L'Arrêté Des Comptes

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 34

Les firmes multinationales

Plan :

I – FMN et Investissements directs à l’étranger


A- Définition des FMN
B- Définition des IDE
ème
II – L’évolution des investissements directs depuis la fin du 19 siècle
A- Des FMN tournées vers les PVD jusqu’en 1945
B- La suprématie américaine d’après-guerre
C- L’essor des IDE et le chassé croisé américano-nippon des années 1970 et 1980
D- La montée des pays émergents à partir des années 1990
E- Le cas de la France

III – Les déterminants de la multinationalisation des firmes


A- La possession d’un avantage spécifique
B- L’intérêt de l’internalisation
C- Le choix de la localisation

IV – L’impact des firmes multinationales


A- IDE et commerce international : complémentarité ou substituabilité ?
B- IDE et emploi : l’impact des délocalisations
C- Les autres effets

V – La politique des Etats face aux FMN


A- Les politiques de réglementation des IDE
B- La libéralisation progressive des IDE
C- Le retour du patriotisme économique

VI – La globalisation : réalités et limites


A- La tendance à la globalisation des firmes
B- Une globalisation à nuancer

Bibliographie :
 ANDREFF Wladimir, Les multinationales globales, La découverte, 1996.
 BERGER Suzanne, Made in Monde, Le Seuil, 2006.
 HATEM Fabrice, Les multinationales en l’an 2000, Economica, 1995.
 MUCCHIELLI Jean-Louis, Multinationales et mondialisation, Seuil, 1998.
 REICH Robert, L’économie mondialisée, Dunod, 1993.

Chronologie :

1893 : Dunlop (GB) s’installe aux USA


1908 : Ford produit des voitures en GB
1965 : le Mexique encourage l’implantation des « maquiladoras »
1960 : Hymer développe la notion d’avantages spécifiques
1968 : Publication de l’ouvrage Le défi américain par Jean-Jacques Servan-Schreiber
1973 : nationalisation des actifs d’ITT au Chili par Allende
1977 : quotas américains sur les téléviseurs japonais
1979 : quotas américains sur les téléviseurs des NPIA
1984 : accident de Bhopal en Inde (2 000 morts)
1989 : Michelin rachète Uniroyal-Goodrich
1992 : Ouverture d’Euro-Disneyland à Marne-la-Vallée
1993 : publication du rapport Arthuis sur les effets négatifs des délocalisations
1995 : implantation de Renault, Mercedes, Ford et GM au Brésil
1998 : échec des négociations sur l’AMI (Accord Multinational sur l’Investissement)
2001 : la première Yaris sort de l’usine TOYOTA de Valenciennes
Citations :

Au lieu d’être vu comme un rival, le capital étranger doit être considéré comme un auxiliaire très
précieux, car il permet une plus grande quantité de travail productif et d’entreprises efficaces.
Alexander Hamilton, 1791, dans un rapport adressé au Congrès américain

Ce qui est bon pour General Motors est bon pour l'Amérique
Charles Wilson, PDG du groupe, 1953.

L’entreprise privée étrangère, du fait du transfert officiel ou clandestin de la plus grande partie de
ses profits, n’a pas d’effet accélérateur et n’intervient pas ou que fort peu dans le processus de
développement cumulatif du pays où elle travaille, mais elle ne s’intègre pas non plus, ou très
exceptionnellement, dans le plan de développement du pays d’accueil, elle est en règle générale
et sous tous ses aspects une « concession » étrangère dans ce pays.
Pierre Jalée, Le pillage du tiers monde, 1965, p. 90.

Ce n’est pas parce que les firmes multinationales investissent en Afrique que cette dernière est
sous développée, c’est au contraire parce qu’elles n’y sont pas assez présentes !
Arghiri Emmanuel, Technologies appropriées ou technologie sous-développées, 1982.

La transnationalisation des firmes est certainement la principale cause de la décomposition du


politique, c'est-à-dire de l’affaiblissement de l’Etat-nation et de la déliquescence de la citoyenneté.
Serge Latouche, Comment peut-on être anticapitaliste ?, revue du MAUSS, 1997.

Il importe que des mesures soient rapidement prises pour montrer que la France reste accueillante
aux investisseurs étrangers,' [Plus loin :] ' la part des non-résidents, dans la capitalisation
boursière française, fait l'objet, désormais, d'une prise de conscience collective : celle de la
faiblesse de l'assise domestique du capital de nos entreprises.
Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité du territoire français, juillet 2001.

En France, l’entreprise ne suscite des élans de tendresse qu’à deux moments de sa vie : quand
elle meurt ou quand elle va être rachetée par un étranger.
Denis Kessler, Université d’été du Medef, 2005.

La globalisation est préférable à la mondialisation ou à l’échange international et celui-ci est


préférable à l’autarcie.
Bertrand Lemennicier La morale face à l’économie, 2005, p. 266.

Que l’on délocalise pour vendre sur d’autres marchés, je suis prêt à le comprendre. Mais que l’on
délocalise pour fabriquer à l’extérieur des voitures qu’on vendra en France, je ne suis pas
d’accord.
Nicolas Sarkozy, Interview dans le Figaro Magazine, 12 mars 2010.
La théorie ancienne du commerce international ne prenait en compte que les nations, en négligeant
la place des firmes. Or ce sont évidemment celles-ci qui effectuent l’essentiel des relations économiques
entre les territoires, soit en exportant, soit en produisant à l’étranger. Généralement, pour les entreprises,
l’exportation précède la production à l’étranger.
Le professeur Perlmutter prévoyait au début des années 1970 que 80% des actifs industriels
mondiaux seraient détenus par 200 à 300 FMN dès 1985. Et les pronostics les plus inquiétants circulaient
sur ces entreprises apatrides, déplaçant leurs capitaux en fonction d’intérêts plus ou moins avouables. Or la
part des investissements industriels détenue par les 300 plus grandes FMN ne dépasse pas 25%. De plus,
la multinationalisation s’ouvre largement à de nouveaux pays et de nouvelles firmes.
Dans son édition 2007 du Rapport mondial sur l’investissement, la CNUCED recensait 78 400 FMN
(contre 7 000 à la fin des années 1960) s’appuyant sur plus de 780 000 filiales étrangères ; elles
employaient 57 millions de personnes, représentent 25% de la production mondiale. Les filiales étrangères
représentent 10% du PIB mondial et un tiers des exportations mondiales. Le stock mondial des
investissements à l’étranger représentait à la fin 2006 l’équivalent de 26% du PIB mondial (un record
historique), contre 5,7% en 1980.
Leurs décisions de localisation jouent un rôle majeur déterminant dans l’affectation du capital
productif, et la question des délocalisations revient régulièrement dans l’actualité. Dans ce chapitre, nous
analyserons les causes, l’importance et les effets de la multinationalisation.

I) FMN et investissements directs à l’étranger :

A) Définition de la FMN :
Le commerce international est réalisé par des firmes. Mais celles-ci peuvent aussi s’implanter à
l’étranger pour mieux contrôler leurs marchés ou leurs sources d’approvisionnement. En établissant une
unité de production à l’étranger, la firme devient multinationale.
Une FMN est une firme qui possède au moins une unité de production à l’étranger.
Une entreprise peut avoir une représentation commerciale à l’étranger, mais elle ne sera vraiment
multinationale que si elle fabrique tout ou partie de sa production à l’extérieur de son territoire national,
souvent par le biais de filiales.
En principe, une filiale devrait appartenir à plus de 50% à la maison mère. Toutefois, les travaux
statistiques sur les FMN considèrent en général que, lorsqu’une firme possède au moins 10% du capital
d’une entreprise étrangère, cette dernière peut être considérée comme une filiale de la première. C’est le
seuil retenu par l’ONU. Dans le cas où plusieurs entreprises détiennent des participations dans une même
filiale à l’étranger, la filiale est comptabilisée pour l’entreprise qui détient la plus forte participation. Le statut
de FMN est en fait une question de degré : il n’y a pas deux situations extrêmes : être ou ne pas être FMN. Il
existe un continuum le long duquel l’entreprise est de plus en plus multinationale.
Les modes d’implantation sur le territoire d’accueil :
1) La création ex-nihilo d’une filiale de production possédée à 100% par la maison-mère. Cette situation est
appelée en anglais Greenfield investment, c’est-à-dire une implantation sur terrain vierge. Forme
majoritaire dans les années 1950 et 1960.
2) L’acquisition d’une firme locale déjà existante. Appelé en anglais Brownfield investment : c'est-à-dire
investissement sur un ancien site industriel. Forme qui s’est développée à partir des années 1980 et
considérée comme moins coûteuse que la précédente, plus rapide, et moins risquée. Souvent financé
par l’échange d’actions.
3) La joint-venture : mise en commun de moyens humains, techniques et financiers dans le cadre d’une
filiale commune. C’est souvent le cas en Chine où le recours à un partenaire local est indispensable
Elles sont nombreuses dans le secteur des hautes technologies en raison des coûts élevés de R&D. En
1999 a été créé Fujitsu-Siemens Computers dans les micro-ordinateurs et les serveurs, coentreprise
détenue par les deux groupes. En 2001, Sony et Ericsson ont créé une coentreprise à 50/50 dans les
téléphones portables. Dans l’agro-alimentaire, Coca-Cola et Nestlé ont crée en 1991 une coentreprise
pour vendre du thé glacé (Nestea).
4) Les licences : l’accord de licence accorde à une entreprise étrangère le droit de fabrication d’un produit
(utilisation de la technologie et de la marque) en contrepartie d’un paiement (royalties) prenant la forme
d’un % du chiffre d’affaires ou des bénéfices. Intérêt : permettre une présence sur un marché protégé ou
trop petit pour justifier une filiale locale.
5) La sous-traitance : tirer parti de coûts locaux bas sans prendre soi-même le risque de l’investissement.
Forme présente dans la confection (Lévy-Strauss), l’assemblage informatique (Taiwan est un sous-
traitant de la Silicon Valley). Nike sous-traite 90% de sa production en Asie et se présente comme une
firme spécialiste en concept, innovation et commercialisation.
Les nouvelles formes d’investissement à l’étranger regroupent les catégories 3, 4 et 5, ainsi que les
alliances : IBM a passé des alliances avec 40 partenaires dans le monde. Nestlé et Coca-Cola s’associent
pour la fabrication de boissons au café et au thé, Olivetti et Dell pour les ordinateurs portables. Ces
nouvelles formes d’investissement, en plein essor, correspondent à un partenariat interentreprises. Le mode
d’entrée partenarial présente l’avantage de l’apprentissage accéléré du marché grâce au partenaire
étranger ; c’est important en période de réduction de la durée de vie des technologies et des produits.

Initialement, les FMN avaient tendance à s’implanter à l’étranger à l’aide de filiales à 100% ou grâce
à des prises de participations majoritaires. Au contraire, ces dernières années on observe un développement
d’accords de coopération entre FMN, de prises de participation réciproques, de filiales communes. Ces
nouvelles formes d’investissement se sont développées à partir des années 1970 en réaction aux politiques
restrictives de PED à l’égard des IDE, à leur instabilité politique et aux discours anti FMN. Ces partenariats
concernent surtout les secteurs de haute technologie comme l’électronique, l’informatique ou l’aérospatiale,
ou les secteurs à maturité faisant l’objet de renouveau technologique comme l’automobile. Ils ont pour but de
partager les frais de R&D afin de permettre des économies d’échelle et d’échanger des connaissances. Par
exemple, Siemens et Motorola ont conclu un accord en 1995 pour investir 7.5 milliards de francs dans une
usine commune aux EU devant produire des semi-conducteurs.

Progressivement, la FMN organise un réseau international de conception, de production,


d’assemblage et de commercialisation de ses produits. Les relations entre la maison mère et les filiales au
niveau international donnent lieu à un commerce international intra-firme. Une filiale est une entreprise
contrôlée à plus de 50% par une autre appelée maison mère. La FMN développe aussi des relations avec
d’autres firmes pour l’approvisionnement en consommations intermédiaires ou la commercialisation, il s’agit
d’un commerce inter-firme. Les FMN sont ainsi au cœur d’un vaste réseau d’échanges internationaux.

Filiale 1

Maison
mère
Filiale 2 Filiale 3

La firme réseau
Au lieu de créer des filiales strictement contrôlées, il devient profitable de tisser des relations
contractuelles avec les partenaires. Le partenariat présente l’avantage de réduire les apports de capitaux et
réduire le nombre de cadres expatriés, de ménager les susceptibilités nationales et mieux s’intégrer au
contexte local. Ce modèle est facilité par le développement des moyens de communication.
Cette firme réseau a été décrite par Reich (1991). La grande entreprise centralisée, conçue pour la
production de masse, éclate pour laisser la place à un réseau étendu à l’échelle mondiale. Ce réseau est
caractérisé par des centres de profits indépendants, des joint-ventures, des franchises, de la sous-traitance.

Une terminologie incertaine


Selon les auteurs, les firmes sont qualifiées de multinationales, internationales, plurinationales,
supranationales, transnationales, sans oublier les grandes unités interterritoriales de Maurice Bye. D’après
René Sandretto, Le commerce international (1991) p. 166, le terme de firme transnationale est préférable
car plus précis et mieux adapté à la réalité.
L’adjectif multinationale suggère que les firmes pourraient avoir plusieurs nationalités. Or malgré leur
essaimage dans le monde, on constate que ces firmes conservent une nationalité, celle de leur pays
d’origine. Cela est manifeste si on considère la nationalité des actionnaires, des dirigeants, de l’état major.
De plus l’Etat de la nation mère aide la firme en sécurisant ses investissements, stimulant son extension. Le
cordon ombilical entre la firme et la base nationale n’est pas rompue. Les cas d’entreprises binationales sont
rarissimes (Unilever, Royal Dutch Shell, ABB).
Dans ces conditions, mieux vaudrait parler de firmes transnationales américaines, britanniques,
japonaises, etc. Le préfixe trans signifie que les FTN débordent leur territoire d’origine et étendent les
contours de la nation au-delà de ses frontières habituelles. Nous utiliserons le terme de firme multinationale
qui s’est progressivement imposé, mais ce distinguo nous sera utile dans la partie consacrée à la
globalisation.

La typologie des FMN selon Charles-Albert Michalet


1) FMN à stratégies d’approvisionnement ou primaires, avec intégration verticale en amont à l’étranger
2) FMN à stratégie de marché, avec intégration verticale en aval ; production sur le lieu de vente avec des
filiales relais produisant les mêmes produits que la société mère ; la production à l’étranger est un substitut
aux exportations
3) FMN à stratégie de rationalisation de la production : pour tirer parti des coûts de production plus faibles et
des économies d’échelle dues à la forte spécialisation des filiales ateliers ; s’instaure alors une
décomposition internationale des processus productifs ou DIPPP ; le marché local d’implantation a peu
d’importance.
4) FMN à stratégie technico-financière : glissement des IDE vers les nouvelles formes d’investissement :
sous-traitance, alliances entre firmes, brevets, licences, dégagement de la production et engagement dans
la R&D, fourniture de services, participations minoritaires, activités de services ; forme de concentration plus
conglomérale.
5) FMN à stratégie globale : production et vente simultanément sur les divers marchés mondiaux

B) Définition de l’investissement direct à l’étranger (IDE) :


Les IDE sont des investissements effectués pour créer une filiale à l’étranger ou avoir un certain
contrôle sur une entreprise étrangère. L’IDE entraîne non seulement un transfert de ressources mais aussi
l’acquisition du contrôle car la filiale fait partie de la même structure organisationnelle que la société mère. Il
existe donc une logique de production. En outre, l’IDE implique en général un transfert à l’étranger de
technologie (licences) et de capital humain par l’intermédiaire de cadres expatriés.
Pour le FMI, un IDE est « un engagement de capitaux effectué en vue d’acquérir un intérêt durable,
voire une prise de contrôle, dans une entreprise exerçant ses activités à l’étranger ». Il y a donc volonté de
contrôle et pérennité de l’engagement.
Le seuil de 10% du capital est retenu par le FMI et l’OCDE. Ce niveau de détention permet de
distinguer, parmi les mouvements de capitaux de long terme, les investissements de portefeuille (moins de
10% du capital) des IDE (plus de 10% du capital).
Ce seuil de 10% risque de gonfler les flux de capitaux considérés comme IDE sans que soient
nécessairement présents les critères de pouvoir de décision et de transfert technologique. Ce risque est
dans les faits limité car la plupart des IDE concernent des prises de participation largement supérieures à
10%. Ainsi, dans le cas des investissements français à l’étranger, la part du capital détenue dépasse les
59% dans 80% des sociétés étrangères recensées, les montants correspondants à ces prises de
participation majoritaire représentant 82% du stock d’IDE. Plus de 84% des emplois à l’étranger pour les
FMN américaines se trouvent au sein des filiales possédées à plus de 50%.
Sur le plan comptable, les IDE correspondent à la somme des quatre phénomènes suivants :
- la création d’une entreprise à l’étranger
- l’acquisition d’au moins 10% du capital d’une entreprise déjà existante
1
- le réinvestissement des bénéfices par la filiale étrangère
- l’augmentation des ressources de la filiale grâce à la maison mère : augmentation de capital, prêts.

Flux et stocks
Les flux d’IDE représentent les mouvements de capitaux émis entre un pays (d’origine ou d’accueil)
et l’étranger sur une période donnée.
Les stocks d’IDE correspondent à la valeur à un moment donné des capitaux étrangers dans un
pays ou symétriquement des capitaux qu’un pays possède à l’étranger.
Pour 1996, le stock des IDE est estimé à 3 178 milliards de $, soit 10% de la production mondiale ;
les flux d’IDE sortants sont estimés à 347 milliards de $ soit 1.1% de la production mondiale ou 5.6% du
commerce mondial.

1
Pour les IDE de toute origine, l’ONU estime la part des profits réinvestis à 45% en 1970-1972 et 58% en 1978-1980.
II) L’évolution des investissements directs à l’étranger depuis la fin du
XIXème siècle

A) Des FMN tournées vers les pays en développement jusqu’en 1945


ème
Les IDE se développent fortement dans le dernier tiers du 19 siècle. Vers 1870, ils représentent
environ 40 % du total des flux de capitaux internationaux à long terme, dont la forme principale avait été
jusque là des placements de portefeuille. On peut affirmer que les FMN naissent à la fin du XIXème.
Les facilités de transport (bateaux à vapeur, chemin de fer) et de communication (télégraphe)
rendent possible, l’extension du contrôle de la gestion sur une longue distance. En outre, le retour du
protectionnisme à partir des années 1880 pousse des entreprises à le contourner en produisant à l’étranger.
En 1914, au moins 41 entreprises américaines ont établi 1 ou 2 filiales à l’étranger (Canada, GB et
Allemagne principalement) : Singer, Westinghouse, International Harvester, General Electric, Ford. En 1908,
Ford fabrique en GB des automobiles à l’aide de composants importés des Etats-Unis. En 1913, Ford
devient le plus gros producteur automobile de GB, y produit 6 000 véhicules sur un total de 25 000.
De la même manière, près de 40 entreprises européennes ont des filiales à l’étranger en 1913. On
compte des firmes allemandes comme Siemens, AEG, Hoechst, Bayer, Bosch, BASF, AGFA, Daimler Benz
; des firmes Suisses comme Nestlé ou Geigy ; des FMN françaises comme Saint-Gobain ou Michelin qui en
ère
1907 établit sa 1 usine aux Etats-Unis. Il existe aussi des FMN anglaises comme Dunlop ou Unilever.
Les pays d’origine
En 1914, la GB, les Etats-Unis, la France et l’Allemagne réalisent plus de 87% des IDE dans le
monde. La GB domine largement ce mouvement en possédant, à elle seule, près de la moitié des IDE. Dans
er
l’entre deux guerres, la GB reste le 1 pays d’origine mais son poids se réduit (de 45 à 39%) au profit des
Etats-Unis qui possèdent 28% des IDE en 1938. La position de la France s’amenuise et celle de l’Allemagne
s’effondre.
Les pays d’accueil
Les IDE s’adressent en majorité aux PED : ils représentent 63% du stock en 1914 et 66% en 1938.
L’Amérique latine puis l’Asie sont les 2 premières zones d’accueil. Pendant l’entre deux guerres, les IDE
intra européens se réduisent, ceux en Russie disparaissent. Les FMN mettent à l’époque en rapport des
économies très inégalement développées.
Les secteurs
En termes sectoriels, en 1914, 55% des IDE sont effectués dans le secteur primaire, 20% dans les
infrastructures (chemins de fer), 15% dans l’industrie (25% en 1938) et 10% dans les services (commerce,
banques). La multinationalisation est imposée par la localisation des matières premières (pétrole, charbon,
cuivre, bauxite)) et des produits exotiques (plantations) dont les économies industrielles ont besoin.
Exemple : sucre à Cuba, bananes au Costa Rica (avec la célèbre United Fruit Company), thé à Ceylan,
caoutchouc au Liberia.
Il s’agit essentiellement de FMN primaires avec une stratégie d’approvisionnement et une intégration
verticale en amont à l’étranger (Exxon, Unilever).

