16373
16373
16373
MEMORIAL OF MALI
[5-6] 3
VOLUME I
INTRODUCTION
CHAPITRE I
Les deux Etats ont mis sur pied une série d’organes de concertation (A) ; ces
derniers eurent à rechercher les éléments permettant de déterminer le tracé exact
de la frontière (B). Les autorités de décision demeuraient néanmoins des auto-
rités représentatives de part et d’autre (C).
1
Doc. A/3.
2
Doc. A/6.
3
Doc. A/8.
4
Doc. A/9.
[8-10] MÉMOIRE DU MALI 5
Il y avait donc, dès lors, deux organes pour résoudre les problèmes frontaliers
entre le Mali et le Burkina Faso (ex-Haute-Volta), un organe politique de décision,
la commission paritaire permanente présidée par les ministres de l’intérieur des
deux pays, et un organe de préparation et d’exécution, la commission technique
mixte chargée d’exécuter les tâches sur le terrain et faire des propositions à la
commission paritaire permanente.
Alternativement au Mali ou en Haute-Volta, ces différents organes se sont
réunis pour trouver des solutions aux problèmes frontaliers.
1
Doc. A/1.
2
Doc. A/2.
3
Doc. A/6.
4
Doc. A/9.
6 DIFFÉREND FRONTALIER [10-12]
Concrètement, certaines contestations limitées ont été examinées sur base des
archives coloniales. Ainsi, le procès-verbal de délimitation, établi le 14 mai 1964
à Sabonga1 à propos de Tossonga, se réfère expressément à des procès-verbaux
établis le 26 juillet 1913 et le 31 mars 1944. Ce point de vue fut adopté par les
ministres lors de la réunion de la commission paritaire permanente des
21 au 30 septembre 1969 à Koulouba :
« Concernant la mare de Tossonga, la conférence invite la commission
technique mixte à se baser, pour la détermination de la frontière, sur le
procès-verbal de 1913 issu de la rencontre des commandants de cercle de
Bandiagara et de Dori. » 2
La même réunion « recommandait à la commission technique mixte de s’en
tenir à l’arrêté 2728/AP du 27 novembre 1935 du gouverneur général de l’AOF »
pour le secteur Douentza-Djibo et de « rechercher les textes » ou de « se référer
aux cartes » pour le secteur de Béli 3.
La commission paritaire permanente a recommandé à la commission technique
mixte de se rendre sur le terrain pour déterminer dans la zone du Béli les coor-
données géographiques exactes de divers points cités par des textes réglementaires
pour recueillir tous renseignements susceptibles de contribuer à la délimitation
du tracé de la frontière reliant divers points et vérifier la position exacte des divers
villages cités à l’AG 2728 précité 4.
La commission technique mixte se rendit sur le terrain du 5 au 17 avril 1972
et parcourut la région de Dioulouna au gué de Kabia. Elle interrogea les popula-
tions le long de la ligne frontière. Ces déclarations furent mentionnées dans un
procès-verbal signé par les directeurs du ministère de l’intérieur des deux pays 5.
Il découle de tout ceci que, pour parvenir à la délimitation de la frontière, les
deux pays ont admis comme base de discussion, au sein des organes, tous les
éléments de preuve pouvant provenir de la période coloniale, les textes régle-
mentaires, les documents administratifs coloniaux, les cartes géographiques, l’im-
plantation des populations sur le terrain, etc.
1
Doc. A/4.
2
Doc. A/11. Les procès-verbaux des 26 juillet 1913 et 31 mars 1944 se trouvent respec-
tivement en annexe, doc. D/9 et D/69.
3
Doc. A/11.
4
Doc. A/14.
5
Doc. A/15.
6
Doc. A/2.
7
Doc. A/3.
[12-14] MÉMOIRE DU MALI 7
Sur 1297 kilomètres de frontière commune les Parties ont pu s’entendre défi-
nitivement pour une portion longue de 1022 kilomètres. La portion restante de
275 kilomètres demeure litigieuse 2.
1
Doc. A/10.
2
Doc. A/11.
3
Doc. A/12.
4
Doc. A/14.
5
Doc. A/15, A/15 bis et A/15 ter.
6
Doc. A/16.
7
Doc. A/17.
10 DIFFÉREND FRONTALIER [18-20]
A. Désengagement militaire
Le sous-comité d’experts militaires chargé du désengagement des forces en
présence présidé par un délégué de la République de Guinée comprenait les délé-
gués militaires du Niger, du Sénégal et du Togo.
Il fut chargé par la conférence des chefs d’Etat tenue le 26 décembre 1974 à
Lomé de constater le retrait effectif des troupes du Mali et de la Haute-Volta
(Burkina Faso) de la zone ayant fait l’objet du conflit. Ce comité décida que, dans
le cas où le repli accepté par la Haute-Volta et le Mali ne serait pas exécuté, un
fuseau de zones de terrain neutre matérialisé par les deux lignes de frontière
revendiquées par les deux pays serait déterminé et la commission proposerait, à
qui de droit, un repli sur la ligne située à 5 kilomètres de part et d’autre de la
zone, objet du conflit 3.
B. La médiation
Réunie à Lomé, les 6 et 7 janvier 1975, la commission de médiation a créé une
sous-commission juridique, composée de la manière suivante :
1
Doc. A/18.
2
Doc. A/19.
3
Doc. A/19 bis du 6 janvier 1975.
[20-22] MÉMOIRE DU MALI 11
1
Doc. A/19 ter.
2
Doc. A/19 ter.
3
Doc. A/20.
4
Doc. A/21.
5
Doc. A/22.
6
Doc. A/23.
7
Doc. A/24.
12 DIFFÉREND FRONTALIER [22-24]
1
Doc. A/25.
2
Ibid., p. 18.
3
Doc. A/26.
4
Doc. A/27.
5
Doc. A/28.
6
Doc. A/29.
7
Doc. A/30.
8
Doc. A/32 et A/32 bis.
9
Doc. A/33.
10
Voir l’illustration sur le croquis, doc. C/49.
[25-26] 13
CHAPITRE II
Selon cette carte, en effet, l’appellation N’Gouma est portée à environ 3 kilo-
mètres au sud-est du gué de Kabia d’où monte vers le nord le trait discontinu indi-
quant une frontière contestée.
Dans son mémoire de 1975, la Haute-Volta soutiendra qu’il s’agit d’une erreur
manifeste de transcription de la part de l’IGN 1.
Dans sa note complémentaire de 1975, le Mali, après avoir démontré que la
carte de 1960 était particulièrement fiable au point de vue de la toponymie et de
la topographie, concluera que les monts N’Gouma étaient probablement situés
avec exactitude sur cette carte de 1960, mais que la frontière au lieu de partir de
N’Gouma devait partir du gué de Kabia qui serait ainsi le point triple à la limite
du Mali, du Niger et de la Haute-Volta 2.
Le point de vue du comité technique neutre de cartographes désignés par la
sous-commission juridique de la commission de médiation a dit qu’il y avait eu :
« très certainement inversion d’écriture sur la carte au 1/200 000 en ce qui
concerne N’Gouma et Tanara.
La position du mont N’Gouma de la carte au 1/500 000 est la plus plausible
et les hauteurs de N’Gouma sont un ensemble de pitons rocheux situés au
nord du gué de Kabia, à 3 kilomètres environ de ce gué, tels au surplus qu’on
peut les voir nettement sur la carte au 1/200 000. » 3
C’est moins en tant que géographes qu’en tant qu’interprètes d’une situation
confuse que ce comité s’est prononcé.
La sous-commission juridique s’est ralliée à cette opinion 4.
Sans vouloir à ce stade proposer une solution pour la situation exacte du point
triple Niger-Mali-Haute-Volta, on ne peut que constater qu’il y a eu erreur quelque
part. Ou bien l’erreur est de nature toponymique et a été faite par les cartographes
avec deux branches possibles : erreur des cartographes de 1925 ou erreur de ceux
de 1960. Ou bien l’erreur a été faite par le législateur lui-même qui, en 1927, a
considéré erronément que les hauteurs de N’Gouma étaient un point triple alors
qu’en réalité il s’agissait du gué de Kabia.
En tout état de cause, et ce point paraît essentiel au Gouvernement malien, la
détermination du point triple Niger-Mali-Burkina Faso ne peut être opérée par le
Mali et le Burkina Faso en dehors de l’accord du Niger.
Les représentants de la Haute-Volta à la commission technique mixte le 16 avril
1972 s’en étaient bien rendu compte :
« La partie voltaïque estime, quant à elle, que ce travail doit être différé
en attendant que des renseignements sûrs permettent de situer exactement les
hauteurs sur le terrain. Elle suggère, pour ce faire, que les autorités voltaïques
et maliennes y associent le Gouvernement nigérien que les hauteurs de
N’Gouma intéressent également. » 5
Ce que le Mali et le Burkina Faso ne peuvent faire sans le Niger ne peut être
fait davantage par la Cour qui ne pourrait, par son arrêt, affecter les droits d’un
Etat tiers non présent à l’instance.
La question s’est posée en des termes similaires devant la Cour dans l’affaire
de l’Or monétaire pris à Rome en 1943 (question préliminaire). Dans son arrêt
du 15 juin 1954, la Cour a relevé que la question constituait un différend entre
l’Italie et l’Albanie qui n’était pas présente à l’instance :
1
Doc. A/21, p. 25.
2
Doc. A/22, p. 34.
3
Doc. A/24 et 25, p. 14.
4
Doc. A/25, p. 15.
5
Doc. A/15 ter.
16 DIFFÉREND FRONTALIER [31-32]
1
Recueil 1954, p. 32.
2
Ibid., p. 33.
3
Une illustration cartographique de la zone contestée se trouve au document C/48.
[33-34] 17
CHAPITRE III
— la saison des pluies dure environ trois mois, mi-juin-septembre avec une
moyenne pluviométrique annuelle de 350 millimètres 1 ;
— à l’exception de celle de sa portion occidentale (région de la mare de Soum)
constituée par des fourrés extrêmement serrés d’arbustes épineux (brousse
tigrée) rendant son parcours difficile si ce n’est impossible 2, la végétation est
essentiellement du type de la steppe herbacée et buissonnière, parsemée de
quelques rares arbustes épineux.
Très riche et variée, la faune est principalement composée d’éléphants sahéliens
qui nomadisent surtout entre la mare de Soum et celle de Gossi située au nord-
ouest dans le Gourma, de lions, de hyènes, de gazelles, de panthères, de guépards,
de phacochères et d’oiseaux divers 3.
Tout le système hydrographique de ce Gourma central appartient au bassin du
Niger. Toutefois, beaucoup de cours d’eau qui devraient être les tributaires du
grand fleuve ne parviennent pas ou ne parviennent que très affaiblis jusqu’à lui.
Cette région, surtout vers le nord, est du domaine de l’aréisme, c’est-à-dire l’ab-
sence d’eaux courantes, ceci à cause de sa pente très faible 4, d’une pluviométrie
peu abondante et rare, d’une évaporation solaire considérable et du sable qui, en
obstruant le lit des cours d’eau, les oblige à divaguer. Certains se déversent dans
des bassins fermés dont la mare de Soum est l’un des plus vastes.
Le plus important des cours d’eau temporaires de la région est le Béli 5, encore
appelé Agachar en tamachek 6. Venant des pentes orientales du massif de Hombori,
il coule vers le sud-est. En saison sèche, il est composé d’un chapelet de onze
mares dont deux permanentes et neuf temporaires 7 dont certaines sont de véri-
tables étangs. En saison des pluies, il devient un cours d’eau d’une longueur totale
de 200 kilomètres environ dont cent vingt dans la zone litigieuse qui, reliant
mares et étangs, traverse le Gourma d’ouest en est pour se jeter dans le fleuve
Niger à Dounzou 8.
Il est grossi sur son parcours concernant la zone du contentieux par des mari-
gots venant principalement du nord, la quasi-totalité de ses affluents du sud étant
arrêtée par le sable. A Yatakala, grossi par les eaux du Gorouol, il porte le nom de
Youmbam. Dans certains textes, le mot Béli est pris dans un sens plus restrictif,
ne visant que son extrémité orientale.
Quelques averses de forte intensité, tombant sur la partie amont du cours d’eau
au début de la saison des pluies (la meilleure période de juillet à septembre), suffi-
sent pour que les bassins de rétention de l’eau fassent leur plein. Ensuite, les
mares s’assèchent progressivement et seules les plus importantes conservent de
1
Atlas climatologique de l’Afrique, CCTA/CSA, 1961.
2
P. Delmond, op. cit., p. 59.
3
Henri Barral, Les populations nomades de l’Oudalan et leur espace pastoral, ORSTOM,
1977.
4
La pente du Béli est inférieure à cinq pour cent.
5
En peul : les mares.
6
Le tamachek est la langue des Touaregs. Ces derniers s’appellent eux-mêmes les Kel-
Tamachek (c’est-à-dire les gens du Tamachek).
7
Cf. H. Barral, Mobilité et cloisonnement chez les éleveurs du nord de la Haute-Volta,
les zones dites d’« endodromie pastorale », Cahiers ORSTOM, série Sciences humaines,
vol. XI, no 2, 1974, p. 127.
8
Dans son rapport d’ensemble du 1er novembre 1899 concernant les marches et recon-
naissances exécutées dans la boucle du Niger (septembre-octobre 1899), Septans, le
commandant supérieur des colonnes, définit le Béli ainsi qu’il suit : « On appelle plus spécia-
lement Béli, la région des mares comprises entre le Goruol et le Yatacala au sud, l’Oudala
à l’ouest, la ligne Mersi Gaïna au nord et le Niger à l’est », doc. D/1.
[36-38] MÉMOIRE DU MALI 19
1
N’apparaissent alors sur les cartes que ces mares importantes : Soum, Tin Tabakkat,
Rafnaman, Fadar-Fadar, In Abao, Fitili ; la mare de Tin Akoff est aussi considérée comme
une mare pérenne par les géographes (cf. Barral, art. précité, p. 128). Le « mystère » de la
mare de Kétiouaire ne s’expliquerait-il pas également par un « accident » géomorphologique :
assèchement et disparition du cordon dunaire de rétention ?
2
Renseignements fournis par Barral dans l’article précité ; une étude de E. Bernus, Possi-
bilités et limites de la politique de l’hydraulique pastorale dans le Sahel nigérien, précise
que, dans le Sahel, le diamètre du cercle de l’aire de déplacement des troupeaux est de
l’ordre de 15 kilomètres au maximum du point de forage des puits, Cahiers ORSTOM, série
Sciences humaines, vol. XI, no 2, 1974, p. 119-126.
3
Doc. C/48.
4
Doc. C/48.
20 DIFFÉREND FRONTALIER [38-40]
« Dans le Béli, il n’y a pas, il n’y a jamais eu de villages, mais les Bella-
bés d’un certain nombre de tribus touaregs, notamment des Ouara-Ouara,
cultivaient le long des mares de Tin Akoff à Fadalfada de vastes lougans
qu’ils ont abandonnés depuis trois ans. » 1
Les groupements nomades, eux, sont la règle : ils appartiennent d’une part aux
Berbères et d’autre part aux Peuls.
A. Les Berbères
Les Berbères sont surtout des Touaregs, car nous ne citerons les Maures que
pour mémoire, ceux-ci étant principalement des Kounta dont l’infiltration s’est
faite à une date récente et par des individus ou des familles isolées.
Les Touaregs du Gourma appartiennent tous à des tribus de la rive gauche du
fleuve et ils ont leurs origines dans la grande confédération des Iouelliminden ou
Iouellimeden. Généralement passés sur la rive droite du Niger à la suite de dissen-
sions intestines, ils représentent les débris de tribus décimées dont beaucoup sont
en voie d’extinction, si ce n’est déjà disparues.
Toutefois, en se réfugiant au cours du XIXe siècle sur la rive Gourma, ces grou-
pements aux abois tombaient dans un domaine où leur vaillance, mais aussi leur
seule réputation guerrière faisaient aisément le vide devant eux. C’est ainsi qu’ils
descendirent dans le Gourma central en repoussant devant eux les Peuls du
Liptako ; et subjuguant les Songhay incapables de leur résister ni peut-être de
comprendre à temps le péril qui les menaçait, occupèrent les vastes pays situés
entre le Béli et Dori et dont la plus grande partie prit le nom de la tribu qui l’avait
conquise, l’Oudalan.
Il en résulte, comme l’écrit Jean Gallais, que :
« L’espace tamasheq s’étend au nord de la Haute-Volta, l’Oudalan, où
l’identité socio-historique des pasteurs les apparente de près, pour ne pas dire
les confond avec les nomades du Gourma malien. » 2
Bouget, pour sa part, relève que :
« Physiquement semblable aux régions où ils avaient l’habitude de vivre,
peu peuplé et se prêtant à la vie pastorale, l’Oudalan a été le lieu de refuge
choisi par des fractions de Touaregs, Imrads et Bellas obligés de quitter à la
suite des conflits à l’issue malheureuse, les régions où ils étaient installés. » 3
La société touareg était fortement hiérarchisée, divisée en tribus nobles, tribus
maraboutiques, vassaux et affranchis. Les seules fractions nobles ou imajjeghen
qui comptent encore sont dans le Gourma septentrional, les Irréguénatan dont
quelques représentants se rencontrent au sud du Béli et les Tenguéréguédech qui
ont la haute main sur la confédération des Logomaten au nord de Téra, et dans le
centre les Oudalans et Kel-Zingui aujourd’hui fondus les uns dans les autres (nord
du cercle de Dori). Il y a une tribu d’Ineslemen (maraboutique), celle des Kel-es-
Souk d’Ansongo, dont l’influence se marque dans la région des mares d’In
Tangoum et de Kabia.
Enfin, les principales fractions Imghâd ou Daga (vassaux) sont les Kel-Gossi
du Gourma dont l’influence s’étend au sud jusqu’à la mare de Tin Akoff, les
1
Doc. D/4.
2
Jean Gallais, Pasteurs et paysans du Gourma, la condition sahélienne, Paris, CNRS,
1975, p. 5.
3
A. Bouget, Touaregs de l’Oudalan, mémoire de l’ENFEM, Bibl. Cheam, Paris.
[40-42] MÉMOIRE DU MALI 21
B. Les Peuls
Après l’invasion berbère est à placer, suivant l’ordre chronologique, l’arrivée de
divers groupements peuls d’origines différentes et souvent confuses : Peuls
Mossibé et Gourmabé venus du sud et du sud-ouest, Silloubé d’origine soninké ;
Foulbé Hourmey d’origine songhay ; Diawanbé issus du sud-ouest ; Gaobé aux
multiples fractions issus du nord au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle
dans la foulée des Touaregs, et qui se sont plus ou moins imbriqués au milieu de
leurs cousins sédentaires du Liptako ; enfin Peuls Djelgobé arrivés les derniers
du nord-ouest et demeurés de purs nomades. Une vraie « bouteille à l’encre ».
Tout cela est certes très schématisé, car ces mouvements et brassages de popu-
lations ont été beaucoup plus complexes, mais, dans l’ensemble, c’est à peu près
de cette façon que ces peuplades sont venues vivre les unes au milieu ou aux côtés
1
Dans son rapport annuel de 1902, le commandant d’armes de Dori écrit : « Les Toua-
regs de l’Oudalan forment une fraction de la confédération des Oulliminden. Ils se divisent
en nobles, serves ou pauvres (Dagabés), marabouts et possèdent des esclaves noirs
(Bellahs) ». Le commandant signale également l’existence, dans la résidence, de quelques
Sonhraïs appelés Habbés, dans le sud de l’Oudalan formant primitivement une fraction de la
grande tribu des Oullimiden : « A la suite de dissensions internes, une tribu de Dagabés
(serves) vient camper dans l’Oudalan. D’autres tribus nobles de basse extraction ou serves
vinrent peu à peu la rejoindre et formèrent le groupement actuellement connu sous le nom
de Touare Oudalan et commandé par N’Djougui », doc. D/5.
22 DIFFÉREND FRONTALIER [42-44]
des autres et ont fini, la paix française aidant, par se fixer plus ou moins dans la
région et « faire leur trou » 1.
Dans le secteur même du Béli, les groupements nomades que l’on rencontre
sont tous ou touaregs ou Peuls gaobé. Plus au nord-ouest, vers la mare de Soum
et le massif de Hombori, on trouve aussi des Peuls Djelgôbé et Foulankriabé.
A. Le nomadisme pastoral
Le climat et ses conséquences : la pluviométrie et le couvert herbacé, imprime
dès lors sa marque dans la maîtrise par l’homme du Gourma en général et de la
vallée de l’Agachar ou le Béli en particulier. Cette donnée explique le nomadisme
qui est une forme de rationalisation de l’exploitation des pâturages de l’eau de
surface selon la saison climatique de l’année. Aussi, le besoin vital a-t-il amené
les populations à aménager des circuits de nomadisation qui connaissent une
variation appropriée au rythme des saisons 2. Pratiquement, le calendrier de la
transhumance consiste à dégager un parcours de saison sèche à partir d’un point
d’eau permanent tout en disposant d’un parcours de relai en hivernage (juin à
septembre) suivant des points d’eau temporaires. L’Agachar accueille ainsi deux
transhumances dans l’année : une petite transhumance avant l’hivernage et le
grand nomadisme d’hivernage vers les parcours à Panicum laetum, situés sur sa
partie nord.
Dans ces conditions, la zone des mares apparaît, dans ce schéma complexe de
transhumance pastorale, comme une dernière étape, en raison de la pérennité de
ses eaux, avant le grand creux de la saison chaude où le bétail ne survit princi-
palement que sur ses propres ressources physiques 3.
En outre, l’abondance et la qualité des pâturages au-delà de la rive nord de
l’Agachar en fait un pôle d’attraction très réputé pour les nomades (Touaregs et
Peuls) de la rive sud, lesquels se dirigent régulièrement vers les points d’eau
permanents d’In Tillit, In Daki et Tin Teherin. C’est aussi là, du côté nord, qu’a
lieu la plus fameuse des cures salées 4 à Hammiganda, étape vers la mare de
Gossi, au nord de la mare de Soum, où la plupart du cheptel environnant l’Aga-
char séjourne durant l’hivernage. Après leur départ de Rafnaman (février-mars),
quand les eaux de surface tarissent et causent préjudice à la santé du bétail, ils
creusent des puisards de trois à quatre mètres de profondeur.
Parce que le nord-ouest de l’Agachar dispose de ressources fouragères les plus
importantes, les Touaregs du Gourma remontent dans cette direction en début
1
Paul Delmond, op. cit., p. 88.
