Album Zuti Que

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Fondateurs

Jacques Decour
(1910-1942)
fusillé par les nazis
et Jean Paulhan
(1884 -1968)
Directeurs
Louis Aragon
(1953-1972)
Jean Ristat

ÉDITORIAL
Par Jean Ristat L’Album zutique (2)
L
es Lettres françaises, gardons-en mémoire,
furent le journal de la Résistance intellectuelle
contre l’occupant nazi. Fondées par Jacques
par Jean Ristat
Decour et Jean Paulhan, en 1942, elles cessèrent
de paraître en 1972. Vercors, en novembre 1972,
à la mairie du 9e arrondissement de Paris, rendait
hommage à Jacques Decour, en ces termes :
« Avec les Lettres françaises et les Éditions de
Minuit, c’est pratiquement toute la Résistance
intellectuelle dont Jacques Decour a été l’initiateur. »
Vercors intervient alors au moment de la disparition
des Lettres françaises et s’écrie : « Ce n’est pas
le lieu ici de discuter les causes de cette douloureuse
disparition. (…) Il nous semble que sa mémoire a
été trahie deux fois, et nous tous avec elle. » Le nom
de Jacques Decour « est à jamais inscrit dans notre
histoire ». J’écris dans un moment où, en France,
le programme de la Résistance est peu à peu
démantelé et le développement culturel de notre
pays gravement menacé par des coupes budgétaires
drastiques : loi du marché oblige ! Il faut donc
résister et passer à l’offensive : la bataille d’idées
n’attend pas. Les Lettres françaises aujourd’hui
veulent être un lieu de rassemblement des intellectuels,
des artistes, des écrivains contre l’inculture organisée
par le capitalisme mondialisé.
Par exemple, la discussion critique des œuvres
de l’art, de la philosophie et de la littérature n’est
pas, comme certains l’imaginent, tempête dans
un encrier. L’adversaire, lui, ne s’y trompe pas :
regardez le soin par exemple avec lequel le Monde,
via le livre de Mehdi Belhaj Kacem, s’attaque
au travail d’Alain Badiou ! Il ne peut être
question de fuite devant la discussion. Pour
reprendre l’expression d’Aragon, « ne laissons pas
l’avantage à l’ennemi sans combat ». C’est le rôle
que les Lettres françaises tentent de remplir depuis
plus de sept années qu’elles sont insérées dans
l’Humanité. Malgré ses graves difficultés financières,
l’Humanité continue de nous publier. Nous n’avons
jamais cessé de lui en savoir gré. Nos lecteurs
doivent savoir que depuis la disparition du journal
le samedi, nous paraîtrons désormais le jeudi. Nous
sommes obligés de réduire notre pagination, passant Fac-similé de l’Album zutique.
de 16 à 12 pages, contribuant ainsi à l’effort de
redressement de l’Humanité. Il est plus que jamais
nécessaire d’aider les Amis des Lettres françaises.
Je n’oublie pas non plus tous les collaborateurs
des Lettres françaises qui, malgré leurs difficultés
personnelles, travaillent bénévolement, mois après Un inédit de John Giorno
mois, pour que vive notre journal.
À vous toutes et à vous tous, merci.

Les Lettres françaises du 7 avril 2011. Nouvelle série n° 81


LETTRES

L’Aventure zutique de Rimbaud (2)


O
uvrons maintenant l’Album zutique. Rien de plus facile L’intérêt du travail de Teyssèdre est de montrer le savoir-faire homosexualité (…) cette évidente provocation était dictée par une
aujourd’hui depuis la réédition du fac-similé de 1962 de Rimbaud, le comment de sa fabrication. Le texte des Vieux stratégie politique ». Certes. Mais « ils montrent ce qui est pour
par les Éditions du Sandre, en 2008 puis en mars 2011. de la vieille est « agencé avec une minutie digne (…) d’un arti- eux l’objet du désir sexuel sous un aspect qui bafoue délibérément
En effet, l’Album est un « foutoir » : à première vue, dans le sens san de boîte à malices. Il a amalgamé trois pièces distinctes de non seulement les normes morales mais même les répulsions phy-
familier du mot, il est composé dans le plus grand désordre. Belmontet » et effectué un montage de citations dont l’armature siques (la merde, les pets) », ajoute Teyssèdre. Le premier vers du
Certains poèmes se chevauchent ou sont accompagnés, voire est le fameux banquet du 20 mars 1856. Le lecteur se reportera sonnet que Verlaine aimait à répéter, « Obscur et froncé, comme
entrelacés, de graffitis obscènes. Ces dessins ou inscriptions ne avec intérêt à la fine analyse et aux commentaires de Teyssèdre. un œillet violet », évoque le dernier vers du sonnet des Voyelles :
dépareraient pas les portes ou les murs de toilettes publiques et Il est clair que le message politique de Rimbaud « qui résulte du « Ô l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux. » Dans le Sonnet du trou
donnent à foutoir son plein sens de lieu d’érection. (Je ne peux changement de date (…) est précis : les glorieux communards du du cul, le premier vers, en effet, « se place sous la dominance de la
m’empêcher de faire ici une digression en citant les derniers 18 mars résisteront à la coalition tricéphale de l’armée, des ruraux voyelle O, qui intervient quatre fois pour l’ouïe et une cinquième
vers d’un poème d’Aragon, Poème écrit dans les toilettes avec et de l’Église ». Une restauration de l’Empire, à l’automne 1871, pour la vue (œ) : Obscur et frOncé cOmme un Oeillet viOlet ».
un couteau sur le mur (1928 ?) : « Je me Je me / Je me / Meurs n’était pas impossible… Le Figaro du 20 octobre déclarait: « Nous Ces O répétés renvoient au dernier vers de Voyelles. Il n’est pas
/ Je meurs. » Notons qu’il s’intègre dans un ensemble intitulé sommes en état de siège. » Voilà qui nous amène au poème État de possible de savoir, de ces deux sonnets, lequel précède l’autre…
De amore Elsae.) Foutoir est aussi un lieu d’insurrection, fait siège ? qu’après une étude minutieuse Bernard Teyssèdre date du Peu importe sans doute… Mais enfin, le Sonnet du trou du cul
remarquer Teyssèdre : « Lieu de soulèvement, d’érection à l’in- 21 octobre, « le jour même qui a précédé la soirée du 21 octobre s’inscrit dans une tradition des blasons du corps initiée par Clé-
térieur des lignes de défense de l’ennemi. » Ce qui nous renvoie au théâtre de l’Odéon. L’auteur de la pièce qu’on y jouait, Fais ment Marot. Les poètes de la Renaissance ne s’effarouchaient pas
à la dimension politique des interventions des zutistes et, plus ce que dois, n’était autre que François Coppée ». Les dernières à l’idée d’écrire un blason du cul : « Ô cul de femme, Ô cul de belle
particulièrement, celles de Verlaine et de Rimbaud. Les zutistes, répliques patriotardes, « Dieu, protège mon fils / Dieu, protège fille, / Cul rondelet, cul proportionné, / De poil frisé pour haye
dirait-on à notre époque, sont des activistes de gauche qui ont fait la France », se passent de commentaires. Coppée était devenu environné / (…) Cul bien foncé, cul bien rond, cul mygnon, / Qui
scission avec la majorité des Vilains-Bonshommes, « majorité de anticommunard – « l’émeute parricide et folle, au drapeau rouge, fait hurter souvent ton compagnon… », écrit Eustorg de Beaulieu,
centre droit, timorée et conservatrice » et aussi des copains qui / L’émeute des instincts sans patrie et sans Dieu / etc. » Coppée, en 1537. Les poètes de la fin du XIXe siècle comme Albert Mérat
s’amusent entre eux comme des potaches. évidemment, a fait ce qu’il fallait pour recevoir un triomphe à ont d’étranges pudeurs (pour ne pas parler de leur refoulé). Mérat
l’Odéon. « Il était, pour Rimbaud, abject. » venait donc de publier, en 1869, chez Lemerre, l’Idole. Il s’agissait
Après avoir lu le travail de Bernard Teyssèdre, il est impossible d’un recueil de blasons du corps
de considérer l’Album zutique comme une simple curiosité. (On féminin. Il y célébrait les yeux,
parlait, il n’y a pas si longtemps, de curiosa pour définir comme la bouche, les seins… jusqu’à la
à l’oblique le rayon érotique d’une bibliothèque.) Il nous montre pointe des orteils. Mais les fesses ?
avec une force démonstrative imparable que « l’obscénité est le Les avait-il oubliées ? L’avait-on
langage naturel de la subversion » chez Rimbaud. L’apport de censuré ? « Donc, mon œuvre sera
Teyssèdre aux études rimbaldiennes est décisif et pas seulement par moi-même meurtrie : / Au lieu
par la datation des pièces de l’Album, parfois au jour près, mais de nu superbe, un pli de draperie
surtout par sa lecture, tout à la fois ouverte, plurielle et circons- / Dérobera la fuite adorable des
tancielle des poèmes : « Lire Rimbaud c’est s’interroger sur une flancs. » Quoi qu’il en soit, il ne
série jamais close de références explicites ou sous-entendues. C’est fallait pas nommer les fesses…
encore, et là est le plus risqué, s’interroger sur ce qui dans le texte On comprend les moqueries de
renvoie à l’histoire en général, aussi bien à l’histoire politique ou Verlaine. Mérat est bien le « Père
économique qu’à celle des mœurs. » Les circonstances donc dans la vertu » qui veut interdire, dans
lesquelles les poèmes ont été écrits vont évidemment permettre l’Album, à Verlaine de fumer du
d’établir leur chronologie dans l’Album zutique. D’où l’impor- haschisch. Il est homophobe et ne
tance de dépouiller la presse de l’époque, le Figaro, le Rappel, remettra pas les pieds, après cette
sur la période considérée. Il est tout aussi nécessaire de mettre les Idole, chez les zutistes.
textes de l’Album en rapport les uns avec les autres. Certains sont
datés. Ceux de Rimbaud, rappelons-le, ne le sont pas. N’est-ce pas Sartre qui écrira,
Ainsi, dans la même page, sous une proclamation de Rim- en 1939, sur le trou du cul : « Le
baud Vieux de la vieille !, un autre poème du même auteur, figure plus vivant des trous, un trou
État de siège ?. Voyons d’abord Vieux de la vieille : « Aux pay- lyrique, qui se fronce comme un
sans de l’Empereur ! / À l’empereur des paysans ! / Au fils de sourcil. » Quoi qu’il en soit, Teys-
Mars, / Au glorieux 18 mars ! / Où le ciel d’Eugénie a béni les sèdre a raison de considérer que le
DR

entrailles /» Teyssèdre rappelle que le 20 mars 1856 eut lieu un Sonnet du trou du cul de Verlaine
banquet bonapartiste commémorant la naissance, le 16 mars, de et Rimbaud ne peut être « ravalé
l’Aiglon. Présidé par Belmontet, le barde impérial était qualifié La dimension politique des poèmes de Rimbaud dans l’Al- au niveau de la plate trivialité ». Des vers comme « Mon âme,
par Rimbaud, dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, bum est parfaitement révélée, expliquée, démontrée (comme j’ai du coït matériel jalouse, / En fit son larmier fauve et son nid
comme Hugo d’ailleurs, de « vieille énormité crevée ». Ce député essayé d’en donner un bref et imparfait aperçu) par Teyssèdre. de sanglots. / C’est l’olive pâmée et la flûte câline » sont de la
« poète » (!) était connu pour sa grandiloquence. Tous les 20 mars, Mais elle est inséparable de l’innovation formelle. En fait, la haute poésie.
il célébrait avec les vieux de la vieille, c’est-à-dire les vétérans de plupart des textes zutiques de Rimbaud relèvent d’un « labora- Le travail de Bernard Teyssèdre insiste sur la rhétorique de
la garde impériale de Napoléon 1er, la naissance du roi de Rome toire d’innovations formelles ». Par exemple, le sonnet intitulé Rimbaud. Il affirme, ce qui n’est pas tout à fait dans l’air de
(20 mars 1811) et la rentrée de l’empereur à Paris (28 mars 1815). Paris. Il est constitué, quasiment, par une énumération « de noms notre temps, que « lire Rimbaud, cela débute par une affaire de
Quant au futur Napoléon IV, il est né le 16 mars 1856. propres que la presse et la publicité répétaient souvent à Paris, vocabulaire. Il faut se munir des dictionnaires de son temps : le
en 1871 » (Pascal Pia). « Un poème qui procède par agrégats de Bescherelle, le Littré, le Larousse, le Dictionnaire érotique moderne
Pascal Pia (voir le fac-similé de l’Album zutique) a cru que mots, qui se présente comme une séquence de clusters verbaux de Delvare (1864) et le Dictionnaire historique, étymologique et
Rimbaud s’était trompé en écrivant « au glorieux 18 mars ». Or dépourvue d’articulations grammaticales, c’est une innovation anecdotique de l’argot parisien de Loredan Larchey (1872) ».
il a tracé en gros caractères la date du 18 mars. Ce qui signifie structurale inouïe », écrit Teyssèdre, à juste titre. Mais le Paris Il pense, sans doute avec raison, que le langage de Rimbaud
qu’il a substitué définitivement le 18 au 16. Pourquoi ? Le 18 mars « chanté » par Rimbaud n’est pas celui d’Hugo, « future capitale donne l’impression d’avoir été exceptionnellement prémédité.
est l’anniversaire de la Commune. Lisons maintenant le Figaro d’un monde réconcilié ». Le monde que l’on voit dans le poème Rimbaud se moque de Coppée parce qu’il est un poète bour-
du 20 octobre 1871. « Les communeux, les pétroleux et toute la de Rimbaud est, dit Teyssèdre, « celui de la publicité cautionnée geois, bien sûr. Il le dépeint comme un vieillard gâteux. Mais au-
séquelle des bandits du 18 mars sont de la canaille. » Le 20 oc- par les pouvoirs publics (…) le reflet de la société bourgeoise delà de Coppée, au-delà du désir d’amuser les copains du cercle
tobre 1871 est aussi l’anniversaire de Rimbaud (il vient d’avoir contre-révolutionnaire ». zutique, Coppée « n’est qu’un exemple et même une victime des
dix-sept ans !). « La célébration parodique par Rimbaud de la aberrations de la société qui l’a produit ». Rimbaud démasque
naissance du prince impérial, le jour où est née la Commune Revenons aux premiers feuillets de l’Album qu’inaugure le « le non-dit que l’idéologie bien-pensante voudrait taire ». C’est
et à l’occasion de son propre anniversaire (…) est sa revanche fameux Sonnet du trou du cul. pourquoi son « obscénité » est subversive : « Il parle de la terreur
sur l’avorton princier, et plus encore sur sa propre mère… » Ce poème « mal famé » a longtemps circulé sous le manteau, des bien-pensants face à leur propre sexualité. » À propos du
Mme Rimbaud avait, en 1868, engagé Arthur à écrire 60 vers latins pendant près de trente ans. Nous avons aujourd’hui peine à poème les Remembrances que Breton, en 1949, trouvait « un
à propos de la première communion du petit prince. Teyssèdre le croire. Et longtemps, seul Steve Murphy, signale Bernard peu trop freudien », Teyssèdre souligne que, pour Rimbaud, « le
souligne très justement qu’à cette époque Rimbaud était, selon le Teyssèdre, a osé l’analyser en détail… En 1922, les surréalistes, christianisme est la cause de la névrose ».
mot de Delahaye, déjà athée. Il disait à qui voulait l’entendre que dans leur revue Littérature, proposèrent un concours à leurs
« Napoléon trois mérite les galères ». Mais voilà, le précepteur du lecteurs : ils devaient deviner et le titre et le nom d’auteur(s) du Certes, il faut se méfier de la surinterprétation, « à force de
prince lui répond que « Sa Majesté a été touchée et lui pardonne sonnet… Nous savons que les quatrains sont de Verlaine et les chercher, on trouve. On trouve même ce qui n’était pas là, qui
de bon cœur ses vers faux ». Sa Majesté, douze ans, était un tercets de Rimbaud. Le titre Sonnet du trou du cul a été écrit par aurait pu y être, et qu’on y a mis ». Cette règle d’honnêteté, de
cancre notoire. « Son précepteur, Auguste Filon (…) attribuait Verlaine. Rimbaud, après coup, en petits caractères, a ajouté un prudence, Bernard Teyssèdre l’a respectée pendant la quasi-
(ce jugement) au flair d’un élève plus jeune » que Rimbaud… Le surtitre l’Idole. totalité de sa recherche. Mais, soudain, après s’être demandé
principal est au courant, naturellement, de la lettre impériale, et Il n’est pas anodin que Verlaine et Rimbaud, dans leur pre- si Rimbaud à l’époque du cercle zutiste avait couché avec des
Arthur est ridiculisé. mière intervention dans l’Album, aient « tenu à afficher leur femmes, et répondu qu’il n’en savait rien, quelques lignes plus loin l l l

LES LETTRES F R A N Ç A I S E S . A V R I L 2011 ( S U P P L É M E N T À L ’HUMANITÉ D U 7 AV R I L ) . II


LETTRES

Et dans ce jour de cire


lll
il s’écrie : « Que Rimbaud, plus tard, ait couché avec des femmes,
c’est indiscutable. » Ah bon ! Voilà un argument d’autorité qui
s’autorise, outre de la qualité de son auteur, de propos rapportés
par Delahaye. Après son passage du Saint-Gothard, Rimbaud
est logé gratuitement à Milan par une veuve, une « vedova molto
civile ». Delahaye demande à Rimbaud : « “Quel genre de femme
était-ce ? – Une brave femme… – Jeune ?” Il haussa les épaules
comme si j’avais fait une question bien absurde. “Eh… non”.
au front des automates...
Je n’insistai pas. » Bon. Et alors ? Teyssèdre aurait pu souligner Le Musée Grévin d’Aragon, indisponible en dehors des
que, dans ce domaine, Delahaye n’était guère fiable pour avoir
prêté la main à ce faussaire de Paterne Berrichon et faire plaisir à Œuvres complètes depuis plus de 30 ans vient enfin d’être réédité.
Claudel… Autre argument. Le témoignage du patron de Rimbaud Le Musée Grévin, de Louis Aragon, ser place à la pâleur, l’éclat de
à Aden. En 1884, il aurait vécu avec une Abyssienne, leur liaison, préface de Jean Ristat. Éditions la caricature au « silence des
dit-il, aurait duré « plusieurs mois ou même deux ou trois ans ». Le Temps des cerises/Collection les harpes » ? Les questions qui
Paterne Berrichon a retrouvé, en 1897, la femme de chambre de Lettres françaises, 140 pages, 12 euros. travaillent ces textes n’ont pas
Bardey, Françoise, qui avoue ne pas savoir grand-chose sur elle fini de nous concerner.