B) La suprématie américaine des années d’après-guerre


Les pays d’origine
Entre 1960 et 1978, le stock mondial d’IDE est passé de 66 à 380 milliards de $, soit une
multiplication par six. Les Etats-Unis, en tant que pays d’origine, dominent ce phénomène : entre 1960 et
1970, ils détiennent presque la moitié du stock d’IDE et représentent plus de 65% des flux annuels. En 1960,
la GB vient loin derrière avec environ 15% du stock d’IDE et la France est troisième avec 6,5%. Plus
globalement, les pays développés sont à l’origine de la quasi-totalité des IDE.
De cette époque date l’idée que les Etats-Unis sont la patrie des FMN. En 1967, l’auteur français
2
Jean-Jacques Servan-Schreiber publia un livre intitulé Le défi américain . Le journaliste décrit la pénétration
de l’industrie américaine en Europe en raison de sa supériorité technique, de recherche, et de management.
Les IDE américains en Europe sont financés à 90% par des ressources européennes sous forme de crédits
obtenus en Europe, de subventions des Etats européens et d’autofinancement sur le terrain. Seuls 10% sont
des dollars proviennent des USA. Le problème n’est pas la supériorité US, mais plutôt la faiblesse
européenne. JJ SS ne veut pas stopper les IDE américains en Europe, il veut que l’Europe rattrape son
retard technologique sur les USA.

2
Jean-Jacques Servan-Schreiber, Le défi américain, Denoël, 1967.
Les pays d’accueil
Au niveau des pays d’accueil, les PED ne sont plus le pôle d’attraction qu’ils constituaient au début
du siècle : ils ne reçoivent plus que 30% du stock mondial d’IDE.
Les IDE représentent pendant les 30 glorieuses un phénomène entre pays développés, qui sont à
l’origine de 97% de ceux-ci et en accueillent près de 70%.
Les IDE ex-nihilo sont la forme majoritaire jusqu’à la fin des années 1960, c’est le cas de 62% des IDE
américains en 1951-1960.
Les secteurs d’activité
Cette évolution coïncide avec celle de la structure des IDE, qui se réalisent de plus en plus dans les
produits manufacturés (35% en 1960 contre 25% en 1938).
La forme la plus répandue est la FMN à stratégie de marché avec intégration verticale en aval et
production sur le lieu de vente avec des filiales relais produisant les mêmes produits que la société mère ; la
production à l’étranger est un substitut aux exportations. Ceci est cohérent avec la théorie de Vernon selon
laquelle la production à l’étranger prolonge l’exportation quand le produit se banalise et les coûts inférieurs.

C) L’essor des IDE et le chassé croisé américano-nippon des années 70 et 80 :


L’essor des IDE
De 24 milliards de $ en 1973, les flux d’IDE ont bondi à plus de 1 270 milliards en 2000, soit une
progression de 16% par an, soit le double de celle du commerce international. Durant les années 1980, ces
flux augmentent même de 30% par an. Le stock d’IDE était de 551 milliards de $ en 1980, 1 667 en 1990 et
3 178 en 1996. Selon la base de données statistique CHELEM du CEPII, le % des IDE/PIB mondial est
passé de 1% à 5% dans les années 1990.
Les causes de la hausse des IDE dans les années 1980 et 1990 :
- La déréglementation, (télécom, électricité, gaz, transport aérien), les privatisations, l’abolition des
monopoles publics (télécom au RU), la libéralisation des marchés.
- Les progrès des techniques dans les transports et les télécommunications facilitent la gestion
coordonnée de réseaux complexes étendus sur plusieurs pays. Par exemple, on peut connaître les
stocks, les commandes et les coûts de production dans l’ensemble du réseau mondial et optimiser les
plans de charge, les flux logistiques et les commandes aux sous-traitants et fournisseurs.
- La complexité accrue des processus de production pousse à l’établissement d’une chaine de production
intégrée internationalement
- La liberté accrue des marchés de capitaux sur lesquels les sociétés peuvent être achetées et vendues
- Le financement des FMN a été facilité par la multinationalisation des banques elles-mêmes. Elles ont
créé des filiales à l’étranger ou se sont associées avec des banques locales pour avoir ainsi la possibilité
de suivre leurs clients.
- La montée des coûts de R&D, de maintenance, de commercialisation pousse à rechercher des
économies d’échelle

Cependant, d’autres indicateurs montrent que le phénomène d’internationalisation de la production


reste limité : ainsi, pour les Etats-Unis, la production des filiales américaines à l’étranger représentait en
1993, 6% du PNB, ce % a eu tendance à baisser dans les années 1980 ; la production des maisons mères
représente ¾ des activités et les filiales ¼, proportion stable depuis 1989. De plus, les IDE ne représentaient
que 5.6% de l’investissement total dans le monde en 1995, contre 6% durant la période 1985-1990.

Les pays investisseurs


En 1975-1977, les pays développés étaient à l’origine de 98% des flux d’IDE, 85% sur la période
1994-1995. En 1996, les 5 principaux pays investisseurs sont les EU, le Japon, le RU, la France et
l’Allemagne. La domination des pays développés est donc toujours presque aussi grande, c’est la répartition
entre pays qui évolue.
Le déclin des Etats-Unis comme pays investisseur.
Ils fournissaient 50% des IDE avant 1970, 40% dans la décennie 1970 et 15% dans les années
1980. En effet, les Etats-Unis connaissent un déclin économique dans les années 1970, ils ralentissent leurs
achats à l’étranger par manque de moyens et vendent même des actifs à l’étranger, comme les filiales
européennes d’ITT cédées en 1987 à la Compagnie Générale d’Electricité. En 1980, la moitié des 100
premières FMN étaient US, un quart en 2000.
En 1970, la moitié des FMN venaient de deux pays, USA et RU.
En 1990, la moitié des FMN viennent de quatre pays : USA, Japon, Allemagne, Suisse.
Dans la décennie 1990, les FMN retrouvent une partie de leur force grâce au rétablissement du taux
de profit (le taux de rentabilité du capital aux USA est passé de 13.9% en 1980 à 19.1% en 1995) et de la
suprématie technologique : les USA restent en tête pour la production de brevets, l’effort global de
recherche. A partir de la Silicon Valley, des projets d’extension de capacités à l’étranger voient le jour, à la
recherche d’une main d’œuvre qualifiée à moindre coût (Intel, Motorola).
Ce sont surtout les firmes européennes et japonaises qui investissent à l’étranger. Entre 1985 et
1992, les sorties nettes d’IDE ont atteint 210 milliards de $ pour le Japon, 160 pour l’Europe de l’Ouest alors
que les USA recevaient un flux net de 110. Evolution du stock d’IDE de 1980 à 1992 : Japon (3,8 à 12.1%),
Europe de l’Ouest (44,8 à 52,6%), USA (42,6 à 25,6%).
En 1996, les pays de l’UE possèdent 44% du stock total des IDE dans le monde. La part des IDE
intra européens s’élevait à 25% du total des IDE entrants en Europe entre 1975 et 1983, chiffre porté à 60%
au début des années 1990. A la fin des années 1980, la perspective du grand marché européen a entraîné
de nombreuses fusions acquisitions. Les FMN européennes représentent plus de 65% des investissements
réalisés aux EU.
En 1975, dans le classement de Fortune il y avait 36 européennes et 13 japonaises dans les 100
premières firmes industrielles mondiales. En 1993, 37 et 23 respectivement, le nombre de firmes
américaines tombe de 49 à 32.
L’arrivée du Japon comme grand pays investisseur dans la décennie 1980 : en 1985 il détient 10%
ème er
du stock d’IDE et devient le 3 pays investisseur derrière les EU et le RU; il devint même en 1991 le 1
pays investisseur au monde.
L’orientation des IDE japonais a évolué : dans les années 1960 et 1970, la majorité des IDE
s’effectuait dans les PED (en 1973, 55% et 24 % en Asie) dans une stratégie de délocalisation puis de
réexportation vers le Japon et les autres PDEM. Dans les années 1980 renversement au profit des pays
développés (en 1988, 83% dont près des ¾ aux EU) pour se rapprocher des consommateurs et se prémunir
contre d’éventuelles ou avérées poussées protectionnistes. Dans le domaine de l’audiovisuel, Sony rachète
CBS en 1988, Columbia Pictures en 1990, Matsushita rachète MCA-Universal en 1991.
La forte hausse du yen à partir de 1985 pousse les keiretsus a accroitre leurs IDE afin de baisser les
coûts de main d’œuvre en délocalisant vers les pays à bas salaires d’Asie du sud-est les étapes intensives
en travail. Hitachi produit des réfrigérateurs en Thaïlande, Toshiba produit des TV et des magnétoscopes en
Chine.
Ensuite, on assiste à un net déclin des IDE japonais dans les années 1990 en raison des résultats
décevants des filiales aux USA et en Europe, et des pertes colossales enregistrées aux USA dans
l’immobilier et les activités de loisir. Dans les années 1990 réorientation partielle vers les PVD et surtout
l’Asie (58% pour les pays développés-42% pour les PVD dont 12% pour la Chine).
Cette montée de l’Europe et du Japon est liée aux investissements croisés. En effet, les IDE ne sont
plus hiérarchisés de manière absolue, partant des Etats-Unis et allant vers les autres pays. Aujourd’hui, de
nombreux pays, essentiellement des pays développés et quelques NPI sont à la fois pays d’origine et pays
d’accueil, d’où cette notion de croisement, souvent liée au caractère intra branche des investissements
croisés. Par exemple, les firmes chimiques allemandes investissent en France et les firmes chimiques
françaises investissent en Allemagne.

Les pays d’accueil


Chiffres de 1994 : Europe de l’Ouest (42%), Amérique du nord (26%), Asie en développement
(15%). Les pays européens et le Canada restent les plus ouverts aux IDE, tandis que le Japon reste
pratiquement fermé. USA : position intermédiaire.
er
Les Etats-Unis deviennent le 1 pays d’accueil des IDE à cette époque : l’année 1988 marque un
tournant puisque le stock d’investissements étrangers aux Etats-Unis devient supérieur au stock
d’investissements américains à l’étranger (329 contre 327 milliards de $).
La part des FMN étrangères dans l’emploi manufacturier américain est passée de 3% en 1977 à 7%
en 1986 et 12% en 1990, leur part dans les actifs est passé de 5% à 9% entre 1977 et 1986.
Ils recevaient 10% des IDE au début des années 1960, 15% au début des années 1970, 45% à la fin des
années 1980. C’est en 1980 que les flux entrants deviennent supérieurs aux flux sortants.
ère ème
Il y a eu plusieurs vagues d’IDE vers les EU depuis 1973 : la 1 va de 1978 à 1982, la 2 , plus
importante, va de 1986 à 1990. Cela englobe les investissements japonais, spécialement dans l’automobile
(en 1990 ils produisaient 11% des voitures produites aux EU), mais aussi européens (acquisition de Sohio
par British Petroleum) ou canadiens (acquisition de Tropicana par le distillateur canadien Seagram’s).
Les FMN investissent aux Etats-Unis pour profiter de la baisse du dollar qui rend leur achat moins
onéreux, pour contourner le protectionnisme, accéder au plus vaste marché du monde, riposter aux FMN
américaines qui investissent sur leurs propres marchés. De plus, les investissements aux USA – sanctuaire
du capitalisme – sont moins risqués qu’ailleurs.
L’affaiblissement du tissu productif américain a aussi joué : crise du modèle d’organisation du travail,
crise du management, reventes d’entreprises par appartements dictées par des considérations strictement
financières, faiblesse de l’investissement et de la recherche, obsolescence technologique (aciers plats). Les
restructurations aux USA ouvrent des opportunités : Général Electric cède l’électronique grand public (RCA)
à Thomson. Dans le domaine électrotechnique, ABB et Siemens s’installent aux USA.
Même l’audiovisuel est à vendre. Matsushita achetait de façon similaire la firme US MCA. Le public
réagit négativement à ces rachats, craignant l’exportation des activités de recherche au Japon.
Derrière la guerre apparente USA/Japon, des accords de coopération ont été conclus pour exploiter
des complémentarités technologiques et commerciales. GM a acquis Isuzu producteur d’utilitaires et de 4/4
et en 1998 Suzuki spécialiste des mini-voitures.
La CEE reste très attractive dans les années 1980 avec la perspective du marché unique. En
revanche, le Japon accueille très peu d’investissements étrangers : en 1986 il accueillait seulement 1% du
stock mondial d’IDE. La fermeture relative du Japon aux IDE due à la réglementation, au verrouillage du
marché boursier ou des réseaux de distribution par les Keiretsu, à l’appréciation du yen. Aujourd’hui, vu les
coûts d’entrée élevés, les FMN préfèrent investir dans d’autres pays asiatiques.

Les secteurs d’activité :


Entre 1982 et 1993, les flux d’IDE en provenance des pays développés ont été multipliés par 1.3
dans le secteur primaire, 2.9 dans le secondaire et par plus de 20 dans le tertiaire. Entre les années 1960 et
1990, la part des services dans le stock sortant des IDE des pays développés passe de 20% à 50%. La part
des services dans les flux mondiaux d’IDE est passée de 51% en 1989-1991 à 66% en 2001-2003.
Il s’agit d’activités comme la banque, l’assurance, le tourisme, les télécommunications, le transport
aérien, la gestion des plateformes téléphoniques, le traitement de l’information. Les FMN américaines sont
des leaders mondiaux avec Holiday, Novotel et Sheraton dans l’hôtellerie, United et American Airlines dans
les transports aériens, Time Warner dans les médias, Mac Do dans la restauration, Ernst and Young dans
le conseil et l’audit.
Malgré ce rattrapage, le secteur manufacturier reste le plus internationalisé : la part des entreprises
étrangères dans l’emploi industriel aux USA atteint en 1993, 11,6% contre 2% dans les services. Aux USA,
la part des firmes étrangères dans l’emploi intérieur est la plus forte pour 4 secteurs industriels : automobile,
chimie, électronique, informatique.
La forme la plus prisée de l’IDE vers les pays développés est la fusion-acquisition, 8 fois plus
importante que la création ex nihilo. Elle est considérée comme moins couteuse et moins risquée. Sont
majoritaires dans les années 1980 les FMN à stratégie de rationalisation de la production pour tirer parti des
coûts de production plus faibles à l’étranger et les FMN à stratégie technico-financière (sous-traitance,
alliances entre firmes, brevets, licences, dégagement de la production et engagement dans la R&D,
fourniture de services, maîtrise du financement, activités de services).

D) La montée des pays émergents à partir des années 1990


La montée des IDE vers les pays émergents
Selon la CNUCED, les pays émergents et en développement recevaient 15% des flux mondiaux
d’IDE en 1980, 20% en 1990, 40% en 2004 (40% si on inclut la CEI). Au sein, de cet ensemble, on remarque
le poids de la Chine, des PECO et de l’Amérique latine. En 2004, l’Asie attire plus de 63% des IDE vers les
PVD. La part des IDE dans le total des flux de capitaux dirigés vers les PVD s’est accrue et dépasse
aujourd’hui 50%, elle s’est accrue par rapport aux flux publics et aux investissements de portefeuille. La
création ex nihilo demeure la composante la plus large des IDE dans les pays émergents.
La Chine capte depuis les années 1990 environ un quart des IDE vers les PVD et la moitié des IDE
ème
vers l’Asie. En 1993 et 1994, la Chine a été le 2 pays d’accueil au monde pour les IDE, derrière les Etats-
Unis. En 2002, pour la première fois, la Chine a capté plus d’IDE que les USA. Selon la SAFE, l’agence
gouvernementale chargée de réguler le marché des changes, l’encours des investissements étrangers en
Chine a doublé entre 2007 et 2010, passant de 700 à 1 400 milliards de dollars. Si l’on raisonne en stock, le
montant total du capital étranger en Chine reste trois fois inférieur à celui des USA (chiffres de 2002).
Les firmes étrangères sont attirées en Chine par une forte croissance économique, un grand marché
(cas des constructeurs automobiles), une politique d’attraction des capitaux étrangers (fiscalité plus faible
dans les zones économiques spéciales), la faiblesse des coûts salariaux et une main d’œuvre qui possède
de remarquables capacités d’assimilation. Par exemple, les ouvriers de Shanghai employés par des
fabricants italiens de chaussures de luxe ont mis moins d’un an pour apprendre à fabriquer des modèles de
qualité équivalente à celle des artisans italiens. De leur côté, les Chinois acquièrent du savoir faire et de la
technologie, ce qui leur permet de mettre à niveau leurs propres entreprises. La Chine compte en 2005 plus
de 700 centres de R&D (Motorola, Alcatel-Lucent).
Progressivement, le profil de l’investisseur vers la Chine s’est modifié. Au début, l’IDE type était la
PME asiatique basée à Hongkong ou Taïwan tenant la Chine comme un atelier d’assemblage à vocation ré
exportatrice sur des produits banalisés. De plus en plus, il s’agit de multinationales occidentales et
japonaises visant le marché intérieur et générant plus de transferts de technologie. La forme de
l’implantation a aussi changé : les sociétés mixtes (joint venture) ont laissé de plus en plus la place à des
unités contrôlées à 100% par l’investisseur ou à défaut avec une position majoritaire (Siemens, Alcatel).
En Asie, on assiste à des délocalisations en cascades à mesure que les coûts salariaux
ère ème ème
augmentent. 1 vague : NPIA ; 2 vague : Thaïlande, Malaisie ; 3 vague : Philippines, Indonésie, Chine
ème
du sud ; 4 vague : Chine centrale, Vietnam.
Signalons que Singapour et Hongkong attirent depuis plusieurs décennies les IDE grâce à une
grande liberté des investissements, des exonérations fiscales, la faiblesse des délais et des coûts de
création d’une entreprise, la stabilité politique.

