Sparte

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Du

même auteur
Athènes devant la défaite de 404
Histoire d’une crise idéologique
Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 225
De Boccard, 1976

La Femme dans les sociétés antiques
Université de Strasbourg, 1983 (épuisé)

Le Système palatial en Orient, en Grèce et à Rome
Travaux du CRPOGA 9, De Boccard, 1987

e
La Grèce au V siècle de Clisthène à Socrate
Seuil, coll. « Points Histoire »
« Nouvelle histoire de l’Antiquité 2 », 1995 réimpr. 2002

La Codification des lois dans l’Antiquité
Travaux du CRPOGA 16
De Boccard, 2000
ISBN 978-2-02-123661-3

© ÉDITIONS DU SEUIL, juin 2003

www.seuil.com

Cet ouvrage a été numérisé en partenariat avec le Centre National du Livre.

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


SOMMAIRE
Couverture

Du même auteur

Copyright

Table des matières

Avant-propos

1 - Naissance de Sparte
1. La formation de l’État lacédémonien

2. La naissance du régime et de l’idéologie spartiates

2 - L’organisation sociale
1. Les Spartiates

Conclusion générale

2. Les Hilotes

3. Les Périèques
4. Catégories marginales

3 - Le système politique
1. Les rois

2. Les éphores

3. La gérousie

4. L’assemblée

4 - Sparte et le monde extérieur du milieu du vie siècle à 362


1. La Ligue du Péloponnèse

2. Sparte en dehors du Péloponnèse

5 - « Décadence » et révolutions du ive siècle à 146 av. J.-C.


1. Décadence

2. Les révolutions spartiates

3. Sparte entre la Ligue achéenne et Rome (192-146)

Conclusion

Annexes
Chronologie sommaire

Cartes

Orientation bibliographique
Principales sources antiques

Ouvrages généraux

Index
Index des hommes et des dieux

Index des toponymes et des ethniques


Index des notabilia
Avant-propos

L’histoire de la Grèce, notamment celle de Sparte, a suscité deux attitudes


opposées, soit une confiance aveugle dans les sources, même tardives comme
Plutarque et Pausanias, qu’on se contente de paraphraser, soit une mise en
cause radicale de la documentation pour y substituer une reconstruction
moderne ou même pour développer un scepticisme absolu. Cette dernière
attitude risque de déboucher sur le « négationnisme » : si l’on ne peut connaître
que des opinions, il y a ceux qui disent qu’Auschwitz a existé et ceux qui disent
que ce n’est qu’un mythe… et je ne peux conclure. C’est aussi une attitude anti-
historique, car elle amènerait l’historien à renoncer à l’essentiel de son
travail : la recherche de la vérité, le désir – si décrié aujourd’hui – de savoir,
comme le demandaient Lucien ou Ranke, « comment cela s’est réellement
passé ». Bien sûr, il s’agit non d’accéder à une vérité absolue et éternelle, mais
de rechercher une vérité partielle et provisoire : ce qui rend le mieux compte
de la documentation actuellement disponible. Mais en va-t-il différemment en
physique ?
Le problème est particulièrement difficile pour Sparte, qui a cultivé le
secret et qui a, dès le Ve siècle, suscité une idéalisation – ou, plus rarement, une
caricature –, notamment dans les milieux politiques ou philosophiques, ce qui
a permis de parler d’un « Mirage spartiate 1 » ou d’une « Légende de Sparte 2 ».
Aussi est-il légitime de se montrer méfiant 3 . Mais il ne faut pas aller trop loin.
On ne peut écrire aucune histoire si l’on n’accorde aux sources au moins une
« présomption de vérité », comme on parle en droit de « présomption
d’innocence ». Personne ne saurait prouver que tel poème est bien de Tyrtée et
tel dialogue, bien de Platon. Mais c’est à qui conteste d’apporter des
arguments : sera considéré comme authentique et véridique tout texte dont on
n’aura pas de raisons valables de mettre en doute l’authenticité et la véracité.
Cela ne veut pas dire que tout ne doit pas être soumis à critique. Il faut
essayer de déceler les contradictions internes et les oppositions entre les textes
en donnant la préférence à ceux qui ont des chances d’être les mieux informés
(en général les plus anciens) et les plus objectifs (en général les historiens
plutôt que les orateurs ou les philosophes), mais en évitant d’accepter ou de
rejeter les indications antiques selon qu’elles sont conformes ou non au
modèle que s’est constitué l’historien : on voit ainsi trop souvent des textes
tardifs d’un même auteur, par exemple Plutarque ou Pausanias, cités comme
preuves ou rejetés comme de pures inventions selon qu’ils conviennent ou non
à la démonstration.
Aussi me suis-je efforcé dans ce livre de donner à chaque fois le plus
clairement possible les éléments de la démonstration, libre au lecteur d’être ou
non convaincu, mais il est toujours profitable de voir comment on peut
raisonner sur une question. Et, si l’on trouve de nouveaux documents amenant
à réviser le tableau, tant mieux ! Le siège d’un historien n’est jamais fait.
La nécessité de développer les discussions sur les points contestés a amené
à limiter le champ de l’étude. J’ai renoncé à regret à étudier l’art laconien 4 ,
car il paraissait absurde d’en parler sans fournir une illustration suffisante. Je
n’ai pas considéré l’époque romaine, qui pose des problèmes spécifiques, et je
n’ai pas écrit de chapitre sur l’armée lacédémonienne, amplement étudiée en
français dans les années récentes 5.
J’ai au contraire centré l’étude sur la société et sur l’organisation politique
et leur évolution ainsi que sur la relation de Sparte avec le monde extérieur en
insistant sur les points discutés comme le rôle de la royauté ou la propriété de
la terre, la rhètra d’Épitadeus ou la mystérieuse kryptie.
1. F. Ollier, Le Mirage spartiate. Étude sur l’idéalisation de Sparte dans l’antiquité grecque de
l’origine jusqu’aux cyniques, Paris, De Boccard, 1938, et Le Mirage spartiate. II. Étude sur
l’idéalisation de Sparte dans l’antiquité grecque du début de l’école cynique jusqu’à la fin de
la cité, Paris, Belles Lettres, 194 3.
2. E.N. Tigerstedt, The Legend of Sparta in Classical Antiquity, Stockholm, Almqvist et Wiksell,
I, 1965, II, 1974 , III (Index), 1978.
3. Cf. notamment C.G. Starr, « The credibility of early Spartan history », Historia 9 (1960), p. 257-
272.
4 . Cf. notamment, sur les bronzes, C. Rolley, Les Bronzes grecs, Fribourg, Office du livre, 1985 ;
sur les ivoires, E.-L.I. Marangou, Lakonische Elfenbein- und Beinschnizereien, Tubingen,
Wasmuth, 1969 ; sur le trône d’Amyclée, A. Faustoferri, Il trono di Amyklai a Sparta :
Bathykles al servizio del potere, Naples, Ed. scientif. ital., 1996 ; sur la céramique, C.M. Stibbe,
Lakonische Vasenmaler des sechste Jahr. v. Chr., Amsterdam, Londres, 1972, Lakonian
Black-Glazed Pottery, Part 1, 1989, Part 2, 1994 , Part 3, 2000 (Allard Pierson Series, Scripta
minora 3, 4 , 5), et Das andere Sparta, Mayence, Philipp von Zabern, 1996, « Lakonische
Keramik », p. 163-203, M. Pipili, Laconian Iconography of the Sixth Century B.C., Oxford,
Oxford Univ. Committee for Archeol. Monogr. XII, 1987 ; et, en général, C. Rolley, « Le
problème de l’art laconien », Ktèma 2 (1977), L.F. Fitzhardinge, The Spartans, Londres,
Thames and Hudson, 1980, St. Hodkinson, « Lakonian artistic production and the problem of
Spartan austerity », in N. Fischer et H. Van Wies, Archaic Greece : New Approaches and New
Evidence, Londres, Duckworth, 1998 (réimpr. 2002), p. 93-117, A. Powell, « Six-century
Lakonian vase-painting. Continuities and discontinuities with the “Lykourgian” ethos », ibid.,
p. 119-14 5, et R.Förtsch, Kunstverwendung und Kunstlegitimation im archaischen und
frühklassischen Sparta, Mayence, Philipp von Zabern, 2001.
5. On ajoutera notamment à J.F. Lazenby, The Spartan Army, Warminster, Aris et Phillips, 1985,
S. Valziana, « L’esercito spartano nel periodo dell’egemonia : dimensioni e compiti strategici »,
Quaderni di storia 4 3 (1996), p. 19-69, J. Ducat, « La femme de Sparte et la guerre », Pallas
51 (1999), p. 159-171, et « La société spartiate et la guerre », in F. Prost éd., Armées et
e e
Sociétés dans la Grèce classique. Aspects sociaux et politiques de la guerre aux V et IV s. av.
J.-C., Paris, 1999, p. 35-50, J.-N. Corvisier, Guerre et Société dans les mondes grecs (490-322
av. J.-C.), Paris, Armand Colin, 1999, notamment p. 31-34 , 64 -68 et 24 8, M.-C. Amouretti et F.
Ruzé, Les Sociétés grecques et la Guerre à l’époque classique, Paris, Ellipses, 1999,
notamment p. 27-28, 4 2-4 3, 51-52 et 58, et J. Christien, in M.-C. Amouretti, J. Christien, F. Ruzé
et P. Sineux, Le Regard grec sur la guerre. Mythes et réalités, Paris, Ellipses, 2000, p. 129-
178.


Principales abréviations :
e
DK : H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, 6 éd., Berlin, Weidmann, 1952.
FGH : F. Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker, Leyde, Brill, 1923-
FHG : C. et T. Müller, Fragmenta Historicorum Graecorum, Paris, Firmin-Didot, 184 1-1872.
IG : Inscriptiones Graecae, Berlin, 1903-, editio minor, Berlin, 1913-.
LSJ : H.G.Liddell, R.Scott et H.S.Jones, A Greek English Lexicon, Oxford.
RE : Pauly et Wissowa, Realencyclopädie der classischen Alter- tumswissenschaft, Stuttgart,
1894 -1980.
SEG : Supplementum epigraphicum graecum, Leyde, 1923-.

Hdt. : Hérodote ; Paus. : Pausanias ; Plut. : Plutarque ; Thuc. : Thucydide ; Xén. : Xénophon ; le
titre des revues est abrégé selon les normes de l’Année philologique.

Je tiens à remercier mes amis Jean Ducat et Claude Vatin, qui m’ont fait part avec générosité de
leurs remarques et de leurs critiques, ainsi que ma femme, qui s’est toujours montrée une lectrice
exigeante.
1

Naissance de Sparte
1. La formation de l’État lacédémonien

LE CADRE GÉOGRAPHIQUE

Les Spartiates ont réussi, dès le VIe siècle, à s’étendre sur près de 8 500
kilomètres carrés 1, soit plus de trois fois la superficie de l’État athénien, déjà
exceptionnelle pour une cité grecque. L’État ainsi constitué correspond plus à
un ethnos 2, voire à deux ethnè qu’à une cité normale, d’autant plus qu’on y
distingue deux régions principales, séparées par une haute chaîne de
montagnes.
La Laconie proprement dite est limitée à l’ouest par le Taygète, qui s’étend
sur 110 kilomètres depuis l’Arcadie jusqu’au cap Ténare et s’élève, dans sa
partie centrale, jusqu’à 2 407 mètres, et, à l’est, par le Parnon, qui, moins
abrupt, culmine à 1 935 mètres et qui, orienté nord-ouest sud-est, permet à la
plaine et au piedmont de s’élargir vers le sud en un vaste triangle. Cette plaine,
qui constitue la région la plus riche de la Laconie, est en partie constituée par
la vallée de l’Eurotas. On y distingue notamment, au centre, la plaine de Sparte,
de 22 kilomètres de long sur 8 à 12 kilomètres de large, couverte d’un limon
de néogène, très fertile, et, au sud, la plaine côtière d’Hélos.
La Messénie, à l’ouest du Taygète, contrairement à la Laconie, ne forme
pas un ensemble homogène. En effet, la vallée du Pamisos, qui unit la plaine de
Stényklaros, au nord, et, au sud, la plaine côtière, significativement appelée
Makaria (la Bienheureuse), est séparée de toute une série de petites plaines
côtières, le long du golfe de Messène ou de la mer de Sicile, par plusieurs
massifs montagneux : les monts de Kyparissia, l’Aigaléon et surtout l’Ithôme,
qui culmine à 805 mètres et forme une sorte de forteresse naturelle.
A ces deux régions s’ajoutent la Kynourie et la Thyréatide à l’est du
Parnon ainsi que l’île de Cythère et, au nord de la Laconie, les régions
montagneuses de Skiritis et de Belminatis.
Le climat est de type méditerranéen, chaud et sec l’été, avec des pluies
d’automne qui peuvent être violentes 3 . Cependant, Sparte elle-même est
rafraîchie par le vent du nord, et la côte occidentale de la Messénie ainsi que
les contreforts occidentaux du Parnon sont bien arrosés.
Les plaines sont très fertiles et aussi bien la plaine de Sparte que la vallée
du Pamisos 4 permettent deux récoltes annuelles.

5
LA SPARTE ACHÉENNE ET L’ARRIVÉE DES DORIENS

Pour les Anciens, la Sparte achéenne évoquée par Homère avait laissé
place à une Sparte dorienne.
La belle Hélène, dont l’enlèvement a suscité la guerre de Troie, et son
ancien époux Ménélas, frère et adjoint, plus courageux qu’efficace, du chef de
l’expédition, Agamemnon, jouent un rôle important dans l’Iliade. Le
Catalogue des vaisseaux, qui, quelle que soit sa date, était considéré comme
une partie intégrante du poème, évoque « la creuse 6 Lacédémone » (III, 581),
où règne Ménélas. Lacédémone désigne ici une région comprenant
9 bourgades, dont Pharis (citée en premier), Sparte, Amyclées, Hélos et Las.
Son importance est suggérée par les 60 navires placés sous le commandement
de Ménélas, encore que ce nombre soit inférieur aux 100 navires
d’Agamemnon, auxquels s’ajoutent les 60 déjà fournis aux Arcadiens, ainsi
qu’aux 90 de Nestor et aux 80 de Diomède. Le terme de Sparte apparaît
rarement dans l’Iliade : en dehors du passage déjà cité du Catalogue des
vaisseaux, on ne le trouve qu’en IV, 52, où Sparte est au nombre des 3 poleis
chères à Héra, alors que Lacédémone, déjà attestée en linéaire B, est
mentionnée quatre fois. Au contraire, dans l’Odyssée, plus récente, Sparte
concurrence Lacédémone (8 exemples contre 7), dont il devient un synonyme,
pour désigner aussi bien la région que son centre.
Pour se donner des lettres de noblesse en maintenant vivant ou, plutôt, en
ressuscitant le souvenir de la Lacédémone achéenne, les Spartiates ont été
tentés de retrouver des personnages homériques dans des cultes traditionnels.
On peut ainsi mentionner, à Sparte même, un sanctuaire d’Hélène et, en
Laconie, un temple de Ménélas, où seraient enterrés Hélène et Ménélas, un
sanctuaire d’Alexandra, dans laquelle les Amycléens ont reconnu Cassandre, la
fille de Priam, tandis qu’Agamemnon est adoré en tant que Zeus Agamemnon
et qu’Achille dispose de deux sanctuaires.
Des ruines ou des objets mycéniens ont pu favoriser ces assimilations. En
effet, même si l’on n’a pas découvert en Laconie de sites aussi prestigieux que
Mycènes, Tirynthe ou Pylos – peut-être parce que le palais royal, s’il a existé,
n’a pas encore été identifié –, les archéologues ont reconnu 21 sites habités 7 au
e
XIII siècle (Helladique récent III B), notamment Amyclées, Vaphio, le
Ménélaion et, plus au nord, Pellana, sites auxquels s’ajoutent une quinzaine
d’autres où on a trouvé de la céramique.
Au Péloponnèse mycénien des archéologues et achéen d’Homère a succédé
un Péloponnèse archaïque qui parle dorien en Messénie, en Laconie, en
Argolide, à Corinthe et à Mégare, et des dialectes voisins en Élide et en Achaïe,
alors que des dialectes issus de l’achéen ne subsistent qu’en Arcadie, à Chypre
et en Pamphylie. Le simple fait que la langue originelle ne se soit conservée
que dans les montagnes de l’intérieur ou à l’étranger suggérerait déjà une
invasion brutale, conformément aux traditions historico-mythiques 8 qui
associent le retour (légitime) des Héraclides et l’arrivée des Doriens.
A la mort d’Héraclès, son fils Hyllos, persécuté par son cousin Eurysthée,
se serait enfui du Péloponnèse, mais il y serait revenu, aidé (au moins dans les
traditions athéniennes) par les Athéniens. Cependant, comme le retour était
prématuré, une « peste » l’obligea à quitter le Péloponnèse. Cherchant à y
rentrer, il fut tué par le roi de Tégée Échémos, après s’être engagé, s’il était
vaincu, à ne pas revenir avant cinquante ans (ou cent ans, dans la version
d’Hérodote).
Le petit-fils d’Hyllos, ayant mal compris l’oracle qui l’invitait à emprunter
« la voie étroite », attaqua par l’isthme de Corinthe et se fit tuer. Ce fut
l’arrière-petit-fils d’Hyllos, Téménos, qui, après un premier échec et guidé par
l’Étolien Oxylos, traversa le golfe de Corinthe là où il est le plus resserré et
occupa le Péloponnèse. Laissant l’Arcadie à ses habitants et donnant l’Élide à
Oxylos, il prit pour lui Argos, tandis que ses frères reçurent, Cresphonte, la
Messénie, et Aristodèmos – ou ses jumeaux, s’il était déjà mort –, la Laconie.
Dans ces récits prédomine Téménos, qui dirige l’expédition et qui est le
seul à donner son nom à une dynastie. D’autre part, comme les Doriens, partis
de Thessalie et passés en Doride (Grèce centrale) (Hdt., I, 56 et VIII, 43), sont
censés avoir fourni les troupes qui ont envahi le Péloponnèse, il a fallu trouver
un moyen de les associer aux Héraclides. Le Dorien Aigimios (ou Aigimos),
père de Pamphylos et de Dymas, est ainsi censé avoir, par reconnaissance
envers Héraclès, adopté Hyllos 9 , ce qui est, bien sûr, une reconstruction à
partir du nom (historique) des trois tribus doriennes : Hylleis, Dymanés et
Pamphyloi.
Ces récits permettent de comprendre comment on imaginait à Sparte et
dans le reste de la Grèce les origines des Spartiates 10 . Si on entendait voir en
eux des envahisseurs et non des autochtones comme se disaient les Athéniens,
on oubliait les Héraclides, c’est ce qu’avec toute la mauvaise foi de la
polémique rhétorique fait Isocrate dans le Panathénaïque (177). Mais ce n’était
pas conforme aux conceptions des Spartiates, dont les rois et sans doute une
partie de l’aristocratie se disaient Héraclides 11. Or, le seul fait de parler du
« retour des Héraclides » suggère que les envahisseurs ont pu se présenter, au
moins au moment où ces récits ont été conçus, comme des restaurateurs et non
comme des destructeurs et, leurs rois (comme par exemple Cléomène Ier)
proclamant leur filiation achéenne 12, il était difficile de considérer les Achéens
comme des inférieurs tout juste bons à fournir des esclaves.
On s’est cependant demandé s’il y avait réellement eu une « invasion
dorienne » et, étant donné le petit nombre de nouveautés apportées par les
envahisseurs, on a pu parler d’une invasion sans envahisseurs. De fait, les
récits résumés plus haut étaient loin d’évoquer le déferlement d’une nouvelle
population 13 ; ils suggéraient au contraire des efforts difficiles, répétés
pendant un siècle, pour arriver finalement à dominer le Péloponnèse.
L’archéologie, qui a pu constater deux grandes vagues de destructions au début
(ou au milieu) du XIIe siècle, puis à la fin du XIIe, voire au début du XIe siècle,
confirmerait sur ce point les récits mythiques. Quant aux faibles changements
culturels apportés par cette « invasion », de longs contacts avec une civilisation
plus développée auraient suffi à « mycéniser » les envahisseurs, sans qu’il soit
besoin de supposer, comme le fait Hooker 14 , que les Doriens étaient déjà là et
qu’ils se seraient contentés de renverser leurs maîtres achéens.

PREMIÈRE EXPANSION ET GUERRES DE MESSÉNIE

Bien que les sources restent encore très incertaines, on peut essayer de
reconstituer les premiers stades de l’expansion spartiate.
Si la tradition a conservé le souvenir d’une expédition en Belminatis dès le
e
IX siècle, il s’agit sans doute de représailles contre les pillards descendus de
leurs montagnes plutôt que d’une véritable entreprise de conquête, car, avant
de songer à dominer toute la vallée de l’Eurotas, il fallait conquérir la plaine
de Sparte elle-même. Or, on doit attendre le VIIIe siècle (deux générations avant
Polydore) pour que, selon Pausanias (III, 2, 6), les Spartiates conquièrent
Amyclées, Pharis et Géronthrai. Si Géronthrai est déjà à près de 25 kilomètres
(à vol d’oiseau) de Sparte, Amyclées n’est éloignée que de 4 kilomètres et
Pharis, de 7. Or Pausanias évoque la longue résistance d’Amyclées. Selon
certaines traditions, il y aurait eu un accord initial, une sorte de modus vivendi
entre Amyclées et les envahisseurs, mais les Amycléens, assujettis, se seraient
révoltés et, vaincus, se seraient enfuis en Crète (notamment à Gortyne) et à
Chypre. Si c’est là la version qui avait cours à Sparte, il est plus probable
qu’Amyclées, la cité la plus puissante de la région, avait d’abord su rester
indépendante 15, puis qu’une lutte difficile avec Sparte avait dû se terminer par
un compromis permettant aux habitants qui le souhaitaient de rester en
devenant des citoyens à part entière. De fait, Amyclées formera le cinquième
des villages constitutifs de Sparte et conservera, avec les Hyakinthia, un grand
prestige religieux.
Ayant enfin réussi à unifier leur propre plaine, les Spartiates purent se
lancer dans la conquête de l’ensemble de la vallée. Ils seraient ainsi remontés
vers les sources de l’Eurotas sous Charillos, deux générations avant
Théopompe, et descendus vers Hélos, sous Alcamène, le père de Polydore. Si
l’on admet cette chronologie, ils auraient ainsi, au VIIIe siècle, en deux
générations, conquis successivement la plaine de Sparte, puis l’ensemble de la
vallée.
La conquête de la Messénie 16 fut plus difficile. Elle nous est connue par des
allusions de Tyrtée et par les longs développements de Pausanias (IV, 4-24).
Mais celui-ci, qui se fonde sur Myron de Priène pour la première guerre et sur
l’épopée de Rhianos pour la seconde, est sujet à caution, car les Messéniens,
qui ont reconstitué leur État en 370-69, ont entendu se redonner une histoire
héroïque.
La première guerre, qu’on date de la fin du VIIIe siècle 17 , aurait, selon
Pausanias, été suscitée par des griefs réciproques, et les Spartiates, qui avaient
déjà eu des différends avec les Messéniens 18 , ont voulu profiter des
dissensions entre les Messéniens eux-mêmes. Elle témoigne surtout de
l’expansionnisme des Spartiates à la recherche de terre à cultiver : Tyrtée
évoque ainsi la conquête de la Messénie « bonne à labourer, bonne à planter ».
Or, dans les autres directions, les Spartiates sont provisoirement bloqués. Vers
le nord, ils ont échoué à Tégée, deux générations avant Théopompe, et n’ont
pu conquérir que les districts montagneux de Belminatis et de Skiritis. Vers
l’est, ils ont essayé de s’emparer de la Kynourie et de la Thyréatide ; or, s’ils
ont ravagé l’Argolide avec l’aide d’Asinè, Argos, qui reste la cité la plus
puissante du Péloponnèse, a pris sa revanche et interdit toute progression. Vers
le sud, une fois pris Hélos et Gytheion, la région, montagneuse, ne présente
pas un grand intérêt économique. Restaient l’ouest et le sud-ouest, c’est-à-dire
la Messénie, avec la riche vallée du Pamisos.
Il est difficile de discerner ce qui est historique dans le détail des
opérations rapportées par Pausanias. Notons seulement la durée de la guerre,
19 ans selon Tyrtée (élégie 4, Diehl3), qui, presque contemporain, paraît une
source fiable. Cette durée suggère une guerre qui se limite à une série de coups
de main ou de sièges sans grandes batailles décisives. Même si les combattants
peuvent déjà disposer de certains éléments de l’équipement hoplitique, on ne
pratique pas encore, quoi qu’en dise Pausanias (cf. IV, 8), le combat hoplitique
par choc frontal entre deux phalanges, car Tyrtée montre très clairement que
ce type de combat est une nouveauté effrayante pour les combattants de la
deuxième guerre de Messénie. Chaque camp aurait bénéficié d’aides
étrangères : les Messéniens auraient été soutenus par les Arcadiens et par des
troupes d’élite d’Argos et de Sicyone, tandis que les Spartiates, qui auraient
utilisé des mercenaires crétois, auraient été aidés par les Corinthiens. Ces
alliances ne sont pas impossibles, et le souvenir a pu en être gardé, mais, étant
donné le faible niveau d’organisation étatique de l’époque, il pourrait plutôt
s’agir d’interventions privées.
Après leur victoire, les Spartiates rasent les fortifications de l’Ithôme, où
s’étaient réfugiés les Messéniens, s’emparent des autres cités – au moins de
certaines d’entre elles – et consacrent un trépied de bronze au dieu d’Amyclées.
L’élite des Messéniens se réfugie, suivant les liens personnels, à Sicyone, à
Argos, en Arcadie ou en Élide, mais la majorité des gens du peuple reste ou
retourne dans les territoires conquis par les Spartiates. Ils sont obligés de
prêter serment de ne pas faire défection ni de susciter de révolution et, s’ils ne
sont pas soumis au versement d’un tribut (phoros), « ils apportent à leurs
maîtres la moitié de ce que porte la glèbe » (Tyrtée, élégie 5 D3). Les femmes
de Messénie sont obligées d’assister en vêtement noir aux funérailles des rois
et des autres magistrats de Sparte. Ces indications de Pausanias pourraient être
fondées sur Tyrtée, qui est cité, et dont le Périégète ou sa source devait
connaître le reste de l’œuvre 19 .
La domination spartiate en Messénie paraît encore géographiquement
limitée. Le fait que les Lacédémoniens puissent installer 20 au sud-ouest du
golfe de Messénie, dans ce qui est deviendra Asinè, leurs anciens alliés d’Asinè
(d’Argolide) montre cependant que leur influence s’exerçait assez loin des
lieux de combat, mais il semble qu’en général, dans le sud, on se soit contenté
de conclure avec les habitants des accords qui aboutiront à la constitution de
cités périèques, attestées à l’époque classique. C’est au contraire dans le nord,
dans la région de Stényclaros et de l’Ithôme, que les Spartiates se sont le plus
emparés des terres, alors que les cités de la côte occidentale, notamment
Kyparissia, sont restées indépendantes 21.
La Messénie n’est ainsi que partiellement soumise, et le désir de revanche
suscite une deuxième guerre.
La chronologie de celle-ci reste très discutée. Pour Tyrtée (4 D3), deux
générations séparent la deuxième guerre de la première, qui se serait déroulée
sous les « pères de nos pères 22 ». Quant à Pausanias, il a mêlé sans s’en rendre
compte trois chronologies différentes : selon les indications qu’il présente, on
peut dater la guerre de 685 à 672, de 681 à 668 ou de 670 à 657 23 . La première
chronologie construite à partir de la date incertaine de la première guerre
paraît moins convaincante que la troisième, qui se réfère au retour des
Messéniens en 370-69 : il n’est pas invraisemblable que, dans leur diaspora, ils
aient pu compter les années depuis la disparition de leur ancien État 24 . D’autre
part, l’écart ainsi établi avec la première guerre de Messénie serait plus en
accord avec les deux générations suggérées par Tyrtée, alors que les 38 ans
d’écart de la première chronologie paraîtraient au contraire trop courts.
La chronologie la plus récente se concilie bien avec la défaite d’Hysiai
(Paus., II, 4, 7), datée traditionnellement de 669-68, la lutte sur deux fronts
contribuant à la défaite spartiate, et avec la refondation de Messène (en Italie)
en 664 (Paus., IV, 23, 10), donc avant la fin du siège d’Eira.
Certains ont même proposé une date plus récente en se fondant sur un
propos d’Épaminondas rapporté de façon identique par Plutarque (Apopht. des
rois et généraux spartiates, Mor. 194b) et par Élien (13, 42) : le chef béotien se
serait flatté d’« avoir fondé Messène après un intervalle de 230 ans 25 », ce qui
placerait la fin de la deuxième (ou d’une troisième ?) guerre de Messénie en
600. Sans aller nécessairement jusque-là, V. Parker, dans son article de 1991,
a, en se fondant sur les listes de vainqueurs olympiques messéniens et
spartiates et sur le nombre des règnes spartiates, proposé de dater la première
guerre du tout début du VIIe siècle et la deuxième, d’environ 635-25 jusqu’à
environ 610-600. En présentant des dates imprécises et en faisant durer la
guerre 25 ans, il arrive ainsi, à l’extrême limite, à retrouver les dates de
Plutarque-Élien. Mais on ne peut plus, après les travaux de Lenschau 26 , trop se
fonder sur des dates de victoires olympiques du VIIIe siècle et la chronologie
des règnes demeure contestable 27 . Aussi paraît-il préférable d’en rester à une
guerre qui se termine vers le milieu du VIIe siècle ou un peu plus tard 28 .
Pour Pausanias, la guerre aurait été suscitée par le désir de revanche, qui
s’accroît avec le temps, notamment chez les jeunes d’Andana dans la haute
vallée du Pamisos, et facilitée par l’alliance avec Argos et avec les Arcadiens.
Le souvenir se serait conservé de la victoire des Messéniens à Kaprou Sèma
(la tombe du sanglier) et de leur défaite du Grand Fossé 29 . Après cette défaite,
ils se seraient fortifiés sur le mont Eira, où ils auraient résisté onze ans tout en
faisant des razzias en Laconie et en Messénie.
La deuxième guerre de Messénie se caractérise, au moins dans sa première
phase, par le rôle de la tactique hoplitique. Celle-ci aurait d’abord été
défavorable aux Spartiates, battus par les Messéniens comme par les Argiens,
et le rôle de Tyrtée paraît avoir été de redonner courage à des troupes qui
supportaient difficilement le choc hoplitique. Que cet endoctrinement ait été
utile ou que les Spartiates aient profité de la défection des Arcadiens, ils
l’emportent finalement au Grand Fossé et, dès lors, la nouvelle tactique ne peut
plus servir, car la guerre se réduit à un siège et à des raids.
A l’issue de la guerre, la Messénie est absorbée dans l’État lacédémonien,
mais il semble que les Spartiates eux-mêmes se soient contentés de s’emparer
des riches terres de la vallée du Pamisos. Le livre IV (24, 4) de Pausanias
laisse bien croire, à tort, qu’à l’exception du territoire des gens d’Asinè (restés
neutres) et de Mothonè donnée « aux gens de Nauplie, qui venaient d’être
chassés de chez eux par les Argiens, les Lacédémoniens se partagèrent entre
eux le territoire », les Messéniens qui n’avaient pas émigré, mais étaient restés
dans le territoire, étant réduits à l’état d’Hilotes (IV, 24, 5). Mais, dans le
livre III, consacré à la Laconie, l’auteur s’était montré plus précis en indiquant
que les habitants des cités (polismata) côtières avaient échappé à la servitude
(III, 3, 4), entendons à la condition d’Hilotes. Ces cités ont visiblement
bénéficié, alors ou plus tard, du statut de cités périèques.
De toute façon, les problèmes que posaient l’intégration de la Messénie et
les conséquences de la défaite d’Hysiai retardèrent l’expansion de Sparte. Il
fallut attendre le milieu du VIe siècle pour qu’elle l’emportât enfin sur Tégée,
grâce, croyait-on, aux os d’Oreste (Hdt., I, 67-68), et que, victorieuse d’Argos
à l’issue de la bataille des champions (Hdt., I, 82), elle pût s’emparer de la
Thyréatide et assurer sa domination sur Cythère et l’ensemble de la côte
occidentale au sud de la Thyréatide.
L’État lacédémonien a dès lors atteint sa plus grande extension, et Sparte
n’aura plus qu’à constituer une politique d’alliances pour accroître son
influence dans le Péloponnèse et dans l’ensemble de la Grèce.
2. La naissance du régime et de l’idéologie
spartiates
La Sparte mal connue du haut-archaïsme (des VIIIe et VIIe siècles) aurait
légué à la Sparte classique la grande rhètra censée fonder son régime politique
et, avec les poèmes de Tyrtée, une synthèse originale de l’ancienne idéologie
aristocratique et de la nouvelle idéologie civique.

30
LA GRANDE RHÈTRA

La grande rhètra est connue par deux textes, dont nous présentons une
traduction : des distiques élégiaques attribués à Tyrtée, qui, si l’on néglige
l’introduction et la conclusion, comprennent quatre ou sept vers, selon que
l’on adopte la version courte de Plutarque (Lyc., 6, 10 = Tyrtée Diehl 13 3b) ou
la version longue de Diodore (VII, 12, 6 = Tyrtée 3a), et un texte en prose de
cinq lignes (édition Budé), suivi d’un « amendement » de deux lignes, tous
deux cités et commentés par Plutarque, Lyc., 6, 1-9.

• Diodore : Tyrtée 3a

Ainsi en effet le Seigneur à l’arc d’argent, l’agissant-au-loin


Apollon
à la chevelure d’or, a prophétisé depuis son gras adyton :
« Qu’initient la délibération les rois honorés des dieux, [rois]
qui ont souci de l’aimable cité de Sparte,
et les Anciens du Conseil et qu’ensuite [ce soient] les hommes
du peuple,
répondant à leur tour par [ou à] de droites rhètra 31,
[qu’ils] parlent honorablement [ta kala] et fassent tout
justement
et ne délibèrent pas [de travers] 32 pour notre cité
et qu’à la masse du peuple s’attachent victoire et suprématie. »
Phoibos en effet là-dessus a ainsi révélé à la cité.

• Plutarque : Tyrtée 3b

Ayant entendu Phoibos, ils ont rapporté de Pytho chez eux les
oracles du dieu et ses paroles infaillibles :
vers 3 à 6 identiques à 3a, sauf le vers 5, où le banal presbutas
remplace presbugeneis.

• Plutarque : Vie de Lycurgue, 6

1/ Lycurgue attacha tant d’importance à cette magistrature (sc. la


gérousie) qu’il rapporta de Delphes à son sujet un oracle, qu’on
appelle rhètra. 2/ Il se présente ainsi : « Ayant fondé un sanctuaire de
Zeus *Sullanios et d’Athéna *Sullania, ayant réuni en tribus les tribus
et en ôbai les ôbai, ayant constitué une gérousie de trente avec les
archégètes, de saison en saison apellazein entre Babyka et Knakion ;
ainsi proposer et se retirer ; [mais (ou et) à l’assemblée du peuple
victoire] et suprématie. » 3/ Dans ce texte, l’expression phulas phulaxai
kai obas obaxai signifie diviser le peuple (plèthos) et le répartir dans
des sections (méris) dont il a appelé les unes phulai et les autres, ôbai.
Les rois sont dits archégètes (fondateurs) ; apellazein, c’est réunir
l’assemblée, parce qu’il rattacha au Pythien l’origine et la cause du
régime. 4/ On appelle aujourd’hui Babyka et Knakion Oinous, mais
Aristote dit que Knakion est un fleuve et Babyka, un pont. C’est entre
eux qu’on tenait les assemblées sans portiques ni autre aménagement.
5/ (réflexions moralisantes). 6/ Quand le peuple (plèthos) était
rassemblé, il n’était permis à personne d’autre (sc. que les rois et les
gérontes) d’émettre une proposition (gnômè), mais, sur celle qui avait
été proposée par les gérontes et les rois, l’assemblée (dèmos) avait tout
pouvoir de décider (épikrinai kurios èn). 7/ Mais, plus tard, comme la
majorité (oi polloi) déformait et violentait les propositions par
retranchement ou addition, les rois Polydore et Théopompe
interpolèrent (parénégrapsan) dans la rhètra la phrase suivante : 8/ «Si
le peuple (damos) disait (éroito) de travers (skolian), que les Anciens et
les archégètes soient dissoluteurs (apostatèras) », c’est-à-dire
n’entérinent pas mais en somme se retirent et dissolvent l’assemblée
(dèmos) comme dévoyant et modifiant la proposition contrairement à
ce qui est le meilleur. 9/ Et eux aussi persuadèrent la cité que cette
injonction venait du dieu, comme l’a rappelé, si je ne m’abuse, Tyrtée
dans le passage suivant : 10 « Ayant entendu Phoibos… (voir Tyrtée
3b).

Ces textes font-ils tous allusion à la grande rhètra ? Pour Plutarque, la


version en prose est le texte même de la rhètra et, comme il cite Tyrtée à son
propos, il est clair que, pour lui, le texte de Tyrtée est une paraphrase en vers
de la rhètra agrémentée de son « amendement ». De fait, même si la rhètra de
Plutarque évoque des points qui n’apparaissent pas chez Tyrtée, les deux textes
ont en commun le rôle des dirigeants et celui du peuple et, malgré les
objections de Van Wees, il semble bien qu’on puisse les étudier ensemble et
même parfois utiliser l’un pour compléter ou corriger un passage corrompu
de l’autre.
D’autre part, nous avons deux versions de l’élégie de Tyrtée. Plutarque se
contente sans doute de citer le début de l’élégie, qui lui suffit pour montrer que
l’amendement aussi était attribué à Delphes. Diodore entend au contraire
reproduire intégralement l’oracle adressé à Lycurgue « sur les affaires
politiques », et Van Wees (l.c., p. 8) a rappelé que, pour les élégies de Solon,
Diodore présentait également des textes plus complets que Plutarque. Aussi
semble-t-il préférable de partir de la version longue 33 .
Cependant, la version de Plutarque devrait avoir un sens par elle-même et
justifier les affirmations de l’auteur. Si l’on néglige les vers ajoutés par
Diodore, le texte présente une légère anacoluthe, car il est évident que les
hommes du peuple n’initient pas la délibération, il faut donc comprendre : « et
qu’ensuite ce soient les hommes du peuple 34 [qui interviennent] ». D’autre part,
le texte ne peut servir d’argument pour l’amendement que si l’on comprend
(avec Plutarque) qu’ils doivent répondre par de droites rhètra. Enfin, si l’on
suppose que la fin de la citation de Plutarque marque une coupure dans le texte,
il n’est plus évident que ce soient les hommes du peuple qui doivent respecter
le bien (ta kala) et la justice, et éviter de mal délibérer 35. Il est donc possible
que les vers ajoutés par Diodore présentent la même structure que ceux du
début et évoquent d’abord les devoirs des dirigeants (bien délibérer) et ensuite
le pouvoir du peuple, « à qui doivent s’attacher victoire et suprématie », à la
fois militairement, en tant que troupes victorieuses, et politiquement, en tant
que votant les rhètra. Même si les rois et les gérontes, initiant la délibération,
ont seuls le droit d’initiative, le texte, contrairement à la version de Plutarque,
insiste sur le rôle du peuple, dont le droit à la parole est clairement reconnu et
qui a le dernier mot, puisqu’il répond, probablement par des rhètra.
Le texte en prose de Plutarque, plus complexe, pourrait avoir conservé une
version de la rhètra, qui serait antérieure à Tyrtée. Si, en tant que texte
législatif (ou constitutionnel), il se présente, comme il est normal, sous la
forme d’une série d’infinitifs, il entend surtout apparaître comme un oracle. Il
en a, en effet, la concision et l’imprécision : sauf à la dernière ligne, les verbes
(infinitifs ou participes au masculin singulier) n’ont aucun sujet exprimé ; le
verbe être est peut-être omis dans la dernière phrase, et le texte se complaît aux
figures de mots introduisant comme des rimes internes sans redouter les
néologismes. Il s’agirait sans doute d’un oracle en prose, mais, bien que la
plupart des oracles conservés soient en hexamètres dactyliques, la chose n’a
rien d’impossible 36 . Aussi, même s’il ne s’agit pas d’un véritable oracle, faut-
il voir dans la rhètra au moins un texte spartiate qui entend se présenter comme
un oracle delphique 37 ou, au moins, comme approuvé par Delphes.
Elle évoque la fondation de l’État lacédémonien, les relations des
dirigeants avec l’assemblée, enfin le droit de veto.

• Fondation de l’État
Comme il est normal pour une fondation – et surtout quand le texte est
censé provenir de Delphes –, la première prescription est religieuse. Le
destinataire, censé être Lycurgue, est invité à fonder un sanctuaire,
probablement commun, comme le suggère le singulier, de Zeus Sullanios et
d’Athéna Sullania. Ces deux divinités jouent un grand rôle dans la vie sociale
et la vie politique, mais l’épiclèse Sullanios est inconnue et il faut sans doute y
voir un ancien Hullanios 38 (cf. Hylleis, le nom d’une des trois tribus), la faute
provenant d’une diplographie du sigma dans Dioshullaniou et
Athanashullanias.
La fondation d’une cité impliquant la répartition des citoyens dans des
cadres déterminés, le texte évoque les tribus (phulai) et les ôbai et, sur ces deux
termes, fabrique 39 deux verbes, dont le sens n’est pas clair.
Personne ne met en doute la division des Spartiates en trois tribus, qui
combattent encore séparément lors de la première et même, probablement, de
la seconde guerre de Messénie 4 0 . Cette répartition n’est pas propre à Sparte,
mais déjà attestée chez Homère (Od., XX, 177) pour les Doriens de Crète, se
retrouve dans tous les États doriens dont nous connaissons l’organisation 4 1,
avec, parfois, comme à Sicyone ou à Argos, une quatrième tribu, ouverte au
reste de la population.
Qu’est-ce donc que la rhètra invite à faire avec cette division, datant pour
le moins du dorien commun ? On a généralement interprété le verbe phulazô
au sens de créer des tribus, mais comment créer ce qui existe déjà ? Certains
ont été si sensibles à cette objection qu’ils ont préféré reconnaître dans le texte
une forme de phulattô (garder, préserver), mais le parallélisme des
paronomases phulas phulaxanta et ôbas ôbaxanta oblige à rejeter cette
interprétation. De fait, le verbe est un factitif, il signifie « faire que la [ou les]
phulè existe[nt] », mais il peut s’agir soit de créer une institution, soit,
seulement, de la matérialiser, c’est-à-dire ici de réunir les membres de la
phulè ; de même, lorsqu’on emploie le verbe ekklesiazô (ou, dans notre texte,
apellazô), il ne s’agit pas, à chaque fois de créer l’institution qu’est
l’assemblée. Il n’est donc aucunement exclu qu’il s’agisse ici aussi de
regrouper les Spartiates dans un cadre existant.
Le terme ôbè, dont l’étymologie est discutée, désigne également une
subdivision des Spartiates, mais on ne sait si elle est territoriale ou héréditaire.
En se fondant sur des gloses d’Hésychius et sur des inscriptions d’époque
romaine, on y a vu le plus souvent une unité territoriale identique au village
(kômè) et, comme Thucydide (I, 10, 2) indique que Sparte est formée de kômai,
la rhètra aurait évoqué la même division et marqué le passage d’une armée
tribale à une armée à recrutement territorial, fondé sur le village. Cependant,
une inscription 4 2, qui daterait du tournant VIe-Ve siècle, mais dont nous n’avons
plus qu’une mauvaise copie, mentionnerait une owa ( = ôbè) des Arkaloi, ce
qui suggérerait qu’à cette époque les ôbai ne correspondaient pas ou pas toutes
aux 5 kômai de Sparte. D’autre part, Hésychius donne parfois à ôbè le sens de
tribu (phulè), tandis qu’au IIe s. apr. J.-C. Aelius Aristide, évoquant la
constitution de Lycurgue, affirme que le dieu lui-même a divisé la cité en
tribus et en génè : il voit donc dans les ôbai de la rhètra des génè ou des
groupes de génè.
Ainsi, même à l’époque tardive, où les ôbai ont été assimilées aux kômai,
subsiste une tradition qui faisait des anciennes ôbai une division gentilice.
Comme, à l’époque romaine, les divisions territoriales ont été généralisées, il
était normal qu’on transformât en division territoriale une ancienne division
gentilice, alors que l’inverse ne s’expliquerait guère. D’autre part, même si
Athènes est alors en retard sur Sparte, il serait surprenant que la rhètra imposât
déjà une organisation territoriale qui n’apparaît à Athènes qu’en 508-507.
Enfin, Plutarque met sur le même plan les phulai et les ôbai, qu’il qualifie
toutes deux de méris 4 3 (subdivision) ; pour lui, comme pour tout lecteur
sensible au parallélisme des expressions, phulè et ôbè sont, dans la rhètra, des
unités de même nature. Si l’on voulait voir, dès cette époque, des unités
territoriales dans les ôbai, il faudrait faire de même pour les phulai, ce qui se
concilierait mal avec Tyrtée.
Après avoir institué les cadres de la cité, le texte évoque les dirigeants en
invitant à « constituer une gérousie de trente personnes avec les archégètes ».
L’expression est quelque peu équivoque. Elle peut indiquer soit une création ex
nihilo de la gérousie, mais on imagine mal une royauté spartiate sans conseil,
soit le fait de porter son effectif à 30. D’autre part, « avec les archégètes »,
entendons « avec les rois », indique aussi bien l’inclusion (30 dont les rois)
que l’exclusion (30 plus les rois). Notre connaissance de la Sparte classique
nous incite, comme elle y a incité Plutarque, à comprendre que les rois étaient
inclus dans les 30, mais il n’est pas assuré qu’il en ait toujours été ainsi : il est
tentant de supposer 10 gérontes pour chacune des 3 tribus, d’autant plus
qu’Aristote 4 4 a préservé une tradition selon laquelle Lycurgue aurait eu
originellement 30 compagnons, mais que, deux d’entre eux ayant fait
défection, leur nombre se trouva réduit à 28. Ainsi les rois auraient été intégrés
à la gérousie 4 5 sans que l’effectif de celle-ci s’en trouvât modifié.
D’autre part, si archégète est employé dans le texte, comme dans quelques
exemples poétiques 4 6 , pour évoquer les rois, ce n’est pas le sens normal du
mot, qui désigne un fondateur, notamment celui qui est à l’origine d’un groupe
humain (famille, cité, colonie, etc.) 4 7 . Les archégètes sont donc ici les
fondateurs mythiques des deux dynasties et de l’État lacédémonien, à savoir
Eurysthène et Proclès ou, si l’on préfère, Agis et Eurypon. L’association à la
gérousie de ces fondateurs justifie celle de leurs successeurs, qui sont non des
archégètes, mais leurs héritiers.
Si l’on admet cette interprétation, s’éclaire la nature du texte, au moins de
sa première partie : celle-ci se présente comme la charte de fondation de l’État
lacédémonien. C’est pourquoi l’on fonde un sanctuaire ; c’est pourquoi l’on
entend créer les phulai et les ôbai, qui, c’est sûr au moins pour les premières,
existaient déjà ; c’est pourquoi l’on est censé créer une gérousie ; c’est aussi
pourquoi certaines sources placent Lycurgue à l’époque des Héraclides 4 8 ,
c’est-à-dire des premiers rois de Sparte. Il est, bien sûr, impensable que la
rhètra date de cette époque, mais elle entend se présenter comme une charte
constitutive, donc comme datant de cette époque.
Il y avait encore un élément indispensable pour la fondation de l’État,
c’était l’assemblée. Le verbe apellazein signifie matérialiser l’assemblée, que
Plutarque doit appeler apella ou, si le mot n’est employé qu’au pluriel,
apellai 4 9 , c’est-à-dire, selon que l’on se place au point de vue des dirigeants ou
à celui des citoyens, « réunir l’assemblée » ou « se réunir en assemblée ».
L’auteur invite à rapprocher le terme d’Apollon, Apellôn en dorien (cf. IG V,
1, 977) ; il est même possible que le nom dorien du dieu provienne des apellai,
qui, selon Hésychius, désignerait entre autres des enclos, ce qui conviendrait
bien pour un dieu berger.
L’assemblée se tenait « entre Babyka et Knakion ». Plutarque, se référant à
Aristote, rappelle que Babyka était un pont et Knakion, une rivière, à savoir
l’affluent de l’Eurotas qui, au temps de l’auteur, s’appelle Oinous. Il faut ainsi
entendre que la séance se tenait immédiatement au nord de Sparte, entre le pont
et le confluent de l’Oinous et de l’Eurotas. On doit, dans ce cas, supposer une
lacune après Babyka dans le texte de Plutarque, à moins que Babyka-et-
Knakion n’en soit venu à constituer un lieu-dit, qui aurait pris, plus tard, le
nom d’Oinous. Il s’agit en tout cas de réunir l’assemblée à l’air libre au nord
de Sparte.
Le texte mentionne aussi sa périodicité, ce qui est important, car la
fréquence des séances ne dépend plus seulement du bon vouloir des dirigeants.
Mais l’expression employée reste imprécise : « de saison en saison » peut
signifier une fois par an, une fois par saison (au nombre de deux, trois ou
quatre par an), voire une fois par mois. Selon une scholie à Thucydide (I, 67),
l’assemblée se réunissait tous les mois à la pleine lune. Il est exclu qu’elle ait
connu dès le début une telle fréquence ; il est au contraire possible que sa
périodicité ait d’abord été annuelle et ait correspondu à la réunion, sur une
sorte de champ de Mars, de l’armée en campagne, peut-être lors d’un mois
apellaios, déjà attesté dans de nombreuses cités doriennes mais pas encore à
Sparte. Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, le texte a pu être conservé quand
l’interprétation de l’expression a changé et que la fréquence des réunions s’est
accrue. Le style « oraculaire » de la rhètra aurait ainsi introduit une certaine
souplesse dans le conservatisme spartiate.

• Les rapports avec l’assemblée
Le reste du texte, qui évoque les rapports avec l’assemblée, se relie mal à
la partie antérieure : le terme traduit par « ainsi » n’aurait sa place en grec que
s’il était précédé par un participe et non par un infinitif ; d’autre part,
contrairement au début du texte, ce passage est paraphrasé par Tyrtée. Aussi
avais-je supposé, dans mon article de 1977, qu’il s’était, au cours de l’histoire
du texte, ajouté à la première partie de la rhètra de la même façon que, pour
Plutarque, l’« amendement » avait été inséré dans le texte.
C’est aussi le passage le plus discuté : les commentateurs ne sont d’accord
ni sur le sens des mots ni sur la restitution du passage corrompu.
Le texte évoque d’abord ceux qui réunissent l’assemblée ; ils soumettent
des propositions : c’est ce qu’indique le verbe eisphérein et ce que comprend
Plutarque. Si le sujet du verbe n’est pas précisé, le contexte incite à y voir la
gérousie, rois compris, seul organe mentionné. Mais, comme la chose n’est
pas explicitée et qu’un sujet indéterminé non exprimé ( = on) reste toujours
possible, rien n’interdira aux éphores, quand ils feront partie des organes
dirigeants de la cité, de soumettre des propositions à l’assemblée 50 . Là aussi,
l’imprécision de la rhètra aura permis une évolution importante des
institutions.
Les dirigeants doivent ensuite « se retirer » : c’est le sens habituel du verbe
aphistasthai et l’interprétation qu’en propose Plutarque, lorsqu’il commente la
reprise du terme dans l’« amendement » par un mot de même radical. S’il
renonce aux interprétations compliquées des commentateurs modernes, un
lecteur « naïf » comprendra que les dirigeants réunissent l’assemblée, lui
soumettent des propositions et, une fois celle-ci adoptées ou rejetées, se
retirent, ce qui ipso facto lève la séance. Ce dernier point comporte cependant
une imprécision, qui rendra un jour l’« amendement » nécessaire : s’agit-il de
lever la séance, quand la réunion est terminée, ce qui est le rôle normal de ceux
qui ont réuni l’assemblée et en président les débats, ou du droit d’interrompre
arbitrairement les débats, si le peuple est tenté de prendre des décisions
contraires aux vœux des dirigeants, ce qui aboutirait à une sorte de droit de
veto ? En d’autres termes, s’agit-il d’une fonction technique ou d’un pouvoir
politique ?
Quant au rôle de l’assemblée, il est essentiel pour apprécier l’évolution
démocratique de Sparte. Malheureusement, le passage qui s’y rapporte est
gravement mutilé. Son sens général peut cependant se déduire de la paraphrase
qu’en donne Plutarque : « Quand le peuple (plèthos) était rassemblé, il n’était
permis à personne d’autre (sc. que les rois et les gérontes) d’émettre une
proposition mais, sur celle qui avait été proposée par les gérontes et les rois,
l’assemblée avait tout pouvoir de décider. » C’est à partir à la fois de cette
paraphrase et du texte de Tyrtée que j’ai proposé, dans mon article de 1977 51,
de restituer « mais à l’assemblée (agora) du peuple victoire et suprématie ».
Quelle que soit la restitution du passage, le peuple a la décision finale,
mais ne bénéficie pas du droit d’initiative. Dès lors, pourquoi laisser un droit
de veto à ceux qui étaient déjà seuls à avoir le droit d’initiative ? Pour
Plutarque, il s’agit d’empêcher l’assemblée de trop modifier par des
amendements les propositions des dirigeants. Mais, même à supposer que le
droit d’amendement ne soit pas partie intégrante du droit d’initiative – un
amendement étant pourtant une proposition (gnômè) présentée à l’assemblée –,
qui proposera un amendement ? Évidemment pas la gérousie en corps, car on
n’impose pas un veto à son propre texte. Il ne peut guère s’agir d’un membre
quelconque de l’assemblée, car un tel droit, d’ailleurs formellement nié par
Aristote 52, impliquerait une vie démocratique déjà très évoluée. En désespoir
de cause, on a supposé 53 que les amendements proviendraient d’un membre de
la gérousie (rois compris) qui s’appuierait sur l’assemblée contre la majorité
de ses collègues : cela aurait pu être le cas du roi Archidamos, quand, en 432,
il s’opposa à l’entrée en guerre contre Athènes 54 , mais, quand, vers 475, le
géronte Hétoimaridas (Diodore, XI, 50, 3-5) avait combattu l’opinion
dominante tant à l’assemblée qu’à la gérousie, il semble qu’il ait d’abord dû
convaincre la gérousie avant de faire voter l’assemblée.
Cependant, ce droit de veto, qui, sans faire lever la séance comme l’évoque
de façon archaïque la rhètra, consiste, comme l’interprète justement Plutarque
à ne pas ratifier les propositions, aurait pu prendre de l’importance, lorsque la
gérousie aura perdu en fait son monopole de l’initiative au profit des
éphores 55, et il est surprenant que nous ne connaissions qu’un cas où la
gérousie ait exercé ce droit 56 .

• Conclusion
Une fois considéré le contenu de la rhètra, on peut s’interroger sur son
authenticité et sur sa date.
Nous avons déjà vu qu’elle ne pouvait dater du « retour des Héraclides » et
qu’à cet égard c’était une fausse charte de fondation. Mais cela interdit-il de la
dater de l’époque archaïque et d’y voir un texte considéré comme
constitutionnel par les (ou des) Spartiates ?
L’objection majeure provient du passage d’Hérodote (I, 65), où les
Lacédémoniens mettaient en cause l’origine delphique de leurs institutions :
« Il en est qui disent que la Pythie lui [= à Lycurgue] indiqua aussi
l’organisation (kosmos) établie maintenant chez les Spartiates ; mais, d’après
les Lacédémoniens eux-mêmes…, Lycurgue l’importa de Crète. »
L’historien montre ainsi sa préférence pour la « thèse crétoise », adoptée
par les intéressés eux-mêmes, et l’on peut penser que, si lui-même et les
Lacédémoniens avaient alors disposé du poème de Tyrtée ou du texte de la
rhètra, qui, en tant qu’oracle, aurait dû être conservée dans les archives
royales, ils n’auraient pu rejeter aussi facilement la « thèse delphique ».
Mais Hérodote ne précise pas l’identité des partisans de cette dernière
thèse : s’agit-il des Delphiens ou de certains Spartiates ? Et surtout, même si
l’on connaissait Tyrtée et la rhètra, on n’était pas obligé d’y voir la matrice de
l’organisation (kosmos) actuelle des Lacédémoniens, qui, pour Hérodote (I, 65,
5), comprend l’organisation militaire, syssities comprises, les éphores et la
gérousie. D’ailleurs, le plus souvent, Delphes, plutôt que de proposer un type
d’organisation, se contente d’approuver ce qu’on lui présente.
Aussi le silence d’Hérodote (et de Xénophon) ne suffit-il pas à faire de la
rhètra un texte fabriqué aux époques classique ou hellénistique. En effet, elle
serait alors plus claire et favoriserait les milieux qui l’auraient forgée,
probablement des milieux royaux, dans la mesure où elle se présente comme
un oracle delphique et où les rois ont, avec les Pythioi, qu’ils ont désignés, la
garde des oracles delphiques. Or, si les éphores ne sont pas mentionnés dans le
texte, ils ne sont pas non plus exclus, ce qui serait le cas si la rhètra invitait la
gérousie, et elle seule, à présenter des propositions à l’assemblée.
D’autre part, se pose le problème de son rapport avec Tyrtée. Celui-ci a-t-
il mis en vers une partie d’un texte originellement en prose ou le texte en prose
a-t-il été fabriqué en s’inspirant du texte en vers, qui était censé l’authentifier ?
Bien que rien ne soit assuré, la première hypothèse paraît préférable, car, les
poèmes de Tyrtée étant probablement bien connus, il était difficile d’en
fabriquer après coup une autre version ; au contraire, rien n’interdisait à un
poète de mettre en vers un texte originellement en prose. Si l’on admet cette
hypothèse, la rhètra, dans son stade final, « amendement » compris, ne saurait
être postérieure à Tyrtée, c’est-à-dire au milieu ou au deuxième tiers du
e
VII siècle. Comme la première guerre de Messénie était considérée comme une
période de troubles civils incitant à renforcer les pouvoirs de la gérousie et à
préciser les pouvoirs de l’assemblée, on a été tenté d’attribuer l’amendement
aux rois Polydore et Théopompe, à la fin du VIIIe siècle. Mais, comme la
première partie du texte est censée marquer le début de l’État lacédémonien et
que la rhètra est attribuée à Lycurgue, on comprend pourquoi les Anciens
avaient des incertitudes sur la date du législateur, qu’ils plaçaient depuis le
retour des Héraclides jusqu’au VIIIe siècle.

57
TYRTÉE
L’origine de Tyrtée, le poète officiel de Sparte 58 , était discutée dès
l’Antiquité. La Souda ne sait si c’était un Spartiate ou un Ionien de Milet, et les
Athéniens ont même esssayé de se l’annexer 59 . En fait, il écrit en ionien, ce qui,
quelle que soit l’origine du poète, est normal pour le type de poésie, mais avec
quelques dorismes, qui s’expliqueraient mal chez un Ionien. Aussi, bien qu’à
l’époque archaïque la cité ait été très ouverte aux influences étrangères, Tyrtée
a-t-il toute chance d’être originaire de Sparte. Comme ses élégies paraissent
souvent adressées à des combattants de la deuxième guerre de Messénie, il est
manifestement contemporain de cette guerre, que j’ai proposé de dater du
milieu du VIIe siècle et, même si certains seraient tentés d’abaisser cette date, il
paraît difficile de dépasser la fin du VIIe siècle 60 .
Il ne reste que des fragments de 11 élégies 61, inégalement conservées : un
seul vers pour les élégies 10 ou 11, 44 vers pour l’élégie 9, soit au total
environ 200 vers. La première élégie, très mutilée, est la seule qui ait été
préservée par un papyrus, les autres, transmises par des auteurs anciens,
pourraient poser des problèmes d’authenticité. Mais l’attribution à Tyrtée
paraît aujourd’hui généralement admise et, comme il s’agit de vers, les
citations ont des chances d’être littérales.
L’importance de Tyrtée vient de ce qu’il a su façonner l’idéal spartiate en
conciliant un idéal aristocratique proche du modèle homérique 62 et le nouvel
idéal civique.
Conformément à la tradition aristocratique, le poète insiste sur les
différences fondées sur la valeur guerrière. Il oppose, dans un système binaire,
les courageux et le lâche : alors que les premiers sont glorifiés, le dernier
subit, dans l’élégie 6, le sort malheureux du vagabond réduit à la mendicité,
tandis que, dans l’élégie 8, celui qui a tremblé a perdu toute sa valeur (arétè) et
n’en court que plus de risques de se faire tuer.
Cette différenciation débouche sur deux autres oppositions. Les plaisirs et
les honneurs du vainqueur, évoqués à la fin de l’élégie 9 et, plus brièvement
dans l’élégie 7 (« il suscite l’admiration des hommes et l’amour des
femmes »), s’opposent aux malheurs de vaincus comme les Messéniens
(élégie 5), comparés à des ânes accablés de charges et soumis à une dure
nécessité, entendons à l’esclavage. Mais, voulant avant tout triompher de la
crainte de la mort, Tyrtée évoque beaucoup plus la mort que la victoire et
orchestre le thème de la belle mort du beau jeune homme tué par devant, pour
l’opposer à la mort laide et honteuse (le grec aischron a les deux valeurs) du
vieillard qui « reste étendu devant les jeunes…, tenant dans les mains son sexe
ensanglanté, spectacle horrible qui suscite l’indignation » (élégie 7) ou à celle
du guerrier tué par derrière : « c’est honteux [et laid : aischros], un cadavre
gisant dans la poussière, la pointe d’une lance plantée par derrière dans le
dos » (élégie 8).
Cependant, cet idéal héroïque n’est plus, comme chez Homère, réservé à
quelques êtres d’élite, généralement rois ou fils de rois, voire à des figures
légendaires comme celles qu’évoque le début de l’élégie 9. Il ne s’agit plus
vraiment comme pour Glaucos ou Achille « d’être à chaque fois le meilleur
[aristeuein] et de l’emporter sur les autres 63 », puisque cet idéal est désormais
proposé à tous les citoyens, notamment aux plus jeunes (cf. élégies 7 et 8) :
comme l’affirme la conclusion de l’élégie 9,

Que chaque homme s’efforce donc d’atteindre le comble du


mérite [arétè] 64
par son courage en ne mollissant pas à la guerre.

Cette « démocratisation » de l’idéal homérique ne surprend pas chez celui


qui, s’inspirant de la rhètra, avait, dans l’élégie 3a, chanté la suprématie du
peuple :

et qu’à la masse du peuple s’attachent victoire et suprématie.

Mais elle n’entraîne pas l’abandon de l’idéal aristocratique. Le souci de sa


gloire et de celle de sa lignée reste omniprésent dans les élégies : « le lâche
déshonore sa race et dément l’éclat de son apparence » (élégie 6) ; le guerrier
courageux « tombé au premier rang… couvre de gloire la ville, les troupes et
son père…, son tombeau et ses enfants sont illustres chez les hommes et les
enfants de ses enfants et sa race à venir », et lui-même, avec son nom 65, atteint
à l’immortalité de la gloire (élégie 9).
Bien plus, ce souci aristocratique de la lignée s’est élargi à l’ensemble des
citoyens : les Spartiates sont fiers de leurs ancêtres (« les pères de nos pères »,
élégie 4) qui ont conquis la Messénie, et l’exhortation qui ouvre l’élégie 8 va
même, avec quelque exagération, jusqu’à faire des Héraclides de tous les
guerriers spartiates :

Allons – puisque vous êtes la race de l’invincible Héraclès –


ayez courage…

De telles affirmations incitent les Spartiates à se considérer collectivement


comme une élite : être spartiate, c’est d’une certaine manière être déjà en tant
que tel aristocrate, et Hérodote (IX, 33-35) n’hésitera pas à mettre en parallèle
l’octroi de la royauté et celui de la citoyenneté spartiate.
L’idéal aristocratique, qui s’est ainsi généralisé sans s’affaiblir, se modifie
néanmoins du fait d’une nouvelle hiérarchie des valeurs. C’est ce que montre
très clairement la célèbre élégie 9 66 , qui mérite un commentaire particulier :

Je ne ferais mention ni ne tiendrais compte d’un homme


pour la valeur de ses pieds ni pour ses talents de lutteur
ni s’il avait la taille et la force des Cyclopes
et pouvait vaincre à la course le Borée de Thrace
5 ni s’il était d’une stature plus belle que Tithonos
et était plus riche que Midas et Kinyras,
ni s’il était plus roi que le Tantalide Pélops
et avait la langue de miel d’Adraste
ni s’il avait toutes les gloires à l’exception de la vaillance
impétueuse,
10 car un homme ne se montre pas valeureux à la guerre,
à moins qu’il ne supporte de voir la mort sanglante
et ne s’attaque de près aux ennemis.
Voici le vrai mérite [arétè], voici le meilleur et le plus beau
prix à remporter
parmi les hommes pour un jeune guerrier,
15 et c’est un bien commun pour la cité et pour tout le peuple
qu’un guerrier, les jambes écartées, se tienne au premier
rang
continuellement, ait perdu tout souvenir de la fuite honteuse
en exposant sa vie et son cœur vaillant
et, immobile à côté de lui, encourage par des mots son
voisin :
20 voilà l’homme qui se montre valeureux à la guerre.
D’un seul coup, il a mis en déroute des adversaires les
phalanges
hérissées et, par son ardeur, arrêté la vague du combat.
Lui-même, tombé au premier rang, a perdu la vie,
couvrant de gloire la ville [astu], les troupes [laoi] et son
père,
25 car, souvent, à la poitrine, au bouclier bombé 67
et à la cuirasse, il a été frappé de face ;
gémissent sur lui semblablement jeunes et vieux
et toute la cité éprouve un pénible regret ;
et son tombeau et ses enfants sont illustres chez les hommes
30 et les enfants de ses enfants et sa race à venir ;
jamais sa noble gloire ni son nom ne meurent
mais, bien que sous la terre, il se montre immortel,
celui qui, excellant à résister sur place et à combattre
pour sa terre et ses enfants, a péri sous les coups du
bouillant Arès,
35 et, s’il a échappé à la Kère de la mort douloureuse
et a, vainqueur, exaucé le noble vœu de sa lance,
tous l’honorent semblablement, jeunes et vieux,
et il jouit de bien des plaisirs avant d’aller dans l’Hadès ;
en vieillissant, il se distingue parmi les citoyens [astoi] et
personne
40 ne se résout à le blâmer ni pour l’honneur [aidôs] ni pour
la justice
et, sur les sièges, tous semblablement, les jeunes, ceux de
son âge
et les plus vieux, lui cèdent la place.
Que chaque homme s’efforce donc d’atteindre le comble du
mérite [arétè]
par son courage en ne mollissant pas à la guerre.

Cette élégie, la plus longue que nous ayons, a été conservée par Stobée (4,
9) et avait déjà, ce qui suggère sa célébrité, été citée, résumée et commentée
par Platon (Lois, I, 629-630, et II, 660e-661a). Destinée à encourager les jeunes
combattants, mentionnés au v. 14, elle oppose à une arétè traditionnelle,
insuffisante, une nouvelle arétè civique, dont elle précise le contenu et les
récompenses à en attendre.
L’attaque du poème, dans les 9 premiers vers, surprend par son insistance
négative, où, dans le cadre d’une prétérition, sont énumérés tous les éléments
de l’ancienne arétè, dont l’auteur se refuse à faire l’éloge. Du caractère
traditionnel de celle-ci témoigne le grand nombre 68 de références
« littéraires » ou mythologiques 69 . Les différentes qualités sont ainsi
personnifiées par le géant monstrueux de l’Odyssée (IX, 187-542), capable de
lancer d’énormes rochers, par l’impétueux vent du nord, par le frère de Priam,
aimé de l’Aurore pour sa beauté 70 , par le roi de Phrygie qui transformait en or
tout ce qu’il touchait, par le premier roi de Chypre, qui aurait, grâce à la
découverte de mines de cuivre et à la fabrication du bronze, assuré la richesse
de l’île, par le fils de Tantale, qui, ressuscité, avait régné sur le Péloponnèse,
auquel il laissa son nom, et enfin par le roi d’Argos qui avait, par son
éloquence, obtenu des Thébains la restitution du corps des Sept.
Cette arétè traditionnelle, dont les modèles sont eux-mêmes traditionnels 71,
unit le physique et le social. Sont évoquées en premier les qualités athlétiques :
la vitesse à la course, mentionnée deux fois, la force et la taille du lutteur,
toutes qualités utiles dans le combat homérique 72 et dans les compétitions
olympiques, où les Spartiates brillent dès la quinzième olympiade (720, si l’on
accepte la date traditionnelle). Il s’y ajoute la beauté, liée à la taille 73 . Dans le
domaine social, l’idéal est la grande richesse, liée aux métaux (or ou cuivre),
le grand pouvoir (du roi) et l’éloquence, ce qui est conforme au modèle
homérique, qui incitait à briller à la fois sur le champ de bataille et au conseil.
Ces qualités, qui apportent la gloire (v. 9), sont réservées à une élite dans une
idéologie agonistique qui exalte le champion : il s’agit de « vaincre à la
course », d’être « plus beau », « plus riche », « plus roi ».
Cette idéologie est non condamnée mais dépassée par Tyrtée, qui se place
dans la même perspective quand il évoque « le meilleur et le plus beau prix à
remporter » ou celui qui excelle (aristeuonta) à résister et à combattre. Le rejet
n’est ainsi que conditionnel : cette arétè reste insuffisante, s’il lui manque
l’arétè civique, qualifiée de « véritable arétè ».
Celle-ci paraît proche de l’idéologie homérique, dans la mesure où elle est
fondée sur la valeur guerrière (v. 10 et 20) et où on ne parle que de combat.
Cependant, elle demande non plus les aptitudes exceptionnelles des champions
évoqués au début du passage, mais seulement des qualités morales de courage.
Celui-ci est rendu indispensable par le nouveau type de combat, de près (v. 12),
dont le poète souligne l’aspect redoutable : il faut pouvoir l’emporter sur « des
adversaires les phalanges / hérissées » et arrêter « la vague du combat » (v. 21-
22), ce qui suggère le déferlement de l’armée adverse avec ses lances et ses
boucliers. C’est pourquoi il importe avant tout de triompher de la peur de la
mort, de « supporter de voir la mort sanglante » (v. 11). L’image de la mort est
même de plus en plus présente : on se contente d’abord de la voir, puis on
expose sa vie (v. 18), enfin, on est mort, « tombé au premier rang » (v. 22) et
frappé de face (v. 26), tandis que la fin du texte évoque « le tombeau » (v. 29) et
celui qui est « sous la terre » (v. 32) et « a péri » (v. 34).
Si une attitude offensive est suggérée par « la vaillance impétueuse » (v. 9)
et par le fait de s’attaquer de près aux ennemis (v. 12) et de mettre en déroute
leurs phalanges (v. 21), il s’agit, dès lors, surtout d’apprendre à résister sur
place, c’est-à-dire de ne pas fuir (v. 17), mais de rester bien campé, jambes
écartées (v. 16), continuellement (v. 17), immobile (v. 19), de façon à arrêter le
déferlement (la « vague ») des adversaires et en « excellant à résister sur
place » (v. 33). Aussi, loin d’inviter à se lancer à l’assaut, le texte est-il plutôt,
comme l’indique expressément le dernier vers, une incitation à ne pas
« mollir ».
Cette résistance est une résistance collective : si on lutte (v. 16) et on meurt
(v. 23) au premier rang, c’est, contrairement aux héros homériques, sans sortir
du rang, mais en restant à côté de son camarade de combat et en l’encourageant
par des mots (v. 19), ce qui traduit bien la solidarité de la phalange. D’autre
part, la résistance du guerrier est présentée comme un « bien commun pour la
cité et tout le peuple 74 », et sa mort « couvre de gloire la ville, les troupes et
son père » (v. 24), la gloire familiale ne venant ici qu’en dernier ; de même,
aux vers 33-34, on combat « pour la terre et pour ses enfants ».
Ainsi, faire preuve d’arétè, c’est avant tout avoir le courage d’affronter la
mort en résistant au choc de la phalange ennemie, éventuellement en la
bousculant, cela en combattant pour sa cité et donc pour les siens.
La récompense de l’arétè civique, c’est, comme pour l’arétè héroïque, la
gloire du mort, qui, dans des lamentations publiques, est pleuré par toute la cité
reconnaissante (v. 27-28). Cette gloire rejaillit aussi sur la famille : le père
(v. 24), les enfants et les enfants des enfants et la race à venir (v. 29-30), ce qui
est une manière de se survivre. L’immortalité de la gloire annihile la mort, au
moment où celle-ci est ainsi évoquée avec le moins d’euphémisme : « bien que
sous la terre, il se montre immortel » (v. 32) ; la tombe du guerrier valeureux,
qui, exceptionnellement à Sparte, porte le nom du défunt, suggère même une
sorte d’héroïsation.
Quant au survivant victorieux, il ira, comme les autres, un jour dans
l’Hadès (v. 38), ce qui est une manière de rappeler que la seule immortalité est
celle qu’apporte la gloire, mais il aura auparavant reçu des honneurs et profité
des plaisirs et peut-être, dans sa vieillesse, accédé à la gérousie 75.
Les avantages de la véritable arétè amènent Tyrtée à conclure son poème
en exhortant chacun à s’efforcer « d’atteindre le comble de l’arétè ». Cet idéal
est, dans une perspective démocratique, proposé à tous les citoyens, mais il est
difficile à atteindre et, si tous doivent s’y efforcer, tous n’y réussiront pas, ce
qui en maintient le caractère aristocratique. Il y en aura toujours qui se
distingueront et, quand, au vers 24, le poète assure que la mort du guerrier
couvre de gloire les troupes (laoi), il distingue par là le mort glorieux des
simples laoi. Cependant, même la gloire reste dans le cadre civique avec les
lamentations publiques, l’autorisation d’écrire son nom sur la tombe et, peut-
être, pour les vainqueurs vieillis, l’accès à la gérousie. Et, ce qui matérialise le
mieux la fusion des idéologies aristocratique et civique, c’est le thème
récurrent de la mort au premier rang, leitmotiv des élégies 6, 7, 8 et 9. En
effet, tous ne sont pas au premier rang, ce qui implique ou établit des
distinctions 76 ; mais il faut rester dans le rang, ce qui est démocratique ; en
même temps cette excellence collective contribuera à mettre la cité au premier
rang, ce qui n’est pas encore proclamé, mais qui est annoncé par l’insistance
sur les intérêts de la cité.
D’autre part, l’idéal proposé concilie l’excellence individuelle de l’arétè et
une valeur à la fois esthétique et morale : le kalon. Celui-ci est fondé sur le
souci aristocratique de la forme, dans une conception esthétique de la morale,
incarnée dans le jeune mort, beau non seulement parce qu’il est mort
héroïquement mais aussi parce qu’il est physiquement beau ; et cette beauté
évoque les joies et plaisirs d’une société ouverte, encore aimable, alors que la
mort du vieillard est évoquée avec réalisme, dans toute sa laideur. Mais ce
kalon est aussi un idéal moral proposé à toute la collectivité des hoplites. il ne
s’agit pas seulement, comme chez Homère, de se soucier individuellement de
ce qu’on se doit (aidôs) et des égards qu’on mérite d’obtenir (timè), mais de
tenir compte de ce que la société dans son ensemble estime bon ou mauvais : il
est ainsi beau qu’on soit tué de face ou qu’un jeune le soit devant un vieillard
et, au contraire, laid, de se faire tuer par derrière ou de laisser un vieillard
mourir à votre place. Cet idéal, à la fois individuel et collectif, qui associe
l’arétè et le kalon est, au-delà même de Sparte, ce qui forgera l’idéal grec du
kalos kagathos. C’est un idéal qui n’est pas atteint par tous et qui, en cela, reste
aristocratique, mais qui est aussi visé par tous ou, au moins, proposé à tous, ce
qui en fait un idéal civique, voire démocratique. C’est là une des
caractéristiques de la cité grecque, qui se veut, comme le suggérera Périclès
dans sa célèbre Oraison funèbre, une aristocratie généralisée 77 .

1. Thucydide, I, 10, 2, parle des deux cinquièmes du Péloponnèse ; cf. P. Cartledge, Sparta and
Lakonia, Londres, Routledge et Kegan, 1979, p. 3-12, notamment p. 7, et, en général,
A. Philippson, Die griechischen Landschaften, IV, éd. E. Kirsten, Francfort, 1959, p. 371-523.
2. Voir Platon, Lois, III, 683a, qui, à propos de Sparte, évoque « cette cité ou, si vous voulez, ce
peuple (ethnos) ».
3. Voir Théophraste, De causis plantarum, III, 3, 4.
4 . Pour Euripide, fr. 1068 N 2 = Strabon, VIII, 5, 6, la Messénie est « productrice de belles
récoltes, arrosée de ruisseaux sans nombre, bien pourvue en pâturages pour les bœufs et les
moutons, sans souffrir en hiver des vents hivernaux ni, inversement, de la chaleur excessive sous
le quadrige du soleil », et, pour l’opposer à « la terre laconienne, au sol médiocre », le poète
ajoute même que la Messénie a « une fertilité (arétè) qui passe toute expression ».
5. Cf. D. Musti éd., Le origini dei Greci. Dori e mondo Egeo, Rome, Bari, Laterza, 1985, et
I. Malkin, La Méditerranée spartiate, Paris, Belles Lettres, 1999, p. 50-64.
6. L’expression indique une région en contrebas, entourée de montagnes ; quant à l’adjectif
kètoessa qui s’y ajoute, son sens était discuté dès l’Antiquité, cf. Strabon, VIII, 5, 7 ; de même
2
Euripide, fr. 1068 N = Strabon, VIII, 5, 6, assure que la Laconie a « beaucoup de terre arable
mais difficile à travailler, car formant un creux entouré de montagnes… ».
7. Sparte pourrait s’y ajouter, mais n’y paraît attesté qu’un établissement limité et peut-être
temporaire, cf. P. Cartledge, Sparta and Lakonia, p. 17.
8. Cf. notamment Hdt., IX, 26, Diodore, IV, 58, 1-4, Apollodore, Bibliothèque, II, 169-177, et
Eusèbe, Prép. Evang., V, 20, 210c.
9. Pour Pindare, Pyth., V, 92-97 : Apollon « a établi à Lacédémone, à Argos et dans la très divine
Pylos les descendants d’Héraclès et d’Aigimios ».
10. Le récit des origines se fonde sur des réalités constatables comme le nom des tribus, les liens de
Sparte avec la Doride (en Grèce centrale) ou ceux de l’Élide avec les Étoliens et, en les
expliquant, tend à les renforcer.
11. Cf. U. Huttner, Die politische Rolle der Heraklesgestalt im griechischen Herrschertum,
Historia Einzelschriften 112, Stuttgart, Franz Steiner, 1997, p. 43-64.
12. L’intégration de héros homériques dans les cultes laconiens suggère la même attitude.
13. Pour Isocrate, Panath., XII, 255, l’effectif des premiers Spartiates ne dépassait pas 2 000, ce qui
montre au moins comment, à son époque, on imaginait l’invasion dorienne.
14 . Cf. J. Hooker, « New reflexions on the Dorian invasion », Klio 61 (1979), p. 353-360, et « The
end of Pylos and the linear B evidence », SMEA 23 (1982), p. 209-217.
15. Ce qui ne préjuge en rien de sa population, toujours achéenne ou déjà en partie dorienne, comme
le suggère B. Eder, Argolis, Lakonien, Messenien. Vom Ende der mykenischen Palastzeit bis
zur Einwanderung der Dorier, Vienne, 1998, en rappelant que le mois hyakinthios ne se trouve
que dans le monde dorien, voir notamment p. 128, 137 et 202.
16. F. Kiechle, Messenische Studien, Kallmünz, 1959, L. Pearson, « The Pseudo-History of
Messenia and its authors », Historia 11 (1962), p. 397-4 26, H.T. Wade-Gery, « The Rhianos-
Hypothesis », Mél. Ehrenberg, Oxford, Blackwell, 1966, p. 289-302, W.K. Pritchett, « The
topography of Tyrtaios and the Messenian Wars », Studies in Ancient Topography, V,
Berkeley, Los Angeles, Univ. of California Publications : classical studies, 1985, p. 1-67, et
V. Parker, « The dates of the Messenian wars », Chiron 21 (1991), p. 25-47, et « Some dates in
early Spartan history », Klio 75 (1993), p. 4 5-60, J. Auberger, « Pausanias et les Messéniens :
une histoire d’amour », REA, 1992, p.187-198, S.E. Alcock, « The peculiar Book IV and the
problem of the Messenian past », in S.E. Alcock, J.F. Cherry et J. Elsner, éd., Pausanias :
Travel and Memory in Roman Greece, Londres, Oxford University Press, 2001, p. 142-159.
17. Une date, au moins approximative, paraît assurée par la fondation de Tarente à l’issue de la
guerre.
18. Ceux-ci auraient, entre autres, tué le grand-père de Polydore, Paus., III, 2, 6.
19. Cf. Paus., IV, 15, 2, où, à propos de la deuxième guerre de Messénie, l’auteur assure que Tyrtée
ne donne pas le nom des rois qui régnaient alors à Sparte.
20. Ils installent aussi à Hymia un roi messénien qui leur était favorable, mais on n’a pas localisé
l’endroit.
21. Selon Paus., III, 3, 4 , même après la deuxième guerre de Messénie, les cités (polismata) côtières
ont échappé à la domination spartiate.
22. L’expression pouvant aussi se référer aux ancêtres en général, il est possible d’envisager un
intervalle supérieur (mais en aucun cas inférieur) à deux générations.
23. La guerre durant 13 ans selon Pausanias (les 2 ans de IV, 17, 2 s’ajoutant aux 11 ans du siège
d’Eira, 17, 10 et 20, 1), la première chronologie se déduit de IV, 13, 7 et 15, 1 (début de la
guerre en 685), la deuxième de IV, 23, 4 (fin de la guerre en 668) et la troisième, de IV, 27, 9
(fin de la guerre en 657).
24 . La deuxième chronologie, qui diffère de 11 ans de la troisième, s’expliquerait par une confusion
entre la fin et le début du siège d’Eira.
25. Si l’on veut attacher une valeur historique, qui paraît très douteuse, aux propos imprécis
d’Isocrate, Archidamos, VI, 27, et de Dinarque, Contre Démosthène, 73, pour qui Messène est
rétablie « après un intervalle de quatre cents ans », il ne pourrait s’agir au mieux que d’une
allusion à la première guerre de Messénie.
26. Th. Lenschau, « Forschungen zur griechischen Geschichte im VII. und VI. Jahrhundert v. Chr., IV,
Die Siegerliste von Olympia », Philologus 91 (1936), p. 396-411 ; cf. aussi P.-J. Shaw,
« Olympiad chronography and “Early” Spartan History », in St. Hodkinson et A. Powell,
Sparta. New Perspectives, Londres, Duckworth, 1999, p. 273-309 : article révolutionnaire mais
contestable, car il ne distingue pas les dates dépendant du calendrier olympique (victoires à un
concours) et celles qui ont seulement été traduites dans ce calendrier.
27. Les quatre générations qui séparent Anaxandros, sous le règne duquel aurait éclaté la guerre, de
er
Cléomène I , qui accède au pouvoir vers 520, ne conviennent guère à la chronologie de Parker.
28. Les 53 ans que cette chronologie de Pausanias laisse entre la première et la deuxième guerre
sont un peu courts pour l’écart suggéré par Tyrtée (« les pères de nos pères »).
29. Il y aurait, selon une scholie à Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 1116 B = C. Prato, Tyrtaeus,
Rome, Ateneo, 1968, Testimonia 22, une allusion à ce combat chez Tyrtée, ce qui en
3
confirmerait la réalité. Voir aussi la mention probable d’un fossé dans une élégie de Tyrtée (1 D
v. 19 = 10 Prato, v. 40).
30. Voir notamment H.T. Wade-Gery, « The Spartan Rhetra in Plutarch’s Lycurgus VI », in Essays
in Greek History, Oxford, Blackwell, 1958, p. 37-85, Ed. Lévy, « La grande Rhètra »,
Ktèma 2 (1977), p. 85-103, et, parmi les travaux récents, D. Musti, « Regole politiche a Sparta.
Tirteo e la grande rhetra », Rivista di Filologia e di Istruzione Classica 124 (1996), p. 257-
281, G. Liberman, « Plutarque et la Grande Rhètra », Athenaeum 65 (1997), p. 204-207, et
H. Van Wees, « Tyrtaeus’ Eunomia. Nothing to do with the Great Rhetra », in St. Hodkinson et
A. Powell, Sparta. New Perspectives, Londres, The Class. Press of Wales, 1999, p. 1- 41.
31. Le datif du texte peut correspondre soit à un complément d’attribution, soit à un instrumental ;
selon que rhètra désigne une proposition de loi, cf. Plutarque, Agis, 5, 3, 8, 1 et 9, 1, ou la loi
elle-même, voir Plutarque, Lyc., 6, 1 et 7, et 13, 1, on traduira par « à » ou par « par ».
32. Le vers étant corrompu ou incomplet, J.F. Wurm, dans son édition de Diodore, Stuttgart, 1827-
1840, a ajouté skolion en se fondant sur l’« amendement » du texte de Plutarque.
33. C. Prato, Tyrtaeus, p. 64-70, rejette au contraire le texte de Diodore du fait notamment de
l’accumulation des épithètes d’Apollon et du sens donné à ta kala.
34 . Il n’y a aucune raison de supposer que cette expression puisse désigner les éphores et donc, dans
la version de Diodore, s’opposer à « la masse du peuple » évoquée à la dernière ligne.
35. Le verbe délibérer (bouleuein) convient mieux pour la gérousie que pour l’assemblée.
36. Cf. Strabon, VII, 1, 43, et surtout Plutarque, Sur ce que la Pythie ne rend plus maintenant ses
oracles en vers, passim, 19 et surtout 23, où l’auteur assure qu’autrefois la majorité des oracles
étaient en prose.
37. C’est le cas, pour Plutarque, de l’« amendement », qui, peut-être pour paraître authentique, est
formulé en une langue plus archaïque et plus dorienne que le reste du passage.
38. C’est la thèse de L. Ziehen, RE III 2 a (1929), col. 1484.
39. En tout cas, ils ne sont pas attestés ailleurs.
4 0. Tyrtée 1 D3 v. 50-52, où, selon les restitutions adoptées, il s’agit de la première ou, plus
vraisemblablement, de la seconde guerre de Messénie, cf. aussi scholie à Pindare, Pyth., I, 121,
et Hdt., V, 68.
4 1. Cf. la liste in F. Kiechle, Lakonien und Sparta, Vestigia 5,1963, p. 116, n. 1, et D. Roussel,
Tribu et Cité, Paris, 1976, p. 223 sq.
4 2. A.J. Beattie, « An early Laconian lex sacra », CQ 45 (1951), p. 46-58, et SEG XI, 2 (1954),
4 75a.
43. Dans les inscriptions et les papyrus, le terme désigne aussi bien une division territoriale qu’une
section de la population, mais Plutarque paraît préférer le second sens, voir D. Wyttenbach,
Lexicon plutarcheum, 184 3, s.v.
44 . Cf. Plutarque, Lyc., 5, 12.
4 5. Cette intégration n’apparaît pas chez Tyrtée, qui se contente d’évoquer les rois et les Anciens.
4 6. Par exemple Eschyle, Suppl., 184 et 251 ; Sophocle, Œdipe-roi, 751, et voir les sens que
prêtent à archégète Hésychius (archôn) et la Souda (hègémôn).
4 7. Cf. P. Chantraine, Dict. étymol. de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, s.v., où
archégète est défini comme « fondateur d’une cité ou d’une famille » ; nombreux exemples in
LSJ, s.v. ἄρχω, auxquels on ajoutera Euripide, Électre, 555.
4 8. Ainsi Xénophon, Rép. Lac., X, 8.
4 9. Sur la dénomination effective de l’assemblée à Sparte, cf. infra.
50. C’est déjà le cas en 432, cf. infra et infra, et cela semble la norme au IVe siècle, cf. infra sq.

51. F. Gianotti, « Note alla rhetra di Licurgo », RFIC 99 (1971), p. 430-434 , avait déjà fait la même
suggestion.
52. Cf. Politique, II, 11, 1273a 9-13, commenté infra, p. 213.
53. D. Butler, « Competence of the Demos in the Spartan Rhetra », Historia 11 (1962), p. 385-396.
54 . Cf. infra.
55. En imposant son veto, la gérousie réaffirme au contraire son monopole de l’initiative, cf. infra sq.
56. Cf. infra.
57. Cf. les éditions d’E. Diehl, Anthologia lyrica graeca, fasc.1 3, Berlin, Teubner, 1949, dont nous
adoptons la numérotation, C. Prato, Tyrtaeus, Rome, Ateneo, 1968 et M.L. West, Iambi et Elegi
2
Graeci ante Alexandrum cantati , Londres, Oxford University Press, 1992.
58. Selon l’orateur athénien Lycurgue, Contre Léocrate, 107, les Spartiates, avant de partir en
expédition, doivent tous se réunir devant la tente royale « pour écouter les poèmes de Tyrtée ».
59. Cf. Platon, Lois, I, 629a, Lycurgue, Contre Léocrate, 106, Philochore, 328 F 215, et Paus., IV,
15, 6.
60. La Souda place l’akmè de Tyrtée en 640-36, chronologie acceptée par C. Prato comme par
e
M.L. West (milieu du VII siècle).
61. Il s’agit de poèmes faisant alterner un hexamètre et un pentamètre et qui n’ont rien de
spécialement « élégiaque » au sens moderne du terme.
62. Cf. B. Snell, Tyrtaios und die Sprache des Epos, Göttingen, Van den Hoeck et Ruprecht, 1969.
63. Homère, Iliade, VI, 208 et XI, 783 ; voir aussi la première élégie de Callinos, qui exalte
l’héroïsme individuel (cf. les derniers mots du poème : mounos éôn).
64 . Une expression voisine se retrouve dans l’élégie 11.
65. Il y a ici, sans doute, une allusion au droit d’avoir son nom inscrit sur la tombe, qui, à Sparte,
était le privilège des hommes morts à la guerre.
66. Cf. W. Jaeger, « Tyrtaios über die wahre Arete », SPAW 23 (1932), Berlin, p. 537-568 = Scripta
minora II, Rome, Edizioni di storia e di letteratura, 1960, p. 75-114 .
67. Ou, peut-être, simplement à bossettes, ce qui conviendrait mieux pour un bouclier hoplitique.
68. Il contraste avec le petit nombre de telles références dans le reste du poème, où on ne trouve
qu’Arès, les Kères et l’Hadès.
69. Si beaucoup de personnages sont en rapport avec l’Orient : la Phrygie pour Midas, Troie pour
Tithonos, la Phénicie et Chypre pour Kinyras, la Phrygie ou la Lydie pour Pélops, cela montre la
culture littéraire de Tyrtée, mais ne donne aucune indication sur son origine, d’autant plus que
Pélops et Adraste suggèrent aussi le Péloponnèse.
70. Le poète néglige ici le vieillissement de Tithonos, important dans le mythe, mais ne convenant
pas à un modèle de beauté.
71. Les allusions supposent que l’histoire de ces personnages était connue.
72. Si la guerre n’est pas un pugilat, la force d’un Cyclope peut servir à lancer les armes de jet.
73. Les aristocrates, comme les dieux, se distinguent par leur stature.
74 . L’expression renouvelle et change le sens d’une vieille formule homérique qui évoquait « la
ville et le territoire ».
75. C’est ce que suggérerait le fait que personne ne blâme sa justice et que tous, même les plus
vieux, se lèvent devant lui.
76. Même si la place des jeunes est institutionnellement au premier rang, cette place suffit à faire de
ceux-ci une élite guerrière.
77. Cf. Ed. Lévy, « Démocratie et aristocratie. Commentaire de deux passages de l’Oraison funèbre
(Thuc., II, 37, 1-3 et 40, 1-2) », Lalies 22 (2002).
2

L’organisation sociale

La grande originalité de Sparte est la répartition de la population en trois


catégories héréditaires : les Spartiates, seuls à jouir de droits politiques dans
l’État lacédémonien et constituant de plus en plus une véritable aristocratie, les
Périèques, hommes libres, citoyens de leur propre cité mais dépendant de
l’État lacédémonien, enfin les Hilotes, qui ont été collectivement asservis aux
Spartiates (et, peut-être, aux Périèques).
1. Les Spartiates
Dans l’État lacédémonien, ne jouit de droits polititiques que la minorité
constituée par les Spartiates proprement dits. Ceux-ci, en dehors de leur nom
de Spartiates, sont aussi qualifiés, notamment par Hérodote, d’astoi, terme qui
indique la citoyenneté mais avec une couleur plus aristocratique que politès 1,
tandis que Xénophon (Rép. Lac., 10, 7, 13, 1 et 7, Anabase, IV, 6, 14 et Hell.,
III, 3, 5) ou Aristote (Pol., V, 7, 1306b 30 et cf. V, 8, 1308a 12-16) les
nomment parfois Homoioi, c’est-à-dire les Semblables 2. Cette désignation
pourrait être déjà connue d’Hérodote et de Thucydide, comme le suggéreraient
quelques allusions 3 , mais elle n’est jamais expressément mentionnée par ces
historiens. Il semble d’ailleurs que le terme Homoioi soit plus précis que
Spartiates et que des citoyens plus ou moins dégradés et qui n’appartiennent
donc plus aux Homoioi, puissent toujours être considérés comme des
Spartiates 4 .
Il en irait ainsi pour ceux que, dans la République des Lacédémoniens (IX,
3-6), Xénophon qualifie de lâches (kakoi) et dont il détaille la dégradation
sociale :

on rougirait de manger avec lui ou de lutter avec lui à la palestre… ; il


doit céder le pas dans la rue et, assis, se lever même devant de plus
jeunes… ; il doit nourrir chez lui les filles de sa maison et se voir
imputer leur célibat ; il doit accepter d’avoir un foyer sans épouse tout
en payant la taxe des célibataires ; il ne doit ni se promener d’un air
triomphant ni imiter les gens irréprochables sous peine de se faire
rosser par de meilleurs que lui.

Cependant, sa participation aux jeux de ballon, même si, en général,


aucune équipe ne veut de lui, et aux chœurs, même rejeté aux places méprisées,
suggère qu’il reste quand même un citoyen ; c’est ce qu’implique aussi
l’obligation de payer la taxe des célibataires. Ces kakoi portaient le nom de
trembleurs 5 (trésantes), comme l’indique le passage de la Vie d’Agésilas (30,
3-4) où Plutarque précise le contenu de cette dégradation (atimia) légale,
qu’Agésilas a évitée aux vaincus de Leuctres :

non seulement ces gens sont exclus de toute magistrature, mais il est
déshonorant de donner à l’un d’eux ou d’en recevoir une épouse ; les
rosse quiconque les rencontre ; ils se résignent à la saleté et à
l’humilité, lorsqu’ils se déplacent ; ils portent des manteaux rapiécés de
couleur sombre et ne se rasent qu’une partie de la barbe.

Sans aller jusque-là, les Spartiates avaient, en 421, imposé aux vaincus de
Sphactérie, dont certains avaient déjà exercé des commandements, une
dégradation (atimia) leur retirant le pouvoir d’exercer des responsabilités
(archè) – mais non de participer à l’assemblée – et d’acheter ou de vendre
(Thuc.,V, 34, 2).
Seuls les Spartiates qui n’ont pas subi de dégradation ont donc droit au titre
d’Homoioi et l’on pourrait déceler les traces d’une structure pyramidale
distinguant successivement les deux dynasties royales 6 , l’ensemble des
Héraclides, les Homoioi, les Spartiates, les Lacédémoniens, voire les
Lacédémoniens au sens large, qui pourraient même comprendre les
Néodamodes.
Le terme Homoioi, sans impliquer une égalité économique et politique,
suggère au moins une ressemblance. Pour Thucydide (I, 6, 4), qui évoque la
simplicité de leur costume, c’est chez les Lacédémoniens que « s’est instaurée
la plus grande égalité dans les genres de vie (isodiaitoi malista) entre les
possédants et le grand nombre ». Platon, Isocrate et Aristote voient même dans
ce genre de vie commun et austère 7 un des éléments démocratiques du régime
lacédémonien.
En fait, le statut de Spartiate de plein droit implique, comme l’avait
souligné V. Ehrenberg, trois conditions : avoir reçu l’éducation collective
qu’on désigne traditionnellement sous le nom d’agôgè (prononcer agogué),
participer aux repas collectifs (les syssities) et posséder un domaine (kléros)
permettant de payer son écot aux syssities.
Ces trois conditions sont nécessaires, puisque celui qui ne supporte pas
l’agôgè, qui n’est pas admis aux syssities ou qui, faute de kléros, ne peut payer
sa part ne saurait être admis parmi les Homoioi.
Il faut aussi être issu de deux Spartiates. En effet, les bâtards (nothoi) 8 sont
distingués des citoyens normaux, tout en étant vraisemblablement au nombre
des Spartiates 9 , et, quelle que soit l’origine exacte des Parthéniai, l’image
qu’on s’en est faite suggère qu’un Spartiate est normalement issu de deux
Spartiates unis par un mariage légitime.

10
L’AGÔGÈ

Les sources

L’éducation spartiate, qui prend le nom d’agôgè aux époques hellénistique


et romaine, pose d’abord un problème de sources, car la description la plus
détaillée se trouve chez Plutarque. Or, même si celui-ci se réfère au passé, il
pourrait s’être laissé influencer par l’agôgè tardive, alors justement que
certains supposent une grande coupure entre cette agôgè et celle de l’époque
classique.
Kennell (p. 9-14) distingue deux longues périodes d’interruption, la
première de 270-50 jusqu’à environ 226, date à laquelle Cléomène III, aidé du
philosophe stoïcien Sphairos, aurait recréé une agôgè assez différente de
l’agôgè originelle, la seconde, imposée par la ligue achéenne, de 188 à 146.
Mais aucun texte ne suggère une interruption complète de l’agôgè au IIIe siècle :
il s’agit plutôt d’une dégradation ou, si l’on préfère, d’une évolution, qui
diminuait peut-être les rigueurs de l’entraînement. Quant à la seconde
interruption, elle semble avoir été beaucoup moins longue que ne le suppose
Kennell : l’agôgè, manifestement rétablie avant la visite de Paul-Émile à
Sparte, en 168, l’a probablement été dès 183 ou 179 ; l’interruption n’aurait
ainsi duré que de 5 à 9 ans.
D’autre part le fait, attesté par la Souda (s.v. Dicéarque), qu’une loi 11,
longtemps en vigueur, imposait de lire tous les ans aux jeunes Spartiates
accédant à la majorité le texte que Dicéarque, un disciple d’Aristote, avait
consacré au régime spartiate, interdisait de trop s’écarter du modèle ancien.
Aussi est-il possible, grâce à Xénophon et à Plutarque, qui se fonde en
partie sur Aristote, voire à certains passages de Platon 12, et en tirant parti de la
Crète 13 , que les Anciens ont toujours rapprochée de Sparte, d’essayer de
préciser les caractéristiques de l’éducation spartiate dans la Grèce classique 14 .
Avant le IVe siècle, les allusions à cette éducation sont rares. Hérodote,
pourtant attiré par tout ce qui sort de l’ordinaire, ne mentionne aucunement
l’éducation spartiate : il se contente d’évoquer le port de cheveux longs par les
adultes (I,82), qui daterait du milieu du VIe siècle, le respect exceptionnel
montré aux personnes âgées, puisque les jeunes s’effacent devant elles sur les
chemins et se lèvent devant elles (II, 80), et le refus des longs discours. Il faut
attendre l’Oraison funèbre que Thucydide (II, 39) fait prononcer à Périclès
pour voir opposer à la vie sans contrainte des Athéniens l’entraînement pénible
en vue du courage auquel les Spartiates sont astreints dès leur jeunesse (néoi).

