Pauvreté Et Facteurs D'exclusion Sociale
Pauvreté Et Facteurs D'exclusion Sociale
Pauvreté Et Facteurs D'exclusion Sociale
Sociale
Le présent recueil regroupe les contributions individuelles aux travaux du groupe thématique « Pauvreté et
Facteurs d’Exclusion Sociale », constitué dans le cadre du processus d’élaboration du Rapport « 50 ans de
développement humain au Maroc et perspectives pour 2025 ».
Ce groupe de travail a été animé par Mme Amina BALAFREJ et M. Mohamed AYAD, membres de la
Commission Scientifique du Rapport, et composé de Mmes Michèle KASRIEL, Latifa SERGHINI et MM. Tou-
hami ABDELKHALEK, Ahmed GOUITAA et Mounir ZOUITEN. Le groupe a élaboré ces contributions afin
d’approfondir des aspects particuliers de la dimension thématique couverte et dans l’objectif de réunir les
matériaux analytiques pour l’élaboration de son Rapport thématique de synthèse. Ces contributions ont ainsi
constitué principalement un support pour les débats organisés au sein du groupe de travail, plutôt que des
études exhaustives abordant l’ensemble des aspects scientifiques et pratiques relevant de la dimension thé-
matique étudiée.
Les contributions qui sont publiées ici ont fait l’objet d’un examen au sein du groupe thématique, mais ne
reflètent que les points de vue de leurs auteurs.
Il a été jugé utile de publier fidèlement la totalité de ces contributions. Cependant, n’ayant pas fait l’objet
d’un travail systématique d’harmonisation, des différences peuvent alors y être décelées tant au niveau des
données utilisées qu’au niveau des argumentaires déployés, ainsi que de leur degré de finalisation. En parti-
culier, les données statistiques et les références utilisées sont celles du moment où les contributions ont été
remises par les auteurs.
L’objectif principal de la publication de ces documents est de restituer la richesse du travail de recherche,
de documentation et de débat qui a caractérisé le processus d’élaboration du Rapport sur « 50 ans de déve-
loppement humain au Maroc et perspectives pour 2025 ». Mettre cette richesse à la disposition du lecteur,
c’est aussi rendre hommage aux compétences nationales, issues de l’université, de l’administration et de la
société civile, qui y ont contribué avec beaucoup d’engagement et de patriotisme.
Nous tenons à les remercier, et à travers eux toutes les personnes et administrations qui n’ont pas hésité à
mettre à leur disposition données, documents et divers supports.
Pauvreté et facteurs d’exclusion
sociale
La pauvreté au Maroc
Touhami ABDELKHALEK..............................................7
Exclusion sociale, pauvreté, analphabétisme
Michèle KASRIEL........................................................ 57
Aspects institutionnels de la pauvreté
et des facteurs d’excusion sociale
Ahmed GOUITAA ........................................................ 89
Les systèmes de solidarité et les politiques
d’intégration sociale
Mounir ZOUITEN....................................................... 117
Une figure de l’exclusion : le handicap
Latifa SERGHINI........................................................ 149
Cinquante ans de politique sociale au Maroc
Driss GUERRAOUI..................................................... 185
Introduction ...............................................................................................................9
Conclusion ............................................................................................................... 53
Références .............................................................................................................. 54
TOUHAMI ABDELKHALEK
Au Maroc, comme dans tous les pays du monde, la pauvreté sous ses différentes formes a toujours
existé. Cependant, pour diverses raisons et pour longtemps, même reconnue, elle n’a été désignée comme
telle qu’à partir du début des années quatre vingt dix du siècle précédent.
Aujourd’hui, cinquante ans après l’indépendance du pays, il est connu mais dur pour chaque marocain
d’accepter que plusieurs millions des ses compatriotes vivent dans une pauvreté écrasante. Dans ce
contexte on parle même de « deux Maroc » ou encore d’un « Maroc à deux vitesses ». Celui des plus dému-
nis regroupe une population allant des chômeurs, urbains et ruraux, aux petits fonctionnaires en passant par
les paysans sans terre du milieu rural ou encore par les artisans urbains dont l’activité et le chiffre d’affaires
ne cessent de régresser d’une année à l’autre.
En essayant de faire un bilan global de l’ensemble des politiques économiques initiées depuis l’indépen-
dance du pays, en particulier depuis le milieu des années quatre vingt, on se rend compte que le Maroc n’a
pas réussi à mettre en place un mécanisme efficace de lutte conte la pauvreté et que les effets de certaines
de ces politiques, conjugués avec ceux de certains facteurs plutôt exogènes mal contrés, ont parfois accen-
tué la pauvreté et les inégalités dans la population.
En 2005, comme depuis plusieurs années en fait, le niveau de vie d’une grande partie de la population se
trouve en dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté et se caractérise par une précarité ou par une
grande vulnérabilité. En effet, selon les indicateurs usuels de mesure de la pauvreté monétaire, du déve-
loppement humain ou de la pauvreté humaine, la tendance générale de l’évolution de la pauvreté a été plutôt
à la baisse mais reste à des niveaux élevés. En outre, le phénomène n’est pas spécifique à un milieu de rési-
dence ni à une région plutôt qu’à une autre, bien qu’il soit plus répandu entre les populations rurales. C’est
malheureusement un phénomène généralisé qui touche les deux sexes et toutes les catégories d’âges.
Les pauvretés (monétaire et humaine) au Maroc, comme dans plusieurs autres pays, ont de multiples
facettes et plusieurs dimensions. Leurs dynamiques, en fonction de l’évolution économique et démo-
graphique depuis l’indépendance, rendent complexe toute stratégie de lutte. Celle-ci doit en effet être de
type pluriel, intégrée, bien ciblée au niveau spatial et sur les populations pauvres. Elle doit aussi se baser sur
les causes profondes du phénomène pour assurer une plus grande efficacité.
Or tous les travaux qui évaluent les stratégies ou les programmes de lutte contre la pauvreté entrepris au
Maroc durant plusieurs décennies font état d’un mauvais ciblage, d’une grande dispersion des efforts des
intervenants et d’une faible participation des populations pauvres très mal encadrées. Par ailleurs plusieurs
des actions menées en la matière ne s’attaquent pas aux véritables causes de la pauvreté et de la vulnérabi-
lité.
Aujourd’hui et après plusieurs tentatives, il semble qu’il est maintenant clair qu’une stratégie nationale de
lutte contre la pauvreté doit être conçue comme un projet cohérent et intégré. Elle doit être logique dans son
articulation, suffisamment ambitieuse mais réaliste dans ses objectifs et doit reposer sur des moyens plus
sûrs.
Dans ce chapitre relatif à l’évolution de la pauvreté au Maroc depuis l’indépendance, nous privilégions de
façon claire et volontaire une approche économico-statistique du phénomène. Nous revenons, à chaque fois
que c’est possible et pertinent, sur le cadre de référence théorique associé au paragraphe traité avant de pré-
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senter le cas marocain. Ces socles théoriques, que nous jugeons nécessaires, permettent à chaque fois de
mettre en évidence le lien entre les concepts économiques en question et les phénomènes étudiés (la pau-
vreté ou l’inégalité).
Dans la première section de ce travail nous faisons un essai de retour sur la base théorique du concept de
pauvreté et sa définition en liaison avec celle du concept de bien-être. Ce retour a été fait dans le cadre du
débat qui a toujours lieu entre les principales Écoles de pensée en la matière. Dans ce même paragraphe
nous évoquons aussi de façon rapide mais qui nous semble utile, la relation qui existerait entre le concept de
pauvreté et celui de l’exclusion.
Dans la section 2, en utilisant les seuls chiffres officiels publiés disponibles en matière de pauvreté, nous
présentons les principales mesures du phénomène pour les quarante dernières années. Nous revenons
aussi sur les principales caractéristiques du profil de ce phénomène au Maroc.
La section 3 est consacrée au lien entre un ensemble de politiques économiques et l’incidence de la pau-
vreté. Il s’agit en particulier des politiques d’ajustement et de stabilisation, de la politique du commerce exté-
rieur et de change, de la politique des prix, de celle des dépenses publiques et d’ouverture commerciale.
La section 4 traite une question qui a pris beaucoup d’importance durant les dernières années en matière
d’approches de la pauvreté. Il s’agit du lien entre la croissance économique et la tendance générale de l’inci-
dence de la pauvreté. Après la présentation de quelques éléments du cadre théorique de ce lien, le cas du
Maroc a été traité pour montrer les limites de toute politique économique qui ne compte que sur la crois-
sance pour réduire la pauvreté.
Bien que le concept de pauvreté soit distinct du concept d’inégalité, ils sont manifestement liés. Il semble
donc difficile de traiter l’un sans évoquer l’autre. Ainsi, la section 5 de ce chapitre est consacrée à l’inégalité.
Ici aussi, après une brève présentation théorique de ce concept, pour le distinguer suffisamment de celui de
pauvreté, et en se basant sur différents indicateurs et mesures de l’inégalité, nous essayons de présenter
plusieurs aspects de ce phénomène et de son évolution au Maroc. Il ressort de l’analyse des principaux
résultats déduits de ces mesures que l’inégalité, en matière de dépenses de consommation, tout comme la
pauvreté monétaire, et aussi en matière d’accès aux services prioritaires en matière de bien être, est restée
élevée et plutôt stable entre les ménages marocains durant les cinquante dernières années.
Pour être aussi exhaustif que possible, dans le cadre d’un chapitre synthétique, la section 6 a été consa-
crée aux concepts de développement humain et de pauvreté humaine. Malgré les critiques méthodologiques
et statistiques auxquelles ils sont soumis, les deux concepts de développement humain et de pauvreté
humaine et leurs mesures (IDH et IPH-1) pour le Maroc ont été présentés. Ici aussi et depuis que ces indica-
teurs ont été calculés, leur évolution était positive mais lente. Avec les résultats obtenus en la matière, le
Maroc se retrouve toujours dans le groupe le plus faible de la classe des pays dits à développement humain
moyen.
Sans qu’elle ne soit véritablement son objet, la section 7 de ce chapitre a été consacrée à une présentation
et à une analyse plutôt critique de la stratégie de lutte contre la pauvreté au Maroc. Nous y caractérisons de
façon rapide et en termes généraux les bases théoriques d’une stratégie de lutte contre la pauvreté. Un
retour sur les principales phases, sur les grands axes et sur les caractéristiques essentielles de la stratégie
marocaine de lutte contre la pauvreté a été fait.
En matière d’évaluation de cette stratégie, le constat global est plutôt négatif. Tous les rapports font état
de la très mauvaise coordination entre les différents programmes et institutions qui interviennent dans ce
domaine et d’une grande dispersion des efforts. Cette dispersion et ce manque de coordination portent
atteinte à l’efficacité de plusieurs de ces programmes. Les interventions de lutte contre la pauvreté mises en
place se caractérisent aussi par une prédominance des actions à caractère plus conjoncturel que structurel.
Ce type d’actions, même efficace à court terme, reste d’un impact limité à moyen et long termes. Une autre
réflexion et une structuration des actions s’imposent.
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La section 8 de ce chapitre essaye d’esquisser les bases d’une évolution prospective de la pauvreté au
Maroc. L’évolution de ce phénomène dépend, on le sait, de plusieurs facteurs (économiques, démo-
graphiques et autres) imbriqués les uns dans les autres. En mettant ceux qui nous semblent les plus impor-
tants les uns à côté des autres, aucune tendance claire ne se dégage. Si le rythme de croissance des
indicateurs de développement reste le même, c’est-à-dire que si la tendance ne fait que se maintenir, le
Maroc reculerait certainement en terme de rang sur l’échelle du développement humain et de pauvreté. En
gros et selon presque tous les scénarios plausibles, seule une croissance économique soutenue, à forte
intensité de main-d’œuvre et créatrice d’emplois, dont les fruits sont équitablement répartis dans la popula-
tion, peut efficacement réduire la pauvreté au Maroc. Il semble que c’est le seul remède soutenable à long
terme.
Comme il est d’usage, la toute dernière section de ce chapitre est consacrée à une conclusion.
Malgré la prolifération des écrits sur le phénomène, la pauvreté est un concept qui reste globalement
vague et peu précis. À la base et fondamentalement, « la pauvreté » est un concept d’ordre « normatif ». En
effet, en tant que concept, elle est d’origine éthique et sociale. Elle s’est retrouvée par la suite au centre de la
théorie économique du choix social. Dans un essai de définition générale, on peut dire que la pauvreté est
une ou plusieurs situations considérées comme inacceptables ou encore injustes sur les plans économique
et/ou social.
La question incontournable en matière d’approche de la pauvreté dans une société, est relative à l’espace
de référence à considérer pour identifier les situations jugées inacceptables ou injustes. Les espaces aux-
quels on pense naturellement sont ceux des ressources, des accomplissements, des capacités ou même
des libertés.
Les principales Écoles de pensée en la matière se heurtent, entre autres, à la différence et à la grande
hétérogénéité entre les individus, dans le temps et dans l’espace. Cette hétérogénéité rend variable (même
trop variable) le contenu des espaces généralement considérés dans ce domaine. En effet, l’espace usuelle-
ment considéré est celui du revenu disponible d’un individu. Étant donné un vecteur de prix, cet espace uni-
dimensionnel délimite en fait le domaine des choix de ce qu’un individu peut acquérir dans une économie de
marché. Cet espace est en général en relation évidente avec les autres espaces qui peuvent définir le bien-
être des individus.
Cependant, il va sans dire que l’égalité entre deux individus dans un espace particulier n’implique souvent
pas leur égalité sur un autre espace qui peut être aussi important que le premier. Cette complexité théorique
d’approche de la pauvreté selon les espaces se reflète inévitablement sur les méthodes empiriques et pra-
tiques qui cherchent à identifier la sous population qui serait considérée pauvre.
Dans le même ordre d’idées, et de façon générale, les approches de la pauvreté peuvent être décompo-
sées en deux principales catégories. Celles qui se basent sur un certain indicateur de « bien-être » (utilita-
ristes ou welfarist) et les autres. Elles sont toutes les deux pertinentes, et peuvent être utilisées de façon
complémentaire pour décrire l’évolution et l’état de la pauvreté au Maroc.
Les premières se concentrent principalement sur les comparaisons d’un certain indice ou d’une certaine
mesure du bien-être ou du niveau de vie. Elles sont, par construction, très liées aux théories micro-
économiques classiques. Elles sont aussi plus répandues et largement utilisées par les économistes des ins-
titutions internationales et par les directions des statistiques des différents pays comme le Maroc.
Les approches concurrentes sont principalement basées sur des références sociologiques. Elles sont plu-
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tôt multidimensionnelles et donc plus complexes. La première et la plus importante École de ce deuxième
courant est celle dite des « besoins de base ». Son idée fondamentale est beaucoup plus pragmatique que
celle des approches utilitaristes basées sur le seul indicateur du bien-être.
L’École dite « des capacités et des fonctionnements », conduite par Amartya Sen, Prix Nobel d’économie
en 1998, est aussi une réaction théorique aux idées de l’école utilitariste. Elle repose quant à elle sur un
concept, assez abstrait de « justice sociale » qui s’oppose par définition au critère classique de l’utilité indivi-
duelle.
Dans cette approche, un ensemble qui contient explicitement un « minimum social » cohérent est identifié
et accepté par tous les membres de la société. Les dimensions de l’espace que doit couvrir ce « contrat
social » ne sont cependant pas faciles à cerner et posent des problèmes pratiques complexes. En particulier,
pour chaque société et à un moment donné, des fonctionnements spécifiques exigent des capacités et des
facultés spécifiques.
Selon Sen (1987), le « bien être » c’est « être bien nourri, être en bonne santé, être bien éduqué, ... la
valeur du niveau de vie a tout à voir avec la vie, non pas avec la possession de biens.... ». Ce qui a donc de la
valeur, selon cette École, c’est la « faculté » ou la « capacité » d’un individu à être fonctionnel dans une
société. La pauvreté est alors considérée comme une privation de cette faculté ou de cette fonctionnalité.
Selon ce courant de pensée, l’analyse de la pauvreté doit donc chercher à déterminer les facultés et les
capacités nécessaires dans chaque société puis identifier les personnes qui ne peuvent pas les développer.
Cette approche de la pauvreté s’avère cependant beaucoup plus théorique et n’a presque jamais été élabo-
rée de manière convaincante dans la pratique, ni au Maroc ni ailleurs.
En définitive, comme il y a plusieurs concepts de bien-être, il y a plusieurs définitions de la pauvreté. Ce
fait implique une multiplication des approches de la pauvreté et aussi plusieurs complications empiriques.
Toujours dans cette perspective conceptuelle, depuis bien longtemps maintenant, les deux concepts de
pauvreté et d’exclusion se trouvent liés dans la littérature. En effet et à titre d’exemple, Secrétan (1959) a
défini la pauvreté par l’exclusion. Il définit ainsi les pauvres comme étant des personnes vivant à part ; « ils
sont de notre monde sans en être ». Cependant, et durant les années 70, avec l’aggravation de la pauvreté
dans certains pays, le concept d’exclusion a été utilisé pour décrire puis expliquer la situation des individus
qui ne sont pas nécessairement pauvres, mais qui sont tenus, pour une raison ou une autre, à être en marge
de la société, la pauvreté pouvant être bien sûr une de ces raisons.
L’exclusion dont il s’agit ici se manifeste par au moins trois formes distinctes : le handicap, l’inadaptation
et la déprivation. Certaines de ces formes sont généralement liées entre elles et le sont aussi avec la pau-
vreté à travers des relations causales. Dans ce sens, Lenoir (1974), précise ces relations : « Dire qu’une per-
sonne est inadaptée, marginale ou asociale, c’est constater que dans la société [...] cette personne, en raison
d’une infirmité physique ou mentale, de son comportement psychologique ou de son absence de formation,
est incapable de pourvoir à ses besoins, ou exige des soins constants, ou représente un danger pour autrui,
ou se trouve ségréguée soit de son propre fait, soit de celui de la collectivité ». Cette définition qui, par sa
longueur, essaye d’être exhaustive, fait donc le lien entre la pauvreté, sous ses différentes formes, et l’exclu-
sion.
Mossé (1985) propose de son côté une définition de l’exclusion un peu similaire à celle de Lenoir (1974). Il
définit les exclus comme étant des personnes qui « n’ont pas le type de régime alimentaire, habitat, envi-
ronnement, éducation, conditions de travail et conditions sociales, activité de distraction qui sont habituels ou
du moins largement encouragés par la société dans laquelle ils vivent ».
Il en découle que selon plusieurs auteurs, si la pauvreté et l’exclusion ne sont pas nécessairement confon-
dues, elles sont certainement liées. Le pauvre et l’exclu vivent tous les deux dans un état de précarité. Dans
une perspective plus empirique, il ressort que ces deux concepts (pauvreté et exclusion) sont tous les deux
liés à l’une ou à l’autre des caractéristiques suivantes : l’incertitude et/ou la faiblesse des ressources, l’insta-
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bilité du statut professionnel, l’isolement et la pauvreté culturelle. Un pauvre, tout comme un exclu, n’a
aucune maîtrise sur son avenir et se trouve perpétuellement menacé par des dégradations de ses conditions
de vie.
Au Maroc, les seuls chiffres officiels disponibles en matière de pauvreté sont déduits d’une approche
basée sur un critère de bien-être. En effet, c’est la dépense de consommation par personne, une mesure
monétaire, qui a été toujours retenue. Notre analyse ci-dessous se base sur ces chiffres, malgré les multiples
critiques auxquelles ils peuvent être soumis.
Durant les cinq décennies de l’indépendance du pays, et selon les indicateurs usuels de mesure de la pau-
vreté, en matière de taux, ce phénomène affiche une tendance générale à la baisse. Cette tendance n’a
cependant pas été monotone. Aujourd’hui ce taux se situe à des niveaux élevés. L’évolution générale du
contexte macro-économique national et les effets des politiques économiques poursuivies, en particulier
celles poursuivie pendant et après l’application du programme d’ajustement structurel (1983-1991),
expliquent en grande partie cette évolution et l’état actuel du phénomène.
En analysant de façon rapide les données du tableau 1, il ressort qu’au Maroc, la pauvreté monétaire,
mesurée par le taux de pauvreté, a une tendance à la baisse mais pas régulière 1. Ce taux est en effet passé
de plus 55 % en 1959-60 à moins de 18 % en 2000-01. Cependant, et en terme d’effectifs, le niveau de la
pauvreté est resté assez stable, entre 4 et 5 millions de personnes, pratiquement durant toute la période. Il
faut noter qu’à cause des interférences entre les phénomènes démographiques et ceux générateurs de pau-
1. Nous ne revenons pas ici sur les éventuelles différences méthodologiques entre les opérations et enquêtes qui ont produit ces résultats ni
sur les effets probables de leurs dates de référence. Ce retour dépasserait l’objet de ce travail.
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vreté, même si le taux baisse, l’effectif des pauvres peut augmenter ou rester stable. Ainsi, dans notre pays
et selon les données des enquêtes statistiques effectuées, on peut dire sans grande erreur que depuis
l’indépendance, et à tout instant, quatre à cinq millions de nos concitoyens sont pauvres.
Il faut aussi préciser que le taux de pauvreté, ou encore l’indice numérique de la pauvreté utilisé, est loin
d’être la meilleure mesure du phénomène. Son usage ici ne s’explique que par le fait qu’il est la seule
mesure calculée et disponible pour toutes les opérations statistiques conduites depuis l’indépendance.
Certes, parmi toutes les mesures de pauvreté, il est le plus simple et le plus facile à comprendre. Les autres
mesures monétaires plus élaborées et plus pertinentes, calculées pour certaines des enquêtes nationales,
confirment généralement les tendances enregistrées par l’indice numérique.
Cette évolution générale de la pauvreté au Maroc trouve, au moins en partie, une explication dans l’évolu-
tion du contexte macroéconomique général, dans la répartition des fruits de la croissance et dans les diffé-
rents phénomènes conjoncturels (climatiques et autres) que le pays a connus durant toute cette période.
En effet, la faiblesse du niveau de l’activité économique et le chômage associé, la fréquence des années
de sécheresse et l’absence de politiques efficaces et coordonnées de lutte contre la pauvreté y sont pour
beaucoup. Le ralentissement de la croissance du produit intérieur brut (par tête et en termes réels), en parti-
culier pendant les deux dernières décennies, s’est accompagné d’une augmentation du taux de chômage. Ce
dernier se manifestait de façon encore plus inquiétante entre les jeunes. Or, comme on peut le soupçonner
au Maroc et dans d’autres pays, les mesures de la pauvreté semblent positivement corrélées avec le taux de
chômage.
Dans le même sens, et pour une longue période, le pays n’a globalement connu qu’une faible croissance
économique. Celle-ci a été nettement mal répartie dans le temps (grande volatilité) et dans l’espace entre les
classes de la population. Les quelques taux de croissance positifs significatifs obtenus pour certaines années
ne pouvaient en aucun cas dissimuler sa faiblesse globale ni son faible impact en matière de réduction de la
pauvreté.
En matière de profil de pauvreté, plusieurs caractéristiques importantes sont à relever. En effet, et selon
toutes les opérations statistiques entreprises, il ressort d’abord que la pauvreté au Maroc est un phénomène
à dominante rurale. Pour différentes raisons, depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, l’espace rural n’a que
trop peu bénéficié des investissements publics en matière d’infrastructures économiques et sociales.
Cependant, à cause des interférences logiques entre les dynamiques économiques, de la population et de
celles de la pauvreté, l’amorce d’une urbanisation du phénomène commence à se manifester depuis au
moins une décennie. Elle aura, à n’en pas douter, des conséquences sociales à prendre en considération lors
de l’élaboration de toute stratégie de lutte contre la pauvreté.
Sur le plan spatial et au niveau des disparités régionales, il est frappant de remarquer qu’au Maroc et pour
presque toutes les opérations, les taux de pauvreté de certaines régions sont 3 fois plus élevés que ceux
d’autres régions. Ainsi, comme attendu, inversement à tout indicateur de dynamisme économique, les
régions du Nord-ouest et du Centre affichent en général les taux de pauvreté les plus faibles alors que
ceux-là sont largement plus élevés dans les autres régions.
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Tableau 2 : Répartition de la population pauvre et taux de pauvreté selon les régions et le milieu
de résidence en 1998-99
La même analyse, conduite selon les deux dimensions (milieu de résidence et régions économiques)
montre de façon plus critique la disparité du phénomène sur le territoire national. En effet, pour certaines
enquêtes, le taux de pauvreté passe de moins de 3 % dans les zones urbaines de certaines régions à plus de
40 % dans les zones rurales d’autres régions.
Comme on peut le constater avec le cas particulier de l’Enquête Nationale sur les Niveaux de Vie des
Ménages (ENNVM) de 1998-99, il ressort que parfois 5 régions sur 16 (Meknès-Tafilalet, Fès-Boulemane,
Taza-Al Hoceïma-Taounate, et Doukala-Abda, Marrakech-Tensift-Al Haouz) regroupent à elles seules près de
la moitié de la population pauvre. Par contre, des régions comme celles du Grand Casablanca, de l’Oriental,
de Rabat-Salé-Zemmour-Zaeïr et du Gharb-Chrarda-Beni Hssen sont relativement sous représentées dans la
répartition spatiale de cette population (en comparaison avec leur poids dans la structure de l’ensemble de la
population du pays).
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d’actifs occupés qui exercent des activités génératrices de revenus. Ce fait explique, au moins en partie, le
fait que la taille du ménage est une variable déterminante de la pauvreté. Le contrôle de cette variable, à tra-
vers les actions devenues classiques, qui assurent un meilleur accès des populations aux services de santé,
à l’instruction et aux méthodes de planification familiale pourrait contribuer à la réduction de la pauvreté.
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de l’éducation est l’accessibilité difficile voire la non disponibilité des infrastructures scolaires adéquates, par-
ticulièrement en milieu rural.
En analysant le profil de la population pauvre à travers les résultats des différentes enquêtes, il ressort
qu’elle n’a dans sa majorité aucun niveau scolaire, et que seule une petite proportion de celle-ci est alphabéti-
sée. La situation inverse se retrouve chez la population aisée. Les deux principaux facteurs qui semblent
expliquer cet écart entre les deux sous-populations, sont l’insuffisance du budget familial, c’est-à-dire la pau-
vreté, et la difficulté d’accès à l’école dans certaines régions. Les résultats des différentes enquêtes
montrent en effet que la pauvreté est le principal obstacle à la scolarisation puisqu’elle explique à elle seule
une bonne partie des non-inscrits. Les enfants des familles défavorisées en âge de scolarité évoquent
souvent la pauvreté, ses causes et ses conséquences comme raisons de leur non scolarisation. En matière
de dépenses annuelles moyennes par habitant en matière d’éducation par exemple, et de façon générale, les
20 % les plus pauvres de la population ne dépensent en moyenne qu’une valeur 4 fois moins élevée que ce
que dépensent en moyenne les 10 % les plus riches.
Les résultats incontestables de certaines enquêtes disponibles montrent aussi qu’en milieu rural en parti-
culier, la distance moyenne entre le logement d’un enfant et une école primaire dépasse les 2 km. Cette dis-
tance moyenne atteignait même plus de 3 km pour certaines classes de dépenses. Cette information et de
nature à contribuer à l’explication des différences de décisions en matière de scolarisation des enfants entre
les différentes classes de dépenses, en particulier pour les petites filles rurales.
La résultante de tous ces facteurs c’est, comme tout le monde le sait maintenant, l’écart en matière
d’analphabétisme qui s’est creusé particulièrement au cours des années 60 entre les deux milieux. En effet,
c’est initialement pendant cette période que le milieu rural a pris du retard. Ce dernier s’est par la suite ampli-
fié faisant en sorte que ce milieu n’a plus jamais pu bénéficier correctement de sa part des fruits de la crois-
sance économique, aussi modestes soient-ils, et son retard est resté chronique.
Les différentes enquêtes auprès des ménages, conduites au Maroc depuis l’indépendance, montrent ainsi
que la proportion des enfants non scolarisés a toujours été très élevée parmi les enfants des ménages défa-
vorisés du milieu rural comparativement à ceux des couches aisées du milieu urbain. Ce fait observé il y a
plus de trois décennies, explique le profil des pauvres d’aujourd’hui et nous donne une idée sur qui seront les
pauvres de demain...
Les différentes difficultés actuelles (et même un peu passées) d’accès aux services scolaires aujourd’hui
généreraient en toute probabilité une pauvreté et une vulnérabilité à terme. C’est dans cette perspective
dynamique que nous devons considérer que l’accès à un système scolaire efficace est un élément fonda-
mental du bien être individuel. Si aujourd’hui les taux d’analphabétisme, tout comme ceux de pauvreté, sont
plus élevés en milieu rural ou encore dans certaines strates du milieu urbain, c’est à cause d’une accessibilité
réduite à l’infrastructure scolaire dans ces milieux dans le passé. Si cette accessibilité reste limitée encore
pour longtemps, on doit s’attendre à des taux similaires pour ces deux phénomènes dans le futur ; les
mêmes causes produiraient les mêmes effets.
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mettre ceux qui le touchent directement (le chômage, la dépression, le stress, la violence, le célibat, ...).
Même si on observe une augmentation du taux d’activité des femmes à travers le temps, la situation n’est
pas nécessairement meilleure aujourd’hui. En effet, la force de travail féminine utilisée est généralement
sous payée, du moins comparativement à celle de l’homme, et n’aide que marginalement à sortir de la zone
critique de la pauvreté. En outre, et de façon presque généralisée en milieu rural, la femme marocaine se
trouve doublement occupée par des tâches ménagères et par un travail à l’extérieur de la maison en tant
qu’aide familiale, c’est à dire sans aucune contre partie salariale comptable.
Ainsi et malgré le renforcement graduel et continue de la participation des femmes à presque tous les
aspects de la vie économique et sociale du pays, comme en témoignent les indicateurs usuels en la matière,
les disparités entre les femmes et les hommes subsistent. Le taux d’analphabétisme des femmes reste
aujourd’hui encore élevé (au voisinage de 60 %) et est bien supérieur à celui des hommes (pas loin de 35 %).
Le taux de scolarisation, tous niveaux confondus, des personnes âgées entre 6 et 22 ans, s’établit à un peu
moins de 50 % pour les femmes contre plus de 60 % pour les hommes. Le taux de chômage en milieu
urbain, là où il a plus de sens, est aussi plus élevé entre les femmes qu’entre les hommes.
Si, sous l’effet des pressions démographiques et économiques, et aussi à cause de certaines réformes
entreprises au cours des dernières années, l’accès à certains services publics est devenu de plus en plus dif-
ficile pour toute la population, en particulier pour la sous-population pauvre, cet accès est rendu presque
impossible pour la femme pauvre ; justement parce qu’elle est une femme et parce qu’elle est pauvre. Il
s’agit par exemple des services de santé en milieu rural, là où aucun suivi de grossesse n’est possible, de
ceux de la scolarisation (ce qui a laissé plusieurs petites filles marocaines à l’extérieur du cercle du savoir), de
l’eau potable ou de l’électricité (ce qui augmente et rend pénibles les charges de la femme rurale en parti-
culier)...
Sur la base de telles affirmations plutôt admises, certains enchaînent que parallèlement à l’appauvrisse-
ment général de la population des années 90, qui se matérialise par l’augmentation des effectifs absolus et
relatifs de la population pauvre, il y a aussi une féminisation accrue de la pauvreté. Cependant, à travers
l’observation des données, il semble que cette dernière affirmation manque de soubassements empiriques
solides. Sans aller jusqu’à dire, qu’elle est complètement et partout fausse, faute justement de travaux scien-
tifiques rigoureux, des retours sur les concepts et les approches usuels en matière d’analyse, de décomposi-
tion et de suivi de la pauvreté montrent que cette affirmation n’est pas tout à fait vérifiée.
Pour le cas qui nous préoccupe ici, celui de la pauvreté monétaire, et sur le plan strictement statistique, il
est tout à fait vrai que les femmes sont largement sur-représentées parmi les populations pauvres du pays et
pour toutes les enquêtes. Ceci ne veut nullement dire qu’il y a féminisation de la pauvreté au Maroc. En
effet, et par définition, la féminisation est un concept clairement dynamique. Il signifie que la part relative des
femmes dans la population pauvre augmente, ou encore, de façon plus générale, que l’évolution de la
décomposition des mesures usuelles de la pauvreté (autre que le simple taux de pauvreté) se fait au détri-
ment des femmes. Une telle affirmation testée et vérifiée statistiquement à travers une suite d’enquêtes
auprès des ménages montre qu’elle est rejetée pour le cas du Maroc (voir Abdelkhalek (2000)).
Remarquons cependant que si la féminisation de la pauvreté n’est pas vérifiée sur le plan global, elle peut
tout à fait l’être dans certains sous groupes particuliers de la population (familles monoparentales, ménages à
une seule personne, personnes âgées, ..., etc.) ou encore selon un critère particulier d’approche de la pau-
vreté (éducation, santé, ..., etc.), ce qui conduit à conclure parfois trop rapidement à une féminisation de la
pauvreté.
Justement, sur le plan de la pauvreté monétaire qui nous concerne de façon plus spécifique, ce phéno-
mène touche, en 1998-99, autant les femmes (18,9 %) que les hommes (19,1 %). Pour la même opération, il
ressort que le nombre de femmes pauvres remonte à 2,7 millions de personnes environ, contre 1,7 millions
en 1991, soit des taux de féminisation de la pauvreté au voisinage de 50 % pour les deux enquêtes.
18
Il ressort aussi que le taux de pauvreté entre les femmes est passé de 7,9 % en 1990-91 à 12,2 % en
1998-99 en milieu urbain, et de 17,7 % à 27,3 % en milieu rural. Pour la sous-population masculine, ces
mêmes taux sont passés de 7,2 % à 11,7 % et de 18,3 % à 27,0 % respectivement dans les deux milieux.
Toujours, pour les deux enquêtes ici utilisées, il ressort que le taux de croissance annuel moyen de la
population féminine au niveau de tout le pays s’établit à près de 1,7 %, alors que celui de la population fémi-
nine pauvre est de l’ordre de 6 %. Les mêmes taux de croissance annuels moyens pour la population mas-
culine sont respectivement de 1,8 % et 6,6 %.
À travers ces indicateurs, il se dégage clairement que l’évolution de la pauvreté monétaire s’est accentuée
pratiquement de la même façon pour les femmes que pour les hommes. Il n’y a donc aucune évidence
chiffrée à la féminisation de la pauvreté au Maroc, du moins pas durant les dernières décennies.
Si on s’intéresse maintenant de façon plus particulière à la pauvreté féminine et ses caractéristiques, il res-
sort que les femmes âgées de moins de 25 ans sont en général plus touchées par ce phénomène que la
population féminine dans son ensemble. Par ailleurs, et c’est ici un résultat à interprétation sociale impor-
tante, l’analyse de la distribution des taux de pauvreté selon l’état matrimonial de la femme montre que le
veuvage n’augmente pas nécessairement le risque de pauvreté. C’est du moins ce qui ressort des résultats
des dernières enquêtes statistiques disponibles. En effet, et pour les deux milieux de résidence, les taux de
pauvreté enregistrés pour les femmes mariées et ceux calculés pour les femmes veuves ne sont pas signifi-
cativement différents. Par contre, et c’est très attendu, l’incidence du phénomène est toujours plus impor-
tante entre les femmes sans aucun niveau d’instruction (en milieu rural en particulier). Les femmes sans
instruction du milieu rural constituent la tranche de la population la plus touchée par la pauvreté au Maroc.
En matière de politiques de lutte contre la pauvreté féminine à moyen et long termes, il ressort sans ambi-
guïté que le déficit scolaire de la petite fille dans le passé (femmes d’aujourd’hui) a été l’élément détermi-
nant. L’amélioration de son accès à l’école, à l’instruction et à l’éducation est, aujourd’hui, sans aucun doute,
la clé de la réduction de la pauvreté féminine et de l’amélioration des conditions de vie de demain.
19
3. Politiques économiques et pauvreté au Maroc
Une politique économique est une action qui vise à corriger les distorsions créées par les mécanismes des
marchés. Elle peut aussi chercher à se substituer à ceux-ci ou à les remplacer en cas d’absence. Une poli-
tique économique peut avoir comme objectif d’agir sur une grandeur macro-économique, une composante
sectorielle ou encore microéconomique. Elle peut influencer, directement ou indirectement, comme objectif
ou pas, le bien-être d’un ou de plusieurs agents économiques. Elle peut donc avoir des effets désirés tout
comme d’autres moins désirés ou pas du tout souhaités en particulier sur les ménages pauvres ou vulné-
rables.
Les politiques macroéconomiques désignent donc plusieurs actions gouvernementales prises une à une,
en combinaison ou encore simultanément pour influencer certains mécanismes économiques globaux ou
encore pour agir sur un ou plusieurs agrégats macroéconomiques.
Selon les circonstances, certaines de ces politiques se révèlent très efficaces sur le plan strictement
économique. En toute évidence, elles ont aussi des effets négatifs, au moins à court terme et en période de
transition, sur les niveaux de la pauvreté.
Pour pouvoir mesurer et juger ces effets (positifs ou négatifs) sur la pauvreté, celle-ci doit être mesurée
d’une façon plus ou moins usuelle. Les mesures de pauvreté généralement calculées sont de deux types.
Celles basées sur une mesure monétaire, comme celles utilisées dans un paragraphe précédent, et celles
basées sur les niveaux de satisfaction de certains besoins de base de la population. Les diverses politiques
de lutte contre la pauvreté sont censées modifier directement et vers l’allègement, les niveaux de l’une au
moins de ces mesures alors que les politiques macroéconomiques peuvent, quant à elles, les modifier soit
directement soit indirectement et dans n’importe quel sens.
Dans le cas le moins difficile à suivre, et qui utilise une mesure monétaire pour approcher la pauvreté, ces
indices changent si la moyenne de la variable retenue (revenu ou dépense de consommation) change (croît
ou décroît) ou encore lorsque la distribution ou la répartition de cette même variable se modifie, ou encore
dans les deux cas (la moyenne et la répartition changent). Les politiques macroéconomiques affectent direc-
tement ces deux aspects.
Cependant, la façon dont laquelle ces politiques affectent les niveaux du revenu ou de la dépense (ou leurs
taux de croissance) ou encore la répartition de ces variables dans la population n’est pas unique. Elle dépend
largement des circonstances et des caractéristiques de chaque pays (institutions, ressources naturelles et
humaines, niveau de développement, structure de l’économie, caractéristiques démographiques, ..., etc.). Il
en découle que les effets et l’efficacité des politiques macroéconomiques, susceptibles de réduire la pau-
vreté, dépendent aussi de plusieurs facteurs relatifs au pays sous l’étude. Un même instrument de politique
macroéconomique peut produire différents effets sur les niveaux des variables utilisées pour mesurer la pau-
vreté et sur la distribution de celles-ci dans la population. L’effet sur la pauvreté d’une politique macro-
économique particulière n’est donc pas systématique et peut ne pas être le même d’un pays à l’autre.
Par ailleurs, la majorité des pays en développement dont le Maroc, se sont trouvés presque tous face au
même package de politiques macroéconomiques, dit Programme d’ajustement structurel (PAS). Plusieurs de
ces pays n’avaient pas le choix de sélectionner celles qui sont optimales, dans le sens de la réduction de la
pauvreté dans leur pays. En effet les considérations financières classiques, qui recherchent les équilibres
macroéconomiques internes et externes, ressortent presque toujours dominantes. Les politiques qui en
résultent, et qui sont adoptées par tous les pays en développement comme le Maroc à partir des années 80,
20
peuvent aggraver la pauvreté dans certains de ces pays. On peut par exemple penser aux politiques de
réduction des dépenses publiques (taille de l’administration et gel des salaires), suppression ou diminution
des subventions des produits alimentaires, libéralisation du commerce extérieur, suppression du contrôle
des prix de certains produits, etc.
Les liens qui existent entre ces politiques et les niveaux de la pauvreté, lorsque celles-ci sont mises en
place, sont assez complexes. Ils se manifestent à différents niveaux (macroéconomiques, sectoriels et
microéconomiques, ...) et à différents termes (court, moyen et long). Les effets négatifs probables sur les
populations vulnérables de ces mesures devraient impliquer des politiques d’accompagnement bien étu-
diées.
Lorsque d’autres approches sont utilisées pour rendre compte du niveau de la pauvreté (satisfaction des
besoins de base par exemple), certaines politiques macroéconomiques se trouvent interpellées beaucoup
plus que d’autres. Il s’agit principalement de celles des dépenses publiques dans certains secteurs et de leur
niveau de ciblage. Elles sont en général différentes de celles qui cherchent à appuyer directement la crois-
sance économique ou la relance conjoncturelle de l’activité économique de court terme. Ces politiques et
ces dépenses ont un effet certain et direct sur le bien être des ménages. Pour mesurer leurs effets, il faut
aller bien au delà des effets macroéconomiques directs des politiques économiques classiques, et considé-
rer de nouvelles dimensions d’analyses, en particulier l’accès des populations à certains services publics.
Il est communément admis que les politiques d’ajustement et de stabilisation qui cherchent en particulier
à assurer les équilibres internes et externes de l’économie, comme celles contenues dans les différents PAS
subis par différents pays en développement dont le Maroc, aggravent les niveaux de la pauvreté. Cependant,
et d’après plusieurs expériences, il n’est pas toujours évident que toutes les politiques contenues dans ces
programmes soient néfastes pour les pauvres.
Au niveau analytique de cette question, des problèmes méthodologiques standards de comparaison en
sciences économiques, de type « avec » et « sans » ces politiques, se posent. Ceci laisse croire qu’effective-
ment celles-ci sont totalement négatives. En fait, lorsque ces politiques sont bien choisies et appliquées avec
modération, elles peuvent améliorer les équilibres économiques sans trop détériorer le bien être des
pauvres, voire même l’améliorer à moyen terme. À l’inverse, appliquées avec rigueur et sans discernement,
elles aggravent la pauvreté. Il y a donc une marge d’action que les décideurs peuvent et doivent exploiter
pour essayer de chercher simultanément des objectifs de stabilisation économique, d’ajustement et peut-
être de réduction de la pauvreté.
Les dépenses publiques bien ciblées, en particulier en matière d’investissements, sont un instrument puis-
sant pour dynamiser l’activité économique et réduire, soit directement soit indirectement, les niveaux de la
pauvreté. Elles sont en effet très efficaces à court terme en tant que composantes de la demande finale et
en terme de distribution de salaires et de revenus. Elles le sont aussi à long terme lorsque les investisse-
ments réalisés sont générateurs de croissance. La ventilation sectorielle et spatiale de ces dépenses peut en
effet influencer largement la distribution des revenus et/ou des dépenses des ménages. La programmation
et la localisation des infrastructures et des activités, qui bénéficient aux investissements et aux entreprises
21
privés mais aussi aux pauvres est un exemple éloquent dans le sens de la réduction de la pauvreté. Il y a là
une sorte de complémentarité entre les dépenses publiques en investissement et l’investissement privé, un
effet inverse à l’effet d’éviction classique.
Par contre, la réduction des subventions publiques de diverses natures, celles qui bénéficiaient aux
pauvres en particulier, qui ne s’accompagnent d’aucun programme de substitution ou encore la baisse des
dépenses publiques en matière de santé et d’éducation, augmenteraient la pauvreté à court et/ou à long
termes. Par ailleurs, et dans certains cas, qui dépendent en particulier des modes de financement des
dépenses et des déficits publics, celles-ci peuvent provoquer des effets d’éviction en réduisant les inves-
tissements privés. Leur efficacité en matière d’emploi et en matière de lutte contre la pauvreté peut nette-
ment être remise en cause.
Un autre point important en la matière est relatif à la concentration des dépenses publiques en matière
d’infrastructure et ses conséquences. Il est assez facile de justifier et même de défendre la localisation de
ces infrastructures dans des zones assez riches et qui ont déjà un potentiel économique important. En effet,
ce sont ces zones qui sont les plus attractives pour les investisseurs nationaux et internationaux. Cependant,
en matière de lutte contre la pauvreté, cette concentration aggrave à la fois la pauvreté dans plusieurs autres
régions du pays (à travers l’exode) et l’inégalité entre les régions. Celles qui sont à la base les moins nanties
et qui renferment le plus de pauvres se trouvent encore une fois marginalisées. C’est exactement l’exemple
du Maroc depuis l’indépendance.
Les niveaux, l’évolution des prix des produits alimentaires de base et le fonctionnement de leurs marchés
sont déterminants en matière de pauvreté. L’augmentation des prix de ces biens pour des ménages deman-
deurs nets, suite à la libéralisation du fonctionnement d’un ou de plusieurs marchés, à la suppression d’une
subvention ou encore suite à la mise en place ou à l’augmentation d’une taxe à la consommation implique
tout naturellement une aggravation de la pauvreté.
Cependant, les augmentations des prix de certains produits agricoles, qui sont dans ce cas des améliora-
tions des termes de l’échange de ces produits pour les ménages ruraux offreurs nets, peuvent avoir des
effets positifs en matière de réduction de la pauvreté.
À cause de ces effets parfois opposés, la résultante en matière d’incidence de la pauvreté des variations
des prix des produits alimentaires est parfois assez complexe à prédire. Elle dépend en effet de la structure
de l’économie en matière de production et d’importation de ces produits, de la répartition des terres et des
facteurs de production entre les ménages, des types de productions et de consommations des ménages
pauvres et de leurs demandes en produits alimentaires... En matière de politiques macroéconomiques, les
choix entre celles qui couvrent certaines catégories de ménages (en occurrence les pauvres), à travers dif-
férentes subventions ou encore à travers des prix artificiellement réduits, réduisent la pauvreté à court
terme. Elles peuvent par contre compromettre l’efficacité économique de plusieurs secteurs, réduire la crois-
sance globale dans son ensemble, ce qui peut conduire à une aggravation de la pauvreté à long terme. En
terme de décision, pour essayer d’améliorer l’efficacité de ces mécanismes de subvention et pour éviter en
même temps de telles situations, il est parfois préférable de libéraliser et de ne pas soutenir les prix des
biens en question (ce qui évite alors les problèmes de ciblage à ce niveau) et mettre en place des politiques
et des mécanismes de compensation en matière de revenus pour les pauvres (programmes d’emploi ou de
distributions de produits). Le design théorique de ces mécanismes est assez facile. Ils sont par contre très
complexes à mettre en place dans la pratique.
22
3.5. Politiques anti-inflationnistes et stabilisation des prix
Bien que la relation soit assez complexe à établir entre l’évolution de l’inflation et celle de la pauvreté, à
cause encore une fois des différentes connexions entre les phénomènes, il semble que les années à forte
inflation voient progresser les indicateurs de pauvreté. Le cas du Maroc des années 80 en est un exemple.
Ainsi, et comme corollaire immédiat de ce fait, la stabilité des prix permet de réduire la pauvreté, ou au moins
de la maintenir à ses niveaux. En effet, dans un contexte inflationniste aiguë, il est en général difficile d’ajus-
ter complètement ou indexer les salaires nominaux (ou tout autre revenu non salarial) aux variations des prix
de façon à conserver le pouvoir d’achat des populations pauvres.
De ce fait, en matière de lutte contre la pauvreté, toutes les politiques macroéconomiques à caractère
inflationniste (fiscale trop large ou dépensière avec de grands déficits publics, ou monétaire trop expansion-
niste et donc génératrice d’inflation) sont à éviter ou à utiliser avec beaucoup d’attention en essayant de trou-
ver un certain équilibre en matière de relance économique (emploi et production) et niveau d’inflation.
L’objet de plusieurs politiques macroéconomiques de lutte contre la pauvreté est d’assurer, au moins à
moyen terme, une croissance économique génératrice d’emplois et de revenus. C’est l’objet explicite des
réformes commerciales internes et de libéralisation des marchés, des ouvertures commerciales et de l’inser-
tion dans l’économie mondiale, des différentes dévaluations, des politiques d’incitations des capitaux étran-
gers, ..., etc. Les principaux mécanismes de transmission des effets de ces politiques vers le bien être des
ménages (dont les pauvres) sont multiples. Ils passent au moins par deux marchés ; celui du travail (emplois,
salaires et revenus), et celui des biens et services (prix des produits intermédiaires et finaux, productions,
consommations et bien-être).
Pendant les quelques dernières années, au Maroc comme ailleurs, les réformes dans la gestion du com-
merce extérieur font partie intégrante du package des politiques macroéconomiques génératrices de crois-
sance. L’effet de ces mêmes politiques, y compris la gestion du taux de change, sur l’incidence de la
pauvreté reste par contre très discutable et il ne semble pas y avoir de consensus dans ce sens. Les effets
de court terme sont parfois inverses (négatifs pour les pauvres ? !) de ceux de long terme (positifs pour les
pauvres ? !). Les périodes de transition, suite à la mise en place de telles politiques, sont assez délicates et
doivent être convenablement gérées par des politiques macroéconomiques spécifiques pour alléger les
effets négatifs de court terme et accélérer l’arrivée des effets positifs de moyen et long termes.
Ce sont en fait, les objectifs des programmes dits de mise à niveau adoptés dans plusieurs économies en
développement dont le Maroc, suite aux entrées en vigueur des différents accords d’association et des libé-
ralisations commerciales significatives.
Dans le même sens, la gestion du taux de change, qui est souvent utilisée comme outil d’ajustement, de
relance des exportations et de réduction des importations, a aussi des effets sur les populations pauvres.
Ainsi, et en principe, si une dévaluation arrive à maintenir ou à augmenter le revenu des petits producteurs
(paysans et artisans) ou même des grandes entreprises, grandes utilisatrices de main d’ouvre, elle contri-
buera à réduire la pauvreté. Une surévaluation de la monnaie nationale produirait en toute évidence les effets
inverses et aggraverait la pauvreté. En effet, elle encouragerait les activités de production intensives en capi-
tal généralement importé, réduirait les exportations et conduirait à moyen et long termes à une stagnation
économique qui serait dommageable à une politique de lutte contre la pauvreté.
Ici aussi, il semble qu’une analyse plus profonde fait défaut pour le cas du Maroc. Elle est la seule capable
23
d’apporter des éclaircissements sur les effets attendus des réformes commerciales et de l’intégration du
Maroc à l’économie mondiale sur les niveaux de la pauvreté. En principe, une libéralisation commerciale peut
réduire la pauvreté si le pays arrive à exploiter ses avantages comparatifs au niveau de l’emploi et de la posi-
tion stratégique, si ses secteurs exportateurs augmentent leurs activités de façon substantielle, si les
pauvres y sont employés, si le taux de salaire n’est pas réduit, si les secteurs non compétitifs se mettent à
niveau ou se convertissent sans perdre trop de leurs employés. Ces conditions ne sont évidemment pas
toutes faciles à réaliser pour le cas du Maroc.
Les anticipations optimistes sur l’amélioration du bien être des ménages et sur la réduction probable de la
pauvreté, suite à une ouverture commerciale, trouvent le gros de leur fondement dans le fait que ces poli-
tiques contribuent à la mise en place de nouvelles réallocations des ressources en faveur des secteurs expor-
tateurs, généralement intensifs en main d’œuvre dans les pays en développement. C’est en fait, à peine
déguisée, la théorie classique des avantages comparatifs associée, dans sa version dynamique, à des déloca-
lisations d’industries et à des apports en investissements directs étrangers à la recherche de coûts réduits.
Cependant, et selon les expériences de plusieurs pays en développement, pour diverses raisons, ces anti-
cipations théoriques ne se réalisent pas toutes comme attendu. L’élasticité de l’emploi global par rapport à
l’output global reste très faible et la création attendue d’emplois n’est pas toujours au rendez vous. L’inter-
férence entre les effets de ces politiques avec ceux d’autres inverses conduites simultanément, et qui visent
en particulier la réforme du secteur public et ses emplois, en plus de la contraction des autres secteurs privés
non compétitifs, fait que la résultante est très mitigée sinon franchement négative. L’absence quasi totale de
systèmes officiels d’assurance chômage et de toutes autres formes de protection sociale, fait que la pau-
vreté augmente à court terme. À long terme, et après toutes les corrections des effectifs dans le secteur
public et dans les secteurs privés qui se contractent, une efficacité globale de l’économie pourrait être enre-
gistrée et la pauvreté pourrait baisser.
Ce sont principalement ces facteurs qui déterminent et conditionnent le plus le fonctionnement du marché
du travail au Maroc, comme dans d’autres pays en développement et qui ont des implications en matière
d’évolution à court et à long termes de la pauvreté suite à l’intégration de ces pays dans la globalisation en
cours.
Suite à la détérioration accentuée des équilibres internes et externes de l’économie marocaine et avec
l’aide des institutions financières internationales, le Maroc a entrepris dès le début des années quatre vingt
un vaste programme de stabilisation et d’ajustement de son économie.
En effet, au début des années 80 et pour diverses raisons, le Maroc s’est retrouvé face à une situation
économique et financière difficile et complexe. Entre 1981 et 1983 le taux de croissance du PIB n’a pas
dépassé les 2 % en termes constants alors que l’inflation a enregistré des taux de presque 10 %. Le déficit
budgétaire a atteint un taux de 12 % du PIB alors que le solde du compte courant de la balance des paie-
ments a enregistré un déficit de plus de 10 % conduisant à une réduction des réserves de change qui ne cou-
vraient que moins d’un mois d’importation. La dette externe du pays a aussi atteint des sommets et son
24
service à lui seul absorbait plus de 40 % des recettes des exportations. Dans ces conditions, la gestion de
l’économie nationale a été impossible et un plan de sauvetage est devenu nécessaire.
Le plan d’ajustement structurel mis en place comportait des volets à caractère financier et d’autres basés
sur des réformes économiques qui permettent le retour à des équilibres internes et externes soutenables.
Globalement, il s’agissait de libéraliser les échanges des biens et services et d’accroître la part du secteur
privé en accordant une importance au comportement individuel des agents économiques. Les mots d’ordre
de ce programme ont été : assainir, stabiliser et libéraliser l’économie à côté d’une plus large ouverture pour
intégrer l’économie nationale dans le marché mondial.
Si ce programme a globalement réussi dans sa dimension économique, en rétablissant les équilibres fon-
damentaux, il a conduit à des résultats plutôt mitigés sur le plan social. Son impact sur la pauvreté, ses
niveaux et sa sévérité méritent d’être étudiés.
Les réformes entreprises concernent plusieurs secteurs. En effet, en plus des réformes d’ordre financier
et budgétaire, l’économie marocaine s’est largement ouverte sur l’extérieur à travers son commerce. Une
libéralisation des prix de plusieurs biens, visant une augmentation du rôle des marchés et de l’activité écono-
mique intérieure en général, a été adoptée. Au niveau de la politique monétaire et de change, plusieurs
réformes ont été entreprises et d’autres sont en cours. Elles visent toutes à terme, une convertibilité totale
et complète du Dirham et une libre circulation des capitaux. Sur le plan fiscal une large réforme a été enga-
gée. La politique fiscale a été en effet considérée à la fois comme le moyen privilégié pour stimuler l’activité
économique mais aussi comme l’outil de rétablissement des équilibres macro-économiques. Sur ce plan, la
réforme a été menée sur trois fronts. Ainsi, une nouvelle imposition des activités de production a été mise en
place par l’instauration d’une taxe à la valeur ajoutée (TVA) en 1986. Cette taxe remplaça l’ancienne taxe sur
les produits et services. Par ailleurs, un impôt sur les bénéfices des sociétés (IS) remplaça l’impôt sur les
bénéfices professionnels et il y a eu enfin la création d’un impôt général sur le revenu (IGR).
Bien que les résultats de toutes les réformes entreprises ne peuvent être correctement perçus qu’à
moyen et long terme, il semble que selon plusieurs indicateurs, l’économie marocaine a réussi son ajuste-
ment interne et externe. Ces résultats ont été réalisés malgré la conjoncture internationale pas très favorable
(chute de la demande et des prix du phosphate par exemple), et le cycle de sécheresse quasi permanent
qu’a connu le pays durant les deux dernières décennies du siècle dernier. Cette réussite relative a redonné
confiance aux investisseurs étrangers qui ont significativement augmenté leur contribution à l’effort d’inves-
tissement global dans le pays.