Les PECO ont attiré de nombreux IDE, notamment d’Europe de l’Ouest, après la chute du
communisme. 40% des IDE venus de l’étranger ont été liés aux privatisations depuis le début des années
1990. Volkswagen a acheté Skoda, Renault a acheté Dacia, Fiat et Daewoo ont investi en Pologne, Peugeot
et Kia Motors en Slovaquie. Les constructeurs automobiles ont été attirés par des coûts salariaux peu élevés
et l’accès garanti au marché de l’Union européenne. Banques et télécom sont très touchées aussi.
En moyenne annuelle sur la période 1997-2002, la Russie (3 milliards de $) a reçu moins d’IDE que
la Pologne (6 milliards) ou la République tchèque (5 milliards). En Russie, les investisseurs potentiels se
plaignent de la complexité des procédures d’enregistrement, de l’absence de protection adéquate de leurs
droits de propriété, du prix des services publics plus élevé pour les entreprises étrangères.
L’Amérique latine a elle aussi connu un afflux de capitaux étrangers dans la décennie 1990 en
raison de l’assainissement économique et financier, d’incitations fiscales, de la liberté de rapatriement des
dividendes, de mécanismes de conversion de la dette en actions d’entreprises publiques, de privatisations et
de la multiplication des unions douanières et des zones de libre-échange. L’Argentine avait à partir de 1991
offert le cadre le plus libéral : suppression des autorisations préalables pour de nombreux secteurs,
possibilité d’un contrôle à 100% dans la quasi-totalité des activités, liberté de transferts de bénéfices et de
rapatriement des capitaux. Les IDE y atteignaient 6.7 milliards de $ en 1994. Le Mexique permet depuis
1993 aux sociétés étrangères de détenir une participation majoritaire dans de nombreux secteurs (sauf
transports, banque, assurance, pétrole, radio, TV…), d’investir dans des zones franches, et accorde le
traitement national aux filiales américaines (à cause de l’ALENA).
L’Afrique est restée longtemps en dehors de ce mouvement. Sur la période 1997-2002, elle a reçu
1,4% des flux mondiaux d’IDE, chiffre assez stable depuis le début des années 1980. Cette faiblesse
s’explique par un environnement peu propice aux investissements (conflits armés, instabilité politique,
corruption, non respect des droits de propriété). Elle compte 6 des 10 pays jugés les plus risqués pour les
affaires. Cependant, sous la pression des investissements chinois, indiens et brésiliens, notamment pour
accéder à des produits agricoles et miniers, l’Afrique a enregistré 34 milliards d’entrées d’IDE en 2005,
contre une moyenne de 4 milliards en 1991-1996 et 11 milliards en 1997-2002.
Dans les années 1960 et 1970, les tiers-mondistes prétendaient que les FMN avaient un rôle néfaste
et contribuaient au sous développement du Tiers-Monde. Pourtant aujourd’hui force est de constater que
l’Afrique est à la fois le continent le plus pauvre et celui où les FMN sont le moins implantées. « Ce n’est pas
parce que les firmes multinationales investissent en Afrique que cette dernière est sous développée, c’est au
contraire parce qu’elles n’y sont pas assez présentes ! » affirmera Arghiri Emmanuel en 1982. Quel chemin
parcouru par l’auteur de L’échange inégal ! Les IDE dans les PVD permettent des transferts de technologie,
des créations d’activités et évitent l’endettement.
L’Inde reçoit également de plus en plus d’IDE, notamment dans les services, à tel point qu’elle a été
surnommée le bureau du monde. En 2003 elle a réalisé 55% du chiffre d’affaires des entreprises
délocalisées dans les activités de services consacrées aux technologies de l’information et au traitement
informatique des entreprises.
Les atouts de l’Inde sont un haut de formation dans les Instituts de technologie qui livrent chaque
près de 300 000 ingénieurs, la maitrise de l’anglais, et un coût salarial qui reste bas (cf. P.N. Giraud). Selon
le ministère US du Travail, le salaire moyen d’un programmateur informatique en Inde est de 11 000$ contre
77 000$ dans la Silicon Valley (chiffres de 2003). Bangalore est devenue la Silicon Valley indienne, une des
capitales mondiales du high tech, à tel point qu’il y plus d’ingénieurs que dans la vraie Silicon Valley.
Dans les années 1990, sont principalement concernés des emplois peu qualifiés, notamment dans
les centres d’appel, la comptabilité, le traitement de relevés de cartes, les réclamations d’assurance, le
traitement des dossiers de crédit. Ex : Swissair installe dès 1991 à Bombay une partie de ses activités de
comptabilité et des fonctions liées au transport de passagers (liste d’attente, programmation des places). Les
renseignements téléphoniques des chemins de fer anglais sont aussi sous-traités en Inde.
Les délocalisations touchent ensuite des emplois plus qualifiés : informatique, finance, conseil,
biotechnologie. L’inde accueille le centre de R&D de Microsoft. Oracle emploie 4 200 personnes à
Bangalore, HP 8 000. IBM et Accenture (conseil) 10 000. D’autres entreprises s’y sont installées : General
Electric, Intel, Microsoft. Des entreprises européennes sont aussi concernées : le RU avec Aviva, Prudential,
Tesco (supermarchés), LLoyd’s. La France aussi : Atos origin, ST Microelectronics, Schneider electric,
Biomérieux, Axa.
Ces activités délocalisées ont besoins de sous-traitants, suscitant de nouveaux marchés pour des
entreprises locales. Dans l’informatique, on compte déjà 3 géants indiens : Tata (TCS), Infosys, Wipro.

Les FMN des pays émergents à la conquête du monde


Corollaire de leur croissance, des pays comme les NPIA, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine (BRIC),
le Mexique, la Turquie deviennent le berceau de FMN.
La Corée est le pays qui a initié le mouvement avec ses chaebols (l’équivalent des zaibatsus au
Japon) comme Samsung, Daewoo, Lucky Goldstar (devenu LG), Hyundai. Daewoo par exemple fut créé en
1967, et ne comptait au départ que 30 personnes, fabriquant des aiguilles de machines à coudre et du
textile. 20 ans plus tard le groupe compte 120 000 salariés, réalise 10% des exportations de la Corée et
possède des implantations en Asie, en Amérique et en Europe, dont plusieurs en France. Depuis 1990, les
Coréens investissent davantage à l’étranger que les étrangers n’investissent en Corée (respectivement 5 et
2,8 milliards en 1996). La chaussure et la confection ont déménagé en Indonésie et en Chine ; l’électronique
grand public et l’automobile dans le Sud-est asiatique et en Europe. Les IDE des NPIA sont principalement
dirigés vers les autres pays de l’Asie du sud-est et vers la Chine, où sont délocalisées des productions
intensives en travail ou des opérations d’assemblage. Il y a aussi des IDE vers les pays développés pour
accéder à ces marchés.
De la même manière, Taiwan a délocalisé en Chine et dans l’ASEAN l’essentiel de ses industries de
vêtement, de la chaussure ou du jouet. Hongkong a délocalisé massivement en Chine dans les ZES : ce
pays participe à près de 60% des joint-ventures nouées en Chine par des entreprises étrangères au début
des années 1990.
On trouve maintenant des FMN chinoises et indiennes, signe du développement de ces pays.
Les chinois TCL dans l’électronique grand public, Haier dans l’électroménager ;
Lenovo a racheté l’activité d’ordinateurs personnels d’IBM en 2004, Hutchinson Whampoa rachète les
parfumeries Marionnaud en 2005, Nanjing Automobile achète MG Rover à BMW en 2005, Geely a acheté
Volvo à Ford pour 1,8 milliards de dollars, plus importante acquisition chinoise dans l’automobile à l’étranger.
Ford avait déboursé 6,4 milliards de dollars pour l’acquérir en 1999 !
Les firmes indiennes ne sont pas en reste. Tata a racheté l’anglais Tetley Tea en 2000, le
sidérurgiste anglo-néerlandais Corus en 2007, Jaguar et Land Rover (à Ford) en 2008. Ironie de l’histoire,
les industriels indiens reviennent en conquérants sur le marché intérieur britannique, notamment dans
l’automobile. Dans la pharmacie, Ranbaxy a racheté les génériques d’Aventis en 2004, Dr Reddy
Laboratoires a racheté l’allemand Betapharm en 2006. Mittal Steel, société de droit néerlandais mais dont le
PDG est indien, rachète Arcelor en 2006.

Une success story : WIPRO


Son PDG, Azim Premji, pèse 12 milliards de dollars, soit la 5 ème fortune indienne. En
1966, après des études à Stanford, il reprend l’entreprise familiale (Western India Vegetable
Products) alors spécialisée dans les huiles alimentaires, le savon et les cosmétiques. Il
diversifie l’entreprise avec les ampoules électriques et les cylindres pneumatiques et
hydrauliques.
Le virage high tech intervient en 1977 lorsqu’IBM quitte le pays suite à des mesures
protectionnistes obligeant les entreprises étrangères à opérer au travers de sociétés contrôlées
à 60% par des nationaux. Wipro se met à fabriquer ordinateurs et logiciels. A partir des
années 1990, il s’implante aux Etats-Unis pour trouver de gros clients comme Motorola ou
Intel.
Aujourd’hui Wipro est le 3ème leader mondial dans les prestations d’externalisation
offshore derrière ses compatriotes Infosys et Tata Consultancy Services. Ces trois firmes ont
un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard de $ sans développer un seul logiciel sous leur
propre nom. Leur délocalisation en Chine tend à montrer l’avènement d’un monde plat selon
les termes de Thomas Friedman.

On peut aussi citer le brésilien AmBew qui acquiert le belge Interbrew en 2004 et l’américain
Budweiser en 2008 pour devenir le plus grand brasseur du monde InBev. Le cimentier mexicain Cemex
rachète en 2005 son homologue anglais RMC group.
Les firmes des PVD se délocalisent en raison de l’appréciation de la monnaie locale, de la montée
du niveau des salaires et des menaces protectionnistes des pays développés. Elles possèdent des atouts
spécifiques : produits de qualité au moindre coût, marges plus élevées, modes d’organisation plus flexible
assemblant les meilleures pratiques disponibles dans le monde, structure plus légère éclatée sur plusieurs
continents, équipes multiculturelles.
Selon une étude du cabinet Ernst & Young de 2008 basée sur le top 1000 des plus grosses sociétés
mondiale, 100 venaient des pays émergents en 2000, 221 en 2007 ; les économies émergentes
représentaient 5% de la capitalisation boursière en 2000 contre 19% en 2007. Par rapport aux firmes des
pays développés, les marges opérationnelles sont plus élevés (25% contre 14% en moyenne), les cours
boursiers progressent 2,2 fois plus vite.
Les pays émergents sont à l’origine de 17% des flux mondiaux d’IDE en 2005, et possèdent 12% du
stock mondial d’IDE.
Classement 2004 des flux d’IDE :
N°1 N°2 N°3 UE pour information
Pays destinataire USA : 95 RU : 78 Chine : 60 196
Pays d’origine USA : 229 RU : 65 France : 47 276

E) Le cas de la France :
Elle avait un retard par rapport aux autres pays jusqu’aux années 1970 mais le mouvement s’est
accéléré dans les années 1980. Alors qu’en 1978, plus de 50% des IDE se trouvaient dans 3 pays
er
limitrophes : RFA, Belgique et Italie, les Etats-Unis sont devenus le 1 pays d’accueil (1/4), suivis par le RU
et l’Allemagne. C’est le résultat de fusions ou acquisitions menées par des entreprises françaises : Michelin
a acheté Uniroyal, BSN a acheté Nabisco, Rhône Poulenc a acheté Rorer, Pechiney a acheté American
National Can. La politique de libéralisation du gouvernement français a engendré un climat favorable. On
constate une concentration sur le plan des effectifs et du chiffre d’affaires.
Depuis les années 1980, les investissements étrangers en France sont (sauf en 1995) inférieurs aux
investissements français à l’étranger. Ainsi, en 2002, les IDE vers la France se montaient à 52 milliards
d’euros et les investissements français à l’étranger à 71 milliards.
Les IDE vers la France sont élevés : 41% du PIB contre 36% pour le RU, 24 pour l’Allemagne, 13%
en Italie. (Chiffres de 2004). La France est donc un pays très internationalisé en termes d’IDE. Ainsi, selon
Patrick Artus, 85% des résultats des sociétés du CAC 40 sont obtenus hors de France, alors que les
sociétés cotées US réalisent 85% de leur chiffre d’affaires aux USA. A titre d’exemple, Publicis réalisait 70%
de son chiffre d’affaires en France vers 1995, 10% en 2005 (45% du chiffre d’affaires aux USA).
La part des investisseurs étrangers dans le capital des sociétés du CAC 40 était de 44,2% en juin
2004 contre 33% en 1997 (Statistiques de la Banque de France). Notons que la part des non résidents dans
le capital des grosses sociétés est moins élevé à l’étranger : pour l’an 2000, 36,5% en France, 30% au
Royaume-Uni, 20% en Allemagne, 15% en Italie, 10% aux USA. En France, l’épargne est investie
massivement en obligations d’Etat, nous avons très peu de fonds de pension investis en actions.
Quels sont les atouts du made in France ? Une étude du cabinet Ernst & Young en 2002 auprès de
ère
200 managers internationaux révélait la 1 place de la France sur 3 plans : la qualité de la vie (environnement,
offre de loisirs, divertissements culturels, art de vivre), les infrastructures de télécommunications et les pôles
d’excellence scientifiques et techniques (à relier à la qualité de la main d’œuvre). On peut rajouter la place
assez centrale en Europe de l’Ouest, ce qui a pu influencer le choix de Disney en faveur de Marne-la-Vallée ou
Toyota en faveur de Valenciennes. La France bénéficie aussi d’IDE des pays voisins à hauts coûts de main
d’œuvre (Suisse, Allemagne). Implantation de l’usine Swatchmobile en Lorraine, PME suisses en Alsace et
Franche-Comté.
Cependant, de nombreux IDE vers la France concernent plus des fusions-acquisitions que des
créations ex-nihilo. Cela montre plus la faiblesse des entreprises françaises, notamment le manque de fonds
propres, que le pouvoir d’attraction intrinsèque du territoire national. Les handicaps de la France sont une
fiscalité élevée, un code du travail rigide, une bureaucratie pénalisante, une insécurité juridique, des grèves
fréquentes.
Dans le classement de l’indice de compétitivité global établi par le Forum économique mondial, la
ème ème
France a perdu des places. Elle se situait au 12 rang mondial en 2005, au 23 rang en 2014.
ème
La France se classe au 82 rang mondial en termes d’attractivité fiscale pour les PME (cotisations
sociales), selon une étude de 2007 PricewaterhouseCoopers réalisée en partenariat avec la Banque mondiale,
prenant pour cas type une PME de 60 salariés exerçant une activité de fabrication et réalisant un CA annuel de
2 à 3 millions d’euros.
III) les déterminants de la multinationalisation des firmes :
Partons de l’exemple donné par P. Krugman, Economie internationale. En termes de production
automobile, le Mexique est largement autosuffisant puisqu’on y assemble la plupart des voitures vendues.
Cependant, les entreprises qui produisent des voitures sont des filiales des firmes américaines. Cette
situation nous est familière, mais nous devons envisager qu’il y pourrait y avoir deux autres possibilités : d’un
côté, les firmes américaines pourraient produire aux Etats-Unis et exporter au Mexique plutôt que de
produire au Mexique ; d’un autre côté, les firmes produisant ces voitures pourraient être possédées par des
mexicains. Cela nous amène à envisager deux sous questions qui composent la question générale de la
multinationalisation.
1- Pourquoi un bien est–il produit dans plusieurs pays plutôt que dans un seul ? C’est la question de la
localisation.
2- Pourquoi la production dans les différents lieux est-elle assurée par la même entreprise plutôt que par
des entreprises séparées ? C’est la question de l’internalisation.

La réponse à ces deux questions a été synthétisée par Dunning (1981) dans sa théorie éclectique
ou encore paradigme OLI. Il fait de la multinationalisation le résultat d’une combinaison de trois éléments
interdépendants :
- O : ownership : avantage spécifique de la firme
- L : localisation : avantage à produire à l’étranger
- I : internalisation : avantage à exploiter les actifs à l’intérieur de la firme
L’auteur étudie les trois voies principales de pénétration des marchés étrangers. L’IDE est choisi lorsque la
firme réunit simultanément les trois types d’avantages O, L, I.

Mode de pénétration des marchés Avantages


étrangers O L I
IDE + + +
Exportation + - +
Licence + - -

Cette théorie permet d’expliquer les différences observées entre pays de niveau de développement
différent. Plus un pays est développé, plus ses firmes vont acquérir des avantages spécifiques et des
avantages à s’internaliser, ses firmes vont alors se multi nationaliser, les pays étrangers représentant pour
elles des sites où les coûts de production sont plus bas. A l’inverse, si le pays est moins développé, il n’aura
pas de firmes capables de se multi nationaliser mais en revanche les firmes étrangères seront tentées de se
délocaliser sur son territoire pour bénéficier des bas coûts de main d’œuvre.
Par ex les USA sont devenus pays d’accueil des FMN car les firmes américaines subissent un
affaiblissement de leurs avantages spécifiques et la délocalisation aux USA est plus avantageuse (baisse du
dollar, protectionnisme).

A) La détention d’un avantage spécifique : l’atout initial nécessaire

1) La notion d’avantage spécifique :


ère
La 1 question des chercheurs a été de se demander comment une firme s’implantant à l’étranger
et subissant les coûts de délocalisation de sa production, peut rester compétitive face aux entreprises
locales qui produisent sur leur propre marché. Pour se délocaliser, une firme doit avoir un quelconque
avantage à exploiter par rapport aux entreprises du pays d’accueil. S. Hymer a dégagé la notion
d’avantages spécifiques dans un travail de 1960, The International Operations of National Firms : A Study
of Direct Foreign Investment, publié en 1976.
La FMN possède des avantages spécifiques transférables internationalement qui lui permet d’obtenir
des gains supérieurs aux coûts d’implantation à l’étranger et, ainsi, de demeurer compétitives sur les
territoires étrangers.
Ces différents avantages spécifiques sont liés à certaines « imperfections » des marchés dont va
profiter la firme en voie de se multi nationaliser.
a) la détention d’une marque : la FMN exploite une image de marque engendrée par une qualité
supérieure ou bien créée par la publicité
b) Un avantage technologique : les FMN déposent la moitié des brevets dans le monde.
c) Un accès privilégié aux marchés de capitaux internationaux, de matières premières
d) L’obtention d’économies d’échelle et/ou d’économies de gamme, par sa production de masse.
e) Des effets d’apprentissage importants car la firme est souvent entrée dans le secteur avant les
concurrents et a une meilleure connaissance des marchés et des conditions de production.
f) Des aides gouvernementales appelées politiques d’attractivité
Les travaux empiriques concernant les FMN américaines, établis sous l’égide de Raymond Vernon,
montrent que plus la firme est multinationale, plus elle est grande et plus elle possède ces différents
avantages spécifiques, notamment les deux premiers. La différenciation des produits et la technologie sont
donc les deux déterminants principaux de la multinationalisation.
Les travaux de Dunning comparant les filiales des FMN américaines au RU aux entreprises
britanniques des mêmes secteurs dans les années 1960 ont montré que les filiales américaines ont des
performances supérieures pour la plupart des critères tels que la R&D, le % de dépenses publicitaires, les
dépenses en capital par employé, le % de cols blancs, la concentration industrielle, la croissance de la
production.
La maîtrise d’un processus ou d’une technologie, la compétitivité-prix, l’efficacité organisationnelle
er
permettent dans un 1 temps de s’imposer par rapport à ses concurrents sur le marché intérieur. Ensuite, la
firme est incitée à valoriser ses avantages sur une échelle plus large. Par exemple, Ozawa (1994) montre
que le développement des FMN japonaises à l’étranger au début des années 1980 a logiquement suivi
l’obtention d’une maîtrise technique, industrielle et commerciale supérieure à leurs concurrents. Au modèle
hiérarchique des FMN occidentales, les FMN ont substitué un modèle basé sur les échanges horizontaux
d’informations fondant la décision collective, l’ajustement mutuel et la coordination semi-autonome entre
filiales, entre ateliers (kanban), et entre employés. Modèle plus performant dans un environnement instable.
C’est la victoire du « toyotisme » sur le « fordisme ». En 1987, lors de son implantation aux USA, l’usine
Toyota assemblait une voiture en 19 heures de main d’œuvre contre 31 pour GM.

Porter : l’avantage compétitif des firmes


L’avantage spécifique peut être rapproché de la notion d’avantage compétitif des firmes forgé par
Michael Porter, professeur de stratégie d’entreprises à Harvard. Cet avantage compétitif peut provenir de
deux sources, celles qui réduisent les coûts de production et celles qui permettent la différenciation des
produits (marque, publicité). C’est la concordance ou la discordance entre les avantages compétitifs des
firmes et les avantages comparatifs des nations qui va inciter la firme à exporter ou à se délocaliser.
Qu’est-ce qui dans la nation d’origine favorise la compétitivité des firmes ? Porter, distingue 4 facteurs :
- les ressources disponibles dans le pays, en particulier la formation et l’innovation
- les conditions de la demande (cf. Linder et Vernon)
- l’organisation de l’offre et le jeu de la concurrence
- les relations avec les partenaires de la firme, les fournisseurs notamment
De plus, certaines activités ont tendance à s’agréger progressivement dans certaines régions
(concentration de savoir-faire, de firmes, de fournisseurs) pour constituer une masse critique. Porter parle de
pôles de compétence géographique.

