Philippe Meirieu - L'école Ou La Guerre Civile PDF
Philippe Meirieu - L'école Ou La Guerre Civile PDF
Philippe Meirieu - L'école Ou La Guerre Civile PDF
ou
la guerre
civile
Philippe Meirieu
Marc Guiraud
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
À Sandrine et Paul,
2
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
- Le grand gâchis
3
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
- Quantité ou qualité ?
4
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
- Le mythe de l’apprentissage
5
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
- En finir avec l’apartheid scolaire : aux uns les savoirs utilitaires, aux
autres la culture abstraite
6
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
- La construction de la Loi
- Le sursis à la violence
- L’apprentissage de la démocratie
- Retrouver la parole
7
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Bibliographie
Note au lecteur
Les références précises des ouvrages et des auteurs que nous évoquons
pourront être retrouvées dans la bibliographie finale. Celle-ci contient aussi
quelques livres dont la lecture nous a été particulièrement utile et que nous
ne pouvons que recommander à celui qui voudrait approfondir l’analyse.
8
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
AVANT-PROPOS
9
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Pour notre part, plutôt que d’exiger des acteurs de l’éducation qu’ils
s’épuisent à faire oublier les ratés d’un moteur encrassé, pour éviter le
désespoir et pour créer de nouveaux enthousiasmes, pour libérer les
initiatives et susciter la créativité, nous croyons qu’il est plus raisonnable
aujourd’hui de décider de changer de voiture.
10
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
INTRODUCTION
Le grand gâchis
11
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Lire et écrire, c’est pourtant prendre du pouvoir sur sa propre vie, sur le
maître, sur ses parents et sur tous ceux qui prétendent détenir la vérité.
Savoir lire, c’est pouvoir vérifier, comparer, critiquer ; c’est pouvoir
chercher soi-même l’information et accéder directement aux sources. Lire,
c’est pouvoir voyager et rêver, découvrir le monde, les autres et soi-même.
Écrire, c’est pouvoir exprimer ce que l’on pense et ce que l’on croit,
prendre le temps de se corriger, de trouver la formule juste en évitant de
s’exposer à la réaction immédiate de l’autre.
12
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
peut s’y arrêter, reprendre une phrase, aller à son rythme, chose impossible
lorsqu’on écoute quelqu’un parler. Quant à l’écriture, c’est le moyen
d’exprimer des choses plus faciles à écrire qu’à dire : déclarer son amour
ou rompre avec quelqu’un, demander à ses parents la permission de
minuit... Lire et écrire, ce devrait donc être des actes naturels appartenant à
un savoir largement répandu, que l’on sait accessible à tous et que les
hommes ont maintenant appris à se transmettre depuis des milliers
d’années.
Or, à vingt ans, cet élève - exemple parmi tant d’autres - est incapable de
rédiger une phrase simple. Dix-sept ans d’école ne lui ont servi à rien. « On
m’a toujours corrigé mais on ne m’a jamais répondu », dit-il. Il n’a jamais
utilisé l’écriture pour communiquer des sentiments ou des informations
importantes ; celle-ci est toujours restée un moyen d’évaluer son niveau en
orthographe et en grammaire. Il n’a jamais reçu ni envoyé la moindre
lettre. Dans sa famille, la lecture et l’écriture ne servent qu’à déchiffrer les
ordonnances, à remplir - non sans peine - les feuilles de maladie et les
formulaires de l’ANPE. Il ignore qu’écrire et lire riment avec plaisir et
sourire.
13
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
14
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
15
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
16
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Pour vous en convaincre, imaginez que vous venez d'hériter d'un terrain
sur lequel vous souhaitez planter des arbres. Quels arbres ? Vous consultez
des spécialistes. L’économiste vous parle de rentabilité et de retour sur
17
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
18
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Mais, avant tout, il faut perdre l’affligeante habitude de séparer les coûts
directs des coûts sociaux : l’échec actuel de l’école pèse infiniment plus
que les 20% du budget qu’elle occupe... Il coûte cher en dépenses de santé.
Les écoliers français sont les plus médicalisés de la planète : à douze ans,
un enfant sur deux doit être soutenu au cours de l’hiver par des vitamines !
En classe de terminale, une fille sur trois avale des anxiolytiques ou des
psychotropes... et la consommation augmente fortement quand le
baccalauréat approche. Les garçons, eux, boivent plutôt de la bière, ce qui
est moins coûteux pour la Sécurité sociale... en tout cas, dans un premier
temps ! L’échec de l’école coûte aussi très cher aux familles et aux
collectivités, obligées d’investir dans des leçons particulières, cours de
vacances, rattrapages ou soutiens scolaires de tous ordres. Il coûte cher à
notre économie, handicapée dans son fonctionnement même : salariés
disposant d’une culture de base trop faible pour affronter des mutations
imprévisibles, chefs d’entreprises dépassés par l’évolution de leur
environnement, dialogue social paralysé quand certains se voient exclus de
19
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
20
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
21
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
22
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
23
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
24
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
25
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
26
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
27
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
faisant table rase de tout conseil et de toute histoire. Ils refusent de devoir
quoi que ce soit aux adultes ; ils exigent que ces derniers soient au service
de leurs désirs au point de les culpabiliser quand ils s’estiment insatisfaits.
Mais il serait trop simple, ici, d’accuser « la tyrannie des jeunes qui
soumettent le monde à leurs caprices » ou « la démission des adultes qui
ont abdiqué toute exigence éducative » : les uns et les autres sont pris dans
un mouvement qui les dépasse largement et dont ils souffrent à des degrés
divers. En revanche, il faut comprendre le phénomène avant d’esquisser un
projet éducatif pour notre temps : les générations deviennent des plaques
tectoniques qui se heurtent plutôt que de se superposer. Dans ce
tremblement de terre social, le flot d'images déversé par la télévision reste
parfois la seule culture commune au sein de familles réduites à leur plus
simple expression. Sans préoccupations, intérêts ou culture à partager, les
rapports entre les individus et les groupes se sont « instrumentalisés »,
comme l'explique le sociologue François Dubet. On ne parle plus vraiment,
on échange des services : « Tu vas rester à la maison pour garder ta sœur et
tu auras ton argent de poche. » C’est la même chose à l’école : « Je te rends
mon devoir de français, j'ai fait ce que tu m'as demandé, avec une
introduction et une conclusion, sans fautes d'orthographe ; alors, j'attends
ma note en échange et nous sommes quittes. Ne me demande pas, en plus,
de m'intéresser au texte que tu m'as donné à étudier. Ta vie, c'est ta vie. Ma
vie, c'est ma vie. On fait du commerce mais c’est tout ! » Ainsi le jeune
vient faire ses courses dans le supermarché scolaire, mais il ne parle ni au
vendeur ni à la caissière. Il troque du travail contre une note. Il refuse tout
dialogue qui le mettrait en jeu personnellement, tout échange sur sa culture,
toute réflexion sur ce qui fonde sa vie. Les études, la découverte des
connaissances, la maîtrise des concepts, ne représentent pas une valeur
28
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
pour lui, pas plus qu’ensuite, dans la vie active, le travail qui lui sera
confié. Le jeune retrouve, en effet, ce même rapport utilitariste avec
l’entreprise : « Je viens, je fournis le travail demandé, pas un gramme de
plus, et je repars. La vraie vie est ailleurs. »
29
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
tout autant des machines à exclure qu’à intégrer. Dans une société, en
revanche, la place et le statut de chacun sont garantis indépendamment des
liens affectifs qu’il entretient avec les autres.
30
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Certaines réalités sont si présentes sous nos yeux que nous finissons par
ne plus les voir. Le sur-développement des villes, par exemple,
s’accompagne d’enclaves de sous-développement de plus en plus
nombreuses. Le chômage galopant, les insuffisances de l’aménagement du
territoire, les folies immobilières des années 60 et leurs cités-dortoirs, la
prolifération des bureaux dans les années 80, les insuffisances des
transports en commun et des équipements collectifs, la politique de la ville
en bouts de ficelle, autant de raisons qui expliquent l’existence de ghettos,
de quartiers abandonnés par tous, à commencer par l’État, la police et les
services publics. Des quartiers entiers se mettent à dériver, déconnectés de
la République, régis par les lois de la drogue ou de l’intégrisme. La
démocratie y est bafouée.
