PAPERS-7.7.7.N°3-Français Psychoses Ordinaires
PAPERS-7.7.7.N°3-Français Psychoses Ordinaires
PAPERS-7.7.7.N°3-Français Psychoses Ordinaires
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Vers Barcelone 2018 : Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert
Discontinuité -
Continuité
De la clinique
œdipienne à la
clinique borroméenne
SOMMAIRE
ÉDITO - Paloma Blanco Díaz – ELP P 02
3. 1 Jean-Claude Maleval - ECF P 07
3. 2 Estela Paskvan - ELP P 10
3. 3 Gerardo Arenas - EOL P 14
3. 4 Ana Viganó - NEL P 17
3. 5 Simone Souto - EBP P 21
3. 6 Fulvio Sorge - SLP P 24
3. 7 Epaminondas Theodoridis - NLS P 27
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ÉDITO
De la clinique
œdipienne à la clinique
borroméenne
Paloma Blanco Díaz – elp
Chez le parlêtre, la vie et la subjectivité n’entretiennent pas un rapport naturel. Ces termes
peuvent garder entre eux un certain antagonisme, et pour se rassembler ils nécessitent
en plus un sentiment, un imaginaire qui les lie, qui les joint. Les psychoses, les ordinaires
et les autres, sont l’effet de la difficulté à nouer le corps, la jouissance et la parole. Mais il
y a lieu de nous interroger sur la possibilité qu’existent chez tout parlêtre des désordres à
cette jointure si intime.
La clinique freudienne et la clinique lacanienne, régies par la métaphore paternelle, avec
toute leur validité clinique et épistémique, sont des cliniques de la discontinuité, mais il
est non moins certain que la clinique de la continuité, qui éclaire le nœud borroméen,
met en lumière la structure unique et non répétable de l’invention singulière produite
pour effectuer un nouage avec la vie. Pouvons-nous prendre ces deux conceptions non
pas comme s’excluant, mais comme deux outils servant à nous orienter dans la clinique
du parlêtre ? Le terme de « psychoses ordinaires » proposé par Jacques-Alain Miller en
1998 semble être un programme de recherche plutôt qu’un concept définitif et fermé.
Jacques-Alain Miller découvre et systématise le changement de perspective qui s’opère
dans l’enseignement de Lacan. Chronologiquement, il s’ordonne dans la perspective
structuraliste solidaire de la linguistique où le Nom-du-Père s’introduit de la primauté du
registre symbolique. Cette perspective suit les traces du sillon laissé par Freud où l’Oedipe
noue les trois registres. Nous nous trouvons alors dans la religion du père ; à partir de sa
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ÉDITO
primauté, la métaphore paternelle fait consister l’Autre, et la forclusion du Nom-du-Père
ouvre un trou dans le symbolique que le délire s’efforce de réparer. Cette thèse conçoit la
psychose à partir de la névrose, à partir d’un manque de névrose. Le virage vers une nou-
velle formulation résulte de l’introduction dans l’enseignement de Lacan d’un manque
dans l’Autre, le rendant incomplet et inconsistant, S(Ⱥ) – point de départ du processus
dans lequel le Nom-du-Père va se réduire à n’être qu’un nom parmi d’autres. Le signifiant
du manque de l’Autre est toujours supplémentaire et vient de l’extérieur. Le Nom-du-Père
est alors un point de capiton possible, un parmi d’autres, pour créer la parenthèse et
apporter à l’Autre un continent.
Dans le dernier enseignement de Lacan, la psychanalyse en vient à s’ordonner par la
langue et ses effets de jouissance et non par les lois du langage ; lalangue se distingue du
langage. Lalangue ne sert pas à la communication, mais elle introduit la présence dans le
corps vivant de la jouissance parasitaire. Ce nouvel ordonnancement a comme effet trois
registres disjoints et équivalents, sans prévalence de l’un sur l’autre. La question est qu’ils
restent noués.
Á partir du Séminaire XX, Lacan ne parle plus de névrose mais de symptôme œdipien,
et la névrose perd le privilège de constituer le meilleur ordonnancement possible de la
subjectivité ; elle devient une modalité de nouage en plus. Même si la nomination Nom-
du-Père se maintient jusqu’à la fin, elle se vide de la référence œdipienne et en vient à
désigner tout ce qui noue les trois registres. C’est pourquoi elle se conjugue au pluriel : les
Noms-du-Père.
Si le terme est maintenu c’est parce qu’il conserve en commun avec l’Œdipe sa fonction
de nomination comme quatrième rond nouant les trois autres. Mais il n’a pas à être
considéré comme un symptôme œdipien, telle est l’hypothèse posée par Lacan à propos
de Joyce, dont il ne parle pas en termes de psychose mais en termes de sinthome : Joyce,
le sinthome.
Tout sujet se soutient du nœud. La clinique borroméenne permet d’approcher davantage
l’invention singulière afin de la faire consister, non à partir du père et de l’élucubration
de savoir qu’est l’inconscient, mais à partir d’un savoir faire avec la propre embrouille de
jouissance.
Dans cette perspective, les psychoses ordinaires se rapportent aux effets subjectifs de
nouages précaires et inconsistants ainsi qu’aux petits dénouages, lesquels dans la majorité
des cas – même s’ils peuvent aboutir aux grands dénouages des psychoses classiques ou
extraordinaires – se manifestent à travers des signes beaucoup plus subtils et discrets, des
détails de déconnexion en rapport à la vie elle-même, au corps propre et aux autres, sans
arriver jamais à un déclenchement absolu.
La proposition de recherche sur les psychoses ordinaires est aussi une orientation cli-
nique et politique car c’est un excellent guide pour la lecture de l’état de la civilisation,
des symptômes et de la « mentalité » contemporains. Les textes qui suivent composent
une polyphonie de réponses qui ne sont ni fermées, ni forcément d’accord entre elles, et
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ÉDITO
forcément incomplètes. L’idée est de faire dialoguer les textes entre eux et dans chacune
des lectures possibles. Et notre intention est que l’argument adressé aux lecteurs, qui fait
maintenant partie de cet éditorial, soit une source de questions et de recherches de la
part des écrivains et des lecteurs. Loin de constituer un numéro complet et fermé sur
soi, les textes de chaque livraison des Papers constituent déjà un point de départ pour le
suivant. Jean-Claude Maleval et Estela Paskvan ouvrent et cadrent le champ épistémique
de ce numéro.
Jean-Claude Maleval souligne que malgré les changements profonds subis par le
concept de Nom-du-Père dans l’enseignement de Lacan, sa fonction de nouage de la
structure subjective reste une constante.
Dans la névrose et dans la psychose, la barre sur l’Autre implique le manque d’un signi-
fiant pour nommer toute la jouissance et c’est en ce point que la forclusion se généralise.
Elle est trans-structurale et implique une perspective continuiste. Néanmoins, il y a une
clinique de la forclusion qui limitée par le Nom-du-Père permet qu’un nouage accom-
plisse la propriété borroméenne. Et il y a une autre clinique, dans laquelle le Nom-du-Père
est absent et qui requiert une suppléance dans le nœud, une suppléance qui implique
l’usage du sinthome.
Toutefois, faire du sinthome la base commune des ces deux structures comporte d’im-
portantes exceptions et des objections cliniques. Dans les psychoses, ordinaires ou non,
nous nous trouvons avec le S1 tout seul qui n’appelle personne, décroché, désabonné de
l’inconscient. Dans les névroses au contraire, le S1 s’ordonne de l’inconscient par la paire
signifiante S1-S2. Jacques-Alain Miller souligne que la forclusion du Nom-du-Père peut se
traduire comme la forclusion de ce S2.
De son côté, Estela Paskvan propose la métaphore d’un écran divisé en deux fenêtres
pour illustrer deux moments et deux paradigmes différents de l’enseignement de Lacan :
les schémas dédiés à Schreber et le nœud qui correspond à Joyce. Dans le premier écran
le symbolique détermine l’imaginaire. Selon la formule P –› Φ, la forclusion de P détermine
les psychoses. La frontière qui sépare les structures est nette.
