Repères Nº 26-27 - 2002-2003
Repères Nº 26-27 - 2002-2003
Repères Nº 26-27 - 2002-2003
COMITÉ DE RÉDACTION
Jacques COLOMB, Département Didactiques des disciplines, INRP
Michel DABENE, université Stendhal, Grenoble
Isabelle DELCAMBRE, université Charles de Gaulle, Lille
Gilbert DUCANCEL, IUFM de Picardie, Centre d'Amiens
Claudine GARCIA-DEBANC, IUFM de Toulouse
Francis GROSSMANN, université Stendhal, Grenoble
Danièle MANESSE, université Paris V
Elisabeth NONNON, IUFM de Lille
Marie-Claude PENLOUP, université de Rouen
Sylvie PLANE, INRP, Didactique du français
Yves REUTER, université Charles de Gaulle, Lille
Hélène ROMIAN (rédactrice en chef de 1971 à 1993)
Catherine TAUVERON, INRP, Équipes Français École, IUFM de Rennes
Jacques TREIGNIER, Inspection départementale de l'EN de Barentin, 76
Gilbert TURCO, IUFM de Rennes
COMITÉ DE LECTURE
Suzanne ALLAIRE, université de Rennes
Jacques BERNARDIN, IUFM d'Orléans-Tours, Centre de Chartres
Jean-Paul BRONCKART, université de Genève
Michel BROSSARD, université de Bordeaux II
Jean-Louis CHISS, ENS de Fontenay-Saint-Cloud
Jacques DAVID, IUFM de Versailles, Centre de Cergy-Pontoise
Régine DELAMOTTE-LEGRAND, université de Haute Normandie
Francette DELAGE, Inspection départementale de l'EN de Rezé
Simone DELESALLE, université Paris VIII
Danièle DUBOIS-MARCOIN, université d'Artois
Jacques FIJALKOW, université de Toulouse-Le Mirail
Michel FRANCARD, faculté de Philosopliie et Lettres, Louvain-la-Neuve
Frédéric FRANCOIS, université Paris V
Guislaine HAAS, université de Dijon
Jean-Pierre JAFFRÉ, CNRS
Dominique LAFONTAINE, université de Liège
Rosine LARTIGUE, IUFM de Créteil, Centre de Melun
Mohamed MILED, université du 7 novembre, Carthage
Bernadette MOUVET, université de Liège
Micheline PROUILHAC, IUFM de Limoges
Bernard SCHNEUWLY, université de Genève
Claude SIMARD, université Laval, Québec
Sommaire
1. Présentation
La didactique du français, témoin et acteur de l'évolution du questionnement sur
l'écriture et son apprentissage
Sylvie Plane, LEAPLE (UMR 8086 CNRS - Université Paris V) & INRP,
IUFM de Paris 3
2. La didactique de l'écriture en questions : définitions et problèmes
Quelques questions à propos des formalisations de l'écriture en didactique
du français
Yves REUTER, Équipe Théodile (E.A. 1 764), Université Charles de Gaulle, Lille III .... 21
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
Jean-François HALTE, CRDF/CELTED, Université de Metz 31
AVERTISSEMENT
Utilisation de l'orthographe rectifiée
Après plusieurs dizaines d'autres revues francophones, REPÈRES applique
dorénavant les «Rectifications de l'orthographe» proposées en 1990 par le
Conseil supérieur de la langue française, enregistrées et recommandées par
l'Académie française dans sa dernière édition. Les nouvelles graphies sont
d'ores et déjà, pour plus de la moitié d'entre elles, prises en compte dans les
dictionnaires courants. Parmi celles qui apparaissent le plus fréquemment dans
les articles de notre revue: maitre, accroître, connaître, entraîner, événement,...
© INRP, 2002
ISBN: 2-7342-0938-1
LA DIDACTIQUE DU FRANÇAIS,
TÉMOIN ET ACTEUR DE L'ÉVOLUTION
DU QUESTIONNEMENT SUR L'ÉCRITURE
ET SON APPRENTISSAGE
4. Voir l'analyse de l'évolution des thématiques relatives au récit dans Tauveron 1999,
et en contrepoint l'analyse de Nonnon qui montre dans le numéro 21 de Repères
comment le récit a été en quelque sorte confisqué par l'écrit.
5. Faisant en 1990 le bilan des recherches en didactique du français pour la période
1970-1984, et se référant aux travaux de Sublet, Georgette Pastiaux-Thiriat souli¬
gnait la place privilégiée qu'occupait alors la poésie.
6. La bibliographie établie par Daniel Lançon (Denizeau et Lançon, 2000) permet de voir
aux côtés de Georges Jean, Yves Bonnefoy ou Jean-Pierre Balpe tous ceux qui ont
mené conjointement une expérience poétique et une réflexion sur l'enseignement de
la poésie, en jouant parfois du dédoublement d'identité comme Serge
Martin/Ritman. Cf. également les propos de Siméon sur l'écriture poétique comme
pratique dans le numéro 13 de Repères consacré à la lecture et l'écriture littéraires à
l'école.
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
7. Pour Matsuhashi (1982), qui signale le caractère précurseur et isolé des travaux de
van Bruggen, 1970 est l'année charnière au cours de laquelle s'opère le passage
d'une centration sur le produit à une centration sur les processus de production
8. La contribution de Michel Fayol et Claudine Garcia-Debanc dans ce numéro fait le
point sur cette question.
9. On pense ici en particulier aux travaux de Claudine Fabre qui a appliqué à l'analyse
des brouillons d'écolier les principes méthodologiques de la génétique textuelle.
(Fabre, 1990)
10. Françoise Ropé, dans sa recension des recherches en didactique menées de 1970 à
1984 notait en 1991 une croissance régulière du nombre d'items concernant l'éva¬
luation.
La didactique du français, témoin et acteur de l'évolution du questionnement sur l'écriture
(Turco, 1987 ; Groupe Eva, 199111 ; Allai, Bain & Perrenoud, 1993).
Ces deux questions, en apparence disjointes - la première, relative à
la production, se situant sur le versant apprentissage, la seconde, rela¬
tive à l'évaluation, sur le versant enseignement - ont, dès l'origine, été
reliées parce qu'elles mobilisaient des referents communs, tels ceux
fournis par les modélisations de l'activité rédactionnelle ou par les
typologies textuelles alors disponibles (davantage convoquées, on
s'en doute, par la didactique de la lecture), et parce qu'elles susci¬
taient l'une et l'autre des interrogations sur les mêmes thèmes : la
place accordée à la référence à des écrits sociaux dans les dispositifs
d'enseignement-apprentissage, la fonction de la problématisation
dans les apprentissages langagiers (Ducancel, 1988), le rôle attendu
de la maitrise du métalangage dans la construction des compétences
langagières (cf. analyses dans Bouchard & Meyer, 1995 ; Dolz et
Meyer, 1998), les modes d'articulation ou de disjonction des diffé¬
rentes composantes linguistiques mises en jeu dans la production
d'écrits (Mas, 1991), l'identification des obstacles à la révision ou à la
réécriture (Plane, 1994, 1996) sont autant de thèmes communs aux
problématiques centrées sur la production et à celles centrées sur
l'évaluation12.
1 1. Sur la recherche menée par cette équipe, voir la note 1 de l'article de C. Tauveron
« Écriture et créativité : constantes et glissements en trente ans de recherche »
(Repères 20), qui dénonce les erreurs d'interprétations dues aux lectures légères ou
hâtives qui ont pu être faites de ces travaux.
12. Le titre d'un ouvrage issu d'une recherche de l'INRP, intitulé De l'évaluation à la
réécriture signale explicitement la jonction entre ces deux problématiques.
13. Notamment Donahue C.(2000) Genres, mouvements textuels, subjectivité dans /es
écrits d'apprentissage académique : l'interprétation du discours des étudiants - écri¬
vains américains et français. Thèse Nouveau régime. Université Paris V.
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
les variations de définition qu'on lui connait - est un bel exemple de ces objets
théoriques structurants et efficaces sur le plan didactique.
10
La didactique du français, témoin et acteur de l'évolution du questionnement sur l'écriture
par ailleurs, les rapports à l'écriture, la familiarisation avec les pratiques d'écri¬
ture, les usages de l'écriture étaient socialement différenciés.
Pour traiter cette question, il a été fait appel à des travaux s'intéressant à
l'analyse des pratiques d'écriture, des représentations, des postures de scrip¬
teurs, ainsi qu'à l'analyse de différents dispositifs d'écriture, dont les ateliers.
Ainsi, malgré son orientation sociologique, cet axe de questionnement ne se
cantonnait pas à un type d'études, mais s'ouvrait à la diversité des approches.
Cependant, il s'est trouvé que le thème de l'atelier d'écriture a été assez peu
développé dans les communications présentées. C'est là une donnée déce¬
vante, certes, mais qui peut s'expliquer, soit par un effet de saturation, la ques¬
tion ayant été abondamment traitée dans des travaux relativement récents
(Barré de Miniac et Poslaniec, 1999), soit parce que l'atelier d'écriture est consi¬
déré comme un lieu à part, ni scolaire, ni non-scolaire, et qu'il ne trouvait pas
bien sa place dans un colloque à orientation nettement didactique.
11
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
12
La didactique du français, témoin et acteur de l'évolution du questionnement sur l'écriture
phiques censées les préparer à l'écriture, sans que celles-ci soient articulées
aux apprentissages conceptuels en jeu dans l'écriture. Elle préconise donc d'af¬
fecter aux exercices graphiques la double fonction de préparer au graphisme
proprement dit et à l'apprentissage du jeu scolaire, et de favoriser la conceptua¬
lisation par le recours aux verbalisations. De son côté, l'anthropologue
Dominique Blanc pose un tout autre regard sur les activités destinées à préparer
l'entrée dans l'écriture. Ainsi, après s'être interrogé sur la référence à l'anthropo¬
logie qui se développe chez les didacticiens, il s'appuie sur l'exemple de la cou¬
ture et de la cuisine pour montrer quel regard l'anthropologie peut porter sur les
activités qui se déroulent dans le cadre de l'école maternelle ; puis, entrant en
dialogue avec Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, il examine, de son point de vue
d'anthropologue, les rites d'entrée dans l'écriture à l'école maternelle et leur
évolution historique.
13
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
Deux des articles s'intéressent au retour du scripteur sur son texte, l'article
de Claire Lacoste et celui de Catherine Bore. Le premier, s'appuyant sur l'étude
14
La didactique du français, témoin et acteur de l'évolution du questionnement sur l'écriture
15
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
BIBLIOGRAPHIE
16
La didactique du français, témoin et acteur de l'évolution du questionnement sur l'écriture
Fitzgerald, 1987 et
17
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
18
La didactique du français, témoin et acteur de l'évolution du questionnement sur l'écriture
19
QUELQUES QUESTIONS À PROPOS
DES FORMALISATIONS DE L'ÉCRITURE
EN DIDACTIQUE DU FRANÇAIS
Autant donc le dire d'entrée de jeu, il s'agit plus de présenter un état des
questions que je me pose (/. e. dont j'estime qu'elles peuvent se poser) à propos
21
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 Y. REUTER
Voir, par exemple, les éléments de synthèse proposés dans Lecourt 1999 ou dans
Serres et Ferrouki 1997
22
Quelques questions à propos des fomalisations de l'écriture en didactique du français
analyser les pratiques des élèves, leurs réussites, leurs difficultés (on
se situe ici du côté du fonctionnement des apprentissages et des
effets possibles de l'enseignement) ;
fonder théoriquement et évaluer empiriquement d'autres pistes pos¬
sibles quant à l'enseignement - apprentissage de l'écriture en vue de
remédiations à apporter face à certains problèmes (ce qui nous posi¬
tionne ici du côté de la dimension praxéologique de la discipline).
2. Ce qui n'interroge nullement leur légitimité dans leur champ d'origine mais la ques¬
tionne dans le champ de la didactique du français qui, s'il est régi par le transfert et
la monoréférentialité, tend alors à consistance.
3. La « nature » des situations ou des objets analysés, l'orientation de l'analyse, cer¬
taines méthodes ? Tout cela demeure encore incertain
23
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 Y. REUTER
par les chercheurs suisses que celle de formalisation de l'écriture pour la didac¬
tique du français que j'avais avancée à partir de l'écriture (Reuter 1996 et
1998b). II s'agit de la tension entre les visées descriptive et praxéologique, la
seconde se transformant tendancieUement en visée prescriptive, avec les
risques conséquents de l'applicationnisme et/ou de l'interventionnisme dans la
mesure où un modèle, conçu comme outil de travail dans le champ de la
recherche, tend à devenir un guide, aussi bien pour définir les objets à enseigner
que pour construire l'action dans les classes. Ce qui me parait donc ici fonda¬
mentalement en jeu, c'est aussi bien la structuration de la discipline de
recherche entre des visées de différents types (descriptive, praxéologique...)
que les frontières entre recherche et intervention didactiques.
A-t-on besoin, par exemple, d'un modèle plutôt statique de ce qu'il est
nécessaire de « posséder » pour écrire, de modèles plutôt dynamiques de la for¬
mation de la compétence scripturale et/ou de l'apprentissage de l'écriture, et/ou
de sa mise en uvre ?
Autant dire qu'ici encore les réponses me paraissent loin d'être évidentes,
mais encore faut-il travailler à l'émergence des questions...
24
Quelques questions à propos des fomalisations de l'écriture en didactique du français
exemple, Delcambre 1997 ou Borzeix et Fraenckel, éds, 2001). Elle insiste plutôt
sur contextualisation (matérielle, existentielle, institutionnelle, historique...), plu¬
ralité, diversité... Elle insiste sur la relation indissociable entre l'écriture et l'uni¬
vers de sens (pratiques, représentations, rapports au monde...) au sein duquel
elle s'actualise ainsi que sur l'imbrication entre les pratiques et leurs modalités
d'indexation6. On pourrait, pour résumer cela, dire que dans la première
conception, on parle de /'écriture et alors que, dans la seconde conception, on
traite plutôt des écritures.
Dès lors, deux questions au moins peuvent être soulevées. Ces deux
conceptions sont-elles également pertinentes pour la didactique du français ?
Peut-on se priver de l'une ou de l'autre ?
Mais, de son côté, la notion de pratiques est tout aussi fondamentale pour
éviter de naturaliser le construit, pour penser les principes de variation, pour
préciser les spécificités des pratiques scolaires et de leurs referents, pour
approcher certaines difficultés des apprenants, surtout lorsqu'elles sont différen¬
ciées socialement8...
Si l'on accepte ces quelques propositions, qui mériteraient sans nul doute
d'être plus largement explicitées et discutées, les questions initiales se dépla¬
cent donc vers les modes d'articulation, possibles et pertinents, au sein d'un
modèle de l'écriture de ces deux conceptions qui n'en demeurent pas moins, à
mon sens, antagonistes... La tension est donc réintroduite au sein même du
modèle...
6. Ainsi, inscrire des noms sur une feuille de papier dans certaines circonstances, c'est
écrire et/ou jouer aux cartes.
7. Sur la « bonne position » du savoir à enseigner, voir ChevaUard 1985.
8. Voire, sans doute, pour mieux analyser certaines limites de la notion de transfert.
25
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 Y. REUTER
9. Voir, dans la mouvance de Goody ou d'Oison, les travaux sur la fonction cognitive de
l'écriture et sur les relations entre écriture et construction de connaissances.
10. Qui reste, très curieusement, dominante, dans l'univers didactique.
11. Voir, le numéro 89 de la revue Pratiques (mars 1996), consacré aux relations entre
écriture et créativité.
12. Voir, par exemple, les éclairages apportés sur cette question par la génétique tex¬
tuelle.
13. Voir la place accordée à cette dimension dans les souvenirs d'écriture des étudiants
(Daunay et Reuter 2002).
14. Voir mes remarques sur la sous-estimation fréquente de cette dimension, dans
Reuter 1996
1 5. Micro-dysfonctionnements, souvent émiettés autour de marques orthographiques ou
de phénomènes syntaxiques ou macro-dysfonctionnements organisant des regrou¬
pements autour de renonciation, de l'image du scripteur, de l'alternance des plans
dans les récits...
26
Quelques questions à propos des fomalisations de l'écriture en didactique du français
27
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 Y. REUTER
J'avancerai ici, qu'il convient, sans doute, de l'inscrire dans une configura¬
tion proprement disciplinaire22 qui intègre les autres objets didactiques et leurs
modèles qu'il s'agisse :
d'« activités » : lire, parler, écouter, ...
de « conduites » : raconter, décrire, expliquer, argumenter, commenter,
analyser, interpréter...
d'« objets » : le récit, tel genre...
de « composantes » : la graphie, l'orthographe, la syntaxe...
Ainsi, pour illustrer le second point, on peut se demander jusqu'à quel point
une formalisation de l'écriture qui intégrerait les notions de « tensions » ou
même d'« opérations » pourrait se satisfaire de modèles purement structuraux
du récit ou de la description...
22. Qui n'a elle-même rien d'évident si l'on accepte l'idée que ce qui concerne les pra¬
tiques langagières constitue, en quelque sorte, une « transdisciplinarité ». si l'on
accepte aussi le fait que cette configuration est variable diachroniquement et syn¬
chroniquement (selon pays, filières, niveaux scolaires...). Si l'on accepte encore que
la définition de la configuration (de ses sous-composantes, de leurs relations...) est
la résultante de rapports sociaux au sein desquels s'inscrivent les didacticiens.
28
Quelques questions à propos des fomalisations de l'écriture en didactique du français
BIBLIOGRAPHIE
BARRÉ DE MINIAC C. éd., (1996) : Vers une didactique de l'écriture. Pour une
approche pluridisciplinaire, Paris Bruxelles, De B et Larcier et INRP.
BARRÉ DE MINIAC C. (2000) : Le rapport à l'écriture. Aspects théoriques et
didactiques, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.
BAUTIER É. (1995) : Pratiques langagières, pratiques sociales, Paris,
L'Harmattan.
BAUTIER É. (2001) : « Pratiques langagières et scolarisation », Revue française
de pédagogie, n" 137, La pédagogie et les savoirs : éléments de débat,
octobre - novembre - décembre.
BORZEIX A. et FR/ENCKEL B., éds, (2001) : Langage et travail. Communication,
cognition, action, Paris, Éditions du CNRS.
BRASSART D. G. et REUTER Y. (1992) : « Former des maîtres en français. Élé¬
ments pour une didactique de la didactique du français », Études de lin¬
guistique appliquée, n° 87.
BRONCKART J. P. et SCHNEUWLY B. (1991) : « La didactique du français
langue maternelle : l'émergence d'une utopie indispensable », Éducation et
recherche, 13e année, n° 1.
CHEVALLARD Y. (1985) : La transposition didactique. Du savoir savant au savoir
enseigné, Grenoble, La Pensée sauvage.
DABÈNE M. (1987) : L'adulte et l'écriture. Contribution à une didactique de Técrit
en langue maternelle, Bruxelles, De Bck-Wesml.
DABÈNE M. (1995) : « Quelques étapes dans la construction des modèles »,
dans J. L. CHISS, J. DAVID et Y. REUTER, éds, : Didactique du français.
État d'une discipline, Paris, Nathan.
DAUNAY B. et REUTER Y. (2002) : « Le rapport à l'écriture d'étudiants de
Sciences de l'Éducation. Étude exploratoire à partir d'un corpus de souve¬
nirs sollicités, les Cahiers THÉODILE, n° 2, Villeneuve d'Ascq.
DAVID J. et PLANE S. (éds) (1996) : L'apprentissage de l'écriture, de l'école au
collège, Paris, PUF.
DELCAMBRE P. (1997) : Écriture et communication de travail. Pratiques d'écri¬
ture des éducateurs spécialisés, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires
du Septentrion.
DE PIETRO J. F., ÉRARD S. et KANNEMAN-POUGATCH M. (1997) : « Un
modèle didactique du « débat » : de l'objet social à la pratique scolaire »,
Enjeux, n° 39-40, déc. 1996-mars 1997.
DE PIETRO J. F. et DOLZ J. (1997) : « L'oral comme texte ou comment
construire un objet enseignable », Éducation et recherche, nc 3.
DOLZ J. et SCHNEUWLY B. (1998) : Pour un enseignement de l'oral. Initiation
aux genres formels à l'école, Paris, ESF.
GARCIA-DEBLANC C. (1990) : L'élève et la production d'écrits, Metz, Centre
d'Analyse Syntaxique de l'Université de Metz, diffusion CRESEF.
29
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 Y. REUTER
30
DIDACTIQUE DE L'ÉCRITURE, DIDACTIQUE
DU FRANÇAIS : VERS LA COHÉRENCE
CONFIGURATIONNELLE
31
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
32
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
33
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
Celle-ci a de la difficulté à trouver son juste compte dans une DDE dont la
multidimensionnalité rend l'usage difficile. Les travaux sur l'écriture, dans leur
dispersion légitime, ressemblent à une boite à outils où se trouveraient aussi
bien ceux du plombier et de l'électricien, ceux de l'horloger et ceux du dentiste.
Qui plus est, trouver le bon outil est d'autant plus délicat qu'il est extrêmement
difficile d'identifier la source précise de la panne.
Louis d'Hainaut disait, il y a plus de vingt ans, que « les problèmes d'écri¬
ture sont sans issue prévisible ». Dès lors, si rendre compte d'un texte d'élève
est possible en exploitant une représentation plus ou moins consciemment
construite du texte bien formé, il est bien plus difficile de rapporter correctement
le produit au processus de sa production et d'imputer avec certitude tel dys¬
fonctionnement textuel à tel défaut du processus.
34
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
transférable dans une nouvelle tâche d'écriture. II semble que toutes avancent
(ou stagnent) en même temps.
Les choses ont - elles réellement changé ? Sans doute. Cette imprégna¬
tion-là, dans la classe, dans le jeu de la lecture et de l'écriture en classe a été
reconnue pour ce qu'elle était : une pratique de la connivence sociale et cultu¬
relle. Aujourd'hui, les transferts ne sont plus évidents, simples, immédiats,
directs, mécaniques, ni perçus comme tels par la majorité des enseignants.
L'image d'une population se reconnaissant à l'identique dans son patrimoine
culturel, ou, au pire, s'appropriant, grâce à l'école, ce patrimoine et les valeurs
qu'il véhicule sans le contester, s'est fracturée. De ce point de vue, substituer
l'efficace de l'enseignement / apprentissage de savoirs et de savoir faire aux
vertus magiques de l'ancienne imprégnation, interposer des problématiques
35
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
À défaut, une étude locale effectuée par une équipe CEFISEM de la région
messine donne ce type d'indications. Les variations positives en production
d'écrits, dépendent d'abord de facteurs comme l'équipe pédagogique, sa cohé¬
sion, son moral, sa détermination, la qualité de son projet, ses accords sur les
stratégies pédagogiques, en particulier sur des items comme la finalisation et la
motivation des activités (ou des tâches), la construction collective du sens de
l'activité etc. D'une école disposant d'une équipe et d'un projet et d'une autre
qui en serait dépourvue, la première obtient de meilleurs résultats en production
d'écrit. De deux écoles également pourvues en équipe et en projet mais dont
l'une est mieux préparée didactiquement, la plus forte didactiquement obtient
les meilleurs résultats. Bien que l'étude, malheureusement, ne permette pas de
savoir quelle DDE était pratiquée et jusqu'à quel point la différence est significa¬
tive entre équipes didactiquement fortes ou faibles, il est clair que les éléments
proprement didactiques n'interviennent qu'en second.
3. Elles indiquent que le score moyen national en production de texte est, en 1999, de
12,7/19 et est atteint par 67 % de la population scolaire. (6ème, 1999) tandis qu'en
2001 , la même production de texte passe à 1 2,6 / 1 8 et est atteinte par 70 % de l'ef¬
fectif, mais un autre chiffre signale une variation non significative de 0,3 % entre 98
et 2001 , etc. Quant à ce qui précède, l'outil de mesure ayant évolué, les résultats ne
sont pas rapportables.
36
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
37
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
Si ce jugement est correct, il signifie que, pour un temps au moins, les pro¬
grès en DDE ne peuvent qu'être marginaux : pour parler à la manière de Kuhn, il
reste sans doute à construire et résoudre les énigmes normales de la science
normale. De façon moins pompeuse, il reste des points à creuser, qui ne sont
pas minces, par exemple, sur la construction des connaissances en acte, le
passage de celles-ci au concept, l'incidence des concepts enseignés sur la
dynamique des connaissances, sur la spécification des types de texte par le
genre et, sur le rôle des valeurs dans l'invention d'un récit ou le développement
d'une argumentation, sur les incidences respectives des interventions locale et
globale, etc. mais l'essentiel est en place en termes de recherche.
savants ou à les dissoudre dans une espèce de flou artistique. Dans ce contexte où il
s'agit de didactique, je préférerai évoquer plutôt la construction des relations entre
« connaissances en actes » et savoirs et connaissances (voir le distingo de
ChevaUard sur savoirs et connaissances), ou Halte J.-R, « L'espace didactique et la
transposition », Pratiques N° 97/98, juin 1998.
6. J'avançais, jadis, une conception du « pari » didactique, selon lequel le savoir faire
était le lieu de l'opératoire et que la tâche risquée de l'enseignant était, par le « faire
faire » de la consigne et de la situation d'écriture, de permettre la mise en place chez
l'apprenant de « sites cognitifs » pour accueillir les concepts théoriques, susceptibles
de faire retour dans la construction du savoir faire. Si cette façon de voir me semble
toujours juste, elle mériterait d'être largement reformulée dans des termes moins
métaphoriques et plus opérationnels. II faut pouvoir parier à une très forte cote...
38
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
2. LA COHÉRENCE CONFIGURATIONNELLE
Cette scie que l'on entend de façon récurrente depuis le début de la réno¬
vation, est outrancière et simpliste, ses passéismes théorique, didactique, édu¬
catif, égalitariste / élitiste, Culturaliste... ont été dénoncés maintes fois et il est
inutile d'y revenir. Cependant... Comment se fait-il qu'elle soit toujours aussi
vivace ? Comment se fait-il qu'elle ait perdu si peu de terrain en 30 ans ? Sur
quel terreau scolaire prospère-t-elle ? Se réduit-elle simplement à ses enjeux
idéologiques ? Elle fait son miel en tous cas des résultats mitigés de la rénova¬
tion, notamment en lecture et en écriture, et si elle n'est pas plus aujourd'hui
qu'hier, une réponse, elle prospère sur le désarroi des maitres.
39
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
Dans cet idéal, le faire du professeur et celui de l'élève sont aux com¬
mandes. Le système didactique fonctionne. La logique d'apprentissage gou¬
verne la logique d'enseignement, les deux s'accrochent à la logique de l'action
pourvue de sens. Les savoirs enseignés s'articulent, s'ajustent, aux activités
productives. Ce bricolage-là ressemble furieusement au professionnalisme le
plus abouti.
40
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
10. Un indice de cette situation est la multiplication à l'université des « techniques d'ex¬
pression », des formations à l'écriture. Mauvais indice, certes, qui camoufle des
défauts didactiques et pédagogiques classiques de l'université, qui traduit essentiel¬
lement le passage à une université de masse, mais qui situe nettement le malaise,
néanmoins, du côté des performances écrites...
11. ... Qui est une vraie question, à laquelle d'autres réponses que celles, régressives,
de l'Association doivent être apportées.
12. Une remarque en passant : cette profusion vérifie l'étroite relation entre le dévelop¬
pement de recherches, la demande sociale et institutionnelle.
41
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
Le modèle du bricolage didactique, dont j'ai fait l'éloge, trouve là son ori¬
gine, et rencontre les limites qui lui sont inhérentes. Les garde-fous du savoir
programmable devenus suspects, les nouveaux savoirs apparaissent plus
comme un bric à brac désordonné, extensible, dans lequel puiser, que comme
une organisation rationnelle dont les enseignants auraient la maitrise, la saisie en
« compréhension » plutôt qu'en « extension ».
13. On ne peut considérer l'entreprise dite de Lecture méthodique comme une tentative
réussie de formalisation.
14. J'aurais mauvaise grâce à le faire pour avoir participé à leur promotion, tant en qui
concerne le projet d'écriture longue, qu'en ce qui touche à la notion d'apprenable.
42
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
43
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
Mais pour autant, aucun de ces ouvrages n'inclut nettement, par exemple,
l'oral et l'écrit dans leur rapport commun à l'activité langagière, aucun ne les
spécifie sur cette base commune, en termes d'interaction par exemple, ou
d'énonciation, ou de cohérence..., aucun ne fait place à des notions comme
celle de formation discursive, ou de genre, etc. Aucun ne réunit exhaustivement
44
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
les savoirs nécessaires aux DDE, DDO (oral) ou DDL, encore moins à leurs inter¬
actions.
16. Frontières flottantes : elles ne se recouvrent pas aisément dans les trois ouvrages
même si de nombreuses thématiques sont communes. Elles témoignent de la diffi¬
culté à définir des finalités consensuelles. Jusqu'à quel point ces ouvrages sont-ils
des « grammaires » ? Poser cette question revient à ouvrir l'interrogation épistémolo¬
gique à propos de « grammaire de texte » et « grammaire du discours », toutes
appellations métaphoriques.
17. Ces questions méritent des développements plus amples que je ne peux mener ici.
45
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
bien que mal le dispositif organisationnel : tout change dans les contenus, rien
ne bouge ou presque dans la distribution. Au bout du compte, comme pour les
grammaires précédemment évoquées, le dispositif donne le sens du message.
