La Gorgone Meduse
La Gorgone Meduse
La Gorgone Meduse
CHRISTINE SOURGINS
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CRITIQUE DES IDÉES ET DES LIVRES
ressenti à sa vue est tel que Virgile, de sa aux nombreuses crucifixions, dont celle de
main, protège les yeux de Dante. Chez Calde- Grünewald) ; on sait qu’un certain Art dit
rón, elle tient du monstre aquatique emprunté contemporain s’ingénie au contraire à tétani-
au mythe de Persée autant qu’à la bête sortie ser le spectateur par ses excès, son hybris
de la mer dans l’Apocalypse ; elle devient un diraient les Grecs. Cet « art » prétend se
avatar de Satan et, dans son auto sacramen- passer de l’intermédiaire de la « re-présenta-
tal, Calderón l’assimilait au serpent tentateur. tion » (donc refuser la ruse de la transposition
Quant à Milton, dans son Paradis perdu, il lui de la réalité par l’art) pour nous offrir direc-
donne le rôle de bourreau des anges déchus tement, crûment, le réel : et c’est ainsi que
qu’elle torture en Enfer. Elle est le Mal au- l’Art contemporain est mortifère. Il est signi-
delà du Mal, sa quintessence indicible ; bref, ficatif que les premières œuvres d’art décrites
la figure chaotique de Méduse « penche du dans la littérature occidentale sont précisé-
côté du muthos et non du logos ». ment des boucliers (où figurait Méduse). La
Ce livre donne utilement à méditer, par le ruse de Persée est donc toujours d’actualité,
biais du mythe, sur les dangers de la vision, car il a prouvé que pour vaincre il faut voir
de la représentation, et donc sur la nécessité sans être vu. Il y a ici de quoi inspirer bien
de la peinture… car les vérités les plus terri- des stratégies pour déjouer les méduses
fiantes ne peuvent se regarder en face, seul modernes que sont les aliénations culturelles
leur reflet est soutenable. Longtemps la pein- (le « politiquement correct », l’« artistique-
ture occidentale a rempli ce rôle, et relevait ment correct », etc.) qui intimident puis pétri-
le défi de montrer le mal sans qu’on puisse fient…
être détruit par ce qu’on regarde (qu’on pense
Aristote et nous
V
IENT
politique d’Aristote qui s’efforce d’aller cette opposition est réductrice de l’analyse
au-delà du cadre interprétatif domi- aristotélicienne de l’unité et de la différence.
nant depuis un quart de siècle, du moins outre- Bien entendu, ce débat, qui aurait son germe
Atlantique, la recherche aristotélicienne en dans l’affirmation, dans le premier livre de la
science politique. A Democracy of Distinction Politique, de la « priorité » ou « antériorité »
rejette les termes du débat qui oppose le libé- (próteron) de la cité par rapport à « chacun de
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