La Mère Marie de Jésus (... ) Dominicali Louis Bpt6k6583157p

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La Mère Marie de Jésus :

Deluil-Martiny

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Dominicali, Louis (le P ). La Mère Marie de Jésus : Deluil-Martiny.
1917.

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LA
MÈREMARIE DEJÉSUS
DELUIL-MARTINY
FONDATRICE DE LA SOCIÉTÉ

DES FILLES DU CŒUR DE JÉSUS


ET SON ŒUVRE

o!)¡',.,,., lUnm regnarc.. ','


Il faut (|iiele Coeur deJESUS récrie.

u%,re
l'uter ¡{WII",'

SEPTIÈMEEDITION

1Q17.
LA SERVANTE DE DIEU
MÈRE MARIE DE JÉSUS
or

DELUIL-MARTINY
Fondatrice de la Société des Filles
t
du Cœur de Jésus

1841 - MARSEILLE 1884

Propr. réservée Importé d'Italie


PRIÈRE
POUR DEMANDER LA BÉATIFICATION
DELA
MÈRE MARIE DE JÉSUS

0 Jésus, Pontife éternel, au nom de votre


Sang divin répandu sur le Calvaire, au nom
des larmes de Marie, Mère des Douleurs, pro-
tégez le Souverain Pontife, répandez une
nouvelle effusion de grâces dans les âmes
de vos Prêtres, rendez vains les efforts des
sectes, et faites que la Sainte Hglise triomphe
de tous ses ennemis.
C'est dans ce but que la Mère Marie de
Jésus, Deluil-Martiny, après s'être sacrifiée
pendant sa vie, versa son sang en tombant
victime d'un impie sectaire et anarchiste.
Cœur de Jésus, daignez écouter nos sup-
plications et Vous glorifier Vous-même en
glorifiant votre humble servante, daignez
faire sentir de plus en plus à ceux qui l'in-
voquent sa particulière protection et nous
accorder les miracles que la Sainte Eglise
réclame pour la béatification de ses enfants.
Pater, Ave, (ilorta.

IMPRIMATUR:
ln Curia Arch.. Mediolani, die i Aprills 19*4
Can. M. CAVEZZALI. Pro Vie. Gen.
LA
MÈRE MARIE DE JÉSUS
DELUIL-MARTINY
FONDATRICE DE LA SOCIÉTÉ

DES FILLES DU CŒUR DE JÉSUS


ET SON ŒUVRE
Oportel llLum
Il
regnare.
faut que le Cœur de JÉSUS règne.
Pater dimirte.
Pour l'Œuvre!

Septième Edition

1917.

Toui droits réservés.


APPROBATION DE LA PREMIÈRE ÉDITION

Nous autorisons bien volontiers l'impression de la


Notice sur la Mère Marie de Jésus et sur VŒuvre
- qu'elle a fondée.
Les lecteurs y trouveront dr grands sujets d'édifi-
cation et de nouveaux motifs de confiance dans la
dévotion au Cœur adorable de fésus..
Marseille, le 2 juillet 1886.
en la fête du Sacré-Cœur.
t LOUIS, évêque de Marseille

APPROBATION DE LA TROISIÈME ÉDITION

En autorisant la réimpression du présent opuscule,


Nousfaisons des vœux pour qu'il se répande, car il
est de nature à faire apprécier et estimer davantage
La dévotion au Sacri-Ca ur de fésus.
Toarnay, le 28 septembre 1907.
t C G., évêque de Tournay.

IMPRIMATUR.
Ad S. Gallum,die 8. Augusti 1917.
Ex mandato
Revnû ac Jllmi D. Episcopi:
A. Maller, Offic. Ep.
Cette nottce sur la Mère MARIE DE JÉSUS ne
contintd'abord, dans la j>remièret:dition,quequelcjues
pagessur lavénéréefondatricedesFilles du
Cœrcrde
JÉSUS. Le R. P. A. MONNIN, S. J., les avaitécrites
et
avec une pieuse délicatesse untalentauxquelsnous
rendrons toujours un hommage reçutinaissant.
Toutefois, ce n'était que l'ébauche d'un travail
qu'une mort prématurée est venue interrompre Il
faillait donc, avec les années, revoir et compléter.
C'est à la suite de M. le chanoine L. Laplaca, dans
son f/uvre splendide à tous égards *LA MÈRE
MARIE DE JÉSUS DELUIL-MARTINY., que nousavons
refait. en troisièmeédition, ce modeste opuscule.
Nous recommandons tris vivement à taus ceux
denos lecteurs qui en auraient le
goût et les loisirs,
de lire l'ouvrage complet du chanoine Laplace 1

Il ne manquera pas de les intéresser en les éaijiant.


Il a été /¡onoy,' des approbations suivantes:

Lettre de S. E. le Cardinal MERRY DEL VAL,


RAMPOLLA,
C. MAZZELLA,

„BOURRET,
S. G. MIL: PArchev.
GOOSSENS,

de Turin,

)
S. G. Mrg Evoque de Marseille,
de Belley.
Il

1)
l'
chez
Vie" et Lettres
,, 66 „ de M.Marie de JÉSUS, 2 vol. à
3 fra, Castermin Bonaparte, Paris et P. Letliicllcux
i
10, Rue Case te, Paris.
— rue
MÈRE MARIE DE JÉSUS
DELUIL-MARTINY
FONDATRICE DE LA SOCIÉTÉ
DES FILLES DU CŒUR DE JÉSUS
ET SON ŒUVRE

!
«Quelle blessure au cœur que ces triomphes
de l'impiété et de la secte J'en suis navrée.
C'est pour réparer de tels outrages que nous
sommes nées. Que ne puis-je les laver de mon
sang !..
(Lettre de ,'a R. M. Marie de JÉSUS à une

; ;
de ses amies, 10.janvier 1883.)
«O Agneau du Père céleste, acceptez-nous
comme vos agneaux
Pimmolation
marquez-nous pour
unissez-nous a Vous sur la
CROIX et sur l'AUTEL formez nos cœurs
selon votre Cœur victime..
(Circulaire de la R. M. Marie de JÉSUS
à sesfiUes, 8 décembre 1882.

1 I.

ins l'après-midi du 27 février 1884, le


bruit d'un crime horrible se répan-
dait à Marseille et plongeait cette
ville dans la stupeur. On apprenait
que la fondatrice de la Servianne, Mère Marie
de Jésus Deluil-Martiny et son Assistante
venaient d'être assassinées.
Voici, fidèlement reproduits par celle des
deux victimes qui a survécu à la catastrophe,
les principaux détails de cet odieux attentat.
La veille du mercredi des Cendres avait été
une journée de prière et de réparation. Avant
l'exercice du soir, la Mère Supérieure avait fait
à ses chères filles ses recommandations pour
le temps du Carême, leur donnant comme
pratique le silence et la pureté d'intention.
La matinée qui suivit s'écoula dans le
recueillement, ainsi que le comportait la sain-
teté du jour.
A onze heures, l'Assistante avait coutume de
faire un tour dans la serre et d'y cueillir des
fleurs pour l'autel; ce jour-là, Dieu permit
qu'elle n'y fût pas. On frémit, dit-elle, à la
pensée de ce qui pouvait arriver; car l'assassin
était là, en embuscade depuis le matin, touil
fait à l'aise pour commettre son crime; impos-
sible d'appeler au secours, de se faire entendre
de personne. Ne me voyant pas paraître à
l'heure du dîner, la Communauté, la pauvre
Mère en tête, m'aurait cherchée et, dans cette
souricièrc de la serre, le misérable pouvait
tranquillement assassiner, l'une après l'autre,
toutes celles de nos sœurs qui se seraient pré-
sentées. Notre malheur, déjà si grand, pouvait
l'être encore plus.
«A midi, je me rendis chez notre Mère
bien-aimée et la trouvai occupée à un travail
d'écriture qu'elle était pressée d'achever.
--J'espère, me dit-elle, que vous serez contente
de moi: je vais avoir fini ce soir.» «Je l'em-
brassai avec une tendre effusion, je n'ose
pas dire, quoique ce soit bien vrai, avec
une inexprimable angoisse qui ne m'a plus
quittée jusqu'au moment fatal. Avais-je le
pressentiment que cette étreinte serait la
dernière?
commence un récit palpitant auquel nous
Ici
nous reprocherions de changer un seul mot.
1
Au bout du jardin de la Servianne, sur le
penchant d'un côteau dominant la prairie, est
un bouquet de pins où nos sœurs avaient
coutume de prendre la récréation du milieu du
jour, tantôt assises en rond, autour de leur
Supérieure, tantôt parcourant avec elle les
sentiers du bois.
vil était un peu plus d'une heure; il souf-
flait alors un vent frais qui nous obligea de
descendre le long d'une grande allée, tracée en
corniche au-dessous d'un bois de pins, pour
nous abriter pendant l'hiver. Nous avions
monté et descendu deux fois cette allée, nous
faisions face à la maison, éloignées d'elle de
trois à quatre cents mètres, lorsque, tout à
coup, notre Mère dit: «Ah! il y a un homme
!
là, dans la PÎllt\Il' Je n'y fis pas grande
attention, mais quand une des nôtres reprit:
«C'est Louis!», je me retournai vivement et
je le vis, en effet, venant à nous. Il avait la
main droite dans la poche de sa veste et, sur
sa figure blême, un sourire diabolique. J'eus
l'idée qu'il allait faire un mauvais coup, peut-
être se tuer devant nous. IlEh bien! Louis,dit
avec bonté notre vénérée Mère, quand il fut
à portée de l'entendre, avez-vous une place?
Il ne faut pas vous décourager; vous finirez
bien par trouver quelque chose.» Il répon-
dit par une sorte de grognement sourd et inin-
telligible, sans même prendre la peine d'ôter
son chapeau, ce qui me confirma dans ma
sinistre pensée.
eAu même instant, s'aidant de la main gau-
che, il descendit avec précaution le talus qui
;
nous séparait de lui et, en un clin-d'œil, avant
même qu'il me fût possible de faire un mouve-
ment, il saisit notre pauvre Mère par la tête et,
;
à bout portant, appuyant le canon de son arme
sur la veine carotide, il fit feu deux fois puis,
lâchant sa victime, sûrqu'elle n'en échapperait
pas, il se précipite sur moi, prompt comme
l'éclair, et décharge trois fois son revolver. Je
me souviens que, par un geste automatique, je
détournai son bras et, voulant défendre ma
Mère, c'est moi que je défendais. Ceci se passa
en moins de temps que je ne mets à l'écrire.
Les cinq détonations furent à peine entendues,
et c'est à mes cris, à une plainte étouffée
de notre Mère, que les sœurs, qui marchaient
devant nous, se retournèrent »
Quel spectacle s'offrit à leurs yeux! La
Mère Marie de Jésus, sans voile, la tête dans
ses mains; la Mère assistante, les vêtements
en désordre, criant et se débattant contre le
meurtrier qui l'étreignait d'une main, tandis
que, de l'autre, il la frappait à coups ré-
doublés et lui pétrissait le crâne avec la
crosse de son pistolet.
Les sœurs alors de s'élancer toutes à la fois
et de se jeter entre l'assassin et ses victimes;
mais lui, l'œil en feu, l'écume à la bouche, les
cheveux en broussailles, ressemblant plus à
un démon qu'à un homme, essayait de les tenir
à distance avec son arme, jusqu'à ce que, serré
de près et voyant qu'on appelait au secours,
il s'éloigna de quelques pas dans le ravin,
s'arrêtant et se retournant comme pour con-
templer son ouvrage et, peut-être, pour
l'achever, si l'arrivée d'un bûcheron, qui
travaillait dans le voisinage et qui accourait
aux cris d'alarme poussés par la Com-
munauté, ne l'eût mis en fuite.
Cependant, la pauvre Mère, soutenue par
deux de ses filles, avait d'abord fait quelques
pas, puis n'avait pas tardé de s'affaisser,
rendant des flots de sang par la bouche
et par le nez, et prononçant d'une voix
rauque, qui allait s'affaiblissant, des sons
inarticulés, à travers lesquels on pouvait
saisir ces mots: Je lui pardonne! Pour
J'Œuvre! Pour l'ŒuvreU
II.

i 1
me semblait, dit la Mère Assistante,
que j'étais étourdie, mais non blessée,
et à celles qui s'empressaient autour de
,
moi, je disais d'aller près de notre Mère,
que j'avais vue tomber sur le bord du
chemin. C'est par une permission du Ciel
et pour ne pas troubler ses derniers mo-
ments, que le bon Dieu m'a éloignée d'elle
à cette heure suprême. Quand je la vis
entourée des sœurs plus fortes que moi,
je dirigeai mes pas chancelants vers la mai-
son, en continuant d'appeler au secours.
e-Des paysans accouraient de tous côtés

on devine dans quelle émotion ;


et, avec eux, notre aumônier, le P. Calage,
il vint à
moi et me donna l'absolution, puis il se hâta
vers notre Mère, qui était étendue à quelques
pas de là, baignée dans son sang, ayant
encore sa connaissance, mais ne parlant
plus. De l'endroit où elle était tombée, ses
yeux restaient fixés sur moi; ce qu'une sœur
remarquant, elle se plaça doucement devant
;
elle pour lui dérober ma vue car les forces
m'avaient tout à fait abandonnée et j'étais
gisante à côte d'elle. Pauvre Mère! quels
siècles de souffrances ont dû être pour
elle ces quelques minutes qu'elle a encore
vécu! Son Œuvre si jeune et à peine
achevée! cette mort tragique qui l'arrachait
violemment à ses enfants si peu préparées
à lui survivre! Notre-Seigneur a dû tout
compter et l'admettre sans retard aux joies
du paradis.
«Lorsqu'elle passa près de moi, je me
soulevai avec effort des bras sur lesquels
ma tête s'appuyait et je la vis couchée sur
un fauteuil, les vêtements ensanglantés, les
cheveux épars, la tête pendante, avec un
collier de plaques livides à l'endroit de sa
blessure, la pâleur de la mort sur le visage.
Je vivrais cent ans que j'aurais toujours
cette image devant les yeux et, dans la mé-
moire, jusqu'aux moindres détails de cette
scène affreuse. Mais mon cœur ne voulait
pas croire à un si grand malheur et je
restais persuadée que la meilleure des Mères
ne pouvait pas nous être enlevée.
A mon tour, on me transporta à la
maison. Mon Dieu! quelle souffrance! Je
suppliais qu'on me laissât mourir là, tant le
moindre mouvement m'était un supplice!
Pourtant, je n'ai pas perdu connaissance.»
Ce que la Mère assistante ne dit pas, et
ce que nous empruntons à un autre récit
qui complète le sien, c'est qu'au milieu
d'atroces douleurs qui faisaient croire à tout
instant qu'elle allait expirer, cette courageuse
femme, dont le sang jaillissait de deux
blessures reçues à la poitrine, ne cessait de
s'unir à Dieu par de brûlantes paroles de
résignation et d'amour: vMon Dieu, mon
Dieu! tout ce que vous voudrez; comme
!
vous le voudrez! Ce n'est pas trop souffrir
pour vous Votre volonté et non la mienne
Notre-Seigneur m'avait bien dit, ce matin,
!..
qu'il me ferait souffrir, mais je ne croyais
pas que ce serait à ce point! Moi! ce n'est
rien! mais notre bonne Mère!» Puis, elle
demandait à ses sœurs de réciter les sept
paroles de Notre-Seigneur sur la croix. Et
sa pensée revenait continuellement à sa
Mère: Cette Mère bien-aimée, où est-elle?
Comment se trouve-1-elle? Souffre-t-elle
beaucoup? On lui répondit qu'elle était très
faible. Le P. Calage venait de lui donner
l'Extreme-Onction; mais il est à croire que
son âme avait déjà quitté la terre et se re-
posait sur le Cœur du Bien-Aimé. Elle
était morte sans avoir pu ajouter une parole
à la parole du pardon et du sacrifice. Ainsi
devait se couronner cette vie consacrée à
une immolation de chaque jour, pour appe-
ler sur le monde la miséricorde et le pardon.
Ne peut-on pas rapprocher des événements
de ce jour la phrase dite à Marie Oeluil-
Martiny, dix-huit ans auparavant et sur cette
terre même de la Servianne par le directeur
de son âme, le P. Calage? C"Les âmes de
l'œuvre future seront comme plongées dans
le sang. Marie avait rapporté cette parole
et elle avait ajouté:*Mon Dieu, soyez un
jour glorifié là! Qui sait si le Coeur
immolé de Jésus ne prépare rien de spécial
à ce coin de terre? Cette pensée m'est
arrivée à l'âme depuis longtemps., Ni le
P. Calage ni Marie ne pensaient si bien dire!
III.