Le train de mesures contenues dans le programme d’ajustement structurel, et que le Maroc a administré
pour une décennie et qui a continué même après, a clairement permis la correction et le rétablissement des
principaux équilibres financiers. En effet, le déficit budgétaire a été ramené à des niveaux maîtrisables par
rapport au PIB. Cette maîtrise du déficit est essentiellement due à la réduction des dépenses de l’État qui
n’ont cessé de diminuer (en % du PIB) durant plusieurs années en réalisant même un solde primaire positif à
partir de 1987. Au niveau du compte courant de la balance des paiements, son solde (en % du PIB) a été
aussi largement maîtrisé et ramené de plus de 12 % en 1982 à quelque 8 % en 1985 à moins de 2 % en
1992 où il s’est stabilisé pendant plusieurs années. Les réserves de change sont passées à plus de 12 mois
d’importations fin 2003. D’un autre côté, et grâce à une politique monétaire rigoureuse, les taux d’inflation
enregistrés ces dernières années ne dépassent presque jamais les 5 %.
À priori, l’ensemble des politiques économiques initiées par le programme d’ajustement structurel et pour-
25
suivies depuis, devrait conduire, toutes choses égales par ailleurs, à un appauvrissement de la population. En
effet avec la suppression des subventions et la libéralisation des prix de certains biens et en l’absence de
contrôle de ces mêmes prix, le pouvoir d’achat de la population devrait en souffrir. La mise en place d’un
nouveau système fiscal, un contrôle aigu des déficits publics et une politique monétaire rigoureuse qui vise à
juguler l’inflation ne peuvent qu’augmenter le chômage et la pauvreté entre les citoyens. Cependant, et a
posteriori, en regardant les chiffres relatifs aux mesures de la pauvreté en 1990-91, il semble que globale-
ment les conséquences sur le niveau de vie des ménages n’ont pas été aussi graves qu’on pourrait s’y
attendre, du moins pas à court terme. À moyen terme, les résultats de l’ENNVM de 1998-99 ont cependant
montré une nette aggravation de la pauvreté monétaire.
Toujours en matière de relations entre les politiques économiques et l’évolution de la pauvreté, au cours
de la première phase de l’ajustement (1983-1986), lorsque le gouvernement a mis en place une politique de
compression des importations et de l’absorption, les conditions de vie de la population se seraient nettement
détériorées. En effet, en plus des effets directs, et avec la baisse des dépenses d’équipement, les couches
les plus défavorisées, qui ont tant attendu l’amélioration de leurs conditions de vie, ont vu ajournés à plus
long terme leurs accès à l’eau potable, à l’électricité, aux routes, aux soins de santé et à une scolarisation de
qualité.
Cependant, en plus des chiffres relatifs à l’évolution de la pauvreté monétaire, les résultats des différentes
enquêtes montrent une amélioration globale dans l’accessibilité à plusieurs de ces services de base (ali-
mentation, habitat, santé et enseignement). Le PAS et les politiques budgétaires associées, malgré la lutte
aux déficits qu’ils impliquaient, ont semble-t-il globalement réussi à ne pas trop réduire les dépenses consa-
crées à ces secteurs pour ne pas rendre encore plus précaire la situation des classes défavorisées. Ainsi, et à
titre d’exemple, depuis la mise en application du PAS en 1983, le secteur de l’enseignement a toujours béné-
ficié d’une bonne part des postes budgétaires créés et les effectifs de l’éducation nationale sont passés de
164 790 en 1981 à 268 149 en 1995. Plusieurs prestations à caractère social ont été aussi maintenues mal-
gré la lourdeur de la charge à cause des effectifs croissants. Il s’agit des programmes des cantines scolaires,
des bourses d’études secondaires, des bourses de l’enseignement supérieur, des résidences et des restau-
rants universitaires qui ont été révisés par la suite.
Mais, et à partir d’un autre angle de vue, les secteurs sociaux au Maroc sont malheureusement restés loin
en dessous des attentes, même comparativement à des pays qui ont des niveaux de développement compa-
rables. Il s’agit justement des secteurs de l’éducation, de la santé, de l’habitat et de l’accès à d’autres équipe-
ments. Cette situation, déjà pas très réjouissante à la base, s’est trouvée aggravée suite aux réductions des
dépenses imposées dans le PAS. Les dépenses sociales par habitant ont, en effet, baissé en termes réels de
plus de 23 % entre 1982 et 1990.
La réduction du déficit public, recommandée par le PAS, passait par une réduction des dépenses, une aug-
mentation des recettes ou par les deux à la fois. Or il est incontestable que des dépenses publiques bien
ciblées constituent un des instruments les plus puissants pour amortir, alléger et réduire la pauvreté et ses
effets. Au Maroc, en plus d’un essai de restructuration fiscale pour augmenter le niveau des recettes, les
dépenses ont largement diminué passant de 34 % à 26 % du PIB entre 1982 et 1991 respectivement. Par
contre, et pour la période entre 1990 et 1995, et selon la classification fonctionnelle du Budget Général de
l’État, les dépenses publiques dites sociales ont connu une augmentation nominale de plus de 40 % et ont
représenté plus de 38 % du budget hors service de la dette et des dépenses imprévues.
Malgré tous les efforts du Gouvernement pour éviter de toucher à leurs niveaux, les dépenses en matière
d’éducation et de santé ont baissé de 6.5 % à 5.3 % et de 1.1 % à 0.9 % du PIB respectivement entre 1982
et 1991.
Sur un autre plan, il est connu que les petits salariés représentent une part importante des populations
pauvres. Ce fait met en évidence l’importance d’une politique salariale dans la lutte contre la pauvreté. Au
26
Maroc, la politique retenue par les autorités publiques en la matière a toujours soutenu un accroissement de
la valeur nominale du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) et celle du Salaire Minimum Agri-
cole Garanti (SMAG). Cette politique a relativement protégé certaines couches défavorisées (celles qui tra-
vaillent et qui touchent effectivement ces salaires) d’une érosion plus accentuée de leur pouvoir d’achat,
malgré l’inflation qui a un impact négatif, mais limité, sur les conditions de vie des pauvres. Les ajustements
de ces salaires n’ont certainement pas toujours compensé les bénéficiaires pour la perte de leur pouvoir
d’achat. Ils ont tout de même protégé, dans une certaine mesure, cette catégorie de la population contre
plus de pauvreté.
Parmi les facteurs qui déterminent de façon cruciale l’évolution et les performances de l’économie maro-
caine, et qui ont, à ne pas en doter, un effet direct sur la pauvreté, on retrouve naturellement les niveaux des
campagnes agricoles. Or celles-ci fluctuent énormément avec une tendance générale plutôt défavorable.
Comme tout le monde le sait, au Maroc « quand l’agriculture va tout va » mais l’inverse est aussi vrai. Les
résultats des campagnes agricoles se traduisent par des effets sur l’emploi, sur les productions, sur les reve-
nus, sur les consommations et donc sur les niveaux de la pauvreté. Cette donnée, typiquement exogène, et
qui devient malheureusement de plus en plus structurelle, complique la gestion, a priori simple, des
ménages ruraux pauvres en particulier et donne naissance à des difficultés additionnelles majeures pour
toute cette population qui n’a que très peu de marge de manœuvre et qui absorbe donc mal les effets des
chocs externes.
Bien qu’aucune analyse sérieuse ne soit disponible en la matière, il est très probable qu’un autre facteur
plus ou moins exogène a aussi une assez grande influence sur l’évolution de la pauvreté au Maroc. Il s’agit
du flux des transferts des travailleurs marocains à l’étranger. Ces envois de fonds ont en effet contribué,
depuis plus de trois décennies et de manière significative, à alléger le fardeau de la pauvreté pour plusieurs
ménages marocains. Une estimation faite à partir des données de l’ENNVM 90-91 par exemple, montre que
500 000 personnes environ ont bénéficié de ces transferts en provenance de l’étranger. Sans ces derniers, et
selon une analyse comptable et de très court terme, il ressort que quelque 180 000 personnes se retrou-
veraient au-dessous du seuil de pauvreté et donc dans la catégorie des pauvres. Ce chiffre représente envi-
ron 5 % de la population pauvre estimée en 1991.
Conscients de ce fait, mais aussi des autres intérêts de ce flux de devises, les pouvoirs publics ont tou-
jours mis en place un ensemble de politiques macro-économiques incitatives. Celles-ci ont été à caractère
monétaire (surtout de taux de change) et d’autres qui cherchent à encourager le rapatriement des fonds et
des épargnes de nos concitoyens et ont essayé de rendre attrayant, avec plus ou moins de succès, l’inves-
tissement au pays.
27
4. Croissance économique et pauvreté au Maroc : quel lien ?
Jusqu’à une date récente, pour réduire la pauvreté, les décideurs marocains et d’autres de pays en déve-
loppement misaient beaucoup, peut-être même trop, sur la croissance économique. Par la suite, et pendant
les quelques dernières années, tout le monde s’est rendu compte que pour plusieurs raisons, celle-ci ne suf-
fisait pas pour réduire la pauvreté. Un dilemme s’est même posé face aux décideurs de certains pays :
rechercher une efficacité économique et une allocation optimale des ressources qui conduiraient à un taux
de croissance élevé, malgré l’éventuelle aggravation de la pauvreté qui pourrait en découler ou, à l’inverse,
sacrifier, au moins en partie, ces mêmes critères d’efficience économique et éviter une plus grande dégrada-
tion de l’équité au niveau de la distribution du revenu et ne pas accentuer la pauvreté ?
Dans le contexte du débat qui a accompagné ces options, en particulier pour soutenir ou s’opposer à des
programmes à caractère social, plusieurs questions importantes se sont posées : la croissance économique
dans les pays en développement se traduit-elle effectivement par une distribution des revenus plus inégale
et par plus de pauvreté ? La croissance économique est-elle plus lente lorsque l’inégalité et la pauvreté sont
plus grandes ? L’inégalité et la pauvreté baissent-elles à partir d’un certain niveau de revenu par habitant ? ...
etc.
En parallèle, il y a déjà quelques années maintenant, plusieurs économistes remarquaient que « la crois-
sance économique ne suffît pas » pour réduire la pauvreté dans les différents pays. La problématique de la
croissance économique se trouvait alors associée au problème de la répartition du revenu dans la lutte contre
la pauvreté. Un consensus de plus en plus large commençait alors à se manifester. Selon celui-ci la crois-
sance économique doit s’accompagner d’une répartition plus équitable des revenus afin de satisfaire les
besoins les plus élémentaires des populations vivant dans une pauvreté absolue et qui sont longtemps res-
tées à l’écart. Les taux moyens de croissance obtenus dans plusieurs pays en développement ne pouvaient
en aucun cas dissimuler l’accroissement de la pauvreté. Certains pays, tenants inconditionnels d’une crois-
sance rapide, affichent aujourd’hui la réduction de la pauvreté comme un objectif primordial et l’intègrent
explicitement dans leurs programmes de développement et de politiques économiques.
Dans le même sens, l’évidence empirique montre que les pays en développement, qui ont réalisé de bons
résultats en matière de lutte contre la pauvreté, ont des taux de croissance économique positifs mais modé-
rés. À ce niveau, il faut noter qu’un taux de croissance même élevé du produit intérieur brut par tête, peut ne
pas garantir une réduction de la pauvreté. En effet, un tel taux à lui seul ne peut en aucun cas assurer une
baisse significative de la pauvreté. La croissance économique peut ne bénéficier qu’aux individus non
pauvres de la population, ceux qui vivent des activités des secteurs secondaires ou tertiaires et vivant en
milieu urbain par exemple et pas du tout aux populations rurales. Elle peut ainsi être accompagnée d’une
aggravation des inégalités.
L’idée économique et statistique de base qui motive aussi les intuitions sur cette problématique, c’est qu’il
est naturel de penser que toute croissance économique, qui se traduit d’abord par une augmentation du
revenu disponible moyen ou de la dépense moyenne n’est pas seulement un déplacement vers la droite de
la distribution de cette variable, c’est aussi un changement dans sa forme générale. Il est en effet clair que
toute croissance, répartie de façon non uniforme modifierait la moyenne mais aussi la dispersion et le niveau
de concentration de la distribution. En décomposant l’impact d’une telle croissance sur les mesures de la
pauvreté, il peut s’avérer que l’effet des autres caractéristiques l’emporte sur celui de l’augmentation de la
moyenne. Il n’y a donc, a priori, aucune justification à croire qu’une croissance (du revenu ou de la consom-
28
mation par tête par exemple) réduirait l’effectif des pauvres ou d’autres mesures de pauvreté. Ce constat
devenu assez évident, a été approché et mis en évidence de différentes façons sur le plan théorique par Datt
et Ravallion (1992) et Ravallion (1996), entre autres.
Dans cet ordre d’idées, et selon une étude de la Banque Mondiale (Deininger et Squire (1997)) conduite
sur 91 pays, il ressortait que les périodes de croissance économique se sont accompagnées par des aug-
mentations des inégalités et de pauvreté pour 43 cas et avec des diminutions de celles-ci pour 45 cas. Cette
étude montre aussi que même lorsque l’inégalité s’accentue, son effet négatif sur le sous-groupe le plus
pauvre de la population est généralement compensé par l’effet positif de la croissance globale.
Dans les faits, et pour plusieurs pays en développement, la croissance économique ne s’accompagne pas
nécessairement d’une augmentation des revenus de plusieurs classes défavorisées de la population. Parfois
même, elle s’enregistre avec une aggravation de la pauvreté. Ce phénomène peut apparaître lorsque par
exemple, le taux de croissance de l’activité agricole, la principale source de revenu de la population rurale
pauvre, est faible ou négatif en présence d’un taux de croissance global positif au niveau de toute l’écono-
mie. C’était particulièrement le cas du Maroc pour les années de sécheresse, qui se sont succédées sur le
pays durant les années 80 et 90. Une telle situation aggrave en toute évidence les inégalités et exacerbe la
pauvreté. Une analyse approfondie de telles situations montrerait, qu’au moins en partie, les politiques
macroéconomiques en sont responsables (orientation sectorielle des dépenses publiques, incitations à
l’investissement, systèmes de taxation et de subventions, ...).
Il faut aussi noter à ce niveau que le caractère et le type de la croissance qui peut être enregistrée, ainsi
que la répartition de ses fruits dans la population, sont principalement déterminés par les répartitions initiales
des capacités de production humaines et physiques. Les investissements en éducation et en santé amé-
liorent les capacités des pauvres et assurent une plus grande croissance à court et à long termes des parts
de leurs revenus.
Il en ressort donc que pour qu’une croissance économique réduise la pauvreté -au moins celle mesurée
sous l’angle monétaire- elle doit impérativement se traduire par une augmentation du revenu des pauvres et,
dans le meilleur des cas, sans aggravation des inégalités. Pour le décideur public, lorsque l’arbitrage entre les
politiques macroéconomiques pertinentes qui visent une croissance économique de long terme, et celles
beaucoup plus réductrices de la pauvreté à court terme est inévitable et que ce sont les premières qui sont
retenues, des politiques et des mesures de protection des pauvres sont alors nécessaires. Il s’agit principale-
ment de programmes sociaux bien ciblés (éducation, santé, aides aux groupes vulnérables, etc.), d’actions et
d’interventions microéconomiques (opérations d’aides, de subventions, de micro crédits, etc.) au bénéfice de
groupes particuliers comme les petits paysans, les jeunes à la recherche d’un premier emploi, les personnes
âgées, ...
L’évolution récente du contexte macro-économique national et les effets des politiques économiques,
poursuivies pendant et après le Programme d’ajustement structurel (1983-1991), ont très probablement eu
des effets négatifs sur certaines strates de la population et continuent à en générer.
On reconnaît globalement que la stabilisation de l’économie en elle même n’a pas conduit à une récession
aussi grave qu’on pourrait s’y attendre. Morrisson (1991) affirmait dans ce sens que « le Maroc est parvenu à
réduire les principaux déséquilibres sans baisse de revenu par habitant ni aggravation de la pauvreté et en
évitant les troubles sociaux majeurs ». Ce résultat plutôt heureux dans certaines de ses dimensions a été
favorisé par certains facteurs externes positifs. Les résultats en dents de scie que retracent les taux de crois-
29
sance du PIB, pour la période de l’ajustement, sont certes liés aux conditions climatiques mais aussi soute-
nus par une expansion des exportations. Si la croissance du PIB a été maintenue à des niveaux plus ou moins
acceptables il en a été de même pour la consommation privée globale et pour l’investissement.
Les taux de croissance modérés que notre économie a enregistrés durant la période de l’ajustement et
après n’ont cependant jamais été suffisants pour absorber les chômeurs et les nouveaux flux de main
d’œuvre qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Or, et sans lien de causalité évident, il a été
remarqué à partir de toutes les enquêtes disponibles que l’incidence du chômage parmi les pauvres est plus
importante tant en milieu urbain qu’en milieu rural. Par exemple, en 1990-91, le taux de chômage a été de
30 % pour les pauvres en milieu urbain et de 7 % en milieu rural alors que ce même taux n’a été que de
20,6 % et 5,6 % respectivement pour l’ensemble des deux milieux. De plus, en 1990-91 la probabilité d’être
en chômage a été plus élevée chez les pauvres que chez le reste de la population.
Si aucune relation directe entre les politiques constituant le programme d’ajustement structurel et les
niveaux de pauvreté ne peut être établie à ce niveau, il est cependant vraisemblable qu’une incidence indi-
recte de ce type peut être soutenue. En effet, toute aggravation du chômage, urbain ou rural, augmente le
nombre de pauvres et de défavorisés. Dans son étude sur la pauvreté, la Banque Mondiale (1993) précise
que « le sous-emploi est la principale cause de la pauvreté » au Maroc et que « le chômage est étroitement
lié à la pauvreté ». Or il est démontré que le PAS et les autres politiques économiques en place se sont
accompagnés d’une aggravation du taux de chômage et donc d’une aggravation de la pauvreté, en l’absence
d’un système d’assurance chômage ou d’assurance sociale efficace. Les ménages dont des membres se
trouvent en chômage, voient leur niveau de vie constamment à la baisse et certains parmi eux basculent car-
rément dans la pauvreté. L’évolution de ce phénomène pourrait s’expliquer, nous l’avons précisé, au moins
en partie, par la mauvaise répartition des fruits de la croissance déjà insuffisante.
Pour se rapprocher encore plus de cette liaison entre la pauvreté et la croissance économique, nous analy-
sons d’abord assez rapidement l’évolution des dépenses de consommation des ménages dans le temps
(entre 1984-85, 1990-1991 et 1998-1999) et ceci pour les deux milieux de résidence (urbain et rural). Ces
dépenses, il faut le rappeler, sont à la base du calcul des indices de la pauvreté monétaire. Le tableau 3 ci-
dessous, rapporte l’évolution des dépenses annuelles moyennes par ménage et par personne entre trois des
enquêtes disponibles ainsi que leurs taux de croissance, en dirhams constants.
Tableau 3 : Taux de croissance des dépenses annuelles moyennes par ménage et par personne (en
dirhams constants de 1990)*
30
En analysant rapidement ces résultats, on remarque que la dépense annuelle moyenne par ménage et par
tête, et qui a été croissante en terme nominal pendant les deux décennies et ce à tous les niveaux (urbain,
rural et national), enregistre, en terme réel, certains taux de croissance négatifs. C’est précisément l’évolu-
tion entre 1990-91 et 1998-1999. Ce fait corrobore la détérioration des indicateurs de pauvreté entre ces
deux dates. Entre 1984-85 et 1998-99, ces taux de croissance sont positifs, c’est-à-dire qu’il y a une crois-
sance au niveau de l’indicateur usuellement utilisé pour approcher la pauvreté monétaire. Cependant, et
comme nous l’avons illustré dans un paragraphe précédent, la pauvreté au Maroc n’a connu en tout et pour
tout qu’un assez faible fléchissement entre les deux dates. La croissance enregistrée, mal orientée, n’a pas
été suffisante pour contribuer à la baisse durable et significative des mesures de pauvreté.
Dans son rapport sur la pauvreté au Maroc, la Banque Mondiale (2000) souligne que la faiblesse de la crois-
sance est responsable à 84 % de la hausse la pauvreté. Le reste est dû à la mauvaise distribution de celle-ci
entre la population. L’utilisation de la technique de décomposition proposée par Datt et Ravallion (1992)
confirme cette remarque.
Cette méthode permet de déterminer quelle est la part des variations des mesures de pauvreté considérées qui
s’explique par un effet de croissance et quelle est celle qui revient à des changements dans la distribution entre deux
dates. De façon formelle, on considère des mesures de pauvreté notées Pt = P(z / μt, Lt) où z est un seuil de pauvreté, μt
l’espérance mathématique ou la moyenne de la variable d’observation Y et Lt sa courbe de Lorenz. On remarquera que
z ne dépend pas de t; c’est-à-dire qu’il y a un même seuil de pauvreté dans le temps. On remarquera aussi que la
mesure de pauvreté Pt est homogène de degré 0 en z et μt ; ce qui veut dire que si on multiplie par une même
constante la variable d’intérêt Y, son espérance mathématique ou sa moyenne et le seuil de pauvreté sont aussi multi-
pliés par la même constante et donc la mesure de pauvreté reste inchangée. C’est en particulier le cas des mesures de
pauvreté dues à Foster, Greer, et Thorbecke (1984) (FGT) généralement utilisées, dont l’indice numérique ou le taux de
pauvreté.
Ainsi, pour que la mesure de pauvreté P change, il faut que μ change (avec L fixe), que L change (avec μ fixe) ou que
μ et L changent simultanément. Un changement dans μ capte les effets de croissance, alors qu’un changement dans L
capte les effets de redistribution. De cette façon on peut définir et calculer un changement dans la mesure P entre deux
dates t et t+1 pour une date de référence r comme suit :
Pt+1 – Pt = G(t, t+1; r) + D(t, t+1; r)+ R(t, t+1; r).
G(t, t+1; r) représente la composante croissance de la décomposition alors que D(t, t+1; r) représente sa compo-
sante redistribution. Le terme R(t, t+1; r) est le résidu de la décomposition.
Chacune des deux composantes d’intérêt de cette décomposition peut être définie et exprimée à son tour comme
suit :
D(t, t+1; r) ≡ P(z / μr, Lt+1) – P(z / μr, Lt)
G(t, t+1; r) ≡ P(z / μt+1, Lr) – P(z / μt, Lr).
Pratiquement, pour isoler l’effet de redistribution, on calcule la mesure de pauvreté P en t+1 et en t, tout en gardant
constante la moyenne de la distribution, c’est à dire sans effet de croissance. Seules les caractéristiques de la courbe
de Lorenz varient pour capter les effets de redistribution.
Inversement, pour isoler l’effet de croissance, on conserve invariantes les caractéristiques de la courbe de Lorenz,
mais on introduit l’effet de croissance par la modification de la moyenne de la variable d’intérêt.
Quant au résidu, il se déduit de la différence entre la somme de ces deux effets ainsi calculés et la variation effective-
ment observée sur la mesure P entre les deux dates t et t+1. Dans la pratique on retient pour date de référence r soit la
date initiale t soit la date finale t+1. Ainsi, si r = t on déduit :
D(t, t+1; t) ≡ P(z / μt, Lt+1) – P(z / μt, Lt)
31
G(t, t+1; t) ≡ P(z/μt+1, Lt) – P(z/μt, Lt),
et si r = t+ 1 on déduit :
D(t, t+1; t+1) ≡ P(z/μt+1, Lt+1) – P(z/μt+1, Lt)
G(t, t+1; t+1) ≡ P(z/μt+1, Lt+1) – P(z/μt, Lt+1).
On peut aussi déduire que
R(t, t+1; t) ≡ D(t, t+1; t+1) – D(t, t+1; t)
R(t, t+1; t) = G(t, t+1; t+1) – G(t, t+1; t).
Ceci permet de remarquer que le résidu de la décomposition ne s’annule que si μt = μt+1 ou encore que Lt = Lt+1,
ce qui est très peu probable en pratique. On peut montrer ce fait en écrivant à nouveau, à partir des définitions D(t, t+1;
t+1), D(t, t+1; t), G(t, t+1; t+1) et G(t, t+1; t) la valeur ci-dessus de R(t, t+1; t). On peut aussi montrer que R(t, t+1; t) =
– R(t, t+1; t+1).
Une propriété intéressante de cette décomposition c’est qu’il est aussi possible de désagréger chacune des compo-
santes pour des sous-périodes. C’est-à-dire qu’en utilisant la même date de référence pour l’ensemble des sous-
périodes, on s’assurera qu’une sommation sur l’ensemble de ces dernières nous donnera l’effet total de la composante
pour toute la période.
Pour appliquer cette décomposition pour le cas du Maroc, nous utilisons les données des deux ENNVM
disponibles (ENNVM 1990-91 et 1998-99) et ce pour chacun des deux milieux séparément. En effet, au
Maroc deux seuils de pauvreté distincts sont toujours spécifiés. Pour rendre comparables les données des
deux enquêtes et appliquer cette approche, les déflateurs spécifiques par milieux de résidence utilisés par la
Direction de la statistique marocaine (1,439 pour l’urbain et 1,245 pour le rural) sont retenus. Nous calculons
d’abord les trois mesures usuelles de pauvreté de type FGT (α = 0, 1, 2) et nous procédons ensuite et leurs
décompositions. 1
Source : Nos calculs sur les données brutes des deux enquêtes. La variable utilisée est la dépense par tête.
On remarque que les résultats ici obtenus, pour les taux de pauvreté correspondent à ceux rapportés offi-
ciellement pour les deux enquêtes (voir tableau 1). Toutes les mesures de pauvreté calculées ont augmenté
entre 1990-91 et 1998-99. Le tableau 5 donne, pour chacun des deux milieux, les résultats de la décomposi-
tion selon la méthode de Datt et Ravallion (1992) entre les deux enquêtes.
1. Les mesures de pauvreté les plus utilisées sont celles proposées par Foster, Greer, et Thorbecke (1984) (FGT). Elles sont habituellement
notées Pα. Dans ces mesures, lorsque α = 0 on obtient l’indicateur le plus connu qui est le taux de pauvreté qui est aussi dit l’indice numérique de
pauvreté. Lorsque α = 1 on obtient un indice de profondeur de la pauvreté. Enfin lorsque α = 2 on obtient un indice de sévérité de la pauvreté.
Dans ces mesures plus α (coefficient d’aversion à la pauvreté) est grand plus l’accent est mis sur les plus pauvres de la population.
32
Tableau 5 : Décomposition de l’évolution des mesures de pauvreté entre 1990-91 et 1998-99
selon la méthode de Datt et Ravallion selon le milieu de résidence
Source : Nos calculs sur les données brutes des deux enquêtes. La variable utilisée est la dépense par tête
Sur la base des résultats de cette décomposition, il ressort que la pauvreté s’est accentuée dans les deux
milieux à cause de la faiblesse de la croissance ou plus exactement de la croissance négative en terme réel
(composante commune) mais aussi à cause de l’augmentation de l’inégalité pour le milieu rural. Pour les
deux milieux, et donc aussi pour le niveau national, la croissance négative a été le facteur le plus déterminant
dans l’augmentation de la pauvreté au Maroc entre les deux enquêtes. En milieu rural ce manque de crois-
sance s’est accompagné d’une aggravation de l’inégalité qui est responsable pour presque 30 % de l’aug-
mentation de la pauvreté dans ce milieu. La variation de la pauvreté et son accentuation est nettement plus
perceptible en utilisant les indicateurs P1 et P2 qui sont par définition plus sensibles à la situation des pauvres
que P0.
Pour raffiner davantage l’analyse dans ce sens, c’est à dire pour mieux apprécier la contribution du manque
de croissance sur la pauvreté, et sur la base des mêmes données, nous avons construit les courbes dites
d’incidence de la croissance (CIC) en utilisant la méthode proposée par Ravallion et Chen (2003) (voir l’enca-
dré 2).
Dans cette approche on note par Ft(y) la fonction de répartition de la dépense par tête Y dans la population. Elle
donne, par définition, la proportion d’individus p dont la dépense par tête est inférieure à y. En inversant cette fonction
de répartition au quantile p, et en utilisant les propriétés de la courbe de Lorenz on peut réécrire la dépense associée
yt(p) comme suit :
yt (p) = Fti1(p) = L’t(p)μt, (y’t(p) > 0),
où Lt(p) est la valeur de la courbe de Lorenz au quantile p,L’t(p) sa pente en ce point, 0 X p X 1, μt est la moyenne de
la variable Y sur toute la population.
Comme on cherche à comparer les niveaux des dépenses y(p) entre les deux dates t -1 et t, on peut définir le taux de
croissance global gt(p) au quantile p de cette dépense comme suit :
gt (p) = [yt (p)/ yt-1 (p)]i1.
Sur l’intervalle [0, 1], la fonction gt(p) définit ce que Ravallion et Chen (2003) appellent courbe d’incidence de la crois-
sance. Il est alors facile de déduire des deux expressions ci-dessus que :
33
où γt = (μ1 / μt-1)i1 est le taux de croissance global de la dépense moyenne de la population entre t -1 et t.
Si la courbe de Lorenz L reste invariante entre t-1 et t (c’est-à-dire qu’il n’y a aucun changement au niveau de l’inéga-
lité) alors gt(p) = γt. Ceci veut dire que la fonction gt est constante sur l’intervalle [0, 1]. Les dépenses de tous les quan-
tiles évoluent au même taux de croissance γt. Par contre, si gt(p) > γt alors le rapport yt (p) / μt est croissant dans le
temps, ce qui veut dire que la dépense du quantile p croît à un rythme plus élevé que le rythme de croissance de la
dépense moyenne de toute la population. Si la courbe représentative de la fonction gt(p) est partout décroissante alors
la croissance enregistrée est favorable aux pauvres et l’inégalité décroît entre t i 1 et t. Si elle est partout croissante
c’est évidemment l’inverse et l’inégalité augmente entre les deux dates. Si les valeurs de gt(p) sont toutes positives,
c’est-à-dire pour toute valeur de p (gt(p) > 0), il y a une dominance stochastique de premier ordre de la distribution de
dépense Y en t par rapport à celle en t-1. L’inverse est vrai si toutes ces valeurs sont négatives (gt(p) < 0) pour toute
valeur de p. Moyennant des calculs arithmétiques usuels, les résultats que l’on peut déduire en termes de taux de
croissance globaux peuvent être retrouvés en terme de taux annuels moyens.
Selon cette approche, pour dire qu’une croissance économique est favorable aux pauvres, il ne suffit pas
de regarder le taux de croissance de la dépense moyenne ni même celui de la dépense moyenne des
pauvres. Un examen de l’allure des courbes d’incidence de la croissance s’impose. C’est ce que nous propo-
sons ici sur les données des deux ENNVM 1990-91 et 1998-99 du Maroc pour les niveaux national, urbain et
rural 1.
Niveau national
Sur les huit années qui séparent les deux enquêtes utilisées, et à partir des données brutes, il ressort que
le taux de croissance moyen de la dépense moyenne par tête (γt de l’encadré 2) au niveau national est égal à
-2,16 %. Pour la dépense médiane, ce taux est de -2,08 %. Toutes les valeurs de la fonction gt(p) sont néga-
tives (gt(p) < 0), il y a donc et sans équivoque plus de pauvreté en 98-99 qu’en 90-91.
La courbe d’incidence de la croissance (CIC) du niveau national n’est pas monotone. Les taux de crois-
sance moyens les plus élevés ont été enregistrés pour des quantiles inférieurs à 40 %. Ainsi, et au niveau
national on peut dire que la croissance négative en termes réels a été moins grave pour les plus pauvres en
général. Les classes qui auraient le plus souffert de ce fait seraient celles entre les quantiles 40 % et 80 %
en particulier. Celles qu’on appellerait les classes moyennes ( ! ?).
1. Tous les calculs et graphiques sont produits à l’aide d’un programme que nous avons écrit sous le logiciel Stata et qui s’exécute directe-
ment sur les données des fichiers brutes des deux enquêtes.
34
Graphique 1 : Courbe d’incidence de la croissance entre 1990-91 et 1998-99 (Niveau national)
Milieu urbain
Comme on peut s’y attendre, l’histoire rapportée au niveau national n’est pas du tout la même, lorsque
l’analyse est conduite selon le milieu de résidence. En effet pour le milieu urbain, ce sont les pauvres qui ont
enregistré les taux de croissance les plus élevés quoique négatifs. Les individus des quantiles supérieurs à
70 % s’en sortent aussi bien avec des taux négatifs mais supérieurs à ceux enregistrés par les quantiles de la
classe moyenne.
35
Graphique 2 : Courbe d’incidence de la croissance entre 1990-91 et 1998-99 (milieu urbain)
Milieu rural
La CIC du milieu rural a une forme qui ne peut être inférée de celles des courbes du niveau national, du
milieu urbain ou même des deux à la fois. En effet, son allure est presque l’inverse de celle du milieu urbain
par exemple. Elle est en forme de U inversé et donc concave. Les plus pauvres et les plus riches du milieu
rural sont ceux qui ont enregistré les taux les plus faibles. Les classes moyennes du milieu rural, contraire-
ment à celles du milieu urbain, semblent s’en sortir relativement mieux, bien que les taux de croissance
qu’elles ont enregistrés restent aussi négatifs.
36
Graphique 3 : Courbe d’incidence de la croissance entre 1990-91 et 1998-99 (milieu rural)
En conclusion, il ressort que les taux de croissance négatifs en termes réels, qui ont été enregistrés entre
les deux enquêtes 90-91 et 98-99, ont constitué la variable la plus déterminante dans l’explication de l’évolu-
tion de la pauvreté au Maroc entre ces deux dates et ce pour les deux milieux (urbain et rural). Une analyse
un peu plus profonde fait ressortir que les classes qui ont le plus subi ce phénomène sont les classes
pauvres du milieu rural et les classes moyennes du milieu urbain. L’évolution négative de la répartition s’est
plus manifestée en milieu rural qu’en milieu urbain entre les deux enquêtes. Des comparaisons similaires uti-
lisant les données de l’enquête sur les dépenses et la consommation 2000-01 seraient aussi très intéres-
santes.
Bien que l’inégalité et la pauvreté soient des concepts distincts à tous les niveaux, ils ne restent pas moins
liés dans presque toutes les analyses relatives au bien-être de la population. En effet, ces deux phénomènes
sont généralement simultanément évoqués et étudiés sur une ou plusieurs variables d’intérêt observées sur
une population.
L’inégalité rend compte des positions relatives des individus d’une population, alors que la pauvreté rap-
porte leurs positions absolues. De façon générale, les approches et les mesures de la pauvreté se
concentrent sur la situation des individus qui se trouvent à « gauche » de la distribution ou encore en « bas
de l’échelle ». Les approches et les mesures de l’inégalité considèrent quant à elles la population dans son
ensemble.
37
5.1. Le cadre théorique
Pour situer théoriquement les préoccupations générales des débats autour de l’évolution de l’inégalité
dans les pays en développement, surtout la relation de celle-ci avec la croissance et la pauvreté, il convient
de dire que plusieurs questions importantes se posent. On se demande en effet d’abord, si la croissance
économique dans un pays en développement se traduit-elle par une distribution de revenus plus ou moins
inégale et par plus ou moins de pauvreté ? Les taux de croissance économique enregistrés sont-ils plus
faibles ou plus élevés lorsque l’inégalité et la pauvreté sont plus grandes ? L’inégalité et la pauvreté baissent-
elles à partir d’un certain niveau de revenu moyen ou de dépense moyenne par habitant ?
Une première base théorique de réponse à certaines de ces questions fût l’hypothèse bien connue de Kuz-
nets (Prix Nobel d’économie en 1971). Selon celle-ci, à des niveaux de revenu par habitant faibles, l’inégalité
entre les individus d’une population commence par augmenter et s’accentuer à mesure que le revenu moyen
par habitant augmente. Cette inégalité diminue par contre lorsque le niveau de développement, mesuré par
le revenu par tête par exemple, atteint un seuil plus avancé. Cette description fait de la relation entre le
niveau de revenu moyen par habitant et la mesure de l’inégalité dans la distribution des revenus une fonction
croissante puis décroissante (une forme de U inversé). Cette forme s’explique à partir des conditions géné-
rales de croissance économique et de migration d’un milieu rural pauvre, à revenu moyen faible et à inégalité
réduite dans un milieu urbain moins pauvre, à revenu moyen plus élevé et à inégalité plus grande.
Les niveaux de l’inégalité et de son évolution dans une population ou encore entre les sous-groupes sont
naturellement importants. Les analyses sur l’inégalité et les indicateurs sur lesquels elles se basent, sont par-
fois et pour certaines circonstances, plus importants que ceux relatifs à la pauvreté. Certaines de ces
mesures sont élémentaires et simples, d’autres sont par contre plus complexes. Elles peuvent se calculer
sur différentes variables statistiques (généralement continues) comme le revenu, la dépense ou encore la
consommation.
Là aussi, en l’absence de données statistiquement fiables sur la distribution du revenu au Maroc, ce sont
les informations sur la même variable monétaire que celle utilisée pour calculer et rapporter les mesures de
la pauvreté qui sont utilisées. Ce sont donc les données sur les dépenses de consommation des ménages
qui sont exploitées pour se faire une idée sur les niveaux et sur l’évolution de l’inégalité au Maroc depuis
l’indépendance.
Ainsi, il ressort par exemple que la part dans les dépenses de consommation des 10 % des ménages les
plus pauvres de la population est passée de 3,3 % à 1,2 % entre 1960 et 1971 alors que celle des 10 % les
plus riches est passée de 25 % à 37 % durant la même période. Ceci veut dire que durant la première décen-
nie de l’indépendance, l’inégalité a fortement augmenté au Maroc. Plusieurs explications économiques, mais
aussi extra économiques, peuvent être avancées pour expliquer une telle évolution pendant cette période.
En 1984-85, la part des dépenses des 10 % des ménages les plus riches s’élevait à plus de 30 % contre
moins de 2 % pour les 10 % les plus pauvres. Autrement dit la part des 10 % les plus riches est plus de 15
fois celle des 10 % les plus pauvres. Pour la même enquête (1984-85) et pour les mêmes déciles, le rapport
entre les dépenses moyennes a été de 7 environ. En effet, si la dépense moyenne annuelle entre les 10 %
des ménages riches a été de 41711 DH, celle-ci n’a été que de 6081 DH entre les 10 % les plus pauvres.
Il faut remarquer aussi qu’entre 1970-71 et 1984-85 et selon ces résultats, l’inégalité a plutôt baissé. En
effet la part des 10 % des ménages les plus pauvres est passée de 3,3 % à 1,2 % et à 1,9 % contre une évo-
38
lution de 25 % à 37 % et à 30 % pour les 10 % des ménages riches pour les années 1960, 1970-71 et
1984-85 respectivement. En guise d’explication rapide du fléchissement de l’inégalité entre 1970-71 et
1984-85 on peut avancer le semblant début de constitution ou de renforcement relatif d’une classe qu’on
peut qualifier de moyenne durant les années 70 et au début des années 80. En effet, c’est pendant cette pé-
riode que le fonctionnariat et le salariat se sont le plus développés donnant naissance au noyau de cette
classe.
Lorsque l’analyse est faite selon le milieu de résidence, les mêmes constatations sont enregistrées mais
les inégalités sont nettement plus prononcées en milieu urbain. Par contre, et ayant à l’esprit le fait qu’il
s’agit bien d’une mesure de bien-être, il est frappant de relever que la dépense moyenne des 10 % des
ménages les plus riches du milieu urbain du pays est presque 10 fois (9,75 fois) celle des 10 % des ménages
les plus pauvres du milieu rural. On peut ainsi imaginer et se faire une idée sur la valeur de l’étendue de la
distribution des dépenses ou encore sur le rapport entre les valeurs extrêmes de cette mesure du bien-être
et rapprocher le tout aux différents concepts de solidarité dont on pourrait parler...
À partir des résultats de l’ENNVM 1998-99, et toujours sur la base des dépenses par ménage, il ressort
aussi que les 10 % des ménages les plus aisés de la population se partagent 28,8 % de la masse totale des
dépenses alors que les 10 % les plus pauvres ne détiennent que 2,6 % de cette masse. L’inégalité en
matière de dépense ne semble donc pas se réduire avec le temps entre les ménages marocains. Pire
encore, entre les deux enquêtes (1990-91 et 1998-99) les 20 % les plus riches de la population ont amélioré
leur part relative dans la dépense totale (+ 1,5 points) au détriment des couches pauvres (- 1,7 points). Il est
donc clair que la part de la consommation des pauvres de la population a été négativement affectée par les
divers chocs et par les différentes politiques économiques entreprises. Les deux tableaux 6 et 7 illustrent ce
fait.
Lorsque une mesure plus élaborée, comme l’indice Gini, est calculée pour mieux rendre compte de l’iné-
galité en matière dépense en 1984-85, cet indice ressort égal à 0,408 pour l’ensemble des ménages maro-
cains et prend les valeurs de 0,412 et 0,364 entre les ménages des milieux urbain et rural respectivement. La
situation ne s’est que faiblement améliorée en 1990-91. En effet le même indice ressort avec des valeurs
égales à 0,382 pour le milieu urbain, 0,312 pour le milieu rural et 0,392 pour l’ensemble de la population. La
situation est restée pratiquement la même en 1998-99 avec des indices de valeurs respectives de 0,378
(urbain) 0,316 (rural) et 0,395 (ensemble). Ces chiffres témoignent de la stabilité de cette mesure d’inégalité
entre 1990-91 et 1998-99 et de son niveau élevé au Maroc.
39
Tableau 7 : Évolution de l’indice d’inégalité de Gini
À partir de tous ces chiffres, il est clair que les divers chocs et les différentes politiques économiques pour-
suivies ou subies pendant les dernières décennies ont probablement eu un effet négatif, du moins pas nette-
ment positif, sur les parts relatives des consommations des pauvres. En effet, comme les réformes fiscales
mises en place pendant les deux dernières décennies ont renforcé l’imposition indirecte et comme ce type
d’imposition alimente sans détour l’inflation en augmentant, ne serait-ce que faiblement, les prix des biens
consommés, les ménages pauvres déjà défavorisés et vulnérables ont certainement dû supporter une part
du fardeau supplémentaire et leur pouvoir d’achat aurait diminué.
Comme on peut l’imaginer, l’inégalité au Maroc ne se manifeste pas seulement dans la seule mesure
monétaire représentée par les dépenses de consommation. Elle se retrouve dans tous les domaines de la vie
quotidienne des ménages. L’analyse de certains indicateurs sociaux, selon les classes de dépense (déciles
ou quintiles), illustre nettement ce fait.
En matière d’accès à l’éducation, selon les résultats des deux ENNVM de 1990-91 et 1998-99 par
exemple, et comme nous l’avons précisé lors de la présentation du profil de la pauvreté au Maroc, il ressort
que le taux d’alphabétisation entre les 20 % des ménages les plus pauvres de la population du milieu rural
n’est que de 22 % (1990-91) alors qu’il remonte à presque 73 % entre les 20 % les plus riches du milieu
urbain. En 1998-99 la situation n’est guère meilleure. Ces mêmes taux ressortent en effet avec les valeurs
respectives de 27 % et 75 %. Ceci en dit long sur l’inégalité face à l’alphabétisation et sur les causes pro-
fondes de la pauvreté du milieu rural et aussi sur les sources d’alimentation de l’exode rural.
L’analyse des écarts entre les deux milieux, en matière d’accès aux services de santé, fait ressortir des
chiffres au moins aussi grands que ceux enregistrés pour l’éducation. La faiblesse de l’accès des pauvres aux
services de santé s’explique par plusieurs facteurs dont l’absence d’une couverture médico-sociale. Si
celle-ci est faible au niveau national (moins de 15 %) elle l’est davantage pour les populations du milieu rural
(moins de 4 % contre 22 % en milieu urbain). Entre les classes de dépense, les écarts entre ces taux sont
alarmants voir scandaleux ; moins de 1,5 % des 20 % des ménages les plus pauvres ont une couverture
médico-sociale contre plus de 40 % pour les 20 % des ménages les plus aisés. À ce niveau, en poussant un
peu loin le raisonnement rien que pour montrer l’importance vital de ce secteur et des inégalités au niveau de
son accès, on dira qu’au Maroc il y a une inégalité dans le combat face à la maladie et donc face à la mort
entre les riches et les pauvres...
Toujours en matière de santé, le problème se pose même en matière d’équité. En effet, lorsqu’on sait que
les 20 % des ménages les plus riches bénéficient des deux tiers des soins paramédicaux, de plus de 40 %
40
des nuitées d’hôpital, et de plus du quart des consultations médicales en externe alors que les 40 % des
ménages défavorisés n’utilisent que moins de 20 % des services de soins pris en charge par les services
publics du Ministère de la santé, on est en droit de s’interroger sur l’affectation du budget de ce Ministère
malgré sa faiblesse.
Un autre niveau où l’inégalité est très frappante au Maroc est celui de l’habitat. Le statut d’occupation des
logements ainsi que leur qualité au sens de la salubrité, sont, pour des raisons historiques et sociales, des
indicateurs exhaustifs du bien-être des ménages. Le type de logement a en effet toujours été une très bonne
variable de stratification en milieu urbain comme en milieu rural. À travers des indicateurs sur le statut
d’occupation et surtout sur la salubrité du logement, une bonne identification de la strate pauvre de la popula-
tion serait même possible.
Posséder un logement semble donc être, du moins a priori, une variable binaire de discrimination entre les
pauvres et les non-pauvres d’une population. Cependant, le traitement de l’information disponible dans les
différentes enquêtes pour cette caractéristique montre que ce fait ne trouve pas d’appui empirique pour le
cas du Maroc. En effet, il semble même que le désir de posséder un logement (de n’importe quelles nature
ou qualité) l’emporte largement chez les ménages pauvres. C’est ainsi que la répartition des ménages selon
le statut d’occupation des logements montre qu’au niveau national, la proportion des propriétaires dépasse
presque toujours les 60 %. Elle est beaucoup plus élevée pour les 20 % des ménages les plus pauvres que
pour les 20 % les plus riches et ceci pour les deux milieux de résidence.
À cause de ce fait, le statut d’occupation ne peut pas être retenu comme base de discrimination entre les
pauvres et les non-pauvres selon l’habitat au Maroc. Le recours aux caractéristiques du logement et à ses
éléments de confort s’avère alors incontournable dans ce contexte. Et c’est exactement dans ces caractéris-
tiques que les grandes inégalités apparaissent entre les ménages marocains.
Ainsi, la surface du logement, le nombre de pièces habitées ou encore le nombre de personnes par loge-
ment ou par pièce sont autant d’indicateurs généralement utilisés pour rendre compte du niveau de satis-
faction tiré d’un logement. La disponibilité, à l’intérieur de chez soi, d’un minimum de confort fait aussi partie
d’une définition d’un habitat salubre. En effet, avoir un accès même commun à de l’eau potable, à des ser-
vices sanitaires et d’hygiène corrects, à une source d’éclairage convenable sont des éléments de base d’un
bien-être.
Pour le milieu urbain où c’est significatif, le nombre de pièces dans le logement habité par le ménage est
une donnée assez révélatrice des inégalités. En effet, pour ce milieu, selon les enquêtes, entre 75 % et 80 %
des ménages de la première classe (les 20 % les plus pauvres) habitent dans des logements de moins de 2
pièces. Cette proportion ne dépasse généralement pas les 50 % pour la cinquième classe. Cette caractéris-
tique est peu informative en milieu rural où les logements sont en général plus grands.
Pour ce dernier milieu par contre une autre caractéristique du logement qui permettrait d’illustrer les inéga-
lités en matière d’habitat serait le type de logement. Les différentes enquêtes montrent en effet que de
larges proportions de ménages marocains du milieu rural vivent dans des maisons de type rural en pisé et
très précaires. Les toits de ces maisons, faits de matériaux primaires, renseignent sur la vie difficile que ces
ménages ont à mener en hiver comme en été et des multiples risques associés.
L’accès à de l’eau potable est incontestablement une condition nécessaire à une vie humaine et à un
niveau de vie acceptable. Une affirmation similaire, certes dans une moindre mesure, peut être faite pour
l’accès à de l’électricité. Au Maroc, malgré les grands efforts de rattrapages des dernières années, l’accès à
ces deux sources de bien-être se fait encore de façon très inégale entre les populations urbaines et rurales et
parfois même entre les populations urbaines. Ce fait nous semble assez clair et évident qu’il est inutile de
l’illustrer avec des chiffres. Juste pour en donner une idée, à la fin du 20è siècle, et selon l’ENNVM de
1998-99, le pourcentage des ménages raccordés à de l’eau potable du réseau ou même à des bornes fon-
41
taines en milieu rural est inférieur à 12 %. Ce taux moyen est certainement inférieur pour les classes les plus
pauvres. En milieu urbain, et toujours pour la même année, ce taux est d’environ 90 %. Il y a clairement une
inégalité d’accès à l’élément de base de la vie : l’eau potable. Les taux pour l’accès à de l’électricité sont
aussi dans des ordres comparables : 15,6 % en milieu rural contre 86,1 % en milieu urbain.
Globalement, il ressort de l’analyse des principaux résultats de toutes les enquêtes disponibles que l’inéga-
lité, en matière de dépenses de consommation, tout comme la pauvreté monétaire, et aussi en matière
d’accès aux services prioritaires en matière de bien être, est restée élevée et plutôt stable entre les ménages
marocains durant les cinquante dernières années.
Depuis pratiquement une quinzaine d’années, et sous l’impulsion particulière de certaines organisations
des Nations-unies, dont le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), les deux concepts
de développement humain et de pauvreté humaine, ainsi que leurs mesures respectives, ont largement
occupé la seine des analyses appliquées en matière de développement. En fait, ces deux concepts sont nés
et mis de l’avant pour souligner la nécessité de concevoir, de promouvoir et de mettre en place de nouvelles
orientations de développement. Celles-ci doivent en particulier être centrées sur l’être humain et ses besoins
et avoir comme objectif explicite la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes.
Ainsi et pour suivre les évolutions dans le temps en matière de développement humain, mais aussi pour
comparer les niveaux des différents pays, le PNUD a adopté plusieurs indicateurs composites. Les plus
connus et les plus utilisés sont l’Indicateur de développement humain (IDH) et l’Indicateur de la pauvreté
humaine (IPH-1).
L’IDH synthétise, selon une moyenne arithmétique pondérée, le taux d’alphabétisation des adultes, le taux
brut de scolarisation (tous les niveaux confondus), l’espérance de vie à la naissance et le PIB réel ajusté par
habitant (exprimé en parité de pouvoir d’achat).
Mis en place en 1997, l’IPH-1 se concentre quant à lui sur les mêmes domaines que l’IDH mais du côté du
dénuement en matière socio-économique. Sa base théorique se trouve être la pauvreté en matière « des
capacités et des fonctionnements » introduite par Sen. Il s’attache à approcher les déficits enregistrés sur les
trois mêmes espaces de l’existence humaine. Moins connu et moins utilisé que l’IDH, il est aussi une sorte
de moyenne de certaines variables. Les grandeurs qui sont intégrées dans son élaboration sont l’insuffisance
en matière de longévité, en matière d’espérance de vie ( % de la population risquant de décéder avant
40 ans), le manque d’instruction ou la proportion d’adultes analphabètes (taux d’analphabétisme des adultes)
et le dénuement économique mesuré par l’absence de conditions de vie décentes ( % d’enfants de moins de
cinq ans souffrant d’insuffisance pondérale modérée ou aiguë). Pour son calcul, et pour permettre des
comparaisons pertinentes, une distinction entre les pays en développement et ceux développés est intro-
duite.
Avec ces deux indicateurs, et surtout avec l’IPH-1, le PNUD cherche en fait à promouvoir son approche de
développement humain en matière de lutte contre la pauvreté. C’est une approche plutôt globale, plus large
que la lutte contre la pauvreté monétaire et se concentre plus sur la satisfaction collective des besoins
essentiels des populations les plus défavorisées.
Malgré les critiques méthodologiques et statistiques auxquelles ils sont soumis et sur lesquelles nous ne
reviendrons pas ici, ces deux indicateurs sont les plus utilisés dans ce contexte. Cette section cherche à
42
retracer principalement l’évolution de ces indicateurs ou de leurs composantes au Maroc. Elle se base sur les
différents rapports mondiaux et ceux nationaux du PNUD sur le développement humain.
Le Maroc, comme presque tous les pays en développement, s’est évidemment inscrit dans le processus
lancé par le PNUD et ce à plusieurs niveaux. Ainsi, lorsque on évalue la progression de l’IDH dans notre pays
depuis 1960 jusqu’en 2003, il ressort que cet indicateur a évolué à un taux annuel moyen d’environ 2,76 %.
Mais, aussi importants soient-ils, ces taux ont été manifestement trop faibles pour rattraper les déficits
accumulés. Dans les pays à développement humain moyen comme le Maroc, ce taux d’accroissement a été
de plus de 3 % pendant la même période.
Années 1960 1970 1975 1980 1985 1990 1995 1998 1999 2000 2001 2002 2003
IDH 0,198 0,268 0,429 0,478 0,515 0,548 0,579 0,589 0,596 0,603 0,606 0,620 0,631
Depuis que cet indicateur est calculé (de façons courante et rétrospective) le rang mondial du Maroc a
oscillé entre 110 et 130, parmi un nombre de pays variant entre 160 et 180 environ. Avec ces scores, le
Maroc se retrouve derrière presque tous les pays arabes, dans le groupe le plus faible de la classe des pays
dits à développement humain moyen (un IDH entre 0,5 et 0,8). Juste à titre indicatif, il est montré dans dif-
férentes études que particulièrement pour ce groupe de pays, la seule possibilité pour améliorer de façon
efficace le niveau de l’IDH est une croissance économique régulière et soutenue. Ce constat semble tout à
fait consistant pour le cas du Maroc.
Lorsqu’on décline la comparaison en terme de composantes de l’IDH, il ressort que le Maroc enregistre
aujourd’hui un retard à plusieurs niveaux, non seulement vis-à-vis des moyennes mondiales, mais surtout, ce
qui est inquiétant, vis-à-vis des moyennes des pays en développement. Par exemple, en 1998, le taux
d’alphabétisation moyen des adultes dans les pays en développement était de plus de 72 % alors qu’il n’a
été que de moins de 48 % pour le Maroc, soit un écart de 24 points. De part la nature de la caractéristique
qu’il mesure, cet indicateur retrace beaucoup plus les effets d’un héritage que ceux d’une politique actuelle.
Malgré les efforts entrepris et la démographie qui agit naturellement dans le cadre d’une transition démo-
graphique avancée sur cette composante, il semble que celle-ci est l’une des plus difficiles à infléchir pour
notre pays dans la mesure de l’IDH.
Pour le taux brut de scolarisation, tous les niveaux confondus, en 1998, l’écart entre le taux national et le
taux moyen des pays en développement a été d’un peu plus de 12 points (60 % face à 48 % environ). Cet
écart est supérieur à 31 points par rapport à la moyenne mondiale. En principe, avec les efforts en place, ces
écarts devraient baisser. Il faut cependant préciser que le rattrapage souhaité nécessite tout de même plu-
sieurs années sous des efforts soutenus. En effet, tous les pays en développement sont décidés à faire
autant et toute défaillance de notre part risque d’accentuer cet écart ou de le garder constant.
Pour l’espérance de vie à la naissance, grâce à tous les efforts entrepris par le Maroc, mais aussi à cause
des problèmes des autres pays en développement face à certaines maladies qui ont fait baisser les indices
de cette composante, le Maroc a une espérance de vie à la naissance presque 5 ans au dessus de la
moyenne des pays en développement. Les résultas réalisés à ce niveau doivent nous inciter à persévérer et
à être vigilants face justement et entre autres à toutes ces maladies. Notre pays n’est certainement pas à
l’abri...
43
Pour la composante relative au PIB par habitant, mesurée en PPA, et toujours en 1998, pour son potentiel
économique et son dynamisme tous les deux moyens, notre pays se retrouve à la moyenne des pays en
développement (3305 PPA de 1998). Il faut juste signaler que cette valeur est tout juste égale à la moitié de
la moyenne mondiale (6526 PPA de 1998). Dans la course effrénée aux performances économiques, à la
compétitivité, à l’efficacité et à la croissance que connaît le monde d’aujourd’hui, on se retrouve au pied du
mur. Soit on arrive à maintenir au moins le rythme de la croissance moyenne des pays en développement
soit on régresse en risquant de faire baisser nos indicateurs de développement.
