Cahiers Du Cinéma 165 PDF
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CINEMA
cahiers du CINEMA
N° 165 - AVRIL 1965
ORSON WELLES
Conversations avec Juan Cobos, Juan A n to nio Pruneda et Miguel Rubio
~~
8
Le secret des poètes et des rois, par M ichel Mardore ~ ~ 24
Falstaff sur le v if, par Juan Cobos 28
Welles â la TV 3t
AGNÈS VARDA
Entretien, par Jean-André Fieschi e t Claude O llîer 42
L’ACTION PARLÉE
Entretien avec Pierre Perrault, par M ichel Delahaye et Louis M arcorelies 32
Post-scriptum, par Michel Brault : 4?
INGMAR BERGMAN ~
Journal des Communiants, par V ilgot Sjoman 52
LË COURT MÉTRAGE
Oberhausen ou le troisièm e axe, par M ichel Delahaye 58
LE CAHIER CRITIQUE
Rossen : Lilith, par Jean-André Fieschi 70
W ilder : Embrasse-moi, idiot, par Gérard Guégan 70
Tashlin : Disorderly Orderly, par André Téchiné 71
Etaix : Yoyo, par Jacques Bontemps 72
Varda : Le Bonheur, par Claude O llie r 73
Richardson : La Solitude d'un coureur de fond, par Jean-Claude Biette 74
De Sica : Mariage à l’italienne, par Jean-André Fieschi 75
Marton : L’Attaque dura sept jours, par Jean-Pierre Biesse 75
Juran : Les Premiers Hommes dans la lune, par M ichel Mardore 76
PETIT JOURNAL DU CINÉMA "
Cannes, Compton, Rohmer, Rossellini 64
Chronique de la TV 66
Revue de presse 78
Courrier des lecteurs 5
Les dix m eilleurs film s de 1964 67
Liste des film s sortis à Paris du 10 fé vrie r au 23 mars 79
CAHIERS D U C IN É M A , R e v u e m e n s u e l l e de C in ém a
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a u t e u r s . Les m a n u s c r i t s n e s o n t p a s r e n d u s .
T o u s d r o it s r é s e r v é s . C opyright b y l e s E d it io n s d e l'Etoile.
3
1819-1965
cinéastes
Toute Technique évolue...
y compris celle de la garantie
illustrations
LE TERRAIN VAGUE
2 3 -2 5 , ru e du C h e rc h e - M id i, P a ris -6 e
P O S I T I F N os 61-62-63: L’Eroîisme,
N os 64-65: Aspects du Cinéma américain,
13,50 F
9F
N° 66 : Antonioni, 6 F
N os 67-68 : U.R.S.S. - Cuba - Hollywood, 9F
N° 69 : Rosi 4,50 F
6
LE CONSEIL DES DIX
COTATIONS • inutile de se déranger à voir à la rigueur * * à voir ★ ★ voir absolument chef-d’œuvre
■ ★ à ★ ★ ★ ★
M ic hel Rob ert Jean-Lou is A lb ert Jean Jea n-L ouis M ich el M ich el Jean -A nd ré G e o rg es
A ub rl ant Benayoun Bory C er vo ni Collet C om o lli C o ur no t Dela h a y e F îes ch i Sacloul
{ P ar is - P r e s s e ) (P ositif) (A rts) { Franc e- (T é l é r a m a ) (C ahiers) ( Le N o uv e l (C a h i e r s ) (C ahiers) ( L e tt r e s
N ouvellc) O bservateur) Fr a nç a is es
L’Evangile selon saint Matthieu (Pasolini) 9 ’k ' k k ★ ★ ★ ® k 'k 'k 'k k ^ k 'k 'k ★
LE DEVOIR D'EXPLORER
n
Le Procès :
Anthony Perkins et Romy
Schneider.
Je crois qu’il y a chez les Russes une forte faites. Elles ressemblent à n’importe quel
tendance à se montrer plus académiques lors autre film de Hollywood.
qu'ils traitent une autre époque. Ils devien L’histoire de Lady From Shangal, je crois
nent alors rhétoriciens, et académiciens, au que vous la connaissez. J’étais en train de
pire sens du mot. travailler à cette idée de théâtre spectacu
QUESTION Dans vos films, on a la sensation laire, avec « Around the World in 80 Days »,
que l’espace réel n’est jamais respecté : il qui devait être à l’origine produit par Mike
semble qu’il ne vous intéresse pas... Todd. Mais, du jour au lendemain, celui-ci
WELLES Le fait que je n’en fasse pas se ruina, et je me retrouvai à Boston le
usage ne signifie nullement qu’il ne me plaise jour de la première, sans pouvoir retirer mes
pas. En d’autres termes, il y a beaucoup costumes de la gare parce que l'on devait
d’éléments du langage cinématographique 50000 dollars. Sans cet argent, nous ne pou
que je n ’utilise pas, mais ce n ’est pas parce vions pas faire la première. A l’époque,
que j’ai un grief contre eux. II ine semble j’étais déjà séparé de Rita, nous ne nous
que le champ d’action dans lequel je fais parlions même plus. Je n’avais pas l’inten
mes expériences est celui que l’on connaît tion de faire un film avec elle. J’ai demandé
le moins, et mon devoir est de l’explorer. une communication de Boston à Harry Cohn,
Mais cela ne veut pas dire que c’est pour alors directeur de Columbia, qui se trouvait
moi le meilleur et le seul — ou que j'écarte à Hollywood, et je lui ai dit : « J'ai une
une des conceptions normales de l’espace, par histoire extraordinaire pour vous si vous
rapport à la caméra. Je crois que l’artiste m ’envoyez par télégramme 50.000 dollars
doit explorer son moyen d’expression. dans une heure, à valoir sur un contrat que
En réalité, le cinéma, exception faite de quel je signerai pour la faire «, Cohn demande :
ques petits trucs qui ne vont pas bien loin, « Quelle histoire? » J’étais en train de télé
n’a pas avancé depuis plus de trente ans. Les phoner du guichet du théâtre ; à côté, il y
seuls changements se rapportent aux sujets avait une tablette avec des livres de poche,
des films. Je vois qu’il y a des metteurs en et je lui ai donné le titre de l'un d’eux :
scène pleins d’avenir, sensibles, qui explorent « Lady From Shangaï ». Je lui ai dit :
des thèmes nouveaux, mais je ne vois per « Achète le roman et je ferai le film ». Une
sonne s’attaquer à la forme, à la manière de heure plus tard nous avons reçu l’argent.
dire les choses. Il semble que cela n’intéresse Après, j’ai lu le livre, il était horrible, je me
personne. Ils se ressemblent beaucoup, les suis donc mis à écrire à toute vitesse une
uns et les autres, quant au style. histoire. J’arrivai à Hollywood pour faire
le film avec un budget très faible et en six
semaines de tournage. Mais je voulais tou
LA MOELLE DU FILM
cher plus d'argent pour mon théâtre. Cohn
me demanda pourquoi je 11e la tournais pas
QUESTION Vous devez travailler très vite : avec Rita. Celle-ci me répondit que cela lui
en vingt-cinq ans de cinéma, vous avez fait plairait beaucoup. Je lui fis comprendre que
dix films, vous en avez interprété une tren son personnage était antipathique, que c’était
taine, vous avez fait une série de programmes une femme qui assassinait et que cela pour
très longs pour la télévision, vous avez joué rait faire du tort à l’image que le public se
et dirigé au théâtre, vous avez fait des com faisait d’elle en tant qu’étoile. Rita s ’entêta
mentaires pour d’autres films et, en plus, à faire ce film et celui-ci, qui allait coûter
vous avez écrit trente scénarios. Chacun 350.000 dollars, devint un film de 2 millions.
d’entre eux a dû vous prendre plus de Rita se montra très coopérante. Celui qui
six mois. fut effrayé en voyant le film, ce fut Cohn.
WELLES Quelques-uns plus longtemps encore. QUESTION Comment travaillez-vous avec les
Il y en a pour lesquels il m'a fallu deux acteurs ?
ans, mais cela tout en les laissant de côté de WELLES Je leur donne beaucoup de liber
temps en temps pour faire autre chose et en té et, en même temps, le sentiment de la pré
les reprenant après. Mais il y en a aussi que cision. C’est une étrange combinaison. En
j’écris très rapidement. d’autres termes, physiquement, et dans la
QUESTION Vous les écrivez complètement, façon dont ils évoluent, j’exige une précision
avec les dialogues ? de ballet. Mais leur façon de jouer sort tout
WELLES Je commence toujours par le dia droit de leurs propres idées autant que des
logue, Et je ne comprends pas comment on miennes. Lorsque la caméra commence à
ose écrire l'action avant le dialogue. C’est tourner, je n’improvise pas visuellement. En
une conception très étrange. Je sais qu’en ce domaine, tout est soigneusement préparé.
théorie la parole est secondaire au cinéma, Mais je travaille très librement avec les
mais le secret de mon travail, c’est que tout acteurs. J’essaie de leur rendre la vie agréa-
est fondé sur la parole. Je ne fais pas de ciné ble.
ma muet. Je dois commencer par ce que
disent les personnages. Je dois savoir ce LE DÉSESPOIR DE L'ART
qu’ils disent avant de les voir faire ce qu’ils
font. QUESTION Votre cinéma est essentiellement
QUESTION Dans vos films, pourtant, la partie dynamique...
visuelle est essentielle. WELLES Je crois que le cinéma doit être
WELLES D’accord, mais je ne pourrais y dynamique, bien que je suppose que tout
arriver sans la solidité de la parole prise artiste défend son propre style. Pour moi, le
comme base pour construire les images. Ce cinéma, c’est une tranche de vie en mouve
qui arrive, c’est qu'après le tournage des ment que l’on projette sur un écran, ce
composants visuels, les paroles s’obscurcissent. n’est pas un cadrage. Je ne crois pas au ciné
L’exemple le plus classique est Lady From ma à moins que, sur l’écran, il y ait du mou
Shanghai. La scène de l'aquarium était si vement. C'est pour cela que je ne suis pas
prenante pour la vue que personne n’enten d’accord avec certains réalisateurs que, pour
dait ce que l’on disait. Et ce qui était dit tant, j’admire, et qui se contentent d’un
était pourtant la moelle du film. Le sujet était cinéma statique. Pour moi, ce sont des
si ennuyeux que je me suis dit : « Il faut quel images mortes. J’entends le bruit du pro
que chose de beau à regarder. ;> Assurément, jecteur derrière moi, et lorsque je vois ces
la scène était très belle. Ce sont les dix pre longues, longues promenades à travers les
mières minutes du film qui ne me plaisent rues, j’attends toujours que la voix du met
pas du tout. Lorsque je pense à elles, j’ai teur en scène dise : « Coupez ! »
l'impression que ce n’est pas moi qui les ai Le seul metteur en scène qui ne déplace pas
13
1. C itizen
Kane : Orson Welles
et Dorothy Comingore.
2. Confidential Report :
Suzanne Flon et Orson
W elles.
beaucoup sa caméra ni ses acteurs, et en sonnage... Sinon, le film est quelque chose vail et les oeuvres de certains auteurs du
qui je croie, c’est John I-'ord. Il réussit à me de mort. Ce qu'il y a sur l’écran n'est autre théâtre moderne, comme Beckett, Ionesco et
faire croire en ses films bien que dans ceux-ci chose que des ombres. Quelque chose de autres... Ce qu’on appelle théâtre de rupture.
il y ait peu de mouvement. Mais les autres, plus mort encore que les mots. WELLES Peut-être, mais j’éliminerais Ionesco
j’ai toujours l’impression qu’ils essaient parce que je ne l’admire pas. Lorsque j'ai
désespérément de faire de l’Art. Pourtant, LE COTÉ AMUSANT DES CHOSES dirigé le « Rhinocéros » à Londres, avec Lau
c ’est du drame qu’ils devraient faire, et le rence Olivier dans le rôle principal, l'œuvre
drame doit être plein de vie. Le cinéma, pour que nous répétions chaque jour me plaisait
QUESTION Aimez-vous la comédie ?
moi, est un moyen essentiellement drama de moins en moins. Je crois qu’il n’y a rien
tique, et non littéraire. WELLES J’ai écrit au moins cinq scénarios
dedans. Rien du tout. Ce théâtre provenant
QUESTION C’est pourquoi votre mise en scè
de comédie et, au théâtre, j'ai fait plus de
comédies que de drames. La comédie m’en de tous les types d’expression, de tous les
ne est vivante : c’est la rencontre de deux types d’art d’une certaine époque, est donc
thousiasme, mais je n'ai jamais réussi à
mouvements, celui des acteurs et celui de la forgé par le même monde que mes films.
caméra. De là découle une angoisse qui obtenir un producteur de cinéma pour en
Les choses qui composent ce théâtre com
reflète très bien celle de la vie moderne... tourner une. Une des meilleures choses que
j’ai faites pour la télévision était un pro posent aussi mon cinéma, sans que ce théâtre
WELLES Je crois que cela correspond à soit dans mon cinéma ou sans que mon
gramme du genre comédie. J’aime beaucoup,
ma vision du monde ; elle reflète cette sorte par exemple, les comédies de Hawks. J’ai cinéma soit dans ce théâtre. C’est quelque
de vertige, d’incertitude, de manque de sta chose qui a trait à notre temps. De là vien
même écrit vingt-cinq minutes environ de
bilité, ce mélange de mouvement et de nent ces coïncidences.
l'une d'entre elles. Elle s’appelait I ,Was a
tension qui est notre univers. Et le cinéma Maie War Bride. Le scénariste était tombé
doit exprimer cela. Dès l’instant où le cinéma malade, et j’ai écrit à peu près le tiers du VELASQUEZ ET DOSTOÏEVSKI
a la prétention d’être une œuvre d'art, film.
il doit être, avant tout, un film, et non la
QUESTION Avez-vous écrit des scénarios de QUESTION II y a deux types d’artistes : par
séquelle d’un autre moyen d’expression un
comédies avec l’intention de les réaliser? exemple, Velasquez et Goya ; l’un disparaît
peu littéraire.
WELLES Je crois que la meilleure de mes du tableau, l'autre est présent en lui ; d’un
comédies est « Opération Cinderella ». Elle autre côté nous avons Van Gogh et Cézanne...
UN INTÉRÊT TRÈS PARTICULIER raconte l’occupation d’une petite ville WELLES Je vois ce que vous voulez dire.
italienne (qui a été occupée préalablement C'est très clair.
QUESTION Herman G. Weinberg disait, en par les Sarrasins, les Maures, les Normands, QUESTION II nous semble que vous êtes du
parlant de Mr. Arkadin : « Dam les films et, pendant la dernière guerre, par les Alle côté de Goya.
d’Orson Welles, le spectateur ne peut pas se mands, les Anglais et pour finir les Amé WELLES Sans doute. Mais je préfère Velas
laisser aller en arrière dans son fauteuil ricains) par une compagnie cinématographi quez de beaucoup. Il n'y a pas de compa
pour se relaxer, il lui faut au contraire aller que de Hollywood... Et cette nouvelle occu raison possible entre l’un et l’autre en
à la rencontre du film et faire au moins la pation se déroule exactement comme une tant qu’artistes. Comme je préfère Cézanne
moitié du chemin pour arriver à déchiffrer opération militaire. La vie de tous ceux qui à Van Gogh.
ce qui se produit pratiquement à chaque habitent la ville est changée pendant le tour QUESTION Et entre Tolstoï et Dostoïevsky ?
seconde ; sinon, le voilà perdu. » nage du film. C’est une grosse farce. J’ai très WELLES Je préfère Tolstoï.
WELLES Tous mes films sont comme cela. envie de faire une comédie pour le cinéma. QUESTION Mais en tant qu’artiste...
11 y a des cinéastes, certains excellents, qui Dans mi certain sens, le Quichotte est une WELLES Oui, comme artiste. Mais je nie
posent tout si explicitement, si clairement, comédie, et je mets beaucoup de comédie cela, car je ne corresponds pas à mes goûts.
que malgré la grande force visuelle que peut dans tous mes films, mais c’est un genre de Je sais ce que je fais et, lorsque je le recon
contenir leurs films, on suit sans aucun comédie qui — j'ai le regret de vous le dire nais dans d’autres oeuvres, ce que je fais m’in
effort -— j'entends par là le fil de la narra parce que c’est une faiblesse —- n ’est com téresse moins. Les choses qui me ressemblent
tion uniquement. Je me rends parfaitement prise que des Américains, à l'exclusion des le moins sont celles qui m’intéressent le plus.
compte que, dans mes films, j’exige un spectateurs des autres pays, quels qu’ils Pour moi Velasquez est le Shakespeare des
intérêt très particulier de la part du public. soient. Il y a des scènes qui, vues dans d’au peintres et, pourtant, il n’a rien de commun
Sans cette attention, il est perdu. tres pays, n ’éveillent pas le moindre sourire avec ma façon de travailler.
QUESTION Lady From Shanghai est une his et qui, vues par les Américains, trouvent QUESTION Que pensez-vous de ce que l’on
toire qui, tournée par un autre réalisateur, tout de suite la veine comique. Le Vrocès appelle le cinéma moderne ?
aurait été davantage axée sur les questions est plein d’humour, mais les Américains sont WELLES J’aime certains jeunes cinéastes
sexuelles... les seuls à comprendre son côté amusant. français, beaucoup plus que les italiens.
WELLES Vous voulez dire qu’un autre C’est là que l’on découvre ma nationalité : QUESTION Avez-vous aimé L’Année dernière
metteur en scène aurait rendu cela plus mes farces n’ont pas une portée assez uni à Marienbad?
évident. Je n’aime pas montrer crûment le verselle. Bon nombre des disputes que j’ai WELLES Non. Je sais que ce film vous a
sexe sur l’écran. Non pas à cause de la avec les acteurs sont dues au fait que les plu ; pas à moi. J'ai tenu jusqu’à la quatrième
morale, ou par puritanisme : mon objection scènes sont posées en termes absolus de bobine et après je suis parti en courant. Ça
est uniquement d’ordre esthétique. À mon comédie, et que je ne les change en drame me rappelait trop le « Vogue Magazine ».
avis, il y a deux choses qu'il est absolument qu'à cinq minutes du début. C’est ma méthode QUESTION Comment voyez-vous le déve
impossible de porter à l’écran : l’exhibition de travail : montrer le côté amusant d’une loppement du cinéma?
réaliste de tout acte sexuel, qu’il soit impli chose et n'en montrer le côté triste qu’à la WELLES Je ne le vois pas. Je vais peu au
cite ou sous une autre forme, et prier Dieu. toute dernière seconde. cinéma. II y a deux sortes d’écrivains, l’écri
Je ne crois jamais un acteur ou une actrice QUESTION Qu’est-il arrivé lorsque vous avez vain qui lit tout ce que l’on publie d’intéres
qui prétendent être tout à fait à l’acte sexuel, vendu à Chaplin le sujet de Monsieur Ver- sant, écrit à ce sujet dans les journaux,
s’il est trop littéral, de même que je ne peux doux ? échange des lettres avec les autres écrivains ;
pas croire un acteur qui voudrait me faire WELLES Je ne me suis jamais disputé avec et d'autres qui ne lisent absolument pas leurs
croire qu’il prie. Ce sont deux choses qui, Chaplin à cause de Monsieur Verâoux. Ce contemporains. Je fais partie de ces derniers.
pour moi, évoquent immédiatement la pré qui m ’ennuie, c’est qu’il prétende maintenant Je vais très rarement au cinéma et ce n'est
sence d’un projecteur et d’un écran blanc, qu’il ne m ’a pas acheté ce sujet. Comme pas parce que je ne l’aime pas, c'est parce
l’existence d'une série de techniciens et d’un acteur, Chaplin est très bon, sensationnel. que ça ne me procure aucune jouissance. Je ne
directeur qui dit : « C'est bon. Coupez ». Et Mais dans le cinéma comique je lui préfère pense pas être très intelligent en ce qui
je les imagine en train de se préparer pour Buster Keaton. Lui est un homme de cinéma touche aux films. Il y a des œuvres dont je
le plan suivant. Quant à ceux qui adoptent qui n ’était pas seulement un excellent acteur, sais qu’elles sont bonnes, mais que je ne
une attitude mystique et regardent avec mais un excellent directeur, ce que Chaplin peux pas supporter.
ferveur les spotlights du plateau... n’est pas. Et Keaton a toujours de fabuleuses QUESTION On a dit que vous alliez tourner
Pourtant, mon illusion ne cesse presque idées. Dans Limelight, il y avait une scène « Crime et Châtiment », que devient ce
jamais quand je vois un film. En filmant, je entre les deux qui durait dix minutes, en projet ?
pense à quelqu’un dans mon genre : j’utilise principe. Chaplin était excellent, et Keaton WELLES On voulait que je le réalise. J'y ai
tout mon savoir pour forcer cette personne sensationnel. C’était ce qu’il avait fait de réfléchi, mais j’aime trop le livre. A la fin,
à vouloir voir le film ayec le plus grand plus réussi au cours de sa carrière. Chaplin j’ai décidé que je ne pouvais rien faire,
intérêt, je veux que l’on croie ce qu'il y a a coupé la scène dans sa presque totalité, et l’idée de me contenter de l’illustrer ne
sur l'écran ; ce qui signifie que l’on doit parce qu’il avait compris quel était celui des me plaisait guère. Je ne veux pas dire par
créer là un monde réel. C’est dans le monde deux qui la dominait complètement. là que le sujet n'était pas à ma hauteur, il
que je place ma vision dramatique d’un per QUESTION II y a une parenté entre votre tra s’en faut de beaucoup ; ce que je veux dire,
15
c’est que je ne pouvais rien apporter. Je ne
pouvais lui donner qu’acteurs et images et,
lorsque je ne peux faire que cela, le cinéma
ne m’intéresse pas. Je crois qu’il faut dire
quelque chose de nouveau sur un livre, sinon
il vaut mieux ne pas y toucher.
Cela mis à part, je considère que c’est une
œuvre très difficile, parce que, à mon avis,
elle n’est pas tout à fait compréhensible hors
de son temps et de son pays. La psychologie
de cet homme et de ce policier sont telle
ment russes, tellement xjxc siècle russe, qu’on
ne pourrait pas les trouver ailleurs ; je crois
que le public ne pourrait pas suivre comme
il faut.
LE CONTRAIRE DU CINÉMA
22
pre scénario ! Et j’ai dirigé et écrit le film
sans toucher un centime puisqu’on ne m ’a
payé en définitive qu’à titre d'acteur.
QUESTION Par rapport au roman original,
vous avez fait beaucoup de changements...
WELLES Mon Dieu ! Je n’ai jamais lu ce
roman ; je n ’ai lu que le scénario de l'Uni-
versal. Le roman a peut-être un sens, mais le
scénario était ridicule. Tout se passait à San
Diego et non sur la frontière mexicaine, ce
qui change tout à fait la situation. La raison
qui m ’a poussé à faire de Vargas un mexi
cain est d’ordre politique, je voulais montrer
comment Tijuana et les villes frontières sont
corrompues par toutes sortes de « mics-
maçs » plus ou moins publicitaires sur les
relations américaines ; c ’est là la seule raison.
QUESTION Que pensez-vous du cinéma amé
ricain, vu d’Europe?
WELLES Je suis surpris par la tendance de la
critique sérieuse qui ne trouve d’éléments de
valeur que parmi les directeurs américains de
films d’action, alors qu’elle n ’en trouve pas
chez les directeurs américains de films à
histoire. Lubitsch, par exemple, est un géant.
Mais il ne correspond pas au goût des esthètes
du cinéma. Pourquoi 7 Je n'en sais rien. D’ail
leurs cela ne m ’intéresse pas. Mais le talent,
l'originalité de Lubitsch sont stupéfiants.
QUESTION Et von Sternberg ?
WELLES Admirable ! c’est le plus grand direc
teur exotique de tous les temps, et l ’une des
grandes lumières.
QUESTION Parlons d’autres réalisateurs. Que
pensez-vous d'Arthur Penn ? Avez-vous vu
The Left Handed Gun ?
WELLES Je l’avais d'abord vu à la télévision
et après au cinéma. Il était mieux à la télé
vision, plus brutal et, de plus, je crois qu ’à
l’époque Penn maniait mieux l’élément télé
vision où il était un metteur en scène plein
d’expérience, que l ’élément cinéma où celle-ci
lui faisait défaut. Au théâtre, je crois que
c'est un faon directeur, un admirattte direc
teur d’actrices, chose très rare : très peu de
cinéastes possèdent cette qualité.
Je n ’ai rien vu de la génération la plus ré
cente, sauf quelques échantillons d ’avant-
garde. Parmi ceux que j’appellerais « jeune
génération », Kubrick me paraît un géant.
QUESTION Mais, par exemple, The Kiïïing
était plutôt copié sur The Asphalt Jungle?
WELLES Oui, mais The Killing était meilleur.
Le problème des imitations me laisse indif
férent surtout si l’imitateur parvient à sur
passer le modèle. Kubrick, pour moi, est
meilleur directeur que Huston. Je n ’ai pas
vu Lolita, mais je crois que Kubrick peut
tout faire. C’est un grand directeur et qui
n’a pas encore fait son grand film. Ce que
je vois en lui, c’est le talent que ne possè
dent pas les grands metteurs en scène de la
génération précédant immédiatement la
sienne, je veux dire Ray, Aldrich, etc. C’est
peut-être parce que son tempérament corres
pond davantage au mien.
QUESTION Et ceux de la génération plus
vieille 7 Wyler, par exemple ? Et Hitchcock ?
WELLES Hitchcock est un metteur en scène
Othello : extraordinaire ; William Wyler un produc
Orson Wedes et Suzanne teur brillant.
C loutier. QUESTION Comment faites-vous cette diffé
rence entre des hommes qui se disent tous
deux metteurs en scène?
WELLES Un producteur ne fait rien. Il choi
sit l’histoire, l’améliore avec le scénariste,
opère une sélection dans la distribution et,
au vieux sens du terme de producteur amé
ricain, décide même des prises de vues, des
plans qui se monteront. De plus, il définit la
forme finale du fiÜm. En réalité, il est une
sorte de chef du metteur en scène.
Wyler est cet homme-là. Seulement il est
21
Orson Welles
Le secret cles poètes
et des rois
par Michel
Mordoré
Les « enfants prodiges », ça n’existe pas. pas que Ducasse écrit tous ses « Chants » sentaient en 1940 une grande nouveauté. Ne
A tous ceux qu’une rumeur admiratlve dési claustré dans une chambre), trouvent une parlons pas du cinéma français, qui avait
gne ainsi, pourrait s’appliquer le mot cruel compensation et un masque dans l’exaltation alors un siècle de retard sur les tendances
que Jean Cocteau réservait à une Lolita du Mal, la surenchère du grouillement phy majeures de l’art contemporain.. Notre litté
rimailleuse : « Tous les enfants ont du génie, sique. De nombreux adolescents incultes rature elle-même n ’avançait guère. Citizen
sauf Minou Drouet ». « font du Lautréamont » sans le savoir, dès jfCane grille « L’Ere du Soupçon » et une
Welles réalise Citizen Kane h l’âge de vingt- qu’on leur accorde la liberté d'exprimer vrai bonne part du roman moderne.
cinq ans. L’élan d’extase envers sa jeunesse ment ce qu’ils ressentent. Passée l’épreuve, Cette précocité de la mise en forme, cette
et sa maturité, pourquoi ne le recule-t-on pas Ducasse et Rimbaud, en cela point différents extra-lucidité artistique, n'empêchent pas le
d’une ou deux décades ? A cinq ans, l’Orson du commun des mortels, inversent leur atti film de traduire le contentement d'une bonne
bien léché mettait en scène Shakespeare, tude, au grand étonnement des critiques. conscience. Un homme qui s'apprête à dévo
dont il connaissait évidemment plusieurs piè Pour l’un, ce sera le négoce au Harrar (avec rer la vie ne déteste pas lé romantisme,
ces par cœur. A ses moments perdus, il en corollaire une Correspondance volontai l’apitoiement sur la déchéance. Le « sic tran
écrivait lui-même des tragédies. rement antilyrique, écrite dans une langue sit gloria mundi » qui transparaît en guise
Comment l’exégète ne serait-il pas tenté de admirable, bien supérieure pour mon goût de morale à chaque nouveau flash-back ne
séparer l’auteur génial de la vie commune, aux « Illuminations » ou au « Bateau Ivre »), tracasse pas beaucoup l’auteur. La vieillesse
la grandiose monstruosité de l’œuvre dévo dont le caractère antiartiste désespère les non plus. Avec Àrkadin, nous rencontrerons
rant son créateur, une fois pour toutes ? Par exégètes, toujours persuadés que les livres des différences vertigineuses.
un maximum de sympathie, au sens fort du s’écrivent avec de l’encre. Pour l'autre, ce Pour l’instant, la grande affaire consiste à
terme, on prêtera à l’enfant terrible une sera la simple annonce, d’une portée tout peindre un homme à tous les âges de sa vie,
séduisante complexité d’esprit, à défaut d’une aussi provocante, que désormais il chanterait de l’extérieur. Le plaisir numéro un, c ’est
âme et d’un cœur. Derrière le flamboiement le Bien. Rimbaud et Ducasse écrivaient à de se gonfler les joues avec du coton, pour
d’une rhétorique visuelle dont les spécialistes l’heure juste, ni trop tôt ni trop tard, ce représenter un visage de quinquagénaire.
du cinéma-cinéma ont fait depuis toujours qu’il fallait écrire. Welles y éprouve la même satisfaction que
leurs choux gras, transparaît la contradiction Une telle constatation ne dénigre pas les lorsqu’il interprétait, à seize ou dix-sept ans,
entre l’égotisme cher à « l’Homme de la poètes. Elle tend seulement à rappeler cette le rôle d’Alexandre de Wurtemberg (quatre-
Renaissance », et les vues généreuses d’un vérité première, à savoir que l’accord entre vingts ans), du « Juif Süss ». Par la suite,
libéral démocrate. Cela est vrai. La lutte de l’homme et l’œuvre, pour atteindre à la les métamorphoses charnelles revêtiront une
la Raison et de la Passion inspire à Welles plénitude, doit s ’inscrire au plus profond autre importance dans l’œuvre wellesienne.
des films admirables. de l’être. Par ce détour, Welles nous devier Le masque est une manière de fuir l’angoisse
Et après ? Dans ce genre d’analyse, où pas dra plus proche, plus vrai. de la réalité, mais il arrive à la réalité de
sent donc la chair et le sang? Les extrapo Puisqu’il faut s’en tenir aux preuves tan courir plus vite que le mensonge (c’est un
lations morales ne nous disent pas si une gibles, considérons que la carrière du « Won- peu le sujet de La Soif du Mai).
