Repères Nº 3-1991 PDF
Repères Nº 3-1991 PDF
Repères Nº 3-1991 PDF
COMITÉ DE RÉDACTION
Jacques COLOMB, Département "Didactiques des disciplines", INRP
Michel DABENE, Université de Grenoble III
Suzanne DJEBBOUR, École Normale de Melun
Gilbert DUCANCEL, École Normale d'Amiens
Colette FINET, Circonscription de Péronne
Jocelyne FOUQUET, Circonscription de Paris XVIIL
Marie-Madeleine de GAULMYN, Université de Lyon II
Rosine LARTIGUE, École Normale de Melun
Maurice MAS, IUFM de Grenoble, Centre de Privas
Maryvonne MASSELOT, Université de Besançon
Alain NICAISE, Circonscription d'Abbeville
Hélène ROMIAN, Département "Didactiques des disciplines", INRP
(rédacteur en chef)
Catherine TAUVERON, École Normale de Clermont-Ferrand
COMITE DE LECTURE
Suzanne ALLAIRE, Université de Rennes
Alain BOUCHEZ, Inspection Générale de la Formation ties Maîtres
Jean-Paul BRONCKART, Université de Genève, Suisse
Jean-Louis CHISS, CREDIF, ENS de Saint-Cloud
Jacques DAVID, Ecole Normale de Cergy-Pontoise, INSERM
Francette DELAGE, Circonscription de Nantes
Simone DELESALLE, Université Paris Vlll
Claudine FABRE, Université de Perpignan
Frédéric FRANÇOIS, Université Paris V
Claudine GARCIA-DEBANC, Ecole Normale de Rodez
Claudine GRUWEZ, Mission Académique à la Formation de Lille
Jean-Pierre JAFFRÉ, CNRS
Claude LELIÈVRE, Université Paris V
Jean-Baptiste MARCELLESI, Université de Rouen
Marie-Louise MOREAU, Université de Mons, Belgique
Yves REUTER, Université de Lille 111
Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève, Suisse
Jacques WEISS, IRDP de Neuchâtel, Suisse
ARTICULATION ORAL/ÉCRIT
Sommaire
1ère partie : ÉTAT DES UEUX
Présentation
par Jacques DAVID et Catherine LE CUNFF 3
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée
de Jules Ferry
par Frank MARCHAND 7
L'oral contre l'écrit
par Danièle MANESSE et Isabelle GRELLET 17
REPÈRES |
Recherches en Didactique du Français Langue Maternelle
"REPÈRES" nouvelle série
améliore sa présentation, adopte un format plus lisible
publie désormais 2 fois par an des dossiers plus importants
s 'ouvre à tous les chercheurs concernés par la didactique du français langue maternelle
"REPÈRES"
Un espace d'échange^ de débat scientifique pour tous ceux qui interrogent le rôle
fondamental du langage oral, écrit dans les apprentissages, l'échec ou la réussite
scolaires, le devenir des élèves. l
"REPÈRES"
Un outil de travail pour les formateurs, les chercheurs en didactique du français
langue maternelle :
- le Français, discipline d'enseignement et composante des autres enseigne¬
ments
- des recherches menées à l'école et pour l'école, et pour la formation des maîtres
- des problématiques de recherches en cours, et des bilans.
n° 4, nouvelle série :
SAVOIR ÉCRIRE, ÉVALUER, RÉÉCRIRE EN CLASSE
Dir. Jean-Pierre JAFFRE, Hélène ROMIAN
L'objectif du numéro est de réunir des contributions de psycho et sociolinguistes, de
didacticiens sur un thème qui se situe au c ur de la nouvelle organisation de l'école
primaire en cycles : comment déglobaliser la notion de "compétence scripturale" ?
Quelles en sont les composantes ? Quelles relations peut-on observer entre ces
composantes, quelles variations ?
©INRP
ISBN : 2-7342-0293-1
PRÉSENTATION
Le dossier que nous avons constitué pour ce numéro a (ou plus exactement
avait) pour ambition de présenter l'état actuel de cette problématique dans les
recherches en didactique du français. Nous voulions brosser un tableau aussi
complet que possible des directions de recherches, voire des résultats obtenus dans
ce domaine. Il semble, cependant, que la question de l'articulation de l'oral et de l'écrit
reste encore plus l'objet d'études anciennes que celui de recherches récentes ;
même si dans les sciences de référence, les travaux linguistiques et
psycholinguistiques suggèrent un renouvellement des recherches en didactique du
français. Aussi, le présent dossierconstitue-t-il à la fois le révélateurde ces manques,
de ces absences, mais aussi des voies possibles pour de nouvelles investigations
et des réactualisations conséquentes.
La deuxième partie regroupe trois contributions qui ont pour point commun de
refléter une direction de recherche sans doute très nouvelle et susceptible d'un
traitement didactique fécond. Toutes trois montrent comment l'oral et, plus préci¬
sément, la verbalisation de l'écrit par des sujets plus ou moins jeunes donnent à voir
les processus d'écriture impliqués dans des tâches rédactionnelles diverses. A partir
d'une série de dialogues entre enfants et avec l'adulte enregistrés au cours
d'activités de réécriture, J. David nous invite à suivre les stratégies individuelles et
collectives déployées par des élèves de CE1 dans la composition écrite d'un texte.
L'objectif est de mieux connaître les procédés de révisions privilégiés à cet âge et,
à travers les arguments avancés, de mieux cerner les facteurs métalinguistiques en
jeu dans ce type de travail.
B. Schneuwly, s'appuyant sur l'hypothèse vygotskienne du «passage de
l'interpsychique à l'intrapsychique», étudie lui aussi les diabgues d'élèves (entre 1 0
et 17 ans) produits pendant qu'ils écrivent à deux des textes narratifs, explicatifs et
argumentatifs. Le projet est double, il s'agit tout d'abord d'élaborer une méthodologie
pour l'étude de l'oral échangé durant la rédaction d'un texte écrit et, ensuite, de
montrer, à travers ces échanges, que les processus d'écriture varient sensiblement
d'un type de texte à l'autre.
Dans la troisième étude de ce chapitre, R. Bouchard étudie lui aussi le rapport
oral/écrit dans les dialogues conduits par deux adolescentes engagées dans la
rédaction d'une lettre informelle. Dans cette situation, chacune des deux élèves se
trouve différemment impliquée : l'une, française, connaît les contraintes communi¬
catives et formelles caractéristiques d'un tel écrit «ordinaire» et doit répondre aux
besoins discursifs et linguistiques de l'autre, une amie allemande apprenante
allog lotte. L'objectif de l'auteur est d'étudier l'activité de coopération mise en oeuvre
par les deux sujets et, entre autres, d'analyser l'activité épi- et métalinguistique
déployée par une élève native, dotée de la formation grammaticale dispensée au
cours du cursus scolaire obligatoire.
Le volet suivant, envisage non plus l'oral comme lieu d'observation pour
comprendre l'écrit, mais davantage l'articulation de ces deux modes langagiers, soit
pour en marquer les décalages, soit pour en souligner les points de rencontre.
Partant de récits oraux et écrits produits par des enfants de 5 à 1 1 ans, S. Mouchon,
M. Fayol et J-E. Gombert, comparent l'emploi d'un certain nombre de connecteurs
considérés comme la trace d'opérations de cohésion textuelle et d'ancrage discursif.
Présentation
De cette étude, il ressort que, à l'oral comme à l'écrit, la fréquence et la diversité des
connecteurs s'accroît en fonction du degré de complication des trames narratives et
de leur place à l'intérieur de ces trames. L'acquisition des connecteurs est en fart très
précoce dans les deux modes ; le décalage oral/écrit dépend pour l'essentiel du
degré d'élaboration des trames. A âge équivalent, elles apparaissent plus sommaires
à l'écrit qu'à l'oral.
Le second article repose sur un autre genre narratif : le conte. Dans son exposé, N.
Decourt relate une expérience à la fois riche de références linguistiques, littéraires,
culturelles ... et d'acquis accumulés sur le terrain, dans des écoles scolarisant des
enfants de migrants. Le conte y apparaît comme un outil de rencontre et de médiation
entre école et familles, entre culture orale et culture écrite, entre variabilité orale et
permanence scripturale. Recueillant et transcrivant les différentes versions orales
d'un conte donné comme point de départ du projet, les enfants sont au coeur de
l'activité. Ils deviennent à leur tour acteurs et auteurs de leurs propres variantes. A
partir de cet oral et au moyen de cet écrit, ils entrent résolument dans l'intertextualfté
de l'univers littéraire.
Le discours explicatif est aussi envisagé dans cette troisième partie avec le travail
présenté par G. Ducancel à partir d'activités scientifiques menées avec des élèves
de Cours Moyen. L'auteur montre qu'expliquer à l'oral ne peut se limiter à une simple
activité dialogique. Réciproquement, à l'écrit, cette conduite ne se réduit pas à. du
monologique. L'analyse des corpus oraux et écrits recueillis nous amène à réviser
l'idée trop rapidement admise d'une opposition nette entre explication orale et écrite.
En fart, la nature de ces différents discours dépend plus de son objet, en l'occurrence
scientifique, que du mode langagier adopté.
Frank MARCHAND
École Normale d'Auteuil
Il s'agit :
D'une thèse de troisième cycle :
1.
Frank Marchand - L'enseignement de la langue française parlée et écrite à
l'école élémentaire (niveau CM) : le modèle pédagogique et son influence sur la
constitution du modèle de performance de l'élève. Janvier 1 970. Université Paris X-
Nanterre.
Tome 1 : 207 pages (étude).
Tome 2 : 330 pages (annexes).
Ces annexes comprennent, entre autres :
- 30 bulletins d'inspection portant sur des exercices d'élocution et de rédaction
(entre 1950 et 1965),
- des fiches utilisées par les instituteurs pour faire leurs leçons d'élocution et
de rédaction,
- l'interview de trois instituteurs sur l'enseignement de l'élocution et de la
rédaction en 1 969,
- des leçons enregistrées transcrites in-extenso. Cette partie constitue un
ensemble de 120 pages dactylographiées,
- une vingtaine de rédactions d'élèves (de 1969).
la langue française avec une diversité linguistique marquée au début du siècle par
la variété des dialectes et des argots ?
Ce discours était tenu par des grammairiens et des linguistes qui se muaient
occasionnellement en pédagogues. Tel est le cas de Michel Bréal vers 1880 et de
Ferdinand Brunot vers 1910. Convaincus des bienfaits de l'école républicaine et
soucieux de contribuer à son développement, ces savants ont écrit et professé à son
service. Ils ont vu également en elle le moyen de renforcer l'unité linguistique,
important élément de cohésion de l'unité nationale.
Voici deux brefs extraits qui montrent une approche caractéristique de l'oral
scolaire il y a un siècle. On verra que, seul, l'aspect normatif et réflexif est pris en
compte et à peu près nullement l'usage.
Le premier extrait est de Michel Bréal (Article Langue française du Dictionnaire
de pédagogie et d'instruction primaire publié sous la direction de Ferdinand Buisson
Hachette ; 1887).
"Pourles élèves voisins de nos frontières du midi, l'italien ou l'espagnol aideront
à éclairer le français ; ils seront comme des plantes exotiques qui appellent
l'attention sur les productions de notre sol. Pour tous ceux qui, à côté du
français, possèdent un patois, le patois donnera pareillement matière à de
nombreux et instructifs rapprochements... [suivent de nombreux exemples de
contributions philologiques possibles des patois]... Les petits Parisiens n'ont
pas de patois à leur usage ; mais l'instituteur fera bien de leur citer de temps à
autre quelques mots de ce genre, pour leur donner une idée plus juste de ces
anciens dialectes : ils ne sont pas la corruption ou la caricature du français ; ce
sont des idiomes non moins anciens, non moins respectables que le français,
mais qui, pourn 'avoirpas été la langue de la capitale, ont été abandonnés à eux-
mêmes et privés de culture littéraire. Que nos enfants accueillent toujours avec
affection et curiosité ces frères deshérités du français ! Une fois qu'ils auront
l'habitude d'observer les mots, ils feront attention aux idées et aux usages.»
Le second extrait est de Ferdinand Brunot (L'enseignement de la langue française -
A. Colin; 1911).
"Si tous les enfants de France auxquels s'adresse l'enseignement, étaient dans
des conditions identiques au début, on pourrait songer à exprimer cet effort par
une formule générale et commune. Mais il s'en faut que partout l'enseignement
de la langue doive être identique.
Il y a d'abord, dans quelques pays, des enfants qui, pariant dans leur famille le
flamand, le bas-breton, ou telle autre langue étrangère, ne connaissent le
français que par l'enseignement de l'école.
En outre, bon nombre d'enfants parlent, avant leur entrée à l'école, et en dehors
de l'école, un patois roman. Ce dialecte peut-être plus ou moins voisin du
français, il n'en est pas moins une langue distincte, ayant un vocabulaire
souvent assez particulier, des formes et des tours spéciaux. La méthode directe
s 'impose pour les uns comme pour les autres.
Enfin, beaucoup d'enfants parient français, mais un français corrompu, in¬
fluencé sort par le patois, soit par l'argot, sort enfin par toutes sortes d'actions
diverses. Ces enfants sont incontestablement moins favorisés que ceux qui
entendent employer autour d'eux un français correct."
Comme on le voit, "Quelle langue pader à l'école ?»(1) n'est pas un problème
nouveau. Ce n'est pas la totalité de l'enseignement de l'oral, mais il lui est
REPÈRES N° 3/1991 F. MARCHAND
10
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée de Jules Ferry
à les laisser racontera leur guise hs histoires dues à leur imagination. Comme
les exercices de vocabulaire, les exercices d'élocution ne seront féconds que
s'ils apportent aux enfants de la joie."
Cette divergence dans la présentation souligne l'opposition qui existe entre les
deux séries d'Instructions. En 1923, l'idée d'un apprentissage méthodique est
encore présente. En 1938, l'accent est mis sur l'expression. Il semble que nous
puissions entendre le terme expression comme très voisin de l'acte d'énonciation (au
sens de production d'énoncés). Cette opposition correspond à celle qui existe entre
lesthéoriessous-jacentes aux Instructions : en 1 923, théorie d'inspiration cartésienne
fondée sur l'idée d'analyse-synthèse ; en 1938, conception globalisante beaucoup
moins rationalisante.
Le seul modèle que l'on puisse décrire est doncceluide 1 923. Il est extrêmement
rudimentaire et s'organise autour de deux mots : gradué et joie.
Enseignement gradué ; sa progression se développe en deux temps :
Le Maître L'élève
11
REPÈRES N" 3/1 991 F. MARCHAND
caron parle beaucoup plus qu'on écrit. Répondons aussitôt que c'est une chose
de parler et une autre d'écrire. Tel qui laisse les paroles couler de ses lèvres ne
peut plus rien exprimer sur "le vierge papier que sa blancheur défend». La
pensée concrétisée par l'écriture devient un objet. Comme objet, elle possède
alors des qualités propres. Elle aune forme, unestructure, des apparences. Elle
peut donner naissance à une d'art, et l'on conçoit alors qu'elle art une
réalité objective aussi forte que celle d'un tableau ou d'une sculpture lorsqu'elle
est poème ou belle page de prose. Mais elle peut n 'apparaître que comme un
magma informe, comme une pâte indécise. Il est donc nécessaire d'apprendre
à écrire.»
Nous voici confirmés dans cette idée que l'apprentissage de la langue parlée ne
constitue qu'un objectif secondaire à l'école primaire. L'école apparaît, à travers
ces lignes, comme le lieu où l'on écrit. La parenté avec la pensée d'Alain (ou celle
de Paul Valéry) est évidente et domine l'ensemble de la théorie des auteurs. L'écrrt
est noble, car il objective la pensée et la fait triompher du temps, il est noble
également parce qu'il oppose des résistances à l'usage et que sa production
demande un effort de mise en forme subordonné à la connaissance d'une technique
délicate. Au regard de cette activité créatrice d'essence supérieure dont le modèle
achevé est l'oeuvre d'art, l'expression orale paraît facile, vulgaire, fragile et ne
requiert pas, pour se manifester, la préparation des maîtres. La langue orale, c'est
l'affaire de la récréation, de la famille, de la rue.
Le manuel propose un modèle nettement plus détaillé que celui des Instruc¬
tions mais qui va dans le même sens. Il serait trop long de le présenter ici.
Pour étudier le modèle pédagogique transmis par les inspecteurs, nous avons
utilisé sept rapports d'inspection relatifs à des leçons d'élocution. Certains de ces
rapports concernent le cours moyen, mais nous avons dû en prendre également qui
ont été faits dans des cours élémentaires. Les comptes rendus de leçons d'élocution
ne foisonnent pas, en effet, dans les bulletins d'inspection. C'est une preuve
supplémentaire du peu de place que tient, dans les années cinquante, l'enseigne¬
ment de la langue parlée à l'école élémentaire.
Les rapports d'inspection complètent utilement le manuel de psychopédagogie,
car on a la certitude qu'à l'époque ils atteignaient l'instituteur et que leur influence
s'étendait à l'ensemble de la carrière.
Dans ces rapports, l'objectif assigné à la leçon d'élocution n'est pas toujours
le même. Deux positions très différentes l'une de l'autre sont représentées. Pour
certains, «/a correction du langage est l'objectif principal de la leçon d'élocution» ;
pour d'autres, «l'essentiel doit résider dans l'effort d'expression. A la conception qui
met en avant la qualité du langage, s'oppose celle qui fait d'abord confiance au
volume de langage émis.
Le contenu des leçons d'élocution est variable, et les maîtres doivent opter
entre deux tendances divergentes. Ou bien le langage émis par l'élève sert à
communiquer une expérience personnelle ou collective, ou bien il doit, avant tout,
reproduire un modèle. La première tendance s'exprime sous cette forme dans un
rapport : "/'elocution vér/fab/e[est] construite sur les observations personnelles» ou
sous celle-ci dans un autre : "le principe de partir d'une réalité connue et étudiée pour
12
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée de Jules Ferry
servir de matière à l'expression est tout à fart juste.» Nous rencontrons la seconde
tendance dans ce rapport, où il est noté : la maîtresse "S'attache à obtenir que les
enfants reproduisent correctement les phrase lues et à ce qu'ils expriment les
diverses actions de l'épicier. C'est de bonne méthode et c'est bien là, effectivement,
le but de l'exercice d'élocution.»
La méthode, enfin, préconise deux manières de procéder qui découlent des
conceptions divergentes que nous venons de souligner. D'une part, il y a ceux pour
qui la leçon d'élocution doit agir sur la forme du langage de rélève, soit par sous¬
traction : "épurer le discours et notamment supprimer certaines expressions», soit
par substitution : «tes fillettes parlent et de manière correcte, les phrases mal
construites étant reprises, les mots impropres changés», soit par addition : «//
conviendrait de faire une place à l'étocution dacquisrtbn : faire acquérir quelques
tournures que les élèves pourront incorporer à leur langage et commencer par les
faire entrer dans des phrases variées (parexemple, les tournures propres à exprimer
lajoie, la surprise, le mécontentement, etc.)». D'autre part, il y a ceux pour qui la leçon
d'élocution doit, en priorité, donnera l'élève le plaisir de produire du langage. Il est
dit dans un rapport, par exemple : «Ce qu'il faut obtenir avant tout, c'est que l'élève
éprouve le besoin de traduire ses impressions et qu'il le fasse avec plaisir. C'est à
cette condition que l'exercice d'élocution deviendra fécond», ou bien encore :
«Laisser de la liberté et présenter l'exercice sous la forme d'un jeu.»
Le caractère ambigu de la théorie ne se contente pas d'engendrer des
contradictions d'un inspecteur à l'autre. Il en provoque chez un même inspecteur.
Ainsi, l'auteur de deux rapports que nous venons de citer pour illustrer des
conceptions contradictoires est une seule et même personne. Il n'y a pas lieu de
penser que cette position soit équivoque à dessein pour permettre une critique facile
et systématique des procédures de l'instituteur, quelles qu'elles soient. Il faut plutôt
y voir le reflet d'une prudence inquiète qui souhaiterait concilier ce qui jusqu'alors n'a
pu l'être : la liberté joyeuse et épanouissante et la contrainte normative. Les conseils
de l'inspecteur sont des conseils de prudence. Si l'on se consacre à la liberté, il
rappelle qu'ily a aussi la «correction». Si l'on se préoccupe de corriger, il rappelle.que
l'enfant ne peut s'exprimer que dans la liberté.
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REPÈRES N° 3/1991 F. MARCHAND
On peut conclure de ce tableau que le maître parle environ pendant les deux-
tiers du temps et que l'importance de ses interventions augmente à mesure que la
leçon avance.
Quant au contenu de la leçon, voici quelques remarques que l'on a pu faire à
propos de la leçon n° 1 .
Il faut arriver au troisième tiers de la leçon n° 1 pour trouver une observation
relative à la correction formelle. Le Manuel de psychopédagogie auquel nous avons
fait allusion au début préconisait d'organiser chaque leçon d'élocution sous forme
d'une succession de séquences devant se dérouler en deux temps successifs :
- tout d'abord l'enfant «produit» un certain volume de langage pendant que le
maître s'efface et n'intervient que pour encourager ;
- ensuite, le maître reprend cet énoncé, le critique et le fait rectifier.
14
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée de Jules Ferry
15
REPÈRES N° 3/1991 F. MARCHAND
Nous mettrons fin ici à ce qui est davantage un témoignage qu'une page de
l'histoire des pratiques scolaires. Témoignage fort incomplet, on s'en rend compte,
mais dont nous espérons qu'il aidera à se faire une idée des procédures suivies il y
a quelques décennies pour enseigner aussi bien que possible cet objet qui nous
importe tant et que l'école a tant de mal à s'approprier : le langage parlé.
NOTES
(1) A.M. CHARTIER - J. HEBRARD. Discours sur la lecture (1880-1980). Bibliothèque pu¬
blique d'information. Centre Georges Pompidou. Paris, 1989.
(2) Emile GENOUVRIER. Quelle langue parler à l'école ? Propos sur la norme du français, in
Langue française nc 13. Larousse, février 1972.
16
L'ORAL CONTRE L'ÉCRIT
Pour cadrer l'ensemble des réflexions qui vont suivre, deux constats à l'intérieur
desquels elles s'inscrivent (1 ) :
- L'enseignement du français langue maternelle est en difficulté : la crise,
comme on l'appelle, decet enseignement, est attestée parses acteurs, les professeurs,
et sans cesse répercutée par les médias sous l'antienne angoissée de la «baisse du
niveau». Ces doutes sur l'efficacité de l'enseignement de la langue, quand il ne s'agit
pas d'opinions négatives et sans appel, touchent surtout à la capacrté de l'école à
donner aux élèves la maîtrise de l'écrit. Disons, pourfaire vite, que cet état de crise
resurgit périodiquement et est attesté à chaque époque d'avancée dans la
démocratisation de l'école.
Aussi n'est-il pas propre à l'enseignement du français, mais à celui de lalangue
maternelle en général, et on le trouve amplement décrit dans les pays qui traversent
la même conjoncture historique (un exemple parmi d'autres : le témoignage qu'en
apporte le rapport Bullock sur la Grande-Bretagne, ainsi que tous les travaux qui l'ont
suivi) (2).
- Deux courants importants ont, depuis la fin des années 60, réorganisé dans
ses principes, sinon dans les faits, l'enseignement du français.
Le premier est la conséquence de l'influence importantedes études piagétiennes,
et a pour effet de promouvoir une intention «pédocentrique» dans les démarches
pédagogiques : «accent porté sur l'expression, l'action et la motivation de l'enfant».
Cette réorientation psychologique de la pédagogie, dont Bronckart remarque qu'elle
«a été bien acceptée par le corps enseignant et par les décideurs politiques »(3) - les
instructions officielles en vigueur en France, par exemple, sont significatives à cet
égard - est au c déjà des grands courants d'idée de pédagogues militants entre
les deux guerres, comme Freinet, auquel évidemment a manqué la reconnaissance
scientifique acquise par le constructivisme.
Le second courant, lié au développement de la linguistique appliquée, a fait
passer l'idée de l'importance de la communication dans la classe, et celle de l'usage
d'abord oral de la langue, qui se trouve dès tors investi d'une dignité nouvelle : il est
non seulement le moyen des échanges dans la classe, mais peut légitimement être
étudié pour lui-même.
17
REPÈRES N" 3/1991 D. MANESSE - I. GRELLET
18
L'oral contre l'écrit
presque jamais de silence, et comme la parole circule sans cesse, on écrit peu,
comme on le verra. Et même quand on écrit, on se tait rarement.
Aux deux niveaux observés, la part des interventions du maître est stable, les
deux tiers. Cette proposition est la même que dans bien des études antérieures :
celle de Jackson en 1 965, de G. Ferry en 1 969 ou de Giordan et Vecchi en 1 978 (9).
Le maître a l'initiative de toutes les questions ou presque, il prend en charge à 95 %
l'exposé des connaissances : même en ce qui concerne les consignes ou l'organi¬
sation des tâches, les élèves s'expriment peu. Enfin les remarques affectives sont
presque toujours le fait du maître. Le schéma question-réponse est le seul à induire
une également répartrtion des prises de parole entre l'enseignant et les élèves, qui
n'interviennent donc que pour répondre à des questions, individuellement ou en
chnur.
L'exclusivité du poids de la parole du maître se note également dans la
correction des erreurs (10) : c'est lui qui, toujours les détecte, c'est lui qui, par le jeu
d'un question-réponse, conduit à leur correction par les élèves. Il serait certes
absurde et démagogue de supposer une relation enseignant-enseigne où il se
passerait l'inverse ; cela dit, bien souvent, et on l'observe dans l'analyse précise de
la correction des erreurs, dans ce type de pédagogie du dialogue que Giordan et
19
REPÈRES N° 3/1991 D. MANESSE - I. GRELLET
Au cours de français, plus encore que dans les autres disciplines, la part du
schéma question-réponse est prédominante dans les deux cycles. Surce point, c'est
du cours de langue étrangère - qui fait de ce type de questionnement un instrument
privilégié d'apprentissage - que le cours de langue maternelle se rapproche le plus.
Le dialogue occupe près des 3/4 des prises de parole en CM2 (68 %), à peine moins
en 6e (63 %). Vieille question ! Voilà un siècle au moins que les grands pédagogues
préconisent la pratique en classe de la «méthode socratique» contre l'usage exclusif
de la «leçon». Selon le Dictionnaire de pédagogie, les «interrogations» sont une
partie essentielle de l'enseignement. Elles ont une double fonction : de révision et
d'exercice du raisonnement (13). L'introduction des méthodes actives a donné au
dialogue une nouvelle fonction : celle de découvrir des notions nouvelles, et cette
forme d'échange a doucement remplacé le cours «magistral». L'ancien usage
professoral de la langue s'est considérablement dévalué, remplacé par ce nouveau
parler hésitant et interrogatif dont parle P. Bourdieu (14).
Certes les classes ont l'air animé, vivantes, participantes, et ce modèle de cours
questionnant sans relâche est celui qui, par exemple, a la faveur de l'Inspection, en
France. Mais du dialogue socratique, on n'a gardé que les formes : on n'a pas le
temps de réfléchir, le silence est inacceptable : le maître pose des "questbns
simples presque toujours suivies de la réponse désirée» (15), car la tentation per¬
manente est de faire l'économie "d'un cheminement lent et finalementjugé inutile où
le disciple est censé construire ou redécouvrir son savoir avec l'aide du maître» (1 6).
