Inflexions N°38
Inflexions N°38
Inflexions N°38
Et le sexe ?
Sexualité et chansons de soldats Thierry Bouzard
Le viol de guerre, la guerre du viol Philippe Rousselot
La pin-up, érotisme et patriotisme américain
durant la Seconde Guerre mondiale Camille Favre
Les représentations féminines
dans la symbolique de la coloniale Antoine Champeaux et Éric Deroo
Wargasme Yann Andruétan
Aumônier en opex Nathalie Desplanque-Guillet
Le chant des sirènes Jean-Marie Dumon
Viols et stratégie Hervé Pierre
Le bataillon sacré de Thèbes : « À la vie, à la mort » Xavier Darcos
Quand le djihadiste est une femme Géraldine Casutt
« Docteur, vous vous occuperez des filles » Patrick Clervoy
Le dernier BMC Daniel Weimann
Le soldat et l’amour Christian Benoit
Et la vie de couple, bordel ! André Thiéblemont
Quand pénélope s’en va en guerre Yann Andruétan et Aurélie Éon
Et si le chevalier d’Éon avait été un militaire ?
Troubles dans les genres et aptitude à servir Aurélie Éon,
Laurent Martinez,
Coralie Mennessier
POUR NOURRIR LE DÉBAT
De la psychiatrisation du terrorisme Yann Andruétan
La judiciarisation, une solution et un problème Monique Castillo
Inflexions
| 2017 |
INFLEXIONS
civils et
civils et militaires militaires
: pouvoir dire : pouvoir dire
ches de
ilitaires,
sciences
Les enfants et la guerre
ellectuel
aire. S’y
afin que
Fait
Les enfants et religieux
la guerre et
clairage
libre et
Enfants-soldats,
Wassim Nasr
Dans un camp de réfugiés Mohammed Gartoum
L’étrange destin de Saïd Ferdi Patrick Clervoy
e journal Des enfants-soldats à Sparte ? Françoise Ruzé
Enfant de troupe et enfant-soldat Elrick Irastorza
current
Enfant de la guerre,
hes from enfant de troupe, homme de guerre ? Jean-René Bachelet
rench or «Ton père est toujours à côté de toi » Introduction, Line Jean-Luc Cotard
Sourbier-Pinter
1953 : prise d’armes aux Invalides Thierry Gineste
radictory Papa est mort en Afghanistan Dieu, le roi etNicolas
la guerre,
Mingasson Dominique Alibert
herefore Né de père allemand Soldat et homme Boulouart Céline Bryon-Portet
Francisd’église,
La continuité de l’idée de patriotisme
promote dans l’école en France de 1870 à 1939Comment parler
Entretien Loubes Monique Castillo
du sacré?,
avec Olivier
Qu’est-ce que la guerre ? Mots d’enfantsEntre convictions et indifférence, Elrick Irastorza
Au risque de la transmission Yann Andruétan
Tout chef a été un enfant Expérience militaire Émilienet Frey
expérience religieuse,
Images du royaume de la mort Danièle Hervieu-Léger
Avigdor Arikha, 1942-1943
L’aumônerie
Bara, du héros de papier à l’enfant exemplaire
militaire, Xavier de Woillemont
Jean-Clément Martin
Dessiner la guerre Credo du soldat américain, John Christopher Barry
L’image des enfants Vivre sa foi au sein des armées, Jean-René Bachele
n° 37
13,00 3
Retour sur une contribution du numéro 9 d’Inflexio
1772-3760 POUR NOURRIR LE DÉBAT
en France Philosopher en temps de guerre Monique Castillo
L’art abstrait de la guerre François-Xavier Josselin
La revue Inflexions
est éditée par l’armée de terre.
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Et le sexe ?
Sexualité et chansons de soldats Thierry Bouzard
Le viol de guerre, la guerre du viol Philippe Rousselot
La pin-up, érotisme et patriotisme américain
durant la seconde guerre mondiale Camille Favre
Les représentations féminines
dans la symbolique de la coloniale Éric Deroo et Antoine Champeaux
Wargasme Yann Andruétan
Aumônier en opex Nathalie Desplanque-Guillet
Le chant des sirènes Jean-Marie Dumon
Viols et stratégie Hervé Pierre
Le discours d’un chef Didier Sicard
Le bataillon sacré de Thèbes : « à la vie, à la mort » Xavier Darcos
Quand le djihadiste est une femme Géraldine Casutt
« Docteur, vous vous occuperez des filles » Patrick Clervoy
Le dernier BMC Daniel Weimann
Le soldat et l’amour Christian Benoit
Et la vie de couple, bordel ! André Thiéblemont
Quand pénélope s’en va en guerre Yann Andruétan et Aurélie Éon
Et si le chevalier d’Éon avait été un militaire ?
Troubles dans les genres et aptitude à servir Aurélie Éon,
Laurent Martinez,
Coralie Mennessier
POUR NOURRIR LE DÉBAT
De la psychiatrisation du terrorisme Yann Andruétan
La judiciarisation, une solution et un problème Monique Castillo
NUMÉRO 38
ET LE SEXE ?
ÉDITORIAL
CC YANN ANDRUÉTAN D 7
DOSSIER
SEXUALITÉ ET CHANSONS DE SOLDATS
CC THIERRY BOUZARD D 13
Si les armées sont un monde essentiellement masculin, du moins dans leur
organisation historique, elles ont toujours intégré des femmes, mais seulement
récemment des combattantes. Moyen d’expression de la troupe, les chansons des
soldats témoignent de l’importance de cette présence féminine hier, comme de la
féminisation aujourd’hui.
LE VIOL DE GUERRE, LA GUERRE DU VIOL
CC PHILIPPE ROUSSELOT D 23
Le viol de guerre est plus que le viol tel que le définit le Code pénal. Il est une violence
sexuelle où se mêlent de manière systématique un surcroît de cruauté et une intention
directrice imputable à d’autres que les violeurs eux-mêmes. Comment combattre ce
fléau de manière efficace ?
LA PIN-UP, ÉROTISME ET PATRIOTISME AMÉRICAIN
DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
CC CAMILLE FAVRE D 37
Représentation féminine érotique populaire employée de manière massive durant
la Seconde Guerre mondiale pour « remonter le moral des troupes » sur le front et
soutenir l’effort de guerre du pays, symbole de légèreté et d’insouciance, la pin-up
est en fait un instrument réfléchi de stratégie militaire.
LES REPRÉSENTATIONS FÉMININES
DANS LA SYMBOLIQUE DE LA COLONIALE
CC ANTOINE CHAMPEAUX ET ÉRIC DEROO D 43
Lorsque l’on cherche à étudier la représentation de la femme dans les affiches,
insignes et emblèmes de la coloniale, il apparaît que celle-ci est fort peu présente.
Comment expliquer cette absence, alors même que les personnages féminins
sont très présents au cinéma, dans la chanson et dans la littérature, qui portent
l’imaginaire colonial et exotique du temps ?
WARGASME
CC YANN ANDRUÉTAN D 53
Sexe et violence forment un couple pervers. Il existe un érotisme de la violence
comme une violence érotique, et les deux fascinent. L’érotisme de la violence
s’exprime à travers l’excitation provoquée par les jeux, notamment vidéo, mais aussi
dans l’usage de l’arme. La violence, elle, devient érotique quand elle est destinée à
altérer sa dimension perverse.
AUMÔNIER EN OPEX
CC NATHALIE DESPLANQUE-GUILLET D 59
Aumônier aux armées, pasteure, Nathalie Desplanque-Guillet est partie à plusieurs reprises
en opération extérieure. Sans responsabilité de commandement, présente auprès de tous,
sa spécificité l’a placée en position d’accompagnatrice et d’observatrice, un véritable
capteur d’ambiance. Elle livre ici ses observations du terrain et les réflexions qu’elle en tire.
LE CHANT DES SIRÈNES
CC JEAN-MARIE DUMON D 67
Le marin évolue dans un univers particulier, clos, communautaire, hostile à l’intimité.
Le sexe en mer se veut banni, inconciliable avec le nécessaire besoin de solidarité et
de discipline. La gestion de la sexualité de son équipage est donc une préoccupation
du commandement, que ce soit à bord ou en escale, hier comme aujourd’hui.
VIOLS ET STRATÉGIE
CC HERVÉ PIERRE D 73
Arme de terreur du fort pour imposer sa domination, le viol est à ranger dans la
catégorie des « crimes de guerre ». A contrario, ruse du plus faible pour frapper la
source de puissance du plus fort, son instrumentalisation se développe de façon
exponentielle pour autant que, via les médias, elle offre une arme de destruction
massive bon marché.
LE BATAILLON SACRÉ DE THÈBES : « À LA VIE, À LA MORT »
CC XAVIER DARCOS D 81
« Si une armée pouvait n’être composée que d’amants et d’aimés, […] elle pourrait
presque vaincre le monde entier. Car s’il est quelqu’un de qui l’amant ne voudrait pas être
vu quittant son rang ou jetant ses armes, c’est celui qu’il aime », écrit Platon. Un mythe ?
QUAND LE DJIHADISTE EST UNE FEMME
CC GÉRALDINE CASUTT D 87
Passives ? Dupées ? Victimes ? Si la problématique du djihadisme au féminin reste
aujourd’hui difficile à appréhender, il faut cependant prendre garde à ne pas la réduire
à une dimension émotionnelle qui serait déconnectée d’un ensemble de convictions
indispensables à un tel engagement. État des lieux.
« DOCTEUR, VOUS VOUS OCCUPEREZ DES FILLES »
CC PATRICK CLERVOY D 97
Au milieu des années 1980, Patrick Clervoy, jeune médecin fraîchement diplômé,
prend son poste au camp Leclerc, à Bouar, en Centrafrique. Dès son arrivée, il apprend
que l’une de ses missions est de s’occuper des « hôtesses ».
LE DERNIER BMC
CC DANIEL WEIMANN D 103
Lorsqu’en 1967 le 2e REP quitte l’Algérie et s’installe à Calvi, il emporte dans ses
bagages son bordel de campagne. Daniel Weimann, médecin au régiment de
1970 à 1974, raconte ici l’organisation du « pouf » et les mesures prophylactiques
draconiennes mises en place pour les pensionnaires comme pour les légionnaires.
LE SOLDAT ET L’AMOUR
CC CHRISTIAN BENOIT D 113
En temps de guerre, pressés de se prouver qu’ils sont toujours vivants en dépit des
combats, les soldats s’unissent à des femmes seules, aux vies bouleversées, qu’ils
rencontrent, mais aussi à des prostituées occasionnelles ou déclarées, pour des
accouplements rapides et sans lendemain.
ET LA VIE DE COUPLE, BORDEL !
CC ANDRÉ THIÉBLEMONT D 125
Dans nos sociétés occidentales, en trois ou quatre décennies, les pratiques
sexuelles, les rapports entre les sexes et les comportements qui en découlent se
sont radicalement modifiés. Le milieu militaire constitue un excellent observatoire :
un regard comparatif entre hier et aujourd’hui sur les conditions de la sexualité du
soldat en campagne, sur la situation du conjoint et sur les rapports au sein du couple
peut donner la mesure de cette mutation.
ET LE SEXE ?
Erratum
L’entretien avec Olivier Loubes, « Le patriotisme dans l’école en France de 1870 à 1939 »
(Inflexions nº 37) a été réalisé par M. Jean-Luc Cotard.
YANN ANDRUÉTAN
ÉDITORIAL
AA Sourire et gravité
La gêne ressentie à l’évocation de la sexualité provoque souvent un rire
nerveux. Le sexe fait rire. Il est source de plaisanteries a minima légères,
au pire graveleuses. Qui n’a pas ri à l’une de ces blagues ou n’en a pas
raconté ? Ce n’est pas une habitude des seuls militaires ; il y a toujours
dans un groupe un individu qui semble inépuisable dans le registre de la
blague symbolisé par la seule dix-septième lettre de l’alphabet. L’article
de Thierry Bouzard dévoile un registre de chansons paillardes que l’on
croit souvent réservé aux carabins, mais dont l’institution militaire est
elle aussi friande. Il montre l’ancienneté du répertoire, sa diffusion et sa
survivance. Il est d’ailleurs toujours étonnant de voir de sérieux officiers
supérieurs, voire des généraux, reprendre en chœur un couplet leste ou
franchement pornographique. Faut-il s’en offusquer à une époque où
règne la peur de choquer ? L’auteur s’interroge d’ailleurs sur l’avenir de
ces chansons avec la féminisation. Comme dans les amphithéâtres de
médecine, le répertoire évoluera sans doute, si on le laisse faire, pour
intégrer des versions nouvelles.
8 ET LE SEXE ?
AA Nature et culture
Le sexe est à la fois du domaine de la nature et de la culture. Tout est
lié de façon indiscernable. Outre les représentations dans l’art pariétal,
les premières œuvres d’art furent des statuettes de femmes, les « vierges »
paléolithiques, dont le sexe est évident. Elles laissent supposer que les
premières représentations religieuses furent centrées sur la femme et la
fécondité – ce qui laisse songeur sur l’appellation de vierge…
La pin-up appartient à la culture. C’est quelque peu provocateur, mais
cette représentation très fantasmée de la femme accompagne les militaires
depuis bien avant la Seconde Guerre mondiale. Popularisée durant ce
conflit par les Américains, notamment sur leurs avions, elle constitue
un héritage encore bien vivant dans l’imaginaire. Camille Favre montre
qu’au-delà de ces représentations, parfois artistiques, il ne s’agissait pas
d’une simple licence mais bien d’un usage réfléchi pour soutenir le moral
des troupes. Or ces images ne sont pas tant que ça éloignées de la nature
puisqu’elles répondent à des canons, poitrines généreuses et hanches
larges, qui semblent être des critères de beauté largement appréciés par
la gent masculine, et cela depuis au moins le paléolithique.
L’article d’Éric Deroo et Antoine Champeaux complète le sujet en y
introduisant la dimension exotique dans la symbolique coloniale. La
femme n’est pas seulement la fiancée qui attend le retour du GI, mais
la promesse d’une rencontre libérée des tabous dans des pays lointains.
Là où tout n’est qu’ordre, luxe, calme et… volupté !
Quant à la nature, l’article sur le Wargasme dévoile les liens
qu’entretiennent le sexe et la violence. Il montre qu’il existe une
érotique de la violence, et que Sade et Clausewitz, des contemporains,
partagent quelques points communs.
AA Guerre et amour
Le slogan est connu jusqu’à en devenir caricatural : faire l’amour
et pas la guerre. Les deux seraient irréconciliables et s’excluraient
mutuellement. C’est oublier que la guerre de Troie commença par une
ÉDITORIAL 9
AA Époux et concubine
Le bordel tient une place relativement importante dans ce numéro.
Il ne faut pas y voir de la nostalgie. Patrick Clervoy et Daniel Weimann,
deux médecins militaires, rappellent une réalité passée mais encore
proche de nous. Sans jugement moral, ils se font observateurs pour
l’histoire, montrant une réalité qui n’était pas aussi inhumaine que
cela, en tout cas qui dévoile des relations complexes où se mêlent le
sordide et les sentiments. L’ordre signé de Monclar sous le timbre du
général de Gaulle lui-même, publié en encadré, montre comment
cette nécessité de pallier une certaine misère sexuelle était prise au
sérieux à des échelons relativement élevés de la hiérarchie et que si
l’institution était discrète sur ce sujet elle ne s’en cachait pas non plus.
C’est d’ailleurs l’occasion de se rappeler que des femmes, qu’elles
soient prostituées, cantinières, infirmières ou concubines, ont
toujours suivi les soldats. Christian Benoit conclut ces liens étroits
dans une perspective historique.
André Thièblemont d’abord, puis Yann Andruétan et Aurélie Éon
viennent rappeler qu’il y a aussi des femmes de militaires et que le
couple, régulier cette fois-ci, a connu les révolutions qui se sont
succédé depuis les années 1960. Le premier article fait le lien entre
la fermeture progressive des BMC et l’évolution des relations dans le
couple. Le second, écrit en couple, montre comment l’image d’Épinal
de la femme de militaire attendant son mari en campagne s’inverse et
que certains hommes attendent maintenant leur conjointe partie en
opération.
AA Sexe et genre
Question sensible et souvent mal comprise, la modernité nous
invite à distinguer le sexe, associé à la biologie, et le genre, construit
socialement. On ne peut nier que l’expression de celui-ci a évolué au
cours du temps et des cultures – le port des bijoux, par exemple, était
l’apanage des hommes au XVIe siècle. Néanmoins on ne peut nier les
fondamentaux biologiques de la sexualité. L’être humain n’échappe
pas à sa nature d’animal social. Même si l’air du temps serait de vouloir
minimiser le roc du biologique…
L’article de Laurent Martinez, Coralie Mennessier et Aurélie
Éon l’aborde à travers la problématique des transgenres et de leur
aptitude. Il illustre bien qu’il n’y a pas de réponses simples et qu’il
s’agit d’étudier chaque cas pour ce qu’il est, un être humain, en se
dégageant des aspects moraux. Ces personnes incarnent l’oxymore
ultime : être homme ou femme dans un corps qui est l’un ou l’autre.
Nous avons évoqué des choses légères gravement et légèrement des
sujets graves. La question du sexe nous y invite plus que n’importe
quelle autre. Quoi qu’il arrive et quoi que l’on fasse, même en
imposant le contrôle le plus strict (songeons à la dystopie de Georges
Orwell dans 1984), le sexe surgit là où on l’attend le moins et dans
les situations les plus inattendues. Il y a plus de vingt ans, certains
s’inquiétaient de l’arrivée des femmes dans les régiments de l’armée
de terre ou encore à bord de bâtiments de la Marine. Les militaires
craignaient pour la cohésion tandis que leurs épouses avaient peur
des possibles rapprochements sentimentaux et physiques. Comment
un navire ou un char avec un équipage mixte pourrait-il fonctionner
sans que quelque chose de sexuel ne surgisse ? En 2018, il y a des
hommes, des femmes, des homosexuels, des transgenres qui travaillent
ensemble à servir leur pays. Il ne faut pas se leurrer : il y a encore
des problèmes et des choses à améliorer. La sexualité n’est pas un
problème à la condition de savoir créer de graves solutions légères. Je
laisserai le dernier mot à Aragon : « Les mots ne lui font pas plus peur
que les hommes, et comme eux ils lui font parfois plaisir. » C
DOSSIER
THIERRY BOUZARD
SEXUALITÉ
ET CHANSONS DE SOLDATS
soi du soldat, comme l’assurance qu’elle est partagée par les autres
membres de l’unité, et plus largement par la population à protéger.
Outils de communication, le chant et la musique participent donc à
cette expression.
La femme est un sujet qui préoccupe manifestement le soldat à toutes
les époques et de différentes façons. Une recherche par mots-clés
(femme, fille, amante, maîtresse, belle, dame, mère, maman) dans
le répertoire des chansons de soldat donne quatre cent vingt-deux
occurrences, soit 19 %, d’un corpus de deux mille deux cent dix-neuf
titres recensés 4. Un inventaire des prénoms et surnoms féminins
rencontrés fournit une première approche : Aïcha, Anne-Marie, la
belle, la blonde, la brune, congaï, Eugénie, Fanchon, Fatima, Frédéri,
Jeannette, Jhaneton, Madelon, Manon, Marie, Marie-Dominique,
Marjolaine, Monica, Nanette, Nanon, la Noire, Péronnelle,
Piémontaise, Rosalie, Sarie Mares, Susanna, Suzon, Véronica,
Virginie. Un échantillon de prénoms assez réduit puisqu’il se limite
à une petite trentaine, dont certains n’apparaissent qu’une seule fois.
Une partie d’entre eux a disparu : Jhaneton n’est plus porté ni chanté,
Nanon est réapparu, Piémontaise, qui est un surnom, se chante
toujours mais plus Marjolaine ni Péronnelle, Manon comme Madelon
ont disparu du répertoire actuel. Si Marie et Marie-Dominique sont
toujours chantées, les légionnaires préfèrent Eugénie, Anne-Marie et
Monica. Souvenirs des engagements outre-mer, Aïcha, Fatima, congaï
se rencontrent encore parfois. Les prénoms ne suivent ni les modes
ni l’actualité, ils sont destinés à faire rêver. Sans incarner un idéal,
ils servent de support à l’idée que les soldats se font de la femme. On
peut distinguer plusieurs thèmes.
AA Allégorie de la patrie
Avec la Révolution, la femme va incarner la patrie et le foyer à
défendre. C’est le thème introduit par La Marseillaise : « Ils viennent
jusque dans vos bras/Égorger vos fils et vos compagnes. […] Tous
ces tigres qui, sans pitié,/Déchirent le sein de leur mère ! » On va le
retrouver exploité après la guerre de 1870 avec Ma Cocarde (1871) et Sarie
Mares (vers 1945).
AA Métaphore de la guerre
Le soldat sait aussi utiliser l’image de la femme comme une
métaphore de la guerre : vaincre au combat est l’assurance d’être
vainqueur en amour. Je suis un bon soldat (vers 1720) 10, Dans les gardes françaises
(vers 1750), Dans les hussards (vers 1850), Le Chasseur de Vincennes (1865), Aux
Légionnaires (1890), Les Casos (1913).
6. « La Marie qui était si jolie, / N’a pas pu oublier son amant, / C’est pour ça qu’elle a perdu la vie, / Elle s’est noyée dans
le vieil étang. »
7. A. Sannier, « La thématique de l’armée dans le répertoire de Patrice Coirault », mémoire de maîtrise, université de
Poitiers, 2005.
8. « Habille-toi la Belle, habille-toi en guerrier ; / Tu marcheras sans doute trente-six jours entiers. »
9. J. Vingtrinier, op. cit., p. 55.
10. « Pour devenir vainqueur, tendres cœurs, / Prenez-moi pour modèle. / À grands coups de canon, patapon, / Battez la
citadelle. »
16 ET LE SEXE ?
AA Proximité de la copine
La femme que le soldat préfère, c’est la copine, la fille rencontrée
entre deux combats qui va lui apporter un peu de chaleur et lui
faire oublier l’autre compagne qui ne l’abandonne jamais, la mort.