Une évidence s’impose : nos villes, nos écoles et nos jeunes sont
traversés par une frontière Nord-Sud. Certains enfants vivent avec un
cerveau à deux hémisphères sociaux. L’un gère la pauvreté, les urgences de
la survie immédiate, la débrouille au moindre coût, la famille patriarcale ou
31
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
32
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Quand Jules Ferry fait voter les célèbres lois scolaires qui imposent la
gratuité de l’école primaire et l’obligation de l’instruction, ce n’est pas
pour des raisons économiques. À l’époque, huit Français sur dix travaillent
dans l’agriculture, les mines ou les travaux publics : ils n’ont pas besoin de
savoir lire et écrire. Le patronat peut parfaitement se satisfaire d’une main
d’œuvre illettrée et il s’oppose, aux côtés de l’Église catholique, à la
création de l’école de la République. C’était d’ailleurs là une différence
majeure entre catholiques et protestants ; ces derniers prônaient la lecture
directe de la Bible par les fidèles tandis que les premiers considéraient
qu’une écoute attentive du sermon et une bonne confession suffisaient.
33
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
34
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
35
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
36
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
37
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
38
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
sait pas ce que l’on aura. Et puis, si l’on se débrouille bien (et on ne
désespère pas, pour notre part, d’y parvenir), on peut tirer efficacement son
épingle du jeu. Donc ne touchons à rien. » Les syndicats d’enseignants,
rejoints par le ministre lui-même, s’émerveillent devant la bonne opinion
que les Français ont de leur école... sans remarquer la croissance
exponentielle des recours après l’avis des conseils de classe. Si les français
sont si contents du système, pourquoi le nombre de désaccords sur l’avenir
des élèves croît-il si rapidement ? Contents, les Français le sont en effet,
mais à leur manière : il est plus reposant de se déclarer satisfait que de
s’engager pour changer les choses, ou même simplement de voter pour
élire ses représentants au conseil d’administration ou d’établissement, ou
encore de se dévouer pour participer au conseil de classe. Du coup, les
hommes politiques, forts de ce satisfecit apparent, repoussent toute réforme
sérieuse.
39
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
40
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
41
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
42
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
43
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
On peut affronter des classes dures dans des zones difficiles si l’on se
sent soutenu par son entourage, par la société, ou si le sens du métier est
reconnu. Mais aujourd’hui, le professeur suscite la pitié quand ce n’est pas
44
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
45
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Les effectifs sont regardés comme une vache sacrée devant laquelle, à
chaque rentrée, tout le monde se prosterne. Surtout ne pas l’enjamber, elle
risquerait de se vexer et de se transformer en manifestation. Jamais on
n’améliorera, répètent la plupart des syndicats, le niveau d’élèves trop
nombreux par classe. Or, il n’existe aucune corrélation automatique entre
la baisse des effectifs et le niveau scolaire des élèves. Paradoxe apparent :
46
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
on constate même une chute assez nette des résultats quand les effectifs
baissent trop fortement (c’est l’un des arguments utilisés pour fermer les
petites écoles rurales).
47
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Par ailleurs, la question des effectifs est liée aux conditions matérielles :
on travaille mieux avec un grand groupe dans des locaux adaptés qu’en
groupes plus restreints dans des classes exiguës où aucun matériel
pédagogique ne peut être utilisé. La question des effectifs focalise trop
l’attention, au détriment d’une réflexion en profondeur sur l’architecture
scolaire et l’outillage pédagogique. Par exemple, chaque classe devrait
disposer d’étagères où stocker livres et manuels (les élèves apprennent
beaucoup en comparant les différentes approches d’une même notion et les
exercices proposés dans différents manuels)... cet aménagement minimal
n’existe pourtant pas dans toutes les classes. Autre outil de base dans
chaque classe : une photocopieuse, non pour « photocopiller » les manuels
scolaires, mais pour organiser au mieux le travail en commun. Pour
apprendre à rédiger l’introduction d’une dissertation, on pourrait ainsi
demander aux élèves d’en écrire chacun une et travailler ensuite ensemble
sur quelques exemples photocopiés. Beaucoup de spécialistes se
gargarisent avec l’entrée de l’école dans l’ère MacLuhan du multimédia...
alors que beaucoup de classes n’ont pas encore intégré Gutenberg : le livre
reste rare et la parole du maître du haut de sa chaire (physique ou mentale)
demeure le véhicule essentiel, parfois même unique, de la transmission des
savoirs !
Quantité ou qualité ?
48
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
49
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
50
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
51
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
ils ne gouverneront que du bout des doigts, prêts à faire volte-face et à tout
abandonner en rase campagne à la moindre alerte.
Autre pression moins connue mais très pesante : celle des « associations
de spécialistes ». Chacune d’elles (les professeurs de biologie, d’histoire,
de philosophie, d’anglais, etc.) veille jalousement aux intérêts de sa
discipline. Dès que le ministère ou le Conseil national des programmes
proposent de réexaminer les programmes et les horaires d’une discipline,
leurs membres serrent les rangs pour garantir le statu quo et obtenir au
contraire un renforcement de leur poids dans la scolarité. Aux exceptions
notables des enseignants de mathématiques et de français qui combattent,
52
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
53
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
54
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
55
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
56
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
57
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
58
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
59
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
60
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
61
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
62
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
mieux, finalement, regrouper les élèves par niveau... non point, bien sûr,
dans un esprit d’exclusion mais pour les aider à progresser ? On leur
proposerait ainsi une pédagogie plus adaptée. » Le cycle est sans fin. Les
enseignants ne savent plus à quel saint se vouer.
Les partisans des devoirs du soir prétendent qu’ils préparent les enfants
au collège, qu’ils les forment à travailler seuls. En réalité, dès le primaire,
c’est la pression des familles et la compétition farouche qui s’installent.
Les parents sont inquiets : en l’absence de vrai projet scolaire national,
dans le cadre vide que constitue l’Éducation nationale, privés d’une
véritable perspective qui légitimerait clairement aux yeux de tous
l’institution et les dépenses qu’elle impose, ne reste plus que le libre jeu
des aspirations individuelles. Quand rien de clair ne pointe à l’horizon,
quand la Patrie n’est plus en danger, quand les savoirs se diffusent
massivement à l’extérieur de l’école, quand les réformes se succèdent sans
ligne directrice, quand la seule fréquentation scolaire ne garantit plus
63
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
64
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
65
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Cette triste réalité recouvre une piètre idéologie : dans tout groupe
humain, dès qu’il s’agit d’apprentissage, les individus se répartiraient
spontanément en trois tiers à peu près égaux : les débiles, les médiocres et
l’élite. Heureusement que ce n’est pas l’école qui apprend à marcher aux
enfants : sinon la population comporterait un tiers de bons marcheurs, un
tiers de boiteux et un tiers de grabataires !
66
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Le rôle de l’école est moins d’imposer des vérités aux enfants que de
créer les conditions pour que, devenus adultes, ils les trouvent ensemble.
Elle est de préparer la démocratie, seul cadre au sein duquel peuvent
s’exprimer les singularités. C’est une erreur de chercher à satisfaire les
intérêts privés de chacun ; il est urgent, au contraire, de se donner des
valeurs collectives qui constituent une référence assez forte pour
l’emporter sur les calculs stratégiques des uns et des autres. L’école
obligatoire doit se définir clairement : est-elle un parcours du combattant
fait pour sélectionner les futures élites, un creuset idéologique destiné
forger des Français conformes, ou une institution capable de permettre aux
futurs citoyens de se connaître, de se parler, de se comprendre et d’inventer
ensemble la société dans laquelle ils veulent vivre ?
67
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Après seize ans, en effet, quand l’État a assuré à tous un socle commun
de savoirs et de compétences, il devient nécessaire d’orienter
progressivement chacun vers des formations particulières. On est rassuré,
quand on remet sa vie entre les mains d’un chirurgien, qu’il ait fait partie
des meilleurs étudiants, ou que le garagiste à qui on confie sa voiture ait
toutes les compétences d’un excellent technicien. Mais, au départ, dans le
cadre de la scolarité obligatoire, la logique ne doit pas être celle de la
sélection mais celle de la formation de tous. Puisque le but de cette
scolarité obligatoire, c’est d’amener les jeunes à participer à la société
démocratique, toute forme d’exclusion serait suicidaire pour la société elle-
même.
