LC 15 Arabe-En-france Def
LC 15 Arabe-En-france Def
LC 15 Arabe-En-france Def
Numéro 15
Langues
et cité
L’arabe en France
L’arabe est aujourd’hui la langue la plus parlée au Proche-Orient et
en Afrique du Nord. Le voisinage immédiat de l’Europe est donc
largement arabophone. Avec quelque 200 millions de locuteurs
natifs, l’arabe compte parmi les langues numériquement les plus
importantes à l’échelle mondiale. Il est langue officielle dans une
La langue arabe, u
découper, plus ou moins arbi- nel et pur, le point de repère dienne. En outre, on serait bien La force de cet idéal classique
trairement, ce qu'on nomme immuable de tous ceux qui en peine de le définir exacte- vient sans doute précisément
des dialectes, tous évidem- parlent arabe, les dialectes ment et les textes mêmes qui de ce qu'il est difficile à sai-
ment frères, mais en même passant pour des formes sont censés le graver dans le sir, essentiellement extérieur
temps distincts, parfois très abâtardies de la langue. La marbre le plus illustre n'ont à chaque locuteur, et qu'on
différents les uns des autres ; recherche scientifique a une unité linguistique que très peut donc se voir reprocher
l'intercompréhension, tantôt beau montrer qu'historique- relative : la langue du Coran de ne pas y exceller. C'est
aisée, tantôt difficile, est tou- ment l'arabe classique n'a diffère sensiblement de celle un point de fuite que l'on vise
jours le résultat d'un effort. Le rien d'une origine, que l'unité de la poésie préislamique ou constamment sans jamais
dissemblable est la norme, le n'a pas précédé la diversité, de celle de la prose classique ; l'avoir définitivement atteint.
semblable étant l'exception et qu'elle est en fait, bien au quant à l'arabe dit « standard » Du moins officiellement, car,
ne concernant le plus souvent contraire, le résultat d'une ou « moderne » d'aujourd'hui, en fait, la plupart du temps,
que l'échelon local. construction, que des stan- on peut y reconnaitre, sous il n'est pas vrai qu'on s'y ef-
Au sommet de ce corps aux dards linguistiques non clas- l'apparence d'une continuité, force. Mais l'idée plane que
mille membres, un visage siques existent partout. Il n'en une ère nouvelle de la langue. l'on devrait… En tout cas, ce
symboliquement unique : reste pas moins que cette vi- Disons que l'arabe classique pôle magnétique oriente les
l'arabe « classique », dit aussi sion des choses préside très est un standard étroitement discours et les jugements de
« littéral ». Est-il très éloigné généralement à la représenta- lié à un corpus de textes et valeur concernant la langue.
des arabes dialectaux ? Oui, tion que les Arabes se font de régi par une norme imposant Au point, souvent, de masquer
en un sens. En tout cas, il ne leur langue et, partant, de leur certaines caractéristiques de les mécanismes réels des
suffit pas d'avoir un dialecte identité. Un dialecte arabe qui, vocabulaire, de morphologie stratégies linguistiques.
arabe comme langue mater- comme le maltais, récuse le et de syntaxe, et en interdi- Ce qui n'est pas fictif, en re-
nelle pour comprendre l'arabe lien symbolique qui le lie à la sant d'autres. Ce standard, vanche, c'est que dans le
classique autrement que de langue classique, cesse d'être s'est sans doute, dès les ori- monde arabe d'aujourd'hui,
manière très sommaire. Et un dialecte arabe, quelque gines, défini par différence le locuteur est fréquemment
trise au moins passive de ce la communication avec des tique et culturel de l'Égypte, rait-on dire que l'enseigne-
niveau de langue devient es- locuteurs natifs d'un autre à sa vaste production cinéma- ment et la pratique de l'arabe
sentielle. dialecte. Sur une chaine pan- tographique et chansonnière, standard moderne sont plus
arabe comme Aljazeera, la s'est ménagé une place cen- développés en Orient qu'en
Face à ces développements, présentatrice du journal télé- trale parmi tous les dialectes Afrique du Nord ; encore fau-
on a pu croire que l'on allait visé s'astreint à l'arabe littéral arabes ; il est familier à tout té- drait-il préciser cette affirma-
vers une disparition progres- le plus strict ; mais lors d'un léspectateur ; du même coup, tion.
