AlphDeCandolle1886 (1883)

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 397

Candolle, Alphonse de. Origine des plantes cultivées. 1886.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la
BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :
*La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.
*La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits
élaborés ou de fourniture de service.

Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence

2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :

*des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans
l'autorisation préalable du titulaire des droits.
*des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque
municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.

4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur
de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays.

6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non
respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.

7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].


BIBLIOTHÈQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION

DE M. ÉM. ALGLAVE

XLIII
BIBLIOTHÈQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION

DE M. ÉM. ALGLAVE

Volumes in-8°, reliés en toile anglaise. Prix 6 fr.


Avec reliure d'amateur, tranche sup. dorée, dos et coins en veau. 10fr.

La Bibliothèque scientifique internationale n'est pas une entreprise de


librairie ordinaire. C'est une œuvre dirigée"par les- auteurs mêmes, en vue
des intérêts de la science, pour la populariser sous toutes ses formes, et
faire connaître immédiatement dans le monde- entier les idées' originales,
les directions nouvelles, les découvertes importantes qui se font chaque
jour dans tous les pays. Chaque savant expose les idées qu'il à introduites
dans la science et condense pour ainsi dire ses doctrines les plus origi-
nales. On peut ainsi, sans quitter la France, assister et participer au mou-
vement des esprits en Angleterre,.en Allemagne; en Aknérique, en Italie,
tout aussi bien que les savants mêmes de chacun de ces pays.
La Bibliothèque scientifique internationale ne comprend pas seulement
des ouvrages consacrés aux sciences physiques et naturelles, elle aborde
aussi les sciences morales, comme la philosophie, l'histoire, la politique
et l'économie sociale, la haute législation, etc.; mais les livres traitant des
sujets de ce genre se rattacheront encore aux sciences naturelles;. en leur
empruntant les méthodes d'observation et d'expérience qui les ont ren-
dues si fécondes depuis deux siècles.

VOLUMES PARUS
J. Tyndall. LESGLACIERS ET LESTRANSFORMATIONS DE L'EAU,suivis d'une
étude de M. Helmholtz sur le même sujet, avec 8 planches tirées
à part et nombreuses figures dans le texte. 4e édition. 6 fr.
Bagehot. Lois SCIENTIFIQUES
DUdéveloppement DESNATIONS. 8e édit. 6 fr.
J. Marey. LA machine ANIMALE, locomotion terrestre et aérienne, avec
417 figures dans le texte, 4e édition 6 fr.
A. Bain. L'ESPRITET LE CORPSconsidérés au point de vue de leurs
relations, avec figures. 4° édition 6 fr.
Pettigrew. LA LOCOMOTION
CHEZLESANIMAUX,
avec 130 fig. 2° édit 6 fr.
ïii

'Hubert Spencer .Introduction A LAscience sociale. Sédition. 6 fr.

.0. Sçnmidt. Descendance ET DARWINISME, avec fig. 5e édit.. =. 6 /r.


ifl. B£audsley. Le crime ETLAfolie. _Seédition.. 6 fr.

iP*-J. Van Beneden. LES commbnsauxet -.les parasites dans le règne


6 fr.
jHHÏPaJj.îivec:^ figures .dans Je texte., 3e édition.
•BâlfourStewart. 'La conservation de l'énergie, suivie d'une étude
sur LA NATURE DE LAforce, par P. de Saint-Robert. 4e -édition. 6 fr.

Draper. LESCONFLITS DELAscience et, de la religion. 7» édition. 6 "fr.


6 fr.
Ji^Ofli .DumQJlt. Théorie scientifique DE.la sensibilité..3e, édit.
LESFERMENTATIONS, a¥ecJ8;flgjnres.é.dition. 6 fr.
•Soïratzenberger.
6fr.
ïWMtoey. La vie du langage. 3e édition.
Cooke et Berkeley. LESCHAMPIGNONS, avec 110 flgures."3e édit. 6 fr.
'6 'fr.
Bernstein. LES SENS,avec 91 figures dans le texte. &e édition..
8e édition • • 6"fr.
"Berthelot. LASYNTHÈSE CHIMIQUE.
Vqgel. LA PHOTOGRAPHIE ET LA chimie DE LAlumière, avec 98 figures
dans le texte et un frontispice tiré en photoglyptie. ie édition. 6 fr.
ET SESfonctions, avec figures. 5e édition. 6 fr.
Jiiiys. LE CERVEAU
W. StanJeyiJeyonss. La monnaient, le mé.qasismede ;l'échange. 4» édi-
tion. v • ,• • «• • 6^r-

,J?uci^.XEs volcans çt.les tremblements DEterre, avec 36_flgures..d_ans


P fr.
;le texte et une carte en couleurs. Ie édition,.
Ç^néral Briateput- LA.pÉEEîiSE des .Etats ,et. les .camps retranchés,
6 fr.
avec nombreuses figures et deux planches hors texte. 3e édit.
6 Jr.
,&. d.e .QuaJtrefages..L'espèce. humaine. 7e édition..
sBiaserna et Helmliol.tz. LE SONET LAmusique, avec.gO figures :dans
..le tqxje,3e édition • • .• • • .• •• - -• 6~fr-
avec 7S flg. 3° édit. 6 fr.
«osenthal. LES MUSCLES ET LESNERFS,
PRINCIPES SCIENTIFIQUES DES BEAUX-ARTS, suivis
Brucke et Helmholtz.
6 fr.
de L'OPTIQUE et- u -peinture, avec 39 figures. 3* édition.
Wurtz. LA théorie ATOMIQUE, avec une planche. 4<=édit. 6-fr.

Secchi. LESétoiles., 3vol. avec 60 figures dans le texte et 17 planches


ff.
en noir et en couleurs, .tirées hors .texte. 2° éditipn,
N. Joly. L'HOMME avant les létaux. AvecISO.flgures..3« éaitiop. 6 &
€ fr.
A. Bain. LA science de l'éducation. ie édition
Thurston. HISTOIREDE LA MACHINE A vapeur, revue, annotée :et .aug-
mentée d'une Introduction par I.Hirsch, avec .140 figures dans .le
vol. U fr.
texte, 16 planches tirées à part et nombreuxculs-de-lampev2
R. Hartmann. LESPEUPLES DEL'AFRIQUE, avec 9i figures et une carte
b fr-
des races africaines..2° édition • • •
rv •
Herbert Spencer. LES BASES DE LA MORALE évolutionniste. 3e édi-

tion. 6 fr.
Th.-H. introduction à l'étude de la
Huxley. L'écreyisse, zoologie,
avec 82 figures. 6 fr.
De LA SOCIOLOGIE. 20 édition 6 fr.
Roberty.
O.-N. Rood. Théorie SCIENTIFIQUE DES COULEURS et leurs à
applications
l'art et à l'industrie, avec 130 figures dans le texte et une planche
en couleurs 6 fr.
G. deSaporta et Marion. L'évoldtior DU règne VÉGÉTAL. Les crypto-
games, avec 88 figures dans le texte 6 fr.
G. de et Marion. L'évolution DU RÈGNE végétai. les
Saporta pha-
nérogames, avec 136 figures. 2 vol 12 fr.
Charlton Bastian. LE SYSTÈME NERVEUX ET LA avec 184
PENSÉE, fig.
dans le texte. 12 fr.
2 vol
James LES ILLUSIONS DES SENS ET DE l'esprit 6 fr.
Sully.

Alph. de Candolle. L'ORIGINE DES PLANTES CULTIVÉES. 3e éd. 6 fr.

Young.. LE SOLEIL, avec 86 figures 6 fr.


J. Lubbock. LES LES ABEILLES ET LES GUÊPES, avec 68 fig.
fourmis,
dans le texte et 13 hors texte dont 5 en
planches couleurs.
2 vol 12 fr.
Ed. Perrier. LA PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE AVANT Darwin. 2e éd. 6 fr.
Stallo. LA MATIÈRE ET LA PHYSIQUE MODERNE. 6 fr.

Mantegazza. LA PHYSIONOMIE ET L'EXPRESSION DES SENTIMENTS, avec


8 planches hors texte. 6 fr.
De Meyer. LES ORGANES DE LA PAROLE, avec 81 6 fr.
figures.
De Lanessan. INTRODUCTION A LA BOTANIQUE. LE sApiN, avec fig.. 6 fr.
E. Trouessart. LESMICROBES, LES FERMENTS ET LES MOISISSURES, avec
107 fig. dans le texte. 6 fr.
R. Hartmann. LES SINGES anthropoïdes, avec 63 figures dans le texte.
6 fr.

VOLUMES SUR LE POINT DE PARAITRE


Berthelot. LA PHILOSOPHIE CHIMIQUE.
Binet et Féré. LE MAGNÉTISME ANIMAL, avec fig.
O. Schmidt. LES MAMMIFÈRES DANS LES TEMPS
PRIMITIFS, avec fig.
Romanes. L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. 2 vol.
Ed. Perrier. L'embryogénie GÉNÉRALE, avec fig.
De Mortillet. L'ORIGINE DE L'HOMME, avec fig.
Beaunis. LES SENSATIONS INTERNES, avec fig.
Cartailhac. LAFRANCE
préhistorique, avec fig.
E. Oustalet. L'ORIGINEDES ANIMAUX
DOMESTIQUES, avec fig.
G. Pouchet. LA VIE DU SANG, avec fig.

Coulommiers. Typog. P. BRODARD et GALLOIS.


ORIGINE
DES

PLANTES CULTIVÉES

PAR

ALPH.DE CANDOLLE
Associé étranger de l'Académie des sciences de l'Institut de France,
Membre étranger des sociétés royales de Londres, Edimbourg et Dublin,
des Académies de Saint-Pétersbourg, Stockholm, Berlin, Munich,
Bruxelles, Copenhague, Amsterdam, Rome, Turin,
Madrid, Boston, etc.

TROISIÈME ÉDITION

revue et augmentée

PARIS
ANCIENNELIBRAIRIEGERMERBAILLIÈREET O
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
108, BOULEVARD SAINT-GERHAIN, 108

1886
Tousdroitsréservés
PRÉFACE

les
La question de l'origine des plantes cultivées intéresse
même les historiens ou les philo-
agriculteurs, les botanistes et de la civilisation.-
sophes qui s'occupent des commencements bota-
Je l'ai traitée jadis dans un chapitre de ma Géographie,
raisonnée; mais cet ouvrage est devenu rare, et d ailleurs
tique les
des faits importants ont été découverts, depuis 18o5, par
les archéologues. Au lieu de faire
voyageurs, les botanistes et un autre,
une seconde édition de mon travail, j'en ai rédigé
étendu. Il traite de 1 origine
complètement nouveau et plus ou
d'un nombre presque double d'espèces des pays tropicaux
des plantes
des régions tempérées. C'est à peu près la totalité
des emplois économiques,
que l'on cultive, soit en grand, pour
soit fréquemment, dans les jardins fruitiers ou potagers.
de
Mon but a été surtout de chercher l'état et l'habitation
avant sa mise en culture. Il a fallu pour cela
chaque espèce celle qu'on peut
distinguer, parmi, les innombrables variétés, du globe elle
estimer la plus ancienne, et voir de quelle région
ne pourrait le
est sortie. Le problème est plus difficile qu'on
de. celui-ci,
croire. Dans le siècle dernier, et jusqu'au milieu,
ont
les auteurs s'en occupaient bien peu, et les plus habiles
contribué à répandre des idées fausses. Je crois vraiment que
des plantes
les trois quarts des indications de Linné sur la patrie
ensuite
cultivées sont ou incomplètes ou erronées. On a répété
ont constate
ces assertions, et, malgré ce que les modernes
les répète encore dans des jour-
pour plusieurs espèces, on de corriger des
naux et des ouvrages populaires. Il est temps
et aux Ro-
erreurs qui remontent quelquefois jusqu'aux Grecs,
à condition de
mains. L'état actuel de la science le permet,
dont plusieurs tout a.fait
s'appuyer sur des documents variés, cela se
récents ou même inédits, et de les discuter, comme
C'est un da ces cas,
pratique dans les recherches historiques. d'observation doivent
assez rares, dans lesquels les sciences
condui-
se servir de preuves testimoniales. On verra qu'elles
de
sent à de bons résultats, puisque j'ai pu déterminer l'origine et
toutes les espèces, tantôt d'une manière certaine
presque
tantôt avec un degré de probabilité satisfaisant.
IV PRÉFACE
Je me suis efforcé en outre de constater depuis combien de
siècles. oude milliers d'années chaque espèce a été cultivée et
comment la culture s'en est répandue dans différentes direc-
tions, à des époques successives.
Pour quelquesplantes cultivéesdepuis plus de deux mille
et même pour d'autres, il arrive qu'on ne connaît ans,
pas
d'hui l'état spontané, c'est-à-dire sauvage, ou bien aujour- cette
conditionn'est pas assez démontrée. Les questions deque ce genre
sont délicates. Elles exigent comme la distinction des es-
pèces beaucoup de recherches dans les livres et les her-
biers. J'ai même été obligé de recourir à l'obligeance de
quel-
ques voyageurs ou botanistes dispersés dans toutes les parties
du monde, pour obtenir des renseignements nouveaux. Je les
donnerai à l'occasion de chaque espèce, avec
l'expression de
ma sincère reconnaissance.
Malgréces documents et en dépit de toutes mes recherches,
il existe encore plusieurs espèces qu'on ne connaît
pas à l'état
spontané. Lorsqu'elles sont sorties de régions peu ou point
explorées par les botanistes, ou quand elles appartiennent à
des catégories de plantes mal étudiées jusqu'à
présent, on
peut espérer qu'un jour l'état indigène sera découvert et suffi-
samment constaté. Maiscette espérance n'est pas fondée
il s'agit d'espèces et de pays'bien connus. On est conduitquand
alors
à deux hypothèses ou ces plantes ont changé de forme dans
la- nature comme dans la culture, depuis l'époque
de telle manière qu'on ne les reconnaît plus pour historique, à
'a même espèce; -ou ce sont des espèces éteintes.appartenir
La lentille,
lo Pois chiche n'existent probablement plus dans la nature,
et d'autres espèces, comme le Froment, la
Fève, le Carthame,
trouvées sauvages très rarement, paraissent en voie d'extinc-
tion. Le nombre des plantes cultivées dont me suis
je occupé
étant de 249, le chiffre de trois, quatre ou
éteintes ou près de s'éteindre serait une cinq espèces
proportion considé-
rable, répondant à ùn millier d'espèces pour l'ensemble des
végétaux phanérogames. Cette déperdition de formes aurait
eu lieu pendant la courte période de
quelcruescentaines de
siècles, sur des continents où elles pouvaient cependant se
répandre et au milieu de circonstances qu'on a l'habitude de
considérer comme stables. On voit ici de quelle manière l'his-
toire des plantes cultivées se rattache aux
questions les plus
de
importantes l'histoire générale des êtres organisés.

Genève, l«r septembre 1882.


ORIGINE

DESPLANTES
CULTIVMS,

PREMIÈRE PARTIE
NOTIONS PRÉLIMINAIRES ET MÉTHODES EMPLOYÉES

CHAPITRE PREMIER
DE QUELLE
MANIÈREET A QUELLES LA CULTURE
ÉPOQUES
A COMMENCÉDANSDIVERSPAYS

Les traditions des anciens peuples, embellies par les poètes,


ont attribué communément les premiers pas dans la voie de
l'agriculture et l'introduction de plantes utiles à quelque divinité
ou tout au moins à quelque grand empereur ou Inca. On trouve
en réfléchissant que ce n'est guère probable, et l'observation
des essais d'agriculture chez les sauvages de notre époque mon-
tre que les faits se passent tout autrement.
En général, dans les progrès qui amènent la civilisation, les
commencements sont faibles, obscurs et limités. Il y a des
motifs pour que cela soit ainsi dans les débuts agricoles ou
horticoles. Entre l'usage de récolter des fruits, des graines ou
des racines dans la campagne et celui de cultiver régulière-
ment les végétaux qui donnent ces produits, il y a plusieurs
degrés. Une famille peut jeter des graines autour de sa demeure
et l'année suivante se pourvoir du même produit dans la forêt.
Certains arbres fruitiers peuvent exister autour d'une habitation
sans que l'on sache s'ils ont été plantés ou si la hutte a été
construite à côté d'eux pour en profiter. Les guerres et la
chasse interrompent souvent les essais de culture. Les rivalités et
les défiances font que d'une tribu à l'autre l'imitation marche
lentement. Si quelque grand personnage ordonne de cultiver
une plante et institue quelque cérémonie pour en montrer
l'utilité, c'est probablement que des hommes obscurs et in-
DECANDOLLE. 1
2 NOTIONS PRÉLIMINAIRES

connus en ont parlé précédemment et que des expériences déjà


faites ont réussi. Avant de semblables manifestations, propres à
frapper un public déjà nombreux, il doit s'être écoulé un temps
plus ou moins long de tentatives locales et épMmères. Il a fallu
des causes déterminantes pour susciter ces tentatives, les renou-
veler et les faire réussir. Nous pouvons facilement les comprendre.
La première est d'avoir à sa portée telle ou telle plante
offrant certains des avantages que tous les hommes recherchent.
Les sauvages les plus arriérés connaissent les plantes de leur
pays; mais l'exemple des Australiens et des Patagoniens montre
que s'ils ne les jugent pas productives et faciles à élever, ils
n'ont pas l'idée de les mettre en culture- D'autres conditions
sont assez évidentes un climat pas trop rigoureux; dans les
pays chauds, des sécheresses pas trop prolongées; quelque
degré de sécurité et de fixité; enfin une nécessité pressante,
résultant du défaut de ressources dans la pêche, la chasse ou
le produit de végétaux indigènes à fruits très nourrissants,
comme le châtaignier, le dattier, le bananier ou l'arbre à pain.
Quand les hommes peuvent vivre sans travailler, c'est ce qu'ils
préfèrent. D'ailleurs l'élément aléatoire delà chasse et de la pêche
tente les hommes primitifs et même quelques civilisés plus
que les rudes et réguliers travaux de l'agriculture.
Je reviens aux espèces que les sauvages peuvent être disposés
à cultiver. Ils Tes trouvent quelquefois dans leur pays, mais
souvent ils les reçoivent de peuples voisins, plus favorisés qu'eux
par les conditions naturelles, ou déjà entrés dans une civilisa-
tion quelconque. Lorsqu'un peuple n'est pas cantonné dans une
île ou dans quelque localité difficilement accessible, il reçoit
vite certaines plantes, découvertes ailleurs, dont l'avantage est
évident, et cela le détourne de la culture d'espèces médiocres
de son pays. L'histoire nous montre que le blé, le maïs, la
-s^batate, plusieurs espèces de genre Panicum, le tabac et autres
plantes, surtout annuelles, se sont répandus rapidement,
avant l'époque historique. Ces bonnes espèces ont combattu et
arrêté les essais timides qu'on a pu faire çà et là de plantes
moins productives ou moins agréables. De nos jours encore, ne
voyons-nous pas, dans divers pays, le froment remplacer le
seigle, le maïs être préféré au sarrasin, et beaucoup de millets,
de légumes ou de plantes économiques tomber en discrédit parce
que d'autres espèces, venues de loin quelquefois, présentent
plus d'avantage. La disproportion de valeur est pourtant moins
grande entre des plantes déjà cultivées et améliorées qu'elle ne
l'était jadis entre des plantes cultivées et d'autres complètement
sauvages. La sélection ce grand facteur que Darwin a eu
le mérite d'introduire si heureusement d'ans la science joue.
un rôle important une- fois l'agriculture établie; mais à toute
époque, et surtout dans les commencements, le choix des espèces
a plus d'importance que la sélection dés variétés.
COMMENCEMENTDES CULTURES 3

Les causes variées qui favorisent ou contrarient les débuts de


l'agriculture expliquent bien pourquoi certaines régions se trou-
vent, depuis des milliers d'années, peuplées de cultivateurs,
tandis que d'autres sont habitées encore par des tribus errantes.
Evidemment, le riz et plusieurs légumineuses dans l'Asie méri-
dionale, rorge et le blé en Mésopotamie et en Egypte, plusieurs
Panicées en Afrique, le maïs, la pomme de terre, la batate et le
manioc en Amérique ont été promptement et facilement cul-
tivés, grâce à leurs qualités évidentes et à des circonstances
favorables de climat. Il s'est formé ainsi des centres d'où les
espèces les plus utiles se sont répandues. Dans le nord de l'Asie,
de l'Europe et de l'Amérique, la température est défavorable et
les plantes indigènes sont peu productives; mais comme la
chasse et la pêche y présentaient des ressources, l'agriculture a
dû s'introduire tard, et l'on a pu se passer des bonnes espèces
du midi sans souffrir beaucoup. II en était autrement pour l'Aus-
tralie, la Patagonie et même l'Afrique australe. Dans ces pays,
les plantes des régions tempérées de notre hémisphère ne pou-
vaient pas arriver à cause de la distance, et celles de la zone
intertropicale étaient exclues par la grande sécheresse ou par
l'absence de températures élevées. En même temps, les espèces
indigènes sont pitoyables. Ce n'est pas seulement le défaut d'in-
telligence ou de sécurité qui a empêché les habitants de les
cultiver. Leur nature y contribue tellement, que les Européens,
depuis cent ans qu'ils sont établis dans ces contrées, n'ont mis
en culture qu'une seule espèce, le Tetragonia, légume vert assez
médiocre. Je n'ignore pas que sir Joseph Hooker 1 a énuméré plus
de cent espèces d'Australie qui peuvent servir de quelque ma-
nière mais en fait on ne les cultivait pas, et, malgré les pro-
cédés perfectionnés des colons anglais, personne ne les cultive.
C'est bien la démonstration des principes dont je parlais tout à
l'heure, que le choix des espèces l'emporte sur la sélection, et
qu'il faut des qualités réelles dans une plante spontanée pour
qu'on essaye de la cultiver.
Malgré l'obscurité des commencements de la culture dans
chaque région, il est certain que la date en est extrêmement
différente. Un des plus anciens exemples de plantes cultivées
est, en Egypte un dessin représentant des figues dans la
pyramide de Gizeh. L'époque de la construction de ce monu-
ment est incertaine. Les auteurs ont varié entre 1S0Oet 4200 ans
avant l'ère chrétienne Si l'on suppose environ deux mille ans,
ce serait une ancienneté actuelle de quatre mille ans. Or, la
construction des pyramides n'a pu se faire que par un peuple
nombreux, organisé et civilisé jusqu'à un certain point, ayant
par conséquent une agriculture établie,qui devait remonter plus
haut, de quelques siècles au moins. En Chine, 2700 ans avant

1. Hooker,Flora Tasmanise,
I, p. ex.
4 NOTIONS PRÉLIMINAIRES

Jésus-Christ l'empereur Chen-nung institua, la cérémonie dans


laquelle chaque année on sème cinq espèces de plantes utiles,
le riz, le soja, le blé et deux sortes de millets 1. Ces plantes
devaient être cultivées depuis quelque temps, dans certaines
localités, pour avoir attiré à ce point l'attention de l'empereur
L'agriculture paraît donc aussi ancienne en Chine qu'en Egypte.
Les rapports continuels de ce dernier pays avec la Mésopotamie
font présumer une culture à peu près contemporaine dans les
régions de l'Euphrate et du Nil. Pourquoi ne serait-elle pas tout
aussi ancienne dans l'Inde et dans l'archipel Indien? L'histoire
des peuples dravidiens et malais ne remonte pas haut et présente
bien de l'obscurité, mais il n'y a pas de raisons de croire que
la culture n'ait pas commencé chez eux il y a fort longtemps,
en particulier au bord des fleuves.
Les anciens Egyptiens et les Phéniciens ont propagé beaucoup
de plantes dans la région de la Méditerranée, et les peuples
Aryens, dont les migrations vers l'Europe ont commencé à peu
près 2500 ou au plus tard 2000 ans avant Jésus-Christ ont répandu
plusieurs espèces qui étaient déjà cultivées dans l'Asie occiden-
tale. Nous verrons, en étudiant l'histoire de quelques espèces,
qu'on cultivait probablement déjà certaines plantes en Europe
et dans le nord de l'Afrique. Il y a des noms de langues anté^
rieures aux Aryens, par exemple finnois, basques, berbères et
guanches (des îles Canaries), qui l'indiquent. Cependant les restes,
appelés Kjôkkenmoddings, des habitations anciennes du Dane-
mark, n'ont fourni jusqu'à présent aucune preuve de culture et
en même temps aucun indice de la possession d'un métal a. Les
Scandinaves de cette époque vivaient surtout de pêche, de
chasse et peut-être accessoirement de plantes indigènes, comme
le chou, qui ne sont pas de nature à laisser des traces dans les
fumiers et les décombres, et qu'on pouvait d'ailleurs se passer de
cultiver. L'absence de métaux ne suppose pas, dans ces pays du
nord, une ancienneté plus grande que le siècle de Périclès ou
même des beaux temps de la république romaine. Plus tard,
quand le bronze a été connu en Suède, région bien éloignée des
pays alors civilisés, l'agriculture avait fini par s'introduire. On
a trouvé dans les restes de cette époque la sculpture d'une
charrue attelée de deux bœufs et conduite par un homme 3.
Les anciens habitants de la Suisse orientale, lorsqu'ils avaient
des 'instruments de pierre polie et pas de métaux, cultivaient
plusieurs plantes, dont quelques-unes étaient originaires d'Asie.

1. Bretschneider,On the study and value of chinesebotanicalworhsj


p. 7.
2. De Nadaillac,Les premiers hommeset les tempspréhistoriques,I,
p. 266,268.L'absencede traces d'agriculturedansces débris m'est certifiée
d'ailleurspar M.Heer et M. Cartailhac,très au courant tous les deux,des
découvertesen archéologie.
3. M. Montelius,d'aprèsCartailhac,Revue,1875,p 237.
COMMENCEMENTDES CULTURES S

M. Heer a montré, dans son admirable travail sur les pala-


fittes, qu'ils avaient des communications avec les pays situés au
midi des Alpes. Ils pouvaient aussi avoir reçu des plantes culti-
vées par les Ibères, qui occupaient la Gaule avant les Celtes. A
l'époque où les lacustres de Suisse et de Savoie ont possédé le
bronze leurs cultures étaient plus variées. Il paraît même que
les lacustres d'Italie, lorsqu'ils avaient ce métal, cultivaient
moins d'espèces que ceux des lacs de Savoie a, ce qui peut tenir
à une ancienneté plus grande ou à des circonstances locales.
Les restes des lacustres de Laybach et du Mondsee, en Autriche,
accusent aussi une agriculture tout à fait primitive point de
céréales à Laybach, et un seul grain de blé au Mondsee 3. L'état
si peu avancé de l'agriculture dans cette partie orientale de
l'Europe est en opposition avec l'hypothèse, basée sur quelques
mots des anciens historiens, que les Aryas auraient séjourné
d'abord dans la région du Danube et que la Thrace aurait été
civilisée avant la Grèce. Malgré cet exemple l'agriculture
paraît, en général, plus ancienne dans la partie tempérée de
l'Europe qu'on ne pouvait le croire d'après les Grecs, disposés,
comme certains modernes, à faire sortir tout progrès de leur
propre nation.
En Amérique, l'agriculture n'est peut-être pas aussi ancienne
qu'en Asie et en Egypte, si l'on en juge par les civilisations du
Mexique et du Pérou, qui ne remontent pas même aux premiers
siècles de l'ère chrétienne. Cependant la dispersion immense de
certaines cultures, comme celle du maïs, du tabac et de la
batate, fait présumer une agriculture ancienne, par exemple
de deux mille ans ou à peu près. L'histoire fait défaut dans ce
cas, et l'on ne peut espérer quelque chose que des découvertes en
archéologie et géologie.

1. Heer, Die Pflanzen der Pfahlbauten,in-4, Zurich, 1863.Voir l'article


du lin.
2. Perrin, Etude préhistoriquede la Savoie, in-4, 1870 Castelfranco,
Notizieintorno alla Stazionelacustredi Lagozza,et Sordelli,Sulle piante
della torbiera della Lagozza, dans les Actes de la Soc. ital. des sc.
nat., 1880.
3. Much, Mittheil.d. anthropol. Ges.in Wien, vol. G Sacken, Sitzber.
Akad. Wzen,vol. 6. Lettre de M. Heer sur ces travaux, et leur analyse
dans Nadaillaç,I, p. 247.
CHAPITREII
MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR OU CONSTATER L'ORIGINE
DES ESPÈCES

§ 1. – Réflexions générales.

La plupart des plantes cultivées ayant été mises en culture à


une époque ancienne et souvent d'une manière peu connue, il
est nécessaire d'user de différents moyens lorsqu'on veut s'assu-
rer de leur origine. C'est, pour chaque espèce, une recherche
dans le genre de celles que fontleshistoriens et les archéologues,
recherche variée, dans laquelle on se sert tantôt d'un procédé
et tantôt d'un autre, pour les combiner ensuite et les appré-
cier selon leur valeur relative. Le naturaliste n'est plus ici dans
son domaine ordinaire d'observations et de descriptions. Il doit
s'appuyer sur des preuves testimoniales, dont il n'est jamais
question dans les laboratoires, et, quand les faits de botanique-
sont invoqués, il ne s'agit pas de l'anatomie, dont on s'occupe de
préférence aujourd'hui, mais de* la- distinction des espèces et
de leur distribution géographique.
J'aurai donc à me servir de méthodes qui sont étrangères, les
unes aux naturalistes, les autres aux personnes versées dans
les sciences historiques. Pour comprendre comment il faut les
employer et ce qu'elles peuvent valoir, Je dirai quelques mots de
chacune.

§ 2. Botanique.

Un des moyens les plus directs pour connaître l'origine géo-


graphique d'une espèce cultivée est de chercher dans quel pays
elle croît spontanément, c'est-à-dire à l'état sauvage, sans le
secours de l'homme.
La question paraît simple au premier coup d'œil. Il semble,
BOTANIQUE 7
Il Il-
en effet, qu'en consultant les flores, les ouvrages sur l'ensemble aisé-
des espèces on les herbiers, on doit pouvoir la résoudre
au
ment dans chaque cas particulier. Malheureusement, c'est, de
contraire, une question qui exige des connaissances spéciales
etune appréciation
botanique, surtout de géographie botanique, une
des botanistes et des collecteurs d'échantillons basée sur
d'histoire on d'inter-
longue expérience. Les savants occupés à faire de grandes
prétation d'écrivains de l'antiquité s'exposent venus
erreurs lorsqu'ils se contentent des premiers témoignages
dans un livre de botanique. D'un autre côté, les voyageurs qui
récoltent des plantes pour les herbiers ne font pas toujours assez
d'attention aux localités et aux circonstances dans lesquelles ils
ont
trouvent les espèces. Souvent ils négligent de noter ce qu'ils t
remarqué à cet égard. On sait cependant qu'une plante peut
venir d'individus cultivés dans le voisinage; que les oiseaux, les
à de grandes
vents, etc., peuvent en avoir transporté les graines le lest des vais-
distances, et qu'elles arrivent quelquefois par
seaux ou mêlées avec des marchandises. Ces cas se présentent
forte raison pour les plantes
pour des espèces ordinaires, à plus de l'homme. Il faut, chez
cultivées qui sont abondantes autour
nn collecteur oa voyageur, de bonnes habitudes d'observation
un végétal est issu de pieds
pour estimer jusqu'à quel point autre origine.
sauvages, appartenant à la floredu pays, ou d'une sur des murailles,
Quand la plante croît près des habitations,
dans des décombres, au bord des routes, etc., c'est une raison
pour se défier. i. ,j
Il peut aussi arriver qu'une espèce se répande hors des cul-
n'ait cependant
tures, même loin des localités suspectes, et
ne supporte pas, à la
qu'une durée éphémère, parce qu'elle avec les plantes in-
longue, les conditions du climat ou la lutte une adven-
digènes. C'est ce qu'on appelle en botanique n'est espèce
tive. Elle paraît et disparaît, preuve qu'elle pas originaire
du pays. Les exemples abondent dans chaque flore. Lorsqu'ils
deviennent plus nombreux qu'à l'ordinaire, le public en est
frappé. Ainsi les troupes amenées brusquement d Algérie en
et autre-
France, en 4870, avaient répandu, par les fourrages ont
ment, une foule d'espèces africaines ou méridionales qui
excité l'étonnement, mais dont il n'est pas resté de trace après
deux ou trois hivers. t-v
II y a des collecteurs et des auteurs de flores très attentifs à
et à I em-
signaler ces faits. Grâce à mes relations personnelles
ploi fréquent des herbiers et des livres de botanique, je me
flatte de les connaître. Je citerai donc volontiers leur témoignage
dans les cas douteux. Pour quelques pays et quelques espèces,
naturalistes. J'ai
je me suis adressé directement à ces estimables
fait appel à leurs souvenirs, à leurs notes, à leurs herbiers, des et,
d'après ce qu'ils ont bien voulu me répondre, j'ai pu ajouter
documents inédits à ceux qu'on trouve dans les ouvrages pu-
8 MÉTHODESPOUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES
1 or
mies. Je dois de sincères remerciements pour des informations de
ce genre quej'ai reçues de M. G.B. Clarke surles
plantes de l'Inde
de M. Boissier sur celles d'Orient, de M. Sagot sur les
la Guyane française, de M. Cosson sur celles espèces de
de
MM. Decaisne et Bretschneider sur les plantes d'Algérie, de de
M. Pancic sur des céréales de Servie, de MM. BenthamChine, et Baker
sur des échantillons de l'herbier de Kew, enfin de M. Edouard
André sur des plantes d'Amérique. Ce zélé
voyageur a bien
voulu me prêter des échantillons très intéressants
cultivées dans l'Amérique méridionale, qu'il a recueillis d'espèces
avec
toutes les apparences de végétaux indigènes. 1
Une question plus difficile, qu'on ne peut pas résoudre sur le
terrain, est de savoir si une espèce bien spontanée, ayant toutes
les apparences des espèces indigènes, existe dans le pays depuis
un temps très reculé ou s'y est introduite à une
moins ancienne. époque plus ou
Il y a, en effet, des espèces naturalisées, c'est-à-dire s'in-
troduisent parmi les anciennes plantes de la flore et quimain-
s'y
tiennent, quoique d'origine étrangère, au point que la simple
observation ne permet plus de les distinguer et qu'il faut
cela des renseignements historiques ou des considérationspour de
pure botanique ou géographie botanique. Dans un sens très géné-
ral, en tenant compte des temps prolongés dont la science est
obligée de s'occuper, presque toutes -les espèces, surtout dans les
régions hors des tropiques, ont été naturalisées une fois, c'est-
à-dire qu'elles ont passé d'une région à une autre,
par l'effet de
circonstances géographiques et physiques.
Lorsque j'ai émis
l'idée, en 1855, que des conditions antérieures à notre époque
ont déterminé la plupart des faits de là distribution actuelle des
végétaux, c'était l'expression de plusieurs des articles et la
conclusion de mes deux volumes sur la géographie
on a été quelque peu surpris. La botanique
paléontologie venait bien
de conduire, par des vues générales, un savant allemand, le
Dr Unger, à des idées analogues 2, et, avant
lui, Edouard Forbes
avait émis, pour quelques espèces du midi des îles
britanniques
I hypothèse d'une ancienne contiguïté avec l'Espagne 3. Mais, la
preuve donnée, pour l'ensemble des espèces actuelles, de l'im-
possibilité d'expliquer leurs habitations au moyen des condi-
tions qui existent depuis quelques milliers
d'années, a produit
plus d'impression, parce qu'elle était davantage dans le domaine
des botanistes et qu'elle ne concernait pas
quelques plantes, d'un
seul pays. L'hypothèse proposée par Forbes, devenue dès lors

1. Alph. de Candolle,Géographiebotaniqueraisonnée,chap. S,
p. 1035;
chap. XI,XIX,XXVII.
2. Unger, YersucheinerGescizichte der
3. Forbes.Ontheconnexionbetweenthe Pflanzenwelt, i852.
distributionof theexistingfauna
and flora of the bnùsh isleswiththe geologicalchangeswhîehe.SM<NM /aMM
have a/fected
their area, m-8, dans Memoirsof the geologiealsurvey,vol. 1, 1846.
BOTANIQUE 9

un fait général et certain, est à présent un des lieux communs


de la science. Tout ce qu'on écrit sur la géographie botanique
ou zoologique s'appuie sur cette base, qui n'est plus contestée.
Elle offre, dans les applications à chaque pays ou chaque espèce,
de nombreuses difficultés, car, une cause étant une fois reconnue,
il n'est pas toujours aisé de savoir comment elle a agi dans cha-
que cas particulier. Heureusement, en ce qui concerne les plantes
cultivées, les questions qui se présentent n'exigent pas de re-
monter à des temps très anciens, ni surtout à des dates qu'on
ne peut préciser en nombre d'années ou de siècles. Sans doute
la plupart des formes spécifiques actuelles remontent à un temps
plus reculé que la grande extension des glaciers dans l'hémi-
sphère boréal, phénomène qui a duré bien des milliers d'années
si l'on en juge par l'énormité des dépôts que les glaces ont enlevés
et transportés; mais les cultures ont commencé depuis ces
événements et même, dans beaucoup de cas, depuis une époque
historique. Nous n'avons guère à nous occuper de ce qui a
précédé. Les espèces cultivées peuvent avoir changé de pays
avant leur culture, ou, dans un temps plus long, avoir changé
de forme, cela rentre dans les questions générales de tous les
êtres organisés notre travail demande seulement que chaque
espèce soit examinée depuis qu'on la cultive, ou dans les temps
qui ont précédé immédiatement sa culture. C'est une grande
simplification.
La question d'ancienneté, ainsi limitée, peut être abordée au
moyen des renseignements historiques ou autres, dont je par-
lerai tout à l'heure, et par les principes de la géographie bota-
nique.
Je rappellerai ceux-ci sommairement, pour montrer de quelle
manière ils aident à découvrir l'origine géographique d'une
plante.
Chaque espèce présente ordinairement une habitation continue
ou à peu près. Cependant quelquefois elle est disjointe, c'est-à-
dire que les individus qui la composent sont divisés entre des
régions éloignées. Ces cas, très intéressants pour l'histoire du
règne végétal et des surfaces terrestres du globe, sont loin de
former la majorité. Par conséquent, lorsqu'une espèce cultivée
se trouve à l'état sauvage, très abondamment en Europe, et
moins abondamment aux Etats-Unis, il est probable que, mal-
gré son apparence indigène en Amérique, elle s'y est natura-
lisée, à la suite de quelque transport accidentel.
Les genres du règne végétal, bien que formés ordinairement
de plusieurs espèces, son tsouvent limités à telle ou telle région.
Il en résulte que plus un genre compte d'espèces toutes de la
même grande division du globe, plus il est probable qu'une des
espèces en apparence originaire d'une autre partie du monde y a
été transportée et s'y est naturalisée, par exemple, en s'échap-
pant des cultures. Cela est vrai surtout dans les genres qui habi-
10 MÉTHODESPOUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES

tent les pays tropicaux, parce qu'ils sont plus souvent limités à
l'ancien ou au nouveau monde.
La géographie botanique apprend quelles flores ont encommun
des genres et même des espèces, malgré un certain éloignement,
et quelles, au contraire, sont très différentes, malgré des ana-
logies de climat ou nne distance assez faible. Elle fait connaître
aussi quels sont les espèces, genres et familles ayant des habi-
tations vastes et quels autres ont une extension ou aire moyenne
restreinte. Ces données aident beaucoup à déterminer l'origine
probable d'une espèce. Les plantes qui se naturalisent se répan-
dent rapidement. J'en ai cité jadis i des exemples, d'après ce qui
s'est passé depuis deux siècles, et des faits semblables ont con-
tinué d'être observés d'année en année. On connaît la rapidité
de l'invasion récente de l'Ânackark Alsinastrum dans les eaux
douces d'Europe, et celle de beaucoup de plantes européennes à
la Nouvelle-Zélande, en Australie, en Califormie, etc., signalée
dans plusieurs flores ou voyages modernes.
L'extrême abondance d'une espèce n'est pas une preuve d'an-
cienneté. V Agave americana, si commun dans la région médi-
terranéenne, quoique venu d'Amérique, et notre Cardon, qui
couvre maintenant d'immenses étendues des pampas de la Plata,
en sont des exemples remarquables. Le plus souvent, l'invasion
d'une espèce marche rapidement, et au contraire l'extinction est
le résultat d'une lutte de plusieurs siècles contre des .circons-
tances défavorables 2.
La désignation la plus convenable à adopter pour des espèces.
ou, dans un langage plus scientifique, pour des formes voisines,
est un problème qui se présente souvent en histoire naturelle, et
dans la catégorie des espèces cultivées plus que dans les autres.
Ces plantes changent par la culture. L'homme s'empare des
formes nouvelles qui lui conviennent et les propage par des
moyens artificiels, tels que les boutures, la greffe, le choix des
ces
graines, etc. Evidemment, pour connaître l'origine d'une de
espèces, il faut éliminer le plus possible les formes qui semblent
artificielles et concentrer son attention sur les autres. Une ré-
flexion bien simple doit guider dans ce choix c'est qu'une
espèce cultivée offre des diversités principalement dans les parties
mo-
pour lesquelles on la cultive. Les autres peuvent rester sans
difications, ou avec des modifications légères, dont le cultiva-
teur ne tient pas compte, parce qu'elles lui sont inutiles. Il faut
donc s'attendre à ce qu'un arbre fruitier primitif et sauvage ait
de petits fruits, de saveur médiocrement agréable; à ce qu'une
céréale ait de petites graines, la. pomme de terre sauvage de pe-
tits tubercules, le tabac indigène des feuilles étroites, etc., etc.,
sans aller cependant jusquà s'imaginer qu'une espèce aurait pris

1. A. de Candolle,Gêoqr.bot. misonnée,chap. VII et X.


2. A. de Candolle,Gêogr.bot.raisonnée,chap.TIII, p. 804.
ARCHÉOLOGIEET PALÉONTOLOGIE H

tout à coup de grands développements par 1 effet de la culture,


car l'homme n'aurait pas commencé à la cultiver si elle n'avait
offert dès l'origine quelque chose d'utile ou agréable.
Une fois la plante cultivée réduite à ce qui permet de la com-
parer raisonnablement aux formes analogues spontanées, il
faut savoir encore quel groupe de plantes à peu près semblables
on juge à propos de désigner comme constituant une espèce.
Sur ce point, les botanistes sont seuls compétents, parce qu'ils
ont l'habitude d'apprécier les différences et les ressemblances, et
qu'ils n'ignorent pas la confusion de certains ouvrages en fait
de nomenclature. Ce n'est pas ici le lieu de discuter ce qu'on
On verra dans quel-
peut appeler raisonnablement une espèce. me paraissent les
ques-uns de mes articles les principes qui
meilleurs. Comme leur application exigerait souvent des obser-
vations qui n'ont pas été faites, j'ai pris le parti de distinguer
un groupe qui me
quelquefois des formes quasi spécifiques dans de
paraît être une espèce, et j'ai cherché l'origine géographique
ces formes comme si elles étaient vraiment spécifiques.
En résumé, la botanique fournit des moyens précieux pour
deviner ou constater l'origine des plantes cultivées et pouréviter
des erreurs. Il faut se bien persuader cependant que la combi-
naison d'observations sur le terrain et dans le cabinet est néces-
saire. Après le collecteur qui voit les plantes dans une localité
ou une région et qui rédige peut-être une flore ou un catalogue
distributions
d'espèces, il est indispensable d'étudier les livres et les géogra-
phiques, connues ou probables, d'après les herbiers,
et de penser aux principes de la géographie botanique et aux ques-
tions de classification, ce qui ne peut se faire ni en voyageant ni
en herborisant. D'autres recherches, dont je vais parler, doivent
être combinées avec celles de botanique, si l'on veut arriver à
des conclusions satisfaisantes.

§ 3. Archéologie et paléontologie.

La preuve la plus directe qu'on puisse imaginer de l'existence


ancienne d'une espèce dans un pays est d'en voir des fragments
d'une
reconnaissables dans de vieux édifices ou de vieux dépôts,
date plus ou moins certaine.
Les fruits, graines et fragments divers de plantes sortis des
tombeaux de l'ancienne Egypte et les dessins qui les entourent
dans les pyramides, ont donné lieu àdes recherches d'une grande
mention. Il a
importance, dont j'aurai souvent à faire frauduleusey depourtant
ici une chance d'erreur l'introduction plantes
l'a reconnue facile-
modernes dans les cercueils de momies. On
de grains de mais, plante
ment, quand il s'est agi, par exemple,
américaine, glissés par les Arabes; mais on peut avoir
d'origine deux ou trois mille
ajouté des espèces cultivées en Egypte depuis
12 MÉTHODESPOUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES

ans, qui semblent alors d'une antiquité trop reculée Les tumuli
ou mounds de l'Amérique septentrionale et les monuments des
anciens Mexicains et Péruviens ont fourni des documents sur les
plantes qu'on cultivait dans cette partie du monde. Il s'agît alors
de temps moins anciens que celui des pyramides d'Egypte.
Les dépôts des lacustres ou palafittes de Suisse ont donné
lieu à des mémoires très importants, parmi lesquels il faut citer
en première ligne celui de Heer, mentionné tout à l'heure. Des
travaux analogues ont été faits sur les débris végétaux trouvés
dans d'autres lacs ou tourbières de Suisse, Savoie,
et Italie. Je les mentionnerai à l'occasion de plusieursAllemagne
espèces.
M. le Dr Gross a eu l'obligeance de me communiquer des fruits
et graines tirés des palafittes du lac de Neuchatel, et mon col-
lègue le professeur Heer m'a favorisé de quelques renseigne-
ments recueillis à Zurich depuis sa publication. J'ai dit que les
dépôts appelés Kjôkkenmôddings dans les pays scandinaves
n'ont fourni aucune trace de végétaux cultivés.
Les tufs du midi de la France contiennent des feuilles et autres
dëbris de plantes qui ont été déterminés par MM.
Martins,
Planchon, de Saporta et autres savants. Leur date n'est peut-
-être pas toujours plus ancienne que les premiers dépôts des
lacustres, et il est possible qu'elle concorde avec celle d'anciens
monuments d'Egypte et d'anciens livres des Chinois. Enfin, les
couches minérales, dont les géologues s'occupent spécialement,
apprennent déjà beaucoup sur la succession des formes végétales
dans divers pays; mais il s'agit alors d'époques bien antérieures
à l'agriculture, et ce serait un hasard singulier, et assurément
précieux, si l'on découvrait à l'époque tertiaire européenne une
espèce actuellement cultivée. Cela n'est pas arrivé jusque, pré-
sent, d'une manière tout à fait certaine, quoique des espèces
non cultivées aient été reconnues dans des couches antérieures à
notre époque glaciaire de l'hémisphère boréal. Du reste, si l'on
ne parvient pas à en trouver, les conséquences ne seront
pas
claires, attendu qu'on pourra dire telle plante est arrivée de-
puis, d'une autre région, ou bien elle avait jadis une forme diffé-
rente, qui n'a pas permis de la reconnaître dans les fossiles.

§ 4. Histoire.
Les documents historiques sont
certaines cultures dans chaque pays.importants pour la date de
Ils donnent aussi des indi-
cations sur 1 origine géographique des
été propagées par les migrations d'anciens plantes quand elles ont
ou des expéditions militaires. peuples, les voyages
J °
11 ne faut pourtant pas
accepter sans examen les assertions
des auteurs.
La plupart des anciens historiens ont confondu le fait
de la
HISTOIRE 13

culture d'une espèce dans un pays avec celui de son habitation


antérieure, à l'état sauvage. On a dit communément, – même de
nos jours d'une espèce cultivée en Amérique ou en Chine
qu'elle habite l'Amérique ou la Chine. Une erreur non moins
fréquente a été de croire une espèce originaire d'un pays, parce
qu'on l'a reçue de là et non du pays véritablement de son ori-
gine. Ainsi les Grecs et les Romains ont appelé pomme de Perse
la pêche, qu'ils avaient vue cultivée en Perse, qui n'y était pro-
bablement pas sauvage et que j'ai prouvée naguère être origi-
naire de Chine. Ils ont appelé pomme de Carthage (Malum
punicum) la grenade, qui s'était répandueprogressivement dans
les jardins, de Perse en Mauritanie. A plus forte raison, les
très anciens auteurs, tels que Bérose et Hérodote, ont pu se
tromper, malgré leur désir d'être exacts.
Nous verrons, à l'occasion du mais, que des pièces historiques
entièrement forgées, peuvent tromper sur l'origine d'une espèce.
C'est singulier, car pour un fait de culture il semble que per-
sonne n'a intérêt à mentir. Heureusement les indices botaniques
ou archéologiques aident à faire présumer les erreurs de cette
nature.
La principale difficulté celle qui se présente ordinairement
pour les anciens historiens est de traduire exactement les
noms des plantes qui, dans leurs livres, sont toujours des noms
vulgaires. Je parlerai bientôt de la valeur de ces noms et des
ressources de la linguistique dans les questions qui nous occu-
pent mais il faut indiquer auparavant quelles notions histori-
ques sont le plus utiles dans l'étude des plantes cultivées.
L'agriculture est sortie anciennement, du moins en ce qui
concerne les principales espèces, de trois grandes régions où
croissaient certaines plantes et qui n'avaient aucune communi-
cation les unes avec les autres. Ce sont la Chine, le sud-ouest
de l'Asie (lié avec l'Egypte) et l'Amérique intertropicale. Je ne
veux pas dire qu'en Europe, en Afrique ou ailleurs des peuples
sauvages n'aient cultivé quelques espèces, à une époque re-
culée, d'une manière locale, comme accessoires de la chasse ou
de la pêche mais les grandes civilisations, basées sur l'agricul-
ture, ont commencé dans les trois régions que je viens d'indi-
c'est sur
quer. Chose digne de remarque, dans l'ancien monde,
le bord des fleuves que les populations agricoles se sont surtout
constituées, tandis qu'en Amérique c'est sur les plateaux du
Mexique et du Pérou. Il faut peut-être l'attribuer à la situation
du Missis-
primitive des plantes bonnes à cultiver, car les rives malsaines
sipi, de l'Orénoque et de l'Amazone ne sont pas plus
que celles des fleuves de l'ancien monde.
Quelques mots sur chacune des trois régions.
La Chine avait depuis des milliers d'années une agriculture
et même une horticulture florissantes lorsqu'elle est entrée,
l'Asie occiden-
pour la première fois, en communication avec
14 MÉTHODESPOUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES

tale, par la mission de Cbang-Kien, sous le règne de l'empereur


Wu-ti, dans le ne siècle avant l'ère chrétienne. Les recueils ap-
constatent
pelés Pent-sao, écrits à l'époque de notre moyen âge,le
la luzerne, safran, le
qu'il rapporta la fève, Je concombre, melon
sésame, le noyer, le pois, l'épinard, le d'eau et d'autres
Chinois. Chang-Kien,
plantes de l'ouest 1, alors inconnues aux
comme on voit, n'a pas été un ambassadeur ordinaire. Il a
étendu singulièrement les connaissances géographiques et amé-
lioré les conditions économiques de ses compatriotes. Il est vrai
l'ouest et qu'il
qu'il avait été forcé de demeurer dix ans dans
chez laquelle un
appartenait à une population déjà civilisée, de céré-
empereur, 2700 ans avant Jésus-Christ, avait entouréLes Mon-
monies imposantes la culture de quelques plantes.
froid
goles étaient trop barbares -et venaient d'un pays trop
utiles en Chine
pour avoir pu introduire beaucoup d'espèces
mais, en étudiant l'origine du pêcher et de l'abricotier, nous ver-
rons que ces arbres ont été portés de Chine dans l'Asie occiden-
ou
tale, probablement par des voyageurs isolés, marchands
autres, qui passaient au nord de l'Himalaya. Quelques espèces
ont pu se répandre de la même manière de l'ouest en Chine,
avant l'ambassade de Chang-Kiën.
Les communications régulières de la Chine avec l'Inde ont
commencé seulement à l'époque de ce même personnage, et par
la voie détournée de la Bactriane mais il a pu y avoir des
transmissions de proche en proche par la presqu'île malaise et
la Cochinchine. Les lettrés qui écrivaient dans le nord de la
Chine ont pu les ignorer, d'autant plus que les provinces méri-
dionales ont été jointes à l'empire seulement au nft siècle avant
J'ère chrétienne 3.
Les premiers rapports du Japon avec la Chine ont été vers
l'an S7 de notre ère, par l'envoi d'un ambassadeur, et les Chi-
nois n'eurent vraiment connaissance de leurs voisins orientaux
que dans le iw siècle, époque de l'introduction de l'écriture
chinoise au Japon 4.
La vaste région qui s'étend du Gange à l'Arménie et au Nil
n'a pas été anciennement aussi isolée que la Chine. Ses peuples
ont échangé, de place en place, et même transporté à distance
des plantes cultivées, avec une grande facilité. Il suffit de rap-
peler que d'anciennes migrations ou conquêtes ont mêlé sans
cesse les populations touraniennes, aryennes et sémites entre la
mer Caspienne, la Mésopotamie et le Nil. De grands Etats se
sont formés, à peu près dans les mêmes temps, sur les bords de
l'Euphrate et en Egypte, mais ils avaient succédé à des tribus
1. Bretschneider,l. c, p. 15.
2. Bretsehneider,1. c.
3. Bretschneider,l. c, p. 23. “ “
4. Atsuma-gusa. de Vexlreme
Recueilpour servir à la connaissance Orient,
nublié par Fr. Turretini,vol.S, p. 200',293.
LINGUISTIQUE 15
est plus
qui cultivaient déjà certaines plantes. L'agriculture
ancienne dans cette région que BabyIone etles premières dynas-
ties égyptiennes, lesquelles datent de plus de quatre mille ans.
Les empires assyriens et égyptiens se sont ensuite disputé la
des popula-
suprématie, et dans leurs luttes ils ont transporté
tions, ce qui ne pouvait manquer de répandre les espèces culti-
vées. D'un autre côté, les peuples aryens, qui habitaient primiti-
vement au nord de la Mésopotamie, dans une contrée moins
favorable à l'agriculture, se sont répandus à l'ouest et au midi,
refoulant ou subjuguant les nations touraniennes et dravidiennes.
Leur langue, et surtout celles qui en sont dérivées en Europe et
dans l'Inde, montrent qu'ils ont connu et transporté plusieurs
espèces utiles Après ces anciens événements, dont les dates
sont généralement incertaines, les voyages par mer des Phéni-
ciens, les guerres entre les Grecs et les Perses, l'expédition
d'Alexandre jusque dans l'Inde, et finalement la domination
romaine ont achevé de répandre les cultures dans l'intérieur de
l'Asie occidentale et même de les introduire en Europe et dans
le nord de l'Afrique, partout où le climat pouvait leur être favo-
rable. Plus tard, à l'époque des croisades, il restait bien peu de
plantes utiles à tirer de l'Orient. II est arrivé alors en Europe
quelques variétés d'arbres fruitiers que les Romains ne possé-
daient pas et des plantes d'ornement.
La découverte de l'Amérique, en 1492, a été le dernier grand
événement qui a permis de répandre les plantes cultivées dans
tous les pays. Ce sont d'abord les espèces américaines,. comme
la pomme de terre, le maïs, la figue d'Inde, le tabac, etc., qui
ont été apportées en Europe et en Asie. Ensuite une foule d'es-
Le
pèces de l'ancien monde ont été introduites en Amérique.
voyage de Magellan (4520-21) fut la première communication
directe entre -l'Amérique méridionale et l'Asie-. Dans le même
siècle, la traite des nègres vint multiplier les rapports entre
l'Afrique et l'Amérique. Enfin la découverte des îles de la mer
de
Pacifique au xvine siècle, et la facilité croissante des moyens
communication, combinée avec un désir général d'améliorer,
ont produit la dispersion plus générale des plantes utiles dont
nous sommes aujourd'hui les témoins.

§ S. Linguistique.
Les noms vulgrires de plantes cultivées sont ordinairement
très connus et peaveat donner des indications sur l'histoire
1 Il existe, en langue française, deux excellentsrésumés des connais-
sances actuelles sur l'Orient et rSsrj pte. Je ne saurais trop les recom-
de ces
mander aux naturalistes qui ne se sont pas occupésspécialement de
tions. L'un de ces ouvrages est le Manuel de Fhistoire ancienne
VOrient,par François Lenormand, 3 vol. in-12, Paris,un1S69. L autre est
anciennedespeuplesde l'Orient,par Maspero,
i' Histoire vol. m-8,Paris,
1878.
16 MÉTI1ODESPOUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES

d'une espèce, mais il n'est pas sans exemple qu'ils soient


absurdes, basés sur des erreurs, ou vagues et contestables, ce
qui oblige à user d'une certaine prudence dans leur emploi.
Je pourrais citer beaucoup de noms absurdes, pris dans
toutes les langues. Il suffit de rappeler.:
En français blé de Turquie (maïs), pour une plante qui n'est
pas un blé et qui vient d'Amérique.
En anglais Jérusalem artichoke pour le Topinambour
(Helianthus tuberosus), qui ne vient pas de Jérusalem, mais de
l'Amérique septentrionale, et n'est pas un artichaut.
En allemand: Haferwurzel (Haber, boue, en vieux allemand)
racine d'avoine, pour le Salsifis (Tragopogon), plante à racine
charnue!
Une quantité de noms donnés par les Européensà des plantes
étrangères, lorsqu'ils se sont établis dans les colonies, expriment
des analogies fausses ou insignifiantes. Par exemple, le lin de la
Nouvelle-Zélande ressemble aussi peu que possible au lin; seule-
ment on tire de ses feuilles une matière textile. La pomme
d'acajou, des Antilles françaises, n'est pas le fruit d'un pommier,
ni même d'une pomacée, et n'a rien à voir avec l'acajou.
Quelquefois les noms vulgaires se sont altérés en passant d'une
langue à l'autre, de manière à donner un sens faux ou ridicule.
Ainsi l'arbre de Judée des Français (Cercis Siliquastrum) est
devenu en anglais Judas tree, arbre de Judas Le fruit appelé
Ahuacaparles Mexicains est devenul'Avocat des colons français.
Assez souvent, des noms de plantes ont été pris par le même
peuple; à des époques successives ou dans des provinces diffé-
rentes, tantôt comme noms de genres et tantôt comme noms
d'espèces. Par exemple, blé peut signifier ou plusieurs espèces
du genre Triticum, et même de plantes nutritives très différentes
(maïs et blés), ou telle espèce de blé en particulier.
Plusieurs noms vulgaires ont été transportés d'une plante à
l'autre, par suite d'erreurs ou d'ignorance. Ainsi, la confusion
faite par d'anciens voyageurs entre la Batate (Convolvolus Ba-
tatas) et la Pomme de terre (Solanum tuberosum), a entraîné
l'usage d'appeler la Pomme de terre en anglais Potatoe et en
espagnol Patatas.
Si des peuples modernes, Civilisés, qui ont de grandes facilités
pour comparer les espèces, connaître leur origine et vérifier les
noms dans les livres, ont fait de semblables erreurs, il est pro-
bable que les anciens en ont fait plus encore et de plus gros-
sières. Les érudits déploient infiniment de science pour expliquer
l'origine linguistique d'un nom ou ses modifications dans les
langues dérivées, mais ils ne peuvent pas découvrir les fautes ou
les absurdités populaires. Ce sont plutôt les botanistes qui les
devinent ou les démontrent. Remarquons en passant que les
noms doubles ou composés sont les plus' suspects. Ils peuvent
avoir deux erreurs l'une dans la racine ou le nom principal,
l'autre dans l'addition ou nom accessoire, destiné presque tou-
LINGUISTIQUE 17

jours à indiquer une origine géographique, une qualité appa-


rente ou quelque comparaison avec d'autres espèces. Plus un
nom est bref, plus il mérite qu'on en tienne compte dans la
question d'origine ou d'ancienneté, car c'est à la suite des
années, des migrations de peuples et des transports de plantes
que s'ajoutent les épithètes souvent erronées. De même, dans les
écritures symboliques, comme celles des Chinois et des Egyp-
tiens, les signes uniques et simples font présumer des espèces
anciennement connues, ne venant pas de pays étrangers, et les
signes compliqués, sont suspects ou indiquent une origine étran-
gère. N'oublions pas cependant que les signes ont été souvent
des rébus, basés sur des ressemblances fortuites de mots, ou sur
des idées superstitieuses et fantastiques. 1
L'identité d'un nom vulgaire pour une espèce dans plusieurs
langues peut avoir deux significations très différentes. Elle peut
venir de ce qu'une plante a été transportée par un peuple qui
s'est divisé et dispersé. Elle peut résulter aussi de ce qu'une
plante a été transmise d'un peuple à l'autre avec le nom du
pays d'origine. Le premier cas est celui du chanvre, dont le
nom est semblable, au moins quant à sa racine, dans toutes les
langues dérivées des Aryas primitifs. Le second se voit dans le
nom américain du tabac et le nom chinois du thé, qui se sont
répandus dans une infinité de pays, sans aucune filiation linguis-
tique ou ethnographique. Ce cas s'est présenté plus fréquem-
ment dans les temps modernes que dans les anciens, parce que
la rapidité des communications permet aujourd'hui d'introduire
à la fois une plante et son nom, même à de grandes distances.
La diversité des noms pour une même espèce peut avoir aussi
des causes variées. En général, elle indique une existence an-
cienne dans divers pays, mais elle peut aussi provenir dumélange
des peuples ou de noms de variétés qui usurpent le nom primitif.
Ainsi, en Angleterre, on peut trouver, suivant les provinces, un
nom celte, saxon, danois ou latin, et nous voyons en Allemagne
les noms de Flachs et Lein pour le lin, qui ont évidemment des
origines différentes.
Lorsqu'on veut se servir des noms vulgaires pour en tirer
certaines probabilités sur l'origine des espèces, il faut consulter
les dictionnaires et les dissertations des philologues, mais on est
obligé d'estimer les chances d'erreur de ces érudits, qui, n'étant
ni agriculteurs ni botanistes, peuvent s'être trompés dans l'ap-
plication d'un nom à une espèce.
Le recueil le plus considérable de noms vulgaires est celui de
Nemnich publié en 1793. J'en possède un autre, manuscrit,
mon
plus étendu encore, rédigé dans notre bibliothèque par livres
ancien élève Moritzi, au moyen des flores et de plusieurs

der Naturgeschichte,2 vol


1. Nemnioli,Allgemeinespolyglotten-Lexicon
in-4.
UEUANDOLLE.
18 MÉTHODESPOUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES

de voyages écrits par des botanistes. Il y a, en outre, des. dic-


tionnaires concernant les noms d'espèces de tel ou tel pays ou
d'une langue en particulier. Ces sortes de recueils ne contiennent
pas souvent des explications sur les étymologies mais, quoi qu'en
dise M. JEehn un naturaliste, pourvu de l'instruction générale
ordinaire, peut reconnaître les connexités ou les diversités fon-
damentales de certains noms dans des langues différentes et ne
pas confondre les langues modernes avec les anciennes. Il n'est
pas nécessaire pour cela d'être initié dans les subtilités des
suffixes et des affixes, des labiales et des dentales. Sans doute
un philologue pénètre mieux et plus loin dans les étymologies,
mais il est rare que ce soit nécessaire pour les recherches sur les
plantes cultivées. D'autres connaissances sont plus utiles, sur-
tout celles de pure botanique, et elles manquent aux philologues
plus que la linguistique aux naturalistes, par la raison fort
évidente qu'on donne plus de place dans l'instruction générale
aux langues qu'à l'histoire naturelle. Il me paraît aussi que les
linguistes, notamment ceux qui traitent du sanscrit, veulent
beaucoup trop chercher des étymologies à chaque nom. Ils
ne pensent pas assez à la bêtise humaine, qui a fait naître dans
tous les temps des mots absurdes, sans base réelle, déduits
d'une erreur ou d'une idée superstitieuse.
La filiation des langues modernes européennes est connue de
tout le monde. Celle des langues anciennes a été l'objet, depuis
un demi-siècle, de travaux importants. Je ne puis en donner ici
un aperçu, même abrégé. Il suffit de rappeler que toutes les
langues européennes actuelles dérivent de la langue des Aryens
occidentaux, venus d'Asie, à l'exception du basque (dérivé de
l'ibère), du finnois, du turc et du hongrois, dans lesquels au
surplus beaucoup de mots d'origine aryenne se sont introduits.
D'un autre côté, plusieurs langues actuelles de l'Inde, Ceylan,
dérivent du sanscrit des Aryens orientaux, sortis de l'Asie cen-
trale après les Aryens de l'Occident. On suppose, avec assez de
vraisemblance, que les premiers Aryens occidentaux sont arrivés
en Europe 2500 ans avant notre ère, et les Aryens orientaux dans
l'Inde un millier d'années plus tard.
Le basque (ou ibère), le guanche des îles Canaries, dont on
connaît quelques noms de plantes, et le berbère se rattachaient
probablement aux anciennes langues du nord de l'Afrique.
Les botanistes sont obligés, dans beaucoup de cas, de douter
des noms vulgaires attribués aux plantes par les voyageurs, les
historiens et les philologues. C'est une conséquence des doutes
qu'ils ont eux-mêmes sur la distinction des espèces et de la
difficulté qu'ils savent très bien exister lorsqu'on veut s'assurer
du nom vulgaire d'une plante. L'incertitude devient d'autant

1. Hehn, Kulturpflanzenund Hausthierein iltr,enUeèergangaus Asien


in-8,3e édition, 1877.
LINGUISTIQUE 19

iaeiles à contonare ou
plus grande qu'il s'agit d'espèces plus
moins connues du publie, ou de langues de nations peu civilisées.
Il y a des degrés, pour ainsi dire, entre les langues, sous ce
doivent être acceptés plus ou moins
point de vue, et les noms
suivant ces degrés.
En tète, pour la certitude, se placent les langues qui possè-
dent des ouvrages de botanique. On peut en effet reconnaître
une espèce au moyen d'une description grecque de Dioscoride ou
de Théophraste, et des textes latins moins développés de Caton,
Columelle ou Pline. Les livres chinois donnent aussi des des-
travaux du docteur
criptions. Leur étude a fait l'objet d'excellents
Bretschneider, medecin de la légation russe à Peking, que je ci-
térai fréquemment 1. r
Le second degré est celui des langues qui ont une littérature
de théologie, de poésie, ou de
composée seulement d'ouvrages
Ces sortes d'ouvrages
chroniques sur les rois et les batailles. ré-
mentionnent çà et là des plantes, avec des épithètes ou des
flexions sur leur floraison, leur maturité, leur emploi, etc., qui
de comprendre un nom et de le rapporter à la no-
permettent
menclature botanique actuelle. En s'aidant d'ailleurs de notions
sur la flore du pays et des noms vulgaires dans les langues
dérivées de l'ancienne, on arrive, tant bien que mal, à fixer le
sens de quelques mots. C'est ce qui a été fait pour le sans-
crit 2, l'hébreu 3 et l'araméen
les langues anciennes ne
Enfin, une troisième catégorie dans
mais seulement des présomptions
peut donner aucune certitude,

i Bretschneider, On the study and value of chinese botanical chinese worhs,


with notes on the hktory of plants and geographical botany from
sources. In-8, 51 pages avec figures, Foochoo, sans date, mais la préface
datée de décembre 1810. Notes on some botanical questions. In-8,
U pages, 1880. les
e de Wilson contient des noms de plantes, mais
2.Ldictionnaire
botanistes se fient davantage aux noms indiqués par Rosburgh dans son
Flora indica (éd. de 1832, 3 vol. in-8) et au dictionnaire spécial de Pid-
India, Calcutta, 1832. Les érudits
dington, English index to the plants ofnombre de noms dans les textes,
prétendent découvrir un assez plus grand
la preuve du sens de ces noms. Générale-
mais ils ne donnent pas
ce que nous avons pour l'hébreu, le grec
ment, il manque pour le sanscrit
et le chinois, la citation, traduite en langue moderne, des phrases concer-
nant chaque mot.
sur les noms des plantes de l'Ancien Testament
3.Lmeilleur
e ouvrage
est celui de Rosenmüller, Handbuch der biblischen Alterkunde, in-8, vol. de
4,
la
en est La botanique
Leipzig, 1830.Un bon ouvrage, abrégé,1871.français,
Bible, par Fred. Hamilton, in-8, Nice, a donné
4. Revnier, botaniste suisse, qui avait séjourné en Egypte, dans le Talmud.
avec sagacité le sens de beaucoup de noms de plantes
Voir ses volumes intitulés Economiepublique et rurale des Arabes et des
et rurale des Egyptiens et des Car-
Juifs in-8, 1820, et Economie publique
Les ouvrages plus récents de Duschak et
thaqinois, in-8, Lausanne. 1823. d'Orient et sont
de Lô-wne reposent pas sur la connaissance des planteslettres
illisibles, pour les botanistes, à cause des noms en syriaques,
hébraïques, etc.
20 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES
ou des indications hypothétiques assez rares. C'est celle des lan-
le avec tous
gues dont on ne connaît aucun ouvrage, comme celte,
ses dialectes, le vieux slave, le pélasge, l'ibère, la langue des
à, cer-
Aryas primitifs, des Touraniens, etc. On arrive présumer
tains noms, ou leur forme approximative, dans ces anciennes
langues, par deux procédés, tous deux sujets à caution.
Le premier, et le meilleur, est de consulter les langues déri-
vées ou qu'on croit dérivées directement des anciennes, comme
le basque pour l'ibère, l'albanais pour le pélasge, le breton, l'ir-
landais et le gaëlic pour le celte. Le danger est de se tromper
sur la filiation des langues, et surtout de croire à l'ancienneté
d'un nom de plante qui peut être venu par un autre peuple.
Ainsi le basque a beaucoup de noms qui paraissent tirés du latin
à la suite dela domination romaine. Le berbère est rempli de
noms arabes, et le persan de noms de toutes sortes, qui n'exis-
taient probablement pas dans le zend.
L'autre procédé consiste à reconstruire une langue ancienne
sans littérature, au moyen de ses dérivées, par exemple la lan-
à
gue des Aryas occidentaux au moyen des mots communs plu-
sieurs langues européennes qui en sont issues. Pour les mots des
anciennes langues aryennes, le dictionnaire de Fick ne peut guère
être employé, car il donne peu de noms de plantes, et sa dispo-
sition ne le met pas du tout à la portée des personnes qui ne
connaissent pas le sanscrit. Bien plus important pour les natu-
ralistes est l'ouvrage d'Adolphe Pictet, dont il a paru, après la
mort de l'auteur, une seconde édition, augmentée et perfection-
née l. Les noms de plantes et les termes de l'agriculture y sont
exposés et discutés d'une manière d'autant plus satisfaisante
qu'elle est combinée avec des notions exactes de botanique. Si
l'auteur attribue peut-être plus d'importance qu'il ne faudrait à
des étymologies douteuses, il le compense par des notions d'une
autre nature et par beaucoup de méthode et de clarté.
Les noms de plantes en langue euskarienne, soit basque, ont
été commentés, au point de vue des étymologies probables, par
M.le comte de Charencey2. J'aurai l'occasion de citer ce travail,
où les difficultés étaient bien grandes, à cause de l'absence de
toute littérature et de langues dérivées.

Nécessité de combiner les différentes


§ 6.
méthodes.

Les divers procédés dont je viens de parler n'ont pas une


valeur égale. Evidemment lorsqu'on peut avoir sur une espèce

1. AdolphePictet, Les origines des peuplesindo-européens, 3 vol. in-8.


Paris, 4878.
2. Charencey,dansActesde la Sociétépliilologique,vol. I, n° 1, 1869.
21
NÉCESSITÉ DE COMBINERLES DIFFÉRENTESMÉTHODES
a__ "1P'V'IIn.+~
monuiueuu,
aes
des documents archéologiques, comme ceux
ce sont des faits d'une exac-
égyptiens ou des lacustres suisses,
titude remarquable. Viennent ensuite les données de botanique,
surtout celles sur l'existence spontanée d'une espèce dans
à
tel ou tel pays. Elles peuvent avoir beaucoup d'importance,
condition qu'on les examine soigneusement. Les assertions con-
tenues dans les livres soit d'historiens, soit mêmede naturalistes
d'une époque à laquelle la science ne faisait que commencer,
sont
n'ont pas la même valeur. Enfin les noms vulgaires ne
accessoire, surtout dans les langues modernes, et
qu'un moyen
un moyen, comme nous avons vu, dont il faut se défier. Voilà
ce qu'on peut dire d'une manière générale, mais dans chaque
cas particulier telle ou telle méthode prend quelquefois plus
d'importance. de
Chacune conduit à une simple probabilité, puisqu'il s'agit
faits anciens qui échappent aux observations directes et actuelles.
trois ou
Heureusement, si l'on arrive à la même probabilité par
quatre voies différentes, on approchedes beaucoup de la certitude.
Il en est des recherches sur l'histoire plantes comme de celles
sur l'histoire des peuples. Un bon auteur consulte les historiens
les archives où se trouvent des
qui ont parlé des événements, les
documents inédits, les inscriptions de vieux monuments,même
enfin les mémoires et
journaux, les lettres particulières, de
la tradition. Il tire des probabilités chaque source, et ensuite
de se
il compare ces probabilités, les pèse et les discute avant et
décider. C'est un travail de l'esprit, qui exige de la sagacité
du jugement. Ce travail diffère beaucoup de l'observation, usitée
en histoire naturelle, et du raisonnement pur, qui est le propre
des sciences mathématiques. Néanmoins, je le répète, lorsqu'on
arrive par plusieurs méthodes à une même probabilité, celle-ci
de la certitude. On peut même dire qu'elle donne la
approche histo-
certitude à laquelle on peut prétendre dans les sciences
riques. avec
ai eu la preuve en comparant mon travail actuel 18a5.
J'en
celui que j'avais fait, d'après les mêmes méthodes, en docu-
de
Pour les espèces que j'avais étudiées alors, j'ai eu plus sur
ments et des faits mieux constatés, mais les conclusions elles
l'origine de chaque espèce ont été à peine changées. Comme
des méthodes, les choses
reposaient déjà sur une combinaison
sont devenues ordinairement plus probables ou cer-
probables à des résultats
taines, et il ne m'est pas arrivé d'être conduit
absolument contraires aux précédents. de-
Les données archéologiques, linguistiques et botaniques
viennent de plus en plus nombreuses. C'est par leur moyen que les
l'histoire des plantes cultivées se perfectionne, tandis que au
assertions des anciens auteurs perdent de leur importance et des
lieu d'en acquérir. Grâce aux découvertes des antiquairesGrecs la
les modernes connaissent mieux que les
philologues,
22 MÉTHODESPOUR DÉCOUVRIRL'ORIGINE DES ESPÈCES

Chaldée et l'ancienne Egypte. Ils peuvent constater des erreurs


dans Hérodote. Les botanistes de leur côté corrigent Théophraste,
Dioscoride et Pline d'après la connaissance des flores de Grèce et
d'Italie, tandis que la lecture des anciens, faite si souvent par les
érudits depuis trois siècles, a donné ce qu'elle pouvait donner.
Je ne puis m'empêcher de sourire en voyant aujourd'hui des
savants répéter des phrases grecques ou latines bien connues,
pour en tirer ce qu'ils appellent des conclusions. C'est vouloir
extraire du jus d'un citron pressé déjà mainte et mainte fois.
Il faut .le dire franchement, les ouvrages qui répètent et com-
mentent les auteurs de l'antiquité grecque ou latine, sans mettre
en première ligne les faits botaniques et archéologiques, ne sont
plus au niveau de la science. Je pourrais en citer cependant qui
ont eu, en Allemagne, les honneurs de trois éditions! Mieux au-
rait valu réimprimer les publications antérieures de Fraas et de
Lenz, de Targioni et de Heldreich, qui ont toujours mis les
données actuelles de la botanique au-dessus des descriptions
vagues d'anciens écrivains, c'est-à-dire les faits au-dessus des
mots et des phrases.
DEUXIÈMEPARTIE
ÉTUDE DES ESPÈCES
AU POINT DE VUE DE LEUR ORIGIXE
DES PREMIERS TEMPS DE LEUR CULTURE
ET DES PREYCIPAUX FAITS DE LEUR DISPERSION

CHAPITRE PREMIER

PLANTESCULTIVÉESPOUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES


TELLES QUE RACINES,BULBESOU TUBERCULES2.

Radis, Raifort. Raphanus sativus, Linné.


Le radis est cultivé pour ce qu'on appelle la racine, qui est,
de la tige avec la
à proprement parler, la partie inférieure
la forme et
racine pivotante 3. On sait à quel point la grosseur,
va-
la couleur de ces organes, qui deviennent charnus, peuvent
rier, suivant'e terrain et les races cultivées.
Il n'y a pas de doute que l'espèce est originaire des régions
comme elle s'est répandue
tempérées de l'ancien monde; mais, les plus reculés, de
dans les jardins, depuis les temps historiques
se sème fré-
la Chine et du Japon jusqu'en Europe, et qu'elle
des cultures, il est difficile de préciser son
quemment autour
point de départ. avec le Raphanus sativus des espèces
Naguère on confondait
voisines, de la région méditerranéenne, auxquelles on attribuait
a beaucoup
certains noms grecs; mais le botaniste J. Gay, qui

i Un certain nombre d'espèces, dont l'origine est bien dans connue, comme
le résumé
la carotte, l'oseille, etc., sont mentionnées seulement faits prin-
une indication des
au commencement de la dernière partie, avec
cipaux qui les concernent. *»«•
tantôt
2. Quelques espèces sont cultivées tantôt pour leurs racinesse et trouvent
pour leurs feuilles ou leurs graines. Dans d'autres chapitres leurs
des espèces cultivées pour leurs feuilles (fourrages) ou pour grai-
l'index
habituel. Au
nes, etc. J'ai classé en raison de l'usage le plus surplus,
à la
.alphabétique renvoie de place adoptée pour chaque espèce.
3. Voir l'état jeune la plante lorsque la partie de la tige au-dessous
des cotylédons n'est pas encore renflée. Turpin en a donné Une figure
dans les Annales des sciences naturelles, série 1, vol. 21, pi. B.
24 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

contribué à éliminer ces formes analogues 1 regardait le


R. sativus comme originaire d'Orient, peut-être de Chine. Linné
supposait aussi une origine chinoise, du moins quant à une
variété qu'on cultive en Chine pour extraire l'huile des graines 2.
Plusieurs flores du midi de l'Europe mentionnent l'espèce comme
subspontanée ou échappée des cultures, jamais comme spon-
tanée. Ledebour avait vu un échantillon recueilli près du mont
Ararat. Il en avait semé les graines et vérifié l'espèce 3. Cepen-
dant M. Boissier en 1867, dans sa flore d'Orient, se borne à
dire « Subspontané dans les cultures de l'Anatolie,- près de
Mersiwan (d'après Wied}, en Palestine (d'après lui-même), en
Arménie (d'après Ledebour) et probablement ailleurs », ce qui
ressemble aux assertions des flores européennes. M. Buhse s
cite une localité, les monts Ssahend, au midi du Caucase, qui
parait devoir être 6assez en dehors deslsultures. Les flores récentes
de l'Inde anglaise et l'ancienne flore de Cochinchine de Loureiro
indiquent l'espèce seulement comme cultivée. M. Maximowicz.
l'a vue dans un jardin du nord-est de la Chine Thunberg en
parle comme d'une plante généralement cultivée au Japon et
croissant aussi le long des chemins8 mais ce dernier fait n'est
pas répété par les auteurs modernes, probablement mieux
informés 9.
Hérodote (Hist., 1. 2, c. 125) parle d'un radis, qu'il nomme
Surmaia, dont une inscription de la pyramide de Chéops men-
tionnait l'emploi par les ouvriers. Unger 10a copié dans l'ou-
vrage de Lepsius deux figures du temple de Karnak, dont la
première tout au moins paraît représenter le radis.
D'après cela, en résumé 1° l'espèce se répand facilement hors
des cultures dans la région de l'Asie occidentale et de l'Europe
méridionale, ce qui n'est pas mentionné d'une manière certaine
dans les flores de l'Asie orientale; 2° les localités au midi du
Caucase, sans indication de culture, font présumer que la plante
y est spontanée. Par ces deux motifs, elle semble originaire de
l'Asie occidentale, entre la Palestine, l'Anatolie et le Caucase,
peut-être aussi de la Grèce; la culture l'aurait répandue vers.
l'ouest et l'est, depuis des temps très anciens.
Les noms vulgaires appuient ces hypothèses. En Europe, ils
offrent peu d'intérêt quand ils se rapportent à la qualité de ra-

1. Dans A. de Candolle,Gêogr.bot. raisonnée,p. 826,


2. Linné, Spec.plant.,p. 935.
3. Ledebour,Fl. ross., I, p. 225.
4. Boissier,Fl orient., I, p. 400.
5. Buhse,AufzâhlungTranscaucasien,p. 30.
6. Hooker,FI. brit. Initia, I, p. 166.
7. Maximowicz, Primitif florseAmurensis,p. 47.
8. Thunberg,Fl. jap., p. 263.
9. Franchetet Savatier,Enum.plant. Jap. I, p. 3Î).
10. Unger,Pflanzendesalten Mgyptens,p. 51,fig. 24 et 2&
RADIS, RAIFORT 25

cine (Radis) ou à quelque comparaison avec la rave (Ravanello


en italien, Rabica en espagnol, etc.), mais les Grecs anciens avaient
créé le nom spécial de Raphanos (qui lève facilement). Le mot
italien Ramoraccio dérive du grec Armoracia, qui signifiait le
R. sativus ou quelque espèce voisine. Les modernes l'ont trans-
porté, par erreur, au Cochlearia Armoracia soit Cran, dont il est
question plus loin. Les Sémites 1 ont des noms tout autres (Fugla
en hébreu, Fuil, fidgel, figl, etc., en arabe). Dans l'Inde, d'après
Roxburgh 2, le nom vulgaire d'une variété à racine énorme, aussi
grosse quelquefois que la jambed'un homme, est Moola ou Aloolee
(prononcez Moula, Moult), en sanscrit Mooluka (prononcez Mou-
louka}. Enfin, pour la Gochinchine, la Chine et le Japon, les
auteurs citent des noms variés, très différents les uns des autres.
D'après cette diversité, la culture serait très ancienne de la Grèce
au Japon; mais on ne peut rien en conclure «relativement à la
patrie originelle comme plante spontanée.
A cet égard, il existe une opinion complètement différente qu'il
faut aussi examiner. Plusieurs botanistes soupçonnent que
le Raphanus sativus est simplement un état particulier, à grosse
racine et à fruit non articulé, du Raphanus Raphanistrum, plante
très commune dans les terrains cultivés de l'Europe et de l'Asie
tempérées et qu'on trouve aussi à l'état spontané dans les sables
et les terrains légers du bord de la mer, par exemple à Saint-
Sébastien, en Dalmatie et à Trébizonde 4. Les localités ordi-
naires dans les champs abandonnés, et beaucoup de noms vul-
gaires qui signifient radis sauvage montrent l'affinité des deux
plantes. Je n'insisterais pas si leur identité supposée n'était qu'une
présomption, mais elle repose sur des expériences et des obser-
vations qu'il est important de connaître.
Dans le R. Raphancstrum la silique est articulée, c'est-à-dire
étroite de place en place, et les graines sont contenues dans
chaque article. Dans le R. sativus, la silique est continue et forme
une seule cavité intérieure. Quelques botanistes avaient constitué
sur cette différence des genres distincts, Raphanistrum et Ra-
phanus. Mais trois observateurs très exacts, Webb, J. Gay et
Spach, ont constaté, parmi des pieds de Raphanus sativus, ve-
nant des mêmes graines, des siliques tantôt uniloculaires et
tantôt articulées, qui sont alors bi ou pluriloculaires 6. Webb
ayant répété plus tard ces expériences est arrivé aux mêmes ré-
sultats, avec un détail de plus, assez important le radis semé de

1. D'après mon Dictionnairemanuscrit des noms vulgaires,tiré des


flores qui existaientil y a trente ans.
2. Roxburgh,FL, ind., III, p. 126.
3. Webb,Phytngr.Canar.,p. 83;Ver hisp.,p. 71 Bentham,Fl. Hongkong,
p. 17; Hooker,Fl. brit. Ind., I, p. 166.
4. Willkommet Lange,Prodr. fl. hisp.,III, p. 748;VivianiFl. dalmat,
III, p. 104;Boissier,FI. orient., I, p. 401.
5. Webb,Phytographiacanariensis,I, p. 83.
26 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

lui-même au ùasara et non cumve, donnait aes smques ue


Raphanistrum Une autre différence entre les deux plantes est
celle des racines, charnues dans le R. sativus grêles dans le
R. Raphanistrum, mais cela change selon les cultures, d'après
des expériences de M. Carrière, jardinier en chef des pépinières
du Muséum d'histoire naturelle de Paris 2.Il a eu l'idée de semer
dans un terrain fort et dans un terrain léger du Raphanistrum
à racine grêle, et dès la quatrième génération il a récolté des
radis charnus, de forme et de couleur variées, comme ceux des
jardins. Il en donne même les figures, qui sont véritablement
curieuses et probantes. Le goût piquant du radis ne faisait pas
défaut. Pour obtenir ces changements, M. Carrière semait au
mois de septembre, de manière à rendre la plante presque bi-
sannuelle, au lieu d'annuelle. On comprend qu'il en résulte Pépais-
sissement de la racine, car beaucoup de plantes bisannuelles
ont des racines charnues.
Il resterait à faire l'expérience inverse, de semer des radis cul-
tivés dans un mauvais terrain. Probablement, les racines devien-
draient de plus en plus maigres comme les siliques devien-
nent, en pareil cas, de plus en plus articulées.
D'aprèsl'ensemble des expériences dont nous venons de parler,
le Raphanus sativus pourrait bien être une forme du R. Rapha-
nistrum, forme peu stable, déterminée par l'existence de quelques
générations dans un terrain fertile. On ne peut pas supposer que
les anciens peuples non civilisés aient fait des essais comme
ceux de M. Carrière, mais ils ont pu remarquer des Raphanis-
trum venus dans des terrains fortement fumés, ayant des racines
plus ou moins charnues; sur quoi l'idée de les cultiver a pu leur
venir facilement.
Je ferai cependant une objection tirée de la géographie bota-
nique. Le Raphanus Raphanistrum est une plante d'Europe, qui
n'existe pas en Asie 3. Ce n'est donc pas de cette espèce que les
habitants de l'Inde, du Japon et de la Chine ont pu tirer les radis
qu'ils cultivent depuis des siècles. D'un autre côté, comment le
R. Raphanistrum, qu'on suppose transformé en Europe, aurait-
il été transmis dans ces temps anciens au travers de toute l'Asie?
Les transports de plantes cultivées ont marché communément
d'Asie en Europe. Ghang-kien avait bien apporté des légumes de
Bactriane en Chine dans le iiBsiècle avant Jésus-Ghrist, mais on
ne cite pas le radis comme étant du nombre.

Cran, Cranson, Raifort sauvage. Cochlearia Armo-


racia, Linné.
1. Webb,lier hispaniense, i838,p. 72.
2. Carrière,Originedes plantesdoînestiquesdémontréepar la culture du
Radis sauvage.In-8,24 pages. 1869.
3. Ledebour,Fl. ross. Boissier,Fl. orient,;les ouvragessur la flore de la
région du fleuveAmur.
CRAN, CRANSON, RAIFORT SAUVAGE 27

Cette Crucifère, dont la racine d'une consistance assez dure a


le goût de moutarde, était appelée quelquefois Cran ou Cranson
de Bretagne. C'était une erreur, causée par un ancien nom bota-
nique, Armoracia, qu'on prenait pour Armorica (de Bretagne).
Armoracia est déjà dans Pline et s'appliquait à une Crucifère de
la province du Pont qui était peut-être le Raphamts sativus.
Après avoir signalé jadis 1 cette confusion, je m'exprimais de la
manière suivante sur l'origine méconnue de l'espèce
« Le Cochlearia Armoracia n'est pas sauvage en Bretagne. C'est
constaté par les botanistes zélés qui explorent aujourd'hui la
France occidentale. M. l'abbé Delalande en parle dans son opus-
cule intitulé Hœdic et Houat 2, où il rend compte d'une ma-
nière si intéressante des usages et des productions de ces deux
petites îles de la Bretagne. Il cite l'opinion de M. Le Gall, qui,
dans une Flore (non publiée) du Morbihan, déclare la plante
étrangère à la Bretagne. Cette preuve, du reste, est moins forte
que les autres, parce que le côté septentrional de la péninsule
bretonne n'est pas encore assez connu des botanistes; et que
l'ancienne Armorique s'étendait sur une portion de la Normandie
où maintenant on trouve quelquefois le Cochlearia sauvage s.
Ceci me conduit à parler de la patrie primitive de l'espèce.
Les botanistes anglais l'indiquent comme spontanée dans la
Grande-Bretagne, mais ils doutent de son origine. M. H.-C.
Watson * la regarde comme introduite. La difficulté, dit-il, de
l'extirper des endroits où on la cultive est bien connue des jar-
diniers. II n'est donc pas étonnant que cette plante s'empare
des terrains abandonnés et y persiste, au point de paraître
aborigène. M. Babington 5 ne mentionne qu'une seule localité
où l'espèce ait véritablement l'apparence d'être sauvage, savoir
Swansea, dans le pays de Galles. Tâchons de résoudre le pro-
blème par d'autres arguments.
Le Cochlearia Armoracia est une plante de l'Europe tem-
pérée, orientale principalement. Elle est répandue de la Fin-
lande à Astrakhan et au désert de Cuman 6. Grisebach l'in-
dique aussi dans plusieurs localités de la Turquie d'Europe, par
exemple près d'Enos, où elle est abondante au bord de la
mer7.
Plus on avance vers l'ouest de l'Europe, moins les auteurs de
Flores paraissent certains de la qualité indigène, plus les loca-
lités sont éparses et suspectes. L'espèce est plus rare en Norwège

1. A. de Candolle,Géographiebotaniqueraisonnée,p. 654.
2. Delalande,Hœdicet Houat,brochure in-8, Nantes,1830,p. 109.
3. Hardouin,Renouet Leclerc,Catal.du Calvados,p. 85; de Brebisson,
Fl. de Normandie,p. 25.
4. Watson, Cybele,I, p. 159.
5. Babington,Hanual of Brit. bot.,2Ȏd., p. 28.
6. Ledebour,FI. ross.,T,p. la!>.
7. Grisebach,SpicilegiumFI. rutnel.,I, p. 265.
28 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

qu'en Suède et dans les îles britanniques plus qu'en Hollande,


où l'on ne soupçonne pas une origine étrangère 2.
Les noms de l'espèce confirment une habitation primitive à
l'est plutôt qu'à l'ouest de l'Europe; ainsi le nom Chren, en
russe 3, se retrouve dans toutes les langues slaves Krenai en
lithuanien, Chren en illyrien A,etc. Il s'est introduit dans quel-
ou
ques dialectes allemands, par exemple autour de Vienne s,
bien il a persisté dans ce pays, malgré la superposition de la
langue allemande. Nous lui devons aussi le mot français Cran
ou Cranson. Le mot usité en Allemagne, Meerretig, et en Hol-
lande, Meer-radys, d'où notre dialecte de la Suisse romande a
tiré le mot Méridi ou Mêrédi, signifie radis de mer et n'a pas
quelque chose de primitif comme le mot Chren. Il résulte pro-
bablement de ce que l'espèce réussit près de la mer, circon-
stance commune avec beaucoup de Crucifères et qui doit se
dans la Russie
présenter pour celle-ci, car elle est spontané
orientale, où il y a beaucoup de terrains salés. Le nom suédois
en
Peppar-rot peut faire penser que l'espèce est plus récente
Suède que l'introduction du poivre dans le commerce du nord
de l'Europe. Toutefois ce nom pourrait avoir succédé à un
autre plus ancien demeuré inconnu. Le nom anglais Horse
radish (radis de cheval) n'est pas d'une nature originale, qui
puisse faire croire à l'existence de l'espèce dans le pays avant
la domination anglo-saxonne. Il veut dire radis très fort. Le
nom gallois Rhuddygl maurth 7 n'est que la traduction du
mot anglais, d'où l'on peut inférer que les Celtes de la Grande-
Bretagne n'avaient pas un nom spécial et ne connaissaient pas
l'espèce. Dans la France occidentale, le nom de Raifort, qui
est le plus usité, signifie simplement racine forte. On disait au-
trefois en France Moutarde des Allemands, Moutarde des capu-
cins, ce qui montre une origine étrangère et peu ancienne. Au
contraire, le mot Chren de toutes les langues slaves, mot qui a
la
pénétré dans quelques dialectes allemands et français sous
forme de Kreen et Cran ou Cranson, est bien d'une nature
primitive, montrant l'antiquité de l'espèce dans l'Europe orien-
tale tempérée. Il est donc infiniment probable que la culture a
propagé et naturalisé la plante de l'est à l'ouest, depuis en-
viron un millier d'années. »

Raves et Navets à racines charnues. – Brassicx spe-


cies et varietates radiée incrassata.

1. Fries,Summa,p. 30.
2. Miquel,Disquisiliopl. regn. Bat.
3. Moritzi,Diet.inëd. desnomsvulgaires.
4. Moritzi,ibid.; Visiani,FI. daim., III, p. 322.
5. Neilreich,Fl. Wien,p. 502.
6. Linné, FI. sueciea,n° 540.
7. H. Davies,WelshBotanology,p. 63. • •*
RAVES ET NAVETS A RACINES CHARNUES 29

Les innombrables variétés connues sous les noms de Raves,


Navets, Choux-raves, Rutabagas, Turneps, avec leurs sous-
variétes, se rapportent à quatre espèces de Linné Brassica
Napus Br. oleracea, Br. Rapa et Br. eampestris ces deux
dernières devant être plutôt réunies en une, d'après les auteurs
modernes. D'autres variétés des mêmes espèces sont cultivées
pour les feuilles (choux), les inflorescences (choux-fleurs), ou en-
core pour l'huile qu'on extrait des graines (colza, navette, etc.).
Quand la racine ou le bas de la tige 1 sont charnus, les graines
n'abondent pas, et il ne vaut pas la peine d'en tirer de l'huile;
quand ces organes sont minces, c'est au contraire la production
de graines qui l'emporte et qui décide de remploi économique.
En d'autres termes, les réserves de matières nutritives se dé-
posent tantôt dans la partie inférieure et tantôt dans la partie
supérieure de la plante, quoique l'organisation de la fleur et du
fruit reste semblable ou à peu près.
Nous n'avons pas à nous occuper pour la question d'origine
des limites botaniques des espèces et de la classification des
races, variétés et sous-variétés 2, attendu que tous les Brassica
sont originaires d'Europe et de Sibérie et s'y voient encore,
sous quelque forme, à l'état spontané ou presque spontané.
Des plantes aussi communes dans les cultures et dont la ger-
mination est si facile se répandent fréquemment autour des ter-
rains cultivés. De là quelque incertitude sur la spontanéité des
pieds que l'on rencontre en rase campagne. Cependant Linné
indique le Brassica Napus dans les sables du bord de la mer, en
Suède (Gotland), en Hollande et en Angleterre, ce qui est con-
firmé pour la Suède méridionale par Fries 3, lequel, toujours
attentif aux questions de cette nature, mentionne le Brassica
campestris L. (type du Rapa, avec racines grêles) comme vrai-
ment spontané dans toute la péninsule scandinave, la Finlande
et le Danemark. Ledebour l'indique dans toute la Russie; la
Sibérie et sur les rives de la mer Caspienne.
Les flores de l'Asie tempérée et méridionale mentionnent les
raves et navets comme cultivés, jamais comme se répandant
hors des cultures 5. C'est déjà un indice d'origine étrangère. Les
documents linguistiques ne sont pas moins significatifs.

i. Danslesraves et navets, la partie renflée est, commedans le radis, le


bas dela tige (au-dessousdes cotylédons)avecune portion plus ou moins
persistante de la racine (VoirTurpin, Ann.sc. nat., sér. 1, vol. 21);dans
le choux-rave(Brassicaoleraceacaulo-Rapa),c'est la tige.
2. Cette classificationa été le sujet d'un mémoire d'AugustinPyramus
de Candolle,couronné par la Société d'horticulturede Londres, qui se
trouvedans les Transactionsde cette Société, vol. V, dans les Annalesde
l'agric. franç., vol. 19 et, en abrégé,dans le Systemareyni veget.,vol. 2,
p. 582.
3. Fries, Summaveget.Scand., I, p. 29.
4. Ledebour,FI. ross.,I, p. 216.
5. Boissier,Flora arientalis; Sir J. Hooker,Flora of british India; Tlum-
30 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

II n'existe aucun nom sanscrit pour ces plantes, mais seule-


ment des noms modernes indous et bengalis, et encore pour les
seuls Brassica Rapa et oleracea 1. Ksempfer 2 cite pour la rave
des noms japonais, Busei ou plus communément Aona, mais
rien ne prouve que ces noms soient anciens. Le docteur Brets-
chneider, qui a étudié attentivement les auteurs chinois, ne men-
tionne aucun Brassica. Apparemment il n'en estpas question dans
les anciens ouvrages de botanique et d'agriculture, quoique
maintenant en Chine on en cultive plusieurs variétés.
Transportons-nous en Europe. C'est tout l'opposé. Les lan-
gues anciennes ont une foule de noms qui paraissent originaux.
Le Brassica Rapa se nomme dans le celtique du pays de Galles
Meipen ou Erfinen s dans plusieurs langues slaves 4, Repa,
Rippa, ce qui répond au Rapa des Latins et n'est pas éloigné du
Neipa des Anglo-Saxons. Le Brassica Napus est en celtique
gallois Bresych yr yd; dans le dialecte irlandais, Braisseagh
buigh d'après Threlkeld 6, qui voit dans Braisseagh l'ori-
gine du Brassica des Latins. On cite un nom polonais Kar-
piele, un nom lithuanien Jellazoji 6, sans parler d'une foule
d'autres noms, parfois transposés dans le langage populaire d'une
espèce à une autre. Je parlerai plus loin des noms du Brassica
oleracea à l'occasion des légumes.
Les Hébreux n'avaient point de noms pour les choux, raves
ou navets 7, mais il existe des noms arabes Selgam pour le
Br. Napus, et Subjum ou Subjumi pour le Br. Rapa, noms qui
se retrouvent en persan et même en bengali, transposés peut-
être d'une espèce à l'autre. La culture de ces plantes dans le sud-
ouest de l'Asie s'est donc répandue depuis l'antiquité hébraïque.
En définitive, on parvient par toutes les voies, botanique, his-
torique et linguistique, aux conclusions suivantes
1° Les Brassica à racines charnues sont originaires de l'Europe
tempérée.
2" Leur culture s'est répandue en Europe avant et dans l'Inde
après l'invasion des Aryas.
3° La forme primitive, à racine grêle, du Brassica Napus, ap-
pelée Br. campestris, avait probablement une habitation primi-
tive plus étendue, de la péninsule scandinave vers la Sibérie et
le Caucase. Sa culture s'est propagée peut-être en Chine et au
Japon par la Sibérie, à une époque qui ne paraît pas beaucoup
plus reculée que la civilisation gréco-romaine.
berg, Flora japonica Franehet et Savatier, Enumeratioplant, jqponi-
carum.
1. Piddington,Index.
2. Ksempfer,Amœn.,p. 822.
3. Davies,Welshbotanology,p. 65.
4. Moritzi,Dict.ms. tiré des florespubliées.
5. Threlkeld,Synopsisstirpiumhibemicarum,1 vol. in-8, 1727.
6. Moritzi,Dict. ms.
7. Rosenmûller,BiblischeNaturgescMckte, vol. I, n'en indique aucun.
CEERVIS 31

•4°La culture des diverses formes ou espèces de firassica s'est


propagée dans le sud-ouest de l'Asie depuis les anciens Hébreux.

Chervis. Sium Sisarum, Linné.


Cette Ombellifère vivace, pourvue de plusieurs racines diver-
gentes en forme de carotte, est considérée comme venant de
l'Asie orientale. Linné indiquait avec doute la Chine, et Lou-
reiro 1 la Chine et la Cochinchine, où, disait-il, on la cultive.
D'autres ont mentionné le Japon et la Corée, mais il y a dans
ces pays des espèces qu'il est aisé de confondre avec celle-ci, en
particulier le Sium Ninsi et le Panax Ginseng. M. Maximowiez 2,
qui a vu ces plantes au Japon et en Chine, et pour lequel les
herbiers de Saint-Pétersbourg ont été très instructifs, ne recon-
naît comme patrie du Sium Sisarum spontané que la Sibérie al-
taïque et la Perse septentrionale. Je doute beaucoup qu'on la
découvre en Chine ou dans l'Himalaya, attendu que les ouvrages
modernes sur la région du fleuve Amour et sur l'Inde anglaise
ne la mentionnent pas.
Il est douteux que les anciens Grecs et Romains aient connu
cette plante. On lui attribue le nom Sisaron de Dioscoride, Siser
de Columelle et de Pline 3. Certainement le nom italien actuel Si-
saro, Sisero est à l'appui de cette idée; mais comment les auteurs
n'auraient-ils pas noté que plusieurs racines descendent du bas
de la tige, tandis que dans toutes les autres Ombellifères culti-
vées en Europe il n'y a qu'une racine pivotante? A la rigueur, le
Siser de Columelle, plante cultivée, était peut-être le Cher-
vis mais ce que dit Pline du Siser ne lui convient pas. Selon
lui, « c'était une plante officinale » (inter medica dicendum). Il
raconte que Tibère en faisait venir d'Allemagne, chaque année,
une grande quantité, ce qui prouve, ajoute-t-il, qu'elle aime les
pays froids.
Si les Grecs avaient reçu la plante directement de la Perse, il
est probable que Théophraste l'aurait connue. Elle est peut être
venue de Sibérie en Russie et de là en Allemagne. Dans ce cas,
l'anecdote sur Tibère s'appliquerait bien au Chervis. Je ne vois
ont des noms
pas, il estvrai, de nom russe; mais les Allemands
originaux Krizel, ou Grizel, Gôrlein ou Gierlein qui indiquent
une ancienne culture, plus que le nom ordinaire Zuckerwurzel,
qui signifie racine sucrée 6. Le nom danois a le même sens
Sokerot, d'où les Anglais ont fait Skirret. Le nom Sisaron n'est
au
pas connu dans la Grèce moderne; il ne l'était même pas

1. Linné, Species,p. 361 Loureiro,FI. coehinch.,p. 225.


2. Maximo\yicz,Diagnosesplantarum Japonix et Manchhunœ,dans
Mélangesbiologiquesdu Bulletinde l'Acad.St-Pétersbowff,décad.13, p. 18.
3. Dioscorides,Mat. med., 1. 2, c. 139 Columella,1. 11, c. 3, 18, 35;
Lenz,Bot.der Alten, p. SGO.
4. Pline, Hist.plant., 1. 19, e. 5.
5. Nemnich,Polygl.Lexicon,II, p. 1313.
32 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

moyen âge, et la plante n'est pas cultivée actuellement dans ce


pays 1. Ce sont des motifs pour douter du vrai sens des mots
Sisaron et Siser. Quelques botanistes du xvie siècle ont pensé
que Sisaron était peut-être le Panais, et Sprengel 2 appuie cette
idée.
Les noms français Chervis et 6'M'o~e3 apprendraient peut-être
quelque chose si l'on en connaissait l'origine. Littré fait dériver
Chervis de l'espagnol Chirivza, mais il est plus probable que
celui-ci dérive du français,. Jean Bauhin 4 indique, dans la basse
latinité, Servillum, Chervillum ou Servillam, mots qui ne sont
pas dans le Dictionnaire de Ducange. Ce serait bien l'origine de
Chervis, mais d'où venait Servillum soit Chervillum?

Arracacha ou Arracacia. Arracacha esculenta, de Can-


dolle.
Ombellifère généralement cultivée dans le Yénézuela, la Nou-
velle-Grenade et l'Equateur comme plante nutritive. Dans les
régions tempérées de ces pays, elle soutient la comparaison avec
la pomme de terre et donne même, assure-t-on, une fécule plus
légère et plus agréable. La partie inférieure de la tige est renflée
en une bulbe sur laquelle se forment, quand la plante végète
bien et pendant plusieurs mois, des tubercules ou caïeux latéraux
plus estimés que la bulbe centrale et qui servent aux planta-
tions ultérieures 6.
L'espèce est probablement indigène dans la région où on la
cultive, mais je ne vois pas chez les auteurs des assertions posi-
tives à cet égard. Les descriptions qui existent ont été faites sur
des pieds cultivés. Grisebach dit bien qu'il a vu (je présume dans
l'herbier de Kew) des échantillons recueillis à la Nouvelle-Gre-
nade, au Pérou et à la Trinité 6; mais il ne s'explique pas sur
la spontanéité. Les autres espèces du genre, au nombre d'une
douzaine, croissent dans les mêmes parties 'de l'Amérique, ce qui
rend l'origine indiquée plus vraisemblable.
L'introduction de l'Arracacha en Europe a été tentée plusieurs
fois, sans avoir jamais réussi. Le climat humide de l'Angleterre
devait faire échouer les-essais de sir W. Hooker; mais les nôtres,
faits à deux reprises, dans des conditions très différentes, n'ont
pas eu plus de succès. Les caïeux latéraux ne se sont pas formés,
et la bulbe centrale a péri dans la serre où nous l'avions dépo
1. Lenz, l. c. ETeldreich, Langkavel,Bo-
NutzpflanzenCh-iethenlands;
tanik der spàterenGriechen.
2. Sprengel,Dioscoridis,etc., II, p. 462.
3. Olivierde Serres, Théâtrede l'agriculture,p. 471.
4. Bauhin.Hist. plant, III, p. lu.
5. Lesmeilleuresinformationssur la culture ont été données par Ban-
croft à sir WilliamHookeret se trouvent dans le BotanicalMagazine,pl.
3092.A.-P.de Candollea publié,dansla 5eNoticesur les plantesrares'dua
Jardinbot. de Genève,une figurequi montrela bulbe principale.
6. Grisebach,Flom.of british.W. India islands.
33
GARANCE

sée pendant l'hiver. Les bulbes que nous avions communiquées


à divers jardins botaniques, en Italie, en France et ailleurs, ont
eu le même sort. Evidemment, si la plante, en Amérique, vaut
réellement la pomme de terre comme produit et comme goût,
ce ne sera jamais le cas en Europe. Sa culture ne s'est pas ré-
Chili et au Mexique,
pandue au loin en Amérique, jusqu'au la
comme celle de la pomme de terre ou de Batate, ce qui con-
firme les difficultés de propagation observées ailleurs.

Garance. Rubia tinctorum, Ljnné.


La garance est certainement spontanée en Italie, en Grèce,
en Crimée, dans l'Asie Mineure, en Syrie, en Perse, en Arménie
et près de Lenkoran En avançant de l'est à l'ouest dans le
midi de l'Europe, la qualité de plante spontanée, originaire, est
de plus en plus douteuse. Déjà en France on hésite. Dans le
nord et l'est, la plante paraît naturalisée dans les haies, sur
les murailles 2, » ou « subspontanée » à la suite d'anciennes
cultures 3. En Provence, en Languedoc, elle est plus spontanée
se
ou, comme on dit « sauvage », mais il se peut bien qu'elle
soit répandue à la suite des cultures, faites assez en grand.
Dans la péninsule espagnole, elle est indiquée comme « subspon-
tanée 4 ». De même dans l'Afrique septentrionale 5. Evidem-
ment l'habitation naturelle, ancienne et incontestable est l'Asie
Il ne parait pas
tempérée occidentale et le sud-est de l'Europe.
la mer Caspienne, dans le
qu'on ait trouvé la plante au delà de mais cette région est
pays occupé jadis par les Indo-Européens,
encore peu connue. L'espèce n'existe dans l'Inde qu'à l'état de
sanscrit 6.
plante cultivée, sans aucun nom
On ne connaît pas davantage un nom hébreu, tandis que les
Grecs, les Romains, les Slaves, les Germains, les Celtes avaient
des noms variés qu'un érudit ramènerait peut-être à une ou
deux racines, mais qui indiquent cependant par leurs flexions
on a recueilli les
multiples une date ancienne. Probablement d'avoir lidée de
racines sauvages, dans la campagne, avant
cultiver l'espèce. Pline dit bien qu'on la cultivait en Italie de
son temps', et il est possible qu'en Grèce et dans l'Asie Mineure
cet usage fût plus ancien.
La culture de la garance est souvent mentionnée dans les
actes français du moyen âge 8. Ensuite on l'avait négligée ou
i. Bertoloni,Flora Ualiea,ll,v- 146; Decaisne,Recherches sur la Garance,
III, p. 17 Ledebour,Florarossica, II, p. 405.
p. 58; Boissier,Floraorientalis,
2. Cossonet Germain,Flore des environsde Paris,II, p. 365.
3. Kirschleger,Flored'Alsace,I, p. 359.
4. WiUkomm et Lange,Prodromusfloreshtspamae, II, p. 307.
5. Bail, SpicileqiumFlora; maroccame,p. 483; Munby, Latal. plant.
Alger.,ed. 2, p. 17.
6. Piddington,Index.
7. Plinius,lib. 19, cap. 3.
8. De Gasparin,Traité d'agriculture,IV,p. 253. 9
DE CANDOLLE.
34 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

abandonnée, jusqu'à l'époque où Althen l'introduisit de nouveau


dans le comté d'Avignon,, au milieu da xyiii6 siècle. Elle était
jadis florissante- en Alsace, en Allemagne, en Hollande et sur-
tout dans la Grèce, l'Asie Mineure et la Syrie, d'où l'exportation
était considérable-, mais la découverte de matières tinctoriales
tirées de substances inorganiques a supprimé cette culture, au
détriment des provinces qui en obtenaient de grands bénéfices.

Topinambour. Helianthus tuberosus, Linné.


C'est dans l'année 1616 que les botanistes européens ont parlé
pour la première fois de cette Composée à grosse racine, meilleure
pour la nourriture des animaux que pour celle de l'homme.
Golumna i l'avait vue dans le jardin du cardinal Farnèse et
l'avait nommée Aster peruanns tuberosus. D'autres auteurs du
même siècle ont donné des épithètes qui montrent qu'on la
croyait ou du Brésil, ou du Canada, ou de l'Inde, ce qui vou-
lait dire l'Amérique. Linné 2 avait adopté, d'après l'opinion de
Parkinson, l'origine canadienne, dont il n'avait cependant au-
cune preuve. J'ai fait remarquer autrefois 3 qu'il n'y a pas
d'espèces du genre Helianthns au Brésil, et qu'elles sont au
contraire nombreuses dans l'Amérique du Nord.
Schlechtendal 4, après avoir constaté que le Topinambour sup-
porte des hivers rigoureux dans le centre de l'Europe, fait ob-
server que c'est favorable à l'idée d'une origine canadienne et
eontraire à celle d'une provenance de quelque région méridio-
nale. Decaisne 5a puélaguer dans la synonymie de YH. tuberosus
plusieurs citations qui avaient fait croire à une origine de l'Amé-
rique méridionale ou du Mexique. Comme les botanistes améri-
cains, il rappelle ce que d'anciens voyageurs avaient dit sur cer-
taines coutumes des indigènes du nord des Etats-Unis et du
Canada. Ainsi Champlain, en 1603, avait vu « entre leurs mains
des racines qu'ils cultivent, lesquelles ont le goût d'artichaut. »
Lescarbot parle de ces racines, ayant goût de cardon, qui mul-
tiplient beaucoup, et qu'il avait rapportées en France, où l'on
commençait à les vendre sous le nom de Topinambaux. Les
sauvages, dit-il, les appellent Chiquebi. Decaisne cite encore
deux horticulteurs français du xvne siècle, Colin et Sagard, qui
parlent évidemment du Topinambour et disent qu'il venait du
Canada. Notons qu'à cette époque le nom de Canada avait un
sens vague et comprenait quelques parties, des Etats-Unis actuels.

1. Columna,Ecphraiis,II, p. H«,
2. Linné, Hortuseliffortianus,p. 42Q,
'i, A. de Candolle,(iéogr.bot. raisonnée,p. 824.
4. Schlechtendal,Bot. Zeit., 1858,p. 113.
5. Decaisne,Recherches sur l'originede quelques-unesde nos plantes ali-
mentaires, dansla Floredes serreset jardins, val. 23, 1881.
6. Lescarbot,Histoirede te, NouvellerFrance,. éd. 3, 1618,t. VI, p..931.
SALSIFIS. SCORSONÈRE 35

dit
•Goolrin, auteur américain sur les coutumes des indigènes,
que ceux-ci mettaient des morceaux de Topinambour (Jérusalem
artichoke) dans leurs potages i.
Les analogies botaniques et les témoignages de contemporains
s'accordent, comme on voit, dans le sens de l'origine du nord-
est de l'Amérique. Le Dr Asa Gray, voyant qu'on ne trouvait
une forme de 1 II. doro-
pas la plante sauvage, l'avait supposée
nicoides de Lamarck, mais on dit maintenant qu'elle est spon-
tanée dans l'état d'Indiana 2.
Le nom Topinambour paraît venir de quelque nom réel ou
Jérusalem
supposé des langues américaines. Celui des Anglais,
artichoke, est une corruption de l'italien Girasole (Tournesol),
combinée avec une allusion au goût d'artichaut de la racine.

Salsifis. Tragopogon parrifolium, Linné.


Le salsifis ou, comme on écrivait jadis, Sercijî s, était plus
cultivé il y a un siècle ou deux qu'à présent. C'est une Com-
en Grèce, en
posée bisannuelle, qu'on trouve à l'état sauvage assez
Dalmatie, en Italie et même en Algérie Elle s'échappe
souvent des jardins dans l'ouest de l'Europe et se naturalise à
moitié B
Les commentateurs 6 attribuent le nom Tragopogon (barbe
de bouc) de Théophraste tantôt à Tespèce actuelle et tantôt au
en Grèce. Il esi
Tragopogon crocifolium, qui croît également
difficile de savoir si les anciens cultivaient le Salsifis ou le re-
cueillaient dans la campagne. Dans le xvie siècle, Olivier de Serres
dit que c'était une culture nouvelle pour son pays, le midi de la
France. Notre mot Salsifis vient de l'italien Sassefrica, qui
frotte les pierres, sens qui n'a rien de raisonnable.

Scorsonère d'Espagne. – Scorzonera hispanica, Linné.


On donne quelquefois à cette plante le nom de Salsifis ou
au salsifis {Trago-
Salsifis d'Espagne, parce qu'elle ressemble
est brune extérieurement
pogon porrifolium) mais sa racine celui d'écorce
d'où viennent le nom botanique et noire, usité
dans quelques provinces.
Elle est spontanée en Europe, depuis l'Espagne,
g elle est
ou elle
la ré-
commune, le midi de la France et l'Allemagne, jusqu'à
mais elle manque
gion du Caucase et peut-être jusqu'en Sibérie,

1. Pickering,Chronol.avrang.,p. 749,972.
2. Catalogueof Indiana.plants, 1881,p. 15,
3. Olivierde Serres, Théâtrede l'agriculture,p. 470.
4. Boissier,Floraorient., III, p. 745;Visiani,Fl. dalmat.,II, p. 108;Berto-
loni,Fl. ital., VIII, p. 348; Gussone,Synopsisfi. siculx,II, p. 384;Munby,
Catal. Alger., ed. 2, p. 22.
5. A. de Candolle,Géogr.bot. rmsonnêe,p. 671.
6. Fraas, Synopsisfi. class.,p. 196;Lenz,Botanikder Alten,p. 485.
36 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
2. 1la Sicile
CfX«ïin«4.1
et la tiGrèce
rî.-nKnn
A
1. Ttnvict
Dans i-NTnaïrufnc'"Irt/»<*lî4-ac«
localités /l'Ail o.nrtn rvna
à plusieurs d'Allemagne,
l'espèce est probablement naturalisée à la suite des cultures.
Il ne paraît pas qu'on cultive cette plante depuis plus de cent
ou cent cinquante ans. Les botanistes du xvie siècle n'en par-
lent que comme d'une espèce sauvage, introduite quelquefois
dans les jardins botaniques. Olivier de Serres ne la mentionne pas.
On avait prétendu jadis que c'était un antidote contre la
morsure des vipères, et on appelait quelquefois la plante vipé-
rine. Quant à l'étymologie du nom Scorzonère, elle est si évi-
dente qu'on ne comprend pas pourquoi d'anciens auteurs, même
Tournefort 2, ont avancé que l'origine est escorso, vipère, en
espagnol ou en catalan. Yipère se dit plutôt, en espagnol, vibora.
Il existe en Sicile un Scorzonera deliciosa, Gussone, dont la
racine extrêmement sucrée sert à confectionner des bonbons et
des sorbets à Palerme 3. Comment n'a-t-on pas essayé de la cul-
tiver ? Je conviens qu'on m'a servi, à Naples, des glaces à la
Scorzonera, que j'ai trouvées détestables, mais elles étaient faites
peut-être avec l'espèce ordinaire (Scorzonera hispanica).

Pomme de terre. Solanum tuberosum, Linné.


J'ai exposé, en 1855, et discuté ce qu'on savait alors sur l'ori-
gine de la Pomme de terre et sur son introduction en Europe 4.
J'ajouterai maintenant ce qu'on a découvert depuis un quart de
siècle. On verra que les données acquises autrefois sont deve-
nues plus certaines et que plusieurs questions accessoires un peu
douteuses sont restées telles, avec des probabilités cependant
plus fortes en faveur de ce qui me paraissait jadis vraisemblable.
Il est bien prouvé qu'à l'époque de la découverte de l'Amé-
rique la culture de la Pomme de terre était pratiquée, avec
toutes les apparences d'un ancien usage, dans les régions tem-
pérées qui s'étendent du Chili à la Nouvelle-Grenade, à des hau-
teurs différentes selon les degrés de latitude. Cela résulte du
témoignage de tous les premiers voyageurs, parmi lesquels je
rappellerai Acosta 5 pour le Pérou, et Pierre Cieca, cité par de
L'Ecluse 8,pour Quito.
Dans les parties tempérées orientales de l'Amérique méridio-
îale, par exemple sur les hauteurs de la Guyane et du Brésil,
la Pomme de terre n'était pas connue des indigènes, ou, s'ils

i. Willkommet Lange, Prodromusflorœ kispanics,II, p. 223 de Can-


dolle,Flore française,IV, p. 59 Koch,Synopsisfl. germ., éd. 2 p 488
Ledebour,Florarossica,II, p. 794;Boissier,Fl. orient.,III,p. 767;Bertoloni,
Flora italica, VIII, p. 365.
2. Tournefort,Elémentsde botanique,p. 379.
3. GUSSONE, Synopsisflors siculss.
4. A. de Candolle,Géogr.bot. raisonnée,p. 810à 816.
5. Acosta,p. 163,verso.
6. DeL'Ecluse(soitClusius),Rariarumplantarumhistoria,1601,pais 2',
p. 79, avec figùre.
POMME DE TERRE 37

connaissaient une plante analogue, c'était le Solanum Com-


à Mon-
mersonii, qui a aussi des tubercules et se trouve sauvage de terre
tevideo et dans le Brésil méridional. La vraie Pomme
est bien cultivée aujourd'hui dans ce dernier pays, mais elle
a donné le nom de Batate des
y est si peu ancienne qu'on lui elle était inconnue au
Anglais D'après de Humboldt, Mexique 2,
circonstance confirmée par le silence des auteurs subséquents,
mais contredite, jusqu'à un certain point, par une autre donnée
historique. A
On dit, en effet, que Walter Raleigh, ou plutôt son compa-
gnon dans plusieurs voyages, Thomas Herriott, avait rapporté,
en 1583 ou 1586, des tubercules de Pomme de terre de la Vir-
3 était
ginie en Irlande. Le nom du paysde la Openawk (prononcez
Openauk). D'après la description plante par Herriott,
citée par sir Joseph Banks il n'y a pas de doute que c'était la
confondait quelquefois
pomme de terre et non la Batate, qu'on 5
avec elle à cette époque. D'ailleurs Gerard nous dit avoir reçu
de Virginie la Pomme de terre, qu'il cultivait dans son jardin
en 1597 et dont il donne une figure parfaitement conforme au la
Solanum tuberosum. Il en était si fier que son portrait, à
tête de l'ouvrage, le représente ayant en main un rameau
fleuri de cette plante.
Comment l'espèce était-elle en Virginie ou dans la Caroline au
les anciens Mexicains ne
temps de Raleigh, en 1585, tandis que
la possédaient pas et que la culture ne s'en était point répandue
a
chez les indigènes au nord du Mexique? Le Dr Roulin, qui
beaucoup étudié les ouvrages concernant l'Amérique septen-
indica-
trionale, m'affirmait jadis qu'il n'avait trouvé aucune
tion de la Pomme de terre aux Etats-Unis avant l'arrivée des
le disait aussi, en ajoutant que
Européens. Le Dr Asa Gray me
M. Harris, un des hommes les plus versés dans la connaissance
de la langue et des usages des tribus du nord de l'Amérique,
avait la même opinion. Je n'ai rien lu de contraire dans les pu-
blications récentes, et il ne faut pas oublier qu'une plante aussi
facile à cultiver se serait répandue, même chez des peuples
me parait être
nomades, s'ils l'avaient possédée. La probabilité
que des habitants de la Virginie peut-être des colons anglais
auraient reçu des tubercules par les voyageurs espagnols ou
des aventures
autres, qui trafiquaient ou cherchaient la découverte dependant 1 Amé-
les quatre-vingt-dix ans écoulés depuis
la du Pérou et du Chili,
rique. Evidemment, à dater de conquête ont pu emporter
en 1535, jusqu'en 1583, beaucoup de vaisseaux

1. De Martius,Flora brasil., vol. 10,p. 12. vol.


2 De Humboldt,Nouvelle-Espagne, éd. 2, 2, p. 4ol hxai sur la
géographiedesplantes, p. 29.
3.A
cette
époque,
on
ne pas la Virginiede la Caroline.
distinguait
4 Banks, Transactionsof the horticult.Society,1805,vol..1, p, «.
5. Gérard,Herbal,1597,p. 781.avec figure.
38 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

des tubercules dénommesde terre comme provision, et W. Ra-


leigh, faisant une guerre de flibustier aux Espagnols, lui ou un
autre peut avoir pillé quelque vaisseau qui en contenait. Ceci
est d'autant moins invraisemblable que les Espagnols avaient
introduit la plante en Europe avant 4S8S
Sir Joseph Banks 1 et Dunal 2 ont eu raison d'insister sur ce
fait de l'introduction première par les Espagnols, attendu que
pendant longtemps on a parlé surtout de Walter Raleigh, quia
été le second introducteur, et même d'autres Anglais, qui avaient
apporté, non la [Pomme de terre, mais la Batate, plus ou moins
confondue avec elle 3. Un botaniste célèbre, de L'Ecluse avait
pourtant précisé les faits d'une manière remarquable. C'est lui
qui & publié la première bonne description et bonne figure de
la Pomme de terre, sous le nom significatif de Papas Perua-
noricm. D'après ce qu'il dit, l'espèce a bien peu changé par
l'effet d'une culture de près de trois siècles, car elle donnait à
l'origine jusqu'à §0 tubercules de grosseur inégale, ayant de un
à deux pouces de longueur, irrégulièrement ovoïdes, rougeâtres,
qui mûrissaient en novembre (à Vienne) La fleur était plus ou
moins rose à l'extérieur et rosée à l'intérieur, avec cinq raies
longitudinales de couleur verte, ce qu'on voit souvent aujour-
d'hui. On a obtenu sans doute de nombreuses variétés, mais
l'état ancien n'est pas perdu. De L'Ecluse compare le parfum des
fleurs à celui du tilleul, seule différence d'avec nos plantes
actuelles. Il sema des graines qui donnèrent une variété à fleurs
blanches, commejaous en voyons quelquefois.
Les plantes décrites par de L'Ecluse lui avaient été envoyées
en 1588 par Philippe de Sivry, seigneur de Waidheim, gouver-
neur de Mons, qui les tenait de quelqu'un de la suite du légat
du pape en Belgique. De L'Ecluse ajoute que l'espèce avait été
reçue en Italie d'Espagne ou d'Amérique (certum est vel ex His-
paniis, vel ex America habuisse), et il s'étonne qu'étant de-
venue commune en Italie, au point qu'on la mangeait comme
des raves et qu'on en donnait aux porcs, les savants de l'école
de Padoue en avaient eu connaissance par les tubercules qu'il
leur envoya d'Allemagne. Targioni 5 n'a pas pu constater que
la Pomme de terre eût été cultivée aussi fréquemment en Italie
à la fin du xvie siècle que le dit de L'Ecluse, mais il" citele Père
Magazzîni, de Yalûmbrosa, dont l'ouvrage posthume, publié

1. Banks, l. c.
2. Dunal, Histoire naturelle des Solanum, in-4.
3. La plante apportée par sir Francis Drake et sir Jolin Hawkins était
clairement la Batate, dit sir J. Banks d'où il résulte que les questions-
discutées par de Humboldt sur les localité5 visitées par ces voyageurs ne
s'appliquent pas à la Pomme de terre.
4. De L'Ecluse, l. c.
5. Targioni-Tozzetti, Lezzioni, II, p. 10; Cenni slorici sulla introduzione
di varie piante nell' agricoltura di Toscana, i vol. ia-8, Florence, 1S53,p. 37.
39
J?£fME DE TERRE

en 4623 mentionne l'espèce comme apportée précédemment,


ou de
sans indication de date, dIEspagne la finPortugal, par des
du w «eele ou
carmes déchaussés. Ce serait donc vers serait répandue en
au commencement du W que la culture se
Toscane Indépendamment de ce que disent de L'Ecluseetl'agro-
la péninsule espa-
nome de Valombrosa sur l'introduction par
n'est nullement probable que les Italiens aient eu des
mole il de
rapports avec les compagnons la Raleigh. de terre ne soit origi-
Personne ne peut douter que Pomme
naire d'Amérique; mais, pour connaître de quelle partie précisé-
si la plante
ment de ce vaste continent, il est nécessaire de savoir
et dans localités.
s'y trouve à l'état spontané à cettequelles
Pour répondre nettement question, il faut d'abord
avec la
écarter deux causes d'erreurs l'une qu'on a confondue l'autre
Pomme de terre des espèces voisines du genre Solanum;
les voyageurs ont pu se tromper sur la qualité de plante
que
spontanée. Commersonii de Dunal,
Les espèces voisines sont le Solanum du Chili; e
dont f ai déjà parlé; le S. Maglia de Molina, espèce
et le S. verrucmum de
S immite de Dunal, qui est du Pérou; trois sortes de Solanum
Sdilechtendal, qui croît au Mexique Ces et diffèrent
ont des tubercules plus petits que le S. tube.osum
aussi par d'autres caractères indiqués dans les ouvragestoutes spéciaux
ces
de botanique. Théoriquement, on peut croire que dérivent d'un
formes et d'autres encore croissant en Amérique, se
seui état antérieur; mais, à notre époque géologique, -elles des
présentent avec des diversités- qui me fait paraissent justifier
distinctions spécifiques, et il n'a pas été d'expériences pour
qu'en fécondant l'une par l'autre on obtiendrait des
prouver
Produits dont les graines (et non les tubercules) continueraient
ou moins douteuses
la race 1. Laissons de côté ces questions plus ordinaire du Solanum
sur les espèces. Cherchons si la forme seulement que
tuberosuni a été trouvée sauvage, et notons en Amérique
l'abondance des Solanum à tubercules croissant
dans les régions tempérées, du Chili ou de Buenos-Ayres jusqu au
américaine. On ne saurait
Mexique, coniïrme le fait de l'origine sur la patrie
rien de plus que ce serait une forte présomption
primitive.
La cause d'erreur est expliquée très nettement parle
seconde de zee la -Bolme
botaniste V'eddell qui a parcouru avec tant
et les contrées voisines. « Quand on réfléchit, dit-il, que dans
leurs petites
l'aride cordillière les Indiens établissent souvent
¡
i Le Solanumv~rrucosum,dont j'ai raconté, en I83S. l'introduction
-dansle paysde Gex,près de Genève, a étéabandonné,parceque sestuber-
comme on s'en
culessont trop petits et qu'il ne résistait pas Õ'l'oïdil1m,
était flatté.
2. ChlonsAndina,ia-4, p. \M,
40 PLANTESCULTIVÉESPOUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

cultures sur des points qui paraîtraient presque inaccessibles à la


grande majorité de nos fermiers d'Europe, on comprend qu'un
voyageur visitant par hasard une de ces cultures depuis longtemps
abandonnées, et y rencontrant un pied de Solanum tuberosum qui
y a accidentellement persisté, le recueille, dans la persuasion qu'il
y est réellement spontané; mais où en est la preuve? »
Voyons maintenant les faits. Ils sont nombreux pour ce qui
concerne la spontanéité au Chili.
En 1822, Alexandre Caldcleugh i, consul anglais, remet à la
Société d'horticulture de Londres des tubercules de Pommes de
terre qu'il avait recueillis « dans des ravins autour de Valpa-
raiso ». Il dit que ces tubercules sont petits, tantôt rouges et
tantôt jaunâtres, d'un goût un peu amer 2. « Je crois, ajoute-t-il,
que cette plante existe sur une grande étendue du littoral, car
elle se trouve dans le Chili méridional, où les indigènes l'apellent
Maglia. » Il y a probablement ici une confusion avec le S. Maglia
des botanistes; mais les tubercules de Valparaiso, plantés à
Londres, ont donné la vraie Pomme de terre, ce qui saute aux
yeux en voyant la plan checoloriée de Sabine dans les Transactions
de la Société d'horticulture. On continua quelque temps à cul-
tiver cette plante, et Lindley certifia de nouveau, en 1847, son
identité avec la Pomme de terre commune 3. Voici ce qu'un
voyageur expliquait à sir William Hooker sur la plante de
Valparaiso « J'ai noté la Pomme de terre sur le littoral jus-
qu'à 15 lieues au nord de cette ville, et au midi, mais sans
savoir jusqu'à quelle distance. Elle habite sur les falaises et les
collines près de la mer, et je n'ai pas souvenir de l'avoir vue
à plus de deux ou trois lieues de la côte. Bien qu'on la trouve
dans les endroits montueux, loin des cultures, elle n'existe pas
dans le voisinage immédiat des champs et des jardins où on la
plante, excepté lorsqu'un ruisseau traverse ces terrains et porte
des tubercules dans les endroits non cultivés. » Les Pommes de
terre décrites par ces deux voyageurs avaient des fleurs blan-
ches, comme cela se voit dans quelques variétés cultivées en
Europe, et comme la plante semée jadis par de L'Ecluse. On
peut présumer que c'est la couleur primitive pour l'espèce ou,
au moins, une des plus fréquentes à l'état spontané.
Darwin, dans son voyage à bord du Beagle, trouva la
Pomme de terre sauvage dans l'archipel Chonos, du Chili méri-
dional, sur les sables du bord de la mer, en grande abondance,

1. Sabine, Transactionsof the horticuUuralSociety,vol. 5, p. 249.


2. Il ne faut pas attacherde l'importanceà cette saveur, ni à la qualité
aqueusede certainstubercules,attendu que dans les pays chauds,même
dansle midi de l'Europe,la Pomme de terre est souventmédiocre.Une
exposition à la lumièreverditles tubercules,qui sontdesrameaux;souter-
rains de la tige, et les rend amers.
3'.Journal of thehortic. Society,vol. 3, p. 66.
4. Hjoker, Botanicalmiscell.,1831,vol. 2, p. 203.
POMMEDE TERRE 41

et végétant avec une vigueur singulière, qu'on peut attribuer à


l'humidité du climat. Les plus grands individus avaient quatre
pieds de hauteur. Les tubercules étaient petits, quoique l'un
d'eux eût deux pouces de diamètre. Ils étaient aqueux, insipides,
mais sans mauvais goût après la cuisson. « La plante est indu-
bitablement spontanée », dit l'auteur et l'identité spécifique a
été confirmée par Henslow d'abord et ensuite par sir Joseph
Hooker, dans son Flora antaretica 2.
Un échantillon de notre herbier recueilli par Claude Gay,
attribué au Solanum tuberosum par Dunal, porte sur l'étiquette
«Au centre des cordillières de Talcagoué et de Cauquenès, dans
les endroits que visitent seulement les botanistes et les géologues. »
Le même auteur, CI. Gay, dans son Flora chilena 3, insiste sur
la fréquence de la Pomme de terre sauvage au Chili, jusque chez
les Araucaniens, dans les montagnes de Malvarco, où, dit-il, les
soldats de Pincheira allaient les chercher pour se nourrir. Ces
témoignages constatent assez l'indigénat au Chili pour que j'en
omette d'autres moins probants, par exemple ceux de Moliria et
de Meyen, dont les échantillons du Chili n'ont pas été examinés.
Le climat des côtes du Chili se prolonge sur les hauteurs en
suivant la chaîne des Andes, et la culture de la Pomme de terre
est ancienne dans les régions tempérées du Pérou, mais la qualité
spontanée de l'espèce y est beaucoup moins démontrée qu'au
Chili. Pavon prétendait l'avoir trouvée sur la côte, à Chancay
et près de Lima. Ces localités paraissent bien chaudes pour une
espèce qui demande un climat tempéré ou même un peu froid.
D'ailleurs l'échantillon de l'herbier de M. Boissier recueilli par
Pavon, appartient,
5 d'après Dunal, à une autre espèce qu'il a
nommée Solanum immute. J'ai vu l'échantillon authentique et
n'ai aucun doute que ce ne soit une espèce.distincte du S. tube-
rosum. Sir W.Hooker 8 citeun échantillon, de Mac Lean, des col-
lines autour de Lima, sans aucune information sur la sponta-
néité. Les échantillons (plus ou moins sauvages?) que Matthews
a envoyés du Pérou à sir W. Hooker appartiennent, d'après sir
Joseph 7, à des variétés un peu différentes de la vraie Pomme de
terre. M. Hemsley 8, qui les a vus récemment dans l'herbier de
Kew, les juge « des formes distinctes, pas plus cependant que
certaines variétés de l'espèce. »
Weddell, dont nous connaissons la prudence dans cette ques-
tion, s'exprime ainsi 9 « Je n'ai jamais rencontré au Pérou le
1. Journal of thevoyage,etc., éd. 1832,p. £85.
2. Vol. i, part. 2, p. 329.
3. Vol.5, p. 74.
i. Ruiz et Pavon,Flora peruviana,II, p. 38.
5. Dunal,Prodromus,13. sect. 1, p. 32.
6. Hooker,Bot. miscell.,II,
7. Hooker,Flora antarctica,1.c.
8. Journal of the royal hortic.Society,new series, vol. 5.
9. Weddell,ChlorisAndina,1.c.
43 PLANTES CULTIVÉES P&U.R LEURS PARTIES SOUTERRAINES
n 7 ^2L An-nn Ann r*îr»nrvrïcfonnac
circonstances ftenus
aIIasI fTll'll 11 ATC\(±
mis
Solcmum tuberoswn dans des quu ne
Testât aucun doute qu'il fût indigène je déclare même que je ne
crois pas davantage à la spontanéité d'autres individus remon-
trés de loin en loin sur les Andes extra-chiliennes fit regardés
»
iusqu'iei comme en étant indigènes.
D'un autre côté, M. Ed. André 1 a recueilli, avec beaucoup de
de la Colombie et
soin dans deux localités élevées et sauvages
dans une autre près de Lima, sur la montagne des Amancaes,
des échantillons qu'il pensait pouvoir attribuer au S. tuberosum.
M. André a eu l'obligeance de me les prêter. Je les ai comparés
attentivement avec les types des espèces de Dunal dans mon
herbier et dans celui de M. Boissier. Aucun de ces Solanum, à
mon avis, n'appartient au S. tuherosum, quoique celui de La
Union, près du fleuve Gsubr, s'en rapproche plus que les autres.
au S. mmite,
Aucun, et ceci est encore plus certain, ne répond
de Dunal. Ils. sont plus .près du S. Colombianum, du même
mont
auteur, que du tuberosum ou deVimmite. L'échantillon du
'Quindio présente un caractère bien singulier. Il a des haies
ovoïdes et pointues 2.
Au Mexique, les Solanum tubéreux attribués au S.titbero&ian,
ou, selon M. Hemsley 3, à des formes voisines, ne paraissentculti-
pas
être considérés comme identiques avec la plante
vée. Ils se rapportent au S. Fendleri, que M. Asa Gray a con-
sidéré d'abord comme espèce propre et ensuite comme une
forme du S. tuberosum ou du S, verfiicosum.
Nous pouvons conclure de la manière suivante
i° Lapomme de terre est spontanée au Chili, sous une forme
qui se voit encore dans nos plantes cultivées.
2° Il est très douteux que l'habitation naturelle s'étende jus-
qu'au Pérou et à la. Nouvelle-Grenade.
3° La culture était répandue, avant la découverte de 1 Amé-
rique, du Chili à Nouvelle-Grenade.
4° Elle s'était introduite, probablement dans la seconde moitié-
duxvie siècle, dans la partie des Etats-Unis appelée aujourd'hui
Virginie et Caroline du Nord.
5° Elle a été importée en Europe, de 1580 à 1585, d abord
des voyages
par les Espagnol, et ensuite par les Anglais, lors
de Raleigh en Virginie B.

Batate ou Patate, Sweet Potatoe (en anglais.) Convol-


volus Batatas, Linné. Batatas edulis, Choisy.
1. André,dans Illustrationhorticole,1877,.p. 114. ,lm.
2. La forme des baiesn'est pas encoreconnuedansles S. Colombianum
et immite.
3. Hemsley,1. c.
4. AsaGray,Synopticalflora of N.Ain.,II, p. 2zu ymr
5. Surl'introductionsuccessivedans différentesparties de 1 Europe,
Clos, Quelquesdocumentssur l'histoirede la pommede fene, in-b, 1S7*>
dans Journal d'agric.pratig. du midi de la France.
BATATE 45
Les racines de cette plante, renflées en tubercules, ressemblent
aux Pommes de terre, d'où il est résulté que les navigateurs du
XTie siècle ont appliqué le même nom à ces deux espèces très
différentes. La Batate est de la famille -des Convolvulacées, la
Pomme de terre de celle de Sclanées; les parties charnues de la
première sont des racines, celles de la seconde des rameaux
souterrains
La Batate est sucrée, en même temps que farineuse. Onla cul-
tive dans tous les pays intertropicaux ou voisins des tropiques,
plus peut-être dans le nouveau monde que dans l'ancien 2.
Son origine est douteuse d'après un grand nombre d'auteurs.
De Humboldt 3, Meyen 4, Boissier 5, indiquent une origine amé-
ricaine Bojer 6, Choisy7, etc., une origine asiatique. La même
diversité se remarque dans les ouvrages antérieurs. La question
est d'autant plus difficile que les Convolvulacées sont au nom-
bre des plantes les plus répandues dans le monde, soit depuis
des époques très anciennes, soit par l'effet de transports mo-
dernes.
En faveur de l'origine américaine, il y a des motifs puissants.
Les lo espèces connues du genre Batatas se trouvent toutes en
Amérique, savoir 11 dans ce continent seul et 4 à la fois en Amé-
rique et dans l'ancien monde, avec possibilité ou probabilité de
transports. La culture de la Batate commune est très répandue
en Amérique. Elle remonte à une époque reculée. Maregraff 8 la
cite pour le Brésil, sous le nom de Jetica. Humboldt dit que le
nom Camote vient d'un mot mexicain. Le mot de Batatas (d'où
par transposition erronée on a fait Potatoe, pomme de terre):est
donné pour américain. Sloane et Hughes 9 parlent de la Batate
comme d'une plante très cultivée, ayant plusieurs variétés aux
Antilles. Ils ne paraissent pas soupçonner une origine étrangère.
Clusius, qui l'un des premiers a parlé de la Batate, dit en avoir
mangé dans le midi de l'Espagne, où l'on prétendait l'avoir
reçue du nouveau monde 10.II indique les noms de Batatas, Ca-
motes, Amotes, Ajes u, qui étaient étrangers aux. langues de

1. Turpin a publié de bonnes figures qui montrent clairement ces faits


Voy. Mémoires du Muséum, in-4, vol. 19, pi. 1, 2 et 3.
2. Le Dr Sagot a donné des détails intéressants sur le mode de culture,
le produit, etc., dans le Journal de la Société d'horlic. de France, vol. 5,
2e série, p. 430-438.
3. Humboldt, Nouy.-Espagne, éd. 2, vol. 2, p. i"Q.
4. Meyen, Gi'undrisse Pflanz. geogr p. 373.
5. Boissier, Voyage botanique en Espagne.
6. Bojer, Hort. maurit., p. 223.
7. Choisy, dans Prodromus, 9, p. 33S.
8. Marcgrafï, Bres., p. 16, avec fig.
9. Sioane, Hist. Jam., I, p. -laO;Huches, Barb. p. 22S.
10. Clusius, hist., II, p. 77.
il. Ajes était un nom de n»name (Humb., Nonv-Esp., 2e édit., Toi. 2t
p. 467, 468).
44 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

l'ancien monde. Son livre date de 1601. Humboldt 1 dit que,


d'après Gomara, Christophe Colomb, lorsqu'il parut pour la
première fois devant la reine Isabelle, lui offrit divers produits
du nouveau monde, entre autres des Bâtâtes. Aussi, ajoute-t-il, la
culture de cette plante était-elle déjàcommune en Espagne dès le
milieu du xvie siècle. Oviedo 2, qui écrivait en' 1526, avait vu la
Batate très cultivée par les indigènes de Saint-Domingue, et
l'avait introduite lui-même à Avila, en Espagne. Rumphius 3 dit
positivement que, selon l'opinion commune, les Batatas ont été
apportées par les Espagnols d'Amérique à Manille et aux Molu-
ques, d'où les Portugais les ont répandues dans l'archipel indien.
Il cite des noms vulgaires qui ne sont pas malais et qui
indiquent un.e introduction par les Castillans. Enfin, il est cer-
tain que là Batate était inconnue aux Grecs, aux Romains et aux
Arabes; qu'elle n'était pas cultivée en Egypte, et cela même il y
a quatre-vingts ans ce qui ne s'expliquerait guère si l'on sup-
pose une origine de l'ancien monde.
D'un autre côté, il y a des arguments pour une origine asiati-
que. L'Encyclopédie chinoise d'agriculture parle de la Batate
et mentionne diverses variétés s mais le Dr Bretschneider ° a
constaté que l'espèce est décrite pour la première fois dans un
livre du n» ou me siècle de notre ère. D'après Thunberg 7, la Ba-
tate a été apportée au Japon par les Portugais. Enfin la plante
cultivée à Taïti, dans les îles voisines et à la Nouvelle-Zélande,
sous les noms Umara, Gumarra et Gvmalla, décrite par Forster 8
sous le nom de Convolvolus chrysorhizusr est la Batate, d'après
sir Joseph Hooker 9. Seemann 10fait observer que ces noms res-
semblent au nom quichuen de la Batate, en Amérique, qui est,
dit-il, Cumar. La culture de la Batate était répandue dans l'Inde
au xvine siècle On lui attribue plusieurs noms vulgaires, et
même, selon Piddington 12,un nom sanscrit, Ruktaloo (prononcez
Roktalou), qui n'a d'analogie avec aucun nom à moi connu et
n'est pas dans le dictionnaire sanscrit de Wilson. D'après une
note que m'avait donnée Adolphe Pictet, Ruktaloo semble un
nom bengali composé du sanscrit Alu (Rutka, plus âlu, nom
de l'Arum campanulatum). Ce nom, dans les dialectes modernes,
désigne l'Igname et la Pomme de terre. Cependant Wallich 13 in-
1. Humboldt,Nouv.-Esp., 1. c.
2. Oviedo,trad. de Ramusio,vol. III, part. IiI.
3. Rumphius,Amboin.,V, p. 368.
4. Forskal,p. 34;Delile,m.
5. D'HerveySaint-Denys,Rech.sur l'agric. des Chin.,1850,p. 109.
6. Study and valueof chinesebot. works,p. 13.
7. Thunberg,Florajapon.,p. 84.
8. Forster, Plants escul.,p. 56.
9. Hooker,Handb.NewZealand.flora, p. 194.
10. Seemann.Journal of bot., 1866,p. 328.
11.Roxburgli,édit. Wall.,II, p. 69.
12.Piddington,Index.
13."Wallich, Flora Ind., 1.c.
BATATE 45

dique plusieurs autres noms que Piddington omet. Roxburgh


ne cite aucun nom sanscrit. Rheede dit que la plante était cul-
tivée au Malabar. Il cite des noms vulgaires indiens.
Les motifs sont beaucoup plus forts, ce me semble, en faveur
de l'origine américaine. Si la Batate avait été connue dans
l'Inde à l'époque de la langue sanscrite, elle se serait répandue
dans l'ancien monde, car sa propagation est aisée et son uti-
lité évidente. Il paraît, au contraire, que les îles de la Sonde,
l'Egypte, etc., sont restées étrangères pendant longtemps à cette
culture.
Peut-être un examen attentif ramènera-t-il à l'opinion de
G. F. W. Meyer. qui distinguait 3 la plante asiatique des espèces
américaines. Cependant on n'a. pas suivi généralement cet au-
teur, et je soupçonne que, s'il y a une espèce asiatique différente,
ce n'est pas, comme le croyait Meyer, la Batate décrite par Rum-
phius, que celui-ci dit apportée d'Amérique, mais la plante
indienne de Roxburgh.
On cultive des Batates en Afrique; mais, ou leur culture est
rare, ou les espèces sont différentes. Robert Brown 4 dit que le
voyageur Lockhardt n'avait pas vu la Batate, dont les mission-
naires portugais mentionnaient la culture. Thonning 5 ne l'in-
dique pas. YogeL a rapporté une espèce cultivée sur la côte
occidentale, qui est certainement, d'après les auteurs du Flora
Nigritiana, le Batatas paniculata Choisy. Ce serait donc une
plante cultivée pour ornement ou comme espèce officinale, car
la racine en est purgative6. On pourrait croire que, dans certains
pays de l'ancien ou du nouveau monde, Ylpomœa tuberosa L,
aurait été confondu avec la Batate; mais Sloane 7 nous avertit
que ses énormes racines ne sont pas bonnes à manger 8.
Une Convolvulacée à racine comestible qui peut bien être con-
fondue avec la Batate, mais dont les caractères botaniques sont
pourtant distincts est VIpomœa mammosa Choisy (Convol-
vulus mammosus, Loureiro Batata mammosa, Rumphius, Amb.,
1. 9, tab. 131). Cette espèce croît spontanément près d'Amboine
(Rumphius), où elle est aussi cultivée. Elle est estimée en Co-
chinchine.
Quant à la Batate (Batatas edulis), aucun botaniste, à ma con-

1. Roxburgh,éd. i832,vol. 1,p. 483.


2. Rheede,Mal.,7, p. 95.
3. Meyer,Primitix FI. Esseq.,p. 103.
4. R. Brown,Bot. Congo,p. 55.
5. Thonning,Pl. Guin.
6. Wallich,dans Roxburgh,FI. Tnd., II, p. G3.
7. Sloane,Jàm., I, p. 152,
8.PlusieursConvolvulacées ontdes racines(plus exactementdes souches)
volumineuses, m ais alors c'est la base'de la tige avec une partie de la
racine qui est épaissie,et cette souche radicale est toujours purgative
(Jalaps, Turbith,etc.), tandis que dans la Batatece sont les racines laté-
rales, orgf.aedifférent,qui s'épaississent.
SOUTERRAINES
46 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES
m clanss
naissance, ne dit l'avoir trouvée lui-mêmesursauvage,
oui-dire, quelle
l'Inde, ni en Amérique K Clusius 2 affirme, les îles voisines.
croît spontanée dans le nouveau monde et dans il
reste, comme
Malaxé la probabilité d'une origine américaine, incertaines
nous venons de le voir, bien des choses inconnues ou
cette espèce, qui joue
sur la patrie primitive et le transport de fût son
un rôle considérable dans les pays chauds. Quelle que
comment expliquer
origine, du nouveau ou de rancien monde, enChine au commencement
qu'elle eût été transportée d'Amérique aune époque
de notre ère et dans les îles de l'océan Pacifique
dans un temps
ancienne, ou d'Asie et d'Australie en Amérique des
assez reculé pour que la culture s'en soit répandue jadis
Chili? Il faut
Etats-Unis méridionaux jusqu'au Brésil et au lAsie et 1 sup- Amé-
des communications préhistoriques entre
poser qui, dans le
ou se livrer à un autre genre d'hypothèses,
rique, sont une
cas actuel, n'est pas inappliquable. Les Convolvulacées certaines
des rares familles de Dicotylédones dans lesquelles très étendue
espèces ont une aire, ou extension géographique,
et même divisée entre des continents éloignés s. Une espèce qui
de la Virginie et du Japon peut
supporte actuellement le climat extension
avoir existé plus au nord avant l'époque de la grande
des glaciers dans notre hémisphère, et les hommes préhistoriques
de
l'auraient transportée vers le midi quand les conditionsauraitclimat
con-
ont changé. Dans ces hypothèses, la culture seule
serv- l'espèce, à moins qu'on ne finisse par la découvrir sauvage
en quelque point de son ancienne habitation, peut-être, par
exemple, au Mexique ou en Colombie.

Betterave, Bette, Poïrée. Beta vulgaris etB. maritima,


Linné. Beta vulffaris Moquin.
Elle est cultivée tantôt pour ses racines charnues (Betterave)
et tantôt pour ses feuilles, employées comme légume (Bette,
Poirée), mais les botanistes s'accordent généralement à ne pas
d'autres exemples, que des
distinguer deux espèces. On sait, parnature facilement
la
plantes à racines minces dans du sol ou prennent
de la culture.
des racines charnues par un effet
La forme appelée Bette, à racines maigres, est sauvage dans
îles
les terrains sablonneux, surtout du bord de la mer, aux a
Canaries, et dans toute la région de la mer Méditerranée, jusqu'à
dans
la mer Caspienne, la Perse et Babylone peut-être même

1. Le n° 701de Sehomburgk,coll. 1, est spontanéselon dsnsja Guyane.


M.Bent
SelonM. Choisy,c'est une variété du Batafas edulis; Monéchantillon, am
(Hook,Journ. Sot, V,p. 3S2-,c'est le Batalaspaniculata-
assezimparfait.me sembledifférerdes deux.
2. Clusius,Hist., 2, p. 77.
3. A. de Candolle,Géag.bot.raisonnee,p. i041-1043 et p. 516,518.
4. Moquin-Tandon,dans Prodromus, v ol. 13, part. 2. p. 55; Boissier,
Flora orientalis,4, p. 898; Ledebour,FI. rossica,3, p. 692.
MANIOC 47
l'Inde occidentale, d après un échantillon rapporté par Jaque-
mont,, sans que la qualité spontanée en soit certifiée. La flore
de l'Inde de Roxburgh, et celle, plus récente, du Punjab et du
Sindh, par Aitchison, ne mentionnent la plante que comme cul-
tivée.
Elle n'a pas de nom sanscrit 1, d'où l'on peut inférer que les
Aryens ne l'avaient pas apportée de l'Asie tempérée occidentale,
où elle existe. Les peuples de leur race émigrés en Europe anté-
rieurement ne la cultivaient probablement pas non plus, car je
ne vois pas de nom commun aux. langues indo-européennes. Les
anciens Grecs, qui faisaient usage des feuilles et des racines, ap-
3
pelaient l'espèce Teutlion 2, les Romains Beta. M. de Heldreich
donne aussi comme nom ancien grec SevJde ou Sfekelie, qui
ressemble au nom arabe Selg, chez les Nabathéens Silq i. Le
nom arabe a passé en portugais, Selga. On ne connaît point de
nom hébreu. Tout indique une culture ne datant pas de plus de
quatre à six siècles avant l'ère chrétienne.
Les anciens connaissaient déjà les racines rouges et blanches,
mais le nombre des variétés a beaucoup augmenté dans les
temps modernes, surtout depuis qu'on a cultivé la Betterave en
grand, pour la nourriture des bestiaux et la production du sucre.
C'est une des plantes les plus faciles à améliorer par sèlection,
comme les expériences de Vilmorin l'ont prouvé s.

