Parler La Langue D Adam
Parler La Langue D Adam
Parler La Langue D Adam
AN INTERNATIONAL JOURNAL
6 · 2014
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Alors que le terme « syriaque » dérive du grec Syrie, le terme original en langue syriaque est
suryāyā, ou suryōyō, et en arabe suryānī, ou suryāniyya. Pour enquêter sur l’origine de cette racine, il
peut être utile de se référer aux sources sémitiques anciennes, en particulier à ce que l’on appelle la
« Table des peuples » dans la Bible hébraïque, et aux sources arabes, en analysant la toponymie an-
tique des régions du Proche et du Moyen Orient. En effet, si nous considérons les dénominations des
descendants de Noé comme étant des populations et non des individualités, nous pouvons observer à
quel point elles ont influencé les dénominations des zones et des langues du Proche et du Moyen
Orient, en plus d’avoir influencé les dénominations des groupes linguistiques forgés par les linguistes
européens de la fin du 18ème siècle.
Dans Genèse 10,6, les noms des fils de Cham (Ḥām), fils de Noé, sont Koush, Misraïm, Pout et
Canaan qui sont aussi les dénominations des populations respectives de l’Ethiopie, de l’Egypte, de la
Lybie et de la Palestine. Le nom sémitique ancien de l’Egypte est en fait attesté autant à travers le duel
hébraïque Misraïm qu’à travers la racine Msr dans d’autres langues sémitiques anciennes. En arabe, le
nom Miṣr désigne autant l’Egypte que la ville du Caire.2
En outre, selon les linguistes arabes, de Sem, fils de Noé, dériverait le nom sémitique de la région
du Levant, en arabe bilād al-Shām, le pays de Shām, la région qui est délimitée au sud par le Sinaï
égyptien, à l’ouest par la Palestine, Israël et le Liban, au nord par les monts Taurus dans le sud de la
Turquie et à l’est par le fleuve Euphrate. En arabe, Sem se dit Shām mais, selon ces mêmes linguistes,
on trouve dans la « langue syriaque » le son Shīn à la place du son Sīn, comme cela est aussi attesté
dans l’hébreux Shem.3 Enfin, comme nous avons pu l’observer dans le cas du Caire, al-Shām désigne
autant la région du Proche Orient que la ville de Damas.
La zone comprise entre le Tygre et l’Euphrate, dans la partie septentrionale de l’antique Mésopo-
tamie, prend en arabe le nom d’al-Jazīra, « l’Ile », car elle se trouve entre deux fleuves.4 Cette région
est en relation avec deux dénominations qui tirent leur origine des noms de deux fils de Sem cités dans
la Table des peuples, Aram et Assur. D’Aram dérive le nom du peuple des Araméens et le nom de leur
langue, l’araméen, tandis que d’Assur, Ashshūr en hébreux, dérive le nom de la ville d’Assur qui fut
érigée dans le nord de l’actuel Iraq, Assur qui est aussi une antique divinité mésopotamienne dont
provient le nom du peuple des Assyriens. Dans ce contexte, il semble donc probable que le terme
1
La dernière contribution est de FASSBERG, Steven E. Wich Semitic Language Did Jesus and Other Contem-
porary Jews Speak ? The Catholic Biblical Quarterly, 74; 2012.
2
Le nom grec Aigýptos dérive du copte Kyptios ; certains historiens arabes le citent sous la forme Qibṭ en affir-
mant que ce nom se réfère à un des fils de Ḥām (Cham), fils de Nūḥ (Noé), alors que d’autres affirment au con-
traire que Qibṭ est fils de Miṣr, fils de Qūt (Put ?), fils de Ḥām (Cham), cf. IBN JARĪR ṬABARĪ, Muḥammad. I
profeti e i re. Milano : Guanda,1993, p. 158 ; « Qibṭ », LANE, William Edward. An Arabic-English Lexicon,
1863.
3
« Al-Shām », Lisān al-ʽarab. Une autre théorie est qu’il dérive de shimāl, « gauche », puisqu’en prenant
comme point de repère la péninsule arabique cette région se trouve à sa gauche par rapport au Yémen, qui se
trouve à sa droite, yamīn. Cette théorie n’explique toutefois pas la disparition de la lettre Lām, cf. « al-Shām ».
Encyclopaedia of Islam, Second Edition.
4
« al-Djazīra ». Encyclopaedia of Islam, Second Edition.
