La Réception de La Négritude Dans Les Pays Afro-Lusophones
La Réception de La Négritude Dans Les Pays Afro-Lusophones
La Réception de La Négritude Dans Les Pays Afro-Lusophones
Composition du jury :
2015
1
Remerciements
2
Je dédie cette soutenance à mon papa philosophe qui a rendu l’âme le 16
juin 2014.
3
Introduction
En tant que projet, la Négritude est en perpétuelle métamorphose,
elle se renouvelle et traverse toutes les frontières. Son éclosion semble
donner des réponses concernant le malaise existentiel de l’homme noir, son
rapport avec autrui et sa présence au monde. La Négritude serait-elle une
manière de refuser la dévaluation de l’espèce humaine, notamment celle des
peuples opprimés par le colonialisme de l’Occident ? Elle repose sur un
humanisme, d’une manière générale, et l’affirmation d’une singularité, en
particulier. Pour Aimé Césaire, la Négritude « c’est une manière de vivre
l’histoire dans l’histoire 1». Quant à Léopold Sedar Senghor, elle correspond
à « l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir 2». C’est pourquoi
il est utile de s’interroger sur ce concept inventé dans les années trente par
Aimée Césaire. Cela permettra de mieux aborder la réception de la
Négritude en Afrique lusophone.
1
Aimé Césaire, Césaire, Aimé. Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la
Négritude, Présence Africaine, Paris, 1955, (pour la présente 2004), p.82.
2
Senghor Léopold Sedar, Senghor, Léopold Sédar, Liberté III Négritude et Civilisation de
l’Universel, Paris, Seuil, 1974, p.90.
4
Dans cette perspective, il convient d’aborder Batouala, l’œuvre de
René Maran. L’ouvrage de René Maran nous sera d’un apport significatif,
puisqu’il marque les signes avant-coureurs de la Négritude et du roman
nègre. Dans ce cas, nous allons étudier la façon dont l’auteur met en
filigrane les facettes du colonialisme en Afrique. De même que nous
soulignerons la question de l’altérité et de la Négritude dans Batouala. Nous
parlerons également de l’importance des revues qui ont précédé le
mouvement de la Négritude, c’est-à-dire la revue du Monde noir, la revue
Légitime Défense. Nous discuterons, en outre, la contribution de
l’anthropologie à travers Leo Frobenius. Ceci indique qu’il serait difficile de
connaître les origines de la Négritude sans tenir compte de ces facteurs ou
de ces paramètres que nous venons d’évoquer plus haut.
1
Césaire, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine, Paris, 1983.
6
Pigments & Névralgie1, Hosties noires2, Chants d’ombre3, Ethiopiques4.
Bien entendu, il y aura des œuvres « secondaires » de ces mêmes auteurs et
d’autres ouvrages pour mieux étayer notre travail. En choisissant ces
œuvres, nous comptons montrer en quoi consiste la quête poétique des trois
auteurs de la Négritude. Cela revient à dire qu’il sera nécessaire d’analyser
l’action poétique de Césaire, Senghor et Damas.
1
Damas, Léon-Gontran, Pigments& Névralgie, Paris, Présence Africaine, 2005.
2
Senghor, Léopold Sédar, Hosties noires, Paris, Seuil, 1948.
3
Senghor, Sédar Léopold, Chants d’ombre, Paris, Seuil, 1945.
4
Senghor, Sédar Léopold, Ethiopiques, Paris, Seuil, 1956.
7
contre toutes les formes d’oppression, notamment celle de la colonisation ?
Pour répondre, il conviendra de s’orienter vers la réception de la Négritude
en Afrique lusophone. Il serait intéressant de voir comment la Négritude a-t-
elle inspiré la littérature luso-africaine.
1
Neto, Agostinho, Sagrada Esperança, Lisboa, Sá de Costa,1974.
2
Noémia de Sousa, Sangue negro, Moçambique, Associação dos Escritores de
Moçambique, 1988.
3
Craveirinha, José, Xigubu, Lisboa, Ed.70, 1980.
4
Craveirinha, José, Karingana ua Karingana, Lisboa, Caminho, 1999.
8
africains sont des militants ou des guerriers ayant combattu le colonialisme
par les armes et à travers leurs écrits poétiques. De même, cette réception de
la Négritude revêt des particularismes chez les poètes luso-africains. C’est
pourquoi leur regard sur la condition du colonisé et de l’homme noir nous
intéresse. Cela signifie que nous chercherons à analyser des poèmes dans
l’optique de comprendre leurs revendications.
9
tentent de construire un discours qui conduit à une libération humaine,
surtout celle des Noirs et des pays colonisés. C’est avec un lyrisme pointu
qu’ils revendiquent la liberté au sein des colonies d’Afrique lusophone.
Nous constaterons que cette revendication n’est pas seulement circonscrite à
l’espace luso-africain ; mais elle concerne aussi l’homme lui-même. Nous
nous intéresserons aux réflexions d’Amilcar Cabral ainsi que d’autres
auteurs pour mieux comprendre la résistance anticoloniale dans les colonies
portugaises d’Afrique.
1
Levinas, Emmanuel, Totalité et infini, Martinus Nijhoff, Livre de Poche Biblio essais
Paris, 1978, p.25.
2
Amossy Ruth, Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan, 1991, p. 21-27.
10
contestent les stéréotypes sur le noir dans leurs poèmes. De même qu’il sera
question de discuter la réhabilitation de l’image du colonisé et la
valorisation des cultures négro-africaines.
11
lusophone. Quelle perception avons-nous de la Négritude à travers nos
auteurs (Agostinho Neto, José Craveirinha et Noémia de Sousa)? Cela dit,
nous étudierons d’abord les réflexions et critiques des œuvres portées sur la
Négritude de quelques auteurs et intellectuels africains, en Europe et dans le
reste du monde.
1
Towa Marcien, Négritude ou servitude ? Yaoundé, Éditions Clé, 1971.
2
Irele, Abiola Francis, Négritude et Condition africaine, Paris, Karthala, 2008.
3
Adotevi, Stanislas Spero, Négritude et Négrologues, Paris, Le Castor Astral, 1998.
4
Diop, Cheikh Anta, Civilisation ou Barbarie, Présence Africaine, Paris, 1981.
5
Akinwande Pierre, Négritude et francophonie, paradoxes culturels et politiques, Paris,
Harmattan, 2011.
6
Jean Paul Sartre, Orphée noir, Préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et
malgache de langue française de Léopold Sedar Senghor, Paris, PUF, (1ière édition 1948) la
présente, 1985.
7
Jean Paul Sartre, Préface à l’Anthologie, op.,cit, p. xvii.
12
Si la Négritude renvoie aux peuples en souffrance et à la lutte pour
leur libération, elle est avant tout un combat pour une reconnaissance
identitaire. On le vérifiera aisément dans l’analyse des œuvres luso-
africaines que nous aurons à aborder. Alors, que revendiquent exactement
les voix de la Négritude dans l’espace luso-africain ? L’analyse des poèmes
révélera qu’ils exaltent la valeur humaine tout court et la dignité de
l’homme noir. Aussi, nous chercherons à démontrer si la poésie luso-
africaine exprime de l’humanisme.
Au moment où la Négritude battait son plein, la plupart des colonies
françaises étaient libérées. Mais les colonies africaines du Portugal étaient
encore sous domination. Par conséquent, on verra que la Négritude, à
travers les écrits des auteurs d’Afrique lusophone, donnera une importance
capitale à la libération des territoires. C’est tout le sens des luttes armées. Il
va sans dire que ce processus ne peut aboutir que si l’homme noir est
conscient de sa destinée. Cette dimension est par conséquent, fortement
marquée dans leurs poèmes.
Même si les convergences sont nombreuses entre les pionniers de la
Négritude et les poètes d’Afrique lusophone, il n’en demeure pas moins des
différences ou des particularismes. L’analyse qui va suivre nous permettra
de mieux appréhender cette problématique. La Négritude chez les poètes
luso-africains nous fait-elle l’éloge de condition humaine ? Incarne-t-elle un
enracinement et une ouverture? Nous prône-t-elle un appel à la fraternité?
De même, on peut donc se poser la question de savoir si la Négritude chez
les poètes luso-africains renvoie à la promesse du possible. Pour répondre à
toutes ces questions, nous essayerons d’analyser les poèmes d’Agostinho
Neto, José Craveirinha et Noémia de Sousa.
13
Première partie
Contexte historique du
mouvement de la Négritude
14
Les deux grandes guerres et la situation coloniale semblent favoriser
la manifestation des premiers signes de la Négritude. En effet, c’est dans ce
contexte historique complexe que nous remarquons une plus grande
manifestation de l’identité, c’est-à-dire la valorisation de soi ou la
conscience de soi.
1
Maran, René, Batouala, Paris, Magnard, 2002.
2
Senghor Léopold Sedar, Liberté5, Le dialogue des cultures, Paris, Seuil, 1995, p.15.
15
aborderons cette question dans le deuxième chapitre de la première partie
pour mieux analyser sa réception chez les poètes d’Afrique lusophone −
Agostinho Neto (Sagradra esperança), Néomia de Sousa (Sangue negro),
José Craveirinha (Xigubu et Karingana ua Karingana).
16
Chapitre I
La genèse du mouvement de la
négritude
1
Maran, René, op.cit.
17
A- Les antécédents
1
W.E.B. Du Bois, Âmes Noires, cité par Francis Abiola Irele in « négritude et condition
africaine », Paris, Karthala, 2008, p.30.
18
Unis. Ce furent des périodes au cours desquelles des Américains blancs
étaient presque condamnés à accepter la supériorité des blancs américains.
C’est pour cette raison que ce fragment constitue un moyen de protestation
visant à réhabiliter l’image de l’homme noir ; l’on sait que ce dernier fut
presque considéré comme un sous-homme durant très longtemps dans la
société américaine. Et, selon la formule de Margaret J. Butcher, le livre,
Âmes Noires est comme: « [la] Bible d’une école militante de protestation1».
Il est essentiel de souligner que Du Bois créa aussi la NAAPC 2(Association
pour la défense des hommes de couleur) et fonda la revue Crisis, pour
marquer les fondements d’une action politique capable d’infléchir l’opinion
du gouvernement américain. Ses écrits s’orientaient vers la promotion de la
conscience collective des Noirs américains, en mettant en exergue l’héritage
africain, ceci pour bâtir une assise culturelle reconnue dans la société
américaine. Il s’investit pour l’amélioration de la condition humaine des
Noirs. Cela apparaît clairement dans ce passage :
1
Margaret. J. Butcher cité par Lylian Kesteloot dans « Histoire de la littérature négro-
africaine », Paris, Karthala-AUF, 2004, p. 67.
2
Ibid., p.67.
19
raciale, à la solidarité raciale, à l’unité raciale afin de réaliser cette
humanité, mais désapprouver sévèrement l’inégalité dans leurs chances
de développement1.
1
W.E.B. Du Bois, Âmes Noires, cité par Francis Abiola Irele in « négritude et condition
africaine », Paris, Karthala, 2008, p.31.
2
Marcus Garvey, Philosophy and Opinions, cité par Francis Abiola Irele, op.cit., p.27.
20
pour la liberté. Pour Garvey, ces deux facteurs peuvent contribuer à lutter
contre les préjugés et bâtir un monde nouveau. Dans son combat, il
préconise un retour des populations noires américaines en Afrique. Ce qui
constitue donc une nouvelle rencontre dans la mesure où il voulait
réellement que les Noirs retournent en Afrique. Il semble clair que Marcus
Garvey réclame son héritage africain dans toute son intégralité. Et selon
Francis Abiola Irele1, c’est par le biais de la revalorisation de l’Afrique que
Garvey devient un précurseur important de la Négritude. Il est essentiel de
préciser que la littérature noire américaine est à l’origine le reflet d’un
malaise social profond vécu par la communauté noire. Il n’est pas étonnant
d’ailleurs que ce changement d’état d’âme coïncide avec l’émergence des
écrivains et poètes de la Négro-renaissance : Langston Hughes, Claude
McKay, Countee Cullen. Au prochain chapitre, nous analyserons quelques
écrits de ces auteurs, pour une meilleure approche de la Négritude. Pour
Lilyan Kesteloot, les romans et les poèmes de ces écrivains noirs américains
ont marqué l’esprit des étudiants africains et antillais:
1
Abiola Irele Francis, op.cit., p.27.
2
Kesteloot Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p.69.
21
Kesteloot rappelle de manière claire l’historique de la littérature
noire américaine. C’est pourquoi il est important d’analyser cette littérature
afin de comprendre dans quel contexte elle est parvenue à fonder un
renouveau aussi bien culturel que politique. C’est par cette approche que
nous pourrons comprendre son apport historique par rapport au mouvement
de la Négritude, comme l’indique Lilyan Kesteloot. Nous commencerons le
travail d’analyse de cette littérature à travers quelques extraits et poèmes de
l’œuvre de Langston Hughes. Par exemple, dans, Les grandes profondeurs
[The big sea] il exprime de manière subtile un malaise social dont souffre
son pays:
22
parlant) que les nègres eux-mêmes. En un mot, le nègre à cette époque,
faisait fureur1.
1
Langston Hughes, Les profondeurs [The big sea] cité par Lilyan Kestellot, Histoire de la
littérature négro-africaine, op.cit., p.69.
23
Mon âme s’est développée profondément comme les fleuves
À la Nouvelle-Orléans
1
Langston Hughes, The Langston Hughes Reader cité par Francis Abiola Irele, Négritude
et condition africaine, op.cit. , p.33.
24
refuge qui permet de libérer l’auteur dans les circonstances de la vie.
D’ailleurs, le choix du titre peut symboliser un espace, essentiellement
variant ; dans l’imaginaire du poète. En effet, depuis l’origine des temps, le
Noir est présent partout. Ces différents espaces confirment le fait que le
Noir a depuis longtemps sillonné le monde. C’est pourquoi Hughes semble
revendiquer l’antériorité de l’homme noir. Il souligne en même temps une
existence parsemée d’embûches : «J’ai bâti ma hutte près du Congo et il a
bercé mon sommeil ».
1
Hughes cité par Lilyian Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit. , p.73-
74.
26
En outre, le message poétique est surtout libérateur et plein de
sagesse, dans la mesure où le poète tente d’orienter l’homme vers un chemin
porteur d’humanité et de fraternité : « je suis le frère noir». Par ce biais,
Langston Hughes prétend préparer psychologiquement les consciences
aliénées pour permettre au Noir de s’émanciper davantage. L’analyse de la
Négritude dans le deuxième chapitre révèlera-t-elle qu’un tel combat a sans
doute inspiré Léopold Sédar Senghor, dans Chants d’ombre et Hosties1
noires, tout comme Aimé Césaire, dans Cahier d’un retour au pays natal2 et
Damas, dans Pigments& Névralgie3. Revenant au poème, nous constatons
que Hughes exprime une mission presque révolutionnaire. Nous entendons
par là que son engagement vise à rétablir une égalité et plus de considération
entre les hommes. C’est pourquoi la poésie de Langston Hughes peut être
considérée comme un témoignage sur la ségrégation raciale aux Etats-Unis.
D’ailleurs, le poème suivant révèle ce malaise social :
Et toutes les lunes sauvages et brûlantes des jungles brillent dans mon
âme.
1
Senghor, Léopold Sédar, Hosties noires, op.cit., 1948.
2
Césaire, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, op.cit., p.1983.
3
Damas, Léon-Gontran, Pigments& Névralgie, op.cit., 2005.
4
Langston Hughes cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.
cit., p.79.
27
poète tente de forger une société américaine qui reposerait sur une
dynamique d’équilibre sociale. Cela revient à dire que le poète souhaite
l’amélioration de sa condition humaine. Il semble donc que Hughes lance
par le biais de ce poème une révolte constructive, car il cherche à surpasser
l’aveuglement de la société américaine. C’est la raison pour laquelle nous
avons là une critique sociale réaliste mais surtout objective, dans la mesure
où elle dépasse les clivages sociaux. En d’autres termes, elle s’adresse à
toutes les couches sociales américaines. Cela signifierait que Langston
Hughes privilégie l’importance des valeurs humaines sur toute autre
considération. Nous constatons ainsi que dans la poésie de Langston
Hughes, il y a non seulement une volonté d’affirmation de soi mais aussi de
l’homme noir et de l’homme tout court. De la même manière, nous
rencontrons les mêmes préoccupations chez Countee Cullen qui se sert de sa
plume comme moyen de révolte.
28
Que chérirent mes pères, bosquets d’épices, canneliers,
1
Countee Cullen, Color, cité par Francis Abiola Irele, op. cit., p.32.
29
processus de maturation pour mieux être soi-même. De cette forme, son
passé réclamé aurait un aboutissement dans le poème et par le poème. Nous
voulons indiquer que le poète recrée et/ou renouvelle celui-ci de forme
dynamique. Cette évocation du passé africain paraît correspondre à une
double intentionnalité chez Countee Cullen. C’est-à-dire qu’il est à la fois
tourné vers lui-même et vers le monde, « l’Afrique qu’est ce que donc pour
moi ». Il nous semble pourtant important de penser, à la suite de l’analyse
de ces vers, que le poète tente de s’élever à une certaine universalité qui
désigne la valorisation de ses origines africaines. C’est là, sans aucun doute,
le premier geste marquant la conscience de sa quête identitaire.
Que des gens qui valent moins qu’eux tiennent leurs frères pour simple
poussière1
Nous avons des images poétiques qui expriment surtout une révolte.
Celle-ci est exprimée de manière plutôt directe pour suggérer à la fois la
souffrance morale et physique des noirs américains. A travers ces vers, nous
pouvons reconnaître, en effet, un signe de refus de la subordination tout
comme de l’asservissement. Ce fait nous amène à réfléchir sur ce qui motive
l’auteur, sur ce qui construit et sous-tend son combat, sa vision pour la
1
Countee Cullen, Color cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-
africaine, op.cit., p.73.
30
liberté. Cette réflexion nous semble pertinente car elle permet de mesurer
l’importance de la parole poétique dans la société. Face à une telle situation,
le verbe surgit comme une arme de résistance et un moyen de promouvoir le
chemin de la liberté chez l’homme : « nous ne supporterons pas toujours,
humbles et muet ».
Quels sont les caractères de cette poésie ? Elle est essentiellement non
sophistiquée, comme sa sœur l’africaine. Elle reste près du chant, elle est
faite pour être chantée ou dite, non pour être lue. D’où l’importance du
rythme. Rythme nègre, si despotique sous son aspect de liberté. D’où
l’importance de la musique, si difficile à rendre dans la traduction de
Toomer. D’où les caractères de l’image qui, rare ou pullulante, adhère
étroitement à l’idée ou au sentiment. D’où souvent la limpidité du texte,
car les mots sont restitués à leur pureté première, conservant leur pouvoir
paradisiaque. En un mot poésie de chair et de terre, pour parler comme
Hughes, poésie de paysan qui n’a pas rompu le contact avec les forces
telluriques ; et cela explique ce rythme cosmique, cette musique et cette
31
imagerie d’eau vive, de feuilles bruissantes, de battements d’ailes, de
scintillations d’étoiles.1
Il est clair que les auteurs noirs américains ont éveillé la conscience
des écrivains et poètes de la Négritude. Cet éveil a suscité une prise de
conscience importante chez les militants de la Négritude. Du reste, l’analyse
du précédent extrait permet de dire que Léopold Sédar Senghor manifeste
1
Senghor cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op. cit., p.80.
2
Senghor, Léopold Sédar, Liberté 3 Négritude et Civilisation de l’Universel, Paris, Seuil,
1974, p.24.
32
une grande fascination pour la littérature noire américaine, principalement
celle de la Négro-renaissance.
1
Claude Mackay Banjo cité par Lilyan Kesteloot, op.cit., p.69.
2
Ibid., p.70.
33
l’homme. C’est ce qui explique l’usage d’un discours contradictoire pour
répondre à toute sorte d’idéologie dominante. De la même manière, l’auteur
opte plutôt pour la reconnaissance de la différence entre les hommes :
l’altérité. De plus, c’est pour lui une manière de dépasser les clivages
culturels. Il est intéressant de noter que Claude Mackay s’inscrit aussi dans
une dynamique de sensibilisation comme mécanisme de défense de la cause
des Noirs, d’où la nécessité pour les Noirs américains de s’organiser
davantage, pour que la politique de la ségrégation raciale échoue. C’est dans
ce sens que leur combat aurait une signification nationale et mondiale.
Nous considérons que les écrits des auteurs noirs américains que
nous venons d’analyser révèlent un projet commun : la défense de l’identité
des Noirs et leur émancipation. Cette démarche nous fait penser aux
premiers échos de la Négritude en Amérique, dans la mesure où il s’agissait
de respect et de dignité, c’est-à-dire « ceux d’entre nous du moins qui se
respectent… ». Selon les propos de Lilyan Kesteloot, Banjo de Claude
Mackay fut le premier roman à poser le problème nègre avec ampleur et
lucidité : « Ce roman séduisit les Noirs de Paris par son style désinvolte, sa
chaleur humaine et la vérité de ses personnages ».1
[Ray] n’ignorait pas que son cas d’homme noir regardant le spectacle de
la vie civilisée était unique. Ce qu’il pouvait en rire ! Les Italiens contre
les Français, les Français contre les Anglo-Saxons, les Anglais contre les
Allemands, le Daily Mail hurlant comme un vigaro folle qu’il y avait
encore des Allemands qui pouvaient se saouler en Italie pendant que des
1
Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine op. cit., p.79
34
gentlemen anglais de mérite n’avaient même pas de quoi se remonter une
cave. Ah ! c’était une bien grande civilisation. Bien trop cocasse pour
qu’un sauvage puisse jamais y rencontrer de l’ennui.1
1
Mackay cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine
op.cit., p.74.
35
autochtones. Mackay critique de façon objective les méfaits de cette action
civilisatrice sur les pays colonisés. Il manifeste ses inquiétudes face aux
principes fondamentaux de la colonisation occidentale. N’est ce pas au nom
des valeurs occidentales que les cultures africaines furent probablement
anéanties ? Toute civilisation qui cherche à détruire systématiquement les
autres compromet sans nul doute la liberté des peuples.
Les intellectuels noirs américains voulaient que les livres écrits par des
nègres ne montrent que des nègres cultivés, bien propres et pas comiques
du tout. L’un deux écrivait à propos de mon livre dans la Tribune de
Philadelphie : « Il m’est tout à fait indifférent de savoir si chacun de ces
poèmes est une peinture vraie de la vie nègre. Pourquoi donner en
spectacle au public américain un portrait pareil des nègres ? Il suffit
amplement que les autres blancs décrivent en détail nos imperfections.
Nous ne devrions pas parler au public que de nos buts et de nos
aspirations les plus élevés ». Il me semblait que chez nous la vie de la
masse avait autant d’intérêt pour la littérature que celle des nègres plus
fortunés qui avaient pu obtenir un diplôme de l’une des universités du
Nord.1
1
Langston Hughes cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine op.
cit.,p.77.
36
crème intellectuelle noire américaine veut rompre avec la tradition et avec
les masses populaires pour adopter la civilisation blanche. Il soutient que
ces derniers copient l’image du Blanc américain de manière erronée. En
d’autres termes, ces intellectuels noirs aspirent à être comme des blancs.
C’est donc, un complexe d’infériorité à l’égard du Blanc. Ceci signifie que
l’intelligentsia noire ne semble plus être elle-même. Cela veut dire qu’elle
court le risque de perdre son authenticité, car sa démarche n’est pas
constructive, parce qu’elle refuse d’être ce qu’elle est. C’est-à-dire qu’elle
ne s’inspire pas des valeurs culturelles noires.
1
Mackay cité par Lilyan Kestelot, Histoire de la littérature négro-africaine op.cit., p.76.
2
Ibib., p.77.
37
l’homme Noir lui-même. Et si le Noir se dépersonnalise, il se condamne lui-
même. Voilà pourquoi ce passage de Hughes montre que toute tentative
d’assimilation à la culture ou à la civilisation des Blancs peut rendre
l’homme Noir aliéné. En clair, Langston Hughes affirme que c’est à ce
dernier d’être lui-même, afin d’être conscient de sa propre identité et de
pouvoir préserver sa personnalité. En un mot, Langston Hughes attache
beaucoup d’importance à la question de la conscience identitaire. Dans cette
même perspective, la prise de conscience de soi est un des piliers de la
pensée d’Aimé Césaire. C’est ce qui transparaît dans ce passage quand il
évoque les poètes de la Négro renaissance :
1
Césaire Aimé, Nègre je suis, nègre je resterai, Entretiens avec François Vergès, Paris,
Albin Michel, 2005, p.25-26.
38
une « révélation » significative. En ce sens, il se redécouvre en découvrant
la spécificité de la littérature noire américaine. Il est essentiel de souligner
qu’Aimé Césaire accorde d’une part, une importance capitale à la solidarité
entre les peuples noirs et, d’autre part, à la fierté d’être noir.
1
Césaire Aimé, op.cit., p.27-28.
39
même » chez l’auteur, exprimant une prise de conscience fondée sur sa
condition de Noir.
Par ailleurs, nous estimons que c’est nécessaire de revenir un peu sur
la pensée de ces auteurs noirs américains. Ainsi, nous envisageons de
40
donner suite à l’analyse de deux extraits de Claude Mackay tirés de Banjo1.
Claude Mackay montre dans sa quête d’authenticité et son questionnement
sur la situation des Noirs l’importance de préserver la personnalité de
l’homme Noir :
Par le biais de son ouvrage, Claude Mackay fait revivre avec lucidité
les moments qui caractérisent la vie de ses personnages, plus précisément
celle de Ray. L’extrait que nous avons mentionné trace l’itinéraire de ce
personnage à la fois perspicace et courageux. Ce qui est certain, c’est que
Ray retrouve son passé historique à travers un acte de mémoire. Nous
constatons que ce contact réel avec les Africains fait naître en lui une prise
de conscience de ses origines. Cela lui donne probablement de l’assurance
et de la confiance. Il se sent réhabilité du fond de son être – l’Afrique
devient indispensable chez ce personnage. Ce faisant, il y a là une sorte de
regard intérieur où le passé se dévoile chez lui. C’est aussi le point de départ
1
Cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p. 78.
2
Mackay Claude, op.cit., p.78.
41
d’une réhabilitation vitale qui prend forme par la reconnaissance de
l’Afrique. Par cette dynamique, l’auteur forge implicitement la redécouverte
des racines africaines qui correspondent à un sentiment d’appartenance
identitaire commun, en un mot, la Négritude au sens large du terme.
1
Banjo cité par Chevrier Jacques, Littérature Nègre, Paris, Armand Colin- Nouvelles
Editions Africaines, 1984, p.32-33.
42
D’ailleurs, l’analyse de l’extrait ci-dessus laisse percevoir qu’il y a
eu ce contact; cela apparaît à travers l’imaginaire du personnage Ray. Il
semble manifeste que le roman pose le problème des Noirs de manière
claire et lucide, dans la mesure où l’auteur y préconise la résistance contre la
culture occidentale:
Il lui apparaissait comme une injustice sociale que dans une société ayant
ses racines et ne prospérant que sur les principes de la lutte pour la vie et
la survivance du mieux adapté, un enfant noir doit être élevé selon le
même code de vertu que le Blanc…il apprend avec gravité la morale
d’une société qui, comme enfant et comme adulte, lui refuse toute place
légitime.1
1
Banjo cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p. 70.
43
résistance mais aussi crée des alternatives en vue de l’émancipation du
monde noir. Ceci démontre indéniablement que les écrits de l’auteur
constituent un éveil culturel, dans la mesure où il défend la personnalité des
Noirs.
1
Senghor cité par Chevrier Jacques, op.cit., p.33.
44
qui se profilait à l’horizon chez ces poètes. Par le biais de leurs poèmes, ils
abordaient la condition du Noir vivant en Amérique et aussi en Europe, ils
revendiquaient leurs origines africaines.
Cette poésie qui peut passer pour le type de celle que Valéry
appelle « lâche », « sans défense », écrite au seul rythme de la spontanéité
naïve, et à intersection précise du moi par le monde, laisse perler une
goutte de sang. Une goutte. Mais du sang (…) Là est sa valeur : d’être
ouverte sur l’homme tout entier. Ce que d’autres amènent à la poésie,
45
c’est de préférence le monde extérieur ou de l’homme la plus noble
partie, la fine fleur de la pensée ou du sentiment. Et ce qui préside la
discrimination du plus ou moins noble, c’est une peur de soi-même, une
capitulation de l’être devant le paraître, un refus d’assumer sa totale
nature. Mais le poète nègre ignore une telle faiblesse. Ce fond que les
autres dédaignent, c’est là même que constitue son trésor (…) Le nègre
de tous les jours, le nègre quotidien, dont toute une littérature a pour
mission de dénicher le grotesque, ou l’exotisme, il en fait un héros, il le
peint avec sérieux, passion, et la puissance limitée de son art réussit, par
un miracle d’amour, ce qui est refusé à des moyens plus considérables : à
suggérer jusqu’aux forces intimes qui commandent le destin. Créer un
monde, est-ce peu de chose ? Là ou s’étageait l’inhumanité exotique du
magasin de bric-à-brac, faire surgir un monde ! Et là où nous ne puisions
que la vision de grossiers pantins, recueillir une nouvelle manière de
souffrir, de mourir, de se résigner, en un mot de porter une certaine
charge d’homme.1
1
Aimé Césaire, dans la revue Tropiques, n°2, juillet 1941, p.41-42 cité par Lilyan
Kestellot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p. 80.
46
marquant en elle se trouve être son ouverture « sur l’homme tout entier ».
Cela était dit, les écrits des poètes de la Négro renaissance analysés plus
haut sont les signes avant-coureurs de la Négritude. En ce sens, la vision de
ces poètes est une matière à réflexion sur les rapports entre les hommes.
D’ailleurs, la force de cette littérature noire américaine se situe dans la
manière de décrire la confrontation entre opprimés et oppresseurs, sans
laisser transparaître des idées figées. Ce fragment d’Aimé Césaire indique le
contexte dans lequel la poésie de la Négro renaissance apparaissait. Cette
apparition est liée aux problèmes des Noirs sur le sol américain mais porte
également sur la situation des Noirs dans le monde. Sans doute, la
communauté de destin et une histoire commune les peuples noirs expliquent
cette caractéristique. Si nous constatons bien, Aimé Césaire révèle que la
littérature noire américaine décrit : « le quotidien du nègre ». En un mot,
elle évoque la situation assez complexe des Noirs. Mais nous reviendrons
plus largement sur la condition des Noirs dont les pionniers de la Négritude
se sont réappropriés à partir du deuxième chapitre.
47
2- Batouala ou l’énonciation de la Négritude
1
Une langue de l’ethnie Wolof qui est parlée au Sénégal.
2
Une langue de l’ethnie Malinké qui est parlée en Guinée (Conakry).
3
Une langue parlée au Cameroun.
4
Léopold Sédar Senghor « Hommage à René Maran », numéro spécial de Présence
africaine, 1965, cité par Jacques Chevrier, op.cit., p. 28.
48
africaine, en incorporant la vitalité des langues africaines dans la fluidité du
récit, selon Senghor. Bien entendu, ces éléments que nous venons d’analyser
plus haut semblent indiquer que Batouala de René Maran s’inscrit aussi
dans une dynamique qui pose le problème de l’altérité en plein contexte
colonial. Avec ce roman, l’Européen change sa vision réductrice sur les
traditions africaines. C’est pour cette raison que nous nous intéresserons au
contenu de l’œuvre ainsi qu’aux aspects déjà cités qui la fondent.
49
a- Portraits et dénonciation de la civilisation
Les blancs pestent contre la piqûre des moustiques. Celle des « fourous »
les irrite. Ils craignent les mouches-maçonnes. Ils ont peur de cette
écrevisse de terre qu’est « prakongo », le scorpion, qui vit, noir, annelé et
venimeux, parmi les toitures ruineuses, sous la pierraille ou au cœur des
décombres. En un mot, tout l’inquiète. Comme si un homme digne de ce
nom devait se soucier de tout ce qui vit, rampe ou s’agite autour de lui !
Les blancs, aha ! les blancs… N’affirmait-on pas que leurs pieds n’étaient
qu’une infection ? Quelle idée aussi que de les emboîter en des peaux
noires, blanches ou couleur de banane mûre ! Et s’il n’y avait encore que
leurs pieds à puer ! Lalala, mais tout leur corps transpirait une odeur de
cadavre ! On peut admettre, à la rigueur qu’on se protège les pieds de cuir
cousu. On évite ainsi de se les déchirer sur les dures arêtes des plateaux
de latérite. Mais se garantir les yeux de verres blancs ou noirs, ou couleur
de ciel, par beau temps, ou couleur de ventre de gendarme ! Mais se
couvrir la tête de petit paniers ou de calebasse d’espèce singulière, voilà,
N’Gakoura ! qui tourneboulait l’entendement.1
1
René Maran, op.cit., p. 42.
50
africaine − son déchirement moral et psychologique. D’ailleurs, l’extrait
exprime le point de vue de Batouala, qui ironise les mésaventures du
colonisateur. Il est intéressant de souligner qu’il y a une série de moqueries
adressées au colonisateur : «Quelle idée aussi que de les emboîter en des
peaux noires, blanches ou couleur de banane mûre », ou encore la manière
dont ils se protègent du soleil montre le côté mordant de cette moquerie. En
effet, les référents déployés dans ce long portrait du Blanc correspondent
bien à ceux de la culture de Batouala, démontrant ainsi le côté authentique
ou original de l’œuvre. Cela qui sous-tend d’ailleurs l’émergence d’une
littérature noire à travers la plume de René Maran. De là, la prise de
conscience de soi commence à se former davantage, puisque le colonisé
dans ce paragraphe de René Maram, constate que la présence du Blanc
empeste son milieu. En cela, il cherche à devenir le sujet de son histoire et
décrit quelques faiblesses du dominateur.
Il semble important de préciser que ce récit se passe au cœur de la
forêt vierge, milieu où se passe toute l’existence du grand chef Batouala.
Dans ce milieu naturel complexe, l’homme blanc fait l’objet de risée de la
part des autochtones dans la mesure où il ne semble pas maîtriser les secrets
de la brousse. Et le plus intéressant dans cette situation, c’est que son image
est décrite à travers un vocabulaire dépréciatif : «leur corps transpirait une
odeur de cadavre ! ». Cette connotation, sans nul doute, donne une image
négative de la présence du colonisateur sur le sol africain. De plus, le
narrateur met en contraste de façon nette, d’un côté l’Européen dans sa
volonté de domination et de l’autre, l’africain qui rejette cet intrus parfois de
façon violente.
Par ailleurs, ce portrait authentique du colonisateur dévoile les
rigueurs de l’administration coloniale française vis-à-vis des peuples
colonisés. De ce point de vue, Batouala est très révélateur des effets négatifs
du pouvoir colonial. Cela ne peut manquer de créer des conflits entre Blancs
et Noirs − dominants et dominés. Ce rapport de force ou ce duel occupe une
place prépondérante dans l’univers romanesque de l’auteur. Il permet
d’avoir une vision d’ensemble sur cette situation conflictuelle et son
exacerbation. C’est la raison pour laquelle aussi bien la voix du narrateur
51
que celle de Batouala attestent ce malaise. Les comportements négatifs du
colonisateur en terre africaine sont bien mis en relief. A ce titre, selon le
point de vue du narrateur, son portrait résume tout de même ses faiblesses,
ses inquiétudes face à l’adversité de la nature africaine. Cette description
peut paraître relativement exagérée, même si la voix du narrateur et celle de
Batouala décrivent de façon objective la colonisation. Nous notons qu’il y a
de l’audace chez Batouala, qui regarde et critique de manière impitoyable
les occupants. En outre, la description de l’espace physique révèle les
contrastes entre Européens et Africains. D’une part, les difficultés de
l’envahisseur qui peine à s’adapter en milieu africain ; d’autre part, Batouala
soucieux de sauvegarder les traditions africaines, se trouve bien implanté et
bénéficie d’une autorité réelle auprès des siens. De manière implicite, le
narrateur jette un regard négatif sur les conditions d’adaptation difficiles de
l’Européen. Ce dernier en arrive même à s’interroger sur les raisons de sa
présence en terre africaine. A l’opposé, il nous présente Batouala sous des
aspects plus élogieux. En tant que dépositaire et défenseur des traditions,
Batouala incarne la conscience noire, celui qui valorise en même temps
qu’il réhabilite les valeurs authentiques du monde noir, valeurs que le
pouvoir colonial cherche coûte que coûte à bafouer. Ceci est d’autant plus
intéressant, car ce duel de représentation nous permet maintenant de
comprendre et d’analyser le portrait de Batouala. C’est d’ailleurs grâce à ces
descriptions contrastées que nous saisissons mieux la force et l’importance
de ce personnage :
52
On renommait du reste sa force légendaire, d’un bout à l’autre du pays
des bandas1. Ses exploits, qu’ils fussent amoureux ou guerriers, son
habileté de vaillant chasseur et sa fougue se perpétuaient en une
atmosphère de prodige. Et quand Ipeu, la lune, gravitait parmi le ciel
planté d’étoiles, il n’était pas rare que l’on chantât les prouesses du grand
mokoundji Batouala jusque dans les plus lointains villages m’bis, dakpas,
dakaous (…)2
1
Pays de chasseurs au filet (tiré de la même œuvre), p.26.