Manioc. Manihot utilissima, PohL Jatropha Manihot,


Linné.
Le Manioc est un arbuste ou arbrisseau de la famille des
Euphorbiacées, dont plusieurs racines se renflent dès la pre-
mière année, prennent une forme ellipsoïde irrégulière et ren-
ferment de la fécule (Tapioca), avec un suc. plus ou moins véné-
neux.
La culture en est commune dans les régions équatoriales ou.
tropicales, surtout en Amérique, du Brésil aux Antilles. En
Afrique, elle est moins générale et paraît moins ancienne. Dans
certaines colonies asiatiques, elle est décidément d'introduction
moderne. On la pratique au moyen de boutures des tiges.
Les botanistes se sont divisés sur la convenance de regarder
les innombrables formes de Maniocs comme appartenant à une,
à deux ou même plusieurs espèces différentes. Pohl 6 en admet-
tait plusieurs à côté de son Manihot utilissima, et le DrJ. Miiller 7,
i. Roxbnrgh,Flora indica,2, p. 59; Piddington,Index.
.2.Théophrasteet Dioscoridecités par Lenz, Botanikder Gricchmund
Rômer,p. 446 Fraas, Synopsisfl. class.,p. 233.
3. Heldreich,Die NutzpflanzenGriechenlands, p. 22.
4. Alawwâm,Agriculturenabathée?ine(premierssièclesde l'ère chrét.?),
d'après E. Meyer, Geschichteder Botanik,3, p. 75.
desplantes par le semis,p. 13.
5. Noticessur T amélioration
6. Pohl, Plantarum Brasilis iconeset descriptiones,in-folio,vol. 1.
7. J. Müller,dans Prodromus,XV, sect. 2, p. 1062,1064.
48 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

dans sa monographie des Euphorbiacées, rapporte à une espèce


voisine (M. palmata) la forme Aipi, qui est cultivée au Brésil
avec les autres et dont la racine n'est pas vénéneuse. Ce
dernier caractère n'est pas aussi tranché qu'on le croirait
les indigènes. Le
d'après certains ouvrages et même d'après
Dr Sagot S qui a comparé une douzaine de variétés de Manioc
cultivées à Cayenne, dit expressément « II y a des Maniocs plus
vénéneux les uns que les autres; mais je doute qu'aucun soit
absolument exempt de principes nuisibles. j>
On peut se rendre compte de ces singulières différences de
semblables par l'exemple de la
propriétés entre des plantes fort le
Pomme de terre. Le Manihot et Solanum tuberosum appar-
tiennent tous deux à des familles suspectes (Euphorbiacées et
dans
Solanacées). Plusieurs de leurs espèces sont vénéneuses
certains de leurs organes; mais la fécule, où qu'elle se trouve,
ne peut pas être nuisible, et il en est de même du tissu cellulaire
lavé de tout dépôt, c'est-à-dire réduit à la cellulose. Or dans la
de Manioc), on a grand soin
préparation de la Cassave (farine
de racler l'écorce extérieure de la racine, ensuite de piler ou
écraser la partie charnue, de manière à en expulser Je suc plus
ou moins vénéneux, et finalement on soumet la pâte à une cuis-
son qui chasse des parties volatiles 2. Le tapioca est de la fécule
existent encore dans la cas-
pure, sans mélange des tissus qui
save. Dans la pomme de terre, la pellicule extérieure prend des
en l'exposant à la lu-
qualités nuisibles quand on la laisse verdir mal mûrs ou.
mière, et il est bien connu que des tubercules avec beau-
viciés, contenant une trop faible proportion de fécule
coup de sucs, sont mauvais à manger et feraient certaine
positivement du
mal aux personnes qui en consommeraient une quan-
tité. Toutes les Pommes de terre, comme probablement tous les
on s'aper-
Maniocs, renferment quelque chose de nuisible, dont
et qui varie par
çoit jusque dans les produits de la distillation,
des matières
plusieurs causes; mais il ne faut se défier que
autres que la fécule.
Les doutes sur le nombre des espèces à admettre dans les
Manihots cultivés ne nous embarrassent nullement pour la ques-
tion de l'origine géographique. Au contraire, nous allons voir
améri-
que c'est un moyen important de constater l'origine
caine.
L'abbé Raynal avait répandu. jadis l'opinion erronée que le
Manioc aurait été apporté d'Afrique en Amérique. Robert Brown
le niait en 1818 3, sans donner des motifs à l'appui, et de Hum-

i. Sagot,dansBull.dela SociétébotaniquedeFrancedu 8 décembre1871.


2. J'indique la préparation dans ce qu'elle a d'essentiel. Les détails
diffèrentsuivant les pays. Voir à cet égard Aublet, Guyane,2, p. 67;
Descourtilz,Flore desAntilles,3, p. 113 Sagot, l. c., etc.
3. R. Brown,Botanyof Congo,p. 50.
MANIOC 49

uoidt Moreau de Jonnes Auguste de Saint-Hilairè 3 ont in-


sisté sur l'origine américaine. On ne peut guère en douter,
d'après les raisons suivantes
1° Les Manihots étaient cultivés par les indigènes du
Brésil,
de la Guyane et des parties chaudes du Mexique avant l'arrivée
des Européens, comme le témoignent tous les anciens
Aux Antilles, cette culture était assez commune dans le voyageurs.
xvie siècle,
d'après Acosta 4, pour qu'on puisse la croire également d'une
certaine ancienneté.
2° Elle est moins répandue en Afrique, surtout dans les
régions
éloignées de la côte occidentale. On sait que le Manioc a été in-
troduit dans l'île de Bourbon par le gouverneur de Labour-
donnais 5. Dans les contrées asiatiques, où probablement une
culture aussi facile se serait propagée si elle avait été ancienne
sur le continent africain, on la mentionne çà et là, comme un
objet de curiosité d'origine étrangère 6.
3° Les indigènes d'Amérique avaient plusieurs noms anciens
pour les variétés de Maniocs, surtout au Brésil 7, ce qui ne pa-
raît pas avoir existé en Afrique, même sur la côte de Guinée 8.
4° Les variétés cultivées au Brésil, à la Guyane et aux Antilles
sont très nombreuses, par où l'on peut présumer une culture
très ancienne. Il n'en est pas de même en Afrique.
5° Les 42 espèces connues du genre Manihot en dehors
de M. utilissima, sont toutes spontanées en Amérique; la plu-
part au Brésil, quelques-unes à la Guyanne, au Pérou et au
Mexique; pas une dans l'ancien monde 9. Il est très invraisem-
blable qu'une seule espèce, et encore celle qu'on cultive, fut
originaire à la fois de l'ancien et du nouveau monde, d'autant
plus que dans la famille des Euphorbiacées les habitations des
espèces ligneuses sont généralement restreintes et qu'une com-
munauté entre l'Afrique et l'Amérique est toujours rare dans
les plantes Phanérogames.
L'origine américaine du Manihot étant ainsi démontrée, on
peut se demander comment l'espèce a été introduite en Guinée
et au Congo. Probablement c'est un résultat des communicationss
fréquentes, au xvie siècle, des trafiquants portugais et des négriers.

1. De Humboldt,Nouvelle-Espagne, éd. vol. 2, p. 398.


2. Histoirede l'Acad.des sciences,1824.2,
3. Guillemin,Archivesde botanique,1, p. 239.
4. Acosta,Hist.nat. des Indes,trad. franç. 1598,p. 163.
5. Thomas.Statistique de Bourbon,2, p. 18.
6. Le catalogue du jardin botanique de Buitenzor-, 1866,p. 222, dit
expressémentque le Manihotutilissimavient de Bourbonet d Amérique.
7. Aypi, Mandioca,Manihot,Manioch,Yuca, etc., dans Pohl, Iconeset
deser., 1, p. 30, 33. Martius,Beitragez. Ethnographie,etc.,Brasiliens, 2,
p. 122,indiqueune quantité de noms.
8. Thonning(dans Schumacher,Plant. guin.),qui citevolontierslesnoms
vulgaires,n'en donne aucun pour le Manihot.
9. i. Müller,dans Prodromus,15,6 sect. 1,
-11p. 1057.
DE Candolle. &
SOUTERRAINES
gtt PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS PARTIES
ou variété appelée7
Le Manihot utilissima, et l'espèce voisine
n'ont pas été trouvés à état
MvU que l'on cultive également,
certaine. Humboldt et Bonpland ont
sauvage d'une manière* de la
bien recueilli sur les bords Magdalena, un pied de Manihot
mais le & Sagot
utilissima qu'ils ont dit presque spontané*,à la
me certifie qu'on ne l'a point découvert Guyane, et les
du Brésil n'ont pas
botanistes qui ont exploré la région chaude de Pohl, qui a
été plus heureux. Cela ressort des expressions
connaissait les récoltes de
beaucoup étudié ces plantes, qui S'il avait re-
Martius et ne doutait pas de l'origine américaine.
avec celles quon cul-
marqué une forme spontanée identique
tive, il n'aurait pas émis l'hypothèse de que le Manioc provient
de son Manihot pusilla* de la province Goyaz, dont la stature
or
est minime et qu'on regarde comme une véritable espèce déclarait
comme une variété du Manihot palmata 3. De Martius informa-
en 1867 c'est-à-dire après avoir reçu de nombreuses la
tions postérieures à son voyage, qu'on ne connaissait pas
A Un ancien voyageur, ordinairement
plante à l'état sauvage dont les Tapuyeris,
exact, Piso 8, parle d'un Mandihoca sauvage
de Rio-de-Janeiro, mangeaient les
indigènes de la côte au nord mais
racines Il est, dit-il, « très semblable à la plante cultivée »
auteurs qui
la figure qu'il en donne a paru bien mauvaise aux
ont étudié les Manihots. Pohlla rapporte à son t11, Aïpi, et le
suis disposé a
Dr Müller la passe sous silence. Quant à moi, je absolu-
croire ce que dit Piso, et sa planche ne me paraît pasd'un Mar
ment mauvaise. Elle vaut mieux.que celle de Vellozo Si l'on
nihot sauvage qu'on rapporte avec doute au M. Aipi«.
ne veut pas accepter cette origine du Brésil oriental intertropical,
il faut recourir à deux hypothèses ou les Manihots cultivés
sauvages modifiée par la cul-
proviennent de l'une des espècessubsistent seulement par l'action
ture ou ce sont des formes qui
de l'homme,après la disparition de leurs semblables de la végé-
tation spontanée actuelle.

Ail. Allïutn sativum, Linné.


comme la patrie-
Linné, dans son Species, indique la Sicile
de l'ail commun; mais dans YHortus cliffortianus, où il est
ordinairement plus exact, il ne donne pas d origine. Le fait
est que d'après les flores les plus récentes et les plus com-
de la Grèce, de France,
plètes de Sicile, de toute l'Italie, considéré comme indi-
d'Espagne, et d'Algérie, l'ail n'est pas

1. Kunth, dans Humb.etB., NovaGenera,2, p. 108.


2. Pohl, Iconeset descript.,1, p. 36, pi. 26.
3. Mûller,dansle Prodromus. .)n .HR
4. DeMartius,Beitrâgezur Ethnographie,etc. i, p. 1U36.
5. Piso, HistorianaCuralisB^ihm, in-folio, 1638,p. S3 cum icone.
dans Pra-
6. Jatropia sylvestrisVell.-Fi. /h<M.,16, t. 83.Voir Müller,
dromus,15 p. 1063.
AIL SI

gène, quoique çà et là on en ait recueilli des échantillons qui


avaient plus ou moins l'apparence de l'être. Une plante aussi
habituellement cultivée et qui se propage si aisément peut se
répandre hors des jardins et durer quelque temps, sans être d'ori-
gine spontanée. Je ne sais sur quelle autorité Kunth cite l'es-
pèce en Egypte D'après des auteurs plus exacts sur les plantes
de ce pays 2, elle y est seulement cultivée. M. Boissier, dont
l'herbier est si riche en plantes d'Orient, n'en possède aucun
échantillon spontané. Le seul pays où l'ail ait été trouvé à l'état
sauvage, d'une manière bien certaine, est le désert des Kirghis
de Soongarie, d'après des bulbes rapportées de là et cultivées
à Dorpat 3 et des échantillons vus ensuite par Regel 4. Ce der-
nier auteur dit aussi avoir vu un échantillon que Wallich avait
recueilli comme spontané dans l'Inde anglaise mais M. Baker 5,
qui avait sous les yeux les riches herbiers de Kew, n'en parle
pas dans sa revue des Allium des Indes, de Chine et du Japon.
Voyons si les documents historiques et linguistiques confirment
une origine uniquement du sud-ouest de la Sibérie.
L'Ail est cultivé depuis longtemps en Chine sous le nom de
Suan. On l'écrit en chinois par un signe unique, ce qui est ordinai-
rement l'indice d'une espèce très anciennement connue et même
spontanée s. Les flores du Japon 7 n'en parlent pas, dJoù je pré-
sume que l'espèce n'était pas sauvage dans la Sibérie orientale
et la Daourie, maisque les Mongols l'auraient apportée en Chine.
D'après Hérodote (Hist., 1. 2, o. 125), les anciens Egyptiens en
faisaient grand usage. Les archéologues n'en ont pas trouvé la
preuve dans les monuments, mais cela tient peut-être à ce que
la plante était réputée impure par les prêtres 8.
Il existe un nom sanscrit, Mahoushouda 9, devenu Loshoun en
bengali, et dont le nom hébren Schoum, Schumin 10,qui a pro-
duit le Thoum ou Toum des Arabes, ne paraît pas éloigné. Le
nom basque, Baratchouria, a été rapproché des noms aryens
par M. de Charencey A l'appui de son hypothèse, je dirai
que le nom berbère, Tiskert, est tout différent, et que par consé-
quent les Ibères paraissent avoir reçu la plante et son nom des
Aryens plutôt que de leurs ancêtres probables du no*d de
l'Afrique. Les Lettons disent Kiplohks, les EsthoniensKrunslauk,
d'ou probablement le Knoblauch des Allemands. L'ancien nom

1. Kunth, Enum.,i, p. 381.


2. Schweinfurthet Ascherson,Au.fzah.lung, p. 234.
3; Ledebour,Flora altaica, 2, p. 4; Flora rossica,4, p. 162.
4. RegeI,Allioi: manogr.,p. 44.
5. Baker, dans Journ. of. bot., 1874,p. 295.
6. Bretschneider,Study and value,etc., p. 15,47 et 7.
7. Thunberg,Fl. jap.; Franehet et Savatier, Enumeratia,1876,vol. 2.
8. Unger,PflanzendesAlten Mqyften's,p. 42.
9. Piddington,Index, sous l'orthographeanglaiseMahooshouda.
10. Hiller,Hierophyton;B.osenmûller,Bibl. Alterllaum,vol. 4.
11.De Charencey,Actesde la Sociétéphilologique,1ermars 1869.
PARTIES SOUTERRAINES
82 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS
1- C,d..ln T,ne
été Scorodon, ~~coruon.Les
en grec moderne
grec paraît avoir
Cesan. Les Bretons
noms chez les Slaves d'Illyrie sont Bili,
Cenhinen ou Garlleg, d'où
disent Quinen1. Les Gallois Craf,
des L'Allixcm des Latins a 'passé dans les
le Garlic Anglais.
latine 2. Cette grande diversité de nomsfait
langues d'origine
une ancienne connaissance de la plante et même
présumer et en
une ancienne culture dans l'Asie occidentale dans Europe. le pays
D'un autre côté, si l'espèce n'avait existé que
les Aryas auraient pu
des Kirghis, où on la trouve maintenant, et en Europe; mais
la cultiver et l'avoir transportée dans l'Inde
latins, diffé-
alors pourquoi tant de noms celtiques, slaves, grecs,faudrait
sup-
rents du sanscrit? Pour expliquer cette diversité, l'ouest il
de l'ha-
la patrie primitive vers
poser une extension de été antérieure
bitation connue aujourd'hui, extension qui aurait
aux migrations des Aryas.
Si fois, dans sa totalité, l'objet d'un
legAllium
enre
était
une de ses
travail aussi sérieux que celui de J. Gaysur quelques-unes
certaines formes sponta-
espèces 1, on trouverait peut-êtrelesque auteurs dans les A. arena-
nées en Europe, comprises par ne sont
rium L., ou A. arenarium Sm., ou A. Scorodoprasum L.,
v ariétés de l'A. sativum. Alors tout concorderait les
que des auraient
peuples les plus anciens d'Europeet de l'Asie occidentalela Tartarie
cultivé l'espèce telle qu'ils la trouvaient depuis
Espagne, en lui donnant des noms plus ou moins diffé-
jusqu'en
rents.

Oignon. Allium Cepa, Linné. ".“ -t


ce savait en 1855 J'ajouterai ensuite
Je dirai d'abord qu'on
confirment ce qu'on
des observations botaniques récentes qui
les données linguistiques.
pouvait présumer d'après le plus anciennement cultivées.
L'Oignon est une des espèces Kunth =. Voyons
Son habitation primitive est inconnue, d'après
modernes appellent
s'il est possible de la découvrir. Les Grecs une
Krommudi l'Allium Cepa, qu'ils cultivent beaucoup «.G est est
de Théophraste
bonne raison pour croire que le Kronimuon
siècle le pensaient
la même espèce, comme les auteurs du xyi°

t. Davies, Welsh botanology.


2. Çouf^noms^Sff se trouvent dans mon dictionnaire compilé
J'aurais pu en citer un plus grand nombre
par MoStzrd'apràs les liores. les
et mentionner des étymologies probables d'après aus philologues, 171
par
et
Asien, p.
exemple d'après l'ouvrage de nécessaire
Hehn, Kulturpflanzen
suivantes; mais ce n'est pas la culturepour indiquer le fait d'origines
de ancienne en divers pays.
géographiques multiples et
S. Annotesdes sc. nat., 3« série, vol. 8.
4. A. de Candolle, Géogr. bot. raisonnée, 2, p. 82S.
5. Kunth, Enum., 4, p. 394.
16. Faas, Syn. fl. class., p. 291.
7. Theopnrastes, Hist., 1. 7, c. 4.
OIGNON 83

déjà 1. Pline 2 traduisait ce mot par Ccepa. Les anciens en con-


naissaient plusieurs variétés, qu'ils distinguaient par des noms de
pays Cyprium, Gretense, Samothraciae, etc. On en cultivait une
en Egypte 3, si excellente qu'elle recevait des hommages,
comme une divinité, au grand amusement des Romains 4.Les
¡
Egyptiens modernes désignent l'A. Cepa sous le nom de Basal
ou Bussul 6, d'où il est probable que le Betsalim ou Bezalim des
Hébreux est bien la même espèce, comme le disent les commen-
tateurs 7. Il y a des noms sanscrits tout à fait différents Palandu,
Latarka, Sukandaka 8, et une foule de noms indiens modernes.
L'espèce est généralement cultivée dans l'Inde, en Cochinchine,
en Chine 9, et même au Japon 10. Les anciens Egyptiens en fai-
saient une grande consommation. Les dessins de leurs monu-
ments montrent souvent cette espèce Ainsi la culture remonte
dans l'Asie méridionale et dans la région orientale de la mer
Méditerranée à une époque partout très reculée. En outre, les
noms chinois, sanscrits, hébreux, grecs et latins n'ont pas de
connexité apparente. De ce dernier fait, on peut déduire l'hy-
pothèse que la culture aurait été imaginée après la séparation
des peuples indo-européens, l'espèce se trouvant à portée dans
divers pays à la fois. Ce n'est pourtant pas l'état actuel des
choses, car on trouve à peine des indices vagues de la qualité
spontanée de l'A. Cepa. Je n'en ait point découvert 12
dans les
flores européennes ou du Caucase; mais Hasselquist a dit « II
croît dans les plaines près de la mer, aux environs de Jéricho. »
Le docteur Wallich a mentionné dans sa Liste de plantes in-
diennes, n° S072, des échantillons qu'il a vus dans des localités du
Bengale, sans dire qu'ils fussent cultivés. Cette indication, quoi-
que peu suffisante, l'ancienneté des noms sanscrits et hébreux
et les communications qu'on sait avoir existé entre les peuples
de l'Inde et les Egyptiens me font présumer que l'habitation
était vaste dans l'Asie occidentale, s'étendant peut-être de la
Palestine à l'Inde. Des espèces voisines, prises quelquefois pour
le Cepa, existent en Sibérie iz
On connaît mieux maintenant les échantillons recueillis par
les botanistes anglo-indiens dont Wallich avait donné une pre-

1. J. Bauhin,Hist.,2, p. 548.
2. Pline,Hist., 1. i9, c. 6.
3. Pline, 1. c.
4. Juvenalis,Sat., 15.
5. Forskal, p. 65.
6. Ainslies,Mat.med.Ind., i, p. 269.
7. Hiller,Hieroph.,2, p. 36;Rosemnûlle.r,Handb.bibl.Alterk.,4, p. 96.
8. Piddington,Index; Ainslies,l. c.
9. Roxburgh,FI. ind., 2; Loureiro,FI. nochinch.,p. 249.
10. Thunberg,Fl. jap., p. 132.
il. Unger,Pflanzen d. Alt. Mgypt, p. 42,fig. 22, 23, 24.
12. Hasselquist,Foy.and trav., p. 279.
13. Ledebour,F1. ross.,4, p. 169.
PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

mière notion. Stokes a découvert 1 Atlaumt,e~ maigene aans


le Belouehistan. Il dit « Sauvage sur le Chehil Tun. Griffith l'a
et Thomson de Lahore, sans parler
rapporté de l'Afghanistan
d'autres collecteurs qui ne se sont pas expliqués sur la nature
Boissier possède un échantillon spon-
spontanée ou cultivée1. M.
tané recueilli dans les régions montueuses du Khorassan. Les
ombelles sont plus petites que dans la plante cultivée, mais d'ail-
leurs il n'y a pas de différence. Le Dr Regel fils l'a trouvé au
sud de Kuldscha, Turkestan occidental2. Ainsi mes conjecture.,
d'autrefois sont tout à fait justifiées; et il n'est pas improbable
comme le disait
que l'habitation s'étende jusqu'en Palestine,
Hasselquist. un caractère unique (or-
L'Oignon est désigné en Chine par
faire présumer une ancienne
thographié Tsimg), ce qui peut beau-
existence à titre de plante indigène 3. Je doute cependant
loin vers l'est.
coup que l'habitation s'étende aussi
Humboldt dit que les Américains connaissaient de tout temps
des
les oignons, en mexicain Xonacatl. « Cortès, dit-il en parlant
comestibles qui se vendaient sur le marché de l'ancien Tenoch-
et de l'ail. » Je ne puis
titlan, cite des oignons, des poireaux
croire cependant que ces divers noms s'appliquent à nos espèces
n avait vu
cultivées en Europe. Sloane, dans le xvir siècle, ceiait
et dans
qu'un seulAllium cultivé à la Jamaïque (A. Cepa),
un jardin, avec d'autres légumes d'Europe 5. Le mot Xonacatl
6
n'est pas dans Hernandez, et J. Acosta dit expressément que Les
les Oignons et les Aulx du Pérou sont originaires d'Europe.
sont rares en Amérique.
espèces du genre Allium

Ciboule commune. Allium fistulosum, Linné.


Pendant longtemps, cette espèce a été mentionnée dans les
flores et les ouvrages d'horticulture comme étant d'une origine
trouvée sauvage en
inconnue; mais les botanistes russes l'ont des
Sibérie, vers les monts Altaï, du pays Kirghis au lac
Ba~ical7.
Les anciens ne la connaissaient pas 8. Elle doit être arrivée
en Europe par la Russie, dans le moyen âge ou peu après. Un
auteur du xvi8 siècle, Dodoens 9, en a donné une figure, peu
reconnaissable, sous le nom de Cepa oblonga.

and Sindh, in-8. 1869,


1 Aitchison,Acatalogueof the plants of Punjab
p. 19 Baker, dans Journal of bot., 1874,p. 295.
2. III. hortic, 1877,p. 167.
3. Bretschneider,Sticdijand value,etc., p. 47 et 7.
476.
4. De Humboldt,Nouv.-Esp.,2e édit., 2, p.
8~Sloane,~M.,l,p.7S. “ ,.RR
165.
6. Acosta,Hist.nat. des Indes,trad. franç.,p.
7. Ledebour,FloraTossica, 4, p. 169.
8. Lenz,Botanikder alt Griechen und Ramier,p. 29o.
9. Dodoens,Pemptades,p. 687.
ÉCniLOTE 55

Echaiote. – Allium Ascalonkum, Linné.


On croyait, sur le dire de Pline 1, que le nom était tiré de la
ville d'Ascalon, en Judée mais M. le Dr E. Fournier 2 pense que
l'auteur latin s'est trompé sur le sens du mot Askalônion de
Théophraste. Quoi qu'il en soit, ce nom s'est conservé dans nos
langues modernes sous la forme d'Echalote en français, Chalote
en espagnol, Scalogno en italien, Aschaluch ou Esclalauch en
allemand, etc.
En 1855, j'avais parlé de cette espèce de la manière suivante 3:
« D'après Roxburgh 4, on cultive beaucoup Y Allium Ascato-
nicum dans l'Inde. On lui attribue le nom sanscrit de Pidandoo
avec Palandu,
(prononcez Poulandou), mot presque identique
attribué à V Allium Cepa s. Evidemment la distinction entre ces
dev.x espèces n'est pas claire dans les ouvrages indiens ou anglo-
indiens.
« Loureiro dit avoir vu V Allium Ascalomcum cultivé en Co-
chinchine °, mais il ne cite pas la Chine, et Thunberg n'indique
de
pas cette espèce au Japon. Ainsi, vers la région, orientale
l'Asie, la culture n'est pas générale. Ce fait et le doute sur le
nom sanscrit me font croire qu'elle n'est pas ancienne dans
l'Asie méridionale. Malgré le nom de l'espèce, je ne suis pas
persuadé qu'elle existât non plus dans l'Asie occidentale. Rau-
wolf, Forskal et Delile ne l'indiquent pas en Sibérie, en Arabie
7
et en Egypte. Linné cite Hasselquist comme ayant trouvé l'es-
de détails
pèce en Palestine. Malheureusement il ne donne pas
sur la localité ni sur la condition de spontanéité. Dans les
au
Voyages de Hasselquist s, je vois un Cepa montana croissant
mont Thabor et sur une montagne voisine; mais rien ne prouve
les Oignons et Aulx
que ce soit l'espèce. Dans son article sur
des Hébreux (p. 290), il ne mentionne que Y Allium Cepa, puis
les Porrum et sativum. Sibthorp ne l'a pas trouvé en Grèce 9, et
Fraas ne l'indique pas comme cultivé actuellement dans ce
pays D'après Koch il s'est naturalisé dans les vignes près
de Fiume. Toutefois M. de Visiani u n'en parle que comme cul-
tivé en Dalmatie.
« D'après l'ensemble des faits, je suis amené à l'idée quel Al-

1. Pline, Hist., 1. 19, e. 6.


2. Il doit en parler dans une publication intitule? C>aria, qui va
paraître.
3. Géographiebot. aisonnée,p. 829.
4. Roxbnrgh,Fl. ind., éd. 1832,vol.2. p. 142.
5. Piddington,Index.
6. Loureiro,Fl. cochinch.,p. 251.
7. Linné, Species,p. 429.
8. Hasselquist,Voy.and trou., 1766,p. 2S1,282»
9. Sibthorp,Prodr.
10. Fraas,Syn. fl. class.,p. 291.
11.Koch,Synops.fl. Germ.,2=éd., p. 833.
12. Visiani,Flora dalinat.,p. 138.
56 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

lium Asealonicum n'est pas une espèce. Il suffit, pour concevoir


des doutes sur son existence primitive, de voir que 10 Théo-
phraste et les anciens, en général, en ont parlé comme d'un état
deY Allium Cepa, ayant même importance que les variétés culti-
vées en Grèce, en Thrace et ailleurs; 2° on ne peut pas prouver
qu'il existe à l'état sauvage 3» on le cultive peu ou point
dans les pays où l'on présume qu'il a pris naissance, comme la
Syrie, l'Egypte, la Grèce; 4°il est ordinairement sans fleurs, d'où
venait le nom de Cepa sterilis, donné par C. Bauhin, et la multi-
plicité des caïeux se lie tout naturellement à ce fait; S0 lorsqu'il
fleurit, les organes de la fleur sont semblables à ceux du Cepa,
ou du moins on n'a pas découvert de différence jusqu'à pré-
sent, et, d'après Koch1, la seule différence est d'avoir la hampe
et les feuilles moins renflées, quoique fistuleuses. »
Telle étaitmon opinion 2. Les faits publiés depuis 18S5 ne dé-
truisent pas mes doutes. Ils les justifient au contraire. M. Regel,
en 1875, dans sa monographie des Allium, déclare qu'il a vu
l'échalote seulement à l'état cultivé. Aucher Eloy a distribué
une plante de l'Asie Mineure sous le nom i'A. Ascalonicum
(n° 2012), mais d'après mon échantillon ce n'est certainement
pas cette espèce. M. Boissier me donne l'information qu'il n'a
jamais vu l'A. Ascalonicum en Orient et n'en a pas dans son
herbier. La plante de Morée portant ce nom dans la flore de
Bory et Chaubard est une espèce toute différente, nommée par
lui A. gomphrenoides. M. Baker 3 dans sa revue des Allium des
Indes, de la Chine et du Japon, citel'^i. Ascalonicum dans des
localités du Bengale et du Punjab, d'après des échantillons de
Griffith et d'Aitchison; mais il ajoute « Probablement ce sont
des plantes cultivées. » II rapporte à l'Ascalonicum Y Allium
Sulvia Ham., du Népaul, plante peu connue et dont la qualité
de spontanée est incertaine. L'échalote produit beaucoup de
caïeux qui peuvent se propager ou se conserver dans le voisi-
nage des cultures et induire en erreur sur l'origine.
En définitive, malgré le progrès des investigations botaniques
en Orient et dans l'Inde, cette forme d'Allium n'a pas été-
trouvée sauvage d'une manière certaine. Elle me paraît donc
plus que jamais une modification du Cepa, survenue à peu près
au commencement de l'ère chrétienne, modification moins con-
sidérable que beaucoup de celles qu'on a constatées pour d'au-
tres plantes cultivées, par exemple dans les choux.

Rocambole. Allium Scorodoprasum, Linné.


Si l'on jette les yeux sur les descriptions et la synonymie de:
VA. Scorodoprasum dans les ouvrages de botanique depuis Linné.

1. Koch.Synops.fl. Germ.
2. A.de Candolle,Géogr.bot.raisonnêe,p. 829.
3. Baker,dansJourn. ofboi., 1874,p. 295.,
CIBOULETTE 57
_t_ -1-1
jusqu'à nos jours, on verra que le seul point sur lequel s'accor-
dent les auteurs est le nom vulgaire de Rocambole. Quant aux
caractères distinctifs, tantôt ils rapprochent et tantôt ils éloi-
gnent la plante de l'Allium sativum. Avec des définitions aussi
différentes, il est très difficile de savoir dans quel pays se trouve,
à l'état sauvage, la plante bien connue cultivée sous le nom de
Rocambole. D'après MM. Cosson et Germain, elle croît aux envi-
rons de Paris 1. D'après Grenier et Godron 2, la même forme
croît dans l'est de la France. M. Burnat dit avoir trouvé l'espèce
bien spontanée dans les Alpes-Maritimes. Il en a donné des
échantillons à M. Boissier. MM. Willkomm et Lange ne la re-
gardent pas comme spontanée en Espagne 3, quoique l'un des
noms français de la plante cultivée soit Ail ou Echalote d'Espa-
gne. Beaucoup d'autres localités européennes me paraissent
douteuses, vu l'incertitude sur les caractères spécifiques. Je note
cependant que, d'après Ledebour 4, la plante qu'il nomme A.
Scorodoprasum est très commune en Russie, depuis la Finlande
jusqu'en Crimée. M. Boissier en a reçu un échantillon de la Do-
brutscha, communiqué par le botaniste Sintenis. L'habitation
naturelle de l'espèce viendrait donc toucher à celle de l'Allium
sativum, ou bien une étude attentive de toutes les formes
prouvera qu'une seule espèce, comprenant plusieurs variétés,
s'étend sur une grande partie de l'Europe et de ses confins en
Asie.
La culture de la Rocambole ne paraît pas très ancienne. Il
n'en est pas question dans les ouvrages sur la Grèce et Rome, ni
dans l'énumération des plantes recommandées par Charlemagne
aux intendants de ses jardins B. Olivier de Serres n'en parle
pas
non plus. On ne peut citer qu'un petit nombre de noms vulgaires,
originaux, chez des peuples anciens. Les plus distincts sont dans
le nord Skovlog en Danemark, Keipe et Rackenboll en Suède 6.
Rockenbolle, d'où vient le nom français, est allemand. Il n'a pas-
le sens qui lui est attribué par Littré. Son étymologie est Bolle,
oignon, croissant parmi les rochers, RockenT.

Ciboulette, Civette. Allium Schœnoprasum, Linné.


L'habitation de cette espèce est très étendue dans l'hémi-
sphère boréal. On l'indique dans toute l'Europe, de la Corse ou
la Grèce jusqu'à la Suède méridionale; en Sibérie jusqu'au
Kamtschatka, et aussi dans l'Amérique septentrionale, mais seu-

i. Cossonet Germain,Flore,2, p. 553.


2. Grenieret Godron,Flore de France,3, p. 197.
3. Willkommet Lange,Prodr. fl. hisp.,1, p. 885.
4. Ledebour,Flora rossica,4, p. 163.
5.Le Grandd'Aussy,Histoirede la vie desFrançais,vol. i. p. 122.
6. Nemnich,Polyglott.Lexicon,p. 187.
7. Nemnich,l. c.
58 PLANTESCULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

lement près des lacs Huron, Supérieur et plus au nord cir-


constance assez singulière, comparée à l'habitation européenne.
La forme qui se trouve dans les Alpes est la plus rapprochée de
celle qu'on cultive 2. “
Les anciens devaient certainement connaître l'espèce, puis-
en Italie et en Grèce. Targioni croit que c'est
qu'elle est sauvage
fe Scorodon ScMston de Théophraste, mais il s'agit de mots
sans descriptions, et les auteurs spéciaux dans l'interprétationne
des textes grecs, comme Fraas et Lenz, ont la prudence de la
rien affirmer. Si les noms anciens sont douteux, le fait de
culture à cette époque l'est encore plus. Il est possible qu'on eût
l'habitude de récolter la plante dans la campagne.

Colocase. Arum esculentum, Linné. Colocasia anti-


quor·um, Schott
dans les localités humides3. de la i
On cultive cette espèce, plu-
à cause du renflement de la partie
part des pays intertropicaux,
inférieure de la tige, qui forme un rhizome comestible, analogue
feuilles
à la partie souterraine des Iris. Les pétioles et les jeunes
sont utilisés accessoirement comme légume.
formes de l'espèce ont été bien
Depuis que les différentes sur les
classées et qu'on possède des documents plus certains
flores du midi de l'Asie, on ne peut plus douter que cette plante
ne soit spontanée dans l'Inde, comme le disait jadis Roxburgh 4,7
à
et plus récemment Wight s, et autres à Geylan 6, Sumatra
et dans plusieurs îles de l'archipel indien s.
Les livres chinois n'en font aucune mention avant un ou-
vrage de l'an 100 de notre ère 9. Les premiers navigateurs
au et jusqu'au nord de la
européens l'ont vue cultivéesuite Japon
Nouvelle-Zélande 10 par probablement d'introductions
anciennes sans coexistence certaine avec des pieds sauvages.
de la tige ou du tubercule ils
Lorsqu'on jette des fragments
se naturalisent aisément au bord des cours d'eau. C'est peut-
être ce qui est arrivé aux îles Fidji et au Japon, d'après les
localités indiquées par les auteurs u. On cultive la Colocase çà

1. AsaGray,Botanyofnorthern States,éd. 5, p. 534,,


2. De Candolle,Flore française,4, p. 227. <
Am-
3. ArumJEgyptium, C olumna, E cphrads 2, p. 1, tab. 1: Rnmphius,
boin., vol. 5, tab. 109. ArumColocasiaet A. eseitlentum, Linné. Colo-
casia antiquorum,Schott,Melet.,i, 18; Engler in D. C. Èîoiwgr.Planer.,
2, p. 491.
4. Roxburgh,FI. ind., 3, p. 495.
5. Wight, tcones, t. 786.
6. Thwaites, Enum. plant. Zeylan.,p. 3i>5.
7. MiqueljSumatra,p. 258.
8. Rumphius,Amboin.,vol. 5, p. 318.. ,n
9. BretsctaiHfiw.Onthestudyand valueof chinesebotanKal idop!:s,p. 12.
10.Forster, Plaids escul.,p. 5S. T, no,
11.Franchetet Savatier,Enum.,p. 8; Seemann,Flora Vitiensis,p. 284.
COLOCASE 89

et là aux Antilles et ailleurs dans l'Amérique tropicale, mais


beaucoup moins qu'en Asie ou en Afrique, et sans la moindre
indication d'une origine américaine.
Dans les pays où l'espèce est spontanée, il y a des noms vul-
gaires, quelquefois très anciens, qui diffèrent complètement les
uns des autres, ce qui confirme une origine locale. Ainsi le
nom sanscrit est Kuchoo (prononcez Koutschou), qui subsiste
dans les langues modernes de l'Inde, par exemple dans le
bengali1. A Ceylan, la plante sauvage se nomme Gahala, la
plante cultivée Kandalla Les noms malais sont Kelady 3
Tallus, l'allas, Tales ou Talaes 4, duquel vient peut-être le nom
si connu des 0-taïtiens et Novo-Zélandais de Tallo ou Tarro s,
aux îles Fidji Dalo 6. Les Japonais ont un nom tout à fait distinct,
Imo 7, qui montre une existence très ancienne, soit originelle
soit de culture.
Les botanistes européens ont connu la Colocase d'abord par
l'Egypte, où elle est cultivée depuis un temps qui n'est peut-être
pas très reculé. Les monuments des anciens Egyptiens n'en
ont fourni aucun indice, mais Pline 8 en a parlé sous le nom
A'Arwn JEgyptium* Prosper Alpin l'avait vue dans le xvie siècle
et en parle longuement °. Il dit que le nom dans le pays est
Culcas, qu'il faut prononcer Coulcas, et que Delile10a écrit Qolkas
et Koulkas. On aperçoit dans ce nom arabe des Egyptiens
quelque analogie avec le sanscrit Koutsehou,, ce qui appuie
l'hypothèse, assez probable, d'une introduction de l'Inde ou de
Ceylan. De L'Ecluse avait vu la plante cultivée en Portugal,
comme venant d'Afrique, sous le nom Alcoleaz. évidemment
d'origine arabe. Dans quelques localités du midi de l'Italie où
l'espèce a été naturalisée, elle se nomme Aro di Egitto, selon
Parlatore la.
Le nom Colocasia donné par les Grecs à une plante dont la
racine était employée par les Egyptiens peut venir évidemment
de Colcas, mais par transposition à une autre plante que le vrai
Colcas. En effet, Dioscoride l'applique à la Fève d'Egypte ou
Nelumbium I3, qui a une grosse racine ou plutôt un rhizome,
dans le sens botanique, assez filandreux et mauvais à manger.
i. Roxburgh,l. c.
2. Thwaites,l. c.
3. Rumphius,l. c.
4. Miquel,Sumatra, p. 23S Hasskarl,Catal. liarti Logor.aller, p. L'S.
5. Forster, l. c.
6. Seemann,Z.c.
7. Franchetet Savatier, l. c.
8. Pline, Hist.,1. 19, c. o.
9. Alpinus,Hist. Mgypt. naluralis,ed. 2, vol. 1, p. 1G6 2, p. if2.
10.Delile,Flora Egygt.HL,p. 28.Dela Colocasedesanciens,br. in-S,ISiG.
11. Clusius,Historia,2, p. 75.
12.Parlatore,FI. ital., 2, p. 255.
13. ProsperAlpinus,l. c; Columna;DelileAnn.duMus.,1, p. £l$,Dela
olocasedes anciens Reynier,Economiedes Eg?jplietis, p. 321.
60 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

Les deux plantes sont très différentes, surtout par la fleur.


L'une est une Aracée, l'autre une Nymphéacée; l'une est de la
classe des Monocotylédones l'autre des Dicotylédones. Le
Nelumbium, originaire de l'Inde, a cessé de vivre en Egypte, tandis
modernes s'est conservée. S'il y a
que la Colocase des botanistes
eu confusion chez les auteurs grecs, comme cela paratt probable,
il faut l'expliquer par le fait que le Colcas fleurit rarement, du
moins en Egypte. Au point de vue de la nomenclature bota-
sur les
nique il importe peu qu'on se soit trompé jadis les nomsplantesscien-
qui devaient s'appeler Colocase. Heureusement,
sur les définitions douteuses
tifiques modernes ne s'appuient pas
des anciens, et il suffit de dire aujourd'hui, si l'on tient aux
de Colcas, à la suite d'une
étymologies, que Colocasia vient
erreur.

Alocase à grande racine. Alocasia macrorrhiza Schott.


Arum maerorrhizum, Linné (FI. Zeyl., 327).
Cette Aracée, que Schott rapportait tantôt au genre Colocasia
et tantôt à l'Alocasia, et dont la synonymie est bien plus com-
les noms ci-dessus1, est
pliquée qu'il ne semble d'aprèsla Colocaseindiqués
cultivée moins souvent que ordinaire, mais de la
même façon et à peu près dans les mêmes pays. Ses rhizomes
Ils ont une saveur âcre bien
atteignent la longueur d'un bras.
de faire disparaître au moyen
prononcée, qu'il est indispensable
de la cuisson. j. »i j
la nomment et ceux des îles des
Les indigènes d'0-Taïti Apé
Amis Kappe 2. A Ceylan, le nom vulgaire est Rabara, d'après
Thwaites Elle a d'autres noms dans l'archipel indien, ce qui
fait présumer une existence plus ancienne que les peuples
actuels de ces régions. ~n
La plante paraît sauvage surtout dans l'île dO-faiti 4. Elle
l'est aussi à Ceylan, d'après M. Thwaites, qui a herborisé long-
encore dans llnde et même
temps dans cette île. On t'indique la
en Australie s, mais sans affirmer qualité de plante sauvage,
une espèce cultivée au bord des
toujours difficile à établir pour
ruisseaux et qui se propage par caïeux. En outre, elle est quel-
Colocasia indica Kunth, qui végète de
quefois confondue avec le
la même manière, qu'on trouve çà et là dans les cultures, et qui
se voit, spontanée ou naturalisée, dans les fossés ou les ruis-
seaux de l'Asie méridionale, sans que son histoire soit encore
bien connue.

1. Voir Engler, dans nos MonographiePhanerogarum,2, p. E(U.


2. Forster, Deplantis esculentisinsidarumOceamauslrans,p. 58.
3. Thwaites,Enum.plant. Zeyl.,336.
4. Nadeaud,Enum.desplantesindigènes,p. 40.
5. Engler, l. c.
6. Bentham,Flora austrcu.,8,p. 155.
IGNAMES 61

Konjak. – Amorphophallus Konjak, C. Koch. Amorpho-


phallus Mivieri, du Rieu, var. Konjak, Engler
Le Konjak, cultivé en grand par les Japonais, et sur lequel
le Dr Vidal a donné des détails agricoles très complets dans le
Bulletin de la Société d'acclimatation de juillet 1877, est une
plante bulbeuse de la famille des Aracées. Elle est considérée par
M. Engler comme une variété de l'Amorphophallus Rivieri, de
Cochinchine, dont les journaux d'horticulture ont donné plusieurs
figures depuis quelques années s. On peut la cultiver dans le
midi de l'Europe, à la manière des Dahlias, comme une sorte de
curiosité; mais, pour apprécier la valeur comestible des bulbes,
il faudrait leur faire subir la préparation au lait de chaux, usitée
par les Japonais, et s'assurer du produit en fécule pour une
surface donnée.
M. Vidal n'a pas de preuve que la plante du Japon soit sau-
vage dans le pays. Il le suppose d'après le sens du nom vulgaire,
qui est, dit-il, Konniyakou ou Yamagonniyakou, Yanza signi-
fiant montagne. MM. Franchet et Savatier 6 n'ont vu la plante
que dans les jardins. La forme cochinchinoise, qu'on croit de la
même espèce, est venue par les jardins, sans qu'on puisse affir-
mer qu'elle soit sauvage dans le pays.

Ignames. Dioscorea sativa, D. Batatas, D. japonica et


D. alata.
Les Ignames, plantes monocotylédones, de la famille des
Dioscorées, constituent le genre Dioscorea, dont les botanistes
ont décrit à peu près deux cents espèces, répandues dans tous les
pays intertropicaux ou subtropicaux. Elles ont ordinairement
des rhizomes, c'est-à-dire des tiges ou ramifications de tiges sou-
terraines, plus ou moins charnues, qui grossissent quand la
partie aérienne et annuelle de la plante est près de finir 4. Plu-
sieurs espèces sont cultivées en divers pays pour ces rhizomes
farineux, qu'on mange cuits, comme les pommes de terre.
La distinction botanique des espèces a toujours offert des diffi-
cultés, parce que les fleurs mâles et femelles sont sur des indi-
vidus différents et que les caractères à tirer des rhizomes et du
bas des tiges aériennes ne se voient pas dans les herbiers. Le
dernier travail d'ensemble est celui de Kunth 5, qui date de 1850.
Il devrait être revu, à cause des nombreux échantillons rapportés
par les voyageurs depuis quelques années. Heureusement, lors-

i. Engler, dans DC. Monogr. Phaner., vol. 2, p. 313.


2. Gardener's Chronicle, 1873, p. 610 Flore des serres et jardins, t. 195
1959 Hooker, Bot. mag., t. 6195.
3. Franchet et Savatier, Enum. plant. Japomse, 2, p. 7.
4. M. Sagot, Bull. de la Soc. bot. de France, 1871, p 306, a très bien
décrit la manière de végéter et la culture des ignames, telle qu'il les a obser-
vées à Cayenne.
5. Kunth, Enumeratio, vol. 5.
62 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

qu'il s'agit de l'origine des espèces cultivées, certaines considéra-


tions historiques et linguistiques peuvent guider, sans qu'il soit
absolument besoin de connaître et d'apprécier les caractères bo-
taniques de chacune.
Roxburgh énumère plusieurs Dioscoreas cultivésdans l'Inde,
mais il n'en a trouvé aucun à l'état sauvage, et ni lui ni Pid-
fait pré-
dington ne citent des noms sanscrits. Ce dernier point
sumer une culture peu ancienne, ou jadis peu répandue dans
l'Inde, provenant soit d'espèces indigènes encore mal définies,
soit d'espèces étrangères cultivées ailleurs. Le nom générique
nom
bengali et hindou est Aloo (prononcez Alou), précédé d'un
Kam Aloo,.
spécial pour chaque variété ou espèce, par exemple
pour Dioscorea alata. L'absence de noms distincts dans chaque
province fait encore présumer une culture peu ancienne. A Ceylan
M. Thwaites 3 indique six espèces spontanées, et il ajoute que
les Dioseoiea sativa L., D. aluta L., et D. purpurea Roxb. sont
cultivés dans les jardins, mais non sauvages.
II Igname de Chine, Dioscorea Batatas de Decaisne cultivé
en grand par les Chinois, sous le nom de Sain-In et introduit
par M. de Montigny dans les jardins d'Europe, où il reste comme
un légume de luxe, n'a pas été trouvé sauvage en Chine jusqu'à
présent. D'autres espèces moins connues sont aussi cultivées
par IesChinois, en particulier le Ckott-Yu, Tou-Tcfiou, Ckan-Yu,a
mentionné dans leurs anciens ouvrages d'agriculture et qui
des rhizomes sphériques (au lieu des fuseaux pyriformes du
D. Batatas). Les noms signifient, d'après Stanislas Julien, Arum
de montagne, par où l'on peut inférerune plante véritablement du
pays. Le Dr Bretschneider indique trois Dioscoreas comme
cultivés en Chine (Dioscorea Batatas, alata, sativa), et il ajoute
a Le Dioscorea est indigèneen Chine, car il est mentionné dans le
plus ancien ouvrage de matière médicale, celui de l'empereur
Schen-nung. »
Le Dioscorea japonica, Thunberg, cultivé au Japon, a été ré-
colté aussi dans les taillis de localités diverses, sans qu'on sache
positivement, disent MM. Franchet et Savatier °, jusqu'à quel
point il est indigène ou répandu par un effet de la culture. Une
autre espèce, plus souvent cultivée au Japon, se propage çà et
là dans la campagne, d'après les mêmes auteurs. Ils la rappor-
tent au Dioscorea sativa de Linné, mais on sait que l'illustre
Suédois avait confondu plusieurs espèces asiatiques et améri-
caines sous ce nom, qu'il faut ou abandonner, ou restreindre à
1. Cesont lesD. globosa,alata, rubella,furpurea,faseieulata,dontdeux
ou trois paraissentde simplesvariétés.
2. Piddington,Index.
3. Thwaites,Enum.plant. Zeylan,p. 326.
4. Decaisne,Histoireet culture de l'lgnarnede Chine,dans Revuehorti-
cole,1erjuillet et déc. 1853;Flore desserreset jardinsX, pï. 971. 12.
5. Bretschneider,Study and value of chinesebotanicalworlcs,p.
6. Franchetet Savatier,Enum.plant. ~apon~,2, p. 47.
IGNAMES 63

l'une des espèces de l'Archipel indien. Si l'on adopte ce dernier


parti, le vrai D. sativa serait la plante cultivée à Ceylan, dont
Linné avait eu connaissance, et que Thwaites nomme effective-
ment Dioseorea sativa, Linné. Divers auteurs admettent l'identité
de la plante de Ceylan avec d'autres cultivées au Malabar, à
Sumatra, à Java, aux Philippines, etc. Blume prétend que le
D. sativa L., auquel il attribue la planche 51 de Rheede (Ma-
labar, vol. 8), croîtdans les lieux humides des montagnes de Java
et du Malabar. Il faudrait, pour ajouter foi à ces assertions, que
la question de l'espèce eût été étudiée soigneusement, d'après des
échantillons authentiques.
L'Igname la plus généralement cultivée dans les îles de la mer
Pacifique, sous le nom de Ubi (prononcez Qubi), est le Dioseorea
alata de Linné. Les auteurs des xvue et xviir siècles en parlent
comme étant très répandue à Taïti, à la Nouvelle-Guinée, aux
Moluques, etc. a. On en distingue plusieurs variétés, suivant la
forme des rhizomes. Personne ne prétend avoir trouvé cette
espèce à l'état sauvage, mais la flore des îles d'où elle est proba-
blement originaire, en particulier celle des Célèbes, de la Nouvelie-
Guinée, etc., est encore peu connue.
Transportons-nous en Amérique. Là aussi, plusieurs espèces
de ce genre croissent spontanément, par exemple au Brésil, dans
la Guyane, etc., mais il semble que les formes cultivées ont été
plutôt introduites. En effet, les auteurs indiquent peu de variétés
ou espèces cultivées (Plumier une, Sloane deux), et peu de noms
vulgaires. Le plus répandu est Yam, Igname ou Inhame, qui
est d'origine africaine, suivant Hugues, ainsi que la plante cul-
tivée de son temps aux Barbades 3.
Le mot Yam, d'après lui, signifie manger, dans les idiomes de
plusieurs des nègres de la côte de Guinée. Il est vrai que deux
voyageurs plus rapprochés de la découverte de l'Amérique, cités
par M. de Humboldt auraient entendu prononcer le nom
d'Igname sur le continent américain Vespucci, en i497, sur la
côte de Paria; Cabral, en 1300, au Brésil. D'après celui-ci, le
nom s'appliquait à une racine dont on faisait du pain, ce qui
conviendrait mieux au Manioc et me fait craindre une erreur,
d'autant plus qu'un passage de Yespucci, cité ailleurs par M. de
Humboldt 6, montre la confusion qu'il faisait entre le Manioc6 et
l'Igname. Le D. CEffartiana Lam. croît sauvage au Pérou et
au Brésil 7, mais il ne m'est pas prouvé qu'on le cultive. Presl

1. Blume,Eman.plant. Javx, p. 22.


2. Forster, Plant. esculent.,p. 56; Rumphius,Amboin.,vol. 5, pl. 120,
i21, etc.
3. Hughes,Hist.nat. Barb., p. 226et 1750.
4. DeHumboldt,Nouv.Esp., 28éd., vol. 2, p. 468.
5. De Humboldt,ibid., p. 403.
6. Hsenke,dans Presl,Rel.,p. 133.
7. Martius,Florabrasiliemis, V, p. 43.
64 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

dit « verosimiliter colitur », et le Jelora brasiliensis ne parle pas


de culture.
Dans la Guyane française, d'après le IF Sagot 1, on cultive
surtout le Discorea trilaba Lam, appelé Igname indien, qui est
répandu aussi au Brésil et aux Antilles. Le nom vulgaire fait
présumer une origine du pays, tandis qu'une autre espèce, D.
Cayennensis Kunth, aussi cultivée à la Guyane, mais sous le nom
d'Igname pays-nègre, aurait été plutôt apportée d'Afrique, opi-
nion d'autant plus vraisemblable que sir W. Hooker assimile
au D. Cayennensis l'Igname cultivée en Afrique au bord du
Nun et du Quorra 2. Enfin l'Igname franche de la Guyane est.
selon M. Sagot, le D. alata, introduit de l'archipel malais et de
l'Océanie.
En Afrique, il y a moins de Dioscoreas indigènes qu'en Asie ou.
en Amérique, et la culture des Ignames est moins répandue. Sur
la côte occidentale, on ne cultive qu'une ou deux espèces d'après
Thonning 3. Lockhard, au Congo, n'en avait vu qu'une et dans
un seul endroit Pour l'île Maurice, Bojer 6 énumèra 4 espèces
cultivées, qu'il dit originaires d'Asie, et une, le D. bulbifera Lam.,
qui serait de l'Inde, si le nom est exact. ll prétend qu'elle est venue
de Madagascar et s'est répandue dans les forêts, hors des plan-
tations. A Maurice, elle porte le nom de Combare-marron. Or
Cambare se rapproche assez du nom indien Kam, et marron
indique une plante échappée des cultures. Les anciens Egyptiens
ne cultivaient pas d'Ignames, ce qui fait présumer une culture
moins ancienne dans l'Inde que celle de la Colocase. Forskal et
Delile ne mentionnent pas d'Ignames cultivées en Egypte à l'épo-
que moderne.
En résumé, plusieurs Dioseoreas sauvages en Asie (surtout dans
l'archipel asiatique) et d'autres, moins nombreux, croissant en
Amérique et en Afrique, ont été introduits,dans les cultures comme
plantes alimentaires, à des époques probablement moins reculées
que beaucoup d'autres espèces. Cette dernière conjecture repose
sur l'absence de nom sanscrit, sur la faible extension géogra-
phique des cultures et la date, qui ne paraît pas très ancienne,
des habitants des îles de la mer Pacifique.

Arrow-root. Maranta arundinacea, Linné.


Plante de la famille des Scitaminées, voisine du genre Canna,
dont les drageons souterrains 6 produisent l'excellente fécule
appelée arrow-root. On la cultive aux Antilles et dans plusieurs
autres pays intertropicaux de l'Amérique continentale. Elle a

i. Sagot,Bull.Soc.bot. France,1871,p. 305.


2. Hooker,Floranigrit., p. 53.
3. Thonning,Plantx guineenses, p. 447.
4. Brown,Congo,p. 49.
5. Bojer,Horhismauntianus.
6. Voirla descriptionde Tussac,Flore des Antilles,i, p. 183.
ARROW-ROOT 65

été introduite aussi dans l'ancien monde, par exemple sur la


côte de Guinée 4.
Le Maranta arundinacea est certainement américain. D'après
les indications de Sloane 2, il avait été apporté de la Dominique
aux Barbades et de là à la Jamaïque, ce qui fait présumer qu'il
n'est pas originaire des Antilles. Le dernier auteur qui ait étudié
le genre Maranta, KOrnicke 3, a vu plusieurs échantillons re-
cueillis à la Guadeloupe, à Saint-Thomas, au Mexique, dans
l'Amérique centrale, à la Guyane et au Brésil; mais il ne s'est
pas occupé de savoir s'ils venaient de plantes spontanées, culti-
vé.es ou naturalisées. Les collecteurs ne l'indiquent presque
jamais, et l'on manque pour le continent américain, excepté
pour les Etats-Unis, de flores locales et surtout de tlores faites
par des botanistes ayant résidé dans le pays. D'après les ou-
vrages publiés, je vois l'espèce indiquée comme cultivée 4, ou
venant dans les plantations 6, ou sans aucune explication. Une
localité du Brésil, dans la province peu habitée de Matto
grosso, citée
6 par Kôrnieke, fait présumer l'absence de culture.
Seemann indique l'espèce dans les endroits exposés au soleil
près de Panama.
On cultive aussi aux Antilles une espèce, Maranta indica, que
Tussac dit avoir été apportée de l'Inde orientale. Kornicke lui
rapporte le M. ramosissima de Wallich, trouvé à Sillet, dans
l'Inde, et pense que c'est une variété du M. arundinacea. Sur
trente-six espèces plus ou moins connues du genre Maranta, une
trentaine au moins sont d'Amérique. Il est donc assez impro-
bable que deux ou trois autres soient asiatiques. Jusqu'à ce que
la Flore de l'Inde anglaise de sir J. Hooker soit achevée, ces ques-
tions sur les espèces de scitaminées et leurs origines seront très
obscures.
Les Anglo-Indiens tirent de l'arrow-root d'une autre plante de
la même famille qui croît dans les forêts du Deccan et au Ma-
labar, le Curcuma angustifolia Roxburgh 7. Je ne sais si on la
cultive.

1. Hooker,Nigerflora, p. 531.
2. Sloane, Jamaïca,1707,vol. 1, p. 234.
3. DansBull.Soc.des natur. de Moscou,1862,vol. 1, p. 34.
4. Aublet, Guyane,1, p. 3.
5. Meyer,Flora Essequebo.,p. 11.
6. Seemann,Boianyof Herald,p. 213.
7. Roxhurgh, Fl. indica, 1, p. 31 Porter, The tropical agriculturistf
p. 241;Ainslies,Materiarzedica,1, p. 19.

DE Candoize. 5
CHAPITRE II

PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU LEURS FEUILLES

Article 1. – Légumes.

Chou ordinaire. Brassica oleracea, Linné.


Le Chou, tel qu'il est figuré dans ÏEnglish botany, t. 637, le
Flora Danica, t. 2Q56,et ailleurs, se trouve sur les rochers du
bord de la mer 1° dans l'île de Laland en Danemark, l'île
Heligoland, le midi de l'Angleterre et de l'Irlande, la Nor-
mandie, les îles de Jersey et Guernesey et la Charente-Infé-
rieure •; 2° sur la côte septentrionale de la Méditerranée,
près de Nice, Gênes et Lucques 2. Un voyageur du siècle der-
nier, Sibthorp, disait l'avoir trouvé au mont Athos, mais aucun
botaniste moderne ne l'a confirmé, et l'espèce paraît étrangère
à la Grèce, aux bords de la mer Caspienne, de même qu'à
la Sibérie, où Pallas disait jadis l'avoir vue, et à la Perse 3.
Non seulement les nombreux voyageurs qui ont exploré ces
pay; ne l'ont pas trouvée, mais les hivers paraissent trop
rigoureux pour elle dans l'Europe orientale et la Sibérie. La
distribution sur des points assez isolés, et dans deux régions
différentes de l'Europe, peut faire soupçonner ou que des pieds
en apparence indigènes seraient le résultat, dans plusieurs cas,
d'une dissémination provenant des cultures 4, ou que l'espèce
aurait été autrefois plus commune et tendrait à disparaître. La

1' Fries, Summa,p. 29 Nylander,Conspectus, p. 46 Bentham,Iiandb.


brit. flora, ed. 4 p. 40 Maekay,Fl. Mbern, p. 28; Brebisson,Florede
Normandie,éd. 2, p. 18; Babington,
0 Primilùe h. sarnias, 8; Clavaud,
Flore de la Gironde,I, p.G8.
2. Bertoloni,Fl. ital., 7, p. 146 Nylander,l. c.
3. Ledebour,Fl. ross.; Grisebach,Spicileyium.fl. rumel; Boissier, Fl.
or., etc.
4. Watson, si attentif aux questions de ce genre, doute de l'indigénat
en Angleterre {Compendium of tke Cybele,p. 103),mais la plupart des
auteurs de floresbritanniquesl'admettent.
LÉGUMES. CHOU ORDINAIRE 67

présence dans les îles de l'Europe occidentale est favorable à


cette dernière hypothèse, mais l'absence dans celles de la mer
Méditerranée lui est contraire'.
Voyons si les données historiques et linguistiques ajoutent
quelque chose aux faits de la géographie botanique.
Et d'abord c'est en Europe que les variétés innombrables de
choux se sont formées 2, principalement depuis les anciens
Grecs. Théophraste en distinguait trois, Pline un nombre dou-
ble, Tournefort une vingtaine, de Candolle plus de trente. Ce
n'est pas d'Orient que sont venues ces modifications, nouvel
indice d'une ancienne culture en Europe et d'une origine euro-
péenne.
Les noms vulgaires sont également nombreux dans les lan-
gues européennes et rares ou modernes dans les asiatiques.
Sans répéter une foule de noms que j'ai cités autrefois 3, je dirai
qu'en Europe ils se rattachent à quatre on cinq racines dis-
tinctes et anciennes
Kap ou Kab, dans plusieurs noms celtiques et slaves. Notre
nom i'rançais Cabus en dérive. L'origine est évidemment la même
que pour Caput, à cause de la forme en tête du chou.
Caul, Kohl, de plusieurs langues latines (Caulis, signifiant
tige et chou), germaniques (Ckôli en ancien allemand, Kohi en
allemand moderne, Kaal en danois) et celtiques (Cal en irlan-
dais, Kaol et Kolen breton) 5
Bresic Bfesych, Brassic, des langues celtiques et latines
(Brassica), d'où probablement Berza et Verza des Espagnols et
Portugais, Varza des Roumains 6. 7
Aza, des Basques (Ibères), que M. de Charencey regarde
comme propre à la langue euskarienne, mais qui diffère peu
des précédents.
Krambai, Crambe, des Grecs et des Latins.
La variété des noms dans les langues celtiques concorde avec
l'existence de l'espèce sur les côtes occidentales d'Europe. Si les
Aryens Celtes avaient apporté la plante d'Asie, ils n'auraient
probablement pas inventé des noms tirés de trois sources diffé-
rentes. Il est aisé d'admettre, au contraire, que les peuples
aryens, voyant le Chou indigène et peut-être employé déjà en

i. Les Brassicabalearicaet Br. cretica sont vivaces, presque ligneux,


non bisannuels.On s'accordeles séparer du Br. oleracea.
2. Auii.Pyr. de CandolEea publié, sur les divisionset subdivisionsdu
Bronsicâoleracea, un mémoire spécial (Transactionsof the hortie. Soc.,
vol. iî, traduiten allemand, et en français dans la Jîibl. uràv. agricu.lt.,
vol.S), qui est souventcité commeun modèleduns ce genre.
3. Alph. de Candolle,Géogr.tôt. raisonné',p. S:J9.
4. A<i.Pictet, Le.ioriginesindo-eurO/iëeruies,éd. 2, vol. 1, p. 380.
l
5. Alph. de Candolle, c.; . Ad. Pictet, l. c.
6. Bramiza,Prodr. fl romane,p. 122.
7. De Chareneey,Recherches sur les noms basques,dans Actesde la So-
ciétéphilologique,1ermars 1869.
68 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

Europe par les Ibères ou les Ligures, ont crée des noms ou sa
sont servis de ceux des peuples plus anciens dans le pays.
Les philologues ont rattaché le Iframbai des Grecs au nom
persan Karamb, Karam, ifalam, kourde Kalam, arménien Ga-
ghamb 1; d'autres à une racine de la langue mère supposée des
Aryens, mais ils ne s'accordent pas sur les détails. Selon Fick !T
Karambha, dans la langue primitive indo-germanique, signifie
« Gemüsepflanze (légume), Kohl (chou), Karambha voulant dire
tige, comme caulis. » Il ajoute que Karambha en sanscrit est le
nom de deux légumes. Les auteurs anglo-indiens ne citent pas
ce nom prétendu sanscrit, mais seulement un nom des langues
modernes de l'Inde, Kopee 3. Ad. Pictet, de son côté, parle du
mot sanscrit Ralamba, « tige de légume, appliqué au chou. »
J'ai beaucoup de peine, je l'avoue, à admettre ces étymologies
orientales du mot gréco-ïatin Crambe. Le sens du mot sanscrit
est très douteux (si le mot existe), et, quant au mot persan, il
faudrait savoir s'il est ancien. J'en doute, car, si le chou avait
existé dans l'ancienne Perse, les Hébreux l'auraient connu4.
Par tous ces motifs, l'espèce me paraît originaire d'Europe.
La date de sa culture est probablement très ancienne, anté-
rieure aux invasions aryennes, mais on a commencé sans doute
par récolter la plante sauvage avant de la cultiver.

Cresson alénois. – Lepidium sativum, Linné.


Cette petite Crucifère, usitée aujourd'hui comme salade, était
recherchée dans les temps anciens pour certaines propriétés des
graines. Quelques auteurs pensent qu'elle répond un Car-
damon de Dioscoride; tandis que d'autres appliquent ce nom à
l'Erucaria aleppica5. En l'absence de description suffisante, le
nom vulgaire actuel étant Cardamon 6, la première des deux
suppositions est vraisemblable.
La culture- de l'espèce doit remonter à des temps anciens et
s'être beaucoup répandue, car il existe des noms très différents:
en arabe Reschad, en persan Turehlezuk7, en albanais, langue
dérivée des Pelasges, Dieges 8,sans parler de noms tirés de l'ana-
logie de goût avec le cresson (Nasturtium officinale). Il y a des
noms très distincts en hindoustani et bengali, mais on n'en con-
naît pas en sanscrit 9.
Aujourd'hui, la plante est cultivée en Europe, dans l'Afrique

1. Ad. Pictet.l. c.
2. Fick, Vbrterb.d. indo-germ.Sprachen,p. 34.
3. Piddington,Index Ainslies,Mat.mëd.ïnd.
4. Roseninûller,Bibl.Alterk.,ne cite aucun nom.
5. VoirFraas,Syn.fl. class.,p. 120,124;Lenz,Bot.d. Allen,p. 617.
6. Sibthorp,Prodr.fl. graec, 2,p. 6;Heldreich,Nutzpfl.Griechenl.,p. 47.»
7. Ainslies,Mat.méd.ind., 1, p. 95.
8. Heldreich,l. c.
9. Piddington,Index; Ainslies,l. c.
LÉGUMES. CRESSON. POURPIER 69

l'Inde et ailleurs; mais, a ou


septentrionale, l'Asie occidentale,
est-elle originaire ? C'est assez obscur.
Je possède plusieurs échantillons recueillis dans l'Inde, où sir
J. Hookerl ne regarde pas l'espèce comme indigène. Kotschy l'a
L'éti-
rapportée de l'île Karek ou Karrak du golfe Persique.
cultivée. M. Boissier en
quette ne dit pas que ce fût une planteet il mentionne ensuite des
parle, sans ajouter aucune réflexion,
échantillons d'Ispahan et d'iîgypte recueillis dans les cultures.
Olivier est cité pour avoir vu le Cresson alénois en Perse, mais
on ne dit pas si c'était à l'état vraiment spontané 3. On répète
dans les livres que Sibthorp l'a trouvé dans l'île de Chypre, et,
voit que estait dans les
quand on remonte à son ouvrage, on
champs 4. Poech ne l'a pas mentionné à Chypre '•>.Unger et
et Kotschy ° ne le disent pas spontané dans cette île. D'après
Ledebour 7, Koch l'a trouvé autour du couvent du Mont Ararat,
Pallas près de Sarepta, Falk au bord de l'Oka, affluent du Volga;
enfin H. Martius l'a cité dans sa flore de Moscou; mais on n'a
ces diverses localités.
pas de preuves de la spontanéité dans
Lindemann 8, en 1860, ne comptait pas l'espèce parmi celles
de Russie, et, pour la Crimée, il l'indique seulement comme
cultivée 9. D'après Nyman10, le botaniste Schur l'aurait trouvée
flores de l'Autriche-
sauvage en Transylvanie, tandis que les ou croissant
Hongrie ne citent pas l'ospèce, ou la disent cultivée
dans les terrains cultivés.
Je suis porté à croire, d'après l'ensemble de ces données plus
ou moins douteuses, que la plante est originaire de Perse, d'où
elle a pu se répandre, après l'époque du sanscrit, dans les jar-
dins de l'Inde, de la Syrie, de la Grèce, de l'Egypte et jusqu'en
Abyssinie 11.

Pourpier. Portulaca oleracea, Linné.


Le pourpier est une des plantes potagères les plus répandues
dans l'ancien monde, depuis des temps très reculés. On l'a
se naturalise, comme en
transportée en Amérique, où elle au bord des che-
Europe, dans les jardins, les décombres, offi-
mins, etc. C'est un légume plus ou moins usité, une plante les
cinale et en même temps une excellente nourriture pour
porcs.
1. Hooker,Fl. brit. India, 1, p. 160.
2. Boissier.Fl. orient., vol.L
3. De Candolle,Syst., 2. p. 533.
4. Sihthorp et Smith, Prodr. fl. gnsca:,2, p. 6.
5. Poech, linum.plant. Cypri, 1842.
6. Ungeret Kotschy,Inseln Cypern,p. 331.
1. Ledebour,F. ross.,1, p. ~03.
8. Lindemann,Indexplant. in Ross.,Bull.Soc. nat. Mosc,1860,vol. 33.
9. Lindemann,Prodr.fl. Cherson.p. 21.
10. Nyman, Conspectus fl. europ., 1878,p. 65.
11.Schwemfurtli,Beitr. fl. jEUi.,p. 270.
70 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS TIGES OU FEUILLES

On lui connaît un nom sanscrit, Lonica ou Lounia, qui se re-


trouve dans les langues modernes de l'Inde 1. Les noms grec
Andrackne et latin Portulaca sont tout autres, de même que le
groupe des noms Choha en persan, Khursa ou Koursa en hin-
doustani, Kourfa Kara-or en arabe, en tartare, qui paraissent
l'origine de Kurza-noga en polonais, Kiirj-noha en bohème,
Kreusel en allemand, sans parler du nom Schrucha des Russes
et de quelques autres de l'Asie orientale 2. Il n'est pas néces-
saire d'être linguiste pour voir certaines dérivations dans ces
noms, indiquant que les peuples asiatiques dans leurs migra-
tions diverses ont transporté leurs noms de la plante; mais cela
ne prouve pas qu'ils l'aient transportée elle-même. Ils peuvent
l'avoir reconnue dans les pays où ils arrivaient. D'un autre côte
l'existence de trois ou quatre racines différentes fait présumer
que des peuples européens antérieurs aux migrations des Asia-
tiques avaient déjà des noms pour l'espèce, et que celle-ci, par
conséquent, est très ancienne en Europe comme en Asie.
L'état cultivé, naturalisé autour des cultures ou spontané est
bien difficile à connaître pour une plante si répandue et qui se
propage facilement au moyen de ses petites graines, en nombre
immense.
A l'est du continent asiatique, elle ne paraît pas aussi ancienne
que dans l'ouest, et jamais les auteurs ne disent que ce soit une
plante spontanée 3. Dans l'Inde, c'est bien différent. SirJ. Hooker
dit 4 Croissant dans l'Inde jusqu'à 5000 p. dans l'Himalaya. Il
indique aussi dans le nord-ouest de l'Inde la variété à tige
dressée qu'on cultive, avec l'ordinaire, en Europe. Je ne trouve
rien de positif sur les localités de Perse, mais on en mentionne
de si nombreuses et dans des pays si peu cultivés, sur les bords
de la mer Caspienne, autour du Caucase, et même dans la Russie
méridionale 5, qu'il est difficile de ne pas admettre l'indigénat
dans cette région centrale d'où les peuples asiatiques ont envahi
l'Europe. En Grèce, la plante est spontanée aussi bien que cul-
tivée e. Plus loin, vers l'ouest, en Italie, etc., on recommence à
trouver dans les flores pour toute indication les champs, les
jardins, les décombres et autres stations suspectes 7.
Ainsi les documents linguistiques et botaniques concourent à
faire regarder l'espèce comme originaire de toute la région qui
s'étend de l'Himalaya occidental à la Russieméridionale et laGrèce.

1. Piddington,Index to indian plants.


2. Nemnich,Polygl.LexiconNatwgeseh.,2, p. 1047.
3. Loureiro,Fl. 'Coehinch. I, p. 359 Franchetet Savatier,Enum.ylant.
1,
Japon., p. 53; Bentham, F l. Hongkong,p. 127.
4. Hooker,FI. brit. Ind., 1, p. 240.
5. Ledebour, FI. ross., 2, p. 143. Lindemann,l'rodr. fl. Chevs.,p. 74,
dit In desertiset menons inter C/ier-onet Berislaiv>c>rcaOdessam.
6. Lenz,Bot.d. Alt., p. 632 Heldreich,FI. altisch. Ebcne,p. 483.
7. Bertol.,Fl. it., v. 5 Gussone,Fl. sic. vol. 1 Mûris-Fl. sard.v. 2;
Willkommet Lange,Prodr. fl. hisp. v. 3.
CÉLERI CERFEUIL 71
LÉGITIMES.

Tétragone étalée. Tetragonia expansa Murray.


Les Anglais appellent cette plante Epinard de la Nouvelle-Zé-
et cultivée
lande, parce qu'elle avait été rapportée de ce paysdu
du célèbre voyage
par sir Joseph Banks, lors capitaine
vue.
Cook C'est une plante singulière, sous deux points de
de la
D'abord elle est la seule espèce cultivée qui provienne
famille de
Nouvelle-Zélande; ensuite elle appartient à une
les Ficoïdes, dont aucune autre
plantes ordinairement charnues, 1 la recommandent,
espèce n'est employée. Les horticulteurs de
comme un légume annuel, dont le goût-est à peu près celui
la sécheresse et devient par
l'Epinard, mais qui supporte mieux défaut.
ce motif une ressource dans la saison où l'Epinard fait
Depuis le voyage de Cook, on l'a trouvée sauvage,à la
principale-
Nouvelle-Zé-
ment sur les côtes de la mer, non seulement
lande, mais en Tasmanie, dans le sud et l'ouest savoir de 1 Australie,
au Japon et dans l'Amérique australe 2. Reste à si, dans
elle est in-
ces dernières localités, elle n'est pas naturalisée, car
et au Chili 3.
diquée près des villes, au Japon

Céleri cultivé. Apium graveolens, Linné. Céleri


Comme beaucoup d'Ombellifères, des lieux humides, le
la Suède
sauvage a une habitation étendue. Il existe depuis
et en Asie depuis le
jusqu'à l'Algérie, l'Egypte, l'Abyssinie,
Caucase jusque dans le Belouchistan et les montagnes de 1 Inde
4.
Il en est question déjà dans l'Odyssée, sous le nom deSelinon,
>_dis-
et dans Théophraste; mais plus tard Dîoscoride et Pline
cultivé. Dans celui-ci, on
tinguent le Céleri sauvage et le Céleri
fait blanchir les feuilles, ce qui diminue beaucoup l'amertume.
L'ancienneté de la culture fait comprendre pourquoi les variétés
de 1 état
de jardin sont nombreuses. Une des plus différentes
naturel est le Céleri rave, dont la racine charnue se mange
cuite.

Cerfeuil. Scandix Cerefolium, Linné. Anthriscus Cere-


folium, Hoffmann.. i
II n'y a de cette petite Ombel-
pas longtemps que l'origine Comme
lifère, si commune dans nos jardins, était inconnue.

i. Bofanicalmagazine,t. 2362 Bonjardinier, 1880,p. 567.


2 Sir J. Hooker,Handbookof NewZealandflora, p. 84; Bentham,FI ta.
australiensis, 3, p. 327; Franchet et Savatier, Enum. plant. Japomie,
i, p. 177.
3. Cl. Gav, Florachilma, 2, p. 468.
4. Pries,"Summa veget. Scandinavie; Hunby, Catal. Alger., p. ai
Boissier,Floraorientait,2,.p. 856 Schweinfurth et Aschereon,Aufsahhmg,
Flora of brit. India, p. 679.
p. 272; Hooker,Mat. “. T
5. Dioscride, med., 1.3, c. 67,68; Pline,Hist.,1. 19,c. 7, S, Lenz,
Bot.d. alten Griechenund Rœmer,p. 557.
72 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS TIGES OU FEUILLES

beaucoup a espèces annuelles, on la voyait paraître dans les


décombres, les bords de haies, les terrains peu cultivés, et
l'on ne savait pas s'il fallait la regarder comme spontanée. Dans
l'Europe occidentale et méridionale, elle semble adventive, plus
ou moins naturalisée; mais, dans le sud-est de la Russie et dans
l'Asie occidentale tempérée, elle paraît spontanée. Steven 1 l'in-
a
dique dans « les bois de la Crimée, çà et là ». M. Boissier a reçu
plusieurs échantillons des provinces au midi du Caucase, de
Turcomanie et des montagnes de la Perse septentrionale, loca-
lités probablement naturelles de l'espèce. Elle manque aux
flores de l'Inde et de l'Asie orientale.
Les auteurs grecs n'en ont pas parlé. La première mention
chez les anciens est dans Columelle et Pline 3, c'est-à-dire au
commencement de l'ère chrétienne. On la cultivait. Pline l'ap-
pelle Cerefolium. Probablement l'espèce s'était introduite dans
le monde gréco-romain depuis Théophraste, c'est-à-dire dans le
laps des trois siècles qui ont précédé l'ère actuelle.;

Persil. Petroselinum sativum, Moench


Cette Ombellifère bisannuelle est sauvage dans le midi de
l'Europe, depuis l'Espagne jusqu'en Macédoine. On l'a trouvée
aussi à Tlemcen en Algérie et dans le Liban
Dioscoride et Pline en ont parlé sous le nom de Petroselinon
et Petroselinum, mais comme d'une plante sauvage et offici-
nale 5. Rien ne prouve qu'elle fût cultivée de leur temps.
Dans le moyen âge Charleniagne la comptait parmi les plantes
qu'il ordonnait de cultiver dans ses jardins 6. Olivier de Serres,
au XVIesiècle, cultivait le Persil. Les jardiniers anglais l'ont reçu
en 15487.
Quoique la culture ne soit pas ancienne et importante, il s'esc
produit déjà deux races, qu'on appellerait des espèces, si on les
voyait à l'état spontané le Persil à feuilles frisées et celui dont
la racine charnue est comestible.

Ache ou Maceron. Smyrnium Olus-atrum, Linné.


De toutes les Ombellifères servant de légumes, celle-ci a été
une des plus communes dans les jardins pendant environ quinze
siècles, et maintenant elle est abandonnée. On peut suivre ses
commencements et sa fin. Théophraste en parlait comme d'une
plante officinale sous le nom de Ipposelinon, mais trois cents ans
1. Steven, VerzeichnisstaurischenHalbinseln,p. 183.
2. Boissier,Flora orient.,2, p. 913.
3. Lenz,Botanikder alten Griechenund Hœmer,p. 572.
4. Munby,Catal.Alger.,ed. 2, p. 22; Boissier,Flora orientalis,2 p., 857.
5. Dioscorides,Mat.medica,1.3, c. 70 Pline,Hist., 1. 20, c. 12.
6. La liste de ces plantes est dans Meyer, Geschichteder Botanik,3,
p. 401.
7. Phillips,Companionto kil hengarden, 2, p. 35.
LÉGUMES. PERSIL. ACHE. MACHE. ARTICHAUT 73

plus tard Dioseoride 1 dit qu'on en mangeait la racine ou les


feuilles, à volonté, ce qui fait supposer une culture. Les'Latins
l'appelaient Olus-atrum, Charlemagne Olisatum, et il ordon-
nait d'en semer dans ses fermes 2. Les Italiens l'ont beaucoup
employée, sous le nom de Macerone 3. A la fin du xyiif siècle,
la tradition existait en Angleterre que cette plante était jadis
cultivée ensuite les horticulteurs anglais ou français n'en par-
lent plus
Le Smyrnium Olus-atrum est spontané dans toute l'Europe
méridionale, en Algérie, en Syrie et dans l'Asie Mineure s.

Mâche ou Doucette. Valerianella olitoria, Linné.


Cultivée fréquemment pour salade, cette plante annuelle, de
la famille des Valérianées, se trouve à l'état spontané dans toute
l'Europe tempérée jusqu'au 60e degré environ, dans l'Europe
méridionale, aux îles Canaries, Madère et Açores, dans le nord
de l'Afrique, l'Asie Mineure et les environs du Caucase G.Elle y
est souvent dans les terrains cultivés aux abords des viL-
lages, etc., ce qui rend assez difficile de savoir où elle existait
avant d'être cultivée. On la cite cependant, en Sardaigne et en
Sicile, dans les prés et pâturages de montagnes 7. Je soupçonne
qu'elle est originaire de ces îles seulement, et que partout ailleurs
elle est adventive ou naturalisée. Ce qui me le fait penser, c'est
qu'on n'a découvert chez les auteurs grecs ou latins aucun nom
qui paraisse pouvoir lui être attribué. On ne peut même citer,
d'une manière certaine, aucun botaniste du moyen âge ou du
xvi° siècle qui en ait parlé. Il n'en est pas question non plus
parmi les légumes usités en France au xvne siècle, d'après le
Jardinier français de 1651 et l'ouvrage de Laurenberg, Rorticul-
tura (Francfort, 1632). La culture et même l'emploi de cette
salade paraissent donc modernes, ce qui n'avait pas été re-
marqué.
Cardon. Cynara Cardunculus, Linné.
Artichaut. Cynara Scolymus, Linné. C. Cardunculus,
var. saliva, Moris.
Depuis longtemps, quelques botanistes ont émis l'idée que
1. Theophrastes,Hist., 1. 1, 9; 1. 2, 2; 1. 7, 6 Dioscorides,Mat. med.,
1. 3, c. 71.
2. E. Meyer,Geschichteder Botanik,3, p. 401.
3. Tar#ioni,Cennistorici,p. 58.
4. English botany,t. 230 Phillips,Companionto the kitchengarden; Le
bon jardinier.
5. Boissier,Flora orientalis,2, p. 927.
6. Krok, Monographie des Valerianella,Stockolm,1864,p. 88; Boissier,
Flora orient., 3, p. 104.
7. Bertoloni,Floraital., 1,p. 185;Moris,Florasardoa,2, p.-314; Gussone,
Synoosts*l. Siculse,ed. 2, vol. 1, p. 30.
74 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU .FEUILLES

l'artichaut est probablement une forme obtenue, par la cul-


ture, du Cardon sauvage 1. Aujourd'hui, de bonnes obser-
vations en ont donné la preuve. Moris 2, par exemple, ayant
cultivé, dans le jardin de Turin, la plante spontanée de -Sar-
daigneà côté de l'Artichaut, affirme qu'on ne pouvait plus les
distinguer par de véritables caractères. MM. Wilkomm et
Lange 3, qui ont bien observé, en Espagne, la plante spontanée
et l'Artichaut qu'on y cultive, ont la même opinion. D'ailleurs
l'Artichaut n'a pas été trouvé hors des jardins, et comme la
région de la Méditerranée, patrie de tous les Cynara, a été
explorée à fond, on peut affirmer qu'il n'existe nulle part spon-
tané.
Le Cardon dans lequel il faut comprendre le C. horrida, de
Sibthorp, est indigène à Madère et aux Camaries, dans les mon-
tagnes du Maroc près de Mogador, dans le midi et l'orient de
la péninsule ibérique, le midi de la France, de l'Italie, de la
Grèce et dans les îles de la mer Méditerranée, jusqu'à celle de
5 n'admet
Chypre 4. Munby pas le C. Cardunculiis comme
est
spontané en Algérie, mais bien le Cynara humilis Linné, qui
considéré par quelques auteurs comme une variété.
Le Cardon cultivé varie beaucoup au point de vue de la
division des feuilles, du nombre des épines et de la taille, diver-
sités qui indiquent une ancienne culture. Les Romains man-
geaient le réceptacle qui porte les fleurs, et les Italiens le man-
le
gent aussi sous le nom de girello. Les modernes cultivent
Cardon pour la partie charnue des feuilles, usage qui n'est pas
encore'introduit en Grèce 6.
L'Artichaut présente moins de variétés, ce qui appuie l'opinion
dans un
qu'il est une dérivation obtenue du Cardon. ïargioni
excellent article sur cette plante, raconte que l'Artichaut a été
apporté de Naples à Florence en 1466, et il prouve que les
anciens, même Athénée, ne connaissaient pas l'Artichaut, mais
seulement les Cardons sauvages et cultivés. Il faut citer cepen-
dant, comme indice d'ancienneté dans le nord _de l'Afrique, la
circonstance que les Berbères ont deux noms tout à fait particu-
liers pour les deux plantes Addad pour le Cardon, Taga pour
l'artichaut 8.
On croit que les Kactos, Kinara et Scolinzos des Grecs et le

1. Dodoens,Hist.plant., p. 724;.Linné,Species,p. 1139 de Candolle,


Prodromus,6, p. 620.
2. Moris,Flora sardoa,2, p. 61.
3. Willkommet Lange,Prodr. fl. hisp., 2, p. 180.
4. Wehb, Phyt. Canar., 3,sect. 2, p. 384 BaIl,Sic:'e:7<M!/?.,H<zMe'2
p. 524 Willkommet Lange, l. c. Bertoloni, fl. ital., 9 p. 86 Boissire,
fi. orient, 3, p. 357 Unger et Kotschy,I nseln Crjpeva,p. 246.
5. Muuby, Catal., ed. 2.
p. 27.
6. Heldreich, '\tttzjjflanzenGriechenland's,
7. Targioni,Cennislorici,p. 52. o
8. Dictionnairefrançais-beroèr"oublié par le gouvernement,1 vol.m-8.
LÉGUMES. LAITUE 75

Carduus des horticulteurs romains étaient le Cynara Cardun-


culus quoique la description la plus détaillée, celle des Théo-
croît en
phraste, soit assez confuse. « La plante, disait-il,
Sicile » ce qui est encore vrai; et il ajoutait « non en Grèce. » Il
est donc possible que les pieds observés de nos jours dans ce
le fait des cultures.
pays soient le résultat de naturalisations par
D'après Athénée le roi d'Egypte Ptolomée Euergètes, du
ne siècle avant Jésus-Christ, avait trouvé en Lybie une grande
quantité de Kïnara sauvages, dont ses soldats avaient profité.
naturelle de
Malgré la proximité de l'habitation l'espèce je
doute beaucoup que les anciens Egyptiens aient cultivé le Cardon
ou l'artichaut. Pickering et Unger 3 ont cru le reconnaître dans
quelques dessins des monuments; mais les deux figures que
extrê-
Unger regarde comme le plus admissibles me paraissent
mement douteuses. D'ailleurs on ne connaît aucun nom hébreu,
et les Juifs auraient probablement parlé de ce légume s'ils
l'avaient vu en Egypte. L'extension de l'espèce doit s'être faite
en Asie assez tardivement. Il y a unnom arabe, Hirschuff ou Ker-
schouffet un nom persan, Kunghir mais pas de nom sanscrit,
et les Hindous ont pris le nom persan Kunjir 5, ce qui montre
l'époque tardive de l'introduction. Les auteurs chinois n'ont
mentionné aucun Cynara a. En Angleterre, la culture de l'Arti-
chaut n'a été introduite qu'en 1548 7. L'un des faits les plus
curieux dans l'histoire du Cynara Cardunculus est sa naturali-
sation, dans le siècle actuel, sur une vaste étendue des pampas
de Buenos-Ayres, au point de gêner les communications 8. Il
devient incommode également au Chili 9. On ne dit pas que
l'Artichaut se naturalise de cette manière nulle part, ce qui est
encore l'indice d'une origine artificielle.

Laitue. Lactuca Scariola, var. sativa.


Les botanistes s'accordent à considérer la laitue cultivée
comme une modification de l'espèce sauvage appelée Lactuca
Scariola 1Q.

1. Theophrastes,Hid., 1. 6, c. 4 Pline, Hist., I. 19, c. 8 Lenz, lotanik


dei' alten Grieehenund Rœmer,p. 480.
2. Athénée,Deipn.,2, 84. ,<
3. Pickering, Chronol. arrangement,p. 71 Unger,Pflanzcndes alten
Mgyptens,p. 46,fig. 27et 28.
4. Ainslies,Mat. méd. ind., 1, p. 22.
5. Piddington,Index.
6. Bretschneider,Study, etc., et Lettresde 1881.
7. Philiips,Companionto the kitctiengm'den, p. 22.
du
Plantesremarq. Brésil,Introd.,p.JiS;Darwin,
8. Aug.de Saint-Hilaire,
Animalsctndplants under domestication, 2, p. 34.
9. CI.Gay, Flora ckilena,4, p..317.
10. L'autenr qui a examiné cette question avec le plus de soin est Bis-
choff,dans ses Beitràge zur flora Iteutschlandsund der Scliweis,p. 184.
Voir aussi Moris,FI. sardoa,2, p. 530.
76 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

Celle-ci croît dans l'Europe tempérée et méridionale, aux îles


Canaries et Madère en Algérie 2, en Abyssinie 3 et dans
l'Asieoccidentale tempérée. M. Boissier en cite des échantillons
de l'Arabie Pétrée jusqu'à la Mésopotamie et le Caucase 4. Il
mentionne une variété à feuilles crispées, par conséquent ana-
logue -à certaines laitues de nos jardins, que le voyageur
Hausknecht lui a apportée d'une montagne du Kurdistan. J'ai un
échantillon de Sibérie, près du fleuve Irtysch, et on sait main-
tenant d'une manière certaine que l'espèce croît dans l'Inde
septentrionale, du Cachemir au Nepaul 5. Dans tous ces pays,
elle est souvent près des cultures ou dans les décombres, mais
souvent aussi dans des rocailles, des taillis ou des prés, comme
une plante bien spontanée.
La laitue cultivée se sème fréquemment dans la campagne,
hors des jardins. Personne, à ma connaissance, ne l'a suivie
dans ce cas pendant quelques générations ou n'a essayé de
cultiver le L. Scariola sauvage, pour voir si le passage d'une
forme à l'autre est facile. Ils se pourrait que l'habitation pri-
mitive de l'espèce se fût étendue par la diffusion de laitues
cultivées faisant retour à la forme sauvage. Ce qui est connu,
c'est l'accroissement du nombre des variétés cultivées, depuis
environ 2000 ans. Théophraste en indiquait trois.8; Le Bon jar-
dinier, de 1880, une quarantaine, existant en France.
Les anciens Grecs et les Romains cultivaient la laitue, sur-
tout comme salade. En Orient, la culture remonte peut-être
à une époque plus ancienne. Cependant, d.'après les noms vul-
gaires originaux, soit en Asie, soit en Europe, il ne semble pas
que cette plante ait été généralement et très anciennement
cultivée. On ne cite pas de nom sanscrit, ni hébreu, ni de la
langue reconstruite des Aryens. Il existe un nom grec, Tridax;
latin, Lactuca; persan et hindoustani, Kahu, et l'analogue arabe
Chuss ou Chass. Le nom latin existe aussi, légèrement modifié,
dans plusieurs langues slaves et germaniques 7, ce qui peut
signifier ou que les Aryens occidentaux l'ont répandu, ou que
la culture s'est propagée plus tard, avec le nom, du midi au
nord de l'Europe.
Le Dr Bretschneider a confirmé ma supposition 8 que la
Laitue n'est pas très ancienne en Chine et qu'elle y a été intro-
duite de l'ouest. Il dit que le premier ouvrage où elle soit men-
tionnée date de 600 à 900 de notre ère 9.

1. Webb, Phytogr.canar.,3, p. 422 Lowe, FI. of Madeira,p. 544.


2. Munby,Catal., ed. 2, p. 22, sousle nom de L. sylvestris.
3. Schweinfurthet Ascherson,Aufzâhlunff,p. 285.
4. Boissier,Fl. orient.,3. p. 809.
5. Clarke,Compos.indicée,p. 263.
6. Theophrastes,1. 7, cap. 4. ·
7. Nemnich,Polygl.Lexicon.
8. A. de Candolle,Gêogr.bot. rais., p. 843.
9. Bretschneider,Stzcdyand valueof chinesebotanicalworlcs,p. 17.
LÉaUiSlES. CHICORÉES 77
1 1 1
Chicorée sauvage. Cichorium Intybus, Linné.
La Chicorée sauvage, vivace, qu'on cultive comme légume,
salade, fourrage, et pour les racines, servant de café, croît dans
toute l'Europe, excepté la Laponie, dans le Maroc et l'Algérie
de l'Europe orientale à l'Afghanistan et le Bélouchistan 2, dans
le Punjab et le Cachemir 3, et de la Russie au lac Baïkal en
Sibérie 4. La plante est certainement spontanée dans la plupart
de ces pays; mais, comme elle croît souvent au bord des chemins
et des champs, il est probable qu'elle a été transportée par
l'homme en dehors de sa patrie primitive. Ce doit bien être le
cas dans l'Inde, car on ne cite aucun nom sanscrit.
Les Grecs et les Romains employaient cette espèce, sauvage et
cultivée 6, mais ce qu'ils en disent est trop abrégé pour être clair.
D'après M. de Heldreich, les Grecs modernes emploient sous le
nom général de Lachana, comme légume et salade, dix-sept
Cichoracées différentes, dont il donne la liste °. Selon lui, l'espèce
ordinairement cultivée est le Cichorium divaricatum, Schousboe
dont
(C. pumilum, Jacquin), mais il est annuel, et la Chicorée
parle Théophraste était vivace.

Chicorée Endive. Cichorium Endivia, Linné.


Les Chichorées blanches, Endives ou Scarole, des j ardins, se dis-
et
tinguent du Cichorium Intybus en ce qu'elles sont annuelles
d'une saveur moins amère. En outre, les lanières de leur aigrette
au-dessus de la graine sont quatre fois plus longues, et inégales,
au lieu d'être égales. Aussi longtemps qu'on comparait cette
plante avec le C. Intybus, il était difficile de ne pas admettre
deux espèces. On ne connaissait pas l'origine du C. Endivia.
Lorsque nous reçûmes, il y a quarante ans, des échantillons d'un
Cichorium de l'Inde appelé par Hamilton C. Cosmia, ils nous
parurent tellement semblables à l'Endive que nous eûmes l'idée
de voir l'origine de celle-ci dans l'Inde, comme on l'avait quel-
et
quefois supposé 7; mais les botanistes anglo-indiens disaient,
ils affirment de plus en plus, que la plante indienne est seule-
ment cultivée 8. L'incertitude continuait donc sur l'origine géo-
l'idée de
graphique. Dès lors, plusieurs botanistes 9 ont eu
dans la
comparer l'Endive avec une espèce annuelle, spontanée

1. Bail,SpicilegiumFl. marocc, p. 534;Munby,Catal., ed. 2,p. 21.


2. Boissier,fl. orient., 3 p. 715.
3. Clarke,Compos.ind., p. 250.
4. Ledebonr,Fl. ross.,2, p. 774.
5. Dioscorides,II, cap. 160;Pline, XIX,cap. 8; Palladius,XI,cap. 11. Voir
d'autres auteurs cités dans Lenz,Botanikd. Alten,p. 483.
6. Heldreich,Die NutzpflanzenGriecltenland's, p. 28 et 76.
7. àur. Pyr. de Candolle,Prodr. 7 p. 84; Alph. de Candolle,Gcogr.
bot. p. 845.
8. Clarke,Compas.ind., p. 230.
9.De Visiani.Floradalmat, II, p. 97; Schultz,dans Webb,Phyt. canar.T
sect. II, p. 391 Boissier,Fl. orient.,III, p. 716.
78 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

région méditerranéenne, le Cichonum. pumilum, Jacquin [t.. ai-


si
varkatum, Schousboe), et les différences ont été trouvées
ont affirmé
légères que les uns ont soupçonné, les autres
l'identité spécifique. Quant à moi, après avoir vu des échantil-
lons sauvages, de Sicile, et comparé les bonnes figures publiées
1337 et 13aS), je n'ai
par Reiehenbach (Icones, vol. 19, pl.
aucune objection à prendre les Endives cultivées pour des
variétés de la même espèce que le C. pumilum. Dans ce cas, le
nom le plus ancien étant C. Endivia, c'est celui qu'on doit con-
un nom
server, comme l'a fait Schultz. Il rappelle d'ailleurs
vulgàire commun à plusieurs langues.
La plante spontanée existe dans toute la région dont la
Méditerranée esL le centre, depuis Madère le Maroc 2 et
et le Turkestan
l'Algérie 3, jusqu'à la Palestine 4, le Caucase
Elle est commune surtout dans les îles de la Méditerranée et en
Grèce. Du côté ouest, par exemple en Espagne et à Madère, il est
effet des cultures, d'après
probable qu'elle s'est naturalisée par un
les stations qu'elle oceupedans les champs et au bord des routes.
On ne trouve pas, dans les textes anciens, une preuve posiiive
de l'emploi de cette plante chez les Grecs et les Romains6;
mais il est probable qu'ils s'en servaient comme de plusieurs
autres Chicoracées. Les noms vulgaires n'indiquent rien, parce
de Cichonum. Ils
qu'ils ont pu s'appliquer aux deux espèces sortie du milieu
sont peu variés et font présumer une culture
et tamul, Koschi
gréco-romain. On cite un nom hindou, Kasni,
mais aucun nom sanscrit, ce qui indique une extension tardive
de la culture dans l'est.

Epinard. – Spinacia oleracea, Linné.


Ce légume était inconnu aux Grecs et aux Romains 9. Il était
nouveau en Europe au xvjp siècle l0, et l'on a discuté pour savoir
s'il devait s'appeler Spanachia, comme venant d'Espagne, ou
La suite a montré que
Spinacia, à cause des épines du fruit 11.
le nom vient de l'arabe hfânâdsch, Esbanach ou Sebanach,
suivant les auteurs I2.Les Persans disent Ispany ou Ispanaj™, et
1. Lowe,Flora of lladeira, p. 321.
2. Bail,Spkileg.,p. 534.
3. Munhy,Cat., ed. 2, p. 21.
4. Boissier,l. c. “
5. Bunge,Beitr.zur ilora Russland'sund Central-Asicns,p. 19/.
6. Lenz, Botmik der Alten, p. 483, cite les passages des auteurs. Voir
aussi Heldreich,Die NutzpflanzenGriechenL,p. 74.
7. Netnnioh,Polygl.Lexic, au mot CiehoriumEndivia.
8. Royle,Ill. minai., p. 247; Piddington,Index. “ .,“
9. J. Bauhin,Hist.,II, p. 964 Fraas, Syn.fl. class.;Lenz,Bot.d. Alten.
10. Brassavola,p. 176.
H. Mathioli,ed. Valgr.p. 343.
12. Ebu Baithar,ueberttz von Sondtheimer,I, p. 34 Forskal,Jigypt.
29.
p. 77 Delile,lll. JEgypt.,p.ed. ,“
13. Roxburgh,Fl. ind., 1S32,v. III, p. 771,appliquéau Spinacia
tetrandra, qui paraît la même espèce.
LÉGUMES. – ÉPINARD 79

les Hindous Isfany ou Palak, d'après Piddington, ou encore


Pinnis, d'après le même et Roxburgh. L'absenee de nom sans-
crit indique une culture peu ancienne dans ces régions. Loureiro
a vu l'Epinard cultivé à Canton, et M. Maximowicz en Mand-
schourie 1 mais M. Brestschneider nous apprend que le nom
chinois signifie Herbe de Perse, et que les légumes occidentaux
ont été introduits ordinairement en Chine un siècle avant l'ère
chrétienne 2. Il est donc probable que la culture a commencé en
Perse depuis la civilisation gréco-romaine, ou qu'elle ne s'est
pas répandue promptement à l'est ni à l'ouest de son origine
persane. On ne connaît pas de nom hébreu, de sorte que les
Arabes doivent avoir reçu des Persans la plante et le nom. Rien
ne fait présumer qu'ils aient apporté ce légume en Espagne.
Ebn Baithar, qui vivait en 123a, était de Malaga mais les ou-
vrages arabes qu'il cite ne disent pas où la plante était cultivée,
si ce n'est l'un d'eux qui parle de sa culture commune à Ninive et
Babylone. L'ouvrage de Herrera sur l'agriculture espagnole ne
mentionne l'espèce que dans un supplément, de date moderne,
d'où il est probable que l'édition de 1513 n'en parlait pas. Ainsi
la culture en Europe doit être venue d'Orient à peu près dans le
xve siècle.
On répète dans quelques livres populaires que l'Epinard est
originaire de l'Asie septentrionale, mais rien ne peut le faire
présumer. Il vient évidemment de l'ancien empire des Mèdes et
des Perses. D'après Bosc 3, le voyageur Olivier en avait rapporté
des graines recueillies, en Orient, dans la campagne. Ce serait
une preuve positive si le produit de ces graines avait été exa-
miné par un botaniste pour s'assurer de l'espèce et de la variété.
Dans l'état actuel des connaissances, il faut convenir qu'on n'a
pas encore trouvé l'Epinard à l'état sauvage, à moins qu'il ne
soit une modification cultivée du Spinacia tetrandra Steven,
qui est spontané au midi du Caucase, dans le Turkesian, en
Perse et dans l'Afghanistan, et qu'on emploie comme légume'
sous le nom de Schamum 4.
Sans entrer ici dans une discussion purement botanique, je
dirai qu'en lisant les descriptions citées par M. Boissier, en re-
gardant la planche de Wight 5 du Spinacia tetrandra Roxb.,
cultivé dans l'Inde, et quelques échantillons d'herbier, je ne
vois pas de caractère bien distinctif entre cette plante eL l'Epi-
nard cultivé à fruits épineux. Le terme de tetrandra exprime
l'idée que l'une des plantes aurait cinq et l'autre quatre éia-
mines, mais le nombre varie dans nos Epiaards cultivés 6.

1. Muximowicz, Primitix fl. Amw., p. 222.


2. Brets hneider,Stucly.etc., of chimiebot. wm-ks,p. 17et 15;"
3. Dict. d'agrie., V, p. 906.
4. Boissier,FL orient, VI,p. 234.
5. Wight,Icones,t. 818.
6. Nees,Gen.plant, fl. germ-,livr. 7, pî. iS.
80 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

Si, comme cela paraît probable, les deux plantes sont deux
variétés, l'une cultivée, l'autre tantôt sauvage et tantôt cultivée,
le nom le plus ancien S. oleracea doit subsister, d'autant plus
du pays d'ori-
que les deux plantes se voient dans les cultures
gine.
L'Epinard de Hollande ou gros Epinard, dont le fruit n'a pas
soit
d'épines, est évidemment un produit des jardins. Tragus,
Bock, en a parlé le premier dans le xvie siècle 4.
Brède de Malabar. – Amarantus gangeticus, Linné.
Plusieurs Amarantes annuelles sont cultivées, comme légume
vert, dans les îles Maurice, Bourbon et Seychelles, sous le nom
de BrMe de Malabar 2. Celle-ci paraît la principale. On la cul-
tive beaucoup dans l'Inde. Les botanistes anglo-indiens l'ont
de
prise pendant quelque temps pour l'Amarantus oleraceus
Linné, et Wight en a donné une figure sous ce nom 3, mais on a
reconnu qu'elle en diffère et qu'elle se rapporte à l'A. gange-
ticus. Ses variétés, fort nombreuses, de taille, de couleur, etc.,
portent dans la langue télinga le nom de Tota Kura, avec addi-
tion quelquefois d'un adjectif pour chacune. Il y a d'autres
noms en bengali et hindoustani. Les jeunes pousses remplacent
quelquefois les asperges sur la table des Anglais 4. VA. melan-
chol-icus, souvent cultivé dans les jardins d'Europe pour l'orne-
ment, est regardé comme une des formes de l'espèce.
Le pays d'origine est peut-être l'Inde, mais je ne vois pas
du moins les
qu'on y ait récolté la plante à l'état spontané
auteurs ne l'affirment pas. Toutes les espèces du genre Ama-
rante se répandent dans les terrains cultivés, les décombres, les
bords de routes, et se naturalisent ainsi à moitié, dans.les pays
chauds comme en Europe. De là une extrême difficulté pour
distinguer les espèces et surtout pour deviner ou constater leur
origine. Les espèces les plus voisines du gangeticus paraissent
asiatiques.
L'A. gangeticus est indiqué comme spontané en Egypte et en
Abyssinie, par des auteurs très dignes de confianceB mais ce
n'est peut-être que le fait de naturalisations du genre de celles
dont je parlais. L'existence de nombreuses variétés et de noms
divers dans l'Inde rend l'origine indienne très probable.
Les Japonais cultivent comme légume les Amarantus cau-
datus mangostanus et melancholiais (ou gangeticus)^ de
Linné 6, maisrien ne prouve qu'aucun d'entre eux soit indigène.
1. Bauhin,Hist., If, p. 965.
2. A. gangeticus,tristis et hybridus, de Linné, d'après Baker, Flora of
Mauritius,p. 266. °
3. Wight,Icones,pl. 715.
4. Roxburgh.Flora indica, ed. 2, vol. III, p. 606.
5. Boissier, Flora orientalis,IV, p. 990 Schweinfurthet Ascherson,
Aufzàhlung,etc., p. 289.
6. Franchet et Savatier,Enum.plant. Japoniœ,I, p. 390.
FOURRAGES. LUZERNE 81
A Java, on cultive 1 A. polystachyus, Blume, très commun dans
les décombres, au bord des chemins 1, etc.
Je parlerai plus loin des espèces cultivées pour leurs graines.

Poireau ou Porreau. – A llium Ampeloprasum,var. Porrum.


D'après la monographie très soignée de J. Gay2, le Porreau,
conformément aux soupçons d'anciens auteurs 3, ne serait qu'une
variété cultivée de l'Allium Ampeloprasum de Linné, si commun
en Orient et dans la région de la mer Méditerranée, spéciale-
ment en Algérie, lequel, dans l'Europe centrale, se naturalise
quelquefois dans les vignes et autour d'anciennes cultures 4-Gay
semble s'être défié beaucoup des indications des flores du midi
de l'Europe, car, à l'inverse de ce qu'il fait pour les autres es-
pèces dont il énumère les localités hors de l'Algérie, il ne cite
dans le cas actuel que les localités algériennes, admettant néan-
moins la synonymie des auteurs pour d'autres pays.
La forme du Porrum cultivé n'a pas été trouvée sauvage. On
la cite seulement dans des localités suspectes, comme les vignes,
les jardins, etc. Ledebour 6 indique, pour VA. Ampeloprasum,
les confins de la Crimée et les provinces au midi du Caucase.
Wallich en a rapporté un échantillon de Kamaon, dans l'Inde °,
mais on ne peut pas être sûr qu'il fût spontané. Les ouvrages
.sur la Cochinchine (Loureiro), la Chine (Bretschneider), le Japon
(Franchet et Savatier) n'en parlent pas.

Article 2. Fourrages.

Luzerne. – Medicago sativa, Linné.


La Luzerne était connue des Grecs et des Romains. Ils l'appe-
laient en grec Médical, en latin Medica ou Herba medica, parce
qu'elle avait été apportée de Médie, lors de la guerre contre les
Perses, environ 470 ans avant l'ère chrétienne 7. Les Romains
la cultivaient fréquemment, du moins depuis le commencement
du Ier ou IIe siècle. Caton n'en parle pas s, mais bien Varron,
-Columelle, Virgile, etc. De Gasparin 9 fait remarquer que Cres-
cenz, en 1478, n'en faisait pas mention pour l'Italie, et qu'en

L.Hasskarl,Plants javan. rariores, p. 431.


2. Gay,Ann.des sc. nat., 3e série, vol. S.
3. Linné,Species;de Candolle,Fl. franc., III, p. 219.
4. Koch,Synopsisfl. germ. Babington,Manuaîof brit. fi. Englisb.bo-
tany, etc., etc.
5. Ledebour,Flora ross., IV, p. 163.
6. Baker,Journal of bot.,1874,p. 295.
7. Strabon, 12,p. 560 Pline, livre 18, chap. 16
8. Hehn, Çulturpflanzen,etc.,p. 353.
9. Gasparin,Coursd'agric, IV, p. 424.
DE Candoile 6
FEUILLES
82 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU

1711 Tull ne l'avait pas vue au delà des Alpes. Targioni cepen-
dit que la
dant, qui n'a pas pu se tromper sur ce point, en
culture de la Luzerne s'est maintenue en Italie, surtout
Grèce moderne, elle est
Toscane, depuis les anciens 1. Dans la
rare 2. le
Les cultivateurs français ont souvent appliqué à la Luzerne
nom de Sainfoin (jadis Sainfoin), qui est celui de l'Onabryehu
aux environs de Ge-
sativa, et cette transposition existe encore de la
nève par exemple. Le nom de Luzerne a été supposé venir
vallée de Luzerne, en Piémont, mais il y a une autre origine
avaient un ancien nom, éruye,
plus probable. Les Espagnols vient
cité par J. Bauhin 3, et les Catalans disent Userdas d'où très
midi de la La.ouzerdo,
peut-être le nom patois du en était siFrance, commune en Espagne
voisin de Luzerne. La culture
la plante Herba spagna V
que les Italiens ont quelquefois appelé
Les Espagnols, outre les noms indiqués, disent Mielgaou illelga,
mais ils emploient surtout les noms
qui paraît venir de Mediea,
tirés de l'arabe Alfafa, Alfasafat, Alfalfa. Dans le xm» siècle,
le célèbre médecin Abn Baithar, qui écrivait à Malaga, emploie
le mot arabe Fisfisat, qu'il rattache au nom persan lsfist
On voit que si l'on se fiait aux noms vulgaires l'origine de la
le Piémont, ou plutôt la Perse.
plante serait ou l'Espagne, ou directes
Heureusement les botanistes peuvent fournir des preuves
et positives sur la patrie de l'espèce.
Elle a été recueillie spontanée, avec toutes les apparences
de l'Anatolie,
d'une plante indigène, dans plusieurs provinces en A gna-
au midi du Caucase, dans plusieurs localités de Perse,
s. D autres loca-
nistan, dans le Belouchistan 7 et en Cachemir les
lités dans le midi de la Russie, indiquées par auteurs, sont
comme cela se voit dans l'Eu-
peut-être le résultat des cultures, donc avoir tiré la plante
rope méridionale. Les Grecs peuvent
de l'Asie Mineure aussi bien que de la Médie, qui s'entendait
surtout de la Perse septentrionale.
Cette origine, bien constatée, de la Luzerne, me fait aperce-
ne lui connaît aucun
voir, comme une chose singulière, qu'on
nomsanscrit 9.Le Trèfle et le Sainfoin n'en avaient pas non plus,
ce qui fait supposer que les Aryens n'avaient pas de prairies
artificielles.

i. Targioni,Cennistorici,p. 34.
2. "K%S'JS*>S&. P- 63; Heldreich, Die Nutspflanvn
Griechenlands, p. 70.
3. Bauhin,Hast.plant., II, p. 381.
4. Colmeiro,Calai.
5. Tozzetti,Dizion.bot.
6.EbaBaithar, HeilundNahru.ngm.Utel, trad. de l'arabe par Sontheimer,
vol. 2, p 237.
7. Boissier,FI. orient.,II, p. 94.
8. Rovie, Himal, p. 197.
III.
9. Piddington,Index.
FOURRAGES. SAINFOIN 83

Sainfoin. Esparcette. Hedysarum Onobrychis, Linné.


Ombrychis sativa, Lamarck.
Cette Légumineuse, dont l'utilité est incontestable dans les
terrains secs et calcaires des régions tempérées, n'est pas d'un
usage ancien. Les Grecs ne la cultivaient pas, et aujourd'hui
encore leurs descendants ne l'ont pas introduite dans leur agri-
culture 1. La plante nommée Onobrychis dans Dioscorîde et
Pline est Y Onobrychis Caput-Galli des botanistes modernes 2,
espèce sauvage en Grèce et ailleurs, qu'on ne cultive pas. L'Es-
pareette, Lupinella des Italiens, était fort estimée, comme four-
rage, dans le midi de la France, à l'époque d'Olivier de Serres 3,
c'est-à-dire au xvie siècle; mais en Italie c'est surtout dans
le xvine que la culture s'en est répandue, particulièrement en
Toscane 4.
L'Espareette ou Sainfoin (autrefois Sain foin) est une plante
vivace qui croît spontanément dans l'Europe tempérée, au
midi du Caucase, autour de la mer Caspienne 5 et même au
delà du lac Baïkal 6. Dans le midi de l'Europe, elle est seulement
sur les collines. Gussone ne la compte pas dans les espèces spon-
tanées de Sicile, ni Moris dans celles de Sardaigne, ni Munby
dans celles d'Algérie.
On ne connaît pas de nom sanscrit, persan ou arabe. Tout
indique pour la culture une origine du midi de la France, peut-
être aussi tardive que le xv3 siècle.

SuIIa ou Sainfoin ^'Espagne. – Hedysarum eoronarium


Linné.
La culture de cette Légumineuse, analogue au Sainfoin, dont
on peut voir une bonne figure dans la Flore des serres et des jar-
dins, vol. 13, pl. 1382, s'est répandue, dans les temps modernes,
en Italie, en Sicile, à Malte et dans les îles Baléares 7. Le mar-
quis Grimaldi, qui l'a signalée le premier aux agriculteurs, en
1766, l'avait vue à Seminara, dans la Galabre ultérieure de
Gasparin la recommande pour l'Algérie, et il est probable que
les agriculteurs de pays analogues en Australie, au Cap et dans
l'Amérique méridionale ou le Mexique feraient bien de l'essayer
La plante a péri aux environs d'Orange par un froid de 6° C.
lî Hedysarumeoronarium croît en Italie, depuis Gênes jusqu'à

i. Heldreich,NutzpflanzenGriechentands,p. 72.
2. Fraas, Synopsisfi. class.,p. 58; Lenz, Bol. ait. Grieahenund Ramer,
p. 731.
3. 0 de Serres, Théâtrede L'agric, p. 242.
4. TargioniTozzetti,Cennistorici, p. Si.
5 Ledebour,FI. ross., I, p. 708; Boissier,Fi. or., p. 532.
6. Turezaninow,Flora baical. Dajiur.,1, p. 3ifl.
7. TargioniTozzetti,Cennistorici, p. 35; Mareset Vigineis, Catal. dis
Baléares,p. 100.
8. De Gasparin,Coursd'agric, 4, p. 472.
84 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
en Al-
la Sicile et la Sardaigne 1, dans le midi de 1 Espagne et
rare 3. C'est donc une espèce
gérie, où elle est indiquée comme
assez limitée quant à son aire géographique.

Trèfle. Trifolium pratense, Linné.


La culture du Trèfle n'existait pas dans l'antiquité, quoique
sans doute la plante fût connue de presque tous les peuples d'Eu-
est introduit
rope et de l'Asie tempérée occidentale. L'usage s'en
d'abord dans les Flandres, au xvr3siècle, peut-être même plus tôt,
les la
et, d'après Schwerz, les protestants expulsés par la Espagnols de
sous
portèrent en Allemagne, où ils s'établirent les protection
l'Electeur palatin. C'est aussi de Flandre que Anglais la reçu-
rent, en 4633, par l'influence de Weston, comte de Portland,
lord Chancelier 4. .j
Le Trifolium pratense est indigène dans toutes les parties de
en Armé-
l'Europe, en Algérie B,sur les montagnes de l'Anatolie, dans le
nie et dans le Turkestan °, en Sibérie vers l'Altaï 7, et
Cachemir et le Garwall 8.
des peuples
L'espèce existait donc, en Asie, dans la région
d'où l'on
aryens, mais on ne lui connaît pas de nom sanscrit,
peut inférer qu'elle n'était pas cultivée.

Trèfle incarnat ou Faroueh – Trifoliumincarnatum, Linné.


li-
Fourrage annuel, dont la culture, dit Vilmorin, longtemps
mitée à quelques-uns des départements méridionaux, devient tous
les jours plus générale en France 9. De Candolle, au commence-
ment du siècle actuel, ne l'avait vue effectivement que dans
aux en-
l'Ariège10 Elle existe, depuis à peu près soixante ans,ancienne
virons de Genève. Targioni ne pense pas qu'elle soit
en Italie et le nom très insignifiant de Trafogliolo appuie cette
opinion.
Les noms catalans Fé, Fench 12, et des patois du midi de la
France 13 Tarradje (Roussillon), Farratage (Languedoc), Féroutgé
contraire une ori-
(Gascogne), d'où le nom de Farouch, ont au

1. Bertoloni,Flora ital., 8, p. 6.
2. Willkomiuet Lange,Prodr. fl. hisp., 3, p. 262.
3. Munby,Catal., ed 2, 12. “
4. De Gasparin, Coursêagricicllure, 4, p. 443, d'après Schwerz et
A. Young.
5. Munby,Catal., ed. 2, p. il.
6. Boissier,Flora orient., 1, p. 115.
7 Ledebour,Flora ross., 1, p. 548.
8. Baker, dans Hooker,Flora of brit. India, 2, p. 86.
9 Bonjardinier, 1880,part 1, p. BIS.
10. DeCandolle,Flore franc, 4, p. 528.
11. Targioni,Cennistorici, p 35.
12 Costa.Introd fl. di Catal., p. 60.
13. Moritzi,Dlet.mss. rédigéd'aprèsles florespubl:eosavantle milieudu
siècleactuel.
TRÈFLES. ERS • 8aa
FOURRAGES.

ginalité qui dénote une culture ancienne autour des Pyrénées. Le


terme, usité quelquefois, de Trèfle du Roussillon, le montre éga-
lement.
La plante spontanée existe en Galice, dans la Biscaie et la Ca-
talogne 1, mais non dans les îles Baléares 2; elle est en Sardai-
gne 3 et dans la province d'Alger 4. On l'indique dans plusieurs
localités de France, d'Italie, de Dalmatie, de la région danubienne
et de la Macédoine, sans savoir, dans beaucoup de cas, si ce
n'est point l'effet des cultures voisines. Une localité singulière,
qui paraît naturelle, au dire des auteurs anglais, est la côte de
Cornouaille, près d'3la pointe de Lizard. Il s'agit dans ce cas,
dit M. Bentham, de la variété jaune pâle, qui est vraiment sau-
vage sur le continent, tandis que la variété cultivée à fleurs rouges
est seulement naturalisée, en Angleterre, par suite des cultures5.
Je ne sais jusqu'à quel point cette observation de M. Bentham
sur la spontanéité de la seule forme à couleur jaunâtre (var.
Molinerii. Seringe) sera confirmée dans tous les pays où croît
l'espèce. Elle est la seule indiquée en Sardaigne par Moris et en
Dalmatie par Visiani 6, dans des localités qui paraissent natu-
relles (in pascuis collinis, in montanis, in herbidis). Les auteurs
du Bonjardinier affirment, comme M. Bentham, que le Trèfle
Molinerii est spontané dans le nord de la France, celai à fleurs
rouges étant importé du midi, et, tout en admettant l'absence de
bonne distinction spécifique, ils notent que, dans la culture, la
forme Molinerii est d'une végétation plus lente, souvent bisan-
nuelle, au lieu d'être annuelle.

Trèfle d'Alexandrie. Trifolïum alexandrinum, Linné.


On cultive beaucoup en Egypte, comme fourrage, cette espèce
annuelle de Trèfle, dont le nom arabe estBersym ou Berzun 8.Rien
ne prouve que ce soit un usage ancien. Le nom n'est pas dans
les livres sur la botanique des Hébreux ou des Araméens.
L'espèce n'est pas sauvage en Egypte, mais elle l'est certaine-
ment en Syrie et dans l'Asie Mineure 9.

Ers. Ervum Ervilia, Linné. Vicia Ervilza, Willdenow.


Bertoloni 10 ne mentionne pas moins de dix noms vulgaires ita-
liens, Ervo, Lero, Zirlo, etc. C'est un indice de culture générale

1. Willkommet Lange, Prodr. fl. hisp., 3, p. 366.


2. Mareset Virgineix,Catal. 1880.
3 Moris,Flora sardoa, i, p. 467.
4. Munby,Catal., ed. 2.
5. Bentham, Handbookof bristishflora, ed. 4, p. =117.
6. Moris,Flora sardoa, 1, p. 467; Visiani,Fl. dalmat., 3, p. 290.
7. Bonjardinier, 1880,p. 619.
8. Forskal, Flora zgypt., p. 71; Delile, Plant. cuit, en Egypte,p. 10;
Wilkinson,Mannei^s and customsof ancientEgyptians,2, p. 398.
9 Boissier,Flora orient., 2, p. 127.
10. Bertoloni,Fl. it., 7, p. 500.
86 PLANTES CULTIVÉESPOUR iEURS TIGES OU FEUILLES

et ancienne. M. de Heldreich dit que les Grecs modernes culti-


vent la plante en abondance, pour fourrage. Ils la nomment
Robai, de l'ancien grec Orobos, de même que Ervos, vient du
latin Ervum. La culture de l'espèce est indiquée dans les auteurs
de l'antiquité grecque et latine2- Les anciens Grecs se servaient
des graines, car on en a retrouvé dans les fouilles de Troie 3.
On cite beaucoup de noms vulgaires en Espagne, même des
noms arabes mais l'espèce y est moins cultivée depuis quel-
ques siècles5. En France, elle l'est si peu que bien des ouvrages
modernes d'agriculture n'en parlent pas. Elle est inconnue dans
l'Inde anglaise 7.
Les ouvrages généraux indiquent VFrvinn Ervilia comme
croissant dans l'Europe méridionale; mais, si l'on prend l'une
après l'autre les flores plus estimées, on voit qu'il s'agit de loca-
lités telles que les champs, les vignes ou les terrains cultivés.
De même dans l'Asie occidentale, où M. Boissier8 parle d'échan-
tillons de Syrie, de Perse et de l'Afghanistan. Quelquefois, dans
des catalogues abrégés °, la station n'est pas indiquée, mais nulle
part je ne rencontre l'assertion que la plante ait été vue spon-
tanée dans des endroits éloignés des cultures. Les échantillons
de mon herbier ne sont pas plus probants à cet égard.
Selon toule vraisemblance, l'espèce était jadissauvage enGrèce,
en Italie, et peut-être en Espagne et en Algérie, mais la fréquence
de sa culture, dans les terrains mêmes où elle existait, empêche
de voir maintenant des pieds sauvages.

Vesce. Vicia sativa, Linné.


Le Vicia sativa est une Légumineuse annuelle, spontanée dans
toute l'Europe, à l'exception de la Laponie. Elle est commune
égalementen Algérie10et au midi du Caucase, jusqu'à laprovince
de Talysch". Roxburgh la donne pour indigène dans le nord de
l'Inde et au Bengale; ce que sir Joseph Hooker admet seulement
en ce qui concerne la variété appelée angustifolià 12. Onne lui
connaît aucun nom sanscrit, et dans les langues modernes de
l'Inde seulement des noms hindous 13.Targioni croit que c'est le

1. Heldreich,NutzpflanzenGriechenlands, p. 71.
2. Voir Lenz, Botmiik d. Àlten, p. 727; J?raas,FI. class.,p. 54.
3. Wittmack,Sitzungsber.bot. XereinsBrandenburg,19déc. 1879.
4. Willkommet Lange,Prodr. fl. Imp., 3, p. 308.
5. Baker, dans Hooker,Fl. brit. India.
6. Herrera,Agricultura,éd. 1819,4, p. 72.
7. Baker,dans Hooker,Fl. brit. India.
8. Boissier,Fl. orient.,2, p. 595.
9. Par exemple Muaby, Catal.plant. Algerite,éd. 2, p. 12.
10. Munby,Catal.,éd. 2.
11. Ledebour, Fl. ross. 1, p. 666; Hohenacker,Enumtjilant Talyclt,
p. 113; C.-A. Meyer,Verzeichniss, 147.
12. Roxburgh,Fl. ind., éd. 1832,v. 3, p. 323;Hooker,Fl. brit. India,
p. 178.
13. Piddington,Index, en indiquequatre.
VESCE. JAROSSE 87
FOURRAGES.
et de
Ketsach des Hébreux 1. J'ai reçu des échantillons du Cap mais
Californie. L'espèce n'y est certainement pas indigène,
naturalisée hors des cultures. et pour
Les Romains semaient cette plante, comme fourrage de
les graines, déjà du temps de Caton 2. Je n'ai pas découvert est
Le nom Vik, d'où Vicia,
preuve d'une culture plus ancienne.car il existe dans 1 albanais
d'une date très reculée en Europe,
comme la langue des Pélasges, et chez les peuples
qu'on regarde ys a
slaves, suédois et germains, avec de légères modifications.
distincte
ne prouve pas que l'espèce fût cultivée. Elle est assez des
et assez utile aux herbivores pour avoir reçu de tout temps
noms vulgaires.

Jarosse, Garousse, Gessette. – Lathyrus Cicera, Linné.


mais dont la
Légumineuse annuelle, estimée comme fourrage,
certaine proportion, pré-
graine, prise comme aliment dans une
sente des dangers 4. n
On la cultive en Italie sousle nom de Mocki Quelques auteurs
de Columelle et lErmiia de
soupçonnent que c'est le Cicera est très différent de ceux-ci.
Varron, mais le nom vulgaire italien
L'espèce n'est pas cultivée en Grèce7. Elle l'est, plus ou moins,à
en France et. en Espagne, sans indice que l'usage y remonte
8 avec-
des t.mns anciens. Cenendant M. Wittmack lui attribue,fouilles
des
doute, certaines graines rapportées par M. Virchow
de Tr oie.
les ilores, elle est évidemment spontanée dans des
Vaprès .bile
endroits secs, hors des cultures, en Espagne et en Italie et
l'est aussi dans la basse Egypte, d'après MM. Schweinfurthdans
Ascherson 10 mais on n'a aucun indice d'ancienne culture
ce pays ou par les Hébreux. Vers l'orient, la qualité spontanée les
devient moins certaine. M. Boissier indique la plante dans
terrains cultivés depuis la Turquie d'Europe et l'Egypte jusqu'au
dans
midi du Caucase et à Babylone » ». Elle n'est mentionnée le
l'Inde ni comme spontanée ni comme cultivée 12 et n a pas
nom sanscrit.

1. Targioni,Cennistorici,p. 30. c. ,“
15.
2. Cato,De re rustica, ed. 1533,p. 34; Pline, 1.7118,Dans la langue an-
3. Heldreich,NutlXnzen Griechenlands p.
celuide hameau
térieure aullndo Éu/opéens Vika un autre sens, (Fick,
Vorierb.indo-germ.,p. 189).
4. Vilmorin,Bonjardinier, 1880,p. 603. F.
5. Targioni,Cennislorici, p. 31; Bertoloni, ital., 7, p. 444,447.
6. Lenz,Botanikd. Alfr.n,p. 730.
7. Fraas,Fl. class.; Heldreich, NidsflanzenGriechenlands. 1879.
8. Wittmack,Sitz. ber. bot. VereinsBrandenburçi,19dee.
9. «ornrn et Lange,Prodr.fl hisp 3, p. 3«; Bertolom,l. C.
10. Schweinfurthet Aseherson,Aufafdung,etc., p. -2o7,
11. Boissier,Fl. orient, 2, p. 605.
12. J. Baker, dans Hooker,Fl. of bnt. India.
88 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

Probablement, l'espèce est originaire de la région comprise


entre l'Espagne et la Grèce, peut-être aussi d'Algérie l, et une
culture, pas très ancienne, l'a propagée dans l'Asie occidentale.

Gesse. Lathyrus sativus, Linné.


Légumineuse annuelle, cultivée dans le midi de l'Europe,
depuis un temps fort ancien, comme fourrage et accessoirement
pour les graines. Les Grecs la nommaient Lathyros 2 et les
Latins Cicercula 3. On la cultive aussi dans l'Asie occidentale
tempérée et même dans l'Inde septentrionale 4 mais elle n'a
pas de nom hébreu s ni sanscrit 6, ce qui fait présumer que la
culture n'en est pas très ancienne dans ces régions.
Presque toutes les flores du midi de l'Europe et d'Algérie
donnent la plante comme cultivée et presque spontanée, rare-
ment, et pour quelques localités seulement, comme spontanée.
On comprend la difficulté de reconnaître la spontanéité
il s'agit d'une espèce souvent mélangée avec les céréales quand
et
se maintient aisément ou se répand àla suite des cultures. M.qui de
lieldreich n'admet pas l'indigénat en Grèce 7. C'est une assez
forte présomption que dans le reste de
l'Europe et en Algérie
la plante est sortie des cultures.
Les probabilités me paraissent en sens contraire pour l'Asie
occidentale. Les auteurs mentionnent en effet des localités assez
sauvages, dans lesquelles l'agriculture joue un rôle moins con-
sidérable qu'en Europe. Ainsi Ledebour 8 a vu des échantillons
récoltés dans le désert près de la mer Caspienne et dans la
pro-
Adnce de Lenkoran. C.-A. Meyer 8 le confirme pour Lenkoran.
Baker, dans la flore de l'Inde, après avoir indiqué l'espèce
comme répandue çà et là dans les provinces septentrionales,
ajoute « souvent cultivée », d'où l'on peut croire qu'il la regarde
comme indigène, au moins dans le nord. M. Boissier n'affirme
rien à l'égard des localités de Perse qu'il mentionne dans sa
flore d'Orient 10.
En somme, je regarde comme probable que l'espèce
existait,
avant d'être cultivée, du midi du Caucase ou de la mer Cas-
pienne jusqu'au nord de l'Inde, et qu'elle s'est propagée vers
1 Europe, à la suite d'anciennes cultures, mélangée peut-être
avec les céréales.

i. Munby,Catal.
2. Theophrastes,Hist. plant., 8, c. 2, 10.
3. Coluinella,Dererustica, 2, c. 10; Pline,18, c. 13 32.
4. Roxburgh,Fl. ind., 3 Hooker,Fl. brit. India, 2, p. 178.
5. Rosenmûller,Bandb. bibl.AUerk.vol., 1.
6. Piddington,Index.
7. Heldreich,Pflanzend. attise! Ebene,p. 476;NulzpflcnzenGriechen-
lands, p. 72.
8. Ledebour,Flora rossica,1, p. 681.
9. C.-A. Meyer,Verzeichntes, p i48.
10. Boissier,Fl. orient, 2, p. 606.
FOURRAGES. GESSE. FENU GREC 89

Gesse Ochrus. -Pisum Ochrus, Linné. -Lathyrus Ochrus,


de Candolle.
Cultivée comme fourrage annuel en Catalogne, sous le nom
de lapisots et en Grèce, particulièrement dans l'île de Crète,
sous celui de Ochros 2, mentionné dans Théophraste 3, mais
sans la moindre description. Les auteurs latins n'en parlent
rare dans l'anti-
pas, ce qui fait présumer une culture locale et
quité.
L'espèce est certainement spontanée en Toscane 4 Elle paraît
l'être aussi en Grèce et en Sardaigne, où elle est indiquée dans
les haies 6, et en Espagne, où elle croît dans des lieux incultes 6,
mais, quant au midi de la France, à l'Algérie et la Sicile, les
auteurs ne s'expliquent pas sur la station ou indiquent ordi-
nairement les champs et les terrains cultivés. Vers l'Orient, on.
ne connaît pas la plante plus loin que la Syrie 7, où probable-
ment elle n'est pas spontanée.
La belle planche publiée par Sibthorp, Flora grmca, t. 689,
fait penser que l'espèce mériterait d'être cultivée plus souvent.

Fenu grec. TngonellaFœnum-grmcum, Linné.


La culture de cette Légumineuse annuelle était fréquente chez
les anciens, en Grèce et en Italie 8, comme fourrage de prin-
temps ou comme donnant des graines officinales. Abandonnée
presque partout en Europe, notamment en Grèce 9, elle con-
tinue en Orient et dans l'Inde 10, où probablement elle remonte
à une époque très ancienne, et dans toute la région du Nil
L'espèce est spontanée dans le Punjab et le Cachemir12, dans
les déserts de la Mésopotamie et de la Perse et dans l'Asie
Mineure où cependant les localités indiquées ne paraissent
15 pas
assez distinctes des terrains cultivés. On l'indique aussi dans
plusieurs endroits de l'Europe méridionale, comme le mont
Hymette et autres localités de Grèce, les collines au-dessus de
Bologne et de Gênes, quelques lieux incultes en Espagne; mais

1. Willkommet Lange,Vrodr.Fl. hisp., 3, p. 312.


2. Lenz.Bot. â. Allcrtk.,p. 730; Heklreich,Nutzpfl. Griechenl.p. 72.
3. Lenz.I. e,
4. Caruel,Fl. tosc. p. 193; Gussone,Syn.fl. sic. ed. 2.
5. Boissier,fl. orient.2, p. 602; Moris,fl. sardoa,1, p. 582.
6. Willkommet Lange, t. c.
7. Boissier,l. c.
8. TneophraHes,Histplant., 8, e. 8; Columella,De re rust., 2, c. 10;i
Pline, Hist.,18, c. 16.
9. Fraas, Syn.fl. class., p. 63; Lenz, Bot.d. Alterth. 719.
10.Baker, dans Hooker,Fl. brit. Ind., II, p. 37.
11. Schweinfurth,Beitr.z. Fl. Mthiop. p. 258.
12. Baker, l. c.
13. Boissier,Fl. orient. II, p. 70.
14. Boissier,H4d.
13. Sibthorp,Fl. gneca,t. 766; Lenz,l. c; Bertoloni,FI. ital., S, p. 250;
Willkommet Lange,Prodr. fl. hisp,,3, p. 390.
'90 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

plus on avance vers l'ouest, plus les stations mentionnées sont


les champs, les terrains cultivés, etc. aussi les auteurs attentifs
ont-ils soin de noter que l'espèce est probablement sortie des
cultures 1. Je ne crains pas de dire qu'une plante de cette sorte
si elle était originaire de l'Europe méridionale, y serait beau-
coup plus commune et ne. manquerait pas, par exemple, aux
flores insulaires, comme celles de Sicile, d'Ischia et des Baléares2.
L'ancienneté de l'espèce et de son emploi dans l'Inde est
appuyée par l'existence de plusieurs noms différents, selon les
peuples, et surtout d'un nom sanscrit et hindou moderne, Methi3.
Il existe un nom persan, Schemlit, et un nom arabe, Eelbek 4,
très connu en Egypte; mais on ne cite aucun nom hébreu 5.
L'un des noms de la plante en grec ancien, Tailis (Typa;), sera
peut-être pour les philologues un dérivé du nom sanscrit °, ce
dont je ne suis pas juge. L'espèce pourrait avoir été introduite
par les Aryens et le nom primitif n'avoir laissé aucune trace
dans les langues du nord, parce qu'elle ne peut vivre que dans
le midi de l'Europe.

Serradelle. – Ornithopus sativus, Brotero. 0. isthmo-


varpus, Cosson.
La véritable Serradelle, spontanée et cultivée en Portugal, a
été décrite pour la première fois, en 1804, par Brotero 7, et
M. Cosson l'a distinguée plus clairement des espèces voisines 8.
Quelques auteurs l'avaient confondue avec YOmithopus roseus
de Dufour, et les agriculteurs lui ont attribué quelquefois le
nom d'une espèce bien différente, YO. perpusillus, qui serait
par son extrême petitesse impropre à la culture. Il suffit de
voir le fruit ou légume de YO. sativus pour être certain de
l'espèce, car il est, à maturité, étranglé de place en place et
arqué fortement. S'il y a dans les champs des individus de
même apparence, mais à légumes droits et non étranglés, ils
doivent provenir de quelque mélange de graines avec VO. lyseus,
et, si le légume est courbé, mais non étranglé, ce serait YO.
compressm. D'après l'aspect de ces plantes, elles paraissent
pouvoir être cultivées semblablement et auraient, je le suppose,
les mêmesavantages. r
1. Caruel,FI. tose.,p. 256;Willkommet Lange, l. c.
2. Les plantesqui se répandent d'un pays à l'autre arriventplus diffiei-
lement dans les îles, selon les observationsque j'ai publiées autrefois
(Gêogr bot.raisonnêe,p. 706).
3.Piddington, Index.
4. Ainslie,Mat.med.ind., I, p. 130.
5. Rosenmüller,Bibl.Alterkunde.
6. Commed'ordinaire le dictionnaireclassiquede Ficlc, des langues
indo-européennes,ne mentionnepas le nom de cette plante,que les An-
glais disent être sanscrit.
7. Brotero,Flora hisilanica,II, p. 160.
S. Cosson,Notessur quelquesplantes nouvellesou critiquesdu midi de
l'Espagne,p. 36.
SERRADELLE. SPERGULE 91
FOURRA.GES.

La Serradelle ne convient que dans les terrains sablonneux


et arides. C'est une plante annuelle, qui fournit en Portugal un
introduite dans
fourrage très précoce au printemps. Sa culture,
la Campine, a bien réussi l. 1
L'0. sativus paraît spontané dans plusieurs localités de Por-
ai un échantillon de Tanger
tugal et du midi de l'Espagne. J'en en
(Salzmann), et M. Cosson l'a récolté Algérie. Souvent on le
trouve dans des champs abandonnés et même ailleurs. Il peut
être difficile de savoir si les échantillons ne sont point échappés
des cultures, mais on cite des localités où cela n'est pas probable,
de Ghielana, dans le midi de
par exemple un bois de pins, près
l'Espagne (Willkomm).

Spergule ou Spargoule. – Spergula arvensis, Linné.


Cette plante annuelle, sans apparence, de la famille des Ca-
les champs sablonneux
ryophyllées (tribu Alsinées), croît dans
et terrains analogues en Europe, dans l'Afrique septentrionale
même en Abyssinie 2 et dans l'Asie occidentale jusque dans
l'Inde 3 et même à Java 4. Il est difficile de savoir dans quelle
étendue de l'ancien monde elle était primitivement indigène.
Pour beaucoup de localités, on ignore si elle est vraiment spon-
tanée ou si elle provient des cultures. Quelquefois on peut soup-
exemple, on
çonner une introduction récente. Dans l'Inde, par échantillons
en a recueilli depuis quelques années de nombreux
mais Roxburgh n'a pas mentionné l'espèce, lui qui avait tant
herborisé à la fin du siècle dernier et au commencement de
celui-ci. On ne lui connaît aucun nom sanscrit ou de l'Inde mo-
et
derne s, et on ne l'a pas récoltée dans les pays entre l'Inde
la Turquie.
Les noms vulgaires peuvent indiquer quelque chose sur I ori-
gine de l'espèce et sa culture.
On ne connait aucun nom grec ni des auteurs latins. Celui de
toute d'un nom
Spergula, en italien Spergola, a nom l'apparence
vulgaire ancien en Italie. Un autre italien, Erba renawla,
sable {rend). Les noms
indique seulement la croissance dans le alle-
français, espagnol [Espar cillas), portugais (Esparguta),
mand (Spark) ont la même racine. Il semble que dans tout
le midi de l'Europe l'espèce ait été portée de pays en pays par
les Romains, avant la division des langues latines. Dans je
nord, c'est toute autre chose. Il y a un nom russe, lontsa

1. Bonjardinier, 1880,p. 512.


2. Boissier,FI. or. 1, p. 731. w-i-t,-
3. Hooker,FI. brit. Inâia, 1. p.. "43,et plusienrséchantillonsdes ISi.'gm-
ries et de Ceylandans mon herbkr.
4. Zollinger,n° 2556,dans monherbier.
5.Piddineton, Index.
6. Sobolewski,Flora psù-p., p. 109.
92 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

plusieurs noms danois, Humb ou Hum, Girr ou Kirr et sué-


dois, Knutt, Fryle. Nâgde, Skorfî-. Cette grande diversité montre
que l'attention s'était portée depuis longtemps sur la plante
dans cette partie de l'Europe, et fait présumer que la culture
y est ancienne. Elle était pratiquée autour de Montbelliard
dans le xvie siècle 3, et l'on ne dit pas qu'elle y fût récente. Pro-
bablement elle a pris naissance dans le midi de l'Europe à
l'époque de l'empire romain, et dans le nord peut-être plus tôt.
En tout cas, la patrie originelle doit avoir été l'Europe.
Les agriculteurs distinguent une forme plus haute de Sper-
gule mais les botanistes s'accordent à ne pas lui trouver des
caractères suffisants pour la séparer comme espèce, et plusieurs
n'en font pas même une variété.

Herbe de Guinée. – Panicum maximum, Jacquin 6.


La Graminée vivace, dite Herbe de Guinée (Guinea grass des
Anglais), a une grande réputation dans les pays intertropicaux
comme fourrage nutritif, aisé à cultiver. Avec un peu de soin,
on peut faire durer un pré jusqu'à vingt ans 6.
La culture paraît avoir commencé dans les Antilles. E. Browne
en parle dans son ouvrage sur la Jamaïque au milieu du siècle
dernier, et après lui Swartz.
Le premier mentionne le nom Guinea grass, sans aucune
réflexion sur la provenance de l'espèce. Le second dit « apporté
autrefois des côtes d'Afrique aux Antilles ». Il s'est fié probable-
ment à l'indication donnée par le nom vulgaire, mais nous savons
à quel point les origines indiquées de cette manière sont quel-
quefois fausses, témoin le blé dit de Turquie, qui vient d'Amé-
rique.
Swartz, excellent botaniste, dit que la plante croît « dans les
pâturages cultivés secs des Indes occidentales, où elle est aussi
cultivée », ce qui peut s'entendre d'une espèce naturalisée dans
des terrains qui ont été cultivés. Je ne vois pas qu'aux Antilles
on ait constaté un état vraiment spontané. Il en est autrement
au Brésil. D'après les documents recueillis par de Martius et
étudiés par Nees 7, documents augmentés depuis et encore mieux

1. Rafn,Danmarksflora, 2, p. 799.
2. Wahlenberg,cité dans Moritzi,Dict. ms.; SvenskBotanik,t. 308.
3. Bauhin,Hist. plant., 3, p. 722.
4. SpergulamaximaBœhninghausen,figurée sans Reichenbach,Plants
cnl., 6, p. 513.
5. PanicummaximumJacq., Coll. 1, p. 7d (en 1786);Jacq. icones, 1,
t. 13 Swartz, FI. Indise ace, 7, p. 170.P. polygamumSwartz, P?-odr.
§. 24(1788).P. jumentorumPersoon Ench., 1, p 83(1805).P. altissimum,
e quelques jardins et auteursmodernes.D'aprèsla règle, le nom le plus
anciendoit être adopté.
6. Ala Dominique,d'aprèsImray,dans KewReportfor 1879,p. 16.
7. Nees,dans Martius,FI. brasil.,in-8»,vol. 2, p. 166.
THÉ 93

étudiés par M. Doell 1 le Panicum maximum croit dans les


éclaircies des forêts voisines de l'Amazone, près de Santarem,
dans les provinces de Bahia, Ceara, Rio-de-Janeiro et Saint-Paul.
les loca-
Quoique la plante soit souvent cultivée dans ces pays,
lités citées, par leur nature et leur multiplicité, font présumer
l'indigénat. M. Dœll a vu aussi des échantillons de la Guyane
française et de la Nouvelle-Grenade.
Voyons ce qui concerne l'Afrique.
Sir W. Hooker 2 mentionnait des échantillons rapportés de
Sierra Leone, d'Aguapim, des bords du Quorra et de l'île de
Saint-Thomas, dans l'Afrique occidentale. Nees 3 indique l'es-
dans
pèce dans plusieurs localités de la colonie du Cap, même
des broussailles et dans des pays montueux, A. Richard 4 men-
tionne des localités d'Abyssinie, qui paraissent aussi en dehors
des cultures, mais il convient n'être pas très sûr de l'espèce.
M. Anderson, au contraire, n'hésite pas en indiquant le P. maxi-
mum comme rapporté des bords du Zambèze et de Mozambique
par le voyageur Peters 6.
On sait positivement que l'espèce a été introduite à l'île Mau-
rice par l'ancien gouverneur Labourdonnais B, et qu'elle s'y est
aux
répandue hors des cultures, de même qu'à Rodriguez et
Seychelles 7. L'introduction en Asie ne peut pas être ancienne,
car Roxburgh (FI. ind.) et Miquel (Fl. ind.-bat.) ne mentionnent
pas l'espèce. A Ceylan, elle est uniquement cultivée8.
En définitive, il y a un peu plus de probabilité, ce me semble,
en faveur de l'origine africaine, conformément à l'indication du
nom vulgaire et à l'opinion générale, mais peu aprofondie, des
auteurs. Cependant, puisque la plante se répand si aisément, il
est singulier qu'elle ne soit pas arrivée d'Abyssinie ou de Mozam-
de
bique en Egypte et qu'on l'ait reçue si tard dans les îles
l'Afrique orientale. Si l'existence, antérieurement aux cultures,
d'une même espèce phanérogame en Afrique et en Amérique
n'était une chose extrêmement rare, on pourrait la supposer;
mais c'est peu vraisemblable pour une plante cultivée, dont la
diffusion est évidemment très facile.

Article 3. – Emplois divers des tiges ondes fenîllcs.

Thé. – Thea sinensis, Linné.


Au milieu du xvme siècle, lorsqu'on connaissait encore très peu
1. Dœll,dansFlora brasil., in-fol., vol. 2, part. 2.
2. Sir W. Hooker,Nigerflora, p. 550.
3. Nees, Horœ Africs aicstr.Qraminess,p. 36.
4. A. Richard,Abyssinie,2, p 373.
5. Peters, Reise,Botanik,p. 546.
6. Bojer,Hortusmauritianiis, 563. ·.
7. Baker, Flora of Mauritius andSeyc'telle?,p. 436.
8. Thwaites,Ennm.plant. Ceylome.
94 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES Ob FEUILLES

l'arbuste qui produit le thé, Linné le nomma Thea sinensis.


Bientôt après, dans la seconde édition du Species plantarum, il
crut mieux faire en distinguant deux espèces, Thea Bohea et
Thea viridis, qu'il croyait répondre à la distinction commer-
ciale des thés noirs et verts. On a prouvé depuis qu'il n'y a
qu'une espèce, comprenant plusieurs variétés, et qu'on obtient
des thés noirs ou verts au moyen de toutes les variétés, selon les
procédés de fabrication. Cette question était réglée lorsqu'il s'en
est élevé une autre sur la réalité du genre Thea, en tant que dis-
tinct du Camellia. Quelques auteurs font du Thea une section
de l'ancien genre Camellia; mais, si l'on réfléchit aux caractères
indiqués d'une manière très précise par Seemann il est permis,
ce me semble, de conserver le genre Thea, avec la nomenclature
ancienne et usitée de l'espèce principale.
On mentionne souvent une légende japonaise racontée par
Ksempfer s. Un prêtre venu de l'Inde en Chine, dans l'année §19
de notre ère, ayant succombé au sommeil lorsqu'il voulait veiller
et prier, aurait coupé ses deux paupières, dans un mouvement
d'indignation, et elles se seraient changées en un arbuste, le
Thé, dont les feuilles sont éminemment propres à empêcher de
dormir. Malheureusement pour les personnes qui admettent
volontiers les légendes en tout ou en partie, les Chinois n'ont
jamais entendu parler de celle-ci, quoique l'événement se fût
passé chez eux. Le thé leur était connu bien avant l'année 519, et
probablement il n'avait pas été apporté de l'Inde. C'est ce que
nous apprend le Dr Bretschneider, dans son opuscule, riche de
faits botaniques et linguistiques 3. Le Pent-sao, dit-il, men-
tionne le Thé 2700 ans avant Jésus-Christ, le Rya 5 à
600 ans aussi avant Jésus-Christ, et le commentateur de ce der-
nier ouvrage, au quatrième siècle de notre ère, a donné des dé-
tails sur la plante et sur l'emploi de ses feuilles en infusion.
L'usage est donc très ancien en Chine. Il l'est peut-être moins
au Japon, et s'il existe depuis longtemps en Cochinchine, ce qui
est possible, on ne voit aucune preuve qu'il se soit répandu
jadis du côté de l'Inde; les auteurs ne mentionnent aucun nom
sanscrit, ni même des langues indiennes modernes. Le fait
paraîtra singulier quand on verra ce que nous avons à dire sur
l'habitation naturelle de l'espèce.
Les graines de Thé se répandent souvent hors des cultures et
mettent les botanistes dans le doute sur la qualité spontanée des
pieds qu'on a rencontrés çà et là. Thunberg croyait l'espèce
sauvage au Japon, mais MM.Franchet et Savatier le nient com-

1. Seemann, dans Transactions of the linnsean Society, 22, p. 337, pl. 61.
2. Kœmpfer, Amœn. Japon.
3. Bretschneider, On the study and value of clzinese botanical worksr
p. 13 et 45.
4. Franchet et Savatier, Enum. plant. Jap., I, p. 61.
LIN 9$

Fortune qui a si bien examiné la culture du Thé


plètement. M. H. Fonta-
en Chine, ne parle pas de la plante spontanée. en
nier 2 affirme que le Thé croît généralement à l'état sauvage
les districts
Mandschourie. II est probable qu'il existe dans
n'ont pas
montueux du sud-ouest de la Chine, où les naturalistes cultive» a
jusqu'à présent. Loureiro le dit « cultivé et non
pénétré
en Cochinchine 3. Ce qui est plus certain, les voyageurs anglais
la province de
l'ont recueilli dans l'Assam supérieur et montueux
Gaehar 5 Ainsi le Thé doit être indigène dans les pays
de l'Inde de celles de la Chine, mais
qui séparent les plaines
des feuilles n'était pas connu jadis dans 1 Inde.
l'emploi
La culture du Thé, introduite aujourd'hui dans plusieurs
à Assam. Non seule-
colonies, donne des résultats admirables des
ment le produit y est d'une qualité supérieure à la moyenne
thés de Chine, mais la quantité obtenue augmente rapidement.de
treize millions
En 1870, on a récolté dans l'Inde anglaise
livres de thé, en 1878 trente-sept millions, et l'on espérait pour
Le Thé
1880 une récolte de soixante et dix millions de livres
craint les fortes gelées et souffre par la sécheresse. Comme je
tout à fait
l'ai dit une fois les conditions qui le favorisent sont
à la vigne. On m'a objecté
l'opposé de celles qui conviennent où l'on a du bon vin s; mais
îles Açores,
que le thé prospère aux bien
on peut cultiver dans les jardins ou sur une petite échelle
des plantes qui ne donnent pas, en grand, des produits rému-
vins y joue
nérateurs. On a de la vigne en Chine, et la vente des na
un très petit rôle. Inversement aucun pays de vignobles et
donné du thé pour l'exportation. Après la Chine, le Japon de
fait le plus
Assam, c'est à Java, à Ceylan et au Brésil qu'on
du tout ou fort peu la
thé, et assurément on n'y cultive pas
comme1 Australie,
vigne, tandis que les vins de régions lesèches,
le Cap, etc., se répandent déjà dans commerce.

