Dastur, Fran+žoise - D+ęconstruction Et Ph+ęnom+ęnologie
Dastur, Fran+žoise - D+ęconstruction Et Ph+ęnom+ęnologie
Dastur, Fran+žoise - D+ęconstruction Et Ph+ęnom+ęnologie
www .editions-hermann.fr
Déconstruction et phénoménologie
�
............
.. ........
Depuis 1876
ÜRIGINE DES TEXTES
Autres textes :
« Heidegger and Derrida: On play and difference», Epoché. A journal
for the History ofPhilosophy, USA, 1 996, p. 1 -23.
« Three Questions to Jacques Derrida», in A. B. Dallery et C.E. Scott
(dir.) , Ethics and Danger: Essays on Heidegger and Continental Thought,
USA, S UNY Press, 1 992, p. 25-4 1 .
« Derrida's reading o f Heidegger», in D . Dahlstrom (dir.), lnterpreting
Heidegger. Critical Essays, C am b ridge University Press, 2 0 1 1 ,
p. 273-2 9 8 .
AVANT-PROPOS
de sorte que tenter d'en donner une vue globale demeure difficile,
en dépit de sa remarquable unité thématique - une unité qu'on
n'attendait guère à vrai dire de l'auteur de La dissémination, lequel
n'a j amais cessé de critiquer de la manière la plus tranchante
l'idée même de rassemblement. En dépit de tous les nombreux
commentaires qui ont été consacrés, aussi bien en France qu'à
l'étranger, aux divers aspects de la pensée derridienne, il semble
que ce qui constitue son cœur même requiert encore d'être ques
tionné, et non pas seulement, comme ce fut souvent le cas, soit
violemment déprécié et rejeté, soit emphatiquement loué et admiré.
Dans la toute dernière interview qu'il a donné au j ournal
Le Monde le 19 août 2004, Derrida a lui-même soulevé la question
de la survivance de son œuvre. Voici ce qu'il affirmait à cet égard :
« J'ai le double sentiment que d'un côté, pour le dire en souriant
et immodestement, on n'a pas commencé à me lire, que s'il y a
certes, beaucoup de bons lecteurs (quelques dizaines au monde
peut-être) , au fond, c'est plus tard que tout cela a une chance
d'apparaître; mais bien aussi que, d'un autre côté, quinze j ours
ou un mois après ma mort, il ne restera plus rien. Sauf ce qui est
gardé par le dépôt légal en bibliothèque. Je vous le j ure, je crois
sincèrement et simultanément à ces deux hypothèses 1 • »
DERRIDA-HUSSERL
I
fiNITUDE ET RÉPÉTITION
CHEZ HussERL ET DERRIDA
***
12. Ibid., p. 227. Cf. E. Husserl, Méditations cartésiennes, Paris, Puf, coll.
« Épiméthée », 19 94, § 37, p. 1 24.
13. Ibid., p. 1 62. Cf. E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie
(Ideen I), trad. P. Ricœur, Paris, Gallimard, 1 950, § 8 1 , p. 275. Comme nous
le verrons par la suite, le caractère introductif des Ideen I trouve une explication
transcendantale et non seulement pédagogique dans l'inévitable nécessité de
partir de l'attitude naturelle.
14. Ibid., p. 1 2 1 .
1 5 . Ibid., p. 7.
1 6. Ibid., p. VIL Cf. aussi Le problème de la genèse, op. cit., p. 30.
17. Ibid., p. 17.
Finitude et répétition chez Husserl et Derrida 17
de rendre compte du fait que Derrida, dans une note de l' aver
tissement déjà mentionné, indique que son éloignement de la
phénoménologie et de la dialectique n'a jamais été sans remords,
remords dont on peut effectivement trouver la trace dans un
passage du texte qu'il consacre en 1966 à Artaud, où il est dit que
la dialectique, à condition qu'elle ne soit pas pensée à la lumière
d'un hégélianisme conventionnel, peut être comprise comme
« le mouvement indéfini de la finitude, de l'unité de la vie et de
la mort, de la différence, de la répétition originaire, c'est-à-dire
l'origine de la tragédie comme absence d'origine simple21 » .
Mais, parce que, a u contraire d e Hegel, Husserl n ' a pas été
capable de clarifier la « complication dialectique » de l 'origine,
qui provient du fait que le constitué, s'il doit être l'absolu, doit être
antérieur à la constitution elle-même en une essentielle différance
à l'égard de lui-même, il finit par refuser de voir que la philosophie
tire son origine d'une existence dont la finitude s'apparaît à elle
même: « Malgré l'immense révolution philosophique que Husse rl
a entreprise, il reste prisonnier d'une grande tradition classique:
celle qui réduit la finitude humaine à un accident de l'histoire,
à une "essence de l'homme", qui comprend la temporalité sur
le fond d'une éternité possible ou actuelle à laquelle il a pu ou
pourrait participer22• » De là vient la nécessité non seulement de
« dépasser » la philosophie mais d'entreprendre avec
elle « une explication radicale qui sera toute une conversion 23 ».
Il n'est par conséquent pas étonnant de voir que l'essai de 1954
se termine sur la citation des derniers mots que prononce Husserl
au moment de sa mort: « ] ustement maintenant que j'arrive au bout
et que tout est fini pour moi, je sais qu'il me faut tout reprendre
au commencement24• » Dans ce dernier aveu de Husserl, Derrida
la nécessité d'un nouveau commencement, de la conversion
du point de départ de l'analyse intentionnelle, lequel ne peut
***
6 1 . Ibid. , p. 1 70.