2
René Maran, op.cit., p. 26.
53
identitaire important dans l’univers romanesque de René Maran. Bien
entendu, dans bien des cas, les défauts du peuple de Batouala sont relatés
dans l’ouvrage. Ainsi, notre propos consiste à analyser le point de vue de
Batouala et du narrateur sur le Blanc mais aussi celui du narrateur sur
Batouala et sur la condition des autochtones. De ce point de vue, le narrateur
et Batouala forment le couple narrateur-personnage.
René Maran, dans sa préface, tente de réfléchir de manière critique et
objective sur l’image négative des noirs qui circulerait de façon ambigüe.
Ce qu’il exprime présente une analogie avec l’analyse que nous venons de
réaliser plus haut. Nous le remarquons ainsi le passage suivant :
1
René Maran, op.cit., p.15.
54
premiers signes de la Négritude : «Car, si l’inintelligence caractérisait le
nègre, il n’y aurait que fort peu d’Européens».
Par son objectivité romanesque, l’auteur déconstruit les formes de
stéréotypes qui fragilisaient les rapports entre les Blancs et les Noirs en
Afrique Equatoriale Française. Ou encore, il tente d’éradiquer toute sorte de
comportement ou d’attitude qui pourrait avilir l’espèce humaine. Ainsi,
même étant fonctionnaire au sein du ministère des colonies à Oubangui
Chari, René Maran est un des premiers écrivains noirs à attaquer la façon
dont la France administrait ses colonies.
René Maran remet en cause la légitimité de la mission civilisatrice
occidentale. Pour l’auteur, l’imposition de la civilisation occidentale est
source de conflits. C’est pour cette raison qu’il réitère dans sa préface le
côté néfaste et sombre de la présence européenne en Afrique. Pour
comprendre le fond de cette question, il est indispensable d’analyser d’abord
les propos de l’auteur et, ensuite ceux des personnages. Comme témoin
oculaire, René Maran inaugure le procès de la mission civilisatrice
occidentale ; il déclare dans sa préface:
Après tout, s’ils crèvent de faim par milliers, comme des mouches, c’est
qu’on met en valeur leur pays. Ne disparaissent que ceux qui ne
s’adaptent pas à la civilisation.
1
René Maran, op.cit., p.17-20.
55
scandaleuses et asservissantes du système colonial. De même, il y a une
révolte à travers cet extrait, car l’auteur remet en question les fondements de
l’appareil colonial. De la même façon, nous pouvons dire que la révolte de
René Maran est humaniste, puisqu’il dénonce la déchirure du système social
africain en raison du colonialisme. Pour lui, les dangers qui menaçaient la
société africaine ne faisaient que commencer, vu que le pouvoir colonial ne
respectait pas les valeurs africaines. Face à cela, René Maran démystifie le
pouvoir colonial et milite en faveur du respect des peuples opprimés. C’est
un élément sur lequel il insiste particulièrement à travers ses personnages. Il
s’agit, pour l’auteur, de comprendre au regard de la distorsion que subissent
culturellement les peuples africains.
Il est à noter que, dans ce roman, René Maran transgresse la langue
française en y mêlant la langue des autochtones ainsi que leurs points de vue
et leur manière d’être. Ceci renvoie à la question l’altérité dont nous
parlerons plus loin. Il convient de dire que l’auteur ouvre une autre
alternative, car par le biais de son ouvrage, il marque un début réel dans
l’expression de la Négritude. Il suscite ainsi l’émergence d’une nouvelle
conscience, pour contester la prétendue supériorité de la culture occidentale
en Afrique, voire dans le monde. René Maran trace un des chemins de la
Négritude à partir même du titre de l’œuvre et de sa préface.
Il est important de souligner que la préface peut être désignée
comme un manifeste qui contient l’essentiel des choix esthétiques, moraux,
et politiques de l’auteur. Chez René Maran, les personnages ont conscience
de leur identité, ou du moins vont à sa quête, ils sont également dotés du
sens de la dignité. C’est pourquoi sa prose est à l’origine la manifestation
d’une expression littéraire, typiquement noire, que nous aborderons plus
loin avec les chantres de la Négritude.
D’ailleurs, pour mieux cerner cette problématique, il convient
d’analyser les personnages et leur univers marqué par les contacts forcés
avec la civilisation européenne. Nous constatons ainsi que l’œuvre de René
Maran rejette tout manque d’humanisme dans les relations humaines. Or,
dans le système véritablement imposé par les colonialistes blancs,
56
l’exploitation outrancière du nègre est érigée en règle absolue. Ce
phénomène est clairement exprimé dans le passage suivant :
Nous ne sommes que des chairs à impôt. Nous ne sommes que des bêtes
de portage. Des bêtes ? Même pas. Un chien ? Ils le nourrissent et
soignent leur cheval. Nous ? Nous sommes, pour eux, moins que ces
animaux, nous sommes plus bas que les plus bas. Ils nous crèvent
lentement. Une foule suant l’ivresse se pressait derrière la troupe
constituée par Batouala, les anciens, les chefs et leurs capitas. Il y a des
injures, des insultes. Batouala avait mille fois raison. On vivait heureux,
jadis, avant la venue des « boundjous ». Travailler peu, et pour soi,
manger, boire et dormir ; de loin en loin, des palabres sanglantes où l’on
arrachait le foie des morts pour manger leur courage et se l’incorporer-
tels étaient les seuls travaux des noirs, jadis, avant la venue des blancs. A
présent, les noirs n’étaient plus que des esclaves. Il n’y a rien à espérer
d’une race sans cœur. Car les « boundjous » n’avaient pas de cœur.
N’abandonnaient-ils pas les enfants qu’ils avaient aves les femmes
noires ? Se sachant fils de blancs, ces derniers, devenus grands, ne
daignaient même fréquenter les nègres.1
1
Maran René, op.cit., p.100.
57
celle de Batouala s’enchevêtrent : « Batouala avait mille fois raison. On
vivait heureux avant la venue des « boundjous.»1. Cela prouve qu’il y avait
un malaise social réel. D’ailleurs, le terme « boundjous» a un sens péjoratif
et exprime le regard négatif que les Africains portaient sur le colon. Cela se
comprend dès lors qu’on les forçait au travail. Batouala semble en outre
accuser la passivité de son peuple et les rivalités qui les ont fragilisées
devant les colons. A ses yeux, la civilisation occidentale leur est imposée,
provoquant la ruine de son peuple à tout point de vue, notamment au plan
économique et culturel. Par conséquent, Batouala ne se fait aucune illusion
sur le danger qui guette son peuple : « ils nous crèvent lentement »2. La
réalité coloniale révèle le manque de liberté des Africains. En vérité, elle se
traduit par l’exploitation de l’homme par l’homme.
René Maran apporte des éléments tout à fait nouveaux dans la façon
d’aborder la condition des dominés sous le régime colonial. C’est-à-dire, il
révèle le sentiment du colonisé face aux instances coloniales et les
traumatismes que celles-ci engendrent. On comprend donc pourquoi les
Africains sont amenés à proférer des insultes contre un système qui les
aliène et les étouffe : « il y eut des injures, des insultes ».3 D’ailleurs, le
signe de détresse de Batouala traduit la sévérité du régime de servage auquel
les Africains sont assujettis : « Nous ne sommes que des bêtes de portage4».
Force est d’admettre qu’une telle situation équivaut à la dénégation
de la vie humaine, parce que: « les boundjous n’avaient pas de cœur ». Le
fait d’effacer l’autre provoque une méfiance qui se lit à travers la voix de
Batouala. Les vicissitudes de l’administration coloniale conduisent à des
relations d’animosité entre colonisateur et colonisé. Cela constitue une des
caractéristiques de l’univers romanesque de René Maran. Ce fragment
donne l’impression que le narrateur partage l’indignation du grand chef
Batouala. Au cœur de cette indignation, se trouve une frustration liée à la
perte de l’espace vital et autre liée au manque de liberté. Cela porte
1
Ibid., p. 100.
2
Ibid.,100.
3
Ibid, p.100.
4
Ibid, p.100.
58
évidemment des entorses à l’existence du peuple de Batouala, car son sol est
occupé et il est réduit à payer des impôts obligatoires : « des chairs à
impôt ». Le roman met véritablement en exergue le drame intérieur de
Batouala quant à la souffrance de son peuple. Ainsi, de manière implicite,
Batouala s’inquiète du devenir de son peuple, car la civilisation européenne
en tant que phénomène nouveau, engendre une division sociale. Le
bouleversement conduit René Maran à mettre en doute la dimension
humaine d’une telle civilisation, à travers le personnage Batouala et analyse
donc les excès du régime colonial en Afrique francophone. Son ouvrage
pose le problème de la condition humaine, plus précisément celle de
l’homme Noir. Cette question est à rapprocher de celle des chantres de la
Négritude qui, eux aussi, convergent avec cette démarche. Ceci étant, René
Maran lance ainsi les signes avant-coureurs de la Négritude. C’est la raison
pour laquelle dans ce roman apparaissent plusieurs personnages ; mais tout
en dénonçant les méfaits du colonialisme. L’auteur ne manque pas
d’indiquer une manière plus humaine de traiter de l’Autre. Ces points
cruciaux de l’œuvre méritent une analyse particulière.
59
b- Reconnaissance du Noir ou de l’Autre dans Batouala
1
Ricœur Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p.368.
60
Dans ce passage, Ricœur soutient la thèse selon laquelle l’altérité
contient une dimension polysémique qui est aussi résultante d’une
perspective phénoménologique. On constate que c’est le « Même » dans sa
pluralité qui occasionne ou crée l’altérité. En ce sens, la saisie exacte de
l’altérité n’est pas limitée. D’ailleurs, dans le soi, il y a parfois une sorte de
contradiction durant la construction du soi. Ceci s’explique par la
simultanéité et la polyvalence du soi. Par conséquent, la dichotomie avec
« l’Autre » est presque impossible, dans la mesure où c’est cet autre du soi-
même qui est l’Autre. C’est-à-dire, le reflet du miroir qui n’est autre chose
que ce nous voyons en nous-mêmes. C’est plus exactement la perception de
l’Autre qui est en nous sous forme de va-et-vient ou d’interaction
vraisemblable. Ceci pour dire que l’altérité est une manière de reconnaître
de l’Autre, accepter sa différence. Or dans Batouala les colons ne
reconnaissent pas totalement les Africains. Ils rejettent leur personnalité en
tant qu’être humain et refoulent leurs valeurs. Ce regard de l’Autre nous
conduit à examiner maintenant le rapport ou la relation des deux mondes,
l’Afrique et l’Occident, apparemment opposés dans Batouala.
Il convient de voir de quelle manière s’opère le phénomène de
l’altérité chez René Maran dans le fragment que voici:
Depuis que nous les subissons, plus le droit de jouer quelque argent que
ce soit au « parata ». Plus le droit non plus de nous enivrer. Nos danses et
nos chants troublent leur sommeil. Les danses et les chants sont pourtant
toute notre vie. Nous dansons pour fêter Ipeu, la lune, ou pour célébrer
Lolo, le soleil. Nous dansons à propos de tout, à propos de rien, pour le
plaisir. Rien ne se fait ni se passe, que nous dansions aussitôt. Et nos
danses sont innombrables. Nous dansons la danse de l’eau de la terre et
61
de l’eau du ciel, la danse du feu, la danse du vent, la dans de la fourmi, la
danse de l’éléphant, la danse des arbres, la danse de feuilles, la danse des
étoiles, la danse de la terre de ce qui est dedans, toutes les danses, toutes
les danses. Ou, plutôt, mieux de dire que naguère nous les dansions
toutes. Car, pour ce qui est des jours que nous vivons, on nous les tolère
plus que rarement. Et encore nous faut-il payer une dîme au
Gouvernement ! Au fond, on obéirait bien aux « boundjous », sans même
songer à protester, s’ils étaient logiques avec eux-mêmes.1
1
René Maran, op.cit. , p.95-96.
62
rejeter l’Autre, car : « [il] est des jours que nous vivons, on nous les tolère
plus que rarement ». Batouala exprime la domination physique et
psychologique dont son peuple souffre. Il déplore l’attitude du colon dans la
conquête de l’espace du dominé, car celui-ci est souvent meurtri. Face à cet
état de fait, la reconnaissance du colonisé reste difficile. D’ailleurs, Batouala
évoque cette réalité à travers son discours, en affirmant que son peuple et le
colonisateur semblaient proches, mais en vérité ce n’était que d’apparence.
C’est également une manière implicite de dire qu’il existait une fascination
de l’autre mais, en même temps, un rejet face à l’Autre. Ce fait conduit à
l’aliénation culturelle ou à l’acculturation, dans la mesure où le peuple de
Batouala laisse ses propres valeurs pour adopter celle des colons. Cela est
provoqué par le fait de rejeter le colonisé et surtout de vivre sous un régime
imposé. A propos de ce rejet, il semble essentiel de recourir à la thèse du
sociologue Georges Balandier, qui analyse de manière lucide le fond de
cette question, quand il affirme:
1
Balandier Georges, "Il était une fois la colonie", in Histoire, n°69, 1984, p.3.
63
l’Autre. De la même manière, il implante les règles ou les codes de son
monde au détriment du dominé. En ce sens, « l’Autre » n’est pas reconnu
pour ce qu’il est. L’auteur montre que dans le contexte colonial, le colonisé
est un être parqué dans la mesure où il est isolé.
Son vécu reste presque insignifiant, du fait que ses droits lui sont
arrachés. Par ignorance, il est perçu comme un être sans intelligence :
« L’idéologie et l’imaginaire suppléent à la méconnaissance, tantôt
vulgairement avec l’imagerie de ‘‘sauvages’’ ». Ainsi le dominant agit sur
le dominé, de sorte que ce dernier perd son identité, comme c’est le cas chez
Batouala, obligé par le système de ne plus pouvoir exercer pleinement sa
tradition. C’est pourquoi l’analyse de Georges Balandier désigne les formes
de dénégation inhérentes à l’histoire coloniale. Au cours de ces rapports
imposés, le dominé obéissait relativement à tout, puisqu’il reste aliéné. Ce
n’est que plus tard, qu’il cherche à devenir le maître de son destin en
combattant corps et âme le colonisateur. Batouala de René Maran s’inscrit
dans cette démarche de contestation car il a pris conscience des rapports de
force entre colonisateurs et colonisés.
Donnant suite à l’analyse antérieure concernant l’altérité dans
Batouala, il semble fondamental de voir les aspects qui expriment les
blessures du personnage central de René Maran. Dans la quête de soi,
Batouala est attaché à ses racines ancestrales. C’est à travers son monde
qu’il parvient à retrouver la plénitude de son être. Toutefois, l’arrivée du
colonisateur marque ainsi le début de la non reconnaissance des coutumes
du peuple de Batouala – l’homme blanc refuse les valeurs des Noirs et vice-
versa. D’ailleurs, il semble que la manière d’être et de vivre pleinement sa
culture est devenue un avatar du système colonial. Cela signifie qu’il se voit
de plus en plus conditionné par le Blanc, « Nos danses et nos chants
troublent leur sommeil ». Difficulté comme on le voit donc en prenant
exemple sur l’interdit qui frappe un domaine vital, celui de la danse. C’est
parce qu’il perd non seulement sa liberté mais aussi les formes de célébrer
son existence à travers les danses multiples : « nos danses sont
innombrables.». L’on sait que celles-ci fondent la vitalité de son peuple.
Cela est d’autant plus important que ces danses renforcent sa manière d’être
64
et constituent un lien avec le monde qui l’entoure. Mais ce caractère sacré se
perd à cause du processus d’occidentalisation. C’est à partir de là, que la
question de l’altérité chez Batouala est compromise dès lors que la
domination étrangère ne reconnaît plus l’authenticité africaine.
Il semble que le devenir un Autre chez Batouala ou la manifestation
profonde de son être est liée à la variation de ses danses : « Nous dansons la
danse du feu, de l’éléphant, de la fourmi, la danse des feuilles, la danse des
arbres ». Cela porte à croire que ces danses lui permettent de se réconcilier
intimement et d’être en harmonie avec ses valeurs. Voilà pourquoi il est
profondément touché par ces bouleversements.
Sa préoccupation traduit l’importance de ses coutumes qui servent de
moyen de dialogue avec les esprits. L’interdiction de ces pratiques par le
colonisateur a provoqué chez lui une attitude circonspecte sur la
colonisation, et l’a amené à prendre conscience de la nécessité sauvegarder
ses valeurs, celles des Noirs. Ces rites représentent une sorte de thérapie
corporelle, un renouvellement de l’authenticité.
Il cherche à réhabiliter l’authenticité de son peuple et celle de
l’homme noir, d’autre part. Cela passe probablement par une critique contre
les rigueurs du système colonial : « Et encore nous faut-il payer la dîme au
Gouvernement ». Il exprime son indignation face à la machine coloniale.
Pour cette raison, il rejette le projet de domination que l’Autre veut lui
imposer. C’est en outre la question de la servitude qui apparaît dans ce
fragment de René Maran : « Au fond, on obéirait aux « boundjous », sans
même songer à protester, s’ils étaient plus logiques avec eux-mêmes ». Par
tolérance, par esprit de convivialité de l’homme noir ou si l’homme blanc
était raisonnable, les Africains auraient accepté de collaborer, semble nous
dire ce personnage. Autrement dit, si le dominant laissait le peuple de
Batouala vivre sa culture, il y aurait une possibilité de collaboration.
Dans le roman, l’univers colonial se révèle sous forme de diverses
facettes parmi lesquelles l’altérité occupe une place déterminante. Ce
phénomène permet d’apprécier la rencontre de deux mondes, africain et
occidental. C’est-à-dire deux mondes différents. La vision de René Maran
65
va au-delà des attentes. Il établit à travers son personnage principal une sorte
de bilan du drame colonial en Afrique. De même, il est important de
signaler que dans la représentation coloniale, l’auteur rompt avec la
littérature occidentale. Pour cette raison, il donne la parole aux autochtones,
l’exemple de Batouala pour formuler un point de vue sur l’envahisseur.
C’est en effet quelque chose de nouveau, l’emploi du mot « boundjous »
comme désignation péjorative de l’homme blanc en est la preuve et une
catégorisation de l’étranger dans le roman. Tout cela donne sans doute de
l’authenticité et de l’originalité à l’œuvre. Au fond, l’auteur rend compte de
la réalité coloniale en Afrique sans la travestir. Il dénonce également le
mépris du colonisateur à l’égard des traditions africaines, particulièrement
celles du peuple de Batouala. Ainsi les écrits de Renan Maran semblent
contenir à la fois une étape de la conscience de soi et un regard critique de la
part de l’Africain sur le dominant. C’est dans ce sursaut de prise de
conscience qu’on perçoit chez l’auteur des germes de la Négritude. C’est-à-
dire une volonté de ne pas accepter la négation des valeurs des Noirs et,
celle-ci est clairement incarnée par Batouala:
Que ne nous ont-ils pas promis, depuis que nous avons le malheur de les
connaître ! Vous nous remercierez plus tard, disaient-ils. C’est pour votre
bien que nous vous forçons à travailler.1
1
Maran René, op.cit., p.99.
66
ce bouleversement social, il adopte une réaction hostile. Sa voix révèle les
rapports assez complexes des deux mondes. Par exemple, l’exploitation
économique du régime colonial dont les Africains sont victimes.
Batouala, étant le témoin de sa propre histoire, rejette avec force le
paternalisme occidental qu’il qualifie de « méchanceté de boundjous.». Sa
voix virulente s’élève contre le système colonial implanté en Afrique
équatoriale française. Il y a là un appel conscient qui l’amène à rejeter
l’assujettissement. De la même manière, on note que le réveil brutal de
Batouala traduit sa volonté inébranlable de rompre avec ce système imposé.
C’est pourquoi les propos de Batouala et ceux du narrateur expriment de
manière lucide une volonté de libération de la part du dominé. Les
justifications de la colonisation ne semblent pas enthousiasmer Batouala
dans la mesure où son peuple souffre des abus de ce système. Dans ce
fragment, il crie contre le colonisateur qui ne reconnaît pas son statut d’être
humain. Il demeure donc le fer de lance de la contestation visant à
démasquer les fausses justifications de la domination étrangère : « je leur
reprocherai leur cruauté.». Dans sa révolte, il tente sauvegarder son
autonomie afin de pouvoir bannir l’oppresseur. Cette réaction nous renvoie
à la thèse de Jean Ziégler:
La thèse de Ziégler réunit sans doute les facteurs qui caractérisent les
fondements de la révolte de Batouala contre le colonisateur. Pour Ziégler, le
colonisé ne peut renaître de ses cendres qu’en agissant de manière ferme sur
le colonisateur. C'est-à-dire détruire l’image de ce dernier pour que le Noir
puisse exercer pleinement ses activités et jouir de sa liberté. Cela renvoie à
cet engagement volontaire que nous retrouvons chez Batouala, qui dénonce
1
Jean Ziégler, Sociologie de la nouvelle Afrique, cité par Rocher Guy, Introduction à la
sociologie générale n° 3 Le changement Social, Paris, Points, 1970, p.231.
67
la « rapacité » du système colonial. C’est à partir du refus des affres du
régime colonial que l’homme colonisé retrouve l’estime de soi, comme c’est
le cas chez Batouala. La résistance au colonialisme rend possible la conduite
libre de son existence face à l’adversité. Cela marque le début du regard de
soi plus valorisant face au colonisateur. Parvenu à ce point, il retrouve le
plaisir ou la volonté d’exister dans la mesure où il devient le sujet même qui
la suscite et l’envisage à travers ses actions anticoloniales.
Il est clair que l’œuvre de René Maran, à l’instar de celle des
écrivains de la Négro renaissance américaine est pionnière en ce qui
concerne l’expression de la Négritude. C’est aussi à travers la sensibilité de
Batouala qu’il nous dévoile les rapports ambigus entre colonisateurs et
colonisés. Ainsi, le roman de René Maran donne une résonance aux effets
néfastes du système colonial français en Afrique Equatoriale Française.
C’est dans l’ouvrage que l’homme noir et le colonisé tentent de mettre fin
au complexe d’infériorité vis-à-vis de l’homme blanc. Cette attitude est bien
incarnée dans le roman par Batouala lui-même, qui condamne les injustices
réservées à son peuple. Ce personnage permet d’avoir une idée précise sur
les réalités du milieu négro-africain. C’est-à-dire qu’il incarne des traits
caractéristiques de la psychologie africaine qui doit servir de référence aux
Noirs. Ce n’est rien d’autre qu’une prise de conscience de sa condition de
Noir renforcée par le souvenir et la fidélité sacrée à ses origines.
Cette thèse que soutient René Maran n’est pas fortuite dans la
mesure où elle vient de l’expérience douloureuse dont il fut témoin en
milieu colonial. Elle constitue surtout la toile de fond d’une nouvelle
littérature négro-africaine. Par conséquent, René Maran et les poètes de
Négro renaissance américaine ont représenté au plan littéraire une colère qui
bouillonnait dans l’âme des peuples noirs dans le monde. En effet, pour le
premier, il s’agissait de décrire la violence coloniale en Afrique Equatoriale
Française. Les seconds, regroupés autour d’un Mouvement à caractère
social et littéraire venu d’Harlem, dénonçaient le drame du Noir américain
et exprimaient la prise de conscience d’une identité noire. Ils étaient animés,
par une volonté de réhabiliter un long passé assombri par l’idéologie
esclavagiste. Le témoignage historique de l’œuvre de René Maran sur la
68
colonisation et celui des auteurs de la Negro renaissance sur la vie des
Américains noirs sont des signes avant-coureurs d’un combat ultérieur,
visant à sauvegarder les valeurs du monde noir, l’expression de la
Négritude. Nous remarquerons la même attitude que chez les intellectuels
Noirs en Europe et dans le monde. Mais parler du concept de Négritude
nous renvoie d’abord à un rappel préalable des vicissitudes de la
colonisation. Autrement dit, une réflexion sur la colonisation s’avère
nécessaire pour une meilleure connaissance de la Négritude dans le prochain
chapitre.
69
3- L’impact de la colonisation
1
Césaire Aimé. Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la Négritude, Paris,
Présence Africaine, 2004, p.23-24.
70
travers ce passage, il souligne la destruction des riches cultures et
civilisations africaines par une partie de l’Occident. Pour Césaire, le
colonisateur œuvre dans le but de réduire le colonisé en objet ou en chose :
« colonisation=chosification », depuis que les étrangers ont investi
l’Afrique. La « chosification » du colonisé par le colonisateur vise aussi à
faire table rase sur son histoire, sa culture entre autres.
Dans un tel contexte colonial, le non respect des droits humains
prend le dessus immanquablement. Cela renvoie à un monde où les préjugés
sont légitimés de manière presque systématique. Une telle remise en
question ne manque pas de susciter l’attention de Césaire. En effet, dans son
réquisitoire contre la colonisation occidentale, il soutient la thèse selon
laquelle la colonisation « déshumanise même l’homme le plus civilisé »1.
De la même manière, Georges Balandier2 souligne que la période coloniale
en Afrique a modifié de manière dramatique les structures sociales. C’est-à-
dire que la venue du Blanc dans le continent africain a engendré des
déchirures profondes dans les sociétés africaines.
La colonisation occidentale à travers sa politique sans règles a
implanté en Afrique de profonds malentendus, provoquant « un état de crise
latent », selon Balandier.3 En un mot, l’appareil colonial a forgé sur tout
l’espace du continent africain des déséquilibres culturels. L’évangélisation
a provoqué également des transformations non négligeables en Afrique.
Cela renseigne sur les tensions culturelles causées par la colonisation.
Celles-ci ont fait que le colonisé a fini par être psychologiquement exclu de
sa propre histoire.
Cet état de fait se rapproche aux réflexions d’Albert Memmi, qui
accorde une importance capitale à l’étude de l’univers psychologique du
colonisé et du colonisateur. Dans Portrait du colonisé précédé de Portrait
du colonisateur, l’auteur examine la rencontre de ces deux mondes et
affirme:
1
Césaire Aimé, Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la Négritude op.cit., p.
21.
2
Balandier, Georges, op. cit., p. 33.
3
Ibid., p. 33.
71
Le colonisé, lui, ne se sent ni responsable ni coupable, ni sceptique, il est
hors de jeu. En aucune manière il n’est sujet de l’histoire ; bien entendu il
en subit le poids, souvent plus cruellement que les autres, mais toujours
comme objet. Il a fini par perdre l’habitude de toute participation active à
l’histoire et ne la réclame même plus. Pour peu que dure la colonisation,
il perd jusqu’au souvenir de sa liberté ; il oublie ce qu’elle coûte ou n’ose
plus en payer le prix1.
1
Memmi Albert, Portrait du colonisé précédé de Portrait du colonisateur et d’une préface
de Jean Paul Sartre, Gallimard, Paris, 1985, p. 111-112.
72
historique. Selon Abiola, le rapport entre le colonisateur et le colonisé reste
marqué par une série d’images traumatisantes :
L’histoire de l’Afrique, depuis que l’homme blanc a mis les pieds sur le
continent, regorge d’exemples d’oppositions violentes à cette situation, et
les mouvements de résistance- à l’instar de celui de Samory dans l’espace
qui est devenu aujourd’hui la Guinée- fournit une part essentielle du
réservoir de symboles dans lequel le courant nationaliste de la Négritude
a puisé1.
1
Abiola Irele Francis, op.cit., p.19.
2
Une Ethnie du Kenya (c’est moi qui souligne).
3
Irele Abiola Francis, op.cit., p.21.
73
Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée,
l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures
obligatoire, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie,
des élites décérébrées, des masses avilies.1
1
Césaire Aimé, Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la Négritude, op.cit., p.
23.
74
B- Les influences
La Revue du monde noir est parue en avril 1931, avec six numéros à
l’appui, selon les propos de Lilyan Kesteloot1. Pour Kesteloot, cette revue a
joué un rôle primordial dans la naissance de la revue Légitime Défense et du
Journal l’Etudiant noir. Par le biais de ces fondateurs, à savoir, le Dr Sajous
d’origine haïtienne et les sœurs Jane, Andrée et Paulette Nardal
(Martiniquaises), la Revue du monde fut la première tribune où les Noirs
eurent enfin l’opportunité d’exprimer leurs problèmes spécifiques 2. Autour
de cette revue, il y avait également des signataires comme René Maran, les
américains Langston Hughes, Claude Mackay (chef de fil de la Negro
Renaissance), René Ménil, Étienne Léro et Monnerot (fondateurs de
Légitime Défense).3 En effet, cette kyrielle d’intellectuels noirs, montre un
l’esprit d’ouverture de la Revue du Monde noir :
1
Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p.60-61.
2
Ibid., p.61.
3
Ibid., p.61.
75
Donner à l’élite intellectuelle de la race noire et aux amis des noirs un
organe où publier leurs œuvres artistiques, littéraires et scientifiques.
Etudier et faire connaître (…) tout ce qui concerne la civilisation nègre et
les richesses naturelles de l’Afrique, patrie trois fois sacrée de la Race
noire. Créer entre les noirs du monde entier un lien intellectuel et moral
(…) qui leur permette de défendre plus efficacement leurs intérêts
collectifs et d’illustrer leur race.1
1
Kesteloot , Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p.61.
2
Ibid., p. 62.
76
2- La Revue Légitime Défense
1
Irele Francis Abiola, op.cit., p.44.
2
Etienne Léro, « Misère d’une poésie », Légitime Défense cité par Abiola, ibid., p.44.
3
Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p.18.
77
manifestation régulière de la pensée des trois pionniers de la Négritude,
Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor ; cette revue
leur a permis d’approfondir leurs idées en vue de la naissance du concept de
Négritude plus tard. En ce sens Senghor exprime l’intérêt qu’il accorde à
cette revue, comme nous le remarquons dans le texte suivant:
1
Senghor Léopold Sédar, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue
française, Paris, PUF, (1ière édition 1948) la présente 1985, p.55.
2
Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p.19.
78
3- Contribution de l’anthropologie
1
Léo Frobenius, Histoire de la civilisation africaine, Paris, Gallimard, 1936, p.14.
2
Ibid.,p.15.
79
Dans cette perspective, il instaure un sentiment naissant prometteur
au sein des peuples noirs ; après avoir été longtemps sous-estimé par
l’Occident. Le texte de Frobenius va dans ce sens, il réhabilite le génie
artistique de l’homme noir en même qu’il loue ses valeurs morales
séculaires. Ces propos de Frobenius offrent et renforcent la prise de
conscience et l’estime de soi chez le Noir. Ce qui lui permet ainsi de
démystifier la célèbre mission civilisatrice occidentale.
De la même façon, Frobenius ne manque pas de souligner l’immense
richesse des cultures africaines. Cette mise en lumière de ces cultures se lit à
travers le fragment que voici :
1
Leo Frobenius, op.cit., p.17-18.
80
Senghor et Aimé Césaire, voire Léo Gontran Damas. A ce titre, dans
Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la Négritude1 Césaire va
jusqu’à citer une des thèses de Frobenius selon laquelle les peuples nègres
sont « Civilisés jusqu’à la moelle des os ! L’idée du nègre barbare est une
invention européenne ». Il est maintenant évident que l’apport considérable
de l’anthropologie a marqué les esprits des penseurs Noirs dans leur quête
de reconnaissance à travers le monde. Comme l’indique Léopold Sédar
Senghor, « l’Histoire de la civilisation africaine du grand ethnologue
allemand Leo Frobenius était notre bible au Quartier Latin2.». Cela veut dire
cet ouvrage a probablement contribué à dissiper certains préjugés dirigés
contre les cultures négro-africaines et les Noirs.
Nous considérons donc que l’analyse portant sur les antécédents de
la Négritude reste un apport prépondérant, vu qu’elle permet de voir de
manière concrète les premiers jalons de ce mouvement. Ainsi, René Maran
et les écrivains et poètes de la Negro renaissance américaine ont participé
remarquablement à l’expression de la Négritude plus tard. De la même
manière, l’avènement des revues citées plus haut et la contribution de Leo
Frobenius restent un facteur déterminant ; ils ont inauguré les premières
manifestations de la Négritude en les divulguant davantage dans le monde.
L’analyse approfondie de ces supports nous a permis de mieux comprendre
les différences entre le monde culturel africain et occidental. C’est par ce
biais que nous notons une mise en évidence de l’importance des cultures
négro-africaines ainsi que celle de leurs civilisations. C’est à partir de là que
la Négritude a commencé à voir le jour ; c’était d’autour d’Aimé Césaire,
Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas.
1
Césaire Aimé, Discours, op.cit., p.37.
2
Senghor.L.S, Liberté V, Le dialogue des cultures, Paris, Seuil, 1993, p.96.
81
Chapitre II
L’éclosion de la Négritude
82
A- Les premières manifestations de
la Négritude
1
Léon Damas cité par Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit.,
p.95.
83
cesser de s’identifier comme martiniquais ou sénégalais, mais plutôt
assumer un destin commun. Une telle idée est confirmée par Lilyan
Kesteloot dans son Anthologie négro-africaine. Selon elle, le groupe de
l’Etudiant noir, à savoir, Césaire, Senghor, Damas ont contribué de manière
remarquable au sursaut de lucidité des noirs de France, comme le signale ce
passage :
1
Kesteloot Lilyan, Anthologie négro-africaine, Paris, EDICEF, 1992, p.79.
84
monde. Devant ce fait, Aimé Césaire hausse le ton en approfondissant les
ambitions de l’Étudiant noir. C’est ce que nous constatons dans le fragment
suivant :
C’est ainsi que nous avions formé une équipe qui permit la collaboration
entre Antillais et Africains. Et déjà dans l’Étudiant noir on voyait poindre
la négritude. Nous avons eu à se bagarrer contre certaines personnes qui
se réclamaient, elles, de Légitime Défense. Car elles nous reprochaient
d’être racistes et nous les traitons de faux révolutionnaires ; nous
considérons que quand on est nègre cela comporte des devoirs
particuliers. Par conséquent, cet idéal révolutionnaire il fallait l’enraciner
dans la négritude.1
1
Aimé Césaire cité par Ngal Georges, Aimé Césaire, un homme à la recherche d’une
patrie, Dakar/ Abidjan, NEA, 1975, p.25.
85
coloniale. Cela permet d’infléchir l’ordre colonial et d’ouvrir des
perspectives à l’homme colonisé. Avec un tel engagement, Césaire exprime
sa volonté de réhabiliter son image, plus précisément sa négritude.
1
Aimé Césaire « Nègreries, jeunesse noire et assimilation », cité par Bouvier Pierre, Aimé
Césaire, Frantz Fanon, Portraits de décolonisés, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p.60.
2
Ibid., p.60.
86
renforcée par Léopold Sédar Senghor qui souligne également les moments
complexes des années trente en France. Senghor affirme qu’il est question
de rompre avec l’assimilation et d’éveiller la conscience des Noirs :
Nous n’étions alors plongés (entre 1932 et 1935), avec quelques autres
étudiants noirs, dans une sorte de désespoir panique. L’horizon était
bouché. Nulle réforme en perspective, et les colonisateurs légitimaient
notre dépendance politique et économique par la théorie de la table rase.
Nous n’avions, estimaient-ils, rien inventé, rien crée, ni sculpté, ni peint,
ni chanté… Pour asseoir une révolution efficace, il nous fallait d’abord
nous débarrasser de nos vêtements d’emprunts, ceux de l’assimilation, et
affirmer notre être, c’est-à-dire notre négritude.1
1
Senghor, Léopold Sedar cité par Kesteloot Lilyan, Les écrivains noirs de langue
française : naissance d’une littérature, Bruxelles, 1965, p.340.
87
sa négritude. De la même manière, il met en relief ce moi-négro-africain.
Une telle démarche peut être considérée comme une future projection du
concept de Négritude. Il reste dans le sillage de Césaire et de Damas, dans la
mesure où il fructifie de manière indéniable l’expression de la Négritude.
Par conséquent, l’apport de Léopold Sédar Senghor, d’Aimé Césaire et de
Léon Gontran-Damas dans la réalisation de l’Étudiant noir devient en
quelque sorte le pilier de la Négritude naissante.
88
selon Janet G. Vaillant1, ce journal était important pour diverses raisons :
« Il représentait la décision claire d’un groupe de jeunes étudiants de
poursuivre dans la voie tracée par la Revue du Monde Noir plutôt que celle,
politiquement orientée et d’inspiration marxiste, de Légitime Défense. Ses
rédacteurs ont choisi de mettre en avant l’unité de tous les noirs et de se
centrer sur les questions culturelles. Le seul et unique numéro disponible de
l’Étudiant noir est sorti en mars 1935 ».2Voilà pourquoi la dimension
historique de ce journal nous permet d’envisager l’analyse du concept de
Négritude ainsi que quelques critiques qui circulaient autour de celui-ci.
1
Janet Vaillant. G., La vie de Léopold Sédar Senghor. Noir, Français et Africain, Paris,
Karthala, 2006, p.142.
2
aa., p.142.
