Blue-Velvet Livret

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 22

L I V R E T N U M É R IQU E

BLUE
VELVET
UN FILM DE DAVID LYNCH

1
Distribution et presse : CAPRICCI FILMS capricci
[email protected]
DE LAURENTIIS
Programmation : LES BOOKMAKERS ENTERTAINMENT GROUP INC.
Paris : [email protected]
présente
Province : [email protected]

UN FILM DE DAVID LYNCH

BLUE
VELVET
DCP 4K SUPERVISÉ PAR DAVID LYNCH
USA – 1986 – 120 min – Visa 64.177

KYLE
MACLACHLAN

ISABELLA
ROSSELLINI

DENNIS
HOPPER

LAURA
DERN

HOPE  LANGE - GEORGE  DICKERSON
JACK  NANCE - BRAD  DOURIF
FRANCES  BAY - DEAN  STOCKWELL
Matériel presse et photos téléchargeables sur www.capricci.fr

Conception éditoriale : Julien Rejl


Graphisme : Juliette Gouret
@ Capricci, 2020 SORTIE LE 11 MARS 2020
SYNOPSIS
P. 6

APRÈS TWIN PEAKS


PAR JULIEN REJL

P. 10

LE BLEU ET LA BOUE
PAR HERVÉ AUBRON

P. 16

FICHES ARTISTIQUE
ET TECHNIQUE
P. 38

CAPRICCI
LINE-UP 2020
P. 41


SYNOPSIS

Il se passe quelque chose d’étrange


derrière les palissades blanches de
Lumberton, Caroline du Nord. Après
avoir fait la découverte d’une oreille
humaine coupée dans un champ,
Jeffrey Beaumont, un étudiant attiré
par le mystère, est bien déterminé
à enquêter. Avec l’aide de sa petite
amie, Jeffrey pénètre dans l’univers
sombre et dangereux de Dorothy
Vallens, une chanteuse de boîte de
nuit mystérieusement unie à Frank,
un gangster sadique, autour d’une
histoire de kidnapping.

7

APRÈS TWIN PEAKS

David Lynch a supervisé la nouvelle copie DCP, pour la pre-

TWIN
A P R È S

PE A K S
mière fois en 4K, de Blue Velvet en 2019. Cette nouvelle et
désormais trop rare intervention du cinéaste suffisait en
soi à justifier la ressortie en salle du chef-d’œuvre de 1986.

Néanmoins, la redécouverte de Blue Velvet en 2020, alors


que l’œuvre de Lynch est aujourd’hui parachevée – du
moins est-on en droit de le penser – ne peut manquer de
surprendre à nouveau. De la même manière que Dale Coo-
per apparaissait rétroactivement dans le rêve de Laura
Palmer dans Fire Walk With Me depuis la Loge atempo-
relle de Twin Peaks, l’univers tout entier de Twin Peaks
semble étrangement déjà suinter des rideaux, grouiller
sous les gazons, prêt à surgir de l’oreille coupée de Blue
Velvet. Il s’agit bien plus qu’une simple affaire de motifs :
on peut évidemment ramasser à la pelle les fétiches qui
parcourent le film et se retrouvent dans la série – poids
lourd tractant des troncs d’arbre, forêt maléfique en bor-
dure de ville, coffee shop aux couleurs très 60s, enseignes
de bar aux néons clignotants, tartes aux fruits et tasses
de café réconfortantes… Mais il y a autre chose.
Twin Peaks : The Return marque l’accomplissement du
monde-Lynch, où l’idée a enfin trouvé à s’incarner parfai-
tement dans sa matière filmique. Blue Velvet, à côté, fait
aujourd’hui figure d’embryon qui contenait déjà le soap
opera en germe. Son récit (l’enquête autour d’un meurtre
potentiel), son univers (la petite ville pavillonnaire pai-
sible et ses habitants), sa duplicité (l’existence d’un
monde parallèle fonctionnant comme un rêve) suffisent à
le rendre plus proche de Twin Peaks qu’aucun autre Lynch.
Mais ce qui fait tout le sel d’une vision du film de 86 après
par Julien REJL The Return est évidemment de repérer selon quelles coor-
données les obsessions de Lynch ont pris forme à l’époque,
éclairant en retour la reformulation, l’issue ou l’impasse
qu’elles ont subies trente ans après.