Les élèves sont donc rarement actifs pendant ces échanges ; ils "identifient», «re¬
produisent», mais ont peu souvent l'occasion de construire leurs connaissances ou
de poser un problème. Cousinet, déjà il y a un demi-siècle, considérait l'accroisse¬
ment apparent de l'activité de la classe par la méthode diatogale comme «un chapitre
comique de la pédagogie traditionnelle» (17), fondant sa critique sur le fart que rien
de nouveau ne peut s'acquérir dans un tel mouvement : comme le note en effet Van
Bergsen, dans la plupart des cas, l'enseignant «pose des questions ou des pro¬
blèmes dont les réponses sont préalablement connues des élèves» (18). Et pour¬
tant ! Dès son début, les limites de la méthode «socratique» étaient pointées parses
promoteurs : à rien ne servent «les questions» qui n' «amènent (que) des réponses
convenues, stéréotypées, apprises par crur, qui tournent au catéchisme. L'ensei¬
gnement mis en demande et réponse est au rebours du bon sens pédagogique» (1 5).
Aussi bien, et les pédagogues l'ont toujours souligné, la méthode diatogale est
difficile à pratiquer. Elle nécessite de bonnes conditions matérielles, un nombre
d'élèves limité : dans une classe trop nombreuse, trop d'élèves sont spectateurs
20
L'oral contre l'écrit
Les questions occupent donc la majeure partie du temps de la classe, et, peut-
être minorée par le codage qui ne permettait pas de mesurer la durée précise des
énoncés, la part de l'exposé apparaît très réduite en CM2 (1 1 % des échanges) et
elle progresse à peine en 6» (14 %) : l'apport des connaissances passe plus par le
jeu du question-réponse que par le cours magistral.
Depuis une vingtaine d'années, le cours de français n'a plus comme contenu
isolable et privilégié l'étude de la littérature et des techniques liées à cette dernière.
Il se laisse plus réduire à des pratiques qu'à des apports de contenu : pratiques de
lecture, d'orthographe, de grammaire, dont chacun des deux niveaux que nous
avons étudiés ne fait qu'approfondir les acquis antérieurs. La faible proportion du
cours magistral s'explique donc bien. Mise en rapport avec le déluge du question-
réponse, elle témoigne de la difficulté d'enseigner cette discipline : l'instituteur,
comme le professeur de français, doivent faire naître un questionnement sur des
connaissances que pour la plupart, ils n'ont pas eux-mêmes transmises.
Ainsi, les élèves ont moins souvent le stylo à la main en français qu'en maths
ou en sciences humaines ; certes plus qu'en langue, dont le projet en 6e est
essentiellement oral. Il s'agit làde moyennes, certes, mais qui, à de très faibles écarts
près, engagent les trois quarts des séquences que nous avons observées. Ainsi,
quels que soient les bénéfices de l'animation orale de la classe, l'écrit en pâtit déjà
quantitativement ; si son acquisition reste l'objectif principal que se donnent les
enseignants de français, le temps que, dans la pratique quotidienne de la classe, on
y consacre, fait douter qu'on le puisse atteindre, sauf à penser que l'activité orale en
soi est immédiatement transférable en acquisitions dans le domaine de la langue
écrite.
21
REPÈRES N" 3/1991 D. MANESSE - 1. GRELLET
Les écrits sont brefs (moins de 10 mn pour les 4/5 d'entre eux). Si la durée
globale de l'écrit s'accroît en 6», c'est seulement par le fait d'un temps plus long
consacré à la copie - la capitalisation dans le cahier - qui passe de 2mn en CM2 à
7mn en 6*. Alors, que sont les écrits ? des exercices d'application.
L'exercice apparaît bien comme la contrepartie écrite du questionnement oral :
puisé, dans la majeure partie des cas, dans le stock des exercices du livre ou fart à
partir de polycopiés, il est un réinvestissement immédiat de l'oral qui l'a précédé : à
une consigne cadrée, qui exige une réponse unique, pour laquelle la main de l'enfant
est étroitement guidée, il y a une réponse bonne. L'écrit n'est qu'exceptionnellement
silencieux, précédé d'oral pour éclairer la consigne et ponctué de questions-
réponses. Cette pratique d'accompagnement par la parole, qui correspond à coup
sûr à un souci d'aide de la part de l'enseignant, est d'ailleurs pointée par les élèves
comme une difficulté : il leur est très difficile d'écouter et d'écrire à la fois.
Ainsi l'écrit n'a pas de mise en scène propre, il ne répond pas au projet de mener
l'élève à prendre en charge, à organiser même un petit projet. La règle est toujours,
comme pour l'oral, un écrit collectif et uniforme, prédécoupé et immédiatement
corrigeable.
Cependant les écrits longs existent ! nous le savons : la «rédaction» (compo¬
sition) est un exercice pratiqué par tous, à la fin du primaire comme au collège (19).
Certes la présence d'observateurs, même bien acceptée des enseignants, détour¬
nait ces derniers de montrer de longues séquences silencieuses écrites ; d'autre
part, au collège au moins, les rédactions sont souvent faites à la maison. N'en
demeure qu'en dehors de cet exercice mensuel ou bi-mensuel, îéconomie de l'oral
et de l'écrit obéit aux mêmes lois en français qu'en mathématiques par exemple. Où
est donc, dans les traits structurant le comportement didactique global, la spécificité
de la discipline qui enseigne l'écrit pas seulement comme un moyen, mais comme
une fin ?
22
L'oral contre l'écrit
NOTES
(1 )Ce texte propose les résultats d'une recherche terminée en 1 988, dont les enseignements
nous semblent cependant encore valides ! Il a paru en décembre 1988 dans la revue
Mother Tongue Education Bulletin (vol. 3, n° 1) dont nous remercions Gilles Gagné, son
directeur, d'avoir bien voulu nous autoriser à le reproduire.
(2) BULLOCK, S.A. éd., A language For Life, H.M.S.O, London, 1975.
(3) BRONCKART J.P., Les sciences du langage, un défi pour l'enseignement, UNESCO-
Delachaux et Niestlé, Paris, 1985, p. 107.
(4) Les enseignements en CM2 et en 6e, ruptures et continuités, Coll. Rapports de recherches
n° 11, INRP, Paris, 1987, passim, et Enseignants de CM2et de & face aux disciplines, coll.
Rapports de recherches n" 9, 1986.
(5) «Les représentations des élèves sur les disciplines», rapport intermédiaire de recherche,
DP1, 1986, INRP, Paris, dactyl.
(6) Cité par A. RAFFESTIN, L'observation du componement des maîtres», 1 974, CRDP de
Rouen, doc. ronéotypé.
(7) GUEUNIER N., «Se parfera l'école», BREFàéc. 1979. Larousse, p. 24.
(8) MARCHAND F., Le français tel qu'on l'enseigne, PUF, Paris, 1 971 , p. 21 0.
(9) FERRY G. , « Les communications dans la classe» , Bulletin de Psychologie, n° 272, XXI I
1-2 oct. 1969, p. 85.
(10) Équipe AEC, Le statut de l'erreur dans l'enseignement, coll. COLLÈGES, INRP, 1987,
p. 1 1 1 et sq.
23
REPÈRES N° 3/1991 D. MANESSE - 1. GRELLET
(11) FRANÇOISF.,«DiaJogueetdéplacenTentdscxir^àréccte»,LeFra/7ça/sau/buro7ïu/,n071,
1985, p. 37.
(12) GIORDAN et VECCHI, op. dt, p. 150.
(13) BUISSON F., (sousladlr.de), Dictionnaire de pédagogie, 1880, Paris : Articles «Socrate»
(G. Compayre) ; «Interrogation», «Méthode interrogative» (J. Steeg).
(1 4) BOURDIEU P., Ce que parler veut dire, p. 56 et 78.
(15) LANDSHEERE G. de, BAYER P., Commentas maîtresenseignent.Analysedes interactions
verbales en classe, Ministère de l'Éducation national et de la culture, Documentation 21 ,
Bruxelles 1974, p. 58.
(16) LEGRAND L., «De l'idéal du dialogue à l'imposition du savoir», BREF déjà cité, p. 6.
(17) CitéparLEIFetRUSTIN, Philosophie de réducation.Pans, Delagrave, 1970,3vol.,Tome 1,
p. 258.
(18) Cité par de LANDSHEERE, op. dt, p. 58.
(19) MANESSE D.. GRELLET L, MONCHABLON M.A., «L'écrit en CM2 et en 6« : images et
réalités», Études de linguistique appliquée, 1988, nc 71.
(20) SAVIC S., «Quelques fonctions des questions posées par des adultes à de jeunes
enfants», in Bronckart J.P.,Malrieu et alii, Genèse de la parole, PUF, 1977, p. 231 etsq.
24
ECRIRE, UNE ACTIVITE COMPLEXE
ÉTAYEÉ PAR LA PAROLE
Etude des échanges oraux dans des tâches
de réécriture menées par des enfants de 7 ans
Jacques DAVID
25
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID
26
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
27
REPÈRES N° 3/1991 J- DAVID
(Exemple 1 )
(Exemple 2)
V: A mè ça s'écrit pas comme ça
A: Alors?
V: Ca s'écrit M-A-l.
A : y a même un S ... M-A-l-S d'accord ?
(Exemple 3)
J15 :A tombe il y a un S et c'est quand ils sont plusieurs qu'y a un S
A12 : Alors qu'est-ce qu'il faut mettre ?
J16 :Benfaut l'enlever
(Exemple 4)
N aux ça s'écrit pas comme ça
:
A : Ça s'écrit comment ?
N: A-U
A: "y a pas de X... pourquoi?
N : par/ parce qu' y a qu'un seul ballon
28
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
(Exemple 5)
A Faut l'enlever ... Ensuite ... Je vous le relis si vous voulez [deux petits gar¬
:
çons] jouent aux ballons est un granfd] garson en vélo arive et un notre
garson tonbefs) et se blese mè se relève toublesé
L : toublesé ça s'écrrt pas comme ça ça s'écrit T-O-U-Tun petit espace B-L-é-S-E
A : Alors y a un petit espace effectivement ça s'écrit en deux mots toutblése
puis, proposer une deuxième correction toute aussi pointue, laissant le problème de
la répétition du verbe (blesse ... blessé) non-réglé :
(Exemple 6)
J : Alors c'est B-L-E accent aigu -deux S-E... avec un T.
A : Plutôt avec un é ... Bon je relis [deux petits garçons] jouent aux balbns est
un granjd] garson en vélo arive et un notre garson tonbe(s) et se blese mè
se relève (toublesé) [tout blessé]
J : blese ... B-L-E- deux S -E
A : Ators là c'est deux S et pas un seul S d'accord
(Exemple 7)
L un notre garson 'y a deux fois garson.
:
(Exemple 8)
J : V a il a oublié à arive là
A : Il a oublié quoi ?
J : V a un Ta arive
N : Non 'y a un S
L : y a un fl
A : Oui ça s'écrit avec deux fl ...
29
REPÈRES N" 3/1991 J.DAVID
A travers cet exemple, nous voyons qu'il n'est pas toujours aisé pour l'adulte de
déceler, dans les propositions des enfants, celles qui suggèrent des corrections
formelles des verbes, de celles qui peuvent entraîner une redéfinition des valeurs
temporelles. En l'occurrence, le T, le S et le R rajoutés successivement par les trois
enfants correspondent certainement au «sentiment» diffus qu'il faut employer un
temps du passé (imparfait ou passé composé).
En définitive, le résultat de cetravail n'est qu'en partie satisfaisant. Le trartement
superficiel débouche bien souvent sur une version corrigée, certes plus conforme au
plan orthographique, mais généralement aussi, sinon plus, opaque que le texte
d'origine. Du point de vue didactique, nous avons dû pousser plus loin la réflexion
métalinguistique pour trouver des différences significatives entre le texte ainsi
modifié par les groupes d'enfants et leurs premiers textes écrits individuellement lors
de la phase de sélection.
Face à ces difficultés, nous avons sensiblement modifié les conditions de la
réécriture et demandé à d'autres groupes d'enfants d'effectuer le même travail à
partir du même texte, mais présenté dans une version orthographiée.
Conformément à ce que nous attendions, les échanges et les propositions de
révision se sont, dès lors, concentrés sur des problèmes d'organisation du texte
dépassant la dimension du mot. Les erreurs de transcription étant neutralisées, les
enfants se sont attachés à modifier la distribution des syntagmes :
(Exemple 9)
A (relisant): ...[Ejt un grand garçon arrive [sur son vélo][.] ([Et]) [le vélo renverse]
[un des] garçonjs] [qui jouait au ballon]].] [le garçon qui s'est fait renverser
est] [bien] blessé].]
S: Oui
A : Ça vous va
G : qui s'est fait renverser [par le vélo]
A : Est-ce que c'est la peine de préciser [par le vélo] ?
G : Oui
S : Moi je trouve que c'est pas la peine
A : C'est pas la peine pourquoi ?
S : Parce que c'est déjà écrit [le vélo renverse] le/ le garçon [qui jouait au balbn]
pour, comme dans cet exemple, tenir compte des informations déjà fournies
antérieurement dans le texte.
Un plus grand souci de cohérence se manifeste donc, tant au niveau de la
signification globale du récit, qu'au niveau des relations de cô-réf érence où certaines
ambiguïtés dans la dénomination et la reprise des personnages sont levées :
(Exemple 10)
V : Ah il y a encore quelque chose parce que le vé/le euh celui qui est sur le vélo
il se relève pas tout blessé
A : Alors qu'est-ce que tu veux changer qu'est-ce que tu veux rajouter ou
modifier ? ... Oui Vincent?
V : Ben on pourrait dire euh [et] [le garçon qui s'est fart renverser par le vélo] se
relève tout blessé
A : [et] [le garçon qui s 'est fait renverser par le vélo] se relève tout blessé
30
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
Par delà ces modifications visant une meilleure compréhension des faits et
événements du récrt, les enfants proposent également des transformattons améliorant
la lisibilité du texte, notamment par l'introduction de marques de ponctuation :
(Exemple 11)
G : Aussi [lesenfants]jouentaubaltonaprès\ltaulmét\reunpointe\un Emajuscule
A: Un E majuscule à et
G : Oui un E majuscule après le point
(Exemple 12)
C : On met un point à la fin
A : A la fin de quoi ?
G : Ouais on met un point à la fin
A : Ici ? Bon on relit pour voir si ça va Frédéric ?
F : Dans la dernière phrase on enlève (mais) et on met [et] a la place
A : Alors toi tu veux enlever le (mais) et mettre [et] à la place [et] se relève tout
blessé
31
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID
Les études menées sur les variantes de brouillons d'enfants de cet âge
montrent que les modifications visent principalement à supprimer et à substituer,
mais très rarement à ajouter et à déplacer de petites unités très locales (C. Fabre,
1 986). Ces procédés - ainsi que la taille réduite des éléments corrigés - n'entraînent
(Exemple 13)
A : Alors vas-y Elodie ... on commence au début du texte ?
E : A ballons il y a pas de S
A : ballon(s) on enlève le S ...
Les ajouts, à l'inverse, visent principalement à compléter une phrase par une
nouvelle proposition :
(Exemple 14)
A (relisant) : ... [Mathieu] ionbes et se blese [mais] se relève [tout blessé]]]
R : [et Olivier] ... [et Olivier s'excuse]
A : Alors toi tu voulais rajouter quelque chose Rémi... Quoi ?
R : [et Olivier s'excuse]
A : Alors on repousse le point là et on met [et Olivier s'excuse]
(Exemple 15)
A (relisant) : ... pour l'instant on regarde la proposition de Lucile ... Alors et se
relève ...
32
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
L: [avec du sang]
A : Ça te va Vincent ?
V [[plein] de sang]
:
(Exemple 16)
N : garson il y a deux S
A : Non il y a pas deux S
N : y a un S
il
A
: Non non plus
N et P : un C
A: Un C cédille...
mais aussi aux mots ou aux syntagmes entiers ; ce qui entraîne généralement une
ré-organisation du sens de la phrase et même parfois du texte :
(Exemple 1 7)
M : C'est pas en ... c'est pas un grans gar[çton en vélo
A : Oui et alors
M : un grans gar[ç]on [faisait du] vélo
33
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID
(Exemple 18)
P :Mais aussion peut en\everle[E]t[levétorenverse]/[E]tpe vétorenversejon pourrait
enlever celui-là aussi
A : Vous êtes d'accord les autres ? On regarde si on l'enlève [tes enfants]jouent
au ballon].] [E]t un grand garçon arrive [sur son véto][] ([Et]) [le vélo
renverse] [un des] garçonjs] [qui jouait au ballon]].] [le garçon qui s'est fait
renverser est] [bien] blessé].]
P et S : Oui
Ces suppressions sont surtout utilisées pour rectifier des éléments précédem¬
ment ajoutés. C'est le cas, dans cet exemple, du connecteur (]E]t) devenu obsolète
par suite de l'introduction d'une ponctuation forte, en l'occurrence un point.
Nous constatons, en fait, que ces enfants peuvent développer un comportement
plus créatif en multipliant les ajouts lorsqu'ils se trouvent ainsi dégagés des
problèmes orthographiques de surface. Ils se mettent plus volontiers à compléter les
énoncés, permettant ainsi une meilleure interprétation du récit. Dans ce sens, nous
relevons de nombreux ajouts qui tendent à accroître la lisibilité du texte par
l'introduction de segmentations :
(Exemple 19)
A (relisant) : ... Alors [les enfants]jouent au balbn[.][E]t un grand garçon arrive
[sur son vélo] [E]t [le vélo renverse] [un des] garçon[s] [qui jouait au ballon]
[E]t [le garçon qui s 'est fart renverser est] [bien] blesse].]
D : Ouais, ap/ après [sur son véloji aut mettre un point aussi un point
A : Il faut mettre un point d'accord un point ...Là ... alors ? ... Alors ça va ?
(Exemple 20)
A : Alors la proposition de Sophie c'est [les enfants puent] au ballon].] (e)[E]t
un autre garçon arrive [sur son vélo]].] (e)]E]t le garçon tombe et se relève/
S : /[le garçon qui jouait au balton] tombe et se/ et se relève tout blessé
A : Ators [Ejt le garçon et on rajoute [qui jouait au balbn] tombe ...
Alors que le procédé de déplacement est complètement absent dans les cas de
réécriture du texte original non-orthographié, nous trouvons parfois - mais en nombre
limité (5 cas) - des inversions de syntagmes tels que :
(Exemple 21)
C : Moi j'ai pas mis le même truc
A : Alors vas-y Claire tu parles plus fort et tu nous dis ce que tu as fait
C : [Elle regarde un grand garçon sur un/ sur son vélo]
A : Ah oui plutôt que de dire [un vêtojanive elle a écrit et un grand garçon arrive
[sur son vélo] qu'est-ce que vous préférez ?
G : Oui un grand garçon arrive [sur son vélo].
34
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
Dans ce cas, il s'agit d'introduire un personnage tiers qui se trouvait effacé dans
la version de départ. En ré-organisant la phrase, cette enfant propose une thématisation
différente (un grand garçon au lieu de vélo, dorénavant placé en position de com¬
plément) qui évite une ambiguïté quant à l'actant du procès (arrive)eX accroît d'autant
la compréhension des événements successifs du récit.
Il résulte de ces différentes données que les enfants de CE1 , utilisent plus
volontiers des procédés de substitution que d'adjonction lorsqu'ils opèrent sur un
texte présenté sous sa forme première non-orthographiée. Inversement, les ajouts
sont plus nombreux et plus conséquents dans le travail sur la version orthographiée.
Notons de plus, que, dans ce cas, les substitutions et suppressions affectent
principalement les insertions effectuées antérieurement. Cette inversion dans les
résultats obtenus s'explique par le fait que, sur la première version, les jeunes
scripteurs limitent leurs interventions créatrices d'écrrts poursecontenterde changer
ou de retrancher de petites unités locales ; alors que, sur la seconde, ils se trouvent
libérés de ces tâches et peuvent envisager des problèmes de niveau plus élevé,
réglés le plus souvent par des ajouts.
En travaillant sur le texte orthographié, ils intègrent plus aisément les contraintes
de la communication écrite ; ce qui se traduit par plus d'ajouts pour une plus grande
clarté des contenus (adéquation du texte au réfèrent), une meilleure lisibilité
(insertion de marques de ponctuation) et une cohérence renforcée (levée des
ambiguïtés co-référentielles).
Par delà l'étude linguistique des éléments modifiés et l'analyse catégorielle des
procédés de révisions, il nous semble important de décrire les conditions et les
modalités de ce travail particulier de réécrrture.
Tout d'abord, il nous apparaît indispensable de relever que l'ordre dans lequel
s'effectuent les multiples modifications ne correspond pas toujours à la linéarité du
texte. Il arrive souvent qu'une proposition succède à une autre sans qu'il y ait de
continuité spatiale :
(Exemple 22)
A (lisant le texte pour la première fois) : ... Alors vas-y Hélène ... à toi
H : à ballons il y a pas de S
A : où ça ? ... au début du texte ?
H : Oui là
A : ballon(s) on enlève le S ... voilà
H : A la fin ton:: tou:: blé troublé ... troublé ça veut rien dire !
Dans cet exemple, les rectifications sont produites par la même enfant. Le
phénomène est encore plus fréquent lorsque plusieurs d'entre eux interviennent et,
bien sûr, lorsque le groupe revient sur des modifications apportées antérieurement
(exemple 19).
Sur cet aspect encore, nous notons une différence importante pour chacune
des deux versions proposées. En effet, lorsque le texte a été orthographié
35
REPÈRES N° 3/1991 J- DAVID
(Exemple 23)
A (lisant le texte pour la première fois) : (...) ators ... Damien ?
D : Euh au départ ils jouent tau\ mettre pes ontants jouent] parce que sinon sinon
on sait pas ce que ça veut dire
A : Bien vous êtes d'accord aussi les autres ? Vous êtes d'accord ? Ators on
enlève ça et on met pes enfants]jouent au ballon et un grand garçon en vélo
arrive et un autre garçon (...) ... quelqu'un d'autre ? Sonia ?
S : après à un grandgarçon en vélo arrive un grand garçon il faut mettre euh [un vélo
arrive]
Dans ce cas, les enfants tiennent à localiser leurs énoncés (D : ... au départ...
et S : après à ...) en utilisant des repères spatio-temporels.
Il nous faut cependant noter que la relecture, ou plutôt les relectures succes¬
sives, effectuées par l'adulte sur un texte externe au groupe d'enfants, les amènent
à mieux identifier les problèmes rédactionnels. Dans son étude sur les connaissan¬
ces supposées des scripteurs, Bartlett avait déjà observé chez des enfants plus âgés
(1 0 à 13 ans) des capacités à repérer les ambiguïtés co-référentielles dans le texte
d'un autre, mais pas dans le leur. Une distanciation semble donc possible pour les
textes qu'ils n'ont pas composer eux-mêmes. Nous pensons également augmenter
cette mise à distance du texte et son objectivation, non seulement, en choisissant un
brouillon écrit par un autre enfant, mais aussi, en proposant de nombreuses
relectures. Cependant, si dans la plupart des cas ces relectures sont les plus neutres
possibles, il arrive également qu'elles induisent plus ou moins directement des
rectifications :
(Exemple 24)
A : Ators pour savoir quel est le mot qu'il faut mettre il faut relire depuis le début
d'accord ? ... On lit ensemble il jouent aux ballons est un grans garson en
vélo arive et un notre garson tonbes et se blese me se relève toublése
M : garson il y a un C cédille
A : Bon d'accord ... je relis encore une fois il jouent aux ballons est un grans
gar(s)[ç]on en vélo arive et un notre gar(s)[ç)on tonbes et se blese me se
relève toublése
Au -.[troublé]
A : Oui mais toi Aurélie tu as carrément changé le mot tu en as mis un autre tu
as cru qu'il voulait
écrire troublé ... d'accord ?
Au : Il fallait mettre blessé c'est blessé !
36
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
(Exemple 25)
B : Et euh ... après tonbe juste avant tonbe ... et celui-ci tonbe
A: et un autre grand gar[ç]on tonbe... etcelui-citonbedoncon enlève et un autre
grand gaifçpn tonbe et on met ef celui-ci tonbe
B : Oui ... non
A: et un autre grand gar[ç]on et celui-ci tonbe ,
(Exemple 26)
A (...) on relit une fois encore [deux petits garçons]jouent aux ballons est un
:
gran[d] garson en vélo ar[r]ive et un notre garson tonbe(s) et se blese [mais]
se relève [tout blessé]
F : deux petits garçons euh ... un notre garson il y a trop de garçons.
A : D'accord ! Qu'est-ce qu'il faut faire alors ? Florence ... hein ?
F : Je sais pas
(Exemple 27)
A Oui regarde ...je relis ilpuent aux ballon est un grans garfçpn en veto arive
:
et un notre
S : C'est pas est c'est un ... ilpu[ai]ent aux ballon [et]
A : C'est [et] d'accord ouï très bien là on enlève le S c'est e(s)t E-Tcomme ça
... Ators toitu m'as dit ilpu[ai]entauxballontu as changé làc'est écrit ilpuent
aux ballon ... Alors c'est il puent ou joujaijent
37
REPERES N" 3/1991 J. DAVID
G : puent !
S et E : pujaijent !
A : Elodie ? Plutôt il jouent ou il joujaijent aux balton
E, S et P : ilpu[ai]ent !
E: On va mettre pu[ai]ent
S : ilpu[ai]ent
E : Parce qu'ils sont deux
Nous voyons que, dans la proposition initiale de S, le premier élément modifié (ef au
lieu de est) l'est explicitement. Cependant, un deuxième changement est énoncé
(joujaijent à la place déjouent), mais celui-ci reste implicite. Il correspond, en fait, à
une révision fortuite liée à une relecture du texte. Cette transformation n'est pas
intentionnelle, même si l'adulte la reprend par la suite pour tenter de la proposer de
nouveau aux enfants. Le changement de temps grammatical impliqué par cet ajout
de la terminaison [ai] de l'imparfait entraîne une recomposition du texte qui, d'un
simple rapport de faits sans reliefs, devient un récit avec un arrière-plan mieux
délimité. Il reste que, si la nécessité d'une rectification superficielle (pujaijentk la
place de puent) semble évidente, la raison avancée reste strictement orthographique
et sans aucun rapport. Il apparaît donc que les enfants puissent saisir - ou plutôt
«sentir» - un tel problème de repérage temporel lorsque celui-ci reste dans l'implicite
de la relecture. Ils ne parviennent toutefois, ni à l'identifier, ni à le traiter en le situant
au niveau de l'organisation globale du texte. Ils se contentent d'une justification qui,
comme les autres, s'inscrit dans le cadre des arrangements orthographiques locaux.
Concernant ces mêmes justifications et explications, les différences sont
également significatives. Sur la version originale, les corrections effectuées en
surface du texte, lors du travail opéré font principalement appel à des arguments liés
à la référence-image et certainement aux acquisitions grammaticales :
(Exemple 28)
A : (...) Oui ils sont deux garçons
E : Alors s'ils sont deux ... Alors il faut mettre un S à il
A : D'accord un S
Cependant, le recours à ces mêmes images ne suffit pas toujours à étayer les
arguments :
(Exemple 29)
V : A [autre grand] garjçjon je préfère mettre grand monsieur
L : (rires) Ah non c'est nul un grand monsieur I
A : Pourquoi Vincent ?