62. Sein und Zeit, op. cit., p. 208 .
63. Ibid.
64. Ceci est vrai aussi pour la phénoménologie heideggérienne qui donne
d'emblée à la réduction son sens « authentique », c'est-à-dire celui d'une re-conduc
tion des étants à l'être sans jamais voir dans la réduction une restriction à ce
« résidu » qu'est dans les Ideen I la sphère d'absolue apodicticité.
65. L 'origine de la géométrie, op. cit., p. 20.
66. Ibid., p. 53.
67. Ibid., p. 1 70.
68. Ibid., p. 58.
28 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
69. Voir Idées directrices, op. cit, § 1 24 et « La forme et le vouloir dire. Note
sur la phénoménologie du langage » ( 1 967) in Marges. De laphilosophie, op. cit.,
p. 1 8 5 sq. Voir aussi La voix et le phénomène, op. cit., p. 83.
70. L 'origine de la géométrie, op. cit. , p. 69.
7 1 . Merleau-Ponty cite déjà ce manuscrit dans la Phénoménologie de la
perception (Paris, Gallimard, 1 945, p. 208). L'importance de ce texte devient
plus grande dans la dernière période de la vie de Merleau-Ponty. Derrida cite
(L 'origine de la géométrie, op. cit. , p. 7 1 ) un passage du cours de Merleau-Ponty
de 1 9 5 1 « Sur la phénoménologie du langage » où L 'origine de la géométrie est
mentionnée (voir Signes, Paris, Gallimard 1 960, p. 1 06). Et en 1 959- 1 960,
Merleau-Ponty donne un premier commentaire de ce texte dans son cours au
Collège de France sous le titre « Husserl aux limites de la phénoménologie »
(voir Résumés de cours, Paris, Gallimard, 1 968, p. 9 1 sq.) .
72. L 'origine de la géométrie, op. cit., p. 72.
73. Ibid., p. 83.
Finitude et répétition chez Husserl et Derrida 29
la métaphysique et Husserl, comme nous l'avons déjà vu, est considéré comme
ayant partagé avec Heidegger, sinon la pensée même de l'oubli de l'être, du moins
la pensée de l'occultation nécessaire du fondement dans son propre apparaître.
82. La voix et le phénomène, op. cit., p. 1 1 3.
83. L 'o rigine de la géométrie, op. cit. p. 1 50.
84. Ibid., p. 148.
8 5 . Ibid., p. 1 37. L'instauration de la géométrie n'est en effet rien d'autre
qu'un acte philosophique au sens où il implique la « réduction » de la facticité.
32 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
***
***
***
7. Ibid., p. 48.
8 . M. Merleau-Ponty en donne un premier commentaire dans son cours
du collège de France intitulé « Husserl aux limites de la phénoménologie »
(cf. M. Merleau-Ponty, Résumés de cours, Paris, Gallimard, 1 968, p. 1 57 sq.).
9. L 'o rigine de la géométrie, op. cit., p. 8 3 .
1 0 . Résumés de cours, op. cit., p. 1 66.
1 1 . J . Derrida, La voix et lephénomène, Paris, Puf, colL « Épiméthée » , 1 967,
p. 90-9 1 .
42 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
***
65. Ibid., p. 27 1 .
66. Ibid., p. 276.
La question de la présence 55
73. Ibid., p. 86. On pourrait aisément montrer que nous faisons l'expérience
du même phénomène aussi bien dans l'écriture que dans la lecture, du fait que
nous ne visons jamais de manière expresse l'« extériorité » sensible du graphisme
en tant que telle. Cela est vrai même dans le cas de la poésie, dans la mesure où
l'élément sensible, son ou écriture, n'est jamais considéré indépendamment de
son sens. Et cela reste valable pour une écriture non phonétique.
74. Ibid, p. 87.
75. L 'origine de la géométrie, op. cit., p. 84.
76. La voix et le phénomène, op. cit., p. 1 04.
77. Ibid., p. 96.
78. De la grammatologie, op. cit., p. 82.
La question de la présence 57
86. Ibid.
87. Ibid., p. 1 09 .
88. Ibid., p. 1 1 1 .
89. Voir le commentaire que donne Heidegger de ce poème dans Acheminement
vers la parole, op. cit. , p. 205 sq.
90. La voix et le phénomène, op. cit., p. 1 1 1.
La question de la présence 59
Les mots sont ici un moyen de dire une autre sorte de présence que
la présence objective : la présence des choses, qui ne sont pas des
objets, précisément parce qu'elles sont inséparables d'un monde
qui ne peut être décrit ; la présence de ce qui est absent, de ce qui
a été et de ce qui est à venir, qui ne peut être représenté de manière
objective ; la présence de l'être poétique lui-même qui, comme
Heidegger le soulignait, n'est pas déjà « mort », mais au contraire
continuellement en train de mourir91•
Pour Derrida, qui oppose de manière radicale la vie et la mort,
la présence et l'absence, nous sommes depuis toujours et pour
toujours exilés dans le labyrinthe de la représentation sans espoir
de pouvoir j amais en sortir pour accéder au « soleil de la présence » ;
c'est pourquoi, selon lui, nous ne parlons que « pour suppléer
l'éclat de la présence 92 » . S elon la vie doit constamment
composer avec la mort et n'est en tant que telle rien autre que
cette « économie de la mort » qui implique que « tout graphème est
d'essence testamentaire93 » . Mais la relation à la mort peut avoir
un autre sens, qui peut conduire à une autre attitude à l'égard de
l'absence que celle qui tente d'y « suppléer » . Car il est possible de
voir dans la mort, comme le fit Heidegger, l'écrin du rien en même
temps que l'abri l' être94• veut dire qu'en tant que mortels,
nous ne sommes ouverts à la venue en présence du monde que
parce que nous avons un rapport à cette radicale absence qu'est la
mort. Nous avons à la soutenir, non pas à y suppléer - nous avons
même à en témoigner en existant notre mortalité.