Lin. Linum imtatissimwn, Linné.


Lins cultivés,
La question de l'origine du Lin, ou plutôt des
les plus inté-
est une de celles qui ont donné lieu aux recherches
ressantes.
les difficultés qu'elle présente, il faut
Pourcomprendre les au-
d'abord se rendre compte des formes, très voisines, que

i. Fortune, Titréeyearswanderingin China, 1 vol. in-8°.


2. Fontanier,Bulletinsoc.d acclimatation,lb7U,p. bb.
3. Loureiro,Fl. coclcinch.,p. 414. sir J.
4. G^ffit°Ae"™h!-câ|4par Hooker,Flora of brit. India,
I, p. 293.
^î^ih2^èntàaHlifù lele G* Chronicle,1ISSU,I,
Gardenec·'sChrorcicle, 8&ù',I,
6. 1'he colonies andIndïa, d'après
p. 659.
7 Discoursau congrèsbot. de Londres, en 1866.
8. Flora,1868,p. 64.
96 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

teurs désignent tantôt comme espèces distinctes du genre


Linum et tantôt comme variétés d'une seule espèce.
Le premier travail important sur ce point a été fait par
M. J.-E. Planchon, en 1848 Il a montré clairement les diffé-
rences des Linum usitatissimum, humile, et angustifolium, qu'on
connaissait mal. Ensuite M. Oswald Heer 2, à l'occasion de re-
cherches approfondies sur les anciennes cultures, a revu les carac-
tères indiqués, et en ajoutant l'étude de deux formes intermé-
diaires, ainsi que la comparaison de nombreux échantillons, il
est arrivé à l'idée d'admettre une seule espèce composée de plu-
sieurs états légèrement différents. Je transcrirai, en français,
son résumé latin des caractères, avec la seule addition de mettre
un nom pour chaque forme distincte, suivant l'usage dans les
livres de botanique.

Linumusitatissimum.
1. Annuum(annuel).Racine annuelle;tige unique, droite; capsulesde7
à 8 mill. de longueur;graines de 4 à 6 mill.,terminéespar un bec. a. Vul-
gare (ordinaire).Capsulesde 7 mill.ne s'ouvrantpas à maturité,et offrant
des replis intérieurs labres. Chezles Allemands Scldiesslein,Dres-
chlein.p. Humile(petit).Capsulesde 8 mill., s'ouvrantà maturité d'une ma-
nière brusque, à replis intérieurs ciliés. Linum humile Miller.L. cre-
pitans Bœninshausen.Chezles Allemands Klanglein,Sprinylein.
2. Hyemale(d'hiver).Racine annuelleou bisannuelle;tiges nombreuses,
diffusesà la base, arquées; capsules de 7 mil! terminées par un bec.
Linumhilemaleromanum.En allemand Winterlein.
3. Ambiguum(ambigu).Racine annuelleou vivace;
feuilles acuminées; capsules de 7 mill., à replis peu tiges nombreuses; i
ciliés; graines de
4 mill.,terminéespar un court bec. Linumambiguum,Jordan.
4. Angustifolium(à feuilles étroites).Racine annuelle ou vivace:tiges
nombreuses, diffusesà la base, arquées; capsules de 6 mill., à replis ci-
liés grainesde 3 mill.,à peine crochuesau sommet. – Linum anqustifo-
lium Hudson.

On voit combien de passages existent entre les formes. La


qualité de plante annuelle, bisannuelle ou vivace, dont M. Heer
soupçonnait le peu de fixité, est assez vague, en particulier
pour l'angustifolium, car M. Loret, qui a observé ce Lin aux en-
virons de Montpellier, s'exprime ainsi 3 « Dans les
pays très
chauds, il est presque toujours annuel, et c'est ce qui a lieu en
Sicile, d'après le témoignage de Gussone; chez nous il est annuel,
bisannuel ou même vivace, selon la nature physique du sol où il
croît, et l'on peut s'en assurer en l'observant sur le littoral, no-
tamment,à Maguelone. On y remarquera que le long des sentiers
fréquemment piétinés il a une durée plus longue que dans les

i. Planchon,dans Hooker,Journal of botany,vol. 7, p. 163.


2. Heer, Lie Pflanzén der Pfahlbauten,in-4°,Zurich,1863,p. 35; Ueber
den Flachsund die Flachskultur,in-4°,Zürich, 1872.
3. Loret, Observationscritiquessur plusieurs plantes montpelliéraines,
dans la Revuedessc. nat., 1875.
LIN 97

sables, où le soleil dessèche promptement ses racines et où


l'aridité du sol ne lui permet de vivre qu'une seule année. »
Lorsque des formes ou des états physiologiques passent de
l'un à l'autre et se distinguent par des caractères variables selon
les circonstances extérieures, on est conduit à les considérer
comme constituant une seule espèce, quoique ces formes ou
états aient un certain degré d'hérédité et remontent peut-être à
des temps très anciens. Nous sommes cependant obligés, dans
des recherches sur les origines, de les considérer séparément.
J'indiquerai d'abord dans quels pays on a trouvé chaque forme
à l'état spontané ou quasi spontané. Ensuite je parlerai des cul-
tures, et nous verrons jusqu'à quel point les faits géographiques
ou historiques confirment l'opinion de l'unité d'espèce.
Le Lin annuel ordinaire n'a pas encore été trouvé dans un
état spontané parfaitement certain. Je possède plusieurs échan-
tillons de l'Inde, et M. Planchon en avait vu d'autres dans les
herbiers de Kew, mais les botanistes anglo-indiens n'admettent
pas que la plante soit indigène dans leur région. La flore
récente de sir Joseph Hooker en parle comme d'une espèce
cultivée, principalement pour l'huile qu'on tire des graines, et
M. C.-B. Glarke, ancien directeur du jardin de Calcutta, m'écrit
que les échantillons récoltés doivent venir des cultures, très fré-
quentes en hiver, dans le nord de l'Inde. M. Boissier mentionne
un L. hwmile à feuilles étroites, que Kotschy a récolté « près
de Schiraz, en Perse, au pied de la montagne Sabst Buchom. »
Yoilà peut-être une localité bien en dehors des cultures, mais je
ne puis donner à cet égard des informations suffisantes. Hohe-
nacker a trouvé le L. usitatissimum m subspontané » dans la
province de Talysch, au sud du Caucase, vers la mer Caspienne 2.
Steven est plus affirmatif pour la Russie méridionale 8. Selon
lui, le L. usitatissimum « se trouve assez souvent sur les collines
stériles de là Crimée méridionale, entre Yalta et Nikita, et lé
professeur Nordmann l'a récolté sur la côte orientale de la mer
Noire. » En avançant vers l'ouest dans la Russie méridionale
ou la région de la mer Méditerranée, on ne cite plus l'espèce
que rarement et tomme échappée des cultures ou quasi spon-
tanée. Malgré ces doutes et la rareté des documents, je regarde
comme très possible qne le lin annuel, sous l'une ou l'autre de
ses deux formes, soit spontané dans la région qui s'étend de la
Perse méridionale à la Crimée, au moins dans certaines localités.
Le Lin d'hiver est connu seulement comme cultivé, dans quel-
ques provinces d'Italie

1. Boissier,Flora orient., 1, p. 851.C'estle L. usitatissimumile Kotschy,


n<>164.
2. Boissier,ibid.; Hohenh.,Enzim. Talysch,p. 168.
3. Steven, Verzeichnissder auf der taurischenHalbinselnwildwaeiisenden
Pflanzen,Moscou,1857,p. 91.
4. Heer, Ub.d. Flachs,p. 17et 22.
DE CANDOLLE. 7
98 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

Le Linum ambiguum de Jordan croît sur la côte de, Provence


et du Languedoc, dans les endroits secs 1.
Enfin le Linum ançfustifolùim, dont le précédent diffère à
peine, présente une habitation bien constatée et assez vaste. Il
croit spontanément, surtout sur les collines, dans toute l'éten-
due de la région dont la mer Méditerranée est le centre, savoir
dans les îles Canaries et Madère, au Maroc a, en Algérie 3 et
jusque dans la Cyrénaïque 4, au midi de l'Europe jusqu'en
Angleterre s, jusqu'aux6 Alpes et aux Balkans, et enfin en Asie,
du midi du Caucase au Liban et à la Palestine 7. Je ne le vois
pas mentionné en Crimée, ni au delà de la mer Caspienne.
Voyons ce qui concerne la culture, destinée le plus souvent à
fournir une matière textile, souvent aussi à donner de l'huile ou,
chez certains peuples, une matière nutritive au moyen des
graines. Je me suis occupé de la question d'origine, en 18ob8.
Elle se présentait alors de la manière suivante
II était démontré surabondamment que les anciens Egyptiens
et les Hébreux se servaient d'étoffes de lin. Hérodote l'affir-
mait. On voit d'ailleurs la plante figurée dans les dessins de
l'ancienne Egypte, et l'examen au microscope des bandelettes
qui entourent les momies ne laisse subsister aucun doute a. La
culture du Lin était ancienne en Europe, par exemple chez les
Celtes, et dans l'Inde, d'après les notions historiques. Enfin des
noms vulgaires très différents indiquaient aussi une culture an-
cienne ou des usages anciens dans divers pays. Le nom celte Lin
et gréco-latin Linon ou Linum n'a aucune analogie avec le nom
hébreux Pischta10 ni avec les noms sanscrits Ooma (prononcez
Qurna), Atasi, Utasi Quelques botanistes citaient le Lin comme
a à peu près spontané » dans le sud-est de la Russie, au midi du
Caucase et dans la Sibérie occidentale, mais on ne connaissait
pas une véritable spontanéité. Je résumais alors les probabilités
en disant « L'étymologie multiple d:^ noms, l'anciennete de la
culture en Egypte, en Europe et dans le nord de l'Inde à la fois,

i. Jordan, cité dans Walpers,Annal., vol. 2, et dans Heer, l. c, p. 22.


2. Ball,Spidlegiiimfl. marocc. 380.
3. Munby,Catal., ed. 2, p. 7.
4. Rohlf,d'aprèsCosson,Bull. Soc. bot. de Fr., 1875,p. 43.
5. Planchon.l. c.; Bentliam,Handhookof brit. fl. ed. 4, p. 89.
6. Planchon,l. c.
7. Boissier,Fl. or., 1, p. 881.
8. A. de Candolle,Gèogr.bot. rationnée,p. 833.
9. Thomson,Annalsof philos, juin iS34; Dutrochet,Larrey et Costaz,
ComPtes 0 Bot.
rendusde l'Acad.desse., Paris, 1837,sem. i, p. 739; Ungeiv
Streifzûge,4, p. 62.
10.On a traduit d'autresmots hébreux par lin, mais celui-ciest le plus
certain. Voir Hamilton,La botaniquede la Bible,Nice, 1871,p. SS.
11.Pïddington,Jncta Ind. plants; Roxburgh,Fl. ind éd. 1832,2, p. 110.
Le nom Matusee(prononcezMatousî)indiqué par Piddington,appartient
à d'autres plantes,d'aprèsAd. Pictet, Originesindo-europ.,éd. 2, vol. 1,
p. 396.
LIN 99
la circonstance que dans ce dernier pays on cultive le Lin seule-
ment pour faire de l'huile, me font croire que deux ou trois
espèces d'origine différente, confondues sous le nom de Linum
usitatissimum par la plupart des auteurs, ont été cultivées jadis
dans divers pays, sans imitation ou communication de l'un à
l'autre. Je doute, en particulier, que l'espèce cultivée par
les anciens Egyptiens fut l'espèce indigène en Russie et en
Sibérie. »
Une découverte très curieuse de M. Oswald Heer, est venue,
dix ans après, confirmer mes prévisions. Les habitants des pala-
fittes de la Suisse orientale, à une époque où ils n'avaient que
des instruments de pierre et ne connaissaient pas le chanvre,
cultivaient déjà et tissaient un lin qui n'est pas notre lin ordi-
naire annuel, mais le lin vivace appelé Linum angustifotium
spontané au midi des Alpes. Cela résulte de l'examen des cap-
sules, des graines et surtout de la partie inférieure d'une plante
extraite soigneusement du limon de Robenhausen La figure
publiée par M. Heermontre clairement une racine surmontée de
deux à quatre tiges, à la manière des plantes vivaces. Les tiges
avaient été coupées, tandis qu'on arrache notre Lin ordinaire,
ce qui prouve encore la qualité persistante de la plante. Avec les
restes du Lin de Robenhausen se trouvaient des graines du Silène
cretica, espèce également étrangère à la Suisse, qui abonde en
Italie dans les champs de Lin 3. M. Heer en a tiré la conclusion
que les lacustres suisses faisaient venir des graines de Lin d'Italie.
Il semble en effet que ce devait être nécessaire, à moins de sup-
poser jadis un autre climat en Suisse que celui de notre époque,
car le Lin vivace ne supporterait pas habituellement aujourd'hui
les hivers de la Suisse orientale3. L'opinion de M. Heer est appuyée
par le fait, assez inattendu, que le Lin n'a pas été trouvé dans les
restes lacustres de Laybach et Mondsee, des Etats autrichiens,
qui renferment du bronze L'époque tardive de l'arrivée du
Lin dans cette région empêche de supposer que les habitants de
la Suisse l'aient reçu de l'Europe orientale, dont ils étaient
séparés d'ailleurs par d'immenses forêts.
Depuis les observations ingénieuses du savant de Zurich, oh a
découvert un Lin employé par les habitants des tourbières'
préhistoriques de Lagozza, en Lombardie; et M. Sordeîli a
constaté, que c'était celui de Robenhausen le L. angus-

1. Heer, Die Pflanzen der Pfalilhauten, ht. in-ï°, Zurich, 1863, p. 35;
Ueber den Flachsund die in AltheHkum,hr. in-4°, Zurich, 1872.
2. Bertoloni, Flora Ual., 4, p. 612.
3. Nous avons vu qu'il avance vers le nord-ouest de l'Europe, mais il
manque au nord des Alpes. Peut-être l'ancien climat de la Suisse était-il
plus égal qu'à présent, avec plus de neises pour abriter les plantes vi-
vaces.
4. Mittheil. anlhropol. Gesellsehaft. Wien. vol. 6, p. 122, 161 Abhandl.
Wien. Akad., 84, p. 488.
100' PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
le uiiauvre
tifolium Ces anciens habitants ne connaissaient pas
ni les métaux, mais possédaient les mêmes céréales que les
lacustres de l'âge de pierre en Suisse et mangeaient comme eux
les glands de Chêne Rouvre. Il y avait donc une civilisation,
avant
déjà un peu développée, en deçà et au delà des Alpes,
que les métaux, même le bronze, y fussent d'un usage habituel,
et que le chanvre et la poule domestique y fussent connus 2. Ce
serait avant l'arrivée des Aryens en Europe, ou un peu après
Les noms vulgaires du Lin dans les anciennes langues d'Europe
peuvent jeter quelque jour sur cette question.
Le nom Lin, Llin, Lime,Linon, Linum, Lein, Lan, existe dans
toutes les langues européennes, d'origine aryenne, du centre
et du midi de l'Europe, celtiques, slaves, grecques ou latines.
Ce n'est pas un nom commun avec les langues aryennes de
l'Inde; par conséquent, dit avec raison Ad. Pictet la culture
du Lin doit avoir commencé par les Aryens occidentaux et avant
leur arrivée en Europe. J'ai fait cependant une réflexion qui m'a
conduit à une nouvelle recherche, mais sans résultat. Puisque
le Lin, me suis-je dit, était cultivé par les lacustres de Suisse et
d'Italie avant l'arrivée des peuples aryens, il l'était probable-
ment par les Ibères, qui occupaient alors l'Espagne et la Gaule,
et il en est resté peut-être quelque nom spécial chez les Basques,
dic-
qu'on suppose descendre des Ibères. Or, d'après plusieurs
tionnaires de leur langue 5, Liho, Lino ou Li, suivant les dia-
lectes, signifientLin, ce qui concorde avec le nom répandu dans
toute l'Europe méridionale. Les Basques paraissent donc avoir
reçu le Lin des peuples d'origine aryenne, ou peut-être ils ont
substitué celui des
perdu un ancien nom auquel ils auraient
Celtes et des Romains. Le nom Flachs ou Flax, des langues ger-
dans le
maniques, vient del'ancien allemand Flahs °. Ily a aussi, le lin:
nord-ouest de l'Europe, des noms particuliers pour
Pellawa, Aiwina en finlandais 7; Hor, Hôr, HsLrr en danois 8;

1. Sordelli,Sullepiante della torbierae della stazionepreistorica della


suite de Castelfranco,Notizieall. sta-
Lagozza,p. 37 et SI, imprimé à laAtti
zionelacustredellaLagozza,in-8°, della Soc.ital. se. nat., 1880.
2. La poule a été introduite d'Asieen Grèce dans le Tie siècle avant
-J.-C, d'après Heer, Ueb.d. Flachs, p. 25.
3. Ces découvertesdans les tourbières de Lagozzaet autres lieux, en
Italie, montrent à quelpoint M. V. Hehn {Kulturpfl.,ed. 3, 1877,p. S2i)
,'est trompé en supposantles lacustressuisses des Helvétiensrapprochés
du temps de César. Les hommes de la même civilisationqu'eux au midi
des Alpes étaient évidemmentplus anciens que la république romaine,
peut-êtreplus que les Ligures.
4. Ad. Pietet, Originesindo-europ.,éd. 2, vol. 1, p. 396.
5. Van Eys, Dict. basquefrançais, 1876;Gèze,Elémentsdeillots grammaire
basquesuivis d'un vocabulaire,Bayonne,1873;Salaberry,l«2b. basques
navarrais, Bayonne,1836;Lécluse,Vocabul.françaisbasque,
6. Ad. Pictet, l. c.
7*.Nemnich,Polygl. Lexicond. Nalurgesch.,2, p. 420;Rafn, Danmark
flora, 2, p 390.
8. Nemnicli,ihid.
LIN 101
Hôr et Tone en vieux goth 1. Haar existe aussi dans l'allemand
de Salzburg 2. Sans doute on peut expliquer ce mot par le sens
ordinaire en allemand de fil, cheveu, comme le nom de Li peut
être rattaché à une même racine que ligare, lier, et comme Hôr,
au pluriel Hôrvar, est rattaché par les érudits s à Harva, radi-
cal allemand pour Flachs, mais le fait n'en existe pas moins que
dans les pays scandinaves et en Finlande on a employé d'autres
Cette diversité
expressions que dans tout le midi de l'Europe. le fait que
indique l'ancienneté de la culture et concorde avec
les lacustres de Suisse et d'Italie cultivaient un Lin avant
les premières invasions des Aryens. Il est possible, je dirai
même probable, que ceux-ci ont apporté le nom Li, plutôt que
la plante ou sa culture; mais, comme aucun Lin n'est spontané
dans le nord de l'Europe, ce serait un ancien peuple, les Finnois.
dans le nord
d'origine touranienne, qui auraient introduit le Lin
avant les Aryens. Dans cette hypothèse, ils auraient cultivé le
Lin annuel, car le Linvivace ne supporterait pas les rigueurs des
à le cli-
pays septentrionaux, tandis que nous savons quelLinpoint
mat de Russie est favorable en été à la culture du ordinaire
annuel. La première introduction dans la Gaule, en Suisse et en
Italie a pu venir du midi, par les Ibères, et en Finlande par les
Finnois; après quoi les Aryens auraient répandu les noms les
midi et de flahs
plus habituels chez eux, celui de Lin dans le
dans le nord. Peut-être eux et les Finnois avaient-ils apporté
d'Asie le Lin annuel, qu'on aurait vite substitué au Lin vivace,
moins avantageux et moins adapté aux pays froids. On ne sait
culture du Lin annuel a rem-
pas exactement à quelle époque la mais ce
placé, en Italie, celle du Linum angustifolium vivace,
doit être avant l'ère chrétienne, car les auteurs parlent d'une
culture bien établie, et Pline dit qu'on semait le Lin au printemps
et qu'on l'arrachait en été 4. On ne manquait pas alors d'instru-
ments de métal, ainsi on aurait coupé le Lin s'il avait été vivace.
D'ailleurs celui-ci semé au printemps n'aurait pas été mûr avant
l'automne.
Par les mêmes raisons, le Lin cultivé chez les anciens Egyptiens
devait être annuel. On n'a pas trouvé jusqu'à présent dans les
catacombes des plantes entières ou des capsules nombreuses, de
nature à donner des preuves directes et incontestables. Seulement
B
Unger a pu examiner une capsule tirée des briques d'un mo-
nument que Lepsius attribue au xiue ouxive siècle ayant J.-C, et
il l'a trouvée plus semblable à celles du L. usitatissimum que du

i. Nemnich,ibid.
2. Nemnich,ibid.
3. Fick, Vergl. WorterbuchInd. germ. 2' éd., 1, p. 722.Le même fait
venir le nom Lina du latin Linum,mais ce nomremonte plus haut, étant
(jommnnà plusieurslanguesaryenneseuropéennes.
4. Plinius, 1 19, cap. 1 Veresatum œstalevellitur.
5. Unger,Botanische Streifzûge,1866,n° 7, p. 15.
102 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS TIGES OU FEUILLES

L. angustifolium. Sur trois graines que Braun a a vues dans le


musée de Berlin, mélangées avec d'autres de plantes diverses
cultivées, une lui a paru appartenir au L. angustifolium et les
deux autres au L. humile, mais il faut convenir qu'une seuler
graine, sans la plante ou la capsule, n'est pas une preuve suffi-
sante. Les peintures de l'ancienne Egypte montrent qu'on ne
récoltait pas le Lin comme les céréales avec une faucille. On
l'arrachait 2.En Egypte, le Lin est une culture d'hiver, car la sé-
cheresse de l'été ne permettrait pas plus d'une variété persistante
que le froid dans les pays septentrionaux où l'on sème au prin-
temps pour récolter en été. Ajoutons que lé*Lin annuel, de la
forme appelée humile, est le seul cultivé de nos jours en Abys-
sinie, le seul également que les collecteurs modernes aient vu
cultivé en Egypte s.
M. Heer soupçonne que les anciens Egyptiens auraient cultivé
le Linum angustifolium, de la région méditerranéenne, en le
semant comme une plante annuelle 4. Je croirais plutôt qu'ils ont
emporté ou reçu leur Lin d'Asie, et déjà sous la forme de Yhn-
mile. Les usages et les figures montrent que leur culture du Lin
datait d'une antiquité très reculée. Or, on sait maintenant que
les Egyptiens des premières dynasties avant Ghéops apparte-
naient à une race proto-sémitique, venue par l'isthme de Suez 5.
Le Lin a été retrouvé dans un tombeau de l'ancienne Chaldée,
antérieur à Babylone 6, et son emploi dans cette région se perd
dans la nuit des temps. Ainsi les premiers Egyptiens de la race
blanche ont pu transporter le Lin cultivé, et, à défaut, leurs suc-
cesseurs immédiats ont pu le recevoir d'Asie avant l'époque des
colonies phéniciennes en Grèce et avant les rapports directs de
la Grèce avac l'Egypte sous la XIVedynastie 7.
Une introduction très ancienne d'Asie en Egypte n'empêche
pas d'admettre des transports successifs de l'est à l'ouest dans
des temps moins anciens que les premières dynasties égyptiennes.
Ainsi les Aryens occidentaux et les Phéniciens ont pu transpor-
ter en Europe le Lin, ou un Lin plus avantageux que leL. angus-
tifolium, pendant la période de 2500 à 1200 ans avant notre ère.
L'extension par les Aryens aurait marché plus au nord que
celle par les Phéniciens. En Grèce, dans le temps de la guerre
de Troie, on tirait encore les belles étoffes de Lin de la Colchîde,,

1. A. Braun, Die Pflanzenresiedes Mgyptischen Muséumsin Berlin, in-


8°,1877,p. 4.
2. Rosellini,pl. 35et 36, cité par Unger,Bot. Streifzûrte,n.»4, p. 62.
3. W. Schimper,Ascherson, Boissier, Sab.weiniurl.fi, cités dans AI.
Braun,l. c., p. 4.
4. Heer, Ueb.d. Flachs,p. 26.
5. Maspero,Histoireanciennedes veuplesde l'Orient,éd. 3, Paris, lS78r
p. 13 et suivantes.
6. Journal of the royal asiatic soc., vol. la p. 271, cité dans Heer^.
l. c, p. 6.
7. Maspero,p. 213et suivantes.
JUTE 103

c'est-à-dire de cette région au pied du Caucase, où l'on a trouvé


de nos jours le Lin annuel ordinaire sauvage. Il ne semble pas
Les Aryens
que les Grecs aient cultivé la plante à cette époque
en avaient peut-être déjà introduit la culture dans la région voi-
sine du Danube. Cependant j'ai noté tout à l'heure que les restes
des lacustres de Laybach et Mondsee n'ont indiqué aucun Lin.
Dans les derniers siècles avant l'ère chrétienne, les Romains
tiraient de très beau Lin d'Espagne; cependant les noms de la
Phéniciens en
plante dans ce pays ne font pas présumer que les
aient été les introducteurs. Il n'existe pas en Europe un nom
oriental du Lin, venant ou de l'antiquité ou du moyen âge. Le
nom arabe Kattan, Kettane ou Kittane, d'origine persane 2, s'est
8.
propagé vers l'ouest seulement jusqu'aux Kabiles d' Algérie
L'ensemble des faits et des probabilités me paraît conduire
à quatre propositions, acceptables jusqu'à nouvelles découvertes
1. Le Linum angustifohum, ordinairement vivace, rarement
bisannuel ou annuel, spontané depuis les îles Canaries jusqu'à
la Palestine et au Caucase, a été cultivé en Suisse et dans le
nord de l'Italie par des populations plus anciennes que les con-
quérants de race aryenne. Sa culture a été remplacée par celle
du lin annuel.
2. Le Lin annuel (L. usitatissimum) cultivé depuis 4 ou 5000 ans
au moins dans la Mésopotamie, l'Assyrie et l'Egypte était spon-
tané et l'est encore dans des localités comprises entre le golfe
Persique, la mer Caspienne et la mer Noire.
3. Ce Lin annuel paraît avoir été introduit dans le nord de
l'Europe par les Finnois (de race touranienne) ensuite dans le
reste de l'Europe par les Aryens occidentaux, et peut-être, çà et
là, par les Phéniciens; enfin dans la péninsule indienne par les
Aryens orientaux, après leur séparation des occidentaux. dans
4. Ces deux formes principales ou états du Lin existent
les cultures et sont probablement spontanées dans leurs localités
actuelles depuis au moins 5000 ans. Il n'est pas possible de
deviner leur état antérieur. Leurs transitions et variations sont si
nombreuses qu'on peut les considérer comme une espèce, pour-
vue de deux ou trois races ou variétés héréditaires, ayant elles-
mêmes des sous-variétés.

Jute. Corchorus capsularis et Corchorus olitorius, Linné.


Les fils de Jute, qu'on importe en grande quantité depuis
se tirent de la tige de
quelques années, surtout en Angleterre, la famille des Tiliacées.
ces deux Corchorus, plantes annuelles de
On emploie aussi leurs feuilles comme légume.
1. Les textes grecs sont cités surtout dans Lenz,Bolanikder Alton.Grie-
chen und Rœmer,p. 672; Hehn, Cultwpflanzenund Hausthiere,ed. o,
p. 144.
2. Ad. Pictet, l. c.
3. Dictionnairefrançais-berbère,1 vol. in-S°,1844.
404 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS TIGES OU FEUILLES

Le C. capsularis a un fruit presque sphérique, déprimé au


sommet et bordé de côtes longitudinales. On peut en voir une
bonne figure coloriée dans l'ouvrage de Jacquin fils, J&clogœ,
pl. 119. Le C. olitorius, au contraire, aun fruit allongé, comme
une silique de crucifère. Il est figuré dans le Botanicalmagazine,
t. 2810, et dans Lamarck, Illustr., t. 478.
Les espèces du genre sont distribuées assez également dans les
régions chaudes d'Asie, d'Afrique et d'Amérique; par consé-
quent, l'origine de chacune ne peut pas être présumée. Il faut la
chercher dans les flores et les herbiers, en s'aidant de données
historiques ou autres.
Le Corchorus capsularis est cultivé fréquemment dans les îles
de la Sonde, à Ceylan, dans la pén'nsule indienne, au Bengale,
dans la Chine méridionale, aux îles Philippines l en général
dans l'Asie méridionale. Forster n'en parle pas dans son volume
sur les plantes usitées par les habitants des îles de la mer Paci-
fique, d'où l'on peut inférer que, lors du voyage de Cook, il y
a un siècle, la culture ne s'en était pas répandue dans cette direc-
tion. On peut même soupçonner, d'après cela, qu'elle ne date pas
d'une époque très reculée dans les îles de l'archipel Indien.
Blume dit que le Corchorus capsularis croît dans les terrains
marécageux de Java, près de Parang2, et je possède deux échan-
tillons de Java qui ne sont pas donnés pour cultivés 3. Thwaites
l'indique à Ceylan comme « très commun » Sur le continent
indien, les auteurs en parlent plutôt comme d'une espèce cul-
tivée au Bengale et en Chine. Wight, qui a donné une bonne
figure de la plante, n'indique aucun lieu de naissance.
Edgeworth B qui a vu de près la flore du district de
Banda, indique « les champs ». Dans la flore de l'Inde anglaise,
M. Masters, qui a rédigé l'article des Tiliacées, d'après les her-
biers de Kew, s'exprime ainsi « Dans les parties les plus chaudes
de l'Inde; cultivé dans la plupart des pays tropicaux 6 » J'ai
un échantillon du Bengale qui n'est pas donné pour cultivé.
Loureiro dit «sauvage, et cultivé dans la province de Canton en
Chine 7, » ce qui signifie probablement sauvage en Cochinchine
et cultivé dans la province de Canton. Au Japon, la plante croît
dans les terrains cultivés 8. En somme, je ne suis pas persuadé
que l'espèce existe, à l'état vraiment spontané, au nord de Cal-
cutta. Elle s'y est peut-être semée çà et là par suite des cultures.

1. Rumphius, Amboin., vol. 5, p. 212; Roxburgh, Fl. indica, 2, p. 581;


Loureiro, FI. cochinch., i, p. 408, etc., etc.
2. Blume, Bijdragen, 1, p. 110.
3. Zollinger, n°3 1698 et 2761.
4. Thwaites, Enum. Zeylan., p. 31.
5. Edgeworth, Linnxan Soc. journ^, IX.
6. Masters, dans Hooker, Fl. ind., i, p. 397.
7. Loureiro, FI. cochinch., 1, p. 408.
8. Franchet et Savatier, Enum., 1, p. 66.
JUTE 103

Le C. capsularis a été introduit dans divers pays intertropi-


caux d'Afrique ou même d'Amérique, mais il n'est cultivé en
dans l'Asie méri-
grand, pour la production des fils de jute, que
dionale, surtout au Bengale.
Le Corchorus olitorius est plus usité comme légume que pour
les fibres. Hors d'Asie, il est employé uniquement pour les feuilles.
C'est une des plantes potagères les plus communes des Egyptiens
et Syriens modernes, qui la nomment en arabe Melokych, mais il
n'est pas probable que les anciens en aient eu connaissance, car
on ne cite aucun nom hébreu 1. Les habitants actuels de la
Crète la cultivent sous le nom deMouchlia*, évidemment tiré de
l'arabe, et les anciens Grecs ne la connaissaient pas.
dans plu-
D'après les auteurs 3, ce Corchorus est spontané est com-
sieurs provinces de l'Inde anglaise. Thwaites dit qu'il
mun dans les parties chaudes de Ceylan, mais à Java Blume
l'indique seulement dans les décombres (in ruderatis). Je ne le
vois pas mentionné en Cochinchine et au Japon. M. Boissier
(Fl. or.) a vu des échantillons de Mésopotamie, de l'Afghanistan,
de Syrie et d'Anatolie, mais il donne pour indication générale
« Gulta et in ruderatis subspontanea. » On ne connaît pas de nom
sanscrit pour les deux Corchorus cultivés
Quant à Findigénat en Afrique, M. Masters, dans Oliver, Flora
ou cul-
o f tropical Africa (1, p. 262), s'exprime ainsi « Sauvage,
tivé comme légume dans toute l'Afrique tropicale. » II rapporte
à la même espèce deux plantes de Guinée que G. Don avait dé-
crites comme différentes et sur la spontanéité desquelles il ne
savait probablement rien. J'ai un échantillon du Cordofan re-
cueilli par Kotschy, n° 45, « au bord des champs de Sorgho. ».
Le seul auteur, à ma connaissance, qui affirme la spontanéité est
Peters. Il a trouvé le C. olitorius « dans les endroits secs et
aussi dans les prés aux environs de Sena et de Tette. » Schwein-
furth ne l'indique dans toute la région du Nil que comme cul-
tivé B.Il en est de même dans la flore de Sénégambie de Guille-
min, Perrotet et Richard.
En résumé, le C. olitorius paraît spontané dans les régions
d'une chaleur modérée de l'Inde occidentale, du Cordofan et
Il se serait ré-
probablement de quelques pays intermédiaires.
pandu du côté de Timor et jusque dans l'Australie àseptentrionale
l'Anatolie la suite d'une
(Bentham, FI. austr.), en Afrique et vers
culture qui ne date peut-être pas de plus loin que l'ère chré-
tienne, même dans son point d'origine.
de
Malgré ce qu'on répète dans beaucoup d'ouvrages, la culture

1. Rosenmûller,Bibl.Natu2,geschichte.
2. Von Heldreich,DieNutzpflanzenGriecherilandr, p. 53.
3. Masters,dans Hooker,FI. brit. India, 1, p. 397; Aitchison,Catal.
Punjab,p. 23; Roxburgh,Fl. ind., 2, p. 581.
4. Piddington,Index.
5. Schweïnfurth,Beilràgez. Fl. JElhiop.,p. 264.
106 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

cette plante est rarement indiquée en Amérique. Je note cepen-


dant que, d'après Grisebach i, elle a amené à la Jamaïque une
naturalisation hors des jardins, comme cela se présente souvent
pour les plantes annuelles cultivées.

Sumac. Rhus Coriaria, Linné.


On cultive cet arbuste en Espagne et en Italie 2, pour faire
sécher les jeunes branches, avec les feuilles, et en faire une pou-
dre, qui se vend aux tanneurs. J'en ai vu naguère une planta-
tion en Sicile, dont les produits s'exportaient en Amérique.
Comme les écorces de chêne deviennent plus rares et qu'on re-
cherche beaucoup les matières tannantes, il est probable que
cette culture s'étendra; d'autant plus qu'elle convient aux loca-
lités sèches et stériles. En Algérie, en Australie, au Gap, dans la
république Argentine, ce serait peut-être une introduction à
essayer 3.
Les anciens se servaient des fruits comme assaisonnement, un
peu acide, de leurs mets, et l'usage s'en est conservé çà et là; mais
je ne vois pas de preuve qu'ils aient cultivé l'espèce.
Elle croît spontanément aux Canaries et à Madère, dans la
région de la mer Méditerranée et de la mer Noire, de préfé-
rence sur les rocailles et dans les terrains desséchés. En Asie,
son habitation s'étend jusqu'au midi du Caucase, à la mer Cas-
pienne et la Perse 4. L'espèce est assez commune pour qu'on ait
commencé à l'employer avant de la cultiver.
Sumach est le nom persan et tartare 5, Rous, Rhus (prononcez
R/wus) l'ancien nom chez les Grecs et les Romains 6. Une preuve
de la persistance de certains noms vulgaires est qu'en français
on dit le Roux ou Roure des corroyeurs.

Cat. Catha edulls, Forskal. Celastrus edulis, Vahl.


Cet arbuste, de la famille des Célastracées, est cultivé beau-
coup en Abyssinie, sous le nom de Tchut ou Tchat, et dans
l'Arabie Heureuse sous celui de Cat ou Gat. On mâche ses.
feuilles, à l'état frais, comme celles du Coca en Amérique. Elles
ont les mêmes propriétés excitantes et fortifiantes. Celles des
pieds non cultivés ont un goût plus fort et peuvent même eni-
vrer. Botta a vu dans le Yemen des cultures de Cat aussi impor-

1. Grisebach,Flora of britishIndia, p. 97.


2. Bosc,Dictionn.cVagric,au motSumac.
3. Les conditionset procédésde culture du Sumacont fait l'objet d'un
mémoire important de M. Inzenga,traduit dansle Bulletinde la Société
d'acclimatationde février1877.Dansles Transactionsof the bot.Soc. of
Edinburgh,9, p. 341,on peut voir l'extrait d'un premier mémoirede l'au-
teur surle mêmesujet.
4. Ledebour,Fl. ross.,1, p. 509;Boissier,Fl. orient., 2, p. 4.
Nemnich, Polygl. Lexicon,2, p. 1156;Ainslie,Mat. med. ind., if
p.5.414.
6. Fraas, Syn. fi. class.,p. 85.
SUMAC, CAT, MATÉ, O0CA 1C7

tantes que celles du café, et il note qu'un cheikh obligé (le


recevoir poliment beaucoup de visiteurs achetait pour 100 francs
de feuilles par jour 1. En Abyssinie, on emploie aussi les feuilles
en infusion comme une sorte de thé 2. Malgré la passion avec
laquelle on recherche les excitants, cette espèce ne s'est pas
répandue dans les pays voisins où elle réussirait, comme le
Belouchistan, l'Inde méridionale, etc.
Le Gatha est spontané en Abyssinie 3. On ne l'a. pas encore
trouvé tel en Arabie. Il est vrai que l'intérieur du pays est à peu
près inconnu aux botanistes. Les pieds non cultivés dont parle
Botta sont-ils spontanés et aborigènes, ou échappés des cul-
tures et plus ou moins naturalisés ? C'est ce qu'on ne peut dire
d'après son récit. Peut-être le Catha a-t-il été introduit d'Abys-
sinie avec le caféier, qu'on n'a. pas vu davantage spontané en
Arabie.

Maté. – llex paraguariensis, Saint-Hilaire.


Les habitants du Brésil et du Paraguay font usage, depuis un
temps immémorial, des feuilles de cet arbuste, comme les Chi-
nois de celles du thé. Ils les récoltent surtout dans les forêts hu-
mides de l'intérieur, entre les 20e et 30e degrés de latitude sud,
et le commerce les transporte séchées, à de grandes distances,
dans la plus grande partie de l'Amérique méridionale. Ces
feuilles renferment, avec de l'arome et du tannin, un principe
analogue à celui du thé et du café cependant on ne les aime
guère, dans les pays où le thé de Chine est répandu. Les planta-
tions de Maté ne sont pas encore aussi importantes que l'exploi-
tation des arbustes sauvages, mais elles pourront augmenter à
mesure que la population augmentera. D'ailleurs la préparation
est plus facile que celle du thé, parce qu'on ne roule pas les
feuilles.
Des figures et descriptions de l'espèce, avac de nombreux dé-
tails sur son emploi et ses propriétés, se trouvent dans les
ouvrages de Saint-Hilaire, sir W. J. Hooker et de Martius

Coca. Erythroxylon Coca, Lamarck.


Les indigènes du Pérou et des provinces voisines, du moins
&ans les parties chaudes et humides, cultivent cet arbuste, dont
ils mâchent les feuilles, comme on fait dans l'Inde pour le
Bétel. L'usage en est très ancien. Il s'était répandu même dans

1. Forskal,Flora xgypto-arab.,p. 65; Richard, Tentamenfl. abyss.,1,


p. 13i, t. 30; Botta, 'Archivesdu Muséum, 2, p. 73.
2. Hocbstetter, dans Flora, 1841,p. 663.
3. Schweinfurthet Ascherson,Aîcfzâhlung,p.263; Oliver,Flora of tro-
pical Africa, 1, p. 364.
4. Aug. de Saint-Hilaire,Mêm.du Muséum,9, p. 331, Ann. sc. nat.,
3e série, 14,p. 52; Hooker,Londonjournal vf botany,1, p. 34; deMaetius,.
Flora brasiliensis,vol. H, part. 1, p. 119.
108 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

les régions élevées, où l'espèce ne peut pas vivre. Depuis qu'on


a su extraire la partie essentielle du Coca et qu'on a reconnu
ses avantages comme tonique, propre à faire supporter des fati-
gues sans avoir les inconvénients des boissons alcooliques, il
est probable qu'on essayera d'en répandre la culture, soit en
Amérique, soit ailleurs. Ce sera, par exemple, dans la Guyane,
l'archipel Indien ou les vallées de Sikkim et Assam,dans l'Inde,
car il faut de l'humidité dans l'air et de la chaleur. La gelée
surtout est nuisible à l'espèce. Les meilleures localités sont sur
les pentes de collines, où l'eau ne séjourne pas. Une tentative
faite autour de Lima n'a pas réussi, à cause de la rareté des
pluies et peut-être d'une chaleur insuffisante 1.
Je ne répéterai pas ici ce qu'on peut trouver dans plusieurs
excellentes publications sur le Coca 2; je dirai seulement que la
patrie primitive de l'espèce, en Amérique, n'est pas encore suf-
fisamment certaine. Le Dl" Gosse a constaté que les anciens
auteurs, tels que Joseph de Jussieu, de Lamarck et Cavanilles,
n'avaient vu que des échantillons cultivés. Mathews en avait
récolté au Pérou dans le ravin (quebrada) de Chinchao 3, ce qui
paraît devoir être une localité hors des cultures. On cite aussi
comme spontanés des échantillons de Cuchero, rapportés par
Poeppig mais le voyageur lui-même n'était pas assuré de la
condition spontanée B.D'Orbigny pense avoir vu le Coca sau-
vage sur un coteau de la Bolivie orientale 6. Enfin M. André a
eu l'obligeance de me communiquer les Erythroxylon de son
herbier, et j'ai reconnu le Coca dans plusieurs échantillons de la
vallée de la rivière Cauca, dans la Nouvelle-Grenade, portant
l'indication en abondance, spontané ou subspontané. M. Triana
cependant ne reconnaît pas l'espèce comme spontanée dans son
pays, la Nouvelle-Grenade 7. L'extrême importance au Pérou,
sous le régime des Incas, comparée à la rareté de l'emploi à la
Nouvelle-Grenade, fait penser que les localités de ce dernier
pays sont en effet des cultures, et que l'espèce est originaire
seulement de la partie orientale du Pérou et de la Bolivie, con-
formément aux indications de divers voyageurs susnommés.

Indigotier des teinturiers. Indigofera tinctoria, Linné.


Il a un nom sanscrit, Nili 8. Le nom latin Indicum montre
que les Romains connaissaient l'indigo pour une substance
1. Martinet,dans le Bull. de la Soc.d'acclimatation,1874,p. 449.
2. En particulier dans le résumé très bien fait du Dr Gosse,intitulé
Monograp hie de VErythroxylon Coca,br. in-8°,1861(tiréeà part des Mém.
de l'Àcad.de Bruxelles,vol. 12).
3. Hooker,Companion to theBot. mag., 2, p. 25.
4. Peyritsch,dans Flora brasil., fasc. 81, p. 156.
5. Hooker,l. c.
6. Gosse,Monogr.,p. 12.
7. Trianaet Planchon,dans Ann. se. nat., sér. 4, vol. 18,p. 338.
8. Roxburgh,Flora indica,3, p. 379.
INDIGOTIERS, HENNÉ 109-
'1 '1' '1
venant de l'Inde. Quant à la qualité spontanée, de la plante,
Roxburgh dit « Lieu natal inconnu, car, quoique commune
maintenant à l'état sauvage dans la plupart des provinces de
l'Inde, elle n'est pas éloignée ordinairément des endroits où elle
est cultivée actuellement ou l'a été. » Wight et Royle, qui ont
et
publié des figures de l'espèce, n'apprennent rien à cet égard,
les flores plus récentes de l'Inde mentionnent la plante comme
cultivée Plusieurs autres Indigofera sont spontanés dans l'Inde.
On a trouvé celui-ci dans les sables du Sénégal 2, mais il n'est
et il est souvent
pas indiqué dans d'autres localités africaines,
cultivé au Sénégal, ce qui me fait présumer une naturalisation.
L'existence d'un nom sanscrit rend l'origine asiatique assez pro-
bable.

Indigotier argenté. Indigofera argentea, Linné.


Celui-ci est décidément spontané en Abyssinie, Nubie. Kor-
dofan et Sennaar 3. On le cultive en Egypte et en Arabie. D'après
cela, on pourrait croire que c'est l'espèce dont les anciens Egyp-
tiens tiraient une couleur bleue mais ils faisaient peut-être
venir l'indigo de l'Inde, car la culture en Egypte ne remonte
5.
probablement pas au delà du moyen âge
Une forme un peu différente que Roxburgh désignait comme
une variété, est
espèce (Indigofera cserulea), et qui paraît plutôt
indienne et du Belou-
sauvage dans les plaines de la _péninsule
chistan.

Indigotiers d'Amérique.
Il existe probablement un ou deux Indigofera originaires
dans les cul-
d'Amérique, mais mal définis, souvent mélangés
tures avec les espèces de l'ancien monde et naturalisés hors des
cultures. La synonymie en est trop incertaine pour que j'ose
faire quelque recherche sur leur patrie. Quelques auteurs ont
Linné dit
pensé que 1' Anil de Linné était une de ces espèces.
cependant que sa plante était de l'Inde (Mantissa,d'un p. 273). La
teinture bleue des anciens Mexicains était tirée végétal
bien différent des Indigofera, d'après ce que raconte Hernandez 6.

Henné. – Lawsonia alba, Lamarck (Lawsonia inermis et


L. spinosa de divers auteurs).
en
L'usage des femmes de l'Orient de se teindre les ongles
1 Wight, Icones,t. 365;Royle, Ill. Himal, t. 136. 195;Baker, dans Flora
p. 98; Brandis,Forest
of b'ritisnIndia,P2,errottet flora, p.
2. Guillemin, et Richard, Flora Seneg.tentamen,p. 178.
3. Richard,Tentamenfl. abyss., 1, 184;Oliver,FI. of trop. Africa,2,
p. 97; Schweinfurthet Ascherson, Aufzàhlung,p. 2a6.
4. Hnger,Pflanzend. alten JEgyptens,p. 66; Pickenng, Cleronol.arrang.
p ~43.
V';>* Economiedes Juifs, p. 439;des Egyptiens,p. 354.
Keynier,
6. Hernandez,Tltes.,p. 108.
110 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS TIGES OU FEUILLES

rouge avec le -suc tiré des feuilles du Henné remonte à une


grande antiquité. La preuve en est dans les anciennes peintures
et momies égyptiennes.
Il est difficile de savoir quand et dans quel pays on a com-
mencé à cultiver l'espèce pour subvenir aux nécessités de cette
mode aussi ridicule que persistante, mais cela peut remonter à
une époque très ancienne, puisque les habitants de Babylone,
de Ninive et des villes d'Egypte avaient des jardins. Les érudits-
pourront constater si l'usage de teindre les ongles a commencé
en Egypte sous telle ou telle dynastie, avant ou après certaines
communications avec les peuples orientaux. II suffit, pour notre
but, de savoir que le Lawsonia, arbuste de la famille des
Lythracées, est plus ou moins spontané dans les régions chaudes
de l'Asie occidentale et de l'Afrique, au nord de l'équateur.
J'en possède des échantillons venant de l'Inde, de Java, de
Timor, même de Chine et de Nubie, qu'on ne dit pas recueillis
sur des pieds cultivés, et d'autres échantillons de la Guyane
et des Antilles, qui proviennent sans doute d'importations de
l'espèce. Stoks l'a trouvé indigène dans le Belouchistan 2. Rox-
burgh le regardait aussi comme spontané sur la côte de Coro-'
mandel s, et Thwaites 4 l'indique pour Ceylan d'une manière
qui fait supposer une espèce spontanée. M. Glarke 8 la dit « très
commune et cultivée dans l'Inde, peut-être sauvage dans la
partie orientale ». Il est possible qu'elle se soit répandue dans
l'Inde, hors de la patrie primitive, comme cela est arrivé
au xvne siècle à Amboine 6 et plus récemment peut-être aux
Antilles à la suite de cultures, car la plante est recherchée
pour le parfum de ses fleurs, outre la teinture, et se propage
beaucoup par ses graines. Les mêmes doutes s'élèvent sur l'in-
digénat en Perse, en Arabie, en Egypte (pays essentiellement
cultivé;, en Nubie et jusqu'en Guinée, où des échantillons ont
été recueillis 8. Il n'est pas fort improbable que l'habitation de
cet arbuste s'étendît de l'Inde à la Nubie cependant c'est tou-
jours un cas assez rare qu'une telle distribution géographique.
Voyons si les noms vulgaires indiquent quelque chose.
On attribue à l'espèce un nom sanscrit, Sakachera a mais,
comme il n'a laissé aucune trace dans les divers noms des lan-
gues modernes de l'Inde, je doute un peu de sa réalité. Le nom
persan Hanna s'est répandu et conservé plus que les autres
[îîlna des Indous, Eenneh et Alhenna des Arabes, Kinna des
1. Fortune,n° 32.
2. Aitchison,Catal. of Punjab,etc., p. 60; Boissier,Fle O)\, â, p« %&.
3. Roxburgh,FI. ind., 2, p. 233.
4. Thwaites,Enum.Ceijl.,p. 122.
5. Clarke,dans Hooker,FI. brit. India, 2, p. 573»
6. Rnmphius,Amb.,4, p. 42.
7. Gri?ebaeh,Fl. brit. IV.Ind., 1, p. 271.
8. Oliver,FI. oftnp. Afrka, 2, p. ;83.
9. Piddington,Indexio pl.intsof India.
TABAC Hl

Grecs modernes). Celui de Cypros, usité parles Syriens du temps


à
de Dioscoride S n'a pas eu la même faveur. Ce détail vientles
était originairement sur
l'appui de l'opinion que l'espèce
confins de la Perse et de l'Inde, ou en Perse, et que l'usage,
ainsi que la culture, ont avancé jadis de l'est à l'ouest, d'Asie
en Afrique.

Tabac. – Nicotiana Tabacum, Linné, et autres Nicotiana.


A l'époque de la découverte de l'Amérique, l'usage de fumer,
de priser ou chiquer était répandu dans la plus grande partie
de ce vaste continent. Les récits des premiers voyageurs, re-
cueillis d'une manière très complète par le célèbre anatomiste
Tiedemann 2, montrent que dans l'Amérique méridionale on ne
fumait pas, mais on prisait ou chiquait, excepté dans la région
de la Plata, de l'Uruguay et du Paraguay, où le Tabac n'était
du Nord, depuis
employé d'aucune manière. Dans l'Amérique
l'isthme de Panama et les Antilles jusqu'au Canada et en Cali-
circonstances qui
fornie, l'usage de fumer était général, avec des
trouvé des pipes
indiquent une grande ancienneté. Ainsi on 3aet dans les tertres
dans les tombeaux des Atztecs au Mexique
nombre et d'un
[mounds) des Etats-Unis. Elles y sont en grand
travail extraordinaire. Quelques-unes représentent des animaux
étrangers à l'Amérique du Nord
Comme les Tabacs sont des plantes annuelles, qui donnent
une immense quantité de graines, il était aisé de les semer et
de les cultiver ou de les naturaliser plus ou moins dans le voi-
sinage des habitations, mais il faut remarquer qu'on employait
des espèces différentes du genre Nicotiana, dans diverses régions
de l'Amérique, ce qui indique des origines différentes.
Le Nicotiana Tabacum, ordinairement cultivé, était l'espèce
la plus répandue et quelquefois la seule usitée dans l'Amérique
méridionale et aux Antilles. Ce sont les Espanols qui ont intro-
duit l'usage du tabac dans la Plata, l'Uruguay et le Paraguay s;
la plante plus au
par conséquent il faut chercher l'orginefût de
nord. De Martius ne pensait pas qu'elle indigène au Brésil s,
et il ajoute que les anciens Brésiliens fumaient les feuilles d'une
les botanistes Nicotiana Laag-
espèce de leur pays appelée par en 1855 T,
sdorffii. Lorsque j'ai examiné la question d'origine

1. Dioscoriâes, I, cap. 124; Lenz, Lot. d. Alterh., p. 177.


2. Tiedemann, Geschichte des Tabacks ïa-8\ 1854. Pour le Brésil, voir
71».
Martius, Beilrârde zur Ethnographie unil Sprachkunde Âmenhas, 1, p.
3. Tiedemann, p 17, pi. 1.
4 Les dessins de ces pipes sont reproduits dans 1 ouvrage récent de
M de Nadaillac, Les premiers hommes et les temps vol. 2,
p. 45 et 48.
5. ïiedemann, p. 38, 39. “* ,“.
6. Martius, Syst. nzat. med. bras., p. 120; FI. bras., vol. X, p. 131.
7. A. de Candolle, Géogr. bot.raisonnce, p. 849.
112 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURSTIGES OU FEUILLES

je n'avais pu connaître d'autres échantillons de N. Tabacum


paraissant spontanés que ceux envoyés pàr Blanchet, de la pro-
vince de Bahia, sous le n° 3223, a. Aucun auteur, avant ou
après cette époque, n'a été plus heureux, et je vois que MM. Flüc-
Idger et Hanbury, dans leur excellent ouvrage sur les drogues
d'origine végétale 1, disent positivement « Le tabac commun
est originaire du nouveau monde, et cependant on ne l'y trouve
pas aujourd'hui à l'état sauvage. » J'oserai contredire cette
assertion, quoique la qualité de plante spontanée soit toujours
contestable quand il s'agit d'une espèce aussi facile à répandre
hors des plantations.
Je dirai d'abord qu'on rencontre dans les herbiers beaucoup
d'échantillons récoltés au Pérou, sans indication qu'ils fussent
cultivés ou voisins des cultures. L'herbier de M. Boissier en
contient deux, de Pavon, venant de localités différentes 2. Pavon
dit dans sa flore (vol. 2, p. 16) que l'espèce croît dans les forêts
humides et chaudes des Andes péruviennes, et qu'on la cultive.
Mais, ce qui est plus significatif, M. Edouard André a recueilli
dans la république de l'Equateur, à Saint-Nicolas, sur la pente
occidentale du volcan Corazon, dans une forêt vierge, loin
de toute habitation, des échantillons, qu'il a bien voulu me
communiquer et qui sont évidemment le iV. Tabacum à taille
élevée (2 à 3 mètres) et à feuilles supérieures étroites, longue-
ment acuminées, comme on les voit dans les planches de Hayne
et de Miller 3. Les feuilles inférieures manquent. La fleur, qui
donne les vrais caractères de l'espèce, est certainement du
N. Tabacum, et il est bien connu que cette plante varie dans les
cultures sous le rapport de la taille et de la largeur des feuilles*.
La patrie primitive s'étendait-elle au nord jusqu'au Mexique,
au midi vers la Bolivie, à l'est dans le Venezuela? C'est très
possible.
Le Nicotiania rustica, Linné, espèce à fleurs jaunâtres, très
différente du Tabacum 5, et qui donne un tabac grossier, était
plus souvent cultivé chez les anciens Mexicains et les indigènes
au nord du Mexique. Je possède un échantillon rapporté de
Californie par Douglas, en 1839, époque à laquelle les colons
étaient encore rares, mais les auteurs américains n'admettent

1 Flûckigeret Hanbury,Histoiredes droguesd'originevégétale,traduc-


tion en français,1878,vol. 2, p. 150.
2. L'un d'euxest classésous le nomdeNicot. frutieosa,qui, selon moi,
est la même espèce,à taille élevée,mais non ligneuse,commele nomle
feraitcroire. Le N. auriculata Bertero est aussi le Tabacum,d'après mes
échantillonsauthentiques.
3. Hayne,ArzneikundeGewachse, vol. 12, t. 41; Miller,Gardener'sdict.,
t.
figures, 186, f. 1.
4. La capsule est tantôt plus courte que le caliceet tantôt pluslongue,
sur le mdmeindividu,dans les échantillonsde M. André.
5. Voirles figures de N. rustica dans Plée,Typesde famillesnaturelles
de France,Solanées;Bulliard,Herbierde France, t. 289.
TABAC 113

pas la plante comme spontanée, et le Dr Asa Gray dit qu'elle se


sème dans les terrains vagues1. C'est peut-être ce qui était
arrivé pour des échantillons de l'herbier Boissier, que Pavon a
récoltés au Pérou et dont il ne parle pas dans la flore péru-
vienne. L'espèce croît abondamment autour de Cordova, dans
la république Argentine 2, mais on ignore depuis quelle époque.
D'après l'emploi ancien de la plante et la patrie des espèces les
plus analogues, les probabilités sont en faveur d'une origine du
Mexique, du Texas ou de Californie.
Plusieurs botanistes, même des Américains, ont cru l'espèce
de l'ancien monde. C'est bien certainement une erreur, quoique
la plante se répande çà et là, même dans nos forêts et quelque-
fois en abondance 3, à la suite des cultures. Les auteurs du
xvie siècle en ont parlé comme d'une plante étrangère, in-
troduite dans les jardins et qui en sortait quelquefois 4. On la
trouve dans quelques herbiers sous les noms de N. tatarica,
turcica ou sibirica, mais il s'agit d'échantillons cultivés dans les
jardins, et aucun botaniste n'a rencontré l'espèce en Asie ou sur
les confins de l'Asie, avec l'apparence qu'elle fût spontanée.
Ceci me conduit à réfuter une erreur plus générale et plus
tenace, malgré ce que j'ai démontré en 1855, celle de considérer
quelques espèces mal décrites d'après des échantillons cultivés,
comme originaires de l'ancien monde, en particulier d'Asie. Les
preuves de l'origine américaine sont devenues si nombreuses et
si bien concordantes que, sans entrer dans beaucoup de détails,
je puis les résumer de la manière suivante
A. Surune cinquantaine d'espèces du genre Nicotiana trouvées
à l'état sauvage, deux seulement sont étrangères à l'Amérique,
savoir 1° le N. suaveolens, de la Nouvelle-Hollande, auquel on
réunit maintenant le N. rotundifolia du même pays, et celui que
Ventenat avait appelé par erreur N. undulata; 2° le N. fragrans
Hooker (Bot. mag., t. 4865), de l'île des Pins, près de la Nou-
velle-Calédonie, qui diffère bien peu du précédent.
B. Quoique les peuples asiatiques soient très amateurs de tabac
et que dès une époque reculée ils aient recherché la fumée de
certaines plantes narcotiques, aucun d'eux n'a employé le Tabac
antérieurement à la découverte de l'Amérique. Tiedemann l'a
très bien démontré par des recherches approfondies dans les écrits
des voyageurs du moyen âge 5. Il cite même pour une époque
moins ancienne et qui a suivi de près la découverte de l'Amé-
rique, celle de 1540 à i603, plusieurs voyageurs dont quelques-

1. AsaGray,Synopticalflora of N. A. (1878),p. 241.


2. Martinde Moussy,Descript.de la rép. Argentine,1, p. 196.
3. Bulliard,l. c.
4. Cœsalpinus,lib. VIII,cap. 44; Banhin,Rist., 3, p. 630.
5. Tiedemann,Geschichtedes Tabaks(1854),p. 208. Deuxans aupara-
vant, Volz,Beitriigezur CullurgescMchie,avait réuni déjà un très grand
nombre de faits sur l'introductiondu Tabacdans diverspays.
DE Candolle. 8
114 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
ont
uns étaient des botanistes, tels que Belon et Rauwolf, quiavec
les coutumes
parcouru l'empire turc et la Perse, observant
d'attention, et qui n'ont pas mentionné une seule fois
beaucoup commen-
le Tabac Evidemment il s'est introduit en Turquie au les
cement du xvne siècle, et les Persans l'ont reçu très vite par Perse
Turcs. Le premier Européen qui ait dit avoir vu fumer en
n'aa
est Thomas Herbert, en 1626. Aucun des voyageurs suivants
oublié de mentionner l'usage du nargialé comme bien établi.
Olearius décrit cet appareil, qu'il avait vu en 1633. La première
mention du Tabac dans l'Inde est de 1603 et il est probable
les Européens. Elle com-
que l'introduction en est venue par
mençait à Arracan et au Pégu en 1619, d'après le voyageur
Methold 2. Il s'est élevé quelques doutes à l'égard de Java, parce
écrivait dans la
que Rumphius, observateur très exact, quiselon la tradition
seconde moitié du xvif siècle, a dit 3 que,
de quelques vieillards, le tabac était employé comme médica- de
ment avant l'arrivée des Portugais en 1511, et que 1 usage
Kum-
fumer avait seul été communiqué par les Européens.
le nom Tabaco ou Tambuco, ré-
phius ajoute, il est vrai, que
dans toutes les localités, est d'origine étrangère. Sir
pandu histo-
Stamford Raffles à la suite de nombreuses recherches
l'année 1601 pour la date
riques sur Java, donne au contraire bien
de l'introduction du tabac à Java. Les Portugais avaient de
découvert les côtes du Brésil de 1500 à 1SQ4; mais Yascomer
Gama et ses successeurs allaient en Asie par le Cap ou la
établir des communica-
Rouge, de sorte qu'ils ne devaient guère avait
tions fréquentes ou directes entre l'Amérique et Java. Nicot
vu la plante en Portugal en 1S60 ainsi les Portugais l'ont portée
en Asie probablement dans la seconde moitié du xvie siècle.
a été introduit au
Thunberg affirme 5 que l'usage du Tabac
Japon par les Portugais, et, d'après d'anciens voyageurs que cite
siècle. Enfin les
Tiedemann, c'était au commencement du xrae le
Chinois n'ont aucun signe original et ancien pour indiquer
la collection de
Tabac; leurs dessins sur porcelaines, dans 1700 et jamais
Dresde, montrent fréquemment depuis l'année enfin les sinologues
auparavant des détails relatifs au Tabac «;ne mentionnent
s'accordent à dire que les ouvrages chinois pas
cette plante avant la fin du xvi<=siècle Si l'on fait attention a
la rapidité avec laquelle l'usage du tabac s'est répandu partout
où il a été introduit, ces renseignements sur l'Asie ont une force
incontestable.
229.
1. D'aprèsun auteur anonymeindien, cité par Tiedemann,p.
2. Tiedemann,p. 234.
3 Rumphius,Berb. Amboin.,5, p. 225.
85.
4. Rames,Descriptionof Java,p. 91.
5. Thunberg, Florajaponica,p.
6. Klemm,cité dans Tiedemann,p. 2a6.. “
bot.
7. StanislasJulien, dans de Candolle,Géographie mis.,p. 851 Bret-
aenneider,Study and valueof chinesebotanicalworks,p. n.
TABAC Ho
C. Les noms vulgaires du Tabac confirment une origine améri-
caine. S'il y avait eu des espèces indigènes dans l'ancien monde,
il existerait une infinité de noms différents mais au contraire
les noms chinois, japonais, javanais, indiens, persans, etc.,
dérivent des noms américains Petum, ou Tabak, Taboh, Tamhoc,
légèrement modifiés. Piddington, il est vrai, cite des noms
sanscrits, Dhumrapatra et Tamrakoula± mais je tiens d'Adolphe
Pietet que le premier de ces noms, qui n'est pas dans le diction-
naire de Wilson, signifie feuille à fumer et paraît d'une compo-
sition moderne, tandis que le second n'est probablement pas
plus ancien et semble quelque modification moderne des noms
américains. Le mot arabe Docchan veut dire simplement fumée 2.
Enfin nous devons chercher ce que signifient deux Nicotiana
qu'on prétend asiatiques. L'une, appelée par Lehmann Nicotiana
chinensis, venait du botaniste russe Fischer, qui la disait de
Chine. Lehmann l'avait vue dans un jardin; or on sait à quel
point les origines des plantes cultivées par les horticulteurs sont
fréquemment erronées, et d'ailleurs, d'après la description, il
semble que c'était simplement le N. Tabacum, dont on avait
reçu des graines, peut-être de Chine 3. La seconde espèce est le
N.persica, deLindley, figurée sans le Botanicalregister (pi. 1592),
dont les graines avaient été envoyées d'Ispahan à la Société
d'horticulture de Londres comme celles du meilleur Tabac
cultivé en Perse, celui de Schiraz. Lindley ne s'est pas aperçu
que c'était exactement le N. alata, figuré trois ans auparavant
par Link et Otto d'après une plante du jardin de Berlin.
Celle-ci venait de graines du Brésil méridional, envoyées par
Sello. C'est une espèce certainement brésilienne, à corolle
blanche, fort allongée, voisine du N. suaveolens de la Nouvelle-
Hollande. Ainsi le Tabac cultivé quelquefois en Perse, concur-
remment avec l'ordinaire et qu'on a dit supérieur pour le
parfum, est d'origine américaine, comme je l'avais prévu dans
ma Géographie botanique en 1855. Je ne m'explique pas com-
ment cette espèce a été introduite en Perse. Ce doit être par des
graines tirées d'un jardin ou venues, par hasard, d'Amérique,
et il n'est pas probable que la culture en soit habituelle en Perse,
car Olivier et Bruguière, ainsi que d'autres naturalistes qui ont
vu les cultures de Tabac dans ce pays, n'en font aucune mention.
Par tous ces motifs, il n'existe point d'espèce de Tabac

1. Piddington,Index.
2. Forskal,p. 63.
3. Lehmann,Historia Nicotinarum,p. 18. L'expressionde suffruticosa
est une exagérationappliquéeaux Tabacs,qui sont toujours annuels.J'ai
déjà dit que le N. suffruticosades auteurs est le N. Tabacum.
4. Link et Otto, Iconesplant. rar. horti ber., in-4, p. 63, t. 32. Sen-
dtner, dans Florabrasïl., vol. 10, p. 167,décrit la même plante de Sello,
à ce qu'il semble, d'après des échantillons envoyés par ce voyageur,
et Grisebach,Symbolefl. argent., p. 243,mentionnele N. alata dans la
provinced'Entreriosde la républiqueArgentine.
116 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS TIGES OU FEUILLES

originaire d'Asie. Elles sont toutes d'Amérique, excepté les


N.suaveolens, de la Nouvelle Hollande, et N. fragrans, de lîle
des Pins, au sud de la Nouvelle-Calédonie.
Plusieurs Nicotlana, autres que les Tabacum et rustica, ont été
cultivés çà et là par des sauvages ou, comme curiosité, par des
de ces essais,
Européens. Il estsingulier qu'on s'occupe sirarement
au moyen desquels on obtiendrait peut-être des tabacs très
blanches donneraient proba-
particuliers. Les espèces à fleurs
blement des tabacs légers et parfumés, et comme certains
fumeurs recherchent les tabacs les plus forts, les plus désagréa-
bles possible aux personnes qui ne fument pas, je leur recom-
manderai le Nicotiana angustifolia, du Chili, que les indigènes
appellent Tabaco del Diablo 1.
Cannelier. Cinnamomum zeylanicum, Breyn.
Le petit arbre, de la famille des Lauracées, dont l'écorce des
du commerce, existe en grande
jeunes rameaux est la cannelle formes qui se
quantité dans les forêts de Ceylan. Certainesétaient
trouvent sauvages dans l'Inde continentale regardées
autrefois comme autant d'espèces distinctes, mais les botanistes
celle de Ceylan 2.
anglo-indiens s'accordent à les réunir avec
Les écorces du Cannelier et d'autres Cinnomomum non cul-
ont été
tivés, qui produisent le cassia ou cassia de Chine,
les les plus reculés,
l'objet d'un commerce important dès cetemps
MM. Flûckiger et Hanbury 3 ont traité point historique avec
une érudition si complète que nous devons simplement renvoyer
à leur ouvrage. Ce qui nous importe, à notre point de vue, c'est
de constater combien la culture du cannelier est moderne relati-
vement à l'exploitation de l'espèce. C'est seulement de 1763
à 1770 qu'un colon de Ceylan, appelé de Koke, soutenu par le
qui réussirent à
gouverneur de l'île, Falck, fit des plantations années
merveille. Elles ont diminué depuis quelques à Ceylan;
mais on en a fait ailleurs, dans les pays tropicaux de l'ancien
et du nouveau monde. L'espèce se naturalise facilement hors
des cultures parce que les oiseaux en recherchent les fruits
avec avidité et sèment les graines dans les forêts.

Bamié. – China grass, des Anglais, Boehmeria nivea,


Hooker et Arnott. j
La culture de cette précieuse Urticacée a été introduite dans
le midi des Etats-Unis et de la France, depuis une trentaine
d'années; mais le commerce avait fait connaître auparavant^

1. Bertero,dans Prodr., XII, seet. I, p. SG8. Forest r ,7-


2. Thwaites,Enum. Zeylanix,p. 252; Brandis, flora of India,
p, 315. végétale,trad.
3. Hûckiger et Hanbury,Histoiredes droguesd'origine
franc., 2, p. 224; Porter, Thetropicalagrieulturist,p. 268.
4. Brandis.l. c. Grisebach,Fl. ofbrit. W. India islands,p. 179.
CA.NNELIER, RA.MIÉ, CHANVRE 117

valeur extraordinaire de ses fibres, plus tenaces que le chanvre


et, dans certains cas, flexibles comme la soie. On peut lire dans
plusieurs ouvrages des détails intéressants sur la manière de
cultiver la plante et d'en extraire les fils Je me bornerai à
préciser ici, le mieux que je pourrai, l'origine géographique.
Dans ce but, il ne faut pas se fier aux phrases assez vagues de
la plupart des auteurs, ni aux étiquettes des échantillons dans
les herbiers, car il est arrivé souvent qu'on n'a pas distingué
les pieds cultivés échappés des cultures ou véritablement
sauvages, et qu'on a oublié aussi la diversité des deux formes
Boehmeria nivea (Urtica nivea, Linné, et Boehmeria tenacissima,
Gaudichaud, ou B. candicans, Hasskarl), qui paraissent deux
variétés d'une même espèce, à cause des transitions notées par
quelques botanistes. Il y a même une sous-variété, à feuilles
vertes des deux côtés, cultivée par les Américains et par M. de
Malartic dans le midi de la France.
La forme anciennement connue (Urtica nivea L.), à feuilles
très blanches en dessous, est indiquée comme croissant en
Chine et dans quelques pays voisins. Linné dit qu'elle se trouve
sur les murs en Chine, ce qui s'appliquerait à une plante des
décombres, originaire des cultures; mais Loureiro 2 dit Habitat,
et abundanter colitur in Cochinchina et China, et, selon M. Ben-
tham 3, le collecteur Champion l'a trouvée, en abondance, dans
les ravins de l'île de Hong-Kong. D'après MM. Franchet et
Savatier 4, elle existe au Japon, dans les taillis et les haies (in
fruticetis umbrosis et sepibus). Blanco la dit commune aux îles
Philippines. Je ne trouve aucune preuve qu'elle soit spontanée6
à Java, Sumatra et autres îles de l'archipel Indien. Rumphius
ne la connaissait que comme plante cultivée. Roxburgh 7 la
croyait native de Sumatra, ce que Miquel 8 ne confirme pas.
Les autres formes n'ont été trouvées nulle part sauvages, ce
qui appuie l'idée que ce sont des variétés survenues dans les
cultures.
Chanvre. Cannabis sativa, Linné.
Le chanvre est mentionné, avec ses deux états, mâle et
femelle, dans les plus anciens ouvrages chinois, en particulier
dans le Shu-King, écrit 500 ans avant Jésus-Christ 9. Il a des,
1. Comtede Malartic,Journal d'affric.pratique,7 déc. 4871-, 1872,v. 2,
n° 31; de La Roque,ibid., n. 29,Bull.Soc.d'acclimat.,juillet 1872,p. 462.
Vilmorin, Bonjardinier, 1880,part. 1, p. 700; Yetillart, Études sur les
fibresvéget.textiles,p. 99, pi. 2.
2. Loureiro,Flora cochinch.,2, p. 683.
3. Bentham,FloraHongkong,p. 331.
4. Franchet et Savatier,Enum.plant. Jap., 1, p. 439.
5. Blanco,Flora de Filip., ed. 2, p. 484.
6. Rumphius,Amboin.,5, p. 214.
7. Roxburgh,FI. ind., 3, p. 590.
8. Miquel,Sumatra, éd. allem., p. 170.
9. Bretschneider,Valueofchinesebotanicalworhs,p. 5, 10,48.
118 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

noms sanscrits, Banga et Gangika 1 orthographiés lihanga et


ou an se
Gimjika par Piddington °. La racine de ces noms ang
retrouve dans toutes les langues indo-européennes et sémitiques
modernes Bang en hindou et persan, Ganga en bengali 3, Hanf
en allemand, Hemp en anglais, Kanas en celtique et bas-breton
moderne Cannabis en grec et en latin, Cannab en arabe 5.
D'après Hérodote (né en 484 avant Jésus-Christ), les Scythes
le connais-
employaient le Chanvre, mais de son temps les Grecs
saient à peine s. Hiéron II, roi de Syracuse, achetait le chanvre
de ses cordages pour vaisseaux dans la Gaule, et Lucilius est le
la ans avant
premier écrivain romain qui ait parlé de plante (100
Jésus Christ). Les livres hébreux ne mentionnent pas le Chanvre 7.
Il n'entrait pas dans la composition des enveloppes de momies
chez les anciens Egyptiens. Même à la fin du xviir* siècle, on ne
cultivait le Chanvre, en Egypte, que pour le hachich, matière
enivrante 8. Le recueil des lois judaïques appelé Mischna, fait
sous la domination romaine, parle de ses propriétés textiles
comme d'une chose peu connue 9. Il est assez probable que
les Scythes avaient transporté cette plante de l'Asie centrale
et de la Russie à l'ouest, dans leurs migrations, qui ont eu lieu
vers l'an 1500 avant Jésus-Christ, un peu avant la guerre de
Troie. Elle aurait pu s'introduire aussi par les invasions anté-
rieures des Aryens en Thrace et dans l'Europe occidentale^; mais
alors l'Italie en aurait eu connaissance plus tôt. On n'a 10 pas
trouvé le Chanvre dans les palafittes des lacs de Suisse et du
nord de l'Italie
Ce qu'on a constaté sur l'habitation du Cannabis saliva con-
corde bien avec les données historiques et linguistiques. J'ai eu
l'occasion de m'en occuper spécialement dans une des mono-
graphies du Prodromus, en 1869i2. au
L'espèce a été trouvée sauvage, d'une manière certaine, le
midi de la mer Caspienne 13,en Sibérie, près de l'Irtysch, dans
désert des Kirghiz, au delà du lac Baical, en Daourie (gouver-
nement d'Irkutsk). Les auteurs l'indiquent dans toute la Russie
méridionale et moyenne, et au midi ûu Caucase14, mais la qualité

1. Roxburgh,Flora indica,ed. 2, vol. 3, p. 772.


2. Piddington,Index.
3. Roxburgh,
ilid..
i. Reynier,Economiedes Celtes,p. 448;Legonidec,Dictionn.bas-brr'on.
5. J. Humbert,autrefoisprofesseurd'arabeà Genève,m'a indiqué han-
nab, Kon-nab,Hon-nab,Ilen-nab,Kanedir,selonles localités.
6. Athénée,citépar Hehn, Culturpfianzen,p. 168.
7. Rosenmûller,Handb.bibl. Alterk.
8. Forskal,Flora; Delile,Flore d'Egypte.
9. Reynier,Economiedes Arabes,p. 434.
10. Heer, Ueberd. Flachs,p. 23.
11. Sordelli,Notiziesull. staz. di Lagozza,1880.
12. Vol.XVI,sectio 1, p. 30.
13. De Bunge,Bull. Soc.bot. de Fr., 1860,p. 30.
14. Ledebour, Florarossica,3, p. 634.
MURIER BLANC H9

attendu que ces pays sont peuplés


spontanée y est moins sûre, aisémenthors
et que les graines de Chanvre peuvent se répandre
culture en Chine me fait croire que
jardins. L'ancienneté de la
l'habitation s'étend assez loin vers l'est, quoique les botanistes
ne l'aient pas encore constaté 1. M. Boissier indique 1 espèce
soit
en Per-e comme « presque spontanée ». Je doute qu'elle y
l'auraient connue
indigène, parce que les Grecs et les Hébreux
plus tôt si elle l'était.

Mûrier blanc. Morus alba, Linné.


Le Mûrier dont on sert le plus communément en Europe pour
l'éducation des vers à soie est le Morus alba. Ses variétés, très
nombreuses, ont été décrites avec soin par Seringe 2 et plus
récemment par M. Bureau 3. La plus cultivée dans l'Inde, le
J/oj-ms indica, Linné [Morus alba, var. indica, Bureau), est sauvage
dans le Punjab et à Sikim, d'après Brandis, inspecteur général
des forêts de l'Inde anglaise 4. Deux autres variétés, serrata et
dans diverses
cusindata, sont aussi indiquées comme sauvages a trouvé en
provinces de l'Inde septentrionale 5. L'abbé David sous le nom
Mongolie une variété parfaitement spontanée, décrite6
de Mongolica par M. Bureau, et le Dr Bretschneider cite un nom
Il ne
Yen, d'anciens auteurs chinois, pour le Mûrier sauvage.
dit pas, il est vrai, si ce nom s'applique au Mûrier blanc Pe
L'ancienneté de
<bla.nc)-Sanff (Mûrier),8 des cultures chinoises
la culture en Chine et au Japon, ainsi que la quantité de
formes différentes qu'on y a obtenues, font croire que la patrie
mais on connaît
primitive s'étendait à l'est jusqu'au Japon, et les auteurs les peu
la flore indigène de la Chine méridionale, plus
dignes de confiance pour les plantes japonaises 9n'affirment. «
pas
la qualité spontanée. MM. Franchet et Savatier disent cul-
tivé depuis un temps immémorial et devenu sauvage çà et là. »
Notons aussi que le Mûrier blanc paraît s'accommoder surtout
des pays montueux et tempérés, par où l'on peut croire qu'il
aurait été jadis introduit du nord de la Chine dans les plaines du
midi. On-sait que les oiseaux recherchent ses fruits et en portent
les graines à de grandes distances dans des localités incultes, ce
anciennes.
qui empêche de constater les habitations vraiment

1. M. de Bunge a trouvé le Chanvredans le nord de la Chine,mais


dans des décombres(Enum., n° 33S;.
2. Seringe,Descriptionet culture desMûriers
3. Bureau, dans de Candolle,Prodromics,17, p. 238.
4. Brandis,Theforestflora of noHh-westand centralIndia, 187-j,p. 10:>.
Cettevariété a le fruit noir, commele Morusniqra.
5. Bureau,1. c., d'après des échantillonsde divers voyageurs.
6. Bretschneider,Sludijand valueof chinesebot. works,p. 12.
7. Cenom est dans le'Pent-sao,d'aprèsRitter, Erdkunde,17,p. 489.
8. D'après Platt, Zeitschriftd. Gesellsch.Erdkunde,1871,p. 162,la cul-
ture remonteà 4000ans avantJ.-C.
9. Franchet et Savatier,EnumeratioplantarumJapcnix,1, p. <33.
120 PLANTES CULTIVÉES POUR LECRS TIGES OU FEUILLES

Cette facilité de naturalisation explique sans doute la présence,


à des époques successives, du Mûrier blanc dans l'Asie occi-
dentale et le midi de l'Europe. Elle a dû agir surtout depuis que'
des moines eurent apporté le ver à soie à Constantinople, sous
Justinien, dans le me siècle, et que graduellement la sériculture
s'est propagée vers l'ouest. Cependant Targioni a constaté que
le mûrier noir, JI. nigra, était seul connu en Sicile et en Italie,.
lorsque l'industrie de la soie s'est introduite en 1148 en Sicile et
deux siècles plus tard en Toscane 1. D'après le même auteur,
l'introduction du Mûrier blanc en Toscane date, au plus tôt, de
l'année 1340. De la même manière, l'industrie de la soie peut
avoir commencé en Chine, parce que le ver à soie s'y trouvait
naturellement; mais il est très probable que l'arbre existait aussi
dans l'Inde septentrionale, où tant de voyageurs l'ont trouvé à
l'état sauvage. En Perse, en Arménie et dans l'Asie Mineure, je-
le crois plutôt naturalisé depuis une époque ancienne, contrai-
rement à l'opinion de Grisebach, qui le regarde comme origi-
naire de la région de la mer Caspienne (Végét. du globe, trad.
française, I, p. 424). M. Boissier ne le cite pas comme spontané
dans ces pays 2. M. Buhse 3 l'a trouvé en Perse, près d'Erivan
et de Baschnaruschin, et il ajoute « naturalisé en abondance-
dans le Ghilan et le Masenderan. » La flore de Russie par
Ledebour 4 indique de nombreuses localités autour du Caucase,
sans parler de spontanéité, ce qui peut signifier une espèce na-
turalisée. En Crimée, en Grèce et en Italie, il est seulement à
l'état de culture 5. Une variété tatarica, souvent cultivée dans le
midi de la Russie, s'est naturalisée près du Volga 6.
Si le Mûrier blanc n'existait pas primitivement en Perse et
vers la mer Caspienne, il doit y avoir pénétré depuis longtemps.
Je citerai pour preuve le nom de Tut, Tuth, Tuta, qui est
persan, arabe, turc et tartare. Il y a un nom sanscrit, Tula 7rr
qui doit se rattacher à la même racine que le nom persan; mais
on ne connaît pas de nom hébreu, ce qui vient à l'appui de
l'idée d'une extension successive vers l'Asie occidentale.
Ceux de mes lecteurs qui désirent des renseignements plus
détaillés sur l'introduction des Mûriers et des vers à soie les
trouveront surtout dans les savants ouvrages de Targioni et'
de Ritter que j'ai cités. Les découvertes faites récemment
par divers botanistes m'ont permis d'ajouter des données plus

1. Ant. Targioni,Cennistorici sullaintrod. divariepiante neWagricolt.


toscana,p. 188.
2. Boissier,Flora orient., 4, p. 1153.
3. Buhse,Aufzàhlungder Transeaucasien undPersienPflanzen,p. 203.
4. Ledebour,FI. ross.,3, p. 643.
5. Steven, Verzeichnissd. taurisch. 313 Heldreich,Pflanzen.-
des attischenEbene,p. 508;Bertoloni,Halbins,p.
Fl.ital., 10, p. 171; Garue),FI. Tos~
cana, p. 171.
6. Bureau,l. c.
7. Roxburgh,FLind.; Piddington,Index.
MURIER NOIR 121

précises que celles de Ritter sur l'origine, et, s'il y a quelques


contradictions apparentes entre nos opinions sur d'autres points,
cela vient surtout de ce que l'illustre géographe a considéré une
foule de variétés comme des espèces, tandis que les botanistes
les ont réunies après un examen attentif.

Mûrier noir. Morus nigra, Linné.


Il est plus recherché pour ses fruits que pour ses feuilles, et,
d'après cela, je devrais l'énumérer dans la catégorie des arbres
fruitiers. Cependant on ne peut guère séparer son histoire de
celle du Mûrier blanc. D'ailleurs on emploie sa feuille dans
beaucoup de pays pour l'élève des vers à soie, sans se laisser
arrêter par la qualité inférieure du produit.
Le Mûrier noir se distingue du blanc par plusieurs caractères,
indépendamment de la couleur noire du fruit, qui se trouve
également chez certaines variétés du M. alba 1. Il n'a pas une
infinité de formes comme celui-ci, ce qui peut faire présumer
une culture moins ancienne, moins active, et une patrie primi-
tive moins étendue.
Les auteurs grecs et latins, même les poètes, ont souvent
mentionné le Morus nigra, qu'ils comparaient au Ficus Syco-
morus, et qu'ils confondaient même dans l'origine avec cet
arbre égyptien. Les commentateurs répètent depuis deux siècles
une foule de passages qui ne laissent aucun doute à cet égard,
mais ne présentent guère d'intérêt en eux-mêmes 2. Ils ne four-
nissent aucune preuve sur l'origine de l'espèce, qu'on présume
de Perse, à moins de prendre au sérieux la fable de Pyrame
et Thisbé, dont la scène était en Babylonie, d'après Ovide.
Les botanistes n'ont pas constaté d'une manière bien certaine
l'indigénat en Perse. M. Boissier, qui possède plus de matériaux
que personne sur l'Orient, se contente de citer Hohenacker
comme ayant trouvé le M. nigra dans les forêts de Lenkoran,
sur la côte méridionale de la mer Caspienne, et il ajoute « pro-
bablement spontané dans la Perse septentrionale vers la mer
Caspienne 3 ». Avant lui, Ledebour, dans sa flore de Russie,
indiquait, d'après divers voyageurs, la Crimée et les provinces
au midi du Caucase mais Steven nie que l'espèce existe en
Crimée autrement qu'à l'état de culture 5. M. de Tchihatcheff et
C. Koch 6 ont trouvé des pieds de Mûrier noir dans des localités

1. Reichenbacba publiéde bonnes figures des deux espèces dans ses


Iconesflors germ., t. 657et 658. “ j
2. Fraas, Synopsisfl. class.,p 236; Lenz, Botanikd.alten Gnechenund
Rœmer.p. 419; Ritter, Erdkunde,11,p. 482;Hehn, Culturpflanzen,ed. 3,
anciens.
p. 336, sans parler d'auteurs plus1153
3. Boissier,Flora orient., 4, p. (publiéeen 1879).
4. Ledebour,FI, ross., 3, p. 641.
5. Steven,Verzeichnissd. taurischenHalbins.Pflanzen,p. 313.
f 6. Tchihatcheff,traduction de Grisebach,Végétation du globe,1, p. 424.
122 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

élevées et sauvages d'Arménie. Il est bien probable que, dans la


région au midi du Caucase et de la mer Caspienne, le Morus
nigra est spontané, originaire, plutôt que naturalisé. Ce qui me
le fait croire, c'est 1° qu'il n'est pas connu, même à l'état cul-
tivé, dans l'Inde, en Chine ou au Japon; 2° qu'il n'a aucun nom
sanscrit; 3° qu'il s'est répandu de bonne heure en Grèce, pays
dont les communications avec l'Arménie ont été anciennes.
Le Morus nigra s'était si peu propagé au midi de la Perse
qu'on ne lui connaît pas, d'une manière certaine, un nom hébreu
ni mêire un nom persan distinct de celui du Morus alba. On le
cultivait beaucoup en Italie, jusqu'à ce qu'on eût reconnu la
supériorité du Mûrier blanc pour la nourriture des vers à soie.
En Grèce, le Mûrier noir est encore le plus cultivé Il s'est na-
turalisé çà et là dans ces pays et en Espagne

Maguey. Agave americana, Linné.


Cette plante ligacuse, de la famille des Amaryllidées, est
cultivée, depuis un temps immémorial, au Mexique, sous les
noms de Maguey ou Metl, pour en extraire, au moment où se
développe la tige florale, le vin dit -pulque. Humboldt a décrit
clairement cette culture 3, et il nous dit ailleurs 4 que l'espèce
croît dans toute l'Amérique méridionale, jusqu'à 1600 toises
d'élévation. On la cite 5 dans la Jamaïque, à Antigua, à la Domi-
se facile-
nique, à Cuba;mais il faut remarquer qu'elleloin multiplie
ment de drageons et qu'onla plante volontiers des habitations,
em-
pour en former des haies ou en tirer le fil appelé pite, ce qui
pêche de savoir dans quel pays elle existait primitivement.
Transportée depuis longtemps dans la région de la mer Médi-
terranée, on la rencontre avec toutes les apparences d'une espèce
indigène, quoique son origine ne soit pas douteuse Probable-
ment, d'après les emplois variés qu'on en faisait au Mexique avant
l'arrivée des Européens, c'est de là qu'elle est sortie.

Canne à sucre. – Saccharum offtcinarum, Linné.


Les origines de la Canne à sucre, de sa culture et de la fabri-
cation du sucre ont été l'objet d'un travail très remarquable du
dans les détails
géopraphe Karl Ritter 7. Je n'ai pas à le suivre
1. Heldreich.NutzpflansenGrieckenlands, p. 19,
2. Bertoloni/Fforaital., 10, p. 179;Visiani,Fl. dalmat.,:1, p. 220; Will-
komm et Lange, Prodr. fl. hisp., 1, p. 250.
3. De Humboldt,Nouvelle-Espagne, éd. 2, p. 487.
4. De Humboldt, dans Kunth, Nova Genera,1, p. 297.
5. Grisebach,Flora ofbrit. W. India, p. 582.
6. Alph. de Candolle,Gêogr.bot. raisonnée,p. 739; H. Hoffmann,dans
Regel, Gartenflwa,187S, p. 70. r “ ,o~
7. K Ritter, Ueberdie geographische YerbreitungzlesZuckerrohrs,1840,
in-4, 108pag. (d'aprèsPritzel,Thes. lit.bot.); Die cultur des
64
Zuckerrohrs,
Saccharum,in Âsien,Geogr.Verbreitung,etc., etc., in-8°, pages, sans
date. C'estune monographiepleine d'éruditionet de jugement,digne de
AGAVE, CANNE A SUCRE 1233

uniquement agricoles et économiques; mais pour l'habitation


intéresse particulièrement, c'est
primitive de l'espèce, qui nous
le meilleur guide, et les faits observés depuis quarante ans ap-
puient, en général, ou confirment ses opinions.
La Canneà sucre est cultivée auj ourd'hui dans toutes les régions
chaudes du globe, mais il est démontré par une foule de témoi-
d'abord dans l'Asie
gnages historiques qu'elle a été employée
méridionale, d'où elle s'est répandue en Afrique et plus tard en
en Amérique. La question est donc de savoir dans quelles parties
du continent, ou des îles du midi de l'Asie, la plante existe ou
existait quand on a commencé à s'en servir.
Ritter a procédé selon les bonnes méthodes pour arriver à
une solution.
Il note d'abord que toutes les espèces connues à l'état sau-
vage et rapportées, avec sûreté, au genre Saccharum, croissent
dans l'Inde, excepté une qui est en Egypte On a décrit depuis
cinq espèces des îles de Java, la Nouvelle-Guinée, Timor ou les
Philippines 2. La probabilité est toute en faveur de l'origine en
Asie si l'on part des données de la géographie botanique.
Malheureusement aucun botaniste n'avait trouvé à l'époque
de Ritter et n'a encore trouvé le Saccharum of/icinarum. sauvage
dans l'Inde, dans les pays adjacents ou dans l'Archipel au midi
de l'Asie. Tous les auteurs anglo-indiens, Roxburgh, Wallich,
la
Royle, etc., et plus récemment Aitchison 3 ne mentionnent
si
plante que comme cultivée. Roxburgh, qui a herborisé dolong-
« Where wild I not
temps dans l'Inde, dit expressément
know. » La famille des Graminées n'a pas encore paru dans la
flore de sir J. Hooker. Pour l'île de Geylan, Thwaites a si peu
trouvé l'espèce spontanée qu'il ne lénumere pas même comme
la culture
plante cultivée 4. Rumphius, qui a décrit soigneusement
dans les possessions hollandaises, ne dit rien sur la patrie de
d'aucun
l'espèce. Miquel, Hasskarl, Blanco (FI. Filip.) ne parlent les Phi-
échantillon sauvage dans les îles de Sumatra, Java ou
lippines. Grawfurd aurait voulu en découvrir et n'y est pas par-
venu s. Lors du voyage de Cook, Forster ne trouva la Canne à
sucre qu'à l'état de plante cultivée dans les petites îles de la
mer Pacifique 6. Les indigènes de la Nouvelle Calédonie cultivent
une quantité de variétés de la Canne et en font un usage con-

la belle époquede la science allemande,lorsque les ouvragesanglais ou


français étaient cités par tous les auteurs, avec le même scia que W&
allemands. ·
1. Kunth,Enumeratioplantarum(1S38),vol. 1, p. 474.Il n'existe pas île
travail descriptifmoins ancien pour la familledes Gr.minées, pour le
n i
genre Saccharum.Indix batavs
2. Miquel,Flora (1833)vol., 3, p. 3».
3. Aitchison,Catalogueof Punjab and Sindhplants, 1S69,p. 173.
4. Thwaites,Emim. Ceylmiiss.
5. Crawfurd,Indian arclnp., 1, p. 475.
6. Forster, Plants;esculentœ. ·
124 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS TIGES OU FEUILLES

tinuel en suçant la matière sucrée; mais Vieillard a eu soin de


dire «De ce qu'on rencontre fréquemment au milieu des brous-
sailles et même sur les montagnes des pieds isolés de Saccharum
officinarum, on aurait tort d'en conclure que cette plante est
indigène, car ses pieds, faibles et rachitiques, accusent simple-
ment d'anciennes plantations, ou proviennent de fragments de
Cannesoubliés par les naturels, qui voyagent rarement sans avoir
un morceau de canne à sucre à la main. » En 1861, M. Ben-
tham, qui avait à sa disposition les riches herbiers de Kew,
s'exprimait ainsi dans la flore de l'île de Hongkong « Nous
n'avons aucune preuve authentique et certaine d'une localité
où la Canne à sucre ordinaire soit spontanée. »
Je ne sais cependant pourquoi Ritter et tout le monde a
négligé une assertion de Loureiro dans la flore de Cochinchine2
« Habitat, et colitur abundantissime in omnibus provinciis regni
cochinchinensis simul in aliquibus imperii sinensis, sed minori
copia. » Le mot habitat, séparé du reste par une virgule, est
bien affirmatif. Loureiro n'a pas pu se tromper sur le Saccharum
of/ïcinarum, qu'il voyait cultivé autour de lui et dont il énumère
les principales variétés. Il doit avoir vu des pieds spontanés, au
moins en apparence. Peut-être venaient-ils de quelque culture
du voisinage, mais je ne connais rien qui rende invraisemblable-
la spontanéité dans cette partie chaude et humide du continent
asiatique. 3
Forskal a cité l'espèce comme spontanée dans les montagnes.
de l'Arabie Heureuse, sous un nom qu'il croit indien. Si elle était
d'Arabie, elle se serait répandue depuis longtemps en Egypte, et
les Hébreux l'auraient connue.
Roxburgh avait reçu au jardin botanique de Calculta, en 1796,
et avait introduit dans les cultures du Bengale, un Saccharum
qu'il a nommé S. sinense et dont il a publié une figure dans son
grand ouvrage des Plantée Coromandelianse (vol. 3, pl. 232)*
Ce n'est peut-être qu'une forme du S. officinarum, et d'ailleurs,
comme elle n'est connue qu'à l'état cultivé, elle n'apprend rien
sur la patrie soit de cette forme, soit des autres.
Quelques botanistes ont prétendu que la canne à sucre fleurit
plus souvent en Asie qu'en Amérique ou en Afrique, et même
que sur les bords du Gange elle donne des graines 4, ce qui se-
rait, d'après eux, une preuve d'indigénat. Macfadyen le dit sans
fournir aucune 'preuve. C'est une assertion qu'il a reçue, à la
Jamaïque, de quelque voyageur; mais sir W. Hooker a soin
d'ajouter en note « Le Dr Roxburgh, malgré sa longue rési-
dence au bord du Gange, n'a jamais vu de graines de la canne à

1. Vieillard,Ann. dessc. nat., série 4, vol. 16,p. 32.


2. Loureiro,Fl. Cochinch.,ed. 2, vol. 1, p. 66.
3. Forskal,Fl. JEgypto-arabica, p. 103.
4. Macfadyen,Onthe botanicalcharactersof the sugarcane,dans Hooker,
Bot. miscell. i, p. 101;Maycock,FI. Barbad.,p. 50.
CANNEA SUCRE 128

sucre. » Elle fleurit et surtout fructifie rarement, comme en gé-


néral les plantes qu'on multiplie par boutures ou drageons, et,
si quelque variété delà canne était disposée à donner des graines,
elle serait probablement moins productive de sucre, et bien vite
on l'abondonnerait. Rumphius, meilleur observateur que beau-
bien décrit la canne
coup de botanistes modernes et qui a si
cultivée dans les îles hollandaises, fait une remarque intéres-
sante l. « Elle ne produit jamais de fleurs ou de graines, à moins
années dans un endroit
qu'elle ne soit restée pendant quelques n'a décrit
pierreux. » Ni lui, ni personne, à ma connaissance,
ou figuré la graine. Au contraire, les fleurs ont été souvent figu-
2. Schacht
rées, et j'en ai un bel échantillon de la Martinique
est le seul qui ait donné une bonne analyse de la fleur, y compris
le pistil; il n'a pas vu la graine mûre 3. De Tussae 4, qui a donné
une analyse fort médiocre, parle de la graine, mais il ne l'a vue
que jeune, à l'état d'ovaire.
A défaut de renseignements précis sur l'indigénat, les moyens
accessoires, historiques et linguistiques, de prouver l'origine
soin. Je me con-
asiatique, ont de l'intérêt. Ritter les donne avec
tenterai de les résumer.
Le nom de'la canne à sucre en sanscrit était Ikshu, Ikshura
ou Ikshava; mais le sucre se nommait Sarkara ou Sakkara, et
tous les noms de cette substance dans nos langues européennes
comme le grec, en
d'origine aryenne, à partir des anciennesde
sont clairement dérivés. C'est un indice l'origine asiatique
et de l'ancienneté du produit de la canne dans les régions méri-
dionales de l'Asie avec lesquelles le pleuple parlant le vieux
sanscrit pouvait avoir eu des rapports commerciaux. Les deux
mots sanscrits sont restés en bengali sous la forme delk et Alch 5.
Mais dans les autres langues, au delà de l'Indus, on trouve une
variété singulière de noms, du moins quand elles ne descendent
Panchadara en telinga,
pas de celle des Aryens, par exemple Kan et Tche ou
Kyam chez les Birmans, Mia en Cochinchinois,
Tsche en chinois, et plus au midi, chez les peuples malais, Tubu
ou Tabu, pour la plante, et Gula, pour le produit. Cette diver-
sité montre une ancienneté très grande de la culture dans les
font pré-
régions asiatiques, où déjà les indications botaniques
sumer l'origine de l'espèce.
concorde
L'époque d'introduction de la culture en divers pays
avec l'idée d'une origine de l'Inde, de la Cochinchine ou de
l'archipel Indien.
En effet, les Chinois ne connaissent pas la canne à sucre depuis
un temps très reculé, et ils l'ont reçue de l'ouest. Ritter contredit

1. Rumphius,Anzboin,vol. 5, p. 186.
2. Hahn, n" 480.
3. Schacht,MadeiraundTeneriffe,t. 1.
4. Tussac(de), FloredesAntilles,1, p. 133,pl. 23.
5. Piddington,Index.
126 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

les auteurs qui avaient admis une culture très ancienne, et en


vois la confirmation la plus positive dans l'opuscule du Dr Bret-
schneider, rédigé àPéking avec les ressources les plus complètes
sur la littérature chinoise 1. « Je n'ai pu découvrir, dit-il, aucune
allusion à la canne à sucre dans les plus anciens livres chinois
(les cinq classiques). » Elle paraît avoir été mentionnée pour la
première fois par les auteurs du 11esiècle avant J.-G. La pre-
mière description se trouve dans le Nan-fang-tsao-mu-chuang,
au rve siècle « Le Chê-chê, Kan-cM (Kan, doux; chê, Bambou)
croît, dit-il, en Cochinchine (Kiaocki). Il a plusieurs pouces de
circonférence et ressemble au Bambou. La tige, rompue par
fragments, est mangeable et très douce. Le jus qu'on en tire est
séché au soleil. Après quelques jours, il devient du sucre (ici un
caractère chinois composé), qui se fond dans la bouche. Dans
l'année 286 (de l'ère chrétienne), le royaume de Funan (dans
l'Inde, au delà du Gange) envoyait du sucre en tribut. Selon
le Pent-sao, un empereur qui a régné dans les années 627 à 650
de notre ère avait envoyé un homme dans la province indienne
de Bahar, pour apprendre la manière de fabriquer le sucre.
Il n'est pas question dans ces ouvrages de spontanéité en
Chine, et au contraire l'origine cochinchinoise, indiquée par
Loureiro, se trouve appuyée d'une manière inattendue. L'habi-
tation primitive la plus probable me parait avoir été de la Co-
chinchine au Bengale. Peut-être s'étendait-elle dans les îles de
la Sonde et les Moluques, dont le climat est très semblable; mais
il y a tout autant de raisons de croire à une introduction an-
cienne venant de Cochinchine ou de la péninsule malaise.
La propagation de la canne à sucre à l'occident de l'Inde est
bien connue. Le monde gréco-romain avait une notion approxi-
mative du roseau (calamus), que les Indiens se plaisaient à sucer
et duquel ils obtenaient le sucre 2. D'un autre côté, les livres
hébreux ne parlent pas du sucre 3, d'où l'on peut inférer que la
culture de la canne n'existait pas encore à l'ouest de l'Indus à
l'époque de la captivité des Juifs àBabylone. Ce sont les Arabes,
dans le moyen âge, qui ont introduit cette culture en Egypte,
en Sicile et dans le midi de l'Espagne où elle a été florissante,
jusqu'à ce que l'abondance du sucre des colonies ait obligé d'y
renoncer. Don Henrique transporta la canne à sucre de Sicile à
Madère, d'où elle fat portée aux îles Canaries en 15035. De ce
1. Bretschneider,Onthe study and value of chine.sebotan. wor/cSjetc.
p. 4S-47.
2. Voir les citationsde Strabon, Dioscoride,Pline, etc., dans Lenz,
Botanikder Griechenund Rômer,1839,p. 267; Fingerliut,dans Flora, 1839,
vol. 2, p. 529; et beaucoupd'autresauteurs.
3. Rosenmûller,Handbuchbibl. Alterk.
4. Calendrierrural de Barib, écrit dans le xe siècle pour l'Espagne,tra-
duit par Dureaude La Malle,dans sa Cliîizatologie de L'Italieet de l'Anda-
lousie,p. 71.
8. VonBuch,Canar.Insein.
CANNE A SUCRE 127

point, elle fut introduite au Brésil dans le commencement du


XVIesiècle 1. Elle a été portée à Saint-Domingue vers l'an 1520
et peu après au Mexique 2; à la Guadeloupe en 1644, à la Mar-
la coldnie 3. La va-
tinique vers 1650, à Bourbon dès l'origine de –
riété dite d'O-taïti qui n'est point spontanée dans cette île
et qu'on appelle aussi de Bourbon, a été introduite dans les
colonies françaises et anglaises à la fin du siècle dernier et au
commencement du siècle actuel *•
Les procédés de culture et de préparation du sucre sont dé-
crits dans un très grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels
on peut recommander les suivants en français de Tussac,
Flore des Antilles, 3 vol. in-folio, Paris, 1808, vol. 1, p. 151-182;-Y
en anglais Macfadyen, dans Hooker, Botanical mùcellaniest
in-8°, 1830, vol. 1, p. 103-116.

1. Piso,Brésil,p. 49.
2. Humboldt,Nouv.-Espagne,éd. 2, vol. 3, p. 34.
3. Noticesstatistiq. surles coloniesfrançaises,1, p. 207,29, 83.
4. JMacfadyen, dans Hooker,Miscell.,1, p. 101; Maycoek,FI. Barlad.,
Bo'Saa.,
p. 50.
CHAPITREIII

PLANTES CULTIVÉES POUR LES FLEURS OU LES ORGANES

QUI LES ENVELOPPENT

Giroflier. Caryophyllus aromaticus, Linné.


La partie de cette Myrtacée qu'on emploie dans l'économie
domestique sous le nom de clou de girofle est le calice, surmonté
du bouton de la fleur.
Quoique la plante ait été souvent décrite et très bien figurée,
d'après des échantillons cultivés, il y a du doute sur sa nature
à l'état sauvage. J'en ai parlé dans ma Géographie botanique
raisonnée en 1855, mais il ne paraît pas que la question ait fait
le moindre progrès depuis cette époque ce qui m'engage à
reproduire simplement ce que j'avais dit.
« Le Giroflier doit être originaire des Moluques, ainsi que le
dit Rumphius 1, car la culture en était limitée il y a deux siècles
à quelques petites îles de cet archipel. Je ne vois cependant
aucune preuve qu'on ait trouvé le véritable Giroflier, à pédon-
cules et boutons aromatiques, dans un état spontané. Rum-
phius regarde comme la même espèce une plante qu'il décrit et
figure 2 sous le nom de Caryopkyllum sylvestre et qui se trouve
spontanée dans toutes les Moluques. Un indigène lui avait dit que
les Girofliers cultivés dégénèrent en cette forme, et Rumphius
lui-même avait trouvé un de ces Girofliers sylvestres dans une
ancienne plantation de Girofliers cultivés. Cependant sa planche
3 diffère de la planche 1 du Giroflier cultivé, par la forme des
feuilles et des dents du calice. Je ne parle pas de la planche 2,
qui paraît une monstruosité du Giroflier cultivé. Rumphius dit
que le Giroflier sylvestre n'a aucune qualité aromatique (p. 13)
or, en général, les pieds sauvages d'une espèce ont les proprié-
tés aromatiques plus développées que celles des pieds cultivés.
Sonnerat 3 publie aussi des figures du vrai Giroflier et d'un faux

1. II, p. 3.
2. II, tab. 3.
3. Sonnerat,Voy.Nouv.-Guinêe,
tab. 19 et 20.
GIROFLIER HOUBLON 129

Giroflier, d'une petite île voisine de la terre des Papous. Il est aisé
de voir que son faux Giroflier diffère complètement par les feuilles
obtuses du vrai Giroflier et aussi des deux Girofliers de Rum-
sau-
phius. Je ne puis me décider à réunir ces diverses plantes, sur-
Il est
vages et cultivées, comme le font tous les auteurs
tout nécessaire d'exclure la planche 120 de Sonnerat, qui est
admise dans le Botanîcal Magazine. On trouve dans cet ouvrage,
dans le Dictionnaire d'agriculture et dans les dictionnaires d'his-
toire naturelle l'exposé historique de la culture du Giroflier et
de son transport en divers pays.
S'il est vrai, comme le dit Roxburgh 2, que la langue sans-
crite avait un nom, Luvunga, pour le clou de girofle, le com-
merce de cette épice daterait d'une époque bien ancienne, même
en supposant que le nom fût plus moderne que le vrai sanscrit.
Je doute de sa réalité, car les Romains auraient eu connaissance
d'un objet aussi facile à transporter, et il ne paraît pas qu'on en
ait reçu en Europe avant l'époque de la découverte des Molu-
aues par les Portugais.

Houblon. Humulus Lupulus, Linné.


Le Houblon est spontané en Europe depuis l'Angleterre et la
buède jusque sur les montagnes de la région de la mer Méditer-
ranée, et en Asie jusqu'àDamas, jusqu'aumidi de la merCaspienne
et de la Sibérie orientale 3; mais on ne l'a pas trouvé dans l'Inde,
le nord de la Chine et la région du fleuve Amour.
Malgré l'apparence tout à fait sauvage du Houblon en Europe,
dans des localités éloignées des cultures, on s'est demandé quel-
quefois s'il n'est pas originaire d'Asie 4.Je ne pense p'as qu'on puisse
le prouver, ni même que cela soit probable. La circonstance
du Hou-
que les Grecs et les Latins n'ont pas parlé de l'emploi connais-
blon pour la bière s'explique aisément par le fait qu'ils
saient bien peu cette boisson. Si les Grecs n'ont pas mentionné
la plante, c'est simplement peut-être parce qu'elle est rare dans
leur pays. D'après le nom italien, Lupulo, on soupçonne que Pline
en a parlé, à la suite d'autres légumes, sous le nom de Lupus sa-
Uctarius B.Que l'usage de brasser avec le Houblon se soit répandu
seulement dans le moyen âge, cela'ne prouve rien, si ce n'est
que l'on employait jadis d'autres plantes, comme on le fait encore
dans certaines localités. Les Celtes, les Germains, d'autres peuples

1. Thunberg, Diss.,II, p. 326; de Candolle,Prodr., III, p. 262 Hooker,


Bot. mag.,tab. 2749 Hasskarl, Cat. h. Bogor.alt., p. 261.
2. Roxburgh,Flora indica, ed. 1832,vol. 2, p. 494.
3. Alph. de Candolle,dans Prodromus,vol. 16, sect. 1, p. 29; Boissier.
Fl. orient., 4, p. 1152;Hohenacker,Enum.plant. Talysch,p. 30 Buhse,
AufzàhlungTranscaucasien, p. 202. e
4. Hehn,Nutzpflanzenunà Hausthierein ihren übergangaus Asien,ed. 3,
p.4i5.
5. Pline, Hist. 1. 21, c. 15.n mentionne à cet endroit l'Asperge,et l'on
sait
o. .1. les jeunes pousses
que I" de Houblonse mangent
-0- de la mêmemanière.
DE CANDOLLE. 9
130 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FLEURS

du Nord et même des peuples du Midi qui avaient la vigne fai-


saient.de la bière soit d'orge, soit d'autres grains fermentés,
avec addition, dans certains cas; de matières végétales diverses,
par exemple d'écorce de chêne, de: Tamarin, ou de fruits du
Myrica Gale 2. Il est très possible qu'ils n'aient pas. remarqué
de bonne heure les avantages du Houblon et qu'après en avoir
eu connaissance ils aient employé le Houblon sauvage avant de
le cultiver. La première mention d'une houblonnière est dans
l'acte d'une donation faite par Pépin, père de Charlemagne, en
768 a. Auxivesiècle, c'était une culture importante en Allemagne,
mais en Angleterre elle a commencé seulement sous Henri YIII 4.
Les noms vulgaires du Houblon ne fournissent que des indi-
cations en quelque sorte négatives sur l'origine. Il n'y a pas de
nom sanscrit 5, ce qui concorde avec l'absence de l'espèce dans
la région de l'Himalaya et fait présumer que les peuples aryens
ne l'avaient pas remarquée et utilisée. J'ai cité jadis quelques-
uns des noms européens, en montrant leur diversité, quoique
certains d'entre eux puissent dériver d'une souche commune.
M. Hehn a traité de leur étymologie en philologue et a montré
combien elle est obscure; mais il n'a pas mentionné des noms
tout à fait éloignés de Eumle, Hopf ou Hop et Chmeli, des lan-
gues scandinaves, gothiques et slaves, par exemple Apini en
lette, Apwynis emlithuanien, Tap en esthonien, Blmtea. illyrien7,
qui ont évidemment d'autres racines. Cette diversité vient à
l'appui de l'idée d'une existence de l'espèce en Europe antérieu-
rement à l'arrivée des peuples aryens. Plusieurs populations
différentes auraient distingué, nommé et utilisé successivement
la plante,, cequi confirme l'extension en Europe et en Asie avant
l'usage économique.

Carthame. Carthamus tinctorius, Linné.


La Composée annuelle appelée Carthame est une des plus
anciennes espèces cultivées. Un se sert de ses fleurs pour colorer
en jaune ou en rouge, et les graines donnent de l'huile.
Les bandes qui entourent les momies des anciens Egyptiens
sont teintes de Carthame 8, et tout récemment on a trouvé des
fragments de la plante dans les tombeaux découverts à Deir el
Bahari 9. La culture doit aussi être ancienne dans l'Inde, puis-

1. Tacite,Gei-mania,cap.25; Pline, 1. 18, c. 7, Hehn, Kulturpflanzen,


etc., éd. 3, p. 125-137.
2. Volz,Beitrâgezur CuMurgeschichte, p. 149.
3. Volz,ibid.
4«.Beckmann,Erfindunt/en,. cité par Volz.
S.Piddington Index; Fick, Wôrterb.Indo-Germ.Sprachen,1,Hragraclie.
6.. A.de Candolle,Giagr. bot-rais,, p. 85T-
7. Dictionnairemanuscritcompiléd'aprèsles flores,par Moritzi.
8. Unger,DiePflanzen,desalten Mgyptens, p. 47. ·
9. SckweinfurQi,lettre adresséeà M. Boissiar,en.1SS2.
CARTHAME – SAFRAN 131

qu'on indique deux noms sanscrits, Cusumbka et Kamalottara,


dont le premier a laissé plusieurs descendants dans les langues
actuelles de la péninsule i. Les Chinois ont reçu le Carthame
seulement au ne siècle avant Jesus-Christ. C'est Chang-kien qui
le leur a apporté de la Bactriane 2. Les Grecs et les Latins ne
l'ont probablement pas connu, car il est très douteux que ce
soit la plante dont ils ont parlé sous le nom de Cnikos ou
Cnicus 3. Plus tard, les Arabes ont beaucoup contribué à ré-
pandre la culture du Carthame, qu'ils appellent Qorton, Kurtum,
d'où Carthame, ou Usfur, ou Iâridh, ou Morabu diversité
qui indique une existence ancienne dans plusieurs contrées de
l'Asie occidentale ou de l'Afrique. Les progrès de la chimie me-
nacent cette culture, comme beaucoup d'autres mais elle sub-
siste encore dans le midi de l'Europe, en Orient, dans l'Inde et
dans toute la région du Nil.
Aucun botaniste n'a trouvé le Carthame dans un état vrai-
ment spontané. Les auteurs l'indiquent avec doute comme ori-
ginaire ou de l'Inde ou d'Afrique, en particulier d'Abyssinie
mais ils ne l'ont vu absolument qu'à l'état cultivé ou avec
l'apparence d'être échappé des cultures 6. M. Clarke', ancien
directeur du jardin de Calcutta, qui a revu depuis peu les Com-
posées de l'Inde, admet l'espèce à titre de cultivée seulement.
Ls résumé des connaissances actuelles sur les plantes de la
région du Nil, en y comprenant l'Abyssinie, par MM.Schwein-
furth et Ascherson8, indique également l'espèce comme cultivée,
et les listes de plantes du voyage récent de Rohlfs n'indiquent
pas non plus le Carthame spontané 9.
L'espèce n'ayant été trouvée sauvage ni dans llnde ni en
Afrique et sa culture ayant existé cependant depuis des mil-
liers d'années dans ces ceux pays, j'ai eu l'idée de chercher l'ori-
gine dans la région intermédiaire. Ce procédé m'a réussi dans
d'autres cas.
Malheureusement, l'intérieur de l'Arabie est presque inconnu,
et Forskal, qui a visité les côtes du Yemen, n'apprend rien sur
le Carthame. Il en est de même des opuscules publiés sur les
plantes de Botta et de Bové. Mais un Arabe, Abu Anifa, cité par
Ebn Baithar, auteur du xme siècle, s'est exprimé comme suit"

i. Piddington,Index.
2. Bretschneider,Study andvalue,etc., p. 15.
3. Voir Targioni, Cennistorici, p. 108.
4. Forskal, Flora xgypt., p. 73 Ebn Baithar, trad. allemande,2, p. 196,
293; 1, p. 18.
5. Voir Gasparin,Coursd'agriculture,4, p. 217.
6. Boissier, FI. orient., 3, p. 710 Oliver, Flora of tropical Africa,
3, p. 439.
7. Clarke,Composites indice, 1876,p. 244.
8. Schweinfurthet Ascherson,Aufzàhlung,p. 2S3.
9. Rohlfs,Kufra, in-8,1881.
10.Ebn Baithar, 2, p. 196.
132 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FLEURS
« Usfur. Cette plante fournit des matériaux pour la teinture.
Il y en a de deux sortes, une cultivée et une sauvage, qui crois-
sent toutes les deux en. Arabie et -dont on appelle les graines
Elkurlhum. » Abu Anifa peut bien avoir eu raison.

Safran. Crocus sativus, Linné.


La culture du Safran est très ancienne dans l'Asie occidentale.
Les Romains vantaient le Safran de Cilicie; ils le préféraient à
celui cultivé en Italie i. L'Asie Mineure, la Perse et le Cachemir
sont depuis longtemps les pays qui en exportent le plus. L'Inde
le reçoit aujourd'hui du Cachemir 2. Roxburgh et Wallich ne
l'indiquent pas dans leurs ouvrages. Les deux noms sanscrits
mentionnés par Piddington 3 s'appliquaient probablement à la
substance du Safran importé de l'ouest, car le nom Kasmira-
jamma semble indiquer le pays d'origine, Cachemir. L'autre
nom est Kunleuma. On- traduit ordinairement le mot hébreu
Karkom par Safran, mais il doit s'appliquer plutôt au Carthame,
d'après.le nom actuel de cette dernière plante en arabe. D'ail-
leurs, on ne cultive pas le Safran en Egypte ou en Arabie 4. Le
nom grec est s Krokos. Safran, qui se retrouve dans toutes nos
langues modernes d'Europe, vient de l'arabe Sahafaran 6,
Zafran 7. Les Espagnols, plus près des Arabes, disent Azafran.
Le nom arabe lui-même vient de Assfar, jaune.
De bons auteurs ont indiqué le C. sativus comme spontané en
Grèce8, et en Italie, dans les Abruzzes 9. M. Maw, qui prépare
une monographie du genre Crocus, basée sur de longues obser-
vations dans les jardins et les herbiers, rapporte au C. sativus
six formes spontanées dans les montagnes, d'Italie au Kurdistan.
Aucune, selon lui 10,n'est identique avec la plante cultivée; mais
certaines formes, décrites sous d'autres noms (C. Orsinii, C. Cart-
wrightianus, C. Thomasii) en diffèrent à peine. Elles sont d'Italie
et de Grèce.
La culture du Safran, dont les conditions sont exposées dans
le Cours d'agriculture de Gasparin et dans le Bulletin de la So-
ciété d'acclimatation de 1870, devient de plus en plus rare en
Europe et en Asie Elle a eu quelquefois pour effet de natu-
raliser, au moins pendant quelques années, l'espèce dans des
localités où elle semble sauvage.

1. Pline,1. 21,c. 6.
2. Royle,III. Htm., p. 372.
3. Index,p. 25.
4.D'aprèsForskal,Delile,Reynier,Schweinfurthet Ascherson
(Aufzâkhstg)*
5. Théophraste,Hist.,1.6, c. 6.
6 J. Bauhin, Hist.,II, p. 637.
7. Royle, l. c.
8. Sibthorp,Prodr.; Fraas, Syn. fl. class.,p. 292.
9. J. Gay,cité par Bahington,Man.Brit. fl.
10. Maw,dans Gardeners'chronicle,1881,vol.16.
11. Jacquemont,Voy.,III, p. 238.
CHAPITREIV

PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

Pomme Canelle. Anona squamosa, Linné. – fin, anglais


Szoeet sop, Sugar apple 2.
La patrie de cette espèce et d'autres Anona cultivés a suscité
des doutes qui en font un problème intéressant. Je me suis
efforcé de les résoudre en 1855. L'opinion à laquelle je m'étais
arrêté alors se trouve confirmée par les observations des voya-
geurs faites depuis, et, comme il est utile de montrer à quel
point des probabilités basées sur de bonnes méthodes condui-
sent à des assertions vraies, je transcrirai ce que j'ai dit 3; après
quoi je mentionnerai ce qu'on a trouvé plus récemment.
« Robert Brown établissait en 1818 le fait que toutes les
espèces du genre Anona, excepté Y Anona senegalensis, sont
d'Amérique et aucune d'Asie. Aug. de Saint-Hilaire 4 dit que,
d'après Vellozo, l'A. squamosa a été introduit au Brésil, qu'il y
est connu sous le nom de Pinha, venant de la ressemblance
avec les cônes de pins, et d'Ata, évidemment emprunté aux
noms Attoa et Atis, qui sont ceux de la même plante en Asie
et qui appartiennent aux langues orientales. Donc, ajoute de
Saint-Hilaire, les Portugais ont transporté l'A. squamosa de
leurs possessions de l'Inde dans celles d'Amérique, etc. » Ayant
fait en 1832 une revue de la famille des Anonacées 5, je fis re-
marquer combien l'argument botanique de M. Brown devenait

1. Le mot fruit est employéici dans le sens vulgaire,pour toute partie


charnuequi grossitaprès la floraison.Dansle sens strictementbotanique,
les Anones,Fraises, Pommesd'Acajou,Ananaset le fruitde l'Arbreà pain
ne sont pas des fruits.
2. Dansl'Inde anglaiseCustardapple; mais c'estle nom de VAnonamu-
ricata en Amérique.L'A squamosaest figuré dans Descourtilz,Flore des
Antilles,2, pl. 83 Hooker,Botanicalmagazine,t. 3095,et Tussac,Flore
des Antilles,3, pl. 4.
3. A.de Candolle,Géographiebotaniqueraisonnée,p. 859.
4. Aug.de Saint-Hilaire,Plantesusuellesdes Brésiliens,6"livr., p. 5.
5. Alph. de Candolle,dans Mem.Soc.phys.et d'hist. nat. de Genève.
134 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

de plus en plus fort, car, malgré l'augmentation considérable


des Anonacées décrites, on ne pouvait citer aucun Anona et
même aucune Anonacée à ovaires soudés qui fût originaire
d'Asie. J'admettais la probabilité que l'espèce venait des Antil-
les ou de la partie voisine du continent américain; mais par
inattention j'attribuai cette opinion à M. Brown, qui s'était
borné à revendiquer une origine américaine en général 2.
« Depuis, des faits de diverse nature ont confirmé cette ma-
nière de voir.
« L'Anona squamosa a été trouvé sauvage en Asie, avec l'ap-
parence plutôt d'une plante naturalisée; en Afrique, et surtout
en Amérique, avec les conditions d'une plante aborigène. En
effet, d'après le D"Royle s, cette espèce a été naturalisée dans
plusieurs localités de l'Inde; mais il ne l'a vue, avec l'appa-
rence d'une plante sauvage, que sur les flancs de la montagne
où est le fort de Adjeegurh, dans le Bundlecund, parmi des
pieds de Teck. Lorsqu'un arbre aussi remarquable, dans un pays
aussi exploré par les botanistes, n'a été signalé que dans une
seule localité hors des cultures, il est bien probable qu'il n'est
pas originaire du pays. Sir Joseph Hooker l'a trouvé dans l'ile
de Santiago, du Cap-Vert, formant des bois sur le sommet des col-
lines de la vallée de Saint-Dominique Comme l'A. squamosa
n'est qu'à l'état de culture sur le continent voisin 5; que même
il n'est pas indiqué en Guinée par Thonning ni au Congo7, ni
dans la Sénégambie 8, ni en Abyssinie ou en Egypte,-ce qui
montre une introduction récente en Afrique; enfin, comme les
îles du Cap-Vert ont perdu une grande partie de leurs forêts
primitives, je crois dans ce cas à une naturalisation par des
graines échappées de jardins. Les auteurs s'accordent à dire
l'espèce sauvage à la Jamaïque. On a pu autrefois négliger l'as-
sertion de Sloane et de P. Brown 10, mais elle est confirmée
par Mac-Fadyen Il. De Martius a trouvé l'espèce dans les forêts
de Para < localité assurément d'une nature primitive. Il dit
même « Sylvescentem in nemoribus paraënsibus inveni, » d'où
l'on peut croire que les arbres formaient à eux seuls une forêt.
Splitgerber t3 l'avait trouvée dans les forêts de Surinam, mais il
1. Mém.Soc.phy. et d'hist.nat. de Genève,p. 19du mém. tiré à-part.
2. VoyezBotanyof Congoet la traduction allemandedes œuvres d&
Brown,qui a des tables alphabétiques.
3. Royle,Ill. Himal.,p. 60.
4. Webb, dans FI. Nigr.,p. 97.
5. Ibid., p. 204.
6. Thonning,Pl. Guin.
7. Brown,Congo,p. 6.
8. Guillemin,Perrottet et Richard,Tentamenfl. Senelg.
9. Sloane,Jam., II, p. 168.
10.P. Brown,Jam., p. 257.
11. Mac-Fadyen, Fi. Jam., p. 9.
12. De Martius,Fl. Bras., fasc. 2. p. 15.
13.Splitgerber,Nederl.Kruidh.Arch., p. 230.
POMMECA.NELLE 135

dit an spontanea? Le nombre des localités dans cette partie de


n'ai pas besoin de rappeler
l'Amérique est assez significatif. Je
ainsi dire, vivant ailleurs que sur les côtes,
qu'aucun arbre, pour
n'a été trouvé véritablement aborigène à la fois dans l'Asie,
L'ensemble de mes re-
l'Afrique et l'Amérique intertropicales 1.
cherches rend un fait pareil infiniment peu probable, et, si un
arbre était assez robuste pour offrir une telle extension, Userait
excessivement commun dans tous les pays intertropicaux.
« D'ailleurs les arguments historiques et linguistiques se sont
aussi renforcés dans le sens de l'origine américaine. Les détails
donnés par Rumphius 2 montrent que VAnona squamosa était
une plante nouvellement cultivée dans la plupart de îles de
Ananacée comme
l'archipel Indien. Forster n'indique aucune
cultivée dans les petites îles de la mer Pacifique 3. Rheede dit
l'A squamosa étranger au Malabar, mais transporté dans
l'Inde, d'abord par les Chinois et les Arabes, ensuite par les
et en Cochin-
Portugais Il est certain qu'il est cultivé en Chine
chine 5, ainsi qu'aux Philippines 6; mais depuis quelle époque?
C'est ce que nous ignorons. Il est douteux que les Arabes le
cultivent 7. Dans l'Inde on le cultivait du temps de Roxbnrgh 8,
et qui ne mentionne
qui n'avait pas vu l'espèce spontanée, moderne (bengali), te nom
qu'un seul nom vulgaire de langue on a cru reconnaître
Ata, qui est déjà dans Rheede. Plus'tard, mais le
le nom Gund'a-Gatra comme sanscrit9; DrRoyle™
auteur du dictionnaire sans-
ayant consulté le célèbre Wilson, il répondit qu'il avait été
crit, sur l'ancienneté de ce nom,
tiré du Sabda chanrika, compilation moderne comparative-
ment. Les noms de Ata, AU se trouvent dans Rheede et Rum-
phius Voilà sans doute ce qui a servi de base à l'argumenta-

i. A. de Candolle,Géorjr.bot. raisonnée,chap. X.
2. Rumphius,1, p. 139,
3. Forster,Plantée esculentm.
4. Rheede,Malab.,III, p. 22.
5. Loureiro,Fl. cach.,p. 427.
6. B!anco,Fl. Filip.
7. Cela dépend de l'opinion qu'on se formera sur IA. glafca, -Forsk.
(A.asiaticaB.Dun.,Anon., p. 71;A.Forskalii,DC.,8gH,.l,p. 472 qui était
cultivéquelquefoisdans les jardins de l'Egypte,lorsque Forskal visita ce
Keschta,e'est-à-direlait coagule.La rareté de sa cul-
pays, sousle nom deanciensauteurs montrentque c'étaitune introduction
ture et le silencedes 2 vol., 1840)
moderne en Egypte.Ebn Baithar(trad. allem.de Sontheimer,
médecinarabedu xuiesiècle, ne parle d'aucuneAnonacéeet mentionne
ne
pas de nom de Keschta.Je ne vois pas comment.ladescriptionet.la'ignre
de Forskal[Descr.,p. 102,:c. tab. la) diffèrentde l'A. squamasa.L échan-
avec la planche
le
tillon de Coquebert,cité dans Systema, concorde assez
de Forskal; mais, commeil est en fleur et que la planchedonne le irait,
l'identité ne peut être bien prouvée.
8. Roxbursh, FI. Ind., ed. 1832,v. 2. p. 657
9. PiddingtonIndex, 6 p.
dO.Royle,Ill. Him.,p. 60.
il. Rheede et Rumphius,1, p.l 39.
136 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

tion de Saint-Hilaire; mais un nom bien voisin est donné au


Mexique à VAnona squamosa. Ce nom est Ate, Ahate de Pa-
nucho, qui se trouve dans Hernandez 1 avec deux figures assez
semblables et assez médiocres, qu'on peut rapporter ou à l'A.
squamosa, avec Dunal 2, ou à l'A. Cherimolia, avec de Martius 3.
Oviedo emploie le nom de Anon Il est très possible que le
nom de Ata soit venu au Brésil du Mexique et des pays voisins.
Il se peut aussi, je le reconnais, qu'il vienne des colonies portu-
gaises des Indes orientales. De Martius dit cependant l'espèce
importée des Antilles 5. Je ne sais s'il en a eu la preuve ou si
elle résulte de l'ouvrage d'Oviedo, qu'il cite et que je ne puis
consulter. L'article d'Oviedo, transcrit dans Marcgraf 6, décrit
l'A. squamosa sans parler de son origine.
(cL'ensemble des faits est de plus en plus favorable à l'origine
américaine. La localité où l'espèce s'est montrée le plus spon-
tanée est celle des forêts de Para. La culture en est ancienne en
Amérique, puisque Oviedo est un des premiers auteurs (1535)
qui aient écrit sur ce pays. Sans doute la culture est aussi d'une
date assez ancienne en Asie, et voila ce qui rend le problème
curieux. Il ne m'est pas prouvé cependant qu'elle soit antérieure
à la découverte de l'Amérique, et il me semble qu'un arbre
fruitier aussi agréable se serait répandu davantage dans l'an-
cien monde, s'il y avait existé de tout temps. On serait d'ailleurs
fort embarrassé d'expliquer sa culture en Amérique au com-
mencement du XVIesiècle en supposant une origine de l'ancien
monde.
Depuis que je m'exprimais ainsi, je remarque les faits sui-
vants publiés par divers auteurs.
1° L'argument tiré de ce qu'aucune espèce du genre Anona
n'est asiatique est plus fort que jamais. L'A. asiatica, Linné,
reposait sur des erreurs (voir ma note, dans Géogr. bot.,
p.* 862). L'A. obtusifolia, Tussac, Fl. des Antzlles, I. p. 191,
pi. 28, cultivé jadis à Saint-Domingue, comme d'origine asia-
tique, est peut-être fondé sur une erreur. Je soupçonne qu'on a
dessiné la fleur d'une espèce (A. muricata) et le fruit d'une autre
(A. squamosa). On n'a point découvert d'Anona en Asie, mais
on en connaît aujourd'hui quatre ou cinq en Afrique, au lieu
d'une ou deux', et un nombre plus considérable qu'autrefois
en Amérique.

i. Hernandez,p. 348et 434.


2. Dnnal, Mém.Anon.,p. 70.
3. DeMartius,Fl. bras.,fasc.2, p. 18.
4. De là' vientle nom de genre Anona,que Linné a changé en Annona,
(provision),parce qu'il ne voulait aucun nom des languesbarbares et
qu'il ne craignaitpas les jeux de mots.
5. De Martius,l. c.
6. Marcgraf,Brasil,p. 94.
7. VoirBaker,Flora of Nauritius,p. 3. L'identitéadmise par M. Oliver,
Flora of trop. Africa,1, p. 16, de lA. palustrisd'Amériqueavec celuide
COROSSOL 137

2" Les auteurs de flores récentes d'Asie n'hésitent pas à con-


sidérer les Anona, en particulier l'A. squamosa, qu'on rencontre
çà et là avec l'apparence spontanée, comme naturalisés autour
des cultures et des établissements européens 1.
3» Dans les nouvelles flores africaines déjà citées, l'A. squa-
mosa et les autres, dont je parlerai tout à l'heure, sont indiqués
toujours comme des espèces cultivées.
4° L'horticulteur Mac Nab a trouvé l'A. squamosa dans les
anciens
plaines sèches de la Jamaïque 2, ce qui confirme les
auteurs. Eggers dit cette espèce commune dans les taillis
(thickets) des îles Saint-Croix et Vierges. Je ne vois pas qu'on
l'ait trouvée sauvage à Cuba.
5" Sur le continent américain, on la donne pour cultivée
d'une
Cependant M. André m'a communiqué un échantillon,
localité pierreuse de la vallée de la Magdelena, qui paraît ap-
Le fruit manque, ce
partenir à cette espèce et être spontané. note sur l'éti-
qui rend la détermination douteuse. D'après la
quette, c'est un fruit délicieux, analogue à celui de l'A. squa-
mosa. M. Warming cite l'espèce comme cultivée à Lagoa-
Santa, du Brésil. Elle paraît donc plutôt cultivée ou naturalisée
à Para, à la Guyane et dans la Nouvelle-Grenade, par un effet
des cultures.
En définitive, on ne peut guère douter, ce me semble, qu'elle
ne soit d'Amérique et même spécialement des Antilles.

Corossol. -Anona muricata, Linné. -En Anglais Sour sop.


Cet arbre fruitier 6, introduit dans toutes les colonies des
du moins, on a cons-
pays tropicaux, est spontané aux Antilles
taté son existence dans les îles de Cuba, Saint-Domingue, la
Jamaïque et dans plusieurs des petites îles 7. Il se naturalise
quelquefois sur le continent de l'Amérique méridionale, près
des habitations 8. M. E. André en a rapporté des échantillons

Sénégambie,me paraît très extraordinaire, quoiqu'ils'agisse d'une espèce


croissant dans des marais, c'est-à-dire offrant peut-être une habitation
vaste.
1. Hooker, Flora of brit. India, 1, p. 78 Miquel,Flora indo-batava.
1, part. 2, p. 33 Kurz, forest flora of brit. Burma,1, p. 46 Stewartet
Brandis,Forestof India,p. 6.
2. Grisebach,Flora of brit. W-India, p. 5.
3. Eggers,Flora of St-Cioixand Virginislands,p. 23.
4. Triana et Planchon,Prodr. fl. novo-granatensis, p. 29 Sagot, Journ.
soc. d'hortic, 1872.
5. Warming, Symbolsad fl. bras.. 16,p. 434.
6. Figuré dans Descourtilz,Fl. méd.desAntilles,2, pl. 87, et dans Tussac,
Fl. des Antilles,2, pl. 24.
7. Richard, Plantes vasculairesde Cuba, p. 29; Swartz, Obs.,p, 221;
P. Brown, Jamaïque, p. 255; Mac-Fadyen.Fl. Jamaïg., p. 7; Egg^rs,
Fl. of Sainte-Croix,p. 23 GrisebachFl. brit. W. India, p. 4.
Plant. de Surinam,dans
8. Martius,Fl. brasil., fasc. 2, p. 4; Splitgerber,
M
Nederl.Kmidk. Areh., 1, p. 226.
138 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

de la. région de la Gauca, dans la Nouvelle-Grenade, mais il


n'affirme pas quîils soient spontanés, et je vois que 11..Triana
(Prodr. fl. granat.).le mentionne comme cultivé seulement.

Cœur de bœuf. – Anona reticuluta,Lmné. – En anglais Cus-


tard apple (dans les Antilles), Ballocks' heart (dans l'Inde).
Cet Anona, figuré dans Descourtilz, Flore médicale des An-
tilles, 2, pl. 82 et dans le Botanical magasine, pi. 2912, est spon-
tané aux Antilles, par exemple dans les îles de Cuba, la
Jamaïque, Saint-Vincent, la Guadeloupe, Saint-Croix, les Bar-
bades et encore dans l'ile de Taboga, de la baie de Panama 2
et dans la province d'Antioquia, de la Nouvelle-Grenade 3. Si
dans ces dernières localités il est aussi sauvage que dans les
Antilles, son habitation s'étend probablement dans plusieurs des
Etats de l'Amérique centrale et de la Nouvelle-Grenade.
Quoique le fruit du Cœur de bœuf soit peu estimé, on a intro-
duit l'espèce dans la plupart des colonies des régions tropicales.
Rheede et Rumphius l'avaient vu déjà dans les plantations de
l'Asie méridionale. D'après Welwitsch, il se naturalise, hors des
jardins, dans le pays d'Angola, de l'Afrique occidentale 4, ce
qui est arrivé aussi dans l'Inde anglaise B.

Cherimolia. Anona Cherimolia, Lamarck.


Le Ckerimolia, ou Ckirimoya, n'est pas cultivé dans les colo-
nies aussi généralement que les espèces précédentes, malgré
l'excellence de son fruit. C'est probablement ce qui fait qu'on
n'a pas encore publié du fruit même une figure moins mauvaise
que celle de Feuillée (Obs. 3, pl. 17), tandis que la fleur est bien
représentée dans la planche 201 du Botanical magazine, sous
le nom d'A. tripetala.
Voici comment je m'exprimais en 1855 sur l'origine de l'es-
6
pèce
« Le Cherimolia est indiqué, par de Lamarck et Dunal, comme
croissant au Pérou; mais Feuillée, qui en a parlé le premier 7,
le mentionne comme cultivé. Mac-Fadyen 8 le dit abondant sur
les montagnes de Port-Royal, de la Jamaïque; mais il ajoute
qu'il est originaire du Pérou et doit avoir été introduit depuis
longtemps, d'où il semble que l'espèce est cultivée dans les
plantations des parties élevées plutôt que spontanée. Sloane n'en

1. Richard, l. c.; Mac-Fadyen,l. c; Grisebach, c.; Eggers, l. c.;


Swartz, Obs.,p. 222; Maycoek,FI. Barbad.,p. 233.
2. Seeman,Boianyof Herald,p. 75.
p. 20.
3. Trianaet Planchon,Prodr. Fl. Novo-granatensis,_
4. Oliver,Flora of tropicalAfrica, 1, p.*13.
5. Sir J. Hooker,Flora brit. India, 1,p. 78.
6. De Candolle,Géogr.bot. rais., p. 863.
7. Fenillée,Obs.,III, p. 23, t. 17.
8. Mac-Fadyen,Fl. Jam., p. 10.
ORA.NGERSET CITRONNIERS 139

et Bonpland l'ont vu cultivé dans


parle pas. MM.de Humboldt
le Venezuela et la Nouvelle-Grenade de Martius au Brésil où les
est cultivée
graines en avaient été obtenues du Pérou. L'espèce il ne
aux îles du Cap-Vert et sur la côte de Guinée2 mais paraît
en Asie. Son origine américaine est
pas qu'on l'ait répandue
évidente. Je n'oserais pourtant pas aller plus loin et affirmer
de la Nouvelle-Grenade ou
qu'elle est du Pérou, plutôt que
même du Mexique. On la trouvera probablement sauvage dans
une de ces régions. Meyen ne l'a pas rapportée du Pérou 3. »
Mes doutes sont diminués aujourd'hui, grâce à une communi-
cation obligeante de M. Ed. André. Je dirai d'abord que j'ai vu
des échantillons du Mexique, recueillis par Bôtteri et par Bour-
dans cette
geau, et que les auteurs indiquent souvent l'espèce et la Nouvelle-
région, aux Antilles, dans l'Amérique centrale soit
Grenade. Ils ne disent pas, il est vrai, qu'elle y sauvage. Au
des
contraire, ils notent qu'elle est cultivée, ou qu'elle s'échappe
jardins et se naturalise Grisebach affirme qu'elle est spon-
tanée du Pérou au Mexique, sans en donner la preuve. M. André
a récolté, dans une vallée du sud-ouest de l'Equateur, des
échantillons qui se rapportent bien à l'espèce, autant qu'on
ne dit rien de la qualité
peut l'affirmer sans voir les fruits. Il dans d'autres cas
spontanée, mais le soin avec lequel il indique
les plantes cultivées ou venant peut-être des cultures me fait
croire qu'il a regardé ses échantillons comme spontanés. Claude
un temps immé-
Gay dit que l'espèce est cultivée au Chili depuis
morial 5. Cependant Molina, qui mentionne plusieurs arbres
fruitiers des anciennes cultures du pays, n'en parle pas 6.
En résumé je regarde comme très probable que 1 espèce est
dans le voisinage, au
indigène dans l'Equateur et peut-être,
Pérou.
– Citrus, Linné.
Orangers et citronniers.
Les différentes formes de citrons, limons, oranges, pample-
travaux
mousses, etc., cultivés dans les jardins ont été l'objet de il faut
remarquables de quelques horticulteurs, parmidifficultés
lesquels
étaient
citer en première ligne Gallesio et Risso Les
très grandes pour observer et classer tant de formes. On avait
obtenu d'assez bons résultats, mais il faut convenir que la mé-
thode péchait par la base, puisque les végétaux observés étaient

1. De Martius,Fl. brasil., fase.3, p. 15.


2. Hooker,FI. Nigr., p. 205.
3. Nov.act. nat. cur., XIX,suppl. 1. .m- 7 7
4. Richard,Plant. vasc. de Cuba; Grisebach,Fl. brit. W.etInd.islandij
Hemsley,Biologiacentrali-amer.,p. 118; Kunth, in Humb. Bonpland,
NovaGen.,5, p. 5? Trianaet Planchon.,Prodr. fi. Novo-Granat., p. 28.
5. Gay,Flora chil., 1, p. 66.
6. Molina,traductionfrançaise..
7. Gallesio,Traité du Citrus,in-S, Paris, 1811 Risso et Poiteau,Histoire
naturelledes Orangers,1818,in-folio,109planches.
140 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

uniquement cultivés, c'est-à-dire plus ou moins factices et


peut-être, dans certains cas, hybrides. Les botanistes sont plus
heureux maintenant. Grâce aux découvertes des voyageurs dans
l'Inde anglaise, ils peuvent distinguer des espèces spontanées,
par conséquent réelles et naturelles. D'après sir Joseph Hooker',
qui a lui-même herborisé dans l'Inde, c'est à Brandis qu'on
doit le meilleur travail sur les Citrus de cette région. Il le suit
dans sa flore. Je ferai de même, à défaut d'une monographie
du genre, et en remarquant aussi qu'il reste à rapporter le
mieux possible aux espèces spontanées la multitude des formes
qui ont été décrites dans les jardins et figurées depuis deux
siècles 3.
Les mêmes espèces, et d'autres peut-être, existent probable-
ment à l'état sauvage en Cochinchine et en Chine; mais on ne
l'a pas encore constaté sur place ni au moyen d'échantillons
examinés par des botanistes. Peut-être les ouvrages importants
de M. Pierre, qui commencent à paraître, nous feront-ils savoir
ce qu'il en est pour la Cochinchine. Quant à la Chine, je citerai
le passage suivant du Dr Bretschneider qui a de l'intérêt, vu
les connaissances spéciales de l'auteur « Les oranges, dont il y
a une grande variété en Chine, sont comptées par les Chinois
dans le nombre des fruits sauvages. On ne peut pas douter que
la plupart ne soient indigènes et cultivées depuis des temps an-
ciens. La preuve en est que chaque espèce ou variété porte un
nom distinct, est en outre représentée le plus souvent par un
caractère particulier, et se trouve mentionnée dans les Shu-king,
Rh-ya et autres anciens ouvrages. »
Les hommes et les oiseaux dispersent les graines d'Aurantia-
cées, d'où résultent des extensions d'habitation et des naturali-
sations dans les régions chaudes des deux mondes. On a pu le
remarquer en Amérique dès le premier siècle après la con-
quête 5, et maintenant il s'est formé des bois d'orangers même
dans le midi des Etats-Unis.

Pompelmouse. Citrus decumana, Willdenow. Skad-


dock, des Anglais.
Je parlerai d'abord de cette espèce, parce qu'elle a un carac-
tère botanique plus distinct que les autres. Elle devient un

1. Hooker,Floraof britishIndia, 1, p. 515.


2. Stewartet Brandis, Theforest of north-westand central India, 1vol.
in-8, p. 50.
3. Pour arriverà un travail de ce genre,le premierpas serait de publier
de bonnes figurese des espècesspontanées,montrant en particulierleurs
fruits, qu'on ne voit pas dans les herbiers. On pourrait alors dire quelles
sont, dans les planchesde Risso,de Duhamelet autres, cellesqui s'appro-
chentle plus des types sauvages.
4. Bretschneider, Onthestudyand valueof chinesebotanicalworks,p. 55.
5. Acosta, Hist.nat. desIndes,traductionfrançaise,1S98,p. 187.
CÉDRA.TIER, CITRONNIER, LIMONIER 144.

et
plus grand arbre, et elle est seule a avoir les jeunes pousses
le dessous des feuilles pubescents. Le fruit est sphérique ou à
même aussi gros
peu près, plus gros qu'une orange, quelquefois la peau
qu'une tête d'homme. Le jus est d'une acidité modérée, du
remarquablement épaisse. On peut voir de bonnes figures
fruit dans le nouveau Duhamel, 7, pl. 42, et dans Tussac, Flore
des Antilles, 3, pl. 17, 18.
Le nombre des variétés dans l'archipel du midi de l'Asie in-
encore d'une
dique une ancienne culture. On ne connaît pas
manière bien précise le pays d'origine, parce que des pieds qui
suites
paraissent indigènes peuvent venir de naturalisations,on avait
d'une culture fréquente. Roxburgh dit qu'à Calcutta
reçu l'espèce de Java et Rumphius 2 la croyait originaire du
midi de la Chine. Ni lui ni les botanistes modernes ne l'ont vue
à l'état sauvage dans l'archipel Indien 3. En Chine, l'espèce a un
nom simple, Yu mais le signe caractéristique paraît trop com-
Selon Loureiro,
pliqué pour une plante véritablement indigène.
cet'arbre est commun en Chine et en Cochinchine, ce qui ne
veut pas dire qu'il y soit spontané B. C'est dans les îles à l'est de
exis-
l'archipel Indien qu'on 6 trouve le plus d'indices d'une
tence sauvage. Forster disait déjà autrefois de cette espèce
« très commune dans les îles des Amis. » Seemann 7 est plus
affirmatif pour les îles Fidji « Extrêmement commune, dit-il,
et couvrant le bord des rivières. »
Il serait singulier qu'un arbre aussi cultivé dans toute l'Asie
méridionale se fût naturalisé à ce point dans certaines îles de la
mer Pacifique, tandis que cela n'a guère été vu ailleurs. Il en
est probablement originaire, ce qui n'empêche pas qu'on le
trouvera peut-être sauvage dans d'autres îles plus rapprochées
de Java.
Le nom de Pompelmouse est hollandais (Pompelmoes). Celui
de Shaddock vient de ce qu'un capitaine de ce nom avait ap-
Antilles 8.
porté le premier l'espèce aux

Cédratier, Citronnier, Limonier. Citrus medica, Linné.


Cet arbre, de même que l'Oranger ordinaire, est glabre dans
toutes ses parties. Son fruit, plus long que large, est surmonté,
dans la plupart des variétés, par une sorte de mamelon. Le sue
est plus ou moins acide. Les jeunes pousses et les pétales sont

1. Roxburgh,Flora indica, ed. 1832,3, p. 393.


2. Rumphms,Borfusamboinensis,2, p. 98.
3. Miquel,Flora indo-batava,1, part. 2, p. 526.
4. Bretschneider,l. c.
5. Loureiro,Fl. Cochinch.,2, p. 572.Pour une autre espèce du genre il
sait bien dire qu'elle est cultivéeet non cultivée,p. 569.
6. Forster, Deplantis esculentisoceaniaustralis, p. 35.
7. Seemann,Flora Vitiensis,p. 33.
8. Plukenet,Almagestes,p. 239;Sloane,Jamaïque, t, p. 41.
142 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

fréquemment teintés de rouge. La peau du fruit est souvent bos-


selée, très épaisse dans certaines sous-variétés
Brandis et sir Joseph Hooker distinguent quatre variées, cul-
tivées

1» Citrus medîcaproprementdit (Cédratierdes Français Citron des


Anglais;Cedrodes Italiens);à grosfruit non sphérique, dont la peau, très
aromatiquejest couverte de bosselures,et dont le sue, peu abondant,
n'est pas très acide. D'aprèsBrandis,il se nommait Vijapûraen sanscrit.
2° CitrusmedicaLimonum;Citronnierdes Français;Lemondes Anglais);
à fruit moyen,non sphérique, et suc abondant, acide.
3°C.medicaacida [C. acidaRoxburgh) à petites fleurs, fruit ordinaire-
ment petit, de forme variable, et suc très acide. D'après Brandis, il se
nommaitJamàira en sanscrit,
4° Citrus medicaLimetta (C. Limettaet C. Lumia de Risso); à fleurs
semblablesà cellesde la variété précédente,mais à fruit sphériqueet suc
doux, pas aromatique.Dansl'Inde, on le nommeSweetLime,c'està-dire
Limondoux.

