L'Esclave Magique Par S. de Guaita
L'Esclave Magique Par S. de Guaita
L'Esclave Magique Par S. de Guaita
Le Pendu (douze)
(L'Esclavage Magique)
ל
CHAPITRE V
L'ESCLAVAGE MAGIQUE
1
TOURNONS un feuillet du Livre des Arcanes. C'est une déconcertante et bizarre
énigme que nous propose sa douzième clef. La légende, au bas de l'emblème,
naïve et brutale, ne nous apprendra rien : LE PENDU.
La douzième clef du Tarot nous initie aux gloires et aux misères de l'Esclavage
magique.
C'est l'adepte parfait que nous peignons lu, l'être surhumain qui,
parvenu au sommet du triangle de sapience, n'a plus rien à recevoir
de la terre, mais peut avoir encore beaucoup à lui donner: ce que
figurent les pièces d'argent, tombant en pluie sur le sol. Ses bras, liés
pour le mal, sont encore libres pour la bienfaisance et l'amour.
1 Nous pourrions, à ce propos, dire quelque chose du Grand-Œuvre; mais le chapitre vii du présent tome,
Magie des transmutations, nous a paru mieux qualifié pour des notes de ce genre. La Clef de la Magie noire se
fermera sur quelques données très précises (L'Alchimie proprement dite)
2
quente à inscrire au livre d'or des fils de la Science et de la Volonté.
On sait que le Thau ת, dernière lettre de l'alphabet sacré, signale toute période
consommée, toute opération accomplie, et aussi chaque tour successivement
révolu d'une spirale sans fin. Le Thau s'inscrit ici dans la forme de la potence qui
signifie la mort et la régénération, mystiques; il marque la clôture du cycle
duodénaire, premier que de reparaître pour symboliser, dix lames plus loin, la
révolution intégrale des XXII hiéroglyphes claviculaires du Tarot. Notez que cette
figure du Thau se retrouve, invariablement, au chiffre de clôture de tous les cycles
mineurs: elle s'esquisse dans la forme, du chariot, à l'arcane septénaire; dans le
support de la Roue de Fortune, à l’arcane dénaire. Cela est caractéristique.
Notez enfin qu'à l'examen de la carte qui nous occupe, si nous complétons le
carré, en supposant droite (et non sinueuse) la ligne du sol qui ferme le thau par la
base, nous obtiendrons le symbole des quatre éléments, encadrant la figure
humaine, circonscrite dans la geôle de l'existence élémentaire.
Sans revenir sur ce que nous avons notifié au Seuil du Mystère2, il semble à propos
de souligner, en conséquence, que l'arcane XII concerne exclusivement l'homme
descendu dans la déchéance de la chair.
« Du haut du Ciel profond, vers le monde agité S'abaissent les regards des
âmes éternelles: Elles sentent monter de la terre vers elles L'ivresse de la vie et
de la volupté;
3
éteindre et sa conscience s'y noyer: c'est un engloutissement morne. Les fleurs
séductrices masquaient la glu fangeuse
Étrange mystère, en vérité, que celui qui préside à la descente des âmes au
cloaque de l'existence matérielle, où elles doivent subir l’infamante incarnation.
Étrange mystère, — et lugubre. L'Amour en tient les clefs4.
À n'envisager l'Amour qu'au point de vue du Désir qui le manifeste, est-il rien de
plus insondable que l'essence de cet obscur attract, dont le magnétisme se fait
également sentir sur les deux rives de la Vie? C'est la force d'Iônah; terrible et
douce; elle gouverne le flux torrentiel des générations...
Car il faut bien formuler enfin ce que notre Public a déjà pressenti, peut-être;
c'est qu'à l'appel de Vénus, un trouble sensuel très intense, une irrésistible soif, de
jouir envahit 3es âmes au déclin de leur vie arômale. Exceptons celles de qui la
nature, entièrement spiritualisée, n’offre plus de prise au flux rétrograde des
générations. Toutes les autres, quand l’heure a sonné d'une nouvelle épreuve, se
laissent charrier au torrent: le monde physique où il aboutit leur apparaît un éden de
lascive béatitude; bientôt la passion succède au désir et le centre animique est
envahi. L'incurable amour dont ces âmes brûlent alors pour la matière marque
l'agonie de leur existence supérieure. Des qu'elles ont consenti à leur déchéance, le
courant les entraîne et les roule en ses remous: leur mentalité se trouble, leur cons-
cience s'affole, leur substance s'épaissit. Ravies par l'attraction fluidique de la
planète prédestinée, un vertige indescriptible leur voile l'horreur d'une dégradation
imminente, et lorsqu'enfin la matière les engloutit, elles perdent connaissance dans
l'ivresse, des voluptés.
Il s'en faut d'ailleurs qu'en tous les cas l'incorporation suive immédiatement la
chute. Les Psychés demeurent parfois un temps très prolongé en instance
d'incarnation; elles errent alors, dans une demi-inconscience, aux régions inférieures
de l'Astral planétaire. Elles peuvent influencer les médiums, posséder les faibles, et
même, en des cas heureusement assez rares, s'incarner par surprise, comme nous
l'avons dit. Ordinairement, tout étourdies et dépaysées, le serpent fluidique d'Ashiah
(qui s'enroule autour du globe) les emporte en cercle; jusqu'à ce que les exigences
physiologiques étant satisfaites, elles trouveront à s'incorporer, selon des lois
inconnues d'appropriation et dé sympathie sélective. Ces lois gouvernent les
4
rapports entre ces âmes errantes et les couples humains qui leur livreront l'accès du
monde matériel.
La même ardeur que les âmes éprouvent à descendre dans la chair, elles
l'inspirent aux terrestres géniteurs désignés pour leur en ouvrir la porte.
6 Étrangère à l'homme individuel qui la subit, — Cf Chap. iv, pages 372 et suiv.
7 Rêveries d'un païen mystique, p. 80-81.
8 Les âmes qui « se changent en désirs » et « choisissent les conditions organiques dont elles ont besoin » ; la Beauté
réduite à. une promesse de fécondité, etc., constituent des à-peu-près d'expression; mais les théories n'en sem-
blent pas moins belles et profondes.
5
primitif de la race cuivrée9.
Quoi qu'il en soit, cette fable a des correspondances dans tous les symbolismes.
La désobéissance de Pandore, celle de Proserpine, sont en stricte analogie avec la
désobéissance d'Eve. Ici, c'est un fruit dont il ne faut pas goûter, là c'est une boîte
qu'il est défendu d'ouvrir, ou encore une fleur dont il faut respecter la tige. Mais la
curiosité féminine l'emporte, et la pomme est mangée, et la boîte est ouverte, et le
narcisse cueilli. La prévarication d'Eve exile du paradis terrestre le premier couple
humain; celle de Pandore fait pleuvoir sur le monde des maux qu'il n'aurait du jamais
connaître; celle de Proserpine aboutit à son enlèvement par Pluton, qui l'entraîne
aux gouffres infernaux.
La fable de Psyché recèle un sens identique, sous un symbolisme qui diffère peu,
et l'analogie s'impose.
9 Cf. Fabre d'Olivet Histoire philos, du genre humain, tome I, pages 326-327; — et Saint-Yves, Mission des Juifs, 414
et suiv.
10 « Partout c'est un Dieu tué, déchiré, démembré les géants; c'est une déesse qui le cherche; qui, en le cher-
chant, parcourt le monde; qui, en le parcourant, donne les mœurs, les lois, fonde les cités, donne la nourriture,
donne les arts, le culte, les rîtes: c'est un Dieu, tué, démembré pur les géants, qui, après bien des combats et des
douleurs, ressuscite et demeure enfin triomphant et victorieux.
« C'est, en Phrygie, Cybèle désolée de l'infidélité d'Atys, qui parcourt le monde en furieuse, et le force à se mutiler
de désespoir de l'infidélité qu'il lui a faite.
« En Égypte, c'est Isis, désolée de la mort d'Osiris, que Typhon a tué, en trahison, en lui faisant essayer son
cercueil; que les géans ont déchiré en pièces; qui parcourt le monde pour en rassembler les membres, qui les
rassemble tous, hors le membre viril dont elle consacre une image; et en parcourant le monde, elle lui donne les
lois, les arts, le culte, la nourriture; et Osiris, après bien des peines et des combats, est vainqueur de Typhon et des
géans, et ressuscite pour le bonheur du monde.
« En Phénicie, c'est Vénus désolée de la mort d'Adonis, que le cruel Murs a tué, déguisé en sanglier ;'qui parcourt
le monde pour retrouver son corps; inuis Adonis terrasse enfin l'immonde animal, ressuscite glorieux et console
Vénus.
« En Assyrie, c'est Salambo et Bélus, a qui il arrive les mûmes aventures.
« En Perse, c'est Mythras et Mythra.
« Chez les Scandinaves, c'est Freya et Balder, à qui il arrive les mêmes accidens.