œuvre est vivante ou non. der boy » commence en 1940, avec Citizen Au début le masque, le maquillage, la com
Pour esquisser une approche minimale, il Kane. En marge des innombrables analyses position, relèvent de l’activité ludique. On
faut rendre à l ’homme et à ses actes leur que ce film a inspirées, on observera com peut en dire autant du personnage de Kane
vérité charnelle. La démarche n ’est guère bien il est influencé par l’âge de son auteur. à l'intérieur du film, et de la position de
facile, surtout dans le monde cinématogra Du point de vue esthétique, il est peut-être Welles envers le personnage. Vingt ans après,
phique, où la glose néglige, quand elle ne exact, comme le pense Truffaut, que Welles la critique s ’est demandée : « Charles-, Foster
la fuit pas avec horreur, toute information se sentait obligé, étant promu réalisateur à Kane ne préfigurerait-il pas le deiùn de
sur l ’intimité du cinéaste, ses origines, son vingt-cinq ans, de faire un film qui résu Welles lui-même ? » (cf. « Le Bateau Ivre »,
milieu social, etc. L’œuvre doit naître ex merait tous les autres. A cet égard, il anti par rapport à Rimbaud). Il est probable que
nihilo. Les plus matérialistes admettent les cipait sur deux décades au moins du cinéma Welles n’a pas attendu vingt ans pour songer
contingences économiques. Pour le reste, la américain. Cela n’empêche pas Citizen Kane à la ressemblance. En écrivant le scénario
critique ânonne son B.A. BA. de porter témoignage sur la sensibilité parti du film, il devait sans arrêt penser à lui-
Dans le cas de Welles, les présentes notes culière d’un jeune homme de vingt-cinq ans. même. Chaque détail, d’une certaine manière,
ne prétendent qu’à désigner une direction La conception de l’œuvre, la vision du per constitue un « private joke » destiné à
possible, et rien de plus. Sa biographie n'est sonnage central, trahissent la personnalité l’homme mûr que l’on deviendra plus tard.
connue que d’une manière vague, dans ses intime du metteur en scène, à un moment Mais il ne faut pas entendre cela comme
grandes lignes. Si l ’on examine l’activité donné de son existence. Là, Kane cesse d’ap une prédiction dramatique. Le jeune homme
créatrice de Welles, la situation ne présente partenir aux théoriciens. D'objet quelque de vingt-cinq ans ne prend pas au sérieux
pas un aspect plus réjouissant. Nous ignorons peu impersonnel et monstrueux, il est passé l'échec, la solitude, la vieillesse, la mort.
les trois-quarts de sa production (théâtre, à l'état plus aimable d’aventure humaine. Il joue avec. Dans la meilleure des éven
télévision, radio), et cela nous contraint à On y surprend d’abord l'immense joie qu'un tualités, il faut considérer cela comme un
juger sur une dizaine de films. Aussi bien, garçon de vingt-cinq ans éprouve à tenir défi de jongleur, sûr de sa force et de son
ces lignes doivent plus à l’intuition qu’à dans sa main une destinée entière. Pour plus adresse. Un tyran qui prévoit les modalités
l’examen objectif. Elles souhaitent seulement de sûreté, le personnage est saisi à l'heure de son éventuel assassinat ne prépare pas
apporter quelques racines et entrailles à une de sa mort, et nous n’appréhenderons les le crime lui-même, sauf masochisme extraor
œuvre située trop près de la tête et du ciel. étapes de sa vie que par des retours en dinaire. Il envisage, il caresse l’événement
Avant tout, il faut tuer le mythe du pro arrière, des témoignages (notons la séduction hypothétique, partie pour le conjurer, partie
dige. Le postulat de « l'inhumain », impliqué qu’exerce une idée aussi théorique sur un pour le plaisir de tenter le diable. Au fond,
par ce mythe, interdit toute compréhension auteur qui ne possède pas une expérience il n’y croit pas. Ainsi Welles agit-il avec
de l’artiste. Or ce n ’est pas le désaccord, vitale suffisante pour se permettre la Charles Foster Kane. Le drame, la révélation
mais l'accord suprême entre le « génie » description directe). L’apprenti-démiurge se de la prescience, ne surgiront qu’au futur.
et son public, qui donne l’élan vital à la délecte visiblement à franchir les barrières L’exemple le plus frappant des progrès de
création. de l’inconnu. Dès les premières images, le l’inquiétude chez Orson Welles, nous le sur
Une audience limitée, une apparente incom viol des interdits (« No Trespassing ») affirme prendrons peut-être dans le décor le plus
préhension, ne démentent pas cette règle on sentiment de supériorité. Welles domine obsédant de ses films, le « château », ce
absolue : l’artiste (l’enfant « prodige ») sa créature, il est persuadé de la connaître terme étant pris dans un sens très vaste.
exploite les suprêmes virtualités de son âge à fond. La complexité, les lacunes, les ombres A l’époque de Citizen Kane, le château ras
et de son état, jusqu’à paraître surhumain, de la narration 11e doivent pas nous tromper. sure. Il est le refuge, l’arche, le sein maternel
mais il ne peut s ’en défaire, ni les dépasser Comme un romancier du XIXe siècle, il tient (inutile de battre le rappel des notions psy
réellement. Pour plus de clarté, cela signifie toutes les ficelles dans sa main. Le puzzle chanalytiques pour justifier la pérennité de
que la fulgurance de Rimbaud ou de Lau de Citizen Kane est d’une cohérence exem ce thème : dans le cas d’un égocentriste
tréamont ne trahissait pas une maturation plaire. Le caractère, le contexte, les mœurs, comme Welles, son utilité saute aux yeux).
exceptionnelle. Il fallait avoir moins de vingt sont; décrits avec précision. Ce film respire Xanadu paraît sinistre comme une tombe
ans, surtout moins de vingt ans, pour inven la certitude. — d’ailleurs sa construction évoque celle
ter « Une Saison en Enfer » ou « Les L'iHusion du doute, de l’ambiguïté, émane de d’un gigantesque monument funéraire —, et
Chants de Maldoror ». Dans le cas de Lau la structure littéraire. Le thème de l’enquête, dès le commencement du film cette fonction
tréamont, le phénomène est particulièrement le sentiment de l’absurde, la dilatation du de nécropole est soulignée par la mort de
explicite. Maldoror exorcise le malaise que décor et des objets, l’obsession de la volonté Kane. Sans doute, mais ce caractère funèbre
ressentent presque tous les adolescents à de puissance, tous ces éléments de Kane le place loin des atteintes du monde. Lieu
l’approche de la réalité physique. L’horreur empruntent à la littérature anglo-saxonne. clos idéal, somptueux et calme, il protège
de la chair, de la nature, de la vie (n’oublions Dans le cadre du cinéma américain, ils pré des tourments, et satisfait un besoin vital
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de sécurité, chez l’auteur comme chez son château, dont le maître est forcé comme
personnage. Là encore s’impose Narcisse, dans une bête aux abois. Macbeth, de l’aveu même
la gloire et la sérénité. Un air de tristesse de Welles, marque un tournant.
est posé dessus comme un parfum baude- Encore un délai de cinq ans, le monolithe
lairien, mais le décor ne triche pas. s’effrite davantage. Othello accroît le pro
Décadence et nostalgie à nouveau dans La cessus de destruction. Les organes de défense :
Splendeur des Ambersons qui, sur la lancée épaisses murailles, grilles, chaînes, etc., se
et dans le souffle de i.Kane, n’apporte pas métamorphosent en pièges. Ils servent la
grand-chose de neuf. Le jeune homme qui trahison, le crime, la calomnie. Iago navigue
touchait à tout et croyait tout connaître comme un poisson parmi ces voûtes, ces
— journalisme, politique, amour, cinéma — escaliers, ces remparts, ces cages. L’abri de
ce jeune homme s ’offre une pause discrète. jadis recèle un poison mortel. Il faudrait le
Le temps de rêver avec complaisance sur fuir, mais Othello, confiant dans le m yth e
l’enfant gâté, le temps de voir s’effriter les classique, y dépose la proie qu’il imagine
valeurs durables. Le film est tout entier en sécurité, Desdémone, alors qu’elle court
replié sur la demeure des Ambersons. Le à cet endroit le plus grand péril. Ici encore,
« château » est ici encore condamné à imiter le désordre, la précipitation du montage, té
les lieux mortuaires. Mais lorsque la mort moignent de l ’insécurité universelle.
est si douce, avec cette patine que l’usure
Avec les films suivants, la plongée dans 3a
des années confère à toutes les ruines (celles
confusion s’accentue. Dans Dossier Secret, le
des pierres, celles des familles), ne peut-on
château de San Tirso ne dédaigne pas une
considérer le même endroit comme un havre
parenté certaine avec Xanadu et le repaire
de bonheur, de paix, de certitude ?
de Macbeth (disposition de la terrasse, notam
Kane et les Ambersons, en dépit des impres
ment), mais il semble infiniment plus déri
sions contraires, finissent par communiquer
soire. Quoique son architecture pèse comme
la même assurance tranquille. Welles a réussi
un reproche sur l ’idylle entre Van Stratten
au delà de tout espoir ses deux premiers
et la fille d’Arkadin, il tient plus de l’épou-
films. Il a triomphé d’un homme puissant et
vantail à moineaux, du moulin pour Don
riche, qui s’était juré de l’abattre. Il peut
Quichotte, que de la forteresse moyen
se permettre de montrer les avatars des
âgeuse. Arkadin lui-même a si peu confiance
sociétés en tirant du jeu son épingle per
dans son château en Espagne qu'il court le
sonnelle. Son « château » privé tiendra bon. monde. Sa véritable puissance, il la prouve
Le reste peut sombrer dans la déliquescence,
par le don d’ubiquité. Omniprésent, toujours
qu’importe ? Il en fera des films.
sur les traces de Van Stratten qui remonte
Mais dès la fin des Ambersons, les choses
sa piste, Arkadin compose un mouvement
se gâtent. La R.K.O. impose des scènes addi
excentrique (au rebours de Kane, dont il
tionnelles, modifie le montage. Welles est
réédite en apparence le destin). San Tirso
au creux de la vague. Cinq ans de pénitence,
ne figure là que comme décor, vestibule de
durant lesquels seuls le scénario de Journey
la tragédie, où ne se produisent guère que
Into Fear et un voyage en Amérique du
les masques, dont celui du maître et héros.
Sud (pour It’s Ail True) annoncent le cosmo
politisme des œuvres ultérieures. Son travail Passé la quarantaine, Welles 'affronte des
exercice de style, la preuve qu’il peut obéir problèmes psychophysiologiques dont nous
aux normes « commerciales ». reparlerons, et qui vont influer sur son ins
La Dame de Shangai témoigne d’une reprise, piration. Rien de surprenant à ce que le
d'un second souffle. Welles le doit d’abord climat pessimiste de La D am e de Shangai,
à son’ mariage avec Rita Hayworth (nous y film d’une crise, réinvestisse une autre crise.
reviendrons, car ce film a inspiré un océan Touch of Evil est le fruit d’un retour momen
d’erreurs autour du thème : « le mythe de tané aux Etats-Unis. Comme dans La Dame,
la femme dans le cinéma américain », et à nous y observons l'absence d’un « château »,
l’amertume des récentes déceptions. Pas de liée à l’angoisse de vivre et à l’obsession de
« château » dans La Dame de Shangai, mais l’injustice. Il semble que, à dix ans d’écart,
au contraire une folle instabilité. Le héros l’Amérique moderne produise toujours le
est un marin, sans attaches par définition. même effet sur Welles. Du château, il ne
L’action hésite entre les lieux multiples. nous présente que les caricatures les plus
L’intrigue est quasiment inintelligible. Le inquiétantes et les plus sordides, en parti
style de la mise en scène obéit au désordre culier ce motel isolé, El Mirador, dont les
ambiant, changeant de tournure à chaque portes cèdent à la moindre agression (viol
scène. Le moment-clé se situe à l'instant où de la femme de Vargas par les blousons
Grisby annonce à Michael la fin du monde. noirs). Il n ’y a même plus, comme dans
Tous deux sont parvenus au sommet d'une La Dame, la liberté de l ’errance (thème que
colline qui domine Acapulco, « la plus belle Welles se proposait de reprendre dans son
baie du monde ». Là Grisby évoque la pour Don Quichotte) : partout la menace est ins
riture, la décomposition, l’apocalypse. La crite — la bombe qui explose dès la pre
caméra bouge sans arrêt, épousant la démence mière scène —, et il n ’y a pas de refuge.
et l’instabilité de l’homme. Les plans s’entre A son retour en Europe, Welles développera
choquent, les images se heurtent, avec pour cette idée dans Le Procès. Devenu plus
toile de fond un paysage serein, reflet trom adulte, il considère avec recul, sous forme
peur de l’hédonisme antique. Il n ’y a pas de parabole, l'angoisse fondamentale de sa
de refuge, pas de secours à espérer. La fin vie. Dans Le Vrocès, il n’y a pas de château,
dans le toboggan, les miroirs de Luna-Park, parce que tout est devenu le château (notons
illustrent la même idée. Toute carapace est que, sans plaisanterie aucune, Welles n'a pas
illusoire, l’agression des autres est perma adapté « Le Château », précisément parce
nente. Cette fois, le pessimisme ne doit rien que ce dernier n’aurait guère été plus visible
à la littérature. que l’Arlésienne ; en choisissant « Le Procès »,
Welles réalise Macbeth, avant de quitter pour il tournait la difficulté). Toutes les portes
longtemps les Etats-Unis. L’image du châ communiquent, le monde est un vaste laby
teau est ici exacerbée. Un univers d'antres, rinthe qui ne permet pas de conserver le
de cavernes, offre une vision primitive de moindre recoin pour la sauvegarde indivi
la sécurité maternelle. Mais le danger, prédit duelle. Derrière les portes closes, ce ne sont
par les sorcières, n’en devient que plus que tortures et infamies.
menaçant. Prométhéen comme tout artiste, Le cauchemar touche à l’apothéose. Pour
Macbeth subit l'encerclement de sa tour l'avenir, ce sera l’exorcisme, ou la chute
d’ivoire. La forêt de Dunsinane investit le finale. (A suivre.) — Michel MARDORE.
1. Othello
(Suzanne C loutier). 2. The
Magn'rîicent Ambersons.
3, Touch of Evil (au centre,
Janet Leigh).
CHIMES AT MIDNIGHT
Falstaff
sur le v if
par Juan
Cobos
Le 12 octobre, jour anniversaire de la décou Welles élargit sans cesse, dans son travail,
verte de l'Amérique, commençait, au cœur de les possibilités d'expression du cinéma, grâce
ces collines en pente douces situées à trente à une recherche infatigable, d’autant plus
kilomètres de Madrid, le tournage du film le surprenante que ce film aurait précisément
plus ambitieux du plus américain de tous permis, de la part d’un aussi grand amoureux
les cinéastes. Tout au long des semaines, la du texte shakespearien, une interprétation
tension à laquelle son travail d’acteur-met- plus traditionnelle. Parfois, lorsqu’il avait
teur en scène soumettait Welles, nous donna recours à la caméra portée ou à un travel
ce spectacle merveilleux du grand auteur à ling rudimentaire fait de cordes attachées
la recherche de la perfection de son. œuvre. par des planches, il disait à ses acteurs :
Orson Welles avait Falstaff en projet depuis « Nous allons faire du cinéma-vérité ». Et si
vingt ans déjà, et le film aurait sans doute l’un d’entre eux, à cause de sa formation
été américain si Hollywood n ’avait appré exclusivement théâtrale, ignorait le sens de
hendé son indépendance créatrice et son anti cette expression, WeUes s’exclamait : « Com
conformisme. Il en avait même fait un mon me on voit que vous ne lisez pas les revues
tage pour le théâtre, dont la première avait de cinéma! »
eu lieu à Dublin, et qui portait le même Quand, rare occasion, il y avait quelques
titre : Chimes at Midnight. Comme de bien minutes d'attente avant de tourner, Welles
entendu, il y interprétait le rôle de « l’ivro racontait des anecdotes, ou commentait les
gne, menteur, voleur, paillard, cynique Fals films d’autres cinéastes : « Vous1 vous souvenez
taff, le compagnon le plus jovial et le plus de ce film d ’Hitchcock, c'est même l’un des
sympathique du monde ». Keith Baxter y meilleurs, où l’on tue un homme politique
jouait, comme dans le film, le prince Hal, sous la pluie... » Et une fois que nous lui
futur Henry V. Les divertissantes aventures avions dit qu’il s ’agissait de Foreign Corres
de ce personnage plein d’humanité qu’est pondant, il continuait à faire l’éloge du film,
Falstaff — Welles considère qu’il s ’agit là du s’étendait en digressions sur Hitchcock ; ou
plus réussi que Shakespeare ait créés — bien il parlait de sa passion pour le « vol »
nous sont contées à travers son amitié pour des décors d’autres films : ainsi, dans Kane,
le prince, et elles ont pour contrepoint la il y a plusieurs décors des filins que la
déception de Henry IV ■— obsédé par le R.K.O. tournait alors, Welles et son équipe
destin de cette couronne qu’il a si durement profitant de l ’absence des autres cinéastes
gagnée — devant ce prince de Galles qui qui avaient terminé leur journée pour tour
préfère la compagnie des brigands, des ivro ner sur leurs plateaux. Havvks, seul, avait
gnes et des prostituées à celle des nobles de la manie d’emporter chez lui, le soir, les
la cour, à leurs intrigues et leurs mensonges. éléments de décor qu’il avait utilisés dans la
Roger Planchon disait que les critiques con journée.
naîtraient mieux le monde de Welles s’ils L’improvisation caractérise le travail de
connaissaient celui de Shakespeare. Affirma Welles. Mais elle n’est rendue possible que
tion vérifiée par Chimes at Midnight, où par la connaissance parfaite que lui-même et
Welles a réalisé une très intelligente version ses acteurs ont du texte. Grâce à leur expé
cinématographique, basée principalement sur rience — Sir John Gielgud (Henry IV), Keith
sa propre adaptation de « Henry IV », addi Baxter (Hal), Jeanne Moreau (Dolly), Norman
tionnée de quelques fragments de « Henry Rodway (Hotspur), Margaret Rutherford (Mis-
V », « Richard II » et « The tvlerry Wives of tress Qmckly)» Tony Beckley (Poins), Fer
Windsor ». Son travail sur les textes a duré nando Rey (Worcester), Alan Webb (Shat-
plusieurs années. Pendant le tournage même, tow), Walter Chiari (Silence) et Michael Al-
il continuait à modifier la structure du scé drige (Pistol), -— Welles a pu tourner avec la
nario, les dialogues étant naturellement ceux plus grande liberté, dans un climat d’impro
de Shakespeare, et il disait en souriant : « Il visation particulièrement favorable à son tem
me reste peu de jours pour finir, et je conti pérament.
nue o écrire le scénario ! » Il a toujours su tirer parti de cette méthode :
Pendant le tournage, Welles a surpris tout le il fait renaître ainsi l’admirable pouvoir des
monde, y compris ceux qui, comme nous, grands primitifs, qui permet d’improviser
travaillaient à ses côtés depuis plusieurs mois. continuellement en fonction du décor, de la
Il y a en lui la nécessité physique de tourner lumière, d’un troupeau de moutons qui surgit
sans déperdition de temps, ni d ’énergie ; sa à travers champs, ou de nuages dramatiques,
rapidité est proprement effarante. Ainsi, la qui peuvent augmenter l’impression de soli
nombreuse équipe engagée par le producteur tude et le pathétique d’une scène qui n'était
donnait l’impression, en suivant la marche prévue que pour des semaines plus tard. La
légère de Welles à travers les collines de tension créée au sein de l’équipe par cette
Castille, de tourner un simple documentaire, façon de travailler est pleinement bénéfique,
plutôt qu’un film à thèse des plus complexes. malgré un surcroît de difficultés. La person
A peine Welles avait-il crié : « Cut, that’s the nalité débordante de Welles gagne tout un
one! » qu’il faisait déjà placer la caméra à chacun, et les hiérarchies tendent à s’effacer
un autre endroit. Il s'est ainsi montré le plus derrière cette notion d’équipe. C’est l’image
dynamique des réalisateurs, toujours à la même du créateur en liberté qui dispose des
recherche de solutions pratiques pour résou moyens suffisants pour suivre son inspiration.
dre les problèmes continuels que le monde Conditions rendues possibles par la confiance
extérieur et le rythme de la scène lui impo du jeune producteur espagnol Emiliano Pie-
sent. 11 est surprenant de voir comment dra, qui s’est lancé dans un film que bien des
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producteurs éuropcens n’avaient pas voulu et pourtant toute sa mise en scène est fonc Michael Aldrige le rythme général de la scène,
entreprendre. tion de la rigueur du cadrage. Dès que les le nuancement de ses divers moments, les
Fréquemment, Welles commençait sa scène diverses positions des acteurs sont déter passages de la joie à la tristesse, les rapports
avec le minimum dcléments, et, à mesure minées, Welles cherche à leur laisser le maxi entre les états d’âme des personnages. La
qu’il allait plus loin dans la mise au point, mum de liberté de gestes — une des ques scène s ’enrichissait de trouvailles brillantes
tout prenait de l'ampleur, jusqu’à donner une tions qu’il posait le plus souvent aux acteurs — que l’on abandonnait l'instant d’après pour
scène infiniment plus complexe, plus riche était de savoir s’ils se sentaient à l’aise dans le seul plan-séquence. A l ’opposé, il y a la
que celle qui était prévue. Autre constante les mouvements qu’il leur avait indiqués, et scène de la bataille, dont le montage était
du travail de Welles : le souci de la composé toutes leurs remarques sur le plus ou moins implicite dans la conception. La bataille se
tion et de l’éclairage, participant du dyna grand degré de naturel étaient écoutées et déroule tout entière dans le brouillard, la
misme de la mise en scène. J’ai mentionné discutées. D’un autre côté, il est arrivé que pluie, la boue ; Welles a tourné par des
plus haut ses inventions continuelles : si Welles renonce à quelques uns des mouve pluies torrentielles, par des terrains où la
étonnante est son imagination pratique que, ments d’appareil qui pourtant auraient conclu boue empêchait tout mouvement. La violence
lorsque King Vidor vint assister au tournage une scène, parce qu’il les jugeait trop « clas du combat est soulignée dans les premiers
des extérieurs, il avoua que jamais il n’aurait siques »... plans — mais ceux-ci ne sont jamais isolés de
songé aux solutions que Welles apportait, Devant nos yeux un monde nouveau, né de la l’ensemble du combat : la bataille reste tou
sur un plan technique ou mécanique même, fragmentation du monde physique, prenait jours présente dans le « background ».
aux problèmes qui se posaient. forme peu à peu. Welles est d’abord, au sens Enfin, il faut dire que, pendant ce tournage
Cependant — mais cela est son lot chaque strict, un grand magicien. Et ses pouvoirs ne difficile, Welles, une fois encore, a du être
fois qu’il tourne en Europe —, Welles a du se limitent pas à endormir une poule, comme omniprésent : metteur en scène, acteur prin
renoncer à tourner certains plans à la réali il le fit une fois en plein tournage (rappelant cipal, mais aussi décorateur, costumier (il a
sation extrêmement complexe et pour les du même coup le temps où il faisait avec supervisé tous les décors et dessinés les cos
quels, répète-t-il, il a besoin de la discipline Marlene Dietrich son « magic-show »). Mais tumes), et même, un jour où E. Richmond
parfaite et de l’entraînement des techniciens le plus extraordinaire, dans cette naissance était malade, plus ou moins chef opérateur
américains. Il ne cherche pas à dissimuler sa minute par minute de la mise en scène de (il choisissait l’emplacement des sources de
nostalgie d ’Hollyvvood, sur ce plan. Quoiqu’il Welles, c’est son travail avec les acteurs, au lumière). La première fois que nous sommes
en soit, Crimes at Midnight comporte déjà cours de plans-séquence qui atteignent par entrés dans la salle de montage, Welles m ’a
plusieurs plans très longs, où les mouvements fois cinq minutes — telle la dernière scène dit : « Here is where Eilm an really made ! »...
diaboliques de la caméra répondent à la dyna chez le juge Shallow. Après plusieurs jours passés à ses côtés, il
mique de la mise en scène. Welles n’utilise C’est là que se dévoile le mieux la conception disait encore : « N aw you can see w h y never
jamais de viseur — il dit que c'est là un wellesienne du cinéma. Nous l'avons observé look again at one of m y îilms. I run them
instrument que las mauvais metteurs en pendant des heures d’essai, alors qu’il cher in the m ovioh thousands of times. »
scène portent habituellement en sautoir — chait avec Alan Webb, Walter Chiari et Juan COBOS.
Welles à la TV
par Maurizio Ponzi
Quand, en 1953, Zavattini projeta Siamo plaisir à se filmer l’un l'autre sur une toile américaine de Viaggio nel paese di Don
donne, Rossellini accepta de filmer un épi de fond pour eux insolite. Ce sont des impres Chisciotte, il y a les vacances en terre étran
sode de la vie d’Ingrid Bergman raconté par sions, donc, désordonnées, sympathiques, gère dans le sens le plus complet du terme,
elle-même et, contrairement à Franciollini et souvent passionnantes sur tout ce qui les a il y a l’exaltation de l’admiration artistique,
Zampa, il réalisa son sketch bref (comme celui frappés : corridas, places, églises, curiosités il y a une stupéfaction devant les exotismes,
de Visconti) sur un plan absolument « non- locales, etc., sans autre critère, on s’en doute, purifiée de toute intention, même noblement
engagé ». Ingrid Bergman est un court métra que celui du spectacle. tendancieuse.
ge aux apparences inutiles, quotidiennes dans La première chose que Welles ait évitée, est En Italie, la critique de gauche a accusé
le sens le plus exquis du terme. Rossellini ne de faire un documentaire touristique — pres l’œuvre de Welles de non-engagement : dans
pensa même pas à le charger de significa que tous les critiques de TV italiens ont l’Espagne de Franco, de Grimau, Welles va
tions qui lui étaient étrangères ; il s’aban aux corridas ! Mais Welles ne nie pas Franco.
coupé la transmission, en accusant les
donna au fait raconté — Bergman aux prises Welles de faire du « tourisme d’occasion ». Les images de son Voyage sont toujours
avec une poule qui massacre sa roseraie — authentiques, curieuses, jamais mystificatri
signant ainsi un morceau de cinéma qui est En fait, pour un œil attentif, il demeure clair
qu’il est impossible de relier ces images à ces. Sur la racine du facisme, Welles nous a
sans doute le dernier, le tout dernier souffle donné bien d’autres « documents », il nous
de vie du néoréalisme. quelque situation que ce soit, ni historique,
encore moins géographique. Une anecdote le a donné Touch of Evil, je veux dire l’art.
C’est avec une attitude très semblable qu’Or- Je ne demande pas à Welles ce qu’il ne peut
son Welles regarde l'Espagne dans Viaggio prouve : Callegari, en écrivant son commen
taire, s’est trouvé en face d’un fait curieux : pas nous donner. Nous ne demandons pas
nel paese di Don Chisciotte, un inédit du une enquête, nous rie demandons pas « Espa-
grand cinéaste que la télévision italienne a nous voyons sur l’écran Welles qui, sur une
plage de Pampelune, s’apprête à entrer dans gna si ! » à l’auteur du Trocès.
transmis récemment. Le « documentaire »
(c’est ainsi qu’il a été défini) était divisé en une église ; aussitôt après nous le voyons à Welles ne croit pas que la réalité historique
neuf parties de trente minutes chacune envi l’intérieur, mais c’est l’intérieur d ’une église d’un pays saute si facilement à l’œil-vérité
ron. Je dis tout de suite que le film de Welles de Barcelone ! Même si la TV cherchait déses d’une caméra de touriste, il a besoin de per
a été malmené de manière très discutable. Je pérément à arranger les choses par son com sonnages, de l’imagination.
mentaire, cela me semble démontrer une Le cinéma-vérité d ’Orson Welles ne dépasse
m ’explique : après l’avoir réalisé en 1961,
Welles l'a remis à la RAI, monté, mais sans seule chose : Welles voulait faire du spec pas la surface — ne dépasse pas le spectacle
aucun commentaire. La TV a cru nécessaire tacle, une série d’images qui aient leur fin —, en fait, Welles est le premier à s ’intro
de lui en ajouter un, et a confié ce travail en elles-mêmes. La seule préoccupation de duire dans le paysage, s ’amusant avec sa fille,
au metteur en scène et auteur dramatique Welles a été de filmer avec la plus com se faisant filmer pendant qu’il filme... Il ne
Gian Paolo Callegari, qui a écrit un com plète absence de préoccupations. Et je recon dépasse pas le spectacle parce que sa con
mentaire comme il l’aurait fait pour n’im nais bien là le Orson Welles aimé ! Se placer ception du cinéma le lui interdit. L’Espsgne
porte quel documentaire touristique, chose devant les choses après les avoir poussées de Franco vue par un touriste est celle de
que le Viaggio n ’est absolument pas. à leur extrême limite. Viaggio nel paese di Don Chisciotte. Vue par
Il s’agit d’une série de notes que Welles, sa Si Rankin (de The Stranger) et Quinlan sont un metteur en scène espagnol, elle pourrait
femme Paola Mori et sa fille Béatrice ont le nazisme exaspéré en deux personnages, si, sans doute être celle de Muerte de un cic/ista
prises pendant un été espagnol, occasionnel dans la mince silhouette de Perkins-K il y a ou de Ei Verdugo, mais cela, naturellement,
lement, comme des amateurs qui prennent tout l’homme contemporain, dans la famille est une autre histoire. — Maurizio PONZI.
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CHIME5 AT MIDNIGHT : KEITH BAXTER ET 0R5QN
L'actionparlee
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lrsoa entriavecP
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ichelDlahaye et Louis
Murcorel les
Tour à tour avocat, champion de hockey
sur glace (il entraîna à Taris le Racing Club
de Taris pour payer son sé/our dans notre
capitale), poète, auteur dramatique, conteur,
cinéaste, Pierre Perrault est venu au cinéma
par la télévision en tournant pour Radio-
Canada une série de treize émissions intitulée
« Au pays de Neufve France » (1959*1960, en
collaboration avec René Bonnière). Il explo
rait les rives du Saint-Laurent, dans le comté
de Charlevoie, et déjà découvrait l’Ile-aux-
Couldres avec La « Traverse » d’hiver à l’Ile-
aux-Couldres.
Malgré le grand succès de prestige remporté
en Europe et aux Amériques par son premier
grand film, Pour la suite du monde (en col
laboration. avec Michel Brault), production
conjointe de l’Office National du Film et de
Radio-Canada, Pierre Perrault n’a pas réussi
à mettre sur pied un nouveau hlm vécu
selon son goût. Trois projets attendent l’ac-
cord de l’O.N.F. : Le Journal des frères Col-
lins, histoire de deux frères trappeurs morts
/entement d'avitaminose dans le Grand Nord
après avoir consigné dans un journal le ré
cit de leur lente agonie ; Sur le fleuve, la vie
d’une famille d’indiens, riverains du Saint-
Laurent, qui refusent obstinément de regar
der la terre, car « tous les métiers leur refu
sent ce que la mer leur donne : ils sont
poètes du fieuve. Illogiques. Inconscients.
Mais leur admiration pour l’eau n’a pas de
bornes puisqu’ils en vivent » ; Les Goélettes,
sur la vie des hommes qui construisent les
goélettes, ces bateaux faits entièrement de la
main de l’homme et condamnés par le pro
grès : » S’ils cessent d’être capitaines, ils
deviennent débardeurs... Et les charpentiers
de goélettes n’ont plus d’emploi et font des
meubtes ou de mauvais rêves... II ne s’agit
ni de thèse ni de polémique... Mais de savoir
une lutte et la réaction des lutteurs. Il ne
s'agit même pas de provoquer une solution.
Simplement de vivre un combat, mais moins
pour décrire le combat que pour vivre avec
des hommes une entreprise exaltante. »
En attendant, Pierre Perrault explore les
docks de Montréal avec un magnétophone
pour gagner sa vie, sans rien renier de, ses
conceptions d'un art vécu : un couple, dans
une cabane sur la berge, s’apprête à se sépa
rer. Je cite Pierre Perrault, conteur né :
«L ’autre jour toutefois... je m'arrête ! J’al
lais vous raconter une longue histoire de
fille et de bateau. Mais ce soir-là, j’ai eu une
chance. Dans combien la prochaine? Depuis
ce jour je n’ai rien réussi. Non pas que ce
garçon et cette fille fussent plus brillants
que d ’autres. Mais je me trouvais là au bon
moment. Lui veut partir au bout du monde
avec son bateau. Elle vit avec lui dans une
cabane... fanal à mèche... un lit prend toute
la place... il reste ci peine J'espace d’une chaise
qu’il faut soulever pour ouvrir la porte... un
carreau... et tout leur argent va pour le bateau.
Mais lui ne veut pas l’amener. Il le dit. Elle
proteste. J’écoute : c’est tout. C’est une tra
gédie en puissance... mais sans éclat... sans
tirades... intérieure. » — L. Ms.
5
très bien faire de la photo synchrone, mais
si vous faites de l’enregistrement filmé, vous
n ’avez pas le même résultat. Je précise : si
votre but est de faire un film qui retiendra
le son, vous obtenez un certain résultat ; si
votre but est d’enregistrer des paroles et de
filmer en fonction d’elles, vous en obtenez
un autre.
Il ne faut pas mésestimer la parole. On s’est
vite rendu compte des limites de l’image seule.
Il y a eu des gens de génie comme Chariot
et d’autres qui ont fait des films muets, mais,
quand le film parlant est arrivé, personne
n’a reculé. On se fait bien de temps à autre
un petit film muet comme hors-d'œuvre, mais
c’est le film parlant qui compte.
Ceci pour le cinéma de fiction. Mais si on
en arrive au cinéma documentaire, le son est
encore plus important. Car que savez-vous
d’un homme si vous ne lui avez pas parlé,
s'il ne vous a pas parlé, si vous n’avez pas
entendu ses mots, ses paroles ? Même dans
un film admirable comme Nanouk, que sait-
on de Nanouk ? Il est tous les esquimaux,
mais est-il Nanouk? Un peu, mais très peu.
Celui qu’on n'a pas entendu parler vous de
meure toujours un peu étranger. C’est ce qui
fait l'importance de la parole. Et c ’est par
elle que je suis arrivé à la forme d’expression
qui est maintenant la mienne, très indirecte
ment, et sans m ’être auparavant beaucoup
intéressé au cinéma.
D’ailleurs, je n’aime pas beaucoup le cinéma.
Je m ’y ennuie. J’y vais quand je suis pris dans
un festival, mais je m ’y ennuie/
M. D. : Les festivals ne sont pas l'endroit le
plus indiqué pour aimer le cinéma.
P. P. : Peut-être, mais en fait, il y a très peu
de cinéma que j ’aime. Je trouve que le ci
néma nous raconte des histoires... enfin, des
histoires qui ne me passionnent pas tellement.
..Et ces monstres sur l’écran... Cela me fait
penser aux gigantesques sculptures d’empe
reurs romains, à l’époque de la décadence.
M, D. : Mais !a façon même dont on a établi
u n e f i c tio n rév èle quelque chose de ceux
qui Vont établie. Ainsi le cinéma américain
révèle quelque chose de la civilisation amé
ricaine.
P. P. : Mais, à ce moment-là, pourquoi cher
cher à comprendre les hommes à travers le
verre déformant du cinéma ? Pourquoi ne pas
essayer directement d’aller y voir au lieu de
chercher à les découvrir à travers leur façon
de s ’interpréter eux-mêmes ?
M. D. : On peut peut-être les voir à travers
leurs films, comme on peut les voir à travers
des chansons ou des danses, des légendes, des
mythes... On peut peut-être dire que le cinéma
est la parole de l'Amérique.
P. P. : Le grand danger du cinéma, c’est qu’il
y a dans cette parole dont vous parlez une
grande part de convention qui voudrait se
faire passer pour du réalisme. C’est cela qui
m ’ennuie le plus. Au théâtre, on sait tout de
suite la distance qui est prise. Le personnage
du valet de chambre ou du paysan dans le
théâtre classique est faux, mais on n ’a pas
l ’impression qu’on essaie de vous le faire
1. Pour la passer pour vrai. Tandis qu’au cinéma, le lan
suite du monde gage conventionnel tente toujours de se faire
(L'île aux Couldres). passer pour réaliste. On se trouve devant un
2. Pour la suite du monde : prisme qui déforme tout.
Grand Louis, Pierre Perrault, M. D. : Mais la convention, le prisme peuvent
être, eux-mêmes révélateurs de quelque chose.
Marcel Carrière. P. P. : Oui. Ils révèlent qu’il est nécessaire
d’observer et de connaître.
M. D. ; Il faut sans doute les deux : le prisme
et l’observation.
P. P. : Il faut les deux, oui, mais il faut sur
tout l’autre...
M. D. : Je crois que Pour la suite du monde
n ’était pas votre premier film.