V : Ben parce que je trouve que c'est un homme
L : C'est bête ! Ca se voit que c'est pas un homme
A : Pourquoi ça fait bête ? Attends mais il suffit pas de dire c'est mieux ou ça fait
bête si on ne dit pas pourquoi
N : Ben ...
A : Pourquoi tu préfères un [autre grand] gar[çpn ... plutôt qu'un grand
monsieur ? ... Et toi Lucile ?
38
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
Dans cet échange conflictuel, l'insistance de l'adulte oblige les enfants à justifier
leurs propositions contradictoires. Cependant, ils continuent de s'opposer sur
l'interprétation du référent-image, sans voir que le remplacement de garçon par
monsieur aurart évité de dénommer d'un terme unique deux personnages distincts,
et, par là-même, permis de résoudre un cas d'ambiguïté probable.
En fait, ce n'est qu'à partir de la version orthographiée que les enfants étayent
leurs révisions d'explications prenant en compte l'audience :
(Exemple 30)
A (lisant le texte pour la première fois): ils jouent au ballon et un grand garçon
arrive et un autre garçon tombe et se blesse mais se relève tout blessé ators
... Régis ?
R : à ils puent \e préfère mettre [deux garçons jouent] parce qu'autrement on peut
pas comprendre.
(Exemple 31)
A : (...) alors tout à l'heure Gregory disait que lui il préférait mettre un point après
ballon ici ... mais pourquoi ?
G : Benparcequesinonfaudraitfaudraittoujoursparlercommeçasansprendrede
l'air alors ce serait un peu embêtant de parler tout le temps sans prendre de l'air
39
REPÈRES ND 3/1991 J.DAVID
(Exemple 32)
S : [Ejt le garçon [qui jouait au ballon] tombe et se/ et se relève tout blessé
A Pourquoi tu mets ça ? Tu peux nous expliquer pourquoi tu fais cette/ce
:
changement ?
S : Parce que si on dit que un garçon on on croit que c'est un autre garçon
(Exemple 33)
A (relisant) : (...)[et]se relève tout blessé
V : Non parce qu'on l'a déjà dit tout ... se blesse et se blesse mais se relève tout
blessé ça ça se dit pas çà
A : Bien ça la fiche mal ... bien pour toi t'es pas d'accord ... alors Frédéric?
F : [et] se relève tout blessé
A : [et] se relève tout blessé bon on va voir si ça marche les autres ? Elise peut-
être non ?
E : Ouais ça va
V : Non parce que y a déjà blesse deux fois faut mettre/ en plus ce serait le vélo qui
se blesse parce que euh [le vélo renverse][un des]garçon[s]]quipuart au ballon]
et se blesse ça veut dire que c'est lui le vélo qui se blesse
Cependant, le point de vue adopté est parfois plus hésitant et passe d'un pôle
énonciatif à l'autre :
(Exemple 34)
B : Aussi de dire mais il se relève tout blessé on pourrait dire il pourrait dire/ au lieu
de dire mais se relève tout blessé on on pourrait dire mais [le garçon] se relève
tout blessé non pas pas toutblesséon drt mais le garçon se re/èveparce que touf
blessé on l'a déjà dit
Dans le même énoncé, cet enfant se place tour à tour du côté de l'énonciateur,
d'abord indéfini (... on pourrait dire ...) pour, ensuite, le dénommer implicitement (...
il pourrait dire ...), puis l'effacer complètement (... au lieu de dire ...) et, enfin, le re¬
trouver sur le mode indéterminé (... on pourrait dire ... on dit ...)
40
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
relecture, sans réelle prise de conscience linguistique (exemple 27). Lorsque des
justifications sont fournies, celles-ci sont généralement conformes aux attentes
scolaires (exemple 28) et/ou arbitraires (exemple 29).
Dans le second cas, une distanciation est possible. Les enfants suivent plus
votontiers la linéarité du texte (en l'occurrence, la chronologie des événements) pour
trarter des problèmes de contenus par rapport au réfèrent, mais aussi par rapport au
texte lui-même (exemple 23). Les modifications apportées le sont de manière
réellement intentionnelle. Elles tiennent compte des points de vue réciproques du
lecteur-destinataire (exemples 30 et 31) et de l'énonciateur (exemples 32 et 33).
A travers cet article, nous avions pour projet de décrire les caractéristiques d'un
travail de réécrrture particulier, mené parde jeunes scripteurs, en montrant l'importance
des échanges oraux - entre pairs et avec un adulte - dans la construction de
compétences d'écriture étendues. Nous avons limité la présente étude à l'analyse
des unités linguistiques modifiées, puis à la caractérisation des procédés de
correction utilisés et, enfin, aux conditions et modalités impliquées par le travail de
révision. Le travail mené sur le double corpus (les variantes successives des textes
écrits et les dialogues enregistrés tors des séances collectives de réécrrture) nous a
permis de dégager des résultats (encore provisoires) et de confirmer des constantes
déjà observées par d'autres auteurs dans le domaine.
Au delà de ces premières conclusions, nous pouvons aussi proposer des
prolongements pour une didactique de l'écriture à l'école.
a) Les enfants de cet âge se contentent, bien souvent, de modifier leur texte
dans ses aspects les plus superficiels : arrangements orthographiques, substitutions
lexicales. Aussi convient-il d'alléger ce travail de «mise en mots» en focalisant leur
attention sur des problèmes de composition plus élevés. Pource faire, la présentation
d'un texte orthographié - où les erreurs de transcription de trouvent neutralisées -
nous apparaît déterminante pour les amener à envisager des modifications en
rapport, notamment, avec le niveau des relations interproposittonnelles support de
la macrostructure (7) du texte.
41
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID
Ces indications et propositions doivent permettre aux élèves les plus jeunes et
les moins expérimentés d'acquérir des habiletés d'écriture précises dont on mesure
mal encore les effets en retour sur le dévetoppement des compétences langagières
orales. Mais ceci relève d'un autre programme de recherches.
NOTES
(1 ) Ce terme ne convient qu'imparfaitement car il renvoie, dans certains cas, au seul travail de
«mise en mots» du sujet écrivant (recherche de graphies, codage orthographique, voire
même calligraphie), sans toujours prendre en compte la dimension rédactionnelle inhé¬
rente à toute «mise en texte».
(2) Même si nous pouvons discuter ce terme «monologue» qui, en l'occurrence, peut être
conçu comme une variante particulière d'une situation fondamentalement dialogique.
(3) Nous ne citerons que les ouvrages les plus conséquents et, généralement, les plus
importants.
(4) Cf. également, dans ce même numéro, les contributions de B. Schneuwly et de R. Bouchard.
42
Écrire, une activité complexe étayée par la parole
(5) Il nous faut remercier ici les enseignants de ces classes pour la qualité de leur accueil et
l'intérêt qu'ils ont porté aux différents aspects de cette recherche.
(6) Dans les extraits donnés ci-après, les éléments de texte lus, relus ou modifiés sont portés
en italiques ; les ajouts sont notés entre crochets, les suppressions entre parenthèses.
(7) Nous reprenons ici l'opposition énoncée par Fayol et Schneuwly (ibid.) qui distinguent les
opérations affectant la macro-sctructure, de celles qui touchent la micro-structure du texte.
(8) Ces deux auteurs proposent des pistes de travail et des exercices à mener avec des élèves
plus âgés, relevant des cycles des collèges et des lycées. Cependant, la plupart d'entre-
eux peuvent être adaptés à l'âge des enfants de notre étude.
BIBLIOGRAPHIE
43
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID
44
DIFFERENCES ENTRE LES PROCESSUS
DE PRODUCTION DE TROIS GENRES:
DU DIALOGUE ENTRE ÉNONCIATEURS
AU TEXTE ÉCRIT
Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève
"Pour parier nous nous servons toujours des genres du discours, autrement drt,
tous nos énoncés disposent d'une forme type et relativement stable, de structuration
d'un tout. Nous possédons un riche répertoire des genres de discours oraux (et
écrits). Dans la pratique, nous en usons avec assurance et adresse, mais nous
pouvons en ignorertotalement l'existence théorique. Comme Jourdain chez Molière,
qui parlait en prose sans le soupçonner, nous partons (et écrivons, B.S.) en genres
- variés - sans en soupçonner l'existence...» (Bakhtine 1984, p. 284)
Les types de textes et les genres attirent depuis un certain temps déjà l'attention
des psychologues du langage (voir Bronckart étal, 1 985 ; Pellegrini, GakJa et Rubin,
1 984 ; Fayol, à paraître), mais sans qu'une théorie explicite n'ait encore pu être
45
REPÈRES N° 3/1 991 B. SCHNEUWLY
cette conception, il y aurait une relation étroite entre d'une part des types de
contextes, reconnus comme tels et relativement stéréotypés, et d'autre part des
types de textes ou genres, caractérisés par des structures textuelles particulières et
des configurations d'unités linguistiques déterminées. Cette relation serait assurée
par le fait que les différentes opérations de production langagière sont intégrées en
systèmes mis en place ontogénétiquement par un processus de différenciation
croissante. Dans l'état actuel de notre modèle (voir par exemple Schneuwly 1988)
nous distinguons schématiquement et de manière simplifiée les niveaux et types
d'opérations suivants :
- Le premier niveau englobe les opérations liées à la création d'une base
d'orientation de l'action langagière. Nous pensons ici essentiellement à des
questions que pourraient se poser les auteurs telles que : En tant que qui
parlons nous ? Qui est le destinataire ? Qu'est-ce qu'il sait, comprend ? Quel est
le but que nous voulons atteindre avec le texte ? Quels sont les modèles
langagiers qui sont normalement utilisés dans le type de situation dans laquelle
nous nous trouvons ?
- Le deuxième niveau est celui de la gestion discursive, à savoir la recherche
et l'élaboration des contenus pour le texte d'une part, la structuration com¬
municative du texte en fonction de modèles textuels de référence et son an¬
crage dans la situation matérielle de production d'autre part.
-La linéarisation finalement comprend également plusieurs types d'opérations :
nommer les objets, personnes et actions (lexicalisation) et les farts ou évé¬
nements (syntagmatisation) et enchaîner ces éléments de sorte que le texte
sort compris : problème de cohésion (reprise anaphorique, surte des temps du
verbe), de connexion et segmentation (organisateurs textuels et ponctuation)
et de modalisation (unités spécifiant le rapport de l'énonciateur à ce qui est dit).
46
Différences entre les processus de production de trois genres
47
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
Le matériel que nous allons présenter a été recueilli en suivant une procédure
identique pour chaque genre : le chercheur présente à deux sujets une situation de
production de texte ; il élabore avec eux l'essentiel du contenu (les sujets sont donc
censés maîtriser le contenu et collaborer à la mise en texte du contenu en fonction
des paramètres de la situation présentée) ; il enclenche l'enregistreur et les laisse
produire le texte sans intervention aucune en se mettant loin à l'écart des sujets ou
en sortant de la salle où se déroule l'expérience.
Ce sont pour des raisons à la fois pratique et théorique que nous avons opté
pour la séparation des phases d'élaboration du contenu et de la mise en texte :
pratique, parce qu'elle limite l'ampleur des problèmes à trarter dans l'analyse ;
théorique, parce que nous étions moins intéressé à observer comment des auteurs
élaborent un nouveau contenu que de savoir comment un contenu déjà élaboré et
connu est transformé par l'activité d'écriture.
Dans le présent article, nous allons présenter les tendances observées lors la
production en dyade de trois genres (1) :
a) Fait divers
Les sujets reçoivent une bande dessinée sans parole relatant un fait divers (prise en
otage d'un automobiliste par un autostoppeur ; émission de signaux SOS avec les
feux arrière ; libération par la police) et, à titre d'illustration du genre attendu, un fait
divers récent tiré d'un quotidien tocal. L'expérimentateur leur présente ensuite la
consigne suivante : «La bande dessinée ci-jointe relate un événementqui s'est passé
le ... (jour précédant l'écriture du texte) 1990 à San Franciso. Vous êtes journalistes
à la Tribune de Genève et vous devez écrire un fait divers (un article racontant un
événement particulier) à partir de cet événement. Voici un exemple de fait divers de
la Tribune. Ecrivez un texte du même type.» L'expérimentateur discute la bande
dessinée avec les élèves afin de s'assurer que celle-ci est bien comprise. Puis il
rappelle la consigne et fart observer brièvement le fart divers apporté comme
illustration.
b) Lettre de lecteur
Les deux sujets reçoivent une lettre de lecteur qui affirme, en s'appuyant sur
quelques arguments, qu'il ne faut pas donner d'argent de poche aux élèves. L'auteur
de cette lettre demande aux lecteurs de réagir à sa proposition. Après lecture de la
lettre, l'expérimentateur et les élèves mettent en évidence les arguments utilisés et
élaborent des contre-arguments. Puis la dernière phrase de la lettre qui demande
une réponse est relue : il s'agit de la consigne pour le texte à rédiger.
c) Explication de règles de jeu
Après avoir appris à jouer au dara (jeu ressemblant au morpion avec un damier de
5x6 cases et 6 jetons par personne) et avoir joué 3 parties, les sujets reçoivent la
consigne suivante : «Vous avez appris à jouer au dara. Ecrivez un texte pour
expliquer à des personnes qui ne connaissent pas le jeu, comment y jouer. Pensez
à un texte comme on en trouve sur les boîtes de jeu ou dans des livres.»
Les textes ont été produits par 28 dyades d'élèves de 9-10 et 12-13 ans (pour
la répartition précise, voir tableau 1 ). La longueur des dialogues est très inégale et
48
Différences entre les processus de production de trois genres
varie en fonction des textes et pour chaque type de textes en fonction des dyades
(voir les moyennes des tours de paroles par dialogues et les écarts types dans
tableau 1 ). On notera surtout qu'il y a deux fois plus de tours de parole dans les faits
divers que dans les deux autres genres.
Tableau 1
A ces textes s'ajoute une lettre de lecteur écrite par deux élèves d'une école
supérieure de commerce de 1 7 ans (560 tours de parole), ce qui amène le total des
tours de paroles analysés à 4 240.
L'étude que nous présentons ici, nous l'avons dit, est exploratoire. Très peu de
travaux de recherche recourent à la même méthode et il n'y a donc pas encore de
mode d'analyse éprouvé de données ainsi recueillies. La plus poussée est celle de
Antos (1982) qui propose une catégorisation des problèmes de formulation qui
peuvent apparaître lors de l'élaboration collective d'un texte de toi par des experts
adultes : organisation du texte (genre, structure, proportions) ; adéquation factuelle
(clarification des farts, preuves, etc.) ;compréhensibilité (clarté, brièveté, exactitude) ;
problèmes liés au destinataire (sa motivation, ses attentes, son savoir; expériences
communes entre énonciateur et destinataire) ; problèmes interactionnels (rapport
entre personnes en communication pour élaborer le texte) ; image de soi (effet en
retour sur vision de l'autre) ; problèmes esthétique et stylistique. Etant donné qu'elle
a été développée pour analyserdes interactions entre experts pour un type particulier
de texte, cette grille d'analyse catégorise trop en détail des processus de haut niveau
et ne porte pas assez d'attention à d'autres de plus bas niveau.
Pour la description de «ce que font» les auteurs durant la production d'un texte
écrit à deux, nous avons donc développé un autre outil d'analyse. Le problème qui
se posait à nous était en fait double : a) Quelles observables retenir comme
particulièrement significatives pour mettre en évidence les processus de production
dans les dialogues ? b) Quelles opérations distinguer pour caractériser ces proces¬
sus?
Nous avons retenu comme observables des parties de dialogue qui instaurent
par rapport au texte écrit un rapport qui va du linguistique (ce qui est dit correspond
à ce qui est écrit ou à écrire) en passant par l'épilinguistique («activité métalinguistique
non consciente», Culioli cité par Gombert 1990, p. 22) jusqu'au métalinguistique et
à Pextralinguistique. Les catégories suivantes ont été définies :
- Dans les dialogues, le texte écrit apparaît en général d'abord sous forme orale
(dictée ou simple énoncé de ce qui est à écrire). Cette formulation orale peut être
49
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
proposée par l'un des deux partenaires ou être construite conjointement par les
deux, chacun assumant un bout de l'énoncé en construction.
A : autostoppeur
B : lui fait signe
A : de s'arrêter
Nous ne nous intéresserons dans le présent article qu'à cette deuxième forme,
la construction conjointe.
- Une première formulation orale (ou éventuellement écrite) d'un énoncé ou d'un
bout d'énoncé peut être modifiée, par la personne qui l'a proposée ou par l'autre.
Nous observons in vivo un processus de correction, avant même l'écriture du
texte. Cette variation peut porter sur l'axe paradigmatique (variation
paradigmatique) aussi bien que sur l'axe syntagmatique (variation
syntagmatique)ou combiner lesdeux. Elle peut affecter le niveau du morphème
aussi bien que le niveau de la phrase complexe. La variation nous semble être
proche de ce que certains auteurs francophones appellent «activité
épilinguistique». Voici un exemple :
50
Différences entre les processus de production de trois genres
B attends parce que regarde [montre une situation sur le damier] tu n'a pas le drort
:
d'en placer plus de deux comme ça ...
En ce qui concerne les opérations de production de textes, nous prendrons
comme référence celles présentées plus haut et dont certaines sont proches des
catégories de Antos:
- création d'une base d'orientation (destinataire, énonciateur, but, modèles
langagiers) ;
- gestion discursive (élaboration des contenus, structuration communicative) ;
- linéarisation (lexicalisation et syntagmatisation; textualisation avec con¬
nexion, cohésion et modalisation).
RÉSULTATS ET DISCUSSION
a) Le souci d'une bonne orthographe est constant chez les élèves : peu soutenu
chez ceux de 12 ans et plus, il est très marqué chez les plus jeunes. Il résulte en
général en activités métalinguistiques, mais peut aussi s'exprimer par une évaluation
intuitive.
51
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
a) Fait divers
Dans les dialogues à propos des faits divers, toute préoccupation concernant
le destinataire est absente. Dans un seul texte il en est fait mention, quand il s'agit
de choisir une forme de dénomination pour l'actant principal : «M Shannon, ils sa¬
vent pas tous qui c'est».
E à la fin pour comprendre on dit que son compagnon avait téléphoné puis que ...
:
qu'il avait vu ...
V: mais à la f7n(FD1)(2)
- Gestion discursive
Le contenu, lui, n'est guère anticipé, même au niveau local. Dans quelques
dialogues (4 sur 1 0), des élèves discutent néanmoins de ce qu'on pourrait appeler
la logique narrative. Prenons deux exemples :
52
Différences entre les processus de production de trois genres
- Linéarisation
La majorité des échanges dans les dialogues portent cependant sur le niveau
de linéarisation.
sort, dans des phrases complexes, souvent coordonnées par ET, par propositions.
Dans ce dernier cas, il s'agit d'une manière de continuer le texte par simple
enchaînement d'actions allant souvent de pair:
53
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
Les termes et expressions choisis sont parfois aussi soumis à des évaluations
intuitives (voir exemple ci-dessus : «ça va pas»). Dans d'autres cas, la critique des
termes et expressions choisies est explicite et se fart à travers une verbalisation
rétrospective, le critère invoqué pour justifier la modification étant le plus souvent la
répétition du même mot.
L'analyse sémantique pour le choix d'un verbe peut être assez subtile :
B [Relecture] le conducteur sachant faire du morse eut l'idée d'en faire ...eut l'idée
:
de s'en servir ... eut l'idée d'essayer d'en faire ... d'essayer
D : mais s'il sait en taire il va pas essayer
B : essaya de convaincre l'homme qui était denière ? on va quand même pas dire
faire faire deux fois [Maintien de la première version] (FD5)
54
Différences entre les processus de production de trois genres
Pour les temps des verbes, on trouve surtout des variantes paradigmatiques.
Les hésitations portent d'une part sur le choix ou le changement d'une base
temporelle, d'autre part sur le choix entre passé simple et imparfait. Dans un cas, il
y a l'ébauche d'une justification du choix du temps du verbe par une verbalisation :
E son compagnon voit le signal et téléphone à la police (...) en lui disant qu'il est
:
en danger
V: en leur disant
E : en leur disant ... disant ... que son compagnon non que son ... que monsieur
V : que M. Shannon (...) est en danger (FD1 )
A écarta le policier
:
B le conducteur (rires) (...)
:
55
REPERES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
b) Lettre de lecteur
Bien que le destinataire apparaisse directement dans les textes (vous), il n'est
pas évoqué dans les dialogues, à deux exceptions près :
N [se dicte] : à la fin vous avez écrit qu'Une faut pas donner d'argent de poche aux
enfants... point ...c'est faux .... c'est faux ben ça va pas
A : c'est faux et vrai non ?
N : comment on pourrait dire c'est faux ? c'est faux ça va pas très bien
A: c'est pas correct ?
N : nous on pense que c'est faux... parce que sion lui dit c'est faux c'est pas très
poil ... nous virgule
A : [écrit] nous, on pense que c'est faux et vrai (LL1 2)
A : je trouve que
D : nous trouvons !
A : oui c'est vrai (LL1 3)
C : je suis sûre que de nombreux lecteurs et lectrices sont du même avis que moi
S : là on pourrait dire nous (LL5)
- Gestion discursive
56
Différences entre les processus de production de trois genres
D : j'sais pas que eh d'après lui ...les élèves possèdent toujours de l'argent ...ils
gaspillent en achetant des choses inutiles et puis nous on lui drt mais tatata ta
E : non mais si tu commences comme ça après il faut ...on va à tous les coups on
va répéter ses arguments à lui et puis donner nos contre-arguments ... ça irait
pas trop tu vois ... il faudrait qu'on lui dise au début qu'on est eh qu'on est pas
tout à fait... enfin qu'on est pas du tout d'accord avec son opinion ? et puis après
on donne ... on dit pourquoi ? (LL8)
Mais en règle générale, les passages de planification du texte portent sur des
aspects plus locaux :
B : nous sommes d'un avis contraire sur l'argent de poche un point voilà
A : par exemple heu
B: il faut dire pourquoi (LL7)
E : [écrit: mais sur quoi vous basez-vous f] j'suis pas méchant quand même je vais
jusque-là ... [écrit: peut-être que pour vous l'achat]
D : puis il faudrait donner une exemple là
E : puis là on donne une exemple
D : oh et puis on peut donner les exemples qu'on a drt avant là les jeux informatiques
et puis les bandes dessinées ?ça ca très bien (LL8)
La réflexion sur le plan du texte peut aussi se faire par des verbalisations
rétrospectives qui préparent la suite du texte :
D : ouais mais moi ce que je vois pas trop c'est le rapport ... parce que t'as vu tout
d'un coup le truc de la société machin là ... puis tout d'un coup tu... tu parles d'un
sentiment d'indépendance j'trouve que ça j'vois pas le rapport
E : mais c'est l'argent le rapport c'est l'argent qui prend le plus d'ampleur
D : oui
57
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
E : au sein de la société il est important de s'y habituer très vite... il est vrai que celle-
ci donne un sentiment d'indépendance ...
D : mais ça va pas trop
E : mais
D : j'en sais rien
E : bon on met pas comme l'argent a de plus en plus de valeur (LL8)
Dans plusieurs dialogues (5 sur 10), apparaît à une ou diverses reprises une
nette distinction entre phase d'élaboration du contenu, sous forme de verbalisation
anticipatrice, et phase de formulation. L'indice le plus clair de cette distinction est la
présence d'expressions telles que : // fauf dire que, on pourrait dire, etc.
A : Maintenant on pourrait lui dire que ça c'est faux le fart d'être incapable
D : oui mais comment ? ... car... car bien que certains enfants utilisent leur argent
(LL13)
Plus haut nous avons indiqué que l'élaboration du contenu pouvait à certains
moments devenir relativement indépendante de la production du texte en cours. Cela
se passe dans trois dialogues. Voici un exemple :
S : parce que toi tu as toujours de l'argent sur toi pour acheter n'importe quoi ?
L : non moi j'ai jamais ... tu vois je fais comme ça ... j'ai pas d'argent sur moi puis
comme ça après je vais voir quelque chose qui est bien ators
S : si c'est vraiment utile tu vas chercher de l'argent
L : non moi (...) alors je réfléchis pendant que je vais à la maison pour chercher
S : mais oui moij'aijamais de l'argent sur moi pour acheter n'importe quoi... sic'est
pour rentrer en bus ou comme ça ... sip dois m'acheter quelque chose que je
devais acheter
58
Différences entre les processus de production de trois genres
Des difficultés de formulation peuvent aussi être résolues par une exploitation
du contenu à l'oral :
- Linéarisation
59
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
D : vous affirmez
A : non vous dites
D : non c'est plus best affirmer je te dis... non bon mettons dites (LL1 3)
Notons que souvent le changement d'un terme est proposé en donnant comme
justification la volonté d'éviter une répétition.
Une dernière particularité, difficile à situer dans notre grille d'analyse, doit être
mentionnée. Dans la plupart des dialogues, les élèves amorcent au moins une fois
la surte du texte en posant un élément linguistique avant même d'avoir ébauché le
contenu qui suit. Cet élément peut être un organisateur argumentatif (parce que, car,
par exemple, en effet), un modalisateur (il est vrai) ou une numérotation
(deuxièmement, mets 4). Voici deux exemples :
S : ma copine et moi sommes mortié moitié ... d'avis moitié moitié ... car ... parce
que non parce que ça va pas
C : parce que y a pas tous les enfants
M : cinq là ?
A oui ... parce que là je crois que c'est tout .. mais mets toujours 5
:
M : je mets quand même 5 et je te barre après si jamais
60
Différences entre les processus de production de trois genres
A: y a peut-être ... quand les enfants ... quand ils achètent (LL6)
J : après quand vous avez posé tous vos pions, ben attends quand y a un qui fart
un triple
M : oui mais comment foire des triplettes ? ça ils savent pas comment faire
J : si par exemple on a deux en ligne (EJ1 )
Dans deux cas, les auteurs relisent le texte, en se mettant explicitement du point
de vue du lecteur :
Plus encore que dans les lettres de lecteur, les élèves font des remarques et
observations sur le plan général dutexte ou surdes parties du plan à rédiger, souvent
en référence à des modèles langagiers connus.
H : ben alors on met comme dans les vrais jeux on met ...
S : le dara (...)
H : et puis on peut mettre le matériel (...)
H : // faut mettre le but, on met le but du jeu (EJ4)
61
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY
- Gestion discursive
Davantage aussi que dans les lettres de lecteur, les élèves élaborent des
parties du contenu indépendamment de la mise en texte et vont dans certains cas
jusqu'à des essais de petites séquences de jeu sur le damier.