Caractères généraux

L’éducation spartiate est surtout originale dans la mesure où il s’agit d’une


éducation obligatoire, organisée par la cité et collective.
Cette formation est indispensable pour accéder à la pleine citoyenneté.
Xénophon (Rép. Lac., III, 3) précise en effet que les adolescents qui se
soustrairaient à la rude éducation spartiate n’ont pas part aux honneurs (ta
kala), entendons, ne seront que des citoyens diminués, ne pouvant, entre autres,
accéder ni aux corps d’élite (Hippeis) ni aux magistratures. Plutarque confirme
la chose en notant (Inst. Lac., 21, 238e) que « celui des citoyens qui ne
supportait pas l’agôgè n’avait pas part aux droits civiques (tôn tès poleôs
dikaiôn) », expression assez inhabituelle qui évite de les dire totalement privés
de la citoyenneté. C’est pourtant ce que, selon Plutarque lui-même (Apopht.
lac., anonyme 54, 235b), aurait affirmé l’éphore Étéocle : après la défaite
d’Agis III (en 330), il se serait refusé à envoyer cinquante enfants en otages à
Antipatros, pour éviter que ceux-ci ne fussent privés de l’éducation (agôgè)
ancestrale, « car ils ne seraient pas citoyens ». Mais, pour autant que le propos
fût authentique, il était de bonne guerre d’exagérer les conséquences de cet
envoi. Inversement, la participation à l’agôgè peut être un moyen, pour des
inférieurs, d’accéder à la liberté, voire à la citoyenneté 15.
Cette formation obligatoire est organisée par la cité et a, de ce fait, suscité
les éloges de Platon et d’Aristote, qui critiquaient à cet égard les autres États,
indifférents à l’éducation des futurs citoyens. Même si tous deux reprochent à
Sparte de ne se soucier que de l’entraînement à la guerre, Aristote, pour sa
part, félicite la cité d’organiser l’éducation conformément à l’esprit du régime.
Quant à Xénophon (Rép. Lac., 2), il oppose cette formation à l’éducation
privée existant dans le reste de la Grèce. En effet, dans les autres cités, même
« ceux qui veulent donner à leurs fils la meilleure éducation » en chargent des
« pédagogues 16 » de condition servile et des maîtres d’école, dont on connaît
l’humble condition. Au contraire, à Sparte, « au lieu de laisser chacun en
charger des esclaves comme « pédagogues », Lycurgue 17 a donné autorité sur
eux à un personnage pris parmi ceux qui exercent les plus hautes charges, qui
porte le nom de « pédonome » et qui est assisté de « porteurs de fouet »,
recrutés parmi les jeunes citoyens déjà adultes (hèbontés). Si l’on en croit le
texte, les Spartiates ne sont pas soumis à des esclaves « pédagogues », mais
qu’en est-il des maîtres d’école ? Qui enseigne les lettres, la « musique » et les
arts de la palestre ? Il est difficile de supposer qu’il ait suffi de faire appel aux
jeunes irènes 18 ou à quelques citoyens âgés 19 . A moins de prétendre, comme
un écrit sophistique de la fin du Ve siècle (DK II6 90, Dissoi Logoi, 2, 9), que,
« pour les Lacédémoniens, ne pas enseigner les arts et les lettres aux enfants est
honorable », voire, comme Isocrate (Panath., XII, 209), que les Spartiates ne
savaient même pas lire et écrire 20 , on doit admettre qu’il y avait des maîtres,
dont le statut social n’est pas précisé : si, comme c’est vraisemblable, il
s’agissait d’inférieurs, les admirateurs de Sparte évitaient d’en parler, car,
sinon, il devenait difficile de reprocher aux autres d’utiliser des esclaves
comme « pédagogues ». Aussi Xénophon n’évoque-t-il aucunement cet
enseignement, qui, ne se distinguant guère, sauf par son organisation, du
système habituel, ne méritait pas de développement particulier. Quant à
Plutarque, si, en Lyc., 16, 10, il se contente de noter, très brièvement, qu’« ils
apprenaient les lettres (entendons à lire et à écrire) en vue de la pratique », il
ajoute, un peu plus loin (21, 1), qu’« on ne mettait pas moins de soin à leur
enseigner la poésie et le chant qu’à leur apprendre la correction et la pureté du
langage ». Aristote (Pol., IX, 5, 1339b 1-2), pour sa part, évoque les
Laconiens, qui, bien que n’apprenant pas à pratiquer la musique 21, seraient
(affirme-t-on ou affirment-ils ?) capables de juger correctement des bonnes et
des mauvaises mélodies, tandis qu’Athénée (XIV, 632f-633b) voit dans les
Lacédémoniens les Grecs les plus respectueux des traditions de la lyrique
chorale.
De toute façon, l’enseignement « primaire » n’est qu’un élément de
l’éducation spartiate, qui se distingue, elle, par sa durée. Elle commence sans
doute au même âge que dans les autres cités grecques, c’est-à-dire à 7 ans 22,
âge où Plutarque (Lyc., 16, 7) place précisément les débuts de l’agôgè. Mais, ce
qui distingue Sparte des autres cités, que critique Xénophon, c’est qu’on
n’arrête pas l’éducation au début de l’adolescence (Rép. Lac., III, 1). Au
contraire, les Spartiates ne se contentent pas d’éduquer les paidés au sens
restreint, de 7 ans à 12 ou 14 ans, auxquels, comme partout en Grèce, ils
dispensent une formation de base, d’écriture, de lecture, de chant et de poésie.
Ils se soucient aussi des adolescents ou jeunes gens (paidiskos ou meirakion)
de moins de 20 ans, qui, avec les paidés au sens restreint, constituent les paidés
au sens large ; et Xénophon insiste sur l’importance, à cet âge, du contrôle
moral, trop négligé dans les autres cités. Enfin, d’une certaine manière, la
formation continue jusqu’à 30 ans : les hèbontes ou néoi ont un statut
intermédiaire 23 , puisque, s’ils sont comme les deux autres groupes sous
l’autorité du pédonome, celui-ci les défère aux éphores pour être mis à
l’amende (Rép. Lac., IV, 6) et qu’ils ne se contentent pas d’assister aux
syssities, mais y participent en tant qu’adultes.
Si Xénophon note que le pédonome a pleins pouvoirs pour rassembler les
enfants (II,2) et mentionne les jeunes gens placés à la tête de chaque ila 24 (II,
11), ce sont les seules allusions qu’il fasse à leur vie collective, qui est
cependant impliquée par l’absence de « pédagogues » et par la mention (en II,
5) de leur nourriture commune. C’est au contraire cette vie collective qui a
suscité l’intérêt de Plutarque. Pour celui-ci (Lyc., 16), les enfants étaient, dès
l’âge de 7 ans, « embrigadés en troupeaux (agéla) » et habitués à jouer et à
travailler ensemble et, à partir de 12 ans 25 ou plus probablement deux ou trois
ans plus tard 26 , amenés à « dormir ensemble 27 par ila et par agéla 28 sur des
paillasses qu’ils s’étaient constituées eux-mêmes en cassant l’extrémité de
roseaux de l’Eurotas avec leurs mains sans l’aide du fer 29 ». C’est également à
partir de cet âge, ou deux ans plus tard, que les adolescents sont répartis en
classes d’âge (5, à l’époque romaine, 7, auparavant) portant chacune un nom
particulier, qui nous a été conservé par des inscriptions d’époque romaine ou
par des gloses.

Les principes éducatifs

L’éducation des jeunes Spartiates repose sur la discipline, la vie à la dure


et l’émulation. A propos des paidés au sens restreint, Xénophon insiste sur
l’obéissance (peithô) et la bonne tenue (aidôs) qui leur sont imposées. Il
conclut le chapitre (II, 14) en présentant comme une évidence le fait que
l’éducation laconienne produit les hommes les plus obéissants, qui montrent le
plus d’aidôs et qui sont les plus intérieurement disciplinés (enkratestéroi) là où
il le faut. La raison en est qu’ils sont constamment soumis non à des esclaves
ou à des maîtres salariés, mais à des chefs respectés, capables de donner des
ordres et d’infliger des punitions. Non seulement le pédonome, assisté de
jeunes porteurs de fouet (mastigophores), peut leur infliger des châtiments
corporels ou des privations de nourriture, mais les paidés sont soumis à
l’autorité de tout citoyen qui se trouve là – ce qui implique que, contrairement
à Athènes, les adultes peuvent assister aux exercices des enfants – et chaque
groupe, que Xénophon qualifie d’ilè (dorien ila) a son propre chef. « C’est
pourquoi, pour Xénophon, les paidés n’y (sc. à Sparte) sont jamais sans chefs
(archôn) », tandis que Plutarque (Lyc., 16, 8) en conclut que « l’éducation était
un entraînement à l’obéissance ».
Cette vie collective est aussi, dès le début 30 , une vie à la dure 31, ce qui
permet à Xénophon de critiquer la mollesse développée chez les enfants par les
autres Grecs, qui « attendrissent leurs pieds en leur donnant des sandales »,
leur font revêtir des manteaux différents suivant les saisons et les laissent
manger autant qu’ils veulent. Au contraire, à Sparte, les paidés marchent pieds
nus et ont un seul manteau pour toute l’année 32, ce qui, malgré Plutarque,
n’implique pas nécessairement l’absence de chiton. Ils ne reçoivent qu’une
nourriture à peine suffisante, à compléter par le vol. Cependant, Xénophon, qui
développe assez longuement la question du vol comme s’il avait à défendre un
usage quelque peu décrié 33 , en a peut-être exagéré la fréquence. Kennell
(p. 122 sq.) a en effet rapproché un passage des Apophtegmes laconiens (Anon.
35, 234a-b), où Plutarque, à propos de l’épisode célèbre de l’enfant au
renard 34 , évoque « le moment (kairos) où la coutume voulait que les enfants
libres volent tout ce qu’ils pouvaient et où il était déshonorant de se laisser
voir ». Comme le montrent le vol du renard et le fait que les enfants volent tout
ce qu’ils peuvent 35, cet épisode ne se confond pas avec le vol rituel des
fromages, auquel Xénophon fait d’ailleurs allusion un peu plus loin dans le
texte. Mais il correspondrait, lui aussi, à une coutume particulière, où l’on
risque également de recevoir des coups de fouet et qui prendrait place à un
moment précis de l’année. Ce serait aussi une pratique collective : Xénophon
évoque la nécessité de « rester en embuscade et d’avoir des guetteurs sous la
main » et Isocrate (Panath., XII, 211-12), la participation de « compagnons de
leur choix », tandis que, dans l’épisode du renard, Plutarque précise que le
jeune Spartiate avait été chargé de garder le renardeau que ses camarades
avaient volé.
Critiquant le laxisme des autres Grecs, qui laissent les adolescents sans
« pédagogues » ni maîtres se gouverner eux-mêmes, Xénophon note qu’à
Sparte Lycurgue « leur a imposé le plus grand nombre de travaux et s’est
ingénié à leur donner le plus d’occupation » (Rép. Lac., III, 2), sous peine, s’ils
s’y dérobaient, de ne plus avoir part aux honneurs (ta kala), c’est-à-dire de
devenir un citoyen diminué 36 . N’évoquant cette menace qu’à ce stade de
l’éducation, le texte de Xénophon pourrait suggérer que la première phase de
vie collective (jusqu’à 12 ou 14 ans), où il n’y avait pas encore de classes
d’âge au nom particulier, n’était pas, elle, considérée comme une obligation
légale.
Pour l’adolescence, cependant, Xénophon insiste surtout sur la bonne tenue
(aidôs), qui permet de discipliner les élans excessifs de cet âge instable : en
chemin, les paidiskoi doivent « garder les mains sous le manteau, marcher en
silence et éviter de jeter les yeux autour d’eux mais regarder devant leurs
pieds ». Ce tableau idéalisé, qui rappelle l’ancienne éducation exaltée avec
quelque humour par Aristophane (Nuées, 961-1003), permet à Xénophon
d’assurer que ces adolescents l’emportent en aidôs sur « les vierges dans leur
chambre 37 ». Assistant aux phidities, ceux-ci restent silencieux en se contentant
tout juste de répondre aux questions.
A l’âge suivant, c’est l’émulation qui domine, car chacun aspire, sinon à
devenir un des trois hippagrètes, au moins à être au nombre des 300 Hippeis
qui constituent la garde royale 38 , car « chaque hippagrète enrôle cent
hommes 39 en indiquant les raisons pour lesquelles il préfère les uns et élimine
les autres », et ceux qui ont été éliminés aspirent à remplacer ceux qui leur ont
été préférés en les prenant en faute (Rep. Lac., 4, 6). Xénophon prétend même
que « du fait de leur rivalité (éris), ils jouent des poings partout où ils se
rencontrent 4 0 ». Mais, bien qu’il qualifie cette rivalité de « la plus chère aux
dieux et la plus utile à la cité (politikôtatè) » et précise que tout citoyen présent
a le pouvoir de séparer les combattants, on peut se demander si, comme pour
les vols des paidés, il n’a pas généralisé des affrontements qui ne sauraient être
quotidiens sans susciter une véritable anarchie. Aussi est-il tentant de
rapprocher ces combats des épreuves rituelles, qui sont, elles, bien attestées,
comme le vol des fromages à l’autel d’Orthia (Rep. Lac., II, 9) ou les combats
de Platanistas (Paus., 3, 14, 8-10), combats où s’affrontent rituellement et
sauvagement deux groupes de jeunes 4 1.

La pédérastie

La vie collective des jeunes Spartiates leur permet de nouer des liens en
dehors des simples solidarités familiales et a pu servir de modèle aux Gardiens
de La République, que Platon entend arracher au milieu familial. A Sparte, ces
liens ne sont pas seulement des liens « horizontaux » avec les enfants du même
âge, mais aussi des liens « verticaux » avec des Spartiates plus âgés, noués
grâce à ce qu’on pourrait qualifier de pédérastie éducative 4 2.
Celle-ci pose le problème des relations sexuelles. En effet, Xénophon (Rép.
Lac., II, 13, et cf. Banquet, VIII, 35) insiste, de façon paradoxale 4 3 , sur leur
chasteté en affirmant que, « à Lacédémone, les amants (érastes) n’étaient pas
moins retenus dans leurs amours pour les garçons que les pères à l’égard de
leurs fils 4 4 ou les frères à l’égard de leurs frères ». Plutarque (Inst. Lac. 237b-
c) note que les relations sexuelles avec les jeunes garçons (paidés) étaient
considérées comme honteuses et infligeaient le déshonneur (atimie) pour toute
la vie. Quant à Élien (V.H., 3, 12), il assure que « si un adolescent (meirakion)
osait se laisser faire violence (hubris) ou son amant lui faire violence », ils
n’en tiraient pas profit mais étaient punis de l’exil ou de la mort. Or, d’autres
textes suggèrent que ces relations étaient non seulement pratiquées mais
admises à Sparte. Ainsi Platon, dans les Lois (I, 636b-c et VIII, 836b),
condamne clairement les amours « contre nature » pratiquées à Sparte et en
Crète. D’ailleurs, l’éloge que fait Xénophon lui-même (Agésilas, 5, 4, 7) de la
retenue exceptionnelle d’Agésilas à l’égard du beau Mégabate ne serait pas
justifié si c’était le cas général. Quant à Cicéron (Rép., IV, 4), il propose une
solution moyenne en assurant qu’en face de la licence autorisée en Élide et à
Thèbes « les Lacédémoniens, en autorisant tout dans ce domaine sauf le stupre,
ne dressent qu’une bien faible muraille devant la seule chose qu’ils interdisent :
ils autorisent en effet de s’embrasser 4 5 et de coucher ensemble, pourvu qu’un
manteau sépare les amants ».
On pourrait essayer de concilier ces indications diverses, de valeur
inégale, en opposant la réalité à la théorie ou, si l’on préfère, à l’idéalisation
de Sparte. Mais, bien que La République des Lacédémoniens soit à beaucoup
d’égards plus hagiographique que réellement historique, il est aussi excessif de
tout ramener au « mirage spartiate » que de supposer tous les Spartiates
conformes à l’image qu’ils voulaient donner d’eux-mêmes. Si la « chasteté
pédérastique » n’avait été qu’un mythe, son caractère mensonger aurait trop
facilement été percé à jour. Il faut sans doute, comme pour « la belle mort 4 6 »
ou la thésaurisation, distinguer ici l’idéal spartiate et la façon dont il était
respecté selon les époques 4 7 et les individus. La tolérance qui amène le Platon
des Lois, plus affirmatif à cet égard que celui du Banquet 4 8 , à assurer que les
relations sexuelles entre amants étaient autorisées par la loi, doit parfois – ce
qui expliquerait les indications d’Élien – laisser place à des réactions
brutales 4 9 lorsque ces relations ne se dissimulent plus suffisamment 50 . Les
adversaires de Sparte stigmatiseraient à cet égard l’hypocrisie spartiate, mais
on pourrait aussi évoquer l’aidôs, essentielle dans l’éducation spartiate. Cette
aidôs amenait, au mieux, à sublimer ses désirs, au minimum, à sauver la face
en dissimulant 51, ce que Xénophon qualifie de « très honteux ».
De toute façon, ces relations pédérastiques jouaient un rôle éducatif
important en incitant chacun des deux à se distinguer et en se substituant
quelque peu au modèle parental, c’est pourquoi elles étaient favorisées et
contrôlées par la cité : Élien (V.H., 3, 10) évoque des amendes infligées par des
éphores à un jeune qui avait préféré un éraste riche à un homme de bien
(chrestos) pauvre, à un homme de bien qui n’avait pas voulu avoir d’éromène
et, d’une manière générale, aux érastes quand leur éromène commettait une
faute 52. Quelle que soit la valeur historique de ces anecdotes, elles tendent à
présenter la relation pédérastique correcte (l’orthôs paiderastein du Banquet
de Platon, 211b) comme une sorte de devoir civique.
Celle-ci accroît aussi l’influence des individus ou des familles 53 : ainsi le
lien pédérastique entre Lysandre et Agésilas contribua à l’accession au trône et
à l’envoi en Asie d’Agésilas, tandis que le fils d’Agésilas fit, grâce à son père,
acquitter Sphodrias, le père de son éromène.

La kryptie

J’ai essayé, en 1988, de montrer 54 que la kryptie ne concernait qu’un


nombre restreint de Spartiates et qu’il fallait distinguer la difficile épreuve qui
obligeait à rester caché pendant un an et l’utilisation de ceux qui avaient réussi
pour, ensuite, terroriser les Hilotes. C’est du moins le seul moyen de concilier
les quatre textes qui évoquent cette institution, à savoir :

1) Platon, Lois, I, 633b-c : (le Spartiate Mégillos) « Eh bien, pour ma


part, je puis essayer d’évoquer la quatrième (trouvaille du législateur
spartiate), à savoir la pratique, fréquente chez nous, de
l’endurcissement à la douleur, dans les pugilats des uns contre les
autres et dans certains vols qui se passent à chaque fois sous une pluie
de coups. Et il y a aussi quelque chose qu’on appelle la kryptie,
exercice d’endurance prodigieusement éprouvant, avec l’absence de
chaussures et de literie en plein hiver et le fait de se passer de
domestiques en étant à eux-mêmes leurs propres serviteurs, tout en
errant de jour comme de nuit à travers tout le territoire. Il y aussi chez
nous le redoutable endurcissement des Gymnopédies… »
2) Scholie à Platon, Lois, I, 633b : « On envoyait de la ville un jeune,
qui ne devait pas se laisser voir pendant une aussi longue période. Il
était donc forcé de vivre en parcourant les montagnes et en ne dormant
pas sans crainte pour éviter de se faire prendre et sans disposer de
serviteurs ni emporter de provisions. C’était aussi une forme
d’entraînement à la guerre 55. En effet, expédiant chacun sans
équipement, ils leur enjoignaient de vagabonder une année entière à
l’air libre dans les montagnes et de se nourrir par le vol et les procédés
de même sorte, et cela, sans se faire voir de personne ; c’est pourquoi
aussi la chose est appelée kryptie 56 ; de fait, ceux qui s’étaient laissé
voir, où que ce fût, étaient châtiés. »
3) Plutarque, Vie de Lycurgue, 28, 1-7: 1/ «Il n’y a en tout cela aucune
trace de l’injustice et de l’iniquité que certains reprochent aux lois de
Lycurgue en tant que suffisantes pour le courage, mais déficientes en
ce qui concerne le sens de la justice. 2/ C’est ce qu’on appelle chez eux
la kryptie – si c’est bien, comme le rapporte Aristote, une des
institutions de Lycurgue – qui aurait inspiré à Platon aussi cette
opinion au sujet du régime et de l’homme. 3/ Voici en quoi elle
consistait : les chefs (archontés) 57 envoyaient de temps à autre dans le
territoire sans mission particulière (allôs) ceux des jeunes (néoi) qui
passaient pour les plus intelligents, avec des poignards et des vivres
suffisants, mais rien d’autre. 4/ Ceux-ci, pendant le jour, dispersés dans
des endroits couverts, se tenaient cachés et se reposaient, mais, la
nuit 58 , descendant sur les chemins, ils égorgeaient celui des Hilotes
qu’ils surprenaient. 5/ Souvent aussi, parcourant la campagne, ils en
tuaient les plus robustes et les plus forts. 6/ (Allusion à Thucydide : au
massacre d’Hilotes de 425). 7/ Aristote dit aussi, précisément, que les
éphores, dès qu’ils entraient en charge, déclaraient la guerre aux
Hilotes pour qu’on pût les tuer sans souillure. »
4) Hérakleidès Lembos, (fr. 373,10 Dilts = Aristote, fragment 538
Rose, dont j’adopte la correction) : « On dit aussi qu’il ( = Lycurgue)
est l’instigateur de la kryptie, conformément à laquelle encore
maintenant, faisant une expédition en armes, ils se cachent le jour et, la
nuit, ils… et tuent autant d’Hilotes qu’il le faut. »
Ces textes, qui ne permettent pas de remonter au-delà du IVe siècle, ou bien
font de la kryptie un exercice d’endurance, voire une épreuve imposée
individuellement à de jeunes Spartiates, ou bien insistent sur sa fonction
répressive. On pourrait admettre que, selon leurs préoccupations, les auteurs
soulignent tantôt un aspect, tantôt un autre : c’est notamment l’hypothèse que
propose J. Ducat, en rappelant, par exemple, que le Spartiate Mégillos n’avait
pas à mentionner les aspects cruels de la kryptie. Mais encore faut-il que ces
aspects soient conciliables : le krypte reste-t-il isolé et caché pendant un an,
sans ravitaillement ni équipement (texte 2), ou fait-il des expéditions en
groupe, avec armes et vivres (textes 3 et 4) ? On pourrait être tenté de résoudre
la contradiction en supposant des stades différents dans l’histoire de la kryptie,
mais la scholie est censée évoquer la situation à l’époque de Platon et, même si
les indications de Plutarque ne proviennent pas toutes d’Aristote, il fait allusion
à Platon et se réfère à un passage de Thucydide. Aussi vaut-il mieux chercher
une explication dans la carrière individuelle du krypte.
Les textes 1 et 2 évoquent une épreuve particulièrement difficile ; il est peu
probable que toute une classe d’âge y ait été soumise 59 , surtout à une période
où les Spartiates étaient encore assez nombreux. En tout cas, tous ne
réussissaient pas l’épreuve : « Ceux qui s’étaient laissé voir… étaient châtiés. »
Ceux qui réussissaient formaient dès lors l’élite des néoi 60 , sans doute
mentionnés par Plutarque comme « ceux qui passaient pour les plus
intelligents ». Ces kryptes, ainsi distingués conformément aux principes
d’émulation et de sélection constants dans la société spartiate, constitueraient
des sortes de commandos, utilisés 61 aussi bien pour terroriser les Hilotes et en
éliminer certains que, au moins à certaines époques, dans des opérations de
reconnaissance derrière les lignes ennemies 62.
La kryptie peut ainsi apparaître comme le couronnement de l’éducation
spartiate. La vie à la dure, agrémentée de vols, culmine dans cet isolement où il
faut vivre sur le pays tout en se cachant. L’émulation invite à se distinguer dans
cette épreuve particulièrement difficile, qui associe courage et débrouillardise.
Enfin, les massacres à venir d’Hilotes marquent le point d’aboutissement de la
brutalité qui caractérise cette éducation, où, outre les châtiments corporels
(coups de fouet ou morsure du pouce) et la privation de nourriture, on est, dès
le plus jeune âge, incité à se battre, comme on continue à le faire entre les
Hippeis et les autres ou comme on s’arrache les yeux à Platanistas (Paus., III,
14). C’est là un entraînement au courage, qui, selon Aristote (Pol., VIII, 4,
1338b 17-19), ne débouche pas sur le vrai courage, cher aux philosophes,
mais sur une brutalité de bêtes sauvages. C’est la critique la plus violente qu’on
puisse faire de l’éducation spartiate.

LES SYSSITIES

Les Spartiates se distinguent aussi par leurs repas collectifs quotidiens,


qualifiés de syssities 63 .

Origine

Le terme et la chose ne sont pas propres à Sparte : l’ensemble du monde


grec a connu des repas communs organisés pour les membres masculins d’un
groupe social ou religieux. Il suffit d’évoquer les banquets homériques (ex.
Od., IV, 621), ceux des phratries ou les syssities de Thèbes, de Milet ou de
Thourioi. Et les Grecs en ont même retrouvé l’équivalent à Rome (cf. Denys
d’Halicarnasse, 2, 23) ou à Carthage, dont Aristote (Pol., II, 11, 1272b 33-34)
rapproche expressément les syssities de celles de Sparte.
On a attribué à ces syssities des origines à la fois sociales, militaires et
religieuses, en y voyant au départ des réunions de guerriers (Männerbunde),
des banquets aristocratiques ou la célébration de sacrifices. Mais, à Sparte,
comme l’a bien montré Pauline Schmitt-Pantel 64 , ces banquets d’hommes à
valeur religieuse et sociale se sont transformés en un mess quotidien,
obligatoire sauf, précise Plutarque (Lyc., 12, 4), « quand le sacrifice ou la
chasse avaient fini trop tard ». Il y aurait là comme une démocratisation du
banquet, qui, si l’on en croit Phylarque (FHG I, 346 = Athénée, IV, 141f-142b),
redeviendra aristocratique au IIIe siècle. A Sparte, ces syssities se déroulent
encore à l’époque de Pausanias (cf. VII, 1, 8) à proximité du tombeau de
Teisaménès, le fils d’Oreste, dont les ossements ont sans doute été recouvrés
au cours du VIe siècle, ce qui suggère que ces syssities civiques ont été créées
ou réorganisées à une date relativement récente.

Dénomination

Ces repas collectifs portent à Sparte des noms variés, qui peuvent eux-
mêmes avoir plusieurs sens.
Le terme, habituel en Grèce, de syssities (en grec, sussition, au pluriel
sussitia) indique étymologiquement le partage d’une nourriture à base de
céréales. A Sparte, à partir du sens de « repas commun », il en est venu à
désigner le groupe de convives qui y participent, le lieu où se déroule ce repas
et enfin une unité militaire 65 (de gens censés manger ensemble).
Le terme phidities, propre à Sparte, est confirmé par l’épigraphie sous les
formes pheideition ou pheidition ; il est employé, lui aussi, pour les convives
et pour le lieu, mais jamais pour une subdivision militaire. L’étymologie du
mot est claire : il vient de pheid-, épargner, et convient bien pour un repas
fondé sur l’épargne, puisque organisé par écot ; mais Plutarque signale que le
mot est en concurrence avec philities, terme formé sur philia (la solidarité
amicale) et convenant pour des repas amicaux.
Andreia (singulier : andreion) serait le terme le plus ancien, déjà attesté
chez Alcman et conservé en Crète, mais, à l’époque classique, il n’est plus
employé que rarement par les Spartiates.
Suskènia (en dorien : suskania), formé sur le mot qui désigne la tente,
indique le partage de la tente où a lieu le repas ; le terme, lié en partie à la vie
de camp, a une connotation institutionnelle, puisque Xénophon évoque la skènè
dèmosia (tente publique) (Rep. Lac., XV, 4).

Participation
La participation aux syssities est obligatoire pour être au nombre des
Homoioi. On y est vraisemblablement admis à partir de 20 ans. La procédure
est décrite par Plutarque (Lyc., 12) ainsi que par un scholiaste (à Platon, Lois
633a) : la cooptation se fait à l’unanimité des membres du sussition, qui votent
au moyen de boulettes de pain jetées dans un grand vase. Il est possible 66 que le
jeune soit parrainé par son éraste.
Chaque convive doit fournir sa quote-part mensuelle, dont le montant a été
indiqué par Dicéarque (FHG, II, 242 = Athénée, IV, 141 b-c) et par Plutarque
(Lyc., 12), soit, transcrits en unités modernes, environ 77 litres d’orge,
39 litres de vin, 3 kilos de fromage et 1,5 kilo de figues, ainsi que 10 oboles
éginétiques, soit l’équivalent de 2,5 drachmes attiques. Il n’est pas fait mention
de l’huile d’olive, pourtant indispensable, et on ne sait si elle était achetée ou
fournie en supplément 67 . Ces quantités, qui dépassent la consommation d’un
individu, devaient permettre de nourrir aussi le personnel des syssities.
Si l’on ne pouvait payer sa part, on cessait d’être citoyen de plein droit, ce
qui, comme l’a souligné Aristote (Pol., II, 9, 1271a 26-37), posait des
problèmes à la fois sociaux et politiques.
On peut cependant s’interroger sur le nombre de convives par sussition. En
effet, Plutarque donne deux indications contradictoires. Selon la Vie de
Lycurgue, 12, « ils se réunissaient par quinze, ou un peu plus ou un peu
moins » ; et les Apophtegmes laconiens (226d) rappellent, à propos des
syssities, que les citoyens en armes étaient répartis en petits groupes
(kat’oligous). Quant à la scholie à Lois 633a, qui donne, sur la cooptation et
sur la nécessité du secret 68 , les mêmes indications que Plutarque, elle indique
que les convives étaient au nombre de 10, ce qui correspond à l’effectif de la
« tente publique », qui, selon Xénophon (Rép. Lac., XIII, 1), pouvait réunir le
roi en campagne, les 6 polémarques et les 3 Homoioi attachés à la tente 69 .
Or, dans la Vie d’Agis, 8, 4, voulant théoriquement revenir à Lycurgue,
tout en divisant ses nombres par deux, puisque Sparte avait perdu la majeure
partie de la Messénie, le roi réformateur entendait répartir les 4 500 citoyens
prévus en 15 phidities de 400 ou 200 membres. Contrairement à la plupart des
commentateurs, je ne crois pas souhaitable de rejeter purement et simplement
ces dernières indications. Même si Phylarque, dont s’inspire ici Plutarque, est
très partial en faveur d’Agis IV, c’est un contemporain, dont les indications ont
des chances d’être mieux fondées que des traditions censées remonter à
Lycurgue. D’autre part, le texte de Plutarque présente une contradiction
apparente, qu’ont bien décelée certains traducteurs 70 : 4 500 n’étant pas
divisible par 200, on ne peut constituer les 15 phidities prévues. Mais, si l’on
constitue 7 phidities de 200 et 7 de 400, il reste une phiditie de 300, qui, bien
que non indiquée par Plutarque, n’est pas faite pour surprendre, car elle
correspond précisément au nombre des Hippeis. Ce simple calcul confirme la
valeur des indications de Plutarque, que lui-même ne comprend plus très bien.
Ainsi, même si l’on peut contester le caractère « lycurguien » de la réforme
d’Agis, le contenu de sa réforme, qui, sur ce point, n’a d’ailleurs pu être
réalisée, ne saurait être mis en doute. La présence d’un nombre identique dans
les deux textes de Plutarque est une simple coïncidence, n’impliquant pas une
tradition unique, qui, dans un cas, aurait été mal interprétée, car les 15 groupes
d’Agis sont censés renvoyer à un système lycurguien de 30 syssities.
Évoquant les subdivisions de l’armée, Polyen, 2, 3, 11, suggère que les
syssities ne formaient qu’un groupe restreint, puisque, à propos de la bataille
de Leuctres, il cite, dans un ordre manifestement décroissant, mores, loches,
énomoties 71 et syssities. Au contraire, le texte d’Hérodote (I, 65) qui évoque
énomoties, trièkades et syssities ne permet pas de conclusions, car on ne sait si
les trièkades sont des groupes de 30, ce qui ne les distinguerait guère des
énomoties, ou des trentièmes de l’armée. Cependant, les syssities de Sparte, qui
associent des personnes d’âge divers, sont volontiers comparées aux banquets
des phratries, qui peuvent réunir plus d’une centaine de participants 72.
Toutefois, quand, par exemple, à la veille de Leuctres, il n’y avait plus que
1 200 Spartiates mobilisables, il était bien évident qu’on ne pouvait plus réunir
30 syssities de plusieurs centaines de convives ; inversement, à une époque où
il y aurait eu 9 000 Spartiates, on imagine mal 600 syssities de 15 convives.
Les diverses indications sont cependant conciliables si l’on distingue le
« lieu de réunion » et le groupe de convives 73 . Dans le premier cas, il peut
s’agir d’un nombre important : Agis IV prévoit 200, 300 ou 400 personnes,
tandis qu’en Crète (voir Dosiadas, FGH 450 F2 = Athénée, IV, 143), où les
citoyens peuvent être répartis en hétairies qualifiées d’andreion, chaque local
de syssitie comporte plusieurs tablées et il est même possible qu’il n’y ait
qu’un local qualifié d’andreion par cité. Au contraire, la tablée elle-même peut
se limiter à 10 ou 15 personnes, voire moins, puisque Alcman évoque de petits
andreia de 7 convives.
Le seul problème concret qui se pose est de savoir si l’on doit être coopté
par toute la « salle » ou seulement par la « tablée ». Bien qu’il soit difficile de
conclure sur ce point, il est plus vraisemblable qu’il s’agit d’être coopté par
l’ensemble. En effet, il ne serait pas difficile d’être admis, s’il suffisait d’être
coopté par 14 ou 9 personnes et il n’y aurait pas besoin d’un grand vase pour y
déposer une dizaine de boulettes de pain.
De toute façon, quand les Spartiates n’étaient plus que de 1 000 à 2 000,
chacune des 30 syssities ne pouvait plus comporter qu’un nombre limité de
convives 74 . Quant à savoir ce qui se passait réellement, quand ils étaient 9 000,
il est difficile de le dire, car nous n’avons aucune assurance que le système
imaginé ou reconstruit par Agis IV ait déjà fonctionné et, notamment, qu’en
dehors des campagnes la participation quotidienne ait déjà été obligatoire.
En tout cas, elle ne l’était pas, au moins à l’origine, pour les rois. Selon
Hérodote (VI, 57), ceux-ci pouvaient librement soit assister aux repas
collectifs, soit manger chez eux, soit se faire inviter par des particuliers, qui,
eux non plus, n’avaient pas ce jour-là participé aux syssities. Il paraît au
contraire normal à Xénophon (Rép. Lac., XV, 4) que les rois mangent hors de
chez eux, puisqu’on leur a affecté à cet effet une « tente publique ». Quant à
Plutarque, il prétend que, même pour eux, cette participation était obligatoire et
rapporte qu’on avait refusé d’envoyer ses portions à un roi qui, au retour
d’une expédition victorieuse, avait voulu dîner avec sa femme (Lyc., 12, 5).
Aussi bien dans les repas publics que lorsqu’ils mangeaient chez eux, les
rois avaient effectivement droit à une double part, ce qui, selon Xénophon, leur
permettait d’honorer qui ils voulaient 75, mais devait initialement, comme chez
Homère, surtout servir à marquer leur prééminence. Les gérontes
nouvellement élus recevaient aussi une double part et pouvaient ainsi honorer
une femme de leur famille. Quant aux éphores, ils avaient un sussition, qui leur
était propre.
La participation des jeunes variait suivant l’âge : les paidés au sens
restreint ne participaient pas aux syssities ; les paidiskoi, sans y participer, y
assistaient en silence, ce qui permettait d’apprécier leur tenue pour, plus tard,
les coopter et obligeait les adultes à un minimum de décence ; les néoi, quant à
eux, à condition d’avoir été cooptés, participaient aux syssities.
L’agôgè, les syssities et les activités militaires, qui duraient jusqu’à 60 ans,
imposaient aux Spartiates une vie collective qui autorisait et favorisait la
chasse, mais ne laissait guère de place aux raffinements de l’art et de la
littérature et a pu contribuer au déclin culturel de Sparte, visible dès la fin du
e e
VI siècle et s’aggravant au milieu du V siècle.
Cependant, les phidities spartiates ne sont pas totalement égalitaires. Les
riches et les bons chasseurs se distinguent et sont incités à le faire en apportant
des suppléments de nourriture (pain blanc, produits agricoles ou gibier) : si
ceux-ci sont bien partagés, les donateurs sont récompensés par des places
d’honneur et voient leurs noms proclamés lors de la distribution des parts
(Épicharme, in Athénée, IV, 139c, et Molpis, ibid., 141e). Mais il y a plus
grave : contrairement à ce qui se passe en Crète, il faut apporter son écot, ce
qui élimine les plus pauvres. Aussi Aristote (Pol., II, 9, 1271a 26-37) peut-il
souligner que les syssities, dont le législateur voulait faire une institution
démocratique, ne se montrent finalement « pas du tout démocratiques ».

LE KLÉROS ET LA PRÉTENDUE ÉGALITÉ SPARTIATE

C’est justement pour qu’ils puissent payer leur part aux syssities qu’aurait
été alloué un lot de terre (kléros) à chaque citoyen 76 . Dans leur reconstruction
du passé spartiate, les Anciens ont supposé soit que, conformément aux
habitudes des conquérants, la distribution avait été faite lors de la conquête
dorienne 77 , soit que, comme toute l’organisation spartiate, elle était l’œuvre de
Lycurgue, soit enfin que, puisqu’il y avait aussi des lots en Messénie, l’œuvre
de Lycurgue avait été complétée par le roi Polydore, vainqueur des
Messéniens 78 (Plut., Lyc., 8, 5, 6). Il est évident que les Grecs ne pouvaient
avoir de documents sur l’attribution initiale des kléroi et que cette distribution
théoriquement égalitaire ne saurait être qu’une reconstruction tardive.
Mais qu’en est-il du kléros et, en général, du régime de la propriété à
l’époque classique ? Les historiens modernes ou bien ont fait aveuglément
confiance à Plutarque en se contentant de paraphraser ses indications, ou bien
ont rejeté comme une invention tardive tout le système fondé sur l’égalité et
l’insécabilité des kléroi alloués par la cité et associés à une rente fixe payée par
les Hilotes qui cultivaient le domaine.
Il est prudent à cet égard de bien distinguer ce que les auteurs écrivent sur
la Sparte de leur époque et ce qu’ils croient savoir du régime ancien de la
terre. Au IVe siècle, contrairement à ce qui se passe en général dans les autres
cités, la propriété du lot de terre est partagée entre la cité et son détenteur et
l’on peut à cet égard, en reprenant des termes du droit romain, distinguer le
droit d’usage (ius utendi) et le droit d’aliéner (ius abutendi), déjà en germe
dans la Rhétorique d’Aristote (I, 1361a 12-14).
Le détenteur du lot en a, bien sûr, l’usufruit, même si ce droit est, selon
Plutarque 79 , limité par l’interdiction d’en tirer plus que la rente traditionnelle.
Mais il n’avait pas le droit de l’aliéner : l’abréviateur d’Aristote (Hérakleidès
Lembos, Fr. 373,12 Dilts = Aristote, Const. Lacéd., Fr. 611, 12, Rose) affirme
expressément que « vendre de la terre est considéré comme honteux (aischron)
pour les Lacédémoniens 80 , pour un élément de la part ancienne (archaia
moira), ce n’est même pas permis », ce que Plutarque (Inst. lac., 22) paraphrase
en : « Il était interdit de vendre les parts distribuées initialement (archèthen
diatétagménas) 81.» Aristote considère d’ailleurs cette interdiction comme un
usage archaïque, qui avait été assez général : « Dans beaucoup de cités, il était
même interdit par la loi, au moins jadis, de vendre les premiers lots » (Pol., VI,
4, 1319a 10-11) 82.
Cependant, l’abréviateur d’Aristote suggère que le Spartiate peut posséder
de la terre en dehors du lot initial 83 . Cette distinction paraît confirmée par un
passage de Polybe (VI, 45, 3), où, selon des auteurs du IVe siècle, le régime
lacédémonien est caractérisé par le fait que « tous les citoyens doivent avoir
une part égale du territoire civique (politikè chôra) 84 »: si les citoyens
n’avaient possédé que des lots de ce territoire, chôra n’aurait pas eu besoin
d’être précisé. De même, dans la Vie d’Agis, Plutarque évoque à la fois le
patrimoine (oikos) et le klèros (5, 2 et 5, 3) ou la terre (gè) en général et le
klèros (5, 6) 85. Comme, selon Plutarque (Agis, 5, 3), la rhètra d’Épitadeus 86
aurait permis d’aliéner par don ou legs les deux catégories, il apparaît qu’à
cette époque (IVe siècle) le détenteur a acquis, au moins partiellement 87 , le ius
abutendi.
Le renforcement de son droit de propriété est aussi confirmé par le régime
successoral, sur lequel Plutarque a recueilli deux traditions contradictoires.
Dans la Vie de Lycurgue, 16, 1-2, l’auteur rapporte que le père apportait son
nouveau-né 88 « dans un lieu, qualifié de leschè (salle de réunion), où
siégeaient les plus âgés des gens de la tribu 89 . Ceux-ci examinaient l’enfant et,
s’il était bien conformé et robuste, enjoignaient de l’élever, en lui attribuant un
des neuf mille lots » ; sinon, ils le faisaient jeter dans un précipice. Mais, dans
la Vie d’Agis, 5, 2, le même auteur assure qu’avant la rhètra d’Épitadeus « le
père laissait son lot à son fils ».
Les historiens ont vainement tenté de concilier les deux textes. Il ne suffit
pas de supposer que les vieillards accordaient ou confirmaient au fils, pour
l’avenir, le lot du père. Car que se passait-il, lorsque, cas normal, il y avait
plusieurs fils ? On lui donnerait alors, selon P. Oliva, un des autres lots
disponibles, mais, en admettant même qu’il y en eût, ce ne serait plus le lot du
père. Et, surtout, le premier texte ne parle pas d’accorder pour l’avenir, mais
d’assigner immédiatement : s’il s’agit du lot du père, celui-ci s’en trouverait
alors démuni.
Aussi, plutôt que d’essayer de concilier artificiellement les deux modes
d’héritage, vaut-il mieux y reconnaître deux régimes différents.
Il y aurait d’abord eu un régime ancien, évoqué dans la Vie de Lycurgue,
régime dont la réalité a été mise en doute par certains historiens, ne serait-ce
que parce qu’il paraît inapplicable. Pour le rendre applicable, il suffirait
cependant de retirer du texte de Plutarque tout ce qui n’est qu’interprétation
tardive, puisque les seuls faits rapportés sont
1) la sélection des nouveau-nés viables par les vieillards de la tribu 90 ,
2) l’attribution de lots disponibles, ce qui fait problème, s’il n’y a en pas
assez, mais Plutarque, habitué à l’oliganthropie spartiate, n’envisage pas
l’hypothèse et insiste au contraire sur l’obligation pour le père d’élever
l’enfant reconnu viable 91.
En fait, pour que le système marche, même en cas de pénurie, il faut et il
suffit que les anciens de la tribu aient suivi l’ordre inverse et qu’ils aient
sélectionné les enfants à élever en fonction des lots disponibles. Ce système,
s’il a réellement existé, permettait de maintenir constant le nombre des
citoyens en évitant son accroissement, qui était sans doute un des problèmes de
l’époque archaïque.
Mais il ne suffit pas que le système soit viable pour qu’il ait réellement été
mis en œuvre. On a pu l’imaginer pour justifier l’image d’une Sparte
archaïque qu’on se représentait comme longtemps restée égalitaire, ce qui
n’aurait pas été possible si les successions avaient permis la division et la
concentration des biens. Or, ni dans les textes les plus anciens (par exemple
Tyrtée), ni chez Hérodote, Sparte n’apparaît comme une cité où la propriété est
répartie de façon égalitaire.
De toute façon, la tendance à vouloir s’approprier héréditairement le lot
dont on ne serait qu’un détenteur viager est assez universelle. Aussi, même si
le système, normal en Grèce, qu’évoque la Vie d’Agis, n’est pas originel, il a
dû s’imposer assez vite 92.
Il reste cependant un dernier problème. Selon Plutarque « le père laissait
son lot à son fils ». Mais, quand il y a plusieurs enfants, comme aucun texte ne
réserve l’héritage à l’aîné, les biens devaient être partagés 93 , ce qui suscite des
problèmes sociaux, bien soulignés par Aristote et Plutarque. En effet,
contrairement à l’égalité, au moins partielle 94 , qu’aurait permise l’attribution
d’un kléros à tout nouveau-né admis à vivre, le « nouveau » système entraînait
l’appauvrissement, lorsqu’il y avait plusieurs fils 95, qui devaient soit vivre du
même lot, soit le partager 96 . Il permettait aussi l’enrichissement par cumul
lorsqu’on épousait une patrouchos, car, contrairement à ce qui se passait à
Athènes, le mari de la patrouchos ne coupait pas tout lien avec sa famille
d’origine, dont il continuait à hériter. Il est d’autre part possible que, comme à
Gortyne, les filles aient hérité de la moitié de la part de leur frère, soit à la
mort de leur père, soit comme dot dès leur mariage. C’est ce qui, ajouté aux
possessions des patrouchoi, pourrait expliquer comment, au grand scandale
d’Aristote (Pol., II, 9, 1270a 23-26), les femmes en étaient venues à posséder
les deux cinquièmes de tout le territoire 97 .
Le kléros aurait ainsi été détourné de sa fonction originelle, qui aurait été
de fournir les ressources permettant au citoyen de s’adonner aux activités de
l’homme libre (guerre, chasse et vie politique).
De toute façon, l’égalité économique et sociale entre tous les Homoioi,
dont il aurait fourni la base, n’est qu’un mythe, qui ne paraît pas attesté avant le
e
IV siècle : cette égalité n’est jamais mentionnée par Hérodote, et Thucydide (I,

6, 4) évoque seulement « l’égalité dans les genres de vie entre les possédants et
le grand nombre », ce qui suffit à rappeler l’existence des deux catégories.
Même dans son éloge de la Sparte d’avant la décadence, Xénophon (Rép. Lac.,
7) se contente de détailler les moyens utilisés par Lycurgue pour contrarier le
désir de s’enrichir, sans jamais prétendre que les Spartiates auraient tous des
ressources identiques. Quant à Aristote (Pol., II, 6, 1266a 39-40), loin de
supposer une égalité des biens entre les Spartiates, il fait de Phaléas de
Chalcédoine le premier théoricien à avoir proposé une telle égalité entre les
citoyens d’une même cité. En fait, en dehors même des rois, dont la richesse
était proverbiale 98 , on connaît des Spartiates assez riches pour faire courir des
chars à Olympie, comme, au Ve siècle, Anaxandros, Polyclès 99 , Arcésilas et
son fils, Lichas ou Léon, et, de 448 à 420, en 8 concours olympiques, les
Spartiates remportent même 7 fois la course de quadriges 100 . Selon Plutarque
(Agésilas, 20 et Apopht. lac., 212b), Agésilas aurait même dû inciter sa sœur
Kyniska à concourir pour essayer de persuader aux aristocrates spartiates que
de telles victoires attestaient plus la richesse que l’excellence (arétè). De toute
façon, se distinguait une élite sociale constituée de ceux qu’Hérodote qualifie
de dokimoi (gens de renom) et Aristote de prôtoi (les premiers).
Inversement, Xénophon (Rép. Lac., VI, 4) évoque « ceux qui ont peu » et
qui sont heureux d’« avoir part à tout ce qui est dans le pays quand ils ont
besoin de quelque chose » et, notamment, quand ils se sont attardés à la chasse,
à la nourriture laissée par les autres, tandis qu’Aristote mentionne ceux qui, ne
pouvant payer leur part des syssities, perdent leur pleine citoyenneté.

101
LA FEMME À SPARTE

La femme spartiate a trop intéressé les autres Grecs pour pouvoir échapper
à l’idéalisation ou au dénigrement.

L’image traditionnelle

Pour les uns, les mères spartiates, plus spartiates que les Homoioi eux-
mêmes, sont un modèle d’héroïsme, au moins par procuration, puisqu’elles
incitent dans de nombreux apophtegmes, pieusement recueillis par Plutarque,
leurs fils à mourir pour la patrie et se lamentent même de les voir revenir
vivants.
Il est possible qu’elles aient réellement essayé de jouer ce rôle que la cité
leur dictait, comme elle utilisait aussi femmes ou jeunes filles pour faire honte
ou gloire aux jeunes combattants ou honorer le nouveau géronte.
Mais, au-delà de cette façade héroïque, sans doute imposée par les
convenances sociales 102, les femmes spartiates ne se montrent pas plus
courageuses que les autres Grecques : de même que Leuctres avait mis à mal le
mythe de l’invincibilité spartiate, l’invasion thébaine qui lui fit suite porta, au
moins provisoirement, atteinte au mythe de la Spartiate héroïque 103 . Xénophon
(Hell., VI, 5, 28) se contente de noter sobrement que, lors de cette invasion,
« en ville, les femmes ne supportaient même pas la vue de la fumée, parce
qu’elles n’avaient jamais vu d’ennemis ». Mais Aristote (Pol., II, 9, 1269b 34-
39) surenchérit en les accusant d’être les plus nocives (blabérôtatai) dans le
domaine militaire et en assurant que, « lors de l’invasion thébaine, elles ne se
montraient, contrairement 104 aux femmes des autres cités, utiles en rien, mais
causaient plus de troubles que les ennemis ».
Cependant, tout en rejetant l’image héroïque de la femme spartiate,
Aristote sacrifie au mythe inverse, celui de la Spartiate dévergondée. S’il se
contente (Pol., II, 9, 1269b 12-23) d’évoquer, sans entrer dans les détails, le
laisser-aller (anésis) féminin et le dérèglement total (akolastôs pros hapasan
akolasian) des femmes spartiates, c’est qu’il s’agit déjà d’un topos trop connu
pour qu’il soit besoin d’insister. Il suffit de rappeler les propos de Pélée dans
l’Andromaque (595-604) d’Euripide : « Même si elle le voulait, une jeune fille
ne saurait rester chaste (sôphrôn) à Sparte, où, désertant les maisons, avec les
jeunes hommes (néoi), cuisses nues 105 et péplos flottant, elles partagent, chose
intolérable à mes yeux, pistes de course et palestres », et le vieillard d’évoquer,
avec à propos, puisqu’il s’adresse à Ménélas, le thème exemplaire du
dévergondage d’Hélène, « partie avec un jouvenceau faire la fête en terre
étrangère ». S’il est vrai que, contrairement à Athènes, les jeunes filles ne
restaient pas confinées à la maison, avaient des activités sportives et
apparaissaient nues 106 dans des processions (Plut., Lyc., 14, 4), seule la
malveillance pouvait en tirer des conclusions sur leur vertu.

L’éducation

L’éducation des jeunes filles, qui surprenait les autres Grecs, a été évoquée
notamment par Critias (DK II6 B 32), Xénophon (Rép. Lac., 1, 3-4), Platon
(Lois, VII, 806a), Nicolas de Damas (FGH 90 F103,4) et Plutarque, Lyc., 14-
15.
Il est remarquable que la cité se soucie de l’éducation des filles et que cette
éducation soit pour une bonne part un entraînement physique. Critias, dans une
perspective eugénique, se félicitait que celle qui allait un jour être mère
s’entraînât (gumnazoito) et fortifiât son corps. Xénophon, dans la même
perspective, assurait que Lycurgue imposa un entraînement physique
(sômaskein) au sexe féminin tout autant qu’au sexe masculin et organisa à
l’intention des jeunes filles des compétitions de course et de force. Il soulignait
aussi que, contrairement au reste de la Grèce, on ne leur mesurait pas
chichement la nourriture 107 et on ne leur interdisait pas le vin 108 , ce qui
suggère sans doute un régime roboratif. Ainsi s’expliquent sans doute les
réactions admiratives et amusées de Lysistrata (Aristophane, Lys., 79-84)
accueillant la Laconienne Lampito : « Quel corps vigoureux tu as ! tu
étranglerais un taureau », à quoi celle-ci rétorque : « Ma foi ! oui, par les
Dioscures, c’est que je fais du gymnase et saute jusqu’aux fesses. » Plutarque
précise que les jeunes filles pratiquaient la course, la lutte et le lancer de
disques et de javelots, mais le dernier exercice au moins ne devait pas être
pratiqué à l’époque classique, puisque l’Athénien des Lois (VII, 806b) reproche
aux femmes spartiates leur incapacité à lancer avec quelque compétence une
arme de jet.
Cependant, l’éducation des jeunes filles ne se limite pas à l’entraînement
physique : Platon rappelle qu’elles ont aussi part à la mousikè. Celle-ci leur est
enseignée dans le cadre des chœurs 109 , dirigés par des chorèges et des poètes
professionnels, où elles apprennent les valeurs civiques et se préparent à
participer à la vie religieuse de la cité.
L’entraînement physique, la participation aux chœurs de chant et de danse
et, en général, à la vie religieuse de la cité implique une certaine vie collective,
qui amène Pindare (Fr. 112 Snell) à évoquer une « agéla laconienne des jeunes
filles (parthénôn) ». Il s’agit là sans doute d’une simple métaphore rappelant
les agélai de garçons. Il n’empêche que, chez elles aussi, tout est fait pour
développer l’émulation. Outre les concours gymniques, déjà évoqués, la cité
met en concurrence les chœurs de jeunes filles, tandis que celles-ci aspirent à
la gloire d’être au nombre des 12 qui chantent l’épithalame d’Hélène et
Ménélas ; et, au VIIe siècle, le Parthéneion d’Alcman évoquait même comme un
concours de beauté entre elles.
Il semble que, comme pour les garçons, ait joué un certain rôle dans leur
formation l’homosexualité, qu’on peut qualifier d’homoérotisme, si ces
relations restaient « platoniques ». Plutarque (Lyc., 18, 9) signale au passage
que « l’amour était si admis (enkékriménou) chez eux (sc. à Sparte) que les
femmes de bien aimaient (éran) les jeunes filles ». On ne peut trop se fonder
sur la remarque d’Hagnon l’Académique, cité par Athénée (XIII, 602d-e),
« c’était la coutume chez les Spartiates d’avoir des relations sexuelles (omilein)
avec les jeunes filles avant leur mariage comme avec des mignons », car il
pourrait s’agir de relations hétérosexuelles. Mais l’Athénien des Lois (I, 636b-
c) critique, à Sparte comme en Crète, « les amours contre nature » entre
femmes comme entre hommes. Quelle que soit la fréquence des relations
homosexuelles entre femmes, relations dont les Grecs n’aiment guère parler –
d’où l’importance de la critique de Platon et de la remarque incidente de
Plutarque, qui s’efforce de justifier ce qu’il ne peut nier –, il est clair que,
comme la vie collective, elles tendent à libérer la jeune fille et la femme des
relations strictement familiales.

Le mariage 110

La cité, qui s’est intéressée à la formation des garçons et des filles, ne


néglige pas leur mariage.
Elle incite d’abord les hommes à se marier en infligeant des brimades aux
célibataires, qui ne peuvent plus, une fois âgés de 30 ans, assister aux
Gymnopédies, doivent, l’hiver, faire nus le tour de l’agora et ne voient plus
leurs cadets se lever devant eux (Plut., Lyc., 15, 1-3, et Apopht. lac. 227e-f).
Selon le Stoïcien Cléarque de Soles, cité par Athénée (XIII, 555c-d), « au cours
d’une certaine fête les femmes, poussant les célibataires 111 autour de l’autel,
leur donnent des coups de baguette afin que, cherchant à éviter cette brimade
(hubris), ils aiment et en viennent à se marier dans la force de l’âge ».
Selon Plutarque (Lys., 30), on intenterait même des actions judiciaires à
ceux qui ne se marient pas (dikè agamiou), se marient tard (dikè opsigamiou)
ou se marient mal (dikè kakogamiou). Mais il s’agirait sans doute plus d’une
pression sociale, éventuellement sanctionnée par les éphores, que d’une
réglementation légale, car, même le Platon des Lois (VI, 773c-e) a reculé
devant une telle réglementation, qui, outre la colère des intéressés, aurait
suscité le rire.
En tout cas, selon Xénophon (Rép. Lac., I, 6), Lycurgue, entendons le
régime spartiate, aurait imposé aux hommes de se marier dans la force de
l’âge ; il devait aussi y avoir un âge minimum non seulement pour les filles 112,
mais également pour les garçons, puisque, outre les textes déjà cités, Plutarque
signale que le futur Cléomène III s’est, pour des raisons financières, marié
avant l’âge normal. Il faut aussi éviter de déroger en ne se souciant que de la
richesse et Archidamos, le père d’Agésilas, aurait été mis à l’amende par les
éphores, pour avoir préféré une femme laide et riche 113 , tandis que les
prétendants des filles de Lysandre l’auraient été pour avoir renoncé à les
épouser quand, à la mort de leur père, ils auraient découvert la pauvreté de
celui-ci (Plut., Lys., 30, 6). Le « mauvais mariage » devait sans doute être aussi
reproché à ceux qui auraient pris femme dans une famille dégradée ou auraient
éventuellement épousé une étrangère, comme le futur Léonidas II, dont le
mariage antérieur avec une fille de satrape a servi de prétexte à sa destitution.
La cité se soucie du mariage de la patrouchos, équivalent spartiate de
l’épiclère athénienne, c’est-à-dire la fille qui, n’ayant ni frères ni descendants
de frères, doit recevoir l’héritage paternel et maternel pour le transmettre à ses
descendants. Selon Hérodote (VI, 57, 4), ce sont les rois qui précisent en droit
(dikazein) « à qui il revient de l’avoir 114 , si son père ne l’a pas engagé
(enguèsèi) », c’est-à-dire, en fait, désignent normalement le plus proche parent.
Mais, selon Aristote (Pol., II, 9, 1270a 26-29), « il est permis de donner
l’épiclère à qui l’on veut et, si l’on meurt sans avoir pris de dispositions,
l’exécuteur testamentaire (klèronomos) la donne à qui il veut ». Même si, chez
Hérodote, le père pouvait déjà librement marier ou engager sa fille, la liberté
de disposer de la patrouchos s’est encore acccrue, ce qui permet toutes les
stratégies matrimoniales pour s’approprier une riche patrouchos.
Le mariage se faisait à Sparte selon la procédure, traditionnelle en Grèce,
de l’enguè et de l’ekdosis. L’enguè est l’engagement rituel entre le père ou, si
le père est mort, celui qui en tient lieu, et le futur époux, garantissant que le
mariage, quand il sera conclu, éventuellement de nombreuses années plus tard,
sera légitime et que le père renoncera donc à ses droits sur sa fille. L’ekdosis,
qui correspond au mariage lui-même, est le transfert de la fille de la maison du
père à celle de l’époux. Hérodote évoque ces deux phases du mariage grec : le
roi, comme on l’a vu plus haut, désigne un mari à la patrouchos, si son père ne
l’a pas engagé par enguè (VI, 57) ; Léotychidas était fiancé (armosaménou) à
Percalon (VI, 65) et donna (dontos) lui-même sa fille à son petit-fils, issu d’un
premier mariage (VI, 72). Quant aux dots, si Plutarque (Apopht. lacon., 227f)
prétend que Lycurgue les avait interdites, ce n’était certainement pas vrai au
e
IV siècle : Aristote (Pol., III, 9, 1270a 25) critique les dots importantes que

donnent les Spartiates, et les anecdotes évoquant des mariages avec des
femmes riches, qui ne sont pas nécessairement des patrouchoi, n’auraient pas
de sens, si la dot, d’ailleurs bien attestée en Crète, n’existait pas.
Le mariage spartiate comporte cependant des rites originaux, décrits par
Plutarque (Lyc., 15, 4-9). Selon cet auteur, les Spartiates « se mariaient par
enlèvement (harpagè) » et la chose est confirmée par Hérodote (VI, 65),
puisque, Démarate, « ayant intrigué, prive Léotychidas du mariage (attendu) en
enlevant (harpasas) avant lui Percalon et en la prenant pour femme ». Dans cet
exemple, ce qui est anormal, c’est non le rapt, mais le fait que le ravisseur soit
Démarate et non Léotychidas. Aussi l’enlèvement ne paraît-il pas contraire à la
procédure normale, mais devait être la matérialisation rituelle de l’ekdosis 115.
Il est d’ailleurs possible, voire probable, que Démarate, profitant de sa
situation de prince héritier, ait « intrigué » auprès du père de la mariée.
Plutarque précise le travesti rituel qui faisait suite à l’enlèvement : la
« marieuse » (numpheutria) rasait la tête de la jeune fille ainsi enlevée,
« l’habillait d’un manteau et de sandales d’homme et la couchait sur une
paillasse, seule et sans lumière. Le jeune marié…, qui avait dîné aux phidities,
se glissant furtivement à l’intérieur, lui déliait la ceinture et, la soulevant, la
transportait sur le lit. Après avoir passé avec elle un temps restreint, il se
retirait décemment pour aller dormir là où il avait l’habitude, avec les autres
jeunes gens ». Comme Plutarque ajoute que le jeune marié continue à vivre
avec ses camarades (jusqu’à l’âge de 30 ans) et ne voit sa femme qu’en
cachette, même si elle est devenue mère, il manque pendant un certain nombre
d’années un élément de ce qui, ailleurs, est constitutif du mariage, à savoir la
cohabitation (sunoikein). L’on peut dire qu’à Sparte le mariage se fait en trois
épisodes : l’enguè, le rapt correspondant à l’ekdosis et enfin la vie commune.
S’intègre difficilement à ce schéma un rite étrange rapporté par un auteur
du IIIe siècle, Hermippos de Smyrne (FHG III, 37 = Athénée, XIII, 555b-c).
« Toutes les jeunes filles (korai) et les jeunes garçons (néaniskoi) non mariés
étaient enfermés dans une salle obscure et chacun emmenait sans dot celle dont
il s’était saisi », et l’auteur ajoute que Lysandre aurait été mis à l’amende pour
avoir voulu remplacer par une plus belle la première dont il s’était saisi. Si ce
type d’union a réellement existé, il est difficile d’y voir un véritable mariage
et, s’il ne s’agit que d’une union sexuelle sans suite, servant d’initiation, il
serait étrange qu’aucun adversaire de Sparte n’en ait tiré parti pour dénoncer
l’immoralisme des Spartiates.
Le fait qu’Anaxandridas, refusant de répudier sa première femme, ait été
autorisé à avoir en même temps deux femmes et deux foyers, est tout à fait
exceptionnel, mais les éphores n’auraient peut-être pas pensé à une telle
solution si Sparte n’avait connu un régime conjugal assez souple permettant à
une femme d’avoir légalement des rapports sexuels avec deux hommes (Xén.,
Rép. Lac., I, 7-9, et Plut., Lyc., 15, 12-13, Comp. Lyc.-Numa, 3, 3 et Mor., 242b).
Un vieillard qui a une jeune femme 116 peut utiliser les services d’un homme
dont il admire les qualités physiques et morales pour l’introduire auprès de sa
femme et en obtenir un enfant. Inversement, « si quelqu’un ne voulait pas se
marier, mais désirait avoir des enfants de valeur », il lui était permis, « s’il
voyait une femme bien née et bien pourvue d’enfants, de persuader son
possesseur et de s’en faire faire un enfant ». On retrouve là, dans un domaine
un peu particulier, cette communauté d’usage dont Aristote faisait l’éloge :
dans le premier cas, il y a prêt du géniteur, dans le second, prêt de la femme,
mais ce qui importe à la famille, comme à la cité, c’est la naissance d’un
enfant. Ces usages particuliers expliquent peut-être pourquoi l’adultère, même
féminin, n’est pas criminalisé à Sparte, ce qui n’implique pas, comme
l’imaginent ses laudateurs, qu’il n’y en ait pas ou que les Spartiates ne soient
pas jaloux : les exemples scandaleux de Timaia, la femme d’Agis II, ou de
Chilonis, la femme de Cléonymos, suffiraient à le montrer.
De vrais cas de polyandrie 117 sont évoqués dans un fragment de Polybe
(XII, 6 b 8). Selon cet historien, « chez les Lacédémoniens, il était à la fois
traditionnel et habituel que la femme eût 118 trois, voire quatre maris et parfois
plus, quand ils étaient frères, et que leurs enfants fussent communs ; et, quand
on avait assez d’enfants, il était beau et habituel de donner en mariage
(ekdosthai) sa femme à un de ses amis ». Le vocabulaire employé pour le
deuxième cas est celui du mariage : il correspond donc plus à un remariage
qu’à la polyandrie et on peut le rapprocher d’un passage d’Isée (II, 7, 9), où, à
Athènes, un vieillard sans enfants entend persuader sa femme de se remarier.
Le premier cas est plus intéressant, car, s’il est fréquent, comme le prétend
Polybe, il supposerait, outre le manque de femmes 119 , un effort pour éviter de
partager le patrimoine. On peut cependant se demander s’il s’agit réellement de
mariage et non pas simplement de phratries se partageant la même concubine.

La propriété

Dans sa critique de Sparte, Aristote explique les inégalités entre citoyens


par la cupidité (philochrèmatia) des femmes, dont il note, avec indignation,
qu’elles en sont venues à « posséder presque les deux cinquièmes de tout le
territoire » (Pol., II, 9, 1270a 23-24). On ne sait par quels calculs le philosophe
est arrivé à cette proportion, qui se serait encore accrue à l’époque d’Agis IV,
où, selon Plutarque (Agis, 7, 5), « la plus grande partie des richesses de la
Laconie était entre (leurs) mains ». L’affirmation d’Aristote pourrait être
confirmée par la comparaison avec la Crète, où le Code de Gortyne, en dehors
des biens immobiliers réservés aux fils, donne à la fille la moitié des biens
alloués à chacun de ses frères. Si l’on suppose des dispositions semblables à
Sparte et que le nombre des filles soit à peu près égal à celui des garçons,
celles-ci devraient avoir un peu moins des deux sixièmes et il suffit de tenir
compte des patrouchoi pour arriver aux deux cinquièmes mentionnés par
Aristote 120 . On pourrait sans doute objecter, avec J. Ducat, que, si les filles,
contrairement à Athènes, recevaient une part d’héritage, Aristote l’aurait
indiqué. Mais, si, ce que nous ignorons, l’héritage des filles était, en dehors
d’Athènes, habituel en Grèce, il était difficile, pour le philosophe, de s’en
indigner. D’autre part, à Sparte comme à Gortyne, cette demi-part d’héritage
pouvait sans doute être allouée comme dot, lors du mariage et, si Aristote ne
critique pas l’héritage des filles, il s’en prend au montant élevé des dots.
Les femmes peuvent donc être riches 121, mais encore faut-il qu’elles
puissent disposer, en droit ou, au moins, en fait, de leurs biens. La question
reste très discutée, car le mythe de la gynécocratie spartiate a pu inciter à
laisser dans l’ombre une tutelle masculine trop évidente pour qu’on en parle et,
inversement, l’athénocentrisme a pu amener les historiens à imaginer le statut
de la femme grecque sur le modèle de son infériorité athénienne.
Le vocabulaire incite déjà à distinguer la patrouchos, « celle qui possède
(ékhein) les biens paternels », de l’épiclère, « celle qui est à côté (épi) de
l’héritage, qui s’ajoute à l’héritage ». D’autre part, certains exemples
historiques montrent des femmes disposant de grandes richesses. La sœur
d’Agésilas II, Kyniska a pu, grâce à son immense fortune, posséder une écurie
de course et triompher à Olympie 122 ; or, n’étant évidemment pas patrouchos,
elle ne pouvait tenir ses biens que de sa dot ou de l’héritage de son père
Archidamos. Quant à Agésistrata et à Archidamia, mère et grand-mère
d’Agis IV, Plutarque (Agis, IV, 1), bien renseigné sur cette période tardive,
déclare que c’étaient elles « qui, parmi les Lacédémoniens, possédaient
(ekektènto) le plus de biens ». Et l’historien précise un peu plus loin (6, 7)
qu’Agésistrata (qui n’était pas une patrouchos, puisqu’elle avait un frère qui
participait aux réformes d’Agis IV), « par le nombre de ses clients, de ses amis
et de ses débiteurs, avait une grande puissance dans la cité ». C’est elle et non
un éventuel kurios qu’Agis doit persuader et c’est elle qui se fera tuer à la mort
d’Agis.
Ainsi, les femmes, qui, comme le rappellent Platon et Aristote, forment la
moitié de la cité, peuvent, par leur richesse comme par l’influence qu’elles
exercent sur leurs proches et notamment sur leurs maris 123 , y jouer un rôle
important, condamné, bien sûr par Aristote, tandis que leur rôle religieux, à
Sparte comme dans le reste de la Grèce, en fait un élément indispensable à la
cité. Mais c’est surtout à la maison que leur rôle, symbolisé par leur
appellation de despoina (maîtresse), encore en usage à Sparte (Plut., Lyc., 14,
2) 124 , est prédominant. N’ayant pas, comme ailleurs, à passer leur temps à
travailler la laine (Xén., Rép. Lac., I, 3), elle peuvent se livrer aux trois
occupations que mentionne Platon (Lois, VII, 806a) : la direction du personnel
servile (thérapeia), la gestion du ménage (tamieia) et l’éducation des enfants
(paidotrophia).
S’il faut faire la part des phantasmes que la liberté des femmes spartiates a
suscités chez les auteurs anciens ou modernes, il est vrai que celles-ci doivent
jouir de plus d’indépendance que la femme athénienne de l’Économique de
Xénophon. En effet, elles dirigent d’autant plus facilement la maison que leur
mari est absent : en permanence, jusqu’à l’âge de 30 ans, et, souvent, après.
D’autre part, la différence d’âge et de culture est moins grande à Sparte qu’à
Athènes et les relations mari-femme ne tendent donc pas à se constituer sur le
modèle père-fille. Enfin, les activités physiques des jeunes filles et l’esprit de
compétition qui leur a été inculqué peuvent avoir développé leur autonomie.

125
LA VIE RELIGIEUSE

La vie religieuse lacédémonienne peut s’étudier à partir d’Hérodote, de


Xénophon (La République des Lacédémoniens, Helléniques, Agésilas), de
Plutarque, notamment la Vie de Lycurgue, et surtout du livre III de Pausanias,
consacré à la Laconie. Même si Pausanias n’a visité la Laconie qu’au IIe siècle
après Jésus-Christ, le déclin de Sparte et l’intérêt porté aux monuments
anciens, qui ne lui font mentionner qu’un nombre restreint d’édifices d’époque
romaine, permettent d’utiliser globalement ses indications pour avoir un
tableau de la vie religieuse aux époques classique et hellénistique. Ce tableau
devrait être complété par l’archéologie, mais les fouilles restent encore
insuffisantes : mentionnons surtout le sanctuaire d’Artémis Orthia, le temple
d’Athéna Chalkioikos sur la colline qui tient lieu d’acropole, ainsi que la
Ménélaion et le sanctuaire d’Alexandra.
La documentation disponible ne nous permet de connaître que la vie
religieuse collective, avec ses fêtes et ses sanctuaires, tandis que la vie
religieuse individuelle nous échappe en grande partie. Mais la chose est moins
grave à Sparte qu’ailleurs, étant donné l’importance qu’y revêt la vie
collective.
Comme dans les autres cités grecques la religion y est fondée sur les fêtes,
qui sont cependant moins fréquentes qu’à Athènes, et sur les sacrifices, et elle
montre le triomphe des dénominations olympiennes. Ces dénominations, dans
une sorte d’interpretatio graeca 126 à usage interne, unifient, au moins
extérieurement la religion : les cultes pré-olympiens sont rattachés tant bien
que mal à des divinités de l’Olympe grâce à des épiclèses, ainsi pour Artémis
Orthia ou Apollon Karneios, ou par des associations comme Zeus
Agamemnon ou la surprenante Aphrodite Héra. Cependant, les Spartiates se
distinguent par leur religiosité et leur archaïsme religieux ainsi que par
l’importance de certains cultes.

La religiosité spartiate

La religion paraît jouer à Sparte un plus grand rôle que dans les autres
cités.

• C’est ce que suggère d’abord le nombre de lieux de culte, surtout
rapporté au faible nombre de citoyens. Si l’on ne prend en compte que le site
même de Sparte en négligeant le reste de la Laconie, on relève chez Pausanias
43 sanctuaires de divinités (hiéron), dont certains sont consacrés à plusieurs
divinités, 22 sanctuaires de héros (héroon), auxquels on peut ajouter une
quinzaine de statues de dieux (agalma) et 4 autels mentionnés à part, soit au
total au moins 90 lieux de culte, sans compter les passages où une divinité est
mentionnée sans qu’on sache s’il s’agit d’une statue, d’un temple ou d’un
sanctuaire. En outre, Pausanias a fait une sélection : comme il le rappelle en III,
11, 1, il s’est refusé à tout dire à la suite, mais a choisi ce qui était le plus digne
de mention.
La sacralité de Sparte est encore accrue par le fait que, comme dans sa
colonie de Tarente, les morts y sont enterrés dans la ville même, alors que les
autres Grecs n’enterrent à l’intérieur de l’enceinte que les morts héroïsés, qui
ont quelque chose de divin. Plutarque (Lyc. 27, 1) fait remonter l’usage à
Lycurgue : « il (s.c Lycurgue) n’interdit pas d’enterrer les morts dans la ville
et d’avoir les monuments funéraires (mnèmata) à proximité des sanctuaires »,
et il y voit un moyen de former les jeunes en leur ôtant toute peur de la mort et
de sa souillure. De fait, dans l’ensemble de la Grèce, l’exclusion des morts ne
s’est réalisée que progressivement 127 en rapport avec la fermeture du site
urbain. Or, Sparte, jusqu’à une date tardive 128 , resta sans enceinte : ce n’est pas
un lieu clos, d’où on peut exclure les morts. Au contraire, Tarente, qui est une
véritable ville et non un agrégat de villages, eut besoin d’un oracle pour
justifier, sur ce point, l’imitation de sa métropole 129 .
Cette particularité de Sparte y accroît le nombre des lieux sacrés. Pausanias
y mentionne 14 monuments funéraires (mnèmata), 7 tombes (taphoi)
mémorables, sans compter les tombes royales des Agiades et des
Eurypontides, situées aux deux extrémités de la ville, le cénotaphe de Brasidas
et la stèle des morts des Thermopyles.
Certaines de ces tombes étaient des lieux de culte. Ainsi celles de Léonidas,
le héros des Thermopyles, et de Pausanias, le vainqueur de Platées, fournissant
tous les ans l’occasion de discours et de concours réservés aux Spartiates,
contribuaient à la religion patriotique. Y contribuaient aussi le sanctuaire de
Maron et Alpheios, qui s’étaient distingués aux Thermopyles, ainsi que le culte
rendu à Lycurgue, adoré comme un dieu dans un sanctuaire où se déroulaient
des sacrifices annuels. Quant aux tombes d’Oreste et d’Épiménide le Crétois,
même si Pausanias ne mentionne pas de rites particuliers, elles devaient aider à
protéger la cité.
La présence des morts dans la cité, même si elle ne résulte pas d’un acte
délibéré, comme se l’imaginait Plutarque, a une conséquence importante : elle
tend à estamper la coupure, traditionnelle en Grèce, entre le monde du sacré et
le monde ordinaire, la notion d’hosios (en règle avec le sacré) permettant
d’habitude d’agir librement une fois délimitée la part du sacré.

• La religiosité des Spartiates a pu aussi accroître le prestige et
l’importance des prêtres, qui, dans les autres cités, ne sont, en général 130 , que
des techniciens au service des magistrats. Outre le devin du navire amiral de
Lysandre, qui a connu la gloire d’une statue dans le « monument des
navarques » de Delphes, deux textes suggèrent qu’à leur mort prêtres et
prêtresses ont bénéficié de privilèges particuliers, mais ils sont tous deux mal
établis et sujets à caution 131. Un passage d’Hérodote (IX, 85) indique qu’après
la victoire de Platées les Lacédémoniens auraient fait trois tombes et enterré,
dans la première, les prêtres (hiréas), dans la deuxième, les autres Spartiates et,
dans la troisième, les Hilotes. Mais les Spartiates enterrés dans la première
tombe dont le texte donne les noms se sont distingués par leur courage, et rien
ne laisse entendre qu’il s’agisse de prêtres. Aussi a-t-on généralement préféré
corriger le texte pour y voir de jeunes Spartiates d’élite (sans doute des
Hippeis, même si Hérodote les a peut-être qualifiés d’irènes). Quant au texte de
Plutarque (Lyc., 27, 3), il n’aurait de sens qu’avec l’adverbe ἱερὡδ en
signifiant : « Il n’était permis en les enterrant d’inscrire (sur les tombeaux) le
nom du mort que s’il s’agissait d’un homme mort à la guerre ou d’une femme
morte saintement », mais l’adverbe ne paraît pas attesté avant l’époque
chrétienne. Aussi les commentateurs ont-ils généralement adopté la correction
de Latte fondée sur l’épigraphie impériale, qui préserve le nom de « femmes
mortes en couches ».
En tout cas, Sparte a l’équivalent des grands prêtres dans la personne des
deux rois, qui, descendants des dieux, ont la charge de tous les sacrifices
publics 132 et ont des liens particuliers avec Delphes : ils s’y font représenter
chacun par deux Pythioi et conservent les oracles qui en proviennent. Or, si
toutes les cités consultent Delphes, notamment sur les problèmes religieux,
Sparte le fait de façon institutionnelle et souvent sur des questions politiques.
Ainsi, la grande rhètra est présentée par Tyrtée et Plutarque comme un oracle
delphique 133 ; c’est Delphes qui incite à renverser la tyrannie des Pisistratides
et qui est consultée avant le déclenchement de la guerre du Péloponnèse ; c’est
aussi à Delphes qu’on fait appel pour destituer Démarate ou nommer roi
Agésilas et c’est elle qui fait restaurer Pleistoanax.

• La religiosité des Spartiates se manifeste avant tout dans le respect des
rites.
Dans La République des Lacédémoniens, XIII, Xénophon insiste beaucoup
sur l’importance des sacrifices en période de guerre, qui doit lui paraître une
originalité de Sparte. En effet, avant le départ de l’expédition, le roi fait à
Sparte même un sacrifice « à Zeus Agètor et à ceux qui lui sont associés » ; si
les présages sont favorables, le porteur de feu prend du feu à l’autel et ouvre la
voie à l’armée jusqu’à la frontière. Le roi fait aussi à la frontière des sacrifices
(diabatèria) 134 à Zeus et à Athéna : si les deux sont favorables, il franchit la
frontière derrière le porteur du feu, qu’on ne laissera jamais s’éteindre.
L’armée est suivie de victimes de toute sorte de façon que le roi puisse
sacrifier, notamment avant la bataille : il le fait avant le lever du jour afin, dans
l’interprétation rationaliste de Xénophon 135, d’être « le premier à obtenir la
faveur divine ». Les sacrifices sont recommencés jusqu’à ce qu’ils deviennent
favorables 136 . En outre, dans leur campement, avant de prendre leur repos, les
troupes « chantent en l’honneur des dieux auxquels ils ont sacrifié en obtenant
de bons présages » (Xén., Rép. Lac., XII, 7).
Ce respect des rites est attesté dans un grand nombre d’épisodes
historiques. En 494, Cléomène, tout en faisant l’esprit fort, renonce à traverser
l’Érasinos, parce que les sacrifices sont défavorables (Hdt., VI, 76). En 419, les
Spartiates veulent aider Épidaure contre Argos, mais comme, lors de deux
expéditions, les sacrifices de la frontière sont défavorables, ils renoncent à
intervenir. Lors du combat lui-même, ils se montrent très respectueux des
signes divins. Ainsi, en 479, à Platées (Hdt., IX, 36), comme les sacrifices ont
indiqué que seule la défensive leur donnerait la victoire, ils évitent d’engager
le combat 137 . Bien plus, en Hérodote IX, 61, comme Lacédémoniens et
Tégéates ne réussissent pas à obtenir des présages favorables pour engager le
combat, ils se laissent massacrer sans réagir. Tandis que le régent Pausanias
continue à implorer Héra, les Tégéates en viennent néanmoins à marcher à
l’ennemi, mais les Lacédémoniens ne se décident à le faire que lorsque les
présages deviennent enfin favorables. En 399, Derkylidas, désireux de
s’emparer de la ville de Kébren, continue à sacrifier pendant quatre jours et
n’intervient que lorsque les gens de la ville se rallient à lui et que les sacrifices
deviennent enfin favorables (Xén., Hell., III, l, 17-19). En 389 (Xén., Hell., IV,
6, 10), Agésilas fut attaqué par l’infanterie légère des Acarnaniens alors qu’il
était encore en train de sacrifier : tant que le sacrifice n’était pas achevé, il
laissa l’ennemi approcher et blesser beaucoup de monde.
Les Spartiates se montrent aussi très sensibles aux prodiges, notamment
aux tremblements de terre 138 , pourtant fréquents dans le Péloponnèse, et
Pausanias (III, 5, 8) souligne qu’ils sont, avec les Athéniens « ceux des Grecs
qui ont le plus peur des signes qui viennent du ciel (diosèmeiai) ». Ainsi, en
426, l’attaque contre l’Attique fut stoppée à l’Isthme à cause d’un tremblement
de terre. Au printemps 414, les Lacédémoniens firent une expédition contre
Argos, mais un tremblement de terre les obligea à faire demi-tour, tandis que
les Argiens, moins soucieux des signes célestes, en profitèrent pour piller la
Thyréatide. Les Spartiates voient aussi dans le terrible tremblement de terre de
464 le châtiment du massacre impie des Hilotes réfugiés dans le sanctuaire du
Ténare.
Ils sont également très respectueux des fêtes religieuses, ce dont leurs
ennemis peuvent tirer profit. La célébration des Karneia explique leur arrivée
tardive à Marathon 139 et retarde l’envoi de renforts aux Thermopyles. C’est
pour participer aux Hyakinthia que les Amycléens de l’armée furent renvoyés
chez eux, ce qui entraîna, en 390, le désastre du Léchaion. En 418, les
Spartiates ayant dû se retirer pour fêter les Karneia, Argiens, Athéniens et
Mantinéens en profitèrent pour investir Épidaure. En 387, les Lacédémoniens
hésitant à entrer en campagne contre les Athéniens et les Béotiens en laissant
Argos sur leurs arrières, les Argiens manipulèrent leur calendrier pour
imposer aux Spartiates une trêve sacrée. Cependant, consultant Olympie et
Delphes, Agésilas obtint l’accord de la divinité pour ne pas respecter cette
trêve illégitime.
Sans doute trouve-t-on quelques exceptions : Cléomène pénètre dans
l’adyton d’Athéna à Athènes malgré l’interdiction de la prêtresse et sacrifie à
Héra d’Argos malgré l’interdiction du prêtre, mais ce roi est plutôt un modèle
négatif pour les Spartiates. Au contraire, Agésilas est exalté par Xénophon et
Plutarque. Or, il viole le droit d’asile comme son accord avec Tissapherne et il
manipule les sacrifices. Enfin, il semble que Lysandre ou des rois comme
Cléomène ou Pleistoanax n’hésitent pas, si besoin est, à corrompre la Pythie.
La piété des Spartiates risque ainsi d’être utilisée aussi bien par leurs dirigeants
que par leurs ennemis.
Elle n’en est pas moins réelle et leur crainte du divin (deisidaimonia) peut,
comme, à Athènes, celle d’un Nicias 14 0 , paraître excessive aux autres Grecs.
Elle s’explique peut-être en partie parce que Sparte est une cité guerrière et que
les rites influent beaucoup sur le moral du combattant et l’issue de la bataille et
parce que la religion, qui, en Grèce est plus collective que personnelle,
convient bien à une cité comme Sparte.

L’archaïsme religieux

L’importance du facteur religieux peut tenir aussi au traditionalisme


spartiate.

• On trouve en Laconie quelques survivances d’une religion non
anthropomorphe. A proximité de Gytheion (Paus., III, 22, 1), on montrait une
pierre non travaillée appelée Zeus Kappôtas, où Oreste se serait assis, en
mettant ainsi fin 14 1 à sa folie. A Boiai, on adore un myrte sous le nom
d’Artémis Sôteira 14 2 (Paus., III, 22, 12). Mais, plus significative encore, est
l’importance des xoana, ces statues archaïques à l’anthropomorphisme
rudimentaire. Pausanias en mentionne 15 14 3 en Laconie, dont 6 à Sparte même,
à savoir un xoanon ancien d’Aphrodite-Héra, qui entre mal dans le cadre de la
religion olympique, un xoanon de Thétis, qui viendrait de Messénie, un xoanon
d’Aphrodite en armes, des xoana dans le temple d’Aphrodite Areia, le xoanon
maléfique 14 4 d’Artémis Orthia censé venir de Tauride (Paus., III, 16, 9-11). Il
s’y ajoute, en dehors de Sparte, un xoanon d’Athéna Aléa, un d’Orphée, un de
Korè, un en armes dans le sanctuaire d’Aphrodite Ourania, un d’Apollon,
censé être arrivé à date tardive de Délos, un d’Artémis Astrateia, un d’Apollon
Amazonios, un d’Apollon Karneios et, à Leuctres de Laconie, plusieurs xoana
d’Apollon Karneios. On notera l’importance des xoana féminins : 5 sur 6 à
Sparte, 5 sur 9 en Laconie, où 4 xoana avaient été identifiés comme des
Apollons.
On rapprochera de ces xoana la statue des Leucippides, dont seule la tête
est récente (Paus., III, 16, 1), et diverses statues enchaînées : le vieil agalma
d’Ényalios enchaîné ou la statue de Morpho, assise, voilée, les pieds enchaînés,
dans le « temple ancien » d’Aphrodite en armes, tandis que l’épiclèse
lugodesmos (au lien d’osier) d’Artémis Orthia suggère qu’elle avait dû être
entravée 14 5.
Le grand nombre de divinités en armes est peut-être aussi un trait
archaïque, même si Plutarque exagère quelque peu en affirmant que les
Spartiates « représentent toutes leurs divinités, féminines et masculines avec
des lances » (Apopht. lacon. 239a et, cf. 232c, où il ne s’agit que de xoana).
C’est au moins le cas pour les Apollon d’Amyclées (Paus., III, 19, 2) et de
Thornax (III, 10, 8), l’Aphrodite en armes (III, 15, 10) et un Dionysos signalé
par Macrobe (Sat., I, 19, 1-2).

• Ces traits archaïques se retrouvent dans certaines fêtes spartiates,
notamment dans les combats rituels d’éphèbes qui se déroulent à Platanistas
(Paus., III, 14, 8-10), encore que leur sauvagerie ait pu s’accroître à l’époque
romaine. A l’intérieur même de Sparte, on accède à un îlot planté de platanes
(d’où son nom) par deux ponts, où se trouvent, d’un côté, une statue d’Héraclès
et, de l’autre, une statue de Lycurgue 14 6 . Avant le combat, les éphèbes font un
sacrifice à Achille dans son sanctuaire, sur la route de l’Arcadie (Paus., III, 20,
8), et, à proximité de Thérapné, chacun des deux groupes d’éphèbes sacrifie de
nuit un chiot à Ényalios. Ils y organisent ensuite un combat de sangliers
domestiques : ceux dont le sanglier triomphe ont des chances de l’emporter
dans le combat final. Le lendemain, de retour à Sparte, après avoir tiré au sort,
de nuit, la porte par laquelle chacun des deux groupes doit entrer, un peu avant
midi, ils s’affrontent dans l’île à mains nues, à coups de pied, en se mordant et
en se crevant les yeux et en se poussant collectivement dans l’eau 14 7 .
La flagellation des éphèbes 14 8 qui ensanglante l’autel d’Artémis Orthia 14 9
paraît aussi un rite archaïque. Comme le montrent les indications de Xénophon
et de Platon, il s’agissait pour les jeunes de s’emparer du plus grand nombre
possible de fromages disposés sur l’autel et protégés par des porteurs de fouet,
qui les fouettaient le plus fort qu’ils pouvaient 150 . Cette épreuve d’adresse et
d’endurance est devenue, à l’époque romaine, un concours spectaculaire dans
lequel triomphait celui qui recevait le plus de coups, parfois jusqu’à ce que
mort s’ensuive, le xoanon que portait la prêtresse devenant trop lourd pour
elle, si les coups de fouet n’étaient pas assez forts. Le culte d’Artémis Orthia
comporte aussi un concours d’adolescents (paidés), dont le prix semble être
une faucille, ce qui suggère un rite agraire, et des danses de groupes de jeunes
filles.
Les masques d’argile représentant notamment des vieilles femmes ou des
hoplites et les dizaines de milliers de figurines de plomb trouvées dans le
sanctuaire témoignent de la popularité d’une divinité syncrétique pouvant
associer l’initiation des éphèbes et l’accouchement des femmes.
Pour le reste, les principales fêtes spartiates sont les Hyakinthies, les
Karneia et les Gymnopédies.
Les Hyakinthies sont célébrées à Amyclées à la fin de mai ou en juin en
l’honneur d’Hyakinthos, tué accidentellement par un disque envoyé par
Apollon, dont il était aimé. Son nom, d’origine préhellénique, se retrouve dans
la jacinthe. A l’occasion de cette fête, les femmes de Sparte tissent dans un lieu
appelé Chiton le nouveau chiton d’Apollon, sans doute symbole du
renouvellement annuel de la nature.
Le déroulement des trois jours de sacrifice nous est connu par Athénée
(IV, 138e-140b), qui se fonde sur Polémon et sur le grammairien Didyme (Ier s.
av. J.-C.) citant Polycratès. Le premier jour est un jour de deuil, où l’on dîne
sans porter de couronnes, sans pain ni gâteau et sans chanter de péan. Le
deuxième est un jour de grand spectacle : les adolescents (paidés), tunique
relevée, jouent de la cithare ou chantent la louange du dieu aux accents de
l’aulos ; d’autres (sans doute aussi des adolescents) traversent le théâtre sur des
chevaux richement décorés ; des chœurs formés de très nombreux jeunes gens
(néaniskoi) chantent des chants du pays au milieu de danseurs ; les jeunes filles
arrivent sur des chariots (kannathron) richement décorés 151 ou rivalisent en
défilant sur des chars ; et l’auteur de conclure que « toute la cité s’adonne au
mouvement et à la joie de la fête » et que « toute la cité se vide pour aller voir
le spectacle ». Il ajoute qu’en ce jour 152 on sacrifie un très grand nombre de
victimes et que les citoyens invitent leurs proches ainsi que leurs esclaves. Si la
participation des adultes n’est pas indiquée, elle va de soi, notamment pour
chanter le péan (cf. n. 151), et certains commentateurs ont même supposé que
cette fête, une des plus importantes du calendrier spartiate, durait dix jours. En
tout cas, faisant la synthèse entre le culte préhellénique d’Hyakinthos et celui
d’Apollon, elle unit le deuil, le spectacle et le festin.
Les Karneia, célébrés lors de la pleine lune du mois de karneion, soit en
général au mois d’août, sont peut-être encore plus importants et entraînent une
interruption de toutes les activités publiques (judiciaires, commerciales ou
militaires) pendant 9 jours. Elle est célébrée en l’honneur d’Apollon
Karneios : l’épithète cultuelle fait d’Apollon un protecteur du bétail 153 , même
si les Anciens l’ont rapprochée d’un Karneios antérieur à l’arrivée des
Héraclides (Paus., III, 13, 3) ou d’un devin acarnanien dont la mort aurait
suscité la colère d’Apollon (Paus., III, 13, 4). La fête a un aspect militaire :
selon Démétrios de Skepsis (Athénée, IV, 141e-f), elle serait une « imitation de
la vie (agôgè) militaire », avec 9 « places à l’ombre », où mangent au
commandement du héraut 9 personnes appartenant à 3 phratries, et durerait
9 jours. Elle a aussi un caractère patriotique, puisqu’on y porte la reproduction
du radeau sur lequel les Héraclides auraient franchi le golfe de Corinthe. Elle a
surtout un caractère agraire : un coureur couronné de bandelettes doit être
rattrapé par cinq Karnéates 154 porteurs de grappes de raisin (des
staphulodromoi). Il s’y ajoute aussi des danses de jeunes gens et des concours
musicaux.
Les Gymnopédies, dont Pausanias (III, 11, 9) a souligné l’importance
qu’elle revêtait pour les Lacédémoniens, sont célébrées en juillet-août en
l’honneur d’Apollon et sont présentées par Platon (Lois, I, 633c) comme « de
redoutables exercices d’endurance, où il faut résister à la violence de la
canicule ». Elles paraissent placées sous la responsabilité des éphores, puisque,
informés de la défaite de Leuctres, ceux-ci ont laissé se dérouler les concours
du dernier jour, qu’ils auraient pu interrompre (Xén., Hell., VI, 4, 16). Sont en
compétition des chœurs d’adolescents, d’éphèbes et d’adultes qui dansent nus
devant non seulement les Lacédémoniens, mais aussi les étrangers et les
esclaves ; seuls sont exclus les célibataires de plus de 30 ans (Plut., Lyc., 15, 2).
Les Gymnopédies ont pu aussi se substituer aux Paraponia pour commémorer
la victoire remportée en Thyréatide sur les Argiens, ce qui accroît d’autant
plus leur caractère patriotique que, par une offrande solennelle, Sparte
demande à Apollon de lui assurer la victoire militaire.
A l’exception des Gymnopédies, dont le nom même, de pure formation
grecque, suggère une origine plus récente, ces fêtes montrent la persistance de
rites archaïques 155 dans le culte spartiate 156 , soit que, comme la course des
staphulodromoi lors des Karneia, le jour de deuil et l’offrande du chiton lors
des Hyakinthies, ils ne forment plus qu’un élément du rituel, soit même que,
comme pour les combats de Platanistas ou le vol des fromages sur l’autel
d’Artémis Orthia, ils constituent l’essentiel du rituel, éventuellement aggravé,
dans un esprit archaïsant, à l’époque romaine. Ces fêtes présentent aussi un
aspect agonistique très marqué comme le montrent les compétitions entre les
chœurs aussi bien des Gymnopédies que des Hyakinthies, et notamment entre
les éphèbes, qui constituent déjà une partie de ces chœurs et qui s’affrontent en
groupe à Platanistas et individuellement auprès de l’autel d’Artémis Orthia. Les
jeunes adultes peuvent se distinguer aux Karneia et s’affrontent, en tant que
sphaireis, dans des jeux de ballon après avoir sacrifié à Héraclès. Comme les
jeunes filles chantent l’épithalame d’Hélène et Ménélas, dansent en l’honneur
d’Artémis Orthia et d’Artémis Caryatis et participent activement aux
Hyakinthies, ces fêtes permettent d’intégrer religieusement garçons et filles, et
Plutarque (Inst. Lac., 35, 239c) affirme même que la vie religieuse (ta hiéra)
leur est commune.

Les différents cultes

Sparte se distingue aussi par le rôle des divinités féminines, notamment


Athéna et Artémis, et d’Apollon, le culte de personnages liés à la guerre de
Troie et ceux des Dioscures et d’Héraclès.

• Les divinités féminines paraissent jouer un grand rôle à Sparte même,
puisque, sur les cinquante temples ou sanctuaires 157 mentionnés par Pausanias,
34 sont consacrés à des divinités féminines, dont 10 à Athéna, dont le temple
trône sur l’Acropole, 5 à Artémis et 4 à Héra. La chose est moins nette dans le
reste de la Laconie, où ces temples ou sanctuaires ne sont plus que 28 sur 65.
Si on considère à la fois Sparte et le reste de la Laconie, Athéna l’emporte avec
14 sanctuaires et 2 temples ; la variété de ses épiclèses, 11 pour la seule Sparte
montre qu’elle a su s’identifier à de nombeuses divinités locales. La chose est
encore plus nette pour Artémis, qui dispose de 12 sanctuaires et de 2 temples,
et surtout de 37 épiclèses. Ces deux exemples montrent bien comment la
religion spartiate s’est agrégé le vieux fonds local.
Asclépios dispose de 2 sanctuaires à Sparte et de 7 sanctuaires et de
2 temples dans le reste de la Laconie, mais le développement de son culte est
récent, même s’il a pu profiter du culte préexistant de son fils Machaon. Zeus et
Poséidon disposent chacun de 8 temples ou sanctuaires.
Apollon ne disposerait, lui, que de 2 sanctuaires à Sparte et de
2 sanctuaires et de 3 temples en Laconie. Il ne faudrait pas cependant sous-
estimer son importance, vu son rôle dans les Karneia, les Hyakinthies et les
Gymnopédies, et étant donné que le monument religieux le plus important de
Laconie lui est consacré, à savoir le fameux trône d’Apollon à Amyclées 158 .
Cette œuvre de Bathyclès de Magnésie, qui date du milieu du VIe siècle, est
décrite par Pausanias (III, 18, 9 - 19, 5). La statue gigantesque du dieu serait
grossière et antérieure à Bathyclès. Hyakinthos est censé être enterré sous le
piédestal en forme d’autel ; le trône, placé au-dessus de l’autel, et l’autel lui-
même étaient décorés de nombreuses scènes en relief. Sur le trône étaient ainsi
représentés les 12 exploits d’Héraclès, tandis que, sur l’autel, figuraient
l’apothéose d’Héraclès, conduit au ciel par Athéna, et celle d’Hyakinthos et de
sa sœur Polybia.

• Les Lacédémoniens adressaient un culte à de nombreux personnages liés
à la guerre de Troie, notamment à Achille, à Agamemnon, à Alexandra
( = Cassandre), à Clytemnestre et à Hélène et Ménélas.
Achille, « honoré comme un dieu » selon Anaxagore cité par une scholie à
Apollonios de Rhodes (IV, 814), disposait de 2 sanctuaires : au nord de Sparte,
un sanctuaire fermé, où les éphèbes sacrifiaient avant le combat de Platanistas,
et un autre à Prasiai, où se déroulait une fête annuelle. Il s’y ajoutait, à
proximité de Gytheion, la tombe de Las, tué par Achille selon la tradition
locale (Paus., III, 24, 10), tandis qu’un des ports du Ténare portait le nom
d’Achilleios (Paus., III, 25, 4).
Amyclées possédait un sanctuaire 159 et une statue d’Alexandra, dans
laquelle les gens du cru reconnaissaient Cassandre, ainsi qu’une statue (eikôn)
de Clytemnestre et un monument funéraire qui passait pour être celui
d’Agamemnon (Paus., III, 19, 6), tandis que plusieurs textes tardifs évoquaient
à Sparte même un sanctuaire de Zeus Agamemnon.
Hélène et Ménélas étaient aussi objets de culte. A Sparte même se
trouvaient un sanctuaire d’Hélène et l’ancienne maison de Ménélas. Thérapné
possédait un temple de Ménélas, où Ménélas et Hélène auraient été enterrés, et
Hérodote (VI, 61) y évoque le sanctuaire d’Hélène, où la statue divine (agalma)
aurait miraculeusement acccordé une grande beauté à un petite fille très laide,
qui allait devenir la troisième femme du roi Ariston. Isocrate (Éloge d’Hélène,
X, 63) précise qu’à Thérapné Hélène et Ménélas reçoivent des « sacrifices
saints et ancestraux non comme héros mais comme étant tous les deux des
dieux ».
Ces cultes pouvaient s’adresser à des divinités locales, éventuellement liées
à la végétation comme Hélène 160 , divinités dont la dénomination viendrait du
succès des poèmes homériques, mais, attestées dans des sites mycéniens
comme Amyclées et Thérapné, elles pouvaient aussi être en partie à la source
de personnages homériques.