11
APRÈS TWIN PEAKS

de parole : simple force physique encore grimaçante dont


C’est notamment la naissance d’un couple d’acteurs la présence, prenant les traits d’un technicien de plateau,
– Laura Dern et Kyle McLachlan – qui va traverser le suffit à inquiéter les rêves de la middle-class américaine.
cinéma de Lynch comme figures de l’Amour, l’une des Ce sera plus tard le Polonais d’Inland Empire, figure abs-
deux grandes forces cosmiques de son univers. Ainsi, traite de l’étranger dont on ignore les véritables buts et
l’amour balbutiant des ingénus Jeffrey et Sandy se voit agissements, principalement caractérisé par son désir de
troublé par la contiguïté des ténèbres, mais leur couple trouver une issue pour s’immiscer à l’intérieur du foyer…
aura la chance de survivre à la tentation d’une femme- Enfin, dans The Return, la menace n’a définitivement plus
mère incestueuse (Dorothy), bien que l’image finale du besoin d’extériorité : le Bad Coop’ révèle la face sombre
rouge-gorge renfermant un scarabée dans son bec vienne de Dale Cooper comme pure intériorité. Et l’entité Judy,
faire tache sur le bonheur à venir… Trente ans plus tard, chimère maternelle indéterminée, ne sert plus qu’à signi-
tel Jeffrey/Orphée descendant aux enfers, l’agent Dale fier, d’un simple nom, l’origine du Mal, le principe de son
Cooper semble condamné à poursuivre indéfiniment la engendrement. The Return est d’ailleurs le seul film où
trace d’un objet perdu qu’il n’a pourtant jamais connu, Lynch convoque directement l’Histoire, l’Événement,
Laura, préférant abandonner le véritable amour de sa comme coupure, marqueur de la Chute : ce sont les pre-
vie, Diane, sur une aire d’autoroute après une dernière miers essais nucléaires de 1945, image symbolique de la
étreinte, pour reprendre sa quête interminable. « En destruction et de la perte de l’innocence.
quelle année sommes-nous ? » finira par s’exclamer Dale
Cooper sur le perron de la maison familiale traumatique, David Lynch serait-il à sa façon le grand cinéaste écolo-
adressant moins une réelle question à Carrie Page/Laura giste des images ? C’est du moins l’hypothèse qu’Hervé
Palmer que manifestant son désarroi le plus total quant Aubron, rédacteur en chef du Nouveau Magazine Litté-
à la perte définitive de l’image originelle. raire et ancien critique aux Cahiers du cinéma, déve-
loppe dans son nouveau texte sur l’auteur de Mulholland
Car l’autre grande force à l’œuvre chez Lynch, c’est bien Drive. Alors que le cinéma américain des années 80
sûr le Mal, agent de la Chute, qui par son action même a porte au pinacle l’image-fétiche et le recyclage infini
créé le paradis, perdu à jamais, des « bonnes » images. de l’image-marchandise, le geste subversif de Blue
Dans Blue Velvet, la personnification du Mal nécessite Velvet est, d’après Aubron, d’enregistrer la pollution à
encore les singeries d’un acteur célèbre et excessif (Den- l’œuvre dans le régime des images : hygiénisme du vernis
nis Hopper) déguisé en gangster régressif du dimanche, fétiche, devenir synthétique de l’image, images prosti-
pour offrir à Jeffrey le visage identifiable de la terreur, tuées, transformation du monde audiovisuel en immense
du dégoût et de la haine qu’il est possible d’abattre d’une déchetterie… C’est notamment l’utilisation de la couleur
balle dans la tête. Mais progressivement, de film en film, bleu chez Lynch qui accuse, toujours selon le critique,
cette créature maléfique va perdre toute consistance la facticité de l’univers visuel et ouvre les béances qui
physique et se dissoudre dans l’atmosphère. C’est d’abord renversent l’ordre des choses et révèlent la saleté ancrée
Bob dans le Twin Peaks originel, être de songe dépourvu sous la surface.

12 13
APRÈS TWIN PEAKS

14 15
LE BLEU ET LA BOUE

Blue Velvet s’ouvre sur du blue velvet : son générique

LE BLEU

LA BOUE
inaugural se calligraphie sur de lourdes tentures d’un
bleu moiré, dans lesquelles le film viendra se lover à
nouveau pour le générique de fin. Il est curieux qu’un
cinéaste réputé pour les énigmes et les messages
détournés soit en l’occurrence aussi littéral et frontal,

ET
comme un vendeur qui ferait tâter au client l’étoffe d’un
vêtement en lui donnant sa composition, en lui montrant
l’étiquette et en affirmant qu’il n’y a pas tromperie sur
la marchandise. Cela s’appelle Blue Velvet et c’est vrai-
ment du blue velvet ! Accrochons-nous à ce coupon de
tissu, puisque David Lynch nous le tend d’emblée, et
qu’il miroite toujours par-delà le temps passé – pas loin
de trente-cinq ans. Ce velours-là, en 1986, a pris un pli
décisif pour son œuvre.

Voici donc un film qui débute sur des rideaux de velours


tirés, un écran bouché : Blue Velvet s’ouvre fermé. Après
Eraserhead, Elephant Man et Dune, Lynch installe dans
son quatrième long métrage une formule plus pérenne,
dont tous les films suivants découleront. Succèdent au
générique de Blue Velvet des cartes postales bon enfant,
sinon mièvres, de la ville de Lumberton, clichés qui
gardent du velours inaugural le bleu écrasant d’un ciel
par Hervé AUBRON
trop homogène et uni pour être honnête. Et d’ailleurs
voyez : le gentil papi qui arrose son jardin a une soudaine
attaque, la caméra s’enfonce dans le gazon bien peigné de
son jardin, et finit par révéler, au-delà des brins d’angé-
lique, un grouillement de cloportes et de scarabées, ver-
mines qui annoncent l’imminente découverte, dans une
autre pelouse, d’une oreille humaine nécrosée.
Toute vue familière, souriante ou domestique semble
ainsi s’apparenter aux tentures de velours bleu (d’au-
tant plus que cette matière est celle d’un peignoir dans
le film) : ce sont des rideaux tirés, un paravent qui

