Rock Folk 2019 07
Rock Folk 2019 07
Rock Folk 2019 07
JUILLET 2019
N°623 / 6,50 € / MENSUEL
BEL 7,15 €
SUISSE 11,30 CHF
LUX 7,15 €
PORTUGAL CONT 7,40 €
CAN 11,30 $ CAN / ITA 7,40 €
DOM 7,40 €
N CAL (S) 975 XPF
POL (S) 1090 XPF
ESPAGNE 7,40 €
ILE MAURICE 7,40 €
Edito
La danse du pingouin
Dans la famille des noms de groupes qui n’évoquent ni la révolution
ni l’anarchie, ni le sadomasochisme ni la drogue, pas l’alcool
(ou éventuellement le banyuls), pas le cuir mais davantage
le chandail en mohair, qui n’a rien à voir avec le danger
et encore moins avec le satanisme, Raconteurs se pose
un peu en mètre étalon du genre.
Ce nom, Raconteurs, ça évoque “Les Belles Histoires
De L’Oncle Paul” ou Alain Decaux, l’odeur de tabac à pipe (l’objet),
le tic-tac de la comtoise tant qu’on y est. Un truc chaleureux,
rassurant et ancien, lié à l’ennui de l’enfance. Lent.
Radoteurs, un peu ? Non. Raconteurs, car c’est de manière
revendiquée, assumée, l’intention de Jack White et de Brendan
Benson que de se poser comme les gardiens de cette tradition rock,
de ses coutumes, de ses légendes, de les raconter, donc, d’en être
les biographes en refusant l’idée même de la disparition de celui-ci.
En tout cas artistiquement. Jack White : “Il m’est apparu que
c’était effectivement notre boulot de représenter le rock’n’roll.
Il y a toujours eu, au cours de l’histoire, cette idée que le rock était
mort ou sur le point de disparaître, et j’avais le sentiment, en faisant
cet album, que nous avions une responsabilité. Je ne prétends pas
que nous sommes l’essence du rock ou quoi que ce soit, non, je dis
juste que nous avons une responsabilité à l’égard de son histoire.”
Et c’est précisément ce que montre “Help Us Stranger”,
leur nouvel album. Un disque crépitant, qui revisite, sans états
d’âme, les gammes classiques d’un album de rock classique.
Qui ouvre la malle du grenier, feuillète l’album photos,
révèle quelques secrets à ceux trop jeunes pour les avoir vécus.
Sans dire pour autant que c’était mieux avant mais plutôt dire
que c’était comme ça avant. Relisant les contes de cette
musique, répétant ses légendes, ses exploits…
Radotant ? Non, racontant, donc !
C’est qu’il paraît indispensable, essentiel aujourd’hui de raconter,
de redire encore et toujours, de resituer et ça, particulièrement
au moment où sur une idée de génie, une version du très cool
“Walk Like An Egyptian” des plus que très cools Bangles,
illustre une publicité pour la barre chocolatée Kinder Pingui
dans une mouture intitulée “La Danse Du Pingouin” et qui met
en scène une mère en plein burn out (elle travaille, va chercher
les enfants à l’école, fait du vélo, lave du linge...) mimant,
à l’heure du goûter, la marche comique du palmipède sous l’œil
de voisins effondrés en train de repeindre une barrière et à
deux doigts de prévenir les services sociaux... Il faudra bien
expliquer à ces enfants, plus tard, que la danse des pingouins
n’existe pas, que leur maman va bientôt sortir de cure et que
les Bangles étaient des rockeuses américaines des années 80.
Leur raconter...
VINCENT TANNIERES
ELTON JOHN 52
Christophe Ernault
Ce numéro
En couverture
comprend le
programme des
“Eurockéennes
Alexandre Breton THE RACONTEURS 58
de Belfort 2019”
déposé sur la
totalité de la
diffusion. La vie en rock
www.rocknfolk.com Patrick Eudeline VENOM 66
COUVERTURE PHOTO : CLAUDE GASSIAN GRAPHISME : FRANK LORIOU 58 The Raconteurs
RUBRIQUES EDITO 003 COURRIER 006 TELEGRAMMES 008 DISQUE DU MOIS 071 DISQUES 072 REEDITIONS 080 REHAB’ 084 VINYLES 086
DISCOGRAPHISME 088 QUALITE FRANCE 090 HIGHWAY 666 REVISITED 092 ERUDIT ROCK 094 FILM DU MOIS 096 CINEMA 097 SERIE DU
MOIS 099 DVD MUSIQUE 100 BANDE DESSINEE 102 LIVRES 103 AGENDA 104 LIVE 108 ROCK’N’ROLL FLASHBACK 113 PEU DE GENS LE SAVENT 114
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&[email protected]
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Ont collaboré à ce numéro : Christophe Favière VENTES (Réservé aux diffuseurs et dépositaires) : Emmanuelle Gay (56 95)
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Papier issu de forêts gérées durablement, origine du papier : Suède, taux de fibres recyclées : O%, certification : PEFC/ EU ECO LABEL, Eutrophisation : 0,01 kg/ tonne.
DIFFUSION : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 3eme trimestre 2019. Printed in France/ Imprimé en France.
Commission paritaire n° 0520 K 86723 ISSN n° 07507852 Numéro de TVA Intracommunautaire : FR 96572 071 884 CCP 11 5915A Paris RCS Nanterre B 572 071 884
Administration : 12, rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 32 Fax : 01 41 40 32 50. LES MANUSCRITS ET DOCUMENTS NON INSERES NE SONT PAS RENDUS.
Courrier des lecteurs
Qui parle encore de Kajagoogoo aujourd’hui ? Encyclopédick
Very Dick... La nouvelle apprise ce
matin au travail m’a prise par surprise.
Le décès de Dick Rivers. C’est grâce
à cet homme, ce fan de rock’n’roll
originel devant l’Eternel que j’ai
68 étoiles A la volée découvert la musique, la vraie, celle des
Rock&Folk de mai 2019. C’est pas Clairement, Roger Federer, années 50 et 60. Entre 1982 et 1992,
encore ce mois-ci que je vais pouvoir vous lui collez les cheveux longs, il animait son émission “L’Age D’Or”
faire des économies ! Accrochez-vous : un monceau de barbe psychédélique sur Radio Monte-Carlo. J’avais sept
dans les chroniques de disques de ce jouxtant un tamis à six cordes en le ans, j’écoutais la radio en cachette
mois, pas moins de 17 (dix-sept) opus délestant de sa paire de chaussettes. dans mon lit à Bordeaux, grâce au
4 (quatre) étoiles ! Sans compter la Et vous avez : Kevin Parker ! poste que m’avait offert ma grand-mère
disco de Generation X, les rééditions Typiquement le genre de gars paternelle. Et Dick, avec sa belle
du bon Nicolas Ungemuth, la Réhab’ dans la pinte duquel vous boiriez, au voix grave, m’en a fait découvrir
de Benoît Sabatier, les vinyles d’Eric changement de côté, sans hésitation. des groupes : Kinks, Rolling Stones,
Delsart, la chronique Highway 666 EUGENIE Beatles, Who, Pretty Things, Them
de Jonathan... Moi qui croyais Réponse : Avez-vous plus Elvis, bien sûr. C’est aussi grâce à
que le rock était mort ! Ben non ! également remarqué lui que j’ai gagné à un jeu concours la
Il vit encore sous les plumes de l’incroyable ressemblance entre compilation en double 33 tours et en
Vincent Tannières et de son équipe... Yannick Noah et le chanteur cassette audio “Le Top Des Sixties
Merci à tous, mais faites gaffe, de “Saga Africa” ? Volume 2”. Le plus jeune gagnant d’un
nos fins de mois vont être difficiles ! concours RMC à l’époque ! J’ai même
ALAIN DOUNONT eu droit à une carte dédicacée par
Illustration : Jampur Fraize Dick et toute l’équipe de “L’Age D’Or”.
Je l’ai vu pour la seule et unique fois
en concert à Bobital, où cette année-là
Piège à gogo ? Trust, Chuck Berry, Little Richard,
Il faudrait que quelqu’un explique à Jerry Lee Lewis officiaient aussi. J’ai eu
Benoît Sabatier que plus personne, en l’occasion de lui parler et il se souvenait
2019, n’ose comparer Duran Duran du petit Gaël, sept ans. Encore une
et Kajagoogoo. C’est à peu près aussi victime de ce foutu crabe. Tu as ma
subtil que de mettre Christophe et reconnaissance éternelle, Dick, pour
Richard Anthony dans le même panier, m’avoir fait découvrir la musique qui
au motif qu’ils ont tous deux débuté rythme aujourd’hui chaque minute de
dans la période yé-yé ! Qui parle encore ma vie. Repose en paix, tu seras
de Kajagoogoo aujourd’hui, à part toujours dans un coin de mon cœur.
Benoît Sabatier ? (Les traumatismes, “Nice Baie Des Anges” pour l’éternité...
c’est fait pour être dépassé !). Quant à GAEL NINGRE
Duran Duran, c’est (à ce jour) quarante
années de carrière, des producteurs
prestigieux : Alex Sadkin (Talking Gaz lacrymogène
Heads), Nile Rodgers (vous avez dû en Bonjour. A Nicolas : Tear Gas, soit, un
entendre parler), Chris Kimsey (Rolling groupe écossais, mais pas n’importe
Stones), David Richards (Queen), Ken lequel : Zal Cleminson, Chris Glen,
Scott (David Bowie), Mark Ronson (Amy Ted et Hugh McKenna. Ils deviendront,
Winehouse). Rien que ça ! Par ailleurs avec un autre chanteur, le célèbre
Duran Duran est l’un des seuls groupes The Sensational Alex Harvey Band.
de l’histoire à avoir été classé Top 10 A Jérôme : vous vérifierez, mais selon
aux Etats-Unis dans trois décennies moi le chanteur Arnel Pineda (Journey)
différentes (on les compte sur les n’a rien d’un gamin (si ce n’est son
doigts d’une main). Un groupe qui a apparence) où alors j’en suis un aussi,
littéralement enterré la concurrence à 52 ans... Voilà, et merci pour tout.
qu’on lui prêtait dans les années 80 En attendant, je continue d’acheter mon
(hormis Depeche Mode) et qui influence Rock&Folk mois après mois depuis...
aujourd’hui tellement d’artistes qu’il 1981. Les kiosques ayant disparu,
est impossible de les citer tous. Est-ce c’est désormais dans le fouillis des
là le fait de comiques, Mr Sabatier ? supermarchés que je recherche la
VINCENT PRIQUE revue. Un petit rituel : si il y a au moins
deux exemplaires (généralement bien
Tu n’es plus là Terminal cachés) j’en prends un que je pose bien
Le sketch Biquet est mort. Paix à son âme de I, II, III et IV en évidence à l’endroit le plus visible !
de l’Espagne rocker. Ecoutez “L’Homme Sans Age”... Quitte à donner un nom de rocker à un Si ça, ça ne mérite pas un CD alors je
¡ Hola ! R&F 622, page 15 : et mordez vous les doigts... ? aéroport autant l’appeler Led Zeppelin. ne sais plus quoi faire... Salutations
“Sketches Of Pain” de Miles Davis... RENAUD ANTOINE GRISONI REMY
Super vanne ?! Le grand Miles aurait Réponse : Consolation, la rubrique
sûrement apprécié... les mélomanes Highway 666 Revisited de ce mois
transpyrénéens moins... Beano Blues blues Francisation est consacrée à Tear Gas.
¡ Adios muchachos ! Beano Blues est mort, Maintenant un aphorisme eudelinien :
PHILIPPE BOUCKENOOGHE vive Beano Blues ! Merci mec ! que ceux qui commettent le sacrilège
JUAN MARQUEZ LEON d’ajouter un u français à rocker
sachent qu’ils n’en sont pas vraiment.
Ecrivez à Rock&Folk, 12 rue Mozart 92587 Clichy cedex Un Ramoniaque de la première heure :
ou par courriel à rock&[email protected] HEISERT ERIC A ROCK SOLDIER
Chaque publié reçoit un CD
APPLE ALAIN BASHUNG Axel Bauer, Will Barber Trio, DEFERLANTES SUD DE FRANCE
La marque a annoncé la fin de sa Le chanteur disparu voici une Jessie Lee & The Alchemists, Du 5 au 8 juillet, Thirty Seconds
plateforme iTunes, créée en 2001. décennie sera à l’honneur les Malted Milk Soul Orchestra To Mars, ZZ Top, The B-52’s,
Elle sera remplacée par trois 22 et 23 juin à Strasbourg pour une feat. Hugh Coltman. IAM, Supertramp’s Roger Hodgson,
nouvelles applications appelées exposition à ciel ouvert. La ville Delgres et Trust joueront dans le
Musique, Télévision et Podcast. s’associe à l’INA et propose une DANIEL DARC Parc de Valmy d’Argelès-sur-Mer.
immersion à travers des photos, Le documentaire “Pieces Of My
COURTNEY BARNETT émissions télé, archives sonores... Life”, réalisé par Marc Dufaud BRIAN ENO
L’Australienne poursuit sa et Thierry Villeneuve sortira “Apollo Atmospheres &
tournée en France et passera BB BRUNES le 24 juillet. Il témoigne de la Soundtracks” bande originale
par le festival Cabaret Vert Le trio parisien vient de dévoiler destinée complexe et chaotique du documentaire “For All
(Charleville-Mézières). Elle “Habibi”, nouveau single très du chanteur de Taxi Girl. En Mankind” d’Al Reinert, écrite,
partagera l’affiche avec Johnny synthétique. Album à suivre. parallèle et jusqu’au 31 juillet, produite et chantée par Brian Eno,
Marr, Oh Sees, Patti Smith, l’exposition Darc Dark Darker son frère Roger et Daniel Lanois
Kelley Stoltz, The Murder CAHORS BLUES FESTIVAL à la Galerie Stardust (Le Pré- en 1983, fera l’objet d’une
Capital, Airbourne, Steve La 38ème édition du festival Saint-Gervais) présente des nouvelle édition remasterisée
Gunn... du 22 au 23 août. aura lieu du 12 au 16 juillet avec photos de Julien Lachaussée. et augmentée le 19 juillet.
Daniel Darc
“Beatles à mort !”
VALLI
La Franco-Américaine, animatrice sur France Inter et chanteuse
des légendaires Chagrin D’Amour, évoque ses impeccables goûts musicaux.
Désormais, chacun sait ce qui lui plaît, plaît, plaît.
RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET
RENDEZ-VOUS EST DONC PRIS CHEZ VALLI, plus voir le spectacle. Ce qui est drôle c’est que Gregory Ken, avec qui j’ai
que jamais ex-Chagrin D’Amour (une réédition du formé Chagrin D’Amour, était dans la version française avec Julien
premier album du duo français pointant son nez chez Clerc...
Because), plus que jamais américaine (elle signe, en R&F : Vos parents étaient intéressés par la musique ?
toute logique, un coffret DVD/ livre “British Invasion” Valli : Mon père jouait du violoncelle. Ma mère était une fanatique de
écrit en français pour la Fnac), elle reçoit telle Frank Sinatra et elle adorait aussi les comédies musicales comme “My
qu’on la connaît : élégante, humble, et, surtout Fair Lady”, l’un des premiers disques que j’ai adoré aussi dans la version
pour la rubrique qui nous concerne, connaisseuse. cinéma avec Audrey Hepburn. J’écoutais ça avec les Beatles, dont j’ai
Rapidement, s’organise une revue des troupes au été immédiatement fan quand je les ai vus au Ed Sullivan Show en 1964.
milieu de boîtes en bois remplies de vinyles, dont R&F : On a justement notre question freudienne : Beatles ou
beaucoup ramenés des Etats-Unis, où figurent quelques Rolling Stones ?
très beaux spécimens, tel ce “The Man Who Sold Valli : Beatles à mort ! “She Loves You”,
The World” de David Bowie pochette américaine, wooo... Tu vois comme il était mignon Paul !
ce premier album de Madonna flanqué d’un sticker J’ai encore leur premier album “Meet The
Lido Musique, l’intégrale de Cat Stevens, ou ce “Silk Beatles”. Premier album américain, hein,
Degrees” de Boz Scaggs shooté par Moshe Brakha chez Capitol. J’avais aussi des bubble gum
arboré nonchalamment en face de l’ensemble, cards Beatles que ma mère a jetées un jour
mais sentant bon la compétence de notre invitée. en déménageant ! J’étais fascinée. J’aimais
Dès lors, comme disait l’autre, l’impression que nous bien les Stones aussi, mais plus des trucs
n’avons pas fait le voyage pour rien se confirme... comme “Ruby Tuesday”...
R&F : Un disque des Beatles ?
Valli : “Revolver”, mais je ne peux pas renier “Meet The Beatles”...
L’époque des radios AM “I Saw Her Standing There”, laisse tomber, c’est tellement parfait !
ROCK&FOLK : Premier disque acheté ? Et puis “A Day In The Life”, sur “Sgt. Pepper”, so perfect aussi !
Valli : “Hair”, l’album original, “The American Tribal Love-Rock R&F : Vous venez d’ailleurs de coécrire un livre sur la British
Musical” ! Je l’ai acheté avec mon propre Invasion...
argent au bookstore (magasin coopératif Valli : On m’a dit : “Ce serait marrant qu’une Américaine parle de rock
estudiantin) de l’université de Yale, anglais.” J’ai toujours adoré l’Angleterre. J’ai habité à Londres avec
Connecticut, car mon père y était pro- mes parents entre 1964 et 1965. Un jour, on nous a emmenés dans un
fesseur de médecine. Evidemment, il y a cirque, et au milieu des clowns, il y a eu un interlude avec un groupe
des chansons dont je ne comprenais pas de rock inconnu, les filles hurlaient... Un moment ils se tournent et
les paroles mais que je chantais... montrent leurs fesses ! J’avais 6 ans ! Je me suis longtemps demandé
“Sodomy”, à 10 ans, tu imagines... Mais quel était ce groupe... Un jour, j’interviewe Andrew Loog Oldham et
mes parents n’étaient pas plus inquiets lui demande qui est ce que ça pouvait bien être. Il m’a dit : “Peut-être
que ça. En 1972, ils m’ont même emmené Herman’s Hermits”. Well, j’ai vu Herman’s Hermits à 6 ans...
R&F : Début des années 70, il y a toute la clique des R&F : C’est quoi votre idée de la musique française quand vous
singers-songwriters qui arrive, le glam explose... Vous êtes posez les pieds à Paris ?
une adolescente américaine, vous écoutez quoi ? Valli : Ecoute, j’avais acheté le premier album de Françoise Hardy à
Valli : Elton John, “Madman Across The Water”. Un album qu’on m’a Gramercy Park pour 2 dollars. J’adorais ce look un peu sixties, un peu
offert en 1972, parce que j’allais déménager du Connecticut au Nouveau- Nouvelle Vague, dont j’étais fan. Et surtout Philippe m’a fait écouter
Mexique. J’étais tellement triste. Tous “Histoire De Melody Nelson”. Il ne faut
les amis de ma classe m’ont offert ça. Quel pas oublier qu’à cette époque, peu de
album ! “Tiny Dancer” ! La chair de monde écoutait encore Gainsbourg, c’était
poule... Je l’ai vu en concert lors de sa juste avant le comeback reggae. Donc,
tournée Goodbye Yellow Brick Road, on avait cette intégrale en vinyle chez
c’était dingo ! J’avoue, j’adore Elton Philips (parue en 1978) qu’on écoutait
John... Ça fait peut-être un peu ringard souvent. On avait “Amoureuse” de
aujourd’hui ? Véronique Sanson aussi. Et Julien Clerc,
R&F : Et au rayon soul ? période Roda-Gil... “Elle Voulait Qu’On
Valli : Il ne faut pas oublier le pouvoir à L’Appelle Venise”. Génial ! Et, enfin,
l’époque des radios AM aux Etats-Unis. Ils passaient toute la British “Pizza” de Bashung... J’ai appris à parler français avec ça (elle chante) :
Invasion mais aussi Stax, Motown etc. Ce n’était pas le truc formaté, il “J’aurais pas dû ouvrir à la rouquine carmélite”... J’étais fan à mort.
y avait de tout. Tu passais de “Mr Big Stuff” de Jean Knight à “Hot R&F : Vous l’avez rencontré, Gainsbourg ?
Love” de T Rex, puis “You Can’t Hurry Love” des Supremes, “Tears Valli : Une fois. C’était à une fête Europe 1, sur une péniche...
Of A Clown” de Smokey Robinson, fuckin’ eh !, que je mets toujours On nous présente : “Voilà Chagrin D’Amour” et il a juste fait un geste
quand je fais DJ. Et puis on avait les Jackson 5 tous les jours à la de jackpot avec son bras ! C’est tout. Il était comme ça.
télévision, hein. R&F : Tout a été dit sur “Chacun Fait (C’Qui Lui Plaît)”, mais
moins sur l’album qui a suivi, qui lorgne pas mal sur l’afrobeat...
Valli : Oui, j’adorais “I Zimbra” des Talking Heads sur “Fear Of Music”,
On n’avait pas le fric et puis, après, “Remain In Light” évidemment... On se disait : “Mais
R&F : En 1977, vous arrivez à New qu’est-ce que c’est que ce truc ?” Pour cet album, on a beaucoup
York. travaillé avec Slim Pezin, un guitariste français qui bossait avec tout
Valli : J’étais à l’université NYU Film le monde, notamment Manu Dibango, et qui était entouré de femmes
School. Il y avait, en même temps, le CBGB noires (rires). C’est lui qui a amené cette touche africaine. Et c’est ce
avec les Ramones, Talking Heads, Patti qui fait que ça sonne encore moderne je pense. Même si, sur le moment,
Smith, où j’allais souvent, et le Studio 54 il n’a eu aucun succès. Mais on ne voulait pas refaire “Chacun Fait
avec le disco, là c’est plutôt mon frère (C’Qui Lui Plaît)”.
qui y allait. Une époque dingo. J’ai ren- R&F : Pochette signée Richard Avedon. Pas vraiment un
contré alors Jean-Michel Basquiat et Keith débutant. Photo prise dans son studio à New York. Il fallait le
Haring parce qu’on suivait les B-52’s faire, quand même.
partout, période “Rock Lobster”, groupe Valli : C’est Philippe qui a eu l’idée. On
super important pour moi. On était fan. a écrit une lettre : “Nous sommes Chagrin
Jean-Michel était un peu croque de moi d’amour, nous venons de vendre 2 500 000
aussi... Ils n’étaient pas du tout connus à disques en France blabla”. Il répond :
l’époque. “OK”. Mais payé en cash. On arrive à New
R&F : Les disques de cette époque ? York, Philippe se fait avaler sa carte de
La bande-son ? crédit ! On n’avait pas le fric ! Heureuse-
Valli : “Blank Generation” de Richard ment que mes parents étaient là, ils nous
Hell & The Voidoids. “Horses” de Patti ont prêté la somme... Avedon était beau
Smith. Le premier Talking Heads. Tous comme un dieu et très affable. Sur la
ces gens que je croisais dans le Village. pochette, c’est nous en Adam et Eve, ce qui était le concept de
R&F : Vous arrivez à Paris en mai 1981, et vous enregistrez l’album. Pour l’anecdote, Gregory était sur un bottin (rires).
immédiatement “Chacun Fait (C’Qui Lui Plaît)”... R&F : Après, vous faites quelques disques en solo, mais vous
Valli : J’avais rencontré Philippe Bourgoin (producteur et coauteur de passez très vite à la radio...