***
plus significatifs.
PARTIE II
DERRIDA-HUSSERL-HEIDEGGER
III
DÉCONSTRUCTION ET THÉOLOGIE
***
6. Ibid., p. 1 2.
7. Ibid., p. 209
8. Ibid., p. 1 85.
9 . E. H usserl, L 'o rigine de la géométrie, traduction et introduction par
J. Derrida, Paris, Puf, coll. « Épiméthée », 1 962, p. 1 6 1 .
l O . Ibid. , p . 1 64. C'est Jacques Derrida qui souligne.
1 1 . Cf. E. H usserl, Expérience et jugement, trad. D. Souche, Paris, P uf,
coll. « Épiméthée>>, 1 970, § 64 c, p. 3 1 5-3 16, où Husserl affirme que la supra
temporalité des objectivités d'entendement signifie omni-temporalité, laquelle
est bien un mode de la temporalité.
1 2. L 'origine de la géométrie, op. cit., p. 1 65 .
66 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
kantien 17 », cette idée d'un infini non pas actuel, mais d'un « à
l'infini » , c'est-à-dire de l'ouverture d'un horizon dans lequel tout
se donne comme pouvant être l'objet d'une détermination infinie,
Dieu apparaissant dans cette perspective comme l'ouverture et la
fin de l'histoire, son horizon. Il doit enfin et surtout être mis en
relation avec l'intersubjectivité, avec la communauté des monades,
Dieu ne pouvant pas être une monade absolue, mais le telos que
les monades posent elles-mêmes comme fin et valeur, Husserl
allant j usqu'à affirmer, dans un manuscrit que citait Derrida,
que « Dieu mourrait si tous les hommes mourraient ». Le cours
se concluait sur ces paroles du vieil Husserl rapportées par Edith
Stein : « La vie de l'homme n'est rien d'autre qu'un chemin vers
Dieu. J'ai tenté de parvenir au but sans la théologie, ses preuves
et ses méthodes ; en d'autres termes j'ai voulu atteindre Dieu sans
Dieu 18 » , paroles dans lesquelles Derrida voyait la reconnaissance
par H usserl d'une inséparabilité de la méthode et de la méta
physique, de l'infi n i et de l'intentionnalité.
***
***
6 4 . Ibid., p . 23
65. Ibid., p. 1 1 2.
66. Ibid., p. 1 04.
67. Ibid.
68. Ibid., p. 68.
69. M . Heidegger, « La fln de la philosophie et la tâche de la pensée », trad.
J. Beaufret et F. Fédier, Questions IV, op. cit. , p. 1 12 sq.
70. Ibid., p. 1 42.
Déconstruction et théologie 77
***
différance est fondée sur une conception du temps qui ne voit plus
en celui-ci l'horizon de l'être, comme c'est le cas pour Heidegger,
mais le « mode de l'au-delà de l'être », tel que le définit Levinas 1 1 •
Cette conception du temps comme dia-chronie, inadéquation et
non-coïncidence 1 2 constitue la base de la critique derridienne de
la conception husserlienne et heideggérienne du temps.
***
perçu est bien plus large que celle d'un « maintenant » ponctuel
puisqu'elle « compose continûment avec une non présence et une
non perception », c'est-à-dire avec la rétention de ce qui vient juste
de passer et la protention de ce qui est immédiatement à venir 1 4•
Cela signifie par conséquent que, pour Husserl lui-même, il y a
une altérité dans l'identité à soi du sujet, cette altérité originelle
étant précisément la condition de la présence et de la présentation,
puisque seule une conscience non instantanée peut être conscience
de quelque chose d'autre que soi. Il est possible d'être en accord
avec Derrida lorsqu'il souligne que la relation à la non présence
dans le présent vivant « détruit radicalement toute possibilité
d' une identité à soi dans la simplicité 1 5 ». Mais cela ne signifie
cependant pas, comme D errida l'affirme, qu'il n 'y ait pas de
différence entre rétention et représentation, souvenir primaire
et souvenir secondaire, et que le caractère représentatif du signe
et de l'indication puisse déjà être trouvé au sein de la relation
à soi du sujet. Car si c'était le cas, cela voudrait dire que nous
pouvons opposer perception et rétention tout comme perception et
protention comme s'il s'agissait de moments temporels différents,
ce qui impliquerait qu'il n'y a pas de continuité réelle entre eux,
en opposition à ce qu'en dit Husserl.