17
LE BLEU ET LA BOUE

masque une réalité atroce, vouée aux pires voracités. reflète les fans de Lynch, dont les films excitent les pul-
La ville de Lumberton tout entière devient un monde sions (sur)interprétatives, cabalistiques, sinon para-
factice, faussement clair et net, posé au-dessus d’un noïaques et complotistes.
bourbier sans nom, de tous ces trafics occultes et noc- Pourquoi devrait-on s’en tenir à la lettre de ses contes
turnes auxquels préside le monstrueux Frank (Dennis quand leur vérité semble toujours ailleurs ? Alors on a
Hopper). On reconnaît là une matrice essentielle pour guetté, on a gratté, on a isolé tous les motifs contenus
la suite du cinéma de Lynch, et exemplairement celle dans ses films, on les a collectionnés et dépliés, mis à
de la série Twin Peaks (1990-1991), conçue avec Mark plat, comme des papiers de bonbons translucides et colo-
Frost : bourgade pimpante et tranquille, soubassements rés – quitte à réduire son cinéma au simple encryptage
ig nobles et infernau x , le démon Bob devenant le de vérités qu’il ne représenterait pas effectivement. À
nouveau Frank. toujours scruter l’arrière-plan ou l’arrière-fond, à toujours
Cette dynamique, sinon cette érotique, de la dissi- regarder au-delà des plans, ou derrière les rideaux, on
mulation court tout au long de Blue Velvet : le double risque de ne tout bonnement plus voir les films.
jeu du flic corrompu (« l’homme en jaune »), l’absurde Lynch devint ainsi l’archétype du cinéaste culte. Son
déguisement final de Frank ou bien sûr la partie de premier long métrage, Eraserhead, lui avait déjà donné
cache-cache auquel se prête constamment le jeune cette aura, mais c’était sur le registre de l’expérience
Jeffrey (Kyle McLachlan) pour percer le mystère de sensorielle, censément primitive et viscérale, aux confins
l’oreille coupée : il pénètre dans l’appartement de Doro- de l’art brut. Avec Blue Velvet s’y adjoint une passion de
thy (Isabella Rossellini) en se prétendant dératiseur puis l’artificialité, de l’imagerie et du décodage permanent. Ce
se glisse dans son placard pour l’espionner, et dans le dont la série Twin Peaks marquera le triomphe. Galerie de
finale se jouer du furieux Frank. personnages et de décors, accessoires, marottes, incon-
Désormais, il y aura toujours chez Lynch un cadavre gruités ou runes obscures… C’est open bar pour les bou-
dans le placard (ou derrière le rideau de velours). Se limiques du signe, relayé par un marketing fort efficace.
scelle ainsi la mythologie d’un cinéaste qui avancerait La sémiophagie des fans gagne encore en puissance avec
toujours masqué, les mains au fond de ses poches, prêt le format même de la série (plaisir de l’accumulation) et
à disperser autour de lui trucs de magie, codes ésoté- le naturel recours au magnétoscope (Lynch est l’enfant
riques, feux de Bengale, sans qu’on sache si tout cela est béni de la VHS). À chaque nouveau visionnage, on se doit
l’essence de son art ou si cela sert – c’est la base de l’il- de relever un nouveau détail caché, souvent à la faveur
lusionnisme – à détourner l’attention de ce qui importe d’un arrêt sur image : le « culte » est un art de la fonc-
vraiment. tion « pause ». Art myope, immobile, du plan-à-plan, de
Il s’agirait toujours avec lui de pister le sens caché, la vignette. Twin Peaks aura de façon sidérante théorisé
« profond », l’obscénité et la dégueulasserie occultées, son propre culte : splendide œuvre-logo où le signe fait
tout à la fois des turpitudes minables et les fondements la pute, invite l’œil en coin, à un éternel déchiffrage qui
d’un cosmos seulement mu par la déréliction et la des- mène à un autre signe. Tout cela est à l’évidence en germe
truction. Enquêteur aussi improvisé que fasciné, Jeffrey dans Blue Velvet.

18 19
LE BLEU ET LA BOUE

Il y a là un paradoxe : sous couvert de traquer l’in-


nommable ou l’irreprésentable sous le velours, on cultive
les fétiches et l’imagerie. Le générique de Blue Velvet
condense le curieux érotisme qui va désormais prévaloir
entre les films de Lynch et ses spectateurs. Le velours
bleu des tentures « illustre » certes celui du standard
Blue Velvet, que chante Dorothy sur scène, mais il est
aussi celui du peignoir qu’elle porte chez elle, alors que
Jeffrey l’espionne et que Frank lui impose un rituel
sexuel. Le psychopathe se mue alors en un atroce bébé
fourrageant les jupes de sa mère avec son museau, lui
ouvrant le peignoir et les cuisses : « Baby wants blue
velvet ». Contrainte à ce jeu de rôles sado-masochiste,
Dorothy est chargée d’incarner une figure de mère abu-
sive (très fréquente dans les films de Lynch), étouffant
son enfant par un amour dévorant (en l’occurrence, « BLUE VELVET DEVIENDRA
ce blue velvet, à la fois la douceur même et un bâillon
ignoble dans la bouche de Frank).
L’UN DES FLAMBEAUX DE CE
Autrement dit : le générique d’ouverture installe QU’ON APPELLE LE “NÉO-NOIR” »
le spectateur dans la position même de Frank face au
ventre de Dorothy, encore caché sous son peignoir. Il
n’y a pas seulement un cadavre ou de la vermine dans
le placard : il y a aussi un sexe de femme derrière les
rideaux et les premières images du film. L’expérience du
film tout entier est ramenée à la passion dévorante de
Frank : sous couvert de chercher le fin mot de l’affaire,
nous voici voués à un possible fétichisme de l’image. Non
plus une icône ou une représentation, mais un doudou
à mâcher, une chose à tripoter de manière compulsive
et addictive : avant de devenir l’horrible « baby », Frank
sniffe un mystérieux masque à gaz.