Le second écran est celui de trois ronds RSI. Dans le cas de Joyce, le lapsus du nœud est
corrigé par l’ego correcteur qui empêche le dénouage de l’imaginaire. Le quatrième rond
est le sinthome.
Pouvons-nous sur cet écran écrire un nouage pour les névroses ? Il s’agirait d’un nouage
accomplissant la condition borroméenne. Pour Lacan, le nœud est tétraédrique, le père
constituant dans la névrose le quatrième rond. Entre les deux écrans, la frontière se brouille.
Du premier écran Jacques-Alain Miller récupère le manque du sentiment de la vie, qui
se met en jeu dans les trois registres, et dont le désordre peut avoir des manifestations
diverses en consonance avec chaque époque. L’auteure est d’accord, après Jacques-Alain
Miller, sur les avantages qu’offre le second écran pour permettre que le sujet psychotique,
dans son évolution clinique, soit plus continu que discontinu, c’est-à-dire, que les sujets
puissent fabriquer avec leurs ressources subjectives, des agrafes, des nœuds, afin de pré-
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venir ou de réparer les décrochages. C’est ainsi que « l’ordinaire » peut changer et devenir
« le singulier ».
Les articles de Gerardo Arenas, Ana Viganò et Simone Souto envisagent la tension dis-
continuité-continuité en mettant l’accent sur le concept et l’usage du sinthome.
Gerardo Arenas signale que le concept de sinthome implique une instabilité concep-
tuelle. La psychose ordinaire met en lumière qu’il n’est pas sûr que ce qui maintient
ensemble les trois registres soit équivalent à ce qui supplée au rapport sexuel et fait
exister l’Autre pour le sujet.
Dans les psychoses ordinaires, le mécanisme du « comme si » que Jacques-Alain Miller
nomme Compensatory make-believe (CMB), et qui fait office de Nom-du-Père, empêche le
passage de la psychose ordinaire vers la psychose extraordinaire.
L’auteure mise sur la discontinuité comme conséquence pour trois raisons : 1) à partir du
caractère structural propre à la clinique borroméenne, lorsque Lacan affirme : la structure
est le nœud. 2) à partir du caractère discontinu de l’opposition accrochage/décrochage
et 3) à partir du caractère binaire selon que l’on compte ou non sur la ressource du CMB.
Ana Viganò considère le terme proposé de psychose ordinaire comme une catégorie
adéquate pour penser l’incomparable. La discontinuité fondamentale pour chaque sujet
est la rencontre traumatique avec la langue qu’impliquent le non-rapport sexuel et son
corrélat, « Il y a de l’Un ». A partir de là, un accrochage singulier devient nécessaire pour
que soit possible le sentiment de la vie. La clinique de Lacan est une clinique de répa-
ration du lapsus des lettres disjointes RSI, le sinthome est le quatrième élément qui renoue
le nœud.
La visée de l’expérience analytique, sans la garantie de l’Autre ni du sens, est que le par-
lêtre arrive à se faire l’auteur d’un nœud avec la vie innommable et qu’aucun corps ne
suffit à aborder.
Simone Souto montre que le sinthome est une métaphore différente de celle du Nom-
du-Père et de la métaphore délirante et qu’il vient se substituer à la jouissance qu’il n’y
a pas du non-rapport sexuel. Cette substitution dans l’économie libidinale apporte au
sinthome son caractère incurable : il ne peut pas être négativé. Aussi est-il généralisé car
il n’est pas d’être parlant qui ne jouisse d’une façon singulière. Le sinthome arrête la fuite
du sens et s’ancre dans le non-sens. Nous parlons de discontinuité à partir de la marque
du Nom-du-Père, mais dans la clinique borroméenne il s’agit de désoedipianiser la jouis-
sance à travers une variété de solutions singulières des divers usages du sinthome, qui
dans les névroses se trouvera au-delà du père, ou dans les psychoses en suppléant son
absence. Les psychoses ordinaires mettent en lumière que l’inconscient pour Lacan n’a
rien à voir avec la vérité mais avec l’invention singulière permettant de se nouer à la vie.
Les contributions de Fulvio Sorge et Epaminondas Theodoridis articulent toutes les deux
les psychoses ordinaires à une clinique de l’époque contemporaine, en soulignant par là
le lien entre clinique et politique.
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Fulvio Sorge fait de la psychose ordinaire une caractéristique de l’époque de la démo-
cratie, un produit de la conjonction du discours de la science et du discours capitaliste.
Dans cette conjonction même se révèle le renoncement contemporain à l’inconscient.
L’auteur se sert de l’articulation de Lacan dans le Séminaire XXII entre la fonction de la
nomination et la triade freudienne : inhibition, symptôme et angoisse.
Précisément, il considère l’attribution de chacun des trois registres, à travers la nomination
du quatrième élément qui vient nouer les trois. Il propose cette lecture, comme boussole
clinique éclairante pour les cas de psychose ordinaire, au temps où il est question de se
passer du Nom-du-Père, « à condition de s’en servir. »
La clinique des inventions produites sous transfert dans les psychoses ordinaires constitue,
au cas par cas, une modalité de réponse face au malaise de la civilisation contemporaine.
Epaminondas Theodoridis aborde la question de la psychose ordinaire en tant que cor-
rélée à l’époque de l’Autre qui n’existe pas, où le Nom-du-Père n’est plus une garantie et
où la loi est remplacée par les normes. La clinique borroméenne du sinthome permet de
déduire une nouvelle clinique de la continuité marquée par la connexion jouissance-si-
gnifiant.
La forclusion généralisée veut dire que tout discours est une défense face au réel du non-
rapport, un délire auquel on croit. À partir du moment où la jouissance n’arrive pas à être
complètement absorbée par le symbolique, la question est de trouver à la situer. Dans
la clinique de la discontinuité, c’est la fonction du Nom-du-Père qui y répond. Pour ce
qui concerne la clinique borroméenne, il s’agit de localiser une espèce d’appareillage qui
puisse, à la façon d’une agrafe, faire fonction de point de capiton.
Dans la conversation d’Antibes, Jacques-Alain Miller, partant d’une référence à la poésie
chinoise, distingue deux types de psychoses afin de souligner le caractère rigide de la
première face au caractère flexible de la seconde. La psychose-chêne, comportant un net
déclenchement, renverrait aux psychoses classiques. Et dans la psychose-roseau nous
pourrions situer les psychoses ordinaires, pour lesquelles il y a lieu de localiser les solu-
tions singulières inventées pour reconstruire le nœud.
La perspective continuiste n’ôte pas sa pertinence à la clinique binaire, et après Jacques-
Alain Miller l’auteure signale l’intérêt, une fois posé le diagnostic de psychose ordinaire, de
pouvoir également poser le diagnostic en termes de clinique psychanalytique classique.
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Discontinuité - Continuité
Jean-Claude Maleval – ecf
Le Nom-du-Père subit de profonds remaniements dans l’enseignement de Lacan, initia-
lement signifiant de la Loi, inhérent à l’Autre, il s’allège jusqu’à n’être plus que celui dont la
nomination supporte le sinthome. Faut-il en conclure que la forclusion du Nom-du-Père
cesse d’être apte à appréhender la structure de la psychose ? Il n’en est rien puisque c’est
le Nom-du-Père, affirme Lacan, en 1975, qui, « du triskel, fait nœud1 ». Sa fonction de
nouage des éléments de la structure subjective reste une donnée constante. L’acception
première du terme de forclusion, qui mettait l’accent sur l’exclusion d’un signifiant, tend
à être supplantée par la notion de défaillance du nouage borroméen. Rien n’indique que
dans son dernier enseignement Lacan en récuse le concept, bien au contraire, il affirme
encore, le 16 mars 1976, que si la forclusion peut servir c’est d’abord quand elle est mise
en corrélation avec le Nom-du-Père, même si celui-ci apparaît « en fin de compte quelque
chose de léger2 ».