P. P. : J’avais fait auparavant un certain nom
bre de courts métrages qui provenaient juste-
ment de mes expériences au magnétophone, c’est le point tournant. C’est le moment où L. M. : Pensez-vous qu’en retrouvant cette
mais qui, à ce moment-là, étant donné l’ins l’un d'eux se blesse à la jambe, ce qui les marge de fiction dont vous parliez, on puisse
trument de travail, n ’étaient pas parfaits. condamne à rester dans la cabane. Or, rien introduire un élément de contestation, un élé
Pourtant, les résultats n ’étaient pas mal pour n’est plus dangereux pour des trappeurs que ment critique?
l’époque : cela remonte à huit ou neuf ans. de ne pas sortir, de ne pas travailler physi P. P. : Je pense que la critique, la critique so
Dans trois ou quatre films de cette série quement. En plus, il y a des tempêtes. Us ciale, qu’on peut faire au cinéma — disons,
(j'en ai fait treize), on voit les gens, répon mangent de moins en moins. L’avitaminose dans le cinéma vécu — n’est possible qu’à
dant aux questions, donner un peu plus s’empare d’eux très rapidement. partir du moment où l’on s'intéresse à des
qu’une réponse, s’engager avec une certaine A un certain moment, il y aurait une trans phénomènes sociaux. Mais si l’on s'intéresse
passion dans leur dire ; leur parole devenant position totale, et à partir de là, j’utiliserai aux hommes eux-mêmes, aux hommes qui
un acte, une action parlée. Mais c'est seule le journal. Il est rempli de petits faits très sont dans ces phénomènes, la critique sociale
ment quand nous avons eu les instruments émouvants et très beaux et qui, visuellement, n’est pas possible. Je m’explique.
convenables que nous avons pu faire ce qui pourraient être très forts. Par exemple, à par L'homme est trop complexe. J’ai bien essayé
devait aboutir à Tour la suite du monde. tir d’un moment, ils n'ont plus le courage de me dire : il y a tel homme, il y a telle
L. M. : Qu'avez-vous fait depuis ce film ? d’aller chercher du bois pour se chauffer. façon. Tel homme est dans l’erreur, tel autre
P. P. : Rien. J'ai seulement fait une série Alors (ils sont dans un camp de bois rond, n’est pas dans l’erreur. Mais, quand je pense
d’émissions radiophoniques (39) avec le ma évidèment), ils équarrissent le camp par une chose pareille, je m’aperçois toujours qu’il
tériel sonore enregistré à l’occasion de Pour l’intérieur. Ils commencent à entamer leur y a des facettes de l’homme qui m ’échappent.
la suit? du monde, qui comprenait environ dernier refuge... Et c’est un peu ce que la Autrement dit : mes jugements critiques —
une centaine d’heures. Cela m'a beaucoup mort fait, au fond, elle nous ronge par en quand il m ’est possible d'en faire — sont
intéressé, car c’est là qu’on se rend compte dedans. Et j’ai quelques autres projets. toujours faux. Alors, ils ne m’intéressent pas.
que le film a certaines impuissances. J’ai des Ce qui est curieux, c’est que, quand nous On peut toujours faire une critique des phé
bandes sonores qui ne sont pas utilisables au avons fait Pour la suite du monde, Michel et nomènes sociaux — disons le football, les
cinéma ou qui, au cinéma, n’auraient pas moi, nous étions convaincus que nous étions majorettes, etc. — car ils ne sont pas
tout à fait la même intensité qu’elles ont à la dans une position privilégiée, étant donné le complexes, Les gens qui y participent, je veux
radio. Il y a aussi une impression de recueille contexte de l’île, étant donné cette histoire bien qu'ils y participent de cent façons diffé
ment que le cinéma ne semble pas permettre. de marsouin que nous y avions trouvée, qui rentes, mais il n’en reste pas moins que ce
Ou alors, c’est que je n ’ai pas réussi à aller était encore possible, et qui fournissait un que vous analysez, c’est la foule entière, et
assez loin, avec ces personnes-là et avec leur élément épique à introduire dans la vie des il n'y a personne dans la foule, à ces moments-
parole, pour que la caméra puisse s’introduire. gens. Nous pensions qu’une telle chose ne se là, qui ne réagisse de façon conforme à la
Par exemple, je parle de la mort, et je réussis renouvellerait plus, mais je me rends compte, foule entière. Vous pouvez donc analyser le
à faire parler quelqu’un de la mort de façon maintenant, que sa possibilité peut être retrou phénomène. Mais si vous prenez par exemple
extraordinaire. C’était devant un magnéto vée à n’importe quel niveau, dans n'importe un spectateur, ou un joueur en particulier,
phone, mais je n'aurais probablement pas quelle circonstance, à partir du moment où vous allez atteindre des valeurs tellement
réussi si la caméra avait été là. 11 y a des l’on connaît suffisamment les gens. différentes, tellement complexes, que vous ne
champs d’action dans lesquels il est délicat Seulement, dans ce genre de film, on n'est pas pouvez plus critiquer. Car cet homme, qui a
d’introduire certains instruments. là seulement pour la durée d’un tournage. au départ certaines capacités ou certaines in
11 y a aussi que j'ai très peur de profaner C’est tout un moment de vie à passer, et cela capacités, a été inséré dans une société qui
ce que les gens vont dire. Je demande beau coûte très cher. Trop cher. Pas si l’on compare l'a influencé de telle ou telle façon, a été
coup. Mais j’attends très longtemps avant de au cinéma de fiction, mais trop cher quand soumis à certaines forces qui le dépassent,
demander certaines choses, parce que je veux même pour un cinéma qui, pour l’instant, n’a etc., autant de phénomènes qui font qu’il est
que les gens soient aussi prêts à donner les pas de débouchés. là, sans qu’on puisse dire de quoi il est ou
réponses que je me sens prêt, moi, à poser L. : Le film dont vous venez de parler vous n’est pas responsable.
les questions. Mais peut-être parviendrai-je poserait des problèmes d'interprétation et de Un homme de la pègre, par exemple, si vous
plus tard à obtenir les possibilités que la transposition qui vous feraient retomber dans le connaissez bien, pourrez-vous porter un
caméra ne m’a pas encore données. une certaine mesure dans le cinéma de fiction. jugement critique sur lui? On peut très bien
L. M. : Quels sont tes sujets que vous aime P. P. : Une grande partie du film serait faite condamner quelqu’un, au tribunal, parce qu’il
riez traiter ? exactement dans l’esprit de Pour la suite du a commis un acte dont il est responsable en
P. P, : Il y a surtout deux films que j’aime monde. C'est-à-dire que je prendrais deux face du droit criminel, mais ce n’est pas à
rais faire, et qui ont à peu près la même jeunes gens dans leur vie actuelle, avec leurs proprement parler une critique de sa vie. Par
facture. L’un d'eux est un film sur le fleuve. problèmes, leurs histoires d'amour, etc. Donc, contre, si vous essayez de faire cette critique
Je connais bien les gens : toute une famille, au moment où la reconstitution commence de sa vie, il vous faudra utiliser tous les élér
dont la mère est morte. Reste le père, qui se rait, on connaîtrait déjà ces gens et leur vie. ments qui ont fait de cet homme ce qu’il est
laisse vivre, et, je crois bien, une quinzaine Ensuite, l’élément de vérité me serait pro maintenant, et je ne crois pas que vous pour
d’enfants. C’est un tableau extraordinaire. curé, soit par le journal lui-même, soit par rez dire quoi que ce soit de cet homme qui
Ces gens sont entièrement dévoués à la mer. les récits des gens qui ont connu les héros ne soit immédiatement démenti par un cer
Ils essaient bien de travailler, mais... L’un de l’aventure. Et alors, tout çe qui serait tain aspect de sa vie.
d'eux m ’a téléphoné, cet hiver, à Montréal. image serait moins une action qu’un symbole. Ce que je veux montrer, c’est l’homme dans
Il travaillait dans une manufacture de jouets. C’est dur à expliquer, d’autant que mon idée toute sa complexité, mais je veux bien que,
11 était malheureux comme les pierres : « Je n’est pas encore très précise, mais il y aurait entre autres éléments de cette complexité,
m ’en vais. Je m ’en vais chez moi... » Chez lui, un système d’équivalences à trouver. Peut-être l’homme que je montre introduise lui-même,
c’est une petite maison au bord du fleuve, le travail en gros plan, ou l’utilisation des volontairement ou non, un élément critique.
assez misérable, mais son canot est là, près objets qui prendraient le pas sur les hommes... Le curé de mon film, je n’ai rien dit sur lui,
de la mer, et s’il passe un loup marin, il va je ne sais pas, mais je devrais trouver quelque ni voulu le montrer comme ceci ou comme
aller le tuer, et s’il y a quelque chose sur le chose pour signifier l’action de la mort. cela. 11 n'empêche que lui-même, à travers
fleuve, il s’en occupera. Ce que je ne peux pas dire encore avec cer ses paroles, ses gestes, etc., fournit les élé
Leur présence au fleuve est très importante, titude, c’est jusqu’à quel point cette histoire ments d’une interprétation critique.
11 est toute leur vie. Ils essaient bien de pourra être greffée sur mes personnages. Cela Mais qu’en serait-il si j'avais dit carrément,
pénétrer dans la civilisation, d’en faire partie, dépendra de qui je trouverai, de la réaction par exemple : ce curé est un peu imbécile ?
mais ils en ressortent continuellement. de ces deux jeunes gens au journal des frères (ce qu’il peut paraître, jusqu’à un certain
Je voudrais suivre leur vie et, grâce à eux, Colin (car ils s’appelaient Colin). 11 y a donc point). J’aurais catalogué mon homme et
faire la description du fleuve et la description encore une marge d’inconnu, car je ne peux invité les gens à cataloguer dans le même
d’un type d'homme. Le film serait plutôt lyri pas choisir une solution sans avoir tous les sens. Or, justement ce sens est faux, car il ne
que (beaucoup plus que Tour la suite du éléments de cette solution. l’est pas, imbécile. Et la preuve qu'il n ’est pas
monde) et l’image y aurait de l’importance. Je me laisse toujours toute liberté d'agir en imbécile, c’est que les gens l’acceptent, qu'il
L’autre film, je le ferai à partir du journal fonction de ce que j ’aurai en main. C’est cela est à sa place, dans cette société dont il est
de deux trappeurs qui sont morts d’avitami qui embête bien les gens à qui je propose le produit, disant ce qui doit être dit pour
nose vers 1930. C’est étonnant, mais il y a un film. Ils me demandent un scénario. Or, je être entendu par elle. Tout ça s ’explique par
encore des gens qui meurent du scorbut en ne peux pas l’écrire, puisque je ne sais pas l’histoire, la géographie, etc.
1930. Leur journal est d’une grande naïveté, ce qui va se passer. Je dois rester disponible Si j’analysais, par exemple, un phénomène
maïs il est très émouvant, e t c’est un docu à ce qui va arriver. Si je choisis une direction, tel que : le clerc dans la province de Québec,
ment. Ce que je voudrais faire, c’est aller dans je risque d'échapper au meilleur de l'événe je pourrais tenter de faire une critique. Mais
le village où ils vivaient, et y choisir deux ment, car mon esprit sera orienté dans un cer je ne parle pas du clerc, je parle de ce curé-
jeunes gens qui vivront la même vie qu'eux, tain sens. Je ne verrais plus que ma pensée là, et je ne peux pas en faire une. Vous,
jusqu’au moment précis où Noël arrive. Noël, à moi. Ce que je veux, c’est voir les autres. devant le film, vous pouvez entendre ce qu’il
37
dit et îc juger. Encore faut-il préciser que L. M. : L ’Office National du Film a été cô- font tout ce qu'ils peuvent pour se forcer à
vous ne pouvez le juger qu’en fonction de ce producteur de Pour la suite du monde, et est découvrir ce qui pourra dire l’hiver, comme
que vous pensez, car vous n'avez pas tous par ailleurs très engagé dans la voie de ce ils l’ont fait pour l’adolescent ou la femme,
les éléments de son histoire à lui, de l’histoire cinéma direct qu'il a contribué ü frayer. Pou je pense que le cinéaste, avant même de con
de son pays, de sa société, des difficultés et vez-vous nous en dire quelques mots ? naître la caméra, doit connaître, doit savoir
des besoins de celle-ci qui font que, parvenue P. P. : L’O.N.F. a très bien développé les les gens et les choses, et avoir envie de les
à ce point de son évolution, elle demande à méthodes et le matériel de tournage. Au dire. C’est ensuite qu’on utilise la caméra.
entendre un certain nombre de choses, et moment où j ’ai commencé Pour la suite du J'ai aussi l’impression qu’à l’Office, les gens se
qu’il est là, lui, pour les lui faire entendre. monde, beaucoup de problèmes techniques trouvent très confortables. Autre danger. Cela
Par ailleurs, cette société lui résiste aussi, étaient déjà résolus. Restaient les problèmes empêche de voir les besoins du cinéma, et
d’une certaine façon, car elie est insatisfaite, de caméra. Nous n ’avions pas de caméra vrai paralyse les désirs de création. Or, ces besoins
et continue de se chercher, comme toutes les ment insonore pour tourner. J’ai essayé deux et ces désirs doivent pouvoir s’exprimer, se
sociétés. Le général de Gaulle, Jui aussi, dit caméras, améliorées autant que possible, cou rencontrer, et se rencontrer dans le meilleur,
des choses que la France veut entendre, mais vertes par des blimps, et j’ai finalement non pas au sein d’une programmation où l'on
la France, par ailleurs., reste insatisfaite, car adopté la deuxième, l’Arriflex, mais le bruit fait nécessairement travailler chacun tour à
il y a d’autres nécessités qu’il ne peut, lui, qu’elle fait a l’énorme désavantage, quand on tour sur tous les sujets. Il faudrait un assou
prévoir ou connaître. commence à tourner devant les gens, de plissement des courroies de façon que le
L. M. : Cette attitude qui consiste à recueillir signaler qu’on commence à tourner. Us' peu cinéma aille son propre chemin.
ce qui se passe, dans la vie, pose le problème vent très facilement oublier que vous êtes là, Cela dit, l’Office du film a apporté énormé
de savoir com ment ce que vous recueillez mais quand vous faites un bruit pareil, cela ment de choses. Il a permis que se fassent
ainsi va toucher le public. Nous avons dit équivaut à leur peser sur l’épaule pour leur des films que les autres compagnies cana
tout à i’heure que certain public avait mai dire : on y va !... Mais ce qui a été amené à diennes n’auraient pas faits. Ce qui est dom
réagi. Pourquoi? Un de mes confrères, Robert un grand point de perfection, c ’est le magné mage, c ’est qu’il les fasse, ces films, au lieu
Benayoun, profondément choqué par le film, tophone. Quand nous aurons les micros radio, de les faire faire. Par qui ? Eh bien, par les
ne peut parler d’Alexis autrement qu’en nous serons en possession de l'instrument idéal cinéastes de l’Office, mais en dehors de cette
disant: ce sinistre vieillard édenté... de travail. Pour l’instant, c’est déjà bien. Je organisation où chacun, par la force des
P. P. : C’est toute la question : que donner travaille avec les micros cravate, ce qui est choses, se sent plus ou moins protégé et
au public ? Si j’essaie de construire, de façon un net progrès sur la perche que j ’utilisais au menacé tour à tour. Tout le monde y est
ner, d’influencer, d’interpréter, j'arriverai à début : elle est aussi une signalisation indue. sincère, et on y travaille la plupart du temps
un résultat qui sera mon point de vue. Or, Mais cet instrument sonore, je crois pouvoir dans l’amitié, mais une administration, c’est
mon point de vue peut être très intéressant, dire que l’O.N.F., au moment où j’ai com une administration, elle peut être très utile
et il est possible que, dans d’autres circons mencé mon film, ne lui faisait pas rendre pour confectionner certains objets, mais
tances et avec d’autres moyens que la caméra, tout ce qu’il pouvait, sauf dans Lonely Boy quand on en arrive au niveau de la création,
j’aie envie moi aussi de donner mon point {Paul Anka), par exemple, où le son était je ne crois pas aux vertus de l’administration.
de vue ; seulement, en ce qui concerne le présent avec la personne. Remarquez que j’aimerais bien que l’Office me
domaine dont nous parlons, j’ai l’impression Moi, j’arrivais dans toute cette aventure, qui confie un film à faire, mais cela m’ennuierait
que la matière brute est plus intéressante que était déjà bien en train, avec la technique du de faire partie de l’organisme, avec le salaire
mon opinion sur elle. magnétophone, purement et simplement, et toutes les semaines et tout ce qui s ’ensuit.
Qu’e:i serait-il si je disais que ce vieillard n’est je m'ajoutais à l'expérience de Michel Brault Ma façon de voir, d’approcher les choses, je
pas sinistre ? Ça n’empêcherait pas votre ami à la caméra. Pour [a suite du monde, en ce peux difficilement la soumettre à un pro
de penser qu'il Test. Alors:.; C’est le problème sens, est peut-être un hasard de disponibilité gramme, à des horaires, etc., à toute cette
de toute oeuvre : on s'adresse à tout le monde, et d’équipement. Je me suis adapté à la tech superstructure qui, sans qu’ils en aient très
on n’atteint jamais tout le monde. nique, à toutes les techniques, j'ai toujours bien conscience, paralyse les gens de l’Office.
Il y a des gens qui ont envie de voir des pris ce qui me tombait sous la main, et je Là-dessus, ils pourront bien me dire que je
matériaux bruts. Il y en a d’autres qui ont pense que mon film a fait faire un pas dans me fais autant d ’idées fausses qu’eux. Mais
envie de voir L’Eclipse. Moi, je donne ce que Î’utilisatîon de ces techniques ; car nous ne j’ai mon point de vue. Je devais le donner.
j’ai à donner. S’ils préfèrent aîler voir nous contentions pas de nous adapter à elles, C’est fait. On peut très bien juger (et cela ne
L’Eclipse, qu’ils aillent. Moi, je m’en fous. nous tentions aussi de les adapter à nous. Je dépend pas seulement de l’Office) que je mérite
L'Ech'pse, ça n’est pas mon rayon. Ça ne suis peut-être le seul à penser cela, à en juger de faire des films, ou que je ne le mérite pas.
m’intéresse pas. Ça m’ennuie mortellement. par le nombre de contrats que j'ai eu depuis Ce genre de jugement, fait de cette façon,
C’est tout le problème : il y en a que ça Pour la suite du monde, mais je continue cela, oui, je l’accepte. J'accepte qu'on n ’aime
ennuie, d’autres que ça passionne. Mais inutile de le p>enscr. pas Pour la suite du. monde. Quiconque juge
de se tracasser ; car si vous essayez de vous L. M. : Pourquoi /'Office du fi/m ne vous d'un film a le droit total d’arriver à une
adresser à tous et d’atteindre tout le monde, appuie-t-il p}us actuellement? conclusion semblable. Ce que je n’accepte pas,
vous risquez bien, en définitive, de n’attein P. P. : Il y a deux points de vue. Le premier c’est qu’on intervienne.
dre personne. Chaque voix a une certaine est celui des étrangers qui, voyant de très Là, c’est peut-être une question de person
portée. Il ne faut pas dépasser sa voix. loin le cinéma canadien, ont tendance à nalité. En général, je n'ai pas de difficultés
L. M. : Dç toute façon, étant donné leur mode l’identifier à l'Office National du Film. Le avec les gens avec qui je travaille, et j’ai
de diffusion, vos films ont rencontré une second est celui des gens de l’Office, qui se aussi une patience très grande (et ce, parce
audience très limitée. croient responsables du fait qu'il y a un que je suis très violent), seulement, je n'ac
P. P. : Ce n’est pas essentiellement à cause de cinéma canadien. C’est vrai, dans une certaine cepte pas qu’on intervienne du dehors, je
ça. Vous avez un problème de communication mesure, mais il est aussi vrai, dans la même n’accepte pas qu’on m'impose quelque chose.
qui provient du fait que les spectateurs sont mesure, que c'est une grande illusion. Je ne refuse pas la discussion, j'écoute les
façonnés par une certaine forme de cinéma, L’Office a fourni les instruments. II avait gens, et je peux très bien tirer parti de ce
un cinéma qui achète, qui doit acheter son l'argent nécessaire pour permettre aux tech qu’ils me disent, mais si je fais un film, je
public. Il suffit de voir l’argent dépensé à niciens d ’arriver à ce point de perfection où crois que c'est à moi de prendre la dernière
cet effet en vedettes ou en publicité. Ce ils sont arrivés ; mais ce qui a été négligé — décision. Evidemment, je ne suis pas certain
cinéma crée ainsi des corridors à travers les je vais sans doute en offenser certains en que cette attitude plaise à tout le monde.
quels il attire son public. Notre cinéma ne disant cela, et je le regrette, mais je crois Là, je le répète, je ne vise pas particulièrement
possède aucun de ces moyens. que je dis vrai —, c’est le côté créateur. les gens de l’Office. Depuis que je fais des
Le public, à ce moment-là, ne peut pas com Jusqu’à un certain point, on fait à l ’Office le films (j’en ai fait avec des tas de gens, et
prendre ce qu’on lui donne, car son esprit est film qu’on veut. Mais il y a quand même une certains étaient plus ou moins commandités
façonné par un autre mode de spectacle. Il organisation qui prépare une programmation par Radio-Canada),- j'ai toujours rencontré
regarde le film avec les yeux de quelqu’un à partir d’un point de vue sociologique très cette difficulté : partout, des gens veulent
qui attend la bonne histoire, le dénouement, abstrait. On recherche. intervenir, de façon aussi loufoque que pos
et qui veut savoir quoi penser à la fin. Les On cherche à faire des fiims sur LA Femme, sible, dans la création du film. On va vous
gens adorent savoir quoi penser à la fin. Si sur L’Adolescence. Or, je pense que le cinéma dire, par exemple, à un stade intermédiaire
vous les renvoyez avec une inquiétude, ils est incapable d’abstraction. C’est prendre un du tournage, que votre film n ’est pas aussi
sont malheureux. Ils veulent avoir une ré mauvais départ que de partir de tels points bon que celui que vous aviez fait auparavant.
ponse. Ils n ’en ont pas. Ils sont malheureux. de vue, car vous risquez de ne pas arriver Mais comment peuvent-ils le savoir si le film
Par ailleurs, je crois que, si nous avions la à l’individu lui-même, ou à ce qui peut vous n’est pas terminé? Qui peut juger? Ce qu’ils
puissance monétaire, ou autre, pour attirer les ramener à l’idée de femme, d’adolescence... veulent, c'est vous engager dans une certaine
gens dans la salle, il y aurait une proportion Mais c ’e st leur façon de travailler. A partir façon de voir qu’ils ont par rapport à vous.
satisfaisante de personnes qui prendraient un du moment où le sujet est trouvé, et même Ils ont jugé que vous aviez une certaine
certain plaisir à voir ce genre de films. un sujet aussi concret que l’hiver, les gens valeur, qu’ils ont eux-mêmes déterminée, et
38
ils voudraient bien que vous soyez aussi bon
qu'ils jugent que vous êtes.
Devant ces choses, qui m ’agacent un peu, je
reste de glace. Peut-être que cette attitude
n’arrange pas mes affaires.
M. D. : Pouvez-vous nous parler des autres
films produits par l’Ofiice du fiim ? Disons :
Les Bûcherons de la Manouane, Lonely Boy,
que vous avez déjà cité, etc.
P. P. : Je n’aime pas tellement Les Bûcherons
de la Manouane. Je pense que c’est un film
descriptif très loin du cinéma direct, et même
la description est faible- Ainsi, il fait froid,
dans le film, mais on est obligé de nous dire
qu’il fait froid...
Ce que je n’aime pas du tout, ce sont des
filins du genre de Cassius Cîay, qui sont des
critiques ironiques, facilement ironiques, de
la société. Mais au niveau de Leacock, ou de
Maysîes, des Raquetteurs ou de Paul Anka,
là, je suis beaucoup plus intéressé.
Ce qui m ’intéresse le plus, c’est quand on
arrive à personnaliser les gens. Ici, ce sont
mes goûts personnels qui entrent en jeu,
mais on ne juge pas seulement les films dans
l’absolu, on les juge aussi suivant ce qu'on
est. Quand, dans Lonely Boy, on entend Paul
Anka parler dans l’auto, tout à coup on com
mence à le connaître, c’est là que je dis que
le film est réussi.
Prenez La Lutte, par exemple. Au début,
c’est la description, assez classique, de ce
qu’est la lutte dans une ville comme Montréal,
mais à la fin, il y a un combat, et à l’issue
du combat, le lutteur se fait disqualifier par
l'arbitre, et il se met à faire son numéro.
Exactement comme Cassius CJay fait son
numéro, sauf que le film est mieux fait et
beaucoup plus vrai.
Et ici, vous en arrivez aux comédiens. Ce
lutteur et Paul Anka sont des comédiens qui
se jouent eux-mêmes consciemment. C’est
tout l’intérêt de ces films, mais, avec ces
gens habitués à la caméra (ne serait-ce que
celle de la télévision), celui qui les filme joue
toujours un peu gagnant. Ce qui m’intéresse,
c’est d’aller plus loin que ça. Ce qui m’inté
resse, c'est cet homme-là qui n ’a jamais eu la
chance de pouvoir s'exprimer, et je voudrais
le faire s’exprimer avec la même justesse que
ceux qui ont l’habitude de la caméra. Je
précise : sa justesse à lui, car il ne s’agit pas
de lui apprendre à s'exprimer comme Paul
Anka ou le lutteur.
Pour en revenir aux films de l'O.N.F., je ne
connais malheureusement pas tous les longs
métrages qui y ont été produits. Parmi les
autres films canadiens que j’ai vus. je pense
que, malgré tout, malgré les inégalités du
film, celui que je préfère est A tout prendre,
de Claude jutra. On sent qu’il y a quelqu’un
derrière le film. H est vrai que je fais ici un
jugement de Normand, car je pense que
Trouble-fêle, de Pierre Patry, a plus de chances
de vivre qu’A tout prendre. je ne sais pas si
le film restera, je ne peux l’affirmer, mais
Patry s’est engagé dans une voie qui est très
féconde et qui ne peut manquer de survivre.
Tôt ou tard, il réalisera son film le plus par
fait, il aura un nom, et ses films se vendront.
Mais, à l’intérieur de tout ça, dans un Canada
où on pense de plus en plus au marché inter 1. Pour la suite
national, mou film est considéré comme une du monde : Grand Louis.
expérience à part. On n’en parle même plus. 2. Tournage (au premier
On a peut-être raison d’ailleurs. Car, moi, je plan, Marcel C arrière).
suis très intéressé par l’expérience, mais peut-
être que ce film, même s'il est très intéres
sant, est fait pour rester dans les archives.
Est-ce que ce cinéma reste aux gens ? N'est-il
pas simplement le regard de celui qui a
tourné le film ? C’est la grande question. C’est
l ’avenir qui nous répondra. En attendant, je
suis toujours prêt à partir à la découverte de
tout ce qui me semblera en valoir la peine.
(Propos recueillis au magnétophone.)
Post-scriptum
par Michel Brault
(Quelques semaines après, nous parvenait une une production expérimentale. Il est donc nel en offrant ainsi aux comédiens la lati
seconde bande, enregistrée par Michel Brault, nécessaire que ce genre de films soit soutenu, tude de se servir des lieux comme ils l ’en
seul devant son magnétophone.) qui, commercialement ne rapporte pas, mais, tendent, selon un comportement aussi natu
Depuis Pour la suite du monde, j’ai tourné à la longue, vaut cependant au pays un cer rel que possible, en leur donnant l’occasion
Le Temps perdu, avec la caméra O.N.F., c’est- tain prestige et fait avancer le cinéma. de faire des gestes vrais et complets.
à-dire une caméra presque entièrement des On m ’a donc demandé, après Pour la suite du D’autres scènes ont été improvisées de cette
sinée et construite par l’O.N.F., avec des mor monde, de collaborer à la coproduction La façon. Gilles Groulx y résumait un peu sa
ceaux d’Arriflex, montés sur un corps de Fleur de l'âge. J’ai donc fait pour cette co technique du Chat dans le sac, et moi aussi
caméra coulé spécialement selon un dessin production un film ; Le Temps perdu. je résumais la mienne, car les comédiens ont,
O.N.F., avec des chargeurs de conception Dans ce film, j’employais dans leur épanouis dans ce film, le choix des mots, des gestes
O.N.F., et un moteur qui provient d’une autre sement le plus total les techniques du cinéma et de la chorégraphie, s’ils n’ont pas celui des
caméra. direct, e t je les complétais par une inter idées de départ et d’arrivée.
La régulation se faisait par un diapason mai prétation personnelle des choses, des gens et Pour en revenir à l’O.N.F., pour le moment,
son, mais ce n ’était pas un très bon système. des lieux. Mais il a été décidé que ce film c ’est la stagnation, maintenant que nous
A force de pressions, nous avons réussi à n’était pas assez commercial. La raison qu’on sommes complètement autonomes par rap
imposer des changements. La caméra est donnait était qu’il comportait trop de dia port aux Anglais. Peut-être est-ce la rançon
réglée par un diapason amélioré, et le Nagra logues, et qu’il serait trop difficile de le sous- de l’indépendance, un mauvais passage à tra
muni d’une régulation au quartz. Donc, aucun titrer dans les différents pays. En plus, on verser quand on vient de quitter le statut
fil entre la caméra et le Nagra. Aucun fil à lui reprochait de n ’avoir pas d’histoire. On de colonisés. Mais cela ne m ’empêche évi
la patte pour l’opérateur et moi. Autonomie m’a donc demandé d’en refaire un autre. demment pas de souhaiter l’indépendance du
complète. Considérant le film très réussi, on l’a versé Québec.
La caméra O.N.F. est donc l’amélioration que aux séries télévisées. On n’en a pas beaucoup Un organisme comme l’O.N.F. ne se laisse
j ’attendais. parlé, mais les milieux anglais l’ont reçu avec pas toujours imposer des idées par les cinéas
Car les constructeurs se foutent des gens qui beaucoup d’intérêt. tes. II cherche plutôt à leur en imposer, et
veulent faire du cinéma direct. Quand ils Résultat : j’ai fait la partie canadienne de pour cela, un tel organisme dispose forcément
améliorent l ’insonorisation (comme Va fait La Fleur de l’âge, qui s'appelle Geneviève, de beaucoup de moyens, plus ou moins
Arriflex), on aboutit à quelque chose qui se expérience pour moi toute nouvelle. J’ai conscients, plus ou moins obscurs.
rapproche fortement de la caméra de studio. décidé carrément, comme ça, de faire un film Actuellement, tout le monde cherche, tâtonne.
Ceux qu’un autre genre de cinéma intéresse avec histoire et comédiens, et j’ai demandé à Quant à moi, je prépare un autre long mé
doivent donc faire leur matériel eux-mêmes. une amie, qui est la mère d'une des filles du trage. mais je ne referai pas Pour la suite du
Ceci était une digression. Temps perdu, de me faire un scénario, d'après monde. C’est aussi une histoire que j’ai fait
Quant aux micros, ils ont leur personnalité. une idée que j’avais. Puis j’ai tourné avec une écrire par un de mes amis, et dans laquelle
Us opèrent à merveille, chacun dans des équipe, qui comprenait Marcel, évidemment, j’emploierai les méthodes de La Fleur de
conditions précises. La grande qualité de Mar ainsi que trois comédiens, dont un d'ailleurs l’âge... Le film coûtera, je crois, assez cher.
cel, mon opérateur, est de savoir exactement (le garçon) ne l’était pas, tandis que les deux Nous aurons bientôt la réponse de la direc
quel micro prendre dans chaque cas. filles, elles, étaient comédiennes. Le film doit tion, et saurons si nous pouvons le faire ou
Pour préciser maintenant ma position à beaucoup à l'une de ces comédiennes, Gene non.
l’O.N.F., il serait inexact de dire que celui-ci viève, qui fut une découverte merveilleuse. Mais je n’ai pas relégué dans un oubli total
a été à l’origine de tout le cinéma que nous Donc, le film a été tourné en partie suivant l’attitude que j’avais dans Pour la suite du
faisons. D’une part, il y a eu à l’origine quel les méthodes traditionnelles, mais j'y ai monde, je l'ai si peu oubliée que je me suis
ques individus qui ont forcé la main à cet ajouté évidemment certaines convictions per lancé à corps perdu dans une autre aventure,
organisme gouvernemental, d’autre part, il se sonnelles que j’ai, au sujet du cinéma tradi qui m ’a été fournie par la rencontre de Lucien
trouve qu’il était dans le rôle de l ’O.N.F. tionnel. J’ai essayé d’introduire beaucoup de Goldmann, le sociologue, qui m’a mis en
d’encourager ces films que nous avons plus choses que j’avais apprises en faisant Pour la contact avec Henri Stork, qui, lui, était déjà
ou moins imposé. suite du monde. C’est ainsi que j’ai tourné en contact avec la Yougosavie, laquelle vou
Peu de temps après Pour la suite du monde, la dernière partie du film. C’est la scène dans lait un cinéaste canadien pour réaliser, en
au moment oit le film était assez bien reçu la pièce, au moment où le gars et la fille, Yougoslavie, un film sur l ’autogestion.
un peu partout, où j’étais convaincu que ce l’un en face de l’autre, ne savent plus quoi J’irai donc prendre cou tact, au printemps,
genre de cinéma était important, et où j ’étais faire, encore que, théoriquement, de grandes avec la Yougoslavie, et nous tournerons, Gold
enthousiaste pour recommencer, je harcelais choses se passent dans leur esprit. man, Stork et moi, en juillet ou septembre.
Pierre Juneau pour faire un autre film de ce Je leur ai fait improviser toute la scène. Ils Ce sera là, évidemment, un retour au cinéma
genre. 11 m’a dit qu’il préférait que je change avaient une autonomie de dix minutes cor direct.
de sujet. Il ne fallait plus de film de ce genre, respondant à un chargeur de dix minutes sur La difficulté, ce sera la langue. Je vais donc
ni avec ces gens-là, ni avec d’autres gens des la Mitchell (car le film a été tourné en tâcher d’apprendre un peu de yougoslave
régions avoisinantes. Or, comme il était plus 35 mm). Il faut dire qu'à nous trois (le gars, d'ici là, mais nous essaierons de toute façon
facile pour nous de travailler avec eux, j'au la fille et moi), nous avions beaucoup tra de travailler par le truchement des inter
rais été enclin justement à travailler avec eux, vaille cette scène, en en parlant longuement prètes, ce qui sera peut-être plus sûr.
de préférence aux gens de la métropole. avant. Je les avais introduits graduellement Mais le cinéma n ’est pas simplement le déve
Juneau voulait aussi, sans se l'avouer claire dans la perspective qui devait être la leur. loppement d’un style, d’une méthode, c’est
ment, que nous fassions des films plus com Je leur avais fait comprendre la façon dont aussi une recherche, et une recherche illimitée.
merciaux. C’est ce que j'ai peu à peu senti ils devaient se sentir au début de la scène. Si bien que j’ai entrepris un genre complè
à travers les conversations que nous avons Le résultat de ce coup d’envoi, ils auraient tement différent de travail, que j’appelle le
eues. Comme il est devenu le grand patron à l’improviser. Bien qu'ils aient eu très peu cinéma intemporel, qui est un cinéma pres
de l’équipe française, et qu’en plus cette d’indications sur le dénouement, ils en avaient que d’animation, niais basé sur la réalité. C’est
équipe s ’est complètement autonomisée par quand même une au moins de précise : la un cinéma qui se rapproche plus de Norman
rapport à l ’anglaise, il est devenu une grande scène devait se terminer par un baiser. MacLaren que de Flaherty.
autorité. Il a en main toute la production ILs o n t p r i s s e p t m i n u t e s p o u r to u r n e r . Tout cela fait partie des intérêts que je porte
française de l’O.N.F. Il y a donc une régres Par la suite, la scène a été coupée, mais je au cinéma.
sion du genre qui fut lancé par l’O.N.F. à crois que la spontanéité, la vérité à laquelle Peut-être que je m ’éparpille, mais je ne crois
l’époque de Pour la suite du monde, des nous étions parvenus, est quand même appa pas. J’aime beaucoup essayer des tas de
Bûcherons de la Manouane, de Saint Henry, rente. choses, et j’aime de toute façon essayer les
etc. Pierre Juneau a été mordu par le serpent Ce qui est important, dans ce genre de tour choses qui m ’importent. Par ailleurs, je suis
du cinéma plus traditionnel. nage, c’est que la chorégraphie des comédiens, toujours disponible pour refaire un autre
Nous sommes plusieurs à croire que c’est une des participants, y est complètement libre. Ce Tour la suite du monde.
grosse erreur, car le film commercial doit n’est plus de l’improvisation totale, mais cela Car il est certain que ce genre de cinéma
être du ressort de l’entreprise privée, surtout reste de l'improvisation, au moins pour ce est important. Mais je crois finalement que
au Canada, où l’on a la chance d’avoir un qui est des déplacements. C’est, je crois, un Resnais, Godard, Antonioni sont aussi impor
organisme gouvernemental qui peut permettre apport que nous faisons au cinéma tradition tants que Flaherty ou Jean Rouch. — M.B,
40
Au pays de Neufve
France : les Indiens montagnais
d ’Oiomanshibou en route vers la rivière
Coucouchou, où ils fe ro nt la pêche
à la tru ite .
La grâce laïque
entretien avec Agnès Varda
par Jean-And ré Fiesehi et
Claude Ollier•'
1. La Pointe
courte. 2. Du
côté de ia
Côte.
CAHIERS Commençons par le commence style et de simplification dans les person dedans. En revoyant le film aujourd’hui, je
ment : par la photographie... nages. Il s’agit un peu d’un couple abstrait : suis surtout surprise par son côté « culotté »...