“Chacun Fait...”) à l’université à New York. Il écoutait tout le temps Valli : J’ai toujours adoré la radio. Quand j’étais petite je suivais tous
“Sandinista!” des Clash, et “The Magnificent Seven”, notamment. les hit-parades... Je voulais savoir qui était numéro 1. J’ai commencé
“5 heures du mat’ j’ai des frissons” ça vient de “Hey hey 7 AM”... C’est à Europe 2 et puis, après, France Inter...
le moment où tous les groupes de rock com- R&F : Où vous avez longtemps présenté une émission sur
mencent à faire du rap. Comme Blondie l’industrie musicale qui s’appelait Système Disque... Que pensez-
avec “Rapture”. D’ailleurs, la première vous de la situation actuelle ?
fois que j’ai entendu le mot rap, c’est à la Valli : Ca va un peu mieux. Le modèle du streaming semble s’installer,
radio dans la bouche de Debbie Harry. même si, pour les artistes, c’est toujours catastrophique. Ils touchent
Je ne savais pas trop ce que c’était, toute 0,0034 euros par écoute. A moins de faire des synchros, ou des
new-yorkaise que j’étais... On sentait bien mégatournées, ce n’est pas vivable.
un truc venir, avec “Rapper’s Delight” R&F : Qu’avez-vous écouté d’intéressant, récemment ?
évidemment, mais on ne pouvait pas encore Valli : Depuis quelques années, j’aime beaucoup la pop française qui
poser un mot dessus. chante en français. Parce que moi, quand j’entendais chanter les français
en anglais, ça me faisait marrer. Chantez dans votre langue, putain !
LES GRYS-GRYS
Energique et lettré, le groupe cévenol sort un flamboyant premier album
constellé de références garage, beat et rhythm’n’blues.
FORMES IL Y A SEPT ANS Au début, c’était Gris-Gris, mais comme il R&F : Les séances ont été effectuées à
à Alès, les Grys-Grys s’imposent existait un groupe homonyme, nous avons Londres, aux fameux studios Toe Rag.
à coups de concerts échevelés. remplacé les i par des y. Comme les Byrds. Les Grys-Grys : Liam Watson et sa
Forts de références imparables, Y, ça fait très classe dans un nom. femme, Fabienne, étaient venus nous voir
ils insufflent leur personnalité en concert là-bas et, ayant beaucoup aimé,
débordante d’énergie à une nouvelle R&F : Vous avez répété deux ans nous ont proposé une collaboration. Leur
forme de rock garage. Frais, séduisants, puis tourné pendant cinq ans studio est totalement analogique. D’autre
reçus comme des princes partout en avant de proposer un album. part, Liam Watson est un vrai producteur.
Europe et même outre-Atlantique, Les Grys-Grys : Il faut prendre son Il n’hésite pas à dire : “Ça, c’est de la
Almir Phelge (chant, basse), Vincent temps, se sentir prêts. Nous avons fait merde” ou : “Ça, c’est bien”. C’est cool
Bassou (guitare, chant), Roméo nos premières armes en jouant beaucoup de travailler avec lui. Il nous a donné son
Lachasseigne (guitare), Manuel Monnier pour des clubs de bikers, dans des avis sur divers aspects du répertoire.
(harmonica, tambourin) et Esteban concentrations comme la Punta Bagna Le premier jour, après une nuit blanche,
Grisey (double batterie Premier) ont ou le Linkert Attack, et puis des mods une nuit de fête suivant un concert
enfin enregistré un premier album, se sont intéressés à notre musique. à Lille, la fatigue se faisant sentir,
naturellement gorgé d’un R&B furieux Nous jouons pour les deux extrêmes, les choses ne se sont pas très bien
parfois pimenté de beat, voire de mods et rockers ! Nous avons enregistré passées. Lui nous attendait au tournant,
power pop. De rock’n’roll, donc. quatre simples, mais deux seulement il nous testait en quelque sorte.
ont été publiés. Plusieurs labels se sont Heureusement, le lendemain, nous
déclarés intéressés par un album et avons enregistré onze morceaux. Comme
Une nuit de fête nous avons choisi Groovie que dirige producteur, il est habitué à travailler avec
Rock&Folk : Votre nom intrigue Edgar Raposo à Lisbonne, qui de bons musiciens. Si tu fais une prise, ça
ceux qui vous découvrent. nous a déjà fait jouer au Portugal. marche, deux, il fronce les sourcils, trois,
Les Grys-Grys : C’est la traduction il sort de la cabine et te hurle dessus !
de ju-ju, il est censé porter chance. Ça fait bosser... On a profité du studio
au maximum, chaque seconde.
“Certaines chansons de
Fleetwood Mac ont calmé mes crises”
DRUGDEALER
Sur ce deuxième album, le moustachu Michael Collins remet au goût du jour
une certaine idée du cool californien, qui dissimule pourtant une réelle gravité.
MICHAEL COLLINS, AVEC SA moi c’est la meilleure critique possible. Ils ne mais il est diplômé en philosophie. Il est très
DEGAINE DE PERSONNAGE DE lisent pas Pitchfork. En fait, je fais de la musique inspiré par l’école de pensée de Jean Baudrillard.
LA SERIE “THAT 70’S SHOW”, pour mes parents et je suis content qu’ils l’aiment. Il est capable d’intégrer de l’humour dans les
pourrait donner l’impression du problématiques que ma génération doit affronter.
gentil revivaliste cool à la Jellyfish. R&F : Le soft rock a été pendant longtemps Il était toujours là quand je concevais mon album
En réalité, “Raw Honey” est un mal considéré et voilà qu’il redevient tendance. et je lui confiais mes interrogations. Je lui ai
album bien plus complexe qu’il Michael Collins : Je ne sais pas vraiment ce demandé pourquoi certaines choses devaient être
n’y paraît. Et Collins, un Bostonien qui a changé mais, si le but des critiques est de faites, comme ce disque par exemple. Si tout a
installé de fraîche date en Californie nous descendre en nous taxant d’être des déjà été fait, à quoi bon vivre dans une chambre
qui utilise l’esthétique soft rock pasticheurs, on s’écarte du sujet. Une chanson d’écho qui reproduit le passé ? Il m’a transmis
afin de réveiller le romantisme est bonne ou ne l’est pas. Si c’est un hommage son analyse des idéologies modernes. J’aime
qui sommeille en chacun. Tout en mais que ça suscite une émotion, alors il s’agit beaucoup le livre “America” de Jean Baudrillard.
questionnant sur le sens du simulacre d’une bonne chanson. Par contre, si ce que tu Je ne sais qu’exprimer mes idées de manière
postmoderne cher à Baudrillard. écoutes essaie d’être nouveau mais n’est pas une empirique par le biais de la musique.
bonne chanson, c’est pire qu’un pastiche. Je suis
quelqu’un de cérébral qui analyse beaucoup trop
sa propre vie ; c’est pour cela que j’ai besoin de La solitude absolue
L’âme universelle musiques qui peuvent soigner. Si les critiques R&F : L’histoire du soft rock recèle de
ROCK&FOLK : Avant Drugdealer (créé n’aiment pas ça, c’est leur problème. nombreuses tragédies. On pense au destin
en 2016), Salvia Plath était un projet davan- de Harry Nilsson ou aux psychodrames au
tage psychédélique et expérimental. R&F : Qui est Joseph McMurray ? Ses notes sein de Fleetwood Mac...
Michael Collins : Je suis venu à la musique sur de pochettes dans “Raw Honey” sont assez Michael Collins : Les artistes qui composent
le tard. A mes débuts, il était plus facile pour intrigantes. les chansons les plus joyeuses sont souvent ceux
moi de produire du rock expérimental. Par la Michael Collins : C’est mon colocataire et le qui explorent au plus profond la condition hu-
suite, parvenu à un certain niveau, je me suis batteur de Mac DeMarco depuis dix ans. Tout maine. Ceux qui jouent du doom metal ne sont
rendu compte que le soft rock, quand il est le monde pense que c’est un beau gosse insouciant pas nécessairement aussi sombres que les musi-
bon, parvient à toucher l’âme universelle. Quand ciens qui jouent de la pop douce et lumineuse.
les harmonies, l’histoire racontée et les suites Même quand tout va bien, je ne peux m’empêcher
d’accords sont parfaites, ça me plonge dans un de me remettre en question d’un point. Certaines
état de nostalgie très émotionnel. J’ai l’impression chansons de Fleetwood Mac ont calmé mes crises.
que mes excellents musiciens ont développé une Leurs paroles, tout comme les miennes, ne sont
addiction pour mes petites chansons ! pas si joyeuses. Quand Three Dog Night a repris
la chanson “One” de Harry Nilsson, on avait
R&F : Des chansons qui sont une sorte l’impression d’écouter de la pop sucrée. Mais quand
d’artisanat. tu étudies la vie de ce type qui n’arrivait même
Michael Collins : Oui et une expérience pas à communiquer avec ses enfants, tu comprends
religieuse. Parfois, j’oublie mon propre ego
afin d’être au service des chansons et j’arrive à
Coïncidence ?
Le graphisme de la pochette de “Raw
que ses paroles sur la solitude absolue étaient très
profondes. La discographie des Beach Boys paraît
les apprécier en tant que simple auditeur. Si Honey”, avec son patchwork circulaire de superficielle parce que leurs chansons sont
j’aime vraiment une de mes chansons, je préfère photos noir et blanc, n’est pas sans rappeler parfaites. C’est ce que j’essaie de faire, de manière
que ce soit un de mes musiciens qui la chante, celui de l’unique album, homonyme, de subversive. Faire croire aux auditeurs qu’il n’y a
Photo Raymond Molinar-DR
Fenne Kuppens et Kobe Ljinnen ont accepté live est ahurissante. Sans compromis. RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON
d’apporter quelques lumières. Album “Image” (Pias)
Roky Erickson
1947-2019 L’ancien chanteur des 13th Floor Elevators
a quitté ce monde à l’âge de 71 ans après une vie pour le moins compliquée
et vraiment psychédélique, partagée entre démence pure et retours en grâce.
AINSI, ROKY ERICKSON S’EN EST ALLE... de treizième étage dans les ascenseurs, c’est encore souvent vrai
Il était de ceux qui ont largement contribué à aujourd’hui, en particulier dans les hôtels d’un certain âge). Une
alimenter la mythologie du rock’n’roll, réjouissant nouvelle version de “You’re Gonna Miss Me”, nettement meilleure
les amateurs de fantasmes les plus délirants. (l’originale des Spades est disponible sur un volume des “Pebbles” :
La Sainte-Trinité des dingues n’est plus : Syd Barrett, on peut constater qu’elle est nettement moins percutante) est mise
Skip Spence, Roky Erickson sont tous partis... en boîte et un album sort durant l’été 1966. Roky a 19 ans. Certains
Trois êtres tourmentés et dérangés, trois compositeurs puristes y voient le tout premier disque psychédélique. Le titre de
d’exception. Mais Erickson a fait plus fort : il a duré l’album n’y est sans doute pas pour rien : “The Psychedelic Sounds
plus longtemps. Et a continué, même de manière Of The 13th Floor Elevators”. Mais rien, là-dedans, n’est vraiment
erratique, à sortir des choses intéressantes bien après psychédélique à la manière de “Tomorrow Never Knows”, qui
ses années de gloire. Les trois sont tous passés par un explose “Revolver” des Beatles, paru la même année. Il s’agit en
groupe culte : Syd Barrett chez Pink Floyd, Skip fait de rock garage à la sauce psychédélique, la fameuse jarre
Spence chez Moby Grape, Roky chez les 13th Floor en terre cuite électrifiée (electric jug) de Tommy Hall accentuant
Elevators. Les trois n’ont pas laissé le même héritage l’étrangeté de ce groupe singulier, doté d’un Roky qui chante comme
après leurs passages dans leurs groupes respectifs : Van Morrison chez les Them après avoir mis les doigts dans la prise.
deux albums officiels en solo pour Syd (plus le contenu L’album est devenu un classique, truffé de morceaux légendaires
de “Opal”), un seul pour Skip, trois pour Roky plus (“You’re Gonna Miss Me”, “Fire Engine” — qui sonne comme
nombre de singles, albums live, séances bizarres et les Cramps en accéléré — “Reverberation”, “Roller Coaster”),
collaborations diverses. Ce n’est guère plus que les repris par beaucoup de gens d’Iggy Pop aux Jesus & Mary Chain,
deux autres, mais le Texan, contrairement aux deux en passant par les Spacemen 3 ou ZZ Top), et le single, ce fameux
autres, ne s’est pas purement et simplement évaporé “You’re Gonna Miss Me” est un tube raisonnable. Ce qui permet
au milieu des années 70 : il n’a cessé de disparaître puis au groupe d’enchaîner assez rapidement sur le suivant, “Easter
de revenir. Dans des états psychiques divers et variés. Everywhere” (Pâques, partout. Tommy Hall voulait dire par là que
chacun peut renaître en permanence, comme le Christ en personne).
Plus précis et mieux réalisé que son prédécesseur, “Easter
Everywhere” pousse plus loin le psychédélisme et offre à nouveau
Jarre en terre cuite électrifiée une série de morceaux impressionnants qui marqueront les esprits,
Roger Kynard Erickson naît à Dallas en 1947. Il apprend le piano, parmi lesquels “Slip Inside This House”, “I’ve Got Levitation”,
puis la guitare, adore Little Richard qu’il considérera toute sa vie “Dust”, et une belle reprise de “It’s All Over Now, Baby Blue”.
comme son influence principale, puis s’installe à Austin, quitte Roky y montre ses talents de chanteurs, au pluriel, car l’homme
l’université quelques jours avant son examen final car il refuse de a plusieurs voix : celle violente et furieuse de “You’re Gonna
se couper les cheveux, monte un groupe, les Spades, pour lesquels Miss Me” (des années plus tard, il sera ici et là capable de chanter
il compose et enregistre une première version de sa chanson la plus presque comme Bon Scott), et celle plus tendre et sublime qui fera le
Photo Zlotnik/ Dalle
connue, “You’re Gonna Miss Me”. Tommy Hall, un hippie obsédé charme de ses ballades dérangées. “The Psychedelic Sounds Of The
par le LSD et l’expansion de l’esprit, lui propose de le rejoindre 13th Floor Elevators” et “Easter Everywhere” seront les deux seuls
pour son grand projet, les 13th Floor Elevators (les Américains véritables albums du groupe... En 1968, Roky est arrêté par la police
sont tellement superstitieux qu’à cette époque-là, il n’y avait pas en possession d’un joint. On ne plaisante pas avec la police texane
et présente à Roky les musiciens qui deviendront les Bleib L’album se fait cahin-caha, avec beaucoup d’editing et des voyages
(anagramme de Bible) Alien. En 1975, Roky et Bleib Alien incessants des producteurs entre le Texas et la Californie, Roky étant
enregistrent à Austin un single monstrueux : “Starry Eyes”/ “Red autorisé à quitter l’hôpital durant la journée. Tandis que la santé
Temple Prayer (Two Headed Dog)”. C’est le début d’une longue mentale de Roky se détériore, l’album met deux ans à se concrétiser
obsession pour les vampires, les zombies, les extraterrestres et Satan et sort en Europe, en 1980 chez CBS. Le tracklisting est assez
en personne, mais c’est aussi un nouveau départ musical. “Starry inquiétant, voire franchement grand-guignolesque, pour rester poli :
TEENAGE
FANCLUB
Toujours actif et fidèlement révéré par ses fans, le groupe écossais
composait à la fin du siècle dernier les plus belles chansons pop du royaume.
Sans obtenir, hélas, le succès qu’il méritait.
PAR THOMAS E FLORIN
SUR LE PAPIER, Teenage Fanclub aurait dû être qu’ils seraient le next big thing n’a, au fond, jamais explosé ? Pour des
le plus grand groupe de la fin du siècle. Parce raisons encore inconnues, Glasgow, dans les années 80, est devenue
que Norman Blake, Raymond McGinley et Gerard la capitale mondiale de l’indie rock, transformant l’Ecosse, royaume du
Love écrivaient les meilleures chansons au monde, golf, des fantômes et du navet, en mecque du cool. De manière encore
qu’ils jouaient de manière exceptionnelle et que plus inexplicable, beaucoup des groupes originaires de cette ville allaient
leurs albums, à la production parfaite, s’avéraient verser dans une pop décantée de tout effet, atteignant une naïveté telle
grandioses. Musicalement, ce groupe a atteint des que le genre en devenait radical. Que l’on pense à The Jesus And
sommets. Mais, pour le reste, on frise la catastrophe : Mary Chain, ces délinquants juvéniles composant des morceaux de girl
ces Ecossais n’ont aucune attitude, un look nul, groups sonnant comme “White Light/ White Heat”, aux Vaselines,
des pochettes au mieux banales. Splendeurs duo qui changea les manières des chanteuses pour trois décennies, tout
et misères de l’une des grandes énigmes écossaises. ici transpire la rêverie, l’ennui et les éclaircies de fin de journée. Deux
ans après le punk, Glasgow n’était plus cette ville que l’on fuyait par
lassitude, et ce grâce à cet étrange groupe mixte, Orange Juice et son
Chœurs sublimes label Postcard Records. Vingt ans après l’explosion mondiale de la
En 2019, soit exactement 30 ans après sa formation, Teenage Fanclub pop culture, l’Ecosse y prenait enfin part et régénèrerait le mouvement
n’a rien perdu de la pureté de son style. Au Trabendo, à Paris, le par la fertilité de son sol. Après Orange Juice et Aztec Camera, les
17 avril, le groupe, sans Gerard Love mais avec Dave McGowan de Belle Pastels prirent le relais, mené par Stephen Pastel, un étrange dandy aux
& Sebastian et Euros Child de Gorky’s Zygotic Mynci, chantait si juste manières victoriennes qui fera à tout jamais du duffle-coat le manteau
et sonnait si bien, que leur concert ressemblait à un spot contre la des poppeux. De l’autre côté du spectre se trouvaient les frères Reid
maltraitance des guitares électriques. “Sachez nous caresser délicatement”, (Jesus And Mary Chain) et Bobby Gillespie, premier batteur de ces
semblait ronronner cette Fender Jaguar lovée contre le corps de Raymond derniers, avant de fonder Primal Scream. Toutes ces formations seront
McGinley, un des grands guitaristes de sa génération. Dans la salle, signées par Creation et 53rd & 3rd, le premier devenant le modèle du
beaucoup de couples, de chemises à pois et de barbes poivre et label indépendant ayant réussi, le second celui du label indépendant
sel formaient un parterre assez élégant, extrêmement heureux de retrouver voulant le rester. Au milieu de ce sandwich, trois amis vivant dans la
Photo Pail Natkin/ WireImage/ Getty Images
ses héros. Ce public était si excité, qu’avant même que la première note même rue de Bellshill, en banlieue de Glasgow, vont participer à l’aventure
fût jouée, un fan cria “About You”, titre de l’incipit de “Grand Prix”, locale en fondant chacun son groupe : Sean Dickson aura les Soup
peut-être le plus bel album des années 90. L’injonction fut prise au bond Dragons, Douglas Stewart les BMX Bandits et Norman Blake, figure
par le groupe qui entama le titre, rapidement enrichi de chœurs sublimes, centrale de Teenage Fanclub, les Boy Hairdressers. Jeune homme roux
ceux que la presse compara si souvent aux Beach Boys alors que, non, à la coupe en brosse, Norman Blake a un rêve : devenir réalisateur. Avec
ce groupe sonne avant tout comme Big Star. Si “She Said She Said” un caméscope de fortune, il drague les filles et fait de petits films de
des Beatles avait donné naissance à une famille musicale, Teenage ses copains, notamment l’excentrique Duglas Stewart, un autre dandy
Fanclub en ferait assurément partie. Alors, pourquoi ces musiciens des pavillons qui s’endort chaque soir sous un mur de posters des Pastels,
exemplaires, à qui David Geffen assurait, après avoir sorti “Nevermind”, en jouant des albums de Throbbing Gristle sur une coiffeuse Barbie.
Rapidement, avec leur ami Sean Dickson, un voisin que Norman voit
régulièrement remonter la rue pour aller à son cours de guitare, ils se
La touche écossaise
A l’instar de Teenage Fanclub, une grande partie des
mettent à la musique. Grâce à la caméra, ils se filment jouant de leurs
instruments et des marionnettes dans le salon de monsieur et madame
Blake, entre un papier peint à fleurs couleur nicotine et un téléviseur
groupes intéressants anglais de cette fin de siècle en Bakélite coiffé d’un napperon. Leurs chansons, hautement influencées
venaient de Glasgow. Rapide tour d’horizon.
par Television Personalities, comme celles de l’ensemble des gamins
THOMAS E. FLORIN
de cette ville, montre cet instant charnière où l’underground cessait
Orange Juice d’être un choix politique pour devenir esthétique. A Glasgow, on écrivait
“Rip It Up” (1982) et jouait de la pop, mais lo-fi. Avec Frances McKee, future chanteuse
Ce groupe au nom parfait avait, des Vaselines et l’une des figures les plus attachantes du rock, ils fondent
dès son premier single, “Falling les très éphémères Child Molesters, qui ne firent jamais aucun
And Laughing” sur Postcard, concert à cause de leur nom. Voici la génération héritière des punks,
parfaitement mélangé romantisme, celle capturée sur la cassette “C86” du NME, compilation qui marquera
Velvet Underground et funk blanc. Mais le changement de paradigme du rock anglais. Remarquons qu’en France,
c’est avec “Rip It Up”, son deuxième en cette même année 1986, se fondera un nouveau journal musical :
album, qu’il imposa dans le Royaume
les Inrockuptibles.
sa blue eyed soul très proche du Style
Council de Paul Weller. Idéal pour
danser uniquement avec les épaules.