A
sinon qu’elle fumait la cigarette. Sa photographie fait la couverture ragon écrivit, « Au quatrième La poésie, accomplie, ne se
des Souvenirs du patron de Rimbaud : elle s’appelait Mariam. été de notre apocalypse », entre consume donc pas dans les cir-
Il est vrai qu’en 1930 une biographe de Rimbaud, Marguerite juillet et septembre de l’année constances qui l’ont vue naître.
Yerta-Méléra, parlant de cette « relation maritale », imagine les terrible 1943, certains des vers les plus Jean Ristat le rappelle, en s’en
répliques suivantes entre Mariam et Arthur : « Est-ce que nous intenses de sa poésie de résistance. C’est prenant malignement, dans une
allons sortir ? — Pas ce soir, petite, j’ai à travailler. » ce sommet un peu oublié, qui n’était plus fable ironique à l’entrée de sa
À chacun son Rimbaud, n’est-ce pas ? En tout cas, je com- disponible que dans l’édition des Œuvres préface, au « prêt-à-porter »
prends mal pourquoi Teyssèdre s’est risqué sur un terrain aussi poétiques complètes, que le Temps des intellectuel d’aujourd’hui, sa
marécageux. Il aurait tout aussi bien pu évoquer les ragots des cerises republie, dans la version édito- sottise et son inculture. En
voyageurs de l’époque. Rimbaud aurait tenté de violer une jeune riale de 1946, quand Aragon put signer mettant à nu les mécanismes
Harrarie. En 1911, un certain Mariette affirmait que Rimbaud le texte jusqu’alors clandestin, y joindre qui renversent les signes, en
« passait pour un sodomite passif… accusé de faire les belles l’admirable préface les Poissons noirs, retournant les conditions de
siestes de Verlaine ». On voit la fiabilité d’un tel témoignage. de même que des poèmes inédits et deux production et de circulation du
Pour en revenir à Bardey, celui-ci a nié que Rimbaud soit resté appendices, dont la « réouverture du mu- discours frauduleux, Aragon
homosexuel : « Il m’a toujours donné l’impression d’un homme sée Grévin » – l’article qu’il venait de ne livre pas seulement le témoi-
normal. » Enfin, Teyssèdre remarque que « les amants de Rimbaud consacrer au procès Pétain. La rencontre gnage d’une voix capable de se
étaient plus vieux que lui et notoirement laids ». Puis, il ajoute : de la plus forte poésie et de l’article de hisser à hauteur d’Histoire. S’il
« Verlaine a manifesté pour ses transports érotiques avec Rim- presse révèle une leçon esthétique : la faut évidemment lire ce livre en
baud un enthousiasme que son partenaire n’a pas nécessairement poésie ne forme pas une langue étrangère son temps, il faut aussi le consi-
partagé. » Nécessairement ? Et je ne vois pas que le sonnet de dans la prose des échanges. Entre l’article dérer dans son actualité, saisir
Verlaine (mai 172) le Bon Disciple, qu’il cite « un peu abrégé », et le poème, la différence est de degré, comment la poésie dénonce et
démontre quoi que ce soit en ce sens. par la force de frappe du vers – lequel démasque ce qui est fait du et
Reportons-nous donc à la biographie de Jean-Jacques Lefrère quelquefois affleure sous la plume du lée. Le Musée Grévin est à Vichy ce que au langage : « Un mot chu par
qui dit ce qu’on sait aujourd’hui sur ces questions, le probable journaliste – non de nature. La défense Princes fut aux guerres religieuses : « Il hasard un mot qui ne va pas » fait basculer
comme l’improbable, et retournons à l’œuvre du poète. Il n’em- de l’épopée à laquelle se livrent les Pois- faut bien que l’aurore entre ses mains de sa dissonance tout le lourd appareil
pêche que le livre de Bernard Teyssèdre doit faire désormais partie sons noirs le montre : « il n’y a de poésie de cuivre / Consume ces rois d’ombre et d’un discours dupeur, quand la trahison
de la bibliothèque de toutes celles et de tous ceux qui aiment et que du réel. » leurs chantres pourris »… Mais la viru- se disait la France, l’ignominie la vertu.
lisent Rimbaud. On peut dès lors redécouvrir la seule lence ne constitue pas l’unique tonalité Entre les « mots démonétisés » et ceux
Jean Ristat œuvre moderne sans doute pouvant ri- d’une parole qui peut aussi se déchirer ou « gardant l’espoir d’un double sens », il
valiser avec l’énergie des Châtiments, puiser chez Verlaine (« L’espoir palpite en va, dans la poésie, de la vérité. Si l’on
Album zutique, Éditions du Sandre, 40 euros. et plus encore des Tragiques, pour dans la paille des prisons »). Comment veut retrouver le pouvoir de la parole, il ne
Arthur Rimbaud et le foutoir zutique, de Bernard Teyssèdre, l’énergie satirique, le fouet des mots, dire la mort des victimes, l’innommable faut pas cesser de rouvrir le Musée Grévin.
Éditions Léo Scheer, 776 pages, 25 euros. l’atroce mascarade d’un seul trait révé- d’Auschwitz ? Où la charge doit-elle lais- Olivier Barbarant

Mamans ne laissez pas vos enfants devenir poètes


Conseils et les Picasso dans les musées des beaux-arts, dissements nourris, je me suis de nouveau assis, guidée au gré de nombreuses phases successives
et ils ont fait partie de l’histoire. Et de grands tétanisé. Que s’était-il passé ? de son développement. Une pratique avancée
Quand un poème fonctionne, poèmes sont sans cesse écrits : Vous ne pouvez On demande aux poètes de lire leurs poèmes, est appelée « tumo », l’engendrement de la
c’est un miroir dressé empêcher que les grands poèmes fassent leur cela fait partie de leur travail. Le son des mots chaleur intérieure. C’est décrit dans la peinture
devant le public, et tout un chacun s’y voit. apparition. et leurs qualités musicales font partie du poème. des tankas, avec un yogi nu assis dans la neige,
Quand vous représentez sur scène un poème, Ce n’est pas tant l’habileté du poète que J’appris comment me produire sur scène. Je ne portant qu’un léger châle de coton et suant
vous pouvez l’éprouver, viscéralement. ses capacités de produire le miraculeux, de n’ai pas été entraîné comme un musicien ni abondamment. Tumo est une pratique médita-
Vous sentez tout un chacun entendre refléter la sagesse et le vide dans l’esprit d’une comme un acteur, et rares étaient les poètes tive utilisant les parties supérieures, médianes et
les mots. personne qu’il faut célébrer. qui l’étaient, j’ai donc dû inventer tout seul inférieures des poumons, créant une forme de
Quand un poème fonctionne vraiment, En mars 1963, Ted Berrigan publia mes comment travailler avec le souffle et la tonalité, vase et, avec des visualisations et des mantras,
le public ne voit pas les mots ni les images, poèmes dans C Magazine. Il organisa une et le répéter sans fin jusqu’à la perfection. De et en poussant l’air vers le fond et en le retenant
tout un chacun se voit. lecture de poésie dans un vieil Union Hall de 1963 à 2011, presque cinquante ans plus tard, pendant de longues périodes, et en le faisant se
Le poème est un miroir l’East 14th Street, à New York. Et j’y suis allé j’apprends toujours comment me produire mouvoir, cela fait naître une chaleur énorme.
où chaque personne voit parce que j’aimais tous les poètes. J’étais un sur scène. Je le pratiquais pendant une retraite et après
son propre esprit. jeune poète, je n’avais jamais lu mon œuvre en Tout est dans la respiration. La respiration quoi j’étais capable d’utiliser beaucoup mieux
Chacune d’elles voit la vraie nature public, Ted ne me l’avait pas demandé et on ne crée la chaleur et l’énergie, donnant naissance mon souffle pendant la performance.
de son esprit. m’avait jamais proposé de lire quoi que ce fût. au son. Je développais des techniques en me J’apprends par cœur tous mes poèmes.
C’est un moment très fort. Au milieu de la lecture, Ted dit : « Le prochain produisant sur scène au fil des années, ce qui N’étant pas formé comme acteur, j’ai dû me
Le propos d’un poème est de faire voir poète est John Giorno. » arrive naturellement quand vous faites quelque représenter comment on faisait pour tout re-
aux gens la sagesse « Quoi ? » Ted me tendit le magazine et le chose en le répétant encore et encore. J’inventais tenir. Je le fis en me souvenant du son et de la
de leur propre esprit, micro. Dans un état de choc entre l’effroi et la une technique pour respirer profondément, musique propres aux mots, sans le sens, grâce à
et le poème n’est que le véhicule. montée d’adrénaline, j’ai dû lutter pour ouvrir en inhalant autant d’air que possible dans la un procédé mnémotechnique. Comme l’esprit
Voilà ce qu’est un grand poème. la bouche car tout était bloqué et j’ai lu mes partie inférieure de mes poumons et expirais se souvient d’une chanson populaire. Quand je
poèmes. Mes mains tremblaient, mon corps lentement avec une grande force dans les ré- les mets en scène, la signification et le contenu
De grands poèmes de l’histoire, comme était saisi de tremblements et mes jambes étaient pétitions et les qualités musicales des mots. Je reviennent avec la chaleur et le son. Je com-
Howl, d’Allen Ginsberg, The Second Coming, comme du coton. J’étais en sueur et mes pou- n’avais pas de formation vocale ou musicale et mence le processus de mémorisation quand
de Yeats, et Leaves of Grass, de Walt With- mons manquaient d’air, et ma voix, qui m’a j’ai dû apprendre au fur et à mesure. j’écris un poème. Mis en scène de mémoire,
man, entre autres, eurent un impact profond surprise, était forte et pleine et retentissante, Depuis les années soixante, je pratique parfois, comme par magie, le son des mots
sur les gens quand ils ont été écrits, ils ont et le halètement engendrait un rythme, comme la méditation dans la tradition Nyingma du touche directement le cœur des auditeurs.
changé profondément la culture, et quand ils l’épilepsie, et les phrases jaillissaient avec de bouddhisme thibétain et mon maître s’appelle JOHN GIORNO
ont accompli cet effet, ils sont entrés dans les puissantes expirations de mes poumons. Je H. H. Dudjom Rinpoche. Une personne qui TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS)
musées de la poésie, comme les Rembrandt lisais les deux poèmes et, au milieu d’applau- entraîne son esprit et fait de la méditation est PAR GÉRARD-GEORGES LEMAIRE.

LES LETTRES F R A N Ç A I S E S . A V R I L 2011 ( S U P P L É M E N T À L ’HUMANITÉ D U 7 AV R I L ) . III


LETTRES

Gorki et la tentation du bien


Trois œuvres de Maxime Gorki ont connu ces derniers mois une nouvelle publication en langue française.
Le Patron, Loin du peuple, il y a le pouvoir absolu : « toute la terre est à
traduction de Serge Persky, 192 pages, 14 euros, Dieu, toute la Russie est au tsar ». Ils sont sourds tous les deux. Le
les Éditions du Sonneur, 2010. tsar écrase dans le sang la moindre velléité de liberté et Dieu laisse
crever ses créatures. Ils sont sourds aux prières, mais sourds aussi
Une vie inutile, à la puissance du peuple qui balaiera bientôt Église et souverain.
traduction d’Annie Meynieux, préface de François Eychart, La Russie, c’est le peuple russe. L’immense peuple russe, la
318 pages, 14,50 euros, Éditions Sillages, 2010. masse innombrable des ouvriers illettrés, et parmi eux les paysans
déracinés s’entassant dans l’abjecte misère des villes, underdogs
La Maison Artamonov, puants, mal nourris, ivrognes, résignés, dociles à toutes les su-
traduction de Michel Dumesnil de Gramont, préface de Valère perstitions. Quelque chose entre l’homme et l’animal : Gorki les
Staraselski, 456 pages, 24 euros, Éditions Aden, 2011. nomme souvent de noms de bêtes.
Il y a les idiots, les enfants martyrisés, comme le petit Yacha

L
e Patron est une page de la jeunesse de l’auteur, nar- Artionkof de l’atelier de craquelins, que le patron, dans l’une
rateur du récit, alors qu’adolescent encore, misé- des déroutantes contradictions qui sont sa marque, sauve d’une
rable et solitaire, il parcourait la Russie en faisant mort certaine bien qu’il ait empoisonné ses cochons bien-ai-
les métiers les plus rudes pour gagner son pain. Vassili més ; comme l’enfant Nikonov, agneau sacrificiel tué par Pierre
Séménof, illettré, alcoolique et débauché, qui s’est emparé par le Artamonov dans un geste dément.
meurtre de la boulangerie de Kazan où il fut ouvrier, l’embauche Il y a les mouchards qui livrent leurs semblables contre un peu
pour l’hiver. Les employés mènent une vie bestiale, « écrasée et d’argent, les femmes humiliées, reproductrices ou putains, ceux
confuse », dans la crasse de l’atelier dont le narrateur décrit l’enfer qui parviennent à s’enrichir, marchands, patrons tout-puissants
en détail. Entre le patron qui ne connaît que la brutalité, les ouvriers qui ont le droit d’« écorcher les gens » puisqu’ils leur donnent le
prisonniers de la peur et de la fatalité, et le jeune homme qui croit travail et le pain et qui montrent à l’exploitation des hommes une
au pouvoir libérateur du savoir contre « la force victorieuse de adresse et une brutalité formées alors qu’ils étaient eux-mêmes
l’horreur quotidienne », se noue un rapport complexe fait d’atti- des esclaves.