sive des dialectes au profit débat politique ou culturel s'exprimer quelque peu à la Mais ces opinions sont te-
d'un arabe moderne interna- réunissant des intervenants mode égyptienne est un bon naces, et le dialectophone ma-
tional, largement fondé sur originaires de différents pays, moyen d'être compris partout. ghrébin peut nourrir un com-
l'arabe classique traditionnel. nul ne parle en arabe clas- Des formes « branchées » de plexe d'infériorité face aux
On voit aujourd'hui qu'il n'en sique à proprement parler. syro-libanais ou d'arabe du arabophones d'Orient. Surtout
est rien. Si les arabes parlés Chacun s'exprime dans une Golfe ne sont pas sans lui s'il ne maitrise pas le presti-
évoluent, se transforment, langue qui lui est propre et où faire désormais une certaine gieux arabe classique, s'il vit
selon des dynamiques qui de nombreux traits permettent concurrence. Mais, en réalité, en France, dans une société
leur sont propres, ils restent d'identifier immédiatement de tels phénomènes existent qui ne le valorise guère, et si
fondamentalement divers et le dialecte maternel de l'ora- un peu partout, au niveau na- sa langue maternelle n'est
ne se rapprochent pas de la teur ; cependant, toutes les tional ou régional. Les villes, pas reconnue comme une lan-
langue standard. En revanche, particularités pouvant affecter en particulier, cristallisent sou- gue légitime et digne d'étude,
ils sont perméables à cette l'intercompréhension sont ef- vent des standards dialectaux aussi nécessaire que la langue
dernière, lui empruntant mas- facées et nombre d'éléments auxquels il est tentant d'avoir littérale à une maitrise raison-
sivement du vocabulaire et sont empruntés à la langue recours, aussi bien pour des née de la culture arabe •
des procédés d'expression. standard. Un consensus lin- raisons de prestige que d'in-
Surtout, on voit s'établir une guistique est instauré sur cer- telligibilité. Dans ce domaine,
situation où plusieurs niveaux tains points, si bien que tous ce sont les considérations
sique élaborée en France par des artistes algérien, espagnol, occitan ou ch’ti) ; et
Dominique CAUBET
Les pratiques veau familial, groupal, mais de la « mémoire familiale »1 , ponctuelle, de cette connais-
L’arabe maghrébin est ac- aussi dans divers secteurs constate que le savoir familial, sance linguistique (pour
tuellement parlé par nombre socioprofessionnels et dans plutôt que transmis consciem- communiquer avec certains
de citoyens français, qui ont les arts et spectacles (théâtre, ment par les parents, est bien membres de la famille ne par-
souvent reçu cette langue musique, cinéma, littérature). souvent acquis par les enfants. lant pas français par exemple).