68
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
69
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
70
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Quand une crise paraît sans issue, la tentation est grande de chercher le
salut dans un retour à la case départ. Ainsi les nostalgiques voudraient-ils,
tout en ignorant sa réalité historique, revenir à l’école mythique de Jules
Ferry et aux « principes républicains ». Ils dénoncent la “pédagogie
nouvelle” et les « mythes fondateurs du pédagogisme » : « placer l’enfant
au centre des préoccupations de l’enseignant, s’adapter aux besoins de
chacun, se mettre à la portée de tous, ouvrir l’école sur la vie, développer
des méthodes actives, laisser s’exprimer les élèves. » Un tel fatras
idéologique, signe, à leur avis, une grave démission : le refus d’instruire,
d’assumer la tâche première des enseignants, la transmission des savoirs.
Pour eux, l’Éducation nationale a abdiqué et, comme l’écrivent les
rédacteurs de La Quinzaine universitaire (organe du SNALC, Syndicat
national autonome des lycées et collèges), « l’école est inadaptée parce
qu’enchaînée. Dans les banlieues les nouveaux barbares sèment la terreur
en toute impunité. Livrés en pâture à la haine, des professeurs, souvent
jeunes et inexpérimentés, paient au prix fort l’insolvabilité des discours
pédagogiques. » Contre « les méfaits de l’égalitarisme ravageur », il
convient donc, de leur point de vue, de restaurer une véritable sélection par
le mérite individuel ainsi que de réhabiliter l’ « instruction pure » dans ses
formes les plus nobles.
71
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
72
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Un rescapé d’Auschwitz, dont les propos ont été recueillis par une
équipe de Steven Spielberg (le cinéaste à cette tâche tous les revenus de
son film La Liste de Schindler) témoigne de cette tragique réalité :
73
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
survivant dans les conditions atroces du camp, ce déporté s'était surpris lui-
même, un matin, à pleurer en écoutant un concert de musique militaire
allemande. Comment avait-il pu, à l’époque, être ému en écoutant cette
musique, belle, certes, et magistralement interprétée, mais au son de
laquelle était organisée la boucherie quotidienne ? Il en concluait que notre
vigilance ne doit jamais se trouver en défaut... et que la culture elle-même
peut nous tendre de terribles pièges.
74
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
75
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
76
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Pour longtemps encore - il faut l’espérer - tous les enfants d’une classe
d’âge seront scolarisés dans une institution (l’école et le collège) qui porte
une lourde responsabilité face à la nation. Certains de ces enfants viennent
de milieux sociaux où ils ont appris très tôt « le métier d’élève ». Ils savent,
par exemple, qu’il faut regarder la maîtresse dans les yeux, suffisamment
longtemps pour ne pas paraître hypocrite, mais sans insister pour ne pas
paraître insolent. Ils savent travailler le soir chez eux, apporter en classe
77
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
quelques images bien choisies, poser la bonne question au maître, celle qui
lui permet d’avancer dans son explication en remerciant l’élève de sa
coopération. Ces élèves-là se comportent « comme il faut » : ils ne se
lèvent pas n’importe quand pour aller boire, n’interrompent pas
brutalement quelqu’un qui parle, savent quel degré de familiarité il ne faut
pas dépasser, bref, ils savent « se tenir » dans la société scolaire... même
s’ils en contournent habilement les règles par ailleurs.
78
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
79
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
80
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
81
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
82
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Le mythe de l’apprentissage
83
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
dans le CFA et une formation pratique dans une entreprise. Puis il passe un
CAP, un BEP, un bac professionnel, de temps en temps un BTS et,
quelques rares fois, un diplôme d’ingénieur. Voilà, dit-on, le seul moyen de
former véritablement les jeunes au travail dans l’entreprise, de faciliter leur
insertion professionnelle et de résoudre le problème de l’emploi.
84
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
85
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
86
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
87
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
d’autres termes, que l’on place un peu d’école (au sens propre du terme :
en grec, « école » signifie « loisir ») dans l’entreprise.
88
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
89
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
90
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
91
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
92
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
93
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Égalité ? Peut-on en parler quand des enfants de sept ou huit ans sont
délibérément placés sur des chemins scolaires qui ne se croiseront jamais ?
Ceux qui réussissent cumulaient déjà tous les avantages. Les autres doivent
fournir un effort colossal, une énergie considérable, sans aucune garantie
de réussite, et sans jamais parvenir à rattraper le handicap de départ.
L’égalité n’existe pas, ni au départ, ni pendant le parcours, ni à l’arrivée.
Les jeunes le savent et en tirent les conséquences.
94
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
aujourd’hui, notre seule véritable référence. Il faut à tout prix que l’école
reste un lieu où cette utopie tente de s’incarner. Les jeunes découvriront
bien assez tôt la « lutte pour la vie » et la concurrence - que, d’ailleurs, la
plupart d’entre eux vivent déjà le soir, après l’école, ou pendant les
vacances. Il ne s’agit nullement d’éduquer les jeunes dans une bulle stérile
pour en faire des inadaptés sociaux, comme des animaux élevés en
captivité et qui meurent dès qu’on les relâche. Mais, l’école obligatoire,
suspendant un moment cette réalité-là, doit constituer un abri, même
provisoire, contre la tempête sociale : l’occasion de faire l’expérience de
valeurs qui fonderont l’espérance et mobiliseront les énergies capables
transformer le quotidien. Il s’agit de vivre dans l’enceinte scolaire autre
chose que la loi de la rue et de pouvoir constater que celle de l’école est
non seulement la plus généreuse mais aussi la plus efficace à long terme,
pour mener à bien des projets dans lesquels on puisse éprouver de vraies
satisfactions et accéder ensemble à la joie de maîtriser son destin.
95
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
96
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
97
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Car, on peut parfaitement faire réussir aux examens 100% des élèves,
sans que, pour autant, la moindre parcelle de savoir transmise ait été
intégrée dans leur existence, sans que le savoir vive en eux et leur permette
de se développer et de se construire. « La culture, disait André Malraux,
c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur terre. »
La culture, c’est l’accès aux textes, aux sons et aux images, lorsque cet
accès permet, paradoxalement, d’être soi-même par la médiation de l’autre
et de la différence. Rencontrer Villon, Rimbaud, Prévert ou Saint-John
Perse autorise le jeune à donner à sa violence une autre forme que celle de
la destruction aveugle. Se plonger dans la physique et s’intéresser, en
98
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
C’est Victor Hugo, déjà, qui demandait, dans Les rayons et les ombres :
Qui donc, en effet, prend les élèves par la main pour leur montrer, sous
les savoirs scolaires compilés, le tressaillement de la recherche du sens, la
question fondatrice qui leur a donné naissance ? Qui, à l’école, aide les
enfants à découvrir l’extraordinaire aventure des nombres ? Qui leur donne
les moyens de comprendre que l’écriture, depuis Lascaux jusqu’à
99
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
100
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
101
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
102
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Certes, l'école ne peut pas panser toutes les blessures de la société. Elle
n'a sans doute pas les moyens de faire réussir la totalité des élèves. Elle ne
peut pas non plus demander l’impossible à ses enseignants. Mais cela
n'interdit ni de prendre des risques ni de faire confiance. Parce que la
confiance est finalement la seule attitude réaliste, la seule qui n'obture pas
définitivement l'avenir, ne condamne pas à une tragique reproduction du
passé. Seul un regard optimiste sur les potentialités de l’autre protège des
tentations démiurgiques. Aucun enseignant n'est Dieu... aucun chef
d'établissement non plus ! Ni l’un ni l’autre ne lisent dans le futur. S'ils
prennent des risques avec un élève dont personne n'espère plus rien, c'est
parce qu'ils connaissent la modestie nécessaire de la mission d’éducateur.
Le vrai maître parie toujours sur ce que l'homme a de meilleur et s’efforce
de le révéler... Comme l’a écrit Paul Claudel en sous-titre du Soulier de
satin, dans le registre de l'humain, « le pire n'est jamais sûr » et il ne faut
jamais cesser de nous en convaincre. Zola ou Einstein étaient des élèves
médiocres dont les enseignants n’auraient pas donné cher de la carrière
scolaire. Nous connaissons tous, autour de nous, des personnes qui ont
réussi des études supérieures avant de s’épanouir dans un métier
passionnant, alors que leurs professeurs considéraient qu’ils n’arriveraient
jamais à rien.
103
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
104
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
105
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
moins long terme. Les enjeux sont si importants que la moindre hésitation
est, comme le disait Alain, pourtant libre penseur et peu suspect de donner
dans le sentimentalisme, « le péché majeur à l’égard de l’homme ».
