Cours de Philosophie Psychologie (... ) Damiron Philibert bpt6k953314 PDF
Cours de Philosophie Psychologie (... ) Damiron Philibert bpt6k953314 PDF
Cours de Philosophie Psychologie (... ) Damiron Philibert bpt6k953314 PDF
DE PHILOSOPHIE
IMPRIMERIE DE E. DUVERGER,
rue de Yerneail n. 4.
COURS
DE PHILOSOPHIE,
PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE
TOME PREMIER.
PARIS.
LIBRAIRIE CLASSIQUE DE L. HACHETTE,
AUCtKNEt.KVEtmjL'ECOLENOHMALE,
1831.
PREFA.CE.
~>
Il nous parait nécessaire, en publiant ce nou-
vel ouvrage, de présenter quelques réflexions
qui en expliquent le dessein.
Nous commencerons par dire qu'il se rattache
étroitement à Y Essai sur l'Histoire de la Phi-
losophie en France au dix-new'ieme siècle; il
en est la conséquence et le résultat naturel.
U Essai est comme une enquête, dans la-
quelle on s'est proposé de reconnaître et d'ana-
lyser, de discuter et de juger les principaux sys-
tèmes que notre pays a vu naître durant ces
trente dernières années.
Cette enquête terminée, il restait à dégager
et à exposer dogmatiquement la théorie qui3
sous la forme et dans le travail de la critique,
n'avait pu être indiquée que par points de vue
épars et aperçus isolés. Après l'avoir donnée par
fragmens et sans autre ordre que celui des idées
qu'il s'agissait d'examiner, sans autre but que
celui des jugemens à porter sur ces idées; après
l'avoir ainsi accommodée et subordonnée à l'his-
toire, il convenait de la reprendre en elle-
même et pour elle-même, de la professer di-
rectement, et (l'en traiter dans la seule vue de
l'exposition scientifique; il convenait de la faire
passer (tu second pian sur le premier, et de l'y
mettre en relief dans sa suite et son ensemble.
Il y avait sans doute une doctrine dans
la pensée qui a dirige: la revue critique que
nous avons faite de nos philosophes contempo-
rains autrement, de quelle manière aurions-
nous pu nous prononcer sur l'opinion de chacun
d'eux, la contredire on l'approuver, la rejeter
ou l'accepter. En de semblables discussions, on
n'a point d avis sérieux sans principes arrêtés
qui le motivent et le déterminent. Il nous eût
donc été impossible de rien juger en ces ma-
tières sans une règle de jugement qui nous per-
met de distinguer la vérité de erreur, et de
prendre parti en conséquence; or, une telle
règle est évidemment une théorie, une doctrine.
Mais tant que nous en avons été aux pures étu-
des historiques, occupés à parcourir dans toute
leur variété cette succession de solutions dont
nous avions à nous rendre compte, ohligés de
nous arrêter sur celles-ci et sur celles-là de por-
ter notre attention tantôt sur l'une et tantôt sur
l'autre, de prendre position devant chaque école,
devant chaque homme de chaque école, con-
duits par les faits qui nous traçaient la marche
que nous devions suivre, il ne dépendait pas de
nous de (aire de la science comme nous aurions
désiré en faire; nous n'avions pas le choix des
procédés. Ce n'était pas la, à proprement parler,
philosopher et spéculer} ce n'était pas se livrer
dans la liberté de son esprit à cette suite de re-
cherches coordonnées entre elles qui mènent à
une explication complète et systématique. C'é-
tait deviser de philosophie et disserter selon le
besoin, tantôt sur un point, tantôt sur l'autre.
Par conséquent des aperçus, des argumens
partiels, une fouie d'idées éparses qui, i! est vrai,
à y bien penser, ne sont pas sans lien entre elles,
mais cependant n'ont pas cet ordre manifeste et
visible que réclame une théorie, voila seule-
ment ce qui se trouve et ce qui pouvait se trou-
ver dans X Essai dont nous parlons. L'auteur l'a
bien senti; il a senti que la critique, toute frag-
mentaire de sa nature, ne saurait bien satisfaire
les esprits qui aiment à voir les choses non-seule-
ment par échappées, par détails et petites parts,
mais dans leur tout et ieur unité. Il a compris
que, dans l'intérêt de la doctrine qu'il professe, il
ne fallait pas la laisser morcelée, éparpillée, mise
en pièces pour ainsi dire et comme jetée cà et là
sur toute cette suite de systèmes qu'il avait eu
à examiner, mais au contraire la reproduire en-
tière, concentrée, résumée et unie dans tous ses
éléinens", en un mot, il a pensé qu'après l'avoir
proposée dans une histoire de la philosophie, il
devait ensuite ta proposer dans un traite de phi-
losophie.
L'histoire en général n'est pas un font, mais
un moyen; elle condui t, par l'expose et. l'appré-
ciation des laits, à des considérations géné-
rales, à des principes et à des doctrines qui sont
la fin réelle vers laquelle l'esprit doit tendre.
L'histoire de la philosophie est, sous ce rap-
port, comme toute histoire; elle aussi n'est
qu'un moyen; on ne la (ait pas pour la faire,
pour en rester a ses données et ne rien chercher
au-delà; on la fait po-ur s'enquérir des solutions
qu'elle constate, pour juger ces solutions, les
adopter ou les rejeter, ou seulement les modifier,
puis -enfin pour établir par-delà toute critique
quelque système qu'on élève sur les ruines ou
avec l'appui des idées qu'on a jugées. L'histoire
de la philosophie n'est jamais et ne peut jamais
être un travail définitif; essentiellement prépa-
ratoire, elle recueille, estime, met en ruines ou
conserve les matériaux divers que le temps lui
a rassemblés, elle arrange tout pour la mise en
œuvre, mais elle-même n'édifie pas; et si elle
déblaie le terrain, le nettoie et le dispose, son
emploi se borne là, et construire n'est pas son
œuvre. L'écrivain qui, curieux des monumens
philosophiques, s'est appliqué à les compren-
dre, à les apprécier, à les juger; qui, selon son
opinion, les a attaqués ou raffermis, réduits ou
restaures n a sans doute pas perdu sa peine;
loin de ià il a entrepris un travail excellent.
S'il l'a bien accompli, s'il y a apporté bonne
loi, sagacité, patience, il se sera éclairé lui-même,
i! aura éclairé les antres, il aura bien mérité de-
ia science. Mais néanmoins son monument ne
sera pas encore élevé; quelques traces seule-
ment marqueront sans beaucoup d'ordre le plan
qu'il a en vue l'architecte aura commencé,
mais il n'aura pas achevé sa lâche.
Certainement- il n'arrive pas toujours que
l'historien de la philosophie ('«'historien devienne
théoricien, et termine par un système ses ana-
lyses critiques mais c'est là cependantt la marche
qu'il doit suivre. S'il ne la suit pas, il a ses motifs;
il aime mieux, par exemple, renouveler sur une
autre époque les recherches dont une première
a déjà été le sujet, et il diffère en attendant l'ex-
posé dogmatique des principes qui l'ont guidé;
ou il croit que ces principes sont trop faciles à
extraire des discussions auxquelles il s'est livré,
pour qu'ils ne frappent pas le lecteur, et ne lui
apparaissent pas avec évidence; et alors il ne
prend pas un soin qu'il regarde comme inutile;
ou bien encore il ne se sent pas le goût de les
proposer sous la forme scientifique, après les
avoir déjà offerts sous la forme de la critique.
Mais quelles que soient ses raisons, il est con-
stant qu'il n'a atteint [a but auquel il doit viser,
qu il n rernpli tout son devoir qu'autant qu'il ;s
passe implicitement ou explicitement de la cri-
tique à la dogmatique et de l'histoire à la théo-
rie.
Il faut qu'il systématise sa doctrine,
sous
peine de ne pas la voir comprise et acceptée par
cette foule d'intelligences incapahles de la dé-
duire des applications partielles qui en ont été
faites à l'histoire.
Telle est du moins notre manière d'entendre
l'histoire de la philosophie; telle est l'idée d'a-
près laquelle, déjà dans la conclusion de V Es-
sai nous avons lâché de coordonner, en les
résumant rapidement, les principaux points
scientifiques qui nous paraissent la hase de la
philosophie. C'est cette même idée qui aujour-
d'hui nous détermine i revenir sur tous ces
points divers pour les traiter avec le dévelop-
pement qu'exige une claire exposition.
Les deux ouvrages sont donc entre eux dans
la relation la plus étroite. Logiquement ils ne
font qu'un; le premier est déjà le second, et le
second est encore le premier. L'un prépare et
appelle l'autre, et celui-ci explique celui-là tous
deux expriment la môme pensée; il n'y a de dif-
férence que dans l'expression qui est critique
dans le premier et dogmatique dans le second.
Et maintenant si l'on demande pourquoi
l'auteur en les publiant a débuté par l'histoire
s
au lieu de commencer par la théorie, ce qui
semblerait plus naturel, il priera que l'on re-
marque qu'avant de proposer directement une
opinion philosophique, il convenait peut-être
mieux de la présenter indirectement et appli-
quée à l'examen des opinions contemporaines.
En eiiet,parce procédé il a d'abord pu, pour
son propre compte, s'assurer si elle n'était
pas sans solidité et sans force. En la mettant
à l'épreuve dans une foule de discussions, en
l'employant à combattre ou à défendre une
toute d'idées, au milieu de cette mêlée où. tour
à tour il avait a l'opposer a un adversaire ou à en
servir un allié, il a pu voir si elle avait bien toute
la vertu ou pour mieux dire toute la vérité qu'il
lui croyait. C'était le moyen infaillible d'en re-
connaître les défauts, d'en apercevoir les côtés
faibles, et par suite de amender, de la rectifier
et de la rendre meilleure; il s'empresse même
de faire l'aveu qu'il a eu plus d'une occasion de
s'éclairer par cet examen, il n'a point eu affaire
à tant de penseurs divers, il n'a point traversé les
écoles et les systèmes sans beaucoup profiter de
cette longue expérience. H en est du monde phi-
losophique comme du inonde proprement dit: on
s'instruit à voir l'un comme on se forme à voir
l'autre; et de même que la [ira tique et la connais-
sance des hommes dissipe plus d'un préjugé, ré-
forme plus d'une erreur, de même l'étude et Pha-
bitude des idées el des théories ôte à l'esprit plus
d'une vue fausse. L'auteur trouvait donc dans
l'intérêt de ses études particulières un grand
avantage à commencer par un travail historique.
Mais en même temps il y gagnait de ne pas
aborder sans préparation des lecteurs qui pou-
vaient bien, s'il leur eût d'abord donné un livre
de pure métaphysique, ne pas avoir beaucoup
d'égard pour un ouvrage qu'aucun titre ne re-
commandait à leurs yeux. Il commençait par
les attirer sur ses traces et comme à sa suite, au
milieu des vifs débats qu'il engageait de toute
part, il les y entraînait et les y mêlait; et amis
ou ennemis, il leur donnait le désir de voir,
comme on dit, de quelle manière cela finirait;
la polémique les disposait, par un motif tout
naturel, à vouloir connaître explicitement la
théorie qui avait fourni les argumens de la dis-
cussion c'était en quelque sorte le plan de cam-
pagne dont ils désiraient l'exhibition après avoir
été témoins des manœuvres exécutées soit pour
l'attaque, soit pour la défense.
Voilà pourquoi sous plusieurs rapports il con-
venait que l'Essai sur l'Histoire de la Philoso-
phie précédât tout traité exprès de philosophie.
Dans l'ordre logique de publication, le livre
qui paraît aujourd'hui ne devait venir qu'après
le premier, dont il est, comme on vient de le
voir, la conséquence naturelle.
Or s'il en est la conséquence cela ne peut être
sans qu'il y règne le même esprit scientifique.
L'esprit de X Essai est l'éclectisme; c'est l'é-
clectisme appliqué à l'étude et à la discussion
d'un certain nombre de doctrines c'est comme
on l'a dit bien des fois, et jusqu'à rendre heu-
reusement cette vérité vulgaire, la croyance que
dans les idées mêmes les plus erronées, il y a
toujours nécessairement une assez grande part
de vérité pour qu'il soit utile et sage de les re-
chercher et de les juger toutes, de prendre à
toutes ce qu'elles peuvent avoir de juste el de rai-
sonnable c'est par suite la disposition à n'en né-
gliger aucunes, à n'être hostile à aucunes à les
examiner quelles qu'elles soient pourvu qu'elles
soient fortes et puissantes; l'intention ferme et
éclairée de philosopher avec chacun de se pla-
cer dans le point de vue et la pensée de chacun,
de tout regarder pour tout comprendre de tout
comprendre pour tout juger, curiosité et impar-
tialité, justice savante et concluante, accepta-
tion et conciliation de toutes les opinions par
leur côté vrai, tel est l'éclectisme dans l'histoire.
Il n'est pas autre dans la science. 1.1 ne change
pas de nature, il ne change que d'objet en pas-
sant des opinionsauxfaitsà observer;critique ou
dogmatique il procède de la même manière. En
effet, quand au lieu de s'occuper des solutions
que tels ou tels philosophes ont données de cer-
lains problèmes il cherche lui-même ces solu-
tions dans les données tic la réalité; quand il
se place au sein des choses et les regarde avec
soin attentif à toutes tes laces du sujet qu'il con-
sidère, il n'en laisse aucune dans l'ombre n'en
repousse ou n'en ai 1ère aucune, n'en arrange au-
cune à son idée, et dans l'in tét,è t (~1't-inehypothèse;
il les embrasse et les conçoit toutes, les accueille
toutes en sa pensée, et s'efforce de les y recevoir
dans le même ordre et les mêmes rapports que
ceux qu'elles ont naturellement. On a quelque-
fois à l'égard des faits, une sorte d'intolérance
et de despotisme philosophique qui mènent sans
peine à en méconnaître ou à en nier la réalité.
On ne les admet qu condition on ne les souf-
fre que par faveur; s'il le faut on les mutile, s'il
le iaut même on les rejette; cette manière de les
traiter est une espèce de bon plaisir qui ne vaut
pas mieux pourla science que le bon plaisir poli-
tique pour les institutions sociales; elle nesaurait
avoir pour résultat que des systèmes arbitraires
et de hasardeuses solutions. L'éclectisme au con-
traire non-seulement accepte mais recherche,
poursuit et quête en quelque sorte tous les faits;
il les prend tels qu'ils lui viennent, les reçoit
tels qu'ils sont, n'y ajoute ni n'en retranche
rien; il ne néglige, après examen, que ceux
qui sont insignilians; les autres il les observe
avec une scrupuleuse exactitude, les analyse
en eux-mêmes les compare les uns aux antres,
les généralise et les résume avec une sévère
attention. Il n'a pas son cadre tout prêt où
il faut bon gré mal gré qu'ils entrent et pren-
nent place il ne les l'ait pas pour le cadre, mais
il fait le cadre pour eux; il n'a point d'avance
une hypothèse à laquelle il les rapporte et les sa-
crifie sans raison loin de là il n'hésiterait pas à
leur sacrifier une hypothèse. H n'exerce point à
leurégard cette tyrannie de l'esprit de secte ou de
système qui les façonne, les réduit ou les écarte
à son gré; il ne les plie à aucunes combinaisons
factices et artificielles il les regarde comme sa-
crés, sacrés du droit de la vérité qui les envi-
ronne à ses yeux d'une sorte d'inviolabilité. L'é-
clectisme est dans la science une sorte de régime
constitutionnel qui autant qu'il est possible,
tend à en bannir l'arbitraire. L'égale admission
de tous les faits dans les théories scientifiques
le respect religieux de tous ces faits dans leurs
circonstances essentielles sont en effet dans l'or-
dre logique deux grandes règles de vérité, qui
répondent et équivalent à celles qui dans l'or-
dre social assurent à chacun l'égalité et la liberté
devant la loi; de même que celles-ci donnent à
la politique une excellente direction, de même
celles-là mettent la philosophie dans une voie
pleine de sagesse.