46
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence configurationnelle
Or, ce n'est pas le moindre mérite des travaux sur l'oral que d'avoir favorisé
l'avancée vers une conception plus large et plus ajustée de l'écrit. En ce sens,
ici même, lors de ce colloque, les travaux sur les écrits intermédiaires, sur les
écrits de travail, sur la lecture même de la partition écrit / oral, la prise en
compte des fonctionnalités basiques respectives des deux ordres, les construc¬
tions plus subtiles qui s'élaborent entre cognition, langage et médium amènent à
amender le paradigme. L'observation du travail des classes montre, entre
autres, que l'oral et l'écrit sont d'abord utilisés fonctionnellement : on y recourt
spontanément en tant que de besoin, souvent sans délibération consciente, ni
de la part de l'enseignant ni de la part des élèves, de manière très intriquée et,
pour autant qu'on puisse en juger superficiellement, très pertinente. Dans un tel
cadre, où la notion de trace reprend tout son poids, l'écrit stylé, norme, d'ex¬
pression et de fiction, n'est plus à penser comme le nec plus ultra qu'il faudrait
viser, mais comme l'un des emplois ou l'une des fonctions particulières de
l'écrit, qu'il faut travailler comme les autres, dans sa différence avec les autres,
un cas, somme toute d'exploitation rationnelle des propriétés du média. Les
amoureux de la littérature - j'en suis -, les passionnés du verbe, ceux-mêmes
47
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-F. HALTE
qui sont convaincus que cette écriture-là est la plus exigeante parce que la plus
élaborée et donc la plus nécessaire19, auraient tout à gagner dans une configu¬
ration où elle trouverait toute sa place dans le dispositif, place d'autant moins
contestée qu'elle permettrait que, à côté, mais en lien, un espace défini soit
dégagé pour une ambition plus vaste, à hauteur de la généralité des besoins
langagiers.
19. Parmi les mauvais arguments plaidant pour l'écriture littéraire figure celui-ci : préco¬
niser le travail sur les écrits sociaux et fonctionnels (recettes, modes d'emplois...)
comme cela aurait été fait il y a quelque temps, aurait produit des effets pervers de
déclassement. Si l'écriture « littéraire » de fiction représente le modèle d'excellence,
alors la pratique des autres écrits stigmatise et déclasse ceux qui s'y adonnent... (En
substance : P. Meirieu, Figaro Magazine du 23 octobre 1999). Le constat peut être
juste. La conclusion selon laquelle il faudrait réinstaller le littéraire dans son statut
ancien pour le plus grand bien de tous, est par contre tout à fait fallacieuse. L'effet
décrit est un effet de système, de structure, de configuration en un mot. La reconfi¬
guration cohérente le résout en positionnant correctement le langagier et le littéraire.
II ne s'agit pas de séparer torchons indignes et serviettes nobles, mais bien de traiter
de l'écrit, dans tous ses emplois et fonctions.
48
LA COMPRÉHENSION PROGRESSIVE
DU FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME
ALPHABÉTIQUE : UNE PERSPECTIVE
ÉVOLUTIVE1
1. EMERGENT LITERACY
Au cours des dernières années, des changements dans l'approche de l'ap¬
prentissage de la lecture et l'écriture sont intervenus : de l'approche « reading
readiness » on est passé à l'approche dite « emergent literacy » (ou alphabétisa¬
tion émergente). Ces changements ont conduit à reconsidérer l'importance de la
connaissance du langage que les enfants doivent avoir quand ils entreprennent
l'apprentissage scolaire formel de la lecture - écriture. La relation entre oral et
écrit est un des concepts les plus critiques dans l'alphabétisation émergente.
1 . Cette recherche a été réalisée grâce à la bourse PB98-1 1 27. Je tiens à remercier Ana
Canet pour la correction orthographique du français.
49
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 A. TEBEROSKY
Richgels (1995) montre aussi que les enfants engagés dans la réalisation
d'écritures inventées spontanées (invented spelling) peuvent être engagés en
même temps dans des activités de conscience phonologique, parce qu'une
conscience phonologique implicite se développe dans des situations d'écriture
spontanée et que ce type d'activité aide autant la lecture que la reconnaissance
des mots.
Nous pensons qu'il est possible d'envisager ces éléments dans une pers¬
pective évolutive, c'est-à-dire une perspective qui considère les représentations
de l'enfant comme point de départ et les acquisitions conventionnelles et nor¬
matives du système comme point d'arrivée.
2) Les tâches d'écriture que nous proposons (aussi bien pour la recherche
que pour l'enseignement) montrent un processus évolutif et impliquent
toujours :
le texte ou le mot produit ;
les verbalisations pendant l'activité d'écriture ;
la lecture (avec le doigt) ;
les autocorrections.
4) Pour nous, les unités de l'écrit ne sont pas données auparavant, elles
sont construites par l'enfant au fur et à mesure de l'apprentissage de l'écrit (par
exemple, la notion de mot, de phrase, de paragraphe, de texte, de phonèmes,
de lettres).
50
La compréhension progressive du fonctionnement du système alphabétique
Dans un premier travail de 1977, Liberman et al. et ont observé que, dès
quatre ans, les enfants éprouvaient des difficultés à isoler des phonèmes : seu¬
lement 17 % des enfants de cinq ans, et 70 % des enfants de six ans réussis¬
sent cette performance. II a été constaté une corrélation positive entre cette
capacité et celle de la lecture sans que l'on puisse affirmer si la première était la
cause ou la conséquence de la seconde. Les études réalisées en langue cas¬
tillane, par exemple celle de Sebastian et Maldonado (1986), se proposaient
aussi de déterminer la relation entre la capacité métaphonologique et la capacité
de lecture. Ces auteurs ont confirmé que la possibilité de segmenter en syllabes
était antérieure à celle de lecture et d'écriture, alors que la capacité de segmen¬
ter en phonèmes se développait simultanément à la lecture. Ils ont détecté
néanmoins, des stratégies intermédiaires, comme celle de la segmentation
vocalique / syllabique.
51
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. TEBEROSKY
déduire le mot pour l'écrire (en castillan pour les consonnes suivies de lei de
« be », « de », « ge », « pe », « te », « ce »).
Treiman et al. (op. cit.) estiment que les enfants connaissent mieux le nom
des lettres que leur son, et qu'ils arrivent à avoir conscience des sons représen¬
tés par les lettres lorsque le nom de celles-ci reflète la séquence de sons. Par
exemple, pour l'anglais, ils arrivent à dire que Peter commence par « pi » et peu¬
vent ainsi réussir à mettre en relation les lettres et leur son. Ils parviennent aussi
à créer des liaisons entre lettres et sons dans les mots. L'idée que la relation
avec l'oral repose sur les noms des lettres émerge avant l'idée qu'elle repose
sur les sons (par contre, il est difficile de relier directement /donus/ avec /d/).
Cette relation est plus évidente dans l'écriture que dans la lecture.
Le lecteur expert identifie la presque totalité des mots des textes courants
au moyen d'une procédure souvent appelée « reconnaissance orthographique ».
Ce type de représentation est à la fois orthographique et phonologique ; l'ex¬
pression « voie directe » employée par certains, revient à supposer qu'il n'existe
pas de représentations intermédiaires entre la lettre et le mot, qu'il s'agirait
d'une activation de la forme, même avant l'identification du sens.
52
La compréhension progressive du fonctionnement du système alphabétique
Les trois principes préalables ont en commun un facteur : les trois font
référence à la même unité de l'écrit qu'est le mot. II s'agit de la segmentation
des mots, de la connaissance orthographique des mots (de noms de lettres
dans des mots) et de la reconnaissance des mots écrits. Mais, si l'apprentissage
du code alphabétique implique bien de maitriser le principe de relation entre les
lettres ou groupes de lettres et des unités élémentaires phonologiques, il y a
quelque chose de naïf dans l'idée de réflexion directe sur les catégories de la
langue, comme les mots, les morphèmes ou les phonèmes. On sait que les pho¬
nèmes n'ont pas une expression acoustique stable, mais qu'elle varie en fonc¬
tion de la position dans le mot (initiale ou finale). On sait aussi que la
prononciation d'une lettre, telle que /t/ se lit comme IM en début de mot mais ne
doit pas être lue de la même façon en fin de mot (par exemple, « table » versus
« sort »). II s'agit là de phénomènes liés à des règles contextuelles (ayant trait
aux relations de contiguïté) et positionnelles (selon que le graphème est final,
médian ou initial dans le mot). Et, finalement, la reconnaissance des mots est
possible grâce à la séparation graphique, avec des blancs entre des ensembles
de lettres, qui est propre à notre écriture.
L'enfant doit apprendre à écouter les sons représentés par des lettres dans
sa propre langue parlée : écouter le Ibl, représenté par la /ettre B dans sa pro¬
nonciation et dans la prononciation des autres, dans des mots tels que « bébé »,
« baigne », « Berthe », etc. Pour arriver à opérer sur ces éléments, il faut les avoir
auparavant filtrés, démarqués et reproduits. Oison (2002) montre que cela
implique d'avoir une représentation du langage influencée par l'écriture alphabé¬
tique. Cette façon alphabétique de penser oriente non seulement la sélection
des lettres, mais aussi la démarcation des mots.
53
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. TEBEROSKY
C'est une question difficile, car la notion de mot, qui n'est pas acceptée
facilement par les linguistes, est une notion intuitive et pré-théorique. La
réponse la plus rigoureusement codifiée est offerte par l'écriture à partir de l'or¬
thographe : le mot se déduit de l'espace laissé entre des suites de lettres
(Ferreiro, 1998). Les psycholinguistes adoptent sans discussion cette définition
pratique fournie par l'écriture comme s'il s'agissait d'une notion déjà acquise
par l'enfant.
Ce n'est pas que l'enfant en parlant n'utilise pas de mots, mais c'est nous,
les adultes, qui disons qu'il s'agit de mots. Pour l'enfant, il s'agit tout simple¬
ment de parler. Passer des énoncés oraux à la segmentation de mots de l'écrit
n'est pas une opération facile : il faut une certaine analyse que l'écriture permet
et oblige en même temps (Ferreiro, 1998 ; Teberosky, 1998).
II faut remarquer que le nom n'est pas l'unique fragment à isoler du point
de vue de l'enfant. II existe aussi une autre démarcation : dans les discours nar¬
ratifs on rencontre de fréquentes insertions de paroles appartenant à un locuteur
autre, sous la forme de discours direct. Plusieurs recherches ont observé la
répétition de discours direct dans les textes des petits enfants. De la même
façon que les noms désignent les choses, les discours directs ont quasiment
une fonction déictique du fait qu'ils reproduisent l'énoncé de l'autre. Ces pro¬
priétés font des noms et du discours direct de bons candidats pour être écrits
du point de vue de l'enfant.
54
La compréhension progressive du fonctionnement du système alphabétique
55
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. TEBEROSKY
56
La compréhension progressive du fonctionnement du système alphabétique
5. L'INTERVENTION PÉDAGOGIQUE
Beaucoup de maîtres se demandent comment ces types d'activités peu¬
vent être intégrés dans des situations fonctionnelles à partir des représentations
de l'enfant. Nous proposons ici quelque unes de ces situations
57
REPÈRES N° 24/2001 A. TEBEROSKY
Le jeu entre ce qui est écrit et ce qu'il manque aide l'enfant dans la seg¬
mentation. Le maitre peut insister plusieurs fois jusqu'à obtenir la segmentation
maximale et l'écriture maximale (c'est un procédé de segmentation explicite). La
lecture sert à vérifier la segmentation. Évidemment, il faut s'assurer que l'enfant
est au niveau de comprendre la relation entre le langage oral et l'écrit, même s'il
n'arrive pas encore à faire la correspondance exhaustive des voyelles et
consonnes. II s'agit d'une activité de segmentation intégrée dans l'écriture.
Un texte écrit comporte des espaces entre les mots en fonction des
conventions de notre système écrit. Cette partition du texte soulève une pertur¬
bation pour l'enfant et un problème d'interprétation qu'il ne peut résoudre aussi
aisément que l'adulte. Étant donné qu'au niveau oral, il n'y a pas d'unités sem¬
blables, l'enfant doit arriver à comprendre la signification des espaces en blanc.
Ce qui intéresse ici ce n'est pas la capacité de l'enfant à déchiffrer le texte mais
sa capacité à déduire ce qui est écrit dans ces parties.
C'est finalement tout à fait surprenant que l'enfant arrive à accepter que
tous les mots soient écrits (même les petits mots grammaticaux) et de façon
indépendante dans un morceau du texte. Travailler avec des textes apprend aux
58
La compréhension progressive du fonctionnement du système alphabétique
enfants à traiter avec ces morceaux séparés que sont les mots de type lexical
aussi bien que grammatical.
BIBLIOGRAPHIE
59
A QUOI SERVENT
LES EXERCICES GRAPHIQUES ?
Dès la Petite section, les enfants sont soumis à des exercices graphiques
visant à développer chez eux les compétences grapho-motrices et visuo-
61
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M.-T. ZERBATO-POUDOU
62
À quoi servent les exercices graphiques ?
Afin d'identifier les fonctions jouées par chacune de ces activités associées
dans ces exercices, le graphisme, le dessin, et l'écriture j'ai élaboré ce schéma
des « grammaires graphiques »
traces, graphiques
dessins
écritures
Par ce schéma, on voit ce qui différencie les trois activités mais aussi ce
qu'elles ont en commun : l'activité perceptive et motrice sur lesquelles se fon¬
dent les amalgames. Si l'on procède à une analyse des exercices graphiques et
à une enquête sur le terrain, il apparait clairement que le but recherché est d'ai¬
der l'élève à percevoir, explorer, reproduire des formes, mais également à édu¬
quer le mouvement, affiner le geste, aider à la maitrise de l'outil scripteur.
Cependant, est-ce en donnant à reproduire un modèle photocopié, avec la
consigne de « faire pareil » que l'on aide à installer ces habiletés ?
63
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M.-T. ZERBATO-POUDOU
64
À quoi servent les exercices graphiques ?
animé. Mais le modèle n'est qu'un signe social indiquant seulement le pattern
d'action à utiliser ».
Ce n'est que vers 5-6 ans que l'enfant « comprend le modèle comme un
guide et un appui, c'est-à-dire comme un régulateur absolu de l'action ».
Reproduire, c'est agir sur la maitrise gestuelle et effectuer les gestes adé¬
quats, « l'ail dirige la main » écrit fort justement L. Lurçat. II ne va pas de soi,
pour un enfant, de dissocier le geste de son résultat graphique, le syncrétisme
enfantin conduit à un amalgame entre la trace et le geste, entre le résultat de
l'action et l'action qui l'a engendré. Or, la trace et le geste ne se superposent
pas. Les travaux de Piaget montrent en quoi la prise de conscience par le sujet
de son action matérielle est une aide à la régulation de cette action, les régula¬
tions automatiques, spontanées ne suffisant pas. Ainsi, pour reproduire un tracé,
il ne faut pas se borner à en distinguer les aspects formels, mais il est également
nécessaire d'anticiper les gestes à accomplir comme les moyens à mettre en
uvre pour le réaliser.
Le modèle cinétique, tracé sous les yeux, apporte des informations qui
s'avèrent parfois insuffisantes, l'attention étant davantage attirée par la trace (le
65
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M.-T. ZERBATO-POUDOU
résultat attendu) que par le mouvement de la main. Pour éduquer le geste, il faut
le dissocier du résultat graphique, pour ensuite, de façon consciente, associer
au tracé attendu le geste reconnu adéquat parce qu'objectivé et anticipé.
Les exercices répétitifs ne peuvent être en aucun cas des situations d'ap¬
prentissage.
Ce sont en quelque sorte les règles du « jeu scolaire », les bases du contrat
didactique qui sont ainsi acquises, l'apprentissage des conduites de travail,
l'apprentissage du métier d'élève. II faut du temps pour que cette acquisition
66
À quoi servent les exercices graphiques ?
6. L'APPRENTISSAGE DE L'ÉCRITURE
Nadia
MOEL
°otrHOr Céline
67
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M.-T. ZERBATO-POUDOU
Mohamed
68
À quoi servent les exercices graphiques ?
8. CONCLUSION
Dans cette perspective de relativiser la centration sur la forme, je citerai E.
Ferreiro : « à un bon niveau d'écriture ne correspond pas nécessairement un
niveau de conceptualisation élevé ».
69
REPÈRES N° 24/2001 M.T. ZERBATO-POUDOU
-OT^
©
\7
chat poisson
JW IP sauterelle
V^ chat
1mlj
\T) . n
ï
JL. ^ ^ poisso n
-s^-1 crocodile
A P patte
oi E crocodile
malade
70
À quoi servent les exercices graphiques ?
BIBLIOGRAPHIE
71
PREMIERS APPRENTISSAGES
ET PRATIQUES D'ÉCRITURE :
UN REGARD ANTHROPOLOGIQUE
Résumé : Cet article s'attache à montrer quel regard l'anthropologie peut porter
sur les pratiques scolaires en rapport avec l'apprentissage de l'écriture. L'auteur
s'interroge, dans un premier temps, sur l'engouement dont parait bénéficier
l'anthropologie, y compris auprès des didacticiens, et s'inquiète du fait que la
référence à l'anthropologie ou à l'ethnographie ne s'accompagne pas de la prise
en compte d'un certain nombre de concepts qui définissent précisément
l'approche anthropologique, discipline fondée sur la comparaison et ayant
vocation à rechercher ce qui fonde l'appartenance à un groupe. Il prend ensuite
l'exemple de la couture et de la cuisine à l'école maternelle, pour montrer
comment ces activités sont traitées dans l'espace de la classe afin de contribuer à
transformer l'enfant en élève, avant d'examiner, de la même façon, la manière
dont les activités en rapport avec l'écriture ont, au fil des théories, préparé
l'élève à entrer dans l'écriture elle-même. Enfin, il conclut en prenant l'exemple
de l'écriture extra-scolaire des lycéennes et en incitant les disciplines de
recherche à conserver leurs spécificités pour continuer à être complémentaires.
73
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BLANC
II est, en effet, pourrait-on dire pour faire vite, une conception « forte » et
une conception « faible » de l'approche ethnologique. La différence entre ces
deux conceptions ne recoupe pas forcément, empressons-nous de le préciser,
une différence entre représentants patentés de le discipline et les autres. J'ai
traité ailleurs de la réduction de l'approche ethnologique à une micro-ethnogra¬
phie ad hoc appliquée à des espaces et à des groupes dont la définition est
imposée par une réalité donnée sans que rentrent en ligne de compte les
concepts forgés par l'anthropologie (Blanc, 2002). En résumé, l'ethnographie ne
saurait être une simple méthode d'approche des pratiques, totalement indépen¬
dante d'une conceptualisation spécifique. Dans le cas contraire, nous devrions
parler simplement d'observation directe pour éviter toute confusion. Une
conception en apparence « forte », parce qu'elle fait appel à des paradigmes
reconnaissables peut se révéler en réalité « faible » et problématique dans la
mesure où elle résout la question de départ avant même de l'avoir posée :
quelle est la pertinence de la définition de tel ensemble d'individus comme un
groupe constitué (par sa présence dans une même classe, par une même ori¬
gine « ethnique », par les mêmes usages linguistiques, par une même activité
déviante...) dont les pratiques spécifiques (sur le modèle d'une « culture » spéci¬
fique) relèverait d'une approche ethnologique ? L'autre élément déterminant
tient au fait, faut-il le rappeler, que nous nous trouvons à l'intérieur d'une institu¬
tion qui propose ses propres définitions des groupes, de la culture et des diffé¬
rences culturelles. Plus encore, l'institution importe elle-même de plus en plus
souvent les concepts de l'anthropologie à son propre usage. J'en donnerai un
seul exemple qui me parait significatif. La notion de rite et de rituel, qui est sans
doute avec la notion de culture, l'une des plus « fortes » de l'anthropologie, est
explicitement présente dans la manière dont l'institution scolaire organise la vie
quotidienne des élèves. Je ne parle pas ici de la référence générale, partagée
par l'ensemble de la société, au rituel des examens, mais par exemple, s'agis-
74
Premiers apprentissages et pratiques d'écriture - Un regard anthropologique
Chacun sait qu'à l'école maternelle, les institutrices (et les quelques institu¬
teurs qui exercent dans ce cadre) bénéficient d'une liberté relativement impor¬
tante dans l'organisation des activités de leur classe, aussi bien au quotidien
que dans le déroulement d'une année, à condition, bien entendu, que les objec¬
tifs pédagogiques qui s'imposent à toutes soient respectés. Les compte-rendus
qui sont donnés des activités d'une classe sont formulés le plus souvent en
fonction de ces objectifs dont le principal est de préparer tous les enfants à un
accès réussi à la lecture - écriture. Une observation directe des activités dans la
classe peut très bien se laisser guider par cette orientation générale et contri¬
buer à mieux comprendre comment les objectifs sont poursuivis au quotidien à
travers un regard, y compris critique, sur les pratiques effectives au quotidien.
C'est ce que l'on appelle généralement « observation ethnographique » au sens
de la mise en uvre d'une méthode spécifique. Mais un regard véritablement
anthropologique ne saurait se réduire à cet aspect méthodologique. Si l'ethno¬
logue accepte d'aborder la classe et ce qui s'y passe comme un nouveau ter-
75
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BLANC
rain, supposé bien connu, mais qui doit lui apparaitre comme exotique dans un
premier temps, en faisant abstraction provisoirement des discours de l'institu¬
tion, il y verra un lieu divisé en espaces (des « coins ») où des activités, parfois
voisines, parfois incompatibles, définissent des lieux spécifiques pour des pra¬
tiques différenciées. Puis, il ne tardera pas à s'apercevoir qu'à l'école mater¬
nelle, on ne se contente pas « d'écrire » où de multiplier les activités censées
préparer cet acte essentiel, mais aussi que l'on coud et que l'on cuit. C'est tout
le mérite du travail de Laurence Delaytermoz (1992) d'avoir montré comment
l'on pouvait analyser au plus profond la mise en Auvre de l'objectif principal de
l'institution, transformer en écoliers familiers de la lecture - écriture des enfants
issus d'espaces domestiques divers, en s'intéressant à des manipulations à la
fois techniques et symboliques les plus banales en apparence. L'activité de cou¬
ture, par exemple, est soumise à un partage des tâches significatifs. Si la mai¬
tresse « coud » souvent dans la classe (l'année est émaillée de contes mis en
scènes et de fêtes costumées), il est à noter qu'elle « coud » presque exclusive¬
ment du papier ou bien qu'elle ajuste ensemble des pièces de papier et des
pièces de tissu. Quand il s'agit d'une activité de couture sur le modèle de l'acti¬
vité domestique, c'est-à-dire tout simplement de « vraie » couture sur des
pièces de tissu, ce travail est exclusivement réservé à « la dame de service » qui
continue à le pratiquer plus ou moins à l'écart des activités « pédagogiques »
qui se poursuivent parallèlement. Un partage des tâches plus complexe se met
en place lors de la confection des costumes de Carnaval. La dame de service
coud du tissu, la maitresse « coud » du papier ou bien assemble tissu et papier
et les mères fournissent les « dessous », en général des T-shirts de couleur uni¬
forme que l'école a sollicités. Ensuite, on peint et on écrit sur le costume de
papier qui viendra recouvrir le tissu uniforme et sur le corps de l'enfant.
76
Premiers apprentissages et pratiques d'écriture - Un regard anthropologique
Ces derniers opèrent des partages qui n'ont rien d'anodin. Si l'on s'étonne
parfois de constater combien, dès le plus jeune âge, la différence filles / garçons
apparait toujours aussi tranchée à l'école, tout particulièrement dans les
moments d'auto-organisation des groupes, notamment dans les cercles d'amis
ou les jeux d'extérieur, il serait sans doute bon d'interroger plus avant la distri¬
bution et la hiérarchisation des tâches « féminines » à l'intérieur même de la
classe telle qu'elle est inconsciemment pratiquée à l'école « maternelle » : la
« vraie » couture et la « vraie » cuisine y sont apparues comme des tâches
subalternes réservées aux dames de service à l'intérieur de la classe et de
l'école en général, tout comme elles sont réservées aux mamans à la maison. Â
l'inverse, la maitresse est maitresse d'un monde de papier dans lequel elle
accomplit les mêmes tâches « maternelles » (couture et cuisson) mais dans un
sens métaphorique qui, de plus, est constamment accompagné d'une glose qui
déconstruit les gestes pour les reconstruire dans les termes de l'école. Elle est
une figure féminine clairement située « de l'autre côté », celui du savoir et de
l'écriture mais aussi celui de la Loi.
Le cas exposé, dont nous avons détaillé quelques aspects seulement, est
représentatif d'un certain nombre d'écoles observées. Cependant, la liberté rela¬
tive laissée aux équipes pédagogiques et aux individus permet, nous l'avons
déjà souligné, nombre de variations. L'école ayant servi de terrain principal à
l'enquête de 1992 était située dans une ZEP d'une grande ville du Sud-Ouest.
Les institutrices y insistaient tout particulièrement sur les activités concernant la
cuisine, la couture et la confection de costumes à l'occasion de rencontres fes-
tives autour du thème du dragon dans les contes. Ce choix leur semblait sus¬
ceptible de créer des liens d'échange plus étroits entre les familles et l'école, et
convenir à des enfants d'origines diverses. Mais l'école maternelle d'un quartier
« chic » de la même ville, qui se trouvait être aussi un lieu de stage pour les
futures enseignantes, réduisait à leur plus simple expression les activités qui ne
semblaient pas contribuer directement à une entrée dans l'écriture, tandis que
dans un autre établissement situé en ZEP, une équipe d'enseignant(e)s mettait
l'accent sur « la culture » en choisissant l'eau, le fleuve et la mer comme thème
77
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BLANC
78
Premiers apprentissages et pratiques d'écriture - Un regard anthropologique
phisme, dessin et écriture dans les classes. II est vrai que ces pratiques ont obéi
à des modes successives et parfois contradictoires. Elle en conclut de manière
un peu provocatrice qu'au fond les exercices graphiques ne servent à rien ! II y a
peu ou pas de réinvestissement d'une habileté proprement graphique dans
l'écriture. On discerne plutôt des a priori successifs sur la perception et la motri¬
cité, entre autres. Voilà qui apporte de l'eau à notre moulin : il se peut que les
exercices graphiques ne servent à rien du point de vue de l'entrée dans l'écrit
telle qu'elle est théorisée aujourd'hui par les didacticiens et les psycholinguistes
mais l'ethnologue ne peut qu'observer qu'ils structurent fortement une repré¬
sentation « indigène » (c'est à dire propre à celles / ceux qui la mettent en
uvre) du passage à l'écriture. Les enseignantes ne peuvent pas ne pas donner
un sens à l'accès à l'écrit, et ce sens s'est construit pendant des décennies
autour de l'idée d'une progression à travers divers types d'exercices gra¬
phiques. Comment peut-on imaginer que ce lent bricolage d'une « coutume »
qui a fini par organiser les activités de la classe puisse être balayé au nom de
« l'efficacité pédagogique » ? Bien autre chose est en jeu au-delà de l'applica¬
tion rationnelle d'une théorie. Rappelons pour mémoire le temps où l'apprentis¬
sage des lettres devait s'accompagner d'un « vécu corporel » de leur graphie et
où il fallait « sauter à la corde pour écrire maman » (c'est le titre exact du livret
qui servait de guide aux institutrices qui voulaient expérimenter la méthode).
L'heure d'écriture commençait par le défilé des enfants sautant à la corde l'un
après l'autre. Ils passaient ensuite tout essoufflés au tableau pour y tracer les
« jambes » de la lettre « m » dont ils venaient d'éprouver dans leur corps le tracé
montant et descendant... Les autres lettres de l'alphabet appelaient des exer¬
cices semblables (la ronde du « o », les bras en croix du « T », etc.). Plus sérieu¬
sement, un courant de réflexion a connu un certain succès au tournant des
années 1980. S'interrogeant sur l'histoire (et l'anthropologie) de l'écriture, tou¬
jours dans le cadre pregnant de la diversité des graphismes, ses tenants conçu¬
rent la nécessité d'étapes intermédiaires avant l'accès plein et entier à l'écriture
alphabétique. Ne devait-on pas calquer l'évolution des enfants vers l'alphabet
sur l'évolution historique de l'Humanité. Autrement dit, ne devait-on pas initier
d'abord les enfants aux pictogrammes, puis aux idéogrammes - logogrammes
avant d'en venir à l'écriture alphabétique ? Nous laisserons de côté le problème
de fond : d'une part, cet évolutionnisme est fortement remis en question par
l'histoire et l'anthropologie de l'écriture et, d'autre part, la confusion entre phylo-
genèse et ontogenèse est toujours problématique. Quoi qu'il en soit, et c'est ce
qui nous intéresse ici, suite à ce débat, des grandes sections de maternelle ont
organisé leur année scolaire non plus au rythme d'un calendrier festif traditionnel
comme elles le faisaient souvent, mais selon les grandes étapes supposées être
celles de l'histoire de l'accession de l'Humanité à l'écriture. II y eut donc le tri¬
mestre des pictogrammes, le trimestre des idéogrammes et le trimestre de
l'écriture alphabétique, à l'issue duquel on était fin près pour le CP. Pourrait-on
trouver une meilleure manière de signifier symboliquement, de l'intérieur de l'ins¬
titution et de la part de ses principaux acteurs, le rôle central de l'école comme
lieu de passage du non-savoir au monde de la culture et à l'univers de l'écrit ?