A : quand on a placé
B : attends parce que regarde [montre une situation sur le damier] tu n'as pas
le droit d'en placer plus de deux comme ça. ..là tu peux en placer un deux trois
puis là... tu peux en placer deux mais ...tu ne peux pas en placer trois (...) attends
on va déjà faire notre petit machin [petit pian pour expliquer]
A : mais il faut tous les mettre voilà comme ça ils sont tous dessus ... voilà vas-y
B : ators on met que . ... quand ils sont tous sur le damier on peut les déplacer où on
veut (EJ8)
S: H faut faire
L : // faut essayer de faire
S : / faut faire une triplette pion avec
L ; mais on a déjà écrit (EJ2)
H puis faut dire que si tu mets quatre pions de surte comme ça par exemple [les
:
62
Différences entre les processus de production de trois genres
- Linéarisation
CONCLUSIONS
Il est évidemment trop tôt pour conclure : les situations de production sont
encore trop peu variées ; la méthode d'analyse des dialogues n'est pas encore assez
systématique et précise ; les groupes de sujets analysés sont trop limités. Nous
pensons néanmoins pouvoir formuler les deux conclusions provisoires suivantes.
bonne de ce qui se passe dans les dialogues analysés du point de vue des opérations
en jeu. Elle devra être affinée. Nous avons vu plus haut que, pour les opérations, il
est nécessaire de prévoir un niveau «microplanif ication» et qu'en ce qui concerne les
observables, il faut être attentif à l'utilisation d'unités linguistiques pour amorcer la
suite d'un texte. La méthode devra sans doute être modifiée quand elle sera
appliquée à d'autres genres ou utilisée pour des dialogues produits par d'autres
sujets.
Le rapport entre les catégories d'observables et les types d'opérations doit être
mieux défini. Il apparaît que les constructions conjointes concernent presque
exclusivement le niveau de linéarisation ; les variations portent également sur la
linéarisation, mais permettent aussi d'élaborer plus finement des enchaînements
d'actions au niveau local (microplanrfication ); les verbalisations et évaluations par
contre peuvent avoir pour objet tous les niveaux du processus de production. Les
elaborations autonomes du contenu, elles, concernent essentiellement le niveau de
la gestion discursive, plus spécifiquement la recherche de contenus, mais dans
certains cas aussi la structuration communicative.
63
REPÈRES N" 3/1991 B. SCHNEUWLY
2. Quand ils écrivent un texte à deux, les élèves ne font pas la même chose pour
différents types de texes. Ceci va tout àfait dans le sens d'un modèle différenciateur
du dévetoppement du langage tel que nous l'avons esquissé au début de ce texte.
Dans les faits divers, l'essentiel de l'activité dialogique porte sur la formulation
linguistique : trouver la bonne dénomination des actions et acteurs ; soigner les
enchaînements des actants et des actions ; travailler la suite logique des actions. La
cohérence locale et la cohésion du texte semblent être le souci principal résultant du
contexte de production qui, lui, est fixe et n'intervient plus directement dans
l'élaboration du texte. Dans les lettres de lecteur, énonciateurs et destinataires
apparaissent timidement à travers les échanges des élèves ; le gros de l'effort porte
sur la variété des actes langagiers à effectuer dans le texte : annoncer, justifier,
donner un exemple, donner un autre argument, citer l'opposant, mettre les énoncés
en rapport ; cela impose une plus grande explicifation de la planification ; au niveau
de la linéarisation, le choix des formes linguistiques dépend plus d'un souci de
précision que de style ; mais ce qui compte par dessus tout est la modalisatton
précise des énoncés, c'est-à-dire le souci que l'évaluation que porte l'énonciateur sur
les affirmations sort à la fois précise et argumentativement efficace. Dans les
explications de règles de jeu finalement, le destinataire apparaît massivement
dans les dialogues comme référence décisive pour décider que dire et comment, en
fonction notamment de ses connaissances et capacités ; type de texte plus stéréo¬
typé et plus simple, son modèle est plus cité et pris explicitement comme référence ;
l'élaboration précise du contenu prend une place importante et se reflète également
dans des séquences portant sur le choix des termes et expressions ; les opérations
de textualisation par contre n'apparaissent pas du tout.
Les dialogues analysés dans cet article ne sont évidemment pas un décalque
des opérations réelles de production de texte, mais reflètent certaines difficultés
réelles des élèves et certains de leurs points forts dans l'élaboration d'un texte. Dans
ce sens, la valeur indicative des observations fartes en faveur d'un modèle
différenciateur est non négligeable. Il est nécessaire néanmoins de préciser et
d'élargir les recherches sur les dialogues produits durant la composition de textes
écrits. Il s'agrt notamment d'observer des différences entre dialogues en fonction de
l'âge et d'analyser la dynamique de la production de textes à deux au lieu d'en rester
à une vision descriptive statique.
NOTES
64
Différences entre les processus de production de trois genres
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
65
QUAND DIRE, C'EST FAIRE ... ÉCRIRE
Robert BOUCHARD
Centre de Didactique du Français
Université de Grenoble III
1. INTRODUCTION
L'enseignant quand il corrige les travaux écrits de ses élèves ne peut établir son
diagnostic pédagogique que sur la base du produit scriptural fini (rédaction, dis¬
sertation... etc) que ceux-ci ont écrit précédemment, habituellement en dehors de sa
présence. Or il est évident que ce produit ne montre que les traces superficielles, les
«fautes», des problèmes d'élaboration rencontrés au cours du processus même de
production.
L'étude des brouillons avec leurs ratures successives peut être une première
méthode de saisie de ce processus de production quand on ne peut pas l'observer
«in vivo» (dans le cas des manuscrits d'écrivains par exemple (cf. Grésillon &
Lebrave 1 983). Mais leurinterprétation suppose la résolution de problèmes pratiques
évidents de relecture des éléments raturés et d'établissement d'une chronologie
entre des ratures qui ont pu être effectuées pour la même zone du texte à des
moments très différents d'élaboration, premier jet ou x° relecture. Si un repérage et
un classement des phénomènes corrigés, c'est-à-dire posant problème au rédacteur
peuvent être ainsi élaborés (cf. Fabre C. 1987), par contre la dynamique même du
phénomène de production ne peut que difficilement être ainsi étudiée à l'aide de ce
qui ne constitue encore que des traces superficielles.
Nous avons donc choisi une autre méthode. Il s'agrt d'observer la production en
cours en serrant au plus près la manière dont elle est vécue par l'écrivant mais sans
troubler cependant le processus en cours. Nous ne lui demandons pas en consé¬
quence de verbaliser «artificiellement» son activité, ce qui implique un contrôle
métalangagier supplémentaire qui risque de parasiter, modifier, le processus normal
de production écrite. Nous avons choisi - après et avec d'autres chercheurs (cf. ici
même les articles de J. David et de B. Schneuwly) - d'utiliserdes situations d'écriture
qui exigent foncttonnellement une verbalisation et le cas échéant une explication ou
même une négociation des hypothèses d'écriture, c'est-à-dire tout simplement des
situations collectives de production écrite (cf. Bouchard 1988, 1991a et b). L'enre¬
gistrement de l'interaction verbale correspondante, les éventuels brouillons indivi¬
duels ou collectifs, comme le texte définitif constituent un matériel qui permet
d'observer avec précision «l'événement de production», dans sa chronologie, avec
ses étapes (éventuelles) de planification préalable et de correction a posteriori, ses
retours en arrière, ses changements de rythme... Non seulement on peut alors
classer les zones grammaticales ou lexicales de difficulté mais on peut aussi prendre
en compte, le moment où le problème se pose, son temps et ses étapes de résolution
les hypothèses successives et les «méthodes» (au sens de l'ethnométhodologie)
utilisées par les écrivants, comme les éventuelles relations de causalité entre
phénomènes superficiellement distincts qu'une simple analyse a posteriori n'aurait
pu percevoir...
67
REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD
68
Quand dire, c'est faire... écrire
69
REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD
L'événement langagier est ators pour une part déterminé par la confrontation
des systèmes linguistiques et des représentations langagières des participants. Il
sera plus ou moins aisé à gérer en fonction de la proximité de ces systèmes
(communication endolingue pure, ou relativement endolingue), et dans le cas de
l'écrit, en fonction aussi de la nature du registre exigé par la srtuation de réception
visée. Un mode de coopération communicative, pouvant reposer dans certains cas
de dissymétrie exolingue sur un véritable «contrat didactique» (cf. de Pietro et al. 89)
est chaque fois implicitement élaboré par les participants.
Par exemple, dans ce corpus, enfonctton de leur degré d'implication émotionnelle
collective dans les événements relatés, Véronique/Irma oscillent entre deux systè¬
mes de «places» (cf. Flahaut 1978) réciproques : celui, symétrique, de complice/
complice où on voit la native non seulement corriger formellement l'énoncé de son
amie mais aussi renchérir sur le contenu de celui-ci en jouant sur les modalisations
appréciatives :
Exemple 1 :
I : On va bien ensemble <-
V : On s'entend bien
de mieux en mieux
toupurs mieux
I : Ah ouais
V: Hein
... et celui dissymétrique d'enseignant/apprenant (de langue et culture française) où
la première corrige automatiquement les productions de la seconde, pour des
raisons qui peuvent être uniquement de respect de la norme grammaticale :
Exemple 2 :
1: on est allé à une amie de/
V: on est allé CHEZ
1: ah on est allé chez une amie ?
V: hm
1: de moi
Exemple 3 :
I : On se laisse comme ça
V: Hein
I : On se laisse comme ça
V : On se laisse ?
I : Oui, on le laisse
la laisse
Hm tout comme ça, la lettre
... au contrat didactique impliquant que l'on ne parle plus de la langue uniquement
pour résoudre les problèmes rencontrés en cours de rédaction, mais que l'on profite
de celle-ci pour donner/glaner des renseignements sur la langue :
70
Quand dire, c'est faire... écrire
Exemple 4 :
V: ... à part ça'
I : [apa(R)j
qu'est ce que c'est [apaR] ?
V : eh c'est
à part ça c'est une expression que tu mets, ehm
pour dire eh d'un autre côté' tu sais
I : ouais mais
V : ouais c'est une expression que tu dis
t'as parlé d'quelquechose puis tu dis eh. mh
c'est pour dire que tu vas
[parler d'autre chose
I : ah ouais, mhm'
Le but de ce travail particulier sur ce corpus particulier sera donc l'étude de cette
activité facilrtatrtoe déptoyée par le locuteur natif (et peut-être plus généralement par
le locuteur «linguistiquement dominant») pourpermettreàson interlocuteur d'accomplir
la tâche scripturale fixée.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à deux phénomènes :
- les représentations de la norme de l'écrit qu'il sera ainsi amené à expliciter,
et leur lien éventuel avec celles développées par l'institution scolaire qu'il n'a
pas encore quittée ;
- sacapacité à satisfaire les besoins d'aide discursive ou linguistique ressentis
par l'alloglotte.
Sur ce dernier point en effet, l'apprenante étrangère va poser des questions
portant sur des phénomènes linguistiques non étudiés en langue maternelle car a
priori largement maîtrisés «naturellement» par tous les élèves francophones (ex :
prépositions, genre des substantifs, déterminants, place de l'adjectif...). Pour y
répondre, Véronique devra «bâtir sa grammaire», (s')expliciter (à elle-même) les
régularités de son fonctionnement linguistique. En effet dans le cadre du «contrat
didactique» qui les lie implicitement, Irma va lui demander non seulement la solution
pratique de ses problèmes de langue mais aussi des explications, des justifications
métalinguistiques plus générales. C'est donc en quelque sorte une grammaire
71
REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD
fonctionnelle du discours écrit, non enseignée scolairement, que notre élève en fin
de scolarité obligatoire, se voit amenée à construire dans ce type de situation.
72
Quand dire, c'est faire... écrire
\ Source des
Natif Alloglotte
\ énoncés à
, .\ problè- Interventions Formulations Interventions Formulations
1 n i - \r moo
.. .. \ mes orales écrites orales écrites
dation \
des \
reformulations \ Langue Inscript
Enfin, dans cette étude centrée sur les activités facilitatrices déployées par un
locuteur natif lors de la réalisation d'un discours écrit, nous nous intéresserons aussi
à la nature plus ou moins explicitement métalinguistique du commentaire qui
accompagne éventuellement la reformulation, et à l'origine de ce besoin éventuel
73
REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD
exemple 5 :
V: ... "que je t'ai promis d'écrire»
exemple 6 :
V : On s'entend bien
de mieux en mieux
toupurs mieux
(cf également exemple «surtout» ci-dessous)
74
Quand dire, c'est faire... écrire
exemple 7 :
V : on est resté... jusqu'à ...
I : Pourquoi ne j'pas jusqu'AU'
V: jusqu'A parce que après c'est six eh :
I : ah ouais
Dans les deux exemples que nous avons cités, l'initiation de la reformulation par
l'alloglotte est produite par des questions explicites «pourquoi (pas) ?» «qu'est-ce
que c'est ?» On trouve des exemples de ces questtons au début comme à la fin de
l'interaction. Elles manifestent - surtout la première - que l'alloglotte conserve
pendant toute l'interaction une exigence de clarification métalinguistique qui dépasse
celle offerte par une simple paraphrase.
D'autre part le caractère général de la question posée montre aussi qu'elle
entend dépasser le contexte discursif particulier de cette tâche précise, pour
connaître d'hypotétiques règles générales de foncttonnement.
On peut y voir une claire manifestation de ce qu'on pourrait appeler un «contrat
scolaire» excédant par ses exigences le contrat didactique postulé par de Pietro et
al. (1987).
Ce dernier ne donnait naissance a priori qu'à des échanges (dits «latéraux» car
ils s'écartent de la ligne directrice de la conversation) de la forme :
- difficulté de production/compréhension,
- reformulation,
- acceptation/reprise.
75
REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD
réf lexivement. Remarquons cependant que Véronique, elle, ne va pas jusqu'au bout
de ce contrat scolaire : si elle produit volontiers des commentaires métalinguistiques
quelquefois d'une certaine longueur par contre elle ne va pas jusqu'à retarder l'apport
d'information afin de faire trouver la réponse à l'alloglotte elle même, suivant un rituel
pédagogique fréquemment utilisé en classe.
76
Quand dire, c'est faire... écrire
Remarquons enfin qu'elle se lasse assez vite de ce rôle. Lors de la phase finale
de la tâche on trouve plus d'hétéro-initiations auto-initiées qu'hétéro-initiées.
exemple 9 :
1: eh: depuis lanu'it...
la nuit ?
ou ehm c 'est'
V pendant
1: pendantla nuit ?
ouehm
V (bas) cette nuit'
1: ehm non non ehm
V avec nos amis'
1: non ehm. .. beaucoup
V (?)
1: ehm nous fait
ehm mieux' ... dans la nuit ... que dans le pur (rit)
V ah SURTOUT P nuit
1: surtout la nuit
V c'est
surtout c'est euh
euh
plus la nuit
1: oui
V aue le iour. surtout
I : ouais «ensemble surtout ...»
L'informateur est alors amené àfaire des hypothèses grammaticales sur le type
d'amélioration que recherche son co-scripteur. A partir du syntagme pointé par celui-
ci «la nuit» et de sa position dans l'énoncé, on constate qu'il procède en deux temps :
77
REPÈRES N° 3/1991 R.BOUCHARD
exemple 1 0 :
On est resté jusqu'à six heures
Après ?
Ehm, c'était très bien
78
Quand dire, c'est faire... écrire
exemple 1 1 :
I : Chère Madame Sûrich
V : On la recopie
I : Non
V : Pourquoi ?
I : (rit) C'esf beau ... comme ça
V : O.k. !
Par ailleurs nous avons constaté qu'il avait tendance, dans le cas de ces co-
scripteurs adolescents, à évoluer sans l'atteindre vers un contrat «scolaire». Ils
sollicitent/ajoutent spontanément des commentaires méta-linguistiques similaires à
ceux attendus dans une classe de langue.
79
REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD
Mais nous voudrions insister pour terminer sur l'intérêt pédagogique immédiat
de l'utilisation en classe de ces activités (relativement) exolingues.
Cette étude voudrait montrer que l'association au sein de groupes de travail
d'élèves «différents», francophones ou non francophones, d'âges ou d'origines,
sociales, géographiques, hétérogènes, peut ne pas apparaître comme une simple
fatalité pour l'école mais comme une possibilité pédagogique supplémentaire. Elle
permet aux élèves les plus à l'aise linguistiquement de développer leur compétence
métalinguistique dans le même temps où leurs camarades moins avancés profitent,
eux, linguistiquement, de cette formation mutuelle.
BIBLIOGRAPHIE
80
Quand dire, c'est faire... écrire
ANNEXE
Le processus et le produit
On écrit ensemble la lettre que je vous ai promis d'écrire. Je suis là depuis une
semaine, maintenant. On fait beaucoup de choses ensemble, surtout la nuit. Paris
la nuit est très bien. Hier, on est allé chez une amie de Véronique et on a vu un copain.
On est resté là jusqu'à six heures. C'était très bien.
Il ne fait pas beau ici. Il y a toujours beaucoup de nuages. A part ça, on s'entend
bien, de mieux en mieux.
J'ai vu Beaubourg et les Halles, les Invalides et le Panthéon, et le Grand et le
Petit Palais. On a vu des cafés la Seine et la Cité, et je suis allée à une soirée, et je
connais déjà un café et un cinéma. On est allé voir I' «Année dernière à Marienbad» ...
81
REPÈRES N" 3/1991 R. BOUCHARD
On écrit ensemble
(1 )
(on/nous ?)
On écrit ensemble la lettre qu'est ce que c'est j'ai drt à Mme S, je vas
écriver un lettre à toi ?
aue je. t
vous ai promis d'écrire.
82
Quand dire, c'est faire... écrire
et (des/les)
les Halles
le Panthéon. Saint-Michel.
les Invalides et le Panthéon, le
Grand et le Petit Palais.
(14) et je
j'ai
je suis allé à un fête
une soirée
un soirée ?
une soirée
83
REPÈRES N" 3/1 991 R. BOUCHARD
ANNEXE 2
Niveau linguistique :
- Grammaire : 2. pour/depuis
2. je va/vais
6. à/la Palais
14,un/une soirée
Niveau discursif :
5. paris la nuit
6/7. on est resté
/on a vu
11. de mieux en mieux
12. (pas de) et
12. (pas de) et
Niveau communicatif
1 . tu/vous
84
Quand dire, c'est faîre... écrire
rée tu écris
comment ?
15.
connais avec
deux n ? avec s,
hein?
116.
"est" comme
ça?
Niveau linguistique : I.qu'estcequec'est... ?
-Grammaire : , . ..,.,, 3. depuis/surtout
7.jusqua/AU ?
9. toujours/beaucoup
12. les/des Halles
12. le/la palais
15.jedéjàcon-
nais, ça marche ?
| 16. pourquoi ne
pas s ? (allé(S) ?
85
L'EMPLOI DE QUELQUES CONNECTEURS
DANS LES RÉCITS
Une tentative de comparaison oral/écrit
chez des enfants de 5 à 11 ans
Serge MOUCHON, Michel FAYOL, Jean Emile GOMBERT
LEAD / CNRS URA 665
lorsque l'enfant - même très jeune - dort s'exprimer à propos de situations de la vie
courante qu'il connaît bien (des "scripts»; cf. sur cette notion, Fayol, 1 985 ; Fayol &
87
REPÈRES N" 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT
Monteil, 1 988), on observe des emplois pertinents de termes tels que avant, après,
ou, mais, parce que, etc.
Les résultats de ces travaux, souvent conduits dans une perspective piagetienne
sont complétés par ceux de Braunwald (1 985) à partir de l'observation longitudinale
de sa fille âgée de 15 à 36 mois. Cet auteur observe que des «connecteurs» se
développent très précocement à partir d'emplois très limités pour ensuite, apparaître
graduellement dans des contextes plus généraux.
A l'oral encore, la prise en considération des contraintes pragmatiques ou
communicatives fait également ressortir les compétences précoces des enfants à
utiliser les «connecteurs» simples. Ainsi, ef apparaît en premier vers l'âge de 25 mois
(Brown, 1 973 ; Scott, 1 984). A la fois marqueur de la continuité discursive (Shiff rin,
1 986) et élément de coordination additive, et apparaît comme plurrf onctionnel à tout
âge (Jeruchimovicz, 1978 ; Peterson & Me Cabe, 1987). L'ordre d'émergence des
autres marques de liaison et des relations sémantiques correspondantes est, à
quelques variations près, le suivant (Pour une revue Kail & Weissenborn, 1984) :
- relation temporelle : alors,
- relation causale : parce que,
- relation additive : mais/soudain/tout à coup.
88
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits
89
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT
MÉTHODE
Cinq groupes de 18 sujets (9 garçons et 9 filles) chacun ont été tirés au sort
parmi un échantillon de 15 classes (représentant quatre niveaux scolaires) : 3 GS,
3 CP, 6 CE2, 3 CM2. Ces sujets ont été répartis en deux groupes seton les modalités
du rappel.
Rappel oral : Dix-huit sujets d'âge moyen 5;4 ans (extrêmes 5;1 à 5;1 0) issus
de Grandes Sections d'écoles maternelles (notés GS).
Dix-huit sujets d'âge moyen 6;4 ans (extrêmes 6;3 à 6 ;1 0) issus de Cours Préparatoires
(notés CP).
Dix-huit sujets d'âge moyen 8;6 ans (extrêmes 8;1 à 8;9) issus de Cours Elémentai¬
res 2ème année (notés CE).
Rappel écrit : Dix-huit sujets d'âge moyen 9;0 ans (extrêmes 8;3 à 9;4) issus
de Cours Elémentaires 2ème année (notés CE.E).
Dix-huit sujets d'âge moyen 1 1 ;0 ans (extrêmes 10;6 à 1 1 ;6) issus de Cours Moyen
2ème année (notés CM).
Dix-huit récits comportant chacun six propositions, chacune illustrée par un dessin,
ont été élaborés. Ces textes ont été conçus, de sorte que leur trame suive l'un des
schémas canoniques d'organisation narrative : Cadre + But + Tentative + (Action vs.
Etat obstacle ou Evénement obstacle) + Résultat + Fin (Fayol, 1985).
90
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits
LES CHAMPIGNONS
1. José aimait beaucoup les champignons.
2. Il avait envie d'aller en ramasser.
3. Il partit dans les prés avec son panier.
SO: 4. Les champignons poussaient partout. 5. lien remplit son panier. 6. José allait
se régaler le soir.
OS: 4 Aucun champignon ne poussait dans les prés. 5. Le panier resta vide. 6. José
n 'allait pas se régaler le soir.
OD:4. Dans un pré un taureau poursuivit José. 5. José nepouvaitplus ramasser de
champignons. 6. Il n'allait pas se régaler le soir.
Chaque sujet traite les 6 récits et les 3 versions mais il ne voit un récit que sous
une seule version. Il s'ensuit que chaque enfant a eu affaire à deux textes de chaque
version (SO/OS/OD).
Les récits ont été présentés par blocs de deux afin d'empêcher un rappel littéral
des propositions. L'expérimentateur avait enregistré au magnétophone les textes et
faisait d'abord entendre chacun d'eux une fois sans aucune illustration puis une
seconde fois en associant un dessin à chaque proposition. Cette procédure visait à
assurer la compréhension et la mémorisation des trames car un faible taux de rappel
eût interdit toute analyse fiable de la distribution des «connecteurs». L'adjonction
d'illustrations permettait, outre la facilitation de la compréhension, de disposer
d'indices de récupération associés chacun à une proposition. Il s'agissait ainsi
d'évrter que certaines informations ne soient pas rappelées et, de ce fart, empêchent
l'analyse des trames narratives de rappels. Après présentation de chaque récit,
l'expérimentateur posait des questtons inf érentielles (pourquoi ?...) afin de s'assurer
de la compréhension des enfants.
Lorsque le premier récit d'un bloc de deux avait été ainsi présenté,
l'expérimentateur procédait de même avec le second. Celafait, ildemandart ators un
rappel du premiertexte en fournissant les images comme indices. Il sollicitait ensurte
de la même manière le rappel du second texte. L'expérimentateur passait ensuite au
bloc des deux récits suivants, et ainsi de suite. La même procédure a été utilisée à
l'oral et à l'écrit. Toutefois, cette dernière condition expérimentale a rendu possible
la passation simultanée par deux sujets, cependant que les enfants ont été vus
individuellement à l'oral.
Tous les rappels oraux ont été enregistrés au magnétophone puis retranscrits
et analysés par catégories narratives. Les rappels écrits ont permis une exploitation
directe. Les taux de rappel des informations prépositionnelles contenues dans les
91
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT
textes sont très élevés (.80 à .90) y compris chez les plus jeunes. La fiabilité des
traitements est donc très grande.
RÉSULTATS
A l'oral comme à l'écrit, chez les plus jeunes comme chez les plus âgés, les
enfants ajoutent systématiquement et massivement des «connecteurs» lors des
rappels. Nous les avons relevés en fonction de l'âge, des versions (SO/OS/OD) et
des sites (devant l'Action ou l'Etat ou l'Evénement en position 4 : noté E ; devant le
Résultat en position 5 : noté R ; devant la Fin en position 6 : notée F). Compte tenu
de la procédure utilisée le nombre obtenu (sur 3 maximum) a été retenu dans les
analyses qui, afin de faciliter la lecture, ne seront pas rapportées. Nous nous
bornerons simplement à signaler la sign'ificativrté ou la non significativité des
variations.
Analyse globale
Les résultats de cette première analyse font apparaître un taux moyen d'emploi
des «connecteurs» double à l'oral par rapport à l'écrit (respectivement 1.49 contre
.762 sur un maximum de 3 tous groupes confondus et 1.36 contre .691 au CE2). A
l'écrrt, on enregistre une légère augmentation en fonction de l'âge (ici confondu avec
le niveau scolaire, de .691 au CE à .833 au CM). A l'inverse, le taux moyen diminue
régulièrement à l'oral de la GS au CE ( de 1 .65 à 1 .36). Toutefois, ces variations ne
sont pas significatives.
Les versions exercent un effet significatif à l'oral comme a l'écrit. Le nombre
moyen de «connecteurs» se révèle plus élevé avec OS et OD qu'avec SO, à l'oral
(respectivement 1.66 et 1.51 contre 1.3) et à l'écrrt (respectivement .842 et .824
contre .620). Enfin, des effets significatifs induits par les différents emplacements
sont présents à l'oral et à l'écrit.
Les «connecteurs» sont massivement rajoutés au début du constituant Evé¬
nement des récits OS et OD (Etat vs Action) à l'écrit comme à l'oral. A l'opposé, ce
même constituant reçoit très peu de «connecteurs» pour la condition SO. Enfin, à
l'écrit comme à l'oral, le nombre moyen de «connecteurs» enregistrés sur le
constituant Fin des trois types de récits suit une distribution très voisine.
Ainsi, cette première analyse globale ne met pas en évidence d'effet associé à
l'âge (H3), ou à la modalité oral/écrit. Dans les deux cas, l'examen des rappels fait
nettement ressortir qu'au-delà de 5 ans, les enfants rajoutent systématiquement des
«connecteurs» et que ces ajouts s'effectuent aux mêmes endroits sous les deux
modalités de rappel. Seule, diffère la proportion globale plus élevée à l'oral qu'à
l'écrit.
Cette analyse tend donc à confirmer le rôle joué par les trames événementielles:
dès qu'elles sont compréhensibles par les enfants, elles entraînent la mobilisation
des «connecteurs» pertinents. Ceux-ci apparaissent majorrtairement lorsque le récrt
fait référence à une complication (statique ou dynamique) (H1.1). De plus, ils se
situent à des emplacements identiques, à l'oral comme à l'écrit, essentiellement
devant le constituant Evénement pourOS et OD.L'étudedes différents «connecteurs»
devrait permettre de préciser ces farts.