VARDA J'étais photographe, je le suis restée... on ne sait trop qui ils sont, ce qu’ils font, CAHIERS On a beaucoup parlé, pour vous
C’est plutôt une façon de voir. J’en ai vécu où ils vont aller ensuite. Ce n ’était pas ce le reprocher ou pour vous en louer, du côté
pendant des années, je n’en vis plus. On perd qui m ’intéressait. littéraire de l’œuvre.
la main, mais on ne perd pas l’œil. Aujour CAHIERS M a té rie lle m e n t, c o m m e n t le film VARDA Le parti pris est évidemment discu
d’hui, je prends surtout des photos pour s ’est-il m o n t é ? table, mais c'est ce qui m ’intéressait. Pour
mes repérages. On voit mieux ainsi les cho VARDA Un jour Anne Sarraute m ’a présenté tant, dans le dialogue du couple, je n’ai pas
ses, les lieux, sur de beaux 18x24 posés deux sympathiques jeunes gens qui travail cherché à faire quelque chose de volontaire
devant soi, sur la table... Cela stimule, pour laient dans le cinéma et qui avaient déjà ment littéraire mais plutôt de systématique.
l’écriture d’un scénario. II y a même une réalisé un court métrage : Carlos Vilardebo (Ils analysaient leur amour planifié, l’amour
sorte d'enchaînement naturel, sur une plan et sa femme, Jane. Je leur ai dit mon désir physique, la connaissance.) Ce que je regrette
che de contact, où l’on peut « lire » des de faire un film, je leur en ai raconté le parfois, par contre, c’est, au moment du
choses et cela m ’inspire beaucoup. sujet. Je n ’avais jamais vu une caméra et doublage, de ne pas avoir évité le pléonasme
CAHIERS Vous avez la particularité d'avoir Carlos m ’a dit : « II faudrait au moins que que représente une diction théâtrale sur
débuté au cinéma par un long métrage. vous soyez épaulée par quelqu’un qui s ’y un texte déjà passablement théâtral. Cela
Comment cela s’est-il passé 1 connaisse un peu et qui puisse prendre en provenait en partie des acteurs : je n’ai pas
VARDA II y a justement dans La Tointe mains les questions matérielles ». Il s’est su freiner la théâtralité naturelle de Noiret
courte un mystère que je n’ai jamais élu proposé bénévolement pour faire ce travail, et Monfort, parce que la direction, d’acteurs,
cidé : qu’est-ce qui a bien pu me pousser avec sa femme comme script. Ensuite, il a la première fois, c’est terrible. Je pense main
à faire un film ? Je ne savais pas ce qu’était formé une équipe, en cherchant dans les tenant que j’aurais dû faire dire le texte de
le cinéma, d’abord parce que je n'y allais studios des gens qui avaient du temps libre façon plus souple, le parti pris n’aurait rien
pas ; jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, j'ai vu et qui étaient tentés par l’aventure. Ainsi perdu et le résultat aurait été plus plaisant.
au maximum une vingtaine de films. Je ne s ’est constituée une petite coopérative, où CAHIERS Cette théâtralité allait pourtant
vivais pas non plus parmi des gens qui chacun avait des parts, formée d'un apport dans le sens du film.
s ’occupaient, d’une manière ou d’une autre, d’argent, venant des commanditaires, et d'un VARDA Oui, mais il y a tout de même là
de cinéma. Je crois vraiment que j’ai entre apport travail, celui de l’équipe. On a dépensé une sorte de défaut de jeunesse. Distancia
pris La Pointe courte comme on écrit un sept millions d’anciens francs, ce qui est tion ne signifie pas obligatoirement agressi
premier roman, lorsqu’on se soucie peu de vraiment très peu, mais dix ans après, cette vité. Les véritables œuvres distanciées, celles
savoir s’il sera publié ou non. Je lisais beau somme n ’est pas encore complètement rem de Brecht, ne sont pas pour autant raides et
coup, à cette époque-là et, bien sûr, on boursée. agressives. En d’autres termes, la distancia
peut voir une sorte de filiation littéraire : CAHIERS L'accueil du public, au Studio Par tion, ce n’est pas de flanquer des coups sur
le film était directement inspiré des « Pal nasse, fut très favorable... la tête des gens en leur criant « Réveillez-
miers sauvages ». Non en ce qui concerne VARDA Exceptionnellement. Mais le film vous »,
l’anecdote, mais sur le plan de la construc n’est quand même sorti qu’en 56, bien qu’il CAHIERS Un mouvement comme celui où
tion : vous savez, l’alternance entre l’histoire ait été tourné en 54. Resnais, qui avait la caméra vole en rase-motte sur les galets,
du couple et la crue du Mississipi. J’aimais monté le film, lui aussi en coopérative, m'a passe à l’intérieur d’une nasse et ressort de
beaucoup ce sentiment de suspension, assez dit à ce moment-là : « 11 faut absolument l’autre côté, était-il écrit ou non ?
irritant à la lecture et extraordinaire après. le montrer aux deux personnes qui, à Paris, VARDA C’est drôle qu’on m’accroche tou
C’était l’époque où l’on commençait à parler « sentent » le cinéma mieux que personne, jours là-dessus, car c'est le seul plan dont
en France de « distanciation », de Brecht, André Bazin et Pierre Braunberger ». O11 a l’idée ne soit pas de moi. Le seul. Ça m ’a
etc. Je n'avais pas encore lu de théories à donc organisé une projection pour eux. d’ailleurs été une leçon profitable : il faut
ce sujet, mais je trouvais passionnante la Braunberger a trouvé ça intéressant, parce vraiment faire son film et ne pas écouter
tentative de jouer sur la non-identification qu’il a le nez qui frétille dès qu’il y a quel les autres. Bon, passons. Le reste, je vous
du spectateur au personnage d'un îilm. que chose de neuf : il était content. Bazin l’ai dit, était très prémédité.
CAHIERS C’est une constante de vos films... m ’a dit qu’il fallait absolument montrer le CAHIERS 11 y a, entre La Pointe courte et
VARDA Pas exactement. Dans Cléo, cette film à Cannes et j’ai suivi ses conseils. Je Voyage en Italie, plusieurs points de concor
exhortation au recul n ’intervient pas de suis partie à Cannes, j'ai laissé les bobines dance...
façon aussi volontaire et arbitraire. On pou à la consigne de la gare, j’ai été retrouver VARDA Je n’avais évidemment pas vu
vait, si on le voulait, s’identifier à Cléo, Bazin, au « Palais » et il m ’a établi une Voyage en Italie. Mais effectivement, c ’est
on pouvait simplement se dire : c ’est l’his liste de gens à inviter. Alors là, vraiment, assez troublant, bien que mon film soit fait
toire d’une jeune femme blonde qui meurt j’étais chez les Zoulous : aucun de ces noms totalement d’un autre point de vue, sans le
et être ému à cause de cela. Mais il y a n'éveillait en moi le moindre écho. J'ai néan côté chrétien de Rossellini. Au contraire
évidemment volonté de recul dans le décou moins été déposer mes invitations aux diffé même, je me souviens d’une formule que
page du film en tronçons d’heures, par exem rents hôtels et j’ai loué la salle habituelle, j’employais souvent, je disais : le mariage
ple, Dans ce temps « objectif », minuté, rue d’Antibes. Le jour dit, il y avait plein est un sacrement laïque. Et c ’est drôle,
il y a la volonté de rappeler au spectateur : de monde. Ensuite, j’ai eu d’excellents arti parce que c’est une formule que je reprends
encore quarante minutes, encore vingt minu cles, notamment ceux de Bazin et de Doniol, maintenant pour Le Bonheur en disant « le
tes, etc. qui disaient réellement des choses intéres bonheur, c’est la grâce laïque ». On peut
CAHIERS Pour en revenir à La Pointe courte, santes et parlaient même de cinéma nouveau, trouver, pour tout sujet, un traitement chré
y avait-il dans ce film une certaine marge etc. A Paris, Chéray a offert au film une tien et un non-chrétien. Encore à propos de
d’improvisation ? émouvante carrière de cinq semaines, on a rapprochement, je me souviens qu’au mon
VARDA La Pointe courte a été dessinée, plan totalisé dans les douze mille entrées... J’ai tage, Resnais disait souvent : « Tiens, çà, ça
par plan, avant le tournage, ce qui était un dossier de presse extraordinaire. Il y a me fait penser à La Terre tremble », ou bien
rendu possible par le fait que je connaissais bien des gens qui ont craché à sa sortie sur « Il y a un plan qui rappelle Chronique
très bien l’endroit, y ayant vécu des semai La Pointe courte, mais les trois-quarts des d’un amour ». Et à la soixante-dixième fois,
nes et des semaines à parler avec les gens, critiques étaient assez secoués, frappés par ça m ’énervait un peu. Ce n’est pas qu’il ait
à me promener, à observer des personnages les partis pris évidents du film, qui sont ce pensé que le film ressemblait à tout, mais,
existants. Ce n ’est pas vraiment un docu qu’ils sont, mais on pouvait difficilement quand on monte, on a le temps de voir les
mentaire, mais les rapports sont vrais : les dire que c’était n ’importe quoi fait n’im images et les références vous viennent tout
parents avaient vraiment une fille et ne porte comment. C’est un film « à lire », naturellement. J’ai finalement pensé qu’il
voulaient pas qu'elle se marie. Ce genre dont on doit avoir une impression plus forte faudrait peut-être que j’aille voir de quoi il
d’histoires m ’étaient racontées par les fem après sa vision que pendant. parlait et j'ai commencé à aller au cinéma,
mes du village, tandis qu’elles épluchaient CAHIERS Y a-t-il dans La Pointe courte à la Cinémathèque, à voir les films qui sor
leurs carottes ou faisaient leur lessive. Et, d’autres influences que celle de Faulkner ? taient, à acheter des revues. Et j’ai vraiment
comme dans le film, les pêcheurs voulaient VARDA II y avait des références à la pein découvert le cinéma à partir de vingt-six
se grouper, former une sorte de syndicat ture, particulièrement à Piero délia Fran- ans... en montant mon film. J’avais un sacré
pour lutter contre l'interdiction injuste qu’on cesca et cela est sensible par exemple dans retard, que je n’ai pas encore rattrapé, du
leur imposait. Ce problème-là m ’était exposé le choix même de Silvia Monfort, ce visage reste. Et je me suis rendu compte que j’avais
par les hommes réparant leurs filets dans rond avec un long cou, ce décolleté net. envie d’être cinéaste.
les cabanes. Cette partie-là du film a donc J’étais aussi préoccupée, à l ’époque, par CAHIERS Vous êtes alors « entrée dans le
été conçue de façon documentaire. Quant « l’imagination des matières », des choses Système » ?
aux dialogues du couple, je les ai écrits comme ça. J’avais suivi les cours de Bache VARDA Exactement. Je trouvais dommage de
avec une volonté de complication dans le lard à la Sorbonne et j’étais en plein là- ne plus faire de films, cette situation s’éter-
45
nisait et je m ’impatientais. Alors Braunberger
m’a convoquée et m'a dit : « Je vais vous
l'aire faire du cinéma. » — « Formidable. »
— « J’ai une commande du Tourisme, sur
les châteaux de la Loire. » J'ai cru que
j'allais lui voler dans les plumes. Je me
disais « tout de même, faut-il qu’il me mé
prise, après La Pointe courte, les châteaux
de la Loire... que je hais.,, cet art décadent...
Après l’Art roman plus rien n’existe... etc. »
Puis j’ai demandé conseil autour de moi, on
m ’a dit qu’il valait mieux entrer dans le
circuit par une voie normale, parce que La
Pointe courte, c'était peut-être bien joli, mais
aucun producteur ne me donnerait un sou
pour faire un film après ça. Avec le court
métrage au contraire, on se fait la main, on
entre dans le milieu, on connaît des gens...
Finalement, je suis partie visiter ces fameux
châteaux, la peine au cœur. Ces ruines infec
tes, c'est dégoûtant, pensais-je. Il faisait un
temps de chien. Je me disais, haineusement,
que je m ’en tirerais en ne montrant que des
jardiniers. Je donne un projet à Braunberger :
il est d’accord. Je suis partie pour tourner
au mois d’octobre. Je me disais : « ]e vais
avoir une arrière saison pourrie par excel
lence ». Je suis tombée dans une arrière
saison sublime, toute dorée, noyée de soleil...
J’ai été prise par les douceurs du bord de
Loire. Et si le film est empli de la mélancolie
des époques mortes, il n ’y a pas de haine
spéciale envers les châteaux. Il est même
très didactique, sur le plan architectural. On
dit toujours : « c'est charmant... », il dure
22 minutes, on voit 7 minutes de châteaux
et 15 minutes d’amuseries, de citrouilles,
de chapeaux et d’autres choses. Mais si vous
écoutez ce qu’on dit durant les 7 minutes
1. Opéra de châteaux, on vous explique très bien
Mouffe. 2. Du comment l’architecture a évolué du donjon
côté de la Côte. de Loches à Chambord. Ce n'est pas faux, ni
3. Salut les fumiste, sur le plan de la commande. C’est
digne d’une élève du Louvre.
Cubains ! CAHIERS Comment, justement, le film a-t-il
été reçu par les commanditaires ?
VARDA Très bien. Ils étaient fous de joie,
ils m ’ont dit « encore ». « La Côte d'Azur, si
vous voulez ». Je me suis dit : ce n’est pas
possible, ensuite ce sera le Limousin, le Péri
gord, etc. Mais j’anticipe un peu. Après 0 sai
sons, ô châteaux, j’ai fait VOpéra Mouffe.
J étais tellement dépitée d'avoir fait un film
de commande que je me suis consolée, en
tournant en 16 mm quelque chose à moi. Les
premiers jours, Sacha Vierny m’a dépannée,
ensuite je me suis débrouillée toute seule.
J’allais tous les jours au marché rue Mouffe-
tard, munie d’une chaise pliante, en fer, pour
monter dessus et voir. Je plaçais ma chaise
au milieu de la rue qui est, comme vous le
savez, une rue en pente, mon pied et ma
caméra légèrement au dessus, et je filmais.
Personne ne me remarquait, car j’étais là tout
le temps et qu’au bout de deux jours, au
même titre que la marchande de citrons et
que la marchande de pain, je faisais partie
du décor. J’ai filmé tout ce que j’ai voulu,
pendant un mois. Je procédais par têtes de
chapitres : de la grossesse, des envies, de
l’alcoolisme, etc. Suivant ce que je filmais,
je savais dans quelle catégorie ça entrait, où
ça s’accrochait. C'était comme de grandes
lignes mélodiques. Certains matins, j'étais en
veine de l ’ivrognerie, d’autres, de la tendresse.
Je n’avais qu’à choisir les choses justes par
rapport au sentiment que j’éprouvais. Evi
demment, avec cette méthode, j’ai eu ensuite
un gros travail de tri.
L’Opéra Mouffe, c'est celui de mes films que
je- préfère, c ’est le plus libre. Il est à cette
limite qui m ’intéresse entre la pudeur et l’im-
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pudeur. J'étais peut-être en l’état de grâce des Valentin-dernier (puisqu’ils s'appellent tous avec le sentiment de l’endroit, sur lesquelles
femmes enceintes, en plein « fouillis des Valentin), est le résidu et aussi la somme je travaille beaucoup.
dames ». Ça me plaisait de traiter, en plein des autres. Les autres co-existent en lui, par CAHIERS Salut les Cubains n’est ni un film
marché Mouffetard, de cette confusion entre principe. de commande, ni un film de transition, mais
ventre plein d ’enfant et ventre plein de nour CAHIERS N’était-ce pas une préfiguration de un film de plaisir ?
riture. Et puis les contradictions. Une femme l’idée d’addition que l ’on retrouve dans Le VARDA C’est cela, c ’est un hommage h
enceinte regarde déferler des gens, surtout les Bonheur 1 Cuba. J’avais été invitée là-bas par IT.C.A.
vieux, dans une rue en pente, et elle pense : VARDA Non, le personnage du Bonheur, I.C., l’institut du cinéma cubain. J’avais em
« Ils ont tous été des nouveaux-nés, on les François, est un personnage typiquement un. mené un Leica, de la pellicule et un pied car
a talqués, on leur a embrassé les fesses ». Pour moi, les gens sont un ou plusieurs, ils j’avais ce projet derrière la tête. J’ai vraiment
C’est le type même de pensée qui pousse le sont beaucoup ou peu, suivant leur capacité trouvé les Cubains extraordinaires et les
regard aux limites de la cruauté et de la ten de complexité. Et François, il n'est vraiment formes de leur socialisme, surprenantes et
dresse. J’avais l’impression de comprendre le pas beaucoup, ce qui n’est pas péjoratif de joyeuses. Ce sont les seuls socialistes latins.
lyrisme, en partant de sensations minimes. ma part. Ce n’est pas un autre lui-même qui Quand je suis à Moscou, Je me sens d’une
Deîerue a bien senti cela, sa musique est s'éprend de la seconde femme, pas du tout. autre race que les soviétiques, il me faut
belle, elle blesse un peu et elle est souriante. C’est dans la mesure où le personnage de d’abord comprendre. A Cuba, les choses m ’ont
Pour ma seconde commande, Du côté de la La Mélangite est capable d’être plusieurs que été plus faciles, je pouvais me sentir Cubaine
Côte, je voulais faire un essai sur le tourisme. les choses se compliquent, dans ses rapports et ensuite comprendre. Et puis, j’ai beaucoup
Pourquoi les gens vont-ils sur la Côte d’Azur avec les femmes. Il y a en lui la possibilité ri. Le folklore de leur révolution, le rythme
plutôt qu’ailleurs? Ce n’est pas gratuit. de rencontrer telle femme, mais un second de la vie, la chaleur...
CAHIERS Aviez-vous des idées précises sur en lui est incapable d’accepter cette femme, J’ai ramené 4000 photos, j’ai mis six mois
l’utilisation de la couleur? et un troisième, agressivement, la rejette. à en monter 1500, mais j’ai été récompen
VARDA II y a dans les deux films de com C’est ça, la mélangite. Le personnage est lui- sée : à Cuba, ils disent que c’est un film
mande une force de la couleur utilisée, mais même le théâtre de sa propre mélangite. A cubain, que ça a la « savor ». Et pour eux,
pas vraiment des idées sur la couleur. Dans un moment donné, il y a un procès ; les quand ou retrouve la « savor », on est Cubain.
O saisons... il y a le mélange de la pierre qui cinq Valentin mettent tout en question et Ils font des programmes avec mes films, et
est morte et de l’or qui est vivant, c’est tout. tout en accusation, et il faut trouver une ils appellent cela « Salut Agnès »...
Dans Du côté de ta Côte la couleur est solution. CAHIERS La réaction des spectateurs au sor
baroque. Mais on ne peut pas dire que ce CAHIERS Ce procès se situe sur un plan tir du Bonheur, positive ou négative, est
soient des films sur la couleur. purement objectif ? d’abord très passionnelle...
CAHIERS Le film de commande ne vous per- VARDA Ce serait un film d'aventures inté VARDA Les gens ont des réactions physiques
met-il pas d’exercer une certaine ironie... rieures, illustrées littéralement, et, dans la très violentes et très contradictoires. II y a
VARDA Je ne fais pas de cinéma ironique. forme, parfaitement réaliste, tout le contraire des hommes qui en sortent heureux comme
J’aime bien rire, (je voulais d’abord appeler d'un film « intérieur ». Un film très animé, tout, détendus, apaisés... D’autres ratatinés,
le film Eden-toc) mais l’ironie implique qu’on plein de poursuites, plutôt drôle... J’ai tourné les jambes coupées... Il y a des femmes qui
se moque des autres. Quand on accepte une le prologue du film, où l’on voit les rapports sortent en pleurant, ou bien avec une impres
commande, il vaut mieux essayer de ne pas du personnage avec son père, dans le cadre sion atroce. Moi, je commence à voir mes
s ’y ennuyer, mais il s’agit plutôt de second des Salins, à Sète. Il y a une autre ville dans films quand ils sont bien finis. C’est main
degré que d’ironie. En voyant Du côté de la le film, Venise, qui est en beau et en malé tenant que je commence à me poser des
Côte, les gens se marrent, mais ce n’est pas fique ce que Sète est en gentil et en moche. questions sur Le Bonheur. II est certain que
tellement drôle. Le film se rattache à un Le personnage mélange aussi les villes, les je ne l’ai pas fait en pensant aux réactions
genre d’observation, d’explication par l’indul canaux, les ports. En changeant de quai, des gens, et tout ce qu'on m’en dit me sidère
gence, ce qu’indique bien le commentaire. d’une rive à l'autre, il change de ville... un peu. Je suis partie d’impressions minimes,
L’idée était que les gens recherchent un J’aime beaucoup ce scénario. Trouvez-moi un très minces, presque rien : des photos de
certain Eden, auquel ils ont droit, parce qu’ils producteur, je vous en dirai davantage. famille. Dans le détail, on voit des gens, un
sont fatigués. Et ce n ’est tout de même pas Faute de tourner La Mélangite, j’ai donc groupe de personnes, ils sont tous autour
leur faute si l’Eden qu’on leur propose sur fait Ciéo... Il faut dire comment. Quand d’une table, sous un arbre, ils tiennent leurs
la Côte est en toc. Mais en tout cas, cet Godard a fini A bout de souffle, Beauregard verres levés et sourient en regardant l’objec
Eden-toc renvoie à une plus grande idée de lui a dit : « Vous n’auriez pas des petits tif. En voyant la photo, vous vous dites :
l’Eden, à l’idée de repos qui est une belle copains dans votre genre? », et Jean-Luc lui c’est le bonheur. Juste une impression. En
idée, une idée basique. Il faut être indulgent a envoyé Jacques, et quand Jacques a fini regardant mieux, vous êtes saisi d’un trou
et regarder les gens comme on regarde le Lola, Beauregard lui a demandé : « Vous ble : tous ces gens, ce n'est pas possible, il y
film. On rit d’abord et on comprend ensuite. n’auriez pas des petits copains dans votre a quinze personnes sur la photo, des vieux,
CAHIERS Pouvez-vous nous parler d’un de genre ? », et Jacques a envoyé une petite des femmes, des enfants, ce n’est pas possi
vos projets chers, La Mélangite? copine, et j’ai apporté La Mélangite à Beau- ble qu’ils aient tous été heureux en même
VARDA C’est, grosso modo, l’éducation senti regard. « On ne peut pas tourner ça », m ’a- temps... Ou alors, qu’est-ce que le bonheur,
mentale d'un jeune homme. Ça se passe t-iî répondu, « mais vos petits amis me puisqu'ils ont l’air si heureux ? L’apparence
environ sur dix ans, et le personnage change. disent que vous êtes à peu près douée, alors, du bonheur, c’est aussi le bonheur. Et ces
Quand il devient amoureux, par exemple, il si vous êtes capable de faire un film pour impressions, liées à celle, voisine, que me
change, physiquement, et chaque fois qu’il moins de cinquante millions, vous avez carte procure le cinéma d’amateur, vous savez,
change, un autre acteur interprète le rôle. blanche. » Ce budget m ’imposait de tourner un gros visage flou qui entre dans le champ,
C’est donc l’histoire d’un personnage joué à Paris, avec peu de personnages. Comme un gosse qui vient devant la caméra, s’arrête
par cinq acteurs, additionnés. Au début, il je n ’aime pas Paris, j’ai tourné un sujet pas et fixe l’appareil... sont la source de mon
est seul, puis il est deux, enfin il est multiple. très gai. Ça s'est fait comme convenu, sans film.
C’est une manière de résoudre le problème problèmes particuliers, je pensais pouvoir Le bonheur, c’est aussi un jeu de miroirs :
du monologue au cinéma : on voit cinq faire La Mélangite après... je suis heureux, je dis que je suis heureux,
« vitelloni » qui déambulent sur les quaîs CAHIERS II s’agit pour vous d'un film de je veux que l’autre soit content parce que je
de Sète, ou qui discutent aux terrasses des transition ? dis que je suis heureux, et l’autre est content
cafés. Le personnage monologue avec les VARDA C’est comme Le Bonheur, il s’agit parce que je dis que je suis heureux... Car
réponses des multiples qu'il a en lui. Il est de films tournés en attendant un autre film... même si c’est une notion qu’on peut conce
cinq. Les choses se compliquent lors de ses J’ai l’impression que je vais faire une carrière voir comme solitaire, elle est toujours beau
rapports avec les femmes, comme vous le en attendant Godot. Ce sont des films que coup plus forte, si elle est partagée. Comme
pensez. j ’ai faits, pas exactement avec un sentiment dans les pique-niques, cette espèce de joie
CAHIERS 11 y a addition, et non rempla de frustation, mais tout de même un peu collective, quand les familles s'entendent
cement... entre deux chaises. J’ai tourné Ciéo pour bien, qu’il y a des enfants qui baguenaudent
VARDA Justement, ce qui est drôle, c’est prouver à Beauregard que je pouvais faire dans l’herbe, et qu'on se met sous les arbres
cette coexistence. Je n’ai pas envie de chan un film de moins de cinquante millions, et pour faire la sieste... Tout cela est de plus
ger d’acteur et d’envoyer tout simplement j’ai pris beaucoup de goût à le faire. J’allais lié à un sentiment très fort de la nature. Le
les autres se coucher. Ils ont des noms. Le au Parc Montsouris à dix heures du matin, film, c’est cet ensemble de sensations, par
premier est Valentin-premier, le second est à huit heures du matin, à cinq heures du rapport auxquelles l ’anecdote est secondaire.
Valentin-fou-furieux-d’amour. Mais on n ’est matin... jusqu’à ce que la lumière, sur la CAHIERS Justement, ce qui frappe, c'est le
pas toute sa vie en crise : c’est une possibilité pelouse, forme une sorte de blancheur déli double refus, de la psychologie et de la
d’être fou furieux d’amour. Le troisième est quescente qui m ’intéressait. C'est ce genre morale.
le Comédien, et le dernier, qui s’appelle de choses, comme le rapport de la lumière VARDA La psychologie, ça ne m’intéresse
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pas, ce n’est pas le sujet du film, même si
on peut justifier le comportement des per
sonnages. Quant à la morale, je vois bien
que c’est l’absence du sentiment de culpabi
lité qui gêne. Pourtant, rien n’indique préci
sément que la femme se soit suicidée, bien
qu’aucun spectateur n ’ait de doutes à ce
sujet.
CAHIERS En effet.
VARDA Pourquoi n’ont-ils pas de doute, ni
moi 1 Nous sommes conditionnés par toute
une tradition classique et chrétienne du sen
timent de culpabilité. Moi, je pense qu’elle
s’est suicidée, mais j’ai un doute quand
même.
CAHIERS Le p e r s o n n a g e m a s c u lin p o ss è d e la
« g r â c e la ïq u e » d o n t v o u s p a rlie z t o u t à
l ’h e u re .
VARDA Ce que je cherche à comprendre
dans ce film, c’est : qu’est-ce que la notion
même de bonheur ? Qu’est-ce qui est aller
gique au bonheur ? Jusqu’à quel point peut-on
faire entrer des événements malheureux dans
une existence et que le bonheur persiste ?
Je ne me suis pas dit : « Si je faisais mourir
la femme, serait-il encore heureux ? » Mais
profondément je me dis : qu’est-ce que ce
sens du bonheur, ce besoin du bonheur,
cette aptitude au bonheur ? Qu’est-ce que
cette chose innommable et un peu monstru
euse ? Cette « chose », comme dans les
romans de science-fiction, elle est là et vous
n’avez plus qu'à vous barrer... Et cette
« chose » dorée du bonheur, d’où ça vient,
Cléo de quelle forme ça a, pourquoi c’est là, pourquoi
cinq à sept : ça s’en va, pourquoi ceux qui courent après
Corinne ne l’attrapent pas, pourquoi d'autres l’attrap-
Marchand et pent, pourquoi ceux qui ont tout pour ne
Antoine l’ont pas, pourquoi ceux qui n’ont rien pour,
Bourseiller l’ont, pourquoi ce n’est pas lié au mérite ?
Ce sens du bien-être et du bonheur, qu’il
soit physique ou spirituel ou moral, ou tout
ce que vous voudrez : il y a des gens qui
se sentent heureux.
CAHIERS Notre première réaction, au sortir
du film, fut de dire que le film se passait
sur une autre planète.
VARDA Parce que les personnages sont telle
ment simples qu’ils sont raides. Ce sont des
robots de force vitale, peut-être. Ils ne ren
trent pas dans les catégories, sous-catégories,
divisions et autres petit a de la société. A part
le sens de la famille qui est si fort chez Fran
çois qu’il envisage mal un bonheur sans
foyer — et le sens de la fraternité qui est vif
chez lui. Ce sont ses seuls sens sociaux. Le
reste ce sont ses cinq sens.
CAHIERS II e s t c u r i e u x q u e F ra n ç o is n e
m a n if e s te a u c u n e p r é o c c u p a tio n d ’o r d r e s y n
d ic a l, s o c ia l o u p o litiq u e .
VARDA C’est un artisan. S’il était ouvrier
chez Renault, qu’il ait une aptitude ou non
pour le syndicalisme, il y serait mêlé, et
j'aurais été obligée d’aborder le problème
autrement. J’ai choisi à dessein la seule
classe de la société où les gens ne sont ni
vraiment patrons ni vraiment ouvriers.
CAHIERS II pourrait avoir tout de même des
préoccupations d’accroissement de ses biens
matériels ?
VARDA Pourquoi en aurait-il, puisqu’il est
heureux ? Sur ce plan-là, tout indique qu'il
ne passe pas son temps à soupirer « Ah ! si
j’avais la T V »... Il n ’a pas besoin de possé
der une voiture : on lui en prête une. Fran
çois est un faux simple, c’est un sage. Il y a
des gens comme cela. Je connais des gens
qui ne sont pas revendicatifs, des gens pour
qui l’accroissement de la situation n'est pas
tout.
CAHIERS L’idée de totalisation des biens est
remplacée dans le film par celle de l’addition
du bonheur.
VARDA Oui, au lieu que l’argent aille à l'ar-
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gent, ici c’est le bonheur qui va au bonheur. min, opère ses substitutions, jusqu’à la fin. du moment qu’elle portait une robe de
Oui et non, car il ne cherche pas à être plus Cette interprétation m ’a surprise et m ’a chambre et tricotait quelque chose de rose,
riche en bonheur, il reçoit un cadeau. Et le ravie. C’est comme si l’on m ’offrait un ce quelque chose était obligatoirement une
personnage en arrive au stade où il ne con kaléidoscope : ça n’a pas été écrit avec cette layette... J'ai refait l’expérience avec d’autres
naît plus de limites. Où est-elie, cette limite, idée, mais si elle est dans Je film, cela me personnes, qui eurent les mêmes réactions
qu’est-ce qui pourrait la lui indiquer ? Repre plaît bien... Resnais, lui, dit qu’il a senti la que les techniciens. Or, si elle était enceinte,
nons l’image qui m ’a déjà cinquante fois été mort parce qu’on entendait du Mozart. cela changeait trop le sens de l’histoire, j’ai
jetée à la tête, celle du champ de pommiers. CAHIERS Ça n'était peut-être pas clair avant dû retourner la scène. Emilie lit une revue
François dit : « C’est un champ carré, bien de faire le film, mais lorsque vous faites ces dont toute la page est dorée, ce qui confirme
net ». II a tout de même la notion d’une plans de draps blancs... ce que je vous disais sur les rapports violet-
« forme », il a un sens en lui qui dessine VARDA Le blanc est une couleur fascinante, or. Vous voulez amener votre propre voca
abstraitement dans l’espace. Seulement, la et là, mon propre vocabulaire persiste. De bulaire, vous fier à votre sensibilité, et vous
notion de pommier, c’est la notion végétale même que les écrivains ont des mots privi vous heurtez à des schémas qui existent préa
de sève, de quelque chose qui pousse en plus, légiés, moi, j'ai des mots-images, dans tous lablement chez les gens. Tout cela m’a telle
une verrue sur l’écorce, une excroissance... mes films ils apparaissent; ainsi, tout ce qui ment gênée que j’en suis arrivée à retirer
Qu’est-ce qui se passe là ? Car il est tout de est lié à l’amour se concrétise dans la blan des choses improvisées. Dans une autre
même montré comme un type qui n'est pas cheur, blancheur du sable, des draps, des scène, Marie-France Boyer, allongée sur son
coureur, et qui n’a pas besoin de courir. On murs ou du papier. Ou encore blancheur de lit, referme un livre. Voilà encore un plan
établit bien que ses rapports avec sa femme la neige, de la lumière sur les pelouses, que j’ai retourné. J'avais pris un livre au
sont parfaitement complets. Il était impor comme dans Cléo. Il existe une dissolution hasard sur l'étagère ; c'était « L’Amour conju
tant d’indiquer que cette catégorie « femme » dans la blancheur qui est pour moi l’amour gal », de Moravia. J’ai d’abord trouvé ça
et cette catégorie « maîtresse » n’est pas le et la mort. Ce n ’est pas symbolique ni marrant, puis, au montage, je me suis dit que
sujet du film. Elles sont dans la même caté systématique. Ce sont des images qui s’éveil j'avais vraiment l’air de le faire exprès. J'ai
gorie toutes les deux. lent seules, qui s’imposent à moi. Dans Cléo, donc retourné le plan avec un livre anodin.
CAHIERS II y a une impression de peur, qui le blanc est tragique, ce n’est pas l’obscurité C’est terrible, comme l’image est signi
est communiquée par l’accélération du film qui envahit la vie, c’est la clarté qui dissout fiante... II y a un autre cas typique : c’était
à partir de l’accident, et qui provient égale l’existence. dans Cléo, à la, fin, dans la scène de l’auto
ment de la substitution de la seconde femme CAHIERS Le Bonheur décrit un processus bus. L'autobus ralentit à hauteur d’une
à la première, Elles se ressemblent... d’absorption. camionnette, devant un fleuriste. Il y avait
VARDA Elles se ressemblent de plus en plus. VARDA La mort aussi, l’amour aussi. On des fleurs sur le toit de la camionnette,
Ça j’y ai pensé. Ce qui me trouble dans le retrouve ça dans Cléo. Chaque fois que le Antoine attrape une marguerite et la donne
bonheur c’est que... Si vous prenez les gens thème profond de la mort était ressenti, à Cléo. Juste à côté du fleuriste, il y avait
dans la rue et que vous les interrogiez, s ’ils chaque fois que Cléo avait des « bouffées un magasin de pompes funèbres, devant
sont heureux, en général, c ’est à cause de de mort », c ’étaient des blancs absolus, lequel, par hasard, passe une femme enceinte.
quelqu'un d'autre, de quelqu’un d’unique. On chez elle. Dans la scène du parc, avec Comme je les adore, j’envoie Bernard Tout-
a l’impression que chaque personne est uni Antoine (scène tournée à six heures du blanc : « Vite, rattrape cette femme, fais-la
que, on l’aime parce qu’elle est unique, et ce matin), tout à coup les pelouses étaient écla repasser ». Toutblanc se précipite dans la
qu’il y a de beau dans l’amour, c'est qu’en tées de lumière. boutique de fleurs, achète un bouquet et dit
définitive, cet être unique pourrait être n’im CAHIERS On peut dire que dans Le Bonheur, à la dame : « Je vous offre ces fleurs, mais,
porte qui. Plus la personne est unique aux votre répertoire de signes est très organisé. s'il vous plaît, passez une fois encore pour
yeux de l'autre et plus elle représente toutes VARDA Mais il n’y a rien de symbolique... nous... » Truc typique des tournages impro
les femmes, ou tous les hommes, toutes et Vous me parliez du violet, c’est simple, le visés. Il n ’y a pas un spectateur qui ne
tous pourraient être l’autre. violet, c'est l’ombre de l’orange. C’est là une m’ait dit : « Vous avez fait exprès de faire
CAHIERS On en arrive à l’idée d’interchan sensation qui ramène à l’idée de peinture. ralentir l'autobus devant les pompes funè
geabilité. Les impressionnistes ont découvert que les bres »... Et pourquoi pas « devant un fleu
VARDA Ah ! non, ce n’est pas là une idée ombres étaient complémentaires, qu’un citron riste où il y a une femme enceinte qui passe
qu’on peut définir comme un postulat pra avait une ombre bleue, et une orange une avec un bouquet » ? Donc c ’est bien ça, il y
tique. Mais c’est un élément tragique à l’in ombre mauve, ce qui n’est pas tout à fait a les schèmes-images dont il faut tenir
térieur du bonheur. 11 s’agit à la fois d’une vrai dans la réalité, mais ce qui est tout de compte, et ensuite l’espèce de volonté de
idée cruelle et d’une idée satisfaisante pour même une idée juste, une sensation juste. choix d’un œil conditionné.
l’esprit. Comme les cruautés des saisons : le Dans Le Bonheur, l ’or (l’or-couleur, pas l’or- CAHIERS Mais le passage de la femme
cycle des saisons est à la fois satisfaisant et symbole) appelle le violet parce qu’il n’y a enceinte devant la boutique des pompes
parfaitement cruel. pas de couleur sans ombre. C’est aussi parce funèbres ne risque-t-il pas de fermer le film ?