DR
rance et de répulsion. Et il y a ceux qui sèment la révolution. On les déporte et on
Une Vie inutile (1907-1908) : celle d’Eusée Klimkov, orphelin étagements, ses espérances, ses croyances, ses chansons, ses fo- les tue, mais ils sont légion. Là où l’ignorance reproduit absur-
abruti de coups qui devient un mouchard, livré à la force des choses lies, dans une langue somptueuse et crue où j’ai souvent pensé dement un monde déjà mort, le salut, c’est le savoir, ferment de
et à sa propre inertie, canaille par fatalité. Eusée, pauvre sous-fifre à Shakespeare, parce que Gorki noue les fleurs de poésie les plus tout changement, condition de la révolution socialiste qui sera
de l’Okhrana, la police secrète tsariste – dont Gorki donne une délicates aux brutalités d’un réalisme parfois obscène. Et à cause pour le peuple le nouvel horizon de la foi.
description au couteau –, tenté parfois par le bien, mais où le bien de scènes inoubliables dans la démesure et dans l’effroi, comme la Sous l’œil aigu de Gorki chacun prend figure et dimension
s’accrocherait-il quand on ne sait rien, quand on n’est personne ? mort d’Eusée ou le dialogue entre le vieux patron mourant, Pierre humaines. Tous, même les plus repoussants, sont nos semblables.
Eusée jamais venu au monde, hurlant pour finir en courant entre Artamonov, et le vieux portier, Tikhon Vialov, dans les premiers Empathie, compassion, sans la moindre mièvrerie sentimentale.
les rails où il se tue, dans le vacarme de la locomotive qui va le jours de la révolution de 1917, qui conclut la Maison Artamonov. À la fin du Patron, le narrateur, maltraité tout un hiver par Vassili
broyer : « Je serai… Je serai ! » Le personnage principal, c’est la Russie, « ce je-ne-sais-quoi Séménof, dit de lui : « Je le plains à en souffrir, quel qu’il soit, je
La Maison Artamonov, parue pour la première fois en 1925, est d’immense, de vaste, de nostalgique, cette terre promise de l’âme regrette la force qui périt sans porter de fruit, et cet homme-là
un roman familial qui court sur trois générations: un serf affranchi que nous avons accoutumé de désigner du nom de Russie », écrit fait naître en moi un sentiment passionné et contradictoire, com-
en 1861 qui fonde une filature, ses fils, dont l’aîné lui succède à la dans sa préface à la Maison Artamonov Valère Staraselski, citant parable à celui qu’une mère éprouve pour son enfant : il faudrait
tête de l’usine ; ses petits-fils, dont l’un suit son destin d’héritier et Alexandre Blok. La Russie convulsive, prérévolutionnaire, marquée le punir et on a envie de le caresser. »
l’autre choisit le camp de la révolution. par la guerre perdue avec le Japon, par le soulèvement manqué Ces trois romans ouvrent les portes d’un écrivain-monde.
Résumer ces trois romans, ce n’est rien dire : ils vont bien au- de 1905. La Russie dans l’éveil difficile, le cheminement chaotique Embarquez-vous, et bon voyage !
delà de l’intrigue, ils racontent toute une société dans tous ses de la conscience. Marie-Noël Rio

Truculences de Flann O’Brien


The Best of Myles, dans l’excellente et imaginative traduction de teur qui, parallèlement à son œuvre et à ses séjours héritage. Comme dans les romans d’O’Brien,
de Flann O’Brien (traduit de l’anglais Patrick Reumaux. prolongés dans les pubs de Dublin, menait une on est sensible, dans les chroniques de Myles na
par Patrick Reumaux et Rosine Inspektor). Brian O’Nolan, dit Flann O’Brien, dit Myles vie de haut fonctionnaire, secrétaire privé de plu- gCopaleen, à une invention verbale qui paraît
Éditions Les Belles Lettres, 320 pages, 19 euros. na gCopaleen, dont le premier livre, At-Swim- sieurs ministres. Écrites tantôt en gaélique (dans sans limites (et dont on peut imaginer qu’elle a
Two-Birds (1939, traduit aux Belles Lettres en les premiers temps), tantôt en anglais, insolentes, influencé le jeune John Lennon, faisant des infi-
Faustus Kelly, suivi de la Soif 2002), avait été salué par James Joyce, est consi- inattendues, souvent illustrées par Myles lui-même délités aux Beatles pour l’écriture non-sensesque
(traduit de l’anglais par Patrick Reumaux). déré par certains bons esprits, parmi lesquels la (l’édition française reprend ces illustrations), elles de poèmes intraduisibles), et à une imagination
Éditions Vagabonde, 160 pages, 16 euros. grande romancière Edna O’Brien – sans lien donnent moins à voir la vie quotidienne de l’Ir- burlesque qu’on admire, fasciné, comme un nu-
de parenté avec lui – comme le troisième génie lande de l’époque (l’édition anglaise de 1968, méro d’équilibriste (jusqu’où va-t-il aller? jusqu’à

C
omment James Joyce – qui a, c’est bien irlandais, avec Joyce et Beckett. Pourtant, mal- qui a servi de base à la traduction française, est quel point va-t-il mêler philosophie, alcool et
connu, survécu à la date de sa mort of- gré bon nombre de traductions, dont celle du consacrée aux chroniques des années de guerre) logique de l’absurde ?).
ficielle – travaille comme barman dans Pleure misère (1941), écrit en gaélique, il ne s’est qu’une Irlande immémoriale, mélancolique et Les jeunes et courageuses éditions Vagabonde
un pub de la banlieue dublinoise, et râle quand jamais véritablement imposé en France (alors truculente, que seule son irrévérence sauve de la (52, rue Curiol, Marseille), dont le catalogue
il apprend qu’Ulysse (ce tas de cochonneries que dans son pays, où plusieurs ouvrages lui violence et du puritanisme. compte déjà un certain nombre de grands noms
écrit par des Français polissons à l’instigation de ont été consacrés, il est quasiment mythique). Myles na gGopaleen parle de littérature (Nick Toshes, Carl Watson), ajoutent à la biblio-
Sylvia Beach, qui le draguait) a été publié sous Espérons que la traduction d’un recueil de ses comme pourrait en parler le plus obtus des Irlan- graphie française d’O’Brien deux pièces de théâtre
son nom. Comment Augustin (saint Augustin) chroniques écrites pour l’Irish Times et de deux dais (« Ce La Fontaine qui s’est rempli les poches (traduites de façon succulente par Patrick Reu-
raconte la vie quotidienne des saints au paradis : pièces de théâtre lui offrira enfin chez nous la en traduisant Aesop A Thainic go nHeirinn... du maux, dont la préface, brillante mais un tantinet
Pierre « se balade encorpifié » (c’est-à-dire in- renommée qu’il mérite. père Peter, savez-vous que ce filou, de sa vie, ne complaisante, ne nous apprend malheureusement
carné) « et les gars (les autres saints) ne peuvent Son intelligence, son humour, sa cocasserie,sont tendit jamais la main à un ami dans le besoin ? », pas de façon certaine si elles ont vraiment été
s’empêcher de se payer sa tête en poussant des un bain de jouvence. Il est irlandissime, tout à la écrit-il, en faisant allusion à une traduction des représentées au fameux Abbaye Theater) qui
cocoricos ». Comment un inspecteur de police fois grave et désopilant, toujours plein de naturel, Fables d’Ésope par un certain Peter O’Leary), complètent sa vision affectueuse et cocasse de
se promène toujours accompagné de sa bicy- qu’il parle de théologie ou de cuites carabinées à imagine un Bureau des recherches, consacré aux son pays. À Faustus Kelly, réinterprétation du
clette, mais sans l’enfourcher, en fonction de la bière ou au whisky, au fond de pubs enfumés inventions en tous genres (« Comment soigner les mythe de Faust à la lumière des magouilles d’un
la théorie de l’échange cellulaire, selon laquelle (lassé de la gueule de bois, un de ses héros se met crises de flémingite aiguë »), élabore une typologie politicien cynique, on pourra préférer la Soif,
un cycliste, au bout d’un certain temps passé cependant à l’eau de Vichy). Comme Joyce, il des raseurs, raconte comment son père, sir Myles courte saynète figeant pour l’éternité une conver-
sur son vélo, devient mi-homme, mi-bicyclette va au cœur de l’âme irlandaise, un mélange de na gCopaleen (« La Baronnie, bien sûr, est l’une sation éméchée, dans un pub, entre le patron, deux
(sans que cela ne déteigne sur son apparence). tragédie et de bouffonnerie. des plus anciennes du pays. Sir Myles est le cin- consommateurs, et un policier transi. Là, on se
Toutes ces informations (et bien d’autres, tout The Best of Myles reprend une partie des chro- quante-septième du nom. Lady na gCopaleen est croirait chez John Ford, dans l’Homme tranquille.
aussi loufoques, tout aussi cruciales), on les ap- niques – dont la longueur moyenne ne dépassait née Shaughruan de Limerick, une famille huppée Il faut acheter les deux « nouveaux » Flann
prend dans l’Archiviste de Dublin et le Troisième pas 500 mots – qu’il a publiées, entre 1940 et sa du comté. Réputée pour son amour du Scotch, O’Brien, de toute urgence, et vérifier si sont
Policier, les plus célèbres romans de l’Irlandais mort, en 1966, dans l’Irish Times. Elles étaient c’est l’une des femmes d’Europe qui a le plus de toujours disponibles l’Archiviste de Dublin,
Flann O’Brien (1911-1966), parus en français publiées sous le pseudonyme gaélique de Myles na bouteille »), malencontreusement ressuscité, a et le Troisième Policier.
il y a une quinzaine d’années (Éditions Granit) gCopaleen, afin de préserver l’anonymat de l’au- eu du mal à faire valoir ses droits à son propre Christophe Mercier

LES LETTRES F R A N Ç A I S E S . A V R I L 2011 ( S U P P L É M E N T À L ’HUMANITÉ D U 7 AV R I L ) . IV


LETTRES

L’immigré,
miroir de notre société
Le Navire obscur, scène des paysannes jetées d’un hélicoptère après que les soldats se non loin des côtes sur un petit radeau, évitant ainsi les amendes
de Sherko Fatah, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, sont amusés à les y faire monter. Elle continue sa ronde infernale que lui vaudrait la complicité d’immigration clandestine.
Éditions Métailié, 345 pages, 22 euros. avec la mort du père du héros, Kérim, assassiné par les sbires de Ensuite quand par miracle – car Dieu veille – tout a bien
Bagdad, avec les exactions des islamistes qui croient refonder marché, l’installation dans cette sorte de terre promise commence

T
ous ceux qui dissertent sur l’émigration, qu’elle soit sauvage, un mode de vie en s’attaquant aux mécréants, avec les ratissages avec la lutte pour les papiers, avec les ruses qu’il faut mettre
encadrée ou voulue devraient lire le roman de Sherko Fatah. de l’armée américaine qui occupe l’Irak et prétend, elle aussi, en jeu pour parer aux subtiles inquisitions de l’administration.
Car que savent-ils vraiment, nos beaux parleurs, de la vie de dicter sa loi et faire vivre ces populations comme il sied qu’elles Tout cela, le héros de Sherko Fatah réussit à le mener à
ces émigrés misérables que police et administration sont chargés vivent. Qu’elle soit subie ou exercée pour survivre, la violence bien. Mais il est quelque chose qu’il ne peut dépasser : les sou-
de traquer et qu’on nous présente comme des dangers pour nos s’ancre dans la profondeur de la psychologie de Kérim comme venirs de cette violence dans laquelle il a été compromis, qui
finances, notre Sécurité sociale et, plus largement, notre civilisa- des autres personnages, elle en devient une composante. Telle est le marquent de façon indélébile et laissent sa marque sur tout
tion ? Avec l’aveuglement des nantis, l’Occident se crispe dans la la toile de fond et la trame intime du Navire obscur. Pris dans les ce qu’il entreprend.
défense d’un certain mode de vie qui n’est d’ailleurs l’apanage rets de tensions que nul ne peut subir sans dommages, ils n’ont Le Navire obscur prouve une fois de plus que le roman est
que d’un petit nombre et nie l’histoire réelle des autres peuples, comme solution que la fuite par l’émigration. Pour l’Allemagne une remarquable machine à dévoiler le réel. On y découvrira
avec d’autant plus d’inconscience qu’il est pour beaucoup dans en l’occurrence. que ces hommes, que l’Occident a contribué à faire ce qu’ils
les malheurs qui les ravagent. Qui a soutenu Saddam Hussein La deuxième partie du roman commence par l’horreur du sont, sont aussi une part de notre avenir. Il suffirait que bien
dans ses guerres avant de le faire pendre ? Qui n’eut de cesse voyage. Les chapitres consacrés au clandestin qui se retrouve peu de chose change pour que nous nous trouvions dans leur
d’arrimer la Turquie à l’Europe, fermant les yeux sur ce qui se tapi au fond de la cale d’un cargo, dans l’obscurité et les relents situation et que le camp des parias soit le nôtre. Et qui sait si
passait avec les Kurdes ? d’huile et de mazout, pourvu d’un peu d’eau et de nourriture nous montrerions alors autant de grandeur ou d’habileté à y faire
La violence ne court pas sans raison tout au long des pages du sans savoir combien de jours durera son voyage, craignant d’être face. Le Navire obscur est notre miroir. Il nous est simplement
roman de Sherko Fatah. Même quand le lecteur ne la soupçonne découvert et jeté par-dessus bord, en donnent une bonne idée. tendu avec un peu d’avance.
pas, elle attend son heure. Elle est présente dès le début avec la Par humanité, le capitaine ne fait pas noyer Kérim, il le débarque François Eychart

L’homme qui fit condamner À LIRE

Baudelaire Le Premier Bruit du silence,


d’Adalet Agaoglu, traduit du turc par
Madeleine Zivaco, préface de Tiumour
Le Censeur de Baudelaire, Ernest Pinard, Bovary à la Revue de Paris, lesquels avaient Flaubert a conservé une haine farouche Muhidine. Éditions Empreinte temps
d’Alexandre Najjar, collection « La petite déchaîné les foudres des bien-pensants. Mais pour cet homme qui n’a pas pu le mettre à présent, 176 pages, 15 euros.
vermillon ». La Table ronde, 360 pages, face à un avocat aussi habile que Me Senard, qui terre au nom des bonnes mœurs (il reste à
8,50 euros.

Baudelaire journaliste.
a plaidé pendant quatre heures, le procureur a
perdu la partie. Il faut dire que Flaubert est de
bonne famille et qu’il a su tisser un solide réseau
jamais son « ennemi »), alors que Baudelaire,
condamné, a pris le soin de lui envoyer un
exemplaire des Épaves ! Quoi qu’il en soit, il
I nconnue encore en France, la romancière
turque Adalet Agaoglu est née en 1929 et
s’est imposée comme l’un des auteurs les
Articles et chroniques choisis et présentés de relations pour venir à son aide. Baudelaire, a écrit un article sur l’œuvre de Flaubert dans plus populaires de l’après-guerre. Ce recueil
par Alain Vaillant. GF Flammarion, lui, n’a que peu d’entregent. Son jeune avocat, l’Artiste, en octobre 1857, où il remercie « la de nouvelles montre la singularité de sa dé-
382 pages, 8,90 euros. inexpert, n’a pas fait le poids devant l’homme magistrature française de l’éclatant exemple marche qui, en apparence réaliste, s’attache à
de loi bigot et intransigeant : il est condamné à d’impartialité et de bon goût qu’elle a donné des fragments de vies communes. Elle fait la

L
e 20 août 1857 débute le procès intenté à 500 francs d’amende et à retirer six poèmes de dans cette circonstance ». Baudelaire a de démonstration d’un humour corrosif, comme
Charles Baudelaire, à son éditeur et im- son recueil. Il aura pour seule consolation un ces désinvoltures qui le rendent émouvant : dans la nouvelle intitulée Parcourir parfois
primeur. Les Fleurs du mal avaient paru message de Victor Hugo, écrit de Guernesey : le glaive l’avait frappé et il a encore le goût seul de longues routes sinueuses et sait aussi
au moins de juin et déjà, au mois de juillet, le « Vos Fleurs du mal rayonnent et éblouissent et même le cran de se féliciter que Madame faire preuve d’autodérision quant au métier
poète est prévenu d’éventuelles poursuites. Il bat comme des étoiles… » Bovary ait été sauvée des enfers de la Justice. d’écrivain. Ce premier livre traduit en fran-
le rappel de ses maigres relations ; Jules Barbey Les méfaits du procureur ne s’arrêtent pas là : La biographie de ce triste sire écrite avec çais est une bonne façon de découvrir un
d’Aurevilly écrit un article en sa faveur, mais il il s’en prend à Henri Rochefort et à Eugène Sue, soin par Alexandre Najjar et l’essai de Bau- auteur qui a été la première femme célèbre
ne paraît pas. Baudelaire décide alors de faire pourtant décédé, et à ses Mystères du peuple. Cela delaire dans l’anthologie d’Alain Vaillant se dans la République des lettres turques…
sortir un opuscule avec quatre auteurs, dont le n’est pas pour le desservir : il devient ministre de font écho. Ces réquisitoires ont rendu Pinard G.-G. L.
connétable des Lettres Barbey et Asselineau. Le l’Intérieur en 1867 ! Pinard ne s’est pas contenté immortel – il a sa place assignée dans l’histoire
redoutable Pierre-Ernest Pinard requiert contre de s’en prendre à des hommes de plume. Il a aussi de notre littérature. Il a fait, sans s’en douter,
les accusés. Il s’était déjà emporté au début de
la même année contre Gustave Flaubert, qui
avait donné les premiers chapitres de Madame
attaqué, bille en tête, des hommes politiques. Et
c’est Léon Gambetta, qu’il avait fait condamner,
qui le jette en prison en 1870.
de Flaubert un héros et de Baudelaire un génie
maudit.
Gérard-Georges Lemaire
L es amateurs de poésie ont appris, l’an
dernier, que la haute direction du groupe
éditorial qui abritait les Éditions Seghers
avait pris la décision de se séparer du direc-
teur littéraire, Bruno Doucey, qui leur avait