M andés en toute hâte, continue la Mère


Assistante, les médecins des envi-
ï rons ne tardèrent pas d'arriver;
j'entendis le docteur de la maison se
rendre dans la chambre de notre Mère, et peu
après il vint près de moi. «Le pansement est
déjà fait? lui dis-je. — Oui, me répondit-il
et il me recommanda de ne pas m'inquiéter.
,
A différentes reprises, la même recommanda-
tion me fut faite par les différentes per-
sonnes que je ne me lassais pas d'interroger
et qui redoutaient pour moi l'effet d'un
coup trop soudain et d'une émotion trop
vive. Ce n'est que le lendemain qu'on
m'apprit le fatal dénouement.
La Communauté a été admirable de sang-
froid et de courage. Pas une de ces pauvres
enfants n'a perdu la tête, pas une n'a faibli.
De la couche funèbre où reposait une Mère
qu'elles chérissaient et qui le méritait si bien,
elles venaient entourer celle qu'elles savaient
devoir la remplacer si mal; elles lui souriaient
à travers leurs larmes, elles cherchaient à
lui cacher la désolation de leur cœur pour
ne pas déchirer le sien.,
Quant à l'assassin, la justice n'est pas
toujours lente à frapper; presque en même
temps que sa victime, le malheureux paraissait
devant Dieu. Il s'était arrêté au bas de la
colline, pour recharger son arme, puis, se
sentant poursuivi, il avait gravi précipi-
tamment les pentes opposées et, blotti contre
un rocher, il pouvait suivre avec une joie
féroce les péripéties du drame qui se
déroulait devant lui; il voyait dans leurs
robes blanches cet essaim de vierges se
débattant éperdument comme une troupe
de cygnes au milieu d'une mare de sang.
Cependant, l'alarme avait été donnée et,
de proche en proche, la nouvelle du crime
était arrivée au village où résidait une bri-
gade de gendarmerie; deux de ces braves
gens se détachèrent aussitôt et coururent
prêter main-forte aux paysans, dont le cercle
allait se resserrant autour du meurtrier.
Celui-ci, voyant approcher les gendarmes,
attendit qu'ils fussent sur lui et le forcené
les reçut avec une décharge. C'est alors que
le brigadier, comme si la main de Dieu,
appliquant au coupable la loi du talion,
avait dirigé son bras, rétendit mort à ses
pieds et atteint au même endroit que sa
victime.
Cette Mère si grande et si bonne aura
intercédé pour lui; comme le divin Maître,
elle aura dit le Pater, dimitte du Calvaire;
comme lui, elle l'a prononcé en versant tout
son sang pour son Œuvre; elle en a arrosé
son cher troupeau; toutes en avaient sur
leurs vêtements, suprême bénédiction qui
s'étendra sur les générations qui viendront
après elle, dans son Œuvre bénie, réaliser
ses désirs et ceux du Cœur de Jésus.
Comment l'auteur du crime était-il devenu
un assassin?
IV.

E levé dans un orphelinat, Louis Chave,


son éducation achevée, avait, jusqu'à
vingt-deux ans, mené une vie de
1
bohème, s'embarquantpourle Tonkin,
mais relâchant en Tunisie; rapatrie ensuite
en France, tantôt marchand forain, tantôt
journalier, ne sachant pas tenir en place,
il semblait, en fin de compte, vouloir se
réhabiliter et, dans sa vie et ses mœurs,
redevenir chrétien.
Des personnescharitables s'intéressèrent
à lui et le recommandèrent à la Supérieure
de la Servianne, qui l'accueillit et l'attacha
à sa maison en qualité d'aide-jardinier, aux
gages de soixante franco par mois.
Tout alla bien au commencement; le nou-
veau serviteur connaissait peu son métier
et s'en acquittait nonchalamment mais il ne
donnait prise à aucun reproche grave. Dans
une lettre du mois de janvier, à l'Orphelinat
d'Aix, se loue des soins dont il est l'objet,
il
des attentions qu'on a pour lui et des bien-
faits de la Supérieure «qu'il aime, dit-il,
comme une seconde mère
Cependant, Chave retombait dans son vice
habituel, la paresse; et, bien qu'il fût obligé
de convenir qu'il était absolument impropre
à son emploi, il écrivit une lettre insolente
à sa bienfaitrice, en exigeant que son traite-
ment fût doublé. On lui fit observer qu'il
avait été reçu par charité et qu'il était in-
capable de rendre aucun service au monastère.
On lui offrit cependant de le garder jusqu'à
ce qu'il eût trouvé une place plus en rapport
avec ses aptitudes et mieux rétribuée. Chave
regretta sa lettre et demanda comme une
faveur de n'être pas renvoyé. On y consentit
et, pendant quatre mois, fermant les yeux
sur son insuffisance, on prit patience, on
essaya de tout pour le corriger; ce fut en
vain: il refusait de faire le travail qu'on lui
commandait ou le faisait maL
Le samedi, 23 février, on le pria d'aller
chercher un colis à la gare voisine. «Non,
je n'irai pas», répondit-il, sans donner aucune
raison. Le jour même il disparut. Mais
avant de quitter la Servianne, la nuit qui
précéda son départ, dans la chambre qu'il
occupait à l'aumônerie, il brûla tous ses
papiers, à l'exception de quelques journaux,
qu'il oublia par mégarde et dont il faisait
en cachette sa lecture assidue. Ce fut une
révélation; on sut, dès lors, ce que le mal-
heureux lisait à la veille de son crime, où
il prenait ses inspirations: c'était deux
numéros du Déji, organe anarchiste, parais-
sant à Lyon, où l'on prêchait la guerre à
la société. Après d'horribles blasphèmes
contre Jésus-Christ, on y racontait l'histoire
vraie ou fausse d'un ouvrier qui, renvoyé
de l'atelier au déclin de l'âge, enfonce son
burin dans le cœur du patron. Le vieillard
est condamné aux travaux forcés et l'a-
narchiste du Defi de s'écrier, dans son
enthousiasme: Va, vieux camarade, crève
au bagne, pour avoir, pendant toute ton
existence, engraissé des pourceaux trichinés.
Un jour viendra où nous laisserons le
crochet pour prendre le fusil et, ce jour-là,
nous ferons notre devoir.
Chave avait fait son devoir. Ce n'est pas
une pensée de vengeance qui a armé son
bras; il a d'autres visées, i! veut se ruer
sur l'Eglise et sur la société; il prend soin
de le déclarer dans une lettre adressée le
matin même de son crime à l'Hydre anar-
chiste, autre journal révolutionnaire. On va
voir que cette lettre procède, en réalité,
des excitations au meurtre et au brigandage
que nous avons trouvées dans le DIfi.
On commence par un, y est-il dit, pour
-
arriver à cent. Je veux avoir la gloire
d'être le premier à commencer et d'ouvrir
la voie à ceux qui seront assez résolus pour
me suivre. Il faut donner l'exemple; ce
n'est pas avec des paroles qu'on changera
les choses. Le dernier conseil que j'ai
donné aux vrais anarchistes est de s'armer,
à mon exemple, d'un bon revolver, d'un
bon poignard et d'une boîte d'allumettes.
C'est pratique, cela; et avec cela seulement,
on peut faire beaucoup de choses. J'appelle
anarchistes d'action ceux qui sont résolus
de vaincre ou de mourir, et non pas ceux
qui attendent que les autres se remuent
pour en faire autant. Si vous voulez que
vos affaires soient bien faites, faites-les vous-
mêmes, et ne découragez pas ceux qui sont
décidés à mourir glorieusement, en com-
battant pour la bonne cause.
«Veus apprendrez mes exploits par les
journaux de Marseille. C'est en plein jour
et à la face de tous que je vais agir; je
vais commencer par incendier un couvent
de religieuses, mettre à mort la supérieure
et la sous-supérieure, qui m'ont jeté sur
le pavé.
cC'est aux cris de «vive l'anarchie et sus
aux bourgeois, que je vais ouvrir le feu;
car là dedans, comme dans toutes les ex-
ploitations, il y a les filles des bourgeois
et les filles des prolétaires qui servent de
domestiques aux autres: ce sont des fa-
natiques et des souffre-douleurs.
« Compagnons, il est possible que je sois
forcé de partir pour le pays des étoiles.
Donc, je vous dis adieu, et je compte sur
vous pour me venger et publier ma lettre..
L'Hydre, dans son numéro du 9 mars,
où cette lettre est insérée, consacre tout un
article à l'attentat de la Servianne. Après
avoir donné au meurtrier le nom de brave,
dithyrambe par ces mots :
de martyr, de Spartacus, elle termine son
La charité chré-
tienne, bouclier des turpitudes cléricales,
méritait un sanglant rappel à la pudeur,
c'est fait!
:
Puis, parlant de Chave «Nous l'approuvons
en tous points et nous regrettons d'avoir
perdu un compagnon qui aurait pu, à un
moment donnée, se rendre utile. Son exemple
servira de ligne de conduite à tous ceux
qui, jetant au loin les superstitions et les
préjugés, se rueront sur ceux qui sont la
cause de leurs souffrances et les massacreront
sans pitié..
Ce journal est sincère, convaincu, et il
peut donner une idée de l'état des esprits
dans les groupes prolétaires. Lanarchiste
(faction, comme il se qualifie, n'était entré
à la Servianne que pour assouvir sa haine
contre la Religion et assassiner la sainte
femme qui l'avait reçu comme la charité
reçoit ses enfants.
Ce qui ressort de là, avec la dernière évi-
dence, c'est que la vénérée Fondatrice de
la Servianne, n'a pas été, comme on pourrait
le croire, la victime d'un fou furieux, mais
d'un homme absolument maître de lui-même,
qui avait de longue main médité son crime
et l'avait préparé avec autant de sang-froid
que de perversité.
Ainsi, fut ravie à l'affection enthousiaste
de ses soeurs, à la vénération de tous ceux
qui l'approchaient, à l'Œuvre admirable dont
elle était la fondatrice, une religieuse éminente
par ses grandes vertus autant que par ses
rares et brillantes qualités.
Elle ne pouvait pas finir autrement, ni
mourir d'une autre mort, la sainte et noble
femme!
Déjà, du vivant de Pie IX, la Mère Marie
de Jésus ne lui avait-elle pas écrit pour se
dévouer comme victime à toutes ses in-
tentions? Et, en 1882, ne s'était-elle pas
offerte une fois encore par les mains de
Léon XIII? Oui, le martyre, elle l'avait désiré,
instamment demandé: il était venu, au jour
marqué de Dieu, satisfaire et couronner de
si généreuses aspirations!
Sacrée, dans son propre sang, victime de
Jésus, elle repose maintenant, la pieuse et
insigne vierge, * dont l'existence fut traversée
de tant de luttes et de tant de douleurs!
Elle repose, mais elle vit toujours! Son âme
de feu a gardé ses affections d'ici-bas, avi-
vées, agrandies, pour ainsi dire, jusqu'à
l'infini par la flamme de l'amour céleste; et
ses affections sont toutes à son Œuvre et,
par elle, A la gloire du Sacré-Cœur!

Décret de louange à la Société des Filles du


(*)
Cœur de Jésus, 25 février 1888.
V.

M ée à Marseille, le 28 mai 1842, Marie-


-
Caroline - Pliilomène Deluil Martiny
était la fille d'un père, connu par son
dévouement à toutes les nobles cau-
ses et dont la foi soutenait toutes les vertus
dans l'élévation du christianisme. Avocat
distingué, M. Paul Deluil-Martiny comptait
dans ses états de service un procès fameux
gagné contre Berryer; il occupa pendant de
longues années les charges d'adjoint au
maire et d'administrateur des hospices. En
1870, il forma et présida un comité pour
la délivrance des Pères Jésuites, retenus
comme otages, et parvint, à force d'énergie
et d'habileté, à tirer de prison ces religieux,,
dont H fut toujours le bienfaiteur et l'ami.
L'année suivante, comme la municipalité,
révolutionnaire refusait d'accomplir le vœu
de Belsunce, il engagea ses concitoyens à
y suppléer; il fut chargé d'offrir en leur
nom le cierge traditionnel et de présider.
à la place du maire, la grande procession
votive, organisée par ses soins.
Par sa mère, Anaïs-Marie-Françoise de
Solliers, d'une ancienne noblesse de Provence,
Mlle Deluil-Martiny était la petite nièce de
sœur Anne-Madeleine Remuzat, la célèbre
visitandine, la seconde Marguerite-Marie
qui inspira à l'héroïque évêque de Marseille
la pensée de consacrer sa ville et son
troupeau au Sacré-Coeur, durant la peste de
1720.
Ces origines semblaient une sorte de
prédestination qui appelait cette enfant à
devenir l'une des plus fidèles servantes du
Cœur adorable de Jésus-Christ.
Consacrée à Notre-Dame de Grâce huit
mois avant sa naissance, la petite Marie ne
démentit pas, en grandissant, ces heureux
présages. A voir les qualités mâles et
supérieures dont les germes se développaient
en elle avec une étonnante précocité, on
disait dans la famille, en la comparant à
son jeune frère, au tempérament doux et
tranquille, que la nature, évidemment, s'était
trompée, en envoyant au monde deux créa-
tures si dissemblables; qu'elle avait mis dans
la sœur le cœur et la tête du frère, et dans
le frère le cœur et la tête de la sœur..
La vivacité de celle-ci était effrayante.
Elle marchait à peine que, sous le coup
d'une contrariété, elle déclara un beau jour
à sa mère qu'elle va se jeter par la fenêtre.
Madeleine, dit tranquillement Madame
Deluil-Martiny à sa femme de chambre,
ouvrez la fenêtre à Mademoiselle. L'enfant
s'arrête interdite et confuse. «Cependant,
disait-elle ensuite, je crois que, sans ma
mère et la femme de chambre, je l'aurais
fait comme je l'avais dit." On pouvait pré-
juger dès lors quelles seraient sa force
d'âme et son indomptable énergie quand
l'âge et la raison auraient fait une qualité
de ce qui n'était encore qu'un défaut.
Le besoin d'aimer et de se dévouer fut
toujours le premier mouvement de cette
généreuse nature: nature débordante, allant
vite aux extrêmes, ayant de bonne heure
la nostalgie des sommets.
Au dire de sa nourrice, tout enfant ter-
rible qu'elle était, il était impossible de la
gronder, parce que, au premier mot plus
haut que l'autre, elle se jetait dans vos bras,
càlîne et souriante, et vous accablait de
caresses.- Lorsqu'elle fut au moment de
partir pour fonder son Œuvre, cette brave
nourrice qui l'aimait énormément et qui
ne Pavait jamaisquittée, disait, en pleurant,
que cpour sur,cétait une sainte, qui était
aussi nette que l'ellfant qui vient de naîtrez
A huit ou neuf ans, sous la direction
paternelle, Marie commençait l'étude du latin
avec son frère, qu'elle ne tardait pas à laisser
bien loin derrière elle. Aussi, quand, à
l'approche de la première communion et
pour la préparer à ce grand acte, on jugea
que l'éducation du couvent lui était néces-
saire, les bonnes religieuses de la Visitation
la virent venir avec une sorte d'effroi.«Que
ferait-on de ce petit prodige: Heureusement,
ce prodige de précocité était aussi un pro-
dige de gentillesse, d'aménité, de simplicité,
de bonté.
Jamais elle n'avait vu de pensionnat,
jamais elle ne s'était assise sur un banc de
classe avec d'autres élèves; elle n'en fut ni
plus embarrassée ni plus dépaysée pour
cela et, voulant répondre au bon accueil
qui lui était fait à première vue, eUe monta
sur un banc et se mit à haranguer ses
compagnes ébahies, mais avec tant d'aisance,
de verve et d'à propos, que ce fut un
enchantement.
La Sœur, chargée du cours dans lequel
elle entra, s'était d'abord un peu émue
d'avoir affaire à un sujet si extraordinaire,
mais elle fut bien vite rassurée, quand, plus
encore que les talents de son élève, elle eut
lieu d'admirer son excellent esprit. Jamais,
au témoignage de celles qui l'ont le
mieux connue, on ne surprit sur ses lèvres
une parole de blâme ou de critique, jamais
la tentation de discuter un enseignement
ou de raisonner sur ce qu'on lui disait.
Mgr. de Mazenod, ami de la famille, deman-
dait Marie chaque fois qu'il venait au
monastère. Les religieuses, craignant l'amour-
propre pour leur chère élève, ne manquaient
pas de faire le chapitre de ses espiègleries.
Ne vous inquiétez pas, mes Sœurs, répon-
dait le bon Prélat, qualités d'enfants que
tout cela! Vous verrez qu'elle sera un jour
la sainte Marie de Marseille.»
L'intelligence, la grâce, la franchise, la
candeur rayonnaient en elle sous le riche
manteau de la modestie. Par sa gaieté,
son enjouement, sa bonne humeur inaltérable,
elle était l'idole de ces compagnes, la joie
de la communauté et la ressource des
récréations.
Ce que la jeune pensionnaire avait été à
la Visitation, elle le fut, peu d'années après,
à la Fêrandicre, où on l'envoya pour accom-
pagner sa sœur cadette et achever avec elle
son éducation; elle y obtint les plus bril-
lants succès. C'était, disent ses contem-
poraines, tout se qu'on peut imaginer de
meilleur au dedans et de plus charmant
au dehors. On ne pouvait la voir sans
L'aimer.
11
y a des êtres qui rayonnent, qui éblouis-
sent, qui entraînent tout dans leur sphère
d'attraction, autour d'eux, sans y penser,
sans le vouloir, sans le savoir même. On
dirait que certaines natures ont un système
comme les astres et font graviter les regards
et les pensées de leurs satellites dans leur
propre mouvement. On les suit à travers
la terre jusqu'au ciel, où ces destinées se
perdent jeunes, et quand on ne les voit
plus, on conserve de cette pure et éclatante
vision une empreinte, qui ne s'efface pas.
Telle était, à dix-huit ans, au sortir de
pension, Marie Deluil-Martiny; avec les dons
de l'esprit, de l'âme et du cœur, la nature,
prodigue envers elle, lui avait donné une
taille avantageuse, un port noble et gracieux,
des traits distingués, une figure avenante
et sympathique, des yeux brillants de cette
flamme intérieure qui éclaire la physionomie
d'un reflet divin et révèle les pensées élevées.
A son contact, on éprouvait une impression
de pureté; c'était
Un lis qui devient femme en restant lis encore.