Pour l’IPH-1, sa valeur pour le Maroc ressort, bien entendu, élevée pendant les années pour lesquelles les
calculs sont effectués. Pour l’année 1997 par exemple, à cause des insuffisances aux niveaux considérés,
cet indicateur a été de 41,7 %. En l’an 2000, il est passé à 33,1 %, marquant une évolution assez importante
avec une baisse à un taux global d’environ 20 % ou encore à un taux annuel moyen de presque 7,5 %. À titre
de comparaison et pour l’année 2000, ce même indicateur n’a été que de 23,4 pour l’Algérie, 9,4 pour le
Mexique et 4,1 pour le Chili...Notre pays a donc, un long chemin à parcourir dans son processus de rattra-
page.
Par ailleurs à partir des résultats du Rapport de Développement Humain de 2003 du Maroc, et sur le plan
spatial, les mêmes constatations déduites en matière de pauvreté monétaire sont enregistrées. En effet,
selon les valeurs régionales calculées de l’IDH, il ressort que la région rurale la plus favorisée reste en des-
sous de la région urbaine la plus défavorisée. Le constat est sans équivoque, il y a presque « deux Maroc »
celui moyennement développé dans les villes et les quelques grands centres urbains et l’autre comparable, à
tous les niveaux, aux pays les moins avancés ou encore les plus sous développés de la planète.
En outre, certaines régions du pays ressortent toujours les moins bien classées selon cet indicateur, pour
le milieu urbain tout comme pour le milieu rural. En effet et en gros, les régions de la côte atlantique du pays,
qui couvrent les principales villes dynamiques sur le plan économique et qui disposent de tout le potentiel de
développement nécessaire, ressortent avec des indicateurs significativement plus élevés que les autres
régions.
L’analyse ici présentée de l’évolution des deux principaux indicateurs du développement humain (IDH) et
de la pauvreté humaine (IPH-1), depuis que ces indicateurs ont été calculés, montre qu’une grande partie du
pays est loin de toute valorisation économique et sociale qui permettrait son insertion efficace dans les pro-
cessus du développement, de croissance et de mondialisation en cours. Elle est en particulier composée de
notre milieu rural, de certaines zones périurbaines, et même de certaines poches urbaines qui se trouvent
aujourd’hui, cinquante années après l’indépendance du pays, dans un état de pauvreté et de sous développe-
ment et très largement défavorisés.
Ces indicateurs se trouvent renforcés par ceux de la pauvreté monétaire et par ceux de l’inégalité selon
toutes ses dimensions présentées plus haut, pour tracer une image malheureusement plutôt insatisfaisante
de l’état actuel de notre société et de notre pays. Les stratégies et les schémas de développement emprun-
tés dans le passé ont montré leurs limites dans ce sens. Si les objectifs stratégiques du pays sont aussi ceux
d’un développement durable, d’une croissance soutenue, d’une lutte contre la pauvreté sous toutes ses
formes, ces schémas et stratégies doivent-être revus, corrigés et ajustés pour qu’ils soient compatibles avec
ces choix de société.
À titre d’exemple, il est tout à fait clair que la progression positive des indicateurs de développement
économique et social de long terme au Maroc dépend largement des résultats au chapitre de la scolarisation,
de l’instruction et de la lutte contre l’analphabétisme. Comme c’est la femme en général et rurale en parti-
culier qui enregistre le plus grand déficit à ce niveau, la solution pour améliorer ces indicateurs est toute indi-
quée. Il faut promouvoir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en matière de scolarisation,
d’éducation, d’instruction et d’alphabétisation en assurant à tout le monde un accès avec les moindres coûts
directs et d’opportunités.
44
7. À propos des stratégies de lutte contre la pauvreté au Maroc
En termes généraux, une politique efficace de lutte contre la pauvreté doit avoir un impact positif soit sur la
pauvreté monétaire, à travers l’augmentation directe ou indirecte des revenus des ménages, soit sur la pau-
vreté des conditions de vie, par l’amélioration de la satisfaction des besoins de base de la population, soit
enfin sur la pauvreté des potentialités, par l’amélioration de l’accès des ménages aux services de santé,
d’éducation, de qualification et à un savoir faire particulier.
Sur cette base, les stratégies de lutte contre la pauvreté doivent impérativement contenir, soit des projets
de nature économique à retombées directes ou indirectes sur les revenus (créations d’emplois), soit des pro-
jets sociaux (éducation, santé, habitat, ...) soit enfin des projets d’infrastructure (routes, eau, électricité, ...).
Pour ces considérations, l’évaluation objective d’une politique de lutte contre la pauvreté doit simultanément
retenir, selon une optique multicritère, l’ensemble de ces axes.
À défaut de pouvoir procéder ainsi dans ce chapitre, qui n’a pas comme objectif l’évaluation des stratégies
de lutte contre la pauvreté au Maroc, nous présentons de façon assez brève, l’historique et les grands axes
de la stratégie marocaine de lutte contre la pauvreté depuis l’indépendance jusqu’à nos jours.
Au Maroc, il a fallu attendre le début des années 1990 du siècle passé, pour que les responsables
reconnaissent à la fois l’existence et l’étendue du phénomène. C’est seulement pendant ces années que les
pouvoirs publics marocains ont accepté de parler explicitement de pauvreté et d’exclusion sociale. En effet,
c’est suite à la présentation par les institutions internationales de plusieurs résultats très inquiétants sur le
plan social, que les responsables ont pris conscience de la nécessité et de l’urgence de s’intéresser aux
conditions de vie des couches pauvres.
Ainsi, c’est dans l’avant projet du plan de développement économique et social de 1996-2000 que la lutte
contre la pauvreté a été retenue, pour la première fois dans un document officiel, comme une priorité natio-
nale. Depuis, la lutte contre la pauvreté est devenue l’une des préoccupations majeures des pouvoirs publics.
En se basant sur les indicateurs usuels de mesure de ce phénomène, comme ceux repris dans ce chapitre,
les responsables se sont aperçus que la pauvreté est à des niveaux élevés et préoccupants, même compara-
tivement à des pays ayant un niveau de développement similaire. L’évolution générale de l’économie mon-
diale, du contexte macro-économique national et les effets négatifs de certaines politiques économiques
poursuivies devaient être contrés, pour chercher à améliorer le niveau de vie des ménages ou du moins à le
maintenir à son niveau en termes relatifs.
En procédant à une évaluation globale et rapide de l’ensemble des politiques économiques initiées dans ce
sens depuis l’indépendance du pays, il ressort clairement que le Maroc n’a pas réussi à mettre en place une
politique efficace de lutte conte la pauvreté. Celle-ci, tout comme l’inégalité, s’est même accentuée pendant
certaines périodes. En effet, avec le PAS et son package de politiques économiques, le pouvoir d’achat des
couches à revenus limités de la population s’est détérioré au fil des années. En outre, la faiblesse et l’irrégu-
larité de la croissance ainsi que la mauvaise répartition de ses fruits, ne pouvaient qu’augmenter le chômage
et la pauvreté entre les citoyens.
En matière de lutte contre la pauvreté, deux axes d’intervention ont été identifiés. L’un est à caractère
curatif, l’autre est à caractère préventif. Le premier couvre des programmes de court terme, avec des actions
à caractère concret et parfois urgent. Certains de ces programmes ont été mis en place depuis l’indépen-
dance et ont été toujours reconduits et parfois ajustés. Ils ont en fait constitué le noyau de ce qui est devenu
par la suite des filets de sécurité (l’Entraide Nationale, la Promotion Nationale, la Caisse de Compensation,
les Cantines scolaires, ..., etc.). Au fil des années, et malgré leurs divers problèmes, surtout en matière
ciblage, ces programmes ont plus ou moins réussi à toucher une partie assez importante de la population
défavorisée. Au niveau de leur financement, plusieurs de ces programmes ont été appuyés par des apports
d’organisations internationales.
45
À cause du caractère et du type de leurs actions, de leur mauvais ciblage, de leurs modes de fonctionne-
ment et de l’absence de coordination efficace entre autres, plusieurs de ces filets de sécurité sont
aujourd’hui de plus en plus remis en cause. L’objection la plus solide dans ce contexte veut que l’aide à la
production doit l’emporter sur l’aide à la consommation. Autrement dit, l’aide qu’il faut apporter aux pauvres
doit viser plus le long terme que le court terme en favorisant leur intégration complète et durable dans l’acti-
vité économique au lieu de leur assurer un complément de revenu conjoncturel ou un transfert de court
terme.
Le second axe d’intervention est justement constitué de toutes les actions de plus long terme qui forment
ce que l’on peut appeler la politique de développement économique et social. En fait la mise en place des
grandes lignes de cette politique a commencé au lendemain de l’indépendance du pays. Elle a continué à
prendre forme avec les différents plans de développement économique et social. Certes, au début et pour
longtemps, l’objectif n’a pas été explicitement la lutte contre la pauvreté. Celle-ci était considérée comme un
phénomène résiduel qui serait amené à disparaître au fur et à mesure que le pays se développe.
En effet, les autorités marocaines avançaient et s’appuyaient et pour longtemps sur l’adage « privilégier les
équilibres économiques, le social suivra... ». Selon elles, la réalisation de taux de croissance élevés devrait se
répercuter sur les pauvres et impliquerait de façon automatique la baisse de la pauvreté. Le temps et l’expé-
rience ont montré que cette stratégie ne fonctionnait pas, et ne pouvait pas fonctionner dans le cadre de la
lutte contre la pauvreté.
Le contenu des politiques et des actions entreprises avait certes des composantes qui, appuyées par
d’autres, réduiraient la pauvreté. Il s’agit des objectifs de croissance économique ambitieux de certains
plans, des déploiements des ressources publiques pour faire face aux besoins de la population en matière
d’alimentation, de santé, d’éducation, d’habitat et d’équipements collectifs.
Jugées ex-post, et jusqu’à un certain niveau, ces politiques ne semblent pas avoir été bien conçues et
encore moins bien menées. En effet, et en termes généraux, dans le contexte de grande pauvreté que
connaissait le pays au lendemain de l’indépendance, il a été utopique de croire que la croissance économique
à elle seule pouvait répondre aux besoins du développement et de lutte contre la pauvreté. Très en retard,
cette insuffisance est maintenant bien reconnue, le sort des pauvres du pays ne peut plus être laissé au seul
processus, combien volatile et aléatoire, de la croissance économique.
Par la suite, et depuis un peu plus d’une décennie maintenant, une réorientation de la politique de déve-
loppement économique et sociale a été opérée. Déjà au niveau du discours, les mots pauvreté et exclusion
sociale ont remplacé ce qui était dit dimension sociale de l’ajustement. Plus concrètement, des politiques
spécifiques de lutte contre la pauvreté, au moins au niveau des intentions, ont vu le jour. Les pressions inté-
rieures et le contexte international ont favorisé l’émergence et l’usage de nouveaux concepts. Une nouvelle
ère est née en la matière.
Pour concrétiser cette tendance, les pouvoirs publics marocains ont élaboré et mis en place une stratégie
de développement social (SDS). Elle avait comme objectif déclaré la réduction de la pauvreté, notamment en
milieu rural. C’était là une reconnaissance plus qu’explicite de son existence. Cette stratégie, qui se voulait
intégrée, s’articule autour de plusieurs axes. En effet trois principaux angles d’attaque ont été identifiés ; un
angle de nature économique, un autre de développement du capital humain et un troisième d’assistance
sociale directe aux populations démunies. Ces trois axes ont souvent été perçus de façon complémentaire.
L’axe économique de cette SDS considère que la véritable lutte contre la pauvreté à long terme passe par
une croissance économique forte et soutenue, couplée avec une répartition plus équitable de ses retom-
bées. Cette croissance était supposée aider directement, au moins en partie, les pauvres à travers les nou-
velles opportunités d’emplois et des revenus générés, mais aussi indirectement puisqu’elle permet au
gouvernement de financer les programmes de lutte contre la pauvreté.
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L’axe développement du capital humain met de l’avant le fait que la vraie lutte contre la pauvreté dépend
de la mise en valeur de ce dernier à travers l’accès des populations, celles défavorisées en particulier, aux dif-
férents services sociaux de base et à toutes les infrastructures. L’objectif de long terme vise le renforcement
des capacités des populations à générer des revenus durables qui aident à échapper à la pauvreté.
Pour l’axe de l’assistance sociale des pauvres, il est le plus visible pour la population mais au même temps
le moins efficace à long terme. Pour éviter que cette assistance n’incite à la dépendance, source d’une plus
grande vulnérabilité dans le futur, la stratégie de lutte contre la pauvreté ne retient ce type d’interventions
que pour des sous strates spéciales de la population défavorisée : les enfants abandonnés ou sans familles,
les personnes âgées sans soutien, les mères de familles sans ressources régulières, les sans abri, les per-
sonnes handicapées inactives, etc.
Les trois axes de la stratégie de lutte contre la pauvreté se sont déclinés en plusieurs mesures et actions.
Certaines, d’ordre structurel, visaient principalement l’amélioration de l’accès des populations pauvres
actives à des emplois et à des ressources productives. Un deuxième groupe de mesures cherche à renforcer
et à améliorer le niveau de ciblage des différents filets de sécurité mis en place pour venir en aide aux
pauvres. D’autres, plus macroéconomiques, cherchaient à rationaliser les dépenses publiques sociales en
essayant de les infléchir en faveur des secteurs sociaux.
Sur le plan pratique, un comité a été chargé de définir et d’arrêter les programmes de développement et
de donner les orientations nécessaires aux plans d’action. Un premier programme de priorités sociales a été
alors conçu, c’est ce qui a été appelé BAJ1. Dans celui-ci, les 14 provinces les plus pauvres, selon un certain
nombre de critères, ont été retenues pour bénéficier de trois projets intégrés : l’éducation de base, la santé
de base et les actions de la promotion nationale.
Depuis la mise en place de cette SDS, la tendance s’est accentuée et s’est traduite par un renforcement
des actions de lutte contre la pauvreté. Les secteurs sociaux ont été placés au centre des priorités, même
sur le plan budgétaire. Les actions les plus récentes en la matière, mais dont l’efficacité est encore difficile à
juger aujourd’hui sont :
– la création de l’Agence de Développement Social (ADS) (1999/2000) qui a pour mission la contribution à
l’amélioration durable des conditions de vie des populations les plus vulnérables ;
– la mise en place du Fonds Hassan II qui se charge d’améliorer l’habitat social, les infrastructures rou-
tières, les projets d’irrigation, le secteur touristique, le sport et la culture, les projets de micro crédits, ... ;
– pour le long terme, l’adoption et la mise en place de la réforme de l’enseignement ;
– l’adoption en 1998 de la loi sur le mode de fonctionnement des structures financières impliquées dans le
micro-crédit (pratique qui existait déjà depuis le début des années 90 du siècle précédent).
L’examen détaillé de la SDS, son impact réel sur la pauvreté, ses points forts et ses points faibles est un
exercice nécessaire et d’une grande importance. Des études ont été lancées dans ce sens. Nous considé-
rons que l’objet plus général de ce chapitre ne couvrirait pas une telle analyse.
Par contre et juste pour savoir où en est aujourd’hui, il nous semble intéressant de signaler rapidement les
aspirations en la matière du dernier Plan du développement économique et social (2000-2004). Prudent,
celui-ci n’a pas explicitement fixé de valeurs cibles aux différents indicateurs de développement humain ou
de pauvreté. Il a cependant préconisé une politique sociale dans ce sens. Il ressort en effet que l’objectif de
rattraper les retards enregistrés à ces différents niveaux est toujours présent. C’est à la fois une reconnais-
sance claire de l’existence de ces retards et une ambition déclarée pour les réduire.
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Les objectifs adoptés en matière de stratégie de développement reviennent encore aujourd’hui sur la
nécessaire valorisation des ressources humaines, via une réforme profonde du système de l’enseignement
et de la formation, avec une mention particulière à la lutte contre l’analphabétisme et à la généralisation de
l’enseignement fondamental. Cet objectif cadre bien avec les indicateurs de lutte contre la pauvreté à long
terme et avec l’amélioration des deux indicateurs de développement humain usuels (IDH et IPH).
La promotion des autres composantes du développement social fait aussi partie des objectifs de ce der-
nier Plan de développement. À travers la recherche d’une satisfaction plus large des besoins essentiels des
populations et en visant l’élargissement de la protection sociale et la réduction des disparités, ce Plan est une
suite naturelle de la SDS. À cet égard, une stratégie intégrée de développement social devrait être mise en
ouvre.
En matière de mesure de bien être et de son amélioration, le Plan se fixait comme objectif une aug-
mentation de la consommation par tête au rythme de 2,6 % par an entre 2000 et 2004. Les premiers chiffres
montrent que cet objectif ne serait pas atteint. On estime en effet ce taux à quelque 1,8 %. Ce taux aussi
faible, et qui n’est qu’une moyenne, ne permet pas de combler la baisse en termes réels enregistrée pour la
même grandeur durant les années 90. En plus, comme ce ne sont pas généralement les ménages pauvres
qui bénéficient le plus de la croissance, il est vraisemblable que l’effet sur la pauvreté ne peut être que margi-
nal et que l’inégalité peut encore augmenter. Des analyses plus raffinées dans ce sens, et qui font principale-
ment le lien entre les taux de croissance économique et les indices de pauvreté et d’inégalité à travers des
élasticités, sont à conduire pour essayer de prédire l’évolution future de ces deux phénomènes pour les
années à venir.
En matière de recommandations pour mettre en place des stratégies efficaces de lutte contre la pauvreté,
il faut reconnaître que l’essentiel de ce que l’on peut avancer en la matière a été dit et écrit sur les plans théo-
rique et des discours depuis déjà quelques années. Le Plan de développement économique et social de
2000-2004 et ses objectifs en sont des exemples. Notre apport ici n’est en fait qu’un rappel et une synthèse
des stratégies déjà proposées. Cependant, au niveau des actions concrètes beaucoup reste à faire.
Ainsi, il est aujourd’hui admis que toute stratégie en matière de lutte contre la pauvreté doit être plurielle et
intégrée. Elle doit prendre en considération les caractéristiques essentielles du profil de la pauvreté et de son
évolution au Maroc. Il est aussi clair que toutes les actions à mettre en place doivent être beaucoup plus
ciblées sur les « vrais » pauvres, que ça soit sur le plan spatial ou encore sur les groupes véritablement défa-
vorisés.
Les analyses effectuées sur les systèmes d’assistance sociale en place ont montré que plusieurs parmi
eux sont défaillants et très mal ciblés. La distribution des dépenses sociales qu’ils opèrent avantage plus les
populations des villes, les groupes sociaux plutôt moyens et pas suffisamment les populations pauvres. Il est
cependant probablement vrai aussi que puisque ces systèmes fonctionnent de la sorte, ces populations
« urbaines » et « moyennes » ne sont justement pas pauvres. Toujours est-il qu’un suivi et un reciblage de
ces dépenses doivent s’effectuer de façon régulière pour corriger les différentes distorsions et erreurs, inévi-
tables en la matière, pour augmenter leur efficacité.
Il faut cependant souligner un danger, lorsqu’il s’agit de corriger de telles erreurs de ciblage dans les diffé-
rents filets de sécurité. Il est en effet connu que lorsqu’on cherche à améliorer le ciblage d’un programme de
lutte contre la pauvreté pour un coût donné on fait généralement face à deux types d’erreurs. Les erreurs
dites « de type 1 » sont celles commises lorsque des pauvres sont visés mais ne sont pas atteints. C’est le
cas des programmes d’aides très étroits. Les erreurs dites de « de type 2 » sont celles qui découlent du fait
que des individus non ciblés, de classes moyennes ou riches, se trouvent bénéficiaires des programmes mis
en place. C’est le cas des systèmes à ciblage large comme la subvention universelle de certains produits de
base. Essayer de minimiser les deux types d’erreurs est bien entendu souhaitable. Cependant échapper aux
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erreurs de « de type 2 » risque d’avoir les répercussions négatives sur les populations initialement visées et
qui bénéficient effectivement du programme en place. À ce niveau, pour le cas du Maroc, il convient de pro-
céder, et avec beaucoup d’attention, à une étude minutieuse et au cas par cas de l’ensemble des pro-
grammes en place.
En matière d’évaluation de l’action publique de lutte contre la pauvreté, un constat tout à fait négatif fait
état de la très mauvaise coordination entre les différents programmes et institutions qui interviennent dans
ce domaine et d’une grande dispersion des efforts. Cette dispersion et ce manque de coordination ont porté
atteinte à l’efficacité de plusieurs de ces programmes. Par ailleurs, il semble que la non participation directe,
au moins partielle, des populations cibles à la conception ou à la mise en place de certains programmes fait
que leur rendement reste largement en dessous des attentes.
Pour assurer des chances de réussite plus grandes aux stratégies de lutte contre la pauvreté, celles-ci
doivent être conçues sur la base des besoins prioritaires des populations cibles. En effet, et selon les dif-
férentes investigations, il ressort que les besoins et les priorités des populations ne sont pas du tout les
mêmes dans l’espace. Les préoccupations majeures des populations rurales en général, celles qui sont les
plus pauvres en particulier, sont de nature beaucoup plus basiques que celles des ménages urbains pauvres.
Alors que les premières désirent voir améliorés leurs accès aux services de santé de base, à de l’eau potable,
à de l’électricité et à des centres d’éducation, les secondes sont préoccupées par d’autres éléments du bien-
être, plus spécifiques au milieu urbain.
Relativement à la correction des déséquilibres en matière d’infrastructure communautaire, il est
aujourd’hui clair que la redistribution des priorités en fonction des besoins longtemps insatisfaits est impéra-
tive. Cette redistribution doit prendre en considération les disparités flagrantes enregistrées tout au long des
dernières années pour créer les conditions propices au rattrapage entre les deux milieux pour tout ce qui est
lié à l’infrastructure sociale et physique. Elle reposerait en toute évidence sur une réorientation plus nette des
fonds publics pour lutter contre la pauvreté, ses causes et ses origines.
Les autres infrastructures comme les routes rurales et leur entretien, les barrages et systèmes d’irrigation
avec une gestion plus rationnelle et plus démocratique, la structuration du fonctionnement des souks et des
marchés, sont autant d’opérations qui, chacune toute seule, peut conduire à l’amélioration des conditions de
vie de plusieurs groupes de la population.
Dans un autre ordre d’idées, analysées de plus près, les interventions de lutte contre la pauvreté se sont
caractérisées par une prédominance des actions plus conjoncturelles que structurelles. Ce type d’actions,
même efficace à court terme, reste d’un impact limité à moyen et long termes. Une autre réflexion et une
structuration des actions s’imposent. C’est par exemple le cas en matière de redistribution et de répartition
équitable des revenus et des fruits de toute croissance économique.
L’action de l’État en matière de gestion économique au niveau sectoriel et macroéconomique doit en effet
être réorientée pour favoriser la mise en place et la consolidation d’un système de répartition primaire et
secondaire plus favorable aux pauvres. Il s’agit, entre autres, de mieux identifier et de favoriser les secteurs
porteurs d’une croissance économique qui leur est plus favorable. Ces secteurs peuvent être du ressort de
l’économie formelle classique, de l’économie sociale en trop longue gestation mais qui doit finir par prendre
forme, ou à la limite d’une économe mi-formelle mi-informelle d’un certain type et qui sert de soupape effi-
cace, il faut le reconnaître, face aux problèmes du chômage et de la pauvreté pour une large part de la popu-
lation.
En plus de l’État Central, en tant qu’acteur essentiel et incontournable, un rôle plus clair et plus spécifique
doit-être identifié et assigné à plusieurs autres entités administratives en matière de lutte contre la pauvreté.
En plus d’assurer l’exécution, où elles sont supposées être plus efficaces, les Régions et les Collectivités
locales doivent participer à tout effort concerté de lutte contre la pauvreté et de développement local en
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général. Toutes les composantes actives de la Société civile et même du secteur privé, doivent aussi être
associées, de façon coordonnée et pertinente pour chaque acteur, selon les domaines et les espaces géo-
graphiques d’intérêts respectifs.
Les ressources à mobiliser pour lutter contre la pauvreté sont à chercher en partie dans la lutte aux gaspil-
lages, certaines recettes des privatisations programmées ou encore dans la révision de la subvention généra-
lisée actuellement très mal ciblée.
L’analyse multidimensionnelle des résultats de la première phase de la stratégie de développement social,
qui a été mise en place, doit être utilisée pour réfléchir une nouvelle stratégie plus ambitieuse et plus ciblée
en matière de lutte contre la pauvreté. Ses trois composantes (éducation, santé de base et promotion natio-
nale) doivent être maintenues et renforcées par d’autres mais aussi étendues à d’autres régions du pays.
C’est en fait l’objet de certains projets actuellement en cours en matière de désenclavement du milieu rural,
d’électrification et d’adduction d’eau potable.
La pauvreté peut s’expliquer, on le sait, par plusieurs facteurs entremêlés. La part de l’absence des équipe-
ments dits communautaires et leur mauvaise répartition spatiale a été toujours mise de l’avant au Maroc. Il
est alors évident, qu’en matière de lutte contre la pauvreté, l’accès aux différents marchés est fondamental.
Les marchés dont il s’agit, et qui sont soit absents soit défaillants dans plusieurs régions, sont ceux des
biens, pour agir sur le rôle négatif des intermédiaires, du crédit formel (banque ou associations du micro cré-
dit) dont l’absence oblige les ménages à produire des biens moins rentables, pour faire face aux contraintes
de liquidité ou encore à produire loin en dessous des quantités optimales qui maximisent leurs profits. Pour
les agriculteurs et paysans du milieu rural, la mise en place, avec l’assistance de l’État, d’un système d’assu-
rance ou de micro assurance d’une forme autre que conventionnelle, dans lequel les paysans se retrouvent
et adhèrent et de nature à augmenter l’emploi, à réduire le chômage et la pauvreté en milieu rural.
Malgré les efforts qui ont été entrepris directement ou indirectement et depuis l’indépendance en matière
de réduction de la pauvreté au Maroc, les résultats sont nettement insatisfaisants. En effet, aujourd’hui et à
tout moment, environ un marocain sur cinq est toujours en pauvreté et presque un sur les quatre autres se
trouve en situation de vulnérabilité et de précarité et peut se retrouver pauvre suite à tout choc économique
aussi faible soit-il.
Par ailleurs, le degré de réduction et d’allégement de la pauvreté dépend certes de plusieurs facteurs
imbriqués. Au Maroc et au niveau des programmes publics de lutte contre la pauvreté, et compte tenu des
diverses contraintes budgétaires qui deviennent de plus en plus serrées, il n’y a pas lieu d’espérer une amé-
lioration substantielle des dotations en faveur des secteurs qui s’occupent directement de cette lutte. À
court terme, les recettes budgétaires ne connaîtraient, sous l’effet de plusieurs facteurs, que de faibles aug-
mentations voire des diminutions dans les quelques prochaines années. En effet, avec la baisse des divers
taux d’imposition, la disparition de certaines recettes à caractère provisoire comme celles des privatisations,
la chute progressive des recettes douanières avec l’entrée en vigueur de l’accord d’association avec l’Union
Européenne et de libre échange avec les États-Unis d’Amérique et la libéralisation avancée du commerce
extérieur, la tendance générale serait plutôt à la baisse. Au niveau des dépenses, les choix semblent toujours
difficiles à cause des rigidités de la structure des dépenses et de la part prépondérante de la masse salariale
(qui représente environ 75 % des dépenses courantes hors intérêt pour certaines années) et d’autres postes
incontournables et incompressibles.
50
Dans une telle situation seule une croissance soutenue, à forte intensité de main-d’œuvre, et donc créa-
trice d’emplois, dont les fruits sont équitablement répartis peut réduire la pauvreté au Maroc. C’est là
semble-t-il le seul remède soutenable à long terme. En effet, toutes les études effectuées dans ce sens sou-
lignent le fait que pour réduire la pauvreté au Maroc il est impératif de créer un environnement institutionnel
favorable à une croissance économique soutenue, durable, créatrice d’emplois et suffisamment orientée
vers les pauvres.
Mais ce qui ressort de façon assez claire des données des différentes enquêtes disponibles, c’est la rigi-
dité à la baisse des mesures de la pauvreté monétaire et de l’inégalité au Maroc. Réduire de moitié l’inci-
dence de la pauvreté entre 1990 et 2015, comme le recommandent les Objectifs du Millénaire pour le
Développement semble être une tâche difficile à réaliser en absence de politiques économiques plus volon-
taristes et d’une croissance économique forte régulière et plus ciblée sur les populations pauvres.
Au Maroc, comme dans tous les pays, pour qu’une croissance économique soit durable et soutenue, elle
doit reposer sur un effort d’investissements conséquent. Or, pour que l’investissement atteigne les niveaux
désirés dans notre pays, toutes les réformes économiques structurelles tant attendues doivent être ache-
vées, réalisées et concrétisées, non seulement à travers des textes de lois mais aussi et surtout au niveau
pratique. Certaines de ces réformes devraient faciliter, entre autres, la mobilisation de l’épargne nationale
pour qu’elle soit disponible aux investisseurs mais aussi encourager ces derniers à utiliser les épargnes dis-
ponibles.
En outre, pour que la croissance recherchée et attendue réduise la pauvreté, son niveau doit être suffisam-
ment élevé et doit favoriser les secteurs intensifs en main d’œuvre. En effet une croissance à taux élevés est
indispensable à long terme pour réduire de façon significative les niveaux de pauvreté. La création d’emplois
qui s’en suivrait, au moins à moyen et long termes, et les revenus associés amélioreraient, avec des correc-
tions éventuelles au niveau de la répartition, le niveau de vie de la population.
Cependant, et à cause de la structure de l’économie marocaine et de sa vulnérabilité aux chocs externes
(sécheresse, coût de l’énergie, mondialisation, ..., etc.) il est aujourd’hui difficile de prédire les niveaux de
croissance à venir et encore moins leurs effets sur la pauvreté. Les niveaux historiques moyens enregistrés
pour le taux de croissance sont toujours restés au voisinage de 3 à 4 % ce qui a été insuffisant pour absorber
le chômage, une des principales sources de la pauvreté. Pour le cas du Maroc, des taux de croissance entre
6 et 8 % sont nécessaires. Pour qu’ils soient atteints des taux d’épargne nationale de plus de 23 % du PIB et
des taux d’investissement de plus de 30 % du PIB sont requis. Leur réalisation n’est donc pas du tout assu-
rée, même avec l’achèvement des différentes réformes institutionnelles et économiques souhaitées, qui par
ailleurs tardent à se mettre en place. Les effets sur la pauvreté sont encore une fois hypothéqués.
Il est ainsi clair que selon le scénario tendanciel le plus linéaire, basé sur ce qui a été observé pour les quel-
ques dernières années, l’économie marocaine (avec des taux de croissance annuels moyens de 3 à 4 %) ne
peut pas créer autant d’emplois que ce qu’exigeraient la pression démographique et le marché du travail. La
main-d’œuvre urbaine à elle seule s’accroît de plus de 4,5 % par an. La demande de cette main-d’œuvre
devrait donc suivre pour éviter une accentuation du chômage et de la pauvreté. Il est alors clair une fois de
plus que nous supposons que le niveau de la pauvreté est étroitement lié à celui du chômage et que le pre-
mier front de lutte contre la pauvreté est la lutte contre le chômage. Tant que le taux de chômage augmente
ou se stabilise, la pauvreté ne peut pas durablement baisser.
Dans le même ordre d’idées, un autre scénario d’évolution de l’économie marocaine, qui l’insèrerait dans
un processus logique de globalisation, de compétition et d’une production à forte intensité capitalistique pro-
duirait, en l’absence de stratégies sérieuses et efficaces de mise à niveau, un taux de chômage de plus de
25 % à l’horizon 2012. Il est en effet connu qu’au moins à court terme, la libéralisation des échanges accroî-
trait le chômage du fait que plusieurs activités nationales non compétitives vont voir fondre leurs parts des
marchés intérieurs et extérieurs en faveur de la concurrence des produits au moins de même qualité et à
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meilleur prix. La réalisation éventuelle de ce scénario, non moins plausible que le précédent, aggraverait cer-
tainement le niveau du taux de chômage et donc le niveau, la profondeur et la sévérité de la pauvreté.
Il est donc temps de réfléchir en profondeur et de mettre en place assez rapidement des programmes de
compensation et des alternatives d’emplois pour aider à temps les groupes les plus pauvres (petits agri-
culteurs et exploitants des zones bour par exemple) qui risquent de perdre leurs parts de marchés suite à la
baisse et à la suppression de diverses protections. De nouvelles réallocations et utilisations des dépenses
publiques, via des programmes plus ciblés, devraient faciliter l’adaptation et la reconversion de ces groupes
vulnérables dans leur milieu actuel, le milieu rural, et dans leur activité principalement agricole.
Comme la pauvreté au Maroc est essentiellement rurale, et comme ce milieu recouvre toujours une bonne
part de la population, une des cibles privilégiées des stratégies de lutte contre la pauvreté est donc toute
désignée. En luttant contre la pauvreté rurale on lutterait, on dirait même directement, contre la pauvreté
urbaine. La liaison entre les deux et l’implication de la seconde à partir de la première étant évidentes au
Maroc.
La lutte contre la pauvreté rurale est nécessaire mais n’est pas suffisante. Des actions spécifiques plus
ciblées et mieux étudiées sont aussi à prévoir contre les poches de pauvreté citadines qui se sont dévelop-
pées tout au long des dernières années à travers des mécanismes internes aux dynamiques économiques et
sociales des villes mais aussi par le déplacement des populations des campagnes vers les localités urbaines.
Les quartiers sommaires et précaires qui entourent la plupart des grandes villes marocaines sont des poches
où des efforts sont à consentir en la matière.
À partir d’un autre angle de vue, il est certain que les tendances démographiques actuelles et à venir
auront une influence sur l’évolution de la pauvreté. Alors que c’était plus un problème d’effectifs, maintenant
que le Maroc a largement amorcé sa transition démographique, les besoins à satisfaire sont considérables et
changent parfois de nature, étant donnée la structure par âge de la population. En effet, celle de moins de
15 ans ne représente plus que moins de 30 % de la population totale et sa part continuera à diminuer dans le
futur. La population en âge d’activité (entre 15 et 60 ans) continuera à progresser de façon assez rapide aug-
mentant la pression sur le marché du travail. Cette pression et ses conséquences vont continuer à se faire
sentir pour encore plusieurs années. Si l’économie ne suit pas, le chômage augmentera, la pauvreté aussi.
Dans le cas inverse, ce flux soutenu d’actifs pourrait être un facteur de développement qui, bien utilisé,
réduirait la pauvreté. Une ambiguïté de plus dans tout essai de prédiction de l’évolution de la pauvreté. Vue
sous cet angle, la résolution du problème de la pauvreté passe impérativement et encore une fois par celle
du chômage.
La part des personnes âgées ne cessera pas de croître. Au contraire, elle représenterait quelque 10 %
dans les dix prochaines années. Elle mettra quant à elle plus de pression sur d’autres secteurs sociaux priori-
taires ; la santé et les systèmes de solidarité. En effet, la demande qui sera adressée à ces secteurs sera de
plus en plus grande. À confronter avec l’évolution plutôt médiocre en termes quantitatifs et qualitatifs du sec-
teur de la santé il y a vraiment lieu de s’inquiéter. Ce sont au moins autant d’inquiétudes qu’il faut exprimer
lorsque on pense aux divers problèmes des systèmes de retraites et aux différents systèmes de solidarité
entre générations, qui connaissent déjà aujourd’hui des problèmes et qui peuvent être insolvables dans le
futur, face à des tendances démographiques et économiques pas très encourageantes. La pauvreté, sous
toutes ses formes, recruterait alors entre les jeunes mais aussi entre les personnes âgées... si des stratégies
bien étudiées ne sont pas mises en place et au plus tôt.
Au niveau de l’éducation, facteur clé et incontestable du développement humain et de la lutte contre la
pauvreté à long terme, à la fin même du dernier Plan de développement (2004), le système se caractérise
encore par une série de problèmes qui réduisent son efficacité. Il s’agit en particulier du taux élevé de l’anal-
phabétisme, de la non généralisation de la scolarisation primaire, de l’inégalité d’accès entre les pauvres et
52
les non pauvres, du faible rendement interne du système causé par les déperditions et enfin par le faible ren-
dement externe matérialisé par le chômage élevé des diplômés.
Au niveau prospectif, il est clair que si le rythme de croissance des indicateurs de développement reste le
même, c’est-à-dire que si la tendance ne fait que se maintenir dans les prochaines années, le Maroc recule-
rait certainement dans l’échelle du développement humain. Cependant, et en toute probabilité, on serait plu-
tôt optimiste pour l’évolution future de ces indicateurs. Cet optimisme relatif et très mesuré trouve son
origine dans les améliorations significatives qui s’enregistrent et qui se consolident en matière de scolarisa-
tion et leurs contributions à terme à l’éradication de l’analphabétisme, à la participation plus efficace des
populations dans l’activité économique du pays, à la transmission intergénérationnelle de l’importance de
l’investissement dans le capital humain, ..., etc. Par ailleurs, étant donnés les stratégies et les programmes
en place, les autres composantes de l’IDH sont aussi appelées à croître positivement dans les années à
venir.
Conclusion
L’essentiel à retenir sur la base de ce diagnostic relatif à l’évolution de la pauvreté au Maroc depuis l’indé-
pendance jusqu’à nos jours, c’est que celle-ci, sous toutes ses formes, a toujours existé même si elle n’a été
reconnue et ainsi appelée que pendant la dernière décennie du siècle précédent.
Aujourd’hui, cinquante ans après l’indépendance du pays et pendant toute cette période, le niveau de vie
d’une grande partie de la population se trouve en dessous ou juste au-dessus de tout seuil de pauvreté rai-
sonnable et la caractérise d’une précarité et d’une grande vulnérabilité. En effet, en se basant sur les indica-
teurs usuels de mesure de la pauvreté monétaire, du développement humain et de la pauvreté humaine, la
tendance générale de l’évolution de la pauvreté a été plutôt à la baisse mais reste à des niveaux élevés. Ce
phénomène est nettement plus répondu en milieu rural bien que l’on assiste à son urbanisation de façon de
plus en plus claire.
La pauvreté au Maroc, comme dans les pays en développement, prend plusieurs formes. Sa dynamique
dépend des évolutions économiques et démographiques enregistrées depuis l’indépendance, qu’elles soient
de long terme ou conjoncturelles. Il ressort en particulier que la croissance économique, faible et irrégulière
qu’elle a été depuis les cinquante dernières années, n’a eu dans le meilleur des cas qu’une très faible inci-
dence à la baisse sur les niveaux de la pauvreté. Les effets de redistribution semblent avoir dominé ceux de
la croissance dans notre pays. Comme conséquence et en matière d’inégalité, l’analyse des principaux résul-
tats montre que celle-ci est à des niveaux élevés et est restée plutôt stable depuis l’indépendance.
En matière de stratégies de lutte contre la pauvreté et de son évaluation, le constat général est plutôt
négatif. Tous les rapports consultés font en effet état d’une très mauvaise coordination entre les différents
programmes et institutions, d’une grande dispersion des efforts, d’un mauvais ciblage et d’une prédomi-
nance des actions à caractère conjoncturel. Ce fait a largement porté atteinte à l’efficacité des différentes
actions entreprises.
Aujourd’hui et après plusieurs tentatives, il semble qu’une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté
doit-être conçue comme un projet cohérent et intégré. Elle doit être logique dans son articulation, suffisam-
ment ambitieuse mais réaliste dans ses objectifs et doit reposer sur des moyens plus surs.
La lutte contre la pauvreté au Maroc est certes une tâche complexe. Elle nécessite entre autre une
réflexion sur le modèle et sur la politique de développement à retenir. Les interventions ad-hoc du passé ont
montré leurs limites et leur inefficacité relative pour alléger la pauvreté de long terme et corriger les déséqui-
53
libres urbain-rural qui se sont accumulés dans le temps. Toutes les réformes macro-économiques actuelle-
ment mises en place sont peut-être nécessaires mais probablement pas suffisantes dans ce contexte.
La mise en place de programmes précis et l’amorce de changements dans les systèmes d’incitation et de
participation de tous les agents et de toutes les institutions de façon coordonnée sont des éléments de toute
nouvelle stratégie de contre la pauvreté. Une des décisions fondamentales dans ce sens, et qui semble être
prise mais en retard, est de faire participer, d’intégrer et d’associer le milieu rural et sa population dans le pro-
cessus de développement.
Malgré les multiples obstacles et la complexité de la tâche, il semble que le Maroc pourrait réussir à
réduire la pauvreté entre ses citoyens. En mettant en place les politiques économiques et autres nécessaires
pour générer une croissance solide, régulière et dont les fruits sont équitablement partagés. Une telle crois-
sance, créatrice d’emplois et génératrice de gains d’efficacité peut être menée dans plusieurs secteurs dont
l’agriculture et les secteurs exportateurs en général. Un des fondements d’une croissance plus équitable est
le développement du monde rural. Sans un programme dans ce sens, la lutte contre la pauvreté ne peut pas
réussir et les avantages de la croissance laisseraient de côté une large catégorie de pauvres.
Au niveau prospectif, l’évolution future du phénomène, qui dépend de façon complexe de plusieurs fac-
teurs, ne permet de dégager aucune tendance claire. Si le rythme de croissance des principaux indicateurs
de développement reste le même, le Maroc reculerait certainement sur l’échelle du développement humain
et de la pauvreté. Cependant une analyse objective de l’évolution des différents indicateurs de développe-
ment et de pauvreté humaine laisse croire qu’une amélioration significative pourrait être enregistrée dans le
futur. Ceci n’est cependant pas tout à fait claire pour la pauvreté monétaire ni pour les niveaux de l’inégalité
qui resteront malheureusement encore et pour longtemps à des niveaux élevés.
Références
Abdelkhalek, T., (1999), La pauvreté au Maroc : une approche basée sur la satisfaction des besoins de base,
dans « Pauvreté, satisfaction des besoins essentiels et variables démographiques au Maroc », Série
Études de l’INSEA, Rabat.
Abdelkhalek, T., (2000), « Féminisation de la pauvreté au Maroc : concept et tests », Communication pour la
Conférence Internationale sur le thème « Femme et pauvreté dans le monde arabe », organisée par plu-
sieurs organismes dont la Ligue Arabe, Casablanca, Maroc, du 20 au 23 mars 2001.
Abdelkhalek, T., et Chaoubi A., (2004), « Distributions des dépenses de consommation des ménages au
Maroc : une analyse paramétrique », Revue d’Économie du Développement, volume 12, numéro 2
Abdelkhalek, T., et Chaoubi A., (1999), « Croissance Économique et Pauvreté au Maroc : le Contexte Théo-
rique », Cahier de recherche de l’équipe MIMAP-Maroc Étude C1, INSEA, Rabat.
Abdelkhalek, T., (1998), « Mesures de la pauvreté : présentation théorique critique et analyse du cas maro-
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55
Résumé
Cette contribution au rapport analytique sur « Cinquante ans de développement humain » au Maroc traite
plus spécialement, par une approche sociologique, des phénomènes d’exclusion sociale, de pauvreté et
d’analphabétisme.
Afin d’élargir le champ de notre réflexion, une étude comparative des phénomènes induits va permettre
d’appréhender le cas du Maroc en fonction d’une réalité globale totale.
Pour tenter de mieux comprendre l’interaction des processus de pauvreté et d’exclusion, la dimension his-
torique est un passage incontournable car la société marocaine est une société en transition qui s’inscrit dans
la modernité sans avoir pour autant renoncé totalement à son héritage féodal. C’est la mutation d’une société
séculairement rurale et traditionnelle qui tend à devenir une société moderne et urbanisée.
Bien que le concept rural traditionnel/moderne urbain ait été largement galvaudé et critiqué, les problèmes
que génèrent les mutations en cours seront cependant étudiés en fonction de cette dualité parce que les
termes de pauvreté et d’exclusion n’ont ni le même sens, ni les mêmes effets en milieu rural et en milieu
urbain.
Étudiés séparément dans leur contexte respectif les phénomènes d’exlusion et de pauvreté sont cepen-
dant difficilement cernables parce que interactifs et fluctuants ?
Pour mieux les appréhender, nous avons choisi de prendre pour repères certains faits marquants, tels
l’exode rural et ses différentes phases C’est un facteur incontournable dans l’étude des processus d’exclu-
sion et de pauvreté, le passage d’un mode sociétal à un autre générant de nouvelles formes de solidarité
mais aussi des modes et facteurs d’exclusion différenciés du fait du processus de déstructuration/recompo-
sition de la société.
De même que l’exode rural, l’analphabétisme peut également être considéré comme un repère car c’est
un facteur fondamental d’exclusion. De ce fait, un chapitre sera consacré à la scolarisation et à l’alphabétisa-
tion en tant que processus d’intégration sociale.
Concernant les exclus, en tant que malgré les efforts notables accomplis et en cours, la politique sociale
de l’État n’a pu répondre à toutes les attentes qui étaient formulées. Les déficits en matière d’emploi notam-
ment, la marginalisation d’un nombre croissant d’individus, tous ces facteurs ont suscité des solutions alter-
natives qui ont un dénominateur commun : pour les exclus, il s’agit d’exister et de susister afin de pouvoir se
considérer et être considérés en tant qu’individus à part entière.
En conclusion, on peut dire que la lutte contre la pauvreté et l’exclusion concerne tous les Marocains car le
Maroc est à un tournant de son histoire et la réussite des mutations en cours peut être évaluée en fonction
du niveau d’intégration des exclus au sein de la société. Pour ce faire, bien qu’il faille prendre en compte les
modèles existants, toutes les institutions doivent être repensées tant au niveau de leur forme, (séparation
des différentes instances par exemple) que de leur finalité. Étant donné le nombre sans cesse croissant de
populations en voie d’urbanisation, il semble qu’une attention toute particulière doive être apportée au milieu
urbain. Par urbain entendons les grandes villes mais aussi le périurbain qui subissent actuellement l’essentiel
de la pression démographique.
Pour pouvoir diminuer cette pression et contribuer à un déplacement de population équilibré, une priorité
devrait être donnée à la régionalisation. Les villes de moyenne importance devraient être développées (au
59
plan infrastructure, économique et socioculturel) pour endiguer l’hémorragie dont sont victimes les grands
centres.
Si le rural isolé ne doit pas être laissé pour compte, les principaux investissements à envisager devraient
concerner surtout le désenclavement des douars afin d’en faciliter l’accès. Exception faite des personnes
âgées, pour les autres, l’émigration vers les centres urbains est un phénomène irréversible. À moyen et long
terme, les douars isolés sont appelés à se vider. Il semble donc préférable de se tourner vers l’avenir et
d’axer tous les efforts sur une politique de formation et d’emploi des jeunes. Ils pourront alors, s’ils le
désirent, prendre en charge les améliorations de leurs douars d’origine.
Redonner aux jeunes Marocains espoir et confiance c’est, nous semble-t-il, l’élément fondamental pour
aider efficacement au développement du Maroc.
60
« Une société se juge à la façon dont elle traite ses exclus »
Michel Foucault
Au sens large du terme, l’exclusion sociale peut être considérée comme un échec de socialisation, une
rupture avec le lien social, au sens où l’entend Durkheim, le lien social étant défini comme le mode structu-
rant propre à chaque société. Comme tel, il en assure la cohésion et maintient les formes de solidarité. Durk-
heim a ainsi observé deux modèles de solidarité, historiquement et spatialement marqués. La solidarité
mécanique caractérise les sociétés traditionnelles alors que la solidarité organique est propre aux sociétés de
la modernité. La solidarité mécanique, organisée autour des pratiques communautaires, se fonde sur la
conscience collective. Elle est l’apanage de la société rurale traditionnelle qui tend ainsi à reproduire à l’iden-
tique le modèle existant. Contemporaine des sociétés modernes industrialisées, la solidarité organique ne
s’organise plus autour d’une collectivité, elle se structure à partir d’ensembles sociaux qui ont pour principal
fondement la division sociale du travail. La conscience collective fait place à la conscience individuelle. C’est
le propre de la société urbaine où les modèles culturels sont pluriels et éclatés.
Pour analyser le concept d’exclusion au Maroc, le modèle durkheimien, en tant que référentiel, semble le
plus approprié. Car, à l’intérieur du pays, les deux types de société, l’une rurale et l’autre urbaine, cohabitent
toujours. Les différentes formes de solidarité y sont, de ce fait, toutes deux représentées. Le phénomène
d’exclusion tel qu’il sera étudié ici concerne davantage la société moderne, urbaine puisqu’il y est fait réfé-
rence à l’individu pris isolément, c’est à dire socialement détaché de son groupe d’origine. Démarche para-
doxale s’il en est car, si le phénomène d’exclusion est davantage une succession de cas individuels, il ne
peut être appréhendé cependant que dans sa dimension macro-sociale, celle de l’individu attaché/détaché
d’une réalité sociale globale. Le phénomène d’exclusion en tant que fait social total se situe donc à deux
niveaux qui agissent interactivement : à un niveau particulier, c’est l’incapacité d’un individu de s’intégrer
dans une société donnée, à un niveau global, preuve d’un dysfonctionnement, c’est l’incapacité de cette
même société d’intégrer certaines catégories d’individus considérés comme « socialement inutiles » telles
que les chômeurs, les handicapés, les enfants des rues, etc... L’exclusion, c’est le déni de l’individu en tant
qu’être socialisé, sa marginalisation par rapport à un système social qui ne lui octroie aucune place lorsqu’il
est considéré comme économiquement et socialement inutile. Si le phénomène d’exclusion produit toujours
les mêmes effets, le rejet, les facteurs qui le génèrent sont à l’inverse très variables car ils sont concomitants
de l’organisation sociale, de la culture, de l’histoire et du niveau de développement d’un pays. Ils sont de ce
fait très différenciés d’un pays à l’autre.
Dans les années 60, les travaux de l’école de sociologie « interactionniste », à la suite de la réflexion de
G. Simmel 1, de l’école de Chicago, ont permis d’appréhender, par une même analyse, différents aspects de
la marginalité. Bien que diversifiés et pluriels, ils ont tous un lien commun, l’exclusion. C’est ce qui permet
d’avancer que l’exclusion sociale est bien un phénomène polymorphe. Elle peut être volontaire. C’est alors
un refus de reconnaître les normes et les lois de la société dans laquelle on évolue : mouvements politiques
61
ou religieux radicaux, courants philosophiques ou culturels contestataires, refus de l’idéologie dominante,
etc. Cette forme d’exclusion est essentiellement le produit des sociétés industrialisées qui ont atteint un cer-
tain niveau de développement. Elle est l’apanage d’individus qui ont la faculté et la capacité d’effectuer un
libre choix : réfuter les normes et lois en vigueur dans leur pays et s’exclure délibérément ou adhérer aux
orientations dominantes et s’intégrer.
L’exclusion sociale, telle que nous l’entendons le plus généralement est subie, puisqu’elle concerne des
sujets marginalisés parce que ne pouvant répondre aux normes et valeurs érigées en ordre social, que ce soit
au niveau économique, idéologique ou socioculturel. C’est généralement le cas du Maroc où les principaux
groupes laissés à la marge ne répondent ni au « politiquement correct » ni à « l’économiquement utile ». On
peut ranger dans cette catégorie les chômeurs, les enfants des rues, les handicapés, les personnes âgées...
L’exclusion peut donc être monétaire (plus ou moins grande insuffisance de capital économique), socio-
culturelle (altération des formes relationnelles et déficit en matière d’éducation et de formation), ou psycho-
logique (problèmes liés à la santé physique et mentale tels que le handicap). Dans les sociétés à économie
de marché, elle se définit essentiellement par rapport à des critères économiques : le niveau de revenu
moyen, le seuil de pauvreté ou le revenu disponible, ce dernier induisant le domaine des choix, en d’autres
termes ce qu’un individu peut acquérir. On comprend dès lors toute la complexité du concept d’exclusion
sociale. C’est un processus en constante évolution car les principaux facteurs reconnus qui génèrent l’exclu-
sion, à quelque niveau que ce soit (exode rural, analphabétisme, chômage, etc.), sont des phénomènes qui
interfèrent de manière fluctuante dans un cadre spatio-temporel en continuelle mutation.
Pour tenter de mieux comprendre ce processus dans sa forme actuelle au Maroc, il semble opportun de
l’appréhender également dans sa dimension historique, car l’exclusion est un phénomène récurrent qui tra-
verse l’Histoire.
« Le présent n’est pas seulement le contemporain, il est aussi un effet de l’héritage et la mémoire de cet
héritage nous est nécessaire pour comprendre et agir aujourd’hui », fait remarquer Robert Castel 1. Pour
comprendre le présent il est donc essentiel de faire référence au passé et à l’histoire car les différentes per-
ceptions de la pauvreté et de l’exclusion à travers les siècles contribuent à mieux cerner l’origine des pro-
blèmes actuels.
Depuis quelques décennies, l’exclusion est souvent perçue comme la forme contemporaine de la pau-
vreté. C’est ce qu’affirmait déjà Secrétan 2 en 1959 lorsqu’il définissait les pauvres comme des personnes en
marge de la société. « Ils sont de notre monde sans en être ». Cette théorie, bien que partiellement fondée,
semble cependant par trop réductrice car il peut y avoir pauvreté sans exclusion et vice versa. L’organisation
sociale de certains pays peut en effet excluante sans qu’il y ait un lien causal avec la pauvreté. C’est le cas de
l’Inde où prédomine toujours le système de caste qui est à lui seul facteur d’exclusion.
Bien que l’approche de la pauvreté en Occident se soit progressivement transformée pour aboutir à sa
forme actuelle, certaines valeurs transcendent les pays et sont « immuables ». Il en est ainsi de la représen-
tation de la pauvreté associée à humiliation et indignité. Si la pauvreté n’implique pas nécessairement l’exclu-
sion, comme c’est le cas en Occident, elle est universellement associée à l’humiliation et l’indignité.
L’approche théologique du Moyen Age exaltant la pauvreté aurait cependant pu laisser penser qu’à une
62
certaine époque la pauvreté était considérée comme vertu. Mais une lecture plus approfondie des ouvrages
de cette époque montre qu’il y a deux visions et interprétations de la pauvreté. Il y a la pauvreté appréhendée
en tant que valeur spirituelle : les pauvres sont les élus de Dieu, ils en sont les plus proches. Comme tels, ils
présentent une utilité pour les riches car ils sont leurs « intercesseurs » auprès du Divin et les aumônes qu’ils
distribuent participent du salut de leur âme en contribuant à les laver de leurs péchés. Il est intéressant de
noter que la notion de rachat des péchés est commune aux trois religions monothéistes. Ainsi, c’est de cette
époque que datent les associations caritatives et les hospices pris en charge et administrés par l’Église. Ils
fonctionnaient grâce aux dons des élites nobles et bourgeoises. Elle est en usage également dans la religion
musulmane sous la forme de zakat, aumône obligatoire également pratiquée au Maroc. Il y a cependant une
autre représentation de la pauvreté, moins valorisée et moins altruiste. Outre la pauvreté en tant que valeur
spirituelle qui, loin d’être excluante, sublime et transcende l’individu, il y a la pauvreté matérielle et physique,
stigmatisante pour les individus qui en sont victimes puisqu’elle les relègue aux marges de la société. C’est
cette misère physique décrite par Bronislaw Geremek 1 qui est, quant à elle, porteuse d’exclusion : Les
pauvres sont ségrégués, répartis en deux catégories, les bons et les mauvais pauvres. La notion de contrôle
social, associée à la pauvreté apparaît dès le Moyen Age. Il y a les pauvres méritants parce que malades ou
privés momentanément de moyens d’existence et il y a les pauvres malhonnêtes qui sont des personnes
valides mais qui préfèrent mendier et voler plutôt que de travailler. Ceux-là n’ont aucun droit et doivent
même être surveillés car potentiellement fauteurs de trouble. C’est ainsi qu’en Angleterre, depuis le XVe siè-
cle toutes les populations errantes doivent être munies d’une lettre de route limitant et contrôlant leurs
déplacements.