Ce thème classique se retrouve dans Oh ! la fille (vers 1956). Il était
déjà dans Fanchon, la chanson probablement la plus populaire du
répertoire militaire, puisqu’elle est chantée sans interruption depuis
sa création (1757) avec toujours autant d’entrain : « Ami, il faut faire
une pause / J’aperçois l’ombre d’un bouchon/Buvons à l’aimable
Fanchon / Chantons pour elle quelque chose. / Elle aime à rire / Elle
aime à boire / Elle aime à chanter comme nous. » On peut même
avancer que cette chanson caractérise le soldat français. Elle a traversé
les changements de régimes avec seulement quelques altérations
minimes de sa mélodie. Elle présente une femme partageant les
moments de détente du soldat, proche de lui sans être exposée aux
risques du métier. Une femme pour les bons moments qui sait aussi
imposer ses limites et éviter les familiarités.
AA Exclusion
Si la femme est très présente dans les chants, elle peut aussi être
exceptionnellement exclue du milieu militaire. La Marche du 1 commando er
11. « Elle nous remit à tous son adresse / Ah ! ça c’était bien commode car pour aller la voir / On avait chacun son jour
puisque […] Nous étions sept. »
12. Cardinal Touchet, La Sainte de la patrie, tome 1, DMM, 1992, p. 220.
SEXUALITÉ ET CHANSONS DE SOLDATS 17
AA Le répertoire grivois
Il est impossible d’étudier le thème de la femme dans le chant
militaire sans évoquer les chansons grivoises 13. Il ne faut pas se
méprendre : ces chants constituent un répertoire particulier,
certainement nourri des sociétés chantantes des XVIIIe et XIXe siècles 14,
mais dont la fonction est radicalement différente. Leur vulgarité cache
en réalité un moyen d’exorciser les angoisses du soldat. Leur pratique
relève plus du rituel que d’une réelle mise en application qui disquali-
fierait les qualités militaires et morales de la troupe concernée.
Bien qu’appartenant au répertoire militaire, les chants grivois ne
figurent pas dans tous les carnets de chants. Ils ont toujours fait partie
d’une tradition orale. Actuellement, ils ne sont entonnés que dans
des circonstances bien particulières, le plus souvent dans le cadre de
la popote. Ils ne sont jamais adoptés comme chants de tradition ni
chantés en public, même si au sein des troupes de marine on peut les
entendre dans les repas de corps.
Le fait de vivre dans une société exclusivement masculine favorise
l’éclosion de ces chants que l’on retrouve aussi dans le répertoire des
médecins. En effet, ceux-ci, et plus particulièrement les chirurgiens,
ont une fonction qui les oblige à intervenir sur le corps humain
et ses mécanismes complexes dont l’étude a été longtemps frappée
des interdits que l’on retrouve autour de l’« homme médecine » des
sociétés primitives. Cette dimension superstitieuse appartient aussi
aux militaires et aux marins, les premiers étant chargés de donner
ou de recevoir la mort dans le combat, les seconds affrontant le
monde marin avec ses mystères et ses dangers. C’est probablement
la raison pour laquelle les troupes de marine, à la fois soldats et
marins, disposent d’une collection particulièrement riche de chants
de ce type, comme En revenant d’Indochine, Les Marsouins à l’hospice ou Voilà mes
amours. Y sont complaisamment exposées la sodomie (Voilà mes amours),
13. T. Staub, L’Enfer érotique de la chanson folklorique française, Éditions d’Aujourd’hui, 1981, pp. 47 et suivantes.
14. M.-V. Gauthier, « Sociétés chantantes et grivoiserie au xixe siècle », Romantisme nº 68, « Amours et société », 1990,
pp. 75-86.
18 ET LE SEXE ?
AA Chant et féminisation
La féminisation de l’armée est surtout la question de la féminisation
des unités de combat puisque les armées ont toujours compté des
femmes dans leurs rangs. Actuellement, celles-ci représentent
environ 10 % de l’effectif, essentiellement dans le service de santé (plus
de 50 %). Pour tenter d’appréhender la portée de cette féminisation
sur le répertoire, et sans prétendre épuiser le sujet, une enquête a été
AA Le registre
Le premier problème est la question du registre 17. Le soldat utilise
en effet le chant à l’imitation et n’a généralement aucune formation
musicale particulière. Le chant à plusieurs voix n’est donc qu’excep-
tionnellement utilisé. En pratique, le chant est commandé par le chef,
qui désigne celui qui donne le ton. Celui-ci doit mémoriser l’ambitus 18
afin d’éviter de lancer trop haut une mélodie qui doit encore monter
et que les voix ne pourront suivre qu’en forçant. Or la tessiture des
voix féminines est plus haute que celle des voix masculines. Les deux
registres ne se recouvrent donc qu’imparfaitement et expliquent la
difficulté pratique à faire chanter ensemble des hommes et des femmes,
spécialement quand il n’existe pas de formation au chant. « En école
de formation initiale, les jeunes femmes militaires avaient beaucoup
de mal à chanter aussi grave que les hommes et des fausses notes en
résultaient souvent. Quelques sections plus féminisées faisaient
apparaître des sourires au motif qu’elles avaient “moins de gueule”
qu’un chant chanté plus grave. Effectivement, cela est moins viril, mais
le répertoire n’est pas adapté » (EMIA, Nungesser, 2016). Et encore :
« En école d’officiers, pour les chants de marche, les élèves-officiers
féminins étaient obligées de simuler le chant, dans la mesure où les
notes prises étaient beaucoup trop graves » (EMIA, Nungesser, 2016).
Ce n’est pas l’avis d’un officier plus ancien : « Rien n’a changé depuis
l’arrivée des femmes dans l’armée, l’ordre serré et le chant ont la même
importance et les femmes s’adaptent pour chanter dans le bon ton »
(EMIA, Bigeard, 2012). « Les voix graves sont assimilées à la virilité et
les oreilles sont habituées aux chants militaires interprétés par des
hommes. Dans ce répertoire, les voix féminines ne sont pas vraiment
entrées dans les mœurs et font sourire » (EMIA, Nungesser, 2016).
AA La décence
L’autre problème concerne la pratique des chants grivois en présence
des femmes. Ils sont généralement entonnés à la popote, lieu fermé
utilisé pour les activités de détente et de cohésion. Affirmation de
17. De nombreuses vidéos illustrant la pratique actuelle du chant dans l’armée sont disponibles sur les sites YouTube ou
autres.
18. Intervalle entre la note la plus haute et la note la plus basse.
20 ET LE SEXE ?
la virilité, ils ne sont pas destinés à être chantés devant des femmes
et encore moins par elles. « On ne chante pas de la même façon
lorsque le groupe est entièrement masculin » (EMIA, Delayen, 2015).
« En régiment, dans mon souvenir, il n’y a jamais eu de précautions
particulières prises lorsqu’un militaire féminin était présent. Il
est certain toutefois que les gens font naturellement attention à
ce qu’ils chantent, pour ne pas choquer » (EMIA, Nungesser, 2016).
« Mettez les anciens combattants du 11e Choc dans un repas avec leurs
épouses : ça braille, mais ça reste bon enfant. Par contre, une fois
les épouses parties, il ne leur faut pas dix minutes pour entonner
les chants popote au ton très… léger ! » (EMIA, Delayen, 2015). « La
grande majorité [des femmes] ne chante pas et arbore un sourire
compréhensif et légèrement blasé » (EMIA, Bigeard, 2012). « Sortant
de mon unité précédente, j’ai effectué un transit de quelques semaines
dans une compagnie de combat de “para colos”, 100 % d’hommes. Le
répertoire n’est pas limité. Après les traditionnels chants de popote
régimentaires, le répertoire est varié et tout y passe » (EMIA, Delayen,
2015).
L’usage traditionnel des chants grivois pour entretenir la cohésion et
permettre aux soldats de s’affirmer est affecté par la présence féminine,
même si « une femme soldat est soldat avant d’être femme » (EMIA,
Bigeard, 2012). En cas de difficulté, la règle semble être : « Mieux vaut
sacrifier le chant plutôt que la cohésion de l’unité » (EMIA, Delayen,
2015). Ces restrictions ne sont pas sans conséquences car « ça m’est
arrivé quelques fois de passer de très bons moments à chanter, mais
c’était toujours avec de vieux soldats. Ça n’intéresse qu’assez peu les
jeunes qui voient souvent ça sous l’œil de la contrainte et considèrent
qu’il s’agit là d’une sorte d’obligation rébarbative. Le seul répertoire
chanté de bon cœur est le répertoire grivois des popotes » (ESM, de
Cacqueray, 2012).
AA La justice
« Les problèmes liés à la féminisation et aux mœurs (viols,
harcèlement) rendent ces sujets parfois très sensibles. Une chanson de
popote mal interprétée peut avoir des conséquences parfois graves sur
la vie et la carrière des personnes impliquées » (EMIA, Delayen, 2015).
Ces chansons transgressives relèvent plus du folklore militaire que de
la provocation. Si l’évolution des mœurs a banalisé leur description
des pratiques sexuelles, en revanche l’évolution de la législation et des
rapports entre les sexes leur ouvre de nouveaux champs transgressifs,
plus délicats à explorer. En la matière, les jeunes officiers sont
parfaitement conscients des risques encourus. En 2014, l’armée
française a mis en place la cellule Thémis contre le harcèlement. Dans
SEXUALITÉ ET CHANSONS DE SOLDATS 21
1. Article
222-23 du Code pénal : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne
d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
24 ET LE SEXE ?
5. Comme le remarque justement Fabrice Virgili (Audition devant le Sénat, 5 décembre 2015, p. 82).
28 ET LE SEXE ?
6. En 2008, le tpir (affaire Bagosora) adopte la définition du tpiy fondée sur l’absence de consentement plutôt que celle
qui repose sur la coercition. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a fait de même en 2007 (affaire Brima, Kamara et
Kanu).
LE VIOL DE GUERRE, LA GUERRE DU VIOL 29
8. Résolutions 1 325 du 31 octobre 2000, 1 820 du 19 juin 2008, 1 888 du 30 septembre 2009, 1 889 du 5 octobre 2009, 1 960
du 16 décembre 2010, 2 016 du 14 juin 2013, 2 122 du 18 octobre 2013...
LE VIOL DE GUERRE, LA GUERRE DU VIOL 31
AA La loi du silence
En dépit des progrès accomplis, les criminels – les violeurs et leurs
inspirateurs – se savent quasi impunis. Au (très) peu de pouvoir des
tribunaux s’ajoute un autre facteur d’efficacité : la loi du silence. Le
fait est connu : dans Candide, la pauvre Cunégonde relate son viol en
parlant de « l’insolence » qui lui a été faite. Tous les professeurs de
français ont eu à expliquer cet euphémisme voltairien, qui traduit
avec justesse l’immense difficulté, pour les victimes, de dire leur
martyre et de désigner leur(s) violeur(s). Il est révélateur qu’Amnesty
International, dans ses rapports pourtant courageux sur les viols de
guerre, utilise le mot « incident » pour les qualifier.
Les tribunaux ne sont pas les seuls à devoir affronter l’omerta. Les
ONG spécialisées dans la mise à jour des atteintes aux droits de
l’homme ont toutes les peines à instruire des dossiers en nombre
suffisant pour établir, par un système de preuves indéniables, la
9. Par exemple, la Chine et la Russie ont opposé leur veto à la saisine de l’onu pour enquêter sur les crimes, dont des
viols, commis en Syrie. De même, la cpi a émis deux mandats d’arrêt, l’un en 2009 et l’autre en 2010, contre Omar
el-Béchir, président du Soudan, responsable des milliers de viols commis par les milices janjawid. Comme chacun sait,
il se déplace sans contrainte sur tout le continent.
32 ET LE SEXE ?
10. J. G. Gardam, « Femmes, droits de l’homme et droit international humanitaire », Revue internationale de la Croix-
Rouge nº 831, 30 septembre 1998.
LE VIOL DE GUERRE, LA GUERRE DU VIOL 35
11. Sur le corps comme chose, voir L. Robert, « Réification et marchandisation du corps humain dans la jurisprudence de la
Cour edh. Retour critique sur quelques idées reçues », La Revue des droits de l’homme nº 8, 2015.
CAMILLE FAVRE
LA PIN-UP, ÉROTISME
ET PATRIOTISME AMÉRICAIN DURANT
LA SECONDE GUERRE MONDIALE
L’histoire de la pin-up est intimement liée aux événements du
XXe siècle. Cette image, en raison de son omniprésence, de son succès
et de sa capacité d’adaptation, constitue un chapitre riche et significatif
de la culture populaire occidentale. Littéralement « image punaisée »,
la pin-up naît aux États-Unis dans les années 1920-1930 durant l’âge
d’or de la presse. Dans la continuité d’une tradition française de
dessins érotiques légers, elle suit les traces de la Gibson Girl, première
représentation féminine à paraître sous forme de poster. C’est la
Seconde Guerre mondiale qui transforme la production d’images de
pin-up en une industrie florissante. Les confidences de Hugh Hefner,
créateur de Playboy, sont révélatrices de leur omniprésence : « Après
l’école, mon diplôme en poche, je me suis engagé dans l’armée.
Comme n’importe quel garçon faisant son service, j’avais tout le
minimum vital dans ma cantine : un uniforme, un casque et une
pin-up. »
La guerre met particulièrement en évidence l’emploi stratégique
de cet archétype érotique. Le pouvoir de cette image réside dans sa
capacité à paraître innocente tout en se rattachant aux codes classiques
de la séduction : c’est l’érotisme de la « fille d’à côté ». À l’inverse
des vamps des années 1930, la pin-up est une fille simple, saine, au
visage presque enfantin, mais aux attributs sexuels très marqués :
seins en obus, jambes interminables, taille de guêpe, fesses hautes.
Beauté occidentale aux poses suggestives, elle est sexy mais reste chaste,
surprise à son insu dans des situations qui découvrent ses dessous et
son anatomie. Elle ne dévoile pas son corps volontairement. Et le
voyeur l’est par hasard, sans intention de sa part. Ces mises en scène,
qui se caractérisent par l’humour et l’improbabilité des situations,
permettent d’érotiser la femme sans en faire un sujet sexuel actif,
en lui conservant fraîcheur et naïveté. La fonction de pin-up comme
lien, soupape et garantie d’un ordre social durant cette période de
crise apparaît donc très clairement. Par son utilisation massive sur
les différents fronts mais aussi à l’arrière, la pin-up joue un rôle non
négligeable dans la propagande militaire.
Ainsi, au cours de la Seconde Guerre mondiale, différentes missions
lui sont confiées. Très rapidement en effet, les autorités vont user et
abuser de cette iconographie pour canaliser la sexualité des hommes.
38 ET LE SEXE ?
1. Nous renvoyons aux importants travaux du général (2S) Pierre Lang mis en ligne sur le site de la Fédération nationale
des anciens d’outre-mer et anciens combattants des troupes de marine (fnaom-actdm).
44 ET LE SEXE ?
AAFacies Victoria
L’extase de la bataille existe sans doute depuis aussi longtemps que
la guerre. Ainsi Jules César décrit le cas d’un légionnaire, le seul qu’il
cite nommément dans ses Commentaires, qui, avec son chef, quitta la
ligne pour aller combattre seul. Pour John E. Lendon dans Soldats et
Fantômes 3, ce cas n’était pas exceptionnel car le légionnaire était pris
entre l’exigence de la Disciplina, qui l’obligeait à garder sa place, et celle
du Vir, le courage, qui le poussait à chercher la gloire individuelle. On
connaît aussi les descriptions faites par César, mais aussi par d’autres
historiens antiques, de guerriers celtes combattant nus ou des bersekers
(« guerriers fauves ») vikings. Le corps soumis à une tension intense
dans la bataille s’affranchit alors du contrôle de l’esprit. Il s’échappe à
lui-même, ce qui rejoint le sens du terme ex-stase, qu’il partage avec
le champ lexical propre au sexe.
« La guerre, c’est comme le sexe : beaucoup d’attente pour un bref
épisode d’excitation. » Au-delà du trait d’esprit, il y a là une vérité. Le
combat et le sexe font appel à l’esprit et au corps, à la même attention
à autrui puis à sa disparition dans l’acte, l’abandon du corps.
AA Sade ou Clausewitz
Sade et Clausewitz sont contemporains et auraient pu se croiser,
même si on imagine mal le distingué Prussien à Charenton. Ils
incarnent tous les deux, pour le meilleur et pour le pire, une
certaine approche de la violence. Pour le divin marquis, elle est
une jouissance. En imposant sa volonté à autrui et en contemplant
le spectacle produit, l’auteur et le spectateur éprouvent du plaisir.
Pour le théoricien de la guerre, vaincre, c’est imposer sa volonté
à l’adversaire pour l’amener à traiter et à se soumettre. Étrange
parallèle dans le vocabulaire et plus étrange encore convergence.
Mais Sade va plus loin que Clausewitz en dévoilant ce que le second
n’évoque pas : il y a dans la violence une tentation perverse qui ne
demande qu’à se réaliser.
Le sexe comme la violence est un déchaînement qui embrase le corps
et l’esprit, et qui va même plus loin en nous rappelant que nous avons
un corps pesant et dolent. Il n’y a pas besoin des acrobaties théoriques
de la psychanalyse pour y voir un lien. Tous deux nous renvoient à
AA Mesures préventives
Pour faire respecter cette règle, le commandement multiplie les
mesures préventives : obligation de sortir et de rentrer en groupe
(à deux ou trois minimum) ; heure limite de retour obligatoire au
camp ; quartiers de la ville et établissements autorisés soigneusement
circonscrits ; informations sur les maladies sexuellement transmissibles
largement délivrées, souvent par le médecin-chef lui-même, dès
l’arrivée sur le théâtre ; consommation d’alcool, grand facilitateur de
rapports sexuels non protégés, fortement réglementée. Malgré toutes
ces mesures, des débordements peuvent se produire. On voit alors
accourir au service médical des militaires inquiets, à qui on prescrira
un traitement préventif d’urgence, au lendemain d’une soirée trop
arrosée dans un bar où se trouvaient des filles. Parfois de jeunes
femmes se présentent auprès des autorités du camp en expliquant que
le père de l’enfant qu’elles portent est un militaire français. Vrai ou
AUMÔNIER EN OPEX 61
AA Questionnements
AA La protection des plus faibles
Lorsque la France déploie ses forces dans une zone d’opérations,
que le pays d’accueil soit allié ou non, les répercussions économiques
y sont souvent positives. En effet, le tissu économique local profite
64 ET LE SEXE ?
AA La responsabilité du commandement
Je m’interroge aussi sur le bien-fondé de la diffusion de certains
clips musicaux dans les salles de sport mises à disposition des militaires
sur les théâtres d’opérations ; disons que ces courtes vidéos mettent
en scène des femmes aux allures et aux tenues plutôt suggestives. On
peut mentionner également les possibilités d’accès aux sites pornogra-
phiques sur Internet dans certains camps. Quel effet cela fait-il à ces
hommes privés de leur amie/fiancée/épouse pendant quatre mois
au minimum ? Est-ce une aide pour vivre l’abstinence ? Ou cela les
incitera-t-il à fréquenter les établissements à l’extérieur où leur seront
éventuellement proposées des relations sexuelles tarifées ? Il me
semble que la responsabilité du commandement local est ici engagée.
AA En conclusion
Vie militaire et sexualité, on le voit, sont deux réalités parfois
difficiles à concilier. J’ai décrit des situations extrêmes et sensibles. Il
est évident que nombre d’hommes et de femmes militaires chérissent
leur partenaire et ne font rien qui mettrait leur couple en danger. Il
est des couples qui s’aiment, heureusement, et lorsque les absences
du conjoint se répètent, certaines épouses forcent mon admiration :
des jeunes mères élèvent seules les enfants pendant de longs mois,
préparent voire effectuent seules le déménagement de la famille
lorsqu’au retour de mission le conjoint est muté dans une nouvelle
garnison.
J’ai beaucoup parlé des OPEX . Il faudrait encore aborder les
difficultés engendrées par les OPINT, dans le cadre notamment de la
mission Sentinelle. Au fil de mes rencontres avec des soldats dans les
gares, les métros et les sites touristiques de la capitale, j’ai si souvent
entendu ces jeunes me dire leur inquiétude pour l’avenir de leur
couple lorsqu’ils avaient déjà accompli six, sept missions, voire plus,
de deux mois loin de leur foyer. Si, là encore, je ne dispose pas de
statistiques, je peux simplement relayer la conviction exprimée par
beaucoup, quel que soit le grade, que le taux de séparation des couples
a augmenté depuis le déclenchement de cette opération. C
JEAN-MARIE DUMON
LE CHANT DES SIRÈNES
« Et puis cette image gracieuse de la femme que nous aimons, qui est peut-être moins une réalité
que le plus pur produit de notre imagination, et ce mélange d’impressions, physiques
et morales, sensuelles et spirituelles, ces impressions absolument indescriptibles
que l’on ne peut que rappeler à l’esprit de celui qui les a déjà éprouvées. »
Pierre Loti (Aziyadé)
Sans entrer dans une caricature, ils peuvent être soit très casaniers,
soit très ouverts et recouvrir des palettes plus nuancées. L’équipage,
quant à lui, est très proche du comportement observé à terre dans
la tranche d’âge équivalente et aux repères sociologiques identiques.
Après, l’environnement du marin le rend curieux, voire tenté par
de nouvelles expériences. L’esprit d’équipage et la bienveillance
paternaliste de l’encadrement supérieur (principalement les officiers
jouant le rôle de capitaines de compagnie) évitent les dérives chez ceux
qui pourraient s’y laisser aller et l’appareillage favorise cette régulation.
Le rôle social des médecins militaires embarqués fait souvent le reste,
entre éducation sexuelle et accompagnement vers la responsabilité
individuelle et collective.