• Le culte des frères d’Hélène, les jumeaux Castor et Pollux qualifiés de
Dioscures, n’est pas propre à Sparte. Il ne se limite pas aux régions doriennes
comme l’Argolide, la Messénie, Théra ou Cyrène, mais se retrouve aussi à
l’Anakeion d’Athènes tandis qu’à Rome un temple est consacré à Castor. Dieux
sauveurs, les Dioscures sont aussi particulièrement adorés des marins.
Sparte et la localité voisine de Thérapné sont cependant les grands centres
de leur culte et, dans un poème adressé à un Argien, Pindare (Dixième
Néméenne, 52) fait des Dioscures « les intendants de Sparte ». Déjà rattachés à
Lacédémone dans l’Iliade (III, 236-239), ils sont liés à Sparte par leur
naissance : à l’époque de Pausanias (III, 16, 1), on y montrait encore un œuf
enroulé dans des bandelettes et suspendu au toit, qu’on présentait comme l’œuf
de Léda. Castor ayant été tué dans la lutte qui opposait les Dioscures à leurs
cousins, ils se sont partagé l’immortalité, soit en restant tous deux en vie la
moitié du temps, soit en vivant à tour de rôle. Lorsqu’ils sont morts, ils
résident sous terre à Thérapnè.
A Sparte, leur iconographie insiste toujours à la fois sur leur union et leur
dualité. Ils sont représentés sous la forme de deux serpents enroulés, ce qui
rappelle leur caractère chtonien ; ils apparaissent aussi comme deux guerriers,
notamment deux jeunes cavaliers coiffés du pilos, qui a la forme d’une moitié
d’œuf et rappelle leur naissance miraculeuse ; ils sont surtout évoqués sous la
forme de deux amphores jumelles ou sous la forme de dokana. Ceux-ci sont
constitués de deux piliers verticaux (dokos désigne la poutre maîtresse), qui
sont unis par deux poutres transversales reliées entre elles : les Anciens ont vu
dans cette image simplifiée de la maison une représentation de l’union
fraternelle de Castor et Pollux.
Associés à la double royauté, les Dioscures jouaient un grand rôle
institutionnel : les rois partaient en campagne avec les Dioscures, représentés
par les amphores jumelles ; quand, après 506, ils durent se séparer, un
Dioscure partit avec le roi en campagne, tandis que l’autre restait à Sparte.
Étant apparus à Lysandre avant la victoire d’Aigos-potamoi, ils furent associés
à Zeus, Artémis et Apollon, dans le grand ex-voto que le vainqueur consacra à
Delphes.
Mais ce sont aussi des divinités très populaires, ce dont témoignent le
grand nombre d’ex-voto réunis au musée de Sparte et les miracles qu’on leur
attribue : accueillis sous l’apparence d’étrangers de Cyrène dans leur ancienne
maison, ils auraient fait disparaître la fille de la maison et laissé leurs propres
statues (Paus., III, 16, 2 -3) ; au cours de la deuxième guerre de Messénie,
Aristoménès, voulant attaquer Sparte de nuit, en aurait été détourné par les
fantômes (phasmata) d’Hélène et des Dioscures (Paus., IV, 16, 9) ; les
Dioscures seraient en courroux contre les Messéniens, car, au cours de la
même guerre, deux de ceux-ci se seraient déguisés en Dioscures (à cheval,
avec tunique blanche, chlamyde pourpre, pilos sur la tête et lance en main) ;
apparaissant au milieu d’une fête consacrée à ces divinités et suscitant
l’adoration des fidèles spartiates, ils en auraient profité pour les massacrer
(Paus., IV, 27, 1 - 3).
Les Dioscures, unis ou séparés, ont plusieurs lieux de culte. A Sparte
même, on trouve un monument funéraire (mnèma) et un héroon de Castor, qui
rappellent sa condition mortelle : pour Pausanias, celui-ci n’aurait été divinisé
que 40 ans après sa mort. On y trouve aussi un autel des Dioscures Amboulioi
associé à un autel de Zeus Amboulios et Athéna Amboulia (Paus., III, 13, 6), un
sanctuaire des Dioscures et des Charites (III, 14, 6), tandis que les Dioscures
Aphétèrioi (qui font partir, donnent le départ) sont figurés à l’entrée du
Dromos, où courent les jeunes (III, 14, 7). Dans la région de Thérapné sont
attestés une source et un sanctuaire de Pollux ainsi qu’un temple des Dioscures,
dans le Phoibaion, où les éphèbes sacrifient à Ényalios avant les combats de
Platanistas. Enfin sont mentionnées des statues de bronze à Krokéai, au sud de
Sparte, et dans un îlot en face de Thalamai, où les gens du cru prétendent que
seraient nés les Dioscures.
Les Dioscures sont souvent liés à d’autres divinités. Outre les exemples
déjà mentionnés, ce sont eux qui sont censés avoir continué la construction du
temple d’Athéna Chalkioikos, où ils sont représentés sur un relief en bronze
évoquant le rapt des Leucippides. Sur le trône de l’Apollon d’Amyclées est
aussi figuré ce rapt, tandis que les Dioscures y sont représentés en jeunes
cavaliers. Cette figuration souligne leurs liens avec la jeunesse déjà visibles à
l’entrée du dromos et lors du sacrifice des éphèbes de Platanistas.

• Héraclès, héros panhellénique ou figure divine, ancêtre des deux familles
royales, intervenant dans les mythes fondateurs de la cité, était à Sparte une
sorte de héros national. Il aurait lutté contre Hippokoon et ses fils pour rétablir
Tyndare sur le trône. Lui-même, blessé et soigné par Asclépios, lui aurait
construit un temple et, comme Héra, contrairement aux mythes qui les
opposent, ne lui aurait pas suscité d’obstacles, il lui aurait construit le
sanctuaire d’Héra Aigophagos (Paus., III., 15, 9) ; une statue et un trophée
rappelleraient aussi à Skotitas sa victoire sur Hippokoon (Paus., III, 10, 6).
Il est représenté sur les deux grands monuments religieux de Sparte :
beaucoup de ses « travaux » et de ses autres exploits étaient figurés dans les
reliefs de bronze du temple d’Athéna Chalkioikos ; sur le trône d’Apollon à
Amyclées ses 12 travaux figuraient en relief (Paus. III, 18, 10, 16), tandis que
l’autel adjacent représentait l’apothéose d’Héraclès, conduit au ciel par Athéna
et les autres dieux (Paus., III, 19, 5).
Le culte d’Héraclès était surtout l’affaire des jeunes. A proximité du
dromos, se trouvait une statue divine (agalma) ancienne d’Héraclès, à qui
offraient des sacrifices les jeunes adultes (sphaireis) (Paus., III, 14, 6), tandis
qu’un des deux ponts de Platanistas portait un agalma d’Héraclès. A proximité
des murs hellénistiques de la ville se trouvaient un sanctuaire et une statue
d’Héraclès en armes. Dans le reste de la Laconie, Pausanias n’évoque, outre le
trophée et la statue de Skotitas, déjà mentionnés, qu’une statue à Gytheion,
qu’Héraclès aurait fondée avec Apollon, et une autre à Las.
Il semble ainsi qu’Héraclès soit plus présent dans le mythe et l’idéologie
spartiates que dans le culte lui-même.
Conclusion

Même si les Spartiates ont réussi à assimiler leurs vieilles divinités à des
dieux olympiens ou à des héros homériques, ils se distinguent tant par leur
piété quelque peu superstitieuse que par la persistance de cultes et de rites
archaïques, souvent préhelléniques, qui, montre, au moins dans le domaine
religieux, un syncrétisme entre les envahisseurs et les anciennes populations.
Conclusion générale
Si l’on considère la société spartiate en elle-même, indépendamment des
rapports qu’elle entretient avec les Hilotes et les Périèques, ainsi que les
principes sur lesquels elle repose, elle paraît concilier l’égalité au moins
relative et la discipline avec l’esprit de compétition.
C’est l’égalité sous ses deux formes, quantitative (l’ison) et qualitative
(l’homoion, qu’on retrouve dans la dénomination des Homoioi), qui a permis à
certains, notamment à Aristote 161, de parler de démocratie spartiate. En effet,
pour le philosophe, la démocratie, au sens social du terme, associe égalité et
pauvreté. Or, ces deux caractères se retrouvent à Sparte dans l’éducation des
enfants, les repas collectifs et l’habillement, au point qu’« extérieurement le
riche et le pauvre ne se distinguent aucunement » (Polit., IV, 9, 1294b 26). Il
s’y ajoute la « démocratisation » des funérailles 162, exceptionnelle dans une
société aristocratique : le seul privilège est, pour les Spartiates morts à la
guerre, d’avoir leur nom inscrit sur la tombe. Comme, en outre, chacun peut
accéder, sinon à la gérousie, au moins à l’éphorat et, grâce à son courage et à
ses capacités militaires, progresser dans la société, l’égalité paraît régner entre
les hommes, tandis que les femmes paraissent plus libres et plus égales aux
hommes que dans le reste de la Grèce ou, au moins, qu’à Athènes.

L’égalité des biens reste au contraire un mythe : l’austérité des syssities, où
se distinguent déjà ceux qui peuvent améliorer l’ordinaire, n’empêche pas les
plus riches d’embellir leur maison et surtout de se distinguer en faisant courir
des chars à Olympie. La concentration des terres fait régner une grande
inégalité économique non seulement entre les Homoioi et les autres
Spartiates 163 , mais aussi, malgré la dégradation des trop pauvres, entre les
Homoioi eux-mêmes.
Cependant, vue de l’extérieur par ses admirateurs, Sparte paraît surtout la
société du bon ordre (eunomia, eukosmia), où l’on pratique, dès l’enfance,
l’obéissance (peithô) aux lois et aux magistrats et où la discipline militaire
s’impose à tout âge. Les valeurs communes y sont intériorisées sous la forme
de l’aidôs (le sens de l’honneur), qui incite à l’héroïsme de « la belle mort »,
tandis que les chants patriotiques et la fusion émotive du vote par cris sont
censés unifier la cité. Comme, en outre, tout ou presque doit se faire en public
et que tout se sait et se juge immédiatement (cf. Plut., Apopht. lac. 221b), la
confiance 164 devrait régner entre les Spartiates.
Mais Sparte peut aussi, contrairement à la société de liberté exaltée par
Périclès dans l’Oraison funèbre (Thuc., II, 35-46), apparaître comme la société
de la contrainte (de chacun et de tous sur chacun), de la dissimulation et du
soupçon, où l’on se cache pour thésauriser comme pour pratiquer la pédérastie
et où l’on est obligé de faire bonne figure même dans les malheurs
domestiques. Les contraintes seraient si fortes que les Spartiates, qui se
trouvent à l’étranger, comme le régent Pausanias ou les harmostes du
e
IV siècle, réagiraient en ne respectant même plus les règles habituelles des
Grecs.
Cette tyrannie de la norme commune associée à un genre de vie égalitaire
aurait pu déboucher sur une société bloquée sans le contrepoids de l’émulation
(philotimia) généralisée. Fondée sur la recherche de l’excellence militaire
(arétè), déjà exaltée par Tyrtée, et sur le prestige (timè), c’est elle qui permet à
Platon de parler de timocratie. De fait, l’émulation, qui peut aller jusqu’à
l’affrontement physique, est développée systématiquement dès l’enfance ; les
jeunes adultes aspirent à se faire nommer ou à rester Hippeis et,
éventuellement, à devenir un des 3 hippagrètes ou des 5 agathoergoi ; les
combattants de tout âge s’efforcent d’obtenir le prix de la vaillance et les
hommes âgés de se faire élire à la gérousie. La religion elle-même incite à des
affrontements et à des compétitions, à Platanistas, au sanctuaire d’Artémis
Orthia ou dans divers concours. D’une manière générale, l’intervention de la
communauté par les discussions dans les syssities, les éloges et les quolibets
des jeunes filles, les honneurs et les dégradations publics, suscite un
classement perpétuel de chacun, qui incite à se surpasser tout en imposant un
conformisme qui peut paraître étouffant.
Sparte présente ainsi le paradoxe d’une société conservatrice et
collectiviste qui cultive la valeur individuelle : comme le souligne Xénophon
(Rép. Lac., 10, 4), tous sont forcés de pratiquer publiquement (dèmosia) toutes
les vertus (arétè).
2. Les Hilotes 165
Les Hilotes constituaient l’essentiel de la population servile de Sparte,
même s’il devait y avoir aussi des esclaves-marchandises, du type habituel en
Grèce, notamment à Athènes. En effet, soulignant la richesse des Spartiates,
dans l’Alcibiade majeur, 122d, dont l’authenticité paraît probable 166 , Platon
évoque la possession d’esclaves (andrapoda), notamment mais non
exclusivement « hilotiques », tandis que Plutarque (Compar. de Lycurgue et
Numa, 24, 7) note que les activités économiques et domestiques sont
abandonnées aux esclaves et aux Hilotes. Les textes mentionnent aussi quelques
personnes qui auraient été vendues à l’extérieur ou affranchies par leurs
maîtres 167 , ce qui, pour des Hilotes, était interdit. Les esclaves-marchandises
peuvent provenir du butin, fait par exemple sur les Perses, voire, notamment à
partir du IVe siècle, être achetés au marché. De toute façon, il n’est pas illégal
d’en posséder, puisque l’accord qui mit fin à la révolte de 464 interdisait aux
gens de l’Ithôme de revenir dans le Péloponnèse et prévoyait que « quiconque
s’y ferait prendre serait l’esclave de qui s’en serait saisi » (Thuc., I, 103, 1).
Cependant ces esclaves, très rarement mentionnés, devaient être peu
nombreux 168 .
Au contraire, les Hilotes, dont le sort a suscité des critiques ou, plus
rarement, des éloges dès l’Antiquité, sont fréquemment évoqués. Ils cultivent la
terre, à laquelle ils sont attachés, tandis que les citoyens, contrairement à ceux
des autres cités, dont l’agriculture constitue l’activité essentielle, ne s’adonnent
qu’à des activités politiques, militaires 169 ou cynégétiques, ce qui leur permet
de se dire plus libres que les autres Grecs 170 .
Mais l’opposition n’est peut-être pas originelle, car les poèmes guerriers
de Tyrtée paraissent s’adresser à des soldats-paysans, qui se souciaient de la
conquête d’une « Messénie bonne à labourer, bonne à planter » (fr. 4) 171 et
redoutaient d’avoir à abandonner leurs « champs fertiles » (fr .6). D’ailleurs,
selon Aristote (Pol., V, 7, 1306b 37-1307a 2), qui se fonde sur Tyrtée, et
Pausanias (IV, 18, 2-3), au cours de la seconde guerre de Messénie, des
Spartiates accablés par la guerre, qui les empêchait de cultiver les terres qu’ils
possédaient en Messénie ou dans le voisinage, réclamaient une nouvelle
distribution des terres. De toute façon, avant que le développement du combat
hoplitique ait incité les Spartiates à constituer une armée permanente, les
citoyens restaient des paysans comme les autres.

ORIGINE DE L’HILOTISME

Si les Hilotes n’ont pas toujours existé, quand sont-ils apparus ? Les
Anciens, s’interrogeant sur le mot lui-même, se sont le plus souvent ralliés à
l’interprétation d’Hellanicos (Ve s.), suivi par Éphore, Théopompe et
Pausanias, qui dérive Hilotes de la bourgade d’Hélos, au sud de Sparte. Les
gens d’Hélos auraient été les premiers à être réduits à l’état d’Hilotes, et leur
nom aurait ensuite été généralisé. Mais, comme le souligne P. Chantraine, dans
son Dictionnaire étymologique de la langue grecque, cette dérivation est
« impossible phonétiquement 172 ». L’Etymologicum Magnum propose de faire
venir le terme d’hélos (le marais), ce qui n’est qu’une variante de la même
thèse, car, Hélos étant situé dans une région marécageuse, le nom commun a
servi de toponyme. Le même ouvrage rattache aussi Hilote à heilon, l’aoriste
du verbe « prendre, faire prisonnier », ce qui est étymologiquement plus
satisfaisant, le mot correspondant en fait à un ancien participe parfait à sens
passif de ce verbe et désignant ainsi originellement le prisonnier 173 .
L’étymologie implique donc un hilotisme issu de la conquête, ce qui
correspond bien au sort des Messéniens. En effet, comme nous l’avons vu, une
conquête partielle, à la fin du VIIIe siècle, avait été suivie d’une révolte et d’une
seconde guerre. Ce n’est qu’à la suite de cette guerre que le statut d’Hilotes
aurait été imposé aux Messéniens, qu’Hérodote continue à nommer
Messéniens.
Mais les anciens Hilotes, ceux de Laconie, qui avaient été les premiers à
être ainsi appelés, ont suscité deux hypothèses opposées. Selon l’interprétation
ethnique, proposée par Théopompe (IVe s.), qui a dominé dans l’Antiquité
comme à l’époque moderne, les Hilotes seraient des Achéens soumis par les
envahisseurs doriens. L’aristocratie achéenne se serait enfuie (ou assimilée),
tandis que les paysans, restés sur place, verseraient des redevances à leurs
nouveaux maîtres 174 . Le terme peuple (ethnos), parfois employé à propos des
Hilotes (par exemple, Théopompe, fr. 13), pourrait confirmer cette thèse,
encore que l’appellation s’explique surtout par l’asservissement des
Messéniens.
Mais tous les Achéens n’ont pas été réduits à l’état d’Hilotes, puisque
Amyclées a joui d’un statut particulier et que les Périèques ne descendent pas
nécessairement des envahisseurs 175. En outre, la thèse n’est pas dépourvue de
contradictions : l’hilotisme étant censé commencer avec la prise d’Hélos et non
avec le retour des Héraclides, il y aurait eu, avant cette date, des paysans libres
(doriens ou achéens), qui étaient censés le rester ; or, on trouve des Hilotes
dans des régions de Laconie conquises avant Hélos.
Aussi ne faut-il pas rejeter sans examen les thèses soutenues, dès le
e
V siècle, par Antiochos de Syracuse (fr. 13 = Strabon, VI, 3, 2) ou, au
e
IV siècle, par Éphore (fr. 117 = Strabon VIII, 5, 4). Pour le premier, auraient
été réduits à l’état d’esclaves et nommés Hilotes les Lacédémoniens qui
n’avaient pas participé aux guerres de Messénie. Pour le second, les Spartiates
ayant retiré leurs droits de citoyens aux Périèques, les Périèques d’Hélos se
seraient révoltés et auraient été réduits à la condition d’Hilotes. L’hypothèse
d’une évolution interne pourrait trouver une confirmation dans la comparaison
avec Athènes, où, sans les réformes de Solon, les hectémores auraient pu
devenir des sortes d’Hilotes, et dans les fréquentes allusions aux longs troubles
civils (stasis) qui auraient ravagé Sparte avant l’instauration du bon ordre
lycurguien.
La question a été compliquée par la confusion entre le problème dorien et
le problème paysan. En effet, les prédoriens sont sans doute restés en grand
nombre en Laconie, puisque les Doriens, même s’ils ont imposé leur dialecte,
étaient trop peu nombreux pour peupler le pays, et ces prédoriens ont, bien sûr,
continué à cultiver la terre. Quant aux paysans en général, quelle que fût leur
origine, ils devaient vraisemblablement payer une redevance à l’aristocratie
guerrière. Cependant, la distinction entre les deux catégories était fondée non
seulement sur la naissance, mais aussi sur la fonction. C’est pourquoi, lorsque,
au cours des guerres de Messénie, on a eu besoin de combattants, la possibilité
a été ouverte aux paysans, déjà plus au moins dépendants, de devenir hoplites et
donc d’accéder à la catégorie supérieure. C’est ce que suggère la tradition
attribuant à Tyrtée le conseil de remplacer les morts par des Hilotes. Aussi la
thèse d’Antiochos de Syracuse paraît-elle déjà correcte dans la mesure où les
non-combattants, s’ils ne devenaient pas Hilotes, au moins le restaient, et il est
même possible, comme le suggère l’allusion de Tyrtée (élégie 6) à la
dégradation des lâches 176 , que ceux-ci aient aussi été réduits à la condition
d’Hilotes.
Ainsi, même si les paysans de Laconie sont en très grande part d’origine
prédorienne et les Spartiates, essentiellement d’origine dorienne, la distinction,
au moins en Laconie, n’est pas ethnique 177 mais sociale, ce qui contribue à
faire considérer Sparte comme une oligarchie : on parlerait plutôt
d’impérialisme, si l’on considérait les Hilotes comme un peuple soumis à un
peuple étranger.

LES DÉPENDANTS RURAUX

Le type de dépendant représenté par les Hilotes a fait problème pour des
sources qui prenaient leurs références dans le modèle athénien. En effet, il
occupe une place intermédiaire entre deux conditions : d’une part, l’esclave-
marchandise (d’Athènes ou de Chios par exemple), en général acheté au
marché plutôt qu’élevé à la maison, qui ne peut mener une vie familiale
qu’avec l’autorisation de son maître et qu’on a tout loisir d’affecter à
n’importe quelle tâche et d’aller revendre n’importe où, et, d’autre part, le
paysan libre, non propriétaire de sa terre, qui doit une redevance au
propriétaire. C’est ce statut intermédiaire qui justifie l’expression du
grammairien Pollux (IIe s. apr. J.-C.) « entre (metaxu) libres et esclaves 178 ».
En fait, ce type de paysan, plus ou moins dépendant, est très fréquent en
Orient et en Égypte, où, à l’époque hellénistique, les Grecs le retrouveront.
Sans doute, dans la Grèce classique, la cité paraît-elle fondée sur le citoyen-
paysan qui, quand c’est nécessaire, combat comme hoplite, tandis que les
travaux les plus pénibles (mine) ou les moins recherchés (service domestique)
sont abandonnés (et imposés) aux esclaves. Mais, même alors, les Hilotes
spartiates ont des parallèles non seulement dans des pays doriens comme la
Crète, Argos, Sicyone ou Héraclée du Pont, mais aussi en Locride et en
Thessalie.
Ces populations dépendantes ont un statut particulier qui limite les droits
de leurs maîtres et que, théorisant la coutume, les historiens hellénistiques
expliquent par une sorte de « contrat originel de servitude 179 ». Ainsi, les
Pénestes 180 sont restés sur place en s’engageant à devenir les esclaves des
Thessaliens, qui ne pourront les expulser, les Mariandyniens seront les
esclaves des Héracléotes, qui ne pourront les expulser ni les vendre à
l’extérieur. Quant aux gens d’Hélos, qui, selon Éphore, dont Strabon reproduit
les théories, avaient été les premiers à être réduits à la condition d’Hilotes,
« ils furent condamnés à l’esclavage à certaines conditions », à savoir que
« leur possesseur (ton ékhonta) ne serait autorisé ni à les affranchir (sic) ni à
les vendre hors des frontières » (Strabon, VIII, 5, 4).
Ces dépendants sont souvent considérés comme une classe dangereuse. En
effet, contrairement aux esclaves-marchandises, que leur diversité ethnique 181
et la variété de leurs occupations empêchent de s’unir, ils sont unis par leur
genre de vie et par leur origine ethnique (réelle ou supposée). En outre, il leur
est d’autant plus facile de se révolter qu’ils ne sont pas entièrement coupés du
reste de la population. Alors qu’à Athènes on n’imagine pas une collusion
entre les plus pauvres des citoyens (les thètes) et les esclaves, à Sparte, on peut
toujours craindre une union de toutes les catégories inférieures contre les
Homoioi. Ainsi, deux cités périèques ont participé à la grande révolte de 464 ;
au début du IVe siècle, la révolte avortée de Cinadon devait associer tous les
inférieurs ; et les hommes libres des autres cités n’ont aucun scrupule à
collaborer avec cette population, formée comme eux de paysans et, sauf dans
certaines cités coloniales, de Grecs ; d’où, en 462, la peur que le corps
expéditionnaire athénien ne sympathise avec les Messéniens révoltés 182. C’est
ce qui explique les révoltes qu’ont connues, outre Sparte, la Thessalie 183
(notamment à la fin du Ve siècle) et même la Crète au IVe siècle, bien que,
comme le souligne Aristote (Pol., II, 9, 1269a 39-b3), les cités crétoises aient
la chance, contrairement aux Spartiates ou aux Thessaliens, d’avoir des voisins
qui, possédant les mêmes dépendants ruraux, n’ont pas intérêt à les inciter à la
révolte.
Le traitement de ces populations est donc considéré en Grèce comme un
problème difficile : selon Aristote (Pol., II, 9, 1269b 7-11), on risque, par le
laxisme, de les inciter à toute sorte d’excès (hubris) et notamment à se vouloir
les égaux de leurs maîtres, et, par la dureté, de les pousser, comme à Sparte, à
la haine et au complot.

LE SORT DES HILOTES

Les Hilotes sont, comme les autres, paysans et dépendants, mais ils sont
peut-être plus que les autres maltraités et redoutés, au moins après la grande
révolte de 464.

• Sans doute les Hilotes ne s’adonnent-ils pas tous à l’agriculture. Ils
peuvent aussi fournir le personnel domestique des citoyens. Xénophon (Rép.
Lac., 7, 5), considérant comme une évidence que les Spartiates ont des
serviteurs (oikétès), assure que les femmes spartiates ne travaillent pas la laine,
car les esclaves féminines suffisent à fournir les vêtements, tandis que Douris,
cité par Plutarque (Agésilas, 3, 2), évoque les femmes hilotes au service de
Timaia, la femme d’Agis II. En outre, les Spartiates sont, pendant leur
éducation, secondés par de jeunes Hilotes, appelés mothônés 184 , et, comme les
autres Grecs, partent en expédition avec leurs valets d’armée, en l’occurrence,
des Hilotes. De même rien, semble-t-il, n’interdit aux Hilotes de pratiquer un
métier artisanal, puisque, justement, une telle interdiction les rapprocherait des
citoyens, ce qu’on veut éviter avant tout.
Il n’empêche que l’agriculture est leur activité essentielle. Si l’on accepte
le schéma traditionnel présenté par Plutarque (Vie de Lycurgue, 8, 7, et 24, 2),
qui s’inspire vraisemblablement d’Aristote 185, les Hilotes cultivent la terre
avec leur famille en fournissant aux Spartiates une quantité fixe, appelée
apophora. Celle-ci serait de 70 médimnes d’orge pour un homme, de
12 médimnes pour une femme et d’une quantité équivalente de produits
liquides (huile et vin) (sans doute des métrètes de 40 litres). Si on tient compte
du fait que 70 médimnes éginétiques 186 sont à peu près équivalents à
100 médimnes attiques et qu’il s’y ajoute les produits liquides, on a une
apophora qui correspond pratiquement aux 200 médimnes qu’étaient censés
toucher les clérouques athéniens du Ve siècle, donc un versement normal pour
l’entretien d’un combattant et de sa famille. Il s’y ajoute ici la part de la femme,
qui est sans doute versée à la fois pour la femme mariée et pour la veuve. Cette
apophora devait permettre au Spartiate d’entretenir sa famille et de verser sa
part aux repas collectifs et, dans les Moralia (239e), Plutarque ajoute qu’une
malédiction pesait sur quiconque se ferait payer plus que la rente 187
traditionnelle.
Cette apophora a été contestée. En effet, un passage de Tyrtée (élégie 5),
conservé par Pausanias (IV, 14), évoque les Messéniens, qui, « comme des
ânes accablés de lourdes charges, en proie à une pénible nécessité, portent à
leurs maîtres la moitié de tout ce que porte la glèbe ». Mais Pausanias, qui
indique que ces vers concernent les Messéniens, précise bien qu’il s’agit de
leur sort après la première guerre de Messénie. Il n’y a aucune raison de
récuser son témoignage, car ce partage après conquête, où on laisse sa terre au
vaincu à condition qu’il en partage les revenus avec le vainqueur, est assez
habituel en Grèce. Mais rien n’oblige à supposer que le sort des Messéniens,
vaincus une seconde fois après une guerre difficile et intégrés comme Hilotes
dans l’État lacédémonien 188 , reste le même : on ne peut donc utiliser le texte de
Tyrtée pour infirmer les indications de Plutarque.
On s’est cependant demandé comment un tel système pouvait fonctionner,
lorsque – ce qui, étant donné le grand nombre d’Hilotes, était très probable –
plusieurs familles cultivaient le même domaine : constituaient-elles une
communauté villageoise 189 répartissant entre elles les contributions ?
Plutarque n’en dit rien, mais, à son époque, l’hilotisme n’existe plus depuis
longtemps 190 , aussi beaucoup de choses doivent-elles lui échapper, à lui
comme à nous. Si le système n’était qu’une invention tardive, datant par
exemple des rois réformateurs du IIIe siècle, il serait plus clair. Aussi,
contrairement aux hypercritiques, qui se fondent sur les incohérences et les
difficultés d’application pour rejeter le système, peut-on, tout en reconnaissant
nos ignorances, trouver dans ces difficultés mêmes un motif de confiance.
Cependant, quel que soit le montant de l’apophora, il importe, pour
apprécier le sort de l’Hilote, de voir ce qui lui reste, à lui et à sa famille.
Comme les plaines de Laconie et de Messénie sont très fertiles et
permettent même deux récoltes annuelles et que les Hilotes, fixés à la terre 191,
peuvent l’améliorer et éventuellement pratiquer des cultures arbustives, plus
avantageuses, il est possible qu’économiquement leur sort n’ait pas été trop
mauvais. C’est ce que suggèrent certains textes. Sans doute Plutarque fait-il
preuve d’un angélisme naïf lorsqu’il assure, dans le passage déjà cité (Mor.,
239e), qu’il était interdit sous peine de malédiction de percevoir plus que la
rente traditionnelle « de façon que les uns, faisant des gains (kerdainontes),
aient plaisir à servir et que les autres ne réclament pas plus ». Mais, lorsque
Myron de Priène, dans un texte critique à l’égard de Sparte (Athénée XIV,
657d), note : « S’il en était (parmi les Hilotes) qui s’élevaient au-dessus de
l’aspect physique qui convient aux esclaves, ils étaient punis de mort et leurs
maîtres, frappés d’une amende pour ne pas les avoir empêchés de grossir »
(trad. Ducat modifiée), la sévérité même du châtiment suggère que, sans cette
interdiction, la chose aurait été possible. De même, l’obligation de porter les
vêtements du paysan d’autrefois ne s’explique que parce que certains Hilotes
auraient été à même de se procurer des vêtements moins grossiers. De toute
façon, le fait qu’en 223 6 000 Hilotes aient pu acheter leur liberté en versant
chacun 500 drachmes (Plut., Cléomène, 23) montre bien que certains d’entre
eux avaient pu accéder à une certaine aisance. Enfin, si le sort matériel de
l’Hilote dépend entre autres de l’étendue de sa famille et du nombre de familles
exploitant le même kléros, il est à noter que les textes, qui évoquent volontiers
les mauvais traitements endurés par les Hilotes, ne mentionnent jamais leur
misère.

• Les Hilotes, qui ne sont pas toujours des paysans misérables, sont
toujours des paysans dépendant. La nature de leur esclavage est cependant
sujette à discussion. Si l’on a généralement voulu voir en eux des esclaves de
la communauté, Jean Ducat a bien montré qu’avoir été asservis en bloc ne les
empêchait pas d’être possédés individuellement. Les limites imposées au droit
de propriété ne feraient que confirmer la réalité de ce droit. Ainsi, selon
Xénophon (Rép. Lac., 6, 3), on pouvait, à Sparte, en cas de besoin, employer
aussi les serviteurs des autres (allotriois) et, en invitant les maîtres à la chasse,
utiliser leurs chiens et leurs chevaux, et, selon Aristote (Pol., II, 5, l263a 35-
37), on y utilisait les esclaves les uns des autres « pour ainsi dire comme s’ils
vous appartenaient en propre (idiois) ainsi que les chevaux, les chiens et les
provisions de route ». Les expressions employées par les auteurs du IVe siècle
montrent qu’ils voient dans ces usages non les restes d’une ancienne propriété
collective 192, mais uniquement une pratique communautaire, qui, pour
Aristote, est fondée sur l’amitié (philia).
L’interdiction pour un particulier d’affranchir un Hilote ou de le vendre à
l’étranger limite aussi le droit de propriété, et Ducat note que cette interdiction
n’a de sens que parce que les Spartiates ont individuellement la propriété des
Hilotes : il est inutile d’interdire de vendre ou d’affranchir ce qui ne vous
appartient pas. On pourrait cependant arguer qu’une telle interdiction est aussi
concevable dans le cas où les Hilotes seraient théoriquement la propriété
collective de la cité, mais où la possession de fait qu’en avaient les citoyens les
inciterait à en usurper la propriété.
Mais pourquoi ces deux restrictions ? Pour Ducat (Les Pénestes, p. 23),
elles répondaient au « souci de maintenir dans son intégrité le cheptel servile »,
idée étrange quand on se rappelle les massacres de 425 193 . Il est plus logique
d’expliquer l’interdiction de vente à l’étranger par le droit coutumier, attesté
dans d’autres cités, et qui constitue, pour reprendre l’expression de P. Vidal-
Naquet, comme un « contrat originel de servitude ». Quant à l’interdiction
d’affranchir, qui laissait à la cité le monopole de l’affranchissement, elle
montre que la cité exerçait un certain droit de propriété sur les Hilotes et que
les relations entre les Hilotes et leurs maîtres ne relevaient pas seulement de la
sphère privée 194 . On connaît bien sûr, en dehors de Sparte, des cas
d’affranchissements collectifs pour des raisons militaires sans indemnité pour
les propriétaires, mais, ce qui serait plus surprenant, s’il s’agissait d’un
esclavage entièrement individuel, c’est que, lorsque, en 223, 6 000 Hilotes
achètent leur liberté, ils l’achètent non à leurs maîtres, mais à la cité.
Aussi ne doit-on conclure ni à une propriété totalement privée, ni à une
propriété totalement collective, mais à un partage du droit de propriété : pour
reprendre les distinctions du droit romain, déjà en germe chez Aristote
(Rhétorique, I, 1361a 12-24), on pourrait dire que les individus jouissent du
droit d’usage et la cité, du droit d’aliéner 195. Cette position moyenne
correspond aussi à la formule prudente de Strabon (VIII, 5, 4), qui, résumant
Éphore, note que, « d’une certaine manière, les Lacédémoniens avaient en eux
des esclaves publics, à qui ils avaient assigné des résidences et des tâches
privées 196 ». C’est d’ailleurs ce statut ambigu qui justifie, entre autres, leur
participation aux funérailles royales et aux activités militaires 197 .

• Paysans dépendants comme les autres, les Hilotes paraissent s’en
distinguer en étant particulièrement maltraités, ce que soulignent volontiers
adversaires et partisans de Sparte. L’oligarque athénien Critias (DK II6 88 B
37) note avec admiration que c’est à Lacédémone que les esclaves sont le plus
esclaves et les libres, le plus libres. Pour Isocrate (Archidamos, VI, 96), les
Hilotes (de Messénie) avaient subi un esclavage plus dur (khalépôteron) que les
autres esclaves. Quant à Myron de Priène (Athénée, XIV, 657d), il accuse les
Lacédémoniens d’obliger les Hilotes à subir toutes sortes de vexations
dégradantes, dont il fournit même la liste. Il s’agit de ce que J. Ducat, dans un
article remarquable 198 , a qualifié de « conduites de mépris », conduites
destinées à amener les Hilotes à intérioriser le mépris que leurs maîtres
éprouvent à leur égard de façon à les obliger à rester à leur place ou, comme
dit Myron, « à ne jamais désapprendre leur esclavage ». Myron mentionne
l’obligation de porter une coiffure de cuir (kunéè) et une peau de bête
(diphtéra) 199 , ancien vêtement paysan qui devient en quelque sorte l’uniforme
des Hilotes permettant de les distinguer facilement des Spartiates 200 , et évoque
les coups de fouet que les Hilotes doivent recevoir tous les ans.
Vraisemblablement, seul un petit nombre d’entre eux devaient être fouettés 201,
au titre de l’ensemble, et il en allait de même pour les danses grotesques et
l’ivresse forcée des Hilotes qui, au cours de certaines fêtes, étaient exhibés aux
syssities devant les jeunes Spartiates 202. Ces rituels devaient à la fois renforcer
le sentiment de supériorité des Spartiates et rappeler aux Hilotes leur condition
inférieure. Un épisode, souvent monté en épingle, suggère qu’au moins pour
les Hilotes de Laconie l’opération avait réussi : lors de l’invasion thébaine,
alors que, libérés par les ennemis, ils n’avaient plus à redouter les Spartiates,
ils refusèrent de chanter des chants civiques 203 , car « les maîtres ne le
voulaient pas » (Plut., Lyc., 28, 10, où l’emploi du terme desposunoi, attesté
chez Tyrtée, tend à authentifier l’anecdote).
Mais les Spartiates ne se contentaient pas de conduites de mépris, ils
n’hésitaient pas à employer la violence. Protégés contre la souillure 204 par la
guerre que les éphores déclaraient rituellement tous les ans aux Hilotes, les
Spartiates pouvaient les terroriser au moyen des kryptes 205, chargés de tuer
soit tous les Hilotes qu’ils surprenaient la nuit sur les routes, soit des Hilotes
qui leur avaient été indiqués. Ceux-ci n’avaient aucune protection juridique, et
les éphores pouvaient les faire mettre à mort comme ils l’entendaient, entre
autres, comme le rappelle un passage de Myron, déjà cité, s’ils avaient trop
bonne apparence. C’est ainsi, si l’on en croit Thucydide (IV, 80) que, sans
doute en 425, on aurait massacré en secret environ 2 000 Hilotes qui croyaient
avoir bien mérité de Sparte 206 .

LE « DANGER HILOTE »
Si l’on s’efforce ainsi d’avilir et de terroriser les Hilotes, c’est qu’on les
redoute et qu’on les redoute d’autant plus que la disproportion numérique entre
eux et les Spartiates ne fait que croître. Thucydide (IV, 80) présente comme
une évidence le fait que, « pour les Lacédémoniens, la majorité de leurs
institutions concernant les Hilotes vise avant tout à s’en garder (phulakè) », et
Critias (B 37) détaille les précautions qu’ils utilisent : retirer à la maison la
courroie du bouclier, en campagne garder toujours la lance à portée de la
main, enfin utiliser de bons verrous. Selon Xénophon (Rep. Lac., XII, 4), le fait
que les Spartiates « se déplacent toujours avec leur lance » s’explique par le
même souci de sécurité (asphaleia) que le maintien de leurs esclaves
(entendons bien sûr les Hilotes) à l’écart des armes. Le déplacement en armes
paraît cependant contredit par le récit de la conjuration de Cinadon (Hell., II, 3,
7), où il s’agit d’attaquer des Spartiates désarmés, mais la contradiction
disparaît si l’on tient compte du contexte : le passage cité de La République des
Lacédémoniens concerne expressément l’organisation des camps spartiates, et
Xénophon s’est vraisemblablement contenté de démarquer le texte de Critias.
Si les Spartiates se méfient ainsi des Hilotes, c’est qu’ils sont persuadés
que ceux-ci les détestent. Xénophon, qui, lorsqu’il rédigea les Helléniques,
connaissait bien la situation spartiate, souligne la violence de cette haine en
faisant rapporter par l’informateur des éphores que « chaque fois que chez ces
gens (sc. Hilotes, Néodamodes, Inférieurs et Périèques) on parlait des
Spartiates, personne ne pouvait dissimuler qu’il aurait eu plaisir à en manger
même tout crus » (Hell., III, 3, 6). La haine manifestée par cette expression
proverbiale paraît si forte qu’on ne peut plus la cacher, et le texte de Xénophon
suggère que personne ne la met en doute. La situation au début du IVe siècle
paraît ainsi fondée sur la peur réciproque.
Mais en a-t-il toujours été ainsi, à la fois pour les Hilotes de Laconie et
pour ceux de Messénie ? Pour les Messéniens, la soumission a été difficile.
Affaiblis par leurs deux longues guerres contre les Spartiates et par
l’émigration de leurs élites, après l’intégration des Arcadiens dans la Ligue du
Péloponnèse, ils perdirent sans doute l’espoir d’une aide étrangère 207 . Mais
cela n’empêcha pas une guérilla sporadique. D’après Hérodote (V, 49),
l’Ionien Aristagoras aurait en 499 invité les Spartiates à différer entre autres
leur guerre contre les Messéniens « qui sont de même force qu’eux ». Aussi les
passages de Platon, Lois, III, 692d et 698e, où, parmi les causes du retard
spartiate à Marathon, l’Athénien mentionne « la guerre qu’ils avaient alors
avec Messène », ne sont-ils peut-être pas à rejeter aussi brutalement qu’on le
fait d’ordinaire 208 . Il l’est d’autant moins qu’en décrivant la révolte de 464
Thucydide (I, 101, 2) évoque « les descendants des anciens Messéniens qui
alors (toté) avaient été asservis 209 », expression qui convient mieux à une
domination récente qu’à un phénomène très ancien.
En ce qui concerne les Hilotes de Laconie, jusqu’à cette grande révolte, qui
semble d’ailleurs plutôt le fait des Messéniens, on ne les voit participer à
aucune action importante contre les Spartiates ; certains d’entre eux les
auraient même aidés à combattre les Messéniens au cours de la deuxième
guerre de Messénie.
Si, à Platées, il y a, pour chaque Spartiate, 7 Hilotes armés à la légère (Hdt.,
IX, 10, 1, 28, 2 et 29, 1-2), qui, quoi qu’on en ait dit, ne sont pas tous
nécessairement des Hilotes de Laconie 210 , cela suffit à montrer que les
relations n’étaient pas aussi méfiantes et haineuses que le suggère le passage de
Xénophon. Hérodote (VII, 229) évoque d’ailleurs un Spartiate à demi aveugle
amené aux Thermopyles par son Hilote, qui, s’il s’enfuit, ne pensait
aucunement à le « dévorer tout cru ».
Aussi certains historiens 211 ont-ils contesté l’image d’une Sparte toujours
sur le qui-vive à cause de l’hostilité des Hilotes. Ils se fondent notamment sur
le fait que, malgré des circonstances parfois très favorables à la révolte,
comme la guerre du Péloponnèse avec les Athéniens à Pylos, à Cythère et au
cap Malée, ou la guerre de Corinthe, aucune révolte importante n’est attestée
entre 464 et l’invasion thébaine de 370-69, où les Hilotes de Laconie, sont non
seulement restés fidèles, mais ont même proposé 6 000 hommes aux
Spartiates.
S’il est possible, comme le suggère en passant J. Ducat, que le danger
hilote ait été volontairement exagéré pour justifier l’oppresion, personne ne
conteste l’importance de la révolte de 464 ni la peur des Hilotes que suscite en
425 la chute de Sphactérie. Si les Spartiates renoncent alors à envahir l’Attique,
ce n’est pas seulement pour préserver la vie de leurs prisonniers, c’est aussi
parce qu’ils ne veulent pas dégarnir leur territoire : par peur d’une révolte, ils
envoient des hoplites dans tout le pays et constituent une force de cavaliers et
d’archers (Thuc., IV, 55, 1-2). C’est alors également que, démoralisés par la
reddition des troupes de Sphactérie, les Spartiates auraient massacré en pleine
guerre près de 2 000 Hilotes qui ne demandaient qu’à défendre Sparte. En 421,
lors de l’alliance avec Sparte, dans une clause exceptionnellement unilatérale,
les Athéniens doivent s’engager à aider celle-ci en cas de soulèvement de la
classe servile (douleia) (Thuc., V, 23, 3). Enfin, au début du IVe siècle, le luxe
de précautions utilisé pour réprimer la conspiration de Cinadon (Xén., Hell.,
III, 3) montre la crainte éprouvée par les éphores devant la possibilité d’une
révolution.
On peut donc affirmer qu’au moins à cette époque (de 464 au début du
e
IV siècle) les Spartiates ont eu réellement peur des Hilotes.
Mais cette crainte était-elle justifiée ? Les Hilotes, au moins de Laconie, ne
se révoltaient pas pour différentes raisons. D’abord, comme l’a bien montré
Jean Ducat, parce qu’ils avaient intériorisé l’idéologie de leurs maîtres en
prenant conscience de leur place naturellement inférieure dans la société.
Ensuite, comme l’a souligné G.L. Cawkwell, parce que les Hilotes constituaient
une catégorie moins homogène 212 qu’on ne l’avait pensé et que l’élite des
Hilotes, au lieu de prendre la tête d’une révolte, préférait profiter des
possibilités de promotion individuelle qui la faisaient échapper à sa condition.
Il y a cependant des moments critiques, lorsque les Hilotes ont été utilisés de
façon massive dans la guerre 213 , ce qui à la fois retire aux Spartiates la
justification de leur supériorité et fournit aux mécontents les moyens de se
révolter. Aussi, pour éviter une conspiration comme celle de Cinadon, faut-il,
sinon massacrer des Hilotes comme en 425, au moins en emmener au loin,
comme Brasidas en 424 ou Agésilas, après l’échec de Cinadon 214 .
Pour préciser les relations entre les Spartiates et les Hilotes au cours de la
période considérée, on peut partir de trois moments critiques bien décrits dans
nos sources : la révolte du tremblement de terre 215, les massacres de 425 et la
conspiration de Cinadon.

• En 464, alors que, selon Thucydide (I, 101), les Lacédémoniens allaient
aider secrètement les Thasiens révoltés contre Athènes, « ils en furent
empêchés par le tremblement de terre qui était survenu et au cours duquel
entrèrent en dissidence (apéstèsan) sur l’Ithôme à la fois les Hilotes et, parmi
les Périèques, les gens de Thouria et d’Aithaia 216 ». Ce tremblement de terre 217 ,
dont l’épicentre devait être proche du site de Sparte, fut particulièrement
destructeur : les différentes sources parlent volontiers du « grand tremblement
de terre » ou « des grands tremblements de terre », et évoquent une destruction
presque complète de Sparte (à l’exception de cinq maisons, précise Plutarque),
avec notamment l’écroulement d’un gymnase entraînant la mort des éphèbes
qui s’y entraînaient. Comme, contrairement aux Hilotes et aux Périèques, les
Spartiates habitaient principalement à Sparte, ce sont eux, et notamment leurs
femmes et leurs enfants de moins de 7 ans, qui ont dû subir les pertes les plus
sévères. Bien que le séisme ait affecté aussi la Périoikis, notamment les pentes
du Taygète, les estimations de Diodore, qui parle de 20 000 morts, paraissent
sujettes à caution. Mais, même si l’on réduit ce nombre, les conséquences
démographiques du tremblement de terre et de la révolte hilotique qu’il suscita
ont dû être considérables, puisque les Spartiates, qui pouvaient par eux-mêmes
aligner 8 000 hoplites en 479, n’en ont plus que 3 000 en 425.
La catastrophe fournit aux Hilotes l’occasion de « faire défection »,
expression qui correspond à l’opinion de Thucydide, selon lequel la grande
majorité des Hilotes révoltés était constituée par les Messéniens. Comme
l’historien ne parle que de « la grande majorité », il faut entendre que, pour lui,
des Hilotes de Laconie avaient également participé au mouvement, mais que la
majorité de ces derniers n’avaient pas bougé, que ce soit par loyauté envers
Sparte ou du fait de la réaction rapide du roi Archidamos.
Les Spartiates durent mener une guerre difficile, où ils furent obligés de
faire appel entre autres à leurs alliés d’Égine, de Platées, de Mantinée et même
d’Athènes, et qui fut coûteuse en hommes, surtout si la bataille de Stényclaros,
où, d’après Hérodote (IX, 64), les Spartiates perdirent 300 hommes (sans
doute d’élite) en luttant « contre tous les Messéniens », date bien de cette
guerre. Celle-ci ne s’acheva finalement, d’après Thucydide (I, 103) et Diodore
(XI, 64, 4), qu’au cours de la dixième année, par une paix de compromis 218 ,
par laquelle les gens de l’Ithôme furent contraints – mais on peut aussi
entendre autorisés – à quitter le Péloponnèse.
Les Spartiates avaient eu très peur et ils s’efforcèrent de ne plus jamais se
retrouver dans une situation aussi critique. C’est pourquoi, d’après certaines
sources, l’oppression des Hilotes se serait alors aggravée. Pour Plutarque
(Lyc., 28), les cruautés exercées sur les Hilotes, notamment dans le cadre de la
kryptie, dateraient surtout de la période postérieure « au grand tremblement de
terre », au cours duquel Hilotes et Messéniens avaient mis la cité « dans le plus
grand danger ». Quant à Diodore (XI, 84), il précise que les Spartiates
laissèrent partir sous convention les gens de l’Ithôme, mais que, parmi les
Hilotes, ils châtièrent les responsables de la défection et réduisirent les autres
en esclavage.

• Cette thèse est d’autant plus vraisemblable que, tandis qu’Hérodote
n’évoque aucunement le sort déplorable des Hilotes, Thucydide (IV, 80) 219 , en
présentant les massacres de 425 220 , montre à quels excès la peur des Hilotes
pouvait amener les Spartiates. Voulant suggérer que l’expédition de Brasidas
en Thrace (en 424) s’expliquait en partie par « le désir d’avoir un motif pour
envoyer des Hilotes à l’extérieur », l’historien rappelle un épisode antérieur 221
censé manifester la crainte que les Spartiates éprouvaient devant « la jeunesse
et le nombre » des Hilotes, entendons probablement « leur abondante
jeunesse 222 ». Ils auraient ainsi invité les Hilotes qui « estimaient s’être montrés
les meilleurs à leur égard au milieu des ennemis » à se faire examiner pour
être libérés. Après en avoir sélectionné environ 2 000 et leur avoir fait
célébrer, en une véritable mascarade, les cérémonies de la libération, les
Spartiates « les firent disparaître peu de temps après, sans que personne sût de
quelle façon chacun avait péri ».
Si tels sont les faits dont Thucydide a pu avoir connaissance, on peut
s’interroger sur son interprétation. L’invitation à demander la libération ne
serait qu’un test pour inciter à se désigner eux-mêmes ceux qui, « du fait de
leur fierté, seraient les plus à même de se soulever ». L’historien suppose ainsi
que, dès le départ, les Spartiates avaient décidé de massacrer ces Hilotes, ce qui
serait bien conforme à la « fourberie » que les Athéniens ont coutume de leur
reprocher. Mais, pour que la décision pût rester secrète, il fallait qu’elle ne fût
connue que d’un nombre restreint ; il est donc vraisemblable qu’elle a été prise
par les éphores, éventuellement après consultation des gérontes ou des rois. Il
était donc difficile pour Thucydide de savoir à quel moment précis la décision
avait été prise. Or, libérer des Hilotes qui, notamment en temps de guerre,
avaient bien mérité de Sparte, par exemple en ravitaillant la garnison de
Sphactérie (Thuc., IV, 26, 5), ne comportait rien d’inhabituel. Ce qui, au
contraire, était exceptionnel et avait pu affoler des Spartiates déjà démoralisés
par leur récent désastre, c’était le nombre d’Hilotes demandant à être libérés :
si on en a « sélectionné environ 2 000 », pour que la sélection eût vraiment
l’air d’une sélection, il fallait que le nombre de candidats eût nettement dépassé
ce nombre. On peut dès lors se demander si ce n’est pas cet afflux inattendu qui
aurait amené les Spartiates à prendre la décision de les éliminer, qui n’aurait
pas été envisagée au début. En tout cas, leurs réactions de 370-69 (Xén., Hell.,
VI, 5, 28-29) confortent l’hypothèse, car, ayant alors proposé de libérer les
Hilotes qui combattraient à leurs côtés, les Spartiates en avaient vu arriver
6 000, « nombre excessif 223 » qui, au lieu de les réjouir, les avait effrayés, au
moins jusqu’à l’arrivée de leurs alliés et de leurs mercenaires.

• La peur qu’éprouvaient les Spartiates devant la menace, réelle ou
imaginaire, que représentait pour eux la masse des Hilotes, est confirmée par
le récit que fait Xénophon (Hell., III, 3) 224 de la conspiration de Cinadon. Le
texte, véritable morceau de bravoure, est orchestré en un récit dramatique
évoquant suivant l’ordre chronologique l’avertissement divin 225 (comme au
début d’une tragédie), la crise (la dénonciation) et le dénouement heureux
(l’éloignement de Cinadon et la répression du complot). Comme toujours, sans
avoir l’air d’intervenir, Xénophon, par l’organisation de son récit, impose
insidieusement ses conclusions 226 , à savoir : Cinadon était un homme de
valeur, et la situation à Sparte, très périlleuse à cause de l’hostilité générale
envers les Homoioi, justifiait l’effroi éprouvé par les éphores, qui ont
habilement réagi.
Bien que Xénophon n’ait rien d’un révolutionnaire, il présente Cinadon
avec sympathie en le décrivant comme juvénile d’aspect – sans doute beau, ce
qui a pu favoriser sa promotion et le rapproche plus des Spartiates que des
populations dépendantes – et d’une âme ferme 227 . Il était ainsi tout à fait
qualifié pour être un Spartiate de plein droit, ce qu’il n’était pas, et Xénophon,
comme plus tard Aristote, intervient personnellement pour critiquer la
chose 228 : « Et pourtant (mentoi) il n’était pas au nombre des Homoioi. » Si
cette situation paraît déjà anormale à l’historien et suggère à Aristote que
l’aristocratie spartiate ne respecte pas toujours ses propres principes (l’arétè),
elle paraît encore plus anormale aux yeux de Cinadon lui-même. D’où, quand
on l’interroge sur ses motivations, sa fière réponse à l’allure d’apophtegme,
donc tout à fait digne d’un Spartiate : « Pour n’être à Lacédémone inférieur à
personne. » Bien que le terme utilisé par Xénophon ne soit pas celui qu’il avait
employé plus haut (III, 3, 6) pour désigner la catégorie des Inférieurs, c’est-à-
dire les Spartiates ayant, du fait de leur misère ou de leur lâcheté, perdu leur
qualité de citoyens de plein droit, il est tout à fait vraisemblable que Cinadon a
appartenu à cette catégorie. Il a reçu une certaine éducation, puisqu’il sait
écrire. Il a déjà joué un rôle important comme homme de confiance des
éphores, puisqu’il a opéré des arrestations et a disposé de la scytale 229 , et il
paraît normal qu’envoyé en mission il prenne une escorte de 6 ou 7 membres
de la garde royale, qu’il est ainsi habilité à commander. Il a donc un rôle
d’officier de police, ce qui s’explique par le fait que le petit nombre de
Spartiates de plein droit les oblige à confier des missions importantes à des
gens qui n’ont pas le statut d’Homoioi 230 . Son statut inférieur jure ainsi non
seulement avec ses qualités naturelles, mais aussi avec le rôle qu’il joue à
Sparte.
Quant à son principal complice 231, le devin Teisaménos, il a toute chance
de descendre du fameux devin Teisaménos d’Élis, qui, lors des guerres
médiques, avait reçu la citoyenneté spartiate, pour lui et ses descendants. Si
l’un de ceux-ci n’est pas au nombre des Homoioi, 232 c’est que, peut-être à cause
de ressources insuffisantes, il a été réduit à l’état d’Inférieur.
Les deux meneurs mentionnés par Xénophon n’appartiennent donc pas à
des populations soumises qui entendent se libérer, mais sont plutôt des
déclassés 233 . Ils illustrent ainsi la réflexion de Platon (Rép., VIIII, 555d), pour
qui les révolutions dans les oligarchies proviennent de ce que « des gens bien
nés (ouk agenneis) » ont été réduits à la pauvreté et, pourvus d’aiguillons et
armés, endettés ou frappés d’atimie, se montrent épris de révolution 234 .
Mais, si leur entreprise est si dangereuse, c’est qu’ils peuvent compter sur
l’appui de tous ceux qui ne sont pas des Homoioi et qui l’emportent de
beaucoup par leur nombre : le texte suggère même, de façon imagée, un
rapport de 1 à 100 235 entre les Spartiates et les autres, puisque Cinadon est
censé avoir amené le dénonciateur sur l’agora et lui avoir montré et fait
compter les quelque 40 Spartiates 236 qui y étaient présents – et bien sûr se
distinguaient facilement par leur costume – pour les opposer aux autres, « qui
(étaient) plus de 4 000 ». Ces nombreux « ennemis 237 » peuvent disposer
d’armes normales 238 ou de fortune et sont censés haïr profondément les
Spartiates.
Dans de telles circonstances, il est normal que les éphores soient
épouvantés et que, dans l’immédiat, n’étant pas sûrs de leur force, ils fassent
appel à la ruse en combinant une sorte de contre-complot pour éloigner
Cinadon sans éveiller ses soupçons. Non seulement ils l’envoient le plus loin
possible, à la frontière de l’Élide, mais, en insistant sur les détails, ils
s’efforcent de rendre le plus vraisemblable possible sa mission, qu’ils
entourent aussi d’un luxe de précautions : les jeunes qui l’accompagnent,
théoriquement pris au hasard, sont en fait choisis par le plus âgé des
hippagrètes 239 , et on envoie en renfort un détachement de cavalerie, sans doute
pour le cas où son arrestation, même dans un coin reculé, pourrait susciter de
l’agitation.
Cinadon ayant dénoncé ses complices, sous la torture précise Polyen, ce
que Xénophon préfère laisser dans l’ombre, les principaux conjurés subissent
un châtiment infamant se terminant, bien sûr, par la mort, tandis que les autres,
dont Xénophon ne se soucie pas, auraient, selon Polyen, été éliminés avant
même le retour de Cinadon.
Dans ce texte, Xénophon s’est ainsi efforcé de présenter les Spartiates
comme une petite minorité haïe et menacée : si l’on n’avait eu la chance, grâce
sans doute au dernier sacrifice, enfin favorable, de voir la conspiration
dénoncée, elle aurait, d’après le texte, facilement réussi. Cependant, familier du
roi Agésilas, l’auteur pouvait bien avoir des renseignements de première main
sur les réactions des éphores et sur la répression, mais que pouvait-il savoir
des sentiments des populations soumises ? C’est le dénonciateur qui est censé
avoir dit aux éphores que Cinadon lui avait dit que ses complices lui avaient
dit que les populations sujettes se disaient prêtes « à manger les Spartiates
même tout crus » : on en est ainsi au quatrième degré du style indirect. Et,
même si l’on admet cette hostilité généralisée, il n’est pas sûr que, sans même
parler des Messéniens, qui n’apparaissent pas dans le texte, toutes les
catégories aient des revendications identiques. De toute façon, la conspiration a
échoué.
Si le premier épisode commenté faisait bien apparaître le danger
messénien 24 0 , les deux autres montrent ainsi plus la peur – on pourrait presque
dire la paranoïa – éprouvée par les Spartiates que, au moins en Laconie, un
véritable danger hilote.
3. Les Périèques 241
Si une population dépendante paraît contredire les affirmations de Cinadon
en restant fidèle à Sparte, c’est bien celle des Périèques.
Leur nom (périoikoi), attesté dans de nombreuses cités grecques, désigne
ceux qui habitent autour, à la périphérie, et se trouvent de ce fait dans une
position inférieure par rapport à ceux qui occupent le centre.

L’ORIGINE DES PÉRIÈQUES

Comme pour les Hilotes, on s’est demandé si, à Sparte, l’origine des
Périèques, expliquait leur statut.
Certains historiens ont voulu différencier ethniquement Spartiates et
Périèques, en opposant le peuple conquérant (Herrenvolk) des Doriens, exalté
par l’idéologie nazie, et les peuples soumis, les prédoriens de la plaine
constituant les Hilotes et ceux de la bordure montagneuse, les Périèques. Une
telle thèse a déjà été critiquée par F. Hampl 24 2, qui trouvait étrange de faire
garder les frontières par une population dont on n’était pas sûr et qui
considérait que les cités périèques, au nombre de cent selon la tradition, étaient
trop nombreuses pour correspondre à d’anciennes bourgades achéennes.
Aussi Hampl a-t-il développé au contraire la thèse de la colonisation
dorienne 24 3 . Il s’est fondé sur quelques cas attestés de colonisation spartiate en
Laconie : à Pharis, Géronthrai et Hélos 24 4 , ou à Cythère (Thuc., VII, 57, 6 ;
Plut., Nicias, 6). Il a souligné que, tandis que la Grèce, trop peuplée pour sa
structure agraire, se lançait dans la colonisation, Sparte, sauf dans le cas de
Tarente, n’avait pas participé à ce grand mouvement. Elle se serait contentée de
résorber ses excédents de population en colonisant la Laconie et la bordure de
la Messénie 24 5.
La thèse peut aussi se fonder sur un passage d’Isocrate (Panath., XII, 177-
181) 24 6 . Selon l’auteur athénien, les Spartiates ont été plus que les autres Grecs
en proie à la stasis 24 7 . Une fois vainqueurs, les aristocrates, qu’Isocrate
désigne péjorativement comme « ceux qui l’emportaient en orgueil sur le
peuple », au lieu de continuer à habiter avec leurs adversaires comme on le fait
d’ordinaire, établirent pour eux-mêmes la démocratie 24 8 , tout en transformant
le peuple en Périèques, c’est-à-dire en obligeant ces gens à vivre à la
périphérie, et « en asservissant leurs âmes tout autant que celles de leurs
serviteurs », entendons de leurs Hilotes. Cette thèse devait déjà être répandue
chez les oligarques athéniens de la fin du Ve siècle, puisque c’est ce modèle
d’exil du peuple à l’extérieur de la ville qu’ont appliqué les Trente en 404-
3 24 9 . En tout cas, Isocrate la précise non seulement en assurant que les
Spartiates se sont réservé les terres les meilleures et les plus étendues et n’ont
laissé aux Périèques qu’une petite quantité des terres les plus mauvaises, mais
surtout en suggérant une colonisation imposée et organisée par Sparte :

Après quoi (sc. la répartition des terres entre Sparte et la Périoikis), en


répartissant leur masse (celle des Périèques) dans les groupes les plus
petits possibles, ils les établirent (katoikisai) dans des lieux petits et
nombreux en leur donnant des noms comme s’il s’agissait de cités
alors qu’ils avaient une importance inférieure à nos dèmes.

La thèse suivant laquelle la Laconie aurait été colonisée à la suite de


troubles sociaux ou politiques n’est pas absurde et elle a pour elle de
nombreux parallèles dans l’histoire de la colonisation grecque. Il est cependant
peu probable que tout ait été organisé depuis le centre. Il est plus vraisemblable
que ceux qui n’avaient pas de terre dans le voisinage de Sparte ou qui avaient
eu le dessous dans des luttes civiles sont partis en chercher ailleurs en
constituant d’autres communautés, qui, plus tard, sont, de gré ou de force,
passées sous la domination de Sparte.
On peut cependant se demander si cette thèse est valable pour l’ensemble
des cités périèques. Hampl lui-même reconnaît quelques exceptions : en
Messénie 250 , les Spartiates, au lieu de coloniser eux-mêmes, ont installé à
Asinè des Dryopes chassés d’Asinè d’Argolide et à Méthonè, des Argiens de
Nauplie, tandis que les Skirites, qu’on pourrait assimiler aux Périèques, sont
d’origine arcadienne. Mais il y a plus grave, comment une petite cité comme la
Sparte archaïque aurait-elle pu fonder et peupler une centaine de
bourgades 251 ?
D’autre part, dans les autres États grecs qui ont des dépendants qualifiés de
Périèques 252, que ce soit à Élis, à Argos, en Crète ou en Thessalie, voire à
Cyrène, il s’agit toujours de communautés voisines qui ont été soumises par la
guerre ou par la diplomatie et dont le statut varie depuis celui d’alliés associés
par un traité jusqu’à celui de quasi-Hilotes, mais, dans aucun cas, il n’est fait
mention de colonisation par la cité dominante. Il serait d’ailleurs surprenant
qu’à moins d’y être forcés, comme le prétend Isocrate, des colons acceptent de
devenir des Périèques de la cité dont ils étaient citoyens 253 .
Aussi est-il dangereux de vouloir généraliser en cherchant une origine
unique de tous les Périèques lacédémoniens. V. Ehrenberg se référait
prudemment à la conquête, à l’association et à la colonisation, tandis que
G. Shipley, négligeant l’association, qui ne convient guère à un système
inégalitaire, distingue, à la suite de P. Cartledge, la conquête, la colonisation ex
nihilo et, surtout, la colonisation de sites existants (Philolakon, p. 214). Quoi
qu’il en soit, il s’agit de grouper autour de Sparte des communautés trop
éloignées pour être assimilées et trop proches pour être de simples alliés. C’est
ainsi que se mettent en place au VIe siècle trois cercles concentriques : Sparte,
l’État lacédémonien, qui comprend le territoire périèque (la Périoikis), et
l’alliance à laquelle les modernes ont donné le nom de « ligue du
Péloponnèse ».

LA PLACE DES PÉRIÈQUES DANS L’ÉTAT LACÉDÉMONIEN


Les Périèques ont un statut ambigu, puisqu’ils sont membres de l’État
lacédémonien, mais n’y jouissent d’aucun droit politique, ce qui a pu amener
certains modernes à se demander s’ils avaient vraiment le titre de citoyen
lacédémonien.
Le territoire périèque fait partie intégrante du territoire lacédémonien,
comme le roi Démarate, exilé, le précise aux Perses : « Il y a à Lacédémone
une cité (polis) Sparte d’environ 8 000 hommes et l’ensemble des
Lacédémoniens a beaucoup de cités (poleis) » (Hdt., VII, 234). L’intégration de
la Périoikis dans le territoire lacédémonien est confirmée par les lieux où sont
accomplis les sacrifices pour le franchissement de la frontière (diabatèria) et
par le fait que, lorsque les Athéniens ravagent la Périoikis, la chose est
considérée comme un casus belli, entraînant la reprise de la guerre du
Péloponnèse 254 . Comme la Périoikis apparaît ainsi comme un territoire
lacédémonien et que, comme le reconnaît Isocrate lui-même (cf. supra), les
Périèques sont propriétaires de leur terre, ils jouissent déjà dans ce domaine
d’un des privilèges essentiels du citoyen.
De toute façon, il est manifeste que les Périèques eux-mêmes sont au
nombre des Lacédémoniens, le terme lacédémonien ne se limitant pas aux
seuls Spartiates, même si les textes confondent souvent Spartiates et
Lacédémoniens 255. Ainsi, dans le passage d’Hérodote qu’on vient de citer,
Démarate évoque, outre les Spartiates, semblables (homoioi) aux combattants
des Thermopyles, « les autres Lacédémoniens, qui, sans leur être semblables
(homoioi), sont des braves », tandis qu’à propos de la bataille de Leuctres
Xénophon (Hell., VI, 4, 15) distingue « l’ensemble des Lacédémoniens » et
« les Spartiates eux-mêmes 256 ». Pour Thucydide (IV, 53, 2), les gens de
Cythère sont des Lacédémoniens faisant partie des Périèques et, lorsque, dans
le récit d’opérations militaires, il parle de Lacédémoniens, il s’agit toujours de
Spartiates et de Périèques.
En outre, on ne mentionne jamais d’État spartiate, qui se distinguerait de
l’État lacédémonien. Le nom officiel de l’État, tel qu’il apparaît dans les traités,
c’est « les Lacédémoniens » et le titre officiel de leurs rois, « rois des
Lacédémoniens », même si Hérodote les appelle constamment « rois des
Spartiates », ce qui ne l’empêche pas de présenter tel roi comme un
Lacédémonien. Le terme laconien s’applique aussi à l’ensemble des
Lacédémoniens, mais il est plus géographique ou « ethnique » que politique et
est employé par exemple pour évoquer les qualités des Lacédémoniens, qui
savent mourir en Laconiens.
La preuve que les Périèques font partie de l’État lacédémonien, c’est que
l’armée civique 257 est formée de Spartiates et de Périèques. Ainsi, Xénophon
évoque Archidamos, qui se porte au secours des Éléens « avec les citoyens »
(Hell., VII, 4, 20), et Sparte, qui s’irrite ensuite de voir « les citoyens »
assiégés, mais, lorsque, un peu plus loin (VII, 4, 27), il dénombre les
prisonniers faits par les Arcadiens, ces citoyens sont devenus des Spartiates et
des Périèques.
Les Périèques sont donc bien des citoyens lacédémoniens, et Isocrate n’a
pas tort d’y voir le dèmos. Mais ce sont des citoyens de droit réduit, ce qui
renforce le caractère oligarchique d’un État lacédémonien, qui, par son
étendue comme par son organisation, se rapproche peut-être plus d’un ethnos
(cf. le pseudo-Skylax, 46) que d’une véritable cité 258 .
En effet, ils n’ont pas, dans cet État, les droits politiques du citoyen et ne
peuvent ni être magistrats ni même participer à l’assemblée, c’est ce que
suggère Isocrate dans le passage déjà cité (Panath., XII, 178), quand il oppose
l’attitude des Spartiates à celle des autres oligarques, qui, une fois qu’ils ont
vaincu la faction populaire, laissent le peuple cohabiter avec eux en ne
l’excluant que « des magistratures et des honneurs », c’est-à-dire en lui
permettant de participer à l’assemblée.
Ils ont cependant les obligations du citoyen et doivent notamment suivre
les rois à la guerre : Isocrate (XII, 180) ne se fait pas faute d’insister sur la
contradiction, en s’indignant de les voir alors combattre aux côtés des
Spartiates et parfois au premier rang.
On s’est demandé s’ils formaient des contingents séparés ou étaient
amalgamés aux Spartiates. Comme Spartiates et Périèques sont envoyés
séparément à Platées, il est probable, malgré Cawkwell 259 , que, séparés dans
leur progression, ils l’étaient aussi sur le champ de bataille. Quoi qu’il en soit,
par la suite, ils seront amalgamés sans l’être jusqu’aux plus petites unités. Il
semble en effet que les Périèques aient toujours formé des énomoties
(contingent de base de 40 hommes maximum), voire des bataillons (loches)
séparés 260 ; sinon, on ne voit pas comment les Spartiates pourraient mobiliser
et, éventuellement, utiliser leurs troupes avant même l’arrivée des Périèques 261.
Cependant, comme les Spartiates ne sont plus assez nombreux pour, comme à
Platées, équilibrer les Périèques, on va, de plus en plus, trouver des Périèques
(et des Inférieurs 262) dans les bataillons théoriquement « spartiates ». Ceux-ci
formeront ainsi de plus en plus la majorité de l’armée civique : déjà à
Sphactérie, en 425, sur 292 survivants, faits prisonniers, il y a environ
120 Spartiates en face de 172 autres Lacédémoniens, ce qui suppose un rapport
de deux à trois 263 , et il semble même qu’à Leuctres, en 371, le rapport ne soit
plus que de deux à cinq, voire, si l’on retire les 300 Hippeis spartiates, de un à
dix, ce qui laisse supposer que, même dans les bataillons « spartiates », ceux-ci
ne constituent plus qu’un cinquième de l’effectif.
Si les Périèques sont amalgamés aux Spartiates, ils forment aussi des
contigents séparés, comme celui des Skirites, et des Périèques peuvent être
envoyés dans des expéditions à laquelle l’armée civique ne participe pas 264 . En
outre, à la bataille de Sellasie, en 222, Polybe (II, 65) distingue les troupes
lacédémoniennes (Spartiates et Périèques) et, dans un autre secteur, Périèques
et alliés.
Dans l’armée comme dans la société, les Périèques occupent une position
intermédiaire : ils ne sont pas cantonnés dans les fonctions les plus basses
comme celles de rameurs ou de fantassins légers, mais constituent l’infanterie
de marine (épibates) et fournissent l’essentiel des hoplites de l’armée civique.
Ils peuvent sans doute exercer des fonctions de commandement 265, comme le
suggère involontairement la remarque critique d’Isocrate (VI, 180), selon
lequel quelques-uns d’entre eux se trouvaient même exposés au premier rang.
Mais les postes les plus élevés sont réservés aux Spartiates : il est exceptionnel
qu’une flotte par exemple soit commandée par un Périèque comme en 412 par
Deiniadas (Thuc., VIII, 22, 1), qui reste d’ailleurs sous les ordres du navarque
spartiate.
En dehors de leurs obligations militaires, ce qui marque la dépendance des
Périèques, c’est leur soumission aux autorités lacédémoniennes, c’est-à-dire en
fait spartiates.
Comme ils doivent suivre les rois à la guerre, envoyer des délégations aux
funérailles royales et que les rois ont des terres qui leur ont été réservées dans
la Périoikis, on a pu souligner les liens particuliers qui les unissent aux rois 266 .
Mais, au moins à l’époque classique, il est excessif de parler d’union
personnelle comme entre les Périèques thessaliens et le tagos, car les
Périèques lacédamoniens sont aussi soumis aux éphores. Selon Isocrate (XII,
181), ceux-ci auraient même « le droit d’en mettre à mort sans jugement autant
qu’ils le désirent », entendons que les Périèques sont alors condamnés par les
éphores et non par la gérousie. C’est ce qui a dû se passer pour ceux d’entre
eux qui étaient impliqués dans la conspiration de Cinadon et la « procédure »
est confirmée par le régime athénien qui entend s’inspirer de Sparte : sous les
Trente, seuls les 3 000 citoyens de plein droit relevaient d’un jugement par le
Conseil, les autres qui, chassés d’Athènes, étaient, d’une certaine façon,
assimilables aux Périèques, pouvaient être mis à mort par les Trente. Si cette
exécution de Périèques devait rester assez rare, l’affaire Cinadon montre que
les éphores avaient tout loisir de les faire arrêter dans leurs propres cités.
Les Périèques apparaissent bien ainsi comme des citoyens, mais des
citoyens de droit réduit.
Cependant, certains ont critiqué cette idée en se fondant sur quelques faits
qui pourraient suggérer que les Périèques ne sont pas membres de l’État
lacédémonien, mais qu’ils y sont d’une certaine manière considérés comme
des étrangers.
L’exemple de Cythère a fait supposer que des magistrats particuliers
contrôlaient la Périoikis. En effet, Thucydide (IV, 53, 2) note que les Spartiates
envoyaient tous les ans dans l’île un gouverneur (archè) appelé Kythérodikès et
qu’ils y faisaient passer à chaque fois une garnison d’hoplites. Or, une
inscription (IG V, 1, 937) mentionnant la présence d’un harmoste à Cythère, on
a été tenté d’y voir un Kythérodikès en supposant même que les 20 harmostes
(cf. schol. Pindare, Olymp., VI, 154) contrôlaient l’ensemble de la Périoikis 267 .
Mais cette identification ne repose sur rien : le texte de Thucydide n’indique
même pas que le Kythérodikès, dont le nom suggère une activité plus judiciaire
que militaire, était à la tête de la garnison ; la scholie de Pindare est
équivoque : « Il y avait vingt harmostes des Lacédémoniens » peut signifier
aussi bien « appartenant aux Lacédémoniens » qu’« exerçant leur pouvoir sur
les Lacédémoniens 268 » ; l’inscription, qui date peut-être du IVe siècle,
correspond à une situation particulière, et, de toute façon, l’île de Cythère
posait des problèmes de défense spécifiques, qui interdisaient de généraliser
son cas.
Le deuxième argument, fondé sur le régime fiscal imposé aux Périèques,
paraît plus convaincant. Platon évoque dans l’Alcibiade majeur (123a) le tribut
(phoros) considérable que les Lacédémoniens versaient aux rois. Étant donné
le sens défavorable qu’avait pris le terme phoros, évité délibérément par la
deuxième confédération maritime athénienne, il est tentant de considérer que
ce tribut n’était imposé qu’aux Lacédémoniens non spartiates, c’est-à-dire aux
Périèques. Ce phoros se distinguerait donc des contributions (eisphorai), que,
selon Aristote (Pol., II, 1271b 10-17), les Spartiates rechignaient à payer et
expliquerait, entre autres, pourquoi, alors que, comme le souligne le
philosophe, les finances publiques étaient au plus bas, les rois étaient, au
contraire, richissimes. Strabon (VIII, 365), se fondant sur Éphore, paraît
confirmer le régime fiscal particulier des Périèques en rapportant qu’Agis, le
fils d’Eurysthénès, « imposa aux Périèques de payer une contribution
(suntelein prostaxan) à Sparte », ce qui symbolisait leur nouvelle dépendance
par opposition à l’égalité de droits dont on les aurait privés.
Mais cela ne suffit pas pour transformer les Périèques en des sortes
d’étrangers à rapprocher des métèques : des citoyens de droit réduit peuvent se
voir imposer des charges supplémentaires.
L’assimilation à des étrangers ou à des métèques ne se trouve, elle, que
dans des textes tardifs, où elle peut d’ailleurs provenir en partie de négligences
de Plutarque. En effet, à propos des réformes de Cléomène III (au IIIe siècle), le
même auteur évoque en trois passages différents le complément (anaplèrôsis)
du corps civique : en Cléomène 10, 11, le roi révolutionnaire entend
« examiner et choisir des étrangers (xénoi) afin que les plus forts (kratistoi)
d’entre eux, devenus des Spartiates, préservent la cité par les armes » ; dès le
chapitre suivant (11, 3), la même mesure est évoquée par : « Ayant complété le
corps civique avec les plus distingués (khariestatoi) des Périèques, il porta le
nombre des hoplites à 4 000 » ; enfin, dans la Vie d’Aratos, 38, 4, Plutarque
rappelle que Cléomène « a introduit dans le corps civique un grand nombre de
métèques ». Si l’on rapproche les trois passages, il semble que Plutarque
assimile les Périèques à la fois aux métèques et aux étrangers en général. Une
confusion entre Périèques et métèques n’aurait guère été possible à l’époque
classique, puisque, même si le terme métèque désigne non, comme on l’avait
cru, celui qui habite avec (les citoyens), mais celui qui a changé de
résidence 269 , le métèque n’est pas, comme le Périèque, nécessairement rejeté à
la périphérie. Si Plutarque confond Périèques et métèques, c’est sans doute
qu’à l’époque considérée un certain nombre de Périèques, notamment ceux qui
avaient été formés à la spartiate se seraient mis à résider à Sparte ; c’est ce que
paraît aussi suggérer le passage de la Vie d’Agis (5, 7) qui évoque un
prolétariat urbain. Quant à l’identification à des étrangers, elle s’explique soit
par le fait que, à une époque où les anciens Périèques sous le nom
d’Éleuthérolaconiens ont cessé d’être les concitoyens des Spartiates, Plutarque
substitue la ville de Sparte à l’État lacédémonien, soit, tout simplement, parce
que Cléomène aurait intégré à la fois des étrangers (peut-être en partie des
mercenaires 270 volontiers désignés comme xénoi) et des Périèques, et que
Plutarque se serait montré imprécis en mentionnant tantôt les uns, tantôt les
autres. L’hypothèse est d’ailleurs confirmée par le fait qu’Agis IV, que, sur ce
point, Cléomène entend imiter, avait voulu compléter le corps civique avec des
« Périèques et des étrangers (xénoi), qui, ayant eu part à une éducation
d’homme libre et étant des gens distingués (kharientés) 271, seraient au sommet
de leur forme physique et dans la fleur de l’âge » (Plut., Agis, 8, 3) 272.
Il n’y a donc aucune raison de considérer les Périèques comme étrangers à
la communauté lacédémonienne. D’ailleurs, si les Grecs les considéraient
comme des étrangers, Isocrate ne se serait pas fait faute de condamner sur ce
point l’impérialisme spartiate.
L’ORGANISATION CIVIQUE DES PÉRIÈQUES

Partie intégrante de l’État lacédémonien, les Périèques vivent dans des


cités, qui, selon Strabon (VII, 362) et Stéphane de Byzance seraient au nombre
de 100. Si ce nombre rond a parfois paru excessif, Niese 273 avait réussi à
identifier quelque 80 cités périèques, dont 30 en Messénie, et G. Shipley (« The
Other Lakedaimonians », p. 190-193 et 226-269) a relevé 136 sites, dont
certains ne sont pas des cités (poleis) et dont d’autres ne sont pas attestés à
l’époque classique : ces incertitudes empêchent de préciser le nombre des
poleis périèques, qui, à l’époque classique, paraît se situer entre 60 et une
centaine. Étant donné ce nombre, ces cités ne peuvent être que très petites, et,
pour les dénigrer, Isocrate les dit encore plus petites que les dèmes athéniens.
Cependant, si l’on admet les 30 000 lots périèques qu’indique Plutarque, on
aurait un corps civique moyen de 300 à 500 individus, ce qui dépasse déjà le
niveau du simple village 274 , et, si les cités périèques sont d’importance très
inégale, la protection spartiate a permis même à de toutes petites communautés
de subsister comme poleis. D’ailleurs, comme G. Shipley l’a précisé dans
Philolakon, certaines cités périèques, telles Pellana, Gytheion (le port de
Sparte), Kyparissia, Épidaure Liméra ou Prasiai étaient des bourgades
relativement importantes. En outre, certaines d’entre elles, comme Méthonè
(cf. Thuc., II, 25, 1) ou Gytheion, étaient fortifiées (cf. Xén., Hell., VI, 5, 32).
Le terme polis 275 suggère déjà une certaine autonomie. Même si les cités
périèques sont soumises au contrôle des éphores, elles s’administrent elles-
mêmes et lèvent notamment elles-mêmes les troupes qu’elles envoient à Sparte
(cf. Thuc. V, 54, 1).
Les Anciens, qui ne se sont guère intéressés aux Périèques, n’ont pas
précisé leur régime politique 276 . Mais les petites cités sont volontiers
oligarchiques et il aurait été surprenant que Sparte, qui avait imposé des
régimes oligarchiques dans la ligue du Péloponnèse, laissât subsister des
régimes démocratiques dans les cités périèques. Ces cités connaissent bien sûr
une certaine stratification sociale : Xénophon évoque ainsi des kaloi kagathoi,
tandis que Plutarque, dans les passages commentés plus haut, mentionne des
Périèques kharientés ou khariéstatoi. Mais, ce qui rend déjà le régime moins
oligarchique que celui de Sparte, c’est que les Périèques n’ont pas eux-mêmes
de Périèques.
De toute façon, le travail agricole ne leur est pas interdit comme il l’est
aux Spartiates, et c’est l’agriculture qui, comme partout en Grèce, reste leur
principale activité. On s’est cependant demandé s’ils avaient, comme les
Spartiates, des Hilotes à leur service. Hampl 277 a présenté plusieurs arguments
en faveur d’une réponse positive. A la bataille de Platées, chaque Périèque avait
avec lui un soldat armé à la légère ; mais il pourrait s’agir aussi bien de
Périèques pauvres que d’Hilotes 278 . Au cours de la guerre du Péloponnèse, les
Athéniens se fortifient au cap Malée en espérant la défection d’Hilotes (Thuc.,
VII, 26, 2). Or, la région se trouvant à quelque 60 kilomètres à vol d’oiseau de
Sparte, ce sont les Hilotes locaux et non ceux de Sparte dont on attend la
défection ; mais cette attente reste, malgré Xénophon, Hell., I, 2, 18, en partie
vaine. Dans le drame satyrique de Sophocle, Héraclès au Ténare, le chœur est
composé d’Hilotes, d’où on peut conclure qu’il y avait des Hilotes au Ténare
(en territoire périèque) ; mais, pour les Athéniens, du moment qu’on veut
représenter des esclaves dans le monde lacédémonien, on évoque les Hilotes,
l’exemple n’est donc pas probant. Le cas le plus net serait cependant celui de
Cinadon, puisque les éphores chargent celui-ci, entre autres, d’arrêter des
Hilotes à Aulon, donc chez des Périèques ; mais les Hilotes qu’on trouve dans
la Périoikis peuvent aussi être au service de Spartiates, notamment des rois, qui
y possèdent beaucoup de terres. Aucun de ces exemples ne peut donc apporter
la preuve recherchée, mais leur concordance est déjà significative et, d’une
manière générale, il serait étrange que les Périèques n’aient pas d’Hilotes à
leur service, car, sinon, ils auraient des esclaves-marchandises, qui paraissent
peu fréquents à Sparte et, si, comme il est vraisemblable, les Spartiates ont
dans la Périoikis des domaines pourvus d’Hilotes, pourquoi n’en irait-il pas de
même pour les Périèques ?
Outre l’agriculture, où ils pouvaient ainsi vraisemblablement utiliser des
Hilotes, les Périèques exerçaient des activités artisanales 279 . Une anecdote
rapportée par Plutarque 280 paraît cependant le nier. Agésilas met à part
Lacédémoniens et alliés et fait se lever successivement forgerons 281,
charpentiers, maçons et autres artisans. Presque tous les alliés se lèvent, mais
aucun Lacédémonien, ce qui permet à Agésilas d’affirmer : « Nous envoyons
plus de soldats (entendons : de vrais soldats) que vous. » Plutarque explique la
chose en notant : « C’est qu’il leur (sc. aux Lacédémoniens) était interdit
d’apprendre et de pratiquer un métier artisanal (technèn… banauson). » Si l’on
admet cette interdiction, il faut supposer que l’artisanat était abandonné à des
inférieurs qui n’avaient pas droit au nom de Lacédémoniens, c’est-à-dire
essentiellement à des Hilotes, ou, éventuellement, à des étrangers 282. Mais, le
plus probable, si l’anecdote est véridique, c’est qu’elle ne concernait que les
Périèques servant comme hoplites : il n’y avait pas d’artisans parmi les
hoplites lacédémoniens. S’il existait des contingents d’artisans dans l’armée
lacédémonienne (cf. Xénophon, Rép. Lac., XI, 2), ils n’étaient pas formés
d’hoplites, mais constituaient un service auxiliaire et ce n’étaient pas
nécessairement des Périèques. Quant à l’interdiction elle-même, elle ne vaut
que ce que valent les commentaires de Plutarque sur une société dont il est
séparé par un demi-millénaire.

CONCLUSION : IMPORTANCE ET FIDÉLITÉ

Les Périèques ont toujours été plus nombreux que les Spartiates. Selon
Plutarque (Lyc., 8, 5), ils auraient reçu 30 000 lots de terre et les Spartiates,
9 000. Si certains historiens ont contesté ces indications en y voyant une
reconstruction rétrospective censée justifier les réformes d’Agis IV entendant,
dans un État lacédémonien réduit de près de la moitié par la perte de la majeure
partie de la Messénie, distribuer 4 500 lots aux Spartiates et 15 000 aux
Périèques, une telle position est difficilement tenable. En effet, de tels nombres
ou des nombres voisins sont déjà attestés à l’époque classique : selon Hérodote
(VII, 234), Démarate aurait affirmé que les Spartiates pouvaient aligner 8 000
hommes, tandis qu’Aristote (Pol., II, 9, 1270a 36-38) note que, selon certains,
à l’époque archaïque, ils auraient même disposé de 10 000 hommes et rappelle
que le pays pourrait nourrir 30 000 hommes.
Dans l’armée, cette disproportion était initialement compensée par le plus
grand engagement des Spartiates et, à la bataille de Platées, par exemple, les
5 000 Spartiates équilibraient les 5 000 Périèques. Mais, avec la diminution
brutale du nombre des Spartiates, les Périèques formeront de plus en plus la
grande majorité de l’armée lacédémonienne 283 .
Aussi importe-t-il qu’ils restent fidèles à Sparte, ce qui, jusqu’en 370, est
généralement le cas. Au cours de la grande révolte du tremblement de terre, ne
firent défection que deux cités périèques (Thuc., I, 101, 2), dont l’une, Thouria,
se trouvait en Messénie, et dont l’autre, dont le nom est incertain, pouvait s’y
trouver aussi. Lors de la guerre du Péloponnèse ou de la guerre de Corinthe, il
n’est jamais question de défection, mais cela peut tenir aussi au fait que le
territoire lacédémonien n’a pas été envahi. Car, lors de l’invasion thébaine de
370-69, beaucoup de cités périèques firent défection 284 , notamment les
Skirites, Caryai et probablement la Belminatis, c’est-à-dire ceux qui pouvaient
se reconnaître des liens ethniques avec les Arcadiens, qui se séparent alors de
Sparte.
La fidélité des Périèques s’explique par des raisons politiques, sociales et
psychologiques. Si les cités périèques ont des gouvernements oligarchiques, la
solidarité des oligarques a pu jouer. Ces cités, autonomes, sont trop petites
pour jouir d’une véritable indépendance : elles ne pourraient mener une
politique étrangère 285 et ne disposent même pas d’une voix au Conseil des
alliés ; or, elles n’ont pas su se regrouper, que ce soit à cause du morcellement
géographique ou, éventuellement, du fait de l’opposition de Sparte.
Socialement, si, comme on l’a supposé, les Périèques disposent d’Hilotes, ils
sont solidaires du système spartiate. Psychologiquement, les Périèques peuvent
être satisfaits de ne pas se trouver en bas de la hiérarchie 286 ; ils sont fiers
d’avoir droit au titre de Lacédémoniens, surtout à des époques comme le
e e e
VI siècle ou les débuts du V et du IV siècle, où Lacédémone est l’État dominant

en Grèce. Enfin, la camaraderie de combat avec les Spartiates a dû développer


chez eux un patriotisme lacédémonien 287 .
288
UN CAS PARTICULIER : LES SKIRITES

Les Skirites, qui sont, comme les Périèques, dont ils se distinguent
cependant (cf. Xén., Hell., V, 2, 24), au nombre des Lacédémoniens (Thuc., V,
67, 1), occupent, entre l’Oinous et le haut Eurotas, une région montagneuse,
inhospitalière, qui, présentant pour Sparte un grand intérêt stratégique, car elle
domine la route qui mène vers Tégée et la future Mégalopolis, a été conquise
assez tôt. D’origine arcadienne (cf. Stéphane de Byzance, Hésychius et
Photius), les Skirites sont surtout des bergers et n’ont pas de grosses
bourgades, leurs principaux centres étant Oion et Caryai.
Ils constituent, dans l’armée lacédémonienne, un bataillon (lochos) spécial,
de 600 hommes (cf. Thuc., V, 68, 3, sur la bataille de Mantinée, en 418), qui
ont le privilège de combattre à l’extrême gauche de la ligne de bataille (Thuc.,
V, 67, 1). Troupes d’élite, les Skirites sont placés la nuit en sentinelles en avant
des lignes (Xén., Rep. Lac., 12, 3) et, lors de la progression des troupes,
ouvrent la marche, avec les éclaireurs montés, devant le roi lui-même (Xén.,
Rep. Lac., 13, 6).
Les Skirites restent fidèles à Sparte jusqu’en 370-69, où ils se rappellent
leur origine arcadienne.
4. Catégories marginales
• Sparte a connu des catégories particulières, dont certaines, comme les
Brasideiens ou les Néodamodes 289 , créées pour des raisons conjoncturelles,
notamment des expéditions lointaines, ne durèrent qu’un temps et donnèrent
sans doute naissance à des Périèques et dont d’autres, comme les mothônés, les
mothakés et les trophimoi, furent plus durables.
Si des Hilotes avaient déjà combattu aux côtés des Spartiates 290 , ne serait-
ce qu’à Platées, il était exceptionnel de les envoyer en expédition, sans l’armée
civique et à l’autre bout de la Grèce. C’est ce que fit Brasidas, lorsque, en 424,
il emmena 700 Hilotes en Chalcidique (Thuc., IV, 80, 5) en leur promettant
sans doute la libération. En tout cas, en 421, une fois la paix et l’alliance
conclues avec Athènes et les soldats de Brasidas revenus à Sparte, « les
Lacédémoniens votèrent que les Hilotes qui avaient combattu avec Brasidas
seraient libres et résideraient où ils voudraient ; et, peu de temps après, ils les
installèrent avec les Néodamodes à Lépréon » (Thuc., V, 34, 1). Le fait que
Thucydide emploie « et » (kai) et non pas « mais », montre que, pour lui, il n’y
a pas de contradiction entre la liberté de résider où l’on veut et l’installation à
Lépréon. En fait, les Brasideiens ne sont plus liés aux domaines de leurs
anciens maîtres et, si on leur accorde le droit de résider où ils veulent, cela ne
veut pas dire qu’ils en aient la possibilité matérielle. Ils sont peut-être même
heureux qu’on les installe quelque part. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’ils
restent plus ou moins intégrés dans l’armée, puisque, selon Thucydide, on les
installe à Lépréon pour protéger la frontière contre les Éléens et qu’on les
retouve bientôt à Mantinée, où, en 418, ils combattent avec les Néodamodes
aux côtés des Spartiates (V, 67, 1).
Quant aux Néodamodes, le fait même qu’on ait forgé pour eux cette
appellation, suggère une catégorie moins éphémère que celle des
Brasideiens 291, c’est sans doute ce qui explique pourquoi Thucydide n’a pas
pris la peine d’expliquer leur apparition. Certains, comme J. Ducat (Les
Hilotes, p. 160), ont supposé « que leur statut (avait) été largement inspiré par
les mesures que les circonstances avaient dictées concernant les Brasidiens :
« la chose est probable, au moins si les Brasidéiens sont vraiment apparus
avant les Néodamodes ; d’ailleurs, à Lépréon comme à Mantinée, les deux
catégories continuent à être mentionnées séparément. Les Néodamodes sont
attestés de 420 à 369 et participent notamment, sans l’armée civique, aux
opérations d’Agésilas en Asie. Le statut de Néodamode implique
l’affranchissement 292, et Thucydide (VII, 19, 3 et 58, 3) les distingue des
Hilotes envoyés avec eux en expédition en Sicile. Leur nom suggère même un
accès à la citoyenneté 293 ou à la quasi-citoyenneté si, contrairement à
Hésychius qui fait de damôdeis 294 l’équivalent laconien de dèmotai, on est
sensible au suffixe -ôdès, qui marque seulement la ressemblance 295. De toute
façon, il s’agit non de rejoindre les Homoioi, mais seulement le dèmos des
Périèques, ce qui suggère que les Spartiates ne sont pas si éloignés des idées
d’Isocrate 296 sur le rejet du dèmos à la périphérie.

• Les mothônés, les mothakés et les trophimoi constituent, eux, des
catégories permanentes regroupant des gens qui, grâce à l’éducation spartiate
et à des phénomènes de clientélisme, ont pu progresser dans la société
spartiate 297 .
Les mothônés sont de jeunes Hilotes qui servent le fils du maître pendant
son éducation, ce qui les fait qualifier d’« élevés à côté » (paratréphoménoi) ;
ils l’accompagnent aussi à la guerre et aux syssities. L’Etymologicum magnum
voit en eux des esclaves nés à la maison ; c’est sans doute le cas habituel, le
service domestique pouvant rapprocher les Hilotes de leurs maîtres, mais il est
difficile d’y voir une règle institutionnelle. Ces jeunes Hilotes sont affranchis à
l’issue de leur éducation, mais l’une des danses grotesques auxquelles les
Hilotes sont astreints porte le nom de mothôn 298 : les mothônés devaient y
participer (peut-être au moment de leur émancipation ?), ce qui leur rappelait
leur condition inférieure.
Les mothakés sont, eux, initialement libres 299 mais non citoyens. On les dit
élevés non à côté des jeunes Spartiates mais avec eux (suntrophoi) (cf.
Phylarque, in Athénée, VI, 271e-f) : selon les moyens de sa famille, un jeune
Spartiate a un, deux ou trois suntrophoi. A l’issue de l’éducation, les mothakés
peuvent devenir des citoyens de plein droit, au moins si leur protecteur leur
fournit un kléros ou des moyens de payer leur part aux syssities. Élien (12, 43)
prétend même que certains des plus grands chefs spartiates, Callicratidas,
Gylippe et Lysandre, étaient des mothakés. La chose a été contestée, mais elle
n’a rien d’impossible. En effet, Gylippe était le fils d’un exilé condamné à
mort pour trahison et toute une tradition insiste sur la pauvreté de Lysandre,
qui aurait acquis la citoyenneté du fait de sa bravoure (andragathia)
(Phylarque) et de ses liens avec la famille royale. Ainsi, les enfants de gens
déchus de la citoyenneté, du fait par exemple de leur pauvreté, peuvent la
recouvrer en devenant des suntrophoi d’un jeune aristocrate, qui se crée par là
une clientèle. A l’époque hellénistique, ces mothakés peuvent même devenir
des sortes de pages, quand il s’agit d’enfants nobles élevés à la cour avec le
prince héritier 300 . Bien qu’ils ne soient pas qualifiés de mothakés, les bâtards
(nothoi) paraissent avoir avoir un statut proche de ceux-ci ; comme ils forment
des contingents spéciaux (cf. Xén., Hell., V, 3, 9), il semble qu’ils ne jouissent
pas ou pas dès le début du statut d’Homoioi.