Une satire du temps de Mussolini pourtant donné un sérieux élan. On lui devait
toute une série d’ouvrages, dont la réédition
du prestigieux et fondamental livre de Pierre
Monsieur Caméléon, teurs, dont l’auteur, qui parle à la première per- mises au contact l’une de l’autre, montrent Seghers, la Résistance et ses poètes. Exit donc
de Curzio Malaparte, traduit de l’italien sonne. Le protagoniste, après avoir acquis un de multiples similitudes, qui font apparaître Bruno Doucey de chez Seghers, ce qui ne peut
par Line Allary, illustré par Orfeo Tamburi, La solide bagage culturel (grâce à l’art du mimé- leurs instincts les plus délétères. La seconde que signifier le pire pour ce joyau historique
Table Ronde, 320 p., 8,50 euros. tisme tant décrié), est mis sur la scène politique partie de l’ouvrage se concentre sur les rap- de la culture française.
italienne. L’attention de l’écrivain se concentre ports de Don Cameleo comme personnage Nullement décidé à baisser les bras, Bruno

D
ans Monsieur Caméléon, Curzio surtout sur les vicissitudes de la vie politique, aux nombreuses significations symboliques Doucey a donc fondé sa propre maison, tout
Malaparte parvient à condenser de entre octobre 1922 (la Marche sur Rome) et dont deux sont proéminentes : la première orientée vers la poésie. Parmi les premiers
nombreux thèmes existentiels, qui s’en- le 3 janvier 1925 (jour où Mussolini prononce concerne l’identification entre le Caméléon et titres publiés, Comme une main qui se re-
chevêtrent littéralement dans une dimension son discours sur l’assassinat de Matteotti). Le Mussolini, absolue à la fin du récit ; la seconde ferme, ensemble des poèmes de l’époque de
historique et sociale. L’ouvrage ébauché en Caméléon, baptisé Don Cameleo, est emporté regarde Malaparte en personne réfutant les la Résistance de Pierre Seghers présenté à
1926 est publié en feuilleton dans le supplément par le tourbillon de la fausseté humaine et accusations qui lui sont faites et décrivant la juste titre comme « poésie de circonstance,
d’Il Giornale di Genova deux ans plus tard. La se retrouve bientôt entouré d’autres indivi- réalité de cette société. poésie de combat par laquelle un homme
chronologie a une grande importance à cause dus bien plus caméléons que lui. Malaparte, L’écrivain, outre ses qualités littéraires affirme son droit à la liberté, sa volonté de
du rôle intellectuel joué par Malaparte. En avec une tonalité ironique, mais teintée d’une évidentes, fait preuve d’une capacité re- vivre et ses raisons d’aimer ». On ne saurait
effet, l’écrivain a décidé de faire paraître son amertume désolée, fait un portrait cruellement marquable d’analyse des dynamiques mieux dire en quelques lignes. Ont suivi le
livre pour contrer les critiques d’ambiguïté réaliste du théâtre politique italien, caractérisé mondaines de l’entre-deux-guerres. Journal de Susanna Moodie, de Margaret
politique et idéologique qui lui ont été adressées surtout par l’abjection, l’ambiguïté, le trans- En dépit de ce contexte historique, son Mon- Atwood, et Cette guêpe qui me regarde de
à plusieurs reprises. formisme de ses acteurs. De plus, il propose le sieur Caméléon a une valeur universelle tou- travers, d’Oscar Mandel.
L’auteur place au centre de l’intrigue un thème du rapport compliqué entre la nature jours d’actualité. F. E.
caméléon. Cet animal est confié à des précep- humaine et la nature animale. Ces deux entités, Leonardo Arrighi

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LETTRES

CHRONIQUE POÉSIE DE FRANÇOISE HAN

En partage
L
a poésie revendique de plus en plus l’échange et l’entente « les présidents de tout et de n’importe quoi ». Envers et contre gloire littéraire. Il avait choisi de finir sa vie en Bretagne. Sa
avec les autres arts. C’est en réseau avec eux qu’elle par- tout, il y a l’amitié « comme un battement d’ailes » (poème dédié mémoire est saluée par un poème de Michel Butor, une Adresse
court l’espace et le temps. C’est en partage qu’elle jouit à Armand Gatti). Il y a, dans la séquence Outland, l’amour, le à Georges de Bernard Noël, dans un dossier introduit par Hervé
ou qu’elle souffre de son rapport au monde. blason du corps féminin, et par-dessus tout, ce qui nous pousse Cairn : études et souvenirs font ressortir sa proximité au vécu
Avec un titre venu de la corrida, Paseo Grande, André Velter toujours plus loin, à la recherche du « seul lieu qui serait comme immédiat, les poètes du Cahier de création – Myriam Eck,
fait entrer le poète dans l’arène mondiale, « comme un pari fabu- un amour de plein été ». Umberto Piersanti, Armelle Leclercq, Christian Calliyannis ;
leux et fatal, sans fausseté, ni repli possible ». Il n’y entre pas seul, Si André Velter « ne parle autre langue que celle de (s)on la chronique de Charles Dobzynski ; Explorer l’incertain, de
mais en compagnie d’un musicien et d’un dessinateur – est-ce enfance, / apprise d’emblée aux lèvres de (s)a mère », des mots Marie-Claire Bancquart.
la cuadrilla qui escorte le torero ? Plus que cela. La complicité d’autres langues renforcent son expression. Il les explicite dans Le sommaire d’Action poétique détache trois contributions :
avec le musicien Olivier Deck a suscité ce livre récital, explique un glossaire final. Paul Blackburn, Trois Poèmes de métro, présentation de
le poète en avant-propos. Nombre de poèmes ont une forme, Comme Édouard Glissant, il pourrait dire qu’il écrit en Stéphane Bouquet, puis Keith et Rosemarie Waldrop, Local
une métrique qui les destinent au chant, sans renoncer aux présence de toutes les langues. C’est un symbole de sa présence sans clé, ouverture de Liliane Giraudon, et un document sur
intuitions et aux énigmes de l’écriture poétique. à tous les êtres doués de parole, y compris à ceux qu’un pouvoir le peintre Corneille présenté par Kim Andringa. Parmi les
Plusieurs, mis en musique, peuvent être téléchargés sur le ou la misère a privés de bouche. autres poètes, citons Céline Faure, un extrait de OCéROM,
site de l’éditeur. Le volume se termine par des quatrains dits Nous, la multitude est une anthologie au format de poche Serge Pey, J’ai retourné la photo, Catherine Weinzaepflen, avec
talismans, accompagnés de dessins ironiques d’Antonio Segui. publiée pour un festival Temps de paroles en Bourgogne. Elle Ingeborg. Les actualités et chroniques incluent de nombreuses
La métaphore de la corrida inspire dès le début l’évocation – porte en épigraphe une citation de Robert Desnos, mort au camp notes de lecture sur des ouvrages et des revues.
cinq heures du soir – du Chant funèbre de Lorca. On la retrouve de déportation de Terezin en avril 1945, et réunit une centaine Nous avions annoncé l’an dernier la disparition, pour causes
plus loin avec des titres de poèmes tels que Sitio, Llamada, de poètes. Françoise Coulmin, qui les présente, souligne la soli- économiques, d’Autre Sud. L’équipe éditoriale, un peu élargie,
Aguante, Temple, avec certains thèmes aussi comme celui de la darité entre et envers tous ceux que l’époque meurtrit. Certains lance sous l’ombre tutélaire de Léon-Gabriel Gros, Phœnix,
blessure dans C’est à Madrid le grand silence. Mais le souffle du noms sont très connus, d’autres moins, en citer quelques-uns animée du même esprit : un dossier Marc Alyn, un cahier de
poème balaie la planète. Les chemins de grand vent parcourent amènerait à rompre avec une fraternelle égalité. Les voix sont poèmes bien fourni, une « voix d’ailleurs », celle de Giorgio
Pamir et le Takla-Makan en même temps que les royaumes du très diverses, nous préférons celles qui ne reprennent pas le style Cittadini, une critique théâtrale et des notes de lecture.
prêtre Jean, personnage légendaire qui, au Moyen Âge, lança à de la poésie engagée des années cinquante – laquelle, hélas, n’a
travers l’Asie les chrétiens d’Europe en quête de ses domaines. en rien influé sur le cours des événements. Nous avons besoin Paseo Grande, un livre récital, avec Olivier Deck et
L’Afghanistan occupe la place centrale, dans le livre comme de poèmes qui font une trouée dans le bavardage des médias Sept Poèmes Talismans avec Antonio Segui, d’André Velter.
dans le vécu de l’auteur : dix pages de vers très amples chantent, et la langue de bois des pouvoirs. Dans ce petit volume, il y en Éditions Gallimard, 2011, 146 pages, 14,90 euros.
sous le titre Un royaume indocile et solaire, la démesure à la a qui nous interpellent. Site : www.gallimard.fr/paseogrande
poursuite de l’impossible dans le vaste décor en mouvement Nous, la multitude, anthologie poétique établie par Françoise
des paysages, « un foudroiement de muscles, de nerfs, de désirs Revues Coulmin. Éditions le Temps des cerises, 2011, 149 pages, 10 euros.
et de rêves / au plus charnel, au plus intime, là où rien n’a jamais Georges Perros (1923-1978) et Joseph Joubert (1754-1824) Europe, n° 983, mars 2011, 384 pages, 18,50 euros.
séparé la sagesse de l’excès ». Le poème est dédié à Jacques Dars, sont au sommaire d’Europe. Le premier était un lecteur at- Site : www.europe-revue.net/
grand traducteur et historien de la littérature chinoise, décédé tentif du second. Action poétique, n° 203, mars 2011. 128 pages, 13,50 euros.
juste au moment où ce livre sortait des presses. Ancien comédien, collaborateur de la NRF, lecteur au Diffusion les Belles Lettres.
La séquence Changer d’exil met en scène les déshérités, ceux TNP de Jean Vilar, traducteur de Strindberg et de Tchekhov, Phœnix, n° 1, premier trimestre 2011, 160 pages, 16 euros.
que l’iniquité sociale pourchasse « au creux de l’Afrique, au bout Georges Perros est en poésie l’auteur de deux recueils : Poèmes Site : www.revuephoenix.com / Distribution :
des Indes, / jusqu’aux portes du Pérou » ; en face d’eux les pitres, bleus et Une vie ordinaire – tout cela sans courir après la Calibre, 27, rue Bourgon, 75013 Paris.

Odes à la liberté
Byron - Shelley, Shelley propose une vision radicalement ma-
Écrits romantiques et rebelles. térialiste du monde. Le poète de la nature n’est
Éditions de l’Épervier, 110 pages, 9,50 euros. pas un doux rêveur : ses prises de position poli-
tique sont celles d’un pamphlétaire violent, sans

B
yron et Shelley se rencontrent en 1816, concession. Ses mots résonnent aujourd’hui avec
en Suisse, sur les bords du lac Léman. force, aussi bien pour ces pays qui ont le courage
Ils ont tous deux quitté le Royaume-Uni de se soulever, que pour notre pays qui se laisse
depuis des années – quitté ou plutôt fui. Ils sont écraser par le capital. Écoutons-le s’indigner des
en exil. Les mœurs de Byron firent scandale : sa peuples qui acceptent la servitude : « Ni bonheur,
bisexualité et surtout son divorce avec Annabella ni majesté, ni gloire, ni paix, ni force, ni habileté
Milbanke pour cause de sodomie et sa liaison dans les armes ou les arts, ne sont les bergers
avec sa demi-sœur Augusta à qui il fit un enfant. de ces troupeaux qu’apprivoise la tyrannie. Le
Shelley n’est pas moins scandaleux : ses droits à vers n’est l’écho d’aucun battement de leurs
la paternité lui firent retirés à cause d’un texte, cœurs ; l’histoire n’est que l’ombre de leur honte ;
Nécessité de l’athéisme ; il est également l’auteur l’art voile son miroir, ou s’écarte en tressaillant
de pamphlets appelant à l’insurrection irlandaise de leur cortège, pendant que leurs aveugles
et enlève la fille de son maître Goldwin, Mary, multitudes volent à l’oubli, tachant ce ciel de
provoquant le suicide de son épouse. Ce sont l’obscure image de leur propre ressemblance.
donc deux hommes en rupture de ban qui firent Quel est le nombre de ceux que lie la force ou la
connaissance et se lièrent. Le premier est un auteur coutume ? L’homme qui voudrait être homme
à succès, connu et admiré dans toute l’Europe doit prendre l’empire de lui-même ; il doit être
tandis que le second ne vend ses poèmes qu’à souverain, établissant son trône sur la volonté
quelques centaines d’exemplaires. Leur amitié vaincue, étouffant l’anarchie des espérances et
est un mélange de respect et d’admiration réci- des craintes, régnant lui seul. »
proques. Ils ne se quittèrent plus et parcoururent Le petit recueil des textes politiques de Byron
ensemble la Suisse et l’Italie jusqu’à la mort de et Shelley a ses faiblesses (présentation hâtive et
Shelley en 1822 dans le naufrage de son navire qui manque parfois de rigueur, absence de texte
l’Ariel. Byron, quittant alors la comtesse Guic- que l’on aurait aimé y lire, comme le Discours sur
DR

cioli, son grand amour, partira en Grèce pour les mœurs des anciens Grecs au sujet de l’amour
soutenir la lutte d’indépendance contre les Turcs de Shelley), mais il nous offre une ouverture très
jusqu’à être emporté par la fièvre à Missolonghi nos jours –, son premier coup d’éclat, sa première conservateurs n’est pas de simple circonstance : intéressante vers deux immenses poètes qui,
le 19 avril 1824. rupture avec l’ordre date du 27 février 1812 (il a on la retrouve dans les premiers vers de son Don hélas, ne sont plus assez lus. Byron et Shelley :
Byron, que l’on décrit volontiers cynique, vingt-quatre ans), dès son entrée à la Chambre Juan, philippique violente contre les principaux deux hommes libres dont les œuvres et la vie
était aussi un homme de révolte sociale et poli- des lords, il prononça un discours en faveur des représentants du clan Tories. Byron s’en prend doivent nourrir notre soif de liberté, aussi bien
tique. Si ses mœurs firent scandale dans la prude ouvriers réduits au chômage et à la misère par aussi à la religion d’État, demande une totale individuelle que collective.
Angleterre – et elles continuent de choquer de les métiers à tisser. La haine de Byron pour les liberté d’expression, s’attaque à la monarchie. Franck Delorieux

LES LETTRES F R A N Ç A I S E S . A V R I L 2011 ( S U P P L É M E N T À L ’HUMANITÉ D U 7 AV R I L ) . VI


CULTURE / SAVOIRS

En route vers le fiasco ?