Dans l’inconscient collectif se forge alors une représentation de la pauvreté : elle est humiliante. Le pauvre
est sans dignité, dépendant, et comme tel, il doit être exclu d’une société à laquelle il ne mérite pas d’appar-
tenir. Cette image est renforcée au XVe et XVIe siècles lorsque, en Europe, la masse de pauvres va déborder les
capacités de gestion de l’Église. À la suite des guerres et famines successives, un désordre social va être
occasionné par des bandes d’individus, sans travail et sans toit, qui sillonnent les routes généralement en
quête de rapines. C’est pourquoi, pour éviter tout désordre on enferme les pauvres ou on les oblige à s’éloi-
gner des villes sous peine de sanctions. On peut noter avec intérêt que quatre siècles plus tard, cette pra-
tique est toujours en vigueur, puisque dans les années 95, en France, certaines municipalités (La Rochelle,
Pau...) jugent les mendiants indésirables et les font expulser. Dans son ouvrage 2, Philippe Sassier affirme
qu’à la même époque, la décennie 90, on trouve ce même phénomène en Russie et au Japon. Universalité
de l’approche effectivement puisque au Maroc, à la même période, on trouvait ce phénomène à Casablanca
lorsqu’on reléguait au centre El Ank les personnes jugées indésirables tels que mendiants, prostituées,
enfants des rues, aliénés... Ce sentiment d’inutilité publique va perdurer jusqu’au XVIIe siècle, période à
laquelle le rapport aux pauvres va se modifier radicalement. Les pauvres, jusqu’à présent bannis et exclus
vont progressivement être insérés dans les sociétés parce qu’ils vont avoir leur utilité. Ils vont être introduits
dans le circuit économique par le travail. En effet, les pauvres « méritants » issus des classes paysannes,
laborieux jetés sur les routes suite à des famines ou des épidémies vont servir de réservoir de main d’œuvre
aux manufactures naissantes. Le travail est alors érigé en vertu et en ordre moral. Il est source de « rédemp-
tion ».
Comme le fait remarquer Philippe Sassier dans le même ouvrage, cette idéologie nous ramène aux débats
contemporains sur les politiques d’emploi et les politiques sociales qui considèrent que le travail est une des
formes les plus efficaces et les plus efficientes de lutte contre le désordre social et l’anarchie. Cette analogie
63
est confortée par l’article d’Anne Daguerre 1 publié dans Le Monde Diplomatique de juin 2005 « Au travail, les
pauvres ». Dans cet article, elle montre que les politiques d’activation (motivations financières liées à l’aide
sociale) visent à remettre les exclus au travail sans tenir compte de leurs qualifications.
À partir du XIXe siècle, à l’avènement de l’ère industrielle, la pauvreté et l’exclusion sont plus aisément repé-
rables car elles sont en rapport direct avec la division sociale du travail. Le pauvre n’est plus le mendiant ou le
gueux, c’est le « travailleur », socialement intégré lorsqu’il est économiquement utile, exclu lorsqu’il n’est
plus productif. De ce fait il vit toujours dans un état d’extrême précarité, à la merci du chômage et de la mala-
die, précarité qui semble, toute proportion gardée, se profiler à nouveau dans les pays industrialisés.
Au Maroc, malgré les efforts entrepris par l’État, le déficit en couverture sociale confine les travailleurs
dans cet état d’extrême précarité et vulnérabilité. C’est ce qui peut expliquer, pour partie, que dès les années
60, la population du « Maroc inutile » 2 (régions de montagne et d’oasis notamment) soit devenue un réser-
voir de main d’œuvre pour les pays industrialisés du Nord tels que la France, l’Italie, les Pays-Bas. En effet,
jusqu’à ces dernières années le Maroc rural isolé, ne faisant pas partie des axes de développement priori-
taires, a été délaissé par l’État car il ne présentait pas un intérêt particulier pour l’économie de marché.
Seules les zones à culture intensive ont été développées dans le cadre de la politique économique imposée
par le PAS(plan d’ajustement structurel), mais aussi pour servir les intérêts des gros propriétaires terriens. Si
bien qu’à partir des années 80, cette politique de développement à deux vitesses a favorisé l’émigration.
Dans ce contexte, devenus improductifs dans leur pays où ils vivaient en quasi-autarcie, les migrants, issus
pour la plupart du rural isolé acquièrent, en allant travailler à l’extérieur, la reconnaissance sociale qui leur était
préalablement refusée au niveau national, leur apport en devises participant très largement à l’équilibre bud-
gétaire du pays.
Cependant, depuis les années 90 environ, l’exode rural s’est transformé. Il est devenu un phénomène
majoritairement interne de déplacement massif et unilatéral de population du rural vers l’urbain. Une excep-
tion est faite pour le Nord où les cultures de rente (maraîchage et cannabis) sont consommatrices d’une main
d’œuvre saisonnière essentiellement féminine recrutée dans les villes avoisinantes.
Or, en 2005, force est de constater que le processus d’urbanisation, qui va sans cesse croissant, échappe
à tout contrôle. Ces déplacements massifs de population deviennent alors une menace pour l’ordre social
établi eu égard aux profonds bouleversements sociaux qu’ils entraînent.
Actuellement et malgré les efforts entrepris, aussi bien par l’État que par la société civile, le Maroc se
trouve dans l’incapacité de faire face aux problèmes cruciaux que posent le déficit d’emplois, d’infrastruc-
tures de base, l’habitat insalubre, autant de facteurs qui se traduisent notamment par l’accès inégal à la sco-
larisation et à la santé. Ces points seront développés ultérieurement. Du fait de l’urgence des mesures à
mettre en place, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion est devenue un axe d’intervention prioritaire pour
l’État à laquelle doivent participer tous les citoyens, la société civile et le secteur entreprenarial. Sa Majesté
Mohammed VI l’a nettement exprimé dans son dernier discours.
Définir le rapport pauvreté/exclusion présente un caractère quelque peu arbitraire parce qu’influencé
nécessairement par des choix de modèles de société. L’approche, ou plus exactement les approches qui
sont faites de la pauvreté sont plurielles puisqu’elles s’inspirent des différentes théories économiques en
64
vigueur. Elles seront uniquement mentionnées ci-dessous afin de pouvoir mieux appréhender l’ambivalence
du rapport pauvreté/exclusion puisque l’aspect économique de la pauvreté n’est plus seul pris en compte. En
effet, suite à l’échec des théories « classiques » et afin de susciter une nouvelle réflexion, de nombreuses
conférences internationales ont été initiées (Copenhague, Porto Alegre, etc...) à partir desquelles, tant au
Nord qu’au Sud, un nouveau concept de développement est actuellement opérationnalisé. Sa principale origi-
nalité est qu’il privilégie l’épanouissement de l’individu, condition sine qua non d’un développement équilibré
et harmonieux.
Globalement les théories économiques peuvent être classées en deux courants. L’un utilitariste ou welfa-
riste est généralement utilisé par les économistes des institutions internationales et les directions des statis-
tiques des pays concernés. Dans ce courant, les théories se basent sur un certain indicateur de bien-être, de
niveau de vie. Elles sont, par construction très liées aux théories micro économiques classiques. L’autre cou-
rant, multidimensionnel, se fonde sur une analyse plus sociologique. Il est de ce fait plus complexe. La théo-
rie la plus importante de ce courant est celle de l’école dite des « besoins de base ». Une autre école de ce
même courant est celle dite « des capacités et des fonctionnements », conduite par A. Sen. Un « minimum
social » est identifié et accepté par la société dans son ensemble. Selon Amartya Sen 1 (1987), « le bien-être,
c’est être bien nourri, être en bonne santé, être bien éduqué ». Schématiquement, la valeur du niveau et des
conditions de vie est plus importante que la possession des biens. Ce rappel très succinct des principales
théories économiques (largement développées par Touhami ABDELKHALEK 2 dans son rapport sur la pau-
vreté) a pour seule finalité de montrer combien les deux concepts de pauvreté et d’exclusion se trouvent tou-
jours directement ou indirectement imbriqués.
En Europe, le terme d’exclusion sociale fut initialement reconnu et émergea en tant que concept dans les
années 70 lors de la parution du livre de Robert Lenoir « Les exclus » (1974) 3. Il fut l’un des premiers semble-
t-il qui exprima clairement l’incapacité de l’économie capitaliste à intégrer des groupes fragilisés aussi bien au
plan physique et mental (handicapés moteurs ou mentaux) que psychologique et social (femmes et enfants
en situation difficile, analphabètes). « Dire qu’une personne est inadaptée, marginale, ou asociale, c’est
constater que dans la société... cette personne, en raison d’une infirmité physique ou mentale, de son
comportement psychologique ou de son absence de formation, est incapable de pourvoir à ses besoins, ou
exige des soins constants, ou représente un danger pour autrui, ou se trouve ségréguée soit de son propre
fait, soit de celui de la collectivité », n’a pas de place dans la société. On se trouve donc confronté à deux
logiques : celle qui procède de comportements discriminatoires avec pour solution l’enfermement ou l’expul-
sion des « indésirables » et celle qui résulte de processus d’intégration par l’accès au travail et à l’instruction.
Au Maroc, le terme d’exclusion sociale, tout comme celui de pauvreté, a été très largement utilisé dans les
discours institutionnels et politiques, au début des années 90, à travers les publications des rapports du
PNUD et de la Banque Mondiale qui soulignaient les carences internes de la politique sociale. Carences qui
trouvaient une explication globale et globalisante à travers les mesures mises en place dans le cadre de la
politique extérieure et du PAS en particulier. Ces mesures ont contribué à ce que la politique sociale soit relé-
guée au second plan. Il est important toutefois de bien dissocier ces deux phénomènes car la pauvreté peut
ne pas être facteur d’exclusion ; il y a bien d’autres causes que la pauvreté à l’exclusion même si certaines de
ces formes ont non seulement des liens entre elles (handicap, chômage, logement, analphabétisme). Cer-
tains exclus ne sont pas nécessairement pauvres mais appartiennent à des groupes socialement, idéolo-
giquement ou culturellement discriminés.
65
Concernant la pauvreté au Maroc, les seuls chiffres officiels disponibles se fondent sur une approche utili-
tariste et welfariste qui se réfère à la dépense de consommation par personne, soit à une mesure monétaire.
Or, la moyenne de consommation par personne introduit la notion de relativité de la définition du seuil de
pauvreté d’un pays à l’autre. Définir l’exclusion et la pauvreté par les seules capacités économiques de l’indi-
vidu semble par trop réducteur et renvoie, à priori, à un choix annoncé de type de société qui n’est pas celui
adopté par le Maroc, où une place de plus en plus grande est faite au développement humain durable. C’est
ainsi qu’avec l’INDH le modèle recherché tend à privilégier le développement de l’individu en contribuant à
réduire les inégalités. Pour ce faire, trois axes sont prioritaires :
– mise à niveau des quartiers les plus défavorisés (périurbain et rural isolé) au plan des infrastructures de
base ;
– promotion des activités génératrices de revenu qui endiguent le chômage des jeunes ;
– assistance aux personnes en situation de grande vulnérabilité.
C’est donc à la fonction sociale de l’exclusion et aux facteurs qui la génèrent qu’il faut davantage s’attacher
en tenant compte, bien entendu, des spécificités inhérentes à la société marocaine, c’est à dire sa dualité.
Dans un espace de temps historiquement très limité, l’urbanisation pléthorique et, par voie de consé-
quence, anarchique du pays a bouleversé son organisation spatiale modifiant du même coup les rapports
humains. Si en 1960 plus de 70 % de la population marocaine vivait en zone rurale, moins d’un demi-siècle
plus tard, en 2004, 55 % de la population est urbanisée. Or, ce phénomène va en s’accentuant : il est prévu
qu’en 2012, 64 % de la population marocaine vivra dans l’espace urbain ou périurbain ; ce qui signifie qu’en
60 ans environ, l’occupation de l’espace s’est pratiquement inversée. De tels déplacements de population
soulèvent nécessairement des problèmes à quelque niveau que ce soit :
– au plan matériel : avec le déficit d’emplois, le manque de logements, l’insuffisance des infrastructures
de base (eau, électricité, voirie, écoles et centres de santé... pour ne citer que les plus fondamentaux) ;
– au plan socioculturel : au cours de cette dernière décennie principalement, nombre de familles ont
changé de lieu de résidence, passant sans transition d’un mode de vie rural à un mode de vie urbain.
L’adaptation à un nouvel environnement physique s’est accompagnée d’une adaptation obligée à un nou-
vel ordre social, politique, économique et socioculturel. Car ces deux espaces ne sont régis ni par les mêmes
valeurs ni par les mêmes normes. Les formes d’entraide et de solidarité, ancrages de la société rurale, se
délitent, laissant des individus désemparés face à une nouvelle organisation sociale qui génère d’autres
formes relationnelles et des modèles comportementaux différents. Le nouvel arrivant ou la nouvelle arrivante
se trouve confronté à d’autres normes et règles qui lui sont inconnues. Il est, et se sent marginalisé, vivant
en étranger dans une société qui, pour être sienne, ne le reconnaît pas pour autant. Ce sentiment d’étran-
geté est d’autant plus fort que les sociétés rurales traditionnelles sont rarement excluantes vis à vis de leurs
membres. Il y a des facteurs d’exclusion mais ils sont implicites, du fait que les normes et valeurs en vigueur
sont totalement intériorisées et maîtrisées.
66
Dans ces conditions, il est évident que la transition mal négociée d’un type sociétal à un autre ne fait
qu’accélérer et amplifier les phénomènes d’exclusion. C’est pourquoi ses mécanismes sont à repérer dans
l’interaction de ces deux formes de société, lorsqu’il y a déséquilibre entre les modèles en vigueur. Bien que
cette démarche puisse paraître quelque peu schématique, l’analyse du phénomène en milieu rural, d’une
part et en milieu urbain, d’autre part, nous a semblé incontournable pour une meilleure compréhension des
différentes formes d’exclusion.
Au Maroc, la société traditionnelle rurale peut être représentée par une série de cercles concentriques qui
sont, du plus élargi au plus proche : la confédération, la tribu, la fraction, l’ighs(familles unies par des liens de
consanguinité), la famille élargie qui vit sous le même toit. Les règles et normes qui la régissent ont pour
principale finalité d’assurer la reproduction et la survie du groupe en maintenant sa cohésion par le rejet de
tout élément extérieur qui n’est pas rattaché au groupe. C’est la solidarité entre les familles ou les groupes
qui est garante de la reproduction et de l’ordre social. On peut parler ici de solidarité mécanique puisqu’il y a
reconduction du modèle établi. Pour assurer sa survie, ce modèle fonctionne dans une logique d’auto repro-
duction et d’auto production. Il doit être parfaitement « balisé », ce qui explique la place importante qui est
faite aux interdits notamment.
67
Cette société qui, de l’extérieur, semble très démocratique parce que sans contrôle apparent est de fait
très coercitive car elle oblige à une autocensure permanente, chaque individu vivant continuellement sous le
regard du groupe. On comprend d’autant mieux le sentiment de vide et d’isolement que peut éprouver un
individu brutalement coupé de ses repères.
Dans la société rurale traditionnelle, il semble cependant que cette discrimination sexuelle soit atténuée
par le fait que la survie du groupe dépende d’une répartition complémentaire des tâches. C’est l’équilibre
sexué des rôles et fonctions homme/femme qui est l’un des garants de l’ordre social.
68
Maintenant on n’a plus rien à défendre mais on n’a pas su retrouver une vraie place » 1. Cette atteinte à un
ordre institué peut expliquer, pour partie, qu’en 1975, lors de la Marche Verte, il y eut, dans l’armée, un enrô-
lement massif de ruraux et particulièrement des montagnards. On peut penser que, pour eux, c’était une
redéfinition de leur rôle de guerrier en terme de prestige et d’honneur.
Bien qu’un glissement sémantique se soit opéré, on peut, de la même manière, expliquer la première
migration internationale des hommes des années 60 comme une autre forme de valorisation : de guerrière
elle est devenue économique, symbolisée par d’autres signes, plus ostentatoires, qui signifient une réussite
matérielle (voitures, produits de consommation diverse) et l’accès à un mode de vie différent. La construc-
tion de maisons dans leur douar d’origine fait également sens, car pour eux, c’est signifier par un lien maté-
riel et visible l’appartenance à leur groupe familial et tribal originel. De même que l’aide matérielle qui est
généralement apportée à la famille leur confère un certain statut en même temps qu’une reconnaissance
familiale et sociale.
Effet pervers, s’il en est : pour les femmes, ces nouvelles valeurs ont un impact négatif dont elles ne sont
généralement pas conscientes car l’introduction du salariat dans les nouvelles représentations symboliques
les dépossède d’une identité et d’un pouvoir qui étaient, jusque là, fondés avant tout sur leur force de travail.
En effet, avec l’introduction du salariat, dont les femmes sont pratiquement exclues, leur force de travail ne
suffit plus à leur assurer une reconnaissance sociale, leur identité se construit alors à travers celle de leur
mari.
Ce sont donc les femmes qui sont les premières victimes de la paupérisation du milieu rural et, par voie de
conséquence de l’exode rural, dans sa dernière phase surtout, bien que l’exode rural puisse être appréhendé
différemment par phases successives, selon les périodes. Elles vont être explicité ci-dessous.
Depuis l’Indépendance, la paupérisation croissante du milieu rural s’est traduite par un exode massif. de
population. Toutefois ce déplacement pléthorique de population ne s’est pas effectué de manière linéaire. Il
s’est déroulé par phases successives et a pris, selon les périodes, des formes différentes, parfois anti-
nomiques.* C’est ainsi que, si les deux premières phases migratoires peuvent être considérées comme un
régulateur socio-économique, la troisième, à l’inverse est cause de dérégulation tant au plan économique
que socioculturel.
– Pour les deux premières phases, qui se situent globalement de 1960 à 1990, c’est une émigration vers
l’Europe essentiellement (France, Allemagne, Italie, Hollande) Cette dernière a eu des effets plutôt positifs et
stabilisateurs. Cette période a été un régulateur socio-économique. La paupérisation croissante des cam-
pagnes a été compensée par un apport financier venu de l’extérieur qui a permis de maintenir sur place une
partie de la population, attachée à son mode de vie et à sa terre. La main d’œuvre excédentaire, majoritaire-
ment non qualifiée s’est exilée puis est rentrée, pour la plupart d’entre elle, investir dans son pays d’origine.
De petits commercesont été créés, tenus par un membre de la famille et des maisons familiales ont été
construites, ce qui a procuré un double bénéfice : économique et social
– La troisième phase qui perdure toujours est principalement un exode interne, à l’intérieur du pays. Elle
se traduit par un déplacement continu et souvent définitif de population, des campagnes vers les grands
centres urbains Ce sont des départs, soit individuels, soit familliaux. Depuis le milieu de la décennie 90, la
69
nouvelle partition de l’espace a entraîné des bouleversements profonds au sein de la société marocaine. Si
l’effectif de la migration interne, du rural vers l’urbain est évalué à 67 000 personnes en 1960, on estime à
229 600 environ le nombre de migrants en 2004. Elle touche principalement des familles et des personnes
des deux sexes, majoritairement analphabètes.
Comme les grands centres ne peuvent supporter cet afflux massif de population, par manque d’infrastruc-
tures, de services et d’emplois, la migration interne devient alors un dérégulateur qui présente un danger
pour l’ordre établi.
Partant de ce constat, et afin de tenter de remédier aux problèmes les lus vitaux (santé, logement, scolari-
sation et emploi) il faut s’attacher à comprendre les différentes causes qui ont généré tous ces départs mas-
sifs.
70
2.3.2. Les effets
71
2.3.3. Le concept de ruralité
Dans le contexte actuel, lorsqu’on emploie le terme de milieu rural, il est indispensable d’en préciser le
sens car il n’implique pas pour autant une notion d’homogénéité. L’espace rural est fractionné en zones à
productivité variée ce qui implique des niveaux de développement différents. Il n’y a pas de commune
mesure entre le rural situé en bordure de la Côte Atlantique ou en région de plaines (Tadla, Chaouia, etc.), sur
ou à proximité d’axes à grande circulation, et le rural isolé du Haut Atlas ou des oasis. Dans un cas on se
trouve en présence de la grande propriété où prédomine l’économie de marché alors que dans l’autre cas
prévaut toujours une économie d’autosubsistance que l’on pourrait qualifier de non-subsistance.
Bien que ces différentes formes de ruralité produisent toutes deux une paupérisation croissante de la
population, le rapport exclusion/pauvreté y est différent.
En milieu rural isolé, c’est la pauvreté qui est prédominante, l’exclusion étant peu fréquente. Les causes en
ont été répertoriées précédemment. Malgré la pauvreté, les repères subsistent : on est toujours le fils de, de
la famille de...
Dans le milieu rural où prédomine l’économie de marché, il y a exploitation d’une masse salariée des deux
sexes qui est souvent déplacée, hors de son lieu d’origine, donc isolée. Sous payée, sans sécurité d’emploi
et sans couverture sociale, elle vit dans des conditions d’insalubrité et de précarité identiques à celles ren-
contrées en milieu urbain dans le secteur industriel C’est le cas du Nord notamment où il existe, à ma
connaissance, le seul phénomène inversé de migration de l’urbain vers le rural. La migration est localisée et
s’inscrit dans un cadre particulier, celui de la culture du cannabis et du maraîchage en tant que culture de
rente. Il s’agit essentiellement d’une migration saisonnière féminine :
– pour le travail et la récolte du cannabis (main d’œuvre du Moyen Atlas surtout) ;
– pour les cultures maraîchères, l’arachide, les fraises et les agrumes dans la région du Loukkos et du Dra-
der, où les femmes viennent des villes avoisinantes telles que Larache, Ksar el Kebir, etc. C’est une main
d’œuvre composée de jeunes filles mais surtout de veuves, de divorcées, de mères célibataires ayant une
famille à charge et qui sont, pour la plupart, dans l’incapacité de subvenir à l’éducation de leurs enfants 1.
Comme la demande en main d’œuvre saisonnière est de plus en plus importante eu égard à l’extension du
marché, le recrutement se fait dans les zones urbaines de plus en plus éloignées. Selon la distance qui les
sépare de leur lieu de résidence familiale, les femmes peuvent être absentes de chez elles, soit pour toute la
saison soit pour des périodes plus courtes. C’est généralement leur mère qui garde les enfants. Dans cer-
tains cas, lorsqu’elles habitent loin de leur lieu d’embauche et qu’elles n’ont personne pour s’occuper de
leurs enfants, elles les déplacent avec elles. Ils ne sont généralement pas scolarisés car elles ne peuvent pas
subvenir aux frais de scolarisation. Leur salaire journalier est d’environ 30 DH et elles travaillent uniquement
en fonction des conditions climatiques. Cette population est doublement vulnérable parce que, d’une part
elle est sous payée, sans aucune garantie de salaire minimum et d’emploi et sans couverture sociale, et
d’autre part, parce que les femmes qui font ce travail sont socialement déconsidérées et facilement assimi-
lées à des prostituées. Elles sont d’ailleurs très souvent les otages sexuels des contremaîtres qui profitent
de leur pouvoir discrétionnaire au niveau de l’embauche.
Dans ce contexte il y a pauvreté mais également exclusion. Les mécanismes en sont facilement repé-
rables. cette population est d’autant plus marginalisée que nombre de femmes sont issues d’autres régions,
donc isolées et sans famille. Le lien social, propre au milieu rural, qui pourrait, en les protégeant, les rattacher
à leur groupe d’origine est donc rompu. Isolées socialement, affectivement et culturellement, elles vivent,
1. Michèle KASRIEL, L’impact de la grande irrigation sur le mode de vie des femmes dans la région du Loukkos et du Drader, in Rapport
d’évaluation 2001 pour la KFW.
72
ainsi que leurs enfants, dans un état d’extrême précarité. C’est une main d’œuvre très difficilement quanti-
fiable car elle est mobile et saisonnière, non déclarée dans la majorité des cas. Elle échappe, par conséquent,
à toute visibilité. Une étude la concernant pourrait, dans un premier temps, recenser l’importance de ce
groupe social totalement marginalisé et particulièrement vulnérable puisqu’il s’agit de populations déjà fragili-
sées : les femmes (souvent des femmes abandonnées ou desmères célibataires) et leurs enfants.
En résumé, force est de constater que le déplacement pléthorique et anarchique d’une population rurale
vers les grands centres urbains contribue très largement au dysfonctionnement social, provoquant une urba-
nisation à marche forcée qui se traduit, jusqu’à présent, par l’asphyxie progressive et la dégradation physique
et socioculturelle des grands centres urbains.
Au Maroc, l’exclusion sociale est actuellement un phénomène essentiellement urbain, puisque les fac-
teurs qui la produisent massivement sont constitutifs des profonds bouleversements qui affectent la société.
Le passage d’un mode sociétal à un autre a généré deux types de fonctionnement très différenciés. Le lien
social qui assurait la cohésion de la société rurale traditionnelle s’est progressivement délité – accru davan-
tage encore par un exode rural exponentiel –, sans que de nouvelles formes de solidarité aient pu s’instaurer.
Il est vrai que l’ampleur du phénomène et de ses conséquences a, semble-t-il, été sous évaluée. Face à cette
désocialisation l’individu est totalement désemparé car, privé de ses repères fondamentaux, il n’a à sa dispo-
sition aucun modèle de substitution.
Bien que les phénomènes d’exclusion soient étudiés séparément en milieu rural et en milieu urbain, il faut
se garder toutefois de toute division manichéenne urbain/rural. Ce ne sont pas des mondes étanches et cloi-
sonnés qui évoluent parallèlement. Bien au contraire, de nombreux facteurs externes et internes interfèrent
entre ces deux types de société.
Au niveau interne, la circulation des individus entre ville et campagne, de même qu’une administration cen-
tralisée commune, agissent bien évidemment interactivement. De même que les options adoptées en poli-
tique extérieure, (plan d’ajustement structurel, accords de libre échange) ont eu des incidences
socio-économiques tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
C’est ce qui laisse à penser que la société marocaine, dans sa forme actuelle, est le produit de la confron-
tation mais aussi du brassage de deux modèles sociétaux.
L’occupation de l’espace s’est considérablement modifiée, impliquant nécessairement sa réorganisation
en même temps que la mise en place d’un modèle sociétal adapté. En se substituant à la collectivité qui
assurait traditionnellement la cohésion du groupe, l’État doit assurer cette fonction en tant qu’élément fédé-
rateur et régulateur d’un système légitimé par des règles, des normes et des lois. Lorsque la prise en charge
de l’individu par le groupe cesse d’être opérationnelle, il perd ses repères. D’autres repères et modèles
doivent alors lui être proposés pour qu’il puisse changer ses modes de représentation. Il pourra alors se per-
cevoir comme un élément singulier mais indissociable et indissocié d’un ensemble socialisé.
Si le bon fonctionnement de la société est l’affaire de tout citoyen, c’est à l’État toutefois qu’il appartient
d’assurer ces fonctions. Dans le cas présent, bien que l’État soit conscient du rôle qu’il doit assumer, il s’est
trouvé débordé par la rapidité de la mutation sociétale et n’a pu faire face aux besoins immanents, qu’il
s’agisse de la scolarisation, de la santé, de l’habitat ou de l’emploi. Cette incapacité de l’État à remplir ses
engagements peut expliquer pour partie que la société marocaine oscille toujours entre tradition et moder-
nité. Car, et c’est un invariant, lorsqu’on vit dans un présent incertain, on a tendance à prendre comme réfé-
rentiel les valeurs séculaires connues et sécurisantes : la famille, la tribu, la religion, etc.
73
Cette situation est d’autant plus mal vécue qu’en 1956, à l’instauration de l’Indépendance, la population
toute entière, villes et campagnes confondues, fut portée par un grand élan national. Les membres du parti
nationaliste s’étaient alors fixé pour principaux objectifs de donner à tout citoyen l’accès à l’instruction, à la
santé et le droit au travail.
En 2005, malgré les notables efforts accomplis – ou en voie de réalisation –, par l’État et la Société Civile
force est de constater que, non seulement ces objectifs ne sont pas atteints mais qu’à l’inverse, la situation
sociale s’est progressivement détériorée à l’intérieur du pays. L’État doit encore faire face à un déficit patent
dans les principaux domaines générateurs d’exclusion que sont l’éducation, la santé, l’habitat et l’emploi.
L’une des principales raisons invoquées est d’ordre conjoncturel : à partir des années 82, la mise en place
du PAS a contraint l’État à privilégier les équilibres financiers au détriment de la politique sociale interne.
Toutefois, si on veut donner à tout individu (des deux sexes) le droit au travail, à l’instruction, au logement et
à une protection sociale, il serait souhaitable de renforcer encore la politique sociale du pays. C’est seule-
ment ainsi que l’on pourrait tendre à diminuer sensiblement les cohortes d’exclus.
Si l’exclusion a, certes, un prix économique que l’on peut quantifier, peu ou prou, elle a avant tout un prix
humain dont les conséquences sociales ne sont pas mesurables. Il y a différentes raisons à cela. D’une part,
l’exclusion est un phénomène fluctuant parce que directement influencé par les politiques (économiques,
institutionnelles, juridiques et sociales) du pays, et d’autre part parce que les conséquences des situations
qu’elle engendre, telles que la solitude, la stigmatisation, la relégation ne sont ni évaluables ni previsibles,
dans la majorité des cas, Citons pour exemple la déscolarisation, le radicalisme religieux ou l’émigration des
jeunes diplômés.
Qu’il s’agisse de l’État, des partis politiques ou de la société civile prise dans sa globalité, la respon-
sabilité historique de tous ceux qui ont la capacité mais aussi la mission de penser est pleinement et
collectivement engagée en tant que citoyens d’abord, mais aussi en tant qu’acteurs privilégiés char-
gés d’impulser une dynamique sociale qui intègre tous les membres de cette société.
1. Robert CASTEL et Claudine HAROCHE, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Fayard, 2001.
74
2.4.1.1. Les exclus, un groupe de pression paradoxal
Il ne peut y avoir d’individus hors société puisqu’ils sont concrètement et physiquement présents. Il y a par
contre, et c’est de ceux là qu’il s’agit, des individus à qui il n’est reconnu aucune place parce qu’ils n’ont
aucune « utilité économique ou sociale ». Marginalisés par la société, ils ont de ce fait, une représentation
totalement négative d’eux-mêmes, un sentiment de non-existence. L’absence de place reconnue aux
groupes invalidés par la conjoncture actuelle les place en situation d’inutilité parce qu’ils ne sont pas inscrits
dans le modèle social dominant qui est celui de la production de richesse et de la reconnaissance sociale.
Cette non-reconnaissance se traduit concrètement par une « non-visibilité » d’un nombre croissant d’indivi-
dus qui n’ont pas accès aux droits humains les plus élémentaires tels que la santé, l’éducation, bases indis-
sociables de toute forme de socialisation.
Si l’on se réfère aux textes promulgués par le Conseil de l’Europe, est considéré comme exclu « Toute per-
sonne ou tout groupe de personnes qui se trouvent partiellement ou totalement en dehors du champ d’appli-
cation effectif des droits de l’homme ». Cette non-reconnaissance pose d’autant plus problème que les
exclus sont physiquement présents et qu’on ne peut pas, de ce fait, leur dénier toute existence. Comme la
société ne leur accorde aucune place, on se trouve confronté à une situation paradoxale : bien que sociale-
ment niés, puisqu’ils ne sont pas des acteurs sociaux actifs, ils ont collectivement une représentativité car
leur nombre croissant fleur confère une visibilité et un poids social. Du fait de leur nombre ils représentent,
pour l’ordre établi, un danger potentiel :
– le danger du terrorisme : laissés pour compte de la société, ils sont la cible privilégiée des extrémistes
de tous bords qui leur donnent le sentiment d’exister et d’être reconnus en tant qu’individus à part entière.
En défendant une cause, ils donnent ainsi un sens à leur vie, ils se sentent investis d’une mission. Ils sont
« utiles ». On peut comprendre alors leur engagement total ;
– le désordre social : un grand nombre d’exclus acculés au désespoir est potentiellement porteur d’actes
de révolte envers la société qui les rejette ;
– une entrave au développement : un pays ne peut se développer pleinement lorsqu’il se trouve dans
l’incapacité d’intégrer les populations les plus vulnérables ou en état d’extrême précarité.
La liste n’est pas exhaustive mais toutes ces raisons font que les populations marginales vont influencer
les politiques sociales du pays. Il n’est qu’à voir actuellement la place significative qui est accordée à la lutte
contre la pauvreté qu’il s’agisse de l’État, de la Société Civile, des partis politiques ou des ONG et coopéra-
tions internationales, car les dysfonctionnements à l’intérieur d’un pays ont également des conséquences à
l’échelle internationale.
75
Hassan II fut alors de réaliser l’unité nationale. Pour ce faire, il renforça la centralisation du pouvoir. Le pouvoir
législatif lui ayant été transféré lors de la déclaration d’Indépendance du 2 mars 1956, il s’entoura d’une
classe dirigeante qu’il fidélisa en lui accordant notamment des privilèges.
Le discrédit des partis : Bien que le Maroc se soit considérablement transformé depuis l’Indépendance, le
déficit en matière d’éducation, de formation et d’emploi, sont autant d’entraves au développement du pays.
Nombre de raisons peuvent être invoquées dont certaines sont d’ordre structurel. En effet, depuis quelques
décennies, à l’intérieur du pays les luttes intestines entre les diverses instances dirigeantes, les grands partis
politiques et les syndicats ont abouti à une fragmentation de la classe politique en de nombreux partis domi-
nés par les intrigues et les enjeux de pouvoir, qui ont contribué à la discréditer. Toutes ces raisons ont eu
pour résultat l’absence quasi générale de programmes cohérents et réalistes. D’où toute concertation était
absente. Si bien qu’en 2004, il semble évident que les élus ont confisqué au peuple marocain tout pouvoir de
décision. Le jugeant ignorant, ils ne le consultent généralement que par absolue nécessité, en période élec-
torale. On assiste alors à des réunions plus mercantiles que civiques et démocratiques puisque, profitant de
l’analphabétisme et de la pauvreté de la majorité de leurs électeurs, les élus ont jusqu’à ces dernières élec-
tions acheté leurs voix.
76
2.4.2.3. Au plan juridique
La différence sexuée face à la justice remet en cause l’égalité des individus devant la loi mais aussi dans la
société. Concernant les femmes, soit 52 % de la population environ, les diverses prises de position, des par-
tis politiques notamment, devant l’avancée significative des réformes du code de la famille, les modifications
qui ont du y être apportées, témoignent clairement des facteurs de blocage d’une société qui oscille encore
entre féodalisme et modernité.
77
Face à ce problème et eu égard à la place de plus en plus grande accordée au secteur associatif, certaines
expériences ont été tentées par quelques opérateurs privés (banques, grandes entreprises). Mais ces
actions n’ont pas abouti à une collaboration égalitaire et équilibrée où chaque partie met à disposition ses
propres compétences. En outre, si des réunions de concertation ont été initiées entre les opérateurs privés,
l’État et le secteur associatif, aucun programme qui implique les différents acteurs concernés n’a jusqu’à
présent été concrètement mis en œuvre dans la durée. Aucune évaluation fiable, qui puisse servir de base de
dscussion, n’a donc été réalisée. Quelques expériences sectorielles et ponctuelles ont été tentées avec les
coopérations et les organisations internationales (GTZ, PNUD, UE, etc.). Mais jusqu’à présent il n’y a eu
aucune tentative de coordination entre le monde de l’entreprise, le secteur associatif et l’État. Il en résulte
une superposition de programmes qui, s’ils étaient coordonnés et synchronisés, seraient beaucoup plus effi-
caces et efficients.
Sans doute est-ce dû pour partie au fait que le secteur associatif n’est pas encore en mesure de remplir le
rôle de coordination et d’intermédiation qui devrait être le sien, et ce, par manque d’organisation et de struc-
turation. La dispersion et le manque de communication au sein du secteur associatif lui enlèvent de sa fiabi-
lité. C’est d’autant plus dommageable que l’action associative ne peut s’inscrire dans la durée que si elle
établit un partenariat équilibré avec l’État, d’une part et les opérateurs privés d’autre part. Sans cet accord tri-
partite l’action associative ne peut être que factuelle.
78
Du fait de leurs actions de proximité, c’est dans le domaine du social que le rôle des associations est déter-
minant. Le travail de terrain que mènent certaines d’entre elles avec les populations les plus marginalisées
est souvent remarquable. En s’intéressant à ces populations et en les aidant, elles leur redonnent le senti-
ment d’exister qui leur avait été confisqué par une organisation sociale par trop normative, qu’il s’agisse des
enfants des rues, handicapés, mères célibataires, prostituées, sidéens etc. Nous prenons le parti de ne citer
aucune d’entre elles pour ne pas céder à la partialité.
Concernant l’État, les nouvelles orientations qui viennent d’être prises, qu’il s’agisse d’une formation pro-
fessionnelle davantage adaptée aux besoins du marché, de l’éducation ou de l’emploi, laissent à penser que
les nouvelles stratégies qui vont ou sont mises en œuvre prennent très manifestement en compte le déve-
loppement humain. Il en est ainsi pour l’habitat, l’un des principaux facteurs de précarité et d’exclusion. La
construction de logements sociaux et l’aménagement des bidonvilles comme le montre l’évaluation de Fran-
çoise Navez Bouchanine 1 laissent à penser qu’il y a actuellement une volonté affirmée de traiter des pro-
blèmes de fond en s’attaquant aux domaines cruciaux.
Réserver un chapitre à la scolarisation participe d’un choix délibéré car dans nos sociétés, il ne peut y avoir
de développement réel sans une alphabétisation, une scolarisation généralisée et une formation qualifiante
des jeunes, en premier lieu. De plus, comme le fait remarquer Marcel Gauchet 3, « l’école est maintenant
1. Françoise NAVEZ BOUCHANINE, Les interventions en bidonville au Maroc, Pulication ANHI, 2002.
2. Norbert ELIAS, Logiques de l’exclusion, Fayard, 1997.
3. Marcel GAUCHET, La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002.
79
chargée d’une double fonction, celle d’instruire mais aussi celle de socialiser ». Dans les sociétés de la
modernité qui se fondent sur l’individuation, la famille ne suffit plus ou n’est plus en mesure de remplir ce
rôle de socialisation. C’est alors à l’école qu’incombe cette fonction de vecteur de socialisation.
Au Maroc, avec le relâchement du lien social et les dispersions de ses membres (migration, lieu de travail
éloigné...), la famille s’est trouvée désappropriée du rôle socialisant qu’elle exerçait dans le cadre strictement
délimité et codifié de la société traditionnelle. Ce changement de rôle attribué à l’école peut expliquer, pour
partie, les dysfonctionnements du système scolaire actuel. Qu’il s’agisse de la formation des enseignants ou
du contenu des programmes, l’école n’est pas préparée à remplir ce rôle, elle n’est plus adaptée au vécu
quotidien des apprenants comme tend à le montrer le déficit du taux de scolarisation, et à l’importance des
abandons (dans le rural particulièrement). On peut noter que ce phénomène est en voie de généralisation
dans les pays du Nord comme au Sud.
Changer l’école ce n’est donc plus seulement instruire, mais c’est aussi socialiser. Pour réussir toute
réforme, il est fondamental maintenant de tenir compte de ces deux paramètres. L’éducation sera donc
appréhendée ici dans sa double fonction d’intégration et d’insertion sociales.
La scolarisation formelle et l’alphabétisation des jeunes ou des adultes ont des objectifs différenciés car ils
n’ont pas la même finalité. La scolarisation des jeunes est indissociable du processus d’intégration sociale
(instruire et socialiser), alors que l’alphabétisation des adultes peut être considérée comme un appui à l’inser-
tion sociale. L’intégration sociale génère une dynamique : socialement intégré, l’individu a la faculté de
prendre une part active à la vie de la Cité. C’est un citoyen à part entière. L’insertion sociale est plus restric-
tive, elle a une connotation passive : c’est avoir le droit d’être inséré dans la société.
Cette distinction est aisément repérable dans la démarche adoptée et dans les méthodes employées aussi
bien que dans les résultats obtenus en matière d’alphabétisation, notamment.
80
issus du milieu urbain, leur propre problème d’adaptation est déjà un obstacle à leur assiduité et à la qualité
de leur enseignement.
– La scolarisation des filles n’est pas encore totalement intégrée en milieu rural, surtout dans le Nord et
dans certaines zones du Sud (Rissani par exemple). Certaines raisons invoquées pour expliquer la non scolari-
sation des filles, telles que l’absence de toilettes, semblent superfétatoires quand on sait que la majeure par-
tie des habitants des douars n’a pas de toilettes dans sa maison. C’est un facteur « importé ».
– Le rapport école/emploi : exception faite du Moyen Atlas où l’école est perçue comme dispensatrice
d’un savoir incontournable, pour les autres régions l’école est encore majoritairement associée à l’emploi.
L’exemple des licenciés-chômeurs qui reviennent au douar sans pouvoir se réadapter vient conforter les
parents dans leur prise de position.
– Linguistique : en milieu berbérophone le problème de la langue pose problème aux enseignants arabo-
phones.
Toutefois, si on se réfère à certaines expérience de terrain 1, il semble que l’obstacle majeur à la scolarisa-
tion réside surtout dans la perte totale de confiance des parents face au système scolaire tant au niveau de la
formation et du contenu que de sa finalité.
81
puissent bénéficier d’un enseignement de qualité, les parents sont prêts à faire de réels sacrifices pour scola-
riser leurs enfants dans les écoles privées.
La conséquence directe de l’école à deux vitesses est de creuser davantage encore le fossé des inégalités
sociales et partant, à générer un accès inégal aux filières professionnelles les plus valorisantes et les mieux
rémunérées. Cette disparité dans l’enseignement est actuellement généralisée dans l’urbain et le périurbain.
3.1.2. L’alphabétisation des adultes : une plateforme pour une meilleure insertion
sociale
Le terme insertion est employé ici sciemment dans le sens de concéder une place à côté des autres sans
qu’il y ait pour autant un souci véritable d’intégration sociale. C’est ce que tendent à confirmer les différents
programmes d’alphabétisation proposés par les Ministères (MEN ou Ministère de l’Emploi) qui sont dispen-
sés dans un laps de temps très court, 10 mois. S’ils ont le mérite d’exister, ils ne peuvent toutefois prétendre
résoudre dans un laps de temps aussi court le problème de l’analphabétisme. C’est pourquoi, dans le cadre
de cet apprentissage, il semble plus pertinent de parler de participation à une meilleure insertion sociale :
écrire et lire son nom, lire des panneaux indicateurs, des numéros de téléphone, compter, etc., ce qui est
déjà un acquis notable pour les bénéficiaires. La majorité des femmes interrogées sur leurs attentes ont d’ail-
leurs parfaitement intégré cette logique. L’alphabétisation ainsi conçue peut être considérée comme le pre-
mier palier vers une insertion sociale. Le second palier visant l’intégration nécessite un suivi et une formation
complémentaires qui leur permettent, s’ils le désirent, d’apprendre à lire et à écrire. Les apprenant(e)s auront
ainsi le pouvoir d’assumer pleinement leur rôle citoyen.
Lorsque les programmes mis en place par l’État ont pris fin, certaines associations ont pris le relais, assu-
rant un suivi, par leurs propres moyens. Mais cette pratique est loin d’être généralisée, faute de moyens,
notamment. Ce sont très majoritairement les femmes qui sont concernées par ces cours car les hommes
sont très peu motivés : en tant qu’adultes, retourner à l’école leur semble dévalorisant ; ils sont, de ce fait,
beaucoup moins assidus même si ce sont des adolescents ou de jeunes adultes. Leur préoccupation
majeure se situe dans l’urgence : trouver un emploi et gagner de l’argent pour faire vivre leur famille. Une
approche repensée et mieux adaptée à leurs attentes permettrait sans doute de les intégrer à leur tour, du
moins pour certains d’entre eux et principalement les jeunes. Dans cet esprit, certains ministères ont mis en
place des systèmes d’alphabétisation fonctionnelle. Citons pour exemple le Ministère des Pêches et celui de
l’Agriculture.
Toutes les stratégies mises en œuvre à travers les différents programmes nationaux ou internationaux, de
même que le budget qui est alloué au MEN, attestent de l’importance que l’État accorde à la scolarisation.
On ne saurait trop insister sur le fait que, si le Maroc peut s’inspirer de modèles extérieurs, ceux-ci doivent
nécessairement être adaptés au contexte national et à ses spécificités d’autant que les nouvelles fonctions
dévolues à l’école en font, pour chaque pays, un modèle unique et singulier.
Tout citoyen devrait avoir sa place dans la société et bénéficier d’une reconnaissance sociale. C’est la
condition sine qua none pour pallier sinon à la pauvreté, du moins au phénomène d’exclusion. Si ces condi-
tions ne sont pas remplies on assiste alors, comme c’est le cas actuellement à l’instauration de mesures pal-
liatives qui peuvent être des alternatives positives ou négatives pour le pays qui les a initiées Toutefois l’État
82
ne peut et ne doit pas assurer l’intégralité de la fonction sociale. C’est à ce niveau qu’intervient le rôle de la
Société Civile.
Si on se réfère à la définition qu’en donne Pierre Bloch-Lainé, le secteur associatif doit remplir quatre fonc-
tions principales :
1. une innovation sociale par l’identification et l’analyse des besoins sociaux des populations cibles ;
2. une production de services à moindres coûts ;
3. une fonction de restauration du tissu social ;
4. une prise en charge ou plus exactement un soutien aux exclus et aux personnes démunies.
Au Maroc, il a pris un véritable essor depuis les années 90, au plan socioculturel tout d’abord, puis dans le
secteur économique avec le développement rural et les micro-financements. On estime à 30 000 environ le
nombre des associations répertoriées. On ne peut nier son impact, tout particulièrement au plan social, dans
les secteurs particulièrement vulnérables tels que le rural isolé ou les bidonvilles là où l’État était jusqu’à
présent très peu présent. Toutefois, bien que le secteur associatif draine d’importants financements (organi-
sations, et associations coopérations internationales, État, etc.), son impact reste cependant limité. Ce
constat est d’autant plus navrant que les fonctions qui lui sont dévolues répondent parfaitement aux besoins
du pays et au rôle qu’il devrait assurer. Quinze ans après, bien qu’on ne puisse nier l’apport positif de l’action
associative dans la lutte contre les différentes formes d’exclusion, certains constats s’imposent néanmoins :
au Maroc, le secteur associatif traverse actuellement une crise existentielle. Depuis une décennie environ,
son développement a suscité de nombreux espoirs, trop serait-on tenté de dire car si, comme l’affirme Mar-
cel Gauchet, le secteur associatif est « le troisième pilier des forces collectives à côté des partis et des syndi-
cats », il ne peut en aucun cas se substituer à l’État. Certains facteurs de blocage peuvent être répertoriés.
Ils sont, soit inhérents à son fonctionnement et à son organisation internes, soit corrélatifs de facteurs
externes.
83
4.1.1.2. Blocages externes
Depuis cinq ans environ, il y a eu création successive d’agences et de fondations dont la dernière en date,
l’Agence de Développement Social, est sous tutelle de l’État. Ces organismes deviennent les partenaires pri-
vilégiés des bailleurs de fonds nationaux et internationaux dont ils drainent les capitaux. Ils assurent ensuite
une redistribution des fonds auprès des associations locales ou régionales, décidant des projets « méri-
tants » et imposant des procédures lourdes, dans un souci de transparence et de contrôle certes, mais qui
sont des procédures inadaptées dans le cadre du fonctionnement des associations dont les membres sont,
pour la plupart, des bénévoles.
Si l’on peut se féliciter au niveau éthique du souci de transparence et de la volonté manifeste de réorgani-
ser plus « professionnellement » le secteur associatif, on peut se demander par ailleurs quel niveau d’indé-
pendance et de responsabilité est laissé aux associations. Ne deviennent-elles pas de simples agences
d’exécution ? Dans ce contexte, ne doit-on pas craindre de tomber dans l’excès inverse ? : composantes
hétérogènes d’un secteur associatif relativement inorganisé, les petites associations (de loin les plus nom-
breuses et les plus efficaces dans le travail de proximité), ne risquent-elles pas de devenir des « éléments
formatés », pièces interchangeables d’un secteur associatif fonctionnarisé et bureaucratique ? Ne risquent-
elles pas, à leur tour, de se retrouver en situation d’assistées ?
Pour optimiser son action, le secteur associatif doit définir précisément les tâches et fonctions propres à
chacun des partenaires pour que son action devienne concrètement complémentaire au rôle de l’État. C’est
à ce niveau que doit s’instaurer un dialogue, ce qui semble-t-il tente actuellement d’être initié (regroupement
d’associations, colloques, forums et séminaires).
Si certaines alternatives peuvent être considérées comme ultimes recours, elles ont cependant des effets
secondaires néfastes, non seulement pour l’individu mais aussi pour la société dans son ensemble. L’émigra-
tion « obligée » et le radicalisme religieux en sont les témoins les plus représentatifs.
84
nomène mérite d’être signalé parce qu’il n’est plus marginal. On se trouve alors confronté à une situation
paradoxale car dans le cas de l’émigration « légale », les candidats étaient pour la plupart des chefs de famille
analphabètes et sans qualification professionnelle alors que parmi les candidats à l’émigration clandestine, il
semble qu’il y ait un nombre relativement important de diplômés chômeurs à qui le droit au travail est dénié.
Ne pouvant trouver un emploi, ils sont obligés de s’exiler pour acquérir, hors de leur pays, un de leurs droits
les plus fondamentaux, celui de l’accès au travail sans lequel ils ne peuvent prétendre être socialement
reconnus ni même fonder un foyer.
Étant donné le caractère clandestin de cette migration, il est difficile d’en faire une évaluation chiffrée, elle
est cependant suffisamment importante pour être mentionnée. Cet exode des cerveaux, très dommageable
pour le Maroc est vraiment significatif du sentiment de mal être répandu dans les différentes strates de la
société. À l’inverse, phénomène très nouveau, il semble que de jeunes diplômés reviennent s’installer au
pays. Nous nous contenterons de le mentionner simplement, n’ayant pas de chiffres pour l’étayer.
85
Conclusion
Si la lutte contre la pauvreté et l’exclusion est devenue une priorité aussi bien pour l’État que pour la
Société Civile, force est de constater que les individus qui en sont victimes constituent toujours une frange
non négligeable de la population. Les principaux facteurs qui génèrent ces phénomènes se situent dans les
secteurs sensibles tels que l’éducation, l’habitat, l’emploi et la santé, autant de domaines qui sont les garants
d’un fonctionnement social équilibré et cohérent.
En résumé parmi les principaux facteurs, cause du dysfonctionnement social actuel on peut citer :
Au plan politique, une démotivation et une démission citoyennes généralisées, dues pour partie à la confis-
cation du pouvoir de décision et d’expression par une classe dirigeante qui a annihilé tout sens civique et cri-
tique chez l’individu au profit de l’intérêt individuel où pouvoir et argent sont les maîtres mots.
Au plan social, un processus de désocialisation dû, pour partie, à la perte de repères identitaires. De plus,
l’appropriation anarchique de l’espace a provoqué une surpopulation en milieu urbain et périurbain, d’où une
promiscuité chargée de violence sous-jacente d’autant que l’individu isolé, n’étant plus sous le contrôle de
son groupe social peut, de ce fait, enfreindre les tabous. Comme c’est une population en état d’extrême pré-
carité et vulnérabilité, elle est porteuse de troubles potentiels qui génèrent un état d’insécurité. L’accès iné-
gal aux soins et à l’instruction (médecine et scolarisation à deux vitesses) se traduit par l’exclusion d’une
grande partie de la population à une médecine et à une instruction de qualité. C’est un « état de fait qui
accentue davantage encore la fracture sociale ».
Au plan économique, cette fracture sociale est renforcée par les inégalités de plus en plus flagrantes entre
une classe dominante qui étale ses privilèges et s’enrichit toujours davantage et une frange croissante de
population en situation de précarité. Il en résulte un nombre et une visibilité accrue des groupes particulière-
ment vulnérables (handicapés, chômeurs, enfants des rues, veuves, divorcées ou mères célibataires). On
assiste également à la paupérisation d’une classe moyenne qui commençait à émerger dans les années 70
et qui, actuellement se sent dépossédée de ses droits de citoyenneté. Du fait de son incapacité actuelle à
avoir un rôle actif et reconnu dans la société, comme elle avait pu l’espérer, elle éprouve un sentiment de
frustration qui peut se traduire par des dérives vers des situations extrêmes (politiques ou religieuses). À ceci
s’ajoute l’exclusion du marché du travail qualifié et qualifiant d’une population des deux sexes majoritaire-
ment analphabète et particulièrement vulnérable. Ainsi se constitue un réservoir de main d’œuvre en situa-
tion de précarité, taillable et corvéable à merci.
Au plan socioculturel, le manque d’information, et par défaut de communication, induit des phénomènes
de marginalisation de groupe, les uns par rapport aux autres qui accentuent encore les difficultés d’adapta-
tion à d’autres modes de vie (tenues vestimentaires, pratiques alimentaires, éducation). Si bien que la pro-
miscuité obligée due la surpopulation des zones urbaines et périurbaines engendre des tensions dans la
cohabitation.
Au plan religieux, la radicalisation du religieux se définit par des signes extérieurs ; on est dans le domaine
du paraître au sens identitaire du terme. La religion sort de la sphère du privé pour s’ériger en fait social codi-
fié et instrumentalisé par certains courants extrémistes. Elle donne lieu à des dérives politiquement récupé-
rées.
Bien que la lutte contre la pauvreté et l’exclusion apparaisse comme une priorité et soit présente dans tous
les discours, les stratégies développées jusqu’à présent tant au niveau national qu’international ne semblent
pas réellement adaptées pour réguler ce phénomène. Elles doivent être repensées et réorientées car ce ne
sont pas des épiphénomènes mais bien des courants qu’on peut repérer au Nord comme au Sud, même s’ils
ne prennent pas des formes identiques. Nos sociétés, de plus en plus normatives produisent, par voie de
conséquence, de plus en plus d’exclus. Rejetés individuellement car considérés comme socialement et
économiquement inutiles, ils deviennent collectivement des groupes de pression.
86
Au Maroc, actuellement, une réflexion est amorcée à un niveau global qui devrait orienter différemment
les politiques de l’État : la théorie économique la plus répandue jusqu’à présent qui considère l’augmentation
de la croissance comme facteur de diminution de pauvreté et d’exclusion, semble caduque actuellement.
Imputer les causes de ces phénomènes au seul ordre économique semble par trop réducteur car les facteurs
qui génèrent l’exclusion peuvent être tout à la fois d’ordre politique, social, culturel ou religieux. C’est pour-
quoi exclusion et pauvreté doivent être considérées comme une entité, phénomène social total qui doit être
appréhendé par une approche transversale, et non pas comme un simple « satellite » de la dimension écono-
mique.
Recommandations
Décider d’intervenir efficacement et à long terme sur le problème de la pauvreté et de l’exclusion implique
de se situer non seulement dans un espace national, mais également dans un contexte international. Si, à
court terme, des mesures peuvent être mises en place ponctuellement et avoir une certaine visibilité, s’atta-
quer aux problèmes de base et aux causes profondes, c’est repenser le fonctionnement d’un système qui
génère ces phénomènes à quelque niveau que ce soit, politique, socio-économique, culturel et religieux. Les
recommandations que nous nous permettons de formuler se situent davantage au niveau du long terme,
dans le cadre d’une vision globale. Étant donné la nouvelle répartition démographique de l’espace, il semble
que les actions prioritaires à développer doivent se concentrer sur le périurbain et le développement de villes
intermédiaires.
87
Désenclaver le rural isolé
Les villages isolés sont à moyen terme appelés à se vider de leurs habitants, l’exode rural étant un phéno-
mène irréversible. Aussi ne semble-t-il pas prioritaire d’y faire de gros investissements. De ce fait il nous
semble plus approprié d’en faciliter l’accès pour permettre aux habitants de pouvoir se rendre dans les
douars plus proches des grands axes routiers afin qu’ils aient accès aux centres de santé ou à d’autres ser-
vices indispensables.
Concernant les écoles, partant de notre modeste expérience de terrain, il serait plus profitable de fermer
les écoles des villages les plus enclavés où les enseignants sont absents une grande partie de l’année et
d’établir un ramassage scolaire (à voir avec les communes en partenariat avec le MEN) pour opérer des
regroupements de classe dans les douars les plus proches qui bénéficient déjà des infrastructures de base
(eau courante, électricité, centre de santé ou dispensaire). Des cantines pourraient être créées pour per-
mettre aux enfants des douars les plus éloignés de déjeuner sur place ou de pouvoir apporter leur repas. La
fréquentation des enseignants et des élèves devrait en être renforcée, d’autant que les inspecteurs pour-
raient se déplacer plus fréquemment, assurant ainsi un soutien aux enseignants.
Opter pour un développement humain c’est donner à tout individu la possibilité d’avoir un espace de vie et
les moyens nécessaires qui lui permettent de se réaliser dans la dignité.