92
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits
ET: c'est le «connecteur» le plus employé par tous les enfants, à tous les âges,
à l'oral plus encore qu'à l'écrit (.96 contre .37 tous groupes confondus et .81 contre
.32 au CE2). Cependant, la fréquence de efdiminue en fonction de l'âge à l'oral (1 .07
en GS, 1 au CP, .81 au CM), mais tend légèrement à croître à l'écrit (.32 au CE, .42
au CM) sans que ces variations soient significatives. En revanche, à l'oral comme à
l'écrit, les Versions exercent un effet significatif sur le taux moyen d'emploi de ef (1 .25
avec SO contre .75 et .90 avec OS et OD à l'oral ; .60 avec SO contre .21 et .31 avec
OS et OD à l'écrit). Et apparaît donc essentiellement et massivement avec SO.
L'impact des Emplacements est, lui aussi, significatif, à l'écrit comme à l'oral.
Ainsi, et est surtout employé dans le cadre de trames événementielles banales. A
l'écrit, il se répartit entre Fin et Résultat (respectivement .472 et .620), et à l'oral il se
situe majorrtairement devant le constituant Fin (1.45 contre .79 à Résultat et .64 à
Evénement). Il semble ainsi que ef fonctionne à l'oral et à l'écrit, mais plus encore à
l'oral, comme un marqueur textuel signalant l'achèvement de la narration (pour une
observation semblable dans des analyses de corpus, Cf. Fayol, 1981, p. 465 et
suivantes). Par ailleurs, ef est aussi utilisé, à l'oral comme à l'écrit, mais cette fois
surtout à l'écrit, comme un marqueur reliant des propositions entretenant entre elles
un rapport que l'enfant pourrait signaler avec «donc» ou «ators» (Eisenberg, 1 980).
En outre, la supériorité de la fréquence de ef à l'oral, avérée quel que sort l'empla¬
cement et/ou le type de trames peut résulter du recours à une «routine énonciative»
nécessaire au maintien de la continuité énonciative du monologue. Cette stratégie
de conservation de la parole est superflue à l'écrit puisque le texte ne sera soumis
au lecteur qu'une fois achevé.
MAIS : L'emploi de ce «connecteur» est stable à l'oral et à l'écrit, quel que soit
l'âge (.29 en GS, .30 au CP et .31 au CE pour l'oral ; .27 au CE, .27 au CM pour l'écrit).
L'effet associé aux versions se révèle très net à l'oral comme à l'écrit : seules
les trames OS et OD suscitent l'emploi de mais (.51 avec OS et .29 avecOD à l'écrit ;
.60 avec OS et .28 avec OD à l'oral tous groupes confondus et, respectivement, .26
et .13 contre .72 et .22 au CE2).
93
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT
ALORS : Plus fréquent à l'oral qu'à l'écrit, alors n'a toutefois pu faire l'objet
d'analyses statistiques en raison du faible taux d'occurrences. Après une chute à
l'oral entre laGS et le CP (.24 à. 10), la fréquence moyenne tend à augmenter du CP
au CE (.10 à .15). Elle croît également à l'écrit (de .04 au CE à .12 au CM). A l'oral
comme à l'écrit, ators est surtout présent dans les versions OS (.31 contre .03 avec
SO et .1 6 avec OD à l'oral; .16 contre 0 et .07 avec SO et OD à l'écrit). De plus, 1 8
des 33 emplois de ators repérés à l'oral et 1 6 sur 1 7 à l'écrit sont en co-occurrence
avec mais. Ces farts tendent à montrer que, à l'oral comme à l'écrit, les enfants
utilisent le «connecteur» ators de manière assez semblable pour introduire la ré¬
solution subséquente à une complication statique amorcée par mais. (Par ex.: « ...
mais la couleur lui plaisait pas alors il trouvait toujours sa chambre triste «; S1 8, CE
à l'oral. «... mais il était trop mouillé. Ators, ils ne ramassèrent pas le foin «;S 5, CM
à l'écrit).
DISCUSSION
94
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits
ici étudiés, à l'oral. A l'écrit, le même phénomène s'observe dès que l'enfant maîtrise
cette modalité. Il semble que le contrôle exercé sur les trames afin de rendre leur
structure et leur niveau de complexité identiques à l'oral et à l'écrit ait abouti à
permettre l'emploi, chez tous les enfants, à tous les âges, des «connecteurs»
élémentaires ef / alors / mais / soudain / tout à coup.
Ensuite, en accord avec nos hypothèses, on observe à l'oral comme à l'écrit que
- la fréquence d'occurrence des «connecteurs» s'élève en présence d'un
obstacle ou d'une complication (H1.1) ;
- les «connecteurs» se diversifient seton les différents types de trames :
efapparaît surtout avec les séquences rapportant desfarts banals («scripts») ;
mais en présence d'obstacles statiques ;
soudain /tout à coup avec la survenue d'événements inattendus (H1 .2) ;
- laf réquence d'occurrence des «connecteurs» varie avec les sites et les types
de trames (H2).
Les «connecteurs» apparaissent massivement en tête du 4ème constituant
narratif, celui qui introduit l'obstacle statique (dans OS) ou l'événement inattendu
(dans OD).
En revanche, lorsque la trame est de type "script» les «connecteurs» se situent
presque exclusivement devant les 5ème et/ou 6ème constituants (Résultat et Fin) ;
cet effet est essentiellement dû à l'augmentation delà proportion de ef dans les versions
SO.
95
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT
orthographe, etc..) est elle-même acquise, voire automatisée. Or, cette automati¬
sation n'est que partiellement assurée chez l'enfant de 1 0-1 1 ans. Et les activités de
traitement «superficiel», encore conscientes, entraînent vraisemblablement encore
une surcharge attentionnelle. Le sujet ne disposerait donc plus d'une capacrté
d'attentton suffisante pour effectuer des traitements de «haut-niveau» exiges par
l'élaboration de récits plus complexes. Il n'y parviendrait qu'au terme de plusieurs
années d'apprentissage.
Par ailleurs, la situation monologique dans laquelle se trouve l'enfant écrivant,
en l'absence d'objectifs communicatifs immédiats et sans contexte socialement
motivant le prive de rétroactions («feedback»). Elle exclut le recours à un réfèrent
situationnel, supprime la possibilrté d'utiliser les faits prosodiques (débit, mélodie,
rythme, etc.) et contraint le scripteur à recourir à des systèmes de marquage
complexes dont il n'a pas encore la maîtrise complète. Enfin, les représentations
attachées à la langue écrite (respect des conventions, qualité du style, etc.) exigent
du locuteur une élaboration et une surveillance particulières de son discours. Celui-
ci doit être explicite et conforme aux normes linguistiques.
L'ensemble de ces contraintes limite vraisemblablement davantage encore, les
possibilités des plus jeunes.
96
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits
REFERENCES
97
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT
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98
LE CONTE COMME OUTIL DE MÉDIATION
EN SITUATION INTERCULTURELLE
Nadine DECOURT
CEFISEM, École Normale de Lyon
Le travail qui va être exposé ici s'inscrit dans le champ mouvant et problématique
de la scolarisation des enfants de migrants. Il a eu pour principal point d'ancrage deux
écoles et un collège où le pourcentage de la population immigrée varie entre 38 et
56 %.
Comment procéder avec des élèves doublement étrangers à la culture de
l'école, du fait de leurs conditions de vie et de leurs cultures d'appartenance, pour les
amener à la maîtrise de l'écrit ? N'y aurait-il pas moyen de convertir en avantage le
«handicap» de l'écart culturel, de trouver entre l'école et la famille des médiations ?
Il m'a semblé que le conte pouvait offrir cette ressource et qu'il y avait fort à parier
sur une pratique concertée de la littérature orale. Le présent article tâchera de
développer et d'argumenter ce propos, de montrer comment de l'idée de médiation
entre oral et écrit nous avons été amenés, adultes et enfants, à opérer un véritable
transfert d'expérience de la variabilité du conte oral à la variation de l'écriture.
La recherche (ou l'aventure ?) dont procède cet article, est placée sous la
direction de Jean PERROT (professeur, Paris XIII) et a reçu l'appui vigilant de
Camille LACOSTE-DUJARDIN (directeur de recherche et d'étude, CNRS-EHESS)
ainsi que de C. BONN (professeur Paris XIII). Elle va donner lieu par ailleurs à un
article dans la revue du CNRS Littérature orale arabo-berbère (à paraître) : «Le conte
maghrébin dans tous ses états ou les enjeux de la variation pluriculturelle».
1. HYPOTHÈSES DE TRAVAIL
99
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT
marque que peut lui renvoyer la société d'accueil. Pourtant l'usage pédagogique qui
caractérise notre culture du conte pourrait être l'argument même d'une relance de la
transmission. De fait, le conte ne pourrait-il entrer dans un disposrtif de lutte pour la
réussite scolaire des «enfants de la tradition orale» (même si ces derniers sont aussi
les «enfants de la télévision») ? Il s'agirait, à travers lui, de débloquer l'imaginaire qui
s'est arrêté, explique le psychothérapeute Abdessalem Yayaoui (4), avec le
franchissement des frontières.
Le deuxième constat est celui d'une rupture entre la culture de l'école et les
cultures du foyer, entre les pratiques langagières et les moyens de transmission du
savoir qui opèrent plus ou moins bien de chaque côté. Si les enfants de l'immigration
constituent un ensemble hétérogène (du fart de l'âge, de l'appartenance ethnique,
des trajectoires familiales propres), ils partagent cependant le plus souvent une
grande difficulté à maîtriser l'écrrt exigé à l'école, à accéder à ce que Geneviève
Vermes appelle un " usage décontextualisé du Pngage»(5). Ces difficultés sont sans
doute communes à bien d'autres enfants français de même milieu socio-culturel et
tout aussi étrangers à la culture graphique en vigueur à l'école. Cependant il y a peut-
être à parier avec les premiers, sur les ressources d'un parler bilingue en voie de
réhabilitation, sur leur capacité à passer d'une culture à l'autre, à prendre des repères
de nature à développer une flexibilité cognitive. Cela suppose, selon Josiane F.
Hamers (6), une représentation positive des langues-cultures en présence, de même
qu'un complet exercice des compétences langagières dans l'une et l'autre langue.
Or la langue maternelle, chargée d'affect et de valeur symbolique, devient souvent
un simple moyen de communication ordinaire. Redonner droit de cité au conte dans
la famille ne pourrart-t-il, à cet égard, opérer à la fois une nécessaire légitimation de
la langue du foyer et la restauration de son plein usage ? Quant aux enfants qui ne
comprennent plus leur langue d'origine, ce n'est pas pour autant qu'ils ont évacué la
question précisément de leurorigine et de leurfiliation, dans une société quiconteste
à tout bout de champ leur choix d'identité ; il importe de leur fournir des possibilités
et des stratégies de repérage.
100
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
2. QUESTIONS DE MÉTHODE
101
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT
102
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
pas pareil», il s'agrt là d'une phase stratégique, puisque l'écrit entre en scène et que
s'y détermine, dans une élaboration collective, le canevas (voire le «contrat») de
réécriture.
103
REP ÈRES N° 3/1 99 1 N. DECOURT
approche. Signalons tout d'abord l'étude de Guy Denhière (12), qui s'attache
précisément aux règles de transformation du récit à partir des phénomènes de
compréhension et de rappel. Elle nous a été particulièrement précieuse tant pour
l'analyse des versions immigrées du collectage préalable que pour celle des
transformations opérées par les enfants dans leurs propres récits. Il n'est ators que
de suivre Joseph Courtes dans sa ronde des motifs (13) pour ne pas céder à la
tentation de réduire le conte à un pur enchaînement narratif. Ce dernier propose en
effet une sémio-poétique qui redonne au conte toute sa densité et à la moindre
variante tout son prix : «Un des acquis de notre recherche est au moins celui-ci : au
début de notre propos, nous avons émis ridée seton laquelle le figuratif, pour avoir
sens, devait être sous-tendu par une forme thématico-narrative déterminée; puis
nous nous sommes aperçu qu'il existe une autre forme d'organisation des figures
non plus située sur l'axe syntagmatique, mais sur celui paradigmatpue, qui permet,
elle aussi, de donner un sens, mais cette fois autre, de type plutôt connotatif. Point
n'est besoin désormais, en effet, de reverser ce «surplus de sens» que donnent par
exemple les triades «soleil» / «lune» / «étoile» et «noix» / «noisette» / «amande» au
compte de l'esthétique ou de la stylistique, comme l'ont fait si souvent jusqu'bi les
folkloristes. Car il est clair maintenant que ces «détails» («soleil» /«lune» /«étoile»,
«noix» /«noisette» /«amande»), loin d'être gratuits, fruits du hasard, de l'enpl'rvement,
sont en fa'rtjustificîables, sémiotpuement parlant, d'un autre type d'organisation, de
caractère paradigmatpue, que les narratotogues patentés risquent fort d'oublier, et
qui rend compte, pour une bonne part, de la densité sémantique de nos traditions
populaires.» (14)
En ce qui concerne plus particulièrement l'articulation oral/écrit en jeu dans la
variation et dans son exploitation pédagogique, je me suis appuyée tout d'abord sur
les travaux de Jack Goody (15) pour puiser dans son plaidoyer pour la «Raison
graphique» matière à mieux concevoir le rôle de l'écrit dans les activités de
comparaison. Son analyse de l'écriture comme mode spécifique de traitement des
données est en effet une invitation à enseigner l'écrit autrement, à apporter des
repères entre les avantages respectifs de l'oral et de l'écrit sans exclusive ni
discrimination. D'autre part Jack Goody, dans son éloge de la rature, devance le
plaidoyer joyeux de Bernard Cerquiglini, intitulé, de fait, Eloge de la variante (1 6).
L'auteur, en qualité de spécialiste de la littérature médiévale, y remet en question
notre conception du «texte» comme intangible, unique, figé une fois pour toutes dans
une forme inaltérable. A travers tant les manuscrits du Moyen Age que les logiciels
de trartement de texte, il nous encourage à nous représenter et à vivre l'écriture
comme instance de mouvement et de liberté. Cette variabilité dans et par l'écriture
pourrait être mise en rapport et en opposition (telle a du moins été notre démarche)
avec la variabilité du texte oral, telle qu'elle se dégage des travaux de Paulette
Galand-Pernet (17) et de Camille Lacoste (18). Spécialistes de littérature orale
arabo-berbère, celles-ci ont mis en évidence un «système de signaux démarcatifs»
qui, par leur redondance même à la surface du texte, guident l'auditeur dans le
découpage du conte. Indicateurs de temps et de lieu, verbes de déplacement et
d'introduction de discours, noms propres, formules etc., ces signaux démarcatifs
créent des effets de symétrie véritablement constitutifs d'une poétique du texte oral.
Ces divers apports théoriques nous ont donc servi d'appuis pour imaginer une
constellation de pratiques puisant dans les ressources de l'oral comme dans les
ressources de l'écrit, l'objectif étant d'aider des enfants à s'approprier les deux
104
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
systèmes en s'aidant de l'un pour mieux repérer l'autre et réciproquement. Ils ont
fourni en même temps des outils précieux pour une analyse comparative des textes
collectés et des textes produits, laquelle a été choisie comme pièce maîtresse du
dispositif d'évaluation.
105
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT
106
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
fautes à la place. Certains sont restés très près d'un modèle. Par exemple, fort
impressionnés par une version de «La vache des orphelins», ils ont suivi le conte
maghrébin, s'ingéniant à remplacer la vache par quelque chèvre nourricière ; mais
les infimes différences relevées ne disent pas moins une prise de possession du
conte, qu'ils ont écrit long, avec plaisir. D'autres se sont attardés sur le récit des
persécutions, d'autres se sont laissés entraînés par le stéréotype du mariage,
arrêtant brutalement leur narration à mi-parcours. D'autres ont recherché les effets
de surprise, déjà tout à leur succès d'auteurs. Quant à Disteh, un élève de CM 2
d'origine congolaise, il a recueilli tous les suffrages, en prenant la gageure de mettre
en scène dès le départ non pas un frère et une soeur mais un frère et son demi-frère.
S'il exprimait par là quelques difficultés personnelles, il n'en a pas moins joué avec
un véritable casse-tête narratif : justifier le mariage du roi avec le demi-frère. Nous
prendrons donc appui sur son texte, donné intégralement en annexe, pour mieux
démontrer le caractère heuristique de la variation dans la logique imaginative de
l'enfant. De fait le récit de Disteh fourmille de notations qui laissent paraître la malice
du conteur et renforcent la cohérence du texte. Disteh sait opposer l'insouciance du
père au sentiment de culpabilité éprouvée par la fille après la mort de sa mère. Les
persécutions exercées par la marâtre sont notées du point de vue d'un enfant jaloux
du sort réservé à son petit frère. Le complot de la marâtre, emprunté à la version
slovaque du conte (20), est lui aussi traité au plus près des représentations de
l'enfant : "Puis une nuit Bemba, le petit frère de FidélP, chercha sa bille et vit la bille
devant la chambre de son demi-frère. Il se rapprocha pour le prendre et entendit la
marâtre dire que le lendemain elle allait les vendre quepue part». Fart autobiogra¬
phique, gâterie supplémentaire ou trait de culture, le petit frère a, lui, le privilège de
dormir dans lachambre de ses parents. Le motif de la bille nouscondurt en fart devant
la chambre des parents, comme aux portes de la scène primitive. Enfin Disteh
propose un motif tout aussi familier pour mettre en scène la transgression de
l'interdiction de boire : "Il fit exprès de s 'évanouir et roula pour être plus près de la
source.» La feinte de l'évanouissement vient ici se substituer au prétexte de l'oubli
(talisman, flèche, chaussure ou livre) trouvé dans notre corpus. Place est donnée au
corps, au jeu, à l'enfance, dans une création originale. Il n'est pas jusqu'à
I' "hippopotame magique» qui art enchanté les enfants, un hippopotame alliant le
merveilleux du conte et la réalité de l'animal.
107
REPÈRES N° 3/1 991 N. DECOURT
conforme à leurs principaux traits d'opposition : le lion (déjà présent dans la version
nivernaise), le cerf (animal le plusf réquent de notre corpus) et une souris de leur crû,
tradrtionnelle ennemie des puissants de ce monde. Partis d'une commutation
mécanique («La soeur n'a pas le temps de dire non que le petit frère se transforme
en IPn/ced/souris») les voilà qui travaillent la scène de la métamorphose, jouent sur
les temps et les artifices de présentation, avant d'énoncer une conclusion qu'ils
répètent dans chaque unité :
p. 10
Soeurette se retourna, mais c'était trop tard. Frérot était transformé en un cerf
au regard triste et au poil doux.
La pauvre soeur était désespérée de voir son malheureux frère transformé en
animal après avoir bu l'eau magique. Ils se réfugient tous les deux dans une
grotte. Tous les matins, Soeurette va boire à la rivière et se rince le visage.
p. 11
Quand Frérot boit l'eau, immédiatement il se transforme en un lion au pelage
marron clair et à la crinière blonde. C'est un lion effrayant mais inoffensif. ...
p. 12
Soeurette n'a pas le temps de l'empêcher de boire. Frérot boit l'eau et le voilà
transformé en petite souris grise aux yeux brillants. ...
La répétition prend du même coup valeur poétique pour qui lit plusieurs
parcours.
Sous l'impulsion de la qualif icatton animalière, les auteurs vont interpréter à leur
manière la négociation du mariage entre la soeur et le prince (la plupart des versions
maghrébines mettent en scène le motif de la montée dans l'arbre et de la ruse de la
vieille Settoute pourfaire descendre la jeune fille prudemment réfugiée en haut d'un
palmier-dattier).
A la demande de protection du frère posée, dans toutes les versions, comme
condition au mariage, ils vont, eux, ajouter une scène de capture. Moyen dechantage
pour le prince qui a donné l'ordre d'arrêter l'animal, c'est aussi le moyen de déployer
«l'excès joyeux» de la variation, pour reprendre les termes de Bernard Cerquiglini :
p. 21
«Oui, sepneur» répondirent les gardes.
Ils utilisèrent un piège et un filet. Dès que le cerf en sortant se promener, mit la
patte dans le piège, ils jetèrent le filet sur lui. Le cerf était prisonnier. Il ne pouvait
plus bouger.
p. 49
Les gardes discutèrent entre eux :
«Comment va-t-on faire? Il faut trouver un piège pour capturer P lion.»
Un des gardes dit : «Nous allons creuser un grand trou et le recouvrir de
branches. Nous attacherons un agneau de l'autre côté du trou. L 'agneau va crier
et le lion entendra les cris de l'agneau. Alors il s'approchera pour le prendre et
il tombera dans le trou et nous pourrons l'attraper.»
Les gardes firent aussitôt ce que leur camarade avait dit, la ruse réussit. Le lion
fut fait prisonnier. »
108
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
p. 50
Le capitaine ordonne à un de ses gardes d'aller chercher une petite cage et du
fromage pour attraper la souris.
limit P fromage dans la cage et accrocha P ficelle. La souris était prisonnière,
elle ne pouvait plus se sauver. Le capitaine l'emmena au prince.
p. 17
Le prince demanda à Soeurette de se marier avec lui.
Soeurette hésita un moment, puis elle drt :
«J'accepte, mais à une condition, je veux garder avec moi mon frère qui a été
transformé en cerf en buvant de l'eau magique. Il ne faudrait pas lui faire de
mal.»
te prince jura de ne pas tuer son frère
p. 47
Quand le prince la demande en mariage, elle lui drt :
«A une condition vous ne fartes aucun mal au Ibn.» Et elle lui raconte toute
l'histoire.
Soeurette fit mettre son frère dans une immense cage aménagée pour qu'il ne
s'ennuie pas. Tous les purs elle lui rendait visite et lui donnait à manger.
Elle lui parlait, mais Une lui répondait pas. Mais il la regardait gentiment.
p. 48
Soeurette décida d'accepter le mariage à une condition : que la petite souris soit
l'amie de tout le royaume. Ainsi elle sera nourrie trois fois parjour dans la plus
luxueuse des cages. Et surtout aucun chat ne sera autorisé à rentrer dans le
palais.
109
REPÈRES N° 3/1 991 N. DECOURT
110
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
Enfin, dans l'hypothèse même d'une médiation entre culture de l'oral et culture
de l'écrrt, un intérêt tout particulier estàporter sur l'établissement et le traitement des
textes du collectage. D'une part l'enfant ne peut, de manière positive, corriger le texte
de sa mère que si tous les moyens sont mis en oeuvre pour lui faire apprécier la
qualité intrinsèque de la narration originale, par-delà les erreurs de morpho-syntaxe,
les confusions de registres de langue ou les approximations de vocabulaire, lise peut
que l'enseignant ne résiste pas aux normes qui lui ont été inculquées et qu'il inculque
à son tour. Il importe donc de veiller tout particulièrement à une esthétique de la
réception des nouvelles formes de la tradition orale en immigration L'outil, sinon, se
retournerait contre ses utilisateurs. D'autre part la même vigilance est à apporter
dans la transcription de ces contes immigrés et dans leur lecture. Les recueils
actuellement disponibles ont souvent été composés dans l'urgence de productions
pédagogiques, soucieuses avant tout de restaurer des liens entre générations,
d'établir des passerelles entre l'école et les familles. La question du texte se trouve
réduite à une recherche de lisibilité, laquelle s'exerce (il faut bien le reconnaître) dans
le registre d'un écrit scolaire. Peuvent alors disparaître tous les signaux démarcatifs,
déjà évoqués et, avec eux, le système des résonances et des symétries dont les
spécialistes de littérature orale ont analysé la force. Le passage à l'écrit risque par
là-même de procéder à un véritable laminage du texte, à l'opposé des transpositions
créatrices qui en préserveraient la saveur. Du même coup s'effondrerait tout l'édifice
échafaudé. A manquer la spécificité de l'objet littéraire, l'on manquerait assurément,
à terme, l'efficacité de l'outil pédagogique et didactique.
On s'est contenté, ici, d'ouvrir des pistes. Les lecteurs n'ont pas manqué de
percevoir «l'énormité» de l'entreprise : prendre du recul dans les champs "mouvants
et piégés de l'interculturel, revisiter le conte comme objet littéraire, au statut
problématique en immigration, à la lumière des développements récents de l'analyse
textuelle, gérer les divers aléas (collectage auprès des familles immigrées, mise en
confiance des uns et des autres, problèmes de traduction, interventions en pointillés
sur le terrain seton les disponibilités du chercheur - formatrice à temps plein -),
analyser, en l'absence de modèles constitués, au croisement des cultures et des
111
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT
ANNEXES :
Retour de F
112
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
2) Version de Disteh
Il était une fois un homme qui vivait heureux dans un village nommé Madtva avec
sa femme et sa fille.
FPélie, la fille, voulait avoir un petit frère, fe père et la mère acceptèrent
Quepues mois plus tard, la mère était surP point d'accoucher. Malheureuse¬
ment, à l'accouchement, la mère mourut alto avait eu un mignon petit garçon et elle
n'avait pas eu le temps de fe voir !
FPélie se sentait un peu coupable, son père, lui, c'était différent; il ne pensait
qu'à se remarier.
Un mois plus tard le père se maria et eut un charmant petit garçon. Sa nouvelle
mère était méchante, elle disait toupurs que son fils était plus jeune et qu'il devait
avoir un tas de choses. Elle leur demandait de faire des travaux qu'une fille de douze
ans et un garçon de huit ans ne devaient pas faire. Les enfants voulaient aller au
marché, mais elle ne voulait pas. Elle préférait y aller avec son fils pour lui acheter
plein de choses.
Puisunenurt, Bemba, PpefrtfrèredeFidélie, chercha sa bille et vit la bille devant
la chambrede son demi-frère. Il se rapprocha pour la prendre et il entendit P marâtre
dire que le lendemain elle allait les vendre quepue part. En entendant raconter cela
le frère courut tout raconter à sa soeur. Ils s'enfuirent dans la forêt, dans le noir.
Le pur se leva. Les deux enfants poursuivirent leur chemin jusqu'à une source
où parterre il était écrit : «Celui qui boira cette eau sera transformé en hippopotame
magique.» Fidélie lut à son frère le message et lui conseilla de ne pas boire. Bemba,
lui, il s'en moquait. Ilfitexprès de s'évanouir et roula pour être plus près delà source.
Il but et se transforma aPrs en hippopotame. Fidélie ne trouvait plus son frère, alors
elle courut vers la source et vit qu'il était transformé en hippopotame. Elle l'emmena
dans une cabane qui se trouvait devant un pommPr. Ils se nourrissaient toupurs de
pommes et buvaient l'eau du pays qui était tout proche.