en héritage de leurs parents L’arabe maghrébin a éga- Mais il va plus loin en affirmant : Il est également certain qu’une
ou grands-parents. Ces per- lement une forte influence « l’idée même de transmission valorisation extérieure au
sonnes ont des histoires et des sur les parlers des jeunes, à sens unique est en partie cadre strictement familial per-
parcours différents, à l’image quelle que soit l’origine de fausse. La transmission est met de stimuler la transmis-
des différents flux migratoires leurs parents et dans tous les toujours une relation à deux sion, via certaines pratiques
venus du nord de l’Afrique qui quartiers (Caubet 2007b et termes, autrement dit une in- sociales et la médiatisation
ont essentiellement été entrai- Melliani 2000), au niveau du teraction. » dans la sphère publique, à
nés par la colonisation. Ainsi, vocabulaire, de la syntaxe, de Face à un phénomène aussi l’image du travail de certains
on la retrouve chez des tra- la prononciation ou de l’into- complexe, il n’est pas pos- artistes ou acteurs de la socié-
vailleurs immigrés, mais aussi nation. sible d’énumérer de manière té civile, qui mettent en avant
chez les Juifs nord africains, exhaustive ce qui favorise ou l’arabe maghrébin et le ber-
des Harkis et des Pieds-noirs, La transmission défavorise la transmission. On bère à propos de la question de
ainsi que leurs descendants. La transmission de l’arabe ma- relève de nombreux facteurs l’héritage culturel de l’immigra-
Comme le souligne D. Caubet, ghrébin en France se passe potentiellement favorables qui tion maghrébine ; un héritage
les apports culturels et linguis- essentiellement en contexte se combinent différemment qui n’a sa place et n’acquiert
tiques ont abouti à une mo- familial ou du moins non ins- pour chaque personne (voir son importance qu’en tant que
dification interne à la culture titutionnel, puisque cette lan- notamment Barontini & Cau- patrimoine commun à toute la
française, bien loin des clichés gue n’est enseignée que dans bet 2008). Cependant, on peut France •
faisant état d’une double le supérieur et dans quelques en citer deux qui apparaissent
culture, d’une juxtaposition associations. La transmission régulièrement comme déter- 1
Son travail aboutit à une remise en ques-
tion de cette notion de « mémoire familiale ».
ou d’un entre-deux (Caubet est un phénomène dyna- minants : l’absence de stig-
2007a). mique et interactionnel. David matisation et l’accompagne-
Les pratiques de l’arabe ma- Lepoutre (2005), dans son tra- ment dans l’apprentissage par
ghrébin se retrouvent au ni- vail autour de la transmission l’entourage, et l’utilité, même
L’ENSEIGNEMENT DE L’ARABE
DANS L’INSTITUTION SCOLAIRE
FRANÇAISE
Bruno LEVALLOIS
Inspecteur général de l’Éducation nationale
L
es programmes des lan- gue enseignée prioritairement riétés spécifiques. Cet ensei- font une large place aux varié-
gues vivantes de l’école est celle de la communica- gnement s’inscrit résolument tés dialectales dans les pro-
primaire, du collège tion commune à l'ensemble dans la perspective très large- grammes proposés et qu’une
et du lycée (voies générale du monde arabe. Il s'agit de ment admise dans la commu- épreuve orale de l’agrégation
et professionnelle) incluent l'arabe littéral (dit aussi stan- nauté scientifique de langue y est consacrée.
l’arabe. L’ensemble de ces dard ou classique), lié essen- globale, impliquant les no-
programmes prend largement tiellement à l’écrit. Mais une tions de variation et de conti- L’enseignement de l’arabe
en compte la réalité diglos- place importante est faite à nuum linguistique. Notons que dispose en France d’atouts
sique de cette langue. La lan- la langue parlée dans ses va- les concours de recrutement importants :
France, contrairement à tous tution, qu’il y est marginalisé, 203 cette année (236 en Centre national d’enseignement à distance.
3
I
ssu d’une tradition séculaire depuis la L’implantation dans le cadre des filières de plus), la plupart des étudiants sont déjà
création de la première chaire d’arabe LEA est pour plusieurs sites universitaires diplômés, ou inscrits en double cursus, ou
en 1530 par François Ier dans ce qui de- - Clermont-Ferrand II, Grenoble III, Mont- encore déjà entrés dans la vie profession-
viendra le Collège de France, l’enseigne- pellier III - l’élément moteur qui a permis nelle ; ces caractéristiques se retrouvent
ment de la langue arabe est aujourd’hui de dynamiser l’enseignement de l’arabe. dans l’ensemble des filières de langues
assuré dans plus de vingt universités Enfin, dans un certain nombre d’établis- orientales.