Trois songwriters d’exception
The Jesus And Mary Chain Trois ans plus tard, alors que Primal Scream, BMX Bandits et de nouveaux
“Psychocandy” (1985) groupes comme My Bloody Valentine sortent leurs albums, les Boy
Ils avaient la morgue des Stooges du Hairdressers n’ont rien donné. Ils ont sorti un single sur le label de Stephen
premier album, un son plus strident Pastel et ont fréquenté le Splash One, le club de Bobby Gillespie, mais
que le Velvet de 1968, la radicalité du toujours côté public. Face aux percées de leurs amis dans les charts indie,
premier Suicide et leurs chansons Norman Blake, Raymond McGinley et leur batteur Francis Macdonald
semblaient sorties d’un cauchemar Phil Spector. Les Jesus And Mary
décident de monter un nouveau groupe avec lequel ils enregistreront un
Chain faisaient flipper, et c’est pourquoi ils sont l’un des groupes les
album sans même avoir donné un concert. Ainsi débutent les séances,
plus importants de l’histoire du rock.
entièrement autofinancées, de “A Catholic Education”, qui montrent que
The Pastels le Teenage Fanclub de la première période était sous haute influence Sonic
“Sittin’ Pretty” (1989) Youth. Gerard Love les rejoint en cours d’enregistrement, finissant de
Il y eut deux Pastels : la former ce trio fonctionnant comme la parfaite association de trois songwriters
formation des années 80 avec la d’exception ayant anéanti tout ego. Les egos auront été si bien laissés au
géniale Berenice Simpson à la batterie, vestiaire qu’au fond, la plus grande excentricité dans ce groupe est l’accent
responsable à elle seule de l’esthétique délirant de Gerard Love, sorte de Speedy Gonzales incompréhensible.
de Glasgow. Puis celle des années 90, Parti à l’aventure sans aucun label, le groupe se fait rapidement repérer
où Stephen Pastels se partageait
par Matador qui sort leur album. Teenage Fanclub partage la scène avec
le chant avec Katrina Mitchell, ce qui les faisait fortement
Sonic Youth, Dinosaur (avant qu’il n’ajoute le Jr à son nom), devient ami
ressembler aux Vaselines. “Sittin’ Pretty”, sorti en 1989,
mélange superbement ces deux périodes. avec Kurt Cobain (une photo immortalise la rencontre entre Kurt et Eugene
Kelly des Vaselines, accompagnés de Norman). Tout cela est annonciateur
The Vaselines du grunge à venir et Teenage Fanclub aurait pu devenir un énième groupe
“Dum-Dum” (1989) maltraitant les guitares si le producteur Don Fleming, responsable du
Encore plus lo-fi que les Pastels — dans lesquels joua premier Hole, ne lui avait offert une planche de salut : “Vous êtes capables
Eugene Kelly — les Vaselines, à l’époque où ils étaient un couple, de chanter de superbes harmonies et d’écrire de grandes mélodies. Faites
ne firent qu’un seul album : celui-ci. Plus noisy que leurs excellents ça et vous serrez les seuls.”
singles, les chansons drôlatiques 1991, un Kurt Cobain enthousiaste qualifie Teenage Fanclub de meilleur
d’Eugene Kelly et Frances McKee, écrites
groupe au monde. Il faut dire que les Ecossais ont suivi le conseil de
en grande partie en prenant le train,
Don Fleming — qui est devenu leur producteur — à la lettre. Ensemble,
regorgent de ce qu’il manque à beaucoup
de groupes de rock : du naturel. ils viennent d’enregistrer “Bandwagonesque”, premier classique du
groupe, qu’ils réservent au label d’Alan McGee, Creation. Toujours
Primal Scream redevable à Matador d’un album, le groupe profite de ses fins de session
“Screamadelica” (1991) pour enregistrer, ivre, la chose en une nuit. Entre phases d’improvisation
Le premier appliquait des formules et une superbe reprise dont “Like A Virgin” de Madonna, “The King”
psychédéliques tout en étant dans la est le dernier instantané du Teenage Fanclub première mouture. On a
pure ligne de l’esthétique de Glasgow ; dû faire une drôle de tête chez Matador quand, quelques mois après
le deuxième devenait presque heavy avoir sorti cet ovni, on entendit “The Concept”, la chanson qui ouvre
avec ses guitares viriles et son look
“Bandwagonesque”. Le groupe, métamorphosé, livre une chanson
hard rock, le troisième album du groupe
mélancolique, belle à pleurer, dont la structure, le refrain chanté à trois
de Bobby Gillespie aura été dance.
En ce début d’années 90, Primal Scream voix et la dernière partie lente et sans paroles, puisent à deux mains
s’est frotté à la house pour inventer dans Big Star et les Beatles. D’un seul coup, le groupe bruitiste faisant
la meilleure musique imaginable du sous-Sonic Youth n’écrit que des tubes. “December”, de Gerard
en descente de MDMA. Love, “What You Do To Me” de Blake, “I Don’t Know” de McGinley...
on peut égrener le tracklisting et s’extasier sur chaque plage. DGC, label
Album d’une classe folle, un classique à la production entièrement au Chilton, avec qui les Ecossais étaient devenus amis au point de pouvoir
service de ces 13 titres d’orfèvres, dont aucun ne percera jamais dans l’entendre chanter certaines de leurs chansons, continue aujourd’hui à
les charts. McGee et son associé Joe Foster ne comprennent toujours tourner avec eux sous la forme d’un petit pochon de cendres niché dans
pas : “Avec un album comme celui-là, ils auraient dû être les plus un étui de guitare de Norman Blake. Aimer ou réussir, notre époque
grands. Est-ce qu’ils avaient abandonné la partie, ou était-ce nous ? demande de choisir. Teenage Fanclub, au moment de choisir son nom,
Qui sait ? Avec Alan, nous pensons qu’au fond, ils s’en foutaient.” avait annoncé la couleur : rester fidèle à ses amours adolescentes. ★
“Le Cinzano...
personne n’en boit plus aujourd’hui”
THE DIVINE
COMEDY Après des décennies passées à chercher
l’orchestration pop parfaite, Neil Hannon
s’essaie aux synthétiseurs dans un onzième
album dont le thème est : l’aliénation de
l’homme face aux machines.
RECUEILLI PAR ISABELLE CHELLEY
AU FIL D’UNE CARRIERE DEBUTEE EN 1989, Divine ‘Quoi ? Vous allez le faire écouter à des gens ? Vraiment, je n’avais pas vu
Comedy a peaufiné son style unique de pop lyrique, ça venir.’ ” Il enchaîne : “C’est un bon résumé de l’industrie du disque,
imprégnée de ce mélange d’humour et de noirceur si bien non ? Des gens qui parlent de disques que personne n’écoutera.”
maîtrisé par Neil Hannon (chanteur, auteur-compositeur Dans les années 1970, la presse aurait parlé de concept album, “Office
et unique membre stable du groupe). Ce onzième album Politics” étant parcouru par le thème des machines bouffant la vie de
aura donc l’air d’un petit séisme sonore pour les fidèles, l’humain moderne. “C’est souvent le cas chez moi. Parfois, c’est plus une
car Hannon a dégainé — oui, on prend une grande ambiance qu’un thème. Sur celui-ci, je ne voulais pas surjouer le côté bureau.
respiration — les synthétiseurs. Ça a commencé par des gens sur leur lieu de travail et ça s’est développé
sur la façon dont nous sommes touchés par la modernité, la vie contemporaine,
les forces qui nous entourent.” Conteur fantastique, parolier hors pair, Neil
Hannon a toujours eu quelque chose d’un Ray Davies et, cette fois, c’est
Charmant libraire celui de l’époque “Village Green Preservation Society”. Sourire gêné.
De prime abord, dans le salon d’un hôtel parisien, Neil Hannon n’a pas “God bless strawberry jam... D’une certaine façon, je suis nostalgique de
l’air fondamentalement transformé par son virage musical. En costume son époque et lui l’était d’une période antérieure à la sienne. On est tous
marron et chemise rose, il ressemble plus à un charmant libraire des vieux ronchons qui geignent sur la vie actuelle.” Le fait de vivre dans
amateur de poésie qu’à une rock star. Apprenant qu’il n’y a pas de séance une ferme en pleine campagne irlandaise, avec sa compagne, la chanteuse
photo, il troque sa veste contre un pull et soupire : “j’ai abusé des pizzas. et songwriter Cathy Davey, et une ménagerie, le pousse-t-il à observer
Les costumes coûtent cher. C’est irritant de ne pas pouvoir boutonner sa veste la vie citadine avec distance ? “Ou dédain... Honnêtement, je ne suis pas
pour cacher son ventre.” L’autodérision est toujours là, également. “Office vraiment un campagnard. Quand je vivais en ville, j’étais aussi un piètre
Politics”, le nouvel album, débute d’ailleurs par “Queuejumper”, dont citadin. Je ne suis fait pour aucun lieu. Je suppose que ça donne un peu de
les arrangements foutraques en décoifferont plus d’un. Comme recul de vivre loin des grands hubs, je flippe plus quand je reviens en ville à
“Psychological Evaluation” où Hannon dialogue avec une intelligence présent, il y a tellement de gens... Je peux passer des jours sans voir
artificielle sortie des années 1950 au plan technologique. Ou ce summum personne et j’aime ça. J’ai de longues conversations avec mes chiens.”
d’excentricité qu’est “Philip And Steve’s Furniture Removal Company”. Et s’il attaque les machines, il n’a pas hésité à s’en servir sur son album.
On trouve aussi du Divine Comedy classique, à l’image de “Norman Pour perturber nos esprits ramollis par la surexposition aux écrans ?
Photo Ben Meadows-DR
And Norma” ou “Opportunity Knox”, mais dans l’ensemble, ces seize “Je suis un affreux hypocrite. J’ai un gros souci avec les jeux vidéo, mais j’y
morceaux peuvent surprendre. Et tant mieux. Les artistes capables de casser joue. Mes préférés sont très calmes, j’aime Civilization où on construit
leurs jouets et leurs formules et de retomber sur leurs pattes sont rares. “Il son empire. Mon problème, c’est qu’ils ont fait dégringoler les ventes de
faut faire ce qu’on veut et voir ce qui se passe. Et soudain, quand on finit disques. Dans le passé, quand on écoutait des disques, qu’on regardait la
d’enregistrer l’album, quelqu’un dit : ‘Nous allons le sortir en juin’ et tu réponds : télé ou qu’on lisait, on en tirait des informations, mais pas avec les jeux vidéo.
suis dit que Billy Bird, étant un voyageur international, conviendrait à cet Plus jeune, on est impressionnable, mais ces films ne supportent pas d’être
environnement. Puis je me suis dit : ‘Tiens, ce serait drôle si je le tuais...’ vus par un adulte. On change vraiment. Je suis devenu moins indulgent.
Quand ma manageuse l’a entendue, elle m’a dit : ‘Pauvre Billy junior, il J’ai moins de patience envers l’art médiocre.” ★
est orphelin maintenant.’ Mais je précise ici qu’il n’y a pas eu de procès, on
ne connaît pas les faits, Billy aurait bien pu survivre.” Le mystère s’épaissit. Album “Office Politics” (Pias)
PRINCE
“Originals”, deuxième parution posthume, dévoile les versions
chantées par l’artiste de compositions offertes à d’autres.
Les protagonistes racontent.
RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN
“PIANO & A MICROPHONE 1983”, enregistrement un jour avec des tennis, pour un match sérieux avec Sheila E et les gars
d’une jam solo miraculeusement préservée sur K7, de The Time. Une seule fois je l’ai vu moins coquet : il était de sale humeur
marquait le début de la carrière posthume de ce génie et il a débarqué avec des cuissardes en cuir noir, sans chemise et avec un
en talonnettes qu’était Prince. Avec “Originals”, on bandana sur la tête”. Peggy a assuré les prises de 6 des 15 morceaux
reste dans les années 1980 et on découvre quinze de “Originals” (“Jungle Love”, “Manic Monday”, “Noon Rendez-Vous”,
chansons que le kid de Minneapolis a offert aux “100 MPH”, “Holly Rock”, “Baby You’re A Trip” et “Gigolos Get Lonely
groupes et artistes de sa galaxie musicale (Sheila E, Too”). “On me demande souvent si je savais à qui étaient destinées les
The Time, Martika, Mazarati, Vanity 6, les Bangles, chansons de cet album mais je n’étais au courant de rien, il ne parlait
etc.), avec la star country Kenny Rogers dans pas. Jamais ‘bonjour’ ni ‘au revoir’, ‘merci’ ou ‘bien joué’. Il apparaissait,
le rôle de l’exception qui confirme la règle. il disparaissait, et voilà ! (rires) Pour ‘Manic Monday’ par contre,
c’était clair au départ que le titre n’était pas pour lui. Avant les Bangles,
Apollonia est venue chanter dessus avec Brenda et Susan aux chœurs (les
deux autres membres du trio Apollonia 6). Pour la version de Prince,
Méthode très particulière on venait de passer une nuit en studio jusqu’à 6 h 00 du matin, et j’étais
L’écoute de ces 15 morceaux dans le secret du luxueux salon de sensée revenir le lendemain à 18 h 00. Je rentre chez moi me coucher et
l’hôtel parisien Fauchon en mai dernier nous replonge dans une époque le studio m’appelle à 10 h 00 du matin : Prince voulait que je vienne à
révolue, peut-être la plus passionnante de celui qui explosa en 1984 midi. J’étais furieuse mais j’y vais et quand je vois Prince, il a plein de
avec “Purple Rain”. Peggy McCreary, qui fut l’ingénieure du son de feuilles manuscrites à la main et il me dit : ‘Je devais revenir parce que
Prince de 1980 à 1985, le rencontre à Los Angeles au studio Sunset j’ai rêvé un couplet pour ce morceau’. Je l’ai fixé : ‘Mais vous rêvez vos
Sound. “La réceptionniste était très inquiète de savoir que j’allais bosser chansons ?’ Il m’a répondu que oui, ça lui arrivait. Donc voilà, ‘Manic
seule avec ce type pendant tout le week-end parce qu’à l’époque il Monday’ est un rêve, et on l’a enregistré d’une traite. Prince vivait la
écrivait des chansons très salaces, et moi je me suis dit : ‘Mais qui je vais musique, même pendant son sommeil. Le studio, c’était sa maison.”
rencontrer, là ?’ En fait il était très calme et discret, tellement discret Jill Jones fut une des égéries de Prince durant les années 1980. Si son
qu’une des premières choses que je lui ai dite, c’est : ‘Il faut me parler si unique album chez Paisley Park est sorti en 1987, la version prin-
vous voulez que je travaille pour vous, ça ne va pas être possible si vous cière de “Baby You’re A Trip” incluse dans “Originals” date de 1982.
marmonnez !’ Quand il est parti après la session, j’ai pensé je ne le reverrais Pourquoi ce délai de cinq ans entre les deux interprétations ? Jill, qui
jamais mais il m’a fait appeler pour l’album ‘1999’ et j’ai bossé avec lui a quasiment quitté le monde de la musique après ce premier solo
pendant cinq ans, donc mon travail a dû lui plaire”. qui ne s’est pas vendu, garde des souvenirs amers de cette période.
Photo Virginia Turbett-DR
Peggy a le souvenir d’un artiste à la méthode très particulière. “A ses “Ça aurait été génial si tout s’était passé comme prévu mais, à l’époque,
débuts il travaillait presque toujours seul, il jouait tous les instruments. Prince allait dans tous les sens, il construisait encore sa légende et pas
Il fallait être prêt à tout quand on travaillait avec Prince. Parfois il mal de choses étaient mises de côté. Je savais que cette chanson était pour
s’arrêtait au milieu d’une chanson pour se mettre à la batterie ou jouer moi, en tout cas il me l’avait dit. La vulnérabilité qu’il exprime dans
au basket. Il jouait avec ses talons hauts, mais il assurait ! Je l’ai vu jouer sa version de ‘Baby You’re A Trip’, c’est la mienne, bizarrement.
RICHARD
HAWLEYAprès quatre ans de silence, le musicien inclassable,
à ranger entre un Robert Mitchum britannique et un Roy Orbison
joué en 16 tours par minute, publie un nouvel album.
L’occasion de passer en revue avec lui une éducation musicale
dont tout le monde n’a pas la chance de se prévaloir...
CERTES, CE N’EST PAS NOEL, MAIS LE DIVIN CROONER temps... Un art ancestral sourd à toutes les modes, à toutes les
DE SHEFFIELD EST DE RETOUR. Le temps passe vite, et sans sirènes. “Further”, sensiblement plus rock que ses grands
que l’on s’en rende compte, voici déjà dix-huit ans que l’artiste classiques, commence bizarrement avec une chanson à mi-chemin
exerce son art. Un art préhistorique, un peu comme les peintures entre Oasis dernière époque et les Stooges, puis retrouve la classe
rupestres de Lascaux. Découvrir Richard Hawley en 2001 avec de ces albums que certains d’entre nous avons écouté des millions
son premier et merveilleux (mini) album, c’était un peu de fois (sur “Is There A Pill?”, il renoue avec la vieille magie de
comme trouver au milieu d’une jungle lointaine une civilisation “Run For Me”, mirage de 2003). Car la musique de Richard
vivant encore à l’Age de pierre, le morceau “Sunlight” ayant Hawley est dotée d’un pouvoir étrange : lorsqu’on est joyeux,
fendu plus d’un cœur de marbre. Les chefs-d’œuvre qui ont suivi elle rend plus joyeux encore, lorsqu’on est triste, elle rend plus
(“Late Night Final”, “Lowedges”, “Cole’s Corner” ou “Truelove’s triste encore. L’un des derniers stylistes, l’un des derniers lettrés
Gutter”) montraient le cheminement d’un homme qui aurait (qui à 52 ans, en 2019, peut parler avec émotion de Hank
Photo Chris Saunders-DR
presque totalement ignoré son époque, tout en puisant dans Williams ou de Grady Martin ?) est de passage à Paris. Il aimerait
des croyances qu’on pensait définitivement disparues. Guitare causer guitares, amplis et micros (“Ma préférence va aux P-90
baryton, voix de baryton, lap steel, tempos ralentis à l’extrême, et aux vieux DeArmond de chez Gretsch”, trouve-t-il le temps
cathédrales de réverbération, trémolo, arpèges antiques, paroles de placer), mais nous ne sommes pas à Guitare & Claviers et il
romantiques, quelques cordes discrètes, propos d’un autre s’agit de revenir un peu plus sérieusement sur son parcours...
ROCK&FOLK : Ce nouvel commence avec une chanson qui fait groupes sortaient un album par an et un single tous les deux mois, souvent
beaucoup de bruit, “Off My Mind”. Qu’aviez-vous en tête ? d’ailleurs parce que leurs labels les y obligeaient. Si on fait ça,
Richard Hawley : Le chaos. Un peu comme lorsque j’avais sorti “Standing artistiquement, on crève au bout de sept ans. Soit de fatigue, soit d’ennui.
At The Sky’s Edge” (qui a perturbé plus d’un fan en 2012, NDA), On arrête ou on se répète, ou au contraire, on fait n’importe quoi pour
qui était une réaction à toutes ces années d’austérité et à une vague de ne pas se répéter.
meurtres au couteau entre adolescents. J’étais en colère... Sinon, après
plusieurs années d’absence durant lesquelles j’ai fait, entre autres, de R&F : Vous vivez toujours à Sheffield. Vous n’avez jamais été
la musique de film, j’ai décidé de faire un album bref, avec des chansons tenté de déménager pour vous installer dans un quartier chic
extrêmement concises, dont la plus longue durerait quatre minutes, de Londres ?
sur des tempos sensiblement plus rapides que ceux que je pratique Richard Hawley : Jamais de la vie. Sheffield est ma ville, la ville de
habituellement. Je voulais aller à l’essentiel, sur un format très traditionnel, ma famille, la ville de mes racines. J’y suis très bien et n’ai aucune
pop au sens ancien du terme. intention de bouger, merci bien.
R&F : Trouvez-vous que l’inspiration vient moins facilement R&F : Pour les journalistes, votre musique est un cauchemar
au fil des ans, au bout de près de vingt ans de carrière en à décrire. Quelle est votre éducation musicale, qui avez-vous
solo ? écouté, qui sont les musiciens qui ont fait ce que vous êtes ?
Richard Hawley : C’est une question qui taraude tous les artistes, Richard Hawley : Ce n’était pas seulement écouter les autres, c’était
évidemment, mais je ne le pense pas. Récemment, j’ai diversifié mes aussi et surtout écouter mon père et mon oncle, qui étaient musiciens.
activités : j’en avais besoin pour attaquer un nouvel album. J’ai décidé A la maison il y avait toujours de la musique non stop. Muddy Waters,
de ne pas me presser et il s’est donc écoulé quatre ans entre “Hollow Little Walter, tous les disques Chess, des disques Sun en pressage
Meadows” et “Further”. Nous ne sommes plus dans les sixties, où les original. Mon père et mon oncle étaient chacun à la tête d’un groupe,
“Paul Weller
m’envoie des SMS
qui commencent par :
‘Hey ! rocker...’ ”
C’était une fanatique de Hank Williams, donc j’ai tous les Hank Williams
originaux sur MGM, je les possède toujours et les écoute toujours !
Elle m’a aussi donné des singles et albums de Fats Domino et des disques
de Big Bill Broonzy, qu’elle avait bien connu : il est venu en Angleterre
en 1959 et il logeait chez elle. Le dernier soir avant son retour en
Amérique, il s’est assis à la table de la salle à manger, il avait mis sa
serviette autour du cou pour ne pas se tâcher parce que ma grand-
mère avait préparé un repas de fête, et il s’est mis à pleurer... Ma grand-
mère lui a demandé : “Mais que se passe-t-il ?”, et il a répondu : “Ici
chez vous, je me sens comme un homme. Quand je serai de retour en
Amérique, je ne serai plus qu’un nègre.” Donc, quand j’étais un gosse,
on m’avait offert tous ces disques fabuleux, et puis il y avait la collection
personnelle de mon père, qui avait été l’un des premiers teddy boys. Il
a revendu cette collection des années plus tard, lorsqu’il était ouvrier
dans son usine d’acier durant les grandes grèves, pour nous payer à
manger. J’ai passé presque toute ma vie d’adulte à tenter de racheter
les disques qu’il avait revendus.
Scotty Moore, Cliff Gallup, Grady Martin, qui a joué sur plus de morceaux
de Johnny Burnette que Paul Burlison, je le sais parce que Duane Eddy
en personne me l’a dit !
“Ma grand-mère était Après un dernier album avec eux, vers 1999, j’ai décidé d’arrêter la drogue
et quitter le groupe, et j’ai enregistré des démos sur le petit jouet de ma
fille, un truc en plastique avec un micro. J’ai pris une cuite avec un vieil
une fanatique de Hank ami qui est aujourd’hui mon manager, et, ivre mort, je lui ai fait écouter
ces trucs. Le lendemain, je me suis réveillé avec une gueule de bois
Williams, donc j’ai monstrueuse, et mon pote était là, à écouter en boucle ces chansons depuis
la veille, et il m’a dit : “C’est très bon, je veux devenir ton manager”.
tous les Hank Williams Jarvis Cocker, avec qui je jouais chez Pulp et que je connais depuis
l’adolescence, et Steve Mackey également chez Pulp, que je connais,
lui, depuis l’âge de quatre ans, ont été très enthousiastes et m’ont encouragé
originaux sur MGM, je à persévérer. Ça a donné ce premier mini-album... Tout le monde me
disait : “C’est incroyable de faire cette musique si calme alors que la plupart
les possède toujours des musiciens font plein de bruit... On entend ta voix pour la première fois !”