« A Samothrace, à Troiea en Grèce, à Rome, c’est Céres, désolée, de l'enlèvement de sa fille, qui parcourt le
inonde, qui ne peut se consoler que lorsqu'elle a vu le gouffre par soit PIuton la enlevée. C'est Bacchus tué,
déchiré, démembré par les géans, dont Pallas a trouvé le cœur encore palpitant, dont Cérès rassemble les
membres, qui ressuscite, parcourt toutes 1rs nations, remplit le monde de ses exploits, demeure vainqueur et
prend sa place parmi les dieux. » (Q. Aucler, la Thrëïcie, p. 34-36.)
On conçoit assez que le dieu démembré par les géants (forces brutal as de lu Nature physique), c'est le Principe
ontologique de l'homme, qui se désintègre par sous-multiplication, à travers le temps et l'espace. La déesse qui
lui vient en aide, et qui prépare son apothéose en rassemblant ses membres épars, c'est l'Humanité céleste et
providentielle, descendue au secours de l'humanité souffrante et terrestre, lui envoyant des Messies, lui
enseignant l'intégration sociale pendant l'existence et la réintégration mystique après la mort. Enfin, la
résurrection du dieu, son apothéose, c'est le retour des sous-multiples à l'Unité, de la matière différenciée h lu
substance première, du temps à l'Éternité, de l'espace à l'Infini: c'est l'homme-synthèse rendu à la gloire de ses
destinées divines.
6
défaillance la saisit: le sol tressaille, s'entrouvre et livre passage au char de Pluton,
attelé de sinistres chevaux à la crinière de ténèbres. Le dieu des expiations
s'empare de Persephonê, la ravit sur son char d'ébène, et tout s'effondre dans la
nuit, l’abîme s'est refermé11. Voilà bien l'attraction du feu terrestre, qui, trouvant prise
sur toute âme alourdie par la concupiscence, l'entraîne au fond du gouffre des
générations, dans le royaume de la vie physique et de l’épreuve.
Sur ces entrefaites, Jupiter, attendri par les prières et les larmes de Cérès (la
Nature céleste), décide que Proserpine lui sera rendue, si pourtant elle a su s'abstenir
de toute nourriture, au séjour des enfers. La malheureuse n'a rien pris, si ce n'est trois
grains de grenade: c'en est assez pour qu'elle appartienne au dieu noir!... Mais Zeus
mitigé la rigueur de la sentence primitive. Persephonê partagera son existence entre
Dêmêter et Aïdonée: elle vivra six mois au Tartare, près de son époux, et six mois au
Ciel, près de sa mère.
Le mystère de l'incarnation des âmes a inspiré Saint-Yves, qui lui doit une de ses
plus belles pages, de celles où le noble poète se souvient qu'il est un grand initié. Les
austères leçons de la science y sont transposées en matière d'art, avec une maîtrise
et un tact exquis; et ce nous est scrupule et presque remords d'avoir dû mutiler cette
prose lyrique, afin d'en tirer de profitables extraits.
« ...Ainsi cette âme est née au monde des effigies et des épreuves; et elle en crie.
11 Lire dans les Grimas Initiés (pages 422 et suivantes); lit scène de l'enlèvement de Persephonê, très habilement
remise au point par M, Edouard Schuré, selon l'esprit des Eleusines.
7
« Entre elle et l'Univers s'interpose un obstacle terrible: quelque chose d'obscur et
de limitant, de courbe, d'obtus, d'acre et de chaud, étrange composé qui bruit et
fourmille, voile savamment et artistement tissé, replié sur lui-même et sur elle, dont
toutes les contextures animées, images de l'Univers, en communion précise avec lui,
figures des facultés de l'âme, en conjonction substantielle et spécifique avec elle,
s'enlacent et l'enlacent dans les méandres tortueux, des organes et des viscères:
c'est le corps.
« Elle veut fuir, mais elle retombe sous une irradiation qui lui rappelle la lumière
vivante, lônah, la Substance céleste: c'est un baiser maternel.
« Parfois il lui semble qu'elle est morte. Elle se rap pelle comme dans un songe
l'immensité de celle lumière secrète où elle se baignait nue dans des tourbillons
resplendissants; les croupes, les vallons éthérés d'un astre aimé, sans atmosphère
élémentaire, sans attraction physique, monde des essences, des arômes et des
parfums de la Vie, d'où elle entendait monter et descendre les harmonies et les
mélodies intérieures des temps et des espaces; d'où elle s'élançait, frémissante, à la
voix intime des bien-aimés et des bien-aimées, pour contempler Shainaïni, l'éther, la
mer azurée du Ciel, les îles, les Hottes sidérales, les mouvements de leurs Génies-
animateurs et de leurs Puissances animatrices.
« Comme un reflet d'étoile sur une eau qui frissonne, un souvenir tombe et
tremble encore en elle de la grande réalité.
« Elle croit les voir encore, les blanches, les divines, hommes et femmes, déesses
et dieux, diaphanes, lumineuses formes, types de la Beauté, calices de la Vérité, se
mouvant, planant, s'enlaçant dans les ondes magiques du céleste Amour, dans les
communions éblouissantes de la Sapience.
« Ne sont-ce point encore les théories sacrées, les poèmes vivants du Verbe
occulte, les hymnes des Pensées créatrices, les symphonies des sentiments anima-
teurs, les enseignements hiérarchiques des cercles psychurgiques, le trouble saint
des grands Mystères, rayons du Dieu dont la lumière est l'ombre, le sillon lumineux,
le vol arômal des Génies, des Envoyés, des Intelligences parfaites, des Esprits
immortels, des Ames victorieuses et glorifiées.
« Écoutez!
8
« Un grand trouble, un vertige, un enivrement subit, une lourdeur étrange, un
magnétisme lointain, une attraction douce et terrible, une incantation des astres, un
mot d'ordre, un cri de sphère en sphère, des adieux déchirants à la vie supérieure,
aux bien-aimés, une prière, une cérémonie solennelle aux rites funèbres, une
dernière étreinte, un dernier baiser, un serment de se souvenir et de revenir, un
Génie aux pieds ailés qui prend l'Immortelle et l'entraîne vers les gouffres, l'immensité
d'en haut qui se ferme, celle d'en bas qui s'ouvre avec fracas, l'océan tumultueux
des générations, abîmes d'âmes gagnant ou quittant la cime ou le fond de
l'atmosphère d'un autre astre, bataille électrique des passions et des instincts de la
terre.., puis... quoi donc?
« C'est l'orbe de la terre, c'est l'océan métallique dé roula ni ses flux, enroulant ses
reflux.
« Ce sont dans l'atmosphère, les nuées, les grands courants polaires, les souffles
de l'orient, les rafales de l'occident, les fleuves aériens secouant l'écume des nua-
ges, enroulant leurs serpents électriques; c'est l'océan inférieur de l'air, avec ses
quatre régions, celle des ailles, des grands migrateurs, des alouettes.
« Dans cette dernière, commence le règne delà substance plastique sur la terre,
avec ses quatre nômes: minéral, végétal, animal, hominal, et ses sept tourbillons de
Puissances génératrices et de générations.
« C'est la terre, l'une des mille citadelles du royaume de l'homme, fils immortel et
mortel de Dieu-les-dieux...
« Voici les cercles de pierres de métropoles, des cités, des villes et des villages,
avec le bourdonnement des voix d'airain, qui, du haut des dômes et des clochers,
scande et annonce, au-dessus du fracas des grandes eaux populaires, la Naissance
et la Mort.
« Sois unie à elle par toutes les Puissances magiques rie la Vie!
« Adieu!—
9
« Elle se rappelle encore ses entretiens avec l'âme maternelle, leur indivisible et
mutuelle pénétration, leurs communions mystérieuses, pleines de souvenirs
d'espérances surterrestres, douleurs et joies, frissons, extases, musiques muettes; Je
long enroulement des neuf cercles séléniques, l'incantation des épigénèses, puis,
une souffrance cruciante, terrible, une vapeur sulfureuse, un effluve ferrugineux
montant brusquement des gouffres ignés de la terre, tourbillonnant, l'arrachant à
rame maternelle, la clouant à un vide pneumatique, à un antre pulmonaire,
mouvant,... un cri dans cet antre, dans cette effigie creuse, et le Souvenir
ventre dans ses profondeurs avec les lunettes célestes.
Ainsi, la naissance physique est la véritable mort des âmes, et la mort physique
leur véritable renaissance,
L'âme (nous dit Stobbée), éprouve à la mort les mêmes passions qu'elle ressent
dans l'initiation, et les mots mêmes répondent aux mots, comme les choses
répondent aux choses. Mourir ou être initié, s'exprime par des termes semblables: ce
n'est d'abord qu'erreurs et incertitudes, que courses laborieuses, que marches
pénibles à travers les ténèbres épaisses de la nuit. Arrivé aux confins de la mort, — ou
de l'Initiation, tout se présente sous un aspect terrible; ce n'est qu'horreur,
tremblement, crainte, frayeur; mais dès que ces objets effrayants sont passés, une
lumière miraculeuse et divine frappe les yeux, etc.13
Un initié du vieux monde, quand on l'interrogeait sur son âge, répondait volontiers:
je suis mort en telle année (celle de sa naissance corporelle); à telle date (celle
de son initiation), je renaquis en esprit. Et il comptait son âge, non point d'après
son grade, comme nos francs-maçons ont coutume de le faire, niais à chuter de
son admission aux mystères des dieux. Alors, comme de nos jours, il n'était point
rare d'entendre un homme fait, un vieillard même, annoncer qu'il avait trois ans.