3
Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, op.cit., p.105.
89
pas seulement passive […]. La Négritude résulte d’une attitude active et
offensive de l’esprit.
1
Césaire Aimé, Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la Négritude, Paris,
Présence Africaine, 2004, p.82-83-84.
90
doute le caractère conquérant de sa négritude « offensive de l’esprit». Cette
démarche offensive lui permet d’entreprendre une révolte contre le drame de
la domination qui pesait sur les peuples dominés.
Mais la révolte est, dans l’homme, le refus d’être traité en chose et d’être
réduit à la simple histoire. Elle est l’affirmation d’une nature commune à
tous les hommes, qui échappe au monde de la puissance. L’histoire,
certainement, est l’une des limites de l’homme ; en ce sens le
révolutionnaire a raison. Mais l’homme dans sa révolte, pose à son tour
une limite à l’histoire. A cette limite, naît la promesse d’une valeur.1
1
Camus Albert, L’homme révolté, Paris, Folio, 2004, p.311-312.
91
Dans ce passage, Camus montre que la révolte chez l’homme n’est
pas quelque chose de fortuit. Elle est, dans bien des cas, liée parfois à une
volonté de mettre l’individu dans un carcan, l’empêcher de bien jouir de son
humanité. Face à cette situation, l’homme peut se sentir comme un objet.
Ainsi, ce fait l’amène à la révolte selon Camus. C’est dire que la révolte est
le propre de l’homme qui veut s’affirmer pour sauvegarder sa condition
humaine.
Si la Négritude n’as pas été une impasse, c’est qu’elle menait autre part.
Où nous menait-elle ? Elle nous menait à nous-mêmes. Et de fait, c’était,
après une longue frustration, c’était la saisie par nous-mêmes de notre
passé et, à travers la poésie, à travers l’imaginaire, à travers le roman, à
travers les œuvres d’art, la fulguration intermittente de notre possible
devenir. Tremblement des concepts, séisme culturel. […] l’essentiel est
qu’avec elle était commencée une entreprise de réhabilitation de nos
valeurs par nous-mêmes, d’approfondissement de notre passé par nous-
mêmes, du ré-enracinement de nous-mêmes dans une histoire […] non
pas par passéisme archaïsant, mais pour une réactivation du passé en vue
de son propre dépassement.1
1
Aimé Césaire, Discours, op.cit., p.85-86.
92
Chez Césaire, il y a une sorte d’intériorisation de la Négritude. Il
insiste sur le fait que la Négritude est comme un haut lieu de mémoires qui
évoque l’histoire de l’homme noir. C’est en jetant un regard autour de lui
qu’il découvre la particularité de son passé. Ce retour aux sources chez
Césaire devient un élément crucial dans la prise de conscience de sa
négritude. Ce qui signifie que celle-ci se présente d’abord comme une
conscience historique des opprimés et qui leur permet d’occuper dignement
leur place dans le concert des peuples du monde.
D’abord, la négritude telle qu’on la brade repose sur des notions à la fois
confuses et inexistantes, dans la mesure où elle affirme de manière
abstraite une fraternité abstraite des Nègres. Ensuite parce que la thèse
fixiste qui la sous-tend est non seulement anti-scientifique mais procède
de la fantaisie. Elle suppose une essence rigide du Nègre que le temps
n’atteint. A cette permanente s’ajoute une spécificité que ni les
déterminations sociologiques, ni les variations historiques ne confirment
[…] Elle fait des Nègres des êtres semblables partout et dans le temps.
Or, qu’y a-t-il de commun entre le Nègre africain et le Nègre américain
93
sinon […] la couleur de peau ? Il y a sans doute ce fond commun de trois
siècles de traite ou d’inconscient collectif.1
1
Adotevi Stanislas Spero, Négritude et Négrologues, Paris, Le Castor Astral, 1998, p.45-
46.
94
c’est savoir enfin que le Noir a été nègre pour que rien de normal en lui et
autour de lui ne vienne troubler le sommeil anormal du colonisateur.1
1
Adotevi, op.cit., p.197.
2
Ibid., p.83.
3
Ibid., p212.
95
la forme et de la beauté […]1 Senghor affirme que la Négritude n’est pas
obsolète, contrairement à ce que soutient Adotevi. Ce qui signifie qu’elle
repose sur des valeurs aussi bien noires qu’universelles. La thèse de
Senghor pour une Négritude plus que nécessaire correspond à ce qui habite
ou touche fondamentalement l’être humain. C’est-à-dire, le don de la forme,
de la beauté, de la danse et de l’image entre autres. Ce faisant, malgré les
critiques, elle est une quête de soi dans la mesure où elle constitue un moyen
pour s’ouvrir au monde.
1
Senghor Léopold Sédar, Liberté IV, Paris, Le Seuil, 1983, p.50-51.
2
Césaire Aimé, Discours, op.cit., p. 89-90-91.
96
Chez Césaire, les caractéristiques de la Négritude constituent une
véritable attitude face aux contingences historiques. C’est la raison pour
laquelle il ne se contente pas uniquement de dire ce qu’est le concept de
Négritude, mais aussi d’évoquer la question du racisme dans le monde.
Césaire soutient que la Négritude n’est pas en cause, mais le racisme qui
s’accroit à l’échelle mondiale. Bien entendu, la Négritude peut être un
combat contre le racisme. Dans ce cas, elle s’inscrit dans une voie politique
pour que son écho soit plus entendu dans le monde. Ce qui sous-tend que
Césaire rejette le racisme dans la mesure où sa négritude prône le:« droit à
la différence». Il évoque le mot différence dans l’optique de promouvoir la
diversité entre les hommes.
1
Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, Folio, 2007, p.12-13-14.
97
Lévi-Strauss présente la diversité des cultures comme un facteur
dynamique, d’où la nécessité de tenir compte de ce qu’elle porte en soi. Il
semble que l’interprétation de la diversité des cultures par Lévi-Strauss vise
à sauvegarder la diversité. Dans Race et histoire, il tente de remettre en
question les préjugés raciaux à l’instar de Césaire. Mais il convient de
souligner que Lévi-Strauss insiste beaucoup sur la diversité alors que
Césaire nous parle de droit à la différence. Implicitement, ces deux auteurs
se complètent ou convergent, dans la mesure où ils font plutôt un même
effort de valoriser la diversité et la différence. Nous pouvons déjà noter que
Lévi-Strauss adopte une analyse anthropologique selon laquelle la notion de
diversité des cultures peut être comprise comme une évolution. Donc, la
pensée de Lévi-Strauss chemine dans la diversité des cultures pour mieux
comprendre leur structure. C’est la raison pour laquelle ce fragment de Race
et Histoire est une tentative de faire l’éloge de la diversité des cultures.
98
La notion de diversité chez Lévi-Strauss semble être un défi
théorique permanent. Il nous invite à éviter toute forme : « d’observation
morcelante ou morcelée» des cultures. Par conséquent, il lance à travers
Race et Histoire un appel à l’ouverture aux autres, comme l’indique Césaire
dans son cri en faveur du droit à la différence.
1
Césaire Aimé, Discours, op.cit., p.84.
2
Senghor, « le problème culturel » in Liberté III : Négritude et Civilisation de l’Universel,
Paris, Le Seuil, 1977, p.469-470.
99
voulons indiquer qu’elle est une prise de position contre les séquelles de la
colonisation. C’est pourquoi Senghor soutient que la Négritude est un
système de valeurs culturelles et d’action dans le monde. Il est essentiel de
signaler que la Négritude chez Senghor revêt un double sens.
1
Sartre Jean Paul, Préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de la
langue française par L.S.Senghor, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p. XV.
2
Senghor, Négritude et Civilisation de l’Universel. op.cit., p.270.
100
Il est fondamental de dire que Senghor veut faire vivre les valeurs de
la Négritude non seulement par soi-même mais aussi par les autres. En
conséquence, nous considérons qu’elle constitue un ensemble d’apports
essentiels : des valeurs humaines qui expriment un humanisme à vocation
universelle. Ce fait nous permet de dire qu’elle s’inscrit dans une
dynamique visant à implanter un projet humain. Cette démarche semble
nécessaire dans la mesure où elle s’insère dans la mise en valeur de la
condition humaine, notamment celle des Noirs. C’est la raison pour laquelle
la notion de Négritude chez Senghor repose à la fois sur une action
culturelle et politique qui ne semble pas s’épuiser.
1
Senghor, Léopold Sédar, Liberté 5 : Dialogue des cultures, Paris, Le Seuil, 1993, p.104-
105.
101
Sédar Senghor, de soutenir que la Négritude a des vertus dans la mesure où
elle est vitale. En conséquence, son combat ne peut en aucun cas être
considéré comme dépassé, puisqu’elle participe à l’édification d’un monde
plus humain. Ceci indique implicitement qu’elle est un état et une attitude
concrète de l’individu dans sa communauté, voire le monde. Par ce biais,
elle reste au centre des:« révolutions qui bouleversent actuellement le
monde », comme le souligne Senghor. Il est clair que la Négritude chez
Senghor correspond à une politique au service de la culture du monde noir.
Cet aspect culturel explique une manière de vivre en Nègre1.
1
Senghor, Léopold Sédar, Liberté V, op.cit., p.96.
2
Senghor, op.cit., p.17.
3
Melone Thomas, De la négritude dans la littérature négro-africaine, Paris, Présence
Africaine, 1962, p.130.
102
et Blanc – le dialogue conduisant à un monde qui transcende les différences.
Une telle vision rend la Négritude senghorienne plus vivante et, ce faisant
plus actuelle:
1
Senghor, Liberté V, op.cit., p.25.
103
appeler une métaphysique de la différence »1. En ce sens, la Négritude ne
peut pas être considérée comme caduque, dans la mesure où elle incarne un
projet humain inhérent à la condition de tous les hommes. Ce faisant, en
dépit des critiques, la naissance du concept de Négritude participa à briser
ou à transcender des barrières qui s’imposent parfois à l’homme. C’est en
outre ce que nous constatons à travers les réflexions de Jean Paul Sartre
concernant la Négritude :
1
Abiola, op.cit., p.151.
2
Sartre Jean Paul, « Orphée noir », op.cit., p. XLIII.
104
2- Négritude comme idéologie, Négritude à travers la
valorisation de la civilisation noire ou les valeurs du
monde noir
1
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, op.cit., p.68.
105
réellement aux besoins de la condition humaine, notamment celle des
colonisés. Césaire dénonce l’humanisme froid de l’Occident et proclame les
valeurs de la Négritude, c’est-à-dire le droit à l’émancipation et celle de tous
les peuples. C’est pourquoi l’idéologie de la Négritude s’élève au nom d’un
humanisme remarquable, et ce, en dépit des particularités entre les peuples :
la valeur humaine ne peut être qu’unique indépendamment de la couleur de
peau entre les hommes. L’idéologie de la Négritude valorise la culture
nègre, considérée comme un élément qui contribue valablement au progrès
universel.
Césaire décrit les causes qui ont provoqué sa révolte. Une révolte
liée à l’imposition culturelle de l’Occident sur les peuples colonisés. C’est
pour cette raison que le travail idéologique de la Négritude vise d’abord à
1
Aimé Césaire, Discours, op.cit., p.84.
106
sensibiliser politiquement et littérairement le nègre pour faire disparaître le
complexe d’infériorité à partir de la reconnaissance de ses propres valeurs.
Il est évident que Césaire condamne le « réductionnisme européen »1. Pour
lui, l’Occident ne peut pas imposer sa culture dans la mesure où il n’est pas
le seul à avoir une culture. Ainsi, l’humanisme défendu par la Négritude
obéit au principe d’égalité et de respect de la culture de l’Autre. C’est aussi
une conception du monde défendu par un groupe d’individus et qui tend à
s’organiser politiquement selon ses idées et ses intérêts.
1
Aimé Césaire, Discours, op.cit., p.84.
2
Senghor, Liberté V, op.cit., p.25.
107
culturelle et historique, définissant un ensemble de valeurs sociales et
humaines qui vont dans le sens de leur émancipation. Au vu de cela, le
contenu idéologique de la Négritude peut être considéré comme architecture
d’idées − elle contient des paradigmes d’action et une manière de penser
propre aux Noirs. De la même manière, elle évoque la déportation des
Noirs, la quête de soi ainsi que la valorisation des civilisations noires.
1
Hegel. G.W. F, La raison dans l’histoire, Bibliothèques, Paris, 1965 (pour la présente
1996), p. 247-269.
108
Tremblement des concepts, séisme culturel, toutes les métaphores de
l’isolement sont ici possibles. Mais l’essentiel est qu’avec elle (la
Négritude) était commencée une entreprise de réhabilitation de nos
valeurs par nous-mêmes, d’approfondissement de notre passé par nous-
mêmes, du ré-enracinement de nous-mêmes dans une histoire, dans une
géographie et dans une culture, le tout se traduisant non pas par un
passéisme archaïsant, mais par une réactivation du passé en vue de son
propre dépassement.1
1
Aimé Césaire, Discours, op.cit., p.85-86.
2
Ibib.,p.35.
109
En prenant conscience du fait que le monde noir a une histoire et des
civilisations, Césaire incarne une conscience historique. L’exigence portée
sur la réévaluation ou à la réhabilitation de son histoire, des civilisations et
des cultures noires rapproche Césaire du point de vue de Cheikh Anta Diop,
qui dans son ouvrage Nations nègres et cultures, soutient la thèse selon
laquelle l’Afrique a besoin de connaître aussi bien son histoire que ses
civilisations:
Nous pouvons dire que Diop soutient implicitement que le Noir n’est
pas un homme sans passé ni civilisation. Il apporte ainsi une réponse à la
vision restrictive de Hegel sur l’histoire humaine, que nous avons citée plus
haut. A partir de là, le penseur sénégalais établit un nouvel ordre dans la
compréhension du fait historique et culturel des peuples africains. C’est la
1
Diop Cheikh Anta, Nations nègres et culture, Paris, Présence Africaine, (1ère édition 1954)
la présente édition, 1979, p.15.
110
raison pour laquelle, à l’image de Césaire, Diop reste un des fervents
défenseurs des civilisations nègres :
1
Diop Cheikh Anta, Nations nègres, op.cit., p. 400.
2
Ibid.,p.401.
111
caractérisé par toute sorte de violence, politique, militaire et économique ;
mais surtout par l’acculturation.
1
. Césaire, Discours, op.cit., p.23.
2
Senghor, Liberté III, Négritude et civilisation de l’universel, Paris, Seuil, 1974, p.90.
3
Senghor, Liberté III, « La négritude est accordée au XX siècle », op.cit., p.231-232.
113
divulgation des vertus de la Négritude dans le monde. Senghor soutient que
l’idée traduit la capacité de celui-ci à : « faire connaître toutes valeurs » de
la Négritude au monde. Ce qui donne la possibilité d’éveiller l’homme –
d’être un humanisme en dialogue avec d’autres civilisations. C’est en ce
sens que les valeurs de la Négritude peuvent être utiles à la fois au Nègre
nouveau et au monde.
114
A- La manifestation poétique de la Négritude
115
1- Le choix de la poésie : une source d’identification et le
refus de l’aliénation
1
Senghor Sédar Léopold, Postface aux Ethiopiques, Paris, Seuil, 1956. p.165-166.
116
Senghor dévoile de manière subtile une des raisons qui fondent son
expression poétique. En ce sens, nous constatons que ses poèmes sont
inhérents au « Royaume d’enfance ». Cela constitue sans doute une des
sources d’influence de son génie poétique. Senghor puise dans les racines de
son enfance pour nommer l’invisible et le visible à travers le verbe. Il prend
conscience du rôle à jouer dans le milieu qui l’a vu grandir. C’est la raison
pour laquelle il met en relief l’importance de la parole dans l’univers
traditionnel négro-africain.
Tout d’abord, nous considérons que la parole et le proverbe dans le
contexte négro-africain ont pour fonction de désigner l’engagement de
l’homme dans sa vie de tous les jours. D’autre part, ils lui permettent de
découvrir ou de comprendre − d’accéder au sens voilé et profond des choses
et des êtres de son univers. C’est par ce biais qu’il peut toucher le fond de
son être total dans la construction de la nouvelle « Cité de demain », pour
reprendre l’expression de Senghor.
Comme nous le remarquons, Senghor soutient que les poètes nègres
sont avant tout des « auditifs », des « chantres ». C’est par le truchement de
la tradition orale qu’ils extériorisent leurs émotions exprimées à travers le
rythme et le chant, voire la danse. L’auteur fait donc renaître sous une forme
nouvelle la vieille tradition africaine du conteur, qui durant le déroulement
de son récit, chante et danse devant un public, en étant accompagné de la
kora, par exemple. C’est cela la musique « intérieure » dont Senghor exalte
de manière brillante. Aussi, le rythme participe t-il à la richesse d’un poème
chez les poètes nègres. Et c’est par le rythme inspiré du royaume de
l’enfance qu’il fait entendre sa voix dans un poème intitulé, « que
m’accompagnent kora et balafong»:
Les champs sont fleurs de vers luisants ; les étoiles se posent sur les
herbes sur les arbres.
117
C’est le silence alentour. Seuls bourdonnent les parfums de brousse,
ruches d’abeilles rousses qui dominent la vibration grêle des grillons
1
Senghor Sédar Léopold, Chants d’ombre, Paris, Seuil, 1945, p.30.
118
écoutes l’inaudible et tu m’expliques les signes que disent les Ancêtres.».
De la même manière, surgissent des souvenirs merveilleux qui symbolisent
une communion avec une force vitale, à savoir le bruissement du « tamtam
voilé ». C’est à travers ce tamtam où jaillissent des chants, des voix qui
participent à la célébration des valeurs africaines. Cela est accompagné par
des images poétiques du milieu naturel de son royaume d’enfance, « les
champs sont fleurs de vert luisants » et « parfums de brousse »
[…] Je me souviens. Les poètes gymniques de mon village, les plus naïfs
ne pouvaient composer, ne composaient que dans la transe des tam-tams,
soutenus, inspirés, nourris par le rythme des tam-tams. Pour moi, c’est
d’abord une expression, une phrase, un verset qui m’est soufflé à
l’oreille, comme un leitmotiv, et, quand je commence d’écrire, je ne sais
pas ce que sera le poème.1
1
Senghor, Postface aux Ethiopiques, op.cit.,p.166.
119
Senghor exprime son attachement à la tradition orale négro-africaine.
Celle-ci permet de mieux élaborer sa poésie. Léopold Sedar Senghor révèle
à travers ce passage qu’il est avant tout un auditif, un poète à l’oreille fluide
qui veut bâtir la Cité de demain, pour reprendre son expression. C’est
pourquoi dans le champ poétique senghorien résident la culture et la
tradition orale négro-africaine. Nous pouvons considérer qu’ayant été
baigné dans cet univers africain, Senghor se voit comme le poète porte-
parole de cette riche tradition orale africaine. En d’autres termes, le poète
croit au devenir de son peuple, participe à l’émergence de l’homme noir
dans sa vie de tous les jours.
C’est dans mes poèmes, les plus obscurs sans doute, que je me découvre
et me retrouve… C’est dans ma poésie que se trouvent mes réponses. La
poésie m’intéresse, et je me relis, j’y tiens. C’est là que je suis. La poésie
révèle l’homme à lui-même. Ce qui est au plus profond de moi-même se
trouve certainement dans ma poésie. Parce que ce « moi-même », je ne le
connais pas. C’est le poème qui me le révèle et l’image poétique.1
1
Césaire Aimé, Nègre je suis, nègre je resterai, Entretiens avec François Vergès, Paris,
Albin Michel, 2001, p.47.
120
résistance et de découverte de soi-même, voire une envie de questionner le
monde qui l’entoure.
Prisonnier de mes draps blancs et froids bien tirés, de toutes les angoisses
1
Senghor Léopold Sédar, « A l’appel de la race de Saba », Hosties noires, Paris, Seuil,
1973, p.55.
121
répondent pas à ses aspirations. Cette situation engendre son aliénation dans
la mesure où il se sent étranger dans son rapport avec l’Europe qui impose
son propre code culturel. Dans un état de dépassement, il s’adresse à
l’Afrique « Mère » en vue d’une possible révolution africaine. Cela dit, ce
poème exprime comment l’africanité du poète est liée à son engagement
politique, et ce dans l’optique de résoudre les problèmes qui: « [l’]
embrassent inextricablement.». C’est également le moment de militer pour
une libération de l’Afrique car le poète se sent loin de ses coutumes, ce qui
explique son sentiment de ne plus s’appartenir à soi-même.
Il est mon sang fidèle qui requiert fidélité protégeant mon orgueil nu
contre
1
Senghor, « Totem », in Chants d’ombre, p.26.
122
Ce poème pose le problème de la négation portée sur l’homme noir
durant son contact avec l’Occident. C’est dans cette réalité que les chantres
de la Négritude ont eu à évoluer pour composer leurs poèmes. Pour le poète,
la question de l’aliénation est inhérente à l’entreprise coloniale, alors que
celle-ci s’était présentée comme « une mission civilisatrice », d’où la
contradiction, puisque son but consistait à rapprocher de manière évolutive
les colonisés avec la civilisation occidentale. Cela entraîne donc un
éloignement, une rupture de leurs cultures d’origines. C’est ce remodelage
du colonisé, voire des intellectuels noirs que Senghor nous dévoile dans ce
poème. Autrement dit, le poète est conscient que l’école occidentale est un
instrument d’acculturation violent. Elle lui impose une manière de penser et
d’agir qui correspond aux normes occidentales – elle modèle le colonisé
pour qu’il soit socialement accepté au sein du monde occidental. Et, dans ce
poème, Senghor révèle de manière implicite que l’homme Noir à un
moment donné de son histoire se voyait parfois obligé de renier une part de
soi: « il me faut le cacher au plus intime de mes veines ». Ce qui signifie
que l’adoption des valeurs de l’Occident ne pouvait être envisageable qu’au
prix d’une négation de soi-même : « il est mon sang fidèle qui requiert
fidélité protégeant mon orgueil contre moi-même ». Donc, ce malaise habite
sans doute l’esprit du poète. C’est par ce malaise, c’est-à-dire par cette
sensation d’être dominé que ce poème de Senghor est à rapprocher de la
vision poétique de Léon Gontran-Damas.
123
Et de honte1
Chez Damas, il y a une voix brûlante et libre qui expose les effets
néfastes du système colonial. Celui-ci a conduit au dénigrement du colonisé.
Pour la voix poétique, cette circonstance historique a occasionné des
malaises, voire des troubles profonds dans l’esprit du dominé : « ils me l’ont
rendue la vie plus lourde et lasse ». La structure du poème évoque le couplé
colonisé et colonisateur, pour révéler le climat de domination et de
soumission illustré à travers les mots, « lasse », « honte » et « rancœur ». Du
reste, le corps du poème indique que ce phénomène engendre : « de gros
yeux qui roulent de rancœur » chez le poète. C’est pourquoi ce poème peut
être considéré comme une description de la situation coloniale où
l’oppression semblait légale. Le poète exprime ainsi une prise de conscience
de sa négritude face à une situation spécifique des Noirs durant la
colonisation. Nous entendons par là que Damas vit dans son fort intérieur
les moments très complexes de la colonisation : « Mes aujourd’hui ont
chacun leur jadis ».
1
Damas Léon-Gontran, Pigments&Névralgie, Paris, Présence Africaine, 2005, p.47.
124
J’ai l’impression d’être ridicule
1
Damas, op.cit., p.41.
125
D’Europe, sentez-vous cette souffrance
1
Léon Laleau, « Trahison » cité par Senghor, Anthologie, p.108.
126
Île de sang de sargasses
1
Césaire Aimé, Cadastre, Poésie, Seuil, Paris, 1961, p. 238.
127
a effectivement déstabilisé la conscience des Africains. Le passage suivant
est fondamental pour comprendre davantage la question de l’aliénation :
1
Kane Cheikh Hamidou, L’Aventure ambigüe, Paris, Julliard, 1961, p.175.
128
contingences de la vie quotidienne. Il s’agit là d’un roman de la rencontre de
deux cultures où l’acculturation des Diallobé (peuple de Samba Diallo) par
les Européens se fait de façon subtile.
1
Fanon Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 2001, p.187.
129
Fanon pose à travers ce fragment le problème de l’aliénation. Pour
lui, elle participe à réduire l’homme dans la mesure où elle le déshumanise
ou lui fait perdre se propres valeurs. C’est pourquoi il soutient que la
réalisation de l’homme ne signifie pas dépersonnaliser l’Autre. Fanon tente
ici de réhabiliter la condition humaine, que le monde colonial remettait en
cause. Ce faisant, il affirme que le devenir de l’homme consiste à entretenir
une relation plus humaine entre les hommes. De la même manière, Fanon
cherche à transcender le regard infériorisant qui circulait entre le Blanc et le
Noir. Il souligne que l’histoire coloniale ne peut pas être pour le colonisé un
moyen de revendiquer tardivement une réparation. Pour Fanon, il convient
dans l’immédiat de faire cesser toute attitude visant à asservir l’homme, « Je
ne veux qu’une chose : que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par
l’homme ».
1
Fanon Frantz, op.cit., p.187.
130
Au regard de Fanon, la poésie de la Négritude insiste davantage sur
ce fait au lieu de toucher le fond de la question – être capable de faire une
révolte sans conduire l’homme noir à se cramponner sur son passé. En cela,
il convient d’aborder maintenant cette question et la redécouverte de soi
chez les pionniers de la Négritude.
131
2- L’expression de la révolte et la Négritude comme une
redécouverte de soi
Les mains blanches qui tirèrent les coups de fusils qui croulèrent les
empires
Les mains blanches poudreuses qui vous giflèrent, les mains peintes
poudrées qui m’ont giflé
1
Senghor, Chants d’ombre, op.cit., p.24.
132
reste, la structure du poème traduit une description progressive de
l’esclavage, de l’Afrique pillée ainsi que toute sorte de servitudes exercées
par l’entreprise coloniale : « Les mains qui flagellèrent les esclaves, qui
vous flagellèrent.». Senghor se révolte non seulement contre l’Occident
mais l’accuse de manière virulente sur son passé colonial. Par ce biais, nous
entrevoyons davantage le projet de la Négritude, qui est aussi bien un projet
social qui promeut un monde dans lequel il y aurait une communion des
valeurs humaines – celles de l’Afrique et de l’Europe.
1
Camus Albert, op.cit., p.311-312.
133
pays natal1, se trouve une exigence de justice et parfois une incitation à la
révolte. Examinons à présent le poème suivant :
1
Césaire Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, op., cit.
2
Ibid., Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine, Paris, 1983, p.61.
3
Ibid., Cahier, op.cit., p.22.
134
Précisons d’autre part que la situation de la colonisation se situe au
cœur de la poésie de Césaire. Ainsi, le Cahier d’un retour au pays natal
incarne autant une révolte poétique qu’un désarroi de toute une
communauté. De même, nous y trouvons une quête de soi, de l’enfance
personnelle et celle de sa communauté. C’est pourquoi nous pensons que la
révolte chez Césaire renvoie à une attitude qui éveille l’homme − c’est une
révolte qui valorise l’homme tout court:
1
Césaire, Cahier, op.cit., p.27.
2
Senghor, Hosties noires, op.cit., p.57.
135
Dans cette perspective, le Cahier d’un retour au pays natal a permis
à Césaire d’assumer davantage sa négritude et de montrer l’image réelle des
Antilles. Il évoque plusieurs facettes des affres de la domination coloniale.
Tout au début du poème, le poète nous fait une description des Antilles des
années trente :
[…] Les Antilles qui ont faim, les Antilles grêlées de petite vérole, les
Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la
poussière de cette ville, sinistrement échouées.1
1
Césaire, Cahier, op.cit., p.8.
2
Ibid., Cahier, op.cit., p.20.
136
Maître de trois chemins, tu as en face de toi un homme qui a beaucoup
marché
1
Césaire Aimé, « Depuis Akkad depuis Sumer », Soleil cou coupé, Seuil, Paris, 1948.
p.241.
137
Examinons «Les vautours », poème qui traduit bien ce rapprochement
remarquable:
En ce temps-là
En ce temps-là
Notons, par ailleurs, qu’il indique que l’Afrique a subi une dure
exploitation physique et économique au profit d’une civilisation occidentale.
Tout au long du poème, s’affiche l’enfer généré par la violence coloniale.
Comprenons que la démarche de l’auteur consiste à dire que le colonisateur
a renversé l’ordre naturel des choses, en imposant sa manière d’être aux
1
Diop David, Coups de pilon, Paris, Présence Africaine, 2005, p.10.
138
colonisés. C’est pourquoi David Diop non seulement assume le destin des
Noirs, mais aussi il lutte pour une libération des exploités. Dans Coups de
pilon, nous retrouvons les images de la révolte, de la résistance contre
l’empire colonial et de la lutte pour réhabiliter le continent africain. A
travers ce poème, l’auteur tente d’instaurer l’équilibre entre les hommes, en
condamnant toutes les formes d’oppression imposées le colonialisme. De la
même façon, il nous indique que la poésie de David Diop se veut militante
dans la mesure où elle est refus contre l’exploitation de l’homme par
l’homme: « les hurlements des plantations à profit ». En ce sens, il rejoint
fondamentalement les réflexions des chantres de la Négritude, vu qu’il
exprime une dénonciation et un combat contre l’inégalité entre les hommes.
1
Damas, « Si souvent » op.cit., p.49.
139
humaine est remise en cause, voire menacée par le colonisateur : « toujours
de rage contre ce qui m’entoure ».
1
Césaire Aimé, Armes miraculeuses, Paris, Gallimard, 1946, p.87.
140
Ce poème pose le problème de l’affirmation de soi. Celle-ci repose
sur une prise de conscience de la part du poète, notamment de son identité.
Autour de ce problème, Césaire met en relief qu’il n’appartient pas au
model occidental : « Je suis d’avant Adam ». Cela sous-tend une volonté de
s’affranchir des carcans du colonialisme, pour rester soi-même. Pour le dire
autrement, la voix poétique manifeste sa négritude inhérente à sa manière
d’être dans le monde : « Je suis d’un autre chaud ». Ce qui indique qu’il y a
une conscience historique chez Césaire. Ainsi, il baigne dans son histoire, il
veut se réapproprier ses origines africaines.
1
Césaire, Aimé, Et les chiens se taisaient, Acte II, In : Armes miraculeuses, op.cit., p.26.
141
également une manière de dire qu’il n’est pas naturellement esclave parce
qu’il est noir, mais qu’à un moment donné de l’histoire de l’humanité, une
certaine partie de l’Occident l’a assujetti. En ayant renversé la ruse
occidentale, Césaire se redécouvre désormais, se sent revalorisé dans la
mesure où l’Afrique devient la source de son énergie. Il parvient ainsi à
méditer sur la reconnaissance de soi. Comme points communs aux
réflexions de Césaire, nous nous intéressons à Jacques Romain, qui met en
exergue sa négritude, l’héritage africain :
Tu es en moi
1
Jacques Romain, « Bois d’ébène » cité par Senghor, Anthologie, op.cit., p.116.
142
dans son processus d’identification au continent africain : « Fais de moi la
pierre de ta fronde de ma bouche les lèvres de ta plaie ». C’est dire que la
structure du poème dessine une image de l’Afrique plus que jamais vivante
dans la conscience du poète.
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux
1
Senghor, Chants d’ombre, op.cit., p.18-19.
143
forces vitales du continent noir. Cela veut dire que la représentation de la
femme noire est à la fois une identification au continent africain et une
source de vie et d’amour.
1
Senghor, Anthologie, op.cit., p.173.
2
Senghor, Postface aux Ethiopiques, op.cit., p.165.
144
renvoie à la mère biologique qui protège : « la douceur de tes mains bandait
mes yeux » et à l’Afrique-mère étant comme une source d’identification.
Nous pensons que ce poème splendide révèle aussi les valeurs humaines de
la figure maternelle. Par ailleurs, dans un autre poème du poète guyanais
Damas, la quête d’une redécouverte de soi est encore plus marquante,
contrairement à Senghor. Ainsi, étant le premier à emboucher la trompette
de la Négritude en 19371, Damas revendique son passé de manière
nostalgique dans son poème, « Limbé »:
sans complexité
hier
1
Chevrier Jacques, op.cit., p.57.
2
Damas, « Limbé», op.cit., p.44.
145
Signalons que ce poème traduit une quête de reconnaissance de son
humanité. Tout au long du poème, nous remarquons des mots vifs et
spontanés qui touchent l’homme dans son rapport avec l’Autre. Damas se
plaît parfois à employer quelques mots du « créolisme », dans sa poésie,
comme le titre du poème « Limbé ». Ce qui semble offrir une sorte de
rythme chargé d’émotion. A cet effet, Senghor soutient la thèse selon
laquelle le rythme négro-africain fait partie de son champ poétique
damasien et tout reste soumis au rythme naturel du tam-tam − le rythme
l’emporte sur la mélodie1.
1
Senghor, Anthologie, op.cit, .p.5.
146
3- Négritude à travers la reconnaissance de l’Autre
1
. Senghor, « Lettre à un prisonnier », Hosties noires, op.cit., p.87.
147
et rapprocher deux peuples ou des peuples différentes autour du même idéal
de fait. Mais, curieusement ce fait historique n’a contribué à améliorer la
condition humaine des Noirs en Occident.
1
Senghor, Liberté I, Négritude et Humanisme, op.cit., p.8.
2
Césaire, Discours, op.cit., p.89.
148
celle des Noirs. C’est également un désir manifeste d’humaniser l’homme.
Ce qui sous-tend : « [le]droit à la différence », qui serait une sorte
d’exigence réciproque entre les hommes. C’est en ce sens que l’auteur veut
que la personnalité du colonisé soit respectée. Il met en relief à la fois
l’affirmation d’une humanité de soi et le droit à tout homme d’être reconnu
de façon humaine.
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
1
Césaire, Cahier, op.cit., p.20.
149
volonté permanente d’exiger une attitude humaine entre les hommes. En ce
sens, ce poème est à rapprocher des réflexions de Frantz Fanon dans son
essai intitulé Peau noire, masques blancs, où il préconise des rapports
fondés sur plus d’humanité, ce qu’il exprime de la façon suivante:« je me
découvre un jour dans le monde et je me reconnais un seul droit celui
d’exiger de l’autre un comportement humain1.».
1
Fanon Frantz, op.cit., p.186.
150
Ainsi, Damas ne se limite pas à dénoncer la situation de l’homme colonisé,
il exalte la grandeur passée de l’Afrique ainsi que la quête de ses origines.
Mais chez Damas s’affiche parfois une poétique de l’impossible retour à la
source, « rendez-moi mes poupées noires.». Cela porte à croire que la
manifestation poétique de la Négritude traduit la nécessité d’humaniser
l’homme, voire un hymne à l’amour universel.
151
Deuxième partie
Domaines de répercussion de la
Négritude en Afrique lusophone
152
Chapitre I: La négritude dans l’espace
luso-africain
153
A- L’expression de la Négritude
dans les littératures d’Afrique
lusophone
154
A vida ύnica eficaz para a La seule voie efficace pour la
realisação definitiva das réalisation définitive des
aspirações dos povos é a luta aspirations des peuples est la
armada. lutte armée.
É esta a grande lição que a C’est cette grande leçon que
história contemporânea da luta l’histoire contemporaine des
de libertação ensina a todos os luttes de libération enseigne à
que estão verdadeiramente tous ceux qui sont véritablement
empenhados no esferço de engagés dans l’effort de
libertação dos seus povos.1 libération de leurs peuples.2
1
Cabral Amilcar, Guiné-Bissau. Nação forjada na luta, Lisboa, Maria Natália Teixeira
Lopes, 1974, p.8.
2
Traduction personnelle.
155
C’est à travers ces réflexions sur la situation du colonisé qu’un élan
de résistance se répand contre la mission coloniale portugaise en Afrique. A
cet effet, nous assistons à la naissance de la revue Mensagem1 en 1948, qui
a joué un rôle déterminant dans l’éveil des consciences, notamment en
Angola et ailleurs :
1
Messagem est une revue qui a été crée par des étudiants africains vivant au Portugal, pour
dénoncer le colonialisme et lancer un appel pour la libération des pays sous tutelle
portugaise.
2
Holness Marga tiré de Sagrada Esperança, d’Agostinho Neto, Lisboa, Sá de Costa, 1974,
p.10.
3
Traduction personnelle.
156
Ce passage de Holness Marga retrace le contexte dans lequel la
revue Mensagem a vu le jour. Elle marque une orientation nouvelle au
service des peuples dominés. De même, elle surgit dans l’optique de susciter
une renaissance culturelle tant en Angola que dans d’autres colonies. Cette
nouvelle orientation culturelle est incarnée par Mário António, António
Jacinto et Viriato da Cruz afin de renouer avec les valeurs africaines malgré
l’exil en terre portugaise.
Signalons également que la revue Mensagem s’investit dans une
mission remarquable. Elle encourage le retour au pays natal des exilés en
valorisant une quête de liberté dans leurs œuvres littéraires et contribue à
l’épanouissement culturel et politique des colonies portugaises. C’est dire
que les chefs de fil de la revue Mensagem cités plus haut, cherchaient à
créer un projet culturel et littéraire orienté vers les valeurs africaines. De ce
point de vue, la revue Mensagem est similaire aux réflexions de l’Étudiant
noir des années trente, sous la direction de Léopold Sédar Senghor, Aimé
Césaire et Léon Gontran-Damas.