Lis, elle le fut toujours; elle en eut,


jusqu'à la mort, l'éclat et la blancheur vir-
ginale, rendant à Dieu son cœur tel qu'elle
l'avait reçu, sans qu'une goutte du vase
précieux fût tombé à terre.
VI.

E ouvant prétendre à tout dans le


-
monde, Melle Deluil Martiny, n'eut
qu'une ambition: celle de plaire à
l'Epoux céleste à qui elle s'était don-
née. Dans cette belle intelligence et dans ce
grand cœur, il n'y eut jamais place que
pour une pensée et un amour très simples;
pour une pensée très simple, parce qu'il
n'y avait, à ses yeux, qu'une vérité digne
d'être connue, c'est l'éternelle Vérité; pour
un amour très simple, parce qu'il n'y avait
qu'une beauté digne d'être aimée, c'est la
souveraine Beauté.
La pensée de toute sa vie avait été dès l'en-
fance et par une prédestination singulière,
une pensée d'immolation et d'union au
sacrifice de Notre-Seigneur sur les autels;
c'était comme la respiration de son âme;
tout convergeait là dans ses pratiques de
dévotion. Mon unique attrait, disait-elle, est
à Jésus-Victime; c'est là que je le cherche, là
que je l'aime, là que je l'adore; c'est là que
je m'unis à lui et qu'il s'unit à moi. Je
n'ai qu'une occupation dans mes prières;
offrir Jésus avec tout son sang, l'offrir sans
cesse pour les âmes sacerdotales et con-
sacrées à Dieu, et m'offrir avec Lui.
Elle avait puisé dans cet exercice continuel
d'offrande et d'immolation un zèle ardent
pour les intérêts de la sainte Eglise et, on
peut le dire avec elle, une soif brûlante de
la plus grande gloire de Dieu dans les
âmes de ceux qui sont comme le Cœur de
CEglise et qu'elle cherchait à aider d'autant
plus par la prière et le sacrifice, qu'elle
voyait l'enfer déchaîner toute sa rage contre
eux.
Deux fois, nous l'avons dit, entre les
mains de Pie IX et de son successeur
Léon XIII, elle s'est offerte en victime et a
renouvelé solennellement le sacrifice de sa
vie, pour le triomphe de l'Eglise et de son
chef.
Notre-Seigneur, qui se survit dans les
âmes et qui donne à chacune son caractère
spécial, en reproduisant en elle, par ses
attraits, ses désirs, ses souffrances, quelque
trait de sa physionomie, semblait avoir gravé
en celle-ci le zèle et la sainte émulation qui
le pressaient pour ses prêtres et luifaisaient
désirer d'un si grand désir de voir le jour
où il devait verser tous ses trébocs dans
leurs âmes, en instituant au Cénacle son
grand sacrement d'amour.
«Employer Jésus à l'usage pour lequel il
s'est donné. Avec Lui, mais aussi par Lui
et en Lui, aimer, adorer, louer, s'immoler,
ptier le Père Céleste, réparer avec son sang
divin, c'est mon grand attrait.
Mais quel genre de réparation et d'immo-
lation rêve-t-elle, cette âme généreuse? Les
lignes suivantes le font pressentir et, déjà,
la pensée de la fondatrice s'y dégage.
«Je me suis livrée à Notre-Seigneur pour
que, si tels sont ses desseins, il me prive
du bonheur de le sentir, de le goûter, de
recevoir cette plénitude de lui-même dont
il fait suivre quelquefois les grandes peines
intérieures.
-Je ne lui ai pas demandé de m'imposer
ce sacrifice; je me suis offerte à Lui, pour
qu'il accomplisse simplement en moi son
bon plaisir. Je ne demande rien, je ne
refuse rien, j'accepte tout, je donne mon
consentement à tout. Il est vrai que ce
consentement est déjà donné; mais il y a
certaines extrémités d'immolation pour les-
quelles Notre-Seigneur doit demander un
consentement particulier. C'est si dur,
mon doux Maître, de ne jamais vous sentir
pleinement et d'attendre le ciel pour jouir
de vous!
«Vivre dans la pensée d'être mal avec
vous, c'est mourir mille fois. Tout souffrir,
mais avec la douce persuasion qu'on est en
grâce avec Jésus, ce n'est plus souffrir; ce
peut être fort amer, mais on s'accroche à
Jésus. Quel secours!»
Et quand, plus tard, son Œuvre commence
à prendre une forme dans sa pensée:
«
J'ai offert à Notre-Seigneur tout son sang
divin, les larmes de sa Mère, les prières des
âmes et leurs immolations pour obtenir
qu'il nous fasse enfin lui donner cette nou-
velle gloire à Lui et à sa sainte Mère.
0 Mère, vous êtes responsable; à vous
d'agir, de dicter les écrits, de préparer les
âmes, de transformer la mienne, de nous
donner votre héritage, de nous communiquer
votre appui et votre vie.
«
J'ai eu ce sentiment intérieur que je dois
pour ma part être très fidèle à la grâce et
m'en fier à Jésus et à Marie pour tout le
reste; c'est à eux à diriger les événements
et à écarter les obstacles pour que l'Œuvre
se fonde. Je mourrai d'une sainte jalousie
pour l'âme que Dieu chargera d'une si belle
œuvre.
«Un regard sur cette Œuvre suffit pour
me consoler. J'aurais mille vies, que je tes
consacrerais toutes à m'y dévouer. Je la
vois si grande et si belle! Je la porte au
fond de mon âme!
Quelle était donc cette Œuvre à laquelle
la Mère Marie de Jésus, Deluil-Martiny,
venait de donner son sang, après lui avoir
donné son cœur, son âme et ses admirables
facultés? Par quelles ascensions avait-elle
été amenée là où l'attendait presque la
gloire du martyre?
VII.

L Garde d'Honneur en était à ses


a
débuts, lorsque cette âme ardente.
qui s'employait déjà à étendre sous
,
toutes ses formes le culte du divin
Maître, fut pressée de consacrer à l'Œuvre
naissante toutes les énergies de sa volonté
et tout l'amour de son cœur. Une cor-
respondance active s'établit entre Marseille
et la Visitation de Bourg, berceau de l'Asso-
ciation et, en retour de son dévouement,
Mlle Marie Deluil-Martiny, dont les mérites
et les services hors ligne furent vite appré-
ciés, reçut le titre de Zélatrice. A peine en
possession de ce titre, la jeune zélatrice se
mettait en campagne avec un invincible
courage et une indomptable persévérance,
frappant à la porte de tous les couvents.
faisant voler dans toutes les directions les
écrits destinés à propager l'Œuvre nouvelle
et s'autorisant de sa qualité d'élève du Sacré-
Cieur pour solliciter et obtenir de la vénérée
Mère Barat l'enrôlement en masse de sa
belle société. D'autres familles religieuses
ne tardèrent pas à suivre cet exemple et
quelques mois s'étaient à peine écoulés,
que la Garde cfHonneur était en train de
faire le tour du monde.
Une fête magnifique se préparait à Marseille
pour la consécration du sanctuaire de Notre-
Dame de la Garde. Plusieurs cardinaux
et un grand nombre d'évêques devaient y
assister. Quel triomphe, si l'on pouvait
obtenir l'adhésion de tous ces Prélats,
s'assurer de leur concours et en faire les
auxiliaires et les protecteurs de l'Œuvre!
Marie rêva ce succès et l'obtint. A compter
de ce moment, la Garde d'Honneur devint
l'œuvre de sa vie; le plus pur de son temps
y passait; ses libéralités suivaient le même
chemin. Elle entretenait dans le monde
entier, avec les foyers de propagande qu'elle
avait créés, une correspondance qui tenait
du miracle.
Voici le témoignage qu'on lui rendait au
chef-lieu de l'Association: Cette riche
nature, cette grande et belle intelligence, qui
voyait si clair et si juste, cette âme de feu
avait parfois des aperçus splendides, de
magnifiques éclairs, des élans superbes, des
désirs enflammés. Elle exposait tout cela
avec une éloquence naturelle, qu'elle puisait
dans son c'cur d'apôtre, toujours prête à
s'élancer vers les sommets entrevus; mais
sur un mot venu d'en haut, elle s'arrêtait
soudain et se mettait au pas humble et
doux que Dieu imprime à ses œuvres, pour
en affermir les commencements et en assurer
le succès. -
Cependant, au mois de juin 1865, de grandes
solennités devaient avoir lieu au monastère
de Bourg pour la béatification de la vénérahle
Marguerite-Marie. M. Deluil-Martiny voulut
bien conduire sa fille au berceau de l'Œuvre
qu'elle aimait, pour assister à ces fêtes
bénies; elle fut reçue dans l'intérieur de la
Maison, où elle passa plusieurs jours qui
firent époque dans sa vie! elle comprit que
l'Œuvre dont elle s'occupait avec tant de
bonheur et d'entrain était un acheminement
à une autre Œuvre encore plus belle, dont
elle avait dès lors le pressentiment lointain.
Un des buts de l'Institut futur devait être
l'adoration, mais à une sublime hauteur.
Ce serait l'adoration de la Très. Sainte
Trinité par le Cœur eucharistique de Jésus,
le seul adorateur vrai et digne de la Majesté
divine. Ce seraient les âmes s'emparant des
adorations perpétuelles de ce Cœur sacré
pour adorer l'adorable Trinité.- Quand Dieu
appelle une âme, il est rare qu'il ne la pré-
vienne et ne la prépare d'avance par de
fraîches rosées matinales: Manc dtLectabis,
dit l'Ecriture.
Une union des plus étroites, fidèlement
entretenue par la prière et par des visites
réitérées, s'établit alors entre la Garde
d'Honneur et son infatigable coopératrice;
de grandes lumières et des grâces signalées
jaillirent de cette fusion d'âmes.
«Mon âme, écrivait la Fondatrice de la
Garde d'Honneur à la vaillante jeune fille,
est trop près de la vôtre, trop identifiée
avec la vôtre, pour avoir rien de nouveau
à vous confier. Je ne peux que vous
renouveler l'expression de mon total dé-
vouement à votre âme et aux œuvres que
vous devrez accomplir. C'est avec une joie
infinie et un plein acquiescement de ma
volonté, que je vois ma mission passer de
mes mains dans les vôtres. Ma confiance
dans l'avenir de votre Œuvre est inébranlable.
Ne doutez jamais de votre élection à une
tâche si importante et si belle.»
La Garde d'honneur attire le zèle de Marie
Deluil-Martiny. elle le stimule, mais ne l'ab-
sorbe pas tout entier; son dévouement ne
se cantonne pas dans une cuuvre, si belle
qu'elle soit, et il ne connaît pas de limites.
Partout où il se fait quelque chose pour le
Sacré-Cœur, on est sûr d'y trouver l'ardente
jeune fille.
VIII.

a quelque temps de là, par une cir-


constance inattendue et toute provi-
dentielle, Mlle Deluil-Martiny fit le
pèlerinage de la Salette; elle y porta
la pensée de son Œuvre, qui ne la quittait
plus, et y reçut, avec d'abondantes lumières,
de puissants encouragements.
C'est à dater de ce moment que, sous
l'inspiration et d'après les conseils du Père
Calage, le vénérable religieux de la Com-
pagnie de jésus à qui elle avait confié son
âme, ses idées se précisèrent, et ses projets
de fondation prirent une forme déterminée.
La lumière lui vint à flots et alla toujours
grandissant. «Elle reçut alors, dit-elle, une
impression des desseins de Dieu si intime
et si forte, que le doute pour elle ne fut
plus possible. De son côté, le Père Calage
voyait de plus en plus clairement dans quel
but Dieu lui avait envoyé cette âme à
diriger; mais il le gardait dans le secret de
son cœur, en attendant l'heure où Notre-
Seigneur agirait lui-même.
En lisant dans le journal de Marie les
lumières qu'elle avait reçues sur la fondation
à venir, il reconnut que, sans rien savoir
par elle-même, elle avait été instruite par
Notre-Seigneur des éléments de l'Œuvre qui
existait, dans son intégrité, au fond de sa
pensée, à lui. Oui, lui dit-il, Dieu se pré-
pare une génération d'âmes-victimes; Il y
travaille depuis longtemps.
cVoici vingt ans que les personnes à qui
il fait ces communications semblent s'être
donné le mot pour venir à mon confessionnal.
"Quand l'œuvre se fondera-t-elle? Dieu
le sait. La verrez-vous? Y travaillerez-vous
activement ou passivement? Dieu le sait
encore. Mais vous y êtes destinée.
Vous êtes une pierre brute, mise entre
mes mains pour être travaillée; il faut qu'elle
le soit d'autant plus qu'elle est destinée à
être une des pierres fondamentales du futur
Institut. Plus tard, vous serez victime, sacri-
fiée et immolée à votre tour.
Entre autres paroles recueillies de la bouche
de son directeur, et religieusement conservées
par elle, nous trouvons encore à la date du
2 février 1870, cette singulière prédiction:
«Pourquoi vous effrayer des difficultés et
des impossibilités à venir? Qui vous dit
que vous ne serez pas une de ces âmes
destinées à l'immolation, leur Œuvre à peine
inaugurée? Dieu peut fort bien vous jeter
dans les fondements de l'édifice et, de cette
mort prématurée, faire sortir son achèvement.
Les fondateurs et les fondatrices sont choisis
pour un grand dessein; mais souvent ils 1

se couchent, avant l'heure, à la base et dans


les substructions du monument à bâtir,
pour en supporter le poids et lui donner
de la solidité. Etre immolé d'avance n'est
pas la plus mauvaise part; c'est la pierre
angulaire de toutes les fondations, depuis
que Notre Seigneur a été immolé pour fonder
son Église. Il a fallu, pour asseoir son
Œuvre sur des bases solides, que les apôtres
fussent immolés et, dans les fondements
qui portent la basilique Vaticane, on vénère
la tête des deux apôtres Pierre et Paul. On
meurt et l'on fait place à d'autres; il faut
que le grain de froment tombe en terre,
pour fertiliser le sillon »
Tout en l'aidant de ses encouragements,
le Père Calage ne cessait de persuader à
Marie qu'elle était un instrument inutile et
la ramenait sans cesse à d'humbles sen-
timents d'elle même. Du reste, ses théories,
il se les appliquait. Faisant allusion à sa
part dans l'Œuvre: «On est Fondateur de
bien des manières, disait-il, l'immolation n'est
pas la moins puissante et, pour moi, je me
vois toujours immolé sur le Calvaire de
l'immolation de Jésus.
Il avait formellement demandé à Dieu à
figurer dans l'Œuvre, non pas comme la
pierre travaillée et polie qui attire le regard,
mais comme la pierre brute qu'on jette dans
les fondements et qui doit toujours y rester
ignorée; il ne sortit jamais de la situation
humble et cachée qui comblait toutes ses
ambitions.
En même temps que la future fondatrice
recevait de son Directeur cette forte et
généreuse impulsion, il lui venait fréquem-
ment, de tous les côtés et de la part des
personnes les plus autorisées, des témoigna-
ges comme celui-ci:
Dieu dans ce qu'il vient de faire a dé-
passé non seulement mon attente, mais
encore ses promesses.
En voilà des miracles!.
-Une pensée ne me quitte pas, c'est que
Nôtre-Seigneur a fait choix de vous pour
l'Œuvre qu'il prépare. Il vous a justement
donné tous les dons de nature qui doivent
vous servir à mettre en valeur les dons de
!
la grâce. Comme vous avez l'esprit de
votre vocation Comme vous en êtes pleine
et comme vous la ferez goûter! On ne
vous approche pas sans se sentir entraîné.
Notre-Seigneur vous a tout mis dans la
main; vous ne pouvez plus reculer. C'est
plus qu'un temple matériel, c'est un édifice
composé de pierres vivantes qu'il s'agit
d'élever.
«Tout est organisé d'avance, tout est mûr
dans votre âme pour le succès de l'entre-
prise. Vous marcherez droit d'après ce
plan. Ne dites pas que vous n'êtes pas
prête; le Maître vous formera Lui-même,
ou avec le marteau, ou avec le ciseau, ou
avec la lime; vous n'avez qu'à le laisser
faire; ce ne sera pas long. Si vous résistez,
Il frappera plus fort et plus souvent. Je
le prie de frapper à coups redoublés, pour
que le travail aille plus vite.
C'est la véritable immolation que vous
rêvez, c'est le crucifiement de l'âme: les
épines, les clous, les fouets n'atteignent que
le corps; c'est l'âme qui doit être immolée
dans toutes ses puissances.
-