Jusque-là, je n’avais été que guitariste. Je n’avais jamais éprouvé la
Il ne faut donc pas s’étouffer dans son respect des autres et ses propres serrerez un peu la main de Scott Walker et celle d’Eddie Cochran...
influences. C’est un peu comme marcher sur de la neige fraîche : je sais Vous n’aurez pas perdu votre journée. ★
qui a fabriqué mes chaussures, mais la neige, elle, est nouvelle. Je n’ai
jamais cessé d’écrire mes propres chansons, même lorsqu’elles n’étaient Album “Further” (BMG)
pas utilisées par les groupes dans lesquels je jouais, comme les Longpigs.
Le visage tartiné
de maquillage blanc
BOBDYLAN
La Rolling Thunder Revue de 1975 a enfin droit à une commémoration à la hauteur :
un coffret généreux et un documentaire signé Martin Scorsese débarquent pour
documenter les quelques semaines où Dylan a fait équipe avec Mick Ronson,
Joan Baez, Joni Mitchell et Roger McGuinn, pour retrouver l’envie de la scène.
PAR FRANÇOIS KAHN
“WHEN I PAINT MY MASTERPIECE” N’EST le jour où il peindra son chef-d’œuvre a peut-être
CERTES PAS LA PLUS GRANDE CHANSON déjà eu lieu. Mais, c’est par ce titre que Bob Dylan va
DE BOB DYLAN. C’est un petit titre sympathique, démarrer ses shows entre octobre et décembre 1975.
Photo Ken Regan-DR
écrit pendant un temps où il était plus occupé à Une tournée surprise où il partage l’affiche avec
élever sa marmaille qu’à composer. Et puis, en 1975, quelques compagnons de route des années 60
pour celui qui a déjà publié “Highway 61 Revisited”, et livre des prestations parmi les plus
“Blonde On Blonde” et “Blood On The Tracks”, possédées de toute sa carrière.
BOB DYLAN THE ROLLING THUNDER REVUE
La Rolling Thunder Revue était un projet démesuré, où plusieurs connaît très bien (du moins quand il ne s’agit pas de produire la
artistes, le visage tartiné de maquillage blanc, se succédaient sur scène défunte série “Vinyl”).
pendant cinq heures dans des ambiances aussi bien folk que manouche Le plus simple à comprendre sur la Rolling Thunder Revue, c’est qu’elle
ou glam (Mick Ronson, des Spiders From Mars de David Bowie, est est le miroir de la tournée précédente de Bob Dylan, celle avec The Band
guitariste lead). C’était un cirque itinérant couvrant les petites villes au début de 1974 qui a donné lieu à “Before The Flood”. En surface,
de la côte de la Nouvelle-Angleterre pour des concerts annoncés et c’est la consécration pour les six musiciens, après les huées et les
mis en vente le jour même à prix modique. Et c’était aussi un projet de polémiques de 1965 et 1966 qui avaient amené Dylan à éviter la scène
film, à mi-chemin entre “Les Enfants Du Paradis” et “Tirez Sur Le pendant de longues années : un public conquis d’avance (12 millions
Pianiste”. La Revue devait encore être plein d’autres choses : une tribune de places demandées) dans des stades à guichets fermés. Si l’on
pour la libération du boxeur Rubin Hurricane Carter, les retrouvailles creuse, la réalité était moins glamour : la tournée est le bébé aux billets
de toute une bande de copains des années 60 rejoints par Joni Mitchell (qui vendus à prix d’or de Billy Graham et surtout de David Geffen, qui a
écrit sur la route certains morceaux de “Hejira”), la création sur scène réussi le coup de signer Dylan avec The Band sur Asylum pour “Planet
des titres de “Blood On The Tracks” et de “Desire” (album encore inédit Waves” et ce double album live. Dans un tel contexte, Dylan a le sentiment
en 1975), un vivier à groupies, une thérapie de couple pour Sara et de perdre en liberté, alors que The Band est motivé par le cachet mirobolant
Bob Dylan (suite au point précédent) et les débuts de Bob en tant que mais déjà rongé par les addictions des uns et des autres (Richard Manuel
chauffeur de bus. Cela fait beaucoup, voire trop, et tous ces projets n’ont boit alors huit bouteilles de Grand Marnier par jour).
pas eu le même bonheur. Dylan n’a tué personne au volant, mais le
film tiré de la tournée, “Renaldo Et Clara”, est une catastrophe, les
quelques images, époustouflantes, des shows étant noyées par de longues Influences gitanes
scènes de mauvais théâtre d’improvisation où Dylan est Renaldo, sa Dylan retourne vite chez Columbia. Il y enregistre (et réenregistre)
femme Clara et le chanteur de rockabilly Ronnie Hawkins Bob Dylan. aussitôt “Blood On The Tracks”, pour le coup un chef-d’œuvre. Il embraye
La tournée de 1975 est un gouffre financier, et lorsqu’elle reprend au encore plus vite sur “Desire”, album où il revoit de fond en comble
printemps, les comptables ont repris le pouvoir. L’étincelle n’est d’ailleurs son processus créatif et s’ouvre pour une fois beaucoup aux influences
plus là quand Dylan enregistre le live “Hard Rain”. Et voilà pourquoi, extérieures. Il s’entoure d’un parolier, Jacques Levy, et d’une choriste
malgré un volume de la “Bootleg Series” sorti en 1998 (“Live 1975”), de luxe, Emmylou Harris. Même s’il ne souhaite plus faire de politique,
il était difficile, même carrément impossible d’avoir un aperçu de la il revient au protest song avec “Hurricane”, parce qu’il a lu les mémoires
Rolling Thunder Revue, avec son énergie et son mélange de bonne du boxeur condamné pour meurtre et s’est pris de sympathie pour
franquette et de délires en sa cause. Plutôt que de
tout genre.
Tout change évidemment Mélange de bonne franquette chroniquer à nouveau les
difficultés de son couple,
avec la sortie simultanée
d’un coffret de 14 CD et
d’un documentaire réalisé
et de délires en tout genre il écrit pour sa femme
“Sara” en espérant sauver
leur mariage. Et il laisse
par Martin Scorsese pour le compte de Netflix. Le coffret reprend l’ensemble du disque baigner dans des influences gitanes, échos d’un
avant tout les cinq sets complets de Dylan qui avaient été enregistrés pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer qui lui a directement inspiré
en multipistes. Il n’y a peut-être donc pas de show intégral de quatre “One More Cup Of Coffee”. Le violon de Scarlet Rivera domine le mix
heures (avec les sets solo de gens comme Bobby Neuwirth ou Ramblin’ d’un album qui ne ressemble, ni de près ni de loin, au reste de la
Jack Elliott à côté de ceux de Joni Mitchell), mais Montréal et le deuxième discographie de Dylan, mais qui sera la base de la tournée qu’il prépare
show de Boston, déjà très réputés en bootleg, montrent un groupe de (les musiciens de l’album, plus l’actrice Ronee Blakley, qui remplace
scène où tout le monde a trouvé ses repères, en pleine symbiose avec Harris, devenant après quelques renforts le groupe de scène de la Revue).
un chanteur habité et pleinement engagé. Quant au documentaire de Quand le Dylan d’aujourd’hui commente pour le documentaire cette
Scorsese, il recycle images de concert et rushs de “Renaldo Et Clara” tournée, il botte d’abord en touche : “Je ne me souviens de rien du tout
et les remet en perspective au travers d’interviews plus récentes, explorant concernant la Rolling Thunder Revue.” Scorsese choisit alors d’enchaîner,
des thèmes les uns après les autres plutôt que de tenter de donner une à la Godard, par une coupe franche dans le même plan sur le rire sardonique
cohérence à un ensemble qui n’en a jamais eu. Plus encore que sur “No de Bob. Bien sûr, ce dernier a encore plein de souvenirs sur les uns et
Direction Home”, Scorsese semble avoir trouvé ses marques dans un les autres, qu’il balance en autant de formules lapidaires sur Joan Baez
projet qui ne couvre que quelques semaines de la vie de Dylan, mais (“une météorite, hier comme aujourd’hui”) ou sur le malheureux
qui, surtout, se déroule au milieu des années 70, celles du Watergate documentariste qui finance le tournage et qui sera ensuite peu à peu
et de la débâcle vietnamienne, où les idées les plus délirantes prennent évincé du générique de “Renaldo Et Clara”. Scorsese a heureusement pu
souvent le dessus, généralement grâce à la coke, un contexte que Scorsese utiliser quelques scènes inédites, comme l’apparition de Patti Smith
Scorsese est là. C’est un peu dommage, surtout mais les Beatles devraient aller plus loin l’année présent en bonus dans le coffret. En revanche,
qu’il y a quelques passages intéressants non prochaine à l’occasion de la réédition de l’album il est peu probable qu’une version consensuelle
repris dans la nouvelle version. Mais c’est aussi “Let It Be” : ils ont commandé à Peter Jackson de “Cocksucker Blues” sur les Rolling
une nouvelle tendance des documentaires un documentaire destiné à présenter les Beatles Stones en 1972 fasse un jour surface.
Bob en tant que alors que Dylan a sinon parfois tendance à crier en solo, le télescopage
de trois ou quatre styles musicaux différents qui électrifie un vieux titre
chauffeur de bus folk comme “The Lonesome Death Of Hattie Carroll” ou transforme le
plus récent “Isis” en célébration quasi orgiaque. Et c’est au fond le
moment où Dylan réussit à sortir du carcan de la setlist et à réinjecter,
jour après jour, de la vitalité à des titres qu’il pensait connaître par cœur,
lors du concert surprise chez Gerde’s à New York qui marque les débuts
en lâchant la bride à ses musiciens et en prolongeant ensuite leurs
officieux de la Revue, ou les répétitions, sur lesquelles le coffret s’étend
explorations. Son mariage va bientôt sombrer : quand en 1978 il repartira
plus en détail. Même si la qualité sonore y est très variable (et que quelqu’un
en tournée mondiale, ça sera avant tout pour payer son divorce. Mais
a oublié “Sad-Eyed Lady Of The Lowlands”, tenté à cette occasion). Il y a
cette étincelle se ranime ponctuellement sur les dates européennes de
ainsi d’incroyables versions de “She Belongs To Me”, “I Want You” ou
la tournée, pendant les concerts de sa période chrétienne, ou sur son
“This Wheel’s On Fire”... qui ne seront plus jouées ensuite.
passage télé de 1984 chez Letterman. Et elle revient surtout, de façon
Le documentaire de Scorsese ne prétend donc pas donner une logique à
plus diffuse mais aussi plus durable, sur le Never Ending Tour. Lors de
une tournée qui s’appelle quand même tonnerre roulant, un titre qui est
son passage à Paris en avril, Dylan a ainsi tiré de son chapeau un “When
venu à l’artiste pendant un rêve, et qui s’avère aussi une expression
I Paint My Masterpiece” méconnaissable, pas entièrement réussi mais
indienne pour dire la vérité (c’est aussi le nom de code d’une opération
traversé par quelques fulgurances. Car Bob Dylan a encore quelque part
américaine de bombardements au Vietnam, ce qui a moins dû l’emballer).
l’envie de trouver, en changeant d’angle, une évidence et une nouvelle
Il évoque la camaraderie retrouvée de Bob Dylan et de Joan Baez, après
vérité même sur un titre déjà joué des centaines de fois. Le jour où il
dix ans de brouilles, mais il n’exclut pas non plus les piques, comme ce
peindra son chef-d’œuvre n’arrivera pas. C’est la conviction qu’il pourrait
jour où Baez se grime en Dylan, barbe comprise, et se fait aussitôt traiter
y parvenir et qu’il doit toujours continuer à créer qui compte. Et il peut
comme un demi-dieu par l’entourage de Bob jusqu’à ce qu’elle dévoile
remercier la Rolling Thunder Revue pour ça. ★
son travestissement. Il invente même la rencontre entre Dylan et une
Sharon Stone qui vient tout juste de sortir du lycée et n’est encore que
Album “The Rolling Thunder Revue : The 1975 Recordings” (Legacy/ Sony Music)
modèle débutante. Le film ne néglige pas non plus l’excentricité de la
violoniste Scarlet Rivera, brune élancée que le reste du groupe
considère comme une diseuse de bonne aventure cinglée.
ELTON
JOHN
LES CINQ GLORIEUSES
(1970-1975)
Le jeune Anglais dénommé Reginald
Kenneth Dwight, né en 1947, dodu,
binoclard, passionné de disques et de
football, imaginait-il un jour qu’il finirait
comme sujet, et de Sa Majesté, et d’un
film hollywoodien quelque 70 ans après ?
Photo SSPL/ Getty Images
Troubadour de Los Angeles, créant alors une hype fulgurante, loin de Dès lors, ce que va accomplir la paire John/ Taupin entre 1970 et 1975,
son Angleterre natale, qui, jusque-là, l’ignore. Mais, contrairement à restera comme l’un des plus beaux sans-faute de l’histoire de la musique
ses cousins de Liverpool, célèbres sur leurs terres avant leur arrivée à pop. Neuf albums studio (dont un double et, parallèlement, un live, une
New York, ce sont les Etats-Unis qui feront Elton, et ce détail, fonda- compilation et une BO), dont six numéros 1 au Billboard américain...
mental, influence au plus haut point le destin Albums magistraux, dont la succession s’organise
de ce fils à sa maman. Fils à sa maman, juste-
ment, comme Bernie Taupin, parolier du ré-
pertoire qui nous intéresse, et dont la mère a
En 1975, comme trois trilogies distinctes que nous pourrons
classer ainsi, selon leurs lieux d’enregistrement :
la période anglaise (“Elton John”, “Tumbleweed
répondu en 1969 à une annonce du Melody
Maker publiée par la maison d’éditions Liberty
4% de la Connection”, “Madman Across The Water”),
la période française (“Honky Château”, “Don’t
qui cherche alors un compagnon de songwriting
à Elton, en allant récupérer la lettre de totalité des Shoot Me I’m Only The Piano Player”, “Goodbye
Yellow Brick Road”) et la période américaine
candidature de son rejeton dans la poubelle.
Taupin, c’est le petit cousin provincial, la teigne, disques (“Caribou”, “Captain Fantastic”, “Rock Of The
Westies”)... Paradoxalement, la première est
le punk de l’histoire. Il vient du Lincolnshire
(une Creuse anglaise), élevé entre les chèvres
et les moutons. Son inspiration est à la fois
vendus dans marquée par l’influence de la musique améri-
caine, et notamment du gospel de The Band.
“Border Song” et le grandiose “My Father’s Gun”
ésotérique, pastorale, tolkenienne. Mais maligne,
toujours, sachant ramener les bateaux à bon port le monde sont en étant les parfaits représentants avec, à la
marge, des plongées dans la variété internatio-
(non sans rappeler Keith Reid, le parolier de
Procol Harum) et se marier aux déambulations des disques nale (“Your Song”, donc) ou le country rock
(“Tiny Dancer”). Le tout enrubanné par de majes-
harmoniques léchées d’Elton. C’est le cas dans
“Daniel”, qui manie à merveille la fraternité et
le Big Bang, ou “Mona Lisas & Mad Hatters”,
d’Elton John tueuses cordes signées Paul Buckmaster. La
deuxième séquence commence en 1972, alors
que la fusée Elton commence à fatiguer (l’album
instantané new-yorkais au sfumato si élégant. “Madman” est un bide). Pour se renouveler, il
Malgré cette rencontre décisive, Elton John n’est engage un guitariste blond (ça existe), Davey
pour l’instant qu’un vétéran, à 23 ans seulement, “Rocketman” Johnstone, et part enregistrer en France au
du circuit pop rosbif. Il joue, en effet, depuis Etait-il possible de faire pire que château d’Hérouville, studio récemment monté
1966 avec un groupe de ballroom dancing, “Bohemian Rhapsody” ? Oui, par le compositeur Michel Magne, responsable
apparemment. On nage ici en plein délire
Bluesology spécialisé en reprises R&B, puis thérapeutique asséné au monde entier. de la BO des “Tontons Flingueurs”. “Ce n’était
accompagne le doyen Long John Baldry dans Mais, plus gênant que la leçon freudienne pas le studio le plus high-tech, mais il y avait de
des tournées plus que moins minables. A l’instar fatigante (papa est méchant, maman la magie dans cet endroit. On y enregistrait jusqu’à
de David Bowie ou Rod Stewart, il fait ainsi partie est gentille, etc.), un révisionnisme 5 titres par jour” dira le pianiste. A Hérouville,
biographique qui laisse songeur...
de ces futures superstars anglaises qui ont pa- En effet, alors que Mercury a l’excuse Elton va insuffler à son art, jusque-là plutôt
tiemment attendu leur tour après la première d’être poussière, Elton, bien vivant, et sombre, du fun, du glam... Ça tombe bien, c’est
vague de la British Invasion. Ces trois-là sont Obersturmführer du projet, déglingue dans l’air du temps. Vont y être alors enregistrés,
complètement sa chronologie, se faisant
en quelque sorte des déclassés de la profession même chanter son “I Guess That’s Why en l’espace de 16 mois, les goguenards “Honky
quand tous font le break en ce tournant de They Call It The Blues” de 1983 lors de sa Cat”, “Crocodile Rock”, “Saturday Night’s
décennie, Bowie avec “Space Oddity”, Rod avec première audition en 1969... Imagine-t-on Alright”, “Bennie & The Jets”, tranches de
un film sur Napoléon où Austerlitz succède
“Maggie May”, et Elton avec “Your Song”. à Waterloo ? A partir de là, il est difficile de
power-pop britonne impeccables mais aussi
Malgré tout, Elton se rêve encore en singer- croire en cette pièce mal montée, hésitant les ciné-mascopiques “Rocket Man”, “Have
songwriter à la mode québecoise (“Je voudrais perpétuellement entre biopic vérité à la Blues For Baby And Me” et “I’ve Seen That Movie
être Leonard Cohen qui peut faire un album, “Walk The Line” et guignolade Too”, compositions savantes ne délaissant jamais
chorégraphiée à la “Mamma Mia” (cette
disparaître, refaire un album, disparaître, etc.”) deuxième option eut été préférable). Le seul le souffle lyrique, qui laissent penser que leur
et travaille toujours comme vendeur dans une mérite de l’ensemble étant d’afficher, à com-positeur, tel Mary Poppins, est alors en
boutique de disques spécialisée en imports : “Je quelques occasions, l’homosexualité du lévitation totale. Parallèlement, le personnage
protagoniste de façon aussi franche
me disais que si ça ne marchait pas pour moi, (comparé au Queen on nage en plein public se cartoonise, s’éloignant du look d’étudiant
mon rêve serait d’avoir suffisamment d’argent Pasolini, certes). Dès lors, le vrai grand attardé, pour désormais se trimballer en platform
pour ouvrir une telle boutique et écouter tous les sujet du film, l’unique, était là. boots, boas chinchillas, pantalons à sequins et
jours des nouveautés.” toute la quincaillerie afférente...
d’Elton
Les superpouvoirs acquis par Elton John
Elton vient faire les harmonies vocales sur
ce qui deviendra le dernier numéro 1 US
de Lennon de son vivant et qui vaudra à
la paire de se réunir quelques mois plus
au début des années 70 vont lui permettre, tard au Madison Square Garden pour la
comme David Bowie, de produire ses dernière apparition en concert du Walrus.
idoles, de couver des protégés, de jammer
avec des potes et de refourguer sa
came à la mule qui le souhaite. Sélection. Ringo Starr
“Snookeroo” (1974)
Long John Baldry Du cousu main pour l’ami Ricoré de la pop
“Let’s Burn Down The Cornfield” (1971) music. En résumé : une daube. Mais de qualité.
Elton coproduit avec Rod Stewart l’album
de ce vétéran de la scène du british blues
boom, à la voix à éloigner un grizzli. Avec Rod Stewart
notamment une reprise pyromane de “Let Me Be Your Car” (1974)
“Let’s Burn Down The Cornfield” de Un tape-cul diesel écolo-irresponsable
Randy Newman où Elton fait des étincelles. spécialement écrit pour le blood brother Rod
Stewart. Une pensée pour l’ingénieur du son.
T Rex
“Children Of The Revolution” (1972) Kevin Ayers
Photo Estate Of Keith Morris/ Redferns/ Getty Images
THE RACONTEURS Après une décennie passée à fabriquer des vinyles et ses propres
œuvres solo, Jack White retrouve Brendan Benson pour le troisième
album du plus excitant de ses supergroupes. Aubaine : les deux
mystérieux ont accepté de parler avant un concert à l’Olympia.
RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON
Photo David James Swanson-DR
“J’espère qu’on n’aura jamais à faire un
album par nécessité, parce qu’on est fauchés
ou parce qu’il faut payer nos traites”
L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE POPULAIRE R&F : Qui est l’étranger du titre ?
EST FAITE DE DUOS LEGENDAIRES : Jan Jack White : Brendan avait composé le refrain de cette chanson, “Help
And Dean, Sonny And Cher, Ike And Tina Turner, Me Stranger”, et c’était bien parce que les paroles que j’avais initialement
Sam & Dave, mais aussi les Righteous et Everly écrites pour les premiers vers étaient presque imprononçables, genre
Brothers, Suicide, les Black Keys, et les White Stripes, “bobobobobo”, donc, quand Brendan m’a joué ce refrain, tout d’un coup,
évidemment. Entre autres. Dans le cas de Jack White, tout devenait plus facile à écrire et à chanter. C’est important que les
un autre binome vient aussi à l’esprit : celui qu’il gens puissent chanter la chanson, en concert ou sous leur douche, et
forme avec Brendan Benson. Après avoir stoppé net, que ce soit autre chose que : “je t’aime, tu m’aimes” etc. Et c’était comme
en 2011, son duo avec Meg White (dont il a tout un appel à l’aide, oui.
de même gardé le patronyme), voici notre Citizen
Kane version Tim Burton de retour au sein des R&F : Oui, mais derrière ce titre, y a-t-il quelque chose d’autre ?
Raconteurs, dont le troisième album “Help Us Cet étranger, cet appel à l’aide, ça ne relevait d’aucune prise
Stranger”, sortira onze ans après l’excellent de position particulière ?
“Consolers Of The Lonely”. Flanqué, donc, de Brendan Benson : Pas quand Jack a écrit la chanson, non. Le
l’imperturbable Brendan Benson, Jack White forme, refrain n’a aucun sous-entendu politique explicite, en tout cas ce n’était
avec les fidèles exfiltrés des Greenhornes de Detroit pas intentionnel de notre part. Il était même plutôt pensé pour rester
Jack Lawrence (basse) et Patrick Keeler (batterie), ouvert à toutes les interprétations. C’est un sentiment plutôt noble, en
une version alternative du duo-étalon McCartney & effet, puisque l’étranger n’est plus celui qu’on doit aider, mais dont on
Lennon. A l’un la pop ouvragée, à l’autre le rock’n’roll demande l’aide. Donc, oui, il y a bien appel à l’aide, désespoir, tristesse...
saturé de larsens. Car White est un increvable Mais c’est ouvert.
preacher, une tornade d’électricité, et un bavard Jack White : Un peu comme pour le titre du précédent album, “Consolers
insatiable que contient avec placidité le raisonnable Of The Lonely”. Nous étions tombés sur cette formule tout à fait par
Benson, tous deux façonnant un joyeux hybride de hasard et l’avions adoptée parce que ça sonnait comme le Lonely Hearts
rock gorgé de réminiscences blues, pop estampillée Club des Beatles. Alors là, le titre est venu comme ça, effectivement
sixties, Nashville soul, psyché et heavy rock, sans avec cette idée : “Nous avons besoin de ton aide, étranger”. Cette idée
oublier, donc, les Beatles. Rencontre à 200 à l’heure collait bien, pour moi.
avec les intéressés, dans les loges de l’Olympia. Brendan Benson : “Aide-nous, étranger”, c’est comme une prière,
pour nous aider à tenir, à continuer...