106
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
comme des buts. D’ailleurs, on ne sait pas si ces chiffres sont dus aux
efforts du professeur ou à ceux des élèves... les deux probablement, ce qui
relativise les résultats et invite à la plus grande prudence dans leur
interprétation.
107
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
L’exercice qui suit est risqué car il est toujours plus facile de relever les
défauts que de proposer des solutions. Mais il faut maintenant déchirer le
voile pudique jeté par les politiques sur les fractures qui compromettent
l’avenir de notre école, et mettre en débat des propositions constructives.
Le temps de l’homéopathie est passé. Passé aussi celui des réformes qui se
superposent en mille-feuilles indigeste et qui ont produit le système
incompréhensible que nous connaissons aujourd’hui.
108
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
109
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Une société moderne qui se prétend civilisée ne peut pas traiter l’échec
par l’exclusion. Qu’il s’agisse d’échec scolaire, social, affectif, culturel ou
économique, la société doit inventer des solutions et des remèdes adaptés.
C’est l’effort consenti pour résoudre les difficultés au fur et à mesure
qu’elles apparaissent qui est facteur de progrès social. Une société qui
intègre un exclu ne lui rend pas seulement service ; elle prouve aussi sa
capacité à inventer des formes nouvelles d’organisation qui bénéficient à
tous. Se débarrasser du problème chaque fois qu’il y a échec ne conduit
qu’à la stagnation.
110
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
111
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
112
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
l’autre. C’est ce qui fait la difficulté de son métier, mais aussi un défi
passionnant pour l’intelligence de celui qui s’y engage.
113
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
114
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
115
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
116
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
117
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
118
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
119
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Dans cette nouvelle classe, tout le monde ne fait pas toujours la même
chose en même temps. Des élèves différents, acceptés et reconnus comme
tels, travaillent ensemble à atteindre les mêmes objectifs, dans toutes les
formes possibles de regroupements : cours magistraux, bien sûr, pour
donner une information commune ; travail individualisé sur des fiches ou
grâce à des ordinateurs pour que chacun avance à son rythme dans
l’assimilation des notions et concepts ; petits groupes où des élèves en
avance expliquent à d’autres ce qu’ils ont compris avec leurs propres
mots ; groupes d’apprentissage où des élèves de niveau à peu près
semblable s’exercent ensemble ou comparent des manuels scolaires... Des
120
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
121
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
122
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
espace où, sous la responsabilité du maître, les camarades mais aussi les
manuels, les encyclopédies, toutes les richesses de l’environnement social
et culturel, prennent leur place. Un espace proprement humain. Un espace
pour apprendre... Voilà qui a tout de même une autre allure, joyeuse,
énergique, généreuse, intelligente, que le triste commerce de la classe
homogène du modèle libéral où la compétition sociale prime sur tout le
reste.
Sans rien céder sur ce qui vient d’être dit, on doit néanmoins se montrer
vigilant : dans la société comme à l’école, le respect absolu des différences
débouche immanquablement sur des ghettos, dresse les communautés les
unes contre les autres, provoque le rejet et fait le lit de l’extrême droite
raciste avec son cortège de propositions honteuses.
123
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
On a pu imaginer une école où, par une série de tests en début d’année,
se détermineraient le niveau de chaque élève dans chaque matière, ses
besoins, sa psychologie et les méthodes de travail appropriées : à partir de
là, on pourrait enseigner de manière « scientifique » en donnant à chacun
exactement ce qui lui correspond. L’idée peut paraître séduisante, mais elle
est dangereuse car aucun test ne remplace le travail avec l’enfant. Le
professeur ne connaît l’élève qu’après avoir travaillé avec lui. « Comment
saurais-je s’il est musicien, disait le philosophe Alain, tant que je n’aurai
pas tenté de lui apprendre à jouer du piano ? ». À toujours ancrer l’action
pédagogique dans le passé de l’élève, on se prive d’explorer avec lui des
modalités nouvelles et insoupçonnées de son futur.
124
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
125
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Apprendre les mathématiques d’un côté, et, de l’autre, dans des cours
d’instruction civique ou des exhortations collectives, à s’écouter
mutuellement et à faire la paix serait totalement artificiel et inefficace.
Mais il y a une manière d’apprendre les mathématiques qui contribue à
126
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
127
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
128
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
129
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
que tu te plies aux règles de l’institution. » Or, puisque l’emploi n’est plus
garanti, quelle raison de se plier aux contraintes scolaires ? Jusqu’ici, les
murs de l’école tenaient grâce au ciment constitué, en amont, par
l’éducation familiale et, en aval, par les débouchés économiques. Le
ciment s’est dissous, les murs s’écroulent et ce n’est pas en mettant des
barrières autour des ruines et en multipliant les rondes de vigiles que la cité
scolaire se reconstruira.
130
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Mais si l’école doit accueillir, scolariser et éduquer tous les enfants, elle
ne peut s’ouvrir sans réserve à la vie sociale des adultes. La frontière avec
la société civile, libérale et marchande est nécessaire parce l’école
fonctionne sur des valeurs spécifiques qui ne sont ni économiques, ni
affectives. On ne va pas à l’école pour produire, ni parce qu’on s’aime. On
va à l’école pour apprendre et pour apprendre à vivre ensemble.
131
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
132
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
C’est à l’école que l’enfant peut élargir son horizon, sortir des
complicités claniques, découvrir d’autres façons de voir, d’autres valeurs.
Il constatera que les parents de son camarade le punissent alors que, pour la
même bétise, les siens sont indulgents. Tel autre a le droit de regarder la
télévision tard le soir alors que, chez lui, elle est interdite en semaine. Un
meilleur élève que lui redoute la pression de ses parents, jamais contents de
ses notes, alors que les siens paraissent satisfaits de son niveau moyen.
L’enfant découvre la relativité des normes. Il apprend l’existence de règles
pour la vie collective, justifiées par l’intérêt général et distinctes des usages
relatifs aux différentes communautés.
133
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
enfants mais pas, pour autant, plus interventionnistes dans l’école. Ils
accusent aussi, régulièrement, le handicap socioculturel, déterminant à
leurs yeux dans l’échec scolaire. Quant aux parents, ils estiment, en
général, que l’échec de leurs enfants est imputable aux seuls enseignants.
134
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
135
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
136
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
137
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
138
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Un tel mélange des genres n’a d’autre résultat que de brouiller les
repères de l’enfant. Il vaudrait mieux que les parents, quelle que soit leur
situation familiale, consacrent plus de temps à exercer leur métier de parent
au lieu d’intervenir à tort et à travers sur le travail des professeurs. Cela
permettrait aux professeurs de se consacrer vraiment à leur mission :
construire en classe une « collectivité apprenante », aider chacun à trouver
du sens dans son travail et à identifier les méthodes les plus efficaces, avant
de stigmatiser la démission des parents. De leur côté, les associations de
quartier et les collectivités locales doivent jouer leur rôle de médiateurs
sociaux sans chercher à concurrencer l’école.
139
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
tant bien que mal, la violence, les absences, les retards, les comportements
déviants, ou même les procédures d’orientation, les contacts avec les
familles, voire avec la police. Rien n’est prévu pour que les élèves
rencontrent collectivement l’ensemble des adultes dans des réunions où se
profère une parole commune et forte. Les enseignants d’une même classe,
d’un même niveau ou l’ensemble des professeurs principaux prennent
rarement la peine de se concerter avec le chef d’établissement sur les
orientations pédagogiques. Et, souvent, ils passent furtivement dans les
couloirs, de leur classe à la salle des professeurs, sans donner aux élèves le
sentiment que l’école est aussi leur maison.
140
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
141
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
142
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
l’élève et lui impose une évaluation rigoureuse ; lieu d’où il faut aussi
savoir partir pour s’investir dans le monde seul et de sa propre initiative.
Car, tant qu’il n’y aura pas de vraies structures de médiation entre les
différents partenaires, ce seront les rapports de force qui prédomineront.
Mécontents d’un professeur et sans recours au sein de l’établissement, les
parents vont jouer sur la concurrence entre les établissements... et
contribuer au développement des attitudes consuméristes. De même, les
enseignants vis-à-vis de leur administration, l’administration vis-à-vis des
collectivités territoriales, etc. Il faut donc inventer un droit scolaire
spécifique, avec des règles du jeu claires, officielles et appliquées par une
instance indépendante : une juridiction propre à l’Éducation nationale, mais
résolument détachée de sa hiérarchie, avec des juges élus par les différents
partenaires et capables d’arbitrer tous les conflits concernant l’école, sur le
modèle des tribunaux de prud’hommes. Il n’est pas sain, en effet, que les
arbitrages soient effectués aujourd’hui par les corps d’inspection ou les
rectorats, qui sont à la fois juges et parties.