L'action de l'Esprit-Saint est visible dans


votre âme; elle reçoit des lumières et des
inspirations qu'on ne trouve guère dans
une religieuse qu'après quinze ou vingt ans
de profession. Ces vues si justes sur votre
état d'épreuve, cette intelligence si claire et
si nette de la nécessité de l'immolation, ces
pensées de dévouement au sacerdoce, cette
disposition d'une âme qui dit résolument:
Si la consolation sans la croix ou la croix
sans la consolation sont laissées à mon
choix, je préfère la croix sans la consolation
à la consolation sans la croix.)
Qui vous a donc appris cela? C'est
l'antipode de la nature. On dirait que vous
avez vieilli dans la vie religieuse; votre
science des voies de Dieu a des cheveux
blancs.
C'est l'illusion que Mlle Detuil-Martiny
entretenait chez les personnes qui ne la
connaissaient que par ses lettres. La Prieure
d'un couvent de Carmélites avec qui elle
avait eu, pendant quelque temps, une cor-
respondance suivie, ne pouvait en croire
ses yeux, quand, au lieu de la vénérable
dame à qui elle croyait avoir affaire, elle
s'est trouvée, un beau jour, en présence
d'une jeune fille à peine âgée de vingt-
cinq ans.
On comprend le mot de Son Eminence
le Cardinal de Malines, qui, au sortir du
premier entretien qu'il eut avec cette jeune
:
fille, s'écriait, étonné de ce qu'il avait entendu
«
Je viens de voir la Thérèse de notre siècle.
Voici, du reste, comment celle qui devait
être bientôt la Mère Marie de Jésus com-
prenait sa mission. Nous trouvons, à la
date du 17 septembre 1870, une lettre
adressée à un vénérable prêtre, où sa pensée
se révèle tout entière:
Puisque nous sommes entrés dans le
sanctuaire par la porte c'est-à-dire dans
l'Adorable Cœur de Jésus par sa blessure
sacrée, il n'est pas étonnant que nous goû-
tions au calice de ses amertumes, de son
agonie, de ses tristesses mortelles, de ses
douleurs intérieures, en un mot, de ce
martyre du cœur qui remplace actuellement
dans l'Eglise le martyre du sang. Les
souffrances corporelles de notre divin Ami
Jésus ont été si immenses, qu'elles ont
comme absorbé l'attention, là compassion
et l'admiration des âmes. Aujourd'hui,
les âmes sont inclinées à passer plus avant
dans les secrets de l'amour de Jésus.
«Ce n'est pas sans raison que la lance
a ouvert l'abîme du divin Cœur; elle nous
a introduits dans le Saint des Saints, où
Notre-Seigneur a, pour ainsi dire, concentré
toutes les douleurs de sa passion et nous
a montré ces plaies intérieures, mille fois
plus sensibles que toutes les autres, qui
ont déchiré le Cœur si tendre et si
aimant de notre très doux Sauveur.
«Et, en poussant les âmes à honorer d'un
culte spécial ce martyre intérieur en Jésus
et en Marie, miroir fidèle de Jésus-Victime,
le Saint-Esprit sait bien leur fournir les
moyens d'imiter ce qu'elles honorent et de
verser, elles aussi, parlimmolation intérieure,
tout le sang de leurs cœurs.
cQue ces pensées sont consolantes dans
nos temps désolés! Comme elles élèvent
l'âme et comme elles aident à découvrir le
plan secret de la Providence en tous ces
terribles événements!
«L'Eglise marche vers le terme et, à
mesure qu'elle avance, elle se pare de nou-
veaux joyaux, afin d'arriver, au jour de
l'éternité, belle comme une épouse parée
pour son époux. Le culte, l'imitation du
martyre intérieur des Cœurs de Jésus et de
Marie sera une des pierres les plus pré-
cieuses de la robe de l'Eglise; car c'est un
des plus profonds mystères et des plus
intimes secrets de l'amour: Magnum pie-
tatis sacranienfum. Et les tristesses du
temps présent ont pour objet d'attacher ce
diamant à la parure de la sainte Eglise, en
poussant énergiquement les âmes à cette
intime et silencieuse immolation qui en fera
d'héroïques victimes de l'amour divin
cQui refuserait de tremper ses lèvres au
calice des douleurs intérieures du Cœur de
Jésus? C'est le Cœur qui a tant aimé,
mais aussi c'est le Cœur quia tantsouffert!.
Et si l'amour se paye par l'amour, l'amour
de la souffrance se paye par l'immolation
et le sacrifice.»
Un peu plus tard, la jeune fondatrice
traçait ainsi le plan de son Œuvre dans
toute sa largeur et sa beauté:
«Tout, dans la future association, doit
être pour le Cœur de Jésus par le Cœur
de Marie. Comme le désir des associés est
de réparer par l'Amour les injures faites à
l'Amour de Jésus et surtout celles qui l'ont
le plus cruellement blessé, leurs âmes doivent
être toutes dévouées et consacrées au Cœur
de Jésus, organe, siège et foyer de son
amour. C'est ce Cœur qui a le plus souffert.
en Jésus; c'est ce Cœur qui nous a donné
l'Eucharistie et une Mère en Marie; c'est
ce Cœur ouvert pour nous qui nous attend
au Tabernacle; c'est Lui qui demande nos
réparations et nos immolations en faveur
de ces âmes épouses, qu'il aime si ardem-
ment; c'est Lui qui nous demande de Le
laisser devenir l'âme de nos âmes et de les
Lui donner avec nos cœurs, afin qu'Il
puisse agir librement en nous, détruire
notre vie basse et naturelle, y substituer
sa vie divine et accomplir en nous «ce qui
manque à sa Passion»; c'est Lui qui veut
vivre en nous pour y louer, y adorer, y
aimer, y glorifier son Père.,
La Mère de Dieu a été honorée, dans
son incomparable pureté, par le magnifique
cortège de vierges que tous les siècles lui
ont donné; mais il semble que Dieu ait
réservé à notre temps le bonheur et la
gloire d'honorer d'un culte et d'une imi-
tation particulière cette phase de la vie de
Marie qui a commencé au Calvaire et s'est
terminée à sa bienheureuse mort,etd'exalter,
en même temps, deux titres, des plus beaux
et des moins connus de la Reine du Ciel.

vierges, la Reine des Anges et des hommes


elle a été Victime avec Jésus-Christ. Par
;
«Marie n'est pas seulement la Vierge des

son immolation au Calvaire, elle a enfanté,


en saint Jean, tous les hommes et spéciale-
ment tous les prêtres, et par son immolation
après le Calvaire, par le long et douloureux
martyre que son cœur a souffert dans
l'attente du jour qui devait la réunir à son
Fils, elle les a nourris et formés.
«Voici que la Vierge veut se former un
nouveau cortège, en s'entourant d'une
génération d'âmes victimes, choisies parmi
les cvierges qu'elle amène au Roi; «elle
mettra dans leurs mains la Victime qu'elle
a mise au monde cl'Agneau immolé) afin
qu'elles l'offrent continuellement et qu'elles
s'immolent avec Lui sans cesse. Et ces
âmes auront pour but dans leurs immo-
lations d'enfanter et de former les prêtres
à la sainteté et la perfection du sacerdoce.
L'Eucharistie! les souvenirs du Calvaire!
I 'Fglise! c'est en quoi se concentre toute
la vie de la Stc Vierge après l'Ascension.
Comme Marie sur le Calvaire, unie au
Prêtre éternel, a offert son divin Fils et a
renouvelé chaque jour cette offrande par
les mains de St Jean, ainsi les Filles du Cœur
de Jésus offriront Jésus-Hostie immolé
d'autel en autel et d'heure en heure, par
toute la terre et unies à tous les prêtres du
monde célébreront de cœur avec eux une
messe perpétuelle, suivant l'Agneau partout
où il va, partout où il s'immole. A l'offrande
du Prêtre, elles joindront l'offrande propre
et spéciale que la Mère des prêtres leur a
léguée, celle du sang et de l'eau sortis de
la divine blessure du Sacré-Cœur.

;
Mais le Prêtre n'est pas seulement sacri-
ficateur comme les anges et comme Marie,
;
il doit être adorateur. Cet office sera par-
tagé par les Filles du Cœur de Jésus elles
seront les adoratrices de l'Eucharistie exposée
solennellement dans les églises de leurs
monastères avec toutes les magnificences
du culte; elles s'appliqueront à environner
de gloire et d'honneur l'auguste Victime, à
l'entourer des plus profonds témoignages de
respect et d'amour; ce sera leur vie, leur
raison d'être.
Les Filles du Cœur de Jésus seront vic-
times avec Marie. En même temps qu'eUes
offriront la très pure Hostie, elles s'offriront
elles-mêmes en sacrifice; elles seront des
hosties vivantes, étroitement unies aux dis-
positions de Jésus et de Marie. Pour honorer
les souffrances intimes du Cœur de Jésus,
son immolation mystique à l'Autel, et le
martyre caché et silencieux de Marie, leur
immolation sera surtout intérieure; elle con-
sistera dans une totale séparation du créé
et du sensible, dans une complète abné-
gation de la volonté et des affections
naturelles.
Jésus-Christ sur l'autel, rend à son Père
la plus grande gloire possible; il remercie,
il répare, il impètre avec une suréminente
efficacité; ainsi ces âmes unies avec Marie
à Jésus-Victime, rempliront tous les devoirs
de la créature envers Dieu, et lui offriront
par Jésus-Christ, en Lui et avec Lui, le
culte en esprit et en vérité que le Père
demande.
L'Eucharistie étant le mémorial de la
Passion, les Filles du Cœur de Jésus, cachées,
immolées, silencieuses avec l'Hostie, por-
teront profondément gravés dans leurs âmes
victimes les stigmates invisibles de Jésus
crucifié; elles vivront des souvenirs du Cal-
vaire, du sang du Fils et des larmes de la
Mère.
Les Filles du Cœur de Jésus, victimes
avec Marie, seront avec elle les auxiliatrices
du prêtre; elles feront une profession spé-
ciale de l'aider par leurs prières et leurs
sacrifices quotidiens à atteindre la sublimité
de sa vocation, et d'appeler sans cesse la
fécondité et la sainteté sur son ministère.
Sous tous les aspects si saints et si fé-
conds de la dernière phase de sa vie,
Marie est donc le modèle accompli des
religieuses du nouvel Jnstitut, dans tous
leurs devoirs envers Jésus-Christ et envers
les prêtres, les bien-aimés du Cœur de Jésus.
«Pour lors, des choses merveilleuses
:arriveront dans ces bas-lieux, où l'Esprit
«Saint, trouvant sa chère Epouse reproduite
dans les âmes, y surviendra abondamment
et les remplira de ses dons pour opérer
des merveilles de grâce. (*)

(*) Bx Grignon de Montfort.


IX.

L e plan de l'Œuvre que nous venons


de résumer fut écrit à la demande
, du Père Calage. Singulière coïnci-
dence! Ce fut le 27 février 1869 que
Marie en écrivit les premières pages; ce
devait être le 27 février, quinze ans plus
tard, qu'elle allait le signer de son sang
dans le jardin de la Servianne. Depuis
quelques années, la prodigieuse activité
déployée par Mlle Deluil-Martiny pour pro-
pager la Garde dlionneiu' dans le monde
entier, l'avait mise en relation avec les di-
verses contrées de l'Europe et notamment
avec la Belgique; elle avait rencontré une
élite de belles âmes, sympathisant avec la
sienne, au sein de ces populations flamandes
et wallones où la vie chrétienne coule à
plein bord et se traduit par des Œuvres qui
naissent et croissent à miracle. La connais-
sance qu'elle fit à Anvers, d'un pieux et
savant prélat, apôtre de la dévotion au
Sacré-Cœur, servit merveilleusement ses
desseins.
A la fin d'avril 1870, sur sa pressante
invitation, Mgr Van den Berglie vint à Mar-
seille et, à mesure que le plan de Notre-
Seigneur lui était montré, tous les attraits
satisfaction ;
de son âme semblaient trouver là leur pleine
il partit, résolu de se consacrer
sans réserve à l'œuvre entrevue pour la
gloire du divin Cœur; il fit à cette intention
le voyage de Rome et en revint avec une
lettre du Saint-Père, où se trouvent-ces
paroles: Ce n'est pas sans une douce conso-
lation de notre cœur, que nous avons appris
votre dessein d'exciter et de propager dans
votre patrie cet admirable esprit de sacrifice
que Dieu semble vouloir opposer à Cimpiété
toujours croissante de notre époque. Nous
voyons avec plaisir que, partout, un grand
nombre de personnes se dévouent tout entières
à Dieu, lui offrant même leur vie dans dar-
dentes prières, pour obtenir la délivrance et
fheureuse conservation de son Vicaire, avec
le triomphe de rEglise pour réparer les
outrages faits à la Majesté divine et, spéciale-
ment, pour expier les profanations de ceux
qui, étant le Sel de la terre, mènent une vie
peu conforme à leur dignité.*(*)
La guerre et les malheurs qui l'ont suivie
retardèrent, pendant plus d'une année la

(*) Lettre du 14 mars 1872.


mise à exécution de cette grande Œuvre;
mais, en septembre 1872, un coup de Pro-
vidence conduisit Mlle Deluil-Martiny en
Belgique; elle y reçut de Mgr Deschamps,
cardinal-archevêque de Malines, l'accueil le
plus empressé. Chose singulière! Six mois
auparavant, Son Eminence avait été avertie,
par une sainte âme inconnue à la fondatrice
et qui n'avait reçu d'elle aucune communi-
cation, de l'Œuvre qui se préparait. 11 y
a, dit l'Archevêque, un attrait presque uni-
versel des âmes vers la réparation: c'est le
besoin de l'Eglise. La lettre du Saint-Père
m'a beaucoup frappé; tout y est avec une
grande force d'expression. Nous n'aurions
jamais osé dire si clairement notre pensée.-
Puis, il donna son entier assentiment à
tout ce que lui proposa la fondatrice; il
approuva, en particulier, le choix de la règle
de Saint Ignace comme une inspiration venue
den haut pour les temps actuels
Partez, ajouta-t-il, partez pour Anvers;
allez-y au grand jour, en pleine lumière;
cela vaut mieux qu'un obscur commencement.
Etablissez-y votre Œuvre comme une Œuvre
demandée par le Saint-Père et approuvée
par moi. Je vous donnerai tout ce que je
peux donner: mon nom, mon appui, ma
protection, très heureux d'avoir les Filles
du Cœur de jésus dans mon diocèse, con-
sacré récemment au Sacré-Cœur avec tous
les évêchés suffragants.
Deux mois après cet entretien, le 8 dé-
cembre de la même année, l'acte d'érection
du Monastère de Berchem était approuvé
et signé en ces termes:
1

Considérant l'encouragement précieux


et l'approbation donnée par notre bien-aimé
Pontife Pie IX;
«Voulant remplir le désir des âmes pieuses
qui- ont résolu de s'offrir à Dieu comme
des victimes d'expiation et de se consacrer,
d'une manière spéciale et par les liens de
la sainte religion, à cette vie d'immolation
et de prière;
«Persuadé qu'un tel dessein ne peut
manquer de tourner à la gloire de Dieu,
à l'honneur de l'Eglise et à l'accroissement
de la foi et de la charité des fidèles;
Le saint nom de Dieu invoqué, érigeons
et instituons par les présentes, à Anvers,
un Monastère de religieuses Filles du Cœur
de Jésus, sous la règle de Saint-Ignace et

Institut.
avec des constitutions appropriées à l'esprit
spécial de leur

Donné à Malines, sous notre seing,


notre sceau et le contre-seing de notre
secrétaire, le 8 décembre 1872.»

Signp: Vict. Aug., Arch. de Matines.

Par mandement de Sa Grandeur Mgr l'Archevêque,


Signé: J.-A. Mertens, chan. secr.
X.