CAHIERS II est possible que la substitution que le violet est une couleur que j’adore, VARDA Mais pas du tout, c'est une femme
d’un personnage féminin à l’autre implique une couleur que je porte, qui me parle à enceinte qui passe devant une boutique de
inconsciemment chez le spectateur l’idée du l’œil... C'est comme si vous demandiez à un pompes funèbres, elle est passée là à ce
dédoublement du personnage masculin. Cet peintre de justifier toutes ses touches de moment précis, zut, et puis c'est tout...
être qu’on a vu unique, durant tout le film, couleur. Il n'a pas obligatoirement réfléchi CAHIERS Le Bonheur a été écrit très vite ?
par opposition aux femmes, on s'aperçoit au fait que telle couleur est complémentaire, VARDA Oui, c’est, une expérience en ce sens
soudain, dans les dernières minutes, qu’il telle autre additionnelle... Pour moi, j’agis que je n ’ai jamais travaillé aussi vite. Je l’ai
est double lui aussi, et que c’est l’autre face souvent davantage au niveau de la sensation vraiment écrit en trois jours, j’ai soudain
de lui-même qui s ’éloigne de nous, à la fin. qu’au niveau de la réflexion, car j’ai des eu envie de savoir comment ça se passe
VARDA Non, là, je crois que cette remarque sensations colorées très fortes. quand « on fonce dans le tas » pour écrire,
ne mène qu’à vous. En tout cas, elle me fait CAHIERS Pour le spectateur, ça s'organise puis pour filmer... Et je me suis rendu
penser à une histoire drôle, liée à cette sorte tout naturellement en système de signes : com pte que j ’étais très à l'aise, que cette
de raisonnement par inversion. Dans La ainsi le violet est, dès le début, lié au per nécessité de travailler sur un scénario écrit
Mélangke, outre mon « personnage quintu sonnage d’Emilie et, après la mort de la « sous l’inspiration » me stimulait beaucoup.
ple », il y avait deux grands rôles de femmes. femme, cette couleur éclate : Marie-France Je me suis jetée dans le tournage sans me
J’avais proposé à Monica Vitti de jouer l’Ita Boyer, dans sa chambre, porte un vêtement faire de souci, et j’ai pris beaucoup de plaisir
lienne qui rencontre Valentin à Venise. Elle d’intérieur violet, les fleurs sont mauves, et à trouver au dernier moment les « respira
m ’a dit : « Le rôle est un peu court. Mais jusqu’à la tranche du livre de poche... tions ». Ce que je savais, c'est que j’avais
pourquoi ne me feriez-vous pas jouer les VARDA Ce plan dont vous parlez pose un besoin de deux très longs plans, de cinq à
deux femmes, puisque le même personnage problème extraordinaire. Il s’est posé pen six minutes, un avec la femme et un avec
masculin est joué par cinq hommes? » dant le montage du film : J’avais tourné une la maîtresse. J’avais besoin de deux longues
CAHIERS Pour parler de façon très simpliste, première version de ce plan où la jeune fille, respirations. Cependant, à mes débuts, à
on peut distinguer dans le film « une face dans sa robe de chambre mauve, tricotait l’époque de La Tointe courte, j’avais telle
vie » et « une face mort », d’un bout à un vêtement rose. Il y avait des livres sur la ment peur que je pensais ne jamais pouvoir
l’autre, et ce, continûment. table, des tas de livres de poche, et du coup, me fier à l’inspiration... Mais c ’est Queneau
VARDA C’est à peu près ce quo m’a dit on a mis plutôt des taches roses. Quand j’ai qui a raison : c'est en écrivant qu’on devient
Rivette. Pour lui, l ’élément « mort » entre projeté la scène, dans les conditions habi écriveron. Donc c'est en filmant qu’on
dans l’histoire sous les traits de Marie- tuelles du doublage, en auditorium, il y a eu devient filmeron, c’est en tournant qu’on
France Boyer, avec son regard bleu-clair, sa chorus parmi les techniciens : « Tiens, elle devient tourneron. — (Propos recueillis au
pâleur. A partir de là, la mort fait son che est enceinte ». J’ai fini par com v'ndre que, magnétophone).
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Bonheur
(Jean-Claude
et Claire
D ro u o t).
LES COMMUNIANTS : INGRID THULIN, INGMAR BERGMAN, SVEN NYKVJST,
Journal
des Communiants
par Vilgot
Sjôman
Bergman
et le train de
son enfance dans
Les Communiants. ,
I
Oberhausen
ou le troisième axe
par Michel
Delahaye
Sélection
sans vision
Avant le 31 -1 -64 , aucun texte
n’interdisait la soumission
d'un film français à la Com
mission de Sélection pour les
Festivals. Après, seuls pou
vaient lui être soumis les films
• présentés par la Chambre
Syndicale de la Production
et titulaires de l’autorisation
de production du C.N.C.,
• ou ayant reçu une avance
sur recettes du C.N.C.,
• ou présentés par le C.N.C.
Un film sans autorisation de
production pouvait donc être
soumis à la sélection s’il avait
reçu une avance ou s’il était
présenté par le C.N.C. (pré
sentation que le C.N.C. ne
saurait guère refuser, aucune
loi ne la limitant).
Le principe d’une sélection
des films avant projection
était donc établi, mais ne fut Illibatezza : Bruce Balaban et Rossana Schîaffino.
pas concrétisé ; Je C.N.C.
avait le droit d’ouvrir ou de
fermer la porte, et il la lais
sait entrebâillée.
Rogopag :
Hélas, le 18 *12 -64 , l’autorisa-
tion de production est deve Illibatezza
nue l’obligation unique pour Ainsi, Anna Maria et Joe vi
Illibatezza, l’épisode que Ros sellini de dégager pour le spec
la soumission à la Commis vent en pleines apparences :
sellini a tourné pour Rogopag tateur la vérité de ses person
sion. Les producteurs ne re elle est « conditionnée » par
(ressorti avec un nouveau nages, en démystifiant tout le
connaissant pas la Chambre le puritanisme italien qui la
Syndicale subissent donc sa titre : LfivinmocÉ il cervello, côte statique, équilibré, de
après avoir été bloqué par la fait paraître timide, réservée, leurs existences. A la fin du
loi, l ’autorisation de produc. habillée très pudiquement; lui
tion dépendant d’une conven. censure à cause du très beau film, ]es personnages sont dif
sketch de Pasolini), est cons est un parfait « intégré » qui férents de ceux que nous avons
tion collective établie par la
truit lui aussi sur la dialecti suit les conseils de Dale Car
Chambre Syndicale et qu’ils vus au début. Anna Maria res
que des apparences, dialectique negie, lit « Playboy », croit en
n’ont pas ratifiée. sent, non sans angoisse, l’ins
dans laquelle le cinéma joue « la fille parfaite » que célè
Admirons l’adresse du procé- tabilité propre à quiconque a
un très grand rôle. Anna Ma brent les concours de beauté
dé. Premier temps : On fait été réduit, par des transforma
ria (Rossana Schiaffino) est publicitaires.
accepter le principe de l ’iné tions successives, à devenir
hôtesse de l’ÀIitalia sur la Au début du film, Rossellini
galité, sans l’appliquer. Per- l’objet d’autrui et de ses désirs.
ligne Rome - Bangkok ; Joe nous présente donc deux pro
sonne ne peut se plaindre. Carlo, de son côté, assiste, fu
(Bruce Balaban), représentant duits de conditions objectives.
Deuxième temps : On appli rieux, tourmenté mais impuis
que le principe, mais on atté américain de TV, cherche à Mais la rencontre d’Anna Ma
créer un nouveau marché dans ria et de Joe bouleverse l’or sant, à la projection d’un petit
nue solennellement la rigueur film où l ’on voit Anna Maria
un pays a en voie de dévelop dre des désirs. Joe veut concré
qu’il n’a pas eue pour mieux
pement » : le Siam. Tous deux tiser scs rêves érotiques, Anna en blonde platinée, habillée
cacher celle qu’il va avoir.
font connaissance en vol et se Maria veut conserver sa pu de façon provocante. Joe, en
Cet ostracisme à l’égard du ci
rencontrent de nouveau à reté (« illibatezza »). L’indi fin, se désespère devant l’image
néma indépendant est contrai
Bangkok. Joe s’éprend d’Anna vidu veut s’imposer au cc dé (toujours projetée) d’Anna
re aux règlements de tous les
festivals, dont celui de Can Maria, qui le repousse — mais cor », l’influencer; croyant at Maria a pure >5. Séquence splen
en vain. C’est alors que son teindre la vérité, il ne fait ce dide que cette dernière, qui
nes, qui te dans un esprit
d ’amitié et de coopération fiancé Carlo (Carlo Zappavi- pendant que s’entourer d’un renforce l’idée capitale de la
universelle, a pour but de fa gna), gui se trouve à Rome, nouveau monde d’apparences, mise en scène : la réalité
voriser révolution de Vart lui conseille (selon la sugges bien que subjectives cette comme apparence et l ’appa
cinématographique, la connais tion d’un psychiatre) de s’ha fois-ci. Mais ce passage de rence comme réalité. (Godard
sance des œuvres de quali biller et de se maquiller de l ’objectif au subjectif (pour s’en est-il souvenu dans la sé
té ». — L. M. façon à se débarrasser de son les apparences) n’est pas sans quence du cinéma des Carabi
air « maternel » qui séduit Joe. conséquences. Il permet à Ros niers ?). — A. A.
64
La Boulangère de Monceau La Carrière de Suzanne Nadja à Paris
Le cinéma parallèle
C’est par un hommage à Eric (c’est-à-dire à l’époque pré la vie d’une seule étudiante qui rend ses films incompara
Rohmer que s’est ouverte la citée). Le souci de clarté qui américaine qui commente le bles, c’est ce conflit que nous
salle rénovée de la cinéma le gouverne rend le film pas film et que Rohmer suit dans retrouvons tous plus ou moins
thèque française rue d’Ulm. sionnant. On suit attentivement les endroits parisiens qu’elle a en nous-mêmes, entre une sen
Hommage, plutôt que rétro l ’explication lue dans les ma coutume de fréquenter. L’ad sibilité qui ne demande qu’à
spective, car seuls deux des nuels d’époque, anais il suffit mirable spectacle qu’il nous s’épancher et une raison qui
premiers courts métrages ac (c’est inévitable et très bien offre est celui de la confron sans icesse la contraint jusqu’à
compagnaient la totalité des ainsi) qu’un seul maillon de tation d’une vision de Paris lui forger le masque nommé
films que, depuis Vin suc ces ces longues chaînes de raison que nous ont déjà livrée bien personnalité. Parler de Roh
commercial du Signe du Lion, nous échappe pour que dispa des grands films américains, à mer m’autorise à citer ici
Rohmer a tournés. raisse la limpidité de l’exposé. la réalité, ou plutôt à l ’image Alain : « Paraître est un che
Dans Présentation ou Charlotte Ne reste alors que la mise en que nous en avons, image qui min vers l’être et peut-être le
et son steak (1951 , mais post scène toujours transparente au n’est ni plus juste ni plus seul. » II' serait imprudent de
synchronisé en 61 par Stéphane mystérieux spectacle de l’intel fausse que l’autre, mais diffé réduire l’importance de ces
Audran, Anna Karina et l’ac ligence aux prises avec les obs rente. Le commentaire de deux films aux quelques lignes
teur principal), J.-L.-G. est curités de la nature, qui, pour Nadja guide le cinéaste vers d’un écho, mais sans doute est-
voué par ses chaussures mouil être devant nous éclaircies, une vision mythologique tandis il légitime — puisqu’ils y invi
lées à l’immobilité sur le n’en demeurent pas moins in qu’il filme ce qu’il voit : le lent — d’en tirer dès mainte
paillasson d’une cuisine. Ce sondables. Dans Modifications Saint-Germain du Signe du nant une moralité. Je la vois
qui ne l ’empêche pas de ba du paysage industriel ( 1964 ), Lion et non celui de Funny double.
ratiner Charlotte qui, elle, Rohmer prouve (et ce n’est pas Face, tous deux captivants en D’abord, la proximité quoti
fait cuire, puis mange, un là un vain mot, car le film ne eux-mêmes, mais qui gagnent dienne du bien et du mal tient
steak. À vingt ans, J.-L.-G. y peut être contredit sauf avec à être ainsi opposés. à l ’insignifiance apparente des
tient son second rôle et fait mauvaise foi) que le bilan de Ces trois films portent un coup objets en lesquels ils s’incar
presque ses débuts de cinéaste. cette métamorphose est loin nent. II n’y a pas d’actes dé
que l’on voudrait mortel à Ja nués d’importance en eux-
En effet, par sa seule présence, d’être négatif. C’est un état de
il imprime sa marque au film, ruineuse distinction établie en- mêmes, et il y va à chaque
choses contre lequel1 il n’y a Ire « film de commande » et
Rohmer ne faisant que témoi pas lieu de fulminer mais qu’il instant (lors même pour le
gner d’une singulière alliance « film d’auteur ». Si le point
s’agit seulement de comprendre, dandy du choix d’une cra
d’intuition et de sensibilité de départ en est imposé, voilà vate) du bien et du mal. Les
dont il faut saisir le meilleur. bien malgré tout les plus per
qui lui permit de laisser son Ainsi la beauté austère et héros rohmériens sont à la
exercice de style être ”du sonnelles variations qui soient. recherche d’une certaine fem
pourtant évidente d’immeubles Notons d’ailleurs que les su
Godard” avant l’heure. Le récents, de chantiers de cons me ou idée de la femme qui
ton propre à Rohmer, c’est jets traités furent tous évoqués seule vaut. Cette décision de
truction, d’amas de 1erraille, plus ou moins directement par
avec Véronique et son cancre ne demandait qu’à être souli vient engagement profond,
(1 958 ) qu’il apparaît. Nicole Rohmer écrivain (je ne cou* choix au sens fort, après seu
gnée. Jadis, un temple grec, nais d’ailleurs pas d’œuvre cri
Berger ” tapirise ’ un petit une cathédrale, étaient beaux lement qu’ils ont dû s’en
garçon plus nul en calcul qu'il tique — celle de J.-L.-G. ex détourner. Peut-être n’est-il
en plus du sens (mais parce ceptée — qui annonce autant
n’est permis. D’amusantes no gu’ils en étaient chargés) que possible d’aller au vrai qu’en
tations sur le cadre familial que la sienne les films à ve se fourvoyant au préalable,
leur conféraient les dieux, la nir). L’apparente neutralité
et le déroulement de la leçon piété, le respect, l'autorité et peut-être n’aperçoit-on sa vé
environnent l ’essentiel : la des sujets qu’il aborde lui per rité qu’en faisant l ’épreuve de
autres vocables oubliés aujour met paradoxalement de se li
nullité n’entame en rien la d’hui au profit du seul « tête- son contraire.
raison de l’enfant dont la naï vrer davantage. Le thème, au Ensuite, ces films marquent
à-tête » de l'homme et de l'ob départ assez impersonnel, ras
veté plus subtile qu’il y paraît jet, gouverné par les exigences l’avènement d’une tentative ci
déroute la science peu sûre de sure suffisamment la pudeur nématographique pour renouer
de la technique. Le monde de l’auteur pour que son dis
son charmant professeur. Dans industriel1 en est le résultat avec la tradition, Le cinéma
ce spectacle de la logique d’une cours, paré de toutes les appa s’y fraye un chemin non seule
désolé et désolant à bien
arithmétique sue par coeur, rences d’une objectivité très ment du côté de sa propre
des égards, mais qui acquiert
ébranlée par celle, plus souple, ainsi une beauté qui lui détachée, puisse se permettre histoire (c’est le cas de tous
de l’ignorance juvénile, trans des accents dont la sincérité les cinéastes cinéphiles), mais
est propre. À la rigueur des
paraît déjà le style qui s’épa n’échappe pas. aussi du côté des moralistes
images de Rohmer répond l’in
nouit dans les courts films finie précision — au-delà de Par leur nature même, il de et du classicisme français. Dans
plus récents. ses belles circonvolutions — du vrait en être tout autrement le marasme (dont nous avons
Ce sont d’abord des films pé commentaire. Elles ne sont pas des deux contes moraux déjà récemment tenté d’évaluer le
dagogiques (pour la TV sco sans émouvoir, car à cette tournés (ils doivent être six). degré d’obscurité) de notre ci
laire) ou d’information. Les étrange beauté du monde mo Mais, tout l’effort de Rohmer néma, ils sont parmi les rares
Cabinets de physique au derne s’ajoute — sans que soit dans La Boulangère de Mon points lumineux, ti Le 16 mm,
Jf VHP siècle est un débat pourtant lancé le moindre ona- ceau et La Carrière de Suzanne c’est le format de l’avenir »,
filmé au cours duquel un cer thème — une anxiété que sem (1963 ) tend à compenser par dit B.S., leur producteur.
tain nombre de précisions sont blent s’acharner à combattre la distance qu’instaure le re L’espoir nous vient effective
données à l’auteur par nn phy en vain tant de louanges justi- gard de moraliste le caractère ment aujourd’hui de cette œu
sicien sur quelques expériences fiées. Au départ, commentaire personnel, voire autobiogra vre en marge qu’élabore, avec
caractéristiques, ensuite réali sur la cité universitaire, Nadja phique, du sujet. Ce que j’ai la tranquillité du sage, Eric
sées lors d’un retour en arrière à Paris (1964 ) évoque en fait me par-dessus tout chez lui et Rohmer. J. B.
Chronique de la Télévision
À lire les chroniques spé en des formules d’un mani de nouveaux réalisateurs mais perpétuellement entretenir en
cialisées, le critique de télé chéisme simplifié. Ils pro surtout parce que la dra tre eux les rapports qu’ils
vision ne connaît que deux voquent soit l’émerveillement, matique télévisée est passée avaient une fois établis.
attitudes (critiques) : il ap soit la répulsion. depuis lors par un certain Ceci à titre d’exemple, et
plaudit ou il s’indigne. De Cette forme de critique, faut- nombre d’avatars qui remet pour illustrer la nécessité
ce point de vue son rôle il le dire, n’a que fort peu tent chaque jour en question d’une icritique un peu mieux
est clair : il est le représen à voir avec ce que les lec l’immuabilité des valeurs ac pénétrée de sa mission.
tant du public auquel il teurs des Cahiers attendent quises. Je sais bien que deux argu
s’adresse, le haut-parleur qui de la critique. CaT enfin qui Bien entendu, le talent d’un ments ont seuls jusqu’ici
amplifie et fait connaître à s’est donné lia peine d’ana Lorenzi ou d’un BluwaI de trouvé grâce auprès des ciné
qui de droit les réactions de lyser par exemple les raisons meure sans commune mesure philes en faveur de la télé
ses lecteurs dont il assure que qui font que Citizen Kane avec celui d’un Spade ou d’un vision : les reprises de films
les siennes propres ne sont passe admirablement le tube, Barma. Ce que j ’affirme, c’est anciens et l’obligation « d’en
que les fidèles reflets. C’est comme on a dit, et qui s’est que ces personnalités appar passer par là » pour continuer
ce qui explique à la fois qu’il à cette occasion posé le pro tiennent à un âge révolu de à suivre la carrière de cer
se sente investi d’une fonc blème, tout de même central, la télévision — à ce que j ’ai tains réalisateurs comme Ro-
tion sacrée (un peu comme de l’espace à la télévision ? appelé son ère d'appropria zier ou Rohmer. II en est
nos députés) et qu’il ait un Quel est le critique qui s’est tion. BluwaI, Lorenzi et leurs d’autres que je n’énumerai
pouvoir si grand sur la direc préoccupé des rapports qu’il pairs s'approprient un patri pas mais dont, j ’espère, l ’évi
tion des programmes télévisés. pouvait y avoir entre l’excep moine culturel (théâtral, mais dence se fera sentir au fur
D ’où, aussi, cette s o T t e de tionnelle lisibilité de l ’image aussi littéraire lorsqu’il s’agit et à mesure du développe
fétichisme du direct (en dépit et l’emploi, dans sa distri d’adaptations de romans) qui ment de cette chronique.
de sa nette régression au sein bution, d’une technique de préexiste à la télévision. Au Quelle chronique? C’est ce
des programmes) qui lui fait prise de vues à objectifs à sens propre et nullement péjo qui reste à examiner.
découvrir le privilège de la courtes focales? Dans le même ratif d\i mot, ils le niJgari- Et tout d’abord puisque ces
télévision — en tout cas l'un ordre d’idées, quel critique sent. Car lorsque BluwaI ou Cahiers sont une publication
de ses charmes les plus sin s’est sérieusement demandé Lorenzi k réalise » une pièce mensuelle, nous voudrions
guliers ■— dans cette extra quelle solution à ce même de Syuge ou de Tchékov, il jeter les bases d’une critique
ordinaire collection de <r mo problème de l ’espace appor ne fait pas autre chose que qui tirât parti de ce qui, à
ments » qui sont comme les taient les recherches graphi d’en donner une représenta première vue, pourrait passer
derniers vestiges d’une télé ques d’Averty dans l’utilisa tion, exactement comme fait pour un inconvénient : la pé
vision naïve, tout émerveillée tion des noirs et des blancs la Comédie Française bien riodicité de la revue. Aussi
encore de son principe. en à-plat (renversant la ma qu’avec d’autres moyens et bien serait-il absurde et vain
(Moments qui se traduisent, nière que nous avons habi surtout un tout autre audi de vouloir concurrencer ici
sous la plume des critiques, tuellement « d ’inventer» l’es toire. Comme le soulignent les formes de compte rendu
pace en allant du sens à la fort bien les génériques de à l ’honneur dans les quoti-
forme) ? Lorenzi, le réalisateur de dra diens et hebdomadaires qui,
Mais le critique est paresseux matique se livre à un double d’ailleurs, atteignent parfaite
Réussite et trouve toujours des excuses travail : la mise en scène (au ment les buts que l’actualité
à sa paresse — à commencer sens où on l’entend au théâ leur assigne.
Stranded (Echoués, 1964 ) de tre) et la réalisation, c’est-à-
l’américaine Juleen (1 937 ) par la prétendue répugnance Notre chance, au contraire,
de scs lecteurs à tout déploie dire la transmission technique c’est le recul dont nous dis
Compton, c’est d’abord une du spectacle selon un certain
chronique de la vie errante — ment de termes techniques posons, et ce recul doit s’effec
(comme si ces termes étaient choix effectué parmi les tuer premièrement au profit
croisière grecque privée — des moyens propres à la télévi
américains d’Europe, avec leur d’un abord plus difficile que de la réflexion critique —
n’importe quel vocabulaire sion (film ou direct, gros plan entendez non pas, sans doute,
prise de conscience, souvent ou plans américains, etc.).
tragique, de leur échec, de sportif). Et à ce propos n’est- d’une doctrine, mais de l ’exa
leur inutilité, de leur besoin il pas curieux que le seul Mais .cette réalisation tech men attentif et réfléchi de^
moral du travail et de la terme technique à être passé nique ne suffit pas à faire œuvres aux antipodes de
norme. Mais cette lucidité, à dans les usages de la critique du réalisateur de dramati l’impressionnisme qui fait le
l’encontre des films conven soit le terme de « gros plan »? ques, un créateur fondamen charme et les limites de la
tionnels, ne préfigure aucun IL est vrai que le nnot a perdu talement différent du met critique au jour le jour. Ce
changement : ils reviennent ici font pouvoir descriptif au teur en scène de théâtre, car, sera là notre premier objec
très vite à leur tranquille profit d’une efficacité magi au fond, un même souci tif : l’analyse des œuvres
jouissance de l’instant, d’où que que tout le monde com moral anime Jean-Louis Bar- dons leurs particularités.
notre plaisir jamais interrom prend : le gros plan, c’est le rault et Lorenzi, une même Le second concerne l ’ensemble
pu, et le cycle alternatif conti coup de poing, O Griffith! piété professionnelle : le res de la programmation pendant
Cette paresse a bien d’autres pect des œuvres. Et c’est ce une durée donnée. Ce n’est
nue...
conséquences. Prenez le do respect, n’en doutons pas, qui pas en effet, le moindre avan
Les audaces calmes sont les a valu à BluwaI et Lorenzi
plus neuves, on ne pense ja maine des émissions drama- tage de ce recul dont nous
tiques. A lire nos critiques, leur réputation auprès de la parlions que de nous permet
mais que c’est une resucée de critique spécialisée et en a
Jules et Jim alors qu’on ne ce domaine se hiérarchise tre de porter des jugements
comme un tympan roman. Au fait les gardiens officiels de en liaison les uns avec les
devrait cesser de le penser, et la Culture à la Télévision
l’on admire la simplicité avec centre, une trinité sacro-sainte, autres et de dégager ainsi
la trinité Barma-Bluwal-Lo- —■ fonction qu’il n’est pas certain nombre de lignes de
laquelle cette poétesse de pro question de leur ravir (d’au
ductrice - scénariste -réalisatrice» renzi, entourée d’une poignée force. Pendant les deux années
d’apôtxes : Loursais, Kerch- tant moins qu’ils l ’ont assu écoulées, par exempte, trois
star filme la promiscuité, le rée avec une remarquable
pansexualisme, fait ressortir la bron, Lessertisseur, Spade et pénomènes ont, très nette
quelques autres. A leurs pieds, conscience) mais dont il est ment, dominé l’ensemble des
vie de ses acteurs, le charme peut-être temps de mesurer
qu’elle leur trouve et l’hu* une vingtaine de personna émissions : l’offensive des
lités diverses, qui se rangent l’insuffisance. textes originaux, le renouvel
mour très moderne qu’elle leur
prête, se met toute nue (pre- les unes parmi les élus, à En dix ou quinze ans et à lement des variétés, la qua
mière fois que l’on voit, le et la porte du paradis (à leur force de respect, BluwaI, Lo lité croissante des films pré
la, metteur en scène effecti droite), les autres parmi les renzi et quelques autres n’ont sentés.
vement tout nu dans son film) damnés, faisant queue à l’en réussi qu’à clôturer le champ Un mot encore. La formule
et fait merveilleusement le gui trée de l’enfer (à leur gau d’exercice de la dramatique que nous vous proposons au
che). télévisée en refaisant indéfini jourd’hui ne doit pas être
gnol tout au long de ce film
chatoyant, que j’espère revoir Il est évident que ce tableau, ment le chemin qui les con tenue pour définitive. Elle est
à Cannes ou en Art et Essai : qui avait un certain sens il duit de la a mise en scène » certainement améliorable : elle
c’est le meilleur film américain y a quelques années, n ’en a à la « réalisation » et sans sera âonc améliorée.
non hollywoodien. — L.M. plus guère aujourd’hui, non même se demander si réaliser
seulement à cause de l’arrivée et mettre en scène devaient André S. LABARTHE.
66
Les
meilleurs films de
l'année 19 64
cahiers lecteurs
1 Bande à part 1 Une femme mariée
2 Gertrud 2 M am ie
3 JViarnie 3 Les Parapluies de Cherbourg
4 Une femm e mariée 4 Le Silence
5 Man’s Favorite S p o rt? 5 Bande à part
6 Le Désert rouge 6 Le Désert rouge
7 America, America 7 The Servant
8 Le Silence 8 La Peau douce
9 Toutes ses femmes 9 Man’s Favorite Sport ?
10 The Servant 10 America, Am erica
11 Les Parapluies de Cherbourg 11 David e t Lisa
12 La Peau douce 12 Gertrud
13 Wagonmaster 13 Le Journal d ’une femme de chambre
14 La Passagère 14 A Distant Trumpet
15 The Patsy 15 Dr Strangelove
16 A Distant Trumpet 16 Cheyenne Autumn
17 Les Fiancés 17 The Damned
18 Thomas Gordeiev 18 La Passagère
19 Dr Strangelove 19 The Patsy
20 The Damned 20 Judex
21 Pour la suite du monde 21 Wagonmaster
22 La Jetée 22 La Jetée
23 My Fair Lady 23 Thomas Gordeiev
67
le
cahier
critique
ROBERT ROSSEN :
1 L îlith ,
Jean Seberg.
BILLY WILDER :
FRANK TASHLIN :
PIERRE E T A IX :
4 Yoyo,
Pierre Etaix. 69
Chevalier cle équilibre, s’établissent d’autres lois (même pas
inversées, comme celles de la seconde partie
d’ « Alice » : Vincent possède tout naturelle Le nombril
Poplar Lodge ment le mot de passe qui l’accrédite auprès
des médecins comme auprès des malades. De
tous les malades, et non de la seule Lilith : cf.
du monde
LILITH (LILITH), film américain de ROBËRT la petite conversation au sujet de Dostoïev-
ROSSEN. Scénario : Robert Rossen d’après le sky, ou la partie de ping-pong avec Stephen KiSS ME STUPID (EMBRASSE-MOI IDIOT) film
roman de J.-R. Salamanca. Images ; Eugène Evshevsky (Peter Fonda). Seule réticence : la américain en Panavision de BILLY WIL-
Shuftan. Musique : Kenyon Hopkins. Décors : lesbienne, et l’on voit bien pourquoi. Ce n’est DER. Scénario : Billy Wilder et I.-A.»L. Dia
Genc Callahan. Montage : Aram Avakian. qu’une fois accepté par l ’étrange communauté mond, d’après la pièce « L’ora délia fantasia »
Interprétation ; Warren Beatty, Jean Seberg, qu’il reconnaît pour sienne, que Lilith l'ap d’Anna Bonacci. Images : Joseph La Shelle.
Peter Fonda, Kim Hunter, Anne Meacham, pelle à elle, se l’attache, et le résorbe pro Musique : André Previn, chansons de George
James Patterson, Jessica Walter, Gene Hack- gressivement dans son propre univers. C’est et Ira Gershwin. Décors : Edward G. Boyle.
man, Robert Reilly. Production : Robert Ros- alors, sous sa forme la plus fascinante, que Montage : Daniel Mandell. Interprétation :
sen-Centaur Pro. 1964. Distribution : Columbia. la folie de Vincent s’incarne, et qu’il s’aban Dean Martin, Kim Novak, Ray Walston,
Dès que la silhouette légèrement voûtée de donne à ses ténèbres délicieuses : « En cama Félicia Farr,. Cliff Osmond, Barbara Pepper,
Vincent Bruce se dirige, sur l’allée ombragée rade tendre un ange rose vint à lui, si près Doro Morande, Howard Me Near, Henry
qui conduit à Poplar Lodge, vers la fenêtre qu’il s’assoupit comme une bête calme à la Gibson. Production ; Billy Wilder, 1964.
derrière laquelle, immobile, l’attend Lilith, nuit ; et il vit le visage étoilé de la pureté ». Distribution : Artistes Associés.
il ne fait aucun doute qu’il accomplit là un (G. Trakl : « De rêve et de ténèbres étreint ».)
chemin irréversible, maléfique et troublant, Lilith, ou la première femme : naturelle, donc
TRÊAMBULE. — Trois manières de toucher
comparable à celui qui, dans Vertigo, ramène abominable, comme l’a dépeinte Baudelaire.
les cartes. En donner 48. Les amateurs jubi
Scottie vers la vieille Mission espagnole ou, D’elle procèdent la Connaissance et la Malé
lent. Nécessairement, les joueurs se cassent
dans Vampyr, contraint David Gray au ren- diction, selon la tradition talmudique. Dans
la gueule. Ainsi procède Marker dans Joli
dez-vous des fantômes : lieux propices à le film, c ’est Vincent qui l’appelle, le premier, Mai. Deuxième temps, elles sont biseautées.
l’accomplissement d'un drame auquel, de tous ainsi. « You call me Lilith », lui répond-elle,
mi-étonnée, mi-ravie, et ce prénom a vertu A condition de savoir les manier, tout un
temps, ils s’offraient pour théâtre et dont chacun gagne au moins une fois. C’est gentil
seuls, jusqu’alors, faisaient défaut les acteurs. immédiate de code, suffisant à forger leur
complicité. Vincent croit ce code exclusif, et mais le résultat désole. Voyez Le Bonheur.
Tel le promeneur de Georg Trakl, Vincent, Wilder, lui, joue franc jeu. 52 cartes. A cha
somnanbulique, marche vers l'asile, déjà malgré un premier avertissement (l’épreuve
imposée, pendant le pique-nique, à Stephen) cun de les utiliser au mieux. Qu’importe
hanté, déjà guidé par « la voix d’oiseau de
il cède au vertige du bonheur, son désir même alors qui triche, l’essentiel est que ce ne soit
cet être aux morts pareil... C’est souvenir
se fortifie des obstacles. Il devient, d’amour, pas le donneur.
de bête et d’arbre »...