Si donc l'auteur, après avoir tenté de faire de
la critique [)liilosoplii({uc dans une vue d'éclec-
tisme essaie aujourd'hui de faire de la philoso-
phie dans une vue toute semblable el que fidèle
ù cette pensée, il s'attacheà la suivre avec pa-
tience et application il aura peut-être quelques
chances de philosopher avec vérité; du moins
ce qui est certain, c'est qu'il a eu le ferme vou-
loir de ne rien altérer, de ne rien fausser, et de
donner aux faits quels qu'ils soient leur vraie
place dans la science.
L'éclectisme ou en d'autres termes l'esprit
de recherche et d'examen, d'impartialité et
d exactitude, est sans contredit la condition pre-
mière et indispensable de toute étude philoso-
phique.
Cependant il n'en est encore que le moyen
préparatoire et la méthode de début il n'en
est pas le procédé définitif et dernier; à moins
qu'il ne joigne à la faculté de bien observer les
choses, celle de les généraliser et de les résumer
avec la plus haute abstraction.
En effet, il n'y a point de théorie point de
vue vraiment savante des objets qui sont per-
çus, soit par les sens, soit par la conscience,
tant que ces objets, d'abord saisis dans leur na-
ture individuelle puis examinés dans leurs rap-
ports, puis enfin généralisés, ne l'ont pas été
graduellement jusqu'à la dernière extrémité. 11
ne suffit même pas, pour la théorie, qu'on ait
qu'on
et qu'on ..1
quitté la région (tes pures notions individuelles
(.Ijuscelle
déjà entré dans
soit.soit (les
celledes généra-
lités; si ces généralités sans étendue touchent de
trop près à l'expérience, si loin d'avoir en elles
leur preuve et leur raison loin d'être principes
de leur chef, elles ne sont que d'un degré on
d'un petit nombre de degrés au-dessus des sim-
ples perceptions si elles ne sont que des idées à
rapporter à d'autres idées des sous-principes
pour ainsi dire, ou des généralités en sous-or-
dre, la connaissance qu'elles constituent n'est
sans doute plus du sentiment, mais n'est pas
encore de la science.
Elle ne prend un tel caractère, elle ne de-
vient vraiment scientifique, qu'au moment
où elle sort des plus étroites généralités pour
s'élever successivement à des généralités supé-
rieures, et s'il se peut, à la généralité qui domine
et comprend tout; alors seulement elle est
théorie.
Toutes les sciences qui ont passé de l'hypo-
thèse à l'observation en suivant cette nouvelle
voie, ont commencé et dû commencer par se
montrer empiriques; elles ne pouvaient point
du premier pas toucher au hut de la généralisa-
tion elles avaient auparavant, à parcourir tous
les degrés de recherches lentes et patientes;
aussi se sont-elles bornées dans leurs premières
inductions à des résumés de faits qui n avaient
rien d'universel. 1 Elles s'essayaient à l'abstrac-
1"r.
nuance, s'ébranche et se divise de bien des fa-
1.
çons et dans bien des sens, mais qui, parmi tou-
modifications,garde toujours sa substance
tes ces iiiol-1:4.1 1
PSYCHOLOGIE.
«
les ont fournies, qui jouissent de ces qualités. B
Ces passages sont très clairs, et ne peuvent laisser
aucun doute l'auteur y donne son idée en termes si
précis, qu'un psycltologiste ne ferait pas mieux; et il est
bon de remarquer qu'il n'a ici aucun intérêt à se servir
de ce langage que ce n'est pas un de ces points déli-
cats et dangereux sur lesquels il pourrait être prudent
de faire un mensonge de science afin d'éviter les tra-
cassenes uny a poutt ia, en apparence du moins, ue
question morale et rehgieusc le philosophe pouvait
tout dire sans s'Inquiéter de qui que ce fût. C'est d'ail-
leurs une justice
ieurs -t~istice àa rendre àa. M.
~,r Broussais on ne voit
"lot
pas dans ses pages de ces concessions de complaisance,
de ces soumissions hypocrites, dont croient devoir se
couvrir quelques physiologistes timorés, quiy~M~tSCKt
leur matérialisme pour se donner plus de sécurité; il a
plus de franchise et de loyauté il avoue tout ce qu'il
croit, et a son système sur la main.
Ainsi, dans ce que nous venons de citer, sa pensée
n'est pas seulement claire, elle est, de plus, sincère et
véridique nous pouvons donc nous y fier, et la pren-
dre pour sujet de raisonnement.
Deux choses y sont étabues t° {'obscurité du ~MO-
modo, de la manière dont les organes produisent les fa-
cultés morales; 2° le caractère particulier de ces mêmes
facultés. Or, cherchons un peu ce qui suit de l'une et
l'autre proposition.
Obscurité, mystère même sur le rapport de génération
qui existe du physique au moral Mais alors comment
dire que le moral vient du physique ? Il vient après; mais
en vient-il? Si vous ne savez pas comment fait l'organi-
sation pour devenir sensible et indigente, si vous ne !a
voyez pas en opération de conscience et de volonté, s'il
ne vous est pas possible d'y saisir la formation et l'émis-
sion de l'esprit, avez-vous raison d'aulrmer que, néan-
moins, les choses se passent ainsi? Vous le supposez
libre à vous; mais c'est une hypothèse que ne vérifie au-
cune expérience immédiate, et dont toute la force est
dans cet argument L'esprit se montre et agit à la suite
du mouvement organique; donc il est le résuttat et
comme la continuation de ce mouvement a peu près
comme si, dans un système contraire, on s appuyait Je
certains faits qui succèdent aux faits de t'ame. pouraf-
tirmer que t'ame tes entendre,et (p)'ef!eestunprincipe
d'organisation. ~a-t-o'i pas pens' en euet.f'ue l'âme
a la vertu, uon-seuiement de mouvoir et de vivitierie
corps, mais de le composer, de )e créer, de le faire? i\e
lui a-t-on pas prête la puissance d'attirer, de combiner,
d'organiser, de (tisposer en appareils, par instinct, H
est vrai, et sans le savoir ni le vouloir, les etemens di-
vers <pn constituent l'animai? En sorte que les fonc-
tions de la vie, la respiration, la circulation, la nutri-
tion, etc., ne sont, dans ce point de vue, comme la
pensée et !a passion, qu'une action spiritueHe; avec
cette seu)e différence qu'ici il se meie toujours plus ou
moins de conscience et de tiberte, tandis que!à il n'y
en a pas trace. On n'a. certes, pas le droit de faire beau-
coup plus de difncuite pour adopter comme hypothèse
cet ~Kf'/K!.w:c excessif que pour embrasser un matéria-
lisme qui n'a pas de moindresprétentions: il n'yapasptus
d'absurdité a faire digérer i'ame qu faire penser le
corps; les preuves sont de même force de part et d'autre.
Mais voici bien un autre embarras. On reconnaît que
les qualités, les modes, tes eHets ou les facu)tes, comme
on voudra, qui sont dites morates et intellectuelles, ne
sont ni visibtes, ni tangibtes, ni sans doute odorifé-
rantes, sonores et savoureuses; qu'elles n'ont rien de
comparable aux propriétés materieHes qu'cHes sont
immaterieHcs par conséquent; et cependant, maigre
l'ignorance absotuc que l'on professe sur )a manière dont
el)es viennent de la matière on les y rapporte sans hé-
.s!ter. D'après quel principe? Ce n'est pas sans doute
d'après celui qui veut que des quahtes différentes soient
a des substances différentes, et des phénomènes oppo-
sesadcs causes opposées. Cest d'après te principe cou
traite; mais )e contraire n'est pas vrai. et on ne son-
tiendrait pas serieusen)ent(p)'on peu), sans tenircompte
()es(!i[te)('neesetdes<)ppositiofLS,rassemb!erdansun
utone sujet ce (p~i se t'f'pousscct se (;on).)'('diH<'), rap-
porter a ))))<')ne<!)eso)H(;<'(tes<'(!<'ts<p)iu<'se rcsson-
bien! pas. Pour quaiifierta .matière des attributs spiri-
tnets, itiautou)))ier que ces attributs ne vont pas rai-
sonnabiernentavecceux (jue)[e a en rèa[itè: autrement
on ne tomberait pas (tans !'opi)uon que nous combat-
tons;eeseraitimpossibie, impossible par force togique:
car on n'es! pas [i)))'e de iairc ({ne ce qui est contradic-
toire ne te soit pas. Or, (ton vient qu'on ouinie? de ce
qu'on regarde tropiègèrement. Quand on )tég!ige l'ob-
servation, on ne reste pas bien pénètre de l'idée des
laits observes; on ne se les représente pas exactement;
on finit par ne pas trop savoir quelle en est la nature et
la vérité et alors, pour peu qu'on ait quoique système
qui en demande le sacrifice on les abandonne sans
peine on les traite sans scruputc on ne les sent pas
assez pour y tenir sérieusement voila ce qui arrive
à la plupart des physio!o~istes quand ils s'occupent de
psychologie voilà ce qui est arrive à M. BrousKns, qui,
peut-être, moins qu'aucun autre, n'était dans les dis-
positions convenables a ce ~enre de précautions scien-
tifiques. Tout préoccupe d'organisme tout au besoin
d'univcrsaHser sa doctrine pbysiotogique, impatient de
ce quiia borne inattentif a ce qui la gène, dans son
ardeursystematique il a passe par-dessus icsiaits, comme
s'ils n'avaient pas existe, il n'y a presque pas pris garde.
Ainsi, après avoir dit avec raison que la sehsibitite comme
la pensée est immatérielle, invisible, if n'en est pas de-
'neure frappe lorsqu'i) a aborde la psychologie, et.
comme son hypothèse en allait mieux et en prenait plus
d'étendue, il a assimUé sans hésiter ces facultés toutes
morales aux qualités matérieHes. Mais si, d'un esprit
plus discret, et d'un sens plus phitosophi<~ue, il se fut
arrêté davantage sur ces phénomènes singuliers, il au-
rait été plus retenu dans sa manière de les interpréter;
il ne les eûtpas jetés sansménagementdans son système
de la vie; it ies eût mis en réserve examines et jugés à
part, et peut-être rapportes a une théorie particulière.
I! est diulciie en effet, quand on y fait bien attention,
de ne pas voir que les qualités du principe InteUigent
n'ont aucune analogie avec celles de la matière. Ici le
fonds de toutes est 1 étendue; sans l'étendue, rien de
sensible là le fonds commun est la pensée; sans la pen-
sée, rien de moral. Or. entre la pensée et l'étendue
quelle similitude y a-t-U? queiie conciliation, quelle
possibilité de coexister dans un même sujet? On en con-
çoit l'harmonie, parce que l'harmonie permet, impiiquc
même la distinction; maison n'en conçoit pas l'identité,
ia confusion de nature. JI n'y a pas à raisonner pour le
montrer, il ne faut que regarder voici la pensée telle
que chacun ia trouve en soi quand il s'observe. Eh
bien a-t-elle des dimensions? se prête-t-eUe à !a géo-
métrie ? a-t-etie la figure, la couleur, ou quelques
autres des propriétés qui sont essentielles à l'étendue?c~
Et l'étendue de son côté a-t-elie aucun des attributs
qui caractérisent la pensée ? a-t-elle le sentiment, la
réflexion, le raisonnement, la reproduction de tous
ces actes par la mémoire, leur combinaison par l'imagi-
nation ? On a dit qu'il n'était pas impossible que la ma-
tière eût la pensée; on a même dit qu'elle l'avait mais
certainement, pour admettre cette possibilité ou cette
réalité il afaifu méconnaître soit la pensée soit la ma-
tière spiritualiser celle-ci ou matérialiser cel!e-)a trai-
ter l'une comme une citose simple, une, de l'unité que
nous entendons, on arrangerl'autrcdetelle façon qu'elle
fût, non plus ce qu'elle est, mais ce qu'elle devrait être
pour être tangible, visible, perceptible par quelque
sens sans cela, comment expliquer cette hypothèse?
Locke a pu avoir un doute sur la capacité de la matière
pour la faculté de penser, mais alors aussi il a dit avoir
un doute sur l'essence même de la matière; il a du, va-
guement peut-être, et sans système arrête, supposer
que l'univers ne se composant que de forces, qui sont
des principes simples, une de ces forces s'élevant de
l'activité brute et physique à l'activité intellectuclle
pouvait devenir esprit et arriver à la pensée. Leibnitz
t'aurait dit; son M!0?ta</M??tcl'y conduisait, puisque dans
cette grande idée des choses il n'y a qu'une seule espèce
de créatures tes monades, entre lesqueHes une diué-
rence de degrés n'empêche pas qu'il n'y ait des rappro-
chemens de nature et des analogies d'attributs mais
dans ce cas même ce ne serait pas l'étendue c'est-à-
dire la collection de plusieurs forces constituant une ré-
sistance continue, qui jouirait de la pensée ce serait
une de ces forces, entre toutes les autres ce serait celle
qui serait faite esprit, et ce!!e-Ià seulement; car,
comme
nous le verrons bientôt, il n'y a pas d'intelligence sans
unité. Que si on entend l'étendue comme t'entendent
les matérialistes, c'est-à-dire si l'on n'y voit qu'une juxta-
position de molécules, de quelques manières que ces
molécules soient combinées et organisées elles for-
meront toujours un tout qui, par ses caractères dis-
tinctifs, ne sera pas la pensée. Et ce qui est vrai de
la pensée l'est également de la passion, qui n'est
que la
pensée mise en émoi, l'est également de la liberté qui
n'est encore que la pensée, se possédant et se dirigeant.
La passion et )a liberté u'ontrieneneHesquiressembte
aux pifénomencs physiques ce n'est pas de tajumiére,
du calorique ou du son; cites n'au'ectent de leur pré-
sence ni t'œit, ni le toucher, ni l'ouïe.
On s'imagine quelquefois que t'en saisit par les
sens
les qualités murâtes; que t'on voit, que t'on entend
physiquement la vertu et le talent; mais ce ne sont que
leurs œuvres, que leurs signes, que leur action tombée
dans les organes de la vie, et les animant d'une expres-
sion de bonté et d'intelligence. Et d'où vient que ces
mouvemens extérieurs, tes seuls que noirs percevions,
nous l'ont cependant un autre enet s'ils n'étaient
que des juouvcmens? d'où vient qu'ils se moralisent et
se spiritualisent a nos yeux? C'est que, en ce qui nous
regarde, nous les voyons Intimement se rattache!' à une
idée, et que, dans les autres, nous supposons que les
choses se passent comme en nous. C'est toujours par la
conscience, ou sur les données de la conscience, que
nous jugeons de ce qui est intellectuel et moral. Les
sens ne nous en révèlent que t'apparence et la forme;
ils ne nous en montrent pas le principe le moi seul en
a le secret, seul il le puise en lui-même, pour le porter
ensuite au dehors.
Venons maintenant à une autre considération elle a
pour objet l'unité, qui est essentielle à la pensée, à la
passion et à ta votonté; nouvelle diGerence qui les dis-
tingue des qualités de la matière. Pour aller plus vite,
remarquons qu'il n'y a ni passion, ni volonté sans pen-
sée, réfiéchie ou irréfléchie. La passion, comme nous
l'avons déjà indiqué, c'est l'ame, qui sent du bien ou du
mal et s'en émeut; la votonté, t'ame, qui, par suite de
sa conscience, de ses idées, se possède, se gouverne, et
.se détermine. Ainsi, t'une et l'autre ne sont que des con-
séquences de la pensée, (h', la pensée ri'est pas séparée
du moi, elle n'est pas sans te mot. Qu'est-ce qui pense
en nous? C'est le me?', i) n'y a pas deux réponses a cette
question. Celle des spiritua!istes est celle des matéria-
listes. On se divisera tant qu'on voudra sur la nature et
i'origine de cette personne inteHigente; mais sur sa fa-
cufté d'intelligence, il n'y aura qu'une voix. C~j'o,
pense, voilà ce que tout le monde avoue. C'est l'exis-
tence, n'importe ce qu'elle est, parvenue à l'état de
conscience, se sachant et se discernant, se faisant moi
en un mot, qui seule a ia propriété de sentir et de con-
naître. Avant d'être en cet état. elle ne perçoit pas; si
elle cessait d'y être, elle ne percevrait plus; mais dès
qu'elle y est et tant qu'elle y est, elle est capable de
perception. Le ~M/ conscia la rend éminemment propre
à la pensée.