143
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
144
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
145
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Si l’on veut reconstituer ce lien social qui nous fait défaut aujourd’hui, il
faut remonter ensemble, professeurs et élèves, aux questions fondatrices
des savoirs et resituer ceux-ci dans des interrogations aussi vieilles que
l’histoire de l’homme, des questions communes qui fondent une
irréductible ressemblance, celle qui nous différencie de l’animal.
Il faut voir des élèves de la banlieue travailler sur le rôle du masque dans
la Commedia dell’arte et Les Mille et une nuits. Personne ne peut parler ici
de pédagogie démagogique, de sous-culture, ni dénoncer le manque
d’exigence et la tentation de facilité. Ces jeunes, rejetés de la voie noble de
l’école traditionnelle, abordent à leur façon les questions essentielles et
philosophiques du « même » et de l’ « autre », de la personne et du
personnage : qui se cache derrière le masque ? Pourquoi le masque est-il
parfois nécessaire pour accéder à la vérité des relations humaines ? Ils
viendront ensuite à Beaumarchais et à Mozart. Accessoirement, par la
médiation d’une œuvre qui permet de s’impliquer sans parler directement
146
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
de soi, ils comprendront ce qui se joue dans leur entourage quotidien, dans
les clans et les groupes qu’ils côtoient. Simultanément, ils améliorent leur
orthographe, leur grammaire et travaillent sur le plan de l’exposé ou de la
dissertation. Traitent en parallèle les questions dans leur universalité et les
réponses dans leur singularité, ils se découvrent affrontant les mêmes
interrogations et peuvent réfléchir à une culture universelle sans renoncer à
leur identité propre.
147
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
148
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
trébucher, mais bien les dépositaires d’une mémoire vivante, d’un fonds
commun d’humanité où ils peuvent tous se retrouver.
En finir avec l’apartheid scolaire : aux uns les savoirs utilitaires, aux
autres la culture abstraite
Aujourd’hui, qui est considéré comme cultivé en France ? Celui qui est
capable de multiplier les citations d’auteurs classiques dans une
conversation ? Celui qui peut citer les grandes dates de l’histoire ? Et de
149
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
150
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
D’un côté, le culturel, synonyme d’inutile, réservé aux bons élèves qui
peuvent s’en payer le luxe, intellectuellement et socialement. On le trouve
dans des classes, des établissements, des filières où la rencontre avec le
monde se fait à travers les grands textes, à travers les auteurs classiques, de
Ronsard à Balzac. Là, plus une discipline est inutile, plus elle est noble :
c’est la raison pour laquelle les mathématiques y sont plus nobles que la
physique, elle-même plus noble que la technologie, elle-même plus noble
que les travaux manuels.
Jules Ferry avait voulu articuler des données culturelles et des données
fonctionnelles : arpenter un champ et connaître Victor Hugo, lire
l’affichage municipal et connaître les moments essentiels de la constitution
de notre État. L’étude de la balance n’était pas seulement un moyen
d’apprendre à compter, peser ou faire son marché, c’était aussi une leçon
151
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Une étude sur les manuels scolaires utilisés dans l’enseignement général
et l’enseignement technique, réalisée par une étudiante en sciences de
l’éducation, montre que, dans un manuel de BEP présentant le sud-est de
l’Angleterre, on trouve des photographies et des cartes qui servent de
prétexte à des exercices du type : « Énumérer les différentes activités
touristiques du Kent ». Il y a bien une photo de la cathédrale de Canterbury
mais rien n’indique que c’est un lieu hautement symbolique de la
monarchie britannique et rien n’évoque non plus les célèbres Contes de
152
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
153
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
une infinité de points... et vous verrez surgir les questions : comment des
infinis peuvent-ils être inégaux ? Entre deux points, qu’est-ce qu’il y a ?
Un autre point ou du vide ? Et si c’est du vide pourquoi on ne met pas un
point ?... On sous-estime trop souvent l’intelligence des élèves et leur
intérêt pour des questions fortes.
154
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
155
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
mise en cause personnelle : « J’ai eu une mauvaise note, donc je suis nul. »
L’enfant n’apprend pas à évaluer ses forces et ses faiblesses, à comprendre
ses échecs et à inventer les moyens de progresser. En fait, ce qui décourage
l’enfant, ce n’est jamais la difficulté, mais l’absurdité de ce que l’école lui
propose d’apprendre, et dont il ne perçoit pas le sens.
Or, c’est d’abord à l’enseignant de prouver qu’il a tout fait pour aider
l’élève à réussir, et non à ce dernier de montrer qu’il est « motivé ». La
comparaison entre l’élève et « l’âne qui n’a pas soif » est particulièrement
regrettable. Pour faire boire un âne récalcitrant, il suffit d’attendre... Un
jour ou l’autre, c’est certain, il finira par avoir soif. Mais pour enseigner le
théorème de Pythagore, le professeur qui se croise les bras en attendant que
ses élèves viennent le réclamer risque d’attendre longtemps !
156
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
157
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
158
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Pour définir ce que l’acte éducatif a de spécifique, on peut dire qu’il faut
passer d’une « pédagogie des causes » à une « pédagogie des conditions » :
créer des occasions et des situations d’apprentissage plutôt que s’évertuer,
dans une partie de bras de fer permanente et vaine, à obliger les élèves à
apprendre. Les enseignants ne sont pas la cause de la réussite de leurs
élèves car ils ne peuvent jamais décider à leur place d’apprendre, de se
mettre à travailler ou de grandir. On ne fait pas pousser les fleurs en tirant
sur les tiges, et pourtant l’enseignant a tendance à croire qu’il lui suffit
d’exiger pour tout obtenir. Or, le maître ne peut être, en réalité, qu’un
« pourvoyeur d’occasions ». Au contraire d’un Pygmalion ou d’un docteur
Frankenstein, qui se croient capables de fabriquer un homme en contrôlant
toutes les phases du processus et en maîtrisant le produit fini, le véritable
maître invente et propose des situations favorables : occasions de
rencontres diverses avec des objets et des personnes qui permettent de
découvrir le monde ; occasions de grandir, de découvrir la joie de
comprendre, le plaisir de partager, le bonheur d’accéder aux formes les
plus élevées de la culture. Impuissant quand il s’agit d’intervenir
directement sur la volonté de l’élève, le maître n’a jamais fini d’imaginer
des circonstances favorables dans lesquelles l’élève exercera lui-même sa
volonté.
159
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
160
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
En effet, il faut des interdits pour faire fonctionner l’école, comme toute
autre institution : d’abord l’interdit de la violence, puis un ensemble
d’autres interdits qui lui sont rattachés et qui l’incarnent dans des situations
particulières. L’adulte n’a pas à se culpabiliser quand il impose des règles.
Rien n’est plus ridicule, aux yeux des élèves eux-mêmes, que les tentatives
des éducateurs pour expier leur position en se situant comme des grands
frères sympathiques qui ne se permettraient pas de poser clairement des
limites. Irresponsable, cette attitude est intenable car les élèves
s’engouffrent dans les brèches ainsi ouvertes et s’appliquent à déstabiliser
une personnalité qu’ils reconnaissent très vite comme fragile.
161
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Or, à l’école, c’est souvent la peur qui domine, la peur d’être jugé
hâtivement et catalogué pour le reste de l’année. Du coup, c’est la prudence
162
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
163
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
De trois à seize ans, l’élève doit pouvoir trouver dans l’école obligatoire
les occasions de faire ce qu’il ne sait pas faire sans craindre d’être enfermé
dans une image négative, prématurément évalué ou ridiculisé par ses
camarades. Faire, chercher, se tromper, évaluer les effets de la méthode
choisie, l’abandonner pour une autre, jusqu’à obtenir le résultat demandé :
cette interrogation permanente sur l’action structure l’intelligence et
construit la personnalité.