Références bibliographiques
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Aspects institutionnels de la pauvreté
et des facteurs d’excusion sociale
Introduction ........................................................................................................... 91
89
Conclusion ..............................................................................................................115
Bibliographie ..........................................................................................................115
AHMED GOUITAA
90
L’étude des aspects institutionnels relatifs à la pauvreté et aux facteurs d’exclusion sociale dans le contexte
marocain amène à l’appréhension du processus complexe d’intégration des concepts pauvreté et exclusion
sociale dans les formes publiques d’expressions orales ou écrites, dans les modes de leur prise en compte
dans la conception et la mise en œuvre de politiques économiques et sociales nationales.
Dans le cas spécifique du Maroc, ayant son histoire et sa culture propres, il s’agit de mettre en relief ces
formes et modes à travers la trajectoire des options et des stratégies de développement économique et
social suivie depuis l’indépendance nationale en 1956.
Ainsi, trois grands axes s’imposent en tant que supports d’analyse des aspects institutionnels relatifs à la
pauvreté et aux facteurs d’exclusion sociale.
Le premier axe porte sur l’analyse de la trajectoire précitée en distinguant les principales phases de poli-
tiques économiques et sociales, selon ce qu’elles comportent comme dimensions et portées sociales prises
sous les conditions et les formes de prise en charge des phénomènes de disparités et d’exclusion sociale.
Certes, les pouvoirs publics marocains n’ayant pas été insensibles aux disparités sociales accompagnant
les efforts d’investissements déployés, ont mis en place des politiques de développement social dont il
convient d’étudier les objectifs poursuivis, les institutions et les dispositifs installés et les programmes géné-
raux et spéciaux adoptés pour atteindre ces objectifs. C’est ce qui constitue le deuxième axe d’analyse.
L’appréciation de l’impact des efforts accomplis constitue une entrée pour aborder le troisième axe consis-
tant à tirer les enseignements requis et à formuler des recommandations pour des perspectives meilleures
en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Au lendemain de son indépendance, le Maroc s’est trouvé devant une situation sociétale dont les struc-
tures fondamentales ont été façonnées pour répondre essentiellement aux intérêts du protectorat. Tout
devrait être repensé authentiquement pour répondre aux aspirations nationales, consolider l’indépendance
du pays et remédier aux effets néfastes immédiats du découpage du pays en Maroc utile et non utile.
La dominance de ces préoccupations comme point de départ incontournable et la mise en œuvre d’un pro-
cessus de développement économique et social dans un contexte d’environnements national, régional et
international en transformations continues, et parfois brutales, ont imposé à la trajectoire de ce processus
des phases assez différentes.
Schématiquement, on peut distinguer quatre grandes phases dans la trajectoire des options et stratégies
du processus de développement suivi au Maroc.
La première phase va du lendemain de l’indépendance à 1975. Elle est caractérisée par une intervention
forte des pouvoirs publics dans la conception et la mise en œuvre des politiques économiques et sociales.
A cette phase, succède la deuxième qui a été marquée par une recherche de nouveaux moyens dont prin-
91
cipalement ceux financiers devant la rareté des moyens habituels. Ce fut essentiellement une phase de réa-
justement financier.
La troisième phase d’ajustement structurel correspondant à la période 1983-1992. Celle-ci a entraîné une
quatrième phase centrée sur l’ajustement social dont les enjeux fondamentaux dominent le contexte maro-
cain du début du 21e siècle.
Au cours de cette phase, l’État fut le principal acteur des politiques économiques et sociales. Le niveau de
croissance économique dépendait principalement de l’intensité des investissements réalisés et des perfor-
mances qu’ils permettent d’obtenir. Les modes de gouvernance étaient largement centralisés. Les options
et les stratégies que l’État s’assignait visaient la mise en place des infrastructures de base, la mise en valeur
agricole, l’implantation de l’industrie, le développement du tourisme, la formation des cadres, la promotion
des exportations et la réforme de l’administration, etc..
La localisation de grands projets d’investissement, comme les routes, les ports, les aéroports, les bar-
rages, les périmètres de mise en valeur agricole et les universités s’insérait directement ou indirectement
dans un souci de création de pôles régionaux de développement, supposés générer des effets d’entraîne-
ment favorables aux conditions d’établissement d’une répartition équitable des fruits de la croissance écono-
mique.
Les plans nationaux de développement économique et social adoptés au cours de cette phase témoignent
de ces choix. Ils montrent l’importance des investissements budgétaires que l’État allouait aux programmes
de concrétisation de ces choix.
C’est certainement le plan quinquennal de développement économique et social 1973-1977 qui représente
l’optimalité des aspirations et des objectifs escomptés par les pouvoirs publics. En effet, on peut relever trois
indicateurs significatifs à cet égard :
– Le taux de croissance économique, en termes réels, est passé de 3,5 % en moyenne annuelle durant la
période 1960-1972 à 7,4 % entre 1973 et 1977 ;
– Le taux d’investissement par rapport au PIB est passé de 11 % en moyenne annuelle entre 1960 et
1967 à 14,3 % entre 1968-1972 et 25,6 % durant le quinquennal 1973-1977 ;
– La part des investissements publics dans le PIB est passée de 5,8 % en moyenne annuelle durant le
plan 1968-1972 à 13,3 % entre 1973 et 1977.
Cependant, le renchérissement des cours internationaux des matières premières en 1975, n’a pas consti-
tué, vu son caractère éphémère, un appui durable aux programmes d’investissements ambitieux affichés par
les pouvoirs publics. Le niveau des ressources financières mobilisées par l’épargne nationale n’était pas suffi-
sant pour atténuer le déficit substantiel du compte épargne investissement.
Ainsi, le besoin de financement de l’économie nationale a atteint 16,5 % au terme de 1977 contre un défi-
cit moyen de 1,1 % du PIB en 1968 et un excédent qui a représenté 3,8 % en 1974 suite à l’augmentation
des recettes des exportations des phosphates.
C’est cette situation financière qui a soldé, à l’issue du plan quinquennal 1973-1977, la phase d’inter-
ventions centrées sur des investissements publics de grande envergure. Elle marque la fin d’une phase où
l’État se présentait comme vecteur principal de croissance économique et de redistribution des fruits de
92
cette croissance dont la concrétisation était considérée comme un objectif de long terme qui exige une
œuvre continue pour le réaliser au cours des prochaines années.
C’est une phase dont les grands traits ont été définis par le plan triennal 1978-1980 où les principaux objec-
tifs consistaient à renforcer et à soutenir l’indépendance économique et financière du pays et à améliorer les
équilibres financiers interne et externe.
C’est aussi une phase qui a été marquée par la priorité accordée à la défense des acquis en matière d’unité
territoriale nationale pour laquelle des ressources financières importantes ont été réservées au titre de la
défense nationale.
Les effets qu’aurait une baisse prévisible des taux de croissance de certains secteurs sur l’emploi n’échap-
paient pas aux décideurs. Dans ce cadre, il a été considéré que l’emploi constitue un moyen de distribution
équitable du revenu national et de justice sociale en général. Pour cela des mesures ont été retenues.
Il s’agit en particulier de :
– l’exécution du maximum de projets exigeant le minimum de devises étrangères et employant une main
d’œuvre abondante ;
– la révision des codes d’investissement afin d’encourager les créations d’emplois ;
– la marocanisation des postes d’emploi occupés par les étrangers.
D’une manière plus nuancée, le plan triennal 1978-1980 a insisté sur les dangers auxquels le pays est
exposé, lesquels résident dans l’accentuation des écarts en matière de disparités entre les couches aisées
de la population et celles démunies, et entre les provinces et les régions. Ainsi, des mesures visant l’atténua-
tion de ces disparités, et sans le préciser de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ont été retenues. Ce sont
des mesures qui visent la protection des couches lésées en :
– appliquant une politique rigoureuse de contrôle des prix et en réformant les mécanismes de commer-
cialisation afin de lutter contre la spéculation ;
– gelant progressivement les hauts salaires au sein des établissements publics et en augmentant dans la
mesure du possible les salaires faibles ;
– accordant une exonération fiscale aux catégories de salaires atteignant 6.000 dh par an au lieu de
3.000 dh en vigueur ;
– augmentant les indemnités familiales dans les deux secteurs public et privé ;
– élargissant le régime de retraite aux fonctionnaires occasionnels et aux agents des collectivités locales.
Les options et les stratégies de redressement qui ont dominé cette phase ne pouvaient pas conduire à des
résultats satisfaisants face à des facteurs conjoncturels sévères auxquels la structure de l’économie natio-
nale ne pouvait pas résister. Ainsi, le déficit du solde courant de la balance des paiements avait fléchi de
16,5 % du PIB en 1977 à 7,9 % en 1980. Il est passé de nouveau à 12,6 % par an durant les deux premières
années du plan 1981-1985.
De même, le déficit du trésor qui a représenté 17,6 % du PIB en 1977 a été réduit jusqu’à 11,5 % en 1980.
Toutefois, une reprise du déficit budgétaire a marqué les deux premières années du quinquennat 1981-85. Il
a atteint environ 14 % du PIB en 1982. La sécheresse, le renchérissement du dollar américain, la hausse des
93
taux d’intérêt sur le marché international de financement expliquent, entre autres, cette tendance à la dété-
rioration des principaux soldes financiers de l’économie marocaine.
Les conséquences d’une telle politique économique et financière synonyme d’économie d’endettement
ne se sont pas faites attendre, puisque au terme de 1982 le service de la dette publique extérieure a repré-
senté 37,4 % des recettes des exportations de biens et services non-facteurs. Ceci laissait peu de réserves
étrangères à l’économie nationale pour financer les importations nécessaires à sa croissance. Les réserves
de change à fin 1982 représentaient moins de 10 jours d’importations.
L’État s’est vu donc contraint, dès la deuxième année du quinquennat 1981-85, à abandonner ce plan au
profit d’un programme d’ajustement structurel établi à partir de 1983 en collaboration avec la Banque Mon-
diale et le Fonds Monétaire International.
Les options et les stratégies qui caractérisent cette phase visaient la résorption des déséquilibres interne
et externe qui marquaient l’économie marocaine, la mise en place des bases nécessaires à une croissance
soutenue et durable et le renforcement des capacités de l’économie marocaine pour faire face aux aléas de
la conjoncture.
Deux principaux programmes de mesures et de réformes ont été retenus pour concrétiser ces options et
stratégies. Il s’agit :
– du programme de stabilisation, dont les actions le composant sont destinées à réduire la demande glo-
bale de l’économie à travers la réduction du train de vie de l’État, et partant du déficit budgétaire et la
maîtrise du déficit de la balance des paiements ;
– du programme d’ajustement structurel dont les mesures et réformes de politique économique identi-
fiées sont susceptibles d’engendrer une augmentation de l’offre globale et d’éliminer les différentes dis-
torsions qui marquaient l’économie nationale à plus d’un niveau. Elles ont trait essentiellement à la
politique industrielle, la politique commerciale et la politique monétaire et financière.
Dans la même optique, les pouvoirs publics ont mis au point un programme à moyen terme pour aug-
menter l’efficacité et la performance des établissements publics. Les actions retenues à ce propos ont été
synthétisées dans le programme d’assainissement et de restructuration des établissements publics
(dénommé P.E.R.L.). Au terme de ce programme, une politique de désengagement de l’État au profit de l’ini-
tiative privée a été engagée. Aussi, des contrats-programmes ont-ils été établis entre l’État et certaines
entreprises publiques dispensant des services à caractère public tout en définissant les obligations et les
devoirs de chacune des parties.
Globalement, la période 1983-1992 (période du rééchelonnement) a enregistré une croissance annuelle
moyenne du PIB de l’ordre de 3,5 %.
Les investissements n’avaient pas dépassé 23 % du PIB durant cette phase contre 27 % à la veille de
1983.
Toutefois, le rétablissement des équilibres fondamentaux de l’économie nationale a été réalisé au détri-
ment de l’équilibre du marché du travail. Le taux du chômage national s’est accentué durant la période inter-
censitaire 1982-1994, en passant respectivement de 10,7 % à 16 %. Ce déséquilibre s’explique, en partie,
par le ralentissement qui avait marqué les recrutements des administrations publiques. L’État qui a créé
94
38.250 emplois en moyenne annuelle durant 1975-1980, a réduit les postes d’emploi créés entre 1983 et
1994 à près de 22.500 par an en moyenne.
Le bilan de cette phase fait ressortir des déficits en matière de scolarisation, de couverture sanitaire ainsi
que d’accès à l’habitat, à l’eau potable et à l’électricité.
Ainsi, le taux de scolarisation des enfants âgés de 6 à 11 ans s’élevait à 52,5 % en 1990-91 au niveau natio-
nal, à 74,8 % en milieu urbain et 35,9 % en milieu rural. Sur le plan de la desserte en électricité et en eau
potable, si 88,7 % des ménages disposent de l’électricité et 91,9 % sont approvisionnés en eau potable dans
le milieu urbain en 1991, il n’est pas de même dans le milieu rural où ces indicateurs ne dépassent pas
11,9 % et 14,2 %, respectivement en 1990-91. En 1998-99 et par référence à 1990-91, le taux de la pauvreté
est plus que deux fois plus élevé en milieu rural (respectivement 18,0 % et 27,2 %) qu’en milieu urbain (res-
pectivement 7,6 % et 12,0 %). Face à ce bilan, les pouvoirs publics ont pris conscience de l’acuité de la pro-
blématique sociale devenue inquiétante. Ils ont été conduits à repenser et à finaliser la démarche de
développement social adoptée dès le début de la troisième phase de la trajectoire du processus de déve-
loppement économique social marocain.
Les progrès réalisés au cours de la phase d’ajustement structurel n’ont pas permis d’atténuer significative-
ment la pression des déficits sociaux. Les effets des programmes d’ajustement structurel mis en œuvre ont,
en absence d’acteurs se substituant aux désengagements de l’État en matière d’investissements créateurs
d’emplois et de revenus, accentué la vulnérabilité de catégories sociales ne disposant pas de sources de
revenu et d’opportunités stables d’emploi.
Une telle situation a entraîné le recentrage de l’attention des pouvoirs publics sur les questions sociales
dont l’appréhension s’est traduite par la mise en œuvre d’une stratégie de développement social pour la
décennie quatre vingt dix qui s’est assignée des orientations en matière de résorption des déficits enregis-
trés dans les services sociaux de base. Elle s’articule, en fait, autour de trois priorités :
– l’accroissement des opportunités d’emploi et de revenu de la population ;
– l’élargissement de l’accès des populations défavorisées aux services sociaux de base (eau potable, élec-
tricité, assainissement, scolarisation, logement social, désenclavement) ;
– le renforcement des programmes d’assistance et de protection sociale au profit des catégories les plus
vulnérables.
Cette réorientation sociale s’est réaffirmée par l’adhésion du Maroc aux objectifs du Sommet Mondial pour
le Développement Social tenu à Copenhague en mars 1995, dont la déclaration finale adoptée stipule qu’une
grande partie des dépenses budgétaires et de l’aide extérieure devraient être consacrée au financement des
services sociaux de base.
Dans ce cadre, plusieurs programmes ont été conçus et mis en exécution à partir du milieu de la décennie
quatre vingt dix. Il s’agit en particulier du Premier Programme des Priorités Sociales (BAJ1), du Programme
d’Approvisionnement Groupé en Eau Potable des Populations Rurales (PAGER), du Programme National de
Construction de Routes Rurales (PNCRR) et du Programme National d’Electrification Rurale (PNER).
Des chantiers sociaux ont été ouverts notamment en ce qui concerne la réforme du système éducatif, la
protection sociale par l’assurance maladie obligatoire et l’assistance médicale aux économiquement faibles
et l’accès au logement social.
95
Ainsi, cette phase est fondamentalement dominée par une préoccupation profonde de conception et de
mise en œuvre de stratégies et de politiques visant le développement social et dont l’arrière plan s’assigne
une recherche de la réduction de la pauvreté.
En effet, c’est au cours de cette phase que le phénomène de pauvreté a fait l’objet d’intérêt particulier. Il
sous-tendait les options et les stratégies de développement de la fin de la décennie quatre vingt dix et le
début de la décennie 2000.
Dans ce cadre rentrent l’élaboration de la stratégie de développement social intégré et son adoption en
septembre 1999 par une commission interministérielle présidée par le Premier Ministre. Celle-ci visant la
lutte contre la pauvreté, les disparités sociales et régionales, le chômage, l’analphabétisme et les inégalités
d’accès à la scolarisation, aux soins de santé et au logement décent, a présidé à la conception et à la mise en
œuvre de politiques de lutte contre ces déficits sociaux poursuivies depuis la fin de la décennie quatre vingt-
dix.
A partir du début des années quatre vingt dix les dispositifs et les mécanismes visant la promotion sociale,
par l’atténuation des phénomènes de pauvreté et d’exclusion sociale ont été multipliés et diversifiés. Ainsi
furent mis en place :
– l’Agence pour la Promotion et le Développement des Préfectures et Provinces du Nord du Royaume ;
– le Fonds de la Promotion de l’Emploi des Jeunes ;
– la Fondation Mohamed V pour la Solidarité ;
– le Fonds Hassan II pour le Développement Économique et Social ;
– l’Agence de Développement Social ;
– l’Agence pour la Promotion et le Développement Économique et Social des Préfectures et Provinces du
Sud du Royaume ;
– l’Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi et des Compétences.
96
Des programmes spéciaux ont été élaborés et mis en œuvre. Il s’agit des Programmes de desserte en
électricité et en eau potable du milieu rural, de construction de routes rurales, d’élargissement de l’accès aux
services éducatifs et sanitaires de base (BAJ1), et au logement social, de lutte contre les effets de la séche-
resse et de lutte contre l’analphabétisme. Des programmes d’auto-emploi et de micro-crédit ont été aussi
institués.
Des mécanismes de protection sociale ont été envisagés et adoptés notamment en ce qui concerne :
– L’élargissement de la couverture sociale ;
– L’instauration d’un régime d’assurance maladie obligatoire ;
– L’instauration d’un régime d’assistance médicale aux économiquement faibles.
Selon les vocations et les missions assignées à ces institutions, mécanismes et programmes, on peut les
classer par quatre types de domaines concernant notamment l’atténuation des disparités régionales, la pro-
motion d’emploi et de revenu, l’amélioration des conditions et niveaux de vie et la protection sociale.
En vue de réduire les déséquilibres régionaux inhérents aux causes fondamentales de la vulnérabilité
économique et sociale des populations de provinces et de zones défavorisées, des programmes et instru-
ments spéciaux ont été élaborés et mis en œuvre dont les principaux sont rappelés ci-après.
97
Ce projet comportait des actions de défense et restauration des sols, des plantations forestières et frui-
tières, de constitution de prairies permanentes, de petits travaux hydrauliques, d’ouverture de pistes,
d’équipement rural et de vulgarisation.
Sa durée d’exécution était fixée à 25 ans. Ayant bénéficié de ressources financières régulières, le DERRO,
a d’une manière générale, contribué fortement à améliorer la situation économique dans la zone ciblée
constituée des provinces de Kénitra, Tétouan, Fès, Taza, Al Hoceima, Taounate et Chefchaouen.
98
2.2. Promotion d’emploi et de revenu
Les institutions créées pour contribuer à la promotion d’emploi et de revenu, notamment par la réalisation
de projets d’activités générateurs d’emploi et la distribution de salaire, et donc réducteurs des causes de
pauvreté et d’exclusion sociale, peuvent être présentées comme suit :
Depuis sa création, les activités réalisées par la Promotion Nationale ont permis de distribuer des masses
salariales non négligeables à la main d’œuvre essentiellement rurale ou en quête de travail. Elles ont permis
aussi d’exécuter des projets d’équipements locaux collectifs à caractère économique et social dans les
domaines de reboisement, d’ouverture et d’aménagements de pistes, de construction de locaux scolaires et
sanitaires, d’adduction d’eau potable etc.. Au cours de plusieurs années de sécheresse, ses interventions ont
eu un impact favorable sur la limitation de l’exode rural.
Depuis sa création et au terme de l’année 1999, la PN a permis, grâce aux programmes qu’elle a mis en
œuvre, d’employer 66.000 personnes (homme/année) dont 70 % en milieu rural. Cependant, cet indicateur
tend à baisser puisque le plan quinquennal 2000-2004 l’a fixé à 40.550 postes d’emploi au cours de cette pé-
riode.
99
L’Entraide Nationale assure aussi :
– une éducation et une formation qualifiante au profit des jeunes filles et femmes issues de milieux défa-
vorisés et n’ayant pas pu poursuivre leurs études ;
– une initiation professionnelle au bénéfice des enfants déscolarisés de manière précoce afin de leur per-
mettre de s’insérer dans la vie active.
A la fin de la décennie quatre vingt dix, l’efficacité des actions menées par l’Entraide Nationale a été forte-
ment réduite notamment à cause de la diminution des ressources allouées, l’arrêt du Programme Alimentaire
compensatoire et son incapacité à s’adapter aux nouveau contexte d’évolution économique et sociale par la
mise en œuvre de nouvelles stratégies d’action.
100
l’État et 0,6 milliards de dirhams offerts par le système bancaire. Les emplois créés dans ce cadre sont esti-
més à plus de 19.000.
Les principales contraintes qui influent sur le crédit et qui sont souvent citées résident dans l’absence de
locaux professionnels, l’inadéquation profil-projet, mais surtout, dans le fort degré d’aversion envers le risque
manifesté par les établissements bancaires en raison de l’absence d’un fonds de garantie.
C’est pour surmonter ces contraintes que des modifications importantes ont été introduites à l’initiative
des pouvoirs publics lors de l’examen du projet de loi relative au fonds pour la promotion de l’emploi des
jeunes.
Ces actions d’accompagnement sont destinées à tous les jeunes promoteurs de projets sans exclusion
aucune (diplômés et non diplômés).
Outre les instruments de mise en œuvre du fonds (conventions avec les banques, institution d’un fonds de
garantie, désignation de sous-ordonnateurs, etc.), une Commission Nationale de Promotion de l’Emploi, pré-
sidée par l’ordonnateur du fonds, en l’occurrence le Premier Ministre, a été créée en vue de coordonner et
d’assurer le suivi des actions prévues.
Malgré l’encadrement et le suivi étroits assurés par cette commission interministérielle présidée par les
services du Premier Ministre, les résultats escomptés du Fonds n’ont pas été réellement atteints.
101
2.2.8. L’Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences (ANPEC)
Cette agence a été créée en vue de rapprocher l’offre et la demande du travail et de veiller à l’exécution de
la politique gouvernementale en matière d’emploi. Elle est chargée de réaliser les missions essentielles sui-
vantes :
– L’accueil, le conseil, l’orientation professionnelle et l’inscription des demandeurs d’emploi ;
– L’aide et le conseil aux employeurs pour définir leurs besoins en matière d’emploi et les sensibiliser à
l’importance de la gestion des ressources humaines ;
– Le rapprochement entre l’offre et la demande de travail ;
– La participation à l’élaboration et à l’exécution de programmes d’adaptation professionnelle et de la for-
mation-insertion, en concertation et en coordination avec les employeurs et les établissements de for-
mation ;
– L’information et la sélection des jeunes désirant créer leur propre entreprise, et leur orientation pour
bénéficier des services liés à l’auto-emploi.
La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, saisie dans ses différentes dimensions et portées, a
conduit les pouvoirs publics à multiplier les programmes d’action visant l’amélioration des conditions et des
niveaux de vie des populations défavorisées. Le but est l’atténuation des causes profondes de la pauvreté et
de l’exclusion sociale. Les principaux programmes, conçus et mis en œuvre à cet effet peuvent être synthéti-
sés comme suit.
102
2.3.2. La desserte du milieu rural en eau potable et électricité
Deux programmes importants ont été conçus et mis en œuvre pour desservir les populations rurales en
eau potable et en électricité. Il s’agit en matière d’eau potable du Programme d’Approvisionnement Groupé
en Eau Potable des Populations Rurales (PAGER). Celui-ci vise l’alimentation en eau potable de 31.000 locali-
tés où résident 11 millions d’habitants. Sa durée de réalisation est estimée à 10 ans à partir de 1995. Son
coût total à été évalué à 10 milliards de DH. Il a été retenu qu’il soit financé au moyen des sources suivantes :
– Le budget de l’État, les prêts, la solidarité nationale, les dons, etc ... à concurrence de 80 % ;
– Les contributions des collectivités locales : 15 % ;
– La contribution des usagers : 5 %.
L’objectif actualisé par le plan quinquennal 2000-2004 et assigné au PAGER, est de parvenir à desservir en
eau potable 80 % de l’habitat rural au terme de l’année 2006, au lieu de 38 % en 1999.
Concernant l’électrification du monde rural, le programme de grande envergure retenu et mis en œuvre est
le Programme d’Électrification Rurale Global (PERG). Son objectif est d’électrifier 1,5 millions de foyers au
terme d’une période de 15 ans (1996 – 2010), soit près de 9 millions d’habitants. Le montage du financement
de son coût global estimé à 15 milliards de DH se présente comme suit :
– 20 % : Contribution de l’Office Nationale de l’Electricité (ONE) ;
– 35 % : Taxe de développement sur le prix de kwh ;
– 20 % : Contribution des collectivités locales ;
– 25 % : Contribution des abonnés.
Le PERG, devrait, selon le plan quinquennal 2000-2004 permettre de couvrir 80 % des ruraux en 2006, au
lieu de 32 % en 1998.
2.3.3. Le désenclavement
Le désenclavement du monde rural, et notamment des zones particulièrement pauvres et enclavées repré-
sente un axe fondamental de contribution à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales
démunies.
En vue de faire face au déficit enregistré dans ce domaine, un Programme National de Construction de
Routes Rurales a été mis en œuvre à partir de 1991. Il consiste à construire 11.220 Km de routes rurales sur
9 ans dont 6.150 Km représentent des routes à aménager. Son coût global a été estimé 5,5 milliards de DH.
Son mode d’exécution est axé sur des techniques à forte intensité de main d’œuvre et sur l’utilisation de
matériaux locaux.
En vue d’accélérer le désenclavement en milieu rural, le plan quinquennal 2000-2004 a fixé le rythme
d’exécution du PNCRR à 2210 Km par an, contre 1000 km réalisés en moyenne par an avant 2000.
103
Mondiale. Il a ciblé 14 provinces considérées les plus défavorisées : Al Hoceima, Azilal, Taza, Sidi kacem,
Chefchaouen, Essaouira, Al Haouz, Chichaoua, Tiznit Ouarzazate, Safi, Zagora, Taroudante et Kelâa des
Sraghna. Il est composé des trois projets :
– Éducation de base ;
– Santé de base ;
– Promotion de l’emploi au moyen de la Promotion Nationale.
104
– La participation de la Promotion Nationale aux campagnes d’alphabétisation pour des chantiers impor-
tants et de longue durée ;
– Le renforcement de la capacité de suivi des activités de la Promotion Nationale.
Les principaux axes d’intervention du programme, s’articulent autour des points suivants :
– l’approvisionnement en eau potable des zones rurales déficitaires ;
– la sauvegarde et la protection du cheptel ;
– le soutien des revenus agricoles par la création d’emploi ;
– le report des échéances de crédit des agriculteurs de l’année en cours ;
– la sauvegarde du patrimoine forestier.
Les principaux indicateurs relatifs à l’exécution des composantes du programme peuvent se résumer
comme suit :
– la création de 18,8 millions de journées de travail, soit 54 % du nombre prévu ;
– l’approvisionnement en eau potable d’environ 1.500.000 habitants répartis sur plus de 2000 localités ;
– la distribution de 8,2 millions de quintaux d’orge subventionnée et 1,5 millions quintaux d’autres ali-
ments en plus des opérations d’encadrement vétérinaire et d’abreuvement du cheptel.
105
En complément à l’éducation non formelle destinée aux enfants non scolarisés ou déscolarisés âgés de 9 à
15 ans, l’alphabétisation s’adresse en priorité aux adultes âgés de moins de 45 ans, soit une catégorie de la
population encore en activité, et plus particulièrement :
– Les femmes et surtout celles du monde rural au taux d’analphabétisme élevé.
– Les populations des zones défavorisées qui vivent dans des situations difficiles, car toute intervention en
leur faveur les aidera à dépasser leur situation et les protégera de toute forme de désespoir ou de délin-
quance.
Au cours des dernières années les actions d’alphabétisation se sont stabilisées dans le cadre de 4 pro-
grammes diversifiés et complémentaires :
– Programme général : Ce programme est réalisé, moyennant l’utilisation des structures d’accueil
(écoles, collèges, lycées) et l’encadrement pédagogique d’enseignants, d’inspecteurs et de directeurs ;
– Programme des opérateurs publics : C’est un programme réalisé en collaboration avec des opérateurs
publics au profit des populations analphabètes bénéficiant de leurs services.
Il vise à renforcer le rôle des opérateurs publics dans le domaine de l’alphabétisation et de l’éducation des
adultes en les engageant sur des objectifs de qualité ;
– Programme des associations : Il s’agit d’un vaste programme de soutien financier, pédagogique et
technique au profit des ONG œuvrant dans le domaine de l’alphabétisation.
Ces actions sont réalisées sur la base de conventions de partenariat entre le Secrétariat d’État Chargé de
l’Alphabétisation et de l’Education Non Formelle et les ONG ;
– Programme des entreprises : Ce programme vise la mise à niveau des ressources humaines occupées
dans les secteurs d’activités économiques, en leur dispensant une alphabétisation fonctionnelle pour
développer leur savoir et savoir-faire, en vue d’améliorer leur productivité, et de consolider la compétiti-
vité des entreprises sur les marchés national et international.
À partir de la 2ème moitié de la décennie quatre vingt dix, le système marocain de protection sociale a fait
l’objet d’une attention particulière qui s’est traduite par des initiatives d’élargissement de la couverture
sociale, d’instauration d’un régime d’assurance maladie obligatoire et d’un régime d’assistance médicale aux
économiquement faibles.
Ainsi, les principales réformes ont porté sur les caisses et les régimes de protection sociale suivants :
– La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) notamment par :
R L’extension du régime aux salariés des manufactures artisanales ;
R L’augmentation de la durée du congé de maternité, portée à 12 semaines, et du taux de l’indemnité y
afférente à 100 % du salaire de référence ;
106
R La réforme des indemnités de maladie : relèvement du taux de remboursement aux 2/3 du salaire de
référence pour la durée de congé qui ne peut excéder 52 semaines ;
R L’institution d’une pension minimale de retraite dont le montant est fixé à 500Dh/mois ;
R La modification des règles de calcul de pensions ;
R L’ouverture de droit (sans conditions d’âge), aux allocations familiales et aux pensions de survivants pour
les handicapés ;
R La révision à la hausse des allocations familiales à 150 Dh pour chacun des 3 premiers enfants et 36 Dh
pour chacun des 3 suivants.
– La Caisse marocaine de retraite (CMR) notamment par :
R L’élévation du taux de cotisation à 14 % ;
R L’élargissement de l’assiette de cotisation en y incluant le salaire de base, l’indemnité de résidence et
l’ensemble des primes statutaires ;
R La revalorisation de 15 % des pensions servies antérieurement au 1er Janvier 1990 ;
R La consolidation du principe de la parité de la cotisation, l’État s’étant engagé à s’acquitter de sa quote-
part patronale au même taux de cotisation que le fonctionnaire.
– La Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR) notamment par :
R L’augmentation de la part de la partie « capitalisation » dans les prestations ;
R Le relèvement du taux de participation aux bénéfices de la CIMR ;
R La réduction progressive du rendement de la partie « répartition » ;
R La réduction des divers avantages accordés à titre gracieux par la CIMR à ses affiliés.
– La mutualité notamment par :
R La révision du taux de cotisation en le portant de 1,8 % à 2,5 % dans la limite de 1.000 DH/an ;
R L’octroi par l’État, en 1993 et 1996, d’allocations budgétaires à la CNOPS afin de l’aider à apurer ses
arriérés ;
R La multiplication de conventions du tiers-payant avec les organismes producteurs de soins ;
R Le renforcement du contrôle des dossiers médicaux ;
R La signature d’un protocole d’accord entre l’État et la CNOPS qui vise, entre autres, à élargir et amélio-
rer la couverture médicale des adhérents et à redresser les finances de la CNOPS.
– Les accidents du travail notamment par :
R La révision des rentes accordées aux victimes des accidents du travail et des maladies profes-
sionnelles ou à leurs ayant-droit suite au décret no 2.95.110 du 12 décembre 1995, par leur aug-
mentation de 20 % à partir du 1er juillet 1994, et dont ont bénéficié 53.000 victimes ;
R Le relèvement du salaire minimum pris en compte pour le calcul des rentes des victimes des acci-
dents du travail et des maladies professionnelles ou de leurs ayants-droit par le biais de l’arrêté du
ministre de l’emploi et des affaires sociales no 122/97 du 13 janvier 1997 pris en application du décret
no 2.86.678 du 11 novembre 1996 relatif au relèvement du salaire minimum garanti.
107
L’assurance maladie obligatoire couvre également les membres de famille qui sont à la charge des assu-
rés.
Elle garantit pour les assurés et les membres de leur famille à charge, la couverture des frais de soins de
santé inhérents à la maladie ou à l’accident, à la maternité et la réhabilitation physique et fonctionnelle.
Elle garantit le remboursement ou la prise en charge directe d’une partie des frais de soins, l’autre partie
restant à la charge de l’assuré.
Toutefois, en cas de maladie grave ou invalidante nécessitant des soins de longue durée ou en cas de
soins particulièrement onéreux, la part restant à la charge de l’assuré peut faire l’objet d’une exonération par-
tielle ou totale.
Les taux de couverture et les conditions de remboursement des prestations sont fixés par voie régle-
mentaire.
La tarification de référence pour le remboursement ou la prise en charge des prestations est fixée par voie
conventionnelle ou par voie réglementaire.
Le financement de l’AMO est assuré par des cotisations salariales et patronales, les produits financiers
ainsi que, le cas échéant, par toutes autres ressources affectées au régime en vertu de législation ou de
réglementation particulières.
L’assiette de cotisation des assurés est définie pour chaque régime d’assurance maladie selon le statut de
rémunération du salarié ou la nature du revenu pour le non salarié.
En ce qui concerne les salariés du secteur public, la cotisation est assise selon la catégorie à laquelle ils
appartiennent :
– soit, sur les émoluments de base retenus au titre du régime de pensions civiles ;
– soit, sur l’ensemble des émoluments fixes pour les bénéficiaires du régime collectif de retraite (RCAR).
S’agissant des salariés relevant du secteur privé, la cotisation est assise sur l’ensemble des rémunérations
retenues pour le régime de la sécurité sociale.
Pour les titulaires de pension, les cotisations sont assises sur le montant global de l’ensemble des pen-
sions y compris des pensions de retraite complémentaire lorsqu’elles existent.
Les organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire sont tenus de constituer une réserve de
sécurité et une réserve pour la couverture des frais de soins restant à payer.
Les modalités de constitution, de fonctionnement et de représentation de ces réserves sont fixées par
décret.
Par ailleurs, les organismes gestionnaires, qui sont tenus de se conformer à un plan comptable spécifique,
sont soumis annuellement à un audit comptable et financier.
Ces organismes (CNSS, CNOPS et mutuelles la composant) sont également soumis au contrôle financier
de l’État prévu par la législation en vigueur sauf en ce qui concerne les actes liés au remboursement ou la
prise en charge des frais de prestations qui sont soumis à un contrôle à posteriori dont les modalités sont
fixées par voie réglementaire.
L’encadrement technique du régime d’assurance maladie obligatoire de base est assuré par l’Agence
Nationale d’Assurance Maladie (ANAM).
Les prestations fournies aux personnes économiquement fables, dans le cadre du RAMED, sont dispen-
sées exclusivement dans les hôpitaux publics et autres établissements publics de santé.
Sont également prises en charge par le RAMED les personnes qui bénéficient de la gratuité en vertu d’une
législation particulière.
La qualité de bénéficiaires du RAMED est prononcée à la demande de l’intéressé par l’administration dans
les conditions et selon les modalités fixées par voie réglementaire.
108
Enfin, il est à signaler que le régime est financé essentiellement par l’État, les collectivités locales et la par-
ticipation des bénéficiaires.
La contribution de l’État est inscrite annuellement dans la loi de finances. Les contributions des collectivi-
tés locales, sont aussi inscrites annuellement dans leurs propres budgets.
Les ressources affectées au RAMED sont gérées dans les conditions fixées par la loi et les textes pris pour
sont application par l’ANAM.
Une autre dimension des politiques d’anticipation des facteurs de détérioration des niveaux de vie et par
conséquent d’amplification des phénomènes directs ou indirects de pauvreté réside dans les revalorisations
successives des situations statutaires, salariales et indemnitaires des ressources humaines en activité.
109
– la révision et la simplification de la grille indiciaire et du calcul se rapportant au traitement par la substitu-
tion d’un indice réel aux indices nets et bruts ;
– la revalorisation à partir de 1977 des traitements de base en augmentant de 12,5 % les 150 premiers
points d’indice et de 8 % les indices suivants.
En général, les hausses salariales opérées depuis la fin de la décennie soixante-dix ont concerné aussi bien
les bas que les hauts salaires dans l’administration publique. Le but recherché étant de maintenir et d’amélio-
rer le pouvoir d’achat dans un cadre plus cohérent et plus large.
L’évolution des salaires minimums, aussi bien pour l’industrie que pour l’agriculture, a consisté à son tour à
protéger le niveau de vie des employés à bas salaires du secteur privé. En effet, les salaires minimums pour
les emplois non agricoles (SMIG) et les emplois agricoles (SMAG) ont été appliqués à tous les employés, y
compris les saisonniers et les temporaires, à partir de l’âge de 18 ans. Un telle politique avait pour but de lut-
ter contre la pauvreté et de prévenir les tensions sociales.
Ces augmentations de salaires accompagnées de soutiens matériels et sociaux dans le cadre d’œuvres ou
de coopératives sectorielles à caractère social et culturel, ont sûrement prémuni des catégories sociales de
la vulnérabilité à la pauvreté et l’exclusion sociale.
Appréhendées globalement, les leçons des expériences en matière de maîtrise des facteurs de pauvreté
et d’exclusion sociale comportent des points forts et des points faibles.
110
3.1.1. Les points forts
Au Maroc, la recherche d’atténuation des facteurs de pauvreté et d’exclusion sociale est fort ancienne. En
témoignent les institutions, les mécanismes et les dispositifs mis progressivement en place dans l’objectif
d’y parvenir.
Les effets des initiatives entreprises, des programmes et politiques mis en œuvre ont certainement, mais
relativement, réduit de l’ampleur et de la gravité des phénomènes de pauvreté et d’exclusion sociale s’il n’en
était pas ainsi opéré.
L’évolution globale au cours des dernières années, d’un certain nombre d’indicateurs sociaux en témoigne.
En matière d’éducation, le taux de scolarisation des enfants âgés de 6 à 11 ans est passé de 52,5 % en
1991 à 92,2 % en 2004. Celui de la catégorie âgée de 12 à 14 ans a atteint 68,8 % en 2004 contre 42,2 % en
1991. La part des filles scolarisées dans le primaire est passée de 40,6 % en 1991 à 49 % en 2004 contre
respectivement 39 % et 49 % au secondaire collégial.
Le taux d’analphabétisme, de l’ordre de 56 % en 1994 et 48,3 % en 1998, se situerait aux environs de
40 % en 2005.
La progression salutaire des programmes d’électrification rurale et d’adduction d’eau potable au profit des
populations rurales a contribué à l’amélioration des conditions de vie dans le monde rural en y créant des
opportunités de création de nouvelles activités économiques, sociales et de service. Les taux atteints en
matière de desserte en électricité et en eau potable du milieu rural devant se situer actuellement aux envi-
rons respectivement de 70 % et de 62 % contre 32 % et 38 % en 1998, illustrent les progrès réalisés.
Entre 1960 et 2001, l’espérance de vie à la naissance est passée de 47 ans à 70 ans.
Globalement, la pauvreté a connu un recul important au Maroc puisque le taux de la population affectée
par ce phénomène a été réduit de près de 53 % en 1959 à près de 14 % en 2001.
Cette avancée globale est significative dans la mesure où l’appréciation de l’évolution du phénomène de
pauvreté doit s’inscrire dans une période assez longue, soit le long terme suffisant pour que les leviers mis
en place pour son atténuation aient produit leurs effets.
Perçues sous cette optique, et sous des conditions de pérennisation des mécanismes et dispositifs mis en
place pour l’atténuation de la pauvreté, de leur réajustement et réadaptation continus, les perspectives d’ave-
nir pourraient être prometteuses.
La prise de conscience acquise à cet égard par les pouvoirs publics, les différents acteurs socio-
économiques et les organisations de la société civile représente un facteur capital pour la création d’un
contexte plus favorable à l’éradication de la pauvreté sous ses différentes formes.
Par ailleurs, la persuasion de plus en plus importante des bailleurs de fonds à coopérer en appui aux efforts
nationaux de lutte contre la pauvreté constitue un autre atout très important.
Le développement des approches et méthodes d’appréhension de la pauvreté dont en particulier les
enquêtes de consommation et de dépenses des ménages, les enquêtes nationales sur les niveaux de vie
des ménages et l’établissement de la carte communale de la pauvreté, est de nature à préciser le ciblage et
la nature des programmes devant être mis en œuvre pour éradiquer la pauvreté.
111
– la dispersion des efforts déployés en l’absence d’une coordination étroite des programmes mis en
œuvre. La participation limitée des populations pauvres qui est due à un manque d’encadrement et à
l’imperfection de la législation en la matière ;
– la prédominance d’interventions conjoncturelles souvent isolées, et l’insuffisance d’actions ciblées et
organisées qui s’attaquent aux causes et aux conséquences structurelles de la vulnérabilité et de la pau-
vreté ;
– l’absence de suivi et d’évaluation réguliers des actions entreprises afin d’en tirer des leçons appropriées
et de les réajuster au besoin ;
– l’absence de mécanismes appropriés devant tendre à rééquilibrer d’une manière progressive la réparti-
tion équitable des revenus et des fruits de la croissance d’une manière générale.
Le phénomène de pauvreté au Maroc touche essentiellement les populations rurales. La raison en est le
retard de développement qu’a connu le milieu rural et dont les causes principales remontent à la période du
protectorat sans être fondamentalement contournées au cours des décennies succédant l’avènement de
l’indépendance du Maroc, et ce malgré les efforts notables entrepris en vue de lutter contre ces causes.
La déficience des conditions de vie des populations rurales et l’absence de perspectives réelles de leur
amélioration, ont contribué à un transfert de pauvres ruraux aux villes et centres urbains par le phénomène
de l’exode rural. Le résultat est qu’en 1998-99, près de 37 % des pauvres citadins étaient nés en milieu rural.
En plus, la pauvreté urbaine est plus répandue dans les quartiers précaires et clandestins et dans les
anciennes médinas.
Si la pauvreté apparaît dans le milieu urbain sous deux aspects essentiels qui sont la faiblesse du revenu
individuel et la dégradation du niveau de vie, elle se traduit en milieu rural par un faible accès aux services
sociaux de base et aux moyens de création d’activités économiques et sociales génératrices d’emplois et de
revenus. C’est pour ces raisons que la réduction de la pauvreté requiert au Maroc des actions stratégiques
dans deux sens complémentaires et intégrés. D’une part, une stratégie de lutte contre les causes profondes
de la pauvreté en milieu rural, et d’autre part une stratégie d’éradication de la pauvreté en milieu urbain. Les
perspectives d’avenir pourraient être plus prometteurs en œuvrant selon ces deux stratégies intégrées.
D’autres programmes réalisés ou en cours méritent d’être évalués afin d’en tirer les leçons, d’en capitali-
ser les acquis et de les généraliser. Il s’agit en particulier des programmes tels que :
112
– le programme de développement humain durable et de lutte contre la pauvreté ciblant 40 communes
rurales les plus pauvres relevant des provinces d’Al Haouz, Chichaoua, Essaouira et Chefchaouen ;
– le programme spécial de développement dans un cadre décentralisé ciblant plus de 2,4 millions d’habi-
tants dans les domaines d’adduction d’eau potable, de la petite et moyenne hydraulique et de l’assai-
nissement liquide ;
– les programmes de lutte contre l’analphabétisme par la gestion et la coordination plus efficace du cadre
d’efforts mis en œuvre par des secteurs public et privé, des collectivités locales et des organisations de
la société civile.
La stratégie de développement social intégrée, élaborée à partir de 1998 et adoptée en 1999 par le comité
de coordination, de suivi et d’évaluation des programmes de l’action sociale présidé par le Premier Ministre,
constitue un cadre méthodologique appropriée pour concrétiser la stratégie de lutte contre la pauvreté et
l’exclusion sociale dans le milieu rural. Cette stratégie vise :
– Le développement des services sociaux et des équipements de base, le désenclavement, la desserte en
eau potable et en électricité, et la promotion du logement social en faveur d’une trentaine de provinces
connaissant des déficits dans ces domaines ;
– Le renforcement et l’extension de la protection sociale et médicale ;
– La promotion de l’emploi ;
– La modernisation et le renforcement des mécanismes d’assistance économique et sociale ;
– L’impulsion et la promotion du développement local durable.
113
– L’élargissement de la distribution de l’eau potable et industrielle pour répondre aux demandes crois-
santes des populations et du tissu industriel ;
– L’aménagement des structures d’accueil des investissements, au moyen essentiellement de l’équipe-
ment des zones industrielles et commerciales et l’aménagement des sites touristiques ;
– L’intensification des efforts de tous les acteurs économiques et sociaux, et des organisations de la
société civile, et la mise en place de mécanismes appropriés de coordination de ces efforts afin d’en
optimiser les effets.
Pour qu’une telle stratégie ait l’impact bénéfique souhaité sur l’amélioration des conditions de vie des
populations pauvres et sur le soutien d’une croissance économique forte et durable, les pouvoirs publics
devront favoriser sa concrétisation par l’intensification des efforts de tous les acteurs économiques et
sociaux, et des organisations de la société civile, et par la mise en place de mécanismes appropriés de coor-
dination de ces efforts, afin d’en optimiser les effets.
Certaines catégories sociales spécifiques devront occuper une attention particulière lors de la conception
et de l’élaboration des politiques de gestion économique, sociale, culturelle et politique au niveau de la ville. Il
s’agit en particulier de personnes vivant dans des conditions difficiles et des jeunes.
Concernant la première catégorie, les efforts devront porter sur la protection et l’assistance aux personnes
qui vivent dans des conditions précaires, notamment les filles dévoyées ou qui risquent de l’être, les femmes
divorcées, les personnes âgées, les personnes handicapées et en particulier les femmes pauvres chefs de
foyers.
En ce qui concerne les jeunes, qui constituent une proportion importante des ressources humaines du
Maroc, la stratégie d’action en ville doit parvenir à la création d’un environnement qui soit favorable à leur
épanouissement et à leurs aspirations, et d’assurer les plus larges opportunités pour leur insertion écono-
mique, sociale, culturelle et politique.
Au niveau de la promotion de l’emploi des jeunes, il s’agit d’assurer la création de conditions favorables à
l’épanouissement de l’esprit d’initiative chez les jeunes, et une meilleure utilisation du patrimoine foncier
pour favoriser le développement des petites et moyennes entreprises créatrices d’emplois. Au niveau de
chaque ville, les communes et les chambres professionnelles devront coopérer pour la mise en place de
structures locales d’appui à l’initiative des jeunes. La réglementation de l’exercice de nombreuses profes-
sions pourrait ouvrir des chances d’insertion de jeunes sans emploi dans la vie active.
Au niveau du développement d’un environnement socio-éducatif favorable, les efforts devront être intensi-
fiés, en vue de mettre en place les infrastructures culturelles, sportives et de loisirs de nature à améliorer
l’encadrement de jeunes.
Concernant les organisations de jeunes, et en raison de leur rôle d’encadrement et de formation, la straté-
gie de promotion de la jeunesse devra être centrée sur la concertation et le partenariat, dans le cadre d’une
nouvelle vision fondée sur la contribution de ces organisations à la réalisation des projets et programmes
114
locaux, provinciaux et nationaux portant essentiellement sur le développement éducatif, économique et
social.
Les institutions urbaines en ville, en particulier les communes, devront encadrer, renforcer et assister ces
organisations afin qu’elles puissent développer leurs programmes et améliorer la qualité de leurs services.
Une attention particulière devra être portée aux programmes orientés vers les quartiers défavorisés et les
catégories sociales vulnérables.
Conclusion
Depuis l’indépendance du Maroc, la préoccupation des pouvoirs publics à remédier aux facteurs de pau-
vreté et d’exclusion sociale était exprimée sous différentes formes. Elle a été concrétisée par la création de
nombreuses institutions, la mise en œuvre de programmes sectoriels ou spécifiques et l’adoption de poli-
tiques supposées contribuer à la réduction des disparités spatiales et sociales.
Les effets de tels programmes, saisis sur une longue période, ont dû permettre de réduire le taux de la
population affectée par la pauvreté de 53 % en 1959 à 14 % en 2001.
Les multiples leviers mis en place pour réduire la pauvreté, bien qu’ils aient contribuer à produire ce recul
de la pauvreté, auraient pu avoir plus d’impact s’ils étaient mieux coordonnés, suivis, évalués, réajustés et
capitalisés.
Les perspectives d’avenir en matière d’éradication de la pauvreté dépendront dans une large mesure de la
capacité à mettre en place une bonne gouvernance de la politique nationale de lutte contre la pauvreté et
l’exclusion sociale.
Au premier plan, il s’agirait d’agir selon deux stratégies intégrées et complémentaires : une stratégie de
lutte contre la pauvreté en milieu rural et une stratégie de lutte contre la pauvreté en milieu urbain. Les
causes, les formes et les manifestations du phénomène de pauvreté, profondément différentes selon le spé-
cificités de ces deux milieux, requièrent des politiques relativement différenciées. Au deuxième plan, il faut
qu’il soit acquis à tous les niveaux de décision et d’action que le gain du défi d’atténuation optimale de la pau-
vreté n’est pas du seul devoir de l’État ; les collectivités locales et les partenaires socio-économiques devront
y contribuer avec la participation la plus large et la plus directe des populations ciblées conformément à ces
deux stratégies.
Bibliographie
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réseaux et principales dimension des niveaux de vie de la famille.
Direction de la Statistique, « Enquête nationale sur le niveau de vie des ménages (1990-1991) », Volume 1 :
Rapport de synthèse et Volume 2 : Répartition des niveaux de vie.
Direction de la Statistique, « Enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages 1984/
1985) », Rabat.
Ministère Chargé de la population, « Stratégie du développement social pour la décennie 90 », (1995).
Le Ministère de la Prévision Économique et des Plans, « Stratégie de développement social intégrée », 1999.
115
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Ministère des Affaires Économiques et Sociales, « Étude sur les sources de vulnérabilité et les filets de
sécurité pour les populations défavorisées », Rapport de synthèse (1993).
PNUD, « Rapport du développement humain mondial », (1997).
PNUD, « Lutte contre la pauvreté à travers les programmes des Nations-Unies au Maroc », « Note d’orienta-
tion pour la préparation du cadre de coopération : Maroc-PNUD 1997-2001 », (1996).
Bennani A., « choix budgétaires et lutte contre la pauvreté ».
CERED, Populations vulnérables, « Profil socio-démographique et répartition spatiale » (1997).
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1965-1967, 1968-1972, 1973-1977, 1978-1980, 1981-1985, 1988-1992 et 2000-2004.
Initiative 20/20, Rapport National sur la situation des services sociaux essentiels. Premier Ministre 2002.
Ministère de la Prévision Économique et du Plan et PNUD : Pauvreté au Maroc : diagnostic, stratégie et plans
d’action. Décembre 1998.
116
Les systèmes de solidarité et les politiques
d’intégration sociale
117
MOUNIR ZOUITEN
118
« La complexité appelle la stratégie. Il n’y a que la stratégie pour s’avancer dans l’incertain et
l’aléatoire (...). Elle est l’art d’utiliser les informations qui surviennent dans l’action, de les intégrer,
de former soudain des schémas d’action et d’être apte à rassembler le maximum de certitudes
pour affronter l’incertain ».
Edgar Morin
Introduction
Après cinq décennies d’indépendance, le problème crucial de la société marocaine demeure celui de la
pauvreté et de l’exclusion d’une grande frange de sa population. Il y a encore, et malgré de louables efforts
notamment après les années 1990, des déficits sociaux significatifs particulièrement dans le monde rural et
dans de multiples zones périurbaines. Une large couche de la population continue à vivre dans des conditions
socio-économiques très précaires et se trouve défavorisée en termes d’insertion efficace dans le processus
de croissance et de développement du pays.
Il est historiquement vrai que le Maroc a, depuis le début de l’indépendance, tenté de faire face au pro-
blème de la pauvreté en élaborant des actions sociales en faveur des populations démunies. Cependant, les
actions entreprises ont été réalisées en l’absence d’une vision globale, complémentaire et cohérente. Ce
n’est qu’après les années 1990 que les pouvoirs publics ont commencé, réellement, à avoir des stratégies
plus ou moins cohérentes en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Il y a eu, en fait, depuis l’indépendance du pays, deux générations de politique de développement et d’inté-
gration sociale, entrecoupées par la phase du Programme d’Ajustement Structurel (1983-1993). La première
génération fonctionnait avec quelques composantes permanentes de filets sociaux de sécurité (la Promotion
Nationale, l’Entraide Nationale, la Caisse de Compensation, les Cantines Scolaires et les Programmes Ali-
mentaires destinés aux mères et aux enfants). La seconde génération des programmes sociaux, ceux qui
sont intervenus au cours des années 1990 juste après la fin de la période du PAS, a pris, sous l’impulsion des
plus hautes autorités de l’État, une nouvelle dimension pour parer aux déficits sociaux importants. Cette nou-
velle génération de politique d’intégration sociale comprend, en plus des actions des anciennes structures
qui ont continué à fonctionner, d’importants programmes d’amélioration des conditions de vie, tant en milieu
rural qu’en milieu urbain, dont les résultats sont perceptibles sur le développement humain.
119
1. De la pauvreté et de l’exclusion au Maroc
La pauvreté dans la société marocaine est un signe de fracture sociale, un indice de marginalisation. Son
extension traduit la profondeur des inégalités sociales qui ne sont pas nouvelles au Maroc. Elles ont caracté-
risé largement le système social traditionnel. Mais, aujourd’hui, ces inégalités n’ont plus la même significa-
tion. Auparavant, les pratiques de l’entraide constituaient un filet de sécurité qui mettait les personnes et les
familles à l’abri du pire. L’éclatement des cadres sociaux anciens, la dislocation et l’individualisation des cel-
lules familiales ont largement privé le corps social de ces garanties. Aujourd’hui, le monde des plus riches et
des familles plus ou moins aisées n’est plus le même que celui des pauvres. Le premier est ouvert sur la
consommation, l’échange et le progrès ; le second n’est vécu qu’au sens de l’exclusion sociale. C’est dans
ce sens que la pauvreté au Maroc est marginalisation et fracture sociale.
Selon les Enquêtes Nationales sur la Consommation et les Dépenses des Ménages (ENCDM), le taux de
pauvreté au Maroc est passé de 13 % en 1990-91 à 19 % en 1998-99, notamment sous l’effet de la succes-
sion de plusieurs années de sécheresse. Ce taux a, à nouveau, baissé à 13,7 % selon la dernière ENCDM
2000-2001. Ce sont les résultats du recensement de la population et de l’habitat de septembre 2004 qui don-
neront une image plus ou moins réelle du nombre des pauvres au Maroc et de leurs conditions de vie.
En tout état de cause, la pauvreté au Maroc est plus prononcée dans le milieu rural que dans les villes.
L’évolution, selon les données des enquêtes déjà réalisées, montre que l’écart des taux de pauvreté entre
les villes et les campagnes va en s’accentuant. Il a doublé entre 1971 et 1985 (1,6 à 2 %) et a même triplé
entre 1985 et 2001 pour atteindre 3 %.
Le taux de pauvreté en milieu urbain est passé, selon la dernière ENCDM, de 10,5 % en 1999 à 6,3 % en
2001. Alors que dans le monde rural, la réduction de la pauvreté s’est faite à un rythme plus lent, puisque, sur
la même période, son taux est passé de 25,2 % à 23,1 %.