h e 20 juin de l'année 1873, jour de la


fête dù Sacré-Cœur, Mlle Deluil-Mar-
tiny, devenue la Mère Marie de Jésus,
revêtait l'habit blanc de l'Institut et
s'établissait à Berchem avec plusieurs de
ses filles.
Mir Deschamps, de plus en plus satisfait de
la ferveur et du bon esprit qui distinguaient,
dès lors, les Filles du Cœur de Jcsus et
voulant leur donner un gage de sa paternelle
bienveillance, leur confiait le service d'un
magnifique sanctuaire élevé par les soins
de MiT Van den Berghe et érigé en basilique
par un bref de S. S. Pie IX, en date du 29
janvier 1878. La Mère Marie de Jésus
monta jusqu'à l'autel et ce fut là, tout près
de la pierre sacrée sur laquelle reposait
l'Hostie, que furent célébrées ses noces
mystiques. Cet autel, la vierge consacrée
ne pouvait en approcher comme sacrificateur,
mais du moins elle en approchait comme
victime, et bientôt comme victime sanglante;
et le jour notait pas loin où elle allait unir
son Consummatuni est à celui de Jésus,
dans les mêmes sentiments de pardon pour
ses bourreaux et d'absolu dévoûment pour
l'Œuvre.
Les bénédictions de Dieu descendirent
si abondantes sur l'Œuvre naissante et son
accroissement fut si rapide, que, moins de
deux années après, on sentait le besoin
d'envoyer quelque part, pour soulager la
ruche, un essaim des Filles du Cœur de
Jrsi/s, désormais trop nombreuses.
Le 15 juin 1877, la Supérieure de Berchem
fondait le monastère d'Aix en Provence,
qu'elle transportait ensuite à la Servianne,
près Marseille, dans une propriété de sa
famille. Elle avait dit en 1873: «Mon Dieu,
donnez un jour cette Œuvre à la France!
Sa prière était exaucée.
C'est là qu'une balle stupide est venue
frapper ce front plein de lumière et de
flamme, marqué du sceau des élus. Mais,
avant qu'elle tombât sous les coups d'un
forcené aux gages des sociétés secrètes,
Dieu avait permis que la Mère Marie de
Jésus se survécût dans une autre elle même
qu'elle avait désignée d'avance, par une
sorte d'intuition, pour lui succéder dans le
gouvernement de sa petite société.
Le jour où elle entrait dans sa quarantième
année et où sa chère communauté l'en-
tourait de tous les témoignage de la plus
vive tendresse, elle avait répondu aux com-
pliments de ses filles par de charmants
couplets, qu'elle improvisait avec une mer-
veilleuse facilité et où se trouvaient ces
mots, à l'adresse de son assistante:
Salut, Mère Marie-Elise,
Aide et soutien de mou labeur,
Compagne par le Ciel promise
Pour sen'ir avec moi PŒuvre du Sacn;-Cœru.'
Quand je quitterai cette terre,
Mes elle vous restera.
S((UFS,
Pour vous en son bon cœur) mon cœur demeurera.
f
Ah! si Dieu le veut bien, en vous laissant, espar
Ne pas m'en aller tout entière;
Dans une âme de sœur, me sentir encor là!
Quel doux espoir pour votre Mère!
Quelques mois après la catastrophe du
27 février 1884, alors qu'on aurait pu croire
à la perte définitive de cette petite famille
religieuse sans Mère, les élections eurent
lieu (20 avril 1884): le vote fut unanime;
il s'y affirma l'union la plus parfaite de
toutes les Filles du Cœur de Jésus et dans
l'abandon complet à la douce Providence
et dans le filial dévouement au souvenir de
Mère Marie de Jésus. La chère Mère Marie-
Elise de Sorval, l'Assistante-générale encore
bien souffrante des deux balles qu'elle
avnit reçues dans la poitrine, fut choisie
peur remplacer la regrettée fondatrice. On
peut dire en toute vérité que le grand c'cur
de la Mère Marie de Jésus continue à
gouverner la jeune et déjà si prospère
famille religieuse: malgré les coups de la
mort, rien ne fut changé!
C'est à la porte de la Servianne que le
Père Calage vint frapper lorsque, en 1880,
au début de la persécution religieuse, les
Jésuites de Marseille furent expulsés de leur
maison. L'Œuvre qui s'était fixée là, c'était
son ueuvre, les religieuses qui y vivaient
dans l'oraison et dans l'immolation volon-
taire, c'étaient ses filles.
Le bon Père venait à la Servianne remplir
une mission dont il ne soupçonnait pas à
cette heure l'austère beauté. Cette victime
qu'il avait préparée à Notre-Seigneur, qui
s'immolait maintenant dans la pratique du
sacrifice et le martyre des peines intérieures,
il l'offrait déjà chaque jour en union avec
la victime adorable de l'autel; un jour allait
venir bientôt où il aurait à l'offrir une
dernière fois, baignée dans son sang et
immolée en l'honneur de l'Agneau.
Peut-être est-ce ici la place de rappeler le
songe mystérieux et prophétique que le
Père Calage avait eu à l'âge de dix ans et
qui devait s'appliquer à la Mère Marie de
Jésus d'une façon étrange. En voici le récit,
tel qu'il l'avait fait longtemps avant la fon-
dation des Filles du Cœur de Jésus, le 21
mai 1868.
« je me
trouvais à l'entrée d'une grande
allée, j'étais prêtre et j'accompagnais au
martyre deux vierges habillées de blanc.
Tout en marchant, je faisais cette réflexion
Pourquoi ces deux vierges vont-elles subir
:
le martyre, tandis que moi, prêtre, je suis
?
épargné En quittant cette grande allée,
nous entrâmes dans une autre plus petite
et c'est là qu'une de ces vierges reçut le
coup fatal.
L'autre, que l'on martyrisait aussi, allait
être immolée, quand je me réveillai.,
XI.

L n envoyant Mère Marie de Jésus


prendre possession du couvent de
Berchem, Mgr de Malines avait dit:
cC'est une Œuvre oui me survivra.
Malgré la catastrophe qui devait la faire
mourir au berceau, l'Œuvre, en effet, a ser-
vécu à l'éminent Archevêque, en conservant
intactes, jusque dans les moindres nuances,
avec un religieux respect et une fidélité
jalouse, les règles, les coutumes et les tra-
ditions de celle qui l'a fondée.
Ecrites dans le courant de 1875, les
constitutions furent vraiment le fruit des
longs colloques de la Mère Marie de Jésus
avec Notre-Seigneur. Elle passait de longues
heures au pied du Tabernacle, à genoux,
sans mouvement, dans un profond recueille-
ment. Plus d'une fois, elle se mit dans un
coin de la chapelle, un buvard sur ses
genoux, regardant avec amour l'Hostie dans
l'ostensoir et écrivant comme sous ladictée
du Maître. Je donne rendez-vous à l'Esprit-
Saint, disait-elle un jour, et s'il ne vient pas,
je L'attends; car, sans Lui, je ne puis rien
faire de bon, et ce travail doit être son
ouvrage. *
La Mère Marie de Jésus a recueilli pieuse-
ment dans les écrits de la bienheureuse
Marguerite-Marie tous les désirs du Cœur
de Jésus et elle les a fait entrer dans la
règle de son Institut. C'est l'Ordre du
sacrifice intérieur et de l'absolu dévouement
au Sacré-Cucur avec la règle de saint Ignace,
en ce qui s'allie à la vie contemplative et
à la trempe d'une femme; et n'eût-il que
ces éléments divers, il serait distinct de tout
autre. Mais voici des idées qui n'ont plus
de rapport avec le fonds commun des
ordres existants. Extraites des moëlles mêmes
de la doctrine, elles vont, pour la première
fois, se traduire en fait et constituer le
patrimoine spécial d'une congrégation nou-
velle: c'est le culte et l'imitation de Marie
Vierge Médiatrice, c'est l'entier sacrifice de
soi-même aux intérêts de l'Eglise et du
sacerdoce.
Ces constitutions furent, le 27 novembre
de la même année, présentées à l'approbation
de S. E. le cardinal Deschamps par le R. P.
Le Grelle, S. J., Vice-Provincial de Belgique,
qui appelle ce travail, une Œuvre de haute
sagesse et de vraie science spirituelle, tout
r
empreinte de Esprit de Dieu. Les règles
communes et particulières, est-il dit dans

et les Berchmans ;
ce rapport, sont celles qui ont sanctifié en
peu de temps les Kostka, les Gonzague
une expérience de trois
siècles en a confirmé l'excellence. Le
caractère distinctif de l'ordre y est si bien
exposé et les conséquences pratiques de cet
esprit d'amour, de réparation et de sacrifice
en découlent si clairement que toutes les
personnes qui s'y conformeront seront non
seulement dignes du beau titre de Filles du
Cœur de Jésus, mais avanceront rapidement
dans la voie de la perfection.,
Allier la mortification de l'esprit aux joies
de la vie de famille, faire du dépouillement
intérieur et du renoncement à sa volonté
propre un moyen d'immolation, pour rem-
placer les grandes austérités des anciens
ordres contemplatifs que les santés affaiblies
:
de nos jours ne comportent pas telle est
l'idée fondamentale de la règle.
Depuis le réveil jusqu'au. repos du soir,
la Fille du Cœur de Jésus voit se succéder
les différents exercices qui tendent tous à
un même but: faire une victime d'obéissance
dans les flammes du divin amour. La
-
récitation du saint Office, les demi-heures
d'adoration au pied du Saint Sacrement
toujours exposé et les conférences spirituel-
les sont séparées par un travail qui ramène
toujours l'âme à son centre: l'union au
sacrifice de Notre-Seigneur. Pour que cette
pensée soit plus présente, avant et après
chaque office, les sept paroles de Notre-
Seigneur sur la croix sont récitées grave-
ment, posément, et chantées en chuuur après
l'élévation de la messe, de même que, dans
une pensée d'action de grâces, le Magnificat
est chanté trois fois dans le cours de la
journée.
On a dit des Filles du Cœur de jésus, que
c'était le Carmel du Sacrr CœlU. Au fait,
il y a, dans le nouvel Jnstitut, tout à la fois
du Carmel et du Sacré Cœur, avec cet
arôme emprunté à la famille de l'aimable
saint François de Sales, qui semble une
émanation de son esprit et de son cœur;
c'est, comme dans le parfum qu'exhale la
Bien-Aimée des Cantiques, un composé de
myrrhe et d'encens, un heureux mélange
de simplicité, d'innocence, de suavité et de
joyeuseté.*
Dieu revêt les commencements d'une
Œuvre sainte d'une beauté et d'une douceur
particulières; Il s'y montre plussensiblement
et plus intimement présent, afin d'en obtenir
les prémices, dont Il se déclare jaloux. Une
congrégation naissante est l'aurore, le prin-
temps, l'enfance d'une existence supérieure

il Siait virgula fumi rx aromatîbus myrrhœ et


thans d univusi pulveris pigmentariL Caril III, 6.
et personne ne peut en raconter la paix,
les charmes et les espérances. La Providence
s'y montre comme une mère pour un enfant
qui doit enteprendre un long et pénible
voyage; elle le presse plus tendrement que
jamais sur son cœur et lui prodigue des
caresses dont le souvenir adoucira ses
fatigues et ranimera son courage.
Telle fut, dès l'origine, telle est encore
aujourd'hui la Société des Filles du Cœur
de Jtsus. Les âmes y respirent dans une
dilatation continuelle, les fronts y sont
épanouis, les cœurs y battent à l'unisson.
La prière et le travail y sont répartis dans
une juste mesure; nulle part, peut-être, les
offices du chlCur, les chants liturgiques et
les rites qui les accompagnent ne se font
avec plus de régularité et de dignité; la
langue de l'Eglise a, sur ces lèvres de femmes,
chose rare! une irréprochable pureté d'accent
et de prononciation qui en fait admirable-
ment ressortir les beautés. On y célèbre
les fêtes et les anniversaires de la Société
avec un redoublement de ferveur au dedans
et d'aimable expansion au dehors. Ce jour
là, le réfectoire et la salle des exercices
s'emplissent de chants, de lumières et de
fleurs. Toutes les petites industries qui
contribuent à resserrer les liens de la charité,
à entretenir la joie spirituelle dans les esprits,
l'union et la concorde dans les cœurs, y
sont alors mises en œuvre.
Répondant au compliment qui lui était
adressé à la fin de ces prédications, un
religieux disait à son auditoire de la Ser-
vianne: Vous connaissez sans doute, mes
«enfants, un célèbre poème, qui a pour
«titre: le Paradis perdu? Si j'avais à écrire
de vous, j'intitulerais mon livre- le Paradis
retrouve. -
En effet, la congrégation des FiUes du
Cœur de Jésus a .cette ressemblance avec le
Paradis, qu'on aime à y chanter; clajoie
du cœur, disait un saint,fait chanterFamour.*
Il n'y a pas dans ce séjour béni de belle
fête sans chant. L'auteur de ces chants
était ordinairement la bonne mère, dont la
verve semblait intarissable. Nous ne résistons
pas à l'envie d'extraire du volumineux recueil
qu'elle a laissé après elle une de ces pièces,
faites à main levée, mais qui n'en révèlent
pas moins un remarquable talent. Nous
prenons sans choisir.
TRIOMPHE! OU JE MEURS!

Si ce n'est pas pour t'aimer sans mesure,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Dans ton œuvre, je t'en conjure,
Par ton cœur enflammé, par sa large blessure,
0 Maître, triomphe! ou je meurs!
Si cen'est pas pour boire à ton calice,
Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Enchaîne-les au sacrifice.
Que ton divin amour les charme, les ravisse!
0 Maître, triomphe! ou je meurs!
Si ce n'est pas pour te gagner des âmes,
Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs ?
Ah! que pouvons-nous, faibles femmes!.
Prier, souffrir, mourir dans l'ardeur de tes flammes.
0 Maître, triomphe! ou je meurs!
Si cen'est pas pour te suivre au Calvaire,
Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Je courrais par toute la terre,
Pour peupler, û Jésus, d'anges ton sanctuaire!
Doux amour, triomphe! ou je meurs!

Si ce n'est pas pour les brûler de zèle,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Tu veux une troupe fidèle,
Prête à mourir pour toi quand ton amour l'appelle
Forme-là! triomphe! ou je meurs!
;
Si cen'est pas pour panser tes blessures,
Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Ah! pour guérir tes meurtrissures,
Pour étanclier ton sang, tu cherches des mains pures
Trouve-les, mon Maître, ou je meurs!

Si ne n'est pas pour souffrir en silence,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
je la connais, ta soif immense
De dire ton secret d'amour et de souffrance.
Ah! parle, triomphe! ou je meurs!

Si ce n'est pas pour refléter ta vie,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Fais-leur goûter, je t'en supplie,
Tes larmes, tes douleurs, ta sanglante agonie,
BrCde-les d'amour! ou je meurs!

Si cen'est pas pour remplir tes promesses,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Où sont leurs brûlantes tendresses,
! !.
Pour adoucir un peu tes divines tristesses?
Hâte-toi, triomphe ou je meurs

Si cen'est pas pour être des victimes,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Avec toi, pour venger les crimes.
Emporte tes agneaux sur tes autels sublimes,
Et triomphe, Maitre! ou je meurs!

Si ce n'est pas pour former ta couronne,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs!
Quand le monde entier t'abandonne
L'amour ne saura-t-il veiller près de ton trône?
0 Maitre, triomphe! ou je meurs!
Si ce n'est pas pour qu'ils vengent ta gloire,
Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Seigneur, efface ma mémoire,
Foule-moi, s'il le faut, sous ton char de victoire!
Mais, du moins, triomphe! ou je meurs!

n'est pas pour imiter Marie,


Si ce
Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Amour qui brûle sous l'hostie,
Comme la Vierge Sainte aimait l'Eucharistie,
Fais-nous donc t'aimer! ou je meurs!

Si ce n'est pas pour l'amour séraphique,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Autour du calvaire mystique,
fais-leur chanter du Ciel le virginal cantique
Epoux sacré, règne! ou je meurs!

Si ce n'est pas pour dévoiler tes charmes,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Roi d'amour, use de tes armes !
Que, de tes yeux noyés dans le sang et les larmes,
Un regard les brûle! ou je meurs!

Si cen'est pas pour toi seul, Roi suprême,


Pourquoi m'as-tu donné ces cœurs?
Ah! je voudrais être anathème
0 !
Maître, triomphe ou je meurs i
Pour qu'un grand cieur de plus te glorifie et t'aime!

27 mai 1877.
Ne croirait-on pas entendre la grande
contemplative davila, qui, elle aussi, ne
dédaignait pas de demander au rythme et
à la poésie de traduire l'amour qui embrasait
son cœur?
«C'était hier, écrit-elle, la fête du Nom de
Jésus et nous eûmes une grande réjouissance
au couvent. Je ne sais comment reconnaître
vos bontés, à moins que vous ne vouliez
accepter en échange ces couplets que j'ai
faits pour divertir nos SIcurs, avec qui j'ai
passé la récréation du soir. Ils n'ont ni
pied ni tête, mais on ne laisse pas de les
chanter.
En voici d'autres que je fis un jour que
j'étais absorbée en oraison. Il me semble,
à mesure que je les composais, qu'une
douce paix envahissait mon âme..
Suit ce chant bien connu:
Vous triomphez, ô Beauté sans seconde,
Pour vous, j'éprouve un tourment enchanteur.
Entre ces couplets et ceux que nous
avons cités de la Mère Marie de Jésus, la
parenté est manifeste. Il nous semble im-
possible de ne pas en être frappé.
XII.