Le botaniste Wight affirme que cette dernière variété est


sauvage dans les monts Nilghiris, de la péninsule indienne.
D'autres formes, qui se rapportent plus ou moins exactement
aux trois autres variétés, ont été trouvées par plusieurs bota-
nistes anglo -indiens a, à l'état sauvage, dans les régions chaudes
au pied de l'Himalaya, du Garwal au Sikkim, dans le sud-est à
Chittagong et Burma, enfin-au sud-ouest dans les Ghats occiden-
taux et les monts Satpura. Il n'est pas douteux, d'après cela,
que l'espèce ne soit originaire de l'Inde, et même sous diffé-
rentes formes, dont l'ancienneté se perd dans la nuit des temps
préhistoriques:.
Je doute que sa patrie s'étende vers la Chine ou les îles de
l'archipel asiatique. Loureiro mentionne le Citrus medica, en
Cochinchine, seulement comme cultivé et Bretschneider nous
apprend que le Lemon a des noms chinois qui n'existent pas
dans les anciens ouvrages et qui ont des signes compliqués
dans l'écriture, ce qui indique une espèce plutôt étrangère. Il
peut, dit-il, avoir été introduit. Au Japon, l'espèce est seulement
cultivée 3. Enfin plusieurs des figures de Rumphius montrent
des variétés cultivées dans les îles de la Sonde, mais dont aucune
n'est considérée par l'auteur comme vraiment sauvage et origi-
naire du pays. Pour indiquer la localité, il se sert quelquefois
de l'expression in hortis sylvestribus, qu'on peut traduire par
<ales bosquets ». En parlant de son Zemon Sussu (vol. 2, pl. 25),
qui est un Citrus medica à fruit ellipsoïde acide, il dit qu'on l'a
introduit à Amboine, mais qu'il est plus commun à Java « le

1. Cédratà gros fruit du nouveau.Duhamel,7, p. 68, pl. 22,


2. Royle, lit. Himalaya,p. t29 Brandis,Forestflora, p. 32 Hoojier,
Flora of bvit. India, 1, p. 514.
3. Franchetet Savatier,Enum.ilan' Japoniss,p. 129.
CÉDRA.TIER, CITRONNIER, LIMONIER 143

natura-
plus souvent dans les forêts. » Ce peut être l'effet d'une
lisation accidentelle, par suite des cultures. Miquel, dans sa
flore- moderne des Indes hollandaises n'hésite pas à dire que
les C. medica et Limonian sont seulement cultivés dans l'Archipel.
La culture des variétés plus ou moins acides s'est répandue
de bonne heure dans l'Asie occidentale, du moins dans la Méso-
deux
potamie et la Médie. On ne peut guère en douter, puisque
formes avaient des noms sanscrits, et que d'ailleurs les Grecs
ont eu connaissance du fruit par les Mèdes, d'où est venu le
nom de Citrus medica. Théophraste 2 en a parlé le premier,
sous le nom de Pomme de Médie et de Perse, dans une phrase
souvent répétée et commentée depuis deux siècles 3. Elle s'ap-
plique évidemment au Citrus medica; mais, tout en expliquant
de quelle manière on sème la graine dans des vases, pour les
en
transplanter ensuite, l'auteur ne dit pas si cela se pratiquait
Grèce ou s'il décrivait un usage des Mèdes. Probablement, les
Grecs ne cultivaient pas encore le Cédratier, car les Romains ne
l'avaient pas dans leurs jardins au commencement de l'ère
chrétienne. Dioscoride, né en Cilicie et qui écrivait dans
le Ier siècle, en parle à peu près dans les mêmes termes que
Italie
Théophraste. On estime que l'espèce a été cultivée en
dans le m° ou le ive siècle, après des tentatives multipliées 5.
Palladius, dans le ve siècle, en parle comme d'une culture bien
établie.
des
L'ignorance des Romains de l'époque classique au sujet
sous le nom
plantes étrangères à leur pays les a fait confondre,
de lignum citreum, le bois du Citrus, avec celui du Cednts, dont
on faisait de fort belles tables, et qui était un Cèdre ou un
Thuya, de la famille toute différente des Conifères.
Les Hébreux ont dû avoir connaissance du Cédratier avant
les Romains, à cause de leurs rapports fréquents avec la Perse,
la Médie et les contrées voisines. L'usage des Juifs modernes de
se présenter à la synagogue, le jour des Tabernacles, un cé-
drat à la main, avait fait croire que le mot Hadar du Lévitique
la compa-
signifiait citron ou cédrat mais Risso a montré, par
raison des anciens textes, que ce mot signifie un beau fruit ou le
fruit d'un bel arbre. Il croit même que les Hébreux ne connais-
saient pas le Citronnier ou Cédratier au commencement de notre
ère, parce que la version de Septante traduit Hadar par fruit d'un
très bel arbre. Toutefois les Grecs ayant vu le Cédratier en Médie
et en Perse du temps de Théophraste, trois siècles avant Jésus-
Christ, il serait singulier que les Hébreux n'en aient pas eu
i. Miquel Flora indo-bat., i, part. 2, p. 528.
2. Theophrastes,1 4, c. 4. “
3. Bodseusdans Theophrastes,ed. 1644,p. 322,343; Risso, Traitedu
Citrm,_p. 198 Targioni, Cennistorici, p. 196.
4. Dioseorides,1, p. 166.
5. Targioni,l. c.
144 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

connaissance lors de leur captivité à Babylone. D'ailleurs l'his-


torien Josèphe dit que, de son temps, les Juifs portaient à leur
fête des pommes de Perse, malum persicum, et c'est un des
noms du cédrat chez les Grecs.
Les variétés à fruit très acide, comme le Limonum et l'acida,
n'ont peut-être pas attiré l'attention aussi promptement que le
Cédratier, cependant l'odeur aromatique intense, dont parlent
ThéophrasteetDioscoride, parait les indiquer. Ce sontles Arabes
qui ont étendu beaucoup la culture du Limonier (Citronnier
des Français) en Afrique et en Europe. D'après Gallesio, ils l'ont
portée, dans le xe siècle de notre ère, des jardins de l'Oman en
Palestine et en Egypte. Jacques de Vitry, dans le xnr3 siècle,
décrit très bien le limon, qu'il avait vu en Palestine. Un auteur,
appelé Falcando, mentionne, en 1260, des « Lumias » très aci-
des, qu'on cultivait autour de Palerme, et la Toscane les avait
aussi à la même époquef

Oranger. Citrus Aurantium, Linné (excl. var. y). Citrus


Aurantium Risso.
Les Orangers se distinguent des Pompelmouses (C. decumana)
par l'absence complète de poils sur les jeunes pousses et sur les
feuilles, par un fruit moins gros, toujours de forme sphérique,
par la peau de ce fruit moins épaisse; et des Cédratiers (C. me-
dica) par les fleurs entièrement blanches, le fruit jamais allongé,
sans mamelon au sommet, à peau peu ou point bosselée, mé-
diocrement adhérente avec la partie juteuse.
Ni Risso dans son excellent traité du Citrus, ni les auteurs mo-
dernes, comme Brandis et sir Joseph Hooker, n'ont pu indiquer
un autre caractère que la saveur pour distinguer l'Oranger à
fruits plus ou moins amers, soit Bigaradier, à&YOranger pro-
prement dit, à fruit doux. Cette différence me paraissait si peu
de chose, au point de vue botanique, lorsque j'ai étudié la ques-
tion d'origine en 1855, que j'inclinais à considérer, avec Risso,
les deux sortes d'Orangers comme de simples variétés. Les au-
teurs actuels anglo-indiens font de même. Ils ajoutent une
troisième variété, qu'ils nomment Bergamia, pour la Bergamote,
dont la fleur est plus petite et le fruit sphérique ou pyriforme,
plus petit que l'orange commune aromatique et légèrement
acide.
Cette dernière forme n'a pas été trouvée sauvage et me parait
plutôt un produit de la culture.
On demande souvent si les oranges douces donnent quand on
les sème des oranges douces, et les bigarades des oranges amè-
res. C'est assez indifférent au point de vue de la distinction en
espèces ou variétés, car nous savons que, dans les deux règnes,
tous les caractères sont plus ou moins héréditaires, que certaines

1. Targioni,J. c., p. 217.


ORANGER 145

variétés le sont si habituellement qu'il faut les nommer des


races et que la distinction en espèces doit, par conséquent, se
baser sur d'autres considérations, comme l'absence de formes
intermédiaires ou le défaut de fécondation croisée donnant des
produits eux-mêmesféconds. La question ne manque cependant
pas d'intérêt dans le cas actuel, et je répondrai que les expé-
riences ont donné des résultats parfois contradictoires.
Gallesio, excellent observateur, s'exprime de la manière sui-
vante « J'ai semé pendant une longue suite d'années des pépins
d'orange douce, tantôt pris sur des arbres francs, tantôt sur
des orangers greffés sur bigaradier ou sur limonier. J'ai tou-
jours eu des arbres àfruits doux. Ce résultat est constaté depuis
plus de soixante ans par tous les jardiniers du Finalais. Il n'y a
pas un exemple d'un bigaradier sorti de semis d'orange douce,
ni d'un oranger à fruits doux sorti de la semence de bigara-
dier. En 1709, la gelée ayant fait périr les orangers de Finale,
on avait pris l'habitude d'élever des orangers à fruits doux de
semences; il n'y eut pas une seule de ces plantes qui ne portât
des fruits à jus doux 1. »
Mae-Fadyen dit, au contraire, dans sa flore de la Jamaïque
« C'est un fait établi, familier à tous ceux qui ont vécu quelque
temps dans cette île, que la graine des oranges douces donne
très souvent des arbres à fruits amers (bitter), ce dont des exem-
ples bien prouvés sont arrivés à ma connaissance personnelle.
Je n'ai pas ouï dire cependant que des graines d'orange amère
aient jamais donné des fruits doux. Ainsi, continue judi-
cieusement l'auteur, l'oranger amer était le type primitif 2. » II
prétend que dans les sols calcaires l'oranger doux se conserve de
graines, tandis que dans les autres sols, à la Jamaïque, il donne
des fruits plus ou moins acides (sour) ou amers (bitter). Duchas-
saing dit qu'àla Guadeloupe les graines d'oranges douces donnent
souvent des fruits amers 3, tandis que, d'après le Dr Ernst, à
Caracas, elles donnent quelquefois des fruits acides, mais non
amers 4. Brandis raconte qu'à Khasia, dans FInde, autant qu'il
a pu le vérifier, les vergers très étendus d'orangers doux vien-
nent de graines. Ces diversités montrent le degré variable de
l'hérédité et confirment l'opinion qu'il faut voir dans les deux
sortes d'orangers deux variétés, non deux espèces.
Je suis obligé cependant de les énumérer l'une après l'autre,
pour expliquer leur origine et l'extension de leur culture à di-
verses époques.
1° Bigaradier, Arancio forte des Italiens, Pomeranze des
Allemands. Citrus vulgaris, Risso- C. Aurantium var. Biga-
radia, Brandis et Hooker.
1. Gallesio,Traitédu Citrus, p. 32, 67, 355, 357.
2. Mac-Fadyen,Flora of Jamaica, p. 129et 130.
3. Citédans Grisebach,Veget.Karaiben,p. 34.
4. Ernst, dansSeeman,Journ. of bot., 1867,p. 272.
DE Candolle 40
146 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

Il était inconnu aux Grecs et aux Romains, de même que-


relations avec l'Inde
l'oranger doux. Comme ils avaient eu des
et Ceylan, Gallesio présume que ces arbres n'étaient pas culti-
Il a
vés de leur temps dans la partie occidentale de l'Inde.
et géogra-
étudié, sous ce point de vue, les anciens voyageurs et na
phes, tels que Diodore de Sicile, Néarque, Arianus,
trouvé chez eux aucune mention des orangers. Cependant le
sanscrit avait un nom pour l'orange, Nagarunga, hagrunga
C'est même de là qu'est venu le mot Orange, car les Hindous en
ont fait Narungee (prononcez Naroudji) d'après Royle, Nerunga
Gallesio, les Ita-
d'après Piddington, les Arabes Narunj, d'après on a dit en latin
liens fiaranzi, Arangi, et dans le moyen âge
sanscrit
Arantium, Arangium, puis Aurantium 2. Mais le nom
à douce? Le philo-
s'appliquait-il à l'orange amère ou l'orange
un renseignement curieux
logue Adolphe Pictet m'a donné jadis
sur ce point. Il avait cherché dans les ouvrages sanscrits les noms
et en avait trouvé
significatifs donnés à l'orange ou à l'oranger la qualité acide
17, qui tous font allusion à la couleur, l'odeur,
(danta catha, nuisible aux dents), lelieu de croissance, etc., jamais
à une saveur douce ou agréable. Cette multitude de noms ana-
logues à des épithètes montre un fruit anciennement connu,
mais d'une saveur bien différente de l'orange douce. D'ailleurs
les Arabes, qui ont transporté les orangers vers l'Occident, ont
connu d'abord l'orange amère, lui ont appliqué le nom Narunj'
et leurs médecins, dès le Xesiècle, ont prescrit le suc amer du
de Gallesio montrent
Bigaradier 4. Les recherches approfondies
Romains du côté du golfe
que l'espèce s'était répandue depuis les
Persique, et à la fin du ixe siècle en Arabie, de par l'Oman, Bas-
l'auteur arabe
sora, Irak et la Syrie, selon le témoignage
Massoudi. Les croisés virent le Bigaradier en Palestine. On le
cultivait en Sicile dès l'année 1002, probablement à la suite
des incursions des Arabes. Ce sont eux qui l'ont introduit en
dans l'Afrique orientale.
Espagne, et vraisemblablement aussi
Les Portugais le trouvèrent établi sur cette côte lorsqu'ils dou-
blèrent le Cap, en 1498 5.
Rien ne peut faire présumer que l'orange amère ou douce
existât en Afrique avant le moyen âge, car la fable du jardin
des Hespérides peut concerner une Aurantiacée quelconque, et
chacun peut la placer où il veut, l'imagination des anciens étant
d'une fertilité singulière.

1. Roxburgh,FI. ind., ed. 1S32,v. 2, p. 392 Piddington,Index.


2. Gallesio,p. 122.
3. Dansles langues modernesde l'Inde,le nom sanscrita été appliquéà
l'orange douce,selonle témoignagede Brandis,par une de ces transpo-
sitions qui sont fréquentesdans le langagepopulaire.
4. Gallesio,p. 122, 247,248.
3. Gallesio,p. 240.M. Goeze,Beitmgzur Kenntnissder Orangengewachse,
fait.
80, 1874,p. 13, cite d'anciensvoyageursportugaispour le même
ORANGER M7
Les premiers botanistes anglo-indiens tels que Roxburgh,
Royle, Griffith, Wight, n'avaient pas rencontré le Bigaradier
sauvage; mais toutes les probabilités indiquaient la région orien-
tale de l'Inde comme sa patrie primitive. Le D' Wallich a men-
tionné la localité de Sillet sans affirmer la,spontanéité. Après
2
lui, sir Joseph Hooker a vu l'oranger amer bien certainement
spontané dans plusieurs districts au midi de l'Himalaya de
Garwal et Sikkim à Khasia. Son fruit était sphérique ou un
peu déprimé, de deux pouces de diamètre, très coloré, non
mangeable, d'une saveur (si je me souviens bien, dit l'auteur)
dégoûtante (mawkish) et amère. Le Citrus fusea, de Loureiro 3,
semblable, d'après lui, à la planche 23 de Rumphius, et spontané
en Cochinchine et en Chine, pourrait bien être le Bigaradier,
dont l'habitation s'étendrait vers l'est.
2° Oranger à fruit doux. Arancio dolce des Italiens, Apfelsine
des Allemands- Citrus Aurantium sinense, Gallesio.
Selon Royle il existe des oranges douces, sauvages, à Sillet
et dans les Nilghiries, mais l'assertion n'est pas accompagnée
de détails qui permettent de lui donner de l'importance. D'après
le même auteur, l'expédition de Turner avait cueilli des oranges
sauvages « délicieuses à Buxedwar, localité au nord-est de
Rungpoor, dans le Bengale. D'un autre côté, les botanistes
Brandis et sir Joseph Hooker ne mentionnent pas l'oranger
doux comme spontané dans l'Inde anglaise. Ils le disent seule-
ment cultivé. Kurz n'en parle pas du tout dans sa flore fores-
tière du pays Burman anglais. Plus à l'est, en Cochinchine,
Loureiro 5 a décrit un C. Aurantium à pulpe moitié acide
moitié douce (acido-dulcis), qui parait être l'oranger à fruits
doux et qui « habite à l'état cultivé et non cultivé en Cochin-
chine et en Chine ». Je rappelle que les auteurs chinois consi-
dèrent les orangers, en général, comme des arbres de leur pays;
mais on manque d'informations précises sur chaque espèce ou
variété, au point de vue de l'indigénat.
D'après l'ensemble de ces documents, l'oranger à fruit doux
paraît originaire de la Chine méridionale et de la Cochinchine,
avec une extension douteuse et accidentelle, par un effet des
semis, dans la région de l'Inde.
Cherchons dans quels pays sa culture a commencé et com-
ment elle s'est propagée. Il en résultera peut-être plus de lu-
mière sur l'origine et sur la distinction des Orangers propre-
ment dits d'avec les Bigaradiers.
Un fruit aussi gros et aussi agréable au goût que l'orange

1. Wallich,List, n° 6384.
2. Hooker,Fl. of brit. India, 1, p. 315.
3. Loureiro,Fl. cockinch.,p. 571.
4. Royle,Illustr. of Himalaya,p. 160.Il cite Turner, Voyageau Thibet,
p. 20 et 387.
5. Loureiro,FI. cochinch.p. 569.
148 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

douce n a guère pu exister dans une région sans que l nomme


ait essayé de le cultiver. Les semis en sont faciles et donnent
recherchée. Les anciens voya-
presque toujours la même qualité avoir
geurs ou historiens ne peuvent pas non plus Surnégligé 1 impor-
ce point histo-
tation d'un arbre fruitier aussi remarquable.
les anciens ouvrages, ont
rique, les études faites par Gallesio, dans
donné des résultats extrêmement intéressants.
Il prouve d'abord que les orangers apportés de l'Inde, par les
et sur
Arabes en Palestine, en Egypte, dans le midi de l'Europe doux.
la côte orientale de l'Afrique, n'étaient pas l'oranger à fruit
les chroniques ne
Jusqu'au xve siècle, les ouvrages arabes et les
parlent que d'oranges amères ou aigres. Cependant, lorsque ils trou-
Portugais arrivèrent dans les îles de l'Asie méridionale,
vèrent des orangers à fruits doux, et ce ne fut pas pour eux, à
ce qu'il semble, une nouveauté. Le Florentin qui accompagnait
Yasco de Gama et qui a publié la relation du voyage dit « Sonvi
melarâncie assai, ma tutte dolci » (Il y a beaucoup d'oranges,
mais toutes douces). Ni ce voyageur ni ceux qui suivirent ne
témoignèrent de la surprise en goûtant un fruit aussi agréable.
Gallesio en infère que les Portugais n'ont pas été les premiers
à rapporter les oranges douces de l'Inde, où ils arrivèrent en 1498,
ni de Chine, où ils parvinrent en 1518. D'ailleurs une foule
d'écrivains du commencement du xvie siècle parlent de 1 orange
douce comme d'un fruit déjà cultivé en Italie et en Espagne. Il
1523 et 1S2S. Gallesio
y a plusieurs témoignages pour les années introduite en
s'arrête à l'idée que l'orange douce a été Europe
vers le commencement du xv° siècle mais Targioni cite, d'après
Yaleriani, un statut de Fermo, du xrve siècle, dans lequel il est
les renseignements
question de cédrats, oranges douces, etc. 2, et
recueillis récemment sur l'introduction en Espagne et dans le
concordent
Portugal par M. Goeze 3, d'après d'anciens auteurs,
avec cette même date. Il me paraît donc probable que les oran-
seule-
ges reçues plus tard, de Chine, par les Portugais, étaient
ment meilleures que celles connues auparavant en Europe, et
et de Lisbonne
que les noms vulgaires d'oranges de Portugal
sont dus à cette circonstance.
Si l'orange douce avait été cultivée très anciennement dans
en au-
l'Inde, elle aurait eu un nom spécial en sanscrit, les Grecsles Hé-
raient eu connaissance dès l'expédition d'Alexandre, et
breux l'auraient reçue de bonne heure par la Mésopotamie. On
aurait certainement recherché, cultivé et propagé ce fruit dans
et au
l'empire romain, de préférence au Limonier, au Cédratier

1. Gallesio,p. 321. ““
2. La date de ce Slatuto est donnéepar Targionià la page 205des Cenni
storicicomme étant l'année 1379,et à la page 213 comme1309.L'errata
ne dit rien sur cette différence.
3. Goeze,Ein Beitrag zur Kennlnissder Orangengewâchse, Hambourg,
1874,p. 26.
MANGOSTA 149

Bigaradier. Son existence dans l'Inde doit donc être moins an-
cienne.
Dans l'archipel Indien, l'oranger doux était considéré comme
venant de Chine Il se trouvait peu répandu dans les îles de la
mer Pacifique à l'époque du voyage de Cook 2.
Nous revenons ainsi, par toutes les voies, à l'idée que la va-
riété douce de l'oranger est sortie de Chine et de Cochinchine,
et qu'elle s'est répandue dans l'Inde peut-être vers le commen-
cement de l'ère chrétienne. A la suite des cultures, elle a pu
se naturaliser dans beaucoup de localités de l'Inde et dans tous
les pays tropicaux, mais nous avons vu que les semis ne don-
nent pas toujours l'oranger à fruit doux. Ce défaut d'hérédité,
dans certains cas, est à l'appui d'une dérivation du Bigaradier
en Oranger doux, qui serait survenue, à une époque lointaine,
en Chine ou en Cochinchine et aurait été propagée soigneuse-
ment à cause de sa valeur horticole.

Mandarines. Citrus nobilis, Loureiro.


Cette espèce, caractérisée par son fruit plus petit que l'orange
ordinaire, bosselé à la surface, sphérique, mais déprimé en
dessus, et d'une saveur particulière, est maintenant recherchée
en Europe, comme elle l'a été dès les temps les plus anciens en
Chine et en Cochinchine. Les Chinois la nomment Kan 3. Rum-
4
phius l'avait vue cultivée dans toutes les îles de la Sonde
et dit qu'elle venait de Chine, mais elle ne s'était pas répandue
dans l'Inde. Roxburgh et sir Joseph Hooker ne la mentionnent
pas, mais M. Clarke m'apprend que sa culture a pris une grande
extension dans le district de Khasia. Elle était nouvelle dans les
jardins d'Europe, au commencement du xixe siècle, lorsque
Anurews en publia une bonne figure0 dans le Botanist repository
pository
(pi. 608).
D'après Loureiro 5, cet arbre, d'une taille moyenne, habite en
Cochinchine, et aussi, ajoute-t-il, en Chine, bien qu'il ne l'ait
pas vu à Canton. Ce n'est pas une information précise sous le
rapport de la qualité spontanée, mais on ne peut pas supposer
une autre origine. Selon Kurz 6, l'espèce est seulement cultivée
dans la Birmanie anglaise. Si cela se confirme, la patrie serait
bornée à la Cochinchine et à quelques provinces de la Chine.

Mangostan. Garcinia Mangostana, Linné.


Le Botanical magazine a publié une bonne figure (pl. 4847)

i. Rumphius,Amboin.,2, c. 42.
2. Forster,Plante esculentœ,p. 35.
3. Bretschneider;Onthevalueof chinesebot. Works,p. li.
4. Rumphius,Amboin.,2, pl. 34,35, où cependantla iorme du fruit n'est
pas celle de notre Mandarine.
5. Loureiro,FI. coeltinch.,
p. 570.
6. Kurz,Forestflora of britishBurma.
450 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

de cet arbre, de la famille des Guttifères, dont le fruit est consi-


déré comme un des meilleurs qui existent. Il exige un climat
très chand, car Roxburgb n'a pas pu l'obtenir au delà du 23" 1/2
il n'a
degré de latitude dans l'Inde Set transporté à la Jamaïque,
donné que des fruits médiocres 2. On le cultive dans les îles de
la Sonde, la péninsule malaise et à Ceylan.
L'espèce est certainement spontanée dans les forêts des îles
de la Sonde 3 et de la péninsule malaise 4. Parmi les plantes cul-
tivées, c'est unedes plus locales, soit pour l'habitation originelle,
soit dans la culture. Il est vrai qu'elle appartient à l'une de ces
familles où l'aire moyenne des espèces est le plus restreinte.

Abricotier d'Américiue. – Mammeaamericana, Jacquin.


De la famille des Guttifères, comme le Mangostan, cet arbre
exige aussi beaucoup de chaleur. Les Anglais l'appellent Mamey
ou^Mammee. Quoique fort cultivé dans les Antilles et dans les
l'a guère trans-
parties les plus chaudes du Venezuela 5, on ne l'on en juge
porté ou il n'a pas réussi en Asie et en Afrique, si
par le silence de la plupart des auteurs.
Il est certainement indigène dans les forêts de la plupart des
Antilles 6. Jacquin l'indique aussi sur le continent voisin, mais je
n'en vois pas de confirmation chez les auteurs modernes.
La meilleure figure publiée est celle de la Flore, des Antilles de
Tussac, 3, pl. 1, à l'occasion de laquelle l'auteur donne beau-
coup de détails sur l'emploi du fruit.

Gomlso. – ffîbiscus esculentus. Linné.


Les fruits, encore jeunes, de cette Malvacée annuelle sont un
des légumes les plus délicats des pays tropicaux. La Flore des
Antilles de Tussac contient une belle planche de l'espèce et
donne tous les détails qu'un gourmet peut désirer sur la ma-
nière de préparer le caloulou, si cher aux créoles des îles fran-
çaises. vient cette
Lorsque j'ai essayé autrefois de comprendre d'où
l'absence de
plante, cultivée dans l'ancien et le nouveau monde,
tout nom sanscrit et le fait que les premiers auteurs sur la flore
indienne ne l'avaient pas vue spontanée m'avaient fait écarter
la flore moderne
l'hypothèse d'une origine asiatique. Cependant

1. Royle, ni. Himalaya,p. 133,et Roxburgh,Flora indica,2, p. GIS.


2. Mac-Fadyen,Flora of Jamaïca,p. 134.
3. Rumphius,Amboin.,1, p. 133;Miquel,Planta: Junghun.,1, p. 290;
Flora indo-batava,1, part. 2, p. 506.
4. Hooker,Fl.afbritish India, 1 p. 260.
5. Ernst, dans Seemann,Journal of botany,1867,p. 273; Triana et Plan-
cton. Prodr. il. Novo-GranaL. p. 2S5..
6. Sloane,Jamaica, p. 123;Jacquin, Amer., p. 268; Grisebach,FI. of
1.
brit. W. India,p. 118.
7. A. de Candolle,Géogr.bot. raisonnée,p. 768.
VI&NE 1S1

l'ayant indiquée comme « probablement


de l'Inde anglaise
de nouvelles recherches.
native d'origine », j'ai dû faire été bien depuis trente
méridionale ait explorée
Quoique l'Asie
on ne cite aucune localité dans laquelle le Gombo serait
ans, a même d'indice d'une
ou Il n'y pas
quasi spontané.
spontané
ancienne en Asie. C'est donc entre l'Afrique et l'Amé-
culture
rique qu'il faut hésiter. aux Antilles par un bon obser-
La
plante
aété
vue
spontanée assertion semblable venant
vateur mais je ne découvre aucune
autre botaniste, soit pour les îles, soit pour le continent
d'un sur la Jamaïque, Sloane 3,
américain. Le plus ancien auteur culture. l2arcgraf lavait
n'avait vu l'espèce qu'à l'état de et comme il mentionne
dans les plantations du Brésil,
observée dont les Portugais
un nom du Congo et d'Angola, Quillobo,
africaine se trouve par cela
avaient fait Quin,gombo,forigine
même indiquée.
et Ascherson 5 ont vu la plante spontanée
Schweinfurth Sennaar, Abyssinie
dans la région du Nil, en Nubie, laKordofan) il est vrai. D'autres
et dans le Bahr-el-Abiad, où on descultive,
sont mentionnés pour échantillons recueillis en
voyageurs
mais on ne dit pas si les plantes étaient cultivées ou
Afrique 6) dans
et loin des habitations. Nous serions toujours
spontanées et Hanbury 7 n'avaient fait une décou-
le doute si MM. Flückiger
la Les Arabes appel-
verte bibliographique qui tranche etquestion. Abul-Abbas-Elnabati, qui
lent le Gombo Bamyah ou Bâmiat, de 1 Amérique, en
bien avant la découverte
avait visité l'Egypte
a décrit très clairement le Gombo, cultivé alors par les
i216,
Egyptiens. africaine, il ne semble pas que
Malgrél'origine, certainement de
dans la basse Egypte avant l'époque
l'espèce ait été cultivéeOn n'en a trouvé de preuve dans les
a domination arabe. pas
Rosellini ait cru reconnaître la
monuments anciens, quoique
dans une figure, qui en est bien différente, selon Unger
plante
L'existence d'un seul nomdans les langues modernes de l'Inde,vers
appuie l'idée d'une propagation
d'après Piddington
l'Orient depuis l'ère chrétienne.

Vigne. Vitzs vini fera, Linné.


E~I-A.<d~~p~,
i. Flora of 6t'~MA India, 1, p. 343.
2. Jacquin, 06se!'BaMoMï, 3, p. 11.
3. Sloane,Jamaica,1, p. 223. avecfigures.
4. Marcgraf,Hist.plant., p. 32, P. 265, sous le nom d'AbelD
5. Schtvemfurth et Ascherson,rfuf tilelung,
'moschl1s.
6. Oliver,Flora of tz°opicalÀfz'ica,1.,p. 207. La description
Dr·o,ques,trad. franç.,1., p. p.182.
7. Flückigeret Hanbl1ry, 1.1.8.
est dans Ebn Baithar,trad. de Sondtheimer,1p.,p. 50.
S. Unger,DiePflanzendes alteWEgyptens, .
1S2 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

l'Europe méridionale, l'Algérie et le Maroc 1. C'est surtout dans


le Pont, en Arménie, au midi du Caucase et de la mer
Caspienne,
qu'elle présente l'aspect d'une liane sauvage, qui s'élève sur de
grands arbres et donne beaucoup de fruits, sans taille ni cul-
ture. On mentionne sa végétation vigoureuse dans l'ancienne
Bactriane, le Caboul, le Cachemir et même dans le Badak-
chan, situé au nord de l'Indou-Kousch 2. Naturellement, on
se demande là, comme ailleurs, si les pieds que l'on rencontre
ne viennent pas de graines transportées des plantations par les.
oiseaux. Je remarque cependant que les botanistes les
plus
dignes de confiance, ceux qui ont le plus parcouru les provinces
transcaucasiennes de la Russie, n'hésitent pas sur la spontanéité
et l'indigénat de l'espèce dans cette région. C'est en s'éloignant
vers l'Inde et l'Arabie, l'Europe et l'Afrique septentrionale qu'on
trouve le plus souvent dans les flores l'expression que la vigne
est « subspontanée », peut-être sauvage, ou devenue
sauvage-
(verwildert, selon le terme expressif des Allemands).
La dissémination par les oiseaux a dû commencer de très
bonne heure, dès que les baies de l'espèce ont existé, avant la
culture, avant la migration des plus anciens peuples asiatiques,
peut-être avant qu'il existât des hommes en Europe et même en
Asie. Toutefois la fréquence des cultures et la multitude des
formes de raisins cultivés ont pu étendre les naturalisations et
introduire dans les vignes sauvages des diversités tirant leur
origine de la culture. A vrai dire, les agents naturels, comme les
oiseaux, le vent, les courants, ont toujours agrandi les habita-
tions des espèces, indépendamment de l'homme, jusqu'aux
limites qui résultent, dans chaque siècle, des conditions géogra-
phiques et physiques et de l'action nuisible d'autres végétaux et
d'animaux. Une habitation absolument primitive est plus ou
moins un mythe; mais des habitations successivement étendues
ou restreintes sont dans la force des choses. Elles constituent
des patries plus ou moins anciennes et réelles, à condition
que
l'espèce s'y soit maintenue sauvage, sans l'apport incessant de
nouvelles graines.
Pour ce qui concerne la vigne, nous avons des preuves d'une
ancienneté très grande en Europe, comme en Asie.
Des graines de vigne ont été trouvées sous les habitations
lacustres de Gastione, près de Parme, qui datent de l'âge du
bronze 3, dans une station préhistorique du lac de Varèse 4, et
1. Grisebach,La végétationdu globe,traduct. françaisepar de Tchihat.
cheft,1, p. 162,163,442; Munbj, Catal.Alger.; Bail,FI. maroccansspici- e
legium,p. 392.
2. AdolphePietet, Les originesindo-européennes, éd. 2, vol. 1,p. 295,cite
plusieursvoyageurspour ces régions,
o entre autres Vood, Journey a tothe
sourcesof theOxus.
3. Ellessont figuréesdansHeer,Die Pflanzender PfaUbauten,p. 24,f. 11.
4. Kagazzoni, dans Rivistaarch. délia prov.di Como,1880,fasc.17,p.
et suivantes. f 30-
VIGNE 153

dans la station lacustre de Wangen, en Suisse, mais dans ce der-


nier cas à une profondeur incertaine Bien plus! Des feuilles
de vigne ont été trouvées dans les tufs des environs de Mont-
pellier, où elles se sont déposées probablement avant l'époque
historique 2, et dans ceux de Meyrargue, en Provence, certaine-
ment préhistoriques, quoique postérieurs à l'époque tertiaire des
géologues 3.
Dans le pays qu'on peut appeler le centre et qui est peut-être
le plus ancien séjour de l'espèce, le midi du Caucace, un bota-
niste russe, Kolenati 4, a fait des observations très intéressantes
sur les différentes formes de vignes, soit spontanées, soit culti-
vées. Je regarde son travail comme d'autant plus significatif
que l'auteur s'est attaché à classer les variétés suivant les carac-
tères de la pubescence et de la nervation des feuilles, choses
absolument indifférentes aux cultivateurs et qui doivent repré-
senter, par conséquent, beaucoup mieux les états naturels de
l'espèce. D'après lui, les vignes sauvages, dont il a vu une im-
mense quantité entre la mer Noire et la mer Caspienne, se grou-
pent en deux sous-espèces, qu'il décrit, qu'il assure pouvoir
reconnaître à distance, et qui seraient le point de départ des
vignes cultivées, au moins en Arménie et dans les environs. Il
les a reconnues autour du mont Ararat, dans une zone où l'on
ne cultive pas la vigne, où même on ne pourrait pas la cultiver.
D'autres caractères, par exemple la forme et la couleur des rai-
sins, varient dans chacune des deux sous-espèces. Nous ne pou-
vons entrer ici dans les détails purement botaniques du mé-
moire de Kolenati, non plus que dans ceux du travail plus
récent de Regel sur le genre Fïfis s mais il est bon de constater
qu'une espèce cultivée depuis un temps très reculé et qui a
maintenant peut-être 2000 formes décrites dans les ouvrages
offre, quand elle est spontanée dans la région où elle est très
ancienne, et a probablement offert avant toute culture, au moins
deux formes principales, avec d'autres d'une importance moin-
dre. Si l'on étudiait avec le même soin les vignes spontanées de
la Perse et du Cachemir, du Liban et de Grèce, on trouverait
peut-être d'autres sous-espèces d'une ancienneté probablement
préhistorique.
1. Heer, l. c.
2. Planchon,Etude sur les tufs de Montpellier,1864,p. 63.
3.De Saporta,La flore destufs quaternairesde Provence,1867,p. 15et 27.
4. Kolenati,dans Bulletin de la Sociétéimpériale des naturalistesde
Moscou,1846,p. 279.
5. Regel,dans Actahorti imp.petrop.,1873.Danscetterevue abrégéedu
genre, M. Regel énonce l'opinion que les Vitis vinifera sont le produit
hybride et altéré par la culture de deux espècessauvages, V. vulpina et
7. Labrusea; maisil n'en donne pas de preuves, et ses caractèrespour les
deux espècessauvagessont bien peu satisfaisants.Il est fort à désirer
que les vignesd'Asieet d'Europe,spontanéesou cultivées,soient compa-
rées dans leurs graines,qui fournissentd'excellentesdistinctions,d'après
les travaux d'Engelmannsur les Vignesd'Amérique.
1§4 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

L'idée de recueillir le jus des raisins et de profiter de sa fer-


mentation a pu naître chez différents peuples, principalement
dans l'Asie occidentale, où la Vigne abondait et prospérait.
Adolphe Pictet 1,qui a discuté, après de nombreux auteurs, mais
d'une manière plus scientifique, les questions d'histoire, de lin-
guistique et même de mythologie concernant la Yigne chez les
et les Aryas ont
peuples de l'antiquité, admet que les Sémites
également connu l'usage du vin, de sorte qu'ils ont pu l'intro-
duire dans tous les pays où ils ont émigré, jusqu'en Egypte,
dans l'Inde et en Europe. Ils ont pu le faire d'autant mieux qu'ils
trouvaient la plante sauvage dans plusieurs de ces contrées.
Pour l'Egypte, les documents sur la culture de la Vigne et la
vinification remontent à 5 ou 6000 ans 2. Dans l'ouest, la propa-
gation de la culture par les Phéniciens, les Grecs et les Romains
est assez connue mais, du côté oriental de l'Asie, elle s'est faite
tardivement. Les Chinois, qui cultivent à présent la Vigne dans
leurs provinces septentrionales, ne la possédaient pas antérieu-
rement à l'année 122 avant notre ère 3. On sait qu'il existe plu-
sieurs Vignesspontanées dans le nordde la Chine, mais je ne puis
admettre avec M. Regel que la plus analogue à notre Vigne, le
Vitis Amurensis, de Ruprecht, appartienne à notre espèce. Les
graines dessinées dans le Gartenflora, 1861, pl. 33, en sont trop
différentes. Si le fruit de ces vignes de l'Asie orientale avait
quelque valeur, les Chinois auraient bien eu l'idée d'en tirer
parti.

Jujubier commun. Zizyphus vulgaris, Larnarck.


aurait été apporté de Syrie à
D'après Pline 4, le Jujubier
Rome, par le consul Sextus Papinius, vers la fin du règne d'Au-
guste.' Les botanistes remarquent cependant que l'espèce est
commune dans les endroits rocailleux d'Italie et que d'ailleurs
chose singulière on l'a pas encore trouvée sauvage en
soit de même que dans toute la
Syrie bien qu'elle y la cultivée,
mer Méditerranée à la Chine et au
région qui s'étend de
Japon 6..
La recherche de l'origine du Jujubier, comme arbre spon-
tané vient à l'appui du dire de Pline, malgré les objections que
les collecteurs de plantes et les
je viens de mentionner: D'après
1 Ad. Pictet, Lesoriginesindo-européennes, édition2, vol. 1, p. 298à 321.
2. M Delchevalerie.dans VIllustrationhorticole,1881, p. 28. Il men-
à
tionne surtout le tombeaude Phtah-Hotep,qui vivait, Mempms,quatre
mille ans avant Jésus-Christ. 7 ,“
3. Bretschneider,Onthevalueand studyof chinesebotanicalwo7-ks, p. 16.
4. Pline, FFist.,1.15, c. 14..
5. Bertoloni,Fl. ital., 2, p. 665; Gussone,Synopsis Fl.simla: p. 276.
3
6. WMkommet Lange, Prodr. Fl. hispanias, p. 480 Déboutâmes,
Fl. Allant., r p. 2t'0; Boissier,Fl. orient., 2, p. 12;Hooker, et Fl. of ont.
India, 1, p. 633; Bunge"Enum.plant, chin., p. 14; Franchet Savatier,
Simm,plant. Japon.,1, p. 81.
JUJUBIER COMMUN 155

auteurs de flores l'espèce parait plus spontanée eu aumeuiiemeut,


cultivée à l'est qu'à l'ouest de sa grande habitation actuelle.
dit qu'elle est
Ainsi, pour le nord de la Chine, M. de Bunge
« très commune et très incommode (à cause de ses épines) dans
les endroits montueux. » Il a vu la variété sans épines dans les
1 mentionneles juj ubescomme un des
iardins. LeDrBretschneiderI
fruits les plus recherchés par les Chinois, qui appellent l'espèce
du nom simple de Tsao. Il indique aussi les deux formes, épi-
neuse et non épineuse; la première sauvage 2. L'espèce manque
au midi de la Chine et dans l'Inde proprement dite à cause
de la chaleur et de l'humidité du climat. Or la retrouve sauvage
dans le Punjab au nord-ouest de l'Inde anglaise, puis en Perss
et en Arménie.
Brandis s énumère sept noms différents du Jujubier commun
de l'Inde, mais
(ou de ses variétés?) dans les langues modernes
on ne connaît aucun nom sanscrit. D'après cela, l'espèce a peut-
être été introduite de Chine dans l'Inde, à une époque pas très
dans les
éloignée, et des cultures elle serait devenue sauvage
l'ouest. Le nom persan est Anob, chez
provinces très sèches de
les Arabes Unab. On ne connaît pas de nom hébreu, nouvel in-
dice que l'espèce n'est pas très ancienne dans l'Asie occidentale.
Les anciens Grecs n'ont pas parlé du Jujubier commun, mais
seulement d'une autre espèce, Zizyphus Lotus. C'est du moins
botaniste moderne Lenz 4. il
l'opinion du commentateur et
faut convenir que le nom grec moderne, Prifzuphuia, n'a aucun
dans Théophraste ou Dios-
rapport avec les noms attribués jadis
coride à quelque Zizyphus, mais approche du nom latin Zizy-
phus (le fruit Zizyphum) de Pline, qui n'est pas dans les auteurs
d'une nature orientale plus que latine.
plus anciens et semble
M. de Heldreich 5 n'admet pas que le Jujubier soit spontané en
» ce qui
Grèce, et d'autres le disent « naturalisé, subspontané,Les mêmes
confirme l'hypothèse d'une existence peu ancienne.
motifs s'appliquent à l'Italie. L'espèce peut donc s'y être natu-
ralisée depuis l'introduction dans les jardins dont Pline a parlé.
En Algérie, le Jujubier est seulement cultivé ou « subspon-
tané B. De même en Espagne. Il n'est pas mentionné dans le
existence
Maroc, ni aux îles Canaries, ce qui fait supposer une
la mer Méditerranée.
peu ancienne dans la région de
Il me paraît donc probable que l'espèce est originaire du
nord de la Chine; qu'elle a été introduite et s'est naturalisée
dans l'Asie occidentale après l'époque de la langue sanscrite, il
les Grecs et les Romains
y a peut-être 2500 ou 3000 ans; que
1. Bretschneider,On the study, etc.,p. H.
2. Le Zizyphuschinensisde plusieursautenrs est la mêmeespèce»
3. Brandis,Forestflora ofbrit. India, p. 84.
4. Lenz,Botanikder Alten,p. 651.
5. Heldreich,NutzpflanzcnGriechenland?, p. 57.
6. Munby,Catal., ed. 2, p. 9.
1S6 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

l'ont reçue au commencement de notre ère, et que ces derniers-


l'ont portée en Barbarie et en Espagne, où elle s'est naturalisée
partiellement, d'une manière souvent douteuse, à la suite des
cultures.

Jujubier Lotus. Zizyphus Lotus, Desfontaines.


Le fruit de ce Jujubier ne mérite pas d'attirer l'attention, si
ce n'est au point de vue historique. C'était, dit-on, la nourriture
des Lotophages, peuple de la côte de Lybie, dont Homère et
Hérodote i ont parlé avec plus ou moins d'exactitude. Il fallait
qu'on fût bien pauvre ou bien sobre dans cette contrée, car une
baie de la grosseur d'une petite cerise, fade ou médiocrement
sucrée, ne contenterait pas des hommes ordinaires.
Rien ne prouve que les Lotophages eussent l'habitude de cul-
tiver ce petit arbre ou arbuste. Ils en recueillaient sans doute
les fruits dans la campagne, car l'espèce est assez commune
dans l'Afrique septentrionale. Une édition de Théophraste porte
cependant qu'il y avait des Lotos sans noyaux, ce qui suppose
une culture 2. On les plantait dans les jardins, comme cela se
fait encore de nos jours en Egypte 3; mais il ne semble pas que
l'usage en ait été fréquent, même chez les anciens.
Du reste, il a été émis des opinions très différentes sur le
Lotos des Lotophages et il ne faut pas insister sur un point
aussi obscur, où l'imagination d'un poète et l'ignorance popu-
laire ont pu jouer un grand rôle.
Le Jujubier Lotus est sauvage maintenant, dans les localités
arides, depuis l'Egypte jusqu'au Maroc, dans le midi de l'Espa-
gne, à Terracine et autour de Palerme 5. Dans ces localilés ita-
liennes isolées, c'est le résultat probablement de cultures.

Jujubier de l'Inde 6. Zizyphus Jujuba, Lamarck. Ber,


des Hindous et Anglo-Indiens. Masson, à l'île Maurice.
Ce Jujubier est cultivé plus au midi que le commun, mais
dans une étendue de pays non moins grande. Le fruit ressemble
tantôt à une cerise avant maturité. tantôt à une olive, comme
on peut le voir dans la planche publiée par Bouton dans
Hooker, Journal of botany, 1, pl. 140. Le nombre des variétés

1. Odyssée,1. 1, v.~84 Hérodote, 1. 4, p. 177; traduits dans Lenz,


Botanikder Allen,p. 653.
2. Théophraste,Hïst, I. 4, c. 4, éd. de 1644.L'éditionde i613ne con-
tient pas les mots relatifsà ce détail.
3. Schweinfurthet Ascherson,Beitr., zurFlora /Ethiopiens,p. 263.
4. Voirl'article sur le Caroubier.
5. Desfontaines,Fl. atlant., i, p. 200; Munby,Catal.Alger.,ed. 2,p. 9;
Bal, icil. FI. Maroc, p. 301 Willkommet Lange, Prodr. fl. hisp., 3,
p. 481 Bertoloni,Fl. ital., 2, p. 664.
6. Cenom, peu usité, est déjà dans Bauhin, sous la forme de Jujuba
indica.
JUJUBIER DE L'INDE 1§7

connues indique une très ancienne culture. Gelle-ci s'étend au-


jourd'hui de la Chine méridionale, de l'archipel indien et de
Queensland en Australie, par l'Arabie et l'Egypte, jusqu'au
Maroc et même au Sénégal, en Guinée et dans l'Angola l. Elle
se voit également à l'île Maurice, mais il ne paraît pas qu'on
l'ait introduite jusqu'à présent en Amérique, si ce n'est au Brésil,
d'après un échantillon de mon herbier 2. Le fruit est préférable
à la jujube ordinaire, d'après ce que disent les auteurs.
Quelle était l'habitation de l'espèce avant toute culture? Ce
n'est pas aisé à savoir, parce que les noyaux se sèment facile-
ment et naturalisent la plante hors des jardins 3.
Si nous nous laissons guider par la fréquence à l'état sau-
vage, il semble que le pays des Burmans et l'Inde anglaise
seraient la patrie ancienne. Je possède dans mon herbier plu-
sieurs échantillons recueillis par Wallich dans le royaume bur-
man, et Kurz l'a vue fréquemment dans les forêts sèches de ce
pays, autour d'Ava et de Prome 4. Beddone admet l'espèce
comme spontanée dans les forêts de l'Inde anglaise, mais Brandis
l'a trouvée seulement dans des localités de ce genre où il y avait
eu des établissements d'indigènes 5. Avant ces auteurs, dans le
xvne siècle, Rheede 6 décrivait cet arbre comme spontané au
Malabar, et lesbotanistes du xviesiècle l'avaient reçu du Bengale.
A l'appui de cette origine indienne, il faut mentionner l'exis-
tance de trois noms sanscrits et de onze autres noms dans les
langues indiennes modernes 7.
L'introduction à Amboine, dans la partie orientale de l'Ar-
chipel, était récente lorsque. Rumphius y séjournait 8, et il dit
lui-même que l'espèce est indienne. Peut-être était-elle ancien-
nement à Sumatra et dans d'autres îles rapprochées de la
ont pas
péninsule malaise. Les anciens auteurs chinois n'én
parlé du moins Bretschneider ne l'a pas connu. L'extension et
les naturalisations au midi et à l'est du continent indien parais-
sent donc peu anciennes.
En Arabie et en Egypte, l'introduction doit être encore plus
récente. Non seulement on ne connaît aucun nom ancien, mais
ForskaI, il y a cent ans, et Delile, au commencement du siècle
actuel, n'ont pas vu l'espèce, dont Schweinfurth a parlé récem-
ment comme cultivée. Elle doit s'être répandue d'Asie à Zan-

1. Sir J. Hooker,Flora of brit. India, 1, p. 632; Brandis,Forestflora of


India, 1, p.87;Bentham,FI. austral.,1,p. 412 Boissier,FI. orient.,2,p. 13
Oliver, FI. of tropicalAfrica, 1, p. 379.
2. Venantde Martius,n° 1070,du Cabofrio.
3. Bouton,l. c.; Baker,FI. of Mauritius,p. 61 Brandis,l. c.
4. Kurz,Forestfloraof Burma, 1, p. 266.
5. Beidone, Forest flora of India, I, pl. 149 (représentantle fruit sau-
vage, nlus petit que le cultivé) Brandis,l. c.
6. Blieele, 4, pl. 141.
7. Piddington, Index.
8. Rumphius,Amb.,2, pi. 36.
1D8 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

guebar, et de proche en proche au travers de l'Afrique ou par


la navigation des Européens jusqu'à la côte occidentale. Ce
serait même assez récent, puisque Robert Brown (Bot. of
Congo) et Thonning n'ont pas eu connaissance de l'espèce en
Guinée i.

Pommier d'Acajou. Anacardium occidentale, Linné.


Cashew, des Anglais.
Les assertions les plus fausses ont été émises autrefois sur
l'origine de cet arbre 2, et, malgré ce que j'en ai dit en 1855 3,
je les vois reproduites çà et là.
Le nom français de Pommier d'Acajou est aussi ridicule que
possible. Il s'agit d'un arbre de la famille des Térébintacées (soit
Anacardiacées), très différente des Rosacées et des Méliacées
auxquelles appartiennent les Pommiers et l'Acajou. La partie
que l'on mange ressemble plus à une poire qu'aune pomme, et,
botaniquement parlant, ce n'est pas un fruit, mais le pédoncule
ou support du fruit, lequel ressemble à une grosse fève. Les
lieux noms, français et anglais, dérivent d'un nom des indi-
gènes du Brésil, Acaju, Acajaiba, cité par d'anciens voyageurs
L'espèce est certainement spontanée dans les forêts de l'Amé-
rique intertropicale et même dans une grande étendue de cette
région, par exemple au Brésil, à la Guyane, dans l'isthme de
6
Panama et aux Antilles 5. Le Dr Ernst la croit originaire
seulement de la contrée voisine du fleuve des Amazones, bieu
qu'il la connaisse aussi de Cuba, Panama, l'Equateur et la Nou-
velle-Grenade. Il se fonde sur ce que les auteurs espagnols du
temps de la conquête n'en ont pas parlé, preuve négative,
qu'il faut prendre pour nne simple probabilité.
Rheede et Rumphius avaient aussi indiqué cet arbre dans
l'Asie méridionale. Le premier le dit commun au Malabar 7.
L'existence d'une même espèce tropicale arborescente en Asie
et en Amérique était si peu probable qu'on a soupçonné d'abord
quelque différence spécifique ou au moins de variété, qui ne
s'est pas confirmée. Divers arguments, historiques et linguisti-
ques, m'avaient démontré une origine étrangère à l'Asie. D'ail-
leurs Rumphius, toujours exact parlait d'une introduction

1. Le Zizyphusabyssinicus,Jïoehst., paraît une espècedifférente.


2. Tnssac,FloredesAntilles,3, p. 53(où se trouve une excellentefigure,
pl. 13), dit que c'est une espèce des Indes orientales, aggravant ainsi
l'erreur de Lmné, qui l'avait crue d'Amériqueet d'Asie.
3. Géographiebotaniqueraisonnée,p. 873.
4. Pisoet Marcgraf,Historiarerumnaturalium Brasiliœ,1648,p. 57.
5. VoirPiso et Marcgraf,l. c. Anblet,Guyane,p. 392 Seeman,Botany
ofthe Herald,p. 106 Jacquin,Amériq.,p. 124 Mac Fadyen,Pl. Jamaïc,
p. 119 Grisebach,Fl. of brit. W. India, p. 176.
6. Ernst, dans Seemann,Journal of bot.,1867,p. 273.
7. Rheede,Malabar,3, pl. 54.
"^9
"MANGUIER
'1. 1
asiati-
ancienne, par les Portugais, d'Amérique dans îarcnipei
est américain; celui
que 1. Le nom malais qu'il cite, Cadju,
usité à Amboine signifiait fruit de Portugal celui de Macassar
était tiré d'une ressemblance avec le fruit du Jambosa. L es-
très dans les îles;
pèce, dit Rumphius, n'était pastrouvée répandue
à Goa e.n looO mais
Garcia ab Orto ne l'avait pas
Acosta l'avait vue ensuite à Couchin, et les Portugais lavaient
Blume et
multipliée dans l'Inde et l'Archipel indien. D'après
à Java. Rheede dit, il
Miquel, l'espèce est seulement cultivée
est vrai, qu'elle abonde au Malabar (provenit ubique), mais il
cite un seul nom qui paraisse indien, Kapa-mava, et les autres
dérivent du nom américain. Piddington n'indique aucun nom
sanscrit. Enfin les botanistes anglo-indiens, après avoir hésité
sur l'origine, admettent aujourd'hui l'importation d'Amérique
à une époque déjà ancienne. Ils ajoutent que l'espèce s'est natu-
ralisée dans les forêts de l'Inde anglaise 2.
et il est
L'indigénat en Afrique est encore plus contestable,
aisé d'en montrer la fausseté. Loureiro 3 avait vu l'espèce sur la
côte orientale de ce continent, mais il la supposait d'origine
américaine. Thonningne l'a pas vue en Guinée, et Brown ne
l'herbier de Kew a
l'indiquait pas au Congo Il est vrai que
reçu des échantillons de ce dernier pays et des îles du golfe de
5. Un
Guinée, mais M. Oliver parle de l'espèce comme cultivée natu-
arbre dont l'habitation est vaste en Amérique, et qui s'est
ralisé dans plusieurs régions de l'Inde depuis deux siècles, exis-
terait dans une grande étendue de l'Afrique intertropicale s'il
était indigène dans cette partie du monde.

Manguier. llangifera indica, Linné.


De la même famille que le Pommier d'Acajou, cet arbre
donne cependant un véritable fruit, de la forme et de la couleur
à peu près de l'abricot 6.
On ne peut douter qu'il ne soit originaire de lAsie méri-
des
dionale ou de l'archipel indien quand on voit la multitude
variétés cultivées dans ces pays, la quantité des noms vulgaires
et l'abondance dans
anciens, en particulier un nom sanscrit
les jardins du Bengale, de la péninsule indienne et de Ceylan, en
même à l'époque de Rheede. Du côté de la Chine la culture en
était moins répandue, car Loureiro la mentionne seulement de
Cochinchine. D'après Rumphius 8, elle avait été introduite,

i. Rumphius,Herb. Amboin.,1, p. i 77,i 78.Flora


2. Beddone,Flora sylvatica,t. 163;"JoS ofbrit. India, 2, p. 20.
3. Loureiro,FI. cochinch.,p. 304.
4. Brown,Congo,p. 12et 49.
5. Oliver,Flora of tropicalAfnea, 1, p. 443.
6. Voir la planche 4310du Botanicalmagazine.
7. Roxburgh,Flora indica, ed. 2, vol. 2, p. 43a; Piddington,Indcx.
8. Rumphius,Herb.Amboin.,1, p. 95.
160 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

mémoire d'homme, dans certaines îles de l'archipel asiatique.


Forster ne la mentionne pas dans son opuscule sur les fruits des
îles de la mer Pacifique, lors de l'expédition de Cook. Le nom
vulgaire aux Philippines, Manga 1, montre une origine étran-
gère, car c'est le nom malais et espagnol. Le nom vulgaire à
Ceylan est Ambe, analogue au sanscrit Amra et d'où, viennent
les noms persan et arabe Amb 2, les noms modernes indiens, et
peut-être les noms malais Mangka, Manga, Manpelaan, indiqués
par Rumphius. Il y a cependant d'autres noms usités dans les
îles de la Sonde, des Moluques et en Cochinchine. La variété de
ces noms fait présumer une introduction ancienne dans l'ar-
chipel Indien, contrairement à l'opinion de Rumphius.
Les Mangifera que cet auteur avait vus sauvages dans l'île de
Java et le Mangifera sylvatica que Roxburgh avait découvert à
Sillet sont d'autres espèces mais le véritable Manguier est
indiqué par les auteurs modernes comme spontané dans les
forêts de Ceylan, les districts au pied de l'Himalaya, surtout
vers l'est, dans l'Arracan, le Pégu et les îles Andaman 3. Miquel
ne l'indique comme sauvage dans aucune des îles de l'archipel
malais. Malgré l'habitation à Ceylan et les indications moins
affirmatives, il est vrai, de sir J. Hooker, dans la Flore de l'Inde
anglaise, l'espèce est probablement rare ou seulement natura-
lisée dans la péninsule indienne. La grosseur des graines est
telle que les oiseaux ne peuvent pas les transporter, mais la
fréquence de la culture amène une dispersion par l'homme. Si
le Manguier est seulement naturalisé dans l'ouest de l'Inde
anglaise, ce doit être depuis longtemps, vu l'existence d'un nom
sanscrit. D'un autre côté les peuples de l'Asie occidentale doi-
vent l'avoir connu assez tard, puisqu'ils n'ont pas transporté
J'espèce en Egypte ou ailleurs vers l'ouest.
Aujourd'hui, on la cultive dans l'Afrique intertropicale et
même aux îles Maurice et Seychelles, où elle s'est un peu natu-
ralisée dans les forêts 4.
L'introduction en Amérique a eu lieu d'abord au Brésil, car
c'est de là qu'on fit venir des graines à la Barbade dans le milieu
du siècle dernier 5. Un vaisseau français transportait des pieds
de cet arbre de Bourbon à Saint-Domingue, en 1782, lorsquil fut
pris par les Anglais, qui les portèrent à la Jamaïque, où il
réussit à merveille. Quand les plantations de café furent aban-
données, lors de l'émancipation des esclaves, le Manguier, dont

i. Blanco,Fl. filip.,p. 181.


2. Rumphius,l. c. Forskal,p. cvh.
3. Thwaites,Enum.plant. Ceyl.,p. 75 Stuart et Brandis,Forest flora,
p. 126 Hooker,Flora of brit. India, 2 p. 13 Kurz, Forest flora of brit.
Burma,1, p. 304.
4. Oliver,Floraof tropicalAfrica, 1, p. 442 Baker, Flora of Mauntius
and Seychelles,p. 63.
5. Hughes,Barbadoes,p. 177.
FRAISIER 161
les nègres jetaient partout des noyaux, forma dans cette île des
forêts, qui sont devenues une richesse à cause de leur ombrage
et comme moyen de nourriture 1. Il n'était pas encore cultivé à
Gayenne dans le temps d'Aublet, à la fin du xvnr3 siècle, mais
actuellement il y a des mangues de première qualité dans cette
colonie. Elle sont greffées et l'on observe que leurs semis don-
nent des fruits meilleurs que ceux tirés des pieds francs 2.

Evi. Spondias dulcis, Forster.


Arbre de la famille des Anacardiaeées, indigène dans les îles
de la Société, des Amis et Fidji 3. Les naturels faisaient une
grande consommation de ses fruits à l'époque de l'expédition du
capitaine Cook. Ils ressemblent à un gros pruneau, couleur de
pomme, et contiennent un noyau hérissé de longues pointes
crochues Le goût en est excellent, disent les voyageurs. Ce
n'est pas un des arbres fruitiers le plus répandus dans les co-
lonies tropicales. On le cultive pourtant aux îles Maurice et
Bourbon, sous le nom primitif polynésien Evi ou Hévi 5, et aux
Antilles. Il a été introduit à la Jamaïque, en 1782, et de là à
Saint-Domingue. L'absence dans beaucoup de contrées chaudes
d'Asie et Afrique tient probablement à ce que l'espèce a été dé-
couverte seulement il y a un siècle, dans de petites îles sans
communications avec l'étranger.

Fraisier. Fragaria vesca, Linné.


Notre Fraisier commun est une des plantes les plus répandues
dans le monde, en partie, il est vrai, grâce à la petitesse de ses
graines que les oiseaux, attirés par le corps charnu sur lequel
elles se trouvent, transportent à de grandes distances.
Il est spontané en Europe, depuis les îles Shetland et la La-
ponie 6 jusque dans les parties montueuses du midi à Madère,
en Espagne, en Sicile et en Grèce7. On le trouve aussi en Asie,
depuis la Syrie septentrionale et l'Arménie 8, jusqu'en Daourie.
Les fraisiers de l'Himalaya et du Japon 9, que divers auteurs ont
rapportés à cette espèce,^n'en sont peut-être pas 10, et cela me
i. Mac-Fadyen,Flora ofJamaïca,p. 221 sir J. Hooker,Discoursà l'Insti-
tution royale,traduit dans Ann.sc. nat., série 6, vol. 6, p. 320.
2. Sagot,Journal de la Soc.centr. d'agric. de France,1872.
3. Forster, De plantis esculentisinsularumoceaniaustralis, p. 33 See-
mann, Flora Vitiensis,p. 51 Nadaud,Enum.desplantesde Taïti, p. 75.
4. Voir bonne figure coloriée,dans Tussac,Flore des Antilles,3, pl. 28.
5. Bojer, Hortusmauritianus, p. 81.
6. H.-G. Watson, CompendiumCybelebrit., 1 p. 160; Fries, Summa
veg. Scand., p. 44.
7. Lowe,Manualfl. of Madeira,p. 246; Willkommet Lange, Prodr. fl,
hisp. 3, p. 224 Moris,Fl. sardoa,2, p. 17.
8. Boissier,l. c.
9. Ledebour,Fl. rossica,2, p. 64.
10. Gay,ibid. Hooker,Fl. brit. India,2, p. 344 Franchetet Savatier,
Enum.pi. Japon., 1, p. 129.
DE Candolle. 11
162 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

fait douter de l'habitation en Chine donnée par un mission-


naire l. Il est spontané en Islande 2, dans le nord-est des Etats-
Unis 3, autour du fort Cumberland et sur la côte nord-ouest 4,
L'habita-
peut-être même dans la Sierra Nevada de Californie 5.
tion s'étend donc autour du pôle arctique, à l'exception de la
Sibérie orientale et de la région du fleuve Amour, puisque l'espèce
n'est pas citée par M. Maximowicz dans ses Primitim flores amu-
rensîsl En Amérique l'habitation se prolonge sur les hauteurs du
Mexique, car le Fragaria mexicana, cultivé au Muséum et exa-
miné par J. Gay, est le F. vesca. Il existe aussi autour de Quito,
d'après le même botaniste, .très compétent dans la question 6.
Les Grecs et les Romains n'ont pas cultivé le fraisier. C'est
s'en
probablement dans le xvc ou le xvie siècle que la culture d'une
est introduite. Champier, au xvi° siècle, en parlait comme
nouveauté dans le nord de la France mais elle existait déjà
dans le midi et en Angleterre 8.
natu-
Transporté dans les jardins des colonies, le fraisier s'est
ralisé dans quelques 'localités fraîches, loin des habitations.
C'est arrivé à la Jamaïque 9, dans l'île Maurice 10,et plus encore
dans l'île de Bourbon, où des pieds avaient été mis par Com-
merson dans la plaine élevée dite des Cafres. Bory Saint-Vin-
cent raconte qu'en 1801 il y avait trouvé des espaces tout rouges
de fraises et qu'on ne pouvait les traverser sans se teindre les
pieds d'une véritable marmelade, mêlée de fange volcanique
Il est probable qu'en Tasmanie, à la Nouvelle-Zélande et ail-
leurs on verra des naturalisations semblables.
Le genre Fragaria a été étudié avec plus de soin que beau-
coup d'autres par Duchesne fils, le comte de Lambertye, Jacques
Gay et surtout Mme Elisa Vilmorin, dont l'esprit d'observation
était si digne du nom qu'elle portait. Un résumé de leurs tra-
vaux, avec d'excellentes planches coloriées, se trouve dans le
Jardin fruitier du Muséum, par M. Decaisne. De grandes diffi-
cultés ont été surmontées par ces auteurs pour distinguer les
variétés et les hybrides qu'on multiplie dans les jardins, des
véritables espèces, et pour établir celles-ci sur de bons carac-

1. Perny, Propag. de la foi, cité dans Decaisne,Jardin fi-uitierdu Mus.,


p. 27 J. Gay,ibid., p. 27,n'indiquepas la.Chine. l. c.
2. Babington,Journal ofLinn. soc.,11, p. 303;Gay,
3. A. Gray,Botanyof thenorthei-nStates,ed. 1868,p. 156.
4. SirW. Hooker,Fl. bor. amer, 1, p. 184.
5. A. Gray,Bot.of California,I, p. 176.
6. J. Gay,dans Decaisne,Jardin fruitier du Muséum,Fraisier, p. 30.
7. Le Grand d'Aussy,Histoirede la vieprivée des Français,1,p. 233et 3.
8. Olivierde Serres, Théâtredagric, p. Sli Gerard,d'après Phillips,
Pomarium,britannicum,p. 334.
9. Purdie, dans Hooker,Londonjournal of botany,1844,p. 313.
10. Bojer,Hortusmawitianus,p. 127.
14. Bory Saint-Vincent,Comptesrendus de VAcad.des sc. 1836,sem. 2,
3. 109.
CERISIER DES OISEAUX 163
"1,' 1 n ,o..
tères. Quelques Fraisiers dont les fruits étaient médiocres ont été
abandonnés, et les plus beaux maintenant sont le résultat du
croisement des espèces de Virginie et de Chili, dont je vais
parler.

Fraisier de Virginie. Fragaria virginiana, Ehrahrt. –


Fraisier écarlate des jardins français.
Cette espèce, indigène au Canada et dans les États-Unis
orientaux, et dont une variété s'étend vers l'ouest jusqu'aux
monhignes Rocheuses, peut-être même jusqu'à l'Orégon. a été
introduite dans les jardins anglais en 1629 2. On la cultivait
beaucoup en France dans le siècle dernier; mais ses hybrides
avec d'autres espèces sont maintenant plus estimés.

Fraisier du Chili. Fragaria Çhiloensis, Duchesne.


Espèce commune dans le Chili méridional; à Conception, Val-
divia et Chiloe s, et souvent cultivée dans ce pays. Elle a été
apportée en France, par Frezier, dans l'année 171S. Cultivée
alors au Muséum d'histoire naturelle de Paris, elle s'est ré-
pandue bientôt en Angleterre et ailleurs. Grâce à ses fruits
énormes, d'une saveur excellente, on a obtenu par divers croise-
ments, surtout avec le F. virginiana, les fraises Ananas, Victoria,
Trollope, Rubis, etc., si recherchées à notre époque.

Cerisier des oiseaux. – Prunus avium, Linné. Sûss-


kirschbaum des Allemands.
J'emploie le mot Cerisier parce qu'il est usuel et sans incon-
vénient pour les espèces ou variétés cultivées, mais l'étude des
espèces voisines non cultivées confirme l'opinion de Linné que
les Cerisiers ne peuvent pas être séparés, comme genre, des Pru-
niers.
Toutes les variétés de Cerisiers cultivés se rapportent à deux
espèces, qu'on trouve à l'état sauvage, savoir i° Prunus avium,
L_îïé, d'une taille élevée, à racines ne poussant pas de reje-
tons, ayant le dissous des feuilles pubescent, le fruit d'une
saveur douce 2° Prunus Cerasus, Linné, moins élevé, poussant
des rejetons sur les racines, à feuilles entièrement glabres et
fruit plus ou moins acide ou amer.
La première de ces espèces, de laquelle on pense que les Bi-
garreautiers et Merisiers sont provenus, se trouve sauvage en
Asie dans les forêts du Ghilan (nord de la Perse), des pro-

1.AsaGray,Manualof bot of thenorth. States,ed. 1868,p. 155;Botany


of California,1, p. 177.
2. Phillips,Pomariumbrit., p. 335.
3. CI. Gay,Hist. Chili,Botanica,2, p. oûa.
164 PLANTESCULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

vinces russes du midi du Caucase et de l'Arménie 1; enEurope


dans le midi de la Russie, et généralement depuis la Suède
méridionale jusque dans les parties montueuses de la Grèce,
de l'Italie et de l'Espagne 2.Elle existe même en Algérie 3_.
A mesure qu'on s'éloigne de la région située au midi de la
mer Caspienne et de la mer Noire, l'habitation du Cerisier des
oiseaux paraît moins fréquente, moins naturelle et déterminée
davantage, peut-être, par les oiseaux qui recherchent avidement
ses fruits et les portent de proche en proche 4. On ne peut pas
douter qu'elle s'est naturalisée de cette manière, à la suite des
cultures, dans le nord de l'Inde 5, dans beaucoup de plaines du
midi de l'Europe, à Madère 6, et çà et là aux Etats-Unis7 mais
il est probable que pour la plus grande partie de l'Europe cela
est arrivé dans des temps anciens, préhistoriques, attendu que
les oiseaux agissaient avant les premières migrations des peu-
L'habita-
ples, avant même qu'il y eût des hommes en Europe.
tion se serait étendue dans cette région lorsque les glaciers ont
diminué. r <.
Les noms vulgaires dans les anciennes langues ont été l'objet
d'un savant article d'Adolphe Pictet 8, mais on ne peut rien en
déduire sous le rapport de l'origine, et d'ailleurs les diverses
la nomen-
espèces ou variétés ont été souvent confondues dans
clature populaire. Il est bien plus important de savoir si l'ar-
du Ceri-
chéologie nous apprend quelque chose sur la présence
sier des oiseaux en Europe, dans les temps préhistoriques.
M. Heer a figuré des noyaux du Prunus avium dans son
mémoire sur les palafittes de la Suisse occidentale 9. D'après ce
ces
qu'il a bien voulu m'écrire, en date du IA avril 1881,de noyaux
venaient d'une tourbe au-dessus des anciens dépôts l'âge de
pierre. M. de Mortillet 10 a constaté des noyaux semblables
dans les habitations palafittes du lac de Bourget d'une époque
Dp Gross m'en
peu reculée, postérieure à l'âge de pierre. M. le
a communiqué de la station, également peu ancienne, de Cor-
celette, dans le lac de Neuchâtel, et MM. Strobel et Pigorini
en ont découvert dans la « terramare » de Parme 11. Ce sont
et
toujours des stations moins anciennes que l'âge de pierre
1. Ledebour,Fl. ross.,2, p. 6; Boissier,Fl. orient.,2, p. 649.
2. Ledebour,l c. Fries, SurnmaScandiv.p. 46 Nyman,Conspeclus fl.
245.
europ.p. 213 Boissier,l. c; Willkommet Lange,Prodr. fl. hisp., 3, p.
3. Munby,Catal.Alg., ed. 2, p. 8.
4. Commeles cerisesmûrissentaprès la saisonoù les oiseauxémigrent,
c'est surtout dans le voisinage des plantations qu'ils dispersent les
noyaux.
5. SirJ. Hooker,FI. of brit. India.
6. Lowe, Manualof Madeira,p. 235.
7. Darlington,Fl. cestrica,ed. 3, p. 73.
8. Ad. Pictet, Originesindo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 281.
9. Heer,Pflanzender Pfahlbauten,p. 24, fig. 17,18, et p. 26.
10.Dans Perrin, Etudespréhistoriquessur la Savoie,p. 22.
11.AU Soc.ifak se. nat., vol. 6.
CERISIER COMMUNOU GRIOTTIER 165

Si l'on ne découvre pas des


peut-être d'un temps historique. en il deviendra
noyaux plus anciens de cette espèce n'est Europe,
vraisemblable que la naturalisation pas antérieure'aux
migrations des Aryas.
Cerisier commun ou Griottier. Prunus Cerasus, Linné
Cerasus vulga7·is,141iller.-Baumweichsel, Sauerh,irschen, des
Allemands. Sour cherry, des Anglais.
Les Cerisiers de Montmorency, les Griottiers et quelques
autres catégories des horticultures proviennent de cette espèce1.
Hohenacker 2 a vu le Prunus Cerasus à Lenkoran, près de la
mer Caspienne, et C. Koch 3 dans les forêts de l'Asie Mineure,
ce qui veut dire, d'après le pays qu'il a parcouru, dans le nord-
est de cette contrée. D'anciens auteurs l'ont trouvé à Elisa-
5 au
bethpol et Erivan, d'après Ledebour 4. Grisebach l'indique
mont Olympe de Bithynie et ajoute qu'il est presque spontané
dans les plaines de la Macédoine. L'habitation vraie et bien
ancienne paraît s'étendre de la mer Caspienne jusqu'aux envi-
rons de Constantinople mais, dans cette contrée même, on ren-
contre plus souvent le Prunus avium. En effet, M. Boissier et
M de Tchihatcheff ne paraissent pas avoir vu le Prunus Ce-
rasus même dans le Pont, quoiqu'ils aient reçu ou rapporté
Pr. avium 6.
plusieurs échantillons du
Dans l'Inde septentrionale, le Pr. Cerasus est seulement à
l'état cultivé'. Les Chinois ne paraissent pas avoir eu connais-
sance de nos deux Cerisiers. On peut croire, d'après cela, que
l'introduction dans l'Inde n'est pas fort ancienne, et ce qui le
confirme, c'est l'absence de nom sanscrit.
Nous avons vu que le Pr. Cerasus est presque spontané en
Macédoine, d'après Grisebach. On l'avait dit spontané en Crimée,
mais Steven 8 ne l'a vu que cultivé, et Rehmann 9 ne mentionne
dans la Russie méridionale comme spontanée que l'espèce voisine
Je dou.ô beaucoup de la
appelée Pr chamsecerasus, Jacquin. au nord du Caucase. Même
qualité spontanée dans toute localité
en Grèce, où Fraas disait avoir vu cet arbre sauvage, M. de
Heldreich le connaît seulement comme cultivé 10.En Dalmatie

i Pour les variétés si nombreuses et qui ont des noms vulgairessi


variablesselonles provinces,on peut consulterle nouveau Duhamel,vol.
5, où se trouvent de bonnes figurescoloriées.
2. Hohenacker,Plants Talysch.,p. 128.
3 Koch,Dendrologie,i, p. 110.
4. Ledehour,Fl. ross.,2, p. 6.
uînelic-, p. 86.
5. Grisebach,Spicilegiumfl. rumehcœ,v. ,n~
6-Boissier,Fl. orientalis,2, p. 649;Tchihatcheff, AsieMineure,
Bot p. 198.
7. Sir J. Hooker,Fl. of bnt. ïndia, 2, p. 313.
8. Steven, Verzeichniss Halhinselm,etc.,p. 147.
9 Rehmann, Verhandl.Nat. Ver. Brunn.X, 1871.
10. Heldreich,NtdzpflanzenGriechenlands,p. 69 P flanzend. altiscn.
Ebene,p. 477.
11. Visiani,Fl. Dalmat.,3, p. 2&8.
166 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

on trouve, à l'état bien spontané, une variété particulière oiî


espèce voisine, le Prumus .1J:larasca,dont le fruit sert à fabriquer
le marasquin. Le Pr. Cerasus est sauvage dans les districts mon-
tueux de l'Italie 1 et dans le centre de la France 2 mais plus
loin, dans l'ouest, le nord et en Espagne, on ne cite plus l'es-
pèce que comme cultivée, se naturalisant çà et là sous la forme
souvent de buisson. Evidemment l'apparence en Europe est
plus que pour le Cerisier des oiseaux celle d'un arbre
d'origine étrangère médiocrement établi.
En lisant les passages de Théophraste, Pline et autres anciens
auteurs souvent cités 3, aucun ne paraît s'appliquer au Prunus-
Cerasus. Le plus significatif, celui de Théophraste, convient au
Prunus avium, à cause de la grandeur de l'arbre, caractère
distinctif d'avec le Prunus Cerasus k. Kerasos étant le nom du
Cerisier des oiseaux dans Théophraste comme aujourd'hui
Kerasaia chez les Grecs modernes, je remarque un signe lin-
guistique d'ancienneté du Prunus Cerasus les Albanais, des-
cendants des Pélasges, désignent celui-ci sous le nom de Vyssinef
ancien nom qui se retrouve dans l'allemand Wechsel et l'italien
Visciolo5. Comme les Albanais ont aussi le nom Kerasie, pour le
Pr. avium, on peut croire que leurs ancêtres ont distingué et
nommé les deux espèces depuis longtemps, peut-être avant
l'arrivée des Hellènes en Grèce.
Autre signe d'ancienneté Virgile dit en parlant d'un arbre

Pullulatab radice aliisdensissimasylva


TJtcerasisulmisque.{Gearg.,II, 17.)

Ce qui s'applique au Pr. Cerasus, non au Pr. avium.


On a trouvé à Pompeia deux peintures de Cerisier, mais il ne
paraît pas qu'on puisse savoir exactement si elles s'appliquent
à l'une ou à l'autre des deux espèces G. M. Comes les indique
sous le titre du Prunus Cerasus.
Quelque découverte archéologique serait plus probante. Les
noyaux des deux espèces présentent une différence dans le sillon
qui n'a pas échappé à la sagacité de MM. Heer et Sordelli.
Malheureusement, on n'a trouvé dans les stations préhistoriques
d'Italie et de Suisse qu'un seul noyau, attribuable au Prunus-

1. Bertoloni,FI. it., 5, p. 131.


2. Lecoqet Lamotte, Catal.du plateaucentralde la France,p. 148..
3. Theophrastes,Hist. plant., 1. 3, c. 13 Pline, 1. 15, c. 25, et autres
cités dans Lenz,Botanikder Allen,p. 710.
4. Une partie des expressionsqui suivent dans Théophrasterésulte
d'une confusionavec d'autres arbres. Il dit en particulierque le noyau
est mol.
3. Ad.Pictet, l. c., cite des formes du mêmenom en persan,turc, russe,
et faitdériverdelà notrenom françaisde Gwt/ne,transportéà des variétés.
6. Schoirw,Die Erde,p. 44 Cornes,lll. dellepiante,etJ in4, p. 56.
167
CERISIER COMMUN OU GRIOTTIER

on l'a sorti n'a pas été


Cerasns et encore la couche de laquelle c'était une couche non
suffisamment constatée. 11 paraît que
archéologique 1.
de ces données, un peu contradictoires et
D'après
1ensemble le Prunus Cerasus
assez vagues, je suis disposé à admettre que de la civi-
était connu et se naturalisait déjà au commencement
avant l'époque
lisation grecque, et un peu plus tard en Italie,
à laquelle Lucullus apporta un Cerisier de l'Asie Mineure. même a
On pourrait écrire des pages en citant les auteurs,
l'introduction du
modernes, qui attribuent, à la suite de Pline, avant l'ère chré-
Cerisier en Italie à ce riche Romain, l'an 64 inces-
tienne. Puisque l'erreur se perpétue, grâce à sa répétition
une fois
sante dans les collèges classiques, il faut dire encore
au moins celui des oiseaux en
qu'il y avait des Cerisiers l'illustre
Italie avant Lucullus, et que gourmet n'a pas dû recher-
n'ait
cher l'espèce à fruits acides ou amers. Je ne doute pas qu'il
bonne variété cultivée dans le Pont
gratifié les Romains d'une
et que les cultivateurs ne se soient empressés de la propager
à cela que s'est borné le rôle de Lu-
par la greffe, mais c'est
cullus.
ce qu'on connaît maintenant de Cérasonte et des an-
D'après à
ciens noms des Cerisiers, j'oserai soutenir, contrairement
d'une variété du Cerisier des
l'opinion commune, qu'il s'agissait ou le Merisier,
oiseaux, comme, par exemple, le Bigarreautier ce
dont le fruit charnu est de saveur douce. Je m'appuie sur
est le nom du Prunus avium,
que Kerasos, dans Théophraste,
est de beaucoup le plus commun des deux dans 1 Asie
lequel et il est
Mineure La ville de Cérasonte en avait tiré son nom,
du Prunus avium dans les forêts voi-
probable que l'abondance don-
sines avait engagé les habitants à chercher les arbres qui
naient les meilleurs fruits, pour les planter dans leurs jarcuns. ses
Assurément, si Lucullus a apporté de beaux bigarreaux, sau-
à peine de petites cerises
compatriotes, qui connaissaient
et dire « C'est un fruit que nous
vages, ont pu s'exclamer
n'avions pas. » Pline n'a rien affirmé de plus. sur les deux
Je ne terminerai pas sans énoncer une hypothèse les
Cerisiers. Ils diffèrent peu de caractères, et, chose bien rare,
deux patries anciennes le mieux constatées sont semblables (de se
la mer Caspienne à l'Anatolie occidentale). Les deux espèces
sont répandues vers l'ouest, mais inégalement. Celle qui est la plus
commune dans le pays d'origine et la plus robuste (Pr. avium) natu-
a été plus loin, à une époque plus ancienne, et s'est mieux de
ralisée. Le Prunus Cerasus est donc peut-être une dérivation
J'arrive ainsi,
l'autre, survenue dans un temps préhistorique. seu-
une voie différente, à une idée émise par M. Caruel
par

1. Sordelli. Plante della torbiem di Lagozza, p. 40.


2. Caruel. Flora toscana, p. 4S.
168 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

lement, au lieu de dire qu'on ferait peut-être bien de réunir les


deux espèces je les vois actuellement distinctes et me con-
tente de présumer une descendance, que du reste on ne
pourra
pas facilement démontrer.

Pruniers cultivés.
Pline parle de l'immense quantité de prunes qu'on connaissait
à son époque. « Ingens turba prunorum 1.
» Aujourd'hui, les hor-
ticulteurs en comptent plus de trois cents. botanistes
ont essayé de les rapporter à des espèces Quelques
sauvages
mais ils ne sont pas toujours d'accord, et surtout, distinctes
d'après les
noms spécifiâmes, ils semblent avoir des idées très différentes.
La diversité roule sur deux points tantôt sur la descendance
probable de telle ou telle forme cultivée, et tantôt sur la dis-
tinction des formes spontanées en espèces ou variétés.
Je n'ai pas la prétention de classer les innombrables formes
cultivées, et je crois ce travail assez inutile au point de vue des
questions d'origine géographique, car les différences existent
surtout dans la forme, la grosseur, la couleur et le
goût du
fruit, c'est-à-dire dans des caractères que les horticulteurs ont
eu intérêt à propager quand ils se sont présentés et même à créer
autant qu'ils ont pu le faire. Mieux vaut s'attacher aux distinc-
tions des formes observées dans l'état spontané, surtout à celles
dont les hommes ne tirent aucun avantage et qui sont restées
probablement ce qu'elles étaient avant qu'il y eût des jardins.
C'est depuis une trentaine d'années seulement que les bota-
nistes ont donné des caractères vraiment comparatifs
pour les
trois espèces ou races qui existent dans la nature 2. On
peut les
résumer de la manière suivante

Prunus domestica,Linné; arbre ou.arbuste élevé,non épineux- jeunes


rameauxglabres fleursnaissanten même temps les feuilles,à uédi-
celles ordinairement pubeseents fruit penché, que
douce. oblong, d'une saveur
Prunus
insititia, Linné; arbre ou arbuste élevé, non épineux- jeunes
rameaux pubescentsveloutés; fleurs naissant en même
feuilles, à pédicellesfinement pubescentsou"glabres fruittemps que les
buleuxou légèrementellipsoïde,d'une saveurdouce. penche glo-
Prunus spinosa,Linné; arbuste très épineux,à rameaux étalés à
droit jeunes rameaux pubescents fleurs épanouiesavant la naissance angle
des feuilles pédicelles glabres fruit dressé, globuleux, de saveur
acerbe.

cette troisième forme, si commune dans nos


Evidemment,
haies, s'éloigne des deux autres. Aussi, à moins de vouloir
interpréter, par hypothèse, ce qui a pu arriver avant toute ob-

*•Pline, gùt; 1- 15, c. 13.


c~tzirons
de Parzs,i, p, 2l p* 22S 5 Cosson
et Germain,Flore des
«^VCiS/^ • 165.ed"
PRUNIER DOMESTIQUE 169

servation, il me paraît impossible de considérer les trois formes


comme constituant une seule espèce, à moins qu'on ne montre
des transitions de l'une à l'autre dans les organes que la culture
n'a pas altérés, ce qu'on n'a pas fait jusqu'à présent. Tout au
plus peut-on admettre la fusion des deux premières catégories.
Les deux formes à fruit naturellement doux se présentaient dans
quelques pays. Elles ont dû tenter les cultivateurs, plus que le
Prunus spinosa, dont le fruit est acerbe. C'est donc à elles qu'il
faut s'efforcer de rapporter les Pruniers cultivés.
Je vais en parler, pour plus de clarté, comme de deux espèces

Prunier domestique. Prunus domestica, Linné. Zwet-


chen des Allemands.
Plusieurs botanistes 2 l'ont trouvé, à l'état sauvage, dans toute
l'Anatolie, la région au midi du Caucase et la Perse septentrio-
nale, par exemple autour du mont Elbrouz.
Je ne connais pas de preuve pour les localités du Cachemir,
du pays des Kirghis et de Chine, dont il est question dans quel-
ques flores. L'espèce en est souvent douteuse, et il s'agit plutôt
du Prunus insititia; dans d'autres cas, c'est la qualité de plante
spontanée, ancienne, qui est incertaine, car évidemment des
noyaux ont été dispersés à la suite des cultures. La patrie ne
paraît pas s'étendre jusqu'au Liban, quoique les prunes culti-
vées à Damas aient une réputation qui remonte au temps de
Pline. On croit que Dioscoride 3 a désigné cette espèce sous le
nom de Coccumelea de Syrie, croissant à Damas. Karl Koch
raconte que des marchands des confins de la Chine lui ont
affirmé la fréquence de l'espèce dans les forêts de la partie occi-
dentale de l'empire. Les Chinois cultivent, il est vrai, divers
Pruniers depuis un temps immémorial, mais on ne les connaît
pas assez pour en juger, et l'on ignore s'ils sont vraiment indi-
gènes. Aucun de nos Pruniers n'ayant été trouvé sauvage au
Japon ou dans la région du fleuve Amur, il est assez probable
que les espèces vues en Chine sont différentes des nôtres. Cela
paraît aussi résulter de ce que dit Bretschneider 4.
L'indigénat du Pr. domestica est très douteux pour l'Europe.
Dans les pays du Midi, où il est mentionné, on le voit surtout
dans les haies, près des habitations, avec les apparences d'un
arbre à peine naturalisé, maintenu çà et là par un apport inces-
sant de noyaux hors des plantations. Les auteurs qui ont vu
l'espèce en Orient n'hésitent pas à dire qu'elle est subspontanée.

1. Hudson,Flora anglica(1778),p. 212,les réunit sousle nom de Prunus


communis.
2. Ledebour,FI. ross.,2, p. 5 Boissier,FI. orient., 2, p. 652 K. Koch.
Dendrologie,1, p. 94 Boissieret Buhse,AufzœhlTranscaueas.,p. 80.
3. Dioscorides,l. c., 174 Fraas, Fl. class., p. 69.
4. Bretschneider,Onthe study,etc., p. 10.
170 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

Fraas 1 affirme qu'elle n'est pas sauvage en Grèce, ce qui


est confirmé par M. de Heldreich 2 pour l'Attique; Steven
l'affirme également pour la Crimée 3. S'il en est ainsi près de
l'Asie Mineure, à plus forte raison faut-il l'admettre pour le
reste de l'Europe.
Malgré l'abondance des Pruniers cultivés jadis par les Ro-
mains, les peintures de Pompeia n'en indiquent aucune sorte 4.
Le Prunus domestica n'a pas été trouvé non plus dans les
restes des palafittes d'Italie, de Suisse et de Savoie, où l'on a
rencontré cependant des noyaux des Prunus insititia et spinosa.
De ces faits et du petit nombre de mots attribuables à l'espèce
dans les auteurs grecs, on peut inférer que sa demi-naturalisa-
tion ou quasi-spontanéité en Europe a commencé tout au plus
depuis 2000 ans.
On rattache au Prunier domestique les pruneaux, prunes
Damas et formes analogues.

Prunier proprement dit. Prunus insititia, Linné 6. –


Pfiauenbaum et Haferschlehen des Allemands.
Il existe, à l'état sauvage, dans le midi de l'Europe 6. On Fa
trouvé également en Cilicie, en Arménie, au midi du Caucase et
dans la province de Talysch, vers la mer Caspienne 7. C'est sur-
tout dans la Turquie d'Europe et au midi du Caucase qu'il
paraît bien spontané. En Italie et en Espagne il l'est peut-être
moins, quoique de bons auteurs, qui ont vu la plante sur place,
n'en doutent pas. Quant aux parties de l'Europe situées au nord
des Alpes, jusqu'en Danemark, les localités indiquées sont pro-
bablement le résultat de naturalisations à la suite des cultures.
L'espèce s'y trouve ordinairement dans les haies, non loin des
habitations, avec une apparence peu spontanée.
Tout cela s'accorde assez bien avec les données historiques et
archéologiques.
Les anciens Grecs distinguaient les Coccumelea de leur pays
d'avec ceux de Syrie s, d'où l'on a inféré que les premiers étaient
les Prunus insititia. C'est d'autant plus vraisemblable que les
Grecs modernes l'appellent Coromeleia-°. Les Albanais disent

1. Fraas, S yn.fl. class.,p. 69.


2. Heldreich,PflanzenattischenEbene.
3. Steven, Verzeicàniss Salbinseln,1, p. 472.
4. Cornes,Ill. piante pompeîane.
5.Insititiaveut dire étranger.C'estun nom bizarre,puisquetoute plante
est étrangère ailleurs que dans son pays.
6. Wiikommet Lange,Prodr. fl. hisp.,3, p. 244 Bertoloni,VI. ilal. 5,
p. 133; Grisebaeh,picilegium fl. Rumel.,p. 85; Heldreich,Nutzpfl.Grie-
cltenlands,p. 68.
7. Boissier,FL orient.,2, p. 651 Ledebour,Fl. ross.,2, p. 5; Hohena-
cker, Planta: Talysch,p. 128
S. Dîoscorides,
'l., c.. 173;Fraas. l. c.
9. De Ileldreich,Nulzyflanzen Griecliail., p. 68.
ABRICOTIER 171

Corombilé 1, ce qui fait supposer une ancienne origine venant


des Pélasges. Du reste, il ne faut pas insister sur les noms vul-
gaires des Pruniers que chaque peuple a pu donner à l'une ou
à l'autre des espèces, peut-être aussi à telle ou telle variété
cultivée, sans aucune règle. En général, les noms sur lesquels
on a beaucoup écrit dans les ouvrages d'érudition me paraissent
s'appliquer à la qualification de prune ou prunier, sans avoir
un sens bien précis.
On n'a pas encore trouvé des noyaux de Prunus insititia dans
les « terramare » d'Italie, mais M. Heer en a décrit et figuré
qui proviennent des palafittes de Robenhausen 2. Aujourd'hui,
dans cette partie de la Suisse, l'espèce ne semble pas indigène,
mais nous ne devons pas oublier que, d'après l'histoire du lin,
les lacustres du canton de Zurich à l'époque de la pierre entre-
tenaient des communications avec l'Italie. Ces anciens Suisses
n'étaient pas difficiles sur le choix de leur nourriture, car ils
récoltaient aussi les baies du Prunellier [Prunus spinosa), qui
nous paraissent immangeables. Probablement ils les faisaient
cuire, en marmelade.

Abricotier. Prunus Armeniaca, Linné. Armeniaca vul-


garis, Lamarck.
Les Grecs et les Romains ont reçu l'Abricotier au commence-
ment de l'ère chrétienne. Inconnu du temps de Théophraste,
Bioscoride 3 le mentionne sous le nom de Mailon armeniacon.
Il dit que les latins l'appelaient Praikokion. C'est effectivement
un des fruits mentionnés brièvement par Pline sous le nom de
Preecotium, motivé par la précocité de l'espèce 5. L'origine
arménienne était indiquée par le nom grec, mais ce nom pou-
vait signifier seulement que l'espèce était cultivée en Arménie.
Les botanistes modernes ont eu, pendant longtemps, de bonnes
raisons pour la croire spontanée dans ce pays. Pallas, Giil-
denstsedt et Hohenacker disaient l'avoir trouvée autour du
Caucase, -soit au nord, sur les rives du Terek, soit au midi,
entre la mer Caspienne et la mer Noire °. M. Boissier 7 admet
ces localités, sans s'expliquer sur la spontanéité. Il a vu un
échantillon recueilli par Hokenacker près d'EIisabethpol. D'un

1. De Heldreich,l. c.
2. Hfer, Pflanzender Pfahlbauien,p. 27,fîg. 10,c.
3. Dioscoride?,1.1, c. 165.
4. Pline, 1. 2, c. 12.
5. Le nom latin a passé dans le grec moderne {Prikohhia\.Les noms
espagnol (AWaricoque)français (Abricot),etc., paraissent venir Œarbor
prsecoxou Prsecociumtandis que les mots vieux français,Armègne,ita-
lien Armenilli,etc., viennentde Mailonarmeniacon.Voir d'autres détails
sur les noms de l'espècedans ma Géographiebot. raisonnée,p. bSQ.
6. Ledebour,FI ros* 2, p. 3.
7. Boissier,Fl. orient.,2, p. 652.
172 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS
autre côté, M. de Tchihatcheff 1, qui a traversé l'Anatolie et
l'Arménie à plusieurs reprises, ne paraît pas avoir vu l'Abricotier
sauvage, et ce qui est plus significatif encore, Karl Koch, qui a
parcouru la région au midi du Caucase avec l'intention d'ob-
server ce genre de faits, s'exprime de la manière suivante 2
« Patrie inconnue. Du moins, pendant mon séjour prolongé en
Arménie, je n'ai trouvé nulle part l'Abricotier sauvage, et même
je ne l'ai vu cultivé que rarement. »
Un voyageur, W.-J. Hamilton 3, disait bien l'avoir trouvé
spontané près d'Orgou et d'Outch Hisar, en Anatolie; mais cette
assertion n'a pas été vérifiée par un botaniste.
Le prétendu Abricotier sauvage des ruines de Balbeck, décrit
par Eusèbe de Salle 4, est absolument différent de l'Abricotier
ordinaire d'après ce qu'il.dit de la feuille et du fruit. M. Boissier
et les divers collecteurs qui lui ont envoyé des plantes de Syrie
et du Liban ne paraissent pas avoir vu l'espèce. Spach 5 prétend
qu'elle est indigène en Perse, mais sans en donner aucune
preuve. MM.Boissier et Buhse n'en parlent pas dans leur énu-
mération des plantes de la Transcaucasie et de Perse.
Il est inutile de chercher l'origine en Afrique. Les Abricotiers
que Reynier 7 dit avoir vus presque sauvages » dans la Haute
Egypte devaient venir de noyaux jetés hors des cultures, comme
cela se voit en Algérie 8.MM. Schweinfurth et Ascherson 9,dans
leur catalogue des plantes d'Egypte et Abyssinie, ne mentionnent
l'espèce que comme cultivée. D'ailleurs, si elle avait existé
jadis dans le nord de l'Afrique, les Hébreux et les Romains en
auraient eu connaissance de bonne heure. Or il n'y a pas de
nom hébreu, et Pline dit que l'introduction à Rome datait de
trente années lorsqu'il écrivait son livre.
Poursuivons notre recherche du côté de l'Orient.
Les botanistes anglo-indiens 10s'accordent à dire que l'Abri-
cotier, généralement cultivé dans le nord de l'Inde et au Thibet,
n'y est pas spontané; mais ils ajoutent qu'il tend à se naturaliser
ou qu'on le trouve sur l'emplacement de villages abandonnés.
MM. Schlagintweit ont rapporté plusieurs échantillons du nord-
ouest de l'Inde et du Thibet, que M. A. Wesmael u a vérifiés;

1. Tchihatcheff,Asie Mineure,Botanique,vol. 1.
2. K. Koch,Dendrologie, 1, p. 87.
3. Nouv.ann. des voyages,févr. 1839,p. 176.
4. E. de Salle, Voyage,1, p. 140.
5. Spach, Rist. des vég.phanêrog.,i, p. 389.
6. Boissieret Buhse,Aufzâhlungder auf eine Reise,etc,in-4, 1860.
7. Reynier,Economiedes Egyptiens,p. 371.
8. Munbjr,Catal.,Fl. d'Algérie,p. i9 ed. 2.
9. Schweinfurthet Acherson,Beitrsegezur flora ^Ethiopiens,in-4,1867,
p. 259.
10. Royle,Ill. of Himalaya,p. 205; Aitchison,Catal. of Punjab and
Sindh, p. 56 sir J. Hooker,Fl. of brit. India, 2, p. 313 Brandis,Forest
flora ofN. W. and centralIndia, 191.
li. Wesmael,dans Bull.Soc. bot. Belgiq.,8, p 219.
ABRICOTIER. 1^3
il ne peut pas
mais, d'après ce qu'il a bien voulu m'écrire,
affimer la qualité spontanée, l'étiquette des collecteurs ne don-
nant aucune information à cet égard.
dit
Roxburgh 1, qui ne négligeait pas les questions d'origine, de
en parlant de l'Abricotier « natif de Chine aussi bien que
l'ouest de l'Asie. » Or je lis dans le curieux opuscule du Dr Bret-
tran-
schneider2, rédigé à Pékin, le passage suivant, qui meparaît
cher la question en faveur de l'origine chinoise Sing, cor me
on le sait bien, est l'abricot (Prunus Armeniaca). Le caractère
un
(un signe chinois imprimé p. 10) n'existe, comme indiquant mais le
fruit, ni dans le Shu-King ou les Shi-King, Cihouli, etc.
Shan-hai King dit que plusieurs Sing croissent sur les collines
le nom de l'abricot est
(ici un caractère chinois). En outre, ce
représenté par un caractère particulier, qui peut démontrer
est attribué à
qu'il est indigène en Chine. » Le Shan-hai-King Jésus-Christ. De-
l'empereur Yü, qui vivait en 2203-2198 avant chinoise de l'abri-
caisne 3, qui a soupçonné le premier l'origine
des échantillons
cot, avait reçu récemment du Dr BretschneiderAbricotier
accompagnés de la note suivante « N° 24, sauvage
des montagnes de Peking, où il croit en abondance. Le fruit est
petit (2 cent. 1/2 de diamètre). Sa peau est jaune et rouge; sa
chair est jaune rougeâtre, d'une saveur acide, mais mangeable.
No 23 noya-jx de l'Abricotier cultivé aux environs de Peking.
Le fruit est deux fois plus gros que le sauvage4. » Decaisneajou-
tait dans la lettre qu'il avait bien voulu m'écrire «; Laforme et
la surface des noyaux sont absolument semblables à celles de nos
» Les feuilles
petits abricots; ils sont lisses et non rugueux.
qu'il m'a envoyées sont bien de l'Abricotier. du fleuve
On ne cite pas l'abricotier dans la région Amur, ni
au japon B.Peut-être le froid de l'hiver y est-il trop rigoureux.
Si l'on réfléchit au défaut de communications, dans les temps
anciens, entre la Chine et l'Inde, et aux assertions de l'indigénat
de l'espèce dans ces deux pays, on est tenté de croire au premier
du nord-ouest de
aperçu que la patrie ancienne s'étendait
l'Inde à la Chine. Cependant, si l'on veut adopter cette hypo-
se
thèse, il faut admettre aussi que la culture de l'Abricotier
serait répandue bien tard du côté de l'ouest. On ne lui connaît
en effet aucun nom sancrit ni hébreu, mais seulement un nom
hindou, Zard-alu, etun nom persan, Mischmisch, qui apassé dans

i. Roxburgh,Fl. ind., ed. 2, v. 2, p. 501.


2. Bretschneider,On the study and value of chineseworksof boiawj,
p. 10et 49. Jardin 8, articleAbricotier.
3. Decaisne, fruitier du Muséum,vol.son
4. Le D'' Bretschneiderconfirmececi dans opusculerécent a oies
on botanicalquestions,p. 3. et
5. Le Prunus Armeniacade Thunberg est le Pr. llfume de Sieboldde
Zuccarini. L'Abricotiern'est pas mentionnédans VEnumeratio,e^c,
Franchet et Savatier.
174 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

l'arabe 1. Comment supposer qu'un fruit aussi excellent et qui


s'obtient en abondance dans l'Asie occidentale se serait répandu
si lentement du nord-ouest de l'Inde vers le monde gréco-
romain ? Les Chinois le connaissaient deux ou trois mille ans
avant l'ère chrétienne. Ghang-Kien était allé jusqu'en Bactriane,
un siècle avant cette ère, et il est le premier qui ait fait con-
naître l'Occident à ses compatriotes 2. C'est peut-être alors que
l'Abricotier a été connu dans l'Asie occidentale et qu'on a pu le
cultiver et le voir se naturaliser, çà et là, dans le nord-ouest de
l'Inde et au pied du Caucase, par l'effet de noyaux jetés hors des
plantations.

Amandier. -Amygdalus communis, Linné. -Pruni species,


Baillon. Prunus Amygdalus, Hooker fils.
L'Amandier se présente, avec l'apparence tout à fait spontanée
ou quasi spontanée, dans les parties chaudes et sèches de la
région méditerranéenne et de l'Asie occidentale tempérée. Comme
les noyaux sortis des cultures naturalisent facilement l'espèce,
il faut recourir à des indications variées pour deviner la patrie
ancienne.
Ecartons d'abord l'idée d'une origine de l'Asie orientale. Les
flores japonaises ne parlent pas de l'amandier. Celui que M. de
Bunge a vu cultivé dans le nord de la Chine, était le Persica
Davidiana s. Le Dr Bretschneider dans son opuscule classique,
nous apprend qu'il n'a jamais vu l'Amandier cultivé en Chine,
et que la compilation publiée sous le nom de Pent-sao, dans le
x° ou xi" siècle de notre ère, le décrit comme un arbre du pays
des Mahométans, ce qui signifie le nord-ouest de l'Inde ou la
Perse.
Les botanistes anglo-indiens Bdisent que l'Amandier est cultivé
dans les régions fraîches de l'Inde, mais quelques-uns ajoutent
qu'il n'y prospère pas et qu'on fait venir beaucoup d'amandes
de Perse 6. On ne connaît aucun nom sanscrit, ni même des
langues dérivées du sanscrit. Evidemment, le nord-ouest de
l'Inde est hors de la patrie originelle de l'espèce.
Au contraire, de la Mésopotamie et du Turkestan jusqu'en
Algérie, il ne manque pas de localités dans lesquelles d'excel-
lents botanistes ont trouvé l'Amandier tout à fait sauvage.
M. Boissier 7 a vu des échantillons recueillis dans les rocailles en

1. Piddington, Index; /Rosburgh, FI. ind. e^fforskal, FI. Egypt. De-


lile, Ill. Egypt.
2. Bretschneider, On the study and value of chinese botanical Works.
3. Bretschneider, Early eu-opean researches, p. 149.
4. Bretschneider, Study and value, etc., p. 10, et Early researcJies,p. 149.
5. Brandis, Forest flora; sir J. Hooker, FI. of brit. India, 3, p. 313.
6. Roxburgh, FI. ind., ed. 2, vol. 2, p. 500; Royle, III. Himal., p. 204.
7. Boissier, FI. or., 3, p. 641.
AMANDIER l73
le Kurdistan et
Mésopotamie, dans l'Aderbijan; le Turkestan, l'a
dans les forêts de l'Antiliban. Karl Koch 1 ne pas rencontré
en
à l'état sauvage au midi du Caucase, ni M. de Tchihatcheff
Asie Mineure, M. Cosson a trouvé des bois naturels d Aman-
diers près de Saïda, en Algérie. On le regarde aussi comme
mais là, et plus
sauvage sur les côtes de Sicile et de Grèce3;
encore dans les localités où il se montre en Italie, en France
c'est
ou en Espagne, il est probable ou presque certain que
le résultat de noyaux dispersés par hasard à la suite des cul-
tures. T esti.
L'ancienneté d'existence dans l'Asie occidentale prouvée
Schaked, Luz ou Lus (qui est
par le fait de noms hébreux, de
encore le nom arabe Louz), et Sckekeditn, pour l'amande
Les Persans ont un autre nom, Badam, 5dont j'ignore le degré
l'Aman-
d'ancienneté. Théophraste et Dioscoride mentionnent les
dier sous un nom tout différent, Amugdalai, traduit par
latins en Amygdalus. On peut en inférer que les Grecs n'avaient
de l'Asie, mais l'avaient trouvée
pas reçu l'espèce de l'intérieur l'Asie
chez eux ou au moins dans Mineure. L'Amandier est
découvertes à Pom-
figuré plusieurs fois dans les peintures
7 doute que l'espèce fût connue en Italie du temps
peia Pline de noix
de Caton, parce qu'elle était désignée sous le nom
l'Amandier eut été introduit
grecque. Il est bien possible que dans
des îles de la Grèce à Rome. On n'a pas trouvé d'amandes
les « Terramare » du Parmesan, même dans les couches supé-
rieures.
chez les Romains
que le peu d'ancienneté de l'espèce en
J'avoue
et l'absence de naturalisation hors des cultures Sardaigne et
en Espagne 8 me font douter de l'indigénat sur la côte septen-
trionale d'Afrique et en Sicile. Ce sont plutôt, à ce qu'il semble, de
des naturalisations remontant à quelques siècles. A l'appui
cette hypothèse, je remarque le nom berbère de 1 amande
Talouzet 9, qui se rattache évidemment à l'arabe Louz, c'est-à-
Au
dire à la langue des conquérants venus après les Romains.
certains points
contraire, dans l'Asie occidentale et même dans
de la Grèce, on peut regarder l'indigénat comme préhistorique,

Bota-
i. K. Koch, Dmd:ro~:6, 1, p. 80 Tchihatcheff, Asie ryfineure,
niqzze, 1, P. 108.
~~nÂ.~M.Ma<serie3,voL19,p.t08. ,“,
3. Gussone, Synopsis ft. ~CK~, 1, p. 552; de Heldreich, Nut~lf flanzen
~rieclaerrland's,p. 67. FLandb. bibl. Alterk.,
4.Hiller,i, p. 215 Rosenmüller,
Hieropk~ton,
p. 263.
Hist., 1. 1, c. H, 18, etc. Dioscorides, 1.1, a. 176. 13.
a.Théophra.stes,
6. Schouw, Die Erde, etc. Comes, Ill. piarzte nei dzpinti pompeiani, p.
7. Pline, Hist., 1. 16, c. 22.
8. itloris, Flora Sardoa, 2, p. 5; SŸillkomm et Lange, Fr·orlr. ~l. hisp.,
.3, P. 243. 1S44.
9. Dictionnaire /ys7!f<!M-&e)'&&'e,
176 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

je ne dis pas primitif, car tout a été précédé de quelque


chose.
Notons, en terminant, que la différence des amandes douces
et amères était déjà connue des Grecs et même des Hé-
breux.

Pêcher. – Amygdalus Persica, Linné. Peesica vulgaris,


Miller. Prunus Persica, Bentham et Hooker.
Je citerai l'article 1 dans lequel j'avais naguère indiqué la
pêche comme originaire de Chine, contrairement à l'opinion qui
régnait alors et que des personnes, peu au courant de la science,
continuent à reproduire. Je donnerai ensuite les faits découverts
depuis 1855.
« Les Grecs et les Romains ont reçu le Pêcher à peu près au
commencement de l'ère chrétienne. » Les noms de Persica, Ma-
lum persicum indiquaient d'où ils l'avaient tiré. Je ne reviens pas
.sur ces faits bien connus 2.
On cultive aujourd'hui divers Pêchers dans le nord de l'Inde 3
mais, chose remarquable, on ne leur connaît aucun nom sans-
crit 4 d'où l'on peut inférer une existence et une culture peu
anciennes dans ces régions. Roxburgh, ordinairement si explicite
pour les noms indiens modernes, ne mentionne que des noms
arabes et chinois. Piddington n'indique aucun nom indien, et
Royle donne seulement des noms persans.
Le Pêcher ne réussit pas ou exige de très grands soins pour
réussir dans le nord-est de l'Inde 5. En Chine, au contraire, sa
culture remonte à la plus haute antiquité. Il existe dans ce
pays une foule d'idées superstitieuses et de légendes sur les pro-
priétés de diverses variétés de pêches6 le nombre de ces va-
riétés est très considérable 7; en particulier, on y trouve la

1. Alph.de Candolle,Gêogr.bot. rais., p. 881.


2. Theophrastes,Hist., IV, c. IV; Dioscorides,1.1, c. CLXIV;Pline, édit.
de Genève,1. XV,c. XIII.
.3. Royle,Ill. Him.,p. 204.
4. Roxburgh,FI. Ind., 2eédit.,II, p. 500;Piddington,Index; Royle,l. c.
5. Sir Jos. Hooker,Journ. of bot., 1850,p. 54.
6. Rose,chefdu commercefrançaisà Canton,les avaitrecueilliesd'après
des manuscrits chinois, et Noisette (Jard. fruit, 1, p. 76) a transcrit
textuellementune partie de son mémoire.Cesont des faits dans le genre
de ceux-ci Les Chinoisconsidèrentles pêches allongéesen pointe et
bien rouges d'un côté comme le symboled'une longe vie. En consé-
quence de cette antiquepersuasion,ces pêches entrent dans tous les or-
nements, en peinture et en sculpture, et surtout dans les présents de
congratulations,etc. Selon le livre de Chin-noug-king,la pêche Yu
prévientla mort si l'on n'a pas pu la manger à temps, elle préserve au
moinsle corps de la corruptionjusqu'à la findu monde.On cite toujours
la pêche dans les fruits d'immortalitédont on a bercéles espérancesde
Tsinchi-Hoang, de Vouty,des Hanet autres empereursqui prétendaientà
l'immortalité, e tc.
7. Lindley,Trans. hort. soc.,V, p. 121.
PÊCIIER 177
forme singulière de la pêche déprimée 1, qui parait s'éloigner
plus qu'aucune autre de l'état naturel de l'espèce; enfin, un nom
simple, celui de To, est donne à la pêche ordinaire 2.
« D'après cet ensemble de faits, je suis porté à croire que le
Pêcher est originaire de Chine plutôt que de l'Asie occidentale.
S'il avait existé de tout temps en Perse ou en Arménie, la con-
naissance et la culture d'un arbre aussi agréable se seraient
répandues plus tôt dans l'Asie Mineure et la Grèce. L'expédition
d'Alexandre est probablement ce qui l'avait fait connaître à
Théophraste (322 avant J.-C.) lequel en parle comme d'un
fruit de Perse. Peut-être cette notion vague des Grecs remonte-
t-elle à la retraite des Dix mille (401 avant J.-C.) mais Xéno-
phon ne mentionne pas le Pêcher. Les livres hébreux n'en font
aussi aucune mention. Le Pêcher n'a pas de nom en sanscrit,
et cependant le peuple parlant cette langue était venu dans
l'Inde du nord-ouest, c'est-à-dire de la patrie ordinairement pré-
sumée pour l'espèce. En admettant cette patrie, comment expli-
quer que ni les Grecs des premiers temps de la Grèce, ni les
Hébreux, ni le peuple parlant sanscrit, qui ont tous rayonné de
la région supérieure de l'Euphrate ou communiqué avec elle,
n'auraient pas cultivé le Pêcher ? Au contraire, il est très possi-
ble que des noyaux d'un arbre fruitier cultivé de toute ancien-
neté en Chine aient été portés, au travers des montagnes, du
centre de l'Asie en Cachemir, dans la Bouckarie et la Perse.
Les Chinois avaient découvert cette route depuis un temps trèi
reculé. L'importation aurait été faite entre l'époque de l'émi-
gration sanscrite et les relations des Perses avec les Grecs. La
culture du Pêcher, une fois établie dans. ce point, aurait mar-
ché facilement, d'un côté vers l'occident, de l'autre, par le
Caboul, vers le nord de l'Inde, où elle n'est pas très ancienne.
« A l'appui de l'hypothèse d'une origine chinoise, on peut
ajouter que le Pêcher a été introduit de Chine en Cochinchine 3,
et que les Japonais donnent à la pêche le nom chinois de Tao i.
M. Stanislas Julien a eu l'obligeance de me lire en français
quelques passages de V Encyclopédiejaponaise (liv. LXXXVI,p. 7),
où le Pêcher Tao est dit un arbre des contrées occidentales,
chose qui doit s'entendre des parties intérieures de la Chine, rela-
tivement à la côte orientale, puisque le fragment est tiré d'un
.auteur chinois. Le Tao est déjà dans les livres de Confucius, au
ve siècle avant l'ère chrétienne, et même dans le Rituel, du
Xe siècle avant Jésus-Christ. La qualité de plante spontanée

1. Trans. hort. soc. Lond.,IV, p. 512,tab. 19.


2. Roxburgh, l. c.
3. Loureiro,FI. coch.,p. 386.
4. Kœmpfer,Amoen.,p. 798 Thnnberg,Fl. Jar., p. 199.
Kœmpferet Thunberg indiquent aussi le nom de Momv,mais M. de
'Siebold{FI.Jap., 1, p. 29) attribue un nom assez semblable,Mume,à un
Prunier, Prunus Mume,Sieb. et Z.
DE Casdolle. 12
178 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

n'est pas spécifiée dans V Encyclopédie dont je viens de parler; 'r


mais, à cet égard, les auteurs chinois sont peu attentifs.
la pêche
Après quelques détails sur les noms vulgaires de
dans diverses langues, je disais L'absence de noms sanscrits et
hébreux reste le fait le plus important, duquel on peut inférer
une introduction dans l'Asie occidentale venant de plus loin,
c'est-à-dire de Chine. »
« Le Pêcher a été trouvé spontané dans plusieurs points de
l'Asie; mais on peut toujours se demander s'il y était d'origine
primitive, ou par le fait de la dispersion des noyaux provenant
de pieds cultivés. La question est d'autant plus nécessaire que
ces noyaux germent facilement et que plusieurs des modifica-
tions du Pêcher sont héréditaires 1. Des pieds en apparence
spontanés ont été trouvés fréquemment autour du Caucase.
Pallas 2 en a vu sur les bords du Terek, où les habitants lui
donnent un nom qu'il dit persan, Scheptala 3. Les fruits en sont
velus, âpres (austeri), peu charnus, à peine plus gros que ceux
du Noyer; la plante petite. Pallas soupçonne que cet arbuste
provient de Pêchers cultivés. Il ajoute qu'on le trouve en Crimée,
au midi du Caucase et en Perse; mais Marshall Bieberstein,
C.-A. Meyer et Hohenacker n'indiquent pas de Pêcher sauvage
autour du Caucase. D'anciens voyageurs, Gmelin, Gûldenstsedt
et Georgi, cités par Ledebour, en ont parlé. C. Koch 4 est le seul
botaniste moderne qui dise avoir trouvé le Pêcher en abondance
dans les provinces caucasiennes. Ledebour ajoute cependant
avec prudence Est-il spontané? Les noyaux que Bruguière et
Olivier avaient apportés d'Ispahan, qui ont été semés à Paris et
ont donné une bonne pèche velue, ne venaient pas, comme le
disait Bosc 5, d'un Pêcher sauvage en Perse, mais d'un arbre
des jardins d'Ispahan °. Je ne connais pas de preuves d'un Pê-
cher trouvé sauvage en Perse, et, si des voyageurs en indiquent,
on peut toujours craindre qu'il ne s'agisse d'arbres semés. Le
docteur Royle 7 dit que le Pêcher croit sauvage dans plusieurs
endroits du midi de l'Himalaya, notamment près de Mussouri;
mais nous avons vu que dans ces régions la culture n'en est pas
ancienne, et ni Roxburgh ni le Flora nepalensis de Don n'indi-
quent de Pêcher sauvage. M. Bunge 8 nJa trouvé dans le nord
de la Chine que des pieds cultivés. Ce pays n'a guère été exploré,,
et les légendes chinoises semblent indiquer quelquefois des Pê-

1. Noisette,Jard. fi' p. 77 Trans. Soc.kart. Lond.,IV, p. S13.


2. Pallas, Fl. ross.,p. 13.
3. Shuft-aloo(prononcezSchouft-alou),est le mot persan de la pêche
lisse, d'après Royle(Ill. Him.,p. 204)..
4. Ledebour,FI. ross.1, p. 3.Voir,p. 181,l'opinionsubséquentede Koch.
5. Bosc,Dict. d'agj' IX, p. 481.
6. Thouin,Ann. Mes.,VIII,p. 433.
7. Royle,Ill. Him p. 204.
8. Bunge,Enum.plant, chin.,p. 23.
PÊCHER 179

chers spontanés. Ainsi, le 'Chou-y-ki, d'après l'auteur cité pré-


cédemment, porte « Quiconque mange des pêches de la mon-
tagne de Kouoliou obtient une vie éternelle. » Pour le Japon,
Thunberg 1 dit « Crescit ubique vulgaris, prœcipue juxta
Nagasaki. In omni horto colitur ob elegantiam ilorum. » II
semble, d'après ce passage, que l'espèce croît hors des jardins
et dans les jardins: mais peut-être il s'agit seulement, dans le
premier cas, de Pêchers cultivés en plein vent.
« Je n'ai rien dit encore de la distinction à établir entre les dif-
férentes variétés ou espèces de Pêchers. C'est que la plupart sont
cultivées dans tous les pays, du moins les catégories bien tran-
chées que l'on pourrait considérer comme des espèces botani-
ques. Ainsi la grande distinction des pêches velues et des pêches
lisses, sur laquelle on a proposé deux espèces [Persica vulgaris,
Mill, et P. lœvis, D C.) se trouve au Japon et en Europe, ainsi
que dans la plupart des pays intermédiaires 3. On accorde moins
d'importance aux distinctions fondées sur l'adhérence ou non-
adhérence de la peau superficielle, sur la couleur blanche,
jaune ou rouge de la chair, et sur la forme générale du fruit.
Les deux grandes catégories de pêches, velues et lisses, offrent
la plupart de ces modifications, et cela en Europe, dans l'Asie
occidentale et probablement en Chine. Il est certain que dans
ce dernier pays la forme varie plus qu'ailleurs, car on y voit,
comme en Europe, des pêches allongées, et de plus des pêches
dont je parlais tout à l'heure, qui sont entièrement dépri-
mées, où le sommet du noyau n'est pas même recouvert de
chair*. La couleur y varie aussi beaucoup B. En Europe, les
variétés les plus distinctes, en particulier les pêches lisses
et velues, à noyau adhérent ou non adhérent, existaient
déjà il y a trois siècles, car J. Bauhin les énumère avec beau-
coup de clarté 6, et avant lui Dalechamp, en 1587, indiquait
aussi les principales 7. A cette époque, les pêches lisses étaient
appelées Nucipersica, à cause de leur ressemblance de forme, de
grosseur et de couleur avec le fruit du Noyer. C'est dans le même
sens que les Italiens les appellent encore Pescanoce.
« J'ai cherché inutilement la preuve que cette pêche lisse
existât chez les anciens Romains. Pline 8, qui mélange dans sa
compilation des Pêchers, des Pruniers, le Laurus Persea et
d'autres arbres peut-être, ne dit rien qui puisse s'entendre d'un

1. Thunberg,FI. Jap., p. 199.


2. Thunberg,Fl. Jap., p. 199.
3. Lesrelationssur la Chine,que j'ai consultées,ne parlent pas de la
pêche lisse; mais, commeelle existeau Japon, il est infinimentprobable
qu'elleest aussi en Chine.
4. Noisette,l. c.; Tram. Soc./tort., IV, p. 512,tab. 19.
5. Lindley,Trans. hort..Soc, V, p. 122.
6. J. Bauhin,Hist., 1, p. 162et 163.
7. Dalechamp.Hist., 1, p. 295.
8. Pline, 1. XV,ch. 12 et 13,
180 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

fruit pareil. On a cru quelquefois le reconnaître dans les luberes


dont il parle 1. C'était un arbre apporté de Syrie du temps d'Au-
D'autres
guste. Il y avait des Tuberes blanches et des rouges.
étaient velues. Le
(Tuberes? ou Mala?) des environs de Vérone
reste du chapitre paraît concerner les Mala seulement. Des vers
élégants de Pétrone, cités par Dalechamp 2, prouvent clairement
étaient un fruit
que les Tuberes des Romains du temps de Néron le
glabre; mais ce pouvait être le Jujubier (Zizyplius), Diospyros,
ou quelque Cratsegus, aussi bien que le Pêcher à.fruit lisse. Cha-
son opinion à cet
que auteur, à l'époque de la Renaissance, a eu Peut-être
égard ou s'est mis à critiquer l'assertion des autres 3.
v avait-il des Tuberes de deux ou trois espèces, comme le dit
Pline, et l'une d'elles, qui se greffait sur les Pruniers 4, était-elle
la pêche lisse? Je doute qu'on puisse jamais éclaircir cette ques-
tion8.
« En admettant même que le Nucipersica eût été introduit en
cons-
Europe seulement au moyen âge, on ne peut se refuser à
tater le mélange dans les cultures européennes depuis plusieurs
siècles, et au Japon depuis un temps inconnu, de toutes les qua-
lités principales de pêches. Il semble que ces qualités diverses se
soient produites partout au moyen d'une espèce primitive, qui
aurait été la pêche velue. S'il y avait eu d'origine deux espèces,
ou elles auraient été dans des pays différents, et leur culture se
serait établie séparément, ou elles auraient été dans le même
pays, et dans ce cas il est probable que les anciens transports
auraient introduit ici une des espèces, ailleurs l'autre. »
J'insistais, en 185b, sur d'autres considérations pour appuyer
l'idée que la pêche lisse ou Brugnon (Nectarine des Anglais)
est issue du Pêcher ordinaire; mais Darwin a cité un si grand
nombre de cas dans lesquels une branche de Nectarine est
sortie tout à coup d'un Pêcher à fruit velu, qu'il est inutile d'en
a
parler davantage. J'ajouterai seulement que le Brugnon ne
toutes les apparences d'un arbre factice. Non seulement on
l'a pas trouvé sauvage, mais il ne se naturalise pas hors des
jardins, et chaque pied dure moins que les Pêchers ordinaires.
C'est une forme affaiblie.
a La facilité, disais-je, avec laquelle nos Pêchers se sont mul-
tipliés de semis en Amérique et ont donné, sans le secours de
la greffe, des fruits charnus, quelquefois très beaux, me fait
croire que l'espèce est dans un état naturel, peu altéré par une

1. Pline, Dediv. gen. malorum,1. 2, c. 14.


2. Daeihamp, Hih., 1, p. 358.
3. Dalechamp,l. c.; Malthioli,p. 122; Cœsalpinus,p. 107; J. Bauhin,
t. 1U3,etc.
4. Pline,1. 17, c. 10.. “
5. Je n'ai pas pu découvrirun nomitalien de fruit glabre ou autre qui
dérive de tuber ou tuberes. C'est une chose singulière,car, en général,
les anciensnomsde fruits se sont conservéssous quelqueforme.
PÊCHER 181

nr « • 1 T J TH_» Tr£«n.î nîn ni


culture ou des fécondations hybrides. En Virginie et
longue par
dans les Etats voisins, on a des pêches provenant d'arbres
est
semés, non greffés, et leur abondance est si grande qu'on les
Sur quelques pieds,
obligé d'en faire de l'eau-de-vie
fruits sont magnifiques 2. A Juan-Fernandez, dit Bertero s, le
Pêcher est si abondant, qu'on ne peut se faire une idée de la
ils sont en général très bons,
quantité de fruits qu'on en récolte; ils sont retombés.
malgré l'état sauvage dans lequel D'après
ces exemples, il ne serait pas surprenant que les Pêchers sau-
l'Asie occidentale, fus-
vages, à fruits médiocres, trouvés dans
sent tout simplement des pieds naturalisés sous un climat peu
culture
favorable, et que l'espèce fût originaire de Chine, où la
»
paraît la plus ancienne.
Le D? Bretschneider entouré à Peking de toutes les res-
sources de la littérature chinoise, après avoir lu ce qui précède,
s'est contenté de dire « Tao est le Pêcher. De Gandolle pense
Pêche. Il peut avoir raison
que la Chine est le pays natal de la
(He mayberight). »
L'ancienneté d'existence et la spontaneité de l'espèce dans
l'Asie occidentale sont devenues plus douteuses qu'en 1855. Les
botanistes anglo-indiens parlent du Pêcher comme d'un arbre
se naturalisant dans le nord-
uniquement cultivé 5, ou cultivé et 6. M. Boissier 7
ouest de l'Inde, avec une apparence spontanée
cite des échantillons recueillis dans le Ghilan et au midi du
à la qualité spontanée, et
Caucase, mais il n'affirme rien quant en parlant
Karl Koch après avoir parcouru cette région, dit Boissier a
du Pêcher Patrie inconnue, peut-être la Perse. » M.
vu des pieds qui se sont établis dans les gorges du mont
Hymette, près d'Athènes.
Le Pêcher se répand avec facilité dans les pays où on le cul-
tive de sorte qu'on a de la peine à savoir si tel individu est
ou s'il est naturalise; i
d'origine naturelle, antérieure à la culture,
mais c'est en Chine qu'on a certainement commencé à le planter;
c'est là qu'on en a parlé deux mille ans avant l'introduction
dans le monde gréco-romain, un millier d'années peut-être avant
l'introduction dans les pays de langue sanscrite.
Le groupe des Pêchers (genre ou sous-genre) se compose
9
maintenant de cinq formes, que Decaisne considérait comme
des espèces, mais que d'autres botanistes appelleront volontiers

1. Bradd'ck.Trans. hort. Soc.Lond., 2, p. 205.


2. Ibid., pl. 13.
3. Betero, dans Ann.se. nat., XXI,p. 350.
4. Bretschneider,On the stufrj and value of chinesebotanicalwoik,,
P>S.SirJ. Hooker,FI. ofbrit. India, 2, p. 313.
6. Brandis,Forestflora, etc., p. 191.
Floraorientalis,2, p. 640.
7. Boissier,
8. K. Koch,Dendrologie, 1, p. 83.
9. Decaisne,Jardin fruitier du Muséum.Pèchers,p. 42.
182 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

des variétés. L'une est le Pêcher ordinaire, la seconde est le


Pêcher à fruit lisse, que nous savons être issu du premier; la
troisième est le Pêcher à fruit déprimé(P.platyeaiya, Decaisne),
cultivé en Chine, et les deux dernières sont indigènes en Chine
(P. Simonii, Decaisne, et P. Davidii, Carrière) c'est donc un
groupe essentiellement de Chine.
Il est difficile, d'après cet ensemble de faits, de ne pas ad-
mettre pour le Pêcher ordinaire l'origine chinoise que j'avais
supposée jadis d'après des documents moins nombreux. L'ar-
rivée en Italie au commencement de l'ère chrétienne est con-
firmée aujourd'hui par l'absence de noyaux de pêches dans les
terramare, ou habitations lacustres de Parme et de Lombardie,
et par la présence du Pêcher dans les peintures des maisons
riches de Pompeia 1.
Ilme reste à parler d'une opinion émise autrefois par A. Knight
et soutenue par plusieurs horticulteurs, que le Pêcher serait une
modification de l'Amandier. Darwin a a réuni les documents
à l'appui de cette idée, sans oublier d'en citer un qui lui a paru
contraire. Cela se résume en 1° une fécondation croisée, qui
a donné à Knight des résultats assez douteux; 20 des formes
intermédiaires, quant à l'abondance de la chair et au noyau,
obtenues de semis de pêches ou, par hasard, dans les cultures,
formes dont la pêche-amande est un exemple connu depuis
longtemps. Decaisne 3 signalait des différences entre l'Aman-
dier et le Pêcher dans la taille et dans la longueur des feuilles,
indépendamment des noyaux. Il traite l'idée de Knight de « sin-
gulière hypothèse ».
La géographie botanique est contre cette hypothèse car
l'Amandier est un arbre originaire de l'Asie occidentale, qui
n'existait pas autrefois dans le centre du continent asiatique et
dont l'introduction en Chine, comme arbre cultivé, ne remonte
pas au delà de l'ère chrétienne. Les Chinois, de leur côté, possé-
daient, depuis des milliers d'années, différentes formes du Pêcher
ordinaire et en outre les deux formes spontanées dont j'ai
parlé. L'Amandier et le Pêcher étant partis de deux régions très
éloignées l'une de l'autre, on ne peut guère les considérer comme
une même espèce. L'un était cantonné en Chine, l'autre en Syrie
et Anatolie. Le Pêcher, après avoir été transporté de Chine dans
l'Asie centrale et, un peu avant l'ère chrétienne, dans l'Asie
occidentale, ne peut pas avoir produit alors l'Amandier, puisque
ce dernier arbre existait déjà dans le pays des Hébreux. Et, si
l'Amandier de l'Asie occidentale avait produit le pêcher, com-
ment celui-ci se serait-il trouvé en Chine à une époque très
reculée, tandis qu'il manquait au monde gréco-romain?

1. Comes,Illustr. piantenei dipintiPompeïani,p. 14.


2. Darwin,Onvariations,etc., 1, p. 33S.
3. Decaisne,l. c.^p.2.
183
POIRIER COMMUN

Poirier commun. -Pyrus communis Linné. toute


dans l'Europe
Le Poirier se montre à l'état sauvage en
occidentale, en particulier Anatolie,
tempérée et dans l'Asie
au midi du Caucase et dans la Perse septentrionale t, peut-être
douteux
Se dans le Cachemir, mais ceci est très Quelques
Chine. Cela
auteurs admettent que l'habitation s'étend jusqu'en
St ace qu'ils considèrent le Pyrus sinensis,seule Lindley, comme
à la même Or l'inspection des feuilles,
appartenant espèce.
m'a convaincu
où les dentelures sont terminées par une soie fine,
de la diversité spécifique des deux arbres de certaines
Notre Poirier sauvage ne diffère pas beaucoup
forme amincie
variétés cultivées. Il a un fruit acerbe, tacheté, de Pour
dans le bas ou presque sphérique, sur le même pied
on a de la peine à distinguer
beaucoup d'autres espèces cultivées, le hasard
les individus venant d'une origine sauvage de ceux que Dans
des transports de graines a fait naître loin des habitations. se trouvent
le cas actuel, ce n'est pas aussi difficile. Les Poiriers avec
souvent dans les forêts, et ils atteignent une taille élevée, 5.
toutes les conditions de fertilité d'une plante indigène Voyons
étendue qu'ils occupent, on peut soup-
cependantsi, dans la vaste ancienne ou moins bien établie dans
çonnerune existence moins d'autres.
certaines contrées que dans
ne connaît aucun nom sanscrit pour la poire, d'où .n il est
On
d'affirmer que la culture dansle nord-ouest de l'Inde date
permis d ailleurs trop
S'une époque peu ancienne, et que l'indication,
le Cachemir, n'a pas d'impor-
vague, de pieds spontanés dans ou araméens 6,
tance. Il n'y a pas non plus de noms hébreuxs'accom modepas
mais cela s'explique par le fait que le Poirier ne
des pays chauds dans lesquels ces langues étaient parlées. le Poirier
Homère, Théophraste et Discoride mentionnent Latins 1 appelaient
sous les noms d'Ocknai, Apios ou Achras. Les nombre de
Pirus ou Pyrus 7, et ils en cultivaient un grand

1. Ledebour,Fl. ross.,2, p. 94; et surtout Boissier,Fl. orient.,2, p. 633,


qui a vérifiéplusieurs échantillons.
2. Sir J. Hooker, brit. India,2, p. 374.
FI
3. LeP. sinensisdécritpar Lindleyest mal figuré quant aux denteluresdes
feuillesdans la planche du BotaJcalregister, etdeauDécaisse.
contraireparfaitement
C'est la même
bien dans celle du Jardin fruitier du Muséumde l'Asieorientale.
.espèceque le P. usmrieusis, Maximcrwicz,
4. II est figuré très bien dans le nouveau Duhamel,b, pl. 59, et dans
9 Rg B et C. LeP. Balaras~,
Decaisne,Jardin fi·zGitierdu Diuséurn,pl. selon l'observationde M. Bois-
p~. 6, du même ouvrage,parait semblable,
sier. les
5. C'est le cas,par exemple,dans les forêts de la Lorraine,d'après
cultivés,br. ill-
observationsde Godron,De ~M~-o&aMe~PoM6~
S. 1.S13, p. 6.
Bibl.Altertk.; Low, AramaeischePflanzennamen,1881.
^'e^Rosfnmûller,
7. L'orthographePyrus. adoptée par Linné, se trouve dans Pline, His-
toria, ed 1631, p. 301. Quelquesunebotanistes ont voulu raffineren écrivant
Pirus, et il en résulte que, pour recherchedans un livre moderne,il
les
faut consulter l'index dans deux endroits, ou risquer de croire que
484 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

variétés, du moins à l'époque de Pline. Les peintures murales de-


Pompeia montrent souvent cet arbre avec son fruit
Les lacustres de Suisse et d'Italie récoltaient les pommes
sauvages en grande quantité et dans ces provisions il s'est
trouvé quelquefois, mais rarement, des poires. M. Heer en a
figuré une des stations de Wangenet Robenhausen, sur laquelle
on ne peut se méprendre. C'est un fruit aminci dans le bas, ayant
28 millimètres de long et 1 de large, coupé longitudinalement
de manière à montrer une chair fort peu épaisse autour de la
partie cartilagineuse centrale 2. On n'en a pas trouvé dans les
stations du lac du Bourget, en Savoie. Dans celles de Lombardie,
le professeur Ragazzoni 3 a trouvé une poire, coupée en long,
ayant 25 millimètres sur 16. Elle était à Bardello, dans le lac de
Yarèse. Les poires sauvages figurées dans le Nouveau Duhamel
ont 30-33 millimètres, sur 30-32, et celles du Laristan, figurées
dans le Jardin fruitier du Muséum sous le nom de P. Balansse,
qui me paraissent de la même espèce et d'origine bien spontanée,
ont 26-27 millimètres sur 24-25. Dans ces poires sauvages ac-
tuelles la chair est un peu plus épaisse, mais les anciens lacus-
tres avaient fait sécher leurs fruits après les avoir coupés en long,
ce qui doit en avoir diminué l'épaisseur. Les stations indiquées
n'accusent la connaissance ni des métaux ni du chanvre; mais,
vu leur éloignement de localités plus civilisées des temps anciens,
surtout lorsqu'il s'agit de la Suisse, il est possible que les restes
découverts ne soient pas antérieurs à la guerre de Troie ou à la
fondation de Rome.
J'ai cité trois noms del'ancienne Grèce et un nomlatin, mais ily
en a beaucoup d'autres par exemple, en arménien et géorgien,
Pauta; en hongrois, Vatzkor; dans les langues slaves, Gruscha
(russe), Hrusska (bohême), KrusJca (illyrien). Des noms analogues
au Pyrus des Latins se trouvent dans les langues celtiques Peir
(irlandais), Per (cymrique et armoricain) 4. Je laisse les linguistes-
faire des conjectures sur l'origine plus ou moins aryenne de plu-
sieurs de ces noms et du Birn des Allemands, mais je note leur'
diversité et multiplicité comme un indice d'existence fort ancienne-
de l'espèce depuis la mer Caspienne jusqu'à l'Atlantique. Les
Aryas n'ont sûrement pas emporté dans leurs migrations vers
l'ouest des poires ou des pépins de poires; mais, s'ils ont retrouvé
en Europe un fruit qu'ils connaissaient, ils lui auront donné le
nom ou les noms usités chez eux, tandis que d'autres noms an-

Poiriersne sont pas dans l'ouvrage. En tout cas le nom des anciens est
un nom vulgaire,maisle nomvraimentbotaniqueest celui de Linné,fon-
dateur de la nomenclatureadoptée,et Linné a écrit Pyrus.
1. Comès,Ill. pianiedipinliPompeiani,p. 59.
2. Heer, Pfahlbauten,p. 24, 26,fig. 7.
3. Sordelli,Notiziestaz. lacustreai Lagozza,p. 37.
4. Nemnich,Polyglott.LexiconNaturgescli Ad.Pictet,Originesindo-euro-
p tenues,1, p. 277; et mon Dictionnairemanuscritdenomsvulgaires.
POIRIER SAUGER 185

térieurs ont pu continuer dans quelques pays. Comme exemple


de ce dernier cas, je citerai deux noms basques du Poirier,
Udarea et Madaria 1, qui n'ont aucune analogie avec les noms
asiatiques ou européens déjà connus. Les Basques étant proba-
blement des Ibères subjugués et refoulés vers les Pyrénées par
les Celtes, l'ancienneté de leur langue est très grande, et, pour
l'espèce en question, il est clair qu'ils n'ont pas reçu les noms
des Celtes ou des Romains.
En définitive, on peut regarder l'habitation actuelle du Poirier
de la Perse septentrionale à la côte occidentale de l'Europe tem-
pérée, principalement dans les régions montueuses, comme
préhistorique et même antérieure à toute culture. Il faut ajouter
néanmoins que dans le nord de l'Europe et dans les îles britan-
niques la fréquence des cultures a dû étendre et multiplier des
naturalisations d'une époque relativement moderne, qu'on ne
peut guère distinguer maintenant.
Je ne saurais me ranger à l'hypothèse de Godron que les
nombreuses variétés cultivées proviennent d'une espèce asiatique
inconnue 2. Il semble qu'elles peuvent se rattacher, comme le dit
Decaisne, au P. communis ou au P. nivalis, dont je vais parler,
en admettant les effets de croisements accidentels, de la culture
et d'une longue sélection. D'ailleurs on a exploré l'Asie occi-
dentale assez complètement pour croire qu'elle ne renferme pas
d'autres espèces que celles déjà décrites.

Poirier Sauger. Pyrus nivalis, Jacquin.


On cultive en Autriche, dans le nord de l'Italie et dans
plusieurs départements de l'est et du centre de la France, un
Poirier qui a été nommé par Jacquin Pyrus nivalis 3, à cause
du nom allemand Schneebirn, motivé par l'usage des paysans
autrichiens d'en consommer les fruits quand la neige couvre les
montagnes. On le nomme en France Poirier Sauger, parce que
les feuilles ont en dessous un duvet blanc qui les fait ressembler
à la Sauge. Decaisne 4 regardait toutes les variétés de Saugers
comme dérivant du Pyrus Kotschyana, Boissier 8, qui croît
spontanément dans l'Asie Mineure. Celui-ci prendrait alors le
r;om de nivalis, qui est le plus ancien.
Les Saugers cultivés en France pour faire du poiré sont de-
venus sauvages, çà et là, dans les forêts 6. Ils constituent la

1. D'aprèsune liste de noms de plantes communiquéepar M. d'Abadid


à M. le professeurClos,de Toulouse.
1 2. Godron,l. c., p. 28.
3. Jacquin, Flora austriaca, 2, p. 4, pi. 107.
4. Decaisne.Jardin fruitier du Muséum,Poiriers,pl. 21.
5. Decaisne,ibid., pi. 18, et introduction,p. 30. Plusieurs variétés de
Saupcers,dont quelques-unesont de gros fruits, sont figurées dauS le
même cuvrage.
6. Boreau, Floredu centrede la France, éd. 3, v. 2, p. 23o.
186 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

masse des Poiriers dits à cidre, qui se distinguent par la saveur


acerbe du fruit, indépendamment des caractères de la feuille.
Les descriptions des Grecs et des Romains sont trop impar-
faites pour qu'on puisse constater s'ils possédaient cette espèce.
On peut le présumer cependant, puisqu'ils faisaient du cidre 1.

Poirier de Chine. Pyrus sinensis Lindley a.


J'ai déjà mentionné cette espèce, voisine du Poirier commun,
3
qui est sauvage en Mongolie et Manchourie et qu'on cultive
soit en Chine soit en Japon.
Son fruit, plus beau que bon, est employé pour compotes. Il
est trop nouveau dans les jardins européens pour qu'on ait cher-
ché à le croiser avec nos espèces, ce qui arrivera peut-être sans
qu'on le veuille.

Pommier. Pyrus Malus, Linné.


Le Pommier se présente à l'état sauvage dans toute l'Europe
(à l'exception de l'extrême nord), dans l'Anatolie, le midi du
Caucase et la province persane de Ghilan Près de Trébizonde,
le botaniste Bourgeau en a vu toute une petite forêt 5. Dans les
montagnes du nord-ouest de l'Inde, il paraît sauvage (appa-
rently wild), selon l'expression de sir J. Hooker, dans sa flore
de l'Inde anglaise. Aucun auteur ne le mentionne en Sibérie, en
Mongolie ou au Japon &.
En Allemagne, on trouve deux formes spontanées, l'une à
feuilles et ovaires glabres, l'autre à feuilles laineuses en dessous,
et Koch ajoute que cette pubescence varie beaucoup7. En France,
des auteurs très exacts signalent aussi deux variétés spontanées,
mais avec des caractères qui ne concordent pas complètement
avec ceux de la flore d'Allemagne 8. Cette diversité s'expliquerait
si les arbres spontanés dans certaines provinces proviennent de
variétés cultivées, dont les pépins auraient été dispersés. La
question qui se présente est donc de savoir jusqu'à quel degré
1. Palladius,De re rustica, 1. 3, c. 25. On employaitpour cela « Pira
sylveslria.velasperigeneris.»
2. Le Coignassierde Chineavait été appelé par Thouin Pyrus sinensis.
MalheureusementLindleya donnéle mêmenom à un véritablePyrus.
3. Decaisne(Jardin fruitier du Musezim, PoiriiTS,pl. 5) a vu des échan-
tillons deces deux pays. MM.Franchetet Savatierl'indiquent,au Japon,
seulementcommecultivé.
4. Nyman, Conspectus florm europess,p. 240; Ledebour,Flora rossica,
2, p. 96; Boissier,F lora orient.,2, p. 656; Decaisne,NouvellesArch. Mus.
10,p, 153.
5. Bousier,l. c.
6. Maximowicz, Primitif ussur.;Regel,Opitflori,etc., sur les plantesde
l'Ussuri, Maak;Schmidt,ReisenAmur; Franchet et Savatier,Enum.
de
Jap., n'en parlentpas. Bretschneiderciteun nomchinoisqu'il dit s'appli-
quer à d'autres espèces.
7. Koch,Synopsisfl. germ., 1, p. 261.
8. Boreau,Floredu centrede la Fiance, éd. 3, vol. 2, p. 23G.
POMMIER 187
en divers pays,
l'espèce est probablement ancienne et originelle
et s'il n'y a pas une patrie plus ancienne que les autres, étendue
de formes altérées par
graduellement par des semis accidentels
des croisements et par la culture.
Si l'on demande dans quel pays on a trouvé le Pommier avec
Trébizonde au
l'apparence la plus indigène, c'est la région de
Ghilan qu'il faut citer. La forme qu'on y rencontre sauvage est
à feuilles laineuses en dessous, à pédoncule court et fruit doux 1,
Boreau.
qui répond au Malus cammunis de France, décrit parde la mer
Voilà un indice que la patrie préhistorique s'étendait
Caspienne jusque près de l'Europe. sanscrit pour le
Piddington citait, dans son Index, un nom
Pommier, mais Adolphe Pictet nous apprend que ce nom,
Seba, est industani et provient du persan Sêb, Sêf. L'absence
de nom plus ancien dans l'Inde fait présumer que la culture,
actuellement fréquente, dans le Cachemir et le Thibet, et sur-
tout celle dans les provinces du nord-ouest ou du centre de l'Inde
sont plus anciennes. Le Pommier n'était probablement connu
que des Aryas occidentaux.
Ceux-ci ont eu, selon toute probabilité, un nom basé sur Ab,
Af Av, Ob, car on remarque ce radical dans plusieurs langues
en irlandais
européennes d'origine aryenne. Ad. Pietet cite.:
Aball, Ubkal;en cymrique, Afal; en armoricain, Aval; en ancien
allemand, Apkal/ea anglo-saxon, Appel; en scandinave, Aph;
enlithuanien, Obolys; en ancien slave, labluko; en russe, Iabloko.
Il semble, d'après cela, que les Aryas occidentaux, ayant trouvÉ
le Pommier sauvage ou déjà naturalisé dans le nord de l'Europe,
auraient conservé le nom sous lequel ils le connaissaient. Les
Grecs ont dit Mailea ou Jlaila, les Latins Malus, Malum, mots
d'une origine fort incertaine, dit Ad. Pictet. Les Albanais, qui
remontent aux Pélasges, disent Mole3. Théophraste mentionne
des Maila sauvages et cultivés. Je citerai enfin un nom tout par-
ticulier des Basques (anciens Ibères?), Sagara, qui fait supposer
une existence en Europe antérieure aux invasions aryennes.
Les habitants des c terramare » de Parme et des palafittes
des lacs de Lombardie, de Savoie et de Suisse faisaient grand
en long et les con-
usage des pommes Ils les coupaient toujours l'hiver.
servaient desséchées, comme provisions pour Les échan-
tillons sont souvent carbonisés, à la suite d'incendies, mais on
reconnaît d'autant mieux alors la structure interne du fruit.
M. Heer 5, qui a montré une grande sagacité dans l'observation
de ces détails, distingue dans les pommes des lacustres suisses,
d'une époque où ils n'avaient pas de métaux, deux variétés

i. Boissier,l. c.
1, p. 276.
2. Ad. Pictet, Originesindo-européennes,
3. De HeUlreicli, NtdzpflanzenGriechenlands, p. 64
1 .
4. TV itiraste,Decausis, 6, cap. 24.
5. Heer,Pfahlbauten,p. 24. f. 1-7.
188 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

quant à la grosseur. Les plus petites ont un diamètre longitu-


dinal de 15 à 24 millimètres et environ 3 millimètres de plus
en travers (à l'état séché et carbonisé) les plus grosses, 29 à
32 millimètres sur 36 de large (à l'état séché, non carbonisé). Ces.
dernières répondent à une pomme des vergers de la Suisse alle-
mande appelée aujourd'hui Campaner. Les pommes sauvages en
Angleterre, figurées dans l'English botany, pl. 179, ont 17 milli-
mètres de hauteur sur 22 millimètres de largeur. Il est possible
que les petites pommes des lacustres fussent sauvages; cependant
leur abondance dans les provisions peut en faire douter. M. le
Dr Gross m'a communiqué deux pommes des palafittes moins
anciens du lac de Neuchâtel, qui ont (à l'état carbonisé) l'une
17, l'autre 22 millimètres de diamètre longitudinal. À Lagozza,
en Lombardie, M. Sordelli 1 indique pour une pomme 17 milli-
mètres de long surl9 de large, etpour une autre 19 sur 27. Dans
un dépôt préhistorique du lac de Varèse, à Bardello, M. Ragazzoni
a trouvé une pomme un peu plus grosse que les autres parmi
celles d'une provision.
D'après l'ensemble de ces faits, je regarde l'existence du Pom-
mier en Europe, à l'état sauvage et à l'état cultivé, comme pré-
les
historique. Le défaut de communications avec l'Asie avant
invasions aryennes fait supposer que l'arbre était aussi indigène
en Europe que dans l'Anatolie, le midi du Caucase et la Perse
ancien-
septentrionale, et que la culture a commencé partout
nement.

Cognassier. Cydonia vulgaris, Persoon.


Il est spontané, dans les bois, au nord de la Perse, près de la
,mer Caspienne, dans la région au midi du Caucase et en Anato-
lie 2.Quelques botanistes l'ont recueilli aussi en Crimée et dans
le nord de la Grèce, avec des apparences de spontanéité 3, mais
on peut déjà soupçonner d'anciennes naturalisations dans ces
avance vers l'Italie,
parties orientales de l'Europe, et plus on
surtout vers le sud-ouest de l'Europe et l'Algérie, plus il est
autour
probable que l'espèce y est naturalisée, d'ancienne date,
des villages, dans les haies, etc.
On ne connaît pas de nom sanscrit pour le Cognassier, d'où
l'on peut inférer que l'habitation ne s'étendait pas vers le centre
de l'Asie. Il n'y a pas non plus de nom hébreu, quoique l'espèce
soit sauvage sur le mont Taurus 4. Le nom persan est Hainah B,
mais je ne sais s'il remonte au zend. Le même nom existe en
russe, Aiva, pour le Cognassier cultivé, tandis que le nom de la

i Sordelli,Suitepiante dellastazione della Lagozza,p. 35.


2. Boissier,Fl. orient., 2, p. 656; Ledebour,F2. ross., 2, p. 55.
3. Steven, Verzeichniss Taurien,p. 150; SiWhorp,Ptwb. fl. grscX,lP
p.4.Boissier,
344. l. c.
5. NemnichPolygl. Lexicon.
GRENADIER 189
l'arménien Armuda
plante sauvage est Armud, qui vient de
Les Grecs avaient greffé sur une variété commune, Strution, une
dans File de Crète, d'où est
qualité supérieure venant de Cydon,
venu le nom de xuSwvtov (kudônion), traduit par Malum cotoneum
des Latins, par Cydonia et tous les noms européens tels que
Codogno en italien, Coudougner et plus tard Coing en français,
Quitte en allemand, etc. Il y a des noms polonais, Pigwa,
slave, Tunja 3, et albanais (pélasge?) Ftua 3, qui diffèrent tota-
lement des autres. Cette variété de noms fait présumer une
connaissance ancienne de l'espèce à l'ouest de sa patrie origi-
nelle, et le nom albanais peut même indiquer une existence
antérieure aux Hellènes.
Pour la Grèce, l'ancienneté résulte aussi des superstitions,
mentionnées par Pline et Plutarque, que le fruit du Cognassier
les
éloignait les mauvaises influences, et de ce qu'il entrait dans été
rites du mariage prescrits par Solon. Quelques auteurs ont
et
jusqu'à soutenir que la pomme disputée par Junon, Vénus
Minerve était un coing. Les personnes que ces questions peuvent
intéresser trouveront des indications détaillées dans le mémoire
de M. Comès sur les végétaux figurés dans les peintures de Pom-
peia 4. Le Cognassier y est représenté deux fois. Ce n'est pas
surprenant puisque cet arbre était déjà connu du temps de
Caton s.
La probabilité me paraît être une naturalisation dans 1 Europe
orientale avant l'époque de la guerre de Troie.
Le coing est un fruit que la culture a peu modifié. Il est aussi
acerbe et acide à l'état frais que du temps des anciens Grecs.

Grenadier. Punica Granatum, Linné.


