Synthèse Écriture
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Synthèse Écriture
Comme l'a souligné André Leroi-Gourhan, les premières écritures marquent un rythme plus qu'une
forme. Elles traduisent dans l'espace un mode de conceptualisation. Ces écritures dites primitives
ne sont pas qu'un décalque du phonétisme du langage parlé. En effet, on peut y voir un écrit
organisé, dont les rapports constants entre les figures d'animaux représentés sont mis en scène
dans une organisation topographique précise.
Vers 20 000, les graphismes sont déjà très répandus et évoluent pour atteindre, vers les 15 000,
une bonne maîtrise des signes notamment dans la gravure et la peinture rupestre. Les
représentations anthropomorphiques perdent tout caractère figuratif pour se déployer en symboles
abstraits témoignant d'une pensée à l'œuvre. Ces écritures sont alors façonnées à partir de
triangles, de carrés, de lignes et de points. A Lascaux on a trouvé les deux étapes : des animaux
très finement représentés et une série de signes abstraits.
Rouzel signale que d'étonnantes conjectures ont été émises pour résoudre ce qui demeure de
toute façon une énigme. Pourquoi ces premiers hommes, déjà très évolués, écrivaient-il ? Que
signifient leurs écrits ? Pour tenter de cerner l'énigme, l'auteur propose de faire appel à ceux qui se
sont penchés sur la naissance des processus psychiques. Sur ce point l'homme n'est guère
différent selon les âges de l'humanité. L'écriture, quel que soit son niveau d'élaboration, de
l'encoche sur le bois d'un animal aux signaux numérisés sur l'écran de l'ordinateur,
implique avant tout une capacité spécifique de l'espèce humaine : la symbolisation.
De cette excursion ans le temps, Rouzel retient la fonction fondatrice de l'écriture. L'écriture
fonde une communauté humaine, en dégageant en son centre la condition de la mise en
scène de la parole et du langage. L'écriture fait l'institution.
Pour comprendre les origines de la création des lettres alphabétiques, il faut remonter jusqu'à
4000 ans avant notre ère, à Sumer.
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Face à l'organisation et à l'administration que nécessites ces premières villes, le Mésopotamien se
doit rapidement de mettre au point une gestion adéquate et, par là-même, un moyen de
comptabiliser les denrées récoltées. C'est ainsi que, pour noter les listes de marchandises et
de stocks, l'écriture aurait été créée. Dans le Sud de la Mésopotamie, les Sumériens,
population nouvellement arrivée, semblent être à l'origine de l'écriture.
Les plus anciens documents se présentent sous la forme de petites tablettes d'argile ou de pierre
avec quelques dessins incisés de traits sommaires. Les scribes emploient d'une part des symboles
(le signe évoque autre chose que lui-même), d'autre part des images qui représentent le réel. Ces
« signes-mots » sont appelés des idéogrammes ou logogrammes. Les caractéristiques
grammaticales ne semblent pas exprimées.
Grâce à ce premier système facile d'utilisation, les scribes établissent une notation qui,
progressivement, dépassent la simple comptabilité.
L'évolution de l'écriture mésopotamienne s'étend sur presque mille ans et concerne autant les
signes eux-mêmes que le contenu des textes. La multiplication des textes à écrire et le recours
nécessaire à des signes simplifiés pour augmenter la rapidité du travail des scribes, requiert de
plus en plus l'usage des simples tablettes d'argile et d'un calame (poinçon). Les lignes courbes
sont remplacées par des traits « brisés dont la forme triangulaire caractéristique (<), souvent
prolongée par une ligne est assimilée à un clou ou à un coin (cuneus, en latin). C'est ainsi qu'on
parle d'écriture « cunéiforme » pour désigner cette première écriture, d'origine sumérienne.
Au départ les textes sont disposés en colonnes, à lire de haut en bas et de droite à gauche.
Par la suite, avec l'usage généralisé de l'écriture, celle-ci devient partiellement horizontale,
se lisant de gauche à droite. Les signes basculent vers la gauche, subissant eux aussi une
rotation de 90°.
Parallèlement, les scribes cherchent à réduire le
nombre de signes : des 1000 signes connus au
début de l'écriture sumérienne, il n'en reste
« plus que » 300 vers 2400 avant J.-C. cette
réduction peut s'expliquer si l'on considère
qu'un même logogramme peut servir à
transcrire des idées sémantiquement
proches. Ainsi, le signe simplifié du « pied »
peut être utilisé pour écrire les verbes
« marcher » ou « se tenir debout ».
Sur la masse des textes produits, 80% n'étaient pas destinés à être conservés à long terme : il
s'agit des inventaires de biens, des listes de mariage, des testaments, des contrats de vente...