Précisons, par ailleurs, que la revue Mensagem a contribué de façon
considérable à l’éclosion du MPLA en 1956 (Mouvement Populaire pour la
Libération de l’Angola. Ce qui traduit une imbrication entre l’action de la
revue Mensagem et celle politique du MPLA :
1
Pires Laranjeira, Literaturas africanas de expressão portuguesa, Lisboa, Universidade
Aberta, 1995, p.72.
2
CEI (Casa dos estudantes do Império) est un lieu de rencontre des étudiants africains à
Lisbonne. Leur objectif consistait à débattre, fêter et faire des réunions clandestines, par
rapport à situation coloniale. CEI a révélé de grands noms de la littérature africaine
d’expression portugaise.
158
Cette thèse de Laranjeira Pires est à rapprocher des réflexions de
Leonel Cosme qui aborde le rapport entre la littérature et le MPLA :
1
Cosme Leonel, Cultura e revolução em Angola, Lisboa, Afrotamento, 1978, p.11.
2
Traduction personnelle.
159
[…] Mais ou menos, a […] La conscience de classe,
consciência de classe, a la dialectique marxiste a, plus
dialética marxista pôs marcas ou moins, laissé des marques
indeléveis. Todos tinham indélébiles. Tous avaient
noção de que só através de l’idée que c’est par le biais
uma operação cultural, pelo d’une opération culturelle, par
combate à alienação cultural, le combat contre l’aliénation
seria possίvel transformar um culturelle, qu’il serait possible
ser desligado da sua de transformer un être éloigné
personalidade histórica num de sa personnalité historique
“homem novo”. [...] Foi en « un homme nouveau ».
efetivamente depois dos anos C’est effectivement après les
50 que a consciência de e a années 50 que la conscience
contestação começaram a et la contestation ont
prefigurar o processo de commencé à préfigurer le
revulcionário que se veio a processus révolutionnaire qui
materializar na luta armada, s’est matérialisé dans la lutte
em 1961. Agostinho Neto, armée, en 1961. Agostinho
Mário de Andrade, Luandinho Neto, Mário Pinto d’Andrade,
Vieira, António Jacinto são Luandinho Vieira et António
nomes de escritores ao Jacinto sont des écrivains en
mesmo tempo militantes da même temps des militants de
revolção[...].1 la révolution.2
1
Cosme, Leonel, op. cit., p.11-12.
2
Traduction personnelle.
160
Par ailleurs, en citant les écrivains et poètes comme Agostinho Neto,
Luandinho Vieira, Leonel Cosme met effectivement en filigrane les voix
militantes et actrices de la lutte contre le colonialisme. Ces voix ont balisé à
travers l’art et la culture un des chemins des mouvements (MPLA) de
libération en Angola et ailleurs. Notons aussi que cette prise de conscience
des écrivains angolais sur l’importance de la culture se rapproche des
réflexions d’Amilcar Cabral. En effet, dans son essai intitulé Guiné-Bissau.
Nação forjada na luta, il procède à un exercice de réflexion sur la culture:
1
Amilcar Cabral, op.cit., p.135.
2
Traduction personnelle.
161
Chez Amilcar Cabral, la culture est une arme essentielle à toute
société qui se veut libre, notamment durant l’époque coloniale. Il convient
également de rappeler qu’Amilcar Cabral est un des fondateurs et militants
du PAIGC des années 50 (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée-
Bissau et du Cap-Vert). C’est autour du PAIGC que s’opéraient des
stratégies de lutte anticoloniale. En examinant ce passage, nous constatons
que la culture reste un facteur d’unification et la Négritude lutte pour la
valorisation de l’appropriation de la culturelle des Africains. Donc, la prise
de conscience de sa culture permet de lutte contre toutes les formes de
domination. En cela, c’est au colonisé de s’investir en valorisant sa propre
culture.
Nous sommes en droit de demander si la culture est suffisante pour
combattre une domination étrangère, plus précisément la colonisation
portugaise. Selon Amilcar Cabral, elle peut mobiliser, voire susciter l’éveil
d’un processus de libération chez le dominé. C’est pourquoi il soutient que :
« la lutte de libération est un fait essentiellement politique» et « surtout un
acte culturel ». En ce sens, Amilcar Cabral tente de rejeter radicalement
toute sorte d’attitude visant à aliéner l’homme ou à l’acculturer. Ce passage
d’Amilcar Cabral exprime une résistance culturelle contre la domination
coloniale portugaise.
Cette résistance d’Amilcar Cabral par le biais de la culture et des arts
qui peut rapprochée au combat des poètes et écrivains mozambicains contre
l’invasion portugaise. C’est ce que nous remarquons à travers le passage
suivant :
1
Eduardo Mondlane, Lutar por Moçambique , Sá de Costa, Lisboa, 1975, p.115.
2
Traduction personnelle.
163
imperialista ou encontrar um ou trouver un moyen
meio de usar força contra d’utiliser la force contre le
Portugal que fosse Portugal, qui serait
suficientemente eficaz para suffisamment efficace, pour le
ferir Portugal sem resultar na nuire sans que cela nous
nossa própria ruίna. Foi por ruine. C’est pour cette raison
isso que, aos olhos dos chefes qu’au regard des chefs du
da FRELIMO, a luta armada FRELIMO (Front de
apareceu como ύnico libération de Mozambique), la
método.1 lutte armée est apparue
comme la seule méthode.2
1
Eduardo Mondlane, op.cit., p.135.
2
Traduction personnelle.
164
Nossa voz Notre voix
Nossa voz ergue-se Notre voix s’est levée
consciente e bárbara sobre o consciente et redoutable
branco egoίsmo dos homens Contre l’égoïsme primaire des
sobre a indiferença assassina hommes
de todos.
Contre l’indifférence
Nossa voz, irmão, nossa voz coupable de tous
trespassou a atmosfera
Notre voix, frère, notre voix a
conformista da cidade e a
éclaboussée l’atmosphère
revolucionou-a, arrastou-a
conformiste de la ville et l’a
como ciclone de
révolutionnée, en a fait écho
conhecimento
dans tous les coins du monde
Nossa voz Africa
Nous voulons faire entendre
Nossa voz cansada da l’Afrique
masturbação dos batuques de
Nous sommes las de sonner
guerra
l’alarme avec nos tambours
Nossa voz negra gritantdo,
gritando, gritando Nous sommes épuisés de crier
Nossa voz gritando sem et toujours crier
cessar
Nous ne cessons avec nos
Nossa voz milhões de vozes
clamando, millions de voix de clamer et
clamando,clamando!1 de clamer la liberté!2
1
Noémia de Sousa, Sangue negro, Maputo, Associação dos Escritores de Moçambique,
1988, p.33.
2
Traduction personnelle.
165
Césaire quand celui-ci affirme qu’il faut une « attitude active et offensive de
l’esprit d’Aimé Césaire »1 contre le colonialisme. C’est en attaquant ce
phénomène que le peuple mozambicain pourra retrouver la liberté.
Il est à noter que ce poème de Noémia de Sousa est une
représentation de la Négritude. En ce sens, le vers « Notre voix Afrique »
traduit la Négritude offensive. C’est également une manière de réhabiliter le
continent africain. Dans le même ordre d’idées, « Notre voix Afrique »,
« notre voix noire », indique une volonté de solidarité entre les Africains,
pour vaincre le colonialisme. Ce poème révèle par son contenu un caractère
africaniste de la part de Noémia de Sousa. Cela dit, il pose le problème du
colonisé, « Nous ne cessons avec nos millions de voix de clamer et de
clamer la liberté». Noémia de Sousa tisse une écriture poétique engagée et
mène véritablement un combat contre le colonialisme.
C’est dans cette même démarche que nous envisageons d’analyser
les réflexions du poète angolais Agostinho Neto, qui aborde la lutte contre
colonialisme dans une perspective radicalement différente. En effet, dans
son ouvrage intitulé, Sagrada esperança, le poète procède à une remise en
question des méthodes du colonialisme instauré par le régime fasciste
portugais (d’António Salazar).Agostinho Neto touche le fond de la question,
c’est-à-dire la nécessité de combattre avec énergie ce système. Ce qu’il
exprime de la manière suivante :
Luta Guerre
Violência Violence
Vozes de aço ao sol Des bruits métalliques
incendeiam a paisagem jà agissent en plein jour le
quente paysage déjà brûlé
E os sonhos se desfazem Et l’espoir s’estompe face aux
contra uma muralha de milliers de baïonnettes
baionetas ennemies
Nova onda se levanta e os De nouveaux guérilleros se
anseios se desfazem sobre lèvent la foule se lève et les
1
Césaire, Discours, op.cit.,p.84.
166
corpos insepultos inquiétudes s’évaporent face
E nova onda se levanta para a aux nombreux cadavres gisant
luta e ainda outra e outra até au sol
que da violência apenas resta Et de nouveaux combattants
o nosso perdão. viennent encore grossir les
Cadeia do Aljube, setembro rangs
de 19601 Et d’autres et d’autres encore
jusqu’à ce que la guerre nous
libère et permet le pardon.
Prison d’Aljube, Septembre
1960.2
1
Neto, Agostinho, Sagrada Esperança, Lisboa, Sá de Costa, 1974, p.125.
2
Traduction personnelle.
167
armes. Cela dit, le poète cherche à transcender les murs de l’oppression
coloniale. Ceci montre en outre l’humanisme de la part du poète : « jusqu’à
ce que la guerre nous libère et permet ensuite le pardon ». Le triomphe à
l’égard du colonisateur ne se résume pas uniquement à la guerre, mais
surtout à un humanisme, une expression d’amour permanent à la vie et à
l’homme malgré la violence de la guerre coloniale suivie de ses lendemains
de souffrances fâcheuses. Une fois la paix réalisée et la liberté retrouvée il
faudrait dépasser les divergences, oublier le passé et fraterniser. Cela est la
marque d’un homme qui a de la hauteur, un vrai humaniste. Cela rejoint la
Négritude puisque malgré le combat contre l’homme blanc, les penseurs de
la Négritude ne rejettent pas les bonnes valeurs de la civilisation blanche.
Senghor préconise même la symbiose des cultures, le métissage. Neto
partageait ce même idéal.
168
2- L’expression de la souffrance et dénonciation de
l’exploitation du colonisé
1
Craveirinha, José, Karingana ua Karingana, Lisboa, Caminho, 1999, p.69.
2
Traduction personnelle.
169
réfère à l’esclavage, à la vente forcée. C’est donc un sentiment de détresse
profonde face aux atrocités qu’il subissait en permanence.
Les propos de Kabengele indiquent que le poète noir est marqué par
son histoire. En cela, il le manifeste à travers la poésie: « [les souffrances]
infligées aux Noirs ». De la même manière, Kabengele souligne qu’il décrit
(le poète noir) la question de l’acculturation et de la domination culturelle
occidentale. Ce phénomène a engendré des conséquences néfastes chez
l’homme noir et le colonisé. C’est pourquoi il partage cette souffrance avec
son peuple. Le poème de Craveirinha ci-dessus corrobore les angoisses et
1
Munanga, Kabengele, Negritude : Usos e Sentidos, São-Paulo, Atica, 1988, p. 52.
2
Traduction personnelle.
170
les souffrances évoqué par Kabengele. C’est donc par la question de la
souffrance du Noir que nous allons analyser le poème, «Saudação»
d’Agostinho Neto :
Saudação Salutation
A ti, negro qualquer meu Je te salue frère noir du
irmão do mesmo sangue même sang !
Eu saudo!
Que ce message soit le
Esta mensagem seja o elo lien qui me lie à ta
que me ligue ao teu sofer souffrance indissoluble
indissuluvelmente e te et te lie à mon Idéal
prenda ao meu Ideal
Qu’il me transmette la
Que me faça sentir a dor e douleur et la joie du
a alegria de ser o negro- frère noir perdu dans la
qualquer perdido no mato forêt, craintif du monde
com o medo do mundo offusquant et terrible et
ofuscante e terrίvel e nos qu’il m’associe à la
alie agora na busca e me quête et m’oblige à
obrigue a sentar-me ao teu m’assoir à tes côtés à la
lado à mesa suja dos table encombré des
excessos de sábado para restes excessifs du
esquecer a nudez e a fome samedi
dos filhos. Receba esta
Oh frère noir, reçois ce
messagem como saudação
message comme
franternal ó negro-
salutation fraternelle oh
qualquer dans ruas das
frère noir des rues et des
sanzalas do mato sangue
senzalas de la forêt sang
do mesmo sangue valor
de mon sang valeur
humano na amálgama da
humaine dans la
Vida meu irmão a quem
confusion de la Vie mon
saudo!1
frère noir à qui je salue!2
1
Neto, Agostinho, op.cit., p.72-73.
2
Traduction personnelle.
171
noir», et son interlocuteur (le Noir). En ce sens, le poète manifeste de façon
transversale sa négritude. Il dénonce la souffrance de l’homme noir, des
dominés, en exaltant la valeur humaine et l’éloge de la fraternité. Agostinho
Neto adopte une démarche qui lui permet d’exprimer la condition des Noirs,
en même temps, il évoque la souffrance des opprimés du monde.
Chez Agostinho Neto, la nécessité de célébrer la fraternité résonne
tout au long du poème : « que ce message soit le lien que me lie à ta
souffrance indissoluble et te lie à mon Idéal ». Ici, le poète affiche son
intime conviction de porter au plus haut sa condition de noir. En tant que
poète noir, Neto se sent solidaire, bien sûr, de tout homme torturé dans le
monde. Un tel engagement justifie pleinement « [l’] Idéal » incarné par le
poète. Ainsi, il ne se limite pas à une simple formulation de la souffrance
des Noirs. Il insiste sur la symbolique de la solidarité entre les noirs ainsi
qu’aux opprimés. Cela marque une convergence avec le Cahier de Césaire
« je serais un homme-juif un homme-de-Harlem-qui-ne vote pas /je salue les
trois siècles qui soutiennent mes droits civiques et mon sang minimisé 1». En
outre, c’est autour de cette solidarité que la Négritude peut fleurir, car elle
reste dans une certaine mesure une source de libération des consciences en
souffrance. Ce qui traduit une vision humaniste de la part du poète en quête
d’un grand souffle, d’une grande lancée − la libération de l’homme par
l’homme : « Oh frère noir des rues et des senzalas de la forêt sang de mon
sang valeur humaine dans la confusion de la Vie mon frère noir à qui je
salue ». C’est en ces termes, en effet, que le poète tente d’exorciser la
souffrance des siens, pour que subsistent à la fois l’espoir et un hymne à la
fraternité.
Dans cette perspective, Noémia de Sousa, pour sa part, tente de
mettre en filigrane la souffrance qui envahit son esprit et l’assume. Il
convient de préciser que Noémia de Sousa vient renforcer la question de la
souffrance à l’exemple de Neto. C’est pourquoi elle procède à une
dénonciation du contexte colonial au Mozambique, pour en indiquer parfois
l’aspect inhumain de la situation coloniale en terre africaine. Analysons à
1
Césaire Aimé, Cahier, op.cit.p.20-40.
172
présent le poème, «Poésie, ne viens pas », pour voir de quelle manière elle
illustre cette situation :
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.123-124.
173
oh !
Poésie ! Il sera mieux que tu
restes là où tu es, et ne viens
pas aujourd’hui, non!1
1
Traduction personnelle.
174
sa mission malgré « [ses] larmes faibles » qui circulent en elle. En ce sens,
la voix poétique s’élève au nom d’un peuple – elle s’exprime au nom de tout
le monde et renonce parfois à ses sentiments les plus profonds, « Oh,
Poésie, ne viens pas aujourd’hui, ne vois-tus pas que mon âme ne peut te
comprendre ?». C’est pourquoi ce poème met en filigrane la prise de
conscience de la voix poétique en tant que faisant partie d’un peuple. Pour
Noémia de Sousa, les maux des Africains viennent du régime colonial
inhumain. Ainsi, la forme la plus exacerbée du régime colonial correspond à
l’exploitation de la main d’œuvre africaine.
Dans cette perspective du rapport dominant et dominé, il semble que
l’administration coloniale portugaise a marqué les consciences des peuplés
luso-africains (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Cap-Vert, São- Tomé
& Principe) dans la mesure où le colonisé avait presque perdu tous ses
droits− il était souvent l’objet d’une exploitation économique organisée et
parfois brutale. Le poème, « Contratado », dans Sagrada esperança, du
poète angolais Agostinho illustre bien cette situation assez complexe :
Contratados Travailleurs
Longa fila de contractuels
carregadores Une longue queue de
domina a estrada travailleurs contractuels
com os passos rápidos aux pas rapides se
Sobre o dorso bouscule sur la route
levam pesadas cargas Ils portent sur le dos des
Vão fardeaux lourds
olhares longínquos Ils s’en vont avec les
corações medrosos regards lointains les
braços fortes cœurs inquiets les bras
sorrisos profundos como forts les sourires profonds
águas profundas comme les eaux
Largos meses os separam profondes
dos seus Des mois entiers ils loin
e vão cheios de saudades des siens et ils partent
e de receio mas cantam remplis de mélancolie et
Fatigados de peur mais ils chantent
esgotados de trabalhos Ayant accumulé
mas cantam beaucoup d’injustices au
175
Cheios de injustiças plus profond d’eux-
caladas no imo das suas mêmes ils chantent en
almas versant des larmes
e cantam Ils s’en vont
Com gritos de protesto Ils se perdent dans le
mergulhados nas lágrimas lointain
do coração
Ils se perdent dans le
e cantam
lointain avec leurs chants
Lá vão tristes
perdem-se na distância
Ah !
na distância se perdem os
seus cantos tristes Ils chantent...2
Ah!
Eles cantam…1
1
Neto, Agostinho, op.cit.,p.65.
2
Traduction personnelle.
176
autour de « [ces] chants de protestation des travailleurs avec des larmes aux
yeux.» En ce sens, Neto défend la cause des Noirs (exploités). Le chant est
connoté positivement. Il exprime un sentiment intérieur. Il transcende la
frustration subie par ces travailleurs. Le fait de chanter à l’unisson montre
que les Noirs dominent l’adversité parce que le chant permet de supporter le
calvaire en même temps. Il annonce la force collective qui va sonner le glas
du colonialisme, « Ah ils chantent ». Il est essentiel de dire que la voix
poétique met en écharpe d’autres voix mêlées en elle, pour mieux mener la
libération des exploités de façon collective : « Ah! Ils chantent ». Neto
prend conscience de la condition des siens. C’est grâce à son imagination
qu’il exprimait leur expérience douloureuse. L’imagination permet au poète
de s’envoler, de s’émanciper de la vie réelle. Elle lui offre également la
possibilité de concevoir une nouvelle condition de la vie. A l’instar des
chantres de la Négritude (Césaire, Senghor et Damas), Neto dénonce le
drame des Noirs ainsi que le colonisé exploité. C’est pourquoi dans le
poème on remarque que la lutte est collective et que la poésie est une arme
de combat chez Neto. Il dénonce en même temps qu’il planifie les combats
futurs.
Dans le poème, « Travailleurs contractuels» d’Agostinho Neto, les
rapports entre exploitants et exploités en période coloniale en Angola
peuvent être confirmés par les réflexions du poète mozambicain José
Craveirinha dans son ouvrage Xigubu. Dans Xigubu, la voix poétique tente
d’examiner de façon subtile l’univers colonial mozambicain à travers le
poème, « Grito» :
177
Et tu me brûles, patron
Eu sou carvão Pour te servir de moi
e tenho que arder sim; éternellement comme ta source
queimar tudo com a força da d’énergie mais cela ne peut pas
minha combustão. durer éternellement
Patron !
Eu sou carvão! Je suis charbon !
tenho que arder na exploração
arder até às cinzas da Et je dois brûler oui, entièrement
maldição en qualité de combustible
arder vivo como alcatrão, meu Je suis charbon
irmão
Je dois brûler dans l’exploitation
Até não ser tua mina
Brûler jusqu’à être transformer
Patrão!1 en cendre par un mauvais destin
Brûler ardemment comme le
goudron, mon frère
Jusqu’à ma disparition totale
Patron!2
1
Craveirinha, José, Xigubu, Lisboa, Ed.70, 1980, p.11.
2
Traduction personnelle.
178
On note, par ailleurs, que le Néo-réalisme et la Négritude sont cités
dans ce poème. Le Néoréalisme courant littéraire qui défend la cause des
opprimés et la Négritude défend les valeurs de Noirs et des opprimés. « Cri
noir », correspond aux souffrances et au cri de ras le bol des Noirs. C’est
pourquoi la présence des deux mouvements cités plus haut chez Craveirinha
renvoie à la dénonciation du système colonial et ses formes d’exploitation
considérable au Mozambique. De ce point de vue, ce poème se rapproche
des réflexions de Carmen Tindó Ribeiro Secco qui aborde la question des
influences de la littérature mozambicaine et, elle affirme :
Secco, Carmen Tindó Ribeiro, Antologia do mar na poesia africana de língua portuguesa
1
do século XX: Moçambique, São Tomé e Príncipe, Guiné-Bissau. V.3. Rio de Janeiro:
UFRJ-Setor de Literaturas Africanas de Língua Portuguesa, 1999.
2
Traduction personnelle.
179
littérature mozambicaine durant la période coloniale portugaise. D’une
certaine manière, elle tente d’indiquer le rôle de ces mouvements dans le
combat contre le régime colonial, comme cela apparaît dans le poème « Cri
noir » de Craveirinha.
Signalons que la dénonciation de la souffrance du colonisé chez
Craveirinha crée une révolte puisqu’il s’agit purement de l’exploitation de
l’homme par l’homme. Cela se remarque à travers les vers, « Et tu me
brûles, patron /Pour te servir de moi éternellement comme ta source
d’énergie mais cela ne pas durer éternellement /Patron ! ». Le poète exprime
l’état de sa condition humaine qui est réifiée par le colonisateur. En effet,
étant conscient de que sa condition humaine est menacée, le poète met en
garde le colonisateur par rapport à cette situation inhumaine. Craveirinha
aborde de forme subtile la question de l’esclavage durant le régime colonial
au Mozambique. En cela, ce poème peut être assimilé à la représentation de
la Négritude du Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, qui dénonce
l’asservissement du colonisé. Craveirinha est viscéralement hostile à l’ordre
colonial à la fin du poème : « Brûler vif comme le goudron, mon frère/
Jusqu’à ne plus être ta mine/ Patron ! ». Le discours poétique de Craveirinha
suggère une sorte de recréation à l’égard des atrocités du régime colonial. A
travers son imagination, le poète dénonce les affres du colonialisme au
Mozambique avant le processus d’indépendance.
180
escravos dos negros noirs revenant du travail, ta
regressando do trabalho, voix fraternelle me pénètre de
chega-me de longe a tua voz loin, claire comme une pleine
fraterna, nίtida como lua cheia lune apportant le message
no espaço, trazendo a persistant de combattant
mensagem da tua palavra avéré, message d’espoir
afiada de lutador, esperança toujours renouvelé et visible
sempre renovada de teus dans tes yeux illuminés
olhos iluminados prometendo promettant des lendemains
madrugadas maravilhosas merveilleux2
[...].1
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.112.
2
Traduction personnelle.
181
lendemains merveilleux.». De la même manière, le message d’espoir
indique que le Noir fait entendre sa voix, traverse les distances et s’impose
comme la pleine lune qui est distincte et qui illumine le ciel. Ce qui traduit
la métaphore de la force collective et de la victoire future, « des lendemains
merveilleux ». Ceci nous amène à aborder une poésie portée sur la question
de la liberté chez Agostinho Neto, Noémia de Sousa, José Craveirinha.
182
3- Revendication de la liberté
183
à tirania e a vitória contra classe sociale, une résistance
ela.1 à la tyrannie et une victoire
contre elle2
1
Chaui, Marilena, Convite à filosofia, São-Paulo, Ática, 1999, p.364-365.
2
Traduction personnelle.
184
Havemos de voltar Nous voulons retourner
Às casas, às nossas lavras às A nos maisons, à nos labours
praias, aos nossos campos A nos plages, à nos champs
havemos de voltar
nous voulons retourner
Às nossas terras vermelhas do
A Nos terres rouge de café,
café brancas do algodão verde
sous l’éclat du coton blanc
dos milharais havemos de
aux champs de mil
voltar
reverdissant
À bela pátria angolana nossa
Nous voulons retourner à nos
terra, nossa mãe havemos de
voltar champs de mil, à nos mines
de diamants, d’or, de cuivre,
Havemos de voltar à Angola
de pétrole
libertada
nous voulons retourner à nos
Angola independente
fleuves, à nos lacs, à nos
Cadeia de Aljube, Outubro,
montagnes, à nos forêts
1960.1
nous voulons retourner à la
fraicheur de nos mulembas, à
nos traditions, à nos rythmes
et au clair de la lune
nous voulons retourner au
marimba et au quissangue,
à notre carnaval
nous voulons retourner à
notre belle patrie angolaise, à
notre terre, à notre mère
nous voulons retourner en
Angola libérée, Angola
indépendante
Prison d’Aljube, 1960.2
1
Neto, Agostinho, op.cit., p.127.
2
Traduction personnelle.
185
une question fondamentale en matière de conquête de la liberté. Il y a aussi
une reconquête des biens perdus chez la voix poétique.
1
A symbol of freedom and not an unbridled return to the past…because the poet’s
ideological vision of the march of history is not towards the past but towards the future,
(Traduction personnelle), Nwezeh, E.C, Literature and Colonialism in Losophone Africa,
Lagos, Centre For Black and African Arts and Civilisation, 1986, p.255.
186
Dans un autre poème intitulé, « A renúncia impossivel », Agostinho
Neto devient plus vindicatif :
1
Neto Agostinho, Poemas inéditos, Luanda, INALD, 1982.p. 22.
2
Traduction personnelle.
187
et le refus de l’exclusion. Agostinho Neto donne ainsi plus de sens à sa
négritude – une façon de dire que le fait d’être noir ne diminue en rien sa
qualité d’être humain capable comme tout autre « race » de contribuer à la
civilisation universelle. C’est effectivement un appel à un nouvel ordre du
monde. Aussi, l’emploi de l’adverbe et du futur, « je n’abdiquerai jamais »
renforce la volonté du poète de baliser son chemin en vue de réaliser un
futur meilleur.
1
Evidentemente, a luta de Neto não era somente libertar seu povo, mas também assegurar
para ele um futur melhor (in) Omoteso, Ebenezer Adedeji, Ideologia e Engajamento em
Agostinho Neto e Léopold Sedar Senghor : uma perspectiva comparativa, Luanda,
Fundação Dr Antônio Agostinho Neto, 2009, p.42. (traduction personnelle).
188
Poema Poème
Aqui tens o meu poema, Tu as ici mon poème, frère.
irmão. Malgré tout, frère, cher
Apesar de tudo, irmão, camarade de toutes les luttes,
companheiro querido de todas rien n’arrêtera notre solide
as lutas, nada conseguirá marche vers le futur. Rien !
quebrar nossa marcha firme Et nous n’accepterons pas
para o futuro. Nada! qu’on étouffe ton cri humain,
E não consentiremos que se marqué de révolte et
abafe teu grito humano, d’espoir ;
recortado em revolta e Nous ne laisserons pas que
esperança; não deixaremos soient cruellement amputées
que sejam cruelmente tes mains ouvertes et étendues
amputadas tuas mãos abertas […]
e estendidas [...] Não nos
Nous ne resterons pas
quedaremos inactivos!
inactifs !
Lutaremos, irmão!
Nous lutterons, frère !
Continuaremos... E nossas
vozes triunfais quebrarão as Nous continuerons...
grades, pedra por pedra Et nos voix triomphantes
demolirão as paredes em que briseront les grilles, pierre par
te isolaram, nossas vozes pierre, elles démoliront les
tambores ressoarão noite e murs où ils t’ont isolé, nos
dia, sem parar e irão falar-te, voix tambour retentiront jour
atravès de tudo, da vida viva et nuit, sans arrêt, et te
que não pára nunca, da luta parlerons, partout de la vie
que pressegue sempre, cada dynamique qui ne s’arrête
vez mais firme, cada vez mais jamais, de la lutte qui se
certa no caminho sagrado que poursuit toujours, de plus en
nos indicaste, plus solide, de plus en plus
Lutaremos, irmão! certaine dans le chemin sacré
que tu nous as montré,
Ah, lutaremos!1
Nous lutterons, frère !
Ah, nous lutterons!2
1
Noémia de Sousa, op.cit.,p.107-108.
2
Traduction personnelle.
189
Chez Noémia de Sousa, l’énonciation de la fraternité, « Tu as ici
mon poème, frère », « frère, cher camarade de toutes les luttes, rien
n’arrêtera notre solide marche pour le futur », reste imbriquée au combat de
lutte anticoloniale qui permettra de libérer son peuple. C’est précisément là
que réside la force de la parole poétique – celle qui anime et vise à
émanciper l’Autre. Par ces deux vers ci-dessus, Noémia de Sousa prend
conscience que la libération de soi et par soi n’a des lendemains meilleurs
que dans la lutte collective contre l’envahisseur. En exprimant un discours
collectif, la voix poétique se mue en une autre voix, celle qui féconde, « [la
route] vers le futur. ». L’emploi du pronom indéfini, « rien », dans le
deuxième vers traduit une solidité de l’engagement, de même que de la
détermination chez Néomia de Sousa.
191
Chapitre II
192
Le moi, ce n’est pas un être qui reste toujours le même, même l’être dont
l’exister consiste à s’identifier, à retrouver son identité à travers tout ce
qui lui arrive. Il est l’identité par excellence, l’œuvre originelle de
l’identification1
1
Levinas, Emmanuel, Totalité et infini, Martinus Nijhoff, Livre de Poche Biblio essais
(présente édition), Paris, 1978, p.25.
2
Memmi, Albert, Testament insolent, Odile Jacob, Paris, 2009, p.93.
3
Levinas, op.cit., p. 25.
4
Diop, Cheikh Anta, Civilisation ou Barbarie, « comment définir l’identité culturelle »,
Présence Africaine, Paris, 1981, p. 271.
5
Ibid, p.272.
193
Chez Diop, il est question de défendre et de valoriser la conscience
historique dans la mesure où elle est l’épine dorsale, voire une arme
culturelle contre toutes les formes d’agressions culturelles. En effet, Diop
pense que : « la destruction de la conscience historique a fait partie en tout
temps des techniques de colonisation, d’asservissement et d’abâtardissement
des peuples1». C’est pourquoi Diop pense qu’elle vient renforcer l’idée
d’une conscience culturelle et en même temps d’un sentiment d’identité
culturelle chez des peuples dominés. C’est par ce biais qu’un peuple peut
envisager selon Diop, « d’inventer une technique − orale ou écrite − de sa
mémorisation et de son accumulation2.».
1
Diop Cheikh Anta, Civilisation ou barbarie, op.cit., p.272.
2
Ibib, p.275.
3
Ibid, p.275.
4
Ethiopiques numéros 40-41.
Revue trimestrielle de culture négro-africaine nouvelle série - 1er trimestre 1985 - volume
III n°1-2 in http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article 990
5
Diop, Civilisation ou Barbarie, op.cit., p.275.
194
toute sorte d’agression culturelle, voire contre l’acculturation. C’est pour
cette raison que Diop mentionne aussi l’importance du troisième facteur
dans le raffermissement de l’identité culturelle. Cela correspond au facteur
psychologique qui se manifeste d’éléments constitutifs de la personnalité
culturelle, c’est-à-dire, l’identité culturelle. A ce propos, Diop soutient que
ce dernier facteur est traditionnellement appréhendé de façon qualitative à
partir de la littérature et de la poésie en particulier. Le facteur historique et
linguistique ne sont perceptibles qu’à partir d’une approche scientifique
rigoureuse1. Comme le disait Robert Jaulin: les « hommes » n’existent
qu’en terme de culture, et la planète terre héberge diverses cultures
humaines irréductibles entre elles ; ces cultures s’assument, s’inventent, ne
sont jamais figées, elles ne peuvent dialoguer que si elles existent, que si
l’humanité demeure plurielle2 ».
1
Diop, Cheikh Anta, Civilisation ou barbarie, op.cit., p.279.
2
Ethiopiques numéros 40-41, 1985.
Revue trimestrielle de culture négro-africaine nouvelle série - 1er trimestre 1985 - volume
III n°1-2 in http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article 990
195
1- Conscience de soi et dénonciation des
stéréotypes comme une affirmation de soi
Trompette faite avec la corne de l’antilope et qui sert à lancer un appel ou à convoquer le
1
1
Craveirinha, José, Karingana ua Karingana, op.cit., p.143-144.
2
Traduction personnelle.
197
l’identité nationale et son origine culturelle. Par ce biais, Craveirinha met en
relief sa négritude. Il manifeste donc son africanité, son appartenance à une
culture africaine en même temps qu’il veut sauver sa terre africaine. En cela,
on est dans les créneaux de la Négritude. Craveirinha ne se limite pas à
évoquer ces instruments musicaux, il se réclame et s’approprie ce legs
ancestral.
1
Ao expressar as virtudes das culturas africanas, Craveirinha tentou transformar a aparente
inferioridade cultural dos povos colonizados e subjugados, num resgate de criatividade,
força e esperança. Portanto, este autor “contribuiu com sua poesia para a “invenção” de
uma literatura autônoma e moderna”, Chabal, Patrick, Vozes Moçambicanas-literatura e
nacionalidade, Lisboa,Veja, 1994, p.56.
198
Mãe Ma mère
Minha Mãe: Maman:
Trago a resina das velhas Je porte dans mes veines
árvores la sève des vieux arbres de la
da floresta nas minhas veias forêt
E a sina de nascença Et le destin de naissance au
no meio das baladas à volta milieu des danses autour du
da fogueira feu
1
Craveirinha, José, Karingana ua Karingana, op.cit.,p.95.
2
Traduction personnelle.
199
naturel, à sa terre-mère, le Mozambique, ou encore à sa mère africaine.
Craveirinha vient incarner par l’imagination l’apport de l’identité culturelle
mozambicaine, voire négro-africaine dans son acte poétique. Il s’inscrit dans
la quête d’une identité et d’une d’affirmation de ses origines à travers son
acte poétique assez original. Selon les propos d’Ana Malfada Leite,
Leite, Ana Mafalda, A Poética de José Craveirinha, 1ª ed., Lisboa, Vega, 1991,p.17.
1
2
Traduction personnelle.
200
Ana Malfada Leite montre les caractéristiques de la poésie de José
Craveirinha. Pour elle, l’ouvrage Karingana ua Karingana représente le
milieu traditionnel mozambicain dont s’inspire le poète pour retrouver ses
racines et prendre ainsi conscience de ses origines. C’est pourquoi elle
insiste sur la forte influence du facteur linguistique local, ses liens maternels
et sur l’espace géographique dans a poésie de Craveirinha. Cela permet de
dire que le poète veut s’émanciper − une sorte de fondation de soi-même
autour des paroles poétiques évoquant son mode d’être. Revenant au poème,
« Ma mère », on note que la structure du poème montre l’importance de la
symbolique du sang maternel chez José Craveirinha. C’est-à-dire qu’il y a
une sorte de force qui se manifeste dans l’évocation de la mère.
1
Craveirinha, José, Karingana ua Karingana, op.cit.,p.108.
2
Traduction personnelle.
3
O poeta dizia que tinha nascido duas vezes : a primeira no dia do parto e a segunda no dia
em que tomou consciência de que era mestiço, Craveirinha cité par Laban, Michel,
Moçambique : encontro com escritores, Porto: Fundação Eng. António de Almeida, 1998,
vol.2, p.10-13.
4
Não estou dividido, estou repartido. Não me dividiram. Eu amo as duas culturas,
Ibid, p.54.
202
titre de l’ouvrage, Karingana ua Karingana − il était une fois1. C’est dans
ce sens que Craveirinha évoque sa mozambicanité en mettant en valeur une
prise de conscience de soi, de son africanité et sa négritude.
Dans un autre poème qui illustre sa vision, Craveirinha reste très
enraciné à la terre mozambicaine et attaché au monde négro-africain :
Manifesto Manifeste
[...] Oh! E meu peito da [...] Oh! Et mon corps le plus
tonalidade mais bela do breu e beau et notre baobab notre
no embondeiro da nossa espoir sans égal marqué par le
inaudita esperança gravado o totem le plus invincible du
tótem mais invencível tótem Monde et ma voix affective
do Mundo e minha voz d’homme du Tanganyika, du
estentória de homem do Congo, d’Angola, du
Tanganhica do Congo, Mozambique et du Sénégal.
Angola, Moçambique e Ah! Encore une fois
Senegal.
moi le chef Zulu
Ah! Outra vez eu chefe zulo
Moi le chasseur Bantu
eu azagaia banto
Moi le lanceur de mauvais
eu lançador de malefícios sort contre les insatiables
contra as insaciáveis pragas criquets de malheur
de gafanhotos invasores envahisseurs
Eu tambor, Moi le tambour
Eu suruma Moi le noir suaili
Eu negro suaili Moi le Tchaca
Eu Tchaca Moi le Mahazul et le
2
Eu Mahazul e Dingana . Dingana3.
