les usages
et le vent et constituent des réserves domestiques. Les agriculteurs n’ont
de biodiversité floristique et faunis- par ailleurs pas les moyens d’acheter
tique (Pointereau, Bazile, 1995). Les des engrais. En plantant des Sesbania
interactions évoluant dans le temps, (un petit arbre de la famille des légu-
des expérimentations de longue mineuses) sur les sols épuisés, on
durée ou des modélisations sont peut, après deux ans, récolter du bois,
nécessaires, qui permettront de gui- remettre les sols en culture et obtenir
der la recherche appliquée concer- des rendements élevés en maïs alors
nant la gestion de l’association agro- qu’il aurait fallu huit à dix ans de
forestière, en vue de limiter la concur- jachère naturelle pour parvenir au
rence, de favoriser les mécanismes même résultat. Des mesures ont mon-
de complémentarité et de stabiliser tré que cette amélioration est obte-
les conditions d’expression des nue par une porosité accrue du sol (et
synergies, ainsi que le montrent les donc une meilleure infiltration de
deux exemples qui suivent. l’eau) provoquée par les racines des
arbres (Torquebiau, Kwesiga, 1996).
Ce second exemple permet de fournir
des bases à l’évaluation économique
des jachères agroforestières. De tels
Fruits de durian vendus sur un marché
de Bogor, Indonésie.
résultats agronomiques sont encore
Durian fruit sold on a market in Bogor, trop rares et l’évaluation économique
Indonesia. des associations agroforestières en
Photo F. Hallé. est rendue difficile.
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DOSSIER 29
ASSOCIATIONS AGR OFORESTIÈRES / AGR OFORESTERIE

Concurrence pour la lumière : 27 %

Concurrence pour la lumière : 5 %

r* = 73 % r* = 95 % r* = 72 %
r* = 23 %

Concurrence racinaire : 50 % Concurrence racinaire : 23 %


Maille racinaire

Concurrence pour la lumière : 27 %

Témoin
r* = 73 % r* = 100 % r* = 100 %
r* = 54 %

Concurrence racinaire : 19 %

* r : rendement
en pourcentage
du témoin

Grevilleas Bananiers Haricots

Figure 3. Agriculture multi-étagée


expérimentale à Gitega, Burundi :
rendements et interactions arbres-cultures.
Experimental multi-storey agriculture in
Gitega, Burundi: tree and crop yields and
interactions.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)
30 DOSSIER
AGR OFORESTRY / AGR OFORESTRY ASSOCIATIONS

Évaluation témoin non agroforestier qui devrait De plus, quand il y a une incerti-
économique être l’assolement cultures annuelles tude forte sur le prix de produits
d’un côté, arbres de l’autre. Elles ligneux qu’on ne récoltera que dans
des associations mesurent tout au plus les avantages plusieurs années, la valeur de ces
et les inconvénients de l’introduction produits n’est quelquefois plus prise
agroforestières d’arbres dans les cultures. en compte dans la décision d’asso-
Une autre difficulté de l’évalua- cier arbres et cultures dans les
L’évaluation économique de tion économique de l’agroforesterie champs. On ne peut donc plus utiliser
l’agroforesterie est utile pour guider tient à la présence des plantes péren- les critères économiques classiques
le choix des associations et la nes dont l’horizon temporel est le construits à partir de la valeur de
conduite technique des arbres et long terme. En économie, le para- toutes les productions de l’associa-
des cultures. Mais elle est difficile. mètre temporel est pris en compte à tion agroforestière.
À l’échelle de la parcelle, des évalua- travers l’actualisation des coûts et Enfin, le choix de l’horizon tem-
tions agro-économiques comparent des bénéfices, qui traduit la préfé- porel (long terme) sur lequel est
les résultats de parcelles agrofores- rence pour des bénéfices à court construit le calcul est délicat : faut-il
tières et de parcelles en cultures terme. Or, le calcul des coûts et béné- procéder à un calcul sur une seule
pures prises comme témoin. Ces com- fices actualisés repose sur un para- rotation ou bien faut-il, pour intégrer
paraisons ne permettent pas de mètre à la fois difficile à estimer le paramètre temps, prolonger l’hori-
conclure à l’intérêt de l’association et affectant fortement le résultat du zon temporel à deux rotations, ou à
agroforestière par rapport au vrai calcul : le taux d’actualisation. une infinité de rotations ? Des recher-
ches ont montré que ces diverses
options de calcul conduisent à des
résultats différents (Maille, 1991).
Dans le cas complexe des agroforêts
multi-étagées indonésiennes, Michon
al. (1995) décrivent une diversifica-
tion progressive des plantations de
damar (Shorea javanica, un arbre
résinifère de la famille des diptérocar-
pacées), dont la gestion pied à pied
aboutit à une association d’arbres
d’âges différents qui vieillissent et
sont remplacés à tour de rôle. Dans
ces agroforêts sans cycle, sur quelle
durée faut-il estimer la valeur des
diverses productions à venir ?
À l’échelle de l’exploitation agri-
cole, on peut évaluer l’agroforesterie
en relation avec les autres systèmes
de culture. Par exemple, au Sahel, la
plantation des jeunes plants d’arbres
doit être réalisée en début de saison
des pluies, au moment où les agricul-
teurs donnent la priorité aux semis
des cultures vivrières. Des problèmes
de main-d’œuvre peuvent se poser.
L’agroforesterie peut aussi induire un
gain de temps et d’espace, comme
pour les grevilleas plantés dans les
caféières du Buyenzi, au Burundi
(encadré 1).