Cette énigmatique réponse, qui veut dire à notre époque: Voyez en moi un
simple apprenti, signifiait alors: il y a trois ans que je suis initié.
12 Le Testament Lyrique, Alexandre Saint-Yves, Paris, 1877, in-8 (pages 5 à 10, passim).
13 Stobbie, cité par Richard, Recherches sur les initiations anciennes et modernes, Amsterdam. 1779, in-8, pages 42-
43.
14 Cf. L'Ane d'or, in fine
10
Désormais, l'Univers possède intégralement l'être humain: des rapports
d'anatomie et de physiologie occulte rattachent et homologuent l'individu dans son
ensemble au total Cosmos, et chaque détail de la constitution humaine au détail
correspondant de l'organisme universel.
La connaissance de ces rapports, et la mise en œuvre raisonnée des lois dont ils
témoignent, constituent la science et l'art que les anciens auteurs englobaient sous
l'appellation de Magie naturelle. Cette magie serait, à les entendre, celle qui
permet à l'homme d'accomplir des œuvres, en apparence miraculeuses, par
l'emploi des seules forces de la Nature, et sans recourir à l'évocation des Esprits ni
même côtoyer la limite du « Surnaturel ».
Incorrecte définition, qui s'étaie d'une conception très fautive de l'Univers, de son
principe de ses lois et de salin. Un tel langage serait, sur les lèvres d'un adepte, la
marque certaine d'une initiation foncièrement erronée, — si les dures exigences des
temps de persécution et de fanatisme ne justifiaient assez les meilleurs théosophes,
devoir adopté la terminologie reçue des scolastiques alors pontifiants.
Nos Lecteurs savent déjà que le Surnaturel n'est point, — puisque la Volonté de
l'homme et la Providence même, ces facteurs de miracles, constituent l'âme et
l'intelligence de la Nature spirituelle, comme le Destin constitue la loi de la Nature
corporelle.
11
c'est-à-dire Dieu dans son impénétrable essence.
Tous les êtres finis, jusqu'aux anges des plus sublimes hiérarchies, vivent et se
meuvent dans le sein profond de la Nature. Ainsi, quels que puissent être les
auxiliaires spirituels que le magicien évoque à son aide, si surprenants
qu'apparaissent les miracles qu'il opère grâce à leur concours, sa théurgie n'a rien
de surnaturel.
C'est sous ce dernier litre que l'abbé de Valleinont remplit six cents pages de sa
prose, pour disculper de diabolisme les praticiens de la fameuse baguette
divinatoire, encore contestée de nos jours; savoir, une fourche de coudrier,
influençable, dans la main des sensitifs, par certaines émanations, telles que
l’aura tics sources et des minières. L'expérimentateur saisit les branches bifurquées
de la baguette et la maintient horizontale: l'autre bout fléchit à point nommé, et
se tourne vivement dans la direction de la masse liquide ou de la veine
métallique à découvrir. Il y a là sans doute un phénomène d'attraction objective;
mais il s'y mêle vraisemblablement un phénomène tout subjectif de
psychométrie, puisque la baguette n'est sensible qu'en de certaines mains; — et
que Jacques Aymar, pour ne citer qu'un cas célèbre et d'ailleurs exceptionnel, a
pu, muni de sa baguette, suivre à la piste un meurtrier, sur terre et sur mer, depuis
Lyon jusqu'à Beaucaire puis de Beaucaire jusqu'en vue de Gênes (1692).
Aussi, bien que la baguette divinatoire ait été souvent élue pour type des
applications de la Magie naturelle (comme l'entendaient les vieux auteurs), nous est
avis qu'on pourrait mieux choisir.
L'influence du monde extérieur sur les sens, — action mal définie, dont les
puissants effets sont banaux à ce point, qu'on n'y porte plus attention, — semblerait
un meilleur exemple. L'harmonie captivante des formes, l'enchantement des
parfums, des sonorités, des jeux de lumière et de couleurs, cette permanente féerie
de la grande Maïa (l'Illusion physique), — voilà bien des merveilles d'une magie non
seulement naturelle, mais spontanée.
12
Nulle science humaine n'a su démasquer les prestiges de 3a charmeuse; nulle
Puissance ne l'a détrônée encore, la Reine des fantastiques apparences!
Il ne se révèle que trop, au jeu des sympathies et des antipathies, dont nous
sommes volontiers les marionnettes. Le raisonnement compte pour bien peu dans
nos déterminations coutumières: tantôt c'est un mouvement du cœur qui nous
emporte en son irrésistible et déraisonnable élan, ou quelque répugnance qui nous
barre le sentier, brusque effluve jailli des profondeurs mystérieuses de l'Instinct,
Dociles à ces obscures et soudaines impulsions, nous modifions notre itinéraire moral
vers la droite ou la gauche, et n'en restons pas moins convaincus d'avoir librement
opté pour ou contre. Si fréquente est la confusion entre notre volonté propre et celle
de notre Inconscient, qui est un autre Moi, ou qui plutôt en renferme deux ?
N’apparaît-elle pas doublement esclave, la créature qui, contrainte d'agir, croit à sa
franche initiative?
13
Sans doute, et nous l'avons dit, la liberté est dévolue à l'homme, ici-bas, pour un
tiers environ de ses actes, tandis que, pour les deux autres, il obéit 'à des
déterminations étrangères. Mais cette relative liberté ne lui appartient qu'en
puissance, à charge pour lui de la faire passer en actes, par l'exercice et le constant
effort du vouloir; alors seulement l'homme jouit du tiers d'initiative qui lui est concédé.
Mais s'il néglige de conquérir son domaine légitime le Destin l'envahit et s'en empare.
Que cet homme évoque en son intérieur l'action providentielle, et défère aux
inspirations qu'il en recevra: non seulement, grâce à pareille alliance, il aura élargi
au double le champ de son activité, et par là restreint à un tiers le nef de l'adverse
Destin; mais il pourra, jusque sur le territoire ennemi, élu der une part des embûches
fatidiques, sinon les affronter de face et les réduire de haute lutte. Voilà dans quel
sens on peut motiver cet adage d'assez paradoxale allure et qui n'en est pas moins
juste « La véritable liberté consiste invariablement à faire son devoir; la réelle
servitude consiste à s'en affranchir, » II est d'ailleurs dans l'essence de l'Inspiration
providentielle de se proposer à l'assentiment, et c'est de choix délibéré qu'on y
accède; au contraire, le joug du Destin s'infligeant à l'être qui lui a donné prise,
s'appesantit brutalement sur lui.
Entre toutes les sujétions qui composent ici-bas le servage de l'homme le tribut
sexuel mérite une mention à part.
Cet instinct repose pourtant, comme les autres besoins somatiques, sur une
fonction spéciale de l'organisme. C'est assez dire que lui dénier à jamais toute
satisfaction serait une imprudence grave; bien plus, un outrage à la Nature: et nous
avons mentionné les multiples périls d'une continence absolue. Mais l'homme peut
se soustraire au joug sexuel, en ce sens qu'au lieu d'obéir à la chair, il lui
commandera, et lui imposera même silence durant une période indéfiniment
extensible.
Il est bien puissant alors, ayant réalisé en lui la condition du grand œuvre
ésotérique. Il a triomphe à la fois d'une exigence physiologique de son organisme,
et déjoué l'embûche de la Vertu démiurgique qui lie l'esprit à la matière. Dans
l'occulte séduction qu'il a vaincue, gît l'essence même de Maïa, la grande Illusion,
14
dont la permanence fait toute la réalité de l'univers physique.
Nous avons insisté plusieurs fois dans nos ouvrages sur la vertu magnétique du
sang, et subsidiairement de la chair qui s'en trouve imprégnée. Le sang attire les
Larves et les génies néfastes, avides d'acquérir, par cela même qu'ils s'en abreuvent,
la force de se manifester un instant sur le plan objectif. C'est pourquoi les juifs,
obéissant au précepte de Moïse, ont en abomination toute viande qui n'est pas
rigoureusement exsangue. Quant à la défense solennelle de goûter à la chair des
animaux immondes, desquels le Pentateuque fournit la minutieuse nomenclature,
cette proposition semble justifiable à la lumière d'un autre arcane, bien connu des
hiérophantes de la gentilité.