1
Era uma avez tiré de Karingana ua Karingana,op.cit.,p.224
2
Craveirinha, José, Xigubo, op.cit.,p.33.
3
Traduction personnelle.
203
et le «totem » sont ici des signes, des éléments qui symbolisent la vitalité de
l’univers culturel mozambicain. En évoquant le totem, Craveirinha
s’enracine dans ses croyances ancestrales et dans son identité, « le totem
plus invincible du Monde».
204
antepassados parmi les ancêtres, très bientôt
Á terra deixarei os despojos Je laisserai à la terre les restes
do meu corpo inútil de mon corps inutile
as unhas córneas de todos os les ongles usés par les durs
labores labeurs
este invólucro sulcado pela Tant que je ne parle pas avec
aranha dos dias la voix de Nyanga chaque
Enquanto não falo com a voz aube est une victoire, je la
do nyanga célèbre avec le rire
irrévérencieux de ma victoire
cada aurora é uma vitória
secrète
saúdo-a com o riso irreverente
Oyo, oyo, quelle vie!
do meu secreto triunfo
Les esprits ancestraux
Oyo, oyo, vida!
m'attendent au-delà de cette
Para lá daquela curva courbe2
Os espíritos ancestrais me
esperam1
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.149.
2
Traduction personnelle.
205
afin de mieux sentir son existence. Elle nous révèle symboliquement le
monde animiste africain.
1
Serra, Carlos (org). Identidade, moçambicanidade, moçambicanização, Maputo, Ed.
Universitária, 1998,p.90.
2
Traduction personnelle.
206
La structure du poème « La femme qui se projette dans l’au-delà de
la vie et de la mort » nous donne une idée de l’architecture socioculturelle
mozambicaine. Noémia de Sousa vient témoigner à travers ce poème
l’importance des valeurs culturelles ainsi que la place de la femme dans la
construction de l’identité au Mozambique. A cet effet, le titre du poème est
assez suggestif dans la mesure où il résume une supposée force intérieure de
la femme − elle ne craint rien, ni la réalité de la vie, ni la mort. En ce sens,
la voix poétique exprime par là le caractère éphémère du corps humain, « Je
laisserai à la terre mon corps inutile.». C’est justifier et renforcer son désir
de dialoguer avec les ancêtres invisibles chez la poétesse.
1
Momplè, Lilia, In: A mulher escritora em África e na América Latina. (org. Ana
Maria Mão de ferro), Évora, Editorial Num, 1999, p.31.
2
Traduction personnelle.
207
Momplè explique de façon claire que la femme mozambicaine est la
colonne vertébrale de l’identité culturelle de son pays. Autrement dit, elle
reste un être actif, puisqu’elle fait l’éloge des valeurs culturelles de son
peuple à l’instar de Noémia de Sousa. De ce point de vue, elle est comme
un modèle du monde culturel mozambicain. Le poème « La femme qui se
projette de l’au-delà de la vie et de la mort » illustre bien le rôle de la femme
et son apport dans la construction du processus identitaire mozambicain.
Aussi, il exprime le pouvoir de la femme de se projeter vers l’au-delà et de
rejoindre les ancêtres protecteurs. En un mot, Noémia de Sousa parvient à
résoudre les contradictions de la vie. C’est sa manière de vaincre les affres
du colonialisme et ce qui lui procure une victoire sécrète. En cela, sa
démarche relève donc d’une certaine perception des modèles culturels
purement africains.
1
Bâ, Amadou Hampaté, Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence Africaine,
(1972 première Ed,), 2008, p.25.
208
Hampaté Bâ met en relief dans ce fragment l’importance de l’oralité
dans les civilisations africaines. Il soutient que la parole est l’homme.
Autrement dit, elle est une arme puissante agissant sur le monde africain. Il
s’agit là d’une prise de conscience de la valeur « [des] récits traditionnels »,
du fait qu’ils permettent de donner une continuité ou de transmettre aux
nouvelles générations un patrimoine culturel et historique riche. C’est
pourquoi Amadou Hampaté Bâ considère que les traditions orales africaines
restent des mémoires indélébiles − une autre façon de véhiculer des
messages, de récréer un monde. Ce qui laisse croire que la parole dans les
cultures africaines contient une teneur sacrée comme l’indique le poème,
« La femme qui se projette de l’au-delà de la vie et de la mort ». Dans ce
poème, Noémia de Sousa s’inspire poétiquement des récits traditionnels
pour conter et accéder au monde des vivants et des morts « Les esprits
ancestraux m'attendent au-delà de cette courbe.». Il y a là une forme de
création de l’univers traditionnel mozambicain où l’oralité et la mémoire
sont une source de vie. Noémia de Sousa met ainsi en valeurs ces deux
éléments traditionnels pour lancer un message. C’est une aussi manière de
rejeter la culture occidentale et de marquer son africanité.
Dans un autre poème intitulé, « Sang noir », Noémia de Sousa nous
replonge dans ses racines africaines, voire l’histoire africaine :
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.140-141.
2
Traduction personnelle.
210
de vue thématique, mais aussi par rapport au recours stylistique de
résonance verbale (Traduction personnelle).1».
Chez Noémia de Sousa, l’idée de conscience de soi part aussi d’un
retour aux sources, « je retourne à mon origine millénaire ». En ce sens
s’opère un renouvellement de soi afin de créer une nouvelle condition de la
vie chez la poétesse. Un tel désir traduit une sorte d’émancipation intérieure
ainsi que celle de son peuple. L’émancipation est constatée au moment où la
voix poétique déclare, « pour que je vibre », « pour que je crie », « pour je
sente ». Consciente de son lien avec sa « Mère Afrique » occupée, Noémia
de Sousa se projette pour mieux sentir son Afrique. C’est en outre un
dialogue filial qui se tisse entre Noémia de Sousa et la Mère-Afrique
Étant métisse, la Noémia de Sousa ne cesse de mettre en valeur son
héritage africain, « je ne peux, je ne peux renier le sang noir ». C’est
également une façon d’être soi-même, de s’affirmer en résistant aux
agressions culturelle du régime coloniale. En cela, le titre du poème rappelle
celui de l’ouvrage en question, Sang noir, pour indiquer son attachement
presque viscéral à l’univers négro-africain ou africain, « Car en moi, dans
mon âme, dans mes nerfs, il est plus fort que tout, il me faut vivre». Nous
remarquons que non seulement le sang noir coule dans les veines de
l’auteur ; mais aussi il est la source et le gage de son identité. Ainsi, la
dernière strophe montre que Noémia de Sousa s’adonne à un auto-
engendrement. Elle prend conscience que c’est le sang noir qui lui a donné
la vie ; elle est elle-même l’expression de ce sang. Elle lui donne du sens à
la fois humainement et esthétiquement, « je vibre » « le sang mêlé que tu
m’as légué », « il est à l’origine de ma souffrance, de mon bonheur Mère.».
Comme le souligne Alfredo Bosi dans O ser e o tempo da poesia : « Le
1
poesia de forte impacto social, acusatória, a sua linguagem, em muitos aspectos, faz
lembrar a do antilhano Aimé Césaire, não só do ponto de vista temático, como pelo recurso
estilístico à ressonância verbal in: Ferreira, Manuel, Literaturas Africanas de Expressão
Portuguesa – II, Lisboa, Instituto de Cultura Portuguesa, 1977, (Biblioteca Breve, Vol. 7),
1977, p.73.
211
poète est celui qui donne du sens 1(Traduction personnelle).», dans la
mesure où la voix poétique désire donner du sens à sa vie, à son être en étant
ce qu’elle est : « je vibre », « il est ma souffrance, mon bonheur Mère ». Le
vivre, le souffrir et la symbolique du partage avec sa Mère-Afrique malgré
la complexité de la situation coloniale et de la vie tout court. Donc dans la
souffrance, elle s’identifie à sa mère patrie, l’Afrique. La valeur sémantique
des verbes cités ci-dessus suggère aussi une fusion organique, un processus
d’affirmation de soi. Cela conduit également à une conscience de soi
remarquable, à un désir ardent de dire ce qu’on est ou d’être ce qu’on est −
mozambicaine et africaine.
L’affirmation de la conscience de soi va se cristalliser davantage
dans Sagrada esperança du poète angolais Agostinho Neto. En cela, il
convient d’analyser le poème, « Nous voulons retourner »,
1
O poeta é doador de sentido in: Bosi, Alfredo, O ser e o tempo da poesia, São-Paulo,
Cultrix, 1985, p.141.
212
havemos de voltar et au quissangue,
À bela pátria angolana à notre carnaval
nossa terra, nossa mãe nous voulons retourner à
havemos de voltar
notre belle patrie angolaise, à
À Angola libertada Angola
notre terre, à notre mère
independente
nous voulons retourner en
Cadeia de Aljube, 19601
Angola libérée, Angola
indépendante
Prison d’Aljube, 1960.2
1
Neto, Agostinho, Sagrada esperança, op.cit.,p.127.
2
Traduction personnelle.
213
également une façon de retrouver son milieu naturel, comme/ [ses]
fleuves/lacs/montagnes/forêts/que le régime colonial portugais a confisqués
et exploités.
Dans cette dynamique, la nécessité vitale de retourner à la terre
natale s’accentue dans la cinquième et sixième strophe. Il ne s’agit pas d’un
retour banal : un retour aux sources africaines. Il y a donc une prise de
conscience de soi débouchant sur une réappropriation de l’identité
angolaise. C’est pourquoi le retour aux sources est une nécessité vitale. Il
exige et mérite qu’on se sacrifie pour la Mère-patrie, l’Angola. En outre, ce
retour replace l’Africain dans son contexte culturel authentique, il reprend
sa vie naturelle, vivre son africanité. Une telle démarche permet au colonisé
d’être à même de reprendre son mode de vie et de vivre sa culture. En
retournant aux sources, aux traditions, le poète incite l’homme angolais à
exalter sa culture. A ce propos, l’emploi du /Nous/ dans la structure du
poème vient renforcer ce désir collectif, une sorte de volonté collective dans
l’affirmation de soi. A travers un langage poétique fortement marqué par
des accents patriotiques, Neto essaie de retransmettre cette réalité vécue par
le peuple angolais. En effet, comme l’affirme Octavio Paz : « le langage
indique, représente ; le poème n’explique ni ne représente : il suggère. Il ne
fait pas allusion à la réalité ; il prétend− et parfois il réussit − à la récréer. La
poésie est une plongée, elle s’inspire de la réalité et dès fois elle correspond
à la réalité même. (Traduction personnelle) ».1
Agostinho Neto nous plonge à travers la poésie dans l’univers
angolais et africain. En exaltant le retour aux coutumes, le poète rejette
l’assimilation, l’ordre imposé par le régime colonial et désire reprendre son
identité africaine. Voilà pourquoi l’aspect rythmé du poème et le choix des
mots renvoyant à la réalité africaine comme le « mulemba, marimba,
quissangue, servent à exprimer son africanité. On note que le poème est
comme un hymne où la voix poétique incarne ou véhicule un message de
1
“A linguagem indica, representa ; o poema não explica nem representa : apresenta. Não
alude à realidade; pretende − às vezes o consegue – recriá-la. A poesia é um penetrar, um
estar ou ser na realidade.” Paz, Otavio, A imagem In: Signos em Rotação, São-Paulo,
Perspectiva, 2003, p.50.
214
conscience de soi. En conséquence, les deux dernières strophes évoquent la
future patrie angolaise.
En sensibilisant leur peuple sur la condition du colonisé, les poètes
d’Afrique lusophone deviennent de plus en plus des éclaireurs de
conscience et même des visionnaires. En cela, la prise de conscience du
contexte colonial permet de dénoncer les stéréotypes. C’est la raison pour
laquelle la critique du régime colonial passe par le refus des stéréotypes, des
clichés établis par les colonialistes pour discréditer l’Africain. D’ailleurs
c’est une des grandes préoccupations de la Négritude. Dans ce sens, il est
nécessaire de définir la notion de stéréotype pour comprendre comment elle
s’articule avec la littérature. Cela permet de voir si la dénonciation des
stéréotypes en période coloniale traduit une manière d’exprimer son
identité ; l’on sait que le colonisé souffrait le reniement de sa culture par le
colon. Il convient de dire que les stéréotypes ne sont pas imposés à la
littérature ; mais qu’ils établissent avec elle une relation dynamique et
complexe en même temps.
En effet, la notion de stéréotype vient, selon Ruth Amossy, d’une
contribution pionnière de Walter Lippmann dans son ouvrage Opinion
publique de 19221. Pour Walter Lippmann, les stéréotypes sont des images
présentes dans notre esprit sous forme de représentations toutes faites, des
schèmes culturels préexistants, à l’aide desquels chacun filtre la réalité
ambiante. Ainsi, ces images sont des médiations qui modulent notre rapport
au réel. Dans cette perspective, Ruth Amossy soutient la thèse selon laquelle
« le stéréotype relève d’un processus de catégorisation et de généralisation,
il simplifie et élague le réel ; il peut ainsi favoriser une vision schématique
et déformée de l’autre qui entraîne des préjugés.2». En ce sens, Amossy
affirme que ces images dans notre esprit relèvent de la fiction non pas parce
qu’elles sont mensongères, mais parce qu’elles expriment un imaginaire
social. Dénoncer le stéréotype et ses effets néfastes est selon Ruth Amossy
une arme au service des peuples. C’est également une façon de combattre
1
Lippmann, Walter, Opinion public cité par Amossy Ruth, Les idées reçues. Sémiologie du
stéréotype, Paris, Nathan, 1991, p.26.
2
Amossy Ruth, Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan, 1991, p. 21-27.
215
les hiérarchies abusives, l’oppression et la discrimination1. Ceci peut
s’appliquer donc au contexte colonial, voire l’imaginaire colonial en
Afrique lusophone.
Patrão Patron
Patrão, patrão, oh meu patrão Patron, patron, oh mon
Porque me bates sempre, sem patron! ,
dó, Pourquoi me frappes-tu
com teus olhos duros e hostis, toujours, sans pitié,
com tuas palavras que ferem avec tes yeux durs et hostiles
como setas avec tes mots qui blessent
com todo o teu ar de desprezo comme des flèches
motejador
avec ton air méprisant et
por meus actos forçadamente
moqueur le travail forcé
servis,
auquel je suis soumis et même
1
. Amossy Ruth, op.cit.,p. 45.
216
e até com a bofetada des fois avec une gifle
humilhante na tua mão? humiliante ?
Oh, mas porquê, patrão? Diz- Oh, mais pourquoi, patron?
me só: que mal te fiz?(Será o Dis-moi juste : Que t’ai-je fait
teu eu nascido assim com esta de mal?
cor?) Patrão, eu nada sei … (Est-ce parce que je suis née
Bem vês avec cette couleur ?)
que nada te ensinaram, só a
Et tu me frappes, mon
odiar e a obedecer …
patron ! Tu me frappes...
Só a obedecer e a odiar, sim!
Mas quando eu falo, patrão, tu Patron, ce n’est pas de ma
ris! e ri-se também aquele faute, vous voyez bien que les
senhor Blancs ne m’ont rien
patrão Manuel Soares do enseigné, ils m’ont seulement
Rádio Clube … Eu não appris à obéir et haïr. Mais
percebo o teu português, quand je parle, patron, tu te
patrão, mas sei o meu landim, moques de moi ! Manuel
que é uma língua tão bela e Soares de la Radio Club se
tão digna como a tua, patrão moque aussi de moi… Je ne
…No meu coração não há comprends pas ton portugais,
outra melhor, tão suave e mais je comprends mon
meiga como ela! Então landim, qui est une langue
porque te ris de mim?[...] E tu aussi belle et aussi digne que
bates-me, patrão meu! Bates- la vôtre, patron… Dans mon
me …E o sangue alastra, e há- cœur il n’y a une autre de
de ser mar...Patrão, cuidado, meilleure, si douce et sucrée
que um mar de sangue pode comme elle. Alors pourquoi
afogar tudo … até a ti, meu tu te moques de moi ? […] Et
patrão. Até a ti …1 tu me frappes, patron ! Tu me
frappes. Et mon sang se
répand et je saigne beaucoup
point de devenir une mer...
Patron, attention une mare de
sang peut tout noyer, y
compris toi-même, mon
patron2!
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.80-81.
2
Traduction personnelle.
217
mis en évidence dans le poème qui représente un employé noir soumis à la
violence et aux brimades de son patron.
Signalons d’autre part qu’en intitulant son poème par le mot
« Patron», Noémia de Sousa dévoile la sociologie d’un monde à la fois
capitaliste et régi par un phénomène de catégorisation sociale. Ainsi, le mot
« Patron» sous-tend deux rangs sociaux : le colonisateur qui domine avec
force et le colonisé en état de soumission. Toutefois, ce dernier avertit que la
souffrance à ses limites, car tout excès est nuisible, « Patron, attention / Une
marée de sang peut tout noyer, y compris toi-même, mon patron ! ». Cet état
de fait est mis exergue avec l’emploi des verbes d’action « frapper »,
« blesser », « mépriser », « humilier ». Les verbes « frapper » et « blesser »
symbolisent la souffrance physique imposée aux autochtones par
l’envahisseur. D’autre part, les verbes « mépriser, humilier » correspondent
à la souffrance morale et psychologique chez le dominé. Cette situation
indique non seulement la domination de l’homme par l’homme ; mais aussi
c’est la conséquence de l’idéologie coloniale qui considère que le Noir est
inférieur au Blanc.
Dans cette relation directe entre l’homme noir et l’homme blanc, les
stéréotypes ont toute leur place. Une référence aux stéréotypes est exprimée
par « l’air méprisant et moqueur » du patron, du fait que l’employé à la peau
noire. Parallèlement, l’interrogation ironique et désespérée de l’employé sur
le rôle que peut jouer sa couleur de peau dans la violence des rapports
sociaux est une suggestion de la vacuité de ces mêmes stéréotypes, « (Est-ce
parce que je suis née de cette couleur?»). Les Blancs considèrent que le Noir
est naturellement inintelligent. C’est dire que le colonisé est l’objet de
stéréotypes de la part de son « patron ». C’est pourquoi l’important c’est de
démystifier ces stéréotypes et d’éviter que les Noirs tombent dans le piège.
Il s’agit donc d’une action de sensibilisation idéologique. En cela, les poètes
s’y prêtent à travers leurs écrits.
Par son interrogation ironique sur la question de la couleur de peau,
ce poème est à rapprocher des réflexions de Frantz Fanon dans son essai
intitulé Peau noire, masques blancs, où il procède à un exercice de
218
dépassement critique des stéréotypes sur le biotype du Noir. Fanon rappelle
que « [sa] peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques1» et, en
s’adressant à son propre corps, il le supplie de faire de lui « un homme qui
interroge ». Frantz Fanon touche le fond de la question, c’est-à-dire la
nécessité de surmonter les stéréotypes pour établir des rapports fondés sur
plus d’humanité, ce qu’il exprime de la façon suivante : « Je me découvre
un jour dans le monde et je me reconnais un seul droit : celui d’exiger de
l’autre un comportement humain.2». De même, le poème exprime une quête
similaire de reconnaissance de l’humanité de l’autre, indépendamment de la
couleur de sa peau.
La quête de reconnaissance de l’autre et d’affirmation de soi marque
de plus en plus l’esprit du dominé, « Je ne comprends pas ton portugais,
mais je comprends mon landim, qui est une langue aussi belle et aussi digne
que la vôtre, patron.». La voix poétique prend conscience de sa langue
maternelle et la valorise. C’est pourquoi elle rappelle au patron qu’elle porte
aussi une langue, une culture. En se positionnant de la sorte, l’auteur
s’affranchit du complexe d’être dominé − le complexe s’efface pour donner
naissance à une émancipation de soi et une affirmation de soi chez le
colonisé. Noémia de Sousa tente de bannir la façon dont le système colonial
portugais hiérarchisait, catégorisait la vie du colonisé en terre mozambicaine
en imposant son hégémonie linguistique. C’est-à-dire que la langue
portugaise en période coloniale était utilisée aussi comme un moyen de
domination culturelle. C’est pour cette raison que ce poème de Noémia de
Sousa vient plaider non seulement pour l’affirmation des valeurs négro-
africaines, mais aussi pour de l’identité culturelle noire, « je comprends mon
landim, qui est une langue aussi belle et aussi digne que la vôtre.». Elle
défend ainsi la dignité de son « landim » et on remarque que son poème est
modelé suivant le langage oral qui correspond au mode d’expression
africain.
1
Fanon, Frantz, op.cit., p. 184-188.
2
Fanon, op.cit., p.186.
219
Dans le même ordre d’idées, nous allons analyser le poème, « La
voix du sang » du poète angolais Agostinho Neto qui traite la question des
stéréotypes sous un angle un peu différent:
S’il est vrai que chez Noémia de Sousa, la voix poétique apostrophe
le colonisateur, représenté par la figure individuelle du patron, chez
Agostinho Neto, ce sont les « noirs du monde entier », qui souffrent, « Je vis
votre douleur / mes frères ». Notons également que, contrairement au poème
de Noémia de Sousa, celui-ci ne cherche pas tant à critiquer les stéréotypes
des Noirs. Il se fonde sur ces images préconçues pour en extraire une
connotation positive, laquelle sert de fondement à un véritable message
d’identification fraternelle et d’affirmation de soi. On peut dire que la vision
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p.23.
2
Traduction personnelle.
220
de Sousa et Neto son complémentaires. Sousa annonce et dénonce les
stéréotypes pour dépasser cette situation ; Neto préconise la solidarité des
Noirs du monde. Aussi, les marqueurs spatiaux (Harlem, Chicago, South
mais aussi l’Afrique) indiquent les endroits où le racisme était bien
marquant.
221
2-Réhabilitation de l’image du colonisé et valorisation des
cultures négro-africaines
222
iluminadas, dos risos fenêtres éclairés, aux éclats de
estrídulos, e a amarga ironia rire méprisant nos chants
das nossas canções negras nègres filtrés comme l’eau de
filtradas como aguardente de vie par des lèvres fines mais
cana por lábios finos e meurtries…
cruéis... Nous sommes les enfants
Nós somos os filhos adoptivos adoptés et illégitimes, que vos
e os ilegítimos, que vossos cœurs timides, désireux
corações tímidos, desejosos de d'acheter le ciel - ou la vie
comprar o céu – ou a vida, sont venus arracher […]
[...] Nous sommes obscurs à vos
Nós somos sombras para os yeux, nous sommes des
vossos olhos, somos fantômes.
fantasmas. Mais, comme nous sommes
Mas, como estamos vivos, vivants, réellement vivants et
extraordinariamente vivos e éveillés! Avec des rêves
despertos! Com sonhos de mélodieux dans les yeux
melodia no fundo dos olhos ouverts, nous sommes des
abertos moustiques aux ailes
somos muchopes de penas nostalgiques posées sur les
saudosas nos chapéus de lixo; amas d’ordures ; et
e zampunganas1 trágicos – zampunganas tragiques – nous
xipócués2 vagos nas noites sommes des xipócués vagues
munhuanenses3... e coroados dans les nuits munhuanenses,
de esperança, e et comblés d’espoir, et de
macambúzios4 com seu macambúzios, avec leur
shipalapala5 ecoando shipalapala lançant des
chamamentos...No cais da appels… comblés d’espoir…
cidade, somos aqueles que Sur le quai du port, on nous
encontraram os lugares refuse du travail de docker et
tomados, somos os que não dans la vie, ah la vie qui
têm lugar na Vida que, ah na profite seulement aux Blancs,
Vida que se abre luminosa, vie chaque jour plus radieuse
com cada dia de petala! mais nous échappe encore!
1
Éboueur, tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.229.
2
Un individu vilain, tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit.p.228.
3
Banlieusard, tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.226
4
Berger, tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.224
5
Trompette ou cor à peau d’antilope, tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.228.
223
batuques nocturnos da tambour, dans les danses
vingança, somos aqueles que nocturnes pour oublier le
modelam sua dor de braços malheur
torcidos no pau preto do Nous sommes ceux qui
Norte, a dor deformadora que supportent leur douleur les
mais tarde despertará o bras tendus sur le bois noir du
desprezo e a incompreensão Nord, la douleur destructrice
nas prateleiras dos museus da mais qui plus tard provoquera
civilização... le mépris et
Somos os despojados, somos l’incompréhension de ceux
os despojados! Aqueles a qui prétendent incarner la
quem tudo foi roubado, Pátria civilisation.
e dignidade, Mãe e riqueza e Nous sommes les dépossédés,
crença, e Liberdade! Até a voz
nous sommes les dépossédés !
da nossa raça[...] Despojados,
ficámos nus e trémulos, nus Ceux à qui tout a été volé, la
na abjecta escravidão dos Patrie et la dignité, la Mère et
séculos...
les richesses et les croyances,
Mas com o calor da chama
et la Liberté ! Même la voix
eterna das nossas fogueiras
acesas, crepitando, rubras, de notre Race […]
sobre os dias e as noites, com
Dépossédés, nous sommes
vaga-lumes de protesto, de
gritos, de esperança! restés nus et tremblants, nus
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.41-42.
2
Traduction personnelle.
224
Dans « Autorisation de circuler », la voix poétique est un « nous »
qui s’adresse à un interlocuteur, le colonisateur – pour exprimer le sentiment
des « Éternels oubliés à l’heure du banquet ». C’est une façon de montrer les
différences sociales entre colonisateur et colonisé du monde colonial au
Mozambique à travers un jeu permanent de disparités. Dans la quête d’une
réhabilitation de soi, Noémia de Sousa emploi un ton parfois ironique,
comme l’atteste le titre du poème. Cette démarche continue tout le long du
poème.
1
Sartre, Jean Paul, Qu’est ce que la littérature ?, Paris, (Gallimard, 1948) Folio (Essais la
présente édition, 2004, p.23.
225
des fantômes à vos yeux ». Malgré cette situation inacceptable, Noémia de
Sousa ne cesse d’exprimer l’espoir et la volonté de construire, de bâtir un
environnement remarquable pour les siens « Mais comme nous sommes
vivants, réellement vivants et éveillés!». L’issue de ce rapport de force
favorise inéluctablement les Noirs.
Manifesto Manifeste
Oh! Meus belos e curtos [...] Oh! Mes beaux cheveux
cabelos crespos e meus olhos courts et mes yeux noirs et
negros como insurrectas impressionnant comme les
grandes luas de pasmo na grandes lunes de peur durant
noite mais bela das mais belas une nuit la plus belle des plus
noites inesquecíveis das terras belles nuits inoubliables en
do Zambeze. terre de Zambèze.
E minha boca de lábios Et avec ma bouche affichant
túmidos cheios da bela la virilité singulière des Noirs
virilidade ímpia de negro mordant en plein air un pain
mordendo a nudez lúbrica de gluant, sous le vacarme
um pão ao som da orgia dos incessant des insectes urbains
insectos urbanos apodrecendo en décomposition dans la
na manhã nova cantando a nouvelle matinée chantant le
cega-rega inútil das cigarras crin-crin des cigales obèses.
obesas. Oh ! Et mes dents blanches en
Oh! e meus dentes brancos de ivoire pur qui brillent sur mon
marfim espoliado puros visage noir devenu un fier
brilhando na minha negra visage ! et nous n’avons pas
227
reincarnada face altiva! e no joui de nos récoltes de maïs
ventre maternal dos campos produits dans les champs que
da nossa indisfrutada colheita nous avons semés de dur
de milho o cálido labeur
encantamento selvagem da Ah ! Et mon corps souple
minha pele tropical. comme le reflet fatal de la
Ah! E meu corpo flexível flèche de chasse et mes
como o relâmpago fatal da épaules d’homme noir de
flecha de caça e meus ombros Guinée et mes muscles tendus
lisos de negro da Guiné e brûlés au soleil durant les
meus músculos tensos e travaux de moisson et de
brunidos ao sol das colheitas e transport sans un ciel
da carga na capulana austral couvert ; l’on voit beaucoup
de um céu intangível os de Noirs jouant les anciens
búzios de gente soprando os rythmes d’Afrique
velhos sons cabalísticos de Ah ! parfois je me vois chef
África. zoulou ou sagaie bantou ou
Ah! Outra vez eu chefe zulo sorcier pour combattre les
eu azagaia banto eu lançador envahisseurs blancs qui
de malefícios contra as ruinent notre pays.2
insaciáveis pragas de
gafanhotos invasores.1
1
Craveirinha, José, Xigubu, op.cit, p.31-32.
2
Traduction personnelle.
228
peur comme les nuits de la grande lune ». C’est dire que ce poème de
Craveirinha incarne ou peut être implicitement assimilé à l’héritage des
chantres de la Négritude : Aimé Césaire, Léopold. S. Senghor et Léon
Gontran Damas. D’après les propos d’Umberto Eco : « […] un texte est un
organisme, un système de relations internes qui actualise certaines liaisons
possibles et en narcotise d’autres.1» En cela, en exaltant avec une certaine
fierté le portrait du colonisé ou de l’homme noir, Craveirinha dialogue avec
les pères de la Négritude cités plus haut. C’est pourquoi l’emploi des
adjectifs possessifs « mes » dans la première strophe indique à la fois la
nécessité d’exprimer une singularité et une quête identitaire. Ce qui exprime
aussi un processus de libération profonde contre l’aliénation culturelle
instaurée par le système colonial.
1
Eco, Umberto, Les limites de l’interprétation, Paris, Grasset, 1992, p.130.
2
O poema nos recorda o que esquecemos : o que realmente somos. In: Paz, Otavio, op.cit.,
p. 43.
3
Traduction personnelle.
229
flèche. « Ah! Et mon corps souple comme l'éclair fatal de la flèche de
chasse/mes épaules lisses d’homme noir de Guinée et mes muscles tendus
… ». Même si cela est évident, le poète tente de lui redonner une nouvelle
image, une autre vie. C’est en ce sens qu’apparaissent les traits de
l’africanité et de la Négritude chez José Craveirinha « des Noirs jouant les
anciens rythmes d’Afrique.». C’est grâce au mariage du corps de l’homme
noir avec les sons magiques ou les chants d’Afrique que se crée la volonté
de la réhabilitation collective et celle de tout un continent. Cela laisse croire
que ce corps beau et « souple » est à la fois une manifestation esthétique et
culturelle.
230
En lançant la flèche du « sourcier » contre le colonisateur, la voix
poétique déclare son anticolonialisme. Ce qui explique la nécessité de
construire ou de préserver son image à travers l’esthétique. Ainsi, le titre du
poème « Manifestation» renferme en soi une sorte de proclamation poétique
où nous remarquons une véritable expression de la mozambicanité, de
l’africanité et de la Négritude.
À reconquista À la reconquête
Não te voltes demasiado para Ne te recroqueville pas trop
ti mesma sur toi-même
Não te feches no castelo das Ne t’enferme pas dans le
lucubrações infinitas château de réflexions infinies
Das recordações e sonhos de souvenirs et de rêves que
que podias ter vivido tu aurais pu vivre
Vem comigo África de calças Viens avec moi Afrique en
de fantasia desçamos à rua e tenue carnavalesque et
dancemos a dança fatigante descendons dans la rue et
dos homens o batuque dansons le batouque la danse
simples das lavadeiras simple des hommes des
ouçamos o tam-tam lavandières
angustioso entendons le tam-tam
enquanto os corvos vigiam os angoissant
vivos esperando que se
pendant que les corbeaux
tornem cadáveres
détiennent les vivants en
Vem comigo África [...] e espérant qu’ils deviennent des
reentremos na casinha de latas cadavres
esquecidas no musseque da
Viens avec moi Afrique […]
Boavista até onde já nos
et rentrons à nouveau dans les
empurram ao nos quebrarem
petites maisons pauvres
as casas de meia água de
oubliées dans le quartier
Cayette e à volta de fogo
pauvre de Boavista là où ils
consolador das nossas
nous recasent en détruisant les
aspirações mais justas
maisons semi inondées de
examinaremos a injustiça
Cayette
inoculada no sistema vivo em
231
que giramos. et autour du feu consolateur
Vem comigo África de de nos aspirations les plus
colchões de mola regressemos justes nous examinerons
à nossa África onde temos um l’injustice implantée au cœur
pedaço da nossa carne calcado du système dans lequel nous
sob as botas dos magala vivons.
- a nossa África. Viens avec moi Afrique en
Vem comigo África do matelas ressort
jitterburg retournons à notre Afrique où
até a terra até o homem até o nous avons un morceau de
fundo de nós ver quando de ti notre chair piétiné sous les
e de mim faltou quanto da bottes de magala
África esqueceu e morreu na – notre Afrique
nossa pele mal coberta sob o
Viens avec moi de jitterburg
fato emprestado pelo mais
jusqu’à ma patrie, jusqu’au
miserável dos ex-fidalgos.
fond de notre âme voir tout ce
Não chores África dos que que toi et moi, avons souffert
partiram de l’exil, dans notre peau à
olhemos claro para os ombros peine protégé par l’habit
encurvados do povo que emprunté au plus misérable
desce a calçada des anciens seigneurs.
negro negro de miséria negro Ne pleure pas Afrique ceux
de frustração negro de ânsia qui sont partis
[...]
observons bien les épaules
Ninguém nos fará calar penchées le peuple qui
Ninguém nos poderá impedir descend sur le trottoir
O sorriso dos nossos lábios
nègre misère noir de
não é agradecimento pela
frustration noir d’angoisse
morte
[…]
com quem nos matam.
Vamos com toda a Personne ne nous fera taire
Humanidade Personne ne pourra nous
Conquistar o nosso mundo e a empêcher
nossa Paz1 Le sourire de nos lèvres n'est
pas une gratitude pour la mort
qu’ils nous font subir
Allons avec toute l'Humanité
Conquérir notre monde et
notre Paix2.
1
Neto, Agostinho, op.cit., p.84.85.
2
Traduction personnelle.
232
Dans « À la reconquête », le langage poétique de Neto vient
renforcer l’engagement assumé par Noémia de Sousa et José Craveirinha au
nom des opprimés. C’est-à-dire une prise en charge de la situation du
colonisé, sa réhabilitation et celle de l’homme noir.
233
petites maisons pauvres oubliées dans le quartier de Boavista là où ils nous
recasent en détruisant les maisons semi inondées de Cayette.». Selon Neto,
la solidarité apparaît comme le moyen le plus efficace pour la réhabilitation
de l’Afrique et de l’Angola. C’est pour éradiquer les souffrances du régime
colonial.
1
Blanchot, Maurice, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955, Folio Essais (la présente
édition), 2012, p.108-109.
234
l’Humanité afin de bâtir une meilleur vie pour les opprimés, « Allons avec
toute l'Humanité conquérir notre monde et notre Paix». Il invoque
l’humanité parce que ce qui se passe dans les colonies est contraire au sens.
En effet, aucun être humain digne de ce nom ne saurait l’accepter, d’où la
compréhension et le concours de tous les hommes dotés de bon sens dans ce
combat. Dans son combat, l’humanité de l’homme noire est au premier plan.
Considérant l’homme comme un être qui est social. Il vit très lié à
un groupe, à une communauté. Cela signifie donc qu’il appartient à une
société fondée sur des règles. Cela permet de dire qu’il s’organise autour de
ces règles ou comportements pour mettre en valeur ses activités rituelles ou
culturelles. En mettant en place ces paradigmes de fonctionnement, c’est
parce que l’homme est capable de changer, d’évoluer en accord avec ses
besoins quotidiens et son appartenance culturelle. Cela donne l’impression
de dire que la culture revêt une définition plurielle. Elle concerne non
seulement l’instruction, mais aussi un ensemble de legs, de connaissances
qui se transmettent d’une génération à une autre. D’après Sίlvio Elia :
235
transporte, vestuário, habitation, moyens de
culinária, magia, religião, transports, vêtements,
ciência, letras e artes. A culinaire, magie, religion,
cultura pode ser, pois, science, lettres et arts. Donc,
material ou espiritual. As la culture peut être matérielle
lίnguas, porque foram ou spirituelle. Les langues,
estruturadas pelo homem, são parce qu’ayant été structurées
produtos culturas− e por isso par l’homme, sont des
são diferentes. A natureza se produits culturels− et pour
repete, a cultura se cette raison elles sont
transforma.1 différentes. La nature se
répète, la culture se
transforme.2
1
Elia, Sylvio, Sociolinguίstica, Niterói, EDUFF,1987, p.47-48.
2
Traduction personnelle.
3
Laraia, Roque de Barros Cultura, um conceito antropológico, Rio de Janeiro, Zahar, 1986,
Zahar (la présente édition), 2009, p.45.
4
Traduction personnelle : L'homme est le produit du milieu culturel dans lequel il a été
socialisé. Il est un héritier d’un long processus cumulatif, qui reflète les connaissances et
l'expérience acquises par les nombreuses générations qui l’ont précédé.
236
sont dynamiques, se développent et peuvent parfois interagir grâce au
phénomène de croisement des cultures.