Tu peux presque jouer pour chacune d’entre elles. sans qu’on ait à le décider.
Brendan Benson : (venant d’arriver, s’installant calmement) Oui, on Jack White : Il y avait une chanson, “Shine A Light On Me”, que j’avais
adore cette salle, elle a un charme fou. C’est comme la véritable première enregistrée pour mon dernier album, “Boarding House Reach” (2017),
date de la tournée. et je me souviens que cette chanson sonnait pour moi comme un titre
des Raconteurs, alors je me suis dit que j’allais la jouer à Brendan.
Suite page 64
060 R&F JUILLET 2019
Supergroupes,
groupes super?
Avec les Raconteurs, Jack White relance Keith Richards (basse) et Mitch Mitchell
(batterie). Deux titres sont joués : “Yer
une tradition très prisée chez les musiciens célèbres : Blues”, impeccable et, pour coller à la
jouer avec d’autres musiciens célèbres. thématique spectacle vivant, “Whole Lotta
Yoko”, une jam en compagnie de l’artiste
Explosion créative ou soustraction de talents ? nippone et du violoniste Ivry Gitlis.
Quelques cas historiques, pour juger. PAR BASILE FARKAS
Humble Pie
au groupe avec l’article du lendemain. Formé par Steve Marriott après les
Million Dollar Quartet La spontanéité et la productivité de la Small Faces, l’humble tourte britannique
Survenu le 4 décembre 1956 à Memphis, séance (une quarantaine de chansons) incarne une histoire typique : une vedette
cet épisode mythologique du rock’n’roll est laissent encore rêveur... des sixties qui désire changer de décennie
extrêmement connu : Carl Perkins enregistre avec de plus gros amplis, des musiciens
ce jour-là au studio Sun avec son groupe The Dirty Mac qui jouent (Peter Frampton de The Herd,
et un pianiste qui n’a encore rien sorti Décembre 1968 : la télévision anglaise Greg Riddley de Spooky Tooth et le
(Jerry Lee Lewis). Deux artistes du label consacre aux Rolling Stones une émission jeune prodige Jerry Shirley à la batterie).
(Johnny Cash et Elvis Presley), de passage, spéciale dans un décor de cirque. Pour De quoi usiner huit albums en autant
se mettent donc à jouer et chanter avec égayer la liste d’invités (Who, Taj Mahal, d’années, avec une généreuse rusticité.
les autres. Sam Phillips enclenche le Jethro Tull, Marianne Faithfull), un groupe
magnétophone et appelle fissa le journal est créé pour l’occasion : John Lennon Blind Faith
local, qui donne sans le vouloir son nom (chant, guitare), Eric Clapton (guitare), L’une des huit (!) superformations
d’Eric Clapton. En 1969, après Cream,
Slowhand — également champion des
surnoms — retrouve Ginger Baker, Steve
Winwood et Rick Grech, bassiste de Family
et joue son premier concert à Hyde Park.
L’unique album du quartette, malgré
sa pochette passible d’emprisonnement et
l’énormité des égos, recèle des passages
étonnamment subtils et contemplatifs.
The Highwaymen
Johnny Cash, Willie Nelson, Waylon
Jennings et Kris Kristofferson ensemble
dans le même studio ? Alléchant. Sauf que
la chose a lieu en 1985, un âge d’or pour les
fans de reverb gate, moins pour les amateurs
The Dirty Mac de country outlaw. La bande, un peu dans le
Traveling Wilburys
Contrairement à la plupart des groupes de
cette sélection, une certaine magie a lieu ici.
Le casting est connu : Bob Dylan, Tom Petty,
Roy Orbison, George Harrison et Jeff Lynne.
Les deux derniers, en charge de la production,
confèrent une couleur pop étonnamment
fraîche aux deux albums de la troupe. Le
premier, “The Traveling Wilburys Vol 1”
(1988), est un classique, aussi touchant
que “Mystery Girl”, disque du grand
retour d’Orbison sorti à la même époque.
Velvet Revolver
Sans leur dictateur à bandana, les anciens
Guns N’Roses s’ennuient. En 2003, après
quelques tâtonnements, Matt Sorum, Duff
McKagan et Slash recrutent Scott Weiland
de Stone Temple Pilots. Il n’est pas vraiment
question de plaisir ici, mais de showbiz.
Velvet Revolver publie deux albums de
hard rock Pro Tools à la ramasse. Le budget
Photo Floria Sigismondi-DR
Jack White : La culture des ados aujourd’hui est plutôt axée sur le une blague, sur un manuel de survie post-apocalyptique. Le type y
R&B ou une pop pour téléphone portable. La plupart des ados ne savent racontait des trucs du genre (grosse voix) : “Quand la fin du monde
plus comment on fabrique la musique qu’ils écoutent, comment on sera imminente, et croyez-moi elle l’est, il y a bien des choses qu’il vous
obtient ce son-là, et peut-être même ne savent-ils plus à quoi faudra alors savoir : ce qui peut vous tuer quand vous êtes en pleine
correspondent les instruments. Je le vois avec mes enfants. Déjà, quand forêt, comment bien nettoyer un lapin si vous en attrapez un, comment
j’étais au lycée, en pleine période house music, alors que je me passionnais vous constituer un abri avec quatre fois rien.” Fuck la fin du monde !
pour la musique et m’intéressais aux musiciens, personne autour de moi Et, en même temps, il s’agirait peut-être d’y penser, à ce putain de
ne s’intéressait à cet aspect. Je crois que c’est un truc qui a commencé trou où se planquer, bordel ! C’est dingue, quand tu vis dans le Sud
dans les années 80. Dans les années 60, si tu demandais à l’auditeur des Etats-Unis, tu ne rencontres que des tarés obsédés par l’idée d’avoir
moyen qui jouait de la basse dans les Beatles... à se défendre comme si c’était la guerre ! Ils vivent une vie de merde,
Brendan Benson : ...Tout le monde savait. et sont déjà morts. Plutôt crever que de se taper un manuel sur le nettoyage
Jack White : Mais si tu demandais : “Qui joue de la basse sur d’un lapin !
‘Thriller’ de Michael Jackson ?”, là on te répondait : “Bah, j’en sais
rien, mais c’est cool !”
Comme un voyage
R&F : Vous considérez-vous investis d’une sorte de mission ? R&F : “Don’t Bother Me” a des changements de tempo incro-
Jack White : Une mission... C’est dur à dire. Parfois, on discutait avec yables, on y entend Black Sabbath. De même, dans “Shine The
notre ingénieur du son, Vance Powell, de ce qui nous intéresse le plus : Light On Me”, on entend des échos aux Beatles, à toute une
le son, les tonalités, la qualité de la production, le mixage, le matériel, pop élégante des sixties...
etc. Après tant d’années de perfectionnisme obsessionnel, je me demandais : Jack White : C’est toujours un dialogue, oui.
“Mon Dieu, je ne sais vraiment pas pourquoi je continue comme ça ? Quel Brendan Benson : Ce n’est évidemment pas délibéré, ni conscient.
est l’intérêt?” C’est le même problème dans le cinéma, je crois, où les gens Ces choses sont en nous. Elles reviennent d’elles-mêmes...
se mettent à utiliser du matériel numérique. Tarantino, qui aime vraiment Jack White : Nous sommes pris dans une tradition. C’est ce qui s’est
le cinéma, ne comprend pas pourquoi l’analogique, la pellicule, ce qui passé pour “Hey Gyp” de Donovan...
L’histoire du
rock a toujours
flirté avec
l’image du mal,
de la rébellion
ou de l’ange
maudit
VENOM
Le groupe heavy metal britannique fait l’objet
d’un lourd coffret rétrospectif, frappé de
l’obligatoire pentacle. Occultisme et riffs
extrêmes sont donc, ici aussi, à l’honneur.
PAR PATRICK EUDELINE
Venom, 1984
QUAND ON EST GAMIN, on aime quand c’est rapide, fort Du rock. Ni plus ni moins. Comme les Stones, tiens !
et lourd. Je me souviens de “She Said Yeah” par les Rolling Mais le metal semble avoir pris le dessus.
Stones, de “I’m Down” par les Beatles. Ces morceaux-là nous Et le metal, vu en noir, Venom en a toujours fait. Mieux, il l’a inventé.
mettaient vraiment en transe. Comme plus tard le “Travellin’ Ce groupe à l’erratique carrière pour le moins, a pourtant,
Band” de Creedence Clearwater Revival. De là à dire que sur bien des points, annoncé la suite...
c’est Little Richard, maître en surenchère, hurleur en chef,
roi des tempos dévalés à blinde, des breaks à la hache et des Venom, donc ? BMG réédite, pour les 40 ans
riffs à une note (“Lucille” !) qui a tout inventé, il y a un pas. du groupe, l’intégralité de son œuvre. Tout cela sous la forme
Ou un débat, qui n’est pas celui d’aujourd’hui. Le hard rock, d’un coffret, “In Nomine Satanas”, qui comprend de nombreux
disais-je, est une maladie infantile du rock. Un truc pour les albums remasterisés en vinyle, des posters et des illustrations.
ados. Plus grand, AC/DC ou Grand Funk Railroad, ça ne suffit Il y a notamment, bien sûr, les 4 premiers albums historiques sur
plus. On est prêt à goûter aux délices de...Van Der Graaf Neat Records : “Welcome To Hell”, “Black Metal”, “At War With
Generator ou Tuxedomoon ? Je plaisante. Mais une chose est Satan”, “Possessed”. Ce qui, pour les fans, mettra de l’ordre dans
sûre, le hard est — somme toute — un absolu du rock et une une discographie compliquée où les bootlegs et les rééditions mal
impasse. Vient un moment (à mon sens dépassé depuis 1970, foutues abondent. Comme les changements de personnel malheureux.
au bas mot) où on ne peut aller plus vite, plus loin, plus fort, Tout cela pour ce groupe qu’on pourrait croire mineur. Et qui l’est,
plus saturé. Les essais pour se faire deviennent désespérés. d’ailleurs. Sauf qu’ils sont les inventeurs du metal moderne, qu’on
Et, pourtant, c’est toute l’histoire du metal. l’appelle death, thrash, ou black metal. Sauf que le satanisme,
aujourd’hui — de carton-pâte ou pas — inhérent au genre doit quasi
tout à Venom. Il n’y a plus de rock gothique. Ou quasi. Mais le Hellfest,
Metal qui est pour moi une perversion du hard rock, va réunir les foules une fois encore et on y fera les cornes. Le metal,
jointe à un abandon des racines blues. Grindcore, thrash metal, death c’est même le genre qui se porte le mieux, finalement. Et le metal, sans
et black metal, que sais-je ? Ils n’ont comme point commun que le faire exprès (ou si peu) répète à l’envi cet évident message : Satan
d’être dans la caricature. Le chant growl, les double grosses caisses en et le rock, ça va ensemble depuis le tout début. Depuis le blues même.
cavalcade, tout ça... Que sais-je ? Mais le metal est là pour rester. C’est Certains conspirationnistes, comme John Todd sont même convaincus
même le seul genre né du rock, qui semble ne devoir jamais mourir, et de la nature démoniaque du rock : “De tout temps, la sorcellerie a été
— même — vieillir sans trop de dégâts. Les pionniers du metal ? Black pratiquée au son du beat, qui est identique dans les cultes du vaudou
Sabbath, bon d’accord... Les lamentables Budgie, et surtout Ritchie et dans la musique rock. Impossible de pratiquer la sorcellerie sans
Blackmore, parce que cet homme-là faisait tout pour éviter dans son jeu cet accompagnement (...). Tous les grands producteurs de rock’n’roll
les gammes du blues. Il avait grandi avec ça, mais très vite est passé à sont membres d’une église satanique, et la grande majorité des groupes
Bach. Son “Speed King”, comme “Paranoid”, s’éloigne du blues. Alors rock sont inscrits comme membres de l’une ou l’autre des religions
que Led Zeppelin, Jeff Beck, Cactus, qui on voudra, se vautrent alors lucifériennes. Lorsqu’ils produisent un disque ou doivent composer de
toujours dedans. Seulement, le bouton est tourné à 11. Depuis ? nouvelles chansons, ils demandent aux grands-prêtres et prêtresses de leur
Les derniers à rester hard rock et à ne pas tourner metal ? Motörhead ! temple d’ensorceler leurs œuvres pour qu’elles obtiennent de grands succès.
AC/DC, sans doute... Le reste, d’Aerosmith à Guns N’Roses ?
Lorsque les rites consécratoires sont accomplis et que les disques sont le death metal, le grindcore et toutes ces choses pour que Venom soit
envoutés, un grand nombre de démons sont chargés d’exécuter leurs ordres.” rejoint par le reste du troupeau. Ce groupe peu loué a inventé ce qui fait
depuis quasi trente ans le metal. Il faut lui reconnaitre ça. Venom ? Un
Oui, bon. Satanisme, sorcellerie, démonisme, Metallica qui aurait tout loupé. Sa légende reste underground, sa carrière
luciferisme. Grand-Guignol ou plus subtil, il est sûr que ce vent-là en demi-teinte. C’est connu, le diable ne paie pas toujours ses dettes.
souffle depuis Robert Johnson et ses successeurs : Little Richard, Jerry
Lee Lewis, Screamin’ Jay Hawkins, et même Elvis ou James Dean... Cronos, âme damnée du groupe : Venom, c’est lui !
Tous y ont trempé. L’histoire du rock a toujours flirté avec l’image Ingénieur du son chez Neat Records, il sera au milieu de ce renouveau
du mal, de la rébellion ou de l’ange maudit. Un rappel ? Ce fut une hard. Dès 1976, il approche du sujet avec son groupe Dwarfstar, ou
obsession dès la fin des sixties (“Sympathy For The Devil”, Black Guillotine. Mais le punk rock n’offre aucune visibilité à ces chevelus
Sabbath et Led Zeppelin, “Ceremony” de Spooky Tooth, “Race en jeans. Qui pourtant, peu à peu, se forment une identité. A coups
With The Devil” de Gun, “Black Night” de Deep Purple... Dois-je d’imagerie sataniste et de pseudos ronflants (une pratique alors
continuer ? Charles Manson et Bobby Beausoleil ? Anton LaVey ?). guère usitée chez les hard rockers). Natifs de Newcastle, Conrad
Il y eut même, en cette douce année 1970, Black Widow. Ces enfants Lant — lui donc ! — devient Cronos. Et ses acolytes ? Jeffrey Dunn
spirituels de Crowley pratiquaient des cérémonies sur scène. Et pas devient Mantas, Anthony Bray devient Abaddon. Pour Clive Archer,
pour de rire. Ou les Américains de Coven : une vraie messe noire c’est carrément Jesus Christ. Cronos, leader, chante et joue de la
était enregistrée sur “Wichtcraft Destroys Minds & Reaps Souls” basse façon Motörhead. En accords, brouillons et saturés. Jusqu’à
leur premier album et ils furent les premiers à utiliser le signe dit “Calm Before The Storm” (1987), son style restera identique.
des cornes. Aussi réjouissant que les italiens de Jacula ou “Black Mass” C’est de toute façon l’âge d’or du groupe. Avec les quatre premiers
par Lucifer (du Moog, en 1971...) Après cette période, le rock, il est albums susnommés. Le groupe se perdra ensuite, allant jusqu’à
vrai, oublia quelque peu le satanisme et la lecture occulte du monde. virer Cronos ou à se lancer dans des tentatives de funk metal.
On ne voit guère que les obsessions de David Bowie ou la coupe Ce qui le tue, bien sûr. Un moment. En 1989, Venom en est réduit à
de cheveux de Dave Vanian pour tenir ce flambeau-là. Tout cela, faire la première partie de groupes plus que mineurs (Sacred Reich ?).
en plein punk rock, pouvait sembler quelque peu démodé. Entre-temps, il aura tout essayé, le metal épique, l’industriel, l’heroic
Quartette de rock’n’roll
The“HELP
Raconteurs
US STRANGER”
THIRD MAN/ PIAS
En 2003, sur la face B de “Seven Fertita) et solo (disques et concerts). Brendan Benson participe beaucoup grosso modo toute l’histoire du rock,
Nation Army”, plus célèbre morceau Après onze ans de réflexion, les aux mélodies, rôle déterminant pour mais acceptent aussi le risque de
des White Stripes, Jack White plaçait Raconteurs reviennent forts d’un l’équilibre, comme quand le beau passer pour des traditionnalistes.
une chanson de Brendan Benson, album brillamment réussi. Jack White “Only Child” précède le rugueux C’est en partie vrai. Jack White
“Good To Me”. C’est dire l’estime semble toujours aussi friand de riffs “Don’t Bother Me” plein des ruptures est après tout l’heureux propriétaire
qui circule entre ces deux musiciens charnus (“Sunday Driver”) et de constitutives du style Jack White. de la première maquette d’Elvis
de Detroit. En 2005, ils unissent leurs distorsion, pour sa voix comme pour La fusion des deux donne “Somedays Presley chez Sun, d’un des cinq
talents et forment les Raconteurs sa guitare. Au “California born and (I Don’t Feel Like Trying)” ou “Shine exemplaires connus de “High Sheriff
avec deux Greenhornes, Jack raised” (né et élevé en Californie) A Light On Me”, qu’on qualifiera Blues” par Charlie Patton chez
Lawrence (basse), Patrick Keeler de “Teenage Head”, le classique de beatlesques. Exagérée, absurde, Vocalion mais aussi d’une usine
(batterie). Sur scène, notamment à des Flamin’ Groovies, les Raconteurs la comparaison vaut pourtant pour de pressage de vinyles. Mais ce
Rock En Seine, renforcés par Dean répondent par un jeu de mots cette osmose particulière qui fait n’est là que le signe de sa totale
Fertita (claviers, guitare), ils se grinçant : “Detroit bored and razed” que les musiques de l’un s’équilibrent implication. Il est entré en rock armé
montrent ardents défenseurs d’un (morfondu et dévasté par Detroit). ou se renforcent par un solo, un d’une foi inébranlable, étudiant
classic rock allant du hard à la power Raison pour laquelle les voici pont ou un chœur de l’autre, signe avec enthousiasme les textes
pop. Fans, ils se régalent à reprendre désormais établis à Nashville ? de la force, de la logique et de fondateurs (blues, rockabilly,
sans œillères Cher, Bo Diddley, Bien que probablement conscients la probité naturelle de cette union. garage, Led Zeppelin, etc.) pour
Gnarls Barkley, les Undertones, que celle des Animals restera En restant fidèles à ce qu’ils en proposer une nouvelle lecture,
Love, etc. Malgré le succès de intouchable, ils proposent une nomment eux-mêmes la formule en faire sa matière première.
“Broken Boy Soldiers” (2006) puis version de “Hey Gyp” (Donovan) à 16 cordes (6 + 6 + 4) — “these Pointilleux, fétichiste, intelligent,
“Consolers Of The Lonely” (2008), au dynamisme réjouissant. 16 strings we’re strumming, inventif, il se confirme d’une
le groupe reste en sommeil, l’emploi Friands de variations, ils passent they will back up every line” — modernité extrême ; jamais aussi
du temps de Jack White rempli par du blues atomique et sensuel (“Now dans les paroles de “Help Me convaincant qu’avec son quartette
les activités de Third Man (label, That You’re Gone”, sujet d’un clip en Stranger”, la chanson qui inspire son de rock’n’roll, les Raconteurs.
studio, éditions), de Dead Weather noir et blanc) au rock’n’roll classique titre à l’ensemble, les Raconteurs ✪✪✪✪
(auquel participent Lawrence et avec une touche punk (“Live A Lie”). assument un héritage certes riche, JEAN-WILLIAM THOURY
PISTE AUX ETOILES ✪✪✪✪✪ INCONTOURNABLE ✪✪✪✪ EXCELLENT ✪✪✪ CONVAINCANT ✪✪ POSSIBLE ✪ DANS TES REVES
Hey Satan est un trio suisse, adoubé Il est des labels mythiques dont
du Kentucky à l’Argentine, et qui l’aura se gâte avec le temps.