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suryāyā dérive d’Assur, si on considère ce dernier terme comme l’union de l’article sémitique al- et
de sur. L’actuel nom arabe de la Syrie, Sūriyā, tire aussi probablement son origine de cette dénomina-
tion.1
Dans le cadre islamique, en plus de l’opinion selon laquelle l’arabe serait la langue du paradis ainsi
que la langue primordiale,2 nous trouvons souvent dans les sources celle selon laquelle ce serait plutôt
la langue syriaque, al-lugha al-suryāniyya. Les auteurs, quand ils parlent de la suryāniyya, se réfèrent
parfois à la langue syriaque historique, et en particulier à l’araméen sans faire de distinction précise
entre les différents dialectes.3 Pour parler plus généralement des langues très anciennes, ils utilisent
indistinctement les noms al-ārāmiyya (l’araméen), al-nabaṭiyya (le nabatéen), ou al-‘ibrāniyya
(l’hébreu).
Nous pouvons ainsi citer quelques récurrences dans les textes. Dans certains passages d’al-Murūj
al-dhahab, al-Masʽūdī (m. 956) affirme que la langue de l’humanité qui vécut entre l’époque d’Adam
et celle de Noé était la suryāniyya, alors que dans d’autres passages il affirme que la suryāniyya était la
langue de l’humanité jusqu’à l’épisode de la tour de Babel et qu’elle fut aussi la langue maternelle
d’Ismaël, à qui Dieu enseigna plus tard l’arabe.4 A la même époque, Ibn al-Nadīm (m.995), citant le
commentaire de la Genèse de l’évêque Théodore de Mopsueste (m. 428), affirme que Dieu parla à
Adam en nabaṭī, qui est le plus pur d’entre les dialectes suryānī et qui fut utilisé par les habitants de
Babel jusqu’à la confusion des langues. Il rapporte aussi une tradition selon laquelle un ange aurait
enseigné au premier homme l’écriture de la suryāniyya.5
Certaines traditions islamiques parlent aussi d’un livre, ou de plusieurs livres (ṣaḥīfa, pl. ṣaḥā’if ou
ṣuḥuf) que Dieu envoya à Adam et qui étaient composés de 21 feuilles, ou bien de 10, 21 ou 40 vo-
lumes selon d’autres traditions. Ils contenaient la science des lettres ainsi que des injonctions divines.
Ils ont été dictés par l’ange Gabriel et retranscrits par Adam en langue suryāniyya. D’autres traditions
affirment que Dieu enseigna à Adam les noms des choses en syriaque pour cacher cette connaissance
aux anges.6
1
Parmi les dernières et les plus significatives contributions à la question de l’origine de cette dénomination, nous
pouvons citer CANNUYER, Christian. A propos de l’origine du nom de la Syrie. Journal of Near Eastern Stu-
dies. 44, 1985, 2, p. 133-137 ; JOSEPH, John. The Modern Assyrians of the Middle East : A History of Their
Encounter with Western Christian Missions, Archaeologists, and Colonial Powers. Leiden : Brill, 2000,
p. 17-22; ROLLINGER, Robert. The Terms « Assyria » and « Syria » Again. Journal of Near Eastern Studies,
65, 2006, 4, p. 283-287.
2
KISTER, Meir Jacob. Ādam : a study of some legends in tafsīr and ḥadīth literature. Israel Oriental Studies,
XIII, 1993, p. 118-119, 140.
3
MONFERRER-SALA, Juan Pedro. Una notas acerca de al-suryāniyya. Miscelánea de Estudios Árabes y
Hebraicos, 46, 1997, p. 229-239.
4
AL-MASʽŪDĪ, ʽAlī ibn al-Ḥusayn. Murūj al-dhahab wa-maʽādin al-jawhar. Beyrouth : Dār al-Fikr, 1973,
vol. 1, p. 220, vol. 2, p. 71.
5
IBN AL-NADĪM. Kitāb al-fihrist. Téhéran : Maktabat al-Asadī wa Maktabat al-Jaʽfarī al-Tabrīzī, 1971, p. 14.
6
KISTER, Meir Jacob. Ādam : a study, cit., p. 117-119, 140.