237
cortina entre o povo e suas leurs écoles, leurs économies,
instituições, a sua escola, as sa vision du monde et
suas economias, a sua visão notamment le sens de sa propre
do mondo e inclusive o histoire. Pour cette raison, la
sentidido da sua própria renaissance africaine comme
história. O renascimento projet ne diverge pas des
africano como projeto não mouvements de nature
difere, por este motivo, dos similaire qui ont émergé à
movimentos de idêntica plusieurs reprises en Europe ou
natureza que despontaram em en Asie. Elle a le sens d'une
diversas épocas na Europa ou reconquête de l'espace culturel
na Ásia. Ele tem o sentido de comme équilibre de l’homme
uma reconquista do espaço africain. Elle est comme effort
cultural de equilίbrio do de mise à jour et d’intégration
homem africano. Ele é dans la modernité. Elle est
esforço de atualização e de réaction contre les hégémonies
integração na modernidade. culturelles, en particulier
Ele é reação contra as européennes2
hegemonias culturais, em
particular européais.1
1
Diagne, Pathé (org.), Introdução à cultura africana, Lisboa, Ed70, 1977, p.137-138.
2
Traduction personnelle.
238
Nous considérons que la notion de culture mérite une attention
particulière dans la mesure elle reflète le mode vie des peuples. Au regard
des analyses réalisées plus haut, elle évolue. La culture traduit le produit du
contact de l’homme et de son milieu, ce qu’il invente pour s’adapter à ce
milieu. Étant donné les spécificités du milieu africain, les cultures africaines
sont façonnées par le milieu africain et les hommes qui y vivent sont
marqués par ce code culturel (convention à respecter par la société). Imposer
aux Africains une culture différente conduit forcément à des crises.
D’ailleurs, Diagne indique clairement que l’Afrique était marquée par des
moments « d’hégémonies culturelles » et de domination sur le plan (espace-
physique, historique et socioéconomique). Ces circonstances ont motivé sa
quête de renaissance culturelle tout en rejetant l’idée de la civilisation
européenne en même temps.
Xigubo Xigubo
(para Claude Coufon) (Pour Claude Coufon)
Minha mãe África
meu irmão Zambeze Mamam Afrique
Culucumba! Culucumba! mon frère du Zambèze
Xigubo estremece terra do Culucumba! Culucumba!
mato
Xigubo fait résonner la
e negros fundem-se ao sopro
brousse et les noirs se fondent
da xipalapala e negrinhos de
au souffle du xipalapala et les
peitos nus na sua cadência
noirs en torse nu lèvent les
levantam os braços para o
bras de façon rythmée vers la
lume da irmã lua
clarté bienfaitrice de la lune et
e dançam as danças do tempo
dansent les danses de guerre
da guerra das velhas tribos da
ancienne, des tribus du bord
margem do rio.
du fleuve.
239
Dum-dum! Dum-dum!
Tantã! Tam-tam
E negro Maiela Et le noir Maiela tenant
músculos tensos na azagaia énergiquement sa lance rouge
rubra salta o fogo da fogueira saute le feu jaune et danse les
amarela e dança as danças do danses de guerre ancienne des
tempo da guerra das velhas tribus du bord du fleuve.
tribos da margem do rio.
Et la nuit perturbée par le son
E a noite desflorada
envahisseur de l’orgasme du
abre o sexo ao orgasmo do
tambour, la plaine s’anime
tambor e a planície arde todas
sous l’effet du feu qui donne
as luas cheias no feitiço viril
un effet aux lances des
da insuperstição das catanas.
hommes surexcités.
Tantã!
Tam-tam !
E os negros dançam ao ritmo
da Lua Nova rangem os Et les noirs dansent au rythme
dentes na volúpia do xigubo e de la Nouvelle Lune et
provam o aço ardente das rivalisant d’adresse le bas du
catanas ferozes grand acacia avec leurs
na carne sangrenta da micaia machettes tranchantes2.
grande1.
1
Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.9-10.
2
Traduction personnelle.
240
mozambicain. Il est un signe de vie, un élément dynamique animant le
peuple qui cherche à se libérer du colonialisme. D’autre part, tout se déroule
dans un milieu naturel qui constitue véritablement le fief des Noirs. Cela
permet de dire que Craveirinha est un fervent défenseur de la renaissance
culturelle mozambicaine, voire africaine.
241
Culucumba ! Culucumba!/permettent de dire que le poète véhicule une
image de la Négritude. A travers sa poésie, Craveirinha valorise la culture
noire en faisant référence aux rites et aux danses : « Et les noirs dansent au
rythme de la Nouvelle rivalisant d’adresse dans la frénésie du xigubo/et
expérimentent des coups féroces avec leurs machettes tranchantes dans la
chair sanglante du grand acacia ». C’est donc une réponse au colonialisme
qui nie justement l’importance de cette tradition. Le poète s’inspire surtout
de la tradition orale ; en s’éloignant ainsi du schéma occidental, il cherche à
donner à son discours un caractère authentique La description des danses
locales et du dynamisme des acteurs montre la vitalité des cultures
africaines. Les cérémonies collectives donnent une idée d’union et de
partage mutuel des valeurs communes. Mais l’arrivée du colon provoque la
désintégration du groupe et la disparition de sa culture.
242
tampouco uma reação réaction pathologique à
patológica à experiência l’expérience traumatique du
traumática do colonialisme. colonialisme. Ce n’est pas une
Não é reação de autodefesa réaction d’autodéfense contre
contra a agressão cultural l’agression culturelle
tecnicista, nem tentativa de européenne, ni tentative
autopurificação através da d’auto-purification à travers la
destruição ideológica. [...] Se destruction idéologique. […]
a afirmação da identidade Si l’affirmation de l’identité
cultural africana na África se culturelle africaine en Afrique
baseasse em considerações se basait sur des
desse tipo, não seria viável. E considérations de ce genre,
seria até condenável, se se elle ne serait pas viable. Et il
inspirasse no ódio e no serait même condamnable, si
racismo e se nutrisse do elle s’inspirait de la haine et
ressentimento. [...] A du racisme et s’alimentait du
dinâmica da sociadade ressentiment. […] La
africana fundamenta-se no dynamique de la société
desenvolvimento da africaine se fonde sur le
personalidade coletiva e não développement de la
no êxito ou benefίcio personnalité collective et non
1
individaul. [...] sur la réussite ou l’avantage
individuel.2
1
Caloz, René, A África em sua cultura, In O Correio da Unesco, ano 5 n. 7 juillet, 1977,
p.4-5.
2
Traduction personnelle.
243
face au monde. Ainsi, la thèse de Caloz nous permet de dire que la vitalité
culturelle de la société africaine trouve sa raison d’être dans ce
regroupement. En ce sens, les propos de Caloz sont bien illustrés dans
« Xigubo » de Craveirinha où la célébration de la culture mozambicaine
s’articule autour d’une dynamique collective.
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p. 88.
244
firme do sol e da vibrations intelligibles du
transformação sedosa e tambour africain donnant
explosiva do universo ainsi envie de danser la danse
1
Traduction personnelle.
245
L’usage du tambour africain traduit véritablement la volonté
d’affirmation chez l’auteur. C’est également la manifestation d’une gaieté
tant intérieure que collective. Le titre du poème illustre que le poète est
intimement lié à ce tambour «fétiche ». Il s’assimile au tambour pour
incarner ses vertus. C’est pourquoi la structure du discours poétique
accentue son importance dans la deuxième strophe : « Je sens dans ma peau
les battements du tambour africain, les vibrations démesurées me
transfigurent et excitent mon cerveau /Où suis-je? Qui suis-je? [...]. Le poète
se glisse lui-même dans la peau du tambour. Il est dans un autre état. C’est,
en outre, l’appel à la purification de son état vers un autre. Aussi, le bruit du
tambour peut symboliser la rage de transcender et l’appel au monde céleste.
De même, il témoigne de la gaieté des Africains en contradiction avec le
ghetto du régime colonial. C’est dire que le son du tambour rassemble les
populations. Il intervient dans toutes les cérémonies et surtout durant les
fêtes.
1
Benjamin, Walter, O narrador. Considerações sobre obra de Nikolai Leskov, in, Magia e
técnica, arte e polίtica, 7 ed, São-Paulo, Brasiliense, 1994, p.174.
2
Traduction personnelle. L'Afrique peut être considérée comme un renouveau dans la
façon de conter des histoires dans un monde moderne comme un moyen de valoriser la
tradition et la continuité des expériences vécues.
246
forme, la tradition est mise filigrane afin de donner une nouvelle condition
de la vie, de manifester une gaieté collective – l’esprit et corps en extase. La
jubilation de la voix poétique montre que le tambour est un instrument
typiquement africain. Il rythme toutes les cérémonies africaines. Par
excellence, il symbolise l’africanité et l’angolanité. C’est dire qu’il est
présent dans l’expression de toutes les valeurs culturelles africaines. Ses
sons résonnent dans l’esprit africain. De la même manière, le tambour
rappelle l’appartenance au groupe. Ce faisant, durant les cérémonies
collectives, il égaie l’ambiance et permet aux acteurs d’exhiber leurs forces
et leurs richesses. Cela permet ainsi de mettre en valeur la tradition
africaine. La voix poétique prend conscience d’une menace qui pèse : la
colonisation qui tente de détruire ce patrimoine culturel. C’est la raison pour
laquelle l’auteur montre la raison d’être du tambour africain en magnifiant
ses vertus.
247
Les verbes (jubiler, vibrer et apaiser) employés dans les derniers vers
indiquent dans une certaine mesure la nécessité d’exprimer sa propre nature,
d’être ce qu’on est. En conséquence, ce poème montre qu’Agostinho Neto a
conscience de sa propre culture en l’exprimant de façon esthétique. D’après
les réflexions de Rita Chaves sur les littératures luso-africaines1, « […] os
poetas de Angola e Moçambique da generação de 60, buscam cada um a seu
modo, atualizar procedimentos que, inscritos na construção das suas
identidades, concebiam a cultura como um espaço dinâmico, cuja vitalidade
estava ligada à própria capacidade de processar as misturas evitando a
falácia do isolamento e de incomunicabilidade2». Cela permet de dire que le
tambour chez Agostinho Neto symbolise l’esprit africain et le patrimoine
culturel africain. Il marque l’appel à la vie et à la liberté. Il suscite
également un mouvement, une rupture avec la passivité que le colonisateur
imposé aux Africains. Donc, il réveille le poète et le place dans un autre
monde.
1
Chaves Rita, Macedo Tânia, Angola e Moçambique nos anos 60 : a periferia no centro do
território poético, in, Literaturas em movimento: hibridismo cultral e exercίcio crίtico, São-
Paulo, Arte &Ciência, 2003, p. 205-221.
2
Traduction personnelle. Les poètes d’Angola et du Mozambique de la génération 60, en
cherchant chacun à sa manière, mettent à jour des procédures qui sont inclues dans la
construction de leur identité, ils concevaient la culture comme un espace dynamique de
partage, dont la vitalité était liée à leur propre capacité à traiter les mélanges en évitant
l'éloignement et l’incommunicabilité.
248
Porque em mim, em minha que tout, il me faut vivre, il
alma, em meus nervos,ele é est l’origine de ma souffrance,
mais forte que tudo,eu vivo, de mon bonheur, Mère!2
eu sofro, eu rio através dele,
Mãe!1
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.142.
2
Traduction personnelle.
249
fidelidade do grupo em question.2
questão.1
Hall soutient que l’identité culturelle est comme une fidélité aux
racines afin de donner du sens à la vie et à l’histoire d’un peuple ou d’un
groupe. D’ailleurs, dans la dernière strophe, Noémia de Sousa exprime que
c’est ce sang noir qui est au cœur de ses origines mozambicaines et
africaines, « Car en moi, en mon âme, dans mes nerfs, / il est plus fort que
tout ». C’est cette manifestation profonde qui traduit sa raison d’être.
Autrement dit, c’est donc le devenir de son être, de sa personnalité et de
l’homme colonisé qu’elle défend à travers la poésie.
Guacira Lopes Louro, 11ª ed, Rio de Janeiro, DP&A, 2006, p. 106.
2
Traduction personnelle.
250
3- Négritude ou le devenir du colonisé
Pour cette sous partie, il s’agit d’analyser des poèmes qui évoquent
la Négritude et la question du devenir du colonisé en même temps. En cela,
notre attention sera portée sur les poètes comme Agostinho Neto, Noémia
de Sousa et José Craveirinha. Ces poètes d’Afrique lusophone ont composé
des poèmes engagés liés à l’histoire coloniale de leur pays, à la situation du
colonisé en Afrique et de l’homme noir dans le monde.
e crianças e não são feras, são Marie ! Des bêtes tuent des
1
Craveirinha, Karingana ua Karingana op.cit., p. 214-215.
251
das mães e das filhas violadas des hommes des mamans et
1
Craveirinha, Karingana ua Karingana, op.cit., p.214-215.
2
Traduction personnelle.
252
d’autant plus nécessaire car des images poétiques retracent la fragilité ou la
vulnérabilité des femmes, des enfants face à une situation d’oppression et
d’agressivité, « Des bêtes tuent des vieillards, des femmes /et des enfants /et
ce ne sont pas des animaux, /ce sont de vieux hommes, les femmes /et les
enfants sont nos parents nos sœurs /et nos enfants, Marie! ». Il est essentiel
de souligner que par le titre du poème, Craveirinha s’adresse à une
interlocutrice pour en indiquer une quête de dépassement de soi face à une
situation imposée. C’est en ce sens que la structure du discours poétique
reste forgée sur une antithèse. En d’autres termes, la voix poétique ne
répond pas à la violence par la violence ; mais plutôt par une voix pacifique
qui veut dépasser cet état de violence subi, « Malgré la haine de la guerre
des hommes des mamans et des filles violées des enfants morts d’anémie et
de tous ceux qui périssent dans les tours/jaillit dans le monde la lueur
d’espoir.». Il y a une volonté de dépasser la violence, de dépasser sa
condition opposée. C’est la raison pour laquelle le poète exhorte Marie à
prier pour échapper à la descente aux enfers, à l’état animalier et à la
soumission organisée dans laquelle elle se trouve.
1
Adorno Theodor W, Théorie esthétique, traduit de l’allemand par Marc Jimenez, Paris,
Klincksieck, 1995 (pour la présente édition), p.312.
253
humaine, le poète est nourri d’espoir et le transmet à son interlocutrice,
Marie, « Malgré la haine de la guerre des hommes des mamans /et des filles
violées des enfants morts d’anémie /et de tous ceux qui périssent dans les
tours /jaillit dans le monde la lueur d’espoir. Craveirinha tente de redresser
le sujet dominé ; mais surtout l’homme lui-même. C’est donc la dialectique
de l’ascension ou de l’élévation qui vient prendre le dessus sur celle de la
descente aux enfers à la fin du poème, « Ah ! Marie pose les mains et prie.
Pour les hommes et noirs de partout et prie, Marie! ». Cela entre dans les
perspectives de la Négritude.
Não direi nada nunca fiz nada Je ne dirai rien je n’ai jamais
contra a vossa pátria mas vós rien fait contre votre patrie
apunhalastes a nossa mais vous poignardez la nôtre
não direi nada não sei nada suis innocent je ne dirai rien
je ne sais rien même s’ils
mesmo que me espanquem
m’écrasent
não direi nada mesmo que me
je ne dirai rien même s’ils
ofereçam riquezas não direi
m’offrent des richesses
nada
je ne dirai rien même si le
mesmo que a palmatória me
fouet me blesse mes doigts je
esborrache os dedos não direi
ne dirai rien même s’ils
nada mesmo que me ofereçam
m’offrent la liberté je dirai
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p.112.
254
a liberdade rien même s’ils me torturent
1
Agostinho Neto, op.cit., p.112.
2
Traduction personnelle.
255
Malgré l’agression extérieure, Agostinho Neto fait preuve d’une
quiétude absolue de l’esprit. Ce qui sous-tend qu’il porte en lui la certitude
d’un lendemain meilleur pour son peuple et son continent. D’ailleurs, la
valeur anaphorique de l’adverbe « jamais » dans le poème traduit une
conviction intime d’avancer en dépit de la violence exercée à l’égard du
dominé. Comme José Craveirinha, Neto ne répond pas au mal par le mal ;
mais il tente de transcender l’état de sa souffrance par un discours poétique
intelligent et un culte de la résistance pacifique.
257
A partir de ces mêmes principes, nous analysons maintenant le
poème de Néomia de Sousa intitulé, « Poema1 », qui aborde le thème de
Négritude ou le devenir du colonisé dans un style un peu différent:
Poema Poème
1
Noémia de Sousa, op.cit., p. 133.
2
Ibid., p.133.
3
Traduction personnelle.
258
domination coloniale portugaise. En cela, nous assistons à un dialogue Je/tu
assez tendu (colonisateur/colonisé). Noémia de Sousa semble ferme et prête
à se débarrasser de toutes ces années de soumission, « Tu me frappes /et me
tu menaces, /maintenant que j’ai levé ma tête illuminée /Et j’ai crié : « ça
suffit !». Ce qui indique la volonté de rompre avec le joug colonial. Avec
ces vers, Néomia de Sousa marque la fin du processus de domination. Cela
dit, elle opère une mutation, ne plus accepter l’ordre établi : la colonisation.
Elle exprime sa volonté sans faille de reprendre son habitat naturel
confisqué, «Et j’ai crié : « ça suffit !» En disant « ça suffit », Néomia de
Sousa montre qu’elle veut se sentir existée et vivre paisiblement dans sa
terre natale.
1
Bachelard Gaston, La poétique de l’espace, 1ière édition 1957 (la présente 2007) Paris,
PUF, p.190.
260
De la même manière, ils dénonçaient l’exploitation du colonisé et
revendiquaient la liberté pour ce dernier. Aussi, ils manifestaient une quête
identitaire, une prise de conscience de soi et rejetaient toute sorte d’idées
reçues.
261
Troisième partie
Retentissements et Évaluation
262
Chapitre I : L’impact de la philosophie de
la Négritude
263
A- L’écho des fondements philosophiques de la
Négritude
1
Towa Marcien, Négritude ou servitude ? Yaoundé, Éditions Clé, 1971, p. 102.
264
représentation de la Négritude. En cela, Towa semble qualifier la Négritude
senghorienne de racisme à l’égard des Noirs « le Nègre est mystique au
même titre que la couleur de sa peau et des ses cheveux crépus » qu’il
prétend défendre. Ces propos de Towa tendent dans une certaine mesure à
fragiliser la conception de la Négritude senghorienne.
Considérant que la thèse de Senghor est « étriquée », Towa continue
de marteler sa critique virulente :
1
Towa Marcien, op.cit., p. 105.
2
Ibid., p.11.
3
Senghor cité par Towa, Ibid., p.107.
265
de la Négritude paraît renier parfois une partie de soi-même ou de sa
personne. A ce point de vue, Senghor répond en disant : « Croyez-vous que
nous puissions jamais battre les Européens dans la mathématique, les
hommes singuliers exceptés, qui confirmeraient que nous ne sommes pas
une race abstraite1» ? Cette thèse de Senghor est-elle une manière d’indiquer
implicitement au monde occidental que la valeur humaine est unique entre
les hommes.
Pourtant, cette phrase de Senghor semble donner beaucoup plus
d’énergie à la critique du professeur et philosophe camerounais. En ce sens,
Towa avance la thèse suivante :
1
Senghor Léopold Sedar, Liberté I, Négritude et Humanisme, Paris, Seuil, 1964, p.12.
2
Towa Marcien, op.cit., p.109.
266
Senghor concevait la culture comme quelque chose de biologique et il
considérait le Nègre comme émotif. Ces deux thèses font que si nous
sommes biologiquement plus émotifs et que nous ne pouvons pas
dépasser cette émotivité, nous sommes condamnés par l’histoire. En fait
Senghor n’hésitait pas à tirer ce genre de conclusion en montrant que la
domination du Blanc sur le Noir était logique et naturelle.1
1
Towa Marcien et Ndachi Tagne David, « A l’écoute de Marcien Towa. « Un entretien
avec Marcien Towa Professeur et philosophe », www.arts.uwa.edu.au/MotsPlur.... Cet
échange a eu lieu à Yaoundé en 1998.
2
Senghor Léopold Sedar et la revue « Présence Africaine », Paris, Présence Africaine,
1996, p.14.15.
267
Dans ce passage, Senghor apporte une réponse à la fois subtile et
intelligente aux critiques qui ne digèrent pas sa phrase fétiche : « l’émotion
est nègre, la raison est hellène ». En déroulant sa pensée, Senghor montre
que la Négritude renvoie à une compréhension de l’univers et une façon de
participer à la civilisation de l’universel. En expliquant fondamentalement
sa thèse, Senghor nous permet d’entrevoir la dichotomie qu’il y a entre le
Noir et le Blanc. Mieux encore, il rend intelligible le monde africain et
occidental.
Apparemment, les critiques ne semblent pas déstabiliser la vision de
Senghor concernant la question de l’émotivité. En effet, le poète tente
d’approfondir son approche de la Négritude. C’est en ces termes qu’il
Senghor évoque de façon concrète la réalité de l’univers négro-africain dans
sa postface du recueil Ethiopiques :
1
Senghor, Ethiopiques, op.cit., p.160.
268
une place prépondérante dans la Négritude de Senghor. Et ce qui frappe,
c’est la manière dont il explique la réalité ambivalente qu’il y a entre sens et
signe. En effet, il semble que chez Senghor le signe traduit ce qui est
apparent à travers un objet, alors que le sens indique le symbole ou ce qu’un
objet suggère telle la « forme de la kôra, le masque ». Cela permet sans
doute de mieux comprendre la réalité et la psychologie de l’univers négro-
africain. A cet effet, Senghor nous rappelle l’apport de l’ethnologue
allemand Léo Frobenius dans son interprétation concernant l’émotion :
C’est Léo Frobenius, plus que tout autre, qui a éclairé, pour nous, des
mots comme émotion, art, mythe, Eurafrique. […] Et d’abord, le mot
émotion. Jusque là, nos maîtres, qui avaient été formés dans la moule du
rationalisme, […] nous avaient appris à nous méfier de l’émotion et à
nous laisser guider que par la seule raison discursive […] C’est Léo
Frobenius qui plus que tout autre […] réhabilita, à nos yeux, la raison
intuitive et lui redonna sa place : la première1.
1
Senghor Léopold Sedar, Liberté II « Les leçons de Léo Frobenius », op.cit., p.399.
269
qui est « d’abord perception de l’essence de la vie, de cette énergie
spirituelle dans l’Autre 1». Senghor insiste de façon subtile sur la découverte
de Frobenius puisque cela donne « un surcroît de confiance en nous-mêmes
[…] Car, paradoxalement, nos professeurs français nous avaient appris à
respecter le génie allemand dans la richesse de ses contrastes, voire de ses
contradictions : tour à tour d’une logique rigoureuse et d’un mysticisme
visionnaire 2».
Nous remarquons que Towa reste stupéfait par le fait que Senghor ne
prétend pas se positionner totalement contre le colonisateur ; mais aime le
binôme colonisateur et colonisé, poète-conciliant. Cette situation dérange
apparemment Towa, qui pense que le poète de la Négritude « porte en son
cœur l’Afrique et la France ». Ainsi, par opposition à Senghor qui croit à
l’importance de l’émotion, Towa préconise que l’Africain parvienne à «
réfléchir davantage et être moins tenté de sombrer dans l’irrationnel4».
Après Towa, nous évoquons un des « farouche » opposants à la philosophie
de la Négritude, Wolé Soyinka. Poète nigérian, romancier et dramaturge, et
lauréat du prix Nobel de littérature (1986), Soyinka pense que les chantres
de la Négritude ne touchent pas le fond de la question qui intéresse le peuple
noir. Et lors d’une conférence des écrivains à Kampala (1962), Ouganda,
Soyinka affirme : « Le tigre ne proclame pas sa tigritude, mais il saute sur
1
Senghor Léopold Sedar, Liberté II, p.400.
2
Ibid., p.402.
3
Towa, Négritude ou Servitude ?, op.cit., p.17.
4
Ibid., p.42.
270
sa proie et la dévore1». Cette phrase de Soyinka sous-tend que la Négritude
ne peut pas se limiter uniquement au sens du verbe, ni se confiner dans la
théorie, le littéraire ou le culturel. Pour Soyinka, il importe qu’elle s’inscrive
dans l’action, c’est-à-dire la révolte comme le tigre qui bondit. Autrement
dit, c’est dans l’action qu’on reconnaît la Négritude. Bien entendu,
l’affirmation de Soyinka a fait couler beaucoup d’encre chez les chantres de
la Négritude, notamment chez Senghor. En réponse à Soyinka, Senghor
avance la thèse suivante :
La vérité est que nos confrères anglophones se font les instruments d’un
Impérialisme qu’ils taisent : vielle rivalité anglo-française, qui doit,
aujourd’hui, être dépassée, en ce siècle qui est celui de l’Universel. Pour
nous, nous ne voyons pas, dans la littérature négro-africaine de langue
anglaise, une concurrente, mais une sœur : un domaine supplémentaire de
la Négritude… Même s’ils ont subi les influences de la littérature
anglaise − et c’était naturel−, ils ont réagi, en Nègres, comme nous avons
essayé de la faire à l’influence française2.
1
Soyinka Wolé cité par Nganga Bernard, Le siècle de Senghor, Paris, l’Harmattan, 2001,
p.161.
2
Senghor, Liberté V, « De la Négritude », op.cit., p.16.
271
colonisateur; mais elle est sursaut de l’esprit. D’ailleurs, Pierre Kadi Sossou
dans son article intitulé Au-delà de la nation : Germanité dans Négritude
renforce ou apporte sa contribution à la vision de Senghor concernant
l’émotivité : « Senghor revendique bien sûr l’émotivité, mais il la
revendique en vue de la purifier. Dans le vocabulaire de Senghor, l’émotion,
est contraire aux effets pervers de la raison dévoilés par l’instinct de
domination européen. L’émotion et la raison sont deux vocables dont se sert
Senghor pour ressortir l’antinomie fondamentale entre l’Européen et
l’Africain. Ils servent à désigner des comportements observés chez l’un et
l’autre. La raison est considérée par le poète comme la base européenne.
Elle est à combattre par tous les moyens 1». L’argumentation de Sossou
nous semble cohérente et pertinente dans la mesure où elle révèle
fondamentalement les implicites de la thèse sengorienne de l’émotivité. En
effet, dans « Ce que l’homme noir apporte2 », Senghor mentionne
l’affirmation d’André Gide dans les Nouvelles Nourritures : « La sagesse
n’est dans la raison, mais dans l’amour ». Avec cette l’affirmation de Gide,
nous remarquons la fusion remarquable de deux génies : Senghor et Gide.
En citant Gide, Senghor se réfère implicitement à l’opposition qu’il y a entre
amour/raison chez Gide et émotion/raison dans la Négritude senghorienne.
Ce qui porte à croire que l’émotion renvoie à une idée de sagesse, voire
d’amour chez Senghor. Il est essentiel de préciser que Senghor émet des
réserves par rapport à la raison, quand il déclare : « La raison a tout détruit,
elle a détruit la nature3 ». Ses réserves ne nous poussent pas à affirmer que
l’émotion est exclusivement l’apanage du Noir chez Senghor. C’est
pourquoi au-delà des critiques portées sur les chantres de la Négritude, il
convient de retenir qu’elle est une école de pensée au service de l’Universel
− elle fait l’éloge de la valeur humaine. Elle a su aussi agir en refusant que
l’Africain et le Noir soient dévalués à un moment donné de l’histoire de
l’Humanité. D’ailleurs, c’est ce qu’affirme Pierre Akinwande : « […] le
1
Sousso Pierre Kadi, Sossou Pierre Kadi, Au-delà la nation : Germanité dans Négritude, in
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1505, 2006.
2
Senghor Léopold Sédar, Liberté II, « Ce que l’homme noir apporte », Paris, Seuil, 1971,
p.101.
3
Ibid.,« Ce que l’homme noir apporte », Paris, Seuil, 1971, p.101.
272
courant philosophique et culturel négro-africain ne se lasse point d’accroître
incessamment dans les milieux intellectuels à travers le monde, étant devenu
un point de référence très symbolique puisque, à notre avis, ses pères
fondateurs, Damas, Senghor et Césaire, l’ont fortement établi d’abord
comme enracinement dans les valeurs de culture et de civilisation négro-
africaines, et ensuite, comme ouverture des peuples de couleur aux autres
races du monde, façonnant donc une symbiose des diverses cultures du
monde : le rêve de Léopold Sédar Senghor, seul réalisable par le moyen du
dialogue qu’Aimé Césaire appelle le « Rendez-vous du donner et du
recevoir1 ».
273
b- Dans les essais
Ce qui est en cause, ce n’est pas la négritude en tant que telle, encore
moins son contenu latent ou manifeste, originaire ou dévié. Ce que nous
dénonçons, c’est l’utilisation politique qu’on en fait (et fera) et cette
volonté malsaine de maintenir le concept dans son inachèvement
théorique originel. Du concept inachevé de la négritude, on est passé à
celui très vague et surtout très habile de l’âme noire. Enfin, à l’incertitude
de la pensée sans réquisit ni fondement dont le seul titre est la frénésie
qui, paraît-il, doit régénérer le monde : le monde africain et le reste.
Voire1 !
1
Adotevi, « Négritude et politique », op.cit., p.99.
274
quelque chose de solide. C’est pourquoi Adotevi considère que le concept
est assez « vague ». En cela, il persiste que la Négritude se refugie
subtilement dans une sorte de philosophie évoquant « l’âme noire ou la
frénésie». En évoquant « l’âme noire ou la frénésie», la pensée de la
Négritude montre implicitement son effritement « originel » selon Adotevi.
De la même manière, il affirme que : « La négritude actuelle, c’est la phase
contemporaine et l’ultime croisade. Elle fixe et coagule à des fins
inavouables les théories les plus usées sur les traditions africaines dont elle
prétend être le reflet littéraire ».1 Il semble qu’Adotevi s’évertue à dévaluer
la Négritude, ou encore la détraquer pour peut être dévoyé son sens. Ainsi, il
dénonce la Négritude en la qualifiant de rigidité. Certes, Adotevi peut dire
que la Négritude reste une pensée ou une théorie exclusive. Mais il est
essentiel de préciser que Senghor, Césaire et Damas n’ont cessé de prêcher
la reconnaissance de l’autre malgré les différences qui existent entre les
hommes.
Pourtant, Adotevi insiste sur sa critique virulente. Il pense qu’il
convient de détruire moralement et politiquement la Négritude2. Ce qui
explique dans une certaine mesure la critique farouche qu’Adotevi a contre
les pères de la Négritude. D’ailleurs, il accentue sa critique acerbe en
soutenant la thèse selon laquelle la Négritude se fixe dans l’éloge d’un
passé:
1
Adotevi, op. cit., p. 99.
2
Ibid., p.105.
275
la drogue qui permettra à l’heure des grands partages d’avoir de « bons
Nègres1 ».
1
Adotevi,op. cit., p.100.
276
devenue depuis si longtemps blanche…La Négritude accepta donc cette
prétendue infériorité et l’assuma crânement à la face du monde1, « ceux qui
n’ont exploré ni les mers ni le ciel2 » et « l’émotion est nègre la raison
hellène3». Il convient de rappeler que Diop, par son génie et, à travers ses
œuvres scientifiques, Nations nègres et cultures, l’Unité culturelle de
l’Afrique noire, Afrique noire précoloniale, Civilisation ou barbarie et
Antériorité des civilisations nègres : Mythes ou vérité historique ?, peut être
considéré comme un des grands penseurs de la conscience africaine, ou
encore de la conscience noire. Il a contribué avec ses travaux scientifiques à
l’émergence d’une nouvelle conscience historique en Afrique, tout en
cherchant à réconcilier l’homme avec lui-même. Sa vision du monde, tout
comme sa critique portée sur la Négritude, donne une certaine crédibilité ou
légitimité scientifique.
1
Aimé Césaire cité par Diop Cheikh Anta, Civilisation ou Barbarie, op.cit., p.279
2
Aimé Césaire cité par Diop, Civilisation ou Barbarie, op.cit., p.279.
3
Léopold Sédar Senghor cité par Diop, Ibid., p.279.
277
que nous demandons à cette heure, ce n’est pas d’’assumer
l’abâtardissement et l’anthropologie ; ce n’est pas de chanter la race et
brandir le passé ; mais de trouver les moyens d’une action inspirée par un
choix lucide et rigoureux1 !
1
Adotevi, op.cit. , p. 131.
278
Je ne parle pas de la négritude déviée, de la négritude pervertie, je parle
plutôt de la dette. Celle réelle qui a permis de faire connaître l’Afrique
grâce aux thèmes hurlés de nos poètes. Je ne parle que de ça. De la fin
d’un silence. Du voile soulevé. D’abord les thèmes. En premier lieu, la
fierté du fait même d’appartenir à la tradition de la civilisation africaine,
de posséder des valeurs qui distinguent le monde noir du monde des
Blancs. Cette attitude appelle dans le domaine de la production artistique
la libération des modèles européens et aussi la profession de foi dans le
destin de l’Afrique. Ainsi formulée, la négritude marque l’acte de
naissance d’une nouvelle littérature africaine1.
1
Adotevi, « Du vertige au soupir », op.cit., p. 33.
279
Parmi les voix discordantes, mais les plus modérées également, nous
nous intéressons aux réflexions d’Abiola. Contrairement à Adotevi, Abiola
ne pense pas que les voix de la Négritude (Césaire, Senghor et Damas)
soient complément dépassées :
1
Abiola, « Réflexions sur la Négritude », op.cit. , p. 148.
280
par les tenants du « postmodernisme »pour entourer toute cette tradition
d’une épaisse atmosphère de soupçon1.
1
Abiola, « Réflexions sur la Négritude », op.cit. , p. 159.
281
race noire d’une manière générale, une nouvelle dimension historique et
existentielle. On peut donc dire que la Négritude définit les sens de tout le
mouvement de la pensée africaine contemporaine1.
1
Abiola, « Réflexions sur la Négritude », op. cit., p. 160.
2
Ibid., « Eloge de l’aliénation », p. 165.
282
Le combat culturel mené par ces grands défenseurs de la Négritude dès
les années 30 avait donc pour but de revaloriser l’authenticité des valeurs
de culture et de civilisation noires dont ils sont fiers, et de démentir les
fausses propagandes des écoles occidentales représentées par Arthur
Gobineau, Lucien Lévy-Bruhl, Hegel etc., réunis tous dans leurs travaux
d’ethnologues et historiens, à propager la thèse de la « table rase » à
l’égard de l’Afrique antique, de façon à justifier la colonisation
occidentale1.
1
Akinwande Pierre, « Démentis de la propagande occidentale », op.cit., p.49-50.
283
magie tout en soulignant la primordialité de Dieu, l’Etre suprême,
créateur de l’être humain et de toutes choses, elle s’avère sans aucun
doute, l’une des grandes philosophies du XXe siècle.1
1
Akinwande, « La philosophie négro-africaine », op.cit., p.80.
2
Césaire, Nègre je suis, nègre je resterai, op.cit., p. 70.
284
idyllique et luxueuse d’un monde noir qui, en réalité, n’avait jamais
existé. La négritude comme simple refus de la souffrance, et exaltation de
la joie de danser et de revendiquer la « personnalité noire », permettait
certes aux nouveaux leaders politiques et élites africaines de s’offrir une
place au soleil. Mais précisément parce qu’elle se focaliser sur la question
de la race, elle occultait par exemple les problèmes de classes1.
1
Monga Célestin, Nihilisme et Négritude, « Négritude, conformisme et dissidence », Paris,
PUF, 2009, p.32-33.
285
Le fait de remettre certains comportements dans une perspective
appropriée et d’identifier les diverses formes de nihilisme que l’on peut
associer aux modes de penser et à la négritude aujourd’hui ne saurait être
qu’une étape de la réflexion philosophique sur le monde noir. La
négritude comme condition africaine aujourd’hui, souvent régulièrement
caricaturée par les médias et réduite à une triste symphonie de la
souffrance, est en réalité l’objet d’une grande intensité philosophique1.
1
Monga Célestin, op.cit., p.45.
286
que la variante de la nouvelle négritude consiste à s’inventer d’autres modes
de penser, d’agir et d’être : « La négritude comme un aggiornamento
philosophique nécessaire à la restauration d’un imaginaire blessé par les
injustices de l’oppression, mais surtout capable de se réinventer pour faire
face aux nécessités et aux urgences du moment ».1 Une telle démarche nous
permet dire qu’il y a là une différence d’approche méthodologique non
négligeable chez Monga. Ceci pour dire, en fin de compte que le projet de la
Négritude continue d’alimenter sous d’autres formes l’univers africain. En
cela, l’ouvrage de Monga vient illustrer qu’il serait difficile d’arrêter les
répercussions de la Négritude en Afrique et dans le reste du monde.
C’est donc dans ce sens qu’il convient d’analyser l’impact de la
Négritude en Europe et dans le reste du monde. En effet, le choix de cette
démarche permet d’avoir un aperçu plus clair sur ce courant de pensée et de
mieux analyser l’impact de son projet dans l’espace luso-africain.