Vieux notable. Anjouan, Comores.


A village elder. Anjouan, the Comoro Islands.
Photo N. Sibelet.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)
DOSSIER 31
ASSOCIATIONS AGR OFORESTIÈRES / AGR OFORESTERIE

À l’échelle du ménage, on
Les enjeux lité de cette périphérie vers les ter-
intègre les objectifs de production de l’adoption roirs intensifiés proches des villages.
(en termes de flux) et les objectifs Les haies vives viennent cependant
patrimoniaux (en termes de stock) du d’une innovation limiter ce transfert en procurant une
budget familial. Au cours de son cycle partie du fourrage (jusqu’à 20 % des
de vie, une famille doit supporter des
agroforestière besoins). Le rôle d’ordre qualitatif de
fluctuations de revenus et de ce fourrage est le plus important, la
consommation qui déséquilibrent L’analyse qui suit (Sibelet, production de la haie étant principa-
son budget. En l’absence de marchés 1995) aborde les implications histo- lement utilisée en période de sou-
financiers (prêt à la consommation, riques et sociologiques liées à l’intro- dure. La fumure organique bovine a
placement de l’épargne, assurances, duction d’arbres dans un terroir très permis de passer à la culture conti-
retraite, etc.), la famille utilise les peuplé des Comores (600 hab./km2), nue et d’intensifier les systèmes de
biens réels, durables, de son patri- le Niumakélé, où, depuis trente ans, culture vivriers à base de racines et
moine, comme l’or, les bijoux, le l’arbre a joué un rôle majeur dans tubercules qui coexistent avec des
bétail et l’arbre, pour faire face aux l’évolution de l’agriculture, notam- cultures de rente (girofle, ylang-
déséquilibres de son budget, et « lis- ment face à la forte poussée démo- ylang, vanille).
ser sa consommation ». Par exemple, graphique (taux de croissance annuel Cette intensification a permis de
en Indonésie, à Java Ouest (enca- moyen de 3,2 %). L’ancien système passer en quelques années d’un
dré 2), un arbre fruitier de grande de production, fondé sur l’association espace ouvert en pleine dégradation à
valeur commerciale est utilisé comme riz (ou manioc) - maïs - ambrevade (le un espace embocagé ayant une pro-
garantie dans le cadre d’un système pois cajan, ou pois d’Angole), avec ductivité très supérieure (production
de prêt informel localement appelé une année de jachère sur deux, a évo- multipliée par 2,7 en trente ans, alors
gadai (Dury et al., 1996). À Sumatra, lué à la suite de nouvelles pratiques que la population a doublé pendant
dans la société matrilinéaire minang- de fertilisation, le développement du cette même période) qui s’étend peu
kabau, à chaque naissance d’une couvert arboré et l’embocagement. à peu à partir des zones favorables
fille, le père plante dans le sous-bois L’agriculture, restée exclusivement (autour des villages). L’intensification
des agroforêts appartenant au manuelle, est aujourd’hui associée à globale résultante associe une exploi-
lignage de sa femme des canelliers l’élevage, sous forme de bovins atta- tation plus extensive des terroirs péri-
qui seront récoltés au moment du chés à un piquet tournant, sur des phériques à une intensification pous-
mariage de la jeune fille. En Malaisie, parcelles entourées de haies vives. sée du terroir central. Une multiplica-
les exploitants « préparent leur Les haies sont principalement consti- tion par dix des rendements sur les
retraite » en plantant une cocoteraie tuées de sandragon (Pterocarpus parcelles les plus intensifiées a été
qu’ils confient à un jeune agriculteur indicus) et de gliricidia (Gliricidia observée : dans les hauts, l’ancien
quand ils cessent leur activité. Le sepium), deux espèces légumineuses système riz - maïs - ambrevade pro-
jeune agriculteur cultive l’espace arborescentes. duisait 2 515 000 cal/ha (3 ans sur 5),
intercalaire entre les cocotiers et, en Les animaux sont alimentés par le système agroforestier avec fertilisa-
échange de ce foncier, entretient et deux apports fourragers quotidiens tion bovine d’aujourd’hui (manioc -
récolte les noix pour l’exploitant âgé provenant essentiellement des ter- taro - banane - maïs - ambrevade
(Dupraz, 1989). Ces exemples mon- roirs périphériques. La production de pérenne) fournit 20 600 000 cal/ha
trent comment les planteurs d’arbres fumier génère des transferts de ferti- (3 ans sur 4).
utilisent la durée de vie et le délai
d’entrée en production pour transfé-
rer de la valeur dans le temps.
Pouvoir disposer de cette valeur à un
moment donné du cycle de vie fami-
lial est aussi important que le mon-
tant lui-même.