• Quant aux trophimoi (ceux qui ont été élevés), ce sont des enfants soit de
Périèques, soit d’étrangers, admirateurs ou protégés de Sparte, comme
Xénophon ou Phocion 301. Ils sont élevés à Sparte, un peu comme des enfants
adoptifs, au moins temporaires, d’un oikos spartiate : Xénophon avait ainsi été
incité par son hôte, le roi Agésilas, à faire élever ses enfants à Sparte. En
général, ces trophimoi retournent ensuite dans leur patrie, où ils accroissent
l’influence de Sparte 302 et celle de l’oikos qui les a accueillis, mais ils peuvent
aussi combattre aux côtés des Lacédémoniens, ainsi dans l’armée qu’en 381
Agésipolis emmène contre Olynthe (Xén., Hell., V, 3, 9).
Le clientélisme qu’impliquent ces trois catégories permet d’établir des
distinctions entre les Spartiates : dans le banquet célébré le deuxième jour des
Hyakinthia, le riche Spartiate réunit ses fils légitimes et ses nothoi, ses
mothakés et ses serviteurs hilotes et leur nombre accroît son prestige, qu’il ne
lui est plus possible de manifester par le luxe du vêtement, des repas ou des
monuments funéraires.
1. Cf. Ed. Lévy, « Astos et politès d’Homère à Hérodote », Ktèma 10 (1985), p. 53-66.
2. La vieille traduction en Égaux, qui a eu l’influence qu’on sait lors de la Révolution française, est
inexacte, car elle correspondrait non à Homoioi, mais à isoi ; si l’on voulait, au contraire, insister
sur le caractère aristocratique de Sparte, on pourrait traduire le terme par Pairs.
3. Cf. Hdt., VII, 103 et 234, et, peut-être, III, 55 et VII, 237 ; cf. Ed. Lévy, « La Sparte
d’Hérodote », Ktèma 24 (1999), p. 123-134 ; cf. aussi Thuc., IV, 4 0, 2 et, peut-être, V, 15, 1,
où le texte, corrompu, a dû être corrigé.
4. Lorsque Aristote (Pol., II, 9, 1271a 35-37) prétend que celui qui ne peut payer son écot aux
syssities perd sa citoyenneté, il se fonde sur sa conception étroitement politique de la citoyenneté,
mais son affirmation n’implique nullement qu’une telle personne n’ait plus eu droit au titre de
Spartiate ; A.Toynbee, Some Problems of Greek History, Londres, Oxford University Press,
1969, p. 161, note que le terme Spartiate peut être utilisé to mean « Homoioi and hypomeiones
together » ; voir aussi p. 229 et 34 6.
5. Le terme, qui apparaît déjà chez Tyrtée (D3 8, 14 ), avait été utilisé au singulier par Hérodote
(VII, 231) à propos d’Aristodèmos le Trembleur, à qui, comme il avait survécu à la bataille des
Thermopyles, personne ne voulait allumer de feu ni adresser la parole ; mais, se faisant ensuite
tuer à la bataille de Platées, il est expressément désigné comme un Spartiate (IX, 71) ; cf. V.
Ehrenberg, RE VI A 2, 1937, s.v., coll. 2292-2297.
6. Voire au sommet les Agiades, puis les deux dynasties, cf. infra.
7. Aristote lie volontiers pauvreté et démocratie, cf. Pol., IV, 9, 1294 b 19-29, où Sparte est
considérée à certains égards comme une démocratie, non seulement parce que pauvres et riches
sont élevés, nourris et vêtus de la même façon, mais aussi parce qu’ils le sont à la façon des
pauvres.
8. Cf. J.Christien-Trégaro, « Les bâtards spartiates », Mélanges Pierre Lévêque 7, Paris, 1993,
p. 33-4 0.
9. Cf. Xénophon, Hell., 5,3, 9, où la construction de la phrase incite à voir un génitif partitif dans tôn
Spartiatôn plutôt qu’à comprendre « les bâtards des Spartiates » ; mais ils se distinguent des
30 Spartiates (de plein droit) évoqués au début de la phrase.
10. Cf. N.M. Kennell, The Gymnasium of Virtue. Education and Culture in Ancient Sparta, Chapel
Hill et Londres, The University of North Carolina Press, 1995 (avec une bibliographie
détaillée), Ed. Lévy, « Remarques préliminaires sur l’éducation spartiate », Ktèma 22 (1997),
p. 151-160, repris en partie ici, J. Ducat, « Perspectives on Spartan education in the classical
Period », in St. Hodkinson et A. Powell éd., Sparta. New Perspectives, Londres, The Class.
Press of Wales, 1999, p. 4 3-64, et N. Birgalias, L’Odyssée de l’éducation spartiate, Athènes,
1999.
11. Selon toute vraisemblance et malgré Kennell, cette décision a dû être prise peu après la parution
de l’ouvrage et non deux cents ans après ; cf., sur Dicéarque, M. Alonso-Nuñez, Athenaeum 85
(1997), p. 53-67.
12. Selon l’aristotélicien Dicéarque (fr. 4 1 Wehrli), Platon aurait combiné dans son État idéal les
idées de Socrate, de Lycurgue et de Pythagore.
13. Cf. notamment Strabon, X, 4 , 20-21 ( = Éphore F 14 9), Hérakleidès Lembos, éd. M.R. Dilts,
(Greek, Roman and Byzantine monographs, 5), Durham, Duke University Press, 1971, fr. 15, et
Nicolas de Damas, FGH 90, fr. 115.
14. Comme nous n’avons pas de document sur l’éducation à l’époque archaïque, nous pouvons soit
nous contenter d’appliquer à cette époque ce que nous savons de l’époque classique,
éventuellement en sélectionnant ce qui a l’air ancien, soit, plus sagement, avouer notre ignorance.
15. Cf. infra et infra.
16. Ceux-ci, généralement des esclaves, servent de « bonnes d’enfants », de répétiteurs et, dans le
meilleur des cas, de précepteurs.
17. Xénophon attribue systématiquement à Lycurgue toutes les institutions spartiates, ce qui, bien sûr,
n’a rien d’historique.
18. Selon Plutarque, Lyc., 17, 2-4 , l’irène, que chaque agéla porte à sa tête, sorti depuis au moins
un an de la classe des enfants (paidés), est âgé de vingt ans.
19. Selon Plutarque, les gens âgés (hoi presbutéroi) surveillaient leurs jeux et suscitaient
volontairement des combats entre eux (Lyc., 16, 9) ; ils contrôlaient aussi la façon dont les
irènes les punissaient (18, 6-7).
20. Cf. cependant P. Cartledge, « Literacy in the Spartan Oligarchy », Journal ot Hellenic Studies
98 (1978), p. 25-37 (repris dans Spartan Reflections, p. 39-54 ), T.A. Boring, Literacy in
Ancient Sparta, Mnemosyne suppl. 54, 1979, et E.G. Millender, « Spartan Literacy Revisited »,
Classical Antiquity 20 (2001), p. 121-164 .
21. Selon Chamailéon le Pontique, cité par Athénée, IV, 184 d, au contraire, tous les Lacédémoniens
apprennent à jouer de l’aulos.
22. Cf. Aristote, Pol., VII, 17, 1336 b 35- 1337 a 1, et (Platon), Axiochos, 366d-e.
23. Considérés comme étant encore en formation, ils n’ont pas le droit de voyager à l’étranger, cf.
Platon, Protagoras, 34 2c-d.
24. Ce terme, qui désigne ordinairement un escadron de cavalerie, est appliqué ici à un groupe
d’enfants, sans que Xénophon ait pris la peine de le définir ; sa forme dorienne, ila, est transcrite
en ilè par les Athéniens.
25. Douze ans est le seul âge évoqué comme coupure dans la Vie de Lycurgue, 16, 12, mais
l’indication mentionnée dans le texte n’apparaît qu’à la phrase suivante et peut être indépendante
de la mention de l’âge.
26. Dans les Institutions laconiennes, 237b, Plutarque donne, mot à mot, les mêmes indications que
dans la Vie de Lycurgue, mais en les appliquant aux jeunes gens (hoi néoi) ; dans l’Oraison
funèbre (Thuc., II, 39,1), Périclès critique les Spartiates, qui « dès la jeunesse (néoi) se livrent à
un entraînement pénible pour accéder au courage » : la critique aurait porté davantage si l’orateur
avait pu parler des paidés ; enfin, des scholies à Hérodote, IX, 85, et à Strabon,, évoquent une
coupure à 14 ans et Photius, s.v. συνέφηβοL, à 15 ou 16 ans.
27. Se refusant à admettre que les familles spartiates se soient ainsi séparées de leurs enfants,
J. Ducat, dans l’article cité supra n.10, p. 45-4 8, suppose que Plutarque a généralisé ce qui
devait se limiter à des « stages » assez brefs ; mais cela implique que Plutarque, qui disposait
pourtant de l’œuvre d’Aristote et connaissait l’agôgè de son époque, se soit gravement mépris
sur la vie quotidienne du jeune Spartiate ; et faut-il supposer que, lorsque des étrangers voulaient
faire bénéficier leurs enfants de l’éducation spartiate, ils devaient trouver un « correspondant »
spartiate pour les prendre en pension?
28. Ila, agéla et boua, désignant sans doute à l’origine des groupes différents, du fait de la réduction
du nombre des Spartiates, en sont vraisemblablement venus à se confondre.
29. De tels détails comme aussi le fait qu’on rasait la tête des adolescents (Lyc., 16, 10) montrent
comment l’éducation spartiate avait intégré des rites archaïques, cf. aussi infra, p.63-66, la
kryptie et p.59, 100 et 109, les combats de Platanistas.
30. Plut., Lyc., 16, 11, note qu’à partir de la douzième année l’entraînement devient plus dur ;
comme Xénophon ne signale aucune distinction de la sorte, il faut supposer soit que Plutarque se
montre plus précis, soit que, conformément au souci accru des enfants attesté à l’époque
hellénistique, l’agôgè cléoménienne et romaine s’efforce de ne pas trop maltraiter les jeunes
enfants.
31. Xénophon, comme tous ceux qui exaltent l’ascétisme de l’agôgè, se garde bien de préciser que,
sauf au cours de la kryptie, les jeunes Spartiates ont des domestiques à leur disposition.
32. Les deux choses sont aussi signalées pour les jeunes Crétois.
33. Il l’a lui-même raillé dans l’Anabase, IV, 6, 14 -16, tout en permettant à son interlocuteur
spartiate de retourner la critique contre le personnel politique athénien ; cf. aussi Isocrate,
Panath., XII, 211-12.
34 . Celui-ci aurait donné un exemple de l’héroïsme spartiate en préférant se laisser dévorer les
entrailles par le renard dissimulé sous son himation plutôt que de révéler le larcin ; cf. aussi
Lyc., 18, 1.
35. Xénophon, Anabase, IV, 6, 14 , précise cependant qu’il existe des choses que la loi interdit de
voler, ce qu’impliquait déjà a contrario Rép. Lac., 2,6.
36. Cf. supra et supra.
37. Ou, plus probablement, « sur les pupilles des yeux », cf. la tradition indirecte, Longin, Sublime,
IV, 4 , et Stobée, Flor., 4 4 , 23, et L. Spina, « L’incomparabile pudore dei giovani Spartani »,
QUCC n.s. 19 (1985), p. 167-181.
38. Ils sont aussi, comme les éphèbes de la Cyropédie (I, 2, 12), utilisés dans des missions de
police, cf. le récit de la conspiration de Cinadon, infra, p.134 -138.
39. Si l’on prend le texte au pied de la lettre, on recruterait à chaque fois 300 Hippeis. La liste
globale est sans doute mise à jour tous les ans, sinon Pédaritos n’aurait pu, après son échec,
affecter de se réjouir qu’il y ait 300 Spartiates qui lui soient supérieurs (Plut., Mor., 191 F, 231 B,
Lyc., 25, 6). Mais il est vraisemblable qu’en dehors des places libérées par les Hippeis décédés
ou exclus on se contentait de nommer chaque année 5 Hippeis en remplacement des 5 plus âgés,
qui devenaient des agathoergoi (ambassadeurs).
4 0. Sans mentionner expressément Sparte, Platon fait aussi l’éloge d’une société où les jeunes se
défendent eux-mêmes contre les gens de leur âge sans encombrer les tribunaux de leurs
plaintes, Rép., IV, 4 64 e, et Lois, IX, 880a.
4 1. Cf.infra et infra.
4 2. Cf. P. Cartledge, « The politics of Spartan pederasty », Proceedings of the Cambridge
Philological Society, 207 (1981), p. 17-36 (repris dans Spartan Reflections, p. 91-105), et
St. Link, « Der geliebte Bürger : Paideia und Paidika in Sparta und auf Kreta », Philologus 14 3
(1999), p. 3-25.
43. Il note lui-même (avec humour ?): «Que certains aient peine à le croire, je ne m’en étonne pas. »
4 4 . On rapprochera Platon, République, III, 4 03b-c, cité infra, n. 4 5.
4 5. Cicéron retrouve ainsi le modèle platonicien de La République (III, 4 03b-c), où il est prévu par
la loi que « l’amant embrasse son mignon, vive avec lui et le touche comme s’il était son fils…
en ne donnant jamais l’impression d’être allé plus loin, s’il ne veut encourir le reproche de
manque d’éducation et de goût » ; voir aussi, en V, 468b-c, les récompenses du guerrier
valeureux, qui peut embrasser qui il veut et s’en faire embrasser.
4 6. Cet idéal n’est pas respecté de la même façon aux Thermopyles qu’à Sphactérie ou à Leuctres.
4 7. Il n’est pas impossible qu’outre Platon lui-même Sparte ait évolué entre la date du Banquet
(autour de 380) et celle du livre I des Lois (dans les années cinquante).
4 8. Dans Le Banquet, 182b (texte des manuscrits, qu’il est absurde de modifier), Platon attribue aux
Athéniens et aux Lacédémoniens une attitude nuancée, qui contraste avec la permissivité des
Éléens et des Béotiens, chez qui « on a décrété (nénomothétètai) sans restriction qu’il était beau
d’accorder ses faveurs aux amants », et la condamnation sans appel de la pédérastie chez les
peuples soumis à l’influence barbare ; cette opposition entre les Lacédémoniens et les Éléens
associés aux Béotiens se retrouve chez Xénophon, Banquet., VIII, 34 -35, et dans le passage de
Cicéron cité supra dans le texte.
4 9. On comparera aux réactions brutales suscitées par l’afflux d’or et d’argent après 404,
auxquelles succéda peut-être un laxisme généralisé, cf. infra sq.
50. Ou mettent en cause des enfants trop jeunes ? Xénophon évoque la pédérastie à propos des
paidés, qui ne sont pas encore des adolescents (néaniskoi), et Plutarque la voit peut-être
apparaître à partir de 12 ans. Il était normal que les relations sexuelles avec ces enfants fussent
condamnées : considérées comme très honteuses (aikhiston) chez Xénophon, voire punies par la
loi (entendons par les éphores) chez Élien. Mais, à Sparte, les liens pédérastiques peuvent durer
assez longtemps, puisque les néoi (de 20 à 30 ans) ont des éromènes, qui se chargent notamment
de faire leurs courses au marché (Plut., Lyc., 25, 1) : avec eux, les relations sexuelles pouvaient
être tolérées comme elles l’étaient avec des non-citoyens.
51. Cf. la confusion d’un adolescent (meirakion) qui avait rencontré quelqu’un alors qu’il se
promenait avec son amant, Plut., Apoptht. lac., 222b.
52. Cf. aussi Plut., Lyc., 18, 8, où un amant aurait été « mis à l’amende par les magistrats parce que
son aimé aurait, au cours d’un combat, laissé échapper un mot inconvenant (agennè). »
53. Il en irait de même de la naissance de frères ou de sœurs utérins favorisée par le prêt des
épouses, cf. Xén., Rép. Lac. 1, 9, et infra, p.87-89.
54 . Ed. Lévy, « La kryptie et ses contradictions », Ktèma 13 (1988), p. 24 5-252 ; la thèse,
approuvée par N.M. Kennell, The Gymnasium of Virtue, p.131 sq., ainsi que par St. Hodkinson,
in L.J. Mitchell et P.J. Rhodes, The Development of the Polis in Archaic Greece, Londres, New
York, Routledge, 1997, p. 92, est rejetée par J. Ducat, « La cryptie en question », in P. Brulé et
J. Oulhen, Esclavage, Guerre, Économie en Grèce ancienne. Hommages à Yvon Garlan,
Presses universitaires de Rennes, 1997, p. 4 3-77 ; cf. aussi, du même auteur, « Crypties »,
Cahiers Glotz 8 (1997), p. 9-38.
55. Cf. Isocrate, Archidamos, VI, 76, où les Spartiates ont une armée « capable de camper à la
belle étoile et de se déplacer à travers le pays », et Xén., Cyropédie, I, 2, 10 et VIII, I, 34 , où
la chasse est aussi présentée comme « un entraînement à la guerre ».
56. Le terme vient de kruptein, cacher.
57. On rapprochera, pour cet emploi d’archontés, Xén., Cyropédie, I, 2, 6 et 8.
58. Hérodote, IV, 14 6, note en passant que « ceux que les Lacédémoniens mettent à mort, ils les
mettent à mort de nuit et jamais de jour ».
59. Si c’était le cas, on s’expliquerait mal le silence de Xénophon.
60. Je ne saurais dire s’ils appartenaient déjà aux Hippeis, s’ils étaient admis dans ce corps à la
réussite de leur épreuve ou s’ils en restaient séparés.
61. Je suis ainsi amené, contrairement à Jean Ducat, à distinguer deux étapes dans la kryptie, à savoir
la sélection et l’utilisation du krypte ; si les textes n’évoquent pas une telle distinction, ils ne
l’interdisent pas, car chacun ne présente que la partie de la kryptie qui l’intéresse.
62. Voir Plutarque, Vie de Cléomène, 28, 4 , à propos de la bataille de Sellasie, en 222.
63. Cf. notamment Xénophon, Rép. Lac., 5, Plutarque, Lyc., 12, schol. Platon, Lois 633a, ainsi que
M. Lavrencic, Spartanische Küche. Das Gemeinschaftsmahl der Männer in Sparta, Vienne,
Cologne et Weimar, Böhlau, 1995, St. Link, « “Durch diese Tür kein Wort hinaus !” (Plut., Lyk.,
12, 8) : Bürgergemeinschaft und Syssitien in Sparta », Laverna 9 (1998), p. 82-112, et
H.W. Singor, « Admission to the syssitia in fifth-century Sparta », in St. Hodkinson et A. Powell,
Sparta. New Perspectives, Londres, Duckworth, 1999, p. 67-89.
64 . P. Schmitt-Pantel, La Cité au banquet : histoire des repas publics dans les cités grecques,
Paris, École française de Rome, 1992, notamment p. 62-76.
65. C’est le seul sens que mentionne Hérodote (I, 65).
66. Il paraît cependant excessif, malgré le parallèle crétois (Éphore, FGH 70 F 14 9), d’y voir, avec
H.W. Singor, une obligation institutionnelle.
67. Quant à la viande, indispensable pour la confection du plat de base, le fameux brouet noir fait de
porc assaisonné de sel, de vinaigre et de sang (cf. Plut., De tuenda sanit. praecep., 128c), elle
était achetée avec les 10 oboles auxquelles s’ajoutait la viande provenant des sacrifices publics
ou privés.
68. « Le plus âgé des convives (tôn sussitôn) emmenait celui qui avait été admis dans le bâtiment
(oikos) où avaient lieu les syssities et, se tenant à l’intérieur le long de la porte, lui disait : « De
cette porte ne sort pas la parole (logos) », en l’invitant ainsi à tenir secrètes toutes leurs affaires ;
de même Plut., Lyc., 12, 8, Quest. conviv ; 697e, où est évoquée l’admission d’un jeune (néos)
ou d’un étranger (xénos) dans le phidition.
69. Si, en temps de paix, on y ajoute l’autre roi et les quatre Pythioi, on retouve le nombre de 15.
70. Ainsi R. Flacelière et E. Chambry, à la suite de Schœmann, pensaient que Plutarque avait voulu
dire qu’« une tablée comportait au moins 200 convives et 4 00 au plus », mais ce n’est pas ce que
dit le texte.
71. Celles-ci comptent au maximum 4 0 membres, voire 4 2, si on y inclut les jeunes de 18 et 19 ans.
72. On rapprochera Xén., Cyropédie, II, 1, 25, où Cyrus fait dresser des tentes assez grandes pour
abriter chacune une compagnie (taxis) de 100 hommes ; quant à Aristote, Polit., II, 5, 1264 a 6-8,
il met en parallèle comme subdivision de la cité, d’une part, les syssities, d’autre part, les
phratries et les tribus.
73. Si Plutarque évoque une répartition par groupes d’environ 15 personnes, il ne dit pas que le
phidition lui-même se limite à 15 personnes. Claude Vatin me suggère de parler d’une unité de
gestion, d’une « popote » ; cf. aussi Platon, Critias, 112b.
74 . Phylarque, FHG I, 34 6 = Athénée IV, 14 2a, critique les phidities hellénistiques, devenues
petites (mikra).
75. Agésilas serait même allé jusqu’à offrir ses deux parts.
76. La question est très discutée et, si Pavel Oliva, Sparta and her Social Problems, Prague,
Academia, 1971, notamment p. 32-38, admet le système du kléros, celui-ci est rejeté par
St. Hodkinson, « Land tenure and inheritance in Classical Sparta », Classical Quarterly, 36
(1986), p. 378-4 06, et Property and Wealth in Classical Sparta, Londres, Duckworth, 2000,
notamment p. 65-112.
77. Cf. Platon, Lois, III, 684 e, et Isocrate, Archidamos, VI, 20.
78. Hdt., I, 66, suggère que, si, au VIe siècle, Sparte avait réussi à conquérir le territoire de Tégée,
elle en aurait alloti « la belle plaine à mesurer au cordeau ».
79. Cf. infra.
80. Thuc., V, 34 , 2, suggère que ce n’était pas interdit, car, sinon, pourquoi retirer aux vaincus de
Sphactérie le droit d’acheter et de vendre ? Mais il pourrait aussi s’agir là uniquement d’une
mesure vexatoire, rappelant le statut des jeunes de moins de 30 ans, qui aurait interdit d’acheter et
de vendre au marché les objets de la vie courante, cf. Hodkinson, Property and Wealth in
Classical Sparta, p. 84 -85.
81. Pour rejeter la deuxième partie de la phrase d’Hérakleidès, certains ont allégué l’asyndète entre
les deux parties de la phrase ou le sens de moira, qui indiquerait le tribut des Hilotes et non un
lot de terre (cf. cependant LSJ, s.v., et Solon in (Aristote), Const. d’Athènes, 12,3), et ils ont
supposé que, comme le texte de Plutarque, il s’inspirerait non d’Aristote mais des révolutions du
e
III siècle (cf. les références in Hodkinson, Property and Wealth, p. 86-90), mais
l’argumentation reste contestable.
82. Cf. aussi, en II, 7, 1266b 19-21, la loi de Locres qui interdisait de vendre de la terre, sauf cas de
force majeure, et veillait à « préserver les lots anciens ».
83. Il en va de même dans la cité des Lois (V, 74 4 e-74 5a), où Platon évoque la possession de terre
en dehors du kléros et entend, peut-être pour éviter les excès inégalitaires de Sparte, limiter cette
possession supplémentaire à quatre fois la valeur du kléros ; cf. aussi infra, n.85.
84 . L’expression est à rapprocher de la région « dépendant (suntélousan) de la ville (astu) de
Sparte », que, selon Plutarque (Lyc., 8, 5), Lycurgue aurait réparti en 9 000 lots.
85. Cf. aussi Platon, Lois, IX, 856d et 857a, où sont distingués le klèros et le reste des biens
(ousia).
86. Son authenticité a été injustement mise en doute, car elle n’est aucunement en contradiction avec
la Politique d’Aristote, cf. Ed. Lévy, « Le régime lacédémonien dans la Politique d’Aristote :
une réflexion sur le pouvoir et l’ordre social chez les Grecs », in M. Mollin éd., Images et
Représentation de l’ordre social dans l’Antiquité, Paris, De Boccard, 2001, p. 57-72 ; cf. aussi
infra, p.266-268.
87. Il n’a toujours pas le droit de vendre son kléros, mais le don ou le legs peut être une vente
déguisée.
88. Bien que le texte ne le précise pas, il s’agit uniquement des garçons, sinon il faudrait admettre
qu’on assigne un lot même aux filles, et, de toute façon, en 16, 7, Plutarque parle expressément
de « fils ».
89. Le grec phulètès désigne les gens de la tribu, de même que dèmotès les gens du dème ; pour
évoquer les gens des tribus, il aurait suffi de parler de citoyens.
90. M. Huys, Ancient Society 27 (1996), p. 4 7-74 , ne veut y voir qu’un mythe.
91. Une telle obligation permettrait de lutter contre l’oliganthropie, cf. Link, St., « Zur Aussetzung
neugeborenen Kinder in Sparta », Tyche 13 (1998), p. 153-164 .
92. L’autre système, s’il a réellement existé, aurait pu subsister marginalement pour les lots tombés
en déshérence du fait de l’oliganthropie.
93. Il est possible qu’à l’origine, dans les partages, on se soit efforcé de ne pas morceler le « lot
originel » (archaia moira) ; sinon, on ne s’expliquerait guère que, contrairement au reste de la
terre, il soit interdit d’en vendre.
94 . Puisque le patrimoine ne se limite pas au kléros.
95. Voire aussi des filles, dont il faut verser la dot, cf. infra et infra.
96. Le partage de l’héritage est impliqué par Xénophon, Rép. Lac., I, 9.
97. Cf. infra.
98. Cf. infra.
99. Sa statue, érigée à Olympie, rappelle qu’il a aussi été vainqueur à Delphes, à l’Isthme et à
Némée, Paus., VI, 2, 7.
100. Cf. L. Moretti, Olympionikai. I vincitori negli antichi agoni olimpici, Ac. naz. dei Lincei, sc.
moral., memorie, 1957, VIII, 2, p. 295-303, « Supplemento al catalogo degli Olympionikai »,
Klio 52 (1970), p. 295-303, et in W. Coulson et H. Kyrieleis éd., Proceedings of an
International Symposium on the Olympic Games, Athènes, 1992, p. 119-128.
101. On se référera, parmi les travaux récents, à J. Redfield, « The women of Sparta », Classical
Journal 73 (1978), p. 14 6-151, P. Cartledge, « Spartan wives : liberation or licence ? »,
Classical Quarterly 31 (1981), p. 17-36 (repris dans Spartan Reflections, p.106-126),
B.L.Kunstler, Women and the Development of the Spartan Polis : A Study of Sex Roles in
Classical Antiquity, diss. Boston University, 1983, D.M. Mc Dowell, Spartan Law, Edimbourg,
Scottish Academic Press, 1986, M.H.Dettenhofer, « Die Frauen von Sparta. Gesellschaftliche
Position und politische Relevanz », Klio 75 (1993), p. 61-75, et « Die Frauen von Sparta.
Ökonomische Kompetenz und politische Relevanz », in M.H.Dettenhofer, éd., Reine
Männersache ? Frauen in Männerdomäne der antiken Welt, Cologne, Weimar, Vienne, 1994 ,
p. 15-40, J.Ducat, « La femme de Sparte et la cité », Ktèma 23 (1998), p. 385-4 06, et « La
femme de Sparte et la guerre », Pallas 51 (1999), p. 159-171, L.Thommen, « Spartanische
Frauen », Museum Helveticum, 56 (1999), p. 129-14 9, M.L. Napolitano, « Le donne spartane e
la guerra. Problemi di tradizione », Aion (archéol.), p. 17-14 4 ), M. Lupi, L’ordine delle
generazioni. Classi di età e costumi matrimoniali nell’antica Sparta, Bari, Edipuglia, 2000, et,
pour l’étude de quelques cas individuels, F.Le Cornu, Plutarque et les femmes dans les « Vies
parallèles », Paris, Belles Lettres, 1981.
102. Cf. l’évocation par Élien (XII, 21) des mères qui, ayant constaté que leurs fils avaient été tués
par derrière, « en s’efforçant le plus possible de ne pas se faire voir, partaient en laissant les
corps à enterrer dans la tombe commune ou emportaient en secret les leurs pour les enterrer dans
les tombes familiales ».
103. J. Ducat, « La femme de Sparte et la cité », p. 399 : « L’invasion de 369 a été un choc pour les
Grecs en leur montrant les femmes spartiates comme des femmes ordinaires et non comme les
héroïnes des apophtegmes. »
104 . Certains, se fondant sur la misogynie d’Aristote, comprennent « de même que les femmes des
autres cités », ce que le texte permet aussi, mais qui affaiblirait la critique spécifique de la femme
spartiate et l’on comprendrait mal le superlatif blabérôtatai ; D. Schaps, « The women of Greece
in war time », Classical Philology 77 (1982), p. 193-213, rappelle comment, dans d’autres cités
ou, plus tard, à Sparte, les femmes avaient pu se rendre utiles.
105. Ce détail, qui rappelle le chiton fendu utilisé lors des courses, devait être un topos dès le VIe s.,
où Ibycos (Fr. 61 = Plut., Compar. Lyc.-Numa, 3,6) évoquait les « montreuses de cuisses »
(phainomèridés).
106. Platon, qui faisait pratiquer la gymnastique aux Gardiennes de la République, condamne à cet
égard la pusillanimité des Grecs qui raillaient la nudité féminine, Rép., V, 54 2a-d.
107. A Sparte, c’étaient les garçons qui étaient mis à la portion congrue.
108. Dans le reste de la Grèce, quand le vin n’était pas interdit aux femmes, il n’était en général toléré
que dilué.
109. Cf. Cl. Calame, Les Chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque, Rome, Ateneo, 1977, p. 386-
4 10.
110. Voir, en plus des ouvrages mentionnés supra n. 101, A. Paradiso, « Observazioni sulla
cerimonia nuziale spartana », Quaderni di Storia 24 (1986), p. 137-153, et L. Bogino, « Note
sul matrimonio a Sparta », Sileno 17 (1991), p. 221-233.
111. Sans doute surtout les néoi, voire, comme le suggère la fin de la phrase, uniquement les néoi.
112. Cf. Plut., Lyc., 15, 4 et Compar. Lyc.-Numa, 4 , 1, où Plutarque, oppose, à cet égard, les
Spartiates aux Romains, Apopht. lac., 228b-c, et Xén., Rép. Lac., I, 6.
113. Cf. infra.
114 . C’est peut-être en vertu de cet antique privilège que Léonidas fit épouser à son propre fils la
riche veuve d’Agis IV.
115. De même, le mythe de Perséphone associe le rapt par le futur époux et le don par le père, cf.
Hésiode, Théogonie, 913-14 , et Hymne à Déméter, 3, 30-32 et 77-80.
116. Cela peut être le cas d’une patrouchos qui a épousé son plus proche parent, souvent un oncle
paternel.
117. Cf. S. Perentidis, « Réflexions sur la polyandrie à Sparte dans l’Antiquité », Revue historique de
droit français et étranger 75 (1997), p. 7-31.
118. Ce sens, imposé par la syntaxe, entend surprendre, car, en général, c’étaient les hommes qui
possédaient une épouse.
119. S’il était avéré, il pourrait s’expliquer par le fait qu’on expose plus volontiers une fille et que, le
nombre de citoyens diminuant, la différence d’âge au mariage diminue encore relativement le
nombre des filles à marier.
120. Pausanias (III, 12, 3) s’est aussi fait l’écho d’une tradition selon laquelle, à la mort du roi
Polydore, sa veuve aurait vendu la maison de son mari, ce qui laisse supposer que la femme peut
même hériter de son mari.
121. L’importance des dots ou de l’héritage des filles a contribué à l’endogamie des familles
royales ; ainsi, par exemple, Léotychidas marie sa fille Lampito à son petit-fils Archidamos (Hdt.,
VI, 71), tandis que Léonidas épouse Gorgo, la fille de son frère consanguin (Hdt., VII, 205), cf.
A.Paradiso, « Gorgo la Spartana », in N.Loraux éd., Grecia al femminile, Rome, Bari, 1993,
p.109-122 ; cf. aussi, sur le remariage d’Agiatis, infra, p. 283.
122. Ce serait aussi le cas d’Euryléonis, Pausanias, III, 17, 6.
123. Agésilas, pour complaire à sa femme, a ainsi fait nommer navarque son beau-frère Peisandros.
Xén., Hell., II, 4 , 28, et Plut. Agés., 10, 11.
124 . L’indication paraît venir de la Constitution des Lacédémoniens aristotélicienne.
125. Voir, outre les ouvrages généraux sur la religion grecque, S. Wide, Lakonische Kulte, Leipzig,
Teubner, 1893, L. Ziehen, RE 3 A (1929), s.v. Sparta (Kulte), coll. 14 53-1525, F. Bölte, « Zu
lakonischen Festen », Rheinisches Museum für Philologie n.f. 78 (1929), p. 124-14 3,
A. Brelich, Paides e parthenoi, Rome, Ateneo, 1969, R. Parker, « Spartan Religion », in
A. Powell, Classical Sparta : Techniques Behind Her Success, Londres, Routledge, 1989,
p. 14 2-172, M. Osanna, « Sui culti arcaici di Sparta e Tarento : Afrodite Basilis », Parola di
Passato 251 (1990), p. 81-94 , et A. Hupfloher, Kulte im kaizerzeitlichen Sparta. Eine
Rekonstruktion anhand der Priesterämter, Berlin, Akademie Verlag, 2000.
126. L’expression est employée traditionnellement pour évoquer l’habitude des Grecs de reconnaître
leurs propres divinités dans les divinités étrangères, cf. Ed. Lévy, « Peut-on parler d’une religion
grecque ? », Ktèma 25 (2000), p. 11-18.
127. Par exemple, à Délos, seulement en 4 26.
128. Voir infra, p. 262-263.
129. Cf. Polybe, VIII, 28 : un ancien oracle aurait invité les Tarentins à « cohabiter avec les plus
nombreux ».
130. On fera une exception pour les prêtres du culte éleusinien comme l’hiérophante et le dadouque.
131. Voir D.H. Kelly, GRBS 22 (1981), p. 31-38, et P. Brulé et L. Piolot, « La mémoire des pierres à
Sparte. Mourir au féminin, couches tragiques ou femmes hiérai (Plutarque, Vie de Lycurgue, 27,
3) ? », REG 115 (2002), p. 4 85-517.
132. Cf. infra et infra.
133. Dans la réforme athénienne de Clisthène, le dieu se serait contenté de choisir (et donc de
sanctifier) les éponymes des tribus.
134 . Cf. P.F. Butti de Lima, « Sui sacrifici spartani ai confini », Contributi dell’ istit. di storia antica
Univ. del Sacro Cuore, Milan, 13 (1987), p. 100-116.
135. Il s’agissait plutôt d’obligations religieuses et, avant le combat rituel de Platanistas, le sacrifice à
Ényalios se faisait aussi de nuit ; il en allait de même pour l’exécution des condamnés, qui évitait
de souiller le jour.
136. Il en va de même dans les affaires civiles, cf. infra, la conspiration de Cinadon.
137. Les devins des Perses leur donnaient aussi les mêmes instructions (inspirées des dieux ou de la
nature du terrain ?).
138. Voir aussi les cultes de Poséidon asphalios et dômatitès à Sparte même et celui de Poséidon
gaiaochos à Thérapné et à Gytheion.
139. Selon A.R. Burn, Persia and the Greeks. The Defence of the West, c. 546-478 B.C., Londres,
1962, les Perses se seraient volontairement rembarqués juste avant l’arrivée prévue des
Spartiates.
14 0. Thucydide, VII, 50, 4, le dit « un peu trop porté sur la consultation des dieux (theiasmos) et les
choses semblables » et Plutarque, Vie de Nicias, 23, 7, regrette que Nicias n’ait pas eu auprès
de lui son devin habituel, « qui lui enlevait beaucoup de sa superstition ».
14 1. Cette étiologie repose sur un rapprochement exprès avec le verbe pauomai (cesser), mais le
terme indique plutôt quelque chose qui a volé (radical po) : il s’agirait d’une pierre soit frappée
par la foudre, soit tombée du ciel, c’est-à-dire un météorite.
14 2. Là aussi l’étiologie intègre le culte dans le système olympien, Artémis ayant, au moyen d’un
lièvre se précipitant dans un bosquet de myrte, indiqué l’endroit où fonder la cité.
143. Leur nombre doit encore être accru, car, dans deux cas, Pausanias emploie le pluriel ; il est
supérieur au nombre des xoana mentionnés en Arcadie et n’est dépassé qu’en Corinthie ; en
Messénie ou en Élide, au contraire, Pausanias ne mentionne qu’un xoanon.
14 4. Cette statue, qualifiée quatre fois de xoanon par Pausanias, aurait été volée par Oreste et
Iphigénie, et aurait rendu fous ceux qui l’avaient trouvée ; les Spartiates des différentes ôbai, qui
sacrifiaient à Artémis, se seraient massacrés auprès de l’autel, d’où une épidémie et un oracle, qui
ordonna d’ensanglanter l’autel de sang humain et suscita ainsi des sacrifices par tirage au sort
jusqu’à ce que Lycurgue les fît remplacer par la flagellation d’éphèbes.
14 5. Pour Pausanias, III, 16, 11, le nom s’expliquerait parce que le xoanon « avait été trouvé dans un
buisson d’osier, qui faisait tenir droite la statue ».
14 6. Les termes employés : agalma pour Héraclès et eikôn pour Lycurgue, suggèrent que le premier
est considéré comme un dieu, mais laissent incertain le statut du second.
14 7. Le thème du combat sauvage se retrouve dans le récit hérodotéen (VII, 225) de la dernière
phase de la bataille des Thermopyles.
14 8. Selon une interprétation rapportée par Plutarque, Vie d’Aristide, 17, 10, elle commémorerait
aussi un épisode des guerres médiques ; si c’était bien le cas, cela montrerait comment les
Spartiates ont su unir, dans un esprit patriotique, le récent et le très ancien.
14 9. Selon A. Vegas Sansalvador, « Fορθασία, ’Ορθία y ’Άρτεμις ’Ορθία en Laconia », Emerita 64
(1996), p. 275-288, il y aurait eu confusion de deux racines : *Hrdh <rHdh = (set) straight >
protéger naissance pour Artémis et *werdh = grow = vieille déesse de la fertilité, jamais employé
pour Artémis.
150. Cette flagellation était assez célèbre pour qu’au IIe s. av. J.-C. Hégésandros (Athénée, VIII, 350
c) pût s’en moquer : si, en organisant des concours, Éléens, Corinthiens ou Athéniens font des
fautes, « qu’on fouette les Lacédémoniens ».
151. Une glose introduite dans le texte d’Athénée, IV, 139f, en fait des chariots de bois voûtés, tandis
que Plutarque, Agésilas, 19, 8, ajoute qu’ils imitent des griffons ou des boucs-cerfs ; pour
montrer la simplicité d’Agésilas, Xénophon rappelle qu’il avait chanté le péan là où le chef de
chœur l’avait placé (Agés., 2, 17) et que sa fille descendait à Amyclées dans un kannathron
public (Agésilas, 8, 7).
152. F. Bölte, Rheinisches Museum, n.f. 78 (1929), p. 132- 140, a supposé que, le texte ayant été
abusivement contracté, il s’agirait ici du troisième jour de la fête (qualifié de kopis, le couperet),
qui, sinon, aurait été négligé dans la description.
153. Cf. la glose de κάρνος chez Hésychius.
154. Ce sont, selon Hésychius, des célibataires (sans doute de moins de 30 ans), au nombre de 5 par
(tribu ? ôbè ?, le texte est mutilé), tirés au sort pour s’occuper pendant 4 ans du culte d’Apollon
Karnéios.
155. On pourrait y ajouter le sacrifice à Hélios de chevaux au sommet du Taygète, Paus., III, 20, 4.
156. Cela suffirait à montrer, s’il en était encore besoin, que les « envahisseurs doriens » n’avaient pas
fait table rase du passé.
157. Le terme traduit le grec hiéron, qui indique un espace sacré comprenant généralement un ou
plusieurs édifices sacrés.
158. Cf. R. Martin, « Bathyclès de Magnésie et le “trône” d’Apollon à Amyklae », RA 1976, p. 205-
218, et A. Faustoferri, Il trono di Amyklai e Sparta : Bathykles al servizio del potere, Naples,
Ed. scient. ital., 1996.
159. Il est attesté épigraphiquement sur une stèle inscrite (MDAI 3 (1878), p. 164 -171) présentant
Alexandra assise jouant de la lyre devant 3 éphores en adoration et invitant à dresser une stèle
dans le sanctuaire d’Alexandra.
160. Cf. Hélène dendritis à Rhodes ou l’évocation par Théocrite (Épithalame d’Hélène, XVIII, 4 5-
48) du platane comme « l’arbre d’Hélène ».
161. Ed. Lévy, « Le régime lacédémonien dans La Politique d’Aristote : une réflexion sur le pouvoir
et l’ordre social chez les Grecs », in M. Mollin éd., Images et Représentations…, p. 57-72.
162. Cf. N. Richer, « Aspects des funérailles à Sparte », Cahiers du centre Gustave Glotz, 5 (1994),
p. 51-96.
163. Même si Xénophon, Rép. Lac., 10, 7, prétend que Lycurgue n’a tenu compte ni de la faiblesse
physique ni de la faiblesse financière de ceux qui respectaient les normes.
164. Cf. le discours des Corinthiens à Sparte, Thuc., I, 68.
165. Voir notamment à J. Ducat, Les Hilotes, BCH suppl. XX, Paris, De Boccard, 1990.
166. Cf. N. Benyer, Plato. Alcibiades, Greek and Latine Classics, Cambridge UP, 2001.
167. J. Ducat, Les Hilotes, p. 55, signale les cas d’Alcman, qui aurait été affranchi par son maître
Agésidas, d’un habitant de Cythère réduit en esclavage comme ses compatriotes et vendu à un
Athénien et d’un cuisinier spartiate acheté par Denys de Syracuse ou par un roi du Pont ; on
pourrait y ajouter les nourrices laconiennes qui étaient achetées par certains étrangers selon
Plutarque, Lyc., 16, 5, notamment Amycla, la nourrice d’Alcibiade, ibid. et Alcibiade, 1, 3 (où
l’auteur se réfère au témoignage fiable d’Antisthène).
168. Au moins chez les Spartiates, car, si les Périèques n’ont pas d’Hilotes à leur service, il faut bien
qu’ils aient des esclaves-marchandises, mais cf. infra et infra.

er
Cf. une remarque attribuée à Cléomène I : « Homère est le poète des Lacédémoniens car il dit
169. Cf. une remarque attribuée à Cléomène Ier : « Homère est le poète des Lacédémoniens car il dit
comment il faut faire la guerre et Hésiode, le poète des Hilotes, car il dit comment il faut cultiver
la terre », Élien, XIII, 19, et Plut., Apopht. lac., 223a.
170. Cf. Critias, DK II6 B 37, et Plut., Apopht. lacon., 221c, 234b, f, 235b, 236a, 24 2d.

171. Déjà, lors de la première guerre de Messénie, selon Plutarque, Apopht. lacon., 231e, le roi
Polydore aurait dit s’attaquer à « la partie non encore allotie (aklèrotôn) du territoire ».
172. Les habitants d’Hélos sont d’ailleurs appelés non Heilôtai, mais Héleioi par Éphore (fr.
117 = Strabon, VIII, 5, 4 ) et Héléates par Théopompe (fr. 13 = Athénée VI, 272a).
173. Je dois l’indication à Charles de Lamberterie ; cf. aussi J. Ducat, « Histoire sociale et enquête
linguistique. Le mot “Hilote” et sa famille », Nomina Rerum. Hommage à Jacqueline Manessy-
Guitton, L.A.M.A. 13 (1994), p. 175-182.
174 . Certains sont même allés jusqu’à supposer qu’il s’agissait de pré-Achéens déjà soumis aux
Achéens.
175. Cf. infra et infra.
176. Cf. aussi, dans l’élégie 8, l’allusion aux guerriers qui ont tremblé ; cf. supra.
177. Le cas est différent pour les Messéniens, qui, censés être doriens comme les Spartiates, entendent
recouvrer leur indépendance.
178. Cette expression, qui, comme le note justement J. Ducat, contredit volontairement l’idée de
Critias, selon lequel les Hilotes sont plus esclaves que les autres, a servi de titre à un livre de
D. Lotze ; les menaces pesant sur les Messéniens autorisés à émigrer (Thuc., I, 103, 1, cité
supra, p. 131-132) laissaient aussi supposer que l’esclavage traditionnel était pire que l’hilotisme.
179. Cf. P. Vidal-Naquet, « Réflexions sur l’historiographie de l’esclavage », Actes du colloque
1971 sur l’esclavage, Paris, De Boccard, 1973, p. 25-4 4 = Le Chasseur noir, Paris, Maspero,
1981, p. 223-24 8.
180. Cf. J. Ducat, Les Pénestes de Thessalie, Annales littéraires de l’université de Besançon, Paris,
Belles Lettres, 1994.
181. Au moins depuis la suppression de l’esclavage pour dettes.
182. Selon le pseudo-Xénophon (Rép. Lac., 3, 10-11), le « peuple » athénien aurait, en l’occurrence,
agi contre son intérêt en ne soutenant pas ses semblables.
183. La réalité de ces révoltes a été mise en doute par J. Ducat, Les Pénestes, p. 104 ; cf. cependant
Xén., Hell., II, 3, 36, et Aristote, Pol., II, 5, 1264 a 34-36, et 9, 1269a 36-39.
184 . Cf. infra.
185. Nous n’avons pas la preuve que les indications proviennent d’Aristote, mais il est probable que,
si elles contredisaient expressément Aristote, Plutarque le signalerait.
186. On ne sait cependant s’il s’agit ici de médimnes éginétiques d’environ 77 litres ou si, comme il l’a
fait pour les contributions aux syssities, Plutarque a converti les quantités en médimnes attiques
de 52 litres.
187. Le terme employé (misthôsis) est celui que la Constitution d’Athènes utilise pour évoquer le
sixième que les hectémores versaient au propriétaire de la terre et correspond plus à des
relations entre hommes libres que le terme apophora.
188. La Messénie disparaît et, chez Hérodote par exemple, le terme Laconie désigne l’ensemble de
l’État lacédémonien, Messénie comprise, cf. Hdt., VII, 168 et VIII, 73, et Ed. Lévy, « La Sparte
d’Hérodote », Ktèma 24 (1999), p. 131, n. 43.
189. Si Xénophon, Hell., III, 3, 5, se contente d’évoquer le grand nombre d’Hilotes présents dans
chaque domaine, Tite-Live, 34, 27, 9, qui s’inspire vraisemblablement de Polybe, présente les
e
Hilotes de l’époque de Nabis (début du II siècle av. J.-C.) comme des paysans vivant dans des
hameaux (castellani, vicus), hameaux où ils se font alors massacrer.
190. Cf. infra.
191. S’il est interdit de les vendre à l’extérieur, la vente à l’intérieur n’est pas interdite, mais il est
probable qu’elle se faisait avec la terre qu’ils cultivaient.
192. Si Xénophon parle bien de communauté (koinônia) à propos des chiens et des chevaux, le
contexte montre qu’il s’agit d’usage en commun et non de propriété commune.
193. Cf. infra et infra.
194 . D’où la limitation de l’apophora (supra, p. 120-122), l’amende infligée au maître dont l’Hilote
avait trop bonne apparence (supra, p. 122) et l’autorité que tout Spartiate pouvait exercer sur tout
Hilote.
195. Cf. pour le kléros, supra, p. 74 -75.
196. J. Ducat, Les Pénestes, p. 62-63, a bien souligné comment la deuxième partie de la phrase,
corrigeant la première, montrait que ni pour l’habitat, ni pour les tâches à accomplir, il ne
s’agissait de véritables esclaves publics.
197. Sur l’utilisation militaire des Hilotes ou des anciens Hilotes, cf. infra et infra.
198. J. Ducat, « Le mépris des Hilotes », Annales ESC, 29 (1974 ), p. 14 51-14 64 .
199. Pollux, VII, 70, y voit « un chiton épais à capuchon ».
200. Admirateur de Sparte, le pseudo-Xénophon, Rép. Ath., 1, 10, regrette qu’à Athènes on ne puisse
distinguer un citoyen d’un métèque ou d’un esclave ; au contraire, comme le montre le récit de la
conspiration de Cinadon (infra, p. 134 -138), les Spartiates se distinguaient nettement du reste de
la population.
201. L’exemple des Scythes et des fils révoltés de leurs esclaves (Hdt., IV, 2-3) est censé montrer
comment la seule vue du fouet suffit à rappeler leur condition aux esclaves.
202. Plutarque est revenu plusieurs fois sur cet usage : Lyc., 28, 8 ; Démétrios, 1, 5 ; Mor. 230a et
(simple allusion) 455e.
203. Les Hilotes doivent se distinguer des Spartiates aussi bien par la nature de leurs chants et de
leurs danses que par leur vêtement ou par leur ivresse, mais, comme l’a justement noté
Th.J. Figueira, « The evolution of Messenian identity », in St. Hodkinson et A. Powell, Sparta,
p. 223, l’épisode suggère justement qu’ils connaissaient ces chants civiques.
204 . Ce serait au moins l’interprétation d’Aristote telle qu’elle est rapportée par Plutarque, Lyc., 28,
7, mais les Spartiates ont peut-être simplement conservé une tradition datant d’une époque où il
risquait d’y avoir tous les ans des escarmouches avec les Messéniens ; d’autre part, s’il s’agissait
d’une guerre, elle devrait être du ressort des rois.
205. Sur la kryptie, cf. supra et supra.
206. Cf. infra et infra.
207. C’est ce que l’on peut déduire du traité, très discuté, entre Sparte et Tégée (Aristote, fr. 59
R = Plut., Mor. 292b), qui, selon l’interprétation de F. Jacoby (CR 38 (1944 ), p. 15-16),
interdirait d’accueillir les Hilotes en fuite et non de mettre à mort les partisans de Sparte.
208. Si le retard a des causes religieuses, les problèmes messéniens pourraient, eux, expliquer l’envoi
d’une expédition limitée, sans les rois.
209. L’expression employée suggère la perte de l’indépendance et non l’asservissement individuel ;
pour le sens de toté, cf. Diodore, XI, 84, 8.
210. Il est normal qu’en évoquant les guerres menées contre les Messéniens (3, 4 7, 1, 5, 49, 2, 9,
35, 1 et 9, 64, 2) Hérodote ne parle pas d’Hilotes, mais, si, d’une manière générale, chez lui le
terme Hilote excluait les Messéniens, il faudrait supposer que les Messéniens ne participent pas
aux funérailles royales (VI, 58) et que les Spartiates dont le domaine se trouvait en Messénie
viendraient au combat avec des Hilotes de Laconie ; d’ailleurs, vouloir distinguer les Messéniens
non révoltés et les Hilotes impliquerait la survivance de la Messénie, alors que, pour Hérodote,
tout le territoire a été absorbé dans la Laconie, cf. supra.
211. Voir J. Ducat, « Le mépris des Hilotes », p. 14 51-14 64 , « Aspects de l’hilotisme », Ancient
Society 9 (1978), p. 5-46, et Les Hilotes, Paris, De Boccard, 1990, A. Roobaert, » Le danger
hilote ? », Ktèma 2 (1977), p. 14 1-155, G.L. Cawkwell, « The decline of Sparta », Classical
Quarterly n.s. 33 (1983), p. 385-400, R.J.A. Talbert, « The role of the Helots in the class
struggle at Sparta », Historia 38 (1989), p.22-4 0, et M.Whitby, « Two shadows : Images of
Spartans and Helots », in A. Powell et St. Hodkinson éd., The Shadow of Sparta, Londres et
New York, The Class. Press of Wales, 1994 , p. 87-126.
212. En dehors des Hilotes servant comme hoplites et qui, affranchis, formeront les Brasideiens ou les
Néodamodes, St. Hodkinson, « Servile and free dependants of the classical Spartan oikos », in
M. Moggi et G. Cordiano, Schiavi e dependenti dell « oikos » e della « familia », Pise, ETS,
1997, p. 4 5-71, considère que les Hilotes qui constituent la domesticité des Spartiates sont
favorisés par rapport à ceux qui cultivent la terre et que ce sont eux qui fournisssent les
mothônés destinés à être affranchis, cf. infra.
213. Cf., outre les exemples mentionnés dans le texte, les intrigues éventuelles du régent Pausanias
avec les Hilotes au lendemain des guerres médiques (Thuc., I, 32, 4).
214 . Cf. aussi, en 398, le recrutement massif de Lacédémoniens, sans doute à la fois des Inférieurs et
des Périèques, par Denys de Syracuse, qui avait reçu l’autorisation de lever autant d’hommes
qu’il voudrait (Diodore, XIV, 4 4,2) ; cf. aussi, pour 396, Diodore, XIV, 58.
215. Cf. Thuc., I, 101-103 (avec le commentaire de Gomme), Diodore, XI, 63-64 et 843, 7-8, Plut.,
Lyc., 28, 12, Cimon, 16, 4, et Paus., IV, 24, 6 ; cf. aussi J. Ducat, Les Hilotes, p. 131-135.
216. Ce nom, qui repose sur une correction des manuscrits, n’est pas sûr.
217. Cf. R. Sealey, « The great earthquake in Lacedemon », Historia 6 (1957), p. 368-371 ; J. Ducat,
« Le tremblement de terre de 4 64 et l’histoire de Sparte », Tremblements de terre. Histoire et
es
archéologie. IV rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, actes du
colloque des 2-4 novembre 1983, p. 73-84 ; L. Wierschowski, « Die demographischen
Auswirkungen des Erdlebens von 464 v. Chr. für Sparta », in E. Olshausen et H. Sonnabend,
éd., Naturkatastrophen in der antiken Welt, Bonn, Habelt, 1998, p. 291-306.
218. Les Spartiates justifient leurs concessions en invoquant un oracle antérieur qui invitait à « laisser
partir le suppliant du Zeus de l’Ithôme ».
219. Diodore, XII, 67, n’étant qu’une paraphrase de Thucydide, trop vite lu, d’où une erreur sur les
nombres, et Plutarque, Lyc., 28, 6, se référant expressément à Thucydide, celui-ci reste la
source unique ; cf. Ed. Lévy, « Diodore de Sicile récrivant Thucydide (D.S., XII, 62, 6-7 et 67,
3-5, versus Thuc., IV, 12, 3 et 80) », Ktèma 26 (2001), p. 333-341.
220. Cf. F. et J. Ducat, « Mise en scène pour un massacre », Mélanges Paul Gonnet, Nice, 1989,
p. 35-4 0, et B. Jordan, « The ceremony of the Helots in Thucydides », Antiquité classique 59
(1990), p. 37-69.
221. Il ne saurait être très antérieur, car 1) Thucydide se contente d’introduire l’épisode en évoquant
« ce que les Spartiates avaient aussi fait », sans insister par un adverbe sur l’antériorité ; 2) si
l’épisode était ancien, il n’aurait pas valeur d’argument pour expliquer l’expédition ; 3) seul le
traumatisme provoqué par la capitulation de Sphactérie pourrait expliquer ce massacre absurde,
qui n’interdit pas, quelques mois plus tard, d’envoyer des Hilotes en expédition.
222. On peut aussi comprendre « devant l’esprit révolutionnaire et le nombre des Hilotes », mais, la
jeunesse étant, pour les Anciens, naturellement révolutionnaire, les deux interprétations ne sont
pas incompatibles.
223. Selon Diodore, XV, 65, 6, ils n’en auraient finalement enrôlé que 1000.
224 . Le récit de Polyen, II, 14 , est moins détaillé et Aristote, Pol., V, 7, 1306b 33-35, se contente
d’une simple allusion ; cf. aussi J.F. Lazenby, « The conspiracy of Cinadon reconsidered »,
Athenaeum 55 (1977), p. 4 37-44 3, E. David, « The conspiracy of Cinadon », Athenaeun 57
(1979), p. 239-259, R. Vattone, « Problemi spartani. La congiura di Cinadone », RSA 12 (1982),
19-52.
225. L’auteur force sans doute les choses en précisant que les dieux révélaient au devin « une
conspiration des plus terribles » : les sacrifices pouvaient être très défavorables, mais on ne voit
pas comment ils auraient pu indiquer qu’il s’agissait d’une conspiration.
226. Cf. Ed. Lévy, « L’art de la déformation historique dans les Helléniques », in H. Verdin,
G. Schepens, E. de Keyser éd., Purposes of History, Louvain, Studia hellenistica 30, 1990,
p. 125-157.
227. Aristote le dit de même andrôdès, c’est-à-dire viril ou courageux.
228. On rapprochera de Cinadon le personnage de Phéraulas, dans la Cyropédie, II, 37, « homme du
peuple » que Xénophon présente comme « physiquement favorisé par la nature et ressemblant
par l’âme à un aristocrate », mais qui, apprécié par Cyrus, est, contrairement à Cinadon, satisfait
de son sort.
229. La scytale est le bâton rond autour duquel les Spartiates enroulaient la bande de papyrus portant
le message officiel, d’où par extension la bande de papyrus elle-même ; le même bâton, à la
disposition du destinataire, facilitait la lecture et authentifiait le message ; cf. notamment Plut.,
Lys., 19, 8, 12, et N. Richer, Les Éphores, p. 483-4 90.
230. Voir le discours des Thébains à Athènes en 395, où, avec quelque exagération, ceux-ci
reprochent aux Spartiates d’utiliser des Hilotes comme harmostes (Xén., Hell., III, 5, 12) ; Jean
Ducat (lettre personnelle) y verrait même une allusion à Lysandre, mothax et harmoste.
231. Xénophon le range parmi les plus dangereux (épikairotatoi).
232. S’il était encore de leur nombre, il aurait bénéficié d’un procès devant la gérousie, les premiers
exemples d’Homoioi exécutés sans jugement ne datant que de 370-69 (cf. Plut., Agésilas,
32,11).
233. Il en va sans doute de même pour les 200 hommes qui, selon Plutarque, Agés., 32, « couvaient
depuis longtemps leur canaillerie » et qui, lors de l’invasion thébaine de 370-69, s’emparent d’un
point fort, car l’auteur les distingue à la fois des Spartiates et des Hilotes et Périèques, évoqués
plus loin dans le même chapitre.
234 . Le tableau, comme l’avait déjà noté E. Chambry dans son édition de La République, correspond
bien à Cinadon, qui a servi sous les armes et dont la condition d’Inférieur se retrouve dans
l’atimie évoquée par Platon.
235. Ce rapport n’est pas invraisemblable, à condition de tricher un peu en comptant, d’un côté,
hommes, femmes et enfants et, de l’autre, seulement les Spartiates mâles et adultes, qui, pouvant
e
mobiliser 1200 hoplites en 379, devaient, au début du IV siècle, être au nombre de 2000 à
3000 ; cf. aussi les 3000 citoyens actifs qu’avaient en 404 prévus leurs admirateurs athéniens.
236. L’expression employée par Xénophon : « ayant compté un roi et des éphores ainsi que des
gérontes et d’autres, au nombre d’environ 4 0 », présente les Spartiates ordinaires comme ne
formant qu’un complément aux magistrats.
237. Si, en ce qui concerne les instigateurs, tels qu’ils sont vus par les Spartiates, le texte mentionne
complot (2 exemples d’épiboulè) et conspiration (3 exemples de suneidein), pour évoquer
l’opposition générale à Sparte, il emploie le vocabulaire de la guerre (4 exemples de polémioi,
3 exemples de summakhoi) plutôt que celui de la stasis.
238. Il est d’ailleurs étrange que, dans une cité qui est censée tant se défier des population sujettes, il
y ait un marché au fer où l’on puisse se procurer, entre autres, « beaucoup de poignards,
beaucoup d’épées ».
239. Ce qui pourrait laisser supposer qu’on n’est pas sûr de l’ensemble des Hippeis.
240. Celui-ci sera diminué, après 404 , par l’expulsion hors de la Grèce propre des Messéniens de
Céphallénie et de Naupacte, cf. Diodore, XIV, 34 et 78.
241. Cf. G. Shipley, « Perioikos : The discovery of Classical Laconia », in J.M. Sanders,
ΦΙΛΟΛΑΚΩΝ, Lakonian Studies in Honour of Hector Catling, Londres, The British School at
Athens, 1992, p. 211-226, et « “The other Lakedaimonians” : The dependent Perioikic Poleis of
Laconia and Messenia », in M.H. Hansen, The Polis as an Urban Centre and as a Political
Community, Acts of the Copenhagen Polis Centre vol. 4 , Copenhague, 1997, p. 189-281, et
J.M. Hall, « Sparta, Lakedaimon and the nature of Perioikic dependency », in P. Flensted-
Jensen, Further Studies in the Ancient Greek Polis, Historia Einzelschriften 138, Stuttgart,
Franz Steiner, 2000, p. 73-89.
242. F. Hampl, « Die lakedämonische Periöken », Hermes 72 (1937), p. 1-49.
24 3. La thèse reste valable si, au lieu de parler de Doriens, on évoque l’essaimage de la population
de Sparte et de la vallée moyenne de l’Eurotas.
244 . Leur conquête est évoquée par Paus., III, 2, 6-7, qui, au moins pour les deux premières
bourgades, mentionne l’éviction de leurs premiers habitants ; quant à Hélos, si ses habitants ont
été réduits à l’état d’Hilotes, il a bien fallu en faire venir d’autres pour constituer une cité
périèque.
245. On comparera le rôle d’Athènes en Attique.
246. On rapprochera Platon, République, VIII, 547b, où l’aristocratie se change en timocratie
(incarnée par le régime spartiate), lorsque les gardiens asservissent ceux qu’ils devaient protéger
et en font des Périèques et des serviteurs.
247. Idée banale, déjà présente chez Thucydide, I, 18, 1, qu’Isocrate ne prend pas la peine de
développer.
248. Il est inutile de souligner l’ironie d’Isocrate envers cette étrange démocratie, qui exclut le
dèmos.
249. Il est probable que, pour critiquer Sparte, Isocrate s’inspire ici de l’anti-modèle que constituait le
régime des Trente.
250. Il est d’ailleurs possible, voire probable, qu’en Messénie des Messéniens ralliés aient pu former
des cités périèques : cela expliquerait pourquoi, en 464, deux cités périèques ont rejoint les
révoltés et pourquoi, en 370-69, les habitants des cités périèques de Messénie ne paraissent pas
s’être opposés à la défection de la Messénie.
251. Milet est bien censée avoir fondé une centaine de colonies, mais il s’agissait d’une cité d’une tout
autre importance que Sparte et de colonies auxquelles participaient des habitants d’autres cités.
252. Cf. J.A.O. Larsen, « Perioikoi », RE XIX, 1, 1937, col. 816-833, et F. Gschnitzer, Abhängige
Orte, Zetemata 17, Munich, Beck, 1958.
253. Le seul exemple allégué par Hampl est celui d’Héraclée Trachinia, fondée par Sparte en Grèce
centrale pendant la guerre du Péloponnèse, mais rien n’indique qu’Héraclée, qui ne disposait au
départ d’aucune autonomie, ait été une cité périèque.
254 . Pour les Anciens, tant qu’on ne s’affronte pas à l’intérieur de son territoire, on n’est pas en
guerre.
255. Les historiens antiques, Hérodote par exemple, ne cherchent pas la plus grande précision
terminologique, et cette confusion n’est pas plus grave que celle qui assimile Hollande et Pays-
Bas ou Angleterre et Grande-Bretagne, voire Royaume-Uni.
256. On ne distinguera jamais, au contraire, les Lacédémoniens et les Périèques, ni pour les associer ni
pour les opposer.
257. Cf. Xén., Hell., IV, 4 , 19, V, 3, 25, 4, 41 et 55, où, à chaque fois, Agésilas « licencia les alliés
et ramena au pays l’armée civique (to politikon ou to politikon strateuma) ».
258. Sparte elle-même a toutes les caractéristiques d’une cité, sauf qu’elle n’est qu’un élément de
l’État lacédémonien, qu’elle domine entièrement.
259. G.L. Cawkwell, « The decline of Sparta », p. 385-400, suppose que les contingents spartiates et
périèques ont été réunis avant la bataille.
260. Quelle que soit l’organisation de l’armée lacédémonienne, mal connue et qui a varié dans le
temps, elle comporte toujours un nombre pair de loches permettant d’associer une unité spartiate
à une unité périèque.
261. Cf., outre le cas de Platées, Xén., Hell., III, 5, 7.
262. Cf. Cinadon, qui évoque « ceux d’entre nous qui sont rangés avec (suntétagménoi) (les
Spartiates) », Xén., Hell., III, 3, 7, et cf. supra et supra ; mais la thèse de J.F. Lazenby, The
Spartan Army, Warminster, Aris et Phillips, 1985, selon laquelle l’armée spartiate aurait surtout
été renforcée par des Inférieurs, n’est pas fondée ; on ne sait même pas si les Spartiates dégradés
en Inférieurs sont comptés parmi les Spartiates ou parmi les autres Lacédémoniens ; en 370, par
exemple, l’armée d’Agésilas paraît constituée uniquement de Spartiates et de Périèques (Xén.,
Hell., VI, 5, 21).
263. Étant donné la nature du combat, non hoplitique, qui s’était déroulé dans l’île, on peut supposer
que la proportion des survivants reflète celle des combattants engagés.
264 . Cf. Xén., Hell., III, 15, 3, V, 2, 24 et V, 3, 9 (où il s’agit de volontaires d’élite).
265. Le fait qu’ils puissent, comme les Spartiates, servir dans la cavalerie (cf. Xén., Hell., V, 4, 39)
n’implique au contraire rien d’honorifique, car la cavalerie reste à Sparte une arme méprisée.
266. Cf. aussi infra, p. 14 7-14 8, la question du tribut royal.
267. Cette suggestion d’U. Kahrstedt, Griechische Staatsrecht. 1. Sparta und seine Symmachie,
Göttingen, 1922, p.73, a éte reprise et développée par H.W. Parke, « The evidence for Harmosts
in Laconia », Hermathena 4 6 (1931), p. 31-38, E. Cavaignac, Sparte, Paris, 194 8, et
G. Bockisch, « Ἁρμοσταί (4 31-387)», Klio 46 (1965), p. 129-239.
268. Il faudrait d’ailleurs, dans cette hypothèse, supposer que les 20 harmostes se répartissaient la
centaine de cités périèques.
269. Cf. Ed. Lévy, « Métèques et droit de résidence », in R. Lonis, L’Étranger dans le monde grec,
Presses universitaires de Nancy, 1988, I, p. 47-67.
270. Ils lui avaient permis de faire son coup d’État, cf. Plut., Cléomène, 7, 5-8, 1.
271. Il s’agit bien sûr des trophimoi, qui ont pu participer à l’agôgè, cf. infra ; on rapprochera
kharientés du superlatif du même mot employé par Cléomène.
272. On rapprochera Xénophon, Hell., V, 3, 9, où, en 381, le roi Agésipolis emmène en expédition à
la fois des volontaires périèques, qualifiés de kaloi kagathoi, « des étrangers appartenant à ceux
qu’on appelle des trophimoi » et des bâtards des Spartiates.
273. B. Niese, « Neue Beiträge zur Geschichte und Landeskunde Lakedämon », Göttingen Gelehrte
Nachrichten, 1906, p. 101-142 ; cf. aussi P. Cartledge, Sparta und Lakonia, p. 185-193 et 325-
334 .
274 . Dans le haut archaïsme, une polis ne se distingue pas encore d’un simple village, cf. Ed. Lévy,
« Apparition en Grèce de l’idée de village », Ktèma 11 (1986), p. 117-127.
275. Ce statut est confirmé par la possibilité, pour un État étranger, d’accorder la proxénie à un
Périèque, de telle cité, expressément mentionnée, par exemple d’Oinous (G. Shipley, « The other
Lakedaimonians », p. 233) ou des cités périèques mentionnées dans un décret de Kéos (IG XII, 5,
1, 54 2), et par la participation de Périèques aux concours olympiques, cf. Paus., III, 22, 5 et IG
V, 1, 1108. Il est significatif, malgré l’ironie d’Isocrate, Panath., XII, 179, que des auteurs
comme Hérodote, VII, 234 , Thucydide, V, 54, 1 ou Xénophon, Hell., VI, 5, 21, Rép. Lac., 15,
3, et Agés., 2, 24 , qualifient tout naturellement les cités périèques de poleis.
276. Quelques inscriptions hellénistisques montrent qu’au moins certaines d’entre elles avaient des
éphores.
277. Hermes 72 (1937), p. 1-49 ; voir aussi J. Ducat, Les Hilotes, p. 189-191, qui mentionne
également Tite-Live, XXXIV, 27, 9 : en 195, Nabis aurait fait massacrer des Hilotes dans les
cités périèques.
278. Alors que les soldats armés à la légère qui gardent les Spartiates sont expressément qualifiés
d’Hilotes (Hdt., IX, 28), ceux des Périèques sont mis sur le même plan que ceux des alliés, qui
ne sont manifestement pas des Hilotes (Hdt., IX, 29) ; cependant, pour Thucydide, IV, 8, 9, les
hoplites, aussi bien spartiates que périèques, envoyés à Sphactérie, étaient accompagnés des
Hilotes à leur service.
279. Cf. R.T. Ridley, « The economic activities of the Perioikoi », Mnemosyne 27 (1974), p. 281-
292.
280. Plut., Apopht. lac., 214a et Vie d’Agésilas, 26, 7-9 ; cf. aussi Polyen, II, 1, 7.
281. Rappelons l’importance des mines de fer du cap Malée, notamment dans la région de Boiai, cf.
J. Christien, « Promenades en Laconie », Dialogues d’Histoire ancienne, 1989, p. 75-105,
notamment p. 89-91.
282. Les xénélasies, c’est-à-dire les expulsions globales des étrangers, suggèrent qu’en temps
normal il y avait des étrangers.
283. Cf. supra.
284. Cf. Xén., Hell., VI, 5, 25 et 32 ; VII, 2, 2, qui distingue les Hilotes, qui font tous défection, les
Périèques, dont beaucoup le font, et les alliés, dont, d’après lui, peu abandonnent Sparte ; et
Agés., 2, 24, 6.
285. Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont pas de relations avec l’étranger, cf. supra.
286. Pour G. Shipley, « The other Lakedaimonians », p. 203 : « On accède au statut de Périèque par
promotion et non par dégradation » ; cf. cependant supra, p. 140.
287. On peut rapprocher le patriotisme athénien des métèques du Ve siècle.

288. Cf. Geyer, « Skiritis », RE III A 1, 1927, coll. 536-537.


289. Cf. V. Ehrenberg, « Neodamodeis », RE XVI, 2, 1935, coll. 2396-2401, T. Alfieri Tonini, « Il
problema dei neodamodeis nell’ ambito della società spartana », RIL 109 (1975), p. 305-316, et
G.B. Bruni, « Mothakes, neodamodeis, Brasideioi », Pubbl. ist. di storia ant., Université de
Padoue, 1979, p. 21-31.
290. Cf. K.-W. Welwei, Unfreie im antiken Kriegsdienst. I. Athen und Sparta, Wiesbaden, Franz
Steiner, 1974, et P. Hunt, Slaves, Warfare, and Ideology in the Greek Historians, Cambridge
University Press, 1998.
291. Selon Myron de Priène, cité par Athénée (VI, 271f), d’autres catégories d’Hilotes affranchis
porteraient les noms d’aphétai (libérés), adespotoi (sans maîtres), éruktèrés (défenseurs ?) ou
desposionautai (matelots avec un maître ? ou selon P. Carlier, Mélanges P. Lévêque 8, 1994,
p. 34, « maîtres de manœuvre »).
292. Cf. Hésychius, s.v., et Pollux, III, 83, ainsi qu’une glose introduite dans le texte de Thuc., VII,
58, 3.
293. Diodore, XIV, 36, 1, qualifie de citoyens (politai) les 1 000 Néodamodes mentionnés par
Xénophon, Hell., III, 1, 6.
294. Cette forme n’est qu’une correction, les manuscrits portant damôseis.
295. Cf. V. Ehrenberg, « Neodamodeis », col. 2401.
296. Cf. supra.
297. Cf. V. Ehrenberg, « Mothakes », RE XVI, 1, 1933, coll. 382-384, D. Lotze, « Μόθακες »,
Historia 11 (1962), p. 427-435, J. Ducat, Les Hilotes, p. 166-168, et St. Hodkinson, « Servile
and free dependants of the classical Spartan “oikos” », in M. Moggi et G. Cordiano éd., Schiavi
e dependenti dell’ «oikos » et della « familia », p. 45-71, dont je résume en partie les
conclusions.
298. Selon L.B. Lawler, TAPA 75 (1944 ), p. 20-33, notamment p. 31-33, il s’agirait d’une vieille
danse de marins.
299. Seul Hésychius les dit à tort esclaves (douloi), mais il s’agit soit d’une confusion avec les
mothônés, soit d’une glose de paidés, qui se serait indûment introduite dans le texte.
300. Cf. les deux mothakés élevés avec le futur Cléomène III, qui, en tant qu’héritier du trône, n’était
pas astreint à une agôgè d’ailleurs en pleine déliquescence, Plut., Cléomène, 6, 1.
301. Cf. aussi l’engagement non tenu du roi Pyrrhus de faire élever ses plus jeunes enfants à Sparte
« dans les mœurs laconiennes », Plut., Pyrrhus, 26, 21.
302. C’est là un moyen d’accroître son influence que Rome utilisera fréquemment.
3

Le système politique

Les Spartiates avaient un régime original, rattaché traditionnellement au


législateur plus ou moins légendaire Lycurgue, qui, contrairement à la
construction théorique d’un Clisthène, s’était constitué progressivement et,
sous des dehors immobiles, continua à évoluer. Ce régime associait deux rois,
un conseil des Anciens (gérousie), 5 éphores et une assemblée, ce qui permit à
Aristote d’y voir une combinaison harmonieuse de monarchie, d’aristocratie et
de démocratie. Cependant, la plupart des Anciens, sensibles à la présence de
Grecs dépendants comme les Périèques et surtout les Hilotes et au petit nombre
des Spartiates de plein droit, y ont reconnu le type même de l’oligarchie,
d’autant plus que la guerre du Péloponnèse se présentait en partie comme une
lutte idéologique entre la démocratie et l’oligarchie.
1. Les rois 1
Les rois sont souvent évoqués, notamment dans des récits, de Thucydide
ou de Xénophon par exemple, qui les montrent en action, au moins à la
guerre ; ces récits fournissent involontairement des renseignements sur leur
pouvoir effectif et ont donc des chances d’échapper à la déformation partisane
comme aux constructions théoriques. Leurs pouvoirs sont aussi précisés par
Hérodote (VI, 56-59), rapportant le conflit entre Cléomène et Démarate, qui
consacre une digression aux prérogatives royales ; le texte se présente comme
un inédit dont l’historien se fait gloire ; Xénophon en est manifestement parti
pour, dans La République des Lacédémoniens, y apporter des compléments,
soigneusement orientés : le chapitre XIII, consacré au roi en campagne, entend
montrer que tout est parfaitement organisé, tandis que le chapitre XV, consacré
à la royauté elle-même, suggère que celle-ci n’a rien de tyrannique, mais que,
tout en jouant un rôle religieux et militaire, le roi n’est qu’un primus inter
pares. Quant à La Politique d’Aristote, après avoir, en II, 9, 1271a 18-26,
critiqué le fonctionnement de la royauté spartiate, elle en fait, en III, 14, 1285,
le type de la royauté fondée sur la loi, se limitant à une magistrature à vie.

LES DEUX ROIS


Les deux rois appartiennent à deux dynasties distinctes, qui donnent à leurs
membres des noms différents 2, ne doivent pas pratiquer d’intermariages 3 et
ont des tombeaux significativement placés dans deux quartiers différents. Ils
sont censés descendre des deux jumeaux Eurysthénès, père d’Agis et ancêtre
des Agiades, et Proclès, père d’Eurypon et ancêtre des Eurypontides.
Eurysthénès et Proclès auraient eux-mêmes été des descendants d’Héraclès à la
cinquième génération, d’où la qualification d’Héraclides, à laquelle ont droit
les deux familles royales et certaines familles aristocratiques, peut-être
théoriquement apparentées aux familles royales 4 . Censés descendre de deux
jumeaux, les deux rois ont des pouvoirs égaux, encore que les Agiades, dont
l’ancêtre passe pour l’aîné des jumeaux, aient pu avoir la préséance sur les
Eurypontides 5. Mais, si l’Agiade Pleistoanax est mentionné avant
l’Eurypontide Agis, en 421, dans la paix de Nicias comme dans l’alliance qui
suivit (Thuc., V, 19, 2 et 24, 1), la chose est due à son âge (ou à sa date
d’accession au trône), car le même Agis est mentionné avant son cadet
l’Agiade Pausanias dans une inscription (IG V, 1, 1564) de la fin du Ve siècle
ou du début du IVe siècle.
La présence simultanée de deux dynasties a suscité différentes hypothèses.
Certains, rappelant les trois chefs de la première guerre de Messénie, ont
supposé que les trois tribus spartiates avaient originellement chacune un roi et
que l’un des trois aurait été éliminé. D’autres, soulignant que Cléomène Ier
s’était déclaré à Athènes achéen et non dorien, ont voulu distinguer le roi des
envahisseurs et celui des anciens habitants restés à Amyclées. Si les dynasties
ne se disaient toutes deux héraclides, on pourrait aussi distinguer les Doriens et
les Héraclides. Enfin, étant donné la localisation de leurs tombeaux, les
Agiades pourraient aussi représenter les anciens villages de Pitana et de
Mésoa, et les Eurypontides, ceux de Limnai et de Konooura, dont les
affrontements anciens sont rappelés par Pausanias (III, 16, 9) 6 .
De toute façon, il n’y a pas à s’étonner qu’il y ait eu à un certain moment
deux rois : Rome a bien eu deux consuls, Messène, deux rois, et Athènes, après
un roi, 2, puis 3 « archontes ». Le fait d’avoir deux chefs permet d’en garder
un à l’intérieur pendant que l’autre part en expédition, encore que, jusqu’en
506 7 , les deux rois partent généralement en expédition ensemble ; il permet
aussi d’éviter la vacance du pouvoir, à la mort d’un roi ou lorsque l’un des
deux est trop jeune. Mais, ce qui est original et permettait de faire l’éloge de
Sparte, c’est qu’au moins jusqu’au IIIe siècle aucune dynastie n’ait éliminé
l’autre. Cette permanence est sans doute à mettre au crédit du système politique
lui-même, qui a empêché les rois d’accéder au pouvoir absolu, même lorsque
la tyrannie se développait en Grèce. Elle a pu aussi être favorisée par le culte
des Dioscures, Castor et Pollux 8 offrant le modèle d’une alternance amicale.

L’ACCESSION AU POUVOIR

L’accès au trône se fait par l’hérédité. Le fils passe ainsi avant le frère : au
début du IVe siècle, Léotychidas entendait donc être préféré à Agésilas, car,
disait-il « la loi enjoint que ce soit non le frère, mais le fils qui soit roi » (Xén.,
Hell., III, 3, 2). Mais Démarate apporte une précision supplémentaire en
signalant à Darius l’usage (nomizesthai) spartiate : « Si des fils sont nés avant
que leur père soit devenu roi et que survienne un fils né plus tard, alors que le
père règne, c’est le fils né après qui hérite de la royauté » (Hdt., VII, 3).
Cependant, si le second est ainsi favorisé, les premiers ne sont pas éliminés.
Pierre Carlier (La Royauté en Grèce avant Alexandre, p. 247) s’est fondé sur ce
passage, où il reconnaît déjà ce que les Byzantins qualifieront de
porphyrogenèse, ainsi que sur une étude précise des successions royales pour
proposer la règle suivante : le trône revient au « plus proche descendant (je
dirais plutôt parent, car le frère n’est pas un descendant) du plus récent
détenteur du pouvoir le plus royal 9 », entendons qu’un roi est plus royal qu’un
régent, lui-même plus royal qu’un membre ordinaire de la famille royale.
Ce sont là les règles normales de succession, mais il semble que les
Spartiates aient eu leur mot à dire : ils se contentent sans doute d’acclamer le
nouveau roi, qui est nommé même s’il n’est pas encore en âge de régner 10 ;
mais ils doivent aussi trancher en cas de contestation.
La désignation de Cléomène Ier est, à cet égard, éclairante. En effet, dans un
texte assez hostile à Cléomène, Hérodote (V, 42) rapporte que Dorieus 11, qui
avait plus de mérite, espérait obtenir la royauté, mais que les Spartiates ont
respecté la règle (nomos) et nommé roi l’aîné Cléomène. Les espoirs et la
déception de Dorieus suggèrent qu’on aurait pu ne pas la respecter et faire
l’autre choix. Mais il s’agit en fait d’un cas exceptionnel. Le roi Anaxandridas,
père des deux prétendants, avait, de façon anormale, été autorisé à avoir deux
femmes à la fois. On pouvait dès lors se demander si la deuxième femme,
mère de Cléomène, devait vraiment être considérée comme une épouse
légitime, à l’égal de la future mère de Dorieus, ou si elle n’était qu’une épouse
secondaire, simple donneuse d’enfants pour le cas où la première continuerait
à se montrer stérile. C’est d’ailleurs ce qu’impliquent les réactions de la
famille de Cléomène à la nouvelle que la première femme était enceinte : dès
ce moment on devait craindre que l’enfant à naître ne passât avant Cléomène 12.
Ce sont aussi les Spartiates qui tranchent entre Léotychidas et Agésilas,
c’est-à-dire entre le fils à la filiation contestée et le frère. Le choix pourrait
avoir été fait, au moins initialement, par la gérousie, comme le suggèrent les
expressions de Xénophon (Agés., 5) : « Dans la cité la plus puissante jugé par
les meilleurs (aristoi) digne de l’apanage (géras) le plus beau » ; celle-ci aurait
ainsi décidé en fonction de ses pouvoirs judiciaires, mais la phrase des
Helléniques (III, 3, 4) : « Après avoir entendu de tels arguments des deux
parties, la cité choisit Agésilas comme roi » orienterait plutôt vers une
décision de l’assemblée 13 : le plus probable, c’est que, surtout si le roi devait
être proclamé, le choix de la gérousie avait besoin d’être confirmé par
l’assemblée. C’est en tout cas la gérousie, selon Pausanias (III, 6, 2), qui doit
trancher entre Cléonymos et Areus, c’est-à-dire entre le fils cadet et le fils du
fils aîné. Mais, même dans les cas où aucun problème ne se pose, on n’est pas,
au moins théoriquement, assuré d’obtenir la succession. Ainsi, dans un passage
d’Isocrate (VI, Archidamos, 8), favorable à Archidamos, celui-ci se présente
lui-même comme « descendant d’Héraclès, fils du roi actuel et qui peut (lui-
même) s’attendre (épidoxon) à obtenir le même honneur (timè) » : l’expression
surprendrait, si le fils succédait à son père, automatiquement et sans aucune
formalité 14 .

POUVOIR THÉORIQUE

Le pouvoir des rois, très grand à l’origine, a décru, comme suffisent à le


montrer la comparaison des textes d’Hérodote et de Xénophon et le jugement
d’Aristote, qui voit en eux des magistrats à vie et non plus de véritables rois.
Il semble qu’à l’origine leur pouvoir ait été collégial. La thèse a été
développée, dans une perspective polémique, par l’entourage d’Agis IV, qui
entendait montrer que, quand les deux rois étaient d’accord, les éphores
perdaient leur pouvoir d’arbitrage et devaient s’incliner. Mais l’idée d’un
pouvoir collégial des deux rois n’est pas une simple invention du IIIe siècle, car
elle est déjà, à la fin du VIe siècle et au début du Ve siècle, utilisée par les
Éginètes, puis par les Athéniens, pour refuser de céder à un seul roi (Hdt., V,
50, et VI, 86). De même, le passage d’Hérodote (VI, 56-58) consacré aux
prérogatives royales, qui s’inspire manifestement d’un texte officiel
spartiate 15, emploie constamment le pluriel, alors que les textes correspondants
de Xénophon utilisent le singulier, sans contredire expressément Hérodote,
dont le pluriel pouvait se référer aussi bien aux deux rois qu’aux rois
successifs.
Les rois ont un pouvoir surtout militaire et religieux : Xénophon (Rép.
Lac., XIII, 11) conclut le chapitre consacré aux rois à la guerre en assurant que
« le roi n’a pas d’autre tâche en campagne que d’être un prêtre pour les dieux
et un stratège pour les hommes ».
Leur première prérogative mentionnée par Hérodote, c’est « de porter
(ekphérein) la guerre contre la contrée (chôra) qu’ils voudront et qu’aucun
Spartiate n’y fasse obstacle, sinon, qu’il soit voué à la malédiction ». Le texte
est doublement équivoque. D’abord, le pluriel, comme nous venons de le
rappeler, peut correspondre au pouvoir collectif des deux rois aussi bien qu’au
pouvoir des rois successifs. Mais, comme souvent à Sparte 16 , c’est justement
l’ambiguïté qui a permis l’évolution. Avant 506, les deux rois partaient
ensemble en expédition, même si, vraisemblablement, dans les faits, l’un devait
avoir le pas sur l’autre. Après la dispute d’Éleusis entre Cléomène et Démarate,
désormais, sauf exception, on n’en envoie plus qu’un seul : « A la suite de ce
divorce (dikhostasiè) fut établi comme loi à Sparte qu’il ne soit pas permis aux
rois d’accompagner tous les deux une armée en campagne » (Hdt., V, 75), et,
symbole de cette séparation, la même loi imposait de laisser désormais l’un
des deux Dioscures à Sparte. Cette nouvelle disposition pouvait soit mettre les
deux rois en concurrence pour mener les expéditions, en accroissant ainsi le
pouvoir de l’assemblée et des éphores, soit, au contraire, renforcer la
prépondérance du roi mis habituellement à la tête des troupes.
Cependant, le texte d’Hérodote présente encore une seconde ambiguïté,
selon que chôra, que j’ai traduit par territoire, désigne un pays ou une simple
région. Dans le premier cas, il s’agit du droit de déclencher la guerre 17 , sens
qu’autorise le groupe verbal (cf. Polybe, IV, 36, 1), dans le second, uniquement
de la direction stratégique des opérations.
Le choix par les rois de l’ennemi à combattre est encore attesté à la fin du
e
VI siècle, quand Cléomène réunit « une expédition de l’ensemble du

Péloponnèse sans indiquer vers (ou en vue de) quoi, il la réunit » (Hdt., V, 74).
Mais la chose paraît assez anormale pour qu’Hérodote la signale et
l’expédition échoue lamentablement, puisque, à Éleusis, les Corinthiens font
défection, suivis du deuxième roi, Démarate, et finalement de l’ensemble des
alliés. Il est cependant probable qu’à l’époque archaïque, lorsqu’on guerroyait,
tous les ans ou presque, contre les mêmes voisins, l’initiative de la guerre
revenait aux seuls rois.
En tout cas, à l’époque classique, les rois ne décident plus de la guerre, non
seulement parce que, depuis 506, ils ont perdu la direction collégiale des
opérations, mais aussi à cause du rôle dévolu aux alliés de la « ligue du
Péloponnèse ». C’est, entre autres, ce qu’avait négligé Cléomène et qui a
entraîné la défection des Corinthiens. Au contraire, en 432, lors du
déclenchement de la guerre du Péloponnèse, toutes les formalités sont
respectées et, en ce qui concerne Sparte, c’est l’assemblée qui vote la guerre
avant de soumettre la question aux alliés (Thuc., I, 87). De plus, au IVe siècle et,
sans doute, déjà plus tôt, il revenait aux éphores de proclamer la mobilisation
(phrouran phainein) de l’armée civique 18 en indiquant normalement contre qui
elle se faisait.
Si, au cours de la dernière phase de la guerre du Péloponnèse, le roi Agis,
stationné dans la région de Décélie, avait tout pouvoir (kurios), sans en référer
aux autorités spartiates, « d’envoyer une expédition où bon lui semblait, de
réunir des troupes et de lever de l’argent » (Thuc., VIII, 5, 3), la chose est
présentée comme exceptionnelle. Et les Helléniques de Xénophon montrent des
rois en expédition lointaine de plus en plus soumis aux autorités spartiates.
Généralement accompagnés de deux éphores 19 (II, 4, 36) ou d’envoyés des
éphores, les rois obéissent aux instructions qu’on leur transmet ; le roi
Cléombrotos, en expédition en Béotie, fait même demander aux autorités de
Sparte « ce qu’il doit faire » (V, 42), tandis qu’Agésilas, qui, désireux de faire
la guerre aux Perses, a rendu compte aux éphores de sa consultation de
l’oracle de Dodone, se voit inviter par ceux-ci à consulter aussi Delphes (Plut.,
Apopht. lac., 209a) 20 .
Les rois restent néanmoins les commandants en chef. Aristote (Pol., III, 14,
1285a 5-8) les qualifie de stratèges autokrator, et il est impensable qu’ils
soient soumis à un autre chef militaire : dès qu’arrivent les rois Pausanias ou
Agis, Lysandre doit se mettre sous leur commandement.
Hérodote et surtout Xénophon précisent leur rôle militaire. Commandant
l’armée civique 21, le roi avance en tête du corps de troupe, précédé seulement
des Skirites et des éclaireurs montés, qui ouvrent la voie ; il quitte aussi en
dernier le champ de bataille et choisit l’emplacement du camp. Il combat à
l’aile droite, la plus exposée, mais non à l’extrémité, puisqu’il a encore un
corps d’armée (une more) à sa droite, et à l’avant, mais protégé, selon
Hérodote (VI, 56) par une garde d’honneur de 100 hommes d’élite (logadés),
pris vraisemblablement parmi les Hippeis 22. L’organisation pyramidale du
commandement, dont Thucydide (V, 66, 3-4) souligne l’efficacité, permet une
bonne transmission des ordres, et le roi peut, selon Xénophon, se décharger
des affaires judiciaires sur des hellanodiques, des affaires financières, sur des
trésoriers, et des problèmes de butin, sur des vendeurs de butin (Rép. Lac., XIII,
11). Il exerce, comme tout chef militaire, un pouvoir disciplinaire qui lui
donne, sur le champ de bataille, un droit de vie et de mort même sur les
citoyens (Aristote, Pol., III, 14, 1285a 8-10) et peut, bien sûr, envoyer des
ambassades tant aux amis (pour demander par exemple de l’aide) qu’aux
ennemis (pour conclure par exemple une trêve) (Rép. Lac., XIII, 10). Ce droit
d’envoyer des ambassades a été contesté par certains éditeurs de Xénophon,
qui ont imprudemment introduit une négation dans le texte (ou à la place de
au), mais il est confirmé par de nombreux récits d’Hérodote, Thucydide ou
Xénophon 23 .
De fait, le roi exerce une activité diplomatique, plus ou moins liée à ses
fonctions militaires, puisque, en dehors des ambassades demandant une trêve,
on voit Cléomène recevoir des ambassades qui voulaient inciter Sparte à la
guerre : en 516, le Samien Maiandrios, qu’il fait expulser par les éphores, en
514, une ambassade scythe, et, en 499, l’Ionien Aristagoras. En tant que chef
de l’armée, il a sous ses ordres les troupes alliées et est donc en rapport avec
les cités qui les envoie. Enfin, les rois désignent des proxènes 24 : « Il leur
appartient de désigner des proxènes, ceux qu’ils veulent parmi les citoyens de
souche (astoi) » (Hdt., VI, 57). L’indication est étrange, car un proxène
pourrait être soit un Spartiate qui s’occupe des étrangers appartenant à la cité
qui lui a décerné ce titre 25, soit un étranger désigné par Sparte pour accueillir
les Spartiates dans sa propre cité et qui serait alors un « proxène des
Lacédémoniens », comme l’ont été, par exemple, parmi les Athéniens, les
ancêtres d’Alcibiade (Thuc., V, 49, 2 et 89, 2) ou l’exilé Xénophon 26 et, parmi
les Thessaliens, Polydamas de Pharsale (Xén., Hell., VI, 1, 4) et son adversaire
Jason de Phères (Xén., Hell., VI, 4, 24) ; un tel proxène pourrait bien, à
l’époque d’Hérodote, être désigné par les rois. Mais, dans le texte, sont
mélangés les deux types de proxènes, puisqu’il s’agirait de Spartiates désignés
par Sparte. On a donc supposé une institution originale, à savoir des magistrats
spartiates chargés de s’occuper des étrangers 27 , c’est-à-dire en fait de les
surveiller, et on les a rapprochés des polémarques athéniens et surtout des
collèges de proxènes d’Olympie et de Delphes, qui sont formés de gens du cru
nommés par les autorités locales. Mais il s’agit, dans ces derniers cas, de
sanctuaires devant accueillir des pèlerins, ce qui n’est pas le cas de Sparte, et,
d’autre part, Olympie n’est pas une cité.
Il est aussi possible que, dans le texte d’Hérodote, la conjonction et (kai) ait
été déplacée et que l’expression « parmi les astoi » se rapporte non aux
proxènes mais aux Pythioi, évoqués immédiatement après et qui, eux, sont
manifestement des citoyens distingués. Il est cependant toujours périlleux de
corriger un texte attesté par de nombreux manuscrits.
Aussi est-il préférable de supposer, comme me le suggère Claude Vatin,
que les rois se contentaient de confirmer pro forma et en quelque sorte
d’enregistrer la désignation (normale) du proxène par la cité concernée
De toute façon, les rois établissaient volontiers avec les dirigeants
étrangers, au profit de Sparte ou à leur profit personnel, des relations
héréditaires d’hospitalité (xénia), qui facilitaient les relations diplomatiques et
pouvaient, comme en 403 à Athènes ou en 380 à Phlionte, déboucher sur la
constitution de coteries ou de factions.
En tant que « descendants de la divinité », ils ont aussi des prérogatives
religieuses importantes, que souligne Aristote : « Ce qui concerne les dieux est
du ressort des rois » (Polit., III, 1285a 6). Ils exercent les sacerdoces de Zeus
Lacédémon et de Zeus Ouranios, sans que le texte d’Hérodote permette de
savoir si c’est collégialement ou si chacun exerce un des deux sacerdoces. Ils
organisent tous les sacrifices publics, notamment à l’armée, et y reçoivent des
parts d’honneur (la peau et les filets). Ces sacrifices sont si nombreux qu’il
leur a été accordé « de recevoir un porcelet de toutes les portées de truies, de
façon que le roi ne manque jamais de victimes, s’il est quelque besoin de
consulter les dieux » (Xén., Rép. Lac., XV, 5). Les rois ont aussi la maîtrise des
relations avec Delphes, puisque chacun d’eux désigne deux Pythioi, qui seront
leurs commensaux et auront la garde des oracles, ce qui implique des archives
écrites et permet éventuellement des manipulations.
Il ne leur reste plus personnellement qu’un pouvoir judiciaire limité,
concernant le droit familial (attribution des filles épiclères et adoption) et les
chemins publics, qu’il faut préserver des empiétements privés. Mais les rois
sont associés à la gérousie, qu’ils ne président pas (ou plus ?), mais où ils
siègent et ont même le privilège de se faire représenter ; ils participent ainsi à
ses pouvoirs législatifs (initiative et veto) et judiciaires.

PUISSANCE POLITIQUE

On a pu se demander si, en dehors de leurs fonctions militaires et


religieuses, les rois n’avaient qu’un rôle honorifique ou s’ils jouissaient
encore d’une grande puissance, notamment en politique étrangère.
Certains, comme Edouard Will 28 , ont évoqué l’impuissance des rois et les
ont comparés aux archontes athéniens, qui, au cours du Ve siècle, en viennent à
avoir moins de pouvoir que de prestige. Mais, au VIe siècle, les archontes
exerçaient encore l’essentiel du pouvoir, et Sparte n’a pas de stratèges
indéfiniment rééligibles capables d’inspirer la politique de la cité. Et, surtout,
comme l’a bien souligné G.E.M. de Sainte-Croix 29 , il faut distinguer le
pouvoir de droit et la puissance de fait, qui ressortit à l’auctoritas et est ainsi
fondée sur l’influence et le prestige.
Les rois sont avant tout des personnages sacrés : ils sont issus des dieux, et
le cas des enfants d’Anaxandridas, d’Ariston ou d’Agis II, dont on tient à
s’assurer de la filiation légitime, montre l’importance qu’on attache à cette
origine 30 . La présidence des sacrifices maintient leurs liens avec les dieux et il
est sacrilège de leur désobéir. Contrairement aux stratèges athéniens, même
s’il arrive qu’on les condamne par contumace, on n’ose pas les mettre à mort :
après le décès du régent Pausanias, qu’on avait emmuré dans le sanctuaire
d’Athéna Chalkioikos, souillure dont Sparte aura du mal à se guérir, il faut
attendre la crise révolutionnaire du IIIe siècle pour qu’on ose attenter à la vie
d’un roi et, même alors, la chose ne se fait pas sans mal : selon Plutarque
(Agis, 19, 9), les exécuteurs hésitaient dans la mesure où il paraissait contraire
aux lois divines et humaines « de porter la main sur la personne d’un roi ». Les
Spartiates prétendent même, à tort, que les ennemis hésitent à le faire (Agis, 21,
2-4). Ce caractère sacré du roi apparaît clairement dans les honneurs funèbres
dont il jouit et qui sont d’autant plus remarquables que, pour les autres
Spartiates, on a supprimé tout le lustre des funérailles. Selon Hérodote (VI, 58-
59) se réunisssent Spartiates et Hilotes ainsi qu’une délégation de Périèques et,
« les hommes mêlés aux femmes, ils se frappent le front avec ardeur et
poussent des gémissements infinis ». Ces funérailles imposées par la cité – des
pénalités sont prévues pour qui ne respecterait pas les rites – rappellent même
à l’historien ethnologue les funérailles des rois chez les Barbares d’Asie.
Xénophon, qui veut au contraire montrer que le roi est assez modéré pour
apparaître comme un primus inter pares, évite, bien sûr, de décrire ces
funérailles exceptionnelles et se contente de conclure son ouvrage en notant
que « ce n’est pas en tant qu’homme mais en tant que héros qu’elles (les lois de
Lycurgue) ont honoré particulièrement les rois des Lacédémoniens 31 ».
Le caractère exceptionnel des rois, qui interdit de voir en eux, comme le
voudrait Aristote, de simples magistrats, apparaît bien dans le serment mutuel
que se prêtent tous les mois rois et éphores (Xén., Rép. Lac., XV, 7). Le roi
accepte sans doute de limiter son pouvoir, puisqu’il « jure de régner
conformément aux lois établies de la cité », tandis que les éphores ne
prononcent qu’un serment conditionnel, puisqu’ils jurent, « le roi respectant
son serment, de rendre la royauté inébranlable ». Mais, le plus important, c’est
que ce serment établit une sorte de contrat ou de traité 32 entre la cité et le roi ;
or, on imagine mal une cité concluant un traité avec ses propres magistrats.
Pourtant, et c’est là tout le paradoxe, par ce serment les rois acceptent de
s’intégrer dans le système politique spartiate, dans lequel ils jouent un rôle
important, ne serait-ce que par leur participation à la gérousie : grâce à leurs
liens familiaux et, éventuellement, à des largesses comme celles qu’on a
reproché à Agésilas de faire à tout nouveau géronte 33 , ils pouvaient y
constituer des coteries ou des factions.
L’influence des rois est accrue par leur immense richesse : ils possèdent
beaucoup de terre dans la Périoikis, perçoivent le « tribut royal » que leur
paient les Lacédémoniens, reçoivent une part considérable du butin (un tiers à
l’époque de Cléomène III, si l’on en croit Plutarque), peuvent tirer parti des
peaux des animaux sacrifiés et obtiennent un porcelet de chaque portée de truie.
Bref, comme le rappelle Platon, dans l’Alcibiade majeur, 123a, ce sont les plus
riches des Spartiates, eux-mêmes les plus riches des Grecs. Ces richesses
accroissent leur influence et facilitent la constitution d’une clientèle de
gérontes et d’éphores, surtout quand ces derniers sont assez pauvres.
Le roi peut aussi tirer son prestige de ses victoires militaires et on s’est
demandé si les soldats, habitués à lui obéir sur le champ de bataille,
n’hésiteraient pas à s’opposer à lui à l’assemblée. Cependant, dès l’Iliade,
l’exemple de Diomède incitait à distinguer l’obéissance sur le champ de
bataille et la liberté de parole et de critique à l’assemblée. De fait, les
récriminations suscitées par une campagne malheureuse ou qui aurait pu
donner de meilleurs résultats 34 n’attendaient que l’assemblée pour se
déchaîner. D’ailleurs, même sur le champ de bataille, les chefs spartiates ne
faisaient pas toujours preuve d’une obéissance aveugle : il suffit de rappeler
l’insubordination d’Amompharétos à Platées (Hdt., IX, 53) ou celle des
polémarques Hipponoïdas et Aristoklès en 418 à Mantinée (Thuc., V, 71, 3-72,
1), voire déjà, avant la bataille, les critiques du zèle intempestif d’Agis (Thuc.,
V, 65, 2).
Il y a, en outre, généralement un roi dominant, soit un roi adulte en face
d’un roi encore tout jeune, soit celui qui, paraissant avoir plus de capacités
militaires, est, de ce fait, préféré pour mener les opérations. C’est pourquoi
certains rois, à la forte personnalité, ont pu véritablement diriger la politique
spartiate pendant de nombreuses années, ainsi Cléomène Ier 35 (de 520 à 488), le
roi Pausanias ou Agésilas II 36 .
Il ne faudrait pas cependant s’exagérer leur pouvoir, car, entre les deux
rois, qui se voient constamment, puisqu’ils mangent dans la même tente, règne
le plus souvent la rivalité, voire l’hostilité, et elle est si fréquente qu’Hérodote
(VI, 52) la fait remonter aux jumeaux fondateurs des deux dynasties et ajoute
que leurs descendants continuent à être toujours en désaccord, tandis
qu’Aristote considère même cette discorde comme voulue : les Spartiates
« voyaient dans l’opposition (stasiazein) des rois le salut de la cité » (Pol., II,
9, 1271a 25-3-26).
Le roi le plus faible peut d’ailleurs trouver appui auprès de la gérousie,
comme Léonidas, le rival d’Agis IV, ou auprès des éphores, qui contrôlent et
surveillent les rois et ont le droit de leur infliger une amende ou de leur
intenter un procès.
La puissance réelle d’un roi dépend donc de sa personnalité et de son
prestige, qui, sources de popularité, lui assurent des appuis dans la cité, mais
en va-t-il différemment pour un Périclès ? Elle a aussi varié dans le temps et
l’on peut même parler d’une véritable crise de la royauté au Ve siècle.

E
LA CRISE DE LA ROYAUTÉ AU V SIÈCLE

Entre la période où Cléomène Ier emmenait les troupes de tout le


Péloponnèse sans indiquer les objectifs de sa campagne et celle où Agésilas II
devait faire la cour aux éphores 37 et se laissait peut-être imposer une paix
d’Antalcidas contraire à sa politique, la royauté spartiate a connu de
nombreuses vicissitudes : les rois ont été fréquemment soumis à des procès et
ont perdu au profit des navarques leur monopole du commandement militaire.

Les procès des rois 38

Les premiers cas attestés datent du tout début du Ve siècle et paraissent liés à
l’opposition de Cléomène et de Démarate, qui avait déjà suscité le divorce
d’Éleusis.
Des menaces voilées auraient sans doute, dès le VIe siècle, été lancées
contre Anaxandridas pour l’inciter à accepter le compromis matrimonial que
lui imposaient éphores et gérontes (Hdt., V, 39-40), mais, pour autant qu’elles
n’aient pas été imaginées en fonction de ce qu’Hérodote connaît des
destitutions à venir des rois de Sparte, elles n’avaient pas été suivies d’effet.
En tout cas, du fait de la bigamie d’Anaxandridas, la cité fut obligée
d’intervenir pour départager Cléomène et Dorieus 39 . Ayant réglé des
problèmes de succession, elle put aussi le faire après coup, quand une filiation
était contestée, même longtemps après l’accession au trône, et Cléomène fit
ainsi, en 491, destituer Démarate. Avec un tel précédent, on n’hésita plus à
s’attaquer à un roi pour toute défaillance politique ou militaire.

• La fréquence des procès de 494 à 395
Dans une première période, 3 procès furent intentés à des Agiades : à
Cléomène en 494 4 0 et au régent Pausanias en 477 et vers 470-465, et 3, à des
Eurypontides : à Démarate en 491 et à Léotychidas II vers 488 et en 476.
Quatre rois ou régents subirent ainsi 6 procès en une trentaine d’années et, au
début de la période, en 6 ans, s’affrontèrent même en 3 procès les partisans et
les adversaires de Cléomène : Cléomène, attaqué en 494, l’emporta en 491,
tandis qu’en 488, après la mort du roi, les Spartiates se retournèrent contre son
acolyte Léotychidas.
Après 465, le tremblement de terre et la révolte messénienne ont dû
amener une « union nationale » qui ne se prêtait guère à des attaques contre les
rois.
Mais les procès, encore que moins fréquents, recommencèrent en 445, où
l’Agiade Pleistoanax fut contraint à l’exil. Furent ensuite soumis à procès
l’Eurypontide Agis II en 418 et l’Agiade Pausanias, en 403 et en 395, tandis
que, vers 397, on avait dû, pour l’accession au trône, choisir entre Léotychidas
et Agésilas.
Ainsi, en un siècle, 7 rois ou régents ont été soumis à 10 procès ou, si l’on
tient compte de l’accession au pouvoir d’Agésilas, 8 rois ou régents l’ont été à
11 procès ; et, chez les Agiades par exemple, le grand-père (le régent
Pausanias), le père (Pleistoanax) et le fils (le roi Pausanias), ont, à eux trois,
subi 5 procès.
Autant dire que de tels procès ont cessé d’être un événement exceptionnel
et que la peur d’un procès peut influer sur l’action des rois. Ainsi, en 418,
Agis II, qui avait précédemment été critiqué et condamné pour sa retraite
devant Argos, était sur le point de se lancer dans une attaque intempestive
contre les Argiens installés sur une position favorable, quand un Spartiate lui
reprocha opportunément de vouloir « guérir un mal par un mal » (Thuc., V,
65, 1-3). Le roi Cléombrotos, dont le père, le grand-père et l’arrière-grand-
père avaient été condamnés et qui lui-même se faisait critiquer pour sa
modération à l’égard de Thèbes (Xén., Hell., V, 4, 16 et 60, VI, 4, 5), se laissa,
lui, influencer par ses amis, qui l’invitaient à attaquer les Thébains, s’il désirait
revoir sa patrie (Hell., VI, 4, 5), c’est-à-dire échapper à une condamnation à
l’exil. Il se rendit ainsi en partie responsable du désastre de Leuctres, où il
trouva la mort.