20% des textes, en revanche, concernent des œuvres destinées à la mémoire collective, mises
par écrit avec un réel souci de conservation : il s'agit des traités politiques, des codes de lois, des textes
religieux et mythologiques, des prières et rituels, des récits héroïques et/ou historiques, des « fables », des écrits
scientifiques et techniques (traités de mathématique, de médecine, d'astronomie, d'élevage, etc). Ces textes sont,
le plus souvent, conservés sur des tablettes d'argile, mais les plus importants, comme les
codes de lois, sont écrits sur des supports en pierre.
Grâce à son fonctionnement ingénieux, le système écrit cunéiforme sert à noter les diverses
langues de l'Orient ancien, depuis le 4e millénaire avant J.-C. jusqu'au début de l'ère chrétienne.
C'est ainsi que des langues sémitiques* (babylonien, assyrien,...) et des langues indo-européennes
(hittite...) seront écrites en cunéiforme. Au 1er millénaire avant J.-C. des nomades araméens
entrent en Mésopotamie. Ils écrivent leur langue au moyen d'un alphabet linéaire. L'écriture
cunéiforme, complexe et réservée à un petit nombre de lettrés, va peu à peu régresser face à ce
système alphabétique. (voir alphabet araméen)
* Qui appartient à un groupe de langues d'Asie occidentale et d'Afrique présentant des caractères communs : par exemple les
racines des mots se composent de trois consonnes qui servent de support aux éléments vocaliques.
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3.2.2. Les hiéroglyphes égyptiens
Durant la seconde moitié du 4e millénaire avant J.-C., les Égyptiens élaborent leur propre système
d'écriture : le système hiéroglyphique. Le mot « hiéroglyphe » signifie « caractère sacré » (du
grec « ieros », sacré et « gluphein », graver).
Différent du fonctionnement écrit cunéiforme, il est comme lui : complexe et figuratif. Les signes
qui le composent sont des images, immédiatement reconnaissables, auxquelles le dessin
donne véritablement vie.
Les Égyptiens disent que c'est le dieu Thot qui a donné les « paroles divines » (sens du mot
égyptien désignant les hiéroglyphes) aux hommes. C'est pourquoi Thot est le dieu des scribes. Il
est représenté tantôt sous la forme d'un babouin, tantôt sous la forme d'un ibis ou d'un homme à
tête d'ibis. L'écriture égyptienne comprend des idéogrammes (du grec « idea » forme visible et
« gramma » lettre, ce mot désigne un signe graphique qui représente une idée, un concept. Ex : un dessin du soleil
signifiant non pas le soleil mais la chaleur) qui servent à exprimer directement les choses, par exemple
le
visage ou, par extension, des actions telles que voir, marcher, etc. Pour que la lecture soit claire, le
scribe indique souvent la fonction d'idéogramme d'un hiéroglyphe en rajoutant une barre verticale
signifiant l'unité.
Rapidement, des phonogrammes (signe graphique représentant un son) ont été créés au départ des
idéogrammes car toute réalité dessinée par un Égyptien correspond à un son à prononcer.
L'écriture égyptienne, comme certaines écritures sémitiques, ne note phonétiquement que les
consonnes. Ces phonogrammes peuvent avoir la valeur d'une, de deux ou de trois consonne(s).
Cette écriture compte aussi des signes qui peuvent servir de déterminatifs, qui ne se prononcent
pas et se placent à la fin d'un mot. Ils indiquent à quelle catégorie sémantique se rapporte le mot
utilisé. C'est ainsi que tous les termes concernant une construction par exemple, seront
déterminés, à la fin du mot, avec un signe qui exprime l'idée d'un emplacement clos. L'écriture
égyptienne est organisée en lignes ou en colonnes. Les mots sont inscrits les uns à la suite
des autres, sans signe de séparation ou de ponctuation. Le sens de la lecture est identifiable
si l'on tient compte de l'orientation des signes représentant des êtres animés qui regardent tantôt
vers la gauche, tantôt vers la droite.
L'écriture hiéroglyphique, par son caractère sacré, n'était pas accessible au commun des mortels.
De plus, elle s'accommodait mal d'une notation rapide. Aussi, dès le 3e millénaire avant J.-C.,
les scribes ont-ils utilisés une écriture cursive : le hiératique. Une majorité des signes sont notés
de manière de plus en plus simplifiée, linéaire et sont orientés vers la droite, en lignes
horizontales.