Derrida déclare certes qu'il ne veut pas « réduire l'abîme qui
la rétention et la représentation », mais cherche néanmoins
leur o rigine commune dans « la possibilité de la répétition en
général » , c'est-à-dire « la trace au sens le plus universel 1 6 ». Mais
afin de re-présenter quelque chose, la conscience doit bien déjà
être constituée, et cela n'est possible que sur la base de la rétention
et de la protention. Cela implique que rétention et protention ne
peuvent être considérées comme des « répétitions » du passé et du
futur que si le temps est considéré comme discontinu, c'est-à-dire
comme dia-chronie, si, en d'autres termes, cette altérité interne et
temporelle à soi qui constitue la conscience est comprise, comme
le fait Levinas, non pas comme « le fait d'un sujet isolé et seul »,
mais comme « la relation même du sujet avec autrui 1 7 » . Pour
Husserl au contraire, il n'y a pas d'instants distincts qui apparaî
traient sur la « ligne » du temps, comme on pourrait le croire à la
vue du diagramme qu'il donne du temps, mais une modification
continue de la même impression originaire, comme il l' explique
dans le § 1 1 de ses Leçons de 1 90 5 . Cette continuité, qui doit être
pensée comme un processus d' autodifférenciation, ne peut être
expliquée en termes de « différance » ou de « trace » , puisque pour
Derrida comme pour Levinas, la trace, qui est la différence elle
même, retient « l'autre comme autre dans le même 18 ». Pour Husserl
rétention, perception et protention ne sont j amais considérées
comme des éléments distincts du flux temporel de l'expérience,
lequel se modifie lui-même continuellement, alors que pour
Derrida, qui se situe ici dans le sillage de Levinas, l'altérité, c'est
à-dire l'extériorité 1 9, est précisément ce qui constitue la structure
diachronique de l'expérience qui ne peut jamais être totalisée. La
phénoménologie leur apparaît ainsi à tous deux comme un discours
relevant encore de la métaphysique traditionnelle du fait qu'elle
comprend le processus temporel comme une unité et une conti
nmte et, comme le souligne, ne parvient pas à expliquer
« l'après-coup » du devenir conscient d'un contenu inconscient qui
constitue « la structure de la qui est par tous
les textes de Freud 20 ». Comme il l' affirme dans sa conférence de
1 96 8 sur « La différance » , Freud a donné le nom d'« inconscient »
à une altérité radicale par rapport à tous les modes de présence,
de sorte que nous avons affaire, avec l'inconscient, avec un « passé
n'a jamais été présent et ne le sera jamais 2 1 », expression
***
39. Sein und Zeit, op. cit., § 8 1 , p. 42 1 . C'est Heidegger qui souligne.
40. Ibid., § 38 p. 1 76. C'est Heidegger qui souligne.
4 1 . Ibid., § 8 1 , p. 426. C'est H eidegger qui souligne.
42. Marges de la philosophie, op. cit., p. 53.
43. Ibid., p. 50.
44. Sein und Zeit, op. cit., § 38, p. 1 76 .
4 5 . Marges. D e la philosophie, op. cit., p . 74.
Temps, histoire et déconstruction 95
46. Ibid., p. 73 .
47. Ibid.
48. Ibid.
49. Ibid. , p. 73 .
96 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
***
59. Ibid., p. 8 1 .
60. Ibid.
6 1 . J. Derrida, Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl, Paris,
Puf, coll. « Épiméthée », 1 990, p. 226.
Temps, histoire et déconstruction 99
84. L 'o rigine de la géométrie, op. cit., p. 1 64. C'est Derrida qui souligne.
8 5 . E. H usserl, Expérience et jugement, trad. D. Souche, Paris, Puf, colL
« Épiméthée », 1 970, § 64 c, p. 3 1 2 sq.
86. L 'o rigine de la géométrie, op. cit., p. 1 65 .
8 7. Je m'appuie dans c e qui suit s u r les notes que j'avais prises d e c e cours
de 1 962-1 963 auquel, étant alors étudiante à la Sorbonne, j'avais assisté.
1 04 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
***
7
ce mot d'origine hébraïque 1 0 , donnant ainsi une prééminence à
une conception historique particulière du temps et de l'histoire.
Une dernière question, et la plus diffi cile, se poserait alors :
comment une pensée de la déconstruction peut-elle finalement
se référer à l'indéconstructibilité de l'idée de j ustice qui demeure
1
toujours à venir 08 ?
DERRIDA-HEIDEGGER
v
QUESTION DE LA DIFFÉRENCE
***
rn l-.. t nn t i·,:,.
que dans le texte nelClt�g��erten
provient, selon lui, de la détermination insuffisante de la différence
en tant que différence o ntico-ontologique ou différence entre
l'être et l'étant, dans la mesure où l'être ne peut être pensé comme
présence que dans sa relation aux étants considérés eux-mêmes
comme des étants présents. La pensée de la différence, qui est
en elle-même le plus grand coup porté à la métaphysique de la
présence, n'en est ainsi pas moins, sous la forme de la différence
ontologique, le plus grand renforcement de la valeur de présence
36. Ibid. , Le mot « jeu », qui vient du latin jocus, est un terme hautement
polysémique : le Littré, souvent cité par Derrida, ne distingue pas moins de
trente-et-une significations différentes de ce mot.
37. L ëcriture et la dijflrence, op. cit., p. 426.
38. Cf. E. Husserl, L 'origine de la géométrie, introduction et traduction de
J. Derrida, Paris, Puf, coll. « Épiméthée », 1 962, p. 105.
La question de la dijjèrence 1 23
***
47. Cf. D. Cairns, Conversations avec Husserl et Pink, trad. J .-M. Mouillie,
Grenoble, Millon, 1 997, p. 1 68 .
4 8 . M. Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1 960, p . 29. Cf. également
Le visible et l'invisible, Paris, Gallimard, 1 964, p. 244 et 248 .