Blue Velvet apparaît à un moment critique pour la ciné-


philie. Dans les années 80, le cinéma ne peut plus élu-
der son rapport à la marchandise visuelle alors que

20 21
LE BLEU ET LA BOUE

la télévision devient le grand monstre qu’il faut tuer, néocinéphiles peuvent mâchonner, béats, le velours bleu
conspuer, ou avec lequel il faut rivaliser ou pactiser. Les du générique, les anciens y reconnaissent le lustre, à la
fans de Lynch deviennent représentatifs de la néoci- Vincente Minnelli ou à la Albert Lewin, d’un Hollywood
néphilie qui émerge alors, assumant une passion de la passé. Blue Velvet, qui plus est, s’insère a minima dans
stylisation, du graphisme, de la bizarrerie, de l’encyclo- une histoire du cinéma, la lignée d’un certain genre (le
pédisme ultraspécialisé, sans nécessairement chercher film noir), à tel point qu’il deviendra l’un des flambeaux
à défendre, comme auparavant, une conception générale de ce qu’on appelle le « néo-noir ». Le film ne cache pas
du cinéma. qu’il vient après l’âge classique et la modernité, bouture
Les cinéphiles à l’ancienne, eux, hésitent et angoissent et rempote les codes du polar, mais déborde d’une surpre-
face à l’industrie télévisuelle. Ils se demandent si les nante énergie, ce que l’on pourrait appeler une candeur
films sont appelés à s’y dissoudre (la « mort du cinéma » noire : n’étant pas cinéphile, Lynch ne cantonne pas ses
est un mantra de l’époque) ou s’ils doivent s’affirmer angoisses au devenir du seul cinéma.
comme une poche de résistance, où des cinéastes gué- Blue Velvet marque la réévaluation, à la forte baisse,
rilleros défendraient et perpétueraient un art délié de la de Wim Wenders, qui était le nabab de la mort-du-ci-
stylisation ou de l’instrumentalisation audiovisuelle – de néma. Deux ans après Paris, Texas, le film de Lynch peut
l’image comme marchandise. apparaître comme son envers : la part d’ombre, la nuit
Lynch est dès lors un cas très sensible. Venu des arts profonde de l’Amérique que Wenders avait élégamment
plastiques, il dit lui-même qu’il n’a pas été formé par laissée de côté, restant en surface. À nouveau une dispa-
le cinéma (ce qui ne l’empêchera pas de devenir, avec rition, du road-movie, une femme exposée et abusée, la
Mulholland Drive, l’un des meilleurs portraitistes de la signalétique exotique d’une bourgade américaine, mais
passion cinéphile, sans doute parce qu’elle lui est étran- cette fois une froide sauvagerie, une plongée dans le
gère). Qui plus est, il peut apparaître comme un petit noir et un moteur qui a radicalement changé de vitesse.
malin ayant imposé sa marque dans le cinéma culte avec Wenders est cueilli, fauché, et avec lui la mort-du-ci-
le météorique Eraserhead. Les cinéphiles à l’ancienne sus- néma. De manière symptomatique, Harry Dean Stanton,
pectent chez lui un illusionniste de la lignée Méliès, un l’acteur principal de Paris, Texas, rejoint le monde de
laborantin de studio, un décorateur démiurge utilisant Lynch en 1988, avec le moyen métrage The Cow-Boy and
le cinéma comme un simple support pour décliner son The Frenchman, et ne l’a plus quitté jusqu’à sa mort : il
imagerie. Blue Velvet va pourtant aussi les conquérir et joue in extremis en 2017 dans Twin Peaks : The Return.
constitue dès lors l’un des rares lieux de rencontre, alors,
entre « néo » et « archéocinéphiles ». Blue Velvet n’est pas seulement une variation ludique ou
D’abord parce que Lynch s’invente, avec Blue Velvet, une allégorie sur le devenir des images. Il a une charge
une position économique qui est toujours la sienne, toute personnelle. C’est là toute l’épaisseur du blue velvet.
atypique et inespérée : il installe son atelier expéri- Le film a une dimension autobiographique, ce dont Lynch
mental en marge des studios hollywoodiens, mais aussi ne s’est pas caché. La ville de Lumberton, comme celle de
à leur ombre, à deux pas d’eux. Et si les fétichistes Twin Peaks et les autres, ouvre une faille temporelle. On