Vers 650 avant J.-C. apparaît une autre écriture cursive, le démotique, dans laquelle les signes
sont désormais liés les uns aux autres, au point que les dessins de départ ne sont plus
identifiables. Employé pour la plupart des documents de la vie quotidienne, le démotique
devient rapidement l'écriture la plus utilisée en Egypte.
Le scribe égyptien écrit sur des feuilles de papyrus, mais aussi sur du bois, du tissu, du cuir ; il
emploie un calame trempé dans deux encres différentes (noire et rouge) pour différencier les titres,
les en-têtes et les débuts de chapitre.
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3.2.3. L'écriture chinoise
Les premiers témoignages écrits connus à ce jour remontent au 2e millénaire avant notre ère
(dynastie Shang, 1766 – 1122 avant J.-C.). Ils représentent un aboutissement tel que nous devons
envisager une longue période de formation de l'écriture chinoise qui nous est inconnue.
Le support de l'écriture archaïque est constitué soit de plastrons de carapaces de tortue, soit d'os
plats de bovidés sur lesquels les caractères étaient gravés à l'aide d'un poinçon. Environ 5000
caractères ont été identifiés sur ces documents et le sens d'une grande partie d'entre eux nous
est connu car dans leur principe et leur structure, ils sont fort proches de ceux utilisés
aujourd'hui.
Les textes rendent compte des séances de divination au cours desquelles le roi interrogeait aussi
bien sur l'issue des guerres que sur les perspectives des récoltes. Les questions étaient notées
par l'officiant sur une face et un fer rougi au feu leur était appliqué sur le revers, dans une cavité
préalablement creusée dans l'os. L'interprétation des craquelures dues à la chaleur donnait la
réponse à la question, qui était également consignée par écrit.
Certains caractères chinois archaïques sont de toute évidence des pictogrammes mais d'autres
semblent bien être des idéogrammes. L'évolution, partiellement due au changement de support et
de l'instrument d'écriture, se fait dans le sens d'une stylisation rendant difficile la restitution du
pictogramme originel.
Gravés ou coulés, les caractères sont généralement lus en colonnes (de droite à gauche). Ils
continuent d'évoluer au cours du 1er millénaire avant notre ère : plusieurs variantes sont possibles
pour un même caractère et sa position (verticale ou rabattue à 90°) peut varier elle aussi.
L'évolution se poursuit par le tracé des caractères au pinceau à l'encre noire, sur des lamelles de
bois ou de bambou préalablement traités, ou sur de la soie, jusqu'à l'apparition du papier au 1er
siècle de notre ère. Les caractères autrefois courbes et ondulants sont alors constitués de traits
horizontaux, verticaux ou obliques. A partir du 1er siècle de notre ère, ils se répandent dans
tous les pays influencés par la culture chinoise : le Vietnam, la Corée et le Japon. Ces pays
ne développeront leur propre système d'écriture que plus tard.
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3.3. Les premiers alphabets*
Les premiers témoignages d'écriture alphabétique datent au 15e siècle avant notre ère. Ils
proviennent de la péninsule du Sinaï (protosinaïtique) et de la bande côtière de la Syrie-Palestine
et du Liban (protocanéen et ougaritique).
Ces régions sont au cœur de grands réseaux commerciaux ce qui permet d'avancer l'idée
que l'alphabet est d'abord destiné à répondre aux besoins du commerce.
Ces premiers alphabets, composés à partir de signes empruntés aux systèmes hiéroglyphique
égyptien et cunéiforme mésopotamien ne notent que les consonnes. Mais ils en ont généré
d'autres progressivement, plus complets phonétiquement, en fonction de la langue qu'ils
transcrivent.
Ils se diffusent largement et deviennent, dès lors, le mode d'écriture privilégié. Si les motivations
commerciales semblent indéniables, on peut vraisemblablement leur ajouter des motifs
religieux : en effet, les religions du Livre (judaïsme, christianisme, islam) sont issues de sociétés
où l'on pratique l'écriture alphabétique. Le texte sacré ne doit-il pas être accessible à tous ?
L'alphabet protosinaïtique, qui présente une parenté graphique avec les hiéroglyphes, est un
système consonantique dont une dizaine de signes sont décryptés avec certitude sur une trentaine
recensés.
L'alphabet protocanéen, encore très mystérieux, est décrypté à partir d'une dizaine d'inscriptions
retrouvées en terre canéenne (Liban et Palestine) et datant de la première moitié du 2e millénaire
avant J.-C. On recense quelque 120 signes différents dont l'allure générale rappelle celle des
hiéroglyphes égyptiens.