• Motifs et châtiments
Des procès peuvent être intentés lorsque la filiation du roi est contestée :
Démarate fut démis, tandis que Léotychidas, bien que fils présumé du défunt
Agis, n’obtint pas la royauté.
Il s’agit cependant le plus souvent d’accusations, très graves, de corruption
par l’ennemi expliquant des insuccès à la guerre.
Cléomène, qui, victorieux, ne s’était pas emparé d’Argos, fut accusé de
s’être laissé acheter ; mettant en avant l’oracle trompeur qui lui avait prédit la
prise non de la ville d’Argos, mais du bois sacré du héros Argos, il réussit à se
faire acquitter (Hdt., VI, 82).
Léotychidas II, lors de son deuxième procès, fut accusé d’avoir épargné les
Thessaliens et, comme il avait été pris, dans son camp même, en flagrant délit
de corruption, « assis sur une manche pleine d’argent », il fut exilé et sa
maison, détruite (Hdt., VI, 72).
Le jeune Pleistoanax, soupçonné de s’être laissé acheter pour évacuer
l’Attique, fut condamné à une amende si forte qu’il fut obligé de s’exiler,
tandis que son conseiller Cléandridas était condamné à mort ; sur
l’intervention de Delphes, il fut cependant rétabli, avec tous les honneurs, dix-
huit ans plus tard 4 1.
Dans d’autres cas, sans accuser le roi de corruption, on s’attaqua
directement à son action militaire ou diplomatique.
Dès la mort de Cléomène, les Éginètes, maltraités par Cléomène et
Léotychidas, se retournèrent contre ce dernier et le firent condamner par les
Spartiates à leur être livré comme otage, tout en renonçant finalement à
l’emmener (Hdt., VI, 85).
Le régent Pausanias fut dans un premier procès, condamné à titre privé
pour avoir lésé des particuliers et, bien qu’acquitté du chef de médisme (Thuc.,
I, 95, 5-6 et 128, 3), il ne fut plus envoyé officiellement à l’extérieur. Comme,
selon Thucydide, il continua ses intrigues, on l’accusa de nouveau de médisme,
ainsi que de menées révolutionnaires avec les Hilotes, il fut alors arrêté par les
éphores, relâché et finalement emmuré dans le sanctuaire d’Athéna
Chalkioikos, d’où il ne fut arraché que pour mourir (Thuc., I, 131-134).
Agis II ne fut accusé, lui, ni de corruption ni de trahison, mais les
Lacédémoniens étaient mécontents, parce qu’il avait conclu une trêve avec les
Argiens au lieu de s’emparer d’Argos et qu’en outre Orchomène d’Arcadie
venait de faire défection, et ils le condamnèrent à une amende de
100 000 drachmes ainsi qu’à la destruction de sa maison. Comme il promit de
se racheter par un exploit, on lui accorda le sursis, mais une loi exceptionnelle
lui imposa 10 conseillers (sumbouloi) « sans lesquels il ne serait pas habilité à
emmener une armée hors de la cité » (Thuc., V, 63).
Un premier procès fut intenté en 403 au roi Pausanias parce qu’au lieu de
vaincre les démocrates il avait réconcilié les Athéniens. Il fut acquitté, selon
Pausanias, III, 5, 2, et la chose a dû être d’autant plus facile que Xénophon, qui
ne mentionne même pas ce procès, précise que « les éphores et l’assemblée
avaient envoyé 15 personnes à Athènes et leur avaient enjoint de réaliser, de
concert avec Pausanias, une réconciliation du mieux qu’ils pourraient », c’est-
à-dire avec pleins pouvoirs pour le faire (Hell., II, 4, 38). Il n’y avait donc
aucune faute à reprocher au roi, et ce procès devait seulement témoigner du
mécontentement de Lysandre et de ses partisans, et peut-être d’une rupture avec
l’autre roi. Un second procès lui fut intenté après la défaite d’Haliarte, où
Lysandre avait trouvé la mort : on lui reprocha d’être arrivé en retard à
Haliarte, d’avoir recouvré les morts par convention – ce qui impliquait l’aveu
de la défaite – au lieu d’avoir combattu pour les reprendre et on ressortit la
vieille affaire de 403, pour laquelle il avait pourtant déjà été acquitté, mais qui
était considérée différemment maintenant que les Athéniens étaient devenus les
adversaires de Sparte. Condamné à mort par contumace, il s’exila à Tégée, où
il mourut de maladie (Xén., Hell., III, 25).
On voit ainsi comment, à partir d’interventions légitimes, pour résoudre
un problème de succession ou punir un crime grave, réel ou supposé 4 2, de
corruption par l’ennemi, on en est venu à mettre en jugement des rois qui
n’avaient commis d’autre faute que de mener une politique qui ne plaisait pas
ou ne plaisait plus : le procès est devenu un moyen de contrôler les rois et, si
Agésilas et ses successeurs y échappent, c’est sans doute – pour Agésilas, la
chose est sûre – qu’ils font preuve de la plus grande prudence dans leurs
rapports avec les autres pouvoirs.

• Les juges
Il est d’autant plus important de préciser la procédure et notamment de
déterminer qui est habilité à juger les rois.
Le procès peut être déclenché par un accusateur privé. Ainsi, Cléomène
« est déféré devant les éphores par ses ennemis » (Hdt., VI, 82) ; Léotychidas,
qui aspire à remplacer Démarate, l’accuse sous serment en fournissant des
témoins (Hdt., VI, 65), et les Éginètes viennent se plaindre à Sparte du même
Léotychidas (Hdt., VI, 85). Il semble que les éphores eux-mêmes puissent
prendre l’initiative d’un procès : cela paraît le cas pour les deux procès du
régent Pausanias. De toute façon, ils instruisent l’affaire et soit infligent au roi
une simple amende, soit portent l’affaire devant les juges, qui pourraient être
l’assemblée, la gérousie ou un tribunal ad hoc.
L’assemblée semble être intervenue dans quatre cas. Pour Démarate,
« comme l’affaire suscitait des querelles (neikeôn) (peut-être à la gérousie ?),
il plut aux Spartiates d’interroger l’oracle de Delphes », qui, corrompu par
Cléomène, fit destituer Démarate (Hdt., VI, 66). Cléomène, dont « les paroles
paraissaient dignes de foi et vraisemblables et (qui) fut acquitté à une forte
majorité » (Hdt., VI, 82), n’a pu l’être que par l’assemblée. Quant à Agis II,
quelle que soit l’instance qui l’avait d’abord condamné, le sursis qui lui fut
accordé, assorti d’une loi (nomos) ad hominem, ne peut être le fait que de
l’assemblée. Enfin, même si le choix entre Léotychidas et Agésilas a été fait
par « les meilleurs », entendons les gérontes, il a dû être entériné par « la
cité », c’est-à-dire l’assemblée 4 3 . Un cinquième exemple pourrait être
invoqué : alors qu’Agis IV venait d’être condamné par un tribunal-croupion, sa
mère et sa grand-mère « demandaient en criant que le roi des Spartiates obtînt
de parler et d’être jugé devant les citoyens », c’est-à-dire à l’assemblée (Plut.,
Agis, 19, 10), ce qui suggère la possibilité de cette procédure, au moins en
appel.
Pour le reste, on ne voit jamais la gérousie intervenir en tant que telle,
mais, dans trois cas, est mentionné un tribunal (dikastèrion). Pour juger la
plainte des Éginètes contre Léotychidas, les Lacédémoniens, « ayant réuni un
tribunal », le jugèrent (egnôsan) coupable et le condamnèrent à être livré aux
Éginètes (Hdt., VI, 85) : l’expression, qui suggère un tribunal spécialement
réuni, et peut-être pour la première fois, ne pourrait convenir pour la gérousie.
Pour le deuxième procès de Léotychidas, il est aussi indiqué qu’il avait été
traduit devant un tribunal (Hdt., VI, 72) et, là encore, le mot est employé sans
article. La composition du tribunal est précisée à propos du premier procès du
roi Pausanias, qui, si l’on en croit le Périégète, bien renseigné, puisqu’il
indique même le détail du vote, aurait été jugé par les 28 gérontes, l’autre roi
et les 5 éphores (Paus., III, 5, 2) : c’est, selon l’auteur, le tribunal qui était
habilité à juger les rois et il n’y a pas de raison de récuser son témoignage, au
moins pour tous les cas où il s’agit de tribunal et non d’assemblée. On peut
même trouver une allusion à ce tribunal dans le procès bâclé d’Agis IV, où
l’on voit l’autre roi, Léonidas, les éphores et « les gérontes qui étaient de leur
parti » juger et condamner Agis (Plut., Agis, 19, 5-8).
Que les rois soient déférés devant une gérousie élargie ou devant une
assemblée présidée par les éphores, dans tous les cas ces procès accroissent les
possibilités d’action des autres organes et notamment de l’éphorat à leur égard.

La navarchie 4 4

Les rois sont aussi affaiblis par la nomination des navarques.


En effet, au Ve siècle, Sparte dut affronter l’invasion perse, le tremblement
de terre suivi de la révolte messénienne et une guerre interminable et épuisante
contre Athènes. Comme il lui fallait mobiliser toutes ses forces et souvent
envoyer des expéditions au loin, se posa le problème du commandement : les
rois ne suffisaient plus et il était nécessaire de contrôler des chefs qui se
trouvaient loin de Sparte.
Il y avait sans doute déjà eu auparavant des expéditions qui n’étaient pas
dirigées par des rois, mais il s’agissait d’expéditions limitées, sans
mobilisation importante de l’armée civique. Ainsi, une petite expédition
dirigée par Anchimolos (ou Anchimolios) ayant échoué (Hdt., V, 63), les
Lacédémoniens en envoyèrent une plus importante, par voie de terre, sous le
commandement du roi Cléomène, qui renversa les Pisistratides (Hdt., V, 63-
65). De même, le contingent de 2 000 hommes arrivé en retard à Marathon ne
paraît pas avoir été dirigé par un roi (Hdt., VI, 120).
La deuxième guerre médique fournit deux exemples de chefs d’expédition
qui ne sont pas des rois : le polémarque 4 5 Euainétos commande les
Lacédémoniens envoyés à Tempè en 480 (Hdt., VII, 173), tandis qu’Eurybiadès
est le commandant de la flotte (navarque) qui combat à l’Artémision et à
Salamine (Hdt., VIII, 42). Mais la chose reste exceptionnelle, comme le
suggère Hérodote en signalant dans les deux cas qu’il s’agissait « d’un
Spartiate, mais qui n’était pas de race royale ». D’autre part, la flotte des
coalisés, très peu lacédémonienne, n’était pas assimilable à l’armée civique, et
les rois aussi pourront en prendre le commandement, ainsi Léotychidas à
Mycale en 479, tandis que le régent Pausanias, avant son remplacement par
Dorkis, dirigeait les opérations dans l’Hellespont.
A partir de 430, alors qu’il fallait affronter Athènes à la fois sur mer et sur
terre, tout en laissant un roi emmener l’armée civique en expédition en Attique,
on désigna systématiquement 4 6 des navarques. Ceux-ci sont nommés par la
cité, c’est-à-dire vraisemblablement par l’assemblée, sur proposition des
éphores ou, peut-être, des rois, mais pas par les rois eux-mêmes 4 7 . Thucydide
(II, 80), évoquant l’envoi par les Lacédémoniens, en 429, de Cnémos, « qui
était encore navarque », suggère en effet une charge annuelle et non une simple
délégation de pouvoir pour une campagne ; d’ailleurs, même si Cnémos se
rend en Acarnanie par la voie maritime, il s’agit en l’occurrence de combattre
sur terre, à la tête de 1 000 hoplites.
Les Spartiates en viennent même à organiser dans le détail cette nouvelle
charge de navarque en lui adjoignant comme commandant en second un
secrétaire (épistoleus ou, plus rarement, épistoliaphoros) et comme
commandant en troisième un officier de bord (épibatès). Nommé pour un an,
le navarque n’est pas renouvelable : malgré les demandes pressantes des alliés
ioniens et de Cyrus, Lysandre ne peut, en 405, être envoyé que comme
commandant en second, « car il n’est pas légal (nomos) chez eux (sc. les
Lacédémoniens) que le même homme soit deux fois navarque » (Xén., Hell., II,
1, 7) et cette règle n’a pas été édictée uniquement contre lui, car, auparavant,
aucun navarque n’avait exercé deux fois la navarchie.
Mais on peut ruser avec la loi. Arakos, qui reçoit le titre de navarque, n’est
qu’un homme de paille, et, avec seulement le titre d’épistoleus, Lysandre est en
fait le véritable chef 4 8 . C’est peut-être aussi le cas de Téleutias, qui, deux ans
avant d’avoir le titre de navarque, en exerce, dès 392, les fonctions, sous le
commandement théorique de son demi-frère Agésilas.
Ces navarques, étant des magistrats et non des rois, étaient, comme tout
magistrat, sous le contrôle direct des éphores, qui pouvaient les destituer 4 9 et
les faire condamner. En 412-11, ils envoyèrent ainsi une commission de
11 conseillers (sumbouloi), chargée d’enquêter sur le navarque Astyochos, qui
avait suscité des plaintes, et éventuellement de le destituer et de le remplacer.
En 390, Ekdikos fut remplacé par Téleutias et renvoyé à Sparte (Xén., Hell.,
IV, 8, 23), tandis qu’en 409 Pasippidas, vraisemblablement navarque, avait été
remplacé par Cratésippidas et banni de Sparte (Xén., Hell., I, 1, 32). Même le
vainqueur d’Athènes, l’ancien navarque Lysandre, accusé par Pharnabaze et
rappelé à Sparte, préféra, par crainte des éphores, demander l’autorisation de
partir consulter l’oracle d’Amon (Plut., Lys., 18, 7 et 19-21, 1).
Ces chefs militaires, qui sont ainsi sous le contrôle des éphores mais non
des rois, peuvent entrer en concurrence avec ces derniers, soit pendant leur
navarchie, comme Antalcidas en face d’Agésilas, soit après leur navarchie, du
fait du prestige que celle-ci leur a permis d’acquérir, comme Lysandre en face
du même Agésilas, son ancien protégé qui entend bien s’émanciper. C’est
pourquoi, comme le rappelle Aristote (Pol., II, 9, 1271a 37-41), « la loi sur les
navarques a été à juste titre blâmée par d’autres, car elle se montre cause de
dissensions (stasis) ; en effet, à côté des rois, qui sont des stratèges perpétuels,
la navarchie constitue presque une autre royauté ».
La parade, pour des rois puissants comme Agésilas, capables d’influencer
éphores et assemblée, sera de faire nommer des proches comme navarques.
Mais la nécessité d’utiliser de tels moyens ainsi que les efforts pour éviter de
passer en jugement montrent bien le pouvoir dont les rois ont été dépossédés.

AGÉSILAS ET LE RENOUVEAU ROYAL

Il ne faudrait pas, cependant, surestimer le changement : le pouvoir royal


change de forme sans nécessairement diminuer.
Dans La Politique (II, 9, 1270b 14-17), pensant vraisemblablement à
Agésilas, Aristote assure, en une formule surprenante, que les rois « étaient
contraints de dèmagôgein 50 les éphores », entendons « d’agir en démagogues à
leur égard », et qu’en conséquence « on passait de l’aristocratie à la
démocratie ».
Cette « démagogie » implique flatterie ou, au moins, déférence. Comme le
souligne Plutarque (Agés., 4, 5), Agésilas, contrairement à ses prédécesseurs,
était aux petits soins (éthérapeue) avec les éphores : il les consultait avant toute
action ; il se levait devant eux et s’empresssait d’accourir à leurs convocations,
alors qu’il était seulement permis aux éphores de rester assis devant les rois et
que ceux-ci (cf. Plut., Cléomène, 10, 5) n’étaient obligés d’obtempérer qu’au
troisième appel. Cette attitude devait être payante, car aucune opposition
d’éphores n’est réellement attestée et, malgré les échecs de sa politique, il ne
fut jamais mis à l’amende 51.
Agésilas s’efforçait de même de se gagner l’appui des gérontes : il offrait
« à tout nouveau géronte 52 un manteau (chlaina) et un bovin » (Plut., Agés., 4, 5
et De l’amour fraternel, 482d) et, en permettant, contre toute attente,
l’acquittement de Sphodrias, il acquit un titre de reconnaissance de la part de la
faction qui soutenait Sphodrias et l’autre roi 53 .
Il cherchait ainsi, en leur rendant service, à désarmer l’hostilité de ses
ennemis. C’est pourquoi il avait sans doute vu d’un bon œil les liens
pédérastiques qui unissaient son fils à celui de Sphodrias et, alors que les deux
rois étaient souvent en conflit, il se concilia le jeune Agésipolis en favorisant
ses amours pédérastiques (Xén., Hell., 5, 3, 20 et Plut., Agés., 20, 8-9).
Xénophon (Agés., 7, 3) affirme qu’il traitait ses ennemis politiques comme un
père, ses enfants, et Plutarque (Agés., 20, 6 = Apopht. lacon., 212d) prétend
même qu’il laissait des adversaires accéder à des charges ou à des
commandements pour pouvoir gagner leur reconnaissance lorsqu’ils étaient
accusés de malversations.
Il s’efforçait surtout de se gagner des amis ou des partisans. Il élargit déjà
sa base familiale en laissant à ses frères utérins la moitié de l’héritage de son
frère Agis (Xén., Agés., 4, 5, et Plut., Agés., 4, 1) et en faisant nommer
navarque son frère utérin Téleutias ; il complut aussi à sa propre femme 54 et à
sa famille en nommant lui-même navarque son beau-frère Peisandros 55. Il
profitait aussi des possibilités de butin pour enrichir ses amis (Xén., Agés., 1,
19).
Mais il lui fallait aussi obtenir l’appui de la majorité des citoyens, surtout
depuis que Lysandre avait cessé d’être son protecteur pour devenir son ennemi.
L’image du roi simple, proche de son peuple, est trop systématique pour être
seulement un trait de caractère : c’est aussi un rôle que l’aimé du rusé Lysandre
a su jouer sciemment tandis que son protégé Xénophon orchestrait le thème du
roi démocratique qui se distingue peu des autres citoyens : « Les honneurs que
le roi reçoit à Sparte de son vivant ne dépassent pas beaucoup ceux des simples
particuliers » (Rép. Lac., 15, 8). N’étant pas destiné à régner, Agésilas avait été
soumis à l’« agôgè », ce qui, selon Plutarque, Agés., 1, 5, l’avait rapproché du
peuple 56 et, le rendant populaire, avait favorisé son élévation à la royauté (3,
5). Nombreuses sont les anecdotes censées montrer la simplicité de son
existence tant à Sparte qu’à l’armée 57 . Dès l’adolescence, on le voit, fils cadet
du roi, accepter une place sans gloire dans un chœur des Gymnopédies (Plut.,
Apopht. lac., 208d). Contrairement aux aristocrates de son époque, il habite une
maison sans luxe, dont les portes n’ont pas été rénovées, et fait, aux
Hyakinthies, arriver sa fille sur un simple chariot public (Xén., Agés. VIII, 7, et
Plut., Agés., 19, 7-8). Il ne fait pas courir de chars à Olympie et se contente de
laisser sa sœur Kyniska se glorifier de ses victoires.
Mais sa déférence aux autorités et la simplicité de sa vie, ainsi que son
physique peu majestueux – il était petit et boitait 58 – n’en faisaient pas pour
autant un roi faible. Xénophon fait l’éloge de ce roi qui, « étant le plus puissant
dans la cité, se montrait clairement le plus grand serviteur des lois » (Agés., 7,
2). Quant à Plutarque, il lie encore mieux l’attitude d’Agésilas et la puissance
qu’il en tirait : « Il donnait ainsi l’impression de respecter et d’accroître la
dignité de leur magistrature (sc. des éphores et des gérontes) mais on ne voyait
pas qu’il augmentait sa propre puissance (dunamis) et qu’il ajoutait à la royauté
une grandeur qui venait de sa popularité (eunoia). » Quand Aristote parlait de
démagogie à l’égard des éphores et d’une aristocratie qui dégénérait en
démocratie, il ne faut pas oublier que c’était Agésilas qui jouait le rôle du
démagogue et accroissait ainsi son influence.
De fait, avec ses « amis », fréquemment mentionnés, ses « clients », dont il
s’efforce d’accroître le nombre, et les solliciteurs (citoyens, étrangers ou
même Hilotes) qui l’entourent dès qu’il sort (cf. Xén., Hell., V, 4, 28), il
préfigure déjà le roi hellénistique. Sous des dehors modestes, il en est venu à
exercer un pouvoir exceptionnel à la fois sur Sparte 59 et sur l’ensemble de la
Grèce. C’est le seul roi qui ait pu obtenir simultanément le commandement
suprême sur mer et sur terre et nommer lui-même un navarque (Xén., Hell., III,
4, 27-28). Il est choisi comme législateur extraordinaire pour décider du sort
des Spartiates revenus vivants de la bataille de Leuctres (Plut., Agés., 30, 2-6). Il
domine suffisamment le système politique pour obliger l’autre roi à diriger à
contrecœur des expéditions qu’il n’approuve guère, ainsi Agésipolis contre
Mantinée ou Olynthe ou Cléombrotos contre Thèbes. Si la paix d’Antalcidas
était contraire à sa politique antiperse, elle était indispensable, et Agésilas, en
affectant d’y être opposé, a peut-être été bien aise de rejeter sur un autre
l’opprobre d’avoir abandonné les Grecs d’Asie. De toute façon, c’est lui qui
profite de cette paix pour renforcer la domination spartiate en Grèce et mener
une politique violemment antithébaine.
Quelles que soient les conséquences désastreuses de sa politique, qui
amène la perte de la Messénie et l’éclatement de la Ligue du Péloponnèse, on
ne voit jamais Agésilas ni soumis à un procès ni mis à l’amende. Autant dire
que, même si sa politique à l’égard de Phlionte, d’Athènes ou de Thèbes
pouvait susciter des oppositions, il avait suffisamment domestiqué, en général
par la douceur 60 , les différents pouvoirs pour avoir la possibilité d’agir
comme il le souhaitait.
Aussi Agésilas, dont le long règne marque à la fois l’apogée de Sparte et
son déclin irrémédiable, apparaît-il comme le roi à la fois le plus puissant et le
plus respectueux des institutions.
2. Les éphores 61
Les éphores paraissaient si caractéristiques de Sparte que les oligarques
athéniens de 404 constituèrent, à leur imitation, un comité secret de 5 éphores
(Lysias, Contre Eratosthène, 43) 62; Aristote (Pol., II, 10, 1272a 4-7) confirme
leur rôle prédominant en leur attribuant le même pouvoir qu’aux kosmes
crétois.

CRÉATION ET POUVOIR ORIGINEL

On ne sait quand ils sont apparus et le problème est compliqué par les
polémiques entre Spartiates et, notamment, les luttes entre rois et éphores.
Ainsi le roi Pausanias, exilé au début du IVe siècle, aurait, selon Aristote (Pol.,
V, 1, 1301b 20-21), voulu abolir l’éphorat et ses écrits polémiques ont dû
exercer une certaine influence sur les historiens antiques. Quant aux rois
révolutionnaires, Agis IV et surtout Cléomène III, tenant à affirmer la
supériorité des rois, ils avaient tout intérêt à suggérer que l’éphorat était une
création relativement récente 63 .
Pour Hérodote, qui n’insiste pas, Xénophon, Satyros, cité par Diogène
Laërce, et l’auteur de la lettre VIII attribuée à Platon, l’éphorat serait, comme
en général toutes les institutions spartiates, une création de Lycurgue. Aristote
(Pol., V, 11, 1313a 26-33), qui devait avoir accès au texte de la grande rhètra,
dans lequel les éphores n’étaient pas mentionnés 64 , y voit au contraire une
création du roi Théopompe, qui a assuré la pérennité du régime ; Platon, sans
mentionner expressément Théopompe, évoque dans les Lois (III, 692a), après
le dieu qui avait fait naître les jumeaux et ainsi donné naissance à la double
royauté et le personnage à la nature à la fois divine et humaine (à savoir
Lycurgue) qui avait créé la gérousie, le troisième sauveur qui introduisit
comme élément modérateur « la puissance des éphores ».
D’autres sources évoquent Chilon, qui aurait, au VIe siècle 65, selon Diogène
Laërce (I, 68), « le premier proposé d’associer (parazeugnunai) des éphores
aux rois », ce qui correspond sans doute plus à un accroissement de leur
importance 66 qu’à leur création. Quant à Astéropos, qui, selon Cléomène III
(Plut., Cléomène, 10, 5), aurait été « le premier à renforcer et à étendre le
pouvoir des éphores, il n’était devenu éphore que de nombreuses générations
après » la création de l’éphorat.
Ces datations ne sont pas innocentes, car, si l’éphorat ne date pas de
Lycurgue, il se réduit à un ajout postérieur, qu’on peut ou même qu’on doit
supprimer pour revenir à la véritable constitution de Lycurgue, de plus en plus
idéalisée.
En fait, l’institution paraît assez ancienne. Déjà attribuée à Lycurgue à
l’époque d’Hérodote, elle saurait d’autant moins être très récente que
l’historien voit, dès le milieu du VIe siècle, les éphores intervenir, avec autorité,
auprès du roi Anaxandridas. Le « procédé trop puéril » utilisé pour les élire,
sans doute le même que celui qui était utilisé pour élire les gérontes 67 et
qu’Aristote qualifie aussi de « puéril », convient bien à une institution
archaïque, mais le conservatisme institutionnel des Spartiates interdit de trop se
fonder là-dessus. On peut davantage s’appuyer sur l’existence d’éphores dans
des colonies de Sparte : on en trouve en effet à Thèra, à Cyrène, fondée vers
630, et, surtout, sinon à Tarente, fondée à la fin du VIIIe siècle, mais dont nous
ne connaissons pas suffisamment les institutions, au moins dans sa colonie
d’Héraclée de Siris, qui a dû en emprunter les institutions. Aussi n’est-il pas
impossible d’admettre les indications antiques, qui font débuter la liste des
éphores en 757 ou 755. Mais, comme ils ne sont pas mentionnés dans la
grande rhètra, il faut admettre que, même s’ils étaient ou étaient devenus
éponymes, ils ne jouaient à l’origine qu’un rôle mineur.
Certains historiens modernes ont, pour leur part, spéculé sur leur
dénomination en se fondant aussi sur quelques survivances archaïques 68 .
Comme leur nom signifie manifestement « ceux qui regardent, observent,
surveillent » et qu’un éphore du nom d’Astéropos aurait joué un rôle important
dans l’histoire de l’éphorat, on a voulu, en utilisant un passage de la Vie d’Agis
(11, 5), voir dans les premiers éphores un collège d’astrologues. Cependant,
comme l’avait déjà souligné V. Ehrenberg 69 , Astéropos signifie non « celui
qui regarde les astres », mais « celui qui a une apparence, un regard, des yeux
semblables aux astres ». Et, surtout, on a attaché une importance démesurée aux
quelques lignes de Plutarque qui signalent que tous les 8 ans les éphores
observent le ciel par une nuit sans lune et que, s’ils aperçoivent une étoile
filante 70 , les rois, considérés comme fautifs à l’égard des dieux, sont
suspendus jusqu’à l’obtention d’un oracle de Delphes ou d’Olympie. Il s’agit
des rois et non d’un roi, ce qui est logique, car comment l’étoile filante
pourrait-elle indiquer lequel des deux a commis une faute, et on se contente de
suspendre provisoirement les rois sans les démettre. Même si, dans une
situation révolutionnaire, ce vieil usage a été utilisé comme moyen d’ébranler
un roi qu’on va démettre sous d’autres prétextes, il est absurde de se fonder sur
le passage de Plutarque pour expliquer toutes les destitutions de l’histoire de
Sparte.
Il est plus raisonnable de rattacher le mot éphore à l’idée, habituelle pour
éphoran, de surveiller les choses (« les affaires de la cité », pour la Souda) ou
les gens (« tout le monde », pour l’Etymologicum magnum).

LEUR POUVOIR THÉORIQUE À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

Selon Aristote (Pol., II, 9, 1270b 6-36), les éphores exercent les plus
grands pouvoirs 71, car leur charge (archè), considérée comme la plus
importante (mégistè), leur donne une autorité souveraine (kuria) sur les plus
grandes affaires, notamment dans les procès. C’est, aux yeux du philosophe, un
pouvoir excessif, qu’il qualifie d’égal à celui des tyrans 72, dans la mesure où il
s’exerce sans contrôle et sans recours, comme le marque le terme kurios
(maître absolu), qui apparaît deux fois dans le passage ; et l’on comprend qu’il
ait pu, à Athènes, servir de modèle aux Trente. Mais ce jugement montre
surtout la surprise des Grecs et même d’un philosophe et politologue aussi
averti qu’Aristote devant ce qui ressemble à un gouvernement, avec un
directoire élu qui décide à la majorité 73 , alors que, dans une cité comme
Athènes, la permanence est bien assurée par les 50 prytanes, qui changent tous
les mois, mais on y chercherait en vain un gouvernement.

• Conformément à leur nom et à ce qui fut sans doute leur rôle initial, les
éphores exercent d’abord une fonction de surveillance générale de la société,
en préservant l’ordre public aussi bien en ce qui concerne les mœurs que dans
le domaine politique, où il s’agit avant tout de veiller à la sûreté de l’État.
Cette surveillance s’exerce sur toutes les catégories de la population et
d’abord sur les Hilotes, qu’il faut maintenir dans leur état de sujétion en ne
laissant jamais disparaître l’écart qui les sépare des citoyens. Les éphores
peuvent aussi intervenir dans les cités périèques, puisque, lors de la
conspiration de Cinadon, ils feignent de charger celui-ci d’arrêter à Aulon,
dans une cité périèque, outre des Hilotes, des Aulonites (donc des Périèques) et
notamment « une femme qui avait la réputation de débaucher tous ceux qui y
arrivaient de Lacédémone » (Xén., Hell., III, 3, 8).
Ils surveillent aussi étroitement les citoyens en les obligeant à respecter les
règles, même dans leur aspect physique : selon Aristote, cité par Plutarque
(Cléomène, 9, 3 et Mor. 550b), « en entrant en charge, les éphores font
ordonner par le héraut de se raser la moustache et d’obéir aux lois, si l’on veut
éviter leurs rigueurs » ; les masques en terre cuite barbus mais sans moustache
semblent indiquer que la première prescription était bien respectée 74 , encore
que, selon Plutarque, cette obligation paraisse concerner surtout les néoi (de 20
à 30 ans) (cf. Plut., Cléomène, 9, 3, et N. Richer, Les Éphores, p. 251-255).
Il est vrai que les éphores contrôlent particulièrement ces jeunes : selon des
sources tardives (Agatharchidès, FGH 86, fr. 10 = Athénée XII, 550c-d, et
Élien, 14, 7), ils leur imposent un examen physique tous les 10 jours et
inspectent tous les jours leur habillement et leur literie. Le pédonome leur
défère aussi ceux qui, malgré l’intervention d’un adulte, ont refusé
d’interrompre leurs combats mutuels (Xen, Rép. Lac., IV, 6).
Ils contrôlent aussi les magistrats et Xénophon (Rép. Lac., VIII, 4), faisant
l’éloge de leur autorité, qui leur permet d’infliger des amendes, de révoquer
sur-le-champ, d’emprisonner ou d’intenter une action capitale, note qu’ils
n’ont pas à attendre (comme à Athènes) une reddition de comptes en fin
d’année, mais que, « dès qu’ils surprennent quelqu’un qui contrevient à la loi,
ils le punissent immédiatement ».
Ce pouvoir de contrôle s’exerce même sur les rois. Les éphores se
soucient d’abord d’assurer la régularité de la succession royale : ils imposent
ainsi une deuxième épouse à Anaxandridas (Hdt., V, 39-40), assistent à
l’accouchement de sa première femme pour éviter toute supposition d’enfants
(Hdt., V, 41) et sont amenés à témoigner à propos de la filiation de Démarate
(Hdt., VI, 63 et 65). Ils en viennent même à contrôler le roi en campagne,
puisque deux d’entre eux accompagnent habituellement le roi 75, sans qu’on
sache s’il s’agit d’une nouveauté suscitée par le « divorce d’Éleusis », les deux
éphores remplaçant le deuxième roi, qui ne participe plus à l’expédition, ou, si
c’est au contraire une survivance, les deux rois ayant initialement été chacun
secondé par un éphore 76 .

• Cette surveillance générale de la société lacédémonienne s’appuie sur un
grand pouvoir de coercition, à la fois pouvoir de police et pouvoir judiciaire.
Les éphores sont habilités à imposer librement, même aux rois 77 , des
amendes, qu’ils perçoivent immédiatement ; il est cependant possible qu’il y ait
un montant maximal, car il semble qu’une amende énorme comme les 100 000
drachmes qu’on voulait imposer à Agis II (Thuc., V, 63) n’aurait pu l’être par
les seuls éphores.
Ils peuvent aussi emprisonner toute personne, même un roi, comme le
régent Pausanias ou le roi Agis IV ; mais, si Thucydide (I, 131, 2) note que
« les éphores ont le droit de traiter ainsi le roi », la chose reste tout à fait
exceptionnelle.
Ils ont un droit de vie et de mort sur les Hilotes, comme le montrent aussi
bien la répression de la conspiration de Cinadon que l’utilisation des kryptes 78 .
Selon Isocrate (Panath., 181), ils auraient même « le droit de mettre à mort
sans jugement autant (de Périèques) qu’ils le désirent » ; mais il s’agit d’un
texte très polémique et, même si la chose est confirmée par le parallèle des
Trente 79 , elle devait rester peu fréquente.
Ce pouvoir de police est complété par un pouvoir judiciaire. A côté des
quelques cas qui relèvent des rois, les éphores jugent eux-mêmes les affaires
de droit civil fondées sur des contrats (ta sumbolaia). Ils le font
individuellement 80 , peut-être en se spécialisant, puisque, comme l’indique
Aristote (Pol., III, 1, 1275b 9-10), de ces affaires, « les éphores jugent, les uns,
les unes et les autres, les autres ». Ils jugent en équité et en dernière instance, ce
que regrette le philosophe (Pol., II, 9, 1270b 28-31) : « Ils décident
souverainement dans des jugements importants, bien qu’ils soient les premiers
venus ; c’est pourquoi il vaudrait mieux qu’ils jugent non de leur propre chef
mais en se fondant sur des textes écrits et sur les lois. » Plutarque (Apopht. lac.,
221b) ajoute que ces jugements ont lieu tous les jours et que, selon
Eurukratidas, le fils d’Anaxandridas (peut-être à corriger en Anaxandros)
(VIe siècle), si les éphores rendent tous les jours des jugements, c’est « pour
que nous ayons confiance les uns dans les autres au milieu des ennemis ».
Quant aux affaires pénales, de meurtre (cf. Pol., III, 1, 1275b 10), de
violence ou d’atteinte à la sûreté de l’État, elles sont, du moins quand il s’agit
de citoyens, du ressort de la gérousie, mais les éphores assurent l’instruction et
mènent l’accusation devant la gérousie, où il semble qu’ils aient obtenu le droit
de vote. C’est au moins ce que suggère le procès du roi Pausanias, acquitté par
un tribunal composé des 28 gérontes, de l’autre roi et des 5 éphores, tribunal
qui aurait voté au grand jour, puisque Pausanias (III, 5, 2) peut détailler le vote
de chaque catégorie.

• Le plus important reste le pouvoir exécutif ou, si l’on préfère,
gouvernemental, exercé collectivement par les éphores, qui décident à la
majorité 81 et dont le bureau (éphoreion) constitue le centre du pouvoir à
Sparte.
Ceux-ci assurent la permanence, alors que les rois sont souvent absents :
ils prennent ainsi toutes les décisions urgentes, comme l’envoi d’une
expédition ou la répression, dans le plus grand secret, de la conspiration de
Cinadon.
Ils gèrent les relations avec l’extérieur et reçoivent les ambassadeurs,
qu’ils introduisent à l’assemblée : ce sont eux, par exemple, qui, en 404, après
les avoir d’abord refoulés, permettent à Théramène et aux autres envoyés
athéniens de venir négocier à Sparte (Xén., Hell., 2, 2, 13 et 19). Ils se
substituent ainsi au roi, qu’au VIe siècle l’envoyé samien ou ionien allait voir
en premier, dans la mesure où la guerre était du ressort des rois.
Enfin, et surtout, ils préparent le travail de l’assemblée, président ses
débats et exécutent ses décisions. La formule de Xénophon (Hell., III, 2, 23 et
IV, 6, 3, et cf. II, 4, 38) : « Il a plu aux éphores et à l’assemblée 82 » leur
reconnaît, au moins au IVe siècle, un pouvoir probouleutique qui rappelle celui
du Conseil des Cinq-Cents à Athènes et qui, dans la grande rhètra, était accordé
aux rois et aux gérontes. L’éphore Sthénélaïdas préside ainsi l’assemblée qui,
en 432, décide de lancer Sparte dans la guerre du Péloponnèse et la façon dont
il organise le vote ainsi que la manière de poser la question n’ont sans doute
pas été sans conséquences pour le vote final 83 . Les éphores proclament la
mobilisation (phrouran phainein) conformément aux décisions de l’assemblée,
désignent le chef de l’expédition, soit librement, soit conformément à ce qui a
été décidé par l’assemblée, affectent les cavaliers à leurs montures et
réunissent le matériel.
Ce pouvoir gouvernemental est justifié dans la mesure où, comme la
Boulè à Athènes, ils sont censés représenter le peuple, ce qui permet à Cicéron
(Rép., II, 3 et Lois, III, 7) de les comparer aux tribuns de la plèbe. Ils sont, en
effet, élus par le peuple et dans le peuple pour un an, à la nouvelle lune qui suit
l’équinoxe d’automne. Si la procédure est la même que pour les gérontes, il
faut supposer qu’ils font acte de candidature, ce qu’Aristote n’indique pas,
alors qu’il critique la chose à propos des gérontes, mais son texte, polémique,
est loin d’être exhaustif. En tout cas, ils se font élire, soit du fait de la politique
qu’ils défendent 84 et, le scrutin étant majoritaire, les 5 éphores risquent d’être
de la même tendance, soit grâce à leur prestige personnel : ainsi Brasidas avait
eu l’occasion de se distinguer et de recevoir un éloge public (épainos) avant de
se faire élire à l’éphorat. L’un d’entre eux est éponyme, mais, même s’il figure
avant ses collègues sur les documents officiels comme la paix de Nicias 85, cela
n’implique pas nécessairement un pouvoir accru, d’autant plus que nous
ignorons si c’est le mieux élu, le plus âgé ou celui qui est désigné par ses
collègues, voire, ce qui est peu vraisemblable, par le tirage au sort.
Représentant la cité, ils sont à égalité avec les rois, comme l’impliquent le
serment mutuel que rois et éphores se prêtent tous les mois ainsi que le droit de
rester assis devant les rois. Cependant, sauf Agésilas, qui ne recule pas devant
une certaine démagogie, les rois non plus ne se lèvent pas devant eux. Si les
rois sont mentionnés avant eux dans les traités, ce sont eux qui convoquent les
rois et non l’inverse, et c’est même un privilège des rois de n’être obligés
d’obéir qu’à la troisième convocation.

LEUR PUISSANCE EFFECTIVE

Le grand pouvoir des éphores peut être, en fait, limité par des facteurs
politiques et sociaux et par l’opposition éventuelle des rois.

• Certaines limites politiques interdisent de voir en eux de quasi-tyrans.
D’abord, ils sont cinq et les cinq ne sont pas nécessairement unanimes. Ensuite,
ils ne sont élus que pour un an et ne sont pas rééligibles, au moins
immédiatement 86 : il suffit qu’Agésilas, l’oncle d’Agis IV, s’efforce de se
faire proroger pour qu’on l’accuse d’aspirer à la tyrannie. Ils peuvent être
condamnés à leur sortie de charge à l’initiative des nouveaux éphores. Aristote
(Rhét., III, 1419a) évoque ainsi un éphore, dont les collègues ont été
condamnés à mort et qui reconnaît que leur mort était juste, mais cherche à se
dédouaner en affirmant que, s’il avait proposé les mêmes mesures qu’eux,
c’était non pour de l’argent, mais de propos délibéré (gnômèi). On voit de
même l’éphore Lysandre, qui avait soutenu Agis IV, mis en jugement par ses
successeurs (Plut., Agis, 12, 1). Ces deux exemples, où il s’agit d’une action
judiciaire comme les nouveaux éphores pourraient en intenter à tout citoyen,
ne suffisent pas pourtant pour qu’on puisse affirmer, comme certains
historiens, que les éphores sont systématiquement soumis à reddition de
comptes en fin de charge.

• Leur puissance pourrait cependant être limitée par leur origine sociale.
Selon Aristote (Pol., II, 9, 1270b 8-10), les éphores sont pris « dans l’ensemble
du peuple de sorte que souvent sont précipités dans cette charge des hommes
très pauvres, que leur misère (aporia) rendait vénaux ». Cette présentation
polémique, qui veut souligner l’inadéquation entre les hommes et la fonction,
paraît excessive, car un homme très pauvre ne pourrait payer sa part des
syssities et perdrait donc, selon Aristote lui-même, son statut de citoyen de
plein droit. D’autre part, Manfred Clauss 87 a bien montré que, les ambitieux
aspirant à devenir éphores ou navarques, un certain nombre d’éphores
appartenaient aux milieux dirigeants et, de toute façon, une élection, même
« puérile », n’est jamais aussi égalitaire que le tirage au sort.
Quelques cas montrent bien que les éphores ne sont pas nécessairement les
premiers venus. Brasidas, éphore en 431-30, est un chef militaire de grande
valeur : il a été le premier à recevoir un éloge public pendant la guerre du
Péloponnèse et, après son éphorat, il est ensuite lieutenant de navarque,
triérarque et enfin chef de l’expédition qu’on envoie en Thrace. L’éphore de
419-18 est probablement le Léon qui avait triomphé à Olympie avec les
chevaux de son père. Son fils Antalcidas 88 , qui conclut la paix avec les Perses,
a été navarque et éphore. Quant à Endios, éphore en 413-12, il est le fils d’un
Alcibiade que des liens d’hospitalité associaient à la famille de l’Athénien
Alcibiade – d’où, sans doute, le nom de l’Athénien – et appartient donc à la
haute aristocratie.
Cependant, si ces exemples amènent à nuancer l’affirmation d’Aristote et
s’il faut faire la part de l’esprit systématique du philosophe, qui l’incite à
souligner l’aspect démocratique de l’éphorat, il est difficile d’admettre qu’il
aurait pu s’exprimer comme il l’a fait si, à son époque, les éphores étaient le
plus souvent d’origine aristocratique. Aussi peut-on se demander si, après
Leuctres et Chéronée, les couches dirigeantes spartiates ne se sont pas moins
intéressées à la politique et si, de toute façon, étant donné le nombre réduit de
citoyens de plein droit, ceux-ci, quel que fût leur milieu social, n’avaient pas la
plus grande chance, s’ils le souhaitaient, de devenir éphores.

• La puissance des éphores pourrait aussi être affectée par leurs conflits
avec les rois. Ainsi l’éphore Sthénélaïdas et le roi Archidamos s’opposent à
propos de la guerre à faire à Athènes, de même l’éphore Endios et le roi
Agis II, à propos des opérations à mener en Ionie et de la confiance à accorder
à Alcibiade, hôte héréditaire d’Endios mais amant de la femme d’Agis. Dans
les deux cas, c’est la politique défendue par l’éphore qui a triomphé. En 421-
20, deux éphores, Cléoboulos et Xénarès, aidés de leurs amis, essaient de
« torpiller » la paix de Nicias (Thuc., V, 36-38). Enfin, selon Plutarque
(Agésilas, 23, 3), l’ancien éphore Antalcidas aurait conclu la paix qui porte son
nom en s’opposant au roi Agésilas.
Cependant, ces quelques exemples ne permettent pas de parler d’un lutte
continuelle entre rois et éphores, car non seulement les éphores changent tous
les ans, mais ni les uns ni les autres ne sont nécessairement unanimes : le plus
souvent, les cinq éphores ne s’opposent pas aux deux rois, mais chaque roi est
soutenu par une partie des éphores. Ceux-ci ne sont pas les ennemis des rois,
mais leur sont indispensables pour agir. Déjà, au VIe siècle, pour chasser
Maiandrios, Cléomène devait aller voir les éphores et les convaincre qu’il était
de l’intérêt de Sparte d’expulser le Samien du Péloponnèse (Hdt., III, 148). Au
e
IV siècle, Aristote en vient même à dire étrangement que les rois sont obligés
de faire de la « démagogie » à leur égard (Pol., II, 9, 1270b 14-15) 89 ,
entendons de les séduire et éventuellement de les corrompre. D’ailleurs, les
éphores qui soutiennent un roi particulier peuvent se voir entraîner dans la
même disgrâce : ainsi, tandis qu’en 446 le roi Pleistoanax est exilé, son
conseiller Cléandridas, dont il n’est cependant pas sûr qu’il ait été éphore, est
condamné à mort par contumace ; quant à l’éphore Naukleidès, qui avait
soutenu, en 403, la politique athénienne du roi Pausanias (Xén., Hell., II, 4, 36),
il se fait attaquer à l’assemblée par Lysandre, qui lui reproche… son
embonpoint (Agatharchidès, in Athénée, XII, 550d).
3. La gérousie
La gérousie se distingue par son recrutement et ses pouvoirs, mais son
importance réelle reste discutée.

• Elle est constituée de 28 vieillards, d’au moins 60 ans, âge auquel on
cesse d’être astreint au service militaire. Ceux-ci, après avoir fait acte de
candidature, sont élus à vie par acclamation, selon une procédure décrite par
Plutarque (Lyc., 26, 3-8) : les candidats passent dans un ordre tiré au sort
devant les Spartiates réunis en assemblée et des juges, enfermés dans une
maison voisine, d’où ils ne peuvent voir la scène, notent l’intensité des cris au
passage de chacun ; « on proclamait élu celui qui avait obtenu les cris les plus
nombreux et les plus forts. »
L’élection à la gérousie est particulièrement honorifique. Le nouveau
géronte fait le tour des sanctuaires, une couronne sur la tête, suivi de jeunes
gens et de femmes célébrant ses mérites (arétè). Chacun de ses parents lui offre
un repas au nom de la cité et il reçoit une deuxième part aux syssities, prix de
la valeur (aristeion), qu’il offre lui-même à la parente qu’il veut honorer et qui
sera, elle-même, félicitée et escortée par les autres femmes. L’élection à la
gérousie apparaît ainsi comme le plus grand honneur 90 que Sparte puisse
accorder à l’un de ses membres.
Aussi n’est-il pas surprenant que les gérontes soient recrutés dans les
grandes familles. C’est ce que suggère Aristote (Pol., II, 9, 1270b 23-26) : pour
lui, tous les éléments de la cité sont satisfaits du régime, « les gens de bien
(kaloi kagathoi) à cause de la gérousie… et le peuple à cause de l’éphorat, car
il est constitué de gens recrutés parmi l’ensemble (des citoyens) », ce qui
implique, a contrario, que la gérousie n’est pas recrutée parmi l’ensemble des
citoyens. C’est d’ailleurs ce qu’il indique au passage à propos de l’Élide (V, 6,
1306a 18-19), où l’élection des 90 gérontes, dite dunasteutikè, c’est-à-dire se
faisant, selon les normes de l’oligarchie restreinte, dans un nombre limité de
familles, est présentée comme semblable à celle des gérontes lacédémoniens.
De fait, certains gérontes sont des proches des rois, puisque, selon Hérodote
(VI, 57), lorsque les rois sont absents, votent à leur place ceux des gérontes
« qui leur sont les plus proches » et, parmi les gérontes dont le nom nous a été
conservé, figurent le sage Chilon et l’Héraclide Hétoimaridas.
Mais, puisqu’il y a élection et que le régime n’est pas censitaire, pourquoi
les gens du peuple ne se font-ils pas élire gérontes comme ils se font élire
éphores ? Les hypothèses proposées sont plus complémentaires que
contradictoires. Il est d’abord très probable que la tradition impose d’élire
quelqu’un de respectable : étant donné les cérémonies qui suivent l’élection, si
ce n’était le cas, la chose paraîtrait scandaleuse. D’autre part, il est possible que
seules les grandes familles présentent des candidats, éventuellement après
accord entre elles ou entre les gérontes en exercice, voire entre les deux
factions royales, pour susciter ou soutenir telle ou telle candidature : l’élection
à la gérousie reviendrait ainsi à une sorte de cooptation. Enfin, il y avait très
probablement un examen des candidatures. C’est ce que suggèrent Démosthène
(Contre Leptine, XX, 107), en évoquant celui qui « a été sélectionné (enkrithè)
dans ce qu’on appelle la gérousie, après s’être montré tel qu’il fallait », et
Isocrate (Panath., XII, 154), en félicitant Lycurgue d’avoir « imposé par la loi
(nomothétèsantos) de faire le choix des gérontes avec autant de soin »
qu’autrefois à Athènes celui des membres de l’Aréopage.
Ce recrutement des gérontes n’a pas suscité seulement des éloges. Aristote,
en particulier, critique entre autres leur âge, car « l’esprit comme le corps a sa
vieillesse ». Leur mode de désignation, par acclamation, comme il est normal à
Sparte, lui paraît « puéril », tandis que la nécessité d’un acte de candidature ne
peut que développer l’ambition et limiter les possibilités de choisir le meilleur.
Enfin, comme les gérontes, nommés à vie, n’ont pas de comptes à rendre, ils
peuvent s’adonner à la corruption et au favoritisme.

• Ces critiques paraissent d’autant plus graves que la gérousie exerce de
grands pouvoirs, judiciaires et politiques.
Constituant le tribunal suprême, elle juge les crimes les plus graves,
notamment les procès capitaux où sont impliqués des citoyens 91. Elle peut, en
s’associant les éphores, condamner même un roi 92 et elle est amenée à
trancher dans des cas de succession contestée, ainsi entre Agésilas et
Léotychidas ou entre Areus et Cléonymos.
La gérousie aurait pu abuser de ce pouvoir judiciaire pour contrôler l’État,
à la manière de l’Aréopage archaïque, en menaçant les rois ou les éphores en
fin de charge. Elle ne semble pas l’avoir fait, sinon son pouvoir aurait été
contesté, ce qui ne paraît pas le cas, au moins juqu’à Cléomène III.
Dans le domaine proprement politique, elle dispose d’un pouvoir
probouleutique (droit de préparer les décisions), puisque les rhètra doivent
d’abord lui être soumises, et d’un droit de veto, puisqu’elle peut infirmer une
décision de l’assemblée. Ce double pouvoir a surpris, car, si toute proposition
doit d’abord obtenir l’agrément de la gérousie, le veto devient inutile.
Plutarque, qui juge ce droit un ajout introduit dans la grande rhètra 93 , a bien
vu la contradiction. Aussi suppose-t-il qu’il aurait été accordé à la gérousie
pour pouvoir infirmer des amendements intempestifs votés par l’assemblée.
Il est plus vraisemblable, comme je l’avais autrefois indiqué 94 , que cet état
de choses révèle une évolution. La grande rhètra, telle qu’elle a été transmise
par Plutarque et paraphrasée par Tyrtée, accordait l’initiative des lois aux rois
et aux gérontes (ensemble ou peut-être, initialement, en deux étapes), tandis que
le peuple se contentait de « répondre par de droites rhètra ». L’amendement
introduisant le droit de veto est attribué aux rois Polydore et Théopompe, à une
époque où certains, notammment Plutarque, à la suite d’Aristote, plaçaient la
création des éphores. Il est possible que les éphores aient pu, assez tôt, faire
voter des propositions (ou des contre-propositions) qui n’avaient pas
l’agrément de la gérousie et c’est pour contrecarrer de telles initiatives qu’on
aurait accordé à la gérousie le droit de veto.
Cependant, l’exercice de ce droit n’est attesté qu’une fois : les réformes
d’Agis IV, qui, d’abord soumises à la gérousie, n’avaient, semble-t-il, pas
obtenu son agrément sans avoir non plus été formellement rejetées (Plut., Agis,
9, 1), sont, après avoir été votées par l’assemblée, finalement annulées par la
gérousie (Plut., Agis, 11, 1). Or, Plutarque, faisant de cette annulation un
élément du pouvoir probouleutique, suggère que le prétendu « droit de veto »
n’était en fait qu’une extension de ce pouvoir. La gérousie peut en effet laisser
les éphores présenter des projets à l’assemblée, éventuellement après en avoir
discuté avec quelques gérontes. Mais, même après adoption du projet, si elle
décide d’intervenir, on est ramené au cas normal, où ne sont transmis à
l’assemblée que les projets qui ont l’aval de la gérousie.

• On peut dès lors s’interroger sur l’importance réelle de ce conseil. Les
Anciens ont tous insisté sur la gérousie, qui paraissait déjà à Pindare (Fr. 78
Puech) une caractéristique de Sparte. Au milieu du IVe siècle, Platon (Lois, III,
691d-e) lui reconnaissait une puissance égale à celle des rois, tandis que
Démosthène (Contre Leptine, XX, 107) voyait dans la nomination à la gérousie
« la récompense du mérite (arétè) 95», qui, en vous faisant « le maître
(despotès) de la multitude » (sans doute grâce au pouvoir judiciaire), vous
rendait « avec vos pairs (homoioi) 96 maître (kurios) de l’État ». Eschine
(Contre Timarque, I, 180) évoquait les gérontes, qui inspirent aux Spartiates
respect et crainte et dont l’âge 97 leur sert à désigner leur « magistrature la plus
importante (mégistèn) ». Enfin, Isocrate (Panath., XII, 154), soucieux de faire
l’éloge de l’Aréopage, assurait que les gérontes, « placés à la tête de toutes les
affaires », avaient reçu « le même pouvoir » que l’Aréopage athénien, que
Lycurgue aurait voulu imiter. Ces trois textes, tous favorables à Sparte,
relèvent du « mirage spartiate » et montrent surtout qu’il était plus facile de
faire l’éloge de la respectable gérousie que de l’éphorat, quelque peu
inquiétant, ou de la double royauté, difficilement imitable.
Quant aux auteurs tardifs, ils ont pu se laisser influencer par le modèle du
sénat romain, dont le nom même suffit à en faire le parallèle de la gérousie 98 .
Pour Polybe 99 , la gérousie, dont les membres sont choisis selon le mérite
(aristindèn), assure l’équilibre du régime, en se mettant toujours du côté de
l’élément le plus faible et le plus traditionaliste (VI, 10, 9-10), et collabore
avec les rois pour traiter toutes les affaires politiques (VI, 45, 5). Pour
Plutarque (Agésilas, 4, 3), à l’époque d’Agésilas, « les éphores et les gérontes
avaient le plus grand pouvoir (kratos) dans l’État ».
On peut cependant se demander si, en dehors du domaine judiciaire, la
gérousie jouait un rôle important. En effet, Aristote, qui mêle éloges
traditionnels et critiques originales de la gérousie, n’évoque ni son pouvoir
probouleutique ni son droit de veto.
Si celle-ci intervenait souvent dans la vie politique, on la verrait, comme le
sénat romain, fréquemment mentionnée dans les textes. Or, même lorsqu’il
s’agit d’affaires importantes, comme de décider de la paix ou de la guerre, les
historiens anciens évoquent l’assemblée sans aucune allusion à la gérousie 100 .
Ainsi, lors du déclenchement de la guerre du Péloponnèse, alors que
s’affrontent le roi Archidamos et l’éphore Sthénélaïdas, personne ne fait
allusion à une proposition préalable de la gérousie (Thuc., I, 79-83). Celle-ci
n’est pas non plus mentionnée en 414 pour la décision de reprendre les
hostilités (Thuc., VI, 88, 10) ; et, pour la paix de Nicias, Thucydide (V, 17, 2)
n’évoque que le vote des alliés. Quant à la politique étrangère en général, elle
paraît le fait soit des éphores, soit des rois s’appuyant sur la majorité des
éphores et donc soucieux de faire élire des éphores favorables à leur politique.
Dans le domaine législatif, aucune opposition de la gérousie n’est attestée,
sauf, dans le cas d’Agis IV, où celle-ci, d’abord réticente mais poussée par
l’autre roi, annule le vote de l’assemblée. On peut donc se demander si, en
général, ou bien les mesures étaient présentées d’abord à la gérousie, qui, étant
donné le conformisme spartiate, se contentait de les entériner, ou bien même
étaient présentées directement à l’assemblée par les éphores, sans que la
gérousie désire ou ose exercer son droit de veto.
Cependant, si ces remarques incitent à ne pas surestimer le pouvoir des
gérontes, il ne faut pas non plus le sous-estimer 101.
En effet, dans une Grèce qui ne connaît pas encore la simple responsabilité
politique 102, le pouvoir judiciaire a des implications politiques, qu’il s’agisse
de condamner un roi 103 ou un chef militaire comme Sphodrias (cf. Xén., Hell.,
V, 4, 24). C’est aussi parce qu’ils disent le droit que les gérontes ont pu
trancher entre Areus et Cléonymos : « Les gérontes jugent (dikazousin) donc
que la dignité royale (timèn) est le bien ancestral d’Areus, fils d’Acrotatos, et
non de Cléonymos » (Pausanias, III, 6, 2).
D’autre part, la gérousie est en rapport avec les trois autres institutions.
Elle n’est pas mentionnée uniquement à propos des réformes d’Agis IV. Déjà,
au Ve siècle, Hétoimaridas, avant de persuader l’assemblée, avait convaincu la
gérousie d’accepter la constitution de la Ligue de Délos et de renoncer à faire
la guerre à Athènes (Diodore, XI, 50) : si l’on en croit l’historien, il y aurait eu
successivement des discussions à l’assemblée 104 , où la majorité se montrait
favorable à la guerre, puis un vote de la gérousie et, finalement, un vote de
l’assemblée.
Les rois ne négligent pas la gérousie : Agésilas n’hésite pas à offrir « à
tout nouveau géronte un manteau (chlaina) et un bovin » (Plut., Agés., 4, 5, et
De l’amour fraternel, 482d). Même si la chose était assez inhabituelle pour lui
valoir le reproche de « s’approprier à titre privé (idious) les citoyens qui
appartiennent à tous (koinous) 105», elle montrait bien que les gérontes
constituaient une source de pouvoir à ne pas négliger 106 .
Les éphores se sont, semble-t-il, fréquemment appuyés sur les gérontes.
Déjà, au milieu du VIe siècle, lorsqu’ils avaient fait pression sur le roi
Anaxandridas pour l’obliger à prendre une nouvelle épouse, leur dernière
proposition provenait des délibérations (bouleusaménoi) communes des
éphores et des gérontes, ce qui lui permettait d’être particulièrment
comminatoire : le roi doit éviter de s’y opposer « afin que les Spartiates ne
prennent à (son) sujet des décisions autres qu’il ne faudrait » (Hdt., V, 40). Le
récit détaillé de la conspiration de Cinadon suggère que, avant de prendre une
décision importante, les éphores consultaient les gérontes : du fait de l’urgence
et pour éviter d’éveiller les soupçons des conjurés, ils se contentèrent, en
l’occurrence, « chacun de réunir des gérontes en un lieu différent » (Xén.,
Hell., III, 3, 8). On pourrait d’ailleurs supposer, même si aucun autre document
ne permet de l’assurer, que, lorsque les gérontes étaient d’accord et qu’il y
avait urgence, les éphores devaient souvent se dispenser de soumettre l’affaire
à l’assemblée.
Si l’on admet qu’au moins dans certains cas les éphores prennent leurs
décisions en accord avec la gérousie ou une partie des gérontes 107 se pose le
problème du sens précis de deux expressions (hoi en télei et ta télè 108 ) qui
apparaissent souvent dans les textes, notamment chez Thucydide et chez
Xénophon, et qu’on pourrait traduire par « les autorités ». On a coutume d’y
voir, à juste titre, une allusion aux éphores 109 , mais s’agit-il des seuls
éphores ? Quand Thucydide (VI, 88, 10) évoque ce qu’envisageaient à la fois
« les éphores et les autorités », le texte incite à distinguer les deux, même s’il
est probable, contrairement à l’usage habituel de té kai, que les éphores y
soient considérés comme faisant partie des « autorités ». Bien plus, quand
Xénophon (Anabase, II, 6, 3) rapporte que Cléarque, vainement rappelé par les
éphores, est condamné à mort par les autorités (télè) de Sparte 110 , il ne peut
s’agir que de la gérousie, éventuellement complétée des éphores, qui a seule le
pouvoir de condamner à mort un citoyen.
De toute façon, on ne saurait négliger l’influence sociale que leur origine
et leur prestige, à la fois personnel et collectif, assuraient aux gérontes : si la
gérousie, au lieu de se partager, s’était très majoritairement opposée à son
projet, Agis IV aurait-il osé faire voter ses réformes par l’assemblée 111 ? Il est
enfin significatif que le régime, qui prétend imiter le système spartiate, soit un
régime non des Cinq mais des Trente.
Si la gérousie n’apparaît guère, c’est qu’à Sparte comme à Athènes les
historiens antiques évoquent rarement le stade préparatoire et que les Spartiates
cultivent le secret. Mais, même si la gérousie spartiate, ne serait-ce qu’à cause
de l’âge de ses membres, n’aura jamais le poids du sénat romain, elle constitue
l’élément stabilisateur empêchant les autres organes d’outrepasser leur
pouvoir.
4. L’assemblée
Si le rôle de la gérousie a peut-être été surestimé dans l’Antiquité, celui de
l’assemblée a sans doute été sous-estimé.

• En tout cas, celle-ci est si mal connue qu’on ne sait à partir de quel âge on
peut y participer : vraisemblablement à 20 ans, âge auquel on est intégré dans
l’armée et admis aux syssities, mais certains 112 ont aussi proposé 30 ans, âge
auquel on peut mener une vie familiale, aller soi-même au marché et être
nommé magistrat.
On hésite également sur le nom officiel de l’assemblée : peut-être haliè (en
dorien halia), comme l’indique Hérodote (VII, 134) 113 , ou, plus
vraisemblablement, ecclésia, comme le suggèrent Thucydide (I, 87, 1, VI, 88,
10, et surtout V, 77, 1, où est cité un texte spartiate), et Xénophon (Hell., III, 2,
23 ; IV, 6, 3 et V, 2, 11), qui, en outre appelle les membres de l’assemblée
ekklètoi (Hell., II, 4, 38, V, 2, 33 et VI, 3, 3) ; en tout cas, probablement pas
apella (ou, plutôt, apellai) 114 , malgré Plutarque, qui se fonde entre autres sur
le passage de la grande rhètra où apparaît le verbe apellazein 115.
On ne connaît pas non plus avec certitude la fréquence de ses réunions, ce
qui serait pourtant indispensable pour apprécier son rôle. La grande rhètra
prévoit une réunion « de saison en saison » entre le confluent de l’Oinous et de
l’Eurotas et le pont sur l’Eurotas. L’expression a dû correspondre initialement
à une réunion annuelle, au mois apellaios, avant le départ en campagne, mais
son ambiguïté a permis de se réunir plusieurs fois par an, selon les divisions
de l’année en deux, trois ou quatre 116 saisons, voire tous les mois, à la pleine
lune, selon les indications d’une scholie à Thucydide (I, 67).
L’assemblée paraît à Aristote jouer un rôle si limité qu’il la néglige,
lorsqu’il évoque les éléments démocratiques du régime lacédémonien. Il est
vrai qu’à Sparte les décisions se prennent normalement 117 selon la procédure
archaïque du vote par cris et que, les membres de l’assemblée ne jouissant pas
du droit d’initiative, leur rôle paraît se limiter à l’élection des éphores et des
gérontes et à l’approbation ou au rejet des propositions émanant des rois, des
gérontes ou des éphores.
Mais on ne peut passer outre à un rejet par l’assemblée : comme le
proclamait sans doute la fin de la grande rhètra, « à l’assemblée du peuple
victoire et prédominance (kratos) ». Les décisions les plus graves, concernant
la guerre et la paix, sont nécessairement prises par l’assemblée. Ainsi, quand
les Argiens proposent, en 480, une paix de 30 ans, les envoyés spartiates
répondent qu’« ils en feront rapport à ceux qui forment la majorité (tous
pléonas) » (Hdt., VII, 149), expression où l’on a généralement reconnu une
allusion à l’assemblée. C’est elle qui décide de soumettre aux alliés la décision
de se lancer dans la guerre du Péloponnèse (infra, p. 224), qui conclut, en 417,
un traité avec Argos (Thuc., V, 77) et qui, en 371, vote la paix du roi (Xén.,
Hell., VI, 3, 18) et prend la décision de poursuivre la guerre contre les
Thébains (Xén., Hell., VI, 4, 3).
D’autre part, ceux qui jouissent du droit d’initiative ne constituent pas un
bloc monolithique : on peut toujours trouver quelqu’un pour proposer ce que
souhaite l’assemblée. Ainsi, le discours d’Alcibiade, qui n’est pourtant qu’un
étranger invité, influence l’assemblée en l’incitant à reprendre les hostilités
contre Athènes, alors que les « autorités » favorisaient une attitude prudente
(Thuc., VI, 88, 10-93, 1).
Cependant, si l’on veut apprécier l’importance de l’assemblée et son
caractère démocratique, il faut avant tout s’interroger sur le droit de parole.
Or, on se fonde généralement sur deux passages d’Aristote pour assurer que
seules les « autorités » ont le droit de parler à l’assemblée.
Dans le chapitre II, 10 de La Politique, consacré au régime crétois,
Aristote est amené à le comparer au régime lacédémonien, déjà étudié, en
soulignant ressemblances et différences : ainsi, les éphores ont le même
pouvoir que les kosmes, mais ils sont 5 au lieu de 10. Pour l’assemblée, le
philosophe note qu’en Crète « tous (y) participent, mais (qu’) elle n’est
maîtresse de rien, sauf de ratifier par son vote les décisions des gérontes 118 et
des kosmes » (1272a 10-12). Le texte est équivoque, car la fin de la phrase peut
présenter une ressemblance entre les deux régimes – c’est la thèse de
J. Aubonnet dans l’édition des Belles Lettres – ou au contraire, comme pour les
kosmes, souligner une différence.

• Dans le deuxième passage, consacré au régime carthaginois, après avoir
indiqué que, lorsque les rois (entendons les suffètes) sont d’accord, ils ne sont
pas obligés de soumettre l’affaire au peuple, Aristote précise (Pol., II, 11,
1273a 9-13) : « Mais, sur ce qu’ils lui présentent (eisphérein), ils ne
reconnaissent (apodidoasi) pas seulement au peuple le droit d’écouter les
décisions des dirigeants (ta doxanta tois arkhousin), mais ils ( = les gens du
peuple) sont maîtres de décider et il est permis à celui qui le désire (tôi
bouloménôi) de s’opposer par la parole (anteipein) aux propositions, ce qui
n’est pas le cas dans les autres régimes (entendons à Sparte et en Crète). »
Le texte présente trois caractéristiques carthaginoises : le peuple n’a pas
seulement le droit d’écouter ; il est maître de décider ; celui qui le désire peut
anteipein. La structure de la phrase permet à cet égard deux interprétations,
selon que les trois caractéristiques ou seulement la dernière opposent Carthage
aux deux autres régimes. Comme il est clair qu’à Sparte, comme le montrent
aussi bien la grande rhètra que les textes d’Aristote lui-même, c’est le peuple
qui est censé prendre les décisions, seule la troisième caractéristique est ici en
cause.
On peut donc tirer du texte l’idée qu’à Sparte il n’est pas « permis à celui
qui le désire 119 de s’opposer par la parole aux propositions ». Mais tout le
problème vient du sens d’anteipein 120 . Cet infinitif aoriste pourrait signifier
« parler contre », mais cela impliquerait le droit de « parler pour » et il aurait
été plus normal d’interdire tout simplement de parler 121, ce qui aurait eu
l’inconvénient de contredire expressément le texte de Tyrtée (élégie 3a),
consacré à la grande rhètra, au moins dans la version longue, transmise par
Diodore 122. Aussi paraît-il préférable d’adopter une autre interprétation :
eipein ayant constamment dans les inscriptions le sens de « faire une
proposition », il serait interdit non de « parler contre », mais de « faire une
contre-proposition ». C’est précisément l’interprétation que propose Plutarque
(Lyc., 6, 6) dans son commentaire de la grande rhètra : « Il n’était permis à
aucun autre de faire une proposition (eipein gnômèn) mais le peuple était
maître de se prononcer sur la proposition présentée par les gérontes et les
rois. » Il semble d’ailleurs que même le roi Archidamos, qui n’est pourtant pas
le premier venu (ho bouloménos), n’ait pu, en 432, présenter en séance une
contre-proposition et se soit contenté de combattre la proposition de faire la
guerre.
Si l’on accepte ces conclusions, il apparaît qu’à l’assemblée il est interdit
non de parler, pour ou contre, mais de présenter une contre-proposition. Il ne
faudrait pas cependant en conclure que n’importe qui peut prendre la parole
n’importe comment. Sinon, on ne comprendrait pas qu’un oligarque,
admirateur de Sparte, comme le pseudo-Xénophon puisse reprocher aux
Athéniens de « laisser tout le monde parler à la file » et, notamment, « celui qui
le désire », même s’il est un homme de rien (ponèros), se lever pour prendre la
parole (Rép. Ath., I, 6). Il doit être inhabituel, contraire à la décence (aidôs) qui
s’impose fortement à tout Spartiate, qu’un simple citoyen, non magistrat,
intervienne de lui-même, surtout s’il est jeune : même un prince héritier
comme le futur Archidamos III est censé s’excuser de violer les coutumes
(nomima) de la cité en prenant la parole malgré son âge (Isocrate, VI,
Archidamos, 1-6).
De nombreux textes montrent cependant que, contrairement à ce qu’on a
trop souvent répété, l’assemblée spartiate n’était pas muette et que pouvaient
s’y dérouler des débats animés.
Déjà, à l’époque d’Hétoimaridas (Diodore, XI, 50, 3-5), si, lors de
l’assemblée préparatoire, il est vrai que les jeunes et la majorité des autres se
montraient très désireux de recouvrer l’hégémonie au détriment d’Athènes,
cela implique, au moins chez l’historien qui rapporte la chose (sans doute
Éphore), que de nombreux avis s’étaient exprimés. De même, lorsque
Thucydide, en décrivant en détail l’assemblée spartiate qui allait décider la
guerre, note qu’avant les discours du roi et de l’éphore « les avis (gnômai) de
la plupart convergeaient » (I, 79, 2), il suggère que de nombreux avis se sont
exprimés. La décision, après la victoire sur Athènes, de laisser entrer à titre
public de la monnaie d’or et d’argent, mais de punir de mort le particulier qui
en détiendrait, paraît une mesure de compromis adoptée après des débats
animés (Plut., Lyc., 17, 2-6). Enfin, lors de l’assemblée qui devait voter les
réformes d’Agis IV, Plutarque (Agis, 9, 1 et 5) évoque les interventions de
l’éphore Lysandre, de Mandrocléidas, dont on ne sait s’il était éphore, et
d’Agésilas, qui ne sera éphore que l’année suivante, et ne fait intervenir le roi
Agis IV qu’après tous les autres.
Le Prothoos (Xén., Hell., VI, 4, 2, et Plut., Agésilas, 28, 6), qui, en 371, fait
un discours où il invite à licencier l’armée de Béotie, a des chances d’être un
éphore, puisque le texte de Xénophon incite à le placer parmi les autorités
spartiates (ta oikoi télè) consultées par Cléombrotos et qu’il parle comme un
chef. Mais on ne peut dire la même chose de tous ceux qui prennent la parole à
l’assemblée. Isocrate (Archidamos, VI, 2) évoque en effet « ceux qui ont
l’habitude de parler » à l’assemblée et qui sont en l’occurrence divisés et on ne
saurait récuser son témoignage, car il connaît bien les institutions spartiates et
il serait tout à fait maladroit de prêter au prince héritier des propos qui
contrediraient les habitudes spartiates. On peut enfin se référer à un passage
d’Eschine (Contre Timarque, I, 180-181). L’orateur soucieux de montrer qu’on
ne doit pas laisser parler les gens de mauvaise vie, invoque un exemple
spartiate. Les Lacédémoniens allaient voter après le discours et selon l’avis
(gnômè) d’un excellent orateur qui avait mené une vie infâme (aischrôs). Un
géronte monta alors à la tribune et, assurant que « Sparte ne restera pas
longtemps inviolable, si elle utilise de tels conseillers (sumbouloi) dans ses
assemblées », il invita un autre Lacédémonien, « orateur médiocre, mais
brillant guerrier et se distinguant par sa justice et sa tempérance (enkrateia) »,
à faire (eipein) les mêmes propositions, « pour que les Lacédémoniens votent
après le discours d’un homme de bien sans même prêter l’oreille aux paroles
des lâches ou des gens de rien ».
Le géronte, qui a le droit de faire un discours, remplace ainsi, pour faire la
proposition, un orateur par un guerrier. Le texte tend à présenter les deux
comme de simples citoyens et notamment le second, qui, médiocre orateur, ne
serait monté à la tribune, s’il n’y avait été invité par le géronte. Mais, pour
autant que les indications d’Eschine soient exactes, il doit s’agir d’éphores : ils
ont, contrairement peut-être au géronte, le droit de présenter une proposition et
le terme de conseillers (sumbouloi) employé dans le texte pour ces orateurs qui
soutiennnent des propositions pourrait suggérer leurs fonctions. Il est donc
difficile de trop se fonder sur ce texte, dont la valeur historique paraît assez
douteuse.
Il apparaît néanmoins qu’à l’époque classique une assemblée spartiate ne
doit pas être imaginée à la manière des assemblées homériques. On y assiste au
contraire à des discours opposés et, même si le droit de parole n’est pas
accordé aussi libéralement qu’à Athènes, où chaque citoyen est expressément
invité à faire toute proposition utile à la cité, il est vraisemblable que, les
restrictions étant plus du domaine des convenances que de l’interdiction légale,
les aristocrates ambitieux n’avaient pas besoin de se faire élire éphores ou
gérontes pour y prendre la parole.
1. On se référera à B. Sergent, « La représentation spartiate de la royauté », Revue de l’histoire des
religions 189 (1976), p. 3-52, et surtout à P. Carlier, La Royauté en Grèce avant Alexandre,
Strasbourg, AECR, 1984 ; cf. aussi L.G. Iglesias, « La sucesion real en Esparta : Fallas e
paliativos de un sistema » Polis 2 (1990), p. 39-51, J.M. Casillas, « Geras thanonton. Muerte y
funerales en la monarquia lacedemonia », Polis 5 (1993), p. 23-57. P. Cartledge, « Spartan
kingship : Doubly odd ? », Spartan Reflections, Londres, Duckworth, 2001, p. 55-75.
2. Le légendaire Agis, dont les Agiades auraient tiré leur nom, fait exception, puisque le nom ne se
retrouve ensuite que chez les Eurypontides, qui ont aussi repris aux Agiades le nom d’Agésilas ;
parmi les rois ou régents, on note, chez les Agiades, 3 Cléomène, 2 Cléombrotos, 2 Léonidas,
2 Pausanias et 2 Areus et, chez les Eurypontides, 4 Agis, 5 Archidamos, 2 Agésilas,
2 Eudamidas et 2 Léotychidas ; si on y ajoute Zeuxidamos, Anaxidamos et Démarate ainsi que
Charilaos et Anaxilaos, on remarque le grand nombre de rois en damos ou en laos chez les
Eurypontides, alors que de tels noms (à l’exception d’Archélaos) sont absents de la liste des
Agiades ; cf. P. Carlier, La Royauté en Grèce avant Alexandre, p. 316-318.
3. Encore qu’à l’époque hellénistique l’Eurypontide Chilonis épouse successivement les Agiades
Cléonymos et Acrotatos.
4. Le terme d’Héraclides est même parfois appliqué, par extension, à l’ensemble des Spartiates de
plein droit, voir, par exemple, Tyrtée, élégie 8, v. 1, qu’on opposera à l’élégie 2.
5. C’est, bien sûr, la situation effective des deux dynasties qui a donné naissance à la fable,
longuement développée par Hérodote, VI, 52, des jumeaux et de la ruse utilisée pour découvrir
l’aîné. Cette préséance des Agiades a aussi laissé supposer qu’ils avaient commencé à régner
avant les Eurypontides, dont la liste aurait été artificiellement allongée (par exemple, par
l’adjonction des noms de Prutanis et d’Eunomos) pour égaler celle des Agiades.
6. Cf. J.F. Lazenby, The Spartan Army, Warminster, Aris et Phillips Ltd, 1985, p. 66-67.
7. La date est approximative.
8. Le nom de celui-ci, qui, en grec, signifie le « très doux », en fait l’antonyme de Polynice, le
« très querelleur », qui avec Étéocle constitue au contraire le modèle des frères ennemis.
9. Le fils de Dorieus, Euryanax, dont seuls le grand-père et les oncles avaient régné et dont le père
n’avait même pas été prince héritier, passait ainsi après les frères cadets de Dorieus, Léonidas et
Cléombrotos, fils et frères de rois ; voir aussi Polybe, IV, 35, 14, à propos de la nomination
comme roi d’un personnage « dont aucun ancêtre n’avait porté ce titre ».
10. Cf. Thuc., I, 107, 2, où Nicomède, le fils de Cléombrotos, exerce le commandement au nom
(huper) de son neveu, « le roi Pleistoanax, qui était encore jeune », I, 132, 1, où le régent
Pausanias exerce sa tutelle (épétropeuen) sur son cousin, Pleistarchos, « qui était roi et encore
jeune », et III, 26, 2, où Cléomène dirige l’invasion en Attique au nom (huper) de son neveu
Pausanias, « qui était roi et encore trop jeune ».
11. Cf. sur Dorieus, L. Braccesi, L’enigma Dorieo, Rome, L’Erma di Bretschneider, « Hesperia,
11 », 1999.
12. Il s’y ajoute certainement des luttes à l’intérieur de l’aristocratie spartiate et on a pu souligner que
la deuxième femme d’Anaxandridas était une descendante du fameux éphore et sage Chilon.
13. C’est aussi ce que suggère Plutarque, Agés., 12, 3, 8, en notant que Lysandre, partisan
d’Agésilas, avait convaincu un grand nombre de Spartiates.
14. Cf. aussi l’expression de Xénophon, Hell., III, 3, 1, à propos de la désignation d’Agésilas : « La
période de deuil achevée, il fallait nommer (kathistasthai) un roi. »
15. C’est ce qu’il affirme lui-même et ce que suggèrent à la fois la syntaxe (l’infinitif) et le
vocabulaire (notamment les géréa et en tôi agèï).
16. Cf., pour la grande rhètra, supra, p. 31-33.
17. Il semble que les rois n’aient jamais eu le droit de conclure la paix, cf. Plut., Agés., 10, 7, ni
même de déclarer officiellement la guerre, car, comme me le fait remarquer Claude Vatin, on
déclare la guerre à un peuple ou à roi mais non à un territoire.
18. Cf. Xén., Hell., 3, 2, 23 et 25 ; 3, 5, 6 ; 4 , 2, 9 ; 5, 4 , 35, 47 et 59 ; 6, 4 , 17.
19. Il y a déjà des éphores, le pluriel impliquant qu’ils sont au moins deux, auprès du régent
Pausanias, à la bataille de Platées, Hdt., IX, 76 ; cf. aussi Classical Review 17 (1903), p. 99, où
est évoquée une inscription métrique avec un bas relief représentant le régent Pausanias
accompagné de deux éphores, d’une suppliante et de deux enfants.
20. Cf. aussi Plut., Agés., 17, 1, où l’éphore Diphridas venu de Sparte au-devant d’Agésilas de
retour d’Asie, lui donne l’ordre (keleuôn) d’envahir tout de suite la Béotie et, alors que le roi
aurait préféré d’abord accroître ses forces, il n’a garde de « désobéir aux magistrats ».
21. Elle est appelée par Xénophon phroura (Hell., IV, 7, 2 et V, 2, 3) ou, plus souvent, to politikon
ou to politikon strateuma (cf. supra).
22. A Mantinée, en 4 18, selon Thuc., V, 72, 4 , le roi est entouré de « ceux qu’on appelle les trois
cents Hippeis ».
23. Cf., sur ce point, l’excellente analyse de P. Carlier, La Royauté en Grèce avant Alexandre,
p. 264 -265.
24. Cf. P. Monceaux, Les Proxénies grecques, Paris, E. Thorin, 1886, notamment p. 6-12 et 14 6-
160, F. Huybrechts, « Over de proxenie in Lakonië », Revue belge de philologie et d’histoire 37
(1959), p. 5-30, D.J. Mosley, « Spartan kings and proxeny », Athenaeum, n.s. 4 9 (1971),
p. 4 33-35, F. Gschnitzer, RE Supplb. XIII, 1973, s.v. Proxenos, coll. 629-730, notamment
coll. 635 sq., C. Marek, Die Proxenie, Europ. Hochschulschrift. 3 R. 213, Francfort, Lang,
1984 , et L. Porciani, « La prossenia spartana : Note a Erodoto, 6, 57, 2 », Annali della Scuola
Normale Superiore di Pisa 21 (1991), p. 125-136 ; cf. aussi Xén., Rép. Lac., 15, 5, Cicéron, De
div., 1, 4 3, 95, Souda, s.v.
25. Cf. Lichas, proxène d’Argos, Thuc., V, 76, 3, Cléarque, proxène de Byzance, Xén., Hell., I, 1,
35, Pharax, proxène des Béotiens (ou plutôt des Thébains), Xén., Hell, IV, 5, 6, Koroibos, qui,
2
en 367, devient proxène d’Athènes, IG II 106, et, dans les Lois de Platon, I, 642b-c, le
personnage de Mégillos, proxène héréditaire d’Athènes.
26. Cf. aussi, Nicias (de Gortyne), Thuc., II, 85, 5, Lakon (sic) (de Platées), Thuc., III, 52, 5,
Alciphron (d’Argos), Thuc., V, 59, 5, et, à Élis, Xénias, qui, selon Pausanias, III, 8, 4 , était à la
fois « l’hôte personnel d’Agis (II) et le proxène de la communauté des Lacédémoniens ».
27. Mais, s’il s’agissait de magistrats, on s’attendrait à ce que le texte en donnât le nombre, comme
pour les Pythioi, évoqués juste après, et les Spartiates auraient, par le terme proxène, désigné
deux charges différentes.

e
Ed. Will, Le Monde grec et l’Orient. Le V siècle (510-403), Paris, PUF, 1972 (rééd. 1994 ),
28. Ed. Will, Le Monde grec et l’Orient. Le Ve siècle (510-403), Paris, PUF, 1972 (rééd. 1994 ),
p. 4 4 0 : « Les deux rois sont égaux aussi bien dans l’honneur que dans l’impuissance politique. »
29. G.E.M de Sainte-Croix, Origins of the Peloponnesian War, Londres, Duckworth, 1972, p. 125.
30. Ce souci contraste avec la souplesse des relations conjugales à Sparte, où il est permis de prêter
sa femme ou de faire appel à un géniteur extérieur, cf. supra et supra.
31. Voir aussi les funérailles d’Agis II, « d’une solennité plus qu’humaine » selon Xénophon, Hell.,
III, 3, 1.
32. Le terme est d’ailleurs employé par Xénophon au début du chapitre : « Je veux rapporter aussi le
traité (sunthèkas) que Lycurgue a conclu entre le roi et la cité » ; on rapprochera la royauté
démocratique décrite ou imaginée par Xénophon dans la Cyropédie, notamment I, 3, 18, qui
débouche aussi, en VIII, 5, 27, sur un traité (sunthéménoi) entre Cyrus et les Perses.
33. Cf. Plut., Agés., 4 , 5, et De l’amour fraternel, 4 82d, cf. infra et infra.
34 . Voir, en 418, les réactions des Lacédémoniens revenus d’Argos contre Agis II, qui n’avait pas
soumis la grande rivale de Sparte, Thuc., V, 63.
35. Cf. P. Carlier, « La vie politique à Sparte sous le règne de Cléomène Ier. Essai d’interprétation »,
e
Ktèma 2 (1977), p. 65-84 et G.L. Cawkwell, « Cleomenes », Mnemosyne 4 s. 4 6 (1993),
p. 506-527.
36. Cf. P. Cartledge, Agesilaos and the Crisis of Sparta, Londres, Duckworth, 1987, et
D.R. Shipley, Plutarch’s Life of Agesilaos. Reponse to Sources in the Presentation of
Character, Oxford, Clarendon Press, 1997.
37. C’est sans doute à lui que pense Aristote (Pol., II, 9, 1270b 13-16), lorsqu’il prétend que les
rois étaient obligés de dèmagôgein les éphores, cf. Plut., Agés., 4 , 5-6, et 5, 3.
38. Cf. E. David, « The trial of Spartan kings », Revue internationale des droits de l’Antiquité,
e
3 série 32 (1985), p. 131-14 0, qui surestime peut-être le rôle de l’assemblée.
39. Cf. supra.
4 0. Certains placent cette action en 520, mais c’est moins probable.
4 1. Cf. Thuc., II, 21, 1 et V, 16, Plut., Périclès, 22, et Éphore, FGH 70, fr. 193 ( = schol.
Aristophane, Nub., 859), où l’amende s’élève à 15 talents.
4 2. L’accusation de corruption, par exemple contre Pleistoanax, peut viser en fait une politique qui
déplaît, en l’occurrence les tentatives de rapprochement avec Athènes.
43. Cf. supra.
4 4 . Cf. L. Pareti, « Ricerche sulla potenza maritima degli Spartani e sulla cronologia dei nauarchi »,
Mem. dell’Accad. delle Scienze di Torino, 2, 59 (1908-9), p. 71-159 = Studi minori II, 1961,
p. 1-131, R. Sealey, « Die spartanische Nauarchie », Klio 58 (1976), p. 335-358, J.-
F. Bommelaer, Lysandre de Sparte. Histoire et tradition, Paris, De Boccard, 1981, p. 75-79 et
163, et E.F. Bloedow, « Sparta naval command from secretary to “vice-amiral” », Scholia, n.s.
9 (2000), p. 12-19.
4 5. Comme les polémarques sont les adjoints des rois, il est possible qu’il ne s’agisse ici que d’une
délégation de pouvoir, mais ce n’est pas assuré.
4 6. Trois navarques se succèdent avec des interruptions de 4 30 à 4 25, tandis qu’on en trouve tous
les ans à partir de 4 13 jusqu’à la fin de la guerre et de nouveau, avec quelques interruptions,
après la guerre, jusqu’en 372, cf. la liste dans Pareti, « Ricerche… », p. 120-131.
4 7. La nomination, en 395, de Téleutias par Agésilas lui-même est présentée comme exceptionnelle,
car le roi avait reçu, outre son commandement sur terre, le commandement de la flotte avec
pouvoir de nommer qui il voulait comme navarque, Xén., Hell., III, 4 , 27-28.
4 8. Xén., Hell., II, 1, 7, l’affirme expressément ; de même, en 4 03, Lysandre se fait envoyer en
Attique comme harmoste, tandis que son frère Libys y vient en tant que navarque, Xén., Hell., 2,
24 , 28-29.
4 9. Les rois, eux, sont intouchables tant que la campagne n’est pas finie.
50. On rapprochera Plut., Agés., 5, 3, où le même verbe régit pantas ; cf. aussi supra, n. 37.
51. Si Plutarque, Agés., 5, 4 , et Mor., 4 82d, rapporte qu’il aurait été mis à l’amende par les éphores
parce qu’il « s’appropriait des citoyens appartenant à tous », le fait est démenti par Xénophon,
Agés., 6, 8.
52. Donc même à ceux qui ne sont pas de sa tendance.
53. La gérousie était alors partagée entre les partisans d’Agésilas, ceux de Cléombrotos et les
neutres.
54 . Aristote, Polit., II, 9, 1269b 31-32, pensait certainement à Agésilas, lorsqu’il notait que « chez
les Laconiens,… du temps de leur empire, beaucoup d’affaires étaient traitées par les femmes ».
55. Il est possible que, nommé par Agésilas lui-même (Xén., Hell., III, 4 , 28), il ait seulement fait
fonction de navarque, sans en avoir le titre.
56. Il est présenté ainsi comme « celui qui parmi les rois est de beaucoup le mieux accordé
(euarmostaton) à ses sujets », car, par l’agôgè, il a ajouté à ses dons naturels to dèmotikon kai
philanthrôpon, entendons le sens du peuple et de la solidarité humaine ; voir aussi Plut., Agés.,
7, 3, où, en Asie, Agésilas se montre un homme simple, d’abord facile et dèmotikos.
57. Cf. Xén., Agés., 9, et Plut., Agés., 14 (expédition en Asie).
58. Il est inutile de se demander pourquoi il n’a pas été éliminé à la naisssance, car son infirmité
provient d’un accident, cf. Plut., Agés., 3, 8.
59. Surtout depuis qu’en 395 la mort de Lysandre le débarrasse à la fois de son ancien mentor et du
roi Pausanias, bientôt exilé, entre autres, pour n’avoir pas secouru à temps Lysandre.
60. Si nécessaire, il ne recule pas devant la violence, comme le montrent l’exécution de la mère et
de la tante de Lysandridas (Théopompe, FGH 115 F 24 0 = Athénée, XIII, 609b), sans doute
l’harmoste condamné en 379 (Plut., Pélop., 13, 3, où le nom paraît déformé) ou, lors des
troubles de 370-69, la mise à mort sans jugement, avec l’accord des éphores, de Spartiates eux-
mêmes.
61. On trouvera la bibliographie de la question dans l’ouvrage récent de N. Richer, Les Éphores.
e e
Études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (VIII -III siècle avant Jésus-Christ), Paris, Public.
de la Sorbonne, Histoire ancienne et médiévale 50, 1998 ; voir aussi St. Sommer, Das Ephorat :
Garant des spartanischen Kosmos (MAS 2), St Katharinen, Scripta Mercaturae Verlag, 2001
(de tendance hypercritique).
62. Cf. D. Whitehead, « Sparta and the Thirty Tyrants », Ancient Society 13-14 (1982-83), p. 105-
130.
63. Cf. notamment le discours devant l’assemblée que Plutarque (Cléomène, 10) prête à Cléomène
et où celui-ci, pour justifier l’abolition de l’éphorat, prétend que, bien après Lycurgue, « la
guerre de Messénie tirant en longueur, les rois, qui n’avaient pas le temps à cause des
expéditions, désignèrent eux-mêmes pour rendre la justice certains de leurs amis et les laissèrent
aux citoyens à leur place sous le nom d’éphores…, mais que, peu à peu et sans qu’on s’en rendît
compte, ceux-ci avaient attiré à eux l’autorité et étaient devenus un pouvoir (archeion)
indépendant ». Mais il est difficile de passer insensiblement et peu à peu de délégués des rois à
des magistrats élus par l’assemblée, encore qu’il soit imaginable que les rois aient d’abord
présenté à l’assemblée ceux qu’ils avaient désignés, pour se contenter, plus tard, de soumettre
e
des candidats au vote de l’assemblée. Un apophtegme attribué au roi Anaxilas (VII s.) (Plut.,
Apopht. lac., 217 B-C) indiquait aussi que les éphores étaient nommés par les rois.
64 . Il faut vraiment forcer le texte pour imaginer comme certains que, dans la version en vers que
Tyrtée (élégie 3) donne de la grande rhètra, l’expression dèmotas andras puisse désigner les
éphores.
65. On date généralement son activité du milieu du VIe siècle, encore qu’Hérodote, I, 59, 2, en en
faisant un contemporain du père de Pisistrate, inciterait à le placer plus tôt dans le siècle, cf.
C.M. Stibbe, « Chilon of Sparta », MNIR 4 6 (1985), p. 7-24 .
66. Cf. les éphores qui, après le « divorce d’Éleusis », accompagnent le roi en campagne.
67. Il est décrit par Plutarque, Lyc., 26, 3-5.
68. On peut se référer, sans en adopter nécessairement les conclusions, au long chapitre que
N. Richer a intitulé : « Les éphores comme observateurs du ciel : l’astéroscopie octannuelle »,
Les Éphores, p. 155-198.
69. Philologische Wochenschrift 4 6 (1927), coll. 27-9 ; P. Chantraine, Dict. étymol. de la langue
grecque, s.v. άστήρ, traduit le mot en « étoilé, brillant comme une étoile ».
70. S’il s’agit non d’une étoile filante mais, comme le suppose N. Richer, Les Éphores, p. 186-192,
du lever héliaque de Sirius, cela ne change rien à l’argumentation.
71. C’est aussi ce qu’affirmait la Constitution des Lacédémoniens aristotélicienne, fr.10 Dilts : « Ils
ont le plus grand pouvoir. »
72. Mégillos, le Spartiate des Lois de Platon, IV, 712d, soulignait déjà que « le pouvoir des éphores
y ( = à Sparte) est extraordinairement tyrannique ».
73. Cf. infra
74 . Même si la moustache est figurée sur certaines coupes laconiennes.
75. Cf. supra.
76. Cf. Diogène Laërce, I, 68 (Chilon), cité supra p. 191.
77. Cf. l’amende infligée à Archidamos II, selon Théophraste, pour avoir épousé une femme trop
petite (Plut., Agés., 2, 6, et De l’éducation des enfants, 1c-d) ; pour Athénée, XIII, 566a-b, il
est reproché au roi d’avoir préféré à une belle femme une femme laide et riche ; les deux textes
ne sont pas contradictoires, car, pour les Grecs, la taille est un élément important de la beauté
féminine.
78. Cf. supra, supra, supra et supra.
79. Cf. supra.
80. On rapprochera le juge unique, fréquemment évoqué dans le Code de Gortyne.
81. Voir Xénophon, Hell., 2, 3, 34 , où l’oligarque athénien Critias assure que, « si un éphore, au lieu
d’obéir à la majorité (des éphores), se mettait à critiquer le collège (des éphores) et à s’opposer
à ses actes…, il serait jugé, par les éphores eux-mêmes et par tout le reste de la cité, mériter le
châtiment le plus grave ».
82. Cf. aussi l’expression de Plutarque, Lyc., 17, 2, « et eux (les éphores) présentèrent (à
l’assemblée) une proposition (gnômè) ».
83. Cf. infra.
84 . C’est le cas notamment lorsque l’opinion est partagée, par exemple à propos de la paix et de
l’alliance avec Athènes, en 4 21, ou des relations avec la Macédoine et l’Étolie, à la fin du
e
III siècle.
85. Cf. aussi IG V, 1, 1564 , où les 4 autres éphores sont mentionnés dans l’ordre alphabétique.
86. Il n’est pas totalement exclu que, comme les kosmes crétois, les éphores puissent se faire réélire
après un délai assez long, mais aucun document ne permet de l’affirmer.
87. M. Clauss, Sparta, Munich, Beck, 1983, p. 136-37 ; cf. aussi N. Richer, Les Éphores, p. 275-
280.
88. Il n’est pas impossible néanmoins qu’il soit, ainsi que le Pédaritos qui commande à Chios en 4 11,
le fils d’un autre Léon.
89. Cf. supra et supra.
90. C’est pour en conserver le souvenir que, par exemple, dans le premier quart du IVe siècle, un
géronte a dédié un siège de marbre à Athéna Aléa, cf. Horos 10-12 (1998), p. 259-276 et
e e
pl. 4 2, où sont aussi mentionnées 4 autres offrandes de gérontes, dont 3 du IV ou du III siècle.
91. De même, dans l’Athènes des Trente, qui entend imiter le modèle spartiate, seul le Conseil peut
condamner les citoyens de plein droit (les Trois Mille).
92. Cf. supra et supra.
93. Cf. supra et supra.
94 . Ed. Lévy, « La grande Rhètra », Ktèma 2 (1977), p. 85-103 ; cf. aussi supra, p. 33-34 .
95. La même expression, sans doute traditionnelle, se retrouve chez Aristote, Pol., II, 9, 1270b 24 -
25.
96. On ne peut y voir une allusion à l’ensemble des citoyens et donc à l’assemblée, car cela
contredirait le propos de Démosthène.
97. Géronte signifie à la fois vieillard et membre de la gérousie.
98. Plutarque, qui, dans la Vie de Romulus, 13, 3, souligne l’équivalence des termes sénat et
gérousie, appelle constamment le sénat gérousie.
99. Cf. Ed. Lévy, « La Sparte de Polybe », Ktèma 12 (1987), p. 63-79.
100. On pourrait objecter que les textes ne mentionnent pas davantage le rôle de la Boulè athénienne,
alors que nous connaissons, par l’épigraphie et par la Constitution d’Athènes aristotélicienne, ses
fonctions probouleutiques ; mais la Boulè, tirée au sort pour un an, ne dispose pas de la durée
permettant de mener une véritable politique, alors que les gérontes, élus à vie, pourraient,
comme le sénat romain, constituer une source de pouvoir autonome.
101. C’est l’erreur que j’avais faite dans mon livre, La Grèce au Ve siècle, de Clisthène à Socrate,
Paris, Seuil, « Nouvelle Histoire de l’Antiquité 2 », 1995, p. 156-157, où j’affirmais, avec
quelque excès, que « si, dans le domaine politique, jusqu’à Agis IV, la gérousie reste sans
histoire, c’est sans doute parce qu’elle était sans pouvoir ».
102. Il faut attendre le régime parlementaire pour pouvoir distinguer la responsabilité politique, qui
entraîne, sans conséquences judiciaires, la chute de l’homme politique dont on condamne la
politique, et la responsabilité pénale, qui faisait condamner le roi de Sparte ou le stratège
athénien pour des opérations malheureuses.
103. Cf. supra et supra.
104 . Il n’est pas sûr, contrairement à ce qui se passera sous Agis IV, que ces discussions aient
débouché sur un vote, mais, en plus de deux siècles, les pouvoirs respectifs de la gérousie, des
éphores et des rois ont pu varier.
105. C’est à partir d’une telle formule, bien spartiate, qu’une source de Plutarque (Agés., 5, 4 ) a
imaginé que les éphores l’avaient mis à l’amende, mais Xénophon, Agés., 6, 8, assure que ses
concitoyens ne lui ont jamais infligé d’amendes.
106. Cf. aussi Xén., Hell., 5, 4, 25 : en 378, lors du procès de Sphodrias, la gérousie était divisée entre
les amis de Cléombrotos, ceux d’Agésilas et les neutres (ceux du « milieu »).
107. Serait-ce là la « petite assemblée » que, lors de la conspiration des Cinadons, les éphores n’ont
même pas pu réunir.
108. Ainsi, en 4 25, dans des circonstances critiques, les Lacédémoniens, entendons l’assemblée,
décidèrent d’envoyer les autorités (ta télè) à l’armée « pour, au vu de la situation, prendre sur-
le-champ les décisions qui leur paraîtraient s’imposer », Thuc., IV, 15, 1 ; cf. C. König, Τά τέλη
et οἱ ἐν τέλει verbis quinam intellegendi sint, Iéna, Phil. Fak., Inaug.-Diss., 1886.
109. Plutarque, Lys., 14 , 7-8, cite textuellement une décision (dogma) des éphores, introduite par
« Voici ce qu’ont décidé les autorités (ta télè) des Lacédémoniens… » ; de même, le terme
archontés se réfère souvent aux éphores.
110. L’expression peut aussi, dans certains cas, désigner les éphores et l’assemblée, cf. Xén., Hell.,
III, 3, 23.
111. Cléomène III, lui, n’hésitera pas à s’attaquer à la gérousie, cf. infra.
112. Par exemple D.M. McDowell, Spartan Law, p. 66. Il serait cependant assez conforme aux
habitudes spartiates de progression selon l’âge que les néoi assistent à l’assemblée en silence et,
comme les votes se faisaient normalement par cris, leur rôle y serait resté très limité ; cf. aussi le
début de l’Archidamos d’Isocrate.
113. Le terme est attesté dans un certain nombre de cités doriennes : en Sicile, notamment à Agrigente,
à Byzance, à Corcyre, à Anaktorion, à Héraclée de Lucanie, en Élide et dans la colonie spartiate
de Tarente ; cf. les références in F.R. Adrados, Diccionario griego-español, Madrid, consejo
superior de investigationes cientificas, 1989, s.v.
114 . Cf. G.E.M. de Sainte-Croix, The Origins of the Peloponnesian War, Appendice XXIII, « The
name of the Spartan Assembly », p. 34 6-34 7, W. Burkert, « Apellai und Apollon », Rh. M 118
(1975), 1-21, et K.-W. Welwei, « Apella oder Ekklesia, Zur Bezeichnung der spartanischen
Volksversammlung », Rh. Mus. für Philologie 14 1 (1998), p. 24 2-24 9, qui défend la
dénomination Apella.
115. On peut aussi mentionner agora, si le mot a bien ce sens chez Hérodote (VI, 58) et si on peut le
restituer dans la dernière ligne (mutilée) de la grande rhètra.
116. Cette division de l’année est déjà attestée chez Alcman.
117. En 4 32, l’éphore Sthénélaïdas a, exceptionnellement, fait voter par déplacement, cf. Thuc., I, 87.
118. Dont Aristote vient de mentionner l’existence en Crète.
119. L’expression suggère déjà qu’il y a des gens qui ne sont pas « les premiers venus » et ont le droit
d’intervenir.
120. Sans en tirer vraiment parti, P. Cartledge, « The peculiar position of Sparta in the development of
the Greek City-State », Proceedings of the Royal Irish Academy, 80 (1980), p. 91-108
( = Spartan Reflections, Londres, Duckworth, 2001, p. 21-38), notait déjà que « no discussion
or at least no alternative proposals were permitted in the assembly ».
121. Le préverbe anti-, qui marque l’opposition est si gênant que certains ont préféré le négliger ;
ainsi, M. Nafissi, La nascita del Kosmos. Studi sulla storia e la società di Sparta, Naples, Ed.
scient. ital., 1991, p. 363, se contente de traduire : « a chi voglia è concesso di prendere la
parola sulle proposte di legge ».
122. Les gens du peuple y sont invités à « dire ce qu’il faut » et, dans la partie commune à Diodore et
à Plutarque, le fait de « répondre par de droites rhètra » peut aussi suggérer l’accès à la parole.
4

Sparte et le monde extérieur


e 1
du milieu du VI siècle à 362

La conquête de la Messénie et les victoires remportées en Arcadie (Hdt., I,


68) et sur Argos 2 avaient permis à Sparte de dominer le Péloponnèse. Mais
elle ne pouvait profiter durablement de ces succès et devenir la première
puissance militaire de Grèce qu’en organisant tout un système d’alliances,
notamment ce que les historiens modernes ont appelé la Ligue du Péloponnèse.
Elle avait sans doute été capable, dès le VIe siècle, d’intervenir, avec des
résultats variables, seule ou avec quelques alliés, à Samos, à Naxos ou même à
Athènes. Mais c’est grâce à ses alliés qu’elle eut, sur terre, une supériorité si
manifeste que, lors de la guerre du Péloponnèse, Athènes n’essaya même pas
de résister aux invasions.
Quelques nombres suffisent à montrer l’importance militaire de ces
alliances 3 : en 479, lors de la bataille de Platées, selon Hérodote (IX, 278-29),
sur les 38 700 hoplites grecs, Sparte en aligne 10 000 (5 000 Spartiates et
5 000 Périèques), alors que les alliés du Péloponnèse et de l’Isthme en
engagent 16 400 4 , auxquels il faut peut-être ajouter les 8 000 hoplites
athéniens, si, comme il est probable, Athènes fait alors partie de la Ligue du
Péloponnèse, et cela, bien que des alliés comme Ambracie, les Éléens,
Mantinée ou l’Arcadie occidentale n’aient pas envoyé de troupes. De même, au
début de la guerre du Péloponnèse, sur les quelque 60 000 hommes (y compris
les 11 000 Béotiens) qui peuvent envahir l’Attique, les effectifs lacédémoniens
ne devaient pas dépasser ceux de la bataille de Platées, soit, au maximum,
10 000 hommes. Enfin, lors de la répartition des alliés en 10 secteurs, que
Diodore (XV, 31, 2) date de 377/76, les Lacédémoniens ne constituent plus
qu’un dixième de l’ensemble ou un septième, si l’on ne considère que le
Péloponnèse et l’Isthme, les seuls Arcadiens comptant pour deux dixièmes.
Aussi, avant d’étudier brièvement la politique lacédémonienne à l’égard
des Perses, des Athéniens ou du reste de la Grèce, doit-on préciser la nature et
le fonctionnement de la Ligue du Péloponnèse 5.
1. La Ligue du Péloponnèse
L’alliance, que les Anciens désignaient par « les Lacédémoniens et les
alliés 6 » ou, plus rarement, « les Péloponnésiens », se constitua à la fin du
e
VI siècle et dura jusqu’aux invasions thébaines de 370-369 ou de 362.