Or, si nous revenons sur ce qu'est le moi, que nous
regardions cette unité si complète et si entière que nous
lui avons trouvée précédemment, nous conclurons, sans
aucun doute, que la pensée, son attribut, suppose né-
cessairement l'unité, et ne se produit que dans l'unité.
II n'y a qu'à l'observer lorsqu'elle se développe dans
quelque acte. Y aperçoit-on une p)ura)!té d'etémens ou
de sujets? y compte-t-on des parties? Et, parexemple,
quand elle compare, ne paraît-elle pas avec une sim-
pticit.e que rien n'égale ni ne surpasse. Vous voilà
en
présence de deux objets, vous les comparez, c'est-a-
dire vous les regardez l'un et l'autre; vous sentez d'abord
qu'il n'y a que vous ni plus ni moins, vous tout seul, et
en ne vous y prenant qu'avec votre inteHigence et votre
attention, qui parvenez à saisir les rapports que vous
cherchez. Et si par hasard il vous venait )'!déc de sup-
poser que ce qui compare est muttipic et compose,
faites avec M. la Romiguière ce raisonnement très sim-
p)e, et votre hypothèse tombera « Une substance ne
peut comparer qu'eHe n'ait deux sentimens distincts
ou deux idées a la fois. Si la substance est étendue et
« composée de parties, ne fût-ce que de deux, où p)a-
« cerez-vous
les deux idées? seront-eUcs toutes deux
« dans chaque partie, ou l'une dans une partie et l'autre
«dans t'autre? Choisissez, il n'y a pas de mDieu si les
dans
«deux idées sont séparées, la comparaison est Impos-
sibte; si elles sont chaque partie, il y a
deux comparaisons a !a fois deux substances qui
"comparent, deux âmes, deux H: miite, si vous
« supposez
t'ame composée de mille parties. <
C'est, sous une autre forme, i'argumcnt tire de la
faculté de juger, que Baytc trouve géométrique.
Qu'y a-t-il maintenant de prouve? Que la pensée n'est
pas sans l'unité, ou que l'unité est le fond et la condi-
tion de!a pensée.
Or, c'est précisément le contraire pour l'étendue et
toutes les qualités qui modifient la matière. La piuralite
et la composition leur sont essentielles et nécessaires.
Point d'étendue sans juxtaposition, point de ngure, de
forme, de couleur, etc., sans une combinaison d'e)e-
mens qui se terminent par certaines lignes, ou absor-
bent certains rayons. Quand on admettrait que ces etc-
mens sont en eux-mêmes simples et indivisibtes, il ne
faudrait pas moins qu'ils fussent/)/MSt~u?'~ et qu'ils se
réunissent en corps, pour donner lieu aux phénomènes
dont les sens ont la perception cette considération est
décisive pour distinguer entre elles les propriétés fonda-
mentales de l'esprit et de la matière.
Donc. pour résumer toute cette discussion, avouer
d'abord qu on ne sait pas comment te moral vient du
physique, et cependant anirmer que de fait il en vient,
puis reconnaître que la sensibilité, que ta pensée sont
immatérieiies, intangib!es, invisibles, ce (m'a') reste
nous avons montre, c'est établir un premier système,
contre lequel, comme maigre soi, on en élève ensuite
un autre qui le combat et le ruine; c'est tomber certai-
nement dans une espèce de contradiction.
Nous avons reconnu que le moi est acti f, t<Hj simple,
~Ma~rtc/, reste à voir son tt/c?~:<e pour terminer t'exa-
men de cette partie de ses attributs que nous appelons
essentiels.
Commençons par nous rappeler que le moi est une
force qui a conscience d'eHe-mëme. H est donc une
personne; or, non-seulement il est une personne; il
l'est en outre avec cette circonstance qu'H ne cesse pas
de l'être après t'avoir ('te qu'il demeure ce qu'il a été
fait, qu'il garde sa personnalité de là, son identité per-
sonnelle.
ï! reconnaît cette identité, lorsqu'on se sentant dans
le présent, il se souvient du passé, et qu'il se trouve a
la fois avec la conscience et la mémoire de sa propre
existence. A ce double acte de pensée, il juge que le
passé ne fait qu'un en tui avec le présent, qu'it y a suite
de )'nn à l'autre qu'il y a continuité de lui-même.
Toutes ces manifestations de sa personne, qu'It voit a
diuérens points du temps, il les voit comme les mani-
festations d'une seule et même personne. TcUc est sa
croyance forme et profonde telle est aussi sa vraie na-
ture.
H est donc identique. Or, d'ou vient cette identité ?;1
de t'unité, d'abord puisque sans doute s'il n'était pas
on, mu!tip!c, composé, il serait comme tout ce qui est
multiple et composa'. sujet a division a dissotution et
par conséquent a mutation; peu a peu o)) tout d'un
coup i) !ui arriverait certainement de perdre que)ques-
unes de ses parties, d'être change dans seséiémens. do
cesser ainsi d'être Jui-même. Il serait identique comme
tes corps qui, a proprement parier, ne le sont pas il ne
te serait pas davantage. !t pourrait être plus on moins
ce qu'il aurait été auparavant mais ce plus ou moins
serait la perte de sa parfaite identité..
~oi)a où il en serait faute d'unité. L'unité lui assure
['Intégrité et le sauve de la division. Cependant, a la ri-
gueur, elle ne le garantit pas de la destruction qui est
le plus radical de tous les changemens. Il serait possible
en elfet que t'unité fut éteinte et remise en l'état où elle
était avant d'être créée c'est-à-dire dans ce vague être
qui est comme le néant. J! faut donc au moi pins que
{'unité pour pouvoirse conserver; il fautqu'I! aitla vie,
l'activité un principe de durée de continuité et d'im-
mortalité. Unité et activité, voilà donc quelles sont les
conditions de son identité personnelle.
Rien de plus certain que cette identité et cependant
rien aussi de plus certain que la variété et la diversité
qui se montrent dans le moi. Est-ce contradiction ou
conséquence de la vraie nature des choses?
L'ame a deux grands modes d'activité la passion et
!a pensée, auxquels, selon les circonstances, la liberté
se mêle ou ne se mêle pas. Ces deux grands modes d'ac-
tivité sont susceptibles, en se déployant, d'une foule de
diversités; pour s'en faire une Idée, il n'y a qu'à songer
un moment à toutes les choses qui se passent soit dans
le cœur. soit dans l'esprit. Que d'émotions! que d'idées!
avec quelle rapidité elles se succèdent, et avec quelle
continuelle variété' Ce ne sont pas seulement leurs
objets, dejasichangeans en eux-mêmes, si dissembta
btes entre eux, quiteur impriment à cha(~uc instant
un caractère nouveau, et les teignent de mille nuances
diuerentes )e.s unes des autres c'est aussi l'ame avec ses
goûts ses talens ses votontes et ses habitudes: il ne
lui faut qu un peu plus ou un peu moins d'énergie, que
quelques tcgcres modiucations dans ses dispositions in-
times, pour sentir et penser d'une façon ou d'une autre.
Tandis que ta natu rechange continuellement, elle-même
aussi change sans cesse en sorte qu'autant par son
fait que par celui du monde extérieur, elle ne reste pas
un moment en même état et même action.
Et cependant elle est identique; et il est absurde
d'en douter. Mais elle l'est comme elle doit t'être,
comme doit l'être une force qui n'est pas une chose
morte, une substance immuable, l'être en soi et rien
de plus; mais une existence animée et un principe
vivant. Elle l'est comme la vie qui n'ost pas seulement
mais agil et se meut, se déploie et se modifie se revêt
d'attributs aussi nombreux que divers. Elle t'est, à ta
condition de satisfaire a sa loi c'cst-a-dire de se déve-
lopper et de le faire comme la plus vive, ta plus sou-
ple la plus féconde de toutes les forces de la création.
Il n'y a point changement, pluralité de personnes en
elle, parce qu'elle ne demeure pas éternellement dans
la même situation il y a production incessante de fa-
cuttes à mille modes, qui, maigre cela, n'en sont pas
moins le commun eu'et d'une puissance toujours iden-
tique à elle-même. On doit reconnaître ici cette at-
liance, partout visible, de l'unité et de la variété.
L'unité sans la variété ne donnerait qu'une chose
vague, et qui serait comme le néant; de même que
la variété sans t'unite ne donnerait que la dispersion,
la contusion le trouble et te chaos. L'unité toute seule
n'aurait en quctque sorte pas de réalité. Elle a besoin
de s'animer c'est-à-dire de se varier pour avoir pteihe
existence. L'animation lui apporte avec la vie la variété.
Ur, l'ame est une unité une unité accomplie il faut
entendre créée avec l'être et le mouvement. Sa nature
est en conséquence d'exister et d'agir, d'être sub-
stance active d'être force et à ce titre, de se mutti-
piier et de se diversiner dans ses actes. Aussi, loin de
ne pouvoir être en même temps d'une unité conti-
nuelle et d'une continuelle variété elle ne saurait
être autre chose; il est nécessaire, qu'identique au
fonds, elle change dans la forme, et l'expression de
son énergie. Elle est !'image du créateur; comme lui elle
produit sans se détruire par la production; créatrice
elle-même dans les limitesde ses facultés, et de par Dieu
qui la soutient. elle met hors de son sein une foule
d'actes qu'elle y avait; de possibles elle les fait réels;
elle les modêtc pour ainsi dire en pensées, en passions
et en volontés. Par cette manière de se développer, elle
ne se divise, ni s'amoindrit; elle ne s'en va pasparparties
jusqu'à ce qu'ennn il ne reste rien tout reste elle de-
meure entière et ne s'épuise pas par l'action; elle suffit
dans sa vertu à cette fouie Innombrah!e de phénomènes
divers dont elle est le principe. JI lui arrive en des in-
stans de moins agir. de moins se montrer; eHe y est
contrainte ou elle s'y complaît; mais quelle qu'en soit
la raison, elle n'en éprouve en elle-même aucune sen-
sibte altération elle ne perd rien de sa substance, elle
la produit moins et voilà tout. Sans prétendre tirer
d'une comparaison plus de !umière qu'eHe n'en doit
donner, on peut cependant s'aider ici, pour faire mieux
comprendre la chose d'une image simpte et famiHère.
Un acteur, dans une pièce, représente un person-
nage qui paratt a plusieurs époques, et dans p!usicurs
situations. Pour le représenter udetemeni, il a do
changer de tangage de costume et de figure il a du
changer de rôie, et cependant c'est toujours ie même
acteur. it fera même en sorte, s'il a du talent, de mar-
quer cette identité tout en variant son jeu. De même
dans !c drame qu'eue doit jouer, la force humaine a
ses âges, ses incidens, et par suite aussi ses visages,
ses costumes et ses expressions variées mais cHe garde
son personnage ou ptutôt sa personne, et jusqu'à la fin,
quoi qu'cHe tasse, e!!c a toujours assez le sens et ):)
mémoire d'eHe-m~me pour se savoir identique.
'Mais, dit'a-t-on, n'y a-t-i! pasteite sorte de variation.
telle mutation du Hi~t, comme, par exempte, la fotic
qui )e rend un être reeuement autre?Autre, sans
doute, si l'on considère la manière dont il se produit,
dont il use de son activité, dont il exerce ses lacunes;
si l'on dit que dans la fone cessant de se gouverner.
il n'est plus le ma!t!'e de ses passions ni le regutateur
de ses idées dans ce point de vue rien de pius vrai
il est seutement a remarquer qu'alors même le chan-
gement est bien plus dans )c monde que dans le ?HC<
iul-mëme dans le monde qui, en atterant et en trou-
btant t'organisation J'agite et lui fait viotence que
dans le m~t qui subit une fâcheuse nécessité qui se
trouve réduit matgre )ui à n'avoir p)us sur iui-meme
t'empire qu'H désirerait, et qui n'attend pour le re-
prendre et rentrer dans ses droits, que la cessation des
causes d'ou lui vient tout son ma). Mais s'it e't constant
ator.s que i'honme n'est pins lui en ce sens que n'ayant
ptus de pouvoir sur tui-même, il n'a ptus sa raison et sa
morante, tc)tes qu'i) devrait tes a\oir; s'i) man<p<e a ses
actions la condition de la responsabilité si en un mot,
il a cessé d'être une personne devant la foi. un moi ci-
vil et politique; il continue a être lui. en ce sensqu'H
est toujours cette force douée de conscience qui per-
siste à se développer, quoiqu'eUe le fasse d'une manière
incomplète et malheureuse. H est encore ce qu'il était,
quoiqu'il ne soit pas tout ce qu'il était; un autre, un
second homme n'est pas venu en lui à la place du pre-
mier. Il y a eu trouble dans cette existence mais non
pas succession d'une existence à une autre et quand
vient la guérison il n'y a pas une nouvelle création,
ce qui pourtant serait nécessaire s'il y avait eu des-
truction, vraie mutation de substance, il n'y a que
transition d'un état mauvais à un état meiueur: et"la
preuve c'est que le malade, une fois revenu à lui et
homme complet comme avant, dit ou pense de lui:
quand je souQrais, quand je n'avais pas ma raison. Il
ne croit donc pas que la folie ait tué le moi en lui
elle ne l'a point tué en eS'ct elle n'a fait que le ré-
duire à une vie sans liberté et sans responsabilité.
Ces mots nous amènent naturellement à finir sur
l'identité par une remarque qui n'a besoin que d'être
énoncée pour être comprise c'est que sans identité il
n'y a point de responsabitité. Ce n'est sans doute pas
assez de cet attribut pour donner lieu à imputation il
faut en outre la liberté et avec la liberté la faculté
qui distingue le bien du ma). Mais sans la permanence
de la personne la condition première l'élément an-
térieur de l'imputabilité manque nécessairement. Il n'y
a rien a dire à un homme d'un acte qu'un autre a fait
il n'y a ni à l'en blâmer, ni à l'en louer, ni à l'en pu-
nir, ni l'en récompenser; ce n'est pas le sien il ne
à
lui appartient pas, il n'en a ni le démérite ni le mé-
rite. Aussi i'opinion publique dans .ses jugemens, et
les tribunaux dans les tours, partent-it.s toujours de ta
croyance à l'identité personnelle.
De même aussi t'Immortalité de l'ame n'a vraiment
UE I. t~TEJ.LIGEKCE.
'Argument du P/<~</oM.
eesenveloppes,pour entrevoir tes hautes vérités qui sont
dessous. La théorie de la science .considérée comme
réminiscence, ne nous ensei~ne-t-eMe pas quêta puis-
sance inteHectuetfe prise substantieHemcnt, et avant de
se manifester sous la forme de i'ame humaine contient
déjà en elle, ou phjtôt est ette-memeje type primitif etab-
sotudubeau,dubien,delégatitéetdet'unité;et que lors-
qu'elle passe de l'état de substance à celui de personne,
et acquiert ainsi la conscience et la pensée distincte en
sortant des profondeurs où elle se cachait à ses propres
yeux, elle trouve dans le sentiment obscurci confus de
la relation intime qui la rattache a son premier état,
comme à son centre et à son principe les idées du beau,
du bien, de l'égalité, de t'unité, de J'infini, qui alors
ne lui paraissent pas~tout-à-fait des découvertes, et
ressembtent~assez~à des souvenirs? C'est ainsi du moins,
que j'entends Platon. »
Mamtenantpoursuivons.La pensée entre en exercice.
Que!s caractères ont'd'abord les idées qu'elle SQ tourne?
sont-elles instinctives ou rétiéchies, concrètes ou abs-
traites, confuses ou distinctes? comment lui viennent-
elles et à quelles conditions?
Avant de commencer cet examen, qu'on nouStperr
mette de rappeler un passage de t'E~sat-sur /M~<w~ <<~
la philosophie, qui en présente par avance les principaux
résuttats c'est le morceau partequei s'ouvre ta prcmM;fr
partie ~/a conc/MSMK. La même question y est posée,
etta solution. qui s'y trouve n'est sousiprineuioms di-
dactique que cette que nous aUons essayer d'oifrir te;
ptustogiquement.. r
En que) état est t'esprit iorsque, ppur ta prcm~re
fois il perçoit un objet de connaissance ? Un moment
il
auparavant il t'ignorait, il ne savait pas qu'it.fut~ ejU
soupçonnait pas t existence. A l'instant même où il le
voit ii ne s'attend pas à le voir il ne se recueille pas
pour le mieux voir il ne se tient pas prêt à y réfléchir;
il n'est prêt à rien et ne se propose rien il agit sans
doute, puisqu'il sent ( sentit ) mais il agit sans liberté,
et par t'eSet seul de l'évidence, qui paraît et le frappe.
