Oeuvre Maupassant Une-Vie
Oeuvre Maupassant Une-Vie
Oeuvre Maupassant Une-Vie
Etude d’œuvre :
Une vie de Maupassant (1883)
Plan de la fiche :
1. Structure du roman : le temps et la durée dans Une vie
2. Le personnage de Jeanne
3. La mort dans Une vie
Le titre donné par Maupassant à son premier roman frappe avant tout par sa platitude. En effet, l’utilisation de l’article indéfini,
sans adjectif annonce le récit d’une existence quelconque, banale. Or, il peut être aussi lu comme le récit d’une vie exemplaire et
unique.
C’est en ouvrant la première page que le lecteur découvre à qui appartient cette vie dans laquelle il va se plonger. « Jeanne, ayant
fini ses malles, s’approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas. »
La structure de l’œuvre se définit selon le personnage de Jeanne. Chaque étape du roman est ponctuée par un fait marquant de la
vie de l’héroïne. La fiction se déroule de 1819 à 1848, soit une trentaine d’années étalées sur environ deux cents pages.
La vie de Jeanne est présentée chronologiquement et tous les événements relatés par l’auteur concernent uniquement son
personnage principal. Les autres personnages n’apparaissent que pour intervenir dans la vie de Jeanne.
CHAPITRE IV 6 semaines 19
CHAPITRE VI 2 à 3 mois 20
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Fiche Cours
Le temps de la fiction
La durée de la fiction du roman correspond aux vingt-neuf années au cours desquelles le lecteur suit l’évolution de Jeanne. Le
roman s’ouvre un 3 mai 1819 et se referme au printemps 1848. On y découvre Jeanne âgée de dix-sept ans jusqu’à sa vieillesse
prématurée, à l’âge de quarante-six ans.
1819 est une date clé dans l’architecture du roman. Les six premiers chapitres relatent sept mois de l’existence de l’héroïne (de
mai à décembre) et occupent ainsi un tiers du roman.
C’est le moment où Jeanne retrouve sa liberté après cinq longues années passées dans un couvent. C’est aussi l’année du retour
dans le château de son enfance où règne un bien être et un certain bonheur familial.
Par ailleurs, 1819 est l’année où elle rencontre Julien et connaît les douces joies des fiançailles tant rêvées, où elle se marie et se
retrouve face à ses désillusions.
C’est aussi un voyage de noces en Corse, une période consacrée à la découverte de paysages merveilleux. Et enfin le retour aux
Peuples et le départ des parents de Jeanne pour Rouen.
Ces événements reflètent les étapes de l’éducation sentimentale de l’héroïne et la plongent dans la dure réalité. La jeune fille
innocente du début devient peu à peu une femme désabusée qui vit essentiellement dans son passé.
Le chapitre XI, quant à lui, comporte vingt-deux années de l’existence de Jeanne en une vingtaine de pages.
Le récit s’accélère considérablement puisque aucun élément fondamental de la vie de Jeanne n’apparaît, essentiellement depuis le
départ de Paul du château dès 1840. Les années se succèdent alors dans la monotonie et l’ennui, dans l’attente des visites du baron
et de tante Lison.
La répartition des indices temporels précis dans le récit est assez irrégulière. Les chapitres II et III n’en comportent aucun, ces deux
chapitres correspondant à une période (entre mai et juillet 1819) où Jeanne vit en harmonie avec sa liberté recouvrée et ses rêves. Le
chapitre V donne une progression précise du voyage de noces, tandis que le chapitre XI évolue en fonction de la croissance de Paul.
Maupassant ponctue donc son roman de dates qui ont un rôle essentiel dans la progression des faits relatés. L’évolution du
personnage, les jours, les mois, les années qui passent au cours des différents chapitres découlent de la subjectivité de Jeanne. Selon
Bernard Valette dans Etudes littéraires, « La durée romanesque suit le rythme biopsychique de Jeanne et non la temporalité rationnelle. »
Le temps de la narration
Dans sa célèbre préface à Pierre et Jean, Maupassant définit ainsi le travail du romancier et les difficultés rencontrées dans les choix
narratifs : « Raconter tout serait impossible car il faudrait un volume par journée pour énumérer la multitude des incidents insignifiants qui
emplissent notre vie. Un choix s’impose donc… Voilà pourquoi l’artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de
hasards et de futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet. »
Une vie témoigne de la théorie de l’auteur sur le roman.