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3.1
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norme pour dire la jouissance. Pour chacun la communication n’est pas complète, pour
chacun il n’y a pas de rapport sexuel. Tout le monde est obligé d’inventer des symptômes
pour limiter la jouissance : « Ceci est valable de façon transtructurale, souligne A. Stevens,
c’est vrai dans la psychose comme dans la névrose, c’est là que nous avons avec le dernier
Lacan, une clinique qu’on peut dire continuiste6 ».
S’il est légitime de soutenir que le délire est commun à tout parlêtre, c’est en raison du
vide de la référence, ce que Lacan écrit Ⱥ , et ce que J.-A. Miller nomme « forclusion géné-
ralisée ». Il faut rappeler que cette notion n’a rien en commun avec la thèse kleinienne de
l’universalité du noyau psychotique. Il n’y a pas de clinique de la forclusion généralisée :
celle-ci vaut pour tout parlêtre, psychotique ou non. Il existe en revanche une clinique
de la forclusion restreinte, celle du Nom-du-Père. La distinction entre délire œdipien et
délire psychotique s’opère à partir de signes cliniques témoignant ou non de la propriété
borroméenne.
La forclusion généralisée implique certes une certaine perspective continuiste. Tout par-
lêtre est obligé d’inventer pour parer à l’inexistence de l’Autre. Chacun doit composer
avec l’absence du rapport sexuel. Cela est transtructural. Toutefois un pas supplémentaire
est franchi quand on argumente en faveur d’une clinique continuiste, pour gommer la
différence entre névrose et psychose, en soulignant que le sinthome constitue leur socle
commun. Il convient de préciser que celui-ci est infra-clinique, il tient au S1 qui appareille
la jouissance du sinthome, inhérent à une lalangue en deçà de la norme sociale. Or, dès
que l’on se situe au niveau clinique, il apparaît que le S1 qui est au principe du symptôme
névrotique ne possède pas les mêmes propriétés que celui du sinthome d’un psychotique
ordinaire tel que Joyce. Lacan indique que ce dernier est « désabonné à l’inconscient7 »,
son écriture permet de dégager l’essence du symptôme en un S1 tout seul, qui ne fait pas
appel aux S2. L’inconscient est logé par Lacan dans l’Autre, tandis que le sinthome s’ancre
dans l’Un, dès lors ce n’est pas une formation de l’inconscient : il constitue la part inana-
lysable du symptôme. Dès les années cinquante, Lacan considérait que le symptôme du
psychotique « est clairement articulé dans la structure elle-même » révélant « les détermi-
nants les plus radicaux de la relation de l’homme au signifiant8 ». En revanche le symptôme
névrotique porte un voile sur ceux-ci : il est abonné à l’inconscient, le S1 s’y connecte à des
S2, ce qui produit des effets de métaphores interprétables. La forclusion du Nom-du-Père
peut se traduire, observe J.-A. Miller comme « la forclusion de ce S2 qui permet au névrosé
de tout déchiffrer sans perplexité9 », elle rend possible l’émergence d’un « élément simple,
isolé et distinct d’un anneau10 » au principe de phénomènes élémentaires. Forclusion
du S2 dans l’un, connexion au S2 dans l’autre, dès lors le sinthome psychotique n’est pas
le fondement clinique du symptôme névrotique, tandis que la distinction névrose-psy-
chose persiste à s’avérer majeure pour la conduite des cures. Tout le monde délire mais la
structure psychotique reste l’apanage de certains parlêtres.
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Pourtant, en 2008, J.-A. Miller se montre moins affirmatif quant à la différenciation de
la névrose et de la psychose. Il considère que « l’incidence du concept de sinthome est
foncièrement déstructurante », de sorte qu’elle « effacerait » les frontières cliniques. Les
effacer ne semble pas malgré tout les faire disparaître. La distinction névrose-psychose,
rappelle J.-A. Miller, repose sur « une distinction signifiante : la présence ou non du Nom-
du-Père. Mais, en fait, ça se traduit par une typologie des modes de jouir. Ou bien, dans la
névrose, il y a un condensateur de jouissance, strictement bordé par la castration, c’est ce
que Lacan écrit petit a sur moins phi. Ou bien, il y a débordement ; il n’y a pas la limite de la
castration, et donc le mode de présence de la jouissance est déplacé, aléatoire, et, dans la
règle, excessif ; et il perturbe – entre guillemets – l’harmonie, jusqu’à la circulation sociale.
La distinction névrose-psychose se répercute comme une typologie de deux modes de
jouissance dont les frontières apparaissent, à ce niveau, singulièrement mobiles. « J’ai
dit [...] l’excès, mais ça n’est pas pour rien que Lacan en est venu à appeler l’objet petit a
un objet plus-de-jouir : c’est parce que la jouissance, en elle-même, comporte un débor-
dement. Et son investigation de la sexuation féminine l’a aussi conduit à considérer que
la jouissance féminine n’avait pas l’ubiquation stable de la sexuation masculine ». D’où
une conclusion nuancée, qui fait un pas vers une clinique continuiste radicale, mais en
se retenant de le franchir : « la distinction névrose-psychose est opératoire au niveau
signifiant, elle l’est beaucoup moins au niveau du mode de jouir11 ». L’effacement de la
distinction est à entendre comme un voile porté sur celle-ci et non comme sa disparition.
Quelques mois auparavant, en mai 2008, J.-A. Miller se montrait plus précis : « nous avons
donné plus de souplesse à l’opposition névrose-psychose, rappelait-il, et indiqué qu’il y
avait un point de vue où cette différence s’estompait12 ». La souplesse de l’opposition, et
l’estompage des tableaux cliniques, ne conduisent cependant pas jusqu’à un point de vue
qui invaliderait les différenciations structurales antérieurement dégagées.
................................................................................
1 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », Ornicar ?, nº 5, leçon du 15 avril 2005, 1975, p. 56.
2 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 121.
3 Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon, Agalma/Seuil. 1997, p. 256.
4 Maleval J.-C., La Logique du délire, [1997] Presses Universitaires de Rennes, 2011.
5 Zenoni A., « Après l’Œdipe que devient la psychose ? » Quarto, nº 104, mai 2013, p. 90.
6 Stevens A., « Un sujet non standard », L’a-graphe, Institut du champ freudien, Section clinique de Rennes,
2010-2011, p. 21.
7 Lacan J., « Joyce le symptôme II », Joyce avec Lacan, sous la direction de J. Aubert, Paris, Navarin, 1987,
p. 24.
8 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil,
1966, p. 537.
9 Miller J.-A., « L’invention du délire », La Cause freudienne, nº 70, décembre 2008, p. 92.
10 Ibid., p. 86.
11 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », 2008-2009, cours du
3 décembre 2008, inédit.
12 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Tout le monde est fou », cours du 28 mai 2008, inédit.
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PAPERS 3.2
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Une clinique
de la continuité
Estela Paskvan – elp
L’eau est peut-être la substance qui se prête le plus pour percevoir intuitivement la conti-
nuité. L’artiste Hiroshi Sugimoto s’est consacré à photographier les nombreuses mers
qui existent sur notre planète. Dans une récente exposition à Madrid, les visiteurs ont
expérimenté cette continuité qui s’étend à l’infini ; le regard trouvait là l’occasion pour
le déploiement d’un imaginaire englobant. En effet, il était très difficile de distinguer
chacune des mers. Pour cela il fallait s’approcher et lire la référence, le nom et le lieu où se
trouvait la mer. On pourrait dire – avec une petite variation du refrain espagnol – « dans la
continuité tous les chats sont gris ».
Ce n’est pas le cas pour la clinique, où les structures et les types existent. De plus, Lacan
rappelle qu’elle « commence à partir de ceci qu’il y a des types de symptôme, qu’il y a une
clinique1 ». S'il n’y a pas de sens commun entre eux, cette singularité est incompatible
avec l’indifférencié.
La question de la continuité avait été abordée dans la Conversation d’Arcachon à propos
des cas résistants à une classification. Comment classifier les « inclassables » ? Véritable
paradoxe russellien. Il y a donc une gradation entre les névroses et les psychoses ordi-
naires qui impliquerait une continuité ? Jacques-Alain Miller a répondu : « C’est moins une
continuité qu’une homologie si je peux le dire approximativement2 ». Dix ans après, au
séminaire anglophone de Paris, la question est formulée à nouveau. Comment localiser
les psychoses ordinaires dans la clinique binaire psychose-névrose ? La frontière s’élargit
sans disparaître.