1
Monga, op.cit., p.33-34.
287
2- Par rapport à l’humanité
c- En Europe
Je voudrais montrer par quelle voie on trouve accès dans ce monde de jais
et que cette poésie qui paraît d’abord raciale est finalement un chant de
tous et pour tous. En un mot, je m’adresse ici aux blancs et je voudrais
leur expliquer ce que les noirs savent déjà : pourquoi c’est nécessairement
à travers une expérience poétique que le noir, dans sa situation présente,
doit d’abord prendre conscience de lui-même et, inversement, pourquoi la
poésie noire de langue française est, de nos jours, la seule grande poésie
révolutionnaire2
1
Sartre, Jean Paul, Préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de
langue française de Léopold Sedar Senghor, Paris, PUF, (1ière édition 1948) la présente,
1985, p. xvii.
2
Ibid., p. xvii.
288
opprimés par le système colonial. C’est la raison pour laquelle dans sa
préface, Sartre réfléchit à la quête des poètes noirs, notamment les chantres
de la Négritude. Sartre explique que la poésie nègre renvoie à la condition
du noir dans le monde, précisément en Occident. C’est par ce biais que le
poète noir tente de prendre en charge son destin. Mais pour mieux avancer
dans notre analyse, il nous semble essentiel de formuler la question qui
s’impose : qu’est ce que la Négritude au regard de Sartre ?
1
Sartre, Orphée noir, op.cit.p, xxix.
2
Sartre Jean Paul, Critique de la raison dialectique, Tome I, « De la « praxis » individuelle
au pratico-inerte », Paris, Gallimard, 1ière édition, 1960 (pour la présente, 1985), p. 222.
289
monde que celui où il coexiste avec d’autres 1». Ce qui renvoie
nécessairement à l’être au monde avec autrui. C’est également l’idée de
coexistence et d’interdépendance dans la relation entre les hommes.
Le regard n’est plus à sens univoque mais à sens croisés, ce qui crée
ainsi un rapport d’égalité dans lequel chacun est libre de forger son opinion
sur l’autre. D’où la nécessité de respecter cette différence. Le Nègre a donc
sa propre subjectivité différente de celle du Blanc. Cette subjectivité du
Nègre rectifie celle du Blanc et la détruit même. Il est essentiel de souligner
que le regard serait relativement une preuve unique de la vie d’autrui ou de
1
Heidegger, Martin, l’Être et le Temps, traduit de l’allemand et annoté par Rudolf Boehm
et Alphonse de Waelhens, Paris, Gallimard, 1964, p. 155.
2
Sartre Jean Paul, l’Être et le Néant, Essai d’ontologie phénoménologique, Paris,
Gallimard, 1943, p. 410.
3
Ibid, p.448
290
l’existence d’autrui. Il permet de reconnaître la présence originelle de
l’autre qui nous regarde, même dans une situation conflictuelle. C’est
effectivement cette dialectique assez complexe que Sartre tente de mettre en
exergue dans Orphée noir. En effet, il avance la thèse suivante :
Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de
ressentir comme moi le saisissement d'être vus. Car le blanc a joui trois
mille ans du privilège de voir sans qu'on le voie ; il était regard pur, la
lumière de ses yeux tirait toute chose de l'ombre natale, la blancheur de sa
peau c'était un regard encore, de la lumière condensée. L'homme blanc,
blanc parce qu'il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la
vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche,
dévoilait l'essence secrète et blanche des êtres. Aujourd'hui ces hommes
noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux ; des torches
noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus
que de petits lampions balancés par le vent1.
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.ix.
291
Par la symbolique du regard, « Aujourd'hui ces hommes noirs nous
regardent et notre regard rentre dans nos yeux », Sartre nous conduit vers
deux corps (Noir et Blanc) différents. En d’autres termes, l’être humain ne
se présente plus sous l’aspect d’un Blanc, mais aussi d’un Noir. Sous cet
aspect, le corps ou la couleur de peau peut-il signifier forcement le moteur
et la cause de notre relation avec autrui. Il semble en effet qu’il exprime
l’existence d’autrui dans la mesure où il est en situation, il est regardé par
l’autre. Peut être le regard d’autrui permet de se sentir existé dans toute
relation humaine, comme « des hommes noirs debout qui nous regardent et
je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d'être vus ».
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xxvi-xxvii.
292
Cela explique probablement ce que Sartre entend par « l’être-dans-le-
monde-du-Nègre », une manière de mieux penser la figure de l’altérité entre
le Noir et Blanc. Ou encore, « l’être-dans-le-monde-du-Nègre », traduirait
aussi l’évolution de la conscience créatrice du Noir et sa réaction par rapport
à la situation coloniale.
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xxviii.
293
destructrice, la plus libre et la plus métaphysique». Ces propos signalent la
force des mots de la poésie césairienne. Il s’agit là d’une sorte de
renaissance à travers la création et l’esprit de dépassement de soi.
Ce que Césaire détruit, ce n’est pas toute culture, c’est la culture blanche ;
ce qu’il met au jour, ce n’est pas le désir de tout, ce sont les aspirations
révolutionnaires du nègre opprimé ; ce qu’il touche au fond de lui ce n’est
pas l’esprit, c’est une certaine forme d’humanité concrète et déterminée1
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xxvii.
294
négatif n’a pas de suffisance par lui-même et les noirs qui en usent le
savent fort bien ; ils savent qu’ils visent à préparer la synthèse ou
réalisation de l’humain dans une société sans races. Ainsi la Négritude est
pour se détruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et non fin
dernière1.
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xl-xli.
2
Ibid, Orphée noir, op.cit., p.xiv.
295
conscience de la différence, comme souvenirs, comme mémoire, comme
fidélité et comme solidarité. Il s’agit aussi d’un ré-enracinement certes, mais
aussi d’un épanouissement et de la conquête d’une nouvelle et plus large
fraternité1». Ce que Césaire veut montrer ici, c’est que la négritude est au
cœur de l’épanouissement de l’homme, de l’aspiration à la liberté humaine.
Dans ce cas, comment pourrait-on effectivement entrevoir un « racisme
antiraciste » de la part des voix de la Négritude, comme le souligne Sartre
dans Orphée noir ? En tout cas, une autre voix de la Négritude s’élève,
c’est-à-dire, Senghor. Il soutient que Négritude est manière de revendiquer
l’apport des valeurs du monde noir à la civilisation de l’universel. Aussi,
elle est l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir2 . En ce sens
Senghor est plus de Césaire. Pour Senghor, la Négritude est loin d’être un
racisme − fût-elle − est plutôt un humanisme. La Négritude n’est ni racisme
ni contorsions vulgaires3. C’est la raison pour laquelle on ne saurait affirmer
que la Négritude est un « racisme antiraciste », comme l’atteste Sartre.
1
Césaire, Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la Négritude, op.cit., p.84-92.
2
Senghor, Liberté III, Négritude et Civilisation de l’Universel, op.cit., p.20.
3
Senghor, Liberté III, op.cit., p.20.
4
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xvii.
5
Chevrier Jacques, Littérature africaine, Paris, Hatier 1990, p.14.
296
Considérant que la Négritude est « l’être-dans-le-monde-du-Nègre »,
il souligne l’intérêt qu’il accorde à la conscience créatrice du poète Noir et à
la cohésion du mouvement de la Négritude qu’il oppose à la littérature
occidentale. Pour lui, les auteurs de la Négritude dans leur majorité avaient
comme unique ambition, celle de magnifier ou, selon ses propres termes,
manifester l’âme. Et dans Orphée noir, il manifeste son enthousiasme
concernant la poésie de la Négritude :
Dans celle que je vous présente, il n’y a qu’un sujet que tous s’essayent à
traiter, avec plus ou moins de bonheur. De Haïti à Cayenne, une seule
idée : manifester l’âme. La poésie nègre est évangélique, elle annonce la
bonne nouvelle : la négritude est retrouvée1.
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xv.
297
nouvelle », si on estime qu’elle s’oppose à la dévaluation de l’espèce de
l’homme par l’homme. Si donc la poésie nègre « annonce la bonne
nouvelle », comme il le souligne, c’est parce qu’elle est sans doute source
de libération. De même, nous estimons que la Négritude serait « retrouvée »
si sa poésie s’écarte effectivement de « l’innocence » ou du « silence
coupable ». Autrement dit, il appartient donc à la poésie nègre d’incarner le
renouveau en se mettant au service de l’émancipation humaine.
Il semble que la poésie nègre est sensiblement tournée vers
l’universel. En clair, elle s’adresse non seulement aux opprimés, mais aussi
à l’homme planétaire. C’est à travers cette sensibilité autour de l’acte
poétique que la Négritude exprime son humanisme. De ce fait, selon lui, les
poètes de la Négritude (Césaire, Senghor, Damas) parlent pour tous, même
s’ils s’opposent à la « culture-prison » du blanc.
Face à ces réflexions pointues sur la poésie de la Négritude, il est
essentiel maintenant de s’intéresser au titre de l’Essai, Orphée noir. Cela
permet de comprendre comment il aborde la « descente du nègre ». A ce
titre, il procède à la justification du titre de son Essai en parlant de la poésie
nègre. Il écrit la thèse suivante:
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xvii.
298
premier abord, elle est en réalité un chant de tous pour tous. En ce sens,
Senghor semble se rapprocher de Sartre, quand il soutient que : « ce qui fait
la négritude d’un poème, c’est moins le thème que le style, la chaleur
émotionnelle qui donne vie aux mots, qui transmue la parole en verbe1 ».
Senghor montre effectivement que l’approche poétique de la Négritude est
fondée sur un humanisme.
1
Senghor cité par Sartre, Orphée noir, p.xxix.
2
Cailler Bernadette, Proposition poétique : une lecture de l’œuvre d’Aimé Césaire,
Quebec, Naaman de Sherbrooke, 1976, p.83.
299
tente de donner à la couleur noire une nouvelle dimension humaine. C’est-à-
dire, en s’exprimant autour des arts, des danses ou des chants africains et pour
sa subjectivité propre à lui. C’est dans ce sens que l’Orphée noir peut parvenir à
toucher cette femme africaine ou femme noire et, partant toute la Négritude. Or,
« dans le moment que les Orphées noirs embrassent le plus étroitement cette
Eurydice, ils sentent qu’elle s’évanouit entre leurs bras1 ».
Ce qui est frappant dans Orphée noir, c’est la manière dont Sartre met
en évidence le paradigme universel de la Négritude. C’est en ces termes qu’il
écrit :
La Négritude n’est pas un état, elle est pur dépassement d’elle-même, elle
est amour. C’est au moment où elle se renonce qu’elle se trouve ; c’est au
moment où elle accepte de perdre qu’elle a gagné : l’homme de couleur et
à lui seul il peut être demandé de renoncer à la fierté de sa couleur. Il est
celui qui marche sur une crête entre le particularisme passé qu’il vient de
gravir et l’universalisme futur qui sera le crépuscule de sa négritude ;
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xli.
2
Cailler, op.cit., p.83.
3
Ibid, p.84.
300
celui qui vit jusqu’au bout le particularisme pour y trouver l’aurore de
l’universel1.
1
Sartre, Orphée noir, op.cit., p.xlii.
2
Ibid.,p.xliii.
301
fragiliser même l’humanisme de la Négritude. Il insiste sur la question
raciale et semble engendrer parfois quelques ambigüités autour de la
Négritude : « c’est le poème comme chose du monde, mystérieuse et
ouverte, indéchiffrable et suggestive… la poésie la plus pure sortent de la
même source ». C’est peut être dans une dynamique d’indiquer que la
Négritude « est pure dépassement d’elle-même ».
Si Sartre en dit long sur la Négritude, il est essentiel maintenant
d’analyser les propos de Senghor :
1
Senghor, « les poètes de l’anthologie » cité par Kesteloot Lilyan, Anthologie négro-
africaine, op.cit., p.134.
302
reprendre les propos de Senghor. En tout cas, Senghor soutient que le lien
avec l’Afrique et l’expression de son humanisme renforcent la vitalité de la
Négritude « La négritude n’est pas née hier et ne mourra pas demain :
l’homme africain ne va se mettre à vivre comme un Blanc parce qu’il est
décolonisé ».
303
d- Dans le reste du monde
1
Pires, Laranjeira, De letra em riste, “A negritude e a negritude entre os africanos de lίngua
portuguesa”, Porto, Afrontamento, 1992.
304
concerto da cultural universal, universel, par la restauration
pelo restabelecimento da digne de sa civilisation
dignidade civilizacional ancestrale, la négritude est
ancestral, a negritude devenue rapidement un point
transformou-se rapidamente de départ dans la redécouverte
em ponto de partidade para a de l’Afrique ancienne,
redescoberta da África antiga, émergeant des ténèbres de
emersa nas trevas do l’ignorance et de
desconhecimento e da l’occultation2.
ocultação1.
1
Pires, Laranjeira, De letra em riste, “A negritude e a negritude entre os africanos de lίngua
portuguesa”, Porto, Afrontamento, 1992, p.51.
2
Traduction personnelle.
305
Dans un autre passage, il met en évidence le rôle social et
idéologique que les penseurs de la Négritude (Césaire, Senghor, Damas) ont
joué. Par ces deux aspects fondamentaux (social et idéologique), il écrit :
1
Pires, Laranjeira, Literaturas africanas de expressão portuguesa, Lisboa, Universidade
Aberta, 1995, p.29.
2
Traduction personnelle.
306
combat dans le but de libérer psychologiquement le colonisé du poids de la
domination culturelle occidentale. C’est sans doute ce que Pires Laranjeira
appelle la « conduite de désaliénation » exercée par les chantres de la
Négritude.
1
Pires, Laranjeira, De letra em riste, op.cit., p.28.
2
Traduction personnelle.
307
Ce paragraphe revêt une signification singulière. Nous voulons
indiquer que les propos de Pires Laranjeira révèlent l’importance des
pionniers de la Négritude. Pour lui, ils sont les piliers de la Négritude dans
la mesure où ils ont laissé des empreintes indélébiles. En d’autres termes,
c’est signifier que leurs œuvres peuvent être considérées comme une force
vivante, celle qui éveille l’homme opprimé, engendre un chemin d’espoir.
Cela indique que la Négritude prône l’émancipation parmi les hommes.
Dans le même ordre d’idées, il nous signale que la Négritude senghorienne
s’ouvre à autrui. Elle exprime un élan vital qui sous-tend son universalisme.
En outre, il est intéressant de remarquer que Pires Laranjeira met l’accent
sur l’universalité de l’œuvre de Senghor : « les nombreux ouvrages
théoriques et une large acception occidentale (politique, littéraire et
académique), qui a contribué décisivement à la divulgation de la tendance
universelle, dialoguante, de la Négritude1 ». En effet, cela atteste que
Senghor a sans doute donné beaucoup d’éclats à la Négritude à travers le
monde.
Nous estimons que les textes analysés plus haut des pionniers de la
Négritude résonnent comme une perspective d’avenir. On peut donc dire la
Négritude sous la plume de Senghor, Césaire et Damas a empêché les
colonisés de s’identifier aux modèles européens mais de s’approprier leurs
valeurs culturelles. C’était la première condition pour mener la lutte de
libération. La littérature a été un vecteur fondamental. Par conséquent, la
Négritude en tant que démarche consistant à valoriser et à réhabiliter les
valeurs du monde noir constitue logiquement une source d’inspiration pour
les auteurs africains lusophones. C’est pourquoi les répercussions de la
Négritude nous permettent de discuter la question des limites de ce concept,
notamment chez les poètes d’Afrique lusophone (José Craveirinha, Néomia
de Sousa et Agostinho Neto).
1
Pires, De letra em riste,opt.cit., p.28.
308
B- Les limites de la poésie militante en
Afrique lusophone
309
1- Limites du projet
e- Dans la forme
Ce qui est frappant dans ces vers, c’est le désir ardent de bâtir un
chemin royal pour l’Angola et l’Afrique. En cela, le poète inaugure une
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p.131-132.
2
Traduction personnelle.
310
prise de conscience. Il le manifeste à travers écriture contestataire qui vise la
chute du colonialisme. Et cela, grâce au pouvoir de la poésie, c’est-à-dire du
verbe qui devient ici un vecteur de combat « en construisant maintenant
notre patrie /notre Afrique et que nous sommes mus par une conscience
claire de notre destiné». Il s’agit donc à la fois de libérer l’homme angolais
et l’Africain. Tout comme Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire et Léon-
Gontran Damas qui ont pu exprimer leur vision remarquable pour libérer
l’homme colonisé, Agostinho Neto se fait le défenseur de l’Afrique, du
peuple noir et de l’Angola pour parachever la libération. C’est la raison pour
laquelle l’évocation du mot « patrie » correspond à un nouveau souffle qui
sonne le glas de l’occupation coloniale.
1
Agostinho Neto, op.cit., p.135.
2
Traduction personnelle.
311
Le poète manifeste « l’espoir » de transformer l’homme angolais.
C’est par le biais de la poésie que Neto prétend réaliser celle-ci. Il s’agit en
outre d’un appel à l’émancipation de son peuple. C’est ce qui permet
d’avancer que Neto élabore poétiquement une sorte de renaissance pour le
peuple angolais. Pour bâtir celle-ci, il affiche une profession de foi
remarquable à travers l’emploi du mot « espérance ». En ce sens, nous
avons l’impression qu’il convoque toutes les forces vives de l’univers pour
créer une nouvelle condition de la vie. C’est le symbole de son attachement
à son peuple.
Le poète tend vers l’universel parce qu’il évoque les valeurs qui
fondent l’humanité. Il s’élève et rien ne semble l’arrêter dans sa quête
éternelle de liberté. En s’émancipant poétiquement, l’auteur donne du sens à
la vie et exprime l’urgence de vivre pleinement sa liberté, « Peuple
indépendant à voix égale à partir de ce lever du jour vital sur notre
espérance ». Grâce à ces vers, Neto montre que son peuple existe et qu’il a
besoin de s’émanciper. En effet, le rythme passionnant ainsi que le ton du
poème, ou encore l’élégance du style dans la revendication de la liberté et
l’émancipation pour son peuple rappellent la trajectoire littéraire des
chantres de la Négritude.
312
se nos campos de trabalho na dans les champs de travail
socialização na entreajuda collectif et d’entraide
gloriosa nos campos mutuelle
Ressuscitar o homem nas Ressusciter l’homme à travers
explosições humanas do dia a les manifestations
dia na marimba quotidiennes de la vie de tous
no chingufo les au son du marimba
no quissange du chingufu
Le poète révèle dans ces vers un sursaut marqué par l’évocation des
signes qui rappellent la vie africaine. Ceci atteste effectivement son
attachement au continent africain. De ce fait, le poète prend conscience, du
fait que le combat pour l’émancipation du sujet opprimé a une portée
générale, il dépasse donc le cadre angolais. Agostinho Neto aspire à une
rencontre triomphale avec l’Afrique, « retrouver l’Afrique dans la joie ». Ce
sourire symbolise la future délivrance tant désirée. D’ailleurs, cette quête de
délivrance est illustrée par l’emploi des vers comme : « libérés de
l’oppression », « libres des contraintes ».
Il s’agit pour le poète de s’affirmer dans une voie royale, celle de la
liberté. L’obsession de ce désir montre que la voix poétique ne vacille pas
face à l’obstacle colonial. Elle exprime de manière poétique une résistance
salvatrice. C’est pourquoi Agostinho invite tout un continent à s’unir dans la
marche vers l’épanouissent collectif, « Se retrouver dans les champs de
travail collectif /dans l’entraide mutuelle ». Ce qui frappe aussi, c’est un
besoin d’universaliser son combat. Cela s’explique d’ailleurs par sa vision
intégratrice du monde africain. Il ne dissocie pas l’Angolais du reste de
1
Agostinho, op.cit., p.133.
2
Traduction personnelle.
313
l’Afrique. On peut penser donc qu’Agostinho Neto invite tous les fils de
l’Afrique à lutter contre l’oppression. C’est la raison pour laquelle la
symbolique de la solidarité rayonne dans l’ensemble du poème.
1
Intrumentent traditionnel, Xilophone.
2
Instrument traditionnel qui ressemble au piano ou balafon.
314
angolano, libertar o homem, impérieux d’altérer le monde
conquistar a dignidade no angolais, libérer l’homme, de
plano do mundo material e no conquérir la dignité sur le
plano do mundo spiritual. É a plan matériel et sur le plan
consciência de que a acção spirituel. C’est prendre
polίtica é a mola do processo conscience que l’action
de libertação que leva politique est le ressort du
Agostinho Neto, o jovem processus de libération qui
ensaίsta, o poeta, à sua conduit Agostinho Neto, le
1
prática . jeune essayiste, le poète, dans
sa praxis littéraire2.
1
Mourão Fernando Augusto Albuquerque, « O contexto histórico-cultural de criação
literária em Agostinho Neto: memória dos anos cinquanta. África: Revista do Centro de
Estudos Africanos, USP, São-Paulo, 1992, p.57.
2
Traduction personnelle.
315
politique. Comme on peut le constater, cette démarche s’inscrit donc dans le
sillage des chantres de Négritude.
N’goma1 N’goma
1
Tambour, tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.226.
316
chorar às raίzes da terra frayeur la liberté au fond des
1
Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.55.
2
Traduction personnelle.
317
A n’goma grita ! N’goma crie!
Crie !!!
Crie2!!!
1
Craveirinha, Xigubu, op.cit.p.55-56.
318
seulement l’étendu de la souffrance, mais aussi cette volonté d’y mettre un
terme. Plus cette souffrance est élevée, plus ce son de batuque sera
assourdissant et continu. Comme Agostinho Neto, Craveirinha exprime à
travers le « puissant batuque » son obsession quant à la transformation de la
situation du sujet opprimé, c’est-à-dire du colonisé. Il aspire à créer à travers
la poésie une perspective vers un futur meilleur.
1
Adotevi, Négritude et Négrologues, op.cit.p.33.
319
estendeu a mão main pour la cueillir
1
Mulungo : c’est l’européen en général (tiré dans Xigubo, op.cit.p.226.)
2
Craveirinha, Xigubo, op.cit.p.45.
3
Traduction personnelle.
320
sévissait au sein des familles africaines, les enfants n’avaient d’autre
solution sinon de s’aventurer pour chercher à manger.
321
do muro derrière le mur
1
Craveirinha, Xigubu, op.cit., p.45-46.
2
Traduction personnelle.
322
la lutte coloniale. D’ailleurs, ce poème de Craveirinha rappelle celui d’un
des chantres la Négritude, Léon Gontran Damas. Dans un de ses écrits,
Damas évoque la question de la faim et de la marginalisation qu’il a connue
dans les rues de Paris, « Un clochard m’a demandé dix sous » : Moi aussi
j’ai eu faim dans ce sacré foutu pays/Moi aussi j’ai cru pouvoir demander
dix sous par pitié pour mon ventre creux/Moi aussi jusqu’au bout de
l’éternité de leurs boulevards à flics de nuits ai-je dû m’en aller moi aussi
les yeux creux/.1 Tout comme l’enfant de la rue de Craveirinha, lui aussi, en
terre étrangère, il a vécu les affres de la faim et il n’y avait personne pour le
secourir.
1
Damas, op.cit., p.39.
2
Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Paris,
Seuil/Points, 1972, p.54.
323
Tout comme Craveirinha, Noémia de Sousa observa de manière
profonde le contexte colonial dans son pays et déclare :
Poema Poème
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.107.
2
Traduction personnelle.
324
egoίsta, ficou aguardando o contrôlé de la ville égoïste, on
som inesquecίvel da tua voz attendit le signal inoubliable
irmã seta envenada disparada de sa voix fraternelle, flèche
contra o alvo branco da venimeuse lancée contre la
tirania, da violência, da tyrannie des Blancs, de la
1
opressão e da covardia ! violence, de l’oppression et de
la liberté2!
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.107.
2
Traduction personnelle.
3
Senghor, Hosties noires, op.cit., p.57.
325
colonisé de prendre son destin en main, d’être l’acteur de son histoire face à
l’oppression du régime colonial. C’est pour dire donc que Noémia de Sousa
vient emboîter le pas des penseurs de la Négritude.
326
f- Dans le fond
Porquê Pourquoi
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.73.
2
Traduction personnelle.
327
milieux africains. Le mal est maintenant partout. Les souffrances sont subies
à tout moment et même durant le jour, instant de lumière où la concorde des
cœurs et des esprits se manifeste pleinement. L’auteur accuse évidemment
le régime colonial qui est à l’origine de tous ces chamboulements. C’est
plutôt une remise en cause de l’ordre colonial. A travers la poésie, l’auteur
est à la recherche du paradis perdu. Comme chez Césaire la Négritude
devient un moyen de conquête : « La Négritude résulte d’une attitude active
et offensive de l’esprit ».1
1
Césaire, Discours le colonialisme suivi de Discours sur la Négritude, op.cit., p.84.
2
Ibid., p.91.
328
Justificação Justification
Noémia de Sousa montre à travers ce poème que son peuple est pris
en otage par le système colonial. Les « murs honteux de l’esclavage »
servent à isoler les Noirs et à les regrouper dans un univers comme ce fut le
cas des nazis. En dénonçant une telle situation, la poétesse met en évidence
les tares de la mission civilisatrice de l’Occident en Afrique. En d’autres
termes, ce poème montre tout le mépris de l’être humain durant le régime
colonial au Mozambique.
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.44.
2
Traduction personnelle.
3
Césaire, Discours, op.cit., p. 23.
329
un appel au respect de la vie humaine. De ce point de vue, les poètes de la
Négritude et les poètes luso-africains menaient le même combat
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p.80.
2
Traduction personnelle.
330
Dans ce poème, Agostinho Neto exprime ses inquiétudes quant à la
compréhension de son message poétique. En s’adressant chaleureusement à
son « ami Mussunda », le poète mesure les limites de son message et en
même temps les contraintes dans les perspectives de lutte. C’est parce que la
portée du message n’atteint pas forcément les personnes concernées, comme
le cas de son « ami Mussunda ». Neto prend conscience que la poésie peut
ne pas être suffisante pour mobiliser le sujet colonisé, « Je suis en train
d’écrire des poèmes que tu ne comprends ». Mais face aux limitations des
libertés politiques et d’association, Neto est obligé de recouvrir à la poésie,
au nom de la collectivité, pour lancer les bases littéraires d’un combat qui
doit nécessairement déboucher sur la prise des armes militaires. Il est
conscient que son ami Mussunda ne comprend pas le sens de son poème,
mais l’amitié crée une proximité et des affinités qui favorisent l’adhésion de
tous à la cause commune. Par conséquent, partageant la même culture et
souffrant les mêmes peines dans un même espace géographique, Neto a bon
espoir que Mussunda sera présent dans le combat contre le colonisateur.
Aspiração Aspiration
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit.,p.69.
2
Traduction personnelle.
332
mots annonce les germes d’une révolte de la part du poète. Il dédie cet
engagement à la cause de son peuple. Mais cette aspiration doit être
partagée par tous les Noirs victimes de la colonisation, « Mon désir se
transforme en force capable de donner espoir aux noirs désespérés ». Car, ce
n’est que dans cette condition que ce vœu pourra se transformer en force
vive capable de libérer le peuple angolais.
On voit bien que chez Neto la volonté tenace constitue déjà une arme
pour rompre l’obstacle colonial. Neto montre que son désir dépasse sa
personne. Il souhaite le partager avec tous ses frères. En clair, la démarche
poétique de Neto consiste à manifester la vision d’une société du futur plus
libre et plus juste où tous les noirs auront leur place au soleil. Mais une
vision partagée part tous les africains afin que naissent les forces du
changement. C’est cela en fait l’aspiration du poète. D’ailleurs, on le perçoit
à travers les mots comme « cri », « Désir » et « rêve » et surtout le désir de
convier à cette lutte toutes les « consciences désespérées ». Comme les
pionniers de la Négritude, Neto prouve aussi que celle-ci est avant tout une
exigence de reconnaissance et de respect de la différence, respect garant de
l’acceptation de l’Autre pour lui permettre de construire librement son
destin et de s’épanouir.
1
Césaire, Discours, op.cit., p.85.
333
donne beaucoup plus de signification à son combat. Neto exprime dans ce
poème un profond espoir, celui de libérer son peuple. C’est pourquoi on
constate que le poète souhaite mobiliser le même peuple pour faire la
révolution contre le colonialisme. Ce poème est donc une arme de lutte
anticoloniale dans la mesure où il préconise la substitution de l’ordre
colonial par un ordre plus juste. En ce sens, on peut dire que le poète
manifeste un idéal. C’est-à-dire la liberté et l’indépendance.
1
Agostinho Neto, Sagrada esperançã, op.cit., p.61.
2
Traduction personnelle.
334
virginité, puisque le paysage n’était pas encore dégradé. D’ailleurs, le
contraste entre « lumière » et « ténèbres », du point de vue métaphorique
indique bien ce changement. La lumière connotée positivement représente la
vie glorieuse du passé, tandis que les ténèbres connotées négativement
représentent le danger colonial. Mais il y a une lueur d’espoir puisque « je
suis le jour dans la nuit obscure », indique, tout simplement, que le poète en
homme averti et conscient va propager l’alerte auprès de ses frères opprimés
pour que cette blessure coloniale disparaisse à jamais. Il va divulguer à
travers sa poésie le vent du changement. Il est « l’expression de la
nostalgie », la nostalgie du passé, autrement dit un retour à la vie antérieur à
l’arrivée des blancs.
1
Senghor, Chants d’ombre, op.cit., p.17.
2
Damas, Pigments, op.cit., p.44.
335
des références au passé car le présent colonial est insoutenable parque
qu’aliénant. Leurs vers poétiques plongent leurs satires dans l’expérience
vécue, d’où cette impression de réalisme. D’après Maurice Blanchot : « Les
vers sont des expériences, liées à une approche vivante, à un mouvement qui
s’accomplit dans le sérieux et le travail de la vie 1».
1
Blanchot, Maurice, op.cit., p.108.
2
Craveirinha, Karingana ua Karingana, op.cit., p.199-200.
336
perpétuellement dans un
mouvement incessant de flux
et de reflux1.
1
Traduction personnelle.
337
Le poète souffre les humiliations du système colonial et veut y
mettre fin. Il va de soi que l’état de sa rébellion contre le colonisateur peut
être assimilé à ce qui se passe dans Et les chiens se taisaient d’Aimé Césaire
qui traite aussi de rébellion. Le Rebelle affirme : « Et le monde ne
m’épargne pas…Il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un
pauvre homme torturé, en qui je ne sois assassiné et humilié1. »
1
Aimé Césaire, Et les chiens se taisaient, Paris, Présence Africaine, 1956, (la présente
édition 2008), p.70.
338
En plus des approches idéologiques accessibles à tous les Africains,
il y a d’autres facteurs comme l’habillement, le maintien des rites et des
langues qui sont autant de forme d’expression de l’africanité. C’est-à-dire de
la Négritude de Xigubu et Karingana ua Karingana. C’est pour dire que
même si le message du livre a une portée limitée, d’autres phénomènes
culturels ont permis aux populations africaines de vivre la Négritude.
1
Moura Jean Marc, Littératures francophones et théorie postcoloniale, « Lusophonie et
francophonie », Paris, PUF, 1999, p.14.
339
On peut dire donc que la littérature d’Afrique lusophone, même si
elle a permis de lancer les premières idées de résistance, elle avait quand
même une portée limitée du fait du fléau de l’analphabétisme sévissait dans
les colonies. Il a fallu donc avoir recours à des moyens plus pratiques,
comme les langues locales, l’iconographie africaine et surtout l’explication
de la situation dramatique vécues quotidiennement par les colonisés et qui
montrent que la présence des blancs est nuisible à la vie africaine.
340
Chapitre II
341
A- Réception de la Négritude
1
Jauss, Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, traduit de l’Allemand par Claude
Maillard, Paris, Gallimard, 1978, (la présente, 1990), p.270.
2
Ibid., p.270.
342
1- Quête identitaire
1
Traduction personnelle.
343
de outra forma se inventa
— Karingana1!
1
Craveirinha, Karingana ua Karingana, op.cit., p.65.
3
Senghor, Léopold Sedar, Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1973, (la présente 1990), p.160.
344
Embora nas colônias africanas Bien que dans les colonies
portuguesas a Negritude africaines de langue
nunca tenha tomado a forma portugaise la Négritude n’ait
amplificada e exaltada que jamais pris une forme large et
assumiu no império francês, exaltée comme ce fut le cas
houve um processo dans l’empire français, il y a
semelhante, mesmo que não eu un processus similaire,
tenha havido “influência même s’il n’y a pas eu une
directa”. A Negritude é, dessa « influence directe». La
forma, a mais explícita e Négritude est, ainsi la phase,
manifesta fase de la plus explicite et la plus
nacionalismo cultural que se évidente la phase du
pode encontrar na literatura nationalisme culturel que l’on
1
africana moderna . peut rencontrer dans la
littérature moderne africaine2.
p.55.
2
Traduction personnelle.
345
période coloniale. Par l’expression « il était une fois », le poète s’enracine
et exprime la résistance contre les agressions culturelles du colon. Il prend
conscience que l’Afrique avait une tradition orale riche bien avant l’arrivée
du colonisateur. A travers ce poème, Craveirinha préconise le retour
symbolique aux sources africaines afin d’offrir une autre forme de libération
au colonisé. Le poète est nostalgique « des prophéties » de jadis. En effet, ce
retour aux prophéties de jadis permet au colonisé d’envisager sa propre
renaissance. D’ailleurs, on constate qu’à la fin du poème, le poète insiste sur
la quête de soi, « Il était une fois ». C’est aussi une manière de manifester sa
mozambicanité et l’éloge de la Négritude en s’inspirant de la tradition orale.
346
deixa-me ser tambor Oh vieux Dieux des hommes
1
Craveirinha, Karingana ua Karingana op.cit.,p.176.
2
Traduction personnelle.
347
africanos para a reunião(...). O esprits africains pour (...). Le
tambor é não apenas o tambour n’est pas seulement
elemento produtor do ritmo l’élément producteur de
africano, mas também o órgão rythme africain, mais aussi
funcional, onde torna l’organe fonctionnel qui
possíveis e estáveis os favorise l’équilibre. Et, aussi,
contactos entre os indivíduos. l’élément chargé de définir,
E, também, o elemento dans le même espace, le
encarregado de unir, no parcours historique du groupe
mesmo espaço, o percurso et ses problèmes immédiats2.
histórico do grupo com os
seus problemas actuais
imediatos.1
1
Margarido, Alfredo, Estudos sobre Literaturas das Nações Africanas de Língua
Portuguesa, 1ª ed., Lisboa, A Regra do Jogo, 1980, p.496.
2
Traduction personnelle.
348
facteur d’unification. Il rappelle des profondeurs, l’Afrique de la joie de
vivre et de la liberté justement, Craveirinha se bat pour la reprise de ses
valeurs.
as raparigas os poetas o
brilhos das estrelas
mergulhadas as raízes no
húmus ancestral da África1
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p.132.
2
Traduction personnelle.
349
A travers ce poème, Agostinho Neto exprime la nécessité de
transformer la vie du sujet colonisé. Par la reconquête de liberté, le poète se
place dans les perspectives de changement. Il voit déjà son peuple en pleine
allégresse, jouissant des vertus de l’indépendance. Au fond l’Afrique a droit
aux mêmes égards que les autres notions. Son peuple doit jouir des mêmes
droits que les autres peuples. L’Afrique ne doit pas rater les vérités du
changement qui souffle partout dans le monde. Le rêve de Neto est donc de
retrouver l’Afrique des ancêtres, de la paix et de la concorde. Il préconise un
retour aux sources.
1
Césaire, Nègre je suis et Nègre je resterai, op.cit., p.27-28.
350
appartenance à la culture africaine. Ils éprouvent le besoin d’affirmer leur
propre identité en s’appuyant sur la réhabilitation des valeurs africaines. Ils
sont donc de vrais défenseurs de la Négritude.
On peut donc dire que le retour aux sources africaines est une
condition nécessaire pour retrouver son identité perdue à cause de
l’assimilation forcées des valeurs européennes. Cette identification par
rapport aux sources africaines constitue un premier pas vers l’émancipation
dès lors qu’elle permet au sujet colonisé de voir clairement que le model
européen est venu s’introduire par effraction dans un espace qui n’est pas le
sien. Il est venu perturber l’ordre culturel, ordre qui rappelle l’humanisme et
le respect de tout individu en tant qu’être humain. La Négritude prône une
telle démarche. L’on sait que la colonisation s’est traduite par la répression
et la violence, par la négation des libertés des Africains. Sur ce plan culturel,
il fut la négation systématique des valeurs africaines taxées comme
rétrogrades et barbares. Le combat des Africanistes et notamment ceux de la
Négritude fut non seulement de réhabiliter ces valeurs africaines niées par
l’Occident, mais surtout de montrer que ces valeurs étaient imbues
d’humanisme, de sagesse. Les poètes luso-africains n’ont pas failli à cette
règle puisque leurs poèmes sont justement marqués par ce souffle
d’humanisme basé sur le respect de la différence et de l’être humain tout
court. C’est la raison pour laquelle nous allons aborder l’humanisme de la
poésie luso-africaine.