e,7~ peine investie, dans des circons-


tances si pénibles, du lourd fardeau
de l'autorité, la nouvelle Supérieure
tourna les yeux vers Rome, cette
Rome où vont les hommages de filiale
obéissance des cœurs chrétiens et d'où leur
vient le secours. Le pape Léon XIII, de
pieuse mémoire, lui avait envoyé, dès son.
entrée en charge,- ainsi qu'à ses Filles, la
plus paternelle des bénédictions. C'était le
début des particulières bontés qu'il devait
avoir durant tout son glorieux pontificat
pour la Société des Filles du Cœur de Jésus.
Au mois d'avril 1885, pour le premier essai
de ses forces, leur Supérieure Générale fit
le voyage de Rome. Le Saint-Père se montra
d'une extrême bienveillance et promit de
protéger toujours une Œuvre dont il
appréciait si fort le caractère et l'importance.
L'accueil des cardinaux et des prélats romains
ne fut pas moins sympathique. La Révérende
Mère revint chargée de bénédictions et
d'encourageantes promesses.
Mais, à Marseille, l'épreuve faisait rage
autour de la petite Société; il avait fallu
quitter la Servianne! On trouva un premier
asile dans une maison du boulevard Saint-
Charles: on y était bien à l'étroit, mais la
charité et la paix régnaient parmi ces enfants
du bon Dieu; et d'ailleurs, on avait en la
personne du pieux évêque de Marseille,
Mgr. Robert, un protecteur absolument et
énergiquement dévoué.
Sur ces entrefaites, le 25 février 1888'
paraissait un Bref laudatif de Léon XIII où'
après avoir nommé Marie Deluil-Martiny
une pieuse et insigne vierge, il daignait louer
et recommander grandement le but de la
Société des Filles du Cœur de Jésus. Il
leur accordait en même temps un puissant
protecteur en la personne du cardinal Camille
Mazzella, l'un des membres les plus éminents
du Sacré-Collège et à qui le culte du Sacré
Cœur était si cher.
Elle grandissait, du reste, l'humble plante
semée par la Mère Marie de jésus ei arrosée
de son sang; elle enfonçait chaque jour
plus avant ses racines dans le sol chrétien.
Le 12 mai 1889, une maison des Filles du
Cœur de jésus s'établissait à Turin, sous
le bienveillant patronage du cardinal Alimonda.
Les humbles religieuses qui venaient se fixer
ainsi da!1s la grande cité piémontaise faisaient
profession de se dévouer, par la prière et
l'immolation personnelle, aux intérêts du
sacerdoce catholique. Profondément touchés
de cette double considération, les prêtres
de Turin et des environs (puissent-ils avoir
!)
partout de nombreux imitateurs ne tardèrent
point à venir à ce sanctuaire comme à une
source de pieuses pensées et de saintes
àlfrgies. Depuis 1896, constitués en dévote
ligue sous le nom de Prêtres-Disciplcs du
Sacré Cœur ils y viennent chaque année en
pèlerinage et c'est un spectacle singulière-
ment émouvant que de voir réunis dans
cette chapelle des centaines de prêtres en
surplis, présidés souvent par S. E. le cardinal
Richelmy. Ainsi se traduit dans des faits
cette idée de l'union au sacerdoce par le
sacrifice et la prière, qui est l'une des plus
belles et des plus grandes idées de l'Institut
des Filles du Cœur de Jésus.
Le9 juin 1895, nouvelle fondation à Schwyz,
en Suisse, dans un vieux couvent franciscain
du XVe siècle, le Klôsterli de Saint-Joseph.
Ce fut une fête grandiose à laquelle prirent
part les autorités de la ville avec tous les
habitants. Heureux pays où la foi règle
les actes publics de la cité, tout aussi bien
que la vie privée de chaque citoyen! Mais
aussi le Cœur de Jésus se plaît à répandre
ses faveurs sur la région.
Puis, en 1897, ce fut Montpellier qui reçut
un nouvel essaim des Filles du Cœur de
Jésus. Cependant déjà grondait l'orage qui
allait disperser et rejeter hors de France
tant de familles religieuses; au grand regret
de Mgr. de Cabrières, qui eût voulu les
garder toujours, les Filles du Cœur de Jésus
durent s'éloigner, elles aussi.
Vers le milieu de 1903, la Maison de
Marseille se vit, à son tour, obligée par
une loi inhumaine de quitter la France.
Une partie des religieuses ainsi chassées
allèrent grossir un groupe qui fondait la
maison de Namur, en préparation depuis
quelques années sous le bienveillant patronage
de Mgr. Heylen; il s'y établit même un
noviciat pour celles des sœurs dont la
santé pouvait s'accommoder du climat du
Nord. Les autres — ce fut le plus grand
nombre — se rendirent à Rome, où le
cardinal Aloïsi Massella, qui, en 1900, avait
remplacécomme protecteur de la Société le
îi a,
cardinal Can 11eMazzel1 de vénérée mémoire,
sollicita du Saint-Siège l'autorisation de
fonder une maison dans la Ville Eternelle.
Le Souverain Pontife Léon XIII accueillit
la demande avec une paternelle bienveillance,
en se disant heureux d'accorder cette con-
solation aux Filles du Cutur de Jésus comme
un dédommagement des épreuves qu'elles
avaient subies.
L'emplacement choisi pour le nouveau
monastère était près de la Porta Pia. Pins
et chênes verts dans le jardin, de l'air et
une échappée sur la ligne bleue des monts
de la Sabine, tout y faisait un site idéal
pour une communauté contemplative mais ;
ce qui était infiniment plus précieux, c'est
qu'on avait dans la maison même l'entrée
de la Catacombe de Saint-Nicomède.
Heureuses de vivre à l'ombre du Vatican,
sur un sol consacré par le sang des martyrs,
les Filles du Cœur de Jésus ont établi là
leur Maison-Mère et leur principal noviciat.
La Maison d'Anvers, qui fut le berceau de
l'Institut, conserve néanmoins toute son
importance; elle est devenue en 1902 le centre
général pour la Belgique de l'Archiconfrérie
de la Garde d'honneur.
Ajoutons avec joie qu'en toutes ces
fondations nouvelles règne la ferveur avec
l'esprit qui est propre à l'Institut. Nous
sommes toutes pareilles,» disait récemment
avec une sainte fierté la T. R. Mère Générale.
C'est une véritable bénédiction de Dieu.
:
Et voici qui intéressera au plus haut point
bien des personnes pieuses un grand nombre
d'âmes vivant dans le monde ont peu à peu
entrevu ce qu'il y a d'idéalement beau et de di-
t
vinemen attirant dans le sacerdoce mystique(*)
(*) Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal,
la nation sainte. I Petr.II.9
dont Dieu honore les simples chrétiens, ou dans
les sublimes immolations de l'état de victime;
non contentes de suivre par la pensée le
groupe de vierges consacrées qui, dans une
existence toute vouée au sacrifice, con-
vertissent ces idées saines en réalités bien
vivantes, elles ont sollicité la faveur de
s'unir à lui pour participer à ses dispositions,
à ses actes, à ses mérites, pour se serrer
avec lui autour de l'Hostie sainte et l'offrir
à Dieu en union avec le prêtre à l'autel.
A ces demandes réitérées d'affiliation, qui
correspondaient si bien au large dessein
qu'avait conçu la Mère Marie de Jésus,
d'étendre l'esprit et le bienfait de l'Œuvre
à l'élite des âmes pieuses vivant dans le
monde, la nouvelle Supérieure Générale
répondit par la constitution de cette
association si chère qui, en ce siècle de
sensualisme, excite les fidèles à s'unir avec
les Filles du Cœur de Jésus, par [immola-
tion et la réparation, à Jésus-Christ, Prêtre
et Victime sur nos autels.
Au reste, la Révérende Mère s'engagea
avec d'autant plus d'ardeur dans cette voie,
qu'elle reçut les plus consolants encourage-
ments. Et Léon XIII, en approuvant plus
tard, en date du 2 février 1902, les Con-
stitutions des Filles du Cœur de Jésus,
approuva en même temps l'affiliation.
Nous nous en voudrions de passer sous
silence une autre association, d'un caractère
plus spécial et qui ne fut agréée par la
Supérieure générale qu'après plusieurs
années de demandes fréquemment renou-
velées: c'est l'Association des âmes victimes
du Cœur de Jésus, qui permet aux per-
sonnes vivant dans le monde de s'unir aux
Filles du Cœur de Jésus par un acte
spécial d'oblation: s'abandonnant sans
réserve au Cœur du divin Maître, elles
acceptent d'avance toutes les peines et les
souffrances tant pour l'âme que pour le
corps et l'esprit, qu'il jugera bon de leur
envoyer.(*)
Voilà ce que fait la grâce de Dieu: si
l'iniquité domine et si la grande masse, en
ces temps mauvais surtout, oublieuse de ses
devoirs et de son éternité, se rue aux plaisirs
des sens, le souffle divin suscite des âmes
qui, aimant Jésus jusqu'au sacrifice total
d'elles-mêmes, se joignent volontiers de CIvur
à la généreuse phalange des volontaires de
l'immolation de soi!
(*) Il va sans dire, ainsi que le remarquait avec
esprit une de nos associées que cet acte n'entraîne
pas une mon terrible, ilrnx heures après son émission ,
mais il sanctifie cette suite de légers sacrifices et
de renoncements familiers qui, le plus souvent, est
le partage de l'existence chrétienne; les grands
sacrifices, du reste, ne sont guère chose quotidienne.
Ajoutons enfin que le scapulaire du Cœur
agonisant de Jésus et du Cœur compatissant
de Marie, approuvé par la Congrégation des
Rites pour les Filles du Cœur de Jésus et
les personnes affiliées à leur Institut, a été
concédé par la forme même du Décret au
monde entier. Les âmes intérieures que la
grâce ramène souvent aux douleurs du
Cuuur de Jésus et de celles de la sainte
Vierge, aimeront à revêtir ce scapulaire.(*)
Le sang du martyre avait coulé il y a plus
de vingt ans; Dieu ne lui a point refusé
la vertu féconde qui fait germer les œuvres
et les âmes chrétiennes; en dépit des diffi-
cultés qui devaient arrêter son essor, la
famille religieuse de la Mère Marie de Jésus
s'est multipliée d'une façon merveilleuse;
avec un soin jaloux, elle a pris ici ou là
ce qu'il y a de plus pur et de plus généreux,
pour le grouper sous la même bannière du
sacrifice et de l'immolation de soi. Vraiment,
par sa mort, la Mère Marie de Jésus a, dans
beaucoup d'âmes, établi le triomphe du
divin Cœur.
Le Sacré Cœur! Mais la vénérée fonda-
(*) Ce scapulaire est destiné à devenir le préser-
vatif contre le schisme et l'hérésie, et tout le monde
en constatera l'opportunité à l'heure présente,
comme déjà en 1848 le R. P. Roothaan, général des.
Jésuites, l'avait compris en s'en revêtant un des
premier^.
trice veut à tout prix procurer son règne
ici-bas! « Je ne vis, écrit-elle, que du désir
qui me brûle: c'est que le Cœur du Maître
soit connu, aimé, glorifié Roi des cœurs.
A Dieu d'exalter le Cœur sacré de Jésus
Qu'Il triomphe et que nous soyons anéanties
!
pour Lui!» Outre donc la Garde d'honneur,
dont elle fut dès sa prime jeunesse la plus
ardente zélatrice, Marie de Jésus en cherche
une autre et plus intime et plus constamment
assidue autour de ce divin Roi. Les outrages
qui lui sont adressés sont de tous les instants,
incessantes également seront les prières et
les immolations.
Et ainsi fut fondé l'Institut des Filles du
Cœur de Jésus, humble et dévouée garde
du Corps eucharistique, résolue à combattre
pour le règne du Sacré-Cœur avec l'arme
de l'immolation et de la prière et sans autre
désir que de Le voir connu, aimé et exalté
jusqu'aux confins du monde: OportetMuni
regnare! Ce texte, gravé dans le blason de
l'Institut et, mieux encore, au fond du ouur
de ses religieuses, est à tout jamais leur
pieuse et noble devise!
On s'imagine aisément, après cela, la joie
des Filles du Cœur de Jésus quand, le 30
août 1903, sous les voûtes de la toute
gracieuse basilique d'Anvers, vraie- maison
royale du Sacré-Cwur confiée à leurs soins,
eurent lieu, en suite d'un Bref de S. S.
Léon XIII, les fêtes du premier couronnement
officiel de la statue du Sacré Cucur. Le
cardinal Goossens, de regrettée mémoire,
avait eu l'honneur et l'indicible félicité
d'accomplir, le premier, au nom du Souverain
Pontife, cet acte d'une si haute portée
religieuse et sociale: Lareconnaissancepublique
et solennelle de la Royauté du Cœur de
Jésus.(*)
Renouvelée plusieurs fois depuis, cette
auguste cérémonie ne fut nulle part, croyons-
nous, entourée de plus de solennité qu'à
Turin, dans la chapelle des Filles du Cœur
de Jésus: deux cents prêtres composaient
l'assistance, présidée ici aussi par un prince
de l'Eglise, le cardinal Richelmy, archevêque
de cette ville. Ces prêtres avaient voulu
offrir eux-mêmes le riche diadème destiné
à ceindre le front du Roi des rois.
Quel honneur pour les Filles du Cœui
de Jésus d'avoir inspiré, pour leur part, ce
mouvement essentiellement catholique! Mais,
pour elles encore, quel bonheur surtout!
(*) Certes, avant le couronnement du Sacré-Cœur
à Anvers, il y avait eu ailleurs des couronnements
de sa statue, mais aucun, nous tenons à le faire
remarquer, n'avait un caractère officiel; ils étaient
le fruit pieux de dispositions purement privées.
Pour Anvers, au contraire, c'est en vertu d'un Bref
spécialdeS.S.Léon XIII quefeulecardlnaJ-Qoossens
procéda à cette émouvante cérémonie.
Car le Sacré Cfcur n'oublie jamais ceux qui
travaillent à sa gloire, et l'Institut en recueille
précieuses!.
d'ores et déjà les bénédictions les plus
Après le Sacré Cœur, voilà
bien l'objetprincipal de la piété des Filles
du Cucur de Jésus: la douce Vierge Marie,
considérée dans ses rapports avec le
sacerdoce! Parmi les multiples aspects sous
lesquels on peut envisager l'idéale créature
qui, au titre de Mère de l'Homme-Dieu, fut
mêlée, de par un dessein providentiel, à tous
les mystères chrétiens, celui-ci s'offre aux
âmes intérieures comme l'un des plus
touchants et des plus nobles, et, un jour
ou l'autre, sous l'action mystérieuse et
puissante du Saint-Esprit, il devait venir une
famille religieuse qui aurait à cccur de
s'attacher spécialement à ce point particulier
de la piété chrétienne pour le méditer, le
vénérer et l'appliquer d'une manière prati-
que à la vie des âmes. Si Marie est l'honneur
et le soutien de la femme vouée à Dieu
— interccde pro devoto femineo sexu, lui dit
l'Eglise — elle en est aussi le modèle; et
les diverses circonstances de sa très sainte
vie et les vertus qu'elle y pratiqua se
reproduisent, comme celles deNotre-Seigneur,
dans l'imitation de ses enfants.
Hâtons-nous de le dire: les Filles du
Cœur de Jésus ont conservé avec le plus
religieux respect tes idées doctrinales et les
pratiques pieuses de leur Mère fondatrice
relativement à la Vierge Médiatrice. Elles
l'invoquent, la vénèrent, se pénètrent à l'envi
de ses dispostitions intimes dans leur union
continuelle au Saint-Sacrifice par la prière
et l'immolation. Pour faire entrer plus avant
dans le Cetur de ses religieuses cette dévotion à
la très Sainte Vierge, la Supérieure Générale
crut devoir s'adresser à l'art de la peinture
et elle demanda à un grand artiste romain,
un tableau représentant l'auguste Reine du
Sacerdoce dans l'attitude de l'offrande.
L'idée n'était pas une nouveauté; c'était
un retour à la pieuse antiquité chrétienne.
Dans plus d'une Orante des Catacombes,
il est impossible de ne pas reconnaître la
Ste Vierge Marie. Mais une couvre d'art
ancienne, qui nous la représente sûrement
dans cette attitude d'offrande et qui nous
dit qu'elle est pour le sacerdoce chrétien
un modèle, un soutien, une mère, c'est la
mosaïque de l'abside de St Venance, au
baptistère de Latran. Au centre la Vierge
est en Orante; autour d'eUe, à droite et à
gauche, on voit St Pierre, SLPaul, S' Jean
-

BaptisteetS' Jean l'Evangéliste; puis les saints


martyrs Venance et Dominion et enfin les
deux Papes qui firent élever et décorer cet
oratoire; le pape Jean IV 640-642, et le
pape Théodore, 642-649.
Ces idées n'étaient point pour resterderrière
les murs d'un couvent, comme un patrimoine
précieux, mais réservé à quelques âmes
d'élite; elles méritaient d'être appelées à la
pleine lumière de la grande vie chrétienne.
Mgr. Van den Berghe les avait développées
dans son pieux ouvrage, Marie etleSacer-
doce, que les prêtres et les âmes dévouées
à Marie devraient connaître et méditer. Par
les soins de la Supérieure Générale, il fut
traduit en italien; la traduction eut beaucoup
de succès et elle valut aux Filles du Guur
de Jésus l'honneur de recevoir du Cardinal
Vincent Vannutelli la lettre dont nous
extrayons ce passage:
«L'auteur du livre, Marie et le Sacerdoce
.a résumé et interprété, avec autant de
cscience que de piété, les pensées des
,. Docteurs de l'Eglise se rapportant au
«sacerdoce mystique de Marie, et elles
forment comme un concert de louanges
«à la gloire de notre auguste Souveraine.
"Sans être revêtue du caractère sacerdotal,
iLMarie ayant été si étroitement unie au
«sacrifice du Prêtre Eternel, Jésus-Christ
«Notre-Seigneur, a été appelée par des Pères
cde l'Eglise Virgo saccrdos, et le Bref du
,-grand Pontife Pie IX, accepte et consacre
,-ce titre glorieux. Saluons, à notre tour,
cette divine Reine du Sacerdoce, et, en
cette année mémorable, formons le vau
«qu'elle remplisse de son esprit tous les
membres du clergé et obtienne de son Fils de
crépandre sur eux, comme sur l'Eglise entière,
une grande abondance de bénédictions et
<de dons célestes. Rome 16 Juillet 1904.»
Le Congrès Marial annoncé dans cette lettre
et qui se tint à Rome en décembre 1904,
fut un triomphe pour la Vierge Immaculée.
Un éminent religieux, distingué par son
savoir, professeur de théologie dogmatique
au Collége de la Propagande, fut invité par
le Président du Congrès à traiter certaines
questions relatives à la Sainte Vierge; il
s'attacha principalement à justifier son titre
de Corédemptrice, que certains affectent de
regarder comme douteux, et même comme
étranger à la foi catholique. Sans doute,
dit-il, Notre Seigneur Jésus-Christ est le seul
Rédempteur. Lui - même toutefois s'est
adjoint des coopérateurs en créant les prêtres,
ministres de la Loi nouvelle. Elle est
sublime, la dignité du Prêtre. Mais la Mère
du Rédempteur en sera-t-elle privée? Non,
quoiqu'on ne puisse pas l'appeler Prêtre
dans le sens propre du mot, néanmoins à
cause de son union intime au sacrifice du
Christ, bien plus excellemment que tes
prêtres on peut l'appeler et on l'appelle, en
effet, Corédemptrice.
venu en ce monde pour faire la grande
ituvre de la Rédemption, passionné pour
la Croix sur laquelle il devait la consommer,
Jésus ratifia dès le principe le décret déjà
porté de s'adjoindre sa très sainte Mère
dans cette œuvre; et au moment de son
agonie, Il mit le sceau à cet arrêt de sa
volonté, lorsqu'il constitua sa propre Mère,
Mère des hommes, voulant que par Elle,
ils obstinsent le salut qu'il leur avait mérité.
Aussi, comme a dit Léon XIII, la Vierge
du Cénacle aida grandement les prémices
du Christianisme, par la sainteté de ses
exemples, par l'autorité de ses conseils et
la suavité de ses encouragements, et enfin
par l'efficacité de ses prières, comme vraie
Mère de l'Eglise et Maîtresse des Apôtres.
A propos des douleurs de la Très Sainte
Vierge dans la Passion, douleurs qu'elle
souffrit non pour elle-même, mais pour les
hommes, l'orateur rappelle comment, depuis
peu, Dieu a suscité dans l'Eglise un nouvel
institut, celui des Filles du Cuur de Jésus,
qui ont pour but de s'offrir à Dieu pour
le grand bien de la tribu sacerdotale, unissant
leur sacrifice à celui du Rédempteur et de
sa divine Mère, laquelle peut être appelée
à bon droit la gloire du sacerdoce catholique.
C'est dans ces régions que la Mère Marie
de Jésus désirait voir vivre ses filles; elles
y vivent. Les anges de Dieu recueillent,
pour les porter au ciel, les immolations des
victimes volontaires qui ont assumé le grand
devoir de la réparation.
Et le Christ qui ne peut plus souffrir,
mais qui veut que l'humanité s'associe
activement au mystère de sa Passion, daigne
unir le mérite de ces faibles obscures
immolations au mérite infini des siennes,
afin que par là le monde soit épargné et
les âmes sauvées.
APPENDICE
SUR L'ESPRIT PARTICULIER

DE LA MÈRE MARIE DE JÉSUS

(Traduit de l'italien)
APPENDICE
SUR L'ESPRIT PARTICULIER

DE LA MÈRE MARIE DE JÉSUS.