« Les Théologiens (dit Porphyre) ont observé avec une grande attention
l'abstinence de la viande. L'Egyptien nous en a découvert la raison, que
l'expérience lui a voit apprise. Lorsque l'âme d’un animal est séparée de son corps
par violence, elle ne s'en éloigne pas, et elle tient près de lui. Il en est de même des
âmes des hommes qu'une mort violente a fait périr; elle reste près du corps: c'est
une raison qui doit empêcher de se donner la mort. Lors même qu'on les animaux,
leurs âmes se plaisent auprès des corps qu'on les a forcées de quitter; rien ne peut
les en éloigner; elles y sont retenues par sympathie; on en a vu plusieurs qui
soupiroient près de leurs corps. Les âmes de ceux dont les corps ne sont pas en
terre, restent près de leurs cadavres: c'est de celles-là que les Magiciens abusent
pour leurs opérations, en les forçant de leur obéir, lorsqu'ils sont les maîtres du corps,
ou même d'une partie. Les Théologiens qui sont instruits de ces mystères... ont avec
raison défendu l'usage des viandes, afin que nous ne soyons pas tourmentes par
des âmes étrangères, qui cherchent à se réunir à leurs corps, et que nous ne
trouvions point d'obstacles de la part des mauvais genres en voulant nous
approcher de Dieu.
« Une expérience fréquente leur a appris, que dans je corps il y a une vertu
secrète qui y attire l'âme qui la autrefois habité. C'est pourquoi ceux qui veulent re-
cevoir les âmes des animaux qui savent l'avenir, en mangent les principales parties,
comme le cœur des corbeaux, des taupes, des éperviers. L'âme de ces bêtes entre
chez eux en même tems qu'ils font usage de ces nourritures, et leur fait rendre des
oracles comme des Divinités15 ».
15
dans l'expression que dans la doctrine. Au reste, il n'est pas douteux que cette
proposition assez suspecte, des « animaux qui savent l'avenir » et dont la chair « fait
rendre des oracles », ne fût presque universellement reçue dans la tradition
exotérique des sanctuaires. L'Aruspicine, l'Ornithomancie et les autres pratiques
augurales des nations furent-elles jamais autre chose que des arts occultes
dégénérés, en passant des mages de la Science secrète aux prêtres du culte ex-
térieur?
Tel est sans doute le secret mobile qui détermina Moïse à interdire la chair d'un
certain nombre de créatures vivantes, frappées dans leur forme extérieure des
stigmates du mauvais principe. Car il est très remarquable que le Législateur des
hébreux, fonde nettement, sur la théorie des signatures naturelles, sa distinction
dogmatique entre les espèces pures et impures.
Consultez sur ce point la doctrine ésotérique des nations païennes, dont l'érudit
Quantius Aucler s'est fait, à la fin du siècle dernier, le scrupuleux, organe, — et vous
y verrez peu de différence.
La lettre morte, s'emparant du régime rationnel des abstinences, l'a enlisé sous
un arbitraire amoncellement de réglementations puériles et de prohibitions
excessives. De là provient le célibat ecclésiastique, dont le principe, essentiellement
d'exception, comme ailleurs nous l'avons dit, ne devait se voir généralisé à aucun
litre. De la découle l’obligation des jeûnes et des abstinences, périodique pour les
fidèles, permanente à l'usage d'un grand nombre de religieux et de moniales
(Chartreux et Trappistes, Bernardines, Clarisses et Carmélites» etc. D'équivalentes
austérités se pratiquent partout, chez les Derviches mahométans et les Fakirs de
l'Inde; car, dans toutes religions comme à toutes époques, le culte extérieur a
corrompu l'esprit de la Science secrète, à l'égard des abstinences et de leur usage
normal, fondé sur les exigences passagères des œuvres mystiques. Le sacerdoce a
toujours universalisé ce régime d'exception, en faisant un pieux mérite de ce qui
n'était qu'une condition pour réussir, et en promulguant la doctrine sentimentale et
foncièrement erronée, — nous allions mettre scandaleuse, — des « sacrifices
méritoires » et des « mortifications agréables à Dieu »
16
l'élaboration du corps spirituel ou « char subtil de l'âme », dont la genèse,
compromise par une alimentation défectueuse, peut être favorisée par un régime
convenable.
Sans nous attarder à la confusion que nous signale chez les Pythagoriens mêmes,
entre le corps astral périssable et la forme glorieuse qu'ils nommaient le char subtil,
— observons que la faculté plastique, leur matrice à l'un comme à l'autre, ne peut,
dans la condition terrestre, faire éclore la forme immaculée, qu'à mesure que la
forme astrale s'élimine. C'est ce double labeur, inversement proportionnel, que le
sage exécute pendant sa vie terrestre, en vue d'une délivrance immédiate et du re-
tour à l'essence, dès que celle vie aura cessé. Il obtient ce résultat, dit Hiéroclès, par
l'épuration progressive et parallèle de l'âme et du corps lumineux. L'âme se sublime
en acquérant la science, et le corps lumineux en se purgeant des souillures con-
tractées dans son union avec le corps matériel. La première condition de cette
purification consiste en un régime approprié, qui proscrit tous aliments impurs.
Pythagore avait à coup sûr comblé cette lacune, en faveur de ses initiés; mais il
n'en reste exotériquement que certains préceptes, formulés en sentences
énigmatiques. Exemples:— «Fabis abstine — Herham molochinam fere, ne tamen
edas ». Le premier de ces préceptes, qui interdit l'usage des fèves, prouve que cette
nomenclature, demeurée occulte, était basée, comme celle du Pentateuque, sur la
théorie des hiéroglyphes naturels. C'est que (nous dit Àucler, tardif interprète d'une
antique tradition pythagoricienne), « les fèves font lire sur leurs fleurs les portes
mêmes de l'Enfer »,
Les produits dangereux des trois règnes portent inscrit dans leur forme extérieure
l'aveu de leur malice latente. Quel naturaliste assez sourd au langage muet des
choses le contestera? La physionomie révélatrice des vertus bonnes ou mauvaises,
est une réalité sur chaque échelon de la vie ascendante. Du bas en haut la noirceur
des âmes transparait sur les visages. Tout Caïn porte un signe au front.
17
Issues de deux familles très distantes, la Sabine et la Rue trahissent diversement,
par leur physionomie antipathique et le relent qu'elles dégagent, leur emploi
d’antiques avorteuses. — Les roides dentelures de l'Aconit, d'un vert presque noir
et livide par en dessous, - encadrent bien la fleur élégante et triste, d'un bleu
vénéneux d'azotate de cuivre. — La Digitale pourprée est aussi singulièrement
lugubre, en dépit de ses charmes: sa feuille gaufrée, sombre et poilue n'im-
pressionne pas moins que le tigridement interne de ses corolles. — Le Colchique
d'automne montre à niveau du sol sa leur violacée, sans tige ni feuillage: c'est la «
veilleuse « des deuils prochains. L'Arum obscène étale sous bois son phallus
malade, d'un lilas maculé. — La Renoncule scélérate rampe à terre et se cache
à demi sous l'herbe et la mousse, comme un serpent. D'autres végétaux mortels
affectent une allure moins cynique, une physionomie plus composée; mais à les
étudier en détail, ils portent tous des stigmates de réprobation.
Il n'est pas jusqu'au règne minéral, moins expressif en faveur de l'homme, parce
qu'il s'éloigne davantage de lui, où le déchiffreur de signatures spontanées ne
puisse découvrir les caractères bénéfiques ou maléfiques, et lire sur les écorces les
propriétés des essences. La cassure des minéraux les formes cristallines et leurs
modes de groupement, les couleurs, la saveur, l'odeur même sont autant d'indices.
Demandez au minéralogiste, si des échantillons de laboratoire savent refuser à son
instinct l'aveu tacite de leurs propriétés, avant même qu'il en ait fait l'épreuve!
Ainsi, guidés à priori par l'indication des signatures spontanées» dont la langue
leur était familière, et s'étayant à posteriori du contrôle que leur offrait l'étude du
corps astral — appareil de précision susceptible de s'affiner ou de pâtir, selon le
18
régime auquel est soumis le corps matériel, — les Adeptes avaient pu établir une
nomenclature des êtres et des choses sous la double rubrique de pur et d'impur,
c'est-à-dire de faste ou de néfaste à la triple santé physique, morale et intellectuelle
de l'homme.
C'est en modifiant le corps astral, que le plus grand nombre des substances
assimilées au corps physique réagissent durablement sur lui; exceptons celles dont
l'action est mécanique, donc immédiate, non point physiologique et partant
médiate.
Le corps astral est sujet à s'appesantir ou à se subtiliser, premier point qui requiert
surveillance. Il est sujet ensuite à s'amalgamer des Larves et des âmes animales, qui
n’épaississent pas seulement sa substance, mais en quelque sorte la dénaturent. Les
lecteurs du prochain chapitre sentiront l'importance capitale de cette possible
altération du périsprit.