2) les possibilités de transfert à l’étranger de l’avantage spécifique :

L’avantage est difficilement transférable dans le cas d’une matière première unique : Exemple d’une
source d’eau minérale comme Perrier ; l’entreprise Nestlé, détentrice de la marque depuis 1992, peut
difficilement envisager une production de cette eau à l’étranger. Cependant, cet avantage en confère
d’autres comme un savoir-faire, une connaissance du secteur, une forte image de marque, et Perrier
exploite 14 marques d’eau minérale aux Etats-Unis.
L’avantage est partiellement transférable en cas de spécificités fortes de la main d’œuvre nationale
ou de l’organisation de la production : ce fut le cas des entreprises japonaises lorsqu’elles se sont installées
en Occident. Les avantages spécifiques des firmes japonaises sont la culture d’entreprise, les cercles de
qualité, le zéro défaut, le nombre d’heures travaillées important, le juste-à-temps, un réseau de sous-
traitants dense. A l’expérience, si la productivité de la main d’œuvre dans les filiales est souvent inférieure à
celles des firmes japonaises, elle est supérieure à celle des firmes concurrentes du pays d’accueil. Une
partie de la culture et de l’organisation du travail a pu être transférée, grâce notamment à un encadrement
japonais et l’intégration de certains principes de management japonais. Exemple de l’usine NUMMI (New
United Motor Manufacturing Inc.), joint-venture entre General Motors et Toyota créée en 1984 à Fremont aux
Etats-Unis. Les cadres supérieurs venaient de chez Toyota et le travail en petites équipes fut instauré. La
NUMMI rivalisait dès 1986 avec Toyota pour la qualité et la productivité, les performances en termes de
stocks et de d’espace utilisé se situaient entre celles de GM et de Toyota.
Il apparaît que l’efficacité et la qualité japonaises sont partiellement transférées dans les usines
étrangères même si elles n’égalent pas les meilleures unités japonaises. Les méthodes d’organisation de la
production sont plus faciles à transférer que les méthodes de gestion des ressources humaines.
L’exemple d’Euro Disney à Marne la Vallée illustre les difficultés du transfert d’avantages
spécifiques. La FMN World Disney Company dispose de plusieurs avantages spécifiques :
- une marque bénéficiant d’une grande notoriété (Mickey)
- un savoir-faire, issu de ses studios de dessin et de cinéma, dans les domaines des films d’animation et
dans les personnages de bande dessinée
- un accès privilégié aux marchés : l’investissement du parc parisien a été de 25 milliards de francs, dont
20 milliards ont été empruntés
- des économies d’échelle et de gamme en raison de la conception de nombreux parcs antérieurs
- des aides en matière de prix des terrains, d’aménagement ferroviaire (RER et TGV)
Pourtant en 1994, Euro Disney a traversé une crise liée à de mauvais résultats d’exploitation. On a
pu se demander si un parc copié sur le modèle américain correspondait au goût du public européen. Cela a
conduit à une réorientation de la stratégie : baisse des tarifs, diversification et européanisation des
attractions. Cela a permis une nette hausse de la fréquentation et un retour aux bénéfices.
L’avantage spécifique peut aussi être acquis en achetant une firme locale, il n’a donc plus besoin
d’être transféré. Cette stratégie est tentante pour les firmes disposant de grandes possibilités financières
mais elle présente des risques car cet avantage peut disparaître ou devenir obsolète. Ainsi Bull a acheté la
partie informatique de Zenith aux EU en 1989 mais en 1995, Bull-Zenith ne réussissait à vendre qu’un 1%
des micro-ordinateurs dans le monde. Dans l’automobile, les grands groupes américains ont acquis des
marques de prestige ; ainsi Ford a repris Jaguar (1989) et Aston-Martin, GM a repris Saab (1989), et
pourtant ces constructeurs ont frôlé la faillite en 2009.
Pour se délocaliser, une firme doit avoir un quelconque avantage à exploiter par rapport aux
entreprises locales du pays d’accueil. Mais ce n’est pas une condition suffisante car elle pourrait exploiter
son avantage sous forme de licence. Il faut donc examiner l’intérêt que peut avoir une firme à s’agrandir.

B) La théorie de l’internalisation :

1) Le concept d’internalisation

La théorie de l’internalisation démontre l’intérêt que peut avoir une firme à produire elle-même les
consommations intermédiaires dont elle a besoin pour élaborer son produit, au lieu de recourir au marché.
Les transactions vont être internalisées ; elles s’effectueront entre les filiales de la même entreprise
et non plus entre firmes indépendantes. L’explication de ce comportement remonte à l’analyse de la nature
de la firme en tant qu’organisation complexe ; cf. Ronald Coase, La nature de la firme, 1937. Pour cet
auteur, la firme a pour raison d’être la diminution des couts de transaction, c'est-à-dire :
- les coûts de coordination entre l’offre et le demandeur
- les coûts de négociation pour s’accorder sur le prix
- les coûts liés aux défauts de qualité du produit (coût d’utilisation et de réparation)
- les coûts liés au non respect des délais de livraison
- les coûts de recours devant la justice
- les coûts liés au risque de dévoilement ou d’imitation de sa technologie
Quand les coûts de transaction sur les marchés sont plus élevés que les coûts de l’organisation de
la firme, les marchés seront internalisés.

2) L’application du principe d’internalisation à la FMN

Il y a des liaisons étroites entre les opérations d’une FMN dans les différents pays. La production
d’une filiale sert souvent de produits intermédiaires dans la production d’une autre filiale ; la technologie mise
au point par une filiale peur être utilisée par d’autres ; un service de gestion peut coordonner les activités des
usines de plusieurs pays. Ce sont ces transactions qui font l’unité d’une firme et on peut présumer que la
FMN existe pour faciliter ces transactions. Toutefois, ces transactions pourraient être effectuées à l’extérieur
de la firme, c’est à dire sur le marché.
L’existence de la FMN provient du fait qu’il est profitable d’effectuer ces transactions au sein de la
firme plutôt que par de passer par le marché. On dit que l’existence de la FMN provient d’un motif
d’internalisation. L’internalisation consiste pour la firme multinationale à réduire le commerce international à
des échanges à l’intérieur d’un réseau de filiales. Toute internalisation d’un marché étranger engendre alors
une multinationalisation de la firme.
Dans cette approche prenant la firme comme élément central d’analyse, l’investissement à l’étranger
apparaît comme la conséquence de son processus de croissance. Plus la firme croît, plus elle pourra
envisager d’intégrer au sein de son organisation des activités nécessaires à sa production, qu’elle se
procurait auparavant sur les marchés. Elle effectue alors un calcul coût / avantages des différentes
méthodes d’expansion.
L’intégration horizontale ou verticale au sein de la FMN restreint les aléas dus aux marchés
internationaux et aux contrats passés avec des entreprises lointaines et mal connues. La mise en place de la
FMN permet de diminuer les coûts de transaction, notamment en ce qui concerne la technologie.
La technologie peut être cédée sous forme de licence. Il y a toutefois des difficultés considérables à
procéder ainsi. Souvent la technologie utilisée n’a pas été mise par écrit, elle est incorporée dans les
connaissances d’un groupe d’individus mais ne peut être empaquetée et donc vendue. De plus, la
technologie vendue peut être imitée car il est difficile d’établir des droits de propriété sur les connaissances.
Si la firme vend en licence une technologie, elle risque de dévoiler tout le contenu technologique de son
produit. Si la firme se décide à s’en réserver les fruits dans d’autres pays en établissant des filiales à
l’étranger, l’échange est alors internalisé entre filiales d’une même firme, et ces risques sont dissipés.
Pour ces nombreuses raisons, la firme sera tentée de réaliser une intégration complète de sa
production, intégration verticale dans la mesure où toutes les étapes du processus de fabrication peuvent
être réalisées par elle-même. Elle pourra même réaliser une intégration horizontale (plusieurs filiales pour
les matières premières) afin de mieux contrôler les débouchés et augmenter sa part de marché.
Pour résumé, une FMN est une firme internalisant en son sein des activités situées dans divers pays
pour baisser les coûts de transaction et pour protéger sa technologie. Internaliser les activités à l’étranger
permet à la firme d’assurer son approvisionnement, la continuité internationale de son processus de
fabrication tout en protégeant sa technologie, et ses débouchés extérieurs, et sa marque.
Une firme qui possède un avantage spécifique et qui a intérêt à internaliser les transactions peut se
contenter d’exporter pour atteindre les marchés étrangers. Pour devenir multinationale, il faut qu’elle ait
intérêt à produire à l’étranger. C’est la troisième condition de la multinationalisation que nous allons étudier
maintenant à travers la théorie de la localisation des firmes.

C) La théorie de la localisation des FMN :


La théorie de la localisation est reliée aux avantages comparatifs des territoires. La localisation est
déterminée par les ressources des pays, les coûts en travail, les coûts de transport, les barrières
protectionnistes. Les facteurs qui déterminent la localisation des FMN ne sont pas vraiment différents de
ceux qui déterminent la structure des échanges internationaux en général.
Les avantages spécifiques constituent une condition nécessaire mais pas suffisante car l’entreprise
pourrait exporter sa production. En s’implantant à l’étranger, l’entreprise cherche de meilleures conditions
d’offre et de demande, et une meilleure position sur les marchés.

1) La recherche de meilleures conditions d’offre :


 La recherche du coût salarial le plus faible, ou plus exactement du rapport coût salarial/productivité le
plus faible, toutes choses égales par ailleurs. Cet argument rejoint la théorie du cycle de vie de Vernon :
la firme innovatrice exporte vers les marchés extérieurs puis s’y délocalise en espérant réduire ses
coûts. En effet, quand le produit est banalisé, la concurrence s’effectue principalement en termes de prix
et la firme leader est fortement concurrencée, des concurrents apparaissent à l’étranger. L’avantage
technologique absolu est remplacé par un avantage relatif de coût et de différenciation. A la fin du cycle,
la production est transférée dans des pays moins développés. Exemple de la délocalisation de la 2 CV
au Portugal, de la Coccinelle au Brésil. Lancel qui exporte ses peaux découpées à l’île Maurice pour les
y faire coudre et les réimporte vers l’Europe. Ce phénomène explique le développement des IDE en
« cascade » des pays asiatiques : le Japon commence par délocaliser vers des pays à bas coûts de
main d’œuvre les chaînons les moins stratégiques de la production. S’opère peu à peu vers ces pays un
transfert de savoir faire qui leur permettra d’augmenter la maîtrise des technologies et des processus.
Plus tard, la montée des coûts dans ces pays déclenche à nouveau un mouvement de délocalisation
vers des pays moins avancés.
 La sécurité des approvisionnements en matières premières : la Compagnie anglaise des Indes possède
ses propres plantations de thé en Inde, Michelin possède des plantations d’hévéa en Malaisie pour se
fournir en caoutchouc, Chiquita Brands ses plantations de bananes.
 L’accès à la technologie : la firme coréenne Samsung s’est installée en Californie dans la Silicon Valley
pour apprendre les technologies modernes des ordinateurs à une époque où elle fabriquait des postes
de radio. Son implantation sous forme d’unité de recherche lui a permis d’embaucher des ingénieurs
sortant des universités, de se mouvoir dans l’ambiance de recherche de cette région et de rattraper son
retard. Voir aussi l’achat de « start up » par des FMN.
 L’appréciation de la monnaie nationale : la montée du taux de change franc/dollar a poussé des
entreprises françaises à s’installer aux USA de 1985 à 1991 pour sauvegarder leur compétitivité.
 La recherche de faibles impôts peut aussi être un critère de localisation, notamment pour les zones
franches. L’Irlande a su attirer de nombreuses FMN du fait d’un taux d’imposition sur les sociétés de
ème
10% quand il dépasse 25% dans les autres pays. Selon le 22 rapport du Conseil des impôts de 2004,
l’effet sur les localisations de la fiscalité doit être relativisé car il arrive après d’autres critères :
infrastructures, qualité de la main d’œuvre.
 La qualité de la production : la qualification et flexibilité de la main d’œuvre, la qualité des infrastructures,
la réputation du pays en matière de qualité des produits et la réactivité de l’outil de production comptent
dans la décision des FMN. Ainsi, Meccano a décidé en 2010 de relocaliser en France une partie de sa
production chinoise, pour gagner en flexibilité, en réactivité et en cout de transport, et en misant sur le
« made in France ».
2) La recherche de meilleures conditions de demande :
er ème
Quand on demande aux FMN la motivation de d’IDE, arrive en 1 l’accès au marché et en 2
l’accès aux ressources. Réponse corroborée par le fait que les filiales des FMN US vendent ainsi 66% de
leur production dans le pays d’accueil, 23% dans un autre pays, et 11% seulement est exporté vers les USA.
 L’accès à un marché plus large permet d’accroitre les perspectives de développement, d’amortir les
dépenses élevées de R&D (pharmacie, biotechnologies) ou des investissements physiques massifs
(pétrochimie, automobile). C’est pour cela que la majorité des IDE se dirigent vers l’Union européenne,
l’ALENA ou la Chine.
 Le contournement des barrières protectionnistes : à la fin du 19
ème
siècle, lors de la montée du
protectionnisme, de nombreuses entreprises se sont vues écartées de marchés extérieurs. Pour les
contourner, elles établirent des usines dans le pays d’accueil, appelées tariff factories. Par exemple, le
tarif Mac Kinley de 1890 a incité l’entreprise anglaise de pneus Dunlop à s’installer aux Etats-Unis dès
1893. Plus récemment, face à la montée du nouveau protectionnisme dans les années 1970 (quotas sur
les téléviseurs japonais en 1977 par exemple), les entreprises japonaises s’installèrent aux EU : Sony,
Matsushita, Sanyo, Mitsubishi, Toshiba, Sharp, Hitachi, soit en installant leur propre usine, soit en
achetant une entreprise américaine. Cela favorisa l’expansion des exportations japonaises vers les EU
de pièces détachées de téléviseurs (multiplication par 3 de 1976 à 1979). Ces RVE accrurent les
exportations en provenance des NPIA, et les autorités US appliquèrent en 1979 des quotas sur ces
pays. Même résultat : le taïwanais Tatung et le coréen Gold Star s’installèrent aux EU en 1979 et en
1981. Idem pour l’automobile : implantation aux USA dans la 1ere partie des années 1980 : Honda s’est
implanté aux EU en 1982, Nissan en 1984, Toyota a débuté une coopération avec GM. En 1991, la part
de marché des voitures japonaises aux USA s’élève à 30% contre 10% en 1975 et 21% en 1980.
l’attitude US a renforcé les tendances protectionnistes en Europe pour prévenir le report des voitures
japonaises vers leur propre marché. Ce climat de protectionnisme et d’incertitude a poussé les
constructeurs japonais à implanter des sites en Europe dans la seconde partie des années 1980. Même
processus en France : un quota sur les importations japonaises de photocopieurs a entraîné des IDE en
France, une augmentation des parts de marché, un accroissement des importations de pièces
détachées et finalement…une détérioration du solde commercial.
 La recherche de la proximité des consommateurs pour s’adapter aux goûts locaux : la FMN peut
implanter un laboratoire de recherche appliquée, produire elle-même ou bien racheter une marque
locale afin d’obtenir une image de producteur national en continuant à exploiter le nom antérieur ; par
exemple, le suédois Electrolux exploite les marques Arthur-Martin et Faure. Le fait d’être sur place
permet de mieux sentir et contrôler l’évolution du marché.
 La diversification internationale : l’implantation à l’étranger est un prolongement de la croissance interne
face à un marché national saturé et permet une diversification des risques attenant aux évolutions
contra-cycliques des marchés. Rossignol, qui produit des équipements de sports d’hiver, a compensé la
récession sur le marché européen à la fin des années 1980 par l’expansion du marché japonais.

3) La recherche d’une meilleure position concurrentielle sur des marchés oligopolistiques :


Quand une firme s’implante à l’étranger, on a remarqué que d’autres firmes concurrentes avaient
tendance à faire de même. C’est le phénomène d’IDE en grappe analysé par F.T. Knickerbocker, (1973),
Oligopolistic Reaction and Multinational Enterprise. Les explications précédentes en termes d’offre et de
demande sont alors insuffisantes.
L’implantation à l’étranger dans un secteur oligopolistique permet à la firme :
 De défendre sa part de marché mondial : sur un marché d’oligopole, quand une firme s’installe à
l’étranger, cela accroît sa part de marché dans ce secteur. Du fait de coûts irréversibles engendrés par
l’implantation, elle peut écarter l’entrée de concurrents potentiels. Face à cette menace, les concurrents
délocalisent à leur tour afin de tenter de rétablir leur part de marché antérieure. Plus le secteur est
oligopolistique, plus ce comportement de mimétisme est fort.
 De profiter des effets d’agglomération : L’implantation d’une entreprise dans le même lieu que ses
concurrents lui permet de profiter d’un environnement technologique, d’une infrastructure favorable,
d’une large main d’œuvre spécialisé, d’un accès plus facile aux inputs. Les effets d’agglomération sont
un puissant facteur d’implantation des FMN françaises d’après les études empiriques. Au Brésil en 1995,
l’attractivité du marché intérieur a engendré une véritable course aux IDE de la part de Renault,
Mercedes, General Motors et Ford. De même, Bouygues s’installe aux Etats-Unis car son concurrent
direct Spie Batignolles l’a fait. De même, Peugeot imite Wolskwagen en s’implantant en Chine.
 De riposter à l’intrusion sur son marché : Le comportement stratégique des firmes quand une firme est
attaquée sur son marché, elle va riposter en investissant sur le territoire de l’autre, afin d’affaiblir la
position du leader chez lui, dans son principal centre de profit, afin de diminuer ses ambitions à
l’étranger. Ainsi, Michelin répondra à l’investissement de Firestone en France par l’achat d’Uniroyal-
Goodrich aux Etats-Unis en 1989.
Plus généralement, les vagues de fusions/acquisitions dans les années 1980 et 1990 illustrent ce
phénomène. Elles ont pour but soit d’atteindre la taille minimale efficace qui a augmenté à cause des coûts
de R&D, soit d’accéder à des positions dominantes dans un secteur pour accroître les parts de marché. Ce
phénomène peut aussi expliquer le renversement de la position des Etats-Unis en matière d’IDE, et les IDE
intrabranche car la concurrence oligopolistique s’effectue à l’intérieur de chaque secteur.
Depuis les années 1980, l’innovation est devenue l’axe fondamental de la stratégie des firmes. D’où
eres
une course technologique : les entreprises les 1 à proposer un produit à fort contenu technologique sur le
marché ont des marges élevées et gagnent des parts de marché sur le territoire d’implantation. La
déréglementation a favorisé ce phénomène : cf. les télécom britanniques où les firmes étrangères ont fait
irruption (Cable and Wireless, US West, Bell Canada, Générale des Eaux).