L'alphabet ougaritique tire son nom de la ville d'Ougarit (Syrie actuelle) où l'on a exhumé des
milliers de tablettes d'argile datant du 2e millénaire avant J.-C. Les scribes d'Ougarit ont mis au
point un système alphabétique adapté à leur culture et à leur langue sémitique, en utilisant des
signes cunéiformes. On a retrouvé des textes mythologiques, rituels, administratifs et épistolaires.
L'adoption du système alphabétique, très pratique, par de nombreux peuples en assure la
diffusion. Cette nouvelle organisation de la trace écrite constitue une révolution
intellectuelle puisque l'humanité entre dans un système écrit abstrait : un nombre réduit de
signes transcrivent les sons d'une langue. Il n'existe plus de lien entre le sens du texte lu et son
apparence graphique.
Dès le 10e siècle avant notre ère, les Cananéens, baptisés Phéniciens par les Grecs, emploient
une écriture alphabétique consonantique composée de signes qui sont les ancêtres des
consonnes qui deviendront les nôtres.
Le mot alphabet, transmis du grec via le latin, est lui-même formé des deux premières
lettres de l'écriture alphabétique phénicienne : aleph (A / α) et beth (B / β).
* Système de signes graphiques (lettres) servant à la transcription des sons (consonnes et voyelles) d'une langue ; série des lettres
rangées dans un ordre traditionnel. Le syllabaire, lui, désigne une série de signes graphiques correspondant aux syllabes d'une
langue. Une syllabe est une unité phonétique fondamentale, un groupe de consonnes et/ou de voyelles qui se prononcent d'une
seule émission de voix.
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Composé de 22 lettres, l'alphabet phénicien est linéaire c'est-à-dire que le tracé des signes
présente des lignes droites ou courbes, dessinées à l'aide d'une plume ou d'un pinceau trempé
dans l'encre et se déplaçant sur une surface relativement plane, comme un papyrus ou un
ostracon (tesson céramique ou calcaire). Les inscriptions sont tracées en lignes horizontales, de
droite à gauche.
Cet alphabet est vraisemblablement employé pour des usages courants tels que la
correspondance ou des écrits commerciaux. Mais peu de documents nous sont parvenus. Il
semble que le phénicien, entièrement constitué au 5e siècle avant J.-C., n'ait pas survécu à
l'hébreu dans l'usage parlé. Remplacé par l'araméen au cours du 5e siècle avant notre ère, il aurait
continué à s'écrire au moins sur les monuments importants.
Selon Hérodote, c'est aux Phéniciens que les Grecs doivent ces signes qu'ils appellent
« phoinikeia grammata » (lettres phéniciennes). En fait, entre le 10e et le 8e siècle avant J.-C.,
grâce aux relations nouées par les marchands grecs et phéniciens sillonnant la mer Égée et la
Méditerranée orientale, les Grecs ont découvert l'alphabet et la commodité de son usage. Ils
se sont approprié non seulement le principe de cette écriture, mais aussi la forme et le nom
des lettres.
L'alphabet syriaque descend directement de l'araméen. C'est avant tout une écriture au
service du sacré, une écriture religieuse au service de la pensée chrétienne. Il note 22
phonèmes : 20 consonnes et 2 semi-voyelles.
L'alphabet arabe connaît ses prémices en Arabie dans le royaume des Lakhmides dès le 6e
siècle, dans les premières copies du Coran. La filiation directe de l'arabe semble être le syriaque.
L'alphabet arabe se compose de 28 phonèmes : 26 consonnes et 2 semi-voyelles mais ne dispose
que de 15 caractères. Neuf signes servent donc à transcrire plusieurs consonnes différenciées par
des points simples, doubles, triplés, suscrits ou souscrits. On appelle ces points des signes
diacritiques : point, accent ou cédilles, ils portent sur une lettre dont ils modifient la valeur. On les
trouvait déjà dans l'araméen, l'hébreu et le syriaque.
Notons que les alphabets hébreu et arabe ont une origine divine : l'Eternel le donne à Moïse en
même temps que les Tables de la Loi ; l'Archange Gabriel le transmet au Prophète Muhammad
dans la révélation coranique.
Le caractère sacré de l'écriture arabe (parole divine rendue visible) et le choix de ne pas
représenter les figures permettent à la calligraphie (littéralement « belle écriture ») de se
développer en un art à part entière. Dans la civilisation islamique, l'écrit prend une place
essentielle comme outil conduisant à la connaissance, toute connaissance menant à celle de Dieu.
* Les Araméens font partie des populations sémitiques nomades se sédentarisant progressivement à partir du 12e siècle avant J.-C.
au Proche-Orient et, plus particulièrement, dans la vallée de l'Euphrate. Installés en petits royaumes, leur ascension est
impressionnante mais ne dure que quelques siècles. Ils ont laissé peu de traces de leur civilisation à l'exception de leur langue et
de leur écriture, adoptées par d'autres peuples qui en ont ainsi assuré la continuité. L'araméen était la langue parlée par le Christ.