79
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BLANC
l'étrangeté de ce qui semble aller de soi, y compris dans son propre monde. Car
l'écrit n'a de sens que dans un univers complexe où coexistent l'oral, l'image et
le gestuel. Les pratiques d'écriture prennent place dans un univers qui est tout à
la fois et indissolublement technique, social et symbolique. L'écrit et la pratique
de la lecture - écriture sont insérés dans des lieux, des temps et des réseaux
sociaux qui présentent à chaque fois des caractères spécifiques en référence à
des situations particulières. L'ethnographie de l'école consiste en l'exploration
sans a priori didactique ou pédagogique de ces situations. On postulera donc
toujours qu'il y a des représentations locales de la lecture - écriture (ce que
nous avons appelé plus haut des théories indigènes) et que les situations sco¬
laires n'y échappent pas plus que n'importe quel autre contexte. La particularité
de l'école, celle qui rend difficile d'admettre qu'elle puisse relever du traitement
commun, tient précisément au fait qu'elle est l'institution chargée d'opérer l'en¬
trée dans l'écrit tout en étant aussi constituée d'un ensemble de situations
d'écriture spécifiques. Si l'on s'interroge sur l'écrit au travail, on pense immédia¬
tement à mettre en rapport les activités de lecture - écriture avec toutes les
autres pratiques et relations inter-individuelles sur le lieu de travail. Dans le cas
de l'école, la tendance des observateurs est plutôt de se situer et de raisonner
dans le cadre étroit des pratiques scolaires d'écriture stricto sensu.
Je n'ai pas pris pour exemple, pour ne pas sortir du cadre des apprentis¬
sages élémentaires auxquels ce volume est consacré, la question de l'écriture
extrascolaire, objet principal de mes travaux antérieurs. L'attention nouvelle pour
ces pratiques s'est largement développée et s'est révélée féconde. Cette recon¬
naissance peut cependant se révéler assez ambiguë. Si le fait de « poser des
questions scolaires à l'écriture extrascolaire », programme annoncé par Marie-
Claude Penloup dans son intervention, est tout a fait légitime, les approches
didactiques restent en décalage par rapport aux approches anthropologiques et
mon avis est que cette différence, plutôt que d'être comblée, doit être au
contraire maintenue. II s'agissait dans nos travaux (Blanc, 1993 et 1996) de
l'écriture « personnelle » de collégiennes et de lycéennes pratiquée aussi bien à
l'école qu'en dehors de l'école. C'est une écriture qui « traverse » en quelque
sorte le temps, l'espace et les activités définies strictement et légitimement
comme étant des activités « scolaires ». Le qualificatif d'extrascolaire ne lui
convient donc pas vraiment, tout le propos étant justement de montrer que le
temps de la scolarité (à l'intérieur et à l'extérieur de l'institution elle-même) est
aussi un temps d'accession à une identité sociale, sexuelle, « personnelle » en
somme, dont la construction, surtout du côté des filles, passe par une pratique
intense, individuelle et collective, d'un certain type d'écriture. La spécificité
d'une telle approche proprement anthropologique demeure. II ne s'agit pas sim¬
plement d'un recueil de données qui viendrait enrichir de manière neutre un cor¬
pus plus large. II s'agit bien d'un objet défini de manière spécifique dans un
cadre conceptuel particulier, qui ne vaut ni plus ni moins qu'un autre, mais qui
n'a d'intérêt que s'il apporte un regard différent et complémentaire d'autres
approches. La nécessité d'y insister vient du fait que l'école (et la didactique)
sont grandes dévoreuses : l'intérêt grandissant pour l'écriture extrascolaire, on
l'a vu au cours de ces rencontres, va de pair avec la mise en place de situations
d'écriture qui n'ont plus d'extrascolaires que le nom puisqu'elles sont provo¬
quées au sein de l'institution par ses agents eux-mêmes. On assiste ainsi au
déplacement des lieux d'observation vers des lieux créés par l'école : ateliers
80
Premiers apprentissages et pratiques d'écriture - Un regard anthropologique
BIBLIOGRAPHIE
81
REPÈRES N° 26-27/2002 D. BLANC
82
PLACE ET FONCTIONS DES ÉCRITS
INTERMÉDIAIRES OU RÉFLEXIFS
DANS DES DISPOSITIFS DIDACTIQUES
POUR TRAVAILLER L'ORAL
Résumé : Cette contribution s'appuie sur des corpus collectés dans le cadre de la
recherche INRP Oral 2 (responsables : Garcia Debanc, C. ; Grandaty, M. ; Plane
S.). Elle s'intéresse aux interactions et aux articulations existantes entre l'oral et
l'écrit à propos de séquences en Français et en Mathématiques au cycle 2 (CEI).
En Français, il s'agit de séquences consacrées à larestitution orale de contes lus
par l'enseignante et à des activités métalinguistiques à partir d'un texte puzzle.
En Mathématiques elles portent sur la résolution de problèmes donnés sous la
forme d'énoncés écrits .
Les oraux qui sonl travaillés dans ces séquences se construisent autour de diffé¬
rents types d'écrits : l'affiche qui soutient les explications orales des enfants, les
écrits préparatoires ou notes personnelles destinées à la présentation orale de
livres. Les écrits réalisés ne constituent pas le produit final de la séquence mais
ils représentent des outils pour la conceptualisation de la notion étudiée et ils
soutiennent les productions orales des élèves.
L'analyse présentée porte sur les continuités et les discontinuités entre l'écrit et
l'oral dans l'alternance des phases de langage « écrit » puis de langage
« oralisé » et de langage « parlé ». Elle étudie également les effets des écrits sur
les productions orales attendues et/ou effectivement produites ainsi que le rôle
joué par ces écrits intermédiaires sur l'activité de conceptualisation.
Nous nous interrogerons sur l'écrit à produire au cours de ces séquences, écrits
conçus non comme une finalité de la séquence mais comme un « moment », une
« étape » plus ou moins importante dans la progression et l'approfondissement
de la notion. Ces phases d'écrit sont, d'après nos constatations, plus ou moins
opératoires. À quelles conditions s'articulent-elles de la manière la plus perfor¬
mante avec les phases d'oral ? En quoi et pourquoi l'écrit peut-il devenir aide ou
obstacle ?
On précisera enfin à quelles conditions ces types d'écrit intermédiaire peuvent
s'intégrer à une didactique de l'écriture.
83
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
84
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
séance, ainsi que dans la nature même des écrits utilisés pour amener les
enfants à produire différentes conduites discursives orales (raconter, expliquer,
justifier, argumenter) . Elles privilégient également les échanges oraux comme
constitutifs de l'apprentissage et comme révélateurs possibles des processus
d'apprentissage à travers les verbalisations et les explicitations des démarches.
Dans les perspectives ouvertes par les travaux de Brossard, Nonnon (1997 : 43 )
souligne l'importance du rôle des conduites de verbalisation dans les différentes
phases des processus de conceptualisation. Plus généralement, le langage peut
avoir plusieurs fonctions : une fonction de « structuration » où » il accompagne,
étaye, organise pas à pas les tâtonnements de la recherche et de la réflexion » ;
une fonction de « régulation » et « d'explicitation » à propos de « l'orientation et
des règles de l'action en cours » ; une fonction de communication « d'explica¬
tion à autrui d'une connaissance déjà construite ».(Nonnon, id. : 48)
Ces écrits peuvent être également qualifiés de « réflexifs » selon les accep¬
tions que rappellent et que développent J.-C. Chabanne et D. Bucheton (2000,
2002). Ils représentent une pratique langagière particulière et originale qui accom¬
pagne les apprentissages et sont, pour certains d'entre eux, comme nous le ver¬
rons plus loin, « vecteurs de l'activité reflexive du sujet ». Ils sont également réflexifs
dans le rôle qu'ils vont précisément jouer dans la mise en activité des élèves.
2. Trois textes ont été successivement travaillés, le premier oppose la notion de mascu¬
lin singulier (le petit cochon / la petite chèvre , il / elle , le premier / la première, etc.),
le second celle de masculin pluriel à celle de féminin pluriel, le troisième texte
oppose le masculin singulier au masculin pluriel.
3. Cette activité a été adaptée à partir du manuel « Grammaire lecture CP CE1 »,
Coûté, Karabétian, Retz.
4. Ils doivent colorier les fragments d'énoncés appartenant à l'une et à l'autre histoire
dans deux couleurs différentes puis les deux histoires, recomposées à partir de ban¬
delettes, seront affichées au tableau.
Classes de A. Bouzin, I. Roudil, École Léon Vergnole, V. Tallagrand , École du Mont
Duplan, Nîmes. 1999-2000.
85
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
Dans le cadre de ce dispositif, les écrits peuvent être qualifiés d'« intermé¬
diaires » et de « réflexifs » :
1.1. Par leur place : des écrits en alternance avec des oraux
dans la succession des phases de la séquence
Les différentes phases font alterner différentes situations d'énonciation
dans le cadre d'interactions en petit groupe et en classe entière, et amènent les
élèves à utiliser des conduites discursives variées dans des moments où la
tâche s'organise autour de l'oral et des moments où elle s'organise à partir de
l'écrit. La première phase démarre sur une lecture du texte puzzle. Des interac¬
tions orales se développent à partir de cette lecture. Dans cette phase, comme
dans celle qui suit, les interactions langagières réalisées à partir de l'écrit ont
une fonction de structuration. La succession des phases fait alterner moments
de verbalisation sur de l'écrit à produire ou autour de l'écrit. L'affiche, produite
dans la phase 4, est destinée à rendre compte du travail de chaque groupe et à
préparer la synthèse finale. Elle représente une trace des interactions orales à
l'intérieur du groupe (mémoire du travail oral réalisé dans le groupe ) et elle sou¬
tiendra, plus tard (phase 5), les explications et la négociation entre les différents
groupes, puis la présentation devant la classe des procédures utilisées.
C'est précisément dans cette alternance que l'écrit prend une dimension
intermédiaire. Son rôle est de soutenir, de préparer, d'étayer les oraux des
86
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
enfants : argumentations orales pour séparer les textes, explicitation des indices
prélevés ou récapitulations des procédures suivies à partir de l'affiche.
L'écrit est donc « intermédiaire » également par son rôle dans la mesure où
il est, aumême titre que l'oral et en interaction avec lui, dans nos dispositifs,
vecteur de l'activité reflexive des élèves.
5. Soizic Bozec, Classe de CE1, École Capouchiné, Nîmes, années scolaires 2000-
2001 et 2001-2002.
87
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
Les écrits portent les traces des avancées cognitives. Ils deviennent de plus
en plus précis, organisés, sélectifs et motivés. Leurs natures différentes signalent
des moments dans la conceptualisation et l'avancée cognitive :
88
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
89
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
les unes désignent par un métalangage approprié les éléments qui leur
ont permis de trier les deux textes - les pronoms qui nous ont
aidés..., on va trouver grase* aux pronoms aussi par les noms
les autres reprennent des extraits des textes, des citations, pour illus¬
trer leurs démarches : par rapport aux s'animaux* on a trouvé par
premier première ; le premier c'est le cochon, la première c'est la
chèvre ; petites c'est les chèvres ; quand on a vu le elle* on saver*
que on devez* colorier en jaune les phrases des trois chèvres.
Certaines vont même, lors de l'élaboration de l'affiche concernant les
deux derniers textes, jusqu'à l'amorce d'une règle, : on écrit ent
quand on voit il avec un esse * ; quand on voit ent à la fin du verbe
quand on voit les trois petits cochons ; on écrit il sans s quand il
est seul ; la* com* on vois* petite sa* veut dire que ses* une fille.
Ces traces écrites témoignent bien de la mise en place d'un rapport
réflexif au langage, au travers de multiples tâtonnements, et de l'ap¬
prentissage d'un raisonnement linguistique.
90
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
certaines affiches au départ. La liste procède par écrémage, par sélection de l'es¬
sentiel et elle permet une mise en relation et une hiérarchisation des éléments.
Le trait commun à ces deux types d'écrits qui s'opposent sur bien des
points est précisément la façon dont ils se saisissent de plusieurs formes de
codages sémiotiques qui n'obéissent pas d'ailleurs aux mêmes besoins.
91
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
Quelle est leur nature ? Forcément plurielle puisqu'il n'a pas été question
d'une pratique raisonnée, programmée ni organisée. Les élèves se sont trouvés,
dans une grande autonomie, face à l'histoire racontée et la compréhension
qu'ils pouvaient en avoir, et face à un écrit qu'ils ont organisé de manière très
singulière et en deux temps. Les notes ont donc été différentes et diversifiées en
fonction du degré d'expertise des enfants, de leur rapport au récit et de leur
représentation de la tâche. Celle-ci, pour l'ensemble des élèves, tournait autour
de la rétention de façon exhaustive et ordonnée de la liste des animaux qui se
succèdent dans l'histoire. À partir de là, ils ont employé une gamme très large
utilisant tous les codages possibles.
Les dessins : Le dessin a été une grande tentation pour les élèves de CE1 .
C'était l'unique ressource de certains élèves, mauvais lecteurs ou encore en
grande difficulté devant l'écrit ; d'autres, plus à l'aise, l'ont assorti d'une procédure
de nomination qui d'une certaine manière l'invalidait : pourquoi en effet dessiner
des animaux quand la seule liste verbale suffit ? Mais ils n'ont fait ce raisonnement
qu'à partir d'un certain nombre de récits, après avoir affiné leur stratégie. Ce qui
est apparu aussi avec le temps, c'est le fait que les dessins sont peu reconnais¬
sables, ce qui n'est pas gênant quand les notes rebondissent tout de suite sur l'af¬
fiche : la prise d'indices est alors suffisante pour que l'écrit garde son aspect
mnémonique. Mais, après un certain délai, les dessins ne sont plus reconnus et
perdent leur valeur de traces. Autrement dit, il est apparu peu à peu que l'écrit est
nettement supérieur au graphique. Cela étant, le dessin est resté, pour une bonne
partie des élèves, un moyen de symbolisation qu'ils ont utilisé, en le mélangeant à
d'autres registres, y compris dans des écrits très élaborés.
92
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
.1..
laAt- J"
o-iSW^JS
££ '
i^± ! '"" I
..1 ..
:yà;t&- &>LFffiibl> "! ~/nJ<&. /.«*
0-4- -I
ïTt î ' 7FFT.' - .-.fr... 'I r. .:!": -/
!
-.'IL.
~i t
ife<_ ^J*i6..,:iiiii: ^^foc.^xfo,; v&WHii: npaï.
^±ÏÏZ2-
/ j... i j.
Les deux écrits peuvent être reliés, mis en connexion par des numé¬
ros, des flèches ou des soulignements. Les ajouts s'intègrent et préci¬
sent la perception de l'histoire. (Océane illustration 5)
MmmJM.
y
f***\ J
v -p
r . ..:uL ... ..~
-OJAL^ft*çfi«aio=tîr f
/-
Illustration 5
93
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
et de peur dans
celui de la taupe,
de fleur dans celui
du lapin ; les ^FS^jy B/£: -f
quatre épisodes r^^bv^ Stil*-
teï
sont essentielle¬
ment caractérisés h - :r-
par des verbes
-ta
(bondit et saute,
s'envole et part,
s'enfuit, saute à
son tour) ; le der¬
nier épisode qui
boucle la boucle
donne la formule
finale quelle
chance. La
deuxième lecture
permet à Sylvain Illustration 6
de confirmer la
compréhension et d'ajouter, de façon cette fois incomplète et peu per¬
formante, le portrait du monstre qui restera lacunaire (des oreilles
pointues une énorme gueulé). Cette structuration convient tellement
à Sylvain qu'il l'utilisera dans le récit suivant (Le chat cherche un ami,
illustration 7), ce qui
ira- montre qu'il a acquis une
m procédure disponible qu'il
utilise ensuite quand elle
convient à l'objet étudié.
T--
-::»__:
--±-
+ .-
~=tr. ^-'^^Mki H
' ' '
-4'
i-- i _.i -. i.
r.t: Ji\--F.
iriJL '-^.J7_
l_-.-.l-H.-,
^:
'"ZrT?#y
t-.
'-
-fezi::!
.---.: :.-.
Illustration 7
94
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
Pour autant, les listes produites ne sont pas des écrits simplifiés et rudi-
mentaires : elles sont le produit d'opération de repérage et de sélection des élé¬
ments essentiels, de leur organisation en réseaux (les animaux d'un côté, les
éléments les concernant, par exemple), et de leur hiérarchisation les uns par
rapport aux autres. Elles induisent donc des processus cognitifs particuliers qui
se traduisent assez directement dans la mise en forme écrite. Au lieu d'être un
premier état du texte, la liste apparaît ici comme structuration du récit et recon¬
naissance de la matrice de base. Dans ce cas, loin d'être un degré zéro du
texte, elle est de l'ordre de la reconfiguration (Demougin, Cellier, 2003). Si la liste
« sociale » renvoie à un découpage particulier du réel, cette liste-là renvoie à une
appréhension particulière du texte fondée sur une hiérarchisation explicite des
objets du savoir.
Ces écrits frappent, par ailleurs, par leur utilisation de l'espace graphique
qui traduit, dans tous les cas, le niveau de compréhension de l'histoire. Les
notes personnelles sont le lieu où s'effectue et se réalise la première compré¬
hension, où s'exhibent les traces matérielles d'un processus mental de compo¬
sition et d'élaboration de l'histoire. II s'agit bien d'une sélection finalisée
c'est-à-dire orientée par la tâche prescrite ou la sous-tâche qui suit (constitution
de l'affiche) ; l'enfant ne prend dans la lecture que ce qui intéresse son projet -
mais ne prend pas tout ce qui l'intéresse par manque d'expérience ou d'exper¬
tise. Mais les éléments choisis nous renseignent sur sa représentation de la
tâche à accomplir et sur la compréhension du texte-source qui s'affine. On voit
le travail à l'iuvre dans la gestion même des opérations scripturales et gra¬
phiques.
Ces écrits, enfin, apparaissent dans toute leur singularité : ce sont des
« écrits pour soi », non destinés à la communication mais bases des échanges
futurs autour des affiches collectives, réserves de mots, stockage et encodage
premier des informations ; ils témoignent d'un cheminement individuel et d'une
appropriation originale de l'histoire.
95
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
pas à communiquer aux autres : certains éléments n'ont pas besoin d'être expli¬
cités et elle s'appuie sur une connivence et des implicites. Sa réalisation et son
efficacité est conditionnée par les négociations à l'intérieur du groupe pour les
points litigieux. C'est un écrit beaucoup plus grand que celui adopté pour les
notes - l'espace graphique à investir va donc être occupé différemment. Enfin,
deuxième étape de la compréhension, les affiches montrent que, souvent, l'at¬
tention des élèves se déplace de la structure vers le portrait-charge du monstre
qui donne toute la signification à l'histoire. Elle témoigne enfin elle aussi, de
formes diversifiées, soutenues par des stratégies que l'on pourrait classer ainsi :
3.2.2 La dilatation : alors que les notes personnelles ont été resserrées
autour de l'essentiel, nouées autour de quelques mots, témoignant d'un souci
d'économie exemplaire, les enfants vont redéployer le texte. Et parfois maladroi¬
tement.
96
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
.lièvre ».|l«,/f'**<,s';*^
Illustration 9
qu'il fallait retrouver. Une « bonne restitution » ne peut se faire qu'en acceptant
et en comblant les blancs, les béances de l'affiche forcément lacunaire.
II fallait mener une réflexion sur le type de texte à produire. Quel écrit pour
quel oral ? (Cellier, Dreyfus, 2003 a,b). En fait tous les écrits ne se valent pas
pour une tâche donnée : à l'oral narratif demandé ne correspondait pas un écrit
narratif, même si celui-ci est apparu comme le modèle le plus pregnant.
97
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
phique, numérique, verbal, sans faire un choix. L'affiche continue au verso avec
une suite de narration longue et pourtant peu productive pour la tâche assignée.
L'apparition de
plusieurs strates est
intéressante quand
elle est le produit
Mrt/^Jjx£jt]foJfa vmjt sU«\ JUL
des activités « nor¬
males » de révision
de texte : ajout,
remplacement, sup¬
pression, déplace¬
ment. Ces deux
dernières opéra¬
tions sont bien mar¬
quées par des
biffures et des
flèches. Mais la
plus représentée
des quatreest
^-xarï^W*^r**^
Y«dV
dfco
«f*»*
98
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
kùxf~&
^*^<*4,*4*<u
Illustration 12
Enfin, dernier état, /e tableau qui est une autre façon de traiter la liste et qui
témoigne encore de la restructuration des savoirs. Cette affiche de Julie et al.
(illustration 13) montre une hiérarchisation des éléments tout à fait remarquable :
en trois colonnes, les élèves ont prélevé la liste des animaux, un élément les
concernant, principalement la localisation (sur son nénuphar, il est dans la
mare, est dans la forêt, il est dans les bois) et un verbe soulignant la réaction
(s'enfuit, et reste dans le pré, et saute dans la mare, et s'envole, et s'enfuit,
/&ujw>
i<IuaH *****
~ifu$ÙX
@
Illustration 13
99
REPERES N° 26-27/2002-2003 M. CELLIER, M. DREYFUS
100
Place et fonctions des écrits intermédiaires ou réflexifs dans des dispositifs didactiques...
BIBLIOGRAPHIE
échanges oraux dans des tâches de ré écriture menées par des enfants de
7 ans, Repères, n°3, 25-44.
DREYFUS M., CELLIER M. (2000) : L'oral et la construction des savoirs dans
des activités de français, Recherches, n° 33, 181-197.
MOUCHON S., FAYOL M., GOMBERT J.-E. (1991) : L'emploi de quelques
connecteurs dans les récits. Une tentative de comparaison oral /écrit chez
des enfants de 5 à 1 1 ans, Repères, n° 3, 87-98.
NONNON E. (1997) : La pratique de l'oral et les interactions en classe comme
outil et comme objet d'apprentissage : quels enjeux et quelles priorités ?
in RISPAIL, M., COLLETTA, J.-M. (Éd.) : Actes des journées sur l'oral, IUFM
de Grenoble, 38-51. M
101
ACQUISITION DE POSTURES NORMATIVES
EN RAPPORT AVEC L'ORTHOGRAPHE :
DISCOURS ET ATTITUDES DE L'ENSEIGNANT
DANS SA CLASSE
Résumé : L'orthographe est une norme appréhendée de diverses manières par les
enfants. Les plus compétents gèrent la norme autant que le système
orthographique. Les moins compétents subissent la norme et en infèrent des
explicitations pseudo rationnelles du système orthographique. Face à la variation
orthographique, ces apprenants adoptent donc diverses postures normatives qui
les placent dans des situations de sécurité ou d'insécurité linguistique. Le
sentiment d'insécurité conduit parfois l'apprenant jusqu'à l'autocensure et/ou la
dépréciation de sa propre compétence.
Faisant suite à une enquête sur la lecture de l'orthographe, menée dans le cadre
d'une thèse de doctorat, l'observation de séances d'apprentissage de l'ortho¬
graphe montre que l'enseignant normalise autant l'activité proposée que l'écri¬
ture elle-même. Sur le plan didactique, ce constat ouvre la problématique de
l'interférence entre normes scolaires liées au fonctionnement de la classe et
normes disciplinaires, ici l'orthographe.
Cette contribution présentera brièvement la notion de postures normatives mises
en évidence dans l'enquête sur la lecture de l'orthographe, et proposera une ana¬
lyse de séances d'apprentissage de l'orthographe au travers du discours pédago¬
gique du maitre en situation. Elle mettra en évidence la posture normative de
l'enseignant et posera la problématique du rapport au savoir dans l'école, du
rapport à l'écriture et de l'acquisition de ce rapport au travers des activités péda¬
gogiques.
103
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-P. SAUTOT
104
Acquisition de postures normatives en rapport avec l'orthographe
Pour ceux dont les connaissances sont insuffisantes, des travaux nom¬
breux offrent des solutions didactiques. Depuis la description de l'orthographe
réalisée sous la direction de Nina Catach (1986), des propositions ont été
construites pour tenter de rompre avec une pédagogie de l'orthographe pure¬
ment prescriptive (Bled, 1948 par exemple et tous ses prédécesseurs ou conti¬
nuateurs, qui sont nombreux) et aller vers une découverte du système et de son
fonctionnement : propositions pour une évaluation formative (Gruaz et al., 1986),
pour une découverte du système (Gey, 1987) ou pour une approche grammato-
logique (Chignier et al., 1990).
Pour les apprenants gênés par leurs représentations sociales, des exer¬
cices comme la dictée dialoguée (Arabyan, 1990), l'atelier de négociations gra¬
phiques (Lorrot, 1998) ou encore les débats argumentes sur la norme
orthographique (Brissaud, 2001) sont des pratiques pédagogiques susceptibles
de modifier le rapport normatif au code. Mais les pratiques dans les classes
n'évoluent pas au même rythme que la recherche et les innovations ne pénè¬
trent les pratiques courantes que lentement. Nombre d'enseignants ont rompu
avec les pratiques purement prescripfives sans que leur représentation du code
ait été bouleversée. Inversement, certains enseignants ont conscience de la
nécessité d'une rupture avec un enseignement trop rigide du code sans en avoir
trouvé les moyens pédagogiques. Positionnement pédagogique et positionne¬
ment normatif se télescopent donc dans l'offre didactique des classes, créant
ainsi une forme de polyphonie éducative. À la polyphonie scolaire s'ajoutent les
pratiques et les discours familiaux.
Dès lors que l'apprentissage passe par une médiation sociale (Vygotsky,
1985), la parole du maitre revêt une importance capitale dans la reproduction de
la norme. Savoir si l'école est ou n'est pas responsable de l'adoption par les
élèves d'un rapport normatif peu adéquat dans l'exercice de la compétence
orthographique n'est pas une question anodine sur le plan pédagogique. Le
savoir se construit dans une interaction langagière qui dépend (Bautier, 1995) :
des représentations des composantes de la situation de communica¬
tion qui induisent une interprétation de la situation d'apprentissage ;
105
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-R SAUTOT
Toutes ces questions ne trouveront pas de réponse dans cet article. Elles
ouvrent des perspectives et notamment celle de la rencontre des subjectivités
de l'enseignant et de l'élève que je vais aborder successivement.
Très tôt dans leur cursus scolaire, les élèves établissent un rapport person¬
nel à la norme de l'écriture. Ce rapport à la norme se construit parallèlement aux
apprentissages formels liés à l'écriture. Quand est institué l'apprentissage de
l'orthographe (au cours du cycle II de l'école élémentaire) les élèves se sont déjà
positionnés par rapport à la norme : ce positionnement je l'ai nommé la posture
normative. Cette notion rend compte de la subjectivité en matière d'ortho¬
graphe. Elle a été développée au cours d'une recherche sur l'utilisation de l'or¬
thographe en lecture qui imposait des taches interprétatives à des usagers de
l'orthographe dont l'âge variait de 6 à 50 ans (Sautot, 2000). Les lecteurs ont
donné des divers événements orthographiques qui leur étaient présentés des
interprétations qui ont permis d'analyser leurs compétences orthographiques
dans une perspective sociocognitive.
106
Acquisition de postures normatives en rapport avec l'orthographe
4. LA SUBJECTIVITÉ DE L'ENSEIGNANT
S'intéresser aux représentations de la norme que véhicule l'enseignant
dans sa classe est une étape nécessaire dans la description des phénomènes
de l'échec dans l'apprentissage de l'orthographe. Pour ce faire, je me suis
adressé à des enseignants volontaires qui ont accepté que soient enregistrées
leurs séances d'orthographe. II s'agit donc d'un recueil qui se veut aussi « éco¬
logique » que possible. Ces enseignants ne sont pas des spécialistes de la
langue, ils ne sont pas engagés dans des innovations pédagogiques autour de
l'écriture. Les écoles sont situées à Grenoble et dans sa zone péri-urbaine, en
dehors des réseaux d'éducation prioritaire. Les publics scolarisés y sont d'ori¬
gines sociales variées.
Les observations qui suivent sont le produit d'une analyse pragmatique des
discours des enseignants dans leurs classes, sans exclure a priori le niveau
pédagogique. II s'y révèle que le message normatif que transmettent les ensei¬
gnants est passablement brouillé.
107
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-R SAUTOT
2. Les citations en italiques sont issues du corpus de transcriptions des séances d'or¬
thographe.
3. Ériger une méthode en norme interne à la classe peut en soi être discuté.
108
Acquisition de postures normatives en rapport avec l'orthographe
Auroux (ibid.) indique que la méthode inductive est une impasse quand il
s'agit de décrire la norme linguistique. En effet « la norme ne se déduit pas de la
moyenne, elle se traduit dans la moyenne ». Cela est particulièrement vrai pour
l'orthographe où connaître la graphie la plus fréquente d'un phonème n'assure
pas de pouvoir graphier correctement un mot. On ne peut donc faire émerger la
norme par cette méthode bien qu'il soit possible de mettre à jour le système
orthographique qui, lui, la contient. Par exemple :
« Caca » peut passer pour un gros-mot mais pas « cadavre » qui a subi le même trai¬
tement dans la classe observée.