22 23
LE BLEU ET LA BOUE

ne sait trop dans quelle époque on est, mais la mytholo-


gie qui domine est celle de Happy Days, celle des années
50-60, soit celle de l’enfance et de la jeunesse de Lynch,
qu’il résume ainsi dans son livre d’entretien avec Chris
Rodley (en français aux Cahiers du cinéma) : « C’était vrai-
ment une époque pleine d’espoir, les choses allaient vers
le haut plutôt que vers le bas. On avait le sentiment qu’on
pouvait tout faire. L’avenir était radieux. Nous n’étions
absolument pas conscients de jeter les bases d’un futur
désastreux. Tous les problèmes existaient déjà, mais on
glissait dessus ; on ne les voyait pas. Puis tout le lustre
est parti, tout a pourri, et ça a commencé à suinter. […]
la pollution commençait à se faire menaçante. On venait
d’inventer les matières plastiques, d’étranges composés
de produits chimiques, les polymères et un grand nombre
« LE PROPRE ET LE SALE d’expériences médicales, la bombe atomique et beaucoup
de tests. On croyait que le monde était si grand qu’on
CONSTITUENT UNE GRANDE pouvait y jeter tout un tas de saloperies sans que ça ait
DYADE DANS LE CINÉMA d’importance. Et c’est devenu incontrôlable. »
Tout a pourri et ça a commencé à suinter. Encore une
DE LYNCH. » fois l’immondice qui filtre à travers le lisse et le net. C’est
l’histoire de cette chimie souterraine, venant empoison-
ner ou véroler la candeur apparente de Happy Days, que
raconte Blue Velvet. Le propre et le sale constituent une
grande dyade dans le cinéma de Lynch. Au lisse et au net
ont toujours répondu boue, terre, mais aussi détritus et
fluides organiques divers. Depuis l’avorton d’Eraserhead,
débordant d’une inépuisable purée, les corps chez lui
semblent emplis d’une bouillie toujours prête à s’épandre.
Les têtes, singulièrement, ont vocation à révéler leur
essence spongieuse, comme des fruits à cervelles : Frank,
dans Blue Velvet, n’est qu’un des nombreux personnages
lynchéens au crâne éclaté.
Alors voilà, ce serait simple : Lynch serait ce génie
qui parvient à révéler la merde originelle derrière les

24 25
LE BLEU ET LA BOUE

apparences lisses et fallacieuses de la civilisation, der- Telle est la gageure à laquelle Lynch commence à se
rière les propretés de façade. C’est trop simple, bien sûr, mesurer dans Blue Velvet : parvenir à rendre aussi per-
sinon caricatural. D’une part, cette conception du révéla- ceptible la saleté même des images. Non pour ce qu’elles
teur de merde a eu tendance à faire de Lynch un cinéaste représentent, mais leur saleté en elle-même, la saleté
du « primal », du « pulsionnel », du magma « originel ». même de la propreté. La question de Lynch n’est pas :
D’autre part et en conséquence, puisque la merde était le propre et le sale, mais plutôt le propre est (aussi) le
reléguée à un marais primitif, la production imagière, sans sale. Il existe certes une merde cosmique, fondamentale,
parler de l’œuvre de Lynch lui-même, en semblait exempte. mais il y aussi la crasse de toute cette chimie imagière
Transformer une matière merdique en œuvre, à la faveur grâce à laquelle nous croyons nous en préserver, mais qui
d’une bien pratique « alchimie artistique », ne serait-il pas finit par se corrompre elle-même, comme dans une vieille
un autre moyen d’occulter l’abjection ? « Tu m’as donné ta décharge de site Seveso.
boue et j’en ai fait de l’or », ainsi que l’écrivait Baudelaire. Le propre est le sale, tout comme chez Lynch la miè-
Si la boue se transforme en or, elle est à nouveau éva- vrerie et l’obscène, l’angélique et l’immonde, la sentimen-
cuée. Dans L’Insoutenable Légèreté de l’être (paru en 1984), talité et la brutalité sont à touche-touche, nourrissent
Milan Kundera définissait le kitsch comme un monde qui sur les visages des rictus si extrêmes qu’ils finissent
dénie radicalement la Merde fondamentale. Ce postulat a par se ressembler. Dans Blue Velvet, un psychopathe se
des conséquences vertigineuses : si on le suit, une grande fait bébé et l’un de ses complices se met à chanter une
part de l’art pourrait s’apparenter au kitsch et celui-ci, bluette (l’incroyable numéro de chant langoureux du pré-
communément considéré comme une sorte de déchet nommé Ben durant la virée nocturne avec Frank). Une
artistique, reviendrait à de la merde déniant la merde. femme lâche des roucoulades amoureuses tout en récla-
Relisons la description par Lynch de sa jeunesse : mant d’être frappée (Dorothy face à Jeffrey). La gentille
la pourriture qu’il invoque avant tout n’est pas celle copine blondinette Sandy (Laura Dern) est d’un coup
du remugle originaire ou de l’organicité mais celle des défigurée par l’angoisse, la jalousie et un dégoût phobique
« matières plastiques » dont relèvent aussi les images, face à la nudité de Dorothy. Un aimable rouge-gorge se
à l’heure de l’industrie culturelle. Lynch ne dit pas révèle prédateur et confusément répugnant alors qu’il
autre chose, dans le même entretien avec Chris Rodley : boulotte une vermine : vision finale que Jeffrey com-
« Nous sommes tellement cernés par le vinyle que je suis mente de son sempiternel « It’s a strange world ». Un
toujours à la recherche d’autres textures. […] Quand on monde étrange, oui, mais aussi un monde devenu étranger
roule en voiture, on voit des câbles, des nuages, du ciel à lui-même, puisque totalement refabriqué, remodelé par
bleu ou de la brume, et on voit aussi beaucoup de mots et les chimies de toutes sortes.
d’images. On voit des pancartes et des drôles de lumières Dans le film, Frank apparaît bien comme une sorte de
et les gens finissent par se perdre. Un individu ne fait démon de la chimie avec son masque à gaz. La ville de
pas le poids. Tout le monde est écrasé. Je n’aime pas ça Lumberton s’apparente à des cartes postales sur papier
du tout. » Horreur du vinyle qui « écrase » : les lourdes glacé, imprimées avec des aplats acryliques. Quant à la
tentures de Blue Velvet en relèveraient-elles ? toge de la Vénus éternelle, elle est en synthétique : le

26 27
LE BLEU ET LA BOUE

peignoir de Dorothy est cheap et tape-à-l’œil, l’irisation


de son blue velvet trahit une grande part de chimie.