françaises ainsi que dans la plupart des sements (Avignon, Le Havre, Nice, Pa- La maitrise de la langue arabe est un atout
grandes écoles et dans plusieurs instituts ris I, Paris X, Tours, Poitiers, Amiens entre d’autant plus grand qu’elle s’adosse à une
et grands établissements, à l’instar de autres), une offre limitée est proposée, autre formation. Les débouchés vont de
l’Institut national des langues et civilisa- sous forme d’initiation. l’enseignement et de la recherche à la
tions orientales (Langues O’). diplomatie, aux ONG, au journalisme, aux
Plusieurs caractéristiques sont à noter. métiers de l’international, du tourisme, de
Tant du point de vue de l’ancienneté que de D’une part, l’enseignement de la langue l’ingénierie multilingue, de l’interprétariat
l’importance des effectifs et de l’ampleur arabe n’est pas dissocié de celui de la et de la traduction, du commerce et de
des formations proposées, trois pôles culture, la compétence linguistique ne l’édition, de la défense, de l’OFPRA, du
géographiques - Paris, Lyon et Aix-en-Pro- s’entendant pas sans une approche très CICR, etc.
vence - se sont affirmés historiquement et approfondie de la civilisation arabo-isla- Le nombre d’inscrits aux diplômes natio-
proposent des cursus complets ; le pôle mique dans ses différents aspects, avec naux d’arabe (LMD) est d’environ 5 000,
parisien comprend l’Inalco (Langues O’) un horizon temporel d’un millénaire et l’effectif se maintenant globalement
qui a les plus gros effectifs, les univer- demi. D’autre part, si la base de l’ensei- dans un contexte général de tassement
sités de Paris III, Paris IV et Paris VIII ; à gnement est l’arabe littéral, l’accent est constaté dans l’ensemble des filières uni-
Lyon, deux fortes implantations existent mis également dans les cursus, sur l’ac- versitaires. Il faut y ajouter 1 500 à 2 000
(Lyon II et Lyon III), et à Aix, l’université de quisition d’une compétence active dans étudiants inscrits à des diplômes univer-
Provence (Aix-Marseille I) propose une for- les différents registres de l’arabe, condi- sitaires d’arabe (notamment les diplômes
mation d’importance. À côté de ces pôles tionnée par l’apprentissage d’un dialecte. d’initiation dont il a été question ci-des-
historiques, de grands centres existent en À l’Inalco, des formations diplômantes sus). Dans l’enseignement supérieur, la
région à Bordeaux et Strasbourg, à un cer- spécifiques d’arabe dialectal sont même proportion d’étudiants inscrits en LLCE
tain degré Toulouse et Lille. Durant les dix proposées, en égyptien, syro-libanais, ma- et en LEA arabe pouvait ainsi être évaluée
dernières années, des formations d’arabe rocain, tunisien, algérien, cependant que en 2004 à 3,5 %, ce qui plaçait l’arabe en
se sont fortement développées et structu- des formations limitées en iraqien, hassa- 5e position, juste après l’italien (6 %).
rées, à Rennes et Nantes. Une évolution niyya de Mauritanie et en langue maltaise Ces chiffres et pourcentages restent mo-
analogue est perceptible à Nancy. Ces sont assurées. Pour des raisons histo- destes. Ils font cependant de la France le
centres proposent des formations com- riques touchant au passé de notre pays, seul pays du monde occidental à ensei-
plètes, allant du niveau débutant en arabe les dialectes de la Péninsule arabe, malgré gner l’arabe et sa civilisation, de l’école
jusqu’au Master, en langues, littératures l’importance économique et stratégique primaire à l’université, avec une offre
et cultures étrangères (LLCE), et souvent de cette région aujourd’hui, ne sont à ce large, poussée, très attractive au niveau
aussi en langues étrangères appliquées jour nulle part enseignés au niveau univer- européen et international •
(LEA) ; ils assurent également des forma- sitaire en France.
tions de niveau doctoral. Par ailleurs, des
accords interuniversitaires ont permis à ce La formation à la licence impose en gé-
jour la mise en place de trois préparations néral de rajouter, pour la plupart des
aux concours du CAPES et de l’agrégation étudiants, qui n’ont pas suivi un ensei-
d’arabe à Paris, Lyon et Aix. L’Inalco as- gnement d’arabe dans le secondaire, une
sure en outre une préparation au concours année préparatoire sanctionnée par un di-
des cadres d’Orient du ministère des Af- plôme d’université.