Employée couramment dans tout l'Empire romain, elle est comparable à l'anglais aujourd'hui. L'hébreu, quant à lui, était la langue
savante, parlée par une élite. Cet emploi simultané de deux langues ayant un statut social différent porte le nom de diglossie.
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3.6. L'alphabet grec
En Grèce continentale, les premières traces d'écriture
remontent à une période située entre le 16e et le 12e
siècle avant notre ère, correspondant à l'époque
mycénienne. Cette écriture syllabique est appelée
linéaire B parce qu'elle est ordonnée selon une ligne
tracée de gauche à droite et qu'elle fait référence au
linéaire A, écriture syllabique crétoise que les Grecs ont
adapté aux besoins de leur langue.
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Comme le phénicien il s'écrit de gauche à droite. Dans l'antiquité, il s'écrit toujours avec des lettres
capitales ; la minuscule n'est utilisée qu'au 9e siècle par les copistes. À l'époque classique, on ne
sépare pas les mots et on n'utilise ni ponctuation ni accentuation systématique. Séparation,
ponctuation et accentuation n'apparaissent qu'à l'époque byzantine (4e siècle).
Notons que le copte est une écriture mais aussi une langue, le dernier état de la langue
égyptienne.
En -332, Alexandre le Grand (-356 à -323) conquiert l'Egypte. Commence alors l'hellénisation du
pays qui se marque par l'apparition d'une double culture d'un point de vue linguistique : grecque
d'une part (dont l'écriture s'impose), égyptienne d'autre part (dont l'écriture hiéroglyphique
réservée à l'élite est inaccessible à la population).
Le copte se développe dans le contexte de l'évangélisation de l'Egypte au cours de laquelle
les évangélisateurs ont recours au système alphabétique grec pour vulgariser les textes de
l'Ancien Testament et des Evangiles. La tradition attribue l'évangélisation du pays à Saint Marc aux
environs de 40 de notre ère. Le christianisme se répandra surtout dès le 2e siècle.
La majeure partie de la littérature copte est consacrée à des thèmes religieux.
Dès 642, l'Egypte s'islamise et, entre cette date et 868, le pays est intégré à l'empire musulman.
La langue copte décline jusqu'à disparaître dans l'usage quotidien. Toutefois, son écriture est
demeurée vivace jusqu'à aujourd'hui où est elle réservée à un usage exclusivement liturgique.
* Ce terme vient probablement de l'arabe « gubti » égyptien, lui-même dérivé du grec « aiguptios » qui remonterait à « Hout-ka-
Ptah », le château du Ka de Ptah, nom égyptien attribué à un haut lieu religieux de la ville de Memphis.
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3.8. L'alphabet cyrillique
Au 9e siècle, Cyrille (827 – 869) et son frère
Méthode (825 – 885), tous deux nés à
Thessalonique, sont chargés de convertir les
Slaves, populations d'Europe centrale et
orientale, au christianisme.
Avant de pouvoir répandre les écrits bibliques
dans ces régions Cyrille crée, à partir du grec,
un nouvel alphabet qui permet de traduire les
sons des langues slaves. 44 lettres le
constituent. Au départ appelé glagolitique (de
glagol, le verbe), cet alphabet porte ensuite le
nom de son créateur.
De nos jours, il est couramment utilisé en
Russie, en Ukraine, en Serbie et en Bulgarie,
mais la Pologne, la Slovénie, la Tchéquie, la
Slovaquie, la Croatie et la Bosnie utilisent
l'alphabet latin, bien que toutes ces langues
aient la même origine slave.
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l'essentiel de dédicaces ou d'inscriptions funéraires.
Dans un premier temps, l'écriture est réservée aux aristocrates. Ensuite, comme en Grèce, elle se
diffusera dans d'autres couches de la population.
A l'inverse des Grecs et des Romains, les Etrusques écrivent de droite à gauche, mais il leur
arrivait aussi d'écrire en « boustrophédon » (du grec bous, le boeuf et strephein, tourner) : le texte
se lit alternativement de gauche à droite puis de droite à gauche, comme les sillons tracés par une
charrue dans les champs.
Ils écrivaient essentiellement sur du bronze, de l'ivoire, de l'argile, de l'or... en utilisant, selon les
supports, des points de métal, des pinceaux ou des calames et de l'encre.