49. Conversations avec Husserl et Pink, op. cit., p. 97.
1 26 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
50. Cf. De la grammatologie, op. cit. , p. 1 42. C'est Derrida qui souligne.
5 1 . M. Heidegger, Lettre sur l'humanisme, trad. R. Munier, Paris, Aubier
Montaigne, p. 71 : « Le renversement d'une proposition métaphysique demeure
une p roposition métaphysique ». S oulignons que Derrida a reconnu dans
une interview donnée le 9 septembre 1 983 au Nouvel Observateur que Sartre
a joué pour lui un grand rôle et qu'il fut pour lui un « modèle qu'(il) a jugé
depuis néfaste et catastrophique, mais qu' (il) aime », à l'opposé, semble-t-il, de
Merleau-Ponty, dont il se contente de critiquer l'interprétation qu'il donne de
la conception husserlienne de l'histoire dans son Introduction à L 'origine de la
géométrie (op. cit., p. 1 1 6- 1 1 9) texte que Merleau-Ponty fut pourtant le premier
à commenter dans son avant-dernier cours ( 1 959-1 960) au Collège de France
(cf. M. Merleau-Ponty, Notes de cours sur « L'origine de la géométrie » de Husserl
suivi de Recherches sur la phénoménologie de Merleau-Ponty, R. Barbaras (dir.) ,
Paris, Puf, coll. « Épiméthée », 1 998) .
5 2 . Cf. M . Heidegger, « La fin d e l a philosophie et l a tâche d e l a pensée »
( 1 968) , trad. J ; Beaufret et F. Fédier, Questions IV, Paris, Gallimard, 1 976,
p. 123 sq.
53. Cf. Séminaire de Zahringen ( 1 973), Questions W, op. cit. , p. 339.
La question de la diffirence 1 27
plus que jamais à ce Fenster ins Absolute dont parle quelque part
Hegel. J'ai revécu alors, l'espace d'un éclair, d'autres scènes tout
aussi « réelles », celles de mes rares rencontres, dans les bois, avec
des renards étaient-ils plusieurs, ou était-ce toujours le même
qui fut aperçu à plusieurs reprises ? Souvent je ne perçus qu'un
éclair roux qui disparut aussitôt dans les fourrés, mais à deux ou
trois reprises, moments exceptionnels, je pus surprendre, avant
même que nos chiens, qui m'accompagnaient toujours dans mes
promenades en forêt, ne l'aient eux-mêmes déjà devinée, la bête
en arrêt, et croiser son regard, j uste avant que d'un bond elle ne
s'enfuie. La mer démontée, les hauts sommets alpins, la j ungle
indienne, ne sont jamais parvenus à me donner le sentiment du
sublime avec autant d'intensité que ce regard d'animal sauvage qui
m'ouvrait l'abîme insondable d'une vie non-humaine, à quelques
pas à peine de notre maison.
(Octobre 1989)
VI
***
***
et « a sa spécifique86 ».
La nature n'est donc pas « étale » , « plate » , elle n'est pas ce
« mur » sur le fond duquel les étants se présenteraient, mais elle
est au contraire, en tant que nature vivante, l'empiètement
réciproque des cercles de vie (Umringe) spécifiques à chacun
des êtres vivants 87, ce qui implique que les êtres vivants ne sont
nullement engagés dans une compétition commune dont l'enjeu
***
un rêve terrible, mais divin 138 » . C'est en effet parce que la réalité
est répétée dans l'idéal que Holderlin parle d'imitation artistique,
et c'est parce que la vie ne se comprend pas immédiatement elle
même comme créatrice qu'elle doit se répéter comme esprit afin
que la réalité devienne vraie réalité. Pourtant cette répétition
n'apparaît qu'après coup et c'est pourquoi Holderlin parle ici
de rêve, mais ce rêve est immanent à la réalité, il est son devenir
idéal et non pas quelque chose de transcendant et de séparé de
la vie ; il est « terrible » parce qu'il exige la dissolution constante
et complète de tous les dépôts ontiques dans lesquels la réalité
s'est cristallisée et « divin » parce que s'y annonce la dimension
sublime de la réalité. Il faudrait à cet égard rappeler que, dans
son cours de 1 929- 1 930, Heidegger interprète l'indifférenciation
propre à la quotidienneté, considère tout comme présence-
donnée au sens large comme « le sommeil » du Dasein dans son
rapport à l'étant 139•
***
PosTFACE
ne donne pas lieu à cela même qu' il differe 156• Ce dont il s'agit de
ne pas parler pour Derrida, c'est de la théologie négative, « sujet »
qu'il a sans cesse ajourné et avec lequel il lui faudra bien un j our
s'expliquer « directement », ce dont le titre même de sa conférence
montre pourtant l'impossibilité. J 'ai pour ma part repris ce titre
dans le cadre d'une zoologie, d'un discours sur l'animal, qui me
semble devoir suivre l'impossible « programme » de la théologie
négative, d'une théologie qui ne dit rien sur Dieu, qui ne parle
que p o ur com mander j ustement de ne pas en p arler. Si, de
manière peu élégante, j 'ai qualifié cette zoo-logie de « privative »,
c'est pour reprendre les termes mêmes de Heidegger qui affirme
que « l'ontologie de la vie s'accomplit sur la voie d'une interpré
tation privative 157 », mais aussi parce que j 'ai voulu donner tout
son poids à la notion aristotélicienne sterèsis, privatio, qui ne
se confond j ustement pas avec une simple négativité. Ce texte
rédigé entre octobre 1 989 et j uillet 1 99 1 er remis alors à Derrida,
n'a pas été le point de départ du dialogue que je souhaitais et est
pour cette raison demeuré alors non publié, bien que je l'aie par
la suite largement diffusé auprès de tous ceux, étudiants ou amis,
qui s'intéressent particulièrement à Heidegger, à Derrida ou à la
question de l'animalité, voire aux trois à la fois. C'est parce qu'il
a servi de base à une séance du séminaire Alter en avril 1 994 que
.UU<U'-HH-u� accepté de le sa version originale 1 58
dont j ' aimerais maintenant souligner quelques-uns des points
les plus importants à mes yeux.