IV) L’impact des FMN :

A) FMN et commerce mondial


Le poids des FMN dans le commerce mondial :
En 1995, l’ONU estimait qu’un tiers des échanges mondiaux était intra-firme et que 2/3 étaient
associés aux FMN. En 1983, les FMN basées aux EU réalisaient les ¾ des exportations US et la moitié des
importations. En GB, au début des années 1980, les FMN sont responsables de 80% des exportations
anglaises et les FMN étrangères basées en GB de 30%. En moyenne, 45% des ventes totales des FMN
sont des exportations. En chine en 2004, 60% du commerce extérieur était associé à des filiales étrangères.
Le poids des échanges intra-firme :
1/3 du commerce mondial. Ce type d’échanges est particulièrement concentré dans les produits de
haute technologie et les produits manufacturés complexes (automobiles, électronique). Environ la moitié des
importations US constituent du commerce intra-firme, c’est à dire que l’entreprise acheteuse et l’entreprise
vendeuse sont dans une mesure significative possédées et contrôlées par la même firme, la société mère.
En 1985, leur part dans les échanges US avoisine 30% pour les exportations et 40% pour les importations.
Pour le Japon, il représente entre ¼ et 1/3 du commerce total. En 1994, 42% des exportations des maisons
mères US étaient dirigées vers leurs filiales à l’étranger ; pour le Japon le % était de 43%. Une étude du
ministère français de l’Industrie a montré qu’en 1993 les groupes multinationaux français et étrangers
implantés en France réalisaient 50% de leurs exportations et 34% de leurs importations à l’intérieur de leur
propre groupe. Ce qui montre que l’IDE est facteur d’exportation.
La part des échanges intra-FMN dans le commerce extérieur US n’a pas sensiblement augmenté
entre 1977 et 1989, part située entre 35% et 43%. A cause du fait que les FMN US ont conclu des accords
de coopération ou de franchisage avec des firmes indépendantes.
Selon l’INSEE (1999), 34% des exportations françaises sont intra-firmes dans l’industrie.
Les raisons des échanges intra-firmes : protéger la technologie et le savoir-faire, économiser les
coûts de connaissance du marché, transférer les profits à l’étranger. Analysons ce dernier point.
Dans leur commerce internalisé, les FMN appliquent des prix de transfert ou prix de cession
interne, fixés hors marché. Les prix de transfert sont les prix auxquels les différentes filiales d’un même
groupe se vendent des biens et des services. Le but est faire apparaître les profits dans les paradis fiscaux,
de rapatrier les profits vers la société mère ou de contourner le contrôle des changes du pays hôte. Le
mécanisme est simple : quand les prix de transfert sont élevés, la filiale qui vend enregistre les profits, et
celle qui achète des pertes, et vice versa quand ils sont bas.
L’écart entre le prix mondial et le prix de transfert peut atteindre jusqu’à 155% dans la pharmacie,
60% dans l’électronique, 40% dans le caoutchouc. L’économiste américain S. Pack a trouvé une firme
important en France depuis les USA des pneus à moins de 8 $ alors que le prix mondial était de 200 $.
Toutefois, il ne faut pas exagérer l’écart entre prix de transfert et prix de marché. Si les prix de
transfert ne reflètent pas les conditions de pleine concurrence, cela peut affecter directement le chiffre
d’affaires, altérer le système de mesure de la performance au sein de l’organisation, conduire les managers
à prendre des décisions contraire aux intérêts du groupe. Cela peut aussi fausser l’appréhension de la juste
structure de coût des organisations et miner l’équation de profitabilité long terme (le groupe peut accepter
des projets intrinsèquement non rentables).

La modification des flux commerciaux


Les IDE modifient les flux commerciaux. Les flux d’échanges qui existaient auparavant tendent à se
réduire mais de nouveaux courants apparaissent : soit en sens contraire (exportations des filiales soit vers le
pays d’origine) soit vers d‘autres destinations (exportations des filiales vers d’autres marchés), soit vers le
pays d’accueil (pièces détachés, produits intermédiaires).
Les FMN tendent à accroître la mobilité des produits :
- dans le pays d’accueil : hausse des exportations et baisse des importations
- dans le pays d’origine : effet à peu près nul sur les exportations car 2 effets se compensent : baisse des
exportations de la maison mère et hausse des exportations de biens d’équipement et de produits semi-
finis vers les filiales.
- dans l’ensemble du monde : fragmentation du processus de production entre plusieurs pays, provoquant
l’accroissement du commerce de biens intermédiaires.

Le lien entre IDE et échanges : complémentarité ou substituabilité ?


Mundell (1957), avec le théorème de l’image renversée, fut l’un des premiers à avoir étudié les IDE
dans le cadre du modèle HOS. Si les pays échangent des produits, c’est parce que, initialement, les facteurs
sont immobiles. A l’inverse, si les facteurs de production sont mobiles internationalement, et le commerce
des biens empêché, les IDE sont des substituts au commerce des marchandises.
Les capitaux vont affluer dans le pays où le capital est rare et mieux rémunéré. Ce dernier va
produire alors plus de biens intensifs en capital, biens qu’il importait auparavant. Les investissements se
substituent ainsi aux importations et les dotations relatives se rapprochent les unes des autres. Les
avantages comparatifs peuvent être amenés à disparaître, entraînant l’arrêt du commerce. L’IDE est alors
destructeur de commerce international.
En réalité, les échanges de facteurs et de produits sont plutôt complémentaires.
L’étude de Blomström de 1988, basée sur les cas américain et suédois, montre que la relation entre
les deux de trouve « quelque part entre la neutralité et la complémentarité ». L’IDE entraînait soit un
ème
accroissement des exportations, soit aucun changement, et ceci pour 4/5 des industries analysées.
Résultats confirmés par d’autres études.
Explication : l’IDE permet une meilleure pénétration du marché étranger ; échanges accrus de
pièces détachées, de biens d’équipement ; effet de complémentarité de gamme (la délocalisation d’un
produit peut entraîner des exportations de produits appartenant à la même gamme) ; de nombreux IDE ont
pour motivation de contourner des barrières protectionnistes et ne visent donc pas à diminuer les échanges.
On a cependant constaté qu’au-delà d’un certain niveau élevé de ventes des filiales, les exportations avaient
tendance à diminuer et un effet de substitution intervient, signe sans doute que la firme abandonne
progressivement la production de ce bien sur son territoire pour fabriquer des biens plus sophistiqués
(théorie du cycle du produit).
La production à l’étranger semble exercer un effet positif sur les exportations de la maison-mère. Par
er
exemple, l’Espagne est le 1 pays d’implantation des constructeurs français En même temps, les
constructeurs français ont bénéficié du fort développement du marché espagnol des immatriculations et les
échanges automobiles sont devenus excédentaires pour la France.
Kojima (1978) affirme que les investissements japonais dans les PED d’Asie sont créateurs de
commerce. Devant la hausse des coûts salariaux nippons, le Japon va abandonner la production textile et la
délocaliser dans les PED d’Asie, ce qui leur permettre d’améliorer leur productivité. L’IDE japonais modifie
l’avantage comparatif de ces PED et stimule leurs exportations de textile et leurs importations de machines.
Selon une étude du ministère de l’Industrie, dans l’industrie manufacturière (secondaire sauf BTP,
énergie, IAA) les entreprises à capitaux étrangers exportent et importent plus, à chiffre d’affaires
comparables, que les entreprises nationales et ont tendance à dégager un excédent. De plus, la production
en France des filiales étrangères contribue à limiter les importations de produits concurrents de cette
production. De ce fait, les IDE sont un facteur d’excédent de la balance commerciale française.

IDE et spécialisation
Les IDE peuvent aussi changer la spécialisation du pays. Ils peuvent à la fois renforcer les
avantages existants et les faire évoluer grâce à l’introduction de nouvelles technologies, l’amélioration des
qualifications, l’accès aux réseaux internationaux d’approvisionnement et de vente. Des pays comme la
Malaisie, la Thaïlande, les Philippines, exportent des produits plus intensifs en technologie.
Ozawa (1992) propose un modèle dynamique de la spécialisation et de l’investissement japonais en
quatre phases :
1- expansion de l’industrie légère et hausse des salaires : délocalisation vers des pays à main d’œuvre
bon marché
2- expansion de l’industrie lourde et manque d’espace et de matière première : délocalisation pour
sécuriser l’approvisionnement en matière première
3- expansion des industries de biens de consommation : délocalisation pour contourner le
protectionnisme des PDEM
4- expansion des industries de biens de haute technologie : alliances entre firmes
En même temps, les délocalisations permettent au Japon de modifier sa spécialisation.
Markusen (1993) a montré que la libre circulation des facteurs conduit à un renforcement des
spécialisations et donc des échanges commerciaux lorsque le commerce international ne repose pas sur
des différences de dotations factorielles, mais sur des différences de technologie, des économies d’échelle
ou une concurrence imparfaite.

Relation étroite entre IDE et commerce intra-régional


Les délocalisations japonaises ont jeté les bases d’une intégration économique en Asie du Sud Est.
Les FMN américaines au Mexique ont contribué à la signature de l’ALENA, notamment pour sécuriser les
approvisionnements et les débouchés. En retour, l’ALENA depuis 1994 consacre une place essentielle aux
dispositifs favorisant l’IDE et interdit en particulier aux pays membres de nationaliser leurs filiales et
d’imposer des normes de performance aux FMN étrangères qu’ils accueillent.
Depuis 1980, les IDE semblent avoir pris le relais du commerce international comme moteur principal
d’intégration internationale. Alors que le ratio commerce/PIB stagne à 15% de 1980 à 1993, le ratio flux
d’IDE/PIB passe de 0,5 à 0,7%, le ratio stock d’IDE/PIB passe de 4,5 à 8,5%.

B) FMN et emploi
L’emploi dans les FMN
L’ONU estimait qu’en 1992, les FMN employaient 73 millions de personnes dont 30 millions à
l’étranger (7 millions étaient employés dans des PVD). D’après le BIT, le volume d’emploi aurait peu changé
depuis car les stratégies récentes de fusions acquisitions engendrent l’intégration ou la restructuration
d’emplois existants plutôt que la création nette d’emplois.
La part des filiales étrangères dans l’emploi total reste limitée, de l’ordre de 4% dans les PDEM. Le
tableau suivant permet de voir les différences entre les trois éléments de la Triade.

CEE USA Japon


Emploi des firmes étrangères en % de l’emploi 7,1 4,1 0,3
intérieur total
Emploi des firmes nationales à l’étranger en % 7,4 5,9 3,6
de l’emploi intérieur total

Le poids des filiales étrangères dans l’emploi de l’industrie manufacturière est lui plus élevé et plus
disparate. Au début des années 1990, il dépasse 40% au Canada, en Irlande et aux Pays-Bas, il atteint 35%
au Mexique, plus de 20% en Italie, France et Royaume-Uni, 12% aux Etats-Unis et en Allemagne, 2% au
Japon.
Dans les PVD, l’emploi dans les FMN représente rarement plus de 2% de l’emploi total. Cependant
certains pays ont connu une croissance considérable de cet emploi du fait du développement des zones
franches et/ou des zones de libre-échange : Chine, Mexique, République dominicaine, Brésil, Malaisie,
Tunisie, Ile Maurice, Taïwan, Sri Lanka, Guatemala. Il s’agit essentiellement d’emplois dans le secteur du
textile et de l’électronique.
ère
En matière de recrutement, en général dans une 1 phase les responsables des filiales ont la
nationalité de la société mère. Avec l’extension des filiales, des managers ayant la nationalité du pays
d’accueil sont progressivement installés. Cela permet de mieux connaître les habitudes locales, d’avoir de
meilleures relations avec l’administration et d’atténuer le caractère étranger de la firme.

Effet sur les salaires :


Les salaires dans les FMN sont en général plus élevés mais elles ont des exigences supérieures en
termes de compétences et de productivité. Cette qualification est nécessaire à l’exploitation et au maintien
de l’avantage compétitif de la filiale sur les entreprises locales. Ainsi les employés anglais des FMN
japonaises d’automobile, provenant souvent des entreprises anglaises en perte de vitesse ont obtenu une
meilleure productivité dans leur nouvelle position que dans l’ancienne, grâce à l’apprentissage des cercles
de qualité et du zéro défaut.
L’exemple mexicain des maquiladoras. En 1965, le Mexique décida de profiter du statut douanier
particulier des EU qui exonérait les réimportations de produits US assemblés à l’étranger. Il encouragea
l’établissement d’usines d’assemblage le long de la frontière dans une bande de 20km. Ces maquiladoras, la
plupart étant à capitaux étrangers, pouvaient importer en franchise des pièces détachées en provenance des
Etats-Unis et réexporter les produits assemblés aux Etats-Unis. Les produits assemblés (téléviseurs,
automobiles, composants pour ordinateurs) ne subissaient qu’une taxe douanière US sur la valeur ajoutée.
Elles fournissent 15% de l’emploi au Mexique. Après une première génération d’entreprises qui s’intéressent
à la main d’œuvre féminine, jeune et bon marché, une seconde s’installe dans ces secteurs comme
l’automobile ou l’électronique, nécessitant des qualifications plus sophistiquées.
La peur des délocalisations
La délocalisation consiste à modifier l’implantation géographique d’un établissement de production.
- Au sens strict, c’est le transfert des capacités de production d’un site national vers un site étranger afin
d’importer des biens et services jusqu’alors produits localement
- Au sens large, toute opération d’ouverture d’une nouvelle unité de production à l’étranger plutôt que
dans le pays d’origine ; cependant, quand l’activité n’aurait de toute façon pas été créée sur place, le
terme de délocalisation est abusif
La délocalisation correspond à un déplacement d’activités productives en d’autres lieux, sur le
territoire national ou au-delà (offshoring). Elle permet de bénéficier d’un avantage juridique et fiscal ou en
termes de coûts, d’infrastructures et de débouchés. Mais elle semble a priori avoir un effet négatif pour
l’emploi dans le pays de la FMN.
En France, le thème des délocalisations s’est affirmé dans le débat public au début de la décennie
1990, dans un contexte de récession, de forte montée du chômage et d’insécurité de l’emploi. Le rapport
Arthuis, publié le 4 juin 1993, est alarmiste. Il affirme qu’un mouvement irrésistible de délocalisation est
engagé, prenant sa source dans les secteurs à main d’œuvre nombreuse puis allant vers des secteurs à
haute technologie. Ce mouvement entrainera à terme la suppression de 5 millions d’emplois. Le sénateur
Arthuis utilise une conception très large de la délocalisation – définie comme la séparation géographique des
lieux de production et de consommation – incluant les importations.
Un rapport de 2003 à l’issue d’un voyage organisé en Asie par le ministre français délégué aux PME
pour les dirigeants d’entreprises concluait : « Si nous ne réagissons pas rapidement, il ne restera plus que la
Tour Eiffel et les bars-tabacs en Ile-de-France ».
Une enquête l’Université de Berkeley (datant de 2003) précise qu’un emploi sur six est menacé de
délocalisation dans la Silicon Valley (1 sur 10 dans l’ensemble des USA).
Un sondage réalisé par Associated Press Ipsos en 2004 révélait que 69% des Américains pensent
que la délocalisation d’activités est dommageable à l’économie du pays contre 17% qui la jugent bénéfique.
Plus récemment, des délocalisations dans le textile firent naitre des craintes : lingerie Aubade,
collants Weill, maillot de bain Aréna, chaussures de sécurité Jalatte. On retrouve ici l’idée du dumping social.
Le sentiment d’une menace potentielle sur l’emploi peut créer une insécurité sociale décourageant la
consommation et encourageant des politiques restrictives centrées sur la réduction du cout de travail.

L’effet réel des délocalisations


Les études statistiques concluent à l’importance limitée du mouvement de délocalisation ainsi qu’à
des conséquences peu significatives sur l’emploi.
Signalons d’abord que le rapport Arthuis manquait de rigueur, il n’évoque pas les effets positifs des
exportations, les IDE vers la France ; Arthuis dénonce les aides étrangères qui distordent les échanges mais
n’évoque pas les aides de l’Etat français pour ses exportations. Il sera réfuté par un rapport de l’Assemblée
nationale rédigé par Patrick Devedjian en novembre 1993. Cependant, il eut un écho médiatique important.
Selon le Ministère de l’Economie (DREE), pour 1997-2001, les délocalisations pures (délocalisation
pour réimportations) correspondent à seulement 4% des IDE français.
D’après l’INSEE, entre 1995 et 2001, les délocalisations ont provoqué en moyenne la suppression
de 13 500 emplois industriels par an en France, ce qui est relativement peu comparé aux 10 000 emplois
détruits chaque jour ouvrable par l’économie française. La moitié fut transférée vers des pays à hauts
salaires. Une étude du ministère US du Travail estime que les délocalisations ne représentent que 2% du
total des licenciements de plus de 50 personnes aux USA de 1998 à 2003. Les pays à bas salaires ont aussi
en général une productivité plus faible.
Plus récemment, d’après le rapport de Fontagné et Lorenzi au Conseil d’analyse économique
(2005), les pertes annuelles d’emplois industriels dues aux délocalisations représentent 10% maximum du
total de ces pertes entre 1970 à 2002. Aubert et Sillard, dans un document de travail de l’INSEE en 2005,
chiffrent ces pertes à 0,35% de l’emploi industriel total entre 1995 et 2001.
Les investissements français à l’étranger sont une faible proportion des investissements faits en
France : 11% de la FBCF entre 1988 et 1992. Plus de 90% de ces IDE se font dans des pays de l’OCDE et
sont surtout le fait d’industries exportatrices. Moins de 20% des investissements français à l’étranger (en
1999) sont effectués dans des pays où la main d’œuvre est nettement moins chère. Les secteurs qui
investissent le plus à l’étranger (eau, énergie, finance, chimie) n’appartiennent pas aux industries de main
d’œuvre. Il faut aussi prendre en compte les emplois créés par les FMN étrangères dans le pays.
La délocalisation entraîne aussi des effets indirects de création d’emplois dans la maison-mère ou
dans d’autres firmes du pays d’origine, soit par simulation des exportations (pièces détachées, matériel de
production), soit par glissement d’emplois peu qualifiés vers des emplois plus qualifiés (encadrement et
surveillance des filiales, R&D, produits plus sophistiqués). Dans l’industrie manufacturière US, alors que
l’emploi dans les sociétés mères des FMN chutait de deux millions entre 1977 et 1990, la croissance des
autres entreprises manufacturières a permis d’absorber 75% de ce déclin. Au cours des années 1990, la
perte additionnelle de 600 000 emplois enregistrée par les entreprises mères a été entièrement compensée
par la croissance des opérations des entreprises étrangères aux USA. (Données fournies par K. Sauvant,
responsable du rapport annuel sur l’investissement mondial de la CNUCED en 2003).
Les délocalisations ont le même effet qu’un saut technologique. Comme le progrès technique, les
délocalisations peuvent détruire de l’emploi dans certains secteurs (textile, chantiers navals) et à court
terme, mais en génèrent globalement à long terme. Le problème de l’adéquation entre la destruction
d’emplois directs et la création d’emplois indirects devient un problème de qualification et de mobilité
géographique.

Autres arguments en faveur des délocalisations :


- la baisse des prix accroit le pouvoir d’achat des consommateurs : selon Catherine Mann (2003), la
délocalisation du matériel informatique a permis de baisser le prix des ordinateurs de 10% à 30%
- la délocalisation permet d’éviter à une industrie entière de disparaître face à la concurrence. En
délocalisant une partie de la production, la firme peut garder chez elle la part de la production compétitive
- les marges supérieures des firmes leur permettent d’investir plus, donc de créer plus d’emplois
- les revenus des pays pauvres augmentent, ce qui signifie de nouveaux marchés pour les pays riches
- la possibilité de se spécialiser dans des secteurs à plus hauts salaires comme la recherche et la conception
Paul Hermelin, PDG de Capgemini , affirmait qu’en délocalisant 6 000 emplois en Inde, de 2000 à 2005, son
groupe a pu se développer et créer un millier d’emplois à plus forte valeur ajoutée sur le territoire français.
- les exportations de capitaux vers les PED poussent à l’appréciation du taux de change de la monnaie
locale et érodent peu à peu leur compétitivité, argument développé par Jacques Lesourne, dans Le modèle
français, grandeur et décadence.

Cependant, selon une étude de Kletzer sur les USA (2001), seuls 63% des travailleurs licenciés au
cours de la période 1979-1999 ont été réemployés mais avec une perte de salaire hebdomadaire de 13% en
moyenne. S. Berger (2006) reconnaît aussi que les travailleurs qui perdent leur emploi du fait des
délocalisations et en retrouvent un autre, c’est avec un salaire inférieur en général.

La peur actuelle vient du fait que le mouvement de délocalisation et d’externalisation s’étend aux
services et semble menacer non plus seulement les ouvriers mais la classe moyenne. British Airways a
délocalisé ses activités de réservation en Inde, AXA et la Société Générale leur comptabilité, Nathan fait
er
numériser ses livres à l’Ile Maurice, Rank Xerox installe ses centres d’appel en Irlande. L’Inde en est le 1
pays bénéficiaire des télé-services. Tous les grands groupes de technologies de l’information ont ouvert des
centres de recherche à Bangalore.
La délocalisation ne concerne pas les activités essentielles : « Pour l’instant, si nous déployons de
nouvelles équipes de R&D en Inde, la maîtrise des grands projets logiciels reste dans la Silicon Valley »
selon le PDG de Business Objects.