109
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-P. SAUTOT
au cours d'une séance sur les graphies du son [a] en Cycle II, les
enfants n'ont utilisé que deux graphies « a » et « â ». (1)
au cours de cette séance, l'enseignant a fait émerger « a », « at » et
« â ». (2)
et la trace écrite finale mentionne « a », « à », « at » et « â ». (3)
Le système collectif des élèves (1), incomplet certes, est cependant le plus
proche du savoir de référence5. On voit que l'activité magistrale fait apparaitre
un système plus complexe : (2) puis (3). La méthode inductive est donc double¬
ment faussée. Premièrement, parce qu'elle ne permet pas de dire la norme en
s'appuyant sur le système mis en puvre par les élèves, et deuxièmement parce
que l'enseignant outrepasse les résultats obtenus par la méthode. « On peut dès
lors légitimement se demander si, à l'issue de ce travail, les élèves ont appris et
conceptualisé autre chose que ce que leur aurait montré l'enseignant en opérant
la [...] manipulation devant eux » (Chariot et Al, ibid, p.217). La réponse laissée
en suspens par ces auteurs obtient, pour l'orthographe, une réponse : les élèves
ont appris quelque chose : l'intime certitude que l'orthographe est, pour bonne
part, arbitraire. La méthode inductive, mise en uvre pour éclairer un système,
est donc instrumentalisée pour produire une norme et c'est l'attitude de l'ensei¬
gnant, la manipulation qu'il opère sur le savoir construit qui produit cet arbitraire.
L'orthographe n'est peut être pas traitée autrement que d'autres disciplines,
mais le fait qu'elle soit norme et surnorme mériterait justement que soient prises
quelques précautions.
5. EN CONCLUSION
Au final, ce n'est pas tant le choix des exercices et leur mise en oeuvre qui
compte que les aspects symboliques de leur traitement par l'enseignant. De ce
point de vue, la posture normative et pédagogique de l'enseignant doit jouer la
transparence. En effet, curieux de savoir ce que pouvait apporter à cette
recherche l'avis des élèves sur ce qu'ils vivaient pendant la séance d'ortho¬
graphe, je me suis entretenu avec quelques uns d'entre eux. Une demoiselle de
7 ans m'a affirmé savoir que la maitresse faisait semblant de ne pas savoir, pour
110
Acquisition de postures normatives en rapport avec l'orthographe
mieux apprendre à ses élèves. Mais l'intérêt de la déclaration résidait dans l'air
effaré de sa copine qui elle, visiblement, ne le savait pas. Ainsi, le jeu quasi-
théâtral auquel se livre l'enseignant n'est pas nécessairement perçu comme tel
et les manipulations normatives ne sont alors pas relativisées. Pour qui a com¬
pris la nature du jeu de société qu'est la leçon, la norme qui en émerge est indé¬
pendante de l'activité qui la rend visible. Pour celui qui ne l'a pa compris,
l'activité de la classe mène à un arbitraire. II est alors peu douteux que des
transferts symboliques se fassent et que cet arbitraire s'intègre à l'habitus cultu¬
rel de l'enfant.
Pour autant, faut-il en revenir au Bled sous prétexte que la norme y est clai¬
rement définie ? La réponse est négative tant que n'est pas mis en place un
accord entre rapport de l'enseignant à la norme, dispositif et attitude pédago¬
giques. Le choix conscient d'une méthode en fonction de la posture de l'ensei¬
gnant, de l'objectif, et des contenus est incontournable. Cela pose à la
didactique de l'orthographe deux questions au moins :
l'objectivation de leur posture normative par les enseignants, ce qui
constitue un enjeu en terme de formation initiale et continuée et donc
nécessite que soient réfléchis des dispositifs de formation ;
renonciation des normes en classe qui se traduit par une dimension
sociolinguistique et une dimension socio-éducative.
BIBLIOGRAPHIE
111
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J.-P. SAUTOT
112
TRAVAIL ET MOMENTS D'ECRITURE DES
ÉLÈVES : CE QUI SUSCITE LES PRATIQUES
ENSEIGNANTES
Résumé : Les pratiques d'écriture revêtent une importance particulière pour les
élèves au moins pour deux raisons : d'une part, l'écriture a une fonction
d'apprentissage dans les différentes disciplines ; d'autre part, les pratiques
d'écriture sont socialement et scolairement différenciatrices. Nous nous
intéressons dans cette recherche aux pratiques des enseignants qui concernent
les moments d'écriture des élèves à l'école.
Au-delà de la diversité des dispositifs et des tâches, nous examinerons ce qui
suscite ces pratiques enseignantes. Notre hypothèse est que celles-ci sont
construites et s'organisent dans des logiques, des combinatoires, des processus
hétérogènes et complexes dont nous chercherons à identifier les composantes.
Pour ce faire, nous nous appuierons sur des entretiens d'enseignants, des obser¬
vations de séances en classe, des documents à caractère institutionnel ou didac¬
tique. La recherche prend plus particulièrement appui sur des écrits
« littéraires » et « scientifiques » au cycle 3 de l'école élémentaire, période de la
scolarité où l'écriture commence à être plus largement et couramment utilisée
par les élèves.
Les premiers résultats issus d'une analyse partielle du recueil de données nous
amènent à identifier les composantes suivantes comme étant au principe des pra¬
tiques évoquées :
- le rapport de l'enseignant à l'histoire de l'enseignement des disciplines,
aux conceptions didactiques ;
- le rapport de l'enseignant à la discipline enseignée et aux écritures dis¬
ciplinaires ;
- les propres pratiques personnelles / professionnelles d'écriture ;
- des processus d'adaptation aux élèves ;
-les conceptions de l'enseignant des articulations entre écriture et
apprentissage ;
- les savoirs d'expérience.
113
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 D. PERRIER
nous menons se donne pour but de mieux comprendre les pratiques ensei¬
gnantes d'écriture à l'école primaire. Elle tente de mettre au jour les logiques qui
les sous-tendent et les processus dont elles résultent.
L'écriture n'exprime pas une pensée dont elle ne serait que le canal ou le
simple outil, elle lui donne forme. Ces positions relatives du langage et de la
pensée conduisent à « mettre du jeu » dans les rapports entre les deux par des
allers et retours pensée - langage, langage intérieur (pensée verbale) - langage
extériorisé. Ces interactions permettent des déplacements, des développe¬
ments à la fois du langage, de la pensée, du sujet.
L'écriture est une expérience seconde qui se déroule dans un ordre symbo¬
lique langagier. Elle est toujours écriture sur... : écriture sur (et à propos d') une
expérience première, une action, une pratique, un objet. Le travail d'écriture est
un travail cognitif et langagier qui permet de donner forme à l'expérience pre¬
mière, là où l'oral peut se dissoudre dans la situation. Cela suppose une mise en
mots du réfèrent avec des signes et les systèmes graphiques normes ou
conventionnels, des formes et genres de discours socio-historiquement
construits. Quand l'écrit va de pair avec l'explicitation, il oblige à un choix des
mots, une syntaxe spécifique, une attention à la sélection des informations et à
leur organisation, leur cohérence et leur mise en relation, une attention aux
normes linguistiques qui nécessitent un retour sur le sens.
114
Travail et moments d'écriture des élèves : ce qui suscite les pratiques enseignantes
discours oraux ou écrits, critiques,...). L'énoncé s'inscrit ainsi dans une chaine
d'échanges verbaux qui prévaut dans un domaine d'activité humaine. Le scrip-
teur/auteur n'écrit jamais à partir de rien, le travail d'écriture reprend du déjà dit
et du déjà écrit.
L'école demande aux élèves d'avoir acquis des pratiques d'écriture qu'elle
ne leur enseigne pas nécessairement, probablement parce qu'elles sont consi-
115
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. PERRIER
Étudier les pratiques d'écriture scolaire, ce n'est pas seulement étudier les
« méthodes d'enseignement », « produits culturels », qui circulent à une période
donnée sur un territoire donné, c'est également tenter d'élucider ce que les
enseignants en font dans leurs pratiques. Cette question renvoie aux pratiques
enseignantes en tant qu'elles sont usage de ces produits scolaires. Pour en
rendre compte, nous nous intéresserons à une théorie des pratiques. Nous
retiendrons des travaux de Bourdieu dans ce domaine que les pratiques sont de
l'histoire déposée (Bourdieu, 1980). Pour comprendre les pratiques ensei¬
gnantes, ce qu'elles sont et ce qui les suscite, il est nécessaire d'en rendre
compte comme histoire intériorisée, ce qui permet de les « dénaturaliser » et ce
qui conforte l'idée d'une nature sociale et historique des pratiques, celles des
enseignants également. Mais on pourrait reprocher à Bourdieu de ne pas insis¬
ter assez sur les médiations, les médiateurs ou les filiations. Pour de Certeau, si
les objets culturels circulent, les consommateurs les utilisent selon des manières
qui leur sont propres (de Certeau 1990). La représentation « légitime » du
concepteur n'implique pas la même représentation pour l'utilisateur. II existe un
« écart » entre les représentations de l'un et de l'autre. Les usagers « bricolent »,
des changements se produisent. L'objet est à la fois le même et autre chose. De
Certeau s'interroge sur la logique de ces pratiques, leur logique d'action, straté¬
gique ou tactique. Si la première relève du méthodique, la seconde relève de la
saisie des occasions en fonction des événements. Les logiques d'action nous
poussent donc à s'interroger sur ces « manières de faire » : démarches et dispo¬
sitifs pédagogiques, didactiques... les livres, les manuels. On peut s'interroger
de la même manière sur les appropriations - réappropriations des objets « cultu¬
rels » et sur la stratification des expériences.
Notre hypothèse sur les pratiques d'enseignement est que les pratiques
d'écriture scolaires des enseignants sont des pratiques sociales, de l'histoire
collective ou tout au moins leur produit, approprié ou réapproprié dans une
logique qui n'est pas nécessairement la logique du concepteur. Les appropria¬
tions / réappropriations s'opèrent dans des contextes qui varient selon la
période historique mais aussi selon les milieux et les groupes sociaux qui per¬
mettent aux enseignants ces appropriations / réappropriations, qui suscitent les
médiations, les filiations, les stratifications des pratiques enseignantes.
116
Travail et moments d'écriture des élèves : ce qui suscite les pratiques enseignantes
Pour être au plus près des pratiques enseignantes au cours des entretiens, nous
avons utilisé la méthodologie dite de l'instruction au sosie, provenant de la psycholo¬
gie du travail, qui permet à l'enseignant de dire précisément ce qu'il « fait » quand au
cours d'une séance.
117
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. PERRIER
quand untel était dans l'école. Ah oui j'ai du voir ça dans tel stage. Les
pratiques d'écriture sont alors référées aux médiateurs qui les ont
transmises, aux tâches et aux phases d'un dispositif, plus qu'aux
conceptions qui les sous-tendent.
La démarche bricolée. Les pratiques de l'enseignant sont des « bri¬
colages » au sens où elles sont des constructions « singulières » fai¬
sant avec les approches pédagogiques et didactiques, les objets
produits de l'enseignement. Mais ces bricolages ne sont pas formali¬
sés et publics, au sens où ils ne peuvent pas se lire dans les ouvrages
ou documents de pédagogie ou de didactique. Ce système de pra¬
tiques est cohérent et adaptatif, il lie des conceptions de la discipline,
de l'écriture, des apprentissages, des enfants, des élèves. Sa logique
est organisée par l'expérience personnelle, les savoirs d'expérience,
des convictions, des valeurs personnelles notamment éthiques. Le tra¬
vail d'écriture des élèves, individuel ou collectif, est intégré aux
apprentissages disciplinaires, par exemple, dans un but de synthèse.
Dans le cas des productions écrites en français, les pratiques d'écri¬
ture sont moins référées à un déroulement chronologique de l'ensei¬
gnement qu'aux conceptions personnelles de l'écriture, de la
littérature et des apprentissages.
L'organisation et la création de dispositif. Les pratiques de l'ensei¬
gnant sont également « bricolées » au sens où elles ne se réclament
pas d'approches pédagogiques et didactiques particulières. La
séance n'est pas la reproduction d'un dispositif « formalisé », il est
« inventé », ce qui ne veut pas dire qu'il soit sans filiations. Celles-ci
sont implicites, peu portées à la conscience. La logique qui organise
les pratiques est plutôt de l'ordre de l'organisation ou de la création de
dispositifs. Les pratiques, qu'elles soient plutôt traditionnelles ou inno¬
vantes ont également tendance à se situer « en contre » et à se tenir à
distance des discours institutionnels et de formation : ne pas faire de
choses « systématiques », en prendre et en laisser. Elles ont leurs rai¬
sons : tenir la classe, motiver les élèves ou bien faire les choses intuiti¬
vement... Les moments d'écriture peuvent relever d'un scénario
« inventé » (créer des textes...) ou d'habitudes scolaires (répondre à
des questions, faire des résumés...) et être plus aléatoires.
118
Travail et moments d'écriture des élèves : ce qui suscite les pratiques enseignantes
Causalités et processus
119
REPERES N° 26-27/2002-2003 D. PERRIER
Les pratiques d'écriture en classe des enseignants sont organisées par des
synthèses, des combinatoires, complexes de ces différents éléments touchant
tout à la fois les disciplines, l'écriture, le conceptions de l'enseignement et des
apprentissages, les savoirs d'expérience...
Nous avons essayé, dans cette contribution, d'esquisser une plus grande
intelligibilité des pratiques enseignantes dans le domaine du travail et des
moments d'écriture des élèves dont nous faisons l'hypothèse qu'ils sont une
pierre d'achoppement de la démocratisation scolaire. Mais au-delà, comme y
invite le titre du colloque nous reviendrons, en guise de conclusion, sur l'idée de
« questions pour la didactique » :
Nous avons tenté d'éclairer les filiations, les stratifications des pra¬
tiques d'écriture scolaire. On pourrait se poser la question de la prise
en compte par la didactique et la formation de cette perspective histo¬
rique qui permet aux enseignants de faire des choix pédagogiques et
didactiques.
120
Travail et moments d'écriture des élèves : ce qui suscite les pratiques enseignantes
BIBLIOGRAPHIE
ASTOLFI J-P, VERIN A., PETERFALVI B. (1998) : Comment les enfants appren¬
nent les sciences, Paris, Retz.
BAKHTINE M. (1984) : Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.
BARRE-DE MINIAC C.c (2000) : Le rapport à l'écriture, Aspects théoriques et
didactiques, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion.
BAUTIER E. (1995) : Pratiques langagières, pratiques sociales, Paris,
L'Harmattan.
BAUTIER E., ROCHEX J.-Y. (1999) : Henri Wallon, L'enfant et ses milieux, Paris,
Hachette.
BOURDIEU P. (1980) : Le sens pratique, Paris, Minuit.
BOURDIEU P. (1982) : Ce que parier veut dire, Paris, Fayard.
CERTEAU (de) M. (1990) : L'invention du quotidien, 1. Les Arts de faire, Paris,
Gallimard.
CHARLOT B., BAUTIER E., ROCHEX J.-Y. (1992) : École et savoir dans les ban¬
lieues... et ailleurs, Paris, Armand Colin.
CLOT Y. (1995) : Le travail sans l'homme ?, Paris, La Découverte.
FOULIN J-N, MOUCHON S. (1998) : Psychologie de l'Éducation, Paris, Nathan.
GOODY J. (1979) : La raison graphique, Paris, Les Éditions de Minuit.
GOODY J. (1994) : Entre l'oralité et l'écriture, Paris, PUF.
LAHIRE B. (1993) : Culture écrite et inégalités scolaires, Lyon, PUL.
ODDONE L, RE A., BRIANTE G. (1981) : Redécouvrir l'expérience ouvrière, vers
une autre psychologie du travail, Éditions sociales.
VYGOTSKI L. S., Pensée et langage, 1934 1 1985, Paris, Éditions sociales.
SCHNEUWLY B., BRONCKART J-P. (dirs) (1985) : Vygotski aujourd'hui,
Neufchâtel, Delachaux et Nieslé.
121
UN AUTRE REGARD SUR LES ECRITS
DES ÉLÈVES : ÉVALUER AUTREMENT
Résumé : Les outils d'évaluation de l'écrit les plus courants aujourd'hui sont
conçus pour donner à l'élève le moyen de mesurer le degré de conformité ou de
déviance de ses écrits par rapport à diverses normes graphiques, phrastiques,
textuelles, discursives... Dans cette perspective, les points de repère sont fournis
par les pratiques sociales de référence, qu'elles soient celles du monde exrxa-
scolaire, ou celles de l'école elle-même. C'est un outil précis et efficace de
révision et de normalisation des textes destinés à être mis en circulation.
Mais ce modèle ne peut être appliqué à ce que nous avons appelé des écrits
intermédiaires et réflexifs. Ces formes d'écrit qui ne peuvent être reportées à un
modèle social, ce sont avant tout des écrits de travail personnels, destiné à lan¬
cer, accompagner et stimuler l'activité reflexive au cours de tâches scolaires.
Dans ce cas, le but de l'évaluation n'est donc pas de faire corriger le texte, mais
bien de d'interpréter la dynamique de l'écriture pour la relancer.
Ce qui sera présenté est une proposition d'un modèle d'évaluation de ce type
d'écrit, destiné à aider les enseignants à porter un regard différent sur ces écrits
de travail. Nous retenons trois questions qui nous paraissent centrales :
- Comment se situe l'élève dans son écrit ?
- De quoi parle le texte et quels sont ses enjeux (ses valeurs) ?
- Comment apparait et évolue la prise en compte des normes ?
Nous proposons d'observer quelques indicateurs linguistiques dans les textes
produits, non pas pour repérer le degré de maitrise des codes et procédures
d'écriture qu'elles traduisent mais pour repérer quels sont les obstacles qui blo¬
quent le développement de l'écriture, obstacles que nous cherchons sur trois
plans : cognitif, langagier et psycho-affectif (du côté des idées, du côté des
fonnes d'expression, du côté des émotions). Se trouvent-ils du côté du rapport
du sujet à l'écriture : son identité de sujet écrivant, ses savoirs sur les fonction¬
nements de l'écriture et de la langue écrite ? Ou du côté de son rapport à
l'école : son désir d'apprendre, sa compréhension de ce qu'on y fait, de ce qu'on
lui demande ? Nous cherchons comment agir avec les élèves qui sont en diffi¬
culté parce qu'ils ne s'autorisent pas à penser, à agir par eux-mêmes dans le
contexte scolaire. Nous cherchons comment nous pouvons les aider à être actifs,
inventifs, créateurs de solutions inédites, capables de mobiliser des ressources
langagières plus élaborées.
123
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
On sait beaucoup moins bien analyser en positif les réussites des élèves, la
singularité de leurs textes, l'inventivité qu'ils manifestent, le développement
cognitif, culturel qu'ils montrent, leur familiarité ou non avec l'écriture. En dehors
des hypothèses macro sociologiques et sociolinguistiques (Bernstein1,
Bourdieu, Lahire, Bautier2, Dabène3), qui ont cherché à élucider les causes de la
différenciation, on connait mal la manière dont un certain nombre d'élèves met¬
tent en place des formes de refus ou de résistance aux savoirs scolaires ensei¬
gnés. Cette analyse des processus psycho-sociolinguistiques par lesquels la
différenciation s'installe progressivement, notamment dans les situations sco¬
laires - où, pour l'essentiel, l'écriture s'enseigne et s'apprend - reste largement
à faire. C'est ce chantier que nous avions ouvert dans le cadre d'un Groupe d'ɬ
tude et de Recherche de l'IUFM de Montpellier. La visée principale de notre tra¬
vail étant au départ de construire un instrument d'observation pour rendre
compte des difficultés d'écriture des élèves en ZEP - mais aussi des germes
d'une éventuelle évolution.
124
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
monde scolaire, de ses priorités elle est liée à l'action qu'on envisage d'y
;
mener. Avant d'être une opération purement technique, l'évaluation est un choix
de valeurs et la postulation implicite de principes théoriques.
Ces manques sont souvent réels, mais les constater n'explique pas leur
origine pour des élèves qui ont été confrontés aux mêmes enseignements que
les autres. Cela n'explique pas non plus leur persistance malgré les aides propo¬
sées.
4. Plusieurs objections ont pu être faites, par les auteurs du modèle : voir Cl. Garcia-
Debanc : « Que reste-t-il de nos critères ? » dans Mélanges offerts à Maurice Mas :
Formation d'enseignants et didactique de Técrit, IUFM Grenoble, 1999.
125
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
126
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
des exercices, mais ces tâches au fond ne les concernent pas. Ils n'y appren¬
nent rien, sinon à conforter leur représentation de l'écriture comme une activité
privée de sens pour eux. Sur ces élèves-là, les savoirs techniques, ceux qui sont
visés par les modèles textuels, n'accrochent pas.
10. B. Chariot, É. Bautier, J.-Y. Rocheix, École et savoir dans les banlieues et ailleurs,
A. Colin, 1992.
11. Bucheton B., Écriture, réécritures, Peter Lang, 1995. Bucheton D., Langage, savoirs
et subjectivité : note de synthèse pour L'HDR, Montpellier, Université P. Valéry, 2001 .
12. La notion de pratique langagière a été théorisée par É. Bautier : Pratiques langa¬
gières, pratiques sociales : De la sociolinguistique à la sociologie du langage, Paris :
L'Harmattan, 1995.
127
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
l'école qu'elles vont se diversifier et se complexifier, car l'école initie aux pra¬
tiques langagières les plus exigeantes, notamment lorsqu'elles sont écrites.
Commenter une carte de géographie, rédiger le compte-rendu d'une expé¬
rience, ou d'un travail de groupe, définir ou expliquer une notion d'histoire que
l'on vient d'étudier, écrire une aventure qui fait peur, demande des maniements
cognitivo-langagiers plus complexes que saluer, discuter, négocier... à l'oral
avec la famille ou les copains.
128
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
13. Dans les ateliers d'écriture avec des adultes on observe que certains quelles que
soient les consignes reprennent inlassablement les mêmes thèmes, les mêmes sché¬
mas narratifs, les mêmes procédures enonciatives, dont ils semblent prisonniers
mais qui leur permettent de faire face à la tâche II faut alors leur faire violence pour
les en faire sortir.
1 4. Bucheton D. (dir.), Conduites d'écriture au collège et LP. CRDP, Versailles, 1 997.
15. Bucheton D., « Les postures du lecteur », in Lecture privée et lecture scolaire,
P. Demougin et J.F. Massol (coord.), CRDP Grenoble, 1999.
129
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
D'une manière générale on dira que pour certains enfants qui n'ont pas de
difficulté à penser, communiquer, agir avec de l'oral, une des difficultés de l'écrit
réside dans le fait qu'ils n'arrivent pas à articuler ensemble les différents
domaines énonciatif et sémantique aux contextes pragmatiques spécifiques de
l'écriture17. C'est le point d'articulation qui est problématique. À l'oral, l'enchâs¬
sement et l'organisation de ces divers domaines de signification utilise d'autres
codes qui leur sont plus familiers : gestes et mimiques, reprises, ajustements du
ton, du débit, silences, etc. Mais surtout à l'oral, la pensée évolue, se complexi-
fie en prenant appui sur la parole et la présence de l'autre. Ce travail réflexif
dans récriture est interne à l'écriture elle même.
130
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
131
REPERES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
3.4. La prise de risque, l'inventivité linguistique, Erreurs provoquées par la prise de risque,
fictionnelle, intellectuelle inventions orthographiques, écarts par rapport
aux stéréotypes, complexité narrative ou
conceptuelle difficile à gérer...
Lara et Marion vien cher moi demin matin. et maman vous bien
mais à une condition que je neitoi ma chambre.et je dit oui à
maman et aussi elle me dit c'est vous qui a/a/s faire à manger
oui je veux bien, et le lendemain matin elles font la fête avec les
amis.avec la musique très forte et avec des garçons on fait la
fête juste au lendemin matin
132
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
En classe de 6ème19
Dans le cadre d'un projet Français-Biologie, les élèves ont visité une
réserve naturelle. Chaque demi-classe a visité une partie différente : le Zoo ou le
Sentier Botanique. Au retour, la consigne est : Décris une plantefun animal,
dis ce que tu as vu, ce que tu as appris, pour un camarade de l'autre
groupe.
Texte de Frédéric
Le lynx
La tête du lynx resemble à un chat les oreilles sont pointue et
poilu il était confortablement couchet, sa fourrure est tout à fait
remarcable et son camoufla extraordinaire, quant on passe
devant, il faut bien regarder pour le voir il a des pâtes de tigre la
fourrure a une couleur blanche et marron il a des taches mar¬
ron et noirs
Texte de Jamy
Fenouil
Cette plante sans bon, je l'ai senti, le fenouil était sec, de cou¬
leurs jaune. Elle a une grande tige.
Le fenouil à des feuilles divisées en fines lanières. Cet plante
mesure au moins un mètre
[dessin]
On mange le bulbe en salade.
Les graines servent pour la cuisine. Le fenouil n'est pas un
arbuste. C'est la plus haute plantes de la plaine.
Texte de Lise
Le cyprès chauve
Les branches portent des fruits ronds et verts : ce sont des
cônes.
Le tronc est de grande taille. Les racines sortent du sol en
forme de bosse.
II s'appelle cyprès mais il est de la famille des séquoïas. II exige
beaucoup d'humidité et de lumière. II perd ses feuilles en hiver.
II fut introduit vers 1640 en Europe.
[ici une photo + légende : ]
racines qui sortent pour aller chercher de l'air. Elles mesurent
entre 15 et 20 cms
133
REPERES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
bien quelle distance prendre avec leur expérience, leurs savoirs, l'objet décrit,
avec le contexte scolaire, sont-ils en Français ? en Biologie ? Ils n'arrivent pas
non plus à se conformer aux modèles des fiches signalétiques rencontrés par¬
tout dans le parc, que peut-être ils n'ont pas voulu lire, plus intéressés à sentir,
voir.
134
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
135
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
136
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
Écrire c'est bien plus que « faire des phrases sans faire de fautes », écrire,
c'est d'abord mettre au travail un contenu symbolique inséparable d'une
forme langagière pour agir dans une situation. Ce contenu symbolique, c'est
tout simplement Thistoire qu'on raconte, les idées qu'on liste et qu'on articule en
raisonnement, les concepts qu'on développe, assemble, illustre, les affects
qu'on nomme et qu'on figure, les percepts qu'on organise en compte rendu ou
en description, etc. Enfin, c'est, au c du projet d'écriture, les valeurs qui le
justifient aux yeux du scripteur lui-même : une réponse à la question des fins et
des motifs : pourquoi, pour quoi écrire ?
Tout élève a donc le droit d'être écouté pour ce qui, dans ses écrits, fait de
lui, toutes proportions et mesure gardées, un auteur : un sujet dans l'écriture.
137
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
Jamy
Récit 1
138
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
Récit 2
Voilà trois jours qu'il pleut à la réserve de Lunaret à la Valette.
Moi élèves de 6ème Athènes Me trouve à la réserve innondée
depuis 3 jours. Les rivières débordés, le moulin écrasé par terre,
les falaises tombais. Comme la réserve est innondée j'ai pris
une grosse pierre je l'aijettais sur un arbre ; l'arbre est tombait
je suis monté dessus. Je m'endormis, le lendemain matin, je me
réveille je me retrouve dans une grotte. Tout étonnait je
marche, je ne vois rien. Je continue à marcher sans manger ni
boireJe continue à marcher, pendant 1 jours entier dans man¬
ger ni boire. 1 jours de plus en trin de marcher je vois de la
lumière, je m'approche encore un petit plus je vois une sortie
tous content je sors je ne vois personne le tempête s'arrêta.
Tous les arbres arrachés tout en bordel je partis chez moi
rejoindre mes parents et mes surs...
Lise
Récit 1
139
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
Récit 2
C'esf en 1999. Je suis seule depuis une semaine dans la
réserve. Je me nourris de quelques plantes que produisent les
arbres de la réserve. Tout cela aurait pu continuer longtemps
mais il pleuvait beaucoup depuis hier. Ce n'était pas une pluie
ordinaire. C'est une averse. Elle a commencé comme ça sans
prévenir personne. La rivière commençait à inonder la plaine.
Seul une chose blanche dépassait. Je voulus aller voir ce que
c'était, mais il faisait déjà nuit alors je suis allée dormir dans
une grotte Le lendemain je décide d'aller voir la plaine. L'eau
avait presque tout recouvert. Seul une bosse blanche avec
quelque chose d'écrit dessus dépassait :
« Voici le champignon de la mort. Sautez dessus, cela vous sau¬
vera ».
Ca était difficile parce que l'eau m'arrive aux genoux. Mais j'y
arrive quand même. Je saute et soudain il y a eu un tremble¬
ment et le champignon a grossit, grossit, grossit tellement que
je dépassai les nuages.Soudain je m'évanouis. Je me réveille.
Je vois une personne en blanc qui s'occupe de moi. Elle s'ap¬
proche et me dit :
- II est temps de retourner chez toi maintenant que le déluge
est fini. La dernière chose que je me suis souvenue c'est
d'être à l'hop'rtal avec mes parents.
140
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
méchant / gentil, heureux / triste, faire peur / avoir peur, menacer / être menacé.
La valeur reconnue est la loi du plus fort. Les personnages sont des gentils ou
des méchants et ils ont entre eux des contrats simples mais violents. Monde
sans répit qui n'est sans doute pas sans rapport avec sa propre vie, son milieu,
et les histoires (faits divers, films...) qui y circulent. Ce que révèle ce texte de
Jamy, c'est ici son système réduit et enfermant de valeurs, de références, de
figures du sens socialement construites et disponibles. C'est sa vision du monde
et de la société qui a besoin d'être questionnée. C'est lui qui a le plus besoin
d'apports de lectures, d'histoires fictionnelles ou réelles pour peupler son imagi¬
naire. La priorité pour lui , c'est la médiation culturelle. Mais elle ne se fait pas en
dehors du travail d'écriture, qui impose un vrai travail symbolique, en particulier
en convoquant les fragments narratifs (lieux, événements, personnages, atti¬
tudes, conduites...) dont l'assimilation est la forme concrète de cette médiation.