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Dans les Rasā’il des Ikhwān al-Ṣafā’ (seconde moitié du 10ème siècle), nous trouvons un intéressant
exposé sur la même conception. Au chapitre intitulé « La Connaissance à propos des lettres primor-
diales », les Ikhwān affirment que Dieu enseigna à Adam neuf signes (ʽalamāt) ou lettres (ḥurūf), un
langage synthétique dont dériveraient ensuite toutes les autres langues. Ces neuf signes ne seraient
autres que les chiffres de un à neuf qui, selon les Ikwān, ont été transmis aux Arabes par les Indiens.1
A travers ces neuf signes, Adam connaissait les noms et les qualités de toutes les choses.2 Cela dura
jusqu’à ce que les enfants d’Adam se soient multipliés : ils parlaient la suryāniyya, qui à cette époque
était une langue exclusivement orale, sans textes écrits. Ceci parce que la langue ne nécessitait pas
d’être développée étant donné le petit nombre de personnes qui l’utilisait et l’absence de récits du pas-
sé à transmettre. Les générations se succédèrent et, avec l’augmentation de la population et des besoins
de l’homme, Dieu commença à envoyer des prophètes et à enseigner à l’homme l’art de l’écriture. En
même temps commencèrent à se manifester des savants qui interprétèrent la transmission des informa-
tions provenant du passé. Enfin, le nombre des lettres commença à augmenter jusqu’à atteindre 28, le
nombre de lettres de la langue arabe, qui est le nombre parfait de lettres comme l’arabe est la langue
parfaite.3
Ibn al-Ḥajār al-Haytamī (m. 1566) rapporte quant à lui l’opinion de certains savants musulmans
selon lesquels l’interrogatoire que le croyant devra subir après la mort sera en langue suryāniyya.4
A côté de cette conception de la suryāniyya comme langue primordiale et comme langue historique
dans laquelle araméen, syriaque et nabatéen se confondent, dans le cadre des doctrines ésotériques
islamiques s’est répandue la conception selon laquelle la suryāniyya primordiale parlée par Adam
serait la même langue que celle dans laquelle communique les saints (awliyā’) de la hiérarchie ésoté-
rique. Cette capacité de comprendre et de parler la suryāniyya est parfois mise en relation avec la qua-
lité de ummī d’un saint, ce qui signifie qu’il n’a pas eu de formation régulière à la lecture et à
l’écriture, caractéristique que le Coran attribue en particulier au prophète Muḥammad. Cette qualité de
ummī souligne d’avantage un type d’inspiration spirituelle dénommée ʽilm ladunī, la science infuse
qui provient directement et exclusivement de Dieu, qui descend sur les prophètes et sur certains
saints.5 Plus généralement, il s’agit du charisme qui dans les différentes religions est nommé « don des
des langues », ou « glossolalie », et qui se manifeste par la capacité de parler dans différentes langues
ou bien de parler le langage des anges ou celui des animaux, en particulier des oiseaux, charisme dont
1
Ce sont les mêmes chiffres qui ont été ensuite transmis aux Européens par les Arabes et qui sont pour cela
encore appelés de nos jours « chiffres arabes ».
2
En référence à Coran, 2 : 31.
3
IKHWĀN AL-ṢAFĀ’. Rasā’il Ikhwān al-Ṣafā’ wa khullān al-wafā’. Le Caire : al-Hay’a al-ʽāmma li-qusūr al-
thaqāfa, 1997, vol. 3, p. 141-143.
4
IBN ḤAJAR AL-ḤAYTAMĪ. Al-Fatāwa al-ḥadīthiyya. Beyrouth : Dār al-maʽrifa [197], p. 11.
5
Voir « Ummī ». Encyclopaedia of Islam, Second Edition ; GEOFFROY, Eric. Le soufisme en Egypte et en
Syrie sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans : orientations spirituelles et enjeux culturels. Da-
mas : IFEAD, 1995, p. 299-307.
90
on peut trouver de nombreuses mentions dans les textes sacrés et dans les vies des saints à toutes les
époques et sous toutes les latitudes.1
En islam, la science qui renferme les secrets du langage prend le nom de ʽilm al-ḥurūf, science des
lettres, et est similaire à la science assyro-babylonienne, et par la suite juive et chrétienne médiévale,
dénommée « gématrie ».2
Le premier mystique musulman à qui est attribué dans les sources la capacité infuse de lire les
langues anciennes, en particulier les hiéroglyphes égyptiens, en arabe kalām al-ṭayr, « la langue des
oiseaux », ainsi que de comprendre la suryāniyya, est Dhū-l-Nūn al-Miṣrī (m. 861).3
Dans l’histoire du soufisme, deux saints ummī associés à la capacité de posséder l’usage de la
suryāniyya primordiale, ʽAlī al-Khawwāṣ (m. 1532) et ʽAbd al-ʽAzīz al-Dabbāgh (m. 1720), représen-
tent deux cas paradigmatiques qui comportent entre eux des analogies très évidentes.4
De nombreuses références à la suryāniyya et à la glossolalie des saints musulmans peuvent être
repérées dans les œuvres de ʽAbd al-Wahhāb al-Shaʽrānī (m. 1565), principal disciple de ʽAlī al-
Khawwāṣ et célèbre savant soufi.5
Al-Shaʽrānī raconte que son maître se mettait parfois à parler dans une langue incompréhensible
qui lui paraissait être de l’hébreu ou du syriaque,6 de la même façon qu’un autre de ses maîtres,
Muḥammad al-Sarāwī, qui parlait hébreu, syriaque ou persan quand il se trouvait dans un état spirituel
intense.7
Al-Shaʽrānī affirme par ailleurs que le célèbre saint Ibrāhīm al-Dasūqī (m. 1296) parlait lui aussi
syriaque, hébreu, persan, éthiopien et toutes les langues des oiseaux et des animaux sauvages. Al-
Shaʽrānī transmet aussi des écrits qu’al-Dasūqī aurait laissés à ses disciples, des litanies entrecoupées
de paroles dans une langue mystérieuse, dont nous pouvons tenter de retranscrire un extrait : « …wa lā
1
BAUSANI, Alessandro. Le lingue inventate. Linguaggi artificiali, Linguaggi segreti, Linguaggi universali.
