Le Dhikr
Le Dhikr
Le Dhikr
transformation
LLEWELLYN VAUGHAN-LEE
Le Souvenir
Compagnie
Pour l'amoureux se trouve une grande joie dans la
répétition du nom de son Bien-Aimé invisible, à la fois si
proche et si éloigné. Lorsqu'Il est proche, il est merveilleux
de pouvoir lui rendre grâce pour tous les bienfaits dont il
nous comble, pour la douceur de Sa compagnie. Lorsqu'il
est absent, de pouvoir invoquer Son nom, a chaque
respiration, nous aide à supporter la douleur de la
séparation. Lorsque l'on se trouve en difficulté, Son nom
nous rassure, nous aide, et peut nous donner la force de
réduire l'écart qui nous sépare de Lui. Lorsqu'on invoque
Son nom, Il devient présent, même si les épreuves que l'on
traverse nous donne l'impression qu'il est loin de nous. Il
aide ses serviteurs quand Il le peut, et dans les moments
les plus difficiles, Il peut nous sauver la vie.
Allah aime ceux qui l'aiment, et Il se souvient de ceux qui
se souviennent de Lui. A travers le dhikr, nous ravivons le
lien qui avait toujours existé entre Lui et nous, et devenons
conscient de nos plus profonds secrets liés à la vraie unité.
Le nom que nous répétons est le nom par lequel nous Le
connaissions avant d'être né. C'est le nom qui est gravé
dans nos cœurs. Le dhikr amène le domaine du cœur dans
le monde temporel, nous permettant aussi de retourner
vers Lui. Peu a peu nous devenons conscients de la
profondeur de ce lien, et a quel point dans notre cœur
nous sommes toujours unis a Lui.
Le nom révèle ce qu'il nomme, et l'amoureux commence à
réaliser qu'il n'existe rien d'autre que Dieu:
Dieu a créer le nom Allah comme un miroir pour
l'homme afin que lorsqu'il y plonge son regard, il
comprenne le vrai sens de "Dieu était, et il n'y a avait rien
d'autre que Lui", et à cet instant lui est alors révélé que son
ouie est l'ouie de Dieu, sa vue, la vue de Dieu, sa parole, la
parole de Dieu, sa vie, la vie de Dieu, son savoir, le savoir de
Dieu, sa volonté, la volonté de Dieu, et son pouvoir, le
pouvoir de Dieu…(Nicholson 1921, pp. 113).
En répétant Son nom, l'amoureux s'identifie à son Bien-
Aimé, qui se trouvait caché dans son propre cœur. Le Bien-
Aimé aime à entendre Son nom sur les lèvres et dans les
cœurs de Ses amoureux, et comme réponse, Il ôte
progressivement les voiles qui le sépare d'eux. L'amoureux
Le trouve alors non-seulement dans son cœur, mais aussi
dans le monde extérieur, car comme il est dit "où que vous
vous tourniez, la face d'Allah est la" (Coran, 2:115).
Le Bien-Aimé devient alors le compagnon de l'amoureux.
L'amoureux devient aussi le compagnon de Dieu, car
comme il est dit: "l'œil qui voit Dieu est aussi l'œil par
lequel Il regarde le monde" (Schimmel, 1975, pp. 203).
Cette relation d'amitié appartient à l'autre monde,
cependant elle est vécue dans ce monde ci. C'est l'amitié la
plus profonde qui existe, et qui demande une implication
totale de la part de l'amoureux. Nous sommes Ses
serviteurs, et Il aime être connu en tant que "serviteur de
Ses serviteurs".
Grâce au dhikr nous ajustons notre être à la fréquence de
l'amour. Nous embrassons aussi bien la douleur de la
séparation que la joie de le connaître. Nous prononçons le
nom de notre Bien-Aimé car cela nous rappelle Celui dont
nous nous languissons. Lorsque nous crions Allah du fond
de notre cœur, c'est à la fois une prière et la réponse à
cette prière. Nous l'appelons car nous ne l'avons pas
oublié, et se rappeler de Lui dans ce monde, c'est être
constamment en sa présence. Le cœur lui le sait, même si
l'intellect et l'ego ne le savent pas. Roumi nous raconte
cette histoire d'un fidèle qui alors qu'il priait, voit
apparaître Satan qui lui dit:
"Depuis combien de temps crie tu 'O Allah' ? Arrête donc,
car tu n'obtiendras aucune réponse.