164
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
La construction de la Loi
Les jeunes issus de milieux sans aucune culture scolaire sont de plus en
plus nombreux à suivre des études. Il faut à la fois s’en féliciter et tenir
compte du fait que, souvent, leurs parents ne lisent jamais, qu’il n’y a pas
de bibliothèque dans le salon, qu’ils n’ont pas appris à écouter ni à réviser
une leçon, qu’ils viennent souvent de familles nombreuses, parfois éclatées
et vivent dans des conditions difficiles d’assistance et de trafic, puisque
souvent leurs parents ont même renoncé à trouver du travail.
165
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Tout aussi inquiétants et de plus en plus nombreux sont les jeunes issus
de milieux plus favorisés qui ne sont même pas parvenus au stade de la
rébellion, ou qu’ils l’ont dépassé. Lovés dans le cocon familial (un
appartement confortable, une belle télé et des parents désespérément
absents), ils se laissent dériver de fast food en CD, en passant par une
console de jeux à trois dimensions. Pas de passion, pas de sport, pas de
discussions, pas de rêves... si ce n’est celui, banal mais qui leur apparaît
pourtant tragiquement inaccessible, de quitter ses parents, de trouver un
vrai travail, un appartement et même de fonder une famille. Ceux-là se
laissent porter par une sorte de lassitude commune sans perspective et
trimballent leur indifférence dans des établissements scolaires où les
enseignants n’ont aucune prise sur eux ; ils sont résignés à n’être là que par
hasard, sans rien investir d’eux-mêmes dans ce qui leur est proposé.
166
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Le sursis à la violence
167
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
La seule solution, difficile et qui ne peut être mise en œuvre que dans la
durée, est d’installer le sursis à l’acte au centre de la vie quotidienne de la
classe et de l’établissement, au nom d’une Loi sacrée qui interdit la
violence. Car, pour pouvoir discuter des règles, il faut respecter cette Loi
qui, elle, n’est pas discutable : « Tu as le droit de vouloir la mort de ton
ennemi, tu as le droit de penser à te venger (d’ailleurs tout le monde a
parfois de telles idées, et tu n’es pas un monstre parce qu’elles te passent
par la tête)... mais tu n’as pas le droit de le faire. » Apprendre à mettre une
distance entre l’acte et la pensée, c’est sortir des limbes de la toute-
168
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
169
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
170
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
L’apprentissage de la démocratie
« Le conseil des élèves », proposé par des pédagogues comme Célestin
Freinet ou Fernand Oury, est une instance primordiale pour l’apprentissage
de la démocratie. Il se révèle particulièrement intéressant quand, à
intervalles réguliers, les élèves peuvent se réunir avec leurs enseignants et,
selon un ordre du jour établi à l’avance (à partir de la « boite à questions et
à propositions »), discuter des problèmes de la classe. Et là, tout change.
L’enseignant peut dire à un élève : « Tu ne frappes pas, tu n’injuries pas, tu
ne bloques pas le travail. Si tu n’es pas d’accord... tu en parleras lundi au
conseil ». Mais, pour que l’élève accepte ce sursis, il faut qu’il y ait
effectivement un conseil le lundi, qu’il s’y prennent des décisions précises
et qu’elles soient réellement appliquées. C’est la mise en place d’une telle
procédure, sa régularité et la rigueur de son organisation qui donnent toute
sa consistance, toute sa réalité, à l’éducation civique. Que l’enseignant
dispose ici d’un droit de veto n’en contredit nullement le principe :
l’exercice authentique du pouvoir n’est possible que si chacun comprend
qu’il n’est pas synonyme de toute-puissance et qu’il existe des limites.
L’imposture n’est pas de dire aux élèves : « L’enseignant a un droit de veto
car il est chargé de garantir la sécurité psychologique et physique des
personnes ainsi que les objectifs de l’école ” ; c’est de laisser croire que
tout est possible, en manipulant habilement le groupe pour faire adopter
une décision déjà prise.
171
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Retrouver la parole
172
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
173
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Faut-il pour autant créer des cours spécifiques pour apprendre à parler,
introduire une nouvelle matière scolaire à côté des mathématiques et de
l’histoire, l’expression orale ? Ce serait stupide et réducteur. C'est
évidemment l’ensemble de l’école qui doit devenir un lieu d’apprentissage
de la parole. Enseignants, personnels administratifs, chefs d’établissement,
personnels d’entretien, surveillants, tous s’efforcer d’associer en
permanence transmission des savoirs et socialisation. À cet égard, les
personnels qui servent à la cantine devraient bénéficier d’une formation
pédagogique et de la considération collective, car de leur attitude dépend
aussi la qualité de l’écoute en classe de mathématiques. De même l’attitude
des enseignants à l’égard des questions matérielles conditionne le regard
que les élèves porteront sur la femme de ménage. Le cloisonnement actuel
des tâches, l’ignorance entre les différents corps du personnel, parfois
même le mépris affiché à l’égard de certains (quand ce n’est pas, au sein
des enseignants, la condescendance des agrégés vis-à-vis des certifiés et le
dédain vis-à-vis des auxiliaires), tout cela sape la portée éducative de
l’école.
Reste que, au cœur de la cité scolaire, c’est bien sûr dans la classe et
dans l’acte même de transmission des savoirs que se forme la capacité à
174
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
175
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
176
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
alors l’idée géniale d’une règle toute simple : « Tout le monde peut taper
sur qui il veut, mais à une condition : le prévenir par écrit vingt-quatre
heures à l’avance ! » Il inventait ainsi le sursis à l’acte, procédure
intelligente et démocratique. Il installa dans l’orphelinat de Varsovie la
« boîte des bagarres », une boîte aux lettres où les gosses déposaient aussi
bien des mots d’insulte que des rendez-vous pour régler leurs comptes. Par
ce système, petit à petit, les enfants prennent goût à l’écriture. Ils
apprennent à lire les réponses aux lettres de griefs, à réfléchir avant de
cogner, à constater que beaucoup de motifs de bagarre n’existent plus après
une bonne explication, et que finalement, la bagarre est une perte de temps
et d’énergie. La violence diminue d’une manière extraordinaire, en même
temps d’ailleurs que la pratique de l’écrit se met à augmenter !
177
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
« Le père s’accoutume à traiter son fils en égal (...), le maître tremble
devant ses élèves et préfère les flatter (...), alors les citoyens se mettent à se
moquer des lois (...), alors c’est, en toute beauté et en toute jeunesse, le
début de la tyrannie. »
178
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
179
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Chacun sait bien que si on attendait que les enfants sachent parler pour
leur parler, ils ne parleraient jamais. De même l’apprentissage de la
citoyenneté : on ne peut pas toujours la remettre à plus tard sous prétexte
que les enfants n’y sont pas encore prêts. L’éducateur doit anticiper ce
qu’il veut faire advenir... à condition de mettre en place des situations que
les enfants puissent comprendre et des cadres où sa présence garantisse
contre toute forme d’oppression. Peu d’enfants ont le privilège de telles
expériences en dehors de la classe, c’est pourquoi l’école républicaine doit
endosser cette charge. L’enfant doit y apprendre l’esprit critique et la
liberté de conscience, y apprendre aussi à ne jamais se prosterner
aveuglément devant le discours de quiconque, fût-il enseignant, auteur de
manuel scolaire, éditorialiste dans un grand hebdomadaire ou petit chef de
bande expert en intimidation !
De façon générale, les rapports entre les individus évoluent : dans tous
les groupes humains - des entreprises aux associations, des syndicats aux
administrations -, les valeurs d’obéissance aveugle imposées par la
hiérarchie ne fonctionnent plus. Périmées, elles se heurtent à tant de
résistances qu’il faut inventer d’autres modes d’organisation pour
maintenir l’efficacité et même l’existence des groupes. Dans les familles
aussi, naissent d’autres types de relations et d’autres formes de respect,
parfois plus sincères, plus sains et plus durables qu’à l’époque où la famille
bourgeoise, apparemment si ordonnée, dissimulait tant de névroses, de
nécroses, de rancoeurs, de frustrations et parfois de drames.
180
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
181
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Les enseignants sont souvent pris entre deux feux, deux dérives
catastrophiques. D’un côté, le relativisme méthodologique : « Il n’y a rien
d’important à transmettre ; les savoirs sont trop différents d’une
communauté à l’autre, il n’y a plus de consensus ; il ne reste plus qu’à
travailler sur des méthodes utilisables partout et toujours : faire une
synthèse ou un plan, mémoriser, travailler en équipe, etc. Un slogan :
apprendre à apprendre. Vive la méthode ! Les contenus sont secondaires et,
d’ailleurs, quand on les enseigne, ils sont déjà périmés ! » De l’autre côté,
le dogmatisme universaliste : « Les disciplines scolaires, les matières à
enseigner sont une vérité immuable à laquelle il convient de tout sacrifier.