Le dernier élément à prendre en compte est sans nul doute la mixité
et la diversité. Avec certes un effet retard, la Marine s’est féminisée, y
compris dans les postes à la mer à partir des années 1980, de manière
expérimentale puis de façon plus généralisée à partir du milieu des
années 1990 1. Sans qu’il y ait un lien de cause à effet, cette période
voit naître aussi le fléau du SIDA, qui a pour conséquence, pour le
commandant, de redoubler de pédagogie envers son équipage afin
d’éviter des contaminations dans les escales à risque, puis systémati-
quement. La place des femmes à bord a été finalement acquise, sans
rupture de l’esprit d’équipage. Les précautions dans la répartition
des « zones de vie », les adaptations dans les règles d’habitabilité et
la maturité du marin ont fait le reste. Le marin masculin s’est polissé
au contact de ses homologues féminins. Il a, sans nul doute, fait
évoluer son comportement sexuel, notamment en escale, du fait de
la cohabitation hétérosexuelle. Le commandement a développé des
outils spécifiques pour les femmes embarquées afin de les conseiller
et de leur expliquer ce qu’il ne fallait pas faire, ou ce qu’il fallait faire
différemment qu’à terre : maquillage, tenue vestimentaire en escale,
façon de dire bonjour aux collègues masculins, précautions diverses à
bord. Et une sorte de tutorat avec les plus anciennes a été mis en place.
Plus de vingt années ont passé et la mixité est désormais un
non-événement. La sexualité du marin a sans doute évolué dans le
même temps. Certains sont plus réservés en escale, les disparités et les
carcans traditionnels sont réputés moins forts qu’auparavant, le niveau
moyen d’éducation est plus resserré que par le passé et supérieur à
la moyenne de la population française. L’homosexualité de certains
apparaît progressivement au grand jour. Les individus concernés, s’ils
l’affichent dans un statut social et civil, en parlent plus aisément à leur
1. Voir S. Dufoulon, « La féminisation des navires de guerre : un modèle exemplaire », Inflexions nº 17, « Hommes et
femmes frères d’armes ? L’épreuve de la mixité », 2011, pp. 99-110.
encadrement, surtout s’ils ressentent de la bienveillance de la part de
leur chef.
La Marine n’affecte pas à bord d’un même bâtiment un couple
déclaré (homo ou hétéro sexuel) au travers du mariage, du pacs ou
du concubinage déclaré et notoire. Les commandants s’attachent à
poursuivre l’évidence, ce besoin d’éviter toute sexualité entre marins
à bord afin de ne pas provoquer dans l’action, au combat ou face à une
avarie, un dilemme dans l’esprit des marins concernés entre priorité
de sauvegarder le navire ou de secourir avant tout une personne avec
qui existent sentiments individuels et partage intime.
Cependant, avec des équipages jeunes, où 10 à 15 % des marins
sont des femmes, où des célibataires ou des personnes en union
libre sont nombreux, la sexualité ne peut disparaître d’un trait de
plume. Certains déploiements peuvent durer de nombreux mois et
des affinités, notamment en escale, peuvent naître entre membres
d’équipage. Il convient de les gérer, d’autoriser sous contrôle ce
que le jargon appelle des « découchés » à l’hôtel en escale, avec des
systèmes de pointage à distance et pour une à deux nuits maximum.
Ainsi des tolérances sont mises en place, « donnant-donnant », afin
de repartir en mer avec un moral apaisé pour poursuivre la mission.
Cela concerne une fraction limitée de l’équipage. Le processus est
particulièrement surveillé et repose sur la confiance ; si celle-ci est
trahie, la discipline coercitive reprend le dessus.
Le marin semble de plus en plus adulte et responsable, éduqué
spécifiquement, et évoluant dans un milieu différent du commun des
mortels. Il adapte sa sexualité aux contraintes communautaires de son
métier si particulier, sans la gommer, selon ses valeurs et aspirations,
immergé dans une société à laquelle il appartient et avec laquelle il
interagit au même titre que ses concitoyens. Il possède une grande
chance, celle de l’ouverture au monde par la mer. C
HERVÉ PIERRE
VIOLS ET STRATÉGIE
Un homme d’une cinquantaine d’années, visiblement très énervé,
insultant les soldats et rameutant les passants, se présente au poste
français. Criant au viol de sa fille, il exige d’être reçu sur-le-champ par le
représentant de la Force. Face au lieutenant qui cherche à en savoir plus
sur ce qui lui semble de plus en plus ressembler à une histoire inventée
de toutes pièces, le plaignant met lui-même fin aux explications en
rétorquant sans ambages – ni d’ailleurs beaucoup de considération pour
sa prétendue victime de fille – que l’affaire peut en rester là moyennant
le versement d’une substantielle « indemnité compensatrice ». Sentant
l’entourloupe, le jeune chef de section congédie brutalement l’intéressé,
mais son commandant d’unité, plus expérimenté, a fort heureusement la
présence d’esprit d’en mesurer la portée potentiellement dommageable.
Les mesures prises par le chef de corps sont alors immédiates : elles
consistent alors à démonter la mécanique de manipulation en
prouvant au plus près, dans le temps comme dans l’espace, le caractère
matériellement impossible de l’agression. Faute de le faire, il est
vraisemblable que la rumeur s’en serait emparée et que, de fictif, le crime
serait devenu d’autant plus réel dans le champ des perceptions que les
possibilités d’en prouver l’(in)existence se seraient amenuisées.
Si l’enjeu était donc tout autant de faire jaillir la vérité que de
s’assurer que cette dernière soit localement partagée, « geler » la
prétendue scène de crime pour établir les faits n’était pas sans générer
d’importantes contraintes sur les opérations. Ces frictions tactiques
immédiates étaient pourtant le prix à payer pour se prémunir de
l’exploitation stratégique que l’adversaire aurait pu faire d’un
prétendu manquement de la Force 1.
Engagé dans un combat où l’affrontement direct via le recours aux
armes classiques lui est par nature défavorable, l’irrégulier se trouve
naturellement conduit à privilégier une approche indirecte qui
l’expose moins. Bien entendu, ce constat n’enlève rien à l’inanité
des cas avérés de viols de guerre, et il est évident que justice doit
être faite. Les réflexions qui suivent ne visent par conséquent ni à
dédouaner les auteurs de tels actes, bien au contraire, ni à en nier la
possible réalité, mais ambitionnent simplement de lever le voile sur
1. Dans cet article, sont distingués de façon très classique les niveaux tactique, opératif et stratégique. Si la tactique
est « l’art d’employer les armes dans le combat pour en obtenir le meilleur rendement », la stratégie est, à l’autre
bout du spectre, « l’art de faire concourir la force pour atteindre des objectifs politiques » (Beaufre, 1963). Échelon
intermédiaire, le niveau opératif se trouve en position d’interface pour décliner sur un théâtre particulier les directives
stratégiques et donner sens à la combinaison des effets tactiques produits sur le terrain.
74 ET LE SEXE ?
une dimension peu connue de l’usage qui peut être fait de ce motif
dans l’art de la guerre. Dans le contexte contemporain d’hypermédia-
tisation des opérations militaires, le sexe offre en effet au faible une
arme « stratégique » pour contraindre le fort.
2. Cl. Simon, La Route des Flandres, Paris, Les éditions de Minuit, 1960, p. 41.
3. E. Levinas, Eros ou triste opulence. Œuvres complètes, pp. 51-53.
4. E. Levinas, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, Paris, Le Livre de poche, 2010 [1971], pp. 5-6.
76 ET LE SEXE ?
* Dans une note rédigée lors du troisième mois de mission et à laquelle j’ai eu accès, le colonel Lecointre
rappelle « qu’il ne peut pas y avoir, dans un cadre de travail et à plus forte raison en opération, de relation
de séduction mutuelle qui ne soit susceptible d’être considérée comme de l’abus de situation dominante de
la part d’une personne qui serait plus âgée ou plus gradée que son ou sa partenaire. Persuadé que la très
grande majorité des hommes et des femmes du gtia2 adhèrent spontanément à cette exigence d’élégance
morale, je souhaite que ceux qui auraient une conception différente de la mienne soient bien persuadés que
je sanctionnerai sans hésiter tout comportement révélant faiblesse ou incapacité à contrôler ses instincts, à
dominer ses envies du moment ».
VIOLS ET STRATÉGIE 77
6. Ch. Krulak, “The Strategic Corporal: Leadership in the Three Block War”, Marines Magazine, January 1999.
7. J. Strange, “Centers of gravity and critical vulnerabilities”, Perspectives on Warfighting, Quantico, Marine Corps
Association, 1996. Si le centre de gravité est défini comme la source de puissance de l’adversaire, une analyse
logique permet d’en décliner les capacités critiques correspondantes (cc pour “Critical capacities”), puis les exigences
critiques (cr pour « Critical Requirements ») et in fine les vulnérabilités critiques (cv pour “Critical Vulnerabilities”). Ces
dernières, produits finaux de l’équation cg-cc-cr-cv, sont pour les stratèges américains des années 1990 ce sur quoi
l’effort doit porter.
XAVIER DARCOS
LE BATAILLON SACRÉ DE THÈBES :
« À LA VIE, À LA MORT »
hellénique entre 431 et 404 av. J.-C.. Malgré des traités de paix, Sparte
avait continué à exercer sa pression et son influence. Elle avait installé
peu à peu des gouvernants à sa solde dans toutes les villes grecques.
Enfin, en 382 av. J.-C., elle avait pris le contrôle de Thèbes, les
derniers résistants se réfugiant à Athènes.
Mais rapidement, Sparte a dû affronter une coalition, encouragée
par la Perse, formée par Athènes, Thèbes, Argos et Corinthe. Une
alliance militaire dont va émerger une figure héroïque, dont la
gloire sera durable dans toute l’Antiquité, le béotarque thébain
Épaminondas 10, un général, magistrat et homme d’État prestigieux
que la légende présente comme frugal, insensible aux flatteries, maître
de ses passions, stratège génial, chef terrible, offensif et toujours
invaincu, sorte de despote éclairé, influencé par les idées stoïciennes.
C’est lui qui aurait suggéré à Gorgidas, l’un de ses lieutenants, de créer
le « bataillon sacré », qui joua un rôle essentiel jusqu’à la libération
définitive de Thèbes.
Ce bataillon était composé d’hoplites, des fantassins mobiles malgré un
équipement assez lourd : un grand bouclier rond, de quatre-vingt-dix
centimètres de diamètre environ (l’hoplon) ; une lance de deux mètres
cinquante de long ; une courte épée pour le corps à corps. Ils étaient
protégés par un casque, des jambières et une cuirasse en métal ou en cuir.
Le bouclier, tenu de la main gauche, protégeait non seulement celui qui
le portait, mais également son voisin de gauche, ce qui renforçait cette
impression de couple masculin uni. La phalange, composée de ces soldats
rangés en ligne serrée, avançait d’abord d’un pas lent puis chargeait, la
lance à l’horizontale, aussi vite que possible, lorsque l’ennemi était à une
centaine de mètres, le premier choc étant alors décisif. Cette manœuvre
supposait d’avoir bien choisi son champ de bataille, sans obstacle naturel
et, si possible, en déclivité. Il est imaginable que, pour certains types
de combats, le bataillon ait pu s’armer plus légèrement et devenir une
formation de peltastes, avec un bouclier léger de cuir et d’osier (la peltè), un
javelot et une épée. On ne sait.
L’engagement du bataillon sacré fut capital dans divers combats,
notamment lors de la bataille de Tégyres 11, en 375 av. J.-C.. Le
général Pélopidas 12 commandait les Thébains, très inférieurs en
nombre face aux quelque deux mille Spartiates. Pris au piège dans
un défilé, quasi certain d’être massacré, il décida d’une opération
éclair : il regroupa ses hommes en formation d’assaut et chargea droit
10. 420-362 av. J.-C. Les béotarques sont les magistrats qui exercent le pouvoir exécutif et commandent l’armée de la
Confédération béotienne.
11. Bourgade de Béotie orientale, à l’emplacement de l’actuelle Pyrgos, près d’Orchomède.
12. Pélopidas (420-364 av. J.-C.), stratège et chef du parti dit « populaire » de Thèbes, devait la vie à Épaminondas qui
s’était porté à son secours lors d’un corps à corps. S’en suivit entre eux une amitié indéfectible.
84 ET LE SEXE ?
19. Sur ce lieu commun, manié dès l’Antiquité gréco-romaine, voir D. Fernandez, L’Étoile rose, Paris, Grasset, 1978 ; ou Le
Rapt de Ganymède, Paris, Grasset, 1989. Dans ses Mémoires d’Hadrien (Paris, Gallimard, 1951), Marguerite Yourcenar
fait dire à cet empereur (homosexuel, réputé pour la passion que lui inspira son favori bithynien Antinoüs) : « J’ai eu
mon bataillon sacré bien à moi. »
20. Flaubert, pour son roman de 1862, utilise en réalité les récits de la bataille qui mit fin à la guerre des mercenaires,
mutinés contre les Carthaginois commandés par Hamilcar Barca, dite bataille du défilé de la Scie et qui eut lieu en 238
av. J.-C.
21. Le Sexe et l’Effroi, Paris, Gallimard, 1994. Pascal Quignard y parle de « l’érotisme joyeux, anthropomorphe et précis des
Grecs », qu’il oppose à la « mélancolie effrayée » qui suivra.
22. C. Delavigne (1793-1843), Les Messéniennes, Livre I. Victor Hugo cita ces vers en faisant l’éloge de leur auteur devant
l’Académie française, le 27 février 1845.
Définitivement associé au sens du sacrifice et au don de soi, le
bataillon sacré, au-delà de son épopée héroïco-romanesque 23, a pris
une valeur polysémique, fusionnant les deux puissances qui dominent
la vie : éros et thanatos, le désir et la mort, l’amour et la guerre. C
23. Dans ce genre, Mme A. Korn a publié à compte d’auteur un petit roman de vulgarisation, intitulé Le Bataillon sacré de
Thèbes, The BookEdition, 2012.
GÉRALDINE CASUTT
QUAND LE DJIHADISTE
EST UNE FEMME
dans des sociétés où elle est avant tout considérée comme victime de
violence 1.
Dans le djihadisme contemporain au féminin, ce biais s’exprime
surtout par le fait de vouloir expliquer l’engagement des femmes
autrement que par une intentionnalité propre, voire une adhésion à
la cause, car le bénéfice qu’elles retireraient d’une telle appartenance
n’apparaît pas comme évident. On cherche alors à produire une
explication alternative afin de faire sens d’un engagement qui semble
n’en faire aucun de prime abord, et permettre de penser néanmoins
la femme actrice de violence comme victime avant tout d’une forme de
violence. On a pu voir ce mécanisme à l’œuvre dans le cas des auteures
d’attentats-suicide 2, où on a eu tendance à expliquer leurs actes en
puisant plus dans le registre d’une histoire personnelle dramatique
que dans celui de la conviction idéologique : le passage à l’acte de
Muriel Degauque, une convertie belge considérée comme la première
femme bombe humaine européenne, et seule connue à ce jour, qui
s’est faite exploser en Irak en 2005, a pu par exemple être expliqué par
une forme dépressive occasionnée par le traumatisme du décès de son
frère, ou encore par le fait qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants en
raison d’une maladie qui la privait génétiquement d’utérus 3.
Expliquer un engagement féminin dans le djihadisme par des
motifs plus émotionnels qu’intellectuels est une tendance que l’on
retrouve encore aujourd’hui : s’il ne faut pas nier l’importance d’un
certain parcours biographique pour expliquer les choix d’un individu,
si extrêmes soient-ils, il serait cependant erroné de faire l’impasse
sur une adhésion idéologique et sur un registre de convictions qui
permettent à chacun de donner un sens à ses actions.
En posant la question de ce qui motive les femmes à partir
pour la Syrie, on présuppose que leurs motivations divergeraient
nécessairement de celles des hommes, ou du moins qu’elles revêtiraient
une spécificité. Il est vrai que les femmes n’occupent pas les mêmes
fonctions que les hommes dans le djihad ; nous y reviendrons. Assez
rapidement, il est apparu que celles-ci ne combattaient pas dans les
rangs djihadistes et que la fonction de violence offensive était réservée
aux hommes. Nous pourrions nous demander si l’engagement des
femmes dans le djihad provoquait la même incrédulité si ces dernières
allaient au combat comme les hommes… Leurs rôles très traditionnels,
qui ne revêtent en apparence pas de « couleur djihadiste » particulière,
ont sans doute contribué à rendre l’intérêt de leur engagement peu
1. Voir C. Cardi et G. Pruvost (dir.), Penser la violence des femmes, Paris, La Découverte, 2012.
2. Voir C. André-Dessorrnes, Les Femmes-martyres dans le monde arabe : Liban, Palestine et Irak, Paris, L’Harmattan,
2013.
3. Voir F. Khosrokhavar, Radicalisation, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2014, p. 60.
QUAND LE DJIHADISTE EST UNE FEMME 89
AA L’humanitaire
Si l’hypothèse de l’amour a souvent été mise en avant pour rendre
compréhensible l’engagement féminin, celle d’un souhait de travailler
dans l’humanitaire a aussi été privilégiée. Comme elles n’avaient pas
accès au combat, les femmes auraient été invitées à participer à la
cause djihadiste par ce biais. Si cette explication peut se retrouver
fréquemment dans des discours de femmes qui se désolidarisent de
leur parcours djihadiste, on peut cependant relever plusieurs points
afin de mettre cette hypothèse en perspective.
Si le phénomène djihadiste en Syrie compte plusieurs phases,
notamment pré et post-déclaration du califat en 2014 , on peut
imaginer que les personnes qui ont rejoint la Syrie en 2013 n’avaient
pas forcément les mêmes objectifs premiers que celles parties après la
proclamation du califat : en 2013, l’argument de la lutte contre Bachar
al-Assad était particulièrement attractif, et dans ce cadre-là on ne peut
pas exclure que la dimension humanitaire ait été importante dans les
motivations de ceux et celles partis à cette époque. Il faut toutefois
relever que l’idée de porter secours à une population musulmane
qui souffre fait partie du répertoire de base du djihadisme et qu’elle
n’est donc pas l’apanage de personnes particulièrement altruistes :
4. On peut lire certains témoignages de femmes qui ont subi cette réalité. Voir, par exemple, Sara, avec C. Mercier, Ils
nous traitaient comme des bêtes, Paris, Flammarion, 2015.
QUAND LE DJIHADISTE EST UNE FEMME 91
5. Pour mieux appréhender les motifs d’adhésion au djihadisme, voir D. Thomson, Les Français jihadistes, Paris, Les
Arènes, 2014.
QUAND LE DJIHADISTE EST UNE FEMME 93
9. On a pu le constater notamment avec le cas de l’Irak, où al-Zarqawi a employé des femmes en dernier recours. Voir
C. André-Dessornes, op. cit., pp. 246-247.
10. Voir le tweet de W. Nasr du 7 février 2018 : « #Syrie pr la 1ère x les femmes sont envoyées & mises en avant au combat
par l’# EI/ #Syria for the 1st time #IS women are seen in combat activity ».
QUAND LE DJIHADISTE EST UNE FEMME 95
11. Voir W. Nasr, « À l’école de l’État islamique : les “lionceaux du califat” », Inflexions nº 37, janvier 2018, pp. 25-33.
ou d’Irak, les femmes rejoindront sans doute en prison celles qui
n’ont pas réussi à partir et à expérimenter comme elles d’éventuelles
formes de désillusions sur zone : il ne faut pas oublier qu’un retour
de zone de djihad n’équivaut pas nécessairement à un processus de
désengagement de l’idéologie djihadiste, et que certaines mobilisations
sont susceptibles de se reformer dans un milieu carcéral propice à
former des communautés d’intérêts, voire à faire de nouvelles adeptes.
Si la problématique de l’être djihadiste au féminin reste difficile à
appréhender, il faut cependant prendre garde à ne pas la réduire à
une dimension émotionnelle qui serait déconnectée d’un ensemble de
convictions pourtant nécessaires afin de faire sens d’un engagement
djihadiste. Non combattante lorsque le contexte djihadiste est en
situation d’équilibre, la femme pourrait revêtir occasionnellement
la fonction de la violence sous certaines conditions ; cette situation
devrait toutefois rester exceptionnelle, afin de garantir le principe de
complémentarité des sexes qui est central dans la nature du djihadisme.
On pourra également retenir que la question des « revenantes » est
emblématique de l’ambiguïté à penser la femme européenne dans le
djihadisme : si on la voit avant tout comme une mère, le biais de genre
rend difficile sa perception comme un danger potentiel, notamment
pour son enfant ; si au contraire la femme est un djihadiste comme
un autre et traitée comme tel, il faudra s’attendre à voir émerger des
montées en puissance du phénomène de radicalisation féminine sur
des modalités déjà connues du répertoire masculin. C
PATRICK CLERVOY
« DOCTEUR, VOUS VOUS OCCUPEREZ
DES FILLES »
en 1915 pour juguler ce fléau, mais cela n’a pas suffi et c’est ainsi que
durant le dernier semestre de la guerre, en 1918, l’état-major français,
à l’initiative du général Mordacq, ancien officier de Légion et chef
du cabinet militaire de Georges Clemenceau, conçut le concept des
bordels militaires de campagne.
Ces maisons de tolérance existaient déjà au sein de l’armée d’Afrique
depuis la conquête de l’Algérie. Elles accompagnaient la troupe, en
particulier les unités de la Légion étrangère. Chaque unité avait ainsi sa
petite section de charme. Le service de santé devait effectuer un examen
médical sommaire des femmes et des « consommateurs ». Pendant la
Seconde Guerre mondiale, certaines troupes venues d’Afrique du Nord
étaient accompagnées de leur BMC. Cette tradition s’était poursuivie et
amplifiée pendant la guerre d’Indochine selon les mêmes modalités
avec les femmes vietnamiennes, improprement appelées congaïs (côn gaï
signifie banalement jeune fille, sans aucune connotation péjorative).
Puis ce fut la guerre d’Algérie, où les BMC étaient sous la surveillance
de l’autorité militaire et de la matrone ou riffa.
Parallèlement, dans les villes de garnison, se développaient des
bordels souvent destinés essentiellement aux militaires. Je me rappelle
à Hanoï un grand établissement de cette nature, d’une certaine classe.