Roma : Ubaldini, 1974 ; sur la glossolalie ainsi que sur la langue mystérieuse d’Hildegarde de Bingen (m. 1179),
que ni Bausani ni Higley ne considèrent toutefois comme un exemple de glossolalie, voir aussi HIGLEY, Sara L.
Hildegard of Bingen’s unknown language : an edition, translation, and discussion. New York : Palgrave Mac-
millan, 2007, p. 35-50.
2
SAMBURSKY, Shmuel. On the origin and significance of the term Gematria. Journal of Jewish Studies, vol.
29, 1, 1978, p. 35-38 ; GRIL, Denis. La science des lettres. In IBN ʽARABĪ, Les illuminations de la Mecque,
sous la direction de Michel Chodkiewicz. Paris : Sindbad, 1988 ; LORY, Pierre. La science des lettres en islam.
Paris, Dervy, 2004.
3
AL-IṢFAHĀNĪ, Abū Nuʽaym. Ḥilyat al-awliyā’ wa ṭabaqāt al-aṣfiyā’. Beyrouth : Dār al-kutub al-ʽilmiyya,
1988, vol. 9, p. 339.
4
GEOFFROY, Eric. Une grande figure de saint ummī : le cheikh ʽAlī al-Khawwāṣ (m. 939/1532). In MCGRE-
GOR, Richard, SABRA, Adam éd., Le développement du soufisme en Egypte à l’époque mamelouke. Le Caire :
Institut français d’archéologie orientale, 2006, p. 169-176.
5
WINTER, Michael. Society and Religion in Early Ottoman Egypt. Studies in the Writtings of ʽAbd al-Wahhāb
al-Shaʽrānī. The Shiloah Center for Middle Eastern and African Studies, New Brunswick : Transaction Books,
1982.
6
AL-SHAʽRĀNĪ, ‘Abd al-Wahhāb. Durar al-ghawwāṣ fī fatāwā ʽAlī al-Khawwāṣ. Le Caire : Maktaba al-
Azhariyya li-l-turāth, 1985, p. 23.
7
Idem. Ṭabaqāt al-ṣūfiyya. Le Caire : al-Maktaba al-Tawfīqiyya, s.d., p. 568.
91
saṭārīs, wa lā ʽitāfīs, wa lā haṭāmrīsh, wa lā saṭā mrīsh, wa lā shūsh arīsh, wa lā rakāsh qūsh, wa lā
samlādnūs wa lā kitāb samṭalūl al-rūs, wa lā būs ʽakmasūs… ».1 Ceci est un exemple clair de glosso-
lalie transcrite, avec suffixe répété et rythmé, ici en –s, caractéristique souvent présente dans d’autres
cas de langues mystérieuses.2
Il rapporte aussi un intéressant propos attribué à al-Dasūqī : « Quand un connaissant atteint le degré
spirituel de la connaissance (maqām al-ʽirfān), Dieu lui transmet sans intermédiaire un savoir. Il ob-
tient alors des sciences qui sont inscrites sur les Tables spirituelles où se trouvent les symboles. Il en
connaît le bénéfice et en tire les talismans et les sciences de Ses noms et de Son décret. Dieu lui com-
munique aussi des sciences consignées dans les points diacritiques et, s’il n’avait pas peur d’encourir
le blâme en les révélant, il les révélerait et les intelligences en seraient aveuglées. Il reçoit en outre la
connaissance des différentes langues étrangères, la science des lettres, de la signification intérieure de
la grammaire, et comprend ce qui est écrit sur les feuilles des arbres, sur l’eau, sur l’air, sur la terre et
sur la mer, ainsi que ce qui est écrit sur l’étendue de la voûte céleste, ce que portent inscrits sur leurs
fronts les hommes et les djinns à propos de leur destin en ce monde et dans l’autre et ce qui est écrit
sans écriture au dessus du dessus et en dessous du dessous ».3
Al-Shaʽrānī affirme de plus qu’un autre saint, Muḥammad Wafā’ (m. 1363), aurait écrit des livres
énigmatiques dans une langue incompréhensible, « étrangère », quand il avait entre 7 et 10 ans.4 Dans
un autre passage, il soutient avoir reçu du saint Amīn al-Dīn al-Najjār (m. 1521) une tradition directe-
ment en langue suryāniyya.5
Dans un passage d’un autre de ses écrits, al-Shaʽrānī rapporte un dialogue avec son maître ʽAlī al-
Khawwāṣ à propos de la suryāniyya :
J’ai demandé à notre maître : « de quelle manière Adam et ses fils ont-ils préservé le Livre (al-Muṣḥāf) et les
Lois (al-Nawāmīs) si personne ne connaissait l’écriture en ce temps-là, puisque dans tout l’univers Dieu ne