Les élèves doivent s’y soumettre ou prendre le risque d’être exclus. L’école
a pour mission d’imposer coûte que coûte des connaissances officielles,
stabilisées et reconnues, labellisées par les instances scientifiques du plus
haut niveau. Un slogan : pas de sentiment. Vive l’instruction pure et dure !
Laissons les savants définir ce qu’il faut enseigner aux enfants. »
Ces deux points de vue apparaissent aussi dangereux et déviants l’un que
l’autre : le premier, parce qu’il n’y a pas de méthode sans contenu et qu’un
sujet qui ne disposerait pas de connaissances sur le monde dans lequel il vit
n’aurait aucune chance d’en devenir citoyen. Le second parce qu’il
confond les disciplines scientifiques universitaires, dont l’identité est
effectivement fixée par les chercheurs, avec les disciplines scolaires de
l’école obligatoire qui relèvent d’une autre logique.
182
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
183
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
184
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
travailleront ensuite sur leur mise en œuvre concrète, selon les classes et
les âges des élèves.
185
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
186
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
187
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
188
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
189
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
190
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
191
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
192
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
finissent par ressembler à l’image que l’on a d’eux : quelle tristesse d’en
voir aujourd’hui autant, si décisifs dans la constitution de notre patrimoine
(pensons à tous les corps de métier qui travaillaient à l’édification d’une
cathédrale !), relégués au rang de sous-métiers pour ceux qui ne peuvent
être ni enseignants, ni médecins, ni avocats, ni ingénieurs !
193
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
son devoir dans ce domaine, il n’en sera que mieux armé pour demander
aux entreprises, aux associations, aux collectivités territoriales et à tous ses
partenaires de faire ensuite le leur. Au-delà de l’école obligatoire, en effet,
une grande diversité de parcours doit s’offrir aux jeunes : une vraie
formation par alternance, une formation technologique dans des
établissements scolaires de haut niveau, une formation générale pour
préparer l’entrée dans les universités, voire un accès direct à une activité
professionnelle, mais accompagné d’un « chèque éducation » qui permettra
au jeune de profiter ultérieurement d’une formation continue solide et
rémunérée. Aujourd’hui, tout est mélangé et personne ne s’y retrouve : que
les choses soient clarifiées une bonne fois pour toutes et les familles
comme les partenaires sociaux et économiques y trouveront leur compte.
194
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
On peut toujours protester qu’il n’y a pas à choisir entre la formation des
élites et la formation de tous. Mais, d’une part, l’école d’aujourd’hui ne
forme pas les élites, elle se contente de les sélectionner. D’autre part, il n’y
a pas de réconciliation miraculeuse entre deux principes de fonctionnement
qui s’opposent. « Sélection des élites ou école pour tous? Les deux, mon
général ! » Beaucoup plus facile à dire qu’à mettre en pratique. Dans une
classe, au moment d’élaborer des exercices, de mettre des notes, de donner
la parole aux élèves, de corriger des copies, d’organiser le conseil de classe
ou de constituer des groupes de travail, selon que le professeur se situe du
côté de la sélection ou du côté de la formation, il agira de manière
radicalement différente. La formation des élites impose d’aller au plus vite,
de progresser au rythme des élèves qui comprennent le plus rapidement, de
donner des exercices globaux sans préparation particulière, de regrouper
ensemble les gêneurs pour qu’ils ne ralentissent pas les autres, de faire
l’impasse sur le sens des savoirs, question que les bons élèves ne se posent
pas (ils ont la réponse par ailleurs ou se satisfont de travailler parce que
« c’est utile pour leur avenir »). La manière même de s’adresser aux élèves,
de les regarder, de classer les devoirs quand on les leur rend, de choisir tel
ou tel texte comme support d’exercice, est représentative de la conception
pédagogique qui sous-tend les pratiques.
195
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
196
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
élève découvre la biologie, c’est comme s’il devait y consacrer toute sa vie
et devenir spécialiste du génome. De même, au collège, il ne fait de
mathématiques que dans la perspective de ce qu’il étudiera plus tard au
lycée.
197
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
198
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
199
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
200
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
201
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
202
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
l’enseignant. Cette méthode, qui rassure l’élève par rapport à ses lacunes,
évite de dramatiser ses erreurs et l’incite à prendre en main sa progression.
203
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Plus les chemins d’accès aux objectifs-noyaux doivent seront variés, les
méthodes de travail multiples, plus le professeur augmente le nombre des
élèves capables de réussir et les chances de chacun. Tout peut commencer
de manière très simple et sans autorisation du ministre, de l’inspecteur ou
du chef d’établissement. Au lieu de dire aux élèves : « Vous me ferez
l’exercice 11 de la page 94 », l’enseignant peut donner la consigne suivante
: « Je vous donne le choix entre l’exercice 8 et l’exercice 11 de la page
94. » Rien de bien nouveau, apparemment. Aucun investissement
pédagogique supplémentaire. Et, pourtant, écoutez les élèves qui
s’interrogent : « Pourquoi nous donne-t-il le choix entre deux exercices ?
Lequel est le plus facile ? Celui dont l’énoncé est le plus court ? Pourquoi
cet exercice qui est plus facile pour toi est plus difficile pour moi ?
Pourquoi celui-ci qui paraît difficile si on s’y prend d’une façon devient
tout à coup très facile quand on s’y prend autrement ? Et si je reformulais
l’énoncé de l’exercice ? Qu’est-ce qu’ils veulent exactement évaluer avec
ces exercices ? » Quel changement dans le rapport au savoir et au pouvoir !
Chaque élève retrouve le pouvoir de choisir et la possibilité de réfléchir sur
ce qu’il fait à l’école. Car l’école forme-t-elle un seul instant à la décision ?
Pratiquement jamais. L’élève exécute avec plus ou moins de bonne volonté
ce que l’enseignant lui commande; il n’a d’autre décision à prendre que
d’obéir ou de résister. Jusqu’au jour où, en cas d’échec grave, il est mis en
demeure d’ « élaborer un projet » et de choisir en catastrophe une filière,
voire un métier. En bonne logique, ce sont les élèves les moins armés pour
le faire qui devront choisir le plus tôt ! Les autres, les « bons », personne ne
leur demande jamais leur projet. Heureusement d’ailleurs, car ils seraient
incapables de répondre, ou bien, alors qu’ils excellent en mathématiques,
ils se mettraient à vouloir faire du théâtre, au grand désespoir de leurs
professeurs et parents qui les voyaient déjà à Polytechnique.
204
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
205
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
elle n’est apparue que dans les années 1880-90, c’est-à-dire au moment où
l’on a commencé à former les professeurs du secondaire dans les
universités. Auparavant, les emplois du temps réservaient six à sept heures
par jour au travail individuel accompagné....
206
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
heures par semaine, cela peut être trop pour certains qui s’ennuient et pas
assez pour d’autres qui ne comprennent pas.
207
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
S’il n’est pas possible de reprendre ici toutes les propositions et les
réalisations effectuées dans le cadre d’établissements expérimentaux, de
208
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
209
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
210
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
investissement humain bien plus lourd que celui qu’ils peuvent porter.
Mais ce qui fatigue les enseignants aujourd’hui, ce n’est pas ce qu’ils font,
c’est ce qu’ils n’arrivent pas à faire. Un enseignant créatif, inventif, qui
trouve du plaisir à son travail et aide ses élèves à réussir est forcément plus
équilibré et beaucoup moins harassé que celui qui s’épuise à “tenir sa
classe”, qui perd des heures à corriger inutilement des copies, se plaint
constamment du désintérêt et du niveau de ses élèves, attend
désespérément les vacances...
211
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
212
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
213
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
214
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
215
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
216
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
entendre à des jeunes, qui se croient souvent résolument séparés par leur
histoire et leur culture, qu’ils résonnent tous aux mêmes questions
essentielles : pourquoi ai-je si peur de l’autre ? Comment puis-je aimer et
détester quelqu’un à la fois ? En quoi l’humour aide-t-il à vivre des
situations difficiles ? Pourquoi le pouvoir rend-il fou ? Découvrir les arts,
c’est comprendre notre passé, notre culture, s’ouvrir au monde et apprendre
à aimer ses racines... Le développement systématique et massif des ateliers
de création artistique dans tous les établissements scolaires et pour tous les
publics, en brassant les tranches d’âge, les types de cursus et les niveaux
scolaires, en intégrant les enfants handicapés ou déviants, représenterait
une chance considérable pour une véritable reconstruction du lien social.