Les idées qui lui viennent alors ne sont pas telles
qu'il les a lorsqu'il y mêle la réflexion. Elles sont ce que
les font les choses, elles en sont la pure expression
c'est bien en lui qu'elles naissent, en lui qu'elles se dé-
veloppent il en est le principe, mais le principe né*
cessité. ETi les produisant il ne fait que céder à t'impres"
sipnde taréatité, en sorte que s'il est spectateur, il ne
t'est pas comme it te devient lorsqu'il observe et analyse
ici il n'observe ni n'analyse; il admire et contemple
tout ce qui se fait sentir il le sent; tout ce qui se fait
voir il le voit il prend toutes les choses Ctonme elles
lui viennent, facile, prompt, ouvert, sujet docile de la
vérité dont il reçoit l'inspiration. Que cette disposition
de la pensée ne soit pas de longue durée, que bleatôt il
s'y joigne un commencement de liberté et une nuance
de réSexion rien de plus certain; mais elle n'en a pas
moins son moment, et c'est dans ce moment que nous
!a prenons. Toutes les Idées qui naissentatorsontoaracT
tère de spontanéité.
Or, par-là même que ces idées se forment dans t'ame
comme d'ette~-memes, ou du moins sans autre mobile
que ta vérité qui apparaît, vraiescommeta vérité dont
elles reproduisent tous tes traits, elles n'ont rien de
cette fausseté qui trop souvent est le défaut de percep-
tions d'ailleurs plus précises et plus distinctes. Ici it n'y
a pas Heu à erreur tout se passe entre la vérité qui s im-
prime entière et pure dans la pensée qu'elle modifie
et ta pensée qui, surprise, dominée et docile, se laisse
faire par la vérité d'une part, les êtres tels qu'ils sont,
tels qu'ils se montrent et paraissent; de l'autre l'intelli-
gence telle qu'elle est dans sa pure na<veté. H est impos-
sible qu'en cet état l'idée ne convienne pas parfaitement
avec les objets auxquels elle se rapporte.
Or, comme ces objets dans leur réalité n'ont rien de
partiel ni de fragmentaire, qu'ils se montrent dans leur
tout, et avec leur pleine existence, qu'ils sont entiers,
concrets, composés, forts d'ensemble et d'unité, les
idées qui leur répondent, fidèles expressions de tels
modèles, nullement abstraites, ni analytiques, simples,
compréhensiveset étendues, offrent le caractère d'une
synthèse aussi vaste que facile. Elles vont à tout, em-
brassent tout; grace à l'instinct qui les dirige, elles ne
s'arrêtent qu'avec la nature, n'ont de bornes que ce qui
est, ne se déterminent jamais d'une manière factice
et arbitraire. Si quelque chose leur manque dans ce
développementspontané sous le rapport de la précision
et de l'exactitude philosophique, en revanche elles ont
une largeur, une façon de prendre le vrai qui prête
bien plus à la poésie. C'est le temps des images; elles
entrent vives et entières dans l'esprit qui les reçoit;
elles np s'y divisent ni ne s'y mettent par traits épars
et abstraits; elles s'y impriment en tableaux, et s'y dé-
ploient jusqu'au bout, sans s'altérer ni se défaire. Il ne
faut en conséquence dans les choses, et dans le spec-
tacle qu'elles présentent, qu'une certaine grandeur, que
des proportions qui dépassent les proportions vulgai-
res, pour que, s'il s'y joint en même temps un air de vie
et de nouveauté, les, âmes s'élèvent aux pensées vastes,
à ce grandiose de sentiment, à ces inspirations simples
et fortes, quelquefois mal contenues, qui sont l'attribut
caractensuque des poesjes prtnnnves. Aussi ouvrez
l'histoire; qu'y voyez-vous, toutes les fois que les esprits
jeunes et naïfs se trouvent en présence de quelques
scènes où le monde et l'humanité apparaissent avec
gloire? De toute part il éclate dans les âmes supérieures
d'extraordinaires imaginations, et de gigantesques des-
seins comme tout se conçoit de première vue, tout se
conçoit avec ampteur, et la pensée dans son cours fie
s'arrête qu'aux limites mêmes de la réalité qu'elle em-
brasse quelquefois elle les franchit, et déborde au
loin dans t'espace; la réflexion n'est point là pour la
contenir et la réduire, toute latitude lui est laissée, et
elle en use avec puissance.
C'est pourquoi presque toujours il y a du vague en
ses Idées. Ce ne sont que les masses qui la frappent, et
comme tes masses dans la nature n'existent pas isolées,
circonscrites et définies, comme elles tiennent à mille
choses et présentent mille rapports, en les prenant
'telles qu'elles sont, l'esprit n'en peut recevoir qu'une
impression vague et confuse. Mais cette obscurité n'est
passans charme, pour peu surtout qu'il y ait beauté dans
l'objet de ces perceptions; cette lumière à demi éclose,
cette manifestation enveloppée, l'air de mystère répandu
sur cette vérité qui se montre à peine, tout excite et
ravît t'admiration, toujours plus vive quand eHë sent
que quand elle comprend, quand e!ie adore d'Inspira-
tion que quand elle explique et analyse. La pensée se
plaît à ces tableaux, dont les couleurs sont sous voite;
elle y trouvejene sais quoi de moelleux, d'adouci, de
facile et de coulant qui la natte et l'enchante; elle est
d'aIHeurs plus libre d'y rêver l'idéal,
car rien ne prête
plus àtapoésie que ce demi-jour merveilleux, si favo-
raMe aux notions.
11 n'est donc pas étonnant. que les Idées dont nous
partons, réunissant à la simplicité, à la vérité à la gran-
deur cette sorte d'obscurité qui empêche la science,
mais convient si bien à l'art, venant à des intelligences
fortes et naïves en même temps, à des âmes neuves mais
puissantes!, inspirées mais sérieuses, y produisent ces
élans, ces saillies d'activité, cesfacuités prodigieuses qui
tiennent du héros, du géant et du demi'dieu. De nos
,jours ces ames sont rares; celles qui sont grandes, le sont
autrement, elles le sont par la raison. Mais aux premiers
âges du monde, dans la nouveauté du genre humain,
alors que, faute de temps, d'expérience et d'éduca-
tfon il ne pouvait y avoir et il n'y avait dans toutes
!e,s intelligences que cette pensée de premier jet, de
grands individus, des génies au-dessus de la foule,. réu-
nissant au don divin d'idées venues d'cn-haut un senti-
tnent profond des questions les plus importantes, arri-
vaient à des conceptionsadmiraDcs à la fois de candeur
e.tj de sagesse,' d'instinct et de portée. C'étaient des
hommes inspirés, des poètes, mais des poètes en ac-
tion, qui, instituteurs des peuples, législateurs, guer-
riers, inventeurs des arts et des sciences, imprimaient à
tqutesjeurs oeuvres le cachet de leurs idées, les fai-
saient simples et grandes comme leurs idées. Ils ne rai-
§onma)ent pas teurs préceptes,leurs lois, leurs exploits,
)eursdessems debout genre, ils les improvisaient mer-
ye~eu~ement, avec une véhémence et un éclat qui nous
é~Qpnent à b.Qjn droite car nous ne voyons plus de ces
chp~es-;la; o~,nous procédpps par système, ils allaieut
d~thpusiasme; o~ nous coulons de la philosophie, il
leursuûEtsait de !a.ioi; ils devinaient, quand nous ana-
lysons; us chantaient, quand nous d<scu tons: aussi n'ont-
ils rien du caractère qui cst<proprenos grands hommes.
Ceux-ci ne tentent rien qu'avec conséil et système~ le
moraliste est philosophe, le législateur est savant, le
guerrier a ses doctrines, l'industriel ses principes; nut1
n'ëxce!!e que par la science. Eut au contraire n'agissent
jamais que par l'impulsion de l'instinct sublime que la
Providence a dis en eux. S'ils prêchent à leurs sem-
blables la justice et la vertu, c'est en leçons qui partent
du cœur; s'ils leur donnent des lois, c'est en paroles
vives et entraînantes, c'est en poèmes plutôtqu'en codes.
A la guerre ils valent surtout par l'élan, les vues sou-
daines, et de prodigieux dévouemens; leurs hauts faits
sont bien plus du héros que du chef d'armée: quand us
tournent !eur pensée vers les travaux industriels, ils im-
priment le même mouvementaux entreprisesauxquelles
ils se livrent; ils ne les font pas toujours heureuses,
parce qu'ils y apportent peu de science, mais ils !ës
font grandes et hardies; it n'est pas jusqu'au commerce,
qu'ils ne poétisent en quelque sorte par la simplicité
qu'ils y mettent, et les aventurés qu'i!s y associent. Et
du reste, ce qu'ils sont, les masses le sont aussi; ëMes ne
diSerent d'eux qu'en degré, elles ont même sentiment,
même impulsion, même âme; elles aussi sont inspirées,
seulement c'est avec moins d'éctàt; sauf le génie, ë!!es
sont comme leurs grands hommes.
Voi!a quelles ont été aux anciens jours les premières
idées du genre humain. Elles lui sont venues, comme
elles lui devaient venir, naïves, vraies, grandes, à demi
voilées etp!eiaesde poésie; mais ellés ne devaient avoir,
et elles n'ont eu qu'une époque, qu'un moment, cette
pureténativë, signeheureuxdeleur origine. BientôtéMes
l'ont perdue au moins en sa ueur première; avec !ë tëmp~
ettés ont soUnert de plus graves atteintes Souvent même
altérées, méconnaissabies, !<U lieu de traits simples et
aatuKtM sousiesquets elles a'oifraient, elles ont fini par
auecter les formes les plus bizarres et les plus motM-
trueuses apparences. Connne t'humanité n'étant pas des-
t!HHe & ~n rester oisivement aux inspirations toutes &t-
tates~ toutes divines si l'on veut, qui suEsaient à son
eaiance, elle n'a pas plus tôt senti le beseio! de mtet~
connaître que, cessant de voir la vérité ainsi que d'a-
bttM'd eHela Voyait, elle <5'e8t mise à !'an~yaerpouires-
saysf de ift comprendre a~ais son analyse a faiUi, &ut~
de teu~s'et~'experience, et bien des erreurs <M)t )et~
la suite de cette première tentative. Danstesames&i-
Mex Bt <îomuT)t]aHs,ces erreursplus grossières <mt pfo-
duit ce& superstitions, ces préjugés de tout genre qm
a cet âge des sociétés, forment i'opintoa du vulgaire;
dans les ames plus étevces, elles sont devenues ces hy-
pothèses poétiques, et ces systèmes hasardés, qtu Sont
le partage tnévitabfe de la phitosofphie au berceau. Ainsi
s&)M doute, ~et dje boMt~ heufe-, la Térité prim!itir<e -a
i
étë baissée tour tomr et par tes ;faM<M du pettp~ 'et
par ~s explioations des pMioaopttess mais elle n'en a
p~sonoinis 'ew son !m)oment, eM~e m'en a pasmoinsdonné
NUKhomMMes un enseignement originel ~qui a duré au-
tant 'qn*'H ie ihUait pour leur c<M)MBjOBiqMM'ies itamtères
tb~t Us paient besoin d&sg leHr ignorance et iearnu-
di~ natives. 'Cejt enaeigtteoent n'a uni que- quand ta
MtistM~, Bortï&ëe et pou~ué par le Mt m~me det'mapt-
tOit~ ) a 'paseeMSrsaasp~rNeejea na4f dota peaséa,
St pmssef à <uu ~exëfMCe plus chaneeax ) ïsa~ ptus &)ft
de ses &:c<ai);é8 imte!teGtneMes.
~–t;
la ~uite'~ chaque fois qu'Ii nous arrive de voie se faire
ù~w chose, 'no~S concevons !hv!ncibt6mënt une puis-
saB~ë'qu~ia'ïait.ètre*
être vues
°, `1.
dont les parties unies ensemble demandent à être di-
visées, a~tre chacune à part pour être mieux ap-
préciées, le travail auquel on se livre pour les saisir
l'une après l'autre cette manière de passer de la pre-
mière à la seconde de la seconde à la troisième, etc.
en suivant toujours avec soin leurs rapports naturels;
cette façon de les considérer dans un ordre successif,
après les avoir considérés dans un ordre simultané, cette
attention, point par point, cette observation en petit
qui s'attache à éclaircir, non plus l'ensemble mais
les détails, c'est t'analyse ou la ~con~o~to~. Elle a
Heu, comme tous les actes qui la devancent et la pré-
parent, par un eubrt que fait l'esprit pour se fixer pro-
gressivement sur toutes les faces d'un objet, les toutes
démëter et les toutes distinguer; et par conséquent si
elle est légitime, si elle n'omet ni ne suppose, rien si
elle saisit juste tout ce qu'elle doit saisir, le résultat
naturel auquel elle conduit est une suite de connais-
sances partielles et élémentaires qui bientôt s'ordon-
neront dans utte connaissance totale.
Cette connaissance, en eQet, ne saurait long-temps
tarder a se constituer et à se former la raison en est
évidente. Si l'esprit est satisfait d'avoir perçu un à un
tous les points de vue partiels du sujet qu'il étudie, s'il
jouit de toutes ces clartés éparses et isolées qui sont
nées de l'analyse, la ctarté véritable celle qui ne gît
pas seulement dans les détails et les fractions, mais
s'étend à l'ensembte fait foyer et montre tout sous un
aspect d'unité, ce /ucM~M or~ lui manque cependant
encore, et cette privation l'excite a faire un dernier
afte dont t'effct est ).) réunion des diverses idées
partieltesenune idée totale, complexe et <yM<Ae<t~MC.
L'esprit en conséquence déploie de nouveau son
énergie; sans perdre de vue les élémens que l'analyse
lui* a livrés, il ne les regarde plus comme il le faisait
quand il se bornait à les abstraire il les groupe et les
lie, les ramène à cet état de composition première
dans lequel il les a trouvés, et par ce moyen les re-
compose et leur restitue leur unité. De cette attention
fragmentaire, divisée et bornée, qu'il était obligé de
donner à chaque partie prise en elle-même, i) passe à
cette attention plus compréhensive et plus large qui
les embrasse toutes à la fois dans une commune con-
ception; il cesse cette inspection minutieuse des dé-
tails, qui maintenant esL à son terme, pour porter sur
le tout un coup d'oeH systématique: avant, son jeu, était
de, resserrer sa pensée, de la réduire et de la borner
aux aperçus partiets; maintenant, au contraire, iUa
déploie de manière à ressaisir et à revoir dans son en-
semble, l'objet décomposé il la ramène à la synthèse,
riche des lumières de l'analyse. S'il ne s'égare pemt
dans ce,,travail., il doit avoir à la fin une idée vraie
complète exacte et lumineuse.
~tcaïMM, ~ts<t)K~tOH, </c'c<w/~M~t~tetrceom~oM-
<MK, tels sont les élémens de, l'acte intellectuel qui
nous dontte la connaissance claire des objets indivi-
duels.
Prenons pour exemple un fait moral le remords.
Qu'est-ce que le remords? Nous ne le savons que va-
guement, tant que nous n'y avons pas réfléchi; nous
savons que c'est un état pénibte et douloureux, mais
nous ne pourrions pas l'expliquer et en rendre un
compte exact; nous n'en avons qu'une idée obscure.