l’avait enseignée à personne ? » Il répondit : « Adam et ses fils, grâce à leur connaissance supérieure, oubliaient
très peu. Ils avaient appris les noms des lettres, parlaient et exprimaient le sens des choses à travers des allusions,
mais aucun d’eux n’écrivait de sa propre main avec un calame. En outre, aucun d’entre eux n’avait besoin d’un
apprentissage de la langue car celle-ci était très simple à pratiquer grâce au petit nombre de son vocabulaire et de
ses lettres. Sur la terre, à cette époque, les hommes étaient tous nomades et la communication était réservée au
strict nécessaire ; il n’y avait pas de récits provenant du passé et dans le Livre qui était préservé il n’y avait pas
souvenir de qui avait vécut avant eux. Ceci car le langage des anges, qui n’est autre que la langue suryāniyya,
n’est pas écrit sur des corps matériels mais est fait de la substance spirituelle (al-jawāhir al-nafsāniyya). […]
Cette situation resta telle quelle jusqu’à ce qu’interviennent des changements dans leur condition, que leur savoir
diminue et que leur oubli grandisse : les récits augmentèrent alors et la connaissance des chroniques des époques
1
Ibidem, p. 283-284.
2
BAUSANI. Le lingue inventate, cit., p. 70-71.
3
AL-SHAʽRĀNĪ, ‘Abd al-Wahhāb. Ṭabaqāt al-ṣūfiyya, p. 287.
4
GEOFFROY. Le soufisme en Egypte et en Syrie, cit., p. 303.
5
Ibidem, p. 101.
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passées devint nécessaire. Dieu leur révéla l’art de l’écriture comme un bienfait et une miséricorde de Sa part. »
Puis je luis demandai : « mais quand Adam descendit en Inde,1 Dieu lui enseigna-t-il les lettres indiennes ou les
lettres arabes ? » Il répondit : « Il lui enseigna les lettres indiennes, qui ne sont rien d’autre que ces neufs signes :
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 qui rassemblent en eux l’ensemble de tout ce qui existe. En eux se concentrent l’ensemble
des significations et se résument les parties de chaque calcul et de tous les nombres. Par l’intermédiaire de ces
lettres, Adam apprit les noms et les qualités de toutes les choses existenciées à partir des formes et des aspects
des lettres. Adam et ses fils continuèrent ainsi jusqu’à ce que le nombre de ses fils augmentent ; on parlait la
suryāniyya. Puis le ciel prit la forme qu’il devait prendre par suite des changements intervenus avec la mort
d’Adam. Il y eu une augmentation du nombre des lettres et toutes les choses se mirent à augmenter et à se ré-
pandre jusqu’à ce que le nombre des lettres fut parachevé dans les 28 lettres qui constituent la langue arabe,
sceau des lettres et sceau des langues et, selon la Loi des prophètes, il n’en sera pas ajoutées une seule jusqu’à la
venue de l’Heure. »2
Comme on peut le remarquer, il s’agit d’une citation quasiment littérale du passage des Ikhwān al-
Safā’ mentionné précédemment, avec l’adjonction de quelques détails.3
Dans le cadre du chiisme aussi, nous trouvons des références à la suryāniyya : selon une parole qui
remonterait à ʽAlī ibn Abī Ṭālib (m. 661), le Nom Suprême de Dieu serait une formule en suryānī ou
en ʽibrānī. Il aurait un jour, en la prononçant, fait réapparaître le soleil derrière une montagne pour lui
permettre ainsi qu’à ceux qui l’accompagnaient d’accomplir la prière rituelle à temps (après l’avoir
manquée pour ne pas avoir à l’accomplir sur une terre maudite de Dieu, la terre de Babel).4
De la même manière, à la fin des temps, l’Imam caché réunira autour de lui ses 313 compagnons en
93
donne la traduction. De ce qui suit, on peut facilement deviner qu’al-Dabbāgh ne fait pas référence à la
langue syriaque historique mais à la suryāniyya primordiale.1 Al-Lamaṭī introduit la digression rela-