Un changement d’écran
Nous pouvons ouvrir deux écrans différents – ou diviser l’écran en deux – pour écrire
dans le premier les schémas que Lacan a consacré à Schreber. Dans le deuxième, le nœud
qui correspond à Joyce. Ce sont les deux moments de l’enseignement de Lacan (1957-
58/1975-76) qui répondent à des paradigmes différents.
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3.2
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Que définit ce premier écran ? Il ne faut pas chercher beaucoup car le schéma I – celui qui
rend compte « de la structure du sujet au terme du processus psychotique3 » –, a comme
référence explicite le schéma R4. Ce dernier montre comment se constitue le champ de la
réalité dans la névrose. Les deux triangles, imaginaire et symbolique, indiquent déjà dans
leurs sommets les éléments qui vont se mettre en jeu dans la métaphore paternelle, c’est-
à-dire, la substitution signifiante et la signification phallique qui produit cette opération.
Le Nom-du-Père, devient un signifiant privilégié de l’Autre qui garantit l’ordre et la réalité
subjective. La signification phallique régulée par Φ localise et limite la jouissance.
Le fond d’écran a deux couleurs, symbolique et imaginaire. Le premier surdétermine le
second. Comme titre nous pouvons écrire la formule de la névrose : P→Φ5. En consé-
quence, l’inexistence ou la forclusion de P détermine la psychose. La frontière qui sépare
les deux structures est nette, claire.
Avant de passer à l’écran suivant, il convient de prendre en compte quelques questions
que nous soulevons ici et qui nous permettront d’explorer les possibles relations entre les
deux.
Le délire de Schreber se révèle être la forme privilégiée de restitution – « effort de guérison »
disait Freud. Mais il y a aussi d’autres formes qui maintiennent les sujets prépsychotiques
stabilisés jusqu’au déclenchement. Lacan le signalait dans son Séminaire à propos d’un
cas de Katan6. Il disait que le jeune s’était soutenu dans une certaine « identification ima-
ginaire » avec un ami, son alter ego. Comment fonctionne cette compensation imaginaire
de l’Œdipe absent ?
Une autre question importante concerne la détermination symbolique : existe-t-elle entre
P et Φ0 comme nous l’avons proposé ? Pouvons-nous assurer que s’accomplit P0→Φ0 ? Y
a-t-il des combinassions possibles ? La question a été posée dans le Séminaire de DEA de
Jacques-Alain Miller en 1988 et précisément dans la relation au cas freudien, l’Homme aux
Loups7.
Passons donc au deuxième écran et écrivons le nœud qui correspond à Joyce, celui qui
montre la réparation du lapsus avec « l’ego correcteur8 ».
Les trois cercles – réel, imaginaire et symbolique – ne se nouent pas de manière bor-
roméenne. Le lapsus, ou l’erreur, implique que l’imaginaire se détache. Lacan s’en rend
compte dans l’expérience racontée par Joyce, quand celui-ci ressent le détachement du
corps. La solution de Joyce – singulièrement extraordinaire – est de fabriquer une agrafe,
l’ego correcteur, qui empêche l’imaginaire de se détacher. Ce quatrième cercle est le sin-
thome.
Est-il possible ici, dans cet écran, d’écrire un nœud pour la névrose ? Oui, c’est un nœud
qui remplit la condition borroméenne. La question est – si celui-ci fonctionne comme
prototype – ce qui définirait le fond de cet écran. Si nous restons à la première leçon de
ce Séminaire, Lacan devance déjà la réponse. Le nœud borroméen est tétraédrique. Le
quatrième cercle, Σ, dans les névroses est le père (père-version), « un symptôme, ou un
sinthome, comme vous voudrez9 ». Le père apparait ainsi dans sa fonction de lien, de
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nouage, comme d’autres sinthomes peuvent le faire. Qu’il ne soit pas comme les autres,
c’est une autre question qui dépasse son usage logique.
Quel est le fond de cet écran ? Réel, imaginaire, symbolique, sont séparés et aucun n’a de
privilège sur les autres. Comme titre nous pouvons écrire avec le « sans couleur » du réel :
« Il n’y a pas de relation ». En contrepoint, avec le couleur de la chair : « Il y a sinthome ».
Que se passe-t-il avec la frontière entre névrose et psychose ? Si nous sommes consé-
quents, nous devons affirmer qu’elle s’efface. Ou au moins, elle n’est plus aussi claire,
puisque Lacan continue d’une certaine manière à la soutenir. Il suffit d’indiquer que pour
Joyce, il signale « cette Verwerfung de fait10 », c’est-à-dire, le mécanisme spécifique de la
forclusion (Verwerfung) dans les psychoses. Lacan va ensuite généraliser le délire comme
réponse au « il n’y a pas de rapport sexuel ». Effectivement, quand va apparaître un
nouveau choix, ce sera : folie ou débilité mentale. Nous signalons simplement que dans
ce nouveau choix, la fonction de lien ou d’enchaînement demeure cruciale.
Jacques-Alain Miller récupère le premier écran et citant Lacan, il évoque « Un désordre [...]
au joint le plus intime du sentiment de la vie chez le sujet11 ». Dans l’écrit de Lacan, ceci
est l’effet de P0→Φ0. Si nous isolons l’effet de la cause, tel que J.-A. Miller le fait, le défaut
du sentiment de la vie, peut se mettre en jeu dans d’autres registres, tel qu’il arrive avec les
externalités qu’il propose : corporelle, sociale, subjective.
Cette opération est très importante parce qu’elle permet de tenir compte les nouveaux
dérèglements de la vie dans notre actualité. Effectivement, si le symbolique dans ce siècle
« n’est plus ce qu’il était12 », c’est parce que nous constatons chez les sujets un nouveau
désordre, fondamental, au regard de leurs identifications. On relève une rigidité, non seu-
lement difficile à dialectiser, mais aussi sujette à des ruptures.
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ARTICLE
................................................................................
1 Lacan J., « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits », Autres écrits, Paris, Seuil,
2001, p. 556.
2 Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon. Cas rares : Les inclassables de la clinique, Paris, Agalma, 2005,
p. 256.
3 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychoses », Écrits, Paris, Seuil,
1966, p. 571.
4 Ibid., p. 553.
5 Cette formule doit se lire : Si Nom-du-Père alors signification phallique comme effet du signifiant
phallus.
6 Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 217.
7 Miller J.-A., « La clinique différentielle des psychoses », Séminaire de DEA (1987-1998). Transcription
disponible dans La Cause freudienne, no 72, novembre 2009, p. 79-136. Et La Cause freudienne, no 73,
décembre 2009, p. 64-117.
8 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 152.
9 Ibid., p. 19.
10 Ibid, p. 89.
11 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, nº 94-95, janvier 2009, p. 44. Cf. Lacan J.,
« D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.
12 Nous évoquons le thème du VIIIe Congrès de l’Association Mondiale de Psychanalyse : « L’ordre
symbolique dans le XXIe siècle. Il n’est plus ce qu’il était. Quelles conséquences pour la cure ? ».
13 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op. cit., p. 44.
14 Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon. Cas rares : les inclassables de la clinique, op. cit., p. 165.
13
PAPERS 3.3
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Une fois cela en mains, quelle devrait être notre prochaine étape ?
Avant de la définir, remontons encore de deux décennies, à l’époque où Lacan a introduit
son sinthome. Dans le séminaire qu’il lui consacre, il en donne deux définitions : c’est le
quatrième rond qui noue les trois registres, et c’est ce qui fait exister la relation sexuelle
pour soutenir l’Autre sexe4. Dès lors, le sinthome souffre d’une remarquable instabilité
conceptuelle5, car nous l’entendons toujours dans ces deux sens différents (qui ne se
14
3.3
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ARTICLE
contredisent pas forcément). En d’autres termes, ce dont nous parlons n’est pas encore
très clair – pour parler comme Carver – quand il est question de sinthome.