Haie de Pterocarpus indicus et de


Gliricidia sepium. Anjouan, Comores.
Hedge of Pterocarpus indicus
and Gliricidia sepium. Anjouan,
the Comoro Islands.
Photo N. Sibelet.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)
32 DOSSIER
AGR OFORESTRY / AGR OFORESTRY ASSOCIATIONS

L’étude historique montre que bovins et nouvelles cultures, et de lut-


Analyse
le rôle de l’arbre a varié selon les ter contre la divagation des animaux. sociolog ique
époques. L’augmentation de la pres- Elle fournit également une partie du
sion démographique a tout d’abord fourrage, d’importance stratégique. du processus
entraîné un raccourcissement de la Le développement des haies a été
jachère. Dans un premier temps possible car les nouvelles cultures à
d’innova tion
(1960-1980), les mouvements de base de tubercules tolèrent mieux
plantation de girofliers puis d’ylang- l’ombrage que le riz et ne craignent L’étude des stratégies des
ylang dispersés dans les parcelles pas les oiseaux. Étalées sur l’année, acteurs a montré que la diversifica-
vivrières ont permis, grâce à des prix elles permettent la présence de tion agroforestière était soumise,
favorables, de modérer cette ten- bovins qui eux-mêmes sont indispen- comme l’ensemble du système d’in-
dance à la diminution du temps de sables par la fumure qu’ils apportent. novations dans lequel elle est incluse,
jachère. Cette agroforesterie de type L’analyse historique de ces deux à des lois sociales elles-mêmes fonc-
« cultures sous couvert arboré » a pu grandes phases de l’agroforesterie tion des positions qu’occupent les
se développer sur une partie du terri- montre aussi la nécessité de confron- individus dans la société. La capacité
toire sans remettre en cause le sys- ter les perceptions des agronomes et d’innovation des paysans est latente
tème traditionnel riz - maïs - ambre- des paysans. Pour les agronomes, la et se manifeste le moment venu, en
vade, jusqu’au moment où les clôture est surtout appréciée pour ses proportion des moyens disponibles.
rendements des cultures vivrières rôles antiérosif et fertilisant. Elle est Dans le cas du Niumakélé, plu-
(sous couvert arboré ou non) sont un facteur d’équilibre du milieu : par sieurs grands groupes stratégiques
devenus insuffisants et où la multipli- sa production fourragère importante, d’acteurs se distinguent. Un premier
cation des arbres ne pouvait plus se elle limite les transferts de fertilité groupe a une stratégie sociale, soit
poursuivre sans remettre en cause la des zones périphériques vers le terroir par innovation précoce, soit en don-
production de riz, du fait de la concur- fertilisé. Conscients de ces avantages, nant son agrément. Ce sont les
rence pour l’utilisation du sol, de les paysans classent néanmoins en notables (les actifs et les vieux
l’ombre sur les cultures et des dégâts tête la fonction de protection contre le notables), qui cherchent à maintenir
causés par les oiseaux vivant dans les vol et contre la divagation des ani- ou augmenter leur notabilité, fondée,
arbres. maux. Cette classification des avan- en ordre décroissant, sur l’hérédité,