Cependant nous voulons le comprendre nous y pen-
sons, nous l'étudions. Comment t'étudions-nous!* En
te prenant parmi tous les objets que nous oSre la con-
science, et en le retenant sous notre regard tout le
temps dont nous avons besoin pour l'observer et* le
connaître. C'est là l'acte d'application. Grace à cet acte,
le remords ne s'en va plus comme tout le reste, em-
porté par le cours des mouvemens de notre ame mêté
et confondu avec ces flots de perceptions, d'auections
et de volontés qui s'écoulent sans fin; il s'arrête et de-
meure, il est sous la prise de l'attention. Mais il y a
encore autour de lui tant de phénomènes qui le com-
pliquent, tant de circonstances étrangères qui le croi-
sent en tout sens le masquent et l'effacent, qu'il res-
terait bien confus, si nous ne prenions la précaution
de l'isoler de tout ce qui n'est pas lui, et de le réduire
à lui-même acte de distinction ou d'exclusion. Cela fait,
nous l'analysons. Or, que trouvons-nous dans le re-
mords ? d'abord de la douleur, c'est ce qu'il y a de plus
évident mais cette douleur a un caractère et un prin-
cipe particuliers. L'ame qui l'éprouve sent qu'elle a
faitti, et que c'est parce qu'elle afailli qu'elle esttriste
et souQrante elle sent qu'elle a failli, c'est-à-dire qu'elle
est libre c'est-à-dire encore qu'il y a du bien et du
mat, et elle s'en veut d'avoir laissé la vertu pour te
vice, de s'être faite volontairementcoupable et misé-
rable de plus, comme c'est en ette-même qu'est la
cause de sa tristesse, ou pourmieux dire, que c'est ette-
mème, elle ne peut se voir sans dégoût, et comme la
conscience est de tous les momens, sa peine est con-
tinuette, importune insupportable. Tels sont les été-
niens principaux de cette espèce d'auection; tels les
donne 1'aK<f~'sf. En les réunissant maintenant sous un
point de vue .synthétique, nous aurons cette idée le
remords est une douleur dont la source est dans !e sen-
timent de la faute et du démérite.
L'application, la distinction, la décomposition et la
n'cwK;M~!<7K, telles que nous venons de les décrire,
donnent des idées claires et distinctes, mais des idées
tout individuelles.
Pour en avoir de générâtes de nouvelles opérations
sont nécessaires, et en premier lieu la comparaison.
M~MO!KE.
REMtNtSCBNCE.
MEMOIRE.
DE L'tMACfKATtOK.
LÔt DE L~NTELLIGrENCE
t 1 ;ut,principe
e
un des cas de la loi générale qui le régit.
de l'ordre que nous le voyons suivre
exercice successif de ses digérons actes iritellec-
DE LA SENSIBILITÉ.
de
tendre sollicitude. Après l'éducation qu'il lui a donnée
durant l'enfance et l'adolescence vient le conseil qu'il
ménage aux la jeunesse et à la raison de
l'homme fait, viennent mille manières de le servir de
sa fortune et de son crédit; puis la joie d'être heureux
père l'orgueil de se voir revivre avec honneur dans son
sang, la sympathie pour les succès, les consolations
pour les revers; en voilà certes plus qu'il ne faut pour
ne jamais laisser s'éteindre la piété filiale. Sous de telles
impressions incessamment renouvelées, il est impos-
sible qu'elle languisse, s'affaiblisse et se perde. C'est la
loi de toute passion de vivre et d'agir en proportion du
bien ou du mal qui la produit; et ici le bien, loin de
s'épuiser se renouvelle et se multiplie sous mille formes
différentes.
Mais faites une hypothèse supposez que le père, abr
jurant ses devoirs, après quelques peines prises pour
le bonheur de sa famille, croyant sa tâche faite. et
le cœur peu troublé, ait quelque chose à ses yeux de
plus cher que ses enfans, et ne leur témoigne que cet
intérêt vulgaire et instinctif que l'on prend presque
sans y penser à des êtres de son sang; que père nuli
plus que mauvais père, il n'aille jamais à leur cœur
par un de ces mots qui touchent, un de ces actes qui
attachent, qu'il vive en paix sur leur compte, s'inquié-
tant peu de leur présent et leur abandonnant leur ave-
nir, et voyez si avec le temps, il trouvera encore dans
ces âmes quelque chose du sentiment qu'il devrait leur·
inspirer. Elles ne le haïront peut-être pas, parce qu'il
n'a pas été méchant, mais il n'a pas été bon, on il l'a été
si faiblement, avec si peu de sollicitude, de zèle et de
tendresse, qu'elles ne l'aimeront certainement pas, ou
qu'elles t'aimeront de moins en moins. Si elles n'arri-
vent pas à l'indifférence, ce sera en faisant effort pour
apprécier le plus possible le peu de bien qu'elles en ont
reçu, et en essayant par cette idée de se donner quelque
émotion. Mais pour peu qu'elles lui ressemblent, qu'elles.
le négligent comme it les a négligées, elles en viendront
à son égard une parlait*: indifférence.
Il est donc très vrai que les passions tendent en gé-
néral à s'affaiblir et que celles qui durent et demeurent,
ne doivent cette vie et cette durée qu'à l'action sou-
tenue des causes qui les déterminent.
Par suite de cette disposition qu'ont les passions à
s'affaiblir, quand elles ne sontpas ravivéeset renouvelées
par leur objet, il arrive quelquefois que des âmes, chez
lesquelles la sensibilité peu développée manque d'élan
et d'excitation, voient successivement languir, s'efl'a-
cer et s'éteindre toutes les aflections qu'elles éprou-
vaient elles les perdent toutes peu à peu, et elles finis-
sent par tomber dans un complet repos de coeur. Mais
ce repos n'est point le calme de la modération et de la
force. C'est bien plutôt l'épuisement de la faiblesse et
de la langueur, une sorte de paralysie qui atteint la
vie intime, une maladie morale qui gagne le fond de
l'ame; c'est l'ennui avec ses joies et ses douleurs ex-
pirantes, ses amours sans élan ses baines sans vigueur,
ses désirs impuissans, et ses colères qui ne font rien; c'est.
l'ennui dont, à un certain point, le caractère est de
n'être plus ni une peine ni un plaisir, mais un je ne sais
quoi qui tue l'action, et qui, en se prolongeant, mène';
au dégoût de la vie et aux violences qui la terminent/;
Tant il est vrai qu'il semble à l'homme que tout est fini5,
pour lui, quand il n'a plus de cœur pour rien et ne
prend plus intérêt à rien.
Nous nous sommes assez arrêtés sur ce fait. pour qu'il
soit maintenant connu dans toutes ses circonstances.
Hâtons-nous de passer à l'examen d'un fait nouveau.
Les biens et les maux sont réels; mais nous ne les ju-
geons pas toujours tels qu'ils sont réellement. Nous les
voyons quelquefois plus grands, quelquefois moindres
qu'ils ne sont; quelquefois aussi nous les voyons là où
réellement ils ne sont pas, et trompés par les appa-'
rences nous les confondons entre eux, et prenons lour
à tour ou ceux-ci pour ceux-là ou ceux-là pour ceux-ci.
Exagération ou dépréciation, fausse estime en plus ou
en moins, perception à contre-sens, jugement hors de
la vérité voilà autant d'espèces d'erreurs auxquelles
notre esprit est sujet 'quand il sent les biens et les
maux.
Il s'agit d'apprécier l'effet de ces diverses erreurs sur
le's mouvemens affectifs qu'elles excitent dans l'ame.
Elles se réduisent en général à ces deux points princi-
paux mal saisir la valeur, mal comprendre la nature,
soit des biens, soit des maux. Or, pour commencer par
celui des deux qui sans contredit doit entraîner les con-
séquences les plus fâcheuses, qu'arrive-t-il à la passion,
quand la pensée qui la produit s'égare au point de ne
pas reconnaître la vraie nature des choses, et conçoit
comme bonnes celles qui sont mauvaises comme
mauvaises celles qui sont bonnes? Un tel désordre de
l'intelligence passe nécessairement dans les aflecjipns
et après avoir troublé la tête, porte dans le cœu;r.le
même trouble. Voici en effet ce qui a lieu; on pense voir
un bien là cependant ou il n'y a qu'un mal, on y croit
comme à un bien, on en jouit en conséquence, on
l'aime, on le recherche; qu'est cela, sinon la perver-
sion du sentiment naturel? Le sentiment naturel, puis-
qu'il y a cause malfaisante, serait de souffrir, de haïr,
de repousser et d'éviter; en se développant dans un
sens contraire, il va contre l'ordre et la raison, il est
faux et absurde ilpourrait être monstrueux; ce serait
le cas, par exemple, où prenant le vice pour la vertu
nous le verrions du même œîl et l'accueillerions dans
notre cœur avec les mêmes émotions; il y aurait dans
cette disposition plus qu'un simple égarement, il y au-
rait un désordre révoltant et hideux; il ne manquerait
plus pour y mettre le comble, que de traiter à son tour
la vertu comme le vice, de la frapper du même mépris
et de la regarder avec le même dégoût. Et sans doute il
est charitable, il est d'une haute moralité, de distin-
guer dans l'homme méchant ce qui est de l'homme et
du méchant, afin d'avoir encore pour l'un l'amour
qu'on ne peut plus avoir pour l'autre; mais aimer le
coupable comme coupable, aimer dans le crime le
crime lui-même, voilà ce qui ne serait plus ni charité
ni indulgence louable, mais faiblesse et dépravation. Le
mal n'est fait que pour inspirer la répugnance, le dé-
goût que s'il arrive qu'il excite un sentiment opposé,
c'est seulement parce qu'il paraît ce qu'il n'est pas réel-
lement. Ainsi l'ordre pour la passion est de repousser
ce qui n'est pas un bien. Voilà pourquoi l'espèce d'er-
reur dont nous nous occupons en ce moment, en por-
tant l'ame à un mouvement de joie, d'amour et de dé-
sir, ne la porte qu'à un mouvement déraisonnable et
absurde. Il faut en dire autant de celle qui fait qu'on
prend un bien pour un mal. Dès qu'une fois on s'aveu-
gle assez sur la nature de certaines choses pour croire
qu'elles sont mauvaises, quoique cependant elles soient
bonnes, la conséquence inévitable d'une idée si fâ-
cheuse est de provoquer la douleur, la haine et l'aver-
sion. On se trouve dans son idée en proie à des maux
réels, on se croit malheureux, et on se passionne en
conséquence contre ce qu'on juge faussement la cause
dosa douleur. Mais nicelleeausen'est cequ'ellesemble
ni cette passion ce qu'elle devrait être l'une est un bien
au lieu d'être un mal, l'autre une répugnance au lieu
d'être un désir; en cet état la sensibilité n'est plus vraie
ni raisonnable; son rôle serait, puisqu'il y a bien, de
s'épanouir et de s'épancher, et elle se contracte et se
resserre; ce serait de se porter, de se presser vers l'ob-
jet qui l'excite, et elle le repousse et s'en détourne
elle peut aller dans ce contre-sensjusqu'à une complète
extravagance. Et par exemple, quoi de plus désordonné
que la fureur de l'insensé qui s'irrite comme d'une of-
fense du bienfait qu'il reçoit, et n'aspire qu'à se venger
de la main dont il le tient! un pareil mouvement de
cœur s'explique sans doute par la folie mais comme la
folie il est un désordre. Voilà pour la passion une pre-
mière .manière d'être vicieuse; on voici maintenant une
autre qui, pour n'être pas aussi grave, n'en mérite pas
moins d'être remarquée.
On fait souvent fausse estime des biens et des maux
que l'on éprouve et sans se tromper sur ce qu'ils sont,
on peut se tromper sur ce qu'ils valent; par inatten-
tion, par préjugé, faute de ce sang-froid qui mesure
juste, on y ajoute ou on en retranche, on se méprend
sur leur durée que l'on exagère on que l'on réduit, .sur
leur degré d'intensité que l'on élève ou que l'on abaisse;
on tombe dans une foule de mécomptes, qui tour-
nent tous plus 'ou moins au détriment des affections.
Ici encore c'est l'esprit qui est la cause de tout ce qui
arrive, et contre ce que dit le proverbe, mauvaise lêle
ne fait pas bon cœur. En effet, dès qu'on se persuade
que les choses bonnes ou mauvaises sont meilleures ou
pires qu'elles ne sont, à l'instant les sentimens prennent
un caractère d'exaltation dont le principe est dans la
pensée, et comme il y a excès dans le jugement, il y a
excès aussi dans t affection. La joie n'a pas de mesure,
l'amour de discrétion, et le désir de retenue; tout se
porte àl'extrême et au-delà des justes bornes: et de
môme la douleur, la haine et l'aversion elles dépassent
leur objet et. se perdent en inouvemens aussi vains
qu'exagérés. La passion pêche alors par transports et
intempérance; elle n'est pas fausse et sans motif, car il
y a du réel dans ce qui l'émeut, mais elle est immo-
dérée; tant qu'elle ne se montre avec ce défaut que sur
un théâtre sans grandeur et dans de petites circonstances,
elle ne paraît que puérile, ridicule et frivole; mais si
elle se mêle à de graves sujets et s'agite dans une haute
sphère, elle devient terrible et déplorable. Dans tous
les cas elle est mauvaise, parce qu'elle n'est pas en
rapport avec la vraie valeur des choses.
Elle est sujette à un autre désordre dont la source
est également dans une fausse appréciation soit des
biens soi! des maux. Si au lieu de les estimer trop
on les rabaisse outre mesure, si dans cette dispo-
sition à les amoindrir on les réduit presque à rien
cette erreur ne demeure pas un simple fait de l'enten-
dement, elle atteint les affections, les modifie dans son
sens, les déprime et les fait descendre fort au-dessous
de ce qu'elles devraient être. Celui qui est dupe de
cette illusion ne jouit ni ne souffre plus en raison
même des qualités dont les objets sont revêtus, mais
en raison de l'opinion qu'il lui a plu de s'en former; et
comme il les jugé fort inférieures à ce qu'elles sont
en réalité, il est d'autant mieux disposé à ne pas s'en
émouvoir. Il s'en trouble si peu, qu'il1 sort à peine de
l'indifférence; il est insensible et apathique; or, s'il est
dans l'ordre d'être insensible quand il n'y a pas lieu
de s'affecter, quand il ne se présente ni bien ni mal,
pour éveiller l'amour de soi et l'excitera à J'action il n'y
a plus ordre mais désordre à se trouver dans le môme
état, lorsque les circonstances sont différentes, et qu'es-
timées ce qu'elles valent, elles devraient nécessaire-
ment toucher et émouvoir. L'absence ou l'extrême fai-
blesse de la joie et de ses conséquences, au moment où
vient un bien qui était fait pour des transports, l'ab-
sence ou la langueur de la tristesse et de la haine, au
moment où arrive un mal qui appelait une vive passion
voilà certainement une altération de la faculté de sen-
tir. Y voir du stoïcisme, et admirer comme vertu cette
tiédeur d'affection dont le secret est dans une erreur,
c'est méconnaître le stoïcisme et faire injure à la vertu,
c'est prendre pour de la puissance un défaut d'énergie
et croire au calme de la modération, là où il n'y a que
froideur aveugle. Que penser de l'homme, par exem-
ple, qui faute de jugement, éprouvant sans les com-
prendre les pertes les plus cruelles, insensible par igno-
rance, n'aurait de cœur pour quoi que ce fût, n'aurait
pas une larme, pas un soupir? il ferait pitié, le malheu-
reux, et sa tranquillité ressemblerait à de l'abrutisse-
ment et non à de la sagesse. La sagesse est de se livrer
modérément à la douleur, mais non de sentir les
plus grands maux comme on sentirait les plus pe-
tits. De même pour l'homme auquel échoirait quelque
grande prospérité qu'il s'y trompât au point de la
prendre pour la plus vulgaire fortune, et que sans se
douter de ce qu'il possède il en eût à peine quelque
joie, faudrait-il lui faire honneur de ce sang-froid sans
discernement, et le juger ferme parce qu'il serait de
jnarfore? Mou certes^ et son indifférence plus près de la
mort que de la vie, signe d'épuisement et non de vi-
giu'iir, annoncerait une conscience qui défaille et s'é-
teint. Posons un cas extrême. La trahison est hideuse,
la fidélité admirable; l'idée de l'une doit inspirer le mé-
pris et l'aversion, celle de l'autre au contraire l'admira-
tion et ledévouement;hébien cependant, que le témoin
qui a sous les yeux le spectacle de ce vice ou de cette
vertu que la personne qui doit y prendre l'intérêt le
plus direct, restent froids et sans émotion, faute de
comprendre ce qu'ils voient, il y a là quelque chose qui
choque et qui confond la raison.