Il se passe la même chose avec l’idée de débranchement. Le texte de La Psychose ordinaire,
en plus de réunir et systématiser les résultats des deux conversations qui l’ont précédé,
propose des choses nouvelles. Entre autres, nous y lisons que la clinique borroméenne
conduit à se demander « ce qui fait tenir ensemble les trois registres » et à « repérer ce
qui, à un moment donné, pour un sujet, fait “débranchement” par rapport à l’Autre.6 »
Alors, de même qu’il n’est pas certain que ce qui noue les trois registres soit équivalent à
ce qui supplée à l’inexistence du rapport sexuel, il n’est pas non plus certain que cela soit
comparable à ce qui branche le sujet avec l’Autre. Ce même texte conçoit également « un
dénouage de la structure occasionné par la défaillance de la relation imaginaire au corps »
en identifiant l’appauvrissement des « lien affectifs et sociaux » avec un « débranchement
[...] de l’Autre » et avec « la défaillance du lien du sujet à son être de vivant7 ». Cependant,
le dénouage de la structure ne se produit-il pas à cause de l’absence de sinthome ? Corps
imaginaire et être vivant sont-ils équivalents ? Le sinthome serait-il ce qui branche le sujet
à l’Autre ? Quelques précisions supplémentaires sont nécessaires, ainsi que lorsqu’on on
parle de « comment le sujet se débranche du lien social » et de quel est son « bran-
chement sur la pulsion8 » puisque, à ce niveau, il semble y avoir des branchements et
des débranchements pour tous les goûts, y compris le débranchement « de l’Autre du
signifiant, et de l’Autre du corps et de l’image » et le débranchement quant à « l’usage de
la langue, et de la parole qui lui est liée, pour faire lien social », outre la fameuse agrafe
sinthomatique des trois registres9.
Dix ans après, ce brouillard conceptuel est loin de s’être dissipé. Il semble même s’être fait
plus dense. Dans une nouvelle conversation clinique, le déracinement social est compa-
rable à un autre débranchement, cette fois en relation avec « l’entourage », mais là aussi
on parle de sujet déconnectés « de l’Autre », et même d’un certain débranchement par
rapport à une « identification symbolique10.
Il n’est pas nécessaire d’allonger cette liste, qui a déjà suffisamment illustré ce qui, d’ici
à notre prochain congrès, pourrait donner lieu à un débat fructueux et à une précieuse
élaboration en ce qui touche aux problèmes cliniques que nous posent les psychoses.
Notre étape suivante dans cette direction consistera donc à mettre au point cet « appareil
épistémique supplémentaire11 » et pour cela, les trois considérations préliminaires que
nous esquissons ci-dessous peuvent nous être utiles.
1. Avant tout, il sera nécessaire de définir en détail la relation entre les deux cliniques
lacaniennes, ordinairement nommées structurale et borroméenne12, au-delà de certaines
approches suggérant que la seconde dépasse la première en la conservant au moins en
partie – en une sorte de Aufhebung illusoire niant l’existence de contradictions entre les
deux13. De fait, l’habitude de nommer structurale la première clinique continue à être
source de malentendus car en réalité les deux cliniques le sont, étant donné que pour le
dernier Lacan le nœud borroméen c’est la structure14.
15
3.3
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ARTICLE
2. D’autre part, la clinique borroméenne présente l’évident avantage de donner du lien une
représentation matérielle, pour ainsi dire, et cette représentation est susceptible de subir
des déformations continuelles compatibles avec son identité topologique. Cependant,
cela implique absolument que cette clinique soit, comme on dit, « continuiste » entre
branchement et débranchement, puisqu’au-delà des précisions requises à ce sujet, il y
a entre les deux une discontinuité catégorique. En effet, la polarité que ces deux termes
définissent n’est pas uniquement celle d’une paire signifiante, dans la mesure où elle
concerne la matérialité même du lien en question.
3. On peut en dire de même pour l’existence de ce mécanisme qui, dans les psychoses
ordinaires, inhibe la formation des symptômes « extraordinaires ». Ce mécanisme
« comme si », qui fait office de Nom-du-Père et que J.-A. Miller a appelé compensatory
make-believe15 n’a d’autre choix que d’exister ou de ne pas exister. Cette alternative elle
aussi est binaire, et n’autorise aucune continuité entre les deux possibilités. En d’autres
termes, le sujet dispose ou pas de ce mécanisme. Par conséquent, l’élargissement de la
frontière névrose-psychose du côté des psychoses définit un champ, celui des psychoses
ordinaires, qui n’autorise pas de passages continus entre cette psychose-ci et les autres
psychoses.
Pour conclure, disons qu’après avoir accueilli la notion de « déclenchement » à côté des
notions connexes de sinthome, « débranchement » et « déprise », il nous faut faire un
effort supplémentaire afin de préciser la portée et les limites des quatre. Ne pas perdre de
vue le caractère structural de la clinique borroméenne, le caractère discontinu de l’oppo-
sition branchement/débranchement, et le caractère binaire de l’alternative entre disposer
ou pas d’un mécanisme inhibiteur de la formation de symptômes « extraordinaires », cela
peut être utile pour que cet effort soit fructueux.
Traduit de l’espagnol par Anne Goalabré-Biteau
................................................................................
1 Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon. Cas rares : les inclassables de la clinique, Paris, Agalma-Seuil, 1994.
2 Miller J.-A., La Psychose ordinaire. La convention d’Antibes, Paris, Agalma-Seuil, 1999.
3 Miller J.-A., Situations subjectives de déprise sociale, Paris, Navarin, 2009.
4 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 20 & 101.
5 Pour une argumentation contraire, voir F. Schejtman, Sinthome. Ensayos de clínica psicoanalítica nodal,
Buenos Aires, Grama, 2013, p. 87-90.
6 Miller J.-A., La Psychose ordinaire, op. cit., p. 14.
7 Ibid., p. 16 & 18.
8 Ibid., p. 20 & 21.
9 Ibid., p. 36, 38 & 43.
10 Miller J.-A., Situations subjectives de déprise sociale », op. cit., p. 9 & 13.
11 Aromí A. et Esqué X., « Présentation du thème : Les psychoses ordinaires et les Autres, sous transfert »,
disponible à l'adresse : congresoamp2018.com.
12 Arenas G., En busca de lo singular, Buenos Aires, Grama, 2010, p. 252-254.
13 Mazzuca R., Schejtman F. et Zlotnik M., Las dos clínicas de Lacan, Buenos Aires, Tres Haches, 2000. Arenas
G. (comp.), Usos de la interpretación en las psicosis, Buenos Aires, Russell, 2001, et J.-A. Miller, « Pièces
détachées », leçons du 24 novembre 2004 au 19 janvier 2005.
14 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L'insu que sait de l'Une-bévue s'aile à mourre », leçon du 8 mars 1977,
Ornicar ?, no 16, 1978, p. 9.
15 Miller J.-A. « Effet retour sur la psychose ordinaire », Bruxelles, Quarto, no 94-95, janvier 2009, p. 44.
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PAPERS 3.4
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Le continu
et le discontinu
Tensions et approches
d’une clinique multiple
Ana Viganó – nel
La clinique psychanalytique est une élucubration de savoir fondée sur une pratique qui
recueille, au chevet du patient, des signes obtenus sous transfert.
La nouvelle entité clinique des psychoses ordinaires proposée par Jacques-Alain Miller,
répond à la perspective de l’incroyance en l’Autre des classifications1. C’est une non-ca-
tégorie affine au continuum de phénomènes qui apparaissent à proximité des frontières
départageant des diagnostics que l’on considérait autrefois comme définies de manière
tranchante. Mais plus encore, c’est une proposition qui nous permet d’avancer sur la
question complexe de penser – à partir de ce qui, entre les tableaux cliniques est compa-
rable – une clinique sensible à la singularité, à l’incomparable.