141
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
Lise dessine une sorte de cataclysme cosmique dont par miracle l'héroïne
réchappe en prenant des risques. Elle cherche à retrouver sa famille, une société
protectrice (l'hôpital). Là encore, elle se montre talentueuse pour mettre en scène
une diversité de mondes et de thèmes qu'elle croise ici de manière sans doute
moins efficace que dans son premier récit. Elle récupère la culture travaillée en
classe et l'organise avec son propre imaginaire et ses propres références cultu¬
relles. Le thème de l'eau est lexicalement très travaillé : il pleuvait beaucoup, pas
une pluie ordinaire, une averse, la rivière inondait, l'eau, l'eau m'arrive au
genou, le déluge. Le monde initial, relativement réaliste, glisse progressivement
vers le fantastique : une menace sourde (ce n'est pas une pluie ordinaire) puis la
montée lente des eaux : commençait à inonder... presque tout recouvert....
L'organisation du texte est très dramatisée : dégradation progressive de la situa¬
tion du héros, prise de risque et renversement pour un coup de théâtre.
Les élèves ont beaucoup à dire. Ils ont de toute évidence des
« matériaux » : une multitude de germes sémantiques déposés et construits lors
des visites à la réserve du Lunaret, au travers des lectures faites (les thèmes
bibliques travaillés sont présents). Ils peuvent les organiser pour construire des
significations et des mondes fictifs singuliers. Le travail sur le long terme du
projet autour de la Réserve est visible : les lieux peuvent servir de matrices ima¬
ginaires (moulin, falaise, grotte, arbres...), les sensations visuelles et même cor¬
porelles nourrissent les récits j'ai marché, marché...
142
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
traces de cette évolution dans la construction d'un rapport positif aux normes,
et dans quelles conditions ou circonstances il régresse. Prendre en compte le
processus et non seulement le produit (le texte final) revient donc à s'intéresser
en priorité aux conduites de correction, par exemple à la dynamique des
ratures et des repentirs22 : comment se comporte l'élève quand il révise son
texte spontanément ? Quand il y est invité, quand il le met au propre pour édi¬
tion ? Comment collabore-t-il avec d'autres dans ces phases-là ? Quel usage
fait-il des outils qui sont à sa disposition ? On s'intéressera donc tout autant aux
comportements qu'à la statistique des erreurs mesurée sur le texte produit.
Nous développerons peu ici les premiers indicateurs. Ils sont très familiers
aux enseignants et facilement repérables. Nous nous contenterons de quelques
remarques à partir des textes de 6° déjà présentés.
22. C . Fabre-Cols, Apprendre à lire des textes d'enfants, Bruxelles : De Boeck, 2000.
143
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
Dans son premier texte déjà, outre le repérage temporel par les temps de
verbes, Lisa utilise une grande diversité de procédés pour indiquer la chronolo¬
gie, la simultanéité, la durée, le passé lointain, le futur proche, la dimension
ponctuelle, le début, la fin, ainsi que le vécu par les personnages du temps :
autrefois... depuis des décennies... un jour... sa femme l'attendait... alors...
il resta toute la journée... le lendemain... dès que le soleil de leva... une
guerre va éclater... plus de 200 ans... Clad continuait à... Dans son deuxième
texte, chaque phrase donne une indication de temps de manière encore plus
modalisée et recherchée : Tout cela aurait pu continuer longtemps. Elle sait
aussi manier le récit d'actions simplement juxtaposées pour accélérer le rythme.
Jamy lui aussi progresse de manière sensible : dans son premier texte il se
contentait simplement de marquer la chronologie, dans le deuxième, pour dra¬
matiser l'épisode, il réussit à rendre le début, la durée, la succession puis l'achè¬
vement : voilà trois jours... depuis trois jours... je continue de marcher...
pendant 1 jour entier... un jour de plus... encore... la tempête s'arrêta... je
partis rejoindre mes parents
144
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
On voit aussi pourquoi une analyse des erreurs s'impose, pour travailler
autant que possible dans la bonne direction et sur les bons objets. Dans cer¬
tains cas, un travail de correction classique s'impose (exercices de structuration,
guide de relecture...). Dans d'autres cas, il faut d'abord laisser à la fiction le
temps de se déployer dans les réécritures avant d'aborder un travail directement
centré sur des compétences techniques (par exemple, la ponctuation, les
connecteurs, les substituts...).
CONCLUSION
L'évaluation que nous proposons est centrée non sur les compétences
manifestées dans des textes achevés mais sur des indicateurs du développe¬
ment de l'élève comme sujet singulier, écrivant, apprenant. Elle permet d'avoir
un peu accès à ce qui s'enseigne comme à ce qui s'acquiert et ce au travers
d'une multitudes de facteurs.
prendre pour remettre l'élève et son texte en travail ? Elle nécessite des ruptures
importantes et difficiles avec un certain nombre de gestes professionnels enraci¬
nés dans la doxa didactique et la déontologie professionnelle.
25. Voir le travail sur les cahiers d'écrivain réalisés dans l'équipe de Perpignan : Seweryn
B. et Bucheton D. : « Le cahier d'écrivain : d'un grand nombre d'écrits vint la créati¬
vité ! », Le Français aujourd'hui 127, septembre, p. 73-81 , 1999.
145
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
2. Faut-il faire réviser, faire corriger pour faire s'approprier des normes for¬
melles ou travailler à faire se développer la singularité, la créativité ? Dans le
premier cas on se centre sur les savoirs, les modèles ; dans l'autre on s'inté¬
resse plutôt à la dynamique du sens pour un sujet qu'on aide à devenir auteur.
Comment alors articuler ces deux enjeux conflictuels : l'apprentissage et le res¬
pect de normes socialement et historiquement élaborées et en même temps
l'appropriation singulière de ces savoirs et pratiques : le développement culturel
du sujet. Dans le premier cas on travaille à éliminer les écarts par rapport aux
normes, dans le deuxième on considère comme productifs des savoirs approxi¬
matifs ou en émergence : problèmes énonciatifs ou temporels non encore réso¬
lus par exemple.
Une chose est sûre : le langage ne se développe que s'il est en travail, en
confrontation avec des idées, un imaginaire, des connaissances, des interlocu¬
teurs, en dialogue avec lui même (la phrase qui résiste, qui n'avance plus ou qui
file trop vite et qu'il faut reprendre). Mais en même temps la réflexivité et la créa¬
tivité langagière nécessitent pour se développer on le sait une certaine routinisa¬
tion des procédures de contrôle (thèse de la surcharge cognitive).
Enfin, pour ne pas rester sur de simples questions, nous avons cherché
avec les enseignants des classes ZEP où nous avons travaillé quelques prin-
26. Sur cette notion de réflexivité langagière, voir Chabanne J.C, Bucheton D. : intro¬
duction de l'ouvrage : Parier et écrire pour penser, apprendre et se construire, p. 1-
23, PUF 2002.
146
Un autre regard sur les écrits des élèves : évaluer autrement
cipes didactiques simples (et pas toujours originaux) mais qui se sont avérés
efficaces :
1 . Premier principe : l'élève ne progresse que s'il est invité à se dépasser,
dans un travail nouveau, non répétitif d'un haut niveau d'exigence et
de complexité. II n'avance que s'il a de la matière à travailler.
2. Deuxième principe qui demande beaucoup d'inventivité chez l'ensei¬
gnant : celui de reprise - déplacement, non de fuite en avant vers
d'autres tâches, d'autres sujets toujours différents. II faut du temps, de
la continuité, un espace de paroles partagées pour qu'il y ait du déve¬
loppement.
3. Troisième principe : l'apport copieux de culture et de savoirs pour
renouveler et nourrir l'intelligence, l'émotion, l'imaginaire, l'implication
cognitive et psycho-affective de l'élève - et leur donner des res¬
sources langagières et culturelles à réemployer. C'est la fonction des
débats, des sorties, l'apport incessant de lectures, de leçons.
4. Enfin, quatrième principe, amener l'élève à un jeu permanent d'impli¬
cation / désimplication pour construire un rapport distancié et objec¬
tivé aux objets travaillés, à leurs contextes, aux divers langages et
savoirs de l'école.
BIBLIOGRAPHIE
147
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 D. BUCHETON, J.-C. CHABANNE
148
ON ÉCRIT DANS QUOI, MADAME ?
CAHIERS ET CLASSEURS À L'ÉCOLE PRIMAIRE
Chacun se doute, sans qu'il soit besoin de longues enquêtes, que les sup¬
ports d'écriture ne sont pas indifférents à la production d'écrit. Si des cher¬
cheurs se sont mobilisés depuis une vingtaine d'années sur cette question, c'est
que la production de textes par ordinateur a modifié les modalités ordinaires du
travail d'écriture et rendu visibles, de ce fait, que certains gestes de travail, liés
aux anciens supports papier-crayon, étaient remis en cause par les nouveaux
supports informatiques. Pourtant, l'intérêt des chercheurs a porté davantage sur
l'impact du traitement du texte (et les fonctions « couper-coller ») que sur
d'autres aspects moins directement liés aux contenus des productions obte¬
nues. Par exemple, la dissociation entre le clavier et l'écran fait rupture avec
l'écriture manuscrite. Que se passe-t-il, quand un enfant qui a rarement appris à
taper à la machine, ne peut en même temps surveiller ses doigts sur le clavier et
ce qui apparaît sur l'écran ? Les supports traditionnels manuscrits associent au
contrôle visuel du geste d'écriture (le fameux contrôle « oculo-manuel »), le
contrôle par la vision de ce qui s'écrit (qui est autre chose que la « lecture-com¬
préhension », puisque des paramètres matériels comme la qualité graphique et
orthographiques de l'écrit y entrent en compte). La possibilité d'imprimer sans
peine les différents états d'un texte à l'ordinateur a également fait apparaître les
contraintes, inhérentes aux écritures manuscrites selon qu'elles sont « au
propre » ou « au brouillon » : chacun sait que les ratures que chacun s'autorise
sur une feuille libre ou sur un cahier d'essai ne sont pas toujours recevables sur
le cahier du jour ou le classeur de contrôle. La vigilance de celui qui écrit en tient
compte, sans qu'on sache très bien comment le contenu du texte en est affecté.
149
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 A.-M. CHARTIER
De telles prises de conscience ont permis de porter un autre regard sur des
pratiques traditionnelles mais disqualifiées (comme l'aisance graphique ou la
copie) mais n'ont pas suffi pour que les chercheurs s'intéressent couramment
aux supports d'écriture dans l'école. Les choix pratiques des maitres, lorsqu'il
s'agit de décider, en début d'année, combien les élèves auront de cahiers ou de
classeurs, et de quels formats, ne font guère l'objet d'explicitation et paraissent
n'avoir pas plus d'importance que la couleur des protège-cahiers. Pourtant, la
pédagogie active s'est intéressée à ce qui conditionne les relations maître-
élèves, aux modalités collectives ou individualisées de travail et donc, par
exemple, à la disposition des tables (travail de groupe ou enseignement fron¬
tal ?). Quant aux didactiques spécialisées, elles ont été moins attentives aux
supports sur lesquels les enfants écrivent qu'aux supports à partir desquels ils
travaillent (textes, documents, schémas, images, etc.), du fait qu'il s'agit, pour
expérimenter, de contrôler les contenus, les consignes et les procédures d'exer¬
cices ou d'évaluation.
Par exemple, Claire Boniface et Annick Vinot (Les études dirigées au cycle 3, Paris,
Bordas, 1999)
150
On écrit dans quoi, Madame ? Cahiers et classeurs à l'école primaire
telle école. Pourtant, qui veut réfléchir sur les acquisitions des élèves ne peut
s'abstraire sans angélisme des conditions les plus « matérielles » de leur réalisa¬
tion, en particulier des supports d'écriture retenus. Ceux-ci définissent des atti¬
tudes, dans la réception comme dans la production, exercent des contraintes,
restreignent ou élargissent les usages possibles, qui concernent aussi bien le
travail des élèves que celui des maîtres.
Les hésitations et les difficultés des enfants ne sont pas aléatoires. En met¬
tant un cahier de roulement entre leurs mains, on leur a demandé de se servir
151
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A.-M. CHARTIER
d'un outil perturbant. Alors qu'il est matériellement identique à ceux dont ils ont
l'habitude, il se révèle « fonctionner » sur un autre modèle, archaïque, celui du
cahier du jour2 qui réunissait chronologiquement les traces de toutes les activi¬
tés « notables » en un seul lieu3, sur le modèle du livre de raison ou du journal
de bord. Le rituel de la mise en page fait partie des mémoires d'hier et d'aujour¬
d'hui, puisque, sur ce point, beacoup de choses sont restées stables, même les
« manies » des enseignants : date du jour « en haut à droite » (ou à gauche), inti¬
tulé de l'exercice cinq carreaux à la marge, souligné en rouge (ou en bleu), mise
au propre de l'exercice (appliquez-vous à l'écriture), ou écriture sous dictée,
relecture, soulignages divers. Mais sous cette permanence, autre chose s'est
déplacé plus fondamentalement, dans la façon de gérer les cahiers d'aujour¬
d'hui.
2. Pour une analyse de « l'espace graphique » des cahiers du jour, voir Christiane
Hubert et Jean Hebrard, « Fais ton travail ! », Enfances et Cultures, 2, 1979, Paris,
Fernand Nathan, pp. 46-59.
3. La circulaire du 14-5-1962 institue les cahiers de devoirs mensuels, réservés à l'éva¬
luation, alors qu'ils sont déjà une pratique courante. Ils doivent suivre l'élève tout au
long de sa scolarité. Les anciens usages connaissaient aussi le cahier de brouillon et
le cahier de poésies et chants.
4. Édition de1882, Première partie, Article « Cahier», signé par Charles Defodon,
p. 302)
152
On écrit dans quoi, Madame ? Cahiers et classeurs à l'école primaire
vant tout au plus le cahier spécial pour les premiers essais des débutants, pour
quelques genres d'exercices particuliers, comme l'écriture calligraphique, et
aussi pour quelques matières facultatives que peut aborder le cours supérieur et
dont les élèves ont besoin de pouvoir saisir l'ensemble et la suite logique ».
L'avantage du cahier du jour est donc triple : commodité d'utilisation, clarté des
exigences scolaires vis-à-vis des parents et contrôle facile du travail de la
classe, c'est-à-dire des élèves et des maîtres, par les autorités de tutelle.
153
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A.-M. CHARTIER
(comment se tenir pour écrire, corriger une erreur, présenter une copie de
contrôle) et qu'elle s'inscrit dans un contrôle plus global des conduites scolaires
(se taire, ne pas courir dans la classe). À d'autres moments de la classe, de tels
propos seraient mêlés à ceux qui concernent les contenus travaillés. En fin
d'école élémentaire, dans une classe ordinaire conduite par une institutrice
expérimentée, l'utilisation des supports d'écriture ne va donc pas de soi.
Le travail des élèves renvoie donc aussi au travail des maitres. Ce sont eux
qui sélectionnent et de présentent les traces que doivent laisser les tâches sco¬
laires ordinaires. Dans leur choix (ce qui est mis au propre et ce qui reste au
brouillon, ce qui est corrigé sur le champ ou plus tard, corrigé et noté ou corrigé
mais non évalué, ce qui est communiqué aux parents et ce qui reste dans la
classe, etc.), ils manifestent des partis pris qui ne sont pas tous guidés par les
contraintes d'apprentissage. Certains choix sont plus coûteux que d'autres en
temps et en énergie (la correction des textes après la classe, par exemple, au
lieu de la correction en classe). En revanche, ils savent que certaines activités
utiles et appréciables ne laissent pas d'elles-mêmes des traces écrites. Par
exemple, une lecture longue, suivie d'une discussion avec les enfants, un travail
de recherche en atelier sur des documents, ou encore une séance d'observation
à partir des plantations de la classe ou d'un élevage). Le risque serait grand, si
ces activités ne conduisaient pas à l'élaboration de « quelque chose d'écrit »,
qu'il disparaisse des mémoires, qu'il laisse croire aux parents que ce jour-là, rien
n'a été fait, enfin, qu'il paraisse aux élèves peu important puisque ne donnant
pas lieu à écriture.
Ainsi, les cahiers témoignent d'un modèle de culture scolaire, régi par des
normes et des valeurs que la mise en page doit rendre explicites. L'ancien
modèle du cahier du jour est une chronique des travaux et des jours, qui met en
représentation la culture primaire, comme un patchwork unique de savoirs, où
les écrits de chaque jour sont cousus avec patience à ceux des jours précé¬
dents, dans l'engrenage ritualisé des écritures quotidiennes et du retour cyclique
des matières prévues chaque semaine. En revanche, les supports d'écriture
actuels semblent davantage avoir pour modèle la spécialisation disciplinaire du
second degré. Les maitres polyvalents du primaire montrent ainsi à leurs élèves
de façon « pratique » que l'école est le vestibule du collège, que les savoirs sont
organisés « par famille » et que le B.A. BA du métier d'écolier est de classer
(matériellement et intellectuellement) ce que l'on fait. Les dispositifs d'écriture
que les maîtres ont spontanément adoptes (on les retrouve peu ou prou dans
toutes les classes) distribuent ainsi l'emploi du temps et les tâches scolaires
entre les parties des classeurs ou les différents cahiers, en sous-ensembles à la
fois matériels et conceptuels. C'est ainsi qu'on apprend en même temps à
« tenir ses affaires en ordre » mais aussi à se représenter les savoirs et leur caté¬
gorisation, sur le mode de l'évidence.
154
On écrit dans quoi, Madame ? Cahiers et classeurs à l'école primaire
155
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A.-M. CHARTIER
tionnaires. Alors que la présence des classeurs est massive en cycle 3, moins
d'une classe sur trois en a un usage quotidien (15 sur 49). C'est le cas de cet
instituteur de CM2 qui a plus de trente ans d'activité :
Supports disciplinaires : cahier de chant et de poésie, cahier d'éduca¬
tion civique, cahier d'Histoire, cahier de Géographie, cahier de
Sciences et Technologie ; classeur de Français (orthographe, gram¬
maire, conjugaison, expression écrite) ; classeur de Mathématiques
(mécanismes opératoires, situations problèmes, géométrie) ; cahier
d'évaluation (Français. Maths).
Supports non disciplinaires : cahier d'essai ; cahier de textes.
Supports quotidiens : classeurs, cahier d'essai, cahier de textes,
feuilles polycopiées.
9. On peut s'étonner qu'un classeur contenant toutes les matières scientifiques plus
d'autres ne soit pas d'usage quotidien. Cela signifie en tout cas que les 4 heures
prévues à l'emploi du temps hebdomadaire pour les matières scientifiques sont loin
d'être réalisées, dans cette classe comme dans beaucoup d'autres.
10. Certain pensent que l'ordinateur pourrait résoudre cette quadrature du cercle. II fau¬
dra attendre pour le savoir que chaque élève ait un portable sur sa table.
11. « Alors que beaucoup voient là une bonne préparation des enfants au collège, justi¬
fiant les efforts dépensés, d'autres enseignants soulignent en revanche les pro¬
blèmes posés par les classeurs (les maladroits se pincent en fermant les anneaux,
ceux-ci joignent mal, les perforations des feuilles se déchirent, les étourdis oublient
de ranger les feuilles qui se froissent, s'égarent, etc.). On retrouve les mêmes pro-
156
On écrit dans quoi, Madame ? Cahiers et classeurs à l'école primaire
aussi tous les avantages des routinisations). Pourtant, même dans la classe
ayant fait le choix délibéré du classeur de français, on utilise d'autres supports
pour cette matière : les fiches de lecture pour les livres de bibliothèque (rangées
dans un fichier collectif consultable par d'éventuels nouveaux lecteurs), le cahier
de poésie et un cahier de calligraphie, peu à peu délaissé, si bien que l'institu¬
trice ne pensera pas d'emblée à le signaler. Alors que le « cahier unique » de
l'école Ferry aurait pu être remplacé par le « classeur unique » de l'école prépa¬
rant au collège Haby (adoptant un classement en sous-parties disciplinaires
pour répartir les travaux quotidiens au lieu de les écrire à la suite), ce n'est pas
du tout ce qui s'est produit : les anciens et les nouveaux supports sont en co¬
existence instable, chaque maître inventant ses manières de faire de façon
empirique, intuitive, sans que rien ne l'oblige à expliciter ses choix.
La quantité d'écrit produit dans les cahiers varie encore plus, à suivre les
estimations des maîtres. Pour les CM, la longueur « fréquente » varie d'une page
et demie à deux pages par jour pour ceux qui utilisent les petits formats, et une
page à une page et demie en grand format. Les extrêmes vont d'une demi-page
(petit format) dans une classe qui utilise quotidiennement des fichiers auto-cor¬
rectifs, à deux ou trois pages grand format dans une classe où les leçons et les
règles (en orthographe, grammaire) sont copiées sur le classeur et où on trouve
une activité de production écrite par semaine. Pour les CE, la longueur « fré¬
quente » est une page petit format, mais les extrêmes vont d'un quart de page
petit format (en CE1) à deux pages grand format (en CE2). Nous n'avons pas
pris en considération les CP qui n'avaient qu'un trimestre de scolarité à la date
de l'enquête. On ne peut comprendre ces écarts (déclarés) sans se référer plus
avant aux pratiques de travail de la classe. Dans les classes qui écrivent « beau¬
coup », il semble qu'on recourt moins aux fichiers, que la pratique de la copie au
net soit plus fréquente (résumés de leçons, exercices corrigés collectivement
recopiés sur le cahier), que les activités d'expression écrite y soient régulières.
Dans les autres, on utiliserait davantage des exercices polycopiés et les fichiers
de lecture silencieuse ou de maths.
blêmes avec les photocopies, qui sont appréciées à cause du gain de temps qu'elles
permettent (dans les disciplines scientifiques, elles rendent visibles des séances de
travail qui autrement ne laisseraient pas de trace sur les cahiers), mais qui exigent,
quelle que soit l'activité scolaire qu'elles ont permis, qu'on prenne le temps de les
faire coller proprement. Nous n'avons pas trouvé d'enquête décrivant les divers
usages pédagogiques des photocopies dans l'école.
157
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A.-M. CHARTIER
158
On écrit dans quoi, Madame ? Cahiers et classeurs à l'école primaire
compte leur coût, en particulier le temps qu'elles mobilisent hors temps scolaire.
Dans certains questionnaires, on trouve d'ailleurs exprimée clairement l'idée que
c'est en interaction avec les enfants que doivent se faire les corrections « en
passant des rangs », faute de quoi elles sont peu utiles. D'autres font au
contraire du temps de corrections hors classe un très bon indicateur de l'inves¬
tissement global de l'instituteur et donc de son efficacité pédagogique.
Pourtant, aucune étude ne permet aujourd'hui d'affirmer ni d'infirmer que « l'ef¬
fet-maître » soit directement corrélé au travail des instituteurs hors classe,
même si c'est un domaine sur lequel se joue leur légitimité : des cahiers mal
corrigés font peut-être peu de tort aux élèves, ils font en tout cas du tort à l'insti¬
tuteur, au moins dans l'esprit des parents et des pairs. La présence du stylo
rouge dans le cahier témoigne d'une vigilance institutionnelle à l'égard de ce qui
est bien ou mal fait, rassure les parents, et de façon plus ou moins diffuse,
entretient la mobilisation des enfants. En tout cas, on manque d'enquêtes qui
décriraient comment les maîtres répartissent leurs investissements et dosent
leurs efforts, alors que de telles données permettraient d'aider les débutants et
de mieux saisir ce qui contribue à « l'effet-maitre »12.
12. On pourrait ainsi établir un pont entre les recherches en didactique et les travaux sur
l'expertise enseignante et la formation qui se sont beaucoup développés ces der¬
nières années (M. Altet, A. Trousson, V. Tochon, R. Goigoux, etc.)
159
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A.-M. CHARTIER
mises hors champ et la poésie, sur son cahier à part, ne fait plus partie du fran¬
çais13. Ainsi, dans ces deux cas, ce sont les références disciplinaires qui « sur¬
ordonnent » l'ensemble des supports.
13. Pour les élèves de la classe observée, la poésie était « à part » et certains mettaient
les comptes rendus de livres classés dans un fichier collectif consultable, dans l'acti¬
vité « bibliothèque » et non « lecture ».
14. On pourrait donc opposer, dans le langage actuel, savoirs procéduraux (exercices) et
savoirs déclaratifs (leçons, textes referents, règles) qui s'appuient tous sur des activi¬
tés d'écriture mais qui ont des formes et des statuts scolaires bien distincts.
160
On écrit dans quoi, Madame ? Cahiers et classeurs à l'école primaire
8. CONCLUSION
161
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A.-M. CHARTIER
savoir, encore faut-il qu'ils aient été constitués comme tels. Les courants péda¬
gogiques qui visaient à intégrer les apprentissages par des thèmes fédérateurs
(centres d'intérêt, étude du milieu, projets de classe, coopération scolaire, etc.)
cherchaient, avant tout souci de construction disciplinaire, à relier les savoirs
scolaires à « l'expérience » des élèves, pensée comme intégratrice. À considérer
l'utilisation des supports d'écriture, le souci qui semble aujourd'hui l'emporter
largement dans la pratique, c'est celui de faire exister les domaines discipli¬
naires dans la représentation des élèves, donc de les disjoindre, de les étiqueter,
tout en construisant par l'usage une première maitrise des savoir faire qui les
caractérisent et/ou une intuition de leur objet spécifique. Ceci explique peut-être
que, par contrepoint, le souci de l'interdisciplinarité ou de la transversalité soit
un thème récurrent des discours institutionnels.
162
LES EFFETS D'UN INSTRUMENT D'ECRITURE
À L'ÉPREUVE DE LA RECHERCHE
Deux ou trois choses que l'on sait
ou que l'on ne sait pas sur le traitement de texte
Sylvie PLANE - IUFM de Paris - LEAPLE (CNRS-Université Paris V)
Chercheur associé à l'INRP
Résumé : Cette contribution prend comme point de départ les conclusions des
historiens de la culture et des ergonomes qui ont montré que les instruments
d'écriture jouaient un rôle dans l'évolution des pratiques d'écriture. Elle pose
donc comme hypothèse que le traitement de texte, en tant qu'outil graphique et
scriptural, est un instrument susceptible d'exercer une influence sur l'écriture et
examine les résultats dégagés des recherches en fonction de leur degré de
certitude. Les résultas les mieux établis concernent le rôle positif exercé par le
traitement de texte sur la motivation des scripteurs. En revanche, l'effet du
traitement de texte sur les processus rédactionnels n'a pas pu être mis en
évidence de façon incontestable, pour des raisons qui tiennent, d'une part, à
différents types de cause qui sont analysées dans cet article, mais aussi, d'autre
part, aux conceptions de l'écriture qui ont présidé aux expérimentations. Enfin,
l'article recense cinq points sur lesquels il appelle le développement de
recherches qui éclaireraient la connaissance lacunaire que l'on a actuellement de
l'écriture sur traitement de texte.
163
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
avaient alors pour visée soit d'établir la genèse des sysèmes sémiotiques (entre¬
prise de démonstration par Gelb (1963/1973) de la monogenèse de l'écriture pho¬
nétique), soit de repérer les traces des contacts culturels entre populations (par
exemple, controverse entre Février, Cohen et Filiozat sur l'origine des variations
graphiques, en particulier les ligatures, ou dispositionnelles qui ont affecté les écri¬
tures issues de l'Araméen lors de leur adoption par les Palmyréniens et les
Nabatéens (Cohen, 1963)), soit d'analyser les rapports entre des formes culturelles
et des modes de pensée (Goody 1977/1979 ; Olson, 1994/1998).
1. Voir une analyse didactique dans Plane S. et Schneuwly B. (2001), « Regard sur les
outils de renseignements du français - Un premier repérage », Repères 21 .
164
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
165
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
Les facilitations techniques de réécriture ont elles aussi été depuis long¬
temps mis en avant, notamment par Daiute (1981), et soulignées dans toutes les
enquêtes faites auprès des usagers, enfants ou adultes, qui, à l'unisson, se féli¬
citent d'être dispensés par le traitement de texte de la fastidieuse recopie -
même si par ailleurs l'activité de copie peut en soi être intéressante et appréciée
comme le montre Barré de Miniac (1999).
Sur ces points, le résultat des recherches ne fait donc que confirmer ce
que le sens commun permettait de supposer.
166
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
Fabre fait en particulier une analyse critique des travaux de Shui sur l'acquisition et
de la grille d'analyse de Faigley et Witte.
167
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
du traitement de texte sur les processus rédactionnels ont été relativement peu
développés, grâce au consensus général sous-tendant ces hypothèses, qui per¬
mettait alors d'écrire : « L'ordinateur, nous le savons tous facilite la révision, mais
il ne l'enseigne pas[...]6 » (je souligne), comme si, de ces deux assertions, seule
celle concernant la nécessité d'un enseignement de la révision avait besoin
d'être étayée, l'autre, portant sur les vertus de l'ordinateur, apparaissant comme
issue d'un consensus incontestable.