On pourrait soutenir que Blue Velvet, après Eraserhead


et Elephant Man, tournés en noir et blanc, est le premier
film en couleurs de Lynch. Certes, ses courts métrages
de jeunesse ont pu utiliser de la pellicule couleur, mais
en la traitant de manière extrêmement désaturée : les
teintes étaient si mêlées ou passées qu’on était à la
lisière du noir et blanc ou de la grisaille (par exemple
dans The Grandmother). Entre 1967 (date de son tout pre-
mier court métrage) et Dune (son premier long en cou-
leurs en 1984), pendant quasiment vingt ans, Lynch s’est
avant tout voué à peindre un monde dont les teintes sont
problématiques, soit qu’il est décoloré, soit qu’il invoque
des matières et bouillies indistinctes, à la pigmentation
« LE BLEU EST COMME indécise.
LA COULEUR DE LA COULEUR Officiellement en couleurs, le space-opéra Dune reste
tributaire de cette palette. Comme émanant du désert
POUR LYNCH (...) C'EST d’Arrakis, cette planète précisément surnommée Dune,
le terreux et le sableux dominent largement dans le film,
LA COULEUR LA PLUS avec juste quelques aplats de plomb et de vert dès lors
ARTIFICIELLE, FABRIQUÉE. » qu’on se retrouve dans le sanctuaire du maléfique clan
Harkonnen. Le seul réel événement chromatique (le sur-
gissement d’une couleur tranchée) tient à une mutation
du peuple de Dune, les Fremen, mineurs rebelles que leur
travail affecte d’un symptôme particulier, marqué par
un trucage au pochoir : ils ont « les yeux bleus sur fond
bleu ». Peut-être expriment-ils ainsi l’eau qui manque sur
leur planète. Mais c’est aussi comme si les mineurs de
Dune avaient touché, au milieu du sable gris-beige, à un
gisement de couleur.
Le bleu est comme la couleur de la couleur pour Lynch.
La teinte n’est pas si fréquente dans son cinéma mais
elle est dramatiquement très chargée – sans doute aussi

28 29
LE BLEU ET LA BOUE

parce que le mot blue est une sorte de talisman pour le


cinéaste, réveille apparemment beaucoup de choses dans
son imaginaire.
Il se trouve qu’il enchaîne directement de la dune
sableuse au blue velvet. Quand je dis que le bleu est pour
Lynch la couleur de la couleur, c’est celle de la couleur la
plus artificielle, fabriquée. Abstraction faite du ciel, par-
fois de l’océan et des yeux, le bleu est en effet la couleur
que l’on trouve le plus rarement à l’état pur sur le plan-
cher des vaches. Ainsi que le relève Michel Pastoureau
dans son fameux livre faisant l’histoire de cette couleur,
le bleu est même fantomatique sinon absent jusqu’au XIIe « DANS L’ESPRIT
siècle, où il s’impose comme teinte associée à la Vierge
et plus largement à l’éthéré et au spirituel. C’est déjà une DE LYNCH,
couleur qui sert à éluder la matière et la chair. On pour-
rait même la concevoir comme l’anti-merde, la couleur de
LE BLEU HYGIÉNISTE
la civilisation et de son nécessaire refoulement : elle est ET ÉTHÉRÉ
aujourd’hui étroitement associée au neutre et à l’hygiène.
Le bleu, accessoirement, a pu participer de la photogé- EST LE SIGNAL
nie clinquante des années 1980, en ceci qu’il est aussi
associé à la high-tech et peut rehausser les contrastes
IMMANQUABLE
de teintes saturées – la décennie s’achèvera sur Le Grand D’UNE BOUE
Bleu de Luc Besson.
Si le bleu est assez circonscrit chez Lynch, ses mani- PARTICULIÈREMENT
festations sont spectaculaires et plutôt de mauvais
augure. On pourrait de ce point de vue distinguer trois
PUTRIDE
grandes lignées de couleurs dans son cinéma : les films À DISSIMULER. »
jaunes (Sailor et Lula, Lost Highway), comme écrasés de
pulsions et de soleil, les films gris-noir (Inland Empire,
Twin Peaks : The Return), tentés par l’abîme, et les films
bleus (Blue Velvet, Twin Peaks : Fire Walk With Me et
Mulholland Drive), qui contiennent des séquences très
proches : des figures féminines, plutôt en mauvaise pos-
ture, sont affectées par de vives lumières bleues durant
un spectacle. C’est bien sûr Dorothy chantant Blue Velvet