De quoi est-il en effet question dans ce texte ? Il s'agit d'abord
et surtout de la question de l'animalité en tant que question
pour une pensée de la différance ou de la déconstruction
..__..._ ,, A U <U'--
1 69. GA 29/30, op. cit., § 50, p. 309, trad. fr. p . 3 1 1 . C'est Heidegger
qui souligne.
1 70. Voir à ce sujet mon article « La nature et le sacré chez Holderlin » ,
Philosophies de la nature, sous la direction d'Olivier Bloch, Paris, Publications de
la Sorbonne, 2000, p. 1 73- 1 83.
1 80 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
1 72. Cf. E. Kant, Critique de lafaculté dejuger, Paris, Vrin, 1 974, § 84, en
particulier la note 1 , p. 245.
1 73. Beitriige zur Philosophie, op. cit., § 1 22, p. 239.
1 82 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
1 82. Cf. « Bâtir habiter penser » in Essais et conférences, trad. A. Préau, Paris,
Gallimard, 1 95 8 , p. 1 8 1 : « Suivant un vieux mot de notre langue, rassem
blement se dit thing. »
1 83. Ibid., p. 1 93.
1 84. Sein und Zeit, op. cit., § 40, p. 1 89.
1 85 . Cf. « Bâtir, habiter, penser », Essais et conférences, op. cit., p. 1 87.
1 86. Ibid. , Cf. Sein und Zeit, op. cit., § 1 3, p. 60.
1 87. Sein und Zeit, op. cit., § 24, p. 1 1 1 .
1 88 . Cf. Psychè, op. cit., p. 6 1 6. Voir également J. Derrida, Spectres de Marx,
Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 1 993, p. 268, où il est question
de « la dis-location générale à laquelle notre temps est voué ».
Pour une zoologie «privative » 1 85
GESCHLECHT ET GEIST
3. Ibid., p. 9 1 .
4. Ibid, p. 1 39.
5 . E. Husserl, De l'o rigine de la géométrie, Introduction et traduction de
J . Derrida, Paris, Puf, coll. « Épiméthée », 1 962, p. 87.
6. ]. Derrida, De lagrammatologie, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1 967, p. 83.
Geschlecht et Geist 1 93
***
9. Ibid., p. 396.
10 . Cf. M. Heidegger, Metaphysische Anfongsgründe der Logik im Ausgang
von Leibniz, Francfort, Klostermann, GA 26, 1 9, § 10, p. 1 7 1 sq. Noté par la
suite GA 26.
1 1 . Ibid., p. 1 72.
Geschlecht et Geist 1 97
1 5 . GA 26, p. 1 73.
1 6. Psyché, op. cit., p. 406.
1 7. GA 26, p. 1 74.
Geschlecht et Geist 1 99
***
26. Ibid., p. 90. Il faut souligner que « elle montre » n'est pas dans le texte
allemand et a été ajouté par les traducteurs, qui s'appuient ainsi sur le fait que
zeichnen (dessiner) dérive de la même racine que Zeichen (signe) et zeigen (montrer) .
27. Psyché, op. cit., p. 424.
28. Qu 'appelle-t-on penser?, op. cit., p. 90.
29. Ibid.
30. Ibid., p. 89.
Geschlecht et Geist 203
***
44. Cf. F. Nietzsche, Pour une généalogie de la morale, trad. H. Albert, revue
par M. Sauret, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Classiques de la philosophie »,
1 990, Deuxième dissertation, § 1 3, p. 1 35 : « Tous les concepts où se résume
un long développement sémiotique échappe à une définition : n'est définissable
que ce qui n'a pas d'histoire. »
45. Voir l'article fameux de M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l'histoire »,
paru dans Hommage à jean Hyppolite, Paris, Puf, coll. « Épiméthée », 1 97 1 , où
il affirme : « Le généalogiste a besoin de l'histoire pour conjurer la chimère de
l'origine, un peu comme le bon philosophe a besoin du médecin pour conjurer
l'ombre de l'âme » (op. cit., p. 1 5 0) .
4 6 . Psyché, op. cit., p. 440-44 1 . Cf. M. Heidegger, « La parole dans l'élé
ment du poème », Acheminement vers la parole, trad. F. Fédier, Paris, Gallimard,
1 987, p. 39-83.
47. Ibid., p. 44 1 .
48. Voir, pour une analyse plus détaillée, F . Dastur, « Heidegger e t Trakl :
le site occidental et le voyage poétique », Noesis, no 7, mars 2004, p. 1 9-4 1 .