17
3.4
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Il n’y a pas d’Autre de l’Autre
La perspective du symptôme porteur d’un message à l’adresse de l’Autre, trouvant son
ressort dans le retour du refoulé, d’où se produit en conséquence une formation de l’in-
conscient, a une dimension clairement métaphorique. Le signifiant du symptôme vient à
la place énigmatique du signifiant du trauma. La signification, inaccessible pour le sujet
y reste fixée. L’inconscient, mais aussi le symptôme même, seraient structurés comme un
langage et le symptôme pourrait se résoudre entièrement dans le champ du langage.
Mais la pente à la résistance du symptôme, déjà constatée par Freud, objecte à cet ordon-
nancement. L’instauration de l’écriture d’un trou dans le symbolique sous la forme de S(Ⱥ)
– qui renvoie à l’Autre incomplet et inconsistant – met en étroite articulation la féminité
et les différentes façons de penser le père. Lacan introduit dans la mer des noms propres,
dans le champ des signifiants qui mortifient le sujet, la problématique de la jouissance
comme étincelle du vivant et de ce qui ne se laisse pas capturer sous la perspective phal-
lique. Une forclusion généralisée s’impose alors pour tous les êtres parlants du fait même
d’être parlants : il n’y a pas de rapport sexuel. Pour l’être qui parle, il existe une jouissance
absolument inaccessible, celle de la complémentarité des sexes. Les multiples jouissances
possibles s’inscrivent comme suppléances dans ce lieu du Il n’y a pas. Mais – autre consé-
quence – l’axiome il n’y a pas de rapport sexuel est solidaire d’un autre axiome qui oriente
ce mouvement : Il y a de l’Un.
Littoral, littéral
On obtient une nouvelle version du symptôme : ce qui de l’inconscient peut se traduire
par une lettre. Écriture sauvage du Un – S1 tout seul, ce Y a d'l’Un – écriture qui creuse un
vide « godet prêt toujours à faire accueil à la jouissance3 ». C’est le Un extrait de façon
traumatique par l’apprentissage d’une langue que le sujet a subi. Le mot incarnation
situe l’instant où le signifiant unaire fait son entrée dans la chair de façon contingente,
frayant la voie à l’humain vivant comme substance jouissante. Son existence se paie du
prix de laisser ce qu’il était – un signifiant – pour exister sur le mode de substance jouis-
sante comme événement de corps : fixation de jouissance qui cause la répétition. Fixité
et résistance qui nous empêchent de considérer plus longtemps ce symptôme comme
une formation de l’inconscient-chaîne. Mais il procède toujours de l’inconscient autre, de
l’inconscient essaim de Uns, de celui qui se jouit justement à partir de l’extraction d’un de
ces Uns qu’opère la lettre du symptôme. L’inconscient essaim, étant par excellence une
version du discontinu, n’a pas de sens et n’est pas interprétable.
18
3.4
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vitable étant donné que R,S,I sont des lettres disjointes qui, par définition ne peuvent se
nouer par elles-mêmes.
Lacan développe une clinique des réparations possibles de ces lapsus inévitables, sur
fond du discontinu élémentaire inhérent au Y a d'l’Un et au il n’y a pas de rapport sexuel.
Les lapsus du nœud font symptôme. Le sinthome – comme quatrième – serait la façon
originale de réparer ces lapsus, en renouant. Il y aurait différents types de réparations, des
nœuds distincts. La psychanalyse est possible lorsque quelque chose de ce savoir y faire
sinthomatique – qui maintient le nœud stable – rencontre un point de butée ou se défait.
A ce moment-là, un certain réveil, produit d’une rencontre contingente avec le réel,
déclenche la structure, quelle qu’elle soit. Ce déclenchement rend compte du symptôme
dans son statut de lettre, fragment du réel, hors chaîne. Si ce symptôme est adressé à un
analyste, le transfert rend son traitement possible.
19
3.4
PAPERS
ARTICLE
5 Lacan J., « L’Étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 456.
6 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, nº 94-95, janvier 2009, p. 44.
7 Holguín C., « Les signes discrets de la psychose ordinaire : une façon d’écrire le réel », Papers 7.7.7. , nº 2.
Disponible https://congresoamp2018.com
8 Lacan J., « Lacan pour Vincennes! », Ornicar ?, 1979, nº 17-18, p. 278.
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La discontinuité
et la norme
Simone Souto – ebp
Avec le complexe d’Œdipe, Freud a nommé un modèle de régulation de la jouissance
dans lequel tout tourne autour du père, de sa présence ou de son absence. Ainsi, le père
devient le corrélat d’une fonction symbolique structurante que Lacan a appelé Nom-
du-Père. Dans le premier enseignement de Lacan, le Nom-du-Père soutient la structure
signifiante produisant un point d’ancrage sans lequel l’ordre de significations humaines
ne serait pas établi. Cette primauté du symbolique comme garantie, dont la présence
soutient et équilibre la structure et sans laquelle tout s’effondre, sera le fondement d’une
clinique structurale marquée par la discontinuité entre les structures et par une frontière
rigide, principalement entre névrose et psychose, basée sur la présence ou l’absence du
Nom-du-Père. Ce privilège attribué à la nomination œdipienne de la jouissance, qui fait
de la névrose une norme, sera déterminant pour l’orientation d’une clinique pensée à
partir des structures et, aussi, pour une conception de l’inconscient appréhendé à partir
de la supposition d’un sens refoulé à interpréter. Le dernier enseignement de Lacan
modifie cette perspective, mettant au premier plan la non-existence du rapport sexuel et
l’existence du sinthome.
21
3.5
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constatation de l’inexistence de l’Autre – ce qui n’existe pas a à voir avec l’Autre et ce qui
existe a à voir avec le sinthome.
22
3.5
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Clinique borroméenne et désoedipianisation de la jouissance
Afin de soutenir cette nouvelle façon de penser la clinique, Lacan se sert des nœuds bor-
roméens avec leurs diverses formes de nouages et dénouages possibles. En manipulant
des nœuds, il cherche à rendre compte d’une pratique de la psychanalyse orientée par
le réel qui forclôt le sens9, où la jouissance apparaît dans sa matérialité ; une pratique qui
s’approche plus d’un faire que d’un savoir. Ce changement d’orientation nous amène à
une autre conception de l’inconscient, situé à partir du réel de la jouissance et non plus
d’un sens à interpréter. Comme l’affirme Lacan, « quand [...] l’espace d’un lapsus, n’a plus
aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’in-
conscient10 ». Prendre l’inconscient par cette voie modifie la pratique car, à faire résonner
autre chose que le sens, on cède la place à une approche plus ordinaire de la clinique, tant
dans le champ des psychoses que dans celui des névroses, rendant possible une variété
de solutions inédites avec lesquelles, par l’usage du sinthome, on peut se passer du père,
soit au-delà de lui (dans le cas des névroses) ou en deçà (dans le cas des psychoses).
Ainsi, si le thème de la psychose ordinaire pour le prochain congrès de l’AMP indique
une orientation11, comme Lacan l’a démontré à partir de Joyce, cela met à ciel ouvert
un inconscient qui n’a plus rien à voir avec la vérité, un inconscient qui, en tant que par-
lêtre, ne peut être appréhendé qu’à travers l’effort de chacun dans l'invention continuelle
d’une langue, dans ce fonctionnement spécifique, unique, où on peut identifier le tracé
d’une vie.
Traduit du brésilien par Luciana Zeraib
Révisé par Pedro Pereira
................................................................................
1 Miller J.-A., « L’Orientation Lacanienne. Choses de finesse en psychanayse » (2008-2009), enseignement
prononcé dans le cadre du Département de Psychanalyse de l’Université Paris VIII, cours du 3 juin 2009.
2 Freud S., « La fixation au trauma. L’inconscient. », in Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris,
Gallimard, 1999, p. 357.
3 Miller J.-A., op. cit.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan » (2006-2007), enseignement prononcé
dans le cadre du Département de Psychanalyse de l’Université Paris VIII, leçon du 13 décembre 2006.
8 Miller J.-A., « L’Orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanayse » (2008-2009), op. cit., cours du
10 juin 2009.