2
Les éléments constitutifs de la zone d’endrodomie pastorale sont les suivants : « 1) un
certain nombre de points d’eau pérennes utilisés en saison sèche par un cheptel donné ;
2) des parcours de saison sèche exploités à partir de ces points d’eau ; 3) des terrains de
cultures de nomades ou de terroirs villageois de sédentaires éleveurs transhumants, généra-
lement associés à ces points d’eau ; 4) des points d’eau temporaires de saison des pluies ;
5) les parcours de saison des pluies qui leur sont associés et sur lesquels se rassemble alors
le cheptel en provenance des points d’eau de saison sèche considérés (Barral, article précité,
p. 129).
3
Voir les cartes des espaces pastoraux, doc. C/50, C/50 bis, C/51, C/51 bis et C/52.
4
La cure salée consiste à faire boire aux troupeaux des eaux riches en sels minéraux et
pâturer des herbes nouvelles des régions argileuses.
[44-46] MÉMOIRE DU MALI 23
d’hivernage (juillet) quand les Oudalen et les Logamaten, de leur côté, progres-
sent vers les zones ainsi évacuées de la rive nord de l’Agachar. Ces derniers
reviennent à leur point de départ dès que les Touaregs de la rive nord amorcent
en fin d’hivernage (septembre) leur habituel retour vers les mares pérennes de
l’Agachar.
En définitive, chaque espace et point d’eau a ses occupants traditionnels avec
des habitudes assez précises et assez constantes.
Entre les deux populations riveraines, il existe un véritable pacte tacite dont
les règles rigoureuses expliquent parfois les difficultés de rencensement que
connaissent les administrateurs.
Dans cette zone d’endrodomie pastorale existent aussi des implantations séden-
taires humaines liées principalement à la culture dunaire autour des mares. La rive
sud de l’Agachar est réputée pour la culture du mil et attire ainsi les Kel Essouk
d’Ansongo et les Bellahs Oudalens. Ainsi, dans cette rive du Béli, l’agriculture
prédomine sur l’élevage transhumant et se vérifie le dicton populaire selon le-
quel : « l’eau, c’est la frontière ». Cette observation a déjà été faite au début du
XXe siècle :
« Actuellement, le bord méridional de cette région des mares coïncide, dans
la boucle, avec la limite des cultures ; celles-ci se rencontrent plus au nord
que dans la vallée du fleuve. Les villages tels que Bambaramaoudé, ceux
environnant Hombori, et, dans le thalweg du Béli, Yatakala, représentent la
sentinelle avancée des populations sédentaires sur le pays livré au-delà au
seul parcours de la nomadisation, marquant en quelque sorte le vestibule du
désert. » 1
A cette sédentarisation liée à la vocation agricole des sols, s’ajoute aussi un
accroissement de la population des cultivateurs. Depuis le début de la colonisa-
tion, les Bellahs préposés à l’entretien et à la garde des troupeaux ont amorcé un
mouvement de migration vers le sud pour s’installer et cultiver le sol. Seuls sont
restés, dans la zone de nomadisme, les anciens serviteurs qui ont pu être retenus
dans la dépendance des riches Touaregs propriétaires de cheptel 2.
1
G. de Gironcourt, « Le sommet de la boucle du Niger », La géographie, bulletin de la
société de géographie, XXV, no 3, année 1912, p. 153.
2
Cf. Bernus, article précité, p. 121.
3
Bouget, op. cit.
24 DIFFÉREND FRONTALIER [46-48]
1
J. Gallais, Pasteurs et paysans, op. cit., p. 51.
2
Doc. D/8.
3
Dans son rapport adressé au lieutenant-gouverneur du Haut-Sénégal-Niger, le 1er mars
1918 (?), l’inspecteur R. Arnaud écrivait : « les mares appartiennent à tout le monde, et les
nomades de toute origine y abreuvent leurs troupeaux, sans avoir à ce sujet de querelles
entre eux, tant qu’il y a de l’eau », doc. D/12, p. 9.
[49-50] 25
CHAPITRE IV
1
Atlas Jeune Afrique, Mali, éd. 1980.
2
P. Delmond, op. cit., p. 86.
3
Voir les détails de l’histoire du cercle de Dori dans le rapport annuel du commandant
de cercle de 1902, doc. D/5.
4
Maurice Delafosse, Le Haut-Sénégal et le Niger, Paris, E. Larose, 1912, t. I, p. 196.
5
Bouget, Les Touaregs de l’Oudalan, p. 6.
26 DIFFÉREND FRONTALIER [50-52]
1
J. Gallais, Pasteurs et paysans, op. cit., p. 45.
2
Bouget, op. cit.
3
Doc. B/1.
4
Doc. B/2.
[52-54] MÉMOIRE DU MALI 27
est dès lors investi des mêmes pouvoirs que les gouverneurs des autres colonies.
Un décret du 27 février 1893 lui adjoint un conseil d’administration comme dans
les autres colonies.
L’opposition des intérêts entre français et britanniques dans ce vaste hinterland
se marquait par les voyages faits par des explorateurs britanniques, tels les frères
Lander (en 1830) ou commandités par eux, tel l’Allemand Barth (1850-1855). Les
Français y envoient en 1889 le capitaine Binger et en 1890-1891 le capitaine
Monteil. Ce dernier signe avec le chef du Liptako un traité plaçant celui-ci sous
le protectorat de la France le 23 mai 1891 1.
La pénétration française, œuvre essentiellement militaire, atteignit la zone du
différend frontalier maliano-burkinabé lors de la campagne de 1892-1893. Celle-
ci déboucha sur la conquête du Macina avec la prise de Djenné et de Bandiagara,
et conforta la position de la France dans la boucle du Niger. Tombouctou désor-
mais à la merci des conquérants français fut enlevée aux Touaregs après de
nombreuses péripéties.
Au début de l’année 1895, la France souhaitait devancer la pénétration anglaise,
à partir de la Gold Coast, ou allemande, à partir du Togo. Le ministre des colo-
nies donna des instructions au gouverneur du Soudan d’où il ressortait l’impéra-
tive nécessité de conclure des traités avec les royaumes mossi. L’exécution des
instructions ministérielles fut confiée sur le terrain au capitaine Destenave, rési-
dent à Bandiagara.
Partant de Bandiagara, la mission du capitaine Destenave parvint tout d’abord
à signer un traité à Ouahigouya le 18 mai 1895 avec le Yatenga qui fut placé sous
le protectorat de la France. Le 16 septembre, Destenave arrive à Djibo. Il obtient
la soumission des chefs du Djilgodi. Le 27 septembre, il soumet l’Aribinda. Dans
le Liptako, un nouveau traité est signé qui prévoit l’installation d’un résident à
Dori 2.
Après quoi, ce fut au tour du royaume mossi de Ouagadougou où une mission
arriva dirigée par le lieutenant Voulet « chargé de mission agissant avec pleins
pouvoirs ». Le 20 janvier 1897, après la reddition de l’essentiel des régions consti-
tuant les royaumes mossi, le lieutenant Voulet passa, au nom de la France, avec
le naba du Mossi, Kouka Koulou, un traité de paix et de protectorat 3 aux termes
duquel la France reconnaissait Kouka Kontou, naba du Mossi et dépendances.
Selon le paragraphe 6 dudit traité,
« dépendent légitimement du Mossi :
1) tous les territoires où la langue mossi est en usage ;
2) les territoires placés sous le commandement des nabas vassaux ;
3) tous les pays qui dépendent du Mossi, en raison de la tradition et des
droits historiques ;
4) les territoires reconnaissant la souveraineté du Mossi, y compris ceux où
la langue mossi n’est pas en usage ;
5) le pays connu sous le nom de Bonssané ou Bonssansi qui dépend du
Mossi par droits historiques ».
En contrepartie, Kouka Koulou plaçait lesdits territoires « en témoignage de
reconnaissance … sous le protectorat exclusif et sous la souveraineté absolue de
la France ».
1
Voir la mention au rapport du commandant de Dori, 1902, doc. D/5.
2
Rapport 1902 du commandant de Dori, doc. D/5.
3
Doc. B/5.
28 DIFFÉREND FRONTALIER [54-56]
1
Voir texte complet, doc. D/2 et le rapport d’ensemble concernant les marches et recon-
naissances exécutées dans la boucle du Niger (septembre-octobre 1899), doc. D/1.
Voir aussi la « fiche de renseignements concernant le nommé N’Diougui », doc. D/3.
[56-58] MÉMOIRE DU MALI 29
C. La création de la Haute-Volta
La France a mis quelques temps avant de décider la création de la Haute-Volta.
Les territoires acquis depuis 1900 se trouvaient dans une partie d’Afrique qui —
si l’on met à part l’empire des Mossi au sud — était située dans les derniers
confins, en bordure du désert, très à l’écart des côtes aussi bien que de tout chef-
lieu, extrêmement pauvre et peu peuplée, dépourvue de toute agglomération poli-
tique et économique importante, où n’existait aucune ethnie prédominante et ne
surnageait dans le brouhaha des idiomes indigènes aucune langue véhiculaire 2,
presque complètement inorganisée sur le plan politique, et par-dessus le marché
très insuffisamment reconnue. Quant à l’empire du Mossi, de peuplement dense et
homogène, de structure politique bien réelle, la difficulté résidait dans le fait qu’il
ne pouvait à lui seul (pensait-on) constituer une colonie à l’échelle des autres
territoires de l’AOF ; et qu’en l’étoffant, par contre, de plusieurs des ethnies envi-
ronnantes pour construire un territoire de Haute-Volta centré sur Ouagadougou, on
avait l’air de ravaler ces dernières au rang peu glorieux d’annexes ou de dépen-
dances du noyau politique moaga 3. Ou alors, il eût fallu centrer cette Haute-Volta
sur Bobo-Dioulasso, mais dans ce cas, c’eût été les Mossi qui auraient ressenti
cette mesure comme une marque de dédain ou de défiance.
Ces considérations expliquent pour une grande part le mal que le colonisateur
eut à organiser ces territoires et les tâtonnements qui sont à l’origine des
nombreux textes administratifs qui vinrent modifier le découpage initial.
C’est alors qu’intervint le décret du 1er mars 1919 créant la nouvelle colonie
de la Haute-Volta dont feront partie les cercles du Mossi et de Dori.
Pourquoi les cercles du Mossi et de Dori furent-ils ajoutés à ceux cités par le
décret du 1er mars 1919 4 pour constituer la colonie de la Haute-Volta ? Pour le
Mossi, la raison en était le groupe Mossi auquel l’on voulait précisément donner
une administration autonome. L’argumentation développée par le ministre des
colonies pour justifier la partition du Haut-Sénégal-et-Niger et la création de la
Haute-Volta faisait appel à des considérations à la fois géographiques et
ethniques :
« Cette colonie est encore trop étendue et composée d’éléments trop divers
pour que le gouverneur y puisse donner partout des marques égales de sa
sollicitude. »
1
Voir le rapport du capitaine Fourcade sur l’ensemble des opérations effectuées contre les
Touaregs de la région de Dori, 24 octobre 1916 ; doc. D/11 et doc. C/53.
2
Sur le marché de Dori, il ne se parle pas moins de dix ou douze dialectes différents.
3
Singulier de Mossi
4
Doc. B/25.
30 DIFFÉREND FRONTALIER [58-60]
Aussi
« la présence d’un gouverneur au centre du Mossi assurera … à cette contrée,
qui se trouve la plus éloignée du chef-lieu, la régularité d’un contrôle qui,
en raison de la distance, n’a pas pu être exercé d’une manière toujours satis-
faisante. Elle facilitera également l’évolution d’une population loyaliste, mais
encore arriérée. »
Ainsi, l’immensité des territoires du Haut-Sénégal-et-Niger et la grande diver-
sité ethnique de ses populations étaient mises en avant par l’autorité coloniale qui
entendait donner un relief particulier à l’élément ethnique mossi. Du reste, histo-
riquement, celui-ci avait déjà une contexture que la France lui avait reconnue en
signant le traité de paix et de protectorat précité du 20 janvier 1897 avec le naba
du Mossi, Kouba. Aux termes du paragraphe 6 dudit traité, la France reconnais-
sait l’autorité du naba du Mossi sur les territoires qui « dépendent légitimement du
Mossi ».
Quant au cercle de Dori, où le groupe mossi n’est pas du tout dominant, c’est
la recherche d’une meilleure efficacité de l’action administrative qui devait jouer.
Le cercle était plus près de Ouagadougou que de Bamako. Ainsi, cependant, se
trouvaient placées dans deux colonies différentes les populations nomades ethni-
quement semblables du Gourma et de l’Oudalan.
Ainsi amputés des cercles formant la Haute-Volta, le Haut-Sénégal-et-Niger se
transforme en Soudan français le 4 décembre 1920 1, le Niger deviendra à son tour
colonie autonome le 13 octobre 1922 2.
Néanmoins, quelques années plus tard la Haute-Volta devait perdre au profit
du Niger le cercle de Say et une partie du cercle de Dori par un décret du
28 décembre 1926 3.
Cette mesure est justifiée pour Say par, entre autres, la raison suivante :
« Say a longtemps appartenu au cercle de Niamey. Son retour à cette
circonscription ne comportera donc aucun changement d’habitude pour les
habitants. Les populations de ce cercle, de race peulh et de religion musul-
mane pour la plupart, constituent un îlot ethnique et religieux absolument
séparé de Ouagadougou par une masse compacte de Gourmantchés féti-
chistes.
En ce qui concerne les cantons du cercle de Dori, leur rattachement au
Niger est justifié par le souci de mettre ensemble des populations des deux
rives du fleuve Niger entre lesquelles « au point de vue géographique, poli-
tique, et ethnologique, il y a ressemblance, communauté de liens et d’inté-
rêts. »
Le rattachement de ces territoires au Niger s’est avéré, par la suite, n’être que
le prélude de la dislocation de la Haute-Volta intervenue suivant le décret du
5 septembre 1932.
D. La suppression de la Haute-Volta
Lorsque le décret du 5 septembre 1932 procède à la suppression de la Haute-
Volta, cette décision est justifiée principalement par des raisons financières et
économiques 4 :
1
Doc. B/27.
2
Doc. B/29.
3
Doc. B/33.
4
Doc. B/39.
[60-62] MÉMOIRE DU MALI 31
E. La reconstitution de la Haute-Volta
La loi du 4 septembre 1947 rétablissant la colonie de la Haute-Volta est l’abou-
tissement d’une revendication unanime des populations mossi (représentants élus,
chefs coutumiers) et des hautes autorités administratives traduisant le désir des
populations ayant des intérêts et des liens historiques et coutumiers communs de
former une entité distincte.
La cause immédiate de la revendication résidait dans le sentiment éprouvé par
le groupe mossi d’un délaissement par la France, né de la situation économique
difficile du pays et des exactions commises par les autorités coloniales locales. A
cet égard, la « pétition des peuples voltaïques en vue de la reconnaissance de la
Haute-Volta dans ses premières limites » adressée le 21 juillet 1946 au ministre
des colonies par le représentant du Moro, Naba Sagha IV, était sans équivoque.
1
Doc. B/39.
2
Rapport Bargues, p. 2 et 3 ; extraits doc. D/72.
3
Doc. B/39.
32 DIFFÉREND FRONTALIER [62-64]
Après avoir rappelé que « le plus clair du budget de la colonie est pour la Côte »,
cette pétition dénonçait la lenteur calculée de l’achèvement du rail et rejetait
implicitement la responsabilité de la détresse du paysan voltaïque, qui ne mangeait
pas à sa faim et voyait sa santé péricliter, sur le Gouvernement français dont le
représentant était accusé de participer activement à « l’exploitation inhumaine des
populations voltaïques prolifiques et saines ». La pétition réaffirmait avec force
que « la Haute-Volta est viable : elle a, comme le Soudan, la même zone clima-
tique que les mêmes produits naturels du sol et du sous-sol, elle est aussi riche
en bétail ». « La fusion de la Haute-Volta avec la Côte d’Ivoire a été une forfaiture
… Aujourd’hui, tous les Voltaïques agrippés à leur sol veulent rester chez eux »,
concluait-elle.
Cette dernière partie de la pétition est à mettre en relation avec l’organisation,
depuis la dislocation de la Haute-Volta, d’un recrutement administratif contrai-
gnant et abusif de main-d’œuvre ardemment sollicitée par les plantations du sud
de la Côte d’Ivoire et les terres irriguées de l’office du Niger au Soudan. Ce recru-
tement dont la dénonciation à la première Assemblée nationale constituante fran-
çaise en avril 1946 assura la fortune politique du député ivoirien Félix Houphouët,
avait provoqué un important exode de populations voltaïques vers la Gold Coast.
La revendication tendant à rétablir la colonie de Haute-Volta fut reprise et
amplifiée par tous ceux qui étaient en mesure de faire entendre la voix du Mossi :
— réclamations et requêtes fréquentes et de plus en plus appuyées des chefs tradi-
tionnels notamment les Moro Naba et Yatenga Naba qui entreprirent même un
voyage en avril 1947 pour rencontrer le président de la République française
(Vincent Auriol) qui visitait l’AOF ;
— interventions des parlementaires dont Philippe Kaboré Zinda et Félicien
Cozzano approuvées par le député ivoirien Félix Houphouët, président du
rassemblement démocratique africain.
Ces démarches trouvèrent plus facilement une issue favorable en raison de
desseins politiques du ministre de la France d’outre-mer et de ses représentants à
Dakar et Abidjan, alors soucieux d’endiguer en Haute-Côte d’Ivoire la progression
du rassemblement démocratique africain accusé de cryptocommunisme du fait de
son alliance parlementaire avec le parti communiste français. L’union voltaïque,
parti politique à dominante mossi susceptible d’atteindre cet objectif, fut lancée
contre le rassemblement démocratique africain.
PREMIÈRE PARTIE
LE DROIT APPLICABLE
CHAPITRE I
L’uti possidetis peut être défini comme « le principe selon lequel doivent être
respectées et maintenues en l’état les frontières coloniales héritées, au moment
de leur indépendance, par les nouveaux Etats » 1.
Ce principe, on le sait, a été défini sur le continent latino-américain au siècle
dernier. « Como hoy posees, continuaras poseyendo » : « comme tu possèdes
aujourd’hui, tu continueras à posséder », ou encore selon la formule latine « uti
possidetis, ita possideatis ».
Cependant, du fait de son intérêt pratique, le principe de l’uti possidetis a été
repris en Afrique et est à l’origine d’un droit régional spécifique sous le vocable
plus large de principe d’intangibilité des frontières.
Il peut paraître à première vue paradoxal que le continent où le pourcentage des
frontières rectilignes est le plus élevé du monde et où un nombre important de
frontières n’a aucun rapport avec les clivages religieux, ethniques ou linguistiques
des populations ait adopté un tel principe.
Cela pourtant explique ceci.
Pour arbitraires qu’elles soient, les frontières coloniales ont le mérite d’exister.
Les remettre en question eût plongé l’Afrique dans l’insécurité et le désordre.
Comme le disait le président Tsiranana :
« Il n’est plus possible ni souhaitable de modifier les frontières des nations
au nom de critères raciaux, religieux … car, en effet, si nous prenions pour
critère de nos frontières la race, la tribu ou la religion, il y aurait en Afrique
des Etats qui seraient effacés de la carte. » 2
Il est symptomatique qu’aussi bien le Mali que la Haute-Volta, par la voix de
leurs présidents de l’époque, se soient immédiatement prononcés en faveur de ce
principe 3.
La charte de l’Organisation de l’unité africaine, publiée à l’issue de la confé-
rence d’Addis-Abéba le 25 mai 1963 proclame en son article II :
« 1. Les objectifs de l’organisation sont les suivants :
…
a) renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains et malgaches ;
…
c) défendre leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur indépendance ;
… »,
1
J. de Pinho Campinos, « L’actualité de l’uti possidetis », colloque de Poitiers de la SFDI,
1979, « La frontière », Paris, Pedone, 1980, p. 95.
2
B. Boutros-Ghali, L’Organisation de l’unité africaine, Paris, Armand Colin, collec-
tion U, 1969.
3
L’Afrique et le principe de l’intégrité territoriale, République algérienne démocratique
et populaire, ministère des affaires étrangères, s. d., p. 14-16.
[72-74] MÉMOIRE DU MALI 37
1
D. Bardonnet, Les frontières terrestres et la relativité de leur tracé, Recueil des cours,
1976, vol. 153, Académie de droit international de La Haye.
38 DIFFÉREND FRONTALIER [74-76]
1
J. Combacau, dans La frontière, colloque de Poitiers de la SFDI, 1979, Paris, Pedone,
1980, p. 65 :
« Dans le cas de l’intangibilité des frontières, il ne s’agit pas de cela. Il est parfai-
tement concevable que deux Etats qui ont une frontière commune la remettent en cause
conventionnellement. Ce qui n’est pas concevable, c’est qu’ils le fassent unilatérale-
ment. Mais cette impossibilité n’est pas l’effet d’une norme de droit... »
2
Ibid., p. 71.
3
J. Bassole, Le principe de l’intangibilité des frontières en Afrique, Nice, mémoire IDPD,
1982.
4
C.I.J., Affaire de la Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906,
C.I.J. Recueil 1960, p. 215. Voir aussi J. de Pinho Campinos, « L’actualité de l’uti posside-
tis », La frontière, colloque de Poitiers de la SFDI, 1979, Paris, Pedone, 1980, p. 95.
[76-77] MÉMOIRE DU MALI 39
1
RSA, I, p. 228.
2
P. de La Pradelle, La frontière, « Etude de droit international », Paris, Les éditions inter-
nationales, 1928, p. 78 :
« L’affirmation … que le continent sud-américain se trouvait recouvert d’un réseau
de limites, automatiquement transformées de limites administratives en limites poli-
40 DIFFÉREND FRONTALIER [78-79]
tiques, justifiait par avance les paroles célèbres du président … Monroe, déclarant au
congrès que « le continent américain, par suite de la condition libre et indépendante
qu’ils ont acquise et conservée, ne pouvaient être considérés comme susceptibles d’être
colonisés à l’avenir par aucune puissance européenne » (message du 2 décembre 1823). »
1
A. Alvarez, Le droit international américain, Paris, Pedone, 1910, p. 65. Dans sa
sentence du 24 mars 1922 dans l’affaire des Frontières colombo-vénezuéliennes, le Conseil
fédéral suisse conclut :
« Par application du principe de l’uti possidetis les deux Etats sont réputés avoir eu,
depuis 1810, la souveraineté et la possession de droit des territoires faisant partie des
provinces espagnoles qu’ils ont remplacées. »
2
Ch. De Visscher, Problèmes de confins en droit international public, Paris, Pedone,
1969, p. 18-19.