168
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
Cet argument, ainsi que les deux précédents, repose sur l'hypothèse de la
surcharge cognitive qu'impose l'acte d'écriture en obligeant le sujet scripteur à
régler simultanément des problèmes qui entrent en concurrence. Cette hypo¬
thèse est étayée par les nombreuses expérimentations qui ont soit montré les
limites de la mémoire de travail, soit les perturbations occasionnées par les
contraintes de traitements simultanés, tels que le modèle de De Beaugrande
(1982, 1984), parexemple, les figure.
169
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
Dans d'autres recherches qui avaient pris les temps de pause comme indi¬
cateurs, les résultats sont été également très mitigés, et n'ont guère permis
d'arriver à des conclusions déterminantes (par exemple les travaux d'Espéret et
Crété, 1995). Je mets à part les travaux qui se sont attachés à l'observation des
temps de pause, en tant que celle-ci renseigne sur des styles différents de
scription, car leur objet n'était pas de mesurer les modifications apportées par le
recours au traitement de texte, mais d'identifier des modes de travail sur ordina¬
teur (Doquet, 1995)
170
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
lité des textes, voire une détérioration des processus rédactionnels, ce que note
Hayes :
Les études comparant la rédaction avec papier et crayon à la rédac¬
tion avec un traitement de texte ont fait apparaître les effets du
medium sur les processus rédactionnels de planification et d'édi¬
tion. Par exemple Gould et Grichowsky (1984) ont montré que les
rédacteurs sont moins efficaces quand l'activité de production a été
effectuée au moyen d'un traitement de texte plutôt que sur le papier
[...] Haas (1987) a constaté que les étudiants planifiaient moins
avant d'écrire lorsqu'ils utilisaient un traitement de texte plutôt
qu'un papier et un crayon
(Hayes 1996 in Piolat & Pélissier)
Je vais donc dans un premier temps rappeler les causes mentionnées par
Piolat pour expliquer ces résultats décevants, puis je proposerai quelques hypo¬
thèses complémentaires.
Sont mis en cause les caractéristiques de l'affichage sur écran et les diffi¬
cultés de manipulation dues au clavier. Les travaux de Woodruff et al. (1986, cité
171
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
par Piolat, Isnard & Delia Valle, 1993) et ceux de Lutz (1987) attirent l'attention
sur le rôle que joue l'écran qui, en quelque sorte, sélectionne des portions de
texte soumises à l'attention du scripteur, et sur celui du curseur qui désigne des
points d'intervention. Haas et Hayes (1986) ont également noté que la recherche
en temps réel des informations dans le texte est fortement influencée par la taille
de l'écran.
Parmi les causes expliquant les résultats décevants, certaines sont impu¬
tées à l'inexpertise des rédacteurs participant aux expérimentations. Deux types
d'inexpertise ont été pointées, celles qui concernent les aspects proprement
rédactionnels, et celles qui portent sur la maîtrise des fonctionnalités du traite¬
ment de texte.
172
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
(1991), réalisée en 1989 et portant sur des collégiens âgés de 13 ans ayant deux
ans de pratique de l'ordinateur, vont dans le même sens que celles de l'enquête
menée par Anis (1993) auprès des chercheurs : les deux enquêtes ont mis en
évidence la sous-utilisation des facilitations offertes par le traitement de texte.
Enfin ce dernier type de cause signalé par Piolat paraît peu dépendant de
la machine : il s'agit des difficultés imputables aux contraintes d'écriture,
comme celles concernant par exemple la nature de la consigne ou la longueur
du texte attendu.
Crinon et Legros (2001) ont, dans leur revue de travaux sur la question, cor¬
roboré dans l'ensemble les résultats enregistrés par Piolat, mais leur constat est
un peu plus nuancé. Cela tient au fait qu'ils se sont davantage intéressés à un
autre facteur, celui de l'apprentissage, et qu'ils en montré le poids. Ils ont en
effet pris en compte deux autres données du contexte, la temporalité et le
contexte pédagogique, montrant ainsi que les expérimentations qui se sont
attachées au seul medium ne parvenaient pas à en mettre en évidence les
effets, alors que celles qui envisageaient le traitement de texte comme un outil
dont l'utilisation devait s'apprendre avaient plus de chance d'obtenir des effets
vérifiables.
Je défendrai l'idée que ces discordances entre les effets attendus du traite¬
ment de texte sur la production d'écrit et les effets constatés sont dues non
seulement aux causes évoquées plus haut, mais également à d'autres, incluant
ou non les précédentes, que je vais rapidement évoquer. Mon propos n'est donc
pas d'ajouter une liste de causes qui prolongerait celles que je viens d'énumérer,
mais plutôt de la réorganiser, ou d'envisager dans une perspective différente les
résultats de recherches mentionnées plus haut.
173
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
174
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
Je voudrais ici simplement attirer l'attention sur deux problèmes que même
une bonne maîtrise technique du clavier ne peut juguler : l'inadaptation du cla¬
vier au geste graphique, et le problème de la désegmentation des ligatures.
175
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
176
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
Reprenant, sous un autre angle, des remarques faites par Brassart (1991) et
par Bronckart (1985) qui mettaient en garde contre les conséquences possibles
d'un parti-pris théorique hérité de Bloomfield et amenant à établir une corréla¬
tion directe entre les unités linguistiques de surface et les fonctionnements lan¬
gagiers sous-jacents, Roussey met ainsi l'accent sur le glissement sémantique
de « révision » opéré dans un certain nombre de travaux : ce terme, employé
pour désigner les traces à partir desquelles l'analyste infère qu'il y a eu ou non
telle activité mentale, permet de faire allègrement une incursion du côté des pro¬
cessus mentaux, la polysémie du terme « révision » autorisant ainsi à passer un
peu rapidement de l'observation de transformations à des conclusions portant
sur l'activité cognitive du scripteur. Pourtant, différentes recherches (voir par
exemple, Bond, Hayes & Flower, 1980) ont mis en évidence que des sujets pou¬
vaient passer du temps sur un texte, en ayant pour consigne de le réviser, sans
produire la moindre modification. Faut-il, pour autant, considérer que ces sujets
n'ont pas réalisé la tâche qui leur était demandée ? Et l'observation de
brouillons d'écrivain montre de nombreux exemples de cas où le mot choisi
définitivement par l'auteur est celui-là même qui avait figuré dans une première
version, avant d'être remplacé par un autre puis rétabli à sa place initiale. Je ren¬
verrai ici volontiers à un texte de Michel Butor11 publié dans ses Essais sur le
roman disant qu'il commence sa révision à partir du moment où il se trouve en
possession de schémas, c'est-à-dire avant d'être passé à la textualisation,
puisque pour lui, dans son mode d'écriture, les différents types de macro-pro¬
cessus sont disjoints. On peut donc supposer que même lorsqu'il n'y a pas de
traces graphiques, il doit arriver à des scripteurs de produire une formulation,
d'envisager de la modifier, puis de décider de la conserver, privant ainsi l'obser¬
vateur de données tangibles lui permettant d'apprécier l'activité rédactionnelle :
les modifications opérées sur du texte, et les pauses ne sont donc que des
indices, fragiles, et non des brèches ouvertes dans la boîte noire.
11. Intervention à Royaumont en 1959, repise dans BUTOR M. (1992 rééd. 1997) Essais
sur le roman. Gallimard.
177
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
178
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
La temporalité de l'écriture
Voici donc une petite liste de cinq suggestions pour inciter à des
recherches futures.
179
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
II semble qu'il y ait des genres textuels qui se prêtent mieux que d'autres à
l'écriture sur traitement de texte : le travail sur traitement de texte uniformise les
signes graphiques, évacuant ainsi la trace personnelle graphique du geste du
scripteur, et contribuant ainsi à mettre à distance le texte. Cet aspect anonyme
du graphisme est un avantage si l'écrit à produire est impersonnel, mais ce peut
être une gêne si le texte projeté a quelque chose d'intime qui engage la per¬
sonne du scripteur. Mais il peut se créer une proximité entre le scripteur et son
ordinateur qui l'autorise à en faire un confident, comme l'a montré le recueil de
témoignages collectés par Lejeune auprès de personnes tenant leur journal
intime sur ordinateur.
180
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
II devrait être intéressant que s'engagent des recherches portant d'une part
sur le rôle organisateur, structurant, de la disposition spatiale, et, d'autre part,
sur la dynamique autorisée ou suscitée par la possibilité de modifier la disposi¬
tion en cours de production. Ces recherches pourraient également porter sur les
aspects grapho-sémiotiques de l'écriture en s'attachant à observer l'effet sur la
production textuelle et sur les textes eux-mêmes de la possibilité d'user des
techniques graphiques au cours de la scription : la possibilité de recourir à des
formes de titrage, à des outils de mise en forme au cours même de la session
d'écriture ne peut pas être sans influence sur la nature de la production.
Devraient être également étudiés l'effet des limitations imposées par le traite¬
ment de texte (impossibilité d'utiliser certains modes de signalement, de
reprendre une feuille déjà en partie écrite en la plaçant la tête en bas comme le
faisait Michel Leiris dans ses brouillons manuscrits...) et l'effet des contraintes
exercées par les logiciels qui tendent parfois à prendre des décisions typogra¬
phiques à la place des scripteurs (création de listes, uniformisation formelle des
paragraphes etc.), et imposent des modèles typo-rédactionnels (modèles de
courriers pré-construits etc.).
181
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
182
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
de cet instrument d'écriture appelé à être l'un de ceux qu'utiliseront le plus les
élèves une fois qu'ils auront quitté l'école.
BIBLIOGRAPHIE
183
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
184
Les effets d'un instrument d'écriture à l'épreuve de la recherche
185
REPERES N° 26-27/2002-2003 S. PLANE
186
ÉCRIRE ET RÉÉCRIRE AU CYCLE 3 :
L'EFFET DES MOTS CLÉS
SUR LA RÉÉCRITURE,
AVEC ET SANS ASSISTANCE INFORMATIQUE
Résumé : La présente étude s'inscrit dans des recherches qui ont permis de
mettre au point un logiciel d'aide à la réécriture et de comparer les réécritures de
récits d'expérience personnelle par des élèves du cycle 3, bénéficiant ou non de
l'aide informatisée. Les élèves du groupe qui prend des notes dans la base
informatisée de ressources textuelles réécrivent davantage que les élèves du
groupe bénéficiant de textes ressources présentés sur papier. De plus, leurs
ajouts, d'un niveau sémantiquement plus important, appartiennent à la
macrostructure de leur texte.
Nous avons cherché à comprendre les raisons de ces résultats en analysant le
rôle que joue l'accès aux ressources par des mots clés. 112 élèves, répartis en
quatre groupes, ont écrit, puis réécrit un récit : les textes ressources étaient pré¬
sentés sur papier ou sur ordinateur ; la consultation se faisait de manière linéaire
ou grâce à des mots clés décrivant l'univers de ces textes.
Nous avons comparé le nombre et la « pertinence » des ajouts opérés en fonction
du groupe. Les résultats ne font pas apparaitre de différences quantitatives entre
les participants des groupes ayant utilisé des moLs clés et les autres. En revanche,
les groupes avec mots clés produisent des ajouts moins pertinents que les autres
lorsqu'ils utilisent des ressources papier et plus pertinents sur ordinateur.
Le nombre de textes disponibles et la possibilité pour l'élève de trouver des textes
ressources compatibles avec le texte qu'il écrit semblent déterminants. La pré¬
sence de mots clés permet, sur ordinateur, de circuler efficacement à l'intérieur
d'un corpus important. La fonction de l'outil est ainsi mise en évidence : ouvrir de
nouveaux possibles, dans une configuration où interagissent de nombreux facteurs.
La présente étude s'inscrit dans des recherches1 qui ont permis de mettre
au point un logiciel d'aide à la réécriture, Scripertexte2 (Crinon & Pachet, 1995),
de comparer les réécritures de récits d'expérience personnelle par des élèves
du cycle 3 bénéficiant ou non de l'aide informatisée (Crinon & Legros, sous
presse ; Crinon & Pachet, 1997 ; Crinon & Pachet, 1998), de comparer la réécri-
1. Cette recherche a bénéficié du soutien de I'lUFM de Créteil, que les auteurs tiennent
ici à remercier
2. Logiciel en cours d'édition au CRDP de Créteil sous le titre Écrire en lisant.
187
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
188
Écrire et réécrire au cycle 3 : l'effet des mots clés sur la réécriture...
189
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
une trace fidèle de la source consultée, mais sont finalisées par l'usage
qui va en être fait, par le jugement de la pertinence des éléments du
texte lu par rapport au propos. Plus qu'un simple stockage d'éléments
des textes lus, la prise de notes constitue déjà un traitement de l'infor¬
mation, un encodage qui contribue d'ailleurs à la mémorisation de cette
information (Kiewra, 1989 ; Piolat, 2001). Lors d'une prise de notes, la
réduction de l'information prélevée à un ensemble structuré de mots
clés est une méthode proposée par plusieurs auteurs (Novak, 1990).
Dans notre cas, l'utilisation des mots clés fournis pourrait favoriser la
mise en uvre d'une stratégie de traitement « au fur et à mesure » des
informations et des éléments linguistiques prélevés.
En outre, les mots clés pourraient jouer un rôle d'aide et de contrôle
dans la replanification du texte au cours de sa réécriture. La représenta¬
tion mentale du texte se construirait et se reconstruirait en même temps
que le texte lui-même. Les mots clés, en offrant au sujet des catégories
sémantiques et linguistico-discursives lui permettant d'interpréter l'ex¬
périence qu'il est en train de mettre en forme, sont ainsi susceptibles de
contribuer à cette construction. Nous pouvons ainsi utiliser ces catégo¬
ries comme un moyen de permettre au sujet de prendre un recul réflexif
sur son texte : « Qu'est-ce que je veux écrire ? que suis-je en train
d'écrire ? » Et en même temps la liste des mots clés constitue un
ensemble de suggestions sur les possibles de l'univers sémantique
dans lequel se situe le récit que le scripteur est en train de rédiger : dans
le cas de Scripertexte l'univers de l'expérience personnelle des enfants.
2. MÉTHODOLOGIE
2.1. Tâche
Les élèves produisent un récit d'expérience personnelle sur le thème des
bagarres (première séance). Dans le seconde séance, ils disposent de huit textes
ressources ; ils notent des idées, des mots, des formules susceptibles de leur per¬
mettre d'« améliorer » la première version de leur texte. La troisième et dernière
séance est consacrée à la réécriture de leur texte, dactylographié et corrigé du
point de vue de l'orthographe par l'expérimentateur. Préalablement, une première
situation d'écriture du même type leur avait permis de comprendre le but du travail
(écrire pour être lu) et de s'initier à l'utilisation du logiciel ou des index.
2.2. Participants
Quatre groupes de 28 élèves de cycle 3 ont été constitués3. Chacun de ces
groupes est constitué de manière égale d'élèves de CE2, de CM1 et de CM2, de
garçons et de filles, et d'élèves bons, moyens et mauvais lecteurs4.
3. Merci pour leur concours à Véronique Degenève, Pierre Raffy, Catherine Boilleaut,
Corinne Chritiani, Colette Denizeau, Dominique Girard, Mme Groussaud, Anita
Impérial, Evelyne Lunel.
4. Le niveau de lecture a été mesuré par une épreuve de jugement d'importance rela¬
tive de l'information et une épreuve de remise en ordre.
190
Écrire et réécrire au cycle 3 : l'effet des mots clés sur la réécriture...
La pertinence d'un ajout5, est définie par la place de celui-ci dans la chaîne
des actions, des événements et des états dans laquelle il s'insère.
3. RÉSULTATS6
5. Voir en annexe A la grille permettant de coder les ajouts. On n'étudiera en effet ici
que les ajouts, qui représentent 90 % des modifications.
6. Les données ont été analysées avec le logiciel SuperAnova. Faute de place, nous ne
donnerons ici que les principaux résultats. Nous laisserons de côté les résultats
concernant les facteurs niveau des élèves et types d'ajouts (création vs. emprunt),
qui n'ont pas d'interactions significatives avec le facteur groupe.
191
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
Tableau 1 : Nombre moyen de propositions produites au cours des deux phases d'écriture
en fonction de leur pertinence
Propositions pertinentes
ajoutées 5,39 15,25 19,46 13,75
Propositions non
pertinentes ajoutées 8,86 9,32 0,39 2,43
Le nombre des ajouts pertinents (13,46) est supérieur à celui des ajouts
non pertinents (5,25) (F(1,104)=31,038, p<.0001).
Le groupe qui travaille sur papier avec des mots clés (G1) produit moins de
propositions pertinentes (5,39) que le groupe qui travaille sans mots clés (15,25)
(F=5,073, p<.02)
Parmi les groupes utilisant des mots clés, le groupe papier (G1) produit
moins de propositions pertinentes (5,39) et plus de propositions non pertinentes
(8,86) que le groupe ordinateur (G3 : 19,46 et 0,39) (F=29,201, p<.0001).
De même, le groupe papier sans mots clés (G2) produit moins de proposi¬
tions pertinentes (15,25) et plus de propositions non pertinentes (9,32) que le
groupe ordinateur et mots clés (G3 : 19,46 et 0,39) (F=9,932, p<.002).
192
Écrire et réécrire au cycle 3 : l'effet des mots clés sur la réécriture...
25
20
15
Pertinent
N.Pertinent
10
G1 G2 G3 G4
3.1. Discussion
Ainsi, globalement, les élèves qui disposent de mots clés pour accéder aux
textes ressources ne produisent pas plus d'ajouts que les autres et ces ajouts
ne sont pas plus pertinents. C'est au contraire le groupe 2 travaillant sur papier
et sans mots clés qui ajoute le plus grand nombre de propositions. Chez les
élèves qui utilisent les textes ressources sur papier, les mots clés semblent
constituer un handicap.
Mais un autre résultat marquant se dégage de l'analyse statistique : la plus
grande pertinence des ajouts opérés dans les groupes travaillant sur ordinateur.
À noter d'ailleurs que G1 (mots clés et papier) est le seul groupe à faire plus
d'ajouts non pertinents que d'ajouts pertinents alors que G3 se distingue par un
nombre maximal d'ajouts pertinents et un nombre minimal d'ajouts non perti¬
nents.
193
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
194
Écrire et réécrire au cycle 3 : l'effet des mots clés sur la réécriture...
non sans opérer une rupture par rapport à la linéarité et à la cohérence de l'in¬
formation.
La plus grande pertinence des ajouts des groupes 3 et 4 pourrait égale¬
ment être illustrée par la fréquence des amplifications thématiques. L'accent est
mis sur le thème de la bagarre, qui devient alors le point focal du récit, mis en
relief par le volume, la densité et l'adéquation des ajouts.
Prenons pour exemple ce texte écrit par Kevin, élève de CM2 (G4).
La mort subite
William et moi étions en train de jouer au foot au parc et des
grands, un de quinze ans et l'autre de seize ans.
Et ils voulaient nous voler le ballon. Et j'ai répondu. J'ai dit :
« Non, c'est hors de question. »
Er // sortit un couteau. (Et nous deux on a pensé à Walker Texas
Rangers et on leur a mis une bonne leçon.) Wi i If
ne I r . K vin nch î ' n 'ri
cou s in . I i 15 ans mis
i__~ illi . ' oin .
Wi ' c ' avec ses dents l'oreill Sa .11
n' I 'Il n rvée ill i i
oin ni' ' ' n n . K vin mi K
16 n il ' ' à (Eté la fin,) il avait le nez cassé, une
jambe cassée, un bras cassé et plein de sang. Ensuite William a
de 15 ans ui a e/a sa ba I ' "e in-
n K vin William n
ran
La densité sémantique des ajouts est un des aspects qualitatifs que nous
avons explorés. En effet, les expansions produites par les réécritures des
195
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
Une autre hypothèse interprétative peut être avancée, qui tient à la base de
données textuelles constituée de 250 textes. Contrairement aux résultats des
recherches précédentes, le nombre d'ajouts n'est pas plus important avec l'or¬
dinateur que sans, et avec les mots clés que sans. Le logiciel ne semble pas
produire le même effet lorsqu'il n'offre à la lecture que huit textes, comme c'est
le cas ici, et lorsqu'il propose un grand nombre de textes, comme dans les
recherches précédentes.
196
Écrire et réécrire au cycle 3 : l'effet des mots clés sur la réécriture...
À l'inverse, dans le cas du groupe 1, la présence des mots clés est loin
d'aider les élèves dans leurs recherches : les participants du groupe 1 ajoutent
moins d'informations que ceux du groupe 2, et ils produisent plus d'ajouts non
pertinents et moins d'ajouts pertinents que les participants des autres groupes.
L'utilisation des mots clés sur papier, à l'aide d'un index, semble présenter une
difficulté telle pour les élèves de cet âge que, non seulement elle ne leur permet
pas d'accéder mieux aux ressources textuelles, mais elle mobilise leurs res¬
sources cognitives aux dépens de la réécriture. L'utilisation d'un index sur
papier exige un apprentissage long, la tâche de sélection des mots clés sur
papier semble plus complexe que sur ordinateur.
Les mots clés peuvent être conçus comme un outil intellectuel (voir Crinon
& Legros, à paraître) sur le rôle duquel il apparaît illusoire de raisonner in abs-
tracto. L'usage concret d'un tel outil et le « scheme d'utilisation » (Rabardel,
1995) qui en découle sont étroitement liés aux conditions techniques de cet
usage. Autrement dit, vouloir isoler le facteur « mot clé » s'avère difficile. L'effet
de ce facteur ne peut se manifester que conjugué à d'autres facteurs. En ce qui
concerne les facteurs liés à la machine, il s'agit :
de la fonctionnalité qui permet à un utilisateur de choisir un critère de
sélection en cliquant dans une liste et d'afficher ainsi directement la
sélection ;
de la possibilité de manipuler de la sorte un nombre important de
textes et d'avoir plus de chances de trouver des éléments qui corres¬
pondent à ses besoins.
Faut-il cependant écarter tout autre facteur ? Les différences entre les per¬
formances des participants des deux groupes travaillant sur ordinateur ne sont
pas significatives, qu'on considère le nombre de propositions ajoutées ou la
pertinence de celles-ci. N'y aurait-il pas un effet proprement lié à la lecture des
textes ressources sur l'écran ? C'est la nouvelle hypothèse interprétative que
nous proposerons.
En effet, les élèves, que nous avons observés travaillant sur écran au cours
de la deuxième séance, avec ou sans mots clés, ne lisent pas vraiment les
textes ressources. Contrairement aux élèves observés dans la situation de lec¬
ture sur papier, ils « zappent » d'un extrait à l'autre, lisent une phrase ici, une
phrase là. La difficulté à lire sur ordinateur, notamment les textes qui dépassent
197
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
la hauteur de l'écran et qu'il faut faire dérouler (voir Caro & Bétrancourt, 1998),
se révélerait-elle un atout ? Favoriserait-elle cette posture de consultation (et
non pas de compréhension), dont nous supposions plus haut qu'elle aidait à la
réécriture du texte en cours d'élaboration ? La présence du support écran et les
modes culturels de consultation qu'il provoque se conjugueraient ainsi à l'effet
des mots clés sur la cohérence du texte en construction.
Une fonctionnalité logicielle (les mots clés), peu à peu intégrée à l'outillage
mental du scripteur, et un élément d'ergonomie (le support de lecture) concour¬
raient ainsi à une posture de consultation des ressources favorable à la produc¬
tion de texte.
CONCLUSION
Les résultats de la présente recherche mettent en évidence le rôle de fac¬
teurs multiples qui se conjuguent et agissent les uns en présence des autres :
nombre de textes, mots clés, accès par l'ordinateur rendant aisés l'utilisation
des mots clés et l'accès aux textes, lecture « zapping » sur écran. Seuls les
effets croisés de ces facteurs permettent d'expliquer les résultats obtenus
lorsque les élèves réécrivent un texte avec l'aide du logiciel Scripertexte. Cela
devrait inciter à la prudence dans la recherche des causes. Comme très souvent
dans le domaine de l'éducation, les modèles trop simples échouent à rendre
compte des effets observés. Pour produire des propositions d'action efficaces,
la didactique doit se soucier d'évaluer les dispositifs d'une manière à la fois
rigoureuse et soucieuse de la complexité des situations d'apprentissage sco¬
laire.
BIBLIOGRAPHIE
198
Écrire et réécrire au cycle 3 : l'effet des mots clés sur la réécriture...
CRINON J. & PACHET S. (1998) : « Et pourtant elles n'avaient que sept ans ! ».
Cahiers pédagogiques, 363, 48-50.
CRINON J., LEGROS D., PACHET S., VIGNE H. (1996) : « Étude des effets de
deux modes de navigation dans un logiciel d'aide à la réécriture ». In É.
BRUILLARD, J.-M. BALDNER, G.-L. BARON (éds.), Hypermedias et
apprentissages 3, Actes des 3e journées scientifiques, Chatenay-Malabry,
9-11 mai 1996 (pp. 73-84). Paris : INRP et EPI.
DENHIÈRE G. (1984) : // était une fois... souvenirs de récits. Lille : Presses uni¬
versitaires de Lille.
HAYES J. R. & NASH J. G. (1996) : « On the nature of planning in writing ». In C.
M. LEVY & S. RANSDELL (Eds.) : The science of writing (pp. 29-56).
Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum Associates.
KIEWRA K.A. (1985) : « Investigating note taking and review : a depth of proces¬
sing alternative ». Educational Psychologist, 20, 23-32.
KIEWRA K.A. (1989) : « A review of note taking. The encoding storage paradigm
and beyond ». Educational Psychology Review, 1, 147-172.
KINTSCH W. (1997) : Comprehension. A paradigm for cognition. Cambridge,
MA : Cambridge Univerity Press.
LAURIÈRE J.-L. (1988) : Intelligence artificielle et représentation des connais¬
sances. Paris : Eyrolles.
LE NY J.-F. (1979) : Sémantique psychologique. Paris : PUF.
LEGROS D. & CRINON J. (à paraître) : « The role of textual data base on the
learning of writing and rewriting in eight to twelve year-old children ». In A.-
M. LAMMEL & C. LAUGHLIN (eds.), From the nature child to the machine
child. New York - London : Sage.
NOVAK J.D. (1990) : « Concept making. A useful tool for science education. »
Journal of Research in Science Teaching, 10, 937-949.
PIOLAT A. (2001) : La prise de notes. Paris : PUF.
RABARDEL P. (1995) : Les hommes et les technologies. Paris : Armand Colin.
ROUET J.-F. & TRICOT A. (1998) : « Chercher de l'information dans un hyper¬
texte : vers un modèle des processus cognitifs ». In A. TRICOT & J.-F.
ROUET (dir.), Les hypermedias, approches cognitives et ergonomiques
(pp. 57-74). Paris : Hermès.
VAN DIJK T. A. & KINTSCH W. (1983) : Strategies of discourse comprehension.
New York : Academic Press.
VOSNIADOU S. (1996) : « Learning environments for representational growth
and cognitive flexibility ». In S. VOSNIADOU, E. DE CORTE, R. GLASER &
H. MANDL (Eds.), International Perspectives on the design of technology-
supported learning environments (pp. 13-23). Mahwah, NJ : Lawrence
Erlbaum Associates.
199
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
1 . Modification pertinente
1 . 1. Reprise ou amplification thématique
Amplification ou exemplification : davantage de propositions sont utilisées
pour décrire une action, un événement ou un état appartenant au noyau du récit.
200
Écrire et réécrire au cycle 3 : l'effet des mots clés sur la réécriture.
201
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 J. CRINON, D. LEGROS, B. MARIN
202
L'ÉCRITURE LITTÉRAIRE : UNE RELATION
DIALECTIQUE ENTRE INTENTION ARTISTIQUE
ET ATTENTION ESTHÉTIQUE
Une recherche INRP est en cours qui porte sur l'écriture littéraire à l'école1
et se situe dans le prolongement d'une recherche précédente sur la lecture litté¬
raire2. La manière dont nous avons cru pouvoir introduire la lecture littéraire à
l'école nous a conduit à penser l'écriture non plus, comme dans une vie anté-
203
REPÈRES N° 26-27/2002 C. TAUVERON
204
L'écriture littéraire : une relation dialectique entre intention artistique et attention esthétique
205
REPÈRES N° 26-27/2002 C. TAUVERON
6. Les données ont été recueillies par Pierre Sève, membre de l'équipe. II en a présenté
sa propre lecture aux troisièmes rencontres des chercheurs en didactique de la litté¬
rature (Grenoble, mars 2002).
7. Une vingtaine d'histoires lues individuellement, une lecture feuilleton de la maitresse,
une lecture suivie.