La Mère Marie de Jésus est une de ces grandes


âmes que Dieu dans sa miséricorde envoie de temps
en temps à l'Eglise, comme un secours spécial et
opportun en faveur de ses enfants qui militent sur
la terre.
L'Histoire de l'Eglise nous présente un grand
nombre de ces âmes investies d'une mission provi-
dentielle. Par l'exemple d'une vie sans tache, par
un zèle plein d'ardeur, méprisant toute considé-
ration humaine, elles viennent opposer une puis-
sante barrière à l'immense diffusion des fausses
doctrines qui sont la mort de la foi, des mœurs et
de la piété chrétienne.
Mais en ce temps où le règne de l'erreur semble
avoir envahi presque toute la terre, ce qui frappe
d'étonnement c'est que le Cœur de Jésus ait voulu
jeter ses regards sur une jeune fille faible, désarmée
pour la revendication de ses droits divins.
La Mère Marie de Jésus, mieux qu'aucune autre
de son sexe peut-être, a eu l'intuition objective et
exacte des tristes et réelles conditions de la Société
de nos jours. Voici le tableau qu'elle en fit dans
une lettre du 8 décembre 1882.(*)

(*) Cette lettre constitue une magistrale étude de


sociologie spirituelle si je peux m'exprimer ainsi —
et les lecteurs me sauront gré d'avoir cité ce long
passage.
L'antique ennemi du genre humain, qui est aussi
;
«et surtout l'ennemi de Dieu, a de tout temps
conspiré à perdre les âmes mais jamais peut-être
«plus qu'aujourd'hui il n'a osé guerroyer avec tant
«d'audace, de cynisme et de perfidie. Cette lutte

;
«revêt depuis un siècle et demi, un caractère spécial
«qui doit inspirer les réflexions les plus graves
«n'est plus comme autrefois une attaque partielle
ce
contre quelque point du dogme et de la morale
«catholique, une erreur qui, après les plus funestes
«agitations, était comme forcée de se cantonner sur
-certains points, ne pouvant s'emparer selon ses
«souhaits d'une société dont les grandes assises
«n'avaient point encore été désorganisées dans
;
leurs bases; ou une révolte accidentelle et locale
«contre quelque prince de nos jours c'est un vaste
«mouvement d'ensemble contraire à tous les dog-
«mes religieux, à tous les principes de la morale,
«et à toutes les bases de la société religieuse et
civile. Ce mal est universel, il se répand chez tous
les peuples du monde, malgré les différences de
«climat, de race, de gouvernement, enlaçant les
«intelligences dans un vaste réseau de mensonges

toutes les vérités sont amoindries ;


«couverts et exprimés par des mots séduisants.(*)
«Dans l'esprit d'un très grand nombre d'hommes
les plus
«étranges aberrations sont accréditées; les plus
manifestes erreurs sont acclamées; les principes
..les plus subversifs sont proclamés et admis Eu
«face de l'Eglise de Jésus-Christ, se dresse presque
sans voile, enhardie par les malheurs des temps
l'infernale Eglise de Satan qui, si longtemps, a
tramé ses complots dans l'ombre, et a couvert du.
«plus profond secret ses erreurs abominables, ses
«ignobles mystères et ses desseins odieux. Elle

(*) Mgr Dechamps, Les socutés secrètes et la


Société.
poursuit follement l'anéantissement des droits de
-Dieu en ce monde, le renversement de l'Eglise et
«de toutes les bases de l'ordre social chrétien,
«l'exiiitation de la prétendue perfection native de
..l'homme et de son indépendance vis-à-vis de
-Dieu, la destruction de toute autorité, le règne de
«la matière, du désordre et de l'impiété, la néga-
..tion même de Dieu: ni Dieu ni maître! voilà le
«résumé des doctrines de cette école infernale.
«La cause et l'agent de ce mal immense ce sont
«donc surtout les sociétés secrètes, dont la diffusion
est devenue prodigeuse, et qui paraissent tontes

:
;
«se rattacher d'une façon ou de l'autre à la franc-
«maçonnerie et ce mal lui-même, c'est ce qu'on
«est convenu d'appeler avec des interprétations si
-diverses la révolution sociale et religieuse.
Et remarquez bien ici, qu'il ne s'agit pas de
politique; la politique n'est qu'un masque pour
les sectes; toutes les formes de gouvernement
«leur vont, si elles peuvent les guider et les cor-
rrompre et aller par elles à leur but infernal. Rêve
«insensé et impie! elles ont cru, assure-t-on, oubliant
l'intervention divine et les promesses faites par
Notre-Seigneur Jésus-Christ à son Eglise, qu'elles
"'pourraient arriver un jour à mettre la main sur la
Papauté, et à asseoir un des leurs sur la chaire de
Pierre, -pour rendre la révolution vraiment maî-
tresse du monde et remplacer le règne de Jésus-
.christ par le règne de Satan. Ces infâmes desseins
sont constamment déjoués par l'assistance surna-
..turelle que Dieu donne à son Eglise.
«Gouvemer les âmes pour le triomphe du mal tel
est le but des sectes secrètes. L'Eglise seule a le
;
droit et le pouvoir de les gouverner pour les mener
à Dieu Elle accomplit ici-bas le plan de Dieu; la
secte s'efforce d'accomplir le plan de Satan et de
l'homme ligués et révoltés contre Dieu.
,-Ce plan infernal qui est en réalité la doctrine
«de la Franc-Maçonnerie mise en action, met Les
;
«prétendus droits de l'homme à la place des droits
et de la loi de Dieu et par un renversement radi-
cal de l'ordre pose l'homme comme sa fin à lui-
-même. C'est la déification impie et satanique de
«l'humanité, ou l'homme mis sacrilègement à la
;
"place de Dieu. L'idée religieuse elle-même doit
«disparaître tout devient humain, c'est-à-dire
indépendant de la loi divine et de toute fin suma-
turelle, l'organisation, le pouvoir, les moyens et
;
«le but.(*) La raison révoltée et la fausse science
,remplacent la foi et la vérité et l'idée impropre-
ment appelée laïque et qu'il faudrait appeler sata-
nique est substituée à l'idée religieuse.
-La secte secrète attaque, poursuit et veut
"anéantir à la fin la religion, la morale, l'autorité,
«la famille, la propriété, l'éducation chrétienne,
"tout gouvernement honnête, la vraie liberté et la
«Papauté, qu'elle regarde comme le centre et la
garantie de toutes ces grandes choses qui consti-
«tuent la société et sur lesquelles elle repose
«comme sur sa base. Elle veut tout détruire pour
en arriver à ce qu'elle appelle l'état de nature,
c'est-à-dire véritablement à l'anarchie, à la sauva-
gerie et à la barbarie; plus de culte, que l'adoration
de soi-même, plus de devoirs qu'un égoïsme
effréné, et la satisfaction par tous les moyens des
"instincts les plus monstrueux.
Elle fait entrer ses adeptes dans les conseils
'des nations, pour y combattre, par des meneau
secrètes et habiles, ce qui est contraire à ses fins:
elle monte quand elle peut, au faîte du pouvoir
social, pour réaliser par des lois impies le but
épouvantable qu'elle poursuit et qu'elle ne cache

(*) Mgr Dechamps, Ibid.


plus de nos jours, à cause du nombre considérable
de ses initiés, que sous des voiles transparents et
menteurs qui ne trompent pas les esprits sérieux.
«Nous en sommes ies témoins attristés. Et qu'est-ce
donc que ces lois d'oppression contre toutes les
«justes libertés de l'Eglise? cette spoliation des
«Etats du Saint-Siège? Cette captivité imposée
au Souverain Pontife? cette violation du domicile
«lies religieux et cette dispersion de leurs commu-
-nautés? Ces mesures contre le recrutement du
«sacerdoce? ces lycées de jeunes filles? ces atten-
tats sacrilèges contre les sanctuaires catholiques ?
ces écoles sans Dieu? ces hôpitaux sans prêtres,
-ces lois désorganisatrices de la famille? cet enlève-
",ment du Crucifix dans nos cimetières et partout?-
-cette haine de Dieu soufflée aux âmes innocentes
des petits enfants? cette liberté sans frein accordée
caux publications les plus corruptrices? Cette pro-
pagation effrénée des doctrines les plus subver-
sives et les plus honteuses? cette violation des
droits les plus sacrés? Qu'est-ce donc si ce n'est
la réalisation à ciel découvert et par les voies
«prétendues légales, des doctrines admises et des
plans arrêtés depuis si longtemps dans les conci-
liabules de la franc-maçonnerie, et tant de fois
signales par les Souverains Pontifes comme des-
tructrices de toute morale, de toute société, et de
«toute religion?
«En face de l'erreur ainsi triomphante et presque
-maîtresse du monde, ayant du moins pour elle la
force matérielle, le pouvoir et cette apparente
«légalité par laquelle 011 cherche de nos jours à
légitimer tant de mal, faut-il donc désespérer du
présent et de l'avenir? Jamais! Jamais! Jésus-
Christ a vaincu Satan et le monde! A Jésus-Christ
'toute puissance appartient; au nom de Jésus-Christ
-tout genou fléchit, même dans les enfers. Les
«nations lui ont été données en héritage. Pendant
qu'il laisse la bête infernale se débattre à ses pieds
«dans de passagers et trompeurs succès, vainqueur
il triomphe, et les Anges des Cieux chantent déjà
«sa victoire définitive!
«Toute l'action de la Révolution et des sectes
«secrètes est essentiellement satanique, tout y est
mensonge, enchaînement fatal d'erreurs, tendance
caveugle vers la destruction, mais incapacité radi-
«cale de rien édifier de durable, même pour le bon-
«heur temporel des peuples: leurs idées et leurs
«maximes perverses portent le signe de la bête;
«c'est l'écho de la révolte de l'Ange déchu qui
chcrche à entraîner à sa suite l'homme que Dieu
a tant aimé.
«Mais qui est comme Dieu? Les portes de l'enfer
ne prévaudront point contre l'Eglise qu'il a fon-
dée. Le triomphe final n'est point pour ceux qui
portent le signe d'e la bête; il est pour nous qui
!.
portons le nom de Jésus-Christ sur nos fronts et
son amour dans nos cœurs
hensibles à l'esprit humain;
La Providence marche par des voies incompré-
elles n'en sont que
plus adorables; et c'est là-haut que nous aurons
la joie, la surprise et l'admiration de ce grand
plan divin, dont chacun de nous ici-bas ne perçoit
quelques lignes voir l'ensemble. cU
«que sans a
fallu que Jésus-Christ souffrît et qu'il entrât ainsi
-dans sa gloire; «il faut que l'Eglise et les âmes
passent par le même chemin. L'Eglise ne vit pas
seulement un jour; quand les martyrs tombaient
comme tombent l'hiver les flocons de neige, n'eut-
"on pas pu croire que tout était perdu? Non, leur
sang préparait les triomphes de l'avenir! Nous
ne vivons pas pour nous, il faut tout voir dans les
"desseins de Dieu; nos douleurs actuelles —
iraient-elles au comble et serions-nous sacrifiées
nous-mêmes dans le désastre, — achètent et
préparent des triomphes futurs et assurés de
l'Eglise; nous travaillons pour ceux qui viendront
apres-nous; et ils recueilleront, Ad majorent Dei
gloriam, Le fruit de nos larmes. et peut-être de
notre sang.*
Il ne semble pas possible de trouver chez une
femme, qui a toujours vécu cachée à l'ombre d'un
cloître, des vues si sûres, si fortes, si magnanimes.
Mais où a-t-elle puisé ces pensées si profondes,
cette largeur de vues, cette générosité de volonté ?
Quel principe en a donc été le moteur? Quelle est la
maxime fondamentale, l'impulsion puissante qui a
suscité, affermi, développé dans son esprit cet idéal
véritable, ces conceptions sublimes, cette confiance
sans bornes dans le triomphe complet sur le mal
et les apostasies!
La cause principale, le moteur qui a dirigé la
pensée et le Cu;ur de Marie Deluil-Martiny c'est le
C<l'ur de Jésus lui-même auquel elle s'était consa-
crée depuis ses plus tendres années spontanément
et pour toujours.
Pendant que le monde conspirait avec plus de
haine contre la Divine et Royale Majesté, du haut
de sou trône eucharistique Jésus usa encore une
fois de miséricorde et resolut de se préparer, en la
personne de Marie Deluil-Martiny, un instrument
propre à la restauration et à la propagation de son
:
règne sur la terre. Le généreux cri de guerre et de
victoire de l'Apôtre des Gentils Oportet illtim rtgnarc
trouve un écho en ce cœur de vierge.
Avec sa nature recueillie et réfléchie elle adopte
cette devise sur laquelle elle base un programme
d'ouvrés saintes et merveilleuses. De même que le
solitaire de Matirèse appelé à combattre la réforme,
sortitde sa retraite décidé à revendiquer la gloire
Et Jésus pour réaliser un but si sublime dresse,
dans son cuuur un trône, un autel: le Règne de
Dieu s'établit en cette àme, pacifique et absolu.
Nourrie depuis l'âge de dix-sept ans de la solide
doctrine de saint Ignace, elle fait de ces principes le
fondement de sa sainteté: «Le plus noble usage de
«la liberté est l'entier sacrifice que l'on en fait à
«Dieu; la liberté n'est qu'un moyen de de glorifier
«Dieu davantage en nous remettant à lui plein
gré. Nous ne pouvons user de la liberté que pour
«la soumettre à quelque chose. Préférerons-nous à
Dieu notre Bon Maitre une créature ou un désir
de notre cll.ur!
«Quand il s'agit de la volonté de Dieu rien, ni
vplaisir, ni quoi que ce soit de créé, ne doit arrêter
.une âme que Dieu a faite pour Lui seul! Les
plus étroites, les plus sacrées des affections
humaines ne sauraient légitimer la moindre résis-
stance à la volonté de Dieu. Obéir à Dieu est le
premier et le plus essentiel de nos devoirs Eh!
«que pourrais-je aimer! Jésus-Christ est le seul
aimable La route qu'Il m'indique mène au Ciel;
tout la reste n'est que vanité. A la mort, je voudrais
n'avoir aimé que Lui. — «Venez et suive£-mQL*
0 Dieu, que ce mot est beau! Il est à moi si je le
veux. J'y trouverai la paix, le bonheur, le cou-
rage, le salut! A la plus grande gloire de Dieu,
«pour le salut de mon âme et d'autres âmes.
Mon Dieu écrasez-moi, mais sauvez mon Tune
et faites-moi la grâce de sauver des âmes: Tout
pour votre Cwur et dans votre C" ur pour le temps
et l'étemite.-
Cette totale donation de Marie au CIl'ur de Jésus
reste inébranlable, même devant les obtacles et les
épreuves qui ne tardent pas à se présenter. Mais
ces épreuves lui servent comme d'autant d'échelons
pour gravir humblement le chemin de la perfection;
elle écrit dans ses notes: «Ne pouvant aimer
«Notre-Seigneur, je travaillais de toutes mes forces
«à le faire connaître et aimer par d'autres>.
Et ne négligeant rien pour se rendre toujours plus
apte ou mieux: insignem se exibere,(v) à procurer le
règne de Jésus-Christ: «Il faut, se dit-elle, que ma
cvie soit une ébauche de celle que Dieu prépare à
cses choisis. N'avoir qu'un amour: Jésus. Qu'un
cdésir: Lui plaire et ne plaire qu'à Lui. Me dé-
ctruire pour qu'Il vive en moi: Qu'un but, sa
gloire, l'extension du règne de son CLeur. Qu'un
Qu'une
«travail, le faire aimer. demeure, la Plaie
«de son Cucur au tabernacle. Ne plus mettre de
cbornes à l'amour. Désespérer de moi et tout
«attendre de Lui..
EtDieu voyant sa servanteprompte
tarda pas à lui ménager un
et diligente('!'J ne
champ d'action spécial
et déterminé où elle pût déployer son zèle: Un jour

d'Honneur du Sacré-Cu urde Jésus.