3
J. de Pinho Campinos, « L’actualité de l’uti possidetis », La frontière, colloque de
Poitiers de la SFDI, 1979, Paris, Pedone, 1980 :
« En l’absence d’une théorie juridique achevée, l’uti possidetis demeure … un
instrument politique conservatoire, utilisé pour congeler, passagèrement, des litiges
entre Etats afro-asiatiques. » (P. 111.)
4
A. O. Cukwurah, The Settlement of Boundary Disputes in International Law, Manches-
ter University Press, 1967, p. 114-115.
[79-81] MÉMOIRE DU MALI 41
1
A. Alvarez, Le droit international américain, Paris, Pedone, 1910, p. 68.
2
Ainsi, A. Alvarez dans son ouvrage précité :
« Dans les litiges de frontières [en Amérique latine], on applique fréquemment un
principe d’origine américaine, l’uti possidetis de 1810, reconnu par les Etats du
Nouveau Monde dans leurs conventions et leurs pratiques. Ce principe doit tempérer
quelquefois et d’autres fois céder la place au principe général sur la longue posses-
sion pacifique de la zone disputée. » (P. 258.)
3
RSA, II, 1324.
42 DIFFÉREND FRONTALIER [81-83]
Cela fut fort bien expliqué par le Chief Justice Hughes dans la sentence préci-
tée de 1933 :
« The territory of each Party has belonged to the crown of Spain. The
ownership of the Spanish monarch had been absolute. In fact and law, the
Spanish monarch had been in possession of all the territory of each. Prior to
independence, each colonial entity being simply a unit of administration in
all respects subject to the Spanish King, there was no possession in fact or
law, in a political sense, independent of his possession. The only possession
of either colonial entity before independence was such as could be ascribed
to it by virtue of the administrative authority it enjoyed. The concept of “uti
possidetis of 1821” thus necessarily refers to an administrative control which
rested on the will of the Spanish Crown. For the purpose of drawing the line
of “uti possidetis of 1821” we must look to the existence of that administra-
tive control. » 1
L’exercice de l’autorité administrative pour avoir une valeur juridique devait
être conforme à la volonté du souverain :
« Where administrative control was excercised by the colonial entity with
the will of the Spanish monarch, there can be no doubt that it was a juridical
control, and the line drawn according to the limits of that control would be
a juridical line. If, on the other hand, either colonial entity prior to indepen-
dence has asserted administrative control contrary to the will of the Spanish
Crown, that would have been mere usurpation, and as, ex hypothese, the colo-
nial regime still existed and the only source of authority was the Crown . . .
such usurpation could not confer any status of “possession” as against the
Crown’s possession in fact and law.
The question then is one of the administrative control held prior to inde-
pendence pursuant to the will of the Spanish Crown . . .
We are to seek the evidence of administrative control at that time. In ascer-
tain-ing the necessary support for the administrative control in the will of the
Spanish King, we are at liberty to resort to all manifestations of that will — to
royal cedulas, or rescripts, to royal orders, laws and decrees, ans also, in the
absence of precise laws or rescripts, to conduct indicating royal acquiescence in
colonial assertions of administrative authority. The Crown was at liberty at all
times to change its royal commands or to interpret them by allowing what it did
not forbid. In this situation the continued and unopposed assertion of adminis-
trative authority by either of the colonial entities, under claim of right, which is
not shown to be an act of usurpation because of conflict with a clear and definite
expression of the royal will, is entitled to weight and is not to be overborne by
reference to antecedent provisions or recitals of an equivocal character. State-
ments by historians and others, of repute, and authenticated maps, are also to be
considered, although such descriptive material is of slight value when it relates
to territory of which little or nothing was known and in which it does not appear
that any administrative control was actually exercised. »2
1
RSA, II, 1324.
2
RSA, II, p. 1324-1325.
[83-85] MÉMOIRE DU MALI 43
n’existe pas, il n’y a aucun objet à la succession. Dans de très nombreuses situa-
tions, le principe de l’uti possidetis s’est avéré inapplicable, à défaut de textes,
en cas de textes contradictoires ou lacunaires, en cas de descriptions géogra-
phiques dans les textes ne correspondant à rien sur le terrain, etc.
Cette situation a fréquemment été dénoncée par les arbitres. Ainsi, le Conseil
fédéral suisse dans sa sentence du 24 mars 1922 dans l’affaire des Frontières
colombo-vénézuéliennes :
« Les limites des circonscriptions administratives entre les provinces espa-
gnoles de l’Amérique du Sud à l’époque coloniale étaient parfois insuffi-
samment connues ; les cartes étaient imparfaites, les noms des localités, des
fleuves, des rivières et des montagnes mentionnés dans les documents de
l’ancien régime étaient défigurés ou ne se retrouvaient plus. Des hésitations
puis des contestations se produisirent peu à peu entre la plupart des Etats
hispano-américains non pas sur le principe admis par tous de l’uti possidetis
juris, mais sur le détail des anciennes limites. Il devint nécessaire de négo-
cier pour arriver à des précisions. » 1
Ou encore J. F. Alcorta, président de la République argentine, arbitre unique
dans l’affaire de La frontière entre la Bolivie et le Pérou, qui, à l’occasion de sa
sentence du 9 juillet 1909, cite les plaidoiries de la Bolivie :
« In these long proceedings, which have continued for more than three
centuries, it is frequently noticed that the dispositions of the Spanish Crown
have been contradictory, some of the same being vague and many in
disagreement with the situation or the topographical features of the places.
This latter was due to the want of geographical knowledge, and an equitable
interpretation, according to the respective ideas of the period, is therefore
necessary for appreciating the true significance and scope of the said dispo-
sitions. » 2
Ou enfin, Chief Justice Hughes dans l’affaire de La frontière Guatemala-
Honduras (sentence du 23 janvier 1933) :
« It must be noted that particular difficulties are encountered in drawing the
line of uti possidetis of 1821 by reason of the lack of trustworthy information
during colonial times with respect to a large part of the territory in dispute.
Much of this territory was unexplored. Other parts which had occasionally
been visited were but vaguely known. In consequence, not only had bounda-
ries of jurisdiction not been fixed with precision by the Crown, but there
were great areas in which there had been no effort to assert any semblance of
administrative authority. » 3
Dans des situations de ce genre, les parties n’ont guère que deux possibilités :
ou bien elles procèdent à une délimitation par un accord, ou bien elles confèrent
à un tribunal des pouvoirs suffisants pour qu’il substitue, dans des limites éven-
tuellement précisées, sa volonté à celle des Parties.
C’est ainsi que les limites entre la Colombie et l’Equateur ou la Colombie et
le Pérou n’ont été définitivement tranchées par les parties qu’après avoir aban-
donné le principe d’uti possidetis au profit d’une solution de compromis mutuel-
lement acceptable 4.
1
RSA, I, 229.
2
RSA, XI, 143. Traduction française dans RGDIP, 1910, p. 105.
3
RSA, II, 1325.
4
P. de La Pradelle, La frontière, « Etude de droit international », Paris, Les éditions inter-
nationales, 1928, p. 83.
44 DIFFÉREND FRONTALIER [85-87]
Ou bien les parties s’en remettent à l’arbitre pour compléter les insuffisances de
l’uti possidetis.
Dans la question de la frontière des Andes, la République argentine et le Chili
recoururent à l’arbitrage de la Grande-Bretagne ; prévoyant l’obscurité des docu-
ments espagnols, ils convinrent que l’arbitre compléterait, par les principes du
droit international, l’insuffisance présumée de l’uti possidetis. Un compromis du
18 janvier 1878 — ultérieurement remis en cause — stipulait en son article 4 :
« L’arbitre rendra son arrêt en ce caractère d’arbitre de droit et d’accord :
1) avec les actes et documents émanés du Gouvernement de l’Espagne, de
ses fonctionnaires et agents en Amérique, et les documents provenant des
Gouvernements du Chili et de la République argentine ;
2) si tous ces documents n’étaient pas assez clairs pour résoudre par eux-
mêmes les questions pendantes, l’arbitre pourra les résoudre en appliquant
aussi les principes du droit international. » 1
Même attitude de la part du président de la République argentine Alcorta dans
sa sentence du 9 juillet 1909 :
« That having most carefully examined the titles adduced by the two
Parties, the Arbitrator does not find any sufficient ground for considering, as
dividing line between the Audiencia of Charcas and the viceroyalty of Lima
in the year 1810, one or the other of the demarcations claimed in the respec-
tive pleadings of the States concerned. That in reality the disputed zone was,
in 1810 and up to a recent period, perfectly unexplored, as appears from the
numerous maps of the colonial period, and of periods subsequent to the latter,
which were submitted by both parties, and this the latter themselves recog-
nize, which explains that the demarcations of the said administrative enti-
ties, subject to one and the same sovereign, had not been fully determined. » 2
Et l’arbitre d’en conclure:
« That, under these circumstances there must be strictly applied to the case
the provisons of Article IV of the Treaty of Arbitration, which states :
“Wherever the Royal enactments or dispositions do not define clearly the
right of possession to a territory, the Arbitrator shall decide the question equi-
tably, keeping as close as possible to their meaning and to the spirit which
inspired them”. » 3
Après avoir un temps critiqué cette sentence, la Bolivie se rallia à la solution
de l’arbitre et les parties adoptèrent par le protocole de La Paz du 17 septembre
1909 la solution de frontières géographiques physiques.
Le pouvoir de l’arbitre, lorsqu’il écarte l’uti possidetis ne doit pas être exercé
arbitrairement ; l’arbitre doit rechercher dans les données de l’espèce la motiva-
tion de la ligne qu’il propose.
La sentence du 23 janvier 1933 du Chief Justice Hughes dans le conflit de fron-
tières entre le Guatemala et le Honduras est, à cet égard exemplaire :
« In the light of the declared purpose of the Treaty, the Tribunal is not at
liberty to conclude that the lack of adequate evidence to establish the line of
1
Traduction de l’original espagnol que l’on peut trouver dans H. Lafontaine, Pasicrisie
internationale, Berne, 1902, p. 540.
2
RSA, XI, p. 143.
3
RSA, XI, p. 145.
[87-88] MÉMOIRE DU MALI 45
uti possidetis of 1821, throughout the entire territory in dispute, relieves the
Tribunal of the duty to determine the definitive boundary to its full extent.
The Tribunal, by the provision of the Treaty as to the line of uti possidetis
of 1821, is not required to perform the impossible, and manifestly is bound
to establish that line only to the extent that the evidence permits it to be estab-
lished. And as the Tribunal is expressly authorized in the interests of Justice,
as disclosed by subsequent developments, to depart from the line of uti possi-
detis of 1821, even where that line is found to exist, the Treaty must be
construed as empowering the Tribunal to determine the definitive boundary
as justice may require throughout the entire area in controversy, to the end
that the question of territorial boundaries may be finally and amicably settled.
The criteria to be applied by the Tribunal in the exercise of this authority
are plainly indicated. It is not the function of the Tribunal to fix territorial
limits in its view of what might be an appropriate division of the territory
merely with reference to geographical features or potential advantages of a
military or economic character, apart from the historical facts of develop-
ment. The Treaty cannot be construed as authorizing the Tribunal to estab-
lish a definitive boundary according to an idealistic conception, without
regard to the settlement of the territory and existing equities created by the
enterprise of the respective Parties. So far as may be found to be consistent
with these equities. the geographical features of the territory indicating
natural boundaries may be considered. » 1
Concrètement, le Chief Justice Hughes estime que pour divers secteurs de la
frontière il n’y avait pas de base suffisante pour dresser une ligne d’uti posside-
tis en faveur de l’un comme de l’autre du fait d’absence de frontière reconnue et
du défaut d’exercice de contrôle administratif 2. C’est alors qu’il fait usage de
l’équité.
Conclusions
On peut retenir de tout cela que la recherche de l’uti possidetis passe par un
examen du donné législatif et, à défaut, de l’exercice du pouvoir administratif.
Ce n’est qu’en cas d’absence de frontière désignée de cette manière que des consi-
dérations d’équité peuvent avoir à jouer un rôle.
Pour ce qui concerne la présente affaire, l’adjonction, dans le compromis, de
l’adverbe « notamment » dans la recherche du fondement de la solution du litige
doit permettre à la Chambre de la Cour d’intégrer, éventuellement, des considé-
rations d’équité, indissociables de l’application du droit international.
1
Affaire des Frontières entre le Guatemala et le Honduras, Sentence du 23 janvier 1933,
RSA, vol. II, p. 1352.
2
RSA, II, p. 1336, 1337, 1341.
46 [89-90]
CHAPITRE II
1
H. M. Award, Stationery Office, Londres, p. 69.
[90-92] MÉMOIRE DU MALI 47
1
Doc. B/63.
2
Voir Luis Ignacio Sanchez Rodriguez, « El problema de la fecha critica en los litigios
relativos a la atribución de la soberanía territorial del Estado », Anuario de derecho inter-
nacional, vol. IV, 1977-1978, spéc., p. 80 et 88.
48 DIFFÉREND FRONTALIER [92-93]
DEUXIÈME PARTIE
LE DONNÉ LÉGISLATIF
CHAPITRE I
1
Le problème du regroupement de territoires au sein des gouvernements généraux ne
donnera pas lieu à développement puisque, dans la présente affaire, la question des rapports
entre les Afriques occidentale et équatoriale françaises ne se pose pas.
2
« Les colonies françaises sont parties intégrantes de la République et sont soumises à la
même loi constitutionnelle. » (Article 6, titre premier, division du territoire de la constitution
du 5 fructidor an III [22 août 1795], dans M. Duverger, Constitutions et documents poli-
tiques, PUF, collection Thémis, textes et documents, Paris, 2e éd., p. 41.)
Pour mieux saisir l’importance des colonies, il faut se référer à la structure même du titre
premier de ladite constitution : les articles 3, 4 et 5 parlent des départements, principales
circonscriptions administratives métropolitaines. En revanche, les articles 6 et 7 définissent
le statut juridique de la colonie et l’organisation des colonies.
[100-102] MÉMOIRE DU MALI 51
en date des lois dites « constitutionnelles de 1875 », érigeait de son côté certaines
colonies en circonscriptions électorales pour la désignation des sénateurs 1.
Ce rappel des principales dispositions constitutionnelles françaises montre s’il
en est besoin la place et le rôle de la colonie dans l’administration des territoires
français extérieurs au territoire métropolitain : la colonie était une catégorie juri-
dique de droit constitutionnel 2. Mais cette unité juridique, au sein de la Répu-
blique française, se limitait au domaine constitutionnel.
Depuis le sénatus-consulte du 3 mai 1854, la compétence législative et partant
réglementaire afférent à la colonie relevait du domaine du décret colonial 3. Ainsi,
en matière de réglementation et d’organisation coloniales, le gouvernement pouvait
prendre spontanément l’initiative d’édicter, par décret, des mesures propres à
assurer une bonne administration et un bon fonctionnement des services publics.
L’importance juridique et politique de la colonie explique que la compétence
afférent à l’existence, c’est-à-dire la création et la suppression de la colonie, fut
exercée au niveau le plus élevé dans la hiérarchie des autorités. Le caractère régle-
mentaire du domaine colonial conférait dès lors, logiquement, au gouvernement,
le droit de créer par décret les colonies. Par application de la règle du parallélisme
des formes 4, la suppression de la colonie pouvait intervenir selon le même mode :
l’édiction d’un décret contraire 5.
On peut illustrer ces observations générales par un exemple concret tiré de
l’histoire des Parties en cause au présent conflit. C’est en effet par décret que les
autorités françaises ont procédé aux modifications suivantes :
— le 16 juin 1895, la création du gouvernement général de l’AOF ;
— le 17 octobre 1899, l’éclatement du Soudan ;
— le 1er octobre 1902, la création de la Sénégambie ;
— le 18 octobre 1904, la création du Haut-Sénégal-et-Niger ;
— le 1er mars 1919, l’éclatement de la colonie du Haut-Sénégal-et-Niger et la
création de la colonie de la Haute-Volta ;
— le 4 décembre 1920, la transformation du Haut-Sénégal-et-Niger en Soudan
français ;
1
« Les quatre colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et des Indes
françaises éliront chacune un sénateur. » (Article 2 de la loi du 24 février 1875, texte dans
M. Duverger, op. cit., p. 112.) A la différence des autres constitutions françaises caractéri-
sées par leur structure et la systématisation des problèmes, les lois dites constitutionnelles
de 1875 sont constituées par trois textes distincts : la loi du 25 février 1875 relative à l’or-
ganisation des pouvoirs publics ; la loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat,
et la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics.
Ces textes avaient vocation à ne régir que de manière provisoire le fonctionnement des
pouvoirs publics en attendant la solution de la question du roi. Aussi n’est-il pas étonnant
de constater l’absence de travail de conceptualisation portant notamment sur une question
aussi éloignée des préoccupations de l’époque : la colonie.
2
Ainsi, la colonie avait le même statut constitutionnel que le département, principale
circonscription administrative territoriale de la France métropolitaine.
3
Les sénatus-consultes du 3 mai 1854 et du 4 juillet 1866 ont encore servi de fondement
juridique après l’entrée en vigueur de la constitution de 1946 au pouvoir du gouvernement
d’agir comme « législateur colonial » dans les territoires appartenant à l’Union française (CE,
26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs-conseils, Rec. Lebon, p. 394 ; R. Odent,
« Contentieux administratif », Les cours de droit, Paris, 1965-1966, p. 111).
4
Sur le parallélisme de formes en droit administratif français, cf. Odent, op. cit., p. 1135 ;
J. M. Auby, et R. Drago, « Traité de contentieux administratif », LGDJ, 1962, t. 2, p. 582 ;
M. Long, P. Weil et Braibant, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative,
5e éd., Sirey, Paris, p. 169.
5
A fortiori, la création de groupes, de territoires ou de colonies est une attribution du
gouvernement central, ne serait-ce que pour des considérations d’ordre formel et organique.
52 DIFFÉREND FRONTALIER [102-104]
1
Voir tous ces textes, doc. B/4, 7, 8, 10, 25, 27, 29 et 39.
2
Le texte de la constitution du 27 octobre 1946 est publié dans Duverger, op. cit., p. 138-
154.
[104-106] MÉMOIRE DU MALI 53
Mais ces avis n’avaient aucune portée substantielle ; les autorités centrales de la
République française n’étaient pas liées par les délibérations de ces institutions
et gardaient intacte leur compétence discrétionnaire en la matière.
L’article 3 de la loi du 4 septembre 1947 prévoyait qu’en cas de modification
ultérieure des limites de la Haute-Volta devaient être consultées les assemblées
territoriales de la Haute-Volta, bien entendu, du Soudan français, du Niger et de
la Côte d’Ivoire, selon que le territoire était ou non intéressé par la modification
prévue 1.
La seule altération apportée à la consistance territoriale de la Haute-Volta
résulte de « l’arrêté général 2337/INT/AP1 du 6 mai 1949 » 2. Par cet arrêté (article
premier) :
« Les territoires des cantons de Ménamba et de Mahou, groupant actuelle-
ment les villages bobos détachés du cercle de Koutiala par l’arrêté général du
16 décembre 1933 et rattachés au Soudan par application des dispositions de
l’article 2 de la loi du 4 septembre 1947, sont incorporés au cercle de
Koutiala. »
Cette disposition rattachant les cantons de Ménamba et de Mahou au cercle
soudanais de Koutiala n’aurait-elle pas dû se voir appliquer la procédure de l’ar-
ticle 3 de la loi du 4 septembre 1947 ? En fait non, car les deux cantons en ques-
tion étaient soudanais avant 1932. Ils furent rattachés en 1933 à la subdivision
de Nouna laquelle était devenue soudanaise en 1932. Ces deux cantons ne
faisaient donc pas partie de la Haute-Volta en 1932. Lorsque la subdivision de
Nouna a fait retour en 1947 à la Haute-Volta reconstituée, il était normal que les
deux cantons soient restitués au Soudan.
L’analyse de cet arrêté général 2337 du 6 mai 1949 permet de mieux saisir l’ac-
ceptation du concept de modification dont parle la loi de 1947. La modification
des limites de la Haute-Volta s’entend des seules mesures qui peuvent avoir pour
objet d’altérer les limites administratives de 1932.
L’arrêté général du 6 mai 1949 ne modifie pas stricto sensu les limites de la
Haute-Volta 3 ; il les rétablissait dans ses limites légales.
Au terme de cette recherche sur le problème de la création de colonies, puis
de territoires d’outre-mer, on peut conclure à la compétence principale, voire
exclusive, des autorités centrales métropolitaines. Par la suite, la France a fait part
de son désir d’associer les assemblées locales à la procédure d’élaboration de
l’acte de création de la circonscription, mais il ne semble pas que cette consulta-
tion pût être qualifiée de mesure de concertation.
1
Cf. par exemple les décrets des 1er octobre 1902 et 18 octobre 1904 portant réorganisa-
tion du gouvernement général de l’AOF (doc. B/8 et B/10).
2
Circulaire du gouverneur général de l’AOF sur la forme à donner aux actes portant orga-
nisation des circonscriptions et subdivisions administratives (doc. B/20).
3
Le gouverneur du Soudan français dans une note du 19 décembre 1939 devait rappeler
dans une circulaire :
« J’ai l’honneur de vous préciser que par « circonscription administrative » il faut
entendre le cercle, c’est-à-dire l’unité territoriale proprement dite, placée sous l’auto-
rité du fonctionnaire (commandant de cercle ou chef de circonscription) seul qualifié
pour correspondre avec le chef de la colonie et seul responsable devant lui de la bonne
administration des territoires qu’il commande » (doc. B/49).
4
B. Schlemer, Le Menabe, histoire d’une colonisation, ORSTOM, Paris, 1983 ; et
M. Massiot, « L’administration publique à Madagascar — Evolution de l’organisation admi-
nistrative territoriale de Madagascar de 1896 à la proclamation de la République malgache »,
Bib. africaine et malgache, t. XV, LGDJ, Paris, 1971.
5
A titre de comparaison, le cercle est devenu à Madagascar la province telle qu’elle était
conçue au début du XXe siècle.