Certaines scènes sont décrites de telle façon que le temps de la narration corresponde exactement à celui de la fiction ; ainsi la
première nuit que Jeanne passe aux Peuples, ou le voyage en bateau pour aller à Etretat ou même la nuit de noces
D’autres scènes sont construites avec un certain décalage, où le temps de la narration est plus court que celui de la fiction, une
notion qu’on pourrait nommer « sommaire ». Maupassant se limite à donner quelques indices temporels vagues : « rien de nouveau
n’arriva » ; « Décembre s’écoulait » ; « Mars fut clair ».
Le récit est aussi ponctué de pauses dans la narration qui interrompent la progression narrative. Il s’agit essentiellement de passages
descriptifs tels que la description de la chambre de Jeanne ou un peu plus loin la description de tante Lison.
De nombreuses ellipses apparaissent dans le roman et passent ainsi sous silence une partie de la fiction.
A titre d’exemple, le chapitre II se referme sur la visite de l’abbé Picot tandis que le chapitre III s’ouvre par « Le dimanche suivant ».
Cependant, il faut noter une constante linéarité entre les différents chapitres, notamment entre les chapitres XIII et XIV : à la fin
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du chapitre XIII « Jeanne repartit pour Batteville » et au début du chapitre suivant « Alors elle ne sortit plus ». Même si fréquemment
dans son roman Maupassant use d’ellipses et jongle avec les rythmes narratifs, il n’en reste pas moins que sa structure respecte
une chronologie bien précise.
L’un des chapitres les plus représentatifs de l’habileté de l’auteur à jouer avec le temps est le chapitre IX. En effet, on y retrouve
un croisement remarquable de sommaires, de pauses et d’ellipses qui, non seulement rythment le récit, mais se définissent selon
les états d’âme et les perceptions de Jeanne. Elle découvre le corps de sa mère qu’elle veille pendant deux heures, le cours de la
narration est interrompu ensuite par ses interrogations sur le repos de l’âme, suivies de la lecture des lettres jusqu’au lever du jour
(ce qui marque nettement une pause dans la narration). Puis, finalement le récit progresse rapidement grâce à quelques ellipses,
notamment concernant la journée qui suit la mort de la baronne.
Le rythme de la narration dans Une vie souligne l’importance accordée aux événements, les minimise ou les efface selon la
perception qu’a Jeanne de sa vie, puisque tout le reste est de l’ordre du « détail encombrant et inutile ».
Le personnage de Jeanne
Le personnage de Jeanne domine le roman et sa vie est perçue à travers la dualité entre ses attentes et ses désillusions. Elle est
présente dans chaque chapitre et le lecteur peut ainsi non seulement suivre son évolution mais aussi définir et étoffer son portrait
physique et psychologique par ses pensées et sa passivité. Même si le titre du roman en dit peu sur ce qui attend le lecteur,
(rappelons l’indéfini « une » au détriment d’un titre plus révélateur tel que « La Vie de Jeanne »), il n’en reste pas moins que la vie
de Jeanne peut appartenir à n’importe quelle femme.
Souvent comparée à Emma Bovary, Jeanne est un être soumis qui subit ce qui l’entoure et qui ne cesse de vivre dans le passé et
dans ses souvenirs.
Les chapitres I à III sont essentiellement consacrés à sa vie de jeune fille. Jeanne a alors 17 ans et l’auteur résume ce que fut son
existence avant le couvent. Jusqu’à l’âge de 12 ans qui marquera son entrée au couvent, elle vit choyée aux Peuples pour ensuite
se retrouver « sévèrement enfermée, cloîtrée, ignorée et ignorante des choses humaines… ». Sa sortie du couvent prend des airs de
renaissance, elle est alors « radieuse, pleine de sève et d’appétits de bonheurs » et « une vie charmante » commence pour elle.
Son temps est rythmé par ses lectures, par son émerveillement face aux paysages somptueux que lui offre sa terre natale, par ses
promenades sur l’eau, ses bains, jusqu’à ce qu’elle rencontre celui qui deviendra son mari. Cette période qui s’étend sur trois mois
est la seule où Jeanne ressent un véritable bonheur d’autant que sa rencontre avec Julien, tant attendue, se traduit par des fiançailles
et un mariage.
Dans les chapitres IV à VII c’est Jeanne, jeune épouse, qui apparaît. Une femme qui se retrouve seule face à la dure réalité de
l’existence. Elle devient femme par un viol légitime. Choquée, c’est un parcours bercé de désillusions qui s’ouvre à elle et c’est
l’ennui qui, dès lors, occupe ses journées.