Délocalisations : la « course vers le bas » ? Par Pierre Garello


Les antimondialistes ont répandu l’idée de la « course vers le bas » (« race to the bottom »),
expression qui a un contenu émotif très important mais qui n’en est pas moins erronée. L’argument est que
lorsqu’on fait tomber les barrières de protection commerciale, les facteurs de production et en particulier le
capital se dirigeraient vers le territoire où ils peuvent être les plus productifs ou les plus profitables. Cela peut
être pour des raisons de fiscalité moindre, de moindres réglementations environnementales ou sociales, des
salaires plus bas. Les réglementations existantes dans le pays d’origine ne pourraient alors plus perdurer
parce que le capital dans le pays d’origine s’est enfui, y réduisant d’autant les recettes fiscales et les biens
publics financés par celles-ci : les standards sociaux seraient donc menacés.
Premièrement : ce scénario est-il réaliste ? S’il y a de la vérité dans le processus décrit, il n’y a pas
toute la vérité. Le rendement n’est pas la seule variable prise en compte par les investisseurs : il y a aussi le
risque. Par ailleurs, les coûts du travail plus bas s’accompagnent aussi d’une productivité beaucoup plus
basse. De même il y a le problème des coûts de transport entre la production et son marché. D’ailleurs les
pays recevant le plus d’investissements étrangers sont les pays les plus développés !
Deuxièmement, la théorie du cycle international du produit nous enseigne qu’il est normal qu’un
produit innovant fasse son apparition dans les pays développés, puis que pour des raisons de coûts, de
possibilités d’apprentissage et de concurrence, il soit peu à peu fabriqué dans des pays moins développés.
Cela est juste l’expression de la division du travail. Il serait donc stupide de vouloir interrompre ce cycle
naturel du produit.
Troisièmement, supposons que Danone veuille délocaliser ses usines de France vers la Roumanie.
Que se passe-t-il ? En Roumanie la demande de travail va augmenter, entraînant une hausse des salaires.
Donc : plus d’emploi et des salaires plus élevés : cela semble plutôt aller vers le « haut » que vers le « bas ».
Les actionnaires de Danone devraient gagner plus. Les clients de Danone aussi. Les employés français de
Danone en revanche n’ont pas été préparés au changement. Une plus grande flexibilité du marché du travail
en France signifierait-elle une course vers le bas ? Puisqu’elle génèrerait plus d’emploi et une concurrence
entre employeurs et donc une hausse des salaires, on voit mal comment. Il faut noter que les recherches
empiriques ne montrent pas de « course vers le bas ».
Mais quelle serait l’alternative ? L’harmonisation ? Que tous les pays soient au même salaire
minimum par exemple ? On imagine les conséquences catastrophiques dans les pays moins développés ! Ce
qui est paradoxal c’est que nos États promeuvent simultanément, d’un côté la recherche et l’innovation qui
forceront à un moment ou à un autre l’adaptation des gens et d’un autre côté s’opposent à l’ouverture qui
entraînera de nécessaires adaptations. Évidemment dans le premier cas il est difficile de voir qui devra
s’adapter alors que dans le deuxième c’est beaucoup plus facile…
Professeur Pierre Garello (Université Paul Cézanne), La Nouvelle Lettre, n°937, 24 novembre 2007.

La relocalisation
Geneviève Lethu, Atol, Smoby, Samas (meubles de bureau), La Mascotte (pull-overs) sont revenues
en France, pour des questions de délais, de qualité de finition, de suivi des commandes ou d’inadaptation à
des productions personnalisées, non protection des savoir-faire, coûts de transport, difficulté de gérer à
distance, voire parfois la hausse des salaires dans les pays émergents. Sur 100 entreprises ayant
délocalisé, 7 à 8 sont revenues en France (Figaro magazine, 20 mars 2010).
Geneviève Lethu, spécialiste des arts de la table, relocalise sa production en Europe. Elle faisait
fabriquer 40% de ses collections en Asie en 2003, moins de 10% en 2008. Cette marque attire une clientèle
moyen et haut de gamme, ce qui l’oblige à travailler sur des produits exclusifs et à favoriser le made in
France. Ainsi la coutellerie sera réalisée désormais à Thiers et le linge de table dans les Vosges.
La marque de prêt-à-porter Caroll a ainsi relocalisé dans les Vosges une partie de sa production dès
1996 pour coller au plus près aux goûts des consommateurs, être réactif, produire en petites séries pour
limiter les coûts de stockage, éviter des problèmes de délais, éviter d’accumuler des stocks ou de se
retrouver en rupture de stock.
De même, le fabricant français de jouets Smoby a relocalisé en Bretagne une chaîne de fabrication
chinoise ; le producteur allemand de piles électriques Varta a recentré sa production en Allemagne plutôt
qu’à Singapour.

C) Autres effets
Les FMN augmentent les inégalités au sein des pays selon une étude du FMI de 2007. Comme ils
concernent généralement les secteurs les plus intensifs en technologie, ils renforcent la position des
qualifiés et contribuent à accroitre les inégalités, au Nord comme au Sud.
Les FMN contribuent à faire naître des instances de représentation du personnel au niveau
international. Ainsi une directive de la Commission européenne de 1994 a créé un comité d’entreprise
européen - réunissant les représentants des salariés - obligatoire pour les entreprises de taille européenne.
En 1994, dans 32 FMN existait un comité d’entreprise mondial.
Les FMN, malgré leur grande taille, accroissent le degré de concurrence car le nombre de joueurs
s’accroit sur chaque marché national ; cf. le cas de l’automobile dans les années 1980, dans chaque pays la
part de marché des premières entreprises a baissé sensiblement, par ex celle de GM aux USA et celle de
Fiat en Italie (baisse de plus de 10 points).
Les FMN n’aboutissent pas à une uniformisation du monde. Même si le déplacement du capital
conduit à rapprocher les ratios de dotations globales en capital des pays, cela ne signifie pas une
atténuation des avantages relatifs. Ceux-ci s’expriment à travers d’autres déterminants (connaissances,
compétences, technologie, etc.) qui demeurent localisées.
Les FMN ne remettent pas fondamentalement en cause la souveraineté des Etats malgré leurs
chiffres d’affaires parfois plus élevé que le PIB de certains pays. Dans certains pays (Guatemala, Costa
Rica, Malaisie), les IDE sont libres. Ces pays ne sont pas pour autant contrôlés par les investisseurs
étrangers. Les marchés des changes et financiers transmettent les forces économiques plus rapidement que
les entreprises et d’une manière plus difficile à contrer. Ainsi la crise de la livre en 1992 a bien plus
efficacement montré les limites de la souveraineté que l’investissement d’un groupe automobile japonais
n’aurait pu le faire.
La délocalisation entraine des flux de revenus sous forme de dividendes, ce qui n’est pas le cas des
échanges internationaux de biens et services.

Signalons l’intérêt des IDE par rapport aux autres formes de financement :
 Moyen non inflationniste de financer le développement
 Promotion des exportations
 Pas de hausse de la dette extérieure
Les FMN, substitut à l’immigration ?
Les FMN peuvent ralentir les migrations de travail : « En un certain sens, la délocalisation de la
production est un phénomène symétrique de la migration des travailleurs » selon C.A. Michalet. Par
exemple, si les firmes américaines investissent au Mexique, les Mexicains travaillant dans ces firmes
n’auront pas besoin de traverser la frontière pour trouver du travail. Sur le plan macroéconomique, la
délocalisation est donc un substitut partiel à l’immigration.
Par rapport à l’immigration, la délocalisation présente deux avantages. Elle permet de profiter de
coûts salariaux moins élevés que ceux d’une main d’œuvre immigrée qui bénéficierait de notre protection
sociale. Elle est donc plus avantageuse pour le consommateur. Elle est plus souple que l’immigration :
quand les coûts de main d’œuvre deviennent excessifs dans un pays, on peut déplacer la production ailleurs
sans trop de difficultés.

IDE et crise
Les IDE s’accélèrent généralement en période de crise, les entreprises cherchant à l’étranger des
opportunités de profit qu’elles ne trouvent pas chez elles.
1870-1895 : IDE augmente plus vite que l’investissement intérieur
années 1930 : IDE anglais, français et hollandais s’accélèrent alors que les PNB chutent.
Années 1970-1980 : hausse de 15% en moyenne de l’IDE.
Toutefois en 2008 et 2009, les IDE ont chuté d’environ 30% suite à la crise financière.

IDE et croissance économique


Deux écoles s’opposent quant à la nature des liens entre croissance et IDE. Pour la première, les
IDE exercent un effet d’éviction sur les investissements nationaux des PVD et leur volatilité entraine le retrait
des investisseurs à l’occasion d’une crise ne faisant qu’exacerber celle-ci. Pour la seconde, les IDE
nourrissent la croissance grâce aux investissements supplémentaires, générant une production et des
revenus additionnels. Ils permettent aussi le transfert de technologie, qui s’opère par l’importation des biens
techniquement élaborés, l’adoption de techniques de production ou de gestion plus avancées, l’amélioration
de la qualification de la main d’œuvre. La capacité d’acquérir en une fois ce que d’autres ont découvert par
étapes constitue un puissant facteur de comblement de l’écart technologique entre PVD et pays développés
et donc de rattrapage économique. Dans le secteur des biens de consommation, les IDE permettent une
diversification de la gamme des produits offerts aux consommateurs, contribuant à l’amélioration du bien
être général.
Les travaux empiriques attestent de la corrélation positive entre croissance et accueil des IDE.
Toutefois il est plus délicat de mettre en évidence le sens de causalité. En effet, les pays qui affichent une
productivité supérieure attirent plus les IDE que les autres. Les IDE tirent l’investissement domestique mais
sont eux-mêmes entrainés par le taux de croissance du PIB.
IDE et croissance sont liés avec ces autres facteurs essentiels que sont l’environnement de politique
économique et réglementaire, les infrastructures, l’état et le stock de capital, le niveau d’éducation.
L’effet positif des IDE sur l’offre et le bien-être mondial peuvent être montrés à partir du modèle de
Ricardo. Ricardo a démontré que l’échange international est préférable à l’autarcie dans son modèle des
avantages comparatifs où les facteurs sont immobiles internationalement.

Tableau des coûts chez Ricardo


Angleterre Portugal
1 tonneau de vin 100h 120h
1 drap 100h 200h

Imaginons que l’Angleterre et le Portugal disposent chacun de 300 heures de travail. Si les Anglais
se spécialisent dans le drap ils produiront 3 draps et si les Portugais se spécialisent dans le vin ils produiront
2,5 tonneaux de vin.
Or s’il est possible que la terre soit un facteur immobile, les techniques peuvent franchir les
frontières. Les Anglais ont intérêt à exporter leur technique viticole au Portugal puisqu’ils peuvent produire 1
tonneau de vin avec moins d’heures de travail. Si les Anglais exportent leur technique au Portugal, il sera
possible de produire 3 tonneaux de vin au lieu de 2,5. Par conséquent, l’offre globale de vin est supérieure à
celle qui prévalait avec l‘échange international. Comme le résume Bertrand Lemennicier, dans La morale
face à l’économie, p. 266, « La globalisation est donc préférable à la mondialisation ou à l’échange
international et celui-ci est préférable à l’autarcie ».
V) La politiques des Etats à l’égard des FMN :
Les FMN ont longtemps été considérées par les Etats comme potentiellement dangereuses. Elles
pouvaient menacer la souveraineté nationale (cf. les accusations portées contre ITT lors du coup d’Etat
contre le Président Allende au Chili en 1973) et elles négligeraient la sécurité, surtout dans les PVD. La
catastrophe de Bhopal en 1984 en Inde, dans une usine d’Union Carbide, tua plus de 14 000 personnes
selon les chiffres officiels, près du double selon les ONG, et entraîna des troubles respiratoires, des
malformations congénitales ou des cancers chez plus de 100 000 victimes. En 1989, Union Carbide fût
condamnée par la Cour suprême indienne à verser 470 millions de dollars pour régler l’affaire. 570 000
personnes ont touché en moyenne 500 dollars de compensation. En 2001, Dow Chemical a racheté le
groupe Union Carbide et refuse d’endosser la responsabilité des événements de 1984.
Les FMN sont devenues par la suite des alliés potentiels, rendant possible la croissance, l’emploi et
les transferts de technologie.
La tendance jusqu’aux années 1970 fut de restreindre le champ d’action des FMN. Les Etats sont
ainsi infléchi les politiques de réglementation, sans doute sous l’effet de la crise, pour passer à des politiques
d’attraction.

A) Les politiques de réglementation des IDE :


Durant les années 1960 et 1970, des économistes (Kindleberger en 1970) et de nombreux hommes
politiques (Helmut Schmidt en Allemagne, Henri Kissinger aux Etats-Unis) réclamaient l’établissement d’un
code de bonne conduite devant être respecté par les FMN. Ce tels codes virent le jour, mais sans pouvoir de
sanction : OCDE (1976), OIT (1976), CNUCED (1980), OMS (1981), Banque mondiale (1992).
Les pays appliquaient eux-mêmes des restrictions. Dans les pays développés, les gouvernements
utilisaient le contrôle des changes, la surveillance des acquisitions des firmes locales par une firme
étrangère, la fermeture aux secteurs stratégiques (recherche, télécom, services publics). Dans les PVD, les
gouvernements, en plus de ces mesures, exigeaient un transfert de technologie, des plafonds de
rapatriement des profits et des redevances et pratiquaient des restrictions sur l’emploi d’expatriés et un
contrôle des prix.

 La nationalisation des firmes étrangères


Concernant les politiques de propriété d’entreprise, le degré le plus radical consiste à nationaliser les
actifs détenus par les firmes étrangères : la Lybie nationalisa les actifs des firmes pétrolières Exxon et Mobil,
le Chili nationalisa ceux d'ITT ; Mitterrand nationalisa 3 filiales de FMN en 1982 : Hoechst, ITT, Honeywell
(l’IDE en France chuta de 11,9 milliards en 1981 à 10,3 milliards en 1982). Entre 1960 et 1979, 1416 filiales
de FMN furent nationalisées ; 15 entre 1980 et 1985 ; 0 entre 1986 et 1995.
Cette pratique, qui semblait révolue à partir des années 1990, a resurgi en Amérique latine dans les
années 2000 à l’occasion de l’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche. En 2012, l’Argentine a
nationalisé le pétrolier espagnol Repsol, la Bolivie une compagnie d’électricité espagnole Red Electrica. Les
deux pays ont justifié leur décision par un manque d’investissement des deux compagnies. De la même
manière, Hugo Chavez a nationalisé plusieurs entreprises étrangères au Venezuela entre 1999 et 2013.
Comme l’écrit JJ Servan-Schreiber, la nationalisation est une illusion. La nationalisation aboutit à un
désastre industriel : si les machines et les murs peuvent être achetés, les éléments immatériels ne peuvent
pas être nationalisés. Le savoir faire se perd. Les investissements diminuent. L’entreprise décline.

 Les contraintes dans les procédures d’implantation


- Le degré le plus coercitif consiste à fermer un secteur particulier aux IDE.
- L’autorisation préalable permet au gouvernement d’avoir son mot à dire pour tout IDE. Au début
des années 1980, certains pays de l’OCDE appliquaient encore ce système. Par exemple, le gouvernement
refuse le rachat de Citroën par Fiat dans les années 1970. C’est le cas pour l’industrie de l’armement aux
USA, en Allemagne ou en Suède.
- L’interdiction d’avoir une participation majoritaire ou à 100% et donc l’obligation d’un partenariat
avec une entreprise locale. La Thaïlande exige une participation locale au moins égale à 51% lorsque la
production de la filiale est destinée au marché intérieur. En Inde, Coca-Cola, présent dans ce pays depuis
1950, le quitta en 1977 à cause de désaccords avec le gouvernement indien qui l’obligeait à réduire sa part
dans les filiales locales de 100% à 40%, à divulguer la formule chimique à la base de son sirop et à
transformer son logo afin de le rendre plus local.
- les lois anti trust peuvent bloquer les fusions transfrontalières : Volvo-Scania, Alcan-Péchiney

 La politique de contrôle des IDE


- les contraintes de performance à l’exportation : il s’agit de l’obligation d’exporter une quantité
minimale de la production locale de la filiale. Par exemple, à l’Ile Maurice, les FMN peuvent bénéficier de
détaxation à condition d’exporter plus de 80% de leur production. En Thaïlande, la firme japonaise Toshiba
devait bénéficier de suspensions temporaires de taxes si elle exportait 80% de sa production ; devant
l’opposition des producteurs locaux de télévisions et de réfrigérateurs, la firme a du accepter d’exporter tous
ème
ses produits fabriqués localement. 1/6 des filiales américaines à l’étranger étaient sujettes à ces
restrictions à la fin des années 1980. L’Iran exige que Renault réexporte 20% de la production iranienne de
la Logan.
- les contraintes de contenu local : la FMN n’est autorisée à s’installer que si elle s’approvisionne
localement en consommations intermédiaires. Cette contrainte a été imposée aux constructeurs automobiles
japonais en Europe afin que leurs implantations ne se résument pas aux « usines tournevis ». Cela a
contribué à la naissance d’une seconde vague d’investissements japonais en Europe liée à l’implantation
des fournisseurs des constructeurs automobiles.
- La restriction des changes : par exemple, la non convertibilité de la monnaie empêche le
rapatriement des profits et rend difficile les échanges extérieurs avec la maison-mère. En France, de 1963 à
1986 les autorités utilisent le contrôle des changes (celui-ci est une restriction à l’accès aux devises et par
voie de conséquence aux produits importés) pour sélectionner et contrôler les IDE.
- le contrôle du transfert de technologie pour s’assurer que la FMN participe au développement
technologique du pays. Les pays du Pacte andin ont mis en place à partir de 1969 un système pour
s’assurer que les technologies correspondaient aux conditions locales et pour s’orienter vers l’autonomie
technologique. Par exemple, l’Etat avait le pouvoir de décréter qu’un procédé de fabrication ou des produits
ne seraient plus protégés par un brevet. De plus, l’IDE était soumis à approbation préalable du
gouvernement, et les dividendes annuels étaient limités à 14% du capital investi. Face à la chute des IDE et
comme les firmes locales ont rarement pris le relais, les pays ont assoupli ou abandonné le système, la
Colombie dès 1972. Dans ce genre de situation, joue l’effet de réputation.

Les MIC ou mesures concernant les investissements et liées au commerce


1- contraintes de contenu local : exigent un certain montant d’achat de produits domestiques
2- contraintes de balance commerciale : imposent une certaine relation entre importations et
exportations
3- contraintes de production : exigent la production locale de certains produits
4- limites de production : interdisent la production locale de certains produits
5- restrictions des changes : restrictions à l’accès aux devises étrangères, donc à certaines
importations
6- restrictions de rapatriement des profits
7- contraintes de transferts de technologie
8- contraintes de licences : imposent que les investisseurs déposent des licences ou brevets
technologiques dans le pays d’accueil
9- contraintes d’actionnariat local
10- contraintes d’exportation : imposent des objectifs à l’exportation
11- contraintes d’approvisionnement : exigent que les investisseurs vendent certains produits sur
certains marchés
12- contraintes de ventes domestiques : imposent aux investisseurs de vendre un certain % de la
production dans le pays d’accueil
N.B. : Sont surlignées en jaune les MIC interdites par l’OMC.