pratique un rock tendu, reptilien, à Ce n’est pas le cas de Mute. Avec
la sensualité de combat, celui qu’a Maps, Daniel Miller prouve qu’il n’a
abandonné Josh Homme depuis des rien perdu de son flair. Maps, alias le
lustres, préférant à son rock stoner Britannique James Kenneth Chapman
et boueux impeccable des débuts, n’en est pourtant pas à son premier
un rock arty et chiant comme la pluie album pour le label. Originaire de
que seuls les collectionneurs de vinyles Northampton, Chapman est à l’origine
rive gauche sont encore capables un producteur à qui l’on doit des
de valider... Ce deuxième album, climats sonores pour Moby, Depeche
qui a de quoi brûler bien des paires Mode, Goldfrapp et Erasure. L’homme
d’enceintes, débute par “Housewife a connu les vicissitudes dues aux
Blues” et sa batterie martiale, on addictions. Peut-être que l’obtention
pense à Helmet, à Screaming Trees, du prestigieux Mercury Prize en 2007
à plein de choses autant frontales pour son premier album avait mis la
qu’habitées, à ce qui pouvait se faire barre trop haut. “Colours Reflect Time
de mieux de l’autre côté de l’Atlantique Loss”, conçu à Bruxelles, avec des
avant que le vocodeur ne défigure chœurs, des percussionnistes et
tout sur son passage. “South Is l’Echo Collective, un ensemble
classique est une avancée dans la
carrière de l’Anglais. Il sort enfin
l’artiste des limitations esthétiques
d’une certaine école des musiques
électroniques afin d’offrir d’avantage
de cœur et de réel. L’album invoque
les couleurs de l’ex-Spacemen 3
Peter Kember alias Sonic Boom,
ce qui est un compliment. L’école
kemberienne, faite de couches
répétitives façon descente d’acide
est malheureusement fort peu suivie
de nos jours. Cependant, il serait
faux de croire que l’album est une
Cet album plaira aux gens de goût, La voix démarre sur le premier Rickie Lee Jones revient avec une Contre toute attente, les vents
ceux qui tiennent “Time Fades Away” temps de la première mesure, une collection de dix reprises concoctées mauvais et les sales marées,
pour l’un des chefs-d’œuvre de Neil histoire d’autostop sur une trame à La Nouvelle Orléans avec des Hollywood Vampires persiste et signe
Young. Rappelons que cet album acoustique, lorsque s’élève soudain musiciens du cru. Chez beaucoup un deuxième album qu’on écouterait
live, très sombre, provenait de une saisissante section de cordes. d’auteurs-compositeurs réputés, d’une oreille différente si Alice Cooper,
la tournée censée promouvoir Laquelle se divise en deux mélodies, un tel exercice aurait de quoi Joe Perry et Johnny Depp n’étaient
“Harvest” et ne contenait que de qui enflent chacune d’un côté, jusqu’à intriguer et susciter le soupçon de pas ce qu’ils sont. Retraités qui
fabuleux inédits. Notoirement boudé insuffler à cette ballade folk une panne d’inspiration ou d’obligation s’ignorent pour les deux premiers
par son auteur, pour des raisons qui tension irrespirable (“Hitch Hikin’ ”). contractuelle. Avec elle, c’est loin (ils fricotent avec les soixante-dix
lui appartiennent, il n’a jamais été Ensuite, les mêmes cordes sont d’être le cas, parce qu’elle n’est tenue piges), flanqués de gamins (Depp
réédité en CD. Ce nouveau live a été décuplées par des cuivres, une par aucun contrat discographique et le troisième guitariste, Tommy
enregistré un peu plus tôt sur cette batterie débridée et des chœurs (elle a coproduit ce nouveau disque) Henriksen, ont tout de même déjà
même tournée, le 5 février 1973, féminins (“The Wayfarer”). A l’image et que ce genre d’exercice n’est pas soufflé cinquante-cinq fois les
à l’université de Tuscaloosa, en du mustang qui orne la pochette, pour elle une nouveauté : elle a déjà bougies...), ils ont choisi de la jouer
Alabama. Son antériorité fait qu’on tout cela a de quoi désarçonner. D’un enregistré trois albums de reprises vrai groupe. C’est-à-dire que Cooper
y entend pour la première fois en album de l’homme du New Jersey (dont le célèbre “Pop Pop”) ainsi s’est mis en retrait (il ne monopolise
concert les Stray Gators originaux en 2019, on attendait (redoutait) ceci : qu’un EP avec une version de “My pas le micro), que tous ont participé
— probablement le groupe le plus des murs de guitares et des hymnes Funny Valentine”, quatre ans après à la composition et au choix des
subtil ayant jamais accompagné pour appeler à la destitution du grand ses débuts. Il ne s’agit donc pas d’un reprises. Sur “Rise”, l’inattendue
peroxydé de la Maison Blanche. Tant “People Who Died” du Jim Caroll
s’en faut. Springsteen a visiblement Band côtoie “Heroes” de David Bowie
initié “Western Stars” au moment — qui n’apporte pas d’eau au moulin,
où il écrivait ses mémoires, et ses mais ne lui nuit pas non plus — et
souvenirs des sonorités californiennes “You Can’t Put Your Arms Around A
du début des sixties, Phil Spector Memory”, l’intouchable de Johnny
ou Roy Orbison en tête, lui auraient Thunders. Evidemment, puisque
donné des idées. “Western Stars” la vocation première de Hollywood
arpente les grands espaces (la pedal Vampires est de rendre hommage à
steel est très utilisée), déroule des ces défunts, les créateurs des trois
films à la double narration — celle reprises sont morts. “I Want My
des paroles, celle de l’orchestre —, Now”, en ouverture, vomit dans le pot
jusqu’au final de “Moonlight Motel”, plutôt que de tourner autour, “Who’s
où la caméra s’élève dans un travelling Laughing Now” est tailladée d’accords
Young, doté d’un groove inimitable —, projet opportuniste mais bel et bien de
ceux là-même qui jouaient sur l’élément constitutif d’une démarche
“Harvest” : le géant Tim Drummond à musicale qui, en parallèle de ses
la basse (ex-James Brown et ici chef créations originales, peut contribuer
d’orchestre), le génial Jack Nitzsche à les éclairer. Ainsi, l’éclectisme
au piano, l’excellent Ben Keith à la de cette nouvelle sélection renvoie
pedal steel et le divin Kenny Buttrey à l’aspect inclassable de son
à la batterie. La présence de ce répertoire qui se joue des genres :
dernier est un bonheur, puisqu’au couvrant principalement les décennies
moment de “Time Fades Away”, 1950 à 1970, les morceaux relèvent
il avait été remplacé par Johnny aussi bien du pop-rock (Elton John,
Barbata... Neil Young commence seul Bad Company, Steve Miller Band) que
à la guitare acoustique pour un rare du jazz ou de la musique populaire
“Here We Are In The Years”, extrait américaine, formant la bande son
de son premier album solo, avant arrière sur la grande rue d’une ville de ce qui a façonné son style. Mais, à la Bolan, “Git From Round Me”
de passer au piano pour un sublime de l’Ouest. Entretemps, on aura dansé évidemment, au lieu d’imiter ces renvoie à Metallica et “We Gotta Rise”
“After The Gold Rush”. Le groupe vers la frontière mexicaine (“Sleepy chansons qu’elle écoutait gamine, sonne un peu comme Slade si Shane
rentre ensuite pour cinq extraits de Joe’s Café”), emprunté le “Tucson elle se les approprie avec un culot MacGowan en devenait le leader.
“Harvest” (dont “Alabama”, qu’il Train” et rôdé “Somewhere North phénoménal, car il en faut pour Bien vivant, Jeff Beck fait son show
fallait quand même oser jouer in Of Nashville”. Plusieurs chansons s’attaquer à des ballades du crooner sur “Welcome To The Bushwackers”
situ !). C’est évidemment superbe, semblent grandes (“Stones”, Dean Martin, ou à un standard comme old school’n’roll et qui, parce que
mais les quatre titres restants sont “Hello Sunshine”), d’autres souffrent “Mack The Knife” (immortalisé par ces gens ont les potes qu’il faut,
encore plus extraordinaires : “Time d’un lyrisme appuyé (“Chasin’ Wild Louis Armstrong et Ella Fitzgerald), accueille aussi la voix off de John
Fades Away” et “Don’t Be Denied” Horses”). Reste à voir, sur la durée, et en proposer une relecture inspirée Waters. Sur le plan musical, “Rise”
en versions longues, ainsi que si ce “Western Stars” n’est pas qu’un et mutine : quarante ans après des n’est pas meilleur qu’escompté, mais
deux extraits de “Tonight’s The album acoustique réhaussé par la débuts fracassants (“Chuck E’s pas moins bon. En vérité, le diable est
Night” (alors encore inédit) : malice des arrangements, mais la In Love”), la magie de sa voix dans les détails des paroles, le truc du
“Lookout Joe” et “New Mama”. prise de risques mérite d’être saluée. au swing teinté d’intonations Coop : “Ce que vous ne dites pas n’a
Le tout est à tomber. ✪✪✪✪ ✪✪✪ enfantines opère toujours. pas d’importance de toute façon”.
STAN CUESTA BERTRAND BOUARD ✪✪✪✪ ✪✪✪
H.M. JEROME SOLIGNY
Sommet artistique et commercial S’il est un genre qui a le vent en Ultime opus de l’anthologie des Tout dans le rouge, Plage Vendor
dans la carrière du groupe, ce poupe ces temps-ci, c’est bien le couleurs de Baroness, “Gold & offre au rock’n’roll un ravalement
classique inégalé et plus grand opéra stoner. Les festivals qui y sont Grey” vient achever une œuvre de façade. Parti sur l’énergie
rock de tous les temps aura connu consacrés pullulent, et de nombreux impressionnante entamée en 2007 frénétique de concerts sans fin, le
de nombreuses adaptations. Souvent labels documentent rigoureusement avec “Red”, qui demeure à ce jour ce groupe de Californie du Sud s’est
joué à Broadway et dans le reste l’affaire, comme les excellents Riding que le groupe de Savannah (Géorgie) forgé une réputation à l’ancienne,
du monde, très peu en version Easy, Ripple ou encore Heavy Psych a enregistré de plus puissant. De et fait aujourd’hui vibrer le battant
symphonique, en dehors de la Sounds. Ce dernier, particulièrement puissance, “Gold & Grey” en manque en ramenant dans le paysage insipide
fameuse de 1972. L’excellent dynamique, n’a de cesse d’accumuler quelque peu. Ce nouvel effort tombe un peu de danger et d’excitation.
Budapest Scoring Orchestra et la les signatures, entre nouvelles pousses dans un piège bien connu des amateurs Enregistré aux légendaires studios
partition de David Campbell, l’un prometteuses et légendes des années de rock progressif, celui du disque à EastWest à Hollywood, saisi sur le
des arrangeurs les plus en vue 90 : Brant Bjork, Nick Oliveri ou bien transitions. L’ensemble se retrouve vif par le producteur indie John
d’Hollywood, apportent une fraîcheur Yawning Man. Dernièrement, les donc farci de plages instrumentales Congleton, ce troisième album est
à ce chef-d’œuvre qui vient de extraordinaires Nebula ont rejoint sans intérêt si ce n’est celui de expédié une demi-heure. Dans chaque
fêter ses cinquante ans ! Avec Keith la bande pour une campagne de prolonger artificiellement la durée chanson taillée pour la scène et le
Levenson à la baguette, son complice réédition qui comprenait “To The globale. L’écoute, laborieuse, permet vrillage les tympans, Plage Vendor
depuis de nombreuses années, Center” (1999), chef-d’œuvre de hard de faire la lumière sur l’autre problème parvient à tout résumer en trois
Roger Daltrey réussit une véritable rock enfumé et frontal. Le trio mené de Baroness. Depuis 2013, et un minutes, sans faire penser à un
prouesse. Jamais pompeux ou par Eddie Glass, réuni depuis deux dramatique accident de bus qui a failli groupe précis, mais plutôt à un
indigeste, l’orchestre parvient à toujours ans, ne s’est pas arrêté en si bon être fatal au groupe, John Dyer Baizley état d’esprit, avec des influences
chemin, et en a profité pour usiner allant du proto au post-punk. “New
son sixième album à Los Angeles Comedown” colle direct au mur de
avec Matt Lynch (de Snail), le premier son, et donne envie de le démonter
depuis dix longues années. Ce très brique par brique. Avec ses brusques
attendu “Holy Shit” s’ouvre sur des et bruyantes montées d’adrénaline
bases extraordinaires : l’ébouriffante sur des mélodies qui font tourner la
“Man’s Best Friend”, gavée de wah- tête, les neuf chansons suivantes en
wah, prouve que Nebula n’a rien perdu construisent un particulièrement
de sa sève originelle. La puissance des solide. Vrai showman, Brandon Blaine
morceaux qui suivent est soufflante, est bien soutenu dans son entreprise
phénoménale : “It’s All Over” pourrait de démolition. Toutes chargées de
évoquer la rencontre de Black Sabbath la reconstruction, la basse angulaire
et des Queens Of The Stone Age, mise en avant, la guitare trempée
“Witching Hour” est saignante à jusqu’à la moelle dans la reverb et
Buzzcocks
“A DIFFERENT KIND OF TENSION”
“SINGLES GOING STEADY”
Domino
Daniel Johnston
“FEAR YOURSELF”
Gammon Records
C’EST UNE HISTOIRE DE VETEMENT. Celui que porte Kurt Cobain lors donc en 1990, avant l’affaire du T-shirt, jouit lui aussi d’une grosse cote,
des MTV Video Music Awards, le 9 septembre 1992 : un T-shirt orné d’une largement méritée. Mais après “Fun”, tout le monde lâche l’affaire : reti-
grenouille extraterreste. Marqué dessus : Hi, How Are You — The Unfinished ré dans le sous-sol de ses parents, Daniel Johnston fait peur. Trop chré-
Album — Sept 83, Daniel Johnston. Dès le lendemain, les boutiques de tien, trop gros, trop fou, trop narcissique, il ne voit autour de lui que des
disques et vêtements sont prises d’assaut : une ruée sur les produits Daniel suppôts de Satan. Il ne fait plus rire personne, profitant de sa mise à l’in-
Johnston. Problème : la grande distribution ne dispose pas de ces mar- dex pour enregistrer ses meilleurs albums : “Rejected Unknown” en 1999
chandises, il faut les commander par et “Fear Yourself” en 2003. Deux dis-
voie postale à Jeff Tartakov chez Stress ques qui confirment ce paradoxe : le
Records. Ceux qui reçoivent la cas- lo-fi, c’est super, surtout quand c’est
sette de “Hi, How Are You” pensent bien produit. Torcher une chanson vi-
être en possession d’un chef-d’œuvre te fait dans ses toilettes avec une gui-
oublié des Beatles, ils croient ce que tare en carton et un magnéto une de-
clame le critique du Austin Chronicle mi-piste, ce n’est pas obligatoirement
— “C’est comme si Bob Dylan vous don- un gage de qualité. L’authenticité a
nait ses six premiers albums et vous di- bon dos. Quand Alex Chilton enregis-
sait : ‘Je travaille là-dessus en ce mo- trait avec plusieurs musiciens et un
ment’.” L’album écouté : erreur d’en- producteur dans un vrai studio, il ne
voi ? Pour vérifier, il faut commander se transformait pas en Michael Bolton.
l’autre cassette conseillée par Cobain, “Rejected Unknown” bénéficie de plu-
“Yip/ Jump Music”. Mais non, pareil : sieurs guitaristes, d’un piano, d’un vrai
un cinglé à voix de canard couine des batteur et producteur, de cordes (vio-
histoires sur Casper le gentil fantôme lons et violoncelle), et même d’une
sur fond d’instrumentation ultraprimi- saxophoniste. Johnston parle de son
tive — un clavier manifestement limi- sujet favori : son rejet, alors qu’il
té à deux ou trois touches. A côté, mérite la gloire. Dans “I Lose” : “J’ai
Jonathan Richman, c’est Foreigner. été exclu par les branchés/ J’ai vu à
Pas évident à se cogner, comme toutes quoi ils ressemblaient/ Un groupe de
les cassettes que Johnston a gravées merdeux qui fait sa loi”. Une fois n’est
dans les années 80 (une douzaine), pas coutume, la majorité de l’album
mais l’industrie s’en moque : il faut est fantastique — surtout “Dream
surfer sur cet engouement. Elektra, la Scream”, “Davinare”, “Girl Of My
maison de disques de Mötley Crüe et Dreams”. Quatre ans plus tard, “Fear
Tracy Chapman, veut le signer. Où le Yourself” gravit un échelon supplé-
dénicher ? Elektra finit par obtenir un mentaire — c’est l’œuvre la plus so-
rendez-vous. A l’asile : Daniel Johnston est en HP. La major repart avec la phistiquée du maniacodépressif, et pour cause : Mark Linkous (Sparklehorse)
signature du maboule. Qui rompt dans la foulée le contrat, pour une raison est aux manettes. Il a apporté sa guitare, mais aussi des cordes, cymbales,
logique : Elektra héberge Metallica, groupe qui fricote avec Satan. Atlantic harpe, glockenspiel, thérémin, il a également trimballé son comparse Alan
Photo Frank Mullen/ Wire Image/ Getty Images
saisit l’aubaine, récupère l’artiste, lui fait enregistrer en 1994 l’album “Fun”, Weatherhead avec ses vieux claviers (Mellotron, Chamberlin, Orchestron,
splendide. Il serait illusoire d’espérer un succès à la “Nevermind”, trente célesta). Il y a aussi des cuivres, un synthé et un pedal steel : le disque
millions de ventes, mais s’en approcher reste un objectif raisonnable. bedonnant du bibendum ? Non : si l’on doit ici parler de surproduction,
Verdict : 5800 exemplaires écoulés. La major vire le dingo, déjà passé de alors il le faut également pour les Tindersticks ou “Tonight’s The Night”.
mode — seuls ses T-shirts suscitent l’intérêt (intégrés dans la collection Il n’y a pas que les arrangements : les chansons aussi atteignent des som-
printemps-été 2017 de la marque japonaise Sacai). mets — “Forever Your Love”, “Must”, “Mountain Top”, tout l’album, en
Les albums les plus cités et célébrés de Daniel Johnston restent les deux fait. Qui pourtant a été rejeté du grand public (faut-il le préciser ?) aux
mêmes : “Hi, How Are You” et “Yip/ Jump Music”, enregistrés en 1983, critiques et aux fans, vexés que le fou chantant ne se cantonne pas à ses
ceux pour lesquels le chanteur s’est vu attribuer le titre de génie du lo-fi. cassettes autoproduites. Il leur reste les T-shirts. ★
Des disques remplis de chansons bouleversantes, mais façon Wild Man
Fischer : désaxés, désaccordés, décharnés. Mieux produit, “1990”, sorti Première parution : 25 mars 2003
On ne juge pas un livre à sa couverture. les maisons de disques intéressées par cette
Et un album ? Chaque mois, notre révolution musicale s’annonçant très lucrative,
appliquent néanmoins une politique de lissage
spécialiste retrace l’histoire visuelle pour préserver les bonnes mœurs. Ainsi, les
d’un disque, célèbre ou non. pochettes des turbulents Chuck Berry, Little
Richard, Bo Diddley et consorts ressemblent
à celles des chanteurs de variété que sont
Eddie Fisher, Perry Como, The Crew-Cuts
ou Dean Martin caracolant un dernier instant
en tête des charts avant l’ouragan Presley.
Toutefois, la pochette de l’album “Elvis
Presley” sortie en mars 1956 échappe au
couperet moralisateur. Ce magnifique cliché
en noir en blanc, auquel on rendra hommage
maintes fois, rend visible la débauche d’énergie
du rock’n’roll sur scène. Les pochettes
suivantes d’Elvis afficheront des postures
plus standardisées et moins aventureuses.
Gene Vincent, quant à lui, réussit à s’extraire
de cette nasse normative pour son deuxième
album. Il apparaît en plein effort au premier plan
et ses accompagnateurs, les Blue Caps, sont
saisis par la même pulsion. Outre le placement,
le dress code souligne la structure hiérarchique
— le soliste et le reste des musiciens —
amplifiée par le changement typographique
qui a transformé le pronom possessif habituel
His Blue Caps en un article défini The Blue
Caps, plus impersonnel. Néanmoins, la notion
de groupe n’est pas encore à l’ordre du jour.
Elle sera inventée par les Beatles dont le
nom — jeu de mots entre le rythme (beat)
et les scarabées (beetles) — est une référence
explicite à ces formations musicales des
années 50 et notamment celle de Buddy Holly.
Portant l’emblématique T-shirt blanc sous sa
chemise, Gene Vincent est débraillé. En effet,
il ne porte pas de cravate, de nœud papillon
Multi-instrumentiste
du Vaucluse
On ne soulignera jamais assez l’impact
des premiers morceaux pendant l’écoute
d’un disque : ce sont eux qui influent sur le
jugement de l’auditeur. Si un artiste connu
peut se permettre de différer ses coups
d’éclat et de jouer sur la distance, les
Sur son second album depuis 2013, Son premier album solo réalisé à la
Simon Polaris retient maison permet à Bord de se livrer
instantanément l’attention avec une à une opération de charme d’entrée
superbe introduction (“Je Vais Bien de jeu (“The Chimes Of Freedom”). Il a
Ne T’En Fais Pas”) où sa voix et un du métier (depuis 1990, il a multiplié les
texte attachant sont magnifiés par une expériences dans le rhythm’n’blues et la
mélodie prégnante et des envolées de country) et ça s’entend : avec sa guitare
cuivres. Entre deux incursions dans un voluptueuse et sa voix séduisante, ce
rock plus touffu mais moins personnel, défenseur de la ligne claire a de quoi
ce multi-instrumentiste du Vaucluse, impressionner. Tout au long de ces
entouré de quelques complices, douze morceaux en anglais, son terrain
retrouve par la suite cette veine avec de prédilection reste la ballade et le mid
des chansons qui oscillent entre tempo teinté d’americana, mais il est
dépouillement et luxuriance et qui également à l’aise quand il se laisse
sont mises en valeur par un beau travail aller à de rares accélérations de
de production (“Le Reste Du Monde”, rythme (“For Better And For Worse”,
Hymono Prod, simonpolaris.com). Bord Music, bordmusic.com).
Après une expérience en trio, les deux En activité depuis 1991, le groupe
jeunes frères jumeaux de The Twin strasbourgeois Divin’O a connu
Souls se sont recentrés sur une bien des changements et des
formule à deux qui leur permet de laisser parenthèses créatives depuis ses
libre cours à leur passion pour les Black débuts électroniques. Devenu quintette
Keys, T Rex ou Jack White. En quatre après l’intégration récente d’un
titres et en anglais, les Toulousains ex-Y Front et d’un ex-LTNO, il reste
défendent un rock offensif et vintage, fidèle à son esthétique underground
illuminé par des harmonies vocales très et arty tout au long de ce nouvel album
pop. Et si le final semble un peu décousu puissant et viscéral qui, avec ses voix
tant il est alambiqué, ils prouvent leur malaxées, ses rythmiques assurées
efficacité sur les autres morceaux et ses ambiances très sombres, se
qui vont à l’essentiel, notamment situe au confluent du rock, de l’indus
“All For You”, tendu et obsédant et des musiques électroniques
(“Twin Souls”, Smoky Sun Records / (“The Flowers Which Brood On
Mad, facebook.com/thetwinsoulsband, Divin Opium”, Bliss Garden,
distribution Pias). facebook.com/divino.band.official). ❏
Top 5
que “Chemical Chords”.
“Transient Ramdom- “Mars Audiac Quintet” (1994)
COMPILATIONS Noise Bursts With A l’exemple de “Three-Dee
Dans le cas de Stereolab, les
Announcements” (1993) Melodie”, dans lequel les voix
compilations revêtent un intérêt
McCarthy : “The L’album s’ouvre par “Tone Burst”, combinées de Sadier et Hansen
particulier, car elles rassemblent de
Enraged Will Inherit un puissant mur de son bâti à apportent un contrepoint aérien
nombreux titres uniquement sortis
The Earth” (1990) coups de guitares saturées, aux boucles répétitives de la guitare,
Première véritable association de synthés et de percussions du moog et des percussions,
en singles ou en EP.
de Tim Gane et de Lætitia Sadier. répétitives. Si le chant de Lætitia “Mars Audiac Quintet” offre des
“Switched On” (1992)
Dominé par les sonorités vives Sadier sur “Pack Yr Romantic compositions plus pop, plus
“Refried Ectoplasm (Switched
et aiguës de guitares vibrantes, Mind” évoque celui de Nico homogènes, des mélodies
On Volume 2)” (1995)
en particulier la douze-cordes sur le premier album du Velvet instantanément accrocheuses sans
“Aluminum Tunes (Switched
de Tim Gane, et les textes Underground, “I’m Going Out rien perdre en énergie. “Transona
On Volume 3)” (1998)
revendicatifs de Malcolm Eden, Of My Way” et “Golden Ball” Five” emprunte sa rythmique
“ABC Music : The Radio 1
“The Enraged Will Inherit seraient plutôt des enfants au “Going Up The Country” de
Sessions” (2002), les sessions avec
The Earth” est une merveille de “Sister Ray”. Les dix-huit Canned Heat. Chantés en français,
John Peel à la BBC 1.
de power pop à l’anglaise qui captivantes minutes de “Transporté Sans Bouger”,
“Oscillons From The Anti-Sun”
infuse de la rage et de la beauté “Jenny Ondioline”, entre “L’Enfer Des Formes” et “Des
(2005), coffret trois CD et un DVD.
dans des titres tels que “Use vocaux distanciés et martèlement Etoiles Electroniques” résonnent
“Fab Four Suture” (2006),
A Bank I’d Rather Die”, “And ininterrompu façon Amon Düül, comme de belles réminiscences
compilation de six singles.