L'asile, — le roman, assez médiocre, de J.R. semblable au Chevalier des romans courtois, Après les cartes, le territoire. C’est donc Je
Salamanca, nous en avertit dès les premières et la joute de Kingston cristallise son offrande moment de vider son sac. En vrac, je cours
lignes — a obsédé l’enfance de Bruce, nourri et sa servitude : pour sa dame, désormais, le risque de vous effaroucher. Et ça, ça ne me
son rêve et ses terreurs. Dépouillant le livre « Chevalier de Poplar Lodge ». tente pas. Ajustons par conséquent notre
de son caractère outrageusement explicatif, Apparaît alors clairement sa démence : celle tir et montrons patte blanche. Le ciné, c ’est
Rossen s’attache exclusivement, d'emblée, à d’avoir rêvée Lilith accessible. Dans sa cham pas mal, mais la vie, c’est mieux. Par bon
inscrire ce rêve et ces terreurs sur le visage bre, au-dessus de son lit, une étrange formule heur, un fil les relie, le marxisme. Le petit
de Vincent, sur sa démarche. (Et c’est déjà pourtant la préserve d’être possédée (formule malin qui croyait bien nous prendre, s ’es
que rien ne vient élucider) : HIARA PIRLU claffe le premier. Le second (remarquez mon
le lieu de lever les malentendus qui s’atta
chent généralement au physique de Warren RESH KAVAWN, car on ne possède pas le souci de ne point présenter des vérités uni
Beatty : cet acteur, on le sait, a le don désir, et Lilith est désir, et faim sans limites... latérales) soupire : il nous refait le coup de
d’irriter ceux qui ne voient en son jeu que « Mes faims, tournez. Paissez, faims, — Le Domarchi. Puisque c'est dit, c ’est fait, fon
tics prémédités ou conventions dramatiques pré des sons ! — Attirez le gai venin — Des çons. Eh bien oui, c’est de Marx et Wilder
new-yorkaises ; en vérité, un œil attentif a liserons... » Lilith est poème, musique, pièges : que je vais discourir maintenant. Mais en
tôt fait de se convaincre, au contraire, d’une quelques touffes d’herbe en guise de pastels, pareilles occasions, l’usage commande la
transposition minimale, en lui, des états pani le plus beau des tableaux, le plus éphémère, solennité. Cinquante centimes en l'air. Pile
ques : il est même difficile, parfois, d’imputer car comme elle, non fixé (d’ailleurs, on ne le ou face ? Pile... j’ai perdu. Vaugelas à moi !
certains réflexes à l’habileté, pourtant stupé voit pas, à l’inverse des travaux des autres 1er ACTE. — En octobre 1956, sous le titre
fiante, de Rossen, et vérifiable sur tous les malades, qui ornent les murs de l’asile), « le fer dans la plaie », paraissait, dans le
autres comédiens. Entendons que Beatty joue Rossen (et Shuftan, Seberg, Hunter, Fonda, N° 63 des C. du C., un article de Jean Domar
aussi peu que possible, et témoigne ici Avakian, tous admirables et nécessaires), illus chi. Son objet ? Examiner l ’attitude de la
encore, après Splendor in the Grass, d’une tre ainsi le double visage de la beauté, trop critique marxiste en face du cinéma amé
fusion si totale de sa propre apparence en innocent, trop coupable : l’idée de faute, ricain. Neuf ans après, il me semble utile de
celle du personnage représenté — personnage, que récuse l’enfance protégée de Lilith et revenir sur ces remarques. A cet effet, nous
ici et là également vulnérable aux blessures l’accélération vertigineuse qui la précipite à distinguerons deux parties dans cette étude.
de la chair comme à celles de l’esprit — que sa perte, est prise en charge par Vincent, D’une part, la critique véhémente d’une pra
le concept dramaturgique s’efface devant l’évi contraint à de dérisoires et terrifiantes com tique « déformée » du marxisme ; d’autre
dence de sa soumission aux égarements des pensations, tel le vol de la poupée (laquelle, part, Hollywood reflet de l’univers américain.
sens. Vincent, ainsi, est la folie, dès la pre plongée dans l ’aquarium, laisse présager de Ceci posé, nous admettrons que la sous-esti-
mière image, et le film décrit une dégrada la nature du malheur tout proche), ou celui mation du cinéma américain par la critique
tion à laquelle la figure ambivalente de Lilith du cadeau de Stephen, acculant ce dernier, marxiste d’alors, conséquence d’une défor
sert tout autant de prétexte que d’emblême.) plus faible et plus fort que Vincent, au suicide. mation stalinienne de l’idéologie, ne doit pas
Par ce biais, Rossen dévoile moins le pro Film de crise, de lumières et de pulsations, prendre le pas sur d’autres considérations.
cessus d'une contagion que celui de tout Lilith ne saurait être, comme Splendor in the C'est-à-dire qu’il serait ridicule de consacrer
amour, et qui préside à la naissance de cha Grass auquel on pense parfois, lié pareille nos efforts à une polémique stérile alors que
que couple : la névrose est ici, comme chez ment à un sentiment de durée, et la toile l’article de Domarchi véhicule un certain
Hitchcock (Spellbound, Marnié), davantage d’araignée schizophrène indique assez le poids nombre d’idées générales du plus haut inté
chiffre poétique qu’élément de rupture ou de la menace, son issue mortelle et troublante, rêt. Les unes après les autres, énonçons les,
exigence de singularisation extrême des per quand le désir extrême ne peut que se détruire car elles recoupent, toutes, une attitude exem
sonnages. Et Lilith n ’est pas le théâtre d’une lui-même, et rendre à l'immobilité totale un plaire.
opposition formelle, manichéenne, entre l’uni fatal inassouvissement : prostrée au pied de 1) « Le réalisme suppose une objectivité dans
vers a raisonnable » et celui de la déraison, son lit, parmi le désordre panique de sa la manière de voir et de décrire que la révo
mais bien le champ privilégié d’un affronte chambre, Lilith, une fois consommées ses lution exclut. » (p. 21).
ment de forces dissemblables et parentes ; fabuleuses fêtes de la faim, a franchi le pas 2) « Envisagé en toute rigueur le programme
à preuve le schéma des rapports entre Beatty, de la terreur, de la « folie qu’on enferme ». réaliste tel que Saint-Réal le conçoit abouti
Jean Seberg et Peter Fonda, rapports ailleurs Alors commence, au dernier plan, le vrai rait à présenter en vrac au lecteur ou au
qu’à Poplar Lodge conventionnels, mais sen calvaire de Vincent, chevalier désormais fou spectateur un certain nombre de com porte
sibilisés, poétisés et dramatisés par la grâce droyé, prisonnier d’un éblouissement ineffa ments qu’il lui laisserait le soin d’expliquer. »
du seul lieu. Une fois traversé le miroir des çable, et que seul perpétuera le rêve : sa (p. 22).
certitudes quotidiennes, s’instaure un autre folie. — Jean-André FIESCHI. 3) « En cinéma comme ailleurs, l’antinomie
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entre le réel et le rêve, entre la réalité et la vre (...) n’est pas de celles que nous plaçons mœurs en riant ». Comparez avec Wilder.
vérité est la source inépuisable de toute créa le plus haut ». Est-ce à dire que la critique, Devant son ami Millsap, médusé, Orville
tion artistique. » (p. 22). peu importe sa motivation, ne saurait se dénonce, véhément, les méfaits du gang
La deuxième citation permet de situer la préoccuper de Billy Wilder, que nous aurions Sïnatra-Martin et consorts. Et il part à la
source des erreurs domarchiennes. En effet, du mal à admettre Minnelli à côté du grand reconquête de sa maison. Enfonce la porte,
pour combattre les effets du stalinisme en Billy ? Cet a-priori ne favorise pas le cinéma. pénètre dans la chambre et ne trouve per
art, Domarchi reprend à son compte les Supprimons-le. sonne... Drame et comédie s'enchaînent sans
réductions opérées par Lukacs dans le roman. Pour comprendre les lois auxquelles l’œuvre rémission ; notre point de vue s ’en trouve
A un dogmatisme, on en oppose un autre. de Wilder obéit, encore faut-il les mettre en modifié, Orville n’est plus ] comme Jobard
Le typique, conséquence de l’analyse non- évidence. Les faire surgir. Parons au plus mais J comme Jérémie. Il est homme. S'adres
dialectique des romans de Cervantes et Bal pressé et opérons en son sein trois saignées. sant à Polly, il l’invite à se coucher : « Mme
zac, est recherché. Et comme le cinéma sem Ou plutôt trois groupes. Compte tenu que Spooner, je vous attends. » Bref, tendrement,
ble être 1a continuation du roman sous d'au je n’ai pas vu Les Cinq secrets du désert chacun, pour un soir, fera l'amour à sa
tres formes, on exclut tout ce qui ne vérifie et Mauvaise graine, je rangerai dans les chacune... Dino chantera « Sophia », Polly
pas cette hypothèse. Or, c’est là oublier qu'il « pas de doute, ils sont mauvais » les films achètera sa voiture et Zelda Orville. Jusqu'à
existe différentes formes romanesques et que suivants : Un, deux, trois (1961), Témoins quand ?
le cinéma, tout comme la littérature, est à à charge (1958), L Odyssée de Charles Lind- EPILOGUE. — Les acteurs sont des robots,
la recherche d’autres catégories artistiques. bergh (1956), La Valse de l’Empeceur (1947), répète, à longueur d'années, le théoricien
Si nous faisions nôtres les présupposées et Assurance sur la mort (1945). d'en face. Mon œ il! Observez Kim Noyak
domarchiennes, il va sans dire que nous Les échecs sont trois : Le Gouffre aux chi lorsque Dean Martin (de son vrai nom Dino
abandonnerions aussi bien Rossellini que mères (1951), Boulevard du crépuscule (1950) Crocetti) lui offre un bouquet et fait la cau
Godard, Kazan que Penn. On voit le poids et Le Poison (1945). Les raisons d’un tel choix ? sette à Ray Walston (le « Martien favori »
d’une telle restriction. Soulignons encore que C’est qu’il nous semble que Wilder est grand des téléspectateurs yankees) : ne sachant
le « en vrac » de Domarchi ne correspond lorsque la réalité qu’il interprète n’est sou qu’en faire, très godiche, elle le passe d’une
nullement au u programme » de Saint-Réal mise à aucune distorsion (Un, deux, trois) main à l’autre, le triture pour finalement,
et Stendhal, mais qu’il traduit son refus d’exa et exclut toute grandiloquence (Témoin à cachette suprême, le mettre entre ses deux
miner de plus près la complexité d’une telle charge). Son art en équilibre ne peut souffrir seins. Le cinéma leur appartient.
démarche. la surcharge, qu’elle provienne d’un manque PARENTHÈSE. — Nous l’avons souligné plus
Associons pour un temps les citations 1 et 3. d’information (premier groupe) ou d’une théâ haut : le réalisme c’est la vérité. Une preuve.
Le réalisme, ce n’est pas l’objectivité mais tralisation excessive du jeu des acteurs (deu Dino et Polly boivent, Orville au piano chante
la vérité. De ce fait, n’existe pas d’antinomie xième groupe). Et ce n ’est pas Boulevard du « Sophia ». Attention portée au réel. Zelda
entre la réalité et la vérité pour le réalisme crépuscule qui nous contredira puisque son retourne inopinément chez elle. Par la fenê
puisque c’est la réalité vraie {nous verrons sujet est précisément la peinture de la déme tre, elle suivra les ébats de son mari et de
plus loin pourquoi). Ensuite, la révolution, sure. Alors qu'est-ce qui fait courir Billy ? Polly. Ils chantent et dansent. Orchestre. Sup
envisagée d’un point de vue marxiste, pré Réponse : ce qui ne le fait pas chuter ! Suit pression de la réalité immédiate pour la vérité
suppose l’objectivité. C’est parce que Marx une liste de dix films (consultez une filmo du moment : réalisme. — Gérard GUÉGAN.
a, comme on dit, remis la philosophie sur graphie). Désormais, il est grand temps d'en
ses pieds, qu’il en est arrivé à l'idée de révo
lution.
dire plus, de donner une justification à ce
qui n’est peut-être qu’un mouvement d’hu D’un autre
Pour nous résumer, nous écrirons que le réa meur. Donc de revenir au particulier,
lisme c’est bien sûr vérité et art, réalité et
oeuvre, mais aussi, comme la vérité et l’art
Embrasse-moi idiot, et aux généralités de
la Trinité (Sept ans de réflexion, La Gar
ordre
sont relatifs (temps, moment), le réalisme çonnière et Irma la douce). THE DISORDERLY ORDERLY {JERRY CHEZ LES
relève des trois termes suivants : réalité- Hle ACTE, — Immoral, Embrasse-moi idiot CINOQUES), film américain en technicolor
œuvre-spectateur. corrige tous les essais malheureux des por de FRANK TASHLIN. Scénario : Frank Tash-
Maintenant, quel est le sens de vrai ? En traitistes des coeurs et des âmes, des méta lin d’après une histoire de Norm Liebmann
art, il est synonyme de nouveau sinon il physiciens de l’amour. D’où réaction de la et Ad. Haas. Images ; W. Wallace Kelley.
risque d'être un poncif. Mais, pour autant, il critique ; scabreux. C'est que Wilder n’y est Musique : Joseph Lilley. Montage : John
y a différentes façons de présenter la même pas allé par quatre chemins : il a jeté aux Woodcock. Interprétation : Jerry Lewis,
vérité (la perte du moi dans La Peur de Rossel orties le trio classique pour lui préférer le Glenda Farrell, Everett Sloane, Karen Sharpe,
lini, Le Destin de Madame Yuki de Mizo- quatuor ; or le « critique de la vieille roche », Kathleen Freeman, Susan Oliver, Jack E.
guchi et Une femme mariée de Godard). pour parler comme Balzac, n ’aime pas être Léonard, Alice Pearce, Richard Deacon,
Ainsi l’art oublie-t-il difficilement l’Histoire. dérangé dans ses habitudes : 11e fit-il pas Danny Costello, Mike Ross. Production :
En effet, le spectateur, selon les périodes de naguère un sort aux quatuors de Beethoven. Jerry Lewis-York Pict. Corp. 1964. Distri
sa vie, est plus sensibilisé à une certaine Immoral, Embrasse-moi idiot l’est logique bution ; Paramount.
manière de voir les choses qu'à une autre. ment dans sa dramaturgie. Zelda, la légitime,
En ce moment, l'épopée se fait rare. L’épique tape sur les fesses de Dino sous la douche. On éprouve toujours un malaise en voyant
d’Eisensteîn et celui d'Hollywood ont vécu. Ce qui l’autorise à demander : « Hé vous, les films de Tashlin. Tout paraît aveuglément
Ce qui ne signifie pas que de telles approches quand verrais-je votre femme ? » Polly, la subordonné à la mécanique. Il semblerait que
ne soient plus réalistes. On peut envisager, doublure, sur le canapé, en guise d'entrée en notre auteur exerce son regard sur un groupe
par exemple, le cas d’un film épique à contre- matière, lui caresse les doigts. Dupe, Dino technique particulièrement révélateur de la
courant du cinéma moderne. Réussi, il ten partage ce sort avec Joe E. Brown de Cer société américaine (Hollywood, grands maga
drait à prouver que le réalisme c’est la révo tains l’aiment chaud (1' « amant » de Jack sins, couture), pour en désarticuler les struc
lution permanente du cinéma. Lemmon travesti) et le Ray Milland d’t/m- tures, non pas en les dénonçant (cela pren
ACTE. — Dans la seconde partie de son for/n es et jupons courts (Ginger Rogers se drait trop de temps, de patience, de recul),
article, bien qu’il s'embarrasse une fois en faisait désirer sous les traits d'une gamine. mais en les brouillant.
core de déformations dogmatiques sur l’uti Art de la tromperie à des fins amoureuses, En fait, si nous avons affaire à un brouillage
lité du cinéma (que peut nous faire l'absence le cinéma de Wilder repose sur un principe — voire à un barbouillage —, ce n'est pas
de solutions dans l’ceuvre de Mankiewicz ? égal à celui des comédies de Marivaux. Le au niveau du modernisme excessif de l’envi
Le 24 images-seconde aurait-il pour Domarchi page est une femme que la comtesse ronnement social. Les premiers plans du film
la mission de conduire la révolution à son conquiert... Et le monde tremble de changer nous en convainquent : au lieu de nous
terme?) et réduise quelquefois l’art à l’infor de base. conter les mésaventures d'un médecin, l’au
mation (que devient alors le créateur? L'es Immoral, Embrasse-moi idiot infirme la mo teur aurait tout aussi bien pu choisir celles
thétique est-elle idéologie ?), Domarchi dresse rale praticable. Déjà Sept ans de réflexion d’un alpiniste ou d'un troupier des temps
un bilan thématique assez juste pour qu’au et les petits matins new-yorkais dans lesquels héroïques. Avant le générique, le spectateur
jourd'hui il soit le lot de tous. On peut cepen Jack et Shirley se précipitaient l’un vers peut se demander quel personnage l’embar
dant s ’étonner que cette disparition de l’être l’autre [La Garçonnière) confondaient la quera avec lui parmi les trois proposés et,
au profit de l’apparence (idée judicieuse) lui médiocrité générale de l’american way of par là-même, contestés. Pour ‘ affirmer l’un
fasse préférer Le Grand Couteau (cité) à life. Comme toujours, le désenchantement, d’entre eux, Tashlin n’hésite pas à le remet
Sept ans de réflexion (oublié), Aldrich à conséquence d’une époque transitoire, se tra tre à sa juste place, à montrer combien il est
Wilder. En admettant que ce lapsus soit le duit par ie refus des genres. « Il n ’est pas compromis, c ’est-à-dire à questionner l’éven
fruit d'une époque, le préambule à l’entretien rire sans pleur », écrivait Molière à Louis tualité même d’un film qui renvoie à l’iti
Wilder (réalisé en août 1962 par Domarchi et XIV, tout en s'empressant de corriger quel néraire d’un personnage dont le remplace
Douchet) ne corrige rien, puisque « son œu ques jours après qu’il fallait « châtier les ment par un autre est donné comme possible
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dès le départ. Par là, le film retire tout ce le mystère. Il suffit qu’un objet implique Yoyo que de mal se plier à la classification.
qu’il se risque à avancer, c’est-à-dire et sur une relation fonctionnelle et une relation Il laisse pantois. On ne peut le définir car,
tout son projet, dont la direction, à mesure décorative pour qu’il devienne fantastique. réfractaire au « c’est ceci » comme au
qu’elle se précise, se voit ramenée à son point Il faudrait remonter au mobilier transitoire « c’est cela », il échappe. Alors, on s ’en
de départ, à ses données, purement arbitrai de l’appartement d’Hélène dans Muriel. Rien approche par le biais de ce qu’il n ’est pas.
res, donc minées. n’est plus vertigineux qu’une table « mise ». Ainsi, il n’est pas comique, du moins pas
Mais si le film n ’est ainsi qu’une ombre, Et Tashlin force le décor jusqu’à l’éclate au sens où l’était Le Soupirant (celui de la
qu’une hypothèse ou un trajet sans privilège ment dont il récolte le feu d’artifice. Il tradition comique) mais raconte une curieuse
par rapport à d’autres tout aussi légitimes, libère les monstres et les abîmes. On ne sait histoire de portée limitée et pourtant ambi
l’absence de fondement dont il se trouve plus si l’on est au pays des merveilles ou en tieuse, banale et pourtant compliquée, ellip
alors témoigner plan par plan lui ouvre en pleine science-fiction. Mais comme l'univers tiquement narrée en une suite de gags guin
fait toutes les pistes imaginables, lui permet de Carroll ne manque pas d’épouvante, on dés et complètement inopérants. Etaix ne se
toutes les audaces, bref, lui laisse le champ finit par retomber sur ses pieds — ou plutôt, leurre d’ailleurs pas une seule seconde quant
entièrement libre. L'indétermination, au lieu par se retrouver à terre. Là réside une nou à l'efficience de ses plaisanteries, bien sûr,
de paralyser l’élan créateur, le stimule. velle ambiguïté du film : une sorte de « ce n’est pas parce qu'on fait mal exprès
Elle va jusqu’à éliminer tout obstacle, toute confuse résolution. qu'on fait bien », certes. Mais Etaix ne
contrainte, supprimant d’emblée toutes __les Car Disorderly Orderly nous fait assister à s’applique pas à enchaîner les flops par inca
références à quelque contexte que ce soit : un cauchemar de la même façon qu’on assis pacité ou snobisme, ses effets ne manquent
épurant sans cesse, pour préserver son équi terait à un spectacle. Il a l’air de nous inviter d’ailleurs jamais leur but, seule reste posée
libre, suivre son cours, pour se sauver de la à ce qui pourrait tenir lieu de résolution : la question de déterminer avec certitude quel
dérision qui la guette (et dont elle a reconnu nous éblouir par la profusion des éclats est ce but. Il faut bien convenir que ce n’est
le jeu au début). On ne peut plus alors dispensés. Il semble que Tashlin filme (les pas le rire (quand il le veut, Etaix fait rire,
parler, pour Tashlin, de surcharge, mais au chutes provoquées par l’éparpillement des il faut voir pour le croire la bande annonce
contraire d’un « emplissage » où le signe pastilles roses, par exemple) pour le seul de l'oyo, ou Le Soupirant), ou, tout au moins,
retrouve sa liberté, sa disponibilité et pres plaisir de récolter la mise en rapport de est-il d’une variété qui reste à cerner.
que une sorte de gratuité. Une flamme peut termes irrationnels, c’est-à-dire poétiques. On Perdons un instant Etaix de vue, car les
jaillir du doigt de Jerry Lewis, on peut dirait même qu’il nous incite à passer de différentes variétés du rire, c’est le dernier
découvrir un couple enlacé sous une pyra l’état de spectateur à celui d ’acteur, à par film de Jerry F. Tashlin qui les illustre à
mide de boites de conserves. Les accessoires ticiper au délire collectif, à foncer dans les lui tout seul de manière exemplaire. Le rire
parmi lesquels évolue le personnage impro reflets offerts. Bref, comme chez Antonioni est toujours domination par le rire. Mouve
bable et auxquels la mise en scène le rap ou Varda, notre monde quotidien est rêvé ment de recul qui surmonte notre finitude
porte constamment n ’ont de sens qu’au cen en cauchemar et ce cauchemar est si efficace dans l'acte qui la dénonce. Il oscille entre
tre même de cette absence de preuves qui qu’il redevient notre monde. Mais, car l’opé deux pôles que Lewis d’une part et Tashlin
est aussi celle de l’œuvre. Ainsi de tels ration ne s'arrête pas là, l’originalité consiste de l’autre, incarnent admirablement. C’est,
objets peuvent-ils se modifier, changer radi à trouver un optimisme au centre même côté Lewis, le brusque effondrement de
calement de fonction (l’exemple le plus des mensccs généralisées, une harmonie dans toutes frontières, ouverture d'un abîme où
caractéristique est celui des paniers métal la débâcle, un ordre dans l’incohérence. l’éclat de rire nous précipite, connaissance
liques destinés à ordonner les boites, et qui Tashlin dit la beauté du cauchemar aux par les gouffres que nous livre le savoir
finissent par les éparpiller). inépuisables métamorphoses. démesuré de la déraison. Expérience fugitive
Toute la démarche du film, à partir de sa Car, en fin de compte, Disorderly Orderly d’un rire auquel rien ne résiste, terrifiante
propre contestation, ne propose que revi est aussi un film d’amour. Désormais, on par son caractère radical, ses manifestations
rements, hésitations, incertaines gravitations, ne parlera plus de sécheresse, de cruauté diluviennes et la profondeur abyssale en
erreurs. La scène des baisers successifs et malsaine à propos de Tashlin — et Jerry laquelle peut s'effectuer une tragique confron
sans conséquence est révélatrice de cela. Et Lewis sans doute n'y est pas pour rien cette tation avec la folie. Côté Tashlin, c ’est le
le rythme du film, mettant bout à bout des fois. Nous avons suivi une initiation, un rire comme reconnaissance et satire par
scènes autonomes, égarant plus le specta apprentissage, la découverte d'une forme per mécanisation, déterminisme en péril, Bergson,
teur que le guidant, atteint, au final, une manente de merveilleux, avec la récompense etc. Ici : léger recul grâce auquel la raison
précipitation généralisée qui fait chavirer au bout du chemin. reconnaît : savoir clair ; là : savoir sombre,
dans un chaos multicolore toutes les pistes Tout ancrée dans le doute, tout oscillante et la déraison qui a prise sur tout. Dans les
entrevues et confondues. Un ordre pourtant lucide au fil de son écriture menacée, l’œuvre deux cas, domination de notre site, expé
en émerge : un personnage et un film envi parvient encore à nous parler d’un bonheur rience qui fait signe vers notre structure
sagés — et comme seulement appelés — possible. — André TECHINE, métaphysique, un « je ne suis pas au monde »
dans un mouvement impossible. qui est aussi « ce cher point du monde »
Si nous cessoas de nous préoccuper des sour
ces, de la naissance hasardeuse des voies à
Flops rimbaldien.
Comique traditionnel dont The Disorderly
déchiffrer, de leur dynamisme en somme,
pour n’envisager que leur résultat sur nous
qui recevons le film comme un monde, les
en stock Orderly est une magistrale récapitulation
qu’aurait effectué un Hitchcock doué de
l’extra-lucidité Lewisienne. Mais Pierre Etaix ?
perspectives ne manquent pas de changer. YOYO, film français de PIERRE ETAIX. De la première tendance par nous distin
Le film présente alors une surface qui ne se Scénario : Pierre Etaix et Jean-Claude Car guée ; l'approche sensible, non réfléchie, de
dérobe pas, mais alimente notre goût de rière. images : Jean Boffety. Musique : Jean la réalité ; d’où la tristesse puisque le monde
l’onirisme total : c’est-à-dire qu’il nous pro Paillaud. Décors ; Raymond Gabutti et Ray est tragique pour la sensibilité, comique pour
pose un terrain d’entente. Et la matière mond Tournon. Costumes : Jacqueline Guyot. la pensée. Et nous ne trouvons pas là trace
résistante offerte ici n ’est pas la caricature Interprétation : Philippe Dionnet, Pierre de réflexion ni de recours au dessin animé,
ou la dérjsion des données sociales, mais Etaix, Claudine Auger, Luce Klein, Siam, Etaix ne stylise guère. Néanmoins, il y a
leur anticipation. Pipo, Dario, Mimile. Production : Capac-P. de la seconde tendance comme une caution
Tashlin va de l’avant, donne le pas à l’ima Claudon, 1964. Distribution : Warner Bros. sans cesse demandée à la réalité. Notre
ginaire et lui laisse entièrement courir sa homme a les pieds sur terre (comment Tes
chance. L’outrance et l’invraisemblance sont De Pierre Etaix, nous avons vu il y a main avoir ailleurs 7). Mais la tête ? Il n'est pas
posées d’emblée comme telles et ne cessent tenant deux ans, Le Soupirant. Un film amu rare de voir les idées comiques déboucher
de se proclamer telles. Les événements se sant, bien construit, résolument traditionnel, sur les rêves les plus fous. Pas celles timi
développent sans rencontrer de limites. Cepen un film auquel ne faisaient défaut qu’un dement oniriques de Pierre Etaix. Aucune
dant, le rêve s’exerce sur des objets de tous peu d’originalité et de liberté pour être très démiurgie dans son propos quand les autres
les jours. En ce sens, Disorderly Orderly réussi ; à tout le moins était-il prometteur. comiques tendent à dominer le monde à
rejoint des œuvres aussi différentes que Le Voilà qu’avec Yoyo, Etaix ne tient pas du force de distance. Lui ne cherche pas à le
Bonheur ou Le Désert rouge. L’obsession tout les promesses de son coup d'essai. Il prendre en vue. Il s'en éloigne un peu,
n’est pas une vue altérée, grossissante, d’élé déroute ; on le boude. Le film est aussi mais très peu, avec modestie et comm e par
ments perçus qui ne devraient leur puissante décousu que le premier était organisé, aussi ennui, à la faveur d’une démarche encore
répercussion dans notre sensibilité qu’au pré sinistre qu’il était drôle, mais aussi fou et peu exploitée. Un cinéma à la frontière du
texte qu’ils se référeraient à notre histoire audacieux qu’il était sage et prudent. On rêve et de la réalité. Le sourire y remplace
intime. Il suffit qu’une toile de fond se aura compris que je le préfère d’assez loin ; le rire et l'imagination est l’instrument de
tisse autour de nous, nous serve purement Etaix s’y révèle cinéaste attachant. choix d’une telle substitution. L’étrange
et simplement de décor, pour que commence Ce n ’est pas un des moindres mérites de devient vite habituel, mais l’habituel est déjà
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désuet et surprend à son tour. Par un inces Décors : Hubert Monloup, Musique : W.-A. nation alertent, puis s’oublient, entraînés
sant mais infime dépaysement, le film ne Mozart. Montage : Janine Verneau. Interpré dans un formidable courant d'optimisme et
cesse de nous reconduire chez nous, tation : Jean-Claude Drouot, Claire Drouot, de joie « naturelle » cautionnée par Mozart,
Pour être graves, Chaplin, Keaton et Lewis Marie-France Boyer, Sandrine Drouot, Olivier puis Renoir en couleurs douces sur petit
sont d’abord désopilants. Le rire est irrésis Drouot, Paul Vecchiali. Production : Parc écran). Une inflexion du ton inaugure la
tible avant de se glacer. Aussi peu tragique Film, 1964. Distribution. ; Columbia. seconde étape, l’attention jusqu’alors buis
que comique, Etaix possède un ton qui lui sonnière s’établit plus près de son support
appartient : uniforme et morose. Il ne cher mouvant : l’idylle avec Emilie, première fixa
che pas le dénivellement radical propre à U est des filins qui ménagent au spectateur tion dramatique, annule rétrospectivement la
laisser transparaître le monstre, le pantin ou la marge blanche utile à son jugement, ou chronique. Le tempo s’accélère. Nous assis
« le plus bel animal du monde », comme certains points d’appui, saillies où arrimer tons à une rapide intégration, autour de ïa
s’il était déjà assez stupéfiant d’être un son commentaire, repères à relier et relire. personne de François, des diverses compo
homme, de connaître la réussite (ou l’échec) Le Bonheur n’est pas de ceux-là : en dépit santes de son monde quotidien ; ce qui n ’était
dans ce monde bizarre et d’éprouver une de brefs effets de recul relevant plutôt de encore que décor s’organise comme scène
invincible solitude, seul ou avec d’autres. Si la coquetterie que de l’invite à la contesta pour ses futures évolutions. Il en résulte un
la solitude de Yoyo se contentait d'être à la tion, l’œuvre, tel son héros, s’impose de la « grossissement » très sensible du personnage,
réussite ce que celle d’Umberto D. était première à la dernière image comme donnée chaque nouvelle apparition s'ajoutant aux
à l’échec (ou vice versa), ce serait peu et brute, agglomérat ligneux soudé autour de précédentes plus que ne prenant leur suite ;
somme toute assez banal. Mais Etaix ne l‘homme-silhouette et tout effort pour ficher découpe, stature et volume, l’être s’épaissit,
réduit pas son propos à l’anecdote qu’il un coin dans cette masse, détacher les unes se dilate, et concurremment s’opacifie, s'ap
raconte, de peu d’importance en dépit de des autres ces fibres verticales ou traverser propriant les événements, les totalisant, en
son extension (quant à la période parcourue le cœur en coupe, s’épuise à court terme capitalisant les ressources, en escomptant les
et aux événements brassés). Ce à quoi il et se brise : on aime ou on n’aime pas, on fruits. La cohérence de la mise en scène, sa
semble tenir le plus, c’est une certaine admet et admire ou rejette en bloc. Le film logique galopante, le fonctionnalisme gran
ambiance, c'est la vie selon Pierre Etaix. croît et se fortifie de l’élan même qui l’a dissant des signes, sont en rapport étroit avec
11 y a chez lui une. manière de naïveté mis au jour -, impossible de dissocier la force la théorie gentiment exposée par le jeune
paysanne ; je l’aime. Elle lui permet de faire créatrice de la matière par elle aussitôt homme à son épouse de la quantité addi
passer ses meilleures idées, qui sont d’une façonnée : film conçu d’un trait, réalisé sans tionnelle de bonheur. Nous voici lancés à
complexité ahurissante et laissent rêveur concession, conduit à son achèvement sans toute allure sur l ’itinéraire second : la mise
{nous y voilà) : le maximum d’énergie trace d’hésitation ni de reprise. C’est une en relief d’un être, ses contours et sa
dépensée pour le minimum de rendement. auto-affirmation esthétique, la justification de silhouette se dégageant, se renforçant à cha
Ainsi, pour dire l’inaccessibilité de la mysté toute conviction. La critique par la « chose » que épisode, un peu plus nettement dessinés,
rieuse bien aimée, ce n ’est pas trop d’une attirée s ’y plaque, glisse sur des parois lisses mais aussi un peu moins justifiables, entraî
piste de cirque soudain apparue dans un et dérive. Loin de l’assimiler, elle se laisse nant êtres et choses à leur suite, les aspi
hôtel et d’une corde pour disparaître vers par elle émousser et dissoudre. Le Bonheur rant. 11 convient de noter parallèlement, à
les cintres. Pour terminer sur la solitude et absorbe intégralement, s’il ne laisse étranger. ce propos, avec quelle sûreté Agnès Varda
un aléatoire retour vers les gens du voyage, Constatons le phénomène et parlons donc joue, sans tergiverser, des différentes arti
il faut à Yoyo l’éléphant de son enfance d'absorption, calquant notre démarche sur culations de son « langage », telles que les
survenu au beau milieu de la party finale celle du spectateur déconcerté, puis leurré, six films antérieurs les ont expérimentées
pour l’emmener vers l’eau et les rêves. Mais par la simplicité d’évolution d’un protago et « personnalisées », et aussi avec quelle
Etaix réalise avec une simplicité et une niste dont les motivations profondes, sans aisance elle y attire et intègre certaines
légèreté tout à fait puériles ce qui partout cesse plus loin repoussées, lui échappent en figures de style puisées à source proche ;
ailleurs paraîtrait d’une lourdeur extrême. fin de compte, enfouies sous l’or des fron tel rythme coloré de Muriel, tel va-et-vient
De ses inventions gouvernées par la seule daisons automnales : aussi bien la matière de caméra de Vivre sa vie, tel fond blanc du
nécessité du marrant pas marrant, des ennuis psychologique tant individuelle que sociale Mépris ou recadrage enveloppant de Lola...
rigolos, des complications attrayantes et par n ’est-elle jamais ici sujet privilégié de pein Survient alors l’accident : Thérèse disparaît.
la fuite devant l’insipide facilité, naît une ture ou d’explicitation mais un élément parmi Troisième étape et dernier retournement de
atmosphère à laquelle se limite le film. d’autres — la forêt, la couleur, le rythme perspective. Certes, l’accord et l’unité du
Ambition que l’on pourra bien dire immense saisonnier, le décor suburbain, le soleil, l’eau, clan, un moment ébranlés, ne tardent pas à
ou minime, il importe peu. Elle est à la la musique — dans la constitution d’un objet se reconstituer ; en apparence, rien d’essen
mesure de son sujet : une vie, plusieurs en qui apparaît à la fois comme son propre tiel n’est modifié : Emilie se substitue à
vérité, donc Ja vie, quelque chose de vaste moule et son premier et unique moulage. Thérèse, François avalise et les enfants n’y
mais de bref, de capital mais de dérisoire, L’itinéraire du spectateur bifurque à deux voient que du feu. En fait, la situation nou
de rose mais de gris, une musique enfin dont reprises, commandé par chacun des trois velle est très différente de l’ancienne ; le
la sonorité désaccordée ne lasserait pas. mouvements de durée égale, mais de tonalité centre de gravité s ’est déplacé : c’est autour
Yoyo est décidément un film étrange, comi fort différente, dont se compose l’œuvre — d’Emilie, et non plus de l’homme, que se
que et peu drôle, linéaire et biscornu, simple mouvements qu’il vaudrait peut-être mieux refait l'entente, A quelques minutes d’un
au prix de grandes complications, hors réfé qualifier d'impulsions, affectées de ralentis « finale » qui laisse pantois par sa logique
rences car référentiel de manière fallacieuse. sements marqués en fin de course, à la et nous effraie — il n’y a pas à discuter,
Un film hardi qui remonte à l’époque de manière de ces fusées dont plusieurs moteurs cela va de soi, cette conclusion raccourcie,
Battling Bu trier pour nous parler de la nôtre, à tour de rôle relancent la progression. Impul triomphante, est amenée avec la même évi
qui cite Chariot et ha Strada pour brouiller sions rectilignes, mais à chaque relance dence sans réplique qu’une résolution d’équa
les pistes. Car le ton proche à'A King în Vorientation dévie notablement et sans qu’on tion, c’est donc de nous en être laissé si
New Vori annonce aussi les derniers Fellini. y ait pris garde, la trajectoire s’est modifiée : insidieusement imposer les termes qui nous
Convergence ici de quelques films récents. l’angle de vision n’a plus qu’à être rectifié met mal à l’aise — nous comprenons sou
Des œuvres aussi différemment admirables en conséquence. Quand enfin le trajet actuel dain que ces éléments nouveaux, périphé
que Otto e mezzo, Toutes ses îemmes, Lilith se prête à une lecture correcte, nous nous riques, que l’on croyait intégrés par le héros,
et The Disorderly Orderly consonnent éton apercevons que nous étions « pris » déjà, l’ub sortaient en réalité et l’attiraient à eux.
namment et se rejoignent quelque part du convaincus depuis quelque temps déjà d’une Le sens de l’aimantation s’inverse : François
côté de Marienbad, derrière un grand édifice réalité autre que celle à laquelle nous devenu adulte se fond en la jeune femme
blanc, dans un parc sillonné d’allées recti- croyions adhérer. pâle et la Nature à son déclin. L’objet-liéros
lignes où de curieuses filles névrosées pren La première étape bat la mesure illusoire s ’enfouit à son tour dans les êtres -et les
nent une très contemporaine allure d’oiseau d’une chronique printanière : mesure à deux choses, incluant son opacité dans celle de
blessé pour laisser échapper d’inquiétants temps, banlieue-forêt, couple idéal pour Fête la création.
