Book, Abécédaire Du Management
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vement p. 63 et p. 64.
2. Ainsi la représentation de l'héliocentrisme que nous donnons ici correspond sans surprise
au livre I, chapitre 10 du De revolutionibus, lequel envisage seulement« l'ordre des orbes
586 CONGRÈS DE MONS
Histoire des sciences, des techniques et de la pensée
célestes»; elle diffère par conséquent fortement des schémas très complexes qui illustrent les
cinq autres livres plus techniques de l'ouvrage.
3. Kepler a tenté une telle représentation à l'échelle du système de <!:opernic dans son Myste
rium cosmographicum ( 1596). Cf. l'illustration donnée dans M.-P. LERNER, Le monde des
sphères, vol. II: La fin du cosmos classique, Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 72 ou dans J.
KEPLER, Le secret du monde, édité par A. Segonds, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 100.
4. J.-Fr. STOFFEL, La révolution copernicienne et la place de l 'Homme dans 1 'Univers, pp. 42-43.
Jean-François STOFFEL 587
Pérégrinations dans la topographie du géocentrisme et de l'héliocentrisme
est constitué des quatre éléments, et d'autre part,le monde céleste, lieu de la
perfection et de l'immuabilité,qui,lui,est constitué d'un élément spécifique,à
savoir l'éther. Le cosmos des Anciens est ainsi marqué par une bipartition
foncière séparant le lieu de l'imperfection de celui de la perfection.
Le monde céleste est composé des sept planètes (Lune, Mercure, Vénus,
Soleil,Mars,Jupiter, Saturne) auxquelles s'ajoute,au minimum,la sphère des
fixes,soit huit sphères. À ces huit sphères caractéristiques du modèle aristoté
licien, les «astronomes théologiens » du Moyen Âge ajouteront, selon leur
gré, différentes sphères (coelum cristallinum, primum mobile, cOelum empi
reum... ) qui, elles,. appartiendront parfois au monde divin, mais qui permet
tront en tous cas d'atteindre le nombre de sphères jugé le plus opportun5. Bien
souvent, ils établiront d'ailleurs une étroite connexion entre le monde céleste
et le monde divin en associant les orbes du premier aux orbes du second6.
Ce monde céleste, qu'il soit composé de huit sphères ou davantage, sera
lui-même caractérisé par une hiérarchie spécifique. Étant la plus proche du
monde sublunaire, la Lune, par exemple, sera considérée comme l'objet le
moins «parfait » du monde céleste. Les taches qu'elle porte à sa surface
témoignent d'ailleurs d'une hétérogénéité qui «prouve>> sa contamination
par le monde sublunaire. À l'extrême opposé,la dernière sphère jouit d'une
aura toute à fait exceptionnelle. Entre ces deux extrêmes,nous remarquerons
la position particulière du Soleil qui, entouré de part et d'autre de trois pla
nètes,occupe une position centrale qui est non seulement géométrique, mais
encore (du moins 1� plupart du temps) ontologique7• .
·
5. Les nombres 9 et 10 étaient ainsi particulièrement prisés par les savants liés aux courants
néo-platonicien, néo-pythagoricien et cabalistique. Mais cette numérotation pouvait varier
selon que l'on prenait en compte ou non la Terre elle-même et les quatre éléments constitutifs
· du monde sublunaire. Ainsi Marsile Ficin comptait 12 sphères, cari! ajoutait aux huit sphères
aristotéliciennes les quatre sphères des éléments, tandis que Johannes de Sacrobosco, ajoutant
seulement le primum mobile aux sphères aristotéliciennes; arrivait seulement à neuf sphères.
6. Cf., par exemple, les cosmologies de Pic de la Mirandole et de Lefebvre d'Étaples.
7. Nous retrouvons ici la distinction aristotélicienne entre le centre de la grandeur (ou centre
purement géométrique) et 'le centre vital (ou centre ontologique); Le centre de la pure grandeur
sera identifié avec la Terre et le centre vital sera associé soit à la sphère des fixes, soit au Soleil
qui, dans ce cas, jouira d'une centralité géométrique et ontologique. Cf. J.-Fr. STOFFEL, La révo
lution copernicienne et la place de l'Homme dans l'Univers, pp. 14-15 et pp. 20-21. Pour l'étude .
plus spécifique de la situation du Soleil dans le géocentrisme et dans l'héliocentrisme, nous nous
permettons également de renvoyer à J.-Fr. ST OFFEL, La révolution copernicienne responsable du
·
Fig. 3. La vision du monde propre au géocentrisme obtenue à partir d'une représentation issue
de la Théorique des ciels d'Oronce Finé.
9. Plotin rappelle en effet que « en tout être vivant, les parties supérieures, le visage et la tête,
sont les plus belles; les parties moyennes et inférieures ne le sont pas autant»; appliquant ce
principe au cosmos, il constate effectivement qu_e « dans le monde, les hommes sont dans la
région moyenne et inférieure; en haut se trouvent le ciel et les dieux qu'il contient» (PLOTIN,
Ennéades 1 éd. É. Bréhier, p: 34, 3e Ennéade, chap. II, 8).