Tomorrow The Stock Exchange sont le point d’orgue de l’album. de la new wave des années 80.
“Serene Velocity” (2006),
Will Be The Human Race”, “Now
les années Elektra.
Is The Time For An Iron Hand”.
Catcheuse prolo
Tolkien
Yves
Teen Spirit
The Perfection
Sa Brigitte Macron
Fosse/ Verdon
Bob Fosse a été l’un des plus grands Jonglant avec les allers-retours constants entre le Verdon” s’inscrit aussi dans son époque — fin des
chorégraphes du monde. Ses ballets, modernes, passé (la rencontre Fosse/ Verdon et leur histoire sixties/ début des seventies — à travers quelques
entraînants et jazzy, étaient dans la lignée de ceux de d’amour naissante) et le présent (les castings, les références aux films du moment, que ce soit (dans
Jerome Robbins (monsieur “West Side Story”) avant répétitions, le montage difficile de “Cabaret”), la série les dialogues) avec “Le Survivant”, classique du
d’inspirer à son tour les déhanchements de Michael de Steve Levenson et Thomas Kail s’immisce dans cinéma de science-fiction de l’époque ou (via un
Jackson. La chaîne américaine FX propose donc un la relation compliquée du couple, le tout saupoudré court extrait) “Gorge Profonde”, premier porno officiel
biopic sur le cultissime danseur, metteur en scène de miniballets tonifiants censés apportés des virgules de l’histoire du cinéma. Des références évidemment
et réalisateur de génie. On ne saura pas grand-chose entre les scènes dramatiques. A vrai dire, “Fosse/ pas innocentes puisque Bob Fosse, constamment
(en tout cas sur les quatre premiers épisodes visionnés) Verdon” semble stylistiquement inspiré par le génial épuisé par les affres de son quotidien semble toujours
sur ses débuts à Broadway dans les années 50 et “All That Jazz”, troisième long métrage de Bob Fosse, en état de survie tout en se shootant régulièrement
ses petits rôles dans une poignée de films durant qui, en racontant le parcours professionnel et amoureux au sexe. “Fosse/ Verdon” repose aussi et surtout sur
l’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne. d’un chorégraphe accro aux amphétamines et à la clope son formidable duo d’acteurs toujours aussi à l’aise
En fait, la série est centrée sur son histoire d’amour (joué par Roy Scheider) décrivait en fait totalement dans le copier-coller de personnages ayant existé.
sentimentalement compliquée mais professionnellement sa propre vie. “All That Jazz” et “Fosse/ Verdon” La preuve : Michelle Williams (Gwen Verdon), fut déjà
créatrice avec Gwen Verdon, reine des planches à partageant, au final, un même esprit de mélancolie un incroyable clone de Marilyn Monroe dans “My Week
Broadway dans les années 50 et 60 et qui fut, au-delà profonde et la quête d’un absolu mystérieux. Celui, With Marilyn” tandis que Sam Rockwell, en Bob Fosse
de leur love story psychotique, son indispensable muse impalpable et utopique, qui sembler aller au delà de plus vrai que nature, incarnait déjà formidablement
et ange gardien. La femme dans l’ombre de son travail, l’amour et de la gloire mais que Bob Fosse ne saisit George W Bush dans l’excellent “Vice” d’Adam
sa conseillère chérie, son inspiratrice première sans jamais. Pour les cinéphiles aux aguets, “Fosse/ McKay (en replay sur Canal+ Série). ❏
qui il ne serait rien. Sa Brigitte Macron en quelque
sorte. “Fosse/ Verdon” commence à la fin des années
60 alors que Bob Fosse vient de réaliser son premier
long métrage, “Sweet Charity”, adaptation musicale
des “Nuits De Cabiria” de Fellini où, malgré son
Zombie (ESC)
Tout fan de film d’horreur qui se respecte connait par cœur la taille
charme endiablé, Shirley MacLaine a du mal à exacte des moindres lambeaux de peau arrachée dans le “Zombie” de
booster cette romance à l’eau de rose. Malgré les George Romero et Dario Argento, classique absolu du gore festif. Après
chorégraphies bien senties de Fosse, “Sweet Charity” de nombreuses sorties collector en DVD puis Blu-ray, “Zombie” ressort
se plante au box-office. Un des plus gros bides du pour la énième fois à l’occasion de sa quarantième année d’existence.
cinéma hollywoodien des sixties... Dépité, semi- Mais cette fois en 4K, histoire de compter les globules contenus dans
dépressif, Bob Fosse doute de lui, malgré son talent, chaque goutte de sang visible à l’écran. Avec, évidemment, une cascade
et trompe régulièrement sa Verdon avec certaines de de bonus, navigant entre la version director’s cut du film, commentaires
ses danseuses, quitte parfois à se comporter comme audio et interviews des acteurs, du musicien Claudio Simonetti et de spécialistes du genre. Et
un Harvey Weinstein. Pour enfin trouver, en 1972, même du regretté Benoît Lestang, parrain des effets spéciaux de maquillage made in France
pour qui la vision de “Zombie”, à l’âge de 14 ans, changea définitivement le cours de sa vie.
la consécration internationale avec son deuxième
long métrage, “Cabaret”, qui récolte huit Oscars.
Carole King
“LIVE AT MONTREUX 1973”
Eagle Vision
Le monde des gens se divise en deux. Ceux à qui la prestation d’Aretha Franklin en
train de chanter “You Make Me Feel (Like A Natural Woman)” en hommage à Carole
King au Kennedy Center en 2015 fait systématiquement verser une larme, et les
autres. Le monde des songwriters se divise aussi en deux : ceux (ou celles) qui
ont été capables d’écrire une ou plusieurs chansons de cette valeur et les autres.
Au décès de Franklin en août 2018, ce clip de “You Make Me Feel (Like A Natural
Woman)” a tourné en boucle sur les réseaux sociaux et certains ont découvert
que King avait composé le morceau. La parution en DVD, CD et album vinyle de
son passage de 1973 par le festival de Montreux (c’est la première fois qu’elle
se produisait ailleurs qu’en Amérique) est prétexte à ce coup de projecteur sur la
lauréate du Library Of Congress Gershwin Prize For Popular Song, attribué depuis
2007 à l’élite des songwriters mondiaux. Paul Simon, Stevie Wonder, Paul McCartney
et Burt Bacharach (et Hal David) l’ont précédée, mais elle est la première femme à
avoir reçu ce prix. On peut lire l’histoire de Carole King comme un rêve américain
mais, en vérité, son magnifique parcours est celui d’une musicienne humble qui se
destinait à l’ombre et, finalement, a su s’accommoder de la lumière. Originaire de
Brooklyn et véritable éponge à musique (enfant, elle écoutait autant Elvis Presley que
de l’opéra), elle publie son premier single en 1958, avant de s’épanouir pleinement
au contact de Gerry Goffin, un parolier particulièrement inspiré qu’elle épousera à
l’âge de dix-sept ans. Pour subvenir à ses besoins, le jeune couple se met à écrire
des chansons en espérant qu’elles séduiront un ponte de Tin Pan Alley, le quartier
new-yorkais des éditeurs de musique avec qui les directeurs artistiques de maisons
de disques, toujours en recherche de titres catchy pour leurs artistes (débutants ou
confirmés), font affaire. A la fin des années 50, King et Goffin signent avec Aldon
Music et vont enchaîner une série de tubes pour les autres : “Take Good Care Of
My Baby” (Bobby Vee), “Crying In The Rain” (les Everly Brothers), “Will You Love
Me Tomorrow” (les Shirelles), “Chains” (qui sera reprise par les Beatles sur leur
Alors qu’une nouvelle version de “Apocalypse Now” se profile à l’horizon, une BD inédite en
France, “Vietnam Journal” (Delirium), réalisée par Don Lomax dans les années 80
débarque dans les bacs. Vétéran de la guerre du Vietnam, Lomax a imaginé les aventures de
Scott Neithammer, un reporter de guerre qui atterrit à Saigon en 1967.
A son arrivée, l’homme est persuadé que l’oncle Sam apporte la paix,
la sérénité et la technologie nécessaire au bon peuple vietnamien dans
sa lutte contre le communisme. Evidemment, au bout de quelques
allers-retours en hélicoptère au-dessus des rizières, le reporter
s’aperçoit que la robe de son destrier est tout sauf blanche.
Dessiné dans un style mêlant réalisme et grotesque, l’ouvrage
dresse un constat affligeant de toutes les erreurs commises
au Vietnam par le gouvernement américain. A lire en écoutant
“Machine Gun Etiquette” des Damned pour conserver le décalage.
Hervé Bourhis s’est fait connaître dans ces colonnes avec quelques publications bien
vues sur le monde du rock. Ce coup-ci, il sort des sentiers battus avec un thriller écolo-
politique choc, “Et Nos Lendemains Seront Radieux” (Gallimard BD).
Derrière un trait plutôt bon enfant, le dessinateur embarque le lecteur dans une histoire
sérieuse qui met en scène une prise d’otage présidentielle dans les murs du fort de
Brégançon. En 1999, la petite Marion vit tranquillement dans une ferme au fin fond
de l’Aveyron. Un beau jour d’été, alors qu’elle est chargée de vérifier l’état des ruches,
elle découvre avec horreur que toutes ces travailleuses du miel sont mortes. Vingt
ans plus tard, Marion et son frère Sylvain font partie de l’entourage de la nouvelle
présidente de la République. Alors qu’un orage coupe l’alimentation électrique
et isole la présidente, les deux la prennent en otage pour l’obliger à revoir sa
politique écologique. Rondement mené, ce huis clos déroule son intrigue haletante
sur fond de collusions entre élites formatées et gros pollueurs de l’industrie. ❏
La Danse Des Infidèles ne laissait plus transparaître son prodigieux talent, au Le suicide de Paudras, quelques années après la
— Bud Powell à Paris point que plus personne n’espérait encore d’amélioration parution du livre, ajoute un triste post-scriptum à ce
FRANCIS PAUDRAS de son état. Bouleversé par tant de déchéance et de témoignage exceptionnel sur ces deux hommes, unis
Le Mot Et Le Reste désespoir, Paudras prend le musicien sous son aile, par une amitié hors-normes et habités par le jazz,
“Parce que c’était lui, parce que c’était moi” aurait pu l’héberge, le soigne et de fait, l’adopte. Bud Powell n’était cette dévorante obsession qui emporta leurs vies.
écrire Francis Paudras à propos de son extraordinaire hélas pas qu’alcoolique : des troubles mentaux pour le
amitié avec le pianiste de jazz Bud Powell. Extraordinaire moins mal diagnostiqués compliquaient sa situation et
parce que, a priori, rien ne rapprochait ce jeune faisaient de lui, déjà abruti par des médicaments trop British Invasion
banlieusard fou de jazz et le dieu vivant du piano venu puissants, la proie facile des profiteurs et de leurs abus. — Pop Save The Queen
tout droit de son Harlem natal. Extraordinaire aussi S’ajoutera à ça la tuberculose, les ennuis financiers et la VALLI & STEPHEN CLARKE
parce que leur lien fut si étroit et leur amitié si fidèle réputation détruite à reconquérir. Si cette histoire évoque GM Editions
qu’elle transforma profondément leur vie à jamais. un truc, c’est normal. C’est de ce récit que s’inspira Non content de nous insulter sous le couvert
Quand Francis Paudras rencontra Powell à Paris en Bertrand Tavernier pour son film “Autour De Minuit” et fallacieux de l’humour depuis de nombreuses années
1959, il était déjà obsédé par la musique et, dessinateur s’il changea le piano de Powell pour le saxophone de dans ses ouvrages narquois sur notre belle terre de
débutant, passait le plus de temps possible à écouter Dexter Gordon, il en garda la trame et les personnages. France, l’écrivain britannique Stephen Clarke vient
ses idoles, ces jazzmen américains qui jouaient Histoire d’une passion folle tout autant qu’une histoire maintenant nous narguer et saper le moral du pays
régulièrement dans les clubs parisiens, au premier d’amitié, le livre de Paudras raconte aussi tout un tout entier avec cet insolent étalage de pop-culture
rang desquels il plaçait ce Bud Powell qu’il idolâtrait pan de l’histoire de la musique en France, quand les d’outre-Manche qu’il ose présenter sous le titre
littéralement. Powell, génie novateur du piano et du jazz, jazzmen américains, rarement prophètes en leur pays, le plus belliqueux depuis la guerre de cent ans :
ne vivait pas alors ses meilleures heures et, tombé sous trouvaient ici considération, boulot et un racisme moins “British Invasion”. Dialoguant au fil des pages avec
la coupe cruelle de sa fausse épouse et manageuse, institutionnel et moins oppressant. Si Bud Powell ne Valli, notre Américaine préférée depuis son Chagrin
il titubait plus qu’il ne jouait et rien, ou presque, fut pas le seul parmi eux à se perdre corps et âme, D’Amour, la manœuvre est claire, nous humilier,
son véritable génie musical fait de son cas funeste chapitre après chapitre, en soulignant l’importance
un éclatant exemple, hélas, tout à fait représentatif des artistes britanniques dans leurs domaines
des pires traitements subis par les Noirs américains. respectifs. Certes, nos perfides voisins ont inventé
TOP 5 Harcelés par la police, méprisés par les patrons de
clubs, escroqués par leurs labels, tenus à l’écart à
la pop music, James Bond, la minijupe, Damien Hirst,
Harry Potter, les Monty Python, Alexander McQueen
LIVRES MUSIQUE
(source Gibert Joseph)
cause de leur couleur de peau, mal défendus par leurs
avocats, les musiciens les plus célèbres n’étaient pas
et, donc, révolutionné la musique, l’art, le cinéma,
la mode, l’humour, sans oublier la télévision et la
à l’abri des mêmes discriminations que leurs plus littérature mais la reine y est-elle vraiment pour
01 “De Fringues, De Musique Et De Mecs” obscurs frères. L’extrême fragilité de Bud Powell, sa quelque chose, comme essaie de nous le faire
VIV ALBERTINE (Plon) vulnérabilité, sa candeur touchèrent Paudras tout autant avaler ce sujet britannique qui avance masqué
que sa musique et, pour le fan ultime qu’il était, essayer pour mieux cacher son prosélytisme monarchiste ?
02 “Encore Plus De Bruit, L’Age D’Or de le sauver prit le pas sur toute sa vie et devint une Suivant cette logique, c’est notre république qui nous
Du Journalisme Rock En Amérique...” mission sacrée. Mission douloureuse et perdue d’avance aurait condamné à Johnny Hallyday, “La Boum”,
MAUD BERTHOMIER (Tristram) pour laquelle Paudras sacrifia beaucoup, sa famille, Marc Levy et Michel Leeb ? De quoi faire réfléchir
03 “Stoner, Blues For The Red Sun” semble-t-il à le lire même si il ne le dit pas ainsi et des en effet, tant la lecture de ce beau livre rappelle,
JEAN-CHARLES DESGROUX (Le Mot Et Le Reste) années douloureuses quoique riches d’expériences à chaque page et à travers chaque thème, à
extraordinaires et de magiques musiques qu’il eut bien quel point les Britanniques ont changé notre
04 “Woodstock, 3 Jours De Paix sûr le bon sens d’enregistrer. Rarement — jamais ? — monde et ont finalement maintenu et agrandi un
Et De Musique” MIKE EVANS (Martinière) un fan sera allé aussi loin par amour de la musique empire sans frontières. De là à leur pardonner
05 “Just Kids” PATTI SMITH (Gallimard) et jamais une telle passion faite d’admiration pure Azincourt et conséquemment Cabrel, c’est
n’aura été scrutée et exposée si candidement. encore un gros one step beyond. ❏
TOP15 Paris
VINYLES
MAI 2019 29 JUIN de Vincennes) ● Jonsi & Alex Somers
JUIN Brigitte (Casino de Paris) ● Tom Jones (Philharmonie) ● Limp Biszkit (Olympia)
21 JUIN (Salle Pleyel) ● Koffee (Maroquinerie) ● J Mascis (Dinosaur Jr) (Maroquinerie)
Bad Wolves (Maroquinerie) ● Die Antwoord, ● Ozuna (Zénith) ● Vanessa Paradis ● Muse, Mini Mansions, Weezer et Swmrs
Hocus Pocus, Lomepal, Moha La Squale, (Olympia) ● Rammstein (La Défense (Stade de France) ● Milton Nascimento
The Blaze, Vladimir Cauchemar, Macklemore, Arena, complet) ● 2TH (1999) (Casino de Paris) ● Rod Stewart (Bercy)
Niho... (Hippodrome de Longchamp) ● ● 2TH (Boule Noire)
Shelterside et Haigonauts (Bus Palladium) 30 JUIN
● ZZ Top et Richie Katzen (Seine Musicale) Vanessa Paradis (Olympia) 7 JUILLET
Jonsi & Alex Somers et Thom Yorke
22 JUIN (Philharmonie) ● Ministry (La Machine
Gary Clarke Jr (Cigale) ● Koba Lad, Dadju, JUILLET du Moulin Rouge) ● Rolling Blackouts
Salut C’Est Cool, Groundation, John Butler Costal Fever (Point Ephémère)
Trio, Minuit, Le Camion Bazar, Anetha, 1er JUILLET
01 RAMMSTEIN Therapie Taxi (Hippodrome de Longchamp, Corrosion Of Conformity, Desert Storm 8 JUILLET
complet) ● The Intelligence et Flatworms et Witchfinder (Glazart) ● Vanessa Gossip (Salle Pleyel) ● Jessie J (Trianon)
“Rammstein” Universal (Maroquinerie) ● Vanessa Paradis (Olympia) Paradis (Olympia) ● Walk Off The Earth (Olympia)
● Thom Yorke (Philharmonie)
02 QUEEN 23 JUIN 2 JUILLET
“Greatest Hits” Universal Angèle, Suprême NTM, Parcels, Talisco, Fantastic Negrito (New Morning) 9 JUILLET
Guts, Corine, Clea Vincent, J.Baldwin ● Interpol (Olympia) ● Joe Jackson (Cigale) Doolayz, Vex et Gang de Zouaves
03 QUEEN (Hippodrome de Longchamp) ● Band-Maid ● Napalm Death (Gibus) (Dame de Canton) ● Charlotte Gainsbourg
“Soundtrack : Bohemian (Trabendo) ● Fever 333 (Maroquinerie) (Philharmonie) ● Gossip (Bataclan)
Rhapsody” Universal ● Vanessa Paradis (Olympia) 3 JUILLET ● Poison Idea et Grindhouse (Gibus)
● Little Steven (Cigale) Bon Entendeur, Stephan Eicher, Etienne
04 QUEEN De Crécy, Radio Elvis et Léonie Pernet 10 JUILLET
“Greatest Hits II” Universal 24 JUIN (Parvis de l’Hôtel de Ville) ● Converge (La Catastrophe (Safari Boat, quai St-Bernard)
Adele Belmont Quartet & Friends Machine du Moulin Rouge) ● Leto, Cheu-B ● Empire Of The Sun (Casino de Paris)
05 STRAY CATS (New Morning) ● Billy Corgan (Trianon) + Chanje Obj et Daks Le Vrai (Petit Bain) ● Daryl Hall & John Oates (Salle Pleyel)
“40” Wagram ● Vanessa Paradis (Olympia) ● Alien Weaponry (Les Etoiles) ● Vendredi Sur Mer, Herve, Johan
● Velvet Negroni (1999) Papaconstantino, Nelick, Muddy
06 SUPERTRAMP 4 JUILLET Monk et Joanna (Philharmonie)
“Breakfast In America” 25 JUIN Boogarins (Boule Noire) ● Christina Aguilera
Universal
Brigitte (Casino de Paris) ● Flamin’ (Bercy) ● Cat Power et H-Burns (Philharmonie) 11 JUILLET
Groovies (Petit Bain) ● The Jacksons (Palais ● Eddy de Pretto, Suzanne, Bertrand Belin Full Of Hell et The Body (Gibus)
des Sports) ● Joan (1999) ● Love & et Roni Alter (parvis de l’Hôtel de Ville) ● Kraftwerk 3D (Philharmonie)
07 CHRISTOPHE Revenge et 47 Soul (Cabaret Sauvage) ● Martha High & The Soul Cookers et Omar ● John Zorn Bagatelles (Salle Pleyel)
“Christophe etc.” Universal ● Vanessa Paradis (Olympia) ● Dan (New Morning) ● Amber Mark (Les Etoiles)
Tepfer (Café de la Danse) 12 JUILLET
08 JJ CALE 5 JUILLET Kraftwerk 3D (Philharmonie)
“Stay Around” Universal 26 JUIN Battle Of The Bands (Les Etoiles) ● Lucky Peterson (New Morning)
A$AP Rocky (Zénith) ● Brigitte (Casino ● The B-52’s (Olympia) ● Charlotte
09 LADY GAGA de Paris) ● Chilly Gonzales (Trianon) de Witte, Modelselektor, Bicep, Oktober 13 JUILLET
& BRADLEY COOPER ● Magma (Philharmonie de Paris) ● Nouvelle Lieber, Mount Kimbie, Derrick May, Chloe et Apparat (Philharmonie)
“Soundtrack : A Star Is Born” Conscience (Boule Noire) ● Pigalle Rodhad, I Hate Models, Miss Honey Dijon,
Interscope (Maroquinerie) ● Fred Wesley & Bjarki, Jardin, Lorenzo Senni, Denis Sulta, 15 JUILLET
The New JB’s (New Morning) Elena Colombi et Interstellar Funk Blood Orange (Elysée Montmartre) ● Nahko
10 RAGE AGAINST (parc floral du Bois de Vincennes) ● Fatboy and Medecine For The People (Maroquinerie)
THE MACHINE 27 JUIN Slim (Jockey Disque) ● Herve, Johan
“Rage Against The Machine” A$AP Rocky (Zénith) ● The Beach Boys Papaconstantino, Canine, Agoria 16 JUILLET
(Olympia) ● Brigitte (Casino de Paris) et Anna Calvi (parvis de l’Hôtel de Ville) Action Bronson (Elysée Montmartre)
Sony Music
● Dead Boys et The Ghost Wolves (Petit ● Martha High & The Soul Cookers ● Aly & Aj (Maroquinerie)
Bain) ● Chilly Gonzales (Trianon) ● Arma et Omar (New Morning) ● Pantha Du Prince
11 VAMPIRE WEEKEND Jackson (Boule Noire) ● Quincy Jones (Cité de la Musique) ● Mavis Staples (Cigale) 17 JUILLET
“Father Of The Bride” (Bercy) ● Frédéric Lo, Bill Pritchard & H2O, Battery et Sharp/Shock (Gibus)
Sony Music Friends (Café de la Danse) ● Midnight Oil 6 JUILLET ● Skunk Anansie et Allusislove (Cigale)
(Grand Rex) ● Les Satellites (Maroquinerie) Jon Hopkins, The Black Madonna,
12 CRANBERRIES Nicola Cruz, Helena Hauff, Octavian, 18 JUILLET
“In The End” Warner 28 JUIN Motor City Drum Ensemble, Josey Rebelle, Neurosis (Bataclan)
Brigitte (Casino de Paris) ● La Dispute Daphne Aka Caribou, Yaeji, Robert Hood,
13 ROLLING STONES (Trabendo) ● Tom Jones (Salle Pleyel) Len Faki, Clara!, Hunee, Overmono, 20 JUILLET
“Honk” Universal ● Rammstein (La Défense Arena, complet) DJ Brucz et Debonair (parc floral du Bois Jain, Orelsan, Twenty One Pilots, Skip The
14 MICHAEL JACKSON
“Thriller”Sony Music
15 DAFT PUNK
“Discovery”
Prévisions Paris ///////////////////////////
Alice Cooper : 20/9 (La Seine Musicale), Pip Bloom : 5/10 (Point Ephémère), Deafheaven & Touché Amoré : 5/10 (Trabendo), Sebadoh : 7/10 (Petit
Warner
Bain), Bill Callahan : 5/10 (Cigale), Ty Segall : 9 et 10/10 (Cigale), Airbourne : 19 et 20/10 (Cigale), The Divine Comedy : 28/10 (Salle Pleyel), Aldous
Harding : 12/11 (Cigale), Yarol : 1/11 (Cigale), Vampire Weekend : 16/11 (Zénith), Dweezil Zappa : 2/12 (Cigale), Madonna : 19/2/20 (Grand Rex)
JUILLET
Province
JUIN
● Eagle-Eye Cherry et Lucky Peterson : 19,
Vence (plein air) ● Garbage : 4, Albi (base de
loisir de Pratgraussals) ● 6, Cognac (Jardin
Publc) ● 11, Aix-les-Bains (esplanade du lac)
● The Blackstone Co. : 29, Marseille ● Gossip : 10, Ramonville (Bikini) ● Harper :
(Molotov) ● Dogfries et Lecks Inc. : 27, 1er, Vienne (théâtre antique, avec Zac Harmon)
La Penne-sur-Huveaune (Cherrydon) ● 4, Albi (base de loisir de Pratgraussals,
(théâtre romain de Fourvière) ● 28, Ruoms Delgres) ● Interpol et Idles : 1er, Lyon
(Suneliza Aluna Vacances, ● 30, Chessy (théâtre antique de Fourvière) ● King Crimson
(parc du Bicheret) ● Al Mc Kay’s Earth et Magma : 2, Lyon (théâtre antique
Wind And Fire Experience et The Beach de Fourvière) ● 16, Juan-les-Pins (pinède
Boys : 26, St Vulbas (Polo Club de Lyon) Gould) ● King King, Midnight Oil et John
● New Order : 28, Lyon (théâtre antique Butler Trio : 11, St-Julien-en-Genevois (
de Fourvière) ● Thérapie Taxi, -M-, stade des Burgondes ● ZZ Top : 6, Argelès
Raqoons et Dionysos : 28, Ruoms ( (parc de Valmy) ● 8, Maxéville (Zénith) ●
Sunelia Aluna Vacances) ● ZZ Top : 22, 10, Esch-sur-Alzette (L, Rockhall)
Photo DR
Boogie terminal
Desertfest London
3 AU 5 MAI, CAMDEN (LONDRES)
Au nord de la capitale Britannique avait lieu la huitième édition The Roundhouse, superbe salle circulaire
aux élégants piliers qui a vu défiler
de ce stupéfiant festival dédié au rock stoner, sludge, doom... quelques légendes (Rolling Stones, Jimi
Sis dans le bouillonnant quartier de le power trio californien The Shrine, d’une Hendrix, Led Zeppelin). Après les suisses
Camden, le festival Desertfest est devenu classe rock’n’roll extraordinaire, et les de Earthless, versés dans l’improvisation,
un rendez-vous prisé des amateurs de hallucinants RIP, dont le frontman est une viennent les attendus Witch, quartette
stoner. Autre originalité, il se partage entre sorte d’Iggy Pop chicano armé d’une faux sabbathien mené par Kyle Thomas (alias
plusieurs salles, très proches les unes des dissimulant un micro... Le deuxième jour, King Tuff), avec Jay Mascis aux fûts. Bien
autres, de différentes tailles. Le premier la foule se presse à l’Electric Ballroom qu’un peu rouillés — ils n’ont pas joué
jour est riche en découvertes, avec le doom pour déguster le stoner progressif des depuis quatre ans — les gonzes sont
metal sombre et racé d’Alastor, le punk Ukrainiens de Stoned Jesus et le sludge toujours capable de faire frissonner avec
frénétique des Zig Zags, les euphorisants atmosphérique d’Amenra. Entre les l’intense “Rip Van Winkle” et le boogie
Great Electric Quest ou encore Electric deux, Kadavar a livré une performance terminal de “Seer”. C’est ensuite le tour
Citizen, dont la chanteuse arbore extrêmement puissante, les trois barbus des majestueux All Them Witches, dont le
combinaison de cuir façon Suzi Quatro explorant désormais des territoires space blues halluciné et cosmique est toujours
et moue dédaigneuse. La palme est pour rock. L’ultime journée permet de visiter aussi passionnant, avant un final musclé
par les très cultes Fu Manchu, qui assènent
une monstrueuse reprise de “Godzilla” en
guise de rappel. Ce marathon de décibels
s’achève avec les rugueux High Reeper, les
excellents Norvégiens Devil & The Almighty
Blues, qui évoquent Graveyard et, enfin,
la légende Nick Oliveri avec Mondo
Generator, qui gratifiera de versions
échevelées des classiques “Gonna
Leave You” et “Green Machine”.