À nous de reconstruire des rituels pour les élèves. Les anciens ont
disparu, rien ne les a remplacés. Or ils permettent de libérer la parole et
d’endiguer la violence des passions. D’ailleurs, les élèves ne les détestent
pas, bien au contraire. Si nous ne les aidons pas à construire des rituels
sociaux qui supportent l’expression de la liberté de chacun, ils se
précipitent dans des rituels communautaristes où ils abandonnent toute
217
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Car, si les jeunes ne sont pas impliqués à l’école dans des processus
d’apprentissage de la parole socialisée, si les adultes se contentent de
déplorer qu’ils ne sachent pas s’écouter, sans jamais créer des lieux où
l’on peut prendre la parole dans un cadre structuré, inévitablement, nos
écoles, pour continuer à fonctionner vaille que vaille, devront exclure les
gêneurs et jamais la tension ni la violence ne retomberont. Il faudra
même, un jour peut-être, installer à l’entrée des écoles des portiques de
détection d’armes, comme aux États-Unis.
218
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Or, le baccalauréat coûte beaucoup trop cher. C’est une folie de dépenser
près de 200 millions de francs chaque année pour un examen qui ne
sélectionne plus personne ou presque. Certains diront : « C’est un examen
219
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
220
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
221
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
222
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
223
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
224
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Mais, en attendant, n’y a-t-il rien à faire ? Faut-il prendre son mal en
patience ? Au contraire, il faut que chacun, à sa place et avec ses moyens,
engage le travail et participe à cette refondation. Le petit jeu qui consiste à
excuser tout le monde au nom de la difficulté de la tâche, la tentation de
rejeter toujours la responsabilité sur l’autre, nous ont déjà coûté trop cher.
« Messieurs les anglais, tirez les premiers ! »... Mais nous pouvons toujours
être les anglais de quelqu’un ! Et il faut bien que quelqu’un commence...
Que peuvent faire les parents ? Exercer leur métier de parents, d’abord :
moins en contrôlant de manière obsessionnelle le travail scolaire de leurs
enfants qu’en sachant saisir toutes les occasions de la vie familiale pour
leur permettre de s’exprimer, réfléchir et exercer leur intelligence. Prendre
part, ensuite, au fonctionnement de la cité scolaire : participer aux
instances représentatives, non pour défendre systématiquement leur
progéniture mais pour faire entendre la voix d’adultes responsables, aux
engagements sociaux et professionnels divers, dans une institution
publique qui doit promouvoir des valeurs collectives avant de satisfaire
chacun de ses usagers. Assumer, enfin, leur devoir de citoyens en
contribuant à ce que soit posée clairement la question des finalités de
l’école obligatoire, c’est-à-dire de l’engagement de l’État dans l’éducation
des jeunes.
225
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Que peuvent faire les enseignants ? Faire travailler leurs élèves d’abord :
la classe n’est pas un théâtre mais un atelier où l’on doit mettre les jeunes
au travail et les accompagner dans leur progression à partir des questions
fortes qui fondent les savoirs scolaires. Accepter l’hétérogénéité des
niveaux et les différences entre les élèves ; mieux, les considérer comme
un moyen d’accès à des savoirs communs permettant de se comprendre et
de comprendre le monde. Socialiser la parole, enfin : installer des rituels
qui permettent à chacun d’oser donner son point de vue, d’être entendu et
respecté. Former à l’exigence démocratique du sursis à la violence.
226
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
227
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Que peuvent faire tous ceux qui sont attachés à la République et refusent
de laisser dériver notre société vers la guerre civile ? Résister, résister
farouchement à toutes les formes de ségrégation sociale et scolaire.
S’opposer, par tous les moyens possibles, à l’homogénéisation des classes
et à l’éclatement du système scolaire en une multitude d’établissements et
de filières qui contribuent à désagréger le corps social. Faire reculer la
sélection au delà de la scolarité obligatoire, après que l’État ait assuré à
tous une formation à la parole socialisée et l’accès à une culture commune.
Militer pour des formes de pédagogie capables de faire progresser
ensemble des élèves d’origines, de niveaux et de sensibilités différentes.
Favoriser l’intégration des enfants handicapés, des exclus de toutes sortes,
et imaginer des activités où tous les jeunes, quels qu’ils soient, puissent
faire l’expérience de leur ressemblance fondatrice. Bref, fabriquer du lien
social sur autre chose que sur de la haine : sur la joie de comprendre et la
passion de connaître, l’accès à ce qui nous rend ensemble plus humains,
plus libres et unis à la fois, dans le respect de nos différences.
228
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
vie en société. L’ambition peut sembler modeste, mais c’est déjà beaucoup
et, sans aucun doute, infiniment mieux que l’illusion, dans laquelle nous
avons vécu, d’une société parfaite. La société parfaite, c’est Le meilleur des
mondes d’Huxley, dont chacun sait qu’il est le pire. Ceux qui voudraient
nous y conduire à marche forcée nous glacent d’effroi, qu’ils brandissent
l’idéal de la « justice populaire », de la « purification ethnique », de « la
France aux français » ou du « salut par la loi du marché ». Les dictateurs se
dissimulent toujours derrière les marchands d’illusions ou les partisans de
solutions-miracles. Et, pour masquer la monstruosité imbécile de leurs
programmes, ils désignent des boucs émissaires.
Tant que l’on pouvait imaginer changer la société à partir d’un modèle
préexistant, il suffisait de l’appliquer. Il y avait une représentation de la
perfection quelque part, dans les livres, le Parti, au ciel ou ailleurs. Les
militants croyaient connaître le moyen de faire définitivement le bonheur
des hommes, fût-ce contre leur volonté. Ces derniers n’avaient qu’à obéir
ou adhérer. Aujourd’hui, les modèles universels ont heureusement volé en
éclats. Il faut saluer cette chance et la saisir.
229
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Dans l’éducation.
Le notre ? »
230
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
CONCLUSION
Comment des adultes qui ont perdu l’essentiel de leurs repères, qui se
résignent à une société d’injustice et d’exclusion, qui doivent piétiner les
autres pour survivre et ne parviennent pas à faire fonctionner leur
démocratie, comment ces adultes peuvent-ils espérer transmettre aux
enfants et aux adolescents des valeurs qu’ils ne savent plus mettre en
pratique ? Quel crédit peuvent-ils avoir dans cette entreprise ? Comment
leur faire confiance ? Autant de questions que nous nous posons d’abord à
nous-mêmes.
Nous ne sommes pas, bien entendu, meilleurs que les autres. Nous
partageons ces inquiétudes. Mais nous sommes convaincus que, si nous ne
sommes pas innocents de toute compromission, voire de démission, nous
devons néanmoins accueillir nos enfants dans le monde en leur
transmettant la culture et les institutions qui leur permettront de ne pas
retomber dans la barbarie.
231
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
C’est parce que nous ne renonçons pas à éduquer que nous avons
quelque chance de devenir meilleurs, plus clairs avec nous-mêmes, plus
exigeants aussi. Pas plus qu’on ne naît adulte, on n’est pas vraiment
homme avant de s’être affronté à l’exigence éducative. C’est parce qu’on
éduque que l’on a quelque chance de devenir un véritable adulte. Et, quand
on vit seul, recroquevillé sur de vieilles certitudes, quand on a perdu le
goût d’éduquer, alors on reste un éternel adolescent.
232
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
233
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
ANNEXE :
- Scolarité obligatoire pour tous les enfants de trois à seize ans dans des
écoles publiques ou privées qui respectent les principes suivants : pas de
sélection à l’entrée sur des critères de race, de religion , d’origine sociale
ou de niveau scolaire. Engagement à fonctionner selon les principes,
objectifs et programmes de l’école obligatoire : apprendre aux enfants à
comprendre le monde et à se comporter en démocrates.
234
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Les programmes
235
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
Les enseignants
236
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
- Aucune copie n’est corrigée et rendue aux élèves sans faire l’objet
d’une reprise permettant d’améliorer ses performances.
237
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
238
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
239
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
241
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
242
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
243
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
244
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
245
Philippe Meirieu - Marc Guiraud L’école contre la guerre civile
REMERCIEMENTS
246