Vers le 3e siècle avant J.-C., l'alphabet latin se fixe, avec dans un premier temps, 19 lettres. Durant
l'époque républicaine, il en comporte 21 et à l'époque impériale, 23. Certaines lettres utilisées par
les Grecs, mais pas par les Etrusques, sont réintroduites ou ajoutées par les Romains : le o, le f, le
g, le y, le x et le z. Les lettres changent de nom : l'alpha grec devient a.
Le latin primitif ressemble à l'Etrusque, il se lit de droite à gauche, mais progressivement, la forme
des caractères se modifie et l'écriture s'inverse.
Comme les Grecs, les Romains écrivent en utilisant des capitales pour les actes officiels et pour
les inscriptions sur pierre, gravés à l'aide du burin et du ciseau. Aux 1er et 2e siècles, l'écriture
lapidaire atteint sa perfection.
Ces capitales romaines ont donné naissance à des caractères manuscrits : l'écriture cursive
(toujours en majuscule). Cette dernière est une transformation de la lettre lapidaire (majuscule
gravée) car elle est dessinée au calame ou avec un stylet de métal sur des supports plus souples
(papyrus) ou plus courants (tablettes de cire, terre cuite, ostraca,...) Dès lors, l'écriture cursive
s'éloigne de l'écriture lapidaire.
La ponctuation est souvent élémentaire et se limite à des blancs et à des points placé à hauteur
différentes et qui peuvent indiquer l'abréviation d'un mot ou l'espace entre deux mots.
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Après la conquête romaine au 1er siècle avant notre ère, se produit progressivement un
amalgame des deux civilisations : l'alphabet latin est adopté par les élites gauloises puis
par la population et il se généralise peu à peu.
Ce processus ne s'est évidemment pas fait en une génération : il faut supposer que la
Gaule est passée par une période de bilinguisme qui a duré plusieurs siècles. Les habitants
des villes parlent plutôt le latin ; en revanche, ceux des campagnes et des petites
agglomérations restent attachés au gaulois.
Toutefois le latin est la langue de l'administration, de l'armée et de l'enseignement.
A la suite d'une évolution longue et complexe, la langue latine, perméables aux
langues des peuples conquis, a donné naissance aux différentes langues romanes
dont le français.
3.11. L'indo-européen
L'existence d'une langue indo-européenne remonte à la préhistoire de l'humanité. La préhistoire,
c'est rappelons le, la période qui se situe avant l'histoire, c'est-à-dire avant l'invention de l'écriture.
Autrement dit, il ne subsiste aucune trace écrite de cette langue. C'est donc une langue non
attestée, dont on a été amené à postuler l'existence pour expliquer toutes les convergences
étonnantes entre les langues de l'Antiquité, dans des régions fort diverses, en Europe et en Asie.
Cette langue a été reconstituée par les spécialistes, comme langue « mère », à partir de ses
« filles », par application de lois linguistiques aussi rigoureuses que possible. Évidemment, nul ne
peut être sur à 100% de l'exactitude. Cela ne signifie pourtant pas qu'il s'agisse d'une invention
pure et simple ! La méthode utilisée à la base est la méthode comparative, en tenant compte bien
sûr de l'aspect diachronique, c'est-à-dire des époques. On utilise également tous les
enseignements de l'archéologie pour situer et dater.
L'histoire même des peuples indo-européens fait l'objet de débats entre spécialistes, puisque les
théories traditionnelles sont actuellement remises en question.
La langue indo-européenne
Aperçu historique
La parenté des langues indo-européennes a été aperçue à la fin du 18e siècle avec la découverte
du sanskrit, langue sacrée de l'Inde, et elle a été démontrée au début du 19e siècle par Franz
Bopp, fondateur de la grammaire comparée.
En 1786, l'orientaliste William Jones, magistrat à la cour suprême de Calcutta, remarque la
présence de mots très proches de l'anglais dans des textes sanscrits provenant du 4e ou du 6e
siècle après J.-C. Par la suite, les études ont montré la parenté de la quasi-totalité des langues
européennes (sauf le basque, le finnois, l'estonien et le magyar), ainsi que du persan ou de l'hindi,
et quelques autres langues d'Asie. Parmi les langues mortes, on citera également le hittite et le
hourrite en Asie mineure, le tokharien près de la Chine, ainsi que les parlers celtiques, et bien sûr
le latin ou le grec ancien.
La parenté des langues est montrée par la conservation de racines correspondant à des réalités
stables. L'une des racines les plus caractéristiques est celle de roi : rex en latin, rix en gaulois
(Vercingétorix), raja en Inde. Elle est montrée aussi par des parentés morphologiques comme
dans les conjugaisons verbales ; ainsi, celle du verbe porter : I bear, thou bearest en vieil anglais ;
je porte, tu portes ; bharami, bharasi en sanskrit ; phero, phereis en grec ; fero, fers en latin ; biru,
biris en vieil haut allemand ; bera, berasi en vieux slave (on notera aussi la parenté des racines).