Enfin nous avons déterminé, dans une note ci-dessus, comment l'acquisition dès
ici-bas du corps de gloire (ou char subtil de l'âme) se trouve subordonnée à la
résorption progressive et lente du Périsprit dans le corps visible: voilà le grand œuvre
d'immortalité, dont l'homme est à la fois la matière, l'œuf philosophai et l'athanor,
tandis que sa Volonté fait l'office du feu secret.
Ainsi s'expliquent les variables degrés d'abstinence prescrits à l'initié, selon l'œuvre à
quoi il se consacre, et tel se justifie le régime scrupuleux imposé par les anciens
Sages au postulant du suprême réalisable sur la terre: celui de l'auto-création qui
aboutit à l'apothéose posthume.
Pour peu - qu'on veuille réfléchir à ces secrètes propriétés des simples sur les
facultés supérieures de l'homme, on conviendra que ce sont autant de symptômes
dénonciateurs de l'esclavage hominal en ce bas monde, puisque ces vertus
impliquent une sujétion au moins indirecte de l'intelligence, du vouloir de la
sensibilité, au despotisme de la matière.
Nous dirons quelque chose de ces modes divers que revêt l'esclavage magique.
La répartition que nous en avons proposée peut servir de III d'Ariane dans le
labyrinthe d'influences qui se croisent et s'enchevêtrent sur le sentier de l'initiative
humaine, et qui tantôt entravent celle-ci et tantôt la dénaturent. Toutefois pareille
classification ne rime à rien d'exclusif, comme on va le voir par deux exemples.
20
combien l'atmosphère individuelle de chacun, toute hantée des vivants reflets de
ses concepts, de ses passions et de ses rêves, réagit sur l'intelligence, sur l'âme et
l'imagination qui ont donné l'être à ces fantômes: si bien que, pour borner l'initiative
de tout homme ici-bas, son futur psychologique se décalque le plus possible sur te
modèle de son passé.
D'abord, — et c'est la magie psychique dans toute sa pureté, — rame peut agir
directement sur l'âme, au mépris des distances; elle peut la dominer, la contraindre
et même la frapper de paralysie, pour se substituer à elle.
On sait que les âmes humaines, encore qu'originellement égales, puisqu'elles sont
d'identique essence, ont subi, en fait, un développement plus ou moins poussé; nous'
en avons fait connaître ailleurs la loi régulatrice. Elles se sont accrues ou amoindries,
fortifiées ou débilitées, selon que le Vouloir, instrument de leur élaboration, les a
sublimées dans le royaume de l'intelligence, ou ravalées dans le domaine de
l'instinct. Cette alternative, qui pose la condition de la perfectibilité des âmes, ou de
leur déclin, dénonce en même temps la raison de leur inégalité présente.
Suggérerf c'est faire naître, par un moyen ou par un autre, dans le cerveau d'un
sujet (éveillé ou endormi), une pensée d'origine étrangère, — pensée potentielle, ou
non; soit d'un acte, soit d'une série d'actes à accomplir. N'est-ce point la définition
la plus large de ce phénomène, tel que le conçoivent et se l'expliquent, ou du moins
cherchent à l'expliquer, les savants officiels? Nous reviendrons sur cette manière de
voir, en vue de la contrôler et de l'éclaircir, au flambeau de l'Occultisme.
21
sa volonté lointaine, et sans une parole et sans un geste, il le fera parler et se
mouvoir.
Une variété beaucoup moins rare du. « Magnétisme » humain, consiste dans la
suggestion proprement dite.
Nos Lecteurs savent déjà que « toute pensée humaine survit comme une
intelligence active, comme une créature engendrée de l'esprit, pendant une
période plus ou moins longue, et proportionnelle à l'intensité de l'action cérébrale
qui l'a générée ». Ce sont lès propres paroles de Koot-Hoomi : nous les préciserons
encore, en ajoutant que ces êtres potentiels se perpétuent, vivaces et persistants,
en raison directe du verbe volitif, conscient ou obscur, qui a présidé à leur émission.
En effet, le Concept, dynamisé par le vouloir du penseur, se vivifie en se combinant
avec un Elémental de grade variable, mais toujours en affinité avec l'essence du
concept.
Quoi qu'il en soit des Puissances très diverses dont l'homme peuple son sillage
astral et grossit son Karma terrestre, elles ont cela de commun, qu'elles sont
transmissibles d'un individu à l'autre, — et là se fonde le principe, communément
ignoré, de toute suggestion...
22
astrale d'un autre individu; et, qui plus est envahir son être intime et porter
l'antagonisme en lui. Obsession externe ou possession intérieure. La suggestion n'est
rien autre que l'acte de faire pénétrer, soit dans le nimbe, soit dans la substance
psychique d'une autre personne, quelqu'une de ces entités de hiérarchie plus ou
moins haute, qui, résultant du fonctionnement instinctif, ou passionnel, ou mental de
l'expérimentateur, ont été dynamisées par sa volonté, consciente ou non. Les
contrastes qui différencient de tels êtres parasitaires expliquent d'ailleurs la diversité
des suggestions, soit en nature, soit en puissance, soit en durée.
À tout instant de la vie courante, les pratiques suggestives s'exercent dans les
relations d'homme il homme, presque toujours à l'insu de celui qui émet la
suggestion, aussi bien qu'à l'insu de celui qui la subit.
S'il suffisait, pour imprimer une suggestion dans l'esprit d'un autre individu,
d'émettre un conseil à son adresse ou même de lui intimer un ordre, tous les avis
seraient reçus en bonne part, d'où qu'ils vinssent; tous les ordres seraient obéis. Nous
voyons chaque jour qu'il en est autrement.
— Il est facile de répondre, qu'en vérité, s'il en était ainsi, Pierre, très accessible et
très malléable à l'influence suggestive de Paul, obéirait de même aux
23
suggestions toutes pareilles qui lui viennent de Jean, et ne diffèrent ni par
l'idée émise, ni par l'expression qui la traduit. Pierre, en effet, très sensible (ou
très réfractaire) à l'action du sirop de Chloral, ingéré a dose constante, ne
subira-t-il pas cette action également intense (ou négligée), que la drogue
provienne de telle ou telle pharmacie ?
— Il est bien certain qu'analogie n'est pas similitude, comme dit Molière, et que
notre comparaison, reprise sous ce nouvel aspect, semble donner gain de cause
au contradicteur que nous avons introduit. A vrai dire, nous ne sommes pas loin de
nous entendre...
Derrière l'idée transmise, palpite une Energie vivante qui, inséparable de cette
idée, l'anime et l'évertue. C'est le Daïmon, l'être potentiel dont nous parlions tout à
l'heure. Il obsédera ou possédera la personne, dans l'atmosphère ou dans le centre
psychique de laquelle il sera transféré. Le « fluide magnétique » sera l'instrument,
l'intermède, le véhicule de ce transport.
1° Que la pensée qui en fait la base soit vitalisée, autant dire doublée d'une âme
vivante, de hiérarchie plus ou moins haute, de volonté plus ou moins intense^ de
nature plus ou moins éphémère ou consistante, — et qui agira diversement, selon
son grade originel et ses destinées, conformes aux intentions de son créateur
adamique.
24
consentant se maintienne en état de réceptivité passive, une suggestion peut lui
venir d'un homme dont le vouloir serait inférieur au sien,
On peut voir dans l'hypnose, à ses divers degrés, le résultat d'une sorte d'ivresse
astrale; le somnambule cuve, en dormant, la lumière magnétique qu'il a digérée en
excès. Car il ne suffit pas, pour endormir un sujet, de projeter une certaine quantité
de fluide vers lui, avec l'intention de le frapper de sommeil: il faut encore que le
médiateur plastique de cet individu assimile ce fluide et le digère. Et comme il est
loisible à la volonté de l'homme d'influer sur son propre corps astral, afin de le rendre
réceptif, ou de le maintenir impénétrable et rebelle aux influences du dehors, il en
résulte que, les premières fois surtout, un magnétiseur ne peut endormir un sujet que
de son consentement, à moins que le praticien n'abuse d'un prestige inné ou d'une
supériorité volitive qui s'impose. Il se peut qu'il recoure aussi à de certaines pratiques
occultes qu'il vaut mieux taire, à des adjuvants connus et trop exploités en Goëtie...
25
puissance en acte. Mais là se bornent ses destins. L'entité occulte va donc mourir
dans l'instant même de sa manifestation, le rôle étant rempli que lui assignait l'acte
de volonté conscient qui avait présidé à sa naissance. — Voilà un exemple de
possession, tout épisodique et transitaire, par le fait d'un être infiniment
instable et éphémère.
26
bandits du plan astral. On sait que les Lémures parasitaires de certaine provenance
demeurent dans le nimbe à titre obsessif, ou s'amalgament avec la substance de
l'âme, qu'ils alourdissent et dénaturent à la longue) mais sans entrer en lutte ouverte
avec la personnalité légitime C'est ce que nous avons déjà fait entendre, et sur quoi
nous reviendrons à propos des arcanes de la mort (chapitre vi).