faires étrangères et européennes. L’âge moyen de l’étudiant commençant
Dans certains cas, au Havre et à Nice no- l’étude de la langue arabe est relativement
tamment, la structuration a permis aux élevé, autour de 25 ans ; la proportion de
établissements de proposer des diplômes primo-entrants sortant du baccalauréat
propres en langue et civilisation arabe. est très faible (de l’ordre de 10 % tout au
enseignement et recherche
Dominique CAUBET
Inalco – CRÉAM-LaCNAD
L
’arabe est enseigné à l’École des lan- été fait depuis Ibn Khaldoun au 14e siècle. lement d’enseignements complémen-
gues orientales depuis sa création Pour l’arabe maghrébin, on citera William et taires dans le cadre de licences d’arabe
le 10 germinal an III (30 mars 1795) Philippe Marçais et Georges Colin. littéral. Sur un peu moins de vingt
sous la Convention par un décret-loi dont universités où l’arabe est enseigné, deux of-
l’article 2 disposait : « L'École des langues Un objet digne de recherche frent un DU (diplôme d’université) d’arabe
orientales sera composée d'un professeur Leur héritage se perpétue aujourd’hui maghrébin ; d’autres ont des initiations à
d'arabe littéraire et vulgaire1, d'un profes- grâce à l’enseignement d’un ancien élève l’arabe maghrébin ou oriental (Aix, Rennes
seur pour le turc […], d'un professeur de de l’école, mais qui n’y a pas enseigné, en particulier).
persan et de malais. » David Cohen. Tour à tour chercheur au
CNRS, puis Professeur à Paris III et à La question du baccalauréat
Les Philologues l’EHESS, il a donné à la dialectologie arabe En 1999, le rapport Cerquiglini classe
La chaire d’arabe littéraire et vulgaire est ses lettres de noblesse en dirigeant de l’arabe maghrébin parmi les « langues de
occupée par Silvestre de Sacy, qui s’inté- nombreuses thèses à partir des années 70, France », mais l’Éducation nationale an-
resse essentiellement à l’arabe littéraire. dont beaucoup portaient sur des descrip- nonce la même année la suppression de
Mais « heureusement, en 1798, l’expédi- tions de parlers arabes. Avant lui, la dia- l’épreuve facultative d’arabe « dialectal » au
tion d’Égypte vient obliger les arabisants lectologie arabe était considérée comme baccalauréat. Cette épreuve, orale jusqu’en
français à découvrir […] l’intérêt – au moins un genre mineur face aux études portant 1994, qui avait le grand mérite de recon-
pratique – de l’arabe dialectal. » (Colin sur l’arabe classique ; lui-même, qui a ré- naitre des savoirs acquis en dehors de
1948). En 1803, le Premier Consul nomma digé dans les années 50 une étude sur le l’école, était passée à l’écrit en 1995 avec
professeur-adjoint à l'École, l’Égyptien Dom parler des Juifs de Tunis, n’a pas envisagé 27 autres langues « ne faisant pas l’objet
Raphaël de Monachis, avec mission de que cela puisse être le sujet de sa thèse. d’un enseignement », et avait été confiée
« donner des leçons publiques d'arabe vul- Son apport, en liaison avec le développe- à l’Inalco. L’arabe « dialectal » réunissait
gaire ». Cette nomination fut très mal vécue ment de la linguistique, a permis de donner 10 111 candidats en 1999, soit 78 % des
par Silvestre de Sacy, mais Dom Raphaël un statut à part entière à ces études. Il a 28 langues, et 2 % des candidats au bac-
resta en poste jusqu’en 1816. Pendant tout créé une équipe au CNRS en 1975 qui a calauréat. Sans doute victime de son suc-
le 19e siècle, l’enseignement de l’arabe permis de former de nombreux chercheurs cès et de sa popularité grandissante2, face
« vulgaire » porta d’abord sur l’arabe orien- aujourd’hui en poste dans les universités à l’arabe littéral qui ne comptait que 1772
tal (Bocthor, Caussin de Perceval), puis ma- françaises ou des pays arabes et au CNRS. candidats (et 895 à l’épreuve facultative),
ghrébin avec de Slane, nommé pour ensei- après deux ans de lutte pour son rétablis-