JONATHAN WITT
RIP
We Love Green
1ER ET 2 JUIN, BOIS DE VINCENNES (PARIS)
Entre les arbres et les stands de nourriture healthy, le festival parisien soixante, que l’on espère voir s’épanouir
proposait une affiche un peu plus moderne que la moyenne. plus tard dans un endroit à la hauteur de son
talent. Dimanche, après la reine Erykah Badu
Les 955 hectares verdoyants du bois de qui fit réellement bouger le public reprenant et une performance de velours accompagnant
Vincennes accueillaient la huitième édition en chœur les refrains entêtants, et avant la le coucher du soleil, la tête d’affiche du
du festival le plus écolo de Paris et un public leçon de société tabassée par les Sleaford festival Tame Impala n’a pas été à la hauteur
avide de son, de bonnes vibrations et d’alcool Mods et leur accent tout droit sorti de la de l’événement... mais au-dessus ! Que ce
bio, le tout sous un soleil de plomb et une série “Peaky Blinders”. L’artiste anglaise soit avec les morceaux de “Currents” ou des
météo caniculaire qui accompagna tout le FKA Twigs semblait être l’inconnue du anciens albums, le groupe psyché Australien
week-end des festivaliers en chemises grand public ce samedi (et ce malgré ses a réuni pendant une heure et demie les fans
hawaïennes, shorts et couronnes de fleurs. 1,3 millions de followers Instagram) mais la des débuts et les jeunes groupies dans une
Retour sur quelques artistes surprenants, fosse, pleine de badauds curieux, fut captivée transe qui a duré bien trop peu mais qui
attendus ou iconiques qui ont animés ce musicalement et visuellement dès les cinq offrait une parfaite conclusion au festival
Photo Romain Bassenne-DR
Nous Aimons Le Vert. Aya Nakamura, connue premières minutes. Drapée des plus belles sur la grande scène avec un rappel tardif
pour son gimmick “Djadja” et son aversion parures et baignée d’une lumière bleutée, elle et inattendu où tout a explosé : exaltation,
pour les mots de la langue française, laissait terminait en apothéose avec un show de pole tympans et confettis. Faisant oublier le
augurer du pire. On craignait pour la jeune dance mettant l’audience en ébullition. Petite fait que lundi, c’était le lendemain...
artiste, mais on assista à un véritable show scène pour une petite artiste d’un mètre H. SEREINNAT
Absolutely live PAR MATTHIEU VATIN
Elégance et mauvais goût
Metallica
12 MAI, STADE DE FRANCE (SAINT-DENIS)
L’antre de France 1998 est déjà bien
remplie quand les Suédois masqués de Ghost
prennent d’assaut la scène, avec leur heavy
metal mélodique (“Dance Macabre”), teinté
de satanisme grand-guignol — le sommet
étant atteint avec la venue d’un pape en tenue
dorée pour jouer un solo de saxophone sur
“Miasma”. Puis, c’est le tour de Metallica,
mené par un James Hetfield en pleine forme,
les cheveux grisonnants. Lars Ulrich est un
peu moins fringant, et semble peiner parfois
pour les morceaux les plus rapides, comme
les très acclamées “Ride The Lightning”,
“One” ou “Master Of Puppets”. La foule aura
même la surprise d’entendre Robert Trujillo,
accompagné par Kirk Hammett, entonner
“Ma Gueule” dans un français approximatif,
en hommage à Jean-Philippe Smet. La setlist
fait la part belle au récent “Hardwired... To
Self-Destruct” et à l’album noir, et s’achève
au bout de deux heures par la venimeuse
charge de “Seek And Destroy”, avant un
Photo Elodie Chapuis
Jon Spencer & The Hitmakers pour une petite heure de bordel rapologique. L’attente colossale est vite oubliée dès
17 MAI, MAROQUINERIE (PARIS) Surprise : le décédé Ol’ Dirty Bastard est l’intro sauvage de “Consoler Of The Lonely”
Jon Spencer a réinventé la roue depuis le remplacé par... son fils Young Dirty Bastard, et, à défaut d’harmonies vocales, le débit
milieu des années 80, puis s’est pris les doigts guère convaincant. Après un greatest hits en mitraillette de l’ancien Bande Blanche répond
dedans au début du siècle lorsque le rock a été mode aléatoire, le collectif s’en va sur le mal idéalement à Benson. Ça récite ses gammes
déclaré officiellement de retour. Bien lui en a nommé “Triumph”, en version zappée comme blues jouées à l’os, tandis que la prodigieuse
pris. De New York et ce soir depuis Paris, sa le reste des morceaux. Bilan : Public Enemy section rythmique Lawrence/ Keeler insuffle
musique blues déstructurée sonne mieux que numéro un, en 2019 comme en 1990. le groove nécessaire pour aérer les solos
jamais, et il vient réclamer son dû tout en OLIVIER CACHIN à l’unisson. “Sunday Driver” et “Now
délivrant un message explosif où il s’agit de That You’Re Gone” en nouveautés sont
sauver la planète. Accompagné de la fine unanimement accueillies avant que l’obsédant
fleur underground américaine, de Bob Bert à Giorgio Moroder tube power rock “Steady As She Goes”
la batterie métallique (qui jouait avec lui dans 22 MAI, GRAND REX (PARIS) et la bluette “Blue Veins” concluent cette
Pussy Galore), et de Sam Coomes aux claviers Le Macumba de Juan-les-Pins ? L’Eurovision soirée royale et rappellent combien ces
(qui a joué avec Elliott Smith), Jon Spencer a les en Russie ? La fête de la saucisse près Bonimenteurs prêchent la bonne parole.
hits et marque même l’arrêt sur “Roadrunner” de Munich ? Ah non, nous sommes au Grand MATTHIEU VATIN
des Modern Lovers. Toujours numéro un, Rex. Les premiers morceaux sont terrifiants
et sans aucun temps mort à signaler. de kitch. Et puis, le charme opère — la pop,
VINCENT HANON et plus encore le disco, n’ont que faire du bon Alice In Chains
goût. Treize musiciens et chanteurs sur scène, 28 MAI, OLYMPIA (PARIS)
le papy moustachu au centre, derrière ses Dès le premier titre, une belle version
Gods Of Rap machines, bonhomme, entraînant, à lancer du classique “Bleed The Freak”, le quatuor
(Wu-Tang Clan, Public Enemy, De La Soul) ses chefs-d’œuvre : “Call Me”, “I Feel de Seattle prend le public de l’Olympia
17 MAI, ACCORHOTELS ARENA (PARIS) Love”, “Chase”, “Love To Love You Baby”... à la gorge. Impérial, Jerry Cantrell balance
Age d’or ou réunion d’anciens combattants ? Pour “Cat People”, l’Italien a l’élégance ensuite le monstrueux riff d’intro de “Check
Affiche alléchante en tout cas pour ce brelan de garder le chant préenregistré de Bowie. My Brain” histoire de crucifier une salle
new-yorkais : De La Soul, Public Enemy et le Frissons d’outre-tombe. Elégance et mauvais aussi pleine que grisonnante. La messe
Wu-Tang Clan, avec en bonus DJ Premier de goût : un cocktail paradoxal, anachronique, est définitivement dite avec une version
Gang Starr pour assurer les transitions avec des pour un résultat incongru, magnifique. lovecraftienne de “Again”. Lourd comme
cuts garantis old school. De La Soul ouvre le BENOIT SABATIER un pogo de Sasquatch, le set d’AIC se divise
bal et peine à séduire, suivi de Public Enemy, ensuite entre totems grunge (“Would?”,
dont le leader Chuck D enchaîne les classiques “Them Bones”, “Dam That River”, “Nutshell”)
sans discontinuer, de “Bring The Noise” à The Raconteurs et titres du nouveau millénaire, en particulier
“Fight The Power” en passant par “Shut ’Em 26 MAI, OLYMPIA (PARIS) de “Rainier Fog”, l’impeccable dernier
Down” et “Don’t Believe The Hype”, sur des Une décennie après leur unique passage francilien album du combo (“The One You Know”,
instrumentaux balancés par DJ Lord. La salle à Rock En Seine, le supergroupe emmené par “Red Giant”). Superbe du début à la fin, le
est pleine et la tension est à son comble quand Jack White et Brendan Benson est enfin de retour concert retrace le parcours exceptionnel et
débarque le Wu-Tang, sans Method Man mais sur les planches et bientôt dans les bacs avec puissant de ces lointains héritiers des Sonics.
avec le reste du Clan, dont un RZA martial son troisième album, “Help Us Stranger”. OLIVIER RICHARD
Gov’t Mule
4 JUIN, CIGALE (PARIS)
La Mule célèbre son 25ème anniversaire
et le premier set pioche dans les premiers
albums du (désormais) quartette, comme
pour en réaffirmer l’identité : “Soulshine”
et “Mule” en entrée, deux titres
emblématiques, quelques pépites (“Painted
’N’ROLL
organisent un grand tournoi de groupes labels d’Etat, Oriental Magnetic et China
amateurs. Les lauréats seront “enregistrés Records. Un officiel : “Les mélomanes
et télévisés en couleurs” par l’ORTF. Le chinois adoreraient une certaine forme
magazine et CBS organisent un concours. de musique américaine”. On rit ? Lire
Il s’agit de débusquer dix erreurs dans des le billet suivant et mesurer la vitesse à
FLASH
textes de pochettes reproduits (Joplin, Sly, laquelle les choses filent. Brian Jones
Spirit, etc.). Premier prix : 15 jours au Club foirait son brevet de maître-nageur
Med pour deux personnes. Un smicard 10 ans plus tôt. Rock&Folk fait témoigner
palpe alors 3,27 F de l’heure. Ian Anderson deux amoureuses : Zouzou la twisteuse et
(Jethro Tull) : “L’underground est dépassé, Amanda Lear que le groupe charrie sous le
BACK
les plus vieux l’associent au nudisme”. nom d’Amanda Jones dans “Between The
C’est le phénomène européen à la mode. Buttons”. Zachary Richard : “Le Cajun est
Frank Zappa le découvre lors d’un séjour arriviste”, français quand ça l’arrange
à Londres. Alvin Lee y voit une “petite “mais l’argent est américain”. Au Québec
révolution contre la société conventionnelle”. on conchie les Yankees mais on respecte
PAR CHRISTIAN CASONI Le scandale de “Hair” vient d’une scène l’espiègle Zachary comme on respecterait un
de nus qui ne dure que sept secondes. Noir américain, pour son blues et son funk.
JUILLET/ AOUT 1989 R&F 265 JUILLET 1999 R&F 383 JUILLET 2009 R&F 503
Après Michael Jackson et Madonna, Les Chemical Brothers ne devraient pas Dans les années 90, internet a transformé
le “Greatest Hits” de Bananarama sera donner d’interview quand ils sont défoncés les mags de presse musicale en mags de
le troisième album occidental à sortir à ce point : Tom : “Juste l’amour, l’amour presse professionnelle. Flattés par des
officiellement en Chine. “Premier pressage : divin. L’amour, quoi. Ce genre de sentiment. intervieweurs devenus très pointus, les
500 000 copies.” Restons un peu chez J’aime la nature. J’aime les champs, les interviewés se sont mis à causer comme
les rouges. “Sous prétexte de perestroïka, bois. La gloire de la nature.” Ed : “Et les des logisticiens, contents d’évoquer leurs
l’URSS nous envoie ses groupes de rock jacinthes.” R&F : “Vous jouez avec les codes relations avec leur nouveau label, leur
les plus pourraves, faussement dissidents, musicaux.” Ed : “Avec quoi ?” Tom : “Les nouveau producteur, à quelle distance de
nomenklaturés à mort”. Pour battre la crème codes.” R&F : “Les codes, oui.” Tom : la batterie il a placé un micro pourri dont
soviétique, Les Enfants du Rock passent le “Une nouvelle ère. C’est gentil de dire ça.” tout le monde se cogne. Heureusement qu’il
doc “De Lénine A Lennon”, avec Televizor ou April March, héritière américaine du yéyé y a Marilyn Manson et que, chaque fois qu’un
Igry. La plupart de ces 12 groupes sont “très français : “Ce que j’aime le plus au monde lycéen hache sa promotion au fusil d’assaut,
médiocres, mais TOUS portent une impatience c’est la musique classique, et la pop française on l’accuse de lui avoir mis le doigt sur la
et un charisme qui n’existent plus dans le est un des genres qui s’en rapproche le plus. détente : “Je me fous de vendre des disques, je
monde du rock anglo-saxon”. Bill Pritchard, Il n’y a presque pas d’influences américaines n’ai qu’à compter les cadavres si c’est comme
“tu es le plus français des chanteurs anglais. chez Polnareff, pas une gamme de blues.” ça qu’on mesure. Je n’ai même pas de flingue,
— Tu veux dire que j’ai l’air d’être le Petula April March, il va falloir acheter des cotons- je suis trop dangereux.” Et Bob Dylan :
Clark des eighties ? C’est vrai que je dois être tiges. A 40,72 F le smic horaire, c’est “Bill Wyman doit réintégrer les Stones.
un des rares Anglais à bien aimer le rock parfaitement jouable. James Brown veut Sans lui ils font du funk.” Tu es smicard, tu
français.” Le smic : 29,91 F de l’heure. faire coter certains titres, estimés à 100 M$. as bossé une heure, accepte ces 8,82 euros.
Concert extra à Besançon. Super accueil, Cérémonie pour les sociétaires admis à la
super salle, super public... trié sur le volet : Sacem ou devenus définitifs en 1969. Françoise
25 spectateurs. On n’a pas d’autre date Hardy n’a pas pu venir, Sanson et Chamfort
prévue. Réponse du tourneur : “Tu veux ont concert, mais Vline Buggy, Jean-Max
que je loue des figurants ?” No comment. Rivière, Jean-Jacques Debout, Hugues de
Plaisir de découvrir l’excellente musique des Courson, Long Chris, Maxime Le Forestier,
Canadiens d’Anemone, en première partie. Gilbert Lafaille, Marie-Paule Belle sont
Eux aussi jouaient avec le sourire : les présents, entourés d’autres artistes impeccables
dates difficiles sont toujours les meilleures. comme Isabelle Mayereau. C’est émouvant
et sympathique de voir ces ouvriers modèles
Disque du mois : “Atypicalman”, l’album réunis autour d’une médaille dessinée par
de Jalsaghar, alias Jérémie Regnier. Boris Mick Micheyl. Emotion aussi de la toujours
Maurussane, Dorian Pimpernel, Wilfried éclatante Pussy Cat retrouvant Slim Pezin,
Paris, Julien Ribot, Orwell : les Zombies, The qui lui rappelle que c’est grâce à son mari, le
Left Banke et Brian Wilson auront eu plus regretté Gérard Hugé, qui dirigeait alors
d’impact sur la pop française aujourd’hui l’orchestre de Noël Deschamps, qu’il a
que de leur temps, comme si la tendance à commencé sa carrière époustouflante.
l’avachissement et au virilisme de la culture
populaire faisait naître un désir de baroque, de A Cannes, Bertrand Tavernier sonne la
clavecin Baldwin et de modulations précieuses. charge pour la musique de film, plus que
jamais négligée. Heureusement qu’il est là,
Bon, quand est-ce qu’on passe au user centric ? mais il faudrait un Tavernier pour s’occuper
Je m’explique : le streaming payant c’est de Tavernier comme il le fait si bien pour les
l’essentiel des revenus numériques pour les autres : il n’a pas pu tourner depuis 2013 et
artistes, mais l’argent des abonnements est “Quai D’Orsay”, pourtant un succès, et ne
ventilé en fonction du nombre total d’écoutes trouve pas de producteur pour son prochain
(qui peuvent être bidonnées), de leur part de film. Sur Europe 1, il confie : “J’y arrive pas.
marché global donc, et non par utilisateur. C’est un projet que j’avais écrit avec Russell
Résultat, si je n’écoute que “Memory Lane” Banks, ce romancier que j’aime énormément.
par Anemone ce mois-ci, l’essentiel de mes C’est un film sur une femme de soixante ans
9,99 € ira quand même aux gros bonnets qui parvient à surmonter un deuil avec l’aide
du top, alors qu’avec le user centric, il sera d’une amie et à trouver une forme d’espoir.
dirigé vers ce que j’ai vraiment entendu. C’est fait de manière très simple, il n’y a pas
L’industrie hésite pour ne pas désespérer de poursuites en voiture, il n’y a pas d’effets
Billancourt, pardon Boulogne, Corbeil, enfin spéciaux, j’ai deux actrices qui avaient accepté,
les poids lourds du rap qui se gavent à coup Susan Sarandon et Jennifer Jason Leigh, et on
de streams anabolisés. “Il faut attendre de ne trouve pas le financement. Voilà. Mais si les
voir ce que disent les études, etc.”, mais on gens ne veulent pas que je fasse des films, je
ne change pas la règle du jeu afin qu’elle passerai à autre chose, j’enseignerai, je lâcherai,
profite à untel, c’est pour qu’elle soit plus je laisserai tomber le cinéma.” La honte totale.
juste et cerne mieux la réalité des usages. Rien n’a changé depuis Marcel Carné.