La servitude où les Esprits peuvent réduire la nature humaine est parfois de leur
part un fait spontané; d'autres fois, la tyrannie spirituelle ne s'exerce qu'à l'instigation
d'un magicien. On n'a pas oublié qu'en effet il est permis à l'homme, actif sur tous
les plans de la nature, de mettre en œuvre tous les ressorts qui la font agir.
Voilà ce dont le magiste doit tenir compte, lors qu'il prétend utiliser les courants
divers de l'Astral : car il peut se servir des uns comme des autres, et faire ainsi
beaucoup de bien, ou beaucoup de mal. Seulement, il s'y prendra différemment
selon les cas.
Lui-même joue gros jeu. — S'il affronte les courants cosmiques, le péril à conjurer
pour lui, c'est l'émiettement la désintégration partielle ou même totale; s'il pénètre
dans le circuit d'une chaîne puissante, le péril qui le menace est l'asservissement,
l'absorption (parfois inconsciente!) de sa personnalité dans celle de l'Egregore qui
régit la chaîne. Mais si, téméraire, il s'oppose au courant pour le combattre, sans
avoir pris le soin préalable de tendre une chaîne magnétique adverse, et de force à
neutraliser la première, il court même risque d'être foudroyé, au sens le plus positif de
ce terme — Négligeons ici les commentaires: après ce que nous avons
précédemment énoncé, celle triple indication suffira.
27
Au chapitre ni se trouvent éclaircis le système des chaînes de sympathie, et la
genèse des êtres collectifs. Qu'on prenne la peine d'y réfléchir, et les obscurités
se dissiperont.
Vers de certaines époques, des pensées inédites, des vues neuves émergent
soudainement à fleur d'opinion: sur toutes les lèvres, sous toutes les plumes se
retrouvent, sans qu'on sache pourquoi, tels concepts jusque-là fort ignorés. On
donne crédit et autorité à ce qu'on méprisait; l'on formule de tous côtés ce qui, la
veille encore, ne se fût jamais offert à l'esprit. Et couramment des penseurs, qui
s'ignorent l'un l'autre, témoignent dés mêmes préoccupations imprévues: ils
profèrent à la fois, ils préconisent d'identiques idées, et, chose plus étrange encore
les habillent des mêmes vocables. Il semble qu'au service des idées nouvelles, si
brusquement écloses, un nouveau langage ait surgi.,.
— Ces idées-là étaient dans l’air opine la sagesse clés foules. Et le bon peuple n'a
pas tort; il est rare du reste que ses clichés les plus naïfs n'enveloppent point de
hautes vérités.
Que l'opinion évolue tout d'un coup à droite ou à gauche, qu'elle s'épure ou se
déprave, c'est dans les aréopages occultes que s'est dessiné le geste initial, du
mouvement nouveau. De ce que tant de gens croient marcher au hasard, qui, ne
sachant point qu'on les mène, ignorent doublement où ils vont, il ne résulte pas que
celui-là qui les fait marcher ignore où il les conduit.
On agit sur l’ascendant global des foules comme sur l'ascendant propre des
individus: on y détermine des courants d'idées, on y crée des cercles d'images; il
suffit que l'atmosphère y soit réceptive à la semence invisible. C'est ainsi qu'à la
faveur des chaînes sympathiques, se développent à foison des formes
intellectuelles et se propagent des concepts vitalisés. Ainsi se justifie le poncif des
idées qui sont dans l’air.... Ajoutons que l'un des secrets de la puissance, autant sur
les multitudes que sur les hommes isolés, trouve sa formule dans un autre proverbe,
non moins populaire, non moins profond et que voici: prendre chacun par son côté
faible
Après avoir discerné à travers les stries du fluide astral, les entités erratiques qui
peuplent ses ondes, la mention s'impose à nous des Invisibles localisés, gouverneurs
des énergies latentes de la matière. Ce sont les genii loci de l’Esotérisme antique; ils
comprennent plusieurs classes d’Elémentaux conscients, semi-conscients, et
purement instinctifs.
Pas une pierre, dit la Kabbale, pas un brin d'herbe au monde, sur quoi ne règne
28
un Esprit.
Ces agents occultes, dont nous avons discouru plus haut, riches en variétés très
diverses, se laissent difficilement circonscrire dans une définition générale.
Répartis sur tous les échelons de In Nature manifestée, ils forment contraste au
moral» autant que se ressemblent peu au physique les objets sur quoi ils règnent:
la foudre et la fleur, la houille et le zoophite, etc.
Les Esprits élémentaires, qu'ont rendus célèbres les vulgarisateurs d'une Kabbale
extériorisée, ne représentent que les moins sédentaires d'entre ces Agents: ce sont
les Gnomes, les Ondins les Sylphes, les Salamandres, etc.
D'autres, plus ou moins étroitement liés aux choses matérielles qui dépendent
d'eux, ne leur sont point immanents d'une sorte rigoureuse, puisqu'ils peuvent la
plupart, — sous les conditions requises pour l'objectivation des Invisibles en général,
— se manifester dans le voisinage de ces objets. Chose étrange au premier examen,
mais logique si l'on prend la peine d'y réfléchir, plus ces êtres s'élèvent sur l'échelle
de l'évolution, moins ils deviennent libres de s'éloigner du corps qui tend de plus en
plus à devenir leur enveloppe.
La plupart des Elémentaux ne sont hostiles à l'homme qu'autant qu'il envahit leur
domaine, et, sciemment ou non, travaille à les déposséder, explosions au
laboratoire, éboulements à la mine, accident à la fabrique peuvent être alors les
marques de leur colère. Cependant, l'homme est né leur maître: il les asservit par la
Science, et comme l'empire que ces êtres exercent sur la matière est subordonné à
des lois régulatrices qu'ils ne peuvent transgresser, l'observateur de qui ces lois sont
connues parvient, avec de la prudence et du sang-froid, à conjurer chez eux tout
mauvais vouloir.
29
Science a des couronnes pour tels adeptes spéculatifs, qui n'ont jamais su forger à
leur profit le sceptre de la maîtrise opératoire...
Au demeurant, rien n'est plus réel que la fatalité inhérente à certains lieux, hantés
par des Larves instigatrices, de suicide.
Nous connaissons une famille où le suicide par immersion semble à l'ordre du jour,
de père en fils. Les hommes de ce sang finissent par se noyer, tôt ou tard, et toujours
au même coude d'une même rivière. Chose étrangement lugubre! Le dernier qui s'y
jeta il y a quelques années à peine, s'était longtemps roidi contre la mortelle
impulsion; mais il ne se dissimulait point que la fatalité héréditaire le saisirait un jour ou
l'autre, trop impérieuse pour qu'il s'y dérobât. Il va sans dire qu'il évitait les approches
de la berge d'où son aïeul, puis son père, s'étaient précipités; mais à de certains
jours, il se sentait poussé, entraîné jusqu'à ce Heu par une force irrésistible comme le
Destin, et passait des heures à s'hypnotiser, perdu dans la contemplation muette des
stries, moirant le fil de l'eau profonde. Parfois, il se cramponnait aux broussailles,
pour conjurer la tentation qui grondait en lui; mais un jour enfin, il fit le saut, et se
noya.
Cet exemple, dont nous sommes garant, paraît curieux à double titre, car
l'influence néfaste y est localisée deux fois: d'une part, elle s'attache aux mâles
d'une lignée, aux mâles seuls; d'autre part, à un point de l'espace nettement défini...
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l'aventure de Valence-en-Brie (1896) allait en offrir la réédition. Notre ami le Dr Papus
a suivi ces saturnales de phénomènes, qu'il analyse en leurs péripéties principales,
avec la sagacité d'un occultiste érudit et l'autorité d'un témoin oculaire. Tl suffira de
renvoyer le Lecteur aux termes du rapport publié dans l’Initiation, sans qu'il soit be-
soin de résumer à nouveau l'affaire. Les phénomènes semblent calqués sur ceux de
Cideville, et attestés ici comme là, par des centaines d'observateurs. Dans les deux
cas, l'infestation provient d'un maléfice; mais a Valence le médium était une pauvre
valétudinaire, dont les sorciers, présents quoique invisibles, aspiraient en larve astrale
la vie extravasée. C'est à l'intervention de Papus et d'un autre occultiste
expérimenté, M. l'abbé Schnébelin, que la malade doit son rétablissement. Tous les
remèdes prescrits par les médecins avaient été inefficaces: le traitement magique
emporta un plein succès. Ricane qui voudra! L'emploi des pointes métalliques
délivra la maison de ses impalpables visiteurs, et l'on put, à plusieurs reprises,
constater les phénomènes lumineux qui signalent la rupture d'un coagulât fluidique.
Les coups portés dans la direction où la Voix se faisait entendre ont provoqué des
pluies d'étincelles... Finalement, les phénomènes ont cessé tout à fait, — et la
malade est guérie.
Cette hypothèse, fondée sur quelques indices ambigus, mais que rien, par
bonheur, n'est venu confirmer, nous amène tout naturellement à l'examen d’un
problème d'intérêt supérieur: l'occasion nous semble propice de redresser certaines
notions incorrectes, mais fort en faveur, qui répondent au terme, usité souvent à
l'aveuglette, de pacte avec le Démon.