Dans un second temps, c’est le tages de l’agroforesterie, différente la religion, l’éloquence et la capacité
bocage qui a permis de construire un chez les paysans et les agronomes, de négociation, l’affabilité et la géné-
système plus productif fondé sur soulève des questions pour la rosité, le bon sens ou l’habileté arti-
l’arbre et la fertilisation bovine. La recherche agronomique et l’évalua- sanale, la sorcellerie, le grand âge et
haie vive permet de protéger du vol tion économique. l’instruction scolaire. Ces notables
sont ceux qui permettent à l’innova-
tion d’être mise en pratique dans la
Encadré 1. société. Ils délivrent aux autres
LES GREVILLEAS DES CAFÉIÈRES DU BUYENZI (NORD-BURUNDI) (BERTHELOT, 1993). acteurs le visa idéologique leur per-
mettant de mettre en pratique l’inno-
La caféiculture, première source de devises au Burundi, a toujours demandé beaucoup de vation, en conformité avec les prin-
travail, notamment pour le paillage des parcelles, imposé par les autorités dès l’arrivée des cipes de la société. Si le rôle des
premiers plants de café en 1926. Les caféières sont paillées pour réduire l’érosion, impor- notables actifs est facilement repé-
tante sur ces terrains en pente. Le paillage est effectué chaque année, en juillet-août, au rable, celui des vieux (sages) est
moment de la récolte du maïs et du sorgho et de la préparation des semis de saison sèche. moins perceptible. Et l’ignorer
Traditionnellement, les plants de caféier sont paillés avec les résidus de sorgho, les feuilles – comme ce fut souvent fait – est aller
de bananier, ou des plantes cultivées à cet effet (Hyparrhenia, Eragrostis). Avec des grevil- au-devant d’obstacles.
leas plantés tous les 5 m en bordure des caféières, la moitié de la parcelle bénéficie d’un La seconde stratégie, d’innova-
paillage par chute des feuilles, diminuant d’autant les besoins en paillage apporté et le tion massive, est d’ordre écono-
temps nécessaire au transport de ces matériaux. Cependant, les paysans constatent une mique. N’ayant pas la même marge
division par deux des rendements du café pour les plants situés à proximité des arbres (soit de manœuvre que les notables, ce
pour 20 à 25 % des plants selon la forme de la parcelle), ce qui diminue le rendement global groupe (la grande majorité des agri-
de la parcelle d’environ 10 %. C’est d’ailleurs pourquoi les services techniques interdisent culteurs) innove plus tardivement,
cette pratique agroforestière. Néanmoins, pour les agriculteurs interrogés, le gain de temps mais souvent plus massivement, car
et d’espace induit par la présence des grevilleas dans les caféières ainsi que les avantages l’innovation représente pour eux un
procurés par les autres productions fournies par l’arbre, en particulier le bois d’œuvre, com- intérêt économique important sinon
pensent la diminution des rendements en café. vital. Les premiers innovateurs ayant
confirmé l’efficacité de l’innovation et
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)
DOSSIER 33
ASSOCIATIONS AGR OFORESTIÈRES / AGR OFORESTERIE

