Le Debat N 179 Extrait
Le Debat N 179 Extrait
Le Debat N 179 Extrait
A 14519
ISSN 0246-2346
numéro 164 Sunil Khilnani : L’Inde dans le Grand Jeu des puissances
Henry Laurens : Métropoles et empires coloniaux
numéro 166 Printemps arabe : un entretien avec Moulay Hicham. Propos recueillis par Stephen Smith
mars-avril 2014
Autour de Assimilation. La fin du modèle français
numéro 168
Spécificités allemandes, perplexités françaises : Hakim El Karoui,
Étienne François, Jacqueline Hénard, Jean-Michel Quatrepoint, Gilbert Merlio
de Michèle Tribalat
Où en sont les révolutions arabes ? : Nora Benkorich, Mathieu Guidère,
Philippe d’Iribarne, Malika Sorel-Sutter, Michèle Tribalat, Thierry Tuot
Gilles Kepel, Ali Mezghani, Thomas Pierret
numéro 169 Où en sont les révolutions arabes ? (suite) : Nora Benkorich, Hakim El Karoui,
Autour de Le Déclin de David Engels
Henry Laurens, Gilles Kepel Élie Barnavi, David Engels, Luuk van Middelaar, Krzysztof Pomian, Aldo Schiavone
numéro 179
numéro 171 Gilles Kepel : Journal de Libye
François Jullien : « Rester zen », ou d’une France qui n’affronte plus
numéro 173 Surgit Mansingh : L’Inde décolle
Ramachandra Guha : Les trois piliers de la démocratie indienne
Thi Minh-Hoang Ngo : De la liberté en Chine
Mondes en mouvement :
Guilhem Fabre, Stéphane Grumbach : Chine : le « vrai Grand Bond en avant » Allemagne, Chine, Amérique, Mali
Ran Halévi : La démocratie israélienne et la guerre Jean-Pierre Cabestan, Didier Combeau, Tony Corn, Peter Crisell,
Mathieu Bock-Côté : Québec : l’étrange défaite des souverainistes
Valérie Bros, Ziad Khoury : L’Europe, vues de l’intérieur
Olivier Lafourcade, Serge Michailof, Thi Minh-Hoang Ngo, Mahnaz Shirali
numéro 178 Sur le grand marché transatlantique : Xavier Bertrand, Jean-Pierre Chevènement, numéro 179 mars-avril 2014
Jean-Luc Gréau, Jean-Michel Quatrepoint, Hubert Védrine
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mars-avril 2014 numéro 179
Directeur: Pierre Nora
102 Tony Corn: Pax germanica. La République de Berlin entre Kant et le Kaiser.
116 Jean-Pierre Cabestan: Jusqu’où ira la Chine dans son affirmation de puissance?
129 Thi Minh-Hoang Ngo: Tocqueville en Chine. La Chine d’aujourd’hui et
la France révolutionnaire.
139 Peter Crisell: L’éveil de l’Amérique du Sud. Et le rejet du néo-libéralisme
américain.
157 Mahnaz Shirali: Le mystère du khomeynisme.
173 Didier Combeau: 27 mots, 27 morts. Des Pères fondateurs aux parents éplorés
de Newtown.
180 Olivier Lafourcade, Serge Michailof: Stabiliser le Mali. Une aide bien gérée est
indispensable.
LE DÉBAT DU DÉBAT
La revue n’est pas responsable des manuscrits qui lui sont adressés.
Les manuscrits non publiés ne sont pas rendus.
guise de conclusion.
Pierre Nora
Malheureuse, oui,
mais pourquoi?
lisme apparemment innocent, les dégâts de déjà cinquante ans, qu’il faut une certaine homo
l’immigration, tous thèmes privilégiés du Front généité à une population pour vivre. Mais toute
national dont la gauche, par sa politique de déni l’histoire de la France peut s’écrire comme un
et sa volonté d’aveuglement, contribue à faire le effort permanent pour faire de l’Un avec du
jeu. C’est audacieux, c’est salutaire. Mais n’y multiple, du divers, du contradictoire et même
a-t‑il pas du systématisme réducteur et même de l’incompatible.