351
2- Visée humanitariste de la poésie luso-africaine
352
flores, pas alors ni, le malheur, ni
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.67.
2
Traduction personnelle.
353
principaux concernés, les Africains. De ce point de vue, malgré le sceau
humaniste qui l’imprègne, ce poème demeure au premier chef un moyen
d’information et de sensibilisation pour tous ceux qui ignorent que la culture
africaine est fortement enracinée dans les valeurs ancestrales, mais elle
reconnaît et respecte la différence, d’où son humanisme et son universalité.
354
tournant, elle a contribué à inaugurer une nouvelle ère pour l’humanité tout
entière ».1
1
Césaire, Discours, op.cit., p.87.
355
de Março de 19551 Mars 19552
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit.,p.111.
2
Traduction personnelle.
356
Cette vertu morale détermine l’aptitude psychologique qui conduira
à un engagement collectif. Tout au long du poème, Neto montre qu’il lutte
pour dépasser la relation colonisateur/colonisé. Pour Neto, l’émancipation
passe par le « droit de vivre », « de penser » et d’agir en toute liberté sur la
base du respect mutuel. La quête poétique de Neto ne se limite pas à
défendre la cause des opprimés et des Noirs, elle doit déboucher sur la
réinvention d’un monde meilleur. Sous ce rapport, on peut considérer que la
Négritude chez les poètes luso-africains et chez les chantres (Césaire,
Senghor et Damas) projette un avenir meilleur qui intègre toutes les races.
C’est un projet humaniste et aussi universaliste. La Négritude c’est le
chemin du dépassement de soi pour mieux vivre ensemble, « vivre dans le
but d’exister librement». Comme l’affirme Todorov : « L’homme peut se
dépasser ; c’est en cela qu’il est humain1.».
Agostinho Neto affirme sa propre identité dans un esprit humaniste
puisqu’il crée une ouverture vers l’Autre. Le poème intitulé « Bamako »
l’illustre parfaitement:
Bamako Bamako
1
Todorov, Tzvetan, Le jardin imparfait, La pensée humaniste en France, Paris, Grasset,
1998, p.337.
2
Traduction personnelle (Après une conférence panafricaine à Bamako).
357
ali nasce a vida transforme en foyers latents
e desenvolve em nós
fogueiras impacientes de
bondade
19541
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit.,p.93
2
Traduction personnelle.
358
les autres peuples du monde de leur humanité. Dans ce passage, « de
bonté » on voit que le poète veut inviter au dialogue toute l’humanité.
359
Cântico do passáro azul em Chant de l’oiseau bleu à
Sharpeville Sharpeville
1
Craveirinha, Karingana ua Karingana, op.cit.,p.127.
2
Traduction personnelle.
360
En raison de la domination coloniale, de la négation du dominé par
le colon, le poète ne trouve sa raison d’être que par le verbe, « chanter ».
C’est la raison pour laquelle son chant renferme un mouvement actif qui
transcende les obstacles qu’est l’oppression coloniale. C’est dans la
souffrance au sien « de leurs plantations » que Craveirinha lance son cri de
désapprobation son désaccord, sa révolte afin de mieux d’affirmer que le
colonisé mérite un sort plus humain, c’est-à-dire plus respectueux de la vie.
361
B- Impacts de la Négritude : phase de défi au
colonialisme
362
1- Objectifs des poètes luso-africains
363
Nós vamos em busca de luz lumière nous tes fils (les fils
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p.35-36.
2
Traduction personnelle.
364
suscite l’espoir chez ces mères qui souffraient car ce sont leurs propres
enfants qui seront les artisans de libération du peuple. Cette souffrance elle
est morale mais elle est surtout physique. Elle est visible, elle est palpable. Il
convient donc d’y mettre un terme. Pour Neto, l’action des fils d’Afrique,
exilés, intérieurs ou extérieurs sonnera le glas du colonialisme. Le poème ne
se limite plus à dénoncer, mais laisse entrevoir des possibilités de solutions ;
et sera inévitablement par l’action révolutionnaire. C’est plus une poésie
passive mais active, dès lors qu’elle annonce un dénouement proche. On a
l’impression que l’action de sensibilisation littéraire atteint un degré
supérieur puisqu’elle permet un passage à l’action. Il convient donc de
renverser cette situation en dénonçant d’abord l’entreprise coloniale, « je
suis celui qui donne l’espoir ». Le poète mesure la souffrance des siens.
C’est en cela que Neto rejoint Aimé Césaire, qui écrit dans son Cahier : « et
la négritude, non plus un indice céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais
mesurée au compas de la souffrance1.».
1
Césaire, Cahier, op.cit.p.56.
365
Angola seria, uma metonίmia: l’Angola serait, une
é o momento do apelo pelo métonymie : c’est le moment
regaste da identidade e da de l’appel à la restauration de
dignidade da raça negra, l’identité et de la dignité de la
brutalmente calada para servir race noire, brutalement mise
aos interesses econômicos da sous silence pour servir les
elite branca. Fazem-se ouvir, intérêts économiques de
nestes versos, os ecos dos l’élite blanche. On entend
movimentos da Negritude, dans ces vers, les échos dos
que, da Europa e da América, mouvements de la Négritude,
chegavam ao solo original da qui de l’Europe et de
África1. l’Amérique, arrivaient sur le
sol originel d’Afrique2.
1
Dalva Maria Calvão Verani, (org) Maria Teresa Salgado, África & Brasil:letras em laços,
Rio de Janeiro, Altântica, 2000, p.44.
2
Traduction.
366
moyens et des sacrifices au besoin, puisque l’enjeu est de taille car il s’agit
de reconquérir la liberté, c’est-à-dire la vie.
Bamako Bamako
Bamako ! Bamako !
1
Agostinho Neto, Sagrada esperança, op.cit., p.93.
2
Traduction personnelle.
367
basée sur l’union des forces collectives. L’union des cœurs et des esprits
réalisés à Bamako en est une preuve. C’est signe d’espoir, d’unité, c’est
même beauté aux yeux de l’auteur, c’est-à-dire de l’artiste. Tout cela suscite
donc chez Neto joie et euphorie parce qu’il est déjà conscient de l’issue du
combat. Pour preuve, l’arbre solidement enraciné, inamovible à l’effet des
intempéries symbolise les forces de résistance. Cela signifie que cette lutte
révolutionnaire sera imparable, elle traversera le temps grâce aux effets
bénéfiques sur les générations. Pour Neto, la victoire est certaine, et le futur
est enchanteur « Bamako, image prometteuse de la future Afrique ». Cela
signifie que Bamako représente un lieu symbolique pour l’union et la future
libération du continent.
368
Kinaxixi1 Kinaxixi
1
Un des plus grands lacs de Luanda.
2
Une des six langues nationales de l’Angola.
3
Agostinho, Neto, op.cit., p.74.
4
Traduction personnelle.
369
Neto veut rester à côté de ses racines. De la même manière, le titre
du poème illustre un des symboles de l’angolanité et marque l’attachement
du poète à sa terre natale. Il traduit aussi une des richesses géographiques de
l’Angola. Comme on peut le remarquer, Neto imagine venir à bout de
l’oppression coloniale. La destruction de celle-ci permettrait à ses frères de
bien jouir du « kimbundo ». Rappelons que « l’absence du kimbundo »
évoquée par le poète amène de la domination que colon exercée sur le
colonisé. C’est pour cette raison que Neto prend conscience de son
angolanité à travers le « kimbundo » métissé. Cela porte à croire que le
kimbundu permet au poète d’exprimer son mode d’être et de donner un
sens à son existence. Il est clair que Neto vise la future victoire contre la
citadelle coloniale en Angola. Il convient d’examiner le poème, « Le lever
des couleurs », afin de mieux comprendre les aspirations du poète :
1
Arbres en langue kimbundu, (tiré de Sagrada esperança, p.158).
2
De son vrai nom Carlos Aniceto Vieira Dias, musicien, membre du MPLA, fondateur du
groupe musical Ngola Ritmos, (tiré de Sagrada esperança, p.159).
3
Considéré comme le plus grand groupe musical de Luanda. La plupart des musiciens du
groupe fut prisonnier par la PIDE en 1959 (police de répression portugaise), tiré de
Sagrada esperança, p.159).
370
Até o riso das crianças tinha était choisi et c’était le bon
desaparecido moment
1
Roi de la région de Ndongo qui résista en 1590 avec son peuple au colonialisme portugais
jusqu’à sa mort en 1617, (tiré de Sagrada esperança, p.159).
2
Reine (1581-1663) qui lutta contre l’occupation portugaise pendant plus de trente ans,
(tiré de Sagrada esperança, p.159).
3
Agostinho Neto, op.cit., p.119.
4
Traduction personnelle.
371
enfants avait disparu ». Ces enfants n’était pas gais parce qu’aussi le
souvenir des exactions du régime colonial est présent. Le moment était
opportun pour se rappeler au bon souvenir des héros de la résistance comme
le roi Ngola Kiluanji ou la reine Ginga, qui par le passé ont mené une lutte
farouche contre les occupants portugais. Le jour de l’indépendance est aussi
leur victoire.
373
moverdes, a chave mágica, de rentrer sans que vous ne
que tanto cobiçamos… fassiez bouger la clé magique
1
Noémia de Sousa, op.cit.,p.39.
2
Traduction personnelle.
374
sans tarder». Les autorités coloniales sont averties, les Noirs ne vont plus
restés passifs face à l’oppression. Par conséquent, on peut estimer que les
poètes luso-africains ont bien assimilé les enseignements de la Négritude et
veulent les mettre en pratique. Ils sont d’attaque, ils incitent à l’insurrection,
au soulèvement, ils sont bellicistes, « alors, nous serons obligés de rentrer
sans que vous ne fassiez bouger la clé magique ».
1
Léon Gontran Damas, « Il est des nuits », op.cit., p.25.
375
traduit une prise de conscience de sa condition. D’après Jean Paul Sartre :
« L’imagination n’est pas un pouvoir empirique et surajouté de la
conscience tout entière en tant qu’elle réalise sa liberté1 ».
Um dia Un jour
1
Sartre, Jean Paul, L’imaginaire, Paris, Gallimard, 1940, Folio essais, 1986 (pour la
présente édition), p.358.
2
Champs de plantations
3
Batouque.
4
Noémia de Sousa, op.cit., p.114.
5
Traduction personnelle.
376
comme un chant de triomphe ». Ceci porte à croire que la lutte anticoloniale
est une des raisons d’être du sujet colonisé.
Nous estimons qu’à traves ce poème, l’auteur pose une des pierres
fondatrices de la poésie authentiquement mozambicaine et elle revendique
la libération de son peuple du joug colonial. C’est donc une manière
d’assumer sa mozambicanité. De ce point de vue, elle dans s’inscrit dans les
particularismes de la poésie luso-africaine. Selon la thèse de Manuel
Ferreira : « Noémia de Sousa était l'élément actif de sa génération dans la
formulation d'une poésie radicalement mozambicaine ».1 Cela revient à dire
que Noémia de Sousa est une des figures emblématiques de la littérature
mozambicaine. C’est à travers la poésie que Noémia de Sousa et José
Craveirinha mettent en valeur leur mozambicanité.
1
Ferreira, Manuel, No Reino de Caliban III, Lisboa, Plátano, 1982, p.83.
Version orginale: “ Noémia de Sousa foi elemento ativo de sua geração na formulação de
uma poesia radicalmente moçambicana”
377
Súplica Supplique
1
La danse des cérémonies de mariage (tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.228.)
2
Plantation où les travailleurs sont exploités (tiré de Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.225.)
3
Noémia de Sousa, op.cit., p.37-38.
4
Traduction personnelle.
378
colonisateur détenteur de tous les droits sur le colonisé, son esclave,
« Arrachez-nous tout, mais ne touchez pas notre musique ». Cela signifie
que la vie du colonisé dépend de son maître, le colon. Noémia de Sousa
conteste cette situation en employant le style de la dérision, « même morts,
notre mémoire survivra ».
379
des éléments stratégiques dans leur lutte contre le système colonial. Sous ce
rapport, l’attitude de Noémia de Sousa n’a rien d’humiliant ; elle implorait
parce qu’elle savait le trait d’union que ce patrimoine culturel pouvait
constituer chez les Noirs devant les enjeux qui se posaient, enjeux qui
n’étaient rien d’autres que la bataille pour la liberté, comme son poème
« Ouvrez la porte »,.
Priver le noir de tout ce qui lui rappelle son histoire et son passé est
grave mais plus grave encore de l’éloigner à jamais de ce milieu « Prenez
tout mais laissez-nous notre raison d’être ». De ce point de vue, le système
colonial n’a fait que reproduire le schéma esclavagiste puisque les
travailleurs contractuels étaient déportés vers des terres inconnues. Certains,
380
comme on l’a vue plus haut, n’en sont jamais revenus. Or dans un tel
contexte la musique et la danse constituent des moyens de survie. C’est la
raison pour laquelle cet appel de Noémia de Sousa adressé au monde blanc
est plein d’humanisme, dès lors qu’il s’agit de sauvegarder ce qui touche
l’homme dans son être profond, sa manière d’être au monde. Sans nul doute
il y a l’influence de la Négritude : « La Négritude est un humanisme. C’est-
à-dire une certaine présence active au monde: à l’univers. Oui, elle est
essentiellement relation avec et mouvement vers le monde, contact et
participation avec les autres. Parce que telle, la Négritude est aujourd’hui
nécessaire au monde : elle est un humanisme du XXe siècle ».1 Pour elle,
ses valeurs sont presque sacrées, mais les Blancs n’en ont cure, se refusant à
reconnaître et à respecter l’Autre dans sa différence. Persuadée de
l’importance de ces valeurs pour les Noirs, elle se met au devant de la scène
pour faire entendre sa voix. Elle se présente comme le porte parole d’une
communauté pour défendre une cause, donnant l’impression d’assumer une
fonction messianique. A ce propos Francisco Noa affirme:
1
Senghor, Liberté III, Négritude et Civilisation de l’universel, op.cit., p.69-79.
3
Traduction personnelle.
381
reivindicação sobretudo com
um profundo
sentido humanista1.
1
Noa, Francisco, Noémia de Sousa: a metafísica do grito, In: SOUSA, Noémia de, Sangue
Negro, Maputo, AEMO, 2001, p.157.158.
382
ninguém roubou mandioca Personne n’a insulté
1
Plantation où les travailleurs sont exploités (traduction personnelle).
2
Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.42-43.
3
Traduction personnelle.
383
aucune explication. D’où cette mort de « grand-mère Fanisse » pouvait-elle
bien provenir. La réponse est donnée vers la fin quand le poème fait
référence au bulldozer qui déchirait la compagne mozambicaine pour
construire des routes. Ces routes servaient à acheminer les produits
coloniaux engageant pour leur réalisation une abondante main-d’œuvre
africaine. C’était l’époque du travail forcé avec son lot de morts. Les
récalcitrants étaient punis et on rasait la tête des femmes qui refusaient cette
corvée.
384
maximal dans une société essentiellement agraire, il va sans dire que la
Négritude intègre parfaitement cette donnée dans son programme de
revendication dirigé contre l’Occident. A l’exemple des autres puissances
coloniales, le Portugal a mis le problème comme premier vecteur dans sa
stratégie de colonisation. Cela rappelle les propos d’Aimé Césaire : « que
nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément1 ».
Ce qui montre aussi l’ouverture ou l’aspect universel des œuvres des
pionniers de la Négritude, puisqu’elles abordent des questions visant à
renversement le colonialisme et à émanciper l’homme. D’après Eco
Umberto : « toute œuvre d’art, alors même qu’elle est forme achevée et
« close » dans sa perfection d’organisme exactement calibré, est « ouverte »
au moins en ce qu’elle peut être interprétée de différentes façons sans que
son irréductible singularité en soit altérée2. ». En fait, rappelons que la
colonisation est avant tout mise en valeur des terres des territoires occupés.
Mais tous les avantages ont été détournés au profit des colons. Finalement
c’est devenu du colonialisme, c’est-à-dire une exploitation qui mettait en
péril, à tous les niveaux, le destin des Africains. Cela nous conduit à aborder
la question des particularismes de la poésie luso-africaine.
1
Aimé Césaire, Discours, op.cit., p.18.
2
Eco, Umberto, Œuvre ouverte, Paris, Points, 2003, p.17.
385
2- Particularismes de la poésie luso-africaine
Il est donc évident que ces années ne pouvaient être occultées par les
poètes luso-africains. Il y a surtout le fait que par souci de conserver leur
identité africaine, ils ont voulu refuser le modèle européen imposé. Par
conséquent, ils ont cherché à pratiquer une littérature plus ou moins
différente des africanismes dans l’élaboration dans leurs œuvres. Cela veut
dire que pour affirmer leur identité africaine, ces auteurs s’éloignent des
règles de la littérature moderne dans laquelle les énonciations et les énoncés
s’estompent d’une certaine manière pour laisser plus de place à
l’interprétation.
meu Paíse todos os nomes que de mon Pays et tous les que
1
Craveirinha, Xigubo, op.cit., p.20-21.
2
Traduction personnelle.
388
Michafutene et Zóbuè ». En évoquant ces noms, Craveirinha met en valeur
toute la beauté de son pays et montre la différence entre le monde
mozambicain et portugais en même temps. Cela permet de dire qu’il assume
sa mozambicanité.
389
moçambicanidade e mozambicanité et
1
angolanidade d’angolanité2.
1
Ferreira, Manuel, O Discurso no percurso africano I, Lisboa, Plátano, 1986, p.77.
2
Traduction personnelle.
390
Au fond, Craveirinha est animé par une volonté de structurer et
d’affirmer une identité culturelle purement africaine. A cet effet, dans son
acte de création littéraire, il s’appuie sur un discours capable de construire
une telle reconnaissance. C’est cela qui explique cette expression
redondante et parfois violente d’éléments qui identifient son pays natal sans
aucune ambigüité. L’amour viscéral qu’il voue à son pays, le Mozambique,
terre africaine, l’amène à le défendre avec hargne comme le montre la
séquence qui apparaît dans le même poème, « Je chante Angoche, Marrupa,
Michafutene et Zóbuè ». Il convient de signaler que le message de ce poème
et pratiquement tous ceux qui sont contenus dans Karingana ua Karingana,
reflète fondamentalement une thématique relative à la problématique sociale
mozambicaine. Il n’en demeure pas moins que cette démarche relève aussi
de la Négritude si elle est perçue comme une manière de revaloriser
l’Afrique et de rétablir la dignité de ses fils.
Après cette analyse, nous allons aborder le poème « Mère » de
Craveirinha. Dans ce poème, Craveirinha exprime une quête de sa
mozambicanité à travers la figure maternelle :
Mãe Mère
391
negra sabes ou não sabes a de femme noire
Les esprits plantés dans les endroits précis veillent sur le bien être de
la société. Ce sont des génies protecteurs qui régulent la bonne marche de la
1
Craveirinha, Karingana ua Karingana, op.cit., p.94-95.
2
Traduction personnelle.
392
communauté en s’appuyant sur la sagesse des anciens. C’était donc l’époque
où les cultures et traditions africaines avaient encore toute leur importance.
Craveirinha croit en ses pouvoirs, en ces traditions ; il s’y reconnaît, il les
revendique par le biais justement de son ascendance maternelle.
Par ailleurs, dans une démarche qui peut être assimilée à celle de
José Craveirinha, Noémia de Sousa exprime, à son tour, les caractéristiques
d’une poésie authentiquement mozambicaine :
Solidão Solitude
1
Instrument de musique traditionnel de Mozambique, (on peut l’assimiler au xylophone).
393
estranho da viola cheia de xylophones traditionnels des
1
xicuembo do Daίco, armada quartiers populaires, le fétiche
toda em poesia, pelo becos étrange de la guitare pleine de
nocturnos da Munhuana2!3 magie de Daίco, exprimant la
poésie, à travers les allées de
nuit de Munhuana4 !
1
Dieu ou esprit surnaturel pour exorciser le mal ou les mauvais esprits.
2
Quartier populaire de Mozambique.
3
Noémia de Sousa, op.cit., p.126.
4
Traduction personnelle.
394
L’auteur exprime, à travers ce poème, la réalité du monde
traditionnel de son pays. Cela est illustré dans son discours poétique par des
éléments qui corroborent effectivement les richesses culturelles et certains
localismes de son Mozambique natal, comme « les allées de nuit de
Munhuana. On peut donc dire que Noémia de Sousa rejoint Craveirinha
dans l’expression du nationalisme dans la littérature mozambicaine. Il n’en
demeure pas moins que ce poème de Noémia de Sousa renvoie à la
Négritude, dès lors qu’il est considéré comme une prise de conscience et,
surtout une manière de magnifier l’Afrique et de rétablir l’importance des
legs traditionnels.
395
C- Du dialogue des races et des cultures
1- Appel à la fraternité
1
Montaigne, Michel de, Essais, Livre III, « Peindre l’humaine condition », Paris,
Flammarion, 2013, p.45.
396
Sangrantes e germinantes De la souffrance à la
1
Agostinho Neto, op.cit., p.86.
2
Traduction personnelle.
397
en ouvrir une autre qui sera celle de reconstruction en syntonie avec tous les
pays du monde. Un tel état d’esprit ne fait grandir les fils d’Afrique comme
Neto.
1
Tansi, Sony Labou, La vie et demie, Paris, Seuil, 1979, p.89.
398
Poema Poème
Dans ce poème, Noémia de Sousa fait appel à ses frères blancs pour
mener avec les Noirs la lutte contre l’oppression coloniale, « Oh, frère
blanc, même absent tu seras toujours présent…». La cause est juste et noble
puisqu’il s’agit de défendre la liberté et la justice, valeurs universelles qui
doivent être partagées par tous les hommes quelque que soit la couleur de la
peau. Nous « ressusciterons » dit-elle parce qu’elle sait que la situation des
Noirs va changer, l’ordre de répression et de violence va céder à un ordre
plus juste dans lequel les Noirs seront maîtres de leurs destins.
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.108.
2
Traduction personnelle.
399
Cette nouvelle conjoncture exigera le concours de tous, sans
distinction de race, de culture ou de religion. A ce moment là, les Blancs
aura une place entière dans cette nouvelle société. Les défis qui vont se
poser dans l’édification de cette société concernerait Noirs et Blancs, parce
que là seront des problèmes qui vont intéresser le citoyen tout court. Noémia
de Sousa prend les devants en tendant la main à ses frères blancs pour qu’ils
viennent se joindre à la lutte des opprimés, parce que demain il fera jour et
ce jour là ils seront obligés de vivre ensemble mais dans une société sans
discrimination. Ce fut pratiquement le vœu de tous les leaders africains
comme Mondlane, Neto, Cabral pour ne citer que cela. Cette société
multiraciale qu’ils ont tant souhaité avait déjà un prélude dans la lutte
révolutionnaire, puisque dans les rangs du PAIG, du FRELIMO ou du
MPLA, on trouvait des intellectuels blancs qui partageaient le même idéaux.
C’est le cas, par exemple, de grands écrivains comme Luandinho Vieira,
Macelino dos Santos, Pepetela, Mario de Andrade et tant d’autres encore.
Preuve plus évidente d’appel à la fraternité entre Noirs et Blancs, il ne
pouvait y avoir meilleure pour que Noirs et Blancs prennent en main leurs
destinées dans un espace de vie commune. Par conséquent, chez Neto et
chez Noémia de Sousa, on retrouve les grands idéaux de la Négritude
senghorienne, idéaux sur le dialogue des cultures et sur la fraternité
humaine.
400
enracinement certes, mais aussi d’un épanouissement, d’un dépassement et
de la conquête d’une nouvelle et plus large fraternité1».
1
Aimé Césaire, Discours, op.cit., p.92.
2
Noémia de Sousa, op.cit.p.66.67.
3
Traduction personnelle.
401
Comme le titre l’indique « Si ce poème était réalité», est un poème
qui se projette dans le futur pour proposer un modèle de développement
prenant en charge les besoins de populations dans tous les domaines. Au
fond, ce modèle proposé est un minimum pour toute société humaine. Mais
ce minimum manque totalement dans les colonies portugaises ravagées par
la discrimination opérée par le colonialisme portugais, lequel a eu des
conséquences fâcheuses dans les secteurs vitaux comme l’éducation scolaire
ou la santé, « des écoles pour les enfants, pour chaque malade, les soins
médicaux ». Cela fait que la colonisation portugaise par rapport aux autres
puissances fut la plus rétrograde car le Portugal lui-même était un pays en
retard.
Si tu m’avais vu mourir
Se me visses morrer os
plusieurs fois et renaître…
milhões de vezes que nasci...
Si tu m’avais vu pleurer des
Se me visses chorar os
plusieurs fois que tu as ri…
milhões de vezes que te
riste... Si tu m’avais vu chanter
plusieurs fois que j’ai gardé le
Se me visses gritar os milhões
silence…
de vezes que me calei...
Si tu m’as vu chanter
Se me visses cantar os
plusieurs fois et mourir et
milhões de vezes que morri e
souffrir
sangrei...
Je te le dis, frère européen
Digo-te, irmão europeu
tu aurais voulu naître
havias de nascer
tu aurais voulu pleurer
havias de chorar
tu aurais voulu chanter
havias de cantar
tu aurais voulu crier
havias de gritar
Et tu aurais voulu souffrir et
403
E havias de sofrer saigner des millions de fois
1
Craveirinha, op.cit., p.35.
2
Traduction personnelle.
404
Au Portugal, notamment le peuple portugais ne comprenait pas au
début la sale politique coloniale du Estado Novo de Salazar et de Caetano.
L’information leur était cachée volontairement par le régime colonial
fasciste. Les premières pertes en vie humaine, leurs propres fils en
l’occurrence ont déclenché un mécontentement populaire et une campagne
hostile contre le pouvoir. Et cela constitue un facteur important dans le
processus qui a débouché sur la décolonisation. C’est donc dire que les
citoyens des pays coloniaux constituent des alliés importants pour combattre
une situation de crise comme celle qui prévalait dans les colonies
portugaises d’Afrique. D’ailleurs, les dirigeants des mouvements de
libération ont toujours fait la différence entre le peuple portugais ami et le
pouvoir colonial ennemi.
405
Cela dit, on retrouve ainsi une volonté d’enracinement et d’ouverture ces
poètes.
406
2- Enracinement et ouverture
Manifesto Manifeste
1
Nom d’une plante.
407
tintholo magiques du cauris
1
Roi considéré comme rebelle par les autorités coloniales.
2
Grand faubourg.
3
Craveirinha, Xigubu, op.cit., p.31-32.
4
Traduction personnelle.
408
cauris outils de divination, les cauris étaient utilisés traditionnellement dans
toute l’Afrique pour lire le sort, « des petits cliquetis magiques du cauris ».
Ils représentent un aspect fondamental dans la culture africaine. Sa pratique
comme d’ailleurs d’autres pratiques africaines, relève de la science
mystique contrairement au cartésianisme européen. Se présentant donc sous
l’aspect d’un objet culturel qui régule la vie intime (confidence) des
Africains, le poète affiche ouvertement son appartenance à la culture
africaine et prend ainsi ses distances avec la culture européenne qu’on veut
lui imposer. Il est par conséquent un « insubordonné » comme tous ceux qui
s’étaient avant lui opposé à la présence coloniale. C’est ainsi qu’il
revendique ses racines africaines.
409
eu sofro, eu rio através dele, je le vis, c’est ma douleur,
1
Mãe ! c’est mon bonheur, Mère2 !
1
Noémia de Sousa, op.cit., p.141-142.
2
Traduction personnelle.
410
Ce poème est donc une marque de reconnaissance à l’Afrique de ses
origines. C’est une manière pour Noémia de Sousa de renouveler son
enracinement au monde africain. Elle ne pouvait le faire par un moyen plus
fort et plus authentique que par l’affirmation des liens de sang. Toutefois, la
revendication du lien de sang cache un malaise chez Noémia de Sousa du
fait de son ascendance métissée. Elle n’est ni entièrement noire ni
entièrement blanche. Ce dilemme a habité pratiquement tous les métis à
cette époque du fait du rejet social qu’ils ont ressenti surtout du côté des
Noirs. Cela comprend, car plusieurs métis avaient reçu l’éducation
européenne par la filiation paternelle. Cela était un avantage considérable
quand on sait qu’à la même période une multitude d’enfants noirs
croupissaient dans la misère et dans l’analphabétisme. Cette catégorie de
métis était donc plus ou moins coupée des dures réalités que vivaient les
Africains noirs, c’est-à-dire les vrais indigènes. Même si cette situation a été
ressentie durement par les métis, cela n’a pas empêché plusieurs d’entre eux
de revendiquer leurs racines africaines. Noémia de Sousa en fait partie et
elle le démontre dans son poème « Sang noir » au titre oh combien explicite.
Ah! Ah!
LUZ! conscience!
411
Humanidade...1 Nous sommes une valeur
positive de l’Humanité2...
1
Agostinho Neto, op.cit., p.64.
2
Traduction personnelle.
412
marquée par le refus de l’acculturation. Il militait plutôt en faveur du retour
aux sources culturelles africaines en même temps il contestait l’occupation
de l’Angola et la mainmise des Portugais sur l’économie angolaise.
1
Neto, Agostinho, Sagradra esperança, op.cit., p.127.
413
Il importe donc de s’interroger sur la question de l’ouverture dans la
poésie luso-africaine. En effet, nous considérons que ce thème rejoint les
valeurs humanistes de la Négritude. Pour mieux appréhender cette question,
il est utile de voir comment les poètes luso-africains l’abordent durant la
période coloniale. A cet effet, analysons le poème, « De la souffrance à la
concorde » d’Agostinho Neto :
1
Agostinho Neto, op.cit., p.87.
2
Traduction personnelle.
414
C’est à l’intérieur du contexte colonial que Neto puise ses forces
pour lutter contre l’occupation étrangère. Le poète met en évidence la valeur
de la vie, de l’amour entre les hommes, « Nos yeux marqué par la
souffrance et le désir de vivre…». C’est surtout ces « mains tendues dirigent
au monde des messages d’amour» qui préconisent la possibilité d’une vie
meilleure dans un milieu colonial hostile. On peut donc dire que cet amour
évoqué par le poète permet la promesse du possible. C’est donc par ce
truchement que la Négritude chez Neto et tant d’autres reste une ouverte au
monde, dès lors qu’elle aborde des questions qui émancipent l’homme,
« valeurs qui germent dans sol et sont une invite à la fraternité dans la
liberté ».
415
citoyen idéal », il projette vers le futur et préconise un monde d’amour et de
paix :
1
Craveirinha, Xigubu, op.cit., p.17.
2
Traduction personnelle.
416
offrir à profusion au monde ». Cet amour à l’égard du monde sous-tend la
promesse du possible. Cela dit, le poète ne veut pas fuir le monde ni les
affres du colonialisme. C’est au contraire les combattre en donnant un
souffle à son existence et à partager les vertus qui relève de l’humanisme à
tous les peuples du monde, qui sont illustrés par cet amour en A majuscule,
« J’ai mon Amour à offrir de ce que je suis».
417
Conclusion
Nous pouvons dire avec aisance que les premiers signes avant-
coureurs de la Négritude proviennent des poètes et écrivains de la Négro
renaissance américaine ainsi que Batouala, l’ouvrage de René Maran. Les
auteurs noirs américains tels que Dubois, Claude Mackay et Langston
Hugues mettaient en filigrane la situation dramatique des noirs dans leur
pays et dans le reste du monde. De même, ils exaltaient leurs origines
africaines et défendaient les valeurs du monde noir d’une manière générale.
Dans la même optique, ces auteurs revendiquaient l’émancipation des Noirs.
René Maran, pour sa part, dénonçait avec vigueur les affres du système
colonial en Afrique et exprimait de manière poignante la question de
l’altérité née de la rencontre entre l’Africain et l’Européen.
420
poètes d’Afrique lusophone manifestaient les richesses culturelles de leurs
peuples et du continent africain.
1
Neto, Agostinho, Sagrada Esperança, Lisboa, Sá de Costa,1974.
2
Noémia de Sousa, Sangue negro, Moçambique, Associação dos Escritores de
Moçambique, 1988.
3
Craveirinha, José, Xigubu, Lisboa, Ed.70, 1980.
4
Craveirinha, José, Karingana ua Karingana, Lisboa, Caminho, 1999.
422
cette réception de la Négritude dans l’espace luso-africain devient un
rempart contre la dévaluation de l’espèce humaine, qui est le propre du
colonialisme portugais dans les colonies portugaises d’Afrique.
423
Bibliographie générale
Corpus de base
Césaire, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine, Paris, 1983.
424
Corpus Secondaire
Senghor, Léopold Sedar, Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1973, (pour la présente
édition, 1990).
425
Ouvrages critiques littéraires
Bouvier, Pierre, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Portraits de décolonisés, Paris, Les
Belles Lettres, 2010.
426
Irele, Abiola Francis, Négritude et Condition africaine, Paris, Karthala,
2008.
Janet, Vaillant, G, La vie de Léopold Sédar Senghor. Noir, Français et
Africain, Paris, Karthala, 2006.
Kesteloot, Lilyan, Anthologie négro-africaine, Paris, EDICEF, 1992.
Leite, Ana Mafalda, A Poética de José Craveirinha, 1ª ed., Lisboa, Vega, 1991.
Nwezeh, E.C, Literature and Colonialism in Losophone Africa, Lagos, Centre For
Black and African Arts and Civilisation, 1986.
427
Omoteso, Ebenezer Adedeji, Ideologia e Engajamento em Agostinho Neto e
Léopold Sedar Senghor : uma perspectiva comparativa, Luanda, Fundação Dr
António Agostinho Neto, 2009.
Verani, Dalva Maria Calvão, (org) Maria Teresa Salgado, África & Brasil:letras
em laços, Rio de Janeiro, Altântica, 2000.
428
Ouvrages généraux
Balandier, Georges, "Il était une fois la colonie" in, Histoire, n°69, 1984.
Blanchot, Maurice, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955, Folio Essais (la
présente édition), 2012.
Diop Cheikh Anta, Nations nègres et culture, Paris, Présence Africaine, (1ère
édition 1954) la présente édition, 1979.
Diop, Cheikh Anta, Afrique noire précoloniale, Présence Africaine, Paris, (1ère
édition 1960). Réédition livre de poche en 1987.
429
Diop, Cheikh Anta, Antériorité des civilisations nègres : Mythes ou vérité
historique ? Présence Africaine, Paris, 1967.
Montaigne, Michel de, Essais, Livre III, « Peindre l’humaine condition », Paris,
Flammarion, 2013.
430
Sartre, Jean Paul, Critique de la raison dialectique, Tome I, « De la « praxis »
individuelle au pratico-inerte », Paris, Gallimard, 1ière édition, 1960 (pour la
présente, 1985).
431
Index
Adorno, Theodor, W, 254, 355 Craveirinha, José, 8, 148, 149, 157, 163,
164, 165, 168, 169, 170, 171, 175,
Adotevi, Stanislas Stero, 12, 93, 94, 95,
192, 197, 198, 200, 201, 202, 215,
275, 276, 277, 280, 320, 325
216, 220, 221, 223, 224, 229, 241,
Akinwande, Pierre, 12, 284, 285 242, 243, 244, 245, 247, 252, 253,
254, 310, 319, 323, 324, 325, 337,
Amossy, Ruth, 10, 216, 217 338, 348, 349, 361, 363, 368, 369,
374, 375, 376, 377, 378, 393, 395,
B 399, 405, 406, 409, 417, 423
Bâ, Amadou Hampaté, 209, 212 Caloz, René, 244
Bachelard, Gaston, 261, 413
D
Balandier, Georges, 63, 71, 79 Damas, Léon-Gontran, 7, 27, 45, 73, 79,
83, 81, 84, 85, 88,116,124, 125, 126,
Benjamin, Walter, 247 138, 140, 145, 146, 152,170, 179,
221, 263, 264, 265, 268, 269, 270,
Blanchot, Maurice, 235, 337
287, 294, 297, 324, 336, 345, 361
Bosi, Alfredo, 213
Diagne, Pathé, 239
Bouvier, Pierre, 86
Diop, Cheikh Anta, 12, 111, 112, 113,
194, 195, 196
Margarido, Alfredo, 349 Pires, Laranjeira, 159, 306, 307, 308, 309
434
Table des matières
Introduction…………………………………………………………………4
A- Les antécédents…………………………………………….18
3- L’impact de la colonisation……………………………………………..68
B- Les influences……………………………………………...73
3- La contribution de l’anthropologie………………………………….77
435
1- Le journal l’Étudiant Noir et le concept de Négritude……………81
3- Revendication de la liberté……………………………………….176
c- En Europe………………………………………………………….275
f- Dans le fond………………………………………………………312
437
Chapitre II : Impacts de la Négritude dans l’espace luso-africain…....325
A- Réception de la Négritude………………………………………...326
1- Quête identitaire…………………………………………………..327
1- Appel à la fraternité…………………………………………..375
2- Enracinement et ouverture……………………………………385
Conclusion………………………………………………………………..395
Bibliographie..............................................................................................401
Index...........................................................................................................408
438
439
440
441
442