[108-110] MÉMOIRE DU MALI 55
toriales internes confiées à des éléments européens de choix pour que non
seulement l’indigène sente constamment près de lui la présence vigilante du
« commandant » mais encore que l’administrateur du cercle, seul responsable
de l’ensemble de la circonscription, puisse visiter lui-même et conseiller sur
le terrain, à tout moment, l’un ou l’autre de ses subdivisionnaires.
Ces cloisonnements et les répartitions du personnel qui en résultent devront
en outre être étudiés en vue de faire effectuer, au chef-lieu du cercle, le plus
grand nombre possible de travaux de bureau, afin de libérer au maximum
les fonctionnaires d’administration directe pour les tâches actives de
commandement.
Je dois souligner, en outre, à cet égard, que la circulaire générale 114/C
du 3 novembre 1912, sur l’organisation des circonscriptions et subdivisions
en Afrique occidentale française, vous donne toute latitude pour créer non
point des « postes », qui n’existent que dans la terminologie militaire de la
fédération, mais toutes « subdivisions définitives ou provisoires » que vous
estimerez nécessaire d’ouvrir en raison de contingences locales particulières.
Je confirme enfin que, dans tous les cas, chaque remaniement territorial envi-
sagé devra être très attentivement étudié sur place avant d’être sanctionné
ou soumis à ma décision. » 1
1
Doc. B/59.
58 [114-115]
CHAPITRE II
Introduction
tion de leur ressort territorial sans indication, même incomplète de leurs limites
respectives ; ensuite à la création de nouvelles entités administratives, grâce aux
renseignements qui, bien qu’incomplets, permirent d’appréhender la physionomie
administrative d’ensemble de la zone.
D. Le Haut-Sénégal-et-Niger (1904-1920)
o
Par le décret n 215 du 18 octobre 1904, le gouvernement de l’AOF est une
nouvelle fois réorganisé 2. Le territoire de la Sénégambie et du Niger prend le nom
de Haut-Sénégal-et-Niger et devient une colonie.
« Cette colonie se compose :
a) des cercles d’administration civils, parmi lesquels sont compris ceux qui
forment actuellement le deuxième territoire militaire ;
b) d’un territoire militaire, dit territoire militaire du Niger, qui comprend les
circonscriptions actuelles des premier et troisième territoires militaires. » 3
Il est prévu que le gouverneur général détermine en conseil de gouvernement sur
proposition des lieutenants-gouverneurs intéressés, les circonscriptions administra-
tives dans chacune des colonies (art. 5, al. 2).
Suivant l’arrêté général du 31 décembre 1907 qui fixe les différentes circons-
criptions du territoire militaire du Niger, ce territoire comprend notamment la
région de Tombouctou et celle de Gao.
L’annexe du Gourma fait partie de la région de Tombouctou.
Quant à la région de Gao, elle « est constituée par les territoires actuels des
cercles de Dori, de Dounzou et de Gao, et du secteur de Bourem. Elle comprend :
« 1) Le cercle de Gao dans ses limites actuelles, avec le secteur de Bourem… ;
2) Le cercle de Dori constitué par le cercle actuel moins le Torodi. » 4
Nouvel arrêté général portant le no 1241 bis du 14 décembre 1908 réorganisant
les circonscriptions du territoire militaire du Niger 5 qui confirme ce qui précède.
Le territoire militaire du Niger comprend toujours quatre régions (art. 1), celle
de Tombouctou contient l’annexe du Gourma (art. 2), et celle de Gao comprend le
cercle de Gao et le cercle de Dori (art. 3) 6.
Ici encore, il est prévu (art. 6) que :
« Le lieutenant-gouverneur du Haut-Sénégal-et-Niger fixera, par un arrêté
qui sera soumis à l’approbation du gouverneur général, les limites exactes des
circonscriptions. »
Après la résidence de Hombori, c’est au tour du cercle de Dori de se voir, par
arrêté général du 21 juin 1909 no 673/6 7, détaché du territoire militaire du Niger
pour être incorporé au territoire civil du Haut-Sénégal-et-Niger parce qu’il parais-
sait
1
Doc. B/9. Illustration cartographique, feuille de Tombouctou 1903, doc. C/6.
2
Doc. B/10.
3
Doc. B/10, article premier, al. 5.
4
Doc. B/13.
5
Doc. B/14.
6
Voir croquis du Haut-Sénégal-et-Niger, édition 1908, doc. C/9.
7
Doc. B/15.
62 DIFFÉREND FRONTALIER [119-121]
« inutile de distraire plus longtemps une partie du personnel militaire qui trou-
verait ailleurs un emploi mieux approprié à ses facultés, au profit d’une
circonscription qui est assurée désormais d’un état permanent de sécurité exté-
rieure, par suite de l’extension et l’affermissement de notre autorité dans les
territoires qui l’environnent, et qui n’est peuplée que de sédentaires ou de
semi-nomades dont la docilité et l’esprit de soumission sont tels que toute
troupe régulière a pu être supprimée dans ce cercle » 1.
L’article premier stipule que « le cercle de Dori … sera incorporé avec ses
limites actuelles… » Mais celles-ci ne sont pas autrement précisées.
Nouvelles modifications avec l’arrêté général no 672/2 du 22 juin 1910 qui
incorpore au territoire civil du Haut-Sénégal-et-Niger, à partir du 1er janvier 1911,
la région de Tombouctou ainsi que la partie des cercles de Gao, Tillabéry et Djerma
situés sur la rive droite du Niger (art. 1) 2.
Cet arrêté général transforme l’annexe du Gourma en un cercle créé, selon un
rapport de l’inspecteur des affaires administratives, R. Arnaud, « afin de mettre
dans une même main tous les Touaregs de la Boucle du Niger qui, auparavant,
étaient rattachés à différents postes, Tombouctou, Bamba, Bourem, Gao,
Ansongo » 3. Aux termes dudit arrêté général, le nouveau cercle du Gourma
comprend :
« la partie du cercle de Gao située sur la rive droite du Niger et le centre de
Hombori, avec la partie de cette résidence située en plaine et habituellement
parcourue par les nomades » (art. 2, 2°).
Encore selon l’inspecteur Arnaud, le Gourma constitue :
« une unité géographique bien déterminée, bornée au sud par des lignes de
falaises habitées par les montagnards fétichistes et aux trois autres points
cardinaux par le fleuve ; son unité ethnographique est également absolue : elle
est constituée uniquement par des groupements berbères ; son unité écono-
mique n’est pas moins certaine ; le pays entier est consacré à l’élevage du gros
et du petit bétail ; son unité commerciale est en train de se créer : les intérêts
de son trafic sont orientés de plus en plus vers le sud qu’il ravitaille en viande
de boucherie et vers les ports occidentaux du fleuve, où il vend ses peaux,
ses laines et ses gommes. Pour lui maintenir l’unité administrative à laquelle
il a droit, il convient, à mon avis, d’appliquer les principes établis par M. le
capitaine Mangeot : tenir le centre de la Boucle, ce qui permet de surveiller
tous les points du territoire nomade et rend difficile une révolte sérieuse ; ne
jamais perdre le contact avec les nomades… » (P. 9-10.)
Par ailleurs, le même arrêté incorpore au cercle de Dori les cantons de Tilla-
béry, rive droite (art. 2, in fine).
Toujours selon le rapport de R. Arnaud :
« L’arrêté du 20 mai 1911 du lieutenant-gouverneur rattachait au nou-
veau cercle du Gourma les cantons de Hombori, Mondoro, Boni et Sarniéré,
de la résidence de Hombori, et le village indépendant de Bambara Maoundé,
du cercle de Bandiagara. Ces cantons et villages devaient assurer la subsis-
tance de la brigade indigène à effectif renforcé et du peloton monté à cheval. »
(P. 4-5.)
1
Rapport au ministre des colonies pour justifier la mesure.
2
Doc. B/16.
3
Doc. D/12, p. 5. La référence aux « montagnards fétichistes » vise vraisemblablement les
Dogons de Douentza et Bandiagara ...
[121-123] MÉMOIRE DU MALI 63
1
Doc. B/16 bis.
2
Doc. B/17.
3
Doc. B/18.
4
Exposé des motifs dudit arrêté.
5
Pour une illustration cartographique, voir doc. C/15 bis.
6
Doc B/21.
7
On notera l’antinomie entre l’article premier qui mentionne le cercle de Hombori et l’ar-
ticle 6 qui se réfère au « cercle de Gourma », chef-lieu Hombori.
64 DIFFÉREND FRONTALIER
1919
EN
SITUATION
[123-125] MÉMOIRE DU MALI 65
point de la limite ouest dudit cercle et le fait que la ligne est donnée dans le sens
nord-sud, font de la mare d’In Abao le point extrême ouest de la limite des cercles
de Gao et de Dori et le point extrême est de la limite des cercles de Dori et du
Gourma.
Les modifications affectant la partie sud sont moins nombreuses. Citons cepen-
dant l’arrêté général du 31 décembre 1917 par lequel est supprimé le cercle de
Ouahigouya. Il est transformé en une subdivision qui est rattachée au cercle du
Mossi. Ce dernier comprendra aussi les cantons de Baraboulé, Djibo et Tongo-
mayol 1.
Ce dernier arrêté général achève la structuration territoriale initiale de la zone du
différend frontalier alors entièrement située sur le territoire du Haut-Sénégal-et-
Niger et établie comme suit :
— au nord, d’ouest en est : les cercles de Bandiagara, du Gourma avec la plaine
habituellement parcourue par les nomades, de Gao avec les résidences d’An-
songo et de Ménaka ;
— au sud, toujours d’ouest en est : les cercles du Mossi, notamment la subdivision
de Ouahigouya avec les cantons de Djibo, Baraboulé et Tongomayol, et de
Dori, comprenant le Djelgodji et l’Aribinda.
La création de la colonie de Haute-Volta en mars 1919 allait entraîner une modi-
fication de la situation territoriale.
1
Doc. B/24.
2
Doc. B/25.
3
Doc. B/26.
66
SITUATION EN 1925 AVANT L’ARRÊT GÉNÉRAL DU 5 DÉCEMBRE 1925
DIFFÉREND FRONTALIER
[125-126] MÉMOIRE DU MALI 67
1
Doc. B/27. Pour une illustration cartographique à l’époque, voir carte ethnographique
1921, doc. C/16.
2
Doc. B/30. Illustration cartographique, feuille Ansongo et Hombori, 1925, doc. C/23 et
C/24.
3
Doc. B/32.
4
Doc. B/37. Il semble qu’à la même date le cercle de Gourma devient cercle de Gourma-
Rharous. Illustration cartographique, doc. C/31.
5
Doc. B/38.
68 DIFFÉREND FRONTALIER [126-128]
1
Doc. B/29. Illustration cartographique, doc. C/19.
2
Doc. B/33.
3
Doc. B/34.
4
Doc. B/35.
5
Doc. B/36. Illustration cartographique, doc. C/30 et C/31.
[128-130] MÉMOIRE DU MALI 69
1
Doc. B/39. Illustration cartographique, doc. C/32.
2
Exposé des motifs, doc. B/39.
3
Ibid.
4
Doc. B/40.
70 DIFFÉREND FRONTALIER [130-132]
Cette argumentation ne serait acceptable que s’il était prouvé que par l’arrêté
général 2728 le gouverneur général ne s’était pas borné à préciser des limites mais
les avaient modifiées. Une telle preuve n’a jamais été rapportée à ce stade. Le Mali
montrera pour sa part dans la dernière partie du présent mémoire que les villages
en question lui appartenaient avant 1932.
Signalons qu’un autre arrêté général no 2557/AP du 2 août 1945 portant réor-
ganisation du cercle de Mopti 1 reprend les termes cités ci-dessus de l’arrêté géné-
ral 2728 du 27 novembre 1935, si ce n’est que le mot « sinueuse » est remplacé
par le mot « brisée ».
Par l’arrêté général 3186/AP du 23 décembre 1936, le cercle de Gourma-
Rharous est supprimé. Les territoires qui en dépendaient sont rattachés au cercle de
Tombouctou 2.
Selon l’article 2, « les limites respectives des cercles de … Tombouctou,
Gao … seront précisées ultérieurement par arrêté général ».
Un arrêté du lieutenant-gouverneur du Soudan français du 13 janvier 1937 3
portera que :
« Il est créé dans le cadre de Tombouctou une subdivision dite de Gourma-
Rharous dont le chef-lieu est Gourma-Rharous. Cette subdivision se compose
des territoires de l’ancien cercle de Gourma-Rharous. »
1
Doc. B/51, non publié au Journal officiel.
2
Doc. B/46.
3
Doc. B/47.
4
Doc. D/32 et D/33.
SITUATION EN 1946 AVANT LA RECONSTITUTION DE LA HAUTE-VOLTA
MÉMOIRE DU MALI
73
74 DIFFÉREND FRONTALIER [134-136]
proposition d’en établir une à l’évidence inspirée par les cartes 1/500 000, feuilles
Ansongo et Hombori, édition 1925 1.
Interrogés par le lieutenant-gouverneur du Soudan, les commandants de cercles
réagirent différemment. Celui de Mopti proposa ce qui suit :
« La mare de « Kébanairé » située presque à la limite des cercles de Mopti,
Gourma-Rharous et Dori pourrait être mentionnée à la page 2 (7e ligne)
comme suit : « le sommet des monts Tin Eoult et Tabakarach et la mare de
Kébanaire », etc. »
Celui de Gourma-Rharous ne fit apparemment aucune observation et celui de
Gao proposa qu’un levé soit fait entre Labbézanga et Anderamboukane. Voir à ce
propos la lettre du commandant de cercle de Gao au gouverneur du Soudan en date
du 14 avril 1935 et celle du 3 juin 1935 du gouverneur du Soudan au gouverneur
général de l’AOF 2.
Les travaux cartographiques devaient avoir lieu. Le gouverneur général dans une
lettre du 12 décembre 1936 au gouverneur du Soudan relevait :
« 4) Il serait utile que, dans la mesure du possible, le lieutenant Peccoux
puisse profiter de sa présence dans la région pour effectuer quelques levés au
nord et au sud de la ligne frontière afin de remédier à l’indigence réelle de
documents cartographiques de cette région, indigence que signalait le
commandant de cercle de Gao dans le dernier alinéa de sa lettre no 666 du
14 avril 1935. Le seul document cartographique de la région est actuellement
la carte 1/500 000, feuille Ansongo, édition 1925, qui aurait besoin d’une révi-
sion complète, or la topographie régulière n’abordera ces régions que dans de
nombreuses années. »3
Pour des raisons d’opportunité administrative 4 ces levés cartographiques ne
furent pas faits et le projet du gouverneur général fut abandonné.
Il en résulte incontestablement que la proposition, n’ayant jamais été transformée
en un acte réglementaire, n’a aucune valeur légale.
Doit-on considérer qu’à défaut de valeur légale ou réglementaire la non-protes-
tation des autorités soudanaises sur une partie de la limite proposée vaudrait toute-
fois acquiescement à l’instar de ce qui s’est produit dans l’affaire du Temple de
Préah Vihéar ? Ce serait confondre ordre international et ordre interne.
Dans le cas d’espèce, l’application du principe d’uti possidetis ne met pas en
cause une succession à un accord international, c’est-à-dire à la jonction des volon-
tés de deux puissances coloniales, mais bien une succession à une législation
interne qui est acte d’autorité à caractère unilatéral.
En l’espèce, le silence du Soudan s’inscrit dans le processus des avis demandés
par l’autorité hiérarchique supérieure avant que celle-ci ne prenne sa décision ; il
se situe dans le processus de formation de la décision d’un seul et même sujet de
droit et non dans le processus de formation d’un accord de volonté entre deux
sujets de droit différents.
A cet égard, une seule conclusion s’impose : l’abstention finale de l’autorité
supérieure fait que la frontière n’a pas été fixée dans ce secteur.
1
Doc. C/23 et C/24.
2
Doc. D/35 et D/36.
3
Doc. D/39.
4
Importance de la dépense et sentiment de son inutilité, vu un projet d’alors de rattacher
le cercle de Gao au Niger ; voir notes des 31 janvier 1937, 24 mars 1937, 29 avril 1937 et
er
1 mai 1937, doc. D/40, D/42, D/44 et D/45.
[136-138] MÉMOIRE DU MALI 75
1
Voir rapport Bargues précité. Extraits dans doc. D/72.
2
Doc. B/52.
3
Pour une illustration cartographique, doc. C/38.
4
Doc. B/...
5
Doc. B/...
6
Doc. B/56.
7
Doc. B/65.
8
Doc. B/53.
76
SITUATION EN 1960 À L’AUBE DE L’INDÉPENDANCE
DIFFÉREND FRONTALIER
[138-140] MÉMOIRE DU MALI 77
1
Doc. B/57.
2
Doc. B/60.
3
Doc. B/61.
4
Doc. B/62.
5
Pour une illustration cartographique, doc. C/66 f.
TABLEAU RÉCAPITULATIF DES MODIFICATIONS DES CIRCONSCRIPTIONS TERRITORIALES DANS LA ZONE CONTESTÉE
jusqu’à In Abao)
Cercle de Gao
17 novembre 1932 Soudan français Soudan français Niger
Cercle de Bandiagara (plus cantons séden- Cercle de Ouahigouya Cercle de Dori
taires et groupements peulhs) (incorpore le canton (canton d’Aribinda)
Cercle de Gourma ou Gourma-Rharous d’Aribinda)
Cercle de Gao
CHAPITRE III
Après un premier stade d’exploration opéré tant par des savants et par des aven-
turiers que par des missionnaires, le colonisateur procède à la conquête des terri-
toires reconnus au moyen d’opérations militaires qualifiées habituellement de paci-
fication.
Des entités administratives d’abord militaires sont créées au fur et à mesure des
victoires. L’aire de l’entité administrative recouvre normalement celle de l’entité
vaincue : c’est le cercle.
A un stade suivant, l’occupation militaire se mue en administration civile. Elle
cherche des collaborateurs locaux, des clients parmi des chefs ou personnages
locaux ayant une certaine autorité. Administration indirecte en quelque sorte.
L’unité de base reste le cercle dont l’autorité va du centre à la périphérie. L’aire
de l’entité recouvre celle d’une ou de plusieurs autorités locales. Normalement,
les limites seront celles de l’extension des ethnies ou tribus vaincues et vassalisées.
Les changements ont souvent pour but de mieux recouvrir ou distinguer les ethnies
ou groupes distincts ou sont fonction du comportement observé par les popula-
tions concernées à l’égard de l’autorité, soumission ou résistance, isolement ou
expansionnisme des groupes, éclatement ou subversion des groupes résistant à
l’autorité.
Pour ce qui est de la constitution de colonies, les préoccupations sont à la fois
d’ordre financier : nécessité d’un budget et de ressources suffisantes à la gestion
d’un ensemble déterminé, et d’ordre policier : le colonisateur menant un jeu d’équi-
libre dans les relations avec les groupes ethniques intéressés ou entre les différents
groupes ethniques eux-mêmes.
1
Jean Smet Canale, Afrique noire. L’ère coloniale 1900-1945, Editions sociales, 1971,
p. 94.
86 DIFFÉREND FRONTALIER [152-154]
1
En principe, car de fait, la présence de tribus nomades dans une zone frontalière a parfois
entraîné des arrangements spécifiques entre Etats voisins : ainsi par la création d’une ligne
administrative distincte de la ligne politique. Par exemple, entre l’Egypte et le Soudan
(S. Boggs, Whittemore, International Boundaries. A study of Boundary Functions and
Problems, New York, Columbia University Press, 1940, p. 199) ou par l’établissement entre
des segments de frontières fixes, de « zones neutres » dans lesquelles la frontière n’est pas
déterminée, résultant du compromis conclu le 2 décembre 1922 sur la détermination des fron-
tières entre l’Italie et le Koweït, d’une part, le Nedjd d’Ibn Séoud, d’autre part. Ce dernier
était en effet partisan d’une conception tribale des frontières mouvantes (S. Hosni, « The
partition of the neutral zone », AJIL, 1966, p. 735-769).
2
Exemple : article IV du traité de Lalla Marnia du 18 mars 1845 entre la France et le
Maroc : « Dans le Sahara (désert), il n’y a pas de limite territoriale à établir entre les deux
pays puisque la terre ne se laboure pas et qu’elle sert seulement de pacage aux arabes des
deux empires qui viennent y camper pour y trouver les pâturages et les eaux qui leur sont
nécessaires », texte dans Brownlie, I., African Boundaries, Londres, 1979, p. 62.
[158-160] MÉMOIRE DU MALI 89
un cadre territorial dans cette zone de confins (cf. par exemple lors de l’insurrec-
tion de 1916).
Dans ce domaine comme dans d’autres, la coordination des services compétents
dans les cercles ou colonies voisines permettait de régler les problèmes des
nomades. Au titre de cette coordination il faut mentionner l’obligation pour le
nomade d’avoir un permis de transhumance pour quitter sa circonscription et les
liaisons administratives notamment par le biais de rencontres trimestrielles des
commandants de cercle de Gao, de Tombouctou et de Dori.
En l’absence de textes déterminant où passait la limite entre les cercles ou les
colonies qui se faisaient face, il faut chercher dans sa pratique administrative ce
qu’a légué exactement l’ancienne puissance administrante.
1
Doc. B/44.
2
Ibid.
90 DIFFÉREND FRONTALIER [160-162]
1
Journal officiel de l’AOF, 1906, p. 563.
2
Doc. D/9.
[163-165] 91
VOLUME II
TROISIÈME PARTIE
LE DONNÉ CARTOGRAPHIQUE
CHAPITRE I
1
Mémorandum de 1975, doc. A/21, p. 20.
2
Ibid., p. 20-26.
3
Ibid., p. 23.
4
Ibid., p. 24.
5
Mémorandum de 1975, doc. A/21.
[168-171] MÉMOIRE DU MALI 93
La détermination des frontières politiques d’un Etat est, par excellence, un acte
de souveraineté. Elle résulte donc de la volonté exprimée par les autorités gouver-
nementales compétentes pour engager internationalement l’Etat et non d’abord du
travail mené souvent sur la base de données incomplètes ou erronées par les carto-
graphes.
Ainsi, le critère essentiel pour déterminer la validité du tracé exact d’une fron-
tière figurant sur une carte est celui de savoir s’il correspond pleinement à l’in-
tention véritable des autorités souveraines en cause. On est ici en face d’un prin-
cipe fondamental, non pas seulement de la matière spécifique de la délimitation,
mais du droit international général lui-même : celui du respect de la volonté souve-
raine de l’Etat. C’est ce principe qui, parfois de façon implicite, sous-tend l’en-
semble de la jurisprudence internationale ayant eu à traiter de la valeur juridique
des cartes.