10. La plupart du temps, c'est en effet Dieu le Père qui, dans toute sa majesté, retient d'abord
le regard, avant que celui-ci ne descende progressivement vers sa création. Évidemment, le
mouvement inverse se rencontre également (de la création vers Dieu); il est alors souvent
même accentué par le renversement des orbes qui, ainsi, conduisent encore davantage vers le
Créateur (cf. fig. 4). Toutefois, dans les deux cas et à la différence de ce que suggéreront les
schémas héliocentriques, le regard est invité à parcourir un axe vertical qui, dans un sens ou
·
2. LA TOPOGRAPHIE DE L'HÉLIOCENTRISME
2. 1. Deux pôles de perfection immobiles
Le système des Anciens privilégiait, nous l'avons vu, le «haut » de
l'univers, à savoir la sphère des fixes, et son «centre » ontologique et/ou
géométrique, en l'occurrence le Soleil, et ce sur la base de plusieurs argu
ments symboliques ou géométriques. Dans le système copernicien, les deux
mêmes corps continueront à incarner les deux pôles de perfection de
l'univers, mais à partir d'un seul et nouveau critère, purement physique, qui
suffira à les distinguer de tous les autres corps : leur état d'immobilité. En
effet, grâce au mouvement de rotation de la Terre, la sphère des fixes est dé
sormais dispensée du mouvement de révolution qu'elle était auparavant obli
gée d'accomplir en vingt-quatre heures; quant au Soleil, il bénéficie, lui
aussi, d'une parfaite immobilité au centre du monde. Il s'établit ainsi une
nouvelle topographie avec deux pôles de perfection, le Soleil et la sphère
des fixes17, qui, tous deux, sont au repos. De ce point de vue, la révolution
copernicienne opère de nombreuses simplifications.
1) En réalisant la parfaite coïncidence entre centre du volume et centre
vital- tous les deux identifiés avec le Soleil-, elie nous permet tout d'abord
d'abandonner l'antique distinction aristotélicienne au profit d'une seule et
unique centralité.
2) En prenant pour seul critère de démarcation le fait d'être en repos et en
appliquant strictement ce critère à tous les corps, elle simplifie également la
topographie du monde, tout en se conformant encore plus précisément à la
pensée du Stagirite. En effet, chacun sait que, pour Aristote, le repos est
préférable au mouvement. Mais ce principe, très simple dans son essence,
rencontrait dans la pratique de graves exceptions : ainsi la Terre est indubi
tablement au repos, mais ce repos là n'a rien de valorisant; quant aux étoiles
fixes, elles sont assurément en mouvement, mais ce mouvement là se trouve
valorisé comme étant proche de l'immobilité ... Il y a donc, dans la pensée
antique, bien des façons d'apprécier le repos et le mouvement et ces façons
varient selon que l'on se trouve dans le monde sublunaire (dévalorisation
inhabituelle du repos) ou dans le monde céleste (valorisation inhabituelle du
mouvement). En revanche, chez Copernic, le principe, auquel souscrirait
d'ailleurs Aristote, selon lequel le mouvement est moins parfait que le repos
s'applique, indistinctement, à tous les cas et aussi bien dans le monde sublu
naire que dans le monde céleste. La bipartition aristotélicienne traditionnelle
se trouve dès lors déplacée : elle ne sépare plus le monde sublunaire du
monde céleste, mais bien les corps en mouvement et ceux qui ne le sont'pas.
Ainsi la Terre, qui a monté en grade en accédant à la perfection de « corps
céleste », se trouve, suite à l'introduction d'une nouvelle distinction, en
l'occurrence le vrai repos, dans un état d'imperfection par rapport au Soleil
et à la sphère des fixes, état qu'elle partage d'ailleurs avec les autres planètes,
ses sœurs.
3) Dans le système aristotélico-médiéval, il existait une forte rupture entre
les temps de rotation d'une part des sphères planétaires et d'autre part de la
sphère des fixes : alors que les premiers augmentaient progressivement en
même temps que les distances (soit un mois pour la Lune, la plus proche, et
trente ans pour Saturne, la plus lointaine), assez paradoxalement, la sphère des
fixes parcourait la plus grande distance dans le plus petit espace de temps (un
jour). Avec Copernic, cette rupture disparaît puisqu'on passe de la décrois
sance des vitesses de rotation des sphères planétaires au repos de la sphère des
fixes. Il s'établit ainsi un lien simple et direct entre vitesse et éloignement,
puisqu'il est permis de considérer que, immensément éloignée, la vitesse de
rotation de la dernière sphère est également immensément lente.
lunaire »24• Aussi les mouvements qu'il nous est donné d'observer autour de
nous ne sont plus déterminés par le centre du cosmos, mais seulement par ce
centre des graves qui coïncide avec le centre de la Terre et qui n'est que le
centre particulier d'un système particulier du cosmos, en l'occurrence le
système constitué par la Terre et la Lune. Ce qui m'entoure, ce que
j'aperçois n'a donc plus de valeur absolue et ne reflète donc .Plus
l'organisation générale du monde, mais n'a de valeur et de portée que pour
moi. Particulier alors qu'il était général, mon :vécu devient également multiple,
alors qu'il était unique : étant donné la multiplicité des centr�s particuliers
des graves dans le cosmos, chacun pourra, dans son système particulier,
expérimenter ce que j'étais le seul à vivre. La «gravité », qui avait une portée
cosmologique chez le Stagirite, se trouve donc tout à la fois relativisée (elle
ne concerne que notre système particulier) et généralisée (elle existe aussi
dans les autres systèmes particuliers).