La découverte de l’adultère de Julien avec Rosalie est l’autre coup que lui porte le destin. Même si ses premières réactions sont la
colère et une douleur qui l’incitent au suicide, elle finit par glisser vers un anéantissement et se retrouve, comme anesthésiée « sans
force même pour la colère et la rancune ».
Les chapitres VIII et X sont consacrés à la maternité de Jeanne. Elle vit au départ sa grossesse avec indifférence et lorsqu’elle met
Paul au monde, elle perçoit l’événement tel un soulagement qui lui permet enfin de « rejeter ce fardeau ».
L’arrivée de l’enfant s’apparente alors à une « garantie contre tout désespoir ». Jeanne prend les traits d’une mère dont l’amour filial
est démesuré jusqu’à désirer une autre grossesse pour remplacer son premier enfant en cas de malheur. Julien meurt en même
temps que le deuxième enfant et le chapitre X clôt son rôle d’épouse trompée et délaissée, indifférente à ce qui l’entoure.
Du chapitre XI à XIV, le personnage de Jeanne n’est plus qu’une mère qui peut se consacrer exclusivement à son fils. Ses
préoccupations concernent Paul, elle s’oublie elle-même et, à vingt-huit ans, « elle en paraissait quarante ». Elle refuse de vivre sans
son fils, c’est le baron qui intervient avec autorité pour l’envoyer au collège. Dès lors, Jeanne connaîtra la douleur de la séparation
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et sombrera à nouveau dans la solitude. De plus, le départ de Paul avec sa maîtresse, la mort du baron et celle de tante Lison la
laisseront désespérément seule, à bout de force, privée d’amour et sans argent. Sa vie se détériore au rythme des hypothèques
jusqu’à la vente de la demeure familiale qui la laisse « envahie par une invincible désespérance », pareille à un être sans vie, immobile.
La dernière page du roman représente l’ultime étape de la vie de Jeanne. L’arrivée de l’enfant de Paul provoque en elle une lueur
de vie et d’espoir. Jeanne endosse le rôle d’une grand-mère débordant d’amour, de tendresse et d’émotion.
Jeanne consacrera une première partie de son existence à se projeter dans un futur aux allures de bonheur, et une seconde partie
essentiellement dirigée vers le passé.
Son rapport au temps correspond à un fragment des Pensées de Pascal dont l’idée sera reprise par Schopenhauer selon laquelle
nous refusons de vivre l’instant présent au profit du passé ou du futur car le présent « blesse » et « nous afflige ». Au lieu de nous
tourner essentiellement vers des « soucis d’avenir, ou de nous livrer à l’inverse aux regrets du passé, nous devrions ne jamais oublier que le
présent seul est réel » et que le futur apparaît toujours contraire à nos aspirations. Des propos loin de Jeanne qui nie son présent
pour pouvoir survivre.
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et dans ses espoirs qu’elle a voulu goûter dès sa sortie. Victime de son ignorance et de sa naïveté, elle est en marge de la réalité
dans laquelle elle se retrouve. Son aspect naïf, son manque de personnalité ont fait d’elle un être soumis, qui subit son destin, son
mariage raté, sa maternité, l’indifférence de son fils, face à quoi elle ne peut réagir, d’où la nécessité d’être constamment assistée.
C’est le baron qui décide de son mariage et de l’éducation de Paul, c’est l’abbé Tolbiac qui lui montre qu’une religion rigide est la
solution à ses problèmes et c’est Rosalie qui gère sa fin de vie.
Jeanne est représentative de l’échec de toute une vie. Elle est déçue par l’existence contraire à ses aspirations mais aussi par les êtres
qui l’entourent. Elle doit alors tenter de survivre dans un monde qui se resserre au rythme de la morosité qui le caractérise.
Ce premier roman de Maupassant est consacré à l’existence d’un personnage dont le lecteur peut découvrir les différents
événements marquants qui l’ont ponctuée. Or cette vie prend tout son sens et évolue selon les différentes apparitions de la mort
dans le récit. Il est évident que de nombreux thèmes peuvent être soulevés après la lecture du roman, mais un des aspects les plus
contradictoires du roman doit être approfondi.
En effet, dans le roman l’omniprésence de la mort sert aussi de cadre à la vie de l’héroïne. On meurt beaucoup dans Une vie et
Jeanne assiste peu à peu au dépeuplement voire à l’anéantissement de son univers.
La mort prend ici plusieurs visages : elle est tantôt naturelle, tantôt accidentelle, tantôt criminelle, violente ou douce, elle frappe
aussi bien les humains que les animaux. L’auteur la décline en tout point.