30 31
LE BLEU ET LA BOUE

sur scène ; c’est aussi, dans Fire Walk With Me, Laura s’ouvre pas sur des tentures mais sur un miroitement
Palmer à la veille de sa mort, rêvassant avant une passe, bleu qui s’avère être le rayonnement cathodique d’un
devant une vocaliste chantant une ritournelle sirupeuse écran de télé. Il s’agit bien de rendre hommage à un per-
intitulée Questions in A World of Blue ; c’est encore, dans sonnage, Laura Palmer, qui a été sacrifiée en étant à la
Mulholland Drive, le couple de Betty et Rita pris de vio- fois plongée dans l’eau d’un lac et dans le bleu blafard
lents sanglots devant un tour de chant, dans un nimbe d’un écran de télé. Cadavre nécessaire pour la fondation
bleu et aux côtés d’une femme aux cheveux pareillement de la série, elle s’y réduisait à un cliché : un portrait fami-
bleus, juste avant de découvrir la fameuse boîte bleue qui lial sous verre sur lequel s’achevait chaque épisode. Le
fait tout basculer. film, consacré à ses derniers jours, raconte ainsi comment
C’est comme si se révélait là le bleu fallacieux et un corps vivant se transforme en image figée – et cela
périssable du vernis culturel. À chaque fois, le bleu est passe par cette lourde liqueur de bleu. Dès lors que le
mauvais signe en même temps qu’il semble être le lieu bleu devient poisseux, plus aucune image n’est vierge ou
d’une révélation. Dans l’esprit de Lynch, le bleu hygié- innocente.
niste et éthéré est, lorsqu’il est outré, le signal imman-
quable d’une boue particulièrement putride à dissimuler. Il y a comme un antispécisme chez Lynch : il accorde les
Le fardage bleu exacerbe la facticité du spectacle social mêmes droits aux personnes et aux personnages, aux
et ce faisant, bizarrement, met à nu des corps vulné- hommes et aux images. Selon lui, mal traiter nos images,
rables – ce en quoi on pourrait presque penser à cer- les prendre à la légère, les produire à la chaîne n’est
taines images de la courtisane Lola Montès, dans le film pas sans incidence sur la façon dont nous traitons nos
de Max Ophuls, exhibée au cirque sous d’outrageantes semblables, et participe du grand carnage général. Nous
lumières colorées. Dorothy, dans Blue Velvet, finira bien sommes des images les uns pour les autres, ce pour quoi
par errer hagarde dans la nuit, et dans le plus simple les personnages sont aussi souvent spectateurs chez lui
appareil. Ce qui masque ou occulte peut curieusement – dans Blue Velvet, le voyeur Jeffrey et les spectacles
aboutir à une nudité redoublée. Les tentures du géné- chantés de Dorothy et de Ben. Lynch cherche en quelque
rique cachent en effet peut-être le sexe de Dorothy. sorte à enregistrer la vie privée des images, à enregistrer
Mais elles le révèlent aussi de façon métonymique. Elles les convulsions de ces figures incomplètes, qui n’ont pas
sont d’une certaine manière le sexe de Dorothy : tissu suffisamment de chair pour pleinement s’incarner, mais
plissé, frémissant doucement, entrouvert. Le velours tire juste assez pour souffrir et hurler, tel le prématuré mal-
somme toute son nom du velu. L’origine du monde dans formé d’Eraserhead. C’est dans Blue Velvet qu’il l’exprime
une serviette-éponge. pour la première fois aussi clairement.
Il ne s’agit pas seulement d’accuser l’artificialité du Dans Twin Peaks : The Return, Lynch et Frost s’ap-
bleu et du monde qui en use. On a le sentiment que Lynch proprient une catégorie issue du bouddhisme tibétain, le
cherche à salir ou alourdir le bleu, à révéler qu’il est une « tulpa » – à savoir des doubles ou avatars de personnes
pollution industrielle s’ajoutant à la merde originaire ne se sachant pas tels (ce que les agents du FBI appellent,
au lieu de la cacher. Twin Peaks : Fire Walk With Me ne tiens, des affaires « Blue Rose »). Autrement formulé : ce

32 33
sont des images ne se sachant pas images. La plupart des moites, sécrétions des yeux et non plus celles du sexe :
personnages de Lynch sont dans cette situation. Ce en les images-femmes doivent, dans les deux cas, montrer
quoi il est absurde, in fine, de chercher à distinguer les qu’elles fondent. Naît ici, pour elles, un tourment abys-
apparences factices et la réalité merdeuse, la surface et sal qui est sans doute, entre autres, celui de Dorothy. Il
la profondeur aussi : nous sommes dans Alice au pays des peut arriver qu’elles jouissent réellement ; il peut arriver
Merveilles ou Le Magicien d’Oz. aussi qu’elles souffrent et pleurent réellement, précisé-
Les figures féminines sont particulièrement exposées, ment à cause de cette exhibition constante. Mais ces
toujours sous la coupe du spectacle de leur personne, émotions-là, profondes, ne se distingueront pas des fac-
l’exhibition et la prostitution s’exerçant souvent de tices. Leur jouissance est vouée à se fondre aux trucs
concert. Pornographie du sentiment, peep-show de l’émo- de hardeuse, leurs irrépressibles sanglots à des larmes
tion. Qu’arrive-t-il d’autre à Dorothy, obligée de chanter de crocodile. Elles pleurent de devoir toujours simuler, y
des bluettes sentimentales mais aussi de se plier à des compris, précisément, ces pleurs-ci ou ces jouissances-là.
mises en scène S.-M., condamnée à être perpétuellement Cela demeure de sincères simulations.
en spectacle dans son appartement, entre le tyrannique On devient ainsi sa propre image, capable de basculer
Frank et le voyeur Jeffrey ? Le cinéma de Lynch est peu- d’une expression extrême à l’autre, comme anesthésiée,
plé d’images-femmes, dont les expressions tétanisées sont comme Dorothy dans Blue Velvet. Je n’ai quasiment parlé
indécidables, entre souffrance et jouissance. On a là des que d’elle, alors que son envers, la blonde Sandy, le per-
figures qui tournoient entre deux stéréotypes de la fémi- sonnage de Laura Dern, occasionne l’une des plus belles
nité, surjoués et grimaçants. Grosso modo, la brebis et la scènes du film. D’un coup naît à l’écran une image-person-
vamp, la maman et la putain – et rien entre les deux. Ce nage. Jeffrey flâne dans la nuit et voit surgir du noir une
pour quoi il existe tant de tandems féminins chez Lynch effigie qui l’interpelle : est-ce lui qui a trouvé l’oreille cou-
rejouant l’antagonisme entre les clichés de la blonde et de pée ? L’image et la personne de Sandy montent à la sur-
la brune – Sandy et Dorothy dans Blue Velvet. face simultanément, arrivent d’un bloc. À la fois gourde
Les images-femmes, qu’elles surjouent la jouissance et déesse, godiche et reine de la nuit, simple silhouette
ou les pleurs, sont de facto des formes prostituées, se lestée par toute l’obscurité derrière elle. Pure surface,
pliant aux desiderata du spectateur-client. Les chaudes pure épaisseur, comme les rideaux de velours bleu.
larmes ne sont que l’homologue, du côté « brebis », d’une
expressivité monstrueuse : l’émotion doit être impri-
mée, se voir sans doute possible, de la même manière
qu’une actrice de porno simule outrageusement l’orgasme.
L’image-femme est faite pour être parfaitement dispo-
nible et faire voir ses émotions. En tant que cliché, elle a
été conçue pour cela.
Les torrents de larmes ne sont que l’envers de l’ex-
hibition sexuelle. Visages mouillés à la place des corps