Ce bordel « haut de gamme » s’appelait La Madelon et était géré par
la plus grande mère maquerelle du Tonkin, bien connue de tous,
qui était en couple avec un ancien sous-officier de la Légion. Ils
possédaient toute une chaîne de ce genre d’établissements. Vers l’âge
de dix-onze ans, je m’étais lié avec un garçon eurasien qui était leur
fils adoptif et nous jouions très naturellement au milieu des filles.
Nous n’étions pas encore assez matures pour trouver ce commerce
amoral et puis à l’époque, avec la guerre, c’était une chose courante,
tolérée par la population.
Plus près de nous, qui peut imaginer aujourd’hui que, dans la bonne
ville de Dijon du chanoine Kir, alors député-maire, le 5e régiment de
tirailleurs marocains hébergeait son BMC au sein de la caserne Vaillant,
et ce, jusqu’au début des années 1960 ? Les enfants de troupe d’Autun
que nous étions, découvrant le fait à l’occasion d’un accueil dans ce
quartier, s’amusaient du tirailleur en tenue de parade qui montait
la garde devant le bâtiment pour en interdire l’accès, et de l’effectif
rationnaire dûment et explicitement inscrit sur le tableau journalier
de l’ordinaire…
AA Lieu d’activités
Le pouf était hébergé dans une baraque Fillod 1 mise à la disposition
de Janine et de ses filles par le régiment. Située à la limite du camp
Raffalli, elle était éloignée des quartiers des légionnaires et avait une
indépendance totale quant aux entrées et sorties. Elle comprenait un
bar assez vaste, prolongé par un couloir central où étaient disposées,
de chaque côté, quatre ou cinq chambres et au fond les toilettes et les
douches. Janine trônait derrière le comptoir, prenant les commandes
et les réservations à l’arrivée des consommateurs. Le commandant en
1. Baraquement préfabriqué à structure métallique, qui pouvait ne pas être inconfortable, longtemps en usage dans
l’armée française.
108 ET LE SEXE ?
AA Modalités de fonctionnement
En général, trois ou quatre filles étaient à leur poste, tandis que la
quatrième ou la cinquième, suivant le recrutement, était en congé.
Les légionnaires ne pouvaient fréquenter ce lieu qu’en dehors des
heures et des charges de service, donc, en général après, 18 heures, et
ce jusqu’à l’appel du soir. Ceux qui voulaient y passer la nuit devaient
poser une permission de nuit. Ainsi les heures de « service » des
pensionnaires s’inscrivaient dans le créneau 18-20 heures pour les
passes et pouvaient inclure la nuit pour le seul partenaire qui l’avait
réservée. Un programme rigoureux était institué pour fréquenter
le lieu et chaque compagnie avait sa soirée réservée dans la semaine.
C’était aussi un lieu de détente pour les hommes, qui n’étaient pas
obligés de consommer, hormis la traditionnelle bière. Il est possible
que les sous-officiers aient eu des rendez-vous privés en dehors de
ces « heures de service », mais nous l’ignorions et c’était le seul accroc
au règlement édicté pour la prévention des affections vénériennes ;
heureusement aucun cas n’a été diagnostiqué pendant mon séjour. Les
filles étaient libres le reste de la journée – je n’ai jamais entendu une
seule plainte de leur part concernant leur liberté ou leur charge de
travail ; l’infirmerie étant un peu leur havre de paix et de sécurité,
j’étais un confident potentiel et occasionnel.
AA Rémunérations
Un système de jetons était mis en place : au prix de sept francs
l’unité, il en fallait trois pour une passe et neuf pour une nuit. Un
chiffre divisible par trois, car un tiers de cette somme revenait à Tante
Janine, un tiers à la fille et un tiers était consacré aux frais d’entretien
et aux charges du bâtiment.
AA Mesures sanitaires
Le médecin-commandant Jean R. avait mis en place des mesures
prophylactiques draconiennes qu’il fallait appliquer rigoureusement
aux filles du BMC. Ces règles étaient la condition sine qua non pour
l’admission puis pour le maintien au BMC.
AA Conclusion
Mes quatre ans à Calvi m’ont permis, à côté de ma mission de
médecin de corps de troupe, de vivre une expérience singulière :
la prise en charge médicale d’un bordel militaire. En relatant cette
expérience près d’un demi-siècle plus tard, dans un monde qui
a profondément changé, je ne peux manquer d’être frappé par
un contraste saisissant. Le jeune médecin que j’étais à l’époque
s’est acquitté de sa mission avec le sentiment du devoir accompli,
sans jamais se départir de l’opinion générale qui considérait cette
institution comme « globalement positive » ; d’ailleurs, rien dans
l’attitude des pensionnaires ni dans celle à leur égard des hommes
du régiment, cadres et légionnaires, ne me donnait à penser que ces
femmes auraient fait l’objet d’un traitement indigne. Aujourd’hui,
comment ne pas s’interroger ? Et, pour ce qui me concerne, rester sur
ce point d’interrogation ? Je voudrais pour finir exprimer toute ma
reconnaissance à Jean R., le médecin-chef, qui a guidé mes premiers
pas de médecin de corps de troupe. C
CHRISTIAN BENOÎT
LE SOLDAT ET L’AMOUR
Le soldat – celui qui fait la guerre – est le plus souvent un homme
jeune, toujours dans la force de son âge et en bonne santé, et disposant
de toutes ses facultés physiques. La mort qui plane sur ses jours lui
fait sentir l’urgence de vivre. « Dans l’imminence de l’abattoir, on
ne spécule guère plus beaucoup sur les choses de son avenir, on ne
pense guère qu’à aimer pendant les jours qui vous restent puisque
c’est le seul moyen d’oublier son corps un peu, qu’on va vous écorcher
bientôt du haut en bas 1. »
Dans le temps du combat, le soldat pratique l’abstinence sans effort.
« Quant à l’homme simple, rendu encore plus primitif par la vie qu’il
mène, ne croyez pas que, au front, il pense tant que ça à la bagatelle.
Entre le pinard, “se la caler” et faire l’amour, il n’hésite pas 2. » Les
circonstances, le moment et le lieu ne s’y prêtent pas, et son esprit est
accaparé par des préoccupations plus essentielles. En revanche, dès
qu’il sort de cette situation, son désir resurgit avec force. « Les jeunes
soldats, sevrés de toute tendresse depuis des semaines ou même des
mois, étaient comme des ressorts tendus à l’extrême. À trop placer
chaque jour et chaque nuit leurs forces et leurs pensées viriles dans
leurs armes, à trop dormir avec elles, à trop vouloir s’identifier à elles,
toujours sur le qui-vive, il leur était devenu quasiment impossible de
se laisser aller à la douceur d’un moment de tendresse. Ils agissaient
à la hâte, ainsi que des prédateurs qui, l’espace d’un instant, usent
de leur virilité comme d’une lame pour pénétrer le corps de leur
adversaire ; pour eux, l’accouplement fugitif était aussi un combat
rapide et brutal 3. »
Même chez ceux qui ne sont pas directement impliqués dans le
combat, comme le commissaire des guerres Henri Beyle, l’appar-
tenance à une armée en campagne fait naître des désirs inattendus,
que l’on s’étonne de trouver sous la plume de l’écrivain de la cristal-
lisation de l’amour, qui écrit le 24 avril 1809 : « Nous étions logés nº 17,
à une auberge dont la maîtresse n’était pas bien. J’avais cependant le
projet de l’avoir, mais le temps m’a manqué 4. »
12. Œuvres complètes de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme. t. ix, Des dames, Paris, Mme vve Jules Renouard,
1876, p. 235.
13. Ch. Favrel, Ci-devant légionnaire, Paris, Presses de la Cité, 1963, p. 136.
14. Le Maréchal Bugeaud d’après sa correspondance intime et des documents inédits, 1784-1849, par le comte Henry
d’Ideville, Paris, Firmin-Didot et Cie, t. i, p. 126.
15. P. Lyautey, La Campagne de France. Provence, Alpes, Jura, Vosges, Alsace, 1944-1945, Paris, Plon, 1946, pp. 35-36.
16. Témoignage d’un officier recueilli par A. Thiéblemont, « Expériences opérationnelles dans l’armée de terre. Unités de
combat en Bosnie (1992-1995) », Les Documents du c2sd nº 42, novembre 2001, t. ii, p. 270.
17. P. Voivenel, Avec la 67 e division de réserve, Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1937, t. iii, p. 144.
116 ET LE SEXE ?
24. É. Grenadou et A. Prévost, Grenadou, paysan français, Paris, Le Seuil, « Points Histoire », 1978, p. 67.
25. E. Gaucher, « Les maladies vénériennes pendant la guerre à l’hôpital militaire Villemin et dans les armées », Bulletin de
l’Académie de médecine, 1916, p. 357.
26. L. Bizard, Souvenirs d’un médecin de la préfecture de police, Paris, Grasset, 1925, p. 197.
27. Ibid, p. 203.
28. G. Bouin, La Lutte contre le péril vénérien et l’expérience de la ix e région, Paris, Le François, 1920, p. 30.
118 ET LE SEXE ?
29. Lcl Reboul, Mobilisation industrielle, t. i., Paris, Berger-Levrault, 1925, pp. 169-171.
30. shd, gr 9 nn7 1057.
31. M. Trélat, « Un séjour à une usine de munitions », Revue d’hygiène et de police sanitaire nº 41, 1919, pp. 908-909.
32. shd, gr 9 nn7 1060.
33. shd, gr 9 nn7 1049.
34. J. Gouin, « Prophylaxie des maladies vénériennes dans l’armée américaine », Revue d’hygiène et de police sanitaire
nº 40, 1918, p. 798.
LE SOLDAT ET L’AMOUR 119
35. De l’ordre, in Œuvres complètes de saint Augustin, Bar-le-Duc, L. Guérin, 1864-1873, http://www.abbaye-saint-benoit.
ch/saints/augustin/ordre/#_Toc14857491.
36. L. Fiaux, La Police des mœurs en France. Son abolition. Institution d’un régime légal de moralité et d’ordre public, Paris,
Félix Alcan, 1921, t. ii, p. 566.
37. shd, gr 9 nn7 1036.
38. Journal militaire officiel, 1er semestre 1842, pp. 252 et 253-255.
39. A. Potton, De la prostitution et de ses conséquences dans les grandes villes, dans la ville de Lyon en particulier, Paris,
J.-B. Baillière-Germer Baillière/Lyon, Charles Savy jeune, 1842, pp. 112-113.
40. É.-A. Duchesne, De la prostitution dans la ville d’Alger depuis la conquête, Paris, J.-B. Baillière-Garnier Frères, 1853,
pp. 22 et 24.
120 ET LE SEXE ?
41. E. Delorme, « Une inspection générale médicale au Maroc en 1908 (suite) », Archives de médecine et de pharmacie
militaires, 1912, 2e semestre, p. 253.
42. J. Destray, « Au Maroc. Comment sont organisés les services de santé », Le Midi socialiste, 5 septembre 1925.
43. Ch. Favrel, op. cit., p. 51.
44. Ibid.
45. Archives départementales des Vosges, 4 m 326. Rapport sur la prostitution dans le département des Vosges.
LE SOLDAT ET L’AMOUR 121
51. K. Feltgen, « Guérir les ravages de la guerre », Les Hôpitaux dans la guerre, Paris, Le Cherche Midi, 2008, p. 154.
52. L. Bizard, op. cit., p. 204.
53. Archives de l’assistance publique, Melun, 1922. Données statistiques relatives à la guerre 1914-1918, citées par
P. Darmon, « Grande Guerre et flambée de la morbidité vénérienne », Gynécologie, obstétrique et fertilité nº 28, 2000,
p. 755.
54. J. Lacassagne, « Guerre et prostitution », Le Crapouillot, numéro spécial « La guerre inconnue », août 1930, p. 58.
55. A. Scheiber, Un fléau social, Paris, Médicis, 1946, p. 106.
56. Le Service de santé en Indochine, 1944-1954, Saigon, Direction des services sanitaires en Extrême-Orient et des forces
terrestres d’Extrême-Orient, 1954, p. 847.
57. P. Gillet, « Entre ascèse et licence : le rôle du chef », Inflexions nº 12, octobre 2009, p. 84.
LE SOLDAT ET L’AMOUR 123
crois pas que tu n’y attraperas rien, car le médecin a beau surveiller les
femmes, leur maladie n’est pas toujours visible et une femme, saine le
matin, peut être malade le soir 58. »
Des études récentes 59, il ressort toujours que le temps de guerre
favorise la prostitution, que le soldat recherche une femme dès qu’il
en a l’occasion et qu’il risque de se contaminer, le SIDA s’ajoutant
aujourd’hui aux maladies anciennes. Si le BMC est mort, il est sans
doute d’autres solutions, très encadrées. C
58. H. Gougerot, « Soldat. Défends-toi contre les maladies vénériennes ! », in « Organisation et fonctionnement d’un
centre militaire régional de dermatologie et vénérologie », 2e partie, Annales des maladies vénériennes, août 1917,
pp. 482-483.
59. A. Thiéblemont, op. cit.
ANDRÉ THIÉBLEMONT
ET LA VIE DE COUPLE, BORDEL ?
Dans nos sociétés occidentales, en trois ou quatre décennies, les
pratiques sexuelles et les rapports entre les sexes ainsi que les
comportements qui en découlent se sont radicalement modifiés. Une
vraie révolution dont, sans doute, les toutes nouvelles générations
n’ont guère conscience.
Là, comme en d’autres domaines, le milieu miliaire constitue
un excellent observatoire : un regard comparatif entre hier et
aujourd’hui sur les conditions de la sexualité du soldat en campagne,
sur la situation de l’épouse de militaire 1 et sur les rapports au sein
du couple peut donner la mesure de cette mutation. Considérant le
passé récent, mon propos ne sera guère objectif, plutôt un témoignage
impressionniste qui évoquera ces institutions que furent naguère le
fameux bordel militaire de campagne (BMC) et la condition de la
plupart des femmes de militaire.
1. Par facilité d’exposé, j’ai délibérément choisi de ne traiter ici que du conjoint militaire masculin, ces observations
pouvant être étendues au conjoint militaire féminin, sous condition de son emploi et de son poste « projetable » ou non.
126 ET LE SEXE ?
2. Centre sportif de Sarajevo qui accueillit de nombreuses épreuves lors des Jeux olympiques d’hiver de 1984. Les
différentes unités qui se relevaient et composaient le 4e bataillon d’infanterie français (Batinf4) y furent logées de
1993 à 1995.
3. Cette observation et celles qui suivent sont tirées de A. Thiéblemont, « Expérience opérationnelle de l’armée de terre.
Unités de combat en Bosnie (1992-1993) », Les documents du Centre d’études en sciences sociales de la Défense
(C2SD), 2002, pp. 270-272.
ET LA VIE DE COUPLE, BORDEL ? 127
4. J. Lorentz, Appelé en Yougoslavie. Journal d’un Casque bleu, Paris, Muller, 2e édition, 1999, p. 152.
ET LA VIE DE COUPLE, BORDEL ? 129
5. Imaginons ce qu’aurait été l’angoisse d’une femme dont le mari opérait en Indochine sur la RC4 ou dans quelque poste
isolé sur les hauts plateaux du Tonkin si, à l’époque, Internet et le téléphone portable avaient existé.
6. D’après C. Le Page et J. Bensoussan, Les Militaires et leur famille, ministère de la Défense/sga, mai 2016, p. 83.
130 ET LE SEXE ?
célibat géographique, une autre forme d’absence qui peut être parfois
lourde de conséquences. Hier relativement stables, les rapports au
sein de la famille militaire et du couple sont ainsi devenus souvent
problématiques.
Le phénomène était observable dès le début des années 2000. Lors
d’une enquête sur le métier de sous-officier, nous observions que
« l’absence du couple ou de la famille était un thème récurrent » 7:
« Et puis… euh… ma femme elle me dit : “Putain ! Je te vois jamais
à la maison !” » s’exclamait un sous-officier chef de groupe dans un
régiment de combat. Une assistante sociale remarquait que la mère
était devenue le référent dans la famille : « Ça fonctionne avec la mère
et les enfants contre le mari ou le père. L’homme ne trouve plus sa
place dans la famille. […] Il n’a plus de lieu où se poser. […] Pour
peu qu’il ait des problèmes professionnels, il n’a de reconnaissance
ni dans sa vie sociale ni dans sa vie professionnelle. […] Il est
l’Autre. » À l’époque, le taux d’activité moyen par sous-officier et par
an était de cent vingt-quatre jours dans le régiment du sous-officier
précédemment cité 8.
Depuis, les choses ne se sont pas arrangées. Selon le général
Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT),
« en 2016, 50 % de la force opérationnelle terrestre (FOT) aura passé
plus de cent cinquante jours de mission hors garnison, certains
allant même jusqu’à deux cent vingt jours 9. » D’après le Haut Comité
d’évaluation de la condition militaire (HCECM), en 2015, dans une
section de chasseurs alpins, le nombre de jours d’absence atteignait
en moyenne cent quatre-vingt-six jours, deux cents jours pour neuf
de ces chasseurs et plus de deux cent vingt pour quatre autres 10.
L’organisation militaire prévoit bien une phase de remise en condition
des matériels, des hommes, mais les astreintes de la vie en garnison et
les multiples activités qu’entraîne aujourd’hui la réduction des effectifs
n’autorisent pas ou peu la remise en condition du couple. L’opération
Sentinelle, en bousculant les planifications des régiments, a exacerbé
7. Les observations qui suivent sont extraites de A. Thiéblemont et Ch. Pajon, « Le métier de sous-officier dans l’armée de
terre aujourd’hui », Les documents du c2sd, mai 2004, pp. 249-256. Consultable sur https://fr.scribd.com/doc/17524839/
le métier de sous-officier dans l’Armée de terre aujourd’hui.
8. Il s’agit du nombre de journées/sous-officier/an passées hors garnison dans des opex, dans des missions de courte
durée (macd), dans des opérations intérieures (opint), dans des manœuvres et exercices, ou dans des camps, rapporté
aux effectifs de sous-officiers du régiment. Ce taux moyen est donc très supérieur dans le cas des personnels
opérationnels, dits « projetables ».
9. Audition du général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre sur le projet de loi de finances pour 2017,
Assemblée nationale, Commission de la défense nationale et des forces armées, compte rendu nº 5, 14 octobre 2016,
pdf, p. 9. Voir aussi, O. Audibert et Ch. Léonard, Rapport d’information sur la présence et l’emploi des forces armées
sur le territoire national, Assemblée nationale, Commission de la défense nationale et des forces armées, 22 juin 2016,
pp. 112 et 189.
10. Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, 10 e rapport. Rapport thématique, mai 2016, p. 65.
ET LA VIE DE COUPLE, BORDEL ? 131
11. Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, o.p cit., p. 65. Voir également G. Gosselin-Fleury et Ch. de La
Verpillière, Rapport d’information sur la protection sociale des militaires, Assemblée nationale, Commission de la
défense nationale et des forces armées, 22 février 2017, p. 28.
12. Ibid. p. 7.
13. Les observations qui suivent sont extraites d’A. Thiéblemont et Ch. Pajon, op. cit., pp. 256-258.
132 ET LE SEXE ?
AA En conclusion
« Nous aussi, nous avons signé » disent les épouses de militaires,
dont certaines en viennent à descendre dans la rue. L’exigeant
et beau principe de la disponibilité en tout temps et en tout lieu,
qu’aujourd’hui comme hier la plupart des soldats intègrent sans même
y penser, implique l’indisponibilité dans la vie privée et de lourdes
incidences sur la vie du couple et de la famille.
Jusque dans les années récentes, il semble que l’armée de terre ait
ignoré ou sous-estimé ces incidences : trop peu d’attention fut portée
aux changements de l’environnement social et culturel ainsi qu’à
la place nouvelle de la femme dans le couple, aux effets en chaîne
de l’extrême mobilité du militaire que ces dernières décennies ont
produite, entre réformes et restructurations génératrices d’une
amplification des mutations ou d’une suractivité opérationnelle,
particulièrement soulignée dans cet article.
L’opération Sentinelle a été révélatrice. Aujourd’hui, la protection de
la « base arrière » du soldat, l’accompagnement de son conjoint et de
sa famille lors de son absence sont devenus un leitmotiv des réflexions
et des discours sur la condition militaire. Faisant probablement suite
au rapport très dense et aux préconisations des députés Geneviève
Gosselin-Fleury et Charles de La Verpillière sur les dispositifs de
protection sociale des militaires qu’ils estiment sous-utilisés et qui,
notamment, tiennent trop peu compte de la diversité des situations
des conjoints et de l’accompagnement de leurs absences 16, la ministre
des Armées a lancé à l’automne 2017 un plan d’accompagnement des
familles. En 2016, devant la Commission de la défense nationale, le
chef d’état-major de l’armée de terre se faisait déjà l’écho de ce souci de
la « base arrière » qui pèse fortement sur le moral du militaire projeté 17.
Et en juin 2017, l’armée de terre lançait une enquête sur les conjoints.
Une interrogation vient en final. L’absence est une conséquence logique
de la vocation de soldat. Mais il y a diverses formes d’absence, plus ou moins
pénalisantes pour le couple. Entre l’enclume d’une économie de rareté et
le marteau de la demande opérationnelle ou des contraintes de gestion,
quelles organisations jouant sur le rythme opérationnel comme sur celui des
mutations peuvent déboucher sur des absences moins pénalisantes ? Sans
doute est-ce une interrogation qui taraude les états-majors ? C
16. Voir G. Gosselin-Fleury et Ch. de La Verpillière, op. cit., notamment leur rapport de synthèse, pp. 7-9.
17. Audition du général Jean-Pierre Bosser, op. cit., pp. 9 et 23. Comme l’observe le cemat dans cette audition, il est
surprenant de constater qu’à la fin des années 1980, le Centre de relations humaines de l’armée de terre (crhat)
avait élaboré un modèle très sophistiqué d’évaluation du moral du soldat, entendant « apprécier les préoccupations
des personnels » et « piloter leur soutien psychologique », mais dans lequel il était nullement pris en compte la vie du
couple et de la famille.
YANN ANDRUÉTAN ET AURÉLIE ÉON
QUAND PÉNÉLOPE
S’EN VA EN GUERRE
Cet article a été écrit à quatre mains à partir de témoignages de couples de militaires que nous
avons volontairement rendus non identifiables, mais aussi de notre expérience personnelle qui
n’a pas vocation à être généralisée.