B) La libéralisation progressive des IDE :


Elle s’est produite dans les années 1980. Une étude de l’ONU de 1991 montra que pour la période
1977-1987, sur 321 mesures prises, 224 allaient dans le sens de la libéralisation alors que 97 devenaient
plus restrictives. Entre 1991 et 2000, sur les 1 185 changements intervenus dans les réglementations locales
appliquées aux IDE, 1 121 vont dans le sens d’un assouplissement du régime.
La libéralisation commença en Asie du Sud-Est, puis toucha l’Amérique latine et la Chine. Les pays
développés abolirent le contrôle des changes, le RU en 1979, la France en 1985. A partir de 1987, en
France, les IDE communautaires bénéficient de la liberté d’investissement mais les investissements non
communautaires sont soumis à autorisation préalable. En 1992, le régime de liberté communautaire est
étendu à la très grande majorité des IDE.
Les mesures concernant les investissements internationaux et liées au commerce (MIC en français,
Trade-Related Investment Measures ou TRIMs en anglais) furent perçues lors du cycle de l’Uruguay de
1986 à 1994 comme pouvant engendrer des distorsions et des restrictions sur les échanges internationaux.
Par exemple, les contraintes à l’exportation ont les mêmes effets qu’une politique de subvention. Il a été
décidé de supprimer 3 MIC sur 12, à savoir la règle de contenu local, les contraintes à l’exportation et les
restrictions de change.
En 1995, l’OCDE lança la négociation d’un accord multilatéral sur l’investissement (AMI) dont
l’objectif était la libéralisation des IDE. Ce texte, négocié non à l‘OMC mais à l’OCDE, visait à remplacer le
puzzle des 1 600 traités sur les investissements bilatéraux par des règles globales inspirées des principes
de l’OMC, c'est-à-dire l’ouverture sans discrimination des marchés et l’égalité de traitement des
investisseurs. Il cherchait notamment à favoriser et à sécuriser les investissements dans les PED. La
négociation a avorté, suite à l’opposition des PED, des syndicalistes et des altermondialistes. Les
discussions furent abandonnées en 1998, à la demande notamment du gouvernement français (Jospin).
Contrairement au commerce, il n’existe aucune organisation internationale de régulation des
investissements internationaux. Faute d’accord multilatéral, les pays se sont engagés dans des accords
bilatéraux d’investissement. On compte près de 5 500 accords de ce type. On trouve également de manière
croissante des règles d’investissement dans les traités de commerce.
Certains Etats ont voulu aller plus loin et susciter de manière active les IDE. Les politiques
d’attraction des IDE se sont développées depuis les années 1980. On peut séparer l’attractivité réelle
(différences de coûts comparés, infrastructures, voies de communication, qualification de la main d’œuvre,
qualité de la recherche) et l’attractivité artificielle (exemptions fiscales, subventions à l’implantation). Dans
les PED on peut y ajouter les concessions douanières, l’abolition des TRIM, le libre transfert des profits. En
2001, on dénombrait 160 agences nationales pour la promotion des IDE et 240 agences régionales. La
France possède trois instances chargées de vendre le « made in France » :
- l’Agence française pour les investissements internationaux (2001)
- le Conseil stratégique de l’attractivité créé en 2004
- le Cercle de l’attractivité-Win in France
Il est difficile de mesurer l’efficacité de telles agences car elles s’arrogent parfois des implantations
indépendantes de leur activité.
Les incitations fiscales pour attirer les IDE sont fréquentes (la Banque mondiale recense cent
seize pays à démarche proactive) et de nature variée (exemption de TVA, réduction de taxes locales,
subventions, prêts bonifiés, etc.). La CNUCED estime ces incitations coûteuses et souvent peu efficaces :
- ou bien elles drainent des IDE dans des pays à gouvernance de mauvaise qualité et elles n’exercent guère
d’effet d’entraînement sur l’économie, tout en permettant souvent aux entreprises étrangères de bénéficier
de rentes confortables. De plus, de telles incitations peuvent créer des distorsions de concurrence entre
entreprises étrangères et locales ;
- ou bien les pays sont en eux-mêmes attractifs, et les incitations fiscales ne sont guère utiles.
Pour conclure sur le thème de l’attractivité, les principaux critères pour accueillir des IDE sont : la
stabilité politique, un climat d’investissement favorable, une politique libérale à l’égard du profit et de son
rapatriement, un vaste marché.

C) Le retour du patriotisme économique


Cette notion a été défendue en 2005 par Dominique de Villepin à l’occasion de la rumeur d’OPA de
Pepsi sur Danone. Même si Pepsi a toujours nié avoir eu l’intention de lancer cette OPA, l’affaire a tellement
inquiété que cela donna lieu à des mesures pour éviter le rachat de certaines entreprises françaises par des
étrangers. A la même époque, quand l’italien Enel veut racheter Suez, le premier ministre français lance une
fusion GDF/Suez. L’Etat s’est opposé à la vente de 26% d’Eramet par Areva au groupe brésilien CVRD.
Mentionnons qu’à la même époque, France Telecom rachetait l’espagnol Amena, Suez le belge
Electrabel. Qu’une entreprise française rachète une entreprise étrangère, c’est très bien et cela se voit tous
les jours. Mais l’inverse, c’est intolérable pour le gouvernement, c’est une atteinte à l’honneur national ! Le
protectionnisme est à sens unique !
Pourquoi les firmes françaises se font-elles racheter ? Notamment en raison d’un actionnariat
dispersé, les noyaux durs mis en place sous Balladur en 1986 afin de garantir un actionnariat stable se sont
progressivement dissous. Le capital d’une quinzaine d’entreprises du CAC 40 est dispersé à plus de 80%
dans le public (petits actionnaires, zinzins, étrangers) ; c’était le cas d’Arcelor. Signalons que la présence de
fonds de pensions français permettrait de mieux protéger le capital des fleurons français.
Pourquoi s’y opposer ? Les partisans du patriotisme économique évoquent le maintien en France
des centres de décision, des emplois, des sous-traitants, des centres de recherche, les effets induits sur la
recherche et les Universités. Dans la plupart des grands groupes français, le % des emplois dans
l’Hexagone reste notablement supérieur à celui des ventes en France (respectivement 53% et 39% pour le
top 5 en 2003). Denis Kessler, PDG de la SCOR, déclarait à l’Université d’été du Medef en 2005 : « En
France, l’entreprise ne suscite des élans de tendresse qu’à deux moments de sa vie : quand elle meurt ou
quand elle va être rachetée par un étranger ».
Il existe souvent des réticences à vendre des entreprises nationales à des étrangers sous prétexte
que ces entreprises seraient des « biens nationaux ». Or on devrait au contraire se réjouir que des étrangers
fassent un effort d’’epargne pour acheter des entreprises alors même que l’’epargne nationale est peut-être
trop faible pour cela. Par ailleurs, les acheteurs étrangers apportent non seulement leur capital, mais aussi
leurs connaissances et savoir-faire dans le domaine de la production.
Faut-il alors craindre la concurrence sur les marchés de capitaux et la mainmise éventuelle
d'investisseurs de nationalités diverses sur les entreprises françaises ? Bien au contraire. Il est bon pour
l'économie française d'attirer les capitaux en provenance de toutes les parties du monde, gage de
financement stable parce qu'abondant. Un investisseur japonais ou américain a pour principal objectif,
comme un épargnant privé français, de réaliser des plus values et de toucher des dividendes. Il va par
conséquent choisir les entreprises exactement selon le même critère de création de richesse à long terme. Il
s'ensuit que la pression exercée sur les managers sera exactement la même quelle que soit la nationalité de
l'investisseur. Les citoyens étrangers qui investissent dans les entreprises européennes ne veulent pas
atteindre on ne sait quel objectif stratégique ou politique de puissance. Ce sont des épargnants privés qui
cherchent de par le monde les entreprises qui promettent de créer les richesses les plus abondantes.
Il n'y a ainsi aucune différence de comportement effectif entre investisseurs de nationalités
différentes. Peu importe que l'acheteur d'une entreprise soit français, américain, russe, japonais ou chinois.
Ce qui compte c'est que la concurrence des actionnaires soit la plus ouverte et la plus vive de sorte que les
prix des actions reflètent fidèlement la réalité de l'entreprise et que la pression exercée sur les managers
pour obtenir l'augmentation de la richesse soit maximale.
Les entreprises étrangères nuisent-elles au consommateur ? C’est en règle générale l’inverse
puisque les firmes pratiquent presque toujours des prix supérieurs sur leur marché d’origine et se servent
des rentes sur ce marché pour financer leur internationalisation.
Les dirigeants d’entreprise ont une fâcheuse tendance à confondre leur maintien à la tête de leur
entreprise (et les avantages matériels afférents) avec la défense de l’intérêt supérieur de la Nation, même
quand leur mauvaise gestion peut susciter les appétits d’entreprises mieux gérées. Symétriquement, comme
l’écrit Bill Bonner dans L’Empire de la dette, les hommes politiques préfèrent voir les industries locales aux
mains de gens du pays, pour faire pression sur eux plus commodément.
Que le patriotisme économique soit ou non fondé, il suscita des mesures anti-OPA en France :
 Les pilules empoisonnées : les bons de souscription d’actions (BSA) instaurés en 2006 dissuadent
l’assaillant en le menaçant d’une dilution de la participation qu’il pourrait obtenir au terme de
l’opération. Ils prévoient qu’avec l’accord des actionnaires à la majorité simple, les dirigeants
peuvent distribuer des BSA gratuitement pour souscrire des actions avec une décote afin de gonfler
ème
artificiellement le coût de l’opération. En novembre 2007, Pernod Ricard était la 7 société du
CAC 40 à s’équiper de cette protection. Elles ne sont pas forcément efficaces car il y a menace de
dilution pour les actionnaires qui seront tentés de vendre leur titre avant l’attribution des bons ; de
plus les entreprises américaines qui les ont mis en place deviennent moins performantes, et leur
dirigeants, qui n’ont plus rien à craindre, accroissent leurs rémunérations. Les USA, qui ont utilisé
les premiers les « pilules empoisonnées » les utilisent moins aujourd’hui. Le Japon les a autorisées
en 2005 et beaucoup de sociétés demandent à leurs actionnaires d’adopter de telles mesures.
 L’interdiction en 2005 des OPA hostiles dans les secteurs protégés : armement, interception des
communications, production d’antidotes. casinos, sécurité privée, matériel pour l’interception de
correspondance et la détection à distance des conversations, cryptologie, munitions et substances
explosives, études et équipement au profit du ministère de la Défense.
 Une nouvelle réglementation contraignant toute entreprise sur le point de lancer une OPA à préciser
ses intentions sous peine de ne pouvoir lancer l’opération pendant six mois
D’autres mesures existent comme le développement de l’actionnariat salarié, l’attribution d’avantages
particuliers aux actionnaires fidèles (droit de vote double accordés au bout de 2 ans), l’augmentation de
capital pour repousser l’intrus.
Le phénomène n’est pas que français. La part des changements de réglementation nationale
concernant les investissements étrangers allant dans le sens d’un plus grand protectionnisme est passée de
5% en 2002 à 20% en 2006.
Aux Etats-Unis, une loi limite à 25% la participation d’un groupe étranger dans le capital d’une
compagnie aérienne américaine. La loi Exon-Florio de 1988 autorise le président américain à bloquer
l’acquisition d’une firme domestique par une firme étrangère, dans le cas où elle menacerait la sécurité
nationale. Le terme est délibérément flou, ce qui laisse une marge de manœuvre plus grande aux autorités
nationales. Les sanctions sont assez rares, on ne compte qu’un désinvestissement sur 1500 notifications.
Dans le domaine spatial, l’octroi de licences d’exportation de satellites et services de lancement est
soigneusement contrôlé. En 2005, le Congrès US s’est opposé au rachat de la compagnie pétrolière Unocal
par le chinois Cnooc, et en 2006 à la prise de contrôle de six grands ports américains par une société
publique de Dubaï (Dubaï Ports World), pour des raisons de sécurité nationale.
En Allemagne, le gouvernement d'Angela Merkel (CDU) a adopté en 2008 une nouvelle loi sur le
commerce extérieur (AWG). Grâce à un droit de veto élargi, le gouvernement allemand pourra aller jusqu'à
interdire un investissement étranger supérieur à 25 % dans une entreprise relevant de «la sécurité et l'ordre
publics». Jusqu'à présent, la loi protégeait exclusivement l'armement. Le texte concerne les pays hors Union
européenne. Berlin veut disposer de moyens suffisants pour se protéger des fonds souverains.
En Russie, une loi de 2008 stipule que toute entreprise étrangère désirant acquérir plus de 50%
d’une société russe dans l’un des secteurs stratégiques (dont les médias, l’aéronautique, la pêche, l’édition,
les télécom) devra obtenir l’accord du gouvernement. Seuil abaissé à 25% pour une entreprise publique et à
10% dans l’extraction.
Et en 2011, Laurence Parisot, présidente du Medef, déclarait : « On devrait avoir un patriotisme
3
européen » .
Plus généralement, les textes internationaux relatifs à l’investissement (code de l’OCDE, traité
communautaire) prévoient la possibilité de restreindre la liberté de circulation des capitaux et la liberté
d’établissement pour des motifs liés à l’ordre public et à la sécurité nationale.

VI) La globalisation
Lénine à écrit en 1916, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme dans lequel il définissait
l’impérialisme par l’exportation de capitaux, notamment vers les pays arriérés, car « les profits y sont élevés,
les capitaux peu nombreux, le prix de la terre faible, les salaires bas, les matières premières bon marché »
et par la course à l’hégémonie des monopoles. L’investissement international, permettant de résoudre le
problème de l’écoulement de l’excès des capitaux, caractériserait le stade final du capitalisme.
Il a caractérisé l’impérialisme « comme un capitalisme de transition, ou plus exactement un
capitalisme agonisant ». L’agonie est longue ! Ironie de l’histoire : les anciens pays communistes essayent
d’attirer le maximum d’IDE. Le marxiste Pierre Jalée avait déjà observé dans Le pillage du tiers monde,
(1965) que se produit au contraire une diminution des IDE vers le tiers monde et un accroissement des IDE
entre PDEM. Il en concluait que les échanges de marchandises intéressent davantage l’impérialisme que les
investissements de capitaux.
Si la thèse léniniste s’est révélée fausse, il n’en reste pas moins que le mouvement de globalisation
des économies est croissant depuis le début des années 1980, ce que nous allons analyser dans cette
dernière partie.

A) La tendance à la globalisation des firmes :


Les définitions de la firme gobale
Le terme de globalisation est un anglicisme : il vient du mot anglais global, qui signifie « mondial ».
La globalisation serait alors le terme impropre pour définir la mondialisation. En français, les deux mots sont
utilisés. Comme nous l’avons signalé dans l’introduction du chapitre 1, une première distinction simple
consiste à dire que la mondialisation concerne le commerce international, la globalisation la production à
l’étranger. La globalisation se situe donc davantage au niveau des entreprises.
L’OCDE préfère conserver l’expression globalisation qui a un contenu plus étroit et la définit comme
« l’élargissement et l’approfondissement des activités des entreprises visant à produire et à vendre des
biens et des services sur un plus grand nombre de marchés », c'est-à-dire en fait l’internationalisation du
système productif.
Fabrice Hatem, dans son ouvrage Les multinationales en l’an 2000, Economica (1995), définit la
globalisation comme la combinaison de trois éléments : la production et l’exportation depuis le pays d’origine
ne représentent qu’une part minoritaire de la firme, les produits sont à vocation mondiale, le fonctionnement
de plus en plus décentralisé de l’entreprise entrainant un éparpillement des centres de recherche et de
décision.
Elie Cohen, dans La tentation hexagonale, Fayard (1996), définit les firmes globales comme des
« firmes présentes dans l’ensemble de la Triade où elle dispose d’états majors régionaux, organisant la
chaîne complète de leurs activités sur une base mondiale, gouvernées par une élite multinationale que
cimente une culture d’entreprise forte ». Ce sont des firmes capables de penser leur développement à
l’échelle mondiale et de déployer des stratégies globales de production, de commercialisation (marque
mondiale), et de gestion. Il donne comme exemple Nestlé, ABB, Unilever.
Kenichi Ohmae, un consultant de Mac Kinsley au japon, a érigé la firme globale en modèle
d’organisation, dans La triade. Emergence d’une stratégie mondiale de l’entreprise (1985). Les éléments
constitutifs de la globalisation des marchés se trouvent du côté de l’offre et de la demande. Du côté de
l’offre, la firme pénètre les marchés de la Triade simultanément afin d’exploiter le plus rapidement et le plus
largement ses avantages technologiques, d’éviter la montée trop rapide d’imitateurs et d’obtenir des
économies d’échelle en produisant en grande quantité. Elle y est contrainte par l’accélération technologique
et les coûts élevés de R&D. Du côté de la demande, émerge une demande de produits semblables de la
part des consommateurs dans la Triade qui ont des niveaux de revenus, d’éducations, des styles de vie, des
loisirs comparables.

3
Les Echos, 11 avril 2011, p. 5.
Dans The borderless world (1990), K. Ohmae généralise à l’ensemble de l’économie et aux relations
entre les nations le modèle de l’entreprise globale. Nous entrons dans l’ère de l’économie inter reliée
(Interlinked economy) car les trois ensembles de la triade sont pris dans un écheveau de relations croisées
et le nationalisme économique devient sans fondement. L’infirmation circule sans entrave. La nation n’a plus
d’initiative politique, c’est un espace géographique de déploiement de l’activité des firmes. La firme globale
doit nouer des alliances pour avoir des économies d’échelle et toute la gamme des produits sur tous les
marchés. La culture d’entreprise devient la véritable nationalité de la firme globale.

Pour résumer, la firme globale considère le marché mondial comme un seul et même marché et
lance le produit simultanément en Amérique, Europe et Asie. Elle est présente dans la plupart des pays sous
la forme d’un réseau de filiales de production, de commercialisation et de R&D ainsi que de sous-traitants et
d’alliances. La spécialisation par filiale entraîne un accroissement rapide des flux internationaux de biens et
de services intra-firme. Les relations hiérarchiques société mère/filiale disparaissent au profit de relations de
coopération entre les différentes filiales principales. L’entreprise devient progressivement un vaste réseau en
forme de toile d’araignée intercontinentale, c’est à dire une galaxie d’entreprises autour d’elles qui lui sont
plus ou moins liées sous diverses formes contractuelles : sous-traitance, franchise, ventes de licences, etc.
L’exemple type est Fijitsu qui opère avec des centaines de partenaires extérieurs par l’intermédiaire de
participations ou d’investissements croisés ou de simples contrats.
Cela rejoint le concept de firme sans usines comme Nike, Benetton, Virgin ou Dell. Le cœur de
métier est réduit à la conception des modèles, à la commercialisation des produits finis et à la gestion de la
marque, la partie production est externalisée grâce à la sous-traitance. On peut aussi prendre l’exemple
d’Apple, dont le sous-traitant principal Foxconn, entreprise à capitaux taïwanais, fabrique ses produits dans
la région de Shenzen. « Designed by Apple in California, assembled in China » est le slogan affiché par la
firme de Steve Jobs. Alors que les deux firmes réalisent en 2010 un chiffre d’affaires comparable (environ 60
milliards de dollars), Apple emploie 46 000 employés contre 1 million pour Foxconn.

La décomposition internationale des processus productifs (DIPP) :


Les activités internationales des firmes se sont généralement accrues avec la possibilité de
décomposer les produits. Plus le produit est complexe, plus il comprend de composants qui peuvent être
fabriqués de façon autonome les uns des autres.
Un véhicule automobile comporte, par exemple, plus de 5 000 pièces. Ses composants sont
progressivement réunis en sous-ensembles, puis totalement rassemblés lors de l’élaboration du produit final
dans le cadre d’une opération d’assemblage. La production est alors décomposée internationalement, d’où
le nom de DIPP. Le produit final est recomposé lors de l’assemblage, pour être ensuite vendu.
Ce phénomène donne lieu à un commerce international de pièces détachées et de produits semi-
finis, et à des réexportations de produits finis après montage.
L’exemple de la Ford Escort illustre également un tel réseau d’échanges : le montage final s’effectue
en GB et en Allemagne alors que les pièces viennent de 15 pays différents.