À
six cents et quelques jours de l’exploit annoncé à grands n’envisagent pas de se défausser sur cet objet principal, usent du més… pour le moment ! Là encore, la richesse culturelle qu’ils
renfort de tapage médiatique et d’annonces spectaculaires, principe des vases communicants, en opérant des coupes claires apportent depuis tant d’années ne sera pas considérée comme
l’état d’avancement de « Marseille Provence 2013, capitale dans les subventions qu’elles attribuaient d’ordinaire au tissu valeur prépondérante : la préoccupation majeure des dirigeants
européenne de la culture » a de quoi inquiéter. Il ne s’agit pas culturel de proximité. Ainsi par exemple, le Centre international de « Marseille 2013 » semble plutôt tournée vers la mobilisation
seulement des craintes – amplement justifiées – que le calendrier de poésie de Marseille (CIPM) s’est vu adresser une réduction de du « monde économique » (Tous mécènes !) avec sans doute
prévisionnel de certaines réalisations, parmi les plus importantes, 30 000 euros sur sa subvention annuelle, de la part du sénateur- l’approbation de certains édiles locaux marseillais, qui pensent
telle celle du MuCem, ne soit pas respecté, nombre d’autres ques- maire, Jean-Claude Gaudin. Ce qui, pour une structure qui œuvre uniquement en termes de retombées profitables très délimitées
tions de fond se sont accumulées et on ne voit pas comment les depuis vingt ans à la promotion de la poésie contemporaine, géographiquement… et en termes de retombées politiques aussi,
responsables du projet pourront y répondre correctement à temps. notamment par des échanges avec les pays de la Méditerranée, élections municipales de 2014 obligent.
Il en est ainsi des lieux à aménager, ou même à trouver, pour n’est pas la meilleure manière d’être encouragée. Pas plus que Le monde du travail risque d’être le grand absent de la fête, car
accueillir les grands événements envisagés. L’accueil des touristes ce n’est une incitation positive pour lui permettre d’apporter la dans « Marseille 2013 », travail et culture ne seront pas conjugués,
dans les villes proches de la capitale locale qui participent au dimension de la poésie, en juste place, dans « Marseille 2013 ». ou si peu. Pour l’instant on ne voit rien venir en ce qui concerne
projet reste un gros défi à relever, et l’on se demande comment Une pétition est en cours pour exiger de l’édile marseillais qu’il les dispositions qui seraient susceptibles d’associer pleinement
cela sera possible… revienne sur cette injuste décision. la population à un événement qui devrait d’abord être le sien,
Quant aux transports collectifs qui devraient permettre de D’autres structures culturelles locales ont vu, ici et là, leur où elle pourrait s’impliquer, y jouer des rôles interactifs, au cœur
faciliter l’accès aux divers lieux et événements culturels, c’est situation être conduite à la précarité, voire à la fermeture, par la de la cité, du tissu associatif et des entreprises.
quasiment mission impossible dans les délais qui restent, même si baisse de leur subvention ou des tracasseries administratives. C’est Enfin, cerise sur le gâteau, le 21 mars dernier, le grand timonier
le conseil général des Bouches-du-Rhône déclare y porter grands le cas pour le Théâtre du Petit Matin, suite au gel préfectoral des de l’affaire, Bernard Latarjet, est passé du rôle de directeur à
efforts. La récession économique qui n’était pas au programme en contrats aidés. Même le budget de la région, consacré à la culture celui de conseiller, en jurant ses grands dieux « qu’il ne s’agissait
200, limite forcément désormais les ambitions. Mais gérer, n’est-ce pour 2011, est en recul très sensible. Si l’on ajoute à cette situation pas d’une démission mais d’une nouvelle répartition des com-
pas prévoir, au moins deux ou trois années plus loin ? Concernant que la participation de l’État est bien maigre dans le budget pétences ». Le dispositif de direction a donc été, une fois de plus,
les finances, ce n’est pas là la moindre préoccupation des acteurs initial de « Marseille 2013 » à l’instar de son désengagement au remanié. Le nouveau directeur est Jean-François Chougnet qui
en présence. Au niveau des entreprises dont la participation a été plan national dans le financement de la culture, il est à redouter a travaillé avec Latarjet au Parc de la Villette. Ce dernier a no-
envisagée à hauteur de 15 à 20 % du budget total de l’événement, que l’addition finale de ce grand événement culturel européen tamment justifié ce mouvement par le fait qu’il faut un directeur
on se trouve déjà loin du compte. Et les prévisions de rentrées, devra être supportée par les collectivités… d’où peut-être leur général qui ait cinquante ans et pas soixante-dix, assurant qu’il
même les plus raisonnables, devront sans doute être revues à anticipation à ce sujet. continuerait à s’investir. C’est parfois dur d’invoquer la limite
la baisse. Y compris en matière de partenariats prévus pour les Un malaise est en train de s’installer entre les acteurs culturels d’âge… N’empêche que pour la culture « Tous mécènes » au-
équipements et constructions pour lesquels étaient escomptés marseillais et régionaux existants et le projet « Marseille 2013 ». Pas jourd’hui en France, ça sonne mal. Reste un logo : trois ronds et
100 millions d’euros de mécénat, pour 660 millions d’euros de seulement pour des aspects financiers, mais aussi parce que leur un carré, qui peuvent aussi permuter, sans dommage esthétique
dépenses. Mais là où le bât blesse c’est que les collectivités lo- place n’est pas assurée dans l’événement. En effet, sur 2 200 pro- ni symbolique, parce qu’ils ne parlent à personne.
cales qui se sont engagées à financer « Marseille 2013 », si elles jets déposés, seuls environ 600 sont plus ou moins préprogram- Gerhard Jacquet

Comment fut cassé le syndicalisme L’amour de la haine


révolutionnaire américain Un jour, le crime,
de J.-B. Pontalis, Gallimard, 192 pages, 14,90 euros.

Dynamite ! Un siècle de violence de classe En juin 1994, dans la revue Polar, Jean-Patrick Manchette, « La barbarie ne s’oppose pas à la civilisation mais est au cœur
en Amérique (1830-1930), dans un effort pour brosser un tableau des conditions his- de la civilisation. » Nous savons tous cela depuis longtemps, mais
de Louis Adamic, traduction inédite de l’anglais, notes toriques d’apparition du polar américain, « roman de la vie il est bon de le répéter souvent, tant la propension de l’homme
et notice de Lac-Han-tse et Laurent Zalche. Éditions Sao Mai, sous la contre-révolution », notait : « À New York comme à l’angélisme a parfois un caractère effrayant. C’est ce que fait
476 pages, illustrations en noir et blanc, 21 x 12 cm, 15 euros. à Chicago, le maire, le procureur, la direction de la police et J.-B. Pontalis dans son dernier livre, Un jour, le crime, composé
les chefs de gangs forment une amicale communauté d’in- de courts chapitres qui pointent la violence et le mal au cœur de

L
e 1er mai 1886, à Chicago, au cours d’un rassemblement térêts. (...) Et naturellement ils en empruntent les méthodes l’être. « Elle est rassurante la bipartition du Bien et du Mal. Il
pour la journée de huit heures, une bombe lancée depuis quand il s’agit d’étendre leur influence et de faire valoir leurs faut avoir un esprit dangereusement borné pour être convaincu
la foule tua plusieurs spectateurs et quelques policiers. intérêts particuliers. L’ouvrage essentiel sur la question est de l’existence d’un axe du Bien face à un axe du Mal. Comment
August Spies, éditeur de l’Arbeiter Zeitung, journal anarchiste, malheureusement introuvable : il s’agit de Dynamite, de croire aujourd’hui à un souverain Bien ?
fut arrêté avec sept de ses camarades. Dans l’adresse qu’il lança Louis Adamic. » Qui oserait soutenir que “nul n’est méchant volontairement” ?
à la cour, il plaça cet avertissement : « Le mandat des seigneurs L’ouvrage est désormais disponible grâce aux Éditions Si c’était le Mal devenu le souverain ? Les preuves ne manquent
féodaux de notre temps repose sur l’esclavage, l’“affamement” Sao Mai, qui l’ont traduit de l’anglais. « On y voit lumineu- pas. » Et l’écrivain et psychanalyste de rappeler Violette Nozière
et la mort ! Cela a constitué leur programme de ces dernières sement comment le syndicalisme américain s’est transformé et les sœurs Papin, Dostoïevski et les Frères Karamazov, Jou-
années. Nous avons dit aux travailleurs que la science a pénétré en syndicalisme criminel quand la possibilité de la révolution handeau et ses Trois Crimes rituels, les meurtriers cannibales de
le mystère de la nature – et que de la tête de Jupiter est sortie une a disparu et quand, par conséquent, la question n’a plus été Dordogne. « Dans quelles chaînes étaient-ils donc enserrés, ces
nouvelle Minerve –, la dynamite ! » Spies fut condamné à mort celle que des fameuses “parts du gâteau” », continuait Man- déchaînés ? Chaînes sociales, chaînes d’un langage qui leur était
et exécuté six mois plus tard, sans l’ombre d’une preuve. Dans chette. « On y voit comment des militants ouvriers radicaux devenu étranger au point de les persécuter ? » Pontalis évoque aussi
la brève autobiographie qu’il rédigea en prison, à l’ombre de la ont pu devenir racketteurs et bootleggers, puisqu’il n’y avait sa visite au musée d’Orsay pour l’exposition « Crime et châtiment
potence, il expliqua son parcours depuis le pays de Luther et de plus d’autre moyen de jouir. » ». Le meurtre d’Abel par Caïn, Lady Macbeth de Füssli, Charlotte
Marx jusqu’au Nouveau Monde où il était arrivé en 1872, avec Adamic a chroniquée cette histoire fidèlement : les premières Corday et l’assassinat de Marat… Mais aussi les portraits de ces
tant d’autres: « Ces anarchistes barbares, sauvages, analphabètes tentatives pour unir tous les travailleurs dès la fin de la guerre magistrats impavides, les juges, d’autant plus assurés de leur légi-
et ignorants venus d’Europe centrale, des hommes qui ne peuvent de Sécession, l’opposition fondatrice entre syndicalisme in- timité qu’ils incarnent la Loi. Meurtre du frère selon la Bible, du
comprendre l’esprit de liberté de nos institutions américaines… » dustriel et les guildes corporatistes (trade unionism vs. craft père selon Freud. « Au commencement était l’acte », l’innommé
Quarante ans plus tard, lorsque Louis Adamic posa le pied unionism), les luttes pour la liberté de parole, puis la grande et l’innommable qui travaillent l’être de langage.
sur le sol américain, il aurait pu reprendre ces mots de Spies répression qui mena à la disparition des forces révolutionnaires « La passion meurtrière, qu’elle soit collective ou individuelle, la
et ajouter, comme lui, immédiatement : « Je suis de ceux-là. » américaines à l’orée de la Seconde Guerre mondiale et le rage de détruire, l’amour de la haine ne connaissent pas de limites. »
Originaire de Slovénie, il exerça une multitude de métiers avant ralliement des réformistes à l’économie de marché. Histoire J.-B. Pontalis est également un amateur de faits divers. De ceux que
de publier cette histoire du syndicalisme américain en 1931, jonchée de cadavres et de fantômes, ceux de Spies, de Frank l’on trouvait autrefois dans Détective, aujourd’hui dans des émissions
c’est-à-dire au lendemain de sa défaite, qu’il intitula : Dynamite. Little, Joe Hill, Sacco, Vanzetti, Wesley Everest… télévisées telles que Faites entrer l’accusé. Celui-ci, par exemple.
L’explosif avait réuni les anarchistes, les syndicats radicaux Aux États-Unis, au sommet de la crise économique, le puis- Il s’agit d’un charcutier parisien, bon père de famille. Bon mari
et même les bandits de grand chemin qui s’en servaient pour sant United Auto Workers (UAW) se retrouva en possession aussi, mais qui a pour maîtresse sa jeune employée. Un jour, celle-ci
briser les coffres-forts des banques. Au sortir de la Première de 20 % du capital de General Motors, premier constructeur arrive en retard. Cela l’indispose. Gifles, coups, les choses dégénè-
Guerre mondiale, les partisans de l’action directe avaient été automobile mondial, pour compenser le financement des rent. Le charcutier étrangle la jeune fille, puis découpe son corps en
réduits au silence (Spies, sur l’échafaud, lança à ses bourreaux : retraites des anciens salariés par l’entreprise. Le syndicat morceaux qu’il répartit dans plusieurs-sacs poubelle. Stupeur des
« Le jour viendra où notre silence sera plus fort que les voix que espère aujourd’hui négocier sa présence au conseil d’adminis- voisins lorsqu’il est arrêté quelques jours plus tard : « Un homme si
vous essayez d’étouffer aujourd’hui »), les hors-la-loi avaient tration. « Nous sommes attachés au succès des entreprises qui tranquille, si aimable… » Comme il serait plus facile d’imputer les
cédé la place au crime organisé, et les syndicats révolutionnaires, emploient ceux que nous représentons », déclarait Bob King, crimes à des déments ou à des monstres dégénérés ! Face à de tels
en tête desquels l’International Workers of the World (IWW), le président de l’UAW, le 5 janvier 2011. « Plus les employés actes, notre désir de comprendre est mis à mal. « Oui, nous avons
ne pesaient plus grand-chose face aux centrales réformistes qui auront voix au chapitre dans tous les aspects de leur travail, peine à y croire, pourtant les faits sont là. Et les faits sont têtus,
se dépêchèrent d’abandonner la lutte des classes au profit d’une plus grand sera le succès des employeurs. » était contraint de reconnaître cet entêté de Lénine. »
lutte pour des parts de marché. Sébastien Banse Jean-Claude Hauc

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SAVOIRS

Manifestes pour un matérialisme


historico-géographique
Deux publications de David Harvey permettent enfin d’aborder la pensée du plus important
géographe marxiste contemporain.
Géographie et Capital. investit un territoire, s’y solidifie sous la forme de capitaux fixes, communautés, qu’elles soient paysannes ou ouvrières, rurales
Vers un matérialisme historico-géographique, y transforme les structures urbaines et y modifie les réseaux ou urbaines, pour le contrôle démocratique de leur espace
de David Harvey, Éditions Syllepse, 2010. 279 pages, 22 euros. de transport et de communication. Malgré la propension du sont autant au cœur des luttes anticapitalistes que celles contre
capitalisme à se dématérialiser sous la forme de capitaux fictifs l’exploitation.
Le Nouvel Impérialisme, et à afficher une ubiquité inquiétante, cet aménagement spatial C’est lors du débat sur l’impérialisme que le marxisme a
de David Harvey, Les Prairies ordinaires, 2010. est une obligation systémique. David Harvey montre avec force commencé à prendre en compte sérieusement la dimension
215 pages, 20 euros. que cette spatialisation capitaliste est un aspect déterminant de géographique du capitalisme. Malgré un avis globalement
la mise en valeur du capital, car la force de travail est toujours convergent quant à la nocivité de l’impérialisme chez Lénine,

M
arx faisait remarquer que le capitalisme entraînait une localisée tout comme les moyens de production, et aussi parce Rosa Luxemburg ou Boukharine, les positions théoriques pou-
« annihilation de l’espace par le temps ». La profondeur que le choix d’une localisation est la clé de la concurrence entre vaient nettement diverger. Dans le cadre du projet de domination
de cette remarque aurait dû inciter de nombreux les différents groupes capitalistes. Or, l’espace est déterminé par impérial formulé par l’administration Bush, David Harvey
marxistes, Marx le premier, à ne pas négliger la dimension son caractère limité, qu’il s’agisse de l’espace des matières pre- reprend les termes du débat dans un essai intitulé le Nouvel
spatiale du capitalisme. Il est vrai que le marxisme a bien plus mières, de celui des constructions immobilières spéculatives ou Impérialisme, en proposant une lecture synthétisant avec bonheur
inspiré les historiens que les géographes, malgré l’existence de celui des grands axes de transports. La lutte pour l’investissement les différentes pistes explorées par ses prédécesseurs. L’impéria-
travaux de valeur dont témoignent les livres d’Henri Lefebvre, en ces lieux devient donc un enjeu de taille de la concurrence lisme n’est plus considéré comme un « stade » du capitalisme
et une importante littérature marxiste qui aborde la géographie intercapitaliste, pour s’adjuger des positions – au sens propre mais comme son expression constante, inscrite au cœur de son
dans le cadre du concept d’impérialisme. Pourtant, une lecture du terme – qui deviendront des monopoles de fait. mode de fonctionnement. Cela s’explique car le capitalisme
spatiale du développement du capitalisme semble plus urgente L’espace spatialisé par le capitalisme finit par en acquérir ne se fonde pas seulement sur l’exploitation du travail salarié,
que jamais, à un moment où le capital se déploie à toutes les tous les aspects, dont la fragilité et la volatilité. David Harvey mais aussi sur ce que David Harvey baptise « l’accumulation
échelles, qu’elles soient locales, régionales ou mondiales. L’œuvre insiste avec force sur le fait que le capital investit autant les par dépossession ». Cette accumulation prolonge aujourd’hui la
de David Harvey nous fournit les éléments théoriques nécessaires espaces qu’il les délaisse, une fois que ces derniers se révèlent logique des pillages coloniaux du XVIIIe siècle et des enclosures
pour procéder à cette lecture. Dans le premier texte du recueil incapables de garantir des taux de profit suffisants. Et l’on sait des terres collectives de la paysannerie anglaise, ce que Marx
Géographie et Capital, il annonce son projet : faire du « maté- que ces abandons, qu’ils correspondent à des délocalisations, avait qualifié d’« accumulation primitive ». Même si les objets
rialisme historique » un « matérialisme historico-géographique », à des friches urbaines ou rurales, etc., sont aussi traumatisants de cette dépossession peuvent changer – l’eau, la forêt ou les
c’est-à-dire « une science matérialiste historique de l’histoire pour les communautés humaines que l’installation du capital matières premières remplaçant les champs ouverts –, la logique
humaine dans sa dimension géographique pour créer un savoir lui-même. La mise en compétition des territoires est ainsi un des prédatrice reste la même. En la saisissant, on ne perçoit plus
devant permettre aux peuples, aux classes et aux groupes dominés aspects de la mise en concurrence des peuples et des travailleurs. alors l’impérialisme comme un simple phénomène guerrier et
de mieux maîtriser et de faire leur propre histoire ». Ce constat théorique fonde ainsi un impératif politique, qui épisodique mais comme un phénomène global contre lequel la
Cette nécessité s’explique parce que le capitalisme est un phé- avait été largement pressenti par le mouvement ouvrier sans lutte doit se montrer constante.
nomène spatial, qui procède à un aménagement spatial lorsqu’il qu’il en eût établi le fondement théorique : les luttes locales des Baptiste Eychart