1. Cette éviction est secondaire à la fondation du service de santé moderne et au début du secourisme de combat, rôle
qui était souvent tenu par ces femmes.
2. Nous n’oublions pas les merlinettes, les rochambelles et bien d’autres encore qui servirent avec courage et
dévouement, mais durant des périodes ponctuelles comme la Seconde Guerre mondiale ou encore la guerre
d’Indochine. Nous leur rendons hommage.
136 ET LE SEXE ?
et des femmes sur le terrain. Un rapport de 2013 sur les femmes et les
familles de militaires estimait le nombre de femmes dans les armées à
cinquante mille, soit 15 % des effectifs (les pourcentages varient de 10
à 20 % en fonction des armées et des services, le Service de santé étant
le plus féminisé) 3.
Certes les femmes sont des militaires comme les autres. Mais la
féminisation des armées a eu des conséquences que les différentes
directions des ressources humaines n’avaient pas vraiment envisagées.
Prenons l’exemple de l’École du service de santé des armées. Jusqu’en
1997, un quota limitait le nombre de femmes à environ 10 % des
effectifs des élèves officiers médecins. La longueur des études, la
mixité et la nature humaine faisaient que beaucoup se mariaient entre
eux 4, ou avec des militaires rencontrés en stage… En 1998, les quotas
disparaissent. Le concours d’admission ne comportant pas d’épreuves
sportives, la proportion de femmes est passée brutalement de 10 % à
plus de 60 % ! Actuellement, le Service de santé des armées compte le
plus grand nombre de couples homogames, c’est-à-dire où les deux
conjoints sont militaires.
En 2010, près de 70 % des militaires étaient mariés et 61 % des femmes
militaires vivaient en couple. Parmi elles, 60 % avaient pour conjoint
un militaire. Ce même rapport estimait à dix-huit mille le nombre de
couples homogames, avec des proportions variables en fonction des
armées et des services. Il y a donc une majorité de Pénélope portant
l’uniforme et qui, comme leurs époux, sont susceptibles de partir en
opération. Comme eux, elles sont amenées à laisser leur famille et la
charge de cette dernière à leur conjoint. Cette situation, même pour
la société civile, est inédite, non seulement parce qu’elle met à mal les
stéréotypes de genres, mais aussi parce qu’il s’agit d’un nouvel enjeu
pour les couples de militaires ou mixtes.
3. « Les femmes dans les forces armées françaises », 7e rapport du hcecm, 2013.
4. Situation facilitée par la géographie de l’école et une tolérance relative de l’encadrement. D’autres développements
sont à envisager avec l’arrivée de l’école des paramédicaux des armées, où la proportion de jeunes femmes est encore
plus forte.
QUAND PÉNÉLOPE S’EN VA EN GUERRE 137
AATreillis et jupons
AA Lysistrata
Au-delà de la farce politique, Lysistrata, la comédie d’Aristophane,
rappelle quelques vérités aux hommes et aux femmes. Souvent
traduites avec beaucoup de prudence pour ne pas dire de pruderie,
les références à la sexualité sont crues et directes dans la version
originale. La pièce raconte comment les femmes d’Athènes ont décidé
de faire la grève du sexe afin d’arrêter la guerre qui opposait leur
cité à Sparte. L’héroïne éponyme convainc d’ailleurs les femmes des
autres cités grecques de rejoindre le mouvement. Une pièce étonnante
dans le contexte spécifique à l’Antiquité grecque réputée machiste,
mysogine et phallocrate. Aristophane y montre la force des femmes.
De nombreux auteurs l’ont adaptée et d’autres l’ont même mise en
pratique, notamment en 2004 au Soudan. Avec quelques résultats…
Le sexe opère en effet comme un pacificateur. Dans le cas de la pièce
d’Aristophane, la grève provoque des tensions au sein des couples et
oblige les hommes à faire la paix. Il y a là une spécificité de l’espèce
humaine, seulement partagée par les bonobos. Le sexe crée du lien car
il oblige au dialogue.
Le départ en opération met chacun des conjoints face au manque
physique mais aussi affectif. C’est une nouvelle expérience du manque.
Et l’absence affective met aussi chacun face à d’autres question-
nements : que fait l’autre sans moi ? que vit-il sans moi ? Il faut être
capable d’aménager ce manque. Chez Aristophane, les hommes
tentent de convaincre les femmes d’abandonner leur résolution par
divers moyens, mais ce sont bien eux qui « craquent » en premier.
Il est difficile d’évoquer cet aspect de l’intimité fondatrice du couple
qu’est le sexe. Chaque couple invente une façon de conserver cette
part d’intime, même de façon symbolique. Mais il faut avant tout
comprendre, comme dans le cas de l’illusion d’être synchrone, que le
vécu de chacun est différent. L’OPEX a tendance à abraser la libido. Dans
les quelques entretiens où la question a été abordée, hommes comme
femmes disent qu’en opération il y a peu de place pour le désir ou la
séduction. Dans certains cas, l’insistance des questions de celui resté en
métropole sur ce sujet peut être perçue comme malvenue et inadaptée.
140 ET LE SEXE ?
AA Opération jupons
Dans l’imaginaire, et spécifiquement quand elle fait irruption
dans un environnement essentiellement viril, la femme est une
perturbatrice de l’ordre et c’est au sexe, ou plutôt à la tension qu’il
crée, qu’est attribué le chaos. Dans Operation Petticoat (Opération jupons 5),
l’équipage d’un sous-marin, commandé par le débonnaire Cary
Grant, recueille à son bord cinq infirmières officiers. Sur l’une des
affiches du film, l’allusion sexuelle est mise en exergue : on y voit le
commandant, posté en bas d’une échelle, un soutien-gorge dans la
main, regarder l’une de ces infirmières descendre celle-ci. Après avoir
provoqué quelques catastrophes, tout cela sur le ton de la comédie, ces
jeunes femmes finissent par se marier avec les officiers célibataires du
bord.
Cette comédie, en partie fondée sur des faits réels, est parfaitement
oubliable même si elle se visionne avec plaisir. Si on s’affranchit des
stéréotypes propres aux années 1950, elle montre que le problème
que rencontre une femme dans un milieu masculin n’est pas sa
compétence mais son sexe. Aujourd’hui encore, certains officiers de
Marine critiquent, à titre personnel, l’arrivée des femmes dans les
sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Ils ne contestent pas
leur compétence, mais le fait qu’elles vont bousculer l’équilibre du
bord en créant une tension sexuelle. Il est bien connu qu’où il n’y a
pas de femmes, il n’y a pas de sexe…
Et si les hommes sont inquiets de la présence de femmes en
mission, leurs épouses le sont tout autant : elles craignent que
dans la solitude du bord ou de l’OPEX il y ait des rapprochements.
L’inverse est tout aussi vrai, mais pour d’autres raisons : les maris,
s’ils n’ont globalement pas peur de l’infidélité de leurs compagnes,
se méfient en revanche de leurs congénères et de leur instinct de
prédation ! Les femmes sont donc imaginées comme des victimes
et les hommes comme des prédateurs. Se dessinent des stéréotypes
dont les locuteurs n’ont pas vraiment conscience, et cela des deux
côtés. Pour les uns, les femmes sont des victimes potentielles et
leur rôle est de les protéger. Pour les autres, les hommes sont
vulnérables sur le plan affectif et pourraient donc se rapprocher
d’une autre femme.
Bien évidemment il n’existe pas de statistiques sur les aventures
extra conjugales en OPEX. Elles existent ; nous en avons été témoins,
et cela à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique. Un cas, resté
célèbre, est celui du général Kœnig et de sa conductrice. Mais si ces
rapprochements ne sont pas exceptionnels, ils ne sont pas non plus
6. Film de 1982 réalisé par Daniel Vigne avec Gérard Depardieu, Nathalie Baye et Bernard-Pierre Donnadieu dans les
rôles principaux, et inspiré du livre de Janet Lewis qui s’appuie sur des faits réels.
142 ET LE SEXE ?
AA Le genre en étude
AA « Tu seras un homme, mon fils »
Le sexe biologique, celui du caryotype, donne le sexe de l’enfant
et, donc, pour certains, le genre de ce dernier, comme une évidence.
D’autres considèrent que la société pousse les parents à faire
correspondre le sexe biologique au genre : on offre des poupées
à une fille, des voitures et des fusées à un garçon. Qui habille
son « petit gars » avec de la layette rose ? Dans cette approche, qui
met en exergue l’existence de deux genres, nous sommes soit des
hommes soit des femmes. Le sexe biologique figerait le genre dès
la naissance, et même dès la vie in utero. Ce genre se refléterait dans
les organes génitaux visibles. La culture se colle à la nature. Les
146 ET LE SEXE ?
1. Lesbiennes, gays, bisexuels et trans (lgbt) désigne les personnes non hétérosexuelles et/ou non cisgenres.
ET SI LE CHEVALIER D’ÉON AVAIT ÉTÉ MILITAIRE ? 147
2. Néanmoins, l’existence, parfois ancienne, de ces spectacles montre qu’il existe des espaces de tolérance à la
condition que ce soit limité. On peut se souvenir de la chanson d’Aznavour…
3. La transsexualité est évoquée pour la première fois par Harry Benjamin lors d’une conférence de 1953 sous le terme de
« syndrome de Benjamin ».
148 ET LE SEXE ?
4. Le nombre n’est pas évalué précisément par le Service de santé des armées, mais il est probablement inférieur à cinq
cas par an.
ET SI LE CHEVALIER D’ÉON AVAIT ÉTÉ MILITAIRE ? 149
7. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie, qui regroupe et
classe les différentes pathologies psychiatriques, et les associe à des critères diagnostiques.
8. Certaines pathologies endocriniennes pourraient entraîner des modifications en imprégnations hormonales tels
l’hyperplasie congénitales des surrénales, le syndrome d’insensibilité à la testostérone (syndrome de Morris), des
pseudo hermaphrodismes…
ET SI LE CHEVALIER D’ÉON AVAIT ÉTÉ MILITAIRE ? 151
9. Le transvestisme est une forme de fétichisme (le vêtement est le fétiche) qui ne vient cependant pas interroger le sujet
sur son identité de genre (un homme qui aime porter des vêtements féminins).
152 ET LE SEXE ?
1. Do Androids Dream of Electric Sheep ?, 1966 (1976 en France), adapté au cinéma par Ridley Scott sous le nom de Blade
Runner.
158 POUR NOURRIR LE DÉBAT
Depuis plus de deux ans, des experts comme des hommes politiques
ont ainsi souvent supposé, et parfois affirmé, le caractère fou des actes
terroristes, supputant un probable processus psychopathologique chez
leurs auteurs. Les psychiatres ont été convoqués afin d’apporter leur
aide et leur expertise, de détecter cette nouvelle maladie et d’extirper
cette folie afin que nos sociétés retrouvent leur tranquillité. Je suis
psychiatre et je ne crois pas que le terrorisme soit une folie au sens
psychopathologique du terme.
AA Folie et violence
La folie, ça n’existe pas, en tout cas au singulier. Psychiatres ou
psychologues se permettent parfois d’utiliser ce mot pour signifier le
caractère exceptionnel de la clinique de certains patients. Il faudrait
parler des folies, et encore cela n’est pas très satisfaisant car la folie,
c’est comme le cancer : les profanes y voient une maladie unique alors
que, pour les spécialistes, il s’agit d’un concept-valise qui permet de
résumer une réalité bien plus complexe. Certains délireront toute
leur vie, persuadés des plus extraordinaires théories et sans jamais
consulter un psychiatre 2, alors qu’un patient phobique, le plus
rationnel qui soit et reconnaissant lui-même le caractère absurde
de ses symptômes, sera terriblement handicapé. Le domaine de la
psychiatrie recouvre des réalités complexes et les patients vivent tous
différemment leurs symptômes, certains en souffrent d’autres pas du
tout.
Les malades mentaux sont-ils plus violents ? Des faits divers
ont ému l’opinion par la violence du geste commis par certains
d’entre eux. Ainsi, en 2004, des infirmières d’un centre hospitalier
spécialisé furent décapitées. Un homme souffrant d’hallucinations
a poussé quelqu’un sous les rails du métro. On pourrait multiplier
les exemples et finalement donner l’impression que l’essentiel des
crimes est commis par des sujets souffrant de troubles mentaux. Or
une étude menée dans les années 1990 a montré que la probabilité
d’être agressé par un individu ayant consulté un psychiatre est dix fois
moins élevée que de l’être par quelqu’un sans antécédents. Les services
de psychiatrie peuvent être bruyants, mais la violence y est rarement
présente. J’ai exercé pendant douze ans dans des services de psychiatrie
hospitaliers, certes ouverts, mais je n’ai jamais attaché un patient et je
n’ai été agressé qu’une seule fois, par une patiente de quatre-vingt-dix
2. On se contentera de citer un exemple fameux : Kurt Gödel, un mathématicien qui a révolutionné l’histoire de la logique
mais dont les carnets révèleront de façon posthume un délire.
DE LA PSYCHIATRISATION DU TERRORISME 159
3. V. Boukovsky, S. Glouzmann, « Guide de psychiatrie pour les dissidents soviétiques, dédié à Lonia Pliouchtch, victime
de la terreur psychiatrique », Esprit, vol. 449, nº 9, septembre 1975, pp. 307-332.
DE LA PSYCHIATRISATION DU TERRORISME 161
AA Terrorisme mémétique
La nouveauté est qu’aujourd’hui le terrorisme devient une affaire de
profane. Pour être terroriste, il n’est plus besoin d’avoir fait le voyage
jusqu’à Moscou ou Damas comme au temps de la guerre froide, ou
d’être allé dans un camp d’entraînement. L’idée suffit.
Selon Richard Dawkins, un biologiste évolutionniste connu pour
avoir développé la théorie du gène égoïste (1976), l’apparition d’espèces
plus ou moins complexes n’est que le résultat de la compétition que se
livrent les gènes pour se répliquer. Un gène ne cherche qu’une seule
chose, se reproduire, et les organismes ne sont que des véhicules
pratiques. Une théorie qui a conduit Dawkins à élaborer celle des
mèmes 5. Les idées seraient comme les gènes : elles chercheraient à
se répliquer, à se reproduire dans le plus grand nombre d’esprits
possible, et la conscience humaine serait l’écosystème parfait. Pour
désigner ces idées, il fonde le néologisme « même » à partir du mot
gène et du latin mens (l’« esprit »). La religion serait l’un des « mèmes »
les plus puissants. Les idées pourraient donc se reproduire comme
des virus et entrer en compétition pour le contrôle d’un même
écosystème : notre esprit.
La théorie des « mèmes » a connu peu de succès en France, d’abord
parce qu’elle soulève des problèmes épistémologiques importants.
Néanmoins, il faut reconnaître que certains concepts possèdent des
forts pouvoirs d’attraction, comme une histoire drôle qui se diffuse,
une rumeur ou certaines expressions. Penser des idées comme des
virus permet, en restant très prudent, d’imaginer comment elles se
diffusent.
Les sujets souffrant de pathologie mentale sont-ils plus vulnérables à
la propagande d’un groupe terroriste ? En d’autres termes, sont-ils de
bons terrains pour les mèmes ? La question est complexe et plusieurs
fois soulevée, certes dans d’autres contextes. Au XVIIe siècle, par
exemple, les confesseurs s’inquiétaient de l’influence des romans
sur l’esprit des jeunes filles. L’Europe du XIXe, elle, a imputé à la
lecture des Souffrances du jeune Werther de Goethe l’épidémie de suicides
qui toucha la jeunesse. Plus près de nous, l’opinion a vu dans les
dessins japonais un danger pour les jeunes esprits – on cherche en
quoi Goldorak aurait provoqué une violence accrue chez les actuels
quadras.
Néanmoins persiste l’idée que certains concepts, peuvent avoir
au minimum une influence néfaste sur des esprits malléables ou
5. Théorie développée dans Le Gène égoïste, puis par Susan Blackmore dans La Théorie des mèmes. Pourquoi nous nous
imitons les uns les autres [2000], Paris, Max Milo Éditions, 2005.
DE LA PSYCHIATRISATION DU TERRORISME 163
AA Arrogance et altérité
Nous sommes persuadés que notre société ou nos idéaux sont le
paroxysme de la civilisation. Les progrès de la science associés aux
progrès sociaux doivent nous permettre de résoudre la plupart des
enjeux qui se présentent à nous. Nous sommes éduqués, pacifiques,
tolérants et ouverts à toutes les cultures, à toutes les orientations
sexuelles, à tous les choix de vie. Que d’arrogance ! Il ne s’agit pas
d’une posture politique de droite ou de gauche. Les Américains ont
cru qu’apporter les bienfaits de la démocratie suffirait à créer un cercle
vertueux qui instaurerait la paix au Moyen-Orient. De l’autre bord
politique, prévaut l’idée qu’il suffit d’être ouvert, accueillant envers
l’autre, pour qu’en miroir il devienne à son tour tolérant.
Le problème de l’Occident est l’autre. C’est pourquoi beaucoup
voient dans le terrorisme une forme de psychopathologie. L’autre, c’est
le fou, le perturbateur de l’ordre et de la norme. Étymologiquement,
aliéné et aliénation viennent du latin alienus, « autre » — que l’on
retrouve dans l’anglais alien avec une connotation supplémentaire
d’étranger et d’étrangeté. L’aliéné représente ce qu’il y a de plus autre,
ce que Freud, après les frères Grimm, nomme l’inquiétante étrangeté
(Unheimliche). Le fou nous ressemble, ne se distingue pas de la personne
saine d’esprit, mais il est censé être imprévisible et donc dangereux.
Certes l’accueil de l’autre, l’ouverture et la tolérance sont des valeurs
largement promues et constituent même parfois un programme
politique. Mais objectivement, nos sociétés acceptent ces autres à la
condition qu’ils soient des victimes. Les associations qui aident les
migrants de façon active mettent en avant l’impératif humanitaire. Les
nations occidentales seraient en dette vis-à-vis d’autres populations
pour des fautes commises envers elles. L’autre est foncièrement pacifié
et ne peut être pensé en dehors des catégories de la victime et de
l’homme occidental de celle du bourreau.
On a beaucoup écrit depuis Las Casas sur le génocide perpétré
par les conquistadores en Amérique du Sud. Il ne faut bien entendu
pas nier l’horreur de la conquête, du Mexique au Pérou. Mais peu
164 POUR NOURRIR LE DÉBAT
6. Interaction Ritual Chains and Violence: a Micro sociological Theory, Princeton University Press, 2004 et 2008.
DE LA PSYCHIATRISATION DU TERRORISME 165
AA Judiciarisation et individualisme
La judiciarisation est liée à l’individualisme croissant des sociétés
contemporaines. Mais il ne suffit pas de le constater pour le légitimer,
sauf à se résigner à la réduction du droit à la force ; il faut encore se
demander si et en quoi cette individualisation est juste.
Une première réponse associe la priorité de l’individu à la logique
contractuelle des échanges commerciaux privés. La règle du marketing
est que le client est roi et qu’il doit être satisfait. Si un plombier
installe un robinet et que celui-ci fuit, on peut demander réparation.
Mais le professeur qui me juge m’instruit, quant à lui, sur le niveau
de ma culture ; il n’est pas contractuellement sommé de me rendre
géniale. On voit ici que la judiciarisation tend à clientéliser les
rapports avec les services publics. Ainsi, un étudiant demandait un
jour de placer l’examen final au moment qui lui convenait pour des
raisons personnelles, après le mariage de sa sœur.
Une autre justification favorise l’individualisme judiciaire :
l’importance que les sociétés avancées donnent à la fragilité, à la
vulnérabilité. C’est chose normale pour des raisons humanitaires,
mais l’instrumentalisation de la douleur crée une judiciarisation
spécifique, celle du victimisme judiciaire : faire savoir que l’on
souffre pour être écouté. Ainsi, les adeptes de la grossesse pour
autrui allèguent volontiers la « détresse » des couples homosexuels et
plaident pour leur reconnaître un « droit à l’enfant » avec un recours
à la grossesse pour autrui. Dans ce cas particulier, une compassion
s’impose contre une autre et l’éthique de conviction d’un supposé
droit à l’enfant contredit l’éthique de responsabilité qui déplore
l’industrialisation de la grossesse de masse pour autrui dans les pays
en développement.
Revenons à la question militaire. L’individualisme des mœurs
conduit à changer le rapport entre la nation et l’armée, ce que favorise
LA JUDICIARISATION, UNE SOLUTION ET UN PROBLÈME 169
AA Judiciarisation et démocratie
Ces quelques remarques conduisent à porter plus loin l’examen,
avec un argument de poids : n’est-ce pas là un progrès dans la
démocratie ? Demandons-nous à quelle conception de la démocratie
il est alors fait référence.
Dans les années 1930, le mot « hyper-démocratie » a été utilisé pour
signifier la pression de la volonté populaire (au sens populiste) sur
l’État. Citons Ortega y Gasset, le philosophe qui, dans La Révolte des
masses, a mis l’accent sur la façon dont l’opinion publique agissait alors
à la manière d’un lobby : dans une hyper-démocratie, « la masse agit
directement et sans loi, imposant ses aspirations et ses goûts au moyen
de pressions matérielles ». Il s’agissait alors de l’adhésion des foules à
un dictateur dont elles croient faire un porte-parole.
De nos jours, il conviendrait plutôt de parler de « contre-
démocratie » pour désigner l’évolution individualiste et procédurière
de l’opinion publique. C’est une démocratie de réaction, souvent
émotionnelle, qui use de la pression médiatique pour faire réagir les
politiques à leurs propres réactions. L’opinion prétend ainsi mettre
la justice, sa justice, au-dessus de la loi. Mais cette démocratie est
« contre-démocratique » et « impolitique » (selon les mots de Pierre
Rosanvallon) parce que c’est une pratique constante de la défiance et
du soupçon, une démocratie négative qui vote « contre » et se dresse
« contre » ceux, responsables de décisions, acteurs publics ou auteurs
de réformes, qui ne donnent pas satisfaction.