le visa idéologique étant décerné, les


Conclusion
non-notables innovent, mais diffé-
remment. L’agroforesterie repose sur la L’étude de l’agroforesterie
Le classement des avantages et mise en valeur simultanée de plu- montre que la diversité appliquée à
inconvénients de l’introduction des sieurs (au moins deux) ressources l’agriculture conduit à des cas plus
arbres est donc différent, non seule- biologiques, dont l’une, l’arbre, a des complexes que des situations agri-
ment entre paysans et agronomes, caractéristiques pérennes et souvent coles ou forestières où l’on poursuit
mais aussi entre groupes sociaux dis- des usages multiples. Cela induit de un seul objectif de production. Les
tincts. Il y a donc ici un paramètre nombreuses interactions entre ces changements dus à l’agroforesterie
supplémentaire à prendre en compte. ressources et entre celles-ci et les marquent de façon plus pérenne le
L’arbre, malgré un long délai d’entrée autres composantes du système paysage et la société que l’agricul-
en production, est adopté sous agraire, y compris l’homme : concur- ture pure. L’agroforesterie implique
diverses formes, sans l’appui du cré- rence racinaire qui se manifeste plus directement le paysan que la
dit. Les paysans se montrent donc lorsque les arbres atteignent de foresterie. Ainsi, les enseignements
prêts à assumer l’investissement que grandes dimensions, stratégies patri- tirés de l’agroforesterie et les
représente la plantation d’arbres dès moniales de capitalisation sur pied, méthodes qui s’y révèlent efficaces
qu’ils sont sûrs d’en récolter les appropriation et modifications d’inno- peuvent être transposées aux autres
« fruits », dès que leur survie écono- vations, structuration des paysages et activités du monde rural. Entre
mique à court terme n’est pas mise modifications sociables durables. autres, l’approche interdisciplinaire
en danger par cet investissement, intrinsèque de l’agroforesterie fait
d’où l’intérêt de l’association avec les office de plaidoyer pour l’appliquer à
cultures annuelles ou l’élevage, enfin d’autres situations.
dès que le visa idéologique est
obtenu.

Encadré 2.
LE GADAI DE DURIAN (DURIO ZIBETHINUS)
À JAVA (VILCOSQUI, 1994).

Le gadai est un emprunt informel, effectué le plus souvent en drier de remboursement, le gadai ne peut néanmoins être
espèces, et pour lequel l’emprunteur donne en garantie un considéré comme un prêt à taux usuraire, comparé aux autres
bien productif (ici un arbre cultivé dans les jardins agrofores- taux d’intérêt pratiqués localement, y compris dans les sys-
tiers). Les intérêts, pendant la durée du prêt, sont constitués tèmes de prêt formel (Dury, 1997). La Banque populaire indo-
par l’usufruit du bien (ici la production fruitière, le plus sou- nésienne octroie en effet des prêts ruraux à moyen terme à
vent commercialisée). Ce prêt dure de 1 à 4 ans, et la fin de des taux effectifs de 12 à 20 % par an.
l’emprunt, à l’initiative de l’emprunteur, est concrétisée par le
remboursement de la somme empruntée, amenant la restitu- Dans le village étudié, 20 % des familles possèdent au moins
tion du bien gagé à son propriétaire. Comme la production un durian ; ce sont principalement des familles aisées ou
fruitière est irrégulière, une durée minimale est parfois préci- appartenant à une « classe moyenne », du point de vue de
sée, correspondant à l’intérêt demandé par le prêteur. En leur patrimoine, mais ayant un revenu annuel plutôt faible :
dehors des prêts intrafamiliaux, le gadai est le seul système 1 641 000 Rp contre 2 267 000 Rp en moyenne dans le village.
de crédit, sur trois années en moyenne, permettant de dispo- Cependant, en dépit de leur richesse relative, et du fait de
ser, sous 24 heures, de plus de 100 000 roupies indoné- leurs revenus peu élevés, ces familles empruntent et mettent
siennes (Rp). Les observations effectuées sur 85 gadai de un arbre en gadai lorsqu’elles manquent de liquidités au
durians montrent que le montant moyen du prêt atteint moment de dépenses exceptionnelles, ou lorsque leurs acti-
180 000 Rp, soit la valeur moyenne de la production fruitière. vités économiques, souvent risquées, traversent des difficul-
Le taux d’intérêt est très variable, puisqu’il s’échelonne de 0 tés, comme cela est fréquemment le cas dans le commerce
à 210 % par an (moyenne 65 %). La durée du prêt et la grande local. Parmi les 85 emprunteurs interrogés lors de l’étude, 50
irrégularité de la production fruitière expliquent en partie % avaient utilisé la somme empruntée pour la consommation
cette forte variation du taux d’intérêt, calculé sur des prêts courante, 12 % pour l’achat de biens durables (télévision,
déjà remboursés. Si l’on considère la rapidité et la facilité réfrigérateur, réparation de la maison, etc.) et 18 % pour l’in-
d’obtention de ce crédit, ainsi que la flexibilité de son calen- vestissement.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)
34 DOSSIER
AGR OFORESTRY / AGR OFORESTRY ASSOCIATIONS