Marx avec Spinoza


Capitalisme, désir et servitude. ambitieuse reconstruction du soubassement
Marx et Spinoza, affectif du capitalisme, appuyée sur une concep-
de Frédéric Lordon. Éditions La Fabrique, tualité originale dont on regrettera seulement
224 pages, 12 euros. qu’elle recoure trop souvent à un ensemble
de néologismes qui peuvent faire trébucher

Q
u’il y ait un sens à rapprocher l’auteur le lecteur (fallait-il, par exemple, aller jusqu’à
du Capital de celui de l’Éthique, Frédé- parler d’« empuissantisation » ?).
ric Lordon n’est certes pas le premier Au prisme de Spinoza, ce sont quelques-uns
à en avoir eu l’intuition. Avant lui, d’éminents des concepts cardinaux du marxisme qui se
lecteurs de Marx, tels Étienne Balibar et Pierre voient éclairés d’un jour nouveau, qui n’ex-
Macherey, avaient consacré à Spinoza des in- clut pas, à l’occasion, la critique. L’auteur ne
terprétations qui ont fait date, pour ne rien fait pas mystère des réserves que lui inspire la
dire d’un livre comme l’Anomalie sauvage, problématique de l’aliénation, voyant diffici-
qui n’a pas peu contribué à faire connaître en lement comment la soustraire à la croyance (à
France le travail de Toni Negri. Cependant, ses yeux illusoire) en une substance vampirisée
à la différence de tels prédécesseurs, ce n’est par l’exploitation capitaliste et qu’il s’agirait de
pas en historien de la philosophie que Frédéric restaurer dans sa plénitude originelle. Plus que
Lordon construit ce rapprochement, bien que dans la perspective d’une telle réappropriation,
son livre contienne aussi un certain nombre c’est sur le terrain des affects que doit se jouer la
de développements qui méritent de retenir lutte pour l’émancipation, dès lors qu’il ne peut
l’attention des spécialistes. Son ambition est plus s’agir d’en appeler à la souveraineté d’un
plus constructive qu’historienne, puisqu’il ne libre arbitre dont Spinoza n’a eu de cesse de
propose rien de moins qu’une reformulation de ruiner les prétentions illusoires. Si l’aliénation
DR

DR

la critique de l’économie politique (comprise, est affaire de « fixation », son abolition s’expri-
pour reprendre une expression où se marque énergie désirante : « Être, c’est être un être de les plus efficaces pour assurer un fondement mera par une réouverture de tout l’éventail
la dette envers l’interprétation althussérienne désir. Exister, c’est désirer et, par conséquent, solide à cette captation du « désir salarié », au- des désirs. Dans cette nouvelle lutte des classes
de Marx, comme « un structuralisme des rap- s’activer – s’activer à la poursuite de ses objets trement dit de l’« aligner » durablement sur (elles-mêmes redéfinies comme « classes affec-
ports ») dans les termes d’une « anthropologie de désir. » Au fondement des rapports de pro- le « désir-maître ». Aux analyses canoniques tives »), il y va bien plutôt de « la formation
des passions ». duction, à commencer par le rapport salarial, de l’exploitation, Frédéric Lordon propose d’une nouvelle résultante affective où l’indigna-
De ce déplacement stratégique, le principal Frédéric Lordon entreprend donc de dépister d’intégrer un démontage des mécanismes de tion qui fait bouger l’emporte sur l’obsequium
élément est une redéfinition du capitalisme systématiquement les rapports de désir qui se l’idéologie managériale, et de son utopie d’un qui faisait rester ». Loin de se confondre avec
comme un « régime de désir ». Telle est la leçon nouent, et parfois s’entrechoquent, à commen- « rechapage des individus », qui non seulement un fatalisme résigné, le déterminisme spinoziste
que Frédéric Lordon entend tirer du cona- cer par « l’enrôlement », par l’entrepreneur, de rendrait les dominés parfaitement soumis aux ouvre la voie d’une émancipation dégrisée qui,
tus spinoziste, cet effort par lequel « chaque la puissance d’agir de tous ceux qu’il mobi- fins posées par les dominants, mais parviendrait comme le disait Althusser, « ne se raconte plus
chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de per- lise au service de la réalisation de son propre à les persuader que cette soumission est le seul d’histoires », ce qui ne signifie évidemment pas
sévérer dans son être », et dont l’auteur fait la « désir industriel ». Toute la difficulté devient moyen de la sacro-sainte « réalisation de soi ». qu’elle renonce à faire l’histoire.
clef permettant de penser l’existence comme alors, pour le patronat, d’actionner les ressorts À l’horizon de ce travail critique se dessine une Jacques-Olivier Bégot

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ARTS

Un peintre méconnu : À LIRE


Miniature, portrait de l’intimité,
de Jacqueline du Pasquier, préface

Alberto Savinio
d’Emmanuel de Waresquel. Norma Éditions,
254 pages, 65 euros.

« Alberto Savinio »,
Palazzo reale, Milano, jusqu’au 12 juin 2011.
frappés d’abstraction tel son Prométhée. Il y a
chez lui une poésie plastique qui procède par
P récieux à plus d’un titre, l’ouvrage de Jacque-
line du Pasquier nous introduit à cet art si peu
connu de la miniature. Écrit avec beaucoup de
Catalogue : Il Sole 24 Ore, 224 pages, 39 eu- collages d’éléments a priori peu conciliables (il soin et de finesse, il ne se veut pas exhaustif, mais
ros. n’est que de voir son Apocalypse de Jean, 1929, capable de fournir les principaux éléments pour
ou la Bataille de centaures, 1930). Ses figures sont avoir une bonne connaissance des techniques

A
ndrea De Chirico (1891-1952), le frère parfois des formes aberrantes et oniriques. Dans et des œuvres. De plus, elle montre comment la
cadet de Giorgio De Chirico, a pris pour d’autres toiles, il joue sur des contradictions miniature a été utilisée dans la littérature. Elle
nom d’artiste Alberto Savinio. S’il est purement plastiques et saugrenues comme dans débute par Balzac, l’écrivain qui a sans doute
bien connu en France comme écrivain (la plus le Fantôme de l’Opéra (1929) ou l’Île précieuse le plus souvent utilisé ce curieux objet intime,
grande partie de son œuvre littéraire a été tra- (1950). Le rêve, le jeu, l’humour, l’aberrant et en particulier dans Splendeurs et misères des
duite), il reste inconnu comme compositeur l’incongru sont quelques-uns des ingrédients courtisanes et dans Honorine. Mais Stendhal
(même si Apollinaire l’avait encensé avant la majeurs de sa peinture. Parfois, des oeuvres s’en est lui aussi entiché. Madame de Lafayette
Grande Guerre) et comme peintre. Il est vrai comme l’Abandonné ou le Monument, 1929 l’avait déjà introduit dans son roman : le duc
qu’il n’a pas participé à l’aventure de la « pein- donnent l’impression que ses compositions sont de Nemours s’empare en cachette du portrait
ture métaphysique » quand Giorgio décide de des jouets plastiques. Il a aussi le goût de la fable de la princesse de Clèves. Ensuite, elle retrace
créer un groupe à Ferrare en 1917. Mais son et du détournement : en 1931 il change Renaud l’histoire de la miniature en Europe, qui a connu
premier ouvrage, Hermaphrodito, paru un an et Armide en bêtes de basse-cour et en 1945 sa son heure de gloire, sinon son origine, à l’époque
plus tard, s’inscrit cependant dans cette optique. Mademoiselle Centaure, porte un chapeau très d’Elizabeth en Angleterre et à celle de Catherine
La belle exposition du palais royal de Mi- singulier sur un visage de toute jeune femme qui de Médicis en France avec François Clouet, qui
lan, même si elle n’a pas vocation d’être une rend le mythe infantile et drolatique. Surréaliste anoblit cette pratique dont l’un des premiers
rétrospective en bonne et due forme, permet sous un certain aspect, c’est vrai et André Breton praticiens de valeur fut Jean de Paris, à la fin du
de se faire une idée assez précise de ce qu’il a l’a salué comme tel encore en 1950, Savinio ne se
DR
XVe siècle. Enfin, elle nous fait découvrir les plus
entrepris comme peintre, dessinateur et aussi rapproche que d’un seul microcosme pictural, valeureux peintres dans ce domaine. Parmi eux,
comme décorateur de théâtre. Présentée par Le Rêve du poète, d’Alberto Savinio, 1927. celui de son frère. Mais avec de vastes diffé- je citerai Rosalba Carriera, grande portraitiste et
thèmes, elle permet de comprendre aussitôt que la mythologie est sa rences. Le Consul romancier (1927) et le Rêve du poète (1927) montrent pastelliste du XVIIIe siècle, qui apprit son métier
principale source d’inspiration, ainsi que la Grèce où il a vu le jour. Ses à quel point il pense la littérature comme soubassement et parfois sujet en décorant des tabatières. Quand on referme ce
compositions mettent en scène des dieux et des héros, mais toujours avec de son art, ce que ne fait pas De Chirico, qui préfère rêver à Rubens ou livre, on est en mesure de regarder avec un œil
un décalage sensible et une pointe d’humour. De plus ses figures sont sou- pasticher les maîtres d’autrefois. Mais Savinio n’en est pas moins un neuf et curieux cet art qu’on a jugé mineur et
vent monumentales et disproportionnées, comme les géants nus au torse aussi grand artiste et on peut déplorer que cette exposition ne soit pas anecdotique. Au point d’en devenir un amateur !
gigantesque et à la tête minuscule (Hommes nus, le Retour, Découverte présentée en France.
d’un monde nouveau en 1929) ou placés dans un décor surréel et même Gérard-Georges Lemaire Écrits,
de Barnett Newman, traduit par

L’envoûtant Odilon Redon J.-L. Houdebine, Macula, 544 pages, 32 euros.

Odilon Redon,
au Grand Palais jusqu’au 20 juin 2011.
mystère de l’infiniment petit. Mais, avant tout,
les créatures imaginaires qui grouillent dans
lithographies et dont Redon, poète autant que
peintre, rédige les légendes. (« Quand s’éveillait
L a publication des pages écrites par le grand
artiste abstrait Barnett Newman (1905-
1970) est un événement de poids. Ce qui sur-
Catalogue : RMN, 440 pages, 49 euros. ses travaux graphiques sont en rapport avec la la vie au fond de la matière obscure il y eut peut- prend le plus, c’est sa curiosité, son ouverture
publication, en 1859, de l’Origine des espèces de être une vision première essayée dans la fleur, d’esprit, mais aussi sa volonté de se battre pour

E
nvoûtante l’exposition d’Odilon Redon ? Darwin. Cette théorie bouleverse la conception le polype difforme flottait sur les rivages, sorte ses idées esthétiques, parfois avec les armes
Indiscutablement. Sous un éclairage ta- que la science se faisait de la vie : l’évolution ne de cyclope souriant et hideux. ») de la polémique. On y découvre d’abord la
misé se déploie un monde en constante se déroule pas selon un processus linéaire, mais Lorsqu’il adopte, dans la période suivante, le singularité de sa démarche : il s’intéresse à des
métamorphose, où le réel et les fantasmes créent n’est qu’une succession imprévisible de diversi- pastel et l’aquarelle, Redon emploie également artistes insolites, comme le Mexicain Tamayo,
des images d’êtres « impossibles », extravagants. fications. Univers sombre, inquiétant, bref les ces techniques au service d’une cosmogonie sub- l’artiste figuratif Thomas Hart Benton, qu’il a
Ainsi, on se trouve face à face avec l’image la Noirs est le titre donné par Redon à l’ensemble jective. Moins sombre toutefois. Par sa volonté connu en 1937, ou à l’art amérindien, comme
plus connue de l’artiste, l’Araignée souriante de des fusains et des lithographies qui constituent d’ouvrir le champ de la peinture de chevalet, de l’a fait Mark Rothko. Plus singulier encore son
1881, un animal monstrueux, doté d’un cépha- l’essentiel de sa production jusqu’en 1895. Cette transgresser la frontière entre les arts appliqués intérêt poussé pour le poète Jules Laforgue et ses
lothorax sur lequel s’articulent cinq paires de partie, la plus intense et la plus intrigante de et les arts réputés « majeurs », le peintre pratique réflexions sur l’art et pour Roger Fry, le grand
pattes et d’un « visage » anthropomorphique l’œuvre, est présentée au Grand Palais parmi les arts décoratifs. Ses derniers grands formats théoricien de l’art, qui est devenu un des peintres
dont la grimace découvre des dents effrayantes. quelques 180 travaux. De fait, même si Redon (le décor mural du château de Domecy – 1901 – du groupe anglais du Bloomsbury. Encore plus
Ailleurs, ce sont des hybrides – mi-végétaux, reste, comme ses confrères, un illustrateur fé- montré dans son intégralité) offrent des espaces étonnante sa longue étude sur Kropotkine, le
mi-animaux –, de formes de vie primitive, cond (Mallarmé, Baudelaire Huysmans), son idylliques où règne une harmonie parfaite. En grand anarchiste russe, qu’il a rédigée à la fin
dont l’engendrement semble échapper à tout univers offre une iconographie personnelle qui quête d’une pureté absolue, l’œuvre colorée de des années soixante à l’occasion de la réédition
contrôle. Non pas que l’artiste soit insensible faire naître l’irrationnel et suit « la logique du Redon oscille sans cesse entre deux extrêmes, de ses écrits. En somme, de cette anthologie de
à son temps. On connaît ses liens avec le bota- visible au service de l’invisible ». On reste ébloui enchantement ou kitsch. textes de toutes sortes (essais, entretiens, décla-
niste Clavaud, qui lui révèle le microscope et le en vue des Origines (1883), troisième album de ITZHAK GOLDBERG rations, note de travail, etc.) émerge une image
bien différente de celle qu’on s’est forgée de cet
artiste à travers une œuvre exigeante, radicale

Le Parmesan aux Beaux-Arts de Paris et apparemment formaliste. À ce propos, dans


son article sur le sublime (1948), il met l’accent
sur les limites de l’art moderne, encore prison-
Parmesan, dessins et gravures Mazzola, 1503-1540). De sa brève existence qu’en partie vrai car il demeure ancré dans une nier des problématiques de l’art d’autrefois,
en clair-obscur, (Vasari affirme que le Parmesan a succombé à sa solide tradition classique, qu’il dépasse par un mais aussi de l’art abstrait géométrique, limité
École nationale supérieure des Beaux-Arts, mélancolie, comme le rappelle Françoise Viatte raffinement rare dans l’expression corporelle ou par ses perspectives théoriques. Ses idées sont
Paris, jusqu’au 6 mai 2011. Catalogue : Carnets dans la préface du catalogue), il nous a laissé de la tête du sujet. Son étude pour une Vierge souvent caustiques et anticonformistes : il s’en
d’études n° 19, 160 pages, 22 euros. des merveilles comme les décorations de Rocca à l’enfant en est la traduction la plus pure : prend à l’isolationnisme américain (écrit en
Sanvitale à Fontanellato, la Vierge au long cou l’originalité de son style est appuyée par une 1942, mais pas publié à l’époque !) et il critique
et la Conversion de Saint-Paul. Si ses œuvres
L ’École des Beaux-Arts de Paris possède
une collection extraordinaire de dessins et
de tableaux. L’un des vœux des fondateurs de
peintes sont peu nombreuses, il a laissé un plus
grand nombre de dessins. Ils sont souvent petits,
solide culture picturale. Et il faut remercier des
graveurs comme Rossigliani, Ugo da Carpi ou
Antonio da Trento de nous avoir fait connaître
l’art européen, ayant la conviction que c’est
en Amérique, grâce à des artistes libérés du
poids du passé, que « nous pouvons créer un
l’Académie avait été, au XVIIe siècle, de consti- presque traités comme des miniatures (ce qui des ouvrages disparus. Son Diogène, son Sa- art sublime ». Richement illustré, augmenté de
tuer un ensemble d’œuvres servant d’exemple fait songer à son autoportrait où l’on distingue turne et son Adonis et la nymphe Echo sont de notes critiques sur son travail par Yves-Alain
aux élèves et aux amateurs d’art. Depuis lors, elle son visage dans un miroir). Le buste de femme purs bijoux esthétiques. Cette exposition n’est Bois ou Pierre Schneider, cet ouvrage oblige
a pieusement recueilli toutes ces œuvres, mais et le visage de Marie, manifestement des études à manquer à aucun prix car elle fait apparaître le lecteur à avoir une vision très différente de
jamais un musée ne les a rendues accessibles préparatoires, sont des chefs-d’œuvre : à la pré- l’extraordinaire talent d’un artiste de la toute l’art américain de l’après-guerre et surtout de
au public. Par bonheur, une exposition soulève cision du trait s’allient une tendresse et une fin de la Renaissance qui a eu l’audace de tenter ce créateur hors du commun.
un bout du voile et nous révèle des merveilles finesse inégalées. On a voulu faire de lui l’un une autre forme d’art. Justine Lacoste
comme ces papiers du Parmigianino (Francesco des champions du maniérisme naissant. Ce n’est Georges Férou