Un exemple de globalisation : l’automobile


Multiplication des accords interentreprises dans les années 1980. Ils sont utilisés pour partager les
risques, offrir des dispositifs d’acclimatation aux environnements étrangers, permettre une plus grande
flexibilité en offrant des moyens de diversifier la gamme à moindre coût, accélérer l’innovation et les
apprentissages de nouveaux savoir faire et aussi pour limiter l’augmentation des coûts de recherche (les
budgets de R&D représentent en moyenne 3 à 4% de la production).
Les années 1980 ont été marquées par l’adoption des méthodes japonaises par les constructeurs
étrangers. Les japonais voulaient accélérer leur processus d’internationalisation sans courir trop de risques,
alors que leurs partenaires avaient besoin de compléter leur gamme de voitures avec des petits modèles ou
souhaitaient observer les méthodes japonaises.
Ford a pris une participation dans Mazda en 1979, Mazda a implanté une usine aux USA en 1987 en
se fournissant chez Ford. Par ailleurs, l’usine japonaise de Mazda à Hofu a servi de modèle pour la
construction de celle que Ford a construite à Hermosillo au Mexique au milieu des années 1980 et pour la
rénovation de sites américains de Ford.
GM a créé en 1984 une joint venture avec Toyota, la NUMMI. Cela permettait à Toyota de pénétrer
les USA tout en limitant les investissements et les risques. GM complétait sa gamme avec une petite voiture
et observait les méthodes de production japonaises. Ce fur un succès.
Coopération entre Honda et Rover dès 1979 avec un accord de licence. Honda fonde sa première
usine en Europe en 1989 et prend une participation de 20% dans Rover. Rover a ainsi pu acquérir du savoir
faire et des ressources en matière d’ingénierie.
Quand ils se sont installés aux USA, les constructeurs japonais ont eu recours aux importations de
composants. Ils ont ensuite progressivement attiré un certain nombre de leurs fournisseurs aux USA pour
favoriser des relations étroites et le juste-à-temps. Au début des années 1990, environ 300 équipementiers
japonais s’étaient implantés aux USA et en 1993 le taux de composants locaux pour le modèle Honda
Accord fabriqué aux USA atteint plus de 80%. Le maintien des relations avec les fournisseurs japonais a
suscité de vives polémiques sur le taux de contenu local des unités d’assemblage japonaises, accusées
d’être des usines tournevis.
La conception et la planification d’un nouveau produit sont peu susceptibles d’être délocalisées à
l’étranger car elles requièrent la coopération de divers services centraux. Cependant, la mondialisation
pousse à délocaliser le design et le style pour s’adapter aux conditions locales. Ainsi, Honda (1975), Toyota
(1973), Nissan (1979) et Mazda (1972) ont créé des centres de design et de R&D en Amérique du Nord et
en Europe dès les années 1973-1980, bien avant d’y implanter des centres de production. Ensuite, les
implantations productives provoquent l’ouverture de laboratoires de test, de certification.

La quête de la voiture mondiale


Cette idée apparaît dès les années 1970, notamment chez les constructeurs américains. Cela
consistait à concevoir des voitures qui puissent être produites pour tous les marchés importants avec un
minimum d’adaptation des produits aux spécificités locales. L’objectif est de réduire le nombre de types de
véhicules différents tout en permettant des variantes sur des aspects non fondamentaux. La minimisation des
coûts devait provenir de la décomposition internationale des processus productifs (DIPP), c'est-à-dire la
spécialisation des usines à l’échelle mondiale et la délocalisation vers les pays à bas salaires.
D’après F. Sachwald, Les défis de la mondialisation : innovation et concurrence (1994), seuls Ford
et GM se sont lancés sur cette voie, et l’échec est clair.
En 1976, le lancement de la Ford Fiesta marque l’apparition d’une stratégie unique au niveau
européen avec un modèle conçu (élaboration conjointe des centres de recherche anglais et allemands),
produit et vendu de manière unifiée.
La Ford Escort – produite de 1968 à 2000, élue voiture européenne de l’année en 1980 – devait être
une voiture mondiale. En fait, les versions américaines et européennes ont été conçues par des équipes
différentes des deux côtés de l’Atlantique, d’où une duplication des coûts de conception, l’utilisation de
composants différents, et une différenciation des deux modèles. En alliance avec Mazda à partir de 1983,
Ford a renouvelé l’Escort, avec un modèle conçu pour les marchés américain, asiatique et pacifique.
L’idée de voiture mondiale est revenue avec la Ford Mondeo, lancée en 1993 et élue voiture
européenne de l’année en 1994. Voiture de gamme moyenne pouvant convenir aux européens et aux
américains, elle ne concerne pas le Japon.
Finalement on s’aperçoit qu’il n’existe pas de modèle unique pour les trois régions de la Triade.
Honda a conçu le modèle Accord comme une tentative de voiture mondiale. Succès aux USA, échec
au Japon où il a fallu concevoir des variantes japonisées. Selon Takashi Matsuda, l’un des dirigeants de
Honda, « l’expérience de l’Accord a souligné la difficulté de commercialiser une voiture au niveau
mondial ».
La Ford Focus était une voiture conçue pour les marchés américain et européen. Jacques Nasser,
PDG de Ford, déclarait en 2000 au Nouvel économiste : « Les concepts de voiture mondiale et de voiture
régionale m’ont toujours paru deux notions assez exagérées. Même si la Focus rencontre un formidable
succès commercial, ce n’est pas une voiture mondiale à proprement parler. Je ne pense pas qu’il existe un
seul véhicule qui puisse être vendu massivement partout dans le monde. En revanche, la Focus est une
automobile globale dans le sens où elle peut être adaptée aux différentes spécificités de nombreux marchés
régionaux » (entretien du 27 octobre 2000). On s’oriente plus vers des voitures régionales que mondiales.

Degré de trans-nationalité des firmes


Depuis 1995, la CNUCED calcule un indice de transnationalité (indice XNAL) qui est une moyenne
de 3 indicateurs : le % des actifs à l’étranger, le % des ventes à l’étranger et le % des emplois à l’étranger.
Dans le rapport 1998 de la CNUCED, les firmes les plus transnationales sont : ABB, Thomson, Nestlé,
Unilever, Solvay, Electrolux, Philips, Bayer, Roche. Pour la France, il s’agit d’Air Liquide, Total, Lafarge,
Rhône-Poulenc, Alcatel, LVMH, Michelin, Saint-Gobain, Danone, Elf.
Exemple d’ABB. Asean Brown Boveri est une FMN issue de la fusion du Suédois Asean et du suisse
Brown Boveri. ABB fabrique des équipements et des systèmes électriques. Son PDG la définit comme une
firme à la fois mondiale et locale. C’est en fait un groupe d’entreprises locales fortement coordonnées au
sommet. Les entreprises locales sont mises en concurrence, mais la firme est régulée en dernière instance
par le siège de Zurich où travaillent seulement 100 personnes sur les 240 000 employés du groupe. Points
forts : spécialisation, économies d’échelle, partage des compétences, réponse adaptée à des demandes
locales.

La thèse de Reich : les entreprises ont-elles encore une nationalité ?


Dans l’ancienne économie de production de masse, les produits, tout comme les firmes dont ils
émanaient, avaient une nationalité précise. Or aujourd’hui divers éléments sont produits dans divers lieux et
ensuite combinés. Le capital intellectuel et financier peut provenir de partout, et être incorporé
instantanément.
Reich se pose la question de la nationalité des produits. Pour la voiture Pontiac, la campagne
publicitaire est conçue au RU, filmée au Canada, montée à New York. La voiture est financée au Japon,
dessinée en Italie, assemblée dans l’Indiana grâce à des composants inventés dans le New Jersey et
fabriqués au Japon. De même, un satellite conçu en Californie, fabriqué en France et financé par des
Australiens est envoyé dans l’espace par une fusée russe est-il américain ? L’idée que les produits ont un
pays d’origine devient obsolète.
Ce qui est échangé, ce ne sont pas seulement les produits mais aussi des services de résolution de
problèmes (R&D, marketing, publicité, études de marché, courtage…) D’où la difficulté d’appliquer des
règles de contenu local.
Le capital est apatride : Bull Honeywell se dit américain pour obtenir des avantages fiscaux, mais
Bull est possédé par des Français et des Japonais. Les constructeurs automobiles US pestaient contre la
concurrence japonaise fin des années 1970 mais en même temps ils rachetaient des constructeurs nippons :
Chrysler rentrait dans le capital de Mitsubishi, Ford dans Mazda, GM dans Isuzu. Les champions nationaux
deviennent des réseaux mondiaux n’ayant pas de lien particulier avec une nation particulière. Le plus grand
employeur de Singapour est GM. Le terme de firme domestique est plus adapté que celui de firme nationale.
Reich considère que la national décline au profit du territorial. L’intérêt d’une économie nationale n’a
plus aucun rapport avec celui des firmes qui en sont originaires. Le vieil adage « Ce qui est bon pour
General Motors est bon pour les USA » correspond à une vision périmée. Les firmes ne prennent en
compte que les conditions de coût pour localiser leur production dans le monde ; le système productif
national se dissout au sein du système productif mondial.
La logique des champions nationaux n’a un sens que si l’on est capable de vendre à l’étranger tout
en gardant l’emploi chez soi. Or si on prend les 25 plus grandes FMN, le pays d’origine correspond à 39%
des ventes et 47% de la main d’œuvre employée en 1995, à 42% des ventes et 51% de la main d’œuvre
employée en 2003 (calculs personnels), soit pour les deux années un écart assez faible.
Pour illustrer la thèse de Reich, on pourrait rajouter dans le cas français le fait que près de 50% du
CAC 40 appartient à des investisseurs étrangers et que les firmes françaises sont soucieuses d’universalité ;
pour être cotée à Paris, Londres et New York, GEC Alsthom est devenue Alstom sans ‘h’, c’est plus facile à
prononcer pour un anglo-saxon. La compagnie générale des eaux est devenue Vivendi.
Reich propose d’abandonner la politique de promotion des champions nationaux qui est vouée à
enrichir de plus en plus des parties extérieures (clients, salariés ou actionnaires étrangers) pour une
politique d’attractivité. L’Etat devrait se contenter de rendre le territoire national attractif, en développant les
infrastructures et la qualification de la main d’œuvre.

B) Une globalisation à nuancer :


La nationalité des firmes reste importante
- le territoire d’origine demeure pour la plupart des FMN le principal lieu de production et le principal marché ;
liens privilégiés avec les fournisseurs, les clients, les pouvoirs publics
- les centres de décision, de management et de recherche restent la plupart du temps dans les pays
d’origine ; la part des budgets de R&D réalisée par les FMN à l’extérieur de leur territoire d’origine est
passée de 15% à 22% entre 1995 et 2001.
- la R&D est la partie qui est la moins internationalisée, elle est située à 90% dans le pays de la société-mère
(statistiques des années 1990) ; liens avec le système de formation, l’accès à la recherche publique
- le critère de la nationalité continue à jouer un rôle important en cas de crise et pour les décisions
stratégiques.
- les firmes vraiment globales comme Nestlé ou ABB sont issues de petits pays (Suisse, Suède),
l’extraversion s’explique par l’étroitesse du marché national
- l’exemple de Nestlé montre que l’ancrage local perdure : la recherche fondamentale et la maitrise du
développement des technologies de base restent concentrées en Suisse à Vevey, les filiales doivent adopter
les méthodes du groupe. L’idéologie maison – nourrir la planète et assurer une alimentation – les dialectes
maison, les procédures maison, le caractère multinational du management central ont contribué à la
cohésion du groupe et à son ancrage local, explique Elie Cohen.

Les limites de la globalisation


- les 300 plus grosses FMN possèdent 20% seulement des actifs mondiaux, chiffre qui a peu varié en 20
ans ; les 2/3 de ces actifs sont situés dans leur pays d’origine et 1/3 hors de leur pays d’origine
- échec d’Eurodisney en France : échec commercial initial car le marketing n’avait pas été fait pays par pays
mais au niveau européen ; tension entre globalisme et réalité locale : les notions de gout moyen ou de
produit universel sont inopérantes
- échec de la fusion Renault/Volvo en 1993 : l’Etat français devait détenir une golden share pour lutter contre
les OPA hostiles, E. Cohen montre que cela provoque l’ire des actionnaires suédois qui y voient une
nationalisation française
- les firmes globales sont surtout le témoin de l’imperfection des marchés et de la volonté de contourner le
protectionnisme
- la notion de produit mondial est sujette à caution : Danone, allié avec une firme US, n’a pas réussi à
imposer le yaourt glacé sur le marché européen en 1994. On peut aussi évoquer l’échec de la voiture
mondiale (cf. encadré)

La diversité des stratégies d’entreprises


Suzanne Berger, professeur au MIT, dans Made in Monde, a mené une enquête de terrain auprès
de 500 entreprises contestant l’idée reçue selon laquelle la mondialisation imposerait un modèle unique
d’entreprise. Les entreprises développent des stratégies diversifiées.
Le monde « Lego » : Dell : externalise presque tout sauf 4’30 d’assemblage final ; Cisco s’approvisionne
exclusivement auprès de fournisseurs contractuels comme Jabil ou Flextronics.
Sony produit tout lui-même alors que Samsung sous-traite pour avoir des prix plus bas.
Zara fabrique une grande partie de ses vêtements en Espagne (c’est plus cher que s’ils venaient de Chine
mais l’entreprise multiplie les nouveaux modèles en créant la mode) alors que Gap externalise ses
approvisionnements dans les pays émergents.

Les secrets de la méthode Zara


Zara, la marque leader du groupe ibérique Inditex, a bâti son succès sur une stratégie originale et offensive dans le
monde de la mode et du textile.
L’invention de la «fast fashion»
Coller à la demande des client(e)s. C’est le credo de Zara qui a construit toute son organisation autour de cette
obsession. «Nous pouvons créer une collection en quatre semaines, voir deux si le marché l’exige», explique
régulièrement Amancio Ortega. Au-delà des deux collections classiques annuelles, Zara renouvelle en permanence ses
modèles. Ses 200 stylistes en créent jusqu’à 30.000 par an ! Les commerciaux du quartier général à La Corogne sont
en liaison permanente avec d’autres sur le terrain qui recueillent les impressions, goûts, déceptions et attentes des
consommateurs. En fonction de ces critères, les produits sont repensés, améliorés, refabriqués… ou abandonnés. Autre
avantage : le renouvellement permanent incite les clients fidèles à visiter plus souvent les magasins de la marque.
Une logistique infaillible
Les magasins prennent commande deux fois par semaine des réassorts et sont livrés dès le lendemain en petite quantité.
En Europe, chacun est approvisionné en moins de 24 heures ; 12 heures de plus sont nécessaires pour les autres
destinations. Pour faire fonctionner un tel système, Inditex est un groupe exceptionnellement intégré et centralisé. 49 %
de la confection est d’ailleurs effectuée «à proximité» soit en Espagne, au Portugal, au Maroc. L’Asie ne pèse que 35 %
de la production, même si cette part risque de grossir avec l’expansion du groupe.
La conquête internationale
Pablo Isla a accéléré l’internationalisation du groupe avec l’ouverture en Chine de 120 boutiques dans 42 villes, ou
encore en Inde, à New Delhi, Bombay, Bangalore et Pune. Inditex a également identifié ses futures cibles : l’Afrique du
Sud et l’Amérique latine. Les ouvertures de magasins sont un moteur essentiel de la croissance de Zara. Un autre
pourrait bientôt être le lancement d’une marque de chaussures et d’accessoires.
Rattraper le retard sur Internet
Acheter sur Zara.com n’est possible que depuis septembre 2010. Inditex accuse donc un vrai retard sur le Web, qu’il
essaie de combler à marche forcée. De six pays au départ, la vente en ligne est désormais ouverte dans seize pays,
calqués sur ceux où la marque est déjà puissante. Le 7 septembre prochain, Zara.com misera gros sur ses débuts aux
États-Unis, puis ce sera le tour du Japon. Zara, dont la notoriété sur le Web est déjà faite, au vu de ses 9,7 millions de
fans sur Facebook, a pour ambition d’atteindre un chiffre d’affaires online de plus de 1,5 milliard d’euros annuel.
Le Figaro, 19 juillet 2011, page 24.

Pourquoi ces différences ? Héritages d’entreprise ou contexte national.


Absence de lien direct évident entre le coût salarial et le coût de fabrication. La majorité de la sous-traitance
se réalise en Occident (49% en Europe, 42% aux USA), 10% pour le reste du monde. Selon S. Berger,
l’importance du coût du travail dans le choix de délocalisation est généralement surestimée. La qualité de
l’infrastructure, l’abondance en ressources et en capital, une main d’œuvre qualifiée, le niveau de corruption,
etc., jouent un rôle plus important. C’est parce que certaines régions en Chine maîtrisent ces facteurs,
qu’elles attirent les investissements étrangers.
Par exemple, les Japonais délocalisent en Chine les produits à cycle long (micro-ondes, PlayStation
de Sony) et gardent au Japon les produits à cycle de vie court (portables sophistiqués).
De plus, quand des produits électroniques sont fabriqués en Chine, on estime que 85% des composants
proviennent des USA ou du Japon. Ex de l’iPod d’Apple : l’assemblage se fait en Chine mais tous les
composants électroniques sont importés.

Comment les FMN doivent-elles s’adapter à la mondialisation ?


Porter (1986) a opposé les FMN traditionnelles, organisées sur une base multidomestique en filiales
locales indépendantes, à une organisation mondialement intégrée.
Stratégie mondiale = produit standardisé pour exploiter les économies d’échelle
Stratégie multi territoriale = différenciation des produits afin de satisfaire les besoins locaux
En fait, cette opposition est simplificatrice. La FMN doit en permanence évaluer les termes de l’arbitrage
entre standardisation et différenciation. L’objectif d’une firme mondiale est de concilier les gains de la
stratégie d’exportation de biens standardisés et la stratégie multidomestique pour adapter son offre aux
spécificités locales. Par ailleurs, la firme soit assurer sa cohésion, notamment en faisant circuler les
informations, l’innovation, les pratiques les plus efficaces, assumer ses responsabilités en matière de
financement et de R&D.
Perlmutter distinguait déjà en 1965 les firmes ethnocentriques qui gardent la base nationale de la
maison mère, polycentriques qui admettent la souveraineté de chaque filiale, et géocentriques qui sont
mondialement intégrées.
Ohmae souligne que la décomposition du centre unique de l’entreprise en plusieurs centres
régionaux devient un des éléments de la compétitivité. La firme doit gérer sa production locale dans chaque
lieu de ses implantations, développer un réseau de sous-traitance et coordonner l’ensemble avec les autres
sites de production et de commercialisation. On rentre dans la « glocalisation », la firme s’adapte à la fois
au global et au local. Avec la constitution de blocs commerciaux régionaux, l’aspect local s’entend de plus
en plus sur un plan régional et permet de produire sur un grand marché libre d’entraves douanières.
Exemple de Sony en Europe dont l’objectif a été de créer une infrastructure largement autosuffisante et
relativement autonome et qui a mis en place une division des tâches ente les différents sites de production
situés en Europe et une organisation managériale de plus en plus intégrée sur une base continentale.
La FMN peut agir selon plusieurs logiques : répartir la production sur son réseau mondial, élaborer
des produits pour le marché local, réaliser un bien final mondial. Par exemple, Nestlé sert de nombreux
marchés locaux en dupliquant dans chaque pays des produits déjà élaborés dans leur pays d’origine. Intel
fragmente sa production de semi-conducteurs en possédant des centres de recherche aux Etats-Unis, des
unités de fabrication en Irlande et en Israël, des unités d’assemblage au Costa Rica et aux Philippines.

Conclusion : Commerce international ou commerce mondial ?


Quand on parle des « échanges internationaux », le niveau d’analyse retenu est la nation. La
définition da la nation renvoie soit à la nation-firme pour les mercantilistes (la nation est vue comme un
centre de décision unique et le prince doit être un bon commerçant), soit à la nation-bloc de facteurs pour les
classiques et néoclassiques (la nation est le lieu de l’immobilité des facteurs) ou encore la nation-système
économique et social (la nation possède une unité politique, économique, sociale et culturelle).
Or cette conception est critiquable. D’une part, la mobilité des facteurs à l’échelle internationale a
augmenté. D’autre part, les échanges se font entre personnes ou entreprises, entre producteurs et
consommateurs ; les véritables acteurs du commerce international sont les firmes, ce sont elles qui prennent
les décisions d’exporter, d’importer. Ainsi le concept de commerce mondial serait plus adéquat.
Le commerce n’est international que parce que le douanier l’arrête. Laissons la parole à Turgot pour
conclure : « Quiconque n’oublie pas qu’il y a des Etats politiques séparés les uns des autres et constitués
diversement ne traitera jamais bien aucune question d’économie politique ».

Vous aimerez peut-être aussi