:
il fait tomber sous ses yeux une petite feuille de
propagande d'une œuvre naissante La Garde

Marie sait parfaitement que tout est provi-


«dentiel dans la vie de l'homme et que cette douce
«Providence règle chaque action des enfants privi-
légiés de Dieu jusque dans les moindres détails.»(.")
Cette feuille ne passe pas inaperçue pour elle ;
elle la lit et la relit attentivement. Instruite à l'école
du saint fondateur de la Compagnie de Jésus, le
titre de Garde d'Honneur lui révèle tout un pro-
gramme d'action apostolique. Le Divin Roi à qui

(1) Exercitia S. Ign. - Il Hebd. De Regno Christi.


(2) Exercitia: lor. cit.
(3) Lettre de la servante de Dieu à Mgr Bougaud.
la Garde d'Honneur doit service et hommage lui
parle vivement à l'âme et lui fait entrevoir tout un
ensemble mystique de gloire, d'amour, de répara-
tion au Cœur de Jésus. C'est la noble devise de
l'œuvre naissante, sa fin essentielle.
«Une petite étincelle provoque un grand incendie».
Mademoiselle Deluil-Martiny a enfin trouvé son
œuvre, l'œuvre de son cœur; elle est subitement
enflammée. Elle qui se plaint «qu'il y ait si peu de
,cœurs où Jésus soit Maître, Roi absolu, Proprié-
taire si l'on peut ainsi parler, même parmi les
-toute heure ô
cœurs qui lui sont consacrés) et qui s'écrie à
Jésus que votre règne arrive.
pourra désormais satisfaire la soif ardente qui la
Cœur de Jésus. — Oportet illam regnart.' -
dévore et annoncer à tout l'univers le règne du
Garde d'Honneur grâce à son zèle, du petit centre
Et la
de Bourg où elle a pris naissance rayonne au loin
avec une prodigieuse rapidité. Ce n'est pas en vain
qu'on lui a decerné le titre de première zélatrice.
Fidèles de toute condition dans le siècle, commu-
nautés religieuses de l'un et de l'autre sexe, prêtres
de tout âge, Evêques et Cardinaux, personne
n'échappe à son zèle d'apôtre. Tous les moments
libres que lui laissent ses devoirs de famille sont
employés à la diffusion de la chère œuvre.
Ainsi tandis que des jeunes personnes de son
ran:..: et de son âge perdent leur temps en frivolités
plus ou moins dangereuses, cette jeune fille encore
au sein de sa famille travaille avec une ferme
conviction et une brûlante ardeur dans le seul
but d'étendre le règne de Jésus-Christ dans les
oi.urs.
Quand Jésus est dans vos mains, écrivait-elle à
un prêtre,dites-lui sans cesse: Adwniatregmim tiium.
Et voyez! la Garde d'Honneur annonce ce règne,
elle lionore, elle entoure le Cœur de Jésus percé
sur la croix! Tous les Pères s'accordent à dire
que la Croix est le trône sur lequel Jésus-Christ a
inauguré sa divine royauté sur les âmes. C'est de
:
là qu'il a attiré tout à Lui. 11 portait là, sur sa
tête, le titre même de sa royauté [<¡'x.' Il est Roi
d'amour et de douleur!. Les rois de la terre se
forment une garde d'honneur composée de l'élite
des dévouements; le Roi Jésus aura la sienne, qui
se relèvera d'heure en heure auprès de Lui, pour
Lui offrir sans cesse un hommage d'amour et de
réparation. Le poste du garde d'honneur c'est le
Tabernacle, parce que là il retrouve son Jésus
toujours vivant et souvent, hélas, presque aussi
délaissé qu'au Calvaire.

Que cherche l'ennemi de tout bien en ce mal-


heureux siècle? écrivait-elle ailleurs. A anéantir
«le règne, la domination de Jésus-Christ dans les
câmes et dans ie monde et à régner à sa place.
-Aussi Satan s'est-il attaqué violemment à tout ce
qui rappelle ou affermit ce règne souverain du
..Seigneur Jésus.
«Est-il donc étonnant que voyant paraître une
-œuvre qui affirme et proclame Jésus-Christ Roi
cen face de toute la terre, qui l'affirme et le proclame
par le nom même qu'elle adopte, car toute garde
d'honneur suppose un souverain qu'elle entoure.
est-il étonnant que Satan ait employé mille
manœuvres contre ceux qui se dévouent à une
semblable mission !
cL'unique prétention des Gardes d'honneur est
de se constituer les courtisans fidèles et dévoués
de la Royauté méconnue et outragée de Jésus-
tChrist, de consoler par leur amour et leurs immo-
lations le Cœur de ce Roi Divin, et d'obtenir par
#
la très précieuse offrande du Sang et de l'Eau
sortis de la plaie de cet adorable Cœur, la plus
grande extension possible de la vie et du règne de
Jésus-Christ dans les âmes.»
Oh! oui vraiment elle parle de l'abondance du
cœur, ex abundantia cordis !
Le pieux et savant chanoine Laplace, biographe
de la servante de Dieu, remarque que c'était unde
ses traits caractéristiques de pénétrer jusqu'au fond
des choses et d'aller aux conséquences extrêmes
des principes qu'elle avait une fois adoptés. Il faut
gagner des âmes à Jésus à force de sacrifices et
d'immolations, voilà le principe de son apostolat
spécial.
Dans la Garde d'Honneur Mademoiselle Deluil-
Martiny, avait trouvé le moyen d'appliquer large-
ment ces principes: dans l'élan de son zèle elle
avait même pu donner plus d'extension aux prati-
ques de l'Œuvre bien-aimée.
Mais son cœur ne dit jamais: «c'est assez»; sou-
tenue par la grâce divine, elle se sent transportée
à la pensée d'une œuvre très méritoire, mais devant
imposer de grands sacrifices. Elle consiste à offrir
au Cœur de Jésus non plus une heure par jour
d'hommages et de prières, comme le demande le
règlement de la Garde d'Honneur, mais des jour-
nées entières consacrées à ce noble but. Il était
donc nécessaire de se constituer par un acte
formel, victime volontaire et perpétuelle du Cœur
de Jésus.
Devant ce magnanime projet Marie ne recule
pas, cette part elle la choisira, la fera sienne; ce
;
sera la part de son héritage, le calice de son
sacrifice pars hœreditatis meœ et calicis nzei.{e)

C) Ps.15.
Les outrages adressés à Jésus-Christ soit direc-
tement, soit dans la personne de son Vicaire se
renouvellent à chaque instant, se dit-elle. il faut
donc que la prière et les immolations soient
incessantes.
En un mot elle veut agrandir l'horizon de la
Garde d'Honneur, elle veut que le but en soit per-
fectionné, rendu universel, elle aspire à une Garde
d'Honneur plus intime, et qui suive de très près le
divin Roi. «Aimer et souffrir jusqu'aux dernières
limites de l'amour et de la souffrance, Jésus est là,
force et modèle. A ce prix Il régnera, Il se formera
des épouses selon son Cœur immolé. 0 Jésus
hâtez votre Œuvre. Des âmes, des âmes, s'écrie
l'intrépide fondatrice s'adressant à son Bien-Aimé.
Je n'en ai point assez pour votre gloire telle que
je la rêve. Donnez-les-moi nombreuses, grandes,
généreifses, sublimes! Des âmes médiocres qu'en
reniez-vous au Calvaire et à l'autel? Souffrir, mou-
rir, qu'importe, pourvu que vous régniez Mon
cœur est fou de votre pur amour et de votre
gloire, et il veut votre règne à tout prix.
Mais pour atteindre ce but élevé, sublime, il faut
employer un moyen qui lui soit proportionné en
sublimité et en hauteur. Et la servante de Dieu
donnant plus de consistance à son dessein, révèle
un sens pratique surprenant: 'ADer directement
à Jésus pour le consoler et le dédommager. Son-
ger à ses douleurs intimes, à sa gloire, à ses inté-
•rêts avant tout et par-dessus tout S'occuper de
Lui. En un mot. Lui ! ! Lui Ce mot dit tout. je
voudrais en incendier les cœurs. Mon salut,
-notre salut il faut le désirer, c'est vrai, mais il
faut s'en fier à sa tendresse. Mais sa gloire, son
règne, ses intérêts à Lui, c'est notre affaire. Et ce
•mot de Notre-Seigneur à une de ses âmes bien
aimées me ravit: Occupe-toi de mes intérêts, je
prendrai soin des tiens! Quelle grande chose
«qu'un cœur qui ne cesserait d'offrir Jésusetd'être
«immolé avec Lui par la fidélité incessante à tous
les petits sacrifices inspirés par la grâce.a
Offrir Jésus-Hostie, être immolée avec Lui voilà
les deux pôles de sa pensée, elle s'y tient avec la
fixité de l'amour, son âme s'est pour ainsi dire atta-
chée à l'autel où Jésus s'immole, elle ne s'en déta-
chera plus.
La pensée de l'immolation implique nécessaire-
ment celle du sacerdoce. Les Pretres sont les
ministres de l'autel, les vrais Sacrificateurs du Très-
Haut, les plus intimes confidents du divin Roi
Jésus. Il les admet à une intimité quotidienne, réelle,
ineffable et de là les envoie évangéliser les âmes
par le ministère sublime de la parole et l'admims-
tration des sacrements. Par le ministère ordinaire
et permanent des Prêtres, le monde est constam-
ment témoin de l'action sanctifiante de la grâce
dans I'oeuvre de la restauration et de la diffusion
du règne de Dieu.
L'importance exceptionneUe de cette action ne
pouvait pas être indifférente à l'intelligence éclairée
de la Mere Marie de Jésus. Elle jugeait nécessaire
pour l'accomplissement de son œuvre de connaître
a fond l'esprit sacerdotal, de le reproduire en elle-
même et dans son Institut

Dans les premiers temps du Christianisme, le


prince des Apôtres n'hésita pas à appeler ceux que
le Christ avait rachetés, popubis aCijuisitiollls, régale
saeerdotium, gens sanda,(.) toute âme unie a Jésus

I
{*) (Mr.II,9.
par la grâce participant mystiquement à ses fonctions
augustes de Victime et de Prêtre.
Jésus s'est choisi des sacrificateurs véritables,
consacrés par son Eglise, représentants visibles et
autorises de son Sacerdoce éternel. Ils sont les
ministres de la nouvelle alliance. Mais nous sommes
tous membres vivants de l'Eglise et nous participons
mystiquement à leur ministere sacré. Jésus est et
restera toujours l'unique, le vrai Prêtre de son
holocauste; mais II vit en ses ministres qu'il fait
réellement participants de son sacerdoce: ainsi les
fidèles unis à Jésus et aux Prêtres, participent en
quelque sorte à la dignité sacerdotale.
A la Sainte Messe nous ne faisons qu'un avec le
célébrant, comme le célébrant ne fait qu'un avec
Jésus-Christ et le Ministre et les fidèles sont incor-
porés à Jésus, le Prêtre Eternel, dans une union
admirable.
La nouvelle fondatrice nourrie de ces sentiments,
réussit à donner une empreinte précise, régulière
et durable aux âmes choisies appelées avec elle
à participer en esprit au sacerdoce d'une manière
spéciale.
Voici avec quelle élévation de sentiments elle
décrit cet ineffable ministère: «La vie de l'àme-
prêtre se résume tout entière dans ces deux mots
«de perpétuelle communion, de perpétuelle offran-
de.vSans cesse elle reçoit Jésus-Christ, sans cesse
elle le rend à l'adorable Trinité; elle le donne et
!
se donne encore avec Lui pour le recevoir encore.
*0 royal sacerdoce de tous les chrétiens 0 minis-
tère sacré des âmes de l'Institut futur! Je n'en ai
-pas même saisi uue ombre, et encore il m'est
'impossible d'exprimer ce que j'en ai saisi. Mon
.Dieu comment peut-on descendre de cette mon-
tagne sainte, où se passent de telles merveilles,
pour s'occuper encore de néants passagers, de
futiles riens?
«Cornment peut-on s'approcher encore de quel-
que créature, si ce n'est pour lui dire et lui ensei-
gner ce secret d'amour Un ordre animé de cet
esprit poussé au degré sublime que Dieu veut lui
donner, il n'yen a point encore Pourquoi donc
les hommes n'élèvent-ils pas vers le ciel, par une
oblation continuelle et tdut intérieure, cette hostie
infinie d'amour, de louange, d'action de grâces,
de réparation, d'impétration?»
Si le vœu ardent et grandiose de la servante de
Dieu n'est pas connu, et, encore moins apprécié
d'un grand nombre d'âmes, nous sommes heureux

de son Cœur immolé ;


de le voir du moins réalisé dans sa famille reli-
gieuse. Jésus a vraiment choisi et formé les épouses
l'Institut des Filles du Cœur
de Jésus est canoniquement érigé dans l'Eglise et
cette admirable phalange de blanches vierges s'est
etendue dans les diverses parties de l'Europe.
Voyons en elles les Sœurs de Charité du Cœur
blessé de Jésus(*)

Par le parfum de leurs prières, les larmes de


leurs cœurs, leurs incessantes immolations, elles
contribuent au salut de la société entière, à la res-
tauration du règne de Jésus-Christ sur la terre, à
l'exaltation de son Cœur adorable.

(*) Paroles élogieuses de Mgr Mermillod, dans


son discours, adressé aux Filles du Cceur de
Jésus, le 17 août 1878, à l'occasion de la prise de
possession de leur nouvelle basilique du Sacre-Cœur,
a Anvers.
:
En Elles voyons aussi les auxiliatrices du Sacer-
doce catholique leur vie et leurs œuvres sont pour
les Prêtres un secours, une intercession et un
exemple.

rieurs et réels;
Le secours c'est le fruit de leurs sacrifices inté-
l'intercession, la prière incessante
qu'au pied de l'autel elles élèvent sans cesse pour
eux vers Jésus-Christ, Roi et Prêtre Eternel, leur
ce qui touche au culte :
exemple consiste dans leur suave délicatesse pour
l'office divin, les douces
mélodies liturgiques, la délicatesse et l'amour avec
lesquels elles entourent le trône Eucharistique
faisant de leurs Eglises autant de petits paradis.
Ali! si tous les Prêtres pouvaient, eux qui sont
revêtus du caractère sacré, s'inspirer de cette
pureté du culte liturgique pour mieux attirer les
-fidèles à nos augustes et solennelles cérémonies, et
réveiller dans les cœurs les plus profonds senti-
ments de foi, d'ainour envers Jésus-Christ, la vie de
nos âmes.
Le Souverain Pontife, le très aimé Pie X. pensait
certainement à la famille religieuse de la Mère
Marie de Jésus et à l'esprit particulier qui la carac-
térise lorsque dans son admirable discours au
Clergé, du 4 août 1908, il exprime ses sentiments de
joie et d'admiration pour cette vie d'immolation en
faveur du sacerdoce catholique: vie à laquelle
s'associent des milliers d'âmes vivant dans le
monde.
Je me fais un plaisir de reproduire ici les paroles
mêmes du Saint-Père, elles serviront de complé-
ment et de sceau à cet appendice.
..Les yeux levés au ciel nous renouvelons sou-
vent pour tout le clergé, la supplication même de
:
Jésus-Christ Père Saint, sanctifiez-les.' Nous
nous réjouissons qu'un très grand nombre de
fidèles de toute condition, se préoccupant vive-
ment de notre bien et de celui de l'Eglise, s'unis-
sent à nous dans cette prière: il ne nous est pas
moins agréable de savoir qu'il y a aussi beaucoup
d'âmes généreuses non seulement dans les cloUrest
mais encore au milieu même de la vie du siècle
qui, dans une oblation ininterrompue se présentent
en victimes saintes à Dieu dans ce but.
Que le Très-Haut agrée comme un suave parfum,
leurs prières pures et sublimes etqu'Il ne dédaigne
pas nos très humbles supplications.»(*)

(*) Sublevatis in cœlum oculis, Christi Dumini


voce super universum clerum frequenter iteramus:
Pater sancte. sanctifica eos. ln qua pietate
laetamur per multos ex omni fidelium ordine Nobis-
cum comprecantes habere, de communi vestro et
Ecclesiae bono vehementer sollicitos: quin etiam
incundum accedit, haud paucas esse generosioris
virtutis animas, non solum in sacratis septis, sed in
média ipsa saeculi consuetudine, quae ob eamdem
causam sese victimas Deo votivas non intermisaa
contentione exhibeant. Puras eximiasque eoruiu
preces in odorem suavitatis summus Deus acci-
piat, neque humillimas abnuat preces Nostras.

Pius P P. X in Exhortatione ad Clerum catliolicutn.


die 4 auL[. anno 1908. Pontificatus ineunte VI.
Que la Vierge Immaculée Reine et Mère des prê-
tres, présente au Divin Roi Jésus ces vœux ardents
du Souverain Pasteur des âmes et que sa toute puis-
sance suppliante sauve pour l'éternité les membres
de la hiérarchie ecclésiastique.
Mater atterni sacerdotis Christi Jesu, ora pro
uobis.

Florellce, 23 août 1908. Fête du Cœur très pur


de Marie.

K-u.-c:liulzei*NBuchdlickcici.Uiii.ch.

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