gner théoriquement l'arabe algérien, mais À la fin des années 90, une équipe d’ac- sement, l’arabe dialectal est définitivement
en fait surtout l’arabe littéral. Cherbonneau cueil est constituée à l’Inalco en lien avec le rayé de la liste des langues possibles en
lui succède (1878-1882), puis Houdas, le berbère, portant spécifiquement sur le Ma- 2001 par le ministère de l’Éducation natio-
dernier titulaire de la chaire d’arabe vulgaire ghreb, le CERBAM (Centre d’étude et de re- nale.3
jusqu’en 1916. En 1909, un enseignement cherche sur le berbère et l’arabe maghrébin
d’arabe oriental est créé avec A. Bathélémy 1998), puis le CRÉAM (Centre de recherche Nouvelles perspectives
et William Marçais, assure le premier cours et d’études d’arabe maghrébin 2002) qui au Maghreb
d’arabe maghrébin à partir de 1916. depuis 2006, fait partie d’une équipe plus On nous permettra de déplorer cette sup-
grande, LaCNAD (Langues et civilisations pression, car c’est justement l’époque où
Linguistes et dialectologues du nord de l’Afrique et de la diaspora). se fait jour un mouvement de société, sur-
C’est véritablement à partir du 20e siècle tout au Maroc, qui met en avant l’arabe ma-
que les enseignants sont à la fois des lin- Diplômes nationaux rocain comme un élément clef dans la défi-
guistes et des dialectologues, et qu’ils L’Inalco, en tant que Grand Institut, délivrait nition de l’identité nationale ; le moment où
parlent ces langues. Ils ont réalisé des ana- des diplômes-maison ou DULCO. À partir ces langues sans statut officiel passent à
lyses novatrices sur le lien entre arabisa- de 1993, il a pu délivrer des diplômes natio- l’écrit sur internet, où elles élargissent leur
tion et mouvements de population et posé naux : licence et maitrise d’arabe maghré- portée, touchant la presse écrite, la radio et
les bases de la dialectologie arabe, dans bin. la télévision, et deviennent synonymes de
un domaine où pas grand-chose n’avait modernité et de mondialisation •
Dans les autres universités françaises
1
Le terme d’arabe « vulgaire » est calqué sur l’appellation la dialectologie arabe en tant que telle 2
On était passé de 7 000 à 11 000 candidats à l’écrit
« latin vulgaire » (vulgaris, c’est-à-dire « populaire »), forme de entre 1995 et 1999.
latin vernaculaire que l’on appelle aussi le « bas latin » ou n’est que rarement sanctionnée par des 3
BOEN du 1er février 2001.
« latin tardif ».
diplômes spécifiques. Il s’agit généra-
A
vant que s’initialise puis se géné- pays d’origine de ses parents ou grands- très diverses, doivent être menées avec
ralise à l’école primaire l’enseigne- parents ? Comment le faire avancer sur le l’ensemble des élèves de la classe. Ce
ment des langues vivantes étran- chemin du plurilinguisme ? n’est qu’à cette condition qu’on peut envi-
gères (LVE), il y était proposé celui de sager d’aménager, de façon intégrée, des
quelques « langues et cultures d’origine » La marginalisation des ELCO d’arabe a modalités d’enseignement des langues
(LCO), langues officielles de pays d’émi- été encore renforcée lors de la générali- et des cultures (sans les désigner d’« ori-
gration à destination quasiment exclusive sation de l’enseignement des LVE à l’école gine ») pour que s’établisse la plus grande
des élèves descendants de leurs ressortis- primaire, période à laquelle les effectifs parité possible entre elles, comme les
sants. Relevant d’accords bilatéraux, ces d’élèves inscrits ont commencé à sé- enseignements bilangues (anglais/arabe,
enseignements sont financés par les pays vèrement baisser. Des signes avant-cou- par exemple) se poursuivant en collège ou
d’origine et dispensés par des maitres mis reurs indiquaient que le dispositif ELCO préparant l’entrée dans les sections inter-
à disposition par ces pays. Leur finalité a en cours différés plutôt qu’intégrés sur le nationales.