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BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 271 (1)
DOSSIER 35
ASSOCIATIONS AGR OFORESTIÈRES / AGR OFORESTERIE

Synopsis
THE MULTIPLE CHALLENGES High biodiversity Adopting agroforestry systems
OF AGR OFORESTRY Because agroforestry is a multipur- The adoption and adaptation of agro-
ASSOCIATIONS pose activity which is complex in forestry innovations by rural people
structure and involves high degree of show that the role of trees as per-
Emmanuel TORQUEBIAU, biodiversity, it gives rise to a unique ceived by farmers and scientists may
Fabienne MARY, and complex system of ecological, differ. In the Comoro Islands, hedges
Nicole SIBELET economic and sociological interac- planted around cropland for soil fer-
tions which differ from those of agri- tility improvement and erosion con-
Associating trees with crops culture or forestry. Tropical regions trol were actually maintained by farm-
or livestock production, an age-old offer a variety of examples of such in- ers because of their usefulness in
practice now arousing increasing in- teractions. Ecological competition or controlling cattle movements and as
terest under the name of agroforestry, complementarity between trees and protection against theft. A study of
can take on many different forms. crops is illustrated by a case of multi- the adoption process revealed that
Because trees are long-lived, changes storey agriculture with beans, ba- stakeholder groups differ in adopting
induced by agroforestry have a long- nanas and trees in Burundi. Here, major innovations such as tree plant-
lasting impact on the environment, on below-ground competition between ing in cropland. Older, influential peo-
social and economic processes, and beans on the one hand, and bananas ple are among the first to adopt the
on landscape structure. Agroforestry or bananas plus trees on the other, innovation, because of their authority
is classified here into five categories: was more important than competition and influence. They deliver an ideo-
▪ crops under tree cover (upper storey for light, demonstrating the impor- logical “certificate of approval” which
trees, agroforestry parklands, scat- tance of the root component in asso- allows large-scale adoption by other
tered trees in croplands, etc.); ciating trees and crops. In Zambia, farmers.
▪ agroforestry in a liner arrangement fallow lands improved by planting
(windbreaks, living fences, hedges, fast-growing trees were found to re- Consequences and implications
alley cropping, etc.); cover their soil properties after only of agroforestry
▪ agroforests (homegardens, village two years, while natural fallows took The multicomponent and multipur-
forest gardens, multipurpose wood- 8 to 10 years. pose nature of agroforestry results in
lots, etc.); specific interactions between farming
▪ sequential agroforestry techniques The economic issues arising from resources (crops, trees, animals) and
(improved fallows, “taungya” system, agroforestry practices are difficult to between these resources and other
etc.); assess because tree growing is un- components, including people: com-
▪ minor agroforestry techniques (trees dertaken with a long term perspec- petition or complementarity, non-
plus fish or insect production, etc.). tive, which makes it difficult to esti- monetary economic strategies, ap-
Livestock farming can also involve mate discount rates. In complex propriate adoption practices,
agroforestry, for example when tree agroforestry systems such as multi- long-term social and landscape
fodder is used or animals are allowed storey agroforests, individual tree change, etc. Agroforestry also has en-
to graze under trees. Some complex management leads to “multi-cycle” vironmental implications in terms of
agroforestry associations provide in- plantations where there is no fixed tree impact on ecological factors such
termediate examples, such as the duration to formulate production as wind, temperature, erosion, biodi-
“rubber jungle” of Sumatra which is planning. Under other conditions, versity, etc. These diverse factors
an agroforest derived from an im- trees can compete with crops for farm make agroforestry a sort of model
proved fallow. resources such as land or labour. In from which lessons can be drawn for
subsistence economies without fi- other rural production systems.
nancial markets, trees can be used to
guarantee informal loans. Share crop-
ping agreements can be settled be-
tween landowners and tenant farm-
ers, where the latter raise crops
between trees and maintain them for
the former.

Jachère améliorée à Sesbania sesban :


détail du sous-bois et de la litière du sol.
Chipata, Zambie, 1992.
Improved fallow land with Sesbania sesban:
detail of undergrowth and leaf litter.
Chipata, Zambia, 1992.
Photo E. Torquebiau.

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