Mais de quelle satisfaction s’agit-il exactement ? Il faut peut-être
craindre qu’il s’agisse d’un imaginaire de justice, un imaginaire qui
nie la finitude de la condition humaine, l’imprévisibilité des dangers
et l’inéluctabilité des conflits. Un imaginaire de la vie sans la mort, de
la santé sans la maladie, de l’éducation sans l’échec, de la guerre sans
la violence. Un homme politique disait jadis avec ironie que le rêve des
Français est de « mourir en bonne santé ».
Le cas de l’armée révèle d’une façon particulièrement significative
la transformation de l’imaginaire national. On a qualifié de
« post-héroïque » la manière dont les Européens d’aujourd’hui
170 POUR NOURRIR LE DÉBAT
2. P. K. Howard, “Life Without Lawyers: Restoring Responsibility in America”, New York, Book Review by Andrew Jay
McClurg, Social Science Research Network.
contre la judiciarisation, parce que la responsabilisation vient de la
confiance des usagers dans l’institution et que vouloir mériter cette
confiance correspond à l’engagement des personnes dans leur contexte
professionnel. Elles n’agissent pas par peur, mais par conviction et
souci d’accomplir une mission.
AA Conclusion
On imagine trop souvent que le pouvoir est de nature physique et
matérielle, qu’il opère par la contrainte et par la force. Mais on oublie
qu’il est d’abord de nature mentale et symbolique. Sa vraie force est de
susciter l’adhésion, la confiance, l’engagement.
Nous sommes entrés dans une époque où la symbolique du pouvoir
importe autant que sa puissance physique, car une guerre peut être
perdue si l’opinion publique lui refuse son adhésion morale. Le
pouvoir symbolique définit le sens commun des mots, légitime les
émotions collectives, installe l’interprétation du monde qui fait
sens pour le plus grand nombre. L’armée est l’un de ses principaux
vecteurs. La confiance dans le soldat est aussi indispensable à la
sécurité du citoyen que la confiance dans le médecin est nécessaire à
la guérison du malade, de sorte que l’image publique de l’armée fait
partie de son efficacité sur le terrain. C
TRANSLATION IN ENGLISH
HERVÉ PIERRE
RAPE AND STRATEGY
A man of about fifty years old, visibly very angry, insulting the
soldiers and stirring up the passers-by, presented himself to the
French military post. Shrieking that his daughter had been raped,
he demanded to be received immediately by the representative of the
Army. To the lieutenant attempting to find out more about what was
increasingly looking like a total fabrication, the accuser himself called
a halt to the explanations by replying, without beating about the bush—
and also without much consideration for his daughter as supposed
victim—that the affair could be dropped there and then in return for
payment of a substantial sum of money in “compensation”. Sensing a
con, the young section leader abruptly dismissed the man, but his unit
commander, being more experienced, fortunately had the presence of
mind to measure the potentially damaging impact of the situation. The
measures taken by this commander were immediate: they consisted
in dismantling the mechanism of manipulation, by proving in
minute detail, both in time and space, the material impossibility of
the reported aggression, If he had not done so, the rumour would
probably have spread and, from a fiction, the crime would have
become all the more real in public perception because the possibilities
of proving its (non)existence would have been diminished.
Although the task was both to uncover the truth and to make sure
that it was shared in the local community, “freezing” the claimed scene
of the crime to establish the facts generated considerable constraints
on operations. However, these immediate tactical frictions were the
price to pay to prevent the strategic exploitation that the adversary
could have gained from this claimed misconduct by the Force 1.
When engaged in a combat where direct confrontation using classic
weaponry is by nature unfavourable to the irregular combatant, he
will naturally be led to prioritize an indirect approach that leaves him
less exposed. Of course, this observation does not lessen the inanity of
proven cases of wartime rape, and it is clear that justice must be done.
Consequently, the reflections that follow do not aim to legitimize the
authors of these acts—quite the contrary—nor to deny their possible
reality, but simply aim to lift the veil on a little-known utilization
1. This article draws a very classic distinction between the tactical, operative and strategic levels. While tactics are the
“art of employing arms in combat to obtain the best effect” (Beaufre, 1963), strategy, at the other end of the spectrum,
is the “art of using force to achieve political aims,” (Beaufre). At the intermediate stage, the operational level is in
the position of interface on a particular theatre, implementing the strategic directives and giving meaning to the
combination of tactical effects produced on the ground.
176 TRANSLATION IN ENGLISH
soldiers’ uniforms” 2, wrote the young Georges in 1940, noting that the
deleterious effects of the debacle are only the accelerated development
of an evil that was already incubating in the men whose purpose had
become to kill with weapons. The debacle, as Levinas emphasizes in
his Carnets de captivité (Captivity Notebooks), describing the “scene of
Alençon”, acts in this case like developer fluid, revealing the possible
excesses of a conflict after its last regulatory flood-barriers have
collapsed; in this extreme case, the instincts of sexual pleasure are
released as an enlistment of the self in the service of itself, while the
Other, whether man or woman, has become nothing more than an
object to be consumed. “Here, it’s as if everything is to be eaten in
its massive indistinction” 3 he writes. The human body is there to be
possessed: it is stripped of its functional form, which normally gives it
an effective grip on its environment via the enactment of a relational
system, to become no more than a pure consumer product.
For Levinas, the “debacle”, reveals the crude truth of war, the
collapse of human beings, who, by their conduct, give up what makes
them human, reverting to the indeterminate state of what he calls the
“there is”, the form that pre-exists the social being. “War occurs as the
pure experience of the pure being, at the very instant of its blazing
brilliance, when the drapes of illusion are burning. […] Violence
consists less in wounding and annihilating than in interrupting the
continuity of persons, in making them play roles in which they no
longer recognize themselves, in making them betray not only their
commitments but also their own substance, in making them carry out
actions that will destroy any possibility of action 4.”
The existence of this type of philosophical operator does not mean
that these excesses occur in every war, but it informs us of their
possibility and therefore of the need to remain vigilant and to never
relent. In the subject under consideration here, the rules of law are
constantly advancing: for example, wartime rape was classified as a
crime by resolution 1820 of the UN on June 19th, 2008—and the codes
of conduct developed by regular armies, in particular in the west,
quite naturally express the sensitivity of the public opinions that
support them. In fact, as can be observed in France, public opinion is
extremely receptive, attentive and reactive to anything that could imply
that the law of war has been transgressed.
Armies themselves, with strict chains of command, have internalized
the standards that govern their conditions of engagement, as can be
2. Cl. Simon, La Route des Flandres, Paris, Les éditions de Minuit, 1960, p. 41.
3. E. Levinas, Eros or Sad Opulence, Complete Works, (French edition: pp. 51-53P.
4. E. Levinas, Totality and Infinity. Essay on Exteriority, (French edition: Paris, Le livre de Poche, 2010 [1971], pp. 5-6.
178 TRANSLATION IN ENGLISH
aspect as the future zone of action: “It is evident today, with the
development of information by the press, radio and television, that
the psychological domain is becoming an essential and decisive zone
of action 5.”
Admittedly, the reality observable on the ground is less cut and dried,
because the parties in conflict cannot totally escape the frictions of
physical contact, in particular when the places and power relationships
at stake are very locally concentrated. At the same time, a rapid analysis
of the “system of systems” of our French army clearly reveals its cultural
matrix and its Achilles heel. As the armed branch of a nation that
prides itself on being the country of the enlightenment and that makes
the defence of its lifestyle a combat against obscurantism, the French
army cannot transgress the values that it is supposed to represent
without turning its back on its own identity; while this is undeniably a
political virtue, it quite rightly also has the inconvenience of limiting
the army’s short-term tactical efficiency, since it cannot adopt the modus
operandi of an adversary who is not at bound by the same commitments.
Without saying that we need to adopt more extreme measures, the
simple definition of the conditions under which the soldier can
use his weapon raises questions, and the “rules of engagement” can
sometimes be so restrictive that they limit the right to straightforward
self-defence. Of course, the issue here is not to include rape or any
other crime in the category of methods that the armed forces might
regret not being able to use, but the highly sensitive nature of public
opinion now appears to be a critical vulnerability that makes the idea
of exploiting its reactions particularly tempting.
Since the transgression of a rule by one individual can put the entire
(expeditionary) force at risk, the adversary consequently does not feel
any compunction about using every possible method to attempt to
discredit some members of the force while pushing others to perpetrate
misconduct. Public accusations that are groundless but that provoke
the anger of the crowd, pseudo “victims” paid to give false testimony,
altered photos and videos that are claimed to provide overwhelming
evidence of wrongdoing, blackmail via prostitution, triggering the
vicious spiral of manipulation … the imagination is without limits,
given that this trade can be financially rewarding and have particularly
profitable political impact. Even when a minor combat action yields
a result that is considered favourable, the effects rarely surpass the
tactical and operational level, whereas the manoeuvre of manipulation
can easily cumulate the impact at each scale, from localized paralysis of
the incriminated unit to a questioning of the practical implementation
5. A. Beaufre, La Stratégie de l’action (Strategy of Action), French edition : Paris, Presses de l’Aube, 1997 [1965], p. 74.
or even of the entire merit of the mission in Paris, by way of a position
that is at the very least embarrassing for the theatre command post.
“The strategic irregular”—to twist the expression forged by General
Krulak 6 in favour of the adversary—is the combatant who deploys an
indirect strategy (instead of the direct use of force), using an external
manoeuvre (i.e. in France, and therefore external to the theatre of
the actual conflict) to strike the political centre of gravity (the will to
conduct or continue the mission) in its critical vulnerability (public
opinion, which is versatile, reactive and easily influenced) 7.
Once again, the revelation of a strategy that transforms the
accusation of rape into a weapon of the weak against the strong does
not diminish in any way the total condemnation due for every proven
crime, nor the efforts that justice must imperatively deploy to establish
the facts whenever the slightest doubt subsists, This is because even if
an adversary who is simply exploiting information, whether true or
false, only sees this tactic as a “ruse” of war, we must remember that it
is always a “felony” to cross the line to wrongful action, in that, besides
the elementary respect owed to the human person, these acts transgress
the laws and rules that normally govern the conduct of an army in
campaign. So, while global interconnection, which now constitutes
our relational ecosystem, permits both the instant denunciation of a
crime and the manipulation of public opinion, rape remains a doubly
asymmetrical strategic factor. As a weapon of terror for the strong,
whether used structurally or more generally as a means of imposing
domination, rape must be placed in the category of “war crimes” and
should—we can legitimately hope—progressively disappear with the
advance of international law. By contrast, as a ruse of the weak to
strike at the source of the power of the strong—in this case the national
will of our democracies—, the instrumentalization of rape is spreading
exponentially, especially since it provides a cheap weapon of mass
destruction via the media. C
6. Ch. Krulak, “The Strategic Corporal: Leadership in the Three Block War”, Marines Magazine, January 1999.
7. J. Strange, “Centers of gravity and critical vulnerabilities”, Perspectives on Warfighting, Quantico, Marine Corps
Association, 1996. If the centre of gravity (cg) is defined as the source of the power of the adversary, a logical analysis
will identify its corresponding Critical Capacities” (cc), and “Critical Requirements” (cr) and, finally, its “Critical
Vulnerabilities” (cv). The latter, as the final product of the equation cg-cc-cr-cv, are, for the American strategists of
the 1990s, where the effort should be concentrated.
CAMILLE FAVRE
THE PIN-UP: AMERICAN
EROTICISM AND PATRIOTISM
DURING THE SECOND WORLD WAR
The history of the pin-up is intimately linked to the events of the
20th century. Due to its omnipresence, success and adaptability, the
pin-up constitutes a rich and significant chapter in Western popular
culture. As an image to be literally pinned up (on a wall or locker door
etc.), the pin-up was born in the United States in the years 1920—1930,
during the golden age of the press. Continuing a French tradition
of soft erotic drawings, the pin-up followed in the footsteps of the
Gibson Girl, the first illustration of a woman to be published in the
form of a poster. During the Second World War, the production of
pin-up pictures became a flourishing industry. The reminiscences of
Hugh Hefner, creator of Playboy, reveal their ubiquity: “After school,
armed with my diploma, I joined the army. Just like any boy doing his
military service, I had the minimum essentials in my case—a uniform,
a helmet and a pin-up.”
The strategic utility of this erotic archetype became particularly
evident during wartime. The power of this image comes from its
ability to appear innocent while conjuring up the classic codes of
seduction: it is the eroticism of the “girl next door”. Unlike the vamps
of the 1930s, the pin-up is a simple and wholesome girl, with an almost
childlike face but with very marked sexual attributes—bombshell
breasts, interminably long legs, wasp waist and high buttocks. A
western beauty posing suggestively, she is sexy but remains chaste,
caught by surprise in situations that reveal her undergarments and
anatomy. She is not willingly showing her body. And the voyeur is only
seeing her by chance, without any deliberate intention on his part.
These staged poses are characterized by the humour and improbability
of the situation, which allows the woman to be eroticized without
transforming her into an active sexual subject, preserving her
freshness and innocence. So, the function of the pin-up is very clear,
as connection, safety-valve and guarantee of social order during this
time of crisis. By its massive use on the various fronts of war but also
back home, the role of the pin-up in military propaganda was by no
means negligible.
For example, during the Second World War, different missions
were assigned to the pin-up. Very rapidly, the authorities began to use
and abuse this iconography to channel the sexuality of the men. At
182 TRANSLATION IN ENGLISH
the same time, back home, the circulation of these images was just as
large, and the pin-up acquired a symbolic function in the war effort.
Finally, the appropriation and classing of these pin-ups by the soldiers
also provide a measure of their influence.
imagery. The ultimate association of the sexy woman and the object
of war came with the presence of pin-ups on the bombs dropped from
these planes. Rita Hayworth was reportedly drawn on the atom bomb
dropped on Hiroshima on June 6th, 1945.
Soldiers also perpetuated the traditional sailor’s practice of having
themselves tattooed with images of women. There are several reasons
why men get tattoos in wartime: tattoos indelibly mark the flesh
with their membership of a group, and they associate this ordeal
of initiation with all the other ordeals endured during this very
special period. The tattoo therefore became a challenge, appealing
to so-called “virile” qualities. Tattoos of pin-ups, like the pictures
of women found in soldiers’ barracks, also served to alleviate the
absence of feminine affection. They reminded soldiers why they were
fighting. They symbolized the fiancée, the “girl next door” and the girl
waiting patiently until the young men came home. Moreover, soldiers
endowed these pin-ups with the powers of a fetish or good-luck charm.
They represented both soothing femininity and the protection of the
soldier. Tattoos also enabled the soldier to have his pin-up engraved in
his flesh and to have her “under his skin”. The tattoo of a woman on
a soldier’s body affirmed his heterosexuality.
So, tattoos were conceived as an outward sign of the traditional
masculine values that are constantly eulogized by the military world—
steadfastness and resistance in the face of pain, sexual potency and the
power of the warrior. The tattoo contributed to giving a harder and
more virile appearance to these men who were accustomed to reflecting
the moral qualities demanded of them on their bodies. So, in the
world of heterosexual males, the tattooed soldier affirmed himself as
a ladies’ man, a successful seducer, a playboy and a womanizer. The
tattoo of a pin-up therefore heralded the arrival of the soldier-hero and
helped to confirm a triumphant masculinity.
The Second World War marked a turning point in the history of
the pin-up and highlighted the strategic utilization of these “paper
women”. The military functions of these girls were to provide a
source of encouragement, support and sexual canalization. However,
despite this immense popularity, some women and men enlisted in
this conflict denounced the instrumentalization of these images, by
emphasizing, for example, that there was no masculine equivalent or
by preferring to idolize the volunteers of the Red Cross. Nevertheless,
as incarnations of the country to be defended, these images of women,
as figures of optimism and hope, gradually acquired the role of
national symbol of the United States.
In 1950, pin-ups stood at the threshold of a new era that was full of
promise. And their role shifted with this transformation. By now
perfectly integrated in the popular culture of the American nation,
they became an excellent means of promotion. As advertising icons,
they served the consumer society by presenting a positive image of life,
abundance, youth and beauty. They symbolized a flourishing economy
and radiant future, and they materialized the values of a victorious
American society in full expansion.
Hugh Hefner perfectly understood the lessons of this eroticism of
the “girl next door”. In 1953, the first issue of Playboy appeared with the
first in a long series of “playmates” as centrefold— she was none other
than Marilyn Monroe. The pages of the magazine, up to 1978, also
included a number of Vargas Girls. But mentalities change, customs
evolve, and photography replaced the artist’s illustration… For the
Vietnam War, it was the playmate who accompanied the men on the
front, and she was much less chaste than her forebears. C
COMPTES RENDUS
DE LECTURE
Cette histoire de la stratégie court sur près de deux mille cinq cents ans. La Ruse
Par son ambition et son érudition, cette somme n’a pas de précédents dans la et la Force
littérature académique française. En faire un résumé, même sommaire, excède Une autre
les possibilités de ces quelques mots. L’ouvrage s’articule autour d’une ligne histoire de la
directrice dont l’auteur ne s’échappe jamais : la relation entre la force et la ruse, stratégie
entre les deux figures tutélaires qui incarnent ces deux vertus guerrières et Jean-Vincent
stratégiques, Achille et Ulysse. Au premier va la gloire du combat frontal et le Holeindre
renom immortel d’un courage qui s’expose aux yeux de tous. À lui, la furie de Paris, Perrin, 2017
la mêlée, la détermination du face-à-face et la conviction que la vie belle est une
vie courte. La victoire s’obtient par une pensée directe : vaincre par un surcroît
de force et de violence foudroyante. Au second, la patience et la ténacité, la
certitude que la victoire est au bout d’une route longue et sinueuse, la certitude
que la faiblesse peut se transformer en supériorité, et l’espoir jamais éteint qu’il
faut vivre vieux et entouré des siens.
Le premier archétype, celui d’Achille, a nourri la réflexion de Victor Davis
Hanson, auteur du célèbre Modèle occidental de la guerre (2007), ouvrage de
référence selon lequel le système hoplitique des Grecs signe, une fois pour
toutes, la guerre à l’occidentale. Ce serait la marque de l’Occident que de
privilégier le choc décisif de la bataille rangée et la supériorité de sa propre
force sur celle de l’ennemi. Ce canon entretient le goût pour l’héroïsme, le
sacrifice et la fureur. Égalitaire dans son essence (les hoplites avancent
tous ensemble au coude à coude face à l’ennemi), il est profondément lié à
l’éthique démocratique. Ce modèle stratégique antique n’a jamais cessé de
se reproduire tout au long de l’histoire occidentale, jusqu’aux deux conflits
mondiaux, ou plus récemment lors de la libération du Koweït ou l’invasion de
l’Irak. Conduisant nécessairement à la guerre de masse, il ne fait pas obstacle
– ce que Jean-Vincent Holeindre ne reconnaît pas assez – à l’émergence de
répliques d’Achille, figures semi-divines comme le furent en leur temps Manfred
von Richthofen ou Georges Guynemer, ou, sur un mode plus démocratique,
de légendes vivantes comme l’ont été Audie Murphy ou Marcel Bigeard. Ce
modèle de guerre si longtemps répété a laissé dans l’ombre, par mépris autant
que par sens de l’efficacité, la voie ouverte par Ulysse, celle de l’évitement
illustrée par Fabius Cunctator, celle de la feinte prônée par Machiavel, celle de la
désinformation qu’affectait Winston Churchill, celle de la dissimulation confiée
aux espions modernes et celle du camouflage dans lequel sont passées maîtres
les forces spéciales.
L’immense mérite de cet ouvrage est qu’il fait plus que rendre justice à cet
autre sens de la victoire décisive. Loin de compiler une série d’anecdotes ou
d’aperçus philosophiques qui auraient conforté la place secondaire et dévaluée
de la ruse et du stratagème, l’auteur nous en propose l’histoire et la continuité
de pensée. L’impression qui domine l’ouvrage, durant et après sa lecture, est
celui de la surprise : la ruse, examinée sous toutes ses facettes, se révèle être un
pilier de la pensée stratégique occidentale. Loin d’être l’apanage des « autres »
et l’expression d’une pensée mineure, elle appelle le génie et le courage.
188 COMPTES RENDUS DE LECTURE
L’auteur ne laisse guère de doute sur l’erreur commise par Hanson. La guerre
indirecte est au cœur de la pensée stratégique, qu’elle soit occidentale ou non.
Sa longue histoire lui réserve un grand avenir.