9 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 121.
10 Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571.
11 Horne-Reinoso V., « Présentation », Papers 7.7.7. nº 1, vers Barcelona 2018, Bulletin de l’Association
Mondiale de Psychanalyse, 2017.
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Psychose ordinaire
et clinique borroméenne
Fulvio Sorge – slp
La psychose ordinaire « c’est la psychose à l’époque de la démocratie, la prise en compte
de la psychose de masse1 » reliée à l’hypothèse de l’Autre qui n’existe pas. L’universalité et
la diffusion de cette dernière est le produit de la conjonction du discours de la science et
du discours du capital. L’oubli des signifiants-maîtres, la dissolution des idéaux ont destitué
le semblant paternel, en raison d’une microphysique d’un pouvoir délégué aux pratiques
gestionnaires. Comme l’indique nettement le DSM 5, le nouveau signifiant-maître est l’al-
gorithme, le chiffre, le nombre, la moyenne statistique. Gavés de lathouses, exposés au
conformisme d’une jouissance sans règle, aveuglés par des fascinations conventionnelles
autant que spectaculaires, les hommes contemporains ont démissionné de l’inconscient
à la faveur d’identités liquides autant que provisoires et toujours plus exposés à une
solitude absolue. Par conséquent la normalité de la folie est le mal épistémologiquement
cohérent de notre temps. Cette atteinte au sentiment le plus intime de la vie exige d’être
reconnue dans ses indistinctes et multiples manifestations symptomatiques, analysée en
vue de comprendre comment s’articule le discours subjectif dans ses points de « tenue »,
traitée en recherchant des nouages inédits qui puissent fonctionner comme des points
de capiton subjectifs et éviter le déclenchement définitif.
Il s’agit d’une approche diagnostique très prudente des évidences cliniques par nature
subtiles et fuyantes, par rapport auxquelles J.-A. Miller suggère comme points de repère
l’existence d’une triple externalité qui peut être saisie chez les patients : une externalité
sociale qui se présente comme désinsertion, une marginalité du sujet ; une externalité qui
concerne le corps avec une série de signes diffus, une sorte de dysmorphophobie parti-
culière, où le sujet construit des liens artificiels par des pratiques permettant d’éprouver
le corps propre, tatouages, piercings, pratiques sportives ou sexuelles extrêmes, dont il
faut soigneusement évaluer le poids, la tonalité, la résonance particulière dans le vécu
du sujet ; une externalité subjective qui révèle « la fixité de l’identification avec l’objet a
comme déchet 2 ». Parmi les petits signes qui peuvent orienter le diagnostic nous pouvons
inclure une identification massive au lien social comme suppléance, une certaine dis-
24
3.6
PAPERS
ARTICLE
sonance affective aux événements ainsi que des désorganisations ou perturbations
modérées de la signification, une certaine émancipation et insubordination de l’imagi-
naire au symbolique. Le traitement du corps, l’hygiène, la petite hypocondrie ou la lecture
bizarre et fabuleuse de quelques-unes de ses fonctions, peuvent être répertoriés comme
des indices supplémentaires. Nous pouvons rencontrer des allusions à de petits restes
hors sens qui se produisent dans la rencontre avec l’Autre, à des perplexités concernant
des mots ou des phrases de sens commun qui envahissent le psychisme du sujet, en tant
qu’expression d’une paranoïa mineure, non déclenchée3.
La clinique des nœuds se montre la plus utile dans le traitement de la psychose ordinaire4.
La présence de l’analyste, son dire, son corps, interviennent alors comme semblants du
lien social qui peut réintroduire le sujet dans la communauté humaine en en restaurant la
débilité et en travaillant sur ses dits dans la dimension de la lettre. Dans le Séminaire XXII,
« R.S.I. » Lacan présente de façon accomplie le nœud borroméen à trois cercles ; il sou-
tient que cette mise en plan du nœud relève de la débilité mentale du sujet humain qui
n’arrive pas à se le représenter autrement. Il recourt, dans son dernier enseignement, à
la topologie des nœuds, car cela lui permet de valoriser la pluralité des Noms-du-Père,
c’est-à-dire la nécessité d’un quatrième élément, qui rectifie la consistance des nouages
et empêche le dénouage du nœud5. Dans ce cas la nomination traite le réel indicible par
sa fonction primaire, soit lui donner un nom. C’est par cette fonction de nomination que
le sujet répond au manque de l’Autre et à la supposée jouissance dont il se sent objet.
Le Nom-du-Père par conséquent change de statut, il est sujet à une variation d’usage
fondamentale, dont la fonction, capable d’opérer une incision sur le réel, sera celle du
père qui nomme, qui donne nom aux choses, le père nommant6. Nous pouvons alors,
dans le cas de la psychose ordinaire, assigner à l’un des trois registres, par la nomination,
le rôle et le devoir du quatrième inclus, qui permet d’assurer la consistance du nœud bor-
roméen en tenant ensemble les trois autres. Ainsi au registre symbolique, implémenté par
l’invention qu’il nomme, sera confié la tâche de donner un nom, et c’est le cas le plus favo-
rable, en inventant un symptôme et en en faisant le soutien du sujet. Ce n’est pas l’unique
invention de ce passionnant Séminaire car dans celui-ci l’auteur propose une écriture à
trois cercles tout en suggérant la nécessité du quatrième élément, qui notamment dans
le Séminaire XXIII deviendra le sinthome. La nomination vise le réel et, précisément, à pro-
duire en celui-ci un trou, résultat essentiel pour le nouage. Lacan situe cette fonction
dans la dimension signifiante, tout en lisant la triade freudienne inhibition, symptôme et
angoisse en référence à la nomination. Trou et Nom-du-Père sont équivalents et ont le
devoir d’assurer la consistance du nœud. La nomination dans le symbolique visera donc
la construction d’un symptôme. La nomination imaginaire consiste à pointer vers le réel à
partir d’une nomination qui trouve son support dans l’imaginaire mais c’est de l’orifice du
corps que l’imaginaire se constitue et relie les autres registres. La clinique de l’inhibition
montre les embrouilles de la dimension spéculaire qui fait trou dans le symbolique et qui
est le lieu du refoulement originaire. Enfin la nomination réelle est relative à l’angoisse, elle
produit un trou dans la représentation et s’articule en référence au désir du sujet.
25
3.6
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Bien que cette indication reste, sur certains points, de lecture difficile et controversée, si
nous faisons référence aux nombreux cas de psychose ordinaire présents dans la litté-
rature, nous voyons à quel point elle est précieuse pour la clinique selon le principe de se
passer du Nom-du-Père mais à condition de s’en servir.
Si les psychoses ordinaires s’ « ordonnent cliniquement uniquement quand leurs phé-
nomènes se précipitent, s’ordonnent, dans la logique du transfert7 » cela nécessite de
la prudence, de l’attente, de la constance et de l’invention de la part de l’analyste, à la
fois pour saisir le signe discret, le possible déraillement du sujet afin d’éviter le déclen-
chement, et pour permettre que la séance analytique puisse avoir une dimension d’accueil
et d’échange. Dans la direction de la cure, l’analyste cherche activement, avec le sujet,
des points d’entente, en réalité des semblants, dans lesquels l’Autre puisse s'appauvrir de
jouissance. L’intention réside dans la recherche d’un accord non pas sur le sens commun,
mais sur l’absence de sens, c’est-à-dire une absence de jouissance de l’Autre8.
La clinique de la psychose ordinaire, en raison des inventions des patients et de leurs
analystes, est une tentative, qui se produit au cas par cas, de répondre au malaise de la
civilisation contemporaine.
Traduit de l’italien par Anna Cominetti
................................................................................
1 Miller J.-A. (s/dir.), La psychose ordinaire. La convention d’Antibes, Paris, Seuil / Agalma, coll. Le Paon,
1998, p. 258
2 Miller J.-A., « Effets retour sur la psychose ordinaire », Quarto, nº 94-95, janvier 2009, p. 46.
3 Cf. Caroz G., « Quelques remarques sur la direction de la cure dans la psychose ordinaire », Quarto, nº 94-
95, janvier 2009, p. 55.