ORIGINE

Au cours du VIe siècle, les Lacédémoniens conclurent des alliances


bilatérales avec un certain nombre de cités du Péloponnèse. Ces alliances
inégales, qui permirent à Hérodote (I, 68) d’affirmer que « la majorité du
Péloponnèse était alors (après les victoires sur Tégée, vers le milieu du
e
VI siècle) soumise aux Lacédémoniens », devaient impliquer l’obligation de

« suivre (à la guerre) les Lacédémoniens partout où ils (vous) mèneront 7 ».


Elles ont pu être le fruit de victoires militaires, comme dans le cas de Tégée,
ou provenir des bonnes relations que l’oligarchie spartiate avait établies avec
les oligarchies de Corinthe ou des cités arcadiennes. Si l’on ne possède pas de
dates précises pour la conclusion de ces accords, on voit déjà Corinthe
participer en 525-24 à une expédition commune contre Samos (Hdt., III, 48),
tandis que des Sicyoniens et des Éginètes – ces derniers sous la contrainte de
Cléomène – participent en 494 à une descente en territoire argien (Hdt., VI,
92).
Ces alliances ont dû se constituer progressivement et on ne saurait y voir
l’œuvre d’un seul homme, que ce soit celle de l’éphore Chilon, qu’Hérodote
incite à placer plutôt au début qu’au milieu du VIe siècle 8 , ou celle de
Cléomène Ier. En tout cas, Hérodote (V, 74) peut affirmer, avec sans doute
quelque exagération 9 , que (vers 506) Cléomène avait réuni contre Athènes une
armée « de tout le Péloponnèse ».
Mais cette expédition suscita justement la première crise majeure dans
l’alliance. En effet, selon l’historien, Cléomène n’avait pas indiqué le but
(géographique et politique) de l’expédition, ce qui n’avait rien
d’extraordinaire (cf. de même Agis en 419, Thuc., V, 54, 1), mais, lorsque, à
Éleusis, les Corinthiens se rendirent compte qu’elle était destinée à établir à
Athènes la tyrannie d’Isagoras 10 , ils firent demi-tour, suivis par le second roi,
Démarate, puis par l’ensemble des alliés. Ce divorce (dichostasie) d’Éleusis
entre les deux rois pose un problème : comment les Corinthiens ont-ils pu faire
défection, alors qu’ils avaient vraisemblablement fait serment de suivre les
rois partout où ils les mèneraient 11 ? Comme l’historien note que les chefs
corinthiens, en discutant entre eux, « avaient réfléchi qu’on ne faisait pas ce qui
était juste », il est vraisemblable que, outre un éventuel accord secret avec
l’autre roi, ils avaient pu arguer d’une clause leur permettant de ne pas
participer en cas d’empêchement religieux 12. Quant au reste des alliés, puisque
les rois se séparaient, ils n’étaient plus tenus par le serment de les suivre : la
décision de ne plus envoyer les deux rois ensemble évitera, à l’avenir, une telle
situation.
Cependant, le plus important fut que, pour prévenir un nouvel échec et
mener à bien une expédition contre Athènes, qui semblait alors tentée de se
rapprocher des Perses, les Lacédémoniens décidèrent de réunir un congrès des
alliés (Hdt., V, 91-93). Ils firent ainsi venir à Sparte, probablement en 505,
Hippias et des messagers (angélous) des alliés : l’absence d’article défini
suggère qu’il ne s’agit pas d’un conseil déjà établi, dont on réunirait les
membres. Les Lacédémoniens assurent avoir fait une erreur en renversant les
Pisistratides, qui leur étaient liés, et entendent les rétablir en faisant en commun
(koinos est répété deux fois) un débat (logos) et une expédition. La majorité des
alliés, hostile au projet, resta silencieuse. Seul Soclès, le représentant de
Corinthe, osa porter la contradiction en soulignant que ce serait au contraire la
lutte contre les tyrans qui serait conforme à la tradition spartiate et en invitant
les Lacédémoniens à ne pas rétablir Hippias « contre toute justice », car, en
tout cas, les Corinthiens n’approuvent pas 13 . Bien qu’Hippias eût ensuite, de
façon quelque peu anachronique, évoqué le danger athénien, les autres alliés,
jusque-là silencieux, « élevant tous la voix, se ralliaient à l’avis du Corinthien
et conjuraient les Lacédémoniens de ne rien faire de révolutionnaire
(néôtéron) à l’égard d’une cité grecque ». L’imparfait suggère qu’il s’agit plus
d’exprimer des avis que de décider par un vote ; de toute façon, voyant
l’opinion générale, les Lacédémoniens auraient été mal avisés d’organiser un
tel vote, où ils auraient été mis en minorité. L’opposition des alliés les incita
même à renoncer à intervenir seuls contre Athènes.
Ce récit suggère que la consultation officielle des alliés était une
nouveauté : il était sans doute déjà habituel de mener des expéditions
communes mais il aurait été inutile pour les Lacédémoniens d’évoquer dans
leur péroraison un « débat (logos) commun », si c’était déjà la norme : le
silence des alliés, à l’exception du Corinthien, montre bien qu’ils étaient plus
habitués à suivre les Lacédémoniens qu’à participer activement à de telles
discussions. De même, il semble qu’on en reste à la recherche d’un consensus
sans aller jusqu’à un vote à la majorité. Aussi est-il difficile de voir dans ce
congrès l’instigateur d’une réforme institutionnelle qui aurait donné à la Ligue
une véritable constitution 14 . Mais la défection générale d’Éleusis et la
consultation des alliés qu’elle a suscitée ont créé un précédent, sur lequel il
sera difficile de revenir. Le congrès des alliés, ayant ainsi délibéré à la
demande même des Lacédémoniens, constituera désormais l’organe délibératif
de la Ligue 15. Il sera amené à prendre des décisions s’imposant à tous : les
textes évoquent, outre les serments, sans lesquels aucun traité n’est valable, des
décrets (dogma) des alliés 16 ou « ce qui a été dit (eirèménon) 17 ». Il est peut-être
excessif de parler, avec Larsen de « constitution » et d’« amendements », dans
la mesure où nous n’avons aucun texte indiquant un moment précis où on
aurait promulgué une « constitution ». Mais l’expédition commune et le
congrès qui suivit montrent que, contrairement aux thèses récentes de
G. Cawkwell, il existait déjà une communauté d’alliés à la fin du VIe siècle et
qu’il ne faut donc pas attendre les premiers affrontements avec Athènes pour
qu’elle se mette en place.

FONCTIONNEMENT

De 505 jusqu’au congrès de 432, qui décida de lancer l’alliance dans la


guerre du Péloponnèse, la Ligue connut des péripéties variées. Si, en 490,
Athènes fit seulement appel à Sparte, la Ligue participa activement à la
deuxième guerre médique, en s’intégrant dans la « Ligue hellénique »,
également dirigée par Sparte, mais qui, contrairement à la Ligue du
Péloponnèse, avait un but précis : repousser l’envahisseur perse. La Ligue
hellénique éclata en 477, quand les Athéniens, désireux de continuer la lutte,
fondèrent la Ligue de Délos. Mais elle ne fut jamais dénoncée officiellement,
ce qui explique sans doute l’aide apportée aux Spartiates par Athènes et
Platées 18 lors de la révolte du tremblement de terre.
Mais, même intégrés dans la Ligue hellénique, les alliés péloponnésiens de
Sparte avaient conservé leur identité et, hostiles à la continuation de la guerre
en Asie, s’en étaient, en 479, retournés en Grèce avec le roi des
Lacédémoniens Léotychidas (Hdt., IX, 114), dont ils reconnaissaient toujours
l’autorité. Quand, en 477, Dorkis remplaça Pausanias comme chef de
l’expédition grecque et que les Athéniens et leurs amis, refusant de reconnaître
le nouveau chef, firent sécession, les Péloponnésiens s’en revinrent avec le
chef lacédémonien.
La Ligue du Péloponnèse connut cependant, entre 479 et 465, des
problèmes internes, qui ne furent réglés que par les victoires remportées à
Tégée, sur Argos et Tégée, et à Dipaia, sur les Arcadiens (Hdt., IX, 35). Après
la rupture de 462 entre Athènes et Sparte, la menace athénienne constitua,
notamment pour les cités de l’Isthme, le ciment de la Ligue.
Celle-ci fut, en 451, partie au traité de 5 ans, conclu selon Thucydide (I,
112, 1) entre « les Péloponnésiens et les Athéniens », et avait donc participé à
la guerre. Elle devait de même, en 446, être partie à la paix de 30 ans, puisque,
en 435, les Athéniens redoutaient qu’une alliance avec Corcyre n’amenât la
rupture des traités conclus avec les Péloponnésiens (Thuc., I, 44, 1). En 440,
Sparte soumit au vote de ses alliés une intervention à Samos pour soutenir l’île
révoltée contre Athènes, projet que fit échouer l’intervention des Corinthiens
(Thuc. I, 41, 2). Mais nous n’avons sur tous ces faits que de brèves allusions
dans la Péntékontaétie de Thucydide.
L’historien s’est au contraire étendu sur le congrès de 432, essentiel pour
son sujet, puisqu’on y décida de faire la guerre à Athènes. Il distingue deux
étapes dans la marche à la guerre.
Se réunit d’abord, sans doute en juillet 432, une assemblée spartiate (Thuc.,
I, 67-88, avec le commentaire de Gomme), à laquelle furent invités les alliés
qui avaient des griefs contre Athènes 19 . Après leurs interventions et celle d’un
Athénien, les Spartiates firent se retirer leurs alliés et votèrent la guerre, au
moins sous la forme hypocrite 20 selon laquelle les Athéniens étaient coupables
et les traités rompus (de leur fait). Annonçant ensuite leurs décisions aux alliés
présents, ils leur dirent « vouloir convoquer tous les alliés et les faire voter,
pour que, ayant délibéré en commun, ils fissent la guerre, si cela leur semblait
bon » (I, 87, 4).
Après une consultation encourageante de Delphes (Thuc., I, 118) se réunit
le congrès (xunodos) des alliés (Thuc., I, 119-125) (août 432), dans lequel
Sparte voulait mettre aux voix la question de savoir « s’il fallait faire la
guerre » (I, 119). Après l’intervention des différents délégués, parlant
librement, mais, pour la plupart, poussant à la guerre, et le long discours des
Corinthiens, recomposé par Thucydide, « les Lacédémoniens firent voter à la
suite tous les alliés présents, aussi bien petite que grande cité, et la majorité (to
plèthos) décréta de faire la guerre » (I, 125).
Le texte suggère un fonctionnement « démocratique » de la Ligue, puisque
les alliés décident à la majorité, que ce soit, comme ici, pour entrer en guerre,
comme en 421 21, pour conclure la paix ou, comme en 428 (Thuc., III, 8, 1 et
15, 1), pour conclure une alliance avec les Mytiléniens. Le congrès des alliés
apparaît ainsi comme une institution essentielle de la Ligue, au moins au
e
V siècle : il est caractéristique à cet égard qu’on ne parle plus de simples

messagers (sans article) comme en 505 mais de l’arrivée des « ambassadeurs


envoyés par l’Alliance (apo tès xummachias) » et de « réunion du congrès
(xunodos) » (Thuc., I, 119).
Si les propositions soumises au congrès émanent normalement de Sparte,
qui peut faire droit à telle ou telle demande de ses alliés, les alliés eux-mêmes
peuvent, en séance, présenter une autre proposition, voire une contre-
proposition. C’est ce que montre, en 404, le traitement d’Athènes vaincue. En
effet, Sparte était hostile à l’anéantissement d’Athènes et son assemblée avait
voté en ce sens 22. Or, au congrès des alliés, Corinthiens, Thébains et beaucoup
d’autres ont combattu (antélégon) la proposition spartiate de traiter avec
Athènes (Xén., Hell., II, 2, 19), et le délégué thébain a proposé (eipen) de
détruire Athènes 23 . La proposition avait été mise aux voix, puisque
Démosthène (Ambass., XIX, 65) rappelle que les Phocidiens avaient alors voté
contre la proposition thébaine.
Il est aussi probable que la décision, prise en 376, de construire une flotte
pour bloquer Athènes et pouvoir transporter par mer l’armée en Béotie a été
prise à l’initiative des alliés, las de la guerre d’usure (Xén., Hell., V, 4, 60).
Cependant, le congrès est convoqué à la seule initiative des
Lacédémoniens, qui en assurent la présidence, car il n’y a pas, comme dans la
Ligue de Délos, de réunions périodiques de la Ligue du Péloponnèse. C’est
pourquoi, dans un discours que lui prête Thucydide (I, 141, 6), Périclès peut
souligner que les Péloponnésiens n’ont pas de bouleutèrion commun. Ils n’ont
pas non plus, au Ve siècle, de finances communes alimentées par des
contributions (phoros) (Thuc., I, 19), même si, en 413, le roi Agis sera amené
à lever des contributions pour la flotte.
Le pouvoir de réunir ou non les alliés et l’impossibilité d’une expédition
collective, si elle n’est votée et dirigée par Sparte, laissent à celle-ci une
grande capacité de blocage, qui permet aux contestataires, dont Thucydide s’est
fait l’écho, de critiquer la lenteur des Spartiates (discours des Corinthiens à
Sparte, Thuc., I, 68-71). Ainsi, en 432, Sparte s’était fait prier 24 pour réunir le
congrès : Corinthiens et Mégariens se plaignaient depuis des années, et seules
les menaces de sécession 25 avaient amené les Lacédémoniens à voter la guerre
et à soumettre la question aux alliés. D’autre part, l’égalité de vote 26 entre
grandes et petites cités peut favoriser les pressions de la cité la plus puissante, à
laquelle on s’efforce de complaire (charizesthai, cf. Xén., Hell., 5, 2, 14) et qui
a dû établir, notamment dans les petites cités 27 , des régimes à sa convenance 28 .
Cependant elle n’était pas seule à exercer son influence et une cité comme
Corinthe avait aussi sa propre clientèle à l’intérieur de la Ligue. C’était, selon
toute apparence, l’accord entre Corinthe et la majorité des Lacédémoniens qui,
en 432, avait permis de voter la guerre.
Le congrès peut prendre des décisions générales, valables pour toute la
durée de la Ligue. Ainsi, à une date indéterminée mais sans doute assez tôt, il a
été décidé que « ce que voterait la majorité des alliés serait exécutoire à moins
d’empêchement 29 venant des dieux ou des héros » (Thuc., V, 30,1). Le décret
(dogma) des alliés interdisant aux membres de la Ligue de se faire la guerre
tant que l’armée commune est en expédition n’est mentionné qu’en 378 lors de
l’expédition d’Agésilas 30 en Béotie (Xén., Hell., V, 4, 37), mais il a des
chances d’être beaucoup plus ancien, car, au cours de la guerre du
Péloponnèse, Mantinée et Tégée, accompagnées de leurs alliés respectifs,
attendent l’armistice de 423 pour s’affronter. Il avait d’ailleurs été « dit dans
une convention », sans doute au début du conflit, que « ce qu’on possédait en
entrant en guerre contre Athènes, on le posséderait au sortir de la guerre »
(Thuc., V, 31, 5).
Le congrès des alliés prend aussi des décisions particulières concernant
telle guerre ou telle expédition. En 396, c’est vraisemblablement lui qui, en
réponse aux préparatifs perses, a voté l’envoi d’une nouvelle expédition en
Asie 31. En 376, il a fait construire une flotte 32, et, en 368, « a triomphé chez les
alliés » l’idée d’envoyer les renforts syracusains en Laconie plutôt qu’en
Thessalie (Xén., Hell., VII, 1, 28). En 382, dans la guerre de Chalcidique, le
congrès a pris des mesures (Hell., VI, 2, 16) aussi bien ponctuelles – la
détermination des effectifs nécessaires –, que plus durables, puisque encore
appliquées dix ans plus tard : la possibilité de verser de l’argent au lieu de
fournir des troupes, assortie d’amendes infligées par Sparte en cas de
manquement à la règle (Hell., V, 2, 20-22, 37). Au contraire, la réorganisation
du système d’alliance en 10 secteurs, évoquée par Diodore de Sicile (XV, 31,
2) (377/76), correspond à une coalition élargie à l’Acarnanie, à la Phocide et à
la Locride ainsi qu’aux Olynthiens et à leurs alliés et paraît sans lendemain.
Sparte a peut-être aussi essayé de faire du Congrès des alliés une instance
juridictionnelle 33 – ou, au moins d’arbitrage –, puisque, en 395 (Hell. Oxyrh.,
XVIII, 4), elle tenta, d’ailleurs vainement, d’obliger les Béotiens à soumettre
aux alliés le différend qui les opposait aux Phocidiens. De même, en 382, elle
constitua un tribunal (fédéral), formé de trois juges lacédémoniens et d’un juge
de chaque cité alliée, petite ou grande, et l’envoya à Thèbes pour condamner
(H)isménias (Xén., Hell., V, 2, 35).
La Ligue du Péloponnèse est une entité internationale reconnue,
puisqu’elle peut faire la guerre et conclure des traités ; en sont membres ceux
qui figurent parmi « les Lacédémoniens et les alliés » (cf. Thuc., III, 15, 1, et
Xén., Hell., IV, 6, 4) et ont le droit de participer aux congrès de la Ligue. Mais
il est difficile de préciser l’extension de celle-ci, car, de même qu’Athènes a
des alliés qui n’appartiennent pas à la Ligue de Délos, Sparte a des alliés qui
n’appartiennent pas à la Ligue du Péloponnèse et il en va de même pour les
autres membres de la Ligue : il existe des alliances particulières (idia
xummachia) entre cités et Corinthe a tout un groupe d’alliés, dont certains
doivent appartenir à la Ligue et d’autres non.
Lorsque celle-ci n’est pas en guerre, ses membres jouissent toujours du
droit de se faire la guerre : ainsi, au Ve siècle, Corinthe est fréquemment en
guerre contre Mégare (Thuc., I, 103, 4 et Plut., Cimon, 17, 2) et Tégée et ses
alliés le sont souvent contre Mantinée et ses alliés (Thuc., I, 134, 1 ; IV, 134 et
cf. V, 29). Ces luttes internes peuvent déboucher sur des traités qui n’engagent
pas la Ligue : ainsi Sparte, après avoir, en 418, vaincu Mantinée, a conclu avec
elle une trêve de 30 ans (Xén., Hell., V, 2, 2, cf. Thuc., V, 81, 1) et, après avoir,
vers 398, vaincu Élis, a conclu avec elle paix et alliance.
La Ligue elle-même, dans son ensemble, peut, en tant qu’entité du droit
international, avoir des alliés qu’elle n’intègre pas dans son sein, tels,
vraisemblablement, les Mytiléniens en 428 (Thuc., III, 8, 1 et 15, 1). De plus,
lors de grandes coalitions comme dans la deuxième guerre médique ou la
guerre du Péloponnèse, d’autres puissances font cause commune avec la Ligue.
Ainsi, en Thuc., II, 11,1, le roi Archidamos, au début de la guerre du
Péloponnèse, s’adresse à ses troupes en les apostrophant en « Péloponnésiens
et alliés », entendons membres de la Ligue et autres alliés, et, dans le cours de
son récit, l’historien évoque plus d’une fois « les Péloponnésiens et les alliés »
(III, 1, 1 ; 89, 1 ; IV, 2, 1) 34 ou « le Péloponnèse et l’alliance (entendons les
territoires alliés) extérieure » au Péloponnèse (II, 10, 1) 35. Si les alliés du
Péloponnèse, à savoir presque tout le Péloponnèse à l’exclusion notable
d’Argos, et ceux de l’Isthme font certainement partie de la Ligue ainsi que
probablement Athènes à certains moments de son histoire, peut-être au début
du Ve siècle 36 , plus probablement après 404, il est plus difficile de préciser la
situation exacte de Thèbes ou des alliés situés au nord du golfe de Corinthe.

RAPPORT AVEC LES ALLIÉS

Avant 404

La Ligue du Péloponnèse a été d’une longévité exceptionnelle : plus de


deux siècles, alors que sa rivale, la Ligue de Délos a duré 73 ans et la seconde
Confédération maritime athénienne, à peine 23 ans.
La première raison est, bien sûr, la puissance de Sparte, qui, au cours de
cette période, n’a jamais dû capituler : elle a failli le faire en 425 et, si Athènes
avait eu la sagesse d’accepter, il n’est pas sûr que la Ligue du Péloponnèse
aurait survécu. La deuxième raison serait la nature de l’Alliance, qui n’avait été
conclue ni pour un but particulier amenant sa dissolution une fois celui-ci
atteint 37 , ni, en conséquence, pour une durée limitée. Aussi tout abandon de
l’Alliance peut-il être considéré comme une défection, que Sparte, le chef
(hègémôn) de la Ligue, est habilitée à châtier 38 , ce qu’elle peut faire d’autant
plus facilement que l’absence de fortifications 39 met les alliés à sa merci.
Une autre raison, paradoxale, de la durée de la Ligue, c’est sans doute, au
moins au Ve siècle, la souplesse de son organisation : pas de réunion
périodique ni de structure permanente, pas de contributions, pas de chefs
spartiates contrôlant la vie des cités alliées, la seule obligation étant d’envoyer
des troupes 4 0 quand le congrès des alliés l’a décidé à la majorité. Aussi les
Spartiates ne se font-ils pas faute de souligner l’indépendance 4 1 dont jouissent
les cités de leur Ligue par opposition à la sujétion des cités de la Ligue de
Délos.
Mais il ne faut pas se faire d’illusion sur cette indépendance, car, comme
l’affirme Thucydide (I, 19, et cf. I, 144, 2), Sparte veille à ce que ses alliés
« aient un régime oligarchique répondant à sa seule convenance » et les
délégués athéniens sont censés dire aux Spartiates, en 432 : « Vous commandez
à des alliés que vous avez organisés à votre avantage » (Thuc., I, 76, 1). On ne
doit pas sans doute, au moins avant le IVe siècle, surestimer cette mainmise
politique, car plusieurs cités importantes gardent un régime plus ou moins
démocratique 4 2. Mais les interventions répétées à Athènes, pour renverser
Hippias, puis chasser Clisthène, avant d’essayer de rétablir Isagoras ou
Hippias, laissent deviner comment Sparte devait traiter une petite cité de la
Ligue dont le régime ne lui convenait pas. Elle bénéficie ainsi de la solidarité
politique (cf. Thuc., V, 31, 6) des gouvernants redoutant d’être renversés par
des démocrates pro-athéniens.
Elle avait en fait imposé un ordre lacédémonien dans le Péloponnèse en
remplaçant, autant qu’elle le pouvait, des régimes autoritaires, qualifiés de
tyrannies, par des régimes oligarchiques pro-spartiates. Si l’on a récemment
mis en doute la réalité de cette politique anti-tyrannique 4 3 , il est difficile de
rejeter sur ce point les témoignages concordants d’Hérodote, de Thucydide et
d’Aristote. Chez Hérodote (V, 92a), ce sont des critiques de Sparte, en
l’occurrence les Corinthiens, qui, s’indignant à l’idée de rétablir Hippias à
Athènes, affirment que ce serait le monde à l’envers si « les Lacédémoniens,
ruinant les régimes égalitaires (isokratia), se (préparent) à ramener la tyrannie
dans les cités », ce qui suggère que, normalement, Sparte fait le contraire,
c’est-à-dire renverse les tyrannies. C’est très précisément ce qu’affirme
Thucydide (I, 18, 1) : « Les tyrans des Athéniens et ceux du reste de la Grèce –
où déjà auparavant la tyrannie était très répandue –, (à savoir) la plupart 4 4 des
plus récents (téleutaioi), à l’exception des tyrans siciliens, furent renversés par
les Lacédémoniens. » L’allusion à la chute des Pisistratides et aux tyrans les
plus récents suggère une date assez tardive, sans doute la seconde moitié du
e
VI siècle.
Sparte profite aussi d’un certain « patriotisme péloponnésien », qui a
incité, en 480, à vouloir défendre le seul Péloponnèse, qui est exploité dans la
grande guerre des Péloponnésiens et des Athéniens et, après Leuctres, lors des
invasions thébaines 4 5 et qu’on retrouvera à l’époque hellénistique.
Aussi, en général, au moins au Ve siècle, les alliés lui restent-ils fidèles et
n’ont-ils pas profité des difficultés spartiates, notamment lors de la révolte du
tremblement de terre, pour faire massivement défection.
Cela ne veut pas dire que Sparte n’ait jamais connu de difficultés avec eux.
C’est, comme on l’a vu, une rébellion collective, au cours même d’une
campagne, qui a amené, en 505, la Ligue à commencer à s’organiser. Mais, si
l’on néglige les problèmes arcadiens des années 70, la première crise grave de
l’Alliance fut provoquée par la paix de Nicias (421).
En effet, l’Alliance, qui était devenue de plus en plus une alliance contre
Athènes, perdit sa raison d’être lors de la paix, quand Sparte alla jusqu’à
conclure, sans participation des alliés, un traité d’alliance avec Athènes.
Comme, en outre, même dans la paix, qui engageait l’Alliance, une clause de
révision permettait aux Athéniens et aux Lacédémoniens, s’ils étaient d’accord,
de modifier le traité, sans avoir besoin de consulter les alliés, ceux-ci étaient à
la fois mécontents et inquiets. Car ces alliés, qui, théoriquement, avaient fait la
guerre pour garantir l’indépendance (autonomia) des cités, risquaient de se
voir soumis à la domination conjointe d’Athènes et de Sparte 4 6 . Forte de sa
réconciliation, provisoire, avec Athènes, Sparte put ainsi négliger ses
principaux alliés, puisqu’elle fit voter la paix par la majorité de la Ligue
malgré l’opposition de Corinthe, Élis, Mégare et Thèbes, qui refusèrent de la
jurer, Corinthe, Mégare et Thèbes conservant des revendications territoriales à
l’égard d’Athènes et Élis se plaignant d’avoir été dépossédée de Lépréon par
Sparte elle-même.
Aussi assiste-t-on à un étonnant renversement d’alliances : les alliés se
tournèrent vers Argos, qui n’était plus liée par la paix de 30 ans conclue avec
Sparte en 451, voire vers Athènes, de nouveau en froid avec Sparte. Se
constitua finalement une quadruple alliance défensive de 100 ans entre
Athènes, Argos, Élis, Mantinée et leurs alliés respectifs (Thuc., V, 47), tandis
que Corinthe, satisfaite de voir Sparte et Athènes de nouveau brouillées, était
revenue dans le camp spartiate. Cette alliance, qui désagrégea en partie la
Ligue du Péloponnèse, peut être considérée comme le chef-d’œuvre
diplomatique du jeune Alcibiade, mais, Athènes ne s’engageant pas
suffisamment, Sparte obtint une grande victoire à Mantinée en 418. Elle eut dès
lors d’autant plus le loisir de rétablir un ordre spartiate dans le Péloponnèse
qu’elle avait conclu un traité d’alliance avec Argos, où elle réussit,
provisoirement, à installer un gouvernement oligarchique. Elle obligea ainsi
Mantinée à renoncer à la domination (archè) qu’elle exerçait sur les cités
(voisines) (Thuc., V, 81, 1) et l’Achaïe à adopter un régime qui convenait
mieux (épitèdeios) aux Spartiates.
La victoire de Mantinée avait donc permis à Sparte de reprendre en mains
la Ligue du Péloponnèse, qui, bien qu’aucun congrès ne fût mentionné,
s’opposa d’autant moins, en 414, à la reprise de la guerre que, cette fois, c’était
Athènes l’agresseur.
En 404, Sparte conclut paix et alliance avec Athènes vaincue, malgré
Corinthe, Thèbes et beaucoup d’autres, qui souhaitaient la destruction de la cité
ennemie (Xén., Hell., II, 2, 19), mais Sparte, victorieuse, était alors assez forte
pour ne pas avoir à redouter de défections.
Le rôle et l’importance relative de Sparte et de ses principaux alliés ont
donc varié. Le plus souvent, au moins jusqu’en 421, la politique de Sparte peut
s’expliquer par la volonté – et la nécessité – de préserver la cohésion de la
Ligue. C’est ainsi en grande part sous l’influence des alliés que Sparte a
renoncé, après les guerres médiques, à poursuivre la lutte contre les Perses,
comme, plus tôt, à rétablir Hippias, ou s’est lancée, prématurément, si l’on en
croit le roi Archidamos, dans la guerre du Péloponnèse.

Après 404

Mais, victorieuse en 404 ou soutenue par la Perse en 386, Sparte aura


tendance à imposer sa politique à des alliés qui ne se sentaient guère concernés
par des expéditions en Asie, en Grèce du Nord ou même en Béotie. Ainsi
s’explique sans doute la mesure déjà évoquée 4 7 permettant de remplacer
l’envoi de contingents militaires par une contribution financière. Et il est
manifeste que les expéditions quasi annuelles contre Thèbes ne suscitaient pas
l’enthousiame des alliés. La mainmise de Sparte sur la Ligue se voit bien,
quand, en 371, elle jure la paix au nom de ses alliés (Xén., Hell., VI, 3, 18) au
lieu de les laisser jurer individuellement 4 8 comme en 421 ou en 404 et sans
qu’on sache si elle a réuni un congrès.
Il y a plus grave : sûre de sa puissance, Sparte n’hésita pas à intervenir avec
violence dans ou contre des cités de la Ligue 4 9 . Lysandre et ensuite Agésilas
imposèrent ainsi, au mépris de l’autonomia, le retour d’oligarques exilés, par
exemple à Athènes en 404 ou à Phlionte en 384, et portèrent volontiers au
pouvoir des extrémistes qui ne reculaient pas devant le massacre des
opposants 50 . Dès 402, Sparte voulut, par un ultimatum, obliger Élis à accorder
l’indépendance (autonomia) à ses cités périèques et, dans les années qui
suivirent, au moyen de deux campagnes militaires, elle obligea les Éléens à se
soumettre. L’appui perse, qu’assura à Sparte la paix d’Antalcidas (386), lui
permit de réintégrer Corinthe dans son alliance en l’obligeant à se séparer
d’Argos et à porter les oligarques au pouvoir. Pouvant désormais agir en
maître en Grèce, dès 385, Sparte s’empara de la cité alliée de Mantinée, qui
l’avait mal soutenue pendant la guerre de Corinthe, et obligea la population à
se disperser (dioecisme) dans des villages. Lors d’une expédition en
Chalcidique, en 382, le Spartiate Phoibidas, sans en être officiellement
mandaté mais sans se faire désavouer, s’empara en pleine paix de la citadelle
de Thèbes. En 380-79, Agésilas, sans aucun mandat de la Ligue, s’attaqua à la
cité alliée de Phlionte, qui avait pourtant financé l’expédition lacédémonienne
de l’autre roi, Cléombrotos, et lui imposa un gouvernement oligarchique
assorti du massacre des opposants (Xén., Hell., V, 3, 27) et, en 378, Sphodrias
fit, toujours en paix, une incursion en Attique sans se faire condamner par
Sparte 51.
Une telle politique ne pouvait que susciter ou aggraver l’hostilité des
alliés. Corinthe et Thèbes, déjà récalcitrantes en 404, avaient trouvé des
prétextes pour ne pas participer aux expéditions de Sparte et des alliés contre
les démocrates athéniens de 403 (Xén., Hell., II, 4, 30) 52, puis contre les Éléens
(Xén., Hell., III, 2, 25, et Diodore, XIV, 17, 7). Les deux cités passèrent de
l’hostilité larvée à la guerre ouverte : Corinthe, qui fut même amenée à
fusionner avec Argos, et Thèbes s’opposèrent à Sparte dans la guerre de
Corinthe (395-386).
La défaite de Leuctres révéla l’impopularité de Sparte. Xénophon lui-
même (Hell., VI, 4, 15) dut reconnaître qu’au lendemain de la bataille les chefs
spartiates « se rendaient compte que l’ensemble des alliés (présents) n’avait pas
le cœur à combattre et que même certains d’entre eux n’étaient pas mécontents
de ce qui s’était passé 53 ». Si, dans l’immédiat, les alliés péloponnésiens sont
encore décidés à participer à l’expédition de secours, envoyée en Béotie avec
Archidamos (Xén., Hell., VI, 4, 18), dès le retour peu glorieux de celle-ci, leur
fidélité paraît moins sûre et Xénophon, Hell., VI, 5, 1, se contente de noter,
sans trop s’engager, que « les Athéniens pensaient que les Péloponnésiens se
croyaient encore obligés de suivre (les Lacédémoniens) ». Bien plus, dans les
chapitres suivants, il montre comment Mantinée se fortifie malgré Sparte, qui
n’a plus les moyens de l’en empêcher, comment les Arcadiens constituent une
confédération hostile à Sparte et comment Arcadiens et Éléens incitent les
Thébains à envahir la Laconie (370-369).
La paix séparée qu’en 366-65 les Corinthiens, les Phliasiens et une bonne
partie des alliés conclurent avec les Thébains ne saurait cependant constituer
l’acte de décès de la Ligue, car, selon Xénophon, Hell., VII, 4, 7-10, ils avaient
demandé et obtenu l’aval de Sparte 54 . D’autre part, les Lacédémoniens, qui
avaient réussi à se réconcilier avec Mantinée, eurent à leurs côtés, lors de
l’invasion thébaine de 362, une partie des Arcadiens (notamment ceux qui
refusaient le synoecisme de Mégalopolis), les Achéens, les Éléens et les
Athéniens (Xén., Hell., VII, 5, 18). Cependant, refusant de jurer la paix
commune qui fit suite à la bataille indécise de Mantinée (362), paix jurée par
toutes les autres cités, y compris les Messéniens (Diodore, XV, 89, Polybe, IV,
33, 8-9, et Plut., Agésilas, 35, 3-4), Sparte se trouva désormais totalement
isolée 55.
Les Lacédémoniens n’avaient réussi ni à pacifier, ne serait-ce que par la
force, un Péloponnèse où les oppositions de cité à cité, notamment en Arcadie,
restaient toujours aussi vives, ni à gagner la sympathie durable de la majorité
de ses habitants. Avec la constitution d’une confédération arcadienne et la
renaissance d’une Messénie libre, Sparte ne pourra plus jamais retrouver son
ancienne puissance.
2. Sparte en dehors du Péloponnèse
La Ligue du Péloponnèse, indispensable à la puissance de Sparte, pouvait
servir soit seulement à préserver le Péloponnèse de toute intervention
extérieure, soit, aussi, à intervenir à l’extérieur : en d’autres termes, comme le
suggère le titre d’un livre récent 56 , Sparte s’est-elle montrée isolationniste ou
impérialiste ? La réponse varie selon les périodes et selon les inspirateurs de la
politique spartiate : deux rois, Cléomène Ier et Agésilas II, ont joué un grand
rôle, à la fois par leur activisme et par la durée exceptionnelle de leurs règnes,
plus de trente ans pour l’un, voire quarante ans pour l’autre 57 .

58
SPARTE ET LES PERSES

Avant Cléomène, Sparte paraît s’intéresser même aux régions lointaines,


comme le montrent, au milieu du VIe siècle, l’alliance avec Crésus (Hdt., I, 69-
70) et l’intervention, au moins diplomatique, auprès de Cyrus (Hdt., I, 141, 4 et
152-153, 2), vers 525, l’expédition de Samos, qui ne réussit pas à renverser
Polycrate (Hdt., III, 46 et 54-56), et, vers la même époque, le renversement du
tyran Lygdamis de Naxos (Plut., De la malignité d’Hérodote, 859 d).
Mais, au début du règne de Cléomène, les Lacédémoniens se montrèrent
prudents à l’égard du monde oriental. Se virent ainsi successivement éconduits
Maiandrios de Samos en 516, une ambassade scythe après 514 et Aristagoras,
l’envoyé des Ioniens révoltés contre les Perses, en 499. Dans ces trois cas,
Sparte se refusa, contrairement à ce que fit Athènes en 499, à tout ce qui
pouvait amener un affrontement direct avec le puissant empire perse.
La même prudence s’était déjà manifestée en 519, quand Sparte refusa
d’accueilir Platées dans son alliance et l’invita à s’allier à Athènes (Hdt., VI,
108, et Thuc., III, 68, 5). L’interprétation d’Hérodote, qui voit dans cette
proposition une ruse des Lacédémoniens, « désireux que les Athéniens
s’épuisent à affronter les Béotiens », est sans doute une vision rétrospective,
fondée sur l’opposition future entre Athènes et Sparte. De toute façon,
l’alliance entre Athènes et Platées était tout bénéfice pour Sparte, car les
Pisistratides, qui gouvernaient Athènes, étaient alors des alliés de Sparte ;
Platées, s’alliant à Athènes, devenait donc l’alliée d’une alliée de Sparte sans
que celle-ci fût impliquée dans un conflit avec Thèbes, tandis qu’après un
arbitrage corinthien les Thébains furent obligés de « laisser (libres) ceux des
Béotiens qui ne voulaient pas faire partie de l’union béotienne ».
Cette prudence, qui n’aurait peut-être pas été de mise, si, à la place de
Cléomène, les Spartiates avaient choisi comme roi son demi-frère Dorieus 59 ,
peut s’expliquer par un recentrage sur le Péloponnèse et les zones voisines,
destiné à renforcer l’empire terrestre de Sparte. Ainsi, de 510 à 505, Sparte
intervint militairement deux fois à Athènes et essaya encore deux fois de le
faire, mais en fut empêchée par l’opposition des alliés. En 494, Cléomène
écrasa les Argiens à Sépeia.
C’est sans doute aussi à cette époque que, comme on l’a vu, Sparte imposa
un ordre lacédémonien dans le Péloponnèse en y établissant, autant qu’elle le
pouvait, des régimes oligarchiques prospartiates et en renforçant ainsi sa
mainmise sur la région, même si elle avait dû laisser un droit de décision au
congrès des alliés 60 .
Un tournant se dessina vers 491, au moment où Cléomène, déjà victorieux
d’Argos, réussit à se débarrasser de l’autre roi Démarate : il semble que
désormais Sparte place au premier plan la menace perse. Cléomène et
Démarate s’étaient déjà affrontés à propos d’Égine et de sa politique favorable
à la Perse. Le remplacement de Démarate par Léotychidas permit à Cléomène
d’obliger Égine à remettre des otages à Athènes (Hdt., VI, 73), qui entendait
résister aux Perses. C’est probablement la présence de ces otages qui, en 490,
empêcha Égine d’aider les Perses. Mais, il y a plus grave, les Spartiates avaient
jeté dans un puits les hérauts de Darius venus demander la terre et l’eau 61 (Hdt.,
VII, 133-134), symboles de la soumission au roi des Perses. C’est sans doute
pour marquer irrémédiablement sa volonté de résistance en coupant les ponts
et peut-être aussi pour forcer la main aux hésitants 62 que la pieuse Sparte
s’était résolue à ce grave sacrilège. Cette volonté de résister se manifesta aussi
dans l’envoi d’une expédition de secours à Athènes, même si celle-ci arriva
après la bataille (de Marathon).
En 481, Xerxès, qui, sauf à Athènes et à Sparte, a demandé « la terre et
l’eau » aux cités grecques, demande que peu d’entre elles ont osé rejeter, se
lance dans la grande invasion. Se réunissent alors les Grecs qui veulent
résister, et c’est tout naturellement Sparte, l’hégémôn de la Ligue du
Péloponnèse, déjà considérée, selon Hérodote (I, 69 et V, 49), comme étant à
la tête (proestanai) des Grecs par Crésus, au milieu du VIe siècle, comme par
les Ioniens en 499, qui reçoit la direction de la « ligue hellénique ». Ce choix
n’est contesté par personne, sauf peut-être par Gélon de Syracuse, qui n’aurait
accepté d’intervenir qu’en obtenant le commandement en chef ou, quand on le
lui eut refusé, au moins le commandement sur mer (Hdt., VII, 158-162). Pour
autant que la demande ait réellement été formulée, il s’agirait seulement pour
lui de trouver un prétexte pour ne pas intervenir en Grèce. Il en va de même
pour les Argiens, secrètement favorables aux Perses, qui, sûrs d’essuyer un
refus, demandent à partager le commandement à égalité avec les Spartiates
(Hdt., VII, 148-152). Quant aux Athéniens, malgré leur prépondérance navale
(180 navires sur les 366 ou 378 navires grecs de Salamine, Hdt., VIII, 42-48),
comme les alliés refusent d’obéir à un autre qu’à un Laconien, ils renoncent à
réclamer le commandement de la flotte (Hdt., VIII, 2-3). Mais eux aussi se
refusent à se mettre sous les ordres d’un autre que d’un Lacédémonien et
même à laisser aux Tégéates la deuxième place dans l’armée de terre.
Les coalisés, après avoir mis fin aux guerres entre Grecs, notamment entre
Athènes et Égine, organisèrent la résistance commune. Après avoir abandonné
la Thessalie, en renonçant à défendre les gorges de Tempè, ils luttèrent
héroïquement, mais en petit nombre, aux Thermopyles, avant de refluer vers le
Péloponnèse, tandis qu’Athènes était évacuée et prise, trois mois seulement
après que les Perses furent partis de l’Hellespont. La flotte grecque, qui avait
combattu à l’Artémision ou qui mouillait dans le port de Trézène, se rassembla
à Salamine.
Se posa alors le problème de la stratégie à adopter. Hérodote a longuement
insisté sur les discussions de Salamine en distinguant bien les thèses opposées.
C’étaient déjà les Athéniens qui avaient incité les alliés à mouiller à Salamine
au lieu de regagner tout de suite le Péloponnèse (Hdt., VIII, 40). Mais ils
paraissent assez isolés. En invitant à choisir, pour combattre, des lieux dont les
alliés étaient encore les maîtres et en rappelant que l’Attique avait été
abandonnée, le chef spartiate Eurybiadès suggérait déjà la solution qu’il
préférait. C’était celle que réclamaient la grande majorité des alliés en
proposant de cingler vers l’Isthme et de combattre devant 63 le Péloponnèse.
Selon le récit d’Hérodote, l’incendie de l’acropole d’Athènes suscita la
panique et fit entériner la décison de partir à l’Isthme. Mais Thémistocle
persuada Eurybiadès d’organiser une nouvelle réunion des chefs alliés, au
cours de laquelle le chef athénien invita à combattre à Salamine. Il mit en avant
des raisons politiques : une telle solution permettrait de conserver Salamine,
Mégare et Égine 64 – et, bien sûr, les représentants de ces cités ne pouvaient
qu’approuver –, et un argument stratégique : étant donné la disproportion des
forces, il était préférable de combattre dans un détroit 65. Mais, surtout, il fit
peser une menace, qui ressortit presque au chantage : si on ne l’écoutait pas, les
Athéniens, qui, nous l’avons vu, constituaient la moitié de la flotte,
abandonneraient la lutte pour aller s’établir en Italie (Hdt., VIII, 62). Devant de
telles menaces, Eurybiadès décida 66 de « livrer le combat naval décisif en
restant sur place ». Cependant, les alliés étant sur le point de revenir sur la
décision (Hdt., VIII, 74), Thémistocle avertit Xerxès que les Grecs voulaient
fuir : l’intervention des Perses, qui leur coupa la retraite, les obligea alors à
combattre à Salamine, où, contre toute attente, ils écrasèrent l’ennemi.
Même si, comme tout ce qui concerne Thémistocle 67 , le récit d’Hérodote a
des chances d’être en partie romancé, on voit bien les incertitudes du
commandement spartiate : celui-ci est partagé entre les aspirations des
Péloponnésiens, qui, dès l’échec des Thermopyles, sont venus en masse
fortifier l’isthme de Corinthe (Hdt., VIII, 71), et les exigences des Athéniens.
S’il cède (finalement ou provisoirement ?) à ceux-ci, c’est qu’on ne peut, sans
eux, combattre sur mer.
Après la victoire de Salamine (septembre 480) et étant donné le maintien
en Grèce d’une puissante armée ennemie, on hésite encore entre la défense du
seul Péloponnèse ou une intervention en Grèce centrale, qui s’impose d’autant
plus que les Perses adressent aux Athéniens, par deux fois, des propositions
avantageuses. Assurés que les Athéniens ne trahiront pas la cause grecque, les
Lacédémoniens attendent d’avoir terminé la fortification de l’Isthme pour,
enfin, envoyer les troupes en Béotie, soit, selon Hérodote (IX, 28-30), en
comptant les 8 000 Athéniens, 38 700 hoplites, dont 10 000 Lacédémoniens,
auxquels s’ajoutent 69 500 hommes armés à la légère, dont 35 000 Hilotes.
En 479, les victoires, presque simultanées, de Platées et de Mycale,
remportées dans les deux cas sous commandement spartiate, délivrent la Grèce
du péril, mais plusieurs questions restent à régler : faut-il laisser les Perses
battre tranquillement en retraite ou détruire le pont de bateaux qui leur permet
de franchir le Bosphore ? faut-il libérer des Perses les Grecs d’Asie ? et
comment faut-il traiter les Grecs qui ont « médisé » ? Trois problèmes sur
lesquels les Lacédémoniens et leurs alliés péloponnésiens se montrent très
prudents.
Ainsi, Eurybiadès et les autres chefs des Péloponnésiens se refusèrent à
couper la retraite aux Perses en allant tout de suite détruire le pont de bateaux
(Hdt., VIII, 108) ; Léotychidas fut quand même chargé de le faire, d’ailleurs
inutilement, puisqu’il le trouva déjà détruit par la tempête, mais il s’agissait
surtout, comme dans l’occupation des détroits, d’empêcher un retour offensif
des Perses.
Tandis que la flotte alliée se trouvait à Samos, les chefs péloponnésiens
proposaient d’abandonner aux Barbares l’Ionie, trop lointaine 68 , et de
transférer les Ioniens en Grèce propre sur les terres de ceux qui avaient médisé
(Hdt., IX, 106) ; cependant, la proposition fut abandonnée du fait de
l’opposition d’Athènes (et sans doute aussi des intéressés).
Selon Plutarque (Thém., 20, 3, 4), les Spartiates auraient aussi voulu
chasser de l’amphictionie delphique les cités qui avaient médisé : il ne pouvait
s’agir de toutes celles qui l’avaient fait, car elles formaient la majorité de
l’amphictionie. Mais, même si on néglige les contradictions internes qui
rendent le texte suspect et qu’on limite la mesure à quelques peuples, il est clair
qu’elle n’avait pas été adoptée, que ce soit du fait de Thémistocle, comme
l’indique Plutarque, ou parce que, comme pour les propositions de Samos,
Sparte n’avait pas insisté. Quant aux opérations de Léotychidas en Thessalie, la
date en est mal établie, et on ne sait donc s’il faut y voir le châtiment du
médisme des Thessaliens ; de toute façon, leur succès limité contribua à la
disgrâce du roi, qui fut condamné pour corruption.

69
SPARTE ET ATHÈNES

Cependant commençait déjà à se poser le problème athénien. Si Athènes


avait, en dépit de sa prépondérance navale, accepté de mettre ses forces sous
commandement spartiate et si, après Salamine, Thémistocle avait reçu un
accueil triomphal à Sparte, la puissance d’Athènes allait bientôt inquiéter
Sparte et ses alliés.
Les bonnes relations existant entre les deux cités et le prestige des victoires
communes avaient interdit à Sparte d’utiliser la force pour empêcher Athènes
de reconstruire ses murs, mais le fait que, poussée par Égine (Plut., Thém., 19,
1) et peut-être par Corinthe, Sparte ait exigé (sans succès) qu’Athènes restât
sans murailles suggérait déjà une volonté de la maintenir dans un état de semi-
dépendance à l’instar des alliés péloponnésiens. On aurait donc pu redouter
une réaction violente quand Athènes prit la tête de la sécession à l’intérieur de
la ligue hellénique, qui, avec l’adhésion de cités des îles et de l’Asie mineure,
allait constituer la Ligue de Délos. Si l’on en croit Diodore (XI, 50), sans
l’intervention du géronte Hétoimaridas, les Spartiates étaient prêts à se lancer
dans la guerre. Thucydide (I, 95, 7) se contente cependant de noter brièvement
que les Lacédémoniens n’envoyèrent plus de généraux, parce qu’ils
« craignaient que l’éloignement ne gâtât les Spartiates qui sortaient de chez
eux 70 … et parce qu’ils désiraient se débarrasser de la guerre contre les Mèdes
et considéraient les Athéniens comme des gens capables d’assurer le
commandement et, à cette époque, en bons termes avec eux ». Mais, dans son
bref aperçu de la Pentékontaétie, Thucydide n’avait pas à évoquer les débats de
Sparte et une proposition qui, de toute façon, avait été rejetée.
Il fait au contraire allusion à l’aide que les Spartiates avaient, en 465,
promis aux Thasiens révoltés contre Athènes : « Les Thasiens incitaient les
Lacédémoniens à les défendre en envahissant l’Attique. Et eux le leur
promirent, à l’insu des Athéniens, et ils allaient le faire, mais ils en furent
empêchés par le tremblement de terre… » (Thuc., I, 101, 1-2). Si des tractations
secrètes 71 sont probables, il serait surprenant que Sparte, qui est toujours
théoriquement l’alliée d’Athènes et qui fera appel à elle lors de la révolte du
tremblement de terre, ait envisagé d’envahir l’Attique, ce qui impliquait une
guerre ouverte.
Jusqu’au renvoi outrageant des hoplites athéniens venus avec Cimon au
secours de Sparte (462), les relations entre les deux cités étaient restées
apparemment correctes, mais les faits rapportés montrent qu’à Sparte ou dans
la Ligue du Péloponnèse certains s’inquiétaient des progrès d’Athènes et de
son autoritarisme à l’intérieur de la Ligue de Délos : la laconophilie de Cimon,
qui avait appelé un de ses fils Lacédémonios, ne l’avait pas empêché de
renforcer la domination d’Athènes sur ce qui devient de plus en plus un
« empire » (archè) athénien.
Le renvoi du contingent athénien entraîna l’ostracisme de Cimon et la
rupture avec Sparte. Athènes se tourna alors vers Argos et entendit profiter des
difficultés des Lacédémoniens aux prises avec les Messéniens pour accroître
son influence en Grèce centrale, dans l’Isthme et dans le Péloponnèse. Elle
réussit ainsi notamment à détacher de Sparte Mégare et l’Achaïe. Mais
l’alliance d’Athènes avec Mégare suscita une guerre avec Corinthe et Épidaure,
auxquelles se joignit Égine. Sparte elle-même, attendant sans doute d’avoir
sufisamment jugulé la révolte messénienne, n’intervint qu’à partir de 457.
Après des alternatives de victoires et de défaites 72 et, alors que la construction
des Longs Murs mettait désormais Athènes à l’abri, on conclut en 451, sous
l’égide de Cimon, rappelé à Athènes, une paix de 5 ans.
Les relations entre les deux cités restaient néanmoins médiocres : elles
s’opposèrent à Delphes comme à propos du congrès panhellénique que
Périclès voulait organiser. Si Athènes avait profité de la révolte messénienne,
Sparte entendait pour sa part profiter des difficultés de la Ligue de Délos.
Après qu’en 447 Athènes, vaincue, avait dû évacuer la Béotie, en 446, la
révolte de l’Eubée et de Mégare suscita une coalition générale contre une
Athènes aux abois : les Spartiates furent même déçus que leur roi Pleistoanax
n’eût pas poussé plus loin son offensive 73 et, l’accusant de corruption,
l’obligèrent à s’exiler. En tout cas, lors de la paix de 30 ans, conclue la même
année, Athènes dut abandonner toutes ses conquêtes, à l’exception d’Égine,
dont l’autonomia était néanmoins garantie au sein de la Ligue de Délos.
En 440, la révolte de Samos, la plus puissante des alliés maritimes
d’Athènes, ébranla la ligue de Délos, mais, malgré le vote favorable de
l’assemblée spartiate 74 , la ligue du Péloponnèse, du fait de l’opposition
corinthienne, renonça à intervenir.
C’est au contraire Corinthe, mal récompensée par Athènes, et Mégare qui
poussèrent les Lacédémoniens et la ligue du Péloponnèse à se lancer dans la
guerre du Péloponnèse. En effet, Athènes avait interdit à Mégare les ports et les
marchés de son « empire », tandis que Corinthe avait dû affronter sur mer
Athènes, alliée à sa colonie révoltée de Corcyre, et avait elle-même envoyé des
troupes défendre Potidée 75, révoltée contre Athènes. Aussi ces deux cités,
auxquelles s’était, entre autres, jointe Égine, voulaient-elles qu’on déclarât
rapidement la guerre, avant que Mégare, asphyxiée économiquement, ne fût
obligée de céder et que Potidée ne succombât. Les Lacémoniens hésitaient
devant ce qui s’annonçait comme une guerre difficile 76 , même s’ils
n’imaginaient pas qu’elle ne s’achèverait, après une brève interruption, qu’au
bout de vingt-sept ans. Ils cèdèrent néanmoins devant les menaces de sécession
des Corinthiens.
L’affrontement s’explique aussi par une détérioration progressive des
relations entre Athènes et Sparte. Après avoir accepté, peut-être à contrecœur
mais loyalement, de rester le brillant second de Sparte dans la deuxième guerre
médique, Athènes avait, sous Cimon, développé et fortifié sa ligue sans
affronter Sparte, dont elle restait théoriquement l’alliée ; elle cherchait ainsi à
établir une sorte de condominium sur la Grèce, que les alliés de Sparte
redouteront de voir renaître en 421 : Cimon aurait, en 462, invité les Athéniens
« à ne permettre ni que la Grèce fût boiteuse ni que la cité restât seule sous le
joug » (Ion de Chios, selon Plut., Cimon, 16, 10). Mais la chute de Cimon avait
amené une période d’opposition, faite de « guerre froide » et de conflits
ouverts, qui devaient déboucher, soit sur un retour à une Grèce cimonienne,
mais personne n’y croyait plus, soit sur la lutte à mort que deviendra la guerre
du Péloponnèse.
Cependant, les Spartiates n’étaient pas tous de chauds partisans de la
guerre. L’assemblée spartiate avait été loin d’être unanime : le roi Archidamos
s’était opposé à l’éphore Sthénélaïdas, qui présidait et était partisan de la
guerre immédiate. Bien que la proposition soumise au vote gommât
habilement le parjure en attribuant aux Athéniens la rupture des traités, le vote
par acclamations était, selon Sthénélaïdas lui-même, resté incertain. La
procédure, inhabituelle, de vote par déplacement, qu’il appliqua alors, était
vraisemblablement un moyen de faire pression sur les hésitants.
D’autre part, il n’est pas sûr, quoi qu’en dise Thucydide, persuadé du
caractère inéluctable de la guerre, que les dernières négociations entre Sparte
et Athènes n’aient été que des gesticulations de propagande : des concessions
athéniennes permettant de sauver la face devant les alliés auraient peut-être
préservé la paix ; Périclès lui-même, pour les faire rejeter, doit suggérer que,
si on cède sur un point, les Spartiates accroîtront leurs exigences.
Enfin, même s’il fallait faire la guerre, certains Spartiates la croyaient 77 et
la souhaitaient courte et limitée. Ainsi, lors de la première campagne,
Archidamos progressa lentement et évita de faire trop de ravages : il s’agissait
de faire comprendre aux Athéniens que, s’ils refusaient une bataille rangée,
dont les Péloponnésiens sortiraient nécessairement vainqueurs, toute l’Attique
serait ravagée et de les amener ainsi à accepter une paix de compromis.
Mais c’était compter sans la stratégie de Périclès, prêt à transformer
Athènes et son port du Pirée, réunis par les Longs Murs, en une sorte d’île, et à
abandonner l’Attique à l’ennemi, pourvu qu’Athènes pût compter sur sa flotte
et son Empire. Aussi, malgré la « peste », la mort de Périclès et, en 428, la
dangereuse révolte de Mytilène, Athènes ne se laissa-t-elle pas abattre. Ce fut
même elle qui, en 425, porta un coup redoutable à Sparte en obligeant à
capituler la garnison bloquée dans l’îlot de Sphactérie.
Cette capitulation est une catastrophe pour Sparte, car non seulement
Athènes détient 292 Lacédémoniens, dont environ 120 Spartiates, en partie
membres des plus grandes familles de la cité, prisonniers qu’elle menace de
massacrer si les invasions lacédémoniennes recommencent, mais cette
capitulation, qui fait oublier l’héroïsme des Thermopyles, montre que les
Spartiates (dont le nombre est réduit) ne sont plus prêts à se laisser tuer à leur
poste. La démoralisation 78 est telle que les Spartiates remettent aux Athéniens –
qui n’auront pas l’honnêteté de la rendre – leur flotte de 60 navires et qu’ils
sont prêts à abandonner leurs alliés, pourvu qu’on leur rende leurs prisonniers
et qu’Athènes conclue avec eux paix et alliance. Autant dire que Sparte
s’avouait vaincue et que, si Cléon n’avait fait échouer les négociations, la
guerre était finie.
Mais Brasidas réussit à traverser toute la Grèce, et même des régions
hostiles, avec une petite troupe de 1 000 hoplites péloponnésiens et
700 Hilotes, et à arracher à Athènes les riches cités de la côte thrace, ce qui
changea de nouveau la face de la guerre.
Cependant, tous les Spartiates n’approuvaient pas cette expédition (cf.
Thuc., IV, 108, 6-7), et la mort simultanée de Brasidas et du jusqu’au-boutiste
athénien Cléon facilita les négociations, qui, après l’armistice de 423,
débouchèrent en 421 sur la paix de Nicias.
Cette paix, assortie d’une alliance avec Athènes, qui devait même porter
secours à Sparte en cas de révolte servile (de la douleia), et peut-être de
l’engagement d’imposer la paix aux récalcitrants, impliquait une véritable
réconciliation. Or, outre les difficultés d’application suscitées par la mauvaise
volonté des alliés qui ont refusé de jurer la paix, dans les deux camps,
subsistent des adversaires du rapprochement entre les deux grandes puissances,
aussi bien des Spartiates inquiets de l’éclatement de la Ligue du Péloponnèse
que des Athéniens désireux de profiter des nouvelles difficultés spartiates.
Ainsi, alors qu’Athènes n’a pas recouvré Amphipolis ni Sparte, Pylos, certains
des nouveaux éphores 79 , élus à l’automne 420, particulièrement hostiles à la
paix, font, contrairement aux stipulations de l’alliance avec Athènes, conclure
une alliance avec Thèbes. Dès lors, Athènes conclut une quadruple alliance
avec Argos, Élis et Mantinée. Elle affronte même militairement, en 418, les
Lacédémoniens à Mantinée, où l’Athénien Alcibiade a amené une force limitée
de 1 000 hoplites et 300 cavaliers. Comme l’affrontement a eu lieu en dehors
du territoire de chacune des deux cités, elles ne sont pas encore en guerre
ouverte, mais on ne peut pas dire non plus qu’elles soient véritablement en
paix 80 : dès l’hiver 419-18, « les Athéniens, persuadés par Alcibiade,
inscrivirent en bas de la stèle laconienne 81 que les Lacédémoniens n’avaient
pas respecté les serments et ils amenèrent à Pylos, pour piller, les Hilotes de
Cranies » (Thuc., V, 56, 3) et, en 415, même Nicias avoua que les traités ne
subsistaient plus que nominalement (Thuc., VI, 10, 2).
Dès lors, ne se posait plus que la question de savoir quand l’un des deux
camps s’attaquerait au territoire de l’autre en déclenchant de nouveau la
guerre. En 414, les Spartiates, se considérant comme agressés par les
Athéniens, hésitaient encore à intervenir contre Athènes (Thuc., VI, 93, 1).
Celle-ci, non contente de s’être emparée, en 416, sans que Sparte réagisse, de
la petite île dorienne de Mélos, dont elle avait massacré les hommes et réduit
les femmes et les enfants en esclavage, était en train, grâce à une immense
expédition, de vaincre Syracuse. Alcibiade, condamné à mort par les
Athéniens, réussit, soutenu par les délégués corinthiens et syracusains, à
persuader les Spartiates, encore hésitants, d’envoyer des hommes et un chef en
Sicile et de recommencer la guerre en Attique en y fortifiant Décélie.
Le désastre athénien de Sicile (413), la révolte de l’Ionie, l’aide perse et
l’habileté de Lysandre permirent à Sparte de triompher finalement d’Athènes,
qui, après la défaite d’Aigos-potamoi (405) et le siège de la cité affamée, fut
contrainte de capituler.
Contrairement à certains de ses alliés, comme Thèbes ou Corinthe, Sparte
ne souhaita pas alors détruire Athènes en la traitant comme avaient été traitées
Mélos, Histiée, Toronè, Égine et beaucoup d’autres (Xén., Hell., II, 2, 3). Il lui
suffisait de rendre la cité inoffensive en l’obligeant à détruire les Longs Murs
(sur 10 stades de chaque côté, selon Xén., Hell., II, 2, 15) et les fortifications du
Pirée et à livrer sa flotte. Mais Sparte n’exigea pas la destruction des murs
mêmes d’Athènes, ce qui l’aurait laissée à la merci de voisins immédiats
comme les Thébains. Athènes fut aussi contrainte de se soumettre à Sparte
comme alliée, sans doute dans le cadre de la Ligue du Péloponnèse.
Les Spartiates sont cependant en désaccord entre eux à propos du
gouvernement à imposer à Athènes. Ils se refusent, bien sûr, à conserver la
démocratie radicale qui gouvernait Athènes à la fin de la guerre du
Péloponnèse et prônent le retour à « la constitution des ancêtres ». Mais les
uns, comme Lysandre, voulaient une oligarchie extrême, s’appuyant
éventuellement sur une garnison spartiate, alors que d’autres, comme le roi
Pausanias, se satisfaisaient d’un régime modéré écartant les plus pauvres et les
démocrates extrémistes et bénéficiant d’un certain appui auprès de la
population 82. Aussi Lysandre, qui avait imposé à Athènes la tyrannie des
Trente, se porta-t-il au secours de ses protégés, lorsqu’ils furent, en 403,
menacés par les démocrates, qui, d’abord réfugiés dans la forteresse de Phylè,
au nord de l’Attique, s’étaient renforcés et établis au Pirée. Mais Pausanias,
soutenu alors par la majorité des éphores et s’opposant à Lysandre, laissa les
démocrates triompher des Trente avant de jouer au médiateur entre les
oligarques modérés restés à Athènes 83 et les démocrates du Pirée. Cependant,
le désaccord persistait à Sparte, puisque le roi fut, à son retour, soumis à
jugement et, s’il fut alors acquitté, il sera condamné, huit ans plus tard, quand
Athènes sera redevenue l’adversaire de Sparte.
84
LE NOUVEL IMPÉRIALISME SPARTIATE

La mainmise sur Athènes correspond à une nouvelle orientation de la


politique spartiate, dont la forme extrême est symbolisée par Lysandre et
Agésilas.
Sparte, qui, théoriquement, avait fait la guerre pour combattre
l’impérialisme athénien en se faisant le défenseur de l’indépendance
(autonomia) des cités, eut vite fait de prendre la succession d’Athènes en
imposant, notamment aux cités « libérées », un tribut 85, des gouvernements à
sa solde et, éventuellement, un gouverneur lacédémonien (harmoste) à la tête
d’une garnison. Comme les oligarchies restreintes 86 de 10 personnes
(décarchies) ou, à Athènes, exceptionnellement de 30 que Lysandre imposa
ainsi n’avaient même pas le soutien populaire dont avaient bénéficié, au moins
dans une certaine mesure, les démocrates pro-athéniens, elles avaient besoin
d’un engagement militaire spartiate pour assurer leur défense. Or, les
Spartiates en vinrent à se méfier de la puissance excessive que ces
gouvernements à sa solde pouvaient donner personnellement à l’ambitieux
Lysandre, qui jouissait de tout le prestige de la victoire 87 . Aussi, tandis que
Lysandre, rappelé à Sparte, se contentait de faire le tour des sanctuaires en
cherchant peut-être à les corrompre, les éphores remplacèrent-ils les
décarchies de Lysandre par des régimes plus modérés, présentés comme un
retour à « la constitution des ancêtres » (Xén., Hell., III, 4, 2). Mais Lysandre
recouvra son influence à Sparte, puisqu’il réussit à faire nommer roi et
envoyer en expédition en Asie (396) son protégé Agésilas. L’y accompagnant,
il en profita pour rétablir les décarchies. Même si les politiques sont
différentes, on voit comment Sparte modifiait à son gré le régime des cités
« libérées ».
C’est que, débarrassée de sa rivale athénienne, elle est redevenue,
conformément aux espoirs que, dès 413, lui prêtait Thucydide (VIII, 2, 4), la
puissance qui « exerce seule désormais son hégémonie sur toute la Grèce ». Et,
dans l’Anabase, VI, 6, 9-16, Xénophon note, comme un fait reconnu, qu’en
400 les Lacédémoniens sont les chefs (archein, proestanai) de la Grèce
(entendons d’Europe et d’Asie), exercent l’empire (archein) sur terre et sur
mer et peuvent chacun (en tant qu’harmoste) faire ce qu’il veut dans les cités.
Cette situation aurait pu durer si Sparte avait fait preuve de plus de
modération et ne s’était attaquée au puissant empire perse. Pour avoir l’appui
des Perses dans leur lutte contre Athènes, les Lacédémoniens avaient, en 412-
11, conclu avec le Roi des traités qui lui abandonnaient la Grèce d’Asie 88 .
Mais, victorieux d’Athènes, ils n’entendent plus respecter ces accords : ils
souhaitent, dans une perspective panhellénique 89 justifiant leur hégémonie, se
faire les défenseurs des Grecs d’Asie 90 ; ils ont aussi besoin d’employer les
anciens combattants qui n’appartiennent pas aux Homoioi 91, tandis que certains
chefs veulent donner libre cours à leurs ambitions.
Les cités grecques d’Asie ont pu profiter des dissensions entre Tissapherne
et Cyrus, qui, accusé par Tissapherne de complot contre son frère
Artaxerxès II Memnon, monté sur le trône au début de 404, a été ensuite rétabli
dans son commandement de Sardes. Cyrus voulait effectivement renverser son
frère et il obtint de Sparte, outre la possibilité de lever des mercenaires,
800 hoplites et une aide navale. La mort de Cyrus fait finalement échouer (en
401) cette expédition, dite des Dix Mille, qui nous est bien connue par le récit
qu’en a fait un des protagonistes, Xénophon, dans son Anabase. Mais elle a
montré la faiblesse des défenses perses et pourra nourrir les rêves de
conquête 92 d’Agésilas.
Dès 400, Sparte intervint en Asie à l’appel des cités grecques, sur
lesquelles Tissapherne voulait rétablir son autorité. Les opérations, menées
d’abord par Thibron, puis par Derkylidas, ne débouchèrent pas sur de grandes
victoires, mais ces pillages incitèrent le Roi à passer à la contre-offensive en
Grèce et sur mer.
C’est dans ces conditions qu’en 396 Agésilas fut envoyé en Asie, à la tête
de 30 Spartiates, 2 000 Néodamodes d’élite et 6 000 alliés, renforcer les
troupes qui y combattaient déjà. Voulant, malgré l’opposition des Thébains 93 ,
sacrifier à Aulis, il entendait, nouvel Agamemnon, apparaître comme le chef
de la Grèce menant une expédition panhellénique. Si le nouveau roi s’émancipa
rapidement de son ancien éraste Lysandre, qu’il n’hésitait pas à humilier et
qu’il envoya au loin, il montra autant de ruse et d’ambition que son ancien
maître. Vainqueur de Tissapherne, que le Roi fit décapiter, Agésilas s’enfonça
à l’intérieur de l’Asie 94 , mais il s’agissait plus de faire un énorme butin que
d’essayer de détruire l’empire perse 95.
De toute façon, même si ce n’était qu’un rêve, qui dut attendre Alexandre
pour se réaliser, Agésilas fut forcé d’y renoncer, car la situation en Grèce
obligea, dès 394, les Spartiates à le rappeler. En effet, les Perses étaient passés
à la contre-offensive en constituant, dès 396, une flotte puissante, placée sous
le commandement de Pharnabaze et de l’Athénien Conon, et en finançant 96 , en
Grèce, une coalition anti-spartiate. En 395, s’allièrent contre Sparte Athènes,
Thèbes, Corinthe et Argos, bientôt rejointes par les Eubéens, les Leucadiens,
les Acarnaniens et les cités de Chalcidique de Thrace (Diodore, XIV, 82, 2-3).
Mais Sparte, à laquelle la Ligue du Péloponnèse était restée fidèle, fut, en 394,
victorieuse sur terre à Némée et à Coronée.
Elle avait cependant perdu la maîtrise de la mer, car la flotte de Peisandros
avait été, au cours de l’été 394, écrasée, au large de Cnide, par Conon et
Pharnabaze, ce qui permit à de nombreuses cités d’Asie ou des îles 97 de
chasser leur garnison spartiate. Au printemps suivant, la flotte perse s’empara
de l’île de Cythère, tandis que Conon, célébré comme un héros, finançait, avec
l’argent perse, la reconstruction des Longs Murs d’Athènes.
La guerre, connue sous le nom de guerre de Corinthe (395-386), resta
longtemps indécise. Après 392, où les tentatives de paix avaient échoué,
Xénophon, Hell., IV, 4, 14, souligne qu’il n’y eut plus de grandes expéditions :
les Lacédémoniens, basés à Sicyone, et leurs adversaires, basés à Corinthe,
s’affrontèrent dans une guerre limitée avec surtout des mercenaires. Comme
l’historien le note avec humour (Hell., IV, 4, 17), les alliés avaient peur des
peltastes (notamment de l’Athénien Iphicrate), qui, eux-mêmes, redoutaient les
hoplites lacédémoniens. Les Spartiates durent cependant déplorer en 390 le
massacre (250 morts), par les peltastes d’Iphicrate, du bataillon (more) qui
avait escorté les gens d’Amyclées (Hell., IV, 5, 17) et, en 386, Athènes, déjà
gênée par la présence lacédémonienne à Égine, vit son ravitaillement menacé
par l’action d’une flotte ennemie dans les Détroits. Mais, comme, pourvue de
Longs Murs, elle commençait à rétablir sa zone d’influence, les Spartiates
réussirent à s’entendre avec les Perses pour imposer, en 386, à l’ensemble des
Grecs une paix commune, dite paix d’Antalcidas.
Celle-ci fut instaurée par un rescrit royal, dont Xénophon, Hell., V, 1, 31, a
conservé le texte : le Roi « estime juste que les cités d’Asie et, parmi les îles,
Clazomènes et Chypre lui appartiennent », proclame l’indépendance
(autonomia) des autres cités grecques, grandes ou petites, à l’exception de
Lemnos, Skyros et Imbros, laissées aux Athéniens, et menace d’intervenir sur
terre et sur mer contre ceux qui n’accepteraient pas ces clauses.
Cette paix, qui jette sur Sparte l’opprobre d’avoir abandonné aux Perses
les Grecs d’Asie, marque sans doute un échec de la politique asiatique
d’Agésilas, mais il ne faudrait pas en conclure trop vite qu’Antalcidas
s’opposait alors à Agésilas. De fait, Plutarque (Agés., 23, 3-4, Artax., 22, 4, et
Apopht. lac., 213b) a, sans y voir malice, juxtaposé deux traditions
contradictoires : l’une, qui, sans doute pour dédouaner Agésilas 98 , voyait dans
Antalcidas un ennemi personnel du roi voulant éviter que la guerre n’accrût
l’influence de celui-ci, l’autre, où Agésilas, triomphant, assurait que c’étaient
non les Lacédémoniens qui « médisaient », mais les Mèdes qui « laconisaient ».
De fait, forte de l’appui du Roi, qui en faisait le protecteur (prostatès) de la
paix commune 99 , Sparte ne renonça aucunement à sa politique impérialiste.
Simplement, au lieu de se parer aussi 100 de panhellénisme, l’impérialisme
spartiate, se fondant désormais sur les clauses de la paix, ne mit plus en avant,
comme au Ve siècle, que la défense de l’autonomia des cités 101 en présentant le
paradoxe 102 d’un impérialisme qui se développait sous couvert d’anti-
impérialisme.
Ainsi, Thèbes, menacée d’une intervention militaire, dut reconnaître
l’indépendance (autonomia) des cités de Béotie ; Argos fut obligée de rendre
son indépendance à Corinthe (et à ses oligarques) en dissolvant l’union
(sympolitie) d’Argos et de Corinthe ; enfin, à la suite d’une longue guerre
(382-79), Olynthe fut contrainte d’abandonner les cités de Chalcidique et de se
soumettre à l’alliance hégémonique de Sparte 103 . Celle-ci semblait alors à son
apogée, et Xénophon assure qu’à cette date « la domination (archè) des
Lacédémoniens paraissait désormais établie d’une façon parfaitement belle et
inébranlable » (Hell., V, 3, 27).
Mais, dès la phrase suivante, qui ouvre un nouveau chapitre, il montre que
ce n’était là qu’une apparence et annonce de façon dramatique 104 le châtiment
divin de Sparte, qui sera punie pour avoir, en dépit des serments, porté atteinte
à l’indépendance de Thèbes. En effet, le raid de Sphodrias sur le Pirée, peut-
être simple provocation pour inciter les Athéniens à prendre l’initiative de la
guerre, suscita contre Sparte, dès 378, une coalition d’Athènes et de ses alliés,
de Thèbes, qui venait de chasser la garnison spartiate, et de tous ceux qui
rejetaient la domination spartiate. Les Perses imposèrent en 375 une nouvelle
paix commune, alors qu’Athènes, qui avait reconstitué une confédération
maritime, avait vaincu Sparte sur mer, à Naxos et à Alyzeia, et que la victoire
thébaine de Tégyres avait montré que, même sur terre, les Spartiates n’étaient
plus invincibles.
Au cours des années suivantes, la guerre ayant repris, les Athéniens,
vainqueurs des Lacédémoniens à Corcyre, s’inquiétèrent des progrès de
Thèbes, qui, établissant sa domination sur la Béotie, avait détruit Thespies et
Platées, l’alliée traditionnelle d’Athènes, et s’attaquait aux Phocidiens. Aussi
Sparte et Athènes furent-elles tentées de se rapprocher dans une perspective
cimonienne de double hégémonie, sur terre pour Sparte, sur mer pour Athènes.
C’est ce que devait entériner la paix commune de juin 371. Mais, après avoir
accepté de jurer la paix en tant qu’alliés d’Athènes, les Thébains demandèrent à
remplacer leur nom par celui des Béotiens, ce que refusa Agésilas. Les
Thébains, qui s’étaient exclus du traité, se trouvèrent dès lors totalement isolés
et, selon Xénophon (Hell., VI, 3, 20), s’en retournèrent « complètement
démoralisés 105 ».
Malgré les conseils de prudence du Spartiate Prothoos, qui invitait,
conformément au traité, à licencier l’armée 106 et à réunir ensuite,
éventuellement, une coalition générale contre ceux qui s’opposaient à
l’indépendance (autonomia) des cités, les Lacédémoniens, forts de leur
supériorité numérique, déclenchèrent immédiatement l’offensive contre
Thèbes. Et l’imprévu se produisit. Grâce au génie militaire et à la tactique
révolutionnaire 107 d’Épaminondas, les troupes de Cléombrotos se firent
écraser à Leuctres (juillet 371). Les Thébains auraient même pu, malgré
l’envoi d’une armée de secours, empêcher la retraite des survivants, si les
Athéniens et surtout les Thessaliens, théoriquement alliés des Thébains,
n’avaient souhaité préserver les Spartiates : le Thessalien Jason de Phères
imposa ainsi son arbitrage assurant leur salut.
Mais l’assassinat de Jason, en 370, permit aux Thébains d’accroître le
nombre de leurs alliés et, comme Athènes, soucieuse de ménager Sparte,
refusa de s’allier aux Arcadiens, ceux-ci firent, de même que les Éléens et les
Argiens, appel à Thèbes. Les Thébains envoyèrent alors (hiver 370-69), dans
le Péloponnèse, une puissante armée 108 pour soutenir leurs alliés arcadiens et
intimider les Spartiates. Comme, du fait de l’hiver, Agésilas avait abandonné
l’Arcadie et démobilisé ses troupes, les Thébains envahirent la Laconie. Mais,
en refusant le combat, en mobilisant de nombreux Hilotes 109 et en faisant appel
à leurs alliés, les Lacédémoniens arrivèrent à préserver Sparte elle-même. Ils
ne purent cependant empêcher Épaminondas et Pélopidas de libérer la
Messénie, où on fonda et fortifia Messène, tandis qu’en Arcadie se constituait
par synoecisme la grande cité de Mégalèpolis.
Les Athéniens, inquiets des progrès de Thèbes, avaient envoyé des secours
aux Spartiates ; arrivés trop tard, ils évitèrent d’affronter les Thébains, mais ils
conclurent une alliance égalitaire avec Sparte dès le printemps 369. Au cours
des années suivantes, les interventions de Thèbes restèrent infructueuses et,
malgré l’appui que lui apportait désormais le Roi, elle ne put faire jurer ni par
Athènes ni par Sparte ni même par les autres Grecs la paix commune avortée
de 367. Malgré ses efforts, Thèbes n’arriva pas à arracher aux Athéniens la
maîtrise de la mer. Si elle réussit à gagner à sa cause les Corinthiens, les
Arcadiens restaient toujours aussi divisés, entre cités comme entre oligarques
et démocrates. Thèbes soutenant Tégée, Mantinée, soutenue par ses alliés
éléens, achéens et athéniens, fit appel à Sparte. En 362, Épaminondas, après
avoir failli s’emparer par surprise de Sparte, affronta l’ennemi à Mantinée. Le
chef thébain se fit tuer, alors qu’il était victorieux et ses troupes désemparées
« ne furent même plus capables d’exploiter la victoire comme il le fallait »
(Xén., Hell., VII, 5, 25) : chaque camp put se déclarer vainqueur (ibid., 26-27).
Xénophon, qui achève là ses Helléniques, note qu’à la suite de cette bataille, qui
était censée assurer l’empire à l’un des deux camps, « l’incertitude et la
confusion furent en Grèce plus grandes après qu’avant ».
De fait, dès 362-61, les belligérants conclurent, sans patronage de la Perse,
provisoirement affaiblie, une paix commune assortie d’une alliance contre
quiconque la violerait. Comme les Messéniens y participèrent, les Spartiates
furent les seuls des Grecs à rester en dehors du traité.
Ainsi, après avoir dominé la Grèce, soit par elle-même, soit, depuis 386,
grâce à l’appui perse, Sparte a été vaincue par Thèbes et malgré, de 369 à 362,
l’alliance athénienne impliquant un partage de l’hégémonie, elle n’a pas pu
prendre sa revanche : désormais ni Sparte, très diminuée, ni Athènes, dont les
alliés vont bientôt se révolter, ni Thèbes, qui a perdu son meilleur général, ne
pourront dominer la Grèce, qui ne sera unifiée, provisoirement, que par la
victoire de Philippe en 338.

1. Cf. surtout P. Cartledge, Sparta and Lakonia. A Regional History 1300-362 B.C., Londres,
Routledge et Keagan, 1979, p. 138-159 et 199-304, et Agesilaos and the Crisis of Sparta,
Londres, Duckworth, 1985.
2. Cf. Hérodote, I, 82, mais Argos ne fut définitivement battue qu’à Sépeia, vers 4 94.
3. En 394, Timolaos de Corinthe, comparant les Lacédémoniens à un fleuve, qui grossit depuis sa
source, notait que « les Lacédémoniens, là où ils sortent [de chez eux] sont réduits à eux-mêmes
mais, en avançant et en recevant l’apport des cités [alliées], deviennent plus nombreux et plus
difficiles à vaincre », Xén., Hell., IV, 2, 11-12.
4. Sur mer, la part relative des Lacédémoniens est encore plus faible, puisque, à la veille de
Salamine, selon Hérodote, VIII, 43-4 8, sur 366 ou 378 navires grecs, outre les 180 navires
athéniens, on ne trouve que 16 navires lacédémoniens en face de 40 corinthiens, 30 éginètes, 20
mégariens, 15 sicyoniens.
5. Sur la question restent fondamentaux les travaux d’U. Kahrstedt, Griechische Staatsrecht I,
Sparta und seine Symmachie, Göttingen, Vandenhœk et Ruprecht, 1922, p. 81-118 et 267-272,
de G. Busolt et M. Swoboda, Griechische Staatskunde II (HdbAW 4 , 1, 1), Munich, Beck,
1926, p. 1320-1337, de J.A.O. Larsen, Classical Philology 27 (1932), p. 136-150, 28 (1933),
p. 257-276, et 29 (1934 ), p. 1-19, de L. Moretti, Ricerche sulle leghi greche (Peloponnesiaca-
Beotica-Licia), Rome, l’Erma di Bretschneider, 1962, p. 1-95, et de K. Wickert, Der
Peloponnesische Bund von seiner Entstehung bis zum Ende des archidamischen Krieges,
inaugural Dissertation der philosophischen Fakultät Erlangen, Erlangen, 1962 ; cf. aussi,
G.E.M. de Sainte-Croix, The Origins of the Peloponnesian War, Londres, Duckworth, 1972,
p. 96-124 et 333-346, F. Gschnitzer, Ein neuer spartanischer Staatsvertrag und die Verfassung
des Peloponnesischen Bundes, Meisenheim am Glan, Hain, 1978, Kl. Tausend, Amphiktyonie
und Symmachie, Historia Einz. 73, 1992, p. 118-123 et 167-180, G.L. Cawkwell, « Sparta and
her allies in the sixth Century », Classical Quarterly 43 (1993), p. 364-376, et J.E. London,
« Thucydides and the “Constitution” of the Peloponnesian League », Greek, Roman and
Byzantine Studies, 35 (1994), p. 159-177.
6. On trouve aussi, notamment dans l’armistice de 4 23 (Thuc., IV, 118,4, 2 exemples), la formule
« les Lacédémoniens et hoi alloi xummachoi », entendons : « les Lacédémoniens et les alliés,
qui forment le reste de l’ensemble », expression qui associe étroitement les deux éléments.
7. Cf. Thuc. V, 62, où, en 418, tout en critiquant Agis, « les alliés suivaient comme ils les menaient,
conformément à la règle (nomos) », et Xén., Hell., II, 2, 20, où, en 404, les Athéniens doivent
s’engager à « suivre les Lacédémoniens à la fois sur terre et sur mer partout où ils les
mèneront », IV, 6, 2, où, en 389, les Achéens affirment : « Nous vous suivons partout où vous
(nous) menez », V, 3, 26, où, en 379, les Olynthiens, vaincus, doivent s’engager à « avoir
mêmes amis et mêmes ennemis que les Lacédémoniens, à les accompagner (akolouthein) partout
où ils les mèneraient et à combattre (summachein) avec eux », et VI, 3, 7, où, en 371,
l’Athénien Autoclès adresse comme reproche aux Lacédémoniens : « La première stipulation des
traités que vous concluez avec les cités alliées, c’est de suivre partout où vous les mènerez. »
8. Cf. ses relations supposées avec le père de Pisistrate lors de la naissance du futur tyran, Hdt., I,
59 ; cf. ausssi C.M. Stibbbe, « Chilon of Sparta », Medelingen Nederl. hist. Inst. Rome 4 6
(1985), p. 7-24.
9. En I, 68, à propos de la victoire sur les Tégéates, Hérodote dit plus justement que « la plus
grande partie du Péloponnèse était soumise » aux Lacédémoniens.
10. La présentation est bien sûr partiale : pour Cléomène, il devait s’agir non de tyrannie, mais de
mise en place d’une oligarchie inféodée à Sparte ; il en ira différemment lorsqu’il s’agira de
rétablir Hippias.
11. Il est habituel qu’une armée prête serment et l’on voit, plus tard, Cléomène employer la même
formule, avec seulement le remplacement des deux rois par le seul Cléomène, lorsqu’il essaie
de soulever les Arcadiens contre Sparte (Hdt., VI, 74).
12. Cf. Thuc., V, 30, 1 (en 421) : « Ce qui serait voté par la majorité des alliés serait exécutoire à
moins qu’il n’y ait un empêchement venant des dieux ou des héros » ; voir aussi l’allusion à la
justice dans le récit d’Hérodote et dans le discours de Soclès, cité un peu plus bas dans le texte.
13. On rapprochera Homère, Iliade, IV, 29, où Héra, contestant les projets de Zeus, achève son
intervention en « Fais, mais nous, l’ensemble des autres dieux, nous n’approuvons pas » et où le
roi des dieux s’incline.
14. A cet égard, on ne voit rien de comparable au congrès qui donna naissance à la Ligue de Délos
en fixant les droits et les devoirs de chacun.
15. Les décisions arbitraires d’une seule cité seront, au moins en théorie, remplacées par des votes à
la majorité.
16. Xén., Hell., V, 2, 37 et 4 , 37, cf. aussi l’emploi du verbe dokein en Thuc., I, 87, 4, IV, 118
(3 exemples), VIII, 8, 2, et Xén., Hell., V, 2, 20, 23, où le terme est précisé par ta psèphismata,
et 24 (en 382).
17. Thuc. V, 30, 1, et cf. V, 30, 3, 31, 1 et 31, 5.
18. Le cas de Platées est particulièrement éclairant, puisque Sparte avait refusé de l’intégrer dans la
Ligue du Péloponnèse ; en 427, les Thébains assureront même que les Platéens n’avaient pas
besoin de l’alliance athénienne, puisque l’alliance contre les Perses conclue avec les
Lacédémoniens aurait suffi à les protéger (Thuc., III, 63, 2).
19. Certains d’entre eux avaient déjà été incités à venir par les Corinthiens.
20. C’était aussi un moyen d’en faire une guerre défensive en évitant ainsi de se parjurer et en
impliquant nécessairement la Ligue.
21. Cf. infra.
22. Cf. Xén., Hell., VI, 5, 46-47, où un délégué corinthien rappelle en 369 aux Athéniens que : « Les
Lacédémoniens vous ont jadis sauvés par un vote sans danger. »
23. Plutarque, Lys., 15, 3, a même conservé le nom du délégué thébain, Érianthès, qui avait fait la
proposition (eisègèsasthai).
24 . Cf. Thuc., I, 69, 2 : « Ce n’est pas sans peine qu’aujourd’hui nous nous sommes réunis » (propos
des Corinthiens).
25. Cf. aussi Xén., Hell., IV, 6, 1-3, où, en 389, les Achéens, attaqués par les Acarnaniens, se
plaignent d’être négligés par les Lacédémoniens et parlent d’abandonner « la guerre qui se
déroule dans le Péloponnèse », ce qui, selon l’historien, serait une manière déguisée de menacer
d’abandonner l’Alliance ; finalement, on envoya Agésilas avec des troupes lacédémoniennes et
alliées.
26. En Thuc., I, 14 1, 6, tous les alliés sont dits isophèphoi, c’est-à-dire ayant un égal droit de vote ;
ils ont probablement chacun un seul représentant, cf. Xén., Hell., III, 5, 8 (discours des Thébains
à Sparte).
27. Sparte s’efforce d’éviter qu’il y ait des cités trop puissantes en s’opposant chaque fois qu’elle le
peut à l’impérialisme régional de cités comme Élis ou Mantinée.
28. Voir infra, p. 231.
29. Sur les cas attestés d’empêchement (respect des serments, donc des traités, trêve sacrée ou
mauvais présages), cf. Sainte-Croix, The Origins of the Peloponnesian War, p. 118-120.
30. Il n’aurait pu disposer des mercenaires de la cité arcadienne de Clètor s’il n’avait interdit à sa
voisine Orchomène d’en profiter pour attaquer Clètor.
31. C’est ce que suggèrent à la fois les expressions de Xénophon, Hell., III, 4, 2 : « Les
Lacédémoniens réunirent les alliés et délibérèrent sur ce qu’il convenait de faire » et la
participation d’un fort contingent allié (suntagma de 6 000 hommes) à l’expédition d’Agésilas.
32. Voir supra, p. 225.
33. L’idée sera reprise dans la Ligue de Corinthe.
34 . On retrouve la même expression dans les Helléniques d’Oxyrhynchos, XII, 4 et XXI, 1 et 2 (à
propos de l’expédition d’Agésilas en Asie), et dans les Helléniques de Xénophon, I, 1, 24.
35. Cf. aussi Thuc., V, 77, 5-7 et 79, 1-2 (alliance avec Argos), mais, en II, 9, 2 et V, 57, 2, la
distinction entre le Péloponnèse et l’extérieur paraît plus géographique qu’institutionnelle.
36. Cela expliquerait comment Sparte avait pu arbitrer entre Athènes et Égine, alors membre de la
Ligue (cf. T.J. Figueira, « Aiginetan membership in the Peloponnesian League », CPh 76 (1981),
p. 1-24), et imposer à cette dernière l’envoi d’otages à Athènes.
37. Il suffit de rappeler les problèmes de la Ligue de Délos une fois qu’eut cessé la guerre contre
les Perses, qui avait suscité sa formation.
38. Le droit pour chaque cité hégémonique, en l’occurrence Athènes mais aussi Sparte, de « châtier
les ressortissants (prosèkontas) de son alliance » (entendons : quand ils font défection) est en
44 0 affirmé publiquement par les Corinthiens dans le discours que leur prête Thucydide, I, 4 0, 5
et 43, 9, l.
39. Seules Mantinée et Phlionte peuvent profiter de leurs murs pour mener une politique
indépendante ; on rapprochera, en 479, la vaine pression exercée sur Athènes pour l’empêcher de
se fortifier.
4 0. Elles sont cependant commandées par des officiers spartiates, les xénagoi, à raison d’un par cité,
cf. Xén., Hell., V, 2, 7, où, après le dioecisme (dissolution) de Mantinée, Sparte en envoie
désormais un par village.
4 1. Cette autonomia, au moins théorique, permettra à Sparte, en profitant aussi des bonnes
dispositions des Perses et sans avoir besoin d’une clause d’exception, d’échapper aux stipulations
de la paix d’Antalcidas imposant de laisser l’autonomia à toutes les cités, petites ou grandes
(Xén., Hell., V, 1, 31) (386). Sur l’autonomia, qui désigne non l’autonomie au sens moderne
mais l’indépendance par rapport à l’État qui la menace, cf. M. Ostwald, Autonomia. Its Genesis
and Early History, Chico, California Scholar Press, 1982, Ed. Lévy, « Autonomia et éleuthéria
e
au V siècle », Revue de philologie, 57 (1983), p. 249-270, T. Figueira, « Autonomoi kata tas
spondas (Thuc., I, 67, 2) », BICS. 37 (1990), p. 63-88, et A.B. Bosworth, « Autonomia : the use
and abuse of political terminology », SFIC 10 (1992), p. 122-152.
4 2. Les Lacédémoniens, qui n’avaient pas réussi à imposer à Athènes un régime oligarchique,
tolérèrent un régime démocratique à Mégare jusqu’en 424 (Thuc., IV, 66 et 74 ), n’imposèrent
qu’en 4 17 un régime plus oligarchique à Sicyone (Thuc., V, 81, 2) et laissèrent à Mantinée son
régime démocratique jusqu’en 385 (Thuc., V, 29, 1, et Xén., Hell., V, 2, 7). Au début du
e
IV siècle, Élis jouit encore d’un régime démocratique, dont le chef est Thrasydaios (Xén., Hell.,
III, 2, 27-29 ; Plut., Mor., 835f), mais on ne sait quand il a été instauré, Aristote (Pol., V, 6,
1306a 12-19) indiquant seulement que l’oligarchie restreinte y avait jadis (poté) été renversée.
Quant à Phlionte, qui avait 5 000 citoyens et qui fut, en 384 , sous la pression spartiate, plus ou
moins obligée de voter le retour des oligarques extrêmes qu’elle avait exilés, elle avait aussi, à
l’époque, un régime démocratique.
43. Cf. R. Bernhardt, « Die Entstehung der Legende von der tyrannenfeindliche Spartas im sechsten
und fünften Jahrhundert v. Chr. », Historia 36 (1987), p. 257-289.
44 . Aristote, Politique, V, 10, 1312b 7-8, résumant sans doute Thucydide, note en passant que « les
Lacédémoniens renversèrent la plupart des tyrannies ».
4 5. Dans des formules qui rappellent l’évocation hérodotéenne des Grecs coalisés contre les Perses,
Xénophon mentionne « ceux qui délibèrent le mieux pour le Péloponnèse », Hell., VII, 4, 35, ou
qui « se soucient du Péloponnèse », VII, 5, 1 ; cf. aussi V, 2, 2, « la proposition la meilleure
pour le Péloponnèse » ; en 362, les Arcadiens demandent aux Lacédémoniens « s’ils veulent
s’opposer en commun à ceux qui viendraient asservir le Péloponnèse » (Hell., VII, 5, 3), alors
qu’Épaminondas entendait laisser à sa patrie Thèbes la domination (archè) du Péloponnèse
(Hell., VII, 5, 18).
4 6. Sparte aurait même promis de contraindre par une action commune avec les Athéniens ceux qui
n’acceptaient pas le traité de paix (Thuc., V, 35, 3 et 42, 2).
4 7. Cf. supra.
4 8. Au contraire, à la fin de la même année, Sparte, vaincue à Leuctres, laisse ses alliés jurer avec
elle la paix commune patronnée par Athènes, Xén, Hell., VI, 5, 1-2 et 37.
4 9. Intervenant personnellement au début de son livre XV, Diodore de Sicile critique à ce sujet les
e
Spartiates du IV siècle : alors que leurs prédécesseurs agissaient correctement et avec humanité
envers leurs sujets (tous hupotétagménous), « les successseurs ont traité leurs alliés de façon
violente et difficile à supporter », folie qui, avec la défaite de Leuctres, a contribué à la perte de
leur empire.
50. Les Agiades Pausanias et Agésipolis se montrèrent au contraire plus modérés, ainsi à Athènes en
4 03 ou à Mantinée, où, en 385, Agésipolis évita aux démocrates de se faire massacrer.
51. Ce qui suggère que, quoi qu’en dise Xénophon, Hell., V, 4, 20, Sphodrias ne s’était pas laissé
acheter par les Thébains pour provoquer les Athéniens et les inciter à la guerre contre Sparte.
52. Sainte-Croix, The Origins of the Péloponnesian War, p. 343-34 6, a bien montré qu’il n’y avait
pas de contradiction entre les politiques de ces cités en 404 (proposition de détruire Athènes) et
en 403 (défense des démocrates athéniens), car, dans les deux cas, il s’agissait d’éviter qu’une
Athènes gouvernée par des séides de Lysandre ne devînt un satellite de Sparte.
53. Certains se mirent même tout de suite à négocier avec Thèbes, Xén., Hell., VI, 4, 24.
54 . Ce n’est cependant sûrement pas le cas pour le traité qu’en 365 Sicyone conclut avec Messène.
55. Lors des luttes intestines en Arcadie, en 361, on ne mentionne aucune intervention spartiate,
Diodore, XV, 94, 1.
56. A. Roobaert, Isolationnisme et Impérialisme spartiates de 520 à 469 avant J.-C., Acad. royale
de Belgique, Cl. des Lettres (Fonds René Draguet 2), Louvain, Peeters, 1985.
57. Pour Cléomène, d’environ 520 à environ 488, pour Agésilas, d’environ 398 à 359-58, cf.
Ch.D. Hamilton, « Étude chronologique sur le règne d’Agésilas », Ktèma 7 (1982), p. 281-296.
58. Pour le détail de la révolte ionienne et celui des guerres médiques, je me permets de renvoyer à
e
mon livre, La Grèce au V siècle de Clisthène à Socrate, Paris, Seuil, « Nouvelle Histoire de
l’Antiquité 2 », 1995, réimpr. 2002, p. 9-44.
59. Cf. ses expéditions aventureuses en Libye et en Sicile.
60. Les alliés ont sans doute ainsi réagi aux excès de l’arbitraire spartiate.
61. Pour Sparte, la réalité de la chose paraît assurée par l’obligation de réparer cet acte sacrilège,
mais il est possible que la même attitude n’ait été prêtée à Athènes que pour la mettre à égalité
avec Sparte.
62. Ce meurtre a dû se passer avant le renversement de Démarate, car celui-ci est postérieur à
l’intervention spartiate à Égine, qui avait accepté de donner « la terre et l’eau », et les hérauts
perses n’ont pas dû venir à Sparte longtemps après être passés à Égine.
63. La préposition pro ne suggère pas seulement le lieu, mais aussi qu’on combattra pour la défense
du Péloponnèse.
64 . Mégare, avec 20 navires, et Égine, avec 30, fournissaient plus du quart des vaisseaux non
athéniens de Salamine.
65. C’était le principe même de la stratégie des Grecs, envisagée à Tempè, mise en pratique aux
Thermopyles, comme, sur mer, à l’Artémision, et prévue à l’Isthme.
66. L’expression employé en VIII, 64 (édoxé) suggère que, si Eurybiadès consulte les alliés, c’est
lui, et lui seul, qui prend les décisions.
67. Cf. A.J. Podlecki, The Life of Themistocles, Montréal et Londres, McGill-Queens University
Press, 1975.
68. C’est le même type d’argumentation que pour le refus de s’allier avec Platées, voir supra,
p. 238-239 ; Thucydide, I, 95, 7, reprendra aussi le thème de l’éloignement, redouté par les
Spartiates pour son influence nocive, pour expliquer leur désir de ne pas continuer la lutte contre
les Perses.
69. Pour le récit des événements, cf. Ed. Lévy, La Grèce au Ve siècle, 1995, réimpr. 2002, p. 73-
119.
70. Ils n’y étaient guère habitués.
71. Si elles sont secrètes, on ne voit pas comment Thucydide, même bien introduit en Grèce du Nord,
aurait pu connaître la teneur exacte des promesses spartiates.
72. Les Athéniens, vaincus à Tanagra, sont vainqueurs à Oinophyta et à Égine, tandis qu’ils subissent
en 454 un grave désastre en Égypte.
73. Bien que le Long Mur central n’ait pas encore été construit, le système de fortifications
d’Athènes était suffisant pour que la seule chose possible eût été de ravager l’Attique.
74 . Il n’est pas évoqué dans les textes, mais, s’il n’avait eu lieu, la question n’aurait pas été soumise
au vote des alliés.
75. Potidée était à la fois une colonie de Corinthe et un membre de la Ligue de Délos.
76. Si l’on voulait se lancer dans la guerre, il aurait été préférable de la faire en 44 0, quand on
pouvait tirer parti de la marine samienne, ou, au moins avant qu’en 4 35 la marine de Corcyre ne
vînt renforcer la prépondérance navale des Athéniens.
77. Cf. Thuc., VII, 28, 3 : « Au début de la guerre, ils (sc. les Grecs) estimaient que les Athéniens, si
les Péloponnésiens envahissaient leur territoire, tiendraient, pour les uns, un an, pour les autres,
deux, mais, pour personne, plus de trois ans. »
78. C’est peut-être elle qui explique aussi le massacre d’environ 2 000 Hilotes qui avaient bien
mérité de Sparte, cf. supra et supra.
79. Thucydide, V, 36, 1 et 38, 2, évoque les intrigues de deux d’entre eux, Cléoboulos et Xénarès.
80. G. Glotz, Histoire grecque. II. La Grèce au Ve siècle, Paris, PUF, 194 8, parle à juste titre de
« Paix fourrée ».
81. Entendons, celle où étaient inscrits les traités de paix et d’alliance avec Sparte.
82. C’était là, selon Xén., Hell., II, 3, 35-49, le régime défendu par Théramène ; cf. aussi les
critiques d’Autoclès, infra, n. 86.
83. Les Trente et leurs partisans se sont, eux, réfugiés à Éleusis.
84 . Cf. outre P. Carlier, Le IVe Siècle grec jusqu’à la mort d’Alexandre, Paris, Seuil, 1995,
« Nouvelle histoire de l’Antiquité 3 », p. 11-73, H.W. Parke, « The development of the Second
Spartan Empire (4 05-371) », Journal of Hellenic Studies 50 (1930), p. 37-79, Ch.D. Hamilton,
Sparta’s Bitter Victories. Politics and Diplomacy in the Corinthian War, Ithaca et Londres,
Cornell Univ. Press, 1979, et Agesilaus and the Failure of Spartan Hegemony, Ithaca, Cornell
Univ. Press, 1991, J.-F. Bommelaer, Lysandre de Sparte. Histoire et tradition, BEFAR 240,
Paris, De Boccard, 1981, P. Cartledge, Agesilaos and the Crisis of Sparta, Londres,
Duckworth, 1987, et D.R. Shipley, Plutarch’s Life of Agesilaos. Response to Sources in the
Presentation of Character, Oxford, Clarendon Press, 1997.
85. Selon Diodore, XIV, 10, 1, celui-ci se monterait à plus de 1 000 talents par an, mais il est
possible que Diodore ait confondu le montant du tribut et les 1 000 talents de butin qu’Agésilas
rapporta d’Asie en 394 .
86. Ces régimes autoritaires sont volontiers qualifiés de tyrannies, cf. Xén., Hell., II, 3, 4 8-49, III, 5,
13 et VI, 3, 8, où l’Athénien Autoclès les oppose aux régimes constitutionnels (politeiai) ; voir
aussi la période suivante, où les oligarques pro-spartiates de Thèbes sont considérés comme des
tyrans, V, 4 , 2, 4, 9, 13, et les oligarchies des cités béotiennes, comme des dunasteiai, V, 4 , 46.
87. Les Samiens vont jusqu’à célébrer en son honneur des Lysandreia ; on lui érige, de son vivant,
sa statue à Delphes (dans le monument dit des navarques) et à Olympie.
88. Cf. Ed. Lévy, « Les trois traités entre Sparte et le Roi », Bulletin de Correspondance hellénique
107 (1983), p. 221-241.
89. La même idéologie, que développe par exemple un Isocrate, sera, dans leur propagande, reprise
par Philippe et par Alexandre.
90. Voir Xén., Hell., III, 1, 3 : en 400, les ambassadeurs ioniens demandent aux Lacédémoniens,
« puisqu’ils sont les chefs (prostatai) de toute la Grèce, de se soucier aussi d’eux, les Grecs
d’Asie ».
91. P. Carlier, Le IVe Siècle grec, p. 26, soulignant le danger que représentaient ces « catégories
intermédiaires », ajoute que « le moyen le plus simple d’éloigner ces soldats indésirables à
Sparte était… de les enrôler dans les expéditions que la cité organisait au loin. En outre, les
Spartiates n’imaginaient pas d’entretenir dans l’inactivité un grand nombre d’inférieurs, ni à titre
privé ni aux frais de la cité : seule la guerre pouvait nourrir ces guerriers sans moyens
d’existence ». La colonisation d’Héraclée Trachinia, fondée en 426, et, en 398, l’envoi de
colons en Chersonèse de Thrace pouvaient aussi être des solutions.
92. Isocrate voyait dans la conquête de l’Asie mineure un moyen de résoudre les problèmes sociaux
de la Grèce.
93. Xénophon, Hell., III, 4, 4 , se contente, avec malveillance, de noter que les béotarques ont
envoyé des cavaliers qui « ont arraché de l’autel et dispersé les victimes qui se trouvaient déjà
sacrifiées », alors que le Béotien Plutarque, Agés., 6, 9-10, 599b, précise qu’Agésilas avait
chargé son propre devin du sacrifice au lieu de le faire pratiquer par le préposé béotien et sans
tenir compte des lois et usages ancestraux des Béotiens : Agésilas entendait donc déjà agir en
Béotie comme en territoire conquis.
94 . Ayant ravagé la Paphlagonie, il prévoyait de s’attaquer à la Cappadoce, Hell. Oxyrh., éd.
Chambers, p. 49, 766-772 ; cf. aussi Xén., Hell., IV, 1, 41.
95. Malgré Xénophon, Agés., I, 8 et 36, mais, en Hell., III, 5, 1, la chose n’est présentée que comme
une supputation du chef perse et, en Hell., IV, 1, 41, il ne s’agit que d’aller le plus loin possible
en Haute-Asie.
96. Selon Xén., Hell., III, 5, 1, Timocratès de Rhodes aurait été chargé de distribuer 50 talents aux
principaux hommes politiques « à condition qu’ils déclenchent la guerre contre Sparte », mais
cette distribution n’aurait servi à rien si Sparte n’avait été aussi impopulaire, cf. Hell. Oxyrh., éd.
Chambers, p. 14, 35-16, 8, et Xén., Hell., III, 5, 10-13 (discours des Thébains à Athènes).
97. Dès 396, Rhodes s’était déjà ralliée à Conon.
98. Il se plaît volontiers à laisser les autres assumer les missions militaires ou civiles embarrassantes.
99. C’est, significativement, à Sparte qu’elle a été jurée.
100. L’expédition d’Agésilas était censée défendre contre les Perses l’autonomia des cités grecques
d’Asie, cf. Xén., Hell., III, 1, 20, 2, 12, 20, 4 , 5 et 25.
101. Cette défense de l’autonomia des cités n’est, bien sûr, qu’à usage externe, comme le montrent
les interventions spartiates à Mantinée ou à Phlionte, la prise de la Cadmée ou, en 378, le raid de
Sphodrias en Attique, cf. supra et supra ; aussi l’Athénien Autoclès peut-il, en 371, reprocher
aux Spartiates d’avoir sans cesse à la bouche le mot d’autonomia et d’être « eux-mêmes le plus
grand obstacle à l’autonomia des cités », Xén, Hell., VI, 3, 7-9.
102. C’est un paradoxe qui, dans la seconde moitié du XXe siècle, n’aurait pas surpris nos
contemporains. Les Spartiates ont ainsi repris, successivement, dans une perspective offensive,
e
leurs deux idéologies défensives du V siècle : la défense de la Grèce (contre les Perses) et
celle de l’autonomia des cités (contre Athènes).
103. L’intérêt pour la Grèce du Nord s’était déjà manifesté par la fondation d’Héraclée Trachinia en
4 26 (aux mains des « alliés » thébains de 419 à 400, de nouveau des Spartiates jusqu’en 395, où
elle est reprise par les Thébains, avant d’être démantelée en 371 par le Thessalien Jason), par
l’expédition de Brasidas en 424 (supra, p. 248-249) et par l’envoi d’un harmoste et d’une
garnison à Pharsale (de 4 00 à 395).
104 . Cf. Ed. Lévy, « L’art de la déformation historique dans les Helléniques de Xénophon », in
H. Verdin, G. Schepens et E. de Keyser, Purposes of History, Studia Hellenistica 30, Louvain,
1990, p. 125-157, notamment p. 138.
105. Les Athéniens, qui vendaient déjà la peau de l’ours, espéraient même obliger les Thébains à
payer la dîme à laquelle ils avaient été condamnés au lendemain des guerres médiques.
106. Elle était déjà en Grèce centrale, où elle devait défendre les alliés phocidiens.
107. Il utilise une phalange oblique avec renforcement de l’aile gauche (au moins 50 hommes de
profondeur à Leuctres, selon Xén., Hell., VI, 4, 12) pour enfoncer l’aile droite adverse, où sont
rangées les meilleures troupes.
108. Plus de 50 000 hommes selon Diodore, XV, 62, 5 ; 4 0 000 hoplites, auxquels s’ajoutent
30 000 hommes armés à la légère ou non armés, selon Plutarque, Agés., 31, 1-2, et cf.
Pélopidas, 24, 2, Comp. Agésilas Pompée, 83 (3), 5, et De gloria Athen. 346b, qui répètent le
nombre de 70 000.
109. Plus de 6 000 se seraient fait enregistrer, selon Xén., Hell., VI, 5, 28, mais il semble, d’après
Diodore, XV, 65, 6, que les Spartiates n’en aient finalement enrôlé que 1 000, qu’ils auraient
préalablement affranchis.
5

« Décadence » et révolutions
e
du IV siècle à 146 av. J.-C.
1. Décadence
Les contemporains, comme le pro-spartiate Xénophon ou le plus critique
Aristote ont eu conscience d’une décadence spartiate au IVe siècle : non
seulement Sparte perd son hégémonie sur la Grèce, mais la diminution brutale
de sa puissance incite à mettre en cause la validité du « modèle spartiate 1 ».