Quatre ans passèrent Fidélie était déjà une belle jeune femme. Un jour un roi
qui se promenait avec son chien et ses gardes vit la vieille cabane. Il regarda dedans
et vit fa belle jeune femme. Le roi tomba tout de suite amoureux d'elle et lui proposa
de se marier avec lui. Fidélie avait déjà l'âge de se marier, elle accepta et ils eurent
un enfant très beau. Avant de s'enfuir, Fidélie avait écrit une lettre et son père l'avait
lue. Dans cette lettre, il était écrit que la marâtre voulait les vendre. Le père, en lisant
cela, chassa sa deuxième épouse et son deuxième fils, lis recherchèrent tous les
deux Fidélie et Bemba pour les tuer et, un beau pur, ils arrivèrent devant le château
du roi. Quand ils virent la reine et l'hippopotame, ils les reconnurent Un beau matin
la vieille mère invita la reine à venir visiter la prison et d'un coup elle l'assomma, la
recouvrit de boue et la poussa denière Ps barreaux. Pendant ce temps le roi, qui était
en promenade dans la forêt, revint. Une trouva plus sa femme. A la place de sa femme
il y avait un homme! Le roi drt :
- Que faites-vous P ?
- Tu ne me reconnais pas ? Je suis ta femme.
- Ma femme, ce n 'est pas un homme! reprit le roi.
- C'estnormal. Montrera, l'hippopotame magique, m'atransformée en homme;
il faut te tuer pour que je redevienne une femme.
- Comme tu voudras.
113
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT
La vieille dame et son fils ne savaient pas que la carapace d'un hippopotame
était dure. Le roi emmena des soldats et tira sur l'hippopotame mais ce mammifère
résista. Alors les soldats l'emmenèrent dans la prison et l'enfermèrent pour le tuerie
lendemain. Le roi s'était arrêté devant tes barreaux où se trouvait la femme
recouverte de boue. Ilpensa un moment que c'était peut-être sa femme mais il oublia
vite cette idée et ne chercha pas à comprendre.
Le roi était très malheureux et le bébé aussi ! Le roi retourna à la prison avec un
seau d'eau et s'arrêta encore devant la cage de la femme au visage plein de boue.
Il ouvrit la cage et nettoya la figure de la jeune dame et vit que c'était sa femme. Après
avoir délivré l'hippopotame, la reine raconta tout au roi. Le roi fit emprisonner la vieille
dame et son fils en leur mettant de la boue sur le visage. Quant au petit frère Bemba,
il fut transformé en un jeune garçon de quatorze ans.
2) Conte et variation
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114
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
NOTES
1 2) DENHIERE (G.), // était une fois... Compréhension et souvenir de récits, Presses Univer¬
115
EXPLIQUER À L'ORAL, À L'ÉCRIT,
EN SCIENCES
(Cours Moyen 1 et 2)
Gilbert DUCANCEL
Équipe INRP de l'École Normale d'Amiens
117
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
S'il est clair qu' «expliquer, c'est faire comprendre», il est clair aussi que la visée
explicative ne suffit pas à définir le discours explicatif comme tel. En effet, tout type
de discours peut avoir une fonction explicative dans telle srtuation, dans tel contexte,
peut s'y interpréter comme une explication.
On se centre alors sur un acte de langage, expliquer, et l'on vise àfaire découvrir
la variété des conduites langagières explicatives. On travaille avant tout au niveau
pragmatique. Au plan discursif, par contre, on n'aperçoit pas bien quels apprentis¬
sages spécifiques peuvent être visés par le maître. L'équipe partage, surce plan, le
point de vue de J. Caron (1983, cité par J.F. Halte, 1988) seton lequel on se trouve
ators devant «la totalité indéfinie des déterminations empiriques. Domaine
inanalysable, informe.»
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Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
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REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
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Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
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REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
français et enseignement des sciences, mais Ils y font obstacle. Le Plan de Ré¬
novation de l'Enseignement du Français (INRP, 1 972) les recherches des Équipes
Sciences Expérimentales de l'INRP (1973 ; 1976), la recherche interdisciplinaire
Français - Éveil scientifique (INRP 1 980 ; INRP 1 983) se srtuent, au contraire, dans
une perspective que l'on pourrait appeler de double fonctionnalité.
discours oraux et écrits en classe de sciences (p. ex. S. Fabre et M.A. Livet dans
INRP, 1980, pour l'oral ; M. Pechevy, Partie 3.2.1. , dans INRP, 1983, pour l'écrit).
Les équipes engagées dans la recherche inter-disciplinaire Français-Éveil
scientifique ont été conduites à se poser la question du rôle de l'oral, de celui de
l'écrit dans l'investigation scientifique. Des recherches antérieures des équipes
INRP-Français avaient déjà formulé le problème didactique en des termes qui
récusaient une dichotomie allant parfois jusqu'à l'affirmation qu'on a affaire à deux
langues. Ainsi, s'appuyant sur des travaux de F. François, de L Lentin, C. Nique écrit
à propos du travail sur l'oral pour l'apprentissage de l'écrit :
"Il n'y a pas deux langues, mais il y a deux usages de la langue :
- un usage par lequel on parle de quepue chose qui n 'est pas commun aux
deux interlocuteurs, et qui se manifeste le plus souvent à l'écrit, mais aussi
à l'oral (...)
- un usage par lequel on parle de quepue chose de complètement commun
aux deux interlocuteurs. C'est l'oral familier le plus souvent, mais aussi l'écrit
des brouillons, de certaines correspondances... (...)
(En conséquence), il s'agit d'apprendre à maîtriser l'usage «à distance» de la
langue, à l'oral et à l'écrit » (dans E. Charmeux, G. Ducancel, J. Zonabend, 1 985).
G. Ducancel (2.2.2 et3.2.2. dans INRP, 1 983) reprend ladistinction de ces deux
usages de la langue dans les activités scientifiques, à partir de l'analyse des
discours que les enfants y tiennent. Il note, en particulier, que dans situations où les
interlocuteurs sont en présence et effectuent la même activité les discours oraux ont
des caractéristiques de l'écrit scientifique (en particulier, élimination de l'allusif, de
l'implicite, enonciation à la 3* personne, dénomination de variables en jeu, énoncé
de leurs effets, ...) quand ils s'efforcent d'explicrter leurs représentations, leurs
conceptions différentes du phénomène, d'expliquer ce qu'ils ont observé ou le
résultat de leurs expériences. "Cependant, un tel oral (...) n'inscrit pas les signes,
(...) ne fixe pas les énoncés, qui se prêtent donc moins (que l'écrit), à l'analyse, à la
critique, aux corrections, aux approximations successives...». Pour que ces
122
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
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REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
Ces activités suscitent certains problèmes qui ne sont pas propres au domaine
scientifique. Il en est ainsi du foncttonnement des groupes d'élèves, des conflits qui
y éclatent parfois. Par exemple, les deux filles d'un groupe ne veulent pas que le
troisième élève, un garçon, écrive. Chacun explique et justifie son désir, son refus :
- « Vous ne faites pas du travail soigné.
- Toi, tu tapes les filles.
- Je tes fape parce qu'elles me tapent
(...)
- Vous fartes plein de fautes.» Etc..
Les filles gardent le marqueur. Ce sont les explications orthographiques que le
garçon leur donnera (« Une centaine sans s : une ,(...) d'os, là, pas d's. Hyena déjà
un.») qui les décideront finalement à le lui confier (Châteaudun).
124
Expliquera l'oral, à l'écrit, en sciences
Les problèmes de cette nature n'ont pas de rapport direct avec les problèmes
cognitifs potentiels que peut susciter l'activité scientifique entreprise. Cependant,
tant que les groupes sont centrés sur leur propre fonctionnement et non sur les
tâches à accomplir, celles-ci n'avancent guère, et les élèves ne se focalisent pas sur
la compréhension des phénomènes à l'étude. Ainsi, dans le groupe pris en exemple,
le garçon qui a conquis le marqueur écrit ensuite ce qui lui convient, sansque les deux
filles ne veuillent ni ne puissent intervenir. La résolution des problèmes interindividuels
dans les groupes et la centratton de ceux-ci sur les problèmes d'ordre cognrtif sont
donc des préalables à la production d'explications y ayant trait
Dans d'autres cas, les problèmes et les explications semblent ne pas avoir
d'implication scientifique, mais se révèlent être, en fait, sous-tendus par une visée ou
un obstacle de cet ordre, que l'interlocution explicite plus ou moins.
- "C'est parce qu'on a des muscles. Mais il faut qu'ily art quepue chose qui les
fasse marcher.»
- "Sans se déplacer, on ne pourrart pas se nourrir, aller chercher des choses... »
Les explications finalistes sont bientôt rejetées. Bien que la justification du rejet
ne concerne pas explicitement la formulation en «pourquoi», les élèves reformulent
la question en «comment» :
La question est reformulée afin qu'elle sort compatible avec des essais d'ex¬
plications ayanttrart au processus, au rôle des muscles, des os, du cerveau, afin que
le couple discursif questionnement - résolution sort cohérent thématiquement.
Dans d'autres cas, les explications concernent seulement, en première appa¬
rence, des problèmes techniques, la réalisation technique de dispositifs.
Deux élèves représentent par des dessins schématiques ce qu'elles ont fait
pour allumer une ampoule avec une pile plate (Bapaume). Elles expliquent, à côté,
de leurs dessins :
- On pose l'ampoule sur la petite bane en posant la grande barre entre les trous
(= le pas de vis)
- On pose l'ampoule sur la grande barre en posant la petite barre entre les trous.
125
REPÈRES N" 3/1991 G. DUCANCEL
Gr. 6. - "Avec une cuillère, on enlève que qui est dans l'eau rouge, ou avec une
passoire. Si le rouge est dur, on essaie de le fondre... de le faire cuire pour
l'évaporation.
Autres E. - Si ça fond pas ?
Gr. 6. - On essaiera autrement
Autres E. - Si c'est des petits grains, vous pourrez pas cuire.»
Les explications et les interactions portent sur les procédés possibles et sur leur
efficacité pour obtenir de l'eau limpide. Les alternatives proposées, les imprécisions
lexicales indiquent que, de ce point de vue, ce qui fait problème, c'est l'incertitude où
sont les élèves quant à la matière rouge que rien ne permet de déceler à première
vue. Cette incertitude entraîne en fait un questionnement implicite sur la nature du
mélange rouge : suspension ou solution ? Le questionnement sur la nature des
mélanges sera repris plus explicitement quand le maître mettra les élèves devant la
question : une eau limpide est-elle toujours potable ?
Dans d'autres cas, enfin, la construction et l'explication de dispositifs techniques
sont tout à fart explicitement, pour les élèves, une façon de formuler des con¬
naissances scientifiques. Ils passent d'ailleurs aisément de l'explication des uns
à l'explication des autres. C'est, en particulier, le cas quand le maître demande aux
élèves de concevoir desdispositifsquisont des modèles technologiquesdes objets
scientifiques qu'on cherche à comprendre.
Travaillant sur le corps humain, le CM2 de l'école Châteaudun cherche d'abord
à répondre à la question de savoircomment les membres bougent. Les élèves savent
que les os, les muscles et le cerveau sont en jeu. Ils ont observé un squelette, et une
épaule de mouton décharnée. La maîtresse leur a demandé de réaliser des schémas
prospectifs de modèles réduits du système bras-avant-bras. Un élève a, de plus,
réalisé un modèle. Tous ont accepté que l'on figure les muscles par des élastiques.
Le problème est celui du point d'attache de ceux-ci :
- "Pas comme ça... Si tu attaches pas l'élastique là ... Tu l'as attaché d'un seul
côté (à une seule extrémité) (...)
- Faut que ça se tende, l'élastique.
Les E. attachent l'élastique à l'extrémité du second morceau de bois. M.
demande qu'on lui dicte ce qu'elle doit écrire L'élastique dort avoir une extrémité sur
chaque morceau de bois (...)
126
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
- Le muscle se gonfle.
- Et il se détracte.
- M : II se gonfle, se contracte, puis se relâche. Je vais le faire avec l'éPstique.
(...)
- Ça marche.
- M. : Oui, ça marche. Mais sije mets mon bras à côté, est-ce que c'estpareil ?
-Non.
- Ça va pas.
- C'est pas P
- Faudrait l'attacher là»
Ils montrent le bon endroit sur le modèle.
Dans les cas de loin les plus fréquents, les discours explicatifs ont trait à des
thèmes et des problèmes d'ordre scientifique. Il ne saurart être question toi de
présenter l'inventaire complet de ceux qui ne sont tenus dans les quatre classes.
Nous voudrions seulement illustrer le fait que les premiers discours explicatifs qui
émergent dans une séquence d'activités scientifique sont, en général, composés
d'énoncés exprimant un simple questionnement et d'énoncés avançant des
réponses. Le ou les problèmes n'émergent pas encore.
Certains montages électriques qu'ils ont réalisés conduisent des élèves de la
classe de l'école Bapaume à s'étonner :
- «L'ampoutec/jauf7eefe//es'a//ume(seulement)/égèrernenf»,atorsqued'autres
brillaient fort. D'autres élèves expliquent immédiatement ce fait, sur le ton de
l'évidence :
- "C'est parce que la pile, elle est pas assez forte.
- Parce que l'ampoule a besoin de plus d'énergie.
- Ators, elle s'allume pas entièrement
- L'ampoule, elle fart 12 volts, et la pile 4,5 volts.»
Il n'y a donc pas, pour l'instant, de problème. Celui-ci émergera quand les essais
réalisés ensurte avec la même ampoule et plusieurs piles donneront des résultats
contradictoires.
Un groupe : - « Ça s'allumait plus fort qu'avec une seule pile.»
Un autre : - "Cane s'allume pas. Ça (les fils) chauffe !»
Différentes explications sont avancées :
- «Si l'ampoule ne s'allume pas, c'est qu'elle ne fonctionne pas.»
- "A mon avis, ça se transforme en énergie thermique.»
- "Il faut de l'ordre. » (dans les fils).
Ce n'est qu'ultérieurement, après le rappel de certaines des expériences
réalisées précédemment et la comparaison des différentes proposrtions de nouvelles
expériences, que le problème du «sens» du courant émergera (sans, d'ailleurs, se
formuler très explicitement).
Les échanges explicatifs, qu'ils soient oraux (cas le plus fréquent) ou écrits,
contribuent donc à l'émergence de problèmes scientifiques dans la mesure où
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REPÈRES N" 3/1 991 G. DUCANCEL
l'action des maîtres conduit les élèves à aller au-delà du seul questionnement en
provoquant des conflits psycho et socio-cognitlfs.
Ces conflits peuvent naître de la confrontation entre le donné des sens et
d'autres donnés. Les élèves de l'école Châteaudun en sont à l'étude de la vision.
Certaines des expériences décidées par la maîtresse concernent les illusions
d'optique. Par exemple, ils sont face à cette figure : > < < >
- "Celui-là est plus petit
- Quand on mesure, c'est la même longueur.
- Non, ça se voit bien.
- C'est plus petit.
-On a vérifié.
- Et c'est pareil.
- Ators... (moment de silence).
- Ators, c'est Ps crochets.
- Oui, les crochets.
- C'est ce qu'il y a autour.»
128
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
- Quand on respire, l'énergie va dans notre sang et se dissout dans notre corps.
C'est ainsi que nos muscles ont de l'énergie. Grâce à tout ça, on marche.
- Le cerveau commande les veines qui vont jusqu'aux articulations et font
bouger les jambes.
Il distribue par ailleurs un document réunissant deux schémas du bras, l'un avec
l'avant-bras plié, l'autre avec l'avant-bras étendu. Les deux schémas comportent une
représentation des muscles. Il indique aux élèves que ce document fournit «des
éléments de réponse» et leur demande de «regarder si (leurs) explications vont de
pair avec ces éléments de réponse.» Après avoir, dans un premier temps, protesté
que «te document n'a rien à voir avec ce qu'on a drt», les élèves de chaque groupe
comparent les informations qu'il apporte au contenu de leur texte et de celui de l'autre
groupe :
129
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
buée sur certains objets, avancent qu'elle se condense quand il fait froid, et
proposent de faire une nouvelle expérience pour s'en assurer :
- «Quand ça chauffe, P vapeur monte.
- Au fur et à mesure, ça se dilue.
(...)
- C'esf transparent
- Une vision.
-M: Un gaz.
(...)
- Il faut mettre quelque chose de froid juste à côté !
- Le mettre au-dessus.
- C'est sûr, sinon la vapeur va se diluer dans l'air et on ne pourra pas la
récupérer.»
L'expérience sera réalisée avec des objets froids au-dessus et à côté, plus ou
moins loin de la casserole.
D'autres discours explicatifs méta-procéduraux ont pour objet, non pas des
procédures scientifiques, mais des processus langagiers mis en branle par l'étude
scientifique et qui posent, à divers titres, problème aux élèves.
Des groupes de l'Annexe lisent deux comptes rendus d'analyses d'eau do¬
mestique. Il s'agrt de savoir ce qui peut faire que de l'eau limpide ne soit pas potable.
Le problème est que ces comptes rendus sont longs, complexes, et contiennent
nombre d'informations sans rapport avec la question qu'on se pose. Tout en
pénétrant dans les textes, les élèves expliquent ce qu'il faut faire :
- «Pour l'instant, j'ai vu les deux documents, et ce qui nous intéresse, c'est les
conclustons.»
Ils les lisent :
- «dépense que c'est celle-ci qu'il faut prendre. (Présence de quelques bac¬
téries conformes par 100 ml. A surveiller).
- Oui, et puis celle-ci. (Analyse chimique satisfaisante. Bonne qualité
bactériologique). (...)
- Non. Nous, ce qu'on cherche, c'est quepue chose qui empêche l'eau d'être
potable. (...) C'est celui-là qui nous donne Pplus de renseignements.
- Il faut lire ces deux lignes là pour qu'elles nous donnent plus de renseigne¬
ments.»
L'élève remonte dans le texte et désigne les lignes où est écrit le mot bactéries. Etc. ..
Dans la classe de Bovelles, deux groupes ont été conduits à comprendre que
leurs explications écrites antérieures étaient incomplètes (cf. 3.2.4. ci-dessus).
Après des échanges oraux qui visent à formuler des compléments, ils entament la
réécriture de leur texte. Celle-ci est accompagnée, comme la lecture à l'Annexe,
d'explications méta-procédurales orales qui contribuent à la planification de la
réécriture.
- «On n'a pas parié des muscles. Il faut en parler. (...)
-«On fart un texte sur les muscles pour l'aputer au premier ?
- «Il faudrait écrire (notre) texte, mais en parPnt des muscles (...)
130
Expliquera l'oral, à l'écrit, en sciences
Dans un article récent où il rend compte d'une recherche sur les micro-discours
explicatifs quotidiens en Maternelle, J. Treignier (1 990) rappelleque «l'espacediscurs'if
(du) discours explbatif(est) sous-tendupardeux axes, l'axedelinterlocutbn(eX) l'axe
des modèles (...) intellectifs. (...) L 'enseignement/apprentissage des micro-discours
explicatifs quotidiens (conduisait) à meffre au premier plan l'interlocution.» Cepen¬
dant, au-delà de la modification des statuts et des rôles des enseignants, des élèves
dans les échanges au quotidien, l'auteur insiste sur le fart que l'intellection interagit
fréquemment avec l'interlocution et qu' «explpuer devient abrs confronter au moins
deux discours sur le monde.»
S'agissant des discours explicatifs dans les activités scientifiques dont nous
rendons compte ici, il semble bien qu'on doive inverser la proposition. C'est
l'intellection qui, à l'oral comme à l'écrit, tire en avant l'interlocution. L'exemple
qui suit montre que les échanges entre élèves, entre élèves et maître, les demandes
d'explication ne suffisent pasà la production d'un discours explicatif si les locuteurs
ne possèdent pas un «modèle intellects» qui leur permette de tenir ce discours.
Le porte parole d'un groupe de la classe de Châteaudun représente
schématiquement au tableau le dispositif de l'expérience qui faisait apparaître, au
fond d'une boîte percée d'un trou d'épingle, l'image d'une bougie à l'envers. Il écrrt
simplement en-dessous : On voit la flamme à l'envers. Des doigts se lèvent.
- «Madame !
- Il n'a pas expliqué.
- Tu n'as pas explpué !
-M: Ils ont faim (d'explbation), tes copains...»
L'élève reste muet.
- M : Abrs... un autre du groupe ?»
Un autreélèvedugroupe vient autableau et, sans unmot.écritàlasuite surfep/asf/gue
quand on vise la flamme en regardant dans le trou.
-«Il n'a pas expliqué.
- ii n'a pas parlé.
- Il faut explpuer.
- M : Oui. Je croyais que tu allais te faire...»
L'élève sort de son mutisme, mais ne peut que paraphraser ce qui a été écrit :
- «Ben... quand on regarde... dans laboîte, la flamme apparaît à l'envers... sur
le plastique.»
Par ailleurs, quand un élève dispose bien d'un modèle intellects mais qui est
inapproprié, l'interlocution n'intervient et ne contribue à le mettre en cause que si
d'autres élèves en ont un autre à lui opposer.
A propos de la même expérience, dans un autre groupe, les élèves ont
schématisé le dispositif utilisé et le résultat. Ils écrivent ensuite explication. Silence.
131
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
On peut donc dire que, dans les activités scientifiques, c'est l'intellection qui
commande, sous-tend, régule l'interlocution. Il s'agit de communication et de
discours scientifiques. Les obstacles qui provoquent la production de discours
explicatifs sont communicationnels dans l'espace de la communication scien¬
tifique, ce sont des obstacles intellectifs à la formulation, au dire de farts scientifi¬
ques, et à leur échange. C'est de ce point de vue que l'équipe de recherche traite les
situations et les discours explicatifs oraux et écrits. Nous exposerons les caracté¬
ristiques de ce trartement.
132
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
dogmatique, plus son discours est monotogique. Dans ce mode de travail, les élèves,
quant à eux ont à demander des explications et, surtout, à redire celles du maître.
C'estdans cette maigre mesurequeleursdiscours peuvent avoirdestrartsdiatogiques.
133
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
Il s'agit, dans tous les cas, d'interactions entre instances de savoir. Chacune
peut susciter un enchaînement discursif explicatif si les interlocuteurs prennent en
compte un obstacle réel ou supposé, possible, vraisemblable, àlïnter-compréhension.
Le passage d'une forme d'interaction à une autre, puis à une autre encore, diversifie
ces obstacles, confronte les réponses aux problèmes, et produrt des enchaînements
plus étendus, soit qu'ils connectent plusieurs enchaînements limités, sort qu'ils les
reformulent et les complètent. Ou bien encore, à la fin de l'étude entreprise, ou d'une
étape de celle-ci, un enchaînement inédit qui reformule les précédents de manière
synthétique.
Dans le CM1 de l'Annexe, les élèves en sont à l'affirmation que l'eau limpide
«comme la Volve» est potable. Ils pensent donc que ce sont des impuretés visibles
qui font qu'une eau ne l'est pas. Ils ont donc projete, en groupes, différents procédés
pour obtenir de l'eau limpide à partir de mélanges rouges et blancs dont ils ignorent
la nature. Ils les mettent en uvre.
En observant le Gr. 4, on s'aperçoit qu'en dehors des difficultés techniques de
filtration (filtre qui crève...), le problème essentiel est bien de découvrir la matière
rouge du mélange :
- "C'est peut-être du mercurochrome avec de l'eau.
- Ou du jus d'orange.
- Ça sent la tomate.»
134
Expliquera l'oral, à l'écrit, en sciences
Au bout d'un temps de filtration, ils sont sûrs que c'est du ketchup. Mais :
- «Ça (l'eau dans le bocal sous le filtre) devient clair.
- Mais c'est encore foncé.»
Ce qu'ils se proposent de faire montre que, pour eux, les «petits morceaux» ne
sont pas retenus par le filtre :
- "Faudrait rajouter de l'eau de Volvic
- Oui. On va raputerde l'eau.»
Cependant, et alternativement, ils se proposent de mélanger de «l'eau blanche»
(avec plâtre) au liquide rouge clair obtenu :
- *Si on met un peu d'eau blanche, ça sera plus blanc que /à.
- On dort essayer que ça sort plus blanc.»
Cela montre que la visée du résultat n'est plus, par moment, reliée au problème
à résoudre par l'expérience, ni à la conception de la non-potabilrté de l'eau qui a
motivé celie-ci. Cependant, l'explication qu'ils rédigent, et qu'ils transmettront aux
autres, correspond au problème qui était posé : C'esf de la sauce tomate avec
beaucoup d'eau.
Dans la présentation et la discussion des expériences des différents groupes
et des résultats qu'ils ont obtenus, tous expliquent que les impuretés étaient du plâtre
et du ketchup, et comment ils l'ont mis en évidence (filtration, décantation, evapo¬
ration). Mais la centration exclusive sur le résultat visé (obtenir de l'eau claire comme
la Volvic) se manifesté aussi par le fait que les porte-parole de la plupart des groupes
expliquent qu'ils n'ont pas fart ce qu'il fallait :
- "On voulait faire apparaître de l'eau bien claire, et c'est l'ingrédient»
- "Pendant qu'on a bouilli, l'eau était toute claire (...) On l'a vue. (...) Mais elle
est partie.»
- «On n'est pas vraiment arrivés au but»
Le maître demande qu'on rappelle ce qu'on voulait exactement obtenir :
- «De l'eau claire comme la Volvic, potable».
En conséquence, «il faudrait refaire», mais il est très vraisemblable que les
élèves veulent trouver le moyen d'obtenir de l'eau incolore, et ne se posent pas
encore le problème de savoir si, pour autant, elle sera potable.
Lors de la séance suivante, le maître leur rapporte de l'eau de la mare d'un
village. Manifestations de dégoût. Ils la filtrent ou la décantent et obtiennent de l'eau
limpide. Classe entière :
- L'eau est limpide, mais elle n'est pas potable. Limptoe, ça veut dire un liquide
transparent
- Et potable, ça veut dire buvable.
- M : Qu'est-cequ'ilfaudrartfairepourqu'ellesortpotable ? Et qu'est-ce qui vous
fait dire qu'elle n'est pas buvable ?
- Il y a toujours des mini-dépôts qu'on pourrart voir au microscope... des
microbes.
- Quand on a remué, la terre s'est mélangée avec l'eau, et il doit rester un peu
de terre.
- Et quand on mélange le sucre avec de l'eau, ilsedissout, et après on ne le voit
plus.
- M : Donc, il y aurait encore de choses dans l'eau, mais on ne les voit plus.»
Il écrit au tableau : On pense qu'il y a encore quelque chose dans l'eau qui
l'empêche d'être potable.
135
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
Des groupes se voient remettre des comptes rendus d'analyse d'eau, d'autres
des documents présentant différents procédés techniques de stérilisation, d'autres
n'ont pas de documents et doivent proposer des moyens de rendre l'eau potable.
Le Gr. 4 lit deux comptes rendus d'analyse dont l'un conclut à la non potabilité
(cf. 3.2.6. ci-dessus).
- « Pourquoi c'est important de surveiller les bactéries colli'ormes ?
- Parce que si tu les bois, tu peux être maPde.
- Il faut mettre de l'eau de pvel.
- Oui, mais avec de l'eau dejavel, tu vas être maPde.
- Ben non, il en reste peu.
(...)
- // faudrait répondre.
- Qu'est-ce que j'écris ?
- On marque : les bactéries.
- Le quepue chose, c'est les bactéries.
Ils expliquent ensurte aux autres quels documents ils avaient, les informations
qu'ils apportaient et concluent :
- «Nous on a trouvé que ce qui empêchait, l'eau d'être potable, c'est les
bactéries.»
Un autre groupe, qui a, lui aussi, lu des comptes rendus d'analyse, approuve la
conclusion du Gr. 4 et se focalise sur d'autres éléments :
- "Dans l'eau, ily a des éléments indésirables : fer, zinc, cuivre, manganèse. Il
y a aussi des éléments toxiques :pbmb, arsenic, chrome...