Langue
Voici les caractéristiques principales de la langue indo-européenne primitive ; on peut faire la
comparaison avec le grec ou le latin, qui conservent de nombreuses parentés morphologiques,
ainsi qu'avec les langues actuelles, où la morphologie se simplifie.
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Noms, adjectifs :
• système de déclinaisons, à 8 cas : nominatif, vocatif, accusatif, génitif, datif, locatif, ablatif,
instrumental = 2 de plus qu'en latin (survivance du locatif en latin)
• 3 nombres : singulier, duel, pluriel (comme en vieux russe)
• 3 genres grammaticaux : masculin, féminin, neutre (cf : latin)
Verbes :
• système de conjugaison, avec 3 nombres et 3 personnes, sans distinction des genres
(français : 2 nombres, 3 personnes)
• désinences pour marquer les temps (différentes pour présent / passé)
• expression des modalités : indicatif, subjonctif, optatif ; et différents aspects des temps
(comme la distinction entre l'imparfait et le passé simple [aoriste] : achevé / inachevé,
durée...)
Morphologie lexicale :
• construction des mots par dérivation : radicale + préfixe, suffixe (un grand nombre de
suffixes)
Prononciation :
• système d'accentuations ; les mots comportaient des accents, faisant varier la durée et la
force ; un accent par mot, sur le radical (pas sur un affixe ou une désinence) ; on avait donc
des alternances de syllabes accentuées (longues et fortes) et inaccentuées (brèves et
faibles) comme en grec ou en latin
• nous n'entrerons pas dans le détail du phonétisme, qui est le plus délicat à analyser, le plus
sujet à caution
• à côté des mots de base qui sont fléchis (nom, verbe), existence de mots-outils invariables
qui font penser, par exemple, à nos conjonctions
Sémantique lexicale :
• comme dans les langues actuelles, les relations entre la forme et le sens (signifiant /
signifié) sont complexes : homonymie, synonymie, etc. Existence de relations
métaphoriques (même mot pour soleil et oeil)
Il faut, pour conclure, faire quelques remarques sur la langue indo-européenne. D'abord, elle n'est
pas uniforme, il y a des variantes ; on peut supposer soit que plusieurs dialectes aient convergé
(polygenèse), soit qu'une langue unique ait divergé (monogenèse). Ensuite, sur le plan
diachronique aussi, on trouve plusieurs couches ; tout porte à croire que si on creuse, on trouvera,
comme dans une fouille archéologique, plusieurs niveaux chronologiques. Cela tend à démontrer
que l'indo-européen n'est pas un mélange venant d'un conglomérat de populations hétérogènes,
mais qu'il s'agit bien de la langue d'un peuple (monogenèse).
Théorie traditionnelle
Le schéma classique a été particulièrement développé par l'anthropologue français Georges
Dumézil et l'archéologue Marija Gimbutas.
Le hittite est l'une des premières langues identifiées, vers 2000 avant J.-C., suivi à l'est par l'indo-
iranien, qui a engendré le persan et l'hindi. A l'ouest, on trouve le grec dès l'époque mycénienne
(au 15e siècle avant J.-C.). On situe avant l'âge de fer (8e siècle avant J.-C.) la séparation des
langues italiques (latin, sabin, etc.) et des langues celtiques. Ce schéma classique correspond à la
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théorie de la migration d'un peuple. Il s'appuie sur la découverte d'une culture homogène, celle
d'un peuple issu des steppes de l'Asie centrale, dont on a des traces au 6e siècle avant J.-C.
La région d'origine s'étendrait entre l'Oural, la mer Caspienne et la mer Noire, dans un site dit des
kourganes, qui a donné son nom à la culture qui lui est liée : un kourgane (mot russe d'origine
turque) est un tumulus funéraire, une sépulture collective, contenant parfois des centaines de
corps.
De ce site seraient parties 3 vagues successives d'envahisseurs, vers l'Inde et l'Europe.
Il s'agirait des peuples guerriers, semi-nomades, dans une société très hiérarchisée dominée par
le chef de famille (le pater familias en latin). Ces peuples vont « rencontrer » les peuples dits de la
« vieille Europe » entre 4000 et 3000 avant J.-C. Rencontrer, cela signifie affronter, mais pas
seulement ; ils vont apporter une nouvelle culture, les deux cultures vont plus ou moins fusionner,
par exemple en ce qui concerne leurs mythologies. On peut opposer ces deux cultures par le
tableau suivant dû à l'archéologue Marija Gimbutas :
On a une idée de ces civilisations par les représentations qui nous en restent : par exemple, les
guerriers à cheval, avec des haches de combat, des poignards, etc.