tive à la suryāniyya primordiale en affirmant n’avoir jamais rencontré précédemment quelqu’un comme
al-Dabbāgh qui eût connu en même temps la suryāniyya et toutes les autres langues, celles des hommes,
des djinn, des anges et des animaux ; l’auteur raconte que, lors d’une visite pieuse sur la tombe
d’Ibrāhīm al-Dasūqī, un homme vit le saint égyptien lui apparaître et lui enseigner une invoca- tion qui
contenait une phrase dans une langue inconnue, invocation que par la suite il ne récita pas par scrupule
pieux ; al-Dabbāgh affirme que la phrase est en suryāniyya, en donne la traduction en disant qu’al-
Dasūqī était un des plus grands saints, ayant atteint un haut degré spirituel, et c’est pourquoi il était
d’entre ceux qui connaissent la suryāniyya ; al-Dabbāgh affirme que la suryāniyya est la langue des
esprits et que les saints qui sont membres du dīwān al-awlyā’, l’assemblée suprême des saints,2 parlent
entre eux dans cette langue car elle est à la fois concise et douée d’une immense signification ; à la
question de savoir si la langue arabe est au même niveau que la suryāniyya, al-Dabbāgh répond que
seule la langue du Coran l’est ; la suryāniyya, à la différence des autres langues, est composée non de
mots mais de lettres de l’alphabet et chaque lettre véhicule une signification ; les lettres réunies entre
elles sont comme les mots réunis entre eux dans les phrases des autres langues ; la suryāniyya est diffuse
dans les autres langues par l’intermédiaire des lettres elles-mêmes ; Il donne l’exemple du nom propre
Aḥmad, qui en suryāniyya est composé des 4 sens de ses 4 lettres ; la suryāniyya est la racine de toutes
les langues ; seuls les anges et ceux qui ont fait l’expérience du grand dévoilement (al-kashf al-kabīr)
peuvent parler cette langue ; quand Adam descendit sur terre il parlait en suryāniyya et les hommes
commencèrent à altérer cette langue et à tirer leurs langues d’elle à partir du moment où mou- rut le
prophète Idrīs (Enoch) ; la première langue à avoir été tirée de la suryāniyya, et donc la plus proche
d’elle, est la langue de l’Inde ; Adam parlait la suryāniyya quand il descendit du Paradis car elle est
la langue de ses habitants ; selon al-Dabbāgh, le hadith du Prophète affirmant que l’arabe serait au
contraire la langue du Paradis n’est pas authentique ; il affirme que si on observe le langage des
bébés, on pourra y trouver des mots en suryāniyya ; Adam parlait à ses fils quand ils étaient en bas âge
en suryānī et leur enseignait dans cette langue les noms des choses ; par la suite, ils enseignèrent ces
noms à leurs propres fils ; cela se perpétua de générations en générations et ainsi quelque chose en
resta de manière innée dans les enfants ; en outre, tant que les enfants sont nourris au lait maternel leur
esprit est relié aux assemblées angéliques célestes, dont ils rêvent durant leur sommeil, et ainsi ils per-
çoivent quelque chose de leur langage, qui est la suryāniyya ; on peut apprendre cette langue en fré-
quentant ceux qui font partie du dīwān al-awliyā’, qui parlent seulement en suryāniyya, excepté quand
1
Bernd Radtke, autant dans les notes de la traduction de l’Ibrīz que dans son article dédié à cette question
(RADTKE, Bernd. Syrisch : Die sprache der engel, der geister und der erleuchteten. Einige stucke aus dem Ibrīz
des Aḥmad b. al-Mubārak al-Lamaṭī. Jerusalem Studies of Arabic and Islam, 32, 2006, p. 472-502) s’applique à
revérifier les interprétations d’al-Dabbāgh à la lumière du syriaque historique et en conclut qu’il s’agit
d’inventions extravagantes du maître marocain.
2
Cf. GEOFFROY. Le soufisme en Egypte et en Syrie, cit. , p. 137.