Ainsi que l’observait Charles De Visscher en 1969 :
« Leur force probante est affaire d’espèce et il n’y a guère de fondement
dans l’assertion que la Cour internationale de Justice leur ait accordé récem-
ment plus d’autorité que les sentences arbitrales ou la jurisprudence de la
Cour permanente. » 1
Rejetées dans un grand nombre de cas, retenues parfois comme moyens de
preuve accessoire, jouant plus rarement un rôle vraiment déterminant, elles n’ont
été admises par la Cour ou les tribunaux, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours,
qu’autant qu’elles pouvaient être considérées, sans risque d’erreur, comme des
traductions fidèles ou des indices sûrs de la volonté de l’une ou l’autre des parties
souveraines en litige.
1
Charles De Visscher, Problèmes de confins en droit international public, Paris, Pedone,
1969, p. 41. L’éminent auteur entendait par là écarter l’opinion imprudente émise par un
auteur qu’il cite un peu plus loin, Guenter Weissberg, exprimée en 1963 dans l’American
Journal of International Law, sous le titre « Maps as Evidence in International Boundary
Disputes : A Reappraisal », p. 781-803.
94 DIFFÉREND FRONTALIER [171-173]
et des méthodes qu’ils ont utilisées, parfois jusqu’à des époques récentes, en reco-
piant souvent, d’une carte sur l’autre, des erreurs commises initialement.
1. Ainsi, dans son ouvrage classique consacré aux preuves devant les tribunaux
internationaux, D. V. Sandifer 1 synthétise l’apport de la jurisprudence en déclarant :
« The principles applicable to the use of maps in international arbitral
proceedings constitute a collateral rather than a principal part of the “best
evidence” rule . . . »
Cela est dû au fait selon lequel « maps are in most instances, at best, secondary
evidence, and frequently hearsay in character » 2.
Avant lui, sir Travers Twiss avait eu l’occasion d’affirmer : « Maps are but picto-
rial representations of supposed territorial limits, the evidence of which must be
sought for elsewhere. » 3
Cette attitude générale a été constamment observée par les analystes de la juris-
prudence. Ainsi, en 1967, dans son ouvrage consacré au règlement des litiges rela-
tifs aux frontières, A. O. Cukwurah notait : « With regards to maps as such, the
popular approach, arising from their inherent limitations, is not to treat them as
conclusive, but of relative value. » 4
Deux ans plus tard, dans son étude restée classique sur les « problèmes de
confins », Charles De Visscher remarquait à son tour :
« On comprend la grande circonspection dont témoignent arbitres et juges
à l’égard de l’utilisation des cartes. Il n’est guère de décision internationale
qui ne contienne une mise en garde à ce sujet. » 5
Il rejoignait par là, parmi d’autres, les opinions émises par deux autres juges de
la Cour internationale de Justice, MM. Levi Carneiro 6 et Moreno Quintana 7 à
propos de deux affaires, celles des Minquiers et Ecréhous, d’une part, de la Souve-
raineté sur certaines parcelles frontalières, d’autre part, qui confirment d’ailleurs
l’une et l’autre l’application du principe fondamental de respect de la volonté
souveraine énoncé plus haut.
1
Evidence before International Tribunals, Chicago, 1939.
2
Op. cit., p. 157.
3
Op. cit., p. 157.
4
The Settlement of Boundary Disputes in International Law, Manchester, 1967, p. 224.
5
Op. cit. supra note (6), p. 47.
6
Opinion individuelle du juge Levi Carneiro sous l’arrêt rendu dans l’affaire des
Minquiers et Ecréhous le 17 novembre 1953, C.I.J. Recueil 1953, par. 20, p. 105 :
« Cartes géographiques. Il faut dire un mot sur la preuve tirée des cartes géogra-
phiques. Je sais qu’elles ne sont pas toujours décisives pour trancher des questions juri-
diques de souveraineté territoriale. Néanmoins, elles peuvent apporter une preuve de la
notoriété même du fait de l’occupation ou de l’exercice de cette souveraineté. Les
Parties l’ont reconnu, appuyant leurs allégations sur des documents de cet ordre. Le
Gouvernement anglais a cité la carte de Stieler, dans les éditions de 1905 et de 1932,
qui montrent les îlots litigieux comme britanniques. Le Gouvernement français a
présenté plusieurs autres cartes (plaidoiries). Il y en a qui ont considéré les Ecréhous
comme britanniques, mais ignorent les Minquiers. D’autres font omission de l’un ou de
l’autre groupe, montrant quelquefois même les Ecréhous en dehors de la zone britan-
nique. Pour trancher ces conflits de cartes, il faudrait une étude spécialisée et prolon-
gée pour déterminer lesquelles méritent de prévaloir. En tout cas, elles n’apportent pas
une contribution assez considérable pour permettre de statuer. Je ne les prends pas en
considération. »
7
Opinion dissidente du juge Moreno Quintana, sous l’arrêt rendu dans l’affaire relative à
Certaines parcelles frontalières, C.I.J. Recueil 1959, p. 254.
[173-175] MÉMOIRE DU MALI 95
ment français aux autorités du Siam, la Cour est parvenue à la ferme conclusion
suivante :
« Un accusé de réception très net ressort incontestablement de la conduite
de la Thaïlande ; mais, même s’il n’en avait pas été ainsi, il est clair que les
circonstances étaient de nature à appeler dans un délai raisonnable une réac-
tion de la part des autorités siamoises, au cas où celles-ci auraient voulu
contester la carte ou auraient eu de graves questions à soulever à son égard.
Or, elles n’ont réagi ni à l’époque ni pendant de nombreuses années et l’on
doit, de ce fait, conclure à leur acquiescement. Qui tacet consentire videtur si
loqui debuisset ac potuisset. » 1
C’est ainsi, à nouveau, sur la base de la mise en évidence du lien direct unis-
sant une représentation cartographique de la frontière à la manifestation de la
volonté souveraine de l’un des Etats (Siam) que la carte a pu être retenue à l’en-
contre des allégations de la Thaïlande (anciennement Royaume du Siam).
« It appears that very little was known about the topography of the moun-
tains, which have been called the Merendon range, until aerial photographs
of the recent survey were available. The indications on maps, even those
published with apparent official sanction during the nineteenth century, with
their obvious inaccuracies in the light of the present knowledge, are of little
or no value in making the just limits of territorial jurisdiction as shown by
actual developments. » 1
2. En second lieu, la concordance de plusieurs cartes sur la configuration d’une
délimitation n’est, de l’avis général, pas un élément suffisant en lui-même, pour
renforcer la force probatoire des documents produits.
On sait ainsi que cette circonstance n’a nullement empêché Max Huber, dans
l’affaire précitée de l’Ile de Palmas, d’écarter l’ensemble des cartes produites, qui
ne faisaient que répéter les unes et les autres les mêmes incorrections 2.
Et, dans une étude restée classique, Charles Chesney Hyde, examinant pourtant
la portée éventuelle des cartes émanant d’« agences » officielles de l’un des Etats
en cause, pouvait observer :
« It may be doubted, however, whether such a series of maps, however
numerous, necessarily proves that the boundary which they unite in prescrib-
ing is necessarily the correct one, to be accepted as the judicial basis of the
proper frontier, especially when they are contradicted by trustworthy evidence
of title. » 3
Dans plusieurs affaires, comme celle de la Frontière de Labrador, on a été
confronté à une succession de cartes reproduisant les mêmes erreurs, par suite des
emprunts que les cartographes faisaient aux cartes antérieures 4.
Une fois rappelés les enseignements concordants de la jurisprudence, illustrant
l’extrême relativité de la valeur des cartes, tout entière subordonnée au principe
du respect de l’intention du ou des Etats, il convient d’envisager les conditions
dans lesquelles la présente espèce pourrait être concernée par la cartographie.
CHAPITRE II
Introduction
L’Afrique a été cartographiée bien avant son occupation effective par des puis-
sances étrangères.
Sa partie occidentale naguère administrée par la France fait l’objet d’une abon-
dante documentation cartographique dont les premiers éléments recensés datent du
XVIe siècle 1.
L’œuvre cartographique de la France qui se poursuit encore de nos jours en
Afrique, en collaboration avec les Etats concernés, peut être répartie entre cinq
périodes qui sont :
— période I : XVIIe siècle - fin XIXe siècle (1601-1880) ;
— période II : Fin XIXe siècle - 1935 (1880-1935) ;
— période III : 1935-1955 ;
— période IV : 1955-1970 ;
— période V : A partir de 1970.
Les documents de la période I sont des documents d’ensemble de valeur plutôt
historique que topographique ; ils se réfèrent à une période où la colonisation
n’avait pas pénétré jusqu’à la zone du conflit et n’ont pas à retenir l’attention 2.
Les documents de la période V ont généralement été établis par les Etats ayant
accédé à l’indépendance directement ou sous leur contrôle. Ils ne suscitent égale-
ment aucune difficulté.
Bien que les Etats de l’ex-Afrique française de l’ouest aient acquis leurs indé-
pendance nationale en 1960, l’annexe du service géographique national français
en Afrique de l’ouest a continué jusqu’en 1970 à jouer pour le compte de la
plupart desdits Etats le rôle de service national de cartographie, notamment en
poursuivant leur cartographie à l’échelle 1/200 000. Cette situation découle des
accords conclus entre la France et les Etats de l’ex-fédération pendant la période
de leur autonomie interne 1957-1960.
Ainsi, le présent chapitre se limitera-t-il à l’analyse générale des documents dres-
sés au cours des périodes II, III et IV. Cette analyse portera successivement :
1. Sur la position des détails topographiques et de la toponymie ;
2. Sur la position des limites administratives.
1. Auteurs
Les principaux auteurs des documents de cette période sont des explorateurs,
des militaires, des missions scientifiques souvent pluridisciplinaires, des adminis-
trateurs locaux, les services de l’ex-ministère de la marine et des colonies, les
services centraux du gouvernement général.
Les militaires, explorateurs, missions scientifques et administrateurs locaux ont
opéré sur le terrain. Selon les thèmes à représenter, l’ampleur de l’étendue des
zones à cartographier et les difficultés d’accès, ils ont parcouru entièrement ou
partiellement lesdites zones.
Les géographes des services de l’ex-ministère de la marine et des colonies et de
l’ex-service géographique de l’AOF avaient pour mission principale : d’une part,
la centralisation et le classement des croquis et manuscrits d’ordre géographique
établis par les premiers auteurs cités ci-dessus, d’autre part, la confection de
croquis d’ensemble par l’amalgame de tous les documents disponibles concernant
la région à représenter.
Cette catégorie d’auteurs qui ne parcouraient que très rarement les terrains
cartographiés ignorait pratiquement tout de la réalité qui y prévalait.
Créé en 1922 1, le service géographique de l’AOF n’a pratiquement exécuté que
des tâches de cette nature. Les sorties de ses opérateurs sur le terrain étaient
exclusivement consacrées à la détermination de positions astronomiques ou à la
délimitation des frontières avec les territoires administrés par d’autres puissances
européennes, ou au levé direct à grandes échelles de petites portions de territoire
à aménager ou à mettre en valeur.
2. Nature des documents
Les documents dressés au cours de cette période sont essentiellement des
croquis. Les procédés utilisés pour leur établissement ne sont pas conformes à
ceux requis pour qu’un document topographique puisse mériter les appellations
« plan ou carte » attribuées à ceux qui, au moment de leur levé, peuvent être consi-
dérés comme des images naturelles ou conventionnelles instantanées des portions
de territoire concernées, complétées par des renseignements exacts (toponymie,
viabilité des voies de communication, renseignements administratifs, etc.).
Pour en permettre une analyse relativement fine, ces documents peuvent être
classés en trois catégories : les croquis topographiques, les croquis géographiques
et les croquis de compilation.
a) Les croquis topographiques
Ils ont été établis par les auteurs du premier type : militaires, explorateurs,
administrateurs. Ils concernent généralement des territoires de faible étendue. Ce
sont des croquis d’itinéraires, de police, de théâtres d’opérations militaires et de
police, de places militaires, de cantons, de subdivisions, quelquefois de cercles
de petite superficie et enfin de règlement de litiges entre populations de circons-
criptions administratives différentes.
Il s’agit en fait des documents de gestion courante de l’époque. Certains
1
Voir l’arrêté général du 1er mars 1922, doc. B/28.
[184-186] MÉMOIRE DU MALI 101
1
Doc. C/54 à C/57.
2
Voir carte région Moyen-Niger du lieutenant Desplagnes, doc. C/7.
3
Feuilles Hombori et Ansongo au 1/500 000, 1925, doc. C/23, C/24 ; Atlas des cercles,
1925-1926, doc. C/25 à C/29.
102 DIFFÉREND FRONTALIER [186-189]
1
Voir pour illustration, doc. C/58.
2
Voir pour illustration feuille Ouagadougou au 1/100 000, tirages 1941 et 1946, doc. C/34
et C/36.
[189-190] MÉMOIRE DU MALI 103
1
Voir comme illustration, doc. C/59.
2
Certaines limites étant très éloignées des chefs-lieux des circonscriptions, les opérateurs
se contentaient de reproduire les limites portées sur les anciens documents ou des rensei-
gnements fournis par des personnes qui connaissent parfaitement les noms des lieux mais
ignorent très souvent les limites exactes des circonscriptions.
3
Voir comme illustration, doc. C/60.
4
Voir comme illustration, doc. C/61.
104 DIFFÉREND FRONTALIER [191-192]
Les limites administratives qui ne sont autres que les limites des patrimoines
fonciers des entités concernées ne sont pas des détails topographiques 3. En topo-
graphie, elles relèvent des renseignements. Ainsi, la position d’une limite admi-
nistrative sur une carte ne peut être considérée comme sûre que dans les cas ci-
après :
— la limite fait l’objet d’une convention qui la décrit sans ambiguïté dans les
moindres détails et le topographe, muni d’une carte qui est une image exacte
du terrain, a parcouru et identifié tous les repères et détails topographiques
mentionnés dans la convention comme lieux de passage de son cheminement ;
— le topographe a matérialisé et levé directement la limite en la parcourant sur
le terrain en compagnie des parties concernées. Même dans ce cas, la limite
est décrite sans ambiguïté dans une convention (procès-verbal de bornage).
Les signes par lesquels sont représentées les limites administratives comme les
couleurs à l’aide desquelles elles sont souvent mises en relief relèvent de conven-
tions internes propres aux services cartographiques, au même titre que ceux utili-
sés pour représenter les détails importants dont les dimensions ne permettent pas
la représentation à l’échelle de la carte (puits, tombeau isolé, calvaire, etc.). Ils
ne sauraient donc, quelle que soit leur nature (trait plein, croisillons continus ou
discontinus) attester l’exactitude de la position d’une limite si ladite limite n’a pas
été levée conformément à ce qui précède.
1
Voir, par exemple, extrait de L’esquisse planimétrique avant complètement sur le terrain,
feuille In Tillit, 1/200 000, édition 1957, doc. C/62.
2
Voir, par exemple, extrait de la carte définitive de la même feuille, édition 1958,
doc. C/63.
3
C’est par convention qu’un détail topographique devient portion de limite ou limite.
[193] MÉMOIRE DU MALI 105
En ex-Afrique occidentale française, hormis les frontières avec les Etats rele-
vant de puissances non françaises, et les territoires dont l’administration relevait
directement de la France métropolitaine (ministre de l’intérieur), seules quelques
rares limites entre les territoires constituant l’ex-fédération ont fait l’objet de
conventions de délimitation les décrivant de façon précise.
De ce qui précède, il apparaît que les limites de territoires devenues limites
d’Etats, figurées sur la majeure partie des cartes de l’ex-Afrique française de
l’ouest, étaient, quel que soit le signe conventionnel qui les représente, mention-
nées à titre essentiellement indicatif.
106 [194-196]
CHAPITRE III
Nous ne traiterons dans cette section que la portion de la zone frontière entre le
Mali et le Burkina Faso qui fait l’objet du présent litige.
Il y a d’ailleurs une grande différence entre cette portion et celle qui a fait l’objet
d’un accord entre les deux Etats.
Inégalement habitée et de potentialités agricoles inégales, la frontière Mali/
Haute-Volta a également été intégralement cartographiée pendant la période de
l’administration française. La portion qui a fait l’objet d’un accord entre les deux
Etats est densement habitée. Les distances entre la grande majorité des villages
n’excèdent pas six kilomètres. Les documents qui la concernent sont des croquis
de reconnaissance « topographiques » : échelles 1/250 000 à 1/500 000, établis lors
des opérations militaires menées contre les royaumes, provinces et principautés de
cette zone pour leur imposer l’administration de l’époque. D’autres ont été dressés
pour mieux contrôler les villages suspectés de velléité de rébellion, ou lors des tour-
nées des administrateurs locaux, ou encore à l’occasion du règlement des litiges
de terres entre villages relevant de cantons, subdivisions ou cercles différents.
D’autres documents sont des croquis de compilation, aux échelles 1/500 000 et
1/1 000 000, établis presque exclusivement à l’aide des croquis de reconnaissance
évoqués ci-dessus qui étaient en nombre suffisant. On trouve aussi des cartes semi-
régulières à l’échelle 1/200 000, réalisées notamment pour le développement écono-
mique et une meilleure administration de la zone concernée, enfin, des cartes régu-
lières à l’échelle 1/200 000, levées après 1956.
Il s’agissait, dans l’ensemble, d’un matériau solide, établi de manière à coller
étroitement avec l’implantation des populations sur le sol et c’est pourquoi, pour
cette portion de la frontière, ce matériau n’a guère fait l’objet de contestations
majeures.
Il n’en va pas de même pour la cartographie relative à la zone contestée.
Du point de vue habitat, cette zone peut se diviser en deux secteurs :
— le premier secteur, long de 75 kilomètres, est d’un habitat très clairsemé. La
distance moyenne entre villages est de 18 kilomètres environ ;
— le second secteur est totalement inhabité de façon permanente. C’est la région
des pasteurs nomades peulhs et touaregs (longueur : 200 kilomètres environ).
Nous allons tout d’abord présenter chronologiquement le matériau cartogra-
phique à la disposition du Gouvernement malien (section 1). Nous en ferons
ensuite une analyse critique au point de vue topographique et toponymique
(section 2) et au point de vue de la position des limites administratives (section 3).
On tirera ensuite les conclusions qui s’imposent (section 4).
En excluant les documents cartographiques dont l’échelle est trop petite pour
avoir une valeur ou un intérêt quelconque, les documents cartographiques concer-
[196-198] MÉMOIRE DU MALI 107
1
Doc. C/1.
2
Doc. C/2.
3
Doc. C/3.
4
Doc. C/4.
5
Doc. C/5.
108 DIFFÉREND FRONTALIER [198-200]
1
Doc. C/6.
2
Doc. C/7.
3
Doc. C/8.
[200-202] MÉMOIRE DU MALI 109
1
Doc. C/9.
2
Doc. C/10.
3
Doc. C/11.
4
Doc. C/12.
110 DIFFÉREND FRONTALIER [202-204]
1
Doc. C/13.
2
Doc. C/14.
3
Doc. C/15.
4
Doc. C/15 bis.
5
Doc. C/16.
6
Doc. C/17.
[204-206] MÉMOIRE DU MALI 111
1
Doc. C/18.
2
Doc. C/19.
3
Doc. C/20.
4
Doc. C/21.
5
Doc. C/22.
112 DIFFÉREND FRONTALIER [206-208]
24. Carte des colonies de l’AOF : Soudan - Haute-Volta (feuille Hombori D 30 NE) 1
Dressée et publiée par le service géographique de l’AOF à Dakar sous la direc-
tion du commandant de Martonne. Publication : novembre 1925. Imprimée par
Editions Blondel La Rougery, Paris. Echelle : 1/500 000.
Croquis de compilation : issu de documents lacunaires et de valeur douteuse
(Desplagnes, 1908, mission de Gironcourt, région des mares, documents de F. de
Coutouly examinés et critiqués ci-dessus).
La valeur topographique tant en ce qui concerne la position des détails que
l’exactitude de la toponymie est très critiquable.
On donnera quelques extraits ci-dessous d’une note critique établie par le service
géographique du gouvernement général de l’AOF à Dakar en avril 1925 2 :
« La feuille est pauvre en positions géographiques …
Nivellement : en dehors de quelques altitudes barométriques sans garantie,
il n’existe aucune donnée altimétrique sérieuse dans toute l’étendue de la
feuille …
Documents topographiques utilisés : la partie de la Boucle du Niger repré-
sentée est pour la plus grande partie une région de nomadisation; toute la zone
qui ne comporte pas d’installations sédentaires est par suite assez mal connue,
ce qui explique les mentions : « région non parcourue », ou « par renseigne-
ments », répétés à plusieurs reprises dans l’étendue de la feuille …
La représentation ainsi obtenue reste très approximative : en particulier le
tracé, et même le sens d’écoulement des marigots intermittents à galerie fores-
tière réunissant le système de mares qui caractérise la région, est donné sans
aucune garantie.
Toponymie …
L’orthographe des noms appartenant aux accidents du sol (mares, buttes,
collines, etc.) est encore plus fantaisiste s’il est possible.
Appréciation d’ensemble : la feuille « Hombori » n’a d’autre valeur que celle
qui peut être attribuée à une carte de reconnaissance assez faible. Seuls des
levés semi-réguliers ou tout au moins de sérieux levés de reconnaissance
faisant résolument abstraction des documents antérieurs et appuyés sur un
réseau suffisamment dense de positions géographiques permettraient d’obtenir
une représentation plus exacte ; mais étant donné le peu d’importance écono-
mique de la région, il n’est pas à supposer que de pareils travaux y seront
entrepris d’ici longtemps. »
La frontière entre la Haute-Volta et le Soudan suit une ligne de faîtes de
montagnes dont les toponymes apparaissent pour la plupart pour la première fois
(Tabakarach, Tin Eoult, Ouagou, Tahasouhine).
Cette orographie apparaît aujourd’hui comme entièrement fantaisiste.
Or, c’est cette carte et la suivante qui présentent les mêmes caractéristiques qui
forment la base de la plupart des cartes ultérieures.
25. Carte des colonies de l’AOF : Soudan - Haute-Volta - Niger (feuille Ansongo
D 31 NE) 3
Dressée et publiée par le service géographique de l’AOF à Dakar sous la direc-
tion du commandant de Martonne. Publication : novembre 1925. Imprimée par
Editions Blondel La Rougery, Paris. Echelle : 1/500 000.