Le Grenadier est sauvage dans les endroits rocailleux de la
Perse, du Kurdistan, de l'Afghanistan et du Béloutchistan 6.
Burnes en a vu des bois entiers dans le Mazanderan, au midi de
la mer Caspienne 7. Il paraît également spontané au midi du
Caucase 8. Vers l'ouest, c'est-à-dire dans l'Asie Mineure, la
Grèce, en général dans la région de la mer Méditerranée, dans
l'Afrique septentrionale et à Madère, l'apparence est plutôt que
l'espèce se serait naturalisée à la suite des cultures et de la dis-
flores du midi
persion des pépins par les oiseaux. Beaucoup de
de l'Europe en parlent comme d'une espèce « subspontanée »

1. Nemnich,Polygl.Lexicon.
2. Nemnich,l. c.
P.De Heldreich,NidzpftansenGrieehenlands,p. 64.
4. In-4°,Napoli,1879.
5. Cato,Dere rustica,7, c.2.
6. Boissier,FI. orient.,2, p. 737; sir JosephHooker,Fl. of british India,
2, p. 581.
7. Citéd aprèsRoyle,Ill. Hinzal.,p. 208.
8. Ledebour,Fl. rossica,2, p. 104.
190 PLA.NTESCULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

ou « naturalisée ». Desfontaines, dans sa Flore atlantique, l'in-


diquait comme spontanée en Algérie, mais les auteurs subsé-
quents la disent plutôt naturalisée 1. Je doute de la qualité l'a
spontanée dans le Béloutchistan, où le voyageur Stocks
récoltée 2. car les botanistes anglo-indiens n'admettent pas
comme certain l'indigénat à l'est de l'Indus, et je remarque
l'absence de l'espèce dans les collections du Liban et de la Syrie
que M. Boissier cite toujours avec soin.
En Chine, le Grenadier n'est qu'à l'état cultivé. Il y a été
introduit, de Samarkande, par Ghang-Kien, un siècle et demi
avant l'ère chrétienne 3.
La naturalisation dans la région de la mer Méditerranée est si
commune qu'on peut l'appeler une extension de l'ancienne
habitation. Probablement elle date d'un terme reculé, car la
culture de l'espèce remonte à une époque très ancienne dans
l'Asie occidentale.
Voyons si les documents historiques et linguistiques peuvent
apprendre quelque chose à cet égard.
Je note d'abord l'existence d'un nom sanscrit, Darimba, d'où
viennent plusieurs noms de l'Inde moderne 4. On peut en conclure
que l'espèce était connue depuis longtemps dans les pays qui ont
été traversés par les Aryas, lors de leur marche vers l'Inde.
Le Grenadier est mentionné plusieurs fois dans l'Ancien Testa-
ment sous le nom de Rimmon 5, qui est l'origine du nom arabe
Rummân ou Rumân. C'était un des arbres fruitiers de la Terre
promise, et les Hébreux l'avaient apprécié dans les jardins
d'Egypte. Beaucoup de localités de la Palestine avaient reçu
leur nom de cet arbuste, mais les textes n'en parlent que comme
d'une espèce cultivée. Les Phéniciens faisaient figurer la fleur et
le fruit du Grenadier dans leurs cérémonies religieuses, et la
déesse Aphrodite l'avait planté elle-même dans l'île de ChypreB,
ce qui fait supposer qu'il ne s'y trouvait pas alors. Les Grecs
avaient connaissance de l'espèce déjà à l'époque d'Homère. Il
en est question deux fois dans l'Odyssée, comme d'un arbre des
ou
jardins des rois de Phseacie et Phrygie. Ils l'appelaient Roia
Roa, que les érudits disent venir du nom syriaque et hébreu
et aussi Sidai 8, qui paraît venir des Pelasges, car le nom albanais
actuel est Sège 9. Rien ne peut faire supposer que l'espèce fut

1. Munby, FI. d'Alger, p. 49; Bail, Spitilegium florx maroccanz, p. 4DS.


2. Boissier, l. c.
3. Bretschneider, On study, etc., p. 16.
4. Piddington, Index.
5. Rosemnûller, BMische Naturgesehichle, i, p. 273; Hamilton, La bota-
nique de la Bible, Nice, 1871, p. 48.
6. Hehn, Cultur und Hausthiere aus Asien, éd. 3, p. 106.
7. Hehn. ibid.
8. Lenz, Botanik d. alten Griechen und Rœmei; p. 6SI.
9. De Heldreich, Die Nutzpflanzen Grieckenlands, p. 64.
POMME ROSE 191

et Heldreich affirment
spontanée en Grèce, où maintenant Fraas
1.
qu'elle est uniquement naturalisée
Le Grenadier entrait aussi dans les légendes et les cérémonies
du culte des plus anciens Romains 2. Caton parle de ses pro-
les meilleures grenades étaient
priétés vermifuges. Selon Pline 3,
de Carthage. Le nom de Malumpunicum en avait été tiré; mais on
n'aurait pas dû croire, comme cela est arrivé, que l'espèce fût
les
originaire de l'Afrique septentrionale. Très probablement
Phéniciens l'avaient introduite à Carthage, longtemps avant les
et sans doute elle y était
rapports des Romains avec cette ville,
cultivée, comme en Egypte.
Si le Grenadier avait été jadis spontané dans 1 Afrique septen-
trionale et le midi de l'Europe il aurait eu chez les Latins des
noms plus originaux que Granatum (venant de granum?) et
noms lo-
Malumpunicum. On aurait peut-être à citer quelques tandis que le
caux, dérivés d'anciennes langues occidentales,
nom sémite Rimmon a prévalu soit en grec, soit en arabe, et se
trouve même, par l'influence arabe, chez les Berbères Il faut
admettre que l'origine africaine est une des erreurs causées par
les mauvaises désignations populaires des Romains.
On a trouvé dans le terrain pliocène des environs de Meximieux
des feuilles et fleurs d'un Grenadier que M. de Saporta 3 décrit
comme une variété du Punica Granatum actuel. Sous cette
à notre
forme, l'espèce a donc existé, antérieurementles autres époque,
existant
avec plusieurs espèces les unes éteintes,
encore aujourd'hui dans le midi de l'Europe et d'autres enfin
restées aux îles Canaries, mais la continuité d'existence jusqu'à
nos jours n'en est pas pour cela démontrée.
En résumé, les arguments botaniques, historiques et linguis-
actuelle comme
tiques s'accordent à faire considérer l'espèce La culture
originaire de la Perse et de quelques pays adjacents.
en a commencé dans un temps préhistorique, et son extension
a
dans l'antiquité, vers l'occident d'abord et ensuite en Chine,
causé des naturalisations qui peuvent tromper sur la véritable
et durables.
origine, car elles sont fréquentes, anciennes ce
J'était arrivé à ces conclusions en 18558, qui n'a pas em-
l'erreur de 1 origine
péché de reproduire dans quelques ouvrages
africaine.
Jambosa vul-
Pomme rose. Eugenia Jambos, Linné.
garis, de Candolle
Petit arbre,, de la famille des Myrtacées. Il est cultivé au-

1. Fraas, Fl. class.,p. 79; Heldreich,l. C


2. Helm, l. c.
3. Pline, 1. 1.3,c. 1.9.
4. Dictionnairefrançais-berbère,publié par le gouvernementfrançais.
5. De Saporta,Bull.soc.géol.de France du avril 1869,p. 767,769.
5
6. Géogr.bot. raisonnée,p. 891.
192 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

jourd'hui dans les régions tropicales de l'ancien et du nouveau


monde pour l'élégance de son feuillage, autant peut-être que
pour son fruit, dont la chair, qui sent la rose, est par trop
mince. On peut en voir une figure excellente et une bonne des-
cription dans le Botanleal magazine, pl. 3356. La graine renferme
une matière vénéneuse
Comme la culture de cette espèce était ancienne en Asie, on ne
pouvait pas douter qu'elle ne fût asiatique, mais on ne savait
pas bien où elle existe à l'état sauvage. L'assertion de Loureiro,
qui la disait habiter en Cochinchine et dans plusieurs localités de
l'Inde, méritait confirmation. Quelques documents modernes
viennent à l'appui 2. Le Jambos est spontané à Sumatra et
ailleurs dans les îles hollandaises de l'archipel Indien. Kurz ne
l'a pas rencontré dans les forêts de la Birmanie anglaise, mais
lorsque Rheede vit cet arbre dans les jardins du Malabar il
remarqua qu'on l'appelait Malacca-Schambu, ce qui montre
bien une origine de la péninsule malaise. Enfin Brandis le dit
spontané dans le Sikkim, au nord du Bengale. L'habitation
naturelle s'étend probablement des îles de l'archipel Indien à la
Cochinchine, et même au nord-est de l'Inde, où cependant il
s'est peut-être naturalisé à la suite des cultures et par l'action
des oiseaux. La naturalisation s'est en effet opérée ailleurs, par
exemple à Hong-Kong, dans les îles Seychelles, Maurice et
Rodriguez, ainsi que dans plusieurs des îles Antilles 3.

Jamalac ou Jambosier de Malacca. Eugenia malaccensis,


Linné. Jambosa malaccensis, de Candolle.
Espèce voisine de l'Eugenia Jambos, mais différente par la
disposition de ses fleurs et par son fruit obovoïde, au lieu d'être
ovoïde, c'est-à-dire ayant la partie la plus étroite près de son
point d'attache, comme serait un œuf sur son petit bout. Le
fruit est plus charnu et sent aussi la rose, mais on l'estime beau-
coup 4, ou assez peu 5, suivant les pays et les variétés. Celles-ci
sont nombreuses. Elles diffèrent par la couleur rosée ou rouge
des fleurs et la grosseur, la forme et la couleur des fruits.
Cette multiplicité de variétés montre une ancienne culture
dans l'archipel Indien, d'où l'espèce est originaire. Comme
confirmation, il faut noter que Forster la trouva établie dans
les îles de la mer Pacifique, de Taïti aux Sandwich, lors du
voyage de Cook 6.

1. Descourtilz,Floremédicaledes Antilles.5, pl. 315.


2. Miquel,Sumatra, p. 118; Flora Indue bataoœ,1, p. 425; Blume,Mu-
seumLugd.-Bat.,1, p. 93.
3. Hooker,Floraof brit India, 2, p. 474;Baker,Flora ofMauritius,etc.,
p. 115; Grisebach,Fl. ofbrit. W. Indian islands,p. 235.
4. Rumphius,Amboin.,1, p. 121,t. 37.
5. Tussac,Floredes Antilles,3, p. 89,pl. 25.
6. Forster, Plants esculentœ,p. 36.
GOYAVIER 193
Le Jambosier de Malacca est spontané dans les forêts de l'ar-
chipel asiatique et de la presqu'île de Malacca l
D'après Tussac, il a été apporté de Taïti à la Jamaïque en 1793.
Maintenant il s'est répandu et naturalisé dans plusieurs des îles
Antilles, de même qu'aux îles Maurice et Seychelles 8.

Goyavier. Psidium Guayava, Raddi.


Les anciens auteurs, Linné et après lui quelques botanistes
ont admis deux espèces dans cet arbre fruitier de la famille des
Myrtacées, l'une ayant les fruits ellipsoïdes ou sphériques à
chair rouge, Psidium. pomiferum; l'autre à fruit pyriforme et
chair blanche ou rosée, plus agréable au goût. De semblables
diversités sont analogues à ce que nous voyons dans les poires,
les pommes et les pêches; aussi a-t-on soupçonné de bonne
heure qu'il valait mieux considérer tous ces Psidium comme une
seule espèce. Raddi a pour ainsi dire constaté l'unité lorsqu'il a
vu, au Brésil, des fruits pyriformes et d'autres presque ronds
sur le même arbre 3. Aujourd'hui, la majorité des botanistes,
surtout de ceux qui ont observé les Goyaviers dans les colonies,
suit l'opinion de Raddi 4, vers laquelle j'inclinais déjà, en 18S5,
par des raisons tirées de la distribution géographique B.
Low 8, qui a conservé dubitativement, dans sa flore de Ma-
dère, la distinction en deux espèces, assure que chacune se
conserve par les graines. Ce sont, par conséquent, des races,
comme dans nos animaux domestiques et dans beaucoup de
plantes cultivées. Chacune de ces races comprend des variétés 7.
Les Goyaviers, lorsqu'on veut étudier leur origine, présentent
au plus haut degré une difficulté qui existe dans beaucoup
d'arbres fruitiers de cette nature leurs fruits charnus, plus ou
moins aromatiques, attirent les animaux omnivores, qui rejet-
tent leurs graines dans les endroits les plus sauvages. Celles des
Goyaviers germent rapidement et fructifient dès la troisième
ou quatrième année. La patrie s'est donc étendue et s'étend
encore par des naturalisations, principalement dans les contrées
tropicales qui ne sont pas très chaudes et humides.
1. Blume, Muséum Lugd.-Bat., 1, p. 91; Miquel, Fl. Indis batavx, 1,
p. 411 Hooker, Fl. brit. India, 2, p. 472.
2. Grisebach, Fl. of brit. W. India, p. 235 Baker, Fl. of Maurilius,
p. 115.
3. Raddi, Di alcune specie di Pero indiano, in-4, Bolopna, 1821 p. 1.
4. Martius, Syst. mat. medics bras., p. 32; Blume, Muséum Lugd.-Bat.,
i, p. 71 Hasskarl, dans Flora, 1844, p. 589 sir J. Hooker, Flora of brit.
India, 2, p. 468.
5. Géogr. bot. raisonnée, p. 893.
6. Low, A manual jlora oj Madeira, p. 266.
7. Voir Blume, l. c.; Descourtilz, Flore médicale des Antilles, 2, p. 20,
où se trouve une figure du Goyavier pyriforme; Tussac, Flore des An-
tilles, 2, p. 92, qui contient une bonne planche de la forme arrondie. Ces
deux derniers ouvrages renferment des détails intéressants sur la manière
d'employer les goyaves, sur la végétation de l'espèce, etc.
DE Candolle. 13
194 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

Pour simplifier la recherche des origines, j'éliminerai d'abord


l'ancien monde, car il est assez évident que les Goyaviers sont
venus d'Amérique. Sur une soixantaine d'espèces du genre
suffisamment
Psidium, toutes celles qu'on peut regarder comme
étudiées sont américaines. Les botanistes, depuis le xw siècle,
ont trouvé, il est vrai, des Psidium Guayava (variétés pomiferum
dans les îles de l'Archipel
et pyriferum), plus ou moins spontanés
Indien et l'Asie méridionale 1, mais tout fait présumer que
c'était le résultat de naturalisations peu anciennes. On admet-
tait pour chaque localité une origine étrangère; seulement on
hésitait sur la provenance asiatique ou américaine. D'autres
considérations justifient cette idée. Les noms vulgaires en ma-
lais sont dérivés du mot américain Guiava. Les anciens auteurs
chinois ne parlent pas des Goyaviers, bien que Loureiro les ait
dits sauvages en Cochinchine il y a un siècle et demi. Forster
ne les mentionne pas comme cultivés dans les îles de la mer
Pacifique lors du voyage de Cook, ce qui est assez àsignificatif
de cultiver ces arbres et leur dis-
quand on pense à la facilité et Seychelles, personne ne
persion inévitable. Aux îles Maurice
doute de leur introduction et naturalisation récentes 2.
Nous aurons plus de peine à découvrir de quelles parties de
l'Amérique les Goyaviers sont sortis.
Dans le siècle actuel, ils sont certainement spontanés^ hors
des cultures, aux Antilles, au Mexique, dans l'Amérique cen-
trale, le Venezuela, le Pérou, la Guyane et le Brésil3, mais
les Européens en ont
depuis quelle époque? Est-ce depuis que à la suite des trans-
répandu la culture? Est-ce antérieurement, les oiseaux? Ces ques-
ports par les indigènes et surtout par
tions ne paraissent avoir fait aucun progrès depuis que j'en ai
parlé en 1855 Cependant, aujourd'hui, avec un peu plus
et l'unité spécifique
d'expérience dans ces sortes de problèmes,
des deux Goyaviers étant reconnue, j'essayerai d'indiquer ce qui
me paraît le plus vraisemblable. #
J. Acosta s, un des auteurs sur l'histoire naturelle du
premiers
nouveau monde, s'exprime sur le Goyavier pomiforme de la
manière suivante «Il y a en Saint-Domingue et ès autres îles,
des montagnes toutes pleines de Goyavos, et disent, qu'il n'y
avait point de telle sorte d'arbres avant que les Espagnols y
» Ce
arrivassent, mais qu'on les y a apportés de je ne sais où.
serait donc plutôt du continent que l'espèce serait originaire.
Acosta dit bien qu'elle croît en terre ferme, et il ajoute que les
à
goyaves du Pérou ont une chair blanche bien préférable

1. Rumphius,Amboin.,1, p. 141, 142;Rheede,Hort.matai.,112, 3, t. 34.


2. Bojer, Borlusmauritianus Baker, Flora ofMauntais,p.
vol. 14, p. 19b.
3. Toutesles flores,et Berg, dans Flora brasiHensts,
4. Gêoqr.bot.raisonnée,p. 894et 898.
5. Acosta,Hist.nat. etmoraledesIndesorient.et occid.,traductionfran-
çaise, 1598,p. 173,au -verso.
GOURDE, COUGOURDE,CALEBASSE 19S
celle des fruits rouges. Ceci fait présumer une culture ancienne
sur le continent. Hernandez avait vu les deux formes sponta-
nées au Mexique, dans les endroits chauds des plaines et des
montagnes, près de Qnauhnaci. Il donne une description et une
2
figure très reconnaissable du Ps. pomiferum. Pison et Marcgraf
avaient aussi trouvé les deux Goyaviers sauvages au Brésil dans
les plaines; mais ils notent qu'ils se répandent facilement. Marc-
graf dit qu'on les croyait originaires du Pérou, ou de l'Amé-
rique septentrionale, ce qui peut s'entendre des Antilles ou du
Mexique. Evidemment l'espèce était spontanée dans une grande
partie du continent lors la découverte de l'Amérique. Si l'habi-
tation a été une fois plus restreinte, il faut croire que c'était à
une époque bien plus ancienne.
Les noms vulgaires différaient chez les peuples indigènes. Au
Mexique, on disait Xalxocotl; au Brésil, l'arbre s'appelait Araca-
Iba et le fruit Araca-Guacu; enfin le nom Guajavos ou Guajava
est cité par Acosta et Hernandez à l'occasion des Goyaviers du
Pérou et de Saint-Domingue, sans que l'origine en soit indiquée
exactement. Cette diversité de noms confirme l'hypothèse d'une
très ancienne et vaste habitation.
D'après ce que disent les premiers voyageurs d'une origine
étrangère à Saint-Domingue et au Brésil, assertion dont il
est permis cependant de douter, je soupçonne que l'habita-
tion la plus ancienne était du Mexique à la Colombie et au
Pérou, et qu'elle s'est peut-être agrandie du côté du Brésil
avant la découverte de l'Amérique, et dans les îles Antilles après
cette époque. L'état de l'espèce le plus ancien, qui se montre
le plus à l'état sauvage, serait la forme à fruit sphérique, âpre
et fortement coloré. L'autre forme est peut-être un produit de la
culture.

Gourde 8, Cougourde, Calebasse. Lagenaria vulgaris,


Seringe. Cucurbita lagenaria, Linné.
Le fruit de cette Cucurbitacée a pris différentes formes dans
les cultures; mais, d'après l'ensemble des autres parties de la
plante, les botanistes n'admettent qu'une espèce, divisée en
plusieurs variétés Les plus remarquables sont la Gourde des
pèlerins, en forme de bouteille; la Cougourde, dont le goulot
est allongé; la Gourde massue ou trompette, et la Calebasse,
ordinairement grande et peu étranglée. D'autres variétés moins
répandues ont le fruit turbiné ou déprimé et fort petit, comme
1. Hernandez,NovseHispaniœThesaurus,p. 85.
2. Pison, Hist. brasil., p. 74; Marcgraf,ibid., p. 105.
3. En anglais,le mot Gourds'appliqueau Potiron (Cucurbitamaxima).
C'estun des exemplesde la confusiondes noms vulgaires,et de la préci-
sion supérieuredes noms scientifiques.
4. Naudin,Annalesdesse. nat., série 4, vol. 12, p. 9i; Cogniaux,dans
nos Jfon.Phan., 3, p. 417.
196 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

la Gourde tabatière. On reconnaît toujours l'espèce à sa fleur


blanche, et à la dureté de la partie extérieure du fruit, qui permet
de l'employer comme vase pour les liquides ou réservoir d'air,
La chair intérieure est
propre à soutenir les nageurs novices.
tantôt douce et mangeable, tantôt amère et même purgative.
Linné 1 disait l'espèce américaine. De Candolle l'a considérée
comme probablement d'origine indienne, et la suite a confirmé
cette opinion.
On a trouvé, en effet, le Lagenaria vulgans sauvage au Ma-4
labar et dans les forêts humides de Deyra Doon 3. Roxburgh
le considérait bien comme spontané dans l'Inde, quoique les
flores subséquentes l'aient dit seulement cultivé. Enfin Rum-
la mer, dans
phius indique des pieds sauvages, sur le bord de
une localité des îles Moluques. Les auteurs mentionnent ordinai-
rement la pulpe comme amère dans ces individus sauvages,
mais elle l'est quelquefois aussi dans les formes cultivées. La
langue sanscrite distinguait déjà la Gourde ordinaire, attribue
Ulavou,
et une autre, amère, Kutou-Toumbi, à laquelle A. Pictet
aussi le nom Tiktaka ou Titkikâ6. Seemam7 a vu l'espèce « cul»
tivée et naturalisée » aux îles Fidji. Thozet l'a recueillie sur la
côte de Queensland, en Australie 8, mais c'était peut-être le
résultat de cultures dans le voisinage. Les localités de l'Inde
continentale paraissent plus sûres et plus nombreuses que celles
des îles du midi de l'Asie.
L'espèce a été trouvée, également sauvage, en Abyssinie,
dans la vallée de Hieha, par Dillon, et parmi des buissons et
des rocailles d'une autre localité, par Schimper °.
De ces deux régions de l'ancien monde, elle s'est répandue
dans les jardins de tous les pays tropicaux et des pays tempérés
elle s'est natu-
ayant une chaleur estivale suffisante. Parfois en
ralisée hors des cultures, comme on l'a observé Amérique 10.
Le plus ancien ouvrage chinois mentionnant la Gourde est
celui de Tchong-tchi-chou, du ier siècle avant Jésus-Christ, cité
dans un ouvrage du y> ou vie siècle, selon le D<-Bretschneider u.

1. Linné,Speciesplantarum,p. 1434,sousCucurbita..
2. A.P. de Candolle,Florefrançaise(1805),vol. 3, p. 692.
3. Rheede,Malabar,8, pl. 1, 5; Royle,Ill. Himal.,p. 218.
4. Roxburgh,Flora indica, éd. 1832,v. 3, p. 719.
5. Rumphius,Amboin.,vol. 5, p. 397,1. 144.
6. Piddington,Index, au mot Cdcotbitalagenama (en changeant la
cacographieanglaise) Ad. Pictet, Originesindo-europ.,éd. 3, vol. 1,
p. 386.
7. Seemann,Flora Vitiensis,p. 106.
8. Bentham,Flora australiensis,3, p. 316.
9. Décrited'abord sousle nom de Lagenariaidolatrica. A. Richard,
Tentamenfl. abyss.,1, p. 293,et ensuiteNaudin et Cogniauxontreconnu
l'identitéavecle L. vulgaris.
10. Torrey et Gray,Flora of NorthAmerica,i, p. 543;Grisebach,Flora
ofbritish W. India islands,p. 288.
11. Bretschneider,lettre du 23août 1881.
GOURDE, COUGOURDE, CALEBASSE 197

Il s'agit dans ce cas de plantes cultivées. Les formes actuelles


des jardins de Peking sont la Gourde massue, qui est mangeable,
et la Gourde bouteille.
Les auteurs grecs n'ont pas mentionné cette plante, mais les
Romains en ont parlé depuis le commencement de l'empire.
Elle est assez clairement désignée par des vers souvent cités du
livre X de Columelle. Après avoir décrit les différentes formes
du fruit

dabit illa capacem,


Nariciœpicis, aut Actseimellis Hymetti,
Aut habilemlymphishapulam, Bacchovelagenam,
Tum pueros eademfluviisinnare docebit.

Pline parle d'une Cucurbitacée dont on faisait des vases et des


barriques pour le vin, ce qui ne peut s'appliquer qu'à celle-ci.
Il ne paraît pas que les Arabes en aient eu connaissance de
bonne heure, car Ibn Alawàm et Ibn Baithar n'en ont rien dit 3.
Les commentateurs des livres hébreux n'ont pu attribuer aucun
nom d'une manière positive à cette espèce, et cependant le
climat de la Palestine était bien de nature à populariser l'usage
des Gourdes, si on les avait connues. Il me paraît assez douteux,
d'après cela, que les anciens Egyptiens aient possédé cette
plante, malgré une figure unique de feuilles, vue dans une
tombe, qui lui a été attribuée quelquefois 4. Alexandre Braun,
Ascherson et Magnus, dans leur savant mémoire sur les restes
de plantes égyptiennes du musée de Berlin 6, indiquent plu-
sieurs Gueurbitacées sans mentionner celle-ci. Les premiers
voyageurs modernes, comme Rauwolf 6, en 157-4,l'ont vue dans
les jardins de Syrie, et la Gourde dite des pèlerins, figurée, en
1539, par Brunfels, était probablement connue dès le moyen
âge en Terre sainte.
Tous les botanistes du xvie siècle ont donné des figures de
cette espèce, plus souvent cultivée alors, en Europe, qu'elle
ne l'est aujourd'hui. Le nom ordinaire dans ces vieux ouvrages
était Cameraria, et l'on distinguait trois formes de fruits. A la
couleur blanche de la fleur, toujours mentionnée, on ne peut
douter de l'espèce. Je remarque aussi une figure, très mauvaise,
il est vrai, où la fleur manque, mais où le fruit est exactement

Stirp., p. 285; Ruellius,De natura stirpium,p. 498;Naudin,


l. 1.
t. C.
c. Tragus,
2. Pline,Hisl.plant., 1. 19, c. 5.
3. Ibn A'aioâm,d'après E. Meyer,Geschichteder Botanik,3, p. 60; Ibn
BaitMr, trad. de Sondtheimer.
4. Unger,Pflanzendes alten JEgyptens,p. 59; Pickering, Ohronol.arran-
gement,p. 137.
5. In-8, 1S77,p. 17.
6. -Rauwolf,Flora orient., p. 125.
498 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

la gourde des pèlerins, qui présente ce grand intérêt d'avoir


paru avant la découverte de l'Amérique. C'est la planche 46 de
YHerbarius Patavise impressus, in-4°, 1485, ouvrage rare.
Malgré certains synonymes des auteurs, je ne crois pas que la
Gourde ait existé en Amérique avant l'arrivée des Européens.
Le raquera de Piso i et le Cucurbila lagmxforma de Marc-
graf 2 sont peut-être bien le Lagenaria vulgaris, comme le disent
les monographes 3, et les échantillons du Brésil cités par eux
doivent être certains, mais cela ne prouve pas que l'espèce fût
dans le pays avant le voyage d'Americ Vespuce, en 1504. Depuis
lors jusqu'aux voyages de ces deux botanistes, en 1637 et 1638,
il s'est écoulé un temps bien plus long qu'il ne faut le supposer
pour l'introduction et la diffusion d'une espèce annuelle, cu-
rieuse de forme, facile à cultiver et dont les graines conservent
longtemps la faculté de germer. Elle peut même s'être natura-
lisée à la suite des cultures, comme cela s'est vu ailleurs. A plus
forte raison le Cucurbîta Sieeratia Molina, attribué tantôt à
l'espèce actuelle et tantôt au Cucurbita maxima 4, peut-il avoir
été introduit au Chili, entre 1538, époque de la découverte de ce
5
pays, et 1787, date de l'édition en italien de Molina. Acosta
parle aussi de Calebasses dont les Péruviens se servaient comme
de coupe ou de vase, mais l'édition espagnole de son livre est de
1S91, plus de cent ans après la conquête. Parmi les naturalistes
ayant indiqué l'espèce le plus rapprochée de la découverte de
l'Amérique (1492) est Oviedo 6, qui avait visité la terre ferme et,
après un séjour à Vera-Paz, était revenu en Europe en ISIS,
mais était retourné à Nicaragua en 1S397. D'après la compila-
tion de Ramusio 8, il a parlé de zuccke, cultivées en quantité
aux Antilles et à Nicaragua à l'époque de la découverte de
l'Amérique et dont on faisait usage comme de bouteilles. Les
auteurs de flores de la Jamaïque, au xvne siècle, ont dit l'espèce
cultivée dans cette île. P. Browne ° cependant indique une
grande Gourde cultivée et une petite, sauvage, ayant une pulpe
amère et purgative.
10
Enfin, pour les Etats-Unis méridionaux, ElIiott s'exprimait
ainsi en 1824 « Le L. vulgaris se trouve rarement dans les bois
et n'est certainement pas indigène. Il paraît avoir été apporté
par les anciens habitants de notre pays d'une contrée plus

1. Piso, Indiie utriusque,etc. éd. 1658,p. 264.


2. Marcgraf,Hist.nat. Brasiliss,1648,p. 44.
3. Naudm,l. c.; Cogniaux,dans Flora brasil., fase., 78,p. 7, et dans de
Candolle,Monogr.Phaner., 3, p. 418.
4. CI.Gay,Flora Chilena,2, p. 403.
8. los. Acosta,trad. francaise,p. 167.
6. Pickering,Chronol.arrang., p. 861.
7. Pickering,t. c.
8. Ramusio,vol. 3, p. 112.
9. P. Brown,Jamaica,ed. 2, p. 354.
10.Elliott, Sketchof the botanyof S. Carolinaand Georgia,2, p. 665.
199
POTIRON

,chaude. Maintenant, l'espèce est devenuede spontanee autour aes


la mer. « L'expres-
habitations, particulièrement dans les îles les colons plutôt
sion habitants de notre pays, al'air de signifer
les indigènes. Entre la découverte de la Virginie, par Cabot
que 1584, et les flores
en 1497, ou les voyages de W. Raleigh en de deux siècles, et
des botanistes modernes, il s'est écoulé plus la culture de
les indigènes auraient eu le temps de répandre
s'ils l'avaient reçue des Européens. Mais le fait même
l'espèce, relations
de la culture par les Indiens à l'époque des premières lavaient men-
sur leur compte est douteux. Torrey et Gray en 1830-40, et
tionné comme certain dans leur flore, publiée dans un article
de ces habiles botanistes
plus tard le second connues des
sur les Cucurbitacées indigènes, ne cite pas le Ca-
omission dans un
labash ou Lagenaria. Je remarque la même récem-
autre article spécial, sur le même sujet, publié plus
ment'.

Potiron. Cucurbita maxima, Duchesne.


Cucur-
En commençant l'énumération des espèces du genre
autrefois très difficile,
bita, je dois expliquer que la distinction, d'une manière scienti-
des espèces, a été fondée par M. Naudin
culture assidue des variétés et d'expé-
fique, au moyen d'une espèces les
riences sur leur fécondation croisée. Il nommemutuellement
ne
groupes de formes quin'ont peuvent pas se féconder
et races ou
ou dont les produits pas été féconds et stables,donnent des
elles et
variétés les formes qui se croisent entre
féconds et variés. La suite des expériences 5 l'a averti
produits sur cette base n'est pas sans
que l'établissement desleespèces Cucurhta les faits physiologi-
exceptions mais dans genre
concordent avec les différences extérieures. M. Naudin a
aues des Cucurbita maxima
établi les véritables caractères distinctifs la feuille arrondis, les
et C. Pepo. La première a les lobes de la corolle recourbés
unie et les lobes de
pédoncules à surface les pé-
à l'extérieur la seconde a les lobes de la feuille aigus,
rétrécie à la
.doncules marqués de côtes et sillons, la corolle
dressés.
base, avec les lobes presque toujours maxima o
sont le Potiron
Les principales formes du Cucurbita
atteint quelquefois un poids énorme 6, le Potiron
jaune, qui
turban ou Giraumon, le Courgeron, etc,
Les noms vulgaires et des anciens auteurss ne cadrant cadrant n~pas
des assertions
avec les définitions botaniques, il faut se défier

1. Torrey et Gray,Flora oj N. Anterica,1, p. 544. vol. 24,p. 442.


2. Gray,dans Americanjournal of science, im,
3. Trumbull,dans Bulletinofthe Torrey club of botany,vol. 6, ann. 1876,

4. 69. Naudin,dans Annalesdes sc. nat., série 4, vol. 6, p. 5; vol. 12, p. 84.
5. Ann. sc. nat., série 4, vol. 18, p. 160,vol. 19,p. 180. 180.
6. Jusqu'à 100kilogr., d'aprèsLe bonjardinier, ibaO,p.
200 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

répandues autrefois sur les origines et sur l'introduction de la-


culture de telle ou telle courge à certaine époque ou dans cer-
taines contrées. C'est une des raisons pour lesquelles, quand je-
me suis occupé du sujet, en 185S, la patrie de ces plantes était
r stée pour moi inconnue ou très douteuse. Aujourd'hui, on peut
scruter mieux la question.
D'après sir Joseph Hooker le Cucurbita maxima a été trouvé
par Barter sur les bords du Niger, en Guinée, « avec l'appa-
rence indigène » (apparently indigenous) et par Welwitsch
dans l'Angola, sans affirmation de la qualité spontanée. Je ne
vois aucune indication de spontanéité dans les ouvrages sur
l'Abyssinie, l'Egypte ou autres pays africains dans lesquels on
cultive communément l'espèce. Les Abyssins se servent du mot
Dubba, qui s'applique, en arabe, aux Courges, dans un sens
très général.
Longtemps on a soupçonné une origine indienne, en s'ap-
puyant sur des noms tels que Courge d'Inde, donnés par des bo-
tanistes du XVIesiècle, et, en particulier, sur le Pepo maximus
indicus, figuré parLobel2, qui rentre bien dans l'espèce actuelle;
mais c'est un genre de preuve bien faible, car les indications
vulgaires d'origine sont souvent fausses. Le fait est que si les
Potirons sont cultivés dans l'Asie méridionale, comme ailleurs-
entre les tropiques, on n'a pas rencontré la plante à l'état sau-
vage 3. Aucune espèce semblable ou analogue n'est indiquée-
dans les anciens ouvrages chinois, et les noms modernes des
Courges et Potirons cultivés actuellement en Chine montrent
une origine étrangère méridionale Il est impossible de savoir
à quelle espèce s'appliquait le nom sanscrit Kurkarou, attribué
par Roxburgh au Cucurbita Pepo, et l'incertitude n'est pas moins
grande au sujet des Courges, Potirons et Melons cultivés par les
Grecs et les Romains. On n'a pas constaté la présence d'un Po-
tiron dans l'ancienne Egypte. Peut-être en cultivait-on dans ce-
pays et dans le monde gréco-latin? Les Pepones dont Charle-
5
magne ordonnait la culture dans ses fermes étaient ou l'espèce
actuelle ou le Cucurbita Pepo mais aucune figure ou descrip-
tion reconnaissable de ces plantes n'a été donnée avant le-
xvi° siècle.
Ceci pourrait faire présumer une origine américaine. L'exis-
tence, à l'état spontané, en Afrique, est bien une objection, car-
les espèces de la famille des Cucurbitacées sont très locales
mais il y a des arguments en faveur de l'Amérique, et je dois les

1. Hooker,Flora of h-opicalAfrica,2, p. 555.


2. Lobel, Icones, t. 641. La figure est reproduite dans Dalecbamp
Hist, p. 626.
3. Clarke,dans Hooker,Flora of britishIndia, 2, p. 622.
4. Bretschneider,lettre du 23août 1881
5. La liste estdans E. Meyer,Geschichte
der Botanik,3, p. 401.Les Cu-
curbita dont il parle égalementdevaientêtre la Gourde,Lagenariq.
POTIRON 201
examiner avec d autant plus de soin qu'on m'a reproché aux
Etats-Unis de n'en avoir pas tenu suffisamment compte.
D'abord, sur dix espèces connues du genre Cucurbita, six sont
certainement spontanées en Amérique (au Mexique ou en Cali-
fornie), mais ce sont des espèces vivaces, tandis que les Courges
cultivées sont annuelles.
La plante nommée Jurumu par les Brésiliens, figurée par
PisonetMarcgraf est rapportée par les modernes au Cucurbita
maxima.-La planche et les courtes explications des deux auteurs
conviennent assez, mais il parait que c'était une plante cultivée.
Elle peut avoir été apportée d'Afrique ou dEurope par les
Européens, entre la découverte du Brésil, en 1504, et les voyages
des auteurs sus-mentionnés, qui ont eu lieu en 1637 et 1638.
Personne n'a trouvé l'espèce sauvage dans l'Amérique méridio-
nale ou septentrionale. Je ne rencontre dans les ouvrages sur le
Brésil, la Guyane, les Antilles aucun indice de culture ancienne
ou d'existence spontanée, soit d'après les noms, soit d'après des.
traditions ou opinions plus ou moins précises. Aux Etats-Unis,
les savants qui connaissent le mieux les langues et les usages
des indigènes, par exemple le Dr Harris autrefois, et M. Trum-
bull plus récemment 2, ont soutenu que les Cueurbitacées appe-
lées Squash par les Anglo-Américains et Macock ou Cashaw,
Cushaw par d'anciens voyageurs en Virginie, répondent à des
Courges. M. Trumbull dit que Squash est un mot indien. Je
n'en doute pas, d'après son assertion, mais ni les plus habiles
linguistes ni les voyageurs du xvme siècle 3 qui ont vu les
indigènes pourvus de fruits appelés dans leurs livres Citrouilles,
Courges, Pompions, Gourdes, n'ont pu donner la preuve que
ce fût telle ou telle des espèces reconnues distinctes aujour-
d'hui par les botanistes. Cela nous apprend seulement que
les indigènes, un siècle après la découverte de la Virginie,
vingt à quarante ans après la colonisation par W. Raleigh,
faisaient usage de certains fruits de Cucurbitacées. Les noms
vulgaires sont encore si confus aux Etats-Unis que le Dr Asa
Gray, en 1868, indique Pumpkin et Squash comme répondant
à des espèces de Cucurbita tandis que Darlington 5 attribue
le nom de Pumpkin à la Courge ordinaire (Cucurbita Pepo),
et celui de Squash aux variétés de celle-ci qui rentrent dans
les formes Melopepo des anciens botanistes. Ils n'attribuent pas
un nom vulgaire, particulier et certain, au Potiron (Cucurbita
maxima).
En définitive, sans ajouter une foi implicite à l'indigénat sur les

1. PIso,Brasil., éd. 1638,p. 264; Marcgraf,éd. 1648,p. 44.


2. Harris, Americanjournal, 1857,vol. 24, p. 441; Trumbull, Bull. of
Tomi/'s Club,1876,vol. 6, p. 69.
3. Champlain,en 1604;Strachey,en 1610;etc.
4. Asa Gray,Botanyof the northernstates, éd. 1868,p. 186.
5. Darlington,Flora cestrica,18S3,p. 94.
202 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

bords du Niger, fondé sur le dire d'un seul voyageur, je persiste


à croire l'espèce originaire de l'ancien monde et introduite en
Amérique par les Européens.

Courge Pépon. – Citrouille. Cucurbita Pepo et C. Melo-


pepo, Linné.
Les auteurs modernes comprennent dans le Cucurbita Pepo
la plupart des formes désignées sous ce nom par Linné et en
outre celles qu'il nommait C. Melopepo. Ces formes sont exces-
sivement variées quant aux fruits, ce qui montre une très an-
cienne culture. On remarque dans leur nombre la Courge ou
Citrouille des Patagons, à fruits cylindriques énormes la Courge
sucrière, dite du Brésil; la Courge à la moelle ou Vegetable
marrow des Anglais, à petits fruits allongés les Barbérines, à
fruits bosselés; le Patisson ou Bonnet d'électeur, à fruit conique,
surbaissé et lobé d'une manière bizarre, etc. Il ne faut attacher
aucune valeur aux noms de pays dans ces désignations de va-
riétés, car nous avons vu souvent qu'ils expriment autant d'er-
reurs que de vérités. Les noms botaniques rapportés à l'espèce
par M. Naudin et M. Gogniaux sont nombreux, par suite de la
mauvaise habitude qui existait il n'y a pas longtemps de décrire
comme espèces des formes uniquement de jardins, sans tenir
compte des effets prodigieux de la culture et de la sélection sur
l'organe pour lequel on cultive une plante.
La plupart des variétés existent dans les jardins des régions
chaudes ou tempérées de l'ancien et du nouveau monde. L'ori-
gine de l'espèce est regardée comme douteuse. J'hésitais,
en 18o5 1, entre l'Asie méridionale et la région de la mer Médi-
terranée. MM. Naudin et Cogniaux 2 admettent comme probable
l'Asie méridionale, et les botanistes des Etats-Unis, de leur côté,
ont donné des motifs pour croire à une origine américaine. La
question mérite d'être examinée d'une manière précise.
Je chercherai d'abord quelles formes, rapportées aujourd'hui
à l'espèce, ont été indiquées comme croissant quelque part à
l'état spontané.
La variété ovée, Cucurbita ovifera, Linné, avait été recueillie
jadis par Lerche, près d'Astrakhan; mais aucun botaniste du
siècle actuel n'a confirmé ce fait, et il est probable qu'il s'agis-
sait d'une plante cultivée. D'ailleurs Linné n'affirme pas la qua-
lité spontanée. J'ai consulté toutes les flores asiatiques et afri-
caines sans trouver la moindre indication d'une variété qui fût
sauvage. De l'Arabie, ou même de la côte de Guinée au Japon,
l'espèce ou les formes qu'on lui rapporte sont toujours dites cul-
tivées. Pour l'Inde, Roxburgh l'avait remarqué jadis, et ce n'est

1. Géogr.bot. raisonnêe,p. fl_02.


L.Naudin,Ann.sc. nat., série 5, vol. 6, p. 9; Cogniîmx,-dans
M de Cau-
dolle,Monogr.Phaner.,3, p. 546.
COURGEPÉPON 203

sûrement pas sans de bons motifs que M. Clarke, dans la flore


récente de l'Inde anglaise, n'indique aucune localité hors des
cultures.
Les faits sont tout autres en Amérique.
Une variété texana, Cucurbita texana, Asa Gray très voi-
sine de l'ovata, d'après cet auteur, et qu'on rapporte sans hésita-
tion aujourd'hui au C. Pepo, a été trouvée par Lindheimer « au
bord des fourrés et dans les bois humides, sur les rives du
Guadalupe supérieur, avec les apparences de plante indigène. »
Le D'-Asa Gray ajoute que c'est peut-être un effet de naturalisa-
tion. Cependant, comme il existe plusieurs espèces du genre
Cucurbita sauvages au Mexique et dans le sud-ouest des Etats-
Unis, on est amené naturellement à tenir l'assertion du collec-
teur pour bonne. Il ne paraît pas que d'autres botanistes aient
trouvé cette plante au Mexique ou aux Etats-Unis. Elle n'est
mentionnée ni dans la Riologia centrali-americana de Hemsley,
ni dans la flore récente de la Californie du Dr Asa Gray.
Quelques synonymes ou échantillons de l'Amérique méridio-
nale, attribués au C. Pepo, me paraissent bien douteux. II est
de
impossible de savoir ce que Molina 2 a entendu sous les noms
C. Siceratia et C. mammeata, qui paraissent d'ailleurs avoir été
des plantes cultivées. Deux espèces décrites brièvement dans le
aussi au
voyage de Spix et Martius (2, p. S36) et rapportées
C. Pepo 3, sont indiquées, à l'occasion de plantes cultivées, sur
les bords du Rio Francisco. Enfin l'échantillon de Spruce, 2716,
du Rio Uaupès, affluent du Rio Negro, que M. Cogniaux ne dit
pas avoir vu et qu'il a rapporté d'abord au C. Pepo, ensuite au
C. moschata, était peut-être cultivé ou naturalisé à la suite de
de
quelque transport ou culture, malgré la rareté des habitants
cette contrée.
Les indications botaniques sont donc en faveur d'une origine
mexicaine ou du Texas. Voyons si les documents historiques
sont conformes ou contraires à cette idée.
Il est impossible de savoir si tel nom sanscrit, grec ou latin
de Courge, s'applique à l'une des espèces plutôt qu'à une autre.
La forme du fruit est souvent la même, et les caractères distinc-
tifs ne sont jamais mentionnés par les anciens.
Aucune Courge n'est figurée dans VHerbarius Patavise
impressus, de 1485, antérieur à la découverte de l'Amérique;
mais les auteurs du xvie siècle ont publié des planches qui s'y
à la
rapportent. Je citerai les trois formes de Pepones figurées
page 406 de Dodoens, édition de 1557. Une quatrième, Pepo
rotundus major, ajoutée dans l'édition de 1616, me paraît rerr-
trer dans le C. maxima. Dans la figure du Pepo oblongus de

1. A. Gray,Plantx Lindheimerianx,part. 2, p. 193.


2. Molina,Hist.nat. du Chili, p. 377.
3. Cogniaux,l. c., et Flora brasil., fasc. 78,p. 21.
4. Cogniaux,Fl. aras. etMonogr.Phan., 3, p. 547.
204 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS
1 7"
Lobel, Icones, 641, le caractère du pédoncule est nettement
accusé. Les noms donnés à ces plantes expriment une origine.
étrangère mais les auteurs ne pouvaient rien affirmer à cet
égard, d'autant plus que le nom Inde signifiait ou l'Asie méri-
dionale ou l'Amérique.
Ainsi les données historiques ne contredisent pas l'opinion
d'une origine américaine, sans l'appuyer cependant.
Si l'habitation spontanée se confirme en Amérique, on pourra
dire désormais que les Courges cultivées par les Romains et
dans le moyen âge étaient le Cueurbita maxïma et celles des
indigènes de l'Amérique du Nord, dans le xvme siècle, vues par
divers voyageurs, le Cucurbita Pepo.

Courge musquée, ou melonnée. – Cucurbita moschata,


Duchesne.
Le Bon jardinier cite comme principales formes de cette
espèce les Courges muscade de Provence, pleine de Naples et de
Barbarie. Il va sans dire que ces noms ne signifient rien pour
l'origine. L'espèce est facile à reconnaître par sa pubescence
légère et douce, le pédoncule du fruit pentagone, épaté au
sommet, le fruit plus ou moins couvert d'une efflorescence
glauque, à chair copieuse, plus ou moins musquée. Les lobes
du calice sont souvent terminés par un limbe foliacé 1. Cultivée
dans tous les pays tropicaux, elle s'avance moins que les autres
Courges dans les pays tempérés.
M. Cogniaux 2 soupçonne qu'elle est du midi de l'Asie, sans
en donner la preuve. J'ai parcouru les flores de l'ancien et du
nouveau monde et n'ai pu découvrir nulle part la mention d'un
état vraiment spontané. Les indications qui en approchent le
plus sont 1° en Asie, dans l'île de Bangka, un échantillon
vérifié par M. Cogniaux et que Miquel 3 ne dit pas cultivé
20 en Afrique, dans l'Angola, des échantillons que Welwitsch
dit tout à fait spontanés, mais « à la suite probablement d'une
introduction » 3° en Amérique, cinq échantillons du Brésil, de
la Guyane ou de Nicaragua, mentionnés par M. Cogniaux, sans
qu'on sache s'ils étaient cultivés, naturalisés ou spontanés. Ce
sont des indices tout à fait légers, et l'opinion des auteurs le
confirme. Ainsi, pour l'Asie, Rumphius, Blume, Clarke (dans
Flora of brit. India), et, pour l'Afrique, Schweinfurth (dans
Baker, Tropical flora), n'ont vu la plante absolument que cul-
tivée. En Chine, la culture n'est pas ancienne 8. En Amérique,
les flores mentionnent très rarement l'espèce.

1. Voirl'excellenteplanchede Wight,Icones,t. 507,sous le nom faux


de Cueurbitamaxima.
2. Cogniaux,dans Monogr.Phaner., 3, p. 547.
3. Miquel,Sumatra, sonsle nom de Gymnopetalum,
4. Cogniaux,Ibid. p. S'
5. Bretschneider,lettre du 23 août 1881.
MELON 205

On ne connaît aucun nom sanscrit, et les noms indiens, malais


et chinois ne sont ni très nombreux ni bien originaux, quoique
la culture paraisse plus répandue dans l'Asie méridionale que
dans les autres, régions entre les tropiques. Elle l'était déjà
au xvme siècle, d'après YHortus Malabaricus, où l'on voit une
bonne planche (vol. 8, pl. 2).
Il ne paraît pas que les botanistes du xvie siècle aient connu
cette espèce, car la figure de Dalechamp (Hist., 1, p. 616), que
Seringé lui a attribuée, n'en a pas les caractères, et je ne puis
découvrir aucune autre figure qui lui ressemble.

Courge à feuilles de figuier. Cucurbita ficifolia, Bouché.


Cucurbita melanosperma, Braun.
Il s'est introduit, depuis une trentaine d'années, dans les jar-
dins, une Courge à graines noires ou quelquefois brunes, qui
diffère des autres espèces cultivées en ce qu'elle est vivace. On
l'appelle quelquefois Melon de Siam. Le Bon jardinier dit qu'elle
vient de Chine. Le D'rBretschneider ne m'en a pas parlé dans la
lettre de 1881, où il énumère les Courges cultivées par les Chinois.
Jusqu'à présent, aucun botaniste ne l'a trouvée à l'état spon-
tané. Je doute beaucoup qu'elle soit originaire d'Asie, car toutes
les espèces connues de Cucurbita vivaces sont du Mexique ou de
Californie.

Melon. Cucumis Melo, Linné.


La question de l'origine du Melon a changé complètement
depuis les travaux de M. Naudin. Le mémoire qu'il a publié,
en 1839, dans les Annales des sciences naturelles, série 4, vo-
lume 11, sur le genre Cucumis, est aussi remarquable que celui
sur le genre Cucurbita. Il rend compte d'observations et d'ex-
périences, suivies pendant plusieurs années, sur la variabilité
des formes et la fécondation croisée d'une multitude d'espèces,
races ou variétés venant de toutes les parties du monde. J'ai
parlé ci-dessus (p. 199) du principe physiologique sur lequel il
croit pouvoir distinguer des groupes de formes qu'il nomme des
espèces, quoique certaines exceptions se soient manifestées et
rendent le critère de la fécondation moins absolu. Malgré ces
cas exceptionnels, il est évident que si des formes voisines se
croisent facilement et donnent des produits féconds, comme
cela se voit, par exemple, dans l'espèce humaine, on est obligé
de les regarder comme constituant une seule espèce.
Dans ce sens, le Cucumis Melo d'après les expériences et
observations faites par M. Naudin sur environ deux mille indi-
vidus vivants, constitue bien une espèce, laquelle comprend un
nombre extraordinaire de variétés et même de races, c'est-à-dire
de formes qui se conservent par hérédité. Ces variétés ou races
peuvent se féconder entre elles et donnent des produits variés et
206 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

variables. Elles sont classées par l'auteur dans dix groupes,,


qu'il appelle Cantaloups, Melons brodés, Sucrins, Melons d'hiver,
de Perse et
serpents, forme de concombre, Chito, JDudaïm, rouges
sauvages, chacun contenant des variétés ou races voisines les
unes des autres. Celles-ci ont été nommées de 25 à 30 manières
différentes par des botanistes qui, sans s'inquiéter des transi-
tions de forme, de la faculté de croisement ou du peu de fixité
dans la culture, ont désigné comme espèces tout ce qui diffère
plus ou moins dans un temps et un lieu donnés.
Il résulte de là que plusieurs formes qu'on avait trouvées à
l'état sauvage et qu'on décrivait comme espèces doivent être
les types ou souches des formes cultivées, et M, Naudin fait la
réflexion très juste que ces formes sauvages plus ou moins diffé-
rentes l'une de l'autre ont pu donner des produits cultivés diffé-
rents. C'est d'autant plus probable qu'elles habitent quelquefois
des pays assez éloignés, comme l'Asie méridionale et l'Afrique
tropicale, de sorte que les diversités de climat, combinées avec
l'isolement, ont pu créer et consolider les différences.
Voici les formes que M. Naudin énumère comme sauvages
1° Celles de l'Inde, qui ont été nommées par Willdenow Cu-
cumis pubescens, et par Roxburgh C. turbinatus ou C. Maderas-
patanus. Leur habitation naturelle est l'Inde anglaise dans toute
son étendue et le Belouchistan. La qualité spontanée est évi-
dente, même pour des voyageurs non botanistes 1. Les fruits
varient de la grosseur d'une prune à celle d'un citron. Ils sont
unis, rayés ou bariolés à l'extérieur, parfumés ou sans odeur.
La chair en est sucrée, fade ou aigrelette, différences qui rap-
pellent beaucoup celles des Cantaloups cultivés. D'après Rox-
burgh, les Indiens récoltent les fruits du turbinatus et du Made-
raspatanus, qu'ils ne cultivent pas, mais dont ils aiment la saveur.
Si l'on consulte la flore la plus récente de l'Inde anglaise, où
M. Clarke a décrit les Cucurbitacées (2, p. 619), il semble que
cet auteur ne s'accorde pas avec M. Naudin sur les formes in-
diennes spontanées, quoique tous deux aient examiné les nom-
breux échantillons de l'herbier de Kew. La différence d'opinion,
plus apparente que réelle, tient à ce que l'auteur anglais
rapporte à une espèce voisine, Cucumis trigonus', Roxburgh,
certainement sauvage, les formes que M. Naudin classe dans le
Cucumis Melo. M. Cogniaux2, qui a vu depuis les mêmes échan-
tillons, attribue seulement le C. turbinatus au trigonus. La dis-
tinction spécifique des C. Melo et C. trigonus est malheu-
reusement obscure, d'après les caractères donnés par les trois
auteurs. La principale différence est que le Melo est annuel,
l'autre vivace, mais cette durée ne paraît pas bien constante.

1. Gardener'sehronicle,articles signés J. H. H., 1857,Jp. iS3 d "8,


p. 130.
2. Cogniaux,dans Nonogr.Plumer.,3, p. 485.
MELON 207
dérivé par
M. Clarke lui-même dit que le C. Mélo est peut-être des formes
la culture du C. trigonus, c'est-à-dire, seloirlui,
attribuées par Naudin au C. Melo.
Les expériences faites pendant trois années consécutives par
M. Naudin 1 sur des produits du Cucumis trigonus fécondé par
le Melo paraissent appuyer l'opinion d'une diversité spécifique
ont été
admissible, car, si la fécondation a eu lieu, les produits
divers de formes et sont revenus souvent à l'un des ancêtres
primitifs. u .m
2° Les formes africaines. M. Naudin n'a pas eu des échantil-
de la
lons en assez bon état et assez certains sous le rapport
manière positive l'habitation
spontanéité, pour affirmer d'une
en Afrique. Il l'admet avec hésitation. Il attribue à 1 espèce
vu
des formes cultivées ou d'autres spontanées, dont il n'a pas
les fruits. Après lui, sir Joseph Hooker 2 a eu des échantillons
de ceux de la région du Nil, qui
plus probants. Je ne parle pas mais de
sont probablement cultivés », plantes recueillies par
Barter, en Guinée, dans les sables au bord du Niger. Thonning
avait déjà trouvé dans les sables, en Guinée, un Cucumis,vuquunU
avait nommé arenarim, et M. Cogniaux 5, après avoir
dans le C. Melo,
échantillon rapporté par ce voyageur, l'a classé le
comme le pensait sir Joseph Hooker. Les nègres mangentd'un
fruit de la plante recueillie par Barter. L'odeur est celle
est ovoïde,
melon vert frais. Dans la plante de Thonning, le fruit dans
de la grosseur d'une prune. Ainsi, en Afrique, comme n'est
à l'état spontané, ce qui
l'Inde, l'espèce a des petits fruits
extraordinaire. Le Dudaïm s'en rapproche, parmi les va-
pas
riétés cultivées. en Afrique;
La majorité des espèces du genre Cucumis est D'autres
une faible minorité se trouve en Asie ou en Amérique.
sont entre l'Asie et 1 Afrique,
espèces de Cucurbitacées soient disjointes
ordinairement dans cette famille
quoique les habitations Le Cucumis Melo a
continues et restreintes. peut-être été une
fois spontané de la côte occidentale d'Afrique jusque dans Inde,de
sans intervalle, comme la Coloquinte (Citrullus Colocynthis),
la même famille. »r t au ™»jïmidi
de la douteuse du Melon
J'ai parlé jadis spontanéité subsé-
du Caucase, d'après d'anciens auteurs. Les botanistes
ne l'ont confirmée. Hohenacker, qui avait trouvé,
quents pas
fait aucune men-
disait-on, l'espèce autour d'Elisabethpol, n'enla
tion dans son opuscule sur les plantes de province de Ta-
M. Boissier n'admet pas le Cucumis Melo dans sa flore
lysch. facilité dans
orientale. Il dit seulement qu'il se naturalise avec

i. Naudin,Ann. se. nat., série 4, vol. 18,p. 171.


2. Hooker,dans Flora of tropicalA/nça, 2, p. S*6.
3. Schweinfurthet Ascherson,Aufzœhlwng, p. 261.
4. Schumacheret Thonning, Guineiskeplanten, p. 4Jb.
5. Cogniaux,l. c., p. 483.
208 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
1 1 '1 1 1
les décombres et les terrains abandonnés. La même chose a été
observée ailleurs; par exemple dans les sables de l'Ussuri, dans
l'Asie orientale. Ce serait une raison pour se défier de la localité
des sables du Niger, si la petitesse des fruits dans cet endroit ne
rappelait les formes spontanées de l'Inde.
La culture du Melon, ou de diverses variétés du Melon, a pu
commencer séparément dans l'Inde et en Afrique.
Son introduction en Chine paraît dater seulement du vine siècle
de notre ère, d'après l'époque du premier ouvrage qui en ait
parlé 1. Comme les relations des Chinois avec la Bactriane et le
nord-ouest de l'Inde, par l'ambassade de Chang-Kien, remontent
au ne siècle avant Jésus-Christ, il est possible que la culture de
l'espèce ne fût pas alors très répandue en Asie. La petitesse du
fruit spontané n'encourageait pas. On ne connaît aucun nom
sanscrit, mais un nom tamoul, probablement moins ancien,
Molam 2, qui ressemble au nom latin Melo.
Il n'est pas prouvé que les anciens Egyptiens aient cultivé le
Melon. Le fruit figuré par Lepsius 3 n'est' pas reconnaissable. Si
la culture avait été usuelle et ancienne dans ce pays, les Grecs
et les Romains en auraient eu connaissance de bonne heure. Or
il est douteux que le Sikua d'Hippocrate et de Théophraste, ou
le Pepôn de Dioscoride, ou le Melopepo de Pline fussent le
Melon. Les textes sont brefs et insignifiants; Galien 4 est moins
obscur, lorsqu'il dit qu'on mange l'intérieur des Melopepones,
mais non des Pepones. On a beaucoup disserté sur ces noms 5,
mais il faudrait des faits plutôt que des mots. La meilleure
preuve que j'aie pu découvrir de l'existence du Melon chez les
Romains est un fruit figuré très exactement dans la belle mo-
saïque des fruits au musée du Vatican. Le Dr Gomes certifie, en
outre, que la moitié d'un Melon est représentée dans un dessin
d'Herculanum e. L'espèce s'est introduite dans le monde gréco-
romain probablement à l'époque de l'empire, au commence-
ment de l'ère chrétienne. La qualité en était, je suppose, mé-
diocre, vu le silence ou les éloges modérés des auteurs, dans un
pays où les gourmets ne manquaient pas. Depuis la Renaissance,
une culture plus perfectionnée et des rapports avec l'Orient et
l'Egypte ont amené de meilleures~variétés dans les jardins. Nous
savons cependant qu'elles dégénèrent assez souvent, soit par des
intempéries ou de mauvaises conditions du sol, soit par un
croisement avec des variétés inférieures de l'espèce.

i. Bretschneider,lettre du 26août 1881.


2. Piddington,Index.
3. Voirla copiedans Unger,Pflanzendes altenJEqyptens,flg.° 25.
4. Galien,Dealimentis,1. 2, c. 5.
5. Voir toutes les Floresde Virgile,et Naudin,Ann. sc. nat., série 4,
vol. 12,p. 111.
6. Comes,Ill. piante nei dipinti pompeiani,in-4, p. 20, d'après Museo
nazion.,vol. 3, pl. 4.
•PASTÈQUE 209

Pastèque. Citrullus vulgaris Schrader Cucurbita


Cilrullus, Linné.
L'origine de la Pastèque, appelée aussi Melon d'eau, a été
longtemps méconnue ou inconnue. D'après Linné, c'était une
plante du midi de l'Italie 1. L'assertion était tirée de Matthiole,
sans faire attention que cet auteur disait l'espèce cultivée.
Seringe 2, en 1828, la supposait d'Afrique et de l'Inde, mais il
n'en donnait aucune preuve. Je l'ai crue de l'Asie méridionale,
à cause de sa culture très commune dans cette région. On ne la
connaissait pas à l'état spontané. Enfin on l'a trouvée indigène
dans l'Afrique intertropicale, en deçà et au delà de l'équateur 3,
ce qui tranche la question. Livingstone a vu des terrains qui en
étaient littéralement couverts. L'homme et plusieurs espèces
d'animaux recherchaient ces fruits sauvages avec avidité. Ils
sont ou ne sont pas amers, sans que rien le montre à l'extérieur.
Les nègres frappent le fruit avec une hache et goûtent le suc
pour savoir s'il est bon ou mauvais. Cette diversité dans des
plantes sauvages, végétant sous le même climat et dans le même
sol, est propre à faire réfléchir sur le peu de valeur du caractère
dans les Cucurbitacées cultivées. Du reste, l'amertume fréquente
de la Pastèque n'a rien d'extraordinaire, puisque l'espèce la
plus voisine est la Coloquinte (Citrullus Colocynthis). M. Naudin
a obtenu des métis féconds d'un croisement entre une Pastèque
amère, spontanée au Cap, et une Pastèque cultivée, ce qui con-
firme l'unité spécifique accusée par les formes extérieures.
On n'a pas trouvé l'espèce sauvage en Asie.
Les anciens Egyptiens cultivaient la Pastèque. Elle est figurée
dans leurs dessins s. C'est déjà un motif pour croire que les
Israélites connaissaient l'espèce et l'appelaient Abbatitchim,
comme on le dit; mais en outre le mot arabe Battich, Batteca,
qui dérive évidemment du nom hébreu, est le nom actuel de la
Pastèque. Le nom français vient de l'hébreu, par l'arabe. Une
preuve de l'ancienneté de la plante dans la culture du nord de
l'Afrique est le nom berbère, Tadellaât 6, trop différent du nom
arabe pour n'être pas antérieur à la conquête. Les noms espa-
gnols Zandria, Cindria et de l'île de Sardaigne Sindria 7, que je
ne puis rapprocher d'aucun autre, font présumer aussi une an-
cienne culture dans la région méditerranéenne occidentale. En
Asie, la culture s'est répandue de bonne heure, car on connaît un

1. Habitat in Apulia, Calabria, Sicilia. (Linné, Species, ed. 1763, p. 1435.)


2. Seringe, dans Prodromus, 3, p. 301.
3. Naudin, Ânn. se. nat., série 4, vol. 12, p. 101 sir J. Hooker, dans
Oliver, Flora of tropical Africa, 2, p. 549.
4. Traduction française, p. 56.
5. Unger a copié les figures de l'ouvrage de Lepsins, dans son mémoire
Die Pflanzen des alten JEgyptens, fig. 30, 31, 32.
6. Dictionnaire français-berbère, au mot Pastèque.
7. Moris, Flora sardoa.
De Canuolle. 14
â'10 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

nom sanscrit, Chaya-pula mais les Chinois n'ont reçu la


plante qu'au xe siècle de l'ère chrétienne. Ils la nomment Si kua,
qui veut dire melon de l'ouest 2.
La Pastèque étant annuelle mûrit, au delà des tropiques, dans
les pays où l'été est suffisamment chaud. Les Grecs modernes la
cultivent beaucoup et la nomment Carpousea ou Carpousia3,
mais on ne trouve pas ce mot dans les auteurs de l'antiquité, ni
même dans le grec de la décadence et du moyen âge 4. C'est un
mot commun avec le Karpus des Turcs de Constantinople s, qui se
trouve aussi en russe sous la forme de Arbus 6 et en bengali .et
hindoustani sous celle de Tarbuj, Turbouz7. Un autre nom de
Constantinople, cité par Forskal, Chimonico, se trouve en alba-
nais, Chimico 8. L'absence d'un ancien nom grec qu'on puisse
attribuer avec sûreté à l'espèce fait présumer qu'elle s'est intro-
duite dans le monde gréco-romain à peu près au commencement
de l'ère chrétienne. Le poème Copa, attribué à Virgile et Pline,
en a peut-être parlé (livre 19, cap. S), comme le présume Naudin,
mais c'est douteux.
Les Européens ont transporté le Melon d'eau en Amérique,
où maintenant on le cultive du Chili jusqu'aux Etats-Unis. Le
Jacé des Brésiliens, figuré dans Pison et Marcgraf, est évidem-
ment introduit, car le premier de ces auteurs dit la plante cul-
tivée et quasi naturalisée °.

Concombre. – Cucumis sativus, Linné.


Malgré la différence bien visible du Melon et du Concombre,
ou Cornichon, qui appartiennent tous deux au genre Cucumis,
les cultivateurs supposent que des croisements de ces espèces
peuvent avoir lieu et nuisent quelquefois aux qualités du Melon.
M. Naudin 10s'est assuré par expérience que cette fécondation
n'est pas possible, et il a montré ainsi que la distinction des
deux espèces est bien fondée.
Le pays d'origine du Cucumis sativus était réputé inconnu par
Linné et de Lamarck. En 1805, Willdenow 11a prétendu que
c'était la Tartarie et l'Inde, sans en fournir aucune preuve. Les
botanistes subséquents n'ont pas confirmé cette indication.

1. Piddington,Index.
2. Bretschneider,Study and value,etc.,p. 17.
3. Heldreich,•Pflanzend. attischenEbene,p. 591; Nutzpflanzen Gnechen-
land's, p. 30.
4. Langkavel,Botanikder spâterenGriechen.
5. Forskal,Floraœgypto-arabica, part. 1, p. 34.
6. Nemnic Polygl.Lexicon,1, p. 1309.
7. Piddington,Index;Pickering, Chronological arrangement,p. 72.
8. Heldreich,Nutzpflanzen, p. 50.
9. « Sativaplanta et tractu tentporisquas*nativa fada. » (Piso,éd.
1658,p. 233.)
10. Natidin,dans Ann.se. nat., sériei, vol. il, p. 31.
H. Willdenow,Species,4, p. 615.
CONCOMBRE 211

Lcrsque j'ai examiné la question, en 1835, on n'avait trouvé l'es-


pèce sauvage nulle part. D'après divers motifs, tirés de son
ancienne culture en Asie et en Europe, et surtout de l'existence
d'un nom sanscrit, Soukasa 1, je disais « La patrie est probable-
ment le nord-ouest de l'Inde, par exemple le Caboul ou quel-
que pays adjacent. Tout fait présumer qu'on la découvrira un
jour dans ces régions encore mal connues. »
C'est bien ce qui s'est réalisé, si l'on admet, avec les auteurs
actuels les mieux informés, que le Cucutnis Hardwicldi, Royle
rentre dans les formes du Cucumis sativus. On peut voir dans
l'ouvrage intitulé Illustrations o f Himalayan plants de Royle,
p. 220, pi. 47, une figure coloriée de ce Concombre récolté au
pied des monts Himalaya. Les tiges, feuilles et fleurs sont tout
à fait celles du C. sativus. Le fruit, ellipsoïde et lisse, aune saveur
amère; mais dans le Concombre cultivé il y a des formes analo-
gues, et l'on sait que dans d'autres espèces de la famille, par
exemple dans la Pastèque, la pulpe est douce ou amère. Sir
Joseph Hooker, après avoir décrit la variété remarquable de
Concombre dite de Sikkim 2, ajoute que la forme Hardwicldi,
spontanée de Kumaon à Sikkim, et dont il a recueilli des échan-
tillons, ne diffère pas plus des plantes cultivées que certaines
variétés de celles-ci ne diffèrent les unes des autres, et M. Co-
gniaux, après avoir vu les plantes de l'herbier de Kew, adopte
cette opinion 3.
Le Concombre, cultivé depuis au moins trois mille ans dans
l'Inde, a été introduit en Chine seulement au deuxième siècle
avant Jésus-Christ, lors du retour de Chang-Kien, envoyé en
Bactriane Du côté occidental, la propagation de l'espèce a
marché plus vite. Les anciens Grecs cultivaient le Concombre
sous le nom de Sikuos B, qui est resté dans la langue moderne,
sous la forme de Sikua. Les Grecs actuels disent aussi Aggouria,
d'une ancienne racine des langues aryennes, appliquée quelque-
fois à la Pastèque, et qui se retrouve pour le Concombre dans le
bohème Agurka, l'allemand Gurke, etc. Les Albanais (Pélasges?)
ont un tout autre nom, Kratsavets 6, qu'on reconnaît dans le
slave Krastavak. Les Latins appelaient le Concombre Cucumis.
Ces noms divers montrent l'ancienneté de l'espèce en Europe.
Je citerai même un nom esthonien, Uggurits, Ukkurits, Urits 7.
Il ne semble pas finnois, mais plutôt emprunté à la même racine
aryenne que Aggouria. Si le Concombre était parvenu en Europe

1. Piddington,Index.
2. Botanicalmagazine,pl. 6206.
3. Cogniaux,dans de Candolle,Monogr Phanér.,3, p. 499.
4. Bretsehneider,lettres des 23 et 26août 1881. “
5. Theophrastes,Hist., 1. 7, c.; 4; Lenz, Botanikder alten Gnechenund
Roemer,p. 492.
6. De Heldreicn,NutzpflanzenGriechenlands,p. 50.
7. NemnichjPolygl.Lexieon,1, p. 1306.
FRUITS
212 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS
nom particulier
avant les Aryens on aurait peut-être quelque
ou l'on aurait trouvé des graines dans les
dans la langue basque, mais «^^f pas
habitations lacustres de Suisse et Savoie, ont des noms tout
voisins du Caucase
présenté. Les peuplesen tartare Kiar, en Kalmouk Chaja, en
différents du grec aussi en arabe pour
arménien Iiaran 1. Le nom Chiar existeserait donc un nom
de Concombre «. Ce
quelque wiété où la culture dans l'Asie
touranien, antérieur au sanscrit, par
occidentale aurait plus de 3000 ans. était le Kischschuim,
OtndttmmuSn^ dans le désert 3.
des fruits regrettés par les Israélites
un d'Egypte
Je ne vois cependant aucun nomarabe, parmi les trois cités par
on n'a pas
Forskal, qui se rattache à celui-ci, et jusqu'à présent dans l'ancienne
trouvé d'indication de la présence du Concombre
Egypte.

Concombre Anguria. Cucumis Anguria, Linné.


de Concombre est désignée dans le Bon
Cette petite espèce
sous le nom de ConcombreArada. Le fruit, de la gros-
jardinier cuit ou conservé
seur d'un S, est très épineux. On le mangesa culture est fré-
est productive,
au vinaigre Comme la plante Descourtilz et sir J. Hooker
dans les colonies américaines.
quente et Cogniaux une
en ont publié de bonnes figures coloriées,de laM. fleur •
détaillées
planche contenant des analyses affirmé par plusieurs botanistes.
L'indigénat aux Antilles est la plante Petit Con-
P. Browne*, dans le siècle dernier, appelait
la Jamaïque). Descourtilz s'est servi des
combre sauvage (à
suivantes « Le Concombre croît partout naturelle-
expressions les savanes sèches et près des
et dans
ment, principalement » ^habi-
rivières dont les rives offrent une riche végétation. 6 a vu des échantil-
tants l'appellent Concombremarron. Grisebach leur qua-
lons de plusieurs autres iles Antilles et paraît admettre sur le bord de la
lité spontanée. M. E. André a trouvé l'espèce
et Burchell, dans le même
mer, dans les sables, à Porto-Cabello,
de stations, au Brésil, dans une localité non désignée, ainsi
genre Pour une infinité d'autres
que Riedel, près de Rio-de-Janeiro 7. orientale, du Brésil à la
échantillons recueUlis dans l'Amérique
ou cultivés.
Floride, on ne sait s'ils étaient spontanés dans Piso
Une plante spontanée, du Brésil, fort mal dessinée

1. Nemuich,ibid.
2. Forskal, Flora xgypt., p. 76. Hamilton, Bota-
i. p. 97;
l-^ti^îAllulrthunskunde,
niquede la Bible,p. 34. Antilles,5 pi, 329;Hooker,2. Botanical
4.Deseourtilz,
Flore
médicale
des brasilieiisis,faso.78,pl.
magazine,t. 5817;Cogniaux,dans Flora
5. Browne,Jamaïca,éd.british
2, p. W.
353.India islands, p. 288.
6. Grisebach,Flora of
7. Cognialu,l. c. éd.
8. Guanerva-oba,dans Piso, Brasil., éd. 1658,p. 264; Marcgraf,
BENINCASA. 213

est citée comme appartenant à l'espèce, mais j'en doute beau-


coup.
botanistes, depuis Tournefort jusqu'à nos jours, ont con-
sidéré l'Anguria comme originaire d'Amérique, en particulier
de la Jamaïque. M. Naudin 1, le premier, a fait observer que
tous les autres Cucumis sont de l'ancien monde, principalement
n'aurait point été intro-
d'Afrique. Il s'est demandé si celui-ci
duit en Amérique par les nègres, comme beaucoup d'autres
plantes qui s'y sont naturalisées. Cependant, n'ayant pu trouver
aucune plante africaine qui fût semblable, il s'est rangé à l'opi-
nion des auteurs. Sir Joseph Hooker, au contraire, incline à
croire le C. Ànguria une forme cultivée et modifiée de quelque
C. prophetarum et C. Figarei, bien
espèce africaine voisine des faveur
En de cette hypothèse, j'ajou-
que ceux-ci soient vivaces. Concombre
terai que i° le nom de marron, donné dans les
car tel
Antilles françaises, indique une plante devenue sauvage, en
est le sens pour les nègres marrons; 20 la grande extension la
sur la côte où
Amérique, du Brésil aux Antilles, toujours un indice
traite des nègres a été le plus active, paraît d\ rig ie
antérieure à la décou-
étrangère. Si l'espèce était américaine, elle se serait
verte avec une habitation d'une pareille étendue dans l'inté-
trouvée aussi sur la côte occidentale d'Amérique et
rieur, ce qui n'est pas.
La question ne sera résolue que par une connaissance plus
et par des expériences de fécon-
complète des Cucumis d'Afrique, et l'habileté nécessaires pour
dation, si quelqu'un a la patience
comme M. Naudin sur les Cucur-
opérer sur le genre Cucumis
bita. vul-
Enterminant, je ferai remarquer la bizarrerie du nom
gaire des Etats-Unis pour l'Anguria Jerusalem Cucumber, Con-
combre de Jérusalem 2. Prenez ensuite les noms populaires pour
des origines 1
guide dans la recherche

Benincasa hispida, Thunberg. Benincasa


Benincasa.
cerifera, Savi.
Cette espèce, qui constitue à elle seule le genre Benincasa,
l'avaient
ressemble tellement aux Courges que d'anciens auteurscireuse de
prise pour la Courge Pépon 3, malgré l'efflorescence
la surface du fruit. Elle est d'une culture générale dans les pays
eu tort de la négliger en Europe après
tropicaux. On a peut-être à
l'avoir essayée, car M. Naudin et le Bon jardinier s'accordent
la recommander.
Bra-
1048,p. 44, sans figure, en parIe sousle nom de Cucumissylvestl'is
SillS. i.i in
1. Naudin, Ann. se. nat., série 4, vol. 11,p. l£.
2. Darlington,Agriculturalboiany,p. et de58.
3. C'est le CucwlntaPepode Loureiro Roxburgh.
214 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

C'est le Cumbalam de Rheede, le Camolenga de Rumphius,.


qui l'avaient vue au Malabar et dans les îles de la Sonde seu-
lement cultivée, et en avaient donné des figures.-
D'après plusieurs ouvrages, même récents1, on pourrait croire
que jamais elle n'a été trouvée à l'état spontané; mais, sil'onfait
attention aux-noms divers sous lesquels on l'a décrite, il en est
autrement. Ainsi les Cucurbita hispida, Thunberg, et Lagmarla
dasystemon, Miquel, d'après des échantillons authentiques vus
par M.Cogniaux8, sont des synonymes de l'espèce, et ce sont des
plantes sauvages au Japon s. Le Cucurbita littomlis, Hasskarl i,
trouvé dans des broussailles au bord de la mer, à Java, et le
Gymnopetatum septemlobum,Miquel, aussi à Java, sont le Benin-
casa, d'après M- Cogniaux. De même le Cucurbita vacua, Mueller s
et le Cucurbita prutHens, Forster, dont il a vu des échantillons
authentiques trouvés à Rockhingham en Australie et aux îles
de la Société. M. Nadeaud 6 ne parle pas de cette dernière. On
peut soupçonner des naturalisations temporaires dans les îles-
de la mer Pacifique et le Queensland, mais les localités de Java
et du Japon paraissent très certaines. Je crois d'autant plus à
cette dernière que la culture du Benincasa en Chine remonte à
une haute antiquité:,7.

Luffa cylindrique. – Momordica cylindrica, Linné. – Luffa


cylindrica, Rœmer.
M. Naudin 8 s'exprime ainsi « Le Luffa cylindrica, auquel
on a conservé dans quelques-unes de nos colonies le nom indien
de Pétole, est probablement originaire de l'Asie méridionale,
mais peut être il l'est aussi de l'Afrique, de l'Australie et des îles
de l'Océanie. On le trouve cultivé par la plupart des peuples
des pays chauds, et il parait s'être naturalisé dans beaucoup de
lieux où sans doute il n'existait pas primitivement. » M. Co-
gniaux 9 est plus affirmatif, « Espèce indigène, dit-il, dans
toutes les régions tropicales de l'ancien monde; souvent cultivée
et subspontanée en Amérique, entre les tropiques. »
En consultant les ouvrages cités par ces deux monographes-
et les herbiers, on trouve la qualité de plante sauvage certifiée
quelquefois d'une manière positive.

1. Clarke,dans Flora of britishIndia, 2, p. 616.


2. Cognianx,dans de Candolle,Monogr.Planer., 3, p. 313.
3. Thunberg,FI. jap., p. 322;Franchet et Savatier,Enum. plant. Sap.r
i, p. 173.
4. Hasskarl,Catal. horti bogor.,aller, p. 190;Miquel,Flora indo-batava.
5. Mueller,Fragm., 6, p. 186; Forster, Prodr. (sans descr.); Seemann,
Journalof botany,2, p. 50.
6. Nadeaud,Plantesusuellesdes Tahitiens; Enumération des plantesindi-
gènesà Taîti.
7. Breitschneider,lettre du 26août 1881.
8. Naudin, dans Ann.sc. nat, série 4, vol. 12, p. 121,
9. Cogniaux,dans Monogr.Phanerog.,3, p. 458.
LUFFA ANGULEUX 21 S

les
En ce qui concerne l'Asie 1, Rheede l'a vue dans les sables,
dans
forêts et autres lieux duMalabar Roxburgh la dit spontanée Thwaites
l'Hindoustan, Kurz dans les forêts du pays des Birmans; Khasia.
à Ceylan. J'en possède des échantillons de Ceylan et de dans
On ne connaît aucun nom sanscrit, et le Dr Bretschneider,
ne mentionne
son opuscule On the study, etc., et dans ses lettres con-
aucun Luffa cultivé ou spontané en Chine. Je présume par
même dans i Inde.
séquent que la culture n'est pas ancienne,au bord des rivières du
En Australie, l'espèce est spontanée
la trouvera
Queensland 2, et d'après cela il est probable qu'on
où Rumphms, Miquel, etc.,
spontanée dans l'archipel asiatique,
en parlent seulement comme d'une plante cultivée. re-
Les herbiers renferment un grand nombre d échantillons de
la côte
cueillis dans l'Afrique tropicale, de Mozambique à ne pa-
Guinée, et jusqu'au pays d'Angola, mais les collecteurs
raissent pas avoir indiqué si c'étaient des échantillons spon-
tanés ou cultivés. Dans l'herbier Delessert, Heudelot a indiqué
les environs de Galam dans les terrains fertiles. Sir Joseph As-
Hooker 3 les cite, sans rien affirmer. MM. Schweinfurth et
.cherson toujours attentifs à ces questions, donnent 1 espèce
uniquement cultivée dans la région du Nil. Ceci est assez
pour dans le xvii» siècle,
curieux, parce que la plante ayant été vue, on a
dans les jardins d'Egypte, sous le nom arabe de Luff\ Les monu-
nommé le genre Luffa et l'espèce Luffa xgyptiaca. L'ab-
ments de l'ancienne Egypte n'en ont offert aucune trace.
croire la
sence de nom hébreu est encore une raison de la que
culture s'est introduite en Egypte au moyen âge. On pratique
non seulement pour le fruit, mais
aujourd'hui dans le Delta, dont la
encore pour expédier les graines, dites de courgettes,
décoction sert à adoucir la peau..
la au Mexique, etc.;
L'espèce est cultivée au Brésil, à Guyane, en Améri-
mais je n'aperçois aucun indice qu'elle soit indigène
s'est naturalisée çà et là, par exemple
que. Il paraît qu'elle
dans le Nicaragua, d'après un échantillon de Levy. dou-
En résumé l'origine asiatique est certaine, 1 africaine fort
d'une natu-
teuse, celle d'Amérique imaginaire, ou plutôt l'effet
ralisation.

Luffa anguleux. – Papengay. Luffa acutangula


Roxburgh.
de cette espèce, cultivée, comme la précédente, dans
R°L'oïfme
ind., 3, p. 714,
t Rheede,TTnrfrralabar., 8, p. 15,t. 8; Roxburgh,Fl.Thwaites,
2, p. 100; E~zum.
715 ~~n~deTX'I&rz.'C~ 107;Bentham,F~aM~3,_p. 317,sous
2. Mueller,Fragmenta,3,p.
des noms synonymesde L.cylindrica d'aprèsNaudinet
530.
Cogmaux.
3. Hooker,dans Flora of tropicalAfrica, 2, p.
4. Schweinfurthet Ascherson,Aufzàhhmg,p. 268.
5. Forskal,Fl. xgypt, p. 75.
216 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

tous les pays tropicaux, n'est pas bien claire, d'après MM.Nau-
din et Cogniaux 1. Le premier indique le Sénégal, le second
l'Asie et, avec doute, l'Afrique. Il est à peine besoin de dire que
Linné 2 se trompait en indiquant la Tartarie et la Chine.
L'indigénat dans l'Inde anglaise est donné, sans hésitation,
par M. Clarke, dans la flore de sir J. Hooker. Rheede 3 avait
vu la plante autrefois dans les sables du Malabar. L'habitation
naturelle paraît limitée, car Thwaites à Ceylan, Kurz dans la
Birmanie anglaise et Loureiro pour la Gochinehine et la Chine
ne citent l'espèce que comme cultivée, ou venant dans les dé-
combres, près des jardins. Rumphius 5 l'appelle une plante du
Bengale. Aucun Luffa n'est cultivé depuis longtemps en Chine,
d'après une letttre du Dr Bretschneider. On ne connaît pas de
nom sanscrit. Ce sont autant d'indices d'une mise en culture pas
très ancienne en Asie.
Une variété à fruit amer est commune dans l'Inde anglaise 6
à l'état spontané, car on n'a aucun intérêt à la cultiver. Elle
existe aussi dans les îles de la Sonde. C'est le Luffa amara,
Roxburgh, et le L. sylvestris, Miquel. LeL. subangulata, Miquel,
est une autre forme, croissant à Java, que M. Cogniaux réunit
également, sur la vue d'échantillons certains.
M. Naudin n'explique pas d'après quel voyageur la plante
serait sauvage en Sénégambie mais il dit que les nègres l'appel-
lent Papengaye, et, comme ce nom est celui des colons de l'île de
Prance 7, il est probable qu'il s'agit au Sénégal d'une plante
cultivée, peut-être naturalisée autour des habitations. Sir Joseph
Hooker, dans le Flora of tropical Africa, indique l'espèce, sans
donner la preuve qu'elle soit spontanée en Afrique, et M. Co-
gniaux est encore plus bref. MM. Schweinfurth et Ascherson 8 ne
l'énumèrent pas, soit comme spontanée, soit comme cultivée,
dans la région de l'Egypte, la Nubie et l'Abyssinie. Il n'y a
aucune trace d'ancienne culture en Egypte.
L'espèce a été envoyée souvent des Antilles, de la Nouvelle-
Grenade, du Brésil et autres localités d'Amérique; mais on n'a
pas d'indice qu'elle y soit ancienne, ni même qu'elle s'y trouve
à distance des jardins, dans un état vraiment spontané.
Les conditions ou probabilités d'origine et de date de culture
sont, comme on voit, semblables pour les deux Luffa cultivés.
A l'appui de l'hypothèse que ces derniers ne sont pas originaires

1. Naudin,Ann. sc. nat., sér. 4, v. 12,p. 122; Cogniaux,dans Uonogr.


Phaner.,3, p. 459.
2. Linné,Species,p. 1436,sousle nom de Cucumisacutangulus.
3. Rheede,Hort. malab., 8, p. 13, t. 7.
4. Thwaites,Enum.Ceylan.,p. 126;Kurz,Contrib.,2, p. 101 Loureiro,
FI. Cocltinch.,
p. 727.
5. Rumphius,Amboin.,5, p. 408,t. 149
6. Clarke,dans Flora of britishIndia, 2, p. 614.
7. Bojer,Sortiesmauritianus.
8. Schweinfurthet Ascherson,Aufzuhlung,p. 268.
CHAYOTE 217
du sont
d'Afrique, je dirai que les quatre autres espèces de genre la
ou asiatiques ou américaines, et, comme indice plus que
culture des Luffa n'est pas très ancienne, j'ajoute que la forme
du fruit a varié beaucoup moins que dans les autres Cucurbi-
tacées cultivées.
Trichosanthes serpent. Trichosanthes anguina, Linné.
Cucurbitacée annuelle, grimpante, remarquable par sa corolle
nom usité
frangée. Onl'appelle dans l'île Maurice Petole, d'un
à Java. Le fruit, allongé en quelque sorte comme un légume
charnu de Légumineuse, est recherché dans l'Asie tropicale
pour être mangé cuit, comme des concombres.
Les botanistes du xvae siècle l'ayant reçu de Chine, se sont
mais elle y était probable-
figurés que la plante y est indigène,
ment cultivée. Le Dr Bretschneider 1 nous apprend que le nom
La
chinois, Mankua, signifie Concombre des barbares du sud.
indien. Aucun auteur cepen-
patrie doit être l'Inde ou l'archipel
dant n'affirme l'avoir trouvée dans un état clairement spontané.
Ainsi M. Clarke se borne à dire dans la flore de l'Inde anglaise
» M..Naudin 2, avant lui, disait
(2 p. 610) « Inde, cultivé.
« Habite l'Inde orientale, où on la cultive beaucoup pour ses3
fruits. Elle se présente rarement à l'état sauvage. » Rumphius
n'est pas plus affirmatif pour Amboine. Loureiro et Kurz en
ce qui concerne la Cochinchine et le pays des Birmans, Blume
et Miquel pour les îles au midi de l'Asie, n'ont vu que la plante
cultivée. Les 39 autres espèces du genre sont toutes de l'ancien
l'Aus-
monde, entre la Chine ou le Japon, l'Inde occidentale et
tralie. Elles sont surtout dans l'Inde et l'archipel. Je regarde
l'origine indienne comme la plus probable. se sème autour
L'espèce a été portée à l'île Maurice, où elle ne lui connaît
des cultures. Ailleurs elle s'est peu répandue. On
aucun nom sanscrit.

Chayote. Sechium edule, Swartz.


On cultive cette Cucurbitacée, dans l'Amérique intertropi-
d'un
cale, pour ses fruits, qui ont une forme de Poire et le goût
Concombre. Ils ne contiennent qu'une graine, de sorte que la
chair est abondante.
On en trouve
L'espèce constitue à elle seule le genre Sechium.
des échantillons dans tous les herbiers, mais ordinairement les
collecteurs n'ont pas indiqué s'ils étaient cultivés, naturalisés
ou vraiment spontanés, avec l'apparence d'être originaires du
on prétend que
pays. Sans parler d'ouvrages dans lesquels
cette plante vient des Indes orientales, ce qui est tout à fait
la
faux, plusieurs des plus estimés mentionnent pour origine
1. Bretschneider,Oitstudy, etc., p. 17.
2. Naudin,Ann.se. nat., série 4, vol. 18,p 190.
3. Rmphius, Amboin.,5, pl. 148.
218 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

Jamaïque 1. Cependant P. Browne2, dans le milieu du siècle


dernier, disait positivement qu'elle y est à l'état de culture, et
avant lui Sloane n'en a pas parlé. Jacquin 3 dit qu'elle
« habite et qu'on la cultive à Cuba », et Richard a copié cette
phrase dans la flore de R. de La Sagra, sans ajouter quelque
preuve. M. Naudin 4 a dit « Plante du Mexique », mais il ne
donne pas les motifs de son assertion. M. Gogniaux 5, dans sa ré-
cente monographie, cite un grand nombre d'échantillons re-
cueillis du Brésil aux Antilles, sans dire qu'il en ait vu aucun
6
qualifié de spontané. Seemann a vu la plarie cultivée à Pa-
nama, et il ajoute une remarque importante, ti elle est exacte
c'est que le nom de Chayote, usité dans l'isthme, est une cor-
ruption d'un nom atztec, Chayotl. Toilà un indice d'ancienne
existence au Mexique, mais je ne trouve pas ce nom dans Her-
nandez, l'auteur classique sur les plantes mexicaines antérieures
à la conquête. La Chayote n'était pas encore cultivée à Gayenne
il y a dix ans T. Au Brésil, rien ne fait présumer une ancienne
culture. L'espèce n'est pas mentionnée dans les anciens auteurs,
tels que Piso et Marcgraf, et le nom Chuchu, donné comme bré-
silien 8, me paraît venir de-Chocho, usité à la Jamaïque, lequel
est peut-être une corruption du mot mexicain.
Les probabilités sont, en résumé 10 une origine du Mexique
méridional et de l'Amérique centrale 2° un transport aux
Antilles et au Brésil à peu près dans le xvnie siècle.
On a introduit plus tard l'espèce dans les jardins de l'île
Maurice et récemment en Algérie, où elle réussit à merveille 9-

Opuntia Figue d'Inde. Opuntia Ficus indica, Miller.


La plante grasse, de la famille des Cactacées, sur laquelle
vient le fruit appelé dans le midi de l'Europe Figue d'Inde, n'a
aucun rapport avec les Figuiers, ni le fruit avec la figue. Il
n'est pas originaire de l'Inde, mais d'Amérique. Tout est faux
et ridicule dans ce- nom vulgaire. Cependant Linné en ayant
fait un nom botanique, Cactus Ficus indica, rapporté ensuite au
genre Opuntia, il a fallu conserver le nom spécifique, pour éviter
les changements, sources de confusion, et rappeler la dénomina-
tion populaire. Les formes épineuses et plus ou moins dépour-
vues d'épines ont été désignées par quelques auteurs comme des
espèces distinctes, mais un examen attentif porte à les réunir i0»
1. Grisebach,Flora of hrit. W. India Islands,p. 286.
2. Browne,Jamaica,p. 355.
3. Jacquin,Stirp. amer. hist., p. 259.
4. Naudin,Ann. sc. nat., série 4, vol. 18,p. 205.
5. DansMonogi:Phaner., 3, p. 902.
6. Seemann,Bot. of Herald, p. 12S.
7. Sagot,Journal de la Soc. â'hortic.de France,1872.
8. Cognianx,Flora brasil.,fase.78.
9. Sajiot, l. c, 19.
10.Webb et Berthelot,Phytographiacanariensis,seet. I, p. 208.
GROSEILLIER A MAQUEREAUX 219

L'espèce existait, à létat spontané et cultivé, au Mexique,


avant l'arrivée des Espagnols. Hernandez 1 en décrit neuf va-
riétés, ce qui montre l'ancienneté de la culture. L'une d'elles, à
peu près sans épines, paraît avoir nourri plus spécialement que
les autres l'insecte appelé cochenille, qu'on a transporté avec
la plante aux îles Canaries et ailleurs. On ne peut pas savoir
avant que l'homme
jusqu'où s'étendait l'habitation en Amérique
eût transporté les fragments de la plante, en forme de raquette,
et les fruits, qui sont deux moyens faciles de propagation. Peut-
être les individus sauvages dans la Jamaïque et autres îles
Antilles dont parlait Sloane 2, en 1725, étaient-ils le résultat
d'une introduction par les Espagnols. Assurément l'espèce s'est
naturalisée dans cette direction aussi loin que le climat le lui per-
met, par exemple jusqu'à la Floride méridionale 3.
C'est une des premières plantes que les Espagnols aient trans-
en Europe, soit en Asie. Son
portées dans le vieux monde, soit l'attention qu'au-
apparence singulière frappait d'autant plus vue 4. Tous
cune espèce de la famille n'avait encore été les
botanistes du xvre siècle en ont parlé, et en même temps la
et en Afrique à
plante s'est naturalisée dans le midi de l'Europeen
mesure qu'on se mettait à la cultiver. C'est Espagne que
le nom américain de Tuna,
l'Opuntia a d'abord été connu sous
et probablement se sont les Maures qui l'ont porté en Barbarie,
Ils le nommaient Figue
quand on les a chassés de la Péninsule.
de chrétien 5. L'usage d'entourer les propriétés de Figuiers
d'Inde, comme clôture, et la valeur nutritive des fruits, assez
fortement sucrés, ont déterminé l'extension autour de la mer
Méditerranée et en général dans les pays voisins des tropiques.
L'élève de la cochenille, qui nuisait à la production des fruits 6,
est en pleine décadence depuis la fabrication des matières colo-
rantes par des procédés chimiques.

Groseillier à maquereaux. – Jtlbes Grossularia et R. Uva-


crispa, Linné.
Les formes cultivées présentent ordinairement un fruit lisse
ou qui porte quelques gros poils raides, tandis que le fruit de
la forme sauvage (R. Uva-crispa) a despoils mous et moinslongs;
mais on a constaté souvent des intermédiaires, et il a été prouvé,
du fruit cultivé on
par expérience, qu'en semant des graines
obtient des pieds ayant des poils ou sans poils 7. Il n'y a, par
la culture une
conséquent, qu'une seule espèce, qui a donné par

1. Hernandez,ThesaurusNovsHispaniss,p.78.
2. Sloane,Jamaica, 2, p. 130.
3. Chapman,Flora of south. Unitedstates, p. 144.
4. Le Cactosdes Grecsétait tout autre,chose.
5. Steinheil,dans Boissier,Voyagebot. en Espagne,1,p. 2",
6.Webb et Berthelot,Phyt. canar.
7, Robson,cité dans English botany,planche2037.
220 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS
variété principale et plusieurs sous-variétés quant à la grosseur,
la couleur ou la saveur du fruit.
Ce Groseillier croît spontanément dans toute l'Europe tem-
pérée, depuis la Suède méridionale jusque dans les parties mon-
tueuses de l'Espagne centrale, de l'Italie et de la 'Grèce 1. On le
mentionne aussi dans l'Afrique septentrionale, mais le dernier
catalogue publié des plantes d'Algérie 2 l'indique seulement
dans les montagnes d'Aurès, et M. Bail en a trouvé une variété
assez distincte dans l'Atlas du Maroc 3. Il existe dans le Cau-
case et, sous des formes plus ou moins différentes, dans l'Hima-
laya occidental B.
Les Grecs et les Romains n'ont pas parlé de cette
espèce, qui
est rare dans le midi et qu'il ne vaut guère la peine de planter
là où les raisins mûrissent. C'est surtout en Allemagne, en
.Hollande et en Angleterre qu'on l'a cultivée, depuis le xvie siè-
cle 6, principalement pour assaisonnement, d'où viennent les
noms de Gooseberry en anglais et de Groseille à maquereaux en
français. On en fait aussi une sorte de vin.
La fréquence de la culture dans les îles Britanniques et les
lieux où on le trouve, qui sont souvent près des jardins, ont fait
naître chez plusieurs botanistes anglais l'idée d'une naturalisa-
tion accidentelle. C'est assez probable pour l'Irlande 7 mais,
comme il s'agit d'une espèce essentiellement européenne, je ne
vois pas pourquoi en Angleterre, où la plante sauvage est plus
commume, elle n'aurait pas existé depuis l'établissement de la
plupart des espèces de la flore britannique, c'est-à-dire depuis
la fin de l'époque glaciaire, avant la séparation de l'île d'avec le
continent. Phillips cite un vieux nom anglais tout particulier,
Feaberry ou Feabes, qui vient à l'appui d'une ancienne exis-
tence, de même que deux noms gallois 8, dont je ne puis cepen-
dant pas attester l'originalité.

Groseillier rouge. -Ribes rubrum, Linné.


Le Groseillier ordinaire, rouge, est spontané dans l'Europe
septentrionale et tempérée, de même que dans toute la Sibérie 8
jusqu'au Kamtschatka, et en Amérique du Canada et du Ver-
mont à l'embouchure de la rivière Mackensie 10.
Comme le précédent, il était inconnu aux Grecs et aux Ro-

1. Nyman,Conspectus fi. europess,p. 266 Boissier,Fl. or., 2, p. 815.


2. Munby,Catal., éd. 2, p. 15.
3. Bail.Spicilegiumfl. marocc, p. 449.
4. Ledebôur.Fl. ross., 2, p. 194; Boissier,l. c.
5. Clarke,dans Hooker,Fl. brit. Indice,2, p. 410.
6. Phillips,Accountof fruits, p. 174.
7. Mooreet More,Contrib.to the Cybebehibernica,p. H 3.
8. Davies,Welslibotanology,p.~24.
9. Ledebour,Fl. ross.,2, p. 199.
10.Torrey et Gray,Fl. N. Am.,1, p. 130.
GROSEILLIER ROUGE 221

seule-
mains, et la culture s'en est introduite dans le moyen âge
ment. La plante cultivée diffère à peine de la plante sauvage.
est attestée par le
L'origine étrangère pour le midi de l'Europe
nom Groseille d'outremer, donné en France au xvr siècle. A
de
Genève, la Groseille se nomme encore vulgairement Raisin
mare, et, dans le canton de Soleure, Meertrilbli. Je ne sais pour-
quoi on s'est imaginé, il y a trois siècles, que l'espèce venait d'ou-
tremer. Peut-être doit-on l'entendre dans ce sens, qu'elle aurait
été importée par les Danois et les Normands, ou que ces peuples
du nord, venus par mer, en auraient introduit la culture. J'en
dans presque
doute, cependant, car le Ribes rubrum est spontané
toute la Grande-Bretagne 2 et en Normandie 3 les Anglais, qui
ont eu des rapports fréquents avec les Danois, ne le cultivaient
des fruits de cette époque
pas encore en 1557, d'après une liste
rédigée par Th. Tusser et publiée par Phillips était 4, et même du
rare et la
temps de Gerarde, en i597 B, la culture en il a des noms
plante n'avait pas de nom particulier une 6; enfin, y
culture antérieure aux
français et bretons qui font supposer
Normands dans l'ouest de la France.
Les vieux noms de cette contrée nous sont indiqués dans le
Dictionnaire de Ménage. Selon lui, on appelait les groseilles
dans la basse Nor-
rouges, à Rouen Gardes, à Caen Grades,
mandie Gradilies, et dans son pays, en Anjou, Castilles. Ménage
fait venir tous ces noms de rubius, rubicus, etc., par une suite de7
transformations imaginaires, du mot ruber, rouge. Legonidec
nous apprend que les Groseilles rouges se nomment aussi Kas-
tilez (avec l mouillée) en Bretagne, et il fait venir ce nom de
et abon-
Castille, comme si un fruit fort peu connu en EspagneCes
dant dans le nord pouvait venir de la péninsule. mots,
et hors de Bretagne, me semblent
répandus à la fois en Bretagne
d'une origine celte, et à l'appui je dirai que, dans le Dictionnaire
de Legonidec lui-même, gardiz signifie en breton rude, âpre,
deviner Le nom
piquant, aigre, etc., ce qui fait d'autres l'étymologie.
erreurs. On avait cru
générique Ribes a donné lieu à mot
reconnaître une plante appelée ainsi par les Arabes; mais ceGro-
vient plutôt d'un nom très répandu dans le nord pour le
suédois 9. Les noms
seillier, Ribs en danois 8, Risp et Resp en
slaves sont tout différents et assez nombreux.

1. Dodoneus,p. 748.
2. Watson, Cybelebrit.
3. Brebisson,Flore de Normandie, p. 99.
4. Phillips, Accountof fruits, p. 136.
5. Gérard,fierbal, p. H43.. avec les
6. CeluideSanF'est venu plus tard, par suite de l'analogie
raisins de Corinthe(Phillips,ib.).
7. Legonidec,Diction.celto-breton.
8. Moritzi,Dict.inéd. des nomsvulgaires.
9. Linné,Florasuecica, n. 197.
222 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

Groseillier noir. Cassis. Ribes nigrum, Linné.


Le Cassis existe à l'état spontané dans l'Europe septentrionale,
le nord de la Fian.ce
depuis l'Ecosse et la Laponie jusque dans dans toute la Siberie,
et de l'Italie en Bosnie S en Arménie 2,
et la région du fleuve Amour, et dans l'Himalaya occidental la
Il se naturalise souvent, par exemple, dans le centre de
France 4.
Les Grecs et les Romains ne connaissaient pas cet arbuste,
les leurs. D'après la
qui est propre à des pays plus froids que
diversité de ses noms dans toutes les langues, même antérieures
aux Aryens, du nord de l'Europe, il est clair qu'on en recher-
chait les fruits à une époque ancienne, et qu'on a probablement
commencé à le cultiver avant le moyen âge. J. Bauhin dit
le dans les jardins en France et en Italie, mais la
qu'on plantait On trouve
plupart des auteurs du xvie siècle n'en parlentLepas.
dans YHistoirede la vie privée desFinançais, par Grand d'Aussy,
assez curieuse « Le
publiée en 1782, vol. 1, p. 232, cette phrase
Cassis n'est guère cultivé que depuis une quarantaine .d années,
et il doit cette sorte de fortune à une brochure intitulée Culture
du cassis, dans laquelle l'auteur attribuait à cet arbuste toutes
les vertus imaginables. » Plus loin (vol. 3, p. 80), l'auteur revient
sur l'usage fréquent du ratafia de cassis depuis la brochure en
ses articles du Dictionnaire
question. Bose, toujours exact dans
d'agriculture, parle bien de cet engouement, au nom Groseillier,
mais il a soin de dire « On le cultive de très ancienne date, pour
son fruit, qui a une odeur particulière, agréable aux uns, désa-»
et diurétique.
gréable aux autres et passe pour stomachique
Il est employé dans la fabrication des liqueurs appelées ratafia
et cassis 6.
Olivier. – Olea europsea, Linné.
L'Olivier sauvage, désigné dans les livres de botanique comme
variété sylvestris ou Oleaster, se distingue de l'arbre cultivé par
un fruit plus petit, dont la chair est moins épaisse. On obtient
1. Watson, Compend.Cybele,1, p. 177; Fries, Summaveg.Scandinavie,
p. 39 Nyman,Conspectus flors europex,p. 266.
2. Boissier.FI. or., 2, p. 81S.
3. Ledebour,Fl. ross., p. 200 Maximovicz,Vrimitiœfl. Amur,p. lia
Clarke,dans Hooker,Fl. brit. India, 2, p. 411.
4. Boreau,Flore du centrede la France, éd. 3, p. 262.
5. Bauhin,Hist.plant., 2, p. 99. dit
6. Cenom de cassisest assezsingulier.Littré, dans son Dictionnaire,
et
dans la langue qu'il n'en connaît
qu'il sembleêtre entré tardivementdans les livres de botanique avant le
pasl'origine. Je ne l'ai pas recueil
trouvé
manuscrit de noms vulgairesne pré-
milieu du xvm°siècle.Mon
sente pas, sur plus de quarantenoms de cette espècedans différenteslan-
gues ou patois, un seul nom analogue. Buchoz,dans son Dictionnairedes
plantes, 1770,1, p. 289,appelle la plante ou le cassisou cassetwrdes Poi-
tevins.L'anciennom françaisétait poivrier groseilliernoir. Le Diction-
naire de Laroussedit qu'on fabriquait des liqueurs estiméesà Cassis,en
Provence.Serait-cel'originedu nom?
OLIVIER 223
3

de meilleurs fruits par le choix des graines,• les boutures ou les


greffes de bonnes variétés.
UOleaster existe aujourd'hui dans une vaste région à l'est
et à l'ouest de la Syrie, depuis le Punjab et le Belouchistan
îles Canaries et au
jusqu'en Portugal et même à Madère, aux
Maroc 2; et, dans la direction du midi au nord, depuis l'Atlas
la Grimée
jusqu'au midi de la France, l'ancienne Macédoine,
et le Caucase 3. Si l'on compare ce que disent les voyageurs
et les auteurs de flores, il est aisé de voir que sur les frontières
de cette habitation on a souvent des doutes à l'égard de la
très ancienne, de
qualité spontanée et indigène, c'est-à-dire de buissons, qui fructi-
l'espèce. Tantôt, elle se présente à l'état
fient peu ou point, et tantôt, par exemple en Crimée, les pieds
sont rares, comme s'ils avaient échappé, par exception, aux effets
destructeurs d'hivers trop rigoureux qui ne permettent pas un
établissement définitif. En ce qui concerne l'Algérie et le midi
de la France, les doutes se sont manifestés dans une discussion,
entre des hommes très compétents, au sein de la Société bota-
nique 4. Ils reposent sur le fait incontestable dans que. les oiseaux
les endroits
transportent fréquemment les noyaux d'olives de l'Oleaster se
non cultivés et stériles, où la forme sauvage
produit et se naturalise. i
La question n'est pas bien posée lorsqu'on se demande si les
Oliviers de telle ou telle localité sont vraiment spontanés. Dans
une espèce ligneuse qui vit aussi longtemps et qui repousse du
de savoir
pied quand un accident l'a atteinte, il est impossible avoir été semés
l'origine des individus qu'on observe. Ils peuvent car
très
par l'homme ou les oiseaux à une époque L'effetancienne,
on connaît des Oliviers de plus de mille ans. de ces semis
est une naturalisation, qui revient à dire une extension de l'ha-
bitation. Le point à examiner est donc de savoir quelle a été la
très anciens, et
patrie de l'espèce dans les temps préhistoriques
comment cette patrie est devenue de plus en plus grande à la
suite des transports de toute nature. Ce n'est pas la vue des
Oliviers actuels qui peut résoudre cette question. Il faut chercher
dans quels pays a commencé la culture et comment elle s'est
une région, plus il est
propagée. Plus elle a été ancienne dans
à l'état sauvage depuis les
probable que l'espèce s'y trouvait
événements géologiques antérieurs aux faits de l'homme pré-
historique.

L Aitchison,Catalogue,p. 86.
2. ^Mà^tZ^IfMàdeira, 2, p. 20; Webb et Berthelot, Rist.
nat. des Canaries,Géogr.bot., p. 48 Ball,Spieilegiuinfions marocmna;,
p. 565. Bull. Soc.bot. France,4, p. 107,et 7, p. 31 Grisebach,Spl-
P"3S6Cos3On,
cilemumilorx rumelicx,2, p. 71 Steven, Verzeichmssd. taunschcnHal-
binseln,p. 248 Ledebour,Fl. ross., p. 38.
4. Bulletin,4, p. 107.
224 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

Les plus anciens livres hébreux parlent de l'Olivier, Sait ou


Zeit, sauvage et cultivé C'était un des arbres promis de la
terre de Canaan. La plus ancienne mention est dans la Genèse,
où il est dit que la colombe lâchée par Noé rapporta une feuille
d'Olivier. Si l'on veut tenir compte de cette tradition accompa-
gnée de détails miraculeux, il faut ajouter que, d'après les dé-
couvertes de l'érudition moderne, le mont Ararat de laBible devait
être à l'orient du mont Ararat actuel d'Arménie, qui s'appelait
anciennement Masis. En étudiant le texte de la Genèse, François
Lenormand 2 reporte la montagne en question jusqu'à l'Hindou-
kousch, et même aux sources de l'Indus. Mais alors il la suppose
près du pays des Aryas, et cependant l'Olivier n'a pas de nom
sanscrit, pas même du sanscrit dont les langues indiennes sont
dérivées 3. Si l'Olivier avait existé dans le Punjab, comme main-
tenant, les Aryo-Indiens, dans leurs migrations vers le midi, l'au-
raient probablement nommé, et s'il avait existé dans le Mazan-
déran, au midi de la mer Caspienne, comme aujourd'hui, les
Aryens occidentaux l'auraient peut-être connu. A ces indices
négatifs, on .peut objecter seulement que l'Olivier sauvage n'attire
pas beaucoup l'attention et que l'idée d'en extraire de l'huile
est peut-être venue tardivement dans cette partie de l'Asie.
D'après Hérodote 4, la Babylonie ne produisait pas d'Oliviers
et ses habitants se servaient d'huile de Sésame. Il est certain
qu'un pareil pays, souvent inondé, n'était pas du tout favorable
à l'Olivier. Le froid l'exclut des plateaux supérieurs et des
montagnes du nord de la Perse.
J'ignore s'il existe un nom zend, mais le nom sémitique Sait
doit remonter à une grande ancienneté, car il se retrouve à la
fois enpersanmoderne, Seitun 5, et en arabe, Zeitun, Sj'etun6 il
est même dans le turc et chez les Tartares de Crimée, Seitun
ce qui pourrait faire présumer une origine touranienne ou de
l'époque très reculée du mélange des peuples sémitiques et tou-
raniens.
Les anciens Egyptiens cultivaient l'Olivier, qu'ils appelaient
Tat 8. Plusieurs botanistes ont constaté la présence de rameaux
ou de feuilles d'Olivier dans les cercueils de momies 9. Rien

1. Rosenmüller, Handbuch der biblischen Alterthumskunde, vol. 4, p. 258,


et Hamilton, Botanique de la Bible, p. 80, où les passages sont indiqués.
2. Fr. Lenormand, Manuel de l'histoire ancienne de l'Orient, 1869, vol. 1,
p. 3i.
3. Fick, Wôrterbuch.– Piddington, Index, ne mentionne qu'un nom hin-
doustani, Julpai.i-
4. Hérodote, Hist., 1. 1, c. 193.
5. Boissier, Flora or., 4, p. 36.
6. Ebn Baïthar, trad. allem., p. 569 Forskal, Plant. Egypt., p. 49.
7. Boissier, l. c. Steven, l. c.
8. Unger, Die Pflanzen d. alten JEgyptens, p. 45.
9. De Candolle, Physiol. végét., p. 696; Al. Braun, l. c., p. 12; Pleyte,
cité par Braun et par Ascherson, Sitzber. Natwfor. Ges., 15 mai 1877.
OLIVIER 225

n'est plus certain, quoique M. Hehn ait dit récemment le con-


traire, sans alléguer aucune preuve à l'appui de son opinion
Il serait intéressant de savoir sous quelle dynastie avaient été
déposés les cercueils les plus anciens dans lesquels on a trouvé
des rameaux d'Olivier. Le nom égyptien, tout différent du
nom sémite, indique une existence plus ancienne que les pre-
mières dynasties. Je citerai tout à l'heure un fait à l'appui de
cette grande antiquité.
Selon Théophraste 2, il y avait beaucoup d'Oliviers et l'on
récoltait beaucoup d'huile dans la Cyrénaïque, mais il ne dit pas
que l'espèce y fût sauvage, et la circonstance qu'on récoltait
beaucoup d'huile fait présumer une variété cultivée. La contrée
basse et très chaude entre l'Egypteetl'Atlas n'est guère favorable
à une naturalisation de l'Olivier hors des plantations. M. Kralik,
botaniste très exact, dans son voyage à Tunis et en Egypte, ne
l'a vu nulle part à l'état sauvage 3, bien qu'on le cultive dans
les oasis. En Egypte, il est seulementcultivé, d'après MM.Schwein-
furth et Ascherson, dans leur résumé de la flore de la région du
Nil
La patrie préhistorique s'étendait probablement de la Syrie
vers la Grèce, car l'Olivier sauvage est très commun sur la côte
méridionale de l'Asie Mineure. Il y forme de véritables forêts 5.
C'est sans doute là et dans l'Archipel que les Grecs ont pris de
bonne heure connaissance de cet arbre. S'ils ne l'avaient pas vu
chez eux, s'il l'avaient reçu des peuples sémites, ils ne lui au-
raient pas donné un nom spécial, Elaia, dont les Latins ont fait
Olea. L'Iliade et l'Odyssée mentionnent la dureté du bois d'Oli-
vier et l'usage de s'oindre le corps avec son huile. Celle-ci était
d'un emploi habituel pour la nourriture et l'éclairage. La my-
thologie attribuait à Minerve la plantation de l'Olivier dans
l'Attique, ce qui signifie probablement l'introduction de variétés
cultivées et de procédés convenables pour l'extraction de l'huile.
Aristée avait introduit ou perfectionné la manière de presser le
fruit.
Ce même personnage mythologique, du nord de la Grèce,
avait porté, disait-on, l'Olivier en Sicile et en Sardaigne. Les
Phéniciens, à ce qu'il semble, ont pu s'en acquitter comme lui
et de très bonneheure, mais, à l'appui de l'introduction de l'espèce
ou d'une variété perfectionnée par les Grecs, je dirai que dans
les îles de la Méditerranée le nom sémite Zeit n'a laissé aucune
trace. C'est le nom gréco-latin qui existe comme en Italie 6,
tandis que sur la côte voisine d'Afrique et en Espagne ce sont

1. Hehn,Kulturpflanzen,éd. 3, p. 88, ligne 9.


2. Theophrastes,Hist.plant., 1. 4, c. 3, à la fin.
3. Kralik,dans Bull.Soc. bot. Fr., 4, p. 108.
4. Schweinfurthet Ascherson,Beilr'àgezur flora JEtldopiens,p. 281.
5. Balansa,Bull. Soc.bot.de France,4, p. 107.
6. Moris,Flora sardoa, 3, p. 9; Bertoloni,Flora ital., 1, p. 46.
DE CANDOLLE. IS
226 PLA.NTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

des noms égyptien ou arabe, comme je l'expliquerai dans un


instant.
Les Romains ont connu l'Olivier plus tard que les Grecs.
D'après Pline 1, ce serait seulement à l'époque de Tarquin
l'Ancien, en 627 avant J.-C, mais probablement l'espèce exis-
tait déjà dans la Grande Grèce, comme en Grèce et en Sicile.
D'ailleurs Pline voulait parler peut-être de l'Olivier cultivé.
Un fait assez singulier, qui n'a pas été remarqué et discuté
de
par les philologues, est que le nom berbère de l'Olivier et
l'olive a pour racine Taz ou Tas, analogue au Tat des anciens
le Dic-
Egyptiens. Les Kabaïles de la division d'Alger, d'après
tionnaire français-berbère, publié par le gouvernement français,
et
appellent l'Olivier sauvage Tazebboujt, Tesettha Ou' Zebbouj
l'Olivier greffé Tazemmou?% Tasettha Ou'xemmour, Les Touaregs,
autre peuple berbère, disent Tamahinet2, Ce sont bien des indices
d'ancienneté de l'Olivier en Afrique. Les Arabes ayant conquis
cette contrée et refoulé les Berbères dans les montagnes et le
désert, ayant également soumis l'Espagne à l'exception du pays
basque, les noms dérivés du sémitique Zeit ont prévalu même
dans l'espagnol. Les Arabes d'Alger disent Zenboudje pour
l'Olivier sauvage, Zitoun pour l'olivier cultivé Zit pour l'huile
d'olive. Les Andalous appellent l'olivier sauvage Azebuche et
le cultivé Aceytuno 4. Dans d'autres provinces, on emploie
concuremment le nom d'origine latine, Olivio, avec les noms
arahes5. L'huile se dit en espagnol aeeyte, qui est presque le
nom hébreu; mais les huiles saintes s'appellent oleos santos,
parce qu'elles se rattachent à Rome. Les Basques se servent du
nom latin de l'Olivier.
D'anciens voyageurs aux îles Canaries, par exemple Bontier,
en 1403, mentionnent l'Olivier dans cet archipel, où les botanistes
modernes le regardent comme indigène 6.Il peut avoir été intro-
duit par les Phéniciens, s'il n'existait pas antérieurement. On
ignore si les Guanches avaient des mots pour olivier et huile.
Webb et Berthelot n'en indiquent pas dans leur savant chapitre
sur la langue des aborigènes T. On. peut donc se livrer à diffé-
rentes conjectures. Il me semble que l'huile aurait joué un rôle
important chez les Guanches s'ils avaient possédé l'Olivier, et
qu'il en serait resté quelque trace dans la langue actuelle popu-
laire. A ce point de vue, la naturalisation aux Canaries n'est
peut-être pas aussi ancienne que les voyages des Phéniciens.
Aucune feuille d'Olivier n'a été trouvée jusqu'à présent dans

1. Pline,Hist., 1. 15,c. 1.
2. Duveyrier,Les Touaregsdu nord (1864),p. 173.
3. Munby,Flore de l'Algérie,p. 2 Debeaux,Catal. Boghar,p. 68*
4. Boissier,Voyagebot.en Espagne,éd. 1, 2, p. 407.
5. Willkommet Lange,Prodp.fl. hispan.,2, p. 672.
6. Webb et Berthelot,Hist.nat. des Canaries,Géog.Sot., p. 47 et 48.
7. Webb et Berthelot,Ibid., Ethnographie,p, 188..
CAÏNITIER 227

les tufs de la France méridionale, de la Toscane et de la Sicile, où


l'on a constaté le laurier, le myrte et autres arbustes actuelle-
ment vivants. C'est un indice, jusqu'à preuve contraire, de natu-
ralisation subséquente.
L'Olivier s'accommode bien des climats secs, analogues à celui
de la Syrie ou de l'Algérie. Il peut réussir au Cap, dans plusieurs
régions de l'Amérique, en Australie, et sans doute il y deviendra
spontané quand on le plantera plus souvent. La lenteur de sa
croissance, la nécessité de le greffer ou de choisir des rejetons
d'une bonne variété, surtout la concurrence d'autres espèces
oléifères ont retardé jusqu'à présent son expansion, mais un
arbre qui donne des produits sur les sols les plus ingrats ne
peut pas être négligé indéfiniment. Même dans notre vieux
monde, où il existe depuis tant de milliers d'années, on doublera
sa production quand on voudra prendre la peine de greffer les
pieds sauvages, à l'imitation des Français en Algérie.
Caïnitier. Chrysophyllum Caïnito, Linné.
Le Caïnitier ou Caïmitier Star apple des Anglais ap-
partient à la famille des Sapotacées. Il donne un fruit assez
estimé dans l'Amérique tropicale, quoique les Européens ne
l'aiment pas beaucoup. Je ne vois pas qu'on se soit occupé de
l'introduire dans les colonies d'Afrique ou d'Asie. De Tussac en
a donné une bonne figure dans sa flore des Antilles, vol. 2, pi. 9.
Seemann 1 a vu le Cliysophyllum Caïnito sauvage dans plu-
sieurs endroits de l'isthme de Panama. De Tussac, colon de
Saint-Domingue, le regardait comme spontané dans les forêts
des Antilles, et Grisebach 2 le dit spontané et cultivé à la Jamaï-
que, Saint-Domingue, Antigoa et la Trinité. Avant lui, Sloane
le considérait comme échappé des cultures à la Jamaïque, et
Jaequin s'est servi d'une expression vague en disant « Habite
à la Martinique et à Saint-Domingue s. »

Caïmito. – Lucuma Caïmito, Alph. de Candolle


Il ne faut pas confondre ce Gaïmito, du Pérou, avec le Chry-
sophyllum Caïnito des Antilles. Tous deux appartiennent à la
famille des Sapotacées, mais leurs fleurs et leurs graines diffè-
rent. Celui-ci est figuré dans Ruiz et Pavon, Flora peruviana,
vol. 3, pi. 240.
Cultivé au Pérou on l'a transporté à Ega, sur le fleuve des
Amazones, et à Para, où communément on le nomme Abi ou
Abiu
D'après Ruiz et Pavon, il est sauvage dans les parties chaudes
du Pérou, au pied des Andes.
1. Seemann,Bofanyof Herald,p. 166.
2. Grisebach,Flora of britisk Ind. aslands,p. SOS.
3. Sloane.Jamaïque,2, p. 170 Jacquin, Amer.,p. 32.
4. Flora brasil., vol. 7, p. 88.
228 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

Mammei ou Mammei-Sapote. Lucuma mammosa,


Geertner.
Cet arbre fruitier, de l'Amérique tropicale et de la famille des
de botanique à plu-
Sapotacées, a donné lieu dans les ouvrages
sieurs méprises l. Il n'a pas encore été figuré d'une manière
et les voyageurs
complète et satisfaisante, parce que les colonséchantillons bien
le croient trop connu pour en envoyer des
du reste une
choisis, qu'on puisse décrire dans les herbiers. C'est cultivées.
de
négligence assez fréquente lorsqu'il s'agitdans plantes
Le Mammei est cultivé aux Antilles et certaines régions
chaudes du continent américain. M. Sagot nous dit qu'il ne
l'est pas à Cayenne, mais bien dans le Venezuela 2. Je ne vois
ou en Asie, si ce n'est aux
pas qu'on l'ait transporté en Afrique
îles Philippines 3. C'est à cause, probablement, de la saveur
trop fade de son fruit. rforêts
-n
Humtoldt et l'ont trouvé sauvage dans les
Bonpland
des missions de l'Orénoque 4. Tous les auteurs l'indiquent dans
les Antilles, mais comme cultivé, ou sans affirmer qu'il soit
dans les jardins.
spontané. Au Brésil il est uniquement

Sapotillier Sapota Achras, Miller. r<


Le fruit du Sapotiller est le estimé de la famille des Sa-
plus
meilleurs des régions intertropicales. Une
potacées et l'un des dans sa flore des An-
Sapotille plus que mûre, dit Descourtilz du jasmin
tilles, est fondante et offre les doux parfums du miel,le Botanical
et du muguet. L'espèce est très bien figurée dans
dans Tussac, Flore des An-
Magazine, pl. 3111 et 3112, ainsi que
tilles, 1, pl. 5. On l'a introduite dans les jardins de l'île Maurice,
de l'archipel asiatique et de l'Inde, depuis l'époque de Rum-
améri-
phius et Rheede, mais personne ne doute de son origine
caine.
Plusieurs botanistes l'ont vue à l'état spontané dans les 6
forêts
de l'isthme de Panama, de Campêche 5, du Venezuela et peut-
être de la Trinité 7. A la Jamaïque, du temps de Sloane, elle
existait seulement dans les jardins s. Il est bien douteux qu'elle
soit sauvage dans les autres Antilles quoique peut-être des
certain de-
graines jetées çà et là l'aient naturalisée jusqu'à un faciles à
gré. Dans les plantations, les jeunes pieds ne sont pas
élever, d'après Tussac.

1. Voir la synonymiedans Flora brasiliensis,vol. 7, p. 66.


2. Saçot. dans Journal Soc. d'hort. de France,1872,p 347.
3. Blanco,Fl. de Filipinas,sous le nom à'AchrasLucuma.
4. Novagênera,3, p. 240.
5. Dampieret Lussan, dans Sloane,Jamaïca,2, p. 172; Seemann,Bot-
of $erald, p. 166.
6. Jacquin,Amer.,p. 59;Humboldt et Bonpland,Novagênera,3, p. 239.
7. Grisebach,Flora of brit. W. Ind., p. 399.
8. Sloane, l. c.
AUBERGINE. PIMENTS 229

Aubergine. Solanum Melongena, Linné. -Solanum escu-


lentum, Dunal. noms que
L'Aubergine a un nom sanscrit, Vartta, et plusieurs sanscrits
comme à la fois
Piddington, dans son Index, regarde
et bengalis, tels que Bong, Bartakou, Mahoti, Hingoli. Wallich,
dans son édition de la flore indienne de Roxburgh, indique
Vartta, Varttakou, Varttaka, Bunguna, d'oùl'industaniBungan.
On ne peut douter, d'après cela, que l'espèce ne fût connue
dans l'Inde depuis un temps très reculé. Rumphius 1 avait vue
dans les jardins des îles de la Sonde et Loureiro dans ceux de
la Cochinchine. Thunberg ne la mentionne pas au Japon,
variétés dans ce
quoique maintenant on en cultive plusieurs
avaient pas connaissance,
pays. Les Grecs et les Romains n'en
et aucun botaniste n'en a parlé en Europe avant le commence-
ment du xyii6 siècle 1, mais la culture a dû se propager vers
médecin arabe Ebn Bai.tb.ar
l'Afrique avant le moyen âge. Le
parlé, et il cite Rhasès, qui vivait
qui écrivait au xme siècle, en 3aavait
dans le rx.esiècle. Rauwolf vu la plante dans les jardins
Melanzana et Beden-
d'Alep à la fin du xvie siècle. On l'appelait
Forskal écrit Badindjan, est commun
giam. Ce nom arabe, que
avec l'hindustani Badanjan, donné par Piddington. Un indice
chez les
d'ancienneté dans l'Afrique septentrionale estl'existence
4
Berbères ou Kabyles de la province d'Alger d'un nom, Tabend-
arabe. Les voyageurs mo-
jalts, qui s'éloigne asssez du nom du
dernes ont trouvé l'Aubergine cultivée dans toute la région
Nil et sur la côte de Guinée 5. On l'a transportée en Amérique.
La forme cultivée du Solanum Melongena n'a pas été trouvée
à l'état sauvage, mais les botanistes sont assez
iuscru'à présent
d'accord pour considérer les Solanum insanum, Roxburgh, On et
S. incanum, Linné, comme appartenant à la même espèce.
conformément à une étude
ajoute même d'autres synonymes, nombreux échantillons 6. Or
faite par Nees d'Esenbeck sur de
le S. insanum paraît avoir été trouvé sauvage dans la province
de Madras et à Tong-Dong, chez les Birmans. La publication
de l'Inde anglaise de sir
prochaine des Solanées dans la flore
J. Hooker donnera probablement sur ce point des détails plus
précis.

Piments. Poivre de Cayenne. Capsicum.


Le genre Capsicum, dans les meilleurs ouvrages de botanique,
na
•est encombré d'une multitude de formes cultivées, qu on

1. Dunal, Histoiredes Solanum,p. 209.


2. Ebn Baithar,trad. allemande,1, p. 116.
3. Rauwolf,Flora orient.,édit. Groningue,p. 26.
4. Dictionn.français-berbère,publié par le gouvernementfrançais.
5. Thonning,sous le nom de S. edule; Hooker,NigerFlo a, p. 473
6. Transactionsof theLinneansociety,17, p. 48; Baker,Flo- o/ Maun-
tius, p. 215.
230 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

pas vues a l'état sauvage et qui diffèrent surtout par la durée de-
la tige chose assez variable ou par la forme du fruit, carac-
tère de peu de valeur dans des plantes cultivées précisément
pour les fruits. Je parlerai des deux espèces le plus souvent cul-
tivées, mais je ne puis m'empêcher d'émettre l'opinion qu'au-
cun Capsicum n'est originaire de l'ancien monde. Je les crois
tous d'origine américaine, sans pouvoir le démontrer d'une ma-
nière complète. Voici mes motifs.
Des fruits aussi apparents, aussi faciles à obtenir dans les jar-
dins, et d'une saveur si agréable aux habitants des pays chauds
se seraient répandus très vite dans l'ancien monde s'ils avaient
existé au midi de l'Asie, comme on le suppose quelquefois. Ils
auraient des noms dans plusieurs des langues anciennes. Cepen-
dant les Romains, les Grecs et même les Hébreux n'en avaient
pas connaissance. Ils ne sont pas mentionnés dans les anciens
livres chinois Les insulaires de la mer Pacifique ne les culti-
vaient pas lors du voyage de Cook 2, malgré leur proximité des-
îles de la Sonde, où Rumphius mentionnait leur emploi très
habituel. Le médecin arabe Ebn Baithar, qui a recueilli au
xine siècle tout ce que les Orientaux avaient dit sur les plantes
officinales, n'en parle pas.
Roxburgh ne connaissait aucun nom sanscrit pour les Capsi-
cum. Plis tard, Piddington a cité pour le C. frwtescens un nom,
Bran-marieka, qu'il dit sanscrit 3; mais ce nom, qui roule sur
comparaison avec le poivre noir (ÊîuricAa, Murickung)^ est-il
vraiment ancien? Comment n'aurait-il laissé aucune trace dans-
les noms des langues indiennes dérivées du sanscrit 4?
La qualité spontanée, ancienne, des Capsicum est toujours
incertaine, à cause de la fréquence des cultures; mais elle me
paraît plus souvent douteuse en Asie que dans l'Amérique méri-
dionale. Les échantillons indiens décrits par les auteurs les plus
dignes d'attention viennent presque tous des herbiers de la com-
pagnie des Indes, dans lesquels on ne sait jamais si une plante-
paraissait vraiment sauvage, si elle était loin des habitations,
dans les forêts, etc. Pour les localités de l'archipel asiatique, les-
auteurs indiquent souvent les décombres, les haies, etc.
Examinons de plus près chacune des espèces ordinairement
cultivées.

Piment annuel. Capsicum annuum, Linné.


Cette espèce a reçu dans nos langues européennes une infinité-
de noms différents s, qui indiquent tous une origine étrangère et
la ressemblance de saveur avec le poivre. En français, on dit
1. Bretschneider,Onthe study,etc.,p. 17.
2. Forster,Deplantis esculentisinsularum,etc.
3. Piddington,Index.
4. Pid>iinglon,au mot Capsicum.
5. Nemnich,Lexicon,indique douzenoias françaiset huit allemands».
PIMENT-– TOMATE 231
Poivre du Biesxl 2
souvent Poivre de Guinée mais aussi d attri-
il est
dinde etc., dénominations auxquelles est impossible
buer de l'importance. La culture s'en répandue en Europei
Piso et Marcgraf
dès le m» siècle. C'est un des Piments que Ils ne
avaient vus cultivés au Brésil sousienomde~~ou~~ avoir été cultivée
disent rien sur sa provenance. L'espèce paraît
Ancienne date aux Antilles, où elle est désignée par plusieurs
noms caraïbes 2. 3 ne parais-
Les botanistes qui ont le plus étudié les Capsicums
un seul échantillon
sent pas avoir rencontré dans les herbiersété
croire spontané. Je n'ai pas plus heureux.
qu'on puisse le Brésil.
Selon les probabilités, la patrie originaire est la même es-
Le C. grossum Willdenow paraît une forme de
On le cultive dans l'Inde, sous le nom de Kafree-munch
pèce comme
et Ka/free-ckiUy, mais Roxburgh ne le regardait pas
d'origine indienne 4.
Piment aririssean. Capsicum fruteseens, Willdenow.
à la base que le
Cette espèce, plus élevée et plus ligneuse chaudes
dans les
C. annuum, est généralement cultivée en tire régions la glu-s grande
du nouveau et de l'ancien monde. On
du Poivre de Cayenne à l'usage des Anglais, mais ce nom
partie
s'étend quelquefois aux produits d'autres Piments.
indiennes, Rox-
L'auteur le plus attentif à l'origine des plantes
le donne pour spontané dans l'Inde. Selon
burgh, ne point
dans les haies 5.
Blume, il s'est naturalisé dans l'archipel indien, est ancienne, on laa
Au contraire, en Amérique, où la culture
des forêts, avec l'apparence indigène.
trouvé plusieurs fois dans bords de l'Amazone, Pœppig de la
De Martius l'a apporté des
de Maynas du Pérou oriental, et Blanchet de la pro-
province
vince de Bahia Ainsi la patrie s'étend de Bahia au Pérou
la diffusion dans l'Amérique méri-
Sntat ce qui explique
dionale en général.

Tomate. Lycopersicum esculentum, Miller. à un


La Tomate ou Pomme d'amour appartient genre de
Elle na
Solanées dont toutes les espèces sont américaines même dans
d'Asie, ni
point de nom dans les anciennes langues n'était
les langues modernes indiennes 8. Elle pas encore cul-
il y a un
tivée au Japon du temps de Thunberg, c'est-à-dire
1. Piso, p. 107 Marcgraf, p 39.
2. Descourtilz, Flore médicale des Antilles 6, pl. 423. dana*W)u.
3. Fingerhuth, Monographia gen. Capsm, p. 1^5 Sendtner,
br<zsil.,vol. 10, p. 147.
6ïrRÔxltgh.' h S, 704. ed. Wall., 2, p. 260 éd., 1832, 2, p. S74.
5. Blume, Bijdr. 2, p.
6. Sendtner, dans Flora bras., 10, p. 14d.
7. Alph. de Candolle, Pî~od)- 1.3,s. 1, p. 26.
8. Roxburgh, FL. Indrca, éd. 1.832,vol. 1, p. 565 Piddington, Index.
232 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

siècle, et le silence des anciens auteurs sur la Chine montre que


l'introduction y est moderne. Rumphius 1 l'avait vue dans les
jardins de l'archipel asiatique. Les Malais l'appelaient Tomatte;
mais c'est un nom américain, car C. Bauhin désigne l'espèce
comme Tumatle Americanorum. Rien ne fait présumer qu'elle
fût connue en Europe avant la découverte de l'Amérique.
Les premiers noms donnés par les botanistes, au xvie siècle,
font supposer qu'on avait reçu la plante du Pérou 2. Elle a été
cultivée sur le continent américain avant de l'être aux Antilles,
car Sloane ne la mentionne pas à la Jamaïque, et Hughes 3 dit
qu'elle a été apportée du Portugal à la Barbade, il n'y a guère
plus d'un siècle. Humboldt regardait la culture des Tomates
comme ancienne au Mexique 4. Je remarque cependant que le
premier ouvrage sur les plantes de ce pays (Hernandez, Historia)
n'en fait pas mention. Les premiers auteurs sur le Brésil, Piso
et Marcgraf, n'en parlent pas non plus, quoique l'espèce soit
aujourd'hui cultivée dans toute l'Amérique intertropicale. Nous
revenons ainsi, par exclusion, à l'idée d'une origine péruvienne,
au moins pour la culture.
De Martius 5 a trouvé la plante spontanée dans les environs
de Rio-de-Janeiro et de Para, mais échappée peut-être des jar-
dins. Je ne connais aucun botaniste qui l'ait trouvée vraiment
sauvage, dans l'état que nous connaissons, avec ses fruits plus
ou moins gros, bosselés et à côtes renflées; mais il n'en est pas
de même de la forme à petits fruits sphériques, appelée L. cera-
si formedans certains ouvrages de botanique et considérée, ce me.
semble 6, avec raison, dans d'autres ouvrages, comme apparte-
nant à la même espèce. Celle-ci est sauvage sur le littoral du
Pérou 7, à Tarapoto, dans le Pérou oriental et sur les confins
du Mexique et des Etats-Unis vers la Californie 9. Elle se natu-
ralise quelquefois dans les déblais, près des jardins 10.C'est ainsi
probablement que l'habitation s'est étendue, du Pérou, au nord
et au midi.

Avocatier. Persea gratissima, Gsertner.


IS Avocat,Alligator pear des Anglais, est un des fruits les plus-

1. Rumphius,Amboin.,5, p. 416.
2. Malaperuviana,Pomidel Peru, dans Bauhin,Hist.,3, p. 621.
3. Hughes,Barbadoes,p. 148.
4. Humboldt,Nouv.Espagne,éd. 2, vol. 2, p. 472.
5. Flora brasil., vol. 10,p. 126.
6. Les proportionsdu calice et de la corollesont les mêmes que dans
la Tomatecultivée,maisellessontdifférentesdans l'espècevoisine,L.Hum-
boldtii,donton mangeaussile fruit,d'aprèsde Humboldt,et qu'ila trouvée
sauvagedansle Vénézuéla.
7. Ruizet Pavon,Flov.peruv.,2, p. 37.
8. Spruce,n. 4143,dans l'HerbierBoissier.
9. Asa Gray,Bot. ot California,1, p. 538.
10. Baker, Flora of Mauritius,p. 216.
AVOCATIER. PAPAYER 233

T~–i-j?-j--
estimés dans les pays tropicaux. Il appartient à la famille des
Lauracées. Son apparence est celle d'une poire contenant un
les figures de Tussac,
gros noyau, comme cela se voit bien dans
Flore des Antilles, 3, pl. 3, et du Botanical Magazine, pl. 4580.
Rien de plus ridicule que les noms vulgaires. Celui d'Alligator
vient on ne sait d'où. Celui d'Avocat est une corruption d'un
nom mexicain, Akuaca ou Aguacate. Le nom botanique Persea
n'a rien de commun avec le Persea des Grecs, qui était un
Cordia.
fruitier
D'après Clusius en 1601, l'Avocatier était un arbre
d'Amérique, introduit en Espagne, dans un jardin; mais, comme
il s'est beaucoup répandu dans les colonies de l'ancien monde et
que parfois il devient presque spontané 2, on peut se tromper
sur l'origine. Cet arbre n'existait pas encore dans les jardins
de l'Inde anglaise au commencement du xixe siècle. On l'avait
apporté dès le milieu du xvme dans l'archipel de là Sonde3,
et en 1750 aux îles Maurice et Bourbon 4.
En Amérique, l'habitation actuelle, à l'état spontané, est sin-
dans les forêts, au bord
gulièrement vaste. On a trouvé l'espèce
des fleuves et sur le littoral de la mer depuis le Mexique et les
Antilles jusqu'à la région des Amazones 5. Elle n'a pas toujours
eu cette grande extension. P. Browne dit formellement que
l'Avocatier a été introduit du continent à la Jamaïque, et Jac-
en général G._Piso et
quin pensait de même pour les Antilles n'in-
Marcgraf ne l'ont pas mentionnée au Brésil, et de Martius
dique aucun nom brésilien.
Lors de la découverte de l'Amérique, l'Avocatier était certai-
nement cultivé et indigène au Mexique, d'après Hernandez. Au
Pérou, d'après Acosta 7, on le cultivait sous le nom de Palto,
il
qui était celui d'un peuple du Pérou oriental,fûtchez lequelsur
abondait 8. Je ne connais pas de preuve qu'il spontané
le littoral péruvien.

Papayer. Carica Papaya, Linné. Papaya vtilgaris, de


Candolle.
Le Papayer est une grande espèce vivace, plutôt qu'un arbre.
Il a une sorte de tronc juteux, terminé par une touffe de

1. Clusius,Historia,p. 2.
2. Par exempleà.Madère,d'aprèsGrisebach,FI. of brit. W. India, p. 280;
aux iles Maurice,Seychelleset Rodriguez,d'après Baker, Flora, p. 290.
3. Il n'est pas dans Rumphius.
4. Aublet,Guyane,1, p. 364.
5. Meissner,dans Prodromus,vol. 15, seet. 1, p. 52, et Flora brasil.,
vol. 5, p. 158. Pour le Mexique Hernandez,p. 89. Pour le Venezuelaet
Para Nees, Laurines, p. 129.Pour le Pérou oriental Pœppig, Exsicc.,
tu par Meissner.
6. P. Browne,Jamaïca, p. 214;Jacquin, Obs.,i, p. 38.
7. Acosta,Hist. nat. des Indes, édit. 1508,p. 17tf.
8. Laet, Hist.nouv.monde,1, p. 325,341.
234 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

feuilles dans le genre des choux-cavaliers, et les traits, qui res-


semblent aux melons, sont suspendus au-dessous des feuilles
On le cultive maintenant dans tous les pays tropicaux, même
jusqu'aux 30e-32e degrés de latitude. Il se naturalise facilement
hors des plantations. C'est une des causes pour lesquelles on l'a
dit et on persiste à le dire originaire d'Asie ou d'Afrique, tan-
dis que Robert Brown et moi avons démontré, en 1818 et 18§5,
son origine américaine 2. Je répéterai les arguments contre l'ori-
gine supposée de l'ancien monde.
L'espèce n'a pas de nom sanscrit. Dans les langues mo-
dernes de l'Inde, on la nomme d'après le nom américain Papaya,
qui dérive du nom caraïbe Ababai 8. D'après Rumphius les ha-
bitants de l'archipel indien la regardaient comme d'origine
exotique, introduite par les Portugais, et lui donnaient des noms
exprimant l'analogie avec d'autres plantes ou une importation
de l'étranger. Sloane 5, au commencement du xvme siècle, cite
plusieurs de ses contemporains d'après lesquels on l'avait trans-
Forster ne
portée des Indes occidentales en Asie et en Afrique.la mer Paci-
l'avait pas aperçue dans les plantations des îles de
fique lors du voyage de Cook. Loureiro 6, au milieu du xviir*siè-
cle, l'avait vue dans les cultures de la Chine, de la Cochinchine et
du Zanguehar. Une plante aussi avantageuse et aussi particulière
d'aspect se serait répandue depuis des milliers d'années dans
l'ancien monde si elle y avait existé. Tout porte à croire qu'elle
a été introduite sur les côtes occidentales- et orientales d'Afri-
que et en Asie, depuis la découverte de l'Amérique.
Toutes les espèces de la famille sont américaines. Celle-ci
doit avoir être cultivée du Brésil aux Antilles et au Mexique
avant l'arrivée des Européens, puisque les premiers auteurs sur
les productions du nouveau monde en ont parlé 7.
Marcgraf avait vu souvent des pieds mâles (toujours plus nom-
breux que les femelles) dans les forêts du Brésil, tandis que les
pieds femelles étaient dans les jardins. Clusius, qui a donné le
premier une figure de la plante 8, dit qu'elle avait été dessinée
en 1607 à la « baie des Todos Santos (province deBahia). Je ne
connais pas d'auteur moderne qui ait confirmé l'habitation au

pl. 10-
1. Voir les belles planches de Tussae,Flore des Antilles,3, p. 45,réunie
et 11 Le Papayer appartient à la petite famille des Papayacées,
par auelquesbotanistesauxPassilloreeset par d'autres aux Bixacées.rai-
2. R. Brown,Botanyof Congo,p. 52; A. de Candolle,Géogr.bot.
tonnée,P. 917.
3. Sagot,Journalde la Société centraled'horticulturede France, 1872.
4. Rumphius,Amboin.,1, p. 147.
5. Sloane, Jamaïca, p. 165.
6. Loureiro,Flora CocUnch., p. 772. -,““. ;dans
7. Marcsraf, Brasil.,p. 103,e t Piso,p. 159,pour le Brésil, Ximenes,
Jlarcgrafet Hernandez,Thesaurus,p. 99,p.ourle Mexique;ce dernierpour-
Saint-Domingueet le Mexique.
8. Clusius,Curx posterions,p. 79, 80
FIGUIER 235

Brésil. De Martius ne mentionne pas l'espèce dans son diction-


naire sur les noms de fruits en langue des Tupis On ne la
cite pas comme spontanée à la Guyane et dans la Colombie.
P. Browne 2 affirme, au contraire, la qualité spontanée à la
Jamaïque, et avant luiXimenes et Hernandez l'avaient affirmée
pour Saint-Domingue et le Mexique. Oviedo paraît avoir vu le
Papayer dans l'Amérique centrale, et il cite pour Nicaragua le
nom vulgaire Olocoton. Cependant MM. Correa de Mello et
Spruce, dans leur mémoire important sur les Papayacées, après
avoir beaucoup herborisé dans la région des Amazones, .au
Pérou et ailleurs, regardent le Papayer comme originaire des
iles Antilles et ne pensent pas qu'il soit sauvage nulle part sur
le continent. J'ai vu 4 des échantillons rapportés des bouches
de la rivière Manate en Floride, de Puebla au Mexique et de
Colombie; mais les étiquettes ne portent aucune remarque sur
la qualité spontanée. Les indices, comme on voit, sont nombreux
pour les -bords du golfe du Mexique et les Antilles. L'habitation
au Brésil, fort isolée, est suspecte,

Figuier. Ficus Carica, Linné.


L'histoire du Figuier présente beaucoup d'analogie avec celle
de l'Olivier en ce qui concerne l'origine et les limites géogra-
phiques. Son habitation, comme espèce spontanée, a pu s'éten-
dre par un effet de la dispersion des graines à mesure que la
culture s'étendait. Cela paraît probable, car les graines traver-
sent intactes les organes digestifs de l'homme et des ani-
maux. Cependant on peut citer des pays dans lesquels on cul-
tive le figuier depuis au moins un siècle sans .qu'il se soit
naturalisé de cette manière. Je ne parle pas de l'Europe au nord
des Alpes, où l'arbre exige des soins particuliers et mûrit mal
ses fruits, même ceux de la première portée, mais par exemple
de l'Inde, du midi des Etats-Unis, de l'île Maurice et du Chili,
où, d'après le silence des auteurs de flores, les faits de quasi
spontanéité paraissent rares.
De nos jours, le Figuier est spontané ou presque spontané dans
une vaste région dont la Syrie est à peu près le milieu, savoir
de la Perse orientale ou même de l'Afghanistan, au travers de
toute la région de la Méditerranée, jusqu'aux îles Canaries s.
Du midi au nord, cette zone varie de 23 à 40-42° de latitude
environ, suivant les circonstances locales. En général, le Figuier
1. Martius,Beitr.s. Ethnographe,2, p, 418.
2. P. Browne,Jamaïca, ed. 2, p. 360. La premièreédition, que je n'ai
pas vue, est de 1756.
3. Le passage d'Oviedoest traduit en anglais par Correa de Melloet
Spruee, dans leur mémoire, Journal of the proceedingsof the Linnean
Society,10,p. 1.
4. Prodr., 15, s. 1, p. 414.
5. Boissier,Flora orientalis,4, p. 1154 Brandis,Forest flora of India,
p. 418 Webb et Berthelot,Hist.nat. des Canaries,Botanique,3, p. 287.
236 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

s'arrête, comme l'Olivier, au pied du Caucase et des montagnes


de l'Europe qui bordent le bassin de la mer Méditerranée, mais
il se montre à l'état presque spontané, sur la côte sud-ouest de
la France, grâce à la douceur des hivers
Voyons si les documents historiques et linguistiques font pré-
sumer dans l'antiquité une habitation moins vaste.
Les anciens Egyptiens appelaient la figue Teb 2, et les plus
anciens livres des Hébreux parlent du Figuier, soit sauvage, soit
cultivé, sous le nom de Teenak 3, qui a laissé sa trace dans
l'arabe Tin 4. Le nom persan est tout autre, Unjir; mais je ne
sais s'il remonte au zend. Piddington mentionne, dans son
Index, un nom sanscrit, Udumvara, que Roxburgh, très soigneux
dans ces sortes de questions, n'indique pas, et qui n'aurait
laissé aucune trace dans les langues modernes de l'Inde, à en
juger d'après quatre noms cités par ces auteurs. L'ancienneté
d'existence à l'orient de la Perse me semble un peu douteuse
jusqu'à ce que le nom attribué au sanscrit ait été vérifié. Les
Chinois ont reçu le Figuier de Perse, mais seulement au hui-
tième siècle de notre ère 6. Hérodote dit que les Perses ne man-
quaient pas de figues, et Reynier, qui a fait des recherches
scrupuleuses sur les usages de cet ancien peuple, ne mentionne
pas le Figuier. Cela prouve seulement que l'espèce n'était pas
utilisée et cultivée, mais elle existait peut-être à l'état sauvage.
Les Grecs appelaient le Figuier sauvage Erineos et les Latins
Caprificus. Homère mentionne dans l'Iliade un pied de cet arbre
<jui existait près de Troie 7. M. Hehn affirme s que le Figuier
cultivé ne peut pas être venu du Figuier sauvage, mais tous les
botanistes sont d'une opinion contraire 9, et, sans parler des dé-
tails floraux sur lesquels ils s'appuyent, je dirai que Gussone a
obtenu des mêmes graines des pieds de la forme Caprificus et

1. M.le comte de Solms-Laubach,dans une savante dissertation(Her-


kunft, Domestication,etc., des Feigenbaums,in-4, 1882),a constaté sur
place des faits de ce genre, déjà indiqués par diversauteurs. Il n'a pas
• trouvéles graines pourvuesd'embryons(p. 64),ce qu'il attribueà l'absence
de l'insecte(Blastophaga),qui vit ordinairementdans la figuesauvage et
favorisela fécondationd'une fleur à l'autre dans l'intérieur du fruit. On
assure cependantque la fécondation s'opèrequelquefoissansle secours
de l'insecte.
2. Chabas,Mélangesegyptol.,série 3 (1873),vol. 2, p. 92.
3. Rosenmuller,Bibl.Alterthumskunde, 1, p. 285; Reynier,Economiepu-
bliquedes Arabeset des Juifs,p. 470 (pourla Michna).
4. Forskal.FI. ssgypto-arab.,p. 125.M. de La.sarde(Revuecrit. d'hist.,
27février1882)dit que ce nomsémiteest très ancien.
5. Bretschneider,dans Solms, l. c., p. 51.
6. Hérodote,1, 71.
7. Lenz,Botanikder Griechen,p. 421, cite quatre vers d'Homère.Voir
aussi Hehn, Culturpflanzen,ed. 3, p. 84.
8. Hehn,Culturpflanzen,ed. 3, p. 513.
9. Il ne faut pas s'attacheraux divisionsexagéréesfaites par Gasparini
dans leFicus Carica,Linné.Lesbotanistesqui ont étudié le Figuieraprès
lui conserventune seule espèce et énumèrent dans le Figuier sauvage
plusieursvariétés.Ellessontinnombrablespour les formescultivées.
FIGUIER 237

de l'autre l. Laremarque faite par plusieurs érudits qu'il n'est pas


ne prouve donc
question dans YIliade de la figue cultivée, Sukai,
de la guerre de Troie.
pas l'absence du Figuier en Grèce à l'époque
C'est dans l'Odyssée que la figue douce est mentionnée par
Homère, et encore d'une manière assez vague. Hésiode, dit
M. Hehn, n'en parle pas, et Archilochus (700 ans avant
clairement la culture
J.-C.) est le premier qui en ait mentionné
chez les Grecs, à Paros. D'après cela, l'espèce existait à l'état
l'introduc-
sauvage en Grèce, au moins dans l'Archipel, avant
tion de variétés cultivées originaires d'Asie. Théophraste et
Dioscoride mentionnent des Figuiers sauvages et cultivés2.'
Remus et Romulus, selon la tradition, auraient été nourris
sous un pied de Ficus qu'on appelait ruminaïis, de rumen, ma-
melle 3. Le nom latin Ficus, que M. Hehn, par un effort d'érudi-
tion, fait venir du grec Sukai fait aussi présumer une existence
ancienne en Italie, et l'opinion de Pline est positive à cet égard.
Les bonnes variétés cultivées ont été introduites plus tard chex
les Romains. Elles venaient de Grèce, de l'Asie Mineure et de
Syrie. Du temps de Tibère, comme aujourd'hui, les meilleures
figues venaient de l'Orient.
Nous avons appris au collège comment Caton avait exhibé en
comme
plein sénat des figues de Carthage encore fraîches, Les Phéniciens
preuve de la proximité du pays qu'il détestait.
avaient dû transporter de bonnes variétes sur la côte d'Afrique
et dans les autres colonies de la mer Méditerranée, même jus-
avoir existé
qu'aux îles Canaries, mais le Figuier sauvage peut
antérieurement dans ces pays.
Pour les Canaries, nous en avons une preuve par des noms
lahareme-
guanches, Arahormaze et Achormaze, figues vertes,
nen et Tehahunemen, figues sèches. Les savants Webb et Ber-
thelot 5, qui ont cité ces noms et qui avaient admis l'unité d'ori-
chez
gine des Guanches et des Berbères, auraient vu avec plaisir
les Touaregs, peuples berbères, le mot Tahart pour Figuier 6, et
dans le dictionnaire français-berbère, publié depuis eux, les noms
Tabeksist pour figue fraîche et Tagrourt pour Figuier. Ces vieux
noms, d'origine plus ancienne et plus locale que l'arabe, parlent
en faveur d'une habitation très ancienne dans le nord de l'Afri-
que jusqu'aux Canaries.
Le résultat de notre enquête est donc de donner pour habi-

1. Gussone,Enum. plant. Inarimensium,p. 301.


2. Pour l'ensemblede l'histoiredu Figuier et de l'opération,d'une utilité
douteuse,qui consisteà répandre des Caprificusà insectesparmi les pieds
cultivés(capriflcation), voir la dissertationde M. le comte de Solms.
3. Pline, Hist, 1. 15, c. 18.
4. Hehn, l. c., p. 512.
5. Webb et Berthelot,l. c., Ethnographie,p. 136, 187; Phytograplne,
3, p. 237.
6. D'aprèsDuveyrier,Les Touaregsdu nord, p. 193.
238 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

tation préhistorique du Figuier la région moyenne et méridio-


nale de la mer Méditerranée, depuis la Syrie jusqu'aux îles
Canaries.
On peut avoir du doute sur l'ancienneté des Figuiers mainte-
nant dans le midi delà France mais un fait bien curieux doit être
mentionné. M. Planchon a trouvé dans les tufs quaternaires de
Montpellier et M. le marquis de Saporta dans ceux des Ayga-
lades, près de Marseille, et dans le terrain quaternaire de La
Celle, près de Paris, des feuilles et même des fruits du Ficus
Carica sauvage avec des dents d'Elephas primigenius, et des
feuilles de végétaux, dont les uns n'existent plus, et d'autres
comme leLawus canariensis, sont restés aux îles Canaries. Ainsi
le Figuier a peut-être existé sous sa forme actuelle, dans un
temps aussi reculé. Il est possible qu'il ait péri dans le midi
de la France, comme cela est arrivé certainement à Paris; après
midi.
quoi il serait revenu à l'état sauvage dans les localités du
Peut-être les Figuiers dont Webbet Berthelot avaient vu de vieux
individus dans les endroits les plus sauvages des Canaries des-
cendaient-ils de ceux qui existaient à l'époque quaternaire.