LES LETTRES F R A N Ç A I S E S . A V R I L 2011 (S U P P L É M E N T À L ’HUMANITÉ D U 7 AV R I L ) . IX


ARTS / CINÉMA

Axelle Ropert : un idéal d’art classique


Scénariste des films de Serge Bozon, critique de cinéma vraiment le cinéma excessivement dense, étouffant et resserré ça. D’une manière générale, j’ai évité les gros plans, car j’aime
(elle fut notamment la corédactrice de la Lettre du cinéma), d’un cinéaste comme Bergman. Ses personnages névrosés que les personnages soient inscrits dans un décor.
Axelle Ropert a réalisé à ce jour un moyen métrage, Étoile et sans fantaisie, enfermés dans une maison austère sur une Le système des champs-contrechamps m’a aussi permis de
violette (2006), et un long métrage, la Famille Wolberg (2009). île battue par les vents, me font fuir. Sur le plan du récit, je multiplier les arrière-plans derrière les personnages. Pour moi,
Ces deux œuvres intimistes et insolites qui racontent, entre préférerais me rapprocher de Dickens : son sens de la pitié et cette figure stylistique n’est pas seulement fonctionnelle, c’est
sourire et gravité, la fragilité et la solitude des êtres face de la compassion m’a beaucoup marquée. Il a une manière un art du montage et de la respiration. Dans la Famille Wolberg,
à la violence quotidienne de la vie, imposent un cinéma absolument déchirante de créer des personnages victimes de je ne transgresse ce principe qu’à un seul moment, lors de la
subtilement décalé, très écrit, à contre-courant des films l’acharnement de la vie et de la société. Pourtant, par-dessus scène au bord de la piscine entre les deux hommes : la caméra
d’auteur français, cherchant moins à filmer le contact cette arête vive des trajectoires, il y a l’art qui procure un compose un panneau flottant entre les deux personnages. Elle
de la réalité que sa stylisation romanesque. apaisement souverain. J’ai essayé de retrouver cette impression marque une trêve alors qu’auparavant le champ-contrechamp
dans la Famille Wolberg, sans doute à mon corps défendant : m’avait surtout servi pour les conflits.
Comment êtes-vous passée de l’Étoile violette à la Famille j’espère que le spectateur ressent à la fin du film un sentiment
Wolberg ? de quiétude qui adoucit la violence de la vie. Il y a de votre part une recherche d’harmonie et de sérénité.
Axelle Ropert. Je suis un peu « truffaldienne », c’est-à-dire Pour ce film, j’avais pour modèle un film méconnu de Axelle Ropert. C’est un idéal d’art classique auquel je suis
que je fais mes films les uns contre les autres. Ma nature me Richard Quine, Liaisons secrètes (Strangers When We Meet, très sensible : il n’est pas tellement propre au cinéma français
conduit à ne pas aimer ce que je viens de faire ; je renie l’Étoile 1960), qui a offert à Kirk Douglas l’un de ses rares bons rôles. mais plutôt attaché au cinéma classique américain. C’est sans
violette, je renie la Famille Wolberg. Je voulais que ce film soit L’histoire se passe au bord de la mer, à San Francisco, mais doute aussi pour cela que Rohmer me semble le plus grand
beaucoup plus vivant, trivial, contrasté, exubérant et moins raconte des situations d’adultère assez glauques. Le scénario cinéaste français : il y a chez lui une sérénité admirable qui
contemplatif que ne l’était le premier. Je n’y suis pas totalement est assez bergmanien : il y est question de ressentiment, de constitue pour moi la qualité suprême de l’art. Je n’ai aucune
arrivée ; j’ai l’impression qu’une gangue générale demeure. jalousie sexuelle, de frustration, de femmes au foyer malheu- fascination pour la figure moderne du cinéaste ou de l’artiste
Elle est certainement due à l’usage du Cinémascope ou à cette reuses, de maladie. Pourtant, sa mise en scène est totalement tourmenté qui n’arriverait à créer que dans une situation de
très belle lumière qui glace un peu les personnages, mais aussi antibergmanienne, le film respire grâce au Cinémascope : il y conflit, d’agressivité, de tyrannie, de névroses extrêmes et dont
aux dialogues qui constituent une contrainte assez forte. Je ne a du vent, de l’espace, de vastes arrière-plans. C’est quelque les modèles les plus beaux seraient Maurice Pialat ou Jean
suis pas encore parvenue à réaliser mon idéal : un film à la fois chose que je retrouve également dans le Chevalier des sables, Eustache. Rohmer, qui entretenait un climat de civilité sur ses
foisonnant et très écrit mais paradoxalement débarrassé de tout de Vincente Minnelli (The Sandpiper, 1965) : la mise en scène, tournages, est pour moi beaucoup plus énigmatique que Pialat,
carcan littéraire. La Famille Wolberg a retrouvé de la vie grâce grâce à la mer déchaînée, au sable, à la lumière du Pacifique, qui faisait des coups tordus à ses acteurs. Il s’agit peut-être
à ses acteurs : François Damiens et Valérie Benguigui viennent réussit à redonner de la vie au film, malgré des situations aujourd’hui d’une conception un peu désuète.
de la comédie, ils ont des corps de chair. psychologiques étouffantes, toujours au bord de l’hystérie,
et des personnages enfermés sur eux-mêmes. Votre cinéma semble évacuer toute dimension sociale
Pourquoi avoir choisi le scope, une photo très stylisée et politique.
et beaucoup de dialogues ? Quels ont été vos choix de mise en scène pour créer Axelle Ropert. C’est un regret et une faiblesse qui sont en
Axelle Ropert. Je n’ai pas choisi le scope pour rendre les de l’espace ? partie liés à des contraintes de production. Le scénario de la
choses monumentales ou splendides, ou même pour me rap- Axelle Ropert. Mon obsession était de créer des horizons, Famille Wolberg était beaucoup plus détaillé sur l’activité et
procher de manière nostalgique du cinéma américain. La de laisser voir des paysages. Je n’apprécie pas beaucoup les le quotidien d’un maire d’une petite ville. Pour des raisons
Famille Wolberg risquait d’être un huis clos psychologique rares moments du film où les acteurs sont écrasés contre des d’économies, j’ai dû couper les parties où on le voyait parmi
absolument étouffant dans la mesure où le scénario était murs, cela me fait frémir. Je préfère lorsque quelque chose vibre ses concitoyens. J’ai une très grande admiration pour le cinéma
constitué de très longues scènes dialoguées relatant les états derrière eux. Ma chef opératrice veillait donc toujours à ce qu’il politique, mais pour l’instant, je ne sais pas en faire. Je viens
d’âme des personnages : pour moi, c’est l’une des définitions y ait des portes ouvertes dans les arrière-plans. Nous avions d’un horizon littéraire, spéculatif et cinéphile, en prise directe
possible de l’horreur. Pour que le film ne soit pas irrespirable, remarqué ce procédé dans les films de Richard Quine : il crée avec la vie par le biais des sentiments ; d’un simple point de vue
j’ai pris la décision de l’aérer au sens propre : j’ai élargi l’es- toujours des perspectives sur les côtés. Par exemple, lors d’une autobiographique, filmer la société, le travail et des conflits
pace, donné du champ derrière les acteurs. Le Cinémascope scène dans une chambre à coucher, la porte de la salle de bains politiques est très éloigné de mon univers.
est un format très large qui laisse respirer les images à l’écran est ouverte et laisse deviner un miroir pour animer le plan et Entretien réalisé par José Moure,
et crée un horizon autour des personnages. Je n’apprécie pas permettre une circulation dans l’espace. J’ai essayé de recréer Gaël Pasquier et Claude Schopp

CHRONIQUE PHOTOGRAPHIQUE DE FRANCK DELORIEUX


« Agrandissez la ruine, et avec elle la nation qui n’est plus »
Détroit, vestiges du rêve américain, J. Sugrue, dans son introduction au livre Détroit, vestiges du rêve un jeu sur la perspective qui donne une profondeur tant visuelle
Yves Marchand et Romain Meffre, Éditions Steidl. américain, d’Yves Marchand et Romain Meffre : « Les usines que sémantique. Dans ces photographies où la couleur n’est plus
227 pages, 88 euros. désaffectées, les écoles étrangement vides, les maisons en train de qu’un relief de vie, où elle est utile pour rappeler que ces endroits
pourrir et les gratte-ciel délabrés qu’Yves Marchand et Romain ont été vivants, la poussière gagne le ciel, en teintes de gris. Le gris

L
e mot ruine évoque, immédiatement, telles colonnes doriques Meffre racontent dans les pages qui suivent sont les artefacts de et le blanchâtre dominent l’image légendée Detroit Public Book
aux chapiteaux que le vent menace ou tels morceaux de l’étonnante ascension de Détroit vers le statut de capitale mon- Depository : une vaste salle à colonnes de béton est jonchée de
muraille d’un château médiéval qui ne sait plus se défendre diale du capitalisme et de sa descente encore plus extraordinaire papiers comme la vague qui submerge et engloutit. Le décentre-
contre le lierre – mille peintures, plus encore de dessins et mille vers la ruine. Un lieu où la frontière entre le rêve américain et le ment du point de fuite, marqué par trois fenêtres, provoque une
poèmes ont fixé ces images d’un temps qui, toujours douloureux, cauchemar américain, entre la prospérité et la pauvreté, entre le dynamique, entraîne vers un ailleurs, de même que cette image
passe. Car les ruines, c’est une évidence, nous ramènent toujours permanent et l’éphémère, est puissamment et douloureusement d’un présent immédiat porte lourdement son futur où le papier
au temps assassin et nous invitent, selon l’humeur et l’esprit, à des visible. Aucun endroit n’incarne davantage les forces créatrices sera définitivement rongé et le béton écroulé. Yves Marchand
méditations métaphysiques ou historiques. « Le bel aujourd’hui », et destructrices de la modernité que Détroit, passé et présent. » et Romain Meffre ne se cantonnent pas dans la photographie
pour reprendre Mallarmé, produit aussi ses ruines, et les bâtiments Yves Marchand et Romain Meffre ont photographié ces documentaire : ils font entrer dans le temps, si pesant et pourtant
de la modernité peuvent, eux aussi, être déchirés « avec un coup ruines. Ils nous en donnent des images qui ne sont pas de simples si tragiquement fluide, comme on le voit dans les séries de petits
d’aile ivre ». Ivresse d’un rêve renversé, chu comme la carafe illustrations d’un cataclysme mais des œuvres. Devant leurs images, pavillons – témoignage d’une architecture qui ne sera plus –, que
d’un vin faux que tous n’ont pas eu le temps de boire : le rêve « nous attachons nos regards, pour citer encore Diderot, sur les le cadrage rigoureux enferme dans un « je fus, je suis, je ne serai
américain et sa grandeur de monnaie, son capitalisme qui, tel un débris d’un arc de triomphe, d’un portique, d’une pyramide, d’un plus ». Rien mieux qu’un théâtre avec scène, coulisses, gradins,
scorpion, s’est planté dans le thorax le dard de sa queue vénéneuse temple, d’un palais ; et notre imagination disperse sur la terre les ors lourds et plafond peint pour donner une métaphore de la
provoquant une crise qui jeta hors de leurs foyers tant d’hommes édifices mêmes que nous habitons. À l’instant, la solitude et le condition humaine, l’image est commune, et les théâtres en ruine,
et de femmes. Une ville est devenue fantôme: Détroit où ne rôdent silence règnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une l’United Artists Theater et son style Spanish Gothic par exemple,
plus, spectres goulus, que les récupérateurs de matériaux. La ville nation qui n’est plus ». Feuilletons l’album et arrêtons-nous sur ou le National Theater, ou l’Adams Theater, ou…, ne sont plus
est morte, entraînant dans la rue, loin, ses habitants. Il n’est pas quelques photographies – au hasard, puisque toutes, d’une parfaite que des cadavres en putréfaction dont les peintures craquelées
que les « superbes demeures » qui soient vides. Les modestes et égale qualité, seraient à détailler. Les pages font alterner vues évoquent les peaux qui se déchirent et les rideaux en loques, des
pavillons des familles qui rêvaient d’un petit confort, comme les d’ensemble, rues et architectures dans leur entier que ce soit de lambeaux de chair qui tombent.
édifices religieux, les salles de sport, les gares, les stades, les écoles, grands buildings ou de petites maisons, vues d’intérieur et vues de Les photographies d’Yves Marchand et Romain Meffre
les bibliothèques, les commissariats, les hôpitaux, les théâtres, détails comme ces chemises de policiers, couvertes de gravats et de ont une haute valeur morale et une haute valeur politique mais
les piscines, les prisons, les ateliers, les galeries marchandes, les poussière dans leur vestiaire effondré, ou le réfrigérateur ouvert de aussi une très grande et très forte qualité esthétique – et c’est très
cabinets de dentiste, les banques, les usines, tout, oui, toute une la suite d’un hôtel qui montre encore des œufs, une bouteille de jus certainement ce qui leur donne une haute valeur morale et une
ville ne se remplit plus que de débris, de courants d’air, de verres de fruit et de la bière. Chaque fois, le cadrage, s’il joue parfois à haute valeur politique – comme s’ils avaient suivis l’injonction
brisés, d’amertume et de désespoir. On connaît l’histoire de cette monumentaliser, sans gigantisme, tel ou tel bâtiment, impose une de Diderot à Hubert Robert : « Agrandissez la ruine, et avec elle
crise, est-ce le lieu pour le rappeler? Je citerai simplement Thomas vision précise de chaque lieu qui en révèle sa parfaite essence, avec la nation qui n’est plus. »

LES LETTRES F R A N Ç A I S E S . A V R I L 2011 ( S U P P L É M E N T À L ’HUMANITÉ D U 7 AV R I L ) . X


THÉÂTRE / MUSIQUE

Une exceptionnelle réussite


Long Voyage du jour à la nuit, et l’autre alcoolique (juste un peu plus fondements mêmes du texte d’O’Neill qui
d’Eugène O’Neill. Mise en scène de Célie Pauthe. que les autres mâles de l’histoire), Célie viennent ainsi à la surface, un texte qui outre-
Théâtre de la Colline à Paris. Jusqu’au 9 avril à 20 heures. Pauthe a accompli avec une rare sûreté passe largement tout réalisme, comme c’est
Tél. : 01 44 62 52 52. le deuxième acte de tout grand metteur souvent le cas chez lui, et comme l’avait par-
en scène digne de ce nom : le choix d’une faitement saisi et montré Matthias Langhoff,

A
vec une tranquille et discrète détermination, la jeune distribution hors pair. Avec Alain Libolt, il y a déjà presqu’une vingtaine d’années,
metteur en scène Célie Pauthe est en train de s’installer le père, Philippe Duclos le cadet, Pierre dans sa superbe mise en scène de Désir sous
à l’une des toutes premières places de la scène théâtrale Baux le fils aîné auxquels il faut ajou- les ormes à laquelle étrangement le travail de
française. Hors de tout effet de mode, sa mise en scène de Long ter Anne Houdy, la servante, tous plus Célie Pauthe renvoie. Là aussi le réalisme est
Voyage du jour à la nuit, du dramaturge américain Eugène que parfaits, d’une rigueur étonnante, subtilement décalé. À tous les niveaux, que
O’Neill disparu en 1953, nous le confirme avec force. entourant, tournant autour de Valérie ce soit celui du jeu ou celui de la gestion du
Si le premier acte du metteur en scène consiste à choisir avec Dréville tout simplement sublime dans le temps dans un espace intelligemment imaginé
pertinence l’œuvre qu’il entend présenter, alors Célie Pauthe, rôle de la mère. Il est rare de trouver une par Guillaume Delaveau et qui concentre
suivant en cela le conseil que lui avait donné Alain Ollivier, dont telle cohérence, registres de jeu des uns différents lieux en un seul unique, celui de
elle a été l’assistante et à qui elle dédie le spectacle, a eu la main et des autres au même diapason, dans la tragédie. Un lieu que viennent hanter des
heureuse. La pièce d’O’Neill, plus connue sous le titre de Long un chant, une choralité où pas une seule fantômes : « Tout était irréel, comme si j’étais
Voyage vers la nuit – mais le changement opéré par la traductrice, note (une seule syllabe) n’est négligée, un fantôme né d’un brouillard », constate l’un
Françoise Morvan, est comme souvent juste et pertinent –, avant- proférée dans une tension de tous les des personnages. Ceux-ci sont bien des « créa-