208 OÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
que le ienai grec qui signifie marcher, tout comme c'est le cas
de l'allemand jahr (année) , mot qui provient de la même racine
que gehen (marcher) . Se perdre dans le sacré, abandonner ainsi
la crispation dans l'isolement, la guerre des espèces, c'est parado
xalement se détacher (los-losen) et ce détachement de l'étranger le
conduit à glisser lentement, à disparaître en tant qu'individu isolé
dans la destruction hivernale, non pour s'y engloutir, mais pour,
passant par elle, accéder au soir, au crépuscule spirituel occidental.
C'est là ce que Heidegger lit dans une des strophes du long poème
« Helian », qui consonne avec ce vers de « Âme d'automne » qui dit :
« Le soir change sens et image » (Ab end wechselt Sinn und Bild).
Un tel soir est en effet le lieu d'une transfiguration (Verklarung),
autre mot souvent utilisé par Traki et qui s'oppose diamétralement
à la Verwesung, à la décomposition. Heidegger explique que le soir
a le pouvoir de changer sens et image parce qu'il change lui aussi,
parce qu'il n'est pas séparé du j our, pas plus que ne l'est la source
de l'onde qui en jaillit, mais parce qu'il est simplement le déclin
du jour, une inclinaison vers un nouveau commencement, celui
du voyage de l'étranger, de celui qui est toujours « en chemin »,
unterwegs, expression que l'on retrouve dans le titre du volume
dans lequel Heidegger a publié sa conférence. Le soir, l'Occident,
est donc le lieu d'un changement en abritant en lui le congé
au précédent règne du j our et l'année, ouvre la voie
d'un autre lever de l'astre, et d'une autre année.
Car l'ancienne espèce à laquelle l'étranger appartient est frappé
par une malédiction, qui n'est pas en elle-même la séparation des
Geschlechter, des espèces ou des sexes, mais plutôt leur dissension
ou leur discorde. Ce n'est pas, p récise en effet H eidegger, la
dualité elle-même des espèces qui est la malédiction, mais bien
leur dissension ou leur discorde, ce qui fait de la dualité une guerre
des espèces. La malédiction, c'est l'isolement, la Vereinzelungdes
espèces, leur séparation dans la guerre. Il y a donc une bonne et
une mauvaise manière de vivre l'individuation : la bonne « frappe »
(Schlag), c'est celle qui permet l'acceptation de la dualité des
espèces, ce qui est le cas de l'étranger qui, tout en séparant des
autres, de ceux qui demeurent p ris dans la guerre des espèces,
Geschlecht et Geist 211
***
56. Ibid., p. 80. C'est Beaufret qui traduit ici Geschlecht par « race ».
Geschlecht et Geist 215
57. Cf. E. Levinas, Totalité et infini, Paris, Le Livre de Poche, 2003, Préface,
p. 1 4 : « L'opposition à l'idée de totalité nous a frappé dans le Stern der Erlosung
de Franz Rosenzweig, trop souvent présent dans ce livre pour être cité. >>
58. Sans entrer dans le débat qui oppose la déconstruction à l'herméneutique
et Derrida à Gadan1er, il suffit de rappeler ici que ce qu'il s'agit en priorité de
déconstruire pour Derrida, c'est bien ce « tympan » qu'est la figure du cercle
herméneutique, en tant qu'il reprend en lui une idée maîtresse de la philosophie,
celle de l'« enveloppement » selon lequel « le tout est impliqué, s ur le mode
spéculatif de la réflexion et de l'expression, dans chaque partie » (Marges. De la
philosophie, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1 972, p. XIV) .
216 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
qui refuse l'idée d'une essence du langagé4• Si tout signe est une
marque et donc une re-marque puisqu'il n'est pas s'il
n'y a que du dérivé, non seulement aucune hiérarchisation n'est
possible, mais on ne peut plus penser l'histoire comme mouve
ment continu, à l'image du fleuve. La métaphore qui s'impose
id est plutôt celle, spatiale, du labyrinthe, déjà présente dans La
voix et le phénomène. Du coup, il n'y a plus ni passé ni avenir, et
l'idée même d'une destination est obsolète. Nous sommes dans
l'errance ou le nomadisme, errance que pourtant Heidegger a
lui-même évoqué comme situation fondamentale de l'homme
dans De l'essence de la vérité5• Mais surtout, c'est ce qu'il faut tout
particulièrement souligner, l'idée même de commencement, et
donc d' originarité, si chère à Heidegger, n'a plus de sens. N'est-ce
pas là une vision « négative » de l'histoire ? Derrida s'en défend, et
se veut un penseur de l'affirmation, comme Nietzsche. Mais ne
peut-on à son égard formuler le même soupçon que celui qu'il
formule à l'égard de H eidegger, à savoir que, de même qu'il est
difficile de penser une neutralité comme positive, il est difficile
de penser la répétition comme affirmative ?
***
ce qui se trouve au dehors, ce qui est externe. Car dans les langues
romanes, Derrida le rappelle, étranger en français, stranieri en
italien ou encore estrangeiro en portugais proviennent d' extraneus,
alors que le fremd allemand ne se réfère plus à l'opposition de
l'interne et de l'externe. Par la référence au sens originel ce mot
sous sa forme médiévalefram, Heidegger fait apparaître une autre
signification que celle de l'extériorité, celle de la marche en avant,
du détachement par rapport au passé et du rapport à un autre lieu
de destination. L'étranger est en chemin, mais cette marche n'est
pas une errance, encore moins un état de nomadisation, souligne
Derrida à la suite de Heidegger74• Car l'étranger suit un appel et, le
suivant, il se met en route vers ce qui lui est propre. Ce mouvement
vers le propre, vers le foyer (Heim), est un mouvement de retour,
non vers une « patrie » autrefois habitée et quittée, mais vers ce
qui est le plus matinal, le plus originaire, ce qui implique donc
paradoxalement que le mouvement de retour ne ramène pas là
où l'on était autrefois, mais demeure une aventure.
