315-Judaïsme+et+christianisme.+ &NBSP L'étoile+de+la+rédemption  +de+Frans+Rosenzweig PDF
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I.- L'homme
1. Fr. ROSENZWEIG, L'étoile de la, rédemption, coll. Esprit, Paris, Seuil, 1982
(ici désigné pu les abréviations L'étoile ou ER, suivies du numéro de la page).
JUDAÏSME ET CHRISTIANISME 385
1. Création
La Création est le «portail» par lequel la philosophie entre en
théologie. En découvrant le monde en dépendance de Dieu, nous
atteignons sa vérité, une vérité tout autre que celle que la philoso-
phie idéaliste, dans un «blasphème philosophique» (ER 462), pré-
tendait lui octroyer en le tirant de la seule pensée humaine. La
Création est le fondement durable dont la Révélation a besoin.
Commencement du monde, elle est aussi commencement et ac-
complissement de Dieu. Dieu naît à lui-même en sortant de soi et
en accédant à l'extériorité. C'est le «premier miracle»: «là se brise
l'enveloppe du mystère» ÇER 136), celui d'un Dieu mythique
enfermé en son Soi éternel. En la création Dieu se dit. Celle-ci est
déjà annonce et promesse de Révélation, germe et prédiction de la
croissance du Royaume et de la Rédemption. La Création n'est
donc pas seulement une catégorie philosophique, comme l'est le
concept d'une création ex nihilo. Elle se donne à connaître à la fois
à partir de Dieu qui se révèle et à partir du monde qui a part à la
Rédemption.
2. Rédemption
3. Révélation
4. Rosenzweig dit que, si Dieu a une nature, il se la donne lui-même, car il est
liberté (ER 138).
5. Dans l'islam au contraire, c'est par essence qu'Allah est le Miséricordieux.
Il donne à l'humanité, de par son essence même, la Révélation, «comme un
cadeau objectif issu de soi» (ER 197); il donne, non pas lui-même, mais un cadeau
bien objectif, un livre: le Coran.
JUDAÏSME ET CHRISTIANISME 389
lier entre l'âme et Dieu, que décrit Rosenzweig, est bien, quoi
qu'il en dise, d'essence mystique: l'âme s'y découvre elle-même
dans l'expérience qu'elle a de Dieu. Miracle, dit Rosenzweig,
d'une double et unique expérience, qui est double et unique révé-
lation. Pour que l'âme ne se dissolve pas «dans ses ardeurs mys-
tiques» ÇER 250), il lui faut comme un nouvel élan, un nouveau
«non» au soi qui se ferme sur lui-même. Cette force nouvelle, c'est
l'amour, et plus précisément l'amour comme amour du prochain.
Alors «l'âme prend figure, en passant de la Révélation à la
Rédemption», elle entre dans le «sur-monde de la Rédemption»,
et c'est ainsi que se réalise le Royaume.
7. Cité par E. LÉVINAS, dans Difficile liberté. Essais sur le judaïsme, coll. Le
Livre de Poche, Biblio-essais, Paris, Albin Michel, 19763, p. 261.
8. Rosenzweig ne signale pas moins entre le judaïsme et le christianisme
quelques divergences qui justifient à ses yeux son choix personnel en faveur du
judaïsme. Ces différences (p. ex. à propos du Père et du Fils dans la Trinité, à
propos de la Rédemption conçue comme œuvre de l'homme et à propos de
l'absence de fête de la Rédemption dans le christianisme), si importantes soient-
elles, ne touchent pas, selon nous, à l'essence même du rapport entre judaïsme et
christianisme.
JUDAÏSME ET CHRISTIANISME 391
1. Le temps et l'éternité
Dire que le judaïsme et le christianisme sont une manière d'être
et de se situer face au monde dans son rapport à Dieu, c'est dire que
l'éternité est pour l'un comme pour l'autre le support et comme
l'âme du temps et de l'existence. Il y a entrée de l'éternité dans le
temps, et en ce sens éternisation du temps. De soi le monde est
dans le temps et, comme le temps, il n'est pas achevé. Par ailleurs,
il est «créé avec la détermination de devoir l'être» (ER 264). Or ce
monde en travail d'éternisation et d'accomplissement, c'est le
Royaume, toujours déjà-là et toujours à venir, déjà accompli et
pourtant encore à achever, marqué d'éternité et pourtant livré à la
temporalité. «Le royaume, la vitalisation de l'être-là vient dès le
début; il est toujours en train de venir» (ER 265). Contrairement
au temps de nos horloges, fait d'instants qui se succèdent, le temps
du Royaume est un temps immobile, que l'on peut dire éternel. En
lui, chaque instant peut être le dernier, ce qui précisément «le rend
éternel» (ER 267). Bref «l'éternité n'est pas un temps très long,
mais un demain qui pourrait aussi bien être aujourd'hui», non pas
un temps qui passe, mais un temps qui dure, un instant immobile,
un «maintenant» arrêté, un «nunc stans» (ER 342). Ricœur l'a bien
vu, qui remarque qu'ici «l'éternité désigne une qualité du temps
liée à une expérience limite, celle d'une certaine immobilisation du
temps»9. Or cette expérience est propre au judaïsme et au christia-
nisme. «Le Royaume est au milieu de vous», rappelle Rosenzweig,
c'est-à-dire il vient «aujourd'hui». En islam, toutes les époques
sont certes reliées à Dieu, mais sans lien entre elles, sans l'idée
d'une quelconque philosophie de l'histoire ou d'un Royaume en
croissance. Il n'y est question que d'une succession d'instants.