Selon cette dernière Enquête, si la pauvreté est limitée dans les grandes villes comme Casablanca (1,6 %),
Rabat-Salé (7 %) ainsi que dans le Sud du pays où le taux atteint 7,6 %, elle est plus prononcée dans cer-
taines régions comme Meknès-Tafilalet (39,8 %), Gharb-Cherarda (30 %), Marrakech-Tensift (26,3 %),
Souss-Massa (26,3 %) et l’Oriental (25,3 %). Cette disparité régionale est d’ailleurs confirmée par l’évolution
de la dépense des ménages. La dépense globale annuelle moyenne par personne, concernant aussi bien l’ali-
mentation, l’éducation, la santé et l’habitat, varie entre 14 366 DH et 10 162 DH à Casablanca et dans la
région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër. Dans les régions moins aisées (Oriental, Meknès-Tafilalet, Gharb-
Cherarda et Marrakech-Tensift), elle varie entre 6 883 et 6 228 DH par an. Au niveau national, elle est de
l’ordre de 8 280 DH par personne. Ramenée au quotidien, cette dépense moyenne annuelle est insignifiante
puisque le marocain dépense en moyenne 22 DH par jour. Le budget passe à 40 DH par jour pour un habitant
de Casablanca et il est de seulement 18 DH pour un habitant de Marrakech.
120
1.3. Paramètres qualitatifs de la pauvreté
La pauvreté ne peut cependant se résumer à un bilan en termes de revenus et/ou de dépenses des
ménages. Elle s’exprime aussi en termes de vulnérabilité et de précarité des existences individuelles. Être
pauvre, ce n’est pas seulement survivre aux limites des besoins essentiels, c’est surtout de ne jamais être
sûr du lendemain, de ne pas savoir si l’on pourra, au moins, trouver ce minimum dont dépend la survie.
Aucune statistique, aucune donnée chiffrée ne peut traduire l’angoisse d’une telle situation.
En outre, la pauvreté comporte, au-delà de son aspect d’ordre matériel, plusieurs autres paramètres liés à
l’éducation, à la santé et à l’environnement. La pauvreté, qui implique un revenu faible, signifie aussi malnu-
trition, mauvaise santé persistante, insuffisance d’éducation scolaire et logement de mauvaise qualité. Elle
signifie aussi chômage ou sous-emploi chronique, impossibilité d’accéder à de nombreux services sociaux,
juridiques ou d’information et incapacité de faire valoir ses droits civiques ou politiques. En d’autres termes,
la pauvreté n’est pas un phénomène uniquement d’ordre matériel, elle est liée à l’accès aux services sociaux
essentiels : accès à la scolarisation, à la santé, à l’eau potable et l’assainissement, à la culture, à l’informa-
tion... Ce n’est plus en termes de revenus que l’on parle de pauvreté, mais également en termes de qualité
de vie et de degré de liberté et de participation.
Les pauvres ne sont, en effet, que très peu représentés dans les organes électifs. Ils n’ont que marginale-
ment accès au crédit et aux banques. Ils n’ont que d’infimes possibilités de mobilité sociale vers le haut.
D’une manière générale, ce sont les autres qui parlent pour eux : leaders politiques, autorités locales et tradi-
tionnelles, fonctionnaires chargés de la promotion des programmes de développement, ONG, etc. Dans ces
conditions, il ne peut pas y avoir de démocratisation réussie si une part essentielle de la population du pays
continue à accuser un tel retard sur le plan économique, social et politique.
Une société, comme le Maroc, longtemps caractérisée par la force de ses liens sociaux, n’en viendrait-elle
pas à être aujourd’hui définie par l’ampleur de sa fracture sociale ? Une telle situation doit sans nul doute être
corrigée car elle est, à terme, porteuse d’instabilité politique et de contre performances économiques.
Dans le contexte marocain, les systèmes et les acteurs sociaux de solidarité, impliqués dans la réduction
de la pauvreté, sont divers et variés. Il y a, bien entendu – et de plus en plus – l’État et ses organes institu-
tionnels classiques et nouveaux souvent soutenus par les organisations internationales. Il y a, ensuite, les
ONG et, dans une moindre mesure, les collectivités locales. Il y a, également, – et ceci est un fait nouveau en
dehors du statut des mécènes et des bienfaiteurs – quelques opérateurs du secteur privé. Ceux du moins qui
inscrivent leur démarche entrepreneuriale dans le cadre de l’entreprise citoyenne. Ils ont, d’ailleurs tout
récemment, institutionnalisé leurs actions en signant des conventions de partenariat avec un certain nombre
d’associations de quartiers à Casablanca en vue de soutenir les activités de proximité en faveur de groupes
sociaux démunis. Et il y a, enfin, les réseaux traditionnels de solidarité, communautaires et familiaux, qui
demeurent vivaces. Donnons d’abord un aperçu sur ces formes traditionnelles de solidarité avant de revenir
sur celles qui sont pratiquées aujourd’hui.
121
2.1. De quelques formes traditionnelles de solidarité sociale
Si le rythme de désintégration des « Jmaâ » s’est accéléré depuis notamment les années soixante-dix,
suite à l’aggravation de la crise sociale et économique et à l’amplification du phénomène de la migration
rurale-urbaine, force est de constater qu’il y a encore une survivance de ce système traditionnel de solidarité
dans certaines régions du pays et notamment dans le sud.
En effet, la société marocaine d’aujourd’hui, et notamment la société rurale, recèle encore de forts indices
de solidarité sociale émanant de systèmes traditionnels hérités du passé. Cette solidarité est toujours vivace
singulièrement dans le Sud marocain. Elle représente la capacité du groupe à s’épauler et à collaborer pour
réussir son projet social. Elle est basée sur la tradition communautaire profondément ancienne dans l’histoire
du pays. C’est un capital social qui a permis aux structures socio-spatiales de solidarité traditionnelle de fonc-
tionner et qui permet aujourd’hui encore la mobilisation de la population au niveau des douars.
2.1.1. La Jmaâ
La « Jmaâ » avait et continue d’avoir encore dans un certain nombre de régions du pays pour vocation, en
plus de la fonction organisationnelle communautaire, de se charger de différents services nécessaires à la vie
de la communauté. Elle prend en charge, par exemple dans les régions du Sud, les activités relatives à la ges-
tion des affaires hydrauliques ou des seguias (tour d’eau et prestations de travail d’entretien), la défense des
intérêts fonciers des groupes de qsour (défense des terres collectives situées en dehors des palmeraies), la
gestion des affaires de la mosquée (désignation et rémunération de fquih-taleb et entretien de l’édifice), la
désignation des jardins de récoltes et le berger du cheptel et secondairement la fixation de calendrier agri-
cole, la participation à différentes corvées d’entraide, etc...
Ce dynamisme des Jmaâ dans le Sud se manifeste, aujourd’hui, à travers la collaboration avec les élus
locaux ruraux pour devenir un véritable outil d’autorégulation sociale et de promotion d’« igherm » et de
« qsour ». Ainsi, par exemple, on assiste à une participation à la gestion de l’électrification du douar.
Pour ce qui concerne les systèmes traditionnels de solidarité, il y lieu de noter la survivance d’un certain
nombre de pratiques communautaires telles que la Twiza (ou Tiwizi), l’« Agadir » et l’« Ouzi’a »...
2.1.2. La Twiza
La Twiza, la plus connue d’entre elles, est une tradition de droit coutumier qui consiste en une pratique de
corvée collective pour réaliser, par les membres d’un groupement des travaux soit au profit d’un des
membres soit pour la collectivité toute entière. C’est une sensibilisation collective bénévole dont adhère
toute la population pour donner l’assistance sous forme d’un travail au profit de la société. À l’origine, cette
corvée était obligatoire et gratuitement accomplie pour la culture des terres et la récolte des moissons appar-
tenant au chef de tribu. Plus tard, elle s’est généralisée en devenant volontaire et rituelle. Dans le sud, un
grand nombre de « khettarates » (sources d’eau souterraines), de chemins, pistes et routes tertiaires, de
medersas ont été réalisées dans le cadre de la Twiza. Celle-ci a quelquefois une consonance religieuse
lorsque la communauté travaille sans réciprocité pour les membres d’une Zaouïa, le Fquih d’une medersa ou
encore pour une « Timzguid » (école coranique). La Twiza concerne donc toute sorte de travaux particuliers
dont bien sûr les travaux agricoles (travaux de labour, de moisson, d’irrigation et élevage par exemple). Dans
ce dernier cas, cette coopération est appelée « Tiwili ». C’est une forme d’entraide et de surveillance à tour
de rôle du troupeau bovin d’un douar.
Dans le Sud, la solidarité communautaire déployée dans le cadre de la Twiza est sans doute celle des irri-
guants. En effet, la communauté d’irrigation est parmi les structures sociales organisationnelles la mieux
structurée, la mieux organisée parce que la relation entre les membres de cette communauté est définie par
122
des éléments précis. Un réseau d’irrigation constitue le support matériel de la relation entre les membres de
la communauté par le biais de leur propriété foncière. L’exigence de la force de travail pour le creusement de
ce réseau, pour sa défense et son entretien ensuite constitue le lieu durable de solidarité entre ces
membres. Un tour d’eau attribue à chacun des membres la quantité d’eau lui revenant et selon des règles
coutumières strictes, permettant d’éviter les conflits entre les membres du village.
Pour veiller à la maintenance du système d’irrigation et surveiller la répartition égalitaire, les habitants du
Haut Atlas, par exemple, ont développé un système de gestion particulier basé sur l’élection de leaders en la
matière. La gestion nécessite une surveillance compliquée et parfois d’une extrême délicatesse. C’est un
fonctionnaire communautaire qui l’exerce, l’ « Amazzal » (ou « Jerray », coureur). Occuper une telle fonction
implique initiative et probité, mais surtout une capacité à respecter un ordre collectif, fait de lois non écrites.
Le personnage qui l’assume est en général soumis à la désignation unanime de ses concitoyens et ne peut
se maintenir, même par l’autorité temporelle, qu’avec leur confiance. La confiance est stratégique dans les
milieux contraignants. La gestion de l’eau imprime dans la psyché, depuis des millénaires, qu’il faut harmoni-
ser l’intérêt individuel avec celui de la communauté.
La désignation d’une autorité est l’une des occasions où la collectivité consolide son union et sa solidarité.
C’est le cas de la désignation d’un « Amghar » dont le mandat est déterminé par la communauté. La procé-
dure de la désignation de cette institution nommée « Amghar », telle qu’elle est encore aujourd’hui, se fait à
travers une réunion des chefs de familles, titulaires des quantités d’eaux, les délégués des terres collectives.
Ils désignent une personne qui s’occupe de la gestion des entretiens des Seguias et des khettaras (Amghar).
Le mandat de celui-ci est d’une année non renouvelable. On y désigne aussi par la même occasion les sous
Amghar, appelés : « Idbab n’oumour » de chaque fraction de la tribu.
La première des attributions d’Amghar est de déterminer les durées de travail pour chacun des titulaires
des parts d’eau, appelées « Taggourt ». Cela suppose que ce personnage connaisse les parts et les apports
en eaux pour chacun. Le nombre de jours des travaux d’entretien des seguias pour chaque ménage est pro-
portionnel à cette part (Taggourt). La personne, par exemple, qui possède une Taggourt de 6 heures d’eau
doit travailler pendant 3 jours entiers. En dépit de cette responsabilité difficile d’Amghar, celui-ci n’a aucune
rémunération en argent en contrepartie de son travail. Cependant, il bénéficie du prestige au sein de sa com-
munauté et on exonère son ménage des travaux d’entretien des Seguias.
Après la désignation de l’Amghar, la Jmaâ fixe dès lors les contraventions appelées « Izmaz ». La valeur
des amendes rassemblées par les sous-Amghar (les idbab noumour) est versée toujours au profit des tra-
vaux des Seguias. Il en résulte, sans équivoque, la solidarité et la coopération entre les irriguants dans la
jouissance et l’exploitation des ressources hydrauliques selon une organisation coutumière adéquate repo-
sant sur les circonstances et les valeurs sociales existantes.
2.1.3. L’Agadir
L’« Agadir » (ou « Iguidar ») est le grenier collectif, connu avant la colonisation dans la plupart des pays
d’Afrique. Les premiers Agadir remonteraient aux débuts de la sédentarisation des tribus du sud du Maroc.
Ils auraient été institués pour servir de refuges aux personnes et aux biens contre les attaques que ces tribus
se livraient les unes contre les autres.
Le système de grenier collectif permet de conserver les grains, d’assurer leur défense et de les distribuer
en cas de besoin, entre les membres de groupe. Dans le Souss, des Iguidar subsistent. Deux sortes de
constructions servent de greniers collectifs, soit aux habitants du village, soit à ceux d’une tribu entière : des
constructions au centre du village ou des bâtisses construites sur des positions élevées, isolées et difficiles
d’accès. Mais dans tous les cas, ils sont composés d’une mosquée, d’une pièce réservée à la Jmaâ, d’une
autre allouée aux dévots. La fonction économique de l’Agadir est très importante. Il sert d’entrepôt des sur-
plus réalisés les années de bonne récolte. Tous les propriétaires participent solidairement aux frais de
construction et d’entretien de la bâtisse, proportionnellement au nombre de pièces qui leur sont allouées et
des services qui leur sont rendus. Le fonctionnement de l’Agadir est assuré par la Jmaâ. Celle-ci est consti-
123
tuée de notables, choisis parmi les édificateurs de l’Agadir ou leurs descendants. Ces notables (appelés
« Oumana » ou « Oummal » ou « Inflass ») administrent l’Agadir en se référant à son statut coutumier, géné-
ralement transcrit en arabe classique et déposé dans la pièce réservée à la Jmaâ. L’administrateur (appelé
amine) veille à l’application du statut et exécute les sanctions décidées par la Jmaâ en cas de violation de son
contenu.
2.1.4. L’Ouzi’a
L’Ouzi’a est aussi une pratique traditionnelle communautaire caractéristique du milieu rural marocain. Il
s’agit d’une association dont l’objet est l’achat d’une bête avec l’intention de la partager proportionnellement
aux apports de chacun des associés. Cette pratique est souvent associée à une coopérative de consomma-
tion. Elle est surtout pratiquée dans la partie centrale au Moyen Atlas. Des personnes au pouvoir d’achat
limité y font appel pour se procurer, à moindre frais, la viande dont les membres de leur famille ont besoin.
Cette pratique est imprégnée non seulement de l’esprit d’égalité et de solidarité, mais elle reflète aussi un
esprit de charité. Concrètement, la Ouzi’a tient compte des possibilités de chacun. Elle consiste en des
apports en argent, versés par les associés à un collecteur de fonds, également participant à l’Ouzi’a. Ces
fonds vont permettre d’acheter une bête dont le prix est connu d’avance. Le partage se fait entre les parties
sur la base d’une stricte égalité dans la qualité des parts et d’une proportionnalité du rapport quantité prix.
Quelques parts de l’Ouzi’a sont toujours réservées aux nécessiteux du village.
Ce sont là trois exemples des traditions communautaires les plus connues au Maroc. Cependant, de ce
communautarisme détecté encore çà et là, il ne reste plus que des empreintes, décelables au niveau des
réflexes et des comportements individuels. La désagrégation de la société traditionnelle, la disparition des
causes objectives qui avaient été à l’origine de telles traditions s’accompagnent tout naturellement du dépé-
rissement des institutions et pratiques traditionnelles d’antan.
En définitive, le système traditionnel de relations sociales comporte des indices de solidarité susceptible
d’être mobilisée au service du développement économique et du progrès social dans le contexte actuel.
C’est un système de régulation, avec des pratiques régulatrices et protectrices élaborées, qui peut s’avérer
efficace dans les processus de développement intégré et dans le cadre d’action de solidarité du groupe aux
besoins des plus pauvres.
Dans l’état actuel des choses, le réseau familial intervient encore, lui aussi et de manière directe, dans le
champ social se rapportant à la solidarité et la réduction de la pauvreté. Face à la détérioration continue du
pouvoir d’achat d’un certain nombre de groupes sociaux, l’entraide familiale demeure assez vivace. Elle se
révèle être encore une parade possible aux difficultés croissantes de la vie quotidienne chez les catégories
modestes de la population. Sous la pression d’une conjoncture socio-économique défavorable, les familles
pauvres cherchent une solidarité active pour satisfaire leurs besoins spécifiques. Elles développent en consé-
quence des stratégies de subsistance qui leur permettent de faire face aux conditions auxquelles elles sont
soumises. C’est ce qui les amène à surmonter les contraintes et les obstacles affectant leur capacité produc-
tive.
Sur le plan des activités génératrices de revenus, la précarité qui caractérise les conditions de vie de
ménages pauvres fait en sorte que ces derniers mobilisent tous les membres de leur famille afin de multi-
plier les sources de revenu, aussi irrégulières et dérisoires soient-elles. Dans un contexte d’appauvrissement
général, le travail de tous devient partie intégrante de la stratégie économique familiale de survie. Il procure à
la cellule familiale des revenus qui lui permettent d’acquérir une certaine autonomie financière, nécessaire à
124
satisfaire les besoins fondamentaux et, partant, garantit, sa survie : se nourrir, se vêtir et se loger. Autrement
dit, pour arriver à survivre, il y a une impérieuse nécessité de mobiliser le groupe familial. Tous ses membres
se mettent à contribution par l’apport d’un salaire ou d’un revenu. La pluralité des contributions au revenu
familial est une stratégie mise en œuvre par les membres de la famille qui partagent l’espace commun et par-
ticipent à l’économie domestique. Cette mobilisation générale de la force de travail est d’autant plus possible
que la législation en matière d’emploi est défaillante. Il n’y a pas, en effet, de contrôle du marché du travail,
celui-ci faisant encore largement appel aux enfants.
Le réseau familial apporte, dans le cadre de la migration interne, un soutien décisif dans la recherche de
l’intégration des immigrants dans la vie active à travers les possibilités d’emploi. En l’absence de véritables
institutions d’accueil et d’embauche de la main-d’œuvre, ce sont les familles des zones d’arrivée pour les
immigrants qui prennent le relais. Elles représentent, par ce fait, des « micro agences pour l’emploi » en par-
ticipant à la recherche du travail et des structures alternatives d’emploi lorsqu’elles ne sont pas elles-mêmes
des employeurs qui embauchent pour leur propre compte.
Par ailleurs, les transferts en argent et les autres biens et services reçus par les groupes défavorisés à tra-
vers le canal de la migration interne ou internationale contribuent à atténuer certaines causes de la pauvreté.
Pour les pauvres, les transferts en faveur de leur ménage constituent, quelle que soit leur nature, une source
de revenus ou de ressources qui améliorent leurs conditions de vie. Ils peuvent subvenir à une partie de leur
consommation courante, soutenir la scolarisation de leurs enfants, financer certains de leurs soins médicaux
et contribuer à la réalisation de leur logement. Dans le cas des migrants appauvris en ville, les envois prove-
nant du monde rural leur permettent, en générant des flux de bénéfices variés, d’éviter les dépenses nor-
malement encourues dans le système de commercialisation en ville. Cela est en soi bénéfique pour ces
populations, car les flux alimentaires qu’ils reçoivent représentent une entraide appréciable qui comble une
part importante des besoins des ménages concernés.
Le déploiement de stratégies se manifeste à travers la solidarité familiale qui est mobilisée comme une
ressource pour la survie. La durabilité et l’utilité de la solidarité sont si primordiales qu’elles constituent les
gages de survie des ménages pauvres et de leur éventuelle promotion. Par la solidarité qu’il procure, le
réseau familial constitue une ressource souple, adaptée à la demande et qui intervient rapidement tout en
permettant d’offrir une aide à long terme à ses membres. Ainsi, c’est le réseau familial qui représente le
recours le plus solide et le plus facilement mobilisable. Sa présence active constitue un gage et une garantie
de sécurité, d’assurance et de stabilité. Que viennent à céder ces remparts des logiques familiales et on
risque de connaître des situations de crise grave et de se retrouver avec des villes incontrôlables !
Si les rapports de solidarité se tissent d’une manière spontanée autour de la parenté, il existe également
d’autres formes de solidarité entre les populations pauvres qui les mobilisent en matière d’actions sociales :
le voisinage, le groupe ethnique et la communauté religieuse. À ce propos, il faut noter le rôle joué par les
mosquées comme lieu de rencontre. Les actions sociales menées à partir des mosquées se rapportent à
l’assistance de l’ensemble des groupes défavorisés. Elles sont souvent l’œuvre de mouvements religieux qui
profitent du vide laissé par les autorités publiques et les organisations politiques dans les espaces marginali-
sés pour acquérir la sympathie et l’adhésion des populations pauvres.
Le contexte général depuis une décennie au Maroc est particulièrement favorable à l’implication des ONG
dans les efforts de développement participatif et du progrès de la société. Les changements qui affectent
l’économie marocaine et les politiques publiques de développement, les différents réajustements qui sont
en cours sur les plans économique, social, politique et culturel, sont autant de facteurs qui favorisent l’impli-
cation des populations dans leur propre développement.
125
Plusieurs ONG interviennent dans la réduction de la pauvreté en jouant un rôle d’avant garde contre les
exclusions. Elles semblent de plus en plus conscientes du rôle déterminant qui leur incombe dans la proposi-
tion d’un nouveau modèle de vie. Plusieurs domaines retiennent l’attention de ces ONG, en vue d’apporter
des solutions économiquement acceptables pour les plus démunis et écologiquement durables : celui de la
promotion des micro-entreprises (micro-crédits), celui de la construction d’infrastructures sociales diverses
(maisons de quartiers, équipements religieux, sportifs et culturels, etc.), celui de l’assainissement (évacua-
tion des eaux usées, enlèvement des ordures) et du contrôle de la pollution des écosystèmes périurbains
(côtes, rivières, etc.), celui enfin de l’aménagement des espaces verts et de loisirs.
Le champs de la participation véritable à la dynamique du progrès et du développement du pays leur est
aujourd’hui relativement ouvert. Les ONG sont considérées dans ce contexte comme des partenaires auto-
nomes qui agissent dans le champs du progrès et du développement socio-économique du Maroc. Une
seule raison permet d’en convenir : L’engagement gouvernemental qui a érigé les ONG en partenaires
potentiels susceptibles de jouer un rôle crucial dans le développement régional et local. En effet, les pouvoirs
publics sont aujourd’hui conscients et convaincus que les ONG et les méthodes participatives qu’elles pré-
conisent ont un rôle à jouer dans l’édification du développement du pays. Ce sont pour, le gouvernement,
des composantes essentielles des organisations de l’économie sociale, à côté des coopératives et des
mutuelles. Cette considération est un signal fort quant à la disposition du gouvernement à traiter désormais
avec les ONG en tant que partenaires dans les efforts de développement. Une récente circulaire du Premier
Ministre vient de suggérer aux différentes administrations et organismes concernés par le développement
social d’établir des partenariats durables avec le tissu associatif pour l’appui au développement et la lutte
contre la pauvreté.
Certaines ONG sont désormais des partenaires des institutions publiques et des communes, soit parce
que leurs activités s’adressent à des populations défavorisées, soit parce qu’elles ont su développer des pro-
grammes à forte composante sociale. Aujourd’hui, les responsables des différents secteurs font appel de
plus en plus massivement à ces ONG parce qu’ils savent pertinemment qu’on ne peut pas résoudre les pro-
blèmes s’il n’y a pas une intervention forte des ONG. De ce fait, ces dernières sont soumises à une demande
et à une pression considérable pour intervenir sur des problèmes de leurs compétences, mais aussi, plus lar-
gement, pour prendre en charge tous les problèmes que les pouvoirs publics ne peuvent pas ou ne savent
pas résoudre. Si les ONG contribuent par leur action à atténuer l’impact social de l’exclusion, elles n’en
déresponsabilisent pas moins l’État en le déchargeant de sa vocation première, qui est de financer et de four-
nir les services économiques et sociaux de base. S’ouvre là un champ stratégique de la construction des par-
tenariats ONG/institutions locales. La mise en œuvre des projets d’amélioration du cadre de vie, qui ne
saurait se faire sans l’implication des autorités locales et en particulier, municipales, devrait être l’occasion de
reconstruire au niveau local, les nouvelles scènes et règles de la participation citoyenne et de la gouvernance
locale.
La mobilisation se fait également dans le cadre d’amicales ou d’associations de quartiers qui apportent une
contribution complémentaire aux projets d’équipement et de restructuration des quartiers sous-équipés. Les
populations des quartiers s’impliquent de plus en plus dans la solution des problèmes urbains, grâce au ren-
forcement de leurs capacités d’organisation. Leurs interventions portent, pour l’essentiel, sur l’amélioration
du cadre de vie communautaire et sont menées à travers des opérations d’assainissement de l’environne-
ment. L’organisation des populations en amicales d’habitants ou autres associations de quartier est une des
voies qui a permis d’engager le processus de négociation entre les populations des quartiers clandestins et
les institutions pour la reconnaissance de ce type d’habitat.
Les actions des associations sont des supports importants dans la mise en œuvre des programmes
d’actions dans le cadre des efforts de développement économique et social. Les O.N.G. peuvent jouer un
rôle important dans le rapprochement avec les populations les plus marginalisées, dans les régions et les
quartiers les plus démunies. De ce fait, leur implication dans la réalisation des programmes de lutte contre la
pauvreté est une nécessité incontournable.
126
2.4. Une participation très limitée des communes dans le domaine de la
pauvreté
Le niveau communal est, en principe, un lieu stratégique pour la mise en œuvre d’un modèle de déve-
loppement local engagé résolument dans la lutte contre la pauvreté. L’objectif avoué est d’arriver à doter
chaque quartier ou groupe de quartiers d’infrastructures de base essentielles. À travers le développement
des équipements communautaires, la commune cherche à corriger les disparités de développement au sein
de son territoire de compétence.
Or, l’analyse, sur la longue durée, des communes au Maroc montre que le clientélisme a pris le pas sur la
gestion rigoureuse et la mise en place d’une administration efficace capable de faire face à la demande
sociale et de résister aux empiétements du pouvoir central. En outre, la participation des communes à la ges-
tion est très limitée par la modicité des ressources. Ces dysfonctionnements pénalisent l’administration
communale dans son rôle d’animation, de gestion et de conduite d’actions de lutte contre la pauvreté.
Afin d’assumer leurs responsabilités dans lesquelles s’inscrit le volet de lutte contre la pauvreté, une for-
mation préalable s’impose en faveur des élus et des responsables locaux. L’exécution des missions confiées
aux communes nécessite, face à la complexité croissante des problèmes, le renforcement des capacités
locales en matière de management, de conduite et de gestion des projets. Cette formation, qui vise à amélio-
rer les techniques de gestion des ressources humaines, financières et techniques de la commune, contri-
buera à renforcer la coordination et la dynamisation des services communaux. La formation des élus doit
également concerner le repérage et l’évaluation des besoins de la population cible. Les communes devraient
orienter leurs actions vers les zones regroupant le plus de personnes nécessiteuses et avoir des cibles pré-
cises : sous employés, chefs de familles et notamment les femmes, personnes âgées, jeunes... Le rôle de la
formation dans ce domaine consiste à leur apporter des outils pratiques leur permettant une meilleure
connaissance et suivi de leur environnement social. Elle vise aussi à favoriser l’instauration de nouveaux rap-
ports de partenariats entre la collectivité et les acteurs locaux, publics, privés, et associations.
En mobilisant et en organisant le potentiel local de solidarité, il est tout à fait possible d’aller localement à
l’encontre des formes de marginalisation les plus criantes et les plus extrêmes. En effet, il existe, sur le plan
local, de nombreuses volontés, potentialités, compétences et richesses humaines et matérielles mises à
profit partiellement et qui peuvent se mettre à disposition pour améliorer les conditions de vie des plus
démunis de leurs concitoyens. Cette perspective doit commencer par identifier les actions imaginables et
souhaitables dans le domaine de la pauvreté et par ouvrir, ensuite, les voies de mobilisation des énergies
locales, puis d’exploitation des synergies utiles possibles à travers des partenariats multiples entre acteurs
locaux, qu’il s’agisse de départements techniques, des collectivités locales, des opérateurs économiques for-
mels ou informels ou encore de la société civile. La décentralisation ne doit pas être uniquement une décen-
tralisation à caractère administratif, mais une décentralisation vers la société civile, vers l’affirmation de la
citoyenneté.
127
(PAS : 1983-1993), les préoccupations d’ordre social n’étaient pas la priorité effective des gouvernements,
d’où l’absence de stratégies à long terme et de politiques volontaristes en la matière.
La politique d’ajustement structurel a eu un coût social élevé et inégalement supporté par les couches
sociales moyennes et déshéritées qui ont subi de plein fouet les effets néfastes de la chute de l’investisse-
ment public et privé, de la baisse des dépenses sociales et de la régression de la croissance, en termes de
réduction des opportunités de création d’emplois productifs, de fourniture de services sociaux essentiels,
d’accès aux infrastructures socio-éducatives collectives, de fourniture de biens de consommation de base à
des prix raisonnables...
Ce n’est d’ailleurs qu’à la fin du PAS en 1993 que le paradigme du développement social s’est affirmé de
plus en plus par son ampleur, comme problème prioritaire. Ainsi, l’État a mis en place une stratégie sociale
axée sur la lutte contre la pauvreté, retenue en tant que moyen privilégié d’une réduction sensible des dispa-
rités existantes. Des programmes de développement ont été engagés et mis en œuvre avec l’appui des
organismes financiers internationaux et des organismes spécialisés des Nations Unies.
Ce nouvel engagement de l’État en matière de développement social s’est traduit par le lancement de plu-
sieurs actions à caractère stratégique : stratégie de développement social (1993), le premier programme du
BAJ I (1996), programme de gouvernance, deux Agences pour le développement économique et social des
provinces du Nord et du Sud, programme de développement communautaire décentralisé, stratégie du déve-
loppement social intégré (1998), Agence de développement Social (1999), Agence de Développement Social
du Sud (2001)...
128
2015 un ensemble concis d’objectifs à atteindre, de cibles quantifiées et d’indicateurs quantifiables pour éva-
luer les progrès accomplis dans le domaine de lutte contre la pauvreté.
Ces nouvelles perspectives internationales ont permis au Maroc de s’intéresser prioritairement et d’une
manière plus efficace au volet social en accordant une attention toute particulière à la lutte contre la pau-
vreté. C’est ainsi qu’il s’est attelé, principalement depuis le début de la deuxième moitié de cette décennie, à
l’élaboration d’une stratégie nationale de développement social et à la mise en œuvre de programmes
d’action de lutte contre la pauvreté.
129
2.5.5. De nouveaux moyens pour une meilleure appréhension du phénomène de la
pauvreté
L’État a réalisé des enquêtes nationales pour mieux appréhender l’évolution de niveaux de vie, des
dépenses de consommation des ménages et du phénomène de la pauvreté, à savoir : l’ENCDM 1984-85,
l’ENNVM 1990-91, l’ENNVM 1998-99 et l’ENCDM 2000-2001. En outre, des rapports nationaux sur le déve-
loppement social, sur le développement humain et sur la stratégie de lutte contre la pauvreté ont été élabo-
rés. Ces enquêtes, études et rapports, menés dans le sillage des engagements internationaux (ex. Étude
initiative 20-20), ont permis au Maroc de mieux connaître, mesurer et maîtriser le phénomène de la pauvreté
et de l’exclusion dans sa multidimensionnalité. Sur cette base, plusieurs actions furent engagées pour la
réduction de la pauvreté en milieu rural, urbain et périurbain et notamment celles consistant à améliorer
l’accès aux services sociaux essentiels et aux infrastructures communautaires de base : Programmes PERG,
PAGER, Routes Rurales, de lutte contre les effets de la sécheresse... Pour tenter d’intégrer la population
pauvre dans les circuits économiques et sociaux, d’autres programmes sociaux ont été parallèlement lan-
cés : Programmes de lutte contre l’analphabétisme, de micro crédit, de l’habitat social... Tous ces pro-
grammes de promotion du développement social, mis en œuvre par l’État, ont fait participer les ONG, les
collectivités locales et progressivement le secteur privé aux activités d’aide et d’appui au développement
social.
130
ont augmenté de 10,5 % par an entre 1995/96 et 2002 contre 5 % par an entre 1993 et 1995. Ceci traduit la
volonté d’améliorer l’offre sanitaire, notamment les soins de santé de base et les programmes de prévention
sanitaire.
Outre l’éducation et la santé, l’habitat social et la lutte contre l’habitat insalubre représentent également
des secteurs où l’action publique est très présente. Le Secrétariat d’État à l’Habitat, qui finance certains de
ces projets, a bénéficié d’un budget de 590 millions de dirhams en 2002. Ce montant a augmenté de 5,1 %
par an depuis 1993. Il faut noter cependant que plusieurs programmes de logements sociaux sont financés
en dehors du budget du Secrétariat d’État à l’Habitat (Fonds Hassan II, Fonds de Solidarité Habitat).
La hausse du chômage et de la pauvreté au cours des dernières années a incité les pouvoirs publics à aug-
menter les crédits alloués au Ministère de l’Emploi, de la Formation Professionnelle, du Développement
Social et de la Solidarité de 16 % en moyenne par an entre 1997-98 et 2002. Ces crédits financent des pro-
grammes de solidarité, d’action humanitaire à travers l’assistance aux personnes en difficulté, de lutte contre
la pauvreté, mais également d’organisation du marché du travail et de promotion de l’emploi, particulière-
ment des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, et des programmes d’amélioration de la condition
de la femme, de la protection de la famille et de l’enfant et de l’intégration des handicapés.
Avant la nouvelle génération des programmes sociaux des années 1990, la politique du développement
social fonctionnait avec quelques composantes permanentes de filets sociaux de sécurité, à savoir :
l’Entraide Nationale, la Promotion Nationale, la Caisse de Compensation et les Cantines Scolaires. Examinons
ces filets sociaux permanents de sécurité avant de revenir sur les programmes de la nouvelle génération.
L’Entraide Nationale a été créée en avril 1957 pour venir en aide aux populations très pauvres et contribuer
à la promotion sociale et familiale des couches vulnérables par l’éducation et la formation professionnelle
notamment des orphelins et des enfants issus de famille assez modestes.
Elle effectue la collecte, le stockage, la répartition et la distribution des dons et subventions dans le cadre
des missions qui lui sont dévolues. Elle contrôle les œuvres privées d’assistance et de bienfaisance qu’elle
subventionne. Elle contribue à la formation des agents affectés aux œuvres qu’elle contrôle. Elle peut être
appelée à participer à la création d’institutions et d’établissements destinés à faciliter l’accès au travail et à
l’intégration sociale des orphelins, des handicapés physiques et de toute personne relevant de son assis-
tance. Elle peut être consultée sur l’opportunité de la création de toute œuvre publique à caractère social ou
charitable ainsi que sur les mesures générales ou particulières intéressant la solidarité et l’entraide.
L’Entraide Nationale peut, sans autorisation spéciale, faire appel à la générosité publique.
Les ressources de l’Entraide Nationale sont constituées de subventions de l’État, des taxes parafiscales
instituées à son profit, du produit des souscriptions publiques, des dons et legs, des revenus de ses biens
meubles et immeubles, des recettes de ses centres (produits de vente d’articles fabriqués par les centres et
cotisations des bénéficiaires) et des produits divers.
La situation de l’Entraide Nationale depuis la deuxième moitié des années 1980 a connu de graves désé-
quilibres en raison de la mauvaise gestion de l’Établissemnt, de l’insuffisance des ressources et de la baisse
131
de l’assistance alimentaire étrangère à partir de 1985 puis sa suppression depuis 1992. Elle a fait, suite à ces
problèmes, l’objet en 1996-97 d’un audit stratégique et organisationnel qui a révélé l’existence de dys-
fonctionnements au niveau des structures, de la gestion et des programmes et l’absence d’une stratégie glo-
bale, cohérente et explicite. L’audit a recommandé la restructuration de l’établissement, la mise à niveau de
ses structures et la réorientation de ses activités dans le cadre d’une vision stratégique cohérente. À partir de
1998-99, le programme de restructuration a été engagé à titre expérimental dans quatre délégations pilotes,
puis généralisé à l’ensemble des délégations depuis avril 2000 à la lumière des résultats enregistrés et
conformément aux orientations du Plan 2000-04.
Les réalisations sociales de l’Entraide Nationale au titre de l’année 2003/2004 se présentent comme suit :
– 670 Centres d’éducation et de formation qui dispensent des formations dans les métiers manuels tradi-
tionnels ou modernes (coupe, couture, coiffure, broderie, tricotage, tapisserie etc...) aux jeunes filles
déshéritées déscolarisées ou non scolarisées et aux mères de même condition, en plus d’alphabétisa-
tion et des cours d’éducation sanitaire et nutritionnelle, de prévention et de lutte contre la malnutrition
chez les enfants en bas âge (2 à 5 ans). Le nombre de bénéficiaire, de ces centres au titre de 2003/2004
est de 45.480.
– 38 Centres de formation par apprentissage qui offrent, aux pensionnaires des Associations Musulmanes
de Bienfaisance en rupture de scolarité et aux enfants déscolarisés appartenant aux familles défavori-
sées, une formation alternée en entreprise et dans les Centres relevant de l’Entraide Nationale dans des
métiers prisés par le marché local (Mécanique Générale, Mécanique Diesel, Électricité Auto, Électricité
Bâtiment, Menuiserie, Ebénisterie, Tôlerie, Réparation Radio/Télévision, Informatique, Arts Ménagers
etc.). Le nombre de bénéficiaires de ces centres au titre de l’année 2003/2004 est de 117.
– 551 espaces d’alphabétisation. Le nombre de bénéficiaires de ces espaces au titre de l’année 2003/2004
est de 31916.
– 4 Centres d’handicapés qui accueillent les handicapés physiques et leur assurent un enseignement pri-
maire ou une formation professionnelle adaptée à leur condition. Le nombre de bénéficiaires de ces
centres au titre de l’exercice 2003/2004 est de 656.
– 217 jardins d’enfants qui accueillent les enfants de 3 à 5 ans issus des familles pauvres et leur dis-
pensent un enseignement préscolaire. Le nombre de bénéficiaires de ces jardins au titre de l’année
2003/2004 est de 9.124.
– Le partenariat dans le domaine de la lutte contre la pauvreté permet la mobilisation d’énormes potentiali-
tés et une efficience multipliée des efforts déployés. Conscientes de ces forces, l’Entraide Nationale a
mis en place une stratégie visant le renforcement du partenariat avec l’ensemble des acteurs sociaux.
Le nombre de conventions de partenariat engagées en 2004 s’élève à 313.
En outre, les délégués assurent, sous la supervision et les directives de l’Administration Centrale de
l’Entraide Nationale, le contrôle de 401 Associations de Bienfaisance qui accueillent les enfants orphelins, les
enfants abandonnés, les enfants pauvres issus du milieu rural, les cas sociaux et les personnes âgées, leur
offrent l’hébergement, la nourriture et le vêtement et assurent pour ce qui concerne les enfants poursuivant
leurs études, le suivi de leur scolarité. Le nombre de bénéficiaires de ces associations, au titre de l’année
2003, s’élève à 40.299 pensionnaires.
Par ailleurs, l’Entraide Nationale fournit une assistance alimentaire (25 Kg de farine et 3 litres d’huile par
mois) à 147 Coopératives et Associations d’Aveugles (OAPAM) et de Paralytiques (El Youssoufia) groupant
4 101 adhérents ou ménages.
En l’absence de stratégie et de coordination avec l’environnement socio-économique local, les actions
132
mises en œuvre demeurent limitées, tout comme leurs retombées sur les populations pauvres. Ceci a pour
conséquences – entre autres –, une inadaptation aux exigences du marché de l’emploi. À cela s’ajoute la fai-
blesse des ressources de l’Entraide Nationale.
Au niveau de la formation, d’une part, la rémunération du personnel d’encadrement de l’Entraide Nationale
est démotivante, puisque 90 % ne touche même pas le SMIG, ce qui engendre des retombées néfastes sur
la qualité de la formation ; d’autre part, l’encadrement que les monitrices dispensent aux élèves des centres
se rapporte dans la plupart des cas à la broderie traditionnelle et à la couture, selon des techniques dont le
caractère traditionnel est en décalage avec le marché de l’emploi. Il en résulte une situation d’impasse, tant
pour la mission qu’est censée remplir l’EN en matière de formation que pour ses relations au monde du tra-
vail.
Cet état de fait se répercute sur les jeunes filles formées par l’EN, qui ne saisissent pas l’objet et la finalité
de la formation qui leur est dispensée. Outre la nature du contenu, celle-ci ne les prépare pas au monde du
travail et ne leur offre, de ce fait, aucune chance d’intégration au milieu de la production. À titre indicatif,
30 % des jeunes filles quittent les centres au terme d’un ou de deux mois d’inscription, et 80 % parmi celles
qui parviennent au terme de leur formation restent sans emploi stable. L’une des conséquences de cet
échec est le retour à la pauvreté, qui touche la quasi-totalité des jeunes filles inscrites dans les centres de
l’EN.
Depuis sa création en 1961, la PN constitue une composante importante des filets sociaux de sécurité au
Maroc. Elle contribue depuis plus de quarante ans à la résorption du chômage et du sous-emploi, à la lutte
contre l’exode rural et à l’amélioration des conditions de vie, de travail et de production des populations des
zones déshéritées et marginalisées. La vaste majorité des bénéficiaires de la PN sont des travailleurs non
qualifiés qui touchent le salaire agricole minimum (SMAG).
La PN est identifiée à une entreprise gigantesque de mobilisation de la force de travail des couches
pauvres et des groupes vulnérables de la population dans le cadre de projets fortement employeurs de main-
d’œuvre et de travaux d’utilité collective portant sur l’équipement, l’infrastructure et la mise en valeur.
Depuis la deuxième moitié des années quatre vingt, en partenariat avec les départements ministériels, la PN
réalise des lacs collinaires et de petits barrages dans le cadre de la mobilisation des ressources en eau.
Récemment, elle a également orienté certaines ressources sur les emplois urbains.
Cette institution a permis la création de presque 12.640.000 journées de travail en moyenne annuelle de
1965 à 1999, l’effectif le plus élevé ayant été enregistré est celui durant les plans 1965-1967 et 1968-1972
par l’utilisation de presque 18.000.000 journées de travail en moyenne annuelle. Cette contribution a connu
une diminution à partir du plan 73-77, pour atteindre son niveau le plus bas au cours de la décennie quatre
vingt dix, par une moyenne annuelle de 8.000.000 journées de travail.
Les réalisations de la PN au cours des deux années 2000 et 2001 ont porté sur six chantiers de base à
savoir : les chantiers collectivités (plus de 7 680 emplois par an et la réalisation de 3,05 millions de journées
de travail), les chantiers équipements (réalisation de 6,62 millions de journées de travail), les chantiers déve-
loppement des provinces sahariennes (mobilisation de 3,178 millions de journées de travail), le BAJ I (mobili-
sation de plus d’un million de journées de travail), le programme de promotion de l’emploi dans les provinces
du sud (emploi de 11 000 personnes annuellement et réalisation de plus de 5 millions de journées de travail)
et le Programme de lutte contre les effets de la sécheresse qui vise la réalisation de 1 184 chantiers, avec un
coût de 125,5 millions de DH permettant la création de 2,9 millions de journées de travail dans 627 com-
munes rurales et 169 municipalités urbaines.
133
Malgré le rôle actif de la Promotion Nationale dans la lutte contre le chômage, ses programmes n’ont pas
pu réguler convenablement les flux de migration du milieu rural au milieu urbain. Une telle situation se justifie
pour trois raisons au moins : la première est relative à la rémunération, qui reste dérisoire et tardive, la
deuxième, au manque d’adhésion des populations aux programmes lancés par la promotion nationale et pour
lesquels elles ne sont pas souvent consultées et enfin les emplois créés ne reposent pas toujours sur des
mécanismes à fortes intensités de main-d’œuvre.
Le mandat original de la Promotion Nationale a été fortement atténué au cours des dix dernières années :
près de la moitié des ressources est consacrée aux salaires que les collectivités locales versent au personnel
administratif et autres employés subalternes au lieu d’aider directement les communautés par la création
d’emplois avec des activités à forte intensité de main d’œuvre.
L’effort de la PN est louable. L’instrument est opérationnel. Mais elle doit être relancée dans la conjoncture
actuelle pour accomplir un rôle plus grand de promoteur de l’emploi et du développement endogène des
zones marginalisées. La conjoncture actuelle qui est caractérisée par les problèmes du chômage milite en
faveur de la relance de l’action de la PN. La mobilisation de la force de travail disponible permettra de partici-
per fortement à son intégration dans un processus dynamique de développement socio-économique.
La politique de décentralisation en cours constitue un atout important pour le renforcement de l’action de
cette institution avec les collectivités locales. La coopération entre ces deux entités jouerait dans l’essor des
communes rurales marginalisées par une collaboration et une coopération étroite dans la programmation et
la réalisation de projets socio-économiques d’utilité publique locale. La PN participerait dans cette perspec-
tive à la création de l’emploi et à la réduction des disparités économiques et sociales entre les différentes
régions du Maroc.
Le renforcement de l’action de la PN dans le domaine de l’emploi passe par un apport en techniciens de
niveau supérieur et moyen ce qui constituerait un apport non négligeable à l’insertion dans la vie active des
jeunes diplômés spécialisés, notamment les lauréats de la Formation Professionnelle, du Génie civil, de
l’Hydraulique ainsi que ceux de l’Agriculture. La contribution de la PN à la lutte contre le chômage des cadres
serait bénéfique sur le rendement des chantiers.
La caisse de compensation a été mise en place en 1956. Elle est régie par le Dahir de septembre 1977. En
1983, avec l’entrée en vigueur du Programme d’Ajustement Structurel, la liste des produits et services
compensés a été profondément revue à la baisse. La compensation était guidée à l’origine par le principe de
la péréquation afin de protéger le pouvoir d’achat des catégories défavorisées et de soutenir la production
des produits alimentaires de base. Avec la libéralisation des années 1980 et de la première moitié des
années 1990, la compensation consiste à stabiliser les prix des produits de première nécessité : le sucre,
l’huile alimentaire, le gaz butane à travers la Caisse de compensation et la farine dite nationale de blé tendre à
travers l’Office National Interprofessionnel des Céréales et des Légumineuses (ONICL). Les deux orga-
nismes bénéficient des subventions du budget général de l’État, pour couvrir les charges de la compensa-
tion, à l’exception du gaz pétrole liquéfié, qui est financé sur les ressources propres de la Caisse de
compensation provenant des recettes excédentaires des produits pétroliers.
Les subventions des prix des produits de première nécessité accordées par le budget général de l’État
sont passées de 3 266 millions de DH à 3 436 millions de DH au cours des années budgétaires 1996-97 et
1997-98, de 6 144 millions de DH à 6 889 millions de DH durant les années budgétaires 1998-99 et 1999-
2000. Depuis novembre 2000, la filière des huiles alimentaires a été libéralisée et l’ancien système de sub-
134
vention forfaitaire et de prélèvement fiscal à l’importation des huiles brutes et des graines oléagineuses a été
abrogé et remplacé par une subvention d’équilibre au profit des promoteurs des graines oléagineuses. Pour
l’année 2001, la charge de la compensation assurée par la caisse de compensation est estimée à 4,6 MD de
DH, répartie entre le sucre (2 MD de DH), le gaz butane (2,3 MD de DH) et les hydrocarbures (300 MD de
DH) ; l’Office National Interprofessionnel des Céréales et des Légumineuses (ONICL) prend en charge
1,8 MD de DH en moyenne au titre de la subvention du blé.
Au cours de l’exercice 1999-2000, le Conseil d’Administration de la Caisse de compensation a adopté une
résolution (décision no 2/2 du 11 mars 1999) autorisant son Président à affecter les subventions restituées
sur le sucre utilisé par certains industriels pour la production de produits finis non destinés à l’exportation
pour le financement d’opération à caractère social au profit des populations défavorisées.
Dans l’ensemble, la compensation des prix des produits alimentaires semble profiter plus aux couches
aisées qu’aux couches pauvres, puisqu’il n’y a pas un système de ciblage des bénéficiaires. L’idée de la sup-
pression des subventions est écartée à court terme. L’instauration de mesures sociales compensatoires
s’avère nécessaire en cas de réduction progressive de la subvention à moyen terme. Le financement dans ce
cas serait assuré par les prélèvements fiscaux sur les produits de base. À très long terme, si la vérité des prix
doit être la règle économique, la subvention sera appelée à disparaître, mais à condition que qu’elle soit
accompagnée, d’une part, d’une politique de redistribution équitable des dépenses publiques et d’une géné-
ralisation progressive de la couverture sociale aux catégories défavorisées et, d’autre part, que les fonds
dégagés de la redistribution des subventions soient réaffectés à de nombreux axes d’intervention au profit
des populations à bas revenus.
Le soutien du Programme Alimentaire Mondial (PAM) dans le domaine des cantines scolaires au Maroc fut
cantonné entre 1965 et 1970 dans les provinces du Nord (Tanger, Tétouan, Al Hoceima). Il s’est par la suite
élargi et connut une nouvelle impulsion à partir de 1978 dans le cadre d’un projet d’assistance conclu avec
les autorités marocaines. Ce projet a été élargi à trois reprises de 1982 à 1992, avec une rallonge en 1993 et
un quatrième élargissement depuis cette date qui a failli être interrompu en raison du scandale des détourne-
ments découverts en 1994 et 1995 et dont les responsables ont été déférés en justice en 1996.
Le programme des cantines scolaires se situe au carrefour des préoccupations de l’éducation et de la
santé. Il est non seulement un instrument essentiel d’incitation à la scolarisation, mais aussi un champ de
transfert compensatoire en faveur des populations défavorisées. L’un des objectifs premiers du programme
d’alimentation scolaire est de soutenir les efforts du gouvernement dans la mise en œuvre du système édu-
catif, particulièrement dans les zones rurales.
Avec la crise de la fin des années 70 et l’application des mesures du PAS au cours des années 80, les res-
trictions budgétaires n’ont pas épargné les secteurs sociaux, telles que l’éducation et la santé, mais avec des
répercussions plus profondes pour les populations défavorisées. Dans ces conditions, l’alimentation scolaire
qui disposait déjà d’un réseau de cantines, s’est vu assigner comme objectif supplémentaire, l’allégement
des effets négatifs du programme PAS, par un soutien accru aux élèves issus des milieux les plus démunis.
En effet, la population cible est constituée principalement d’élèves issus des ménages les moins favorisés,
notamment dans les zones rurales et les zones urbaines marginalisées. Les critères de choix des bénéfi-
ciaires sont le revenu de la famille, l’éloignement de l’école par rapport au domicile, la taille de la famille et la
situation d’orphelin.
L’effectif des élèves bénéficiaires depuis l’indépendance jusqu’en 1987-88 est passé durant ces trente
135
années de 30 000 en 1957-58 à 680 000 en 1987-88, soit une augmentation de 23 fois. Le nombre des béné-
ficiaires est passé de quelques 220 000 élèves en 1972-73 à 493 000 en 1977-78. Le taux annuel moyen
d’augmentation du nombre de bénéficiaires atteint les 18 %. Dans le même temps, le nombre total des
élèves inscrits dans les 5 années du primaire public est passé de 1 216 007 élèves en 1972-73 à 1 730 169
en 1977-78, soit un taux de croissance moyen de 7,3 %.
En 1984-85, le nombre total d’unités de cantines scolaires en service s’élevait à 3 500, dont 75 % étaient
implantées en milieu rural. En 1986-87, les unités d’alimentation scolaire étaient au nombre de 3 903, répar-
ties entre 46 délégations, dont 3 091 en milieu rural, soit 80 % du total, contre 812 en milieu urbain. Durant
l’année scolaire 1991-92, le nombre total des établissements où étaient servis des repas aux élèves bénéfi-
ciaires était de 6018, dont près de 80 % desservaient le milieu rural. Entre 1978 et 1992, près de 3 milliards
et demi de repas ont été servis à quelques 12 millions de petits écoliers.
Pour la période 1988-1992, l’offre alimentaire a atteint 1 410 000 élèves bénéficiaires en 1992, passant
successivement de 680 000 en 1987-88 à 816 000 en 88-89, 979 200 en 89-90 et à 1 174 994 en 90-91. Elle
aurait ainsi enregistré une croissance moyenne de 20 % durant la période 88-92.
En 1993-94, les cantines scolaires ont bénéficié à 938 000 élèves pour un coût de 250 M de DH par an
(hors investissement et personnel) avec une contribution du Ministère de l’Éducation Nationale de 112 M de
DH, soit 45 %.
Après 1995, les cantines scolaires connaissent une régression en nombre et en services et en nombre de
bénéficiaires. Le nombre de jours de restauration diminue à 90 jours par an. L’enveloppe budgétaire continue
à baisser : 122 561 000 DH en 2001. Le nombre de bénéficiaires qui était de 939 092 en 1995 continue de
baisser aussi malgré l’augmentation du taux de scolarisation.
Au cours de l’année scolaire 2000-01, les bénéficiaires des 11 183 cantines scolaires (contre 6 018 en
1991) au niveau de l’enseignement primaire public s’élèvent à 1 066 400 élèves, répartis en 966 000 bénéfi-
ciaires de l’alimentation des cantines scolaires et en 100 400 filles bénéficiaires des produits alimentaires
secs. En outre, dans le cadre de l’encouragement de la généralisation de l’enseignement et de l’amélioration
de son efficacité interne, le Ministère de l’Éducation nationale a procédé en 2000-01 à la distribution gratuite
de 213 750 cartables, de 767 400 cahiers et livres, de 4 100 tenues vestimentaires de sport et de 7 600
lunettes de vue.
Aujourd’hui, le Ministère de l’Éducation Nationale préconise certaines réformes pour les cantines sco-
laires :
– Continuer à chercher de l’aide auprès de la société civile et des collectivités locales malgré les résultats
limités ;
– Élargir au système scolaire où les élèves font la classe en demi-journée seulement ;
– Réduire les coûts des repas et élargir le nombre des bénéficiaires ;
– Fournir des repas prêts à porter, emballés, propres et moins chers ;
– Éviter le problème des employés qui n’acceptent pas de travailler à raison de 0,15 DH par repas et par
élève ;
– Éviter les procédures qui retardent le lancement à temps des cantines au début de l’année scolaire.
136
4. Les programmes d’intégration sociale de la seconde génération
La mise en œuvre de la stratégie de développement social pour la décennie 1990 a été engagé avec le lan-
cement du Premier Programme des Priorités Sociales (BAJ I « Barnamaj al Aoulaouiyat alijtimaiya ») en
1996-97 en collaboration avec la Banque Mondiale.
Ce programme qui concerne quatorze provinces défavorisées du Maroc (El Kalâa des Sraghna, Ouarzazate,
Taroudant, Essaouira, Azilal, Chefchaouen, Sidi Kacem, Tiznit, Safi, Chichaoua, Al Haouz, Taza, Al Houceima
et Zagora), a nécessité au départ, une enveloppe de 266 M de dollars, dont 150 M de dollars financés par un
prêt de la banque Mondiale. Il comprend trois projets :
– Le projet éducation de base qui vise l’amélioration de l’accès à l’éducation de base par la construction et
l’équipement des écoles en latrines et en eau, l’amélioration des taux de rétention et de la qualité de
l’éducation par la formation du personnel, la fourniture d’équipements et de mobilier, l’alphabétisation
des adultes et le renforcement des capacités du Ministère de l’Éducation nationale ;
– Le projet santé de base qui vise l’amélioration de l’accès aux services de soins préventifs et curatifs
essentiels, le renforcement du programme de maternité sans risque et le soutien aux programmes prio-
ritaires nationaux de santé publique ;
– Le projet de la Promotion Nationale, de coordination et de suivi des programmes sociaux qui vise à tra-
vers les programmes de la Promotion Nationale relatifs à la lutte contre le sous-emploi et le chômage
notamment en milieu rural, à assurer un renforcement sélectif des travaux complémentaires pour valori-
ser les interventions relatives à l’éducation et à la santé prévues au programme, et la création d’un
observatoire au sein du Ministère de la Prévision Économique et du Plan pour le suivi et l’évaluation des
actions du BAJI.
Au cours des cinq premières années d’exécution du BAJ I, le secteur de l’éducation a enregistré plusieurs
réalisations qui ont porté sur la construction de 2 445 salles de classe, 894 logements, 662 annexes de santé,
301 bureaux, 185 clôtures, l’entretien de 2 191 unités scolaires, la formation de 18 629 instituteurs, 1 630
directeurs et la distribution de livres et de fournitures scolaires au profit de 879 000 élèves.