1
Doc. C/23.
2
Document complet en D/21.
3
Doc. C/24.
[208-210] MÉMOIRE DU MALI 113
1
Doc. C/25.
2
Doc. C/26.
3
Doc. C/27.
4
Doc. C/28.
5
Doc. C/29.
6
Doc. C/30.
7
Voir sur ce point, l’avis de l’IGN en date du 25 février 1975, doc. D/136.
8
Voir doc. C/31.
114 DIFFÉREND FRONTALIER [210-213]
Etablis pour la majeure partie au cours d’une période de quatre-vingt-un ans par
divers auteurs et à partir de données souvent approximatives provenant de sources
diverses, les documents cartographiques concernant la frontière Burkina Faso-Mali
présentent des lacunes, des erreurs et des incohérences très importantes.
A. Lacunes
La chose est très évidente.
On a vu dans les pages qui précèdent que même si certaines cartes, telle la carte
du Gourma de 1900 2, représentaient de manière assez correcte la région de
Mondoro et les positions relatives des villages, ce n’est pas ce croquis qui fut à la
base des cartes de 1925 et de l’Atlas des cercles.
De même, la région du Béli n’a vraiment été correctement appréhendée qu’avec
les cartes au 1/200 000 de 1958-1960.
Que dire de la zone s’étendant entre Douna et Rafnaman. Elle est restée mysté-
rieuse jusqu’à l’époque contemporaine. On ne trouve nulle part une mention de la
mare de Kétiouaire ou de la mare de Kébanaire, ni de celle de Toussougou, ni
même de celle de Soum, sauf pour cette dernière dans la carte routière de la Haute-
Volta de 1950 3.
Cela tient au fait que la plus grande partie de cette région n’avait pas fait,
jusqu’à 1958-1960, l’objet de levé sérieux. Les mentions « par renseignements » ou
« zone non parcourue » en sont la preuve par aveu.
L’orographie a fait l’objet d’encore moins d’intérêt que l’hydrographie.
B. Erreurs
Les erreurs sont de natures diverses.
Certaines proviennent du fait que des indications topographiques ont été
recueillies, soit par renseignements, soit au moyen de croquis qui eux-mêmes
n’avaient pas été levés correctement.
On a ainsi vu que le tracé du marigot a pu au cours de soixante ans prendre les
formes les plus diverses et l’orographie être plus bouleversée que par un tremble-
ment de terre. Les auteurs de la carte de 1925, non seulement ont trouvé des topo-
nymes inconnus aujourd’hui, mais même des montagnes là où il n’y en a pas :
monts Tin Eoult et Tabakarach.
1
Selon le texte même de l’arrêté général 2728 du 27 novembre 1935, une carte y était
annexée. Les recherches faites tant aux archives du gouvernement général de l’AOF à Dakar
qu’à celles de l’ancien ministère des colonies à Paris pour retrouver cette carte n’ont pas
abouti.
2
Doc. C/5.
3
Doc. C/39.
[217-219] MÉMOIRE DU MALI 117
C. Incohérences
On peut, par quelques exemples, montrer combien les positions géographiques
de certains lieux sont tout à fait incohérentes. Voir l’illustration cartographique,
doc. C/64.
Les quelques lieux choisis, parmi bien d’autres, sont : les villages maliens de
Yoro et de Mondoro, les mares de Soum, de Rafnaman et d’In Abao dont les posi-
tions géographiques exactes sont issues de la carte à l’échelle 1/200 000 dressée
en 1960 par le service géographique de l’AOF, l’IGN(F), que le Burkina Faso et
le Mali reconnaissent au plan topographique comme le document le plus précis.
Pour faciliter les comparaisons nous donnerons aux cartes utilisées leur numéro
d’ordre dans la série C des annexes. Par exemple, Tombouctou 1910 = Série C,
annexe no 11, soit C/11.
1. Village de Yoro
Par rapport à la situation du village telle qu’elle est définie par la carte au
1/200 000 de 1960, les documents dressés par les services géographiques de
l’armée, de l’AOF et des colonies ont pu entre 1900 et 1950 situer les villages
respectivement :
— Tombouctou 1910 (C/11) : 12 kilomètres au sud ;
— Tombouctou 1903 (C/6) : 20 kilomètres au sud ;
— Etapes 1900 (C/4) : 12 kilomètres au sud-est ;
— Hombori 1925 (C/24) : 8,5 kilomètres au sud-ouest ;
— Niger et Soudan français 1925 (C/22 et C/23) : 12,8 kilomètres au sud-est ;
— Ouagadougou 1946 (C/36) : 1,5 kilomètres au sud-est ;
— Tombouctou 1932 (C/32) : 1,5 kilomètres au sud-est ;
— Haute-Volta 1950 (C/39) : 1 kilomètre au sud-ouest.
Ainsi, de ce qui précède, il apparaît que de 1900 à 1961 les cartes qui ont
concerné le village de Yoro l’ont déplacé à l’intérieur d’une aire de 132 kilomètres
carrés.
2. Village de Mondoro
Toujours par rapport à la position définie par la carte IGN de 1960, considérée
comme indiquant la position réelle de Mondoro, les trois cartes (C/24, C/27 et
C/26) dressées par le même service géographique de l’AOF en 1925 situent respec-
tivement le village à 11 kilomètres au sud-est, 18 kilomètres au sud-est et 20 kilo-
mètres au sud-est de sa position réelle. Ces trois positions constituent les sommets
d’un triangle de 44 kilomètres carrés.
Les deux cartes dressées par le service géographique du ministère des colonies
en 1910 et 1932 (C/11 et C/32) situent respectivement le village à 5 kilomètres au
nord-est et à 6 kilomètres au nord-est de sa position réelle. Ces deux positions étant
elles-mêmes situées à 3,5 kilomètres l’une de l’autre. La carte éditée en 1903 (C/6)
par le même service géographique des colonies situe le village à 12,6 kilomètres
au sud-est de sa position réelle.
La carte du Gourma (C/5) situe le village à 13 kilomètres au sud-est de sa posi-
tion réelle.
118 DIFFÉREND FRONTALIER [219-221]
La carte éditée en 1946 par l’IGN (C/36) situe le village à 10,5 kilomètres au
sud-est de sa position réelle.
3. Mare de Soum
La position de la mare de Soum, qui se trouve dans une zone de parcours diffi-
cile, semble être donnée pour la première fois par la carte routière de la Haute-
Volta à l’échelle 1/1 000 000 dressée en 1950 (C/39). Elle y est située à 17,5 kilo-
mètres au nord-ouest de sa position réelle.
4. Mare de Rafnaman
Les documents analysés situent respectivement la mare à 45,5 kilomètres au sud-
est (C/4), 26 kilomètres au sud-est (C/6), 32 kilomètres au sud-est (C/7), 4 kilo-
mètres au sud-ouest (C/11), 14,5 kilomètres au sud-est (C/23), 17 kilomètres au
sud-ouest (C/32), 5,5 kilomètres à l’ouest (C/22) et 14 kilomètres au sud-est (C/36)
et enfin 5,4 kilomètres à l’ouest (C/39) de sa position réelle.
Les données ci-dessus permettent de constater entre autres que les positions
1900-1905-1925 et 1932 constituent les sommets d’un quadrilatère dont les côtés
mesurent : 22,5 kilomètres, 42 kilomètres, 19 kilomètres et 50,6 kilomètres.
5. Mare d’In Abao
Les cartes exploitées sont les mêmes que celles utilisées pour la détermination des
positions des lieux précédents. Dressées entre 1905 à 1961, elle ont déplacé la mare à
l’intérieur d’une aire de 228 kilomètres carrés. Les cartes : « Gourma 1/1 000 000 »
(C/5), « Hombori, 1/500 000 » de 1925 (C/24), « Tombouctou 1/2 000 000 » de 1910
(C/11), « le Niger-Moyen du lieutenant Desplagnes 1/1 000 000 » de 1905 (C/7), enfin
« cercle de Hombori, Atlas des cercles » de 1925 (C/27), la situent respectivement à
4,5 kilomètres au sud-est, 4,3 kilomètres au nord-ouest, 16,5 kilomètres au nord-est,
15 kilomètres au nord-est, 4,5 kilomètres au nord-ouest de sa position réelle.
L’ensemble de ces incohérences est illustré par une carte montage que l’on trou-
vera en annexe C/64.
Etant donné tout ce qui a été dit sur la confection des cartes, il est légitime pour
l’analyse du matériau, au point de vue de la position des limites administratives,
d’opérer une distinction selon qu’il s’agit des cartes antérieures à 1956 et celles qui
lui sont postérieures.
Les limites à examiner dans le cadre de cette analyse sont, d’une part, la limite
des cercles de Bandiagara et de Dori, du Haut-Sénégal-et-Niger et, d’autre part, la
limite de la région de Gao, du territoire militaire et du cercle de Dori :
— Limite Bandiagara-Dori : même allure générale que celle figurée sur la carte
précédente.
— Limite Gao-Dori : elle est schématisée par une ligne ayant l’allure générale
de la lettre S déformée et couchée : le premier élément relie la limite orientale de
Bandiagara au début du Béli en tournant sa concavité vers le nord. De ce point le
second élément, dont la concavité est tournée vers le sud, longe le nord du Béli
jusqu’à l’extrémité est du cercle de Dori.
La forme de la limite nord du cercle de Dori est très différente de celle des cartes
qui précèdent. Elle épouse sans doute comme auparavant la ligne générale du Béli
mais, au lieu de passer en son milieu ou de suivre une rive ou de passer alternati-
vement d’une rive à l’autre, le signe de limite est placé de manière très détachée
vers le nord.
L’explication d’un tel changement — à défaut d’une base quelconque — doit
sans doute être trouvée dans une mauvaise interprétation des cartes précédentes. En
accentuant et schématisant le mouvement apparaissant sur certaines cartes précé-
dentes, on a placé sans raison la limite bien au nord du Béli.
En ce qui concerne la portion ouest de la limite, elle est aussi relativement incor-
recte puisqu’elle place dans le cercle de Dori les villages d’Okolou, de Douna et
de Koubo qui relevaient comme le canton de Mondoro du cercle de Bandiagara.
cation sur quelque 115 kilomètres, et enfin passage à 4 ou 5 kilomètres sous Douna
et Mondoro, d’où la frontière rejoint Yoro.
Cette description d’une situation qui est censée être celle existant en 1925 dans
la région ne correspond que de manière très limitée au donné législatif que nous
avons pu relever dans la partie précédente du présent mémoire. Seuls les points
mont N’Gouma et mare d’In Abao apparaissent dans le tracé cartographique ayant
une base légale. Le reste n’en a pas.
Dioulouna, qui, pourtant, on le verra dans la partie suivante, était déjà bien
connu en 1925 comme faisant partie du canton de Mondoro et avait déjà été levé
auparavant, n’apparaît pas sur ce croquis.
On ne possède pas la moindre indication sur les raisons qui ont pu inciter le
service géographique de l’AOF à situer ainsi la limite des cercles et en particulier
à la faire passer par des monts qui n’existent pas en réalité sur le terrain (Tabaka-
rach, Tin Eoult, Ouagou, etc.).
Or, on l’a vu, dans cette région la frontière n’était pas fixée à l’est de la mare
de Kétiouaire. De là, les propositions du gouverneur général de l’AOF en 1936. Au
cours de cette procédure avortée, le gouverneur général devait se rendre compte
de la valeur de la carte de 1925 qui lui avait servi de point de départ puisqu’il écrit
le 12 décembre 1936 ce qui suit :
« [l]e seul document cartographique de la région est actuellement la carte
1/500 000, feuille Ansongo, édition 1925, qui aurait besoin d’une révision
complète » 1
et qui vaut a fortiori pour la feuille de Hombori qui indique comme région non
parcourue la zone qui fait aujourd’hui l’objet du conflit.
Conclusions
Aggravés par de nombreuses confusions d’ordre toponymique, les incohérences
de positions des lieux et limites administratives 3 révélées par l’analyse qui précède,
1
Lettre no 1493 CM 2 du 12 décembre 1936, doc. D/39.
2
Doc. C/64.
3
Ce qui suit illustre ce jugement : la mare de Soum, reportée d’après les données issues
de la carte de 1950 est selon que l’on se réfère au croquis Hombori 1925 (C/24) ou à la carte
du cercle de Hombori 1925 (C/27) située au Soudan ou en Haute-Volta ; la même mare ainsi
que les villages de Douna et Kobou, qui sont effectivement situés au sud de la direction réelle
Mondoro-Rafnaman, se trouvent au nord de la même direction en se référant à la carte au
1/500 000 Hombori 1925 (C/27).
122 DIFFÉREND FRONTALIER [227-229]
ôtent toute valeur topographique aux atlas de cercles et autres croquis de compila-
tion antérieurs à 1956 qui ne relèvent de ce fait que de renseignements douteux.
Après quelques atermoiements l’IGN a finalement admis de manière nette le peu
de fiabilité des indications relatives aux frontières dans les différentes cartes, même
dans celles postérieures à 1956.
L’ingénieur en chef géographe P. Traizet, directeur de l’IGN Dakar, écrivait au
directeur de l’IGN dès le 28 mars 1970 : « le centre ne possède aucun document
précis écrit ou cartographié sur la délimitation de frontière Mali/Haute-Volta » 1.
Dans une note du 27 janvier 1975 sur la mise en place des frontières, l’IGN
explique ce qui suit à propos des cartes antérieures à 1956 :
« Les cartes antérieures à 1956 ont été établies en faisant l’amalgame de
levés de reconnaissance (principalement levés d’itinéraires) et de renseigne-
ments de sources diverses. Leur contenu est très sommaire, leur précision
graphique est très faible, la position de certains détails peut être erronée de
plusieurs kilomètres, certaines zones non parcourues sont laissées en blanc sur
la carte.
Ces cartes sont à l’échelle du 1/500 000 ou du 1/1 000 000.
Les textes définissant les limites administratives ou les limites de territoires
ont été établis le plus souvent en se basant sur ces cartes médiocres, sans
valeur topographique. » 2
A défaut d’indications qui lui sont données de manière officielle, l’IGN n’a pas
qualité pour dire où se trouve une frontière comme il pourrait le dire d’un fleuve,
d’une montagne ou d’un village.
En tenant compte de l’analyse relative à la mise en place des détails faite ci-
dessus, il ressort de cette situation que la quasi-totalité des limites de territoires,
puis d’Etats, portées sur tous les croquis et cartes communs au Mali et à la Haute-
Volta, a une valeur essentiellement indicative.
1
Doc. D/131.
2
Doc. D/134.
[229-231] MÉMOIRE DU MALI 123
1
Note sur la mise en place des frontières du 27 janvier 1975, doc. D/134, transmise par
le directeur de l’IGN le 31 janvier 1975, doc. D/135,
124 DIFFÉREND FRONTALIER [231-233]
Ils auraient dû se rendre compte que certains monts, notamment les monts Tin
Eoult et Tabakarach, par où passe le tracé selon les cartes de 1925, n’existent pas
en réalité comme l’indique à juste titre la carte au 1/200 000 de 1960 et qu’il deve-
nait dès lors insolite de faire passer en ces points une frontière.
L’IGN a ultérieurement admis que les délimitations portées sur les feuilles au
1/200 000 dans la zone contestée n’étaient pas sûres en adoptant tout d’abord, à
partir des réimpressions 1969-1970, une représentation de la frontière par des croi-
sillons discontinus 1.
La portée de cette pratique a été expliquée de la manière suivante par le direc-
teur du centre de l’IGN à Dakar par une lettre du 22 octobre 1969 :
« Lorsque la délimitation des territoires résulte d’accords internationaux ou
relève de textes administratifs officiels indiscutables, la frontière est repré-
sentée par une série continue de croisillons. Au contraire, en l’absence de
textes ou de traités, le tracé n’est que figuratif et résulte des renseignements
divers qui ont pu être recueillis sur place par les opérateurs de l’IGN au cours
de leurs missions de terrain, ou de la compilation des cartes précédemment
publiées ; il est alors représenté par une série de croisillons discontinus expri-
mant par là même sa précarité. » 2
L’IGN, soutenu par le ministère français des affaires étrangères, devait bientôt
tirer les conséquences de tout cela ainsi qu’il apparaît des éléments suivants.
Le 6 novembre 1970, le chef de la septième direction de l’IGN à Paris adresse
au directeur du centre de l’IGN à Dakar une lettre dont le contenu était le suivant :
« En ce qui concerne le litige frontalier entre le Mali et la Haute-Volta, la
situation est la suivante :
Une délégation de la Haute-Volta composée d’un conseiller (français) du
président de la République, d’un lieutenant et d’un conseiller de l’ambassade
de Paris est venue récemment à l’IGN pour prendre connaissance des cartes,
deux jours avant le passage à Paris du président…
Ces messieurs nous ont communiqué leur documentation d’où il ressort qu’à
la suite d’une proposition du gouverneur général de l’AOF (en 1936, je crois), un
commandant de cercle avait demandé que la limite soit étudiée sur le terrain.
Cette étude sur le terrain n’ayant pas été faite à cause de la déclaration de
guerre de 1939, il n’y a pas eu de texte officiel définitif, d’où la seule conclu-
sion, négative d’ailleurs, que la frontière doit être fixée par accord entre les
deux pays et que, en attendant, nos cartes ne peuvent que porter un signe
représentant une frontière incertaine.
La délégation a tout à fait admis ce point de vue. » 3
Le 2 janvier 1975, le ministère français des affaires étrangères, s’adressant au
directeur de l’IGN à Paris, le prie de lui transmettre les cartes au 1/200 000 éditées
par l’IGN et relatives à la zone du conflit et que le Gouvernement français entend
transmettre à la commission de médiation. Le ministre écrit : « Il est bien entendu
que la communication de ces cartes sera assortie des réserves qui s’imposent quant
à l’exactitude du tracé de la frontière. » 4
1
Dans les éditions de 1960, le croisillon était présenté de manière continue de Yoro
jusqu’au point longitude 0° 50′ ouest et latitude 15° nord. De ce point à Fitili de manière
discontinue. Dans les éditions plus récentes, le croisillon est devenu discontinu de Yoro à
Fitili.
2
Doc. D/130.
3
Doc. D/132.
4
Doc. D/133.
[233-235] MÉMOIRE DU MALI 125
Dans ces conditions, le tracé figurant sur la carte ne saurait avoir une valeur
indiscutable que lorsqu’il a été reconnu et admis par chacune des parties inté-
ressées ; il peut constituer, certes, un élément important de décision en cas de
litige, mais d’autres éléments peuvent valablement lui être opposés. C’est
pourquoi les frontières, représentées autrefois par le signe : « limite de terri-
toires », ont été représentées plus tard, lorsqu’elles sont devenues limite
d’Etats, par des traits discontinus dans tous les cas douteux, et que les cartes
ont été retirées de la vente toutes les fois que l’IGN a eu connaissance d’une
contestation de la part de l’une des parties intéressées.
Il n’appartient pas à l’IGN, ni au cartographe d’une façon générale, de
décider du tracé des frontières mais seulement d’appliquer les décisions prises
en accord entre elles par les autorités politiques des différentes parties inté-
ressées. C’est exactement le sens de la résolution adoptée par le séminaire
comme de la mention que je me propose de faire apposer dorénavant sur les
cartes d’Afrique pour bien préciser aux utilisateurs que la carte ne peut à elle
seule faire autorité en matière de frontières, mention que j’ai soumise à votre
approbation par ma lettre no 1340/IGN/C du 27 mai 1975 : « Le tracé des fron-
tières internationales figurant sur cette carte est indicatif et n’a pas de valeur
juridique. »
Le ministre des affaires étrangères par une lettre du 5 septembre 1978 adressée
au directeur général de l’IGN donnait le conseil suivant :
« En outre, pour mettre à couvert la responsabilité de l’IGN dans le tracé
de la frontière, les coupures en cause, quel que soit leur destinataire, devraient
désormais être revêtues d’une formule du style suivant : « le tracé des fron-
tières figurant sur cette carte n’a pas de valeur juridique et ne saurait engager
la responsabilité de l’IGN »1.
Le directeur des programmes de l’IGN donna immédiatement, par une note du
14 septembre 1978, des instructions en ce sens à ses services 2.
Le directeur de l’Institut géographique de la Haute-Volta en fut dûment informé 3.
Section 4. Conclusions
A. Première observation
Le tracé de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso dans la région litigieuse,
tel qu’il figure sur les cartes, et, en particulier sur la plus récente d’entre elles,
pratiquement contemporaine de la date critique (c’est-à-dire la carte IGN de 1960
au 1/200 000), n’a jamais été accepté par la République du Mali ; dès son indé-
pendance, elle en a contesté la validité et l’opposabilité. Sa position n’a jamais
changé depuis.
Elle ne se trouve donc nullement dans une situation analogue à celle, par
exemple, de la Thaïlande, dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar 4 : c’est-à-dire
1
Doc. D/139.
2
Doc. D/140.
3
Doc. D/141.
4
Cf. supra, troisième partie, chapitre I, section 2, B.
[237-239] MÉMOIRE DU MALI 127
Comme on l’a déjà relevé dans la deuxième partie du présent mémoire, ici, elle
était partout chez elle. Aussi, l’enjeu de la délimitation était-il, sinon mineur,
du moins sans commune mesure avec celui qui établit une frontière internatio-
nale.
La nécessité d’une grande précision dans la détermination du tracé de délimita-
tion intracoloniale n’était pas non plus ressentie par l’administration avec la même
acuité, particulièrement dans les régions comme celle du Béli, peu peuplée, pauvre
et, surtout, seulement parcourue par des populations nomades.
On comprend dès lors que le tracé des limites soit, dans cette région, toujours
resté relativement imprécis ou qu’il ait été plusieurs fois soumis à modification.
C’est qu’en l’espèce la délimitation, par définition unilatérale, obéissait à des
considérations non de souveraineté politique, mais, seulement, d’opportunité admi-
nistrative.
C. Troisième observation
Dans l’opinion qu’il exprimait par son mémorandum destiné à la commission
de conciliation de l’OUA, on se souvient que la Haute-Volta entendait tirer argu-
ment du fait que les cartes produites « ont été confectionnées par un service offi-
ciel, en l’occurrence le service géographique de l’AOF » 1.