DÉCLIN DE LA PUISSANCE SPARTIATE

Sparte, qui avait dominé brutalement le monde grec de 404 à 371, à la


suite de la défaite de Leuctres et de l’invasion thébaine, perdit la majeure partie
de la Messénie, tandis que la formation de Mégalopolis lui barrait l’accès à
l’Arcadie. La dissolution de la Ligue du Péloponnèse et le refus de renoncer à
la Messénie l’empêchèrent de reconstituer sa puissance, ne serait-ce que dans
le Péloponnèse.
La politique habile de Philippe II accrut encore l’isolement de la cité. En
effet, après la victoire de Chéronée (338), au lieu de contraindre Sparte à
adhérer à la Ligue de Corinthe, Philippe se contenta d’envahir la Laconie et
d’arbitrer en faveur des Arcadiens, des Argiens et des Messéniens dans les
conflits frontaliers 2 qui les opposaient à Sparte. Dès lors, ces États, désireux de
conserver les territoires disputés, ne purent que rester les alliés de la
Macédoine en constituant une sorte de « cordon sanitaire » autour de Sparte.
Sparte essaya cependant, deux fois encore, de recouvrer sa puissance en
affrontant les Macédoniens. Profitant de l’éloignement d’Alexandre et de
l’appui perse, Agis III réunit en 330, contre Antipatros, le représentant
d’Alexandre en Europe, l’Achaïe, Élis et Mantinée. Mais il fut vaincu et tué
dans la difficile bataille de Mégalopolis. Sparte, affaiblie, qui dut livrer
50 otages, ne participa aucunement à la guerre lamiaque, où, profitant de la
mort d’Alexandre, les Grecs s’efforcèrent de rejeter la domination
macédonienne.
Il fallut attendre Areus 3 pour qu’elle se lancât à nouveau dans une politique
active. Si la coalition péloponnésienne qu’elle reconstitua en 281-80 fut battue
par les Étoliens, les Lacédémoniens réussirent, en 272, à résister à Pyrrhus et,
surtout, s’associèrent à Athènes et à ses alliés pour affronter les Macédoniens
dans la « guerre de Chrémonidès » (267-62) 4 . Mais Areus, qui ne parvint pas à
franchir l’isthme de Corinthe, fut tué en 265 et les Macédoniens finirent par
l’emporter.
Après la mort d’Areus, Sparte disparut de la documentation pendant près
de vingt ans, sans doute parce que son rôle était devenu secondaire : il suffit de
rappeler que Sparte l’invincible avait vu la Laconie envahie cinq fois en
un siècle, en 370, 362, 338, 294 et 272, et que, faisant fi des traditions et de
l’orgueil spartiates, Areus avait dû, en 294, lui donner un début de fortification
(un fossé et une palissade).
C’est cet affaiblissement qui permit à la Ligue achéenne de se développer
librement et, en se substituant à Sparte, de devenir la première puissance de la
péninsule : grâce à Aratos la Ligue réussit à faire adhérer Sicyone (en 251) et
l’Arcadie et même à s’emparer en 243 de Corinthe, avec sa citadelle, qui
interdit aux Macédoniens l’accès au Péloponnèse.
Sparte a seulement maintenu ses liens traditionnels avec la Crète, où Areus
a su se constituer des alliés, qualifiés d’alliés d’Areus (et non des
Lacédémoniens) dans l’alliance de 267 avec Athènes. Si la Crète est un
réservoir de mercenaires, Sparte en constitue un autre : les Lacédémoniens
sont ainsi appréciés en Grande Grèce ou en Sicile 5, tandis que des puissances
étrangères comme les Macédoniens (contre Pyrrhus) ou les Achéens (contre
les Étoliens) ont pu demander l’aide des Spartiates, dont la valeur militaire
reste appréciée. Mais Sparte ne saurait recouvrer sa puissance sans un nombre
accru de citoyens permettant de constituer une solide armée civique et
suffisamment d’argent pour recruter des mercenaires.

LA CRISE SPARTIATE

L’inégalité

C’est paradoxalement au moment où Sparte apparaissait comme la plus


puissante 6 (premier quart du IVe siècle) que les Anciens ont, après coup, décelé
les causes de sa décadence. Plutarque rattache ainsi « le début de la corruption
et de la maladie de l’État lacédémonien » à la victoire de 404 sur Athènes
(Agis, 5, 1) 7 , l’afflux d’or et d’argent ayant développé la cupidité et ruiné les
valeurs morales traditionnelles.
Il est vrai que Sparte a disposé de ressources dépassant tout ce qu’elle avait
connu jusqu’alors : elle a reçu près de 1 500 talents de Lysandre 8 , auxquels
s’ajoutent les tributs versés par les alliés 9 et plus de mille talents de butin 10 ,
qu’Agésilas envoie ou rapporte d’Asie. L’enrichissement de Sparte et de
certains Spartiates est indéniable et les possibilités de s’enrichir ont
certainement développé, notamment chez les harmostes envoyés à l’étranger,
la cupidité, déjà reprochée aux Spartiates. Le lien entre cet enrichissement et la
défaite spartiate ressortit sans doute à un topos moralisateur 11 déjà présent chez
Hérodote, mais le schéma explicatif 12, pour être traditionnel, n’en est pas
nécessairement faux 13 .
Il est évident que c’est cet argent qui a permis à Sparte, comme autrefois à
Athènes, de mener sa politique impérialiste, dont a vu plus haut l’échec. Mais,
pour apprécier son impact sur la société et les mentalités spartiates, encore
faut-il préciser ce qui est nouveau.
Se pose d’abord le problème de la monnaie d’or et d’argent. Les sommes
colossales envoyées par Lysandre ayant soumis certains à la tentation 14 , les
Lacédémoniens auraient décidé, après de longues discussions, d’accepter un
compromis 15 : permettre l’usage de l’argent dans le domaine public mais
« punir de mort tout particulier convaincu d’en détenir à titre privé » (Plut.,
Lys., 17, 6). Il est possible que la condamnation à mort n’ait été infligée qu’aux
Spartiates convaincus de détournement de fonds comme Gylippe, qui s’est
exilé, ou, peut-être, Thorax, le lieutenant de Lysandre, qui a effectivement été
exécuté (Lys., 19, 7).
En fait, l’utilisation d’argent par la cité n’était pas une nouveauté : il fallait
bien que Sparte payât ses achats à l’étranger, finançât ses ambassades et
rétribuât ses mercenaires. Quant aux individus, ils pouvaient avoir des dettes
ou des amendes à payer, recevoir des dépôts de l’étranger ou se laisser
corrompre ; ils avaient le droit d’acheter et de vendre 16 ; enfin ils devaient,
outre leur contribution en nature, verser chaque mois 10 oboles éginétiques
pour les syssities. Il est hautement improbable que tout cela ne se soit fait
qu’avec les traditionnelles broches de fer : l’absence de monnaies autres que
ces broches n’est manifestement qu’un mythe 17 . D’ailleurs, selon Posidonios
(IIe s. av. J.-C.) (Athénée, VI, 233e-f), « l’importation et l’acquisition d’or et
d’argent étaient empêchées par les coutumes » – que, bien sûr, les éphores
devaient faire respecter mais on ne dit pas qu’elles étaient expressément
interdites par une loi –, et les Spartiates mettaient leurs trésors à l’abri chez
leurs voisins arcadiens.
Xénophon signale bien, pour la période antérieure à la « décadence », le
droit de perquisitionner pour trouver de l’or ou de l’argent et l’amende alors
infligée au possesseur de métaux précieux (Rép. Lac., VII, 6), mais une amende
n’est pas la peine de mort : le début du IVe siècle aurait ainsi correspondu non à
un adoucissement mais à un renforcement de la législation répressive. Mais ce
renforcement, réaction normale à l’afflux de métaux précieux et à
l’aggravation constatée et prévisible de la corruption, n’a pas duré longtemps.
Xénophon (Rép. Lac., XIV, 3) note avec regret : « Je sais qu’auparavant (les
Lacédémoniens) avaient peur de montrer qu’ils possédaient de l’or (chrusion),
alors qu’aujourd’hui il en est qui se font gloire d’en posséder ».
Ainsi la présence d’or et d’argent et le désir d’en posséder ne sont pas des
nouveautés : Platon fait même de l’amour secret des richesses une des
caractéristiques de la timocratie 18 (qui représente pour lui le régime
lacédémonien). Mais, ce qui change, c’est l’importance des sommes qu’on peut
s’approprier.
Il s’y ajouta, selon Plutarque (Agis, 5, 2-5), un deuxième facteur
d’inégalité, la rhètra d’Épitadeus 19 . L’afflux d’or et d’argent n’avait amené des
inégalités que dans la possession de biens mobiliers. Tant que les patrimoines
(oikoi) susbsistaient et que le père léguait son lot (kléros) à son fils, ce n’était
pas trop grave. Mais Épitadeus, un homme important (dunatos), en conflit avec
son fils, une fois devenu éphore, aurait fait autoriser le don ou le legs de son
patrimoine et de son lot à qui on voulait. Cette liberté permettant une vente
déguisée, les gens importants (dunatoi) auraient évincé les héritiers naturels en
accroissant leurs propriétés, tandis que la pauvreté des autres ne faisait que
s’acccroître.
Le texte de Plutarque est à rapprocher d’un passage de La Politique (II, 9,
1270a 18-22), où Aristote critique les inégalités spartiates : « La chose a été
mal réglée par les lois : il (sc. le législateur) a rendu déshonorant (ou kalon)
d’acheter ou de vendre (la terre) qu’on possède et il a eu raison ; mais il a
accordé à ceux qui le désiraient le droit de donner ou de léguer ; or, qu’on
agisse d’une manière ou de l’autre, le résultat est nécessairement le même. »
Il s’agit manifestement de la même mesure que chez Plutarque, mais sans
la mention d’Épitadeus. Si l’on reconnaît Lycurgue dans le législateur suggéré
par la troisième personne du singulier, ces indications seraient en
contradiction avec celles de Plutarque, ce qui serait déjà surprenant, car,
s’agissant de Sparte, Plutarque se fonde beaucoup sur Aristote 20 . En fait, il n’y
a pas de contradiction 21, car, voulant critiquer le régime lacédémonien comme
un tout qui développe ses virtualités, Aristote évite de parler de Lycurgue et se
réfère à un législateur intemporel, source aussi bien des dispositions les plus
anciennes que des lois relativement récentes sur les navarques ou sur les pères
de famille nombreuse. Il ne peut mentionner Épitadeus, car il paraîtrait ainsi
s’attaquer, comme Xénophon, à l’évolution récente du régime et non à ses
fondements.
Un argument plus sérieux a été présenté contre l’authenticité de la rhètra
d’Épitadeus 22 : à son accession au trône, Agésilas a fait don à sa famille
maternelle de la moitié des biens de son père Agis, ce qui suppose la liberté de
léguer ou de donner. Mais, même s’il paraît difficile (encore que non
impossible) de placer la rhètra d’Épitadeus avant le règne d’Agésilas, ce cas
particulier ne permet pas d’assurer qu’existait déjà une totale liberté de donner
ou léguer. De toute façon, cette liberté a dû surtout jouer un grand rôle quand
les nombreux morts de Leuctres (400 sur 700) ou de Mégalopolis (un sixième
des troupes engagées) ont laissé beaucoup de pères privés de fils et désireux de
léguer leurs biens en recevant une contrepartie.
L’afflux de métal précieux et la liberté de donner ont ainsi accéléré la
concentration des biens, déjà facilitée par l’importance des dots et par l’union
avec des patrouchoi 23 , qui permettait de réunir les patrimoines de deux
familles. Inversement, ce que ne signale pas Plutarque, beaucoup de familles
ont été appauvries par la perte de leurs terres situées en Messénie. Aussi
Aristote, tout en soulignant qu’à Sparte les femmes possédaient près des deux
cinquièmes des terres (Politique, II, 9, 1270a 23-25), assure-t-il que « la terre
est passée en un petit nombre de mains » (a 16-18).
Il y avait, bien sûr, déjà eu des Spartiates très riches : de 448 à 420, les
Spartiates remportèrent la course de quadrige 7 olympiades sur 8 24 . Leur
richesse devait déjà leur permettre de se constituer des clientèles en finançant
l’éducation collective de pauvres ou de Lacédémoniens de statut marginal.
Mais cette richesse se fit plus ostentatoire. En témoignent les monuments
commémorant à Olympie les victoires de Kyniska, la sœur d’Agésilas : il faut
toute l’habileté dialectique de Xénophon pour prétendre qu’Agésilas avait
incité sa sœur à concourir pour « montrer aux Grecs » (et surtout aux
aristocrates spartiates, qu’il s’agirait de décourager) « que la victoire (à
Olympie) n’était aucunement affaire de valeur (arétè) mais de richesse et de
dépense » (Agés., 20, 1). Quant aux maisons spartiates, elles se font aussi plus
luxueuses : lors de l’invasion de 370-69, les Thébains, en longeant l’Eurotas,
purent « brûler et piller des maisons pleines de biens » (Xén., Hell., VI, 5, 27).
Ainsi, l’inégalité n’est pas un phénomène nouveau, mais elle s’est accrue et
est devenue plus visible.

L’oliganthropie 25

La diminution du nombre des citoyens n’est pas non plus un phénomène


nouveau, mais la situation ne fait qu’empirer : alors qu’en 379 on pouvait
mobiliser 8 000 Spartiates, il n’y en a plus que 700 en 243. Raison principale
de l’effondrement spartiate pour Aristote 26 , elle s’est faite à des rythmes
différents selon les périodes et a eu plusieurs causes.
La baisse la plus forte est survenue entre 479 et 371. En effet, au lendemain
de Leuctres, Sparte ne disposant plus que de 800 hoplites mobilisables, on est
passé en 108 ans de 8 000 à 800, soit une diminution de 90 %. La faiblesse
démographique de Sparte expliquerait en partie son hésitation à se lancer dans
la guerre du Péloponnèse et son incapacité à réagir après le désastre de
Leuctres. Au contraire, de 371 à 243, on ne serait passé que d’environ 1 200
citoyens (estimation de leur nombre après Leuctres) à 700, soit une diminution
d’un peu plus de 40 % en 127 ans.
En dehors d’une catastrophe accidentelle comme le tremblement de terre
de 464, qui, avec la révolte messénienne consécutive, joua un grand rôle dans
la baisse du Ve siècle, la diminution du nombre des Spartiates s’explique par
des causes sociales, militaires et démographiques.
Aristote (Politique, II, 9, 1270a 29-b 6) a insisté sur le facteur social 27 :
l’accroissement des inégalités réduit le nombre des citoyens de plein droit, car
ceux qui ne peuvent payer leur écot pour les syssities sont exclus de la pleine
citoyenneté. Même les lois qui favorisent les pères de famille nombreuse ont
un effet pervers, car le partage de l’héritage, amenant un appauvrissement,
suscite l’exclusion du corps civique. Il semble cependant qu’après Leuctres 28
ou, au moins, à l’époque hellénistique cette exclusion ne soit plus imposée
rigoureusement, soit que les syssities aient perdu de leur importance, soit que
les riches se constituent une clientèle en payant pour les pauvres. C’est en tout
cas ce qui expliquerait qu’à la veille des réformes d’Agis IV, sur les
700 citoyens mentionnés par Plutarque, seuls 100 aient encore un lot de terre
et un patrimoine (oikos) et que le corps civique ait ainsi été réduit de 1 200 à
700 et non de 1 200 à 100. On notera aussi que, contrairement à la
conspiration de Cinadon et aux mouvements de 370, il n’est plus question
d’Inférieurs lors des révolutions du IIIe siècle.
Il ne faut pas cependant négliger les pertes à la guerre. Si elles sont faibles
pour le vainqueur d’un affrontement hoplitique, Sparte n’a pas connu
uniquement ce type de combat et n’a pas toujours été victorieuse ; en cas
d’échec, l’éthique de la « belle mort » a même pu accroître la proportion des
Spartiates tués par rapport à celle des Périèques ou des alliés. Il suffit de
rappeler les pertes de la deuxième guerre médique (notamment les 300 morts
des Thermopyles), de la guerre contre les Messéniens révoltés 29 , de la guerre
du Péloponnèse ou de la guerre de Corinthe. Et surtout, en 371, sur
700 hommes engagés, Sparte en perd 400, soit un tiers des effectifs
mobilisables ; en 330, à la bataille de Mégalopolis, où le camp lacédémonien a
engagé 32 000 hommes, soit 22 000 Péloponnésiens et 10 000 mercenaires,
les pertes sont de 5 300, soit de près d’un sixième et, vraisemblablement, elles
devaient être encore plus élevées chez les Spartiates, qui avaient sans doute
engagé presque toutes leurs forces.
Il est plus difficile de préciser les causes proprement démographiques de
l’oliganthropie. En effet, nous ne savons pas combien les Spartiates avaient
d’enfants, mais la nécessité de prendre des lois pour inciter à avoir trois ou
quatre fils suggère qu’ils ne devaient pas être très nombreux. La faible natalité
est aussi suggérée par la fréquente mention de patrouchoi, le nombre réduit
d’enfants dans les familles royales ou les remarques de Polybe (XXXVI, 17)
sur la dénatalité en Grèce : selon l’historien, à son époque, « toute la Grèce est
en proie à la dénatalité (apaidia) et en un mot à l’oliganthropie, qui rend les
cités désertes et la terre stérile », cela, parce que la cupidité et l’insouciance
amènent à ne plus vouloir se marier ou, si on se marie, à n’accepter d’élever
qu’un ou deux des enfants 30 de façon à le faire dans le luxe et à leur laisser ses
biens. Et, ajoute Polybe, si l’un meurt à la guerre et l’autre de maladie, la
famille disparaît, tandis que la cité s’affaiblit.
La dégénérescence du modèle spartiate

Le développement des inégalités, source importante de l’oliganthropie,


contribua aussi au déclin du « modèle spartiate ». Selon Plutarque (Agis, 5, 5),
« la cité fut en proie à la pauvreté, qui suscitait la bassesse (anéleuthéria) et
faisait négliger les activités honorables (ascholian tôn kalôn), tandis qu’on
jalousait et haïssait les possédants ». Si la critique concerne en fait les pauvres
(qui « jalousent les possédants »), l’idéal de vie des Homoioi eux-mêmes, qui
était fondé sur l’organisation quasi militaire des enfants et des adolescents et
sur des repas collectifs obligatoires et qui débouchait sur le dévouement sans
limites au salut de la cité, paraît aussi avoir disparu ou, au moins, s’être
affaibli.
De fait, l’agôgè subsistait toujours et continuait à former des chefs de
guerre appréciés 31. Cléomène III fut sans doute amené à la réformer. Mais cela
n’implique pas nécessairement qu’elle ait dégénéré, car le roi, conseillé par le
stoïcien Sphairos, a peut-être seulement voulu l’améliorer. Le fait qu’Agis IV
n’ait pas envisagé d’y toucher et qu’il ait été soutenu par la jeunesse suggère
aussi que l’agôgè s’était maintenue.
Si Agis entendait au contraire refonder les syssities, c’est qu’elles avaient
perdu leur austérité « démocratique ». Phylarque (FHG I, 346 = Athénée IV,
141f-142b), un contemporain de Cléomène III, qui, pour exalter le roi qu’il
admire, a peut-être exagéré le déclin de l’institution, en présente un tableau
surprenant. Les Lacédémoniens n’assistaient plus régulièrement aux phidities
« selon l’usage ancestral. Et, quand ils y allaient, pour respecter la loi », ils
avaient des couvertures si grandes et si richement brodées que « certains
étrangers hésitaient à appuyer leurs coudes sur les coussins ». Il s’y ajoutait de
nombreuses coupes de vin, des nourritures de toute sorte ainsi que des parfums
rares. L’institution aurait ainsi été détournée : l’austère repas de corps serait
redevenu un banquet aristocratique, où même les étrangers pouvaient être
invités. Mais ces nouvelles syssities, où les Spartiates entendaient rivaliser avec
le luxe (truphè) de la cour perse, ne dateraient que d’Areus (roi de 305 à 269)
et de son fils Acrotatos 32 ; elles sont donc plus du IIIe que du IVe siècle.
e
Il semble donc qu’au moins au IV siècle l’agôgè et les syssities
traditionnelles susbsistaient encore. Mais cela ne suffisait pas pour maintenir
un patriotisme à la Tyrtée : entre les Thermopyles, où, en 479, les Spartiates se
firent tous héroïquement massacrer, Sphactérie, où, en 425, personne n’osait
leur donner l’ordre de se laisser tuer, et Leuctres, où, en 371, sur 700
Spartiates, 300 33 se refusèrent à mourir à leur poste, l’idéal de la mort
héroïque avait perdu beaucoup de sa force.
Le changement s’est sans doute fait progressivement, et il ne faut pas y
voir seulement une conséquence de la victoire de 404. Il permet cependant à
Xénophon d’orchestrer le thème du « vieux Spartiate », dont l’exemple
pourrait être donné par le malheureux Callicratidas. Navarque qui ne pense
qu’à obéir à la cité 34 , il reste fidèle au panhellénisme en se plaignant de devoir
faire la cour à un Barbare, en l’occurrence Cyrus (Hell., I, 6, 7), et en refusant
de réduire des Grecs en esclavage (Hell., I, 6, 14). Et surtout, conformément à
la vieille morale hoplitique (inopérante dans un combat naval), il affirme
préférer la mort à la fuite, car « fuir est honteux (aischron) » (Hell., I, 6, 32 et
Apopht. lac., 222c) 35.
Mais, à sa mort, les Péloponnésiens, vaincus, s’enfuient (Hell., I, 6, 33),
alors que Lysandre, lui, sera victorieux. Or, celui-ci, qui, du fait de sa victoire
sur Athènes, apparaît comme le grand homme de Sparte, que le jeune Agésilas
prendra certainement comme modèle 36 , n’a aucun des scrupules de
Callicratidas. Il apparaît aux yeux de ses adversaires (cf. Plut., Apopht. lac.,
229a-c, et Lys., 7, 5) non seulement comme un adepte du droit du plus fort,
mais aussi comme « un habile sophiste, orfèvre en tromperies, qui place le
juste uniquement dans l’avantageux et le bien (to kalon) dans l’intérêt », dont il
fait le critère du vrai et du faux. S’il sait ainsi se montrer efficace, il fait passer
son ambition personnelle 37 avant l’intérêt de la patrie : ses « amis » intriguent
en Asie contre son successeur Callicratidas (Hell., I, 6, 4) et, au lieu de laisser
à celui-ci l’argent qui restait, il l’a rendu à Cyrus (Hell., I, 6, 10). Il cherche à
accroître sa puissance en nouant des liens personnels avec le jeune Cyrus
(Hell., I, 1, 4) ou en organisant des régimes à sa solde (Hell., II, 3, 7, 4, 29, III,
4, 2, 5,13, VI, 3, 8). Il n’hésite pas à mener plus grand train qu’un roi (Hell.,
III, 4, 8) et a même, semble-t-il, au mépris des institutions, aspiré à la
royauté 38 . Aussi est-il tout sauf un chef obéissant et dévoué à la cité et à ses
institutions, et ressemble plutôt à un condottiere comme Alcibiade ou à un
ambitieux 39 sans scrupule comme son protégé Critias.
Si l’on trouve encore après lui des chefs héroïques comme Peisandros, tué
à son bord en combattant l’ennemi (Hell., IV, 3, 12), ou Anaxibios, qui mourut
avec son mignon et une douzaine d’harmostes en proclamant : « Pour moi il
est beau de mourir ici » (Hell., IV, 8, 38-39, et Apopht. lac., 210 C), la mort
héroïque n’est plus la norme. Les équipages qui accompagnaient Peisandros
ont fui, et Anaxibios, se réservant à lui 4 0 et à quelques compagnons la gloire
du sacrifice, a invité les autres à chercher le salut dans la fuite. En outre,
certains chefs n’ont plus les capacités ou l’ardeur nécessaires : Alkétas et son
mignon font preuve de négligence, Mnasippos, de brutalité, et Derkylidas se
complaît à l’étranger 4 1.
Les Spartiates, qui n’ont plus pour idéal commun de mourir pour la
patrie 4 2, ont aussi perdu la concorde, qui faisait leur force. L’accroissement
des inégalités, devenues criantes, n’est plus dissimulée par l’austérité partagée
des syssities : n’ayant pas des biens comparables et ne menant plus le même
genre de vie, ils ont cessé d’être des « semblables ». Le corps civique a perdu
son unité et la cassure n’est plus seulement entre Spartiates et Hilotes, mais
entre les quelques riches qui subsistent (100 sous Agis IV) et le reste de la
population. Ainsi, les Inférieurs paraissent, au début du IVe siècle, à l’origine de
la conspiration de Cinadon ; et, lors de l’invasion thébaine de 370-69, selon
Plutarque (Agésilas, 32, 6-12) 4 3 , Agésilas avait dû réprimer non seulement la
rébellion de 200 soldats qui n’étaient pas des Spartiates de plein droit, mais
aussi les menées de Spartiates proprement dits « qui se réunissaient
secrètement dans une maison pour préparer une révolution » : « Après en avoir
délibéré avec les éphores, il fit mettre ceux-ci à mort sans jugement », ce qui
ne s’était encore jamais vu pour des Spartiates.
Si Agésilas réussit ainsi par la ruse et par la force à rétablir l’ordre dans
une situation critique, ces troubles suffisent à montrer que Sparte n’est plus
unie et, au IIIe siècle, elle connaîtra les mêmes revendications révolutionnaires
que les autres cités, à savoir l’abolition des dettes et le partage des terres,
revendications qui, à Sparte, sont renforcées par l’image idéalisée du passé.
La situation est aggravée par le déséquilibre politique, car, dans ce
domaine également, le modèle spartiate paraît ébranlé. En effet, le système de
contrepoids qui s’était progressivement constitué entre chaque roi, entre les
rois et les éphores ou entre l’assemblée et la gérousie, ne peut plus fonctionner
correctement quand un organe devient trop fort ou trop faible. De fait, le
pouvoir des éphores, qui peuvent être des personnalités marquantes ou se
laisser acheter par des rois, s’est accru, tandis que les rois se laisssent
influencer, de deux façons contradictoires, par le modèle du roi hellénistique.
Alors que le roi des Lacédémoniens apparaissait à Aristote comme un
magistrat à pouvoir militaire et religieux et occupait une position
intermédiaire entre le « roi » athénien (qui n’est qu’un « archonte ») et un roi
véritable, il peut, étant donné son titre, souhaiter devenir un roi semblable au
roi des Macédoniens ou aux autres rois hellénistiques. Ainsi, Areus, au moins
dans les relations avec l’extérieur, agit comme un véritable roi : il a des liens
personnels avec les Crétois, qui sont ses alliés et non, expressément, les alliés
de Sparte ; il est nommément mentionné dans les traités, et le décret de
Chrémonidès allie à Athènes et à ses alliés « Areus et les Lacédémoniens 4 4 » ;
il crée un monnayage à son effigie, sur le modèle d’Alexandre, avec
l’inscription « du roi Areus » ; il reçoit de nombreux honneurs à l’étranger,
notamment des statues à Élis, à Orchomène d’Arcadie ou en Crète. Or, il est
clair qu’un roi des Lacédémoniens qui voudrait exercer l’autorité d’un Lagide
ou d’un Séleucide risque d’être en conflit avec les éphores et de passer
éventuellement pour un tyran.
Mais, inversement, le modèle des rois hellénistiques d’Orient ou d’Égypte
peut inciter à rivaliser avec leur luxe amollissant (la truphè) et déboucher sur
des « rois fainéants ». Ce n’est pas le cas d’Areus, qui combine le luxe dans sa
syssitie 4 5 et l’activisme militaire, mais ce sera sans doute celui de Léonidas, le
rival d’Agis IV, qui avait d’ailleurs vécu en Orient, où il avait sans doute
épousé la fille d’un satrape (Plut., Agis, 3, 9 et 10, 4). En tout cas, selon
Plutarque (Cléomène, 2), qui se fonde probablement sur Phylarque, son fils, le
futur Cléomène III, se plaint ainsi de la situation de son époque : « Les citoyens
se laissent séduire par l’oisiveté et le plaisir et le roi envoie promener toutes
les affaires, pourvu que personne ne l’empêche de profiter du loisir dans
l’opulence et de vivre dans toute la mollesse (truphan) qu’il désire, tandis
qu’on néglige les affaires communes et que chacun cherche en privé son
avantage. » Un tel roi risque au contraire de laisser tout pouvoir aux éphores.
D’autre part, si un conflit éclate, il n’y a pas dans le régime de véritable
souverain à même de trancher : l’assemblée peut être paralysée par la nécessité
d’obtenir l’accord préalable de la gérousie, tandis que le rôle de celle-ci paraît
limité.
Ainsi Sparte, minée par l’inégalité, affaiblie par l’oliganthropie et divisée
socialement et politiquement, paraît mûre pour des mouvements
révolutionnaires.
2. Les révolutions spartiates 4 6
Sparte, qui s’était longtemps flattée d’avoir échappé aux révolutions et
d’avoir gardé le même régime pendant un demi-millénaire, de 241 à 219,
subit, en moins d’un quart de siècle, quatre coups d’État avant qu’en 207 Nabis
imposât un pouvoir quasi tyrannique.
On pourrait y voir une révolution unique, toujours recommencée après la
réaction qu’elle suscite et qui, à chaque fois, va plus loin, aussi bien que des
tentatives isolées, poursuivant des buts différents. S’associent en général une
révolution politique, cherchant à imposer la suprématie du pouvoir royal sur
celui des éphores, et une révolution sociale à visée patriotique, prétendant
établir (ou rétablir) l’égalité économique entre les citoyens et accroître leur
nombre, voire à améliorer le sort des non-citoyens. Mais le sens de la
révolution est différent selon que le but réel est social (et patriotique) ou
politique : le roi veut accroître son pouvoir pour réaliser les réformes qui lui
paraissent indispensables ou, au contraire, il ne propose, démagogiquement,
un programme révolutionnaire que pour obtenir un appui populaire à un
pouvoir qui se veut tyrannique.
L’interprétation n’est pas nécessairement la même pour Agis IV,
Cléomène III ou Nabis. Elle est d’autant plus incertaine que les sources
primaires sont partiales et contradictoires. Phylarque, source principale de
Plutarque pour la Vie d’Agis et Cléomène, est un partisan avéré de Cléomène.
Les Mémoires d’Aratos, dont s’est nourri Polybe, sont celles d’un protagoniste
qui fut l’ennemi déclaré et opiniâtre de Cléomène. Quant à Polybe lui-même,
dont le père était proche d’Aratos, tout en admirant les talents militaires de
Cléomène, il voit en Sparte l’ennemi de sa patrie achéenne et un fauteur de
désordres et se montre passionnément hostile à Nabis.

47
AGIS IV OU LA RÉVOLUTION PACIFIQUE

Nous n’avons de lui qu’un portrait idéalisé, car Plutarque se fonde sur
Phylarque, tandis que Polybe en parle très peu, puisqu’il est antérieur à la
période qui l’intéresse, et sans se montrer particulièrement hostile à un roi qui
a été un temps l’allié d’Aratos.
Agis est présenté comme un jeune homme, qui accède au pouvoir à vingt
ans. Il aurait rejeté le luxe dans lequel sa mère et sa grand-mère l’avaient élevé
au profit du mode de vie laconien traditionnel et n’aurait pas été animé par
l’ambition personnelle : « Il disait qu’il n’avait aucun besoin de la royauté, s’il
ne pouvait par son moyen restaurer les lois et l’agôgè traditionnelle » (Plut.,
Agis, 4, 2). Bien qu’idéalisé, un tel portrait n’est pas en contradiction avec son
action.

La révolution politique

Agis ne souhaitait pas modifier les institutions politiques : il n’envisageait


de supprimer ni l’éphorat ni la double royauté et, quand il fit destituer son rival
Léonidas, il s’empressa de le faire remplacer. Il est manifeste qu’il aurait
voulu accomplir ses réformes en respectant le cadre légal.
L’éphore Lysandre, qu’il avait réussi à faire élire, présenta le projet à la
gérousie, qui ne réussit pas à se mettre d’accord, entendons que les votes
étaient partagés et qu’aucune majorité ne s’était dégagée. Dès lors, Lysandre
réunit l’assemblée, qui se laissa impressionner par des oracles et par la
générosité du roi : celui-ci, suivi par les plus riches des Spartiates, à savoir sa
mère, sa grand-mère ainsi que ses parents et amis, déclara mettre ses biens 4 8
en commun. Après une vive discussion entre les deux rois, « le peuple suivit
(épakolouthèsen) Agis », entendons, puisqu’on est à l’assemblée, « vota son
projet 4 9 ». Mais, poussé par l’autre roi et par les riches, la gérousie, en vertu
de ses pouvoirs probouleutiques, se saisit à nouveau du projet et le rejeta à une
voix de majorité.
Ayant échoué à faire passer ses réformes par la voie légale, Agis utilisa
d’autres méthodes. Profitant d’un signe céleste défavorable et en arguant d’une
vieille loi interdisant aux Héraclides de se marier avec une étrangère et de
s’établir à l’étranger, l’éphore Lysandre fit destituer le roi Léonidas. La chose
n’avait rien d’exceptionnelle et, n’étant pas illégale, ne sera pas un motif
d’accusation contre Lysandre.
Mais l’élection des nouveaux éphores changea la situation, car ceux-ci,
hostiles aux réformes, intentèrent un procès à leurs instigateurs, Lysandre,
sorti de charge, et Mandrocleidas. Se sentant menacés, ces derniers défendirent
(ou inventèrent) la thèse de la prédominance sur les éphores des deux rois
quand ils sont unis 50 : si les éphores peuvent arbitrer en cas de désaccord,
« quand les deux rois sont d’accord, leur pouvoir est infrangible et il est
contraire aux lois (paranomôs) de les combattre » (Plut., Agis, 12, 2-3). Dès
lors, les rois et leurs amis chassèrent les éphores et en nommèrent d’autres à
leur place 51, dont l’oncle d’Agis, Agésilas. C’était là un véritable coup d’État,
dont le caractère révolutionnaire est souligné par le fait qu’on arma de
nombreux jeunes gens et qu’on libéra les prisonniers, mais, contrairement à
toute attente, on ne tua personne et Agis permit même à Léonidas de se
réfugier à Tégée.
Ce refus de la violence 52 l’amena aussi, plus tard, à ne pas résister par la
force au rétablissement de Léonidas, et il était si loin de vouloir exercer
personnellement un pouvoir absolu sur Sparte 53 qu’il abandonna l’exercice du
pouvoir à son oncle, l’éphore Agésilas.

La révolution sociale
C’est qu’il se souciait moins du pouvoir que de la révolution sociale qui
devait sauver Sparte. Son programme, tel qu’il apparaît dans la rhètra
présentée aux gérontes par l’éphore Lysandre (Plut., Agis, 8), comprenait
4 mesures :
1) l’abolition des dettes ;
2) le partage des terres : 4 500 kléroi (dans la vallée de l’Eurotas) pour les
Spartiates eux-mêmes, et 15 000 (à la périphérie) pour les Périèques « qui ont
les moyens de servir comme hoplites » ;
3) l’accroissement du nombre des Spartiates, dont l’effectif sera complété
(anaplèrôsis) (pour atteindre le nombre de 4 500) par « des Périèques et des
étrangers qui ont eu part à une éducation d’homme libre et, physiquement bien
faits, se trouvent dans la fleur de l’âge » ;
4) la répartition en phidities de 400 ou de 200 des Spartiates, qui devront
observer le mode de vie traditionnel.
Étant donné la perte de la Messénie, les nombres sont réduits de moitié par
rapport aux nombres traditionnels. D’autre part, les réformes paraissent
répondre plus à des préoccupations militaires qu’à un éventuel égalitarisme :
puisqu’on redistribue les terres, on aurait pu, ce qui n’est pas le cas, en donner
à tous les hommes libres.
De ce programme, seul le premier point fut appliqué : on apporta sur
l’agora les reconnaissances de dettes (les klaria) 54 , sans doute écrites sur
papyrus, on en fit un tas et on y mit le feu.

L’échec

Mais le partage des terres, et donc l’anaplèrôsis qui en dépend, s’il a bien
été ordonné par les deux rois, n’a pas été réalisé. Pour Plutarque, le retard
serait imputable à l’éphore Agésilas, grand propriétaire endetté, qui avait
intérêt à une abolition des dettes mais non à un nouveau partage des terres.
Cependant, les sources ont trop tendance, pour idéaliser Agis, à faire
d’Agésilas le « vilain » qui « a tout corrompu par amour de la richesse ». Il est
probable qu’outre les difficultés d’application 55 les 600 Spartiates pauvres,
lorsqu’ils eurent recouvré leurs terres hypothéquées, ne souhaitaient plus une
redistribution, qui, compte tenu du nombre des nouveaux citoyens, ne les aurait
pas nécessairement avantagés.
De toute façon, l’impopularité d’Agésilas et l’absence d’Agis, parti
guerroyer au loin, permirent aux adversaires de la réforme de rappeler
Léonidas, qui chassa son successeur Cléombrotos et nomma de nouveaux
éphores. Finalement, Agis est exécuté après un procès expéditif, tandis que
l’éphore Ampharès fait aussi tuer sa mère et sa grand-mère.
L’échec d’Agis a des causes conjoncturelles. Le refus de la violence a
laissé subsister des ennemis dangereux, tandis que, renvoyé par Aratos sans
avoir combattu, le jeune roi n’a pu acquérir la gloire militaire. L’application
trop lente de la réforme n’a pas permis de désigner les 3 800 nouveaux
citoyens, qui l’auraient certainement soutenu. Quant à Agésilas, il s’est rendu
impopulaire en ajoutant un treizième mois pour accroître les taxes et surtout,
en voulant se faire proroger comme éphore et en s’entourant de gardes du
corps, il commence à apparaître comme un tyran.
Mais l’échec s’explique aussi par des raisons générales. Les appuis dont
disposait Agis se sont montrés insuffisants : il s’agirait des jeunes, dont le fils,
très populaire, d’Agésilas, de sa famille, à savoir son oncle, sa grand-mère, sa
mère et sa femme 56 , et de quelques personnalités comme Lysandre et
Mandrocleidas. En face, on trouverait, selon Plutarque, les riches, la majorité
des gens âgés, encore que la gérousie fût restée partagée 57 , la grande majorité
des femmes, qui détenaient une grande partie des richesses et n’étaient guère
sensibles à l’idéal guerrier d’Agis, enfin, bien sûr, Léonidas, qui n’appréciait
guère son jeune rival, tenait au luxe royal et avait une conception différente de
la Sparte de Lycurgue. Mais, ce qui fit pencher la balance, ce furent les 700
citoyens, dont l’attitude avait varié : Agis avait réussi à faire élire Lysandre et
voter ses projets, mais, l’année suivante, le peuple élut des éphores qui leur
étaient hostiles. La chose peut sans doute s’expliquer par la puissance sociale
des adversaires, qui s’étaient ressaisis. Mais, pour qu’on les suivît, il fallait
qu’il y eût dans la réforme elle-même quelque chose qui ne plaisait pas, même
à la majorité des pauvres.
La discussion entre Léonidas et Agis, développée par Plutarque (Agis, 10)
est à cet égard éclairante. Les rois se réfèrent tous deux à Lycurgue mais en
tirent des leçons contradictoires. Léonidas rappelle que Lycurgue n’avait
jamais aboli les dettes ; Agis, qui se fonde, lui, sur l’esprit des institutions,
assure au contraire que Lycurgue, ayant banni la monnaie, avait du même coup
banni les prêts et les dettes. Mais, il y a plus grave, loin d’accorder la
citoyenneté à des étrangers, Lycurgue avait incité la cité à pratiquer l’expulsion
des étrangers (xénélasie) 58 et Agis a beau répondre que Lycurgue était moins
hostile aux étrangers qu’à l’importation de mœurs étrangères, l’accroissement
du nombre des citoyens posait un problème pour les anciens citoyens, qui
allaient devenir une minorité (700 sur 4 500) et devraient partager les terres
avec les nouveaux venus 59 . Si l’anaplèrôsis paraissait indispensable à Agis
pour retrouver le modèle lycurguien et rendre à Sparte sa puissance, le long
conservatisme spartiate demandait des réformes trop brutales (multiplier par
6,5 le nombre des citoyens) pour être acceptées facilement, d’où l’inquiétude
des uns et la déception des autres.
La chute d’Agis marque une aggravation brutale des luttes civiles : c’est la
première fois depuis le lendemain des guerres médiques qu’un roi est mis à
mort. Elle n’amène pas un rétablissement du régime traditionnel, puisque, Agis
n’ayant pas été remplacé, il n’y a plus qu’un seul roi, qui laisse gouverner les
éphores.
Rien n’indique qu’on soit revenu sur l’abolition des dettes : si, quatorze
ans plus tard, Cléomène prend la même mesure, ce n’est qu’un élément
secondaire de ses réformes et il peut s’agir de nouvelles dettes. De toute façon,
la confiscation des biens d’Agis et de ses partisans en fuite aurait permis
d’indemniser au moins certains créanciers.
Les luttes intestines ont affaibli Sparte au point que, vers 240, une
expédition en masse des Étoliens, censée rétablir les partisans d’Agis, put
ravager impunément la Périoikis en faisant de nombreux esclaves 60 .

CLÉOMÈNE III
Le fils de Léonidas, né vers 257, avait, à l’instigation de son père, épousé,
tout jeune encore, Agiatis, la riche veuve d’Agis. Sous l’influence de sa
femme, dont il était tombé amoureux, et malgré l’attitude de son père 61, il fut
tenté de reprendre l’œuvre d’Agis. Le philosophe stoïcien Sphairos influença
aussi le jeune roi, qui accéda au pouvoir en 235 (ou 237) à environ vingt ans,
au moment où Mégalopolis rejoignait la ligue achéenne.
Contrairement à celui d’Agis, son règne fut marqué par la guerre,
notamment, de 229 à 222, la longue guerre, dite guerre cléoménique, contre la
Ligue achéenne. Ses victoires et le commandement des troupes, notamment de
mercenaires, facilitèrent son coup d’État. La guerre ouvrit aussi à son action
des perspectives différentes : Agis avait en vue une Sparte harmonieuse et
vertueuse à la Lycurgue, Cléomène veut avant tout une Sparte forte, la
révolution devant accroître la puissance de la cité et lui permettre de recouvrer
l’hégémonie sur le Péloponnèse.
Si l’on en croit le programme qu’il aurait exposé à Mégistonous, le mari
de sa mère (Plut., Cléomène, 7, 1), il voulait, après s’être débarrassé des
éphores (condition préalable pour ses réformes), établir l’égalité à Sparte et
lui permettre d’accéder à l’hégémonie sur la Grèce.

La révolution politique

Il lui fallait avant tout écarter les éphores, qui exerçaient l’essentiel du
pouvoir : « lui-même n’avait que le nom de prince régnant (basileuontos),
alors que tout le pouvoir (archè) revenait aux éphores » (Plut., Cléomène, 3, 1),
qu’il avait même dû corrompre pour qu’on lui votât une expédition (6, 1). En
227, il réussit un coup d’État en combinant la ruse et la force. Il profita en effet
de ce que les citoyens qui s’opposaient à lui étaient en expédition pour revenir
avec des mercenaires et assassiner les éphores 62 ainsi qu’une dizaine de leurs
partisans. Il proscrivit aussi 80 citoyens, nombre considérable, si l’on songe
qu’il n’y avait toujours que 700 citoyens et que les proscrits avaient des
chances d’appartenir aux cent plus riches.
L’abolition de l’éphorat est déjà matérialisée par la suppression de 4 de
leurs 5 sièges, Cléomène se réservant le cinquième, en tant que symbole et
centre du pouvoir. C’est aux éphores qu’est consacré presque tout le discours
justificatif que Plutarque (Cléomène, 10, 2-11) lui fait prononcer devant
l’assemblée. Il critique le pouvoir usurpé qui leur a permis d’aller « jusqu’à
chasser des rois et à en tuer d’autres sans jugement », allusion évidente à la
mort d’Agis. Il va ainsi plus loin que celui-ci : pour Agis les deux rois unis
l’emportaient sur les éphores 63 ; pour Cléomène, les éphores ne sont que des
subordonnés des rois, que ceux-ci ont créés et peuvent donc supprimer.
Affectant de revenir au régime de Lycurgue, Cléomène rétablit la double
royauté mais de façon purement nominale, car, au mépris de la règle séparant
les deux dynasties, il nomma roi son propre frère.
Plus durable fut la création des patronomes 64 , terme qui signifie
probablement « ceux qui administrent (et donc protègent) les traditions ». Au
siècle suivant, ces patronomes, dont l’un est éponyme, seront au nombre de 6.
Leur création est connue par Pausanias (II, 9, 1) : Cléomène, « ayant détruit la
puissance (kratos) de la gérousie, établit à leur place ceux qu’on appelle les
patronomes ». On ne sait comment la puissance de la gérousie a été ainsi
détruite : ses attributions ou son recrutement ont pu être modifiés et la
nomination à vie, abolie ; de toute façon, un grand nombre de gérontes
devaient figurer parmi les 80 exilés. Cependant, l’auteur n’évoque pas
expressément la suppression de la gérousie, qu’on retrouvera plus tard sans
qu’il soit jamais fait mention de son rétablissement. Mais, pour que les
patronomes se substituent à elle, il faudrait qu’elle eût été supprimée.
L’expression de Pausanias, « à leur place », peut sans doute, en vertu d’un
accord par le sens, renvoyer à la gérousie, mais comment cinq ou six
patronomes sauraient-ils se substituer à un conseil de 28 membres ? Il est plus
naturel de voir en eux des remplaçants des éphores : ou Pausanias, dans son
rapide résumé, a fait une confusion, ou bien, dans une phrase un peu longue,
« à leur place » renverrait non au singulier « la gérousie » mais au pluriel
employé un peu plus haut « les éphores en fonction » (tôn éphoreuontôn). En
tout cas, pour éviter qu’ils ne soient tentés de jouer le même rôle que les
éphores, on a évité de leur donner le même nom et, étant donné les théories de
Cléomène sur l’origine des éphores, il y a toute chance que les patronomes
aient été nommés par le roi.
La suppression de l’éphorat est un changement assez important par rapport
à la Sparte traditionnelle pour que, s’ajoutant à la prise du pouvoir par la
violence, elle ait valu à Cléomène la réputation de tyran. Pour Polybe (II, 47,
3), Cléomène avait « détruit le régime ancestral (to patrion politeuma) et
changé en tyrannie la royauté fondée sur la loi (ennomon) », tandis qu’à sa
chute Antigone Doson rétablit « le régime ancestral » (II, 70, 1, et IX, 36, 4).
L’historien utilise même l’exemple des rois de Sparte dans un discours où
Philippe V fait la morale à ses fils divisés : « Ils ont conservé à leur patrie
l’hégémonie sur les Grecs aussi longtemps qu’obéissant aux éphores comme à
des pères ils ont accepté de régner conjointement mais, quand, dans la
discorde, ils ont tranformé le régime en pouvoir personnel (monarchia), alors
ils ont fait éprouver à Sparte tous les maux possibles » (XXIII, 11, 4-6). Quant
à Tite-Live, qui s’inspire très probablement de Polybe, il voit en Cléomène « le
premier tyran de Lacédémone 65 » (XXXIV, 26, 14), tandis que Pausanias (II, 9)
fait de lui un émule du régent Pausanias, qui a, contrairement à celui-ci, réussi
à satisfaire son aspiration à la tyrannie.

La révolution sociale

La révolution politique doit permettre de transformer la société spartiate


« en mettant les biens au milieu (en mesôi) 66 pour les citoyens et en rendant
Sparte égale » (Plut., Cléomène, 7, 1).
Cléomène donna ainsi l’exemple en remettant à la masse tous ses biens ; il
fut suivi par son beau-père, par ses amis, puis par tous les citoyens « et l’on
partagea le territoire » (Plut., Cléomène, 11, 1) 67 . Chacun reçut un kléros,
même les exilés, que le roi « promit de rappeler dès que la tranquillité serait
assurée » (11, 2).
Le sort des biens mobiliers n’est pas clair. Agis IV avait offert tous ses
biens, y compris 6 000 talents monnayés, et Cléomène est censé faire de
même, puisqu’il remet ses biens (ousia) et il aurait été suivi par tous les autres.
Mais il est difficile de partager équitablement des biens non apparents et donc
facilement dissimulables et l’on évoque uniquement la distribution des terres.
Aussi est-il peu probable que l’exemple d’Agis et de Cléomène ait été suivi par
tous. Quant à la remise des dettes, elle n’est évoquée qu’en passant : Cléomène
se contente d’annoncer à la fin de son discours justificatif qu’« il libère les
débiteurs de leurs dettes » (10, 11) 68 .
Plus importante apparaît l’anaplèrôsis du corps civique par l’élite des
étrangers et des Périèques 69 . Le nombre des nouveaux citoyens n’est pas
expressément indiqué, mais ils doivent porter l’effectif des hoplites à 4 000.
Comme tous les citoyens ne servent pas à l’armée, il est probable que
Cléomène a, comme le voulait Agis, porté le nombre des citoyens à 4 500.
S’il réalise, sur ce point, le programmme de son prédécesseur, il n’est pas
fait mention des 15 000 lots qu’Agis avait prévus pour les Périèques, dont le
nombre a sans doute été réduit par le raid étolien. En tout cas, Cléomène est
désormais sûr de sa base sociale, puisque la grande majorité du corps civique
lui doit sa citoyenneté.
Il s’y ajoute, en fin de règne, la libération d’un nombre important
d’Hilotes. La chose n’avait été prévue ni par Agis, ni par Cléomène, ce qui
montre les limites de leur programme révolutionnaire. Ce n’est cependant
qu’une mesure d’urgence pour répondre à une situation critique. En 223,
affrontant à fois les Achéens et les Macédoniens, Cléomène, qui a besoin
d’hommes et d’argent pour payer ses mercenaires, réussit à réunir 500 talents
en affranchissant 6 000 Hilotes, qui versent chacun 5 mines attiques (Plut.,
Cléomène, 23, 1). Comme il constitue alors un nouveau corps de
2 000 hommes armés à la macédonienne, qui s’ajoutent 70 aux 4 000 hoplites
déjà armés ainsi, il est possible qu’il ait en outre 71 libéré 2 000 autres Hilotes.

La lutte contre les Achéens

Ce qui importe surtout à Cléomène, c’est de renforcer Sparte pour


triompher des Achéens et recouvrer l’hégémonie sur le Péloponnèse.
Les mesures « sociales » déjà évoquée accroissent les effectifs militaires.
Leur efficacité est améliorée par la modernisation de l’armement (adoption de
la sarisse macédonienne) et par le renforcement de la discipline : Cléomène
s’est occupé de l’éducation des jeunes et a rétabli l’ordre traditionnel (kosmos)
dans les gymnases et dans les repas collectifs (Plut., Cléomène, 11, 3-4).
Dans la première des quatre phases de sa lutte contre les Achéens, de 229 à
227, Cléomène remporte ses premières victoires en Arcadie, mais Aratos
reprend Mantinée et, si Cléomène réussit à vaincre et tuer Lydiadas, le conflit
reste localisé.
Après le coup d’État de 227, Cléomène, qui n’est plus freiné par les
éphores, reprend les opérations en 226 et soumet l’Arcadie. Après une grande
victoire remportée en Achaïe elle-même, les Achéens sont prêts à lui accorder
le commandement en chef de la Ligue, s’il rend les captifs et les bourgades
dont il s’est emparé. Mais la maladie de Cléomène et les intrigues d’Aratos
font échouer les négociations.
Cléomène reprend la guerre en 225 et obtient de grands succès : il
s’empare d’Argos avec l’aide de l’ancien tyran, tandis que Corinthe se rallie à
lui. Il a de nombreux appuis, même à Sicyone, la cité d’Aratos, où celui-ci doit
sévir contre les partisans de Cléomène. En effet, Cléomène est soutenu dans les
cités à la fois par le peuple, qui aspire, sur le modèle spartiate, à une abolition
des dettes et à un partage des terres, et par ceux des notables qui, par
patriotisme péloponnésien ou hellénique, se refusent à réintroduire dans le
Péloponnèse les Barbares macédoniens. Mais il doit choisir entre les deux. Or,
dans l’espoir d’obtenir le ralliement des Achéens, il renonce à sa politique
révolutionnaire et se montre très conciliant à leur égard : même après le
ralliement de Corinthe, il leur offre de leur acheter l’Acrocorinthe, toujours
défendue par une garnison achéenne, ou d’y mettre une garnison mixte,
achéenne et spartiate ; il propose même à Aratos de lui verser une subvention
de 12 talents à la place des 6 que celui-ci recevait de Ptolémée. Mais cette
politique de rapprochement échoue à cause de l’opposition irréductible
d’Aratos.
Comme celui-ci n’a pu obtenir l’alliance ni d’Athènes, qu’il a pourtant
libérée, ni des Étoliens et que Ptolémée soutient Cléomène, Aratos est devant
un dilemme : il lui faut soit appeler à l’aide les Macédoniens, mais il devra
alors, en reniant toute sa politique passée, leur rendre Corinthe et surtout
l’Acrocorinthe, qui leur ouvre l’accès au Péloponnèse, soit accepter de
remettre à Cléomène le commandement en chef. Porté à la tête de la Ligue
comme stratège autokrator, il fait échouer les avances de Cléomène. Il a déjà,
au cours de l’hiver 227-26, laissé les Mégalopolitains négocier avec le roi des
Macédoniens, Antigone Doson, et, profitant de la « trahison » de Corinthe, qui
n’est plus à épargner, il pousse la Ligue, réduite par la guerre à sa plus simple
expression, à accepter les conditions macédoniennes.
Dès 224, les Macédoniens, qui étaient prêts, arrivent à l’Isthme de
Corinthe. Mais, Cléomène occupant des positions stratégiques, ils ne peuvent
passer. Cependant, Argos, où les suspects n’ont pas été chassés et où le peuple
est déçu parce que les dettes n’ont pas été abolies, fait défection. Cléomène doit
abandonner Corinthe, Argos et une partie de l’Arcadie en se repliant en
Laconie. Dès l’hiver 224-23, Antigone crée une ligue hellénique groupant cités
et confédérations. Mais, en 223, Cléomène, fort des 500 talents versés par les
Hilotes libérés et du recrutement de 2 000 hommes supplémentaires, a
l’avantage. Il s’empare de Mégalopolis, dont il ne réussit pas à rallier la
population et qu’il ravage systématiquement. Il ravage aussi l’Argolide,
qu’Antigone renonce à défendre. Cependant, ces succès sont de courte durée,
car les adversaires ont une nette supériorité numérique et financière. En 222,
Antigone dispose de 28 000 fantassins et 1 200 cavaliers, alors que Cléomène
n’a que 20 000 hommes, dont seulement 6 000 Lacédémoniens. Il est obligé
d’accepter le combat 72, car les 500 talents sont épuisés et il a appris la fin des
subsides ptolémaïques. Malgré ses talents militaires, soulignés par Polybe lui-
même, il se fait écraser à Sellasie. Selon Plutarque, la plupart 73 des
mercenaires périrent et tous les Lacédémoniens, sauf 200. Cléomène s’enfuit
alors en Égypte avec ses amis, tandis que Sparte était prise sans résistance.
Si Cléomène a échoué, c’est en grande part à cause de l’opposition
irréductible d’Aratos, car, sans lui, les Achéens auraient préféré l’hégémonie
de Cléomène au retour dans le Péloponnèse de l’ennemi macédonien 74 . Or
Aratos s’oppose à lui pour des raisons personnelles : il ne veut pas laisser un
autre unir le Péloponnèse ou même diriger les Achéens 75 ; pour des raisons
politiques : patriote achéen, il ne veut pas voir soumise à Sparte la ligue qu’il a
développée ; et pour des raisons sociales, démocrate modéré, il est hostile à la
révolution spartiate. Mais l’échec de Cléomène est aussi imputable à sa
politique : il s’est refusé à exporter sa révolution, de peur de se couper des
Achéens, mais, Aratos faisant échouer la politique de rapprochement, il n’a pas
su ou voulu s’appuyer sur les masses populaires. Il a montré ainsi qu’il n’était
pas un véritable révolutionnaire : son but était non de changer la situation
sociale dans le Péloponnèse, mais d’accroître la puissance de Sparte. Mais il
n’avait pas les ressources financières lui permettant de résister à la Macédoine.
Son échec servira de leçon à ses successeurs.

76
DE CLÉOMÈNE À NABIS (222-207)

C’est une période troublée, où les Spartiates s’opposent violemment sur la


politique étrangère comme sur les questions sociales.
La cité bénéficia d’abord d’une période de tranquillité grâce à la
modération 77 d’Antigone Doson et du Thébain Brachyllès, que celui-ci avait
laissé comme gouverneur. Si Sparte dut renoncer à quelques territoires
contestés comme la Denthéliatis, la Belminatis et l’est du Parnon, il n’y eut pas
de chasse aux sorcières contre les partisans de Cléomène. Antigone, proclamé
bienfaiteur et sauveur (Polybe, IX, 36, 5), avait rétabli la constitution ancestrale
à l’exception de la royauté : les adversaires de Cléomène n’en voulaient plus,
et ses partisans ne tenaient pas à le voir remplacer alors qu’il était toujours en
vie.
Cependant, le jeune Philippe V, devenu en 221 roi des Macédoniens, se
lança avec ses alliés achéens dans la « guerre sociale » (221-17) contre les
Étoliens. L’intervention de ceux-ci dans le Péloponnèse accrut les divisions des
Spartiates, qui pouvaient soit rester fidèles à la Ligue hellénique dirigée par
Philippe V, soit se rapprocher des Étoliens pour jouer un nouveau rôle dans le
Péloponnèse. En 220 furent élus 3 éphores pro-étoliens, tandis qu’un éphore
pro-macédonien était, avec ses partisans, massacré par les jeunes. Philippe V et
Aratos se montrèrent néanmoins conciliants, et l’alliance fut renouvelée.
L’année suivante les nouveaux éphores furent des conservateurs pro-
macédoniens, et l’ambassade étolienne fut renvoyée sans avoir rien obtenu.
Mais, en 219, éclata un nouveau coup d’État (Polybe, IV, 35). Les jeunes
conjurés assassinèrent les éphores dans un sanctuaire ainsi qu’un des gérontes,
exilèrent ceux qui avaient parlé contre l’alliance étolienne et firent conclure
une alliance avec les Étoliens. Comme Cléomène était mort, ils firent nommer
deux rois, Agésipolis III, le petit-fils de Cléombrotos, qui n’était pas encore en
âge de régner et fut assez vite exilé, et surtout Lycurgue.
Le pouvoir de celui-ci était constesté, car, n’étant pas l’héritier légitime 78 ,
il tenait son pouvoir des seuls éphores. Il ne paraissait pas assez
révolutionnaire aux yeux des 200 partisans de Chilon, à qui celui-ci avait
promis un nouveau partage des terrres. Chilon, qui était d’ascendance royale,
massacra en 219 les éphores qui lui avaient préféré Lycurgue, mais il ne put
empêcher celui-ci de s’enfuir et, n’obtenant pas l’appui des Spartiates, dut lui-
même s’exiler chez les Achéens, tandis que Lycurgue revenait (Polybe, IV, 81).
Cependant, celui-ci paraissait sans doute trop révolutionnaire aux éphores, qui
craignaient d’être évincés, et il fut obligé, en 218, de s’enfuir en Étolie, d’où il
revint l’année suivante. On devine ainsi comment, à l’arrière-plan, Achéens et
Étoliens, liés en général, les premiers, aux conservateurs, les seconds, aux
révolutionnaires, s’efforçaient d’attiser les querelles entre Spartiates.
Après avoir subi deux invasions macédoniennes, Sparte fut partie à la paix
de Naupacte, qui, en 217, mit fin à la guerre sociale.
Vers 212, à la mort de Lycurgue, Machanidas accéda au pouvoir en
affectant sans doute d’assumer la tutelle de Pélops 79 , le fils de Lycurgue. En
211, malgré les avertissements « prophétiques » des Acarnaniens, les Spartiates
s’allièrent avec les Romains 80 , les Étoliens, les Éléens et les Messéniens. Mais,
en 207, Machanidas fut vaincu et tué à Mantinée par le grand chef achéen,
Philopoemen. Les Lacédémoniens déplorèrent 4 000 morts et encore plus de
prisonniers, la Laconie fut ravagée et Nabis accéda au pouvoir.

81
NABIS (207-192)

Nabis succéda à Machanidas et se débarrassa sans doute assez vite de


Pélops (cf. Diodore XXVII, l). La guerre avec les Achéens s’acheva peut-être
dès 206, quand les Étoliens firent la paix avec les Achéens et les Macédoniens,
en tout cas, au moins, en 205, où, lors de la paix de Phœnikè, Sparte est
mentionnée parmi ceux qui sont ajoutés au traité (les adscripti) comme alliés
de Rome.
Nabis est un personnage très discuté. Polybe et Tite-Live, qui s’inspire de
lui, lui sont très hostiles 82 : Polybe le déteste en tant qu’adversaire de
Philopoemen, de révolutionnaire et de tyran. Les historiens modernes sont plus
partagés, et Cartledge 83 , par exemple, lui est très favorable.
La tradition antique voit en lui le tyran typique, qui se distingue, comme il
est normal, par sa cupidité et sa cruauté. Selon Polybe, il faisait assassiner
même ceux qui s’étaient enfuis à l’étranger et il aurait fait construire une
machine infernale à l’image de sa femme : avec ses pointes de fer cachées sous
son vêtement, elle permettait de torturer et éventuellement de tuer les riches qui
refusaient de contribuer aux dépenses de l’État. Il se voulait aussi le protecteur
de tous les criminels qui affluaient à Sparte, où ils trouvaient « une base
d’action et un refuge » (XIII, 8, 2), ce qui, dans une version favorable, pourrait
se traduire en : « Il protégeait les révolutionnaires et les marginaux,
rassemblait des mercenaires et exportait sa révolution. »
En fait, même si son nom paraît sémitique, Nabis était de souche royale,
puisque son père portait le nom eurypontide de Démarate. Il s’était fait
proclamer roi et on a retrouvé des fragments de tuile avec l’inscription « au »
ou « du roi Nabis », qui montrent qu’il portait bien ce titre. Il veillait à son
prestige royal avec son palais et son écurie de chevaux de parade, dont un
cheval blanc. Bien plus, il était reconnu comme roi par les étrangers : non
seulement Philippe V était prêt à donner ses filles aux fils de Nabis, mais une
inscription honorifique de Délos (W. Dittenberger, Syll.3 584), qui lui
accordait entre autres la proxénie, le qualifiait de « roi Nabis, fils de Démarate,
Lacédémonien ». Ce titre de roi lui était même reconnu par les Romains, au
moins tant qu’ils étaient alliés. Ainsi, dans le discours que, vaincu, il adressa en
195 à Flamininus (Tite-Live, XXXIV, 31, 13), il est censé reprocher aux
Romains leur inconstance : « Je me souviens qu’alors vous me donniez le nom
(appellari) de roi et maintenant, je vois que vous m’appelez (vocari) tyran. »
Et, comme l’accusation n’est pas réfutée dans la réponse de Flamininus, on
peut considérer que c’était chose admise 84 .
Mais le titre de roi n’est pas inconciliable avec la tyrannie, que trois
critères permettent de reconnaître.
Le premier est la légitimité de l’accession au pouvoir. Pour Flamininus,
selon Tite-Live, XXXIV, 32, 2, Machanidas et Nabis ont accédé au pouvoir par
la violence (per vim) en dépossédant le roi légitime, Pélops. Mais Lycurgue
était-il vraiment un roi légitime pouvant transmettre la royauté à son fils ?
Depuis la lutte entre Agis IV et Léonidas, les renversements de Léonidas puis
de Cléombrotos, la nomination du frère de Cléomène, celles de Lycurgue puis
de Machanidas, peut-on encore parler à Sparte de roi légitime ?
L’exercice effectif du pouvoir, fondé sur la violence ou sur le
consentement des citoyens, paraît un meilleur critère. A cet égard, Nabis se
trouve dans une position intermédiaire. S’il réunit quelquefois l’assemblée
(Tite-Live, XXXIV, 27, 5 et 37, 2-5), elle est entourée de mercenaires en
armes ; et l’aspect tyrannique de son régime apparaît bien dans cet emploi de
mercenaires à l’intérieur de la cité, notamment comme gardes du corps, ainsi
que dans le massacre des opposants, même à l’étranger. Mais il reste trop
populaire pour que les Romains essaient de le renverser (cf. Tite-Live,
XXXIV, 33, 11).
Le troisième critère mérite un plus long développement : c’est la politique
suivie, qui peut être traditionnelle ou révolutionnaire.
Politique intérieure

Dressant le tableau du tyran typique, Polybe (XIII, 6, 3) souligne que Nabis


« exila ceux qui se distinguaient le plus par la richesse ou la gloire de leurs
ancêtres et distribua leurs biens et leurs femmes aux plus en vue (entendons
« ceux qui se sont le plus distingués ») parmi les autres (qu’il faut
probablement corriger en « parmi les esclaves 85 », c’est-à-dire parmi les
Hilotes) et à ses mercenaires ».
Mais ces proscriptions au profit de ses troupes ne suffiraient pas à faire de
Nabis un révolutionnaire, si ne s’y ajoutaient deux mesures radicales. Dans le
discours justificatif que Tite-Live (XXXIV, 31, 11 et 14-15) lui fait prononcer
en 195 devant Flamininus, Nabis assure avoir fait ses deux grandes réformes
avant l’accord avec Rome (de 197). Il a accru le nombre (multitudinem) (des
Spartiates) en libérant des (ou les) esclaves (servis liberandis) et il a distribué
des terres aux pauvres (inopem plebem, egentibus).
La distribution de terres n’a rien d’original. Il s’agit non d’une
redistribution globale comme dans le projet d’Agis ou dans les réformes de
Cléomène, mais d’un partage des terres des proscrits, au profit notamment des
nouveaux citoyens.
Au contraire, la libération massive d’Hilotes, à qui on accorde même la
citoyenneté, serait, en dehors de mesures d’urgence, une nouveauté, qui,
comme le souligne Cartledge, est « à peu près aussi non lycurguienne qu’il est
possible 86 ». Comme le latin n’a pas d’article, le texte de Tite-Live reste
équivoque : Cléomène a-t-il libéré l’ensemble ou seulement une partie des
Hilotes ? La deuxième hypothèse s’impose, car non seulement Strabon note au
passage (VIII, 5, 4, 365) que l’hilotisme (heilôteia) a duré jusqu’à la
domination romaine, entendons sans doute jusqu’en 146, mais Tite-Live
(XXXIV, 27, 9) signale que, juste avant le siège de Sparte, Nabis fait massacrer
des Hilotes soupçonnés de vouloir passer à l’ennemi 87 .
Le nombre d’Hilotes libérés a dû cependant être assez élevé, puisque, en
188, Philopoemen fait expulser de Sparte ceux qui ont reçu la citoyenneté des
tyrans et que ceux qui refusent de partir, au nombre de 3 000, sont vendus
comme esclaves (Plut. Philop., 16, 5-6). Inversement, si tous les Hilotes avaient
reçu la citoyenneté, ces mesures auraient vidé le pays.
Nabis a aussi réorganisé les finances spartiates grâce au butin et à la levée
régulière de taxes. Il s’est ainsi constitué un trésor, qui lui permet, sans avoir
besoin, comme Aratos ou Cléomène, d’une aide étrangère, de payer ses
mercenaires, de compléter les fortifications de Sparte et de se constituer une
marine. Les Romains n’envisageant pas de le renverser, s’il n’avait été
assassiné par des étrangers après quinze ans de règne, il serait encore resté au
pouvoir.

Politique extérieure

La réorganisation interne de Sparte permit à Nabis de mener une politique


étrangère active.
Il reprit, en 204, la guerre contre les Achéens en s’attaquant aux
Mégalopolitains, tandis qu’en 201 il pilla Messène, d’où il fut chassé par
Philopoemen et des volontaires mégalopolitains.
Mais ces conflits régionaux ont beaucoup moins d’importance que la
question d’Argos, qui interfère avec la deuxième guerre de Rome contre les
Macédoniens (200-197). Sparte, alliée de Rome, est toujours en conflit avec les
Achéens, qui refusent l’aide de Philippe V et deviennent même, en 198, eux
aussi, les alliés de Rome. Ce que voyant, en 197, Philippe leur prend Argos,
qu’il remet, au moins provisoirement 88 , aux Spartiates, tandis qu’il offre ses
filles aux fils de Nabis. Pour assurer l’avenir, Nabis préférerait recevoir la cité
des Argiens eux-mêmes, mais, malgré l’appui de sa femme argienne, nièce de
l’ancien tyran, l’assemblée d’Argos fait des difficultés et il doit s’emparer de
la ville avec l’aide des Macédoniens. Contrairement à Cléomène, il y mène une
politique résolument révolutionnaire : il abolit les dettes et partage les terres,
tout en persécutant les riches par des proscriptions, des confiscations et des
taxations.
Cet impérialisme révolutionnaire réussit, puisque Argos lui resta fidèle
jusqu’à la fin et lui envoya même 2 000 hommes lorsque Sparte fut aux abois.
Inversement, il suscita la peur et la haine des conservateurs : pour Tite-Live
(XXXII, 37, 9), les deux mesures d’Argos étaient « deux torches destinées aux
révolutionnaires en vue d’enflammer la plèbe contre les notables (optimates) ».
Et ceux-ci se mirent, bien sûr, sous la protection de Rome.
D’autre part, en recevant Argos de l’ennemi de Rome, Nabis pouvait être
accusé de duplicité 89 , mais, pour l’instant, Rome, qui avait besoin de tous ses
alliés contre Philippe, préféra laisser la question de côté. On se contenta, étant
donné les protestations des Achéens, de Rhodes et de Pergame, d’éviter de
tenir une conférence à Argos ; et les Romains conclurent un accord avec
Nabis, qui leur envoya 600 auxiliaires crétois.
La situation changea après la victoire romaine de 197 et Rome et ses alliés
furent amenés à déclarer la guerre à Sparte.
Cette guerre fut suscitée avant tout par l’hostilité que suscitait Nabis chez
les alliés grecs de Rome : les Achéens n’avaient cessé de guerroyer contre lui
et étaient les premiers concernés par Argos, qui faisait partie de leur ligue ;
quant à Rhodes et Pergame, elles souffraient de la piraterie crétoise patronnée
par Nabis ; enfin, dans toutes les cités, les notables, effrayés par les décisions
de Nabis, craignaient la contagion révolutionnaire.
D’autre part, Flamininus cherchait une raison pour se faire proroger dans
son commandement en Grèce et avait proclamé, en 196, avec un grand succès,
la liberté des cités grecques, principe auquel contrevenait Nabis en refusant de
rendre son indépendance à Argos.
Aussi le sénat décida-t-il la guerre avec l’accord unanime des alliés, à
l’exception des Étoliens, qui étaient partisans d’un compromis et, désormais,
ne souhaitaient pas que s’accrût en Grèce le rôle des Romains.
La disproportion des forces ne laissait guère d’espoirs aux Spartiates :
même avec les renforts argiens, ils ne disposaient que de 17 000 hommes
contre 50 000. Malgré la résistance de Gytheion et de Sparte elle-même, où
Nabis avait fait massacrer 80 opposants ainsi que quelques Hilotes et où un
incendie devait arrêter la progression de l’ennemi, les Spartiates furent obligés
d’accepter les conditions romaines.
La paix de 195 (Tite-Live, XXXIV, 35), ratifiée par le sénat en 194,
marque un important affaiblissement de Sparte. Territorialement, celle-ci subit
des pertes considérables : non seulement elle abandonna Argos, en y laissant
les esclaves, et la Crète, mais, à l’exception de la Belminatis (sauf Athénaion),
elle dut renoncer à la Périoikis, qui passa sous la protection achéenne. Elle fut
aussi très affaiblie militairement, car elle dut rendre aux cités maritimes
(périèques) les navires qu’elle leur avait pris en ne conservant que 2 petits
bateaux (des lembi à 16 rames maximum) et se défaire de ses mercenaires en
les renvoyant chez eux ou en les faisant recruter par les Romains. Elle ne
devait plus ni conclure d’alliance ni faire la guerre. La cité guerrière, qui ne
pouvait plus recruter dans la Périoikis et n’avait plus de port, sauf peut-être une
modeste échelle, se trouvait ainsi démilitarisée. Néanmoins, pour ne pas trop la
mettre à la merci des Achéens, on ne l’obligea pas à détruire ses murs.
Le traité prévoyait la remise par Nabis des prisonniers et des fugitifs ainsi
que la restitution à leurs possesseurs légitimes du butin fait à Messène. Il devait
aussi verser 100 talents dans l’immédiat et 50 talents par an pendant 8 ans, et
livrer 5 otages, dont son propre fils 90 .
Affaiblissant Sparte, Flamininus se montra cependant, malgré les Achéens,
très modéré à l’égard de Nabis lui-même : celui-ci pouvait rester au pouvoir,
les exilés n’étaient pas rappelés et, si leurs femmes et leurs enfants
« pouvaient » les rejoindre, il n’était pas dit qu’ils y fussent obligés.
Si Sparte ne constituait plus une menace pour ses voisins péloponnésiens,
elle n’était pas subordonnée à la Ligue achéenne et le contrôle par celle-ci des
cités périèques, notamment maritimes, restait source de conflit.
De fait, dès 193, profitant du départ des Romains et de l’achèvement des
fortifications de Sparte, Nabis, poussé par les Étoliens, s’attaqua à ces cités, où
il avait, selon Tite-Live, XXXV, 13, 1, suscité des séditions, corrompu les
dirigeants et assassiné les opposants. Mais il fut, en 192, battu par
Philopoemen, qui reprit Gytheion, et Sparte ne fut préservée que par
l’armistice qu’imposa Flamininus. Cependant, le corps expéditionnaire étolien,
se considérant alors comme trahi et désireux de faire du butin, assassina Nabis
et ravagea Sparte avant de se faire lui-même massacrer (Tite-Live, XXXV, 35-
36), tandis que Philopoemen en profitait pour obliger Sparte à adhérer à la
Ligue achéenne.
Nabis, contrairement à Cléomène, n’avait pas été un grand chef militaire :
il s’était montré inférieur aussi bien à Aratos qu’à Philopoemen. Il n’avait pas
fait preuve de la « douceur » d’Agis et, conformément à la typologie
tyrannique, s’était montré plus violent que Cléomène. Mais il avait su s’assurer
une base sociale solide tant à Sparte qu’à Argos. Il n’avait pas cependant libéré
l’ensemble des Hilotes : songeait-il à autre chose qu’à augmenter sa puissance
en accroissant les effectifs de son armée ?

CONCLUSION

Si l’on considère globalement le demi-siècle de révolutions qu’a connu


Sparte depuis Agis IV, on est amené à distinguer Nabis des deux premiers rois.
L’aspect tyrannique ne fait sans doute que s’aggraver : Nabis est plus tyran que
Cléomène, qui l’est lui-même plus qu’Agis. Mais le rapport au passé change
entre les deux premiers et le troisième. Aussi bien Agis, quand il voulait
retrouver la Sparte harmonieuse du passé, que Cléomène, quand il voulait
redonner à Sparte sa puissance d’autrefois, étaient censés se tourner vers le
passé et pouvaient dans leur « révolution réactionnaire » trouver des appuis
chez les jeunes comme chez les gens âgés. Nabis, même s’il se réfère encore à
Lycurgue, apparaît davantage comme un roi hellénistique, avec des troupes et
un trésor, qui pratique comme les autres une politique de bascule, et un tyran
démagogue utilisant les factions à ses fins propres.
3. Sparte entre la Ligue achéenne et Rome
(192-146)
Bien que Sparte ait été obligée d’adhérer à la Ligue achéenne, elle n’hésite
pas à faire constamment appel à Rome contre la Ligue.

CONFLITS ET DIVISIONS (192-179)

S’étant rendu maître de Sparte, Philopoemen y pratiqua (ou essaya) deux


politiques différentes.
Pour faire accepter l’intégration dans la Ligue, il montra, de 192 à 189,
beaucoup de modération. Il laissa ainsi les Spartiates régler eux-mêmes leurs
affaires sans faire exiler les partisans de Nabis ni abolir ses réformes et, lors
d’une menace de défection, il arrangea lui-même l’affaire pour éviter une
intervention des Romains ou d’un autre Achéen (Plut., Philop., 16, 1-4). Mais
cette politique de réconciliation ayant échoué, il n’hésita pas à faire preuve de
brutalité 91. En 189, les Spartiates avaient attaqué la cité périèque de Las et, au
lieu de livrer les coupables, ils massacrèrent 30 pro-Achéens et firent
sécession en offrant leur cité aux Romains. Dès 188, ils furent obligés de
livrer aux Achéens 80 responsables, sous promesse de jugement régulier ;
mais ils furent tous mis à mort à Compasion (en Arcadie), 17 étant lapidés par
les émigrés spartiates et 63, condamnés à mort le lendemain (Tite-Live,
XXXVIII, 33, 10-11). En outre, Philopoemen obligea les Spartiates à abattre
leurs murs, à renvoyer leurs mercenaires et à rendre la Belminatis aux
Mégalopolitains. Les Hilotes libérés par les « tyrans » durent quitter Sparte
sous peine d’être vendus comme esclaves, sort qui fut infligé à 3 000 d’entre
eux. Les réformes de Nabis furent abrogées, et les institutions traditionnelles,
comme l’agôgè, furent remplacées par des institutions et des magistratures
achéennes, tandis que certains Spartiates furent exilés ou mis à mort. Enfin fut
imposé le retour des Spartiates exilés par les tyrans, mais, accédant au pouvoir,
certains de ces émigrés se montrèrent ingrats (ou patriotes) à l’égard des
Achéens.
Les exils successifs, sous Nabis ou sous Philopoemen, et la restitution de
leurs biens aux exilés divisaient les Spartiates. On vit ainsi arriver à Rome en
183 4 groupes de Spartiates (Polybe, XXIII, 4). Deux d’entre eux étaient
constitués par des Spartiates exilés par Nabis et ramenés par les Achéens : les
extrémistes, dirigés par Lysis, voulaient recouvrer tous leurs biens ; les
modérés, menés par Areus et Alcibiade, qui avaient déçu leurs protecteurs
achéens 92, se seraient contentés de la restitution de leurs biens jusqu’à un
talent, « le reste étant distribué à ceux qui méritaient d’être citoyens ». Quant au
groupe de Sérippos, il souhaitait le retour à la situation de 192, donc
l’abolition des mesures de 188, tandis que Chairon et ses amis, « parlant au
nom de ceux qui avaient été condamnés à mort ou exilés par les décrets des
Achéens, demandaient le retour des exilés et le rétablissement de la
constitution ». Chairon se lança même bientôt (en 181 ou 180) dans une
politique démagogique, condamnée par Polybe (XXIV, 7). Il confisqua et
distribua aux pauvres les biens laissés par les tyrans eux-mêmes aux familles
des exilés et, pour dissimuler ses malversations, fit assassiner un contrôleur
financier, ce qui incita le stratège de la Ligue à le faire passer en jugement.
Les divisions entre Spartiates et entre Spartiates et Achéens embarrassaient
le sénat, qui, en 183, « se prononça à l’unanimité pour le rappel des exilés et
des condamnés à mort et le maintien de Sparte dans la Ligue achéenne »
(Polybe, XXIII, 4). Mais, s’il condamnait les excès des alliés achéens,
notamment les massacres de Compasion, il ne se décida pas à intervenir pour
faire effectivement revenir les différents groupes d’exilés. Quant aux légats
romains, ils étaient prêts à s’engager davantage, mais, quand ils n’étaient pas
mandatés par le sénat, les Achéens ne les écoutaient pas : ils refusèrent de
réunir leur assemblée, en 185 à la demande de Q. Caecilius Metellus (Polybe,
XXII, 12) comme, en 183, à celle de Flamininus. Seul Appius Claudius Pulcher
avait pu, par la menace, faire annuler la condamnation à mort d’Areus et
d’Alcibiade, que les Achéens voulaient punir de leur intervention à Rome.
Le problème des exilés fut néanmoins réglé entre 183 et 179. En 183-182,
après la victoire des Achéens sur les Messéniens, Sparte fut réadmise dans la
Ligue et rappela tous les bannis, à l’exception du groupe d’Areus et
d’Alcibiade, qui s’était monté « ingrat » à l’égard des Achéens et avait été
banni par les Spartiates eux-mêmes (Polybe, XXIII, 17-18). Malgré une
nouvelle intervention de Rome, non suivie d’effets, il fallut attendre, en 180,
l’accession au pouvoir dans la Ligue de Callicratès, représentant du « parti
romain », pour que les derniers exilés pussent revenir (Polybe, XXIV, 10 in
fine). Si Callicratès, mandaté par Rome, arbitra au détriment de Sparte
quelques litiges frontaliers avec Mégalopolis ou Argos, Sparte put
reconstruire ses fortifications et il fut décidé que les crimes les plus graves ne
seraient jugés ni par les Spartiates ni par les Achéens, mais par des juges
étrangers. C’est aussi vraisemblablement à cette époque, ou un peu plus tôt,
qu’elle put réintroduire son mode de vie traditionnel et notamment l’agôgè.
Sparte avait toute sa place dans la Ligue et, en 151-50, ce fut même un
Spartiate, Ménalkidas, qui la dirigea en tant que stratège avant de se faire
acquitter de graves accusations de corruption (Paus., VII, 11 et 12).

DERNIERS CONFLITS : 150-146

Sous Diaios, stratège de la Ligue après Ménalkidas, en 150-49, un conflit


s’éleva entre les Achéens et les Spartiates (Pausanias, VII, 12, 4-9). Ces
derniers, qui, déjà l’année précédente, avaient refusé de marcher contre
l’Attique, avaient, à propos d’une dispute territoriale, fait appel au sénat, qui
aurait répondu que tous les procès, à l’exception des affaires capitales, étaient
du ressort des Achéens. Mais ceux-ci entendaient juger même les procès
capitaux et interdire aux membres de la Ligue, donc à Sparte, d’envoyer leurs
propres ambassades à Rome. Ils exigèrent des Spartiates, sous menace de
guerre, de leur livrer 24 de leurs dirigeants ; mais ceux-ci les laissèrent
s’enfuir à Rome avant de les condamner à mort.
Malgré Rome, qui leur avait demandé d’attendre l’arrivée d’envoyés du
sénat, en 148, les Achéens attaquèrent les Spartiates, qui, vaincus, perdirent
1 000 hommes. Mais ils n’allèrent pas jusqu’à s’emparer de Sparte, ce que
Rome n’aurait pas toléré. L’année suivante, les Achéens ayant installé des
garnisons dans les cités périèques, le Spartiate Ménalkidas attaqua une de ces
cités. Les Spartiates, affamés et menacés d’une attaque achéenne, s’en prirent à
Ménalkidas, qui dut se suicider.
Sparte fut cependant sauvée par l’intervention romaine. La question
macédonienne ayant été réglée, Rome pouvait imposer ses volontés. Lucius
Aurelius Orestes transmit les ordres du sénat : « Le sénat romain estime juste
que ni les Lacédémoniens ni Corinthe elle-même ne fassent partie de l’Achaïe
et qu’Argos, Héraclée de l’Œta et Orchomène d’Arcadie abandonnent le
congrès de la Ligue » comme n’étant pas ethniquement des Achéens. Les
Achéens, furieux, se saisirent de tous les présents qui étaient lacédémoniens ou
en avaient l’air et se lancèrent dans une guerre contre Sparte, qui était en fait
une guerre désespérée contre Rome.
En 146, les Achéens, vaincus, furent condamnés à verser 200 talents aux
Spartiates, mais Rome leur fera remise de cette somme et, même si Sparte était
du côté des vainqueurs, elle ne put recouvrer les cités périèques, qui, avec
24 cités, allaient former le koinon des Lacédémoniens. Contrairement au reste
du Péloponnèse et à la majorité de la Grèce, Sparte est comme la Crète,
Athènes, la Thessalie et une Étolie réduite, restée indépendante, mais ce n’est
plus qu’une puissance de second ordre, qui ne peut gêner une Rome qui admire
le modèle lycurguien.
L’hostilité constante entre Spartiates et Achéens, chacun souhaitant
dominer le Péloponnèse, a ainsi réintroduit en 224 les Macédoniens dans la
péninsule avant de faire venir les Romains et de leur laisser dominer la région.