Le pacte! Il n'est pas d'œuvre occulte plus célèbre et plus légendaire; il n'en est
point aussi de plus défigurée dans l'opinion du peuple et même des personnes
instruites.
Le pacte est exprès ou tacite, — Dans le premier cas, dit M. l'abbé Ribet, « il se
conclut par des paroles que Ton adresse au Démon, ou par l'acceptation d'une
formule que propose le Démon lui-même, soit qu'il apparaisse et offre son
concours, soit qu'on l'évoque par des abjurations et des promesses ». — Quant au
pacte tacite, il se conclut implicitement, par le seul fait d'entreprendre, même à titre
expérimental, une opération dont le résultat doit être en dehors du cours naturel des
choses; car on se doute de reste que le Diable peut seul accomplir pareille œuvre;
et, qui veut la fin doit vouloir aussi les moyens...
Voilà, dans toute son intransigeance, la doctrine orthodoxe sur ce point: elle est
formidable et translucide. Ainsi donc, — car il faut être logique, — la moindre
31
expérience de table tournante, le moindre contrôle de médianité, une tentative
quelconque d'étudier les forces, non point surnaturelles (il n'en est pas), mais non
encore cataloguées par les bonzes de la science positive; tout essai curieux ten-
dant à mettre en œuvre des Agents ou des Puissances « au-dessus, des forces de la
nature », pour user du détestable langage en cours; toute entreprise de ce genre
implique nécessairement un pacte au moins tacite avec l'Enfer!
Quelle que soit la rigueur d'une semblable doctrine, l'Occultisme adopte in toto
les termes de la définition, sauf à délimiter le sens véritable et scientifique des mots
Démon et Enfer.
On sait déjà que nous répudions l'existence du Malin Esprit, en tant qu'absolu du
Mal et antithèse de Dieu, l'absolu du Bien. Mais on a pu le voir, nous ne contestons
pas plus l'existence des Esprits per vers dans le monde occulte, que celle des
hommes pervers dans le monde visible.
Selon nous, le Diable est à envisager sous deux aspects: en corps et en âme;
comme Force ou substratum dynamique d'une part, et de Vautre comme Esprit de
perversité ou de perversion, selon l'étymologie de son nom même.
Le Diable, envisagé comme agent, est la Lumière astrale, corrélation des forces
physiques et synthèse des forces hyperphysiques du Cosmos. Quiconque entre en
rapport direct avec la Lumière astrale» dont l'enveloppe matérielle de l'homme sert
à l'isoler dans une certaine mesure, celui-là crée un lien durable entre sa personne
et cette multiforme Puissance, « dont il deviendra le maître ou l'esclave, le directeur
ou le jouet ». — Voilà le pacte facile, découlant irrésistiblement de toute expérience
téméraire qui a réussi.
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33
« Qu'une trombe renverse et éparpille les habitations, qu'elle déracine les arbres
séculaires et les transporte au loin, qui s'en étonne maintenant?
« Mais qu'un élément, inconnu dans sa nature, secoue l'homme et Je torde comme
l'ouragan le plus terrible fait du roseau, le lance au loin, le frappe en mille endroits à la
fois, sans qu'il lui soit permis d'apercevoir son nouvel ennemi et de parer ses coups, sans
qu'aucun abri puisse le garantir de cette atteinte à ses droits, à sa liberté, à sa majesté;
que cet élément ait des favoris et semble pourtant obéir à la pensée, à une voix
humaine, à des signes tracés, peut-être à une injonction; voilà ce que l'on ne peut
concevoir, voilà ce que la raison repousse et repoussera longtemps encore. Voilà
pourtant ce que je crois, ce que j'adopte; voilà ce que j'ai vu, et, je le dis résolument, ce
qui est une vérité pour moi à jamais démontrée.
J'ai senti les atteintes de cette redoutable puissance. Un jour, entouré d'un grand
nombre de personnes, je faisais des expériences dirigées par des données nouvelles qui
m'étaient personnelles, cette force, — un autre dirait ce démon, — évoquée, agita tout
mon être; il me sembla que le vide se faisait autour de moi, que j'étais entoure d'une sorte
de vapeur légèrement colorée. Tous nies sens paraissaient avoir doublé d'activité, et ce
qui ne .pouvait, être une illusion, nies pieds se recourbaient dans leur prison, de manière à
me faire éprouver une très vive douleur; et mon corps, entraîné par une sotie de
tourbillon, était, malgré ma volonté, contraint d'obéir et de fléchir. D'autres êtres pleins de
force, qui s'étaient rapprochés du centre de mes opérations magiques, — pour parler en
sorcier, — furent plus rudement atteints: il fallut les saisir à terre, où ils se débattirent
comme s'ils eussent été près de rendre l'âme.
Qu'il nous suffise d'ajouter, à l'égard du pacte formel, que l'engagement écrit fut
toujours de rigueur, dans les plus sérieuses sociétés d'initiation: cet acte, à part son
caractère de garantie exotérique, constitue un signe d'appui, lequel corrobore et formule
magiquement la volonté du néophyte. Chaque association terrestre est doublée, dans
l’Invisible, d'un cercle correspondant, et régie par un Egrégore, comme nous l'avons, à
plusieurs reprises, péremptoirement exposé. Quant aux Fraternités invisibles qui n'ont point
d'organisme matériel connu, — nous voulons dire de groupe humain parallèle et
conforme ici-bas, la rédaction s'impose d'un engagement écrit, et brûlé par après avec
de certains rites: outre la valeur du signe d'appui, sur laquelle nous avons déjà insisté,
l'incinération du contrat équivaut à la projection en Astral dudit signe, confinnatif de
l'entente adeptale. Il n'est point invraisemblable que l’invisible Communauté y réponde
par le phénomène de la précipitation d'écriture, bien connu des spirites et de l'entourage
de Madame Blavatsky.
Toutes ces choses paraissent concorder d'une sorte bien frappante avec les
enseignements de la théologie romaine. Ses Docteurs nous diront, qu'à l'apparition près
du Malin, dont les cornes et les griffes n'ont pas visiblement percé nos aveux corroborent
singulièrement les doctrines exotériques de l'Eglise!
Hé bien ! nous concéderons encore à ces Messieurs les cornes et les griffes auxquelles
ils semblent si fort tenir; car dans les phénomènes évocatoires, qui équivalent à la dé nu
dation d'un pan de l’Astral, les silhouettes les plus congruentes à la définition diabolique se
profilent d'aventure. II n'y a rien là pour étonner des adeptes de l'Occultisme. Ne suffit-il
pas, en effet, qu'une' forme soit imaginée par l'homme, pour qu'aussitôt ébauchée en
astral, elle se conserve aux archives de la lumière seconde? Et cent générations
ascétiques n'ont-elles pas rêvé l'Enfer? Or, tous Lémures, ou tes Dominations théurgiques,
comme aussi tous Mirages errants peuvent être évoqués et apparaître.
Ainsi triompheront nos adversaires. Après cet aveu, (diront-ils), rien ne manque plus à
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la confirmation que vous apportez malgré vous des indéfectibles vérités du Dogme,
touchant le Diable et son royaume...
C'est grâce à cet ingénieux système que M. de Mirville trouvait jadis, dans les plus
fortes pages d'Eliphas Lévi contre l'existence du Diable personnel, l'aveu et la preuve
irrésistibles que le Diable, pour Eliphas, était bel et bien une personne. La même méthode
a servi récemment contre les occultistes actuels, à un autre historiographe du Démon,
auteur de deux énormes in-4°, où sa très spacieuse imagination s'est allégée des
chimères qui l'encombraient : Chimœrœ in vacaum bombinantes! Ce prodigieux
docteur apparaît à la fois, au double point de vue philosophique et anecdotique, de
Nonotto et le Ponson du Terrail de la Magie.
Combien de faméliques intrus ont eu hâte de battre monnaie sur la crédulité des
badauds, en exploitant la pratique fructueuse de l'Astrologie, de la Chiromancie et
d'autres arts divinatoires, que la renaissance de l'Esotérisme semblait galvaniser pour un
temps, même entre des mains ignares, suspectes ou vénales!
Nous ne rappellerons que pour mémoire ceux-là qui se sont fait initier à l'illuminisme,
pour trahir leurs serments, leurs frères et leur Dieu.
C'est un aphorisme en magie, qu'on ne peut faire le jour sur certains arcanes, sans
soulever aussitôt une opposition formidable de la part des Forces adverses... Le Lecteur
qui, parvenu au point où nous en sommes, ne saisirait pas d'emblée le pourquoi et le
comment de cette réaction fatale, peut fermer le livre et renoncer à l'étude des Hautes
Sciences,
A chaque renouveau de la pensée, toutes les fois que le monde intellectuel penche
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à suivre une orientation inédite, cette loi de l'Antagonisme susciterait de funestes
subversions, si le Fatum (cette Puissance qui noue l'effet à la cause) ne maintenais dans
une certaine mesure, SUT l'avenir, comme une garantie régulatrice, l'esclavage étroit du
passé.