8. Umberto Eco, op. cité
206
L'écriture littéraire : une relation dialectique entre intention artistique et attention esthétique
Dans le cas présent (qui n'est pas un cas général), les destinataires du
texte perdent ou ne croient pas bon de mobiliser leurs compétences de lecteurs
pour estimer cette compétence-là d'écriture (voir en annexe 2, leurs réactions de
lecteurs). La confrontation se fonde sur un relatif malentendu. Les mêmes élèves
qui, face à la résistance d'un texte d'auteur légitimé, ont appris à affronter l'obs¬
tacle, à jouir d'une certaine manière d'avoir à prouver leur sagacité, ou d'avoir à
faire proliférer le sens, interprètent en la circonstance leur échec de lecture (on
s'y perd un peu) comme un échec d'écriture et non comme la conséquence natu¬
relle, et non mortifiante, d'un défi qui leur est lancé. Le récit de Julie n'étant pas
saisi comme participant d'un jeu intentionnel, ils ne mobilisent guère qu'une
attention critique, là où on aurait pu attendre de leur part une attention esthétique
(et critique au besoin). Un texte d'élève se doit d'être clair et autonome, c'est-à-
dire sans nécessité d'un lecteur pour le parachever ou l'élaguer, tel parait être
leur postulat de lecture. On peut voir là l'effet probable d'un enseignement de
l'écriture qui valorise systématiquement l'explicitation et donc la coopération
maximale du texte avec le lecteur (« précise un peu mieux », « ajoute ici des
détails », « marque là les liaisons logiques », « comble les implicites ailleurs »)
quand l'écriture visant un effet littéraire suppose à l'inverse la coopération maxi¬
male du lecteur avec le texte. On peut voir là aussi l'effet probable aussi d'une
pratique de l'évaluation formative qui assigne aux pairs-lecteurs la fonction d'aide
à la réécriture et postule donc en creux la défaillance du texte lu. C'est ainsi que
l'on pourchasse la figure du silence, que l'on invite à décanter les espaces
troubles ou à combler les interstices qui brouillent l'intellection (faudrait qu'elle
mette /je sais pas / qui c'est qui parle - qu'ils bougent / que c'est pas partout
pareil). C'est ainsi également qu'à l'inverse, on invite à élaguer les expansions
conversationnelles au prétexte qu'elles ne servent à rien et ne font rien com¬
prendre au lecteur. Le « pas assez » rempli, le « un peu trop » gommé, le texte
rêvé fait dans la transparence. II faut attendre la remarque d'Etienne (au début
207
REPÈRES N° 26-27/2002 C. TAUVERON
on comprend rien / après il faut s'y mettre [...] l'histoire on la connait pas vrai¬
ment / faut la comprendre) pour que les fonctions du texte et du lecteur soient
inversées in extremis et que l'on passe de « c'est le texte qui doit se faire com¬
prendre du lecteur » à « c'est le lecteur qui doit faire l'effort de comprendre le
texte ». Reste que, par l'orientation argumentative dominante de leur échange,
les élèves d'une certaine manière dépossèdent Julie de son statut d'auteur. En
ce sens, ils ne se contentent pas de la déstabiliser, ils sont aussi conduits de fait
à se dévaloriser eux-mêmes comme lecteurs. En ne reconnaissant pas l'auteur
Julie, ils ne se reconnaissent pas comme les « lecteurs nouveaux » qu'ils
auraient dû (et surtout pu) être.
208
L'écriture littéraire : une relation dialectique entre intention artistique et attention esthétique
été à la hauteur? » ...lui auraient sans doute permis d'y parvenir. Elle ne met
pas non plus les élèves devant leur contradiction concernant le choix narratif de
Julie (narration dialoguée, succession de scènes sans transition) : ce choix est
identifié d'entrée de jeu comme un choix générique (on dirait La cafèf), donc
attesté (et probablement apprécié) par ailleurs mais cependant disqualifié. On
peut supposer que la question récurrente (moi j'ai bien envie de revenir à ce que
vous disiez au début « ça ressemble à La cafèt » - moi je reviens à votre idée de
cafèf) cherche à obtenir la mise en évidence de la parenté formelle de l'histoire
lue et du sitcom et, au-delà, de la communauté de l'effet visé. Mais la question,
faute d'exhiber son intention, n'est pas entendue et reste sans réponse. Enfin et
surtout, l'enseignante fait l'économie de la construction explicite des nouveaux
critères d'évaluation évoqués et ce sont les anciens qui continuent de fonction¬
ner, tous ceux qui cherchent à rendre transparente l'opacité quand il s'agit d'ap¬
précier comment la transparence a été opacifiée.
209
REPÈRES N° 26-27/2002 C. TAUVERON
C'est dire au moins qu'en dépit des obstacles qui peuvent se dresser sur le
chemin, lecteurs peu coopératifs, enseignante désorientée, de jeunes élèves
peuvent affirmer et assumer leur statut d'auteurs, dès lors que l'expérience de la
lecture littéraire leur a fait éprouver ce qu'était l'écriture et la littérature, cette
« rhétorique du silence » dont parle Genette10 reprenant Barthes, cet « art qui
consiste à faire du langage, véhicule de savoir et d'opinion plutôt expéditif, un
lieu d'incertitude et d'interrogation », cet art « qui suggère que le monde signifie
mais sans dire quoi », qui « restitue [aux événements relatés] ce sens tremblé,
ambigu, indéfini qui est leur vérité. » Reste qu'on ne peut compter sur la repro¬
duction naturelle et généralisée de coups de force semblables à celui qu'accom¬
plit Julie. C'est donc dire aussi que la recherche a, avant tout, ia tâche difficile de
penser l'accompagnement des maitres dans la nouvelle aventure qu'elle leur
propose.
210
L'écriture littéraire : une relation dialectique entre intention artistique et attention esthétique
ANNEXE 1
211
REPÈRES N° 24/2001 C. TAUVERON
- On peut y aller ?
- Oui, allez-y mais soyez rentrés pour le repas.
- D'accord
- On court sinon elle sera partie.. .Allez, Romuald, un peu de
nerf ! [oh ! mais je suis pas bien réveillé, moi]
- Ah ! enfin. On est arrivé. Tu sais, elle me fait un peu peur
cette femme avec ses yeux, elle me glace tout le sang
- Oh, la, la ! Trouillard !
- «
212
L'écriture littéraire : une relation dialectique entre intention artistique et attention esthétique
LUNDI
Enfin l'école.
- Tu descends ?
- Oui, j'arrive !
Arrivé à l'école, j'ai tout raconté à Romuald.
DRING, DRING, la sonnerie.
Enfin !
Je suis arrivé chez moi. Tout était dévasté, mais pas à la hau¬
teur d'un adulte mais plutôt d'un pantin [d'un enfant, un tout
petit enfant]... Je courus dans ma chambre. Le pantin n'était
plus là. Une heure plus tard, tout le monde rentra et nous ran¬
geâmes.
LA NUIT
Pendant que toute la ville dormait, le pantin se baladait dans les
rues mais il avait un but précis : la vendeuse. Elle lui remit de la
batterie et le pantin repartit.
LE LENDEMAIN
Le pantin était là, à sa place..
AH AH AH AH AH AH t
213
REPÈRES N° 26-27/2002 C. TAUVERON
ANNEXE 2
DÉBAT AUTOUR DU TEXTE DE JULIE (EXTRAITS)
- ben on dirait La cafèt
M -qu'est-ce que c'est « La cafèt »
- tu sais à la télé. . . des étudiants qui se rencontrent
- ils arrêtent pas de causer / de tomber amoureux
M -ah c'est un sitcom ?
- moi je trouve c'est dur à comprendre
M - pourquoi c'est dur à comprendre ? tu peux l'expliquer ?
- ben / ils parient tout le temps /il y a pas d'histoire
J - moi /je voulais pas dire tout de suite. . . alors. . .
- moi il y a ça pourquoi elle dit une poupée qui parle et une qui parle
pas ?
- et ça/ c'est quoi cette histoire de film ?
- moi je suis perdue /je comprends rien du tout ...on peut relire ?
[...]
- au début on croit que c'est la vendeuse la marionnette. . .
- la vendeuse ?
- la sourde quoi. . . et après c'est la poupée
- mais on comprend bien / elle a mis deux fois « les yeux noirs
envoûtants »
J au début je pensais que ce serait la vendeuse mais ça allait trop
vite...
M -ça allait trop vite ?
J-....
M- c'est pour ça pour que ça aille pas trop vite que tu as imaginé le
dialogue ?
J -....
- quand même / elle fait pas des scènes. ..on s'y perd un peu
- faudrait...
- faudrait qu 'elle mette. . . je sais pas. . . qui c 'est qui parle
- qu'ils bougent / que c'est pas partout pareil
- oui des fois ils sont au marché /des fois à la maison / moi j'ai pas
bien compris
M- oui c'est vrai / peut-être tu pourrais mieux dire // les person¬
nages ils bougent / ils se déplacent // mais moi j'ai bien envie de
revenir à ce que vous disiez au début « ça ressemble à La cafèt »
/ t'en penses quoi toi Julie ?
J - ben moi / c'est comme ça /on avait dit qu'il fallait des paroles /
j'en ai mis
- ouais c'est vrai on parle comme ça
M -ah ! toi tu penses. . .
- ben elle a voulu écrire comme on parle dans la vie /pas à l'école
- alors ils mangent pas ?
M- qu'est-ce que tu veux dire ?
- ben / la maman elle propose de déjeuner / chez moi faut toujours
manger le matin sinon on tient pas
- et puis faut pas qu'elle dise que c'est la marionnette / faut pas
qu'elle sache sinon. . .
- ah oui / le lecteur faut pas qu 'il sache
M - bon d'accord / peut-être faut pas le dire tout de suite / mais moi
je reviens à votre idée de cafèt / qu'est-ce qu'il y a ici qui vous y a
fait penser?
214
L'écriture littéraire : une relation dialectique entre intention artistique et attention esthétique
215
ACTIVITÉ LITTÉRAIRE ET ÉMERGENCE
D'ÉLÈVES « ÉCRIVAINS » À L'ÉCOLE
INTRODUCTION
Si l'école a pour mission d'apprendre à écrire au plus grand nombre
d'élèves, la question des modalités d'apprentissage, et donc des stratégies
d'enseignement, n'est pas réglée. Ainsi, la maitrise des discours à l'école fait
l'objet, actuellement, d'approches divergentes dans le champ des recherches en
didactique du français. En particulier, sont interrogées deux conceptions des
apprentissages en français :
la première considère qu'apprendre les discours à l'école consiste à
construire et s'approprier des objets formels, des types de textes,
transposables en toutes disciplines. Cette perspective renvoie à une
représentation du langage comme moyen de communiquer des
« idées » élaborées indépendamment de lui et à une représentation de
217
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. REBIÈRE, M. JAUBERT
1. CADRE THÉORIQUE
Dans ce cadre théorique, toute sphère d'activité humaine génère des sys¬
tèmes de valeurs et des pratiques qui lui sont propres, dont des pratiques dis¬
cursives que Bakhtine appelle « genres ». Ainsi toute production discursive
est-elle toujours contexuelle. Produire un discours, c'est agir langagièrement en
s'inscrivant dans un contexte que l'on se représente, « fictionnalisé » (Bernié,
1998). L'élaboration de cette représentation est plus ou moins complexe selon
les situations de production. Par ailleurs, tous les discours signalent le contexte
dans lequel le locuteur s'inscrit. Ainsi, les genres cristallisent les valeurs,
croyances, rapports au monde et à autrui, les pratiques de la communauté dis¬
cursive qui les a produits et ils témoignent de la construction d'une position
énonciative spécifique. Tout ce qui est perçu comme rupture ou incohérence par
un interlocuteur procède2 donc d'une impossibilité de se représenter le contexte
signalé par l'autre, renvoie à une incompatibilité de système de valeurs,
croyances, pratiques qui font que les énoncés paraissent disjoints, incompa-
1. Montpellier, L'oral réflexif, juin 2002 ; Grenoble, La littératie à l'école, octobre 2002 ;
Bordeaux, Constmction des connaissances et langage dans les disciplines d'ensei¬
gnement. L'école et la question des communautés discursives, avril 2003.
2. Sauf effet délibéré... ce qui suppose une certaine maitrise des genres et des « jeux »
de contextes.
218
Activité littéraire et émergence d'élèves « écrivains » à l'école
1.2. Le langage
1.3. L'apprentissage
2. PRÉSENTATION DE LA RECHERCHE
La classe observée est un CE2. Les productions des élèves s'inscrivent
dans un projet interdisciplinaire de danse à l'école. II s'agit de rédiger un argu¬
ment comme trame d'une production chorégraphique. Les élèves se sont mis
d'accord sur le choix du genre fantastique.
219
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. REBIÈRE, M. JAUBERT
Souvent :
Le cadre est décrit pour augmenter l'angoisse (forêt sombre, nuit, orage, bruits)
L'étrange peut avoir un rapport avec le diable, la folie.
Ils ont aussi circonscrit le genre par ses effets (listes de mots ou expres¬
sions relatifs à la peur trouvés dans les lectures et les dictionnaires) et par ses
conventions thématiques (recours à une catégorie qui permet de l'interpréter -
diable, sorcellerie) qui donnent vraisemblance à l'irrationnel.
Par ailleurs, ils se sont mis d'accord sur les contraintes suivantes qui restent
affichées dans la classe :
C'est bien sûr la deuxième option qui a été choisie. Pour la réaliser, la mai¬
tresse a cherché à transformer sa classe en « communauté littéraire scolaire »
pour permettre aux élèves de s'instaurer auteurs et critiques littéraires et ainsi de
mieux comprendre et contrôler l'activité de production de récits fantastiques et
les genres afférents.
220
Activité littéraire et émergence d'élèves « écrivains » à l'école
NB. Notre but n'est pas d'évaluer les textes en termes d'adéquation à une
norme mais de tenter plutôt de prélever des informations sur l'activité de l'élève.
Ainsi il ne s'agit pas pour nous de stigmatiser, par exemple, l'emploi d'un temps
jugé fautif, mais d'essayer de comprendre ce que cet emploi signale de la posi¬
tion énonciative adoptée à ce moment là de l'écriture, de façon à, soit le modifier,
soit au contraire l'exploiter et l'inclure dans un réseau de significations.
221
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. REBIÈRE, M. JAUBERT
Magali
Dans le Grand Théâtre
II y a sur la scène, les quatre danseurs et les quatre ombres
plus un chorégraphe. Les danseurs Anne, Hamid, Anthony et
Maguy dansent et les ombres font pareil qu'eux. Mais après
elles en avaient assez de faire pareil que les danseurs. Les
ombres se disent :
- Moi j'en ai marre de faire pareil qu'eux. C'est toujours eux qui
ont les applaudissements et pourtant c'est nous qui faisons le
boulot ! Pourquoi ce serait pas nous les stars ?
Les danseurs et les ombres se battent et se poussent. Les
ombres veulent prendre le pouvoir pour avoir les applaudisse¬
ments.
Alexandre
Un jour, au Grand Théâtre, quatre jeunes danseurs s'appelant
Anne, Maguy, Hamid et Anthony s'entraînaient pour répéter leur
chorégraphie. Mais tout d'un coup Hamid dit à Anthony :
- Tu n'as plus d'ombre !
- Toi non plus ! Mais où elles sont ? Comment on va faire pour
le spectacle ?
- On doit les retrouver !
- Allez on cherche.
- Eh ! Anthony, j'ai retrouvé ton ombre.
- Oui, les garçons, mais nous on a plus notre ombre !
Regardez !
- Elles sont là !
- Mais tu rêves Anne !
- Non, je les ai vues ici ! Elles se moquent de nous. On a cher¬
ché partout.
- Elles s'échappent par la fenêtre !
- Maintenant, c'est raté ! On ne pourra plus les regarder !
Ces élèves convoquent ainsi des pratiques discursives quotidiennes, sans
effectuer les réorganisations de « secondarisation » qui sont inhérentes aux pra¬
tiques des sphères littéraires, mélangeant la transcription de faits réels avec leur
recomposition sur le mode de la mimesis,
222
Activité littéraire et émergence d'élèves « écrivains » à l'école
Emilie
Je suis en train de vous raconter une histoire. Je m'appelle
Hamid. J'étais dans le public quand ils faisaient la pièce de
théâtre. Quand les ombres se sont mises â gigoter et à se
battre, on aurait dit que le diable était dans leur peau. Enfin
elles arrêtèrent et tout rentra dans l'ordre. On peut quand même
dire que c'était une diablerie !
Cinq ans plus tard ça recommença mais cette fois ça ne rentra
dans l'ordre qu'avec du chantage : quand les ombres voulaient
se mettre en humain, elles pouvaient. Les danseurs leur dirent
oui mais si un jour ils avaient des problèmes, ils se change¬
raient en ombre.
Voilà, cette histoire se finit comme ça.
223
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. REBIÈRE, M. JAUBERT
Mateo
Un jour, je suis allé au Grand Théâtre répéter une chorégraphie
avec Anthony, Anne et Maguy. Tout è coup, on s'est aperçu que
nos ombres avaient disparu. On les a cherchées partout, der¬
rière les rideaux, dans les coulisses... On ne les trouvait pas.
C'est normal car la lumière était éteinte.
Manon
Un jour des danseurs dansaient avec leur ombre. Le lendemain
matin ,au Grand Théâtre, les ombres s'affolèrent et se cachèrent
dans les bois. Le lendemain matin, les danseurs tirent un plan
pour retrouver leur ombre. Le lendemain soir, ils les cherchè¬
rent dans los bois pour les retrouver ensuite au Grand Théâtre.
Enfin, certains élèves mettent en scène des bribes éparses d'actions qui,
loin de « concourir à l'unité d'une même action », construisent un objet émietté.
L'analyse des textes des enfants que nous proposons rend selon nous
caduque toute intervention didactique centrée sur des formes linguistiques et/ou
textuelles. II nous semble que les tâtonnements des élèves sont à comprendre
comme autant de tentatives de mises en suvre de pratiques de narration, dont
l'efficacité demande à être validée. En effet, toute contribution individuelle à une
activité sociale est évaluée par les pairs, évolue en fonction des problématiques
du champ et est amenée à se stabiliser. C'est pourquoi, à l'école, il nous semble
que les stratégies efficaces ne peuvent porter sur l'objet à produire mais bien plu¬
tôt sur l'activité sociale de production.
Lors de son récit initial, Matthieu fait raconter rétrospectivement l'histoire par
l'un des personnages.
Matthieu
Je m'appelle Hamid et je suis danseur. L'année dernière au
cours d'une répétition, nos ombres se détachèrent de nous.
-Au secours ! criaient les autres. Viens nous aider.
- Oui, j'arrive.
Je suis arrivé et nous avons combattu nos ombres, nous les
avons mises dans un placard. Au bout d'une heure, les ombres
sortirent et se rebellèrent pour monter sur scène. Elles nous pri-
224
Activité littéraire et émergence d'élèves « écrivains » à l'école
Bien que ce récit soit tout à fait acceptable pour un élève de CE2, il ne
témoigne pas d'un positionnement énonciatif très « solide ». La focalisation
interne ne repose que sur l'utilisation du pronom « je ». Les événements ne sont
pas filtrés par la conscience du personnage. La réplique oui, j'arrive du dialogue
mis en scène, suivie de la reprise Je suis arrivé témoigne d'un placage d'élé¬
ments du quotidien sans réorganisation à visée dramatique, tout comme le récit
qui se réduit à une chronologie d'événements. Ces instabilités, tant en ce qui
concerne la construction du point de vue, du monde fictif et du contrat narratif,
font l'objet d'une analyse dans un petit groupe de pairs sous la direction de la
maîtresse.
Matthieu
_L M Tu arrives/ bon/ et tu ne t'es pas demandé ce qui s'était
passé/ qu'est-ce que tu vois/
2. Matthieu je vois trois ombres et trois danseurs/ imaginons/
Dimitri est dans le couloir/ son ombre est à côté en train de lui
donner des coups de poings / qu'est-ce que je peux fairefM.
voilà] j'arrive et c'est à mon tour de lui donner des coups de
poings/
3. M, bon alors/ et là/ dans ta tête qu 'est-ce que tu te dis/
4. Matthieu béh faut que j'aille les aider ++ ah mais ily aun pro¬
blème parce que c'est LEUR ombre qui a disparu/ et pourquoi
pas la mienne
£ tJL donc ily aun problème mais on y reviendra/ quelle peut être
ta réaction à toi/
6. Matthieu la peur
Z M. tu as peur
8. Matthieu j'ai peur mais j'y vais quand même
£ M. et là/ comme tu viens de parler de ton ombre/ comment tu le
sais que tu as ton ombre/ tu as peur et qu'est-ce que tu fais
1 0. Matthieu je peux regarder derrière si j'ai pas perdu la mienne/
11. M. voilà et tu regardes/ alors / tu l'as ou tu ne l'as pas[Matthieu
je l'ai pas] AH/ AH/ tu ne l'as pas non plus/ tu n 'as plus d'ombre/
et où elle est/
12. Matthieu et bien elle a rejoint les autres ombres pour les aider à
+++
13. Melle est face à toi/ c'est ça/ elle est partie avec les autres
ombres/
14. Matthieu voilà
15. M donc en fait tu ne vois pas trois ombres et trois danseurs tu
vois combien d'ombres/ là ça commence à devenir rigolo
16. Matthieu mais au début j'arrive/ je vois trois ombres et trois
danseurs mais après je peux me rendre compte que je suis fou
parce que/ à ce moment là je vois quatre ombres mais que trois
danseurs +++ alors/ d'où vient la quatrième/ je peux me deman¬
der si c'est pas la mienne qui a filé.
225
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 M. REBIÈRE, M. JAUBERT
Matthieu
Le Grand-Théâtre
226
Activité littéraire et émergence d'élèves « écrivains » à l'école
CONCLUSION
Nos travaux interrogent les stratégies didactiques usuelles de l'apprentis¬
sage de l'écrit dit littéraire, qui privilégient actuellement un travail sur les types de
textes et leurs formes linguistiques et qui interprètent les ruptures comme des
erreurs ou des faiblesses linguistiques. À l'opposé, l'entrée par les pratiques
sociales invite à réfléchir, non plus à la trace aboutie, mais à l'activité de produc¬
tion. Ce déplacement met en lumière le travail sous-terrain d'élaboration dialo¬
gique du texte, le travail de secondarisation des pratiques, ainsi que la
construction pas à pas d'un contexte nouveau et d'une position énonciative
contextuellement pertinente.
Les pratiques dont nous avons brièvement rendu compte ne sont pas
nécessairement innovantes. Cependant, lorsqu'elles sont mises en c'est
ponctuellement et à des fins de motivation. Or, de notre point de vue, elles sont
constitutives de l'activité de production et doivent faire l'objet d'une transposition
pour l'école. Dans la mesure où elles mettent les élèves en position d'acteurs
dans une communauté qui réfléchit, discute, pense, produit, elles sont le moteur
de l'apprentissage de l'écrit. C'est au cours de cette activité que les enfants s'es¬
saient à des formes, s'en approprient le sens et construisent des positions enon¬
ciatives de « lettrés ».
227
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M. REBIÈRE, M. JAUBERT
ANNEXE
Chaque groupe d'auteurs présente et discute ses choix devant les autres (à
préciser)
228
Activité littéraire et émergence d'élèves « écrivains » à l'école
BIBLIOGRAPHIE
229
APPRENDRE À RÉÉCRIRE : ANALYSE
DES EFFETS D'UN DISPOSITIF D'AIDE
À LA PROBLÉMATISATION
Norbert FROGER
Inspection de l'Éducation Nationale - Académie de Caen
231
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 N. FROGER
232
Apprendre à réécrire : analyse des effets d'un dispositif d'aide à la problématisation
233
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 N. FROGER
Structure
actancielle
Structure
Adjuvant
figurative ^*e 3
de la mise
Mettre un monde debout en monde
Personnage(s) par le multi¬
Objets média
Mots/images
Ueux Temps
D
X
Événements
Sujet Lieux û
Interactions 0
Objet/but Personnages
Mode de vie 0
Opposant Habitat
0
u
Personnage(s) Activités
Objets
Objets
Axe 1 de la mise
Lieux
en intrigue
Structure
Situation Problème (but) Solutions : moyenfs) mis
séquentielle initiale du personnage en quvre par le personnage
Fin
Schéma quinaire
(Adam, 1984) Orientation Complication Action Résolution Conclusion
2. LA PROBLEMATISATION
234
Apprendre à réécrire : analyse des effets d'un dispositif d'aide à la problématisation
Dans le cas de la réécriture, la difficulté tient au fait qu'il s'agit d'un pro¬
blème dit de « conception > où la situation finale est au départ mal définie parce
que différentes solutions sont toujours possibles. Le problème ne se présente
pas tout à fait parce qu'il se construit progressivement à partir de critères et par
un système de contamination de contraintes, de telle sorte que sa détermination
complète coïncide effectivement avec sa solution. Le sujet n'a donc pas au
départ une représentation de la situation finale qui faciliterait son investissement
dans la tâche. L'intérêt se porte donc sur le « comment-faire » et les différents
modèles que le sujet va mettre en jeu pour investir et résoudre le problème.
235
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 N. FROGER
4. L'ÉVALUATION DE L'ÉCRITURE
236
Apprendre à réécrire : analyse des effets d'un dispositif d'aide à la problématisation
blêmes pour réfléchir ensuite aux interactions à mettre en euvre entre les trois
composantes travaillées (personnage, intrigue, monde) pour les résoudre.
Dans chaque classe, les élèves ont produit un brouillon sur support papier,
l'ont édité et ont ensuite travaillé sa réécriture dans les trois modules suivant la
démarche didactique proposée. Les textes ont été analysés avec une grille de
critères définie à partir du modèle des opérations et comprenant vingt et un cri¬
tères (sept par dimension), de façon à ce que chaque composante (personnage,
intrigue, monde) soit analysée de la même manière.
237
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 N. FROGER
Gestion de
l'objet du Personnages Intrigue Monde du récit
discours
Perspective / 1 Sélectionner les 2 Prendre en compte les 3 Prendre en compte et
Sélection personnages. Déterminer éléments d'intrigue de la sélectionner les éléments
ce que l'on veut (peut) situation d'écriture. pertinents de la situation :
dire de l'être et du faire Exposer / dissimuler temps, lieux, objets,
des personnages. des informations. animaux...
Organisation problème du
4 Établir le 5 Organiser selon un 6 Organiser des
personnage, son but, plan schéma narratif autour de événements en mobilisant
pour parvenir à la l'intrigue. des actants du monde :
solution. Clôture narrative. personnages, lieux, objets...
Gestion
de l'objet Personnages Intrigue Monde du récit
texte
238
Apprendre à réécrire : analyse des effets d'un dispositif d'aide à la problématisation
239
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 N. FROGER
6. CONCLUSION
240
Apprendre à réécrire : analyse des effets d'un dispositif d'aide à la problématisation
tiques mises en uvre par le sujet (l'habitus) n'est jamais totalement conscienti-
sable. II faut pour cela engager l'enseignant dans une pratique reflexive visant à
expliciter ses choix en situation (Perrenoud, 2001). Cette approche faciliterait le
passage du procédural au déclaratif pour mieux s'approprier en retour une
démarche didactique. L'instrumentation effectuée par l'enseignant pour s'adap¬
ter à un nouvel outil didactique peut ainsi devenir un moyen de l'action pour le
formateur par l'analyse des procédures mobilisées. Elle fait de l'intégration
d'une démarche une médiation instrumentale pour penser la didactique de
l'écriture.
BIBLIOGRAPHIE
241
SENS ET GRAPHIE : LES INTERACTIONS
ENTRE CORRECTIONS ORTHOGRAPHIQUES
ET MODIFICATIONS SÉMANTIQUES
DANS L'ÉCRITURE SUR TRAITEMENT
DE TEXTE AU CM2
243
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. LACOSTE
La question de l'orthographe, si elle n'est pas négligée, loin s'en faut, par la
recherche pédagogique (Angoujard, 1994), s'intègre difficilement dans les
séquences observables dans les manuels, et souvent dans les classes. Comme
c'est le cas pour la grammaire, dont le décloisonnement pose quantité de pro¬
blèmes, l'orthographe est à part, portion devenue congrue de la production
écrite que l'on réserve à l'ultime phase de la révision, certains maitres allant jus¬
qu'à demander explicitement aux enfants de ne pas faire attention à l'ortho¬
graphe quand ils entament l'écriture, parce que cet aspect uniquement formel
peut être traité plus tard.
244
Sens et graphie : les interactions entre corrections orthographiques et modifications...
C'est dans cette perspective que nous allons examiner des faits d'écriture
d'enfants de CM2 produisant des textes directement sur traitement de texte.
Nous envisagerons quelques spécificités du matériau recueilli avant de nous
interroger sur les liens entre ratures pour l'orthographe et ratures pour le sens.
245
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. LACOSTE
Les pauses d'écriture dont la durée est significative3 sont également inté¬
grées dans la transcription : on ne peut évidemment pas savoir ce qui se passe
pendant ces pauses, mais leur présence est souvent une aide précieuse à l'in¬
terprétation des phénomènes observés. Dans certaines successions d'opéra¬
tions, l'absence de pause est elle aussi significative.
pause=00 : 01 : 08
3. Le seuil de significativité est calculé, pour chaque écriture, par le logiciel, à l'aide de
la formule statistique habituelle. II varie donc d'une écriture à l'autre.
246
Sens et graphie : les interactions entre corrections orthographiques et modifications..
pause=00:02:19
pause=00 : 01 : 18
La scriptrice s'interrompt par deux fois pour corriger une erreur de frappe
(pys -> pays, vis4téte -> visité le) reprenant sa scription après chaque correc¬
tion formelle. Comment faut-il considérer ces corrections ? La double interruption
observée au sein de l'opération d'ajout doit-elle être traitée, alors que son objet
247
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. LACOSTE
01:15:00
ajout d'un point final
ajout à suspension de Après le dernier slow tout le monde a visi-
téle pys des [remplacement de pys par pays] r§ves
ajout d'un espace entre visité et te
pause=00 : 01 : 18
248
Sens et graphie : les interactions entre corrections orthographiques et modifications...
249
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. LACOSTE
pliquaient bien.