Philippe Rousselot
Vercingétorix,
Son nom est connu de tous, mais la réalité de son action bien ignorée : chef de
Vercingétorix, jeune chef militaire arverne qui s’opposa à la conquête de la guerre
Gaule par Jules César, méritait bien ce livre. Tout en reconnaissant que les
Alain Deyber
sources sont extrêmement limitées, en fait peu de choses au-delà du De Bello Chamalières,
Gallico de César, Alain Deyber en tire le maximum, en particulier par une Lemme éditions,
critique sur la forme et le fond ainsi que par une remise en contexte. Après 2017
avoir posé le cadre général de l’action, et notamment précisé la constitution
des « armées gauloises », leur équipement aussi bien que les motivations
de leurs chefs, il revient sur les débuts de la guerre des Gaules et constate
les graves difficultés auxquelles est acculé César. Dans une dernière grande
partie, il s’interroge sur la conduite de la guerre par Vercingétorix, ce qui donne
lieu à d’intéressants développements sur la nature de la coalition gauloise
opposée aux Romains, sur la guerre de position et la « petite guerre ». Quelle
était l’autorité effective du chef gaulois sur ses troupes et ses alliés ? Pourquoi
le choix d’Alésia ? Quels étaient les effectifs réels disponibles, y compris
pour l’« armée de secours » ? Voici quelques-unes des questions, parmi bien
d’autres, auxquelles l’auteur tente de répondre en utilisant sa connaissance
des opérations militaires et des principes de la guerre. On peut être surpris
par exemple de voir évoqué un « état-major arrière », mais le parallèle est
intéressant. La brève épopée de Vercingétorix, tardivement devenue un « mythe
fondateur de l’histoire de France », ne doit pas faire oublier que l’armée « fut une Du sabre
armée moderne par rapport au tumultus gallicus des siècles précédents » et que à l’esprit
le jeune chef gaulois « fut notre premier grand stratège et tacticien ». Le livre se Arts martiaux
termine sur une chronologie détaillée et surtout sur un glossaire qui permet de et arts de la
guerre
préciser le sens du vocabulaire militaire. Une étude agréable à lire qui mérite
toute sa place dans notre bibliothèque. Matthieu
Debas
PTE Levallois-Perret,
Éditions JPO, 2017
Le nom de Friedrich-Wilhelm Krüger n’était sans doute connu que de quelques Krüger
spécialistes du système répressif nazi en Pologne pendant la Seconde Guerre Un bourreau
mondiale et cette étude, aussi imposante que pointilleuse, sera sans aucun doute ordinaire
rapidement reconnue comme une contribution importante à notre connaissance du Nicolas Patin
monde de ces « dirigeants intermédiaires », en charge de l’extermination à l’Est et de Paris, Fayard, 2017
la germanisation de l’Europe orientale. À partir d’une impressionnante recherche,
Nicolas Patin s’interroge essentiellement sur les conditions et les modalités qui
peuvent expliquer l’évolution d’un homme, officier subalterne assez exemplaire de
la Grande Guerre, qui, en 1944, « général de la police » sous les ordres d’Himmler,
demande à repartir pour le front après avoir « perdu son honneur ». Comment
passe-t-on de chef de section apprécié à organisateur rigoureux et efficace du
génocide ? De nombreuses chroniques reviendront sur cet aspect essentiel du
livre, mais si la recherche est parfaitement légitime, et semble-t-il tout à fait réussie
(on apprécie en particulier le ton posé et les affirmations mesurées), d’autres
aspects ont également retenu notre attention. Au-delà en effet d’un souci de
définition du « bourreau » et de la question récurrente du poids d’une « génération
du front », le lecteur apprend beaucoup sur des sujets rarement traités dans la
littérature francophone, surtout avec autant de soin. Toute la première partie du
livre est consacrée à la Grande Guerre de Krüger comme officier de troupe (un
« cochon de tranchées »), à sa perception de l’Armistice, à son engagement dans
les corps francs, au putsch de Kapp en 1923, puis à son adhésion au parti national-
socialiste en 1929, à ses difficultés matérielles pendant la grave crise économique
du début des années 1930. Cette période, extrêmement tumultueuse et difficile à
appréhender dans sa complexité, est à notre sens fort bien rendue, même si ici
ou là, au détour d’une phrase, on n’adhère pas totalement aux affirmations de
l’auteur. En tout état de cause, l’accélération de l’évolution de Krüger entre 1929 et
1933 donne à réfléchir sur l’adhésion, si souvent niée, d’une grande partie des élites
et du peuple allemands au nouveau régime. « Bon père de famille, mari aimant,
collègue attentionné », il n’avait finalement qu’un idéal et qu’une certitude : sa
« race ». Un livre important pour mieux comprendre l’histoire de l’Allemagne de la
première moitié du XXe siècle.
PTE
Ce petit livre est à la fois important, touchant et énervant. Avec le retour Entre mes
des opérations extérieures dans la durée est également revenu le temps des hommes et
témoignages de soldats et des publications de « journaux de campagne ». C’est mes chef
non seulement une bonne chose, car cela permet de compléter utilement le récit Journal d’un
généraliste sur une opération, mais c’est aussi important afin de renseigner lieutenant au
de la manière la plus précise possible « l’expérience combattante » de l’armée Mali
d’aujourd’hui. Ce livre est donc intéressant puisqu’il apporte de très nombreux Sébastien
détails sur les opérations conduites, vécues en bss entre mai et septembre Tencheni
2014 par l’eei du 12e Cuir (2e brigade blindée). Le point d’observation est celui Lavauzelle,
du chef de peloton, un lieutenant issu de l’emia, qui note au jour le jour ses Panazol, 2017
activités et ses réactions, parfois épidermiques. Il est touchant parce que l’on
y retrouve tous les enthousiasmes du jeune officier, en particulier à l’égard
de ses subordonnés, et ponctuellement ses exigences à l’égard de ses chefs,
comme ces généraux de passage qui ne trouvent pas deux minutes pour venir
parler aux soldats. Ce livre est également énervant parce que bien des critiques
ponctuelles ou des affirmations nettement assénées ici et là relèvent d’a priori,
pour ne pas dire de lieux communs (ne pas les prendre au premier degré donc).
Et pourtant, c’est bien ce mélange qui fait la réalité de la vie. Lorsque vous
êtes en opération, vous n’avez que rarement le temps de philosopher sur les
tenants et les aboutissants de la grande géopolitique, et au retour les propos
192 COMPTES RENDUS DE LECTURE
Dès le milieu du xixe siècle, l’Allemagne s’est préoccupée plus que n’importe La Guerre
quelle autre nation de la création de sous-marins. À la veille de la Grande sous-marine
Guerre, l’arme sous-marine a rapidement été utilisée, avant de s’interrompre allemande
devant les protestations d’ordre éthique suscitées par les naufrages des 1914-1945
bâtiments de commerce neutres. Contrairement à une idée répandue, l’attaque François-
et le naufrage du Lusitania, qui a fait plus de mille morts, n’ont entraîné que des Emmanuel
protestations protocolaires de la part du président Wilson. Il a fallu plusieurs Brézet
attaques de bâtiments américains pour que ce dernier rompe les relations Paris, Perrin, 2017
diplomatiques avant de déclarer la guerre à l’Allemagne. La guerre sous-marine
va permettre la mise au point de nouveaux types de bâtiments, toujours plus
performants, mais le haut commandement allemand reste hésitant sur leur
emploi qui restera marginal malgré les efforts de l’amiral Tirpitz. Après la
défaite allemande, l’interdiction qui est faite au pays de posséder une arme
sous-marine sera contournée par la mise au point à l’étranger (Japon, Espagne,
Finlande) de nouveaux sous-marins qui seront bien utiles dès 1935, date de la
reconstitution de l’arme. L’amiral Dönitz construira une flotte d’U-Boot dont il
fera un usage majeur. Leur pouvoir de nuisance, dirigé essentiellement vers
l’Angleterre afin de la neutraliser, sera souvent dévastateur. Il faudra qu’un
hasard heureux permette aux Anglais la capture d’un sous-marin porteur du
système Enigma de codage Triton pour renverser les capacités de destruction
de ces bâtiments. Hitler n’a jamais eu grande confiance en cette arme et a
préféré la disperser en Méditerranée, en Arctique et en Atlantique au détriment
de la Manche ; le débarquement se fera ainsi sans attaque de sous-marins.
Cette histoire remarquablement racontée par l’auteur, grand spécialiste de la
marine allemande, est d’une précision et d’une richesse stupéfiante. Elle est à
verser au profit de l’histoire des deux guerres mondiales en mettant l’accent sur
l’importance du bon usage d’une arme plutôt que sur son existence.
Didier Sicard
SYNTHÈSES DES ARTICLES
AATHIERRY BOUZARD
SEXUALITÉ ET CHANSONS DE SOLDATS
Si les armées sont un monde essentiellement masculin, du moins dans leur organisation histo-
rique, elles ont toujours intégré des femmes, mais seulement récemment des combattantes. Moyen
d’expression de la troupe, les chansons témoignent de l’importance de cette présence féminine hier,
comme de la féminisation aujourd’hui.
AAPHILIPPE ROUSSELOT
LE VIOL DE GUERRE, LA GUERRE DU VIOL
Le viol de guerre est plus que le viol tel que le définit le Code pénal. Il est une violence sexuelle
où se mêlent de manière systématique un surcroît de cruauté et une intention directrice imputable
à d’autres que les violeurs eux-mêmes. Signe distinctif de la plupart des conflits actuels, il est resté
longtemps hors du champ des appareils juridiques répressifs. Les progrès importants enregistrés à
partir des années 1990, grâce aux tribunaux internationaux ad hoc, notamment ceux de l’ex-Yougos-
lavie et du Rwanda, ne semblent pas suffisants pour combattre ce fléau d’une manière efficace.
AACAMILLE FAVRE
LA PIN-UP, ÉROTISME ET PATRIOTISME AMÉRICAIN
DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Représentation féminine érotique, la pin-up est, dans notre imaginaire collectif, l’icône embléma-
tique de la première moitié du XXe siècle. L’engouement populaire qu’elle suscite est réel durant cette
période. Pourtant, autour de cette innocente image de papier, symbole de légèreté et d’insouciance,
de nombreux enjeux politiques se nouent. Employée de manière massive durant la Seconde Guerre
mondiale pour « remonter le moral des troupes » sur le front et soutenir l’effort de guerre des États-
Unis, multipliant ses fonctions et s’affichant sur de nombreux supports, elle devient bel et bien un
instrument réfléchi de stratégie militaire.
AAYANN ANDRUÉTAN
WARGASME
Sexe et violence forment un couple pervers. Il y a un érotisme de la violence comme une violence
érotique, et les deux fascinent. L’érotisme de la violence s’exprime à travers l’excitation provoquée par
les jeux, notamment vidéo, mais aussi dans l’usage de l’arme. La violence devient érotique quand elle est
destinée à altérer sa dimension perverse. Le sexe et la violence nous rappellent notre humanité. Nous dési-
rons le premier et nous évitons la seconde. Mais il ne faut pas oublier que l’un et l’autre ne s’excluent pas.
196 SYNTHÈSES DES ARTICLES
AANATHALIE DESPLANQUE-GUILLET
AUMÔNIER EN OPEX
Aumônier aux armées, pasteure, Nathalie Desplanque-Guillet est partie à plusieurs reprises en
opération extérieure. Sans responsabilité de commandement, présente auprès de tous, sa spécificité
l’a placée en position d’accompagnatrice et d’observatrice, un véritable capteur d’ambiance. Elle livre
ici ses observations du terrain et les réflexions qu’elle en tire.
AAJEAN-MARIE DUMON
LE CHANT DES SIRÈNES
Le marin évolue dans un univers particulier, clos, communautaire, hostile à l’intimité. Le sexe en
mer se veut banni, inconciliable avec le nécessaire besoin de solidarité et de discipline. Et la femme,
réputée porter malheur, n’a pendant longtemps pas eu de place à bord. La gestion de la sexualité de
son équipage est donc une préoccupation du commandement, que ce soit à bord ou en escale, hier
comme aujourd’hui.
AAHERVÉ PIERRE
VIOLS ET STRATÉGIE
Arme de terreur du fort, qu’il le soit structurellement ou conjoncturellement, pour imposer sa
domination, le viol est à ranger dans la catégorie des « crimes de guerre ». A contrario, ruse du plus
faible pour frapper la source de puissance du plus fort – en l’espèce, la volonté nationale dans nos
démocraties –, son instrumentalisation se développe de façon exponentielle pour autant que, via les
médias, elle offre une arme de destruction massive bon marché.
AAXAVIER DARCOS
LE BATAILLON SACRÉ DE THÈBES : « À LA VIE, À LA MORT »
« Si, par enchantement, une armée pouvait n’être composée que d’amants et d’aimés, il n’y aurait
point de peuple qui porterait plus haut l’horreur du vice et l’émulation de la vertu. Des hommes ainsi
unis pourraient presque vaincre le monde entier. Car s’il est quelqu’un de qui l’amant ne voudrait pas
être vu quittant son rang ou jetant ses armes, c’est celui qu’il aime », écrit Platon. Et Xénophon de faire
mention d’un bataillon sacré composé exclusivement de guerriers thébains homosexuels. Un mythe ?
Qu’en savons-nous aujourd’hui ?
AAGÉRALDINE CASUTT
QUAND LE DJIHADISTE EST UNE FEMME
Longtemps on a considéré que le djihad était uniquement une affaire d’hommes. Il n’en est pourtant
rien. Moins visibles que ceux-ci de par les rôles qu’elles endossent, on a cru que les femmes qui rejoi-
gnaient le groupe État islamique étaient passives, et on les a regardées comme victimes et non comme
actrices de leur engagement. Une anomalie, surtout lorsqu’elles avaient été élevées dans des sociétés
prônant l’image d’une femme libre et libérée. Si la problématique de l’être djihadiste au féminin reste
aujourd’hui difficile à appréhender, il faut cependant prendre garde à ne pas la réduire à une dimension
émotionnelle qui serait déconnectée d’un ensemble de convictions pourtant nécessaires afin de faire
sens d’un engagement djihadiste.
AAPATRICK CLERVOY
« DOCTEUR, VOUS VOUS OCCUPEREZ DES FILLES »
Au milieu des années 1980, Patrick Clervoy, jeune médecin fraîchement diplômé, prend son poste
au camp Leclerc, à Bouar, en Centrafrique. Dès son arrivée, il apprend que l’une de ses missions est
de s’occuper des « hôtesses ». Il raconte ici comment était organisé et réglementé un système de pros-
titution qui ne disait pas son nom, et quel rôle il y jouait. Le but : préserver le potentiel opérationnel
des troupes. Avec un prix : la perte d’un idéal.
197
AADANIEL WEIMANN
LE DERNIER BMC
Lorsqu’en 1967 le 2e régiment étranger de parachutistes quitte l’Algérie et s’installe à Calvi, il
emporte dans ses bagages son bordel de campagne. Daniel Weimann, médecin capitaine au régi-
ment de 1970 à 1974, témoigne ici de l’organisation du « pouf » et des mesures prophylactiques
draconiennes mises en place pour les pensionnaires comme pour les légionnaires afin d’éviter toute
maladie. Ce BMC ne fermera ses portes qu’en 1978, suite à l’affaire Marchetti.
AACHRISTIAN BENOIT
LE SOLDAT ET L’AMOUR
En temps de guerre, pressés de se prouver qu’ils sont toujours vivants en dépit des combats, les
soldats s’unissent à des femmes seules, aux vies bouleversées, qu’ils rencontrent, mais aussi à des
prostituées occasionnelles ou déclarées, pour des accouplements fortuits, rapides et sans lendemain.
Dès 1801, la prolifération des maladies vénériennes qui s’ensuit conduit l’armée, dont les effectifs
sont affaiblis, à appliquer à ses hommes le contrôle sanitaire imposé aux prostituées depuis l’année
précédente. En 1916, le service de santé met en place une politique de santé publique visant soldats
et civils et, en 1918, l’armée ouvre en métropole des bordels militaires de campagne (BMC) qui n’exis-
taient alors qu’en Afrique du Nord. L’éradication de la maladie a conduit à l’abandon du contrôle, dont
l’efficacité était quasi nulle, et à la fermeture des BMC. L’apparition du sida oblige le chef militaire à
imaginer d’autres solutions.
AAANDRÉ THIÉBLEMONT
ET LA VIE DE COUPLE, BORDEL !
Dans nos sociétés occidentales, en trois ou quatre décennies, les pratiques sexuelles et les rapports
entre les sexes ainsi que les comportements qui en découlent se sont radicalement modifiés. Une vraie
révolution. Là, comme en d’autres domaines, le milieu miliaire constitue un excellent observatoire : un
regard comparatif entre hier et aujourd’hui sur les conditions de la sexualité du soldat en campagne,
sur la situation de l’épouse de militaire et sur les rapports au sein du couple peut donner la mesure
de cette mutation.
AAMONIQUE CASTILLO
LA JUDICIARISATION, UNE SOLUTION ET UN PROBLÈME
L’une des questions qui divisent les esprits à propos de la judiciarisation est de savoir s’il s’agit
d’un phénomène irréversible, caractéristique des démocraties postmodernes, ou s’il s’agit d’une crise
de civilisation, la civilisation européenne ne sachant plus résister à un individualisme atomisant qui
finit par dévorer les institutions collectives.
TRANSLATION OF THE
SUMMARY IN ENGLISH
AATHIERRY BOUZARD
SEXUALITY AND SOLDIERS’ SONGS
Although armies are essentially a masculine world, at least in their historic organization, they have
always integrated women, although only recently in fighting roles. As a means of expression of the
troop, songs testify to the importance of this feminine presence yesterday, and to the importance of
feminization today.
AAPHILIPPE ROUSSELOT
WARTIME RAPE AND THE WAR AGAINST RAPE
Wartime rape is more than rape as defined in the French Penal Code. It is an act of sexual violence
that systematically combines excessive cruelty with an intention of control that is as attributable to
others as to the rapists themselves. As a distinctive sign of most current conflicts, it has long remained
outside the scope of courts of justice. The significant progress made from the 1990s onwards, thanks
to the international ad hoc tribunals, in particular for the former Yugoslavia and Rwanda, do not seem
to be enough to combat this pestilence.
AACAMILLE FAVRE
THE PIN-UP: AMERICAN PATRIOTISM AND EROTICISM
DURING THE SECOND WORLD WAR
As erotic depiction of the feminine, the pin-up is the emblematic image of the first half of the 20th
century in our collective imagination. Its huge popularity during this period was very real. However, this
apparently innocent paper image, a symbol of carefree ease, was surrounded by a number of political
interests. Used massively during the Second World War to “raise the morale of the troops” on the front
and to support the country’s war effort, it took on a variety of functions and was displayed on a variety
of surfaces and objects, genuinely becoming a deliberately deployed instrument of military strategy.
AAYANN ANDRUÉTAN
WARGASM
Sex and violence form a perverse couple. There is an eroticism of violence, and there is erotic
violence, and both have the power to fascinate. The eroticism of violence is expressed in the excite-
ment provoked by games, in particular video games, but also in the use of weapons. Violence becomes
erotic when it is designed to alter its perverse dimension. Sex and violence remind us of our humanity.
We desire the first and avoid the second. But we must not forget that they are not mutually exclusive.
200 SYNTHÈSES DES ARTICLES
AANATHALIE DESPLANQUE-GUILLET
EXOPS CHAPLAIN
Pastor and army chaplain, Nathalie Desplanque-Guillet has left France several times on external
operations. With no command responsibilities, she is there for everyone, and her specific role has
placed her in the position of companion, observer and veritable mood detector. Here, she gives her
observations from the field and the reflections induced by her experience.
AAJEAN-MARIE DUMON
THE SONG OF THE SIRENS
The sailor evolves in a universe that is specific, closed, communal and hostile to intimacy. Sex at
sea is supposed to be banished and is considered irreconcilable with the need for solidarity and disci-
pline. Also, for a long time, woman, reputed to bring bad luck, had no place on board. Management
of the crew’s sexuality is therefore a preoccupation of the commanding officers, whether on the ship
or in ports of call, both in the past and today.
AAHERVÉ PIERRE
RAPE AND STRATEGY
As a weapon of terror for the strong, whether used structurally or more generally as a means of
imposing domination, rape must be placed in the category of “war crimes”. By contrast, as a ruse
of the weak to strike at the source of the power of the strong—in this case the national will of our
democracies—, the instrumentalization of rape is spreading exponentially, especially since it provides
a cheap weapon of mass destruction via the media.
AAXAVIER DARCOS
THE SACRED BAND OF THEBES: “TILL DEATH DO US PART”
“If, by enchantment, an army could be composed only of (male) lovers and their beloved, there
would not be a people that could take the horror of vice and the emulation of virtue to a higher level.
Men united by love could conquer almost the entire world. For if there is someone that the lover would
not want to see leaving his ranks or throwing down his arms, it is the man he loves,” writes Plato. And
Xenophon mentions a band consisting exclusively of homosexual Theban warriors. A myth? What do
we know of this “sacred band” today?
AAGÉRALDINE CASUTT
ISLAMIC STATE: THE INSTRUMENTALIZATION OF WOMEN, A
DIFFERENT VISION OF SEXUALITY, SOCIAL IMPLEMENTATION ETC.
For a long time, jihad was considered to be solely something for men. But that is not true. Less
visible than the men because of the roles they perform, the women who joined the Islamic State group
were thought to be passive, and they were regarded as victims rather than the actors of their own
commitment. They were an anomaly, especially when they were brought up in societies vaunting the
image of woman as free and liberated. Although the problem of the female jihadi remains difficult to
apprehend today, we must be careful not to reduce it to an emotional dimension disconnected from a
set of convictions, which are in fact necessary to make sense of the devotion to jihad.
AAPATRICK CLERVOY
“DOCTOR, YOU WILL LOOK AFTER THE GIRLS”
During the 1980s, Patrick Clervoy, a recently graduated young doctor, took up his post at Camp
Leclerc, in Bouar, in the Central African Republic. Immediately on his arrival, he learned that one of
his missions would be to see to the “hostesses”. He recounts how a system of prostitution by another
name was organized and regulated, and the role it played. The aim was to preserve the operational
potential of the troops. With one price: the loss of an ideal.
201
AADANIEL WEIMANN
THE LAST CAMPAIGN BROTHEL
When, in 1967, the 2nd regiment of the French Foreign Legion left Algeria and set up in Calvi, it
brought its campaign brothel with it. Daniel Weismann, doctor and regiment captain, from 1970 to
1974, tells us about the organization of the “pouf” and the draconian prophylactic measures put in
place for the boarders and legionnaires to prevent disease. This campaign brothel only closed its doors
in 1978, following the “Marchetti Affair”.
AACHRISTIAN BENOÎT
THE SOLDIER AND LOVE
In wartime, pressed to prove to themselves that they are still alive despite the combats, soldiers
unite with solitary women whose lives have been turned upside down, and also with occasional or
confirmed prostitutes, for rapid, chance sexual encounters with no future. Already back in 1801, the
resulting proliferation of venereal diseases induced the army, with weakened numbers, to apply to
the men the health inspections that had been imposed on prostitutes since the year before. In 1916,
the health service established a public health policy for soldiers and civilians and, in 1918, for the
first time the army opened military campaign brothels (“BMC”) on French soil (they had previously only
existed in North Africa). The eradication of disease led to the abandonment of inspections, which
were of virtually zero effect, and the closure of the BMCs. The appearance of AIDS forced the military
commander to imagine other solutions.
AAANDRÉ THIÉBLEMONT
BUT WHAT ABOUT CONJUGAL LIFE?
In our western societies, over the course of three or four decades, sexual practices, relations
between the sexes and the behaviour deriving from these relations have changed radically. It has been
a genuine revolution. As in other domains, the military environment constitutes an excellent observa-
tory: a comparison between the past and present sexuality of soldiers during military campaigns, the
situation of military wives and relations in the couple can help show the scale of this change.