Le mémorandum 2 insistait sur le fait que les résultats des travaux de ce service
étaient, aux termes de l’article 5 de l’arrêté général du 1er mars 1922 fixant l’or-
ganisation et le fonctionnement du service géographique du gouvernement général
de l’AOF, « divulgués par le Journal officiel » 3 et concluait :
« Les cartes éditées par le service géographique ou toutes celles qui ont été
confectionnées par des éditeurs privés dans les conditions prescrites par les
textes réglementaires … participent de la nature juridique de leur approbation
par l’autorité supérieure compétente. Leur acceptation par le gouverneur
général couvre les vices de forme éventuels. » 4
Ce point de vue procède d’une confusion. S’il est vrai que les cartes émanant
d’un organisme officiel peuvent présenter certaines garanties par rapport à
d’autres documents cartographiques, cette circonstance ne suffit pas comme telle
pour leur conférer un caractère d’opposabilité juridique, particulièrement en ce qui
concerne le tracé d’une délimitation territoriale 5. Comme on l’a suffisamment
illustré dans le premier chapitre de cette partie, il faut encore une autre condi-
tion, absolument essentielle : c’est que cette carte repose sur un texte légal, indi-
quant lui-même les points à partir desquels doit être établie la délimitation et
ait précisément pour objet de transcrire et matérialiser cette dernière, par rapport
à la représentation topographie de la géographie physique propre à la région
concernée. 6
1
Mémoire 1975, doc. A/21, p. 20.
2
Ibid., p. 47.
3
Voir texte du décret, doc. B/28. En fait, le paragraphe de l’article en question a le contenu
suivant : « Les résultats sont divulgués par le Journal officiel et les publications scienti-
fiques. »
4
Mémorandum 1975, p. 47.
5
Sur les réserves de la doctrine à l’égard de la valeur probatoire éventuelle des cartes dites
« officielles », voir Sandifer, op. cit., p. 160 et suiv.
6
Voir affaire de l’Ile de Palmas : « Anyhow, a map affords only an indication — and that
a very indirect one — and, except when annexed to a legal instrument, has not the value of
such an instrument, involving recognition or abandonment of rights » (RSA, II, p. 853-854).
[241-243] MÉMOIRE DU MALI 129
Elle est alors dressée non seulement à partir du texte juridique dont elle trans-
crit les indications, mais aussi en fonction d’un relevé topographique établi sur le
terrain, sur la base desdites indications, pour les besoins de cette transcription
cartographique d’une décision administrative.
D. Quatrième observation
La valeur de la délimitation dépendait finalement du respect du texte.
Or, en l’espèce, on sait qu’en fait de textes procédant à une délimitation il n’en
existe qu’un qui soit pertinent : c’est l’arrêté général 2728 du 27 novembre 1935,
lequel ne concerne d’ailleurs qu’une portion de la zone en litige. Cet arrêté
commence bien, à son article premier, alinéa 1, par indiquer que :
« Les limites des cercles de Bafoulabé, Bamako et Mopti, sont précisées
comme suit et telles qu’elles sont transcrites sur les cartes annexées au présent
arrêté. »
Mais on ignore ce que sont devenues ces cartes et si elles ont été réellement
confectionnées. Elles sont introuvables aux archives du gouvernement général de
l’AOF. Quoi qu’il en soit, cet arrêté ne paraît pas avoir servi de base aux travaux
du service géographique de l’AOF postérieurs à 1935 1.
En l’absence de texte, et à défaut d’établissement d’une démarcation admise par
les Parties, les délimitations apparaissant sur les cartes de l’IGN n’ont — de l’aveu
de ce service lui-même — qu’un caractère indicatif.
Cela ne signifie pas que tout document cartographique doive comme tel être
repoussé, mais il doit chaque fois être examiné de manière critique pour détermi-
ner s’il est fiable et s’il a une valeur probante dans le contexte dans lequel il a été
confectionné.
E. Cinquième observation
On ne saurait conclure cette partie relative aux cartes sans souligner combien la
délimitation reproduite sur les cartes au 1/500 000 de 1925 et dans l’Atlas des
cercles, bien qu’elle ne reposait sur rien, a pu produire des effets pervers.
Ainsi, c’est évidemment en prenant erronément cette ligne comme base de départ
que le gouvernement général fit sa proposition de 1935. Certes, il se rendit compte
de la faiblesse de ce support cartographique et renonça à son projet. Le silence de
certaines autorités des cercles soudanais à l’époque peut aussi s’expliquer en partie
par l’existence de ce document. Les administrateurs ont parfois utilisé dans leur
pratique courante ces fonds de cartes 2. Même s’ils ne les respectaient pas, elles ont
pu quelquefois troubler leur esprit.
F. Sixième observation
Comme l’a bien montré l’IGN, le rôle des cartographes ne peut, dans ce genre
de conflit, qu’être limité. Ils ne peuvent, sans sortir de leur rôle de géographe,
procéder à l’interprétation juridique ou politique des textes. Il leur appartient au
1
Curieusement, les limites de la version du 2 août 1945 de l’arrêté général 2728 du
27 novembre 1935 furent « plus ou moins sommairement dessinées au crayon sur l’album des
cartes à 1/1 000 000 antérieures à 1946 du service géographique de l’AOF ». Voir lettre de
M. Traizet au directeur de l’IGN en date du 28 mars 1970, doc. D/131, et la carte en ques-
tion en doc. C/34.
2
Doc. C/70.
130 DIFFÉREND FRONTALIER [243]
G. Septième observation
Il résulte en tout état de cause de l’examen qui précède du donné cartographique,
que ce dernier n’est pas de nature à déterminer quelle délimitation intracoloniale
fut léguée par la puissance administrante. N’ayant pu jusqu’à présent retenir que
des textes législatifs épars, il convient de se tourner vers la pratique administra-
tive pour rechercher comment dans la vie quotidienne la délimitation était perçue.
[245-247] 131
QUATRIÈME PARTIE
CHAPITRE I
Après avoir procédé à son exégèse pour en assurer une interprétation correcte,
il faut encore le confronter à la réalité, aux faits à régir. En l’occurrence, il s’agit
de tracer sur un sol une limite et donc de traduire dans les faits des noms de
villages ou d’accidents géographiques. La pratique administrative et les coutumes
locales jouent un rôle complémentaire qui permet d’affiner l’application du texte.
Une fois admis le rôle que peut exercer le comportement des autorités admi-
nistratives, encore faut-il essayer de déterminer quelle est sa nature, c’est-à-dire
quels types de comportements seront pertinents pour prouver l’exercice d’une
compétence territoriale, et quelles sont leurs modalités. Comment cette pertinence
s’apprécie-t-elle en fonction des caractères propres de la zone concernée (séden-
taire ou nomade) ?
A. Principe
Les actes qui sont pertinents sont ceux qui par leur nature voient leur exercice
limité territorialement par l’autorité administrative concernée : colonie, cercle,
subdivision. Ce sont les actes attachés à la compétence territoriale : retenons, par
exemple, les actes de police, les tournées sur le territoire du cercle, la juridiction
pénale, l’exécution d’un recouvrement d’impôt, les recensements de population,
l’exercice de travaux publics, etc.
Certains actes ont une valeur probante particulière.
En l’absence d’indications fournies par les textes de délimitation proprement
dits, le rattachement d’un village à un canton ou la détermination des terres qui
en dépendent peuvent être établis à partir des actes juridiques générés par l’activité
administrative des autorités coloniales ou pris en charge par elles.
Les plus importantes de ces sources sont :
— le répertoire des villages ;
— les actes de délimitation du ressort des centres d’état civil et des circonscrip-
tions électorales ;
— les actes établissant la compétence territoriale des juridictions ;
— les actes constatant ou reconnaissant des droits coutumiers.
B. Du répertoire des villages
Le répertoire des villages est un document administratif dont la force probante
est difficilement contestable parce que son élaboration a été faite sous l’autorité et
sur les instructions du gouverneur général de l’AOF.
134 DIFFÉREND FRONTALIER [253-255]
rial. Les arrêtés pris à cet effet donnent également une liste des villages et des
cantons appelés à prendre part à l’élection du corps représentatif du territoire. Il
semble qu’il y ait là une preuve du rattachement administratif des localités citées
à un territoire donné.
A. Principe
L’exercice de compétences territoriales varie en fonction de la nature du terri-
toire sur lequel elle s’exerce.
La Cour de La Haye a eu l’occasion de se prononcer à ce propos au sujet de
l’hypothèse distincte mais voisine d’occupation d’un territoire. Charles De
Visscher, dans son ouvrage précité sur « les effectivités », relate de la manière
suivante la jurisprudence de la Cour :
« Un acte isolé d’appréhension physique ne suffit pas à conférer la souve-
raineté territoriale. Il ne produit cet effet que s’il est suivi d’actes établissant
un contrôle d’une certaine continuité. En d’autres termes, la prise de posses-
136 DIFFÉREND FRONTALIER [257-258]
B. Zone sédentaire
Dans une telle zone, la frontière linéaire, signe de l’exclusivisme territorial et borne
des compétences territoriales, est aisément discernable pour les autorités adminis-
trantes, car il y a adéquation entre le territoire et les populations administrées.
Ici, est adéquate la définition eurocentriste donnée par le doyen Hauriou :
« L’Etat est une corporation sédentaire à base territoriale. » 2
C. Zone nomade
1. Territorialité ou personnalité ?
La situation est tout à fait différente en zone nomade. Ce n’est plus le critère de
la territorialité qui permet d’appréhender les administrés mais celui de la person-
nalité. Le nomade relèvera de sa circonscription d’origine même s’il se trouve
dans une autre circonscription. Mais, dès lors, le simple exercice d’une compé-
tence personnelle à son égard n’est pas signe de compétence territoriale.
Le colonisateur ne s’est pas résigné aisément à cet état de chose. Il a essayé
de diverses manières d’identifier les cercles avec les parcours des nomades et cela
par deux méthodes :
a) En essayant d’établir une adéquation entre la configuration des circons-
criptions territoriales et les populations concernées. Nous avons montré plus haut
que cela a été fait notamment pour le cercle du Gourma qui comprenait « le centre
de Hombori avec la partie de cette résidence située en plaine et habituellement
parcourue par les nomades ». De fait, les tribus du Gourma descendaient jusqu’à
Tin Akoff.
Dans un document du 3 décembre 1912, le lieutenant-colonel commandant de
la région de Tombouctou exposait, à propos des limites des cercles proposées dans
sa région, ce qui suit à propos du cercle du Gourma :
«Limite sud: par sa limite actuelle avec les cercles de Dori et Bandia-
gara. …
Les nomades dépendant de ce cercle sont : toutes les tribus nomades kountas
ou touaregs dont les terrains de parcours se trouvent dans les nouvelles limites
du cercle du Gourma. » 3
1
Charles De Visscher, Les effectivités du droit international public, Paris, Pedone, 1967,
p. 103.
2
M. Hauriou, Principes du droit public, Paris, Sirey, 1916, p. 134.
3
Doc. D/7.
[259-260] MÉMOIRE DU MALI 137
1
Doc. D/53.
2
Doc. D/58.
3
Doc. D/88.
4
Doc. D/101.
5
Rapport politique pour 1953.
6
Journal officiel Soudan, 1919, p. 602. Par un échange de lettres des 26 avril 1950 et
13 mai 1950, le gouverneur de la Haute-Volta et celui du Soudan se mirent d’accord pour
subordonner les autorisations de transhumance à la justification du paiement de l’impôt
(doc. D/86 et D/87).
Voir aussi lettre du gouverneur du Soudan à son homologue de Haute-Volta du 5 mars
1951, doc. D/91, et la réponse du 23 mars 1951, doc. D/94.
[262-264] MÉMOIRE DU MALI 139
1
Doc. D/27. Voir aussi note du 21 mars 1928, doc. D/28.
2
Voir accords cités ci-dessus des 5 décembre 1950 et 17 janvier 1952 et notes des
8 novembre 1920 et 23 novembre 1920, doc. D/88, D/101, D/13 et D/14.
3
Lettre du 20 mars 1950, doc. D/83.
4
Voir par exemple notes du 2 février 1951, 28 juin 1951 et 31 décembre 1952, doc. D/90,
D/96 et D/110.
5
Voir par exemple notes des 23 septembre 1924, 3 septembre 1927, 29 décembre 1927,
9 avril 1950 et 28 juin 1951, doc. D/18, D/26, D/27, D/85 et D/96.
140 DIFFÉREND FRONTALIER [264-266]
1
Lettre du 27 mai 1940 du commandant de cercle de Tombouctou au gouverneur du
Soudan français, doc. D/59.
2
Note du 3 septembre 1927, doc. D/26.
3
Notes des 18, 19 et 28 décembre 1939, doc. D/55, D/56 et D/57.
4
Voir convention de Hombori du 1er mai 1940 et notes des 27 mai 1940, 14 juin 1940,
17 octobre 1940 et 28 novembre 1940, doc. D/58, D/59, D/61, D/62, D/64 et D/65.
5
Ainsi, lorsqu’il s’agissait de nomades voltaïques installés à Fitili et à Foumbalgou
(23 septembre 1924), à Hiersem (6 octobre 1924), Fambalgou (24 juillet 1925 et 22 décembre
1927), doc. D/18, D/19, D/22 et D/27.
6
Ainsi notamment dans les pâturages au sud de Tin Akoff. Voir par exemple note du
8 novembre 1920, doc. D/13 et ci-dessous.
7
Tournée sur le Gourma du 9 au 31 mars 1937, Gao le 5 avril 1937, p. 17, doc. D/43.
[266] MÉMOIRE DU MALI 141
La rareté des visites faites dans les confins est attestée par diverses notes des
administrateurs 1.
Il est normal que, dans ces conditions, au flou de la détermination de la délimi-
tation dans la zone nomade correspondait un flou dans l’exercice du pouvoir.
C’est pourquoi, la notion de confins, qu’a si finement analysée Charles De
Visscher, s’applique si bien à la région de l’Agachar :
« Dans l’ordre terrestre, les gouvernants, au cours des siècles, ont étendu, de
proche en proche, jusqu’à la limite des résistances rencontrées, leurs posses-
sions territoriales, substituant ainsi à des confins de juridiction contestée la
frontière, ligne d’arrêt des compétences étatiques. Tant que le processus
d’aménagement territorial n’a pas été mené à terme, l’action des confins sur
le tracé des frontières s’est poursuivie, travaillant à dessiner les contours de ce
qui, un jour, sera les assises territoriales de l’Etat. » 2
1
Par exemple selon Dori, le 18 décembre 1939 et selon Mopti, le 19 août 1943, doc. D/55
et D/68.
2
Ch. De Visscher, Problèmes de confins en droit international public, op. cit., p. 7.
142 [267-268]
CHAPITRE II
Comme on a pu s’en rendre compte jusqu’à présent, la région contestée peut être
divisée en deux zones : l’une, à propos de laquelle il existe depuis 1935 une déli-
mitation relativement précise, allant du village de Yoro à la mare de Kétiouaire ;
l’autre, qui part de la mare de Kétiouaire pour aboutir aux hauteurs de N’Gouma,
où il n’y a comme référence législative que deux points : mare d’In Abao et
hauteurs de N’Gouma (pour autant que l’on puisse dans ce cas parler de point).
Nous diviserons donc naturellement l’exposé qui suit en fonction de ces deux
zones.
B. Yoro
Le caractère soudanais du village de Yoro n’a jamais été contesté par le Burkina
Faso, ne fût-ce que du fait que les cartes — argument burkinabé — ne laissent
aucun doute à ce sujet.
Ce village était déjà mentionné comme soudanais dans l’état nominatif des
cantons et villages du cercle de Bandiagara du 28 février 1904 1. Il n’apparaît pas
dans l’état nominatif du cercle de Dori de la même date.
L’identification du village sur le terrain ne pose pas non plus de difficultés.
Pour ce qui est de l’extension du village, il existe une série de procès-verbaux
de délimitation accompagnés de croquis très précis effectués à l’époque coloniale
qui permettent d’établir avec certitude la délimitation entre les deux colonies.
Le premier procès-verbal a été fait le 26 juillet 1913 par des représentants des
commandants de cercle de Bandiagara et de Dori en présence des chefs de Yoro
et de Baraboulé ainsi que de plusieurs notables des deux cantons. Ces derniers ont
convenu de faire passer la limite des deux circonscriptions au marigot de Tassonga
se trouvant à égale distance de Yoro (Bandiagara) et de Baraboulé (Dori), soit
16 kilomètres. La limite fut fixée au centre du marigot. Puis il fut convenu d’un
polygone qui serait situé en son entier dans le canton de Yoro. Le tout avec croquis.
De là, les représentants des commandants de cercle se rendirent à Lofou, à
4,750 kilomètres au nord-est de Tassonga et ont reconnu que : « placé à 16 kilo-
mètres à vol d’oiseau de Yoro et à 17 kilomètres de Baraboulé, ce lieu devait aussi
être placé sous le commandement du chef de Yoro » 2.
Un second procès-verbal daté du 31 mars 1944 fut passé entre des représentants
des commandants de cercles de Ouahigouya et de Bandiagara. Il confirme celui
du 26 juillet 1913. Il fut entendu qu’une borne serait posée à Tassonga et Lofou.
Un abornement était aussi prévu au nord de Lofou 3.
Le 14 mai 1964 une délégation du cercle de Djibo (Haute-Volta) et une autre
du cercle de Koro (Mali) se sont rencontrées à Sobanga et après avoir pris connais-
sance des procès-verbaux de juillet 1913 et du 31 mars 1944, décidèrent de se
rendre à Tassonga pour constater et reconnaître l’exactitude des limites préconisées
par les prédécesseurs :
« Un tracé retrouvé dans les archives nous a servi de guide et les points de
repère ont été reconnus exacts.
Il a été décidé que les habitants de Baraboulé cultivant à Lofou (village de
culture appartenant au Mali que les chefs de canton de Baraboulé revendiquent
de vingt ans en vingt ans après chaque règlement) continueraient d’exploiter
les terres en signe de bon voisinage. » 4
La commission paritaire permanente réunie les 29-30 septembre 1969 à
Koulouba décida ce qui suit :
« Concernant la mare de Tassonga, la conférence invite la commission tech-
nique mixte à se baser, pour la détermination de la frontière, sur le procès-
verbal de 1913 issu de la rencontre des commandants de cercle de Bandia-
gara et de Dori. » 5
1
Doc. D/6.
2
Procès-verbal du 26 juillet 1913, doc. D/9. Ce procès-verbal avec croquis à l’appui fut
transmis au commandant de cercle le 28 juillet 1913, doc. D/10.
3
Procès-verbal du 31 mars 1944, doc. D/69. Selon le commandant de cercle de Ouahigouya,
lettre du 29 juin 1944, la limite devrait passer à l’ouest de la mare de Tassonga, doc. D/70.
4
Procès-verbal du 14 mai 1964, doc. A/4.
5
Doc. A/11.
144 DIFFÉREND FRONTALIER [271-272]
C. Orotougna ou Orotoungo
Ici encore, aucune contestation. Orotougna est cité comme malien dans de très
nombreux documents officiels de la période coloniale comme faisant partie du
Soudan français. Cela est incontesté par le Burkina Faso, la limite sur la carte passant
à environ 3 kilomètres à l’est du village. L’identification du village sur le terrain ne
soulève de même aucune difficulté. La seule question qui se pose ici est de déterminer
où se situe la limite des terrains de culture de ce village et de ceux du village du
Burkina qui lui fait face : Doundoubangou, qui se trouve à 11,5 kilomètres à l’est de la
limite cartographique. Il existe une piste Orotougna-Doundoubangou.
D. Dioulouna ou Dionouga
1. L’appartenance de Dioulouna ou Dionouga au Soudan est attestée avec une
remarquable continuité de 1903 à l’indépendance.
Le village de Diulgna est cité parmi les villages du cercle de Bandiagara dans
l’état nominatif du 9 octobre 1903 1 et celui du 28 février 1904 2. Il apparaît sur la
carte du Gourma de 1900 et sous le nom de Dioukouna dans la région du Mondoro
sur la carte du lieutenant Desplagnes de 1905 3.
Le 1er mars 1923, le recensement des villages du canton de Mondoro inclut entre
autres Douna, Dioulouna, Ourotougo 4. Le 20 avril 1923, Dioulouna est inclus dans
la liste alphabétique par cantons et villages du cercle sous le canton de Mondoro 5
avec croquis 6.
A la fin 1924, une affaire de terrains entre Mondoro et Dioulouna est réglée par
le cercle 7. Dioulouna est mentionné au fascicule VIII Soudan français et non au
fascicule IV Haute-Volta du répertoire général des localités de l’AOF, 1927 8.
Un procès-verbal d’enquête fut dressé par le chef de canton de Mondoro le
5 novembre 1928 à propos d’actes d’insoumission de certains éléments à Diou-
louna ou Diounouna lors d’un recensement dans la région qui englobait aussi
Orotongo, Douna, etc. 9
Dans son rapport de tournée des 21 janvier 1929 et 11 février 1929, le chef de
canton de Mondoro signale Dioulouna comme le centre le plus important avec six
cent vingt-neuf habitants 10.
Selon le rapport du chef de poste, un recensement est fait à Dioulouna le 26 juin
1937 11. Un vote y est organisé la même année. L’administration y passe pour les
opérations 12 et dresse à ce propos un croquis de tournée 13. Le canton enregistre
une plainte de ressortissants de Dioulouna en février 1938 14. Une rixe en janvier
1939 entraîne une très longue correspondance entre le gouverneur du Soudan et le
commandant de cercle de Mopti 15.
1
Page 27 sous le no 744.
2
Doc. D/6.
3
Doc. C/5 et C/7.
4
Doc. D/15.
5
Doc. D/16.
6
Doc. C/20.
7
Doc. D/20.
8
Doc. D/23 et D/24.
9
Doc. D/29.
10
Doc. D/30.
11
Doc. D/46.
12
Doc. D/48.
13
Doc. D/48.
14
Doc. D/49.
15
Doc. D/50, D/51, D/52 et D/54.
[272-274] MÉMOIRE DU MALI 145
1
Doc. D/74.
2
Doc. D/76.
3
Doc. D/78.
4
Doc. D/82.
5
Doc. D/82 et D/92.
6
Doc. D/89.
7
Doc. D/100 et D/117.
8
Doc. D/95.
9
Doc. D/97.
10
Doc. D/98.
11
Doc. D/103.
12
Doc. D/104.
13
Doc. D/105.
14
Doc. D/106, D/107 et D/108.
15
Doc. D/109.