1. Pour Aristote, la défaite de Leuctres a servi de révélateur, cf. Politique, VII, 14 , 1333b 21-23 :
« Il est évident, attendu que maintenant le pouvoir impérial (archè) n’est plus aux mains des
Laconiens, qu’ils ne sont pas heureux et que leur législateur n’est pas bon » ; cf. Ed. Lévy, « Le
régime lacédémonien dans La Politique d’Aristote : une réflexion sur le pouvoir et l’ordre social
chez les Grecs », in M. Mollin éd., Images et Représentations du pouvoir et de l’ordre social
dans l’Antiquité, Paris, De Boccard, 2001, p.57-72.
2. Sparte perdit ainsi, au nord, l’Aegytis, la Belminatis, la Skiritis, la Caryatis et la Thyréatide, à
l’ouest, la Denthéliatis et la côte nord-est du golfe de Messène, et, à l’est, la côte orientale de
la Laconie jusqu’à Prasiai.
3. Cf. G. Marasco, Sparta alle inizi dell’età ellenistica : il regno di Areo I (309-265/4), Florence,
Cooperativa Libr. Univ. Studii Fiorentini, 1980.
4 . Cf. Ed. Will, Histoire politique du monde hellénistique (323-30 av. J.-C.), I, Annales de l’Est
2
30, Nancy, 1979 , p. 219-231 (p. 219, la date de 276 n’est qu’une faute d’impression pour 267).
5. On voit ainsi, à l’instar d’Agésilas II en Égypte, servir à l’étranger des rois ou des héritiers
présomptifs comme Archidamos III, à Tarente, Acrotatos, le fils de Cléomène II, à Agrigente et
à Tarente ou Cléonymos, à Tarente.
6. Voir G. Schepens, « L’apogée de l’archè spartiate comme époque historique dans
e
l’historiographie grecque au début du IV siècle », Ancient Society 24 (1993), p. 169-204 .
7. Cf. aussi Plut., Agis, 3, 1, Lyc., 30, 1, Lys., 2, 6, et Paus., IX, 32, 10.
8. Soit 1 000 talents convoyés par Gylippe (Plut., Nicias, 28, 4 ), auxquels s’ajoutent les 4 70
talents du reliquat des tributs de Cyrus et du butin (Xén., Hell., II, 3, 8) ; Diodore, XIII, 106, 8-9,
faisant apporter 1 500 talents par Gylippe, a peut-être additionné à tort les deux nombres ; cf.
aussi E. David, « The influx of money into Sparta at the end of the fifth century », Scripta
classica Israelica 5 (1979-80), p. 30-4 5.
9. Il s’élèverait à plus de 1 000 talents par an selon Diodore XIV, 10, 2, mais aucune autre source
ne confirme ce nombre, qui paraît douteux.
10. La somme se déduit de la dîme consacrée à Delphes, cf. Xén., Agés., I, 34 , et Hell., IV, 3, 21, et
Plut., Agés., 19, 4 .
11. Cf. St. Hodkinson, « Spartan Society in the fourth century : Crisis and continuity », in P. Carlier
e
éd., Le IV Siècle av. J.-C. Approches historiographiques, Paris, De Boccard, 1996, p. 85-101.
12. Ce n’est pas l’argent ni la cupidité qui sont responsables du conservatisme des Spartiates en face
de la tactique révolutionnaire d’Épaminondas ; ils expliquent donc non la défaite de Leuctres,
mais peut-être pourquoi Sparte n’a pas su se réformer en luttant contre l’inégalité qui, selon
Aristote, la mine de l’intérieur.
13. Cf. P.J. Rhodes, « In defence of the Greek historians », Greece and Rome 4 1 (1994 ), p. 157-
158.
14 . Gylippe lui-même y aurait succombé en détournant 30 talents (Plut., Nicias, 28, et Lys., 17) – et
non 300 comme dans le texte de Diodore (XIII, 106, 9) – et aurait été condamné à mort.
15. On trouve un compromis comparable dans les Lois de Platon (V, 74 2a-c), où la possession de
monnaies étrangères est punie d’une amende.
16. Cf. l’interdiction de le faire imposée aux vaincus de Sphactérie, supra, p. 4 9, ou l’allusion au
marché au fer, supra, p. 137.
17. Cf. Thuc., I, 80, 4 , où le roi Archidamos note que ses concitoyens ne sont pas disposés à verser
de l’argent (chrèmata) en le prenant sur leurs biens propres, ce qui montre bien qu’ils en
possédaient ; cf. aussi Aristote, Politique, II, 9, 1271b 10-15.
18. Platon, République, VIII, 54 8a-b ; cf. aussi Alcibiade majeur, 122d-123a.
19. Voir sur cette rhètra, dont l’authenticité est discutée, D. Asheri, « Sulla lege di Epitadeo »,
Athenaeum 39 (1961), p. 4 5-68, J. Christien, « La loi d’Épitadeus : un aspect de l’histoire
économique et sociale de Sparte », Revue historique de droit français et étranger 52 (1974 ),
p. 197-221, G. Marasco, « La retra di Epitadeo e la situazione sociale di Sparta nel IV secolo »,
L’Antiquité classique 4 9 (1980), p. 131-14 5, E. Schütrumpf, « The Rhetra of Epitadeus : A
Platonist fiction », Greek, Roman and Byzantine Studies 28 (1987), p. 4 4 1-4 57 et les articles
d’Ed. Lévy et de St. Hodkinson cités infra, n. 21 et 22.
20. Quand il s’en écarte, par exemple à propos de la kryptie, il le signale expressément, voir supra,
p. 64 .
21. Je me permets de renvoyer à mon article, « Le régime lacédémonien dans La Politique
d’Aristote », p. 57-72, dont je reprends ici les conclusions.
22. Voir St. Hodkinson, « Land tenure and inheritance in Classical Sparta », Classical Quarterly n.s.
36 (1986), p. 378-4 06, et Property and Wealth in Classical Sparta, Londres, Duckworth,
2000, p. 65-112.
23. Cf. supra, supra, supra et supra.
24 . Cf. L. Moretti, Olympionikai. I vincitori negli antichi agoni olimpici, Ac. naz. dei Lincei, sc.
moral., memorie, VIII, 2, Rome, 1957, « Supplemento al catalogo degli Olympionikai », Klio
52 (1970), p. 295-303, et in W. Coulson et H. Kyrieleis éd., Proceedings of an International
Symposium on the Olympic Games, Athènes, 1992, p. 119-128.
25. Le terme indiquait le manque de citoyens.
26. Cf. Aristote, Pol., II, 9, 1270a 33-34 : « La cité n’a pas supporté une seule défaite mais a
succombé à cause de l’oliganhropie. »
27. Il est prédominant pour A. Fuks, « The Spartan citizen-body in Mid-Third Century B.C. and its
enlargement proposed by Agis IV », Athenaeum 40 (1962), p. 24 4 -263.
28. De même, après cette bataille comme après celle de Mégalopolis (Diodore, XIX, 70, 5), les
survivants n’ont pas été dégradés.
29. Par exemple, les 300 morts de Stényclaros, Hdt., IX, 64 .
30. Les autres sont exposés.
31. Voir le mercenaire lacédémonien Xanthippos, qui « avait eu part à l’agôgè laconienne » et à qui,
en 255, les Carthaginois confient le commandement de leurs troupes, Polybe, I, 32.
32. Le luxe n’est pas réservé à la syssitie royale, car Phylarque souligne qu’Areus et Acrotatos ont
été dépassés de beaucoup en magnificence par d’autres Spartiates de leur époque.
33. Si les 4 00 morts comprenaient l’ensemble des 300 Hippeis, sur les 4 00 Spartiates restants, seuls
100 seraient morts à leur poste conformément à l’éthique spartiate.
34 . Xén., Hell., I, 6, 5 : « Envoyé par la cité à la tête de la flotte, que puis-je faire d’autre que
d’exécuter les ordres le mieux que je pourrai ? », ce à quoi, parmi les Lacédémoniens présents,
« personne n’osa rien dire que d’obéir à la patrie et de faire ce pourquoi il était venu », I, 6, 6 ;
de même, en I, 6, 8, il commence son discours aux Milésiens en affirmant : « C’est pour moi,
Milésiens, une nécessité (anangkè) d’obéir aux magistrats de la patrie. »
35. Cf. aussi, chez Plutarque, Lys., 5, 7 - 7,1, le portrait élogieux de Callicratidas : « le meilleur et
le plus juste de tous les hommes », qui « avait des pensées (sc. panhelléniques) dignes de
Lacédémone et pouvait rivaliser en justice, en grandeur d’âme et en courage avec les plus grands
des Grecs ».
36. Comme il est normal pour un éromène.
37. Le terme idios revient plusieurs fois à son propos, cf. Xén., Hell., II, 1, 14 , 3, 8, et 4 , 29.
38. Cf. supra et supra ; il a aussi continué à exercer en fait les fonctions de navarque, malgré la loi
qui l’interdisait, cf. supra et supra.
39. Si Lysandre était effectivement un ancien mothax, cette ambition pourrait constituer une réaction à
sa condition initiale.
4 0. On opposera au « pour moi » d’Anaxibios les poèmes de Tyrtée, où la belle mort était proposée
à tous les Spartiates et notamment aux jeunes, et l’exemple des Thermopyles, où les Spartiates se
l’étaient réservée.
4 1. Cf. respectivement Xén., Hell., V, 4 , 57 ; VI, 2, 19 et IV, 3, 2.
4 2. Un apophtegme attribué au roi Cléomène II (370-309) place les coqs vainqueurs au-dessus de
ceux qui « meurent au combat » (Apopth. lac., 224 B-C).
4 3. Cf. aussi Cornelius Nepos, Agésilas, 6, 2, et E. David, « Revolutionary agitation at Sparta after
Leuctra », Athenaeum, n.s. 57 (1980), p. 299-308.
4 4 . La formule prend modèle sur « Philippe (ou Alexandre) et les Macédoniens » et « oublie »
l’autre roi.
4 5. Voir supra, p. 272.
4 6. Cf. surtout B. Shimron, Late Sparta. The Spartan Revolution 243-146, Arethusa Monographs 3,
Buffalo, 1972, L.J. Piper, The Spartan Twilight, New Rochelle (New York), A.D. Caratzas,
1986, et P. Cartledge et A. Spawforth, Hellenistic and Roman Sparta, Londres, Routledge,
1989.
4 7. On se référera surtout à Plutarque, Vie d’Agis et Cléomène, avec le commentaire détaillé de
G. Marasco, Commento alle biografie plutarchee di Agide e di Cleomene, Rome, Ateneo,
1983.
4 8. Ils comprendraient « beaucoup de champs cultivés et de pâturages, sans compter six cents talents
d’argent monnayé », Plut., Agis, 9, 6.
4 9. Cf. aussi Plut., Agis, 12, 1, où Lysandre et Mandrocleidas sont accusés d’avoir, « contrairement
à la loi, voté (psèphisaménois) (entendons « fait voter ») l’abolition des dettes et le partage des
terres ».
50. Ce qui est, bien sûr, le cas, puisque le deuxième roi, le gendre de Léonidas, Cléombrotos a été
nommé à l’initiative d’Agis.
51. Léonidas, revenu au pouvoir, fera de même.
52. Il s’est, selon Plutarque (derniers mots de la Vie d’Agis, 21, 4 ), « montré le plus doux des
hommes » ; cf. aussi Cléomène, 1, 4 , où Cléomène est dit ne pas avoir sa douceur.
53. Plutarque, Comparaison d’Agis et Cléomène et des Gracques, 4 , 1, lui reproche de « s’être
occupé trop mollement de la politique » ; on peut d’ailleurs se demander si c’était vraiment lui
qui avait agi ou s’il ne s’était pas contenté de laisser agir (Lysandre ou Agésilas) en son nom.
54 . Si elles étaient conservées par le créancier, on ne peut être sûr que tout le monde les ait
apportées.
55. Il était plus facile d’abolir les dettes que de confisquer les terres et de les redistribuer
équitablement.
56. Les trois femmes ont un grand poids social du fait de leur richesse.
57. De même, plus tard, seule une fraction acceptera de condamner Agis.
58. Sur ces expulsions, dont la fréquence a été exagérée par la propagande athénienne, cf.
St. Rebenich, « Fremdfeindlichkeit in Sparta ? Überlegungen zur Tradition der spartanischen
Xenelasie », Klio 80 (1998), p. 336-354 .
59. Pour Léonidas et ses partisans, Agis ne donnait pas à Sparte de nouveaux citoyens mais, par ses
mesures sociales, achetait des gardes du corps (doruphoroi) pour lui-même et sa future
tyrannnie, Plut., Agis, 7, 8.
60. Ils auraient emmené 50 000 esclaves selon Plut., Cléomène, 18, 3, nombre sans doute excessif,
même s’il comprend à la fois des Hilotes et des Périèques ; en tout cas, cette expédition avait dû
frapper les esprits, car, après son coup d’État, Cléomène termine son discours en assurant avoir
agi « pour que nous cessions de voir la Laconie, faute de défenseurs, rester la proie des Étoliens
et des Illyriens » ; cf. aussi Polybe, IV, 34 , 9.
61. Ou à cause d’elle, si son père constituait un exemple négatif.
62. Un seul d’entre eux, blessé, réussit à s’échapper.
63. C’est peut-être en fonction de cette théorie que Cléomène aurait rappelé Archidamos, le frère
d’Agis, et essayé de collaborer avec lui avant de le laisser ou de le faire tuer.
64 . Voir B. Shimron, « The original task of the Spartan Patronomoi. A suggestion », Eranos 63
(1965), p. 155-158, et N.M. Kennell, « The size of the Spartan patronomate », ZPE 85 (1991),
p. 131-137.
65. Ce qui implique que pour Tite-Live, et donc vraisemblablement Polybe, Agis IV n’est pas un
tyran.
66. L’expression évoque le prix placé au milieu des concurrents d’un concours ou le butin placé au
milieu des vainqueurs ; il s’agit donc non de propriété collective, mais de biens à partager.
67. Dans le récit de Plutarque, tout a l’air de se faire tout seul par la simple vertu de l’exemple
royal ; de fait, le meurtre ou l’exil des opposants ne devaient pas inciter à résister.
68. Cf. aussi Plut., Cléomène, 18, 2 : il a imité Solon par la remise des dettes et Lycurgue par
l’égalisation des possessions (ktèmata).
69. Voir Plut., Cléomène, 10, 11, où Cléomène annonce qu’il « fait un examen (dokimasia) et une
sélection des étrangers pour que les plus forts d’entre eux, devenus Spartiates, préservent la cité
par les armes », et 11, 3, où l’auteur lui-même précise que Cléomène « compléta le corps
civique avec l’élite des Périèques » ; si les étrangers évoqués dans le premier texte ne se
confondent pas avec les Périèques évoqués dans le second (cf. supra sq.), il peut s’agir, en
dehors de quelques trophimoi, de mercenaires ayant servi sous le roi.
70. C’est ce qu’on peut déduire des 6 000 Lacédémoniens de Sellasie, Plut., Cléomène, 28, 8.
71. Il est peu probable que ceux qui avaient acheté leur affranchissement aient encore dû servir dans
l’armée.
72. C’est une malchance, car, comme le souligne Plutarque, un peu plus tard, Antigone sera obligé
de retourner en Macédoine.
73. Le texte des manuscrits a été corrigé par l’ajout d’un article ; si l’on refuse cette correction, il
faudrait comprendre seulement « beaucoup », ce qui serait insuffisant, Justin, XXVIII, 4 , ne
mentionnant que 4 000 survivants sur 20 000.
74 . Polybe est obligé, sur ce point, de défendre Aratos.
75. Cf. son opposition à Lydiadas.
76. Cf. F. Pozzi, « Sparta e i partiti politici tra Cleomene III e Nabide », Aevum 42 (1968), p. 383-
4 02.
77. Si Sparte est détruite ou trop affaiblie, les Achéens risquent de ne plus avoir besoin des
Macédoniens.
78. Polybe, qui lui est très hostile, prétend qu’il n’était même pas Héraclide, mais que, « en donnant
un talent à chacun des éphores, il était devenu Héraclide et roi de Sparte » (IV, 35, 14).
79. C’est ce qu’on peut déduire du fait qu’en 211 les Romains ont théoriquement traité avec Pélops,
voir le discours de Flamininus, Tite-Live, XXXIV, 32, 1.
80. Première alliance, qui jouera un grand rôle dans toute la suite de l’histoire de Sparte.
81. Cf. notamment B. Shimron, « Nabis of Sparta and the Helots », CPh 61 (1966), p. 1-7,
C. Mossé, La Tyrannie dans la Grèce antique, Paris, PUF, 1969, p. 179-192, J.G. Texier,
« Nabis et les Hilotes », DHA 1 (1974 ), p. 189-205, et Nabis, Annales litt. Univ. Besançon
169, Paris, 1975, A.M. Eckstein, « Nabis and Flamininus in the Argive Revolutions of 198 and
197 B.C. », GRBS 28 (1987), p. 213-233 ; bibliographie détaillée in H. Berve, Die Tyrannis bei
den Griechen, Munich, Beck, 1967, p. 715.
82. Cf. surtout Polybe, XIII, 6-8, et XVI, 13, ainsi que Tite-Live, XXXIII, 4 4, 8-9.
83. Cf. P. Cartledge et A. Spawforth, Hellenistic and Roman Sparta. A Tale of Two Cities, Londres,
Routledge, 1989, p. 67, où Nabis est qualifié de « one of the most remarkable individuals in all
Sparta’s public history ».
84 . On ne voit pas comment, dans les traités avec Rome, Nabis aurait pu figurer autrement qu’avec
le titre de roi ; cf. aussi l’emploi de « royal » (regium) par Flamininus lui-même dans la paix
qu’il imposa en 195 à Nabis, Tite-Live, XXXIV, 35, 4 .
85. Polybe, XVI, 13, qui résume le passage en notant que Nabis a accordé la citoyenneté aux
esclaves (entendons aux Hilotes) et leur a donné en mariage les femmes et les filles de leurs
maîtres, incite, en XIII, 6, à corriger tôn allôn en tôn doulôn.
86. P. Cartledge, in P. Cartledge et A. Spawforth, Hellenistic and Roman Sparta, Londres,
Routledge, 1989, p. 70.
87. Il y avait donc encore des Hilotes, et on ne peut se contenter d’y voir seulement d’anciens
Hilotes, car, s’ils ont été libérés et ont reçu la citoyenneté, ils n’ont aucune raison de faire
défection.
88. Théoriquement, si Philippe triomphait des Romains, les Spartiates devraient lui rendre Argos,
Tite-Live, XXXII, 38, 2.
89. Il prétendra plus tard à la fois avoir pris Argos à Philippe et l’avoir reçue librement de ses
habitants.
90. A l’exception du fils de Nabis, ils seront libérés dès 190 ; les otages ne constituaient pas
seulement une protection, ils permettaient aussi de donner une formation « romaine » aux
successeurs éventuels.
91. Cf. Polybe, XXI, 32c, Tite-Live, XXXVIII, 33-34 , et Plutarque, Philop., 16, 4 -8.
92. Ils se sont déjà opposés à Rome aux Achéens, probablement en 185, cf. Polybe, XXII, 11-12.
Conclusion

Sparte a toujours intrigué, car elle paraissait quelque chose d’unique dans
le monde grec, à la fois politiquement, socialement et idéologiquement.
Sans doute en avance dans le haut archaïsme avec son assemblée qui avait
le dernier mot et son conseil élu, elle n’avait pas su transformer ses rois en
simples magistrats ni donner pleins pouvoirs, démocratiquement, à
l’assemblée ou, oligarchiquement, à la gérousie : si l’on néglige les Périèques
et surtout les Hilotes, on ne sait comment caractériser le régime, trop
facilement défini comme oligarchique. Cependant, l’accroissement du pouvoir
de fait des éphores, qui s’appuyaient vraisemblablement sur la gérousie, avait
permis un équilibre dynamique qui paraissait à Platon et à Aristote faire la
synthèse des différents régimes et qui suscita l’admiration d’un Polybe. Cet
équilibre empirique se rompit au IIIe siècle en suscitant des troubles pendant
près d’un siècle.
La nature de l’État restait, elle aussi, incertaine. Jean Ducat affirme
nettement : « Sparte est une cité, et Lacédémone quelque chose comme
l’amorce d’un Empire territorial dirigé par elle 1. » Mais, s’il est évident que
Sparte est une cité et que, comme le rappelle le roi Démarate (Hdt. VII, 234),
les Lacédémoniens avaient beaucoup d’autres cités (entendons les cités
périèques), elle fait éclater la notion de cité-État, car il n’existait pour le monde
extérieur qu’un État, l’État lacédémonien, entièrement contrôlé par Sparte et
seul habilité à faire la guerre ou la paix et à conclure des traités. Là aussi, on se
trouvait à un stade intermédiaire : entre l’unification imparfaite de la Béotie
par Thèbes et la transformation par Athènes de toute l’Attique en une seule cité.
La société spartiate était fondée sur un modèle égalitaire, déjà suggéré par
le terme Homoioi, modèle qui séduira et abusera dans l’Antiquité comme à
l’époque moderne. Mais cette égalité théorique entre les Homoioi reposait sur
une grande inégalité, à la fois réelle et constamment réaffirmée, entre les
Hilotes et eux. Même en leur propre sein, l’égalité n’existait et n’était imposée
qu’extérieurement : il y avait toujours eu des différences entre les riches et les
pauvres, et il y en eut de plus en plus ; et, même extérieurement, si
l’aristocratie avait dû renoncer au luxe des funérailles, elle continua à se
distinguer en faisant courir des quadriges à Olympie.
Et surtout, à ce modèle égalitaire s’opposaient l’idéologie aristocratique
de l’arétè et la compétition permanente, organisée par la cité elle-même, pour
le prestige et le pouvoir, à laquelle s’ajoutait de plus en plus le désir de
s’enrichir. Cet esprit de compétition incitait avant tout à rechercher l’estime de
la communauté, mais, dans une société brutale comme Sparte, débouchait
aussi, tout simplement, sur l’affrontement physique. Dès le plus jeune âge, les
enfants étaient incités à la fois à se distinguer aux yeux des adultes et à lutter les
uns contre les autres 2 ; il leur fallait ensuite se trouver un éraste important,
réussir la difficile épreuve de la kryptie ou devenir l’un des Hippeis et, là
aussi, la « bagarre » continuait, puisque ceux qui n’avaient pas été désignés
s’attaquaient aux heureux élus. La compétition ne cessait pas puisque des
Hippeis pouvaient toujours être exclus ou, au moins, être remplacés lors de la
révision annuelle des listes et que seuls les cinq plus âgés avaient l’honneur de
devenir des agathoergoi. Et il fallait toujours s’efforcer d’obtenir éloges et
distinctions pour enfin terminer sa vie comme géronte.
Les Spartiates étaient ainsi en compétition permanente les uns avec les
autres. Cependant, s’il fallait faire mieux que les autres, il ne fallait pas agir
différemment : il est beau de mourir à son poste, mais non de chercher
témérairement la mort 3 , et notamment de sortir du rang pour affronter
l’ennemi. Si l’on doit supporter stoïquement un échec, il est anormal, et donc
suspect, de montrer alors de la joie 4 . C’est que, comme le soulignait le roi
exilé Démarate (Hdt., VII, 104), régnait avant tout à Sparte le nomos, que les
éphores, comme l’indique déjà leur nom de « surveillants 5 », étaient chargés
de faire respecter. Comme Sparte n’avait pas le culte de la loi écrite 6 , le nomos
correspondait plutôt aux normes, usages et règles collectives traditionnelles,
ce qui laissait un grand pouvoir d’appréciation aux éphores 7 et généralisait le
conformisme. Était suspect, voire considéré comme contraire au nomos, tout
ce qui différait de ce que faisaient les autres : les Homoioi devaient tous se
montrer homoioi (semblables). Ils étaient donc amenés à se surveiller 8 et à se
juger constamment les uns les autres : l’esprit de compétition se mettait ainsi
au service du conformisme.
Société inégalitaire qui prônait contradictoirement l’égalité extérieure et
société conformiste qui cultivait la philotimia, Sparte apparaissait ainsi, au
mieux, comme la cité des tensions, au pis, comme celle de l’hypocrisie. Et,
quand le divorce s’accrut entre le modèle et la réalité, l’idéalisation de la
Sparte du passé ne put qu’accroître les divisions et susciter des révolutions.
A l’égard du monde extérieur, Sparte a aussi hésité, entre le repli, au
moins sur le Péloponnèse, et la domination du monde grec. Comme dans le
domaine politique, l’avance relative dont elle avait pu jouir à la fin de l’époque
archaïque paralysa ensuite toute évolution. Elle avait eu assez tôt, dès le milieu
ou, au moins, la seconde moitié du VIe siècle, la meilleure phalange hoplitique
du monde grec et, avec le système d’alliances qu’elle s’était constituée dans le
Péloponnèse, elle paraissait hors d’atteinte de tout État grec : après l’échec des
Perses, sauf pendant quelques années ou décennies du Ve siècle, il n’y eut plus
de menaces extérieures. Mais le danger vint de l’intérieur : l’irrédentisme
messénien et les risques de dissolution de la Ligue du Péloponnèse firent la
faiblesse d’une Sparte dont le nombre des Homoioi s’était dangereusement
réduit.
La prédominance militaire de Sparte autorisait au VIe siècle
l’interventionnisme, d’ailleurs limité, de Cléomène ; l’erreur fatale fut, après
la victoire difficile et imprévue de 404, de s’être lancée dans un impérialisme
démesuré à un moment où la cité souffrait d’oliganthropie et ne se décidait pas
aux réformes indispensables.
Il ne faudrait pas cependant se montrer trop critique. Si l’on se réfère aux
deux critères qu’utilisaient les Grecs pour juger une cité et son régime, Sparte
a bien réussi. D’une part, elle a échappé aux révolutions et aux coups d’État
jusqu’au IIIe siècle, cela parce que, malgré le développement des inégalités et
les ambitions de certains, les Homoioi avaient su préserver leur cohésion.
Celle-ci reposait à la fois sur leur endoctrinement, sur le danger hilote et sur
l’entrecroisement de solidarités partielles fondées sur les classes d’âge
(notamment au cours de l’agôgè) ou la différence d’âge (dans les relations
pédérastiques, les syssities ou les énomoties). Ces liens sociaux ne diminuaient
pas, mais complétaient le rôle des familles 9 et des alliances matrimoniales
avec leurs problèmes de dots et de patrouchoi et les phénomènes de
clientélisme. Ce réseau très dense permit à la société de subsister même quand,
lors du grand tremblement de terre ou, surtout, après Leuctres, tout paraissait
s’écrouler.
D’autre part, grâce notamment à la Ligue du Péloponnèse, qui a duré près
d’un siècle et demi, Sparte a dominé le Péloponnèse pendant près de
deux siècles et a été plusieurs fois la puissance dominante de la Grèce.
Cependant, une seule défaite suffit à l’abattre et, malgré les efforts
d’Agis III, de Cléomène III ou de Nabis, elle ne put jamais recouvrer sa
puissance. Bien plus, le refus de renoncer à la Messénie et la contemplation
d’un passé idéalisé, pour une grande part imaginaire, l’empêchèrent de
s’intégrer dans le jeu des puissances péloponnésiennes et contribuèrent à
susciter la domination romaine.
C’est peut-être justement cette exaltation du passé, inculquée dès le plus
jeune âge, qui est devenue la plus grande faiblesse de Sparte : faisant de son
archaïsme un motif de fierté et un symbole d’excellence, elle n’a su ni
améliorer ses institutions ni rénover sa structure sociale comme l’imposait la
réduction catastrophique du nombre des citoyens de plein droit. Elle a eu, de
même, du mal à s’adapter aux nouveaux modes de combat et ne s’est résolue
que très tard à s’entourer, comme les autres cités, d’une enceinte fortifiée.
Même les révolutions s’y sont présentées comme un retour au passé : les
modernes ont beaucoup parlé du mirage spartiate ou de la légende de Sparte, il
n’est pas sûr que la première victime n’en ait pas été Sparte elle-même.

1. J. Ducat, Revue des études grecques 96 (1983), p. 197.


2. Les adultes et notamment les vieillards sont obligés d’intervenir pour que les affrontements,
qu’ils ont souvent eux-mêmes suscités, n’aillent pas trop loin ; cf. l’exemple du jeune Spartiate
exilé pour avoir tué un camarade à coups de poignard.
3. Cf. Aristodèmos, Hdt., IX, 71.
4 . Cf. Pédaritos, affectant de montrer de la joie pour n’avoir pas été désigné parmi les Hippeis, voir
J. Ducat, « Pédaritos ou le bon usage des apophtegmes », Ktèma 27 (2002), p. 13-34 .
5. Le nom des patronomes, qui leur succèdent, paraît avoir les mêmes implications, cf. supra et
supra.
6. Selon Plutarque (Lyc., 13, 1-4 ), une rhètra attribué à Lycurgue aurait interdit les lois écrites ;
l’indication est sans doute fausse, mais l’idée n’aurait pu s’imposer si les lois écrites avaient joué
un grand rôle à Sparte.
7. D’où les critiques d’Aristote, Polit., II, 9, 1270b 29-31 : « Il vaudrait mieux que les éphores
jugent non de leur propre chef mais conformément à des textes écrits et aux lois. »
8. C’est ce que Périclès condamnait dans l’Oraison funèbre, Thuc., II, 37, 2, en évoquant « la
suspicion réciproque dans la vie quotidienne » et « les vexations… extérieurement blessantes ».
9. Les Homoioi ne sont pas les gardiens de La République de Platon.
Annexes
Chronologie sommaire *1

e
XII s. ? Arrivée éventuelle des Doriens.
e
VIII s. ? Conquête d’Amyclées, Pharis et Géronthrai.
Première guerre de Messénie.
e
fin VIII s. ? Fondation de Tarente.
Peut-être rédaction de la grande rhètra ?
Deuxième guerre de Messénie : 670-657 dans la
e
VII s. chronologie basse de Pausanias, considérée par certains
comme encore trop haute ; poèmes de Tyrtée.
669-68 Défaite d’Hysiai ?
Bataille des champions contre Argos.
e
milieu du VI s. Défaite, puis victoire en Arcadie.
Formation progressive de la Ligue du Péloponnèse.
510 Renversement des Pisistratides.
508 Intervention à Athènes contre Clisthène.
vers 506 « Divorce d’Éleusis ».
505 Premier congrès de la Ligue.
494 Victoire de Sépeia sur Argos.
491 Renversement de Démarate.
490 Arrivée tardive des Spartiates à Marathon.
480 Défaite des Thermopyles ; victoire de Salamine.
479 Victoires de Platées et de Mycale.
vers 470 Mise à mort du régent Pausanias.
464 Tremblement de terre et révolte des Hilotes.
462 Rupture avec Athènes.
Paix de trente ans avec Argos ; paix de cinq ans avec
451
Athènes.
446 Paix de trente ans avec Athènes.
431 Début de la « guerre du Péloponnèse ».
425 Désastre de Sphactérie.
424 Expédition de Brasidas.
421 Paix de Nicias.
418 Victoire de Mantinée.
404 Défaite d’Athènes.
400 Début de la guerre en Asie.
397 (ou 399) Conspiration de Cinadon.
395-386 Guerre de Corinthe.
395 Défaite et mort de Lysandre à Haliarte.
386 Paix d’Antalcidas.
382-379 Expéditions contre Olynthe.
382 Prise de la Cadmée (citadelle de Thèbes).
379 Libération de Thèbes.
371 Défaite de Leuctres.
370-369 Invasion thébaine ; indépendance de la Messénie.
362 Bataille indécise de Mantinée.

330 Défaite de Mégalopolis (contre Antipatros).


281-280 Renaissance de la Ligue achéenne.
267-262 Guerre de Chrémonidès.
242 Agis IV fait destituer Léonidas II.
227 Coup d’État de Cléomène III.
222 Défaite de Sellasie.
195 Défaite de Nabis, paix avec Rome et ses alliés.
192 Intégration dans la Ligue achéenne.
188 Massacre de Compasion.
180-179 Stratégie de Callicratès (dans la Ligue achéenne).
150 Conflit avec les Achéens.
146 Victoire romaine.

*1. Pour les dates de règne, voir l’index ; les dates antérieures au VIe siècle sont sujettes à caution.
Cartes


Athènes et Sparte en 431
e
Source : Edmond Lévy, La Grèce au V siècle, Paris, Éd. du Seuil, « Nouvelle Histoire de l’Antiquité,
2 », 1995, p. 197.
Orientation bibliographique *1
Principales sources antiques

TYRTÉE

Diehl, E., Anthologia lyrica graeca, fasc. 13, Berlin, Teubner, 1949, dont nous
adoptons la numérotation.
Prato, C., Tirteo, Rome, Ed. dell’Ateneo, 1968.
Snell, B., Tyrtaios und die Sprache des Epos, Göttingen, Van den Hoeck et
Ruprecht, 1969.
West, M.L., Iambi et Elegi Graeci ante Alexandrum cantati2, Oxford University
Press, 1992.

ALCMAN

Calame, C., Alcman. Introduction, texte critique, témoignages, traduction et


commentaire, Rome, Ateneo, 1983.
Davies, M., Poetarum melicorum Graecorum fragmenta, Oxford, Clarendon
Press, 1991, vol. I.

HÉRODOTE

Voir l’édition des Belles Lettres, due à Ph.E. Legrand, où l’on se rapportera
utilement à l’index analytique (voir Δωριέες, Λάκαινα, Λακεδαιμονίοι,
Λάκων, Λακωνική, Πελοποννήσιοι ainsi que Λακεδαίμων et Σπάρτη, et,
dans les Notabilia, γέροντες, εἵλωτες, ἔφοροι, ἱππέες, ἱρέες, περίοικοι,
σuσσίτια, τριηκάς et οί Τριηκόσιοι), ainsi qu’au nom des principaux
personnages historiques, et l’édition italienne de la Fondation Lorenzo
Valla.
Éd. commentées : Macan, R.W., Londres, Macmillan, 1895, 1908, Stein H.,
Berlin, Weidmannn, 1893-1908.
Commentaire : How, W.W. et Wells, J.A., Oxford, Clarendon Press, 1928 2.
Lexique : Powell, J.E., Cambridge UP, 1938 (réimpr. Olms Paperbacks, 1977).
Voir Cragg, K.M., Herodotus’ Presentation of Sparta, diss. Université du
Michigan, 1976.
Vannicelli, P., Erodoto e la storia dell’alto e medio arcaismo (Sparta,
Tessaglia, Cirene), Incunabula graeca XV, Rome, G.E.I, 1993.
Lévy, Ed., « La Sparte d’Hérodote », Ktèma 24 (1999), p. 123-134.

THUCYDIDE

Gomme, A.W., A Historical Commentary on Thucydides, Oxford, Clarendon


Press, 1945-1981 (vol. IV et V, avec Andrewes, A. et Dover, K.J.).
Bétant, E.-A., Lexicon Thucydideum, Genève, 1843 (réimpr. Hildesheim, 1969).
Gundert, H., « Athen und Sparta in den Reden des Thukydides », Die Antike
1940, p. 98-114.
Cloché, P., « Thucydide et Lacédémone », Études et Commentaires, 1943,
p. 81-113.
Wassermann, F.M., « The speeches of King Archidamus in Thucydides »,
Classical Journal 48 (1953), p. 193-200.
–, « The voice of Sparta in Thucydides », Classical Journal 59 (1964), p. 289-
297.
Hornblower, S.A., A Commentary on Thucydides, I, II, Oxford, Clarendon
Press, 1991, 1996.

CRITIAS

Diels, H. et Kranz, W., Die Fragmente der Vorsokratiker, II6, 88, Berlin,
Weidmann, 1952, cité DK (A = vie et écrits, B = fragments).
Battegazzore, A. et Untersteiner, M., Sofisti, Testimonianze e Frammenti, IV,
Florence, La nuova Italia, 1962.
Voir, outre la thèse d’État soutenue le 14 février 1998 à l’université d’Aix-
Marseille-I par Emmanuèle Caire sous le titre Critias d’Athènes, sophiste
et tyran,
Centanni, M., Atene assoluta. Crizia dalla tragedia alla storia, Saggi di
antichità e di tradiz. class. 21, Padoue, Esedra, 1997,
Bultrighini, U., Maledetta democrazia. Studi su Crizia, Alexandrie, Éd.
dell’Orso, 1999.
Nemeth, G., « Kritias und die Utopie der Tyrannen », Act. Ant. Hung. 40
(2000), p. 357-366.
Lévy, Ed., « Critias ou l’intellectuel au pouvoir », in Morel, P.-M. et Pradeau,
J.-F., Les Anciens Savants. Études sur les philosophies préplatoniciennes,
Paris, Vrin, 2002, p. 223-244.

HELLÉNIQUES D’OXYRHYNCHOS

Édition : Bartoletti, V., Leipzig, Teubner, 1959, et Chambers, M., Stuttgart,


Leipzig, Teubner, 1993.
Édition commentée : Mc Kechnie, P.R. et Kern, S.J., Warminster, Aris et
Phillips, 1988, réimpr. 1993.
Commentaire : Bruce, I.A.F., An Historical Commentary on the Hellenica
Oxyrrynchia, Cambridge UP, 1967.

XÉNOPHON

Fleischanderl, B., Die spartanische Verfassung bei Xenophon, Leipzig,


Friedrich, 1888.
Gray, V., The Character of Xenophon’s Hellenica, Londres, Duckworth, 1984.
Proietti, G., Xenophon’s Sparta. An Introduction, suppl. 10 à Mnemosyne,
Leyde, Brill, 1987.
Riedinger, J.-C., Études sur les Helléniques : Xénophon et l’histoire, Paris,
Belles Lettres, 1991.
Dillery, J., Xenophon and the History of his Times, Londres et New York,
Routledge, 1995.
Humble, N.M., Xenophon’s View of Sparta : A Study of the Anabasis, Hellenica
and Respublica Lacedaemoniorum, diss. McMaster, 1997.
–, « Sophrosune and the Spartans in Xenophon », in Hodkinson, St. et Powell,
A., Sparta : New Perspectives, Londres, Duckworth, 1999, p. 339-351.

Helléniques
Éditions commentées : Underhill, G.E., Oxford, Clarendon Press, 1915.
Delebecque, É. (livre I), Paris, PUF, 1964.
Krentz, P., Warminster, Aris et Phillips, 1989 et 1995 (jusqu’en IV, 2, 8).
Lévy, Ed., « L’art de la déformation historique dans les Helléniques de
Xénophon », in Verdin, H. et al., Purposes of History, Studia hellenistica
30, Louvain, 1990, p. 125-157.
République des Lacédémoniens
Éditions commentées : Ollier, F., Annales de l’université de Lyon 2e s. 47,
Paris, Lyon, Alcan, Rey, 1934.
Rebenich, S., Darmstadt, Wiss. Buchgesellschaft, 1998.
Lipka, M., Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2002.

Agésilas
Édition commentée : Luppino Manes, E., Milan, Jaca, 1992.

PLATON

Voir surtout République VIII et Lois III.


Morrow, G.R., Plato’s Cretan City, Lawrenceville, Princeton UP, 1960.
Piérart, M., Platon et la cité grecque. Théorie et réalité dans la constitution des
Lois, Acad. royale de Belgique, Mém. classe de lettres, in 8, 2e s., 62, 3,
Bruxelles, Palais des Académies, 1974.
Powell, A., « Plato and Sparta », in Powell, A. et Hodkinson St., The Shadow of
Sparta, Londres, New York, The Class. Press of Wales, 1994, p. 273-321.

ARISTOTE

Lévy Ed., « Le régime lacédémonien dans la Politique d’Aristote : une


réflexion sur le pouvoir et l’ordre social chez les Grecs », in Mollin, M.,
Images et Représentations du pouvoir et de l’ordre social dans l’Antiquité
(Actes du colloque d’Angers, 28-29 mai 1999), Paris, De Boccard, 2001,
p. 57-72 (avec la bibliographie, p. 57).
Fragments : Rose, Aristotelis qui ferebantur librorum fragmenta, Leipzig,
Teubner, 1886.
Dilts, M.R., Heraclidis Lembi Excerpta Politiarum, Durham, Duke University,
1971.
Gigon, O., Aristotelis Opera III, Librorum deperditorum fragmenta, Berlin, De
Gruyter, 1987.
POLYBE

Shimron, B., « Polybius and the Reforms of Kleomenes IIII », Historia 13


(1964), p. 147-155.
Walbank, F.W., A Historical Commentary on Polybius, Oxford, Clarendon
Press, 1957-1979.
–, « The Spartan ancestral constitution in Polybius », Ancient Society and
Institutions. Studies presented to Victor Ehrenberg, Oxford, Blackwell,
1966, p. 303-312.
Lévy, Ed., « La Sparte de Polybe », Ktèma 12 (1987), p. 63-79.

DIODORE DE SICILE

Accame, S., « Le fonte di Diodoro per la guerra deceleica », Rendiconti della


Regia accademia nazionale dei Lincei 14 (1938), p. 347-451.
MacDougall, J.I., Lexicon in Diodorum Siculum, Hildesheim, Zurich, New
York, Olms, 1983.
Westlake, H.D., « Agesilaus in Diodorus », Greek, Roman and Byzantine
Studies 27 (1986), p. 263-277.
Lévy, Ed., « Diodore de Sicile récrivant Thucydide (D.S., XII, 62, 6-7 et 67, 3-
5, versus Thuc., IV, 12, 3 et 80), Ktèma 26 (2001), p. 333-341.

STRABON

Voir surtout VIII, 4-5.


Baladié, R., Le Péloponnèse de Strabon, Paris, Belles Lettres, 1980.

PLUTARQUE
Voir surtout, dans les Vies parallèles, les Vies de Lycurgue, de Lysandre,
d’Agésilas et d’Agis et Cléomène ; mais Sparte est aussi évoquée, entre
autres, dans les Vies de Thémistocle, de Périclès, d’Alcibiade, de Pélopidas,
de Philopoemen, de Flamininus, de Pyrrhus, de Cimon et de Nicias. Dans
les Œuvres morales, voir surtout le tome III de l’éd. des Belles Lettres (dû à
F. Fuhrmann), Paris, 1988 : Apophtegmes de rois et généraux et
Apophtegmes laconiens.
• Vie de Lycurgue
Kessler, E., Plutarchs Leben des Lycurgos, Quellen und Forschungen zur alten
Geschichte und Geographie XXIII, Berlin, 1910.
Manfredini, M. et Piccirilli, L., Plutarco. Le vite di Licurgo e di Numa, Milan,
Fondation Lorenzo Valla, 1980.
• Vie de Lysandre
Smits, J., Plutarchus’ leven van Lysander, diss. Amsterdam, 1939.
Bertinelli, M.G.A., Manfredini, M., Piccirilli, L. et Pisani, G., Plutarco. Le Vite
di Lisandro e di Silla, Milan, Fondation Lorenzo Valla, 1997.
• Vie d’Agésilas
Shipley, D.R., Plutarch’s Life of Agesilas. Response to Sources in the
Presentation of Character, Oxford, Clarendon Press, 1997 (514 pages,
avec bibliographie détaillée).
• Vies d’Agis et Cléomène
Marasco, G., Commento alle biografie plutarchee di Agide e Cleomene, Rome,
Ateneo, 1981.
Powell, A., « Spartan women assertive in politics ? Plutarch Lives of Agis and
Kleomenes », in Hodkinson, St. et Powell, A., Sparta. New Perspectives,
Londres, Duckworth, 1999, p. 393-419.
• Apophtegmes laconiens
Santaniello C., Plutarco, Detti dei Lacedemoni (CPM 20), Naples, M. d’Auria,
1995.
Ducat, J., « Pédaritos ou le bon usage des apophtegmes », Ktèma 27 (2002),
p. 13-34.
PAUSANIAS

Livres III (Laconie) et IV (Messénie) édition de la Fondation Lorenzo Valla,


1991, par D. Musti et M. Torelli (avec une bibliographie détaillée).
Meadows, A.R., « Pausanias and the historiography of Classical Sparta »,
Classical Quarterly 45 (1995), p. 92-113.
Pirenne-Delforge, V., Pausanias, Periegesis, Index Verborum, suppl. Kernos 5,
1997.
Knoepfler, D. et Piérart, M., éd., Éditer, Traduire, Commenter Pausanias en
l’an 2000, Genève, Droz, 2001 : voir notamment Leroy, Ch., « Pausanias et
la Laconie ou la recherche d’un équilibre », p. 223-237, Bultrighini, U.,
« “Errori”, in Pausania : III, 8, 10 », p. 239-260, Auberger, J., « D’un héros
à l’autre : Pausanias au pied de l’Ithôme », p. 261-273, et Baladié, R.,
« Structure et particularités du livre IV de Pausanias », p. 275-281.

ELIEN

Histoire variée.

ATHÉNÉE

Deipnosophistes ; où l’on pourra utiliser l’index des noms propres de l’édition


Loeb.


On trouve les principaux textes épigraphiques dans Inscriptiones Graecae
V, 1, Inscriptiones Laconiae et Messeniae, éd. W. Kolbe, Berlin, Reimer, 1913,
et dans Supplementum epigraphicum graecum 11, Leyde, Gieben, 1954.
Sur la prosopographie, voir :
Bradford, A.S., A Prosopography of Lacedemonians from the Death of
Alexander the Great, 323 B.C., to the Sack of Sparta by Alaric, A.D. 396,
Vestigia 27, Munich, 1977.
Poralla, P., A Prosopography of Lacedemonians from the Earliest Times to the
Death of Alexander the Great (X-323 B.C.), 2e éd. révisée par
A.S. Bradford, Chicago, Ares Publishers, 1985.
Fraser, P.M. et Matthews, E., A Lexikon of Greek Personal Names, vol. III A,
The Peloponnese, Western Greece, Sicily and Magna Graecia, Oxford,
Clarendon Press, 1997.
Ouvrages généraux
Tigerstedt, E.N., The Legend of Sparta in Classical Antiquity, Stockholm,
Uppsala et Göteborg, Almqvist et Wiksell, 3 vol., 1965, 1974, 1978.
Oliva, P., Sparta and her Social Problems, Prague, Academia, 1971.
Cartledge, P.A., Sparta and Lakonia : A Regional History, 1300-362 B.C.,
Londres, Routledge et Kegan, 1979.
Hooker, J.T., The Ancient Spartans, Londres, Toronto et Melbourne, Dent and
Sons, 1980.
Clauss, M., Sparta Eine Einführung in seine Geschichte und Zivilisation,
Munich, Beck, 1983.
Mac Dowell, D.M., Spartan Law, Édimbourg, Scottish Academic Press, 1986.
Powell, C.A., Classical Sparta. Techniques behind her Success, Londres,
Routledge, 1989.
Nafissi, M., La nascita del kosmos. Studi sulla storia della società di Sparta,
Naples, Éd. scient. ital., 1991.
Sanders, J.M., éd., ΦΙΛΟΛΑΚΩN : Lakonian Studies in Honour of Hector
Catling, Londres, British School at Athens, 1992.
Link, St., Der Kosmos Sparta, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft,
1994.
Powell, A. et Hodkinson, St., éd., The Shadow of Sparta, Londres, New York,
The Class. Press of Wales, 1994.
Thommen, L., Lakedaimonion Politeia. Die Entstehung der spartanischen
Verfassung, Historia Einzelschrift 103, Stuttgart, 1996.
Baltrusch, E., Sparta. Geschichte, Gesellschaft, Kultur, Munich, Beck, 1998.
Cavanagh, W.G. et Walker S., éd., Sparta in Laconia. Proceedings of the 19th
British Museum Colloquium, Londres, British School at Athens, studies 4,
1999.
Hodkinson, St. et Powell, A., éd., Sparta. New Perspectives, Londres, The
Class. Press of Wales, 1999.
Cartledge, P.A., Spartan Reflections, Londres, Duckworth, 2001.

LES ORIGINES

On se référera, pour les périodes archaïque et classique, à l’excellent


bulletin de bibliographie thématique (et critique) de Jean Ducat : « Sparte
archaïque et classique. Structures économiques, sociales, politiques (1965-
1982) », Revue des Études grecques 96 (1983), p. 194-225).
Pareti, L., Storia di Sparta arcaica. I. Dalle origini alla conquista spartana
della Messenia, Florence, Libreria internazionale, 1917.
Jaeger, W., « Tyrtaios über die wahre Arete », Sitzungberichte der Deutschen
Akademie der Wiss. zu Berlin 23 (1932), Berlin, p. 537-568 ( = Scripta
minora II, Rome, Ed. di storia e di letteratura, 1960, p. 75-114).
Roebuck, C., A History of Messenia from 369 to 146 B.C., diss. Université de
Chicago, 1941 (éd. privée).
Kiechle, F., Messenische Studien. Untersuchungen zur Geschichte der
Messenischen Kriege und der Auswanderung der Messenier, Kallmünz,
Lassleben, 1959.
Pearson, L., « The pseudo-history of Messenia and its authors », Historia 11
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Kiechle, F., Lakonien und Sparta. Untersuchungen zur ethnischen Struktur und
zur politischen Entwicklung Lakoniens und Spartas bis zum Ende der
archaischen Zeit, Munich, Beck, 1963.
Janni, P., La cultura di Sparta arcaica. Ricerche I-II, Rome, Ateneo, 1965,
1970.
Carlier, P., Lévy, Ed., Loraux, N., Mossé, C., Rolley, C. et Roobaert, A.,
« Sparte à l’époque archaïque » (6 articles), Ktèma 2 (1977), p. 65-155.
Craik, E.M., The Dorian Aegean, Londres, Routledge et Keagan, 1980.
Musti, D., Le origini dei Greci. Dori e mondo egeo, Bari, Laterza, 1985, 19912.
Adshead, K., Politics of the Archaic Peloponnese. The Transition from Archaic
to Classical Politics, Aldershot, Avebury Publishing Company, 1986.
Parker, V., « Some dates in early Spartan history », Klio 75 (1993), p. 45-60.
Malkin, I., Myth and Territory in the Spartan Mediterranean, Cambridge UP,
1994 (trad. française La Méditerranée spartiate : mythe et territoire, Paris,
Belles Lettres, 1999).
Hodkinson, St., « The development of Spartan society and institutions in the
archaic period », in Mitchell, Lynette G. et Rhodes P.J., éd., The
Development of the polis in Archaic Greece, Londres et New York,
Routledge, 1997, p. 83-102.
Meier, M., Aristokraten und Damoden. Untersuchungen zur inneren
Entwicklung Spartas im 7. Jahrhundert v. Chr. und zur politischen Funktion
der Dichtung des Tyrtaios, Stuttgart, Steiner, 1998.
Eder, B., Argolis, Lakonien, Messenien. Vom Ende der mykenischen Palastzeit
bis zur Einwanderung der Dorier, Vienne, Öster. Akad. der Wiss., Phil.-
hist., Myken. St. 17, 1998.
Link, St., Das frühe Sparta. Untersuchungen zur spartanischen Staatsbildung
im 7. und 6. Jahrhundert v. Chr. (Pharos XIII), Scripta Mercaturae Verlag,
St Katharinen, 2000.
L’ÉDUCATION

Cartledge P., « The politics of Spartan pederasty », Proceedings of the


Cambridge Philological Society, 207 (1981), p. 17-36 (repris dans Spartan
Reflections, Londres, Duckworth, 2001, p. 91-105).
Lévy, Ed., « La kryptie et ses contradictions », Ktèma 13 (1988), p. 245-252.
Kennell, N.M., The Gymnasium of Virtue. Education and Culture in Ancient
Sparta, Chapel Hill et Londres, The University of North Carolina Press,
1995 (avec une bibliographie détaillée).
Lévy, Ed., « Remarques préliminaires sur l’éducation spartiate », Ktèma 22
(1997), p. 151-160.
Ducat, J., « La cryptie en question », in Brulé, P. et Oulhen, J., Esclavage,
Guerre, Économie en Grèce ancienne. Hommages à Yvon Garlan, Presses
universitaires de Rennes, 1997, p. 43-77.
–, « Crypties », Cahiers Glotz 8 (1997), p. 9-38.
–, « Perspectives on Spartan education in the classical Period », in Hodkinson,
St. et Powell, A., éd., Sparta : New Perspectives, Londres, Duckworth,
1999, p. 43-64.

LES SYSSITIES

Lavrencic, M., Spartanische Küche. Das Gemeinschaftsmahl der Männer in


Sparta, Vienne, Cologne et Weimar, Böhlau, 1995.
Link, St., « Durch diese Tür kein Wort hinaus ! » (Plut., Lyk., 12, 8) :
« Bürgergemeinschaft und Syssitien in Sparta », Laverna 9 (1998), p. 82-
112.
Singor, H.W., « Admission to the syssitia in fifth-century Sparta », in
St. Hodkinson et A. Powell, Sparta New Perspectives, Londres, Duckworth,
1999, p. 67-89.

LE KLÉROS
Voir, outre les ouvrages généraux sur Sparte :
Cozzoli, U., Proprietà fondiaria ed esercito nello stato Spartano dell’ età
classica, Rome, Istituto italiano per la storia antica, 1979.
Ducat, J., « Le citoyen et le sol à Sparte à l’époque classique », Hommage à
Maurice Bordes, Annales de la Faculté des lettres et sciences humaines de
Nice 45 (1983), p. 143-166.
Hodkinson, St., Property and Wealth in Classical Sparta, Londres, Duckworth,
2000.

LA FEMME

Redfield, J., « The women of Sparta », Classical Journal 73 (1978), p. 146-


151.
Cartledge, P., « Spartan wives : Liberation or licence ? », Classical Quarterly
31 (1981), p. 17-36 (repris dans Spartan Reflections, Londres, Duckworth,
2001, p. 106-126).
Kunstler, B.L., Women and the Development of the Spartan Polis : A Study of
Sex Roles in Classical Antiquity, diss. Université de Boston, 1983, et
Helios, n.s. XIII, 2 (1986), p. 31-48.
Mc Dowell, D.M., Spartan Law, Edimbourg, Scottish Academic Press, 1986.
Dettenhofer, M.H., « Die Frauen von Sparta. Gesellschaftliche Position und
politische Relevanz », Klio 75 (1993), p. 61-75.
–, « Die Frauen von Sparta. Ökonomische Kompetenz und politische
Relevanz », in M.H. Dettenhofer, éd., Reine Männersache ? Frauen in
Männerdomäne der antiken Welt, Cologne, Weimar, Vienne, 1994, p. 15-
40.
Ducat, J., « La femme de Sparte et la cité », Ktèma 23 (1998), p. 385-406.
–, « La femme de Sparte et la guerre », Pallas 51 (1999), p. 159- 171.
Lupi, M., L’ordine delle generazioni. Classi di età e costumi matrimoniali
nell’antica Sparta, Bari, Edipuglia, 2000.
Pomeroy, S.B., Spartan Women, Oxford, Oxford University Press, 2002.

LA RELIGION

Voir, outre les ouvrages généraux sur la religion grecque :


Wide, S., Lakonische Kulte, Leipzig, Teubner, 1893.
Ziehen, L., RE 3 A (1929), s.v. Sparta (Kulte), coll. 1453-1525.
Bölte, F., « Zu lakonischen Festen », Rheinisches Museum für Philologie n.
f. 78 (1929), p. 124-143.
Hooker, J.T., The Ancient Spartans, Londres, Toronto et Melbourne, Dent and
Sons, 1980, p. 47-70.
Parker, R., « Spartan religion », in A. Powell, Classical Sparta. Techniques
behind her Success, Londres, Routledge, 1989, p. 142-172.
Osanna M., « Sui culti arcaici di Sparta e Tarento : Afrodite Basilis », Parola
di Passato 251 (1990), p. 81-94.
Pettersson, M., Cults of Apollo at Sparta : The Hyakinthia, the Gymnopaidiai
and the Karneia, Stockholm, Svenska Institutet i Athen, 1992.

LES HILOTES

Welwei, K.W., Unfreie : Unfreie im antiken Kriegsdienst. I. Athen und Sparta,


Wiesbaden, Steiner, 1974.
Ducat, J., « Le mépris des hilotes », Annales ESC, 29 (1974), p. 1451-1464.
–, « Aspects de l’hilotisme », Ancient Society 9 (1978), p 5-46.
Piper, L.J., « Spartan Helots in the hellenistic age », Ancient Society 15-17
(1984-1986), p. 75-88.
Talbert, R.J.A., « The role of the Helots in the class struggle at Sparta »,
Historia 98 (1989), p. 22-40.
Ducat, J., Les Hilotes, BCH suppl. XX, Paris, De Boccard, 1990 [essentiel].
Whitby, M., « Two shadows : Images of Spartans and Helots », in Powell, C.A.
et Hodkinson, St., The Shadow of Sparta, Londres, New York, The Class.
Press of Wales, 1994, p. 87-126.
Alcock, S.E., « A simple case of exploitation : The Helots of Messenia », in
Cartledge, P., Foxhall, L. et Cohen, E., éd., Money, Labour and Land :
Approaches to the Economics of Ancient Greece, Londres, Routledge,
2000.

LES PÉRIÈQUES

Hampl, F., « Die lakedämonische Periöken », Hermes 72 (1937), p. 1-49.


Shipley, G., « Perioikos : The discovery of classical Laconia », in
J.M. Sanders, ΦΙΛΟΛΑΚΩN, Lakonian Studies in Honour of Hector
Catling, Londres, The British School at Athens, 1992, p. 211-226.
–, « “The other Lakedaimonians” : The dependent Perioikic Poleis of Laconia
and Messenia », in M.H. Hansen, The Polis as an Urban Centre and as a
Political Community, Acts of the Copenhagen Polis Centre, vol. 4,
Copenhague, 1997, p. 189-281.
Hall, J.M., « Sparta, Lakedaimon and the nature of perioikic dependency », in
Flensted-Jensen, P., Further Studies in the Ancient Greek Polis, Historia
Einzelschriften 138, Stuttgart, Steiner, 2000, p. 73-89.

LES CATÉGORIE MARGINALES

Ehrenberg, V., « Mothakes », RE XVI, 1, 1933, coll. 382-384.


–, « Neodamodeis », RE XVI, 2, 1935, coll. 2396-2401.
Lotze, D., « Μόθακες », Historia 11 (1962), p. 427-435.
Alfieri Tonini, T., « Il problema dei neodamodeis nell’ ambito della società
spartana », RIL 109 (1975), p. 305-316.
Hodkinson, St., « Servile and free dependants of the classical Spartan
“oikos” », in Moggi, M. et Cordiano, G., éd., Schiavi e dependenti dell’
«oikos » e della « familia », Pise, ETS, 1997, p. 45-71.
LA ROYAUTÉ

Pareti, L., « Ricerche sulla potenza maritima degli Spartani e sulla cronologia
dei nauarchi », Mem. dell’Accad. delle Scienze di Torino, 2, 59 (1908-
1909), p. 71-159 ( = Studi minori II, 1961, p. 1-131).
Sealey, R., « Die spartanische Nauarchie », Klio 58 (1976), p. 335-358.
Carlier, P., La Royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, AECR, 1984
[essentiel].
David, E., « The trial of Spartan kings », Revue internationale des Droits de
l’Antiquité, 3 e série 32 (1985), p. 131-140.
Cartledge, P., Agesilaos and the Crisis of Sparta, Londres, Duckworth, 1987.
Shipley, D.R., Plutarch’s Life of Agesilaos. Reponse to Sources in the
Presentation of Character, Oxford, Clarendon Press, 1997.

LES ÉPHORES

On trouvera la bibliographie de la question dans l’ouvrage récent de


N. Richer, Les Éphores. Études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (VIIIe-
e
III siècle avant J.-C.), Paris, Public. de la Sorbonne, Histoire ancienne et

médiévale 50, 1998.

GÉROUSIE ET ASSEMBLÉE

Busolt, G. et Swoboda, H., Griechische Staatskunde. 2. Darstellung einzelner


Staaten und der zwischenstaatlichen Beziehungen (HdbAW 4,1,1), Munich,
Beck, 19263, p. 679-683 et 691-694.
Andrewes, A., Probouleusis : Sparta’s Contribution to the Technique of
Government, Oxford, Clarendon Press, 1954.
–, « The government of classical Sparta », in Badian, E., éd., Ancient Society
and Institutions. Studies Presented to V. Ehrenberg, Oxford, Blackwell,
1966, p. 9-16.
Shatzman, I., « The meeting place of the Spartan assembly », Rivista di
Filologia e di Istruzione Classica 96 (1968), p. 385-389.
Sainte-Croix, G.E.M de, The Origins of the Peloponnesian War, Oxford,
Duckworth, 1972, Appendice XXIII, « The name of the Spartan assembly »,
p. 346-347.

LA LIGUE DU PÉLOPONNÈSE

Kahrstedt, U., Griechisches Staatsrecht. I. Sparta und seine Symmachie,


Göttingen, Vandenhoek et Ruprecht, 1922, p. 81-118 et 267-272.
Busolt, G. et Swoboda, M., Griechische Staatskunde II (HdbAW 4,1,1), Munich,
Beck, 1926, p. 1320-1337.
Larsen, J.A.O., Classical Philology 27 (1932), p.136-150, 28 (1933), p. 257-
276, et 29 (1934), p. 1-19
Moretti, L., Ricerche sulle leghi greche (Peloponnesiaca-Beotica-Licia), Rome,
L’Erma di Bretschneider, 1962, p. 1-95.
Wickert, K., Der Peloponnesische Bund von seiner Entstehung bis zum Ende
des archidamischen Krieges, Erlangen, 1962.
Sainte-Croix, G.E.M de, The Origins of the Peloponnesian War, Londres,
Duckworth, 1972, p. 96-124 et 333-346.
Tausend, Kl., Amphiktyonie und Symmachie, Historia Einzelschrift 73, 1992,
p. 118-123 et 167-180.
Cawkwell, G.L., « Sparta and her allies in the sixth century », Classical
Quarterly 43 (1993), p. 364-376.
London, J.E., « Thucydides and the “Constitution” of the Peloponnesian
League », Greek, Roman and Byzantine Studies, 35 (1994), p. 159-177.
Baltrusch, E., Symmachie und Spondai, Berlin, New York, De Gruyter, 1994.

GUERRES ET POLITIQUE EXTÉRIEURE JUSQU’EN 404

Hignett, C., Xerxes’ Invasion of Greece, Oxford, Clarendon Press, 1963.


Kagan, D., The Outbreak of the Peloponnesian War, Ithaca, Cornell UP, 1969.
Green, P., The Year of Salamis 480-479 B.C., Londres, Weidenfeld et
Nicholson, 1970.
Sainte-Croix, G.E.M de, The Origins of the Peloponnesian War, Londres,
Duckworth, 1972.
Kagan, D., The Archidamian War, Ithaca, Cornell UP, 1974.
Lewis, D.M., Sparta and Persia, Leyde, Brill, 1977.
Picard, O., Les Grecs devant la menace perse, Paris, SEDES, 1980.
Roobaert, A., Isolationnisme et Impérialisme spartiates de 520 à 469 avant J.-
C., Acad. royale de Belgique, Cl. des Lettres, Fonds René Draguet 2,
Louvain, Peeters, 1985.
Kagan, D., The Peace of Nicias and the Sicilian Expedition, Ithaca, Cornell UP,
1981.
–, The Fall of the Athenian Empire, Ithaca, Cornell UP, 1987.
Lazenby, J.F., The Defence of Greece, 490-479, Warminster, Aris et Philipps,
1993.

POLITIQUE EXTÉRIEURE DE 404 À 362

Voir, outre P. Carlier, Le IVe siècle grec jusqu’à la mort d’Alexandre, Paris,
Seuil, « Nouvelle histoire de l’Antiquité 3 », 1995, p. 11-73,
Parke, H.W., « The development of the Second Spartan Empire (405-371) »,
Journal of Hellenic Studies 50 (1930), p. 37-79.
Hamilton, Ch.D., Sparta’s Bitter Victories. Politics and Diplomacy in the
Corinthian War, Ithaca et Londres, Cornell UP, 1979.
–, Agesilaus and the Failure of Spartan Hegemony, Ithaca, Cornell UP, 1991.
Bommelaer, J.F., Lysandre de Sparte. Histoire et tradition, BEFAR 240, Paris,
De Boccard, 1981.
Cartledge, P., Agesilaos and the crisis of Sparta, Londres, Duckworth, 1987.
Schepens G., « L’apogée de l’archè spartiate comme époque historique dans
l’historiographie grecque au début du IVe siècle », Ancient Society 24
(1993), p. 169-204.

CRISE ET RÉVOLUTIONS

Fuks, A., « The Spartan citizen-body in mid-third century B.C. and its
enlargement proposed by Agis IV », Athenaeum 40 (1962), p. 244-263.
Shimron, B., « Nabis of Sparta and the Helots », Classical Philology 61 (1966),
p. 1-7.
Berve, B., Die Tyrannis bei den Griechen, Munich, Beck, 1967.
Pozzi, F., « Sparta e i partiti politici tra Cleomene III e Nabide », Aevum 42
(1968), p. 383-402.
Mossé, C., La Tyrannie dans la Grèce antique, Paris, PUF, 1969, p. 179-192.
Shimron, B., Late Sparta. The Spartan Revolution 243-146, Buffalo, Arethusa
Monographs 3, 1972.
Texier, J.G., « Nabis et les Hilotes », Dialogues d’Histoire ancienne 1 (1974),
p. 189-205.
–, Nabis, Annales litt. Université de Besançon 169, Paris, 1975.
David, E., « The influx of money into Sparta at the end of the fifth century »,
Scripta classica Israelica 5 (1979-1980), p. 30-45.
–, « Revolutionary agitation at Sparta after Leuctra », Athenaeum, n.s. 57
(1980), p. 299-308.
Marasco, G., Sparta alle inizi dell’età ellenistica : il regno di Areo I (309-
265/4), Florence, Cooperativa Libr. Univ. Studii Fiorentini, 1980.
David, E., Sparta between Empire and Revolution (404-243 B.C.). Internal
Problems and their Impact in Contemporary Greek Consciousness, New
York, Arno Press, 1981.
Marasco, G., Commento alle biografie plutarchee di Agide e Cleomene, Rome,
Ateneo, 1981.
Hodkinson, St., « Spartan society in the fourth century crisis and continuity »,
in Carlier, P., éd., Le IVe Siècle av. J.-C. Approches historiographiques,
Paris, De Boccard, 1996, p. 85-101.
Piper, L.J., The Spartan Twilight, New Rochelle (New York), A.D. Caratzas,
1986.
Eckstein, A.M., « Nabis and Flamininus in the Argive revolutions of 198 and
197 B.C. », Greek, Roman and Byzantine Studies 28 (1987), p. 213-233.
Cartledge, P. et Spawforth, A., Hellenistic and Roman Sparta, Londres,
Routledge, 1989.

*1. Dans chaque rubrique, les études sont présentées dans l’ordre chronologique; une bibliographie
plus détaillée est donnée dans les notes de chaque chapitre.
Index
Index des hommes et des dieux *1

Achille (héros homérique), 1, 2, 3, 4.


Acrotatos (père d’Areus), 1.
Acrotatos (fils d’Areus, roi de 265-264 à 259), 1, 2.
Aelius Aristide (auteur du IIe s. apr. J.-C.), 1.
Agamemnon (roi homérique), 1, 2, 3, 4.
Agésilas II (roi d’environ 398 à 359-358), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8,
9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18-19, 20-21, 22-23, 24, 25,
26, 27, 28, 29-30, 31, 32, 33-34, 35-36, 37, 38-39, 40-41, 42,
43, 44.
Agésilas (oncle d’Agis IV), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8.
Agésipolis Ier (roi de 395 à 380), 1, 2, 3, 4.
Agésipolis III (nommé roi en 219), 1, 2.
Agésistrata (mère d’Agis IV), 1, 2, 3.
Agiades (dynastie spartiate), 1, 2, 3-4, 5, 6.
Agiatis (femme d’Agis IV, puis de Cléomène III), 1.
Agis Ier (fondateur mythique de la dynastie), 1, 2, 3-4.
Agis II (roi de 427 à 397 ?), 1, 2, 3-4, 5-6, 7-8, 9, 10, 11, 12-13,
14.
Agis III (roi de 338 à 330), 1, 2.
Agis IV (roi de 244 à 241), 1-2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13, 14, 15, 16-17, 18, 19, 20-21, 22-23, 24, 25-26, 27-28, 29-30.
Alcamène (roi du VIIIe s.), 1.
Alcibiade (homme politique athénien du Ve s.), 1, 2, 3-4, 5, 6, 7-8,
9.
Alcibiade (homme politique spartiate du IIe s.), 1-2.
Alcman (poète de la seconde moitié du VIIe s.), 1, 2, 3.
Alexandra (ou Cassandra) (fille de Priam), 1, 2, 3.
Alexandre le Grand (roi des Macédoniens, 336-323), 1, 2, 3, 4-5.
Alkétas (chef spartiate en 377-376), 1.
Amompharétos (chef spartiate tué à Platées en 479), 1.
Ampharès (éphore 241-240), 1.
Anaxandridas (roi, seconde moitié du VIe siècle), 1, 2, 3, 4, 5, 6-7,
8.
Anaxandros (roi du VIIe s.), 1, 2, 3.
Anaxibios (navarque 401-400), 1.
Anaxilas (roi du VIIe s.), 1.
Anchimolios (chef spartiate du VIe s.), 1.
Antalcidas (navarque en 388-387, éphore en 370-369), 1, 2-3, 4.
Antigone Doson (régent, puis roi des Macédoniens, du IIIe s.), 1, 2-3.
Antiochos de Syracuse (historien sicilien, fin Ve s.), 1-2.
Antipatros (chef macédonien du IVe s.), 1, 2.
Aphrodite (déesse), 1, 2-3.
Apollon (dieu), 1-2, 3, 4, 5-6, 7-8.
Arakos (éphore en 409-408, navarque en 406-405), 1.
Aratos (homme d’État achéen du IIIe s.), 1, 2-3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10.
Arcésilas (Spartiate, double vainqueur olympique du Ve s.), 1.
Archidamia (grand-mère d’Agis IV), 1, 2, 3.
Archidamos II (roi de 476 à 427), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11-12, 13.
Archidamos III (roi de 360-359 à 338), 1, 2-3, 4, 5.
Archidamos (frère d’Agis IV), 1.
Areus (roi de 309-308 à 265), 1, 2-3, 4, 5-6.
Areus (homme politique, IIe s.), 1, 2, 3-4.
Aristagoras (initiateur de la révolte ionienne), 1, 2, 3.
Aristodèmos (roi mythique), 1.
Aristodèmos le trembleur (mort à Platées, en 479), 1, 2.
Aristoklès (polémarque en 418), 1.
Aristoménès (chef messénien du VIIe s.), 1.
Ariston (roi du VIe s.), 1, 2.
Aristophane (comique athénien), 1, 2.
Aristote (philosophe 384-322), 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9-10, 11, 12-
13, 14-15, 16-17, 18, 19, 20-21, 22-23, 24, 25-26, 27-28, 29, 30-
31, 32, 33, 34, 35, 36-37, 38-39, 40-41, 42, 43-44, 45-46, 47-
48, 49-50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57.
Artémis (déesse), 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8.
Asclépios, 1, 2.
Astéropos (éphore du VIIe s. ?), 1-2.
Astyochos (navarque en 412-411), 1.
Athéna (déesse), 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8-9, 10, 11, 12.
Athénée de Naucratis (auteur de la fin du IIe s. apr. J.-C.), 1, 2, 3, 4, 5-
6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13.
Aurelius Orestes, Lucius (chef romain du IIe s.), 1.
Autoclès (orateur athénien, envoyé à Sparte en 371), 1, 2, 3.

Bathyclès de Magnésie (sculpteur du VIe s.), 1, 2.
Brachyllès (gouverneur de Sparte du IIIe s.), 1.
Brasidas (chef spartiate, éphore en 431-430), 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8.

Callicratès (stratège de la Ligue achéenne en 180), 1.
Callicratidas (navarque en 407-406), 1, 2-3.
Callinos (poète du VIIe s.), 1.
Chairon (homme politique spartiate du IIe s.), 1.
Charillos (roi du VIIIe s.), 1.
Chilon (éphore du VIe s.), 1, 2, 3, 4.
Chilon (révolutionnaire du IIIe s.), 1.
Chilonis (femme du roi Cléonymos), 1, 2.
Cicéron (homme politique et auteur latin, 106-43), 1-2, 3.
Cimon (homme d’État athénien du Ve s.), 1, 2, 3.
Cinadon (révolutionnaire spartiate du début du IVe s.), 1, 2, 3, 4-5, 6-
7, 8-9, 10, 11-12, 13, 14, 15-16, 17, 18, 19.
Claudius Pulcher, Appius (consul, commissaire du sénat en 185), 1.
Cléandridas (conseiller de Pleistoanax), 1, 2.
Cléarque (chef spartiate, Ve-IVe s.), 1, 2.
Cléoboulos (éphore 421-20), 1, 2.
Cléombrotos Ier (roi de 380 à 371), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Cléombrotos II (roi en 243), 1, 2, 3.
Cléomène Ier (roi d’environ 520 à environ 488), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,
8-9, 10, 11, 12, 13-14, 15, 16, 17, 18, 19-20.
Cléomène III (roi spartiate, 237-221), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10,
11-12, 13, 14, 15, 16-17, 18-19, 20-21, 22, 23.
Cléon (homme d’État athénien, mort en 422), 1-2.
Cléonymos (frère du roi Acrotatos), 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Clisthène (réformateur athénien, fin du VIe s.), 1, 2.
Clytemnestre (femme et meurtrière d’Agamemnon), 1.
Cnémos (navarque en 430-429), 1.
Conon (chef athénien, fin Ve-début IVe s.), 1.
Cratésippidas (navarque en 409-408), 1.
Crésus (roi de Lydie du VIe s.), 1, 2.
Critias (chef des Trente, en 404-403), 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Cyrus le Grand (roi de Perse, 559-529), 1, 2, 3, 4.
Cyrus le Jeune (mort en 401), 1, 2-3, 4.

Darius (roi des Perses, 522-486), 1.
Deiniadas (Périèque, commandant d’une flotte en 412), 1.
Démarate (roi de 515 ? à 491), 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12,
13, 14, 15-16, 17, 18.
Démosthène (orateur et homme d’État athénien, 384-322), 1, 2, 3.
Denys de Syracuse (règne de 405 à 367), 1, 2.
Derkylidas (chef spartiate, fin Ve-début IVe s.), 1, 2, 3.
Diaios (stratège de la Ligue achéenne, 150-149), 1.
Dicéarque (disciple d’Aristote, IVe s.), 1, 2.
Dinarque (orateur athénien, fin du IVe s.), 1.
Diodore de Sicile (historien du Ier s.), 1, 2, 3-4, 5, 6, 7-8, 9, 10-
11, 12, 13, 14, 15, 16-17.
Diogène Laërce (auteur de la fin du IIe-IIIe s. apr. J.-C.), 1.
Dionysos (dieu), 1.
Dioscures (héros ou dieux), 1, 2, 3-4, 5, 6.
Diphridas (éphore en 398-394), 1.
Dorieus (prétendant malheureux à la royauté contre Cléomène Ier), 1, 2,
3.
Dorkis (chef spartiate en 477), 1, 2.
Dosiadas (historien IVe-IIIe s.), 1.

Ekdikos (navarque en 391-390), 1.
Élien (sophiste, IIe-IIIe s. apr. J.-C.), 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Endios (éphore en 413-412), 1-2.
Enyalios (divinité), 1, 2-3.
Épaminondas (chef thébain, IVe s.), 1, 2, 3-4, 5.
Éphore (historien, IVe s.), 1, 2-3, 4, 5, 6, 7.
Épitadeus (éphore du début du IVe s.), 1, 2, 3-4.
Érianthès (délégué thébain au congrès des alliés de 404), 1.
Eschine (orateur et homme politique athénien, IVe s.), 1-2, 3-4.
Étéocle (éphore en 330), 1.
Etymologicum magnum (compilation du XIIe s. apr. J.-C.), 1, 2, 3.
Euainétos (polémarque en 480), 1.
Eunomos (figure dans la liste des rois Eurypontides), 1.
Euripide (auteur tragique athénien, Ve s.), 1-2, 3.
Eurukratidas (fils d’Anaxandridas), 1.
Euryanax (fils de Dorieus), 1.
Eurybiadès (navarque en 481-480), 1, 2-3.
Euryléonis (a triomphé à Olympie), 1.
Eurypon (éponyme des Eurypontides), 1, 2.
Eurypontides (dynastie royale spartiate), 1, 2-3, 4.
Eurysthénès (le premier roi Agiade), 1, 2.

Flamininus (proconsul romain, début IIe s.), 1-2, 3-4, 5.

Gélon (tyran de Syracuse 491-478), 1.
Gorgo (fille de Cléomène Ier), 1.
Gylippe (chef spartiate en Sicile, puis adjoint de Lysandre, fin Ve s.), 1,
2-3.

Hélène (cause de la guerre de Troie), 1-2, 3, 4, 5, 6.
Hellanicos de Lesbos (historien, Ve s.), 1.
Helléniques d’Oxyrrhynchos (œuvre historique du IVe s.), 1.
Héra (déesse), 1, 2, 3-4, 5, 6.
Héraclès (dieu ou héros), 1, 2, 3, 4, 5.
Héraclides (descendants présumés d’Héraclès), 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8,
9, 10, 11, 12, 13, 14.
Hérakleidès Lembos (abréviateur d’Aristote, IIe s.), 1, 2, 3.
Hermippos de Smyrne (auteur du IIIe s.), 1.
Hérodote (historien, Ve s.), 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12,
13, 14-15, 16, 17, 18, 19, 20-21, 22-23, 24, 25, 26, 27-28, 29,
30-31, 32-33, 34, 35-36, 37, 38-39, 40, 41, 42-43, 44, 45-46,
47.
Hésiode (poète du VIIe s.), 1.
Hésychius (lexicographe, Ve ou VIe s. apr. J.-C.), 1-2, 3, 4.
Hétoimaridas (géronte du Ve s.), 1, 2, 3, 4.
Hippias (tyran athénien du VIe s.), 1-2, 3-4, 5.
Hipponoïdas (polémarque en 418), 1.
Homère (poète auquel on attribuait l’Iliade et l’Odyssée), 1-2, 3, 4, 5-
6, 7, 8, 9, 10, 11, 12-13, 14, 15, 16, 17.
Hyakinthos (jeune homme tué accidentellement par Apollon), 1, 2.
Hyllos (fils d’Héraclès), 1.

Ion de Chios (auteur tragique, Ve s.), 1.
Iphicrate (chef de peltastes athénien, IVe s.), 1, 2.
Isagoras (Athénien, rival de Clisthène), 1, 2.
(H)isménias (Thébain, chef de la tendance anti-spartiate, début IVe s.), 1.
Isocrate (auteur athénien, IVe s.), 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10-11,
12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20-21.

Jason (tyran de Phères, IVe s.), 1, 2.

Kyniska (sœur d’Agésilas II), 1, 2, 3, 4.

Lampito (fille de Léotychidas II), 1.
Léon (vainqueur olympique en 440), 1, 2.
Léonidas Ier (vaincu aux Thermopyles), 1, 2.
Léonidas II (adversaire d’Agis IV), 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
Léotychidas II (roi spartiate, début Ve s.), 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9,
10.
Léotychidas (candidat malheureux à la royauté, au début du IVe s.), 1, 2,
3, 4.
Libys (navarque en 404-403), 1.
Lichas (vainqueur olympique en 420), 1, 2.
Lucien (auteur du IIe s. apr. J.-C.), 1.
Lycurgue (législateur spartiate), 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9-10, 11-
12, 13-14, 15-16, 17-18, 19, 20, 21, 22, 23-24, 25, 26, 27, 28,
29-30, 31, 32, 33, 34, 35.
Lycurgue (homme politique athénien, IVe s.), 1.
Lycurgue (roi spartiate, 219-212), 1-2, 3.
Lydiadas (tyran de Mégalopolis, puis chef achéen, IIIe s.), 1, 2.
Lygdamis (tyran de Naxos, VIe s.), 1.
Lysandre (navarque en 408-407, vainqueur d’Athènes), 1, 2, 3, 4, 5,
6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13, 14, 15-16, 17-18, 19-20, 21-22.
Lysandre (éphore IIIe s., soutient Agis IV), 1, 2, 3, 4, 5, 6-7.

Machanidas (tyran spartiate, 212-207), 1-2, 3.
Maiandrios (tyran samien, VIe s.), 1, 2, 3.
Mandrocleidas (partisan d’Agis IV), 1, 2.
Mégillos (le Spartiate des Lois de Platon), 1, 2, 3, 4.
Mégistonous (beau-père d’Agis IV), 1, 2.
Ménalkidas (Spartiate, stratège de la Ligue achéenne en 151-150), 1-2.
Ménélas (mari d’Hélène) et Ménélaion (son sanctuaire), 1-2, 3, 4, 5,
6.
Métellus (chef romain, seconde moitié du IIe s.), 1.
Mnasippos (navarque en 373-372), 1.
Myron de Priène (historien, IIIe s.), 1, 2, 3, 4, 5.

Nabis (roi, 207-192), 1, 2, 3-4, 5-6.
Naukleidès (éphore en 404-403), 1.
Nicias (stratège athénien), 1, 2
Nicolas de Damas (historien, Ier s.), 1, 2.
Nicomède (régent en 458), 1.

Oreste (fils d’Agamemnon), 1, 2, 3.
Orestes (voir Aurelius).
Orthia (voir Artémis), 1, 2.

Pasippidas (navarque en 410-409), 1.
Paul-Émile, 1.
Pausanias (régent, vainqueur à Platées), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11-12, 13, 14, 15.
Pausanias (roi, fin Ve-début IVe s.), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10,
11, 12, 13.
Pausanias (auteur du IIe s. apr. J.-C.), 1-2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10,
11, 12-13, 14-15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24-25.
Pédaritos (harmoste en 411), 1, 2, 3.
Peisandros (navarque en 395-94), 1, 2, 3, 4.
Pélopidas (chef thébain du IVe s.), 1.
Pélops (roi spartiate, IIIe s.), 1, 2.
Percalon (femme de Démarate), 1.
Périclès (homme politique athénien), 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8-9, 10.
Perséphone (déesse), 1.
Phaléas de Chalcédoine (théoricien antérieur à Aristote), 1.
Pharax (navarque en 398-97), 1.
Pharnabaze (satrape, Ve-IVe s.), 1, 2.
Philippe II (roi des Macédoniens, 360 ou 359-336), 1, 2-3, 4.
Philippe V (roi des Macédoniens, 221-179), 1, 2-3, 4, 5.
Philopoemen (stratège de la Ligue achéenne en 208), 1, 2-3, 4, 5.
Phocion (homme politique athénien du IVe s.), 1.
Phoïbidas (chef spartiate en 382), 1.
Photius (patriarche, IXe s. apr. J.-C.), 1.
Phylarque (historien, seconde moitié du IIIe s.), 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8.
Pindare (poète thébain, début Ve s.), 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Pisistratides (tyrans athéniens du VIe s., voir aussi Hippias), 1, 2, 3, 4.
Platon (philosophe athénien, IVe s.), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9-10,
11, 12-13, 14-15, 16-17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29-30, 31, 32.
Pleistoanax (roi 458-409 ? avec interruption), 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8.
Plutarque (philosophe et historien, 45-125 apr. J.-C.), 1-2, 3, 4-5, 6,
7, 8-9, 10-11, 12-13, 14, 15-16, 17-18, 19-20, 21-22, 23-24, 25,
26, 27-28, 29, 30-31, 32, 33-34, 35-36, 37, 38, 39, 40, 41, 42,
43-44, 45, 46, 47-48, 49-50, 51, 52-53, 54-55, 56-57, 58, 59-
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66-67, 68, 69-70, 71-72, 73-74.
Pollux (lexicographe, seconde moitié du IIe s. apr. J.-C.), 1.
Polybe (historien, IIe s.), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9-10, 11, 12, 13,
14.
Polyclès (vainqueur olympique, Ve s.), 1.
Polycrate (tyran de Samos, VIe s.), 1.
Polydamas de Pharsale, 1.
Polydore (roi spartiate, fin VIIIe s.), 1-2, 3, 4, 5, 6, 7.
Polyen (auteur militaire, seconde moitié du IIe s. apr. J.-C.), 1, 2, 3.
Poseidon (dieu), 1, 2.
Proclès (premier roi spartiate, père d’Eurypon), 1, 2.
Prothoos (probablement éphore en 372-371), 1, 2.
Prutanis (figure dans la liste des rois eurypontides), 1.
Pyrrhus (roi d’Épire, roi des Macédoniens, 306-273), 1, 2.

Rhianos de Crète (poète et érudit, seconde moitié du IIIe s.), 1.

Satyros (auteur de biographies, seconde moitié du IIIe s.), 1.
Sérippos (homme politique spartiate, IIe s.), 1.
Soclès (représentant de Corinthe au congrès des alliés, 505), 1.
Solon (réformateur athénien au début du VIe s.), 1, 2, 3.
Sophocle (poète tragique athénien, Ve s.), 1-2.
Souda (la) (lexique encyclopédique, Xe s. apr. J.-C.), 1, 2-3, 4, 5.
Sphairos (conseiller de Cléomène III), 1, 2, 3.
Sphodrias (harmoste en 378), 1, 2-3, 4-5, 6, 7.
Stéphane de Byzance (grammairien, VIe s. apr. J.-C.), 1-2.
Sthénélaïdas (éphore en 432-31), 1, 2, 3, 4.
Stobée (compilateur, Ve s. apr. J.-C.), 1.
Strabon (historien et géographe, né en 64-63), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,
8.

Teisaménès (fils d’Oreste), 1.
Teisaménos (devin, complice de Cinadon), 1.
Téleutias (navarque en 387-86), 1-2, 3.
Téménos (éponyme des Téménides d’Argos), 1.
Thémistocle (homme politique athénien, début Ve s.), 1-2.
Théocrite (poète syracusain, 1re moitié du IIIe s.), 1.
Théophraste (disciple d’Aristote), 1.
Théopompe (roi spartiate, fin VIIIe s.), 1, 2, 3, 4.
Théopompe (historien du IVe s.), 1-2.
Théramène (homme politique athénien, fin Ve s.), 1.
Thétis (mère d’Achille), 1.
Thibron (harmoste en 400), 1.
Thorax (lieutenant de Lysandre), 1.
Thrasydaios d’Élide (chef démocrate, début IVe s.), 1.
Thucydide (historien athénien du Ve s.), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10-11, 12-13, 14, 15, 16, 17-18, 19-20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30-31, 32-33, 34-35, 36-37, 38-39.
Timaia (femme d’Agis II), 1, 2.
Timocratès de Rhodes (agent perse, IVe s.), 1.
Tissapherne (satrape, fin Ve-IVe s.), 1, 2-3.
Tite-Live (historien romain, Ier s. av. J.-C.-Ier s. apr. J.-C.), 1, 2, 3, 4-5.
Trente (les) (tyrans athéniens 404-403), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Tyrtée (poète, VIIe s.), 1, 2-3, 4-5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13, 14-
15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.

Xanthippos (mercenaire lacédémonien, IIIe s.), 1.
Xénarès (éphore 421-20), 1, 2.
Xénias (Éléen, proxène des Lacédémoniens), 1.
Xénophon (philosophe et historien athénien, né en 426), 1, 2, 3, 4-5,
6-7, 8-9, 10-11, 12-13, 14, 15-16, 17, 18, 19-20, 21, 22, 23-24,
25-26, 27-28, 29-30, 31, 32-33, 34, 35, 36-37, 38-39, 40-41, 42-
43, 44-45, 46-47, 48, 49-50, 51, 52, 53, 54-55, 56-57, 58-59,
60.
Xénophon (pseudo-) (polémiste athénien du Ve s.), 1-2, 3, 4.
Xerxès (roi des Perses, 485-465), 1, 2.

Zeus (dieu), 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

*1. Sauf indication contraire, toutes les dates s’entendent avant Jésus-Christ.
Index des toponymes
et des ethniques

Acarnanie, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Achaïe et Ligue achéenne, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12-
13, 14, 15-16.
Achéens (anciens), 1-2, 3, 4, 5, 6.
Aegytis, 1.
Agrigente, 1, 2.
Aigaléon (montagne), 1.
Aigos-potamoi (victoire spartiate), 1, 2.
Aithaia (cité périèque), 1.
Ambracie, 1.
Amphipolis, 1.
Amyclées, 1, 2-3, 4-5, 6, 7, 8-9, 10-11, 12, 13, 14.
Anaktorion, 1.
Andana, 1.
Arcadie et Arcadiens, 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12-13,
14-15, 16, 17-18, 19, 20-21.
Argos, 1-2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16-17,
18, 19, 20, 21, 22-23, 24, 25, 26-27, 28-29, 30.
Artémision (cap), 1, 2.
Asie, 1, 2-3, 4.
Asinè, 1-2, 3, 4.
Athènes et Athéniens, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8-9, 10, 11, 12-13, 14,
15, 16-17, 18, 19, 20-21, 22, 23, 24, 25-26, 27, 28-29, 30-31,
32-33, 34-35, 36-37, 38-39, 40-41, 42, 43, 44, 45, 46-47, 48-
49, 50, 51-52, 53, 54-55, 56-57, 58, 59, 60, 61, 62-63.
Aulis, 1.
Aulon, 1, 2.

Belminatis (région montagneuse au nord de Sparte), 1, 2, 3, 4, 5, 6,
7, 8.
Béotie et Béotiens, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13-14,
15.
Boiai, 1.
Byzance, 1.

Cadmée (citadelle de Thèbes, voir Thèbes).
Cappadoce, 1.
Carthage, 1, 2.
Caryai (cité périèque) et Caryatis, 1-2, 3.
Céphallénie, 1.
Chalcidique, 1, 2, 3, 4, 5.
Chéronée (en Béotie, victoire macédonienne), 1, 2.
Chersonèse de Thrace, 1.
Chios, 1.
Chypre, 1, 2, 3, 4.
Clazomènes, 1.
Clétor (Arcadie), 1.
Cnide, 1.
Compasion (Arcadie), 1-2.
Corcyre, 1, 2, 3, 4.
Corinthe, 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8-9, 10, 11, 12-13, 14, 15-16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23.
Coronée (Béotie), 1.
Cranies, 1.
Crète, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20-21, 22, 23-24, 25-26, 27.
Cyrène, 1-2, 3, 4.
Cythère, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

Décélie, 1, 2.
Délos, 1, 2, 3.
Delphes, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18.
Denthéliatis, 1, 2.
Dipaia, 1.
Dodone, 1.
Doriens, 1, 2-3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13, 14, 15.
Dymanés (tribu dorienne), 1.

Égine, 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9-10, 11-12, 13, 14.
Égypte, 1, 2, 3, 4.
Eira, 1, 2,
Éleusis, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Éleuthérolaconiens, 1.
Élide et Éléens, 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17, 18-19, 20, 21-22, 23, 24, 25.
Épidaure, 1, 2, 3.
Épidaure Liméra, 1.
Érasinos (fleuve), 1.
Étolie et Étoliens, 1, 2, 3-4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11.
Eubée, 1, 2.
Eurotas (fleuve), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.

Géronthrai, 1, 2,
Gortyne (Crète), 1, 2, 3.
Grand Fossé, 1.
Grande Grèce, 1.
Gytheion, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.

Haliarte, 1.
Hellespont, 1, 2-3, 4.
Hélos, 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8.
Héraclée de Lucanie, 1.
Héraclée de l’Œta, 1.
Héraclée du Pont, 1-2.
Héraclée de Siris (colonie de Tarente), 1, 2.
Héraclée Trachinia, 1, 2, 3.
Hylleis (tribu dorienne), 1, 2.
Hysiai, 1, 2.

Illyriens, 1.
Imbros, 1.
Ionie et Ioniens, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10.
Isthme de Corinthe, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10.
Italie, 1-2, 3.
Ithôme, 1, 2-3, 4, 5-6.

Konooura (un des villages de Sparte), 1.
Kynourie, 1, 2.
Kyparissia (cité périèque), 1, 2.

Lacédémone, 1.
Lacédémoniens, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Laconie, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Laconien, 1, 2.
Las (cité périèque), 1, 2, 3.
Léchaion, 1.
Lemnos, 1.
Lépréon, 1-2, 3.
Leucade, 1.
Leuctres (Béotie), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13-14,
15, 16-17, 18, 19, 20-21.
Limnai (un des villages de Sparte), 1.
Locres (loi de), 1.
Locride, 1, 2.

Macédoine et Macédoniens, 1, 2-3, 4-5, 6.
Makaria, 1.
Malée (cap), 1, 2-3.
Mantinée (Arcadie), 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11-12, 13-14,
15, 16, 17, 18, 19, 20.
Marathon, 1, 2, 3, 4.
Mégalopolis, 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9-10, 11, 12, 13.
Mégare, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9.
Mélos, 1.
Mésoa, 1.
Messène (Italie), 1.
Messénie, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19-20, 21, 22, 23, 24, 25-26.
Messéniens, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18.
Méthonè (Mothonè), 1, 2, 3.
Milet, 1, 2, 3.
Mycale (cap), 1, 2.
Mycéniens, 1, 2.
Mytilène, 1, 2-3, 4.

Naupacte, 1.
Nauplie, 1, 2.
Naxos, 1, 2, 3.
Némée, 1, 2.

Oinophyta, 1.
Oinous, 1, 2, 3, 4, 5.
Oion, 1.
Olympie et concours olympiques, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14.
Olynthe, 1, 2, 3, 4, 5.
Orchomène d’Arcadie, 1, 2, 3, 4.

Pamisos (fleuve), 1, 2, 3-4.
Pamphyloi (tribu dorienne), 1.
Paphlagonie, 1.
Parnon, 1-2, 3.
Pellana, 1, 2.
Péloponnèse et Péloponnésiens, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11,
12, 13, 14-15, 16, 17-18, 19-20, 21-22, 23, 24, 25, 26-27, 28,
29-30.
Pergame, 1.
Perses (voir aussi guerres médiques), 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11-12, 13-14, 15, 16-17, 18, 19, 20, 21, 22.
Pharis, 1, 2, 3.
Pharsale, 1.
Phlionte, 1, 2, 3-4, 5, 6, 7.
Phocide et Phocidiens, 1, 2, 3.
Pirée (le), 1, 2.
Pitana, 1.
Platanistas, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9.
Platées, 1, 2-3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13-14, 15, 16,
17-18, 19.
Potidée, 1.
Prasiai, 1, 2, 3.
Pylos, 1, 2, 3-4.

Rhodes, 1, 2.
Rome et Romains, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10.

Salamine, 1, 2, 3-4, 5.
Samos, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
Scythes, 1.
Sellasie, 1, 2.
Sépeia, 1, 2.
Sicile, 1, 2, 3.
Sicyone, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Skirites et Skiritis, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8.
Skyros, 1.
Sparte, 1-2, 3, 4-5, 6, 7-8, 9-10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21-22, 23.
Spartiates, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16.
Sphactérie, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11.
Stényclaros, 1, 2, 3, 4.
Syracuse, 1, 2.

Tanagra, 1.
Tarente, 1, 2, 3, 4, 5.
Taygète (montagne), 1-2, 3, 4.
Tégée et Tégéates, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13,
14, 15.
Tempé, 1, 2.
Ténare (cap), 1, 2.
Thalamai, 1.
Thasos, 1, 2.
Thèbes et Thébains, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14-15, 16-17, 18-19, 20, 21-22, 23, 24-25, 26, 27, 28, 29.
Théra, 1, 2.
Thérapné, 1, 2, 3-4.
Thermopyles, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11.
Thessalie et Thessaliens, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13.
Thouria (cité périèque), 1, 2.
Thourioi (en Grande-Grèce), 1.
Thrace, 1, 2, 3.
Thyréatide, 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Trézène, 1.

Vaphio, 1.
Index des notabilia

adultère, 1, 2.
affranchissement, 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8-9, 10, 11, 12, 13.
agathoergoi (ambassadeurs), 1, 2.
agéla, 1, 2-3.
agôgè (éducation spartiate), 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9-10, 11, 12,
13, 14, 15, 16.
aidôs (respect de ce qu’on se doit, sens de l’honneur, pudeur), 1, 2, 3,
4, 5, 6, 7.
aischron, 1, 2.
alliés (voir Ligue du Péloponnèse et Ligue hellénique), 1, 2, 3-4, 5,
6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13, 14-15, 16, 17-18, 19, 20-21, 22-23,
24, 25, 26.
ambassade, 1-2, 3, 4, 5.
ambition, compétition, émulation, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10-11,
12, 13-14.
amende, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12.
amendement, 1-2, 3-4.
anaplérôsis (compléter le corps civique), 1, 2-3, 4.
andreion (voir syssities), 1, 2.
apellai (voir assemblée), 1, 2.
apophora (versée par les Hilotes), 1, 2.
apophtegme, 1, 2, 3, 4.
archaïsme, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7-8, 9.
archégète (fondateur), 1, 2.
archers, 1.
archontés (chefs), 1, 2.
Aréopage (conseil aristocratique athénien), 1, 2.
arétè (excellence), 1-2, 3-4, 5, 6-7, 8, 9-10, 11, 12.
aristocrates, aristocratie, 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10, 11, 12-13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27.
armée, 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16-
17, 18, 19-20, 21, 22, 23-24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32,
33, 34, 35.
assemblée, 1-2, 3-4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13-14, 15-16,
17-18, 19-20, 21, 22, 23-24, 25, 26-27, 28-29, 30-31, 32-33, 34,
35, 36, 37.
autonomia (indépendance), 1, 2, 3, 4, 5, 6-7.

Barbares, 1, 2.
batards (nothoi), 1, 2, 3.
Brasidéiens (Hilotes affranchis), 1, 2-3.
brutalité, cruauté, 1-2, 3, 4, 5, 6.
butin, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.

caricature, 1.
cavaliers, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
célibataires, 1, 2, 3.
champions (bataille des), 1.
chasse, 1, 2-3, 4, 5.
chasteté, 1-2, 3-4.
citoyens (astoi), 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12.
civisme, 1, 2, 3.
clientélisme, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
confédération maritime (seconde), 1.
conformisme, conservatisme, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10.
constitution des ancêtres, 1, 2, 3.
corruption, 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11.
cupidité, 1, 2, 3, 4, 5.

décarchie (oligarchie restreinte), 1.
démagogie, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
démocratie, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13-14, 15,
16-17, 18, 19-20, 21, 22-23, 24, 25, 26, 27.
dettes, 1, 2, 3, 4-5, 6, 7-8, 9.
devin, 1, 2, 3.
Dix-Mille (les) (expédition en Asie mineure), 1-2.
dot, 1, 2-3, 4.

égalité, inégalité, 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13-14,
15, 16, 17-18, 19, 20, 21, 22, 23.
enfants (voir aussi paidés), 1, 2.
éphèbes (voir aussi jeunes), 1-2, 3-4, 5, 6-7, 8.
éphore, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13-14, 15, 16-
17, 18, 19-20, 21-22, 23, 24, 25-26, 27-28, 29-30, 31-32, 33, 34-
35, 36, 37, 38-39, 40-41, 42-43, 44, 45, 46, 47.
épibatès, 1.
épistoleus, 1-2, 3.
esclaves, esclavage (voir aussi Hilotes), 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9-10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20.
ethnos, 1, 2, 3.
étranger (voir aussi xénélasie), 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13, 14, 15, 16-17, 18, 19, 20-21, 22, 23.
exil, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10-11, 12-13.

femme, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17-18, 19, 20.
fille (jeune), 1, 2, 3, 4-5, 6, 7.
flotte, 1, 2-3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13, 14, 15.
fortifications, 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.

gérousie, 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17-18, 19-20, 21, 22, 23-24, 25-26, 27-28, 29, 30, 31-32, 33-34,
35, 36, 37, 38-39.
gloire, 1, 2, 3, 4, 5.
guerre et paix, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17, 18, 19-20, 21, 22, 23, 24, 25.
guerre cléoménique (229-222), 1.
guerre de Chrémonidès (267-262), 1, 2.
guerre de Corinthe (395-386), 1, 2, 3-4, 5, 6.
guerre du Péloponnèse (431-404), 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19-20, 21-22.
guerre lamiaque (323-322), 1.
guerre sociale (220-217), 1-2.
guerres de Messénie, 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8-9, 10-11, 12, 13, 14.
guerres médiques, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
Gymnopédies, 1, 2-3, 4.

harmostes, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10.
hectémores, 1.
héritage (voir aussi patrouchos), 1-2, 3-4, 5-6.
Hilotes, 1, 2-3, 4-5, 6, 7-8, 9, 10-11, 12-13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21-22, 23, 24, 25, 26-27, 28, 29-30, 31, 32-33, 34-
35, 36.
hippagrète (chef d’Hippeis), 1, 2, 3.
Hippeis (troupe d’élite), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12-
13.
Homoioi, 1-2, 3-4, 5-6, 7-8, 9, 10-11, 12, 13, 14, 15, 16, 17-
18.
hoplites, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13, 14, 15-16,
17, 18-19, 20, 21, 22-23, 24, 25, 26, 27, 28.
Hyakinthies, 1, 2, 3-4, 5, 6.
hyakinthios (mois spartiate), 1.

idéalisation, 1.
impérialisme, 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10-11.
Inférieurs (Hupomeiones), 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10-11.
irènes (jeunes Spartiates), 1, 2.

jeunes (voir néoi), 1, 2-3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17, 18.
judiciaire (pouvoir), 1-2, 3, 4-5, 6-7, 8-9, 10, 11, 12.

kalon, ta kala, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
kakoi (les lâches), 1, 2, 3, 4.
Karneia (fête spartiate), 1, 2-3.
kléros, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8.
kômè (village), 1.
kosmes (magistrats crétois), 1, 2, 3-4.
kryptie, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8.

leschè, 1.
liberté, 1, 2, 3.
Ligue de Corinthe, 1, 2.
Ligue de Délos, 1, 2-3, 4, 5-6, 7-8.
Ligue du Péloponnèse, 1, 2, 3-4, 5, 6-7, 8, 9-10, 11-12, 13, 14,
15.
Ligue hellénique (de 480), 1, 2, 3.
Ligue hellénique (de 223-222), 1-2.
loi (nomos), 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10-11, 12, 13, 14-15, 16-
17, 18-19, 20, 21.

malédiction, 1.
mariage, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.
mercenaires, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11-12, 13, 14-15,
16, 17, 18.
métèques, 1, 2.
militaires (unités) (voir aussi armée), 1, 2, 3, 4, 5, 6.
monnaie (voir aussi or et argent), 1, 2, 3, 4, 5-6.
mort et funérailles, 1-2, 3-4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15.
mort (belle), 1, 2, 3, 4, 5.
mort (condamnation à), meurtre, massacre, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11, 12, 13-14, 15, 16-17.
mothakés, 1, 2-3, 4.
mothônés, 1, 2, 3-4.
murs (voir fortifications).
Murs (Longs), 1.

navarque, 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9-10.
néaniskoi, 1, 2, 3.
Néodamodes, 1, 2, 3, 4-5, 6.
néoi (voir aussi jeunes), 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8-9, 10, 11-12, 13.
nudité, 1, 2.

ôbè, ôbai, 1, 2-3, 4, 5, 6.
oliganthropie, 1, 2, 3, 4-5, 6, 7.
oligarchie, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12-13, 14, 15-16,
17, 18, 19.
oracle (voir aussi Delphes et Olympie), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11.
or et argent, 1, 2, 3, 4-5, 6.

paidés (adolescents), 1-2, 3-4, 5, 6, 7-8.
paidiskoi, 1-2, 3.
paix commune, 1, 2, 3, 4-5.
paix d’Antalcidas (386), 1, 2, 3, 4, 5, 6.
paix de 1, 2.
paix de Naupacte (217), 1.
paix de Nicias (421), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
paix de Phœnikè (205), 1.
paix de 404, 1, 2, 3, 4.
paix de Trente ans (451) (entre Sparte et Argos), 1, 2.
paix de Trente ans (446) (entre Sparte et Athènes), 1, 2.
paix du Roi (371), 1.
panhellénisme, 1, 2-3, 4, 5-6, 7.
partage des terres, 1, 2-3, 4, 5, 6-7.
Parthéniai, 1.
patriotisme, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11.
patronomes, 1-2, 3.
patrouchos, 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8.
pauvres, 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12-13, 14, 15, 16,
17.
paysans, 1, 2-3, 4.
pédérastie (et homosexualité), 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12.
pédonome, 1, 2-3, 4.
peithô (obéissance), 1, 2, 3.
peltastes, 1, 2.
Pénestes, 1.
Périèques, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9-10, 11, 12, 13-14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24-25.
peuple, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
phidities (voir aussi syssities), 1, 2-3.
phoros (tribut) et contributions, 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11.
phratries, 1, 2.
polémarques, 1, 2.
prêtres, 1-2, 3, 4.
prison, 1, 2-3, 4.
procès, 1-2, 3, 4, 5, 6.
proxénie, 1, 2-3, 4.
Pythie (voir aussi Delphes), 1, 2.
Pythioi, 1, 2, 3, 4-5.

régent, 1.
religion, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
rhètra (voir aussi lois), 1, 2, 3, 4-5, 6, 7-8, 9, 10.
rhètra (grande), 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8-9, 10-11, 12, 13.
révolution (voir stasis), 1-2, 3-4, 5-6, 7.
riches et richesse, 1-2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9-10, 11, 12.
romaine (époque), 1, 2, 3, 4, 5.
royauté, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13, 14-15, 16,
17-18, 19, 20, 21-22, 23-24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31-32, 33-
34, 35, 36-37, 38, 39-40, 41-42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49-50,
51, 52, 53-54, 55-56, 57-58, 59.

sacrifices, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
sanctuaire, 1-2, 3-4, 5, 6, 7, 8.
scytale, 1.
secret, 1, 2, 3, 4, 5.
sélection, 1, 2.
serment, 1-2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11.
stasis, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
sumbouloi (conseillers), 1, 2.
syssities ou phidities, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10, 11-12, 13, 14,
15, 16, 17, 18, 19, 20-21, 22, 23, 24, 25, 26.

tombeau (voir aussi mort), 1, 2, 3-4.
tremblement de terre, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7.
tremblement de terre (révolte du) (464), 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-
10, 11-12.
trésantes (les) (voir aussi kakoi), 1, 2.
tribunal fédéral, 1.
tribus, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
trophimoi, 1, 2-3, 4, 5.
truphè (luxe), 1-2, 3, 4, 5, 6.
tyrans et tyrannie, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10-11, 12, 13, 14,
15-16, 17-18.

veto, 1, 2, 3.
vieillesse, 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13, 14, 15.
vin et ivresse, 1, 2.
vol, 1-2, 3, 4.
vote, 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8-9, 10.

xénagoi, 1.
xénélasie (voir aussi étranger), 1, 2.
xoanon, 1-2.

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