94
le Prophète Muḥammad est présent parmi eux : ils parlent alors en arabe par respect pour lui ;
l’interrogatoire des deux anges dans la tombe après la mort est en suryāniyya et al-Dabbāgh s’attarde à
détailler les questions qu’ils poseront et leurs significations ; il répond à une série de questions sur les
termes non arabes du Coran pour indiquer ceux d’entre eux qui sont en suryāniyya ; seul le Pôle Su-
prême (al-Ghawth, le Secours) et les sept pôles de la hiérarchie initiatique qui sont en dessous de lui
connaissent la suryāniyya, qu’al-Dabbāgh a apprise en l’espace d’un mois d’un autre initié et qu’il a
enseignée à al-Lamaṭī en une journée ; le Coran est inscrit sur la Table Préservée (al-Lawḥ al-Maḥfūẓ)
en arabe et en suryāniyya et les parties en suryāniyya sont les lettres isolées que l’on trouve en début
de certaines sourates ;1 seules deux catégories de personnes connaissent la signification des lettres
isolées : ceux qui peuvent regarder sur la Table Préservée et ceux qui fréquentent le dīwān al-awliyā’.2
En les citant littéralement d’al-Dhahab al-ibrīz, l’Emir ʽAbd al-Qādir al-Jazā’iri (m. 1883) confir-
mera plus tard ces mêmes considérations dans son livre adressé aux Français, écrit en 1855 puis traduit
et publié en France en 1858.3
Quelques considérations d’al-Dabbāgh sur la suryāniyya peuvent rappeler de manière curieuse un
célèbre traité médiéval consacré à la langue : De vulgari eloquentia de Dante. Dans le préambule du
livre, Dante propose une définition de la « langue vulgaire » comme étant la langue que nous avons
tous assimilée sans suivre aucune règle, en imitant notre nourrice. Mais nous avons aussi une seconde
langue qui, en ce qui concerne les anciens Romains, est appelée gramatica, c’est-à-dire le latin ; les
Grecs aussi ont aussi leur seconde langue, comme d’autres peuples, mais pas tous, car c’est seulement
après un apprentissage long et intensif que l’on peut réussir à en maîtriser les règles et l’esprit. Pour
Dante cependant, la langue la plus noble d’entre les deux est en réalité la « langue vulgaire » parce
qu’elle est la première langue parlée par le genre humain, parce que le monde entier s’en sert, malgré
que cela se fasse avec des prononciations et des mots différents, et en outre parce que c’est la manière
naturelle de s’exprimer alors que l’autre langue est artificielle. Nous voyons ainsi s’esquisser une théo-
rie particulière de la « langue vulgaire » comme langue primordiale qui s’assimile dans la prime en-
fance.4
Dante introduit ensuite des considérations très intéressantes à propos de la langue d’Adam. Il af-
firme en effet que le premier homme à avoir utilisé le langage fut Adam et que son premier mot profé-
1
Cf. “Mysterious Letters”. Encyclopaedia of the Qur’ān, 3, 2014, p. 471-477.
2
IBN AL-MUBĀRAK AL-LAMAṬĪ, Aḥmad. Pure Gold from the Words of Sayyidī ʽAbd al-ʽAzīz al-Dabbāgh,
cit., p. 421-443.
3
ABD-EL-KADER. Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent. Traduction de Gustave Dugat. Paris : Librairie de
l’Institut de la Bibliothèque impériale et des sociétés asiatiques de Paris, de Londres et de Calcutta, 1858, p. 129-
130.
4
Umberto Ecco a souligné les implications de cette perspective : « Si un homme de la trempe de Dante avait
vraiment pensé que l’hébreu inventé par Adam était la seule langue parfaite, il aurait appris l’hébreu et aurait
écrit son poème en hébreu. Il ne l’a pas fait car il pensait que la langue vulgaire qu’il devait inventer aurait cor-
respondu aux principes de la forme universelle donnée par Dieu mieux que n’aurait pu le faire l’hébreu ada-
mique. Dante se proposa d’être un nouveau (et plus parfait) Adam », ECO, Umberto. La Recherche de la langue
parfaite dans la culture européenne, cit., p. 53.
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ré, en réponse à une question non verbale provenant de Dieu et après avoir été touché par le souffle de
la Vertu vivifiante, fut El, que Dante traduit par « Dieu ». En même temps qu’Il créa l’âme, Dieu créa
une certaine forme de langage et ce fut dans cette forme-là que s’exprima Adam ainsi que tous ses
descendants jusqu’à la construction de la tour de Babel, terme qui, comme Dante le rappelle, signifie
« confusion ». Le langage fut transmis sous cette même forme aux fils d’Eber, qui ont pris de leur
aïeul le nom d’Hébreux et qui, suite à la « confusion des langues », furent les seuls à la conserver afin
que Jésus, qui pour ce qui concerne sa nature humaine devait naître parmi eux, puisse utiliser une
langue de « grâce » et non une langue de « confusion ». Dante affirme en conclusion que la langue
hébraïque fut donc la première à avoir été modulée par les lèvres de l’homme, plus précisément par les
descendants de Sem qui avaient refusé de prendre part à l’outrageuse construction de la tour de Babel
et qui continuèrent à utiliser cette langue jusqu’à la dispersion des Hébreux et l’exil forcé à Babylone.1
Toutefois, dans la période qui sépare la rédaction de De vulgari eloquentia et celle de la Divine
Comédie, Dante semble avoir changé d’opinion. Dans le chant 26 du Paradis, il rencontre Adam, qui
répond à quatre questions que le poète avait simplement émises en pensée : combien de temps s’était-il
passé depuis la création du monde ; combien de temps était-il demeuré dans le paradis terrestre ; quelle
fut la véritable nature du péché originel ; quelle était la langue qu’il parlait au paradis terrestre. A cette
dernière question, Adam répond ainsi :
La langue que je parlai s'éteignit toute
avant qu'à l'œuvre inachevable
fût occupée la race de Nemrod :
car jamais nul effet de la raison,
par le plaisir humain, qui change
en suivant le Ciel, ne fut toujours durable.