Ainsi en est-il d'ailleurs de la conception moderne de l'histoire et
du «progrès»: il s'agit d'un progrès indéfini, mais non point éter-
nel, bref d'une succession sans fin assignable. Sans l'«anticipation»
messianique du Royaume, «le futur n'est pas un futur, mais seule-
ment un passé... projeté vers l'avant» (ER 268).
Or c'est précisément au cœur de leur rapport commun à l'éter-
nité que Rosenzweig voit comment le christianisme et le judaïsme
se démarquent l'un de l'autre. Pour lui, le juif est déjà dans «la vie
éternelle», le chrétien, lui, dans «la voie éternelle». Ce dernier vit
l'éternité comme une marche à travers le temps. Il travaille le temps
9. P. RICŒUR, «La 'figure'...» (cité supra, n. 2), p. 65. Or, si judaïsme et
christianisme se rejoignent en la façon d'inscrire l'éternité dans le temps, ils ne se
distinguent pas moins, précisément sur ce point, en ce qu'ils constituent deux
manières spécifiques, complémentaires en ce sens, d'éterniser le temps.
392 P. MASSET
2. L'élection
«Dois-je me convertir alors que je suis élu par naissance?», écri-
vait Rosenzweig à son ami Rosenstock. Pour le juif, «l'instant déci-
sif..., le miracle de la renaissance, se trouve avant la vie individuel-
le» (ER 467). Il est ré-né avant que d'être né au monde. Sa seconde
naissance, sa vraie naissance à la judéité, est métahistorique. Elle
précède la première. Elle est accomplie dès l'instant éternel où se
noue l'Alliance de Dieu et du peuple élu. La naissance au monde,
dans le temps de l'existence, ne lui apporte donc en réalité que les
contingences historiques de temps, de lieu et de caractère. «Chacun
(chaque juif) doit savoir que l'Eternel l'a lui aussi ramené d'Egyp-
te. Le Ici actuel entre dans le grand Maintenant de l'expérience
vécue mémorisée» (ER 469). La Rédemption «boucle» dans le
peuple. Elle va directement au peuple, alors que, pour le chrétien,
elle concerne d'abord l'âme individuelle (cf. ER 442).
Pour le philosophe, cette notion d'élection est difficile à penser.
Certes Dieu est maître de ses dons. Mais, quand il y va d'une chose
aussi capitale que le salut éternel de l'âme, comment admettre
qu'un Dieu infiniment bon et juste, Dieu de tous les hommes,
puisse réserver ses faveurs à un peuple et en exclure les autres? A
moins de dire que tous sont ses élus, mais chacun à sa manière: cha-
cun en a sa part, mais tous l'ont tout entier. Mais alors la notion
d'élection perdrait une bonne part de son contenu, semble-t-il.
En outre, comment admettre que ce colloque singulier de l'âme
et de Dieu, dont Rosenzweig parle avec tant de profondeur, soit
lié à la naissance et à l'appartenance à un peuple particulier, alors
que Dieu appelle chacun par son nom propre, un nom bien à lui
et rien qu'à lui, et qu'ainsi seulement l'âme s'éveille et vient à elle-
même, et que seuls ceux qui sont restés fidèles sont «le vrai peuple
dans le peuple»? Lors du Yom Kippour, rappelle Rosenzweig,
chacun en particulier se soumet humblement au jugement de
Dieu. Ce n'est pas le peuple qui est jugé, pas plus que le monde ou
l'histoire, mais l'individu «dans sa singularité nue, devant Dieu»,
qui confesse son péché (ER 383).