AAMONIQUE CASTILLO
“JUDICIALIZATION”—A SOLUTION AND A PROBLEM
One of the questions that divides opinions concerning the increasing “judicialization” of society is
to know if it is a reversible phenomenon, a characteristic of postmodern democracies or a symptom
of a crisis of civilization—with European civilization no longer able to resist the atomizing force of an
individualism that will end up devouring our collective institutions.
BIOGRAPHIES
LES AUTEURS
AA Yann ANDRUÉTAN AA Patrick CLERVOY
Voir rubrique « comité de rédaction » Voir rubrique « comité de rédaction »
Plume et l’Épée. Récemment paru sous sa direction : mobilité externe au ministère des Affaires étrangères et d’un
La Guerre pour ceux qui la font. Stratégie et incertitude poste au sein du cabinet du chef d’état-major de l’armée de
(Éditons du Rocher, 2016) et Dictionnaire de la guerre et terre, il prend le commandement du 5e régiment d’hélicop-
de la paix (PUF, 2017). tères de combat de 2011 à 2013. Il est ensuite auditeur de la
63e session du Centre des hautes études militaires (CHEM) et
AA Brice ERBLAND de la 66e session de l’Institut des hautes études de défense
Né en 1980, le commandant Brice Erbland est un officier nationale (IHEDN), puis assistant spécial du président du
saint-cyrien qui a effectué son début de carrière au sein Comité militaire de l’OTAN à Bruxelles. Depuis le 1er juillet
de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT). Chef de 2017, le colonel Frédéric Gout sert à l’état-major des armées.
patrouille et commandant d’unité d’hélicoptères de
combat Tigre et Gazelle, il a été engagé plusieurs fois AA Michel GOYA
dans la corne de l’Afrique, en Afghanistan et en Libye. Il a Issu du corps des sous-officiers, Michel Goya a été
ensuite servi au cabinet du ministre de la Défense, avant officier dans l’infanterie de marine de 1990 à 2014. Après
de rejoindre l’École militaire pour sa scolarité de l’École dix ans d’expérience opérationnelle, il suit, en 2001, une
de guerre. Le commandant Erbland suit actuellement une scolarité au sein de l’Enseignement militaire supérieure
formation d’ingénieur d’essais en vol à l’EPNER d’Istres. Il scientifique et technique puis, il intègre, en 2003, le
a publié un livre de témoignages et de réflexions sur ses Collège interarmées de défense. Officier au Centre de
opérations, Dans les griffes du Tigre (Les Belles Lettres, doctrine d’emploi des forces terrestres ( CDEF) , il est
2013), qui a reçu le prix L’Épée et la Plume, le prix spécial assistant militaire du chef d’état-major des armées de
de la Saint-Cyrienne et la mention spéciale du prix Erwan 2007 à 2009. Il a dirigé ensuite le domaine « Nouveaux
Bergot, et « Robots tueurs ». Que seront les soldats de Conflits » au sein de l’Institut de recherche stratégique de
demain ? (Armand Colin, 2018). l’École militaire (IRSEM) puis le bureau recherche du CDEF,
avant de quitter l’institution pour se consacrer à l’ensei-
AA Hugues ESQUERRE gnement et à l’écriture. Titulaire d’un doctorat d’histoire,
Saint-Cyrien, breveté de l’École de guerre, Hugues le colonel Goya est l’auteur de Res Militaris. De l’emploi
Esquerre a servi vingt ans dans les troupes de marine des forces armées au xxi e siècle (Economica, 2010), d’Irak.
jusqu’au grade de lieutenant-colonel. Ancien auditeur Les armées du chaos (Économica, 2008), de La Chair et
de la 10e promotion du Cycle des hautes études pour le l’acier ; l’invention de la guerre moderne, 1914-1918
développement économique (CHEDE), il est aujourd’hui (Tallandier, 2004, rééd., 2014), sur la transformation
inspecteur des finances. Sociétaire de l’association des tactique de l’armée française de 1871 à 1918, de Sous
écrivains combattants, il est l’auteur de La société créole le feu. La mort comme hypothèse de travail (Tallandier,
au travers de sa littérature (SdE éditions, 2005), Replacer 2014) et Israël contre Hezbollah. Chronique d’une défaite
l’armée dans la nation (Economica, 2012) et Dans la tête annoncée 12 juillet-14 août 2006 (avec Marc-Antoine
des insurgés (éditions du Rocher, 2013), ouvrage pour Brillant, Éditions du Rocher, 2014). Il a obtenu trois fois
lequel il a reçu en 2015 le prix l’Épée et la Plume. Il a le prix de l’Épaulette, le prix Sabatier de l’Enseignement
récemment publié Quand les finances désarment la France militaire supérieur scientifique et technique, le prix d’his-
(Economica, 2015). toire militaire du Centre d’études d’histoire de la Défense
et le prix Edmond Fréville de l’Académie des sciences
AA Isabelle GOUGENHEIM morales et politiques.
Diplômé de Sciences Po Paris, ancienne élève de l’ENA
(promotion Solidarité), Isabelle Gougenheim a travaillé AA Armel HUET
durant plus de vingt ans dans l’audiovisuel public, au CSA Professeur émérite de sociologie à l’université Rennes-II,
puis à France 3, puis a dirigé l’ECPAD, centre des archives Armel Huet a fondé le Laboratoire de recherches et
et e production audiovisuelle du ministère de la Défense d’études sociologiques (LARES) et le Laboratoire d’anthro-
pendant six ans. Auditeur de l’IHEDN, présidente de la pologie et de sociologie (LAS) qu’il a dirigé respectivement
53e session nationale, membre du bureau de l’AAIHEDN, pendant quarante ans et quinze ans. Il est aujourd’hui
elle a également travaillé dans la coopération interna- le directeur honoraire. Outre un master de recherche
tionale et la gestion des crises (SGDN et ministère des sociologique, il a égalemement créé des formations
Affaires étrangères). Après avoir été en charge pendant professionnelles, dont un master de maîtrise d’ouvrage
trois ans de la promotion des femmes dans l’activité urbaine et immobilière ; il a dirigé le comité profes-
économique et les nouvelles technologies au ministère sionnel de sociologie de l’Association internationale
du Droit des femmes, puis en fonction au ministère des des sociologues de langue française (AISLF). Armel Huet
Finances (délégation interministérielle pour l’ ESS ) et a développé dans son laboratoire plusieurs champs de
chargée de mission à la délégation interministérielle recherche sur la ville, les politiques publiques, le travail
à l’économie sociale et solidaire au sein de la direction social, les nouvelles technologies, le sport, les loisirs et
générale du Trésor, au ministère de l’Économie, elle est les questions militaires. Il a créé des coopérations avec
aujourd’hui membre du haut commissariat à l’économie des institutions concernées par ces différents champs,
sociale et solidaire et à l’innovation sociale (ministère de notamment avec les Écoles militaires de Coëtquidan. Ces
la Transition écologique et solidaire). Possédant de longue dernières années, il a concentré ses travaux sur le lien
date un fort engagement associatif bénévole, elle a été social. Il a d’ailleurs réalisé à la demande de l’État-major
élue en 2013 à la présidence d’IDEAS. de l’armée de terre, une recherche sur la spécificité du lien
social dans l’armée de terre.
AA Frédéric GOUT
Entré à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1988, AA Haïm KORSIA
breveté de l’enseignement militaire supérieur, le colonel À sa sortie du séminaire israëlite de France et après avoir
Gout a passé la majeure partie de sa carrière au sein de obtenu son diplôme rabbinique en mars 1986, Haïm Korsia
l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT). À l’issue d’une termine son parcours universitaire par un DEA à l’école
207
pratique des hautes études en 2003. Jusqu’en 2004, d’infanterie (REI) de Nîmes. Il est engagé en République
il a été directeur de cabinet du grand rabbin de France. centrafricaine (EFAO) en 1989 et en Guyane en 1990. Il
Le grand rabbin Haïm Korsia est aumônier en chef des participe à l’opération Daguet en Arabie Saoudite et en
armées, aumônier en chef de l’armée de l’air, membre du Irak (septembre 1990-avril 1991) à l’opération Iskoutir en
comité consultatif national d’éthique, membre du comité République de Djibouti puis est engagé par deux fois en
du patrimoine culturel au ministère de la Culture, adminis- Somalie (Opération Restore Hope en 1992 puis ONUSOM II
trateur national du Souvenir français et secrétaire général en 1993). Il est engagé en opération à quatre reprises
de l’association du rabbinat français. En juin 2014, il est au cours de son temps de commandement (opération
élu grand rabbin de France et le 15 décembre de la même Épervier en 1994, de la Force de réaction rapide en Bosnie
année à l’Académie des sciences morales et politiques. en 1995, Gabon et République centrafricaine – opération
Derniers ouvrages parus : Gardien de mes frères, Jacob Almandin II – en 1996). Il sera engagé avec son régiment
Kaplan (Édition Pro-Arte, 2006), À corps et à Toi (Actes au Kosovo (KFOR) en 2003. Affecté au cabinet du ministre
Sud, 2006), Être juif et français : Jacob Kaplan, le rabbin de la Défense entre 2003 et 2006 (cellule terre du cabinet
de la république (Éditions privé, 2005), Les Enfants militaire) et est promu au grade de colonel en 2005. Entre
d’Abraham. Un chrétien, un juif et un musulman dialoguent 2006 et 2008 il commande la 13e DBLE à Djibouti. De
(avec Alain Maillard de La Morandais et Malek Chebel, 2008 à 2009, il est auditeur du Centre des hautes études
Presses de la Renaissance, 2011). militaires (CHEM) et de l’Institut des hautes études de la
défense nationale (IHEDN). Il est ensuite affecté pour une
AA François LECOINTRE année au Centre interarmées de concepts et de doctrines
Né en 1962, François Lecointre est officier de carrière ( CICDE ) et rejoint en 2010 la Délégation aux affaires
dans l’armée de terre. Saint-cyrien, il appartient à l’arme stratégiques en qualité de sous-directeur aux questions
des Troupes de marines où il a servi comme lieutenant régionales. En 2012, il est chef de la cellule relations
et capitaine au 3e régiment d’infanterie de marine et au internationales du cabinet militaire du ministre de la
5e régiment inter-armes d’Outre-mer. Il a été engagé en Défense. Nommé général de brigade le 1er août 2014,
Irak lors de la première guerre du Golfe (1991), en Somalie il est en charge du recrutement au sein de la Direction
(1992), en République de Djibouti dans le cadre de l’opé- des ressources humaines de l’armée de terre avant de
ration Iskoutir (1991-1993), au Rwanda dans le cadre de prendre le commandement des forces armées en Nouvelle-
l’opération Turquoise (1994) ainsi qu’à Sarajevo (1995), Calédonie à l’été 2017.
et a ensuite servi à l’état-major de l’armée de terre, au
sein du bureau de conception des systèmes de forces. Il a AA Jean-Philippe MARGUERON
commandé le 3e régiment d’infanterie de marine stationné À sa sortie de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en
à Vannes et à ce titre le groupe tactique interarmes 2 1978, le général Margueron choisit l’artillerie antiaérienne.
(GTIA2) en République de Côte d’Ivoire d’octobre 2006 à Il y occupe tous les grades et sert tour à tour en métropole,
février 2007. Ancien auditeur puis directeur de la formation à l’outre-mer et en opérations extérieures. Promu colonel
au Centre des hautes études militaires (CHEM), il a été en 1997, il commande le 54e régiment d’artillerie stationné
jusqu’à l’été 2011 adjoint « terre » au cabinet militaire du à Hyères, avant d’être responsable du recrutement pour
ministre de la Défense, puis a commandé la 9e brigade la région parisienne et l’outre-mer au tout début de la
d’infanterie de marine jusqu’à l’été 2013. Officier général professionnalisation des armées. Auditeur de l’Institut
synthèse à l’État-major de l’armée de terre jusqu’au 31 des hautes études de la Défense nationale en 2001, il est
juillet 2014 puis sous-chef d’état-major « performance et ensuite conseiller militaire au cabinet du ministre de la
synthèse » à l’EMAT et chef du cabinet militaire du Premier Défense durant trois ans avant de commander, comme
ministre, le général d’armée Lecointre est actuellement officier général, la 7e brigade blindée de Besançon, tant en
chef d’état-major des armées (CEMA). métropole qu’en opérations extérieures. Chef de cabinet
du chef d’état-major de l’armée de Terre jusqu’en 2008,
AA Éric LETONTURIER il est promu général inspecteur de la fonction personnel,
Après des études en histoire, en sociologie et en philo- avant d’être nommé major général de l’armée de Terre,
sophie, Éric Letonturier est actuellement maître de en charge notamment de la conduite des restructurations
conférences en sociologie à l’université Paris-Descartes- de 2010 à 2014. Général d’armée, inspecteur général des
Sorbonne et chercheur au Centre de recherche sur les liens armées auprès du ministre de la Défense en 2015, il a
sociaux (CERLIS/UMR 8070). Il a été responsable du RT8 aujourd’hui rejoint la Cour des comptes comme conseiller
(sociologie du milieu militaire) à l’Association française maître en service extraordinaire.
de sociologie (AFS) et chargé de mission auprès du chef
d’état-major de l’armée de terre (2001-2003). Il est par AA Hervé PIERRE
ailleurs responsable chez CNRS Éditions des collections Né en 1972, Hervé Pierre est officier d’active dans
« Les Essentiels d’Hermès » et « CNRS communication ». l’armée de terre. Saint-cyrien, breveté de l’ensei-
Ses travaux portent sur les articulations existant entre gnement militaire supérieur, il a suivi aux États-Unis la
les dimensions culturelles et organisationnelles au sein scolarité de l’US Marines Command and Staff College
de l’institution militaire, mais également, de façon pluri- en 2008-2009. Titulaire de diplômes d’études supérieures
disciplinaire, sur la communication, notamment sur le en histoire (Sorbonne), en philosophie (Nanterre) et
concept de réseau. Dernier ouvrage paru : Guerre, armées en science politique ( IEP de Paris), il est l’auteur de
et communication (CNRS Éditions, 2017). deux ouvrages, L’Intervention militaire française au
Moyen-Orient 1916-1919 (Éd. des Écrivains, 2001) et
AA Thierry MARCHAND Le Hezbollah, un acteur incontournable de la scène
Diplômé de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en internationale ? (L’Harmattan, 2009). Ayant effectué
1987 (promotion « Général Monclar »), Thierry Marchand l’essentiel de sa carrière dans l’infanterie de marine, il a
choisit de servir dans l’infanterie. À l’issue de sa scolarité, servi sur de nombreux théâtres d’opérations, notamment
il rejoint la Légion étrangère au 2 e régiment étranger en Afghanistan (Kapisa en 2009, Helmand en 2011), et
a été officier rédacteur des interventions du général publique – Hôpitaux de Paris. Par décret du président
major général de l’armée de terre. De 2013 à 2015, il a Jacques Chirac, il succède en 1999 à Jean-Pierre
commandé le 3e régiment d’infanterie de marine (Vannes) Changeux (qui avait lui-même succédé à Jean Bernard) à
avec lequel il a été engagé, à la tête du groupement la tête du Comité consultatif national d’éthique, institution
tactique interarmes « Korrigan », au Mali (2013) puis en qu’il préside jusqu’en février 2008 et dont il est aujourd’hui
République de Centrafrique (2014). Après avoir dirigé la président d’honneur. Il a notamment publié La Médecine
cellule stratégie politique du cabinet du chef d’état-major sans le corps (Plon, 2002), L’Alibi éthique (Plon, 2006) et,
de l’armée de terre de 2015 à 2017, le colonel Hervé Pierre avec Georges Vigarello, Aux Origines de la médecine
est actuellement auditeur du Centre des hautes études (Fayard 2011). Depuis 2008, Didier Sicard préside le comité
militaires (CHEM) et de l’Institut des hautes études de la d’experts de l’Institut des données de santé.
défense nationale (IHEDN).
AA André THIÉBLEMONT
AA Emmanuelle RIOUX André Thiéblemont (colonel en retraite), saint-cyrien,
Historienne, auteur de différentes publications sur les breveté de l’enseignement militaire supérieur scientifique
zazous pendant la Seconde Guerre mondiale, Emmanuelle et technique, titulaire des diplômes d’études approfondies
Rioux travaille dans l’édition depuis 1990. Elle a été de sociologie et de l’Institut d’études politiques de Paris,
secrétaire de rédaction à la revue L’Histoire, directrice de a servi dans la Légion étrangère, dans des régiments
collection « Curriculum » chez Liana Levi et responsable motorisés et dans des cabinets ministériels. Il a quitté
éditoriale à l’Encyclopaedia Universalis. Elle a également l’armée en 1985 pour fonder une agence de communi-
mis son savoir faire au service de la Mission pour le cation. Depuis 1994, il se consacre entièrement à une
bicentenaire de la Révolution française, du Festival inter- ethnologie du militaire, axée sur les cultures militaires,
national du film d’histoire de Pessac, de l’Association pour leurs rapports au combat, aux mythes politiques et aux
la célébration du deuxième centenaire du Conseil d’État et idéologies, études qu’il a engagées dès les années 1970,
des Rendez-vous de l’histoire de Blois. Elle est aujourd’hui parallèlement à ses activités professionnelles militaires
chargée de mission auprès du général chef d’état-major ou civiles. Chercheur sans affiliation, il a fondé Rencontres
de l’armée de terre et rédactrice en chef de la revue démocrates, une association qui tente de vulgariser
Inflexions. Civils et militaires : pouvoir dire. auprès du grand public les avancées de la pensée et de la
connaissance issues de la recherche. Sur le sujet militaire,
AA Guillaume ROY il a contribué à de nombreuses revues françaises ou étran-
Né en 1980, le lieutenant-colonel Guillaume Roy entre à gères (Ethnologie française, Armed Forces and Society, Le
Saint-Cyr en 1998. Après une première partie de carrière Débat…), à des ouvrages collectifs et a notamment publié
dans l’arme du génie marquée par plusieurs engagements Cultures et logiques militaires (Paris, PUF, 1999).
en opérations extérieures et couronnée par le comman-
dement d’une unité de combat au sein de la Légion AA Philippe VIAL
étrangère, il retrouve en 2010 les écoles de Coëtquidan Philippe Vial est agrégé et docteur en histoire de l’uni-
pour y former de jeunes élèves officiers. Breveté de versité Paris-I-Panthéon-Sorbonne. À la charnière de
l’École de guerre en 2014, il sert trois ans au sein de la l’histoire des relations internationales, de l’histoire
cellule stratégie politique du cabinet du chef d’état-major militaire et de l’histoire politique, sa thèse s’intitulait
de l’armée de terre avant de prendre à l’été 2017 les « La mesure d’une influence. Les chefs militaires et la
fonctions de chef du bureau opérations et instruction du politique extérieure de la France à l’époque républicaine ».
2e régiment étranger du génie (REG). Après avoir été chef de la division recherche, études et
enseignement du Service historique de la Défense, il est
AA François SCHEER désormais maître de conférences en histoire contempo-
Né en 1934 à Strasbourg, François Scheer est diplômé de raine à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, détaché
l’Institut d’études politiques de Paris, licencié en droit, auprès de la direction de l’enseignement militaire
titulaire de trois DESS (droit public, économie politique supérieur (DEMS). Il intervient à l’École de guerre comme
et science politique) et ancien élève de l’École nationale au Centre des hautes études militaires, dont il est le
d’administration (1960-1962). De 1962 à 1999, il alterne référent académique, mais aussi à Sciences-Po Paris et
les postes en administration centrale et à l’étranger. Rennes.
Premier ambassadeur de France au Mozambique en 1976,
il sera successivement directeur de cabinet du président
du Parlement Européen (Simone Veil) et du ministre des
Relations extérieures (Claude Cheysson), ambassadeur
en Algérie, ambassadeur représentant permanent auprès
des communautés européennes, secrétaire général du
ministère des Affaires étrangères et ambassadeur en
Allemagne. Ambassadeur de France, il a été de 1999
à 2011 conseiller international du président directeur
général de Cogema, puis du président du directoire
d’Areva.
AA Didier SICARD
Après des études de médecine, Didier Sicard entre dans
la filière des hôpitaux de Paris : externat, internat, clinicat,
nomination comme praticien hospitalier. Professeur
agrégé, il devient le chef de l’un des deux services de
médecine interne de l’hôpital Cochin de Paris. Il créera
(avec Emmanuel Hirsch) l’Espace éthique de l’Assistance
| 2017 |
IIN
NFF LL E X I O
ONNSS
civils et militaires : pouvoir dire
civils et militaires: pouvoir dire
approches de
et militaires,
NUMÉROS DÉJÀ PARUS
e de sciences
Les enfants et la guerre
ian, French or «Ton père est toujours à côté de toi » Jean-Luc Cotard
partie III nº 5, 2007 L’honneur nº 27, 2014Thierry Gineste
1953 : prise d’armes aux Invalides
contradictory
Le moral et la dynamique Papa est mort en Afghanistan L’ennemi nº 28, 2015 Nicolas Mingasson
e is therefore Né de père allemand Francis Boulouart
de l’action, partie I nº 6, 2007 de l’idée de patriotisme
La continuité Résister nº 29, 2015
ry to promote dans l’école en France de 1870 à 1939 Entretien avec Olivier Loubes
Le moral et la dynamique Qu’est-ce que la guerre ? Mots d’enfants nº 30, 2015
Territoire
de l’action, partie II nº 7, 2007
Au risque de la transmissionViolence totale nº 31, Yann2016
Andruétan
Docteurs et centurions,Tout chef a été un enfant
actes Le soldat augmenté ? nº 32, 2016
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Images du royaume de la mort
de la rencontre du 10 décembre
Avigdor Arikha, 1942-1943
2007 nº 8, 2008 Bara, du héros de papier à L’Europe
l’enfant contreJean-Clément
exemplaire la guerre nº 33,
Martin
Dessiner la guerre 2016
Les dieux et les armes nº 9,des
L’image 2008
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dans les cartes postales de Étrange étranger nº 34, Michaël2017
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