Jl est donc» trop vrai que jamais l'ame ne tombe dans
une telle indifférence, sans corrompre sa sensibilités
Puisque nous savons par ce qui précède comment
pèche la passion, comment, selon qu'elle est trompée
soit sur la nature soit sur la valeur des objets auxquels
elle se rapporte, elle est d'une part sans vérité, de l'autre
sans mesure, et mauvaise dans les deux cas; il est aisé
de savoir quelles conditions elle doit remplir pour être
dans l'ordre et selon le bien. II faut d'abord que ce
qu'elle regarde comme agréable ou désagréable, avan-
tageux ou nuisible, ait réellement ce caractère; car au-
trement elle serait absurde; il faut en outre que ses ob-
jets, reconnus pour ce qu'ils sont, ne soient pas estimés
plus ou moins qu'ils ne valent; alors elle est dans le
vrai, elle y est excellemment. Sans excès comme sans
défaut, sans exagération comme sans faiblesse, pleine
de mesure et de proportionnelle a cette juste activité
qui est l'ordre même mis en pratique; elle ne s'arrête
pas en deçà, elle ne s'emporte pas au-delà du but réel
qu'elle doit atteindre, elle l'atteint, et s'y tient, réglant
sa marche sur une. idée pleine de vérité et de sagesse;
et ce n'est pas une raison pour que parfois elle ne soit
pas vive, très vive même et très ardente; cela dépend
dos sujets qui l'excitent et l'animent s'ils son! tels qu'ils
doivent la porter à des mouvemens énergiques, par-là
même qu'elle se déploie avec justesse et convenance,
elle se déploie avec énergie elle est tout ce qu'il faut
qu'elle soit dans sa situation et d'après ses motifs. Seu-
lement, jamais elle n'est violente, parce que la violence
est un excès. De même aussi, quand elle est calme elle
ne l'est pas avec apathie; paisible mais vivante, modérée
mais soutenue, elle répond parfaitement aux biens ou
aux maux qui la provoquent, et qui n'ont rien que d'or-
dinaire. Telle est la passion bien réglée..
e,
i. '
Voyons ce qu'elles sont «bez un môme
citoyen à citoyen.
i Là aussi il peut y avoir, au, sein môme
n .
peuple
;??;
de l'ùniÉé qui
constitue î'i'ltat une foule de diversités d'où naissènli
des classes et des rangs les principaleset les plus gravies
h
de
_0-
Dans tout ce qui vient d'être dit des affectionsde fa-
mitle~ il n'a cté question que de celles qui sont bien-
veillantes. En en'et, tel est l'ordre: les époux ne sont pas
faits pour se haïr l'un l'autre, ni les parens les enfans,
ni les frères les frères; la Providence notes appelle tous
qu'à s'aimer et être unis. Mais des anomalies se rencon-
trent, ou plutôt d'autres lois qui prévalent sur celles
dont les relations domestiques devraient recevoir leur
direction. Alors tout est troublé les époux ne sont plus
entre eux comme deux êtres associés pour leur bien et
leur bonheur; ce sont deux ennemis à la même chaîne,
impatiens l'un de l'autre, implacables l'un envers l'au-
tre, d'autant plus implacables qu'ils se sentent de plus
près, et que tout, jusqu'à l'attrait même que les sens de-
vraient offrir, tourne pour eux en répugnance, en
aversion et en hostilité; de là les discordes et les ven-
geances conjugales. Il est plus rare, mais il arrive aussi
que des parens soient sans entrailles et des enfans sans
t]!!a!ité; de là d'autres haines et d'autres divisions; que
des enfans d'un même sang n'éprouvent entre eux que
de !'e!o!gnement; de là les inimitiés fraternelles. Il faut
ajouter pour las vérité, que si le plus souvent ces affec-
tions n'ont pour être ce qu'elles sont aucun motif rai-
sonnable et ne viennent que de l'aveuglement, de
l'erreur, et du préjuge, quelquefois cependant, plus
éctairées, elles sont mieux fondées en raison et ne mé-
ritent plus les mêmes reproches.
Quant à l'amitié et à la reconnaissance, elles ont éga-
fement leurs contraires, l'inimitié et l'ingratitude; même
remarque que sur ce qui précède.
Il n'est peut-être pas inutile de reproduire ici une ré-
flexion que nous avons déjà présentée plus haut, mais
qui s'applique également bien aux affections dont nous
venons de parler.
Bienveillantes ou malveillantes, elles sont beaucoup
plus vives que les affections plus générâtes qui naissent
d'homme à homme, de nation à nation, d(( citoyen
à citoyen. Leur objet plus complexe, plus puissant
pour exciter, soit la joie, soit la douleur, agissant de
plus près et d'une manière plus fréquente, occupe l'ame
incessamment la pénètre, la remue ne la laisse pas un
moment sans impressions douces ou pénibles. Aussi
n'est-il point de passions si ardentes en amour, si éner-
giques pour ia haine que celles qui éclatent dans la fa-
mille, entre l'époux eti'épouse, lesparens et les enfans,
les frères et les frères, quand elles se développent sous
l'empire de graves circonstances. Ce sont alors des
entraînemens,des dévouemens et des sacrifices que la
raison conçoit à peine, ou un acharnement et des ven-
geances quienraient l'Imagination. Voyez danslemonde
et dans l'histoire, les actions passionnées qui paraissent
avec le ptusdéctat, de mouvement et de véhémence;
ne sont-ce pas celles qu'inspirent ces inclinations ou ces
aversions nées au foyer domestique? Et dans les arts,
le pathétique ne s'empruute-t-it pas presque toujours
aux affections de famille et aux situations quiles mettent
en jeu? tant il est vrai qu'H n'est pas d âmes où se déve-
loppent des émotions plus chaieurcuses et plus fortes
que celles qui, par la nature de leurs rapports, se tou-
chent de plus près et ont ie pius de moyens de se nuire
ou de se servir.
Il faut en dire autant de l'amitié et de l'inimitié de la
reconnaissance et de l'ingratitude.
Nous voilà à peu près au terme de l'examen des pas-
sions que nous avons nommées sociales; il faut peu de
chose pour ('achever.
De même que les êtres physiques nousplaisent non-
seulement par l'utilité mais aussi par la beauté, de
même les forces'moratcs nous agréentaà ce double titre,
et nous intéressent sous ce double rapport. Nous sont-
elles simplementbonnes? le sont-enes vulgairement et
sans aucun caractère de grâce ou de grandeur? Nous les
aimons, mais nous ne les admirons pas; elles ont notre
attachement, non nos hommages et notre enthousiasme.
Elles ies obtiennent dès qu'elles s'élèvent à des actes
inspirés par cette poésie du cœur qui donne du charme
à tout. En les voyant si ravissantes, si nobles ou si su-
bihnes nous avons plus que cet amour qui ne vient que
de ~estime; nous adorons ou nous révérons. L'héroïsme
dans un compatriote, dans un ami, dans un parent, une
bonté douce et ingénieuse dans une mère, dans une
soÈUr, voi!à qui nous touche, nous ravit et mêlé à la
bienveillance cette émotion exquise dont le beau seul
est l'objet.
Par opposition nous n'avons qu'une haine mépr!
sante pour toute personne qui nous nuit d'une ma-
nière basse et ignoble: des ennemis sans dignité ne nous
blessent pas seulement, ils nous inspirent du dégoût;
nous les laisserions par dédain, s'ils ne's'a~hamaient
aprèsnous. !\ous craignons toujours, en les repoussant,
de nous commettre et de nous souiDer.
-0-
Arrivons enfin aux aflections religieuses.
Que nous croyons à Dieu de simple foi ou par l'efl'et de
la science, dès que nous en avons une idée vraie, quel
que soit le caractère de cette idée, nous pensons que
cet être,.sans défaut dans son essence, sans défaut
dans ses attributs, nécesaire, éternel, immense et
infini tout parfait de pensée, d'amour et de volonté
tout-puissant pour créer, conserver et régir, principe
de tout bien, est lui-même le bien souverain, l'ob-
jet adorable par-dessus tout; bonté infinie que rien
n'altère, sainte majesté, miracle de vertu, il n'a pas
seulement l'attrait qui vient de tant de hautes quaiités,
il est beau comme il est bon il revêt toutes ses oeuvres
de je ne sais quel charme de grace de noblesse et de
grandeur qui en relève par la splendeur, la sagesse et
l'excellence. C'est le poète dans toute sa gloire it fait
véritablement; et dans ce qu'il fait éclatent ensemble la
raison et la magie, la loi de l'ordre et celle de l'art; il
n'y a qu'à bénir et à admirer. Oh qui ne serait touché
de tant de perfections, et qui, soit au spectacle de
l'homme et de la nature, soit dans le secret d'une con-
templation p)us pure et plus profonde s'élevant à Dieu
avec bonheur, ne sentirait pas ces effusions de joie
d'amour et de désir, qu'aucune expression ne saurait
rendre! Qui même, avec une religion moins vive et
moins ardente n'a pas eu de ces momens où l'es-
prit du fini passant a l'infini épris de l'invisible aux
:)0'ectio))s toutes tuondaiues qu'H éprouve pour ce
qmcstsur terre, mf'ie une émotiond'un autre genre, émo-
tion mystérieuse, puissante et entraînante, qui est réel-
lement t'amour de Dieu. Mais ce sont les créatures natu-
reHement tendreset pieuses qui, éievecsdansdescroyan-
ces de paix et de vérité, inspirées de filialité pleines
d'espérance et de gratitude, de résignation et de con-
fiance, qui, chrétiennes, en un mot, nesauraient penser
a Dieu être à lui de conscience, sans l'adorer pro-
fondément. Quel indéfinissable besoin n'ont elles
pas de s'unir à lui de vivre en son union et
pour ainsi dire en son commerce, de lui ouvrir leur
Cceur, de l'y appeler, de l'y recevoir de se rem-
plir de sa présence de sa sainteté et de sa gracet
Combien du sein des délices enivrantes et sanctifiantes
où )es plonge ce sentiment, elles exhalent de vœux ar-
dens et de ferventes invocations comme elles prient et
soupirent comme elles se détachent d'ici-bas pour
s'élancer au ciel en ravissantes extases! Les affections
terrestres les plus véhémenteset les plus fortes n'offrent
rien de comparable à de pareils entraînemens. Aussi
le propre de ce sentiment, quand il s'élève à l'enthou-
siasme, est-il de dominer et d'euacer toute autre espèce
de passions il remplit t'ame tout entière il la possède,
latransporte, larend froide et indiS'érente sur cette foule
de petits intérêts dont se compose la vie mondaine. La
religion détache l'homme de toutes les choses d'ici-bas,
non qu'elle ne lui laisse d'autre amour, d'autre désir
que celui du ciel; elle n'est pas si exclusive du moins
quand elle est vraie; elle admet et accueille tout ce qui
a place dans te cœur humain; mais en même temps
qu'elle accepte provoque même et favorise toutes les
passions légitimes qui, se rapportent à la terre, elle les
ordonne en vue de Dieu les ramène à ta piété, et les
sanctine par cette alliance; elle ne défend pas loin de
là, d'aimer i'hommc et la nature, mais à la condition
d'aimer en eux le créateur qui les a faits et de l'aimer
par-dessus tout. C'est ainsi que détachant le cœur de
tout ce qui de soi est passager, caduc et périssable, et le
portant incessamment vers la force inf) nie, elle le soutien t
et le corrobore par cette puissante aspiration, et lui prête
lavertu, qui ne manque jamais à ia créature quand elle
s'unit à son auteur de pensée et d'action quand elle
se conforme à ses desseins, se complaît à son ordre et
y adhère de toute son âme.
Il faudrait, du reste, la poésie la paroic antique et
inspirée, l'orientalisme des livres saints, pour exprimer
dans ses effets cette haute direction de la sensibilité.
L'analyse n'en serait vraie que suivie en traits de flam-
mes, et rendue par ces figures vives soudaines et écla-
tantes dont abondent les Écritures. En procédant logi-
quement, elle nomme mais ne peint pas elle indique
plus qu'elle n'explique, elle formule la vérité au lieu
de la saisir intimement. La pensée de la religion est
bien plus dans un hymne que dans une exacte déduc-
tion témoin ces froides )!gnes qui, sous le rapport de
la conséquence et de la vérité philosophiques peuvent
sembler satisfaisantes, mais quin'expriment que de
bien loin le mouvement mystérieux qui éiève l'ame de
l'homme vers l'auteur de son être.
Tous les esprits ne se font pas la même idée de Dieu.
11 en est qui le conçoivent d'une façon si étrange,
que
le regardant comme une puissance sans bonté ni sagesse,
ils éprouvent à son égard un sentiment tout opposé à
celui que nous venons de décrire. Cette force éter-
nejie, immense et souveraine ils l'animent d'un des-
sou de haine et de mahco ils la supposent appliquée
à créer pour tourmenter pour se jouer sans pitié des
êtres qu'elle produit ils l'imaginent à t'œuvre du mal,
Imptacabte, infatigable, triomphante et heureuse, es-
pèce de force satanique, dont tous les actes sont hor-
ribles. terribles et prodigieux divinité monstrueuse
qui 'accable et désole; et si tous dans ce sens-)à ne
vont pas aussi loin. ceux qui ont le plus de modéra-
tion prêtent encore à leur Dieu de telles faiblesses e)
de tels vices, qu'il est loin de leur paraître un modèle
de perfection il n'est sans doute pas à leurs yeux le
génie du mal en son essence, il a plutôt la méchanceté
de la terre que de l'enfer; quetques bons penchans
se mêlent à ses mauvaises IncHnations; it n'est pas crue),
impitoyabie sans relâche et sans mesure mais cepen-
dant il n'est pas bon sa nature est fâcheuse et c'est
toujours un ennemi que l'homme a dans le ciel. Avec
de si tristes pensées, comment l'ame éprouverait-ene
un sentiment d'amour? comment se donnerait-elle avec
dévotion à t'être puissant qu'elle juge si ma)? où pui-
serait-elle ses motifs de reHgion et de piété? Ses erreurs
ont leurs conséquences, et elle ne se trompe pas si
grossièrementsans être entramée aux émotions qui sont
la suite de cet aveuglement. Elle souiTrc donc, puis-
qu'elle se croit )a créature d'un Dieu méchant, et parce
qu'elle souure, elle hait, elle déteste ce Dieu; ce qui
la jette quelquefois dans une affreuse impiété et tout
du moins 1ui inspire un funeste éloignement. Ainsi
s'explique cette exception a cette loi générate de )'hu-
manité qu! la porte constamment à se rattacher et à
s'unir au principe qui l'a créée.
it est un dernier fait de la passion que nous avons
encore à exptiquer mais nous aurons bientôt uni car
comme, sauf une circonstance, il rentre dans les gé-
ncraHtes que nous connaissons. déjà, il n'y a guère a
en parler que pour rendre compte de cette circon-
stance qui lui est particuHère. Il s'agit des émotions
A~Mp~At</M~ et antipathiques. Quelles sont ces émo-
tions ? toutes celles dont l'objet, au lieu d'agir sur
nous-mêmes, agit sur l'ame de nos semblables, toutes
celles, par conséquent, que nous n'éprouvons pas pour
notre compte mais pour le compte d'un autre par
suite de la part que nous prenons à t'état moral dans
lequel il se trouve. Lorsque nous nous livrons à des
mouvemens sympathiques ou antipathiques, nous ne
sommes pas affectés de nos propres auections de celles
que nous causeraient un bien ou un mai directs; nous
le sommes des auections d'une âme qui n'est pas ia
nôtre; nous )ui empruntons nos passions, nous les
avons à propos des siennes, conformes ou contrairesaux
siennes; nous ne les avons que parce qu'elle tes a, nous
ne sommes émus que parce qu'elle est émue elle tran-
quille, nous serions tranquilles c'est son agitation qui
nous provoque à l'agitation que nous sentons. Tel est
cette nouvelle espèce de phénomènes affectifs.