Arbre à pain. Artocarpus incisa, Linné.


L'Arbre à pain était cultivé dans toutes les îles de Parchipel
asiatique et du grand Océan voisines de l'équateur, depuis Su-
matra jusqu'aux iles Marquises, lorsque les Européens ont
commencé de les visiter. Son fruit est constitué, comme dans
l'Ananas, par un assemblage de feuilles florales et de fruits
soudés en une masse charnue plus ou moins sphérique, et, comme
dans l'Ananas encore, les graines avortent dans les variétés
cultivées les plus productives 2. On fait cuire des tranches de
cette sorte de fruit pour les manger.
Sonnerat 3 avait transporté l'Arbre à pain à l'île Maurice, où.
l'intendant Poivre avait eu soin de le répandre. Le capitaine
Bligh avait pour mission de le transporter dans les Antilles an-
glaises. On sait qu'une révolte de son équipage l'empêcha de
réussir la première fois, mais dans un second voyage il fut plus
heureux. En janvier 1793, il débarqua l§0 pieds dans l'île de
Saint-Vincent, d'où l'on a répandu l'espèce dans plusieurs loca-
lités de l'Amérique équinoxiale i.
Rumphius avait vu l'espèce à l'état sauvage dans plusieurs

1. Planchon, Etude sur les tufs de Montpellier,p. 63; de. Saporta, La


flore des tufs quaternaires en Provence,dans les Comptes rendus de la
et
33»sessiondu Congrèsscientifiquede France, à paît, p. 27, Bull.Sac. geo-
log.,1873-74, p. 442.
2. Voir les belles planches publiées dans Tussac, Flore des Antilles,
vol. 2, pl. 2 et 3 et Hooker,Botanicalmagazine,t. 2869-2871,
3. Voyageà la Nouvelle-Guinée, p. 100..
4. Hooker,l. c.
5. Rumphius,Herb.Amboin.j1, p. 112,pL 33.
239
ARBRÈ A PAIN. – JACQUIER
attentifs ou
des îles de la Sonde. Les auteurs modernes, moins
ne s'expliquent pas à cet
n'ayant observé que des pieds cultivés,1 dit « Cultivé et selon toutes
Pour les îles Fidji, Seemam
égard. le con-
les apparences sauvage dans quelques localités ». Sur n'étant
tinent du midi de l'Asie il n'est pas même cultivé, le climat
pas assez chaud. de Java, Amboine
Evidemment, l'Arbre à pain est originaire la
et îles voisines; mais l'ancienneté de sa culture dans toute
la multitude des variétés, et la
région insulaire, prouvée par des
facilité de sa propagation par drageons et des boutures
de connaître exactement son histoire. Dans les îles
empêchent fables et tra-
de l'extrémité orientale, comme O-Taïti, certaines très
ditions font présumer une introduction qui ne serait pas
2.
ancienne, et l'absence de graines le confirme

Jacquier ou Jack. Artocarpus iniegrifatia, Linné.


Le fruit du Jacquier, plus gros que celui de l'Arbre à pain,
branches d'un
car il pèse jusqu'à 80 livres, est suspendu aux
Fontaine Lavait
arbre de 30 à 50 pieds de hauteur 3. Si le bon La de
du gland et la citrouille.
connu, il n'aurait pas écrit sa fable indiens Jaea oa/sja.a.
Le nom vulgaire est tiré des noms méridio-
Le Jacquier est cultivé depuis longtemps dans 1 Asie
nale, du Punjab à la Chine, de l'Himalaya aux îles Moluques.
Il ne s'est pas introduit encore dans les petites îles plus a 1 orient,
ancienne dans
comme 0-Taïti, ce qui faitprésumer une date moins Du côté nord-
l'archipel indien que sur le continent asiatique. non
ouest de l'Inde, la culture ne date peut-être pas plus d une
très reculée, car on n'est pas certain de l'existence d'un
époque mais après lui
nom sanscrit. Roxburgh en cite un, Punma, Persans et les
Les
Piddington ne l'admet pas dans son Index. Son fruit énorme
Ses ne semblent pas avoir connu l'espèce.été cultivée
les aurait pourtant frappés si l'espèce avait près de
leurs frontières. Le Dr Bretschneider ne parle pas d'Artocarpus
dans son opuscule sur les plantes connues des ancienslesChinois,autres
dans
d'où l'on peut inférer que vers la Chine, comme une
directions, le Jacquier n'est pas un arbre répandu depuis
époque très ancienne.
sur son existence à l'état sauvage est
La
première
notion termes contestables « Cet arbre
donnée par Rheede dans des
» Le vénérable
croît partout au Malabar et dans toute l'Inde.l'arbre
auteur confondait peut-être l'arbre planté et à spontané.
lui cependant, Wight a trouvé l'espèce, plusieurs re-
Après

1. Seemann,Flora Vitiensis,p. 255.


2. Seemann,fS^Etag inum.'de, plantes indigènesde TaUl,p. 44;
Id., Plantesusuellesdes Tahitiens,p. 24. Antilles,pl. 4, et Hooker,Bota-
V^LJ^â^n^'Flrt^
t.
tiical magazine, 2833, 2834.
240 PLANTES CULTIVÉES POURLEURS FRUITS

prises, dans la péninsule indienne, notamment dans les Ghats-


occidentaux, avec toute l'apparence d'un arbre indigène sauvage.
On le plante beaucoup à Geylan; mais Thwaites, la meilleure
autorité pour la flore de cette île, ne le reconnaît pas comme
spontané. Dans l'archipel au midi de l'Inde, il ne l'est pas non
plus, selon l'opinion générale. Enfin, Brandis en a trouvé des
pieds dans les forêts du district d'Attaran, pays des Birmans,
à l'est de l'Inde, mais il ajoute que c'est toujours à proximité
d'établissements abandonnés. Kurz ne l'a pas trouvé spontané
dans le Burman anglais
Ainsi l'espèce est originaire du pied des montagnes occiden-
tales de la péninsule indienne, et son extension dans le voisinage,
à l'état cultivé, ne remonte probablement pas plus haut que
l'ère chrétienne. Il a été apporté à la Jamaïque en 1782, par
l'amiral Rodney, et de là à Saint-Domingue 2. On l'a introduit
aussi au Brésil, dans les îles Maurice, Seychelles et Rodriguez 3.

Dattier. – Phœnixdactylifera, Linné.


Le Dattier existe, depuis les temps préhistoriques, dans la
zone sèche et chaude qui s'étend du Sénégal au bassin de
l'Indus, principalement entre les 15e et 30e degrés de latitude.
On le voit çà et là plus au nord, en raison de circonstances
exceptionnelles et du but qu'on se propose en le cultivant. En
effet, au delà du point où les fruits mûrissent chaque année, il
y a une zone dans laquelle ils mûrissent mal ou rarement, et
une dernière limite jusqu'à laquelle l'arbre vit encore, mais sans
fructifier ni même fleurir. Le tracé de ces limites a été donné
d'une manière complète par de Martius, Carl Ritter et moi-
même 4. Il est inutile de les reproduire ici, le but du présent
ouvrage étant d'étudier les origines.
En ce qui concerne le Dattier, nous ne pouvons guère nous
appuyer sur l'existence plus ou moins constatée d'individus
vraiment sauvages ou, comme on dit, aborigènes. Les dattes se
transportent facilement; leurs noyaux germent quand on les
sème dans un terrain humide, près d'une source ou d'une
rivière, et même dans des fissures de rochers. Les habitants des
oasis ont planté ou semé des Dattiers dans des localités favora-
bles où l'espèce existait peut-être avant les hommes, et quand
un voyageur rencontre des arbres isolés, à distance des habita-
tions, il ne peut pas savoir s'ils ne viennent pas de noyaux jetés
par les caravanes. Les botanistes admettent bien une variété

1. Rheede,Malabar,3, p. 18; Wight,Icônes,2, num. 678;Brandis,Forest


flora of India, p. 426 Kurz,Forestflora of brit. Burma,p. 432.
2. Tussac,Le.
3. Baker,Flora of Mauritius,etc.,p 282.
4. De Martius, Gêneraet speciesPalmarum, ia-folio, vol. 3, p. -257:
C.Ritter, Erdkunde,13, p. 760 Alph. de Candolle,Gêoqraphîe
f botanique
2
raisonnée,p. 343.
DATTIER 241

sylvestris, c'est-à-dire sauvage, àbaies petites et acerbes; mais c'est


peut-être l'effet d'une naturalisation peu ancienne dans un- sol
défavorable. Les faits historiques et linguistiques auront plus de
valeur dans le cas actuel, quoique sans doute, vu l'ancienneté des
cultures, ils ne puissent donner que des indications probables.
D'après les antiquités égyptiennes et assyriennes, ainsi que les
traditions et les ouvrages les plus anciens, le Dattier existait en
abondance dans la région qui s'étend de l'Euphrate au Nil. Les
monuments égyptiens contiennent des fruits et des dessins de
cet arbre l. Hérodote, à une époque moins reculée (v° siècle
avant Jésus-Christ), parle des bois de Dattiers qui existaient en
Babylonie; plus tard Strabons'est exprimé d'une manière analogue
sur ceux d'Arabie, par où il semblequel'espèceétait plus commune
qu'à présent et plus dans les conditions d'une essence forestière
naturelle. D'un autre côté Carl Ritter fait la remarque ingé-
nieuse que les livres hébreux les plus anciens ne parlent pas des
Dattiers comme donnant un fruit recherché pour la nourriture
de l'homme. Le roi David, vers l'an 1000 avant Jésus-Christ,
environ sept siècles après Moïse, n'énumère pas le Dattier au
nombre des arbres qu'il convient de planter dans ses jardins. Il
est vrai qu'en Palestine, sauf à Jéricho, les dates ne mûrissent
guère. Plus tard, Hérodote dit des Dattiers de Babylonie, que la
majorité seulement des pieds donnait de bons fruits, dont on
faisait usage. Ceci paraît indiquer le commencement d'une cul-
ture perfectionnée au moyen de la sélection des variétés et du
transport des fleurs mâles au milieu des branches de pieds fe-
melles, mais cela signifie peut-être aussi qu'Hérodote ne connais-
sait pas l'existence des pieds mâles.
A l'occident de l'Egypte, le Dattier existait probablement
depuis des siècles ou des milliers d'années quand Hérodote les a
mentionnés. Il parle de la Libye. Aucun document historique
n'existe pour les oasis du Sahara, mais Pline 2 mentionne les
Dattiers des îles Canaries.
Les noms de l'espèce témoignent d'une grande ancienneté soit
en Asie, soit en Afrique, attendu qu'ils sont nombreux et fort
différents. Les Hébreux appelaient le Dattier Tamar et les anciens
Egyptiens Beq 3. L'extrême diversité de ces mots, d'une grande
antiquité, fait présumer que les peuples avaient trouvé l'espèce
indigène et peut-être déjà nommée dans l'Asie occidentale et
en Egypte. La multiplicité des noms persans, arabes et ber-
bères, est incroyable 4. Les uns dérivent du mot hébreu, les
autres de sources inconnues. Ils s'appliquent souvent à des états
•différents du fruit ou à des variétés cultivées différentes, ce qui

1. Unger, Pflanzend. alt. Mgimtms.p.


r 38,<
2. Pline, Hist., 6, e. 37.
3. Unger, l. c.
4. VoirC. Ritter, l. c.
DE Gahdolle. 16
CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
242 PLANTES
T
cultures dans divers pays. WefiJ*
montre encore d'anciennes dans la
et Berthelot n'ont pas découvert un nom du Dattier
à regretter. Le nom grec,
langue des Guanches, et c'est bien Phénicie et aux Phéniciens,
Phœnix, se rapporte simplement à la Datte sont des
possesseurs du Dattier 1. Les noms Dactylus et aucun
dérivés de Dachel, dans un dialecte hébreu 2. On ne citede Dat-
nom sanscrit, d'où l'on peut inférer que les plantations Le
climat
tiers ne sont pas très anciennes dans l'Inde occidentale.
indien ne convient pas à l'espèce 3. Le nom hindustani, Khurma,
est emprunté au persan. “ m.
Plus à l'est, le Dattier a été longtemps inconnu. Les Chinois
dif-
l'ont reçu de Perse, au me siècle de notre ère, et plus tard à En
férentes reprises, mais aujourd'hui ils l'ont abandonné 4.
s'étend de lEuphrate au
général, hors de la région aride qui sous
midi de l'Atlas et aux Canaries, le Dattier n'a pas réussi un
devenu
des latitudes analogues, ou du moins il n'est pas
aurait de bonnes conditions d'exis-
objet important de culture. Il
tence en Australie et au Cap, mais les Européens, qui ont colonisé et de
ces pays, ne se contentent pas, comme les Arabes, de figues
dans les
dattes pour leur nourriture. J'estime, en définitive, que Dattier
temps antérieurs aux premières dynasties égyptiennes le
existait déjà, spontané ou semé çàet là par des tribus errantes,1&
mis à
dans la zone de l'Euphrate aux Canaries, et qu'on s'est et
cultiver plus tard jusqu'au nord-ouest de 1 Inde, d'un côte, natu-
aux îles du Cap-Vert s, de l'autre, de sorte que l'habitation
relle est restée à peu près la même environ 5000 ans. Qu'était-elle
à une époque antérieure? C'est ce que des découvertes paléonto-
un jour.
logiques apprendront peut-être
Bananier. Musa sapientum et M. paradisiaca, Linné.
M. sapientum, Brown.
On regardait assez généralement le Bananier, ou les Bana-
transe
niers, comme originaires de l'Asie méridionale et comme
M. de Humboldt
portés en Amérique par les Européens, lorsque
est venu jeter des doutes sur l'origine purement asiatique. Il a
d'anciens
cité, dans son ouvrage sur la Nouvelle-Espagne 6, en Amé-
auteurs d'après lesquels le Bananier aurait été cultivé
rique avant la découverte.
Il convient que, d'après Oviedo 7, le Père Thomas de Ber-

1. Hehn,Culturpflanzen,ed. 3, p. 234.
2. C. Ritter, l. c., p. 828.
3. D'aprèsRoxburgh,Royle,etc.
4. Bretschneider,Onstucty,etc., p 31.
5. $$$fê^iffllLc£r%*u*. p. 168,le Dattier estrar*
dans cesîles et n'y est certainementpas sauvage.Aucontraire,dans quel-
l atoutes les apparencesd'un arbre indigène,
ques-unesdes lies Canaries,iHist.nat.
d'après Webb et Berthelot, des Canaries,Botanique,3, p. 289.
6. De Humboldt,Nouvelle-Espagne, 1''°édit., II, p. 360.
est
7. Oviedo,Hist.nat., 1556,p. 112-li4. Le premier ouvraged'Oviedo
BANANIER 243

langas aurait transporté, en 1516, des îles Canaries à Saint-


Domingue, les premiers Bananiers, introduits de là dans d'autres
îles et sur la terre ferme 1. Il reconnaît que, dans les. relations
de Colomb, Alonzo Negro, Pinzon, Vespuzzi et Cortez, il n'est
jamais question de Bananier. Le silence de Hernandez, qui
vivait un demi-siècle après Oviedo, l'étonné et lui paraît une
négligence singulière, « car, dit-il s, c'est une tradition con-
stante au Mexique et sur toute la terre ferme que le Platano
arton et le Dominico y étaient cultivés longtemps avant l'arrivée
des Espagnols. » L'auteur qui a marqué avec le plus de soin
les différentes époques auxquelles l'agriculture américaine s'est
enrichie de productions étrangères, le Péruvien Garcilasso de la
Tega 3, dit expressément que, du temps des Incas, le maïs, le
quinoa, la pomme de terre, et dans les régions chaudes et tem-
pérées les bananes faisaient la base dj la nourriture des indi-
gènes. Il décrit le Musa de la vallée des Andes; il distingue
même l'espèce plus rare, à petit fruit sucré et aromatique, le
Dominico, de là banane commune ou Arton. Le Père Acosta 4
affirme aussi, quoique moins positivement, que le Musa était
cultivé par les Américains avant l'arrivée des Espagnols. Enfin
M. de Humboldt ajoute d'après ses propres observations « Sur
les rives de l'Orénoque, du Cassiquaire ou de Beni, entre les
montagnes de l'Esmeralda et les rives du fleuve Carony, au
milieu des forêts les plus épaisses, presque partout où l'on dé-
couvre des peuplades indiennes qui n'ont pas eu des relations
avec les établissements européens, on rencontre des plantations
de Manioc et de Bananiers. » M. de Humboldt, en conséquence,
a émis l'hypothèse qu'on aurait confondu plusieurs espèces ou
variétés constantes de Musa, dont quelques-unes seraient origi-
naires du nouveau monde.
Desvaux s'empressa d'examiner la question spécifique, et
dans un travail vraiment remarquable publié en 1814 5 il a
regardé tous les Bananiers cultivés pour leurs fruits comme une
seule espèce. Dans cette espèce, il distingue 44 variétés, qu'il
dispose en deux séries, les Bananes à gros fruits (7 à 15 pouces
de longueur) et celles à petits fruits (1 à 6 pouces) appelées vul-
gairement figues bananes. R. Brown en 1818, dans son ouvrage
sur les plantes du Congo, p..51, soutient aussi qu'aucune cir-
constance dans la structure des Bananiers cultivés en Asie et en
Amérique n'empêche de les considérer comme appartenant à

de 1526.C'est le plus ancien voyageur naturaliste cité par Dryander


(Bibi.banks.)pour l'Amérique.
1. J'ailu ce passageégalementdansla traductiond'Oviedopar Rainusio,
vol. 3, p. 115.
2. De Humboldt,Nouvelle-Espagne, 2eédit., p. 385.
3. Garcilassode la Vega, Commentarios reaies, 1, p. 282.
4. Acosta,Hist.nat. de Indias, 1608,p. 250.
5. Desvaux,Journ. bot.,IV, p. 5.
244 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

une seule espèce. Il adopte le nom de Musa sapientum, qui me


à celui de M. paradisiaca,
paraît effectivement préférable les variétés à fruits fer-
adopté par Desvaux, parce que L. semblent petits de 1 état
tiles rapportées au M. sapientum plus près
des Musa spontanés qu'on a trouvés en Asie.
les
Brown remarque, sur la question d'origine, que toutes
autres espèces du genre Musa sont de l'ancien monde; que per- des
sonne ne dit avoir trouvé en Amérique, dans l'état sauvage,
variétés à fruits fertiles, comme cela est arrivé en Asie; enfin,
Bananier comme introduit
que Piso et Marcgraf ont regardé le de ces trois
du Congo au Brésil. Malgré la force arguments,
sur la
M. de Humboldt, dans la seconde édition de son Essai
renoncé complètement à
Nouvelle-Espagne (2, p. 397), n'a pas chez
son opinion. Il dit que le voyageur Galdcleugb i a trouvé
on cul-
les Puris la tradition établie que, sur les bords du Prato,
avec les Portugais,
tivait, longtemps avant les communications
une petite espèce de banane. Il ajoute qu'on trouve dans les
langues américaines des mots, non importés, pour distinguer
le fruit du Musa, par exemple Paruru en tamanaque, etc.,2
Arata en maypure. J'ai lu aussi dans le voyage de Stevenson
ou tombeaux péruviens
qu'on aurait trouvé dans les huacas,
antérieurs à la conquête, des lits de feuilles des deux Bananiers
cultivés habituellement en Amérique; mais, comme ce voyageur
3
dit avoir vu dans ces huacas des fèves et que la fève est cer-
tainement de l'ancien monde, ses assertions ne méritent guère au
confiance. M. Boussingault pensait que le Platano arton de
moins est originaire d'Amérique, mais il n'en a pas donné
preuve. Meyen, qui avait aussi été en Amérique, n'ajoute aucun
avant lui 5. Il en est de
argument à ceux qui étaient connus
même du géographe Ritter 6, qui reproduit simplement pour
l'Amérique les faits indiqués par de Humboldt.
D'un autre côté, des botanistes qui ont visité l'Amérique plus
récemment n'hésitent pas sur l'origine asiatique. Je citerai
Seemann pour l'isthme de Panama, Ernst pour le Venezuela
et Sagot pour la Guyane 7. Les deux-premiers insistent sur l'ab-
sence de noms pour le Bananier dans les langues du Pérou et
du Mexique. Piso ne connaissait aucun nom brésilien. De JWar-
tius 8 a indiqué depuis, dans la langue tupi du Brésil, les noms
Pacoba ou Bacoba. Ce fiiême nom Bacove est usité, selon

1. Caldcleugh,Trav. in S. Amer.,1825,1, p. 23.


2. Stevenson,Trav. in S. Amer.,1, p. 32S.
3. Stevenson,Trav. in S. Amer.,1, p. 3G3. mai lo-u.
4. Boussingault,dans C. r. Acad.sc. Paris, 9
5. Meyen,P flanz.geog.,1836,p. 383.
6. Ritter, Erdkunde,4, p. 870 et suiv.
7. ~utt~ ofHerald,p. 213;Ernst,de dans Seemann,Journal of
botany, 1867,p. 289; Sagot, dans Journal la Sociétéd'hortie. de
France,1872,p. 226. ,M
8. Martius,Ethnogr.SprachenkundeAmencas,p. 123.
BANANIER 245

M. Sagot, par les Français à la Guyanne. Il a peut-être pour


à la suite d'une
origine le nom Bala ou Palan, du Malabar, de Piso.
introduction par les Portugais, depuis le voyage
L'ancienneté et la spontanéité du Bananier en Asie sont des
faits incontestables. Il a plusieurs noms sanscrits l. Les Grecs,
les Latins et ensuite les Arabes en ont parlé comme d'un arbre
fruitier remarquable de l'Inde. Pline 2 en parle assez claire-
ment. Il dit que les Grecs de l'expédition d'Alexandre l'avaient
vu dans l'Inde, et il cite le nom Pala, qui existe encore au Ma-
labar. Les sages se reposaient sous son ombre et en mangeaient
les fruits. De là le nom de Musa sapientum des botanistes. Musa
est tiré de l'arabe Mouz ou Mauwz, qu'on voit déjàauxnr2 siècle
dans Ebn Baithar. Le nom spécifique paradisiaca vient des
un rôle
hypothèses ridicules qui faisaient jouer au Bananier
dans l'histoire d'Eve et du paradis. 3
Il est assez singulier que les Hébreux et les anciens Egyptiens
n'aient pas connu cette plante indienne. C'est un indice qu'elle
n'était pas dans l'Inde depuis un temps très reculé, mais plutôt
originaire de l'archipel indien.
Le Bananier offre dans le midi de l'Asie, soit sur le continent,
soit dans les îles, un nombre de variétés immense; la culture
de ces variétés remonte dans l'Inde, en Chine, dans l'archipel
indien à une époque impossible à apprécier; elle s'était étendue
4 et sur la côte
jadis, même dans les îles de la mer Pacifique
occidentale d'Afrique s; enfin les variétés portaient des noms
distincts dans les langues asiatiques les plus séparées, comme le
sanscrit, le chinois, le malais. Tout cela indique une ancienneté
une existence primitive
prodigieuse de culture, par conséquent
en Asie, et une diffusion contemporaine avec celle des races
d'hommes ou antérieure.
On dit avoir trouvé le Bananier spontané en plusieurs points.
Cela mérite d'autant plus d'être noté que les variétés cultivées
ne donnant souvent pas de graines et se multipliant par divi-
hors des
sion, l'espèce ne doit guère se naturaliser par semis
cultures. Roxburgh l'avait vu dans les forets de Chittagong 6,
sous la forme du Al. sapientum. Rumphius 7 décrit une variété
à petits fruits sauvage dans les îles Philippines. Loureiro parle
le nom de M. seminifera agrestis,
probablement de la même sous et qui serait donc
qu'il oppose au M. seminifera domestica,

1. Roxburghet "Wallich,Fl. ind., 2, p. 485; Piddington,Index.


2. Pline, Hist.,1.12. c. 6.
3. Unger, l. c., et Wilkinson,2, p. 403,ne le mentionnentpas. Le Bana-
mier se cultiveaujourd'huien Egypte.
4. Forster, Plant. esc.,p. 28.
5. Clusius,Exot., p. 229 Brown,Bot. Congo,p. 51.
6. Roxburgh,Corom.,tab. 275; Fl. ind., L c.
7. Rumphius.Amb.,5, p. 139.
8. Loureiro,Fl. coch.,p. 791.
246 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

spontanée en Cochinchine. Blanco indique aussi un Bananier


sauvage aux Philippines i, mais sa description est insuffisante.
Finlayson 2 a trouvé le Bananier sauvage, en abondance, dans
la petite île de Pulo Ubi, à l'extrémité sud du pays de Siam.
Thwaites 3 a vu la forme du M. sapientum dans les forêts ro-
cailleuses du centre de l'île de Ceylan et n'hésite pas à dire
que c'est la souche des Bananiers cultivés. Sir J. Hooker et
Thomson 4 l'ont trouvé sauvage à Khasia.
En Amérique, les faits sont tout autres. On n'y a jamais vu le
Bananier sauvage, excepté à la Barbade s, mais là c'est un
arbre qui ne mûrit pas ses fruits et qui est par conséquent,
selon les probabilités, le résultat de variétés cultivées peu abon-
dantes en semences. Le TVildplantain de Sloane Gparaît une
plante très différente des Musa. Les variétés qu'on prétend pou-
voir être indigènes en Amérique sont au nombre de deux seu-
lement, et en général on y cultive infiniment moins de variétés
qu'en Asie. La culture du Bananier est, on peut dire, récente
dans une grande partie de l'Amérique, car elle ne remonte guère
à plus de trois siècles. Piso 7 dit positivement que la plante a
été importée au Brésil et n'avait pas de nom brésilien. Il ne
dit pas d'où elle venait. Nous avons vu que, d'après Oviedo,
l'espèce a été apportée des Canaries à Saint-Domingue. Ceci,
joint au silence de Hernandez, généralement si exact pour les
plantes utiles, spontanées ou cultivées, du Mexique, me per-
suade que le Bananier manquait lors de la découverte de l'Amé-
rique à toute la partie orientale de ce continent.
Existait-il dans la partie occidentale, sur les bords de la mer
Pacifique? C'est très invraisemblable quand on pense aux com-
munications qui existaient entre les deux côtes, vers l'isthme de
Panama, et à l'activité avec laquelle les indigènes avaient ré-
pandu dans toute l'Amérique les plantes utiles, comme le ma-
nioc, le maïs, la pomme de terre, avant l'arrivée des Européens.
Le Bananier, dont ils font tant de cas depuis trois siècles, qui se
multiplie si aisément par les drageons, qui a une apparence si
frappante pour le vulgaire, n'aurait pas été oublié dans quel-
ques villages au milieu des forêts ou sur le littoral.
Je conviens que l'opinion de Garcilasso, descendant des Incas,
auteur qui a vécu de 1530 à 1568, est d'une certaine importance
lorsqu'il dit que les indigènes connaissaient le Bananier avant
la conquête. Ecoutons cependant un autre écrivain très digne
d'attention, Joseph Acosta, qui avait été au Pérou et que M. de

1. Blanco,FI., i1' édit., p. 247.


2. Finlayson,Journ.to Siam,1826,p. 86, d'aprèsRitter,Erdlc, 4, p. 878.
3. Thwaites,Enum.plant. Ceylan,ta. 321.
4. D'aprèsAitchison,Catal. of Piinjab,p. 147.
5. Hughes,Barb.,p. 182 Maycock,FI. Bavb.,p. 396.
6. Sloane,Jamaica, 2, p. 148.
7. Piso,édit. 1648,Hist.nat., p. 75.
BANANIER fil
1 1 r__
Humboldt invoque à l'appui du précédent. Ses expressions me
•conduisent plutôt à une opinion différente 1. Il s'exprime ainsi
dans la traduction française de i598 2 « La cause pour la-
les naturels n'avaient
quelle les Espagnols l'ont appelé plane (car
autres arbres, pour autant
point de tel nom) a été, comme es de l'un à l'autre ». Il
qu'ils ont trouvé quelque ressemblance
montre combien le plane (Platanus) des Anciens était différent.
II décrit très bien le Bananier, et ajoute que cet arbre est très
commun aux Indes (ici, cela veut dire en Amérique), « quoiqu'ils
disent (les Indiens) que son origine soit venue d'Ethiopie. Il y
a une espèce de petits planes3 blancs et fort délicats, lesquels
ils appellent en FEspagnolle Dominique. Il y en d'autres qui
sont plus forts et plus gros, et d'une couleur rouge. Il n en
croît point au Pérou, mais on les y apporte des Indes comme
au Mexique de Cuernavaca et des autres vallées. En la terre
ferme et en quelques îles, il y a des grandes planares, qui
sont comme bosquetaux (bosquets) très épais. » Assurément, ce
n'est pas ainsi que s'exprimerait l'auteur pour un arbre fruitier
des
d'origine américaine. Il citerait des noms américains, les usages
américains. Il ne dirait surtout pas que les indigènes regar-
dent comme d'origine étrangère. La diffusion dans les terres
chaudes du Mexique pourrait bien avoir eu lieu entre l'époque
de la conquête et celle où écrivait Acosta, puisque Hernandez,
dont les recherches consciencieuses remontent aux premiers
à Mexico (quoique publiées
temps de la domination espagnole
un mot du Bananier 5. L histo-
plus tard à Rome), ne dit pas
rien Prescott a vu d'anciens ouvrages ou manuscrits, selon les-
auraient à Pizarre des
quels les habitants de Tumbez la côte apporté du Pérou, et il croit
bananes lorsqu'il débarqua sur
aux feuilles trouvées dans les huacas, mais il ne cite pas ses
preuves 6.. ,«
à
Quant à l'argument des cultures faites par les indigènes,

1 De Humboldta cité l'édition espagnolede 1608.La première édition


est de 1591.Je n'ai pu consulterque la traduction de
française Regnault,
et a tous les caractères de l'exactitude, indépendam-
qui est de 1598au qui de vue de la
ment du mérite point langue française.
1.
2. Acosta,traduction, 4, c. 21.
3. C'est-à-direprobablementà Hi=paniola, soit Saint-Domingue,car, s il
avait voulu dire en langue espagnole, on aurait traduit par castillan et
sanslettre capitale.Voyezd'ailleursla page 168de l'ouvrage. car le mot
4. II Ya ici probablementune faute d'impressionpour Andes,
Indes n'a pas de sens dans ce passage. Le même ouvrage dit, page 166,
d'Ananas au Pérou, mais qu'on les y apportedes Andes,
qu'il ne vient pasle cacaovient des Andes.Celasignifiait donc les régions
et, page 173que à la chaînedes
chaudes.Le mot Andesa été appliquéensuite montagnes,
et malheureuse.
par une transpositionbizarre
5. J'ai parcourul'ouvrageen entier pour m'en assurer. 183.L'auteur a
6. Prescott, Conquêtedu Pérou, édit. de Baudry, 164, de
consultédes sourcesprécieuses,entre autres un manuscrit etMontesinos,
de 1527,mais il ne cite pas ses autoritéspour chaque fait, se borne à
des indicationsvagueset collectivesqui sontloin de suffire.
248 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS FRUITS

l'époque actuelle, dans des contrées de l'Amérique très sépa-


rées des établissements européens, il m'est difficile d'admettre
que depuis trois siècles des peuplades soient restées absolument
isolées et n'aient pas reçu un arbre aussi utile, par l'intermé-
diaire des pays colonisés.
En résumé, voici ce qui me paraît le plus probable une
introduction faite de bonne heure par les Espagnols et les Por-
tugais à Saint-Domingue et au Brésil, ce qui suppose, j'en con-
viens, une erreur de Garcilasso quant aux traditions des Péru-
viens. Si cependant des recherches ultérieures venaient à
prouver que le Bananier existait dans quelques parties de
l'Amérique avant la découverte par les Européens, je croirais à
une introduction fortuite, pas très ancienne, par l'effet d'une
communication inconnue avec les îles de la mer Pacifique ou
avec la côte de Guinée, plutôt qu'à l'existence primitive et
simultanée du Bananier dans les deux mondes. La géographie-
botanique tout entière rend cette dernière hypothèse impro-
bable, je dirai presque impossible à admettre, surtout dans un
genre non partagé entre les deux mondes.
Enfin, pour terminer ce que j'ai à dire du Bananier, je
remarquerai combien la distribution des variétés est favorable
à l'opinion de l'espèce unique, adoptée, dans des vues de bota-
nique pure, par Roxburgh, Desvaux et R. Brown. S'il existait
deux ou trois espèces, probablement l'une serait représentée
par les variétés qu'on a soupçonnées originaires de l'Amérique
une autre serait sortie, par exemple, de l'archipel indien ou de
la Chine, et la troisième de l'Inde. Au contraire, toutes les va-
riétés sont géographiquement mélangées. En particulier, les
deux qui sont le plus répandues en Amérique diffèrent sensible-
ment l'une de l'autre et se confondent chacune avec des variétés-
asiatiques, ou s'en rapprochent beaucoup.

Ananas. Ananassa sativa, Lindley. Bromelia AnanasT


Linné.
Malgré les doutes énoncés par quelques auteurs l'Ananas doit
être une plante d'Amérique, introduite de bonne heure, par les,
Européens, en Asie et en Afrique.
Nana était le nom brésilien d'où les Portugais avaient fait
Ananas. Les Espagnols avaient imaginé le nom de Pinas, à
cause de l'analogie de forme avec le cone du Pin pignon Tous
les premiers écrivains sur l'Amérique en parlent 3. Hernandez
dit que l'Ananas habite les endroits chauds de Haïti et du
Mexique. Il mentionne un nom mexicain, Matzatli. On avait

1. Marcgraf,Brasil.,p. 33.
2. Oviedo,trad. de Ramusio,3, p. 113 Jos. Acosta,Hist.nat. desIndes,,
trad. franç.,p. 166.
3. Thevet,Pison,etc. Hernandez,Thés,p. 341.
ANANAS 249

s'en défia et ne
apporté un fruit d'Ananas à Charles-Quint, qui
voulut pas le goûter. v. ne cfonti.
Les ouvrages des Grecs, des Romains et des Arabes
aucune allusion à cette espèce, introduite évidemment dans
l'ancien monde depuis la découverte de l'Amérique. Rheéde
au xviie siècle, en était persuadé mais ensuite Rumphius 2 a
contesté, parce que, disait-il, l'Ananas était cultivé de son
en trouvait de
temps dans toutes les parties de l'Inde, et qu'on l'ab-
sauvages aux Célèbes et ailleurs. Il remarque cependant
sence de nom asiatique. Celui indiqué par Rheede au Malabar
est tiré évidemment d'une comparaison avec le fruit du Jac-
erreur que
quier et n'a rien d'original. C'est sans doute par ce nom
Piddington attribue un nom sanscrit à l'Ananas, car
même, Anarush, parait venir d'Ananas. Roxburgh n'en connais-
sait point, et le dictionnaire de Wilson ne mentionne pas le
nom d'Anarush. Royle 3 dit que l'Ananas a été introduit dans le
dans
Bengale en 1394. D'après Kircher les Chinois le cultivaient du
le XVIIesiècle, mais on pensait qu'il leur avait été apporté
Pérou.
Clusius 5, en 1899, avait vu des feuilles d'Ananas apportées
de la côte de Guinée. Cela peut s'expliquer par une introduction
de
depuis la découverte de l'Amérique. Robert Brown parle
l'Ananas à l'occasion des plantes cultivées du Congo, mais il
regarde l'espèce comme américaine. de
Quoique l'Ananas cultivé ait ordinairement point ou peu
dans les pays chauds. On en
graines, il se naturalise quelquefois
cite des exemples aux îles Maurice, Seychelles et Rodriguez
dans l'archipel indien, dans l'Inde et dans quelques parties de
l'Amérique où probablement il n'était pas indigène, par exemple
aux Antilles.
On l'a trouvé sauvage dans les terres chaudes du Mexique
dans la province
(si l'on peut se fier à la phrase d'Hernandez),
de Veraguas 8, près de Panama, dans la vallée du Haut-Oré-
10 de Bahia
noque 9, à la Guyane et dans la province

1. Rheede,Hort. malab., 11,p. 6.


2. Rumphius,Amboin.,5, p. 228.
3. Royle,Ill., p. 376.
4. Kircher, Chineillustrée,trad. de 1670,p. 253.
5. Clusius,Exotie.,cap.44.
6. Baker,Flora of Mauritius.
7. Royle,l. c.
8. Seemann,Bot. of Herald, p. 215.
9. Humboldt,Nouv.-Esp.,2e édit., 2, p. 478.
10. Gardener'schron.,1881,vol. 1, p. 657.
11. Martius,lettre à A. de Candolle,Géogr.bot. rais., p. 027-
CHAPITREV

PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

Art. 1er Graines nutritives.

Cacaoyer. Theobroma Cacao, Linné.


Les Theobroma, de la famille des Byttnériacées, voisine des
Malvaeées, forment un genre de 15 à 18 espèces, toutes de
l'Amérique intertropicale, principalement des parties les plus
chaudes du Brésil, de la Guyane et de l'Amérique centrale.
Le Cacaoyer ordinaire, Theobroma Cacao, est un petit arbre,
t
spontané dans les forêts du fleuve des Amazones, de l'Orénoque1
et de leurs affluents jusqu'à une élévation d'à peu près 400 mè-
tres. On le cite également, comme sauvage, dans l'ile de la Tri-
nité, voisine des bouches de l'Orénoque 2. Je ne trouve pas. d'e
preuve qu'il soit indigène dans les Guyanes, bien que cela pa-
raisse probable. Beaucoup d'anciens auteurs l'indiquent comme
spontané et cultivé, à l'époque de la découverte de l'Amérique,
de Panama à Guatimala et Campèche mais les nombreuses
citations réunies par Sloane 3 font craindre qu'ils n'aient pas
vérifié suffisamment la condition spontanée. Les botanistes mo-
dernes s'expriment vaguement à cet égard, et en général ils ne
mentionnent le Cacaoyer dans cette région et aux Antilles qu'à
l'état cultivé. G. Bernoulli 4, qui avait résidé à Guatimala, se
borne à ces mots « Spontané et cultivé dans toute l'Amérique
tropicale, » et Hemsley 3, dans sa revue des plantes du Mexique
et de l'Amérique centrale, faite en 1879, d'après les riches

1. Humboldt, Voy.,2, p. 511;Kunth, dans Humboldtet Bonpland,


Novagênera,5, p. 316 Martius,Ueberden Cacao,dans Bttehner,Repert.
Pharm.
2. Sehach,dans Grisebach,Flora ofbritish W. India islands,p. 91.
3. Sloane,Jamaïque,2, p. 15.
4. G. Bernoulli,Uebersichtder Artenvon Theobroma, p. 5.
5. Hemsley,Biologiacentrali-americana,part. 2, p. 133.
CACAOYER LI-TSCHI 251

matériaux de l'herbier de Kew, ne cite aucune localité où l'es-


a peut-être été introduite dans l'Amé-
pèce soit indigène. Elle du Mexique, par les
rique centrale et dans les parties chaudes culture peut
Indiens, avant la découverte de l'Amérique. La
l'avoir naturalisée çà et là, comme on dit que cela est arrivé à
la Jamaïque A l'appui de cette hypothèse, il faut remarquer
comme cultivé
que M. Triana 2 indique le Cacaoyer seulement
dans les parties chaudes de la Nouvelle-Grenade, pays situé
entre la région de l'Orénoque et Panama.
Quoi qu'il en soit, l'espèce était cultivée dans l'Amérique cen-
trale et le Yucatan lors de la découverte de l'Amérique. Les
et
graines étaient envoyées dans les régions hautes du Mexique,
même elles y servaient de monnaie, tant on en faisait cas.
de cette
L'usage de boire du chocolat était général. Le nom
excellente boisson est mexicain.
aux îles
Les Espagnols ont transporté le Cacaoyer d'Acapulco On le
Philippines en 1674 et 1680 3. Il y réussit à merveille. réussi-
cultive aussi dans les îles de la Sonde. Je présume qu'il
rait sur les côtes de Zanzibar et de la Guinée, mais il ne convient
très chauds et
pas de l'essayer- dans les pays qui ne sont pas
humides.
Une autre espèce, le Theobroma bicolor, Humboldt et Bon-
dans les
land, se trouve mélangée avec le Cacaoyer ordinaire
cultures américaines. Ses graines sont moins estimées.^D'un
autre côté, elle n'exige pas autant de chaleur et peut vivre jus-
de la Magdelana. Elle
qu'à 950 mètres d'élévation dans la vallée Bernoulli
abonde, à l'état spontané, dans la Nouvelle-Grenade 4.
assure qu'elle est seulement cultivée à Guatimala, quoique les
habitants la nomment « Cacao de montagne ».
Li-Tschi. NepheliumLit-chi, Cambessèdes.
La graine de cette espèce et des deux qui suivent est revêtue
d'une excroissance charnue (arille), très sucrée et parfumée,
du thé.
qu'on mange volontiers en prenant des
Comme, en général, les Sapindacées, les Nephelium sont et
arbres. Celui-ci est cultivé dans la Chine méridionale, l'Inde
Les
l'archipel asiatique, depuis un temps qu'on ne peut préciser.
auteurs chinois ayant vécu à Peking n'ont connu le Li-Tsaii
5. L'introduction dans
que tardivement, au me siècle de notre ère
le Bengale date de la fin du xvme siècle 6.
Tout le monde admet que l'espèce est du midi de la Chine, et
Blume 7 ajoute de la Cochinchine et des Philippines, mais il ne
i. Grisebach,l. c. “
p. 2Us.
2. Triana et Planchon,Prodi: Flora:Novo-Grcmatensis,
3. Blanco,Flora de Filipinas,ed. 2, p. 420.
4. Kunth, dans Humboldtet Bonpland,l. c.; Trana, l. c.
5. Bretschneider,lettre du 23 août 1881.
6. Roxburgh,FI. indica,2, p. 269.
7. Blume,Rumphia,3, p. 106.
232 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
dans les conditions
paraît pas qu'aucun botaniste l'ait trouvée
d'un arbre vraiment spontané. Cela tient probablement à ce
du côté de Siam, ont
que les parties méridionales de la Chine, le
été peu visitées. En Cochinchine, et dans pays de Burma, à
Chittagong, le Li-Tschi est seulement cultivé l.

Longan. Nephelium Longana, Gambessèdes.


Cette seconde espèce, très souvent cultivée dans l'Asie méri-
dionale, comme le Li-Tschi, est sauvage dans l'Inde anglaise, de
du Bengale
Ceylan et Goncan jusque dans les montagnes à l'est
et au Pégou 2.
Les Chinois l'ont transportée dans l'archipel asiatique depuis
quelques siècles seulement.

Ramboutan. Nephelium lappaceum, Linné.


On le dit sauvage dans l'archipe indien, où il doit être cultivé
depuis longtemps, d'après le nombre considérable de ses va-
riétés. Un nom malais, cité par Blume, signifie arbre sauvage.
Loureiro le dit spontané en Cochinchine et à Java. Cependant je
ne vois pas de confirmation pour la Cochinchine dans les ou-
vrages modernes, ni même pour les îles. La nouvelle. flore de
l'Inde anglaise 3 l'indique à Singapore et Malacca, sans affirmer
la qualité indigène, sur laquelle les étiquettes d'herbiers n'ap-
prennent ordinairement rien. Assurément, l'espèce n'est pas
spontanée sur le continent asiatique, malgré lesestexpressions
vagues de Blume et Miquel à cet égard 4, mais il plus pro-
bable qu'elle est originaire de l'archipel malais.
Malgré la réputation des Li-Tschis et Ramboutans, dont les
fruits peuvent s'exporter, il ne paraît pas qu'on ait introduit ces
arbres dans les colonies tropicales d'Afrique ou d'Amérique, si
ce n'est peut-être dans quelques jardins, comme objets de cu-
riosité.

Pistachier. Pistacia vera, Linné.


Le Pistachier, arbrisseau de la famille des Térébintacées, croît
naturellement en Syrie. M. Boissier 5 l'a trouvé au nord de
Damas, dans l'Antiliban. Il en a vu des échantillons de Mésopo-
tamie, mais sans pouvoir affirmer leur qualité spontanée. Le
même doute existe sur des rameaux recueillis en Arabie, dont
6
quelques auteurs ont parlé. Pline et Galien savaient déjà que

1. Loureiro,Flora Cochincit., p. 233; Kurz,Forestflora ofbrilish Burma,


t> 293
2. Roxburgh,Flora indica,2, p. 271 Thwaites,Enum. Zeylanix,p. 88;
ltiern, dans Flora of bnit. India, 1, p. 688.
3. Hiern, dans Flora of brit. India, 1, p. 687.
4. Blume,Rumphia,3, p. 103;Miquel,Flora indo-batava,i, p. 554.
5. Boissier.Flora orient.,2, p. 5.
6. Pline,Hist.nat., 1. 13,c. 15 1. 15,c. 22; Galien,Dealimente,1. 2, c.30.
PISTACHIER FÈVE 283

la plante est de Syrie. Le premier nous dit qu'elle a été intro-


duite en Italie, par Vitellius, à la fin du règne de Tibère, et de
là en Espagne, par Flavius Pompée. “Pistachier
u.
a
Il n'y pas de raison de croire que la culture du
fût ancienne dans son pays d'origine, mais elle est pratiquée de
nos jours en Orient, de même qu'en Sicile et à Tunis. Dans le
midi de la France et en Espagne, elle n'a guère d'importance.

Fève. Faba vulgaris, Moench. Vicia Faba, Linné.


YBortus cliffor-
Linné, dans son meilleur ouvrage descriptif, est obscure,
tianus, convient que l'origine de cette espèce
comme celle de beaucoup de plantes anciennement cultivées.
Plus tard, dans son Species, qu'on cite davantage, il a dit, sans
en donner aucune preuve, que la fève « habite en Egypte ». Un
l'a trouvée
voyageur russe de la fin du siècle dernier, Lerche,au midi de la mer
sauvage dans le désert Mungan, du Mazanderan,
herborisé dans cette région
Caspienne 1. Les voyageurs qui ont
l'ont quelquefois rencontrée*, mais ils ne la mentionnent pas dans
leurs ouvrages 3, si ce n'est Ledebour, qui n'est pas exact dans
5
la citation sur laquelle il s'appuie 4. Bosc a prétendu qu'Oli-
vier avait trouvé la Fève sauvage en Perse. Je n'en vois pas la
confirmation dans le Voyage d'Olivier, et en général Bose paraît
avoir cru un peu légèrement que ce voyageur avait trouvé beau-
de la Perse. Il le
coup de nos plantes cultivées dans l'intérieur
dit du Sarrasin et de l'Avoine, dont Olivier n'a pas parlé.
La seule indication, outre celle de Lerche, que je découvre 6
dans les flores, est d'une localité bien différente. Munby men-
tionne la Fève, comme spontanée, en Algérie, à Oran. Il ajoute
à ma connaissance, ne l'a citée
qu'elle y est rare. Aucun auteur,
dans l'Afrique septentrionale. M. Cosson, qui connaît mieux que
certifié n'avoir vu ou reçu
personne la flore d'Algérie, m'a du Nord de
aucun échantillon de Fève sauvage l'Afrique. Je me
suis assuré qu'il n'y en a pas dans l'herbier de Munby, mainte-

1 Lerche,Nova acta Acad. essar eo-Leopold., vol. 5, appendix,p. 203,


publié en 1773.M.Maximowicz (lettre du 23 février1882)m'apprend que
Saint-
l'échantillonde Lerche existe dans l'herbier du de
jardin impérial moins
Il est en fleur et ressembleen tout à la Fève cultivée,
Pétersbourg.
la taille,qui est à peu près d'un demi-pied.L'étiquettementionnela loca-
lité et la spontanéité,sans autre observation.
2. Il y a dans le même herbier des échantillonstranscaucasiens,mais
plus grands de taille et qu'on ne dit pas spontanés.
3. MarschallBieberstein,Flora Caucaso-Taurica; C.-A.Meyer, Verzeich-
niss Hohenacker, Enum. fiant. Talysch; Boissier,FI. orientalis,p. 57b;
Buhseet Boissier,Plant. Transcaucasiœ. “ “ o -)"/
4 Ledebour,Fl. ross., 1, p. 664,cite de Candolle,Prodromus,2, p. io't
or c'est Seringequi a rédigé l'article Faba du Prodromus,dans lequel est
dans
indiqué le midi de la mer Caspienne,probablementd après Lerche,
Willdenow.
5. Bosc,Dict. d'agric, 5, p. 312.
6. Munby,Catalogusplant. in Algeriaspontenascenhiim,ed. 2, p. 12.
2S4 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

rr 7. t __7_ -1'1- 7_ 7_ TT1~_ _1

nant à Kev. Comme les Arabes cultivent beaucoup la Fève, elle


se rencontre peut-être accidentellement hors des cultures. Il ne
faut pas oublier cependant que Pline (LIS, c. 12) parle d'une Fève
sauvage en Mauritanie; mais il ajoute qu'elle est dure et qu'on
ne peut pas la cuire, ce qui fait douter de l'espèce. Les bota-
nistes qui ont écrit sur l'Egypte et la Cyrénaïque, en particulier
les plus récents donnent la Fève pour cultivée.
Cette plante est seule à constituer le genre Faba. On ne peut
donc invoquer aucune analogie botanique pour présumer son
origine. C'est à l'histoire de la culture et aux noms de l'espèce
qu'il faut recourir si l'on veut deviner le pays où elle était an-
ciennement indigène.
Mettons d'abord de côté une erreur qui venait d'une mauvaise
interprétation des ouvrages chinois. Stanislas Julien avait cru
que la fève était une des cinq plantes que l'empereur Chin-Nong,
il y a 4600 ans, avait ordonné de semer en grande solennité
chaque année â. Or, d'après le Dr Bretschneider 3, qui est en-
touré à Peking de toutes les ressources possibles pour savoir la
vérité, la graine, analogue à une fève, que sèment les empereurs
dans la cérémonie ordonnée est celle du Soja (Dolicho Soja), et
la Fève a été introduite en Chine, de l'Asie occidentale, un siècle
seulement avant l'ère chrétienne, lors de l'ambassade de Chang-
Kien. Ainsi tombe une assertion qu'il était difficile de concilier
avec d'autres faits, par exemple avec l'absence de culture an-
cienne de la Fève dans l'Inde et de nom sanscrit, ou même de
quelque langue moderne indienne.
Les anciens Grecs connaissaient la Fève, qu'ils appelaient
Kuamos et quelquefois Kuamos de Grèce, Kuamos ellenikos, pour
la distinguer de celle d'Egypte, qui était la graine d'une espèce
aquatique toute différente, le Nelumbium. L'Iliade parle déjà
de la Fève comme d'une plante cultivée 4, et M. Virchow en a
trouvé des graines dans les fouilles faites à Troie 5. Les Latins
l'appelaient Faba. On ne trouve rien dans les ouvrages de Théo-
phraste, Dioscoride, Pline, etc., qui puisse faire croire que la
plante fût indigène en Grèce ou en Italie. Elle y était ancienne-
ment connue, puisque dans le vieux culte des Romains on devait
mettre des fèves dans les sacrifices le jour de la déesse Carna,
d'où le nom de Fabarise calendse 6. Les Fabius tiraient peut-être
leur nom de Faba, et le chapitre XII du livre 18 de Pline
montre, à n'en pouvoir douter, le rôle ancien et important de la
fève en Italie.
1. Schweinfurthet Ascherson,Aufzdhlung,p. 236 Rohlfs,Kllfra,un
vol. in-8°.
2. Loiseleur-Deslongchamps, Considérationssur les céréales part. 1,
p. 29.
3. Bretschneider,Onstudy and vallleof chinesebot. worhs,p. 7 et 15.
4. Iliade, 13, v. 589.
5. Wittmack,Sitz. bericht Vereins,Brandenb.,1879.
6. NovitiusDictionnarhim,au mot Faba.
FÈVE 2S5

Le mot Faba se retrouve dans plusieurs des langues aryennes


seuls
de l'Europe, avec des modifications que les philologues
reconnaître. N'oublions cependant pas 1 observation
oeuYent céréales et
très juste d'Adolphe Pictet 1 que, pour les graines de
d'une espèce
de Légumineuses, on a souvent transporté des noms et tantôt
à l'autre, ou que certains noms étaient tantôt génériques
de forme analogue, ont été appe-
spécifiques. Plusieurs graines,
lées Kuamos par les Grecs; plusieurs haricots différents (Pha-
et Faba, en
selus, Dolichos) portent le même nom en sanscrit, en armoricain
ancien slave Bobu en ancien prussien Babo
des pois, hari-
Fav, etc., peut fort bien avoir été employé pour
cots, ou autres graines de ce genre. Ne voyons-nous pas de nos
le café une fève? C'est donc
jours appeler, en style commercial, d'îles
avec raison que Pline ayant parlé fabanz, où se trou-
dans
vaient des Fèves en abondance, et ces îles étant situées
l'océan septentrional, on a pensé qu'il s'agissait d'un certain
Pisum maritimum.
pois sauvage appelé en botanique du
Les anciens habitants de la Suisse et de l'Italie, à 1 époque
du Faba vul-
bronze, cultivaient une variété à petites graines
sous le nom de Celtica nana, parce
aaris M Reer 2 la désigne millimètres de longueur, tandis que celle
que la graine a de 6 à 9 a 10 à 12. Il a
de notre Fève actuelle des champs (Fèverolle) en
de Montelier sur le lac de Morat et de
comparé les échantillons
l'île de Saint-Pierre du lac de Bienne, avec d'autres de Parme
lacustres
de la même époque. M. de Mortillet a trouvé dans les
même petite fève, qu'il dit
contemporains du lac du Bourget la 3.
fort semblable à une variété cultivée aujourd'hui en Espagne
vrai
La Fève était cultivée chez les anciens Egyptiens 4. Il est
a pas trouvé des graines ou vu des
que Jusqu'à présent, on n'en monuments. La cause en est, dit-on,
figures dans les cercueils ou s. Hérodote G
s'exprime ainsi « Les
qu'elle était réputée impure de Fèves dans leurs terres, et, s'il
Egyptiens ne sèment jamais ni crues ni cuites. Les
en vient ils ne les mangent prêtres ri en
la vue; ils s'imaginent que ce
peuvent pas même supporter
existait donc en Egypte, et proba-
légume est impur. » La Fève
blement dans les endroits cultivés, car les terrains qui pouvaient
lui convenir étaient généralement en culture. Peut-être la popu-
les
lation pauvre et celle de certains districts n'avaient pas
mêmes préjugés que les prêtres. On sait que les superstitions
Sicile ont
différaient suivant les nomes. Plutarque et Diodore de

i. Ad.Pictet, Les originesindo-européennes, 2, vol. 1, p. 353.


ed.44-47.
2. Heer,Pflanzen,der PfaJMmden,p. 22,fig. 2.
3. Perrin, Etude préhistoriquesur la Savoie,p. Economiedes
4 Delile,Plant, cuit, en Egypte,p. 12 Reymer, EjPIP^f
et Carthaginois,p. 340 Unger, Pflanzen d. alten Mgyptens,p. 64; \m1-
kinson,Mannersand customs of ancient Egyptians,2, p. 402.
5. Reynier,l. c., chercheà en devinerles motifs.
6. Hérodote,Histoire,traduction de Larcher,vol. 2, p. 32.
2o6 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES
mentionné la culture de la Fève en Egypte, mais ils écrivaient
500 ans après Hérodote.
On trouve deux fois dans l'Ancien Testament 1 le mot Pol, qui
a été traduit par fève, à cause des traditions conservées par le
Talmud et du nom arabe foul, fol ou ful, qui est celui de la
fève. Le premier des deux versets fait remonter la connaissance
de l'espèce par les Hébreux à l'an mille avant Jésus-Christ.
Je signalerai enfin un indice d'ancienne existence de la Fève
dans le nord de l'Afrique. C'est le nom berbère Ibiou, au pluriel
Iabouen, usité chez les Kabyles de la province d'Alger Il ne
ressemble nullement au nom sémitique et remonte peut-être à
une grande antiquité. Les Berbères habitaient jadis la Mauri-
tanie, où Pline prétend que l'espèce était sauvage. On ignore si
les Guanches, peuple berbère des îles Canaries, connaissaient
la fève. Je doute que les Ibères l'aient eue, car leurs descendants
supposés, les Basques, se servent du nom Baba 3, répondant au
Faba des Romains.
D'après ces documents, la culture de la fève est préhistorique
en Europe, en Egypte et en Arabie. Elle a été introduite en Eu-
rope, probablement par les Aryens occidentaux, lors de leurs
premières migrations (Pélasges, Celtes, Slaves). C'est plus tard
qu'elle a été portée en Chine, un siècle avant l'ère chrétienne,
plus tard encore au Japon; et tout récemment dans l'Inde.
Quant à l'habitation spontanée, il est possible qu'elle ait été
double il y a quelques milliers d'années, l'un des centres étant
au midi de la mer Caspienne, l'autre dans l'Afrique septentrio-
nale. Cessortes d'habitations, que j'ai appelées disjointes et dont
je me suis beaucoup occupé naguère 4, sont rares dans les
plantes Dicotylédones; mais il en existe des exemples précisé-
ment dans les contrées dont je viens de parler 5. Il est probable
que l'habitation de la Fève est depuis longtemps en voie de di-
minution et d'extinction. La nature de la plante appuie cette
hypothèse, car ses graines n'ont aucun moyen de dispersion, et
les rongeurs ou autres animaux peuvent s'en emparer avec faci-
lité. L'habitation dans l'Asie occidentale était peut-être moins
limitée jadis que maintenant, et celle en Afrique, à l'époque de
Pline, s'étendail peut-être plus ou moins. La lutte pour l'exis-
tence, défavorable à cette plante, comme au Maïs, l'aurait can-
tonnée peu à peu et l'aurait fait disparaître, si l'homme ne
l'avait sauvée en la cultivant.
La plante qui ressemble le plus à la Fève est le Vicia narbo-
nensis. Les auteurs qui n'admettent pas le genre Faba, dont les

1. Samuel,II, c. 17,v. 28; Ezechiel,c. 4, v. 9.


2. Dict.français-berbère,publiépar le gouvernementfrançais.
3. Note communiquéeà M. Clospar M. d'Abadie.
4. A.de Candolle,Géographiebotaniqueraisonnée,chap. X.
5. Le Rhododendronponticumne se trouveplusque dansl'AsieMineure
et au midi de la péninsuleespagnole.
LENTILLE 257

caractères sont assez peu distincts du Vicia, rapprochent ces deux


espèces dans une même section. Or le Vicia narbonensis est
spontané dans la région de la mer Méditerranée et en Orient,
jusqu'au Caucase, à la Perse septentrionale et la Mésopotamie t.
Son habitation n'est pas disjointe, mais elle rend probable, par
analogie, l'hypothèse dont j'ai parlé.

Lentille. Ervum Lens, Linné. -Lens esculenta, Moench.


Les plantes qui ressemblent le plus à la Lentille sont classées
par les auteurs tantôt dans le genre Ervum, tantôt dans un genre
distinct, Lens, et quelquefois dans le genre Cicer; mais les espèces
de ces groupes mal définis sont toutes de la région méditerra-
néenne ou de l'Asie occidentale. C'est une indication pour l'ori-
gine de la plante cultivée. Malheureusement, on ne retrouve plus
la Lentille dans un état spontané, du moins qu'on puisse affir-
mer être tel. Les flores du midi de l'Europe, de l'Afrique septen-
trionale, d'orient et de l'Inde la citent toujours comme cultivée,
ou venant dans les champs, après ou parmi d'autres cultures. Un
botaniste l'a vue dans les provinces au midi du Caucase, « cul-
tivée et presque spontanée çà et là autour des villages. » Un
autre 3 l'indiquait vaguement dans la Russie méridionale, mais
les flores plus récentes ne le confirment pas.
Voyons si l'histoire et les noms de cette plante indiquent plus
clairement son origine.
Elle est cultivée depuis un temps préhistorique en Orient,
dans larégion de la merMéditerranée, et même en Suisse. D'après
Hérodote, Théophraste, etc., les anciens Egyptiens en faisaient
un grand usage. Si leurs monuments n'en ont pas fourni la
preuve, c'est peut-être que la graine en était réputée commune
et grossière, comme la fève. L'Ancien Testament la mentionne
trois fois, sous le nom à'Adaschum ou Adaschim, qui doit bien
signifier Lentille, car le nom arabe est Ads ou Adas 5. La couleur
rouge du fameux potage d'Esaü n'a pas été comprise par la
plupart des auteurs. Reynier 6, qui avait séjourné en Egypte,
confirme une explication donnée jadis par l'historien Josèphe
les lentilles étaient rouges, parce qu'elles étaient mondées. La
pratique des Egyptiens, dit Reynier, est encore de dépouiller ces
graines de leur écorce, et dans ce cas elles sont d'un rouge pâle.
Les Berbères ont reçu des Sémites pour la lentille le nom Adès 7.
Les Grecs cultivaient la Lentille Fakos ou Fakai. Il en est

1. Boissier,FI. orient.,2, p. 577.


2. C.-A. Aleyer,Verzeichniss pi. caucas.,p. 147.
3. Georgi,dans Ledebour,Fl. ross.
4. Fors£al,FI. segypt.;Delile,Plant. cult. en Egypte,p. 13.
5. Ebn Baithar,2, p. 134.
6. Reynier,Economiepubliqueet rurale des Arabeset des Juifs, Genève
1820,p. 429.
7.Dictionn.français-berbère,in-8",1844.
DE Candolle. 1?
2o8 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
comme servant de nourriture
question déjà dans Aristophane,
aux pauvres Les Latins l'appelaient Lens, mot d'une origine
slave Lesha,
inconnue, qui est évidemment lié au nom anciendes noms
2. La diversité grec
illyrien Lechja, lithuanien Lenszie existé en
et latin est une indication que l'espèce a peut-être
Grèce et en Italie, avant d'y être cultivée. Une autre preuve
d'existence ancienne en Europe est qu'on a trouvé des lentilles
dans les habitations lacustres de l'île Saint-Pierre, du lac de
Bienne 3, qui sont, il est vrai, de l'époque du bronze. L'espèce
peut avoir été tirée d'Italie.
D'après Théophraste les habitants de la Bactriane (Bouc-
kharie actuelle) ne connaissaient pas le Fakos des Grecs. Adolphe
Pictet cite un nom persan, Mangu ou Margu; mais il ne dit pas
si c'est un nom ancien, qui se trouve, par exemple, dans le Zend- Ma-
avesta. Il admet pour la Lentille plusieurs noms sanscrits,
les botanistes anglo-
sura, Renuka, Mangalya, etc., tandis que aucun 5
indiens, Roxburgh et Piddington, n'en connaissaient et
Comme ceux-ci mentionnent un nom analogue hindustani
Masura exprime bien la
bengali, lIussour, on peut croire que l'autre nom,
Lentille, tandis que Mangu des Persans rappelle
ne donnant aucun nom dans
Manqalva. Roxburgh et Piddington
les autres langues de l'Inde, on peut présumer que la lentille
de
n'était pas connue dans ce pays avant l'arrivée du peuple
de l'espèce dans les anciens
langue sanscrite. Il n'est pas question n'en parle ni
ouvrages chinois; du moins, le Dr Bretschneider
dans son opuscule de 18T0, ni dans les lettres plus détaillées
qu'il m'a écrites récemment. avoir existé dans 1 Asieoccidentale .1
En résumé, la lentille paraît
tempérée, en Grèce et en Italie quand les hommes ont eu l'idée
de la cultiver dans un temps préhistorique très ancien, et
l'ont portée en Egypte. La culture paraît s'être étendue, à une
à
époque moins reculée, mais peinel'Inde. historique, à l'ouest et a.
l'est, c'est-à-dire en Europe et dans

Pois chiche. Cicer arietinum, Linné.


On connaît quinze espèces du genre Gicer, qui sont toutes de
l'Asie occidentale ou de la Grèce, à l'exception d'une, qui est
donc très grande que l'espèce
d'Abyssinie. La probabilité est
cultivée vient des pays entre la Grèce et l'Himalaya, appelés
vaguement l'Orient. 7les
Elle n'a pas été trouvée, d'une manière certaine dans
conditions d'une plante spontanée. Toutes les flores du midi de

1. Hehn,Culturpflanzen,etc., ed. 3, vol. 2, p. 188. “,


2. Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. à°±r
Hehn, l. c.
3. Heer,Pflansend. Pfahlbauten,p. 23, fig. 49.
4. Theophra«tes.Hint-, 1. 4, c. 5. r
6. Roxburgh.FI. ind., ed. 1832,v. 3, p. 324 Piddington,Index.
POISCHICHE 259
l'Europe, d'Egypte et de l'Asie occidentale jusqu'à la mer Cas-
pienne et l'Inde en parlent comme d'une espèce cultivée ou des
champs et de terrains cultivés. On l'a indiquée quelquefois l en
Crimée, et au nord et surtout au midi du Caucase, comme à peu
près spontanée mais les auteurs modernes bien informês ne le
croient pas 2. Cette quasi spontanéité peut faire présumer seu-
lement une origine d'Arménie et des pays voisins.
La culture et les noms de l'espèce jetteront peut-être quelque
jour sur la question.
Le Pois chiche était cultivé chez les Grecs, déjà du tempss
d'Homère, sous le nom de Ereb-izzthos3 et aussi de Iirios 4, à
cause de la ressemblance de la graine avec une tête de bélier.
Les Latins l'appelaient Cicer, origine des noms modernes dans
le midi de l'Europe. Ce nom existe aussi chez les Albanais, des-
cendants des Pélasges, sous la forme de Ktkere 5. L'existence
de noms aussi différents indique une plante très anciennement
connue et peut-être indigène dans le sud-est de l'Europe.
Le Pois chiche n'a pas été trouvé dans les habitations lacustres
de Suisse, Savoie ou Italie. Pour les premières, ce n'est pas sin-
gulier le climat n'est pas assez chaud.
Un nom commun chez les peuples du midi du Caucase et de
la mer Caspienne est en géorgien Nachuda, en turc et arménien
Nachius, Nachunt, en persan A'ochot 6. Les linguistes pourront
dire si c'est un nom très ancien et s'il a quelque rapport avec
le nom sanscrit Chennuka.
Le Pois chiche est si souvent cultivé en Egypte depuis lespre-
miers temps de l'ère chrétienne qu'on le suppose avoir été
également connu des anciens Egyptiens. Il n'en existe pas de
preuve dans les figures ou les dépôts de graines de leurs monu-
ments, mais on peut supposer que cette graine, comme la fève
et la lentille, était réputée vulgaire ou impure. Reynier 8 pensait
que le Ketsech, mentionné par Esaïe dans l'Ancien Testament,
était peut-être le pois chiche; mais on attribue ordinairement ce
nom à la Nielle (Nigella sativa) ou au Vicia sativa, sans en être
sûr 9. Commeles Arabes appellent le Pois chiche d'un nom tout
différent, Omnost lïamos, qui se retrouve chez les Kabyles sous

1. Ledebour, FI. ross., 1, p. 660, d'après Pallas, Falk et C. Koch.


2. Boissier, Fl. onent. 2, p. 560; Steven, Verzeichnissdes taurisehen Hab-
linseln, p. 134.
3. Iliade, 1. 13, v. 589 Theophrastes, Hist., 1. 8, c. 3.
4. Dioscorides, 1. 2, c. 126.
5. Heldreich, Nutzpflanzen Griechenlands, p. 71.
6. Nemnieû, Polyglott. Lexicon, 1, p. 1037 Bunge, dans Gœbels Reise,
2, p. 328.
7. Clément d'Alexandrie, Strom., I. 1, cité d'après Reynier, Economiedes
Egyptiens et Carthaginois, p. 343.
8. Reynier, Economiedes Arabes et des Juifs, p. 430.
9. Rosenmüller, Bibl. Alterth., ï, p. 100; Hamilton, Botanique de la Bible,
p. 180s
260 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

la forme Hammez 1, il n'est pas probable que le Ketsech des


Juifs fut la même plante. Ces détails me font soupçonner que
et Israélites.
l'espèce était inconnue aux anciens Egyptiens
Elle s'est peut-être répandue chez eux de Grèce ou d'Italie,
vers îe commencement de notre ère.
L'introduction a été plus ancienne dans l'Inde, car on connaît
un nom sanscrit et plusieurs noms, analogues ou différents,
dans les langues modernes 2. Bretschneider ne mentionne pas
l'espèce en Chine.
Je ne connais aucune preuve de l'ancienneté de la culture en
usité aussi par
Espagne cependant le nom castillan Garbanzo,
les Basques sous la forme Garbantzua et en français sous celle
de Garvance, n'étant ni latin ni arabe, peut remonter à une date
plus ancienne que la conquête romaine. et
Les données botaniques, historiques linguistiques s'accor-
dent à faire présumer une habitation antérieure à la culture
dans les pays au midi du Caucase et au nord de la Perse. Les
ont peut-être introduit
Aryens occidentaux (Pélasges, Hellènes)
la plante dans l'Europe méridionale, où cependant il y a quel-
Les Aryens
que probabilité qu'elle était également indigène.
orientaux l'ont portée dans l'Inde. La patrie s'étendait peut-être
de la Perse à la Grèce, et maintenant l'espèce n'existe plus que
dans les terrains cultivés, où l'on ne sait pas si elle provient de
de cultivés.
pieds originairement sauvages, ou pieds

Lupin. Lupinus albus, Linné.


Les anciens Grecs et Romains cultivaient cette Légumineuse
pour l'enfouir, comme engrais vert, et à cause des graines, qui
sont bonnes pour nourrir les bœufs et dont l'homme fait aussi
usage. Les expressions de Théophraste, Dioscoride Caton à la
Varron, Pline, etc., citées par les modernes, se rapportent
culture ou aux propriétés médicales des graines et n'indiquent
ou de
pas s'il s'agissait du Lupin à fleurs blanches (L. albus) dans
celui à fleurs bleues (L. hirsutus), qui croît spontanément
le midi de l'Europe. D'après Fraas ce dernier est cultivé aujour-
d'hui dans la Morée mais M. de Heldreich dit que dans l'Attique
c'est le L. albus. Comme en Italie on cultive depuis longtemps
celui-ci, il est probable que c'est le Lupin des anciens. On le cul-
tivait beaucoup dans le xvie siècle, surtout en Italie 6, et de
l'Ecluse constate l'espèce, car il la nomme Lupinus sativus albo
est indiquée par
flore 6. L'ancienneté de la culture en Espagne

1. Rauwolf,Fl. orient., n. 220; Forskal, Fi. œgypt, p. Si; Dictionnaire


français-berbère.
2. Roxburgh,Fl. ind., 3, p. 324 Piddington,Index.
3. Voir Fraas,FI. class.,p 51 Lenz,Bot.der Allen,p. 73.
4. Heldreich,NutzpflanzenGriechenl.,p. 69.
5. Olivierde Serre*,Théâtrede l'agric, éd. 1529,p. 88.
6. Clusius,Historiaplant., 2, p. 228.
LUPIN TERMIS 261

l'existence de quatre noms vulgaires différents, suivant les pro-


vinces mais la plante y existe seulement à l'état cultivé ou pres-
l.
que spontané, dans les champs et les endroits sablonneux
En Italie, l'espèce a été indiquée, par Bertoloni, sur les collines
de Sarzane. Cependant M. Caruel ne pense pas qu'elle y soit
de la pénin-
spontanée, non plus que dans d'autres localités Il
sule Gussone s est très affirmatif pour la Sicile. indique la
et dans les
plante « sur les collines arides et sablonneuses,
dans la Tur-
prés (in herbidis) ». Enfin Grisebach 4 l'a trouvéeen
quie d'Europe, près de Ruskoï, et d'Urville B, le abondance,
dans des bois près de Constantinople. Castagne confirme
dans un catalogue manuscrit que je possède. M. Boissier ne cite
aucune localité pour l'Orient il n'est pas question de l'espèce
dans l'Inde, mais des. botanistes russes l'ont recueillie au midi
du Caucase, sans que Von sache si c'était bien dans des condi-
tions de spontanéité 6. On découvrira peut-être d'autres localités
entre la Sicile, la Macédoine et le Caucase.

Termis. Lupinus Termis, Forskal.


On cultive beaucoup en Egypte, et même dans l'île de Crète,
cette espèce de Lupin, si voisine du L. albus qu'on a proposé
est
quelquefois de les réunir 7. La différence la plus apparente La
que la fleur du Termis est bleue dans sa partie supérieure.
tige est plus haute que dans le L. albus. On fait usage des grai-
nes, comme de celles du Lupin ordinaire, après les avoir fait
macérer, à cause de leur amertume.
Le L. Termis est spontané dans les sables et sur les collines
en Sicile, en Sardaigne et*en Corse*; en Syrie et en Egypte, sui-
vant M. Boissier 9 mais, selon MM. Schweinfurth et Acherson,
il serait seulement cultivé en Egypte 10.Hartmann l'a vu sau-
vage dans la haute Egypte ".Unger12 l'indique parmi les espèces
cultivées chez les anciens Egyptiens, mais il ne cite ni échan-
tillon ni figure. Wilkinson 13 se borne à dire qu'on l'a trouvé
dans les tombeaux.
Aucun Lupin n'est cultivé dans l'Inde et n'a de no-n en sans-
crit on en vend des graines dans les bazars sous le nom de
Tourmus (Royle, 11L,p. 194).

1. Willhommet Lange,Fl. kisp.,3, p. 566.


2. Caruel,FI. toscana,p. 136.
3. Gussone,Florsesiculsesynopsis,ed. 2, vol. 2, p. 266.
4. Grisebach,Spicil.Fl. rumel.,p. ii.
5. D'Urville,Enum., p. 86.
6. Ledebour,FI. ross., 1, p. 510.
7. Caruel,Fl. tosc, p. 136.
8. Gussone,Fl. sic. syn., 2, p. 267 Moris,Fl. Sardoa, 1, p. 596j
9. Boissier,Fl. orient.,2, p. 29
10. Sehweinfurthet Aschersou,Aufzahlung,etc., p. 257.
11. Schweinfurth,Plantainilot.a Hartmanncoll., p. 6.
12. Uoser,Pflanzend. ait. jËgypten.,p. 65
13. Wilkinson,Mannersand customsof ancientEgyptiens,2, p. 403.
262 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES
Le nom Termis ou Termus, des Arabes, est celui du Lupin
des Grecs, Termos. On peut soupçonner que les Grecs l'ont reçu
des Egyptiens. L'espèce ayant été connue dans l'ancienne Egypte,
il est assez singulier qu'on ne mentionne aucun nom hébreu 1.
Elle a peut-être été introduite en Egypte après l'époque du sé-
jour des Juifs.

Pois des champs. Pois gris. Bisaille. -Pisum arvense,


Linné.
Il s'agit ici du Pois que l'on cultive en grand, pour ses grai-
nes, et quelquefois comme fourrage. Bien que son apparence et
ses caractères botaniques permettent de le distinguer assez faci-
lement du Pois des jardins potagers, les auteurs grecs et ro-
mains le confondaient ou ne se sont pas expliqués clairement
à son égard. Leurs ouvrages ne prouvent pas qu'il fût cultivé
de leur temps. On ne l'a pas trouvé dans les lacustres de Suisse,
Savoie et Italie. Une légende de Bobbio, en 930, dit que les
paysans italiens appelaient un grain Herbilia, et l'on a conclu
de là que c'était le Rubiglia actuel, soit Pisum sativum des bota-
nistes 2. L'espèce est cultivée en Orient et jusque dans l'Inde
septentrionale 3. Pour ce dernier pays, ce n'est pas une culture
ancienne, car on ne connaît pas de nom sanscrit, et Piddington
cite un seul nom dans une des langues modernes.
Quoi qu'il en soit de l'introduction de la culture, l'espèce
existe, à l'état bien spontané, en Italie, non seulement dans
les haies et près des cultures, mais aussi dans des forêts et lieux
incultes des montagnes i. Je ne découvre aucune indication ana-
logue positive dans les flores d'Espagne, d'Algérie, de Grèce et
d'Orient. On a dit la plante indigène dans la Russie méridio-
nale mais tantôt la qualité spontanée est très douteuse et tantôt
c'est l'espèce elle-même qui n'est pas certaine, par confusion
avec le Pisum sativum ou le P. elatius. Royle admettait l'indi-
génat dans l'Inde septentrionale, mais il est le seul parmi les
botanistes anglo-indiens.

Pois des jardins, petit Pois. Pisum sativum, Linné.


Le pois de nos jardins potagers est plus délicat que celui des
champs. Il craint la gelée et la sécheresse. Probablement son
habitation naturelle, avant la culture, était plus méridionale et
restreinte.
Le fait est qu'on ne l'a pas encore trouvé dans un état spon-
tané, soit en Europe, soit dans l'Asie occidentale d'où l'on pré-
1. Rosenmûller,Bibl.Alterth.,vol. 1.
2. Muratori,Antich. ital., 1, p. 347;Diss.,24; cité par Targioni,Cenni
storici,p. 31.
3. Boissier,Fl. orient.,2, p. 623 Royle,m. Himal.,p. 200.
4. Bertoloni,FI ital., 7, p. 419; Caruel, FI. tosc., p. 184; Gnssone,
Fl. siculs synopsis,2, p. 279 Moris,Fl. sardoa,1, p. 577.
POIS DES JARDINS 263

sume qu'il est sorti. L'indication de Bieberstein pour la Grimée


n'est pas exacte, selon Steven, qui a résidé dans le pays 1. Peut-
être les botanistes ont passé à côté de son habitation. Peut-être
la plante a disparu de son lieu d'origine. Peut-être encore elle
les
n'est qu'une modification du Pisum arvense, obtenue dans
cultures. Cette dernière opinion était celle d'Alefeld 2, mais ce
rien en conclure. Cela se
qu'il a publié est si bref qu'on ne peut
borne à dire qu'ayant cultivé un grand nombre de formes de
il a jugé qu'elles appartiennent
pois des champs et des jardins,
à la même espèce. Darwin 3 avait appris, par un intermédiaire,
le Pois des champs avec un
que André Knight avait croisé
Pois de jardin appelé Pois de Prusse, et que les produits avaient
bien une preuve de 1 unité
paru complètement fertiles. Ce serait et plus
spécifique, mais il faudrait pourtant plus d'observations
recherche des origines
d'expériences. Provisoirement, dans cette
considérer les deux formes
géographiques, je suis obligé de la question du Pisum
séparément, et dans ce but j'examinerai
sativum des jardins. i
Les botanistes qui distinguent beaucoup d espèces dans le
sont toutes d'Europe ou
genre Pisum, en admettent huit, qui
d'Asie.
de
Le Pisum sativum était cultivé chez les Grecs, du temps
Pisan. Les Albanais,
Théophraste 4. Ils l'appelaient Pisos ou
descendants des Pelasges, l'appellent Pizelle 5. Les Latins di-
saient Pisum 6. Cette uniformité de nomenclature fait supposer
et en Italie connaissaient la
que les Aryens arrivés en Grèce avec eux. Les autres lan-
plante et l'avaient peut-être apportée mots pour le sens
gues d'origine aryenne présentent plusieurs
générique de Pois; mais il est évident, d'après la savante dis-
sertation d'Adolphe Pictet qu'on ne saurait appliquer aucun
de ces noms au Pisum sativum en particulier. Mêmequand une
au
des. langues modernes, slave ou bretonne, a limité le sens de
Pois des jardins, il est très possible que jadis, à l'origine
ou
«es langues, le mot ait signifié Pois des champs ou Lentille
quelque autre Légumineuse. 8
On a retrouvé le petit Pois dans les restes des habitations
lacustres de l'âge de bronze, en Suisse et en Savoie. La graine
Elle
est sphérique, en quoi l'espèce diffère du Pisum arvense.
.est plus petite que celle de nos Pois actuels. M. Heer dit l'avoir

1. Steven, Verzeichniss,p. 134.


2. Alefeld,BotanischeZeitimg,1860,p. 204.under
3. Darwin,Variationsof animaisand plants domestication,p. 326.
4. Theophrastes,Hist.,1. 8, c. 3, 5.
5. Heldreich,NattpfCanzen G~MC/Mn/ant!?, p. 71
t Pline,Hist., 1. 18,c. 7, 12. Il's'agit bien du Pisumsativum,car aa- ,au-
teur dit qu'il supportetrès malle froid, i <
7. Ad. Pictet, Lesoriginesindo-européennes, éd. 2, vol. 1, “p. oo.i..
-~n
&.Heer,PflanzenderPfalUbauten,23,iig. 48; Pernn, Eludesprehistonq.
sur la Savoie,p. 22.
264 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

-vueaussi de l'âge de la pierre, à Moosseedorf mais il est moins


affirmatif et ne donne des figures que du Pois moins ancien de
l'île de Saint-Pierre. Si l'espèce remonte à l'âge de pierre en
Suisse, ce serait une raison de la regarder comme antérieure
aux peuples aryens.
Il n'y a pas d'indication de culture du Pisum sativum dans
l'ancienne Egypte ou chez les Hébreux. Au contraire, il a été
cultivé depuis longtemps dans l'Inde septentrionale, s'il avait,
comme le dit Piddington, un nom sanscrit, Harenso, et s'il est
désigné par plusieurs noms, très différents de celui-ci, dans les
langues indiennes actuelles'. On l'a introduit en Chine de l'Asie
occidentale. Le Pent-sao, rédigé à la fin du xvie siècle de notre
ère, le nomme Pois mahométan 2.
En résumé, l'espèce paraît avoir existé dans l'Asie occidentale,
peut-être du midi du Caucase à la Perse, avant d être cultivée.
Les peuples aryens l'auraient introduite en Europe, mais elle
était peut-être dans l'Inde septentrionale avant l'arrivée des
Aryens orientaux.
Elle n'existe peut-être plus à l'état spontané, et quand elle
s'offre dans les champs, quasi spontanée, on ne dit pas qu'elle
ait une forme modifiée qui se rapproche des autres espèces.

Soja. – Dolichos Soja, Linné. Glycine Soja, Bentham.


La culture de cette Légumineuse annuelle remonte, en Chine
et au Japon, à une antiquité reculée. On pouvait le présumer
d'après la multitude des emplois de la graine et le nombre im-
mense des variétés. Mais, en outre, on estime que c'est un des
farineux nommés Shu dans les ouvrages chinois contemporains
de Confucius, quoique le nom moderne de la plante soit Ta-tou3.
Les graines sont à la fois nutritives et fortement oléagineuses,
ce qui permet d'en tirer des préparations analogues au beurre,
à l'huile et au fromage dans la cuisine japonaise et chinoise 4.
Le Soja est cultivé aussi dans l'archipel indien, mais à la fin du
xvne siècle il était encore rare à Amboine5, etForster ne l'avait
pas vu dans les îles de la mer Pacifique, lors du voyage de
Cook. Dans l'Inde, il doit être d'une introduction moderne, car
Roxburgh n'avait vu la plante qu'au jardin botanique de Cal-
cutta, où elle provenait des Moluques 6. On ne .connaît pas de
noms vulgaires indiens 7. D'ailleurs si la culture était ancienne

1. Piddïnfrton, Index. Roxburgh ne parle pas d'un nom sanscrit.


2. Bretschneider, Study and value of chinese botanical works, p. 16.
3. Bretschneider, ibid., p. 9.
4. Voir Pailleux, dans le Buïïelin de la Société d'acclimatation, sept. et
oet. 1880.
5. Rumphius, Amb., vol. 5, p. 388.
6. Roxburgh, Flora indica, 3, p. 314.
7. Piddington, In,dex
SOJA 265
dans l'Inde, elle se serait propagée vers l'ouest, en Syrie et en
Egypte, ce qui n'est pas arrivé.
Keempfer 1 avait publié jadis une excellente figure du Soja, et
on le semait depuis un siècle dans les jardins botaniques d'Eu-
rope, lorsque des renseignements plus nombreux sur la Chine et
le Japon suscitèrent, il y a une dizaine d'années, un zèle extraor-
dinaire pour l'introduire dans nos pays. C'est surtout dans
l'Autriche-Hongrie et en France que des essais ont été faits en
grand et qu'on les a résumés dans des ouvrages très dignes
d'être consultés 2. Faisons des vœux pour que le succès réponde
à ces efforts, mais nous ne devons pas nous écarter du but de
nos recherches. Occupons-nous donc ici de l'origine probable
de l'espèce.
Linné a dit dans son Species « Habitat in India; » après quoi
il renvoie à Ksempfer, qui a parlé des plantes du Japon, et à sa
propre flore de Ceylan, où l'on voit que la plante était cultivée
dans cette île. La flore moderne de Ceylan, par Thwaites, n'en
fait aucune mention. Evidemment il faut avancer vers l'Asie
orientale pour trouver 1 origine à la fois de la culture et de
l'espèce. Loureiro dit qu'elle habite en Cochinchine et qu'on la
cultive souvent en Chine 3. Je ne vois pas de preuve qu'on l'ait
trouvée sauvage dans ce dernier pays, mais on l'y découvrira
peut-être, vu l'ancienneté de la culture. Les botanistes russes
ne l'ont rencontrée dans le nord de la Chine et vers le fleuve
Amour qu'à l'état de plante cultivée. Elle est certainement
6
spontanée au Japon 5.i:nfin, Junghuhn l'a récoltée à Java sur
le mont Gunung-Gamping, et l'on rapporte à la même espèce
une plante envoyée aussi de Java par Zollinger, sans qu'on
sache si elle était vraiment spontanée 7. Un nom malais, Ka-
delee 8, tout à fait différent des noms vulgaires japonais et chi-
nois, appuie l'indigénat à Java.
En résumé, d'après les faits connus et les probabilités histo-
riques et linguistiques, le Soja était spontané de la Cochin-
chine au Japon méridional et à Java lorsque d'anciens habi-
tants, à une époque très reculée, se sont mis à le cultiver, à
l'employer de différentes manières pour leur nourriture, et en
ont obtenu des variétés, dont le nombre est remarquable, sur-
tout au Japon.

1. Kaempfer,Amœn.exot.,p. 837,pi. 838.


2. Haberlandt,Die Sojabohne,in-8»,Vienne,1878,extrait en françaispar
M. Pailleux,l. c.
3. 'Loureiro,Fl. coch.,2. p.338.
4. Bunge,Enum.plant. Chin.,n° 118 Maximowicz,Printlinefl. Amur.,
p. 87
5. Miquel,Prolusio,dans Ann. Mus. Lugd.-Bat.,3, p. 52; Franchet et
Savatier, Enum. plant. Jap., 1, p. 108.
6. Junghuhn. PlantœJungh..p. 233.
7. Le Soja angustifolia,Miquel;voir Hooker,FI. bnt. Ind., 2, p. 184.
8. Rumphius,l. c.
266 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

Cajan. Cajanus indiens, Sprengel. Cytisus Cajan,


Linné.
Cette Légumineuse, très souvent cultivée dans les pays tropi-
caux, est de la nature des arbustes; mais elle fructifie dès
la première année, et dans quelques pays on aime mieux la cul-
tiver comme une plante annuelle. Ses graines sont un article im-
portant de la nourriture des nègres ou des indigènes, tandis que
les colons européens ne les recherchent guère, si ce n'est pour
les manger avant maturité, comme nos petits pois.
La plante se naturalise avec une grande facilité dans de mau-
vais terrains, hors des cultures, même aux Antilles, d'où elle
n'est certainement pas originaire 1
A l'île Maurice, elle se nomme Ambrevade; dans les colonies
anglaises, Doll, Pigeon-Pea, et dans les Antilles anglaises ou
françaises, Pois d'Angola, Pois de Congo, Pois pigeon.
Chose singulière, pour une espèce répandue dans les trois
continents, les variétés ne sont pas nombreuses. On en signale
deux, basées uniquement sur la couleur jaune ou teintée de
rouge des fleurs, qui ont été regardées quelquefois comme des
espèces distinctes, mais que des observations plus attentives
ramènent à une seule, conformément à l'opinion de Linné 2. Le
petit nombre des variations obtenues, même dans l'organe pour
lequel on cultive l'espèce, est un indice de culture pas très an-
cienne. C'est cependant ce qu'il faut chercher, car l'habitation
préculturale est incertaine. Lés meilleurs botanistes ont sup-
posé tantôt l'Inde et tantôt l'Afrique intertropicale. M. Bentham,
qui a beaucoup étudié les Légumineuses, croyait en 1861 à
l'origine africaine, et en 1865 il inclinait plutôt vers l'origine
asiatique 3. Le problème est donc assez intéressant.
Et d'abord il ne peut pas être question d'une origine améri-
caine. Le Cajan a été introduit aux Antilles de la côte d'Afrique
par la traite des nègres, comme l'indiquent les noms vulgaires
déjà cités et l'opinion unanime des auteurs de flores améri-
caines. On l'a porté également au Brésil, à la Guyane et dans
toutes les régions chaudes du continent américain.
La facilité avec laquelle cet arbuste se naturalise empêcherait,
à elle seule, d'accorder beaucoup de poids au dire des collec-
teurs, qui l'ont trouvé plus ou moins spontané en Asie ou en
Afrique, et de plus ces assertions ne sont pas précises. Généra-
lement elles sont accompagnées de doutes. La plupart des

1. De Tussac, Flore des Antilles,vol. 4, p. 94,pl. 32 Grisebach,FI. of


brit. w.Ind., 1, p. 191.
2. Voir sur cette question Wight et Arnott, Vrodi\ fl. penins. ind.,
p. 256;Klotzsch,dans Peters, Reisenach Mozambique, 1,p. 36. La variété
à fleurjaune est figuréedans Tussac,l. c.; celleà fleur coloréede rouge,
daus le Botanicalregister,1845,pl: 31.
3. Bentham,Flora Honglcongensis, p. 89; Flora brasil.,vol. 1SSp. 199;
Benthamet Hooker,Gen.,I, p. SU.
4. De Tussae,Floredes Antilles; Jacquin,Obs.,p. 1.
CAJAN 267
auteurs de flores de l'Inde continentale n'ont vu la plante qu'à
l'état cultivé 1. Aucun, à ma connaissance, n'affirme la qualité
spontanée. Pour l'île de Ceylan, Thwaites 2 s'exprime ainsi
« On dit qu'elle n'est pas réellement sauvage, et les noms du
pays paraissent le confirmer. » Sir Jos. Hooker, dans sa flore
de l'Inde anglaise, dit « Sauvage ? et cultivée jusqu'à 6000 pieds
dans l'Himalaya. » Loureiro 3 l'indique cultivée et non cul-
tivée « en Cochinchine et en Chine. » Les auteurs chinois ne
paraissent pas en avoir parlé, car l'espèce n'est pas nommée
dans l'opuscule du Dr Bretschneider, On study, etc. Dans les îles
de la Sonde, elle est mentionnée comme cultivée, et même assez
rarement à Amboine, à la fin du dix-septième siècle, d'après
Rumphius 4. Forster ne l'avait pas vue dans les îles de la mer
Pacifique lors du voyage de Cook, mais Seemam nous apprend
que les missionnaires l'ont introduite depuis peu dans les jar-
clins des îles Fidji 5. Tout cela fait présumer une extension peu
ancienne de la culture à l'est et au midi du continent asiatique.
Outre la citation de Loureiro, je vois qu'on indique l'espèce sur
la montagne de Magelang, de l'île de Java 6; mais, en supposant
une véritable et ancienne spontanéité dans ces deux cas, il serait
bien extraordinaire qu'on ne trouvât pas également l'espèce
dans beaucoup d'autres localités asiatiques.
L'abondance des noms indiens et malais 7 montre une culture
assez ancienne. Piddington indique même un nom sanscrit,
Arhuku, que Roxburgh ne connaissait pas, mais il ne donne au-
cune preuve à l'appui de son assertion. Le nom peut avoir été
simplement supposé, d'après les noms hindou et bengali Urur et
Orol. On ne connaît pas de nom sémitique.
En Afriqne, le Cajan est signalé souvent de Zanzibar à la côte
de Guinée s. Les auteurs le disent cultivé, ou ne s'expliquent pas
à cet égard, ce qui semble indiquer des échantillons quelque-
fois spontanés. En Egypte, la culture est toute moderne, du
xixe siècle 9.
En résumé, je doute que l'espèce soit vraiment spontanée en
Asie et qu'elle s'y trouve depuis plus de 3000 ans. Si les anciens
peuples l'avaient connue, elle serait arrivée à la connaissance des
Arabes et des Egyptiens avant notre époque. Au contraire, dans
l'Afrique équatoriale, il est possible qu'elle existe, sauvage ou
cultivée, depuis un temps très long, et qu'elle soit arrivée en

1. Rheede,Roxburgh,Knrz,Burm. flora, etc.


2. Thwaites,Enum.plant. Ceylan.
3. Loureiro,Fl. cachinch.,p. 565.
4. Rumphius,Amb.,vol. 5, t.-135.
5. Seemann,Flora Vitiensis,p. 74.
6. Junahuim, Plants Jungh fasc. 1, p. 241.
7. Pidclington,Index; Rheede,Malab., 6, p. 23; etc.
8.'PIckerîng,Chronol.arrangementof plants,p. 442;Peters,Reise,p. 36;
R. Brown,Bot. of Congo,p. 53 Oliver,Flora of tropicalAfrica,2, p. 216.
9. Bulletin de la Soc.d'acclimatation,1S71,p. 663.
268 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

Asie par d'anciens voyageurs faisant le trafic de Zanzibar à


l'Inde et Ceylan.
Le genre Cajanus n'a qu'une espèce, de sorte qu'on ne peut
invoquer aucune analogie de distribution géographique pour le
croire d'Asie plutôt que d'Afrique, ou vice versa.

Caroubier 1. Ceratonia Siliqua, Linné.


On sait à quel point les fruits ou légumes du Caroubier sont
recherchés dans les parties chaudes de la région de la mer Médi-
terranée, pour la nourriture des animaux et même de l'homme.
De Gasparin 2 a donné des détails intéressants sur le traitement,
les emplois et l'habitation de l'espèce, envisagée comme arbre
cultivé. Il note qu'elle ne dépasse pas au nord la limite où l'on
peut avoir l'oranger sans abri. Ce bel arbre, à feuilles persis-
tantes, ne s'accommode pas non plus des pays très chauds, sur-
tout quand ils sont humides. Il aime le voisinage de la mer
et les terrains rocailleux. Sa patrie, d'après de Gasparin, est
« probablement le centre de l'Afrique. Denham et Clapperton,
dit-il, l'ont trouvé dans le Bournou. » Cette preuve me paraît
insuffisante, car, dans toute la région du Nil et en Abyssinie, le
Caroubier n'est pas sauvage ou même n'est pas cultivé 3.
R. Brown n'en parle pas dans son mémoire sur les plantes du
voyage de Denham et Clapperton. Plusieurs voyageurs l'ont vu
dans les forêts de la Cyrénaïque, entre le littoral et le plateau;
mais les habiles botanistes qui ont dressé le catalogue des
»
plantes de ce pays ont eu soin de dire 4 « Peut-être indigène.
La plupart des botanistes se sont contentés de mentionner l'es-
pèce dans le centre et le midi de la région méditerranéenne,
depuis le Maroc et l'Espagne jusqu'à la Syrie et l'Anatolie, sans
scruter beaucoup si elle est indigène ou cultivée, et sans abor-
der la question de la véritable patrie, antérieure à la culture.
Ordinairement, ils indiquent le Caroubier comme a cultivé et
subspontané ou presque naturalisé ». Cependant il est donné
pour spontané en Grèce, par M. de Heldreich; en Sicile, par
Gussone et Bianca; en Algérie, par Munby 8, et je cite là des
auteurs qui ont vécu assez dans ces divers pays pour se former
une opinion vraiment éclairée.
M. Bianca remarque cependant que le Caroubier n'est pas
toujours vigoureux et productif dans les localités assez res-
1. Enuméréici pour ne pas le séparer d'autres légumineusescultivées
pour les graines seulement.
2. De Gasparin,Coursd'agriculture,4, p. 328.
3. Schweinfurthet Ascherson,Aufzàhlung,p. 255 Richard, Tentamen
flors abyssinics.
4. Ascberson,etc., dansRohls,Kufra, 1, vol. in 8°,1881,p. 519.
5. Heldreich,NutzpflanzenGriechenlands, p. 73, Die Pflanzender atti-
schen Ebene p. 477; Gussone,Synopsisfl. sieuls, p. 646; Bianca,Il
Carrubo,dans Giornaled'agricoltura,italiana, 1881 Munby,Catal.pi. in
Alger,spont.,p. 13.
CAROUBIER 269

treintes où il existe en Sicile, dans les petites lies adjacentes et


sur la côte d'Italie. Il s'appuie, en outre, sur le nom italien
Carrubo, presque semblable au nom arabe, pour émettre ridée
d'une introduction ancienne dans le midi de lEurope, l'es-
ou de l'Afrique sep-
pèce étant originaire plutôt de Syrie
tentrionale. A cette occasion, il soutient, comme probable,
le Lotos des
l'opinion de Hœfer et de Bonné 1, d'après laquelle et le fruit
Lotophages était le Caroubier, dont la fleur est sucréed'Homère.
d'un goût de miel, conformément aux expressions
Les Lotophages habitant la Cyrénaïque, le Caroubier devait
croître en masse dans leur pays. Pour admettre cette hypo-
thèse, il faut croire qu'Hérodote et Pline n'ont pas connu la
le Lotos comme ayant
plante d'Homère, car le premier a décrit
une baie de Lentisque et le second comme un arbre qui perd
ses feuilles en hiver 2..
Une hypothèse sur une plante douteuse dont a parlé jadis un
dans un raisonne-
poète ne peut guère servir de point d'appui
ment sur des faits d'histoire naturelle. Après tout, le Lotos d'Ho-
mère était peut-être. dans le jardin fantastique des Hespé-
rides. Je reviens à des arguments d'un genre plus sérieux, dont
M. Bianca a touché quelques mots.
Le Caroubier est désigné dans les langues plus ou moins
anciennes par deux noms l'un grec, Keraunia ou Kerateia 3;
l'autre arabe, Chirnub ou Charûb. Le premier exprime la forme
du légume, analogue à certaines cornes médiocrement recour-
bées. Le second signifie un fruit allongé (légume), car on voit
dans l'ouvrage de Ebn Baithar que quatre autres Légumineuses
sont désignées par ce même nom, avec une épithète. Les Latins
n'avaient pas de nom spécial pour le Caroubier. Ils se servaient
du mot grée, on de l'expression Siliqua, Siliqua grmca, c'est-à-
dire fruit allongé de Grèce 5. Cette pénurie de noms est l'indice
d'une habitation jadis restreinte et d'une culture qui ne remonte
Le nom grec s'est
probablement pas à des temps préhistoriques.
conservé en Grèce. Le nom arabe existe aujourd'hui chez les
Kabyles, qui disent Kharroub pour le fruit, Takharrout pour
l'arbre 6, comme les Espagnols disent Algarrobo. Chose singu-
lière, les Italiens ont pris aussi le nom arabe, Currabo, Carubio,
d'où vient notre nom français Caroubier. Il semble qu'une intro-
duction se serait faite, par les Arabes, dans le moyen âge,

1. Hœfer,Histoirede la botanique,de la minéralogieet de la géologie,


1 vol. in-12, p. 20 Bonne, Le Caroubier ou l'arbre des Lotophages,
Alger,1869(cité d'après Hœfer).Voir, ci-dessus,l'article du Jujubier.
2. Pline, Hist., 1. 16, 30.
c.
3. Théophraste,Hist plant, 1. 1, c. 11; Dioscorides,1. 1, c. 155 Fraas,
Sim.fl. class.,p. 65
4. Ebn Baithar,trad. allem.. 1, p. 354;Forskal,Flora œgypt.,p. 77.
5. Columna,cité dans Lenz,Bot. der ÂltenGriech.und Rœm.,p. 733
Pline, Hist.,1. 13, c. 8.
6. Dict. français-berbère,au mot Caroube.
270 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

depuis l'époque romaine, où l'on employait un nom différent.


Ces détails appuient l'idée de M. Bianca d'une origine plus
méridionale que la Sicile. D'après Pline, l'espèce était de Syrie,
Ionie, Gnide et Rhode, mais il ne dit pas si dans ces localités elle
était sauvage ou cultivée.
Selon le même auteur, le Caroubier n'existait pas en Egypte.
On a cru cependant le reconnaître dans des monuments bien
antérieurs à l'époque de Pline, et même des égyptologues lui
ont attribué deux noms égyptiens, Kontrates ou Jiri 1. Lepsius
a donné la figure d'un légume qui paraît bien une caroube, et
le botaniste Kotschy ayant rapporté une canne, sortie d'un
cercueil, s'est assuré, par l'observation au microscope, qu'elle
est de bois de Caroubier 2. On ne connaît aucun nom hébreu
de cette espèce, dont l'Ancien Testament ne parle pas. Le Nou-
veau en fait mention, avec le nom grec, dans la parabole de
l'enfant prodigue. La tradition des chrétiens d'Orient porte que
saint Jean se serait nourri de Caroubes dans le désert, et c'est
de là que dans le moyen âge on a tiré des noms, commePainde
Saint-Jean, et Johannis brodbaum, pour le Caroubier.
Evidemment, cet arbre a pris de l'importance au commence-
ment de l'ère chrétienne, et ce sont les Arabes qui l'ont surtout
propagé vers l'Occident. S'il avait existé antérieurement en
Algérie, chez les Berbères, et en Espagne, on aurait conservé
des noms antérieurs à l'arabe, et l'espèce aurait probablement
été introduite aux Canaries par les Phéniciens.
Je résume l'ensemble des données comme suit
Le Caroubier était spontané à l'orient de la mer Méditerranée,
probablement sur la côte méridionale d'Anatolie et en Syrie,
peut-être aussi dans la Cyrénaïque. Sa culture a commencé depuis
les temps historiques. Les Grecs l'ont étendue dans leur pays et
en Italie mais plus tard les Arabes s'en sont occupés davantage
et l'ont propagée jusqu'au Maroc et en Espagne. Dans tous ces
pays, l'espèce s'est naturalisée çà et là, sous une forme moins pro-
ductive, qu'on est obligé de greffer pour avoir de meilleurs fruits.
Jusqu'à présent, on n'a pas trouvé le Caroubierfossile dans les
tufs et dépôts quaternaires de l'Europe méridionale. Il est seul
de son espèce, dans le genre Ceratonia, qui est assez excep-
tionnel parmi les Légumineuses, surtout en Europe. Rien ne
peut faire supposer qu'il ait existé dans les anciennes flores ter-
tiaires ou quaternaires du sud-ouest de l'Europe.

Haricot commun. Phaseolus vulgaris Savi.


Lorsque j'ai voulu m'occuper, en 18553, de l'origine des Pha-
1.Lexiconoxon.,citédans Pickering,Chronological kist. of plants,p. 141.
2. Le dessin est reproduit dans Unger,Pflanzendes alten JEgyptens,
fig. 22. L'observationqu'il cite de Kotschyaurait besoin d'être confirmée
par un anatomistespécial.
3.A. de Candolle.Géogr.bot.raisonnée,p. 961.
HARICOT COMMUN 271

seolus et Bolichos, la distinction des espèces était si peu avancée


et les flores de pays tropicaux si rares que j'avais dû laisser de
côté plusieurs questions. Aujourd'hui, grâce à des mémoires de
M. Bentham et de M- George von Martens 1 complétant ceux anté-
rieurs de Savi 2, les Légumineuses des pays chauds sont mieux
connues; enfin tout récemment des graines tirées des tombeaux
M. Wittmack, ont modifié
péruviens d'Ancon, examinées par
complètement le problème des origines. commun. Je par-
Voyons d'abord ce qui concerne le Haricot
lerai ensuite d'autres espèces, sans énumérer toutes celles qui se
cultivent, car plusieurs d'entre elles sont encore mal définies.
Les botanistes ont cru pendant longtemps que le Haricot com-
mum était originaire de l'Inde. Personne ne l'avait trouvé sau-
et l'on s'était figuré
vage, ce qui est encore le cas actuellement;fût cultivée aussi en
une origine indienne, quoique l'espèce
Afrique et en Amérique dans les régions tempérées ou chaudes,
du moins dans celles qui ne sont pas d'une chaleur excessive et
humide. Je fis remarquer qu'elle n'a pas de nom sanscrit et que
les jardiniers du x\ie siècle appelaient souvent le Haricot fève
tout le monde, que les Grecs
turque. Persuadé en outre, comme
avaient cultivé cette plante, sous les noms deFasioloset Bolichos,
de l'Asie occidentale,
j'émis l'hvpothèse qu'elle était originaire cette manière de voir.
non de l'Inde. George de Martens adopta
Il s'en faut de beaucoup cependant que les mots Dolichos de
Faseolus et Phasiolus des
Théophraste, Fasiolos de Dioscoride, textes
Romains 3 soient assez définis dans les pour qu'on puisse
les attribuer avec sûreté au Phaseolus vulgaris. Plusieurs Légu-
mineuses cultivées se soutiennent par les vrilles dont parlent les
auteurs et présentent des gousses et des graines qui se ressem-
blent. Le meilleur argument pour traduire ces noms par Pha-
seolus vulgaris est que les Grecs actuels et les Italiens ont des
mots dérivés de Fasiolos pour notre haricot commun. Les Grecs
modernes disent Fasoulia et les Albanais (Pélasges ?) Fasulé; les
Italiens Fagiolo. On peut craindre pourtant une transposition de
nom d'une espèce de Pois, de Vesce, de Gesse ou d'un Haricot
anciennement cultivé au Haricot commun actuel. Il faut être
assez hardi pour déterminer une espèce de Phaseolus d'après
une ou deux épithètes dans un auteur ancien, quand on voit la
aux botanistes mo-
peine que donne la distinction des espèces On a voulu
dernes avec les plantes mêmes sous les yeux. cepen-
dant préciser que le Dolichos de Théophraste était notre haricot
à rames, et le Fasiolos le haricot nain de nos cultures, qui cons-

1. Bentham,dans Ann.wienerMuséum,vol. 2; Martens (Georgevon),


Die G<H-<en&o/u:M. in-4', Stuttgajd, 1860;ed. 2, 1869.
2. Savi,Osserv.sopraPhaseolusi Dolichos,i, 3.
3. Théopliraste,Bist., 1. 8, c. 3; Dioscorides,1. 2, c. 130 Pline, Hist.,
1. 18, c. 7, 12, interprétés par Fraas, Synopsisfl. class., p. 5,i Lenz,
Botanikd. alten GriechenundRœmer,p. 731; Mertens,l. c., p. 1.
272 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

tituent les deux races actuelles principales du Haricot commun,


avec une immense quantité de sous-races quant aux gousses et
aux graines. Je me contenterai de dire C'est probable.
Si le Haricot commun est arrivé jadis en Grèce, il n'a pas été
une des premières introductions, car le Faseolus n'était pas en-
core à Rome du temps de Caton, et c'est seulement au com-
mencement de l'empire que les auteurs latins en ont parlé.
M. Virchow a rapporté des fouilles faites à Troie plusieurs
graines de Légumineuses, que M. Wittmack certifie être les es-
pèces suivantes Fève (Faba vulgaris), Pois des jardins (Pisum
sativum), Ers {Ervum Èruilia), et peut-être Jarosse? [Lathyrus
Cice.ro), mais aucun Haricot. De même, dans les habitations des
anciens lacustres de Suisse, Savoie, Autriche et Italie, on n'a
pas encore trouvé le Haricot.
Il n'y a pas non plus de preuves ou d'indices de son existence
dans l'ancienne Egypte. On ne connaît pas de nom hébreu répon-
dant à ceux de Dolichos ou Phaseolus des botanistes. Un nom
moins ancien, car il est arabe, Loubia, se trouve en Egypte,
pour le Dolichos Lubia, et en Mndoustani, sous la forme Loba,
pour le Phaseolus vulgaris 2. Quant à cette dernière espèce, Pid-
dington n'indique dans les langues modernes de l'Inde que deux
noms, tous deux hindoustanis, Loba et Bailla. Ceci, joint à
l'absence de nom sanscrit, fait présumer une introduction peu
ancienne dans l'Asie méridionale. Les auteurs chinois ne men-
tionnent pas le Haricot commun (Ph. vulgaris) 3, nouvel indice
d'une introduction peu ancienne dans l'Inde, et aussi en Bac-
triane, d'où les Chinois ont tiré des légumes dès le ne siècle
avant notre ère.
Toutes ces circonstances me font douter que l'espèce ait été
connue en Asie avant l'ère chrétienne. L'argument des noms
grec moderne et italien pour le Haricot, conformes à Fasiolos, a
besoin d'être appuyé de quelque manière. On peut dire en sa fa-
veur qu'il a été employé dans le moyen âge, probablement pour
le Haricot commun. Dans la liste des légumes que Charlemagne
ordonnait de semer dans ses fermes," on trouve le Fasiolum
sans explication. Albert le Grand décrit sous le nom de Faseolus
une Légumineuse qui paraît êtrele Haricot nain de notre époque B.
Je remarque d'un autre côté que des auteurs du xve siècle ne
parlent d'aucun Faseolus ou nom analogue. C'est le cas de Pierre
1. Wittmack,Bot. VereinsBrandenb.,19 déc. 1879.
2. Delile,Plantescultivéesen Egypte,p. 14 Piddington, Index.
3. Bretschneidern'en fait mentionni dans son opuscule Onstudy,etc.,
ni dans les lettres qu'il m'a adressées.
4. E. Meyer,Geschichle der Botanik,3, p. 404.
5. « Faseolusest speciesleguminiset grani,quodest in parum
minus quamFaba,etin figuraest columnaresicutfaba, et quantitate
herba ejusminor
est aliquantulumquam herba Fabae Et sunt faseolimultorum colorum,
sed quodlibet granorum habet maculamnigram in loco cotyledonis.»
(Jessen,AlbertiMagni,Devegetabilibus,ed. critica,p. 515.)
HARICOT COMMUN 273

Crescenzio etMacer Moridus2. Au contraire, après la découverte


de l'Amérique, dès le xyp siècle, tous les auteurs publient des
figures et des descriptions du Phaseolus vulgaris, avec une infi-
nité de variétés.
Il est douteux que sa culture soit très ancienne dans l'Afrique
tropicale. Elle y est indiquée moins souvent que celle d'autres
espèces des genres Dolichos et Phaseolus.
Personne ne songeait à chercher l'origine du Haricot commun
en Amérique, lorsque tout récemmentdes découvertes singulières
ont été faites de fruits et de graines dans les tombeaux péruviens
3
d'Ancon, près de Lima. M. de Rochebrune a publié une liste
des espèces de diverses familles d'après une collection de MM. de
Cessac et L. Savatier. Dans le nombre se trouvent trois Haricots,
dont aucun, selon l'auteur, n'est le Phaseolus vulgaris; mais
M- Wittmack qui a étudié les Légumineuses rapportées de
ces mêmes tombeaux parles voyageurs Reiss et Stubel, dit avoir
constaté la présence de plusieurs variétés du Haricot commun,
parmi d'autres graines appartenant au Phaseolus lunatuslAnné.
H les a identifiées avec les variétés duPh. vulgaris appelées par
les botanistes oblongus purpureus (Martens) ellipticus prsecox
(Alefeld et ellipticus atro fusais (Alefeld), qui sont de la catégo-
rie des Haricots nains ou sans rames.
Il n'est pas certain que les sépultures en question soient toutes
antérieures à l'arrivée des Espagnols. L'ouvrage de MM. Reiss
et Stubel, actuellement sous presse, donnera peut-être des expli-
cations à cet égard; mais M. Wittmack admet, d'après eux,
qu'une partie des tombeaux n'est pas ancienne. Je suis frappé
cependant d'un fait qui n'a pas été remarqué. Les cinquante
espèces de la liste de M. Rochebrune sont toutes américaines.
Je n'en vois pas une seule qu'on puisse soupçonner d'origine
européenne. Evidemment, ou ces plantes et graines ont été dépo-
séesavant la conquête, ou dans certains tombeaux, qui sont peut-
être d'une époque subséquente, les habitants ont eu soin de ne
pas mettre des espèces d'origine étrangère. C'était assez natu-
rel, selon leurs idées, puisque l'usage de ces dépôts de plantes
n'est pas venu de la religion catholique, mais remonte aux cou-
tumes et opinions des indigènes. La présence du Haricot commun
parmi ces plantes uniquement américaines me paraît donc signi-
ficative, quelle que soit la date des tombeaux.
On peut objecter que des graines sont insuffisantes pour déter-
miner l'espèce d'un Phaseolus, et qu'on cultivait dans l'Amé-

1. P. Crescens,traductionfrançaisede 1539.
2. MacerFloridus,éd. 1485,et commentairepar Chonlant,1832.
3. De Rochebrune,Actesde la Sociétélinnêennede Bordeaux,vol. 33,
janvier 18S0,dont j'ai va l'analyse dans BotanischesCentralùlalt.1880,
p. 1633.
4. Wiltmaeb,Silzungshericht des bot. VereinsBrandenburg,19déo. 1879,
et lettre particulièrede lui.
De Candolle. 18
â14 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

rique méridionale, avant l'arrivée des Espagnols, plusieurs


encore bien connues.
plantes de ce genre, qui ne sont pas
Molina 1 parle de treize ou quatorze espèces (ou variétés?) cul-
tivées jadis, au Chili seulement.
M. Wittmack insiste sur l'emploi fréquent et ancien des
Haricots dans divers pays de l'Amérique méridionale. Celaprouve
au moins que plusieurs espèces y étaient indigènes et cultivées.
Il cite le témoignage de Joseph Acosta, un des premiers écrivains
« cultivaient des
après la conquête, d'après lequel les Péruviens ils usaient
légumes qu'ifs appelaient Frisohs et Palares, dont
comme les Espagnols de GEarbanzos(Pois cMehe), Fèves et Len-
tilles. Je n'ai point reconnu, ajoute-t-il, que ceux-ci ni autres
légumes d'Europe s'y soient trouvés avant que les Espagnolsduy
entrassent. » Frisole, Fajol, Fasoler sont des noms espagnols
haricot commun, parcorruption dulatin Faselm,Fasolm, Faseo-
lus. Palier est américain.
Qu'il me soit permis à l'occasion de ce&noms d'expliquer l'ori-
sans
gine du nom français Hmncot. Je Faï cherchée autrefois 2,
la trouver; mais je signalais le fait que Tournefort (Instiï. p. 415)
s'en est servi le premier 3. Je faisais remarquer en outre l'exis-
tence du mot Arachas (apooco;) dans Théophraste, pour une sorte
de Vicia probablement, et du mot Marenso, en sanscrit, pour le
Pois commun.Je repoussais l'idée, peuvraisemblable, que le nom
d'un légume vînt du plat de viande appelé haricot ou larïpat de
mouton, comme l'avait dit un auteur anglais. Je critiquais en-
suite Bescherelle, qui faisait venir Haricot du celte, tandis que les
noms bretons de la plante diffèrent totalement et signifient fève
menue (fa-mumidj, ou sorte de pois {Pis-rani). Littré, dans son
Dictionnaire, a cherché aussi Têtymologie de ce nom. Sans avoir
eu connaissance de mon article, il inclinevers la supposition que
haricot, légume, vient du ragoût» attendu que ce dernier est
res-
plus ancien dans la langue et qu'on peut voir une certaine
semblance entre la graine du haricot et les morceaux de viande
du ragoût, ou encore que cette graine convenait à l'assaisonne-
ment du plat. Il est sûr que le légume s'appelait en français
Fazéole ouFaséole dunom latin, jusquevers la fin du xvip siècle
mais le hasard m'a fait tomber sur la véritable origine du mot
haricot. C'est un nom italien, Araco, qui se trouve dans Durante
et dans Matthioli, en latin Araeus niger*, pour une Pégumineuse
que les modernes rapportent à la GesseOchrus {Lathyrus Ochms)
Il n'est pas surprenant qu'un nom italien du xviie siècle ait été

1. Molina (Essai sur l'hist. nat. du Chili, tra.d. française, p.. 101)
cite les Phaseolus,qu'il nommePallar et Asellus,et la Flore du Chili de
Cl.Gayajoute, avecpeu d'éclaircissement,le Ph. CumingiitBentham.
2. A. de Candolle,Géogr.bot.raisonnâeT p. 691.
3. Tournefort,Eléments(1694),1, p. 328; InsHUp. 415.
4. Durante, Herbarionuova,1385,p. 39; blatthioli,ed. Valgris,p. 322;
Targioni,Dizionariobot. ital., 1, p. 13.
HARICOT DE LIMA 275
transporté par des cultivateurs français du siècle suivant à une
autre légumineuse et qu'on ait changé ara en an. C'est dans la
limite des erreurs qui se font de nos jours. D'ailleurs YAraeos ou
Arachos a été attribué parles commentateurs à plusieurs légumi-
neuses des genres Lathyrus, Vicia, etc. Durante donne pour
sy-
nonyme à son Araco l'apaxoç des Grecs, par où l'on voil bien
l'étymologie. Le Père Feuillée* écrivait en français Aricot. Avant
lui, Tournefort mettait Haricot. Il croyait peut-être que Fa du
mot grec avait un accent rude, ce qui n'est
pas le cas, du moins
dans les bons auteurs.
Je résume cet article en disant 1° Le Phaseolus mdgaris n'est
pas cultivé depuis longtemps dans l'Inde, le sud-ouest de l'Asie
et l'Egypte. 2° On n'est pas complètement sûr qu'il fut connu en
Europe avant la découverte de l'Amérique. 3° A cette époque le
nombre des variétés s'est accru subitement dans les jardins d'Eu-
rope et tous les auteurs ont commencé d'en parler. 4° La majorité
des espèces du genre existe dansl'Amérique méridionale. 5" Des
graines qui paraissent appartenir à cette espèce ont été trouvées
dans des tombeaux péruviens d'une date un peu
incertaine, mé-
langées avec beaucoup d'espèces toutes américaines.
Je n'examine pas si le Phaseolus vulgaris existait, avant la mise
en culture, dans l'ancien et le nouveau monde également,
parce
que les exemples de cette nature sont excessivement rares
parmi les plantes phanérogames, non aquatiques, des pays tro-
picaux. Il n'en existe peut-être pas une sur mille, et encore on
peut soupçonner souvent quelque transport du fait de l'homme2.
Il faudrait du moins, pour aborder cette hypothèse à
l'égard du
Ph. vulgaris, qu'il eût été trouvé en apparence sauvage dans
l'ancien et le nouveau monde, mais cela n'est pas arrivé. S'il
avait eu une habitation aussi vaste, on en aurait des indices
par
des individus vraiment spontanés dans des régions très éloignées
les unes des autres sur le même continent. C'est ce
qu'on voit
dans l'espèce suivante, Ph. lunatus.

Haricot courbé. -Phaseolus lunatus, Linné.


Haricot de Lima. Phaseolus lunatus macrocarpus, Ben-
tham. Phas. inamœnus, Linné.
Ce Haricot, de même que la variété dite de Lima, est si
dans tous les pays tropicaux qu'on l'a décrit, sans s'en répandu
douter,
sous plusieurs noms Toutes ses formes se rapportent à deux
groupes, dont Linné faisait deux espèces. La plus commune
maintenant dans les jardins est celle appelée, depuis le com-
mencement du siècle, Haricot de Lima, Elle se distingue par sa

1. Feuillée,Hist. desplantesmédicinalesdu Pérou,etc., in-4»,i72ô,p. 54.


2. A. de Candolle,Géogr.bot, raisonnée,chapitredes espèeesdisjointes.
3. Phaseolus bipunctatns Jacq., inamcenuaLinné,
saccharatusMao-Fadyen,etc., etc. pufieruïiiaJiunth,
276 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

taille élevée et par la grandeur de ses légumes et de ses graines.


Sa durée est de plusieurs années dans les pays qui lui sont favo-
rables.
Linné croyait son Phaseolus lunatus du Bengale, et l'autre
forme, d'Afrique, mais il n'en a donné aucune preuve. Pendant
un siècle, on a répété ce qu'il avait dit. Maintenant, M. Bentham i,
attentif à ces questions d'origine, regarde l'espèce et sa variété
comme certainement américaines; il émet seulement des doutes
sur la présence en Afrique et en Asie comme plante spontanée.
Je ne vois aucun indice quelconque d'ancienneté d'existence
en Asie. Non seulement la plante n'a jamais été trouvée sauvage,
mais elle n'a pas de noms dans les langues modernes de l'Inde
ou en sanscrit 2. Elle n'est pas mentionnée dans les ouvrages
chinois. Les Anglo-Indiensl'appellent, commele Haricot commun,
French bean 3, ce qui montre à quel point la culture en est mo-
derne.
En Afrique, elle est cultivée à peu près partout entre les tro-
piques. Cependant MM. Schweinfurth et Ascherson 4 ne la men-
tionnent pas en Abyssinie, Nubie ou Egypte. M. Oliver 5 cite
beaucoup d'échantillons de Guinée et de l'Afrique intérieure,
sans préciser s'ils étaient spontanés ou cultivés. Si l'on suppose
l'espèce originaire ou d'introduction très ancienne en Afrique,
elle se serait répandue vers l'Egypte et dans l'Inde.
Les faits sont tout autres dans l'Amérique méridionale.
M. Bentham cite des échantillons spontanés de la région du
fleuve des Amazones et du Brésil central. Ils se rapportent sur-
tout à la grande forme (macrocarpus). Cette même variété est
abondante dans les tombeaux péruviens d'Ancon, d'après M.Witt-
mack 6. C'est évidemment une espèce du Brésil, que la culture
a répandue et peut-être naturalisée çà et là, depuis longtemps,
dans l'Amérique tropicale. Je croirais volontiers qu'elle a été
introduite en Guinée par le commerce des esclaves, et qu'elle a
gagné de cette côte l'intérieur du pays et la côte de Mozam-
bique.

Haricot à feuille d'Aconit. Phaseolus aconitifolius


Willdenow.
Espèce annuelle, cultivée dans l'Inde, comme fourrage, et
dont les graines sont comestibles, mais peu estimées. Le nom
hindustani est Mout, chez les Sikhs Moth. Elle ressemble au Plta-
seolus trilobus, qui est cultivé pour la graine.

i. Bentham,dans Flora brasil., vol. 15,p. 181.


2. Roxbnrgh,Piddington,etc.
3. Royle,fil. Himalaya,p. It't.
4. Aufzahlung,p. 257.
5. Oliver,Flora of tropicalAfrica,p. i92.
6. Wittmack,Sitz. ber.bot. VereinsBrandenburg,19déc. 1879.
LABLAB 277
Le Phaseolns aconitifolius est spontané dans l'Inde anglaise,
de Ceylan à l'Himalaya 1.
L'absence de nom sanscrit et de noms divers dans les langues
modernes de l'Inde fait présumer une culture peu ancienne.

Haricot trilobé. Phaseolus triïobus, Willdenow.


Une des espèces le plus ordinairement cultivées dans l'Inde s,
du moins depuis quelques années, car Roxburgh 3, à la fin du
xvme siècle, ne l'avait vue qu'à l'état spontané. Tous les auteurs
s'accordent à dire qu'elle est sauvage au .pied de l'Himalaya
et jusqu'à Ceylan. Elle existe aussi en Nubie, en Abyssinie et au
Zambèse 4, et l'on ne dit pas si elle y est cultivée ou spontanée.
noms dans les
Piddington cite un nom sanscrit et plusieurs une culture ou
langues modernes de l'Inde, ce qui fait présumer
une connaissance de l'espèce depuis au moins trois mille ans.

Mungo. Phaseolus Mungo, Linné.


et dans la région du
Espèce généralement cultivée dans l'Inde
Nil. Le nombre considérable de ses variétés et l'existence de
trois noms différents dans les langues indiennes actuelles font
deux mille ans au moins pour la
présumer une date de mille ou elle est
culture, mais on ne cite aucun nom sanscrit 5.En Afrique,
probablement peu ancienne.
Les botanistes anglo-indiens s'accordent à dire quelle est
spontanée dans l'Inde.
Lablab. Dolichos Lablab, Linné.
On cultive beaucoup cette espèce dans l'Inde et l'Afrique tro-
des noms
picale. Roxburgh compte jusqu'à sept variétés,unayant nom sanscrit,
indiens. Piddington cite, dans son Index,
Schimbi, qui se retrouve dans les langues modernes. La culture
a donc peut-être au moins trois mille ans de date. Cependant
Chine et dans
l'espèce ne s'est pas répandue anciennement en
l'Asie occidentale ou l'Egypte, du moins je n'en découvre aucune
trace. Le peu d'extension de plusieurs de ces Légumineuses co-
mestibles hors de l'Inde, dans les temps anciens, est un fait assez
ne remonte pas bien
singulier. Il est possible que leur culture
haut. ~T j. t
Le Lablab est incontestablement spontané dans l'Inde et
à
même, dit-on, à Java 6, Il s'est naturalisé aux îles Seychelles,
1. Roxburgh.Fl. ind., ed. 1832,v. 3, p. 299;Aitchison,Catal.of Punjab,
p. 48; sir J. Hooker, Fl. ofbrit. lndia, 2, p. 202.
2. Sir J. Hooker,Flora of britishIndia, 2, p. 201.
3. Roxburgh,Floz·aindica, 3, p. 299.
4. Scbweinfiîrth,Beitr.z.' Flora JElhiopiens,p. 13; Aufzâhlung,p. 257;
Oliver Flora of tropicalAfriea, p. 194.
5. Voirles auteurs cités ponr le P. triïobus.
6. Sir J. Hooker, Flora of brit. India, 2, p. 209;Jungbulm, PlanUe
Junghun., fase. 2, p. 240.
278 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

la suite de cultures 1. Les indications des auteurs ne permettent


pas de dire qu'il soit spontané en Afrique 2,

Lubia. Dolichos Lubia, ForskaL


Cette espèce, cultivée en Egypte sous le nomde Lubia, Loubya
Loubyé, d'après Forskal etDelile 3, est peu connue des botanistes.
D'après le dernier de ces auteurs, elle existe aussi en Syrie, en
Perse et dans l'Inde; mais je n'en vois nullement la confirmation
dans les ouvrages modernes sur ces deux pays, MM. Schwein-
furth et Ascherson 4 l'admettent bien comme espèce distincte,
cultivée dans la région du Nil. Jusqu'à présent, personne ne l'a
trouvée à l'état spontané.
On ne connaît aucun Dolichos ou Phaseolus dans les monu-
ments de l'ancienne Egypte. Nous verrons d'autres indices, tirés
des noms vulgaires, conduisant aussi à l'idée que ces plantes
se sont introduites dans l'agriculture égyptienne après l'époque
des Pharaons.
Le nom Lubia est appliqué par les Berbères, sans changement,
et en Espagne sous la forme Alubia, au Haricot commun, Pha-
seolus vidgaris b. Quoique les deux genres Dolichos et Phaseolus
se ressemblent beaucoup, c'est un exemple du peu de valeur des
noms vulgaires pour la constatation des espèces.
Je rappellerai ici que Loba est un des noms du Phaseolus vul-
garis en hindustani, et que Lobia est celui du Dolichos sinensis
dans la même langue e.
Les orientalistes feront bien de chercher si Lubia est ancien
dans les langues sémitiques. Je ne vois pas qu'on cite un nom
analogue en hébreu et il se pourrait que les Araméens ou les
Arabes eussent pris Lubia du Lobos (Àofioc) des Grecs, qui signi-
fiait une partie saillante, comme le lobe de l'oreille, un fruit de
la nature de ceux des légumineuses et plus particulièrement,
selon Galien, le Phaseolus vulgaris. Lobion (Xojïccv),dans Diosco-
ride, est le fruit du Phaseolus vulgaris, du moins selon l'opinion
des commentateurs 7. Il a continué clans le grec moderne avee
le même sens, sous la forme de Loubïon 8.

Voandzou. Glycine subterranea, Linné fils. Voandzeia


subterranea, du Petit-Thouars.
i. Baker,FI. of Mauritius,p. 83.
2. Oliver,FI. oftrop. Africa,2, p. 210.
3. Forskal,Descript.,p. 133;Delile,Plant. mît. en Egypte,p. 14.
4. Schweinfurthet Ascherson,Àufzàlilung,p. 256
5. Dictionn.français-berbère,au mot haricot; Willkomin et Lange,
Proclr. fl. hisp.. 3, p. 324.Le Haricotcommunn'a pas moins de cinq
noms fliffprentsdansla péninsuleespagnole.
6. Piddington,Index.
7. Lenz,Itatanikderalteti Griechenund Rômer,p. 732.
S.'Langkavel,Botanikder spàterenGriechen, p. 4; Heldreich,Nutzpfiansen.
Griechenland's, p. 72.
SARRASIN OU BLÉ NOIR 279

Les plus anciens voyageurs à Madagascar avaient remarqué


cette Légumineuse annuelle, que les habitants cultivent pour en
manger le fruit on les graines, comme des pois, haricots, etc.
Elle ressemble à l'Arachide, en particulier par la circonstance
que le support de la fleur se recourbe et enfonce le jeune fruit
ou légume dans le sol. La culture en est répandue dans les jar-
dins, surtout de l'Afrique tropicale, et moins communément de
l'Asie méridionale 1. Une semble pas qu'on la pratique beaucoup
en Amérique 2, si ce n'«st au Brésil, où elle se nomme Mandubi
d'Angola 3.
Les anciens auteurs sur l'Asie ne la mentionnent pas. C'est
donc en Afrique qu'il faut chercher l'origine. Loureiro l'avait
vue sur la côte -orientale de ce continent et du Petit-Thouars à
Madagascar, mais ils ne disent pas qu'elle y fût spontanée. Les
auteurs de la flore de Sénégambie 5 l'ont décrite comme cultivée
et « probablement spontanée » dans le pays de Galam. Enfin
MM. Schweinfurth et Ascherson 6 l'ont trouvée à l'état sauvage,
au bord du Nil, de Chartum à Gondokoro. Malgré la possibilité
d'une naturalisation par suite de la culture, il est extrêmement
probable que la plante est spontanée dans l'Afrique intertro-
picale.
Sarrasin ou blé noir. Polygonum Fagopyrum, Linné.
Fagopyrum. esculentum, Moench.
L'histoire de cette espèce est devenue très claire depuis quel-
ques années.
Elle croît naturellement en Mandschourie, sur les bords du
fleuve Amour 7, dans la Daourie et près du lac Baïkal 8. On
l'indique aussi en Chine et dans les montagnes de l'Inde sep-
tentrionale °, mais je ne vois pas que la qualité de plante sau-
vage y soit certaine. Roxburgh ne l'avait vue dans le nord de
l'Inde qu'à l'état cultivé, et le DrBretschneider" regarde l'indi-
génat comme douteux pour la Chine. La culture n'y est pas
ancienne, car le premier auteur qui en a parlé écrivait dans la
période du Xeau xne siècle de l'ère chrétienne»
Dans l'Himalaya, on cultive le Sarrasin, sous les noms de Ogal

i. Sir J. Jîûoker, Flora of brit. India, 2 p. 205; Miguel,Flora indo-


batavia,1 p. 175.
2. Linné fils, Decad., 2, pl. 19, parait avoir confondu l'espèce aveu
VAvachis, et il indique, à cause de cela peut-être, le Yoandzeiacomme
cultivé de son temps à Surinam.Les auteurs actuels sur l'Amériquene
l'ont pas vu ou ont négligéd'en parler.
3. Gardener'sChronicle-, 4 sept. 1880.
4. Lonreiro,Floracochinch.,2, p. 323.
5. Guillemin,Perrottet,Richard, Flora SenegmiMse tentamett,p. Zoi.
6. Aufzâklung,p. 259.
7. Maximowicz, PriwitùcfL amur., p. 236.
8. Ledebour,Fl. ross.,3, p. 517.
9. Meissner,dansProdr., 14,p. 143.
10. Bretschneider,Onstudy, etc., p. 9.
280 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

ou Ogla et Kouton l. Comme il n'existe pas de nom sanscrit


pour cette espèce, ni pour les suivantes, je doute beaucoup de
l'ancienneté de leur culture dans les montagnes de l'Asie cen-
trale. Il est certain que les Grecs et les Romains ne connaissaient
pas les Fagopyrum. Ce nom grec a été fait par les botanistes
modernes, à cause de la ressemblancede forme de la graine avec
le fruit du Hêtre, de la même façon qu'on dit en allemand
Buctzweitzen et en italien Faggina.
Les langues européennes d'origine aryenne n'ont aucun nom
de cette plante indiquant une racine commune. Ainsi les Aryens
occidentaux ne connaissaient pas plus l'espèce que les orientaux
de langue sanscrite, nouvel indice qu'elle n'existait pas autrefois
dans l'Asie centrale. Aujourd'hui encore, elle n'est probablement
pas connue dans le nord de la Perse et en Turquie, puisque les
flores ne la mentionnent pas 3. Bose a mis dans le Dictionnaire
d'agriculture qu'Olivier l'avait vue sauvage en Perse, mais je ne
puis en trouver la preuve dans la relation imprimée de ce natu-
raliste.
L'espèce est arrivée en Europe, au moyen âge, par laTartarie
et la Russie. La première mention de sa culture en Allemagne,
se trouve dans un registre du Mecklembourg, en 1436 4. Au
xvie siècle, elle s'est répandue vers le centre de l'Europe, et dans
les terrains pauvres, comme ceux de la Bretagne, elle apris une
place importante. Reynier, ordinairement très exact, s'était
figuré que le nom Sarrasin venait du celte 5; mais M. Le Gall m'a
écrit naguère que les noms bretons signifient simplement blé de
couleur noire [Ed-du) ou froment noir (Gwinis-du). Il n'y a pas
de nom original dans les langues celtiques, ce qui nous paraît
naturel aujourd'hui que nous connaissons l'origine de l'espèce 6.
Quand la plante s'est introduite en Belgique, en France, et
qu'on l'a connue même en Italie, c'est-à-dire au xvie siècle, le
nom de Blé sarrasin ou Sarrasin a été communément adopté.
Les noms vulgaires sont quelquefois si ridicules, si légèrement
donnés, qu'on ne peut pas savoir, dans le cas actuel, si le nom
vient de la couleur de la graine, qui était celle attribuée aux
Sarrasins, ou de l'introduction, qu'on supposait peut-être venir
des Arabes ou des Maures. On ignorait alors que l'espèce n'est
pas du tout connue dans les pays au sud de la mer Méditerranée,
ni même en Syrie et en Perse. Il est possible qu'on ait adopté
l'idée d'une origine méridionale, à cause du nom Sarrasin,

1. Madden, Trams.ofEdinb. bot. Soc.,5, p. 118.


2. Le nom anglaisBuckwheatet le nom françaisde quelqueslocalités,
Buseail,viennent de l'allemand.
3. Boissier,Fl. orientalis Buhseet Boissier,PflanzenTranscaucasien.
4. Pritzel,Sitzun.gsbenchtNalurforsch.freundezu Berlin,15mai 1866.
5. Reynier,Economiedes Celtes,p. 425.
6. J'ai discutéplus en détaillesnomsvulgairesdans la Géographiebota-
niqueraisonnée,p 953.
SARRASIN ÉMARGINÉ 281

méridionale a été admise jusqu'à


motivé parla couleur. L'origine le siècle actuel 1. Reynier
la fin du siècle dernier et même dans ans.
l'a combattue le premier, il y a plus de cinquanteet devient
Le Sarrasin s'échappe quelquefois des cultures quasi
cela se
spontané. Plus on avance vers son pays d aurait
origine plus
de la peine à
voit fréquemment, et il en résulte qu'on sur les confins
déterminer la limite, comme plante spontanée,
ou en Chine. Au Japon,
de l'Europe et de l'Asie, dans l'Himalaya
ces demi-naturalisations ne sont pas rares

Sarrasin ou Blé noir de Tartarie. Polygonum tata-


Gaertner.
ricum, Linné. Fagopyrum tataricum, mais
#
don-
Moins sensible au froid que le Sarrasin ordinaire, et
nant un grain médiocre, on le cultive quelquefois en Europe
une culture peu
en Asie, par exemple dans l'Himalaya 3. C'est n'ont
ancienne. Les auteurs des xve et xvii*
siècles pas men-
un des premiers,
tionné la plante; c'est Linné qui en a parlé, Hamilton ne l'avaient
comme originaire de Tartarie. Roxburgh et
vue dans l'Inde septentrionale au commencement du siècle
pas en Chine et au Japon.
actuel, et je ne la trouve pas indiquée
Elle est bien spontanée en Tartarie et en Sibérie, jusqu'enà
Daourie ; mais les botanistes russes ne l'ont pas trouvée plus
du fleuve Amour ».
l'est par exemple dans la région dans l'Europe
Comme cette plante est arrivée par la Tartarie
c'est celui-ci qui porte
orientale, après le Sarrasin ordinaire, de
dans plusieurs langues slaves le nom Tatrika, 1 "tarte ou
conviendrait mieux, vu l'origine, au Sarrasin de Tar-
Tattar, qui
tarie.
ont dû connaître cette espèce,
que les peuples aryens
Il semble dans les langues
et cependant on ne mentionne aucun nom
Jusqu'à présent on n'en a pas trouvé de
indo-européennes. en Suisse -ou en
trace dans les restes des habitations lacustres
Savoie.
Roth. –
Sarrasin émarginé. – Polygonum emarginatum,
Faqopyrum emarginatum, Meissner. est “.
cultivée dans les par-
Cette troisième espèce de Sarrasin
sous le nom de 1 !ia-
ties hautes et orientales du nord de l'Inde,
en Chine 7.
phra ou Phaphar e, et trouvée sauvage.
Je ne vois pas de preuve positive qu'on l'ait

1. Nemnich,Polyglott.Lexicon,p. 1030Bose,Dict.d'asriç., il, p. 379.


2. Franchet et Savatier, Enum~plant. Japomx,1, p. 403.
3. Royle,Ill. Himal.,p. 317. 3 p. 516.
ï\°£Sin!lhvTâi%cïïl p. 64; Ledebour,Flora rossica,
5.mSàwicz,Pnmit^g&l, Opitflori, etc.; Schmidt,ReisenmAmur,
n'en parlent pas.
p. 317;Madden,Tmns. bot. Soc.Edirib.,5, p. 118.
^Boyle^rW,
7. Roth, Catalectabotanica,1, p. 48.
282 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
TV_• JI »a 1 x )_TÎ_ 1.1. • f rit •
Roth dit seulement qu'elle « habite en Chine » et que ses graines
sont employées pour la nourriture. Don l, qui en a parlé le pre-
mier parmi les botanistes anglo-indiens, dit qu'on la regarde à
peine comme spontanée. Elle n'est pas indiquée dans les ou-
vrages sur la région du fleuve Amour, ni au Japon. D'après le
pays où on la cultive, il est probable qu'elle est sauvage dans
i'fi;milaya oriental et le nord-ouest de la Chine.
Le genre Pagopyrum a huit esjpèces, qui sont toutes de l'Asie
tempérée.

Quinoa. – CAenopodium Quinva, "Willdenow.


Le Quinoa était une des bases de la nourriture des indigènes
de la Nouvelle-Grenade, du Pérou et au. Chili, dans les parties
élevées et tempérées, à l'époque de la conquête. La culture en
a continué dans ces pays; par .habitude et à cause de l'abon-
dance du produit.
On a distingué de tout temps le Quinoa à feuillage coloré et
le Quinoa à feuillage vert et graines blanches 2. Celui-ci a été
considéré par Moquin comme une variété d'une espèce, mal
connue, qu'on croit asiatique; mais j'estime avoir bien démontré
que les deux Quinoa d'Amérique sont des races, probablement
fort anciennes, d'une même espèce 4. On peut soupçonner que
la moins colorée, qui est en même temps la plus farineuse, .est
une dérivation de l'autre,
Le Quinoa blanc -donne une graine très recherchée à Lima,
d'après les informations contenues dans le Botanical magazine^
•oùl'on, peut en voir une bonne figure (pl. 3QM). Les feuilles
sont un légume analogue à l'épinard s.
Aucun auteur n'a mentionné le Quinoa dans un état spon-
tané ou quasi spontané. L'ouvrage le plus récent et le plus
complet sur un des pays dans lesquels on cultive l'espèce, la
flore du Chili par Cl. Gay, n'en parle que comme d'une plante
cultivée. Le Père Feuillée et Humboldt se sont exprimés de la
même manière, en ce qui concerne le Pérou et la Nouvelle-
Grenade. Cependant M. Federico Philippi, dans une lettre toute
récente, me certifie que l'espèce est sauvage au Chili, d'Aconca-
gua à €bilœ.

Kiery. – Amarantus frumentaceus, Roxburgh.


Plante annuelle, cultivée dans la péninsule indienne, pour sa
petite graine farineuse, qui est dans quelques localités la prin-

1. Don,Prodi'.fl. nepal.,p. 74.


2. Molina,Ilist. nat. du Chili,p. 101.
3. Moquin,dans Prodromus,13,sect. 1, p. fi7.
4. A.de Candolle,Géogr.bot. raisotinée,p. 9S2.
5. Bonjardinier, 18S0;p. 562.
CHATAIGNIER S8Ï

eipale nourriture des habitants 1. Les champs de cette espèce,


de couleur rouge ou dorée, produisent un très bel effet 2.
D'après ce que dit Roxburgh, le Dr Buchanan l'avait « dëeou-
« verte sur les collines de Mysore et Coimbatore ï>, ce qui paraît
indiquer un état sauvage.
Jj'Amam?itus speciosus, cultivé dans les jardins et figuré dans
le Botanical Magazine^pl. 2227, paraîtla même espèce. Hamilton
Va trouvé au Népaul 3.
On cultive sur les pentes de l'Himalaya une variété, ou espèce
voisine, appelée Amarantus Anardana, Wallich jusqu'à pré-
sent mal définie par les botanistes.
D'autres espèces sont employées commelégumes. Voir ci-des
sus, page 80, Amarantus gangéticus.

Châtaignier. Castanea vulgaris, Lamarck.


Le Châtaignier, de la famille des Cupulifères, a une habitation
naturelle assez étendue, mais disjointe. Il constitue des forêts ou
des bois dans les pays montueux de la zone tempérée, de la mer
Caspienne au Portugal. Onl'a trouvé aussi dans les montagnes de
l'Edough en Algérie et, plus récemment, vers la frontière de Tu-
nisie (lettre de M. Letourneux). Si l'on tient compte des variétés
appelées Japonica et Americana, il existe aussi au Japon et
dans la partie tempérée de l'Amérique septentrionale s. Qn l'a
semé ou planté dans plusieurs localités de l'Europe méridionale
et occidentale, et maintenant il est difficile de savoir s'il y est
spontané ou cultivé. La culture principale cependant consiste
dans l'opération de greffer de bonnes variétés .sur l'arbre de
qualité médiocre. Dans ce but, on recherche surtout la variété
qui donne les marrons, c'est-à-dire les fruits contenant une seule
graine, assez grosse, et non deux ou trois petites séparées par des
membranes, comme cela se voit dans Tétât naturel de l'espèce.
Les Romains, du temps de Pline 6, distinguaient déjà huit
variétés, mais on ne peut pas savoir, d'après le texte de cet
auteur, s'ils possédaient le marron. Les meilleures châtaignes
venaient de Sarde (Asie Mineure) et du pays napolitain. Olivier
de Serres 7, dans le xvie siècle, vante les châtaignes Sardonne et
Tuscanes, qui donnaient les marrons dits de Lyon 8. Il regarde

1. Roxburgh,Flora indiea, ed. 2, v. 3, p. 609; Wight, Icones,pl. 720;.


Aitchison,Punjab, p. 130.
2. Madden,frans. of the Edinb. bot. Soc., 5, p. 118.
3. Don,Prodr. fl. nepal.,p. 76.
4. Wallich,List, n° 6903;Mqquin,dans D C. Prùdr., t3, sect.3, -p. 256.
5. Pour plus de détails,voirmon article dans le Prodromus,"vol.16,
sect. 2, p. 114,et Boissier,FLorient.,4, p. 1175.
6. Pline, Hist.nat., 1. 19,c. 23.
7. Olivierde'Serres, Théatrede VagricuUure, p. 114.
8. Aujourd'hui,les marrons de Lyon viennent surtout du Daapliinéet
du Vivarais.On en récolte aussi dans le Var, au Luc (Gasparin,Xraitë
d'agrieult.,4, p. 744J.
284 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

ces variétés comme venant d'Italie, et Targioni 1 nous apprend


que le nom marrone ou marone était usité dans ce -pays déjà au
moyen âge (en ii70).

Froment et formes ou espèces voisines.


Les innombrables races de blé proprement dit, dont les grains
se détachent naturellement à maturité de leur enveloppe, ont
été classées par Vilmorin 2 en quatre groupes, qui constituent
suivant les auteurs des espèces distinctes ou des modifications
du froment ordinaire. Je suis obligé de les distinguer pour
l'étude de leur histoire, mais celle-ci, comme on le verra, appuie
l'opinion d'une espèce unique 3.

I. Froment ordinaire. Triticum vulgare, Yillars. Tri-


ticum hybemum et Tr. sestivum, Linné.
D'après les expériences de l'abbé Rozier et, plus tard, de
Tessier, la distinction des blés d'automne et de mars n'a pas
d'importance, « Tousles froments, dit ce dernier agronome 4,
suivant les pays, sont ou de mars ou d'automne. Ils passent
tous, avec le temps, à l'état de blé d'automne ou de blé de mars,
comme je m'en suis assuré. Il ne s'agit que de les y accoutumer
peu à peu, en semant graduellement plus tard qu'on ne le fait
les blés d'automne et plus tôt les blés de mars ». Le fait est que,
dans le nombre immense des races de blé que l'on cultive, quel-
ques-unes souffrent davantage des froids de l'hiver, et alors
l'habitude s'est établie de les semer auprintemps 6. Pour la ques-
tion d'origine, nous n'avons guère à nous occuper de ces distinc-
tions, d'autant plus que la plupart des races obtenues remontent
à des temps très reculés.
La culture du froment peut être qualifiée de préhistorique
dans l'ancien monde. De très vieux monuments de l'Egypte,
antérieurs à l'invasion, des Pasteurs, et les livres hébreux mon-
trent cette culture déjà établie, et, quand les Egyptiens ou les
Grecs ont parlé de son origine, c'est en l'attribuant à des per-
sonnages fabuleux, Isis, Cérès, et Triptolème 6. En Europe, les

1. Targioni,Cennistorici,p. 180.
2. L. Vilmorin,Essai d'un catalogueméthodiqueet synonymiguedes
froments,Paris, 1850.
3. Les meilleuresfigures de ces formes principales de froment se
trouvent dans Metzger,EuropieUche Cerealien,in-folio,Heidelberg,1824;
et dans Eost,'Graminem, in-fol., v ol.3.
4. Tessier,Dict. d'agric, G, p. 198.
5. Loiseleur-Deslongchamps,Considérationssur les céréales, 1 vol.
in-8°,p. 219.
6. Ces points d'éruditionont été traités d'une manière très savanteet
très judicieuse par quatre auteurs Link, Ueberdie iilteie Gesnhichte
der GelreideAi'ten,dans Abhandl.der Berlin.Akad.,1816,vol.17,p. 122;
1826,p. 67, et dans Die Vrweltund das Allerthum,deuxième édit.,
Berlin, 1834,p. 399 Reyuier, Economiedes Celteset des Germains,1818,
FROMENT ORDINAIRE 283-
» 1 L
de la Suisse occidentale cultivaient un
plus anciens lacustres
b]é à petits grains que M. Heer 1 a décrit attentivement et figuré
sous le nom de Triticum vulgare antiquorum. D après un en-
semble de divers faits, les premiers lacustres de Rohenhausen
étaient au moins contemporains de la guerre de Troie et peut-
être plus anciens. La culture de leur blé s'est maintenue en Suisse
des échantillons trouvés
jusqu'à la conquête romaine, d'après
à Buchs. M. Regazzoni l'a découvert également dans les débris
des lacustres de Varèze et M. Sordelli dans ceux de Lagozza,
en Lombardie 2. Unger a trouvé la même forme dans une brique
de la pyramide de Dashur, en Egypte, qui date, selon lui, de
l'année 3359 avant Jésus-Christ (Unger, Bot. Streifznge, VII;
Ein Ziegel, etc., p. 9). Une autre variété (Triticum vulgare com-
en Suisse, dans le
pactum muticum, Heer) était moins commune
trouvée plus souvent chez
premier âge de la pierre, mais on l'a
des lacustres moins anciens de la Suisse occidentale et d'Italie 3.
Enfin une troisième variété intermédiaire a été trouvée à Aggte-
Aucune n'est
lek, en Hongrie, cultivée lors de l'âge de pierre leur a substitué
On
identique avec les blés cultivés de nos jours.
des formes plus avantageuses.
Pour les Chinois, qui cultivaient le froment 2700 ans avant
notre ère, c'était un don du ciel 5. Dans la cérémonie annuelle
du semis de cinq graines instituée alors par l'empereur Shen-
les autres
Nung ou Chin-Nong, le froment est une desle espèces,
étant le Riz, le Sorgho, le Setaria italica et Soja.
L'existence de noms différents pour le blé dans les langues
les plus anciennes confirme la notion d'une très grande anti-
chinois Mai, sanscrits Sumana
quité de culture. Il y a des noms
et Gâdhûma, hébreu Chittah, égyptien Br, guanche Ynchen,
sans parler de plusieurs noms dans les langues dérivées du
sanscrit primitif ni d'un nom basque Ogaia ou Okhaya, qui
remonte peut-être aux Ibères6, et de plusieurs noms finlandais,
toura-
tartare, turc, etc. qui viennent probablement de noms vaste
niens. Cette prodigieuse diversité s'expliquerait par une
habitation s'il s'agissait d'une plante sauvage très commune, la
mais le blé est dans des conditions tout opposées. On a de

d 417- Bureau de La Malle,Ann. des se. nat., vol. 9, 1826; et Loiseleur


Deslougehamps,Considérations partie 1, p. 52.
sur lescéréales,18i21>
14-18.
1. 0. Heer,Pflanzendes Pfahlbauten,p. 13, pl. 1,iig. il.
2. Sordelli,Sullepiante della torbieradi Lagozza,p.
3. Heer, l. c. Sordelli,l. c.
4. Nyary,cité par Sordelli,Le. ,,•»«.<> o8.
5. Bretschneider,Study and valueof chinesebotanicalworks,p. 7 et ed. 2,
6. Bretschneider, c.; Ad. Pictet, Les originesindo-européennes,
vol. 1, p. 328; Rosenumller,BMiscHeNaturgesch,1, p. 77; Pickering,
Chronol.arrangement,p. 78; Webb et Berthelot, Canaries,part. Ethno-
graphie, p. 187; d'Abadie, Notesmss.sur les nomsbasques;de Charencey,
Recherchessur les noms basques,dans ActesSoc.philolog.j1" mars 1869-
7. Nemaicli,Lexicon,p. 1492.
286 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

peine à constater sa présence à l'état sauvage dans quelques


points de l'Asie occidentale, comme nous allons le voir. S'il
avait été très répandu avant d'être mis en culture, il en serait
resté des descendants, çàetlà, dans des pays éloignés. Les noms
multiples des langues anciennes doivent donc tenir plutôt à
l'ancienneté extrême de la culture dans les régions tempérées
d'Asie, d'Europe et d'Afrique, ancienneté plus grande que celle
des langues réputées les plus anciennes.
Quelle était la patrie de l'espèce, avant sa mise en culture,
dans l'immense zone qui s'étend de la Chine aux îles Caaaries?
On ne peut répondre à cette question que par deux moyens r
1° l'opinion des auteurs de l'antiquité- 2° la présence plus
ou moins démontrée, du blé à l'état sauvage, dans tel ou tel
pays.
le plus ancien de tous les historiens, Bérose, prêtre
D'après
de Ghaldée, dont Hérodote a conservé dés fragments, on voyait
dans la Mésopotamie, entre le Tigre et FEuplirate, le froment
sauvage (Frumentum agreste) Les versets de la Bible sur
l'abondance du blé dans le pays de Canaan, en Egypte, etc.,
ne prouvent rien, si ce n'est qu'on cultivait la plante et qu'elle
produisait beaucoup. Straboa né cinquante ans avant Jésus-
Christ, dit que, d'après Aristobulus, dans le pays desMusicani (au
bord de l'Indus par 250 Iat.), il croissait spontanément ara grain
très semblable au froment. n dit aussi 3 qu*en Hireanie (le Ma-
zanderan actuel) le blé qui tombe des épis se semait de- lui-même.
Cela se voit un peu partout aujourd'hui, et l'auteur ne précise
pas le point important de savoir si ces semis accidentels conti-
nuaient sur place de génération en génération* D'après l'Odys-
sée 4Ie_blé croissait en Sicile sans le secours de l'homme. yue
peut signifier ce mot d'un poète et encore d*nn poète dont
l'existence est contestée Diodore de Sicile, au commence-
ment de Père chrétienne, dit la même chose et mérite plus de
confiance, puisqu'il était Sicilien. Cependant il peut bien s'être
abusé sur la qualité spontanée, le- bléétant cultive généralement
alors en Sicile. Un autre passage de Diodore 5 mentionne la
tradition qu'Osiris trouva le blé et l'orge croissant au hasard
parmi les autres plantes, à Nisa, et Dureau de La Malle a prouvé
que cette ville était en Palestine. De tous ces témoignages, il
me paraît que ceux de Bérose et Strabon, pour la Mésopotamie
et l'Inde occidentale, sont les seuls ayant quelque valeur,
Les cinq espèces de graines de la cérémonie instituée par
l'empereur Chin-Nong sont regardées par les. érudits chinois

1.G. Syncelli,Chronogr.,foL 1652,p. 28.