La deuxième année du Plan 2000-2004 a été marquée par l’appui aux aspects qualitatifs du programme par
la distribution d’ouvrages et de fournitures scolaires au profit de 317 218 élèves, la construction de 184
annexes de santé, 16 bureaux, 82 clôtures, l’entretien de 938 unités scolaires, la construction de 90 loge-
ments pour instituteurs et la réalisation de plusieurs études sur l’enseignement fondamental et l’éducation
non formelle.
Au niveau de la santé, il a été procédé à l’élargissement et à la reconstruction de 1 131 dispensaires, la
construction de 74 centres communaux de santé, de 278 logements, à l’aménagement de 51 salles d’accou-
chement, de 12 salles de soins pour les maladies génétiques et l’accouchement dans les hôpitaux, l’acquisi-
tion de 126 ambulances et de 340 motocyclettes, l’appui aux programmes sanitaires et l’achat de
médicaments et l’approvisionnement des structures sanitaires en outillage technique.
Au cours des cinq premières années d’exécution du BAJ I, la Promotion Nationale a réalisé plusieurs
actions portant sur la construction, l’élargissement, l’aménagement de plusieurs puits, le creusement de
puits, la construction de maisons de l’étudiant, d’édifices sanitaires et de clôtures et d’autres projets qui ont
permis de créer 3 623 211 journées de travail avec une masse salariale de 155 M de DH.
137
Les efforts consentis dans le cadre du BAJ I sont renforcés par des actions sur le terrain initiées par divers
donateurs dont les zones d’intervention font quasiment toutes partie des 14 provinces du BAJ I. Ayant, pour
la plupart d’entre eux, des cycles de programmation correspondant à celui du BAJ I, ces programmes, malgré
la modestie de leur enveloppe financière, contribuent de façon sensible à la réduction de la pauvreté. Il s’agit
notamment des deux programmes, cofinancés à 50 % par le PNUD. Le premier, lancé en septembre 1996,
d’un coût de 3,35 M$, cible des zones rurales dans les provinces d’Essaouira, de Chefchaouen, de Chichaoua
et d’El Haouz. Le second, lancé en septembre 1997, d’un coût de 2 M$, cible trois sites urbains et péri-
urbains à Casablanca, Marrakech et Tanger. Si l’impact de ce dernier programme, complémentaire à celui du
BAJ I, demeure circonscrit à quelques sites périurbains expérimentaux, son intérêt premier est de dégager
des approches nouvelles en matière de traitement de la pauvreté et des modèles d’intervention susceptibles
d’être étendus à d’autres provinces.
Malgré les progrès notables réalisés dans plusieurs domaines au cours des dernières années, de larges
disparités d’accès aux infrastructures de base subsistent entre les villes et les campagnes. C’est dans le but
de réduire ces inégalités que, dès 1995, les pouvoirs publics ont lancé trois programmes d’envergure
d’approvisionnement en eau potable, de désenclavement et d’électrification rurale. Depuis cette date,
l’investissement dans les infrastructures de base au profit du monde rural a revêtu une importance capitale.
Aujourd’hui, le développement du monde rural constitue un impératif de développement national auquel
tous les acteurs y adhèrent fortement, que ce soit pour des raisons d’aménagement équilibré du territoire, de
renforcement de la cohésion nationale par la réduction des disparités régionales, d’amélioration de l’envi-
ronnement socio-économique de la population par la promotion de l’emploi et la réduction de la pauvreté, ou
enfin de la conservation des ressources naturelles du pays.
Lors de la 8ème session du Conseil Supérieur de l’Eau et du Climat en 1994, une étude menée sur l’accès
à l’eau potable en milieu rural a fait état d’une situation critique. Seul 14 % de la population rurale avait accès
à l’eau potable, alors que la quasi-totalité des populations urbaines était desservie. En 1994, la population
rurale représentait à peu près la moitié de la population globale (48,6 %).
Face à cette situation, l’État a lancé en 1995 un Programme d’Approvisionnement Groupé en Eau potable
du monde Rural (PAGER) qui devrait en généraliser l’accès sur une période de dix ans à travers la construc-
tion de 31 000 points d’eau dans 31 000 localités regroupant 11 millions d’habitants. Le coût de ce projet a
été estimé à 10 milliards de DH.
Ce programme prévoit l’installation d’équipements simples privilégiant l’accès sur le confort de la des-
serte, et ce, afin de réduire les coûts d’investissement et d’exploitation et de permettre la prise en charge de
la gestion et de l’entretien des installations par les populations bénéficiaires. Ainsi, deux types de systèmes
d’approvisionnement en eau ont été définis :
– Des points d’eau aménagés (puits ou forages équipés, aménagement de sources, « métfias » et bornes
138
fontaines) au profit de 26 600 localités. Le maître d’œuvre de ce système, dont le coût s’élève à près de
7 milliards de DH, est la Direction Générale de l’Hydraulique (DGH) ;
– Des branchements sur les adductions de l’Office National de l’Eau Potable (ONEP), existantes ou proje-
tées, au profit de 4 400 localités permettant l’accès à 2,4 millions d’habitants pour un coût de 3,5 mil-
liards de DH. La population bénéficiaire est évaluée à 2,4 millions d’habitants.
La stratégie adoptée consiste à établir des partenariats entre les communes locales et les services tech-
niques de l’État, avec l’implication des populations dans le financement des projets. Ces dernières doivent
prendre en charge la gestion, l’exploitation et l’entretien des équipements mis à leur disposition dans le
cadre d’associations d’utilisateurs.
L’État est le principal bailleur de fonds : le budget général finance 80 % de ce projet grâce aux prêts et
dons de divers pays et organismes et à la solidarité nationale. Les communes rurales financent 15 % du pro-
gramme en se basant sur leurs fonds propres et des prêts consentis par le Fonds d’Équipement Communal
ou les institutions financières étrangères. Les populations bénéficiaires, enfin, apportent les 5 % restants.
Depuis le démarrage du PAGER en 1995 et jusqu’à la fin juin 1999, la population desservie a atteint 3 mil-
lions d’habitants regroupés dans 5 017 localités avec un coût de 1200 millions de DH. Le taux d’accès à l’eau
potable rurale a atteint à la fin du mois de juin 1998, 38 % contre 18 % en 1994.
Au terme de l’année 2001, grâce à un investissement global de près de deux milliards de dirhams, le
PAGER a permis l’approvisionnement en eau potable de près de 6,1 millions d’habitants répartis dans 10.560
localités. Le taux d’accès à l’eau potable a été ainsi porté à 47,8 % contre 14 % seulement en 1995. Les
régions qui ont le plus profité de cette desserte sont les zones arides avec un taux d’accès à l’eau potable de
100 % à Assa zag, 98 % à Inezgane – Aït Melloul et 95 % à Tantan.
Grâce aux réalisations du PAGER, près de 12.000 localités regroupant près de 6.5 millions d’habitants ont
pu accéder à l’eau potable dans des conditions convenables. Le montant de l’investissement s’est élevé à
3.500 millions de dirhams et le taux d’accès atteint en 2003 plus de 55 % à l’échelle nationale. Il est à rappe-
ler que le plan quinquennal a pour objectif d’atteindre 62 % à la fin 2004. Par ailleurs, le gouvernement est
fermement décidé à atteindre un taux d’accès de 90 % en 2007.
Les réalisations du PAGER ont permis d’améliorer l’état de santé des populations rurales, la scolarisation
des enfants principalement la fille, et la réduction de la corvée des femmes et des enfants, ce qui a permis
d’améliorer leurs conditions de vie et de vaquer à d’autres préoccupations plus productives.
En 2001, une étude d’évaluation à mi-parcours du PAGER a été lancée, elle a concerné les projets financés
par la Banque Mondiale au niveau de 6 provinces : Tata, Ouarzazate, Zagora, Safi, El Jadida et Sidi Kacem à
travers l’examen d’un échantillon de 30 % des systèmes d’alimentation en eau potable réalisés durant les
exercices budgétaires 1997-98, 1998-99 et 1999-2000. Cette étude a relevé que la scolarisation a augmenté
depuis le démarrage du projet de 16 % par rapport à l’état initial. Cette augmentation est observée considé-
rablement pour les filles (21 %). Le taux de rétention au niveau des localités bénéficiaires a connu aussi une
139
nette progression. Sur le plan hygiène, cette étude a montré que les projets ont eu un impact positif sur la
santé des populations, une nette diminution des cas de diarrhées de 49 % par rapport à l’état d’avant projet a
été enregistrée. Ceci est dû principalement à l’installation de nouveaux systèmes d’exhaure et de stockage.
L’impact positif est dû aussi aux diverses compagnes de sensibilisation et d’information sur les maladies
d’origine hydrique et les méthodes de correction éventuelles.
140
d’environ 3 700 000 habitants ruraux pour un budget total estimé à 8 400 MDH. Cette tranche permettra de
porter le TER à environ 91 % en 2007.
Il est également prévu durant la même période l’électrification de 100 000 foyers par des systèmes photo-
voltaïques individuels ce qui portera le TER à environ 98 %.
À la fin 2007, le PERG se traduira par l’électrification de 34 400 villages dont plus de 28000 raccordés au
réseau national et par l’accès à l’électricité pour 12 millions de citoyens en milieu rural pour un budget global
de l’ordre de 20 milliards de DH. Cet objectif sera réalisé à hauteur de 91 % en recourant à l’électrification par
raccordement au réseau et à hauteur de 7 % à travers l’électrification décentralisée, principalement au
moyen de kits photovoltaïques.
À fin 2003, un budget d’environ 12 milliards 300 millions de DH a été engagé par l’ONE pour électrifier
13 235 villages ruraux, ce qui correspond à 989 946 foyers, soit 6 434 000 habitants ruraux.
Le taux d’électrification rural (TER) qui était de 18 % en 1995 a atteint 62 % en fin 2003.
141
R Les services de transport de passagers ont augmenté fortement ;
R Le temps de trajet jusqu’aux marchés et centres de services sociaux a diminué de la moitié.
– Impact sur l’agriculture :
R Augmentation de la production fruitière ;
R Les agriculteurs ont augmenté de 150 % leur investissement dans le cheptel de race amélioré ;
R L’utilisation d’engrais a augmenté de 60 % dans les zones du projet ;
R Le nombre d’emplois non agricoles, suite à la mécanisation et aux améliorations apportées dans le
domaine de l’élevage, a été multiplié par six.
– Impact social :
R La fréquentation des centres médicaux par les bénéficiaires des routes a doublé ;
R L’amélioration des routes a facilité la fourniture des soins et a permis une meilleure qualité de service ;
R Un plus grand nombre de professionnels se sont montrés prêts à travailler dans les zones accessibles ;
R Le taux de scolarisation primaire a augmenté.
Le PNRR a été aussi une opportunité pour dynamiser l’ingénierie nationale. En plus, il a permis aux entre-
prises routières de bénéficier d’une augmentation substantielle des travaux, plus de 90 entreprises ont ainsi
participé à la réalisation des opérations du PNRR.
Le Ministère de l’Équipement et du Transport a procédé au cours de cette année à la programmation des
opérations relatives au deuxième programme national de construction de routes rurales qui a été lancé en
2005 pour être achevé en 2015. Ce programme porte sur la construction de 1 500 Km de routes rurales à
l’horizon 2015 dans l’objectif de désenclaver 80 % des populations rurales. Il prévoit que 54 % de la popula-
tion rurale bénéficiera en 2005, 60 % en 2007 et près de 70 % à l’horizon 2010.
La réalisation de ce programme demandera à peu près 1 milliard de DH par an, qui sera financé par le
Fonds du Financement des Routes, le budget de l’État et la participation des collectivités locales.
Pour l’entretien des routes, plus de 80 % des ressources financières réservées par le ministère à la
construction des routes sont consacrées à cette opération qui touche chaque année 1 700 Km.
La question de l’habitat social au Maroc constitue pour les familles marocaines pauvres une préoccupation
majeure. Elle représente un véritable enjeu social et une composante du développement. Le fléau de l’habi-
tat insalubre dans le milieu urbain n’a cessé de s’aggraver, notamment en relation avec l’exode rural, corol-
laire à la fréquence des sécheresses. Le nombre de ménages résidant dans deux principales formes
d’habitat insalubre, à savoir les bidonvilles et l’habitat non réglementaire, est estimé à 780.000, soit 4 millions
de personnes formant 23,5 % des ménages urbains.
Suite au discours royal du 20 août 2001 qui a accordé une grande priorité à la lutte contre ce fléau, le
Département de l’Habitat a élaboré une stratégie de résorption de l’habitat insalubre sur une période de 10
ans.
142
4.3.1. Les fondements de la stratégie
La stratégie de lutte contre l’habitat insalubre se traduit par un programme national de résorption de l’habi-
tat insalubre d’une enveloppe de 28,86 milliards de DH qui concerne 629.784 ménages, sachant que les
actions publiques en cours de réalisation concernent les 151.131 ménages restants.
Le financement de ce programme sera assuré par la participation des bénéficiaires (12,67 milliards de DH),
les subventions publiques (13,52 milliards de DH) et le crédit au profit du programme d’habitat social (2,67
milliards de DH). La mobilisation annuelle des subventions se fera à partir du Fonds de Solidarité de l’Habitat
(600 millions de DH), de l’Agence Hassan II pour le Développement Économique et Social (400 millions de
DH), du Budget Spécial des Provinces du Sud (100 millions de DH) et des contributions des Collectivités
Locales (250 millions de DH).
Le programme de lutte contre l’habitat insalubre s’étale sur une période de 10 ans à partir de janvier 2002.
Les actions programmées sont constituées d’opérations de restructuration, de programmes de lotissements
de résorption et de projets de logements de résorption :
– D’une enveloppe de 17,93 milliards de dirhams, les opérations de restructuration ont pour objectif de
doter en équipement d’infrastructures nécessaires les quartiers d’habitat non réglementaire, ainsi que
les grands et moyens bidonvilles pouvant être intégrés au tissu urbain et régulariser leur situation urba-
nistique et foncière. Cette intervention intéresse 470.140 ménages.
– Le programme de lotissements de résorption, qui nécessite un budget de 4,72 milliards de DH,
concerne les ménages des petits bidonvilles et ceux ne pouvant être intégrés au tissu urbain. Il permet-
tra à ces ménages l’accès à la propriété de lots d’habitat social à valoriser en auto-construction assistée
dans le cadre de lotissements à équipement préalable ou progressif, et portera sur l’aménagement de
près de 2.500 ha en 94.392 lots.
– Les projets de logements de résorption, qui mobiliseront 6,21 milliards de DH, doivent aider les
ménages non touchés par les deux précédentes formes d’intervention et les ménages concernés par la
dédensification liée à la restructuration, à accéder au logement social notamment à travers la formule de
location-vente. Ce programme vise la construction de 65.252 logements sociaux.
Le programme physique s’appuiera sur un cadre juridique et institutionnel qui instituera deux instruments :
les périmètres d’habitat insalubre et les périmètres destinés à leur résorption. Le projet de loi s’articule
autour des axes suivants :
– La création des périmètres d’habitat insalubre s’accompagnera du recensement des ménages concer-
nés, de mesures administratives préventives pour circonscrire la prolifération de l’habitat insalubre, ainsi
que de la création d’un comité local de veille et de suivi.
– L’élaboration des Plans Locaux d’Habitat et de Développement Urbain pour des agglomérations urbaines
de plus de 50.000 habitants. Ces plans constituent une base de programmation pour les interventions
publiques de lutte contre l’habitat insalubre et des programmes à caractère préventif dans un cadre
conventionnel entre l’État, les collectivités locales et les intervenants des secteurs public et privé.
143
– Les mesures d’encouragement au profit des programmes de résorption de l’habitat insalubre et d’aide
aux ménages concernés seront financées par le Fonds de Solidarité Habitat.
– La création de comptes spéciaux locaux de lutte contre l’habitat insalubre permettra aux collectivités
locales de financer les opérations relevant de leurs attributions dans ce domaine.
– L’institution d’une amnistie urbanistique pendant une durée de cinq ans pour le redressement de la
situation actuelle des quartiers selon les conditions déterminées prévoyant le paiement d’une indemnité
libératoire au profit des comptes spéciaux locaux de lutte contre l’habitat insalubre.
– La révision des dispositions juridiques relatives aux sanctions et l’élargissement de leurs champs d’appli-
cation en vue de couvrir les transactions immobilières dans les quartiers d’habitat insalubre où la vente
et la location ne pourront plus s’effectuer en dehors de la procédure de la régularisation urbanistique.
Conclusions et recommandations
On peut considérer que la lutte contre la pauvreté ne fait que commencer au Maroc. C’est la bataille de
l’époque. Elle n’est pas aisée. C’est une entreprise exigeante et de longue haleine, car, elle n’est pas un phé-
nomène temporaire, c’est une caractéristique structurelle durable du processus de développement. Elle
144
intègre, au-delà de son aspect d’ordre matériel, plusieurs paramètres liés à l’éducation, la santé et l’envi-
ronnement. Ceci exige la mobilisation d’importantes ressources tant financières qu’humaines.
Les politiques sociales menées depuis notamment les années 90 ont permis d’améliorer significativement
la plupart des indicateurs dans l’ensemble des domaines sociaux. Pour ce qui est de l’amélioration des condi-
tions de vie des populations rurales, qui représentent les 2/3 des pauvres au niveau national, les programmes
mis en œuvre ont eu des impacts socio-économiques très importants. La réduction des inégalités entre le
milieu rural et urbain requiert, à l’avenir, une politique plus active d’accès aux services sociaux de base qui,
couplée à une diversification des systèmes de production et de l’offre d’emploi, permettrait de réduire les
inégalités socio-économiques.
Le développement social exige ainsi des efforts croissants des pouvoir publics, notamment au niveau bud-
gétaire, exigeant une augmentation du budget allouée à ce secteur mais surtout un redéploiement des
dépenses davantage en faveur des populations défavorisées à travers des actions mieux ciblées. À titre
d’exemple, le budget de l’État finance la compensation des produits de première nécessité au profit de
l’ensemble de la population. Le redéploiement de ces dépenses vers des rubriques spécifiques qui ne pro-
fitent qu’aux populations démunies augmenterait l’impact social de l’action publique.
Le développement social réalisé au cours des dernières années provient de programmes propres à chaque
secteur. Afin de capitaliser les efforts, optimiser l’utilisation des ressources et rallier le sentier d’un déve-
loppement durable, il est nécessaire d’élaborer une stratégie globale de développement. Cette stratégie
devrait réunir l’ensemble des acteurs du développement et être étendue à tous les secteurs. Une meilleure
coordination des investissements sociaux, par exemple, contribuerait à réduire davantage les inégalités
d’accès aux infrastructures et services sociaux de base grâce à une meilleure connaissance des besoins et
des potentialités. Une évaluation précise des impacts des stratégies sectorielles sur le développement, parti-
culièrement dans les domaines de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté, pourrait inspirer certains axes
d’une stratégie de développement intégrée.
Par ailleurs, les projets en faveur des pauvres ne doivent pas oublier la capacité qu’ont les pauvres de
savoir s’organiser. Il faut que cette capacité d’organisation et d’assistance mutuelle soit mise en valeur. Les
pauvres peuvent s’en sortir. Le mystère de la pauvreté est que les pauvres soient capables de survivre mal-
gré le caractère presque inhumain de la situation dans laquelle ils se trouvent. Tout projet d’allégement de la
pauvreté doit tenir compte de la faculté qu’ont les pauvres non seulement de faire face à leurs besoins fonda-
mentaux mais aussi d’atténuer les effets des éléments inhumains de leur environnement pour conserver leur
dignité d’hommes.
La stratégie de développement social, actuellement en cours, ne peut aboutir à des résultats probants que
si elle :
– Intègre les programmes en vue d’augmenter fortement leur efficacité interne et l’impact positif qu’ils
pourraient avoir sur la situation socio-économique des populations visées. La pauvreté est un problème
intersectoriel et nécessite, par conséquent, de renforcer la coordination entre les départements concer-
nés par le développement social et l’intégration de leurs actions les unes avec les autres. La coordination
des interventions des différents départements ministériels est nécessaire pour une meilleure synergie
et une meilleure rentabilité en évitant les duplications ;
– Crée des dynamiques locales basées sur un partenariat entre l’État, les collectivités locales, et les
composantes de l’économie sociale. Ce partenariat visera à focaliser l’action sur les poches de pauvreté
les plus fortes et créer un maximum d’effets induits au niveau local. Les acteurs de la société civile sont
un partenaire incontournable dans l’action sociale. Cependant, les pouvoirs publics ne doivent pas se
départir de leur rôle d’atténuation des contradictions et d’une meilleure répartition du revenu national.
– Instaure la pratique systématique de l’évaluation et du suivi. Il y a un besoin d’un système de suivi global
145
mais gérable pour mesurer les progrès accomplis dans la lutte contre la pauvreté. Les actions et les pro-
grammes entrepris font rarement l’objet d’une véritable évaluation pour en tirer les enseignements qui
s’imposent. L’élaboration d’un tableau de bord relatif aux indicateurs socioéconomiques est nécessaire
pour suivre les réalisations, les blocages et les reculs des domaines clés du développement social ;
Une véritable réponse à la pauvreté et l’exclusion exige, par ailleurs, un renversement de perspective, une
révision des principes de la gestion du social et de l’économie. Une véritable politique d’intégration sociale
doit :
– S’appuyer sur le respect du droit du citoyen et assurer à tous l’accès aux services et aux revenus ;
– Revoir le statut du travail dans la distribution de la richesse et dans la valorisation des individus ;
– Utiliser l’innovation technologique comme outil de déconcentration de la société civile ;
– Favoriser, aussi bien au plan national que local, la concertation entre les différents acteurs sociaux (État,
syndicats, entreprises et milieux associatifs) qui sont susceptibles de recréer les liens sociaux et poli-
tiques.
Références bibliographiques
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147
Une figure de l’exclusion : le handicap
149
Conclusion ...............................................................................................................184
LATIFA SERGHINI
150
Synthèse du document
Les personnes en situation de handicap au Maroc souffrent d’une double exclusion : celle liée à une altéra-
tion définitive de l’identité sociale, et celle liée à la pauvreté. La représentation psycho-sociale des personnes
handicapées, détermine en grande partie la marginalisation de cette population. Par ailleurs le handicap au
Maroc reste mal connu, et nous disposons de peu de données fiables.
La réflexion sur la gestion du handicap au Maroc est récente. Elle a bénéficié d’une attention particulière
depuis les dix dernières années, notamment par la création du Haut Commissariat chargé des Handicapés en
1994 et l’impulsion que cette création a donnée au mouvement associatif œuvrant dans le domaine du handi-
cap. Depuis, ce département a été érigé en Secrétariat d’État, portant des dénominations différentes, où la
place du handicap a aussi évolué, non sans une certaine confusion.
En effet, l’absence d’une analyse du processus de création du handicap et donc des différents niveaux
d’intervention, explique aussi bien la confusion que les performances modestes : il est difficile de mettre en
place une politique d’intégration des personnes handicapées, donc une politique sociale, sans l’élaboration
d’une politique de santé, assurant la prise en soin de cette population sur le plan du diagnostic, des traite-
ments, et surtout de la réadaptation. Cette dernière, ne peut être réalisée que par le département de la
Santé, seul compétent dans le domaine.
Quand au travail sur l’intégration des personnes handicapées, il nécessite une sensibilisation des déci-
deurs qui ne peut être assurée que par une information de qualité, afin que la coordination des départements
impliqués puisse être efficace.
Par ailleurs, les « fluctuations institutionnelles », la modicité des budgets des ministères sociaux et
l’absence de ressources humaines à tous les niveaux (cadres et professionnels) ainsi que la médiatisation
sans réserve dont ont fait l’objet les personnes handicapées contribuent à confiner les personnes handica-
pées dans l’exclusion.
Aborder la gestion institutionnelle du handicap est une priorité. Par ailleurs, une fois ce cadre défini,
l’urgence est l’élaboration d’un plan de formation des ressources humaines spécifiques au domaine du handi-
cap, et la mise en œuvre de structures d’accueil de proximité dans le cadre d’une politique de sectorisation
progressive, en évitant les grandes unités « prestigieuses » que nous ne sommes pas en mesure de gérer. Il
s’agit d’aller vers les personnes handicapées et non le contraire. L’approche communautaire (réadaptation à
base communautaire) intégrée dans une vision globale de politique sociale (orientée vers la régionalisation)
pourrait être une voie à privilégier lorsque les préalables institutionnels seront établis.
1. « Lettre au Président de la République sur les citoyens en situation de handicap, à l’usage de ceux qui le sont et de ceux qui ne le sont
pas » par Julia Kristeva, 2003.
151
152
Élements introductifs : représentation psychosociale du handicap
Le handicap est la figure d’exclusion la plus éloquente. Exclusion en soi, du fait de l’altération de l’identité
que le handicap engendre, elle est doublée volontiers de pauvreté, jusqu’à en être synonyme dans nos pays.
Pour la plupart des personnes, la représentation du handicap est centrée sur le handicap physique et
l’image du fauteuil roulant, de lésions visibles, véhiculant la dysharmonie et parfois même la peur. D’une
façon générale, les personnes porteuses d’un handicap sont décrites comme physiquement et/ou intellec-
tuellement mineures.
La terminologie utilisée au fil des décennies reflète à la fois l’exclusion ainsi que la méconnaissance des
handicaps, mais témoigne aussi d’une évolution : successivement il a été question d’aliénés, de fous, de
débiles, d’infirmes et d’invalides, puis d’ handicapés et de personnes handicapées, de personnes ayant une
déficience ou en situation de handicap, de personnes à mobilité réduite (pour le handicap moteur) enfin, de
personnes à besoins spécifiques. Le terme handicap, utilisé de façon très générale ne doit pas faire oublier
qu’il s’agit de plusieurs individualités différentes, avec un vécu et des conditions personnelles particulières : il
ne s’agit pas d’un groupe homogène.
Au Maroc, un seul terme est utilisé pour parler du handicap sans en spécifier le type. Le terme « mouaâk »
indique le plus souvent une personne en dehors de toute « normalité » avec une connotation péjorative.
L’image est donc négative. Le handicap est vécu comme une fatalité ou une malédiction. Dans le meilleur
des cas, le problème est abordé sous son aspect charitable ou humanitaire.
Ce champs d’étude sur les représentations psychosociales du handicap est malheureusement désaffecté
au Maroc malgré l’importance qu’il revêt dans toute réflexion en matière de handicap, ce qui ne nous interdit
pas de nous intéresser aux nombreux travaux réalisés sur l’identité, les représentations sociales et le handi-
cap dans d’autres pays.
En Europe 1deux représentations majoritaires ont prédominé dans la psychologie populaire (études réali-
sées au début des années 80) :
– celle de la « personne inadaptée », sans possibilité de réussite sociale ;
– celle de la personne équilibrée, socialement insérée, image de la personne dite « valide » ;
– puis celle véhiculée par des professionnels de la réadaptation (médecins, kinésithérapeutes, ergo-
thérapeutes) : qui « cataloguent » les personnes handicapées en deux groupes : celui des personnes qui
on surmonté leur handicap, et ceux qui n’y sont pas arrivé, bien entendu par le biais de la réadaptation.
En effet, la période d’après – guerre a effectivement fait évoluer le handicap du statut d’assistance à celui
de la réadaptation. Plus tard, les préoccupations de bien-être et de qualité de vie commencent à intégrer les
facteurs environnementaux, on parle dès lors de l’accessibilité, et de la place de l’individu handicapé dans la
société.
Les personnes handicapées sont donc inscrites dans un processus de stigmatisation : celle-ci est perçue
153
sous l’angle de la déficience avec un ensemble de caractéristiques culturellement associées à cette défi-
cience engendrant une altération durable de l’identité sociale.
L’approche psychosociale permet donc de questionner les perceptions et les pratiques sociales : jusque là,
la question était centrée sur l’individu perçu sous l’angle de l’incapacité et de la dépendance sans que l’envi-
ronnement ne soit questionné. Aujourd’hui, l’exclusion de la personne handicapée n’est plus abordée en
terme d’individu uniquement, mais d’environnement. Cette approche socio – historique du handicap en
Europe qui a fait l’objet de nombreuses études n’a pas encore été entreprise au Maroc. Cependant, nous
pouvons aisément constater qu’avec beaucoup de retard nous suivons un cheminement similaire et qu’en
même temps nous sommes pris dans le discours actuel sur le handicap soutenu par les déclarations inter-
nationales et l’action des ONG sans pour autant avoir de réflexion sur cette question qui permettrait de
l’aborder dans le cadre des politiques sociales.
En effet, le handicap a été une préoccupation des associations, dans un but le plus souvent caritatif, avant
de susciter l’intérêt des pouvoirs publics. C’est ainsi qu’au Maroc la gestion du handicap a fait l’objet d’insti-
tutionnalisations successives, qui ont eu le mérite de donner à cette problématique une certaine reconnais-
sance. L’absence de vision rigoureuse du problème expliquerait peut-être ces « hésitations institutionnelles »
qui soulignent davantage l’exclusion.
I. Éléments de la problématique
Le handicap comporte une dimension subjective particulière qui est d’ordre psychologique et culturelle du
fait du rapport « organique » à l’identité et l’altérité : l’inégalité des chances est congénitale ou acquise, le
handicap est en soi une exclusion qui implique non seulement une approche médicale mais aussi une
approche psychosociale du fait de la stigmatisation dont font l’objet les personnes en situation de handicap,
d’où l’importance du travail sur les représentations psychosociales de la personne handicapée.
Au Maroc le handicap fait l’objet, dans le discours, d’une approche mettant l’accent uniquement sur les
concepts d’incapacité et de déficience sans pour autant que l’aspect médical de la question ne soit pris en
compte, comme s’il était question de situations irréversibles liées au destin et qui ne profiteraient, dans le
meilleur des cas que d’actions charitables.
Par ailleurs le handicap n’est pas considéré comme résultant de l’environnement global, fait de barrières
sociales, économiques, familiales. Cette approche dévalorise le concept d’intégration qui regroupe un certain
nombre de paramètres interactifs qu’ils soient du registre médical, social, juridique ou psychologique.
154
3. L’ absence d’information et de sensibilisation de la population
Celle-ci laisse persister ce regard négatif reposant sur l’incapacité et la dépendance, la personne handi-
capée étant vécue le plus souvent comme une charge familiale et sociale inapte et sans possibilité de
productivité. Le discours des décideurs et des ONGs s’inscrit dans une optique caritative et cultive
l’esprit d’assistance sans pour autant que l’État ne puisse jouer le rôle d’État Providence. Depuis la créa-
tion de la Fondation Mohammed V pour la Solidarité et des changements institutionnels touchant au han-
dicap, le handicap a bénéficié d’une médiatisation intense, rapide et sans réserve non dépourvue d’effets
pervers (campagne sur la carte du handicapé, créant des attentes auxquelles il n’est pas possible de
répondre).
Jusqu’à ce jour, l’absence de données qualitatives et quantitatives sur le handicap au Maroc, à rendu diffi-
cile la mise en œuvre d’une politique de gestion du handicap sur des bases cohérentes et fiables.
Nous pouvons rencontrer quelques données éparses collectées par les associations et certains profession-
nels qui demeurent parcellaires. Par ailleurs, il y a peu de travaux de recherche dans le domaine du handicap
au Maroc.
Ce n’est qu’après la création en 1998 du Secrétariat d’État Chargé des Handicapés que s’est imposée la
nécessité d’une enquête nationale sur le Handicap au Maroc : celle-ci à débuté en 2003, avec la collaboration
de l’Union Européenne. La réalisation de cette enquête nationale qualitative et quantitative sur le handicap.
Plusieurs axes d’investigation sont proposés : catégorisation des handicaps, la situation économique des per-
sonnes handicapées, aspects médicaux et psycho-sociaux, appareillage, insertion économique ainsi que le
cadre juridique, la protection sociale et les activités des institutions.
La pauvreté et son corollaire l’analphabétisme interagissent avec le handicap. Les femmes, compte tenu
de leur statut social, pâtissent davantage du handicap, notamment par le rejet dont elles font l’objet quant au
mariage. Le constat est évident, sans pour autant que nous ne disposions de données précises.
– Les conditions économiquement défavorables corrélées à l’alphabétisation, l’éducation, l’accès aux
soins de santé de base sont des facteurs favorisant ou aggravant les handicaps.
– Par ailleurs, le handicap est source de pauvreté en l’absence de possibilités d’intégration de cette popu-
lation.
155
6. Place du handicap dans le discours et les pratiques sociales
Pendant longtemps, le handicap a été considéré comme secondaire, marginalisé dans la réflexion sur les
problèmes de développement social comme en témoigne l’absence de cette problématique dans les docu-
ments officiels et le discours des responsables des départements concernés, ce qui explique l’absence
d’une politique nationale de gestion de ce secteur coordonnant les départements gouvernementaux impli-
qués et la société civile avec toutes ses composantes.
« L’hébergement institutionnel » de cette question a subi des fluctuations préjudiciables à toute approche
cohérente. En effet, la fin de la dernière décennie à été marquée par l’apparition au niveau de l’État de struc-
tures officielles en charge de cette population avec des appellations successives différentes, tantôt le handi-
cap était l’attribution unique de la structure, tantôt associé à d’autres questions sociales.
Il faut dire que le handicap a longtemps été l’affaire d’ONG caritatives s’occupant de personnes handica-
pées et que l’intérêt actuel est lié à l’apparition au niveau de l’État de structures officielles en charge de cette
population. Le cadre associatif est caractérisé par le grand nombre d’associations, d’efficacité inégale (500)
qui jouent un rôle important dans ce domaine. De plus, on constate une pression médiatique autour du
concept d’intégration et des problèmes d’accessibilité.
Tout ceci explique aussi la faiblesse des dispositions juridiques et réglementaires relatives au handicap.
L’état actuel des lieux, difficile à établir en l’absence de données, permet de constater les éléments sui-
vants :
– La pénurie en ressources humaines en mesure de s’occuper de ce secteur que ce soit en personnel
médical, paramédical et éducatif spécialisé dans le domaine.
– La rareté des structures d’accueil et cadres spécialisés assurant la prise en charge et la réhabilitation
fonctionnelle des personnes porteuses d’un handicap, dans leur spécificité.
– La centralisation des services existants et des cadres spécialisés dans les grandes villes.
Cette population, exposée à la pauvreté est encore plus vulnérable en l’absence de dispositifs spécifiques
de couverture sociale. Le coût de la santé est très élevé avec des besoins en prestations spécialisées, appa-
reillage, rééducation etc. et pour des prises en charge de longue durée.
L’histoire du handicap à travers le monde a montré combien de résistances ont dû être vaincues pour insé-
rer la personne handicapée dans un statut de personne avant de parler d’intégration pour l’accès à la citoyen-
156
neté. Cela a été pendant des décennies l’objectif des associations avant que les gouvernements ne
s’intéressent aux droits des personnes handicapées. En effet, il à même été dit « que l’on entre en handicap
comme on entre en religion ». Cette foi à laquelle il est fait référence est celle qui anime les personnes handi-
capées elles mêmes, leurs familles et les professionnels qui s’en occupent. Ce n’est que tardivement que le
concept de handicap a intégré le discours relatif aux politiques sociales.
Avant l’indépendance du Maroc, l’intérêt porté par les autorités coloniales au handicap a été relatif, centré
sur la protection de la population coloniale, comme pour l’ensemble des problèmes de santé et la prise en
charge des « invalides » ou « infirmes » générés par la guerre.
Très longtemps, la question du handicap n’a pas été posée comme problème de société, mais comme une
fatalité assumée au niveau de la famille par le recours à la médecine conventionnelle quand celle-ci était
accessible, mais surtout par les thérapies traditionnelles. La personne handicapée était le plus souvent main-
tenue à domicile, pour des raisons de « pudeur » sociale, mais aussi du fait de l’absence de moyens de mobi-
lité et d’accessibilité.
Les prémices d’un intérêt à la problématique de la protection sociale,dont le handicap, apparaissent en
1957 par la création de l’Entraide Nationale, première expression de solidarité nationale, qui a mis en
place des institutions d’éducation et de formation des aveugles et des malvoyants en 1958 dans les villes de
Rabat, Fès et Marrakech ainsi que la publication le 15 Novembre 1958 du Code des libertés publiques
(Dahir no 1-58-376 du 3 Joumada 1 – 1378) réglementant le cadre légal à la création d’associations, notam-
ment dans le domaine du handicap.
C’est donc au début des années soixante que naissent les premières associations s’occupant de per-
sonnes handicapées. C’est à cette même période que le Ministère de la Santé Publique avec le soutien des
organismes internationaux doit faire face en 1959 à l’intoxication collective due à l’ingestion d’huiles frelatées
ayant fait 12000 victimes (2), et en 1961 au tremblement de terre d’Agadir. Ces deux catastrophes ont
généré un nombre très important de personnes handicapées venues s’ajouter aux handicaps déjà existant
liés à d’autres causes (essentiellement infectieuses). On assiste alors à la création au Ministère de la Santé,
d’un « service chargé de la réhabilitation et de la gériatrie ».
Quelques structures de rééducation et d’appareillage voient le jour, mais ces mesures de prise en charge
sont ponctuelles et ne s’insèrent pas dans une vision globale et à long terme au profit des personnes por-
teuses d’un handicap qui sont en situation de marginalisation.
L’année internationale des personnes handicapées en 1981 introduit le concept d’exclusion de la personne
handicapée et insiste sur la nécessité de mettre en place toutes les mesures visant « la participation entière
et l’égalité » afin d’assurer l’insertion sociale de cette population.
Au Maroc, les premières dispositions législatives et réglementaires datent de 1982, (6 mai 1982) : il s’agit
de la loi 05/81 relative à la protection sociale des non voyants ;
Le deuxième texte de loi (loi no 7/92) concerne la protection sociale des personnes handicapées.
Par ailleurs, le programme élargi de vaccinations adopté en 1981 est mis en place et donne d’excellentes
performances en matière de prévention de la principale source de handicaps moteurs qu’est la poliomyélite,
maladie aujourd’hui en situation d’éradication définitive.
Sur le plan institutionnel, les problèmes concernant les personnes handicapées étaient traités dans une
Direction des affaires sociales dépendant du Ministère de l’Emploi et des Affaires Sociales.
157
transversale des différents acteurs et partenaires, pour assurer l’insertion et la protection sociale des per-
sonnes handicapées.
Les attributions du Haut Commissariat fixées par le décret no 2.94.201 du mois de mai 1994 sont les sui-
vantes.
1) d’assurer, en collaboration avec les ministères concernés, la protection et la réinsertion sociale des han-
dicapés.
2) de proposer au gouvernement, en liaison avec les départements ministériels et organismes concernés,
la politique de prévention et de réadaptation en faveur des personnes handicapées et les mesures de
toute nature en permettant la réalisation ;
3) de conseiller et assister les différentes administrations et les collectivités locales en matière de protec-
tion sociale des handicapés ;
4) de proposer, en concertation avec les ministères concernés, les mesures d’application de la loi no 07.92
relative à la protection sociale des handicapés et de la loi no 05.81 relative à la protection sociale des
aveugles et déficients visuels ;
5) de représenter le gouvernement auprès des organisations et dans les conférences et réunions, régio-
nales et internationales traitant des handicapés, en liaison avec le Ministère chargé des Affaires Étran-
gères et, le cas échéant, les autres départements ministériels concernés ;
6) de délivrer la carte de handicapé et la carte spéciale pour aveugles prévues respectivement par les lois
no 07.92 et 05.81 précitées ;
7) de conseiller et assister les organisations nationales ayant pour objet la protection des handicapés et
donner son avis sur la reconnaissance d’utilité publique des associations poursuivant le même but
158
III. Le concept de handicap : le champ du handicap et
celui de la maladie – la classification des handicaps
1. Le concept de handicap
Le concept de handicap a beaucoup évolué du fait de l’intérêt croissant porté aux personnes handicapées,
dans le cadre de la promotion des droits de l’homme à travers le monde. Différentes approches ont été for-
mulées par les intéressés, les professionnels, en fonction de leur perception et des besoins spécifiques de
cette population.
Au Maroc la loi no 7/92 relative à la protection sociale des personnes handicapées publiée en 1993 définit la
personne handicapée comme suit :
« Est considérée comme handicapée au sens de la présente loi toute personne se trouvant dans un état
d’incapacité ou de gêne permanent ou occasionnel résultant d’une déficience ou d’une inaptitude l’empê-
chant d’accomplir ses fonctions vitales, sans distinction entre handicapés de naissance et ceux qui souffrent
d’un handicap acquis »
À titre comparatif au Québec elle est définie comme suit :
« toute personne limitée dans l’accomplissement d’activités normales et qui, de façon significative et per-
sistante, est atteinte d’une déficience physique ou mentale ou qui utilise régulièrement une orthèse, une pro-
thèse ou tout autre moyen pour pallier le handicap »
En 1980, l’OMS, dans le souci d’harmoniser la terminologie et de cerner de façon précise les besoins indi-
viduels et collectifs des personnes handicapées, à proposé une classification qui a apporté une importante
clarification du concept de handicap (Classification de Wood :CIH1) comportant les éléments suivants arti-
culés ainsi :
Par ailleurs, il a été tenu compte des problèmes posés par le champs du handicap et celui de la maladie.
Dans le handicap, les stigmates sont visibles, comme par exemple une personne ayant une poliomyélite et
159
marchant avec des béquilles, il n’y a plus d’intervention médicale possible et donc une altération durable de
l’identité sociale. Le problème reste posé par les maladies chroniques qui posent le problème de la frontière
avec le handicap.
Il est important de cerner les contours du champ du handicap dont les représentations et les pratiques ont
été induites par les notions développées de réadaptation et d’accessibilité.
L’importance des facteurs environnementaux dans le positionnement des personnes handicapées dans
une culture des accessibilités ainsi que dans le mécanisme de production du handicap, et la frontière entre
concept de maladie et celui de handicap ont motivé la révision de la classification Internationale des handi-
caps de 1980 (CIH1). Ainsi une deuxième classification a vu le jour : la classification internationale des fonc-
tionnalités et incapacités (2001).
La révision de la première classification a donc été justifiée par le fait que le handicap n’est pas imputable à
l’individu mais à la rencontre de l’individu et de son environnement qu’il soit physique, juridique, psycho-
logique, ergonomique...Il faut intervenir sur le milieu et l’organisation des ressources pour limiter la discrimi-
nation sociale.
Cette classification s’appuie sur une terminologie moins négative que déficience-incapacité et désavan-
tage : fonctionnement, activité, participation. Elle propose donc plus une classification des « composantes
santé » que des « conséquences de la maladie » et aborde des éléments du « bien-être lié à la santé » (tra-
vail, éducation, environnement). De ce fait, la CIF ne concerne pas que les personnes handicapées, elle
s’applique à tout état de santé lié à une pathologie quelconque.
Cette classification peut constituer une base scientifique pour comprendre et étudier les états de santé et
leurs conséquences, établir un langage commun, permettre des comparaisons entre les pays et fournir un
mécanisme d’encodage pour le système d’information sanitaire.
2.3. Conclusion
L’intérêt de la Classification Internationale des Fonctionnalités est d’intégrer les deux modèles reçus :
- le modèle médical : le handicap est un attribut de la personne et relève d’une politique de santé;
- le modèle social : le handicap est créé par un problème de société, c’est une question d’intégration, il relève d’une
politique sociale.
160
IV. Étude analytique des mécanismes
de production du handicap
Présentation
Une réflexion analytique sur le mécanisme de production des handicaps à travers une modélisation est
nécessaire afin de repérer quels sont les différents niveaux d’intervention dans la situation actuelle au Maroc.
Pour faciliter cette analyse, nous partirons du schéma classique issu de la première classification des handi-
caps de l’OMS aujourd’hui modifiée dans le sens d’une approche plus large, moins médicale, permettant de
donner toute sa mesure au concept d’intégration des personnes en situation de handicap en traitant des
fonctionnalités associées à des états de santé et qui constitue bien entendu la base de la réflexion pour une
politique sociale.
L’étude quantitative et qualitative sur les handicaps au Maroc actuellement en cours nous permettra
d’avoir un état des lieux fiable permettant une réflexion sur la mise en œuvre d’une stratégie cohérente de
lutte contre le handicap.
Cependant, les éléments qui nous permettent de comprendre comment une personne devient handica-
pée, nous indiquent quel est le niveau d’intervention qui s’impose à nous comme une priorité dans le cadre
du développement d’une politique sociale cohérente et réaliste, tenant compte de nos besoins, de nos possi-
bilités et de nos potentialités.
Il y a, bien entendu plusieurs niveaux d’intervention qui vont s’articuler à celui ou ceux considérés comme
prioritaires, comme indiqué dans le tableau ci-dessous. 1
AGIR
SUR QUOI AGIR COMMENT AGIR
1. Les causes 1. La prévention
2. Les déficiences 2. Le diagnostic et les traitements
3. Les incapacités 3. L’adaptation et la réadaptation
4. Les handicaps 4. La suppression des obstacles sociaux à l’intégration
L’exemple de la poliomyélite est très parlant : sans doute première cause de handicap moteur d’origine
infectieuse, la pratique de la vaccination antipoliomyélitique et les campagnes nationales de vaccination prati-
quées depuis 1981, permettent aujourd’hui de parler d’éradication de la poliomyélite : c’est là le niveau de
prévention, visant à éliminer les causes du handicap.
Le corollaire de la politique de prévention est la mise en place préalable d’une communication et d’une
information sur le handicap organisée et cohérente. Celle-ci se situerait en amont des quatre niveaux
d’intervention représentés dans le tableau ci-dessus.
Aujourd’hui, notre société doit s’occuper des personnes ayant contracté la maladie et présentant des défi-
161
ciences par le diagnostic et le traitement, puis agir sur les incapacités par l’adaptation ou la réadapta-
tion, et enfin, se pencher sur les ressources de l’environnement permettant l’intégration dans la vie sociale
de la personne porteuse de ce handicap, et notamment accéder à une culture des accessibilités.
Cet exemple est valable pour les différents types de handicaps pour lesquels la même étude analytique
s’impose pour déterminer le niveau et la qualité (les compétences) de l’intervenant.
Dans notre pays beaucoup de handicaps sont encore générés par des maladies infectieuses (trachome
pour la cécité, otites et méningites, hérédité pour les surdités etc.) ainsi que par les accouchements à risques
(Infirmités motrices cérébrales) nécessitant des mesures de prévention, de dépistage et de prise en charge
précoce. Les accidents de la route, méritent dans notre pays une mention particulière par la morbidité dont
ils sont la cause : la prévention est encore dans ce cas l’unique recours.
Nous avons accumulé un grand retard en matière de prise en charge des handicaps où nous sommes
confrontés à une situation qui n’a pas été traitée progressivement. Certes l’approche du handicap dans le dis-
cours est médicale.Mais il semble nécessaire d’avoir recours à une modélisation du handicap afin de bien
déterminer les niveaux d’intervention et les priorités conditionnant les choix en matière de politique
de santé, avant de penser politique sociale. Par ailleurs, nous sommes aussi obligés de faire face aux
besoins relatifs à la mise en accessibilité dans le but d’assurer l’intégration des personnes handicapées. Le
concept d’accessibilité qui est de plus en plus médiatisé, ainsi que la revendication légitime des droits des
personnes handicapées par le milieu associatif, font que l’on doit redoubler d’efforts, et commencer par une
information et une communication valable sur le handicap.
À court, moyen et long terme, l’ensemble des mesures est à entreprendre en parallèle. Ce n’est qu’une
fois en phase de réadaptation, que l’on peut penser à l’intégration de la personne porteuse d’un handicap
(souvent constituant des étapes concomitantes).
Il va sans dire que l’intégration est un processus d’intervention horizontal dont la clef de voûte est la coordi-
nation intersectorielle en matière d’éducation, de formation professionnelle et d’emploi, de législation,
d’accessibilités et des apports culturels et de loisirs des/pour les personnes en situation de handicap.
Le programme de réadaptation à base communautaire pourrait être le véhicule de proximité d’une politique
sociale au profit des personnes handicapées.
Il n’y a pas aujourd’hui de données épidémiologiques fiables sur le handicap au Maroc. Les enquêtes effec-
tuées demeurent limitées et approximatives. La réalisation d’une enquête nationale qualitative et quantitative
sur le handicap au Maroc est actuellement en cours de réalisation par le Secrétariat d’État Chargé de la
Famille, de la Solidarité et de l’Action sociale.
La transition démographique, avec un allongement de la durée de vie, que vit le Maroc est doublée d’une
transition épidémiologique caractérisée par l’existence simultanée des anciennes pathologies infectieuses,
162
celles liées à la grossesse et l’accouchement et aux pathologies chroniques, dont un nombre important sont
liées au vieillissement (pathologies cardiovasculaires, métaboliques, insuffisance rénale, maladies rhumatis-
males, etc.).
Il n’existe pas de données nationales sur le nombre de personnes handicapées, sur les types de handi-
caps, leur répartition, leur fréquence. Selon l’OMS, le nombre de handicapés dans un pays est estimé à 10 %
de la population totale. Si l’on applique ce taux à la population marocaine qui est de 27 millions selon le recen-
sement de 1994, on estime le nombre de PH à 2,7 millions.
On distingue divers types de handicaps moteurs de gravité diverse, isolés ou associés à des perturbations
psychopathologiques ou à une déficience mentale (polyhandicap), à savoir :
– Les handicaps congénitaux, néonataux et périnataux (myopathies, malformations, infirmité motrice céré-
brale, encéphalopathies, etc.).
– Les handicaps acquis à la suite de maladies (poliomyélite, maladie de Parkinson, hémiplégie, rhuma-
tismes, tuberculose osseuse...).
– Les handicaps acquis à la suite d’accidents : hémiplégie, paraplégie, tétraplégie, fractures, amputations,
etc.).
Selon les experts nationaux consultés, le handicap moteur serait quantitativement le plus important. Les
huiles frelatées et la poliomyélite ont été les causes traditionnelles de handicap moteur. Aujourd’hui, la polio-
myélite disparaît mais les accidents de la voie publique et les infirmités motrices cérébrales se présentent
actuellement comme les pathologies les plus fréquentes au Maroc et posent un problème de santé publique
qu’il faudrait aborder de façon privilégiée.
L’infirmité motrice cérébrale est liée à un défaut d’oxygénation du cerveau, qui survient pour des raisons
diverses pendant la grossesse, au moment de la naissance ou dans la période qui suit. Selon l’importance de
l’atteinte cérébrale, on rencontre des déficiences motrices, sensorielles ou mentales. C’est dire l’importance
de la prévention en matière de surveillance de la grossesse et de l’accouchement.
Quant aux accidents de la route, qualifiés de « guerre des routes », ils représentent une cause de mortalité
et de morbidité très importante dans notre pays.
L’OMS estime la prévalence mondiale de la cécité à 0,7 % et la malvoyance à 2,1 %. Cette pathologie est
liée au niveau de développement des pays. Ainsi, 9 aveugles sur 10 vivent dans un pays en voie de déve-
loppement. Elle est cinq fois plus élevée en Afrique qu’en Europe ou en Amérique du Nord.
Selon l’OMS, 58 % des cas de cécité mondiaux concernent les personnes âgées de plus de 60 ans.
Au Maroc, une étude rétrospective sur les causes de cécité (Lemrini et Coll 1999 Paris) portant sur 600 cas
163
de cécité a montré que les causes de cécité chez l’adulte se répartissent comme suit : glaucome 28,5 %,
rétinopathie diabétique 27,4 %, cataracte 7 %, trachome, 4,1 % et autres causes. Selon cette étude, chez
l’enfant, la rétinite pigmentaire vient en tête suivie de l’atrophie optique, de la cataracte congénitale et du
glaucome congénital.
Un protocole d’enquête sur la prévalence et les causes des déficiences auditives au Maroc a été élaboré
par le Ministère de la Santé selon la méthodologie OMS, en concertation avec des experts nationaux.
L’objectif est de déterminer la prévalence de la surdité au niveau national et les différentes causes de surdité
au Maroc en vue de développer un programme national de lutte contre la surdité. Cependant, en l’absence
de données, on peut utiliser des projections statistiques faites en fonction d’enquêtes et de publications
occidentales en tenant compte des spécificités nationales.
On considère comme enfants atteints de troubles auditifs « tous ceux dont l’audition est insuffisante pour
leur permettre d’apprendre leur propre langue, de participer aux activités sociales normales et de bénéficier
des activités éducatives courantes sans une aide spéciale (OMS) : on compte 5 enfants environ sur 1000 qui
ont une déficience auditive (statistique européenne) ce qui donnerait pour le Maroc 130 000 personnes défi-
cientes auditives.
En ce qui concerne les surdités congénitales, on peut retenir le chiffre de 75 pour 100 000 habitants, donc
19500 surdités congénitales annuelles (sur la base des données démographiques du dernier recensement).
1. Dr F. Bouayad, « l’enfant sourd – Bilan et prise en charge » – XIXème Congrès Médical National Rabat 08-11-2000,)
164
moyennes, liées à un défaut de stimulation des enfants issus de milieux démunis, sans aucune compensa-
tion du système scolaire (absence d’enseignement préscolaire dans les écoles publiques).
A. La trisomie 21
Appelée longtemps mongolisme du fait du morphotype des enfants, elle est liée à une aberration chromo-
somique et caractérisée par un retard et des limites au développement psychomoteur, avec des différences
variables que ce soit du point de vue des capacités que du comportement.
Il est important de souligner que le dépistage et la stimulation précoce de ces enfants permet d’assurer
une meilleure évolution sur le plan psychomoteur et cognitif, et donc de permettre de nouvelles possibilités
d’insertion sociale.
165
C. Autres déficiences mentales
Elles sont de degrés différents, on ne retrouve pas les troubles du comportement et de la communication
rencontrés dans les psychoses mais nécessitent aussi un accompagnement éducatif dans des centres
médico-psycho-pédagogiques spécifiques et/ou un accompagnement scolaire par des éducateurs spécialisés
et d’autres professionnels du handicap (psychologues, psychomotriciens, orthophonistes). Il faut souligner
l’importance du dépistage scolaire des enfants (« débiles subculturels », mentionnés plus haut) dont la prise
en charge précoce donne d’excellents résultats. Les autres déficiences mentales, qui intègrent parfois
d’autres entités syndromiques, nécessitent la disponibilité des mêmes équipes que pour les psychoses
infantiles.
Il est important de faire « l’inventaire » des cadres institutionnels existants, leurs attributions, leur rôles,
leurs synergies et/ou leurs interférences, afin d’intégrer ces éléments dans le cadre d’une réflexion sur l’éla-
boration des politiques sociales.
Théoriquement acteur essentiel dans la prise en soin des personnes handicapées, son action demeure
timide et limitée. Un service chargé « de réhabilitation et de la gériatrie » domicilié à la Direction de la Popula-
tion a été créé après l’intoxication aux huiles frelatées (1959) et assure depuis cette date la gestion des pro-
blèmes relatifs au handicap au sein du Ministère de la Santé avec pour mission « le développement des
structures de rééducation et d’appareillage en moyens humains, matériels, locaux, de mobilité à l’échelon
national » L’absence du terme « handicap » dans l’appellation de cette structure centrale ainsi que l’absence
de cadres spécialisés en nombre suffisant en son sein (deux fonctionnaires) explique l’intérêt porté à la ques-
tion ainsi que l’efficacité limitée du Ministère de la Santé en matière de handicap.
La création d’un département en charge des personnes handicapées sans en avoir forcément les compé-
tences a accru la confusion quand à la responsabilité de la prise en charge des personnes handicapées, qui
paradoxalement, ont été « exclus » par cette création. Par ailleurs, Il est important de préciser les données
relatives au financement du secteur santé ce qui permet de percevoir les limites de ses interventions 1 :
1. Source : Ministère de la santé, Direction de la population, Service de Réhabilitation et de Gériatrie – Mai 2004.
166
– Le budget du Ministère de la Santé ne dépasse pas 1,2 % du PIB.
– Le budget du Ministère de la Santé ne représente que 5,31 % du budget de l’État contre 7 % au cours
des années 1960.
– La moyenne du budget du Ministère de la Santé par habitant est de 172 dirhams (2003).
La création d’un département en charge des personnes handicapées en 1994 (Haut Commissariat Chargé
des Handicapés) érigé en Secrétariat d’État chargé des Handicapés, puis Ministère délégué chargé de la
Femme, de la Famille, de la Protection de l’Enfance et de l’Intégration des Handicapés avec des attributions
similaires se voit aujourd’hui confier l’intégration des personnes handicapées dans le cadre « de la solidarité
et de l’action sociale ». La dénomination précédente qui comportait l’intégration des handicapés a disparu.