Il y aurait donc dans l'économie du salut, telle que la voit
Rosenzweig, comme deux pôles, symbolisés tour à tour par le ju-
daïsme et le christianisme: d'un côté le peuple issu du sang et uni
par la liturgie, le repas et l'écoute de la parole — la Rédemption
allant directement au peuple —; de l'autre l'Église, une assemblée
d'individus'2, où chacun garde sa liberté et accueille les autres
comme «frères dans le Seigneur». Entre ces deux pôles, qui sont
autant de manières d'éterniser le temps, dans la pratique de la vie
et dans la communauté liturgique, Rosenzweig hésite sans cesse.
Dans une certaine mesure, il semble pencher vers la communauté
chrétienne tout entière fondée sur l'adhésion personnelle, la
conversion perpétuelle — on n'est jamais chrétien, il faut le deve-
nir toujours, et on le devient en luttant contre le païen toujours
présent en soi —, et sur son rajeunissement constant dans l'amour
du Christ, lequel n'est pas «fondateur ni Seigneur de son Église,
mais un de ses membres, il est lui-même frère de son alliance» (ER
407). Mais finalement Rosenzweig trouve dans le peuple éternel
plus de solidité. Celui-ci porte en lui dans son esprit plus de
garantie de pérennité.
Est-il possible pour un peuple d'être hors du temps et de l'his-
toire? Bon nombre de Juifs, déjà de son temps, ne partageaient pas
ici le point de vue de Rosenzweig. Rosenzweig lui-même relativi-
sera par la suite ses propos. En effet, ce qui est possible à des indi-
vidus — vivre en marge de l'histoire — ne l'est pas à l'échelle d'un
peuple. À moins de consentir à sa disparition, il faut qu'un peuple
marque sa place dans le monde, défende ses droits et signale son
existence à l'attention des nations. L'attente pure et simple n'est
pas une solution. L'Ancien Testament est déjà fait d'interventions
de Dieu dans l'histoire. Ne se doit-il pas de veiller sur son peuple
pour écrire avec lui l'histoire du peuple éternel?
IV.- Évaluation
2. Face au mystère
La transcendance absolue de Dieu semble avoir été, pour
Rosenzweig, au plan intellectuel, la raison dernière de sa décision
de ne pas se convertir au christiansime. A ses yeux, la croyance en
l'Homme-Dieu constitue un reste de paganisme. Celle-ci renoue
avec le besoin, si vif dans l'Antiquité païenne, de se ménager un
médiateur pour accéder à un Dieu lointain et fermé sur soi (ER
413).
Recul devant le mystère? Ou plutôt mystère de la foi. Car le
mystère est pour tous, même ceux qui ont la foi... D'autres que
Rosenzweig face aux mêmes questions ont tranché tout autre-
ment. Rosenzweig, quant à lui, s'est arrêté aux difficultés du
dogme chrétien et il y a vu comme autant de «contradictions»,
sans s'apercevoir que le mystère n'est tel que par ses profondeurs,
et que les dogmes de l'Incarnation et de la Trinité ouvrent sur des
perspectives infinies: qu'il s'agit de la révélation du Dieu du Sinaï,
mais à la lumière des relations intratrinitaires, du même Dieu-
Amour, mais qui, par la parole du Verbe incarné, ouvre sur l'in-
compréhensible mystère d'amour qu'il est en lui-même et pour
nous. Pourtant Rosenzweig ne répugnait pas à se référer à l'occa-
sion, non sans quelque réticence il est vrai, au Dieu de la Kabbale
et de la mystique juive (ER 482). La notion de «sortie de soi» de
Dieu, de don de soi de Dieu, de séparation d'avec soi de Dieu pour
habiter avec son peuple, de «retrait» de Dieu pour que le monde
et l'homme soient, constitue même un axe majeur de sa construc-
tion philosophique.
3. Face à l'histoire
Rosenzweig ne prend guère en compte la réalité de l'histoire et
de son déroulement dans le temps. Non pas seulement en ce que
cette histoire comporte de destruction de ce qui a été, mais aussi
implique comme développement, progression et enrichissement.
Ce qui lui manque le plus est peut-être la notion d'une tempora-
lité au service de l'éternité, et donc d'histoire œuvrant pour le
Royaume. Or l'homme est dans le temps de l'histoire, il est être et
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17. De même, le Cardinal LUSTIGER parlant de son baptême, écrit: «Pour moi
il n'était pas un instant question de renier mon identité juive... Dans son Messie,
Dieu a accompli les promesses faites à Israël... Dieu ne se renie pas quand il mani-
feste en son propre Fils ce qui était caché en son peuple choisi... La tradition
chrétienne témoigne de la continuité du dessein de Dieu et de sa fidélité à l'élec-
tion d'Israël» (Le choix de Dieu, Paris, éd. de Fallois, 1987, p. 61, 94, 96).
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5. Dialogue et vérité