évolué de la volonté de préparer le retour temps scolaire avait la préférence des fa- Sans le support d’activités visant à légiti-
au pays d’origine vers la simple idée de milles et des enseignants (afin d’éviter la mer, aux yeux de tous, les langues (dites
maintenir des liens avec celui-ci. concurrence avec d’autres activités plus d’origine) et leurs variations, sous toutes
Les ELCO (enseignement des langues et attractives). leurs formes, à l’oral et à l’écrit, en les
cultures d’origine) ont peu à peu concerné Les résultats des travaux que nous avons faisant côtoyer d’autres langues à sta-
huit langues qui L’arabe en toutes
n’ont pas Franceconnu réalisés (Lidil 1989) nous ont conduits à tut valorisé (comme l’anglais, le chinois
les mêmes évolutions ou avatars. L’ELCO rejoindre des propositions qui visaient la
d’arabe a posé d’emblée et pose encore promotion et la diversification des langues
ou le japonais), aucune des finalités que
nous avons mentionnées ne pourra être
plus de problèmesL’arabe
en France
que celui d’autres lan- dans les systèmes éducatifs, et, ce, dès atteinte•
gues, comme l’espagnol, l’italien ou le por- l’école primaire. Aux fondements de la ré-
tugais, qui sontL'arabe
à peu près estentrées
la langue la plus
dans le parlée
flexion au Proche-Orient
qui nous et enau
a animés se trouvent Afrique
dispositif LVE oùdu Nord
elles se trouvent certes moins deux principes :
en forte concurrence avec l’anglais. > proposer des activités à l’ensemble des
L’ELCO d’arabe, L'arabe est la langue la plus
qui représente à lui seul parlée
élèves d’uneauclasse,
Proche-Orient
visant, entreetautres,
en Afrique
du Nord
plus de la moitié de l’ensemble – compte à contrer les effets de la dévalorisation
tenu des 5 à 6 millions de personnes origi- des langues d’origine (non limitées aux
naires du MaghrebIl est(Castel
langue officielle
2007) –, a sus- dans
une vingtaine
langues denotamment,
officielles) et, pays la dis-
cité, au fil de son développement et mal- qualification de leurs locuteurs ;
gré ses réorientations successives (vers > reconnaitre et valoriser les compétences
une approche plus maghrébine), toute une acquises des élèves descendants de mi-
Il est langue officielle dans une vingtaine de pays
série de questions, liées entre autres à grants, compétences forcément partielles,
Quelques vers (te conviennent-ils ?)
son statut de langue minorisée, auquel se car appropriées seulement à certains
surajoute – dans le contexte de la France contextes de socialisation langagière, afin
ﺗ
métropolitaine – une forte charge idéolo- de soutenir le bilinguisme en devenir à ce
gique. La situation diglossique des pays
maghrébins avec (Elle
unenous
Quelques reproche
vers
composante d’être peu nombreux
(teimpor-
conviennent-ils ?) ; je lui ai répondu que les hommes vraiment
généreux sont rares) (vers préislamique célèbre, d’al-Samaw’al si je ne dis pas de bêtise –je
tante de la population migrante berbéro-
phone représente peux vérifier
aussi si nécessaire.
une difficulté non La suite est : ﺗ
(Elle nous reproche
résolue dans le cadre du dispositif. d’être peu nombreux ; je lui ai répondu que les hommes vraiment
généreux sont rares) (vers préislamique célèbre, d’al-Samaw’al si je ne dis pas de bêtise –je
Que peut biensifaire
peuxcommandités
Les divers rapports vérifier que nous
nécessaire.