On le voit, pour qu'ils se développent, il faut avant
tout que nous ayons foi à ia sensibiHté des êtres avec
tesqueis nous sommes en rapport. C'est pour cela que
nos semblables, et parmi nos semblables, ceux avec les-
quels nous vivons dans les relations les plus constantes et
les plus intimes, sont de toutes les existences celles qui
nous portent le plus vivement à la sympathie et à l'antipa-
thie. t) faut ensuite que nous ne soyons pas indiuerens~
la situation des âmes avec lesquelles nous sommes enrap-
port et qu'amis ou ennemis nous ne voyons pas d'un œit
froid le bien ou le mat qui leur arrive. Si nous n'avions
a leur
égard aucune espèce de sentiment, si sans amour
comme sans haine, spectateurs impassibles, nous n'é-
tions nullement troublés de ce qui les touche et les in-
téresse, nous n'aurions pas le moindre penchant à ad-
hérer ou à répugner à leurs diverses impressions l'in-
différence nous laisserait sans sy~Ms ni antipathies.
Aux deux conditions que nous venons de marquer,
c'est-à-dire d'abords! nous entronsdans Je secretdes con-
sciences, et que nous sachions ce qui s'y passe en second
Heu, si nous nous intéressonsà la situation des personnes,
et à la manière dont elles sentent, elles n'éprouvent pas
une affection sans que nous n'en recevions en nous-
mêmes le contre-coupimmédiat; et alors, selon lesdispo-
sitions que nous avons à leur égard, nous partageons
toutes les nuances des affections qui les animent, leur
joie et leur douleur, leur amour et leur haine, leur désir
et leur aversion; nous regrettons de leur regret, nous
nous réjouissons de leur réjouissance; leurs espérances
sont les nôtres, leurs craintes sont les nôtres, de même
aussi leurs plaisirs et leurs peines d'imagination; nous
avons, en un mot, pour elles une sympathie généraie ou
bien, au contraire, notre antipathie se déclare et se dé-
veloppe, et dans ce cas, joie, amour, désir, douleur,
haine et aversion, rien ne se passe dans les autres qui
n'excite dans notre âme les émotions opposées leur joie
fait notre peine, leur peine fait notre joie, etc. etc.
quand ils regrettent, nous nous réjouissons, quand ils
se réjouissent, nous regrettons; nous répondons par des
espérances aux craintes qui les agitent, et aux espérances
par des craintes, en toutennn nous prenons le contre-
pied de leurs sentimens.
Puisque la sympathie et l'antipathie s'étendent a
toutes les affections, c'est une conséquence naturelle
qu'elles les suivent dans leurs rapports avec leurs divers
objets, et qu'elles deviennent l'une et l'autre ta sym-
pathie ou l'antipathie de tous les sentimens relatifs à la
nature à l'humanité et à la divinité. Ainsi point d'atlec-
tions, de quelque ordre qu'elles puissent être, qui ne
provoquent dans le spectateur intciiigent et intéressé
des affections à caractère sympathique ou antipathique.
Une conséquence tout aussi claire, c'est que tous les
mouvemens d'ame sympathiques ou antipathiques sont
bons ou mauvais,selon le caractère des mouvemens aux-
quels ils répondent.
Et avant tout il est évident qu'ils seraient faux et ab-
surdes, s'ils ne répondaient à rien absolument; car dans
ce cas ils seraient sans raison. Accepter ou repousserune
passion, que l'on suppose, mais qui n'est pas dans une
personne, c'est folie, enfantillage, erreur fâcheuse et sou-
vent funeste. Il y a en cela le même égarementqu'à jouir
ou à souffrir d'un bien oud'un mal qui ne serait pas. Il
faut une cause à tout la sympathie et l'antipathie ne
peuvent pas plus s'en passer que les émotions person-
nelles autrement elles ne sont plus dans l'ordre, parce
qu'elles n'ont plus aucun sujet.
Elles sont bonnes du reste, la première quand elle se
lie à des passions elles-mêmes bonnes (et !'ou sait ce
qui les fait telles) la seconde quand elle se rapporte à
des passions qui sont mauvaises. On conçoit en effet
qu'il est bien d'être au'ecté dans le sens d'un cœur droit,
bien aussi d'être aSecté contrairement à un cœur vi-
cieux.
Elles sont mauvaises, celle-ci quand elle répond à
une bonne passion, et ceue-ia a une mauvaise, puisqu'il
est mal de ne pas partager une affection qui est légi-
time, mal aussi de partager une affection qui ne l'est
pas.
D'où l'on voit, en passant, que la théorie morale
qui donne la sympathie pour rêgte universelle de con-
duite ne peut pas être satisfaisante, si elle ne se subor-
donne à une théorie supérieure et plus vraie, qui juge
la sympathie et la déctare ou non dans l'ordre.
D'où vient maintenant que nous éprouvons de la
sympathie pour certaines ames et de l'antipathie pour
certaines autres? d'où vient que nous n'avons pas de la
sympathie pour toutes? De ce qu'il en est qui nous in-
spirent de ta haine et de l'aversion qui, loin de nous être
bonnes, d'être à nous et pour nous, d'être pour ainsi
dire d'autres nous-mêmes, nous sont tellement con-
traires, que nous séparons nettement leur existence de
la nôtre, leur condition de la nôtre, et qu'au tieu d'iden-
tifier nos émotions avec les leurs, nous ressentons pré-
cisément les émotions opposées nous ne pouvons
sympathiser qu'avec des cœurs amis; pour ceux-là ils
sont à nous, ils sont nous en quelque sorte; nous vi-
vons en eux de telle manière que leurs joies devien-
nent nos joies leurs douleurs nos douleurs, toute leur
conscience notre conscience.
Mais comme il arrive que parfois l'ami môme le meit-
leur nous blesse ou nous déptaît. et que l'ennemi
même le plus fâcheux nous agrée sous quetqùes rap-
ports, il arrive aussi que parfois nous ne pouvons plus
sympathiser avec les affections du premier, et que nous
cessons d'être antipathiques aux sentimens du second.
L'un en effet, dans cesinstans, n'est plus ce que nous
voudrions, il cesse de nous satisfaire; l'autre, au con-
traire, se montre à nous tel que nous désirerions qu'il
fut toujours; les rôles sont pour un moment changés et
intervertis, il est donc tout simple que nos dispositions
sympathiques et antipathiques changent et varient pa-
reillement. On pourrait presque dire dans de telles si-
tuations que l'ami n'est plus ami, que l'ennemi n'est
plus ennemi, et qu'en conséquence nous devons être en
concorde avec cehu-ci, en discorde avec celui-là, tant
que durent ces situations.
Du reste dans ce nouveau fait (la sympathie et l'an-
tipathie), comme dans tous ceux de la passion, il est't
clair que le principe est toujours t'amour de soi. En
effet nous ne prenons part, soit dans un sens soit dans
l'autre, aux affections d'une personne, qu'autant que
nous concevons entre sa vie et la nôtre, ses actions et
!es nôtres, harmonie ou désaccord, similitude ou con-
trariété, identité ou opposition; qu'autant qu'elle nous
paraît être ou non comme nous, être ou non une image
et une expression de nous-mêmes. Donc, ie motif qui
nous porte à nous unir de cœur à elle, ou bien à nous
en séparer, n'est en principe que l'amour de soi.
LOI DE LA SENStMLITÉ.
DE PHILOSOPHIE
IMPRtMEME DE E. DUVERGER,
rue de Verneuil, n.4.
COURS
DE PHILOSOPHIE,
PAR M. PH.DAMIRON,
PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE
TOME SECOND.
PARIS.
LIBRAIRIE CLASSIQUE DE L. HACHETTE,
AKCtEaMUEVEDHt/EL'OD'.KORMtL-F.
1831.
COURS
DE PHILOSOPHIE.
PSYCHOLOGIE.
FACULTÉS DE L'AME.
ce
temps, dans le même acte, mais dans des actes succes-
qui s'explique en ce que, tantôt trop faible
pour ne pas céder, tantôt assez forte pour résister, elle
subit le joug ou s'au'ranchit, selon la situation dans la-
<{uettc elle se trouve. D'une activité très variable, elle
n'est destinée par son esse'ice ni à é!re toujours esclave,
ni à être toujours indépendante. Son rôle tient de deux
genres elle n'a pas tout de Dieu, elle n'a pas tout du
monde; ette a quoique chose de l'un et de l'autre; elle
a, dans des limites, de celui-ci la sujétion, de celui-là
la liberté; et elle n'est pas la contradiction, mais la con-
ciliation de deux natures.
Nous ne prétendons pas faire de cet argument plus
d'estime qu'il ne convient, nous ne le donnons pas
pour l'unique base de la théorie de la liberté, mais il
a cependant sa force, et peut servir d'introduction aux
observations qui viendront ensuite. C'est une manière
de satisfaire certains esprits, prompts à juger, qui ont
besoin d'avoir avant tout une raison qui les prévienne;
nous n'avons pas dû négliger ce moyen de nous les ga-
gner. Ce qui suivra, nous l'espérons, achèvera de les
convaincre.
il
de rame; il lui prête donc quelque chose de sa fixité
et de sa précision il lui fait perdre de cet élan sans
règle et sans lumière auquel d'abord elle était Jivrée
en la contenant il la détermine, il la force à se définir•
à s'éclaircir et à se l'amène en un mol à
l'état de vraie pensée, car avant elle n'était qu'une vue
vague et fugitive.
Tel est le secours que le langage en quelques signes
qu'il consiste prête à la force intelligente. Toute ex-
pression en effet et non-seuleuuml la parole mais le
geste et l'altitude mais de plus imparfaites manifesta-
tions, tout ce qui peut dans les organes offrir quelque
prise à cette force el .lui servir eu quelque sorte de siège
et de point -d'appui tout conc*ourl à l'aider dans le dé-
veloppement de son intelligence. Cependant, il faut
le dire la plupart de ces instrumens ne lui sont que
d'un usage étroit et limité. Elle aurait beau faire elle
ne saurait les employer à signifier et par conséquent à
déterminer certaines espèces de pensées ils n'ont pas
assez de souplesse, de finesse et de variété pour con-
venir par exemple à toutes les délicatesses du sentiment,
à toutes les analyses de la réflexion ils ne sont propres
a bien rendre que des perceptions plus grossières, plus
prononcées, plus concrètes. C'est le cas du jeu muet,
de l'action, comme on dit, et en général de tout ce
qui n'est pas la voix et le discours.
Mais la voix est au contraire d'une utilité illimitée
l'esprit y trouve d'abord ce qu'il trouve dans tout jeu
des appareils organiques; un mouvement moins subtil,
moins rapide et moins vague que celui qui. lui est
propre; il en tire avantage grâce aux mots, il ne sent
plus sa pensée lui échapper indécise, inachevée; il la
sent se poser, se fixer, se réduire il la voit se former
il devient plus intelligent. Les mots lui rendent donc
le même service que tous les antres signes avec cette
différence toutefois qui les distingue entre tous qu'ils
ont avec les idées une affinité particulière. La parole en
effet est le langage par excellence tout en étant maté-
rielle, elle l'est de telle manière qu'elle approche on
ne peut plus de l'activité intellectuelle. Elle n'est pas
une de ces facultés épaisses, enveloppées peu flexi-
bles et peu maniables qui ne cèdent qu'avec paresse
aux impressions de la conscience; il en est quelques-
unes de cette nature, qui recélées dans des appareils
confus et sans finesse, n'ont d'autre emploi que de ré-
véler certains genres de sentimens, et ne concourent
cIu'en sous-ordre àà la Irratiifestal:iorr
qu'en manifestation de la pensée; pour la
parole elle est produite par un organe si vivant, si riche
et si délicat si docile et si prompt, si variable et si
perfectible elle est si souple si mobile si facile à
conduire, susceptible de tant d'art, de combinaisons
et de ressources; elle va si bien comme l'aine, qu'elle
en est réellement le plus parfait interprète. Elle lui est
même quelquefois d'une telle fidélité, qu'on serait
presque tenté de les confondre l'une avec l'autre et
de dire indifféremment point de pensée qui ne soit
parole point de parole qui ne soit pensée. Il suit de
là que la parole se plie et se prête à tout ressent tout
accuse tout, s'adapte et obéit aux moindres actes de
l'intelligence, s'y conforme de point en point, les tra-
duit à la perfection en sorte que dans toute langue qui
n'est pas trop grossière il est bien peu de perceptions
qui ne puissent passer dans le discours. De là par con-
séquent la propriété qu'a la parole de contribuer d'une
manière si efficace et si sûre à la formation de la pensé%.
S'il n'est pas de perceptions qu'elle ne puisse rendre au
moyen du nombre et de la variété des signes dont elle dis-
pose, il n'est pas de perceptions, de vues quelconques de
l'esprit qu'elle n'ait par-là même la possibilité de fixer
et de définir; et comme non-seulement elle a des ter-
mes pour chaque vue prise en son tout, mais aussi pour
chaque partie dont le tout se compose qu'elle est en
mesure de donnera chacune son mot propre il en ré-
sulte qu'outre l'ell'et qu'elle produit sur l'ensemble elle
en produit sur les détails un tout-à-fait semblable elle
les tire de la confusion où d'abord ils étaient, elle les
marque d'étiquettes qui les distinguent les uns des
autres elle les note un a un, les dégage les fait sail-
lir. A l'expression synthétique qui ne les indiquait
qu'obscurément elle substitue avec succès l'expres-
«ion analytique qui les rend clairs et précis elle met
ainsi en reiiel' jusqu'aux profondeurs de la conscience
5
elle descend jusqu'aux abstractions les plus .subtiles el
les plus déliées, jusqu'aux sensations les plus exquises
elle les saisit, les nuance, les traduit sous des formes
qui n'en laissent rien échapper; de telle sorte qu'il
n'est pas d'acte de poésie ou de science si lin, si dit-
licile, si complexe qu'il puisse être, que l'esprit n'ait
le moyen de développer, d'expliquer, de réaliser jus-
qu'au bout, en l'associant habilement à quoique em-
ploi de la parole. Tout ce qu'il sentira il le sentira
mieux tout cequ'il comprendra il le comprendra mieux,
il mesure qu'il l'exprimera
avec justesse et vérité el
l'art comme la science, sans être pour lui précisément
seulement une langue bien l'aile, ne seront cependant
qu'à la condition et avec le secours d'une telle langue.
Ainsi d'abord, en fait de beau il n'y aura point d'in-
spirations, point de conceptionsquelles qu'elles soient,
même celles qui tiennent le plus à un mouvement spon-
tané, qui atteignent ce degré de précision et d'achève-
ment nécessaire à toute œuvre d'art, si elles ne se lient
à quelques signes, et surtout à ceux de la voix. Sans
forme elles ne sont rien elles expirent inaperçues
non pas seulement pour le spectateur qui les ignore en-
tièrement faute d'indices qui les lui révèlent mais
pour l'homme même du dedans, pour l'aine qui les a
en elle et qui ne leur sent pas de vie complète dans
cet état d'eil'acement où elle les trouve comme abîmées.
Elles ne commencent à paraître à se déterminer et à
se caractériser que quand elles arrivent à l'expression
et particulièrement à l'oraison celle de toutes les ex-
pressions qui convient le mieux à la pensée. Il n'y a
de vraie poésie qu'au moment où le discours évoqué
|><ir l'intelligence lui sert à séparer la lumière des té-
nèbres, à tirer du néant ce inonde qu'elle porte en
elle à créer en un mol ù ce moment pour peu
qu'elle ail de mouvement et de génie elle est le dieu
qui a fait œuvre, le porte vivant el en action. Aupara-
vant elle ne régnait, que sur l'ombre et le chaos; elle
n'avait d'art qu'en puissance. La parole a été pour elle
comme à l'auteur de toutes choses le temps et l'es-
pace, un» moyen énergique de mettre pour ainsi dire
ses idées de beauté les unes hors des autres, tes unes
après les autres et d'en composer ainsi un ordre où
tout se détache se distingue et cependant s'har-
monise. Tout poème est l'effet d'une vive éduction
qui à l'aide de la parole fait paraître avec éclat des
impressions qui sommeillaient confuses et effacées.