E. Carecchio
dernière œuvre de celui qui est considéré comme le « père » du instants. À l’évidence, dans sa direction tures du brouillard » : ils baignent ici dans
théâtre américain contemporain, enserre dans ses mailles pour les d’acteurs, Célie Pauthe n’a rien lâché. une atmosphère à la Strindberg, qu’O’Neill
nouer à tout jamais roman (si peu romancé) familial et destinée Elle a trouvé en Valérie Dréville la co- appréciait particulièrement – tout comme
tragique. Toute chose présente dans l’ensemble de son œuvre médienne idéale qui a toujours œuvré Philippe Duclos et Valérie Dréville. Célie Pauthe, semble-t-il –, à la recherche de
(dans Le deuil sied à Électre ou Le marchand de glace est passé, dans cette même direction de travail. Il leur identité propre.
pour ne citer que deux exemples), forte d’une quarantaine de faut la voir interprétant les deux aspects de la personnalité d’une Long Voyage du jour à la nuit se développe sur quatre heures
pièces. Pour cette tragédie à quatre personnages avec un qua- femme d’abord en manque, s’évertuant à paraître « normale », de temps qui passent comme un souffle. Testament de l’auteur
tuor familial composé du père – acteur qui a eu son heure de puis sous l’emprise de la drogue, passant d’un état de conscience écrit avec « ses larmes et son sang », c’est une œuvre de première
gloire mais a préféré assurer ses arrières (c’est un grippe-sous) à un état sous influence avec une sorte de netteté dans le trouble grandeur que l’on est heureux de redécouvrir. Il faut en remer-
et renoncer à une carrière artistique digne de ce nom en jouant même. Diction et gestuelle d’une grâce sèche à l’unisson. Tous cier Célie Pauthe et l’équipe exceptionnelle qu’elle a réunie
jusqu’à plus soif une médiocre pièce à succès –, de la mère – parviennent à mettre au jour l’ambivalence des sentiments des pour l’occasion pour ce qui est, sans aucun doute, à ce jour, le
morphinomane – et des deux enfants, l’un, le cadet, double de uns par rapport aux autres, amour et haine subtilement tressés. meilleur spectacle de la saison.
l’auteur, journaleux à ses heures et poète atteint de tuberculose, Je le répète, c’est tout simplement admirable. Car ce sont les Jean-Pierre Han

Le vieil homme et la mort


Adagio (Mitterrand, les secret et la mort), si celle-ci est liée à son intime), pas plus qu’une bouche même du personnage principal. Oui, le tions. On ne s’étonnera guère de le voir ainsi
d’Olivier Py. Mise en scène de l’auteur. évocation d’un pan de notre histoire dont il décor renvoie à tout cela à la fois. Mitterrand aborder avec gourmandise les questions de la
Théâtre national de l’Odéon. Jusqu’au est vraiment question dans ce spectacle (s’il ne quittera pas une seule seconde cet espace que spiritualité, de l’âme, de l’infini… Paroles de
10 avril, à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40. en était ainsi, le spectacle serait décevant), que l’ombre recouvre déjà. Les autres personnages, Mitterrand à l’appui : « Comment mourir ?
de l’appréhension de la mort par un homme Badinter, Lang, Séguéla, Védrine, Kouchner, et Au moment de la plus grande solitude, le

L
e titre et le sous-titre du dernier spec- exceptionnel. même Anne Lauvergeon, Marguerite Duras corps rompu au bord de l’infini, un autre temps
tacle d’Olivier Py ne sauraient être plus À partir de cette donnée, et à partir de cette ou Danielle Mitterrand… bien d’autres en- s’établit, hors de mesures communes »… ou
explicites : Adagio (Mitterrand, le se- donnée seulement, l’Adagio d’Olivier Py se core, n’étant que des marionnettes (et traitées encore « Jamais peut-être le rapport à la mort
cret et la mort). Soit un mouvement musical développe, accompagné par le Quatuor Leonis quasiment comme telles), simples faire-valoir n’a été si pauvre qu’en ces temps de sécheresse
lent, et le spectacle effectivement est construit présent sur scène, de façon passionnante. Dans de l’homme aux portes des ténèbres. Alors, spirituelle où les hommes pressés d’exister parais-
comme une œuvre musicale, avec ses différents une scénographie signée Pierre-André Weitz qui espaces et temps mêlés, reviennent de séquence sent éluder le mystère. Ils ignorent qu’ils tarissent
motifs, à partir et autour de la personnalité de assume également la conception des costumes et en séquence les épisodes (les plus marquants) ainsi le goût de vivre d’une source essentielle »…
François Mitterrand, personnage évoqué dans du maquillage, d’une justesse inouïe, grandes et d’une vie sur le point de disparaître. C’est à cette aune qu’il faut voir ce spectacle
sa dimension théâtrale, un Mitterrand saisi la somptueuses marches couvrant toute la largeur Olivier Py (masse énorme de documents porté de bout en bout par ce grand acteur qu’est
dernière année de sa vie, en 1995 (il décédera en de la scène et menant à un gigantesque mur à disposition : Mitterrand, outre ses propres Philippe Girard, qui retrouve de manière sai-
janvier 1996), dans son face-à-face secret avec de livres qui laissera lentement la place à un écrits, a suscité une littérature plus qu’abon- sissante attitudes, gestes, débit et inflexions de
la mort qui le ronge depuis longtemps et dont décor ouvrant sur une nature décharnée avant dante) a tressé une pièce mêlant documents vé- voix de son illustre modèle ; il lui redonne vie de
il a eu connaissance dès la première année de de disparaître à la fin pour laisser la place à ridiques, paroles, discours… du grand homme l’intérieur tout en restant dans une dimension
son élection en 1981. Ce n’est donc pas tant un escalier se terminant à l’infini, crypte ou avec ce qui est de l’ordre de la fiction pure, et éminemment théâtrale.
l’homme dans sa dimension politique (même tombeau égyptien dont il est question dans la ce qui est de l’ordre de ses propres préoccupa- J.-P. H.

Michaël Levinas enchante Kafka À ÉCOUTER


O n ne saurait trop recommander les nouveaux enregistrements

I
l ne faut pas prendre Franz Kafka au les murs, mais sacrément sonore par la de la musique ; c’est une sorte de madri- de Charles Koechlin par le pianiste Michael Korstick qui,
sérieux et pourtant… Michaël Levi- voix du contre-ténor Fabrice di Falco gal qui réussit cependant à incarner la avec les Heures persanes et ...des Horizons lointains... poursuit
nas s’en est emparé… à la suite de traitée par l’électronique de l’Ircam et marginalisation absolue, prophétique de avec bonheur le travail commencé avec Des jardins enchantés
Philippe Manoury, György Kurtag ou Benoît Meudic. L’Ensemble belge bien Grégoire Samsa. La dislocation de sa fa- qui comprenait l’Album de Liliane et Paysages et Marines. Les
Mauricio Kagel. connu Ictus assurait l’accompagnement mille, mère qui s’évanouit à sa vue et père trois vers de Tristan Klingsor en exergue des Heures persanes
Michaël Levinas a créé à Lille (le instrumental sous la direction méticuleuse largué dans sa position de pater familias, indiquent clairement la pensée du compositeur : « Car le songe est
13 mars dernier) une adaptation très de Georges-Elie Octors. Les personnages est parfaitement rendue. La maladie, le plus beau que la réalité / car les plus beaux paysages sont ceux que
convaincante de la Métamorphose avec principaux sont tenus et chantés par la handicap sont également au cœur de cette l’on ignore / et le plus beau voyage est celui qu’on fait en rêve.»
un livret d’Emmanuel Moses qui a pris soprano Magali Léger, véritable icône du parabole où l’on peut percevoir le début La musique de Koechlin, trop négligée jusque-là, commence à
la suite de Valère Novarina, lequel avait compositeur. Un créateur captivé par les de la pornographie du XXe siècle, dans prendre sa place. Pleine de subtiles correspondances de couleurs
déclaré forfait en laissant toutefois un petit rapports complexes du sens et du son, en une sorte de désintégration de la figure comme chez les peintres impressionnistes, il faut la placer aux
texte énigmatique concernant le sacrifice particulier au sein de la langue française de l’humain, qui est une donnée majeure côtés de Debussy et de Ravel. Les amateurs rechercheront les
d’Isaac assimilé au martyre de Grégoire ! (M. Levinas chante Aragon et a également du même XXe siècle. Les marionnettes enregistrements plus anciens de Christoph Keller (chez Accord)
Le tout est mis en scène par un Stanislas adapté les Nègres, de Jean Genet). La incarnant le fondé de pouvoir et les trois ou de Deborah Richard (chez CPO) qui font entendre différem-
Nordey inspiré, enrichi par la scénographie beauté qui se dégage de cette œuvre au locataires sortis d’un improbable théâtre ment cette musique toute remplie de couleurs et de nostalgie. Ces
d’Emmanuel Clolus, les costumes imagi- thème terrifiant tient à une réalisation yiddish accentuent le côté parodique de questions d’interprétation qui se posent déjà indiquent bien la
natifs de Raoul Fernandez et les lumières aboutie et soignée de Stanislas Nordey et l’ensemble. Certains lecteurs ont ri de richesse de l’univers de Koechlin.
interventionnistes de Stéphanie Daniel. aux splendeurs du cantabile qui baignent Franz Kafka, à commencer par lui-même. F. E.
On connaît le changement de Gré- une partition qu’on aurait imaginée autre- Rire dans les pleurs. On les comprend ! Les Heures persanes et … des Horizons lointains…,
goire Samsa. en cancrelat, insecte invi- ment chaotique, morcelée et déroutante. Michaël Levinas y voit un vertige. de Charles Koechlin par Michael Korstick, 2 CD, Hänssler.
sible sur la scène sauf en calligraphie sur Le texte original est raccourci au bénéfice Claude Glayman

LES LETTRES F R A N Ç A I S E S . A V R I L 2011 (S U P P L É M E N T À L ’HUMANITÉ D U 7 AV R I L ) . XI


Ils ont écrit et ils écrivent dans les Lettres françaises. (Suite.)
Achcar Gilbert Ducastel Olivier Letourneux Matthieu Rostand Edmond
Aeschbacher Arthur Ducatez Gauthier Leuilliot Bernard Rouzeau Jean
Agosti Jean-Paul Espagne Michel Lévy-Hardy Matthieu Sagaert Martine
Andréani Tony Fani-Kayode Rotimi Liscano Carlo Saluce Jean
Appel Karel Fauskevag Svein-Eirik Loncle Stéphanie Sapho
Arfouilloux Sébastien Fernandez Recatala Denis Magnier Bernard Saramago José
Armengaud Jean-Pierre Ferrara Abel Magris Francesco Sarde Philippe
Asse Geneviève Fichet Alexis Marc Francine Scherchen Hermann
Assous Robin Fisbach Frédéric Marchand Valère-Marie Schérer René
Auby Danielle Folgore Luciano Martineau Jacques Schmidt Pierre-Dominique
Babel Isaac Foucault Didier Mas Arthur Schnell Alexander
Badiou Alain Fraenkel Jacques Masson Aurélien Serra Maurizio
Barbier Pierre-Émile Gailliot Jean-Hubert Masson Marie Silva Giacomo
Becciu Anna Galli Jean-Claude Mazauric Claude Simarik Nicolas
Belaskri Yahia Gauthier Florence Meiksins Wood Ellen Simon Paul W.
Berger John Gérard Valérie Messac Ivan Simonot Michel
Bergman Boris Giri Jacques Mokhtari Rachid Soffici Ardengo
Berjoint Paul Godard Didier Monod Jean-Claude Sokologorsky Irène
Berhtollet Serge Goffette Guy Montale Eugenio Stefan Jude
Bijak Vinci Elena Goldberg Itzhak Morder Joseph Susini Marie-Laure
Biszak Elena Gonzales-Forster Dominique Moriamez Stéphane Tarby Fabien
Blaise Pierre Grandmont Dominique Morman Baptiste Tavolato Italo
Blanc William Green Eugène Moullet Luc Téchiné André
Bonavita Bernard Guégan Jean Nacer-Khodja Hamid Thébaud Jean-Loup
Bordier Roger Guillaume Antoine Nivet Jean-François Thirion Antoine
Bosqué Clément Guisarde Blandine Novati Valentina Thomas Marc
Botule Louis-Henri Hacem Aymen Odello Laura Tillier Bertrand
Bouliès Vincent Hadj-Slimane Brahim Palatine Anne Tournon Paul
Boutadjine Mustapha Halley Achmy Panopoulos Dimitri Trévisan Carine
Bozon Serge Hazera Hélène Para Jean-Baptiste Triolet Elsa
Brunon Hervé Heidsieck Bernard Péglion Sabine Tylski Alexandre
Buenzod Michel Hougue Clémentine Perrin Bernadette Tylski André
Cabanis Anne-Françoise Huber Stéphane Pesson Georges Vailland Élisabeth
Campa Laura Jouffroy Alain Piégay-Gros Nathalie Valentin Éric
Catucci Stefano Jourdheuil Jean Pieiller Evelyne Vaneigem Raoul
Cavalier Alain Journiac Michel Pignon-Ernest Ernest Vanoosthuyse Michel
Chapuis Jacqueline Kaiser Franz-W. Pisani Martial Viellard Marc
Charles-Roux Edmonde Keck Frédérick Pittolo Véronique Vigne Samir
Collin Denis Kobry Yves Poirier Jean-François Vinci Stelio
Combes Francis Koriolov Evgeni Poitevin Christian J. Voigt Jorinde
Comolli Jean-Louis Lambertini Anna Porée Marc Voltaire
Davis Rosa Lance Alain Preve Costanzo Vuillard Éric
de Baecque Antoine Larizza Olivier Queneau Raymond Wahlberg Martin
Del Pappas Gilles Laroque Didier Raharimanana Jean-Luc Wahnich Sophie
Delhove Luc Lartigue Pierre Ralite Jack Watzlawick Helmut
Denis Claire Laurier Blandine Rasle Josette Weerasethakul Apichatpong
Denoyelle Françoise Le Cozannet Amélie Raulet Gérard Weil Kurt
Deschamp Le Goff Jacques Razzaq Haythem Abdul Weyergans François
Devesa Jean-Michel Leeflang Marco Renzi Eugenio Widley Conor
Dieutre Vincent Lekeuche Philippe Roman Nadia Zapero-Maier David
du Vignal Philippe Léon Vladimir Rossignol Jean-Philippe

Appel pour les Lettres françaises Le Temps des cerises


Je soutiens l’association les Amis des Lettres françaises et les Lettres françaises
Je verse : ............................................................................................................................................................................. ...................................................................................................................................................................................................................
vous invitent à la présentation
Nom : ............................................................................................................................................................................. ................................................................................................................................................................................................................................
du Musée Grévin,
Prénom : ............................................................................................................................................................................ ....................................................................................................................................................................................................................
de Louis Aragon
Adresse : ........................................................................................................................................................................... ..................................................................................................................................................................................................................... avec une lecture de Pierre Barrat
Tél. : courriel : ............................................................................................................................................................................. ...............................................................................................................................................................................................
Lundi 11 avril, à 18 h 30
Chèque à libeller à l’ordre de l’association Les Amis des Lettres françaises et à envoyer aux Lettres françaises dans les locaux du Temps des cerises
164, rue Ambroise-Croizat, 93528 Saint-Denis Cedex 47, avenue Mathurin-Moreau
75019 Paris

Rédacteur en chef : Jean-Pierre Han. 164, rue Ambroise-Croizat, 93528 Saint-Denis Cedex.
Secrétaire de rédaction : François Eychart. Téléphone : (33) 01 49 22 74 09. Fax : 01 49 22 72 51.
Responsables de rubrique : Gérard-Georges Lemaire (arts), E-mail : [email protected].
Franck Delorieux (lettres), Claude Glayman (musique), Copyright les Lettres françaises, tous droits réservés.
Jean-Pierre Han (spectacles), Jacques-Olivier Bégot La rédaction décline toute responsabilité quant aux manuscrits
Les Lettres françaises, foliotées de I à XII et Baptiste Eychart (savoirs). qui lui sont envoyés.
dans l’Humanité du 7 avril 2011. Conception graphique : Mustapha Boutadjine.
Fondateurs : Jacques Decour, fusillé par les nazis, Correspondants : Franz Kaiser (Pays-Bas), Retrouvez les Lettres françaises
et Jean Paulhan. Fernando Toledo (Colombie), Gerhard Jacquet (Marseille), le premier jeudi de chaque mois.
Directeurs : Louis Aragon puis Jean Ristat. Marco Filoni (Italie), Rachid Mokhtari (Algérie).
Le prochain numéro paraîtra le 5 mai 2011.
Directeur : Jean Ristat. Correcteurs et photograveurs : SGP.

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