2. Strahon, ed. 17&7,vol. 2, p. 1M7.
3. Ibid., vol. i, p. 124,et 2, p. 176.
4. Odyssée,1. S, v. Î09.
5. Diodore,traductionde Terasson,2, p. 186,i90.
FROMENT ORBIN4ÏRE. 287

comme natives de leur pays 4, et le B*Bretschneider monte que


datent
les communications de la Chine avec l'Asie occidentale
seulement de l'ambassade de Chang-Men, dans le deuxième
assertion
siècle avant Jésus-Christ. Il faudrait cependant une
blé indigène en Chine, car une
plus positive pour croire le
dans l'Asie occidentale deux ou trois
plante qui était cultivée sont
mille ans avant l'époque de Ghin-Nong et dont les grainesde- la
si faciles à transporter a pu s'introduire dans le nord ma-
de la même
Chine, par des voyageurs isolés et inconnus, ont
nière que des noyaux d'abricot et de pêche probablement
les temps préhistoriques.
passé de Chine en Perse, dans
Les botanistes ont constaté que le froment n existe pas au-
en Sicile à l'état sauvage2. Quelquefois il s'échappe hors
jourd'hui La
des cultures, mais on ne l'a pas vu persister indéfiniment
froment sauvage, Frmamtu
plante que les habitants appellent non
cultivés, est Ij&gilop
sarvaggiu, qui couvre des districts
mata, selon le témoignage de M. Inzenga avoir trouvér rle “. au
Un zélé collecteur, M.Balansa, croyait blé,
mont Sipyle,. de l'Asie Mineure, « dans des circonstances où il
était impossible de ne pas le croire spontané s, » mais la plante
le Tritimm manocaccum,
qu'il a rapportée est un Epeautre, l'a examinée B. Avant lui,
d'après un botaniste très exact qui
Olivier T, étant sur la rive droite de FEuphrate, au nord-ouest
dans une sorte de
d'Anah, pays impropre à la culture, « trouva
ravin le froment, l'orge et l'epeautre, » et il ajoute c que nous
avions déjà vus plusieurs fois en Mésopotamie. »
trouvé le blé dans le pays
D'après Linné 8, Heintzelmann avait
des Baschkirs, mais personne n'a confirmé cette assertion,, et
aucun botaniste moderne n'a vu l'espèce vraiment spontanée
autour du Caucase ou dans le nord de la Perse. M. de Eunge
dont l'attention avait été provoquée sur ce point, déclare qu'il
n'a vu aucun indice faisant croire que les céréales soient origi-
naires de ces pays. Il ne paraît même pas que le blé ait une ten-
hors des cul-
dance, dans ces régions, à lever accidentellement
tures. Je n'ai découvert aucune mention de spontanéité dans
l'Inde septentrionale, la Chine ou la Mongolie.
En résumé, il est remarquable que deux assertions aient été
données de l'indigénat en Mésopotamie, à un intervalle de vingt-
trois siècles, l'une jadis par Bérose et l'autre de nos jours par

1. Bretschneider,l. c., p. i5.


2. BParlaKd$. «& l £'*? et 508. Son assertion est d'autant plus
digne d'attention qu'il était Sicilien.
3. Strobl, dans Flora, 1880,p. 348.
4. Inzenga, Annal. agrieult. sicil.
5. Bull. de la Soc. bot.de France,1834,p. 108.
6. J. Gay, Bull. Soc.bot.de France, 1860,p 30.
7. Olivier,Voy. dans l'Empire othoman(ISftî),vol. 3, p. 46B.
8 Linné,Sp. plant., ed. 2, vol. 1, p. 121.
9. Bunge,Bull. Soc. bot. France, lb60, p. 29.
288 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

Olivier. La région de l'Euphrate étant à peu près au milieu de la


zone de culture qui s'étendait autrefois de la Chine aux îles
Canaries, il est infiniment probable qu'elle a été le point prin-
cipal de l'habitation dans des temps préhistoriques très anciens.
Peut-être cette habitation s'étendait-elle vers la Syrie, vu la
ressemblance du climat; mais à l'est et à l'ouest de l'Asie occi-
dentale le blé n'a probablement jamais été. que cultivé, antérieu-
rement, il est vrai, à toute civilisation connue.

II. Gros blé, Petanielle ou Poulard. -Triticum turgidum


et Tr. compositum, Linné.
Parmi les noms vulgaires, très nombreux, des formes de cette
catégorie, on remarque celui de Blé d'Egypte. Il paraît qu'on le
cultive beaucoup actuellement dans ce pays et dans toute la
région du Nil. A.-P. de Candolle dit avoir reconnu ce blé parmi
des graines tirées des cercueils de momies anciennes, mais il
n'avait pas vu les épis. Unger 2 pensequ'il était cultivé par les an-
ciens Egyptiens et n'en donne cependant aucune preuve basée
sur des dessins ou des échantillons retrouvés. Le fait qu'on n'a
pu attribuer à cette espèce aucun nom hébreu ou araméen 3 me
paraît significatif. Il prouve au moins que les formes si éton-
nantes, à épis rameux, appelées communément Blé de miracle,
Blé d'abondance, n'existaient pas encore dans les temps anciens,
car elles n'auraient pas échappé à la connaissance des Israélites.
On ne connaît pas davantage un nom sanscrit ou même des
noms indiens modernes, et je ne découvre aucun nom persan.
Les noms arabes que Delile 4 attribue à l'espèce concernent peut-
être d'autres formes de blé. Il n'existe pas de nom berbère B.De
cet ensemble il me paraît découler que les plantes réunies
sous le nom de Triticum turgidum, et surtout leurs variétés à
épis rameux, ne sont pas anciennes dans l'Afrique septentrio-
nale ou dans l'Asie occidentale.
M. Oswald Heer °, dans son mémoire si curieux sur les
plantes des lacustres de l'âge de pierre en Suisse, attribue au
Tr. turgidum deux épis non ramifiés, l'un à barbes, l'autre à peu
près sans barbes, dont il a publié des figures. Plus tard, dans
une exploration des palafittes de Robenhausen, M. Messicommer
ne l'a pas rencontré, quoique les provisions de grains y fussent
très abondantes 7. MM. Strœbel et Pigorini disent avoir trouvé
« le blé à grano grosso duro » (Tr. turgidum) dans les palafittes

1. De Candolle,Pliysiol.bot., 2,p. 696.


2. Unger, diePflanzend. alten Egyptens,-p.31.
3. Voir Rosenmüller,Dibl. Naturgesch.,et Lôw, Aramseisehe Pflanzen-
namen, 1881.
4. Delile,Plantescuit,en Egypte,p. 3; floressEgt/pt.illustr., p. 5.
5. Diet français-berbère,
publiépar le gouvernement.
6. Heer, Pflanzend. Pfahlbauten,p. 5, fig. 4; p. 52,flg. 20.
7. Messicommer, dans Flora,1869,p. 320.
BLÉ DE POLOGNE 289

du Parmesan 1. Du reste, M. Heer 2 regai'de cette forme comme


une race du- froment ordinaire, et M. Sordelli paraît incliner
vers la même opinion.
Fraas soupçonne que le Krithanias de Théophraste était le
Tritieum turgidum, mais ceci est absolument incertain. D'après
M. de Heldreich 3, le Gros blé est d'introduction moderne en
Grèce. Pline a parlé brièvement d'un blé à épis rameux, don-
nant cent grains, qui devait être notre Blé de miracle.
Ainsi les documents historiques et linguistiques concourent à
faire regarder les formes du Trzticum turgidum comme des mo-
difications du froment ordinaire, obtenues dans les cultures. La
forme à épis rameux ne remonte peut-être pas beaucoup plus
haut que l'époque de Pline.
Ces déductions seraient mises à néant si l'on découvrait le
Triticum turgidum à l'état sauvage, ce qui n'est pas encore
arrivé d'une manière certaine. Malgré G. Koch B,personne n'ad-
met qu'il croisse, hors des cultures, à Constantinople et dans
l'Asie Mineure. L'herbier de M. Boissier, si riche en plantes
d'Orient, n'en possède pas. Il est indiqué comme spontané en
Egypte par MM. Schweinfurth et Ascherson, mais c'est par
suite d'une erreur typographique 6.

III. Blé dur. Triticum durum, Desfontaines.


Cultivé depuis longtemps en Barbarie, dans le midi de la
Suisse et quelquefois ailleurs, il n'a jamais été trouvé à l'état
sauvage.
Dans les différentes provinces d'Espagne, il ne porte pas moins
d'une quinzaine de noms 7, et aucun ne dérive du nom arabe
Quemah, usité en Algérie et en. Egypte 9. L'absence de noms
dans plusieurs autres pays et surtout de noms originaux
est bien frappante. C'est un indice de plus en faveur d'une
dérivation du froment ordinaire, obtenue en Espagne et dans
le nord de l'Afrique, à une époque inconnue, peut-être depuis
l'ère chrétienne.

IV. Blé de Pologne. Triticum polonicum, Linné.


Cet autre blé dur, à grains encore plus allongés, cultivé surtout
dans l'Europe orientale, n'a pas été trouvé sauvage.

1. Citésd'aprèsSordelli,Notizie sull. Lagozza,p. 32.


2. Heer, t. c., p. 50.
3. Heldreich,Die NutzpflanzenGriechenlands, p. 5.
Pline, Hist., 1. 18, c. 10.
5. Koch,Linnxa, 21, p. 427.
6. Lettrede M. Ascherson,en 1881.
7. Dktionn.manuscritdes
DK~'onn.MM7KMC7'!t d&?KOHM
nomsvulgaires.
ru~a:nM.
8. Debeaux,Catal. desplantes de Boghar,p.p. 110. •>
9. D'aprèsDelile,l. c., le blé se nomme Qamh,et un blé corné, rouge,
Qamh-ahmar.
DE CANDOLLE. 19
290 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

Il a, en allemand, un nom original, Ganer, Gommer, Gûmmer1,


et en d'autres langues des noms qui ne se rattachent qu'à des
On
personnes ou à des pays desquels on avait tiré les semences.
ne peut douter que ce ne soit une forme obtenue dans les cul-
tures, probablement dans l'Europe orientale, à une époque
inconnue, peut-être assez moderne.

Conclusionsur Punité spécifique de ces races principales.


Nous venons de montrer que l'histoire et les noms vulgaires
des grandes races de froments sont en faveur d'une dérivation,
de
contemporaine de l'homme, probablement pas très ancienne,cul-
la forme du blé ordinaire, peut-être du blé à petits grains
tivés jadis par les Egyptiens et par les lacustres de Suisse et
d'Italie. M. Alefeld2était arrivé à l'unité spécifique des Triticum
vulgare, twgidum et durum au moyen de l'observation atten-
tive de leurs formes cultivées dans des conditions semblables.
Les expériences de M. Henri Vilmorin 3 sur les fécondations
artificielles de ces blés conduisent au même résultat. Quoique
l'auteur n'ait pas encore vu les produits de plusieurs généra-
tions, il s'est assuré que les formes principales les plus distinctes
se croisent sans peine et donnent des produits fertiles. Si la
fécondation est prise pour une mesure du degré intime d'affinité
seule espèce, on
qui motive le groupement d'individus en une
ne peut pas hésiter dans le cas actuel, surtout avec l'appui
des considérations historiques dont j'ai parlé.

Sur lesprétendus Blés de momie.

Avant de terminer cet article, je crois convenable de dire que


jamais une graine quelconque sortie d'un cercueil de l'ancienne
Egypte et semée par des horticulteurs scrupuleux n'a germé. Ce
n'est pas que la chose soit impossible, car les graines se conser-
vent d'autant mieux qu'elles sont plus à l'abri de l'air et des
variations de température ou d'humidité, et les monuments
égyptiens présentent assurément ces conditions; mais, en fait,
les essais de semis de ces anciennes graines n'ont jamais réussi.
de Ster-
L'expérience dont on a le plus parlé est celle du comte
berg, à Prague Il avait reçu des graines de blé qu'un voya-
geur, digne de foi, assurait provenir d'un cercueil de momie.
Deux de ces graines ont levé, disait-on; mais je me suis assuré
qu'en Allemagne les personnes bien informées croient à quelque
des graines
supercherie, soit des Arabes, qui glissent quelquefois

1. Nemnich,Lexicon,p. 1488.
2. Alefeld,BotanischeZeitung,1865,p. 9.
3. H. Vilmorin,Bulletinde la Sociétébotaniquede France,1881,p. 3oG.
4.JournalFlora, 1835,p. 4.
L'EPEAUTRE 291

modernes dans les tombeaux (même du Maïs, plante améri-


caine!), soit des employés de l'Honorable comte de Sternberg.
Les graines répandues dans le commerce sous le nom de Blé de
momie n'ont été accompagnées d'aucune preuve quant à l'an-
cienneté d'origine.

Epeantoe et formes ou espèces voisines 1.


Louis Vilmorin à l'imitation de Seringe dans son excel-
lent travail sur les Céréales 3, a réuni en un groupe les blés
dont les grains, à maturité, sont étroitement contenus dans
leur enveloppe, ce qui oblige à faire une opération spéciale
pour les en dégager, caractère plus agricole que botanique.
11 énumère ensuite les formes de ces blés vêtus, sous trois noms,
qui répondent à autant d'espèces de la plupart des botanistes.

I. Epeautre, Grande Epeautre. Triticum Spelta, Linné.


L'Epeautre n'est plus guère cultivé que dans le midi de l'Alle-
magne et la Suisse allemande. Autrefois, il n'en était pas de
même.
Les descriptions de céréales par les auteurs grecs sont telle-
ment brèves et insignifiantes qu'on peut toujours hésiter sur le
sens des noms qu'ils emploient. Cependant, d'après les usages
dont ils parlent, les érudits 4 estiment que les Grecs ont appelé
l'Epeautre d'abord Olyra, ensuite Zeia, noms qui se trouvent
dans Hérodote et Homère. Dioscoride 5 distingue deux sortes de
Zeia, qui paraissent répondre aux Triticum Spelta et Tr. mono-
coccum. On croit que l'Epeautre était le Semen (grain par excel-
lence) et le Far, de Pline, dont il dit que les Latins se sont
nourris pendant 360 ans, avant de savoir confectionner du
pain 6. Comme l'Epeautre n'a pas été trouvé chez les lacustres
de Suisse ou d'Italie, et que les premiers cultivaient des formes
voisines, appelées Tr. dicoccum et Tr. monococcum 7, il est
possible que le Far des Latins fut plutôt une de celle-ci.
L'existence du véritable Epeautre dans l'ancienne Egypte et
dans les pays voisins me paraît encore plus douteuse. L'Olyra
des Egyptiens, dont parle Hérodote, n'était pas YOlyra des Grecs.
Quelques auteurs ont supposé que c'était le riz, Ùryza 8. Quant
à l'Epeautre, c'est une plante qu'on ne cultive pas dans des pays
aussi chauds. Les modernes, depuis Rauwolf jusqu'à nos jours,

1. Voir les planchesde Metzgeret de Host,dans les ouvragescités tout


à l'heure.
2. Essai d'un catalogueméthodique des froments,Paris, 1850.
3. Seringe,Monographie des céréalesde la Suisse,in-8°, Berne, 1818.
4. Fraas, Synopsisfl. class.,p. 307; Lenz,Botanikd. Aïten,p. 237.
5. Dioscorides,Mat. med.,2, 111-113.
6. Pline, Hist., 1. 18, c. 7; Targioni,Cennistorici,p. 6.
7. Heer, l. c, p. 6; Unger,Pflanzend. alten JEgypt.,p. 32.
8. Delile,Plantes cultivéesen Egypte,p. 5.
£921-) PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

ne l'ont pas vue dans les cultures d'Egypte 1. On ne l'a pas


trouvée dans les monuments égyptiens. C'est ce qui m'avait fait
supposer 2 que le mot hébreu Kussemeth, qui se trouve trois
fois dans la Bible 3, ne devrait pas s'appliquer à l'Epeautre, con-
trairement à l'opinion des hébraïsants J'avais présumé que
c'était peut-être la forme voisine appelée Tr. monococcum, mais
celle-ci n'est pas non plus cultivée en Egypte.
L'Epeautre n'a pas de nom en sanscrit ni même dans les lan-
gues modernes de l'Inde et en persan 5, à plus forte raison en chi-
nois. Les noms européens, au contraire, sont nombreux et témoi-
gnent d'une ancienne culture, surtout dans l'Europe orientale r
Spelta en ancien saxon, d'où Epeautre; Dirikel en allemand
moderne; Orhsz en polonais, Pobla en russe sont des noms qui
paraissent venir de racines bien différentes. Dans le midi de
l'Europe, les noms sont plus rares. Il faut citer cependant un
nom espagnol, des Asturies, Eseandia mais je ne connais pas
de nom basque.
Les probabilités historiques et surtout linguistiques sont en
faveur d'une origine de l'Europe orientale tempérée et d'une
partie voisine de l'Asie. Voyons si la plante a été découverte à
l'état spontané.
Olivier, dans un passage déjà cité 8, dit l'avoir trouvée plu-
sieurs fois en Mésopotamie, en particulier sur la rive droite de
l'Euphrate, au nord d'Anah, dans une localité impropre à la
culture. Un autre botaniste, André Michaux, l'avait vue, en 1783,
près de Hamadan, ville de la région tempérée de Perse. D'après
Dureau de La Malle, il en avait envoyé des graines àBosc, qui les
ayant semées à Paris en avait obtenu l'Epeautre ordinaire;
mais ceci me paraît douteux, car Lamarck en 1786 9 et Bosc lui-
même, dans le Dictionnaire d' agriculture, article Epeautre, pu-
blié en 1809, n'en disent pas un mot. Les herbiers du Muséum,
à Paris, ne contiennent aucun échantillon des céréales dont
parle Olivier.
Il y a, comme on voit, beaucoup d'incertitude sur l'origine de
l'espèce à titre de plante spontanée. Ceci m'engage à donner
plus d'importance à l'hypothèse que l'Epeautre serait dérivé,
par la culture, du froment ordinaire, ou serait sorti d'une

i. Reynier,Econ. des Egyptiens,p. 337;Dureau de La Malle, Ann.se.


nat., 9, p. 72; Schweinfurthet Ascherson,l. c. Le Tr Spelta de Forsfcal
n'est admispar aucun auteur subséquent.
2. Géogr.bot. raisonnée,p. 933.
3. Exode, IX, 32; Esaie, XXVIII,25; Ezéchiel,IV, 9.
4. Rosenmüller,Bibl.Altedhumskunde,4, p. 83;Second,trad. de lan-
cer Test., 1874.
5. Ad. Pictet. Lesoriginesindo-européennes,éd. 2, vol. 1, p. 348.
6. Ad. Pictet, l. c.; Nemmich,Lexicon.
7. Willkouiinet Lange,Prodr. fl. hùp., 1, p. 107.
8. Olivier,Voyage,1807,vol. 3, p. 4C0.
9. Lamarck,Dict. encycl.,2, p. 560.
LOCULAR 293

forme intermédiaire, à une époque préhistorique pas très an-


cienne. Les expériences de M. H. Vilmorin 1 viennent à l'appui,
car les croisements de l'Epeautre par le Blé blanc velu et vice
versa ont donné des « métis, dont la fertilité est complète, avec
ceux de l'Epeaulre
mélange des caractères des deux parents,
2.
ayant cependant quelque prépondérance

II. Amidonier. Triticum dicoccum, Schrank. Triticum


amyleum, Seringe.
Cette forme {Emmer ou JSmer, des Allemands), cultivée sur-
tout en Suisse' pour l'amidon, supporte bien les hivers rigou-
reux. Elle contient deux graines dans chaque épillet, comme le
véritable Epeautre. “,
M. Heer 2 rapporte à une variété du Tr. dicoccum un épi
trouvé, en mauvais état, dans la station lacustre de Wangen,
•en Suisse. M. Messikommer en a trouvé depuis à Robenhausen.
On ne l'a jamais vu spontané. La rareté de noms vulgaires est
de valeur des carac-
frappante. Ces deux circonstances, et le peu
tères botaniques propres à le distinguer du Tr. Spelta, doivent
le faire considérer comme une ancienne race cultivée de celui-ci.

III. Locula,r, Bagrain. – Triticum monococcum, Linné.


Le Locular, Engrain commun ou Petit Epeautre, Einkorn des
Allemands, se distingue des précédents par une seule graine
dans l'épillet et par d'autres caractères, qui le font considérer
une espèce véritablement
par la majorité des botanistes comme
distincte. Les expériences de M. H. Vilmorin appuient jusqu'à
à croiser le Inti-
présent cette opinion, car il n'est pas parvenu ou froments. Cela
cum monococcum avec les autres Epeautres
à quelque détail
peut tenir, comme il le remarque lui-même.
dans la manière d'opérer. Il se propose de renouveler les tenta-
si cette forme
tives, et réussira peut-être. En attendant, voyons
l'a trouvée quelque
d'Epeautre est d'ancienne culture et si on
part dans un état spontané.
Le Locular s'accommode des sols les plus mauvais et les plus
rocailleux. Il est peu productif, mais donne d'excellents gruaux.
On le sème surtout dans les pays de montagnes, en Espagne,
en France et dans l'Europe orientale, mais je ne le vois pas
mentionné en Barbarie, en Egypte, dans l'Orient, ou dans l'Inde
et en Chine.
On a cru le reconnaître, d'après quelques mots, dans le lipliai
de Théophraste 3. Dioscoride 4 est plus facile à invoquer, car il
l'aul. c
distingue deux sortes de Zeia, l'une ayant deux graines,

1. H. Vilmorin,Bull. de la Soc. bot.de France, 1881,p. 838.


2. Heer,Pflanzend. PfahlOaiiten,fig., p. 5, fij. 23, et p. io.
3. Fraas.Synopsisfl. class., p. 307.
4. Dioscorides,lllat. med.}2, c. III, 155.
294 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

une seule. Celle-ci serait le Loeular. Rien ne prouve qu'il fût ha-
bituellement cultivé chez les Grecs et les Latins. Leurs descen-
dants ne l'emploient pas aujourd'hui
I] n'a pas de nom s'inscrit, ni même persan ou arabe. J'ai
émis jadis l'hypothèse que le Kussemeth des Hébreux pourrait
se rapporter à cette plante, mais cela me paraît maintenant
difficile à soutenir.
Marschall Bieberstein 2 avait indiqué le Tr. monococcum spon-
tané, au moins sous une forme particulière, en Crimée et dans
le Caucase oriental. Aucun botaniste n'a confirmé cette asser-
tion. Steven 3, qui vivait en Crimée, déclare qu'il n'a jamais vu
l'espèce autrement que cultivée par les Tartares. D'un autre côté,
la plante que M. Balansa a récoltée, dans un état spontané,
près du mont Sipyle, en Anatolie, est le Tr. monococcum, d'après
J. Gay lequel assimile à cette forme le Triticum èœotieum,
Boissier, spontané dans la plainne de Béotie 5 et en Servie 6.
En admettant ces faits, le Triticum monococcumserait origi-
naire de Servie, Grèce et Asie Mineure, et, comme on n'est pas
parvenu à le croiser avec les autres Epeautres ou les froments,
on a raison de l'appeler une espèce, dans le sens linnéen.
Quant à la séparation des froments à grains libres et des Epeau-
tres, elle serait antérieure aux données historiques et peut-être
aux commencements de toute agriculture. Les froments se
seraient montrés les premiers, en Asie; les Epeautres ensuite,
plutôt dans l'Europe orientale et FAnatolie. Enfin, parmi les
Epeautres, le Tr. monococcum serait la forme la plus ancienne,
dont les autres se seraient éloignées, à la suite de plusieurs
milliers d'années de culture et de sélection.

Orge à, deux rangs. – JBorâeum distichon, Linné.


Les Orges sont au nombre des plus anciennes plantes cultivées.
Comme elles ont à peu près la même manière de vivre et les.
mêmes emplois, il ne faut pas s'attendre à trouver chez les au-
teurs de l'antiquité et dans les langues vulgaires la précision
qui permet de reconnaître les espèces admises parlesbotanistes.
Dans beaucoup de cas, le nom Orge a été pris dans un sens vague

i. Heldreich,Nutsiifîanzend. Grickenlands-
2. M. Bieberstein,Flora tauro-caucasica, vol. 1, p. SS.
3. Steven, Yerzeichnisstaur. HalbinselaPflanzen,p. 334.
4. Bull.Soc.bot.de France,1860,p. 30.
5. Boissier,Diagnoses,sériel, vol. 2, fasc.13, p. 69.
6. Balansa,1854,n. 137,dans l'HerbierBomiei; où l'on voit aussi un
échantillontrouvé dans les champs en Servie et une variété à barbes
brunes envoyéepar M.Pancic,croissantdans les prés de Servie.Le inOme
botanistede Belgradevient de m'envoyerdes échantillonsspontanésde
Servie que je ne saurais distinguer du Tr. monococcum.11me certifie
qu'on ne cultive pas celui-cien^Serrie. M. Benthamm'écrit que le Tr.
bœoficum,dont il a vu plusieurséchantillonsd'AsieMineure,est,selonlui,
la monococcum.
ORGEA.DEUXRANGS 295

ou générique. C'est une difficulté dontnous devons tenirdecompte.


Par exemple, les expressions de l'Ancien Testament, récemment Bérose,
de Moïse de Ghorène, Pausanias, Marco Polo, et plus
ou cultivée dans tel
d'Olivier, qui indiquent a'orge spontanée ne
ou tel pays, ne prouvent rien, parce qu'on sait pas de quelle
il Même obscurité pour la Chine. Le D' Bret-
espèce s'agit. l'an 100 de
schneider dit que, d'après un ouvrage publié en
notre ère, les Chinois cultivaient une « Orge », maisil n'expli-
A l'extrémité occidentale de 1 ancien monde
que pas laquelle. le
les Guanches cultivaient aussi de l'Orge dont on connaît nom,
pas l'espèce.
rangs, sous sa forme ordinaire dans laquelle
^L'O^ifTàdeux dans
les grains sont couverts à maturité, a été trouvée sauvage du
l'Asie occidentale, savoir dans l'Arabie Pétrée autour la mer Cas-
mont Sinaï 3, sur les ruines de Persépolis 4, près dede Chirvan et
et Baku, dans le désert
pienne B, entre Lenkoran 6 et en Turcomame
Awhasie, également au midi du Caucase
Aucun auteur ne l'indique en Crimée, en Grèce, en Egypte ou
s à Samara, dans le
à l'orient de la Perse. Willdeno-w l'indique récents ne confir-
sud-est de la Russie; ce que les auteurs plusmer
ment pas. La patrie actuelle est donc de la Rouge au Cau-
case et à la mer Caspienne.
devait être une des formes
D'après cela l'Orge à deux rangs et touramens.
cultivées par les peuples sémitiques Cependant on
Il semble que
ne Va pas trouvée dans les monuments d'Egypte. de preuve
les Aryas ont dû la connaître, mais je n'en vois pas
dans les noms vulgaires ou dans l'histoire. Les lacustres de
Théophraste parle de l'Orge à deux rangs des métaux
de
la Suisse orientale la cultivaient avant posséder eux.
mais l'Orge à six rangs était plus commune chez d^Hehon
La race dans laquelle le grain est nu à maturité (H. sonos de
en de toutes
nudum, Linné), qu'on appelle dufrançais
noms absurdes, Orge à café, 0. Pérou, etc., n'a jamais été
trouvée sauvage. me paraît une
(Hordeum Zeocriton, Linné)
L'Orge
en
éventail à 1 état
forme cultivée de l'Orge àdeux rangs. On ne la connaît pas

etc., p. 8.
1. Bcetschneider,On the sfudy,biendéterminé,
2. HerbierBoissier,échantillon par Reuter.
3. Figariet de Notaris,Agrostolo,gix ~gypt. fi'agm., p. iS.
n° 290, dont je possèdeun
4. Plantetrès maigre,recneilliepar Kotschy,
commeH. distichon,vaozetas:
échantillon.M.Boissierl'a d6terLainée
5. C.-A. Meyer, Yerzeicleni.ss, p. 26, d'après des échantillonsvus aLIssi
Fl. ross.,i, p. 327.
par Ledebour,
6. Ledebour,l. c. ~n. j.
fasc. “,
i Resel, Descr.plant, nov., 1881, 8, p. il.
8. Willdenow,Sp. plant., 1, p.1.473.
9. Thooplir-istes,Hist.Plant 8, e. -1,. Flora bot. Zei-
foTO^P^sMessioon.mer,
taflr,1869,p- 320.
296 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

spontané. Elle n'a pas été trouvée dans les monuments égyp-
tiens, ni dans les débris lacustres de Suisse, Savoie et Italie.

Orge commune. Hordeum vulgare, Linné.


L'Orge commune, à quatre rangs, est mentionnée par Théo-
phraste mais il paraît que dans l'antiquité on la cultivait
moins que celles à deux et surtout à six rangs.
Elle n'a pas été trouvée dans les monuments égyptiens, ni
dans les débris des lacustres de Suisse, Savoie et Italie.
Willdeno-w2 ditqu'elle croît en Sicile et dans le sud-est de la
Russie, à Samara; mais les flores modernes de ces pays ne le
confirment nullement. On ne sait pas quelle Orge Olivier avait
vue sauvage en Mésopotamie; par conséquent, Y Hordeum vul-
gare n'a pas encore été trouvé à l'état spontané, d'une manière
certaine.
La multitude des noms vulgaires qu'on lui attribue ne signifie
rien comme indication d'origine, car il est impossible de savoir
dans la plupart des cas si ce sont des noms de l'Orge, en général,
ou d'une Orge en particulier cultivée dans tel ou tel pays.

Orge à, six rangs, Escourgeon.- Hordeum hexastichon,


Linné.
C'était l'espèce le plus souvent cultivée dans l'antiquité. Non
seulement les Grecs en ont parlé, mais encore elle a été trouvée
dans les monuments les plus anciens de l'Egypte 3 et dans les
restes des lacustres de Suisse (âge de pierre), de Savoie et d'Italie
(âge de bronze) 4. M. Heer a même distingué deux variétés dans
l'espèce cultivée jadis en Suisse. L'une d'elles répond à l'orge à
six rangs figurée sur les médailles de Métaponte, ville de l'Italie
méridionale, six siècles avant J.-C.
D'après Roxburgh 5, c'était la seule Orge cultivée dans l'Inde
à la fin du siècle dernier. Il lui attribue le nom sanscrit Yuva,
devenu en bengali Juba. Adolphe Pictet 6 a étudié avec soin les
noms sanscrits et des langues indo-européennes qui répondent
au mot générique Orge, mais il n'a pas pu suivre dans les dé-
tails ce qui concerne chacune des espèces.
L'Orge a six rangs n'a pas été vue dans les conditions d'une
plante spontanée dont un botaniste aurait constaté l'espèce. Je
ne l'ai pas trouvée dans l'herbier de M. Boissier, si riche en

ï Théophraste,Bist, 1. 8, c. 4.
2. "VVilldeuo-w,
Speciesplant.,1, p. 472.
3. Unger, Pflanzendes alten mgyptens,p. 33; Ein Ziegelder Dasliur
Pyramide,p. 109.
4. Heer,Pflanzender Pfahlbauten,p. 5, flg. 2 et 3; p. 13, fig. 9; Flora
bot.Zeitung,1869,p. 320;de Mortillet,d'aprèsPerrin, Etudespréhistoriques
sur la Savoie,p. 23; Sordelli,Sullepiante dellatorbiera.di Lagozza,p. 33.
5. Roxburgh,Fl. ind., ed. 1832,t. 1, p. 338.
6. Ad. Pictet,Originesindo-européennes, ed. 2, vol. 1, p. 333.
SEIGLE 297

plantes d'Orient. Il est possible que les Orges sauvages men-


tionnées par d'anciens auteurs et par Olivier aient été VEordeum
hexastichon, mais on n'en a aucune preuve.

Sur les Orges en général.

Nous venons de voir que la seule forme trouvée aujourd'hui


spontanée est la plus simple, la moins productive, VEordeum
distichon, dont la culture est préhistorique, comme celle de
l'H. hexastichon. Peut-être Y H. vulgare est-il moins ancien de
culture que les deux autres?
On peut tirer de ces données deux hypothèses" 1° Une déri-
vation des Orges à quatre et à six rangs de celle à deux rangs,
dérivation qui remonterait aux cultures préhistoriques, anté-
rieures à celles des anciens Egyptiens constructeurs des monu-
ments. 2° Les Orges à quatre et à six rangs seraient des espèces
jadis spontanées, éteintes depuis l'époque historique. Il serait
singulier, dans ce cas, qu'il n'en restât aucune trace dans les
flores de la vaste région comprise entre l'Inde, la mer Noire
et l'Abyssinie, où l'on est à peu près assuré de la culture, au
moins de l'Orge à six rangs.

Seigle. Secale cereale, Linné.


Le Seigle n'est pas d'une culture très ancienne, si ce n'est
peut-être en Russie et en Thrace.
On ne l'a pas trouvé dans les monuments égyptiens, et il n'a
pas de noms dans les langues sémitiques, même modernes. Il
en est de même en sanscrit et dans les langues indiennes qui
dérivent du sanscrit. Ces faits concordent avec la circonstance
que le Seigle réussit mieux dans les pays septentrionauxil que
dans ceux du Midi, où généralement, à notre époque, n'est
pas cultivé. Le Dr Bretschneider 1 pense qu'il est inconnu aux
agriculteurs chinois. Il doute de l'assertion contraire d'un au-
teur moderne et fait remarquer qu'une céréale mentionnée
dans les mémoires de l'empereur Kanghi, qu'on peut soupçonner
être cette espèce, signifie d'après son nom Blé apporté de Russie.
Or le Seigle, dit-il, est cultivé beaucoup en Sibérie. Il n'en est
pas question dans les flores japonaises.
Les anciens Grecs ne le connaissaient pas. Le premier auteur
qui l'ait mentionné dans l'empire romain est Pline 2, qui parle
du Secale, cultivé à Turin, au pied des Alpes, sous le nom de
Asia. Galien 3, né en 131 de notre ère, l'avait vu cultivé, en
Thrace et en Macédoine, sous le nom de Briza. Ces cultures
paraissent peu anciennes, du moins en Italie, car on n'a pas
1. Bretschneider,Onstudy,etc., p. 18,4i.
2. Pline,Hist.,1.18,c. 16.
3. Galenus,Dealimentis,1, 13, cité d'aprèsLenz,Bot. d. Alien, p. --jv.
298 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

trouvé de Seigle dans les débris des habitations lacustres du nord


de ce pays, de Savoie et de Suisse, même à l'époque du bronze.
M. Jetteles en a recueilli, près d'Olmutz, avec des instruments
de ce métal, et M. Heer 1, qui a vu les échantillons, en men-
tionne d'autres, de l'époque romaine, en Suisse.
A défaut de preuves archéologiques, les langues européennes-
montrent une ancienne connaissance du Seigle dans les pays
germains, celtes et slaves. Le nom principal, selon Adolphe
Pictet 2, appartient aux peuples du nord de l'Europe anglo-
saxon Jîyge, Rig, scandinave Mgr, ancien allemand Roggo^ an-
cien slave Éuji, Roji, polonais Rez, illyrien Raz, etc. L'origine
de ce nom, dit-il, doit remonter à une époque antérieure à la
séparation des Germains et des Lithuano-Slaves. Le mot Secale
des Latins se trouve sous une forme presque semblable chez
les Bretons, Segal, et les Basques, Cekela, Zekhalea; mais on ne
sait pas si les Latins l'ont emprunté aux Gaulois et Ibères ou si
inversement ces derniers ont recu le nom des Romains. Cette
seconde hypothèse paraît probable, puisque les Gaulois cisalpins
du temps de Pline se servaient d'un nom tout différent. Je vois
aussi mentionnés un nom tartare, Aresch3, et un nom ossète,
Syl, SU 4, qui font présumer une ancienne culture à l'orient de
l'Europe.
Ainsi les données historiques et linguistiques montrent une
origine probable des pays au nord du Danube, et une culture
qui remonte à peine au delà de l'ère chrétienne pour l'empire
romain, mais plus ancienne peut-être en Russie et en Tartarie.
L'indication du Seigle spontané telle que la donnent plusieurs
auteurs ne doit presque jamais être admise, car il est arrivé
souvent qu'on a confondu avec le Secale cereale des espèces
vivaces ou dont l'épi se brise facilement, que les botanistes mo-
dernes ont distinguées avec raison B.Beaucoup d'erreurs qui en
provenaient ont été éliminées sur l'examen des échantillons
originaux. D'autres peuvent être soupçonnées. Ainsi je ne sais
ce qu'il faut penser des assertions de L. Ross, qui disait avoir
trouvé le Seigle sauvage dans plusieurs localités- de l'Anatolie 6,
et du voyageur russe, Ssaewerzoff, qui l'aurait vu dans le Tur-
kestan 7. Ce dernier fait est assez probable, mais on ne dit pas
qu'un botaniste ait vérifié la plante. Kunth avait déjà indiqué

d. Heer, DiePflanzenderPfahlbauten, 16.


2. Ad. Pictet, Originesindo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 344.
3. Nemnich,LexiconNaturgesch.
4. Pictet,l. c.
5. Secalef agile, Bieberstein; S. anatolicum,Boissier; S. montanum,
Gussone;S. villosum,Linné.J'ai expliqué dans la GéotjranMe botanique,
p. 936, les erreurs qui résultaientde cette confusion, lorsqu'on disait le
Seiglespontanéen Sicile,en Crète et quelquefoisen Russie.
6. Flora, bot.Zeitung,1850,p. 520.
7. Flora, bot. Zeitung,1860,p. 93.
8. Kunth,Enum.,1, p. 449.
AVOINEORDINAIREET AVOINEB'ORIENT 29&
« le désert entre la mer Noire et la mer Caspienne », sans dire
d'après quel voyageur ou quels échantillons. L'herbier de M. Bois-
sier ne m'a révélé aucun Secale céréale spontané, mais il m'a
donné la persuasion qu'un voyageur doit facilement prendre
une autre espèce de Seigle pour celle-ci et que les assertions
doivent être vérifiées soigneusement.
A défaut de preuves suffisantes pour des pieds spontanés j'ai
fait valoir autrefois, dans ma Géographie botanique raisonnêe,
un argument de quelque valeur. Le Secale céréale se sème hors
des cultures et devient presque spontané dans les pays de l'em-
pire d'Autriche ce qu'on ne voit guère ailleurs 2.Ainsi dans la
partie orientale de l'Europe, où l'histoire indique une culture
ancienne, le Seigle trouve aujourd'hui les conditions les plus favo-
rables pour vivre sans le secours de l'homme. On ne peut guère
douter, d'après cet ensemble de faits. qu'il ne soit originaire de
la région comprise entres les Alpes d'Autriche et le nord de la
mer Caspienne. C'est d'autant plus probable que les cinq ou six
autres espèces connues du genre Secale habitent l'Asie occiden-
tale tempérée ou le sud-est de l'Europe.
En admettant cette origine, les peuples aryens n'auraient pas
connu l'espèce, comme la linguistique le montre déjà; mais
dans leurs migrations vers l'ouest ils ont dû la rencontrer ayant
des noms divers, qu'ils auraient transportés çà et là.

Avoine ordinaire et Avoine d'Orient. – Avena sativa,


Linné, et Avena orientalis, Schreber.
L'Avoine n'était pas cultivée chez les anciens Egyptiens et
les Hébreux, mais aujourd'hui -on la sème en Egypte 3. Elle
n'a pas de nom sanscrit, ni même dans les langues modernes
de l'Inde. Ce sont les Anglais qui la sèment quelquefois dans
ce pays, pour en nourrir leurs chevaux La plus ancienne men-
tion de l'Avoine en Chine est dans un ouvrage historique sur
les années 618 à 907 de l'ère chrétienne; elle s'applique à la
variété appelée par les botanistes Avena sativa nuda 5. Les an-
ciens Grecs connaissaient bien le genre Avoine, qu'ils appe-
laient Bromos 6, comme les Latins l'appelaient Avena; mais ces
noms s'appliquaient ordinairement aux espèces qu'on ne cultive
pas et qui sont de mauvaises herbes mélangées avec les céréales.
Rien ne prouve qu'ils aient cultivé l'Avoine ordinaire. La re-
1. Sadler,Fl. pesth., 1, p. 80; Host,Fl. austr., 1, p. 177;Bamngarfen,
Fl. tl'ans.1llu.,
3, p. 223 Neilreich,Fl. Wien,-p.58 Visiani,FI. dalmat.,1.p. 97
Farkas,FI. eroatiea,p. 1288.
2. M. Strobll'a vu cependant autour de l'Etna, dans les
suite de l'introductiondans la culture au xvaiesiècle. [GEster.bois, par
bot. zeit.
1881,p. 139.)
3. Schweinfurthet Ascherson,Beitrâqezut FloraJEtkiopien.% p. 29S.
4. Royle,III, p. 419.
5. Bretschneider,Onstudy, etc.,p. 18,44.
6. Fraas, Synopsisfl. class.,p. 303;Lenz,Botanikâer Allen,p. 2S3.
300 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

marque de Pline que les Germains se nourrissaient de îarine


.tirée de cette plante fait comprendre que les Romains ne la
cultivaient pas.
La culture de l'Avoine -était donc pratiquée anciennement au
nord de l'Italie et de la Grèce. Elle s'est propagée plus tard, et
partiellement dans le midi de l'empire romain. Il est possible
qu'elle fût plus ancienne dans l'Asie Mineure, car Galien 2 dit
que l'Avoine abondait en Mysie, au-dessus de Pergame; qu'on
la donnait aux chevaux et que les hommes s'en nourrissaient
dans les années de disette. L'Asie Mineure avait reçu jadis une
colonie gauloise.
On a trouvé de l'Avoine dans les restes des habitations
lacustres suisses de l'époque du bronze 3, et en Allemagne, près
de Wittenberg, dans plusieurs tombeaux des premiers siècles de
l'ère chrétienne ou un peu plus anciens Jusqu'à présent, les
lacustres du nord de l'Italie n'en ont pas présenté, ce qui con-
firme l'absence de culture de l'espèce dans le temps de la répu-
blique romaine.
Les noms prouvent encore une ancienne existence au nord et
à l'ouest des Alpes et sur les confins de l'Europe, vers le Caucase
et la Tartarie. Le plus répandu de ces noms est indiqué par le
latin Avena, l'ancien slave Ovisu, Ovesu, Ovsa, le russe Ovesu, le
lithuanien Awiza, le letton Ausas, l'ostiaque Abis 5. L'anglais
Oats vient, d'après Ad. Pictet, de l'anglo-saxon Ata ou Ate. Le
nom basque Olba ou Oloa s fait présumer une culture très
ancienne par les Ibères.
Les noms celtiques diffèrent des autres irlandais, Coirce,
Cuirce, Corea; armoricain Kerch. Les noms tartare Sulu, géor-
gien Kari, hongrois Zab, croate Zob, esthonien Kaer et autres
sont indiqués par Nemnich comme s'appliquant au mot géné-
rique Avoine, mais il n'est pas probable qu'il y eût des noms
aussi variés s'il ne s'agissait pas d'une espèce cultivée. Comme
singularité, je note un nom berbère Zekkoum 9, quoique rien ne
puisse faire présumer une ancienne culture en Afrique.
Tout ce qui précède montre combien était fausse l'opinion que
l'Avoine est originaire de l'île de Juan Fernandez, opinion qui
10
régnait dans le siècle dernier et qui paraît venir d'une asser-
tion du navigateur Anson Ce n'est pas dans l'hémisphère

18, e. 17.
1. Pline, Eist.,1.
2. Galenus,Dealimentis,1.,c. 12.
3. Heer,Pflanzender Pfahlbauten,p. 6, fig. 24.
4. Lenz,l. c., p. 245.
5. Ad.Pictet, Lesoriginesindo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 330.
6. Notescommuniquéespar M.Clos.
7.Ad.Pictet,l. c.
8. Nemnich,Volyqlott.LexiconNaturgesch.,p. 548.
9. Dict.français berbère,publiépar le gouvernement fra!j;3.
10. Linné,Species,p. 118;Lamarck,Dict.enc.,l,ioi.
11.Phillips, Cult.veget.,2, p. 4.
AVOINE ORDINAIRE ET AVOINE D'ORIENT 301

austral qu'ils faut chercher la patrie de l'espèce, mais évidem-


ment dans les pays de l'hémisphère boréal où on l'a cultivée
anciennement. Voyons si elle s'y trouve encore dans un état
spontané.
L'Avoine se sème dans les décombres, au bord des chemins
et près des endroits cultivés, plus facilement que les autres
céréales, et se maintient quelquefois de manière à sembler spon-
tanée. Cette remarque a été faite dans des localités très éloi-
gnées, comme l'Algérie et le Japon, Paris et le nord de la Chine 1.
Ce genre de faits doit nous rendre sceptiques sur l'Avoine que
Bové dit avoir trouvée dans le désert du mont Sinaï. On a pré-
tendu aussi 2 que le voyageur Olivier avait vu l'Avoine sauvage
en 'Perse, mais il n'en parle pas dans son ouvrage. D'ailleurs
plusieurs espèces annuelles qui ressemblent beaucoup à l'Avoine
ordinaire peuvent tromper un voyageur. Je ne puis découvrir ni
dans les livres ni dans les herbiers l'existence de pieds vraiment
spontanés, soit en Asie, soit en Europe, et M. Bentham m'a
certifié qu'il n'y en a pas dans les riches herbiers de Kew; mais
certainement, comme pour les formes dont je parlerai tout à
l'heure, la condition quasi spontanée ou quasi naturalisée est
plus fréquente dans les Etats autrichiens, de Dalmatie en Tran-
sylvanie 3, que nulle part ailleurs. C'est une indication de
l'origine, à ajouter aux probabilités historiques et linguistiques
en faveur de l'Europe orientale tempérée.
L'Avena strigosa, Schreber, paraît une forme de l'Avoine
ordinaire, d'après des expériences de culture dont parle M. Ben-
tham, en ajoutant, il est vrai, qu'elles méritent confirmation 4.
On peut voir une bonne figure de cette plante dans Host, Icones
Graminum austriacorum, 2, pl. 56, qui est intéressante à comparer
avec la pl. 59 de l'A. sativa. Du reste, l'Avena strigosa n'a pas
été trouvée à l'état spontané. Elle est en Europe dans les champs
abandonnés, ce qui appuie l'hypothèse d'une forme dérivée, par
suite de la culture.
L'Avena orientalis, Schreber, dont les épillets penchent d'un
seul côté, est aussi cultivée en Europe depuis la fin du xviiie siècle.
On ne la connaît pas à l'état spontané. Mélangée souvent avec
l'Avoine ordinaire, elle se distingue au premier coup d'œil. Les
noms qu'elle porte en Allemagne, Avoine de Turquie ou de
Hongrie, montrent une introduction moderne venant de l'est. Host
en a donné une excellente figure [Gram. austr., 1, pl. 44).

1. Munby,Catal.Alger.,éd. 2, p. 36; Franchetet Savatier.Enum.plant.


Jap.,2, p. Ï75 Cosson;jFÏ.Paris, 2. p. 637;Bunge,Enum. ohm.,p. 71,pour
la variéténuda.
2. Lamarck,Dict.encycl.,l, p. 331.
3. Visiani,Fl. dalmat., 1, p. 69; Host, Fi. austr., 1, p. 133; Neilreiel',
Fl. Wien.,p. 85;Baumgarten,Ênum.Transylv.,3,p. 239 Farkas,FI. croatica,
p. 1277.
4. Bentham,Handbookofbrilishflora, ed. à, p. S44.
302 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

Toutes ces Avoines étant cultivées sans qu'on ait découvert ni


les unes ni les autres à l'état vraiment spontané, il est bien pro-
bable qu'elles proviennent d'une seule forme préhistorique, dont
la patrie était l'Europe tempérée orientale et la Tartarie.

Millet commun. Panicum miliaceum, Linné.


La culture de cette Graminée est préhistorique dans le midi
de l'Europe, en Egypte et en Asie. Les Grecs en ont parlé sous
le nom de Kegchros et les Latins sous celui de Milium 1. Les
lacustres suisses, à l'époque de la pierre, faisaient grand usage
du Millet 2. On l'a trouvé aussi dans les restes des palafittes du
lac de Varèse en Italie 3. Comme on ne retrouve pas ailleurs des
échantillons de ces anciens temps, il est impossible de savoir quel
était le Panicum ou le Sorghum mentionné par les auteurs latins,
dont les habitants de la Gaule, de la Pannonie et autres pays se
nourrissaient.
Unger 4 compte le P. miliaceum parmi les espèces de l'an-
cienne Egypte, mais il ne paraît pas qu'il en eût des preuves
positives, car il n'a indiqué ni monument ou dessin ni graine
trouvée dans les tombeaux. On n'a pas non plus de preuves ma-
térielles d'ancienne culture en Mésopotamie, dans l'Inde et en
Chine. Pour ce dernier pays, la question s'est élevée de savoir si
le Shu, une des cinq céréales que les empereurs sèment en grande
cérémonie chaque année, est le Panicummiliaceum une espèce voi-
sine, ou le Sorgho; mais il paraît que le sens du mot Sku a varié,
et que jadis on semait peut-être le Sorgho 5.
Les botanistes anglo-indiens ° attribuent à l'espèce actuelle deux
noms sanscrits, Unoo (prononcez Ounou) et Vreehib-heda (pro-
noncez Vrikib-heda), quoique le nom moderne hindou et bengali
et le nom telinga Worga soient tout autres, Cheena (prononcez
China) Si les noms sanscrits sont réels, ils indiquent une ancienne
culture dans l'Inde. On ne connaît pas de nom hébreu ni berbère
mais il y a des noms arabes, Bokhn, usité en Egypte, et Kosjœjb
en Arabie8. Les noms européens sont variés. Outre les deux noms
grec et latin, il y a un nom vieux slave, Proso9, conservé en Russie
et en Pologne, un nom vieux allemand, Hirsi, et un nom lithua-
nien, Sora 10.L'absence de noms celtiques est remarquable. Il

1. Les passages de Théophraste,Caton et autres sont traduits dans


Lenz, Botanihder Alten,p. 232.
2. Heer, Pflanzender Pfahlbauten,p. 17.
3. Regazzoni,Riv.arch.prov.di Como,1880,fasc.1.
4. Unger,Pflanzendes alten jEgyptens,v-34.
5. Bretschneider,Study and valueof chinesebot. works,p. 7, 8, 45.
6. Roxburgh,Fl. ind., ed. 1832,p. 310 Piddington,Index.
7. Rosenmûller,bibl.Alterth.; Dictionn.français-be/'bère.
8. Delile,FI. sgypt., p. 3; Forskal,Arab cit.
9. Ad. Pictet, Orzginesindo-européennes,éd. 2, v. 1, p. 381»
10.Ad.Pictet, l. c.
PANIC D'ITALIE 303
MILLET
l'Eu-
semble que l'espèce aurait été cultivée spécialement dans
vers l'ouest à la fin de la
rope orientale et se serait répandue
domination gauloise. Voyons si elle est spontanée quelque part. au-
Linné 1 disait qu'elle habite dans l'Inde, et la plupart des
teurs le répètent; mais les botanistes anglo-indiens 1 indiquent
n'est pas dans les flores du Japon.
toujours comme cultivée. Elle 3 et
Au nord de la Chine, M. de Bunge l'a vue seulement cultivée
M Maximowicz près de l'Ussuri, au bord des prés et dans des locali- est
tés voisines des habitations chinoises D'après Ledebour elle
et la Russie moyenne,
presque spontanée dans la Sibérie altaïque
et spontanée au midi du Caucase et dans le pays de Talysch.
Pour cette dernière localité il cite Hohenaker.Celui-ci cependant
dit « presque spontanée» 6.En Crimée, où elle fournit le pain
ce qui
des Tartares, on la trouve çà et là presque spontanée Au-
arrive également dans le midi de la France, en Italie et enne 1 a
triche 8. Elle n'est pas spontanée en Grèce 9, et personne
trouvée en Perse, ou en Syrie. Forskal et Delile l'ont indiquée en
ne l'admet pas «, et Forskal l'in-
Egypte; mais M. Ascherson
dique en Arabie u. dans ces régions, à la suite
L'espèce pourrait s'être naturalisée
d'une culture fréquente, depuis les anciens Egyptiens. Cependant
la qualité spontanée est si douteuse ailleurs que la probabilité
est bien pour une origine égypto-arabique.

Panie d'Italie ou Millet à grappe. Panicum italkum,


Linné. Setaria italica, Beauvois.
La culture de cette espèce a été une des plus répandues dans
les parties tempérées de l'ancien monde, à l'époque préhisto-
Ses graines servaient à la nourriture de 1 homme, tandis
rique. aux oiseaux.
que maintenant on les donne surtout
En Chine, c'est une des cinq plantes que l'empereur doit semer
année dans une cérémonie publique, selon les ordres
chaque
donnés par Chen-nung, 2700 ans avant Jésus-Christ 12. Le nom
ordinaire est Siao-mi (petit grain), et le nom plus ancien était Kit,
mais celui-ci paraît s'être appliqué aussi à une espèce bien dif-

1. Linné, Speciesplant. 1, p. 86.


2. Roxburgh,l. c.; Aitchison,Punjab, p. 139.
3. Bunge,Emaner. n. 400.
4. Maximowicz, PrimitveAmur., p. 330.
5. Ledebour,Fl. ross., 4, p. 469.
6. Hohenacker,Plant. Talysch.,p. 13, 371.
7. Steven, Verzeichniss Halbins.Tour., p.
8 hiutel, FI. franç.,i, p. 20; Partatpre. K. iftrf.,32.
1, p. 122;Visiani,
Fl. dalmatl, 1, p. 60;Neilreich,Fl. Nied. Œ/err., p.
3; PflanzenAttiseh.Ebene,p. 516.
9. Heldreich,Nutzpfl-GrieehenL,p. lettre
10 M. Aschersonm'avertitdans une que, dans lAufzahlung,on a
omis par erreur le mot cuit, après le Panicummiliaceum.
11. Forskal,Fl. arab., p. civ.
12. Bretschneider,Onthestndy and valueof chinesebot.worlts,\>.1, s.
304 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

férente Pickering dit l'avoir reconnue dans deux dessins de


l'ancienne Egypte 2 et qu'elle est cultivée aujourd'hui sous le
nom de Dokn, mais c'est le nom du Panicum miliaceum. Il est
donc très douteux que les anciens Egyptiens l'aient cultivée.
On l'a trouvée dans les débris des habitations lacustres de
Suisse, dès l'époque de pierre, et à plus forte raison chez les
lacustres de l'époque subséquente en Savoie 3.
Les anciens Grecs et les Latins n'en ont pas parlé, ou du moins
on n'a pas pu le certifier d'après ce qu'ils disent de plusieurs
Panicum ou Milium. Denos jours, l'espèce est rarement cultivée
dans le midi de l'Europe; elle ne l'est pas du tout en Grèce 4 par
exemple, et je ne la vois pas indiquée en Egypte, mais elle est
fréquente dans l'Asie méridionale 5.
On attribue à cette Graminée des noms sanscrits IiCungoo(pro-
noncez Koungou) et Priyungoo (Priyoungou), dont le premier
s'est conservé en bengali 6. Piddington mentionne dans son
Index plusieurs autres noms des langues indiennes. Ainslies T
indique un nom persan, Arzun, et un nom arabe; mais celui-ci
est attribué ordinairement au Panicum miliaceum. Il n'y a pas de
nom hébreu, et la plante n'est pas mentionnée dans les ouvrages
de botanique sur l'Egypte et l'Arabie. Les noms européens n'ont
aucune valeur historique. Ils ne sont pas originaux et se rap-
portent communément à la transmission de l'espèce ou à sa
culture dans tel ou tel pays. Le nom spécifique italicum en est
un exemple assez absurde, la plante ` n'étant guère cultivée et
point du tout spontanée en Italie.
Rumphius la dit spontanée dans les îles de la Sonde, sans être
bien affirmatif 8. Linné est parti probablement de cette base
pour exagérer et même avancer une erreur en disant
« Habite les Indes 9. » Elle n'est certainement pas des Indes
occidentales. Bien plus, Roxburgh assure qu'il ne l'a jamais vue
sauvage dans l'Inde. Les Graminées de la flore de sir J. 10
Efooker
n'ont pas encore paru; mais, par exemple, Aitchison indique
l'espèce comme uniquement cultivée dans le nord-ouest de
l'Inde. La plante d'Australie que Rob. Brown avait dit être cette
espèce appartient à une autre ll. Au Japon, le P. italicum paraît

1. Bretschneider, l. e.,p. 9.
2. D'après Unger, c., p. 34.
3. Heer, Pflanzen der Pfahlhauten, p. S, fig. 7; p. 17, flg. 28, 29; Perrin,
Etudes préhistor. sur la Savoie, p. 22.
4. Heldreich, Nutzpftanz. Grieehenlands
5. Roxburgh, Fl. ind., ed. 1S32, vol. 1, p. 302; Rumphius, Amboyn., 5,
p. 202, t. 75.
6. Roxburgh, l. c.
7. Ainslies, Mat. med. ind., 1, p. 226.
8. Obcnrritin Baleya, etc. (Rumph., 5, p. 202).
9. Habitat in Indiis (Linné, Sp., 1, p. 83).
10. Aitchison, Catal. of Punj'ab, p. 162.
11. Bcfithanij Flora austral., 7, p. 493.
SORGHO COMMUN 30b

être spontané, du moins sous la forme appelée germanica par


divers auteurs 1 et les Chinois regardent les cinq céréales de la
cérémonie annuelle comme originaires de leur pays. Cependant
MM. de Bunge, dans le nord de la Chine, et Maxirno-wicz,dans
la région du fleuve Amur, n'ont vu l'espèce que cultivée en grand
et toujours sous la forme de la variété germanica 2. Pour la
Perse 3, la région du Caucase et l'Europe, je ne vois dans les
flores que l'indication de plante cultivée, ou cultivée et s'échap-
pant quelquefois hors des cultures dans les décombres, les bords
de chemins, les terrains sablonneux, etc. 4.
L'ensemble des documents historiques, linguistiques et bota-
niques me fait croire que l'espèce existait, avant toute culture, il
y a des milliers d'années, en Chine, au Japon et dans l'archipel
indien. La culture doit s'être répandue anciennement vers l'ouest,
puisque l'on connaît des noms sanscrits, mais il ne paraît pas
qu'elle se soit propagée vers l'Arabie, la Syrie et la Grèce, et
c'est probablement par la Russie et l'Autriche qu'elle est arrivée,
de bonne heure, chez les lacustres de l'âge de pierre en Suisse.

Sorgho commun. – Hblcus Sorghum, Linné. – Andropogon


Sorghum, Brotero. Sorghum vulgare, Persoon.
Les botanistes ne sont pas d'accord sur la distinction de
plusieurs des espèces de Sorgho et même sur les genres à établir
dans cette division des Graminées. Un bon travail monogra-
phique serait désirable, ici comme pour les Panicées. En atten-
dant, je donnerai quelques renseignements sur les principales
espèces, à cause de leur extrême importance pour la nourriture
de l'homme, l'élève des volailles, et comme fourrages.
Prenons pour type de l'espèce le Sorgho cultivé en Europe,
tel qu'il est figuré, par Host, dans ses Graminese austriacse
(4, pl. 2). C'est une des plantes le plus habituellement cultivées
par les Egyptiens modernes, sous le nom de Dourra, dans
l'Afrique équatoriale, l'Inde, et la Chine B.Elle est si productive
dans les pays chauds que d'immenses populations de l'ancien
monde s'en nourrissent.
Linné et tous les auteurs, même nos contemporains, disent
qu'elle est de l'Inde; mais, dans la première édition de la flore
de Roxburgh, publiée en 1820, ce savant, qu'on aurait bien fail
de consulter, affirme qu'il ne l'a pas vue autrement que cultivée.
Il fait la même remarque pour les formes voisines (ôicolor, sac-

1. Franchet et Savatier,Enum. Japon., 2, p. 262.


2. Bunge,Enum., n. 399;Maxiinowiez, PrimitiseAmur.,p. 330.
3. Buhse,Aufzàklung,p. 232.
4. VoirParlatore, Fl. ital., 1, p. U3 Mntel,FI.franc., 4, p. 20,etc etc.
5. Delile,Plantes cultivéesen Eg>/i>ie,
p. 7; Roxburgh,FL-ind., éd. 1832,
t. i, p. 2G9;Aitchison,Gâtai.Punjab,p. 175;Bretschneider,Onvalue,etc.,
p. 9.
DE Candolle. 20
306 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
va-
charatus, etc.), qu'on regarde souvent comme de simples
riétés. Aitchison n'a vu aussi le Sorgho que cultive. L'absence
de nom sanscrit rend également l'origine indienne très douteuse.
Bretsehneider, de son côté, dit le Sorgho indigène en Chine,
n'en aientpas parlé.
quoique les anciens auteurs chinois, selonàlui,
Il est vrai qu'il cite le nom, vulgaire Péking, de Kao-hang
à VHolous sacckaratus, pour
(haut Millet), qui s'applique aussi
lequel il convient mieux. i
Le Sorgho n'a pas été trouvé dans les restes des palafittes de
de
Suisse et d'Italie. Les Grecs n'en ont pas parlé. La phrase
Itaiie
Pline 1 sur un Milium introduit de son temps de l'Inde en
a fait croire qu'il s'agissait du Sorgho, mais c'était une plante
saccharatus. Le Sorgho n'a pas été
plus élevée, peut-être YHolcus
trouvé en nature et d'une manière certaine dans les tombeaux
de l'ancienne Egypte. Le Dr Hannerd a cru le reconnaître d'après
avait rapportées de
quelques graines écrasées que Rosellini du
Thèbes2 mais le conservateur des antiquités égyptiennes n a
Musée britannique, M. Birch, a déclaré plus récemment qu'on
s. Pickering
pas découvert l'espèce dans les anciens tombeaux
dit en avoir reconnu des feuilles, mêlées avec celles du Papyrus.
Il dit aussi en avoir vu des peintures, et Lepsius a figure des
Durra
dessins qu'il prend, ainsi que Unger et Wilkinson, pour le bien
des cultures modernes 4. La taille et la forme de l'épi sont
du Sorgho. Il est possible que cette espèce soit le Bochan, men-
tionné une fois dans l'Ancien Testament s comme une céréale
avec laquelle on faisait du pain. Cependant le mot arabe actuel
Dochn s'applique au Sorgho sucré.
Les noms vulgaires ne m'ont rien appris, a cause de leur sens
ou parce que souvent le même nom a été appliqué à différents
Panicum et Sorghum. Je ne puis en découvrir aucun qui soit
certain dans les langues anciennes de l'Inde ou de l'Asie occi-
dentale, ce qui fait présumer une introduction antérieure de peu
de siècles à l'ère chrétienne. “
Aucun botaniste n'a mentionné le Durra comme spontané en
est sauvage dans
Egypte ou en Arabie. Une forme analogue
n'a pas pu la déterminer
l'Afrique équatoriale; mais R. Brown
exactement et la flore de l'Afrique tropicale qui se publie à
Kew ne contient pas encore l'article des Graminées. II reste donc
le Sorgho, de
uniquement l'assertion du Dp Bretsehneider que
c'est bien l'espèce, elle
grande taille, est indigène en Chine. Si

1.Pline,Hist.,1. 18, c. 7. “ “,
2. Cité par Unger,DiePflanzendesalten hgyptens,p. 34.
3. S. Bireh, dans Wilkinson,Mannersand customsof ancient J£gyptiansy
i878,vol. 2, p. 427.
4.' Les dessins de Lepsius sont reproduits dans Unger, l. c., et dans.
WIlkinsoD, 1. c.
5. Ezechiel,4, 9.
6. Brown,Bot. of Congo, p. 54.
SORGHOSUCRÉ 30Y

se serait répandue tardivement vers l'ouest. Mais les anciens


alors comment ils
Egyptiens la possédaient, et l'on se demande
l'auraient reçue de Chine sans que les peuples intermédiaires en
aient eu connaissance? Il est plus facile de comprendre l'indi-
génat dans l'Afrique équatoriale, avec transmission préhisto-la

rique en Egypte, dans l'Inde et finalement en Chine,
culture ne paraît pas très ancienne, car le premier ouvrage qui
en parle date du rve siècle de notre ère.
A l'appui d'une origine africaine, je citerai l'observation de
Schmidt que l'espèce abonde dans l'île San Antonio de l'ar-
Il la croit
chipel du Cap-Vert, dans des localités rocailleuses. une véri-
« complètement naturalisée », ce qui peut-être cache
table origine.

Sorgho sucré. Holcus saccharatus, Linné. Andropagon


Sorghum saccharatum, Persoon.
saccharatus, Roxburgh.
Cette espèce, plus haute que le Sorgho ordinaire, et à pani-
cule diffuse 2, est cultivée dans les pays tropicaux pour le grain,
et dans
qui ne vaut cependant pas celui du Sorgho ordinaire,
les régions moins chaudes comme fourrage, ou même pour le
sucre assez abondant que renferme la tige. Les Chinois en tirent
de l'alcool, mais non du sucre.
de llnde
L'opinion des botanistes et du public la fait venir cette
mais, d'après Roxburgh, elle est seulement cultivée dans
le Battari
région. Il en est de même aux îles de la Sonde, où
est bien l'espèce actuelle. C'est le Kao-liang (grand Millet) des
Chinois. Onne le dit pas spontané en Chine. Il n'est pas mentionné
dans les auteurs plus anciens que l'ère chrétienne D'après ces
divers témoignages et l'absence de tout nom sanscrit, l'origine
asiatique me paraît une illusion.
La plante est cultivée maintenant en Egypte moins que le
de Dochna ou Dochn.
Sorgho ordinaire, et en Arabie, sous le nom
Aucun botaniste ne l'a vue spontanée dans ces pays 4. On n'a pasB
de preuve que les anciens Egyptiens l'aient cultivée. Hérodote
a parlé d'un Millet en arbre, des plaines d'Assyrie. Ce pourrait
être l'espèce actuelle, mais comment le prouver?
Les Grecs et les Latins n'en avaient pas connaissance, du moins
avant l'époque de l'empire romain, mais il est possible6 que ce
fût le Millet, haut de sept pieds, dont Pline fait mention comme
ayant été introduit de l'Inde, de son vivant.
1. Schmidt,Beitrdgezur Flora capvevdischen Inseln,p. 158.
2. Voir Host, draminex austriacœ, vol. 4, pi. 4. “,
3. Roxburgh, FI. ind. éd.2, vol. 1, p. 271 Kumphius,Amboin.,a, p. i\)i,
pi. 75, fig. 1; Miquel, FI. indo-batava,3, p. 503;Bretschneider,On the
value,etc., p. 9 et 46; Loureiro,FI. cocfdnch.,2, lp. 792.
4. Forskal,Delile,Schweinfurthet Ascherson, . c.
5. Hérodote,1. 1, c. 193.
6. Pline, Hist., 1. 18,c. 7. Ce pourraitêtre aussila variétéon espèceap-
pelée bicolor.
308 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

Probablement il faut chercher l'origine dans l'Afrique inter-1


Sir W. Hooker1
tropicale, où l'espèce est généralement cultivée.
cite des échantillons des bords du fleuve Nun, qui étaient peut-
être sauvages. La publication prochaine des Graminées dans la
Flore de l'Afrique tropicale jettera probablement du jour sur
cette question.
à 1 Egypte,
L'expansion de la culture do l'Afrique intérieurs
depuis les Pharaons, à l'Arabie, l'archipel indien, et, après
vers le commen-
l'époque du sanscrit, à l'Inde, enfin à lalesChine,
cernentde notre ère, concorderait avec indications historiques
et n'est pas difficile à admettre. L'hypothèse inverse, d'une trans-
mission de l'est à l'ouest, présente une foule d'objections.
Plusieurs autres formes de Sorgho sont cultivées en Asie et en
dont
Afrique, par exemple le cernuus, à épis penchés, le parle
Roxburgh et que Prosper Alpin avait vu en Egypte: bicolor,
et les niger, rubens,
qui par sa taille ressemble au saccharatus;
variétés de culture. Aucune n'a
qui paraissent encore plus des
été trouvée sauvage, et il est probable qu'un monographe les
rattacherait comme de simples dérivations aux espèces sus-men-
tionnées.

Coracan. Eleusine Coracana, Gsertner.


Cette Graminée annuelle, qui ressemble aux Millets, est cul-
tivée surtout dans l'Inde et l'archipel indien. Elle l'est aussi en
de beaucoup de
Egypte 2 et en -Abyssinie3 mais le silence
botanistes qui ont parlé des plantes de l'Afrique intérieure ou
occidentale fait présumer que la culture en est peu répandue
sur ce continent. Au Japon 4 elle s'échappe quelquefois hors
des endroits où on la cultive. Les graines mûrissent dans le
midi de l'Europe; mais la plante y est sans mérite, excepté comme
fourrage 5.
Aucun auteur ne dit l'avoir trouvée à l'état spontané, en Asie
ou en Afrique. Roxburgh B,le plus attentif à ces sortes de ques-
tions, après avoir parlé de sa culture, ajoute « Je ne l'ai
jamais vue sauvage. » Il distingue, sous le nom &' Eleusinestricta,
une forme encore plus fréquemment cultivée dans l'Inde, qui
paraît une simple variété du Coracana, et qu'il n'a égaiement
pas rencontrée hors des cultures.
La patrie nous sera indiquée par d'autres moyens.
Et d'abord les espèces du genre Eleusine sont plus nombreuses
dans l'Asie méridionale que dans les autres régions tropicales.

1. W. Hooker,NigerFlora.
2. Schweinfurthet Asch.er.on,Aufz'àhlung, p. 299.
3. Bonjardinier, 1880,p. S85.
4. Frauchetet Savatier, Enum. plant. Japon., 2, p. 172-
5. Bonjardinier, ibid.
6. Boxburgh,Flora indica,ed. 2, vol. 1, p. 343.
RIZ 309

Outre la plante cultivée, Royle mentionne d'autres espèces


dont les habitants pauvres de l'Inde recueillent les graines dans
la campagne.
il a un nom sanscrit, Rajika,
D'après l'Index de Piddington,les y
et plusieurs autres noms dans langues modernes de l'Inde.
Celui de Coracana vient du nom usité à Ceylan, Kourahhan 2.
Dans l'archipel indien, les noms paraissent moins nombreux et
moins originaux.
En Egypte, la culture de cette espèce ne peut pas être ancienne.
Les monuments de l'antiquité n'en indiquent aucune trace. Les
auteurs gréco-romains, qui connaissaient le pays, n'en ont pas
Delile. Il faut arriver
parlé, ni plus tard Prosper Alpin, Forskal,
à un ouvrage tout récent, comme celui de MM.Schweinfurth et
Ascherson, pour trouver l'espèce mentionnée, et je ne puis même
découvrir un nom arabe 3.
Ainsi toutes les probabilités botaniques, historiques et linguis-
une origine indienne.
tiques concourent à démontrer dont les Graminées n'ont pas
La flore de l'Inde anglaise,
encore paru, nous dira peut-être si l'on a trouvé la plante spon-
tanée dans des explorations récentes.
On cultive en Abyssinie une espèce très voisine, Eleusme
Tocussa, Fresenius plante fort peu connue, qui est peut-être
originaire d'Afrique.

Riz. Oryza sativa, Linné.


Dans la cérémonie instituée par l'empereur Chin-Nong, 2800
ans avant Jésus-Christ, le Riz joue le rôle principal. C'est 1 em-
tandis que les quatre
pereur régnant qui doit le semer lui-même,
autres espèces sont ou peuvent être semées par les princes de sa
famille b. Les cinq espèces sont regardées par les Chinois comme
bien le riz,
indigènes, et il faut convenir que c'est un probable pour
vu son emploi général et ancien, dans pays coupé de canaux
et de rivières, si favorable aux plantes aquatiques. Les botanistes
n'ont pas assez herborisé en Chine pour qu'on sache jusqu'à6
hors des cultures; mais Loureiro
quel point le Riz s'y trouve
l'a vu dans les marais de la Cochinchine.
sur l'archipel indien l'in-
Rumphius et les auteurs modernes
La multitude des noms et des
diquent seulement comme cultivé.
variétés fait présumer une très ancienne culture. Dans l'Inde

i. Rovle,IU. Himal.plants.
2. Thwaites,Enum.plant. Zesjl, p. 371. arabe dans
3. Plusieurs des synonymeset le nom Linné, Delile,etc..
s'appliquent au DÛtylJctentim rgyptiaeum, Willdenow,soit Eleusinc
soi/utiaca, de quelquesauteurs, qu'on ne cultive pas.
4. Fresenius, Catal. sem. hooti Francof., 1834; Beitrage zur Floia
9bg.ssin.,p. 141. céréales,part. 1, p. 29;
^Stanislas Julien, dansLoiseleur,Consià.sur leschinese
Bretsehneidw,Onthestudyand wilueof botanical p. 8 et J.
worlct,,
6. Loureiro,FI. cochïnch.,1, p. 267.
310 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

britannique, elle date au moins de l'invasion des Aryas, puisque


le Riz a des noms en sanscrit, Vrihi, Arunya 1, d'où viennent
plusieurs noms des langues modernes de l'Inde, et Oruza, ou
Oruzon des anciens Grecs, Rouz ou Arous des Arabes. Théo-
phraste a parlé du Riz comme cultivé dans l'Inde. Les Grecs
l'avaient connu par l'expédition d'Alexandre. « D'après Aristo-
bule, dit Strabon 3, le Riz croît dans la Bactriane, la Babylonie,
la Suside, » et il ajoute « Nous dirons, nous, dans la basse Syrie
aussi. » Plus loin, il note que les Indiens s'en nourrissent et en
tirent une sorte de vin. Ces assertions, douteuses peut-être
pour la Bactriane, montrent une culture bien établie au moins
depuis le temps d'Alexandre (400 ans avant Jésus-Christ) dans
la région de l'Euphrate, et depuis le commencement de notre
ère dans les endroits chauds et arrosés de la Syrie. L'Ancien Tes-
tament n'a pas parlé du Riz; mais un auteur toujours exact et
judicieux, L. Reynier 4, a relevé dans les livres du Talmud plu-
sieurs passages relatifs à sa culture. On est conduit par ces faits
à supposer que les Indiens ont employé le Riz après les Chinois,
et qu'il s'est répandu vers l'Euphrate encore plus tard, anté-
rieurement cependant à l'invasion des Aryas dans l'Inde. Depuis
l'existence de cette culture en Babylonie, il s'est écoulé plus de
mille ans jusqu'au transport en Syrie, et l'introduction en Egypte
a suivi celle-ci, de deux ou trois siècles probablement. En effet,
il n'y a aucune indication du Riz dans les graines ou les peintures
de l'ancienne Egypte 5. Strabon, qui avait vu ce pays, comme la
Syrie, ne dit pas que le Riz fût cultivé de son temps en Egypte,
mais que les Garamantes le cultivaient, et ce peuple est consi-
déré comme ayant habité une oasis au midi de Carthage.
L'avaient-ils reçu de Syrie? C'est possible. En tout cas, l'Egypte
ne pouvait pas tarder à posséder une culture si bien appropriée
à ses conditions particulières d'arrosement. Les Arabes ont
introduit l'espèce en Espagne, comme l'indique le nom espagnol
Arroz. Les premières cultures de Riz en Italie datent de 1468,
près de Pise7.. Celles de la Louisiane sont modernes.
Lorsque j'ai présumé la culture moins ancienne dans l'Inde
qu'en Chine, je n'ai pas entendu que la plante n'y fût pas
spontanée. Elle appartient à une famille où les habitations des

1. Piddington,Index; Hehn,Culturpflanzen,ed. 3, p. 437.


2. Theophrastes,Hist.,1. 4, c. 4, 10.
3. Strabon, Géographie,trad. de Tardieu,1. 15, c. 1, §18; 1. 15, c. 1,
§ 53.
4. Reynier, Economiedes Arabeset des Juifs (1820),p. £50 Economie
publiqueet rurale desEgyptienset des Carthaginois(1823),p. 324.note dans
5. Ungern'en cite aucune. M.S. Biivh, en 4878,a mis une
l'ouvragede Wilkinson,Mannersand customsof the ancientEgyptians, 2,
p. 402,pour dire « On n'a aucune preuvede la culture du riz, donton a
n'a
pas trouvéde graines.»
6. Reynier,Lc.
7. Targioni,Cenni,p. 24.
MAÏS 311
sont étendues, et en outre les plantes aquatiques ont
espèces Riz
Sinairement de plus vastes habitations que les autres. Le de
culture dans l'Asie méridionale,
existaitpeut-être avant toute la diversité des noms
la Chine au Bengale, comme l'indique entre l'Inde et la
les monosyllabiques des peuples
dans langues dans plusieurs localités
Chine 1. Onl'a trouvé2hors des cultures raconte que le Riz sauvage,
de l'Inde. Roxburgb. l'affirme. Il en abondance aux bords
les Telingas, croît
tveteNeivaïee par en est recherhé par
des lacs dans le pays des Circars. Le grain
les riches Tndo^; mais on ne le sèmecepas, parce qu'il est peu
ne soit la plante origi-
Roxburgh ne doute pas que
productif. sauvage à Moradabad dans la
nelle. Thomso^agrecueilliunRiz
de Dehli. Les raisons historiques appuient l'idée que
province cela, on pourrait les sup-
ces échantillons sont indigènes. Sans de
un effet de la culture habituelle l'espèce, d'autant plus
poser avec laquelle le Riz se sème
qu'on a des exemplesde
dans lesla facilité
pays chauds et humides 4. Toutefois la
et se naturalise
combinaison des indices historiques et une des probabilités botani-
faire admettre pour l'Inde existence antérieure
ques tend à
à la culture.

Maïs. Zea Mays, Linné. -) dans


-) ““
d'Amérique et n'a été introduit
« Le Maïs est originaire Je regarde
l'ancien monde que depuis la découverte du nouveau. contraire
ces deux assertions comme positives, malgré l'opinion célèbre agronome
de quelques auteurs et le doute émis parle sur le
le
Bonafous, auquel nous devons le traité enplus complet avoir
18SS après
Maïs 3 » C'est ainsi que je m'exprimais
de Bonafous au moment de la publication
déjà combattu l'idée se sont renforcées depuis en fa-
de son ouvrage 6. Les preuves
on a fait des tentatives
veur de l'origine américaine. Cependant Blé de
dans un sens opposé, et, comme le nom de la discussion Turquie entre-
est bon de avec de
tient une erreur, il reprendre
nouveaux documents. en Europe du
neque le Maïs était inconnu
Personne
conteste
de romain, mais on a prétendu qu'il avait été
temps l'empire
principal reposait
apporté d'Orient, au moyen âge. fument Molinan d après
sur une charte du mP siècle, publiée par

1 Crawfurd,dans Journal of botany,1S66, p. 324.


200.
2. Roxburgh,Fl. ind., ed. 1832,v. 2, p.loi.
3. D'aprèsAitchison,Catal. Punjab, p. Mauri-
Mauri-
4. Nees, dans Martius,Fl. brasil., ia-8»,2, p. 518;Baker,FI. of
tius, p. 458.
Hist. nat. agric. et économiquedv,Maù. un vol. in-folio,
5.Bonafous,
Paris et Turin, 1836.
Pa6Î\âdeacïndoiïtBibliothèqueuniversellede Genève,aoûtl836; Géogr.
iot. raisonnêe,p. 942.
1. Molinari,Storia d'incisa, Asti, 1810.
312 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

laquelle deux croisés, compagnons d'armes de Boniface 111,mar-


quis de Monferrat, auraient donné en 1204, à la ville d'Incisa,
un morceau de la vraie croix plus une bourse contenant une
sorte de grains de couleur d'or et en partie blancs, inconnus
dans le pays, qu'ils rapportaient d'Anatolie, où ils s'appelaient
Meliga, etc. L'historien des croisades, Michaux, et ensuite Daru
et de Sismondi, ont beaucoup parlé de cette charte; mais le bo-
taniste Delile, ainsi que Targioni-Tozzetti et Bonafous lui-même
ont pensé qu'il s'agissait de quelque Sorgho et non du Maïs. Ces
vieilles discussions sont devenues risibles, car M. le comte Riant l
a découvert que la charte d'Incisa est une pure fabrication d'un
imposteur du siècle actuel! Je cite cet exemple pour montrer
combien les érudits, qui ne sont pas naturalistes, peuvent se
tromper dans l'interprétation des noms de plantes, et aussi com-
bien il est dangereux dans les questions historiques de s'appuyer
sur une preuve isolée.
Les noms de Blé de Turquie, Blé turc donnés au Maïs dans
presque toutes les langues modernes d'Europe ne démontrent
pas mieux que la charte d'Incisa une origine orientale. Ce sont
des noms aussi faux que celui du Coq d'Inde, en anglais Turkey,
donné à un oiseau venu d'Amérique. Le Maïs a été appelé en
Lorraine et dans les Vosges Blé de Rome, en Toscane Blé de Si-
cile, en Sicile Blé d'Inde, dans les Pyrénées Blé d'Espagne, en
Provence Blé de Barbarie ou de Guinée. Les Turcs le nomment
Blé d'Egypte, et les Egyptiens Dourah de Syrie. Dans ce dernier
cas, cela prouve au moins qu'il nJest ni d'Egypte ni de Syrie. Le
nom si répandu de Blé de Turquie date du svie siècle. Il est
venu d'une erreur sur l'origine de la plante, entretenue peut-
être par les houppes qui terminent les épis de Maïs, qu'on aurait
comparées à la barbe des Turcs, ou par la vigueur de la plante,
qui motivait une expression analogue à celle de « fort comme
un Turc ». Le premier botaniste chez lequel on trouve le nom
de Blé turc est Ruellius 2 en 1536. Bock ou Tragus 3, en 1552,
après avoir donné une figure de l'espèce, qu'il nomme l'rumen-
tum turcicum, Welschkom des Allemands, ayant appris par des-
marchands qu'elle venait de l'Inde, eut l'idée malheureuse de
supposer que c'était un certain Typha de Bactriane, dont les
anciens avaient parlé vaguement. Dodoens en 1583, Camerarius
en 1388 et Matthiole 4 rectifièrent ces erreurs et affirmèrent
positivement l'origine américaine. Ils adoptèrent le nom de
Mays, qu'ils savaient américain.
1. Riant, La charted'Incisa,broch. m-8",1S77,tirée à part de la Revue-
des questionshistoriques.
2. Ruelliu*,Deratura stirpium,p. 428 « Hane quoniam nostrorum
œtate e Graeciavel Asia venerit Turcicumfnimenlumnominant.» Fuch-
sius,p.. 824,répètecette phrase, en 1543.
3. Tragus,Stirpium,etc., ed. 1552,p. 630.
4. Dodopns,Pemptadcs,p. 509: Canier.v.-ii:?,
Uart., p. 9i: MattMole,ed
1570,p. 305.
MAÏS 313

Nous avons vu (p. 291) que le Zza des Grecs était 1 Epeautre.
Bien certainement les anciens n'ont pas connu le Maïs. Les voya-
geurs 4 qui décrivirent les premiers les productions du nouveau
monde furent très surpris -à sa vue, preuve évidente qu'ils ne
l'avaient pas connu en Europe. Hernandez 2, parti d'Europe en
1571, suivant les uns, en 1593, suivant d'autres 3, ne savait
pas qu'à Seville, dès l'année 1500, on avait reçu beaucoup de
graines de Maïs pour le mettre en culture. Le fait, attesté par
Fée, qui avait vu les registres de la municipalité 4, montre bien
l'origine américaine, en raison de laquelle Hernandez trouvait
le nom de blé de Turquie très mauvais.
On dira, peut-être, que le Maïs, nouveau pour l'Europe au
xvie siècle, existait quelque part en Asie ou en Afrique avant la
découverte de l'Amérique? Voyons ce qu'il faut en penser.
Le célèbre orientaliste d'Herbelot 5 avait accumulé plusieurs
rreurs, relevées par Bonafous et moi-même, au sujet d'un pas-
sage de l'historien persan Mirkoud, du xve siècle, sur une céréale
que Rous, fils de Japhet, aurait semée sur les bords de la mer
Caspienne et qui serait le Blé de Turquie des modernes. Il ne
vaut pas la peine de s'arrêter à ces assertions d'un savant qui
n'avait pas eu l'idée de consulter les ouvrages des botanistes de
son époque ou antérieurs. Ce qui est plus important, c'est le
silence absolu, au sujet du Maïs, des voyageurs qui ont visité
l'Asie et l'Afrique avant la découverte de l'Amérique c'est aussi
l'absence de nom hébreu ou sanscrit pour cette plante; et enfin
que les monuments de l'ancienne Egypte n'en présentent aucun
échantillon ou dessin 6. Rifaud, il est vrai, a trouvé une fois
un épi de Maïs dans un cercueil de Thèbes, mais on éroit que
c'est l'effet de quelque supercherie d'Arabe. Si le Maïs avait
existé dans l'ancienne Egypte, il se verrait dans tous les monu-
ments et aurait été lié à des idées religieuses, comme les autres
plantes remarquables. Une espèce aussi facile à cultiver se serait
répandue dans les pays voisins. La culture n'aurait pas été aban-
donnée, et nous voyons, au contraire, que Prosper Alpin, visitant
l'Egypte en 1592, n'en a pas parlé, et que Porskal 7, à la fin du
xviue siècle, mentionnait le Maïs comme encore peu cultivé en
Egypte, où il n'avait pas reçu un nom distinct des Sorghos. Ebn
Baithar, médecin arabe du xrae siècle, qui avait parcouru les
pays situés entre l'Espagne et la Perse, n'indique aucune plante
qu'on puisse supposer le Maïs.
1. P. Martyr,Ercilla,Jean de Lery, etc., de 1516à 1578.
2. Hernandez,Thés, mexic p. 242.
3. Lasègue,MuséeDelessert,p. 467.
4. Fée, Souvenirsde la guene d'Espagne,p. 128.
5. Bibliothèqueorientale,Paris,1697,au motRoos.
6. Kanth, gnn. sc. nat., sér. 1, vol. 8, p. 418 Raspail, ibid. Unger,
PflanzendesaltenMgyptens;A. Braun,Pflnnzenresteœgypt.Mus.in Berlin;
"Wîlkinson,Mannersand customsofancientEgyptians.
7. Forskal,p. LIII.
314 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

J. Cra-wfurd1, après avoirvuleMaïs généralement cultivé dans


l'archipel indien, sous un nom, Jarung, qui lui paraissait indi-
gène, a cru l'espèce originaire de ces îles. Mais alors comment
Rumphius n'en aurait-il pas dit un.mot? Le silence d'un pareil
auteur fait présumer une introduction depuis le xvir3siècle. Sur
le continent indien, le Maïs était si peu répandu dans le siècle
dernier, que Roxburgh écrivait dans sa flore, publiée longtemps
après avoir été rédigée « Cultivé dans différentes parties de
l'Inde dans les jardins et seulement comme objet de luxe; mais
nulle part sur le continent indien comme objet de culture en
grand. » Nous avons vu qu'il n'y a pas de nom sanscrit.
En Chine, le Maïs est fréquemment cultivé aujourd'hui, en
particulier autour de Pélring depuis plusieurs générations
d'hommes 3, quoique la plupart des voyageurs du siècle dernier
n'en aient fait aucune mention. Le Dr Bretschneider, dans son
opuscule de 1870, n'hésitait pas à dire que le Maïs n'est pas
originaire de Chine mais quelques mots de sa lettre de 1881
me font penser qu'il attribue maintenant de l'importance à un
ancien auteur chinois dont Bonafous et après lui MM. Hance et
Mayers ontbeaucoup parlé. Il s'agit de l'ouvrage de Li-chi-Tchin
intitulé Phen-thsao-Kang-Mou ou Pên-tsao-kung-mu espèce
de traité d'histoire naturelle, que M. Bretschneider 4 dit être de
la fin du xvie siècle. Bonafous précise davantage. Selon lui, il a
été terminé en 1578. L'édition qu'il en avait vue, dans la biblio-
thèque lluzard, est de 1637. Elle contient la figure du Maïs, avec
le caractère chinois. Cette planche est copiée dans l'ouvrage de
Bonafous, au commencement du chapitre sur la patrie du Maïs.
Il est évident qu'elle représente la plante. Le Dr Hance paraît
s'être appuyé sur des recherches de M.Mayers, d'après lesquelles
d'anciens auteurs chinois prétendent que le Maïs aurait été im-
porté de Sifan (Mongolie inférieure, à l'ouest de la Chine), long-
temps avant la fin du quinzième siècle, à une date inconnue. Le
mémoire contient une copie de la figure du Pên-tsa-kung-mu,
auquel il attribue la date de 1597.
L'importation par la Mongolie est tellement invraisemblable
qu'il ne vaut pas la peine d'en parler, et, quant à l'assertion
principale de l'auteur chinois, il faut remarquer les dates ou in-
certaines ou tardives qui sont indiquées. L'ouvrage a été ter-
miné en 1578, selon Bonafous, et selon Mayers en 1597. Si cela
est vrai, surtout si la seconde de ces dates est certaine, on peut
admettre que le Maïs aurait été apporté en Chine depuis la dé-

1. Crawfurd,Historyof the indian archipelago,Edinburgh,1820,vol. i;


Journal of bot.,1866,p. 326.
2. Roxburgh,Floraindica, ed. de 1832,vol. 3, p. 568.
3. Bretschneider,On studyand value,etc.,p. 1, 18.
4. Bretschneider,l. c., p. 50.
5. L'articleest dans le Pharmaceulicaljournal de 1810.Je ne le connais
que par un court extrait, dans Seemann,Journal of batany,1871,p. 62.
MAÏS 318
couverte de l'Amérique. Les Portugais sont venus à Java en
1511, c'est-à-dire dix neuf années après la découverte de l'Amé-
rique, et en Chine dès l'année 1516 '.Le voyage de Magellan
de l'Amérique australe aux îles Philippines a eu lieu en 1320.
Pendant les 58 ou 77 années entre 1516 et les dates attribuées
aux éditions de l'ouvrage chinois, des graines de Maïs ont pu
être portées en Chine par des voyageurs venant d'Amérique
ou d'Europe. Le Dr Bretschneider m'écrivait récemment que les
Chinois n'ont point eu connaissance du nouveau monde avant
les Européens, et que les terres situées à l'orient de leur pays,
dont il est quelquefois question dans leurs anciens ouvrages,
étaient le Japon. Il avait déjà cité l'opinion d'un savant chinois
que l'introduction du Maïs près de Peking date des derniers
temps de la dynastie Ming, laquelle a fini en 1644. Voilà une
date qui s'accorde avec les autres probabilités.
L'introduction au Japon est probablement plus tardive, puis-
que Ksempfer n'a pas mentionné l'espèce 2.
D'après cet ensemble de faits, le Maïs n'était pas de l'ancien
monde. Il s'y est répandu rapidement après la découverte de
l'Amérique, et cette rapidité même achève de prouver que, s'il
avait existé quelque part, en Asie ou en Afrique, il y aurait joué
depuis des milliers d'années un rôle très important.
Nous allons voir en Amérique des faits qui contrastent avec
ceux-ci.
Au moment de la découverte de ce nouveau continent, le Maïs
était une des bases de son agriculture, depuis la région de la
Platajusqu'aux Etats-Unis. II avait des noms dans toutes les lan-
gues 3. Les indigènes le semaient autour de leurs demeures tem-
poraires, quand ils ne formaient pas une population agglomérée.
Les sépultures appelées mounds des indigènes de l'Amérique du
Nord antérieurs à ceux de notre temps, les tombeaux des Incas,
les catacombes du Pérou renferment des épis ou des grains de
Maïs, de même que les monuments de l'ancienne Egypte des
grains d'Orge, de blé ou de Millet. Au Mexique, une déesse qui
portait un nom dérivé de celui du Maïs (Cinteutl, de Cintli),
.était comme la Cérès des Grecs, car elle recevait les prémices
de la récolte du Maïs, comme la déesse grecque de nos céréales.
A Cusco, les vierges du soleil préparaient du pain de Maïs pour
les sacrifices. Rien ne montre mieux l'antiquité et la généra ité
de la culture d'une plante que cette fusion intime avec les usages
religieux d'anciens habitants. Il ne faut cependant pas attribuer
à ces indications en Amérique la même importance que dans
notre ancien monde. La civilisation des Péruviens, sous les

1. Malte-Brun, Géographie, 1, p. 493.


2. Une plante gravée sur une ancienne arme que Sielold avait prise pour
le Maïs est un Sorgho, d'après Rein, cité par Wittmaek, Ueb antiken Mais.
3. Voir Martius, Beitrâge zur Ethnographie Amerika's, p. 127.
316 PLA.NTES CULTIVÉES POUR. LEURS GRAINES

Incas, et celle des Toltecs et Atztecs au Mexique ne remontent


la de
pas à l'antiquité extraordinaire des civilisations de Chine,
la Chaldée et de l'Egypte. Elle date tout au plus des commen-
cements de l'ère chrétienne; mais la culture du Maïs est plus
ancienne que les monuments d'après toutes les variétés de
l'espèce qui s'y trouvaient et leur dispersion dans des régions
fort éloignées.
Voici une preuve plus remarquable d'ancienneté découverte
et
par Darwin. Cet illustre savant a trouvé des épis de Maïs
18 espèces de coquilles de notre époque enfouis dans le terrain
d'une plage du Pérou, qui est maintenant à 85 pieds au moins
au-dessus de la mer'. CeMaïs n'était peut-être pas cultivé, mais
dans ce cas ce serait encore plus intéressant comme indication
de l'origine de l'espèce.
nombre de
Quoique l'Amérique ait été explorée par un grand
botanistes, aucun n'a rencontré le Maïs dans les conditions d'une
plante sauvage.
Auguste de Saint-Hilaire 2 avait cru reconnaître le type spo n-
tané dans une forme singulière dont chaque grain est caché en
dedans de sa bâle ou bractée. On la connaît à Buenos-Ayres,
sous le nom de Pinsigallo. C'est le ZeaMays tunicata de Saint-
Hilaire, que Bonafous a figuré dans sa planche 5 bis, sous le
nom de Zea cryptosperma Lindley 3 en a aussi donné une des-
cription et une figure, d'après des graines venues, disait-on, des
les
montagnes Rocheuses, origine qui n'est pas confirmée par
flores récemment publiées de Californie. Un jeune Guarany, né
dans le Paraguay ou sur ses frontières, avait reconnu ce Maïs
et dit à Saint-Hilaire qu'il croissait dans les forêts humides de
son pays. Comme preuve d'indigénat, c'est très insuffisant. Au-
cun voyageur, à ma connaissance, n'a vu cette plante au Pa-
on
raguay ou au Brésil. Mais, ce qui est bien intéressant,
l'a cultivée en Europe, et il a été constaté qu'elle passe fréquem-
ment à l'état ordinaire du Maïs. Lindley l'avait observé après
deux au trois années seulement de culture, et le professeur von
Radie a obtenu d'un même semis 225 épis de la forme tunicata
et 105 de forme ordinaire, à grains nus4. Evidemment cetteforme,
qu'on pouvait croire une véritable espèce, mais dont la patrie
était cependant douteuse, est à peine une race. C'est une des
innombrables variétés, plus ou moins héréditaires, dont les bo-
tamstes les plus accrédités ne font qu'une seule espèce, à cause
de leur peu de fixité et des transitions qu'elles présentent fré-
quemment.
Sur l'état du Zea Mays et sur son habitation en Amérique,

1, p. 320.
i. Darwin,Variationsof animalsand plantsunder domestication,
2. A. de Saint-Hilaire,Ann. se. nat., 16,p; 143.
3. Lindley,Journalof the hortic.Society,1, p. 114.
4. Je cite ces faits d'après Wittmack,UeberanlikenMaïsans Nordund
Sud Àmerika,p. 87, dans Berlin, antfiropolog.Ges.,10nov. 1879»
MAÏS 317

avant que l'homme se fût mis à le cultiver, on ne peut faire que


des conjectures. Je les énoncerai, selon ma manière de voir,
à certaines indicaticns pro-
parce qu'elles conduisent pourtant
bables.
Je remarque d'abord que le Maïs est une plante singulière-
ment dépourvue de moyens de dispersion et de protection. Les
est lui-même
graines se détachent difficilement de l'épi, qui le vent
enveloppé. Elles n'ont aucune aigrette ou aile dont puisse
s'emparer. Enfin, quand l'homme ne recueille pas l'épi, elles
tombent enchâssées dans leur gangue, appelée rafle, et alors les
rongeurs et autres animaux doivent les détruire en qualité,
d'autant mieux qu'elles ne sont pas assez dures pour traverser
intactes les voies digestives. Probablement, une espèce aussi mal
conformée devenait de plus en plus rare, dans quelque région
limitée, et allait s'éteindre, lorsqu'une tribu errante de sauvages,
s'étant aperçue de ses qualités nutritives, l'a sauvée de sa perte
en la cultivant. Je crois d'autant plus à une habitation naturelle
restreinte que l'espèce est unique, c'est-à-dire qu'elle constitue
ce qu'on appelle un genre monotype. Evidemment les genres de
en moyenne, une
peu d'espèces et surtout les monotypes ont,
habitation plus étroite que les autres. La paléontologie ap-
a existé en Amérique plusieurs
prendra peut-être un jour s'il
Zea ou Graminées analogues, dont notre Maïs serait le dernier.
Au temps actuel le genre Zea, non seulement est monotype,
mais encore est assez isolé dans sa famille. On peut mettre à
côté de lui un seul genre, Euchlxna, de Schrader, dont une
mais c'est un
espèce est au Mexique et l'autre à Guatemala,
genre bien particulier et sans transitions avec le Zea.
M. Wittmack a fait des recherches curieuses pour devincr
avec une certaine
quelle variété du Maïs représente, aux cultures. Dansprobabilité,
la forme d'une époque antérieure ce but, il a
comparé des épis et des grains extraits des Mounds de l'Améri-
du Pérou. Si ces monuments
que du Nord, et des tombeaux de
avaient montré une seule forme Maïs, le résultat aurait été
significatif; mais il s'est trouvé plusieurs variétés différentes,
soit dans les fflounds, soit au Pérou. Il ne faut pas s'en étonner.
Ces monuments ne sont pas très anciens. Le cimetière d'Ancon,
au Pérou, dont M. Wittmack a obtenu les meilleurs échan-
tillons, est à peu près contemporain de la découverte de l'Amé-
rique 1. Or, à cette époque, le nombre des variétés était déjà
considérable, selon tous les auteurs, ce qui prouve une culture
beaucoup plus ancienne.
Des expériences dans lesquelles on sèmerait, plusieurs années

l. Rochebrnne,Recherches ethnographiquessur les sépulturespéruviennes


d'Ancon,d'après un extrait par Wittmack, dans Uhhvorm,Bot. Central-
blatt, 1880,p. 1633,où l'on voit que le cimetière a serviavant et depuis
la découvertede l'Amérique.
318 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

de suite, des variétés de Maïs, dans des terrains non cultivés,


montreraient peut-être un retour à quelque forme commune,
qu'on pourrait alors considérer comme la souche. Rien de pareil
n'a été fait. On a seulement observé que les variétés sont peu
stables, malgré leur grande diversité.
Quant à l'habitation de la forme primitive inconnue, voici les
raisonnements qui peuvent la faire entrevoir jusqu'à un certain
point.
Les populations agglomérées n'ont pu se former que dans les
pays où se trouvaient naturellement des espèces nutritives
faciles à cultiver. La pomme de terre, la batate et le maïs ont
joué sans doute ce rôle en Amérique, et les grandes popula-
tions de cette partie du monde s'étant montrées d'abord dans les
régions situées à une certaine élévation, du Chili au Mexique,
c'est là probablement que se trouvait le Maïs sauvage. Il ne
faut pas chercher dans les régions basses, telles que le Paraguay,
les bords du fleuve des Amazones, ou les terres chaudes de la
Guyane, de Panama et du Mexique, puisque leurs habitants
étaient jadis moins nombreux. D'ailleurs les forêts ne sont nulle-
ment favorables aux plantes annuelles, et le Maïs ne prospère
que médiocrement dans les contrées chaudes et humides où l'on
cultive le Manioc i.
D'un autre côté, sa transmission, de proche en proche, est plus
facile à comprendre si le point de départ est supposé au centre
que si on le place àl'une des extrémités del'étendue dans laquelle
on cultivait l'espèce du temps des Incas et des Toltecs, ou plu-
tôt des Mayas, Nahuas et Chibchas qui les ont précédés. Les mi-
grations des peuples n'ont pas marché régulièrement du nord au
midi ou du midi au nord. On sait qu'il y en a eu dans des sens
divers, selon les époques et les pays 2. Les anciens Péruviens
avaient à peine connaissance des Mexicains et vice versa, comme
le prouvent leurs croyances et des usages extrêmement diffé-
rents. Pour qu'ils aient cultivé de bonne heure, les uns et les
autres, le Maïs, il faut supposer un point de départ intermé-
diaire ou à peu près. J'imagine que la Nouvelle-Grenade répond
assez bien à ces conditions. Le peuple appelé Chibcha, qui occu-
pait le plateau de Bogota lors de la conquête par les Espagnols
et se regardait comme autochtone, était cultivateur. Il jouissait
d'un certain degré de civilisation, attesté par des monuments
que l'on commence à explorer. C'est peut-être lui qui possédait
le Maïs et en avait commencé la culture. Il touchait d'un côté
aux Péruviens, encore peu civilisés, et de l'autre aux Mayas, qui

1. Sagot, Culturedes céréalesde la Guyanefrançaise(Journalde la Soc.


centr.d'hortic.de France, 1872,p. 94).
2. M. de Nadaillac,dans son ouvrage intitulé Les premiershommeset
les tempspréhistoriques,donne un abrégédu peu que l'on sait aujourd'hui
sur ces migrationset en généralsur les ancienspeuples d'Amérique.Voir
en particulierle vol. 2, chap. 9.
PAVOT 319

occupaient l'Amérique centrale et le Yucatan. Ceux-ci eurent


souvent des conflits du côté du nord avec les Nahuas, prédé-
cesseurs au Mexique des Toltecs et des Aztecs. Une tradition
porte que Nahualt, chef des Nahuas, enseignait la culture du
Maïs l.
Je n'ose pas espérer qu'on découvre du Maïs sauvage, quoi-
que son habitation préculturale fût probablement si petite que
les botanistes ne l'ont peut-être pas encore rencontrée. L'espèce
est tellement distincte de toutes les autres et si apparente que
les indigènes ou des colons peu instruits l'auraient remarquée et
en auraient parlé. La certitude sur l'origine viendra plutôt de
découvertes archéologiques. Si l'on étudie un plus grand nombre
d'anciens monuments dans toutes les parties de l'Amérique, si
l'on parvient à déchiffrer les inscriptions hiéroglyphiques de
quelques-uns d'entre eux, et si l'on arrive à connaître les dates
des migrations et des faits économiques, notre hypothèse sera
justifiée, modifiée ou renversée.

Article 2. Graines servant à tïtïers usages.

Pavot. Papaver somniferum, Linné.


On cultive le Pavot ordinairement pour l'huile, dite huile
d'œillette, produite par les graines, et quelquefois, surtout en
Asie, pour le suc, qu'on extrait en incisant les capsules et qui
fournit l'opium.
La forme cultivée depuis des siècles s'échappe facilement hors
des cultures, ou se naturalise à peu près dans certaines localités
du midi de l'Europe s. On ne peut pas dire qu'elle existe à l'état
vraiment sauvage, mais les botanistes s'accordent à la consi-
dérer comme une modification du Pavot appelé Papaver seti-
gerum, qui est spontané dans la région de la mer Méditerranée,
notamment en Espagne, en Algérie, en Corse, en Sicile, en
Grèce et dans l'île de Chypre. On ne l'a pas rencontré dans l'Asie
orientale 3; par conséquent, si c'est bien l'origine de la forme
cultivée, la culture doit avoir commencé en Europe ou dans
l'Afrique septentrionale.
A l'appui de cette réflextion, il se trouve que les lacustres de
l'âge de pierre, en Suisse, cultivaient un Pavot qui se rapproche
plus du P. setigerum que du som.nife.rum. M. Heer 4 n'a pas pu
découvrir ses feuilles, mais la capsule est surmontée de huit stig-

1. De Nadaillac,2, p. 69, qui cite l'ouvrage classiquede Bancroft, The


nativeraces of the Pacificstates.
2. Willkommet Lance, Prodr. fl. hisp., 3, p. 872.
3. Boissier,Fl. orient.; Tchiliatcheff,AsieMineure;Ledebour,Fl. rossica,
et autres.
4. Hser>,Pflanzender Pfahlbauten,p. 32,fig. 65, 66.
320 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

mates, comme dans le setigerum, et non de 10 à 12, comme dans


le Pavot cultivé. Cette dernière forme, inconnue dans la nature,
paraît donc s'être manifestée plus tard, dans les temps histori-
ques.
On cultive encore le P. setigerum dans le nord de la France,
conjointement avec le somniferum, pour l'huile d'oeillette 1.
Les anciens Grecs connaissaient très bien le Pavot cultivé.
Homère, Théophraste et Dioscoride en ont parlé. Ils n'igno-2
raient pas les propriétés somnifères du suc et Dioscoride
mentionne déjà la variété à graines blanches. Les Romains cul-
tivaient le Pavot avant l'époque républicaine, comme le prouve
l'anecdote sur Tarquin. Ils en mêlaient les graines avec la farine
dans la panification.
Les Egyptiens, du temps de Pline 3, se servaient du suc de
pavot comme médicament, mais nous n'avons aucune preuve
que cette plante ait été cultivée en Egypte plus anciennement 4.
Dans le moyen âge s et aujourd'hui, c'est une des principales cul-
tures de ce pays, en particulier pour l'opium. Les livres hé-
breux ne mentionnent pas l'espèce. D'un autre côté, il existe un
ou deux noms sanscrits. Piddigton indique Chosa et Adolphe
Pictet Khaskhasa, qui se retrouve, dit-il, dans le persan Chash-
châsh, l'arménien Chashchash et l'arabe 6. Un autre nom persan
est Kouknar 7. Ces noms et d'autres que je pourrais citer,
très différents du Maikôn (Mïpaav)des Grecs, sont un indice de
l'ancienneté d'une culture répandue en Europe et dans l'Asie
occidentale. Si l'espèce a été cultivée, dans un temps préhisto-
rique, d'abord en Grèce, comme cela paraît probable, elle a pu
se répandre vers l'est avant l'invasion des Aryens dans l'Inde;
mais il est singulier qu'on n'ait pas de preuve de son extension
en Palestine et en Egypte avant l'époque romaine. Il est possi-
ble encore qu'en Europe on ait cultivé premièrement la forme
sauvage appelée Papaver setigerum, usitée par les lacustres de
Suisse, et que la forme des cultures actuelles soit venue de
l'Asie Mineure, où l'espèce était cultivée il y a au moins trois
mille ans. Ce qui peut le faire supposer, c'est l'existence du nom
grec Maikôn, en dorien Makon, dans plusieurs langues slaves et
des peuples au midi du Caucase, sous la forme de Mack 8.
La culture du Pavot a augmenté, de nos jours, dans l'Inde, à
cause de l'exportation de l'opium en Chine, mais les Chinois
1. De Lanessan,dansla traduction de Flûclrigeret Hanbury,Histoiredes
droguesd'originevégétale,1, p. 129.
2. Dioscorides,Hist.plant., 1. 4, c 65.
3. Pline, Hist.plant., 1. 20, c. 18.
4. Unger, Die Pflanze als Erregungsund Betaûbungsmittel, p. 47; Die
Pflanzendes alten jBgyptens,p. 50.
5. Ebn Baithar,trad. allem.,1, p. 64.
6. Ad. Pictet, Originesindo-européennes j.éd. 3, vol. 1, p. 366a
7. Ainslies,Mat. med.indica, 1, p. 326.
8. Nemnich,Polygl.Lexicon,p. 848.
PAVOT 321
cesseront bientôt de chagriner les Anglais en leur achetant ce
poison, car ils se mettent à le produire avec ardeur. Plus de la
moitié de leur territoire cultive actuellement le Pavot. L'espèce
n'est nullement spontanée dans les régions orientales de l'Asie, et
même, pour ce qui est de la Chine,- la culture n'en est pas an-
cienne 2.
Le nom Opzum, appliqué au médicament tiré de la capsule,
remonte aux auteurs grecs et latins. Dioscoride écrivait Opos
(Oiroç).Les Arabes en ont fait Afiun 3 et l'ont propagé dans
l'Orient, jusqu'en Chine.
MM. Flückiger et Hanbury ont donné des détails très
développés et intéressants sur l'extraction, le commerce et
l'emploi de l'opium dans tous les pays, en particulier en Chine.
Cependant je présume que nos lecteurs liront avec plaisir les
fragments qui suivent de lettres de M.le Dr Bretschneider, datées
de Péking, 23 août 1881, 28 janvier et 18 juin 1882. Elles don-
nent les renseignements les plus certains que les livres chinois.
bien interprétés, puissent fournir.
« L'auteur du Pent-sao-kang-mou, qui écrivait en 1552 et
1578, donne quelques détails concernant le a-fou-yong (c'est
Afioun, Opium), drogue étrangère produite par une espèce de
Ying sou à fleurs rouges dans le pays de Tien fang (l'Arabie) et
employée récemment comme médicament en Chine. Du temps
de la dynastie précédente (mongole, 1280-1368), on n'avait pas
beaucoup entendu parler du a-fou-yong. L'auteur chinois donne
quelques détails sur l'extraction de l'Opium dans son pays natal,
mais ne dit pas qu'il soit aussi produit en Chine. Il ne parle pas
non plus de l'habitude de le fumer. Dans le Descriptive
Dictionary o f the Indian Islands by Crawfurd, p. 312 je
trouve le passage suivant « The earliest account we have of
the use of Opium, not only from the Archipelago, but also for
India and China, is by the faithful and intelligent Barbosa B.He
writes the word amfiam, and in his account of Malacca, enume-
rates it among the articles brought by the Moorish and gentile
merchants of Western India, to exchange for the cargos of Chi-
nese junks. »
« Il est difficile de fixer d'une façon exacte l'époque à laquelle
les Chinois commencèrent à fumer l'Opium et à cultiver le Pavot
qui le produit. Comme je l'ai dit, il y a beaucoup de confusion à
propos de cette question, et pas seulement les auteurs euro-
péens, mais aussi les Chinois de nos jours appliquent le nom de

1. Martin, dans Bull. Soc.d'acclimatation,1872,p. 200.


2. Sir J. Hooker,Flora of british India, 1, p. 117 Bretschneider,Study
and value,etc., 47.
3. Ebn Baithar, 1, p. 64.
4. Flûcldgeret Hanbury, Histoiredes droguesd'origine végétale,traduc-
tion française,2 vol. in-8, 1878,vol. 1, p. 97-130.
5. Barbosapublia son ouvrage en 1316.
DECANDOLLE. 21
322 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
P. 'Rhœas. Le
Ying sou aussi bien au P. somniferum qu'au dans toutes les
P. somniferum, à présent, est largement cultivé
et en Mon-
provinces de l'empire chinois et aussi en Mantchourie Mon-
golie. Williamson \Joumeys in North China, Manchuria,
en Mantchourie. On
çolia, 1868, 2, p. 65) l'a vu cultivé partout
lui racontait que la culture du Pavot rapporte deux fois plus
visita en
que celle des céréales. Potanin, voyageur russe, qui
1876 la Mongolie septentrionale, a vu d'immenses plantations
de Pavot dans la vallée de Kiran (entre 47° et 48° la t.). Cela
effraie beaucoup le gouvernement chinois et encore plus les An-
K
glais, qui craignent la concurrence du nativedans opium ».
« Vous n'ignorez pas probablement que l'Inde et en
Perse on mange l'opium, mais on ne le fume pas. L'habitude
de fumer cette drogue paraîtrait une invention chinoise et qui
n'est pas ancienne. Rien ne prouve que les Chinois aient fumé
missionnaires jé-
l'opium avant le milieu du siècle passé. Les
suites en Chine aux dix-septième et dix-huitième siècles n'en
la vente
parlent pas. Seul le Père d'Incarville dit, en 1750, que
de l'opium est défendue, parce que souvent on en fait usage
pour s'empoisonner.
« Deux édits défendant de fumer l'opium datent d'avant 17^0,
et un autre, de 1796, parle des progrès du vice en question.
Don Sinibaldo de Mas, qui a publié en 1858 un très bon livre
sur la Chine, pays qu'il avait habité pendant de longues années
en qualité de ministre d'Espagne, prétend que les Chinois ont
où on le
pris cette habitude du peuple d'Assam, dans le pays
fumait depuis longtemps. »
Une aussi mauvaise habitude est faite pour se répandre,
comme l'absinthe et le tabac. Elle s'introduit peu à peu dans
les pays qui ont des rapports fréquents avec la Chine. Souhai-
tons qu'elle ne gagne pas une proportion aussi forte que chez les
habitants d'Aînoy, par exemple, où les fumeurs d'opium consti-
tituent le chiffre de 15 à 20 0/0 de la population adulte

Rocou. Bixa Orellana, Linné.


La matière tinctoriale appelée Rocou en français, Arnotto en;
anglais, se tire d'une pulpe de la partie extérieure des graines.
Les habitants des Antilles, de l'isthme de Darien et du Brésil-
s'en servaient, à l'époque de la découverte de l'Amérique, pour
se teindre le corps en ronge, et les Mexicains pour diverses pein-
tures 2.
Le Bixa, petit arbre de la famille des Bixacées, croît naturel-
lement aux Antilles et sur une grande partie du continent amé-

i. Hughes,TradeReport,cité dans Flûckigeret Hanbury.


2. Sloane,Jamaica,2, p. 53,
3. Sloane, ibid. Clos,Ann. se. nat, série 4, voL 8, p. 260 Gnsebaeh,
FI. of brit. W. India islands,p. 20.
COTONNIERHERBACÉ 323

ricain, entre les tropiques. Les herbiers et les flores abondent


en indications de localités mais ordinairement on né dit pas
si l'espèce était cultivée, spontanée ou naturalisée. Je remarque
cependant l'assertion de l'indigénat, par Seemann pour la côte
nord-ouest du Mexique et Panama, par M. Triana à la Nouvelle-
Grenade, par M. Meyer dans la Guyane hollandaise, et par Piso
et Claussen au Brésil 1. Avec une habitation aussi vaste, il n'est
pas surprenant que les noms de l'espèce aient été nombreux dans
les langues américaines. Celui des Brésiliens, Uruçu, est l'origine
de Rocou.
II n'était pas bien nécessaire de planter cet arbre pour en
obtenir le produit; cependant Piso raconte que les Brésiliens,
au xvie siècle, ne se contentaient pas des pieds sauvages, et à
la Jamaïque, dans le xvne siècle, les plantations de Rocou étaient
communes. C'est une des premières espèces transportées d'Amé-
rique dans le midi de l'Asie et en Afrique. Elle s'est naturalisée
quelquefois au point que Roxburgh 2 l'avait crue aborigène
dans l'Inde.

Cotonnier herbacé. – Gossypium herbaceum, Linné.


Lorsque je cherchais, en 1855, l'origine des cotonniers cul-
tivés 3, il régnait une grande incertitude sur la distinction des
espèces. Depuis cette époque, il a paru en Italie deux excellents
ouvrages sur lesquels on peut s'appuyer, l'un de Parlatore
ancien directeur du jardin botanique de Florence, l'autre de
M. le sénateur Todaro B, de Palerme. Ces deux ouvrages sont
accompagnés de planches coloriées magnifiques. Pour les co-
tonniers cultivés, on ne peut rien désirer de mieux. D'un autre
côté, la connaissance des véritables espèces, j'entends de celles
qui existent dans la nature, à l'état spontané, n'a pas fait les
progrès qu'on pouvait espérer. Cependant la définition des espèces
est assez précise dans les publications du Dr Masters 6. Je la sui-
vrai donc de préférence. L'auteur se rapproche des idées de
Parlatore, qui admettait sept espèces bien connues et deux
douteuses, tandis que M. Todaro en compte 54, dont deux seu-
lement douteuses, donnant ainsi pour espèces des formes dis-

1. Seemann,Bot. of Herald, p. 79, 268; Triana et Planehon, Prodr. fl.


novo-granat,p. 94; Meyer,Essequebo,p. 202; Piso, Hist. nat. BrasiL,
ed. dèïS, p. 65 Claussen,dans Clos,l. c.
2. Roxburgh,Flora indica, 2, p. 581 Oliver,Flora of tropicalAfrica,i,
p. 114.
3. Géographiebotaniqueraisonnée,p. 971.
4. Parlatore, Le specie dei cotoni, texte in-4, planches in-folio, Fi-
renze, 1866.
5. Todaro,Relazionedella colturadeicotoniin Italia seguita da una mo-
nografiadel génèreGossypium,texte grand in-8, planches in-folio,Rome
et Palerme.1877-78ouvrageprécédéde plusieurs autres moins étendus,
dont Parlatore avait eu connaissance.
6. Masters,dans Oliver,Flora of tropical Africa,p. 210 et dans sir
J. Hooker,Flora of britishIndia, 1, p. 346.
324 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

tinctes par quelque caractère, mais nées et conservées dans les


cultures.
Les noms vulgaires des Cotonniers ne peuvent être d'aucun
secours. Ils risquent même de tromper complètement sur les
origines. Tel coton dit de Siam vient quelquefois d'Amérique;
tel autre est appelé coton du Brésil ou d'Ava selon la fantaisie
ou la croyance erronée des cultivateurs.
Parlons d'abord du Gossypium herbaceum espèce ancienne
des cultures asiatiques, la plus répandue maintenant en Europe
et aux Etats-Unis. Dans les pays chauds, d'où elle provient, sa
tige dure quelques années; mais, hors des tropiques, elle devient
annuelle, par l'effet du froid des hivers. Sa fleur est ordinaire-
ment jaune, avec un fond rouge. Son coton est jaune ou blanc,
selon les variétés.
Parlatore a examiné plusieurs échantillons d'herbiers spon-
tanés et en a cultivé d'autres provenant d'individus sauvages
dans la péninsule indienne. Il admet en outre l'indigénat dans
Je pays des Birmans et l'archipel indien, d'après des échantillons
de collecteurs qui n'ont peut-être pas assez vérifié la qualité de
plante sauvage.
M. Masters regarde comme certainement spontané, dans le
Sindh, une forme qu'il a appelée Gossypium Stocksii, laquelle,
dit-il, est probablement l'état sauvage du Gossypium herbaceum
et des autres Cotonniers cultivés dans l'Inde depuis longtemps.
M. Todaro, qui n'est pas disposé à réunir beaucoup de formes
en une seule espèce, admet cependant l'identité de celle-ci et du
G. herbaceum ordinaire. La couleur jaune du coton serait donc
l'état naturel de l'espèce. La graine ne présente pas le duvet
court qui existe entre les poils allongés dans le G. herbaceum
cultivé.
La culture a probablement étendu l'habitation de l'espèce
hors du pays primitif. C'est le cas, je suppose, pour les îles de
la Sonde et la péninsule malaise, où certains individus paraissent
plus ou moins spontanés. Kurz l, dans sa flore de Burma, men-
tionne le G. herbaceum, à coton jaune ou blanc, comme cultivé,
et en même temps comme sauvage dans les endroits déserts et
les terrains négligés.
Le Cotonnier herbacé se nomme Kapase en bengali, Kapas
en hindoustani, ce qui montre que le mot sanscrit Karpassi ré-
pond bien à l'espèce 2. La culture s'en était répandue de bonne
heure dans la Bactriane, où les Grecs l'avaient remarquée lors
de l'expédition d'Alexandre. Théophraste 3 en parle d'une ma-
nière qui ne peut laisser aucun doute. Le Cotonnier en arbre de
l'île de Tylos, dans le golfe Persique, dont il fait mention plus

1. Kurz, Forest flora of british Burma, 1, p. 129.


2. Piddington, Index.
3. Theophrastes, Hist. plant., J. 4, c. 5.
COTONNIERARBORESCENT 32S

loin 1, était probablement aussi le Gossypium herbaceum, car


Tylos n'est pas éloigné de l'Inde, et sous un climat aussi chaud
le Cotonnier herbacé est un arbuste.
L'introduction d'un Cotonnier quelconque en Chine a un lieu
seulement au ixe ou xe siècle de notre ère s, ce qui fait présumer
une habitation jadis peu étendue du G. kerbaceum au midi et à
l'orient de l'Inde.
La connaissance et peut-être la culture du Cotonnier asiatique
s'était propagée dans le monde gréco-romain après l'expédition
d'Alexandre, mais avant les premiers siècles de l'ère chrétienne.
Si le Byssos des Grecs était le Cotonnier, comme le pensent la
plupart des érudits, on le cultivait en Grèce,4à Elis, d'après Pau-
sanias et Pline mais Curtius et C. Ritter considèrent le mot
Byssos comme un terme général exprimant des fils, et selon eux
il s'agissait dans ce cas d'un lin de grande finesse. Il est évident
que la culture du Cotonnier ou manquait, ou n'était pas com-
mune chez les anciens. Or, d'après son utilité, elle serait devenue
fréquente si elle avait été introduite dans une seule localité de
la Grèce, par exemple. Ce sont les Arabes qui l'ont propagée
plus tard autour de la mer Méditerranée, comme l'indique le
nom Qutn ou Kutn s, qui a passé dans les langues modernes du
midi de l'Europe, sous la forme de Cotone, Coton, Algodon.
Eben el Awan, de Séville, qui vivait dans le xii° siècle, décrit la
culture telle qu'on la pratiquait de son temps en Sicile, en Espa-
gne et dans l'Orient 6.
Le Gossypium herbaceum est l'espèce la plus cultivée aux Etats-
Unis 7. Elle a été probablement apportée d'Europe. C'était une
culture nouvelle il y a cent ans, car on confisqua à Liverpool,
en 1774, un ballot de coton venant de l'Amérique septentrionale,
par le motif que le Cotonnier, disait-on, n'y croissait pas 8. Le
coton à longue soie (See istand) est celui d'une autre espèce,
américaine, dont je parlerai tout à l'heure.

Cotonnier arborescent. Gossypium arboreum, Linné.


Il est d'une taille plus élevée et d'une durée plus grande que
le Cotonnier herbacé; les lobes de la feuille sont plus étroits, et
des bractées moins laciniées ou entières. La fleur est ordinaire-

1. Theophrastes,Hist.plant., 1.4, c. 9.
2. Bretschneider,Study and valueof chinesebotanicalworks,p. 7.
3. Pausanias,1. 5, c. 5; ]. 6, c. 26; Pline, 1. 19, c. 1. Voir Brandes,
Baumwolle,p. 96.
4. C.Ritter, DiegeographischeVerbreitungdei' Baumwolle,p. 25.
5. Il est impossiblede ne pas remarquerla ressemblancede ce nomavec
•celuidu lin en arabe,Kattan ou Kittan; c'est un exemplede la confusion
qui se fait dans lesnoms lorsqu'il existe des· analogiesentre les produits.
6. DeLasteyrie,Du Cotonnier,p. 290.
7. Torrey et Asa Gray,Flora of North America,1, p. 230 Darlington,
Agrieultui-albotany,p. 16.
8. SchouTsr, Naturschilderungen, p. 152.
326 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

ment rosée, avec un fond rouge. Le coton est toujours blanc,


D'après les botanistes anglo-indiens, cette espèce n'est pas,
dans l'Inde, comme on l'avait cru, et même elle y est rarement
cultivée. Sa patrie est l'Afrique intertropicale. On l'a vue spon-
tanée dans la Guinée supérieure, l'Abyssinie, le Sennar et la
haute Egypte 1. Un si grand nombre de collecteurs l'ont rap-
portée de ces divers pays qu'on ne peut guère en douter, mais
la culture a tellement répandu et mêlé cette espèce avec les au-
tres qu'on l'a décrite sous plusieurs noms, dans les ouvrages sur
l'Asie méridionale.
Parlatore avait attribué au G. arboreum des échantillons asia-
tiques du G. kerbaceum et une plante, très peu connue, que^
Forskal avait rencontrée en Arabie. Il soupçonnait, d'après cela,
que les anciens avaient eu connaissance du G. arboreum aussi
bien que du G. herbaceum. A présent qu'on distingue mieux ces
deux espèces etqu'on sait l'origine de l'une et de l'autre, ce n'est
pas probable. Ils ont connu le Cotonnier herbacé par l'Inde et
la Perse, tandis que l'arborescent n'a pu arriver à eux que par
l'Egypte. Parlatore lui-même en a fourni une preuve des plus
intéressantes. Jusqu'à son travail de 1866, on ne savait pas
bien à quelle espèce appartenaient les graines de Cotonnier
que Rosellini a trouvées dans un vase des monuments de l'an-
cienne Thèbes Ces graines sont au musée de Florence. Par-
latore les a examinées avec soin et déclare
r qu'elles appartiennent
au Gossypiumarboreum, 3. Rosellini affirme qu'il n'a pas pu être
victime d'une fraude, attendu qu'il a ouvert,t le premier, le tom-
beau et le vase. Après lui, aucun archéologue n'a vu ou lu des
indices de Cotonniers dans les temps anciens de la civilisation
égyptienne. Comment serait-il arrivé qu'une plante aussi appa-
rente, remarquable par ses fleurs et ses graines, n'eût été ni
figurée, ni décrite, ni conservée habituellement dans les tom-
beaux si elle était cultivée? Comment Hérodote, Théophraste
et Dioscoride n'en auraient-ils pas parlé à l'occasion de l'Egypte?
Les bandes avec lesquelles toutes les momies sont enveloppées,
et qu'on supposait autrefois de coton, sont uniquement de lin,,
d'après Thomson et une foule d'observateurs habitués à manier
le microscope. Je conclus de là que, si les graines trouvées par
Rosellini étaient véritablement antiques, elles devaient être une
rareté, une exception aux coutumes, peut-être le produit d'un
arbre cultivé dans un jardin, ou encore elles pouvaient venir
de la haute Egypte, pays où nous savons que le Cotonnier ar-
borescent est sauvage. Pline4n'a pas dit quele Cotonnier fût cultivé

1. Master, dans Oliver,Flora of tropical Africa, p. 211 Hoolcer,FI. of


brit. India, 1, p. 347 Schweinfurthet Ascherson,Aufzâhlung.,p. 265.
(sousle nom de Gossypiumnigrum);Parlatore,Speciedei Cotoni,p. 25.
2. Rosellini,Monum.della Egizia,p. 2; Mon.civ., 1, p. 60.
3. Parlatore,Speciedei Cotoni,p. 16.
4. Pline, Hist.plant., 1. 19, c. 1.
327
COTONNIERARBORESCENT
du passage très
dans la basse Egypte; mais voici la traduction
« La partie supérieure
remarquable, de lui, qu'on cite souvent un arbuste
de VEKVPte.du côté de l'Arabie, produit appelé par
et par plusieurs autres Xylon, ce qui a
quelques-uns Gossipion portee
fait appeler xylinalœ fils qu'on en obtient. Il est petitonettisse la
dont
un fruit, semblable à celui de la noix barbue,
laine extraite de l'intérieur. Aucune ne lui est comparable pour
la blancheur et la mollesse. » ~=
« Les vêtements en fait sont les plus
Pline ajoute qu'on
le coton des-
recherchés par les prêtres égyptiens. » Peut-être ou bien
tiné à cet usage était-il envoyé de la Haute Egypte,
et ne possédait pas
l'auteur, qui n'avait pas vu la fabrication des vêtements
nos microscopes, s'est-il trompé sur la nature manié des cen-
sacerdotaux, comme nos contemporains qui ont douter
taines d'enveloppes de momies avant de se quelles
n'étaient pas de coton. Chez les Juifs, les robes des prêtres de-
vaient, d'après la règle, être en lin, et il n'est pas probable que
des
l'usage à cet égard fût différent de celuiet enEgyptiens. s'exprime
PolluxS né un siècle après Pline Egypte,
clairement sur le Cotonnier, dont les fils étaient employés par
était origi-
ses compatriotes; mais il ne dit pas d'où l'arbuste
le Gossypium arbormm
naire, et l'on ne peut pas savoir si c'était était cultivée
ou Vkerbaceum On ne voit même pas si la plante de la
dans la basse Egypte ou si l'on recevait le coton région
située au midi. Malgré ces doutes, on peut soupçonner qu un.
s'était intro-
Cotonnier, probablement celui de la haute Egypte, avait
duit récemment dans le Delta. L'espèce que Prosper Alpin arbores-
vue cultivée en Egypte au iff siècle était le Cotonnier et ont
cent. Les Arabes et ensuite les Européens ont préféré
herbacé plutôt que
transporté en divers pays le Cotonnier et demande plus
l'arborescent, qui donne un moins bon produit
de chaleur..
au sujet des deux Cotonniers de l'ancien
Dans ce qui précède, tirés des
monde, je me suis servi le moins possible d'arguments ou des noms
noms grecs, tels que powos, «*&», ?uXov,Wm etc, ou
sanscrits et dérivés du sanscrit, comme Carbasa, Carpas, au
des noms hébreux Se hesch, Buz, qu'on attribue, avec doute,
énormément 2,
coton. C'est un sujet sur lequel on a disserté découverte de
mais la distinction plus nette des espèces et la de ces
leur pays d'origine diminuent beaucoup l'importance les faits
les naturalistes qui préfèrent
questions, du moins pour
aux mots. D'ailleurs, Reynier et après lui C. Ritter sesont arrivés
faut
dans leurs recherches à une conclusion qu'il rappeler
zu.
i. Pollux, Onomasticon, cité dans G. lUtter, i. c., p. Bertoloni, Nov. acx.
2. Re~nier, Economiedes Arabeset des Jzsif.s, p, 363
in Bibl. ilal., vol. 81,
Acad. i~onon.,2, p. 213, et OTi.scell.bot., 6; Viviani, in-4 Targioni, Cenni
p 94 C.Ritter,~Si,s-~=-.
ëo~,p.93 Brandis, Derl3azarnwolleim ~/i<~MM, in-8, i8o6.
328 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES1
c'est que les mêmes noms, chez les anciens, ont été appliqués
souvent à des plantes ou des tissus différents, par exemple au
Lin et au Coton. Dans ce cas, comme dans plusieurs autres, la
botanique moderne explique les mots anciens, tandis que les
mots et les commentaires des linguistes peuvent égarer.

Cotonnier des Barbades. Gossypium barbadense, Linné.


Lors de la découverte de l'Amérique, les Espagnols trou-
vèrent la culture et l'emploi du coton établis généralement des
Antilles au Pérou et du Mexique au Brésil. C'est un fait constaté
par tous les historiens de l'époque. Mais de quelles espèces
venaient ces cotons américains et dans quelles contrées étaient-
elles indigènes? C'est ce qu'il est encore très difficile de savoir.
La distinction botanique des espèces ou variétés américaines
est embrouillée au plus haut degré. Les auteurs, même ceux qui
ont vu de grandes collections de Cotonniers vivants, ne s'ac-
cordent pas sur les caractères. Ils sont gênés aussi par la diffi-
culté de savoir quels noms spécifiques de Linné doivent être
conservés, car les définitions primitives ne sont pas suffisantes.
L'introduction de graines américaines dans les cultures d'Afrique
et d'Asie a compliqué encore les questions, les botanistes de
Java, Calcutta, Bourbon, etc., ayant décrit souvent les formes
américaines comme des espèces, sous des noms divers. M.Todaro
admet une dizaine d'espèces d'Amérique; Parlatore les réduisait
à trois, qui selon lui répondent au Gossypium hirsutum, G. bar-
badense et G. religios de Linné; enfin le Dr Masters réunit
toutes les formes américaines en une seule qu'il nomme G. bar-
badense, et il lui donne pour caractère principal que la graine
porte uniquement de longs poils, tandis que les espèces de l'an-
cien monde ont un duvet court au-dessous des poils allongés
La fleur est jaune, avec un fond rouge. Le coton est blanc ou
jaune. Parlatore s'est efforcé de classer 50 ou 60 des formes
cultivées dans les trois espèces qu'il admettait, sur le vu des
plantes dans les jardins ou les herbiers. Le DcMasters mentionne
peu de synonymes, et il est possible que certaines formes dont
il n'a pas eu connaissance ne rentrent pas dans la définition de
son espèce unique.
Avec une pareille confusion, le mieux serait pour les botanistes
de chercher avec soin les Gossypiumspontanés en Amérique, de
constituer les espèces, ou l'espèce, uniquement sur eux, et de
laisser aux formes cultivées leurs noms baroques, souvent ab-
surdes, qui trompent sur l'origine. J'émets ici cette. opinion,
parce que dans aucun autre genre de plantes cultivées je n'ai
senti aussi fortement que l'histoire naturelle doit se baser sur
les faits naturels et non sur les produits artificiels de la culture.

1. Masters, dans Oliver,Flora of- tropical Africa, 1, p. 322, et dans


Hooker,Flora ofbrit. India, i, p. 347.
COTONNIERDES BARBA.DES 329

Si l'on veut partir de ce point de vue, qui ale mérite d'être


une méthode vraiment scientifique, il faut constater malheu-
reusement que, pour les Cotonniers indigènes en Amérique, les
connaissances sont encore bien peu avancées. C'est tout au plus
si l'on peut citer deux collecteurs ayant trouvé des Gossypium
vraiment spontanés, semblables ou très analogues à telle ou
telle forme des cultures.
Il est rare qu'on puisse se fier aux anciens botanistes et voya-
geurs pour la qualité de plante spontanée. Les Cotonniers lèvent
quelquefois dans le voisinage des plantations et se naturalisent
plus ou moins, le duvet de leurs graines facilitant les transports
accidentels. L'expression ordinaire des vieux auteurs le Coton-
nier de tel nom croît dans tel pays, signifie souvent une plante
cultivée. Linné lui-même, en plein xvnie siècle, dit souvent d'une
espèce cultivée «. Habitat, » et même il le dit quelquefois
à la légère Parmi les auteurs du xvic siècle, un des plus exacts,
Hernandez, est cité pour avoir décrit et figuré un Gossypium
sauvage au Mexique; mais le texte fait douter un peu de la con-
dition spontanée 2 de cette plante que Parlatore rapporte au
G. hirsutum, Linné. Dans son catalogue des plantes du Mexique,
M. Hemsley 3 se borne à dire d'un Gossypium qu'il nomme bar-
badense « cultivé et sauvage. » De cette dernière condition, il
ne fournit aucune preuve. Mac Fadyen parle de trois formes
sauvages et cultivées à la Jamaïque. Il-leur attribue des noms
spécifiques et ajoute qu'elles rentrent, peut-être dans le G. hir-
sutum, Linné. Grisebaeh 5 admet la spontaneité d'une espèce,
G. barbadense, aux Antilles. Quant aux distinctions spécifiques,
il déclare ne pas pouvoir les établir sûrement.
Pour la Nouvelle-Grenade, M. Triana 6 décrit un Gossypium,
qu'il appelle G. barbadense, Linné, qu'il dit « cultivé et sub-
spontané le long du Rio Seco, province de Bogota, et dans la
vallée du Cauca, près de Cali; » et il ajoute une variété hirsu-
tum croissant (il ne dit pas si c'est spontanément) le long du
Rio Seco.
Je ne puis découvrir aucune assertion analogue pour le
Pérou, la Guyane et le Brésil 7 mais la flore du Chili, publiée
par Cl. Gay 8, mentionne un Gossypium « quasi spontané dans la
province de Copiapo », que l'auteur rapporte à la forme du
G. peruvianum, Cavanilles. Or cet auteur ne dit pas la plante

1. Il a dit, par exemple,du Gossypiumherbaceum,qui est certainement


de l'ancien monde, d'aprèsles faitsconnusavant lui Habitatin America.
2. Nascitur in calidis,humidisque,cultis praecipue,locis. (Hernandez,
NovssSispaniiethésaurus,p. 308.)
3. Hemsley,Biologiacentrali-americana,1, p. 123.
4. Mac Fadyen,Flora of Jamaica,p. 72.
5. Grisebach,Flora of brit. W. India islands,p. 86.
p. 170.
6. Trianaet Planchon,Prodr. fl. novo-(Jl'anatensis,
7. Les Malvacéesn'ont pas encore paru dans le Flora brasiliensis*
8. CI.Gay, Flora chilena,1, p. 312.
330 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

spontanée, etParlatore la classe-dans le G. reKgiosumt-Linné.


Une forme importante dans la culture est celle du coton à
longue soie, appelé par les Anglo-Américains Sea island, ou Long
staple cotton, que Parlatore rapporte au G. barbadense, Linné.
On la regarde comme américaine d'origine, mais personne ne
dit l'avoir vue sauvage.
En résumé, si les documents historiques sont positifs en ce
qui concerne un emploi du coton en Amérique depuis des temps
bien antérieurs à l'arrivée des Européens, l'habitation spon-
tanée de la plante ou des plantes qui fournissaient cette matière
est encore très peu connue. On s'aperçoit, dans cette occasion,
de l'absence, pour l'Amérique tropicale, d'ouvrages analogues
aux flores des colonies anglaises et hollandaises d'Afrique et
d'Asie.

Arachide, Pistache de terre. Arachis kypogœa, Linné.


Rien de plus curieux que la manière de fructifier de cette Légu-
mineuse annuelle, qu'on cultive dans tous les pays chauds, soit
pour en manger la graine, soit surtout pour extraire l'huile,
contenue dans ses cotylédons M. Bentham a publié dans la
Flore brésilienne, in-folio, vol. 15, planche 23, des détails très
complets, où l'on voit comment le pédoncule de la fleur se re-
courbe après la floraison et enfouit le légume dans le terrain.
L'origine de l'Arachide a été contestée pendant un siècle,
même par des botanistes qui employaient de bonnes méthodes
pour la découvrir. Il n'est pas inutile de voir comment on est
arrivé à la vérité. Cela peut servir de.direction pour les cas ana-
logues. Je citerai donc ce que j'ai dit en 1855 et terminerai
en donnant de nouvelles preuves, à la suite desquelles aucun
doute ne peut subsister
<cLinné 3 avait dit de ï Arackis « Elle habite à Surinam, au
Brésil et au Pérou. Selon son habitude, il ne spécifiait pas si
l'espèce était spontanée ou cultivée dans ces pays. En 1818,
R. Brown s'exprimait ainsi « Elle a été probablement intro-
duite de Chine, sur le continent indien, à Ceylan et dans l'ar-
chipel malais, oùl'on peut croire, malgré sa culture aujourd'hui
générale, qu'elle n'est pas indigène, particulièrement à cause
des noms qu'on lui donne. Je regarde comme n'étant pas très
improbable qu'on l'aurait apportée. d'Afrique dans différentes
régions équinoxiales de l'Amérique, quoique cependant elle soit
indiquée dans quelques-uns des premiers écrits sur ce continent,.
• 1. LeGardener'schronicledu4 septembre1880donnedes détailssurla cul-
ture de cette plante, sur l'emploide ses graines, et sur l'immenseexpor-
tation qui s'en fait actuellementde la côteoccidentaled'Afrique,du Brésil,
de l'Inde, etc., en Europe.
2. A. de Candolle,Géographiebotaniqueraisonnêe,p. 962.
3. Linné, Speciesplantarum,p. 1040.
4. R. Brown,Botanyof Congo,p..53.
ARACHIDE, PISTACHE DE TERRE 331

en particulier sur le Pérou et le Brésil. D'après Sprengel, elle


serait mentionnée dans Théophraste comme cultivée en Egypte;
mais il n'est pas du tout évident que l'Arachis soit la plante à
le passage cité. Si elle
laquelle Théophraste fait allusion danselle se
avait été cultivée autrefois en Egypte, trouverait proba-
blement encore dans ce pays or elle n'est ni dans le Catalogue
de Forskal, ni dans la flore plus étendue de Delile. Il n'y a rien
de très invraisemblable, continue Brown, dans l'hypothèse que
L'Àrachis serait indigène en Afrique et même en Amérique; mais,
si l'on veut la regarder comme originaire de l'un de ces conti-
nents seulement, il est plus probable qu'elle aurait été apportée
de Chine, par l'Inde, en Afrique, que d'avoir marché dans le
sens contraire. » Mon père, en 182b, dans le Prodromus (2,
américaine
p. 474), revint à l'opinion de Linné. Il admit l'origine
sans hésiter. Reprenons la question, disais-je en 485S, avec les
données actuelles de la science.
« L'Arachis hypogœa était la seule espèce de ce genre singulier
connue du temps de Brown. Depuis, on a découvert six autres
en appliquant la règle de pro-
espèces, toutes du Brésil 1. Ainsi,
babilité, dont Brown a tiré le premier un si grand parti, nous
inclinerons à priori vers l'idée d'une origine américaine. Rappe-
lons-nous que Marcgraf 2 et Pison3décrivent et figurent la plante
comme usitée au Brésil, sous le nom de Mandubi, qui paraît in-
fin du xvr2 siècle,
digène. Ils citent Monardes, auteur de la
comme l'ayant indiquée au Pérou, avec un nom différent,
Anchic. Joseph Acosta 4 ne fait que mentionner l'un de ces
noms usités en Amérique, Mani, et en parle à l'occasion des es-
en Amérique. L'Ara-
pèces qui ne sont pas d'origine étrangère
chis n'etait pas ancienne à la Guyane, aux Antilles et au Mexi-
cultivée, non à la Guyane,
que Aublet 5 la cite comme plante n'en
mais à l'île de France. Hernandez parle pas. Sloane 6 ne
l'avait vue que dans un jardin et provenant de graines de
Guinée. Il dit que les négriers en chargeaient leurs vaisseaux
la traversée, ce qui indique
pour nourrir les esclaves pendanten
une culture alors très répandue Afrique. Pison, dans la se-
conde édition (1638, p. 236), non dans celle de 1648, figure un
fruit très analogue, importé d'Afrique au Brésil, sous le nom de
les
Mandobi, bien voisin du nom de l'Arachis, Mundubi. D'après
trois folioles de la plante, ce serait le Voaîidzeia, si souvent cul-
tivé en Afrique; mais le fruit me paraît plus allongé qu'on ne
l'attribue à ce genre, et il a deux ou trois graines au lieu d'une

1. Bentham, dans Trans. Linn. Soc.,XVIII,p. 159 Walper?, Reperto-


Hum, 1, p. 727.
2. Marcgrafet Pison, Bras., p. 37, édit. 164b.
3. Marcgrafet Pison,Bras edit. 1638,p. 256.
4. Acosta,Hist. nat. Ind., trad. franc., 1398,p. 16o.
5. Aublet,Pl. Guyan.,p. 765.
6. Sloane,Jamaica, p. 184.
332 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
ou deux. Quoi qu'il en soit, la distinction établie par Pison
entre ces deux graines souterraines, l'une brésilienne, l'autre
d'Afrique, tend à faire penser que l'Arachis est du Brésil.
« L'ancienneté et la généralité de sa culture en
Afrique est
cependant un argument de quelque force, qui compense jusqu'à
un certain point l'ancienneté au Brésil et la présence de six
autres Arachis dans ce seul pays. Je lui donnerais beaucoup de
valeur si l'Arachis avait été connue des anciens Egyptiens et des
Arabes; mais le silence des auteurs grecs, latins et arabes, comme
l'absence de l'espèce en Egypte du temps de Forskal, me font
penser que sa culture en Guinée, au Sénégal et sur la côte
orientale d'Afrique 2 ne remonte pas à une date fort ancienne.
Elle n'a pas non plus des caractères d'antiquité bien grande en •
Asie. En effet, on ne lui connaît aucun nom sanscrit 3, mais seu-
lement un nom hindustani. D'après Rumphius 4, elle aurait été
importée du Japon dans plusieurs des îles de l'archipel indien.
Elle n'aurait eu alors que des noms étrangers, comme,
par
exemple, le nom chinois qui signifie seulement fève de terre.
A la fin du siècle dernier, elle était cultivée généralement en
Chine et en Cochinchine. Cependant malgré cette idée de Rum-
phius d'une introduction dans les îles par le Japon ou la Chine,
je vois que Thunberg n'en parle pas dans sa Flore japonaise. Or
le Japon a eu depuis seize siècles des rapports avec la Chine,
et les plantes cultivées originaires de l'un des deux pays ont ordi-
nairement passé de bonne heure dans l'autre. Elle n'est
pas in-
diquée par Forster parmi les plantes usitées dans les petites îles
de la mer Pacifique. L'ensemble de ces données fait
présumer
l'origine américaine, j'ajouterai même brésilienne.
<f Aucundes auteurs que j'ai consultés ne dit avoir vu la
plante
spontanée, soit dans l'ancien, soit dans le nouveau monde. Ceux
qui parlent de l'Afrique ou de l'Asie ont soin de dire que la
plante y est cultivée. Marcgrafne le dit pas pour le Brésil; mais
Pison indique l'espèce comme semée. »
Des graines d'Arachide ont été trouvées dans les tombeaux
péruviens d'Ancon 6, ce qui fait présumer quelque ancienneté
d'existence en Amérique et appuie mon opinion de 18S5.
L'étude des livres chinois par le Dr Bretschneider 6 renverse
l'hypothèse de Brown. L'Arachide n'est pas mentionnée dans les
anciens ouvrages de ce pays, même dans le
Pent-Sao, publié au
xvie siècle. Il ajoute qu'il croit l'introduction seulement du siècle
dernier.

i. Guilleminet Perrottet,Fl. seneg.


2. Loureiro,Fl. cocltinch.
3. Roxhurgh,FI. ind.. 3, p. 280 Piddington,Index.
4. Rumphius,He1'b.amb.,5, p. 426et 427.
5. Rochebrune,d'après l'extrait contenu dans BotanischesCentraiblatt,
18bO,p. 1634.Pour la date, voyezci-dessus,p. 273.
6. Bretschneider,Onthe studyand valueofchincs'ebot.
works,p. 18.
CAFÉIER 333-

Toutes les flores récentes d'Asie et d'Afrique mentionnent


l'espèce comme cultivée, etla plupartdes auteurs pensent qu'elle
est d'origine américaine. M. Bentham, après avoir constaté
ou
qu'on ne l'a. pas trouvée sauvage en Amérique desailleurs, six au-
ajoute qu'elle est peut-être une forme dérivée d'une il
tres espèces du genre spontanées au Brésil, mais n'indique
une plante douée d'un
pas de laquelle. C'est assez probable, car
de germer ne paraît pas de
moyen efficace et très particulier
nature à. s'éteindre. On l'aurait trouvée sauvage au Brésil, dans
le même état que la plante cultivée, si cette dernière n'était pas
un produit de la culture. Les ouvrages sur la Guyane et autres
sgions de l'Amérique indiquent l'espèce comme cultivée. Grise-
bach 1 nous dit en outre que dans plusieurs des îles Antilles elle
se naturalise hors des cultures.
Un genre dont toutes les espèces bien connues sont ainsi can-
tonnées dans une seule région de l'Amérique ne peut guère avoir
une espèce commune entre le nouveau monde et l'ancien. Ce
serait une exception par trop forte aux données ordinaires de la
forme
géographie botanique. Mais alors comment l'espèce (oumonde?
cultivée) a-t-elle passé du continent américain à l'ancien
C'est ce qu'on ne peut guère deviner. Je ne suis pas éloigné de
croire à un transport du Brésil en Guinée par les premiers né-
du midi de
griers, et à d'autres transports du Brésil aux îles
l'Asie par les Portugais depuis la fin du xve siècle.

Caféier. Coffea arabica, Linné.