4 Cf. Borie J., « Averti du signe », Mental, nº 35, janvier 2017, p. 60.
5 Skriabine P., « La psychose ordinaire du point de vue borroméen », Quarto, nº 94-95, janvier 2009,
p. 19. « Lacan souligne que pour Freud, R, S et I restent indépendants, à la dérive. Pour faire consister
sa construction théorique, Freud a besoin d’un élément en plus qu’il nomme “réalité psychique ” et
qui n’est rien d’autre que le complexe d’Œdipe, c’est-à-dire un quatrième élément qui vient nouer les
trois éléments indépendants, les trois ronds R, S et I. Il faut donc au moins un quatrième élément pour
suppléer à la forclusion originelle et obtenir une solution borroméenne. Dans son Séminaire R.S.I., Lacan
déploie les suppléances, les Noms-du-Père, qui restituent un nouage borroméen à quatre : trois types
privilégiés de suppléance, à commencer par le symptôme ».
6 « On suppose que les choses nommées trouvent fondement dans le réel », Lacan J., Le Séminaire, livre
XXII, « R.S.I.», leçon du 18 mars 1975, Ornicar ?, nº 5, décembre 1975 - janvier 1976, p. 29.
7 Bassols M., « Psychoses, ordonnée sous transfert », Mental, nº 35, janvier 2017, p. 47.
8 Caroz G., « Quelques remarques sur la direction de la cure dans la psychose ordinaire », op. cit., p. 55.
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Du point de vue structuraliste il existe bien une discontinuité, une nette différence entre la
névrose et la psychose. Nous savons qu’au début de son enseignement, Lacan a élaboré
la forclusion, la Verwerfung, pour distinguer le mécanisme pathognomonique de la psy-
chose. Il s’agit du rejet d’un signifiant primordial, du signifiant du Nom-du-Père dans
l’Autre, qui ordonne l’ordre symbolique. Lacan est allé chercher le terme de la forclusion
dans sa lecture de l’hallucination du doigt coupé de l’Homme aux loups. Tandis que du
côté de la névrose, nous avons à l’origine « l’admission dans le sens du symbolique6 », la
Bejahung primordiale. Les destins de ce qui est soumis à la Bejahung, à la symbolisation
primitive, sont de l’ordre du refoulement, de la dénégation ou du déni. En revanche, « ce
qui est tombé sous le coup de la Verwerfung7 », ce qui n’est pas symbolisé, « ce qui a été
rejeté du symbolique reparaît dans le réel8 », sous forme d’hallucination par exemple. Dans la
clinique, nous n’avons accès qu’aux conséquences chez le sujet de la forclusion et non pas
à la forclusion elle-même. On remarque que la psychose est appréhendée ainsi comme
déficitaire à l’égard de la névrose, à cause du rejet du signifiant du Nom-du-Père. Alors que
dans la névrose le Nom-du-Père est opérant, dans la psychose il est rejeté, exclu.
La perspective continuiste met en question cette opposition tranchée. Névrose et psy-
chose « sont deux issues différentes à la même difficulté d’être [...] Le psychotique franc
comme le normal sont des variations [...] de la situation humaine, de notre position de
parlant dans l’être, de l’existence du parlêtre [...] Le psychotique n’est pas une exception,
et le normal n’en est pas une non plus9 ». Nous sommes, par conséquent, tous égaux à
l’égard du réel de l’inexistence d'un rapport sexuel qui puisse s’écrire, égaux devant la
jouissance, devant le troumatisme de l’impact du langage sur le corps.
J.-A. Miller remarque que « cette généralisation de la psychose signifie qu’il n’y pas de
vrai Nom-du-Père [...] Le Nom-du-Père est un prédicat. Il est toujours un prédicat. C’est
toujours un élément spécifique parmi d’autres qui, pour un sujet spécifique, fonctionne
comme un Nom-du-Père. Donc, si vous dites cela, vous effacez la différence de la névrose
d’avec la psychose. C’est une perspective en accord avec “Tout le monde est fou”, avec
“Tout le monde délire à sa manière”10 ». Puisque tout parlêtre est confronté au trou du
savoir concernant le réel de la sexualité, entre névrose et psychose il existe plutôt une
gradation, c’est une affaire d’intensité.
La forclusion généralisée signifie que tout discours est une défense face au réel du
non-rapport, un délire auquel on croit. Et à partir du moment où il est impossible que
la jouissance soit entièrement absorbée par le symbolique – il y aura toujours un reste
inéliminable –, la question devient celle des différents modes de sa localisation. Du point
de vue structural c’est le Nom-du-Père qui s’en charge, alors que pour la clinique bor-
roméenne, J.-A. Miller propose l’existence ou pas d’un point de capiton, qui « est moins
un élément qu’un système, un nouage, un appareil, faisant point de capiton, agrafe11 ».
Dans le cas illustre de Joyce nous avons un exemple de point de capiton qui fonctionne
comme nouage. Il a réussi à compenser « cette démission paternelle, [...] cette Verwerfung
de fait12 » par son sinthome qui est son art. Joyce par son écriture est parvenu à corriger le
ratage du nœud que Lacan a repéré dans l’épisode de sa raclée13.
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3.7
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Dans la Convention d’Antibes, J.-A. Miller distingue deux types de psychoses, les psychoses
de type chêne et les psychoses de type roseau. Dans les premières, nous avons un franc
déclenchement qui a lieu, un contraste entre l’avant et l’après14. Dans les secondes, du
type roseau, « le sujet a élaboré un symptôme en glissade, à la dérive, le cas ne prête pas à
un franc déclenchement15 ». Il conclut même que « les psychoses ordinaires sont principa-
lement du type roseau16 ». Si un sujet ne relève pas de la problématique œdipienne, s’il n’a
pas un symptôme œdipien, nous devons repérer ce qui le fait tenir, ce qu’il a inventé pour
nouer l’imaginaire, le symbolique et le réel, autrement dit, chercher sa solution singulière,
son savoir faire avec la jouissance, pour éviter au sujet les éventuels débranchements ou
les moments de crise et l’aider à construire un nouage dans les cas où il est défait.
La continuité entre névrose et psychose, en forme de courbe de Gauss, concevable seu-
lement dans la perspective de la clinique borroméenne, n’enlève rien à la pertinence de
leur distinction dans la clinique binaire. J.-A. Miller nous incite, une fois que le diagnostic
de psychose ordinaire est posé, à essayer « de la classifier d’une manière psychiatrique.
Vous ne devez pas simplement dire que c’est une psychose ordinaire, vous devez aller
plus loin et retrouver la clinique psychiatrique et psychanalytique classique.17 » Il n’y a
donc pas de passage entre la névrose et la psychose. La psychose ordinaire est bien une
clinique « des petits indices de la forclusion18 », une clinique de gradation et de tonalité,
mais « elle doit être réductible à une forme classique de psychose ou à une forme ori-
ginale de la psychose19 ».
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1 Miller J.-A., « Clinique floue », La Psychose ordinaire. La Convention d’Antibes, Agalma – Le Seuil, 1999,
p. 230.
2 Cf. ibid., p. 260.
3 Cf. ibid., p. 231.
4 Cf. Laurent É., « La pfuït ! du sens », op. cit., p. 260.
5 Miller J.-A., « Préface », Joyce avec Lacan, Paris, Navarin éditeur, 1987, p. 11.
6 Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 21.
7 Ibid., p. 95.
8 Ibid., p. 57.
9 Miller J.-A., « Clinique floue », op. cit., p. 231.
10 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, nº 94-95, janvier 2009, p. 47.
11 Miller J.-A., « Ouverture », op. cit., p. 155.
12 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 89.
13 Cf. ibid., p. 151-152.
14 Cf. Miller J.-A., « Psychoses chêne et roseau », La Psychose ordinaire. La Convention d’Antibes, Agalma –
Le Seuil, 1999, p. 275-276.
15 Ibid., p. 276.
16 Ibid.
17 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op. cit., p. 45.
18 Ibid., p. 49.
19 Ibid.
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