- Indésirables, il vaut mieux qu'ils ne soient pas dans l'eau. Toxiques, Une faut
pas qu'ils soient dans l'eau.
- Le fer, c'est des petits grains de fer.
- M : Pourquoi on ne les a pas filtrés ?
- C'est pas du fer métal. Il y a une vitamine qui s'appelle le fer.
- Le zinc et le cuivre, c'est pas des vitamines. Ators, pourquoi le fer il en serait ?
- Je veux dire que le fer, c'est pas forcément du métal.»
La synthèse se formulera ainsi : "Dans l'eau, ily a des microbes, des bactéries.
Il y a aussi des éléments toxpues et des éléments indésirables, comme le fer, le
cuivre. Ils ne se voient pas parce qu'ils sont microscoppues.» On l'écrit, et on passe
aux procédés qui peuvent rendre l'eau potable.
136
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
F. Jacques (1988) note que «chacun, dans l'échange de la parole, donne à recon¬
naître ses prédicats propres en révélant ses attitudes proposrtPnnelles(...) à autrui
au même titre qu'à soi-même.» C'est ce qui fait qu' «on ne saurait dire que S1 etS2
oz)f(chacun) énoncé lapropositionp.llfautdirequec'estàeuxdeuxqu'ilsont énoncé
p, chacun avec l'aide de l'autre.»
Après avoir étudié les procédés de stérilisation de l'eau, la dasse de l'Annexe
aborde les changements d'état, en refaisant une expérience qu'avait réalisée
précédemment un groupe :faire s'évaporer complètement l'eau d'une casserole par
ebullition. La question est «Où va l'eau qui part ?»
137
REPÈRES N" 3/1991 G. DUCANCEL
138
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences
Protestations :
- Julien : «C'est ce qu'on pensait au début. C'est pas ça. C'est parce qu'ily a un
petit trou à l'il. A l'il. Ça explique que l'image est à l'envers.»
La maîtresse approuve, renvoie à son document et rappelle sa demande.
- Gaôlle : «C'esf te cerveau qui remet tout à l'endroit.
- Julien : Oui. C'est ça.»
5. CONCLUSION
139
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL
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141
LE RÔLE DES CAPACITÉS
MÉTALINGUISTIQUES DANS L'ACQUISITION
DE LA LANGUE ÉCRITE
Jean Emile GOMBERT
Université de Bourgogne
LEAD-CNRS;URA665
Classiquement, la question des rapports entre oral et écrit est abordée sous
l'angle d'une recherche des caractéristiques rapprochant et différenciant l'utilisation
de ces deux média. Bien que certains auteurs présentent le langage écrit comme
étant essentiellement un recodage du langage oral, il est plus courant de voir
souligner des différences entre les deux systèmes.
Dans cette perspective, on insiste principalement sur le fait que, pour être
intelligible, l'écrit demande un plus haut degré d'explicicité que l'oral. En effet, à l'oral
l'accès aux significations est, beaucoup plus qu'à l'écrit, assisté par des indices pris
dans la situation d'interlocution et par l'expérience partagée entre les interlocuteurs.
Ainsi, se trouvent mises au premier plan des différences qui ne tiennent pas tant
aux média eux-mêmes qu'aux tâches linguistiques habituellement rencontrées dans
chacun d'entre eux. Certes, la situation de manipulation de l'écrit diffère de celle de
manipulation de l'oral par la modalité sensorielle mobilisée à l'amorce du trartement
de l'information (voies visuelles à l'écrit, voies auditives à l'oral) et par les compor¬
tements moteurs caractérisant les productions (grapho-moteurs pour l'écrit, phonatoire
143
REPÈRES N° 3/1 991 J.É. GOMBERT
pour l'oral). Il n'en reste pas moins que, indépendamment de ces aspects dont les
conséquences pour les traitements cognitifs ne sauraient être négligeables, les
tâches elles mêmes diffèrent.
Ces échecs dans des tâches apparemment très élémentaires posent problème.
Leur interprétation la plus simple est de considérer que, face à la prescription de
raisonner sur des objets linguistiques sans prendre en compte les significations,
l'analphabète ne comprend pas la consigne. La plausibilité de cette hypothèse est
forte. L'expérience linguistique de l'individu non lettré est principalement une
expérience de la communication, la réflexion sur la structure des outils de cette
communication y est vraisemblablement le plus souvent absente. Dès lors, les
consignes de manipulations métalinguistiques ne peuvent pas être comprises car,
ce type d'activités n'ayant aucune pertinence pour l'individu, elles sont réinterprétées
en termes de manipulations des concepts, tâches qui ne sont pas en contradiction
avec l'expérience linguistique du sujet. Pour prendre un exemple, l'analphabète à qui
on demande de dénommer un objet qui a un nom long réinterprétera cette consigne,
pour lui insensée, en termes de dénominatton d'un objet long. Ce qui fart défaut à
l'analphabète n'est pas l'appareillage cognitif nécessaire à l'analyse du langage,
mais l'expérience même de ce type d'analyse.
Dans les trois recherches citées ci-dessus en exemple, des adultes ex¬
analphabètes mais alphabétisés à l'adolescence ou au début de l'âge adulte étaient
utilisés comme points de comparaison. Les résultats des expériences montrent que
ces individus réussissent dans les tâches métalinguistiques échouées par leurs pairs
144
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite
analphabètes. La seule différence entre les deux groupes d'individus est que dans
l'un d'entre eux il y a eu apprentissage (tardif) de la lecture et de l'écriture. Il est donc
légitime d'attribuer la responsabilité de la réussite aux épreuves métalinguistiques à
l'apprentissage de la manipulation de l'écrit. Cet apprentissage, qui implique une
manipulation formelle du langage, semble donc avoir pour effet de donner sens aux
consignes de manipulations métalinguistiques.
145
REPÈRES N° 3/1991 J.É. GOMBERT
146
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite
qu'à un mot oral spécifique correspond un et un seul mot écrit. Une disposition à la
maîtrise métalexicale semble donc d'entrée nécessaire même si la segmentation
apparente de l'écrit intervient en retour pour favoriser l'actualisation de cette
compétence préalable.
147
REPÈRES N° 3/1 991 JE. GOMBERT
ces liens. Cette analyse peut en particulier être tentée par le biais d'un examen des
caractéristiques procédurales des performances des mauvais lecteurs et de celles
des apprenants.
Il a été maintes fois montré que les mauvais lecteurs ont généralement des
performances faibles dans les tâches de décodage qui impliquent l'application des
règles de correspondance grapho-phonémique (pour des revues Cf. Gombert,
1990 ; Perfetti & Rieben, 1989). Ils semblent également moins habiles dans l'utili¬
sation de stratégies palliatives à la non-identification d'un mot
Très tôt, l'enfant pré-lecteur est capable de reconnaître des mots écrits
présentés dans leur contexte familier. En fait, il semble que ce soit uniquement le
contexte et non pas l'écrit lui-même qui, dans ce cas, détermine l'interprétation du
jeune enfant, ce qui se traduit par de fausses reconnaissances en cas de présen¬
tation d'un mot dans le contexte habituel d'un autre mot. Pour les textes écrits, le
contexte est le texte lui-même et ce contexte peut être utilisé par le lecteur pour pallier
les difficultés de compréhension d'un mot ou d'un passage particulier. En l'espèce,
le développement des habiletés grammaticales pourrait jouer un rôle central en
augmentant la sensibilité de l'enfant à la «prédtotabilité» du texte. Appariant, sur leur
niveau en lecture, des bons lecteurs en première année d'apprentissage delà lecture
(6-7 ans) et des mauvais lecteurs de troisième année (8-9 ans), des chercheurs
australiens ont montré que les premiers sont supérieurs aux seconds dans deux
tâches métasyntaxiques orales :unetâche de complètement de phrases et une autre
de correction de phrases agrammaticales. Les mauvais lecteurs, comme les débutants,
sont donc confrontés à une double difficulté : déjà, ils ne peuvent décoder rapide¬
ment les mots, de plus ils auraient également des difficultés, liées à une mauvaise
maîtrise de la syntaxe, dans l'application de stratégies de prédiction de l'identité d'un
mot écrit non décodé. Non seulement ces stratégies sont généralement des
stratégies de mauvais lecteurs (Cf. Sprenger-Charolles, 1989), mais de surcroît les
mauvais lecteurs sont moins équipés que les autres pour les adopter.
148
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite
de leurs problèmes de compréhension. Par ailleurs, ils sont moins performants que
les bons lecteurs dans toute une série detaches métacognitives portant sur les textes
écrits : détection de violations de connaissances préalables ; détection de contra¬
dictions ; identification de l'idée principale d'un texte. De façon plus générale, ils
paraissent également peu conscients de leurs propres problèmes de compréhension
(pour des revues. Cf. Gombert, 1 990).
L'effet d'autres facteurs sur la lecture a été étudié par un certain nombre de
chercheurs. Longtemps mises en exergue, les capacités visuo-spatiales ne sont plus
aujourd'hui considérées comme jouant un rôle central dans l'apprentissage de la
lecture, même si elles peuvent être impliquées dans certaines dyslexies. La mesure
de l'empan mémoriel et les capacités de gestion intentionnelle des stratégies
mnémoniques sont également de pauvres prédicteurs des performances en lecture.
En revanche, chez le mauvais lecteur, les problèmes de maintien en mémoire àcourt
terme semblent souvent jouer un rôle. Le mauvais lecteur est également moins
habile dans le langage oral et a un vocabulaire plus pauvre. Plus curieuse la
constatation que laconnaissance de l'alphabet écrit avant l'entrée à l'école élémentaire
est un très bon prédicteur isolé du niveau ultérieur en lecture. Certes, on voit l'utilité
de cette connaissance pour le décryptage, mais, à elle seule (i.e. sans capacrté
métaphonologique), elle peut difficilement conduire ne serait-ce qu'à la pbonobgisation
des mots. En fait, les enfants qui savent nommer les lettres sont généralement issus
des milieux socio-culturellement favorisés qui, donnant précocement une assistance
à la préparation puis à l'apprentissage de la lecture, fournissent nécessairement les
meilleurs lecteurs.
149
REPÈRES N" 3/1991 J.É. GOMBERT
l'influence sur les apprentissages est non négligeable. Quant aux problèmes
mnémoniques, ils peuvent être liés aux difficultés de lecture de différentes façons :
ils peuvent parfois en être directement la cause, lorsque le problème est strictement
un problème de mémoire ; ils peuvent également dépendre de dysfonctionnements
plus larges qui se manifesteraient alors également dans d'autres dimensions
cognitives, dont les capacités métalinguistiques ; ils peuvent enfin, s'ils sont limités
au matériel verbal, être la manifestation d'une difficulté primitive à manipuler le
langage mentalement, le dysfonctionnement métalinguistique étant alors premier.
Une revue de divers travaux qui tentent de déterminer l'importance relative des
divers facteurs associés à la compréhension en lecture suggère que la hiérarchie
varie en fonction du niveau d'apprentissage. Le seul facteur non directement
métalinguistique qui, à tous les niveaux, est corrélé avec les performances en lecture
est l'importance du lexique, qui nous semble être un indicateur sociologique plutôt
que cognitif. Au début de l'apprentissage, l'ordre de mobilisation des capacités met
au premier rang la connaissance de ce qu'est la lecture, puis sont mobilisées les
capacités métalexicales et métasémantiques, métaphonologiques et, enfin,
métasyntaxiques. Plus tard, le facteur prépondérant est l'automatisation des capacités
de base (telles qu'elle peut être mesurée par des temps de reconnaissance),
l'importance des capacités métapragmatiques et métatextuelles, essentielles au
niveau ultérieur d'expertise en lecture, apparaît alors. Comme il a été argumenté déjà
plusieurs fois à propos de capacités métalinguistiques particulières, il est vraisem¬
blable qu'il y a, aux différents niveaux de l'apprentissage, une interaction entre les
diverses capacités métalinguistiques et la lecture. Un déficit métalinguistique par¬
ticulier empêcherait le développement de l'habileté du lecteur au-delà du niveau où
le rôle de la capacrté métalinguistique déficiente est prépondérante. En revanche, en
l'absence d'un tel déficit, la pratique d'une lecture de plus en plus élaborée
actualiserait et développerait successivement les différentes compétences
métalinguistiques préexistantes.
150
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite
Le rédacteur inexpérimenté revient moins sur son texte que ne le fait l'expert et,
contrairement à ce dernier, il s'intéresse plus à la détection des erreurs de surface
(grammaire, orthographe, ponctuation) qu'au contrôle de la signification et de
l'adéquation communicative de la production. Il a des problèmes de détection, lors
de la relecture il a tendance à percevoir ce qu'il croit avoir écrit plutôt que ce qu'il a
écrit véritablement (Fayol, Gombert & Baur, 1987), ce qui entraîne qu'il est un
correcteur plus efficace des textes d'autrui que des siens. Enfin, les modifications
qu'il opère n'aboutissent généralement pas à une amélioration de la production
initiale et peuvent même avoir l'effet inverse (pour une revue sur la révision, Cf. Fayol
& Gombert, 1987).
Si on examine laconduite des experts de la production écrite ou si, une fois n'est
pas coutume, on se livre à l'introspection, on se rend rapidement compte que toutes
les activités énumérées ci-dessus ne sont pas contrôlées à un niveau conscient
pendant la rédaction.
Tout d'abord, l'acte graphique lui-même, le choix des mots, l'orthographe, les
accords grammaticaux, la ponctuation, sont souvent opérés automatiquement. De
même, la recherche de la cohésion textuelle, l'adaptation au lecteur potentiel et
l'effort d'expltotorté ne font pas toujours l'objet d'une attention particulière ators que
le texte produit sera satisfaisant sur ces critères. Enfin, de nombreuses corrections
sont effectuées si rapidement que les sujets n'ont pas pu réfléchir sur la nature du
problème. Tout porte à penser qu'il s'agrt là de processus automatisés, cette
automatisation permettant que la plus grande part de l'effort cognrtif sort consacrée
à l'élaboration du contenu.
Il est toutefois notable que chacune de ces activités peut être contrôlée
délibérément si la srtuation l'impose ou si un obstacle survient dans la rédaction. Ceci
suggère que, dans l'apprentissage, l'automatisation a été consécutive à une maîtrise
151
REPÈRES N° 3/1991 J.É. GOMBERT
consciente puis à un exercice de ces différents composants (un peu comme cela se
passe pour certaines sous-activités de la conduite automobile).
152
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite
CONCLUSION
Les études sont en effet de plus en plus nombreuses qui montrent que
l'entraînement métalinguistique (notamment métaphonologique) à l'oral avant le
début de l'apprentissage de la manipulation de l'écrit en compréhension et en
production facilite ultérieurement cet apprentissage. Cet effet bénéfique attesté
s'explique aisément en termes d'allégement de la charge cognitive. Si l'installation
des capacités métalinguistiques nécessaires à la manipulation de l'écrit est
précocement faite à l'oral, elle n'est plus à faire lors de l'apprentissage de la lecture
et de l'écriture. La place prise en mémoire de travail par cette installation pourra donc
être consacrée à d'autres composants de la manipulation de l'écrit. De plus, la
probabilité qu'un apprenant se retrouve dans un état de surcharge cognitive qui
obérerait la possibilrté d'apprendre se trouvera diminuée.
153
REPÈRES N" 3/1991 J.É. GOMBERT
Enfin, rien ne permet d'affirmer a priori que tout enfant de cinq ans est prêt à
la prise de conscience métalinguistique. Au contraire, il semble bien que certains
enfants n'aient pas à cet âge des habiletés linguistiques suffisantes pour que le
passage «au meta» puisse être opéré (les facteurs de milieu culturo-linguistique
semblant ici avoir un rôle). Il serait irresponsable de ne pas soulever le problème des
conditions d'accès au cycle des apprentissages fondamentaux et de la nécessaire
évaluation qui guidera les décisions qui devront être prises pour certains enfants.
154
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite
NOTES
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155
REPÈRES N° 3/1991 J.É. GOMBERT
156
AU CUR DES CONFUSIONS
ENTRE L'ÉCRIT ET L'ORAL :
LES REPRÉSENTATIONS DE L'ORTHOGRAPHE
Agnès MILLET
Université Grenoble III (1)
1. LA RECHERCHE
157
REPERES N° 3/1991 A. MILLET
Les groupes de témoins étant, comme on le remarque, très réduits nous avons
souhaité obtenir des discours longs et diversifiés en évitant - au moins un temps -
l'induction thématique. Cette volonté aprésidé à l'élaboration du guide d'entretien qui
ménageait un premiertemps totalement non-directif, introduit par une consigne très
générale telle : "je m'intéresse à l'orthographe française, est-ce que vous pourriez
me dire ce que vous en pensez, est-cequevous avez une idée ... qu'est-ce que vous
pensez de l'orthographe française ?» Le rôle de l'enquêteur s'est alors limité à des
techniques de relances. Une pré-enquête (2) nous avait montré que certains thèmes,
tels ceux reliant l'orthographe à la culture ou à la langue orale étaient fort mal compris
quand ils n'émanaient pas de l'enquêté lui-même.
Les pans de discours sur lesquels nous nous appuierons ici sont souvent
extraits de cette phase de l'entretien et sont donc, soulignons-le d'ores et déjà,
totalement non-induit. Cependant certaines citations seront extrartes d'un autre
temps de l'entretien qui était consacré à des investigations concernant le thème de
la réforme, dans lequel les discours étaient motivés par un stimulus. Les sujets
étaient en effet amenés à réagir face à des orthographe réformées présentées
comme suit :
/ - Théâtre, farmacie, courier, inocent, ilégal.
II - Honour, banque, courier, inocent, ilégal.
Abatre, acrocher, aplaudir, pâte de chat, bêle, corne, je verai, il arête.
III - L 'orthographe est la manière d'écrire correctement les mots d'une langue. Mais
nous ne connaissons pas les formes écrites de tous les mots.
a) L'orthographe est la manière d'écrire correctement les mot d'une langue.
Mais nou ne connaisson pas les forme écrite de tou les mot
b) L'ortografe è la manière d'écrire corecteman lé mo d'une lange. Mè nou ne
conésson pas lé forme écrite de tou lé mo.
158
Au cAur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe
Ce dernier temps a donc été conçu comme un temps réflexif dont nous
retiendrons ici non pas ce qui est drt sur la réforme, mais ce qui est drt sur
l'orthographe, puisque toutes ces modifications tendent, à des degrés divers, à un
rapprochement de la graphie vers la phonie. Le stimulus III b) "l'ortografe è la ma¬
nière...», parce qu'il représente une écrite phono-graphique simple, nous fournira
l'essentiel du matériel discursif retenu.
159
REPÈRES N" 3/1 991 A.MILLET
2. DÉFINIR L'ORTHOGRAPHE
Discuter ici - car c'est bien d'une discussion qu'il s'agit puisqu'il existe
différentes théories et donc différentes descriptions - est donc une nécessité puisque
notre conception est aussi une mesure des discours, une orientation générale
interprétative qui cherche à construire l'orthographe en rendant compte des rapports
complexes qu'elle instaure entre l'écrit et l'oral.
En effet, il est évident que l'orthographe est une composante de type linguis¬
tique intervenant au niveau scriptural, elle est donc un élément de notre écriture -
160
Au c des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe
161
REPÈRES N" 3/1991 A. MILLET
Si l'on regarde maintenant les bribes de discours qui peuvent référer aux
comportements du scripteur/lecteur, rien ne vient contredire ces propositions. En
effet, le scripteur paraît faire appel à des stratégies de type analytique qui interrogent
les rapports entre phonie et graphie, tandis que le lecteur paraît pouvoir se satisfaire
d'une saisie plus globale du signe graphique, dès lors délié du signifiant phonique.
Voilà pourquoi, sans doute, celui qui aura réclamé spontanément le droit à une
écriture plus simple :
162
Au cur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe
C6 : On devrait pouvoir écrire tout ce qu'on veut écrire comme on l'entend (...)
je mè suis souvent demandé pourquoi l'orthographe était si compliquée,
aPrs qu'on pourrart l'écrire tout simplement.
paraît parfois se rétracter et devenir réticent lorsqu'il est mis en situation de lire un
phrase transcrite dans une orthographe phonographique simple :
C6 : [les S du pluriel], faudrait pas tous les enlever quand même.
163
REPÈRES N" 3/1 991 A. MILLET
Les discours des adultes qui réfèrent à des pratiques lecturales paraissent en
effet tous converger vers un commentaire qui ne se centre que sur l'écrit. Ainsi
l'absence de telle ou telle marque orthographique n'est jamais rapportée à la phonie,
mais est toujours évaluée à l'aune de la norme orthographique. L'écrit paraît donc
s'être constitué peu à peu comme un espace de perception désolidarisé de l'oral.
Ceci se vérifierait sans doute aussi chez des lecteurs dont la langue n'offrirait pas,
dans son écriture, de surcharge orthographique. Mais compte tenu de la spécificité
de l'orthographe française, la gêne à la lecture, que procurent par exemple des
orthographes réformées, se transforme en une justification a posteriori de l'orthogra¬
phe en terme d'indices de lisibilité. Ceci est particulièrement vrai dans le discours des
professeurs comme peuvent en témoigner quelques extraits :
11 : Sion simplifie, p crois que les enfants auront peut-être du mal à identifier les
mots.
P3 : C'esf vrai qu'un texte qui serait écrit phonétiquement (...)je crois que ça
rendrait P compréhension difficile.
P4 : Une simplifbatPn trop grande aboutirait sans doute à la confusion des
mots.
P2 : Les accords, ce sont aussi des indices en lecture, bon, ça a du sens quand
même (...) bon, p pense que l'orthographe, ça a une justification.
Les jeunes collégiens et lycéens opèrent dans leur grande majorité un retour à
la langue orale et finissent par apprécier, après un premier sursaut, les orthographes
réformées comme une autre écriture, à laquelle ils ne sont simplement pas habitués :
T3 : Dans les phrases on comprend très bien le sens (...) Moi qui n'ai pas
l'habitudep trouve ça dur. Mais Ps autres qui auront l'habitude ce sera bon.
C6 : C'est sûr que quand on le voit écrit comme ça... ça fart drôP parce qu'on
est habitué à l'autre, mais en le lisant comme ça dans un livre ;ben on le lirait.
164
Au c des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe
Nous dirions ici votontiers que «écrire» n'est pas «orthographier» et que les
usages de la langue propres à l'écrit, compte tenu des spécificités situationnelles de
la communication écrite, devraient ne pas être traités au même plan que la question
orthographique qui relève plus de notre point de vue d'une tradition - et donc d'une
compétence - sociale que d'une compétence strictement linguistique. Néanmoins si
l'on veut construire le savoir orthographique - et il est clair qu'en l'état actuel des
exigences sociales, il faut le construire - il nous paraîtrait souhaitable de partir des
connaissances linguistiques des jeunes enfants etd'opérer, sans déconstruction des
savoirs acquis sur la langue, la construction parallèle d'un savoir différent. En effet,
si l'on se penche maintenant sur les discours des élèves de CM2, on pourra apprécier
les dommages causés par l'orthographe sur la réflexion linguistique.
Majoritairement, pour pouvoir prédire la graphie, les élèves font appel à des
manipulations orales de la chaîne à transcrire. Le procédé le plus employé, celui qui
est d'ailleurs enseigné comme règle d'orthographe, est la commutation. Comme
nous l'avons souligné plus haut il s'agit toujours pour l'élève d'entendre la différence.
ECO 12 : Quand c'est un infinitif on met ER, et pour savoir si c'est un infinitif bu
un parttope passé on remplace par un verbe du 3" groupe.
ECO 22 : Pour «a» ou «à» moij'ai un truc, on essaie de mettre te verbe «avait»
et si ça marche c'est «a» autrement c'est «à».
ECO 40 : Pour «et/est» si on peut dire «et puis» et ben c'est «et».
ECO 08 : J'essaie de trouver un mot qui lui ressemble par exemple «haut» je
mets le T parce qu'il y a «hauteur».
165
REPÈRES N° 3/1991 A. MILLET
En effet, les paroles confuses que l'on peut extraire des entretiens passés avec
les jeunes élèves paraissent se prolonger, avec moins d'erreurs naïves, dans les
discours des enseignants et des adolescents où orthographe, langue et grammaire
s'entremêlent jusqu'à faire disparaître l'image de la langue orale.
N'étant pas définie de façon claire, l'orthographe absorbe toutes les composan¬
tes de l'écrit et se confond dès tors avec la grammaire et avec la langue dans des
chaînesd'équivalencessyllogiques, où elle sedilueàsontour. Les jeux synonymiques
entre orthographe-écrit-langue-grammaire apparaissent en effet dans presque tous
les discours que nous avons recueillis et l'on soulignera qu'ils paraissent engendrer,
chez les enseignants, de nombreuses contradictions dans lesquelles l'assimilation
166
Au c des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe
167
REPÈRES N° 3/1991 A. MILLET
française ; elle est écartée parce que, «pleine de fautes», elle devient une véritable
figure de l'anormalité :
ECO 4 : Y'a pas le ENTà «miaule», y'a pas le S à «chat noir», y'a pas le S à
«faute» IBen on le voit tout de suite que c'est truqué, c'estpas une personne
normale, elle ferait pas ces fautes.,
mais la figure de «l'autre langue» est présente dans leurs discours. C'est pour eux
la transcription en A.P.I. qui transforme le français en «latin», en «espagnol», en
«belge», en «russe», en «africain», en «arabe», en «tchèque». Au moins ces jeunes
ne manquent-ils pas de références comparatives potentielles - si farfelues soient-
elles - qu'on aurait peut-être intérêt à exploiter pour mettre en place un savoir relatif,
souvent mobilisé par les collégiens, toujours ignoré des adultes, et que seule une
jeune écolière parvient, après maintes hésitations, à exprimer :
ECO 25 : Si on écrivait comme la 4, c'est la 3 qui serait débile, mais vu qu'on
écrit comme P 3, c'est la 4 qui est débile.
Cet énoncé résume bien à lui seul processus d'intégration d'une norme. Et
gageons que l'orthographe créera chez ces enfants cette vision orthographique des
langues qu'on vient d'observer chez leurs aînés ; vision qui aboutit à voir des
«bizarreries orthographiques» dans des oppositions linguistiques propres à un
système et inexistantes dans le système du français, ou, qui, inversement, conduit
à ne pas reconnaître sa propre langue lorsqu'elle s'enveloppe d'un autre moule
graphique. Dans l'absence de relativisation, la norme orthographique digère peu à
peu la conscience linguistique orale.
Il semble, au bout du compte, que la pregnance de l'écrit sur l'oral, adjointe aux
confusions entre langue et orthographe, rende la substance graphique du mot
beaucoup plus importante que sa substance phonique, si bien que l'orthographe
devient l'image de la langue et y compris de la langue parlée. Et, si certains témoins
sont amenés, dans leur recherche de définition de l'orthographe, à dire l'évidence :
C1 : Bon, quand on parle, l'orthographe n'intervient pas.
Pour d'autres, l'évidence reste encore à découvrir. La confusion dans laquelle
s'exerce la pression de récrit-orthographe sur l'oral est telle qu'un collégien peut
craindre par exemple que les fautes d'orthographe ne s'entendent à l'oral.