éclats de voix. — Jacques BONTEMPS. des Pères, François odieux de ronronnement La théorie de la totalisation du bonheur était
végétatif, Thérèse trop délicieuse, bambins un piège : une soustraction décisive a eu
- L ’or modèles, somnolence à proximité de l’étang,
« chinoiseries » calligraphiques sur tiges,
feuilles et fleurs floues, 2 CV de rêve, oncle-
lieu, imposant un changement de signes à
toutes les valeurs, marginales ou non, du
monde omniprésent du héros. C’est sur un
et le mcmve gâteau, atelier paternaliste, fond sonore béat
des yé-yés, couturière à domicile et postière
monde autre, subitement révélé, que le film
débouche, un monde où l’ombre (le mauve)
LE BONHEUR, film français en Eastmancolor exotique, angélique — autant de tableaux vient enfin de trouver sa forme portante
d’AGNES VARDA. Scénario ; Agnès Varda. concis, souplement accordés, innocents pres (l’or d’une végétation mourante). L’homme,
Images : Jean Rabier et Claude Beausoleil. que (ici un gros plan de rictus, là une into proposé dès le début sans coordonnées trop
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précises, mais qu’on pouvait penser devoir homogène, plus cohérent : l’épouse frêle et d’argent, l’enquête policière menée à bien.
se clarifier, s’est fait en réalité de plus en la Nature en fleurs sont « passées ». Mais Ces retours en arrière ne figurent pas les
plus inexplicable, arbitraire. C’est là sa de la si aisée, convaincante et satisfaisante souvenirs de moments regrettés ou de sensa
monstruosité : non pas quelque insensibilité substitution d’une épouse à l’autre dérive la tions heureuses, mais d’épisodes concrets,
foncière (il est réellement accablé par la mort mise au jour de la nature double du héros : objectifs, dépourvus de la couleur propre au
de sa femme, totalement imprévue), ou quel face positive, édificatrice ; face négative passé qui ressurgit (ainsi voit-on les scènes
que inconscience béate (nombre de ses pro soudain démasquée, néantisante. C’est sans d’amour omises et ne subsister que les dis
pos révèlent au contraire une lucidité remar doute ce brusque éclair qui nous le rend cussions sérieuses et échanges de points de
quable, un degré aigu de réflexion), ou bizarrement étranger, tandis qu’il s'éloigne vue qui les suivent — ce qu’on ne peut
quelque absence du sentiment de responsa de dos dans la forêt, tel le héros de Psycho attribuer à une britannique pudeur, inexis
bilité et ce que la mort de Thérèse ait été dépossédé de son moi. Ce rapprochement tante dans Tom Jones), où affleurent des
volontaire ou accidentelle, personne d’ail n’est pas de pur hasard : on pense souvent constantes que pose également le borstal :
leurs, curieusement, ne mettant en doute à Hitchcock dans la dernière partie du la difficulté d’avoir un travail dont on puisse
la réalité de la seconde hypothèse, alors que Bonheur et particulièrement dans ces plans tirer à la fois satisfaction et profit, l’insta
rien ne vient formellement l’avérer (il se « synthétiques » (la tombe, le repas funèbre, bilité des relations humaines fondées sur
sent certainement responsable, mais ne s'ar la photo résumant les vacances d’été, la l’intérêt (la vie en famille, la hiérarchie des
rête pas au remords), mais bien plutôt la première visite, au retour, chez Emilie) où détenus) et l’antagonisme social (l’achat du
confirmation, très fortement amplifiée par les signes, tout en totalisant l’acquis comme billet de train, les fonctions des dirigeants).
les dernières images, de la primauté d’une les « mémoires » des machines, dénoncent Ces flash-backs, vagabondages accordés à
« objectalité » irréfutable, inaltérable. En un autre plan de référence, sur lequel ils Colin Smith aux instants de détente (sous la
ce sens, le film est tout le contraire d’une vont s’établir aussitôt, déroutant la lecture. douche, à l’entraînement), sont des paren
élucidation. Sa fulgurante accélération finale, Ce film mystérieux, inattendu (quoi qu'en thèses qui expliquent son attitude à Ruxton
comparable à certaines strettes des fugues décide Agnès Varda, nous voici bien loin Towers et vont, comme le jour de la course,
classiques, ici justement doublée des accents de Ciéo), ne développe pas une idée du jusqu’à la déterminer, empêchant le specta
mozartiens les plus rigoureux, le fait s'en bonheur, mais assène une remarquable suite teur de tenir le jeune homme pour une tête
gouffrer tout entier dans le mystère. L’appré de variations sur une conviction d’auteur : brûlée ou un anarchiste. Justifiant ainsi l’inso-
hension et l ’angoisse par elle communiquées le bonheur, c’est de s’affirmer à travers tout îence ou la ruse d ’un comportement que le
ont trait à l’engloutissement d’un être et de et d’affirmer — de créer — sans cesse, en présent éclaire d’une lumière souvent fausse,
sa tribu « tout naturellement » sauvegar dépit des revers et des embûches : un jour ce sont des notes en bas de page, dont la
dée (sauvée du naufrage) dans un univers ou l’autre, le monde connu s'incurve et se dernière phrase ou le dernier panoramique
inconnu, « double » de celui où l’on s’ima referme, un autre s'entrebâille. Si l’on était concentre et recueille les éléments en pré
ginait évoluer, mais où certains signes épars tenté, au terme de la première demi-heure, sence pour donner à la phrase suivante du
avaient déjà subrepticement introduit la dif d’affecter d’un point d’interrogation le titre, texte un nouvel essor et une relative vérité.
férence. Ainsi, très vite dans ses ultimes d’exclamation au terme de la seconde, c'est Ni montée dramatique propre à envelopper
démarches, cet être très vivant prend figure des trois signes de suspension quelque peu le spectateur et à l’émouvoir, ni juxtaposi
de survivant, chancelants qu’on a désir de ponctuer les tion de moments insignifiants et neutres,
A partir de la révélation finale, reconstituer images finales. Ne sont-elEes pas par trop susceptibles de l'étonner, mais le rappel d’un
ce qui se tramait depuis le début reviendrait contraires à la sagesse d’où nous étions réseau de forces et de la conclusion qu’on
à parcourir une seconde fois l'itinéraire du partis? Un film d’une telle maîtrise inscrit lui impose, d’une discussion et de la leçon
spectateur, mais dans une autre optique à son propre dépassement en filigrane : qu’on en tire. Ainsi l’autodafé du billet de
présent, celle de la couleur et de ses avatars : forme fuguée d’une suite de films, la strette banque donné par sa mère soudain pourvue,
permutations, substitutions, confusions, con du dernier servant de sujet au prochain. Le aussi loin de l’emphase que de l’absurde,
flits et prédominances. On serait ainsi amené sens du Bonheur ne peut venir que de cette marque-t-il le refus d’une situation ambiguë,
à retracer le trajet suivi d’un bout à l’autre future, périlleuse, élucidation formelle. et les reproches de malhonnêteté que le trop
du film par la couleur mauve, ombre à la Claude OLLIER. récent beau-père adresse à Smith, se voient-ils
recherche de sa forme. Les indices sont mul justement réfutés par un : « vous ne vous
tiples, qui associent la blancheur blafarde
(le visage d’Emilie, les linges, les draps agités
comme des suaires) et cette teinte délicate,
La nouvelle êtes jamais fait prendre » qui arrête là le
dialogue. Colin Smith, une fois conscient des
contradictions où vit son entourage, refuse
reflet d’un deuil ou d’un pressentiment
néfaste ; c’est un gros plan flou de fleurs
Jérusalem simplement d’entrer dans le jeu, n’accepte
aucun travail et vole. Il est logique alors
mauves qui succède à la dernière représen d ’attribuer son arrestation, comme il le fait,
sation vivante du visage de Thérèse ; c ’est THE LONELINESS OF THE LONG DISTANCE non au vol, mais à son incapacité de semer
un ample vêtement mauve qui aimante Fran RUNNER (LA SOLITUDE DU COUREUR DE FOND ), les policiers. Et lorsque, présenté au directeur
çois après la mort de sa femme, l’accueille film anglais de TONY RICHARDSON. Scé du borstal, on le prie d'employer le « sir »,
et l ’absorbe. A l'exact milieu du récit, une nario : Allan Sillitoe, d’après sa nouvelle. c’est à son propre nom qu’il l’accroche, ren
de ces scènes « toutes simples » dont Agnès Images : Walter Lassaly. Musique : John voyant ainsi à son interlocuteur l’image d'une
Varda a le secret, fait se croiser sur la place Addison. Décors : Ted Marshall. Interpré hiérarchie fallacieuse.
municipale, sans se connaître ni se voir, la tation : Tom Courtenay, Michael Redgrave, Toute la ruse de Smith consiste à laisser
jeune épouse rose et rouge et celle, mauve, James Bolam, Topsy Jane, Avis Bunnage, s’embourber le directeur et le psychiatre
qui est déjà sa doublure — et se croiser à James Fox. 'Production : Tony Richardson, dans les explications qu’ils donnent à son
ce moment-là aussi, avec elles deux, le cou WoodfalJ Film, ig62. Distribution : SHTEC. attitude et à miner ainsi leur action. Laissant
ple des jeunes mariés, d’autres personnes croire au directeur que s’il a gagné la pre
encore, déjà identifiés, en un curieux ballet Ceci n ’est pas seulement l'éloge de Richard mière course, c’est qu’il était le plus rapide
unanimiste où l’on peut déceler, liée à l’idée son. Mais d’Allan Sillitoe, scénariste très et que, l’entraînement aidant, il a toutes les
d’équivalence, celle, troublante, d’interchan bien secondé, il faut le reconnaître, par un chances de l’emporter le jour voulu, il laisse
geabilité. cinéaste qui, depuis, a un peu mal tourné, triompher ainsi provisoirement la théorie du
S’il est permis de parler d'aliénation à pro et a eu le mérite d’en convenir. Il faut directeur, selon laquelle le bon ou le mauvais
pos du protagoniste ce n ’est évidemment cependant sauver dans le maladroit Tom usage de l’énergie humaine est la clé de la
pas dans le sens d’un engluement matéria Jones (1963) les scènes où le crasseux des civilisation, et reporte à plus tard une solen
liste : François est un sage qui connaît rues de Londres avait valeur documentaire, nelle défaite. Quant au psychiatre, qui voit
l’exacte valeur des biens : leur utilité car Richardson décrit mieux les milieux partout conflits personnels, son rôle cesse dès
immédiate ; l’accroissement de confort et de ouvriers que les sphères plus élevées — qui que Smith, à qui il a appliqué sa grille sans
propriétés le laisse indifférent. Il serait plus l ’intéressent de loin et l’entraînent dans la succès, lui souhaite, à son tour, de s’habituer
juste de parler d’aliénation par la couleur : caricature et l’outrance. La Solitude d'un au borstal.
intégrations de couleurs complémentaires, et coureur de fond (1962) raconte le séjour de Dans le même temps qu'il montre le progrès
le contraire simultané : l’absorption par Colin Smith en maison de redressement (ou de Smith, le film dénonce le mensonge que
l’ombre. Sans doute François et Emilie sont- « borstal ») et ses souvenirs des événements, représente l'échappée d’un seul. Dans tout
ils les seuls à participer à la fois aux deux très banaux, qui l’ont conduit à Ruxton système clos et structuré, comme celui du
processus ; Thérèse ne relève que du premier. Towers : la mort de son père et le brusque centre de redressement, la valeur personnelle,
En ce sens., la première se révèle infiniment afflux d’argent, l’installation sans délai à qu’on distingue souvent mal du flirt avec
mieux appariée à François que la seconde, la maison de l'amant de sa mère, la concen l ’autorité, permet une rapide ascension. Qu’il
et le jeune homme soudain vieilli se place tration de la famille autour de la télévision, s’agisse de Bogart, dans Knock On A ny Door
enfin dans un environnement exact, plus le vol d’une boulangerie par besoin pressant (1948) de D. Taradash et N. Ray, comme ici
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de Stacey, celui qui s'en sort est une excep concrétise les plus notables défauts (cf.
tion qui n’en confirme que mieux la règle :
on ne peut grimper l’échelle et ensuite jouer
Miracle et Demain). Par bonheur, ii y a
aussi chez lui une veine napolitaine, issue
Chaire
les pères (ici : se faire appeler « daddy »)
sans s'exposer au mépris ou à la défiance
de ceux qu’on laisse en bas. C’est ce que
de L’Or qui la résume, et là, en dehors de
tout esprit de sérieux, livré à une verve
naturelle, facile je veux bien, mais d’une
à canons
ressentent, bien que très confusément, les facilité qui évoque De Filippo et Pagnol, THE THIN RED LINE (L'ATTAQUE DURA SEPT
délinquants, lorsqu’ils chahutent au réfectoire. et non Thomas ou Boisrond, De Sica est JOURS), film américain en cinémascope de
Chahut pour la forme, comme en témoigne inimitable. ANDREW MARTON. Scénario : Bernard
l’inutilité de leur supériorité numérique. Naples, c'est la patrie de Polichinelle, la Gordon d’après le roman de James Jones
Enfin ceci : il faut jouer le jeu de la solida ville-spectacle par excellence, où la théâ « Mourir ou crever ». Images ; Manuel
rité, quitte à éprouver parfois le sentiment tralité quotidienne des décors et des atti' Berenguer. Musique : Malcolm Arnold. Mon
qu’on est seul ; savoir attribuer à l’excitation tudes appelle la surenchère dramatique, dans tage : Derek Parsons. Interprétation : Keir
du moment le dépit que l’on cause en refu le rire comme dans les larmes : c’est au Dullea, Jack Warden, James Philbrook, Ray
sant de gagner, cesser de cultiver le jardin compte de cette surenchère, très exactement Daley, Robert Kanter, Mervyn Yordan, Kieron
pour retourner à une ingrate manutention et, contrôlée, qu’il faut sans doute attribuer Moore, James Gillen, Steve Rowland, Stephen
une fois dans les rangs, donner aux autres la gêne de Bazin devant l’habileté du fameux Levy, Mark Johnson. Production : A.C.E.
peu à peu conscience de la nécessité d’agir sketch de l’enterrement de l’enfant. En fait, Films-Philip Yordan-Sidney Harmon, -1964.
en commun, tourner un cantique employé à ce degré d’efficacité, l’intelligence et la Distribution : Warner Bros. .
pour libérer une énergie surabondante en un sensibilité du résultat banissent tout senti
ment de fraude ou de bassesse, et suffisent La guerre reste la forme suprême de lutte,
chant de combat où les exhortations de Wil forme à laquelle on a recours pour résoudre
liam Blake reprennent leur sens. à convaincre d’un talent, mineur mais peu
commun, essentiellement préoccupé d'expres les contradictions existant entre les classes,
Jean-Claude BIETTE. les nations, les Etats, les blocs politiques, à
sions corporelles et de représentotion scé
nique. A preuve l’attention accordée aux une étape déterminée du développement de
Les recettes démarches des personnages : celle du «. pazza-
riello » Toto dans Le Caïd, sublime raccourci
ces contradictions.
La guerre est faite par l’armée. L’armée est
divisée en trois armes : Air, Mer, Terre. Un
de Filoumé du théâtre, du guignol et de la vie, celle
encore de Sophia Loren dans La Bague...,
superbement reprise dans Hier (où elle
Groupe d’armées se compose d’Armées com
posées, dans l’armée de Terre, de Corps
s’agrémente d’une arrogante grossesse) et, d'armée composés de deux Divisions. Chaque
MATRIMONIO ALL'ITALIANA (MARIAGE A L'ITA plus discrètement, dans Mariage. Ici, l’évi groupe et sous-groupe possède également
LIENNE), film italien en Eastmancolor de dente euphorie qui inspire De Sica impose ses unités de renforcement (artillerie, etc.) et
VITTORIO DE SICA. Scénario : d’après la l’idée de la comédie musicale, bien davantage ses services (transmissions, génie, santé, etc.).
pièce d’Eduardo De Filippo Filumena Mar- que, par exemple, dans la désuète opérette La Division est la plus petite des grandes
turano ». Images : Roberto Gerardi. Décors : filmée de Giannini. Du même coup, une cer unités ; on distingue, toujours pour l’armée
Carlo Egidi. Musique : Armando Trovajoli. taine outrance caricaturale des personnages de Terre, qui seule nous intéresse ici : la
Montage : Adriana Novelli. Interprétation : secondaires, par ailleurs tous remarquables, Division Blindée (D. B.), la Division Aéro
Sophia Loren, Marcello Mastroianni, Aldo Pu- dans Mariage comme dans L’Or, et la com portée (D. A. P.) et la Division d’infanterie
glisi, Tecla Scarano, Marilu Tolo, Gianni Ri- plaisance provocante à pousser les situations (D. L).
dolfi, Vito Maricone. Production ; Concordia les plus anodines jusqu’à la farce ou au L’Infanterie comprend des unités de types
(Paris) - C.C. Champion S.P.A. (Rome), 1964. mélo, quitte à en inverser plusieurs fois divers et est destinée à mener à pied le
Distribution : Imperia. d’affilée les composantes pour mieux faire combat rapproché. Elle combat en combi
durer le plaisir, tout cela n’indispose le spec nant feux et mouvements, pour aboutir au
Vittorio De Sica n a pas de chance avec la tateur que dans la mesure où il se raccroche choc, c’est-à-dire au corps à corps (assaut,
critique : naguère exagérément loué pour des contre-attaque). Elle est caractérisée par ses
instinctivement aux notions habituelles de
œuviettes sans grande prétention, assez réus
mesure et de bon goût que le film, avec une qualités de souplesse, de plasticité (adapta
sies (Voleur de bicyclette, Umberto D), ou
tranquille assurance, dynamite innocemment. tion au terrain) et de fluidité, ce qui lui
franchement ratées (Miracle à Milan), boudé
Ainsi du moutard sur le pot. Et alors? C’est permet au maximum de manœuvrer et de
ensuite pour son chef-d’œuvre incontestable
un gosse sur un pot, et ie ne vois rien là de s'infiltrer. Elle est par contre d’une certaine
(L’Or de Naples), il est aujourd’hui presque
si troublant ni de si odieux, d'autant moins fragilité et d’une certaine lenteur ce qui
unanimement méprisé pour ses films les plus
que De Sica ignore les précautions hypo nécessite à son profit différents appuis : artil
populaires et, probablement, parmi les plus
crites qui, dans un Tom Jones, s'efforcent de lerie, aviation, etc.
sincères (Hier, aujourd’hui, demain ; Mariage
faire passer les plus insanes gaudrioles pour Une Division d’infanterie se compose de
à l'italienne). Ses anciens admirateurs, déçus
le comble de la finesse et de l'humour. Il y a plusieurs régiments. Chaque régiment possède
de ne pas retrouver dans ces dernières œuvres
de l'inconséquence et de i'injustice à tenir son état major, un bataillon de commande
la métaphysique de la charité et autres éthi
pour conventionnelle et grossière une forme ment et trois bataillons de combat. Le batail
ques de la vulnérabilité, déplorent son aban
de « santé « somme toute point si répandue, lon de combat, unité tactique de base, se
don progressif et, semble-t-il, irrémédiable, au
commerce le plus facile, aux exigences du et parfois proche, génie en moins, de celle compose d’une compagnie de commande
Star System, au pittoresque le plus raccro- de Renoir. ment, d'une compagnie d’appui et de trois
cheur. Pour les détracteurs, il ne s’agit pas Et, de Mariage, on n’a relevé que les erreurs. compagnies de combat. La compagnie de
de démissions ou de déclin, mais de courbe Il me plaît davantage de signaler al fréquente combat se compose d'un commandant de
logique, et la pente leur semble naturelle qui, beauté des couleurs et des décors, la convic compagnie, d’une section de commandement,
de la démagogie sentimentalo-« poétique » de tion et l’assurance de Loren (mais oui), l’ex d’une section d’appui et de trois ou quatre
Miracle, conduit à la « vulgarité v désormais cellente ouverture du lilm, plus quelques sections de combat soit quatre officiers, une
débarrassée d’alibis humanistes ou néo-réa scènes particulièrement drôles ou émouvantes: vingtaine de sous-officiers et environ cent
listes, de Mariage à l'italienne. De Sica, affir la déclaration du chauffeur, ou la scène cinquante hommes. La section de combat est
ment simplement ces derniers, joue mainte d’amour dans la maison délabrée. Sans parler la plus petite unité d’infanterie capable de
nant cartes sur table, et ne prend plus la de la cruauté qui tempère quelque peu le manœuvrer.
peine de dissimuler le caractère profondé cœur unanime de notre auteur et qui com Le film de guerre montre les hommes en
ment putain et boulevardier qui fut toujours mande une ou deux ruptures de ton éton guerre accomplissant des faits de guerre. Il
le sien. nantes. importe, dans ce genre cinématographique,
II faut relire l’admirable article consacré Voilà beaucoup, dira-t-on : bien sûr, De Sica de respecter les données militaires sur l’ar
par Bazin à L’Or de Naples, qui expliquait Il me plaît davantage de signaler la fréquente mée, sa composition, son armement, ses
assez en quoi De Sica était un auteur maudit, un chef-d'œuvre, mais la critique a été fort méthodes de combat. Il importe de pouvoir
L’épithète peut prêter à rire (même si nul mesquine en face d’un tel film qui, après déterminer les causes d’un échec, de con
ne s’offusque de la voir appliquée à Ulmer Hier, aujourd’hui, indique ce que pourrait naître celles d'une victoire.
ou à Corman, voire à Benazéraf), mais les être un cinéma commercial honorable et II n ’est pas arbitraire d’avoir appelé ici en
voies de la malédiction sont multiples et « inspiré », cinéma courant, il est vrai, en renfort Mao Tse-toung (« La guerre révolu
impénétrables. Aussi bien l’œuvre de De Italie (Germi, Monicelü, Salce), d’où le dédain, tionnaire ») et le Manuel militaire. Nous
Sica, malgré notre éclectisme débordant, à son encontre, de nos confrères transalpins. savons en effet que Marton est,- avec son
est-elle difficilement défendable dans son Mais, condamnés à Girault, Boisrond et Hune- ami Yakima Kanutt, un .des grands stratèges
ensemble (car tout de même. Les Séquestrés belle, il me semble difficile, et peu souhai de l’écran. Il l’a prouvé en sauvant de la
d'Ahona et quelques autres...), et l'on peut table, de partager semblable irréductibilité. défaite plus d’une grande entreprise : Ben
noter que la veine milanaise de l’auteur en Jean-André FIESCHl. Hur, Les Cinquante-cinq jours de Pékin, Cléo-
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pâtre, Le Jour le plus long, etc. Marton est Mais au contraire du soldat Hamp de King découvrir, par une banale expédition « con
bien un cinéaste, et nous parlons de cinéma and Country, qui part hébété à la recherche temporaine « sur la Lune, le drapeau bri
avec son film The Red Thin Line. de fa tranquillité, Doll se rue au combat, tannique et une prise de possession, datée
Donc, le colonel Tall reçoit l’ordre de débar cherche à détruire ce qui peut l’atteindre ; de 1899, au nom de la reine Victoria. Sur
quer avec son bataillon à Guadalcanal pour au lieu de devenir traître, il devient héros. Terre, on déniche dans un asile un sur
s ’emparer du point dit « L’Eléphant », falaise Et ce film est beau parce qu’il montre avec vivant quelque peu ramolli de l’expédition
de troglodytes d’où les Japonais contrôlent une violence physique (les blessés qui hur inconnue. Il commence à raconter son his
un passage important. lent, les morts que l’on défigure encore pour toire et, dès lors, notre tapage spatial est
La compagnie C du capitaine Stone entre en coincer la plaque matricule entre leurs dents) oblitéré par le conte merveilleux de grand-
action lorsque les deux autres compagnies et morale (la folie de tuer) digne de Fuller, papa, comme déjà dans La Machine à
du bataillon sont repoussées dans les étangs. avec une précision militaire digne de Walsh explorer le temps, de George Pal. Trois
Elle doit achever la mission. Et cette mission (et le même respect des détonations de quarts d’heure sont consacrés aux prépara
est une démonstration des possibilités de chaque arme que dans Objective Burma) ce tifs. Le jeune homme sportif et pragmatique
combat d’une compagnie d’infanterie : pas que sont les héros mythologiques. Le soldat rencontre un savant farfelu, lequel vient
sage d’un marécage avec appui de l’artillerie Doll, nouveau York (la démence remplace d’inventer une substance, baptisée ”cavo-
lourde, franchissement d’une gorge piégée,- la « sagesse », mais c’est la même volonté de rite”, qui libère de l’attraction terrestre. Il
prise d’un village, nettoyage de grottes. Et réussir) devient fou hystérique ; if ne sait faut se convaincre mutuellement d’aller sur
le film est une explication des actes élémen même plus sur qui il tire, ne connaît plus la Lune, puis construire, expérimenter, etc.,
taires d’un soldat au combat : le choix du le danger, possède l’invulnérabilité, comme avec dans les pattes une emmerdeuse fiancée.
poste d'observation et l’observation, le dépla les dieux et héros antiques. A cet égard, l’adaptation de Wells ressem
cement en différents terrains (itinéraires, Ce ne sont pas les lois militaires qui con ble plutôt à du Jules Verne. Enfin c’est le
bonds ou reptation, etc.), les missions indivi duisent la compagnie C à la victoire, nnis départ, et commencent trois quarts d’heure
duelles (de guet, de reconnaissance, de trans la folie d'un de ses hommes. Et ce film délectables. Les Sélénites, qui ont l'aspect
mission), l’utilisation des différentes armes : déjà effrayant par les horreurs qu’il nous d’insectes géants, vivent à l'intérieur de la
individuelles ou collectives (mitrailleuses), de montre fait alors peur ; ce n’est plus seule planète. Ils veulent mettre en conserve leurs
tir tendu ou courbe (mortier), etc. ment une affaire de tripes, mais aussi une visiteurs, après avoir extorqué de ceux-ci
angoisse de la raison. Car nous savons qu’il le maximum de renseignements. L’échappée
Cependant, seuls quelques survivants accom salvatrice réussit quand même, et les impi
plissent la mission. La compagnie s’est fait existe une certaine distance entre le « simple
toyables Lunaires mourront de la grippe,
massacrer une nuit où elle fêtait la prise du citoyen » et le militaire et que cette dis
tance peut être rapidement franchie. Mais comme tout le monde. Ainsi périssent les
village. Et l ’interrogation sur les possibilités, civilisations.
les responsabilités de ce massacre nous con nous comprenons m il comment cette dis
Le style et l’esthétique des bandes dessinées
duit à revoir l’activité du capitaine Stone... tance peut être tant et si facilement dépassée.
font merveille dans un tel cas, et je plains
Pour n’avoir pas connu les lois particulières Et c’est pour avoir montré, au-dessus du le cuistre qui protesterait contre le ton
de la guerre à Guadalcanal contre les Japo cours militaire de guerre, un Ulysse moderne ”puérir de )a narration. 11 s'agit évidemment
nais, le capitaine Stone est responsable du dans sa terreur, eue The Thin Red Line d’un film très intellectuel, oà l’ostentation
massacre. Le colonel Tall voit clair qui, avant d’Andrew Marton est un film intéressant. de la naïveté témoigne du goût des sociétés
même la nuit tragique, le relève de ses fonc Jean-Pierre BIESSE. décadentes pour les formes culturelles qu’on
tions et le renvoie à Washington. Là-bas, il imagine les plus "primitives". La plupart
aura l’esprit plus libre pour se consacrer à
la stratégie, à l’étude des lois de la guerre La seconde des décors sont beaux, mais avec assez de
négligé pour que le spectateur apprécie le
prise dans son ensemble, loin des actions
militaires provisoires ou tactiques pour les
quelles il n’est pas fait.
expédition coup de pinceau du maquettiste, le doigte
du staffeur. Les divers truquages s’avouent
comme tels, avec une ''maladresse” feinte,
Le capitaine, désobéissant, avait tort de vou qui ne nous laisse rien ignorer des contours
loir cesser la progression dans les marécages FIRST MEN IN THE MOON ( LES PREMIERS dans le jeu de patience. Certaines images
au lieu de prendre l'initiative de faire net HOMMES DANS LA LUNE}, film américain en insolites évoquent les meilleurs collages sur
toyer les mitrailleuses ennemies, il avait tort Panavision, Technicolor et Dynamation de réalistes. La conception plastique du film,
de refuser de franchir la gorge, de dire qu'on NATHAN JURAN. Scénario : Nigel Kneale et Ja candeur délibérée du récit, portent réfé
ne pouvait pas, et la manière dont elle est fan Read, d’après le roman de H.G. Wells. rence à l'œuvre de Méliès. Nathan Juran a
franchie le prouve. Mais plus. Pensant à « ne Images : Wilkie Cooper. Décors : John Ble- serré de près le charme et la poésie du
pas avoir de pertes » au heu de s ’étonner du zard. Effets spéciaux : Ray Harrybausen. Mon dix-neuvième siècle, tels qu’en rêvent les
rapide décrochage des ennemis devant la t r e Maurice Rootes. Musique : Laurie John collectionneurs et les artistes de notre temps.
gorge, de la prise facile du village ; au lieu son. Interprètes : Edward Judd, Lionel Teffries, L’attrait de ces vieilles choses est indubi
de chercher des raisons à son étonnement Martha Hyer, Erik Chitty, Betty McDowall, table. Cela recoupe les tendances les plus
du petit nombre d’ennemis retrouvés dans ce Marne Maitland, Gladys Henson, Miles Malle- caractéristiques de notre sensibilité. Chant
village ; au lieu de penser aux particularités don, Hugh McDermott, Gordon Robinson de sirène, séduction perfid-s : il faudrait tout
du soldat nippon : la ruse (attaque par sur Scan Kelly, John Murray Scott. Production : de même prendre garde, et ouvrir l’œil. Le
prise), la science du camouflage et le sacri Charles H. Schneer, 1964. Distribution : Co prologue des Premiers Hommes dans la
fice jusqu’à la mort, le capitaine Stone a pré lumbia. Lune représente plus qu’un truc de scéna
cipité sa compagnie dans le piège ennemi. riste. Il marque le refus du monde réel, de
En fait, la compignie C accomplit, quand Au risque de chagriner les dévots du genre, l'avenir, et surtout des possibles. Ce mal
même, sa mission. Cela, grâce à deux élé il faut bien reconnaître que la Science- est plus répandu qu’on ne le suppose. Une
ments différents mais non moins actifs : le Fiction n'a jamais volé très haut sur les éthique d’amoureux du Marché aux Puces
sergent Welsh et le soldat Doll. écrans. Ce n’est pas tellement affaire de nous guide tous plus ou moins. Pourquoi
Combattre, c ’est apprendre. Le sergent Welsh technique. Dans la S.F. littéraire, qui ne se met-on à collectionner, depuis deux ou
a appris le combat dans le cours même de coûte à ses auteurs qu’un peu d’encre et trois ans, k s anciennes bandes dessinées ?
la guerre. Il ignore la stratégie des états-major de papier, la plus grande partie de la pro Pourquoi un homme intelligent, et je pense
duction est asphyxiée par les tabous moraux précisément à Alain Resnais, s'acharne-t-il
mais connaît !a tactique. C'est un baroudeur
que l’espèce humaine croît éternels et à une œuvre d’antiquaire, de rat de biblio
qui possède son métier, en sait l'absurdité
absolus. Parmi des mondes fantastiques, la thèque, afin de constituer les archives d'une
et la discipline. Et quand on lui donne de
permanence de nos préjuges suscite un cli préhistoire contestable, quand tout reste à
jeunes conscrits à mener au feu, il les bous mat de bouffonnerie dont nous ne nous faire pour tirer parti des richesses virtuelles
cule, les durcit, fait tomber leurs illusions. 11 plaindrions pas s'il ne détruisait les vertus dont regorgeraient les bandes dessinées
les amène à le craindre et à craindre la de l’imaginative. Dans l'état actuel des idées futures ? On pourrait citer maintes preuves
guerre exactement comme en religion ou reçues, que la Science-Fiction péréclite au d’une telle tournure d’esprit. L’inexploré
craint la colère de Dieu. Au combat, ce sera cinéma ne nous empêche pas de dormir. inquiète, la métamorphose effraie. Sentiment
l’obéissance aveugle (la foi du charbonnier) ; Néanmoins, le film de Nathan Juran, surgi légitime, car les délices du flash-back, aidés
ce sera l'efficacité, malgré la peur, et les au milieu de ces terres de désolation, prend par la nostalgie de l’enfance, nous procu
pertes minimum. l’allure d’un manifeste provocant. Signe du rent trop de joies pour être négligés. Sim
Welsh traumatise ses hommes, il les vaccine parti pris. Les Premiers Hommes dans la plement il ne faut pas oublier que l’amour
contre la guerre. Parmi ceux-ci, le soldat Doll Lune rejette avec dédain les aléas du futu du rétrospectif, au cinéma comme ailleurs,
pense que pour survivre il doit n'en faire risme, et se tourne résolument vers le passé. est une solution de fuite. Bref, même en
qu’à sa tête, il se heurte au sergent. Et son Au moins, on ne triche pas, et les clichés présence d’une adaptation de Wells, gardons
ardeur à se protéger, à fuir, donc, son supé habituels possèdent cette fois un alibi solide. à notre plaisir une pointe critique.
rieur autoritaire, le conduit à perdre la raison. Pour cela, il a suffi aux scénaristes de faire Michel MARDORE.