Le fidèle se tint
silencieux, jusqu'au moment où il eut la vision du prophète
Khidr, qui lui dit: "Pourquoi donc as-tu cessé d'appeler Dieu
?"
Car je n'ai jamais entendu la réponse "Me voilà" me
parvenir, répondit-il.
Khidr lui répondit: "J'ai reçu l'ordre
divin de venir te voir afin de délivrer le message suivant:
Ne vous ais-je point appelé afin de me servir ? Ne vous-
ais-je point occupé avec mon Nom ? Ton invocation "Allah"
contient la réponse "Me voilà". De tous ces pleurs, ces
larmes et ces supplications, j'étais l'aimant, et je leur ai
donné des ailes".
(Nicholson, 1989, pp. 113)
On retrouve un thème similaire dans l'histoire suivante.
Une femme fit un rêve où elle hurlait au clair de lune,
ressentant une détresse terrible car aucune voix ne
répondait à son appel. Plus tard elle réalisa que l'amour
dans son aspect intime le plus profond consiste en ce que
notre appel est Son appel vers lui-même. En l'appelant
nous partageons le mystère de Sa création : Lui, qui était
Unique et Seul voulait être aimé, ce pour quoi il créa le
monde.
Notre langueur pour Lui, ainsi que nos invocations sont le
sceau de l'amitié qui nous lie. Nous sommes Ses
amoureux, et nous gardons notre attention toujours portée
sur Lui. Lorsque nous tournons nos cœurs vers Lui, nous
reconnaissons aussi bien pour nous-même que pour le
monde entier, le lien d'amour qui unit le créateur avec Sa
création. Nous nous abandonnons alors a l'amour:
Certes, il existe des serviteurs parmi mes serviteurs qui
m'aime et que j'aime, qui Me désire et que Je désire, qui Me
regardent et que Je regarde…On les reconnaît a ce qu'ils
préservent l'ombre durant le jour avec autant de
compassion qu'un berger garde ses moutons, puis ils
attendent avec impatience l'heure du coucher du soleil, de
même que les oiseaux s'impatientent de rejoindre leurs nids
au crépuscule, et lorsqu'il que la nuit vient, que les ombres
se confondent, que les lits sont défaits, et que chaque
amoureux est en compagnie de son bien-aimé, alors ils se
tiennent debout, puis face contre terre m'appellent avec Mes
mots, me flattent avec Ma grâce, tantôt gémissant, tantôt
pleurant, parfois dans un état de béatitude, parfois se
plaignant, parfois debout, assis, a genou, ou se prosternant,
et je suis témoin de ce qu'ils endurent pour Moi, et j'entends
leurs plaintes suite a Mon amour pour eux.
(Schimmel
1975, pp. 139)
Article extrait du magazine SUFI n° 19 Automne 1993, pp.
26 " The Dhekr as an Archetype of Transformation". Adapté
de The Bond with the Beloved: The Mystical Relationship of
the Lover and the Beloved, Invernes, California: The Golden
Sufi Center, 1993.
Références
Lao Tsu (1973). Tao Te Ching, Gia-Fu Feng and Jane English
(trans.), Aldershot: Wildwood House Ltd.
Liebert, D. (1981). Rumi, Fragments, Ecstasies, Santa Fe,
New Mexico: Source Books.
Nicholson, R.A. (1921). Studies in Islamic Mysticism,
Cambridge: Cambridge University Press.
_____ (1989). The Mystics of Islam, London: Arkana.
Schimmel, A. (1975). Mystical Dimesions of Islam, Chapel
Hill: University of North Carolina Press.
Tweedie, I. (1987). Daughter of Fire, Nevada City: Blue
Dolphin Press.
Wilson, P.L. and Poujavady. (1987). The Drunken Universe,
Grand Rapids: Phanes Press.