Un récapitulatif sommaire de ses différentes interventions permet de comprendre la volonté de Maupassant de la présenter en
rapport étroit avec l’existence de Jeanne qui paradoxalement survit au lieu de vivre.
La mort apparaît de façon métaphorique dès les premières pages du roman et plus précisément à partir de la nuit de noces
épouvantable de Jeanne. En effet, ce viol que commet Julien met fin à toutes les illusions dont s’était délectée Jeanne, à tous ses
espoirs de bonheur. Plus loin, la mort se concrétise peu à peu et prend un aspect plus effroyable encore. Elle entre réellement en
scène lorsqu’elle frappe la baronne puis le deuxième enfant de Jeanne. La mort poursuit ainsi son chemin, en anéantissant tous les
proches de l’héroïne : Julien, le baron, tante Lison et la femme de Paul.
Certaines morts sont vécues en direct, pensons notamment à celle de la baronne ou à celle de la chienne, d’autres morts sont
simplement évoquées, celle du mari de Rosalie ou celle de la femme de Paul. Parfois discrète et rapide (dans le cas du baron et de
tante Lison), la mort peut aussi donner lieu à de longues descriptions réalistes qu’illustrent celles de la baronne et de la chienne en
gésine. A d’autres moments la mort est mentionnée à travers une dimension tragique d’une absolue cruauté, c’est le cas pour celle
de Julien et de sa maîtresse, de la chienne et ses chiots.
Chaque personnage a une mort qui lui est propre, c’est-à-dire qui lui ressemble. Tante Lison meurt en toute discrétion dans sa
chambre, à l’image de ce que furent sa vie et sa personnalité. La baronne succombe pendant qu’elle faisait « son exercice », tandis
que le baron rendra l’âme en réglant les dettes de Paul. Julien et Gilberte disparaissent après un acte d’une violence extrême, dans
leur nid d’amour.
Mais, naturelle ou provoquée, la mort est toujours inattendue et précipitée, seul le chien Massacre, à la hauteur de son nom, souffre
d’une longue agonie.
Tous ces morts qui encerclent la vie de Jeanne semblent réellement en contradiction avec le titre qu’a choisi Maupassant, ce qui
soulève un paradoxe évident, les personnages qui désirent vivre sont anéantis tandis que Jeanne qui se refuse à vivre lorsqu’elle
découvre l’adultère de Julien, est condamnée à rester sur terre et à subir son sort.
Jeanne réagit différemment face aux interventions de la mort dans son univers. Même si elle est étroitement liée à tous les morts
qui illustrent le roman, elle ne sera témoin que de celle de la chienne.
De plus, chaque mort se définit en fonction du regard et des sentiments de Jeanne. Lorsque la baronne décède, la réaction des
autres personnages est donnée de façon lapidaire. Le baron « pleura beaucoup », Julien « demeura stupéfait », trop surpris pour
adopter « d’un seul coup le visage et la contenance qu’il fallait », alors que la description du désarroi de Jeanne face au choc auquel elle
est confrontée pour la première fois nécessite plusieurs pages. Ses agissements face à la mort de la baronne peuvent être définis
selon trois mouvements : une prise de conscience du corps sans vie de sa mère, « Elle ne remuerait plus, ne rirait plus, ne dînerait plus
jamais… », puis des interrogations sur le sort de l’âme après la vie, « Où donc était maintenant l’âme de petite mère ? […] de ce corps
immobile et glacé ? », et enfin une découverte, celle des lettres de sa mère, qui aboutit à une violente réaction, « elle se mit à pleurer
affreusement avec des cris involontaires qui lui déchiraient la gorge ».
Les autres morts qui ponctuent le récit auront de moins en moins d’importance aux yeux de Jeanne. En effet, la venue de l’enfant
mort-née est mentionnée de façon rapide malgré toute la volonté et tous les efforts qui ont animé son désir de procréer une
seconde fois, « peu à peu elle se ranima ». La mort du baron et de tante Lison ne font l’objet d’aucune attention particulière comme si
Jeanne était exténuée de cette succession de disparitions. Maupassant présente sa douleur comme une sorte d’« engourdissement ».
L’espace vide qui se crée autour d’elle l’entraîne dans un désespoir sans limites, et lui retire toute envie de vivre afin de « ne plus
souffrir, de ne plus penser ».
Jeanne apparaît comme l’unique survivante de ce monde voué à l’échec, peuplé de fantômes du passé qui rendent son existence
absurde.
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