Derrida est attentif à tout cela et n'accuse ici ni Heidegger
ni Trakl de prôner un quelconque patriotisme ou nationalisme
du retour aux racines. Il n'en demeure pas moins qu'il conclut
que le recours au vieil allemand et au sens idiomatique de fram
a pour résultat un profo nd déplacement de la sémantique de
l'étranger et nous a éloignés du sens courant d'étranger qui est
le « non familier », aussi bien en allemand que dans nos langues
romanes. Le sens courant d'étranger auquel se réfère ici Derrida
provient l'opposition habituelle de l'intérieur et de l'extérieur,
de la maison et du dehors, qui permet précisément à ce penseur
de l'extériorité qu'est Levinas de voir dans l'autre ou l'étranger,
celui qui m'est extérieur, alors que Heidegger y verra plutôt celui
qui chemine et dit adieu. Il ne pense pas en effet l'étrangeté de
l'étranger à partir de son extériorité, de son état de séparation déjà
accomplie, mais à partir du mouvement par lequel il se sépare
des autres. Car ce qui est « chose étrange », ou « étrangeté », c'est
mis en rapport dans sa cosmologie pneuma (le souffle, le vent, l'air) et psychè
(le souffle, l'haleine).
83. Sein und Zeit, op. cit., § 43, p. 2 1 2 . C'est Heidegger qui souligne.
84. Acheminement vers la parole, op. cit., p. 69.
226 DÉCONSTRUCTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
Derrida note en effet que Heidegger, qui voit dans l'esprit ce qui
jette sur le chemin, et donc le mouvement même de déportation
hors de soi, nomme aussi Geist le rassemblement. Derrida met
ainsi l'accent sur le caractère paradoxal de ce que nous donne id
à penser Heidegger, à savoir une scission qui rassemble, au sens
où comme le disait déjà Schelling, pour qu'il y ait rassemblement,
unité, paix, douceur, amour, il faut que soit couru le risque de la
guerre, qu'il y ait division, déchirement, douleur.
Derrida conclut son texte en montrant que, selon lui, Heidegger
ouvre ici deux chemins de pensée. Le premier chemin conduirait
où, selon Heidegger, Trakl veut nous mener, vers un Occident
plus originaire que l'Occident platonico-chrétien et qui serait
en même temps hétérogène à toute la métaphysique, de même
qu'au christianisme et à son origine hébraïque. Heidegger dit
de cet Occident plus originaire qu'il est plus « prometteur » que
l'Occident platonico-chrétien 85 et Derrida y voit l'appel à un salut
ainsi proposé à l'homme occidental, que connote le mot retten86,
mot que Heidegger nous a cependant appris à entendre autre
ment, car il ne doit pas être pris en un sens sotériologique, mais
signifie originellement « libérer une chose, la laisser revenir à son
être propre87 ». Derrida exprime ses doutes au sujet de cette voie
que veut ouvrir Heidegger, car il lui semble impossible d'arracher
à la pensée chrétienne Geist88• C'est pourquoi il évoque
un deuxième chemin qui lui semble plus vraisemblable, mais
que Heidegger aurait sans aucun doute récusé, le « dernier dieu »
dont il parle dans les Beitriige étant au contraire présenté comme
DERRIDA-HUSSERL
DERRIDA-HUSSERL-HEIDEGGER
DERRIDA-HEIDEGGER
***
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................... 23 1
Dans la collection « Le Bel Aujourd'hui »
Dr CESARE Donatella, Grammaire des temps messianiques, traduit par Guy Deniau,
20 1 1 .
DoTORI Ricardo, L 'art et le jeu de l'existence, traduit de l'italien par Wasim Salman,
20 1 5 .
EDELMAN Bernard, Quand lesjuristes inventent le réel, 2007.
EscoUBAS Eliane, Questions heideggeriennes. Stimmung, logos, traduction, poésie,
20 1 0.
GoLDBLUM Sonia, Dialogue amoureux et dialogue religieux. Rosenzweig au prisme de
sa correspondance, 20 1 4.
GoLDSCHMIT Marc, L'écriture du messianique. La philosophie secrète de "Walter Ben
jamin, 20 1 O .
GRANEL Gérard, L' époque dénouée, Textes réunis, annotés e t préfacés par Élisabeth
Rigal, 20 1 2 .
GUIBAL, Francis, Figures de la pensée contemporaine. Éric Weil et Emmanuel Levinas
en contrastes, 20 1 5 .
HATEM Jad, Qui est la vérité?, 20 1 2 .
H I RT André, L' Écholalie, 20 1 1 .
- La Déhiscence du sens, 20 1 5 .
SFEZ, Gérald, Logiques du vif Lyotard en éclaireur, 20 1 6.
WEINSTEIN Mandelstam 20 1 1 .
- L 'Évolution totalitaire de l'Occident. Sacralitépolitique L 2 0 1 5.
WISMANN Les avatars du vide. Démocrite et lesfondements de l'atomisme, 20 1 0.
Achevé d'imprimer en mai 20 1 6
par l a Sté ACORT Europe
www.cogetefi.com
Imprimé en France