Si la révolution copernicienne a donc remis en question les caractéristi
ques de la topographie aristotélico-médiévaJe et a modifié le statut même de
cette topographie en révélant qu'elle n'était, somme toute, que relative, elle
n'a pas, pour autant, aboli complètement l'ancierine bipartition de l'univers
qui s'est tout simplement déplacée : au lieu de distinguer le monde sublu
naire du monde céleste, elle sépare maintenant le monde en mouvement,
celui des planètes et de la Terre, du monde immobile, celui du Soleil et des
étoiles fixes. C'est René Descartes qu'Alexandre K9yré25 crédite plus parti
culièrement d'avoir syp_primé cet ultime distinction en affirmant le caractère
infini, mieux indéfini, de-l'univers.
3.3. Dissolution de toute topographie
En effet, la révolution cosmologique des temps modernes ne se réduit pas
au passage du géocentrisme à l'héliocentrisme ; elle fut également bientôt
suivie par celui du monde clos à l'univers infini. Or l'infinitisation de
l'univers a pour conséquence irrémédiable d'interdire tout lieu privilégié,
c'est-à-dire toute topographie, puisque, dans un univers infini, il n'y a plus
ni centre ni périphérie, ni repos ni mouvement. D'Aristote à Galilée, ce ne
sont donc pas seulement les caractéristiques des topographies ambiantes qui
se modifieront, mais, bien plus radicalement, c'est à la disparition de toute
topographie possible qu'il nous est donné d'assister : à la topographie fixe et
absolue du monde aristotélico-rrtédiéval succède la relativisation de cette
structure au sein du monde copernicien, avant que l'infinitisation de
l'univers ne vienne sanctionner la perte de toute topographie.
Si Nicolas de Cues avait déjà tiré cette conséquence de l'infinité de
l'univers26, c'est assurément Giordano Bruno qui s'en fera, avec enthou
siasme, le chantre privilégié. À l'argument selon lequel le mouvement de la
Terre est invraisemblable dès lors qu'elle est au centre de l'univers et que ce
centre doit être le fondement fixe et stable de tout mouvement, Bruno ré- ·
27. G. BRUNO, Le souper des cendres 1 éd. G. Aquilecchia, p. 158 {lW dialogue).
28. Cette formule de l'hermétisme qui se rapportait à Dieu a été appliquée pour la première
fois à l'univers par Nicolas de Cues: «Donc la machine du monde a, pour ainsi dire, son
centre partout et sa circonférence nulle part, parce que Dieu est circonférence et centre, lui qui
est partout et nUlle part » (NICOLAS DE CUSA, De la docte ignorance 1 éd. L. Moulinier,
p. 155, livre II, chap. 12).
29. G. BRUNO, De 1 'infini, de 1 'univers et des mondes 1 éd. G. Aquilecchia, p. 338 (V•.dialogue). ·
30. G. BRUNO, De 1 'infini, de l'univers et des mondes 1 éd. G. Aquilecchia, p. 216 (III" dialogue).
Jean-François STOFFEL 597
Pérégrinations dans la topographie du géocentrisme et de l'héliocentrisme
4. CONCLUSION
Malgré la ressemblance des représentations traditionnelles du géocentrisme
et de l'héliocentrisme, le passage effectué par la révolution copernicienne ne
saurait aucunement se réduire à l'inversion de la Terre et du Soleil et à
l'accession de la Lune au statut de satellite. Passer du géocentrisme à
l'héliocentrisme, c'est, beaucoup plus fondamentalement, abandonner une
topographie, en l'o.ccurrence toute une vision du monde, au profit d'une
autre ; c'est donc, finalement, changer notre rapport au monde. Mais la ré
volution copernicienne n'opère pas seulement le passage du géocentrisme à
l'héliocentrisme, elle rend également possible celui 'du monde clos à
l'univers infini. Bien plus radical encore, ce second passage nous retirera
jusqu'à la possibilité d'établir une topographie, c'est-à-dire une manière de
nous situer dans le monde. De haut en bas dans le géocentrisme, du centre à
la périphérie dans 1'héliocentrisme, le regard humain finit doné par se perdre
dans l'infini... mais bientôt il se rattachera à d'autres topographies, non
géométriques celles-là, qui lui permettront de nouveau de redonner un sens à
son expérience humaine de l'univers.
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