16
Doc. D/112 et D/113.
17
Doc. D/120.
18
Doc. D/123 et réponse du 30 septembre 1955, D/123 bis.
19
Doc. D/125.
20
Doc. D/126.
21
Doc. D/127 et pas en Haute-Volta, D/128.
22
Doc. D/129.
23
Elles sont citées aux pages 14 et 15 de la note complémentaire de 1975, doc. A/22.
146 DIFFÉREND FRONTALIER [274-276]
E. Oukoulou et Agoulourou
Ces villages sont cités dans l’arrêté général 2728 du 27 novembre 1935 et
l’arrêté général 2557 du 2 août 1945, dans la séquence entre Dioulouna et
Koubo.
La sous-commission technique a recherché ces points sur le terrain. Dans son
rapport du 14 avril 1972, elle a conclu de la manière suivante.
En ce qui concerne Oukoulou :
« Cette appellation n’existe pas sur la carte. Le hameau ici déterminé en
position sur la demande de la commission technique mixte est Oukoulourou.
La méthode employée est le cheminement expédié à la boussole, avec les
distances mesurées à la chaîne. Le point de départ des opérations est la borne
astronomique située à Selba, hameau se trouvant à 6 kilomètres au sud
d’Oukoulourou.
1
Doc. D/142.
148 DIFFÉREND FRONTALIER [278-279]
1
Doc. A/15 bis.
2
Ibid.
3
Doc. A/15.
4
Doc. C/7.
[279-281] MÉMOIRE DU MALI 149
Il résulte de tout ce qui précède que l’on peut retenir ici comme point frontière
le baobab de Selba situé non loin de la borne astronomique implantée au nord de
la mare de Selba.
F. Koubo
Koubo est le point suivant dans la séquence des arrêtés 2728 et 2557.
Selon le procès-verbal du 17 avril 1972 de la commission technique mixte, les
renseignements suivants ont été recueillis les 8 et 9 avril 1972 :
« Les notables, interrogés, précisent qu’il y a lieu de ne pas confondre
Kobou, village, et Koubo, hameau de culture. Ce dernier est situé à 4 kilo-
mètres environ au sud de Kobou.
Notons que, si la coupure IGN (feuille de Djibo) à l’échelle 1/200 000,
édition 1960, figure le village de Kobou, le hameau de Koubo n’existe pas.
Par contre, il existe, à 4 kilomètres environ au sud, le hameau de Kobou.
La commission a cru devoir déterminer la position de Kobou et de Koubo.
Le village de Kobou existe depuis soixante-neuf ans. Le hameau de culture
du nom de Koubo, situé à environ 4 kilomètres au sud, est issu du village et
aussi vieux que ce dernier ; il y existe un puits foré par les habitants de Kobou,
il y a quatorze ans. Aucun Voltaïque n’y habite.
Le village possède également un campement du nom de Koundiri, au sud
de Koubo, réservé aux vaches laitières.
Koundiri est une région de transhumance faisant partie du « Harima »
(réserve de pâturage) de Kobou. Les éleveurs voltaïques de Tem y viennent en
saison froide, sans autorisation en raison de la bonne entente qui règne entre
eux et ceux de Kobou, dont ils utilisent d’ailleurs les parcs pour la garde de
leurs troupeaux.
La limite avec la Haute-Volta est Tondigaria, au sud de Koundiri. »1
De son côté, la sous-commission technique a procédé aux recherches suivantes :
« a) Village de Koubo :
Appellation inexistante sur la carte ? Pour la détermination du hameau
désigné par les habitants pour Koubo, la méthode employée est aussi celle du
cheminement expédié à la boussole avec la mesure des distances effectuées à
la chaîne. Le point de départ du cheminement est une borne de nivellement
IGN située à 250 mètres environ au nord-est du village de Kobou.
Le résultat des travaux fait ressortir que l’emplacement de Koubo ainsi
déterminé correspond à celui du hameau figurant sur la carte sous l’appella-
tion de Kobo défini par les coordonnées géographiques suivantes :
Longitude 11° 31′ 24ʺ ouest
Latitude 14° 41′ 42ʺ
b) Village de Kobou :
A la demande de la commission, l’emplacement de Kobou a été défini de
passage lors des opérations de détermination de Koubo. Le résultat donne les
coordonnées géographiques suivantes :
Longitude 11° 30′ 07ʺ ouest
Latitude 14° 43′ 15ʺ. » 2
1
Doc. A/15.
2
Doc. A/15 bis.
150 DIFFÉREND FRONTALIER [281-283]
La tradition orale dans les villages et les nomades de la région confirment que
la frontière, dans cette zone où les sédentaires sont de plus en plus clairsemés, est
le Tondigaria. Le Tondigaria est un affleurement de pierres blanches, très caracté-
ristiques, qui disparaît à certains endroits mais reparaît plus loin. Il s’étend d’un
point situé sous Yierté (305 mètres de hauteur) vers le nord-est et passe aux points
suivants : Tondigaria, Fourfaré Tiaiga, Fourfaré Wandé, Gariol pour aboutir à
Gountouré Kiri au sud-est de la mare de Soum.
1
Doc. A/15 bis.
[283-285] MÉMOIRE DU MALI 151
a) Du côté voltaïque :
Il n’existe dans le secteur aucune mare du nom de Kétiouaire. Les seules
mares connues sont : Soum, Ampassé, Lahorde, Gountouré-Malfa, Tin-Orfa,
Béli-Bendiri, Dantchadé, Kéréboulé, Kourfâdié, Manaboulé, Gaskindé, Oka,
Goundé, Béli-Baba, Gorol-Daké, Simbango, Gountouré-Kiri, Béli-Gonadé,
Kouna, Toussougou, Banté, Diayé, Oulé, Téléhoye, Arayel, Bogo-Lenga, Féto-
Bassi, Dessy, Toboulé.
Toutes ces mares sont voltaïques. La mare de Manaboulé est située aux
pieds des collines du même nom.
S’agissant du mot Kétiouaire, il nous a été précisé qu’il n’a pas de sens en
peulh, mais, décomposé et prononcé d’une certaine manière, il pourrait signi-
fier une dépression (Tiékou-Wari) creusée de main d’hommes et recevant les
eaux d’un monticule de gravillons.
b) Du côté malien :
Il existe bien une mare du nom de Kétiouaire en peulh située au pied des
hauteurs de Manaboulé.
Cette mare s’appelle en tamacheck « Tabangawtt-Tin-Tahouu » (mare des
pierres) ou encore « Tin-Bossosso » (le lieu du tamarinier).
Les collines de Manaboulé constituent la limite entre le Mali et la Haute-
Volta. Tout Voltaïque qui les traversait payait une redevance au Kel-Gossi
(Mali).
A Gaskindé : (RHV) environ 8 kilomètres au sud de Manaboulé, la popula-
tion a déclaré :
Gaskindé est à la fois un campement nomade et un hameau de culture érigé
en village depuis 1968. Il possède des champs au nord de Manaboulé, Goun-
touré-Malfa et Tin-Ala.
Il n’existe pas de mare du nom de Kétiouaire dans le secteur. Toussougou
fait partie du canton de Djibo.
La mare située aux pieds des collines de Manaboulé s’appelle Manaboulé.
Nota : A Gorom-Gorom, la commission a enregistré, s’agissant de
Kétiouaire, la signification suivante :
— Tiékou-Waïré (mare aux gravillons) ;
— Tiékou-Wari (monticule aux gravillons).
Elle a en outre enregistré que « Bouli » en mossi signifie mare creusée de
mains d’hommes.
Toujours à la recherche du sens du mot Kétiouaire, les populations interro-
gées ignorent l’existence d’une mare du nom de Kébanaire, autre nom de la
mare dans la lettre no A/1068 du 3 juin 1935 du gouverneur du Soudan fran-
çais adressée au gouverneur général de l’AOF en réponse à sa lettre no 191
CM 2 du 19 février 1935. » 1
De tout cela, on retiendra surtout que les populations intéressées de part et
d’autre de la frontière ignorent ce que peut être cette mare.
Il paraît à la Partie malienne qu’il faut reprendre les choses à zéro et rechercher
quelle mare ou quelle mare fossile était visée par ce nom.
A cet effet, une autre méthode est suggérée : essayer de situer cette mare mystère
par un faisceau d’indices. Ceux-ci nous paraissent être les suivants :
1) Un premier indice est donné par l’arrêté 2728 qui donne ce point comme
1
Doc. A/15.
152 DIFFÉREND FRONTALIER [285-287]
1
Doc. D/36. La proposition du commandant de cercle de Mopti datait du 19 mars 1935,
doc. D/34.
2
Voir tous ces textes dans doc. B/32, B/37, B/42 et illustration cartographique, doc. C/33.
3
Doc. C/31.
[287-289] MÉMOIRE DU MALI 153
On peut conclure incidemment de cette sous-section qu’il est prouvé que les
principaux villages cités par l’arrêté 2728 étaient traditionnellement maliens et que
cet arrêté n’a donc aucun caractère novateur.
1
Il s’agit de la mare Tin Arkachen visible sur les cartes C/50 et C/50 bis.
2
Doc. D/2.
154 DIFFÉREND FRONTALIER [289-291]
1
Doc. D/4.
2
Doc. D/5.
3
Cité par le mémoire Haute-Volta 1975, p. 8 et p. 43, doc. A/21.
4
Doc. D/7.
5
Doc. D/8.
6
François de Coutouly, « Les populations du cercle de Dori », Bulletin du comité d’études
historiques et scientifiques de l’AOF, no 3, juillet-septembre 1923, p. 475-477.
[291-292] MÉMOIRE DU MALI 155
1
Doc. D/17.
2
Doc. D/37.
3
Doc. D/80. La proposition du 8 mars 1937 concernait la limite des cercles de Gao et de
Tombouctou et non avec Dori (voir doc. D/41).
4
Rapport fin de campagne 1952-1953 au Soudan par M. Defossez, d’octobre 1953, passim,
doc. D/111. Rapport de fin de campagne 1953-1954, passim, doc. D/116. Rapport annuel sur
l’activité du service géologique.
156 DIFFÉREND FRONTALIER [293-294]
Les confins sont mal connus des cercles. Les résidents ne s’y intéressent qu’en
de rares occasions lorsqu’ils doivent surveiller les nomades. Néanmoins des actes
peuvent être recensés montrant que le chapelet des mares a fait à des degrés divers
l’objet d’attentions des administrateurs de la rive nord.
C. Mare de Fadar-Fadar
Une lettre du 18 décembre 1939 du commandant de cercle de Dori expose qu’il
a parcouru une notable partie du sud de la subdivision de Gourma-Rharous pour
voir s’il y avait des indigènes de Dori en situation irrégulière. Il a ainsi suivi le
chemin suivant : Tin Akoff, In Abao, Fadar-Fadar, Beibanga.
Incidemment, il note : « Cette tournée n’a d’ailleurs pas été inutile puisqu’elle
m’a permis de parcourir une région qui n’a pas été visitée depuis de très longues
années. » 3
Selon le tableau récapitulatif des tribus du 25 août 1945, il apparaît que les Kel
Gossi sont en hivernage à Fadar-Fadar 4.
Un rapport de décembre 1949 rédigé par l’agent de l’hydraulique du cercle de
Gourma-Rharous sur les possibilités hydrauliques du Gourma dans la subdivision
de Rharous cite la mare Fadar-Fadar au sud-est 5.
Par une lettre du 10 avril 1950, le commandant de cercle de Dori se plaint de
l’arrivée de Bellahs dans sa circonscription du fait de l’absence d’eau dans les
mares, notamment Fadar-Fadar 6.
Les rapports Defossez de 1952-1953 et de 1953-1954 traitent de Fadar-Fadar
dans l’étude géologique du Soudan français 7.
L’endroit est mentionné par les administrateurs des cercles du nord à l’occasion
des patrouilles qui longent le marigot. Les Kel Gossi y nomadisent toute l’année 1.
La sous-commission technique mixte a fait à son propos les constatations
suivantes :
« V. Mare d’In Abao
Cette appellation ne figure pas sur la carte. Selon les indications sur le
terrain, cette mare est située sur le cours du Béli entre la mare d’In Kacham
à l’est, la mare d’In Amanam à l’ouest et la mare de Tin Abao au nord.
La méthode employée pour sa définition est celle du « point lancé », par
détermination de sa direction et de sa distance à partir d’un gros arbre repère
sur la carte. Le résultat des opérations donne les coordonnées géographiques
suivantes :
Longitude 10° 20′ 40ʺ ouest
Latitude 14° 59′ 27ʺ. » 2
Quant à la commission technique mixte, elle s’est bornée à noter que la mare
était à sec 3.
C’est donc bien parce que les Bellahs se sont installés dans les riches pâturages
au sud du marigot que se pose le problème.
D’ailleurs les tournées du résident d’Ansongo vers le sud passaient par Tin
Akoff 1.
Dans son rapport de tournée du mois de janvier 1951, le commandant-chef de
la subdivision d’Ansongo écrivait : « Les sept tentes ichagamine sont en effet à Tin
Akoff, à la limite même des deux cercles de Dori et Gao. » 2
Le 23 mai 1954, par une convention 4/1954 la subdivision de Gourma-Rharous
reconnaît des droits d’usage à la mare de Tin Akoff 3.
Lors de sa tournée du 1er avril 1955, le chef de subdivision d’Ansongo passe
par Tin Akoff. Le but de sa tournée était de « constater l’état des mares » 4.
Dans une note du 10 janvier 1956 sur la nomadisation des Kel Gossi, le chef
de la subdivision de Gao mentionne la nomadisation d’éléments de la tribu à Tin
Akoff sans donner l’impression qu’ils aient pour autant quitté sa circonscription 5.
Comme on l’a signalé déjà plus haut, les rapports de fin de campagne 1952-1953
et 1953-1954 du géologue M. Defossez au Soudan incluent Tin Akoff 6.
1
Voir notamment les lettres du 18 décembre 1939, 19 décembre 1939, 28 novembre 1940,
2 février 1951, 1er avril 1955, doc. D/56, D/57, D/65, D/90 et D/122.
2
Doc. D/90.
3
Doc. D/119.
4
Doc. D/122.
5
Doc. D/124.
6
Doc. D/111 et 116.
7
Doc. D/17.
8
Doc. D/31 ; même information le 13 mars 1941, doc. D/67 ; et le 2 septembre 1948,
doc. D/75.
9
Doc. D/38.
10
Voir ainsi rapport du 28 novembre 1940, doc. D/65 ; du 13 mars 1941, doc. D/67 ; du
2 septembre 1948, doc. D/75 ; du 31 décembre 1952, doc. D/110 ; de février 1954, doc.
D/118 ; et du 1er avril 1955, doc. D/122.
11
Avec croquis, doc. C/72 et D/75.
[298-300] MÉMOIRE DU MALI 159
une étude sur les travaux de piste à effectuer sur le tronçon Ansongo-Kabia le
14 juin 1940 1 et fait savoir à la même date au gouverneur du Niger qu’après cette
étude il lui fera connaître s’il lui est possible d’entreprendre l’aménagement de
cette piste « sur territoire Soudan » 2.
Après avoir cherché où était Kabia 3, qui ne se trouvait pas sur les cartes, le
nouveau chef de la subdivision d’Ansongo, dans son rapport de tournée du 13 mars
1941, rapporte les éléments suivants :
« Piste Ansongo-Kabia (référence T/L no 487/APA/2 du 24 janvier 1941)
A son passage à Gao, M. l’administrateur-adjoint Robard a donné les rensei-
gnements qui manquaient au sujet de cette piste. Kabia est un gué situé entre
les mares de Oulde et de Youmbam, sur le territoire du Niger. Ce lieu est
communément appelé Diba par les nomades du Gourma. D’autre part, comme
il était question de la création d’une piste, à la suite d’une liaison où étaient
représentés les cercles de Gao, Tombouctou et Dori, mes investigations
avaient porté surtout dans la région d’In Abao qui intéresse les trois cercles.
Tandis qu’il s’agit d’une piste qui n’intéresse que Gao et Dori. Or, cette
piste existe déjà et est appelée piste du Gourma. Elle a été créée en 1934. Elle
part de Lellehoï sur le Gourma, passe par les mares de Fambalgou, Tessi,
Galiguel, Fitili et aboutit au gué de Kabia.
Cette piste a été utilisée deux fois : la première fois le 23 juillet 1934 par
M. l’administrateur Toby, commandant le cercle de Gao ; la deuxième fois, par
le même, le 8 mars 1936, jusqu’à Tessi seulement.
Chaque fois, il a fallu faire descendre un bac de Gao à Ansongo.
Du fait qu’elle n’était utilisée que très rarement et qu’Ansongo n’a pas de
bac, elle n’a pas été régulièrement entretenue.
J’en ai suivi tout le tracé ; il s’agit là d’une piste utilisable uniquement en
saison sèche, après divers aménagements pour la rendre praticable sans diffi-
cultés….
Tronçon Tessi-Kabia
Trois longs passages de dunes où il faudra faire des apports de terre sur
1,5 kilomètre au total.
La portion Fitili-Kabia est très ravinée et demandera d’assez importants
apports de pierre et de terre que l’on trouvera toujours à proximité.
En dehors de ces travaux, il n’y a que du petit débroussaillement à faire.
Le balisage s’impose à peu près tout le long.
Je compte qu’il faudra employer cent cinquante manœuvres durant un mois
pour en faire une piste dans le genre de celle d’Ansongo-Menaka.
Toutefois, je ne suis d’avis de faire ce travail qu’au mois de novembre
prochain. » 4
Le rapport se poursuit par les évaluations budgétaires de ce travail.
Des travaux de balisage de la piste jusqu’à Kabia ont encore été prévus en
1955 5.
Le gué de Kabia apparaît également comme point frontière entre le Niger et la
Haute-Volta. Si la frontière entre le Soudan et la Haute-Volta passait également, à
1
N° 3789/APA/2 du 14 juin 1940, doc. D/61.
2
N° 615/APA/2 du 14 juin 1940, doc. D/63.
3
Lettre du 8 janvier 1941, doc. D/66.
4
Doc. D/67.
5
Rapport du 22 au 25 février 1955, doc. D/121.
[302-304] MÉMOIRE DU MALI 161
l’époque coloniale, au gué de Kabia, ceci signifie que c’est Kabia qui est vérita-
blement le point triple entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali et non le mont
N’Gouma. Cela, on va le voir, n’est pas fondamentalement contredit par les diffi-
cultés que soulèvent les hauteurs de N’Gouma.
vrai par l’erratum du 5 octobre 1927 qui fixe le vocable à des « hauteurs de
N’Gouma », s’ajoute une imprécision sur sa situation exacte.
La carte au 1/200 000 de 1960 place l’indication « Ngouma » au sud-est du gué
de Kabia et non au nord de celui-ci, la frontière entre le Mali et la Haute-Volta
étant elle-même placée encore plus au nord à la mare de Fitili qui est présentée
comme point triple.
La sous-commission technique dans son rapport du 14 avril 1972 s’est pronon-
cée de la manière suivante sur ce point :
« Hauteurs de N’Gouma
Il existe sur la carte des sommets qui portent ce nom ; mais les coordon-
nées de ces hauteurs n’ont pu être déterminées faute d’entente, entre les
membres de la commission, sur les monts qui le portent. » 1
La question fut reprise le 16 avril par la commission technique mixte et un
procès-verbal fait état des débats suivants que nous reproduisons in extenso 2 :
« La partie malienne suggère que, simultanément à la rédaction du rapport
des travaux de la commission, il soit procédé à la détermination des coordon-
nées géographiques des hauteurs de N’Gouma, tâche laissée en suspens
lorsque la commission s’était trouvée sur le terrain.
La partie voltaïque estime, quant à elle, que ce travail doit être différé en
attendant que des renseignements sûrs permettent de situer exactement ces
hauteurs sur le terrain. Elle suggère, pour ce faire, que les autorités voltaïques
et maliennes y associent le Gouvernement nigérien que les hauteurs de
N’Gouma intéressent également.
La partie malienne pense que la participation nigérienne est toujours
possible dans le cas d’un désaccord entre les autorités maliennes et voltaïques.
Elle retient, comme hauteurs de N’Gouma, les monts qu’elle a constatés sur
le terrain à l’est du gué de Kabia déjà déterminé, et souhaiterait donc que les
coordonnées géographiques de ces hauteurs soient définies. Elle demande à
la partie voltaïque, si elle conteste ces hauteurs, de faire déterminer les coor-
données géographiques de celles qui ont été indiquées et qu’elle les considère
comme étant celles de N’Gouma.
La partie malienne n’est pas opposée non plus à ce que l’on détermine
également les coordonnées de toutes les autres hauteurs dont on constate
l’existence sur les lieux si, de l’avis de la partie voltaïque, ces hauteurs consti-
tuent celles de N’Gouma. Le souci de la partie malienne est de renseigner au
maximum la commission paritaire permanente.
La partie voltaïque conteste les hauteurs considérées par la partie malienne
comme étant celles de N’Gouma. En effet, la partie malienne situe les
hauteurs de N’Gouma à l’est du gué de Kabia. Or, en nous référant à l’arrêté
général no 1201 du 24 septembre 1927 fixant les limites des colonies de la
Haute-Volta et du Niger, nous constatons que les hauteurs de N’Gouma sont
plutôt situées au nord du gué de Kabia.
La partie voltaïque insiste en conséquence pour que des investigations supplé-
mentaires soient entreprises afin de permettre de situer exactement ces hauteurs
sur le terrain. Par ailleurs, si c’est l’ensemble des monts autour de Kabia qui
s’appelle hauteurs de N’Gouma on ne peut retenir que le sommet le plus élevé.
La partie malienne relève tout d’abord que l’arrêté invoqué est plutôt celui
du 31 août 1927, ensuite que l’erratum de cet arrêté du 5 octobre 1927 est
intervenu précisément pour mettre en cause le libellé du paragraphe cité.
1
Doc. A/15 bis.
2
Doc. A/15 ter.
[306-308] MÉMOIRE DU MALI 163
1
Mémoire de 1975, doc. A/21, p. 25.
164 DIFFÉREND FRONTALIER [308-309]
1
Rapport, doc. A/25, p. 14.
2
Doc. C/7.
3
Doc. C/8.
4
Doc. C/10.
5
Doc. C/24.
6
Doc. C/30.
7
Doc. C/23.
8
Doc. C/59.
9
Doc. C/60.
10
Doc. C/61.
[309-311] MÉMOIRE DU MALI 165
CONCLUSIONS