Ce petit arbre, de la famille des Rubiacées, est sauvage en
de
Abyssinie 2, dans le Soudan et sur les deux côtes opposées
Guinée et Mozambique Peut-être, dans ces dernières localités,
la suite des cultures.
éloignées du centre, s'est-il naturalisé à
Personne ne l'a encore trouvé en Arabie, mais cela peut s'expli-
l'intérieur du pays. Si on
quer parla difficulté de pénétrer dans la qualité spon-
l'y découvre, on aura de la peine à constater
tanée, car les graines, qui perdent vite leur faculté de germer,
lèvent souvent autour des cultures et naturalisent l'espèce. Cela
s'est vu au Brésil et aux Antilles 5, où l'on est sûr que le Caféier
n'a jamais été indigène. r..
L'usage du café paraît fort ancien en Abyssinie. Shehabeddin
Ben, auteur d'un manuscrit arabe du xve siècle (n° 944 de la
Bibl. de Paris), cité dans l'excellente dissertation de John Ellis

1. Grisebach,Flora ofbrit. W. Indian islands,p. 180.Flora “


2. Richard, Tentamenfl. abyss., 1, p. 349; Oliver, of tropical
Africa, 3, p. 180.
3. Kitter, cité dans Flora, 1846,p. 704. ““,
4. Meyen, Géogr.bot., traduction anglaise,p. 384; Grisebach,Flora of fr
briiish W. India islands, p. 338. 1808.
H.
5. Welter, Essai sur l'histoiredu café, 1 vol. in-8.,Paris,
6. Ellis, Anhistorical account of Coffee,1 774.
334 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

dit qu'on employait le café en Abyssinie depuis un temps immé-


morial. L'usage, même médical, ne s'en était pas propagé dans
les pays voisins, car les croisés n'en eurent aucune connaissance,
et le célèbre médecin Ebn Baithar, né à Malaga, qui avait par-
couru le nord de l'Afrique et la Syrie au commencement du
xme siècle de l'ère chrétienne, ne dit pas un mot du café 1. En
1596, Bellus envoyait à de L'Ecluse des graines dont les Egyp-
tiens tiraient la boisson du Cavé 2. A peu près à la même épo-
que, Prosper Alpin en avait eu connaissance en Egypte même.
Il désigne l'arbuste sous le nom de « arbor Bon, eum fructu suo
Buna. » Le nom de Bon se retrouve aussi dans les premiers au-
teurs sous la forme de Bunnu, Buncho, Bunca 3. Les noms d
Cakue, Cahua, Chaubé 4, Cavé s'appliquaient, en Egypte et en
Syrie, plutôt à la boisson préparée, et sont devenus l'origine du
mot Café. Le nom Bunnu, ou quelque chose d'analogue, est si
bien le nom primitif de la plante, que les Abyssins l'appellent
aujourd'hui encore Boun 6.
Si l'usage du café est plus ancien enAbyssinie qu'ailleurs, cela
ne prouve pas que la culture y soit bien ancienne. Il est très
possible que pendant des siècles on ait été chercher les baies
dans les forêts, où elles étaient sans doute très communes. Selon
l'auteur arabe cité plus haut, ce serait un muphti d'Aden, à peu
près son contemporain, appelé Gemaleddin, qui, ayant vu boire
du café en Perse, aurait introduit cette coutume à Aden, et de
là elle se serait répandue à Moka, en Egypte, etc. D'après cet
auteur, le Caféier croissait en Arabie Il existe d'autres fables ou
traditions, d'après lesquelles ce seraient toujours des moines ou
des prêtres arabes qui auraient imaginé la boisson du café 8,
mais elles nous laissent également dans l'incertitude sur la date
première de la culture. Quoi qu'il en soit, l'usage du café s'étant
répandu dans l'Orient, puis en Occident, malgré une foule de
prohibitions et de conflits bizarres 9, la production en est devenue
bientôt un objet important pour les colonies. D'après Boerhaave,
le bourgmestre d'Amsterdam, Nicolas Witsen, directeur de la
Compagnie des Indes, pressa le gouverneur de Batavia, Van
Hoorn, de faire venir des graines de Caféier d'Arabie à Batavia
ce qui fut fait et permit à Van Hoorn d'en envoyer des pieds
vivants à Witsen, en 1690. Ceux-ci furent soignés dans le jardin
botanique d'Amsterdam, fondé par Witsen. Ils y portèrent des

1. Ebn Baithar,trad. de Sordtheimer,2 vol. m-S°, 1842.


2. Bellus,Epist. ad Clus.,p. 309.
3. Rauwolf,Clusius.
4. Rauwolf;Bauhin,HîsL,1, p. 422.
5. Bellus,l. c.
6. Richard,Tentamenfl. abyss.,p. 350.
"l. Un extrait du même auteur dans Plavtair,Rist. of Ârabïa Félix,
Bombay,1839,ne mentionnepas cette assertion.
8. Nouv.dict. d'hist. nat., IV,p. 552.
9. Ellis, l. c.; Nouv.dict., L c.
CAFÉIER. 33%

en envoyèrent un
fruits. En 1714, les magistrats de cette ville
couvert de fruits à Louis XIV, qui le déposa
pied en bon état et le Caféier dans les
dans son jardin de Marly. On multiplia aussi de cet éta-
serres du jardin du roi à Paris. L'un des professeurs en 1713, dans
blissement, Antoine de Jussieu, avait déjà publié, intéres-
lés JTéyrioiresde l'Académie des sciences, une description directeur du
sante de la plante, d'après un pied que Paneras,
lui avait envoyé.
jardin d'Amsterdam, furent introduits à
Les premiers Caféiers plantés en Amérique
De la Motte-Aigron, gou-
Surinam par les Hollandais, en 1718. obtint quelques-uns
verneur de Cayenne, ayant été à Surinam, en fut introduit à
en cachette et les multiplia en 1725 1. Le Caféieren 1720
la Martinique par de Clieu2, officier de marine, sur les colonies d'après
Deleuze en 1723 d'après les Aotices statistiques îles
l'introduisit de là dans les autres françaises,
fran,~aises 4.On en 17305. Sir Nicolas Lawes le cul-
exemple à la Guadeloupe
par
tiva le premier à la Jamaïque 6. Dès 1718, la Compagnie française
Bour-
Moka à île
des Indes avait envoyé des plantes de café 1717
bon 7, et même, selon d'autres 8, ce fut en qu'un nommé
dans cette île des de
Dufougerais-Grenier fit venir de Moka cet arbuste s'est pieds
Caféier On sait combien la culture de répandue
à Java, à Ceylan, aux Antilles et au Brésil. Rien ne 1 dempêche autant
de s'étendre dans la plupart des pays intertropicaux, et assez
des terrains en pente
plus que le Caféier s'accommode est dans
arides où d'autres produits ne peuvent pas réussirll
de la vigne en Europe et du
l'agriculture tropicale un équivalent
thé en Chine.
On
peut d'autres détails dans le volume publié par
trouver commerciale du café.
M. H. Welter sur l'histoire économique et sur les divers
L'auteur a même ajouté un chapitre intéressant ou
succédanés, au moyen desquels on remplace, passablement

1. Ce détail est emprunté à Ellis, Diss. Caf., p. 16. Les lhoticesstatisti-


sur les colonies franFaises, 2 , p. 46, disent "Vers 1716ou 1721,des
qxces secrètement de Surinam,
semencesfraiches de café ayant été apportées la culture de cette denrée coloniale
malgréla surveillancedes»Hollandais,
se naturalisa à Cayenne. manières,Declieux,Du-
2. Le nomde ce marin a été écrit de plusieurs
cliexc~,Desclieux,selon les ouvrages. D'après les informationsque allié
j'ai
au
de la guerre, de Clieuxétait un gentilhomme
prises au ministère enètait néaprès une carrière entré dansla marine en
comte de Maurepas. carrièretrès honorable.J'ai donné
e t s'était retiré en 1760, a près une
4T02, de ma Géographiebotanique,p. 97L
ses états de service dans une note omis de mentionnerle
n est mort en 1.775. Les rapports officielsn'ont pas les coloniesfrançaises.
fait important qu'il avait introduit la20. Caféierdans
3. Delenze,Hist. du hfuséacrn, 1, p.
4. Notices statist. sur lescolonies françaises,i, p. 30.
5: Noticesstatist.col./)' 1,p. 209.
6. Martin, Statist. colon.Boit.Exrap.
7. Nouu.Dict.hist. nat., IV, p. 135.
8..N~M;e~M.co~a~2,p.St. o. D.~ «!M1S6S.
9. H. Welter, Essaisur l icistoiredu café,1 vol. Paris,
336 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
fort mal, une graine qu'on ne saurait trop apprécier dans son
état naturel.

Caféier de Libérie. Coffea liberica, Hiern l.


Depuis quelques années, le jardin royal de Kew a envoyé dans
les colonies anglaises des pieds de cette espèce, qui croît sponta-
nément à Libéria, dans l'Angola, à Golungo alto 2 et probable-
ment dans plusieurs autres localités de l'Afrique tropicale occi-
dentale.
La végétation en est plus vigoureuse que celle du Caféier
ordinaire, et les graines, d'une dimension plus grande, donnent
un excellent produit. Les Rapports officiels du jardin de Kew
par sir Joseph Hooker, son savant directeur, font connaître le
progrès de cette introduction, qui jouit d'une grande faveur,
surtout à la Dominique.

Madia. Madia sativa, Molina.


Les habitants du Chili, avant la découverte de l'Amérique,
cultivaient cette espèce de Composée annuelle pour l'huile con-
tenue dans les graines. Depuis qu'on a planté beaucoup d'Oli-
viers, le Madia est méprisé par les Chiliens, qui se plaignent
seulement de la plante comme mauvaise herbe incommode dans
leurs jardins 3. C'est alors que les Européens se sont mis à la'
cultiver avec un succès médiocre, vu la mauvaise odeur des
capitules.
Le Madia est indigène au Chili et, en même temps, en Cali-
fornie 4. On a d'autres exemples de cette disjonction d'habitation
entre les deux pays 5.

Muscadier. – Myristica fragrans, Houttuyn.


Le Muscadier, petit arbre de la famille des Myristicées, est
spontané aux Moluques, principalement dans les îles de Banda8.
Il y est cultivé depuis un temps très long, à en juger par le
nombre considérable de ses variétés.
Les Européens ont reçu la noix muscade, par le commerce de
l'Asie, depuis le moyen âge; mais les Hollandais se sont assurés
longtemps le monopole de sa culture. Quand les Anglais ont
possédé les Moluques, à la fin du siècle dernier, ils ont porté
des Muscadiers vivants à Bencoolen et dans l'île du Prince-
Edouard 7. Il s'est répandu ensuite à Bourbon, Maurice, Mada-
1. Dans Hiern,Transactionsof thelinneanSociety,série2, vol. 1, p. 171,
pl. 24.Cetteplancheest reproduitedansle Rapportdu jardin royal de Kew
pour 1876.
2. Oliver,Flora of tropicalAfrica,3, p. 181.
3. CI. Gay,Flora chitena,4,p. 268.
4. Asa Gray,Botanyof California,1, p. 359.
5. A. de Candolle,Géogr.bot.raisonnée,p. 1047.
6. Rumphius,Amboin. 2, p. 17 Blume,Rumphia,1, p. 180.
7. Roxburgh,Flora indica, 3, p. 845.
SÉSAME 337
gascar, et dans certaines colonies de l'Amérique tropicale, mais
avec un succès médiocre au point de vue commercial.

Sésame. – Sesamum indicum, de Candolle (S. indicum et S.


orientale, Linné).
Le Sésame est cultivé, depuis très longtemps, dans les régions
chaudes de l'ancien monde, pour l'huile qu'on extrait de ses
graines.
La famille des Sésamées, à laquelle appartient cette plante
annuelle, se compose de plusieurs genres, distribués dans les
régions tropicales d'Asie, d'Afrique et d'Amérique. Chaque genre
n'a qu'un petit nombre d'espèces. Le Sesamum, pris dans le
sens le plus large en a une dizaine, toutes d'Afrique, sauf
peut-être l'espèce cultivée, dont nous allons chercher l'origine.
Celle-ci compose à elle seule le vrai genre Sesamum, qui est une
section dans l'ouvrage de MM. Bentham et Hooker. L'analogie
botanique indiquerait une origine africaine, mais on sait qu'il
y a bon nombre de plantes dont l'habitation s'étend de l'Asie
méridionale à l'Afrique.
Le Sésame présente deux races, l'une à graines noires, l'autre
à graines blanches, et plusieurs variétés quant à la forme des
feuilles. La différence de couleur des graines remonte à une
grande antiquité, comme cela se voit dans le Pavot.
Les graines de Sésame se répandent souvent hors des cultures
et naturalisent plus ou moins l'espèce. On l'a remarqué dans
des régions très éloignées les unes des autres, par exemple dans
l'Inde, les îles de la Sonde, l'Egypte et même aux Antilles,
où certainement la culture est d'introduction moderne 2. C'est
peut-être la cause pour laquelle aucun auteur ne prétend avoir
trouvé la plante à l'état sauvage, si ce n'est Blume 3, observa-
teur très digne de foi, qui mentionne une variété à fleurs plus
rouges qu'à l'ordinaire croissant dans les montagnes de Java.
Voilà sans doute un indice d'origine, mais il en faut d'autres
pour une véritable preuve. Je les chercherai dans l'histoire de
la culture. Le pays où elle a commencé doit être l'ancienne habi-
tation de l'espèce, ou s'être trouvé en rapport avec cette an-
cienne habitation.
Que la culture remonte en Asie, à une époque très reculée,
c'est assez clair d'après la diversité des noms. Le Sésame se
nomme en sanscrit 7ï/a. en malais Widjin, en chinois Moa
(d'après Rumphius) ou Chi-ma (d'après Bretschneider) en

1. Benthamet Hooker, Genera,2, p. 1059.


2. Pickering, Chronol.historyof plants, p. 223; Rumphius,Herb.amboi-
nense,5, p. 204 Miquel,Flora indo-hatava,2, p. 760; Schweinfurthet
Ascherson,Aufzahlung,p. 273; Grisebach,Flora of brit. W. India, p. 458.
3. Blume,Bijdragen,p. 778.
4. Roxburgh,Fl. ind., éd. 1832,v. 3, p. 100 Piddington,Index.
DE Gandolle. 22
338 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
-m f*T «^
«_^M«*
Af% au
est commun au grec,
japonais Koba ». Le nom de Sesam
latin et à l'arabe, sauf des variations insignifiantes de lettres.
On pourrait en inférer que l'habitation était très étendue et
la plante dans plusieurs pays
qu'on aurait commencé à cultiverdonner
séparément. Mais il ne faut pas trop d'importance à un
chinois font présumer
argument de cette nature. Les ouvrages
en Chine avant 1 ère chré-
que le Sésame n'a pas été introduit
tienne. La première mention suffisamment certaine se trouve
dans un livre du -Veou -viesiècle, intitulé Tsi min yao chou
avec le
Antérieurement, il y avait un peu de confusion de nom d'an-
Lin, dont la graine donne aussi de l'huile et qui n'est pas
cienne date en Chine 3..
les Egyptiens culti-
Théophraste et Dioscoride disent que tirer
vaient une plante appelée Sésame, pour en de 1 huile, et
Pline ajoute qu'elle venait de l'Inde i. Il parle aussi dun
Sésame sauvage en Egypte, dont on tirait de l'huile, mais c était
les anciens
probablement le Ricin s. Il n'est pas prouvé que aient cultivé le
Egyptiens, avant l'époque de Théophraste,
Sésame. On n'en a pas trouvé de figure ni de graines dans les
monuments. Un dessin du tombeau de Ramses III montre
la farine des pâtisseries,
l'usage de mêler de petites graines avec les
et de nos jours cela se fait en Egypte avec graines de Sésame,,
n est
mais on se sert aussi d'autres graines (Garvi, Nielle), et il
le dessin celles de Sésame en
pas possible de reconnaître dans connu l'espèce au temps
particulier 6. Si les Egyptiens avaient
de l'Exode, 1100 ans avant Théophraste, il est probable que les
livres hébreux l'auraient mentionnée, à cause des usages variés
de la graine et surtout de l'huile. Cependant les commentateurs
n'en ont trouvé aucune trace dans l'Ancien Testament. Le nom
Semsem ou Simsim est bien sémitique, mais seulement de
et du traité d'agriculture
l'époque, moins ancienne, du Talmud
d'Alawwam 8, rédigé depuis l'ère chrétienne. Ce sont peut-être
les Sémites qui ont porté la plante et le nom Semsem (d ou
Sesam des Grecs) en Egypte, après l'époque des grands monu-
ments et de l'Exode. Ils ont pu la recevoir, avec le nom, de la
Hérodote °.
Babylonie, où l'on cultivait le Sésame, d'après
Une ancienne culture dans la région de l'Euphrate se concilie

i. TImmberg,Fl.iap., p. 254.
2. Bretschneider,lettre du 23août 1881.
3. Bretsehneider,Onstudy,etc., p. 16. I. c.
4. Théophraste,1. 8, c. 1, S Dioscorides, 2, 1£1; Pline, List., I. 18,
C.10.
5. Pline, Hist.,1. 45, c. 7.
6'. WHMnson/Mannersand customs,etc., vol. 2; Unger, Pflanzen des
alten fEg:~ptens,p. 45.
publique des Arabes et des Juifs, p. 431; Lô-w,
ax\JfnierllEconomie
AfamiiischePflanzennamen,p. 376.
8. E. TMeyer, GescHchte der Botanik,3, p. 75.
9. Hérodote,1. 1, c. 193.
RICINCOMMUN 339

bien avec l'existence d'un nom sanscrit, Iila, le lilu des Bran-
mines (Rheede, Malabar, 1, 9, p. 10b; 407), mot dont il y a des
restes dans plusieurs langues modernes de l'Inde, en particulier
à Cevian Ainsi nous sommes ramenés vers l'Inde, conformé-
ment à l'origine dont parlait Pline, mais il est possible que
l'Inde elle-même ait reçu l'espèce des îles de la Sonde avant
l'arrivée des conquérants aryens. Rumphius indique pour ces
îles trois noms du Sésame, très différents entre eux et tout autres
que le nom sanscrit, ce qui appuie l'idée d'une existence plus
ancienne dans l'archipel que sur le continent.
En définitive, d'après la spontanéité à Java et les arguments
historiques et linguistiques, le Sésame paraît originaire des îles
de la Sonde. Il a été introduit dans l'Inde et la région de l'Eu-
phrate depuis deux ou trois mille ans et en Egypte à une
époque moins ancienne, de 1000 à 500 ans avant J.-G.
On ignore depuis quelle époque il est cultivé dans le reste de
l'Afrique, mais les Portugais l'ont transporté de la côte de
Guinée au Brésil 2.

Ricin commun. Ricinus communis, Linné.


Les ouvrages les plus modernes et les plus estimés donnent
pour pays d'origine de cette Euphorbïacée l'Asie méridionale;
quelquefois ils indiquent certaines variétés en Asie, d'autres
en Afrique ou en Amérique, sans distinguer les pieds cultivés
des spontanés. J'ai lieu de croire que la véritable origine est
dans l'Afrique intertropicale, conformément à l'opinion émise
par M. Ball 3.
Les difficultés qui entourent la question viennent de l'ancien-
neté de la culture en divers pays, de la facilité avec laquelle le
Ricin se sème et se naturalise dans les décombres et même dans
des endroits incultes, enfin de la diversité de ses formes, qu'on
a décrites souvent comme espèces. Ce dernier point ne doit 4 pas
nous arrêter, car la monographie soignée du Dr J. Mûller cons-
tate l'existence de seize variétés, à peine héréditaires, qui passent
des unes aux autres par de nombreuses transitions et constituent
par conséquent, dans leur ensemble, une seule espèce.
Le nombre de ces variétés est l'indice d'une culture tres
ancienne. Elles diffèrent plus ou moins par les capsules, les
graines, l'inflorescence, etc. En outre, ce sont de petits arbres
dans les pays chauds, mais elles ne supportent pas facilement la
gelée et deviennent, au nord des Alpes et dans les régions ana-
logues, des plantes annuelles. On les sème alors pour l'orne-
ment des jardins, tandis que dans les régions tropicales et même

1. Thwaites,Emim.,p. 209.
2. Piso, Brasil., éd. 1658,p. 2ii.
3. Bail,Florœmaroccamespicilegium,p. 684.
4. Mûller,Argov.,dans DC, Prodi'omus,vol. 13,sect. 2, p. 1017.
340 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

en Italie c'est pour l'huile contenue dans la graine. Cette huile,


plus ou moins purgative, sert à l'éclairage -au Bengale et ail-
leurs.
Dans aucune région le Ricin n'a été trouvé spontané d'une
manière aussi certaine qu'en Abyssinie, dans le Sennaar et le
Cordofan. Les expressions des auteurs ou collecteurs sont caté-
goriques. Le Ricin est commun dans les endroits rocailleux
de la vallée de Chiré, près de Goumalo, dit Quartin Dillon; il
est spontané dans les localités du Sennaar supérieur qui sont
inondées pendant les pluies, dit Hartmann 1. Je possède un
échantillon de Kotschy, n° 243, recueilli du côté septentrional
du mont Kohn, en Cordofan. Les indications des voyageurs au
Mozambique et sur la côte opposée de Guinée ne sont pas aussi
claires, mais il est très possible que l'habitation spontanée
s'étende sur une grande partie de l'Afrique tropicale. Commeil
's'agit d'une espèce utile, très apparente et facile à propager, les
nègres ont dû la répandre depuis longtemps. Toutefois, quand
on se rapproche de la mer Méditerranée, il n'est plus question2
d'indigénat. Déjà, pour l'Egypte, MM. Schweinfuth et Ascherson
disent l'espèce seulement cultivée et naturalisée. Probablement
en Algérie, en Sardaigne, au Maroc, et même aux îles Canaries,
où elle se voit surtout dans les sables au bord de la mer, elle
est naturalisée depuis des siècles.
J'en dirai autant des échantillons rapportés de Djedda, en
Arabie, par Schimper, qui ont été recueillis près d'une citerne.
Forskal a cependant recueilli le Ricin dans les montagnes de
l'Arabie Heureuse, ce qui peut signifier une station spontanée.
M. Boissier l'indique dans le Belouchistan et la Perse méridio-
nale, mais comme « subspontané », de même qu'en Syrie,
Anatolie et Grèce.
Rheede 6 parle du Ricin comme cultivé au Malabar et crois-
sant dans les sables, mais les auteurs modernes anglo-indiens
n'admettent nullement la spontanéité. Plusieurs passent l'espèce
sous silence. Quelques-uns parlent de la facilité de naturalisa-
tion hors des cultures. Loureiro avait vu le Ricin en Cochin-
chine et en Chine, « cultivé et non cultivé », ce qui signifie
peut-être échappé des cultures. Enfin, pour les îles de la Sonde,
Rumphius est, comme toujours, un des plus intéressants à
consulter. « Le Ricin, dit-il, croît surtout à Java, où il constitue
d'immenses champs et produit une grande quantité d'huile. A
Amboine, on le plante çà et là près des habitations et dans les

1. Richard,Tentamenflorssabyssinics,2, p. 250;Schweinfurth,Planta
niloticiBa Hartmann,etc., p. 13.
et Ascherson,Aufzàhlung,p. 262.
2. Sclrweinfiirth.
3. Forskal,Fl. arab., p. 71.
4. Boissier,Fl. orient, 4, p. 1143.
5. Rheede,Malabar,2, p. 57, t. 32.
6. Rumphius,Eerb.Amboin.,vol. 4, p. 93.
RICIN COMMUN 341

champs, plutôt pour l'usage médicinal. L'espèce sauvage croît


dans les jardins abandonnés (in desei'tis hortis) elle provient
sans doute de la plante cultivée (sine dubio degeneratio domes-
ticse). » Au Japon, le Ricin se voit parmi les buissons et sur1
les
pentes du mont Wunzen, mais MM. Franchet et Savatier ajou-
tent « Probablement introduit. » Enfin le Dr Bretschneider ne
mentionne pas l'espèce dans son opuscule de 1870, ni dans les
lettres qu'il m'a adressées, ce qui me fait supposer une introduc-
tion peu ancienne en Chine.
On cultive le Ricin dans l'Amérique'intertropicale. Il s'y natu-
lise facilement dans les taillis, les décombres, etc. mais aucun
botaniste ne l'a trouvé avec les conditions d'une plante vraiment
indigène. L'introduction doit remonter au premier temps de la
découverte de l'Amérique, car on cite aux Antilles un nom vul-
gaire, Lamourou, et Pison en indique un autre au Brésil, Nham-
bu-Guacu, Figuero inferno des Portugais. C'est de Bahia que
j'ai reçu le plus grand nombre d'échantillons. Aucun n'est ac-
compagné d'une assertion de véritable indigénat.
En Egypte et dans l'Asie occidentale, la culture du Ricin date
d'époques si reculées qu'elles ont fait illusion sur l'origine.
Les anciens Egyptiens la pratiquaient largement, d'apres
Hérodote, Pline, Diodore, etc. Il n'y a pas d'erreur sur l'espèce,
car on a trouvé dans les tombeaux des graines qui lui appar-
tiennent 2. Le nom égyptien était Kiki. Théophraste et Diosco-
ride l'ont mentionné, et les Grecs modernes l'ont conservé 3,
tandis que les Arabes ont un nom tout différent, Kerua, Kerroa,
Charua
Roxburgh et Piddington citent un nom sanscrit Eranda,
Erunda, qui a laissé des descendants dans les langues modernes
de l'Inde. A quelle époque du sanscrit remonte ce nom ? C'est
ce que les botanistes ne disent pas. Comme il s'agit d'une
plante des pays chauds, les Aryas n'ont pas dû en avoir con-
naissance avant leur arrivée dans l'Inde, c'est-à-dire à une
époque moins ancienne que les monuments égyptiens.
La rapidité extrême de la croissance du Ricin a motivé divers
noms dans les langues asiatiques et celui de Wunderbaum en
allemand. La même circonstance et l'analogie avec le nom
égyptien, Kiki, ont fait présumer que le Kikajon de l'Ancien
Testament 5, qui avait crû, disait-on, dans une nuit, était le
Ricin.
Je passe une infinité de noms vulgaires plus ou moins absurdes,
comme Palma Christi, Girasole de quelques Italiens, etc., mais il

1. Franchet et Savatier,Enum.Japon., 1, p. 424.


2. Unger, Pflanzendes alten Mgyptens,p. 61:
3. Théophraste,Hist.,1. 1, c. 19 Dioscorides,1. 4, c. 171 Fraas,Synopsis
fl. class.,p. 92.
4. Nemnich,Polyglott.Lexicon;Forskal,Fl. sgypt., p. 75.
5. Jonas, IV,6; Pickering, Chronol.hist. of plants,p. écrit Kykvpjn.
342 PLANTES CULTIVÉESPOUR LEURS GRAINES

est bon de noter l'origine du nom Castor et Castor-oU des An-


leur manière d'accepter sans
glais, comme une preuve de
examen et de dénaturer quelquefois des noms. Il paraît que
dans le siècle dernier, à la Jamaïque, où l'on cultivait beaucoup
le Ricin, on l'avait confondu avec un arbuste complètement
les Por-
difiérent, le Yitex Agnus caslus, appelé Agno casto par
les planteurs anglais et le
tugais et les Espagnols. De Casto,
commerce de Londres ont fait Castor 1-

Noyer. – Juglans régla, Linné.


Il v a quelques années, on connaissait le noyer, à l'état sau-
du Caucase et de la
vage, en Arménie, dans la région au midi
mer Caspienne, dans les montagnes du nord et du nord-est de
l'Inde et le pays des Birmans 2. L'indigénat au midi du Caucase
et en Arménie, nié par C. Koch s, est prouvé par plusieurs
au
voyageurs. On a constaté depuis l'existence spontanée est aussi dans
Japon ce qui rend assez probable que l'espèce
le nord' de la Chine, comme Loureiro et M. de Bunge l'avaient
dit 5, sans préciser suffisamment la qualité spontanée. Récem-
s le
ment, M. de Heldreich a mis hors de doute que Noyer abonde,
à l'état sauvage, dans les montagnes de Jla Grèce, ce qui s'ac-
corde avec des passages de Théophraste qu'on avait négligés.
les montagnes
Enfin, M. Heuffel l'a vu, sauvage également, dans
du Banat 8. r donc de nr~
L'habitation actuelle, hors des cultures, s étend 1 liu-
rope tempérée orientale jusqu'au Japon.
Elle a été une fois plus occidentale en Europe, car on a trouvé
des feuilles de notre Noyer dans les tufs quaternaires de Pro-
vence 9. Il existait beaucoup d'espèces de Juglans dans notre
main-
hémisphère, aux époques dites tertiaires et quaternaires;
tenant elles sont réduites à une dixaine au plus, distribuées dans
l'Amérique septentrionale et l'Asie tempérée.
de l'arbre ont pu
L'emploi des fruits du Noyer et la plantation
commencer dans plusieurs des pays où se trouvait l'espèce, et
son habi-
l'agriculture a étendu, graduellement mais faiblement,

1. HtteMkeret Hanbury,Histoiredesdrogues,trad, française,2, p. 320.


2. C.de Candolle,Pradr., 16,sect. 2, p. 136;Tchihatcheff,Asie Mineure,
1, p. 172; Ledebour,Fl. tous.,1, p. 507-,Roxburgk,FI. ind., o, p. 630
Boissier,FI. orient, 4,p. 1160;Brandis,Forestflora oflndia, p. 498 Kurz,
Forestfl. ofbrit. Burma,p. 390.
3. C. Koeh,Dendrologie,1, p. 584..
4. Franchetet Savatier,Enum.plant Jap., i, p. 453.
5. Loureiro,Fl. coch.,p. 702;Bunge,Enum.,p. 62. fur
6. De Heldreich,VerkandLbot. VereinsBrandenburg,et autres 1879,p.. 147.
7. Theophrastes,Hist.plant, 1. 3, c. 3, 6.Ces passages des an-
ciens sont cités et interprétéspar M. Heldreich,mieux que par Heha et
autres érudits.
8. Heuffel,Âbhandl.zool. bot. Ges.m Wien,18a3,p. 194.
De Saporta,33»sessiondu Congrèsscientiûquede France.,
NOYER 343

un de ces arbres qui se


tation artificielle. Le Noyer n'est pas de ses graines
sèment et se naturalisent avec facilité. La nature
d'ailleurs il lui faut des climats où il ne
s'y oppose peut-être, 'et
d'une chaleur modérée. Il ne dépasse guère
gèle pas beaucoup et moins
la limite septentrionale de la vigne et s'avance beaucoup
qu'elle au midi.
Les Grecs, habitués à l'huile d'olive, ont négligé plus ou
Perse une
moins le Noyer, jusqu'à ce qu'ils aient reçu de
meilleure variété, dite du roi, Karuan basilikon 1 ou Persihorz2.
leurs rois;
Les Romains ont cultivé le Noyer dès l'époque de leur
ils le regardaient comme d'origine persane 3. On connaît
noces.
vieux usage de jeter des noix dans la célébration des
seules noix qu'on ait
L'archéologie a confirmé ces détails. Les de
trouvées jusqu'à présent sous les habitations des lacustres
une localité des environs
Suisse, Savoie ou Italie se réduisent à du
de Parme, appelée Fontinellato, dans une couche de 1 époquen a
de Troie,
fer Or ce métal, très rare du temps de la guerre d'Italie
dû entrer dans les usages de la population agricole delà des
à laquelle au
qu'au va ou vie siècle avant J.-C, époque
on ne connaissait peut-être pas même le bronze. Dans la
Alpes dans une
station de Lagozza, les fruits du noyer ont été trouvés du sol
couche tout à fait supérieure et nullement ancienne
et de France ne des-
Evidemment les Noyers d'Italie, de Suisse dont j'ai
cendent pas des individus fossiles des tufs quaternaires
parlé. on a commencé de
impossible de savoir à quelle époque
^Il'est
le Noyer dans l'Inde. Ce doit être anciennement, car il
planter Les auteurs
existe un nom sanscrit Akschôda, Akhoda ou AIMta. du
chinois disent que le Noyer a été introduit chez eux, Thibet,
140-150
sous la dynastie Han, par Chang-Kien, vers l'année
avant J.-C. s. Il s'agissait peut-être d'une variété perfectionnée.
actuels des
D'ailleurs il est probable, d'après les documents nord de la
rare dans le
botanistes, que le Noyer spontané est La date
Chine et qu'il manque peut-être dans la partie orientale.
de la culture au Japon est inconnue. infi-
Le Noyer et les noix ont reçu chez d anciens peuples une lin-
des
nté de noms, sur lesquels la science et l'imagination
se sont déployées 7, mais l'origine de l'espèce est trop
guistes
claire pour que nous ayons à nous en occuper.

1. Dioscorides,1. 1, e. 176.
2. Pline,Hist. plant., 1.lii, g. 22.
3. Pline, Ibid.
4. Heer,Pflanzender Pfahlbaulen,p. 31.
5. Sordelli,Suiteplantedélia torbiem,etc., p. 30.
6. Bretschneider, On the study and value, etc., p. 16, et lettre du
23 août 1881.. éd. 2, vol. i, p. 289; Hehn
7. Ad. Pictet, Lesoriginesindo-européennes,
Cuiturpflanzenund HaùUhiere,éd. 3, p. 341.
344 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

Arec. Areca Catechu, Linné.


On cultive beaucoup ce palmier dans le pays où l'usage de
mâcher le bétel est répandu, c'est-à-dire dans toute l'Asie méri-
dionale. La noix, ou plutôt l'amande qui forme la partie princi-
pale de la graine contenue dans le fruit, est ce qu'on recherche,
pour le goût aromatique. Coupée par fragments, mêlée à de
la chaux et enveloppée d'une feuille de poivrier bétel, c'est un
excitant agréable, qui fait saliver et noircit les dents à la satis-
faction des indigènes.
L'auteur du principal ouvrage sur les palmiers, de Martius
s'exprime ainsi sur l'origine de l'espèce La patrie n'est pas cer-
taine (non constat); c'est probablement l'île de Sunda. » Voyons
s'il est possible d'affirmer quelque chose, en recourant surtout
aux auteurs modernes.
Sur le continent de l'Inde anglaise, à Ceylan et la Cochinchine,
l'espèce est toujours indiquée comme cultivée 2. De même pour
les îles de la Sonde, Moluques, etc., au midi de l'Asie. Blume 3,
dans son bel ouvrage intitulé Rum,ph,ia, dit que la patrie est la
presqu'île de Malacca, Siam et les îles voisines. Il ne parait
cependant pas avoir vu les pieds indigènes dont il parle. Le
Dr Bretschneider 4 croit que l'espèce est originaire de l'archipel
malais, principalement de Sumatra, car, "dit-il, ces îles et les
Philippines sont les seules localités où on la trouve sauvage. Le
premier de ces faits n'est pas confirmé par Miquel, ni le second
par Blanco 5, qui résidait aux Philippines. L'opinion de Blume
paraît la plus probable, mais on peut encore dire avec de Mar-
tius la patrie n'est pas constatée.
L'existence d'une multitude de noms malais, Pinang,
Jambe, etc., et d'un nom sanscrit, Gouvaka, de même que des
variétés fort nombreuses, montrent l'ancienneté de la culture.
Les Chinois l'ont reçue, en l'an 111 avant J.-C, des pays méri-
dionaux, sous le nom malais écrit Pin-lang. Le nom telinga
Arek est l'origine du nom botanique A1'eca.

Elaeis de Guinée. Elaeis guineensis, Jacquin.


Les voyageurs qui ont visité la côte de Guinée dans la pre-
mière moitié du xvic siècle6 remarquaient déjà ce Palmier, dont
les nègres tiraient de l'huile en exprimant la partie charnue du

1. Martius,Hist.nat. Palmarum,in-folio,vol. 3, p. 170(publiésans date


précise,mais avant 1851).
2. Roxburgh,FI. ind., 3, p. 616 Brandis,Forestflora of India, p. 351
Kurz,Forest flora of british Burma, p. 537; Thwaites,Enum. Zeylan.*
p. 327 Loureiro,FI. cochinch.,p. 695.
3. Blume,Runzphia,2, p. 67 Aliquel,Fl. indo-batava,3, p. 9; Suppl.de
Sumatra, p. 253.
4. Bretschneider,Valueand study,p. 28.
5. Blanco,Flora de Filipinas,ed. 2.
G.Da Mosto,dans Ramusio,1, p. 104, cité par R. Brown.
COCOTIER 345
fruit. C'est un arbre indigène sur toute la côte i. On le plante
aussi, et l'exportation de l'huile, dite de Palme (Palm oil des
Anglais), est l'objet d'un grand commerce.
Comme il se présente également à l'état sauvage dans le Bré-
sil et peut-être à la Guyane 2, un doute s'était élevé sur la véri-
table origine. On pouvait d'autant mieux la supposer américaine
que la seule espèce constituant, avec celle-ci, le genre Elaeis, est
de la Nouvelle-Grenade 3. Robert Brown cependant, et les au-
teurs qui se sont le plus occupés de la famille des Palmiers, sont
unanimes à considérer l'Elaeis guineensis comme introduit en
Amérique, par les nègres et les négriers, lorsqu'ils passaient de
la côte de Guinée à la côte opposée américaine. Beaucoup de
faits appuient cette opinion. Les premiers botanistes qui ont
visité le Brésil, comme Piso et Marcgraf, n'ont pas parlé de
l'Elaeis. Il se trouve seulement sur le littoral, de Rio-de-Janeiro
à l'embouchure des Amazones, jamais dans l'intérieur. Il est
souvent cultivé ou avec l'apparence d'une espèce. échappée des
plantations. Sloane , qui avait exploré la Jamaïque dans le
xviie siècle et avait examiné en Europe des fruits venant
d'Afrique, raconte qu'on avait introduit cet arbre, de son temps,
de Guinée dans une plantation qu'il désigne. Il s'est naturalisé
depuis dans quelques localités des Antilles 5.

Cocotier. Cocos nuci fera, Linné.


Le Cocotier est peut-être de tous les arbres des pays intertro-
picaux celui qui donne les produits les plus variés. Son bois et
ses fibres sont utilisés de plusieurs manières. La sève, extraite
de la partie inférieure de l'inflorescence, donne une boisson al-
coolique très recherchée. La coque du fruit sert de vase; le lait
de la graine avant maturité est une boisson agréable; enfin
l'amande contient une forte proportion d'huile. Il n'est pas sur-
prenant qu'on ait semé et transporté, le plus possible, un arbre
aussi précieux. D'ailleurs sa dispersion est aidée par des causes
naturelles. Les noix de coco, grâce à leur enveloppe fibreuse,
peuvent flotter dans l'eau salée sans que la partie vivante de la
graine en soit atteinte. De là résulte une possibilité de transports
à de grandes distances par les courants et une naturalisation sur
les côtes, quand la température est favorable. Malheureusement
cet arbre exige un climat chaud et humide, tel qu'on le trouve

1. R. Brown,Botanyof Congo,p. 55.


2. Martius, Eut nat. Palmarum, 2, p. 62 Drude, dans Flora brasil.,
fasc. 85,p. 457.Je ne vois pas d'auteur qui affirmela qualitéspontanéeà
la Guyane,commede Martiusle fait pour le Brésil.
3. Elaeismelanocarpa,Gaertner.Le fruit contient égalementde l'huile;
mais il ne paraît pas qu'on cultivel'espèce,le nombredes plantes oléagi-
neuses étant considérableen tous pays.
4. Sloane,Natwal history of Jamaica,2, p. 113.
5. Grisebach,Flora of british W.India islands, p. 522.
346 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

seulement entre les tropiques ou dans des localités voisines an


peu exceptionnelles. En outre, il ne réussit pas loin de la mer.
Le Cocotier abonde sur le littoral des régions chaudes de l'Asie
des îles au midi de ce continent, et dans les pays analogues en
Afrique et en Amérique, mais on peut affirmer qu'il date d'une
introduction de moins de trois cents ans au Brésil, aux Antilles
et sur la côte occidentale d'Afrique.
Pour le Brésil, Piso et Marcgraf 1 semblent admettre une ori-
gine étrangère, sans le dire positivement. De Martius, qui a pu-
blié sur les Palmiers un ouvrage très important 2 et a parcouru
les provinces de Bahia, Pernambouc et autres, où le Cocotier
abonde, ne dit pas qu'il y soit spontané. Ce sont les missionnai-
res qui l'ont introduit à la Guyane 8. Sloane 4 le dit d'origine
étrangère aux Antilles. Un vieux auteur du xvie siècle, Martyr,
cité par lui, parle de cette introduction. Elle a eu lieu probable-
ment peu d'années après la découverte de l'Amérique, car Joseph.
Acosta 5 avait vu le Cocotier à Porto-Rico, dans le xvie siècle.
D'après de Martius, ce sont les Portugais qui l'ont introduit sur
la côte de Guinée. Beaucoup de voyageurs ne l'ont pas même
mentionné dans cette région, où il joue apparemment un petit
rôle. Plus commun sur la côte orientale et à Madagascar, il n'est
pourtant pas nommé dans plusieurs ouvrages sur les plantes du
Zanzibar, les Seychelles, Maurice, etc., peut-être parce qu'on
l'a considéré comme cultivé dans cette région.
Evidemment le Cocotier ne peut-être originaire ni d'Afrique
ni de la partie orientale de l'Amérique intertropicale. Ces pays
étant éliminés, il reste la côte occidentale de l'Amérique tropi-
cale, les îles de la mer Pacifique, l'archipel Indien et le midi du
continent asiatique où l'arbre abonde, avec toute l'apparence
d'être plus ou moins spontané et d'ancienne existence.
Les navigateurs Dampier et Yancouver 6 l'ont trouvé au com-
mencement du xvir3 siècle, constituant des forêts, dans les îles
près de Panama, non sur la terre ferme, et dans l'île des Cocos,
située à 300 milles anglais du continent dans la mer Pacifique.
A cette époque, ces îles n'étaient pas habitées. On a trouvé plus
tard le Cocotier sur la côte occidentale, du Mexique au Pérou,
mais en général les auteurs n'affirment pas qu'il y fût spontané,
à l'exception cependant der Seemann 7, qui a vu le Cocotier à la
fois sauvage et cultivé dans l'isthme de Panama. D'après Her-

1. Piso, Brasil., p. 65 Marcgraf, p. 13S.


2. Martius, Histmia natural'.s Palmarum, 3 vol. in-folio. Voir vol. 2,
p. 12S.
3. Aublet, Guyane, suppl., p. 102.
4. SIoane, Jamaïca, 2, p. 9.
5. J. Acosta, Hist. nat. des Indes, traduction française, 1598,p. 178.
6. Vafer, Voyage de Dampie; éd. 1705, p. 186; Vanconver, éd. française,
p. 325, cités par de Martius, Ilist. nat. Palm., 1, p. 188.
7. Seemann, Botany of Herald, p. 204.
COCOTIER 347

nandez au xylb siècle, les Mexicains l'appelaient Loyoin, mot


nom indigène.
qui n'a pas l'apparence d'un
Oviedo 2, qui écrivait en 1§26, dès les premiers temps de la
la côte
conquête du Mexique, dit que le Cocotier abondait sur
de la mer Pacifique, dans la province du cacique Chiman, et il
décrit clairement l'espèce. Cela ne prouve pas la qualité d'arbre
spontané.
Dans l'Asie méridionale, surtout dans les îles, le Cocotier se
montre à l'état sauvage ou cultivé. Plus les îles sont petites, bas-
ses et sous l'influence de l'atmosphère marine, plus les Cocotiers
prédominent et attirent l'attention des voyageurs. Quelques-unes
en ont tiré leur nom, entre autres deux îles près de celles d'Anda-
man, et une près de Sumatra.
Le Cocotier, avec toutes les apparences d'un ancien état spon-
tané, se trouvant en Asie et dans l'Amérique occidentale, la
ré-
question de l'origine est obscure. D'excellents auteurs l'ont
solue d'une façon différente. De Martius regarde comme probable
un transport, par les courants, des îles situées à l'ouest de l'Amé-
autre-
rique centrale à celles de l'archipel asiatique. J'inclinais
fois 3 vers la même hypothèse, admise depuis sans discussion par
Grisebach *mais les botanistes dux?ne siècle regardaient sou-
vent l'espèce comme asiatique, et Seemann 5, après un examen
attentif, se déclare indécis. Je donnerai le pour et le contre sur
chacune des hypothèses.
En faveur d'une origine américaine, on peut dire i
1° Les onze autres espèces du genre Cocos sont d'Amérique, et
même toutes celles que Martius connaissait bien sont du Brésil s.
M. Drude 7, qui s'occupe beaucoup des Palmiers, a écrit un ar-
ticle pour soutenir que chaque genre de cette famille est propre
à l'ancien ou au nouveau monde, excepté le genre Elaeis, et en-
core il soupçonne le transport de l'E. Guineensis d'Amérique en
Afrique, ce qui n'est pas du tout probable (voir ci-dessus, p. 344).
La force de cet argument est un peu atténuée par la circon-
stance que le Cocos nucifera est un arbre du littoral et des lieux
humides, tandis que les autres espèces vivent dans des conditions
différentes fréquemment loin de la mer ou des rivières. Les
en gé-
plantes maritimes, de marais ou d'endroits humides ont
néral une habitation plus vaste que leurs congénères.
2° Les vents alizés de la mer Pacifique, au sud et encore plus

1. Hernandez,Thésaurusmexic, p. 71. Il attribue le même nom, p. 75,


au Cocotiercroissantaux îles Philippines.
2. Oviedo,traductionde Ramusio,3, p. 53.
3.A. de Candolle,Gêogr.bot. vais., p. 976.
4. Grisebach,Vegetationder Erde, p. il, 323.
5. Seemann,Flora Vitiensis,p. 275.
6. Le Cocodit des Maldivesappartient au genre Lodoicea.Le Cocoma-
millaris Blanco,des Philippines,est une variété du Cocosnuciferacultivé.
7. Drude, dans Bot. Zeitung,1876,p. 801,et Flora brasiliensi!fasc. 85,
p. 405.
348 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

au nord de l'équateur, poussent les corps nouants a Amérique


en Asie, contrairement à la direction des principaux courants 1.
On sait d'ailleurs, par l'arrivée imprévue sur différentes côtes des
bouteilles contenant des avis, que le hasard joue un grand rôle
dans ces transports.
Les arguments en faveur de l'origine asiatique, ou contre l'ori-
gine américaine, sont les suivants
1° Un courant sous les 3-3° lat. N. porte directement des
îles de l'archipel indieh à Panama 2. Il y a bien au nord et au
midi d'autres courants en sens opposé, mais ils proviennent de
régions trop froides pour le Cocotier et ne touchent pas à l'Amé-
rique centrale où on le suppose indigène d'ancienne date.
2° Les habitants des îles asiatiques ont été des navigateurs
beaucoup plus hardis que les Indiens d'Amérique. Il est très
possible que des pirogues, contenant des noix de coco en pro-
vision. aient été jetées par les tempêtes ou par de fausses manœu-
vres des archipels d'Asie sur les îles ou sur la côte occidentale
d'Amérique. L'inverse est infiniment peu probable.
3° L'habitation, depuis trois siècles, est bien plus vaste en
Asie qu'en Amérique, et avant cette époque la différence était
plus grande, car nous savons que le Cocotier n'était pas ancien
dans l'orient de l'Amérique tropicale.
4° Les peuples de l'Asie insulaire possèdent un nombre im-
mense de variétés de cet arbre, ce qui fait présumer une culture
très ancienne. Blume, dans son Rumphia, énumère 18 variétés de
Java ou des îles voisines et 39 des îles Philippines. Rien de sem-
blable n'a été constaté en Amérique.
5° Les emplois du Cocotier sont également plus variés et plus
habituels en Asie. C'est à peine si les indigènes d'Amérique sa-
vaient l'utiliser autrement que pour le lait et l'amande du fruit,
sans en tirer de l'huile.
6° Les noms vulgaires, très nombreux et originaux en Asie,
comme nous le verrons plus loin, sont rares et d'origine souvent
européenne en Amérique.
7° II n'est pas probable que les anciens Mexicains et habitants
de l'Amérique centrale eussent négligé de répandre le Cocotier
dans plusieurs directions s'il avait existé depuis une époque très
reculée sur leur continent. Le peu de largeur de l'isthme de Pa-
nama aurait facilité le transport d'une côte à l'autre, et l'espèce
se serait vite établie aux Antilles, à la Guyane, etc., comme elle
s'est naturalisée à la Jamaïque, Antigua 3 et ailleurs depuis la
découverte de l'Amérique.
8° Si le Cocotier, en Amérique, remontait à des temps géologi-
ques plus anciens que les dépôts pliocènes ou même éocènes en

1. Stieler,HandAtlas, éd. 1867,carte3.


2. Stieler,ib., carle 9.
Grisebach, Flora of british W. India islands,p. 522.
COCOTIER 349
les côtes et
Europe, on l'aurait probablement trouvé sur toutes
îles orientales et occidentales, assez uniformément.
9° Nous ne pouvons avoir aucune date ancienne sur l'existence
du Cocotier en Amérique; mais sa présence en Asie, il y a trois
ou quatre mille ans, est constatée par plusieurs noms sanscrits.
Piddington, dans son Index, n'en cite qu'un, Narikela. C'est le
modernes de l'Inde.
plus sûr, car il se retrouve dans les langues
Les érudits en comptent une dizaine, qui, d'après leur significa-
tion, paraissent s'appliquer à l'espèce ou à son fruit i. Narikela
a passé, avec modification, en arabe et en persan 2. On le trouve
même à 0- Taïti sous la forme de Ari ou Haari 3, concurremment
avec un nom malais.
10° Les Malais ont un nom très répandu dans l'archipel, Ka-
Mpa. Klâpa, Klôpo. A Sumatra etNicobar, on trouve le nom Njîor
Nieo'r, aux Philippines Niog, à Bali Niuh, Njo, à Tahiti Mufi, et
dans d'autres îles Nu, Nidju, Ni, même à Madagascar Wua-niu
Les Chinois disent Ye, soit Ye-tsu (arbre Ye). Avec le nom sans-
crit principal, cela constitue quatre racines différentes, qui font
présumer une existence ancienne en Asie. Cependant l'unifor-
mité de nomenclature dans l'archipel jusqu'à Taïti et Mada-
gascar indique un transport par les hommes depuis l'existence
des langues connues.
Le nom chinois signifie tête du roi de Yiie. Il remonte à une
légende ridicule dont parle le Dr Bretschneider 5. La première
mention du Cocotier, d'après ce savant, se trouve dans un poème
du n° siècle avant Jésus-Christ; mais les descriptions plus recon-
naissables sont dans les ouvrages postérieurs au ixe siècle de
l'ère chrétienne. Il est vrai que les anciens écrivains connais-
saient à peine le midi de la Chine, seule partie de l'empire où le
Cocotier puisse vivre.
1 île de
Malgré les noms sanscrits, l'existence du Cocotier dans
Ceylan, où il est bien établi sur le littoral, date d'une époque
à peu près historique. Près de Point-de-Galle, nous dit Seemann6,
on voit gravée sur un rocher la figure d'un prince indigène Kot-
tah Raya, auquel on attribue la découverte des emplois du Co-
cotier, inconnu avant lui, et la plus vieille chronique de Geylarî,
le Marawansa, ne parle pas de cet arbre, bien qu'elle cite minu-
tieusement les fruits importés par divers princes. Remarquons
aussi que les anciens Grecs et Egyptiens, malgré leurs rapports
avec l'Inde et Ceylan, n'ont eu connaissance de la noix de coco

1.M. Eugène Fournier m'a indiquépar exemple Dïdapala (à fruit dur),


Palakecara (à fruit chevelu),Jalakajka(réservoird'eau), etc.
2. Blume,Rumphia,3, p. 82.
3. Forster, De plantis.esculentis,p. 48; Nadeaud,Enum. des plantes de
Tahiti, p. 41.
4. Blume,Ibid.
5. Bretschneider,Studu and value,etc.,p. 2i.
6. Seemann,Flora Vitiensis,p. 276.
350 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
t.. Il- _T! x_·
que tardivement, comme d'une curiosité indienne. Apollonius
de Tyane l'avait vu dans I'Hindustan, au commencement de l'ère
chrétienne i.
D'après ces faits, l'habitation la plus ancienne en Asie serait
dans l'archipel plutôt que sur le continent ou à Ceylan; et, en
Amérique, dans les îles à l'ouest de Panama.
Que faut-il penser de ces indications variées et contradictoires?
J'ai cru jadis que les arguments en faveur de l'Amérique occi-
dentale étaient les plus forts. Maintenant, avec plus de rensei-
gnements et plus d'expérience dans ces sortes de questions, j'in-
cline à l'idée d'une origine de l'archipel indien.
L'extension vers la Chine, Ceylan et l'Inde continentale ne
date pas de plus de trois ou quatre mille ans, mais les transports
par mer sur les côtes d'Amérique et d'Afrique remontent peut-
être à des temps plus anciens, quoique postérieurs aux époques
dans lesquelles existaient des conditions géographiques et phy-
siques différentes de celles d'aujourd'hui.

I. Pickering,Chronological
arrangement,p. 428.
TROISIÈMEPARTIE
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS

CHAPITRE PREMIER
TABLEAUGÉNÉRALDES ESPÈCES AVEC L'INDICATION
DE LEUR ORIGINE ET DE L'ÉPOQUE DE LEUR MISE EN CULTURE

Le tableau qui suit renferme quelques espèces dont le détail


n'a pas été donné dans ce qui précède, par le motif que leur
origine est bien connue et leur importance médiocre.

Espèces originaires de l'ancien monde.


SOUTERRAINE
POURLA PARTIE
CULTIVÉES
Nomset dorée. Date. Origine.
Radis. Raphanus sativus. ©• B Asie tempérée.
Cran. Cochlearia Armoracia. 7Jf. C Europe orientale tempérée.
Rave. Brassica Rapa. ©. A Europe, Sibérie occidentale (2).
Navet. Brassica Napus. @. A Europe, Sibérie occidentale^).
Carotte. Daucus Carota. @. B Europe, Asie occid. tempérée {>.).
Panais. Pastinaca sativa. ©. C Europe moyenne et méridionale.
Cerfeuil bulbeux. Chœrophyllum C Europe moyenne. Caucase.
bulbosum. ©.
vi-
1 Les signes de durée sont: ® plante annuelle, © bisannuelle, Ijî
vae'e, 3 arbrisseau, $ arbuste, 5 petit arbre, 5 grand arbre.
Les lettres indiquent l'époque certaine ou probable de la mise en cul-
ture, savoir
tUp«Wesdel'ancien monde. -A, une espèce cultivée
espèce» les
depuis plus
monuments de
de quatre mille ans (d'après les anciens historiens, ou lin-
l'antenne Egypte, les ouvrages chinois, et les indices botaniques
guistiques). B, cultivée depuis plus de deux mille ans (indiquée dans
ou d unedate connue
Théophraste, ou trouvée dans les restes des lacustres, des noms hé-
des anciens, ou présentant des indices variés, comme d'avoirmille
C, cultivée depuis moins de deux ans (citée
breux ou sanscrits).
non par Théophraste, vue dans les dessins de Pompeia,
par Dioscoride,
Introduite à une date connue, etc.) “
Pour les américaines. D, culture très ancienne en Amérique
espèces
sa grande extension et le nombre des offrirvariétés). E, espèce cul-
(d'après des indices d'une très
tivée avant la découverte de l'Amérique, sans
F, espèce mise en culture depuis la dé-
grande ancienneté de culture.
couverte de l'Amérique.
3S2 TABLEAU GÉNÉRALDES ESPÈCES
Nomset durée. Date. Origine.
Chervis. Sium Sisarum. T(f. C Sibériealtaïque,Perseseptentnon.
Garance. Rubia tinctorum. Tjf.. B Asie occid. tempérée, sud-est de
l'Europe.
Salsifis.TragopogonporrifoIium.©.C(?) Sud-est de l'Europe, Algérie.
Scorzonère. Scorzonera hispanica. C Sud-ouest de l'Europe. Midi du
Caucase.
[email protected] Europe tempérée et méridionale.
egum
f Légume. B Canaries, région de la Méditerra-
Bette. Betavulg. ©, ip. j née, Asie occid. tempérée.
( Betterave. B Dérivée dans la culture.
Ail. Allium sativum. Tf!. B Désert des Kirghis, dans l'Asie
occidentale tempérée.
Oignon. Allium Cepa. ®. A Perse, Afghanistan, Belouchistan,
Palestine (?).
Ciboule. Allium fistulosum. Tlf. C Sibérie (du pays des Kirghis au
Baïcal).
Echalotte. Allium ascalonicum. Tjf. C Modification du Cepa(?). Inconnu
spontané.
Rocamboie. Allium Scorodopra- C Europe tempérée.
sum. Tjf.
Ciboulette. Allium Schœnopra C(?)Europe tempérée et sept., Sibérie,
sum. Ijf. Kamtchatka. Amérique sept;
(lac Huron).
Colocase. Coiocasiaantiquorum. Tjf. B Inde. Archipel indien. Polynésie.
Alocase. Alocasia macrorhiza. Tff. (?) Ceylan.Archipel indien.Polynésie.
Konjak. Amorphophallus Konjak. (?) Japon (?).
Tjf.
Dioscorea sativa. Tjf. B(?) Asie mérid. [spécialement Mala-
Ignames.
bar (?), Ceylan (?), Java (?)].
Dioscorea Batatas. Tjf. B(?) Chine (?).
Dioscorea japonica. Tjf. (?) Japon (?).
Dioscorea alata. ip. (?) Archipel asiatique oriental.

CULTIVÉES
POURLESTIGESOULESFEUILLES
1° Légumes.
Chou. Brassica oleracea. ©, d), 5". A Europe.
Chou de Chine. Brassica chinen- (?) Chine (?), Japon (?).
sis. @.
Cresson de fontaine. Nasturtium (?) Europe, Asie septentrionale.
officinale. TÇ.
Cresson alénois. Lepidium sati- B Perse (?).
vum. ®.
Sea-Kale. Crambe maritima. Tjf. C Europe occidentale tempérée.
Pourpier. Portulaca oleracea. ®. A De l'Himalaya occid. à la Russie
mérid. et la Grèce.
Tetragone étalée. Tetragonia ex- C Nouvelle-Zélande et Kouvelle-
pansa. (p. Hollande.
Céleri. Apium graveolens. ©. B Europe temp. et mérid., Afrique
sept., Asie occidentale.
Cerfeuil. Anthriscuscerefolium.®. C Sud-Est de la Russie, Asie occi-
dentale tempérée.
LEUR ORIGINE ET LEUR MISE EN CULTURE 3S3
Nomset durée. Date. Origine.
Persil. Petroselinum sativum. ©. C Europe mérid., Algérie, Liban.
Ache. Smyrnium Olus-atrum. Q. C Europe mérid., Algérie, Asie occi-
dentale tempérée.
Mache. Valerianella olitoria. ®. C Sardaigne, Sicile.
“ ni. Cardon. C Europe méridionale, Afrique sep-
ynaa Car-
Cardon. Cynara
ardunculus.
on. tentrionale, Canaries, l\ladè¡'e.
Madère,
©. ip.
e- Artichaut. G
Artichaut. C Dérivé du du Cardon.
Laitue. Lactuca Scariola. ®. @. B Europe mérid., Afrique septen-
trionale, Asie occidentale.
«Chicorée sauvage. Cichorium Inty- C Europe, Afrique septentr., Asie
bus. Tji. occidentale tempérée.
Chicorée Endive. Cichorium Endi- C Région de la Méditerranée, Cau-
via. (D. case, Turkestan.
Epinard. Spinacia oleracea. ®. C Perse (?).
Arroche. Atriplex hortensis. (D. C Europe septentrionale et Sibérie.
Brède de Malabar. Amarantus gan- (?) Afrique tropicale Inde (?).
geticus. ®.
Oseille. Rumex acetosa. (?) Europe. Asie septentrionale, mon-
tagnes de l'Inde.
Patience. Rumex Patientia. Tjf. (?) Turquie d'Europe. Perse.
Asperge. Asparagus orficinalis. 7jf. B Europe, Asie occid. tempérée.
Poireau. Allium ampeloprasum. T{î. B Région de la Méditerranée.

2° Fourrages.

Luzerne. Medicago sativa. Tjf. B Asie occidentale tempérée.


Sainfoin. Onobrychis sativa. Ifi. C Europe tempérée. Midi du Caucase.
Sulla. Hedysarum coronarium. T/f. C Région de la Méditerranée centrale
et occidentale.
Trèfle. Trifolium pratense. 1{f. C Europe, Algérie, Asie occidentale
tempérée.
Trèfle hybride. Trifolium hybri- C Europe tempérée.
dum. ©.
Trèfle incarnat. Trifolium incar- C Europe méridionale.
natum. ®.
Trèfle d'Alexandrie. Trifolium C Syrie, Anatolie.
alexandrinum. ®.
Ers. Ervum Ervilia. ®. B Région de la Méditerranée (?)
Vesce. Vicia sativa. ®. B Europe, Algérie. Midi du Caucase.
Jarosse. Lathyrus Cicera. ®. B Del'EspagneetrAlgérieàlaGrèce.
Gesse. Lathyrus sativus. ®. B Midi du Caucase (?).
Gesse Ochrus. Lathyrus Ochrus.©. B Italie. Espagne.
Fenu-grec. Trigonella fœnum-gree- B N.-E. de l'Inde et Asie occiden-
cum. ©. tale tempérée.
Serradelle. Ornithopus sativus. ®.B(?) Portugal, midi de l'Espagne, Al-
gérie.
Lupuline. Medicago lupulina.® ®. C Europe. Afrique sept. (?). Asie tem-
pérée.
Spergule. Spergula arvensis. ®. B(?) Europe.
Herbe de Guinée. Panicum maxi- C(?)Afrique intertropicale.
mum. Tjî.
DE CANDOLLE. 23
354 TABLEAU GÉNÉRA.LDES ESPÈCES

3° Emplois divers.
Nomset durée. Date. Origine.
Thé. Thea sinensis. J. A Assam, Chine, Mandschourie.
Lin anciennement cultivé. Linum A Région de la Méditerranée.
angustifolium. Ttf. @. ©. du-
Lin actuellement cultivé. Linum A(?) Asie occidentale (?). Dérivé
usitatissimum. @. précédent (?).
Jute. Corchorus capsularis. Q. C(?) Java. Ceylan.
Jute. Corchorus olitorius. @. C(?)Nord-ouest de l'Inde. Ceylan.
Sumac. Rhus Coriaria. 5. C Région de la Méditerranée. Asie
occidentale tempérée.
Arabie (?).
Cat. Celastrus edulis. ?j. (?) Abyssinie
Indigotier des teinturiers. Indigo- B Inde (?).
fera tinctoria. 5.
Indigotier argenté. Indigofera ar- (?) Abyssinie, Nubie, Cordofan, Sen-
naar – Inde (?).
gentea
Henné. Lawsonia alba. $. A Asie occid. tropicale. Nubie (?).
Eucalyptus globulus. S- C Nouvelle-Hollande.
Cannelier. Cinnamomum zeylani- C Ceylan. Inde.
cum.5.
Ramié (China grass). Boehineria (?) Chine. Japon.
nivea. 7£>.<$• “ r
Chanvre. Cannabis sativa. ®. A Daourie. Sibérie.
Mûrier blanc. Morus alba. jj. A(?)Inde. Mongolie.
Mûrier noir. Morus nigra. g. B$) Arménie, Perse septentrionale.
de la
Canne à sucre. Saccharum offici- B Côchinchine(?), sud-ouest
narum. TÇ. Chine (?).

OULEURSENVELOPPES.
POURLESFLEURS
CULTIVÉES

Giroflier. Caryophyllus aromati- (?) Moluques.


cas. 67.
Houblon.
Humulus
Lupulus. ip. C Europe, Asie occident. tempérée,
Sibérie, Amérique sept.
Carthame.Carthamustinctorius.©. A Arabie (?).
Safran. Crocus sativus. Tjî. A Italie méridionale, Grèce, Asie
Mineure (?).

POURLESFRUITS
CULTIVÉES
de la mer Pacifique à l'est
Pompelmouse.Citrus decumana. 5. B Iles
de Java.
Cédratier, Citronnier. Citrus me- B Inde.
dica.5. l'Inde.
Oranger Bigaradier. Citrus Au- B Est de
rantium Bigaradia. 5"-“
et Cochinchine.
Oranger doux. Citrus Aurantium C Chine
SÎÏ16ÏÎS6 O*
Mandarine. Citrus nobilis.. g. (?) Chine et Cochinchine.
de la Sonde. Péninsule ma-
Mangostan. Garcinia Mangosta- (?) Iles
na. -T. Iaise.
Gombo. Hibiscus esculentus. ®. C Afrique tropicale.
LEUR ORIGINE ET LEUR MISE EN CULTURE SjoS;
Noms et durée. Date. Origine.
Vigne. Vitis vinifera. 5- A Asie occidentale tempérée, région
de la Méditerranée.
Jujubier commun. Zizyphus vul- B Chine.
garis. 5.
Jujubier Lotus. Zizyphus Lotus. S- (?) D'Egypte au Maroc.
Jujubier de l'Inde. Zizyphus Ju-A(?) Pays des Birmans, Inde.
juba. 5.
Manguier. Mangîfera indica. ff. A(?)Inde.
Evi. Spondias dulcis. ff. (?) Iles de la Société, des Amis, Fidji.
Framboisier. Rubus ideeus. g. Europe et Asie tempérées.
Fraisier ordinaire. Fragaria ves- C Europe et Asie occid. tempérées.
ca. 7j; Amérique sept. à l'est.
Cerisier des oiseaux. Prunus B Asie occident. tempéree, Europe
avium. g. tempérée.
Cerisier commun. Prunus Cera- B De la Caspienne à l'Anatolie occi-
sus. 5. dentale.
Prunier domestique. Prunus do- B Anatolie, midi du Caucase, Perse
mestica. $. septentrionale.
Prunier proprement dit. Prunus (?) Europe mérid., Arménie, midi du
insititia. S- Caucase, Talysch.
Abricotier. Prunus Armeniaca. 5". A Chine.
Amandier. Amygdalus commu- A Région de la Méditerranée, Asie
nis. 5. occidentale tempérée.
Pêcher. Amygdalus Persica. $. A Chine.
Poirier commun. Pyrus commu- A Europe et Asie tempérées.
nis. 5.
Poirier de Chine. Pyrus sinensis. 5. (?) Mongolie, Mandschourie.
Pommier. Pyrus Malus. 5. A Europe,AnatoIie,mididuCaucase.
du Cau-
Cognassier. Cydonia vulgaris. 5. A Perse septentrion., midi
case, Anatolie.
Bibassier. Eriobotrya japonica. 5"- (?) Japon.
Grenadier. Punica Granatum. if. A Perse, Afghanistan, Belouchistan.
Pomme-rose. Jambosa vulgaris. 5. B Archipel indien, Cochinchine, 1
Birma, nord-est de l'Inde.
Jamalac. Jambosa malaccensis. 5. B Archipel indien, Malacca.
Gourde. Cucurbita Lagenaria. ®. G Inde, Moluques Abyssinie.
Potiron. Cucurbita maxima. ©. C (?) Guinée.
Melon. Cucumis Melo. (D. C Inde. Belouchistan Guinée.
Pastèque. Citrullus vulgaris. ©. A Afrique intertropicale.
Concombre. Cucumis sativus. @. A Inde.
Concombre Anguria. Cucumis An-C(?)Afrique intertropicale (?).
guria. @.
Benincasa. Benincasa hispida. ©. (?) Japon. Java.
Luffa cylindrique. Luffa cylin- C Inde. `
drica. @.
Luffa anguleux. Luffa acutangula. C Inde. Archipel indien.
®·
serpent. Trichosan- C Inde (?).
Trichosanthes
thes anguina. ®.
Liane Joliffe. Joliffia (ou TeIfai- C(?)Zanzibar.
ria). 7~
Groseillier à maquereaux, Ribes C Europe temp., Afrique sept., Cau-
Grossularia. $. case, Himalaya occid.
3S6 TABLEAU GÉNERAL DES ESPÈCES
Nomset durée. Dale. origine.
Groseillier rouge. Ribes rubrum. 3. C Europe sept. et temp., Srbérie,
Caucase, Himalaya- Nord-est
des Etats-Unis.
Groseillier noir. Ribes nigrum. 3. C Europe sept. et moyenne, Armé-
nie, Sibéria, Mandscliourie, Hi-
malaya occid.
Kaki. Diospyros Kaki. 5. (?) Japon, Chine sept. (î).
Diospyros Lotus. $. (?) Chine, Inde, Afghanistan, Perse,
Arménie, Anatolie.
Olivier. Olea europœa. jj. A Syrie, Anatolie mérid. et îles voi-
sines.
Aubergine. Solanum Melongena. ®. A Inde.
Figuier. Ficus Carica. 5. A Région moyenne et mérid. de la
mer Méditerranée (de la Syrie
aux Canaries).
Arbre à pain. Artocarpus incisa. J. (?) Iles de la Sonde.
Jacquier. Artocarpus integrifolia. ;J. B(?)hide.
Dattier. Phœnix dactylifera. 3. A Asie occïd. et Afrique occid. (de
l'Euphrate aux Canarie ).
Bananier. Musa sapientum. 5- A Asie méridionale.
Elaeis guineensis. S- (?) Guinée.

POURLESGRAINES
CULTIVÉES
1° NutiHtives.

Li-Tschi. Nephelium Lit-chi. 5. (?) Chine méridion. Cochinchine (?).


Longan. Nephelium Longana. 5. (?) lnde- Pegu.
Ramboutan Nephelium lappa- (?) Inde. Pegu.
ceum. 5-
Pistachier. Pistacia vera. J. C Syrie.
Fève. Faba vulgaris. ®. A Midi de la mer Caspienne (?).
Lentille. Ervum Lens. ®. A Asie occid. tempérée, Grèce, Italie.
Pois chiche. Cicer arietinum. ®. A Midi du Caucase et de la mer
Caspienne.
Lupin. Lupinus albus. ®. B Sicile.Macédoine.MididuCaucase.
Termis. Lupinus Termis. ®. A De la Corse à la Syrie.
Pois gris. Pisum arvense. ©. C(?)Italie.
Pois des jardins. Pisum sativum.(D. B Du midi du Caucase à la Perse (?).
Inde septentrionale (?).
Soja. Dolichos Soja. ®. A Cochinchine. Japon. Java.
Cajan. Cajanus indicus. $. C Afrique équatoriale.
Caroubier. Ceratonia Siliqua. $. A(?)Côte méridion. d'Anatolie, Syrie
Cyrénaïque (?).
Haricot à feuille d'Aconit. Phaseo- C Inde.
lus aconitifolius. ®.
Haricot trilobé. Phaseolus trilo- B Inde. Afrique tropicale.
bus. TP ®.
Mungo. Phaseolus Mungo. ®. B(?)Inde.
Lablab. Phaseolus Lablab. Tjf. ®. B Inde.
Lubia. Phaseolus Lubia. ®. C Asie occidentale (?).
Voandzou. Voandzeia subterra- (?) Afrique intertropicale.
nea. ®.
LEUR ORIGINE ET LEUR MISE EN CULTURE 3a7
Nomset durée. Date. Origine.
Sarrasin. Fagopyrum esculen- C Mandschourie, Sibérie centrale.
tum. ®.
Sarrasin de Tartarie. Fagopyrum C Tartarie, Sibérie jusqu'en Daou-
tataricum. ®. rie.
Sarrasin émargiué. Fagopyrum (?) Chine occid. Himalaya oriental.
emarginatum. ®.
Kiery.Amarantusfrumentaceus.®. (?) Inde.
Châtaignier. Castaneavulgaris. 5. (?) Du Portugal à la mer Caspienne.
Algérie orientale. Variétés
Japon, Amérique septentrion.
Froment. Triticum vulgare, et A Région de l'Euphrate.
variétés (?). ®- ,“>
Epcautre. Triticum Spelta. ®. A Dérivé du précédent (?).
Locular. Triticum monococcum. (?) Servie, Grèce, Anatolie (si l'on
admet l'identité avec le Tr. boeo-
ticum).
Orge à deux rangs. Hordeum di- A Asie occidentale tempérée.
stichon. (D.
Orge commune (à quatre rangs). (?) Dérivé du précédent (?).
Hordeum vulgare. ®.
Orge à six rangs. Hordeum hexa- A Dérivé du précédent (?).
stichon. ®«,#«
B Europe orientale tempérée (?).
Seigle. Secale cereale. ®.
Avoine ordinaire. Avena sativa. ©. B Europe orientale tempérée (?).
Avoine d'Orient. Avena orienta- C(?) Asie occidentale (?).
lis. ®.
Millet commun. Panicum milia- A Egypte. Égv Arabie.
ceum. (î).
Panie d'Italie. Panicumitalicum.©. A Chine. Japon. Archipel indien (?).
Sorgho. Holcus Sorghum. @. A Afrique tropicale (?).
Sorgho sucré. Holcus sacchara- (?) Afrique tropicale (?).
tus. ®.
Coracan.Eleusine Coracana.®. B Inde.
Riz. Oryza sativa. ©. A Inde. Chine méridionale (?).

2° Emplois divers.

Pavot..Papaver somniferum. ®. B Dérivé du P. setiferum, de la


région méditerranéenne.
Sinapis alba. ®. B Europe temp. et mérid., Afrique
sept., Asie occid. temp.
Sinapis nigra. ®. B Mêmes régions.
Cameline. Camelina sativa. ®. B(?) Europe temp. Caucase. Sibérie.
Cotonnier herbacé. Gossypium her- B Inde.
baceum. 3- ©•
Cotonnier arborescent. Gossypium B(?) Haute Egypte.
arboreum. §.
Caféier d'Arabie. Coffea arabica. 5. C Afrique tropicale (Mozambique,
Abyssinie, Guinée).
Caféier de Libérie. Coffea liberi- C Guinée, Angola.
ca. $.
Sésame. Sesamum indicum. ®. A Iles de la Sonde.
Muscadier. Myristica tograns. ff. B Moluques.
388 TABLEAU GÉNÉRAL DES ESPÈCES
Nomset durée. Date. Origine.
Ricîn commun. Ricinus commu- A Abyssinie, Sennaar, Cordofan.
nis. J.
Noyer. Juglans regîa. £ Europe tempérée orient. Asie
tempérée.
Poivrier noir. Piper nigrum. J. B Inde.
Poivrier long. Piper longum. j. B Inde.
Poivrier officinal. Piper officina- B Archipel indien.
rum. $.
Poivrier Bétel. Piper Betle. J. B Archipel indien.
Arec. Areca Catechu.5. B Archipel indien.
Cocotier. Cocos nncifera. J. (?) Archipel indien (?). Polynésie (?).

Espèces originaires' d'Amérique.


CULTIVÉES
POUR
LA PARTIESOUTERRAINE

Arracacha.Arracachaesculenta. E Nouvelle-Grenade (?).


©•
Topinambour. Helianthus tubero-E(?) Amérique sept. (Indiana.)
sus. 1{f.
Pomme de terre. Solanum tubero- E Chili. Pérou (?).
sum. ip.
Batate. Convolvulus Batatas. Ifi. D Amérique tropicale (où ?).
Manioc. Manihot utilissima. J. E Brésil oriental intertropical.
Arrow-root. Maranta arundina- (?) Amérique tropicale (continen-
cea. Tjf. tale ?).

CULTIVÉES
POURLESTIGESOULESFEUILLES

Maté. Ilex paraguariensis. 5. D Paraguay et Brésil occidental.


Coca. Erythroxylon Coca. $. D Pérou oriental, Bolivie orientale.
Quinquina Calisaya. Cinchona Ca- F Bolivie, Pérou méridional.
lisaya. 5-
Quinquina officinal. Cinchona offi- F Equateur (province de Loxa).
cinalis. 5.
Quinquina rouge. Cinchona succi- F Equateur (province de Cuenca).
rubra. g.
Tabac ordinaire. Nicotiana Taba- D Equateur. Pays adjacents (?).
cum. (1).
Tabac rustique. Nicotiana rusti- E Mexique(?). Texas (?).Californîe(?).
ca. ©.
Maguay. Agave americana. $. E Mexique (?).

POURLESFRUITS
CULTIVÉES

Pomme canelle. Anona squamo- (?) Antilles.


sa. 5.
Corossol. Anona muricata. 5. (?) Antilles.
Cœur de bœuf. Anona reticulata. ff. (?) Antilles. Nouvelle-Grenade.
Cherimolia. Anona Cherimolia. 5. E Equateur. Pérou (?).
Abricotier d'Amérique. Mammea (?) Antilles.
americana. 5-
359
LEUR ORIGINE ET LEUR MISE EN CULTURE
Noms et durée. Date. Origine.

Pommier d'Acajou. Anacardium (?) Amérique intertropicale.


occidentale. 5.
de Fragaria vir- F Amérique sept. tempérée.
Fraisier
Virginie.
ginica. 7~
Fraisier du Chili. Fragaria chi- F Chili.
loensis. 7~
5. E Amérique tropicale continentale.
GovaS&iumGuayava.
•Courge Pepon, Citrouille. Cucurbita E Amérique septentr. tempérée.
Pepo et Melopepo. ®
Ficus-in- E Mexique.
Figue d'Inde. Opuntia
dica.5.
Chayotte. edule. ©.
Sechium E Mexique (?). Amérique centrale.
Caïnitier. Chrysophyllum Caini- E Antilles. Panama.
to. 5.
Lucuma Caimito. ;5. E Pérou.
S «– ost*. E Région de l'Orénoque.
ECampèche, isthme de Panama,
Sapotillier. Sapota Achras. 5. Venezuela.
orientaux.
Persimmon. Diospyros virgini- F États-Unis
ca. 5.
Piment annuel. Capsicum an- E Brésil (?).
nuum. Q1.
Piment Capsicum fru- E Du Pérou oriental à Bahia.
arbrisseau.
tescens. ^»
Tomate. Lycopersicum esculen- E Pérou.
tum. OE).
SaSftaSya^SS"?^' I S&mérique
centrale
E Antilles. Amérique centrale.
Papayer. Papaya vulgaris. 5. E «^^g^g^:
Ananas. Ananassa sativa. V.
nama, 1Nouvelle-Grenade,Guya-
ne (?), Bahia (?).

POURLESGRAINES
CULTIVÉES
i° Nutritives.
D
*$J^i££$.
Cacaoyer. Theobroma Cacao. 5-
noque. Panama Yucatan (?).
E Brésil.
Haricot courbé. Phaseolus luna-
tus. Pérou (?).
Quinoa. Quinoa. ©. E Nouvelle-Grenade (?).
Chenopodium Chili.
D Nouvelle-Grenade (?).
Maïs. Zea Mays. ©.

2° De divers emplois.

Rocou. Bixa Orellana. -T. D Amérique intertropicale.


Mexique (?).
Cotonnier des Barbades. Gossy- (?) Nouvelle-Grenade (?).
Antilles (?).
pium barbadense. 5. E Brésil W-
Arachide. Arachis liypogoea. ®.
E Chili – Californie.
Madia. Madia sativa. ®.
360 TABLEAU GÉNÉRALDES ESPÈCES

CRYPTOGAME
CULTIVÉE
POUR
TOUTE
LAPLANTE

Champignon des couches. Agari- C Hémisphère boréal.


cus campestris. Tjf.

Espèces d'une origine complètement inconnue


ou incertaine.
Haricot commun. Phaseolus vulgaris. ©.
Courge musquée. Cucurbita moschata. ®-
Courge à feuilles de figuier. Cucurbita ficifolia. ip.
CHAPITRE II
OBSERVATIONS ETCONCLUSIONS
GÉNÉRALES

Article 1. – Réglons d'où sont sorties


les plantes cultivées

Au commencement du xixe siècle, on ignorait encore l'origine


de la plupart des espèces cultivées. Linné ne s'était donné au-
cune peine pour la découvrir, et les auteurs subséquents n'avaient
fait que copier les expressions vagues ou erronées dont il
s'était servi pour indiquer leurs habitations. Alexandre de
Humboldt exprimait donc le véritable état de la science en 1807
lorsqu'il disait « L'origine, la première patrie des végétaux les-
plus utiles à l'homme et qui le suivent depuis les époques les
plus reculées, est un secret aussi impénétrable que la demeure-
de tous les animaux domestiques. Nous ne savons pas quelle
région a produit spontanément le froment, l'orge, l'avoine et le-
seigle. Les plantes qui constituent la richesse naturelle de tous
les habitants des tropiques, le Bananier, le Cariea Papaya, le
Manihot et le Maïs n'ont jamais été trouvés dans l'état sauvage.
La pomme de terre présente le même phénomène i. »
Aujourd'hui, si quelques-unes des espèces cultivées n'ont pas-
encore été vues dans un état spontané, il n'en est pas de même
de l'immense majorité. Nous savons au moins, le plus souvent,
de quels pays elles sont originaires. Cela résultait déjà de mon
travail de 1855, que les recherches actuelles plus étendues con-
firment presque toujours. Celles-ci ont porté sur 247 espèces
cultivées soit en grand par les agriculteurs, soit dans les jardins
potagers ou fruitiers. J'aurais pu en ajouter quelques-unes rare-
ment cultivées, ou mal connues, ou dont 1s,culture a été aban-

1. Essaisur la geographiedesplantes,p. 28.


2. En comptant deux ou trois formes qui sont plutôt des races très dis-
tinctes..
362 GÉNÉRALES
OBSERVATIONS

donnée; mais les résultats statistiques auraient été sensiblement


les mêmes.
Sur les 247 espèces que j'ai étudiées, l'ancien monde en a
fourni 199, l'Amérique 45, et 3 sont encore douteuses à cet égard.
Aucune espèce n'était commune aux parties tropicales ou
australes des deux mondes avant d'être mises en culture. L'AZ-
lium Schœnopraswm, le Fraisier (Fragaria vesca), le Groseillier
(Ribes rubrum), le Châtaignier (Castanea vulgaris) et le Cham-
pignon de couches (Agaricus campestris) étaient communs aux
régions septentrionales de l'ancien et du nouveau monde. Je les
ai comptés comme de l'ancien monde, parce que c'est là qu'est
leur habitation principale, et qu'on a commencé de les cultiver.
Un très grand nombre d'espèces sont originaires à la fois
d'Europe et de l'Asie occidentale, d'Europe et de Sibérie, de la
région méditerranéenne et de l'Asie occidentale, de l'Inde et de
l'Archipel asiatique, des Antilles et du Mexique, de ces deux ré-
gions et de la Colombie, du Pérou et du Brésil^ ou du Pérou et
de la Colombie, etc., etc. Onpourrait les compter dans le tableau.
-C'est une preuve de l'impossibilité de subdiviser les continents et
de classer les îles en régions naturelles bien définies. Quel que
soit le mode de division, il y aura toujours des espèces communes
à deux, trois ou quatre régions, et d'autres cantonnées dans
une petite partie d'un seul pays. Les mêmes faits se présentent
pour les espèces non cultivées.
Une chose vaut la peine d'être notée c'est l'absence ou l'ex-
trême rareté de plantes cultivées originaires de certains pays.
Par exemple, aucune n'est venue des régions arctiques ou an-
tarctiques, dont les flores, il est vrai, se composent d'un petit
nombre d'espèces. Les États-Unis, malgré leur vaste territoire,
qui fera vivre bientôt des centaines de millions d'hommes, ne
présentaient, en fait de plantes nutritives, dignes d'être culti-
vées, que le Topinambour et des Courges. Le Zizania aquatica,
que les indigènes récoltaient à l'état sauvage, est une Graminée
trop inférieure à nos céréales et au Riz pour qu'il valût la peine
de la semer. Ils avaient quelques bulbes et baies comestibles,
mais ils n'ont pas essayé de les cultiver, ayant reçu, de honne
heure le Mais, qui valait infiniment mieux.
La Patagonie et le Cap n'ont pas fourni une seule espèce. La
Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Zélande ont donné un arbre,
Eucalyptus globulus, et un légume, peu nourrissant, le Tetru-
gonia. Leurs flores manquaient essentiellement de Graminées,
analogues aux céréales, de Légumineuses à graines comestibles,
et de Crucifères à racines charnues 1. Dans la partie tropicale
et humide de la Nouvelle-Hollande, on a trouvé le Riz et l'Aloca-
sia macrorkiza sauvages, ou peut-être naturalisés; mais la plus

i. Voir la liste des plantes utiles d'Australie,par sir J. Hooker,Flora


Tasmanniie, p. ex, et Bentham,Flora australiensis,7, p. 150,156.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES 383Il~il

de la sécheresse pour que ces


grande partie du pays souffre trop
espèces aient pu s'y répandre.
En général, les régions australes avaient fort peu de plantes
annuelles, et, dans leur nombre si restreint, aucune n'offrait des
les plus faciles
avantages évidents. Or, les espèces annuelles sont
à cultiver. Elles ont joué un grand rôle dans les anciennes cul-
tures des autres pays.
En définitive, la distribution originelle des espèces cultivées
était extrêmement inégale. Elle n'avait de rapport ni avec les be-
soins de l'homme ni avec l'étendue des territoires.

Article 2. Nombre et nature des espèces cnltivées


depuis des époques différentes.

On doit considérer comme d'une culture très ancienne les es-


au
pèces marquées A dans le tableau de la page 351. Elles sont
nombre de 44. Quelques-unes des espèces marquées B sont pro-
bablement aussi anciennes, sans qu'on ait pu le constater. Enfin
les cinq espèces américaines marquées D sont probablement
d'une ancienneté de culture à peu près aussi grande que celles
de la catégorie A ou que les plus vieilles de la catégorie B.
Comme on pouvait le prévoir, les espèces A sont surtout des
à la nour-
plantes pourvues de racines, fruits ou graines propres
riture de l'homme. Viennent ensuite quelques espèces ayant
des fruits agréables au goût, ou textiles, tinctoriales, oléifères,
ou donnant des boissons excitantes par infusion ou fermenta-
tion. Elles présentent seulement deux légumes verts et n'ont
sont les
pas un seul fourrage. Les familles qui prédominent
Crucifères, Légumineuses et Graminées.
Le nombre des espèces annuelles est de 22 sur 44, soit §0 0/0.
Dans les cinq espèces américaines marquées D, il y en a deux
annuelles. Dans la catégorie A se trouvent trois espèces bisan-
nuelles, et D n'en a aucune. Dans l'ensemble des Phanérogames,
les espèces annuelles ne dépassent pas 15 0/0, et les bisannuelles
s'élèvent à 1 ou au plus 2 0/0. Il est clair qu'au début de la ci-
vilisation les plantes dont le produit ne se fait pas attendre sont
celles qu'on recherche le plus. Elles offrent d'ailleurs l'avan-
tage qu'on peut répandre et multiplier leur culture, soit à cause
de l'abondance des graines, soit parce qu'on cultive la même
espèce en été dans le nord et en hiver ou toute l'année dans les
pays tropicaux.
Les plantes vivaces sont bien rares dans les catégories A et
D. Elles ne s'élèvent pas à plus de deux, soit 4 0/0, à moins
qu'on ne veuille ajouter le Brassica oleracea et la forme du
Lin, ordinairement vivace (L. angustifolium), que cultivaient
364 OBSERVATIONS
GÉNÉRALES
les lacustres suisses. Dans la nature, les espèces vivaces con-
stituent à peu près 40 0/0 des Phanérogames l.
A et D renferment 20 espèces ligneuses, sur 49, soit près de
41 0/0. Dans l'ensemble des Phanérogames, elles entrent pour
environ 43 0/0.
Ainsi, les premiers cultivateurs ont employé surtout des
plantes annuelles ou bisannuelles, un peu moins de plantes li-
gneuses, et beaucoup moins encore d'espèces vivaces. Ces dif-
férences doivent tenir à la facilité des cultures, combinée avec
la proportion d'espèces évidemment utiles de chacune des
divisions.
Les espèces de l'ancien monere marquées B sont cultivées
depuis plus de 2000 ans, mais quelques-unes appartiennent peut-
être à la catégorie A sans qu'on le sache. Les américaines mar-
quées E étaient cultivées avant Christophe Colomb, depuis peut-
être plus de 2000 ans. Beaucoup d'autres espèces marquées
d'un(?) dans les tableaux datent probablement aussi d'une épo-
que ancienne; mais, comme elles existent surtout dans des pays
sans littérature et sans aucun document archéologique, on
ignore leur histoire. II est inutile d'insister sur des catégories
aussi douteuses; au contraire, les plantes qu'on sait avoir été
cultivées dans l'ancien monde depuis moins de 2000 ans, ou en
Amérique depuis l'époque de la découverte, méritent d'être1
comparées avec les plantes très anciennement cultivées.
Ces espèces, de culture moderne, s'élèvent à 61 de l'ancien
monde, marquées C, et 6 d'Amérique, marquées F; en tout 67.
Classées selon leur durée, elles comptent 37 0/0 annuelles,
7 à 8 0/0 bisannuelles, 33 0;0 vivaces et 22 à 23 0/0 ligneuses.
La proportion des annuelles ou bisannuelles est encore ici
plus forte que pour l'ensemble des végétaux, mais elle est
moins grande que parmi les espèces de culture très ancienne.
Les proportions de plantes vivaces ou ligneuses sont moindres
que dans le règne végétal tout entier, mais elles sont plus élevées
que parmi les espèces A, de culture très ancienne.
Les plantes cultivées depuis moins de deux mille ans sont
surtout des fourrages artificiels, que les anciens connaissaient à
peine; ensuite quelques bulbes, légumes, plantes officinales.
(Cinchonas), plantes à fruits comestibles, ou à graines nutritives
[Sarrasins), ou aromatiques (Caféier), etc. Les hommes n'ont pas
découvert depuis 2000 ans et cultivé une seule espèce qui puisse
rivaliser avec le Maïs, le Riz, la Batate, la Pomme de terre,
l'Arbre à pain, le Dattier, les Céréales, les Millets, les Sorghos,
le Bananier, le Soja. Celles-ci remontent à trois, quatre ou
cinq mille ans, peut-être même, dans certains cas, à six mille
i. Les proportionsquej'indiquepour l'ensembledes Phanérogamessont
baséessur un calculapproximatif,fait au moyendes deuxcents premières
pages du Namenctatorde Steudel.Ellessont justifiéespar la comparaison
-de quelquesfiores.
GÉNÉRALES
OBSERVATIONS 36S

ans. Pendant la durée de la civilisation gréco-romaine et depuis,


les espèces mises en culture répondent presque toutes à des
beso'ns plus variés ou plus raffinés. Il s'est fait aussi un grand
travail d'extension des espèces anciennes d'un pays à l'autre, et
en même temps de sélection de variétés meilleures survenues
dans chaque espèce.
Les introductions depuis deux mille ans ont eu lieu d'une
façon très irrégulière et intermittente. Je ne pourrais pas citer
une seule espèce mise en culture depuis cette date par les Chi-
nois, ces grands cultivateurs des temps anciens. Les peuples de
l'Asie méridionaleou occidentale ont innové, dans une certaine
mesure, en cultivant les Sarrasins, plusieurs Cucurbitacées,
quelques Allium, etc. En Europe, les Romains, et, dans le
moyen âge, divers peuples, ont introduit la culture de certains
légumes ou fruits et celle de plusieurs fourrages. En Afrique,
un petit nombre de cultures ont commencé alors, isolément. Lors-
que les voyages de Vasco de Gama et Christophe Colomb sont
survenus, l'effet produit a été une diffusion rapide des espèces
déjà cultivées dans l'un ou l'autre hémisphère. Les transports
ont continué pendant trois siècles, sans qu'on se soit occupé
sérieusement de cultures nouvelles. Dans les deux ou trois cents
ans qui ont précédé la découverte de l'Amérique et les deux cents
qui ont suivi, le nombre des espèces cultivées est resté presque
complètementstationnaire. Les Fraisiersd' Amérique,le Diospyros
virginiana, le Sea-Kale (Crambe maritima) et le Tetragonia ex-
eu d'impor-
pansa, introduits dans le xvme siècle, n'ont guère
tance. Il faut arriver au milieu du siècle .actuel pour constater
de nouvelles cultures de quelque valeur au point de vue uti-
litaire. Je rappellerai l'Eucalyptus globulus d'Australie et les
Cinchonas de l'Amérique méridionale.
Le mode d'introduction de ces dernières espèces montre le
changement énorme qui s'est fait dans les moyens de transport.
Précédemment, la culture d'une plante commençait dans le pays
où elle existait, tandis que l'Eucalyptus d'Australie a été planté
et semé d'abord en Algérie, et les Cinchonas d'Amérique, dans
l'Asie méridionale. Jusqu'à l'époque actuelle, les jardins botani-
que ou d'ama'eurs avaient répandu des espèces déjà cultivées
quelque part. Maintenant ils introduisent des cultures absolu-
ment nouvelles. Le jardin royal de Kew se distingue sous ce
rapport, et d'autres jardins botaniques ou des sociétés d'accli-
matation, en Angleterre et ailleurs, font des tentatives analo-
lar-
gues. Il est probable que les pays tropicaux en profiteront leur
gement d'ici à un siècle. Les autres y trouveront aussi
avantage, vu les facilités croissantes pour le transport des
denrées.
Lorsqu'une espèce a été répandue dans les cultures, il est rare,
et peut-être même sans exemple, qu'on l'abandonne complè-
tement. Elle continue plutôt d'être cultivée çà et là dans des
366 OBSERVATIONS
GÉNÉRALES

pays arriérés ou dont le climat lui est particulièrement favora-


ble. J'ai laissé de côté dans mes recherches quelques-unes de-
ces espèces à peu près abandonnées, comme le Pastel (Isatis
tinctoria), la Mauve (Malva sylvestris), légume usité chez les
Romains, certaines plantes officinales fort employées autrefois,
comme le Fenouil, le Cumin, la Nigelle, etc., mais il est certain
qu'on les cultive encore partiellement.
La concurrence des espèces fait que la culture de chacune aug-
mente ou diminue. En outre, les plantes tinctoriales et officina-
les sont fortement menacées par les découvertes des chimistes.
Le Pastel, la Garance, l'Indigo, la Menthe et plusieurs simples-
doivent céder devant l'invasion des produits chimiques. Il est
possible qu'on parvienne à faire de l'huile, du sucre, de la
fécule, comme on fait déjà du miel, du beurre et des gelées,
sans se servir des êtres organisés. Rien ne changerait plus le&
conditions agricoles du monde que la fabrication, par exemple,
de la fécule, au moyen de ses éléments connus et inorgani-
ques.
Dans l'état actuel des sciences, il y a encore des produits.
qu'on demandera, je présume, de plus en plus au règne végétal
ce sont les matières textiles, le tannin, le caoutchouc, la gutta-
percha et certaines épices. A mesure qu'on détruit les forêts d'où
on les tire et que ces matières seront en même temps plus de-
mandées, on sera plus tenté de mettre en culture certaines
espèces.
Elles appartiennent généralement aux flores des pays tropi-
caux. C'est aussi dans ces régions, en particulier dans l'Améri-
que méridionale, qu'on aura l'idée de cultiver certains arbres
fruitiers, par exemple de la famille des Anonacées, dont les
indigènes et les botanistes connaissent déjà le mérite. On aug-
mentera probablement les fourrages et les arbres forestiers de
nature à vivre dans des pays chauds et secs. Les additions ne
seront pas nombreuses dans les régions tempérées, ni surtout
dans les régions froides.
D'après ces données et ces aperçus, il est probable qu'à la fin
du xixe siècle les hommes cultiveront en grand et pour leur uti-
lité environ 300 espèces. C'est une petite proportion des 120-
ou 140 000du règne végétal; mais dans l'autre règne, la propor-
tion des êtres soumis à l'homme est bien plus faible. Il n'y a
peut-être pas plus de 200 espèces d'animaux domestiqués ou
simplement élevés pour notre usage, et le règne animal compte
des millions d'espèces. Dans la grande classe des Mollusques, on
élève l'huître, et dans celle des Articulés, qui compte dix fois.
plus d'espèces que le règne végétal, on peut citer l'abeille et
deux ou trois insectes produisant de la soie. Sans doute le nom-
bre des espèces animales ou végétales qu'on peut élever ou
cultiver pour son plaisir ou par curiosité est immense témoins
les ménageries et les jardins zoologiques ou botaniques; mais
OBSERVATIONSGÉNÉRALES 367
*t ii
et des animaux utiles, d'un em-
je ne parle ici que des plantes
ploi général et habituel.

Article 3. Plantes cultivées qu'on connaît


on ne connaît pas à l'état sauvage.

La science est parvenue à constater l'origine géographique


de presque toutes les espèces cultivées, mais elle a fait moins
de progrès dans la connaissance de ces espèces à l'état spon-
et des habitations.
tané, c'est-à-dire sauvages, loin des cultures
d'au-
Il y a des éspèces qu'on n'a pas trouvées dans cet état et
de
tres pour lesquelles les conditions d'identité spécifique ou
véritable spontanéité sont douteuses.
en catégo-
Dans l'énumération qui suit, j'ai classé les espèces
la
ries d'après le degré de certitude sur la qualité spontanée et
nature des doutes, lorsqu'il en existe

bota-
I. Espèces spontanées, c'est-à-dire sauvages, vues par plusieursles apparences
nistes loin des habitations et des cultures, avec toutes des
de plantes indigènes, et sous une forme identique aveclune
variétés cultivées. Ce sont les espèces qui ne sont pas énumérées
lbJ
ci-dessous. Leur nombre est de
aux catégories marquées A
Parmi ces '169 espèces, 31 appartiennent
ou D de culture très ancienne d'une56 sont cultivées depuis moins de
2000 ans (C), et les autres sont date moyenne ou inconnue.
un seul
II. Vues et récoltées dans les mêmes conditions, mais par à
botaniste et dans une seule localité
Cucurbita maxima, Faba vulgarù, Nicotiana Tabacum.
mêmes condi-
III Vues et mentionnées, .mais non récoltées, dans les
ou moins anciens,
tions, par un ou deux auteurs non botanistes, plus À
qui peuvent s'être trompés
Carthamus tinctarius, Triticum vulgare.
IV. Récoltées sauvages, par des botanistes, dans plusieurs localités, mais
sous une forme légèrement différente de celles qu on cultive,
à classer dans l'espèce. 4
que la plupart des auteurs n'hésitent pas
Olea europœa, Oryza sativa, Solanum tuberosum, Vitis vinifera.
sous
V. Sauvages, récoltées par des botanistes, dans plusieurs localités,
des formes considérées par quelques auteurs comme devant constituer
des
des espèces différentes, tandis que d'autres les traitent comme 4~
variétés *•
CrocKS
AlIium Ampeloprasum Porrum, Cichorium Endivia var
sativus var., Cucumis Melo Gueurbita Pepo, Hekanûms tuberosus,
Lactuca Scariola sativa, Linum usitatissinzum annuum, Lycopersicum
nivalis var., Ribes Grossu-
eseulentum, Papaver somniferum, Pyrus mo-
laria Solanum Melongena, Spinacia oleracea var Tritieum
nococcum.

ï. Les espèces en italiques sont de culture très ancienne (A ou D); celles


de deux mille ans (C ou F).
marquées sont cultivées depuis moins
368 OBSERVATIONSGÉNÉRALES
VI. Subspontanées, c'est-à-dire presque sauvages, semblables à l'une
des formes cultivées, mais avec la chance que ce soient des plantes
échappées des cultures, d'après les circonstances locales 24
Agave americana, Amarantus gangeticus, Amygdalus Persica, Areca
Catechu, Avena orientalis Avena.sativa, Cajanus indicus Cicer
arietinum,Citrus decumana. Cucurbita moschata, Dioscorea japonica,
Ervum Ervilia, Ervum Lens, Fagopyrum emarginatum, Gossypium
barbadense, Holcus saccharatus, Holcus Sorghum,Indigofera tinctoria,
Lepidium sativum, Maranta arundinacea, Nicotiana rustica, Panicum
mûiaceum, Raphanus sativus, Spergula arvensis.
VII. Subspontanées comme les précédentes, mais ayant une forme assez
différente des variétés cultivées pour que la majorité des auteurs les
onsidèrent comme des espèces distinctes 3
Allium ascalonicum (forme de VA. Ceps ?), Allium Scorodoprasum
(forme de l'A. sativum2), Secale cereale (forme de l'un des Secale
vivaces?).
VIII. Non découvertes dans un état sauvage. ni même dans un état
subspontané, issues peut-être depuis le commencement des cultures
d'espèces cultivées, mais trop différentes pour n'être pas appelées
ordinairement des espèces 3
Hordeum hexastichon (dérivé de 177. distichon?). Hordeum vulgare (dé-
rivé de l'B. distichon ?), Tnticum Spelta (dérivé du T. vulgare?).
IX. Non découvertes dans un état sauvage, ni même subspontané, mais
originaires de pays qui ne sont pas suffisamment explorés, et qu'on
soupçonne devoir être plus tard réunies à des. espèces sauvages encore
mal connues de ces pays 6
Arachis hypogaea, Caryophyllus aromaticus, Convolvolus Batatas, Do-
lichos Lubia Manihotutilissima, Phaseolus vulgaris.
X. Non découvertes dans un état sauvage, ni même subspontané, mais
originaires de pays qui ne sont pas suffisamment explorés, ou de pays
de même nature qu'on ne peut pas préciser, plus distinctes que les
précédentes des espèces connues 18
Amorphophallus Konjak, Arracacha esculenta, Brassica ebinensis, Cap-
sicum annuum, Chenopodinm Quinoa^Citrus nobilis, Cucnrbita fici-
folia, Dioscorea alata, Dioscorea Batatas, Dioscorea sativa, Eleusine
Coracana, Lucuma mammosa, Nephelium Litchi, Pisum sativum
Saccharum offieinarum, Sechium edule, Trichosanthes anguina
Zea Maïs.
Total 247
D'après ces chiffres, il y a 193 espèces reconnues sauvages,
27 douteuses, en tant que subspontanées, et 27 qu'on n'a pas
trouvées sauvages.
Il est permis de croire qu'on découvrira tôt ou tard ces der-
nières, si ce n'est sous une des formes cultivées, au moins sous
une forme voisine, appelée espèce ou variété, selon l'idée de
chaque auteur. Il faudra pour y parvenir que les pays tropicaux
aient été mieux explorés, que les collecteurs aient fait plus d'at-
tention aux localités et qu'on ait publié beaucoup de flores des
pays actuellement mal connus et de bonnes monographies de
i. Depuis l'impression de cette liste, j'ai reçu l'avis que le Quinoa est
sauvage au Chili. Quelques-uns des chiffres devraient être modifiés en
conséquence d'une unité.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES 369

certains genres, en s'appuyant sur les caractères


qui varient le
moins dans la culture.
Quelques espèces originaires de pays assez bien explorés et
impossibles à confondre avec d'autres, parce qu'elles sont uni-
ques chacune dans son genre, n'ont pas été trouvées à l'état sau-
vage, ou l'ont été une fois seulement, ce qui peut faire présumer
qu'elles sont éteintes dans la nature, ou en voie d'extinction. Je
veux parler du Maïs et de la Fève (voir p. 311 et
253). J'indique
aussi, dans l'article 4, d'autres plantes qui paraissent en voie
d'extinction depuis quelques milliers d'années. Ces dernières
appartiennent à des genres nombreux en espèces, ce qui rend
l'hypothèse moins vraisemblable 1; mais, d'un autre côté, elles
se montrent rarement loin des cultures, et on ne les voit
se naturaliser, guère
j'entends devenir sauvages, ce qui montre
une certaine faiblesse ou trop de facilité à devenir la
maux et de parasites. proie d'ani-
Les 67 espèces mises en culture depuis moins de 2000 ans
se trouvent toutes à l'état sauvage excepté onze (C, F)
marquées
qu'on n'a pas rencontrées ou sur lesquelles on a des doutes. C'est
une proportion de 83 0/0.
Ce qui est plus singulier, la grande majorité des
espèces cul-
tivées depuis plus de 4000 ans (A), ou en
Amérique depuis 3 ou
4000 (D), existent encore sauvages, dans un état avec
l'une des formes cultivées. Leur nombre est de 31, identique
sur 49, c'est-à-
dire 63 0/0. Si l'on ajoute celles des catégories II, III, IV et
la proportion est de 81 à 82 0/0. Dans les catégories IX et Y
on
ne compte plus que deux de ces espèces très anciennes deX,cul-
ture, soit 4 0/0, et ce sont deux espèces qui n'existent peut-être
plus comme plantes spontanées.
Je croyais, à priori, qu'un beaucoup plus grand nombre des
espèces cultivées depuis plus de 4000 ans auraient dévié de leur
état ancien, à un degré tel qu'on ne pourrait plus les recon-
naître parmi les plantes spontanées. Il paraît, au
contraire, que
les formes antérieures à la culture se sont ordinairement con-
servées à côté de celles que les cultivateurs obtenaient et
pro-
pageaient de siècle en siècle. On peut expliquer ceci par deux
causes l°La période de 4000 ans est courte relativement à la
durée de la plupart des formes spécifiques dans les
plantes
phanérogames. 2" Les espèces cultivées reçoivent, hors des
cultures, des renforts incessants par les graines que l'homme,
les oiseaux et divers agents naturels dispersent ou
de mille manières. Les naturalisations ainsi transportent
produites confon-
dent souvent les pieds issus de plantes sauvages, avec ceux
issus de plantes cultivées, d'autant mieux qu'ils se fécondent
mutuellement, puisqu'ils sont de même espèce. Ce fait est clai-

i. Par desraisons queje ne puisdévelopper


ici, les genresmonotypessont
ordinairementen voie d'extinction.
De Casdolle. £$
370 OBSERVATIONS GÉNÉRALES
a 1
rement démontré quand il s'agit d'une espèce de l'ancien monde
cultivée en Amérique, dans les jardins, et qui s'établit plus tard
en masse dans la campagne ou les forêts, comme le Cardon à
JBuenos-Ayres et les Orangers dans plusieurs contrées amé-
-ricaines. La culture étend les habitations. Elle supplée aux dé-
ficits que peut avoir la reproduction naturelle des espèces.
Quelques-unes cependant font exception, et il vaut la peine
d'en parler dans un article spécial.

Article 4. – Plantes cultivées qui sont en voie


d'extinction on éteintes hors des cuH4aaa«es.

Les espèces auxquelles je viens de faire allusion présentent


trois caractères assez remarquables
1° Elles n'ont pas été découvertes à l'état sauvage, ou ne
l'ont été qu'une fois ou deux, souvent même d'une manière con-
testable, bien que les régions d'où elles sont sorties aient été
visitées par plusieurs botanistes.
2° Elles n'ont pas la faculté de se semer et de se propager
indéfiniment hors des terrains cultivés. En d'autres termes elles
ne dépassent pas en pareil cas la condition de plantes adventives.
3° On ne peut pas soupçonner qu'elles sont issues, depuis
'époque historique, de certaines espèces voisines.
Ces trois caractères se trouvent réunis dans les espèces sui-
vantes
Fève (Fabavillgaris). Tabac(NicotianaTabacum).
Pois chiche (Cicerarielinum) Froment(Triticumvulgare).
Ers (Enum Ervilia). Maïs(ZeaMays).
Lentille(ErvumLens).
Il faudrait ajouter la Batate (Convolvulus Batatas), si les
espèces voisines étaient mieux connues comme distinctes, et le
Carthame {Carthamus tinetorius), si l'intérieur de l'Arabie avait
été exploré et qu'on n'y eût pas trouvé cette plante indiquée
jadis par un auteur arabe.
Toutes ces espèces, et probablement d'autres de pays peu
connus ou de genres mal étudiés, paraissent en voie d'extinction
ou éteintes. A supposer que la culture cessât dans le monde,
elles disparaîtraient, tandis que la majorité des autres plantes
cultivées se seraient naturalisées quelque part et resteraient à
llétat sauvage.
Les sept espèces mentionnées tout à l'heure, excepté le Tabac,
ont des graines remplies de fécule, qui sont recherchées par les
oiseaux, les rongeurs et divers insectes, sans pouvoir traverser
intactes leurs voies digestives. C'est probablementla cause, unique
ou principale, de leur infériorité dans la lutte pour l'existence.
Ainsi, mes recherches sur les plantes cultivées montrent que
OBSERVATIONS
GÉNÉRALES 371
certaines espècesvégétales sont en voie d'extinction ou éteintes
depuis l'époque historique, et cela, non dans de petites îles,
mais sur de vastes continents, sans qu'on ait constaté des
modificationsde climat. C'est un résultat important pour l'his-
toire des règnes organisés, à toutes les époques.

Article 5. Réflexion» diverses.

Je mentionnerai sommairement les suivantes


i° Les plantes mises en culture n'appartiennent pas à une ca-
tégorie particulière, car elles se classent dans cinquante et
une familles différentes. Ce sont toutes cependant des Phanéro-
games, excepté le Champignon des couches (Agaricus campestrls)
20 Les caractères qui ont le plus varié dans la culture sont,
en commençant par les plus variables A, la grosseur, la forme
et la couleur des parties charnues, quelle que soit leur situation
{racine, bulbe, tubercule, fruit ou graine), et l'abondance de la
fécule, du sucre et autres matériaux, qui se déposent dans ces
parties; B, l'abondance des graines, qui est souvent inverse
du développement des parties charnues de la plante; C, la
forme, la grandeur ou la pubescence des organes floraux qui
persistent autour des fruits ou des graines; D, la rapidité
des phénomènes de végétation, de laquelle résulte souvent la
qualité de plante ligneuse ou herbacée et de plante vivace, bisan-
nuelle ou annuelle.
Les tiges, feuilles et fleurs varient peu dans les plantes cul-
tivées pour ces organes. Ce sont les dernières formations de
chaque pousse annuelle ou bisannuelle qui varient le plus; en
d'autres termes, les résultats de la végétation varient plus que
les organes qui en sont la cause.
3° Je n'ai pas aperçu le moindre indice d'une adaptation au
froid. Quand la culture d'une espèce avance vers le nord (Maïs,
Lin, Tabac, etc.), cela s'explique par la production de variétés
hâtives qui ont pu mûrir' avant la saison froide, ou par l'usage
de cultiver dans le nord, en été, des espèces qu'on. sème dans
le midi en hiver. L'étude des limites boréales des espèces spon-
tanées m'avait conduit jadis au même résultat, car elles n'ont pas
changé depuis les temps historiques, bien que les graines soient
portées fréquemment et continuellement au nord de chaque li-
mite. Il faut, paraît-il, pour une modification permettant de
supporter des degrésplus intenses de froid, des périodes beaucoup
plus longues que -4 ou 3000 ans, ou des changements de forme
et de durée.
4° Les classifications de variétés faites par les agriculteurs et
horticulteurs reposent ordinairement sur les caractères qui va-
rient le plus (forme, grosseur, couleur, saveur des parties char-
jaues, barbes des épis, etc.). Les botanistes se trompent quand ils
372 OBSERVATIONS GÉNÉRALES
suivent cette voie. Ils devraient consulter les caractères, plus
fixes, des organes pour lesquels on ne cultive pas les espèces.
S0 Une espèce non cultivée étant un groupe de formes plus ou
moins analogues, parmi lesquelles on peut distinguer souvent
des groupes subordonnés (races, variétés, sous-variétés), il a pu
arriver qu'on ait mis en culture deux ou plusieurs de ces formes
un peu différentes. C'est ce qui a dû se passer surtout quand
l'habitation d'une espèce est vaste, et plus encore quand elle est
des Choux
disjointe. Le premier cas est probablement celui duPoi-
(Brassica), du Lin, du Cerisier des Oiseaux (Prunus avium),
rier commun, etc. Le second s'est présenté probablement pour
la Gourde, le Melon et le Haricot trilobé, qui existaient à la fois
dans l'Inde et l'Afrique, avant la culture.
6° On ne connaît pas de caractère distinctif entre une plante
naturalisée issue, depuis quelques générations, de pieds culti-
vés, et une plante sauvage issue de pieds anciennement sauvages.
Toutefois, dans la transition de plante cultivée à plante spon-
dans
tanée, les traits particuliers qui se propagent par la greffe
les cultures ne se conservent pas de semis. Par exemple, l'Olivier
devenu sauvage est à l'état d'Oleaster, le Poirier a des fruits
moins gros, le Châtaignier marron donne un fruit tout ordi-
naire. Du reste, on n'a pas encore observé suffisamment, de gé-
nération en génération, les formes naturalisées d'espèces sorties
des cultures. M. Sagot l'a fait pour la vigne. Il serait intéres-
sant de comparer de la même manière avec leurs formes cul-
tivées les Citrus, le Persica et le Cardon naturalisés en Amé-
et la
rique, loin de leur pays d'origine, de même que l'Agave naturali-
Figue d'Inde sauvages en Amérique avec leurs variétés
sées dans l'ancien monde. On saurait exactement ce qui per-
siste après un état temporaire de culture.
7° Une espèce peut avoir eu avant la culture une habitation
restreinte et occuper ensuite une immense étendue comme
plante cultivée et quelquefois naturalisée.
8° Dans l'histore des végétaux cultivés, je n'ai aperçu aucun
indice de communications entre les peuples de l'ancien et du
nouveau monde avant la découverte de l'Amérique par Colomb.
Les Scandinaves, qui avaient poussé leurs excursions jusque
dans le nord des États-Unis, et les Basques du moyen âge, qui
avaient suivi des baleines peut-être jusqu'en Amérique, ne pa-
-raissent pas avoir transporté une seule espèce cultivée. Le cou-
rant du Gulf-Stream n'a produit également aucun effet. Entre
ont peut-
l'Amérique et l'Asie, deux transports de plantes utiles
être eu lieu, l'un par l'homme (Batate), l'autre par l'homme ou
par la mer (Cocotier).
1. Sagot,Sur une vignesauvagecivissanten abondancedans lesboisau-
tour de Belley.
FIN.
ADDITIONSET CORRECTIONS

Raphanus sativus, L. Le Dr Bretschnei-


Page 23. Radis.
der m'a écrit, le 22 septembre 1882, que cette espèce est men-
tionnée dans le Rya, ouvrage del'an 1100 avant J.-C. D'après cela,
il est difficile de savoir si elle est venue de Chine ou de l'Asie occi-
dentale. Dans l'un et l'autre cas ce serait de l'Asie tempérée.

P. 35. Topinambour. Helianthus tuberosus, L. -Après de


nombreuses hésitations sur l'état spontané, le Dr Asa Gray (Synop-
tical flora, l, part. 2, p. 280) attribue à cette espèce une partie de
Y Helianthus doronicoides Gray et Torrey, qui croît spontanément
au Canada et dans les États-Unis, jusqu'à l'Arkansas et la Géorgie.

P. 36-42. Pomme de terre. Solanum tuberosum, L.


dans le Journal o f the
Depuis ma rédaction, M. Baker a publiédétaillée des Solanum à
Linnean Society, XX, p. 489, une revue
tubercules de l'Amérique septentrionale et méridionale, et sir
a adopté
Joseph Hooker, dans le Botanical Magazine, pl. 6756,
en partie ses opinions. Ni l'un ni l'autre n'admet, comme origine
de la Pomme de terre cultivée, la plante du Chili que Sabine,
être sa souche primitive. Ils
Lindley, Darwin et moi avons pensé
considèrent la forme commune sur la côte du Chili comme étant
le Solanum Maglia, de Molina et de Dnnal, Prodr. 13, part. I,
différente du S. tuberosum
p. 36, qu'ils tiennent pour une espèce
cultivé.
Au premier coup d'oeil jeté sur la planche 41 de Baker ap-
une espèce bien différente
pelée S. tuberosum j'ai pensé que c'était Ham-
et j'adressai alors à M. Goeze une note qu'il a mise dans le
burger Ga1'ten undBlumenzeitung,de 1884, p. 289. J'insistais sur
ce que les lobes du calice sont ovales et obtus dans la planche,
tandis qu'ils sont lancéolés, plus ou moins aeuminés dans le
le
S. tuberosum cultivé, du moins dans la fleur ouverte, car dans
bouton ils sont peu développés. Cette forme obtuse ou aiguë des
lobes du calice, lorsque la fleur est épanouie, m'a paru plus carac-
C'est
téristique des Solanum qu'on ne le pense communément.
un détail d'organisation qui n'entraîne aucune conséquence pour
374 ADDITIONSET CORRECTIONS

les tubercules, d'où il résulte que les cultivateurs ne s'en sont pas
ont pu se
occupés et n'ont pas propagé les formes nouvelles qui les tuber-
ils l'ont fait pour
produire accidentellement, comme
cules. D'après Darwin, les organes ou caractères inutiles à une
la culture, sont
plante dans l'état spontané, ou à son produit dans la confirmation
ceux qui doivent être les plus durables. J'en ai eu
cultivée. M. le Dr Masters a
pour le calice de la pomme de terre
eu l'obligeance d'examiner les lobes de cet organe dans 150 varié-
tés cultivées au jardin de Kew, et il a sollicité le même examen
chez MM. Sutton, les plus-grands cultivateurs de pommes de
terre qui existent. Le résultat a été que toutes les formes cultivées
ont les lobes aigus ou acuminés, jamais obtus. La fixité étant
ainsi reconnue,j'ai cherchéquel est le calice dansles formes spon-
tanées plus ou moins comparables aux S. tuberosum. Pour cela
de Santiago,
j'ai demandé de nouveaux documents à M. Philippi,
en ce qui concerne le Chili, et à M. Hieronymus, pour les formes
de la république Argentine. Les échantillons qu'ils ont bien
voulu me donner ou prêter, joints à ceux de mon herbier, m'ont
permis de.connaître exactement plusieurs formes rapportées par
M. Baker aux S. tuberosum et S. Maglia des auteurs, et à d'autres
analogues. Le résultat de ce travail est exposé en détail dans un
article de botanique pure qu'il serait inutile de reproduire ici,
mais qu'on peut consulter dans les Archives des sciences physiques
et naturelles, de mai 1886.
Après avoir éliminé du S. tuberosum, tel que M. Baker l'admet,
beaucoup de formes qui se'distinguent par de bons caractères
et parmi lesquelles deux sont, à mon avis, des espèces d'impor-
tance analogue à celles du genre Solanum en général, j'ai été con-
duit à maintenir mon opinion résumée à la page 42.
La plante spontanée la plus semblable au S. tuberosum.cultivé
est un échantillon recueilli en 1862, par M. Philippi dans l'île de
Chiloe, qui avait été égaré dans mon herbier. Je l'ai trouvé en-
core plus semblable à la pomme de terre de nos cultures que le
S. tuberosum de Sabine, Darwin, etc., appelé S. Maglia par
Baker et sir Joseph Hoocker. De ce type on passe facilement aux
de Schlechten-
plantes de ces auteurs pour arriver au S. Maglia
dal et de Dunal, qui s'éloigne un peu plus de la plante cultivée.
J'ai admis, en conséquence, quatre variétés dans l'espèce du
S. tuberosum, a. Chiloense, $. culturn, y. Sabini, 8. Maglia. La
forme a, typique, et les deux dernières, croissent sur le littoral
du Chili. Je n'ai pas rencontré des échantillons plus semblables
à la plante cultivée venant des régions sèches et élevées du Chili
ou du Pérou.
L'exemplaire recueilli par Claude Gay à Talcagoué que j'avais
cru, avec Dunal, appartenir au S. tuberosum, est, à mon avis, dou-
teux parce qu'il n'a pas de fleur ouverte et que d'après le bouton,
où les lobes du calice sont obtus, il appartient plutôt au S. Bu&-
tillosi de Philippi, dont j'ai un échantillon authentique. Le So-
ADDITIONS ET CORRECTIONS 37b

lanum 719 de Bridges, du Chili, qui est le S. tuberosum figuré


Celui
par Baker, est pour moi une nouvelle espèce, S. Bridgesii.
de Bolivie, n° 397 de Mandon, rapporté aussi au S. tuberosum par
de
Baker, est une espèce nouvelle, S. Mandoni, où les segments
la feuille sont sessiles. Dans mon herbier et dans celui de Bois-
au nord du Chili; et
sier je n'ai vu aucun S. tuberosum croissant toutes les
je doute qu'il y en ait dans l'herbier de Kew, d'après
formes éliminées ci-dessus et l'opinion de M. Hemsley (Journal
cet herbier.
of the hortie. soc., vol. V) qui a vu
Tous les Solanum d'Amérique à tubercules, et quelques-uns
sans tubercules, sont des formes extrêmement voisines, qu'on peut
comme il y en a dans les
appeler des espèces d'ordre secondaire,
Rosa. Rubus, etc. Quelques botanistes croient éluder les difficultés
en constituant de vastes espèces, par exemple un Solanum tuber-
culeux varié, répandu depuis le Chili jusqu'au Mexique et l'Etat
des
d'Arizona, mais si l'on veut être exact, il faut alors distinguer
il faut
Variétés, et pour la question d'origine de la plante cultivée d'un
chercher de quelle variété elle est provenue. Le changement
terme de nomenclature ne change pas le fond de la question:

P. 45. Batate. Convolvulus Batatas, L. Après avoir lu


mon article, M. le Dr B,etsehn ider m'a écrit de Pékin, que cer-
tainement la Batate cultivée en Chine est d'origine étrangère
Le manuel d'agriculture de Nung
d'après les ouvrages chinois. mort en 1633, l'affirme, et il
Chaig TNuan Shu, dont l'auteur est en
mentionne aussi une batate sauvage Chine, Chu, l'espèce cul-
tivée étant Kan-chu (batate douce). Le Min Shu, publié dans le
lbdu.
XVIe siècle, dit que l'introduction a eu lieu entre 1573 et
aux
P 69. Pourpier. -Portulaca oleracea, L. -On regardait FI.
États-Unis le pourpier comme d'origine étrangère (A. Gray,
mais dans une publication
of. n. st. éd. 5 Bot. o f Calif. 1, p. 74), et Trum-
récente (Amer. journ. of se. 1883, p. 253), MM. A. Gray
en Amé-
bull donnent des raisons pour croire qu'il est spontané
monde. Christophe Colomb l'avait
rique, comme dans l'ancien et à
remarqué à San Salvador Cuba; Oviédo le mentionne à
il est vrai,
Saint-Domingue et J. de Léry au Brésil. Cene sont pas,
des témoignages de botanistes, mais Nuttall et autres l'ont trouvé-
Colorado et le Texas, où pour-
sauvage dans le haut Missouri, le et naturalisé.
tant, vu la date, il peut avoir été importé

P. 82. Luzerne. Medicago sativa, L. Certainement spon-


où on
tanée dans la région du Volga inférieur et du fleuve Oural,
ne la cultive pas. (Lettre de M. le conseiller Danilewski.)
dans
P. 83. Sainfoin. Onobrychis. Certainement spontané
la Russie centrale. (Lettre du même.)
376 ADDITIONS ET CORRECTIONS
P. 88. Gesse. Lathyrus sativus, L. Était cultivée en Hon-
grie dans l'âge de pierre, d'après les catacombes de Aggtelek
(Engler Bot. Jahrb. 3, p. 282).

P. 85. Thé. – Thea sinensis. Est spontané dans l'île de


Hainan (Hance, Journ. of bot. 1885, p. 321). Abel l'avait déjà
trouvé, en apparence sauvage, près de See-chow (Griffith, Tea of
Upper Assam).
P. 129. Giroflier. Caryophyllus aromaticus, L. MM. Fluc-
kiger et Hanbury (Hist. des drogues, trad. franç. 1, p. 498) ont
prouvé que le commerce introduisait cette épice en Europe déjà
dans le vi° siècle. M. Fluekiger (Journ. de pharm., nov. 1885) a
vu deux clous de girofle tirés d'une boîte de cette époque venant
du château ruiné de Horburg.

P. 129. Houblon. Humulus Lupulus, L. -Croit spontané-


ment à Yédo, Japon, et en Amérique, du Canada au Nouveau-
Mexique (A.Gray, Bot. ofn. st., éd. 2; Watson, Calif., 2, p. 63),
comme en Europe. C'est par erreur que dans le Prodromus j'ai cité
A. Gray pour avoir dit cette espèce naturalisée en Amérique.

P. 171. Abricotier. Prunus Armeniaca, L. M. Capus


(Ann.sc.nat., série 6, vol. 16, p>280)l'avu sauvage en Tu.kestan.
Il est impossible de savoir s'il y est indigène ou naturalisé par
des noyaux rejetés hors des cultures. M. le conseiller de Dani-
lewskim'a fait savoir qu'il l'a cherché inutilement dans les forêts
de Talysch.

P. 174. Amandier. Amygdalus communis, L.. M. Capus


(Ann. se. nat., série 6, vol. 16, p. 281) l'a trouvé « subspontané »
en Turkestan, avec une variété spontanée.

P. 199. Gourde. Lagenaria vulgaris, Seringe. MM. Asa


Gray et Trumbull (Amer. journ. of se., 1883, p. 370) donnent
des raisons pour supposer l'espèce connue et indigène dans le
nouveau monde avant l'arrivée des Européens. Les premiers voya-
geurs sont cités par eux plus en détail que je ne l'ai fait. Il résulte
de leur témoignage que les habitants du Pérou, du Brésil et du
Paria, possédaient des gourdes, en espagnol calabazas, mais je
ne vois pas de preuve que ce fût l'espèce appelée par les bo tanistes
Cucurbita lagenaria, maintenant Lagenaria vulgaris. Le seul
caractère indépendant de la forme si variable du fruit est la cou-
leur blanche des fleurs, et il n'est pas indiqué.

P. 201. Potiron. Cucurbita maxima, Duchesne. Aux


raisons de soupçonner une origine américaine il faut ajouter que
ADDITIONS ET CORRECTIONS 377

des graines du cimetière d'Ancon, au Pérou, ont été reconnues,


de M. Witt-
par M. Naudin, pour appartenir au C. maxima. (Lettre
mack, 15 oct. 1882). Au sujet de ce cimetière voyez ci-dessus p. 273.
Les témoignages des anciens voyageurs sur le C. maxima en
Amérique avant l'arrivée des Européens, ont été réunis avee beau-
coup de soin par MM. A. Gray et Trumbull (Amer. journ. ofsc,
1883, p. 372). Ils confirment que les indigènes cultivaient des
courges Cucurbita, sous des noms américains, dont quelques-uns
subsistent dans le langage actuel des États-Unis. Aucun des anciens
voyageurs n'a constaté les caractères botaniques (ci-dessus p. 199) et
par lesquels Naudin a établi la distinction des C. maxima
C. Pepo, par conséquent on demeure dans le doute sur l'espèce
dont ils ont parlé. D'après différents motifs, j'avais admis l'origine
américaine pour le C. Pepo (p. 203), mais je conserve mes doutes
attenti-
pour le C. maxima. En lisant Tragus et Matthiole plus
vement que je ne l'avais fait, MM. A. Gray et Trumbull remarquent
bota-
qu'ils appelent indien ce qui venait d'Amérique. Mais si ces
nistes ne confondaient pas les Indes orientales et occidentales,
des
plusieurs autres et le publie le faisaient, ce qui a produit
erreurs répétées ensuite par des savants.

P. 204. Courge musquée. – Cucurbita moschata, Duchesne.


-Des graines de cette espèce, reconnues par M. Naudin, ont été
trouvées dans le cimetière d'Ancon (d'après ce que m'écrit
M. Wittmack). La question de l'origine américaine serait ainsi
tranchée, si ce n'était certains doutes sur l'époque des tombeaux
d'Ancon. (Voir ci-dessus p. 199.)

P. 210. Concombre. Cucumis sàtivus, L. Des graines de


concombre ont été trouvées dans les cendres préhistoriques de
Szilahom, en Hongrie (Fotini, cité dans Engler Bot. Jahrb. 3,
p. 287).

P. 222. Groseillier noir. Cassis. Depuis que j'ai signalé


le nom de cassis comme peu ancien et d'origine inconnue, plu-
sieurs personnes m'ont communiqué des recherches sur ce point,
mais elles ne sont pas parvenues à un résultat positif. M. Schuer-
mann, président de la cour d'appel en Belgique, érudit distingué,
n'a pas découvert le nom de cassis avant la date de 1712, qui est
celle d'un opuscule intitulé Propriété admirable du cassis,
plante de la Tourraine, du Poitou, etc. Le charlatanisme s'étaitde
emparé de ce nom nouveau, comme aujourd'hui des noms les
revalescière, revalenta, etc. Peut-être avait-on voulu imiter
liqueurs parfumées avec la Cassia lignea, vulgairement Cassie,
dont il est beaucoup question dans BÏuckiger et Hanbury. (Dro-
gues, trad. franc., 2, p. 238.)
378 ADDITIONS ET CORRECTIONS

P. 253. Fève. Faba vulgaris, Mœnch.– D'après une. lettre


de M. le conseiller Danilewski le désert dit de Mungan dans le&
ouvrages est celui deMughan, au S.-O. de la merCaspienne, entre
les fleuves Koura et Arosc. La plus ancienne culture de fève con-
nue est celle de la variété celtica de Heer, dans les souterrains
d'Aggtelek, de l'âge de pierre en Hongrie. (Cité dans Engler,
Bot. Jahrb. 3, p. 283).

P. 257. Lentille. Ervum Lens, L. Cultivée en Hongrie,


à l'époque de l'âge de pierre, d'après les graines du souterrain
d'Aggtelek (Engler, Bot. Jahrb. 3, p. 284).
P. 258. Pois chiche. Cicer arietlnum, L. Était connu
en Chine déjà dans le xive siècle, sous des noms qui indiquent une
origine occidentale (Bretschneider, lettre de Pékin, en 1862)'.

P. 260. Lupin. Lupinus albus. L. M. Danileswki estimait


qu'il est bien spontané au Caucase parce qu'on ne lé cultive pas
dans cette région. (Lettre de 1862.)

P. 262. Pois des jardins. Pisum sativum, L. Cultivé en


Hongrie à l'époque de l'âge de pierre, d'après des graines du sou-
terrain d'Aggtelek {Engler, Bot. Jahrb. 3, p. 284).

P. 293. Locular. Triticummonococcian, L. – M. H. Vilmo-


rin (Bull. soc. bot. fr., 1883, p. 62) n'a pas réussi mieux la 3°.et
4e année dans des croisements entre cette espèce et d'autres Triti-
cum. On le cultivait déjà lors de l'âge de la pierre, en.Hongrie,.
d'après les graines trouvées à Aggtelek. (Staub, dans Enqler, Bot.
/a&-6.3,p.282.)
P. 294-297. Orge. Hordeum. Le colonel Steward (Soc^
écoss. de géogr:, février 1886) a trouvé' une grande abondance
d'orge sauvage autour du puits d'Agar Chah, entre Hérat et
Nerve. Etait-ce l'orge à deux rangs? ou à quatre rangs? qui n'a.
pas été vue spontanée d'une manière certaine.
P. 297. Seigle. Secale cereale, L. – Était cultivé en Hon-
grie à une époque préhistorique antérieure à l'âge de bronze,
d'après les découvertes faites dans la vallée de Szadoeler (cité
dans Engler, Bot. Jahrb. 3, p. 287).
P. 299. Avoine. Avena. -Le nom russe est Owess. (Lettre-
de M» Danilewski.)

P. 302. Millet commun. – Panicum miliaceum, L. – D'après


une lettre de M. Danilewski, les Tatars ne font pas du pain avec.
le millet, comme l'a dit Steven, mais ils en tirent une boisson.
ADDITIONS ET CORRECTIONS 379

P. 305. Sorgho commun. Holcus Sorghum, L. C'est par


erreur que j'ai cité Bretschneider comme ayant dit, d'après d'an-
ciens ouvrages, le sorgho spontané en Chine.

P. 309. Riz. Oryza sativa, L. M. Ferd. de Mueller m'a


écrit que le riz est certainement sauvage dans l'Australie tropi-
cale. Reste à savoir s'il n'a point été naturalisé par des graines
apportées par l'homme.

P. 311. Maïs. Zea Mays, L. On trouve des détails sur le


traité du Pen Tsao Kang mu, par Li Sehi chen, dans Bretschnei-
der, Botanicon sinicum, p. 34. L'ouvrage a été rédigé de 1552 à
1558. Il ne dit pas que le maïs soit ancien en Chine. M. Brets-
chneider (lettre du 28 déc. 1882) affirme que les anciens auteurs
chinois disent l'espèce venue de l'ouest, ce qui peut avoir eu lieu
depuis la découverte de l'Amérique.

P. 328. Cotonnier des Barbades. Gossypium barhadense,


L. M. le Dr Masters (Journ. Linn. soc., 1882, vol. XIX, p. 212)
affirme que l'espèce généralement cultivée dans l'Afrique inter-
tropicale est le G. harbadense, mais il n'en a vu que des échan-
tillons cultivés. On dit l'espèce américaine, sans en avoir la
preuve par des échantillons spontanés ou par des cultures anté-
rieures à la découverte de l'Amérique.

P. 341, ligne 7. Ricin. Le Dr Bretschneider en a parlé dans


une note de son Study, etc. de 1870, p. 22, mais ce qu'il dit et
une lettre de lui, en 1881, ne font pas présumer une culture
ancienne en Chine.

P. 362, ligne 9. Houblon. Ajouter cette espèce à celles qui


sont indigènes dans l'ancien et le nouveau monde.
INDEX
2V B Tontes les espèces sont reproduites dans le tableau des page*
de celles men-
351-359,sans qu'on l'ait indiqué ici. 11en est de même
tionnées dans les pages 360-372.

376 35T
Abri 1. 171, Asperge.
150 353
A-bricatien £A.1periqçLe. Atriplex hortonsfs.
· 72 229
Ache Aubergine.
359 Avena. 299
Agaricua eatapesh-is. 232
12Z Avocatier
Agave. amecieam. 378
50 Avoines: 299,
AU.u.u.
232
Alligator oear. 242
81 Bananier .xu-.
Aliium AmpeIoprasum, Porrum. 3;5
– AscatQntcum. 55 Batatas edniis, Batate.4S.
52 Baumwaichsel. 165
Cepa. 213
Benincasa.
–.ûstatosam. 46
~0 Beta vnlgaris.
– sativum. 46
57 Bette, Betterave.
– SBhœnopraanm. 3ü5
56 Bibassier.
.– Scorodoprasum. 2 62
60 Bisaille
AJooMia D3-acrprhjza. 322
Amandier 174, 376 B:xa Orellana
80 Blé de momie. 290
Amarantns, div.·esp,········ 289
X''2 de Pologne
frumentaeens.·.·. 281
80 de Tartarie.
gangetieus 3"
Amidomer. 293 de Turquie
61 dur 289
AmorphaphaUnsKonjak. 279
–_ Rivieri. 61 noir.
376 Bœhmerianivea. 116
Amygdelus communis.174, 29
Persica. 176 Brassica campestris.
153 chinensis. 3~3
Auacardium occidentale 29
Ananas. 248 Napus
307 – oteraoea. 29, 66
Andropogon saccharattl 29
–~ 305 Rapa
Sorghum. 80
Anona Cherim4lia 138 Brèdede Malabar
137 Bromelia Ananas 2\8
– murioala. 138
– ratiCtitata. 138 Bullocks heart.
133
sqnaniosa. 250
Anthrisous CereMinm. 71 Cacaoyer
71 Caféier 333
Apinm graveolens.· 336
320 Caféier de Libérie
Arachide, Arachis hypogiBa. 227
Arbre a pain. 238 Caimito
344 CaMtier. ~7
Arec, Areca. 266
Armeniaca vulgaris 171 Cajan, Cajanus indicus. 195
Arracacha esoalenta. 32 Calebasse
353 Cameline. 357
Arroehe. 352
A~7ow-root 6i CampanulaHapononins.
73 Cannabis sativa 117
Artichaut. 122
238 Canne à sucre.
Artocarpus mosa. 116
239 Caunelier.
integrifolia. 229, 230
Arum eseulentum. 58 Capsicum.
Cardon. 73
– maerorhizon. 60
2n
353 CanoaPapaya.
Asparagus ofacinaUs.
382 INDEX

351 Cucurbita Citrullus 209


Carotte.
268 – fioifolia 20a
Caroubier. 19»
130 – Lagenaria
Carthame, Carthamus tinctorius.
aromaticus. 128, S76 maximà 199, 376
Caryophyllus
CaSSIS.. 2--r 377 – Melopepo, pepo 200
283 mosclmta 204, 377
Castanea vulgaris.· ··. 65
106 Cnreuma angustifolia.
Cat, Cathaedulis. J3S
Cédratier 141 Custard apple
106 Cydonia vulgaris 1=»
Celastrns edniis. "»
Céteri. 71 Cynara Cardunculus
105 73
Cerasus Tntgaris- – Scolymns
268 CytisusCajan 266
Ceratonia Siiiqaa.
71 Dattier 240
Cerfeuil.
Cerisier commun .165 Daucus Carota • *»
163 Dioscorea, div. esp °1
des oiseaux.
359 Diospyros Kaki. Sofa
Champignon des conches.
117 – Lotus. 3o6
Chanvre.
283 – 3oa
Châtaignier" virginica.
217 Dolichos Lablab 277
ChayÓte. – 278
282, 36S Lubia
Chenopodium Quinoa. 13S 264r
Cherimolia. – Soja.
31 Doucette 73
Chervis.
Chicorée 77 “5~
China grass. 116 Echalote
66 Elœis gnineensis. 344
Chou '0' 3o7
Chou de Chioe. 352 Eleusine Coracanai.
29 End.iv& 77
Choux-raves. 29Î
227 Engrain:v.w-.vi
Chrysophyllum ~ïni~o,· 291
Giboule.8..[0" 8!" 54 Epçautte.
57 Epinard. 78
Ciboulette. 355
37S Eriobotrya japonica.
Cicer arietinum. *258,
77 Ers, Ervum Ervilia. 85
Cichorium
Cinchona.?_1' 358 Lens. 257, 37S
116 Erythroxylon Coca. 10/
Cinnamomum zeyi~mieftm.
141 Escourgeon.v.• •• -296
Citronnier.139, -83
Citrouille. 200 Espareette.
Citros.– 139 Eucalyptasglobulns. -354
144 Eugenia' Jambos-••• 191
Citrus AnrantmtB.
140 – maJacceasis 192
de.cu.mana."8;"8;
141 Evi. 161
~I~8;
– DoMIis. H9
£09 Faba vulgaris.v 378
Citrnllus yntgaris. .253,
57 Fagopyram. 279
Civotte. ••
107 – i • Bmarginatum.••. *oi
Cooa.
26 – tatarioum. 281
Coehtearia.Armor.aeia, 89
Cocos nucifera,. Cocotier. 345 Fenu grecs.
138 Fève.T S53, 378
Cœnr de £3d
Coffea arabica. 333 Ficus Cariea.
336 Figue d'Inde. 218

18S Figuier.• 235
Cognassier.0," o_o.o~o.~o.o.o. chiloensis 163
Colocasia a0.tiquPl`um,··· 58 Fragaria
377 vesca. 161
Concombie. 3i0, 163
Concombre Anguria.y 212 – virginiana;
Convclmlns B¡¡.tatas"42, 373 Fraisier.•. loi
Coracan.t~ 357 Fraisier duChili; -Ira
103 de Virginie. 163
Corchorus. 3ro
Corossol- 137 Framboisier
3SÏ5 Froments 2Si
Cotonnier, arborescent
,de:3 Bazbades. 22à" 379
323 Garance: 33
berb¡¡C!3.o' 149
195 Garcinia Mangostana.
CoNgonrde. «T
205 Garousss.
Courge à. feuilles de fi~~uier »'>>
iBBtonee.nmsq.uée.20~, 377 Gesse. s&>
ÏU0 Gesse Ochrus. 89
Pépon. 87
»
Cran, J;I1aci~lmao" .u. 3~2 Gessette. :
352 "'0"
6
Cran, Cranson..o. 26J r
Cresson alénois, m Glycine Soja.
352 – sublerrauca 27S
de fontaine
132 Gombo. 1™
Crocus sativtls. o. o.
212 Gossypiora-arboreum 325
Cucumis Auguria, ·
205 – • barbadense..328, 379
– Mélo"
377 – herbaceum 323
– satîvns.310,
383
INDEX

3,6' 378
Cmrde.––MS, I.np:nusaU)us.260, 261
Lupinus Termis.<
Goyavier 193 353
189 LnpuHne.
Grenadier 165 Luzerne 1. 81, 375
ttriottier. 231
288 Lycopersicum esculentum.
Gros blé 2W
Groseillier à maquereaux. 377 Macel'on. 72
noir 222, 73
220 Mâche.
rouge. 336
92 Madia.
Gninea grass. Maguey.– 9
170 Maïs.311, 379
Haferschlehen. Marnmei 228
Haricot.– 150
276 Mammea.ameriMna.
Haricot à feuille d'Aconit. 149
275 Mandarine.
Haricot courbé.
-de Lima. 275 Mangifera indida. 159
149
2 77 Mangostan. 159 9
– trilobé.
83 Manguier.
Hedysarum corouarium. M Manioc, Manihot utitissima.
47
Onobrychis. S4
Maranta artindinacca
iieiianthus tuberosus. 34, 373 Maté. 101
109 353
Henné.
g2 MedicagoLnpu'ina.–
Herbe de Guinée satÍva.81, 375
150 205
Hibiscus eseuientus.
379 Melon. 303
Holcus Sorghum.305,
Hordeum distichon. 294, 378 MiUetagrappe.
commun. 302, 378
hexastiehon. 290 l'if
378 MomordicaéyUn-drica. 119
fulgare. S98,
376 Morus alba
119
HouNon.°.1S9,
376 nigra.
Humulus Lupulus.129, Moutarde_
277
61 Munge.
Igname. 107 Mûrier blanc. 119
Ilexparagnanenas. 121
103 noir.
Indigofera, Indigotiers. Musa paradisiaea et 242
sapientum.
336
239 Muscadier,
Jack, Jacquier. 192 352
Jamatae.
192 Nastnrtianiofflomale. 28
Jambosa malaccensis Navets.
191 252
– fulgaris. tappa'o'euTn.
87 Nephelium Lit-chi. 251
Jarosse.
47 252
Jatropha Manihot. Louga-na.
Joliffia 155 112-116
8i'v:'esp.
3j2 Nicotiana,Tabaeum. 111
Joliffla
Jugtans regia.
342
Jujubier commun. 15i ` Noyer:
156
– deFInde.
Lotus. 13G) Oignon. o. Õ2
103 222
Jute.–" 3o~ea europœa.
.OMer. 222
KaH.–.– 356 sat~va. 4. 83, 2 375
OnobrychM
S2 Opuntia Ficus mdica. ~18
Kiery. o. "4. H4
Koujak. -61 L Oranger.139, 294
Orgeadeuxrangs.
Lablab 277 à sia rangs. 296, 378
75? –commune.?6, 378
Lactuea SoarMaYar. 90
Lagenarla vulgaris, 3-16 5 5 Ornithopus isthmocarpus. 9D
Laitue. – saHvas.
87ï Oryza sativa, 3.79
LathyrusCieera. 893 Oseille. 353
LathyrusOchrus. 3;;)1
sath'as.––.SS, 376'6 Panais.
303
9 Panicd'Haiie.
Lawsonia..· 109 303
Lens esculenta 2577 panicumitaticiim.
.maximum. 92
37t'8
Lentille 257, 378
6SS miiiaeonm.302,
Lepidium sativum.–
Liane Joliffe. 35:5
5 Papaver setigerum.3..U
somniferum 319
141
1
Limonier.
9~ 5 Papaya vul3aris, Papayer.
Lin, Linum
Li-Tsehi.– 251,1 Papeugay. "'H'"
L 0 lar 293, 37~8 Pastèque 209
351
& Pastinaeasatna.
Longan.
27. 78 Patate 42
Lubia. 353
Lucuma Caimito. :7 Patience.
~c 319
– mammosa. 22128 Pavot.
12le 176
.5 Pécher.
Luffa aautangnta. 232
21;4 perseagratissima.
cylindriea.
384 INDEX
Per~ica vulgaris. 176
Rad!s.S3, 373
Persit. 72 Raifort. 23
Persimmon. 359 Raifort sauvage. 26
PélanielIe. 288 Raiponee. 352
Pelit pois. 262 Ramhontan. 252
Petroselinum sativum. 72 Ramié. 116
Pflauenbaum. 17C Raphanns ~Raphanistrum, 25
Phaseolus aconitifolius 276 Raphanns sativus. 23
– in.imœnus. 1î5 Kaves. 28
– lunatus. S75 RhusCorîaria. 106
Mungo. 277 Ribes Grossuiarîa. 219
trilobus: R77 222
o V1l1{!c ds. 270 –rabrum. 220
Phénix dactylifera 210 Uva.crisna. 21g
Piments. 229 Rioin, Ricinus.339, 379
Piper BetIe. 0" 357 379
Rn.309
–longum. 357 Ro.;ambole. 56
nigrum. 357 Rocou.3~
olficinarum. 357 Rubia tinetorum. 33
Pisiaehe da terre. 3a) Rnbus Idoeus 1. 355
Pio:1achier, Pi$lacia vera. 252 Rumex acetosa. 353
Pisum arvense. M2 – Patientia. 353
Oohrus. 89 Rutabaga. 29
sativum.262,378 Saccharum offiemarum. 12!
Poireau. 81 1 Safrau. 132
Poirée. 86 Sainfoin. 83,-g7g
Poirier de Chine. 186 Sainfoin d'Espagne. 83
commun. 183 Salsifis 35
– sanger. 185 Salsifis d'Espagne. 35
Pois cbiche. 258, 378 Sapota Aohras. 228
des champs.262. 378 Sapotilliec. 228
des jardins.26! 3-8 Sarrasin. 279
gris.26~, 378 Sarrasin de Tarlarie. 281
Poivre de Cayenne. 229 – emargine. 2si
Poivrier Bétel. 357 Sauerkischen. 165
"lôn~.`: Soandix CereMinm. 71
– noir. 357 Scorzonère d'Espagne. 35
–'6f6c:nat. 357 Scorzonera hispaniea. 34
Polygonnm émarginatum. S8t Sea-Kale. 352
– 279 Secale eerea)e.g97,
Fagopyrum. 378
tat 281 Sechium edule 217
Pomme canneHe. 133 Seigle 297, 378
Pomme d'amour. 231 Serradelle 90
Pomme de 373 Sesame, Sesamum. 337
Pomma 1'O.8e. 191 Setaria itatica. 303
Pommier 186 Sliaddock 140
Pommier d'Acajon. i58 Sinapis alba 357
Pompelmouse. 140 nigra. 357
Porreao. 81 Sium Sisarum 31
Portulaca oleracea 69, 375 Smyrnium OIus-atrnm. 72
Potiron.199, 376 Soianum,~div. esp.39, 264
Potilard 2~8 Sotanum, div.esp. 42
39,
Pourpier 69, 375 – escutentum. 229
Pruniers. 168 – Metongena. 229
Prunier domeslique. 169 373
tuberosum. 36,
proprement dit. 170 Sorgho commun. 305.- 379
Prunus Amygdalus. 174 – sncré. 307
Armeniaca 171, 376 5orghum-saccharatum. 307
avium 163 379
– .vatgare.303
Cerasus. 165 Sonr Cherry. 165
domesLica. 169 Sour sop. 137
'– insitttia. 170 Spargoole~ 90
Persiea 176 Spergula arvensis. 91
Psidium -Guayava. 193 Spergule. 91
Punica Granatum 189 Spinacia oleracea. 78
Pyrns communis. 183 Spondias 161
– Ma~ns. 186 Sugar agple. 133
nivalis. 185 Sulla. 83
– sinensis. 186 Susskirsehhaum. 163
Sumac. 106
Quinoa. 282, 368 Sweet Potatoe.h. 42
Quinquina 358 Sweetsop. 133
INDEX 385
111 Triticum monocoeeam.293, 378
Tabac.
355 polonicnm. 289
Telfairia.
261 turgidum. 288
Termis.
71 vulgare. 284
Tetragone, Tetragonia expansa. 29
Thé, Thea sinensis.93, 3'6Tnrnep.
Theobroma Cacao. 250
231 Valerianella olitoria. 73
Tomate.
373 Vesce. 86
Topinambour. 85
35 Vicia Ervilia.
Tragopogon porrifolium. 253
Trèfle 8i Faba.
85 sativa. 86
Trèfle d'Alexandrie.
84 Vigne. 15t
Farouch
353 Vitis vinifera. 151
hybride. 278
incarnat. 84 Voandzela
217 Voandzou. 278
Trichosanthes
Trifoliam aleaandrinnm. 85
353 ZenMays.311,379
hybridum.
incarnalum. 84 Zizaniaaqnatiea. 361
84 Ziziphus jujuba. 155
pratenae.
89 Lotus 156
Trigonella Fœnum-grœonm.
TriLiGani eompositum. 288 vulgaris 154
dicoccnm. 293 Zwetschen. 169
durum. 289

FIN DE L'INDEX
TABLEDESMATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE
Notions préliminaires et méthodes employées.
CHAPITREPREMIER. De quelle manière et à quelles époques la culture a
commencédans divers pays. ·.·· i
CHAPITREII. Méthodes découvrirou constater l'origine des espèces. 6
pour
§ 4. Réflexions générales.· 6
6
2. Botanique. Ii
§ 3. Archêologieetpaléontologie.
§ 4. Histoire. 12
5. Linguistique 15
20
6. Nécessité de combiner les différentes méthodes.

DEUXIÈME PARTIE
Étude des espèces au point de vne de leur origine, des
premiers temps de leur culture et des principaux faits de
leur dispersion.
CHAPITRE PREMIER. Plantes cultivéespour leurs parties souterraines, telles
que racines, bulbes ou tubercules 23
CHAPITRE II. Plantes cultivées pourleurs tiges ou leurs feuilles. 66
Article 1. Légumes. 66
Article 2. Fourrages. 81
Article 3. Emplois divers des tiges ou des feuilles. 93
CHAPITRE III. Plantescultivéespourlesfleursoules organesqui les enveloppent. 128
CHAPITRE IV. Plantes cultivéespour leurs fruits. 133
CHAPITRE V. Plantes cultivéespour leurs graines. 239
Article 1. Graines nutritives. 250
Article 2. Graines servant à divers usages. 319

TROISIÈME PARTIE
Résumé et conclusions.
CHAPITRE Pnmmn. Tableaugénéral des espèces,avec l'indication de leur
351
origine et de l'époquede leur mise en culture
CHAPITRE II. Observationsgénérales et conclusions. 36i
Article 1. Régions d'où sont sorties le~ plantes cultivées. 36i
Article 2. Nombre et nature des espèces cultivées depuis des épo-
363
ques différentes.
Article 3. Plantes cultivées qu'on connaît ou ne connaît pas à
l'état sauvage. 367
Article 4. Plantes cultivées en voie d'extinction ou éteintes hors
des cultures 370
Article 5. Réflexions diverses i
374
'4DDMONS ETCORRECTIONS. 373

Coulommiers. – Imp. P. Bhodàhd et Gallois.

Vous aimerez peut-être aussi