comme Lasoyons
suite esten:petit nombre, quand un hôte est chez nous chéri, alors
qu’il est méprisé chez ceux Elle
qui nous
sont reproche
nombreux.
les travaux des chercheurs en sociolin-
guistique et didactique des langues, qui
d’être peu nombreux ; je lui ai répondu que les hommes
vraiment généreux sont rares.
ont fait porter Autre
leurs versbien
Que regards
peut :sur les
faire que nous
ELCO, Quesoyons enfaire
peut bien petitquenombre, quand
nous soyons un hôte
en petit est quand
nombre, chez un
nous
hôtechéri, alors
est chez
principalementqu’il est méprisé chez ceux qui sont nombreux.
d’arabe, ont tour à tour nous chéri, alors qu’il est méprisé chez ceux qui sont nombreux ?
pointé une quantité de difficultés pour
déboucher surAutre vers : dont les
des propositions ﻮﻀﻮﺗ Al-Samaw‘al
La vallée de Na’man s’emplit d’un effluve de musc quand Zaynab s’y promène entourée de
ses servantes parfumées
exemple
(Je ne sais pas de qui c’est, c’est un ﻮﻀﻮﺗ
de grammaire…)
La vallée de Na’man s’emplit d’un effluve de musc quand Zaynab s’y promène entourée de
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ses
10
servantes parfumées ﻮ
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Références BIBLIOGRAPHIQUES 11
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parentale marocaine », Cahiers de l’Observatoire des pratiques linguistiques, n° 2, pp. 80-86.
RADIOs
En France, plusieurs radios, locales ou nationales, diffusent des émissions en arabe (maghrébin souvent, mais aussi en arabe littéral) :
> Radio Gazelle, Marseille, 98 MHz, émet en plusieurs langues dont l’arabe et le berbère
http://www.radiogazelle.net/index.htm,
> Radio Orient (*), émet en arabe (littéral, maghrébin, oriental) et en français (35 % du temps d’antenne). Cette radio, créée en France en 1982
est aujourd’hui diffusée non seulement en France, mais aussi dans tout le Monde Arabe, http://www.radioorient.com/index.php
> Pastel FM, Lille, 99,4 MHz, émissions en arabe et en berbère.
> Radio Soleil (*), émet en arabe et en français, http://www.radio-soleil.com/
> Beur FM (*), émet principalement en français, mais aussi en arabe et en berbère, http://www.beurfm.net/
> France Maghreb (*) http://www.francemaghreb.com/index.php3
> Radio Canut, Lyon, 101,5 MHz, émet en plusieurs langues dont l’arabe et le berbère, http://radio.canut.free.fr/
> Radio Galère, Marseille, 88,4 MHz, émet en plusieurs langues dont l’arabe et le berbère, http://radio.galere.free.fr/
(*) Pour les fréquences dans les différentes villes, consulter : http://www.bric-a-brac.org/radio/villes
Langues et cité
Ce bulletin applique Directeur de publication : Xavier North Délégation générale à la langue française et
Président du comité scientifique aux langues de France
les rectifications de l’observatoire : Pierre Encrevé Observatoire des pratiques linguistiques
de l’orthographe, proposées Rédacteurs en chef : Olivier Baude, Jean Sibille Ministère de la Culture et de la Communication
Coordination : Dominique Bard-Cavelier 6 rue des Pyramides, 75001 Paris
par le Conseil supérieur
Composition : www.outlinegraphics.be téléphone : 01 40 15 36 91
de la langue française (1990), Conception graphique : Doc Levin/ télécopie : 01 40 15 36 76
et approuvées par l’Académie Juliette Poirot courriel : [email protected]
Impression : Daneels groupe graphique www.dglf.culture.gouv.fr
française et les instances ISSN imprimé: 1772-757X
francophones ISSN en ligne : 1955-2440
compétentes.
Les points de vue exprimés dans ce bulletin n’engagent que leurs auteurs