34
FICHE
ARTISTIQUE
jeffrey beaumont...............KYLE MACLACHLAN écrit et réalisé par.............................DAVID LYNCH
dorothy vallens............ISABELLA ROSSELLINI producteur délégué.........................RICHARD ROTH
frank booth....................................DENNIS HOPPER image............................................FREDERICK ELMES
sandy williams.......................................LAURA DERN décors .............................................PATRICIA NORRIS
mrs . williams...........................................HOPE LANGE montage...................................DUWAYNE DUNHAM
ben................................................DEAN STOCKWELL sound design..............................................ALAN SPLET
detective williams ............GEORGE DICKERSON musique...........................ANGELO BADALAMENTI
mrs . beaumont.....................PRISCILLA POINTER mixage.....................................................ANN KROEBER
aunt barbara........................................FRANCES BAY
mr. beaumont........................................JACK HARVEY
mike.............................................................KEN STOVITZ
raymond...................................................BRAD DOURIF
paul ..............................................................JACK NANCE
hunter hunter............................................J. MICHAEL
don vallens................................................DICK GREEN

FICHE
yellow man..........................................FRED PICKLER

TECHNIQUE
LINE-UP 2020

FILM LIVRES

TOMMASO LE CINÉMA
ABEL FERRARA PAR LA DANSE
avec Willem Dafoe, HERVÉ GAUVILLE
Cristina Chiriac
LE SEL DU PRÉSENT,
BLUE VELVET CHRONIQUES
DAVID LYNCH (COPIE 4K) DE CINÉMA
avec Kyle MacLachlan, ÉRIC ROHMER
Isabella Rossellini,
Dennis Hopper, Laura Dern STOP MOTION,
UN AUTRE CINÉMA
LA NUÉE D'ANIMATION
JUST PHILIPPOT XAVIER KAWA-TOPOR
avec Suliane Brahim, et PHILIPPE MOINS
Sofian Khammes
BLACK LIGHT,
MESSE BASSE POUR UNE HISTOIRE
DU CINÉMA NOIR
BAPTISTE DRAPEAU
avec Alice Isaaz, COLLECTIF
Jacqueline Bisset
BILL MURRAY,
ERREUR SUR
BRUNO REIDAL
LA PERSONNE
VINCENT LE PORT
YAL SADAT
avec Dimitri Doré,
Jean-Luc Vincent
MÉMOIRES
D'UNE SAVONNETTE
LA TROISIÈME GUERRE INDOCILE
GIOVANNI ALOI LUC MOULLET
avec Anthony Bajon,
Karim Leklou, Leïla Bekhti

INTÉGRALE
MAURICE PIALAT
(copies neuves)
L'ENFANCE NUE
NOUS NE VIEILLIRONS
PAS ENSEMBLE
LA GUEULE OUVERTE
PASSE TON BAC D'ABORD
LOULOU
A NOS AMOURS
POLICE
SOUS LE SOLEIL DE SATAN
VAN GOGH
LE GARÇU
Redécouvrir Blue Velvet de David Lynch en 2020 dans une
superbe copie 4k restaurée, c’est revoir le chef-d’œuvre
du milieu des années 1980 après Twin Peaks  :  The Return :
c’est-à-dire repérer comment ont été formulées très tôt,
dans ce film matriciel, les obsessions fondamentales aux-
quelles le cinéaste donnera une forme définitive trente ans
plus tard dans l’œuvre-somme de dix-huit heures.

Après son essai consacré à Mulholland Drive aux éditions


Yellow Now en 2006, Hervé Aubron, rédacteur en chef du
Nouveau Magazine Littéraire et critique de cinéma, poursuit
dans un nouveau texte, « La boue et le bleu », sa réflexion
autour de la saleté des images chez Lynch, qui subvertit le
règne hygiéniste de l’image-fétiche en plein essor à Hol-
lywood dans les années 1980.

Blue Velvet de David Lynch sort en salle le 11 mars 2020


dans une copie DCP 4K.

Vous aimerez peut-être aussi