On en a une idée aussi par le vocabulaire, en particulier celui qui exprime les liens familiaux, où
l'on voit que le vocabulaire de parenté est centré sur l'homme (le mari), et la parenté prime sur
l'alliance. La famille indo-européenne primitive est patrilatérale (la succession se fait du père au
fils), patrilocale (l'épousée vient s'établir chez le mari) ; l'unité se fait par les liens de parenté
masculins, et le chef est l'homme le plus âgé de la branche ainée. On retrouve une dominance du
même vocabulaire dans les langues latines, germaniques, indiennes, etc. qui ont suivi, en liaison
avec les mœurs des populations.
On tire aussi des enseignements du vocabulaire religieux, juridique et politique, qui montre
l'existence d'une institution royale disposant de prérogatives religieuses et juridiques.
Le lexique est riche aussi en noms d'animaux domestiques, mais pauvre en noms d'animaux
sauvages ou de plantes cultivées, ce qui montre qu'il s'agissait d'éleveurs et non d'agriculteurs.
En ce qui concerne la Gaule, l'installation des Celtes se serait faite au 1er millénaire avant J.-C.
(achevée vers -500).
Théorie nouvelle
D'autres chercheurs, comme l'orientaliste John Brough, contestent fortement le schéma classique,
en s'appuyant sur d'autres données archéologiques. John Brough a même tourné en dérision le
travail de Georges Dumézil en montrant que les prétendues valeurs originales de la civilisation
indo-européenne se retrouvaient par exemple dans la Bible. Or, ce dernier texte appartient à une
toute autre civilisation, la civilisation sémitique, liée à une autre famille de langues (hébreu, arabe).
De nombreuses données archéologiques semblent infirmer la thèse d'une migration d'un peuple
depuis l'Asie centrale. Selon Colin Renfrew, de l'Université de Cambridge, le foyer des langues
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indo-européennes ne se situerait pas au-dessus, mais en-dessous de la Mer Noire, à l'est de la
Turquie actuelle, et ce dès l'époque néolithique, vers 9000 avant J.-C. Le « moteur » de
l'expansion serait l'invention de l'agriculture et de l'élevage, dans ce qu'on appelle le Croissant
fertile. On sait en effet que le passage de l'état de chasseur-cueilleur à celui d'agriculteur-éleveur a
permis aux populations d'accroître fortement leurs effectifs. Cela aurait donc engendré une très
lente extension (quelques kilomètres à chaque génération), vers l'est et vers l'ouest. L'Europe
aurait été atteinte vers 7000 avant J.-C., les indo-européens déplaçant ou assimilant les peuples
non indo-européennes suivrait ainsi l'extension de l'agriculture et de l'élevage : 6000 avant J.-C.
dans l'ouest méditerranéen, 5400 en Europe centrale, 3000 en Europe de l'Ouest et du Nord.
Autre remise en question par voie de conséquence : celle du peuplement celte, situé vers -500, en
Gaule dans la théorie classique. Ce peuplement serait en fait bien antérieur. On observe en effet
des traces d'une culture pré-celtique homogène vers 2500 avant J.-C. dans une large zone qui va
de la Bretagne à l'Europe centrale. Elle se caractérise par une forme très particulière de poteries,
ce qu'on appelle les vases campaniformes, et ce aussi bien en Irlande qu'aux Pays-Bas, en
Espagne ou en Hongrie. La toponymie (les noms de lieux) confirme aussi cette hypothèse. Les
Proto-Celtes semblent bien avoir évolué tout seuls, sans qu'il soit question de migration ou
d'invasion. Vers 2500 avant J.-C., c'est l'âge du cuivre qui se généralise (alors que l'image
traditionnelle des Celtes est liée à celle du fer), on invente la roue à rayons, on utilise le cheval
comme animal de trait et comme symbole de pouvoir, les réseaux d'échanges se développent. A
l'époque du bronze moyen (1600 avant J.-C.), des entités territoriales se dessinent nettement, les
réseaux d'échanges se font beaucoup plus larges, dans un grand complexe culturel nord-alpin. Au
8e siècle avant J.-C., c'est l'âge du fer, et les Celtes redeviennent plus formes à l'image que nous
en avions.
On remarquera que dans cette hypothèse, la culture des mégalithes (Carnac, Stonehenge...) est
liée à celle des Proto-Celtes. La Bretagne peut se satisfaire de voir son histoire renouer avec sa
préhistoire.
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