Œuvre de nature est que l'homme parle,
mais ainsi ou ainsi, nature vous le laisse
faire ensuite vous-même comme il vous plaît.
Avant que je descende à l'angoisse d'Enfer,
1 était sur terre le nom du bien suprême·
d'où vient la joie qui m'enveloppe;
puis on l'appela El : et ce fut bien,
car l'usage des mortels est comme feuille
sur la branche, qui s'en va et une autre vient.2
Adam affirme donc que la langue qu’il parlait au paradis tomba en désuétude avant la construction
de la tour de Babel, moment symbolique de la confusion des langues, car aucun produit de la raison
1
DANTE ALIGHIERI. De vulgari eloquentia, I-VI.
2
DANTE ALIGHIERI. La Divine Comédie, Paradis XXVI, 124-138. Traduction de Jacqueline Risset. Paris :
Flammarion, 1999.
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humaine ne peut subsister pour toujours et que les goûts des hommes changent avec le temps : que
l’homme parle est un acte naturel mais la nature laisse ensuite l’homme développer le langage. Adam
ajoute qu’avant sa mort sur terre le nom par lequel on nommait Dieu était I et que depuis sa mort ce
nom devint El, ceci étant arrivé par nécessité car les usages des mortels changent comme les feuilles
d’une branche changent.
Ainsi, Dante affirme dans la Divine Comédie qu’avant la langue hébraïque, et avant les autres
langues sémitiques dans lesquelles est attesté l’usage du terme El pour dénommer Dieu,1 il y avait une
autre langue primordiale dans laquelle le nom de Dieu n’était pas exprimé au moyen d’une parole,
comme El, mais par une seule lettre, un signe qu’il trace verticalement.2
Sur l’interprétation de ce passage, les commentateurs anciens et modernes sont divisés : certains y
reconnaissent un des noms de Dieu parmi ceux qu’a cités Saint Jérôme dans sa Correspondance. Il
s’agit de la lette Ia, I consonantique prononcé Ia mais écrite avec le seul I.3 D’autres lisent ce nom
comme un nombre, en lien avec l’Unité Divine, alors que d’autres le lisent comme un simple signe,
choisi pour son extrême simplicité « métaphysique ».4 Nous pouvons ajouter à ces interprétations
quelques considérations. Pour Dante, le nom primordial de Dieu est exprimé dans une langue précé-
dant celles dans lesquelles il est dénommé El, c'est-à-dire en hébreux et dans différentes autres langues
sémitiques, langue arabe comprise, dans laquelle le nom Allāh est formé de l’article al- + Ilāh, « divi-
nité », équivalent de la forme sémitique El. Dans cette langue primordiale, indépendamment de
l’identification de ce signe, le nom primordial de Dieu n’est pas exprimé par un mot, comme El, mais
par une lettre unique. Ceci est donc une autre analogie entre la conception de la langue primordiale de
Dante et celle développée dans le cadre islamique, en allant des Ikhwān al-Ṣafā’ à Al-Dabbāgh.
1
L’utilisation du mot El pour dénommer la divinité est attestée dans des langues sémitiques très anciennes
comme par exemple l’akkadien, cf. GARBINI, Giovanni, DURAND, Olivier. Introduzione alle lingue semitiche.
Brescia : Paideia, 1994, p. 31.
2
Les influences hébraïques et arabes sur le milieu et sur l’œuvre de Dante ont été étudiées de manière approfon-
die, cf. BATTISTONI, Giorgio. Dante, Verona e la cultura ebraica. Firenze : La Giuntina, 2004 ; ASIN PA-
LACIOS, Miguel. Dante e l’Islâm. L’escatologia islamica nella Divina Commedia. Milano : Net, 2005 ; CORTI,
Maria. Dante e la cultura islamica. In Per correr miglior acque…Atti del convegno internazionale, Verona-
Ravenna, 25-29 ottobre 1999. Roma : Salerno editrice, vol. I, p. 183-202.
3
CASAGRANDE, Gino. I s’appellava in terra Il sommo bene : Paradiso XXVI, 134. Aevum, 50, 1976, p. 249-
273.
4
DANTE ALIGHIERI. La Divina Commedia, sous la direction d’Anna Maria Chiavacci Leonardi. Milan :
Mondadori, p. 544.
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