dangereux à opposer aussi uniment les Français La crise de l’identité française est contempo-
de souche, blancs et autochtones, porteurs de raine de l’arrivée massive des Arabes d’Afrique
valeurs traditionnelles, à une population récente du Nord d’abord, des Noirs de l’Afrique sub-
qui voudrait imposer ses manières de voir, de saharienne dans un second temps, mais elle
vivre et de penser? C’est le piège à précisément n’est pas réductible à cette arrivée. Ses causes
éviter, sous peine de tordre une réalité infiniment sont multiples. Je les ai souvent analysées, plu
plus complexe et nuancée et de s’exposer à une tôt, d’ailleurs, en termes de mutation. Cette crise
récupération politique dont l’auteur se défend est le point d’aboutissement de toutes les défaites
bec et ongles; l’objet même du livre consiste à depuis 1815, 1870, 1940, en passant par les
s’en démarquer. fausses victoires de 1918 et de 1945. Elle est le
On est tenté de s’interroger, du reste, sur ces fruit d’une mutation du modèle national lui-même
«valeurs traditionnelles», constamment invo- qui se cristallise dans les années 1970-1990, le
quées. En quoi consistent-elles, en définitive? passage d’une nation souveraine, chrétienne,
La francité est sans doute évidente, mais elle est étatiste, centralisatrice et universaliste à un type
aussi introuvable. J’en sais quelque chose pour de nation tout différent, lancée «par le haut»
l’avoir cherchée toute ma vie. «Le génie qui nous dans une insertion incertaine de son cadre euro-
est propre» n’est pas facile à saisir en dehors péen et tiraillée «par le bas» par la poussée
d’une approche historique; l’inventaire de notre décentralisatrice. Transformée de l’intérieur par
«héritage» n’est pas fermé; la définition de «ce la disparition de son assise paysanne ou ouvrière.
qui nous fonde» n’est pas claire, ni l’existence Défiée dans sa familiarité avec la haute culture
de «cet être qui voudrait persévérer dans son par l’invasion d’une culture de masse. Réduite au
être»; ni «ce monde commun» qui éclaterait rang de puissance moyenne et comme expulsée
sous le sceau de l’ethnicité, pour reprendre des de la grande histoire. Une nation que tout tend
formules qui parsèment l’ouvrage et lui servent à particulièrement bousculer, de la mondialisa-
de référentiel. L’opposition de cette «identité tra tion à l’avènement de l’individu, parce qu’elle
ditionnelle» et d’une menace unitaire de l’autre, était le plus vieux des États-nations et que l’indi-
de «l’Autre», qui pèserait sur elle pour la dis- vidu ne s’y exprimait que dans un ensemble,
soudre, est illusoire, comme tout raisonnement dans sa permanence et sa continuité.
qui implique une équivalence entre les valeurs Dans le tableau, l’immigration a joué un rôle
culturelles et l’origine ethnique. Il n’y a pas de révélateur, d’accélérateur, d’amplificateur et
d’invariance originaire, d’ordre biologique, spi- de bouc émissaire. Que l’immigration soit l’un
rituel ou historique à ce qui s’appelle et qu’on des plus graves problèmes et que la France ait
appelle aujourd’hui la France. C’est une évi- des difficultés spécifiques à l’aborder de front et
dence, comme le soutenait Lévi-Strauss il y a à le résoudre, c’est certain; encore que les résul-
Pierre Nora
Malheureuse, oui,
mais pourquoi?
tats globaux prouveraient qu’elle ne s’y prend pas sur les valeurs de la culture et de la spiritualité,
aussi mal qu’on le dit. Mais la mixité n’est pas la tout cela qui constitue les vrais maux de notre
cause de tous nos maux. La perte du surmoi lit- réalité n’a pas grand-chose à voir avec les change-
téraire d’une nation essentiellement littéraire, le ments démographiques, le mélange et la promis-
naufrage des humanités, la dissolution de la cuité des populations. L’étranger n’est pas le
langue, l’hégémonie de l’écran sur l’écrit, l’ap- débarqué de fraîche date, il est en nous. C’est
pauvrissement du sentiment collectif, l’efface- nous par rapport à nous. L’identité française
ment de la continuité historique et l’avènement serait aussi malheureuse s’il n’y avait pas un seul
d’une conscience purement générationnelle, la immigré. Elle le serait même peut-être davantage
dictature du présent, tous ces phénomènes, comme parce qu’elle ne serait en face que d’elle-même.
l’extension des incivilités ou la domination des
valeurs purement économiques et individualistes Pierre Nora.