Contrainte salutaire, bien que parfois très cruelle aux novateurs de l'art, de la science
et de l'action.
« Le mort saisit le vif », prononce le Droit ancien: la mort règne sur la vie et lui inflige sa
loi; quoique étant Hier) elle domine sur Demain, à cause du respect religieux qu'inspirent
les Êtres et les choses qui ne sont plus.
La routine n'est que la règle morte imposée au futur par l'autorité du passé, à la vie
par la majesté de la mort.
Contre le Destin, les volontés et la Providence même ont à combat Ire, pour
improviser autre chose, rénover les formes vieillies, enfin garantir la variété du Beau, l'une
des conditions pour que le Beau soit aimable: mais, encore un coup, cette puissance
épouvantable de la Fatalité est nécessaire au monde tel qu'il est. Sans elle (la force
morte), les forces vives réagiraient trop impétueusement l'une sur l'autre, dépourvues
qu'elles seraient d'obstacle qui réglât leur action, par le fait même qu'il l'entrave. Les
transitions n'étant plus ménagées, le monde muerait par secousses désastreuses; il se re-
nouvellerait par séries de cataclysmes, au lieu d'évoluer avec une savante lenteur...
Nous voici loin du pacte, dont il s'agissait, quand notre plume a dévié vers des con-
sidérations générales que nous ne regrettons point d'avoir énoncées. Il n'en faut pas moins
"mettre un terme à cette digression, qui, sans répugner au caractère du présent chapitre,
nous a distrait un instant des rapports possibles entre l'homme et les Puissances d'un
monde plus subtil.
Mais il est telles circonstances où les Invisibles entrent en lice pour leur
propre compte: ils aspirent à posséder l'homme, ou à l'obséder.
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l'invasion spirituelle. Au point d'évolution où l'homme se trouve ici-bas, son
corps matériel constitue, en fonctionnement normal, une forteresse qui
garantit l'âme, non pas seulement une prison qui la retient. La grande ma-
jorité des hommes se trouve à l'abri des influences spirituelles, ou du moins
n'est-elle pas consciente de les subir.
Tant que les êtres du plan astral n'ont point acquis quelque objectivité
passagère, le médiateur plastique de l'homme devient, en s'extériorisant, le
seul point de contact qui soit possible entre eux et l'âme incarnée.
Les forts médiums, qui sont sujets à extravaser en tous temps leur fluide
nerveux, jusqu'à en saturer l'atmosphère astrale qui les baigne, doivent
être regardés comme des malades. Chez le commun des hommes, la force nerveuse ne
s'abmatérialise que fort exceptionnellement, dans certains cas soit physiologiques, soit
pathologiques.
Nous allons révéler à ce sujet une chose des plus mystérieuses et des moins connues,
— réponse à bien des points d'interrogation.
Il serait facile de multiplier les exemples. Les trois que nous avons choisis paraissent
surtout frappants, car ils manifestent le pourquoi insoupçonné du deuil moral, après la
perte des êtres chers; le pourquoi de la peur, si naturelle à l'homme, en face d'une
corporisation soudaine de l'Invisible; le pourquoi enfin de cette étrange et sauvage
passion qui lie le désir charnel à l'instinct de férocité et intrigua tant de modernes
psychologues, sous le nom de sadisme.
Cherchez dans les profondeurs de la nature la raison de ces choses, les unes si
normales, les autres si étranges!
Pourquoi les épouvantes vagues et sans objet, en particulier la peur des fantômes? —
Parce que les. Indigènes de l'Astral, pour se manifester sur le plan physique, ont besoin
de force nerveuse, et que l'effroi qu'ils inspirent, sciemment ou par instinct,, est un moyen
sur de voler celle force au premier venu. Plus une apparition est nourrie de fluide nerveux,
plus elle se précise et se revêt de réalité physique: là gît la raison occulte de l'intensité
croissante des phénomènes terrifiants, en proportion directe de l'effroi. Dans les séances
des médiums; matérialisant, la sensation glaciale qu'éprouve le spectateur, au voisinage
des apparitions fluidiques, est due à la perte subite de force nerveuse, dont le spectre
s'empare avidement. La netteté du phénomène s'accroît à mesure. Du reste, en cas or-
dinaire, les Invisibles n'ont pas besoin d'apparaître; aux regards pour insuffler à l'homme
l'épouvante, dispensatrice à leur profit du breuvage d'objectivité.
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Pourquoi enfin cette tribulation morale, cette persistante angoisse qui fait qu'on
pleure longuement les êtres chers que la mort a frappés? — Rien à coup sûr qui s'explique
mieux au cœur de l'homme; mais une loi providentielle intervient, pour utiliser au bénéfice
du défunt la désolation, si naturelle à ceux qui restent. Ainsi, par une admirable économie
des transitions, ménagées d'un inonde à l'autre, c'est ail fort de l'épreuve posthume que
l'énergie psychique, émanée de la douleur des proches, viendra en aide au nouveau-né
d'une vie future!...
A l'égard du profit que les Invisibles pervers peu vent retirer du suicide humain il est
bien évident que, chez l'individu qui se frappe de mort dans la vigueur de sa pleine santé,
la mise en disponibilité de la force nerveuse sera totale, au lieu d'être partielle, et ce, au
bénéfice de quiconque s'en voudra saisir.
Il va sans dire que les Invisibles dont nous signalâmes l'intervention possible, dans les
œuvres égoïstes et ténébreuses, soit comme acteurs principaux, soit comme complices
du maléficiant, ne sauraient être les Intelligences supérieures, Ames glorifiées ou Anges
missionnaires. Nous entendons réserver pour un autre ouvrage les notions relatives à ces
Esprits émancipés.
L'infaillible discernement des Esprits n'a pas été toujours leur privilège; et tels qui ont
été déçus par les Puissances de l'ombre ou du crépuscule, se croyaient d'une foi robuste
les missionnés du Dieu solaire !
Ceci nous reporte au douzième feuillet du Livre hiératique de Thôth, où l'on voit un
homme, la tête eu bas et la cheville garrottée à la traverse d'un gibet. « Le pendu (dit
Eliphas Lévi), c'est donc l'adepte, lié par ses engagements, spiritualisé ou les pieds tournés
vers le Ciel; c'est aussi l'antique Prométhee, subissant dans une torture immortelle la peine
de son glorieux larcin. »
Le temple de la Vérité ésotérique possède un par vis d'où l'on entrevoit ses rayons, et
un sanctuaire où resplendit sa présence réelle.
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Mille sentiers conduisent au temple; mais on ne pénètre au sanctuaire de la suprême
initiation que par deux issues: la porte de la science et de la lumière, et celle de l'épreuve
et de l'amour.
Les initiés spéculatifs et volontaires qu'a guidés la chaste mais froide ambition de
savoir pour savoir, n'ont pas nécessairement renoncé aux pompes de Maïa, la déesse de
l'Illusion terrestre, ni souffert et désespéré par elle. Seulement, ils ont appris à traduire le
nom de l'Enchanteresse: ils savent qu'elle n'est point la réalité substantielle, mais le
mirage. Ils ne peuvent plus se laisser séduire à la fantasmagorie de ses charmes si
délicieuse à d'autres hommes, Comme en une danse macabre, ils ont entrevu le
squelette, sous la gaze et les falbalas de la ballerine.
L'adepte intellectuel peut bien encore prendre sa part des illusions terrestres, mais en
sceptique désabusé, et sans y croire désormais. II ressemble à l'acteur, qui rend sur lu
scène les passions violentes de l'ambition, de la haine et de l'amour, et qui peut un instant
s'enfiévrer au jeu, jusqu'à se paraître sincère à lui-même. Voyez-le, qui s'épanouit dans la
joie, ou se contracte dans la douleur, Mais adieu l'émotion, si peu qu'il réfléchisse! Il rit
alors de ses larmes faciles, et, chose plus triste encore, il rit de son rire.
Les Elus entres au sanctuaire par l'autre porte, celle de l'Amour, ont connu toutes les
amertumes et renoncé les joies trompeuses de l'existence. Car il faut qu'ils aient épuisé la
coupe des déboires temporels, pour que, désenchantés de la cité terrestre, ils se soient
tournés vers la Jérusalem céleste, cette éternelle patrie de la Science, de la Justice et de
l'Amour.
Ce sont les plus pures colombes, qui s'abattent ainsi, blessées, sur le seuil de
l'immatériel refuge.
Vint-il pas du Ciel, puisqu'il y remonte, l'Ange des tribulations qui, brutalement, au vif
de ces tendres cœurs, défricha le parterre d'optimisme illusoire dont les arômes charriaient
des mirages heureux et transfigurant la réalité terrestre, réfléchissaient sur elle l'illusion, du
paradis
Stanislas de Guaïta.
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