Le phénomène de l'écrit, comme sumorme de l'oral, a déjà été très commenté
dans la littérature sociolinguistique (Gueunieret al, 1 978) et de nombreux chercheurs
ont pu mettre en évidence les effets négatifs d'un tel phénomène au plan pédago¬
gique (Achery et al., 1979 ; APREF, 1983 ; ELA N° 46, 1983 ; Dannequin, 1977 ;
Duneton, 1 984). Nous arrivons, par une autre entrée, etdevrions nous dire incidemment
puisque ce n'était pas l'objet principal de notre recherche, aux mêmes résultats : ne
pas considérer, dans l'enseignement de l'écriture du français, les acquis, fondés sur
le maniement et l'utilisation journalière de la langue orale, paraît, sans pour autant
assurer à coup sûr la maîtrise de l'orthographe, tout àfait dommageable à la réflexion
linguistique. La pression normative de l'écrit sur l'oral, conjuguée à une vision
orthographique des langues, aboutit semble-t-il à installer récrit-orthographe, non
seulement comme norme unique de la langue, mais également comme système
unique de représentations linguistiques symboliques. L'écrit-orthographe devient la
168
Au cur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe
Il apparaît, après ce bref exposé, que deux types d'éléments sont à prendre en
compte dans une réflexion pour une didactique de l'orthographe : des éléments
«linguistiques» et des éléments «sociaux». La question centrale qui relie étroitement
ces deux types d'éléments est celle de savoir si l'on enseigne l'orthographe comme :
a) LE savoir linguistique, auquel cas l'écrit devient le seul savoir linguistique
assimilant totalement au fil des ans toutes les représentations liées à l'oral ;
b) un savoir linguistique particulier, organisant de façon propre et différenciée
la langue écrrte ;
c) un savoir-faire scriptural correspondant essentiellement àdes normes socia¬
les.
La ligne de démarcation nette se situerait ici entre la position a) et les deux
autres. En effet, au plan pédagogique, il n'apparaît pas nécessaire de trancher
définitivement et absolument entre les positions b) et c) qui peuvent être assumées
comme complémentaires, et qui peuvent, selon les élèves, permettre de meilleurs
résultats. La position c) pourrait semble-t-il - et nous l'avons nous-même éprouvé -
être mieux comprise par des élèves en rupture avec l'orthographe parce qu'ils n'en
assimilent pas les règles «linguistiques». En faisant l'économie de concepts trop
complexes, il conviendrait ators de décrire l'orthographe comme un ensemble de
règles sociales d'écriture dont le manque ne serait pas un défaut «d'intelligence
individuelle», mais une atteinte àdes «tois collectives». On peut d'ailleurs, semble-
t-il, mettre cette proposition en relation avec les résultats d'études en psychologie
sociale qui tendent à prouver que : «des épreuves logiques même difficiles à
résoudre pour des adultes, se résolvent beaucoup plus facilement quand elles sont
présentées sous formes d'obligation ou de permission sociale plutôt que sous forme
de relattons logiques plus abstraites» (Doise, 1 989).
En accord avec nos positions théoriques, et sans trancher, donc, de façon
décisive entre la position b) et la position c), on peut donner quelques indications, non
exhaustives et non conclusses, afin d'évrter le flou, les contradictions et les
déconstructions de savoirs qu'on a pu observer.
* Considérer les savoirs linguistiques acquis en dehors de l'écrit et de
l'écriture : c'est-à-dire construire le savoir orthographique en contraste avec
le savoir linguistique oral acquis ou appris.
* Différencier les niveaux de l'analyse qu'on peut schématiquement définir
comme
- niveau linguistique : connaissances générales de la langue,
- niveau pragmatique : utilisation différenciée de la langue selon les situa¬
tions et spécialement selon que la communication est orale ou écrite ;
- niveau spécifiquement scriptural : graphie et orthographe.
Ces différents niveaux, correspondant à des normes que l'on pourra apprécier
au plan fonctionnel et/ou social, sont bien évidemment, lors de la communication
écrrte, tous exigibles, et seront donc ressentis par le lecteur com me interdépendants,
alors que le scripteur peut, dans son travail de mise en texte, les dissocier.
169
REPÈRES N° 3/1991 A. MILLET
Toutes les difficultés ne se trouveront bien sûr pas aplanies par ces quelques
considérations qui visent essentiellement à une construction raisonnée et
dépasstonnée de l'objet d'enseignement/apprentissage. En effet, on ne saurart nier
que l'orthographe, en l'état actuel de ses incohérences et de ses règles démultipliées,
est, comme le soulignent de nombreux enseignants, difficile à gérer au plan
pédagogique : son apprentissage est complexe et long. Mais cet état défait rend, de
notre point de vue, d'autant plus nécessaire la clarification du regard sur l'objet afin
d'éviter cette désespérance en sa propre fonction :
12 : Moi j'ai l'impressPn de me heurter un petit peu à un mur, d'essayer de faire
des choses et finalement de ne rien faire progresser.
P1 : Je crois pas beaucoup à l'efficacité de l'enseignement des profs de français.
qui conduit nécessairement à penser l'orthographe comme un «don», un «inné» que
l'on possède ou pas, alors que, comme on l'a montré ailleurs (Millet 1990, Millet et
al. 1990), l'orthographe ne se distribue pas et ne s'exige pas au hasard sur l'échelle
sociale.
NOTES
OUVRAGES CITÉS
ACHERY (J.), BLANCHE-BENVENISTE (C), CASSAR (J.Y.) et al., «Chez nous ses
pas maie ou «que cache l'orthographe ?», Recherches sur le français parlé
n° 2, GARS, Université de Provence, février 1979, pp. 223-251.
APREF, J'cause français, non ?, Cahiers libres 380, Paris, ed. La Découverte,
Maspero, 1983.
ANIS (J.), «Pour une graphématique autonome», Langue Française n° 59, Paris,
Larousse, septembre 1983, pp. 31-44.
BLANCRE-BEN\rT£NISTE(C.)etCHERVEL(A),L'ort/jo5raphe,Pans,Maspéro,1978.
CATACH (N), «Que faut-il entendre par système graphique du français ?», Langue
française n° 20, Paris, Larousse, décembre 1 973, pp. 30-44.
170
Au cur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe
171
REGARDS RÉTROSPECTIFS ET PROSPECTIFS
SUR UNE PROBLÉMATIQUE
INTRODUCTION
Le problème que nous nous posons est le suivant : pourquoi notre thème, après
avoir donné lieu à bon nombre de travaux dans la décennie 70, a-t-il quasiment
disparu en tant que tel dans la décennie 80 ? Pourquoi resurgit-il aujourd'hui ? D'où
ce numéro de REPÈRES.
Il est de fart que ce thème présuppose, entre autres, une parité entre oral et écrit,
et une perspective contrastive opposant oral et écrit selon leurs spécificités, principes
qui sont toin d'être monnaie courante, tant à l'école que dans les recherches (ROPE,
1 990). C'est un premier constat, à interroger.
173
REPÈRES N° 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN
174
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
Un peu plus tard, les recherches I.N.R.P. vont rencontrer celles du Groupe
H.E.S.O. conduites par N. CATACH sur le plurisystème orthographique français, qui
mettent en évidence l'importance prédominante des graphies phonogramiques, et
celles des relations phonies-graphies organisées en «grandes séries». Ces recherches
donnent ainsi une confirmation descriptive de présupposés issus de la syntaxe, et un
modèle d'analyse des relattons oral/écrit, au plan morphosyntaxique s'entend
(CHAUMONTM., 1980).
175
REPÈRES N° 3/1991 C LE CUNFF - H. ROMIAN
l'ordre oral est «celui dans lequel est s'rtué tout message réalisé par l'articu¬
-
lation et susceptible d'audition» ;
- l'ordre scriptural, «celui dans lequel est situé tout message réalisé par la
graphie et susceptible de lecture».
Ces deux ordres se définissent au sein de situations de communication que
PEYTARD J. cherche à caractériser pour la classe.
Si nous avons longuement cité ces deux textes, c'est qu'ils nous semblent
révélateurs du mouvement qui secoue la pédagogie du Français dans ces années-
là quant à la questton qui nous préoccupe, du fait d'une part, de ses dynamismes
propres liés aux problèmes deformation des maîtres que rencontrent les professeurs
d'Ecole Normale dans leur travail, et liés d'autre part, à l'action de linguistes comme
PEYTARD J. et GENOUVRIER E. dans ce milieu des Ecoles Normales (dont ils sont
issus).
En outre, ces linguistes ont participé à des «stages» d'équipes
I.N.R.D.P.(«flec/7erehes Pédagogiques» n°46, 1971). E. GENOUVRIER est en
outre le principal rédacteur du Plan de Rénovation pour le chapitre «Grammaire»
(avec JEAN G. pour la poésie, ROMIAN H. pour le reste). L'équipe lilloise
GENOUVRIER-GRUWEZ sera, pendant des années, l'un des pôles du réseau
I.N.R.D.P.
176
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
Il faut citer à propos de l'oral «médiateur» NIQUE C. (1 982) : «Si l'écrit n'est pas
le simple décalque de l'oral, le Plan de Rénovation y insiste fortement, il est ce¬
pendant certains usages de l'oral qui tendent à se rapprocher des caractéristiques
de l'écrit. Le problème ne se pose donc pas en termes de «passage de l'oral à l'écrit»
- formule ambpuë qui prête à bien des dérapages plus ou moins contrôlés mais en
termes de situations fonctPnnelPs induisant des usages donnés de l'oral dont
certains se trouvent en relatbn avec les usages donnés de l'écrit.»
A noter le cas particulier de la «lecture à haute voix» analysé par CHARMEUX
E.(LectureS/EcrhureS, 1982) et SUBLET F. (Poésie pour tous, 1985), non comme
activité de lecture, mais comme activité de «diction» présupposant la lecture, et un
travail de «récréation sonore» qui s'apparente à ('«écriture» : «quand dire, c'est écrire
à haute voix». La théorisation renvoie à DELAS D. & FILLIOLET J., 1 973 entre autres
177
REPÈRES N° 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN
Mais venons-en aux travaux du groupe «Langue Orale» sur lesquels nous
avons ciblé notre propos. Les thèmes des articles publiés par les membres de ce
groupe dans REPERESà partir de 1 973, sont très symptomatiques de ses préoccu¬
pations quant aux modalités de l'articulation oral/écrit :
- du phonème à la lettre, phonologie et apprentissages premiers de la lecture/
écriture, phonologie et mise en place des premières bases orthographiques.
- l'éveil aux parlers régionaux à l'école, la sensibilisation des élèves et des
maîtres aux «traits d'oralité» «pour une pédagogie de l'oral».
- communication orale et «éveil» scientifique, analyse de séquences d'oral à
fonction référentielle...
- description des systèmes phonologiques des enfants de 6 ans à l'entrée au
OP., seton les régions (HOUDEBINE A. dir., 1983 & plus particulièrement
REPERES n°40, 44, 53).
Deux thèmes dominent, du point de vuequi nous préoccupe ici : l'oral pour l'oral,
l'oral comme enracinement de l'écrit.
Le titre même de l'ouvrage «Et l'Oral alors ?» issu du travail du groupe (ROMIAN
H. dir., 1 985) témoigne d'un sentiment de malaise : la partie est loin d'être gagnée,
et la norme prescriptive du «bon usage» règne toujours sur les pratiques orales en
classe. Ceci étant, une pédagogie «fonctionnelle», «libératrice», «structurante» de
l'oral est possible. En témoignent les séquences de classe présentées, qui montrent
les risques assumés de l'expression personnelle en classe , la dialectique de l'ordre
et du désordre dans la parole sociale, le rôle de l'oral dans les activités d' «éveil» au
monde référentiel, dans des activrtés d'«éveil» aux usages sociaux (publicité...,
occitan...) de l'oral, aux fonctionnements de la langue, et enfin des jeux poétiques à
178
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
L'hypothèse selon laquelle le travail en langue sur l'oral et par l'oral (nous dirions
aujourd'hui : l'oral comme objet et vecteur d'activités métalinguistiques) enracine
l'appropriation de l'écrit dans l'expérience langagière première - orale - des enfants-
locuteurs, cette idée donc est centrale dans les deux ouvrages du groupe «CP. - Langue
Ecrite» évoquée plus haut (ROMIAN H. dir., 1982 & ROMIAN H. dir., 1985).
La contribution du groupe Langue Orale à ces ouvrages est, notamment mais
non exclusivement, centrée sur cet oral métalinguistique dont la fonction didactique
est de susciter une prise de distance nécessaire pour «passera l'acte» d'écrrture, en
«langue», et non plus dans le vécu de la «parole». Le titre des documents du groupe
repris par «LectureS/EcritureS» est significatif de l'apport : «Apprendre à repérer des
179
REPÈRES N° 3/1 991 C LE CUNFF - H. ROMIAN
unités dans la chaîne pariée» - «Etredans la lune ou dans la luge? » -«A l'écoute des
usages de P langue» -"Travailler la segmentation de l'oral pour aider à segmenter
l'écrit» - «De la chaîne écrite à P chaîne oraP» - «Des variétés de l'oral à la con-
ventPn orthographique».
En somme, «de te pratpue/observatPn de l'oral à la pratique/observation de
l'écrit» (titre relevé dans Devenir Lecteur, qui développe les mêmes thèmes), dans
une perspective globale : «pédagogie de la langue», de la communication.
180
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
181
REPÈRES N° 3/1 991 C LE CUNFF - H. ROMIAN
Ces travaux sont révélateurs des apports des travaux antérieurs à l'LN.R.P. et
des avancées théoriques ou didactiques en Français et en Sciences. On reviendra
plus loin sur cet apport. Il faut d'abord souligner que ces deux groupes de recherches
ne séparent pas dans leurs analyses l'ordre oral et l'ordre scriptural, que ce soit au
sein d'un travail sur la variation ou dans la manière de trarter l'apprentissage/ensei-
gnement par la résolution de problèmes. Dans ce dernier cas, la démarche est
susceptible d'englober l'ensemble des savoirs à acquérir par l'enfant, que l'objet sort
langagier ou non.
182
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
3.2. Le temps des typologies des discours mais surtout des textes
A partir des travaux sur le récit, écrit principalement, nés pendant la décennie
précédente, se développent des recherches en très grand nombre. Les approches
se diversifient tout comme les types de textes pris comme objets d'étude. La
didactique, notamment avec les travaux qui paraissent dans la revue PRATIQUES,
s'enrichit ainsi de descriptions de plus en plus fines, les fonctionnements des textes
sont précisés. Des travaux pour modéliser l'ensemble voient le jour en psychologie
du langage (BRONCKART, 1985).
Ce courant est encore fécond actuellement. Il prend en compte l'enfant et les
processus de construction des savoirs relatifs aux textes. Mais cette orientation qui
virtuellement est capable d'unifier l'oral et l'écrit, oriente en réairté l'attention sur
l'écrit, lecture/écriture, exclut l'oral du champ.
3.3. Vygotsky
C'est dans ce contexte que parviennent en France les premiers signes d'une
influence des travaux de VYGOTSKY L.S. dont les écrits ont d'abord été traduits et
donc exploités aux Etats-Unis en 1962. Ils sont enfin introduits en France grâce à
l'équipe BRONCKART J.P. & SCHNEUWLY B. (Vygosky aupurd'hui, 1985). Lan¬
gage et Pensée est disponible la même année en français.
Il est certain que le trartement de ces travaux par l'équipe genevoise renouvelle
la problématique de l'articulation oral/écrit, lui donne un cadre conceptuel fécond. La
dimension sociale de l'activité langagière se retrouve au premier plan et le rôle de la
verbalisation par l'adufte/l'enfant sur l'écrit déjà posé comme essentiel dans le Plan
de Rénovation trouve dans cette théorie ses fondements psychologiques.
C'est cette verbalisation nécessaire à la construction des savoirs sur l'écrit par
l'enfant, qui l'aide à passer du fonctionnement interpsychique au foncttonnement
intrapsychique, propre su scripteur confirmé, dont il est question dans certaines des
contributions de ce n" 3 de REPERES.
Un article récent paru dans ETUDES de LINGUISTIQUE APPLIQUEE (N°73, 1 989)
de la main de SCHNEUWLY B. fait le point sur la conception vygotskienne du
langage écrrt : «fonctPn verbale tout à fait particulière (...) (il) permet à l'enfant
d'accéder au plan le plus élevé du langage, réorganisant par là même aussi le
système psychique antérieur du langage oral. »
L'idée centrale que résume SCHNEUWLY B. est que l'écrit passe par une
intériorisation du contrôle global de l'activité langagière. L'écrrt suppose le monologue
qui représente une forme de langage supérieure plus complexe que le dialogue, il est
«une fonction psychpue supérieure». La verbalisation permet l'intériorisation pro¬
gressive. La dimension sociale se trouve introduite à ce niveau de la construction qui
n'est pas seulement de l'ordre du cognrtif mais, fondamentalement, de l'ordre du
langagier communicationnel.
183
REPÈRES N" 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN
EN CONCLUSION
Il est vrai que l'écrit est le grand bénéficiaire de ces recherches. C'est une bonne
chose. «Et l'Oral ?» disaient ensemble CHISS J.L, DELAS D. et VANOYE F. dans
une discussion à bâtons rompus rapportée par la revue le Français Aupurd'hui
(N"69, 1 985), à laquellefait écho l'interpellation «Et l'Oral Ators ?» d'un ouvrage paru
la même année, issu de travaux I.N.R.P. antérieurs. L'oral nous semble actuellement
relégué dans un rôle secondaire : point d'appui, base d'envol pour la «fonction
supérieure» qu'est l'écrit, instrument qui donne à voir et construit l'écrit, fût-il l'oral
métalinguistique décrit par plusieurs articles de ce numéro.
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
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Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
185
REPÈRES N" 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN
186
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
187
RESUMES DES ARTICLES
Cet article, se fondant sur une étude farte en 1 969, situe l'enseignement de l'oral
à l'intérieur de «l'enseignement du français» dans une école élémentaire qui était
encore principalement régentée par les instructions de 1 923. Il dégage un modèle
pédagogique véhiculé de manière homogène par les instructions, les manuels de
psychopédagogie, les inspecteurs, les maîtres.
L'autre intérêt de cet article est de rappeler l'existence d'un important corpus
disponible pour les chercheurs qui souhaiteraient, par comparaison, établir le chemin
parcouru, en matière d'enseignement de l'oral, au cours des vingt-cinq dernières
années.
189
REPÈRES N° 3/1991
190
Résumés des articles
à 9 ans) et quelle que sort la modalité (oral/écrit), les enfants rajoutent les mêmes
connecteurs auxmêmes endroits. Les études pourledéveloppement des connecteurs
entre 5 et 1 0 ans ne reflètent donc pas l'acquisition mais la mise en place des trames
de plus en plus conformes au récit canonique.
Gilbert DUCANCEL
191
REPÈRES N° 3/1 991
Cette étude vise à cerner dans quelle mesure les représentations que se font
enseignants et apprentis de l'orthographe, interviennent dans la construction des
représentations de l'articulation oral/écrit. Ont été interrogés, des instituteurs et des
professeurs de collège et de lycée, des élèves de CM2, de 3ème et de terminale. En
effet, chargée de nombreuses connotations positives, l'orthographe paraît être, pour
bien des enseignants, une composante linguistique si indéterminée qu'elle finrt par
devenir représentative de l'écrit dans toutes ses dimensions. L'oral devient, en
retour, un espace de paroles a-grammaticales tout juste chargées de sens, la réairté
impensable et impensée de la langue. Si l'on admet que la connaissance des
représentations permet de dé-voiler et de re-connaître, les études de discours que
l'on a pu faire peuvent alors nourrir valablement les réflexions sur une didactique de
l'orthographe, qui ne négligerait pas de construire des savoirs linguistiques écrits
différenciés, en consolidant les acquis oraux.
192
NOTES DE LECTURE
Hélène ROMIAN
ORAL/ÉCRIT A LA UNE...
«L'ECRIT DANS L'ORAL»
«ÉTUDES DE LINGUISTIQUE APPLIQUÉE»
Revue de DkfactoPgie des langues-cultures
n" 81 , coordonné par Nicole MARTY
Didier Erudition, janvier-mars 1991.
193
REPÈRES N° 3/1991 H. ROMIAN
194
Notes de lecture
195
REPÈRES N" 3/1 991 H. ROMIAN
l'on a dit aussi du «français parlé». Sur le terrain de l'analyse linguistpue, il faudrait
s'inquiéter d'une syntaxe qui écarte tant de données, écrites comme oraPs, et qui
laisse tant de déchets».
C'est très exactement ce que fart Françoise Gadet, à propos des détachements,
«tendancieUement considérés comme oraux, familiers, populaires, spontanés,
échappant aux règles et expressifs», avec pour conséquence de les renvoyer dans
l'ordre du stylistique. Or on les trouve aussi bien dans l'oral en apparence le plus
invertébré («ma soeur, y a son fourneau, quand on veut l'allumer, tu as rien à faire
y aun truc prévu pour», que dans l'écrit littéraire (Céline : «de la prison on en sort
vivant, pas de P guerre»). De telles formes sont à expliquer en les contextualisant,
en tenant compte de la situation d'interlocution, de renonciation, du contexte
explicite, dont elles tirent leur logique syntaxique. Et F. Gadet conclut, à propos du
détachement, que son enfermement dans l'oral ou les effets stylistiques «pourrait
bien n'être qu'une façon de marginaliser Ps formes censées relever de l'oral, et
d'éviter de s'affronter au problème de l'hétérogénéité des structures de phrase».
A la fin de son propre article, Daniel Luzzati qui dirige ce numéro, livre une
interprétation très intéressante de ces paradoxes, à partir de l'étude des effets
d'oralité observables dans les écrits échangés par minitel. Ces effets tiennent seton
lui, aux conditions pragmatiques de l'interaction dans lesquelles le sens est interprété.
De ce point de vue, «l'opposition oral/écrit concerne davantage l'utilisatbn du lan¬
gage que son fonctbnnementpropre [...], c'est surtout une questbn de pragmatique :
torsqu 'un écrit est utilisé de façon aussi interactive que l'oral, ilproduit une impression
tout à fart similaire. Celle-ci tient essentiellement nous semble-t-il, à une charge
émotionnelle, liée à la situation interactive..., aux fonctions dominantes informative,
communicative, existentielle. Ainsi s'expliqueraient les effets d'oral dans les écrits
littéraires, l'écrivain cherchant , notamment dans la prafique de la dislocation et de
la répétition, à retrouver la charge émotionnelle de l'oral. Mais il ne peut s'agir de
confondre des situations de communication et des conditbns d'énonciation par
définition très éloignées. Ce qui est le résultat d'une spontanéité dans un cas est le
fruit du travail dans l'autre».
Les autres articles soutiennent des thèses plus classiques : la ponctuation
comme principal vecteur d'intégratton de l'oral dans l'écrit, les difficultés de la
transcription écrrte de l'oral, les dialogues chez Maupassant, le rôle du e caduc dans
l'oralisation de l'écrit, les effets rhétoriques des écrits politiques, les traces d'oral
dans les copies d'élèves au Brevet des collèges comme maladresses énonciatives
ou comme marques d'une pensée qui se cherche.
196
Notes de lecture
Or, si la maîtrise de la langue orale tient désormais une place importante dans
le nouveau curriculum, on constate dans les classes une difficulté générale à
pratiquer d'autres activités que l'élocution, la récitation traditionnelles. Un Colloque,
tenu à Neuchâtel en septembre 1 989, a tenté de cerner les raisons de cet état de fait,
et de proposer des voies concrètes de solution.
Faut-il mettre en cause, comme le fait l'avant-propos de l'ouvrage, qui présente
une synthèse des travaux de ce Colloque, le manque «d'outils didactiques et
d'instruments de gestion de la classe appropriés», le manque 6' «une assise théo¬
rique solide sur laquelle appuyer une pratique éventuelle», le manque d'instruments
d'évaluation adaptés ? Il n'est pas sûr que ce diagnostic donne la clé du problème.
Il est de fart, par exemple, que les recherches INRP menées dans les années 75-80
sous la direction d'Anne-Marie HOUDEBINE (voir dans la Collection INRP-Nathan,
«Ef l'oral alors ?» ), celles de Claire Blanche-Benveniste avec le G.A.R.S. à Aix,
celles du Groupe INRP «Variation» dans les années 84-86 (voir «Repères» n°61 , 67,
76 ) n'ont pas éveillé le même intérêt que des travaux sur la lecture... Ce qui est en
cause c'est, précisément, une pédagogie, une didactique de l'oral prenant de front
les questions de norme, de variation des normes soctolinguistiques dans les
pratiques orales de la communication sociale que l'écrit peut ignorer mais qui sont,
à l'oral, incontournables. On se heurte ici aux représentations normatives de la
langue les plus ancrées chez les enseignants (et même des didacticiens...).
Ceci dit, le dossier constitué est d'un intérêt premier : Philippe Perrenoud
interroge les pédagogies de l'oral (la norme, la communication), Eddy Roulet
interroge la diversité des oraux observables dans des interactions effectives,
Frédéric François décrit des aspects non normes de la «mise en mots», des
enchaînements dans des dialogues entre enfants de maternelle... On ne saurait citer
ici tous les éléments de ce riche dossier qui présente non seulement des thèses, des
problématiques théoriques sur la possibilité d'une pédagogie de l'oral, mais aussi
des pratiques de classe visant à développer des apprentissages rationalisés de
l'argumentation orale.à organiser des situations de communication fonctionnant sur
des projets, des réseaux, des jeux de rôle, («si on jouait à...) ou des moments
(provoqués ou non) d'expression individuelle, d'échange, et enfin des pratiques
d'évaluation formative.
La dernière partie de l'ouvrage, traitant de l'inévitable question des rapports de
l'oral et de l'écrit, qui est au coeur de ce «Repères» n" 3, en présente deux aspects :
«L'argumentation orale prépare-t-elle au texte argumentatif écrrt ?» (Daniel
Bain) ;
les rapports d'intégratton, d'interprétation entre lecture et expression orale,
dans la lecture orale ; les rapports d'interdépendance lorsqu'on utilise des
notes, pour faire un exposé par exemple (Jacques Weiss).
La dernière contribution pose la question d'une pédagogie de l'oral qui n'im¬
pliquerait pas l'enseignement de compétences langagières en soi, mais qui les
développerait en tant que support des autres apprentissages, et notamment les
apprentissages métacognitifs : «(métàpommunpuer pour apprendre, c'est faire de
l'oral à plein temps» drt Daniel Martin. C'est, implicitement, la thèse que soutiennent
plusieurs articles de ce «Repères» n" 3.
L'ouvrage ne conclut pas : «En l'état actuel du chantier, l'urgent n'est pas
d'uniformiser, mais plutôt de donner droit de cité à diverses stratégies du change¬
ment». On ne peut qu'abonder dans ce sens.
197
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Dépôt légal 2* trimestre 1991
"REPERES" DISPONIBLES
REPÈRES
un lieu d'échange, de débat scientifique pour tous ceux qui interrogent le rôle du
langage dans l'enseignement, l'apprentissage.
REPÈRES
un outil de travail pour les formateurs, les chercheurs en didactique du français
langue maternelle,
des recherches en cours dans les écoles, pour les écoles et la formation des
maîtres.