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le
cahier des
autres
O n sait que Ja Chine bouge ■ en atten Rome ville ouverte et le metteur en scène daires. Ce dont nous nous souvenons d’un
dant la naissance et la maturité d’un cinéma du film de Sartre Les Jeux sont faits... » film est ce que nous y avons vu. Les images.
chinois toujours problématique, les « ciné- Pauvre Dehnnoy ! Jusqu’à présent, on n’ai Un film, c’est d'abord des images. La réac
phiJes », en Chine, ont un rôJe moins mait pas ses enfants ; maintenant, on lui en tion à un film, comme à la musique, est
stérile qu’en France, et les « distribu dénie même la paternité... d’abord d’ordre émotionnel. Si toutes les
teurs », loin d’attendre que le vent tourne images sont assemblées artistiquement, la
dans leurs bureaux des Champs-Elysées
de Pékin, ne craignent pas l’aventure,
L a revue britannique Mo vie, après dix-
huit mois de sommeil vient de renaître,
seconde réaction peut être intellectuelle. (...)
Parmi les nombreux thèmes qui courent tout
comme en témoigne Pékin Informations ; trimestrielle et passionnante de bout en bout. au long de « Lord Jim », i/ en est un qui
« A vont la Libération, il y a quinze ans à La livraison du printemps 65 s’ouvre par un m ’a particulièrement frappé : celui de
peine, l'écrasante majorité des paysans chi long entretien avec Richard Brooks suivi l’homme qui cherche et trouve une seconde
nois pouvaient passer leur vie entière sans d’une étude sur l’auteur de Blackboard Jungle chance. C’est là un thème commun à la
avoir vu un seul film. Actuellement, les pay et d’une introduction à son dernier film, plupart des hommes. Qui parmi nous, hom
sans chinois sont en train de devenir en Lord Jim, écrite spécialement par le metteur mes, femmes, enfants, le faible ou le fort,
masse des fanatiques du cinéma. En 1964, en scène : « Pourquoi prendre un roman le riche ou le pauvre, le puissant ou le
le public paysan a totalisé deux milliards ayant comme héros des gens du début de lâche, quelle que soit notre race, notre natio
d'entrées. Cela signifie que, chaque jour de siècle et en faire un film soixante-quatre ans nalité, notre culture, notre religion, civilisé
l'année, -près de six millions de paysans ont plus tard ? Pourquoi Lord Jim ? Pourquoi avoir ou sauvage, éduqué ou non — qui parmi
vu un film. Qui plus est, ils l’ont vu dans passé trois ans et quatre mois à l'écrire, le nous n’a pas souhaité une seconde chance?
leur village même, ou à proximité. Cette préparer et le filmer? Pourquoi rassembler Qui parmi nous tn'a pas fait quelque chose
augmentation phénoménale de la fréquenta une distribution exceptionnelle, une équipe dont il est honteux.7 Qui n ’a pas rompu un
tion du cinéma par les paysans a été rendue technique britannique de grande classe, plus code de morale? N’avons-nous pas tous
possible en particulier par la multiplication de quatre tonnes de matériel et d’équipement cherché, à un moment ou à un autre, à
des équipes itinérantes de cinéma, qui des et pourquoi avoir emmené tout ça à 15.000 « mettre toutes les choses en ordre » — pour
servent les communautés rurales. Des milliers kilomètres, dans les ports et les jungles du nous-mêmes. C’est ce que fait Lord Jim. (...)
de ces équipes amènent les spectacles « à la sud Asiatique, un pays dévasté par la guerre Le style de ce film, c'est moi, maintenant,
porte » des villageois. Si /'on prend pour et /es dangers, où la chaleur est insuppor à cet instant de ma vie, tout ce que j’ai
exemple la province du Chantong, elle dis tante? Peut-être parce que nous sentions tous appris ou pensé ou senti ou désiré ou craint,
pose maintenant de 467 équipes itinérantes que Lord Jim pouvait être autre chose qu'un les petites victoires que j ’ai remportées,
de cinéma, qui parcourent ses campagnes. film ordinaire. Peut-être parce que nous dési les nombreuses défaites que j ’ai subies. Le
Chacune de ces équipes a un circuit fixe rions illustrer une expérience humaine ins style est l’ensemble de tous mes espoirs
desservant un certain nombre de villages pirée par l’histoire de Joseph Conrad. Que J/e — oui, c’est le mot — espoirs. (...)
choisis comme centres réguliers de protection histoire? Une légende d'aventure et d'amour ? A vec /’espoir, on peut chercher la vérité sur
de films, U existe dans cette province 34.000 Oui, mais avec quelque chose en plus. Je soi, la trouver, la connaître, l ’accommoder, la
de ces centres, soit une moyenne de un pour crois que connaître les écrits de Conrad regarder en face et faire quelque chose, avec
tro/s villages. Tout autour des îles Tcheoit- c ’est toucher du doigt la vie (...) espoir, devenir un homme meilleur. C’est là
chan, au large de la province du Tchékiang, C’est mon p/us fervent espoir que ce fi/m l’histoire de Lord Jim. Ce doit être l ’histoire
des « soirées cinématographiques » sont orga que nous avons embarqué aussi loin et que de Tout le monde. »(Cette dernière phrase
nisées sur l’eau, par les nuits calmes et étoi nous avons mis aussi longtemps à faire soit est fondée sur un jeu de mot : Lord Jim
lées. L’écran est hissé à un mât du « navire- fidèle au « Lord Jim » de Conrad. Etre fidèle s’appelle « Everyman » : « Tout le monde ».
amiral » de la flotte, les plus petits bateaux ne signifie pas toujours « être un fac-similé ».
se disposent en demi cercle autour, et le Il est possiWe de traduire précisément ce que D a n s Iskausstvo Kino, Inna Solovieva
spectable commence. Les pêcheurs apprécient Conrad écrivit. Mois cela ne signifie pas consacre une étude aux courts métrages
vivement ce service. L’année dernière, trois nécessairement que le film aura la transpa d’Alain Resnais, étude qu’elle intitule : « La
mille nouveaux centres de cinéma se sont rence, l’illumination ou même les intentions mesure des choses » : « Avant Nuit et
ouverts dans les régions montagneuses du profondes du roman, de l’œuvre écrite. Et brouillard, Resnais avait fait Guernica, fi/m
Kouantong. Un de ces nouveaux centres se c'était, et c'est notre but avoué : créer sur d’après le tableau de Picasso. On lui demanda :
trouve sur les pentes du pic Omeitchang, le /'écran les intentions profondes du « Lord « Pourquoi avez-vous fait ce film ? » Le
plus haut sommet du district, montagneux Jim » de Conrad. Conrad écrivait dans un metteur en scène aurait pu répondre que
de Nanyang. Il faut aux trois membres de style particulièrement adapté à la forme du c’était une commande ; il aurait pu répon
l’équipe locale neuf heures de difficile esca roman. Nous, cependant, devons employer dre que ce tableau avait besoin d'un com
lade pour y arriver. Sur le haut plateau du un style filmique qui soit adapté à des mentaire pour être compris par le public.
Pamir, une caravane de chameaux et de yaks publics de cultures différentes, de langues Mais Alain Resnais a répondu : « Ce film
conduite par de jeunes Tadjiks va montrer différentes (peut-être trois cent langues dif aurait dû être fait non dix ans après la des
des films dans le district autonome tadjik férentes), des publics dont les niveaux de truction de la ville mais dix ans avant. Par
de Tachkurgan. Tour ces enthousiastes, les compréhension sont différents, des pub/ics ma/heur, les films sont toujours faits après... 11
brusques variations atmosphériques de la dont beaucoup n'ont jamais appris à lire, (...) Devant le film d'Alain Resnais, on peut
montagne ou l’escalade de parois de glace ni jamais appris le processus de pensée qui avoir deux réactions : « cela ne doit pas
à quatre mille mètres d'altitude s o n t d e s peut découler de la lecture. Et pourtant c’est recommencer » ou « cela peut recommencer ».
tâches de routine. Trois ou quatre personnes mon rêve que tous les peuples, toutes les On peut se rassurer ainsi : cela a eu lieu
forment une équipe, dotée d’un petit géné nations quelles que soient leurs races, leurs une fois et quelque part, très loin. Mais
rateur, d’un projecteur et d'un écran por nationalités, leurs bases économiques, leurs aussi, cela n’a pas eu lieu qu’une fois. Et ce
tatif. Us voyagent en camion, en charrette religions — que pour tous ces peuples, le n’était pas loin. Et cela peut se reproduire...
ou même à pied, partout où les véhicules film raconte /'histoire du « Lord Jim » de Le film fait appel à la mémoire et ne croit
ne peuvent passer. » Conrad. (...) pas à ses effets : L’événement est passé :
La première réaction à la lecture d’un livre il reste la mémoire qui est si incertaine.
L u dans Le nouvel Observateur (qui, par est d’abord intellectuelle. Si les mots et les (...) Mais Alain Resnais ne veut pas d'un
parenthèses, sur le plan qui nous occupe, est idées sont artistiquement assemblés, la « cinéma posthume ». Il faut, dit-il, s'efforcer
loin d’avoir suivi le beau programme qu’il seconde réaction peut être émotionnelle. Au de faire les films non après la catastrophe,
s'était tracé lors de son premier numéro) : cinéma, c’est le contraire. Les mots, les dia mais avant elle, pour la prévenir... »
« Marcel Pagliero, qui fut le protagoniste de logues et les expressions verbales sont secon Jean WAGNER.
78
liste des
films sortis en exclusivité
à Paris
du io février au 23 mars 1965
9 film s Le Bonheur. — Voir critique dans ce numéro, portes entrebâillées, Pinoteau propose un accomplis
page 75- _____________ __________________ sement qui tient le milieu entre l’art du maque
français rellage et celui de la conciergerie. — J.-L. C.
La Bonne Occase, film en Scope de Michel Drach,
avec Francis Blanche, Jacques Charrier, Darry Cowl, Par un beau matin d’été, film en Scope de Jacques
Edwige Feuillère, Jean Poiret, Michel Serrault, Jac Deray, avec Jean-Paul Belmondo, Sophie Daumier,
queline Maillan, Jean-Pierre Marielle, Marie-José Géraldine Chaplin, Georges Géret, Gabrièle Ferzetti,
Nat, Jean Richard, Jean-Louis Trintignant, Claude Akim Tamirofï. — Tout au plus le crépuscule de
Brasseur. — Suite de sketches, comme toujours Deray, petit début de mythe qui fait long feu. Outre
d’inégal bonheur et de (très) inégale drôlerie, dont que le scénario manque, que Bébel cause comme
le principe est calqué à peu près sur celui, désor au temps de Pépé le Moko, que la petite Chaplin
mais immuable, de La Ronde (Blanche remplace n’est pas encore photogénique, que le metteur en
Walbrook). C’est assez dire que les acteurs, bride scène placarde une prétention que sa mise en scène
sur le cou, valent ce qu'ils valent. Marielle en fait remise, la seule justification de cette prétendue
beaucoup, mais plutôt mieux que les autres. Bref, action, de ce prétendu suspense, de ce prétendu
du cinéma d’occasion (pour Drach aussi, espérons- drame enfin, est que le film est coproduit en
le). — J.-A. F. Espagne. Le ridicule se trouve assez d'assurance pour
viser au tragique (réhabilitation du salaud, sacrifice
Déclic et des claques, film de Philippe Clair, avec de la sœur, hécatombe en situation et propos cor
Annie Girardot, Mike Marshall, Philippe Clair, Renée néliens...) : le Petit-Guignol se prend pour grand. —
Saint-Cyr. — Rapatrié, le cinéma pied-noir s'em J.-L. C.
presse au décalque des tics et défauts de ses hôtes.
L’originalité, la conquête, ne consistent pas en Les Pieds dans le plâtre, film de Jacques Fabbri et
l’adaptation de l’esprit pied-noir à la mentalité Pierre Lary, avec Colette Renard, Jacques Fabbri
pathos, de la rue Michelet aux grands boulevards. et sa compagnie. — Principe à l’italienne : les futurs
Les faux mousquetaires finissent à la bourgeoise ; colocataires d’un immeuble en construction se met
pour ce cinéma prisonnier de sa convention, nulle tent en coopérative pour terminer celui-ci par leurs
amnistie. — J.-L. C. propres moyens. Fabrication à la française, mais
beaucoup plus précise et moins démagogique que
De l'amour. — Voir critique dans notre précédent ce que l’on pourrait croire : l’homogénéité de la
numéro. troupe de Fabbri compense l’inégalité de ses élé
ments, et justifie pleinement le parti pris même du
Moi et les hommes de quarante ans, film de jack film. — J. R. _____________ __ ___________
Pinoteau, avec Dany Saval, Paul Meurisse, Paul Le Voleur du Tibidabo, film de Maurice Ronet,
Hubschmidt, Michel Serrault, Michel Galabru. — avec Maurice Ronet, Anna Karina, Pepe Nieto,
Une pipistrelle, manucure mais à gifler, fait la
Enrique Herreros. — Film d’adolescent (attardé)
chasse aux « sultans » en terrain plat, peu glissant qui prend pour du talent ses velléités créatrices, et
mats fort boueux. : ce n’est pas du grand sport.
qui fait dans la désinvolture comme d’autres dans
L'essouflement et l'allongement, les deux thèmes du le philosophique. Le résultat est tout aussi pesant,
film et la double recette de l’entreprise, sont obte le côté pitoyable de l’affaire, encore plus évident.
nus au prix d’efforts bien trop convaincants. Au
La grâce d’Anna Karina, pourtant, parfois parvient
passage, le film récolte, de Meurisse à Hubschmidt, à surnager : pure inconscience. — M. D.
toutes les bonnes poires du nouveau cinéma fran
çais de qualité. De ce cinéma de demi-vierges et de Yoyo. — Voir critique dans ce numéro, page 72.
1 2 //7ms Bullet For a Badman (La Patrouille de la violence), était la version sérieuse de Dr. Strangelove. Natu
film en couleurs de R,-G. Springsteen, avec Audie rellement, c’est l’inverse, car sans la dimension de
am éricains Murphy, Darien McGavin, Ruta Lee, Beverley la fable, qui préservait le film de Kubrick des
Owen. — Ce n ’est ni le premier, ni le dernier, interprétations trop littérales, ne demeure ici que
hélas, de la série Murphy-Springsteen, mais en tout jeu de société sans conséquences, bien davantage
cas l’un des plus immoraux. Histoire de deux amis : terrifiant à cause de la mentalité (quotidienne) amé
l’un, marié, un enfant, tourne mal et est arrêté ; ricaine qu’il révèle que des périls cosmiques qu’il
l’autre, honnête, en profite pour récupérer la femme prétend dévoiler. — J.-A. F.
et l’enfant. Le vilain s'échappe de prison et veut
reprendre sa famille. On l’en empêche. Bêtifiant Father Goose (Grand Méchant Loup appelle), film
au possible. — J.-P. B. en couleurs de Ralph Nelson, avec Cary Grant,
Leslie Caron, Trevor Howard. — Comment un vieux
The Disorderly Orderly (/erry chez les cinoques). barbu misanthrope se retrouvera bonne d’enfants,
— Voir critique dans ce numéro, page 71. au centre de la guerre du Pacifique. Le principe
est connu, ce qui n’empêche pas le scénariste de
Fail Safe (Point limite), film de Sidney Lumet, avec l’exposer laborieusement dans ses moindres détails,
Henry Fonda, Dan O’Herlihy, Walter Matthau, et Nelson de le filmer aussi pesamment sans omettre
Frank Overton, Edward Binns. — Voici que pour la moindre péripétie. Strictement réservé aux amou
Hollywood la séduction des téléphones rouges rem reux fervents de Leslie Caron. — J. R.
place celle des téléphones blancs : contrairement
à ce qu’on pourrait penser, c’est la futilité qui y Good Bye Charîie (Au revoir Char lie), film en Scope
gagne, car rien de moins palpitant, rien de plus et en couleurs de Vincente Minnelli, avec Tony
théâtralement « téléphoné » que ces suspenses à Curtis, Debbie Reynolds, Pat Boone, Joanna Barnes.
l’échelle planétaire, qui renvoient une fois de plus — Fort mal interprétée, la pièce d’Axelrod est très
à l’article que vous savez, définitif sur la question : médiocrement filmée en couleurs et décors de mau
c; ô crétin, voici les pièges où tu tombes, voici les vais atoi. La cause n ’était pourtant pas perdue
grands sujets... » O11 a dit que le film de Lumet d’avance qu’un Wilder eût fait triompher. Dépaysé,
79
Minnelli remballe sa confiserie — qui en tant que vagante à mettre en scène : rarement vit-on sur
telle n’est pas dénuée de saveur —■ sitôt bouclce la un écran matière aussi brouillonne, aussi peu
séquence pré-générique. Il est pourtant doté chez contrôlée. Les rares belles idées restent de belles
M. G. M. d’une persévérance très considérable, ce idées, mais ne deviennent jamais de beaux plans,
fascinant ressasseur qui bien des fois nous a émus comme en témoigne la mort de Granger, ou celle
et réjouis. Mais sa comédie anodine ne déride ou du faux général italien. Corman, ou la fumisterie
n'attriste que dans la mesure où un « culte para sacrée inspiration. — J.-A. F.
noïaque de personnalités plus ou moins fantômes »
The yth Dawn (La Septième Aube), film en couleurs
auquel les Cahiers n o n t pas été étrangers, veut
de Lewis Gilbert, avec William Holden, Susannah
qu’il soit de bon ton d’être terrifié par ce film,
York, Capucine. — Encore un sujet politique, un
dans quelques cercles où il passe pour l'un des plus
peu sur le thème de The Ugiy American. Donc
beaux sur la Mort. La suite, donc, au Cahier des
intéressant, bien que maladroit (surtout au début)
lecteurs. — J. B.
et naïf autant qu’ambitieux. C’est l ’histoire d’un
The Night Walker (Celui qui n’existait pas), film Américain libéral et décontracté, coincé (en Malai
de William Castle, avec Barbara Stanwyck, Robert sie) entre les Anglais, butés et bornés, et les com
Taylor, Hayden Rorke, Judith Meredith. — Castle, munistes, butés et machiavéliques. Ce sont évidem
nous apprend le numéro de « Midi-Minuit Fantas ment les Malais qui trinquent. L’Américain s’en
tique » qui lui est en partie consacré, est ravi qu’on sort, mais perd successivement les deux femmes
l’appelle Hitchcock Junior. Voilà qui est fort sym qu’il a rencontrées. L’aventure de la seconde (Capu
pathique, et témoigne d’une louable modestie : cine au long cou) termine Je film. Comme elle est
malheureusement, l’âge de raison n’est pas pour assez jolie, elle laisse sur une bonne impression.
demain. Le principe du film est pourtant amusant, ____________________________________________ M. D-
et la décontraction de Castle plus supportable que la The Troublemaker (Le Trouble fëte), film de Théo
prétention naïve de Corman ou Fisher. Hélas, dore J. Flicker, avec Tom Aldredge, Joan Darling,
l'explication finale et rituelle achève de ruiner les Theodore J. Flicker. — Découverte, par un paysan
rares velléités de pîésie ou de fantastique, en rédui naïf mais fortuné venu s’installer à New York,
sant une fois de plus le rêve aux dimensions d’une du système de corruption généralisée qui régit la
machination de carabin désoeuvré (ou de notaire plus minime entreprise commerciale : ici, l’ouver
véreux, c’est la même chose). Ce pourquoi, en ture d’un bistrot dans Greenwich Village. Le ton
dehors de The Birds, L’Ange exterminateur ou du film hésite tout du long entre Je burlesque non-
Manenbaà, il n’est pas de fantastique possible : sensique et le Brecht de quat'sous, mais les auteurs
plus que tout autre, le genre réclame une approche ont du moins réussi à échapper à l’emprise de Mr.
très adulte ou très innocente, sinon,.. Faites de Big : c’est de toute évidence une des productions
beaux rêves, conclut Castle lui-même, roitelet du les plus fauchées de toute l'histoire du cinéma.
gimmick, une fois bouclée son imbouclable histoire. ,__________________________________J- R-
___________________________________________ J.-A- F.
The Unsinkable Molly Brown (La Reine du_ Colo
Open the Door and See AU the Veople {Ouvrez la rado), film en Scope et en couleurs de Charles
porte et regardez les gens), film de Jerome Hill, Walters, avec Debbie Reynolds, Harve Presnell, Ed
avec Maybelle Nash, Alec Wilder, Jeremiah Sulli Begley, Jack Kruschen. — Madame Sans Gêne à
van. — Au lieu du numéro à craindre, d’humour Denver, ou comment la richissime petite parvenue
symbolique et new-yorkais (voir Troublemaker) : réussira, à force d’obstination, à se faire admettre
une suite de petits numéros gentiment drôlatiques, par la bonne société locale. C’est, une fois de plus,
qui semblent provenir d’une histoire dé — puis un succès de Broadway filmé, très placidement, par
remantibulée en fonction d’un principe aussi naïf Walters *— qui ne se départ que durant cinq minutes
que littéraire. On peut y prendre un plaisir intrigué. (le ballet du saloon) de son sang-froid. Par contre,
M. D. Debbie Reynolds se démène tant qu’elle peut, ce
qui n’est pas peu dire, et finit par toucher à force
The Secret Invasion (L’Invasion secrète), film en
de cabotinage. — J. R.
Scope et en couleurs de Roger Corman, avec Raf
Vallone, Stewart Granger, Henry Silva, Mia Mas- Zorba the Greek (Zorba le Grec), film de Michael
sini, Mickey Rooney. — Un beau sujet, ce serait Cacoyannis, avec Anthony Quinn, Alan Bâtes, Irène
beaucoup dire : plutôt quelques notations farfe Papas, Lila Kedrova. — Un beau sujet, évidemment
lues, et joyeusement invraisemblables, qui viennent — pour Kazan, surtout pour Donskoï. Quinn y croit
s'inscrire comme malgré elles contre la convention et fait tout ce qu'il peut. En tout cas, beaucoup
tâcheronesque de l’entreprise (ainsi ce « rythme plus que Cacoyannis, qui aligne mollement les
intérieur » imposé par Vallone à ses camarades). effets de rigueur, question montage, photo et sen
Un beau décor, certes, mais honteusement inem timents. Le tout imprégné du profond mépris que
ployé. Et une incapacité totale à diriger des acteurs, peut avoir pour les Cretois sous-développés un grec
abstraitement définis (Rooney - poivrot - terroriste surexposé. Un bon moment : Papas (trop vite,
irlandais, Silva-la Mort, etc.) une inaptitude extra hélas). — M. D.
BuHalo 'Bill, le héros du Far-West, film en Scope et L'invincibile cavaliere mascherato (L’Invincible
9 film s en couleurs de Solly V. Bianco, avec Gordon Scott, Cavalier noir), film en Scope et en couleurs de
italiens Mario Brega, Catherine Ribeiro. — Produit (avarié) Umberto Lenzi, avec Pierre Brice, Hélène Chanel,
des relations culturelles américano-italiennes. Depuis Danièle Vargas, Massimo Serato. — De l'aventure
que Cinecittà s'attaque à la mythologie U.S., ces haute en couleurs, Lenzi cherche très distraitement
derniers répondront-ils en cultivant, à leur tour, à décaper les lieux communs : siglo diez y siete
l'Ursus et le Maciste ? On ne sait, mais en atten franco-italianisé, méchant séducteur, jolie captive
dant, mieux vaut revoir ce vieux BufTalo glorifié et mystérieux justicier. Mais le film décape et
par Weliman et DeMille. — A. J. dépérit. A fuir comme la peste qui y sévit. — A. J.
Fantasmi a Roma (Les Joyeux Fantômes), film en Maciste e la regina di Samar (Maciste contre gli
couleurs d’Antonio Pietrangeli, avec Marcello Mas uomini hina, Maciste contre les homm es de pierre),
troianni, Sandra Milo, Eduardo De Filippo, Vittorio film en Scope et en couleurs de Giacomo Gentilomo,
Gassman. — Non, malgré la présence du célèbre avec Jany Clair, Alan Steel, Jean-Pierre Honoré. —
napolitain, ce n’est pas du De Filippo, pas même Nouvelle preuve de l'impossibilité d’appliquer une
du Camerini, mais bien du Pietrangeli. Si les pro politique suivie des auteurs de péplums : Maciste
ducteurs n’ont pas lésiné sur l’affiche, le résultat contre le fantôme était l'un des meilleurs de la
désole surtout par une désuétude sans charmes, un série, décoratif et surprenant. Ici, c ’est Gentilomo
cabotinage morne qui évoquent fâcheusement les qui joue au fantôme, parmi trois décors hideux,
canons de la comédie britannique, spécialiste incon quelques muscles avachis et des acteurs pour foire
testée des fantômes : il aurait mieux valu, pour les du Trône. —■ J.-A. F.
Italiens, ne pas convoiter de tels lauriers. — J.-A. F. // magnifico cornuto (Le Cocu magnifique), film
80
d’Antonio Pietrangeli, avec Claudia Cardinale, Ugo 1960 à aujourd’hui nous montrent qu’il n’en est
Tognazzi, Bernard Blier, Philippe Nicaud, Paul Guers. rien. De janvier 60 à avril 63, on ne trouve en
Michèle Girardon. — Où la trahison, à force d’es effet que trois ou quatre de ces films, dont les
pionnage, se voit justifiée et, suprême traîtrise, se pionniers : Nuits d’Europe et Nuits du monde.
retournant contre elle-même, s’annule. Rien n'est Alors que depuis avril 63, il n’y a pas eu moins
vraiment faussé, donc tout est faux, y compris de douze films (un tous les deux mois) dont trois
Cardinale et Tognazzi, jamais pires, y compris la Renzo Russo. Les titres (français) tournent prin
durée de chaque scène : doublée. Le grand prin
cipalement autour de trois mots : Sexy, Interdit
cipe-piège du cinéma commercial européen (plus
on en remet, moins il en reste et plus ça dure ; et Nuit. Plus que jamais, quand vous en avez vu
ainsi que son corollaire : le plein par le vide) a un, vous les avez tous vus. — J.-P. B.
donc enfin cocuiié le cinéma latin : c’est le fiasco
Uomo délia valle maledetta (L’Homme de la vallée
du néo-commercialisme italien. -— J.-L. C.
maudite), film en couleurs de Omar Hopkins, avec
Le Petit Gondolier, film de Manuel Muroti, avec Ty Harden, Iran Eory, Peter Larry. — Ce ne sont
joselito. — Joselito jeune homme est très riche. pas les pseudonymes orientalo-anglais du générique
Il met des pantalons longs et regarde les jeunes qui américaniseront ce « western ». Cependant,
filles. Il fréquente aussi les blousons noirs et, dès avant de repartir solitaire comme dans un mauvais
qu’il voit que cela tourne mal, les dénonce à la « Lucky Luke », le héros mettra de l’ordre dans
police. Ce n’est plus seulement un sale gosse, mais le ménage désuni. 11 avait quand-même eu à faire
un dangereux fasciste. — J.-P. B. pour réussir, la miscegenation n’étant pas plus
tolérée chez les Blancs que chez les Indiens.
Sexy Show, film en Scope et en couleurs de Elio ___________________________________________J.-P. B.
Baletti, avec les Brutos, Suzanne Loret, Lilly Parker,
Annie Gorassini. — On peut croire que ce genre Il vangelo secondo Matteo (L’Evangile selon saint
de film italien sort régulièrement depuis une éter Matthieu). — Voir critique dans notre prochain
nité. Mais les « Listes des films sortis... » de début numéro.
4 film s Das Geheimnis der Chinesischen Nelk (F.BJ. contre Mord in Rio (Les Zingueurs de Rio), film de Horst
l’œillet chinois), film de Rudolph Zehetgruber, avec Haechler, avec Erika Remberg, Hellmut Lange, Gus
allem ands Brad Harris, Dominique Boschero, Horst Frank, tave Rojo. — A Rio, les flingueurs sont avares, Ils
Maria Vincent. — Une heure et quelque trente
rognent sur tout. Pas de silencieux, ce joli tube
minutes de combats douteux... Coups de tête « télé
phonés » et uppercuts vaseux ponctués par une qui fit le succès du premier James Bond. A la place,
batterie à la peau mal tendue. On singe les films un misérable mouchoir. Le film, lui aussi, sonffre
noirs ; tueur surmonté d’un feutre 1930 et Vénus de de ladrerie. Acteurs sans conviction et transparences
faubourgs cuissues et provocantes (la brune est miteuses. On attend un coin de peau, c’est un ballet
cruelle, la blonde innocente). Qui a volé le micro traditionnel qui survient. Das ist Kultur ! Un détail
film ? A la quatrième minute, ce n ’est un secret amusant cependant : le lanceur de couteaux s’en
pour personne. — A. J. traîne sur une affiche de Lola. — G. G.
Dt?r Henker London (Le Bourreau de Londres),
film d’Edwin Zbonek, avec Hansjorg Felmy, Maria Scotland Yard contre le masque, film de Harald
Perschy, Dieter Borsche. — Un justicier sanguinaire, Reînl, avec Joachim Fuchsberger, Karin Dor, Elisa
chef de cagoulards, et un sadique, sévissent à Lon beth Flickenschild. — En attendant la Renaissance
dres. Si les deux intrigues parfaitement incongrues (il était temps) du Cinéma germanique, annoncée
restaient parallèles, Zbonek se rapprocherait de Vera
Chytilova et son film y gagnerait. Malheureuse ici même par Delaliaye (Straub, etc.), reconnaissons
ment, il n’oublie pas de les relier ; c ’est le même que Reinl est le seul à insuffler aux entreprises
inspecteur qui enquête sur Les deux énigmes, et de commerciales allemandes, à défaut de talent ou de
plus, le sadique, c’est lui. Sachant tout, il ne vous rigueur véritables, du moins un certain esprit, parfois
reste plus aucune excuse pour aller constater la délirant, qui retrouve un peu la grâce des défunts
lourdeur de la réalisation. — J. B. sériais. On peut voir un Reinl par an. — A. J.
4 film s Girl in the Headliness (L'Etrange Mort de Miss Gray), Gu/is at Batasi (Les canons de Batasi), film en Scope
film de Michael Truman, avec Ian Hendry, Ronald de John Guillermin, avec Richard Attenborough,
anglais Fraser, Margaret Johnston, Keiron Moore, Natasha Flora Robson, John Leyton, Jack Hawkins. — Ver
Parry. — L’assassinat d’un mannequin londonien sion française ou version, originale, pour une fois
nous conduit à voir beaucoup de vilaines choses : c’est la même chose : un état africain vit les
drogue, pédérastie, call-girls et sombres histoires de remous de l’indépendance dans l’interdépendance.
famille. Tout prend fin dans un cimetière sans Un sergent-major de l’armée des Indes, culotte de
intérêt, même pour celui qui les aime. Un bon-point peau ancien modèle, prend sur lui de défendre
h la musique, non qu’elle soit bonne, mais elle n’a toute la civilisation occidentale et les valeurs chré
jamais rien à voir avec les images. — ].-P. B. tiennes, contre les méchants progressistes noirs. En
apparence la vieille baderne est moopée, mais au
Goldfinger (Goldünger), film en couleurs de Guy fond, Guijlermîn prend parti pour le colonialisme.
Marmiton, avec $ean Connery, Gert Froebe, Shirley O.N.U., travaillistes, et jeunes africains sont ridicu
Eaton, Hcjnor Blackman. — Le seul terrain où l ’on lisés. Lps hommes parlent trop, les canons se taisent.
puisse envisager un tel film est celui de la sociolo M. M.
gie. Chacun y ayant été de sa glose, nous vous
épargnerons cependant la nôtre. Reste un cinéma
nouveau-riche, trompe-l'œil et plaqué or, puérile Murder Ahoi (Passage à tabac), film de George Pol-
ment fasciste, une métaphysique du gadget et, lock, avec Margaret Rutherford, Lionel Jeffries,
surtout, une effarante maladresse technique, allant Stringer Davis, Charles Tingwel), Norma Foster. —
jusqu’à faire regretter nos Hunebelle et Borderie. Strictement réservé aux amoureux fervents de la
De plus, les rares idées (de scénario) sont éventées sémillante Margaret, pas encore à l’agonie. Les
par la publicité, une fois encore supérieure au enquêtes de Lady détective se suivent et se ressem
laborieux produit quelle a charge de vanter. blent, que Pollock, capitaine courageux, filme brita-
J.-A. F. niquement, sombrant avec son navire. — J.-A. F.
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2 film s Partisans contre S.S., film de Nikola Tanhofer, avec Le Triomphe des diqbles rouges, film en Scope et
Severin Bijelic, Bert SoÜar, Hermina Pipinic. — en couleurs de Z. Mitrovic, avec E. Karlowa, A.
yougoslaves Fait partie de la vaste catégorie de films de guerre Gavric. —■ Ajoute au précédent la couleur. Elle
(pas seulement yougoslaves) qui, en fait de bons n’est pas belle. — A. J.
sentiments et de mauvais cinéma nous a déjà tant
offert. Bref, encore un film piat de résistance, pour
spectateur vraiment très affamé. — A. J.
1 film ^03 Vici°sos {Interpol attaque), film de Enrïque histoire d’éternité, et l’enquête se perd dans les
^ . Carreras, avec Graciela Borges, Jorge Salcedo, Cocci- labyrinthes de la confusion, tandis que Coccinelle
argentin nelle. — Malgré la présence de Graciela, cette his- dévoile ses appâts définitivement féminins. —- J.-A. F.
toire de drogue et d’infâmie est loin d’être une
1 film Antigone, film de George Tzavellas, avec Irène en dehors de toute idée de Destin, on comprend
^ Papas, Manos Katrakis. — Tzavefîas, impitoyable, que la malheureuse, asphyxiée, se pende. — A. J.
grec emprisonne son héroïne dans des cadrages tels que,
Ces notes ont été rédigées par Jean-Pierre Biesse, Jacques Bontemps, Jean-Louis ComolU, Michel Delahaye,
Jean-André Fieschi, Gérard Guégan, Albert Juross, Michel Mardore, Jacques Kivette.
Dans leur prochain n u m éro , les Cahiers d u Cinéma p ublieront des déclarations de
R ichard B ro o ks, B lake Edwards , F rank Tashlin...,
la suite d u journal de tournage des « C om m uniants » d ’In g m a r B ergm an , u n
débat entre six jeun es cinéastes japonais (Teshigahara, H ani , e tc .), les souvenirs de
Yoda Yoshikata sur M isoguchi K en ji, etc.
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