Il en est de même pour la science. La science tout
entière consiste en ces deux choses l'invention des
principes et la déduction des conséquences. Ur, dans
l'un ou l'autre de ces cas l'abstraction est indis-
pensable. Il faut abstraire pour généraliser, pour rai-
sonner abstraire encore. Point de théories trouvées
point de théories appliquées qui ne supposent la fa-
culté de considérer les choses dans un point de vue
abstrait. Or cette faculté est bien en nous elle est dans
l'ame et part de l'ame c'est l'attention dans un de ses
modes mais bien que spirituelle, elle est soumise dans
son exercice à une condition matérielle, a la nécessité
du langage. En effet, comment user de cet artifice d'in-
telligence comment penser d'une façon si nette et si
déliée comment convertir une impression une notion
vague et confuse en une connaissance exacte, réduite
et simplifiée sans recourir à l'usage des signes articu-
lés? Vous commencerez peut-être sans mots cette lalxv
lieuse opération mais sans mots vous ru: l'achèverez
pas; les mots vous sont: nécessaires pour noter et faire
durer, distinguer et définir toutes ces vues fines et par-
tielles ils vous aident à les recueillir. à les constater
une à une et à poursuivre jusqu'au bout votre travail
analytique. La parole avec ses élérnens si nombreux
si divers, vous fournit comme autant de cadres où vous
pouvez les placer, les circonscrire et les retenir. Il ne
dépend que de vous de ne rien perdre de\s aperçus
que vous devez à l'abstraction, vous n'avez qu'à les
parler; toute pensée scientifique, toute philosophie
est logique et pour le dire encore une fois, s'il est vrai
que la science ne soit pas seulement une langue, il est
vrai aussi que sans une langue la science ne serait pas.
Puisque la parole çert à ce point à la formation de
la pensée, il va sans dire qu'elle en facilite avec la même
utilité la conservation et la combinaison; instrument
de connaissance, elle l'est également de souvenir et de
conception imaginaire. Nous ne nous arrêterons pas à
le prouver c'est une conséquence trop évidente des
considérations qui précèdent.
En terminant, revenons encore sur la raison qui ex-
plique cette relation de la parole avec la faculté de l'in-
telligence, Elle se tire, comme on le voit, de la na-
ture des phénomènes qui sont propres à l'une et à l'au-
tre. Ces phénomènes sont des actions qui distinctes
mais harmoniques, conviennent entre elles de ma-
nière à concourir avec ensemble à leur mutuel déve-
loppement les premières qui sont morales, en se liant
aux secondes qui sont physiques et organiques, parti-
cipent par-là même au caractère de leur mouvement
elles en deviennent plus positives; celles-ci, de leur
côté quoique moins vives et moins déliées, le sont ce-
pendant assez pour ne pas trop résister a impression
de celles-là, pour les laisser se déployer avec tous leurs
accessoires, les tous ressentir et les tous rendre, leur
donner à tous une expression qui les fixe et les déter-
mine. Les idées vont aux mots. les suscitent, les font
paraître; les mots viennent, aux idées, les recueillent,
les délimitent. L'esprit produit la forme s'en revêt et
se l'assimile la iorme contient esprit, le concentre et
le fortifie. La raison est le principe la cause première
du verbe; le verbe la condition et l'auxiliaire de la
raison. Sans conscience point d'oraison mais sans orai-
sua point de conscience si ce n'est vague et indistincte.
Lame en un mot sans le discours, et plus généralement
sans Y action est comme un Dieu sans création. Clle est
encore la force en soi la vie morale à l'intérieur la pen-
sée virtuelle et en puissance mais faute de manifesta-
tion, elle n'a qu'une obscure réalité. Le langage est son
monde ce n'est que quand elle y tombe et s'y incarne
qu'elle devient l'aine visible, féconde et productrice.
Outre la fonction que nous venons de voir, l'expres-
sion a de plus celle d'établir d'homme a homme com-
munication et société peu de mots suffiront pour la
faire connaître sous ce point de vue nouveau. Phéno-
mène sensible, elle frappe d'abord les sens de ceux
auxquels elle s'adresse. Ils la perçoivent de quelque
manière mais ils ne se bornent pas à la percevoir, ils
l'interprètent après J'avoir perçue c'est-à-dire qu'ils la
rapportent soit d'instinct, soit par raison, à quelque
fait du même genre qui se lie en eux avec constance
à telle ou telle impression ils la jugent d'après ce fait,
lui supposent la même nature, lui attribuent la même
valeur, trouvent par conséquent signilicalive et ex-
la
pressive. (<ar ils pensent avec vérité que leurs sembla-
Ides sont laits comme eux et qu'une commune loi pré-
side chez tous à l'enchaînement constant des actes mo-
raux et des actes physiques des jugemens et des mou-
vemens, de la vie interne et de la vie externe. De ce
principe qui dans l'enfant se développe de très bonne
heure et qui avec le temps et l'expérience s'affermit
de plus en plus, sortent d'elles-mêmes à chaque in-
stant sans presque qu'on le remarque ces conti-
nuelles conclusions au moyeu desquelles on s'explique
les signes de toute espèce qui représentent les idées
(('autrui. Ainsi s'établit et se multiplie sous mille formes
et de mille manièresce commerce intellectuel des esprits
avec les esprits, des consciences avec les consciences;
une sorte de raisonnement en est le nœud et la voie
secrète. Nous nous abstenons de le démontrer rien
n'est si clair et n'a d'ailleurs mieux et plus souvent été
expliqué dans tous les livres de philosophie. Comme
aussi nous ne nous arrêterons pas à exposer les avantages
qui naissent de ces relations établies d'ame à aine. Il
est trop évident que sans le langage et surtout sans la
parole, il n'y aurait parmi les hommes ni véritable so-
ciété ni éducation ni civilisation que sans tangage
par conséquent il n'y aurait pas d'humanité car qu'est-
ce que l'humanité moins la société et tout ce qui en
dépend ? Passons donc à un autre sujet.
Quel est celui qui vient maintenant, d'après t'ordre
général que nous nous sommes tracé en commençant?
Nous avons étudié l'homme en lui-même, nous en
sommes à l'étudier dans ses rapports de ces rapports
nous avons reconnu ceux qu'il a avec l'organisme, pas-
sons a ceux qu'il a avec les êtres qui dans l'univers sont
comme lui, semblables lui au-dessous ou au-dessus
de lui.
DE
&J
L'HOMME
i)\NS SKS PiAPPOUTS AVEC SKS SKMHLABLKS.
ou
i'rère ou son époux, une ,D~.r.d,rsnt~
personne devant loi
est comme ses parens la femme comme son père son
t (~vir
la loi, une
aine qui a son devoir mais aussi qui a son droit et en
iiii(-
sans conscience mais ont en réalité les propriétés qui dans les
secondes sont dégagées, développées, produites à l'état de
conscience ?
N'y a-t-il pas de la pensée en vie et en action, de la pensée
efficace, puissante et créatrice, non pas seulement dans les ani-
maux, 011 elle est presque comme dans l'homme, mais dans la
plante et dans la pierre? dans la pla'nle qu'elle fait germer,
prendre tige et feuillage, porter fleurs et fruits, et accomplir par
tous ces actes le phénomène de la végétation dans la pierre
qu'elle construit avec une géométrie si savante et de si réguliers
arrangemens? N'est-elle pas partout où il y a ordre et y a-t-il
rien où ne soit l'ordre il
De même aussi l'amour; il existe dans la nature, quoi-
qu'il n'y soit pas un sentiment: oui, la nature a son amour. Ces
attractions et ces répulsions, ces compositions et ces décomposi-
tions, ces tendances de toutes sortes dont elle est le principe,
toutes semblent autant de signes de ses appétits ou de ses répu-
gnances, on pourrait presque dire de ses passions. Le mouve-
ment n'est de toute part que la traduction de cet amour dont elle
est pleine it son insu. Si tout être tend a être, à accomplir sa des-
tinée, intelligent ou non, il est certain qu'il a en lui quelque chose
qui le porte à faire son bien et ce quelque chose est l'amour de
soi ou un attribut qui y ressemble c'est l'amour de soi dans les
esprits, et dans les forces inintelligentes un mouvement qui a le
même but.
Enfin, il n'y a pas dans la nature de liberté et de volonté; mais
n'y a-t-il pas cependant direction d'action, détermination et
il a la force sous d'autres formes el avec d'autres at-
tributs que les aines; il n'agit pas avec les mêmes ap-
pareils; il n'y déploie pas les mêmes facultés; au lieu
d'avoir pour instrument et moyens de production des
organes comme les nôtres, il a les plantes, les miné-
raux au lieu d'y paraître avec la conscience, l'affec-
tion et la liberté il n'y parait qu'avec la puissance de
végéter et de minéraliser mais tout cela n'empêche
pas qu'il ne suit actif, très actif, tellement même que
quelques-uns ont été jusqu'à croire qu'il n'est pas autre
chose et qu'il n'a en lui aucun élément qui réellement
soit inerte. Quoi qu'il en soit de cette opinion, le monde
ou le second du ils
tinuel et ré~uher d'impressions et d'imputsions; ils ne
naissent pas et lie viennent pas le premier du second.
ne doivent et ne peuvent
pas se fondre entre eux ets'unitier; mais soumis a une
même toi, appartenant au même Dieu. dont ils sont
deux productions admirablement concertées, i)s doi-
vent autant que possibtc se dévetopper et se perfec-
tionner dans un mutnet accord; la tac.hc d'un tel con-
Ainsi
et
cours de progrès e) de bien, étant remise à cetui des deux
qui a mission d'intetiigence, de de ).rav:ut,
t homme a la charge pour sa propre amélioration
non p:!s s;ms doute de sacrifier sa nersonne et son ame
an cuite de la nature mais de n'y pas rester indiCterent,
étranger et inutile, de s'y appliquer au contraire de
toute sa pensée et: de tous ses moyens. Par devoir en-
vers hti-meme, en vertu de t'obtigation qu'il a de vivre
selon l'ordre, il est te.nu envcrs'te monde physique avant
tout de ne pas le troubler, et puis ensuite de le con-
duire. de te perfectionner avec amour; et comme ce
monde onre deux faces, ceHc de l'utile et celle du beau,
ne pas abuser des choses utiles, ne pas les perdre, ou
les consommer sans pront ni économie, bien user au
contraire des avantages qu'eues présentent, et en aug-
menter le prix; ne pas gâter tes belles choses, et autant
qn'it se peut ajouter a leur charme, ne leur rien ôter de
leur grace et de leur grandeur natureHes, les embellir
de tout ce que i'art peut leur prêter de merveilleux,
telle est la régie de conduite qu'il doit suivre envers les
agens dont se compose la nature. Nous l'indiquons d'a-
vance ici,
comme conséquence des idées qui viennent
d'être exposées; mais nous n'en traiterons qu'en mo-
rate, parce que ce sera là la vraie place des considéra-
tions plus étendues auquel ce sujet donne naissance.
DE L'HOMME
uité.
Ainsi le vrai sujet de toute recherche theotu~tque ne
consiste reeHement que dans tes attributs de ta DIvi
ro!e de monde.
y a de f'enet en eJ!c. en tant qn'e!ie est. formec.<M'don-
néeetvivinee.cntant(~u'e)iecstcreceaietateta))
EUe n'est donc précisément ni cause ni enct.san.s
cependant, être étrangère ni à !a cause ni a t'émet; elle
a rapport avec tous tes deux. se conciHe avec tons tes
deux est n<cessaire )a force <[u'eitc deternune a pro-
duire, et au produit de la force a qui e))e donne con-
sistance. La matière est comme )e théâtre sur !equt-!
doit se depioyer le pouvoir du créateur si elle n'opère
rien rien ne s opère qu avec eHe et en elle; si eiie ne
commence pas conune substance, e) te commence comme
forme, par le fait de l'action divine. C'est de la sorte
qu'eue a sa place et sa raison dans t univers.
Tette est du moins l'explication la ptus admissible
que puissent donner ceux qui pensant que la mote-
cu)e. d'une autre nature que ta force, non naît pas,
n'en saurait, naître ne naît d'aucune façon et existe
par cité-même.
Pour nous, ce qui nous sembtc dune question si
dimcite c'est que d'abord ta solution proposée par les
matérialistes est de tx'ancoup. sans aucun doute, la
moins satisfaisante en conséquence nous n'hésitons
pas a tarejeter entièrement. Quant aux deux autres.
la première est évidemment, ta ptus simple; ette serai)
vraie s'il était prouve que tout est force dans t'ttnivers.
La seconde s'accorde mieux avec la croyance phis~éné-
ra!e qui admet entre les elemens spirituets et matériels
une distinction fondamentate reste a savoir si cette
dinérence est Lien telle qu'on la suppose et dans ce
cas même reste à éctaircir le mystère de deux principes
éternels, dont t'nn est maître de i'autre, [e dompte.
le soumet et le fait à son idée.
Tout le problème se réduit donc quand on )c serre
d'un peu près à ce point qui est capital: Y a-t-itou
non des motécutes? Or, il est dillicile de prononcer;
nous inclinerions certainement à croire qu'it n'y en a
pas, nous l'aimerions mieux parsystème. Mais la preuve,
nous ne l'avons pas nous n'avons pas la preuve du con-
traire, nous restons donc avec notre goût.
Seulement il est certain que dans l'opinion que nous
préférons Dieu est la source de toute chose, le prin-
cipe, un et universel, le créateur commun des corps
et des esprits qui sont tous des forces tandis que dans
l'autre hypothèse il n'est pas réellement la cause de
l'être de la matière, mais seulement de M/~r??!<?, ce
qui limite sa puissance.
Au reste, ce qui nous importait par-dessus tout, c'é-
tait d'établir que dans tous les cas Dieu a le caractère
de créateur; or, ce point nous semble hors de doute.
Ainsi Dieu est créateur; et il ne l'est pas sans être
aussi ordonnateur et conservateur. Nous ne nous arrê-
terons pas à le montrer cela éclate de toute part
nous nous bornerons à dire relativement à la con-
servation, que du caractère même de créateur suit
celui conservateur car seton t expression <ic
<!c
M. Cousin ta force créatrice ab.sotue, créant sans cesse
etinfminient.tactcatjon est mepuisabie et.se main-
tient constairimcn! Maisd'.iiHci'rs comme: conce-
voir que l'être.soit. niisatt néant? )~e néant, qui ne
peut être le commencement d'une existence, pent-i)
mieux en être la Un ? peut-il mieux être la chose où toot
rentre et se perd, que la chose d'où tout sort? Le
néants qui n'est pas! Ëst-H plus dans la raison et la
puissance de Dieu de faire de ce qui est ce qui n'est
pas, que de ce qui n'est pas ce qui est ? convertir l'être
en non-être une quantité en 0, une substance réelle,
en une négation de substance, ne rien laisser absolu-
ment, ne rien laisser dans t'espace non plus que dans )a
durée abolir jusqu'au fonds même et aux étémens des
créatures; n'est-ce point là à la fois l'absurde et t'Im"
possible ? Mais la mort? La mort n'est pas la ruine et
la réduction au néant de ce qui a t être et la vie pour tes
existences composées, c'est une pure décomposition;
pour les existences unes et simples, un renouvellementde
relations; mais les principes qu'elle sépare n'en subsis-
tent pas moins, et les ames qu'elle dégage n'en ont pa~
mcms leur durée. Toute chose demeure en soi; les
formes seules dans les corps, avec les phénomènes qui
en dérivent, les rapports seuls pour les intelligences
et les modifications qui en sont la suite changent.
passent et s'évanouissent le reste est éternel. C'était
en Dieu dès l'origine, ce sera par Dieu jusqu'à la lin.
Dieu est toujours en tout, quoique tout ne soit pas
Dieu. Ainsi les ames sont immortelles, par-là même
qu'elles ont de t'être et les corps (dans leurs parties )
sont également immortels, parce qu'eux aussi ils ont
de t'être. Tout ce qui est créé t est de quelque chose
et l'est pom(jUf't({Ut'chose. (juiditc'eatetH Jitcon-
"c'rvatem'.
principe; nutte ne
<)pvancict's tous rentrent dans un système ctabti des te
parait dans (pieique agent-de
i univers, qui n'ait ses antecedens dans toute ia suite
de ta En
<tu passe, et dont ta trace ne remonte au premier jour
sorte que jamais it na a eu qu'un
dessein, qu'un même dessein, tout complet des t'ahord,
dont les faits innombrables que tes siècles ont amenés
ne sont qu'une variété de manifestations successives.
Tout a été y~?!sc une fois pour toutes; tout a ëté/att
date par date l'ordre généra! est primitif, it est arrête
dès te début; réduction a commencé, s'est poursuivie,
continue et continuera éterneHement.
Tette est peut-être ta manière de concilier entre elles
les deux opinions dont it s'agit.