Il s’agit d’un petit département composé de cadres de formation « généraliste » (une soixantaine) sans
compétences particulières dans le domaine du handicap disposant d’un tout petit budget : 27 Millions de DH.
Le Secrétariat d’État chargé de la Famille, de la Solidarité et de l’Action Sociale (SEFSAS) a pour mis-
sions 2 :
1. Être l’Observatoire National en ce qui concerne la situation des couches sociales défavorisées
(Enfants, Personnes Handicapées, Femmes, Personnes âgées, Pauvres...).
2. Être le planificateur de l’action gouvernementale dans les domaines suscités et l’action sociale d’une
façon générale.
3. Promouvoir la solidarité au sein de la société marocaine.
4. Être un interlocuteur auprès de la société civile et des ONGs œuvrant dans ces domaines d’actions.
5. Soutenir les associations et organisations œuvrant dans le domaine social.
6. Être le coordonnateur de l’effort gouvernemental pour l’amélioration des conditions de vie et l’inté-
gration de la population cible au développement.
7. Faire le suivi des activités des centres d’accueil et centres spécialisés s’occupant des couches
sociales défavorisées.
8. Assurer le suivi et l’orientation des activités et des actions des bailleurs de fonds et organismes
internationaux dans le domaine social au Maroc.
Dès sa création, le Haut commissariat aux personnes handicapées, et sur la base des attributions précitées
(§ histoire du handicap) élabore « un plan d’action pour l’insertion des personnes handicapées » comportant
1. Source : Document du Ministère de la Santé « Politique de santé, acquis, défis et objectifs 2003-2007 », 22/9/2003.
2. Source : Site internet du Secrétariat d’État Chargé de la famille, de la Solidarité et de l’Action Sociale (www.....gov.ma).
167
une série d’interventions dites sectorielles, sans pour autant dégager les priorités qu’impose l’étude analy-
tique de la création du processus de handicap, seule garante de l’intervention rationnelle des différents
acteurs et de leurs compétences naturelles.
C’est alors qu’est introduit le programme de réadaptation à base communautaire dans trois communes
pilotes : Salé, Khémisset et Settat, plus tard étendu à Casablanca, Marrakech et Tanger, Berrechid et Chef-
chaouen. Le concept de Réadaptation à Base Communautaire (RBC) est important à définir compte tenu de
l’importance qu’il peut revêtir dans le cadre de la réflexion sur le handicap dans notre pays.
168
Par ailleurs, un travail de mise à niveau des associations à été entrepris afin de permettre à ces der-
nières d’assurer leur rôle dans les meilleures conditions, même s’il ne concerne qu’un nombre réduit
d’associations.
Il est difficile d’évaluer le poids des prestations de ces secteurs, mais compte tenu de la pauvreté en struc-
tures d’accueil et ressources humaines mis à la disposition des personnes handicapées par l’État, la plus
grande partie des prestations de soins et de rééducation reviendraient à ces secteurs et aux associations.
Il faut préciser que les médecins spécialistes en médecine physique et de réadaptation exercent essen-
tiellement dans le secteur privé (30 environ).
La Fondation Mohammed V pour la Solidarité instituée en 1999 et reconnue d’utilité publique (décret du
21 rabia I-1420 / 5 Juillet 1999), s’est fixée comme objectifs de contribuer avec les autres acteurs sociaux, à
la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale
L’une des cibles les plus importantes de la Fondation Mohammed V est la population des personnes handi-
capées. En effet, elle a contribué depuis 1999, à la création d’un certain nombre de structures d’accueil pour
personnes handicapées, et soutenu le secteur associatif œuvrant dans le domaine du handicap.
169
2.5. Les associations pour personnes handicapées
Aujourd’hui au nombre de 500, les ONG ont joué un rôle historique en matière de handicap et on connu un
développement spectaculaire les dix dernières années.
En effet, elles sont présentes dans le domaine de prise en charge des personnes handicapées à travers la
création de centres de plus en plus spécifiques à chaque type de handicap. Un travail de professionnalisation
est en développement. Elles interviennent de façon privilégiée sur le handicap particulièrement en matière
de rééducation fonctionnelle, appareillage et aides techniques pour les personnes handicapées, ainsi que
dans les prises en charge médico-psychologiques éducatives dans le domaine du handicap mental.
Parmi les attributions de l’Entraide Nationale placée sous la tutelle du Ministère de l’Emploi, des Affaires
Sociales et de la Solidarité, figurent des programmes en direction des personnes handicapées et des per-
sonnes âgées. L’entraide nationale est présente à travers le territoire national par le biais de délégations pré-
fectorales ou provinciales assistées de comités provinciaux ou préfectoraux consultatifs : il y a 637 centres
d’éducation et de formation (non spécifique aux personnes handicapées) et 5 centres pour personnes handi-
capées (scolarisation d’enfants handicapés, formation professionnelle, coopératives, ateliers orthopédiques
et prise en charge des personnes handicapées).
Cette structure bénéficie de procédures d’exonération des taxes et droits de douane sur le matériel ortho-
pédique acquis par les ONG internationales qui travaillent au Maroc dans le cadre d’un partenariat avec
l’Entraide Nationale.
Par ailleurs, L’OFPPT, s’est engagé dans le processus d’insertion professionnelle des personnes handica-
pées, non sans certaines difficultés, liées à l’encadrement spécifique et à l’accessibilité.
Une direction de l’appui éducatif a été crée au Ministère de l’Éducation Nationale. Cela a été un progrès
considérable dans la reconnaissance officielle des besoins éducatifs des enfants en situation de handicap.
L’intégration des enfants à besoins spécifiques s’est inscrit dans le cadre des expériences visant la démocra-
tisation de l’enseignement et l’égalité des chances, en référence à la déclaration de Salamanque sur les
besoins éducatifs spéciaux, et conformément à la Convention Relative aux Droits de l’Enfant.
Un projet de partenariat entre le MEN et Secrétariat d’État Chargé des Personnes Handicapées a débuté
en 1997 avec pour objectifs 1 :
– De promouvoir une école ouverte et accessible à tous les enfants scolarisables.
– D’intégrer les enfants handicapés dans le système éducatif.
1. L’enseignement fondamental : Pour une stratégie de développement de l’enseignement fondamental par Ahmed BAKKALI, Larbi
BENLAFKIH, Brahim CHEDATI, Nassereddine LHAFI, Mostafa MOHSINE.
170
– De garantir un enseignement de qualité par le biais :
R d’une formation initiale et continue spécifique ;
R de curricula adaptés et évolutifs ;
R de matériels didactiques performants ;
R des mesures organisationnelles et pédagogiques nécessaires à cette intégration ;
R d’actions de soutien appropriées.
Son expérimentation a été prévue dans les villes de Rabat, Casablanca, et Kénitra.
De manière plus ambitieuse, cette direction s’est engagée dans le processus de création de classes inté-
grées (au nombre de 102) pour enfants porteurs de divers handicaps qu’ils soient moteurs, sensoriels ou psy-
chologiques, souvent dans le cadre du programme de réadaptation à base communautaire (RBC). En dehors
de quelques rares classes où l’insertion scolaire d’enfants handicapés à été possible (classes pour enfants tri-
somiques, quelques classes performantes du fait de la motivation et de la formation des instituteurs), il
semble que cela soit une tache ardue, qu’il serait intéressant d’évaluer. Il faut dire qu’il est difficile d’envisa-
ger cette intégration sans les préalables suivants :
– la formation d’instituteurs et d’éducateurs spécialisés dans chaque type de handicap, et en nombre suffi-
sant : Il va sans dire que l’enseignement du braille nécessite des formations et des infrastructures parti-
culières : mais les enfants aveugles et malvoyants pourraient bénéficier dans l’enseignement préscolaire
d’apprentissages les préparant à l’apprentissage du braille.
Il en est de même pour les sourds muets qui ont besoin d’instituteurs spécialisés, avec la possibilité de
travailler sur l’unification de la langue des signes au niveau national : ceci représente un champ de
recherche fondamental en matière de déficience auditive.
– La mise en accessibilité des établissements scolaires et la disponibilité de moyens de mobilité pour le
handicap moteur ; l’accompagnement de ces enfants sur le plan de la rééducation (orthophonique, kiné-
sithérapie, psychologique, etc.) dans le cadre de structures de proximité.
Tout ceci nécessite la formation de formateurs dans ces domaines, des formations cohérentes et de durée
suffisante : des stages de 72 heures ne peuvent pas habiliter un instituteur à s’occuper de handicap) mais
surtout une planification de ces formations en rapport avec les possibilités de recrutement.
Depuis 2004, l’organigramme du Ministère de l’Éducation Nationale ne comporte plus cette Direc-
tion. Ses compétences ont été intégrées dans une direction regroupant d’autres attributions.
Sous la pression des ONG internationales du handicap sur la communauté internationale, une série de
déclarations et de recommandations des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées ont
largement influé sur le handicap dans le discours sur les politiques sociales durant les vingt dernières années.
Il faut citer tout d’abord la Conférence Internationale sur les Soins de Santé Primaires, réunie à
Alma-Ata le 12 septembre 1978, soulignant la nécessité d’une action urgente de tous les gouvernements,
du personnel des secteurs de santé et du développement, ainsi que de la communauté mondiale pour proté-
ger et promouvoir la santé de tous les peuples du monde, visant à résoudre les principaux problèmes de
santé de la communauté, en assurant les services de promotion, de prévention, de soins et de réadaptation
nécessaires à cet effet.
171
En 1993, faisant suite à l’Année internationale des personnes handicapées en 1981 et à la Décennie
des Nations Unies pour les personnes handicapées de 1983 à 1992, les États Membres de l’ONU ont adopté
un nouvel instrument international afin d’appeler l’attention de tous les pays sur la nécessité d’accorder des
droits et des possibilités égaux aux personnes handicapées et proclamé le 3 décembre journée mondiale des
personnes handicapées.
Cet instrument est intitulé « Règles pour l’égalisation des chances des personnes handicapées » et a
marqué un tournant décisif dans l’évolution des droits des personnes handicapées à travers le monde.
Par ailleurs, il faut signaler « Déclaration de Salamanque et cadre d’action pour les besoins éducatifs
spéciaux des personnes handicapées » (UNESCO, Salamanque, Espagne, 7-10 Juin 1994).
Ainsi, les diverses résolutions internationales auxquelles le Maroc a adhéré, ont déterminé en grande par-
tie l’intérêt porté à la question du handicap dans notre pays.
Le cadre réglementaire et législatif demeure limité, et nécessite une révision. Il concerne les textes sui-
vants :
– Dahir no 1-82-246 du 6 mai 1982 portant promulgation de la loi no 5-81 relative à la protection des
aveugles et des déficients visuels.
– Dahir no 1-92-30 du 10 septembre 1993 portant promulgation de la loi no 7-92 relative à la protection
sociale des personnes handicapées.
– Texte législatif sur les accessibilités : de promulgation récente, il pose de gros problèmes d’application.
– Arrêté du Premier Ministre no 3.130.00 (10/7/2000) fixant le quota d’obligation à l’emploi dans la fonction
publique qui donne la priorité d’occuper certains emplois et fonctions dans la limite de 7 % des postes
budgétaires inscrits au budget de l’État, des collectivités locales et des établissements publics.
Dans ce cadre, il serait important de recenser les textes législatifs et réglementaires contenant des
clauses discriminatoires à l’égard des personnes en situation de handicap en vue de leur révision ou leur sup-
pression.
Ce sont les ressources humaines en professionnels du handicap qui posent aujourd’hui le plus de pro-
blèmes qualitatifs, quantitatifs et qui constituent l’urgence pour toute mise en œuvre d’une politique de prise
en charge des handicaps dans notre pays. Thématique mal connue et négligée, les besoins n’ont été identi-
fiés que par rapport à des situations d’urgence, dans l’improvisation. Nombre de professions du handicap
méconnues jusque là ne commencent à apparaître au Maroc que ces cinq dernières années (psycho-
motricité, ergothérapie, etc.).
Une brève revue de chaque type de professionnel du handicap et leur nombre signifient que ce secteur n’a
bénéficié en cinquante années d’aucun réel investissement :
172
Il est nécessaire de recenser le nombre, le profil des professionnels du handicap, leur répartition à travers
le royaume, identifier les besoins et établir une planification pour la formation, le recrutement et éventuelle-
ment le redéploiement pour répondre aux besoins identifiés, sans oublier la nécessité d’une formation conti-
nue à prévoir d’emblée.
173
Leur formation a débuté en 1981 et arrêtée en 1985 en raison du manque de terrain de stage et de l’insuffi-
sance et de la qualité de l’encadrement.
Le cursus de formation a été révisé en 1994 et redémarré en 1999 dans le cadre d’un partenariat avec
l’Université de Bordeaux, mais des problèmes d’encadrement persistent.
La première promotion 1999-2001compte 16 lauréats (voir tableau récapitulatif).
174
4.1.8. Les Psychiatres
Le nombre de psychiatres est aussi insuffisant, avec une pénurie en pédopsychiatres : on compte un total
de 235, répartis entre le secteur public (108), et le secteur privé (76), concentrés dans les grandes villes du
Royaume.
Compte tenu de l’ampleur des besoins, le secteur privé s’est lancé dans la création de filières de formation
des professionnels du handicap. Des filières de formation font leur apparition à Rabat, Kénitra et Casablanca :
formation de kinésithérapeutes, d’orthoptistes, d’orthophonistes. Les programmes sont calqués sur ceux
des Instituts de Formation aux Carrières de santé du Ministère de la Santé.
Les autorisations d’ouverture de ces centres de formation privés sont sous la tutelle de deux départe-
ments : le département chargé de l’Enseignement supérieur et le Secrétariat d’État chargé de la formation
professionnelle. Des procédures ont été définies pour assurer la qualité de la formation et veiller à la disponi-
bilité des terrains de stage. En pratique, le respect des programmes et de l’encadrement contenus dans les
cahiers de charge nécessite un suivi, une évaluation continue qui semblent difficile à mettre en œuvre.
Le secteur nécessite une organisation et une coordination entre les institutions responsables des auto-
risations pour éviter un développement anarchique et accorder des autorisations en fonction des besoins,
tenant compte de la qualité de l’enseignement. Il serait souhaitable d’avoir une commission unique dotée de
moyens pour octroyer les autorisations, assurer le suivi, et la mise en application des programmes. 2
1. Dr. N. Hajji « Orientations pour l’élaboration d’un plan d’action national », Mars 2003, Ministère Chargé de la Famille, de la Solidarité et de
l’action sociale.
2. Ibid.
175
4.3. La révision et le renforcement des cursus de formation de base des
étudiants en médecine et du personnel paramédical en matière de
handicap
Il est absolument nécessaire de créer un module relatif à la grossesse et l’accouchement, insistant sur la
souffrance néonatale qui occasionne les handicaps les plus lourds (Infirmité Motrice cérébrale) mais surtout
l’investissement dans des stages de formation continue pour tous les intervenants formateurs.
Effectifs
Profils cumulés en 2004 2005 2006 2007 Total
2003
Kinésithérapeutes 638 42 52 54 43 829
Orthophonistes 55 - 18 - - 73
Orthoptistes - 22 - - 22 44
Orthoprothésistes 55 14 - 12 - 81
Psychomotriciens - - 12 - 12
Assistantes 139 - 103 - 242
sociales
Il s’agit de :
– Fès (hôpital Ibn Baitar, 60 lits) ;
– Meknès (hôpial Moulay Ismail, 43 lits) ;
– Salé (hôpital El Ayachi, 84 lits) ;
– Marrakech (Bab Doukkala).
176
Ils assurent la prise en charge des rééducations en hospitalisation, ou à titre externe.
Des antennes de rééducation au niveau provincial ou préfectoral dans le cadre des infra structures hospita-
lières ou ambulatoires assurant des prestations sont au nombre de 57, localisés en majorité au niveau des
hôpitaux provinciaux (45) ou au niveau des centres hospitaliers universitaires (6) et des centres de santé ou
de diagnostic (6).
177
5.2. La Fondation Mohammed V pour la Solidarité 1
La Fondation Mohammed V pour la Solidarité mène des actions au profit des personnes handicapées en sou-
tenant des centres et des associations s’occupant de la problématique de l’insertion socioprofessionnelle
des handicapés. Ainsi, la Fondation apporte à ces associations une aide logistique et financière afin de facili-
ter à cette tranche de la population une intégration effective. Actuellement, la Fondation gère plusieurs pro-
jets :
– Complexe National pour Handicapés à Salé
– Organisation Alaouite pour la protection des aveugles
R Centre Fès
R Centre Meknès
R Centre Taroudant
R Centre Marrakech
– Centre pour personnes âgées et handicapés mentaux à Marrakech
– Centre pour handicapés à Khémisset
178
5.3.3. Le handicap visuel et la déficience auditive
C’est le handicap qui a bénéficié très tôt de centres d’accueil mis en place par des associations impor-
tantes. Ces centres d’accueil demeurent insuffisants et inégalement répartis sur le territoire national et les
enfants déficients visuel ont des besoins d’apprentissages spécifiques qu’il est impossible de réaliser
aujourd’hui dans le cadre de classes dites intégrées.
1. Données générales
Les données et tendances démographiques de 1999 permettent de dégager les éléments suivants :
– Augmentation de l’espérance de vie à la naissance (70 ans), les plus de 60 ans représentent 7,2 % de la
population (1999).
– baisse de la fécondité.
– Un ménage sur trois abrite au moins une personne âgée (36,3 % en urbain, 42,2 % en rural).
– Les plus de 60 ans représenteront 9 % de la population en 2014.
– Sur le plan socio-économique : c’est une population peu alphabétisée et démunie.
Il se dégage donc une nette tendance au vieillissement de la population et donc une évolution des causes
de handicap (augmentation des maladies chroniques souvent invalidantes). De ce fait, la prise en charge des
personnes en situation de handicap devra tenir compte des besoins spécifiques de l’ensemble de cette
population : jeunes et personnes âgées.
1. Secrétariat d’État chargé de la Famille, de la Solidarité et de l’Action sociale : Répertoire des Centres de Formations professionnelle
œuvrant dans le domaine du handicap, Rabat, 2004.
2. Dr L. Serghini, « la protection et la promotion de la santé des personnes âgées dans les pays de la méditerranée orientale », contribution du
Maroc au Séminaire de l’OMS, Beyrouth 23-26 Avril 2001.
179
1.2. L’évolution des pathologies génératrices de handicap
Il est absolument nécessaire de professionnaliser le secteur : la réflexion doit être menée par les per-
sonnes compétentes dans ce domaine, il ne s’agit pas d’action humanitaire ou d’actions caritatives.
L’équation : pas de formation parce que pas de postes budgétaires est impensable lorsque l’on veut pro-
mouvoir les politiques sociales de lutte contre les discriminations et la pauvreté.
Le Maroc s’est engagé dans une politique de régionalisation, seule garante de l’égalité des chances pour
l’accès aux infrastructures de base. C’est pourquoi toutes les actions sociales (santé, éducation etc.) doivent
être déployées dans l’esprit de la proximité. Pour le handicap en particulier, cette option est incontour-
nable : on se doit d’aller vers les personnes handicapées, et non le contraire.
Les interventions en matière d’intégration des personnes handicapées nécessitent une réadaptation et un
accompagnement « post-réadaptation » à l’école et dans le cadre professionnel qui nécessitent des inter-
ventions pluridisciplinaires (psychologique, ergothérapie, psychomotricité etc.).
180
2. Évaluation des politiques sociales en matière de handicap
181
3. Approches proposées
3.1. La sectorisation
C’est la nécessité de sectoriser les prestations sous formes de lieux d’accueil de proximité plutôt que de
grandes unités coûteuses que nous ne sommes pas en mesure ni d’encadrer ni de gérer et qui sont domici-
liées dans les grandes villes.
La sectorisation n’exclut pas l’existence de Centres de Référence, ou de services spécifiques dans les
Centres Hospitaliers qui assureraient une vocation de formation.
La Réadaptation à Base Communautaire est un programme qu’il faudrait sans doute privilégier à condition
que ses interventions soient minutieusement analysées (objectifs, rôle, personnel) et en en percevant les
limites : ce programme est tributaire des délégations régionales des ministères concernés (Santé, Éducation,
Formation Professionnelle, collectivités locales etc.).
L’utilisation des résultats de l’enquête nationale sur le handicap ne peut avoir d’effet que dans un cadre
institutionnel adéquat et compétent. Afin de capitaliser ce travail, il sera impératif d’en assurer le suivi par la
mise en place d’un système d’information simple, unifié pour le recueil des données, leur analyse et l’évalua-
tion des programmes et des prestations ce qui permettra de développer et d’assurer la mise à jour régulière
d’une carte sanitaire du handicap.
Toutes ces données devront être informatisées et centralisées au niveau du département de tutelle afin de
l’aider à assumer sa principale mission qui est de proposer au gouvernement, en liaison avec les ministères
concernés, des politiques de prévention, de protection et de réadaptation et d’intégration au profit des per-
sonnes handicapées en vue de leur insertion sociale et économique au sein de la société.
À la lumière des besoins dégagés par l’Enquête Nationale sur le Handicap, il faudra se fixer des priorités,
des objectifs clairs, réalisables dans le cadre d’une planification d’ensemble.
À la lumière des besoins dégagés par l’enquête Nationale sur le handicap, il faudra se fixer des priorités,
des objectifs clairs, réalisables dans le cadre d’une planification d’ensemble en particulier dans les domaines
suivants :
– les structures d’accueil et d’accompagnement des personnes handicapées ;
– les ressources humaines et de leur répartition géographique ;
182
– la politique de prévention,
– les dispositions réglementaires et législatives.
Elles aussi doivent répondre aux besoins des personnes handicapées, afin d’en faciliter l’intégration, tout
en étant réalistes : le quota d’obligation à l’emploi des personnes handicapées au Maroc, fixé à 7 % est irréa-
lisable : en France, fixé à 6 % il est réalisé à 4 %, en Tunisie, il a été fixé à 1 %.
Il est important d’emblée de déterminer le rôle qui revient aux différents partenaires, en particulier des
ONG : il ne faut pas que ces dernières soient aussi un lieu d’exclusion pour les personnes en situation de
handicap en l’absence d’investissement institutionnel par l’État. Ceci confinerait encore les associations dans
un rôle caritatif qui a été ébranlé ces dernières années par la création du HCCH et du SECH. Les associations
ont compris la nécessité d’une remise à niveau et d’un certain professionnalisme, encouragée par le discours
officiel du gouvernement mais ne peuvent se substituer à lui pour l’essentiel des prestations.
L’implication institutionnelle de l’État nécessite une vision globale de la gestion du handicap au Maroc, et
se doit de tenir compte de l’essai de modélisation du processus de production du handicap, dans le cadre de
la mise en place de politique sociale tenant compte de l’impact de l’environnement au sens large comme
approche fondamentale. Cette vision doit ménager deux aspects :
– celui de la prise en charge du diagnostic, des déficiences et de la réadaptation par le Ministère de la
Santé, seul compétent dans ce domaine, avec d’éventuels partenariats avec les ONG reconnues pour
leur professionnalisme ;
– l’aspect de l’intégration des personnes handicapées et l’accessibilité, tout aussi importants, doit
revenir :
R soit à une structure liée au ministère de la Santé,
R soit à un département en mesure d’assurer une coordination efficiente avec tous les autres départe-
ments ministériels : L’actuel Ministère du Développement Social, de la Famille, de l’Action sociale et
de la Solidarité pourrait constituer ce cadre.
La RBC, est un excellent outil comme véhicule d’une politique de proximité objet de décision politique.
Celle-ci est tributaire de la coordination avec l’ensemble des partenaires institutionnels impliqués en matière
d’éducation, de santé, de formation professionnelle et d’emploi. Il est illusoire de penser que les associa-
tions, puissent être le moteur de ce programme, qui nécessite une structuration particulière et une formation
du personnel : les professionnels de terrain que sont les agents RBC. Si par exemple, les délégations
régionale du MEN ne sont pas sensibilisées et formées à l’accueil d’enfants handicapés dans leurs écoles,
183
tion scolaire de ces enfants ne peut se faire. Il ne s’agit pas là de « faire semblant » par le biais de
dispositions administratives.
Comme nous l’avons vu, la Fondation Mohammed V ainsi que les ONG jouent un rôle important. Cepen-
dant, il serait vivement souhaitable qu’une instance de coordination entre les pouvoirs publics et ces institu-
tions puisse voir le jour afin que les diverses interventions soient intégrés dans une stratégie globale où
l’ensemble des acteurs œuvreraient dans le même sens. En effet, il est important de rationaliser les choix
budgétaires en fonction des choix politiques : si l’État opte pour une politique de sectorisation, il serait judi-
cieux d’éviter la création de structures importantes, coûteuses, sans prévision de ressources humaines au
préalable.
Conclusion
Désormais, le discours caritatif devrait être remplacé par la notion de solidarité nationale. Le droit à la santé
et à la réadaptation devrait être effectif. C’est là que commence à prendre effet « l’égalité des chances ». La
suite logique, est le processus d’intégration des personnes en situation de handicap : il nécessite un long tra-
vail de communication pour signer la fin de l’exclusion et des discriminations et l’acquisition progressive
d’une culture des accessibilités. C’est alors que nous pourrons prétendre à l’exercice de la pleine citoyenneté
pour cette population.
184
186
Pour répondre à cette question quarte dimension doivent être prises en ligne de compte, correspondant à
quatre problématiques et défis que lancent aujourd’hui à notre pays la pauvreté et l’exclusion sociale.
1. une dimension stratégique : pourquoi le Maroc n’a pas réussi en 50 ans à vaincre la pauvreté et l’exclu-
sion et à endiguer la fracture sociale et spatiale ?
2. une dimension gestionnaire : pourquoi, tout en consacrant des ressources financières importantes
aux programmes sociaux (plus de 50 % du Budget Général de l’État va aux secteurs sociaux) l’État n’arrive
pas à accroître l’efficacité de ces programmes ?
3. une dimension politique : pourquoi, malgré la mise en place depuis l’indépendance d’un arsenal d’insti-
tutions, d’instruments et de mécanismes de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le Maroc n’a pas
réussi à enclencher à côté de l’État et de la société civile une dynamique integratrice et mobilisatrice des
acteurs politiques et syndicaux ainsi que des élites économiques et administratives dans la stratégie natio-
nale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ?
4. et une dimension prospective : au regard de la dynamique et de la structure démographiques
actuelles, quelles mesures l’État doit prendre pour rendre possible une gestion future maîtrisée des nou-
velles formes de pauvreté et de pauvres que connaîtra le Maroc dans un proche avenir du fait de l’évolu-
tion de la population des retraités, des personnes âgées, des jeunes de 18 à 30 ans, des enfants
abandonnées, des femmes chefs de ménages en situation difficile et des personnes vivant dans la précarité
en milieu rural et périurbain ?
Ces questions interpellent tous les acteurs de la société marocaine et les invitent à agir dans le sens d’une
refonte de l’approche et de la gouvernance des politiques sociales.
187
économiques et financiers tout en déstabilisant les réseaux de solidarité traditionnels et enfin parce
que les pouvoirs publics sont devant une incapacité objective d’assurer à une échelle centralisée le finan-
cement simultanée de tous les déficits sociaux accumulés.
Cette incapacité objective se trouve, de surcroît, aggravée par une gouvernance publique de l’action
sociale marquée par une coordination entre les intervenants qui est soit absente soit insuffisante, un manque
manifeste de ciblage des actions et des populations, une absence réelle de toutes formes de capitalisation
des expériences pilotes réussies, la non prise en compte de la nécessaire pérennisation des projets de déve-
loppement social engagés et l’absence effective de procédures d’évaluation, de contrôle et suivi.
De plus, le projet national ambitieux consistant à élargir dans l’avenir le champ de la protection
sociale en généralisant la couverture médicale, en offrant une allocation logement, en octroyant une
indemnité de chômage ou pour perte d’emploi, en assurant une retraite décente aux citoyens et en instituant
un revenu minimum aux personnes les plus démunies par le biais de la promotion des activités génératrice
de revenus impose une telle refonte.
Or, cette refonte à la fois en terme de renouveau et de l’approche et de la gouvernance de l’action
sociale se trouve au cœur des orientations inscrites dans le discours de Sa Majesté le Roi du 18 mai
2005 relatif à l’Initiative Nationale pour le Développement Humain.
Compte de son importance stratégique et politique et la portée profonde de ses dimensions gestionnaire
et prospective, elle doit être le guide essentiel pour de toutes les composantes de la Nation dans toute
action de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Pour mieux apprécier les apports de cette initiative en terme de refonte de l’approche et de la gouvernance
de l’action sociale au Maroc, il convient de préciser que l’Initiative Nationale pour le Développement Humain
s’inscrit d’abord dans le cadre d’un projet de société dont l’objectif stratégique principale fixé par Sa
Majesté le Roi est de répondre aux préoccupations essentielles de son peuple et ce à travers une
approche dont les fondements, les outils et les mécanismes se construisent selon une démarche gra-
duelle depuis le premier discours du trône du 30 juillet 1999.
Ce projet de société procède d’une volonté politique affirmée, s’inscrit dans une vision claire de ce que
doit être à l’avenir toute action et programme visant à lutter efficacement et durablement contre la pauvreté
et l’exclusion sociale et rentre dans le cadre d’une véritable stratégie globale de développement écono-
mique et social.
Cette volonté, cette vision et cette stratégie visent à bâtir un Maroc moderne, fort économiquement,
démocratique politiquement, juste et solidaire socialement, tolérant et ouvert culturellement mais attaché à
ses spécificités civilisationnelles puisée dans notre religion l’Islam et à son identité qui trouve ses sources
profondes dans ses composantes Amazigh, Arabe, Africaine, et Méditerranéenne.
Aussi, si l’Initiative Nationale pour le Développement Humain apporte un nouveau jalon à ce Dessein
Royal, elle interpelle les nouvelles générations de modèles de développement économique et social, tout en
incitant à tirer les enseignements les plus à même de permettre la réalisation de raccourcis en matière de
lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Dans cette perspective, on peut valablement affirmer que, si le Maroc a connu depuis l’indépendance une
panoplie impressionnante de filets de sécurité sociale (la Promotion Nationale, l’Entraide Nationale, la
compensation des prix des produits de base, l’assistance médicale et la prévention sanitaire, les cantines
scolaires, la lutte contre l’habitat insalubre, le système du micro crédit, le programme de lutte contre les
effets de la sécheresse, le programme spécial de développement décentralisé, l’action sociale de proximité,
l’alphabétisation des adultes et l’éducation non formelle), avec l’INDH le pays dispose d’une réelle doc-
trine nouvelle qui trace les contours du modèle social du Maroc de demain.
188
Dans ce cadre, le développement social doit procéder d’une approche de lutte contre la pauvreté et l’exclu-
sion sociale dont les principes directeurs sont les suivants :
– Mettre l’homme au centre de ses préoccupations ;
– Respecter la dignité du citoyen en passant de l’assistance ponctuelle à un traitement productif pérenne
de l’action sociale
– Mettre en œuvre des politiques publiques qui soient à la fois globales, intégrées, efficaces et durables,
qui partent d’un diagnostic raisonné de l’état réel de la pauvreté et de l’exclusion, qui s’appuient sur une
définition rigoureuse des objectifs et des priorités et qui mettent l’économique au service du social ;
– Fonder la mise à niveau sociale sur la continuité et le pragmatisme et sur une démarche concertée et
participative ;
– Puiser les ressources et les sources des politiques sociales dans le génie local et national par la mobilisa-
tion créatrice de toutes les forces vives de la Nation, par une gouvernance intelligente basée sur
l’éthique du respect du bien public à travers la mise en place des procédures de suivi, d’évaluation et de
rendre compte et par un rapport intelligent au monde extérieur, un rapport qui permette à notre pays de
bénéficier des avantages du développement tardif, indispensable pour réussir les raccourcis nécessaires
dans le domaine de l’action sociale.
Par ailleurs, sur le plan de la mise en œuvre de ces principes directeurs, l’Initiative Nationale pour le Déve-
loppement Humain fonde ses interventions sur une dynamique institutionnelle qui doit prendre appui
sur des partenariats locaux et nationaux entre les acteurs publics et privés, la société civile ainsi que
les autres forces vives (partis politiques et syndicats notamment) en faveur des plus démunis et ce à
une échelle décentralisée et déconcentrée.
Cependant, il convient de préciser que pour une appréhension appropriée et adaptée des dimensions
économiques, sociales et spatiales de la pauvreté et de l’exclusion sociale dans leurs composantes à la fois
humaines et monétaires, il est de la plus grande importance de tendre vers l’élaboration de stratégies
locales de développement social intégré et ce en raison des spécificités des cadres territoriaux au sein des
quels évoluent la pauvreté, l’exclusion sociale et la précarité.
Dans cette perspective, la participation effective de la population bénéficiaire et des acteurs de la
société civile locale devient sur les plans de l’approche et de la gouvernance de ces stratégies locales de
développement social intégrée indispensable dans toute opération de ciblage des bénéficiaires et des pro-
grammes, d’identification des zones d’intervention et de définition des priorités.
Au-delà de ces aspects dont l’importance est certaine, l’expérience marocaine de lutte contre la pauvreté
et l’exclusion sociale depuis l’indépendance révèlent deux autres enseignements majeurs.
Le premier enseignement a trait à la dimension connaissance du phénomène de pauvreté et le deuxième à
la définition de son contenu.
En effet, l’évaluation de la politique nationale en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion révèle un
réel déficit de connaissance des mutations sociales qu’a connu le Maroc depuis l’indépendance et qu’il
connaît aujourd’hui. La gestion de ce déficit est seule à même de permettre aux décideurs de suivre l’évolu-
tion dans le temps des différentes manifestations de la pauvreté et ce en vue d’en appréhender les formes
anciennes et nouvelles et par voie de conséquence d’identifier les nouveaux pauvres. Cette tâche nécessite
la création d’un Observatoire National des Changements Sociaux.
Le deuxième enseignement a trait au contenu même du concept de pauvreté. En effet, à partir de l’expé-
rience de 50 années de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, quelle définition de la pauvreté cor-
respondant aux spécificités marocaines et aux accumulations successives qu’a connu le Maroc dans
ce domaine, les décideurs doivent prendre comme base de référence pour élaborer des stratégies
sociales appropriées ?
189
– Une définition monétaire fondée sur le niveau du revenu et de la dépense ?
– Une définition axée sur l’état de la satisfaction des besoins en services sociaux essentiels ?
– Ou et une définition qualitative basée sur la perception qu’ont les populations de leur échelle des
besoins, de leurs priorités et des modalités spécifiques de leur satisfaction ?
Ces enseignements représentent des préalables incontournables dans l’élaboration des politiques futures
en matière de lutte contre la pauvreté et de l’exclusion sociale.
L’emploi constitue, aujourd’hui, pour le Maroc, l’un des défis majeurs à relever. Si son ampleur relative est
due à une croissance de la population active, sans commune mesure avec les possibilités de création
d’opportunités de travail par l’ensemble des secteurs de l’activité économique nationale, sa gestion devient
difficile à assurer à une échelle publique centralisée et la régulation des formes nouvelles de contestation
qu’il suscite ne peuvent être opératoires à partir d’un traitement uniquement social.
La régionalisation, en tant que mode d’organisation des activités économiques et sociales, fondée sur la
décentralisation des choix, la déconcentration des décisions, l’autonomie des moyens, la participation des
citoyens et la mobilisation locale des ressources allouées au développement, devient aujourd’hui, le support
institutionnel le plus approprié pour relever le défi de l’emploi. C’est là même une tendance, devenue univer-
selle, imposée aux États par l’ampleur des déséquilibres de tout genre et par la complexité de leur gestion à
une échelle centralisée.
L’expérience du développement dans le monde montre, à ce sujet, que les nations qui ont su réguler ces
déséquilibres et apporter des solutions durables en terme de promotion d’emploi et de création de richesses
nouvelles sont celles où les États ont concédé une part de plus en plus importante du pouvoir institutionnel
en faveur des entités régionales.
De plus, dans un monde connaissant de profondes mutations économiques, technologiques, sociales et
culturelles, marqué par la globalisation des économies et des échanges, par l’exacerbation de la concurrence,
et où la tendance dominante est à la construction de grands groupements économiques, la régionalisation
s’affirme de plus en plus pour devenir l’une des issues susceptible d’apporter des solutions durables aux
grands problèmes sociaux et économiques de notre temps, parce que tenant compte des avantages compa-
ratifs des territoires.
C’est là l’un des enseignements majeurs que le Maroc a tiré de cinquante ans d’expérience de lutte contre
le chômage. En effet, depuis son indépendance, notre pays a entrepris un certain nombre d’actions, que ce
soit dans le cadre de la promotion nationale, du programme d’urgence pour l’insertion des jeunes diplômés,
du programme de promotion d’activités économiques en milieu rural, du programme d’insertion et d’assis-
tance à la création d’entreprise par les jeunes ou du programme national de formation-insertion.
La portée opérationnelle de ces programmes a été limitée par l’absence, au niveau provincial et local, d’un
côté de structures d’intermédiation entre les jeunes, les entreprises et l’environnement productif, et de
l’autre d’interlocuteurs disposant de pouvoir de décision et de moyens suffisants permettant de traduire ces
programmes en opportunités réelles d’emploi et en création effective d’activités nouvelles.
190
C’est à la faveur de ces expériences que le Maroc a acquis la conviction que la régionalisation pourra contri-
buer efficacement à relancer la croissance économique sur une base spatiale durable et à faire de l’emploi un
acte fondamentalement local.
Par ailleurs, au regard de la répartition différenciée des hommes et des activités à l’échelle du territoire
national, de la persistance des déséquilibres économiques inter-régionaux et des inégalités régionales en
matière de dotation en services sociaux, la régionalisation est en mesure d’ouvrir des perspectives nouvelles
à même de permettre au Maroc de faire face, de façon solidaire, aux nombreux défis qui lui sont lancés dans
ce domaine.
C’est pour ainsi dire que la région et le développement régional comme vecteur de promotion de l’emploi
sont principalement motivés par des considérations économiques et institutionnelles d’une importance stra-
tégique pour le Maroc de demain.
Pour toutes ces raisons liées aux nécessités d’une dynamisation de l’emploi et d’une évolution équilibrée
de l’espace national, la région constitue un facteur de promotion du développement et de la création de
richesses nouvelles. Elle est aussi et de ce fait, un facteur du renforcement de l’État de droit, un moyen de
promotion des droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux des citoyens, un facteur d’efficience
dans l’utilisation des ressources humaines, naturelles et matérielles, une source d’émancipation de la société
civile par la libération des initiatives individuelles et collectives, un support et un garant d’un aménagement
du territoire national conciliant le rural et l’urbain dans un chaînon de solidarité réciproque, et enfin un cadre
institutionnel favorisant, de façon décentralisée et déconcentrée, la créativité, la croissance et l’emploi.
La région appelle de ce fait une stratégie nationale définissant pour le court, le moyen et le long terme les
contours d’une stratégie nationale de régionalisation appropriée aux défis présents et à venir du Maroc. Cette
stratégie nationale ne peut se faire sans le consensus, l’unité et la mobilisation de toutes les composantes
de la collectivité nationale autour du contenu à donner à la future région.
Ce consensus, cette unité et cette mobilisation sont plus que nécessaires à un moment où le projet régio-
nal objet du débat national actuel, appelle à renouveler notre solidarité pour le développement des espaces
régionaux, soit défavorisés, soit au cœur des grands moments et des grands rendez-vous de l’histoire et des
choix économiques de notre pays, comme c’est le cas aujourd’hui pour nos provinces sahariennes, nos pro-
vinces du nord et de l’oriental.
Pour ce faire, la région et le développement régional nécessitent de profonds changements dans les men-
talités et les comportements de tous les acteurs de la vie politique, économique et sociale nationale.
L’État comme les partenaires économiques et sociaux sont appelés à revoir leurs méthodes de planifica-
tion et de gestion du développement économique et social en substituant à l’approche sectorielle, centrali-
sée et concentrée, une nouvelle approche qui érige le local et le régional en niveaux privilégiés de la réflexion
et de l’action sur la base de la concertation, de la participation, de la contractualisation et du partenariat.
Ces changements constituent une condition incontournable pour faire de la régionalisation le support insti-
tutionnel d’une nouvelle dynamique économique et sociale permettant aux acteurs directs du développe-
ment d’imprimer une logique fonctionnelle aux nouveaux cadres territoriaux régionaux à mettre en place.
Ces perspectives sont d’autant plus indispensables que le Maroc est en proie à de nombreux problèmes
économiques et sociaux, notamment le chômage des jeunes. Pour bien des citoyens, ce phénomène est
devenu même une fatalité.
Pourtant, rien n’est moins vrai, ni sûr, au regard des potentialités de développement soit insuffisamment
exploitées, soit non encore explorées tant en milieu urbain qu’en milieu rural, et que recèlent nos régions en
abondance.
L’importance des déficits divers que révèle l’état actuel des régions marocaines montre que des pans
entiers de l’espace national n’ont pas encore atteint le niveau de satisfaction optimale dans le domaine de
191
l’aménagement, des infrastructures, des services sociaux et de la promotion d’activités productives dans les
secteurs les plus divers.
Sur la base des principaux indicateurs économiques et sociaux disponibles en cette matière, force est de
constater que les opportunités de création d’emploi et d’activités nouvelles sont considérables.
C’est autant dire que la région offre à notre pays des perspectives importantes pour s’insérer de façon pro-
ductive dans la vie active et mettre à contribution les talents, les compétences et les initiatives créatrices de
son capital humain au service d’un développement territorialisé à effet d’entraînement bénéfique pour la
dynamique nationale de l’emploi.
Charge cependant, à l’État les conditions pour que ce capital humain soit non seulement de plus en plus
scolarisé et éduqué mais aussi et surtout de mieux en mieux formé. D’où la nécessité de repenser radicale-
ment les missions de l’école marocaine
L’évaluation des performances du système marocain d’éducation et de formation sur la longue durée
révèle que depuis l’indépendance de nombreuses réformes structurelles et pédagogiques ont été expéri-
mentées. Elles ont toutes participé à la mise en place du système éducatif national actuel dont les prin-
cipes et les objectifs, hormis quelques inflexions audacieuses avortées, ont été fondamentalement
maintenus.
Malgré les insuffisances, les dysfonctionnements et les déficits encore persistants, la politique publique
dans ce domaine a permis néanmoins la réalisation de progrès considérables en matière de rétention, d’unifi-
cation du système éducatif, de marocanisation des cadres et d’arabisation des contenus des programmes.
Les deux premières décennies qui suivirent l’indépendance ont enregistré des réalisations ponctuelles,
qui, bien que ne s’inscrivant pas dans un plan de long terme, ont fini par modeler la structure globale du sys-
tème éducatif national.
Ainsi, durant les années 60, la priorité a été accordée de façon volontariste au renforcement des équipe-
ments et à la mise en place d’un enseignement public moderne.
La décennie 70 a porté sur la mise en œuvre de réformes fondamentales dont l’objectif est de corriger les
lacunes, les déséquilibres et les dysfonctionnements qui empêchaient d’atteindre les objectifs assignés au
système éducatif.
Les années 80 ont été marquées par la mise en œuvre du programme d’ajustement structurel, un pro-
gramme qui a déstabilisé de façon significative la réforme de 1985.
La fin de la décennie 90 a connu l’adoption de l’actuelle Charte Nationale de l’éducation et de la forma-
tion. Cette charte est considérée comme un document fondamental servant de cadre d’orientation à la réno-
vation du système éducatif et ce en vue de le préparer à s’adapter aux contraintes et aux défis
présents et futurs du développement du pays.
Ce panorama historique, montre que de 1956 à 2004, l’idée de réforme était constante et faisait l’objet
d’une réelle unanimité à l’échelle de toutes les composantes de la société marocaine. Cependant, cer-
taines mesures prises répondaient plus à des pressions conjoncturelles et à des considérations politiques de
court terme, dont l’objectif final est d’ajuster le comportement des décideurs politiques aux circonstances du
moment. C’est cette même logique qui a retardé la réflexion prospective et stratégique dans ce domaine et a
fait avorté les quelques réformes audacieuses tentées.
De ce fait, même si la construction d’un système éducatif moderne capable de généraliser l’instruction à
l’ensemble des couches de la société et de relever les défis du développement constituait une pré-
192
occupation majeure de l’ensemble des partenaires économiques, politiques et sociaux, l’État n’avait ni la
volonté politique et ni une vision précise de ce que devrait être le système éducatif à instituer, hormis l’atta-
chement de tous, jusqu’à l’avènement de la Charte aux principes de généralisation, d’unification, d’arabisa-
tion et de marocanisation, autour desquels un semblant de consensus s’est établit, sans pouvoir les
reprofiler et encore moins les dépasser ; alors que le défi est la construction d’une École Nationale qui
répond aux aspirations de la modernisation et de l’adaptation aux mutations de l’économie et de la
société marocaines dans un monde connaissant lui-même des changements profonds.
C’est pour cette raison fondamentalement politique, que même si la Nation a consacré beaucoup de
moyens financiers et humains et a consenti des sacrifices réels dans le domaine de l’éducation, les
résultats demeurent en deçà des attentes de la collectivité nationale et les performances sont encore
marquées par des défaillances sur les plans et de la quantité et de la qualité.
En effet, le bilan raisonné des performances globales du système national d’éducation et de formation
entre 1956 et 2004, révèle la persistance d’importants dysfonctionnements qui risquent d’entraver la
réalisation des objectifs assignés par la charte à la reforme en cours, dont en particulier : la non générali-
sation de la scolarisation dans le primaire, le niveau encore élevé de l’analphabétisme,la faible qualité de
l’enseignement découlant de contenus pédagogiques surannés, l’insuffisance du rendement interne du sys-
tème du fait de l’absence de procédures appropriées d’ évaluation, de contrôle et de suivi, les disparités spa-
tiales et sociales en matière d’accès à l’éducation, l’inadéquation entre la formation et l’emploi et la faible
qualification des ressources humaines qui assurent la gouvernance de l’ensemble des étages et des dimen-
sions de notre système national d’éducation et de formation.
Ces dysfonctionnements peuvent être attribués à plusieurs facteurs, notamment aux défaillances que
connaît le management du système de pilotage des réformes mises en place, l’absence d’une véritable stra-
tégie de promotion de la ressource humaine du Ministère de l’Éducation Nationale, l’inadaptation manifeste
des programmes et des pratiques pédagogiques, l’inexistence d’un système institutionnalisé dédié à la
recherche en éducation et à l’ouverture de l’école sur son environnement.
Il y va sans dire que d’autres facteurs exogènes influent négativement sur le rendement du système édu-
catif national. Ces facteurs, il est vrai relèvent de la problématique global du développement du pays. Il s’agit
notamment du niveau de la pauvreté et de l’analphabétisme que connaît une proportion importante de la
population.
La persistance de tels dysfonctionnements risque d’entraver de façon durable l’insertion du Maroc dans un
système de l’économie mondiale où l’éducation, la formation et l’économie du savoir deviennent les véri-
tables déterminants des avantages comparatifs et compétitifs des nations.
Dans ce cadre, la charte Nationale de l’Éducation et de la Formation, parce que œuvre d’un consensus
national et d’une réflexion collective, constitue un guide important pour l’action en matière de valorisation du
capital humain national en vue de sa préparation à affronter les nouveaux défis de la mondialisation.
Cependant, la concrétisation de ses principes fondateurs et de ses recommandations impose la néces-
saire prise en considération des enseignements tirés du premier quinquennat de la mise en œuvre de
la charte et ce sur la base d’une évaluation objective, rigoureuse et sans complaisance aucune et d’un
bilan raisonné du rendement effectif, à la fois quantitatif et qualitatif, des différentes composantes du
système national d’éducation, de formation et de recherche scientifique et technologique.
Cette évaluation et ce bilan à mis parcours devraient, toutefois, conduire à repenser radicalement le sta-
tut futur de l’école marocaine afin de lui permettre de concilier entre quatre missions devenues essen-
tielles à savoir : apprendre à apprendre, apprendre à entreprendre, apprendre à être ou former à la
citoyenneté et enfin apprendre à innover ou former à l’initiative créatrice de richesses et à la produc-
tion de l’intelligence et de la veille stratégique.
193
IV. Accélérer le rythme de la mise à niveau du système national
de santé
Le Droit à la santé est au cœur de toute politique efficace et durable de lutte contre la pauvreté et l’exclu-
sion. Ce Droit est en cours de concrétisation avec la mise en place du code de la couverture médicale de
base, qui constitue un des acquits essentiels du Maroc moderne.
En effet, l’adoption de la loi 65-00 portant code de couverture médicale de base, instituant une Assurance
Maladie Obligatoire (AMO) au profit des salariés des secteurs privé et public et un Régime d’Assis-
tance Médicale (RAMED) au bénéfice des personnes pauvres, représente réellement une avancée
majeure dans la couverture sociale, en général, et la couverture médicale en particulier. Sa mise en place per-
mettra d’augmenter dans des proportions importantes le niveau du financement du système de santé et de
favoriser son financement collectif et solidaire.
Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de solvabiliser la demande et de reconsidérer le champ de la solida-
rité, mais également de renforcer l’efficacité de l’ensemble du système national de santé et en particulier sa
composante publique. En effet, la mise en place de l’AMO et du RAMED va permettre d’améliorer la situa-
tion financière des hôpitaux publics qui représentent 80 % de la capacité litière de notre pays, mais à condi-
tion que cette composante essentielle de l’offre nationale de soins mette à niveau ces moyens de diagnostic
et d’intervention et améliore la qualité du management hospitalier et celle de la gestion des soins.
Ce qui devrait être réalisé à travers les mesures en cours de mise en œuvre ou prévues dans le cadre de la
réforme hospitalière, dont le suivi stratégique est piloté par le Département du Premier Ministre.
Dans ce cadre, la régulation positive des inégalités constatées au niveau de la couverture sanitaire
est au centre des dispositifs mis en place. Car une meilleure qualité des soins dans les hôpitaux publics n’est
pas suffisante pour pallier significativement les disparités de l’offre du secteur privée concentrée principale-
ment dans les zones urbaines hautement attractives situées pour l’essentiel dans l’axe Kenitra-Casablanca.
La Carte sanitaire en cours de structuration permettra certainement une meilleure répartition des prestataires
privés des soins de santé, conjointement à l’amélioration des services hospitaliers publics.
Ce qui va non seulement corriger progressivement les disparités spatiales et l’inégalité des chances
face à la maladie, mais aussi et surtout de tendre vers une réallocation plus équitable des ressources
mobilisées par l’AMO et le RAMED au niveau de l’ensemble du territoire national et ce afin que les
citoyens, notamment les plus démunis ne subissent pas à la fois les charges générées par les soins et celles
occasionnées par les coûts du transport des malades.
Cette dimension de la réforme future du système national de santé est d’autant plus importante que les
disparités spatiales constituent incontestablement des facteurs d’aggravation des inégalités sociales.
À ce niveau, il convient de distinguer les espaces sous-équipés et les territoires sur-dotés. À cet effet,
l’objectif ne devrait pas être celui d’aligner les régions défavorisées sur le niveau des régions suréquipées.
Car, le niveau d’infrastructure et d’équipement d’un hôpital ou d’un centre de soins n’a jamais garanti à lui
seul la prise en charge correcte des besoins des malades. Par contre, il sera nécessaire à l’avenir de prendre
en ligne de compte les charges très lourdes liées au fonctionnement des établissements hospitaliers.
En outre, si la généralisation des structures hospitalières de proximité, judicieusement localisées est socia-
lement indispensable, il est de la plus haute importance de tendre, du point de vue de la rationalité écono-
mique de la carte sanitaire, vers la constitution de pôles hospitaliers régionaux voir interrégionaux
intégrés de haute compétence, permettant à la fois la concentration de matériel médical lourd (économies
d’échelle et rendement croissant) et la fourniture diversifiée des soins de qualité à la fois aux urbains et aux
ruraux et aux pauvres comme aux riches.
Toutefois, l’amélioration de l’équité dans l’offre des soins exige également la correction des insuffisances
194
actuelles dans le domaine de la hiérarchisation des soins et de la complémentarité entre les différents
niveaux de la pyramide sanitaire. Aussi, une réflexion approfondie devrait-elle être menée à partir du point
d’entrée du malade dans le système, au niveau de son itinéraire thérapeutique, avec la mise en place d’une
codification plus élaborée de l’accès aux soins de haute technicité.
Ce qui pose la question de la gouvernance de l’ensemble des composantes du système national de
santé et de l’amélioration de son encadrement humain, technologique et gestionnaire par les dif-
férents profils de professionnels de santé.
Dans ce cadre, la formation et la gestion des ressources humaines constituent un défi majeur. D’une
part, il y a de nombreuses améliorations à apporter au niveau des différents profils de professionnels de
santé pour transformer le système dans son ensemble et d’autre part, aucune réforme n’est envisageable
sans une politique judicieux des ressources humaines élaborée en adéquation avec les besoins sanitaires
des populations concernées.
Dès lors l’encadrement du système de santé passe nécessairement d’un côté par la définition des profils
de professionnels de santé à même d’assumer les fonctions de soins et de services spécifiques à la santé et
de l’autre par l’estimation des besoins globaux prévisionnels en matière de soins de santé et ce sur la base
d’une planification stratégique permettant de fixer les besoins en formation et de maîtriser dans le temps
l’offre et la demande selon une programmation pluriannuelle.
Cette approche permettra dans un premier temps de planifier la résorption des déficits actuels, tout en
fournissant au décideur les instruments de correction des disparités spatiales et sociales enregistrées en
matière de prestations de soins et de la santé.
L’élaboration d’un schéma régional d’organisation et de structuration de la carte sanitaire pourra être
l’outil le plus approprié pour permettre au Ministère de la Santé de jouer son rôle de régulateur dans la planifi-
cation et la répartition des ressources humaines et matérielles à l’échelle de l’ensemble du système sanitaire
et du territoire national.
Dans un souci de maîtrise des coûts et de viabilité à la fois de la couverture médicale et de la réforme hos-
pitalière, une telle perspective suppose en parallèle l’instauration d’une politique du médicament écono-
miquement efficiente et socialement solidaire.
Car, le médicament est un élément stratégique à la fois de la demande et de l’offre des soins et donc du
financement du système de santé. C’est une composante spécifique qui ne peut pas obéir uniquement aux
seules règles du marché, mais plutôt à une politique pharmaceutique nationale se fondant sur des prin-
cipes de disponibilité, d’accessibilité, de qualité et de sécurité sanitaire.
Si ces réformes incitent les décideurs, les partenaires économiques et sociaux et les acteurs politiques à
se mobiliser pour accélérer le rythme de la mise à niveau du système national de santé, elles invitent aussi et
surtout à mener une réflexion stratégique et à engager un débat national sur le nouveau rôle et les mis-
sions futures du Ministère de la Santé, que seule l’élaboration d’une Charte Nationale de la santé per-
mettra d’en définir le cadre institutionnel, la nature et les orientations fondamentales.
Mais au-delà de ces considérations d’importance, la vraie problématique que soulève la mise à niveau du
système national de santé est beaucoup plus profonde. Elle est d’ordre stratégique et sociétale. Elle se
résume autour de la question suivante : quel système de santé et quelle médecine voulons-nous pour le
Maroc de demain ?
Ce qui interpelle toutes les composantes de la Collectivité Nationale autour des choix suivants :
– Comment concilier entre une médecine libérale et une médecine publique et entre l’assurance et l’assis-
tance ?
– Comment concilier entre le choix libre du malade de son médecin et une régulation publique du système
national de couverture médicale ?
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– Quelle politique du médicament mettre en place et comment réduire les dépenses de santé aujourd’hui
excessives ?
– Quelles modalités appropriées de tarification des médicaments, du matériel médical et des actes médi-
caux mettre en place pour concilier entre la qualité et le coût des soins et entre le coût des soins et le
pouvoir d’achat du malade ?
– Quelle formation et quels médecins former demain ?
– Et enfin, quelles formes de contrôle mettre en place pour réguler l’activité des grands réseaux transna-
tionaux producteurs de médicaments et de matériel médical afin de garantir une veille et une sécurité
sanitaires à l’échelle de notre territoire national ?
Tels sont les grands défis la politique nationale de santé du Maroc de demain et c’est dans ce cadre que se
situent les vrais enjeux des choix futurs de la collectivité nationale en matière médicale.
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