4. Reprenant les travaux de J. Rey-Debove, C. Fabre considère que toute rature - qui
manifeste un retour dans le dire - est métalinguistique : « le scripteur marque une
comparaison (identification partielle), soit entre deux manifestations du signifiant, soit
entre deux signes existant dans la langue. Dans l'un et dans l'autre, il a établi des
rapports paradigmatiques et a cessé de traiter une unité comme invariante. [...] C'est
cette incursion dans l'axe du "système" qui fait sortir la rature du plan du langage
"premier", de dénotation, et relève de la fonction métalinguistique : traitement du
signifiant seul, modification de la relation signifiant/signifié, concurrence entre deux
signes du système... » (Fabre, 1987, p. 47).
5. La situation est la suivante : toute la classe a vu une émission sur l'illettrisme qui a
passionné les enfants. II en ont débattu tout de suite après, et le maitre a proposé
d'écrire, pour le journal de l'école un article expliquant ce qu'est l'illettrisme pour
convaincre les lecteurs de s'intéresser à ce problème.
6. Culioli, 1967.
250
Sens et graphie : les interactions entre corrections orthographiques et modifications...
pause=00 : 02 : 28
251
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. LACOSTE
pause=00 : 01 : 53
Ces parentés entre opérations font penser que leur succession n'est pas le
fruit du hasard de la relecture mais que les unes suscitent les autres, au sens où
elles ouvrent un champ d'interrogation. Cette interrogation peut porter sur une
règle grammaticale (l'accord en nombre), un mot (reprises correctives sur expli¬
cative et gêne), ou simplement être suscitée par une caractéristique formelle (s
final dans hontes et devants).
Nous venons d'analyser l'incidence d'une modification lexicale sur les cor¬
rections orthographiques qui la suivent. Dans une seconde série de corrections
orthographiques, le mouvement est inverse : ce sont les corrections orthogra¬
phiques qui semblent favoriser des opérations lexicales de continuation du texte.
252
Sens et graphie : les interactions entre corrections orthographiques et modifications...
À mon avis, les illettrés doivent être mais dans leur peau car si
certaines personnes
L'illettrisme est un problème qui gêne plusieurs personnes car
ils ont honte devant les gens qu'ils rencontrent dans la rue.
Cette émission était très explicative, les personnes qu'ils ont
présentées montraient bien comment ils se défendaient, com¬
ment ils s'en sortaient, comment est leur vie, comment ils se
débrouillaient, comment ils se battaient, comment
Abdellatif arrive en fin d'écriture ; il sait que son texte n'est pas tout à fait fini
puisqu'il a laissé un comment en suspens. Ce comment, ajouté à 1 h25, ne sera
prolongé qu'à 1 h35 (comment elles se montraient), après une série de rempla¬
cements de ils par elles. C'est dire le mal qu'a donné l'émergence de cette pro¬
position, le scripteur se trouvant a la fois dans la nécessité d'ajouter quelque
chose à ce qu'il avait déjà dit des illettrés (comment ils se défendaient, s'en
sortaient, est leur vie, se débrouillaient, se battaient) et dans la difficulté à
trouver qu'écrire. Voici le détail des opérations pendant ce laps de temps :
î pause=00 : 01 : 22
! pause=00 : 01 : 11
î
l ' pause=00 : 01 : 46
253
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. LACOSTE
de «t par «M»
date par ««M
01:35:00 tmpacMmntùemtÊiieMM
254
Sens et graphie : les interactions entre corrections orthographiques et modifications...
tion du texte et non en modification. On observe ici un lien évident entre des opé¬
rations d'ordres tout à fait différents.
CONCLUSION
Au travers de cette écriture d'un article pour le journal de l'école, nous
avons pu observer diverses modalités de répartition des corrections orthogra¬
phiques, qui témoignent de la diversité de leur rôle dans l'écriture : parfois, de
simples interventions formelles, sans conséquence apparente sur l'évolution du
texte, marquant pour nous, lecteurs de l'écriture, l'appréhension simultanée de la
forme et du sens ; d'autres fois, des séries organisées au sein du système lin-
255
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. LACOSTE
BIBLIOGRAPHIE
256
Sens et graphie : les interactions entre corrections orthographiques et modifications..
257
REFORMULATIONS ÉCRITES ET ORALES :
PART DU COGNITIF, PART DU LINGUISTIQUE
Résumé : Cet article s'appuie sur les résultats partiels d'une recherche en cours
259
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
long terme, alors que la compréhension semble générale. Ces nuances s'expli¬
queront dans la suite de l'exposé.
Toujours est-il que j'ai préféré examiner l'enchainement des deux modes de
reformulation, orale et écrite, de préférence à la seule réécriture.
1.1. Hypothèses
260
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
1.3. Problèmes
Dans la première reprise (28 octobre), les élèves reviennent sur les trois
productions qui leur sont présentées et font l'analyse critique (voir Annexe A les
trois textes choisis : un bon, un moyen, un médiocre). L'enseignant fait travailler
sa classe sur les informations traitées, en particulier les indications de lieu qui
doivent être précisées. Mais l'essentiel de la reprise porte sur la position énon¬
ciative de l'écrit liée à la compréhension du but, et sur la forme temporelle de
cet écrit. II en ressort que les écrits doivent garder une même position énoncia¬
tive tout au long du texte (on par exemple).
Cette présentation ne doit pas laisser entendre que, grâce aux reformula¬
tions écrites et orales, différents problèmes de compréhension se sont révélés
puis ont disparu comme par enchantement. Je me suis au contraire intéressée
aux aspérités, à ce qui résistait dans ce processus, en m'efforçant de com¬
prendre le rôle respectif de l'oral et de l'écrit dans l'élaboration cognitive.
261
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
Or, il ne s'agit pas ici de reproduire par écrit la liste d'une série de « bons »
gestes pour construire deux droites perpendiculaires.
Bien plus, le schéma qui accompagne le texte - même s'il est correct -
n'est absolument pas le garant de la compréhension qu'a l'élève de ce qu'il
décrit / explique / raconte. Ce qui compte ici, me semble-t-il, c'est la représen¬
tation que l'élève peut avoir de l'équerre, objet concret en trois dimensions,
comme instrument, outil, permettant de faire une construction abstraite, figurée
par un schéma. C'est cet instrument qui a permis, au tableau, de prouver que
les deux droites ne peuvent se couper à angle droit que parce que l'équerre qui
a servi à les construire est un triangle rectangle. En fait, la construction en elle-
même ne « prouve » rien ; à la limite, le schéma peut représenter un angle droit
qui ne fait pas exactement 90°. Ce qui compte, c'est d'admettre que, constituti-
vement, parce qu'elle comporte un angle droit, l'équerre - du moment qu'elle
est utilisée selon un positionnement correct -, permet seule de tracer des
droites se coupant à angle droit.
Clyd
Premier état du texte : 21 octobre 1999
<2>
Expliquer comment tu as fait pour faire une droite
perpendiculaire <s>.
ot J'ai too mi où
J'ai trace une droite qui s'appelle d1
après. J'ai tracé une autre droite qui qui
s'appelle d2 «e <fa'rt> que la droite d2 coupe la
droite d1 en formant un angle droits. J'ai
pris mon équerre et J'ai mi l'angle droits
où les droite se coupe et font que sa former
un 4 angle droits après sa sera une droite
perpendiculaire<s>.
262
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
Plus encore dans celle de Wendy, qui introduit le geste avec l'emploi des
déictiques comme ceci comme cela :
Wendy
Premier état du texte : 21 octobre 1999
7?ace 2 droites perpendiculaires
II faut fo
prend
t &é$ Déjà il te sufie de (pronpro) ton àgier
équer et ta règle. Après tu (pronpro) prend ton
cahier ou une feuille blanche et tu
trace 2 droites perpendiculaires une comme
[en marge : secijet une eemme autre o comme sela. Et tu
(outin opootin un un <o> oôdoman) prend ton équer
et tu vérifie si tu (opo otin) octin un see<m>an.
(tu) Et tu doit pas prendre le compas
L'écrit révèle ainsi les malentendus de l'oral, il met au jour le trajet cognitif
secret propre à chacun, contraire souvent aux accords trompeurs de la discus¬
sion orale.
Les reformulations orales s'appuient en effet sur trois écrits d'élèves qui ont
été choisis par l'enseignant de la classe pour leur diversité énonciative, et pour
leur inégale élaboration cognitive (Annexe A).
Les textes sont d'abord interrogés dans leur ensemble, et de façon diffuse
car ils sont jugés prioritairement selon la quantité d'informations qu'ils contien¬
nent.
Cependant, très vite, le travail d'oral vise à reformuler des mots. Ce n'est
pas leur sens qui est visé en premier : la question du genre de l'écrit par
exemple est appréhendée de manière indirecte. À partir des mots repris prends
trace, les élèves s'intéressent à la modalité. C'est le point de départ d'une
longue discussion sur le point de savoir s'il s'agit d'un ordre, d'une consigne, et
l'on compare avec la modalité infinitive faire du texte 3, qui constitue longtemps
un brouillage, jusqu'à ce qu'une des trois élèves, l'auteur du texte 2 examiné,
263
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
L'oral révèle ainsi la fascination que constituent les mots de l'écrit consti¬
tués en objets où l'on se piège, et dont on ne se délie que par l'impulsion de
l'enseignant. Mais la discussion portera indirectement ses fruits. Le cadrage du
texte, dont le statut est problématique parce que sa finalité l'est réellement pour
les élèves, se dégage lentement au fil des reformulations écrites, comme en
témoigne la présence des connecteurs et organisateurs textuels.
Ainsi, une première vue des résultats donnait un emploi majoritaire de ET.
La trace des reformulations orales est perceptible donc dans les versions
écrites qui leur succèdent, les versions s'homogénéisent, mais à la vérité, il est
difficile de savoir ce que signifient ces changements.
Je serais tentée de dire, pour avoir étudié les brouillons d'assez près dans
ma thèse2 qu'ils obéissent à une tendance générale de conformation, de norme,
sans que - peut-être - leurs représentations anciennes de la tâche, du but, aient
pu évoluer. Du moins n'a-t-on pas les moyens de s'en assurer vraiment.
264
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
De la même façon, dans cette séance, le contenu notionnel véhiculé par les
textes est très peu interrogé directement. Comme on le voit ci-dessous, c'est
accidentellement que les élèves y parviennent, par le biais d'une discussion en
termes binaires sur le mode : faut-il ou non garder tel mot ?
Un grand nombre d'élèves, y compris les auteurs des deux textes soumis à
évaluation avaient utilisé des périphrases pour le dire : cf. fais pareil de l'autre
côté, j'ai fait la même chose de l'autre côté de la droite D1. Mais après cet
échange, le mot prolonger sera utilisé par 4 élèves (dont Harry) dans la 2^6^
sion, par 7 élèves dans la dernière version. La lumière jetée sur la nécessité de
garder le mot prolonger ne signifie pas, pourtant, qu'elle ait été perçue notion-
nellement. Là encore, il y a décalage entre les reprises orales, qui restent allu¬
sives pour beaucoup d'élèves, leur reformulation écrite, et la compréhension
qu'elle comporte.
265
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
266
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
267
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
J'ai trouvé dans les copies divers emplois de SUR5 dans les versions
écrites succédant à cette première séance orale, 7 dans la VERSION 1, classés
selon le nombre d'occurrences.
268
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
ou bien :
= en posant l'équerre à angle droit ?
Ex2 : ef frace une droite sur. le point A sur. les deux coté François
= à partir du point A, de part et d'autre du point A ?
Transcription du 20/11/99
L.M. : alors je reprends là où on s'était arrêté// heu.../
vous avez pas indiqué correctement quel côté de l'équerre on posi¬
tionnait sur la droite/... vous vous en souvenez II ça c'est impor-
tant.ll alors aujourd'hui!! on val refaire la manipulation à l'oral! il y en
a un qui va venir la faire au tableau! vous allez essayer d'indiquer
exactement! quel côté de l'équerre! on met// et après/ comme la
dernière fois/ pour la dernière fois /cette fois-ci/ vous allez écrire le
texte/ maintenant avec les mots tout à fait/ justes/ adéquats/ cor¬
rects/ oui/... /pas des mots qui soient/ à peu près comme la der¬
nière/ comme la fois d'avant/
Nadia et Stéphanie dictent ce qu'il faut faire à Delson :
(106) Nadia : ben, euh... tu prends ton équerre
(107) L.M : tu prends ton équerre
(108) Nadia : tu poses l'angle droit de l'équerre... tu ia positionnes
sur la droite
(109) L.M : alors/ qui pourrait préciser
vous avez le vocabulaire aujourd'hui
Stéphanie
(1 10) Stéphanie : sur le côté adjacent à l'angle droit.
(1 11) LM : alors, reprends la phrase depuis le départ, parce que. . .
269
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
(112) Stéphanie : oui, son équerre, il le pose sur... sur la droite ...au
côté... du... sur le côté adjacent à l'angle droit
(1 13) LM : sur le côté adjacent à l'angle droit de quoi
(1 14) Stéphanie : de l'équerre.
(115) L.M ; de l'équene.. .alors, il pose le côté adjacent de l'équerre
sur la droite.
(1 16) Nadia : il y en a 2 de côtés adjacents
(1 1 7) L.M : alors, qu'est-ce qu'il faudrait dire
(1 18) E :le petit côté.
(119) E2: non
(120) E3 : ouais
(121) L.M ; est-ce que ça a une importance que ce soit l'un ou
l'autre
(122) Salem : ben non c'estpareil.
(123) L.M : alors qu'est-ce qu'il faut dire en français
effectivement, Hyena quand même 21 on ne peut pas dire il B
pose le côté de l'équerre...
(124) Sébastien : un des 2 côtés
(125) L .M : très bien/plus fort.
(126) Sébastien : l'un des 2 côtés adjacents ... à l'angle droit.
(127) L.M : un des 2 côtés adjacents de l'équerre : : : alors, un des
2 côtés adjacents à l'angle droit de l'équerre sur...
(128) E :la droite
Très critique, on l'a vu tout à l'heure, dans la toute première séance orale, il
ne donne pas lui-même pour autant les précisions attendues dans sa première
version. II est même loin de l'écrit attendu sur le plan rédactionnel et notionnel.
Très active à l'oral, son écrit se caractérise par une surabondance dans
l'emploi de SUR, qui peut laisser craindre une grande confusion.
Mais sans renoncer à ces emplois, elle intègre au fur et à mesure les
remarques construites au cours des interventions orales. S. maintient au long de
ses trois versions l'utilisation de SUR (3 acceptions différentes), mais elle la pré¬
cise chaque fois : SUR polysémique est bien géré.
270
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
5. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
271
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
ANNEXE A
Texte n° 1
Prends ta règle et trace une droite D1 place un point A puis prends ton
équerre et mets le côté de l'angle droit et trace un trait. Prends ta règle et
fais pareil de l'autre côté et vérifie si tes droites sont perpendiculaires.
Texte n° 2
J'ai tracé une droite D1 sur cette droite j'ai placé le point A
Sur ce point A j'ai placé le coin de l'équerre qui sert aux angles droits
puis j'ai tracé l'angle droit.
Texte n° 3
Pour faire 2 dr i r ndiculaires avec I' i de la rè le et d
l'équerre
On trace une droite d1 à l'aide de la règle. Ensuite, on prend l'équerre
et on la pose au contact de la droite dl.On prend le plus petit côté de
l'équerre (celui qui forme l'angle droit) on le pose sur la droite. Après avoir
posé son équerre sur la doite d1 tu traces une droite. Ensuite tu la pro¬
longes à l'aide de ta règle. Après, tu vérifies que tes 2 droites sont perpen¬
diculaires.
Le texte n" 1 est celui de Jonathan, le texte n° 2 est celui d'Élodie, le texte
n° 3 est celui de Sandra. Ce sont leurs premières versions.]
272
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
ANNEXE B
Sébastien
[Suit un schéma de l'équerre pour expliquer ce que sont les « cotés adja¬
cents ».]
* un côté adjacent est u<les> droites qui font
l'angle droit.
273
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. BORE
ANNEXE C
Stéphanie
274
Reformulations écrites et orales : part du cognitif, part du linguistique
ANNEXE D
François
[Au verso ]
Pour faire deux droit perpendi
culair il te faut une équerre et une
règle trace une droit puie trace
un point A et trace un droite
Diet veriti ci ca ta donné 2 droite
perpendiculaire.
275
PRISE DE NOTES PAR DES ÉLÈVES DE 10-12 ANS
PLUS OU MOINS BONS LECTEURS
ET RÉDACTEURS
Résumé :Cette contribution présente une recherche visant à repérer la nature des
notes prises par des élèves 10-12 ans soumis à une tâche de rédaction d'un texte
argumentatif nécessitant une documentation préalable. La PDN implique deux
savoir-faire : 1) Spatialiser le matériau linguistique ; 2) Abréger le format de
mots ainsi que celui de la mise en phrase.
40 élèves, distingués en lecteurs plus ou moins avancés, ont été prévenus qu'ils
auraient à rédiger un texte argumentatif sur la défense du transport des produits
pétroliers par voie maritime, texte dont le début et la fin étaient fixés. Ils ont
puisé des informations sur un site WEB (40 minutes). Puis environ une semaine
après, ils ont rédigé leur texte (45 minutes).
La très grande majorité des enfants transcrivent de façon continue et linéaire, en
préservant un formatage compact du texte, les notes puisées dans des parties dif¬
férentes du document électronique. Seuls les bons lecteurs séparent leurs notes
(traits ou indentation). De plus, très rares sont ceux qui abrègent les énoncés et
qui éliminent les joncteurs qui les relient à des énoncés non transcrits. Ils n'abrè¬
gent pas les unités lexicales.
Pour ces élèves, prendre des notes consiste à copier intégralement la portion de
texte sélectionnée. Leur attention est focalisée sur la mise en texte et le respect
des conventions linguistiques. Pour prendre des notes à moindre coup, il faudrait
que, via un enseignement approprié, ils attribuent à l'écriture deux nouvelles
fonctions : (a) Faire office d'un produit à caractère privé ; (b) Constituer une
mémoire écrite externe dont le format et la lecture peuvent être soumis à
d'autres règles que celle de la linéarisation du langage écrit conventionnel.
1. INTRODUCTION
277
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
savoir faire des lecteurs-rédacteurs sont explorées dans les travaux des didacti¬
ciens, linguistes et psychologues pour différents types de textes (David & Plane,
1996 ; Fayol, 1997), ceux concernant l'installation de cette lecture-écriture parti¬
culière sont insuffisamment développés (pour une revue voir Piolat, 2001).
2. MÉTHODE
2.1. Participants
278
Prise de notes par des élèves de 10-12 ans plus ou moins bons lecteurs et rédacteurs
Tableau 1. Répartition des élèves des quatre classes en fonction de leur score au test de lecture
et de leur productivité rédactionnelle.
Lecteurs Rédacteurs
Ensemble Bons Moins bons Bons Moins bons
M H W H
Classe Ven 10 5 5 3 7
Classe Las 8 5 3 4 4
Classe Isa 11 7 4 7 4
Classe Vie 13 4 9 7 6
Ensemble 42 21 21 21 27
2.3. Procédure
Les élèves ont été prévenus qu'ils auraient à rédiger un texte argumentatif
sur la défense du transport des produits pétroliers par voie maritime, texte dont
le début et la fin étaient fixés afin de les inciter à prendre en compte deux points
de vue contradictoires (pour ou contre le transport/mer ; tâche alpha-oméga,
Piolat, Roussey & Gombert, 1999, cf. encart ci-après).
Conclusion : Donc il est nécessaire de continuer à utiliser les pétroliers pour transporter
le pétrole.
279
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
2.2. Matériel
Pour rédiger, les élèves disposaient d'une feuille double dont la partie
gauche intérieure pouvait servir de brouillon et dont la partie droite intérieure
servait de page pour rédiger leur argumentation. La prémisse et la conclusion
étaient pré-imprimées. Le choix de la conclusion (soutenir le transport par mer
des produits dangereux ; cf. encart ci avant) a été retenu, car ce point de vue
non consensuel devait inciter les élèves à ne pas se limiter à abonder dans le
sens du point de vue écologique plus consensuel (cf. Roussey, Piolat &
Gombert, 1999).
280
Prise de notes par des élèves de 10-12 ans plus ou moins bons lecteurs et rédacteurs
Une fois ces unités d'extraction repérées et comptées pour chaque élève,
elles ont été catégorisées en fonction de leur degré de fidélité au texte source.
Soit l'unité était identique (unité identique), soit un, deux ou trois mots étaient
omis (unité raccourcie), soit elle était ponctuellement reformulée (unité paraphra¬
sée ; pour des exemples, cf. Tableau 2). Deux modes de quantification ont été
calculés (effectif relatif et moyenne).
Tableau 2. Exemples de modifications (raccourcissement & paraphrase) introduites dans les notes
des élèves comparativement au texte source
Types de
Texte source Prise de notes de l'élève
modifications
Raccourcissement Exemple 1 : Le transport maritime du Exemple 1 : Le transport maritime
pétrole est lié à l'avenir de la du pétrole est lié à l'avenir de la
consommation pétrolière dans te consommation pétrolière et aux
monde et aux échanges qu'elle échanges entre zones productrice
entraînera entre zones productrice et zones consommatrices
et zones consommatrices
281
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
3. RÉSULTATS
La très grande majorité des élèves ont produit une demi-page de notes.
Une plus forte proportion d'élèves (59,5 % vs 40,5 %) séparent les informations
extraites et notées à partir du texte source (cf. Tableau 3).
Tableau 3. Effectifs (en %) d'élèves en fonction de leurs niveaux en lecture et rédaction,
selon qu'ils introduisent ou non (notes continues versus notes séparées) des marques
de séparation entre les informations notées.
La séparation des notes est réalisée différemment selon les habiletés des
élèves. Comparativement aux lecteurs plus performants, les lecteurs les moins
bons tendent à séparer plus leurs notes. En revanche, ce sont les rédacteurs les
plus productifs qui, comparativement aux moins productifs, procéderaient à ces
séparations.
Tableau 4. Nombres d'élèves ayant utilisés ou non des séparateurs en fonction de leur classe d'origine
Classe Las 6 2 8
Classe Isa 3 8 11
Classe Vie 1 12 13
Ensemble 17 25 42
Le tableau 5 regroupe les résultats des seuls élèves (25 sur 42) qui ont uti¬
lisé des séparateurs. Parmi les trois façons de procéder, le passage à la ligne est
employé par tous ces élèves qui l'appliquent plus de quatre fois en moyenne. Le
procédé de saut de ligne est employé par environ un élève sur deux qui l'ap-
282
Prise de notes par des élèves de 10-12 ans plus ou moins bons lecteurs et rédacteurs
plique au moins quatre fois. Enfin, la séparation réalisée à l'aide d'un trait a été
peu utilisée.
Tableau 5. Effectifs relatifs ( %) et nombres moyens de types de séparateurs employés par les 25 élèves
(qui les ont utilisés) en fonction de leurs niveaux en lecture et en rédaction.
Lecteurs + 80% 20 0%
Tableau 7. Nombre des 25 élèves ayant utilisés des séparateurs en fonction de leur classe d'origine
Classe Ven 3 0 0
Classe Las 3 2 0
Classe Isa 9 5 0
Classe Vie 10 4 4
Ensemble 25 11 4
283
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
Tableau 8. Nombre d'unités d'extraction faites par les élèves en fonction de leurs niveaux
en lecture et rédaction
Une très faible proportion d'élèves (23,8 %) ont recopié sans les modifier la
totalité des informations extraites du texte source (cf. Tableau 9). Les lecteurs
plus faibles (33,3 %) ainsi que les rédacteurs plus faibles (38,1 %) le font le plus
fréquemment. Cette façon de procéder ne parait pas dépendre de la classe
d'origine des élèves (cf. Tableau 1 0).
Tableau 9. Effectifs (en %) d'élèves en fonction de leurs niveaux en lecture et rédaction
et selon qu'ils recopient intégralement ou non les informations issues du texte source.
Notes
Tableau 10. Nombres d'élèves ayant recopient intégralement ou non les informations
issues du texte source en fonction de leur classe d'origine
Notes
transformées
Classe Ven 2 8 10
Classe Las 2 6 8
Classe Isa 2 9 11
Classe Vie 5 8 13
Ensemble 11 31 42
Parmi les trois procédés d'exploitation du texte source qu'ils utilisent, les
élèves semblent privilégier la copie (46,5 %) puis le recourcissement (31,2 %) et
enfin la paraphrase (22,3 % ; cf. Tableau 11). Les lecteurs et rédacteurs les
moins habiles privilégient nettement l'extraction sous forme de copie (55 % &
52,6 %).
284
Prise de notes par des élèves de 10-12 ans plus ou moins bons lecteurs et rédacteurs
285
REPÈRES N" 24/2001 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
4. BILAN ET DISCUSSSION
Les élèves produisent dans leur très grande majorité une demi-page de
notes. L'apparence visuelle de ces notes est compacte. Elles ont la forme d'un
« texte » alors même que les informations extraites du texte source ne sont pas
adjacentes. Un peu moins de la moitié des élèves transcrit de façon contiguë ses
notes (cf. Tableau 14, élève n° 1 1). Les autres élèves séparent la plupart des unités
extraites avec un simple passage à la ligne (cf. Tableau 14, élève n° 9). Peu
d'élèves utilisent le saut de ligne qui est pourtant visuellement beaucoup plus effi¬
cace pour différencier les extraits issus du texte source (cf. Tableau 14, élève
n° 24). L'usage du trait de séparation est anecdotique (4/42 élèves) et a été claire¬
ment impulsé par les conseils pédagogiques d'un des quatre enseignants.
Tableau 14. Exemples de prise de notes. Le format encadré marque la limite droite de la page
et le retour à la ligne des élèves a été respecté.
Pour une vaste majorité d'élèves, tout se passe comme si les notes
devaient constituer un texte standard que seuls quelques passages à la ligne
aèrent. Les notes transcrites pour écrire un texte scolaire sont mises en forme
286
Prise de notes par des élèves de 10-12 ans plus ou moins bons lecteurs et rédacteurs
comme un texte scolaire. Une enquête s'avère nécessaire pour repérer les
connaissances que les élèves détiennent à propos des configurations et des
mises en page locales et globales des différents types de textes. Cette question
est peu présente dans les études concernant la maitrise des textes (pour une
revue, Coirier, Gaonac'h, & Passerault, 1996). De plus le statut sémiotique du
passage à la ligne et du saut de ligne inscrits dans les écrits est souvent ambigu
alors même qu'ils aident les lecteurs (Schmid & Baccino, 2001). Plus précisé¬
ment, les élèves savent-ils que des notes préparatoires à un travail d'écriture
peuvent avoir d'autres formats comme les listes, les mises en tableau, etc. ?
287
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
288
Prise de notes par des élèves de 10-12 ans plus ou moins bons lecteurs et rédacteurs
CONCLUSION
Cette première analyse des pratiques de prise de notes des élèves d'une
dizaine d'années incite à poursuivre les recherches sur deux aspects de l'appro¬
priation de la composition de texte.
289
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
II faut aussi souligner combien il est difficile pour des élèves aux prises
avec l'apprentissage de la rédaction des textes de gérer des objectifs apparem¬
ment contradictoires. Les élèves ont, en effet, de nombreuses difficultés à auto¬
matiser les différents niveaux de traitements impliqués par la composition par
écrit. Apprendre à noter implique de concevoir l'écriture comme une transcrip¬
tion abrégée (mots et syntaxe) et comme une mise en forme matérielle d'infor¬
mations organisées qui est différente de celle pratiquée habituellement. Ainsi,
pour apprendre à noter, les élèves doivent « défaire » les savoirs et savoir faire
qu'ils essaient d'automatiser depuis plusieurs années. Afin d'éviter, une telle
tension, il serait opportun, comme en lecture pour laquelle une variété des
textes et des supports constituait une condition essentielle de l'apprentissage,
d'inciter les élèves à produire des écrits de fonctionnalité et donc de mise en
forme matérielle différente. Au-delà de la maîtrise des différents genres textuels,
ne faudrait-il pas aider l'élève à s'exercer à produire des textes fonctionnelle¬
ment différents comme peuvent l'être les notes ?
Pour prendre des notes à moindre coup, les élèves doivent attribuer à
l'écriture, au-delà de la mise en texte conventionnelle, deux nouvelles fonctions :
(a) Constituer un produit écrit à caractère privé (les notes sont relues et acces¬
sibles au seul noteur) ; (b) Produire une mémoire externe dont le format et la lec¬
ture peuvent être soumis à d'autres règles que celle de la linéarisation du
langage écrit conventionnel.
BIBLIOGRAPHIE
290
Prise de notes par des élèves de 10-12 ans plus ou moins bons lecteurs et rédacteurs
291
DES MODÈLES PSYCHOLINGUISTIQUES
DU PROCESSUS RÉDACTIONNEL POUR UNE
DIDACTIQUE DE LA PRODUCTION ÉCRITE
Quelles collaborations entre psycholinguistes
et didacticiens ?
293
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
294
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
Nous essaierons ici, tout d'abord de rappeler les éléments clés des princi¬
paux modèles de la production verbale, en particulier écrite, et de nous interro¬
ger sur leurs utilisations en didactique de l'écriture. Sera tout d'abord abordée la
question des modèles de la production verbale, particulièrement de la produc¬
tion écrite. Qu'est-ce qu'un modèle pour un psycholinguiste ? À quels impératifs
doit-il répondre ? Quels sont les intérêts et les limites des principaux modèles
des années 80 ?
295
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
Si l'on veut donner un bref aperçu des modèles, on constate que les
modèles de production verbale écrite (Alamargot & Chanquoy, 2001 ; Fayol,
1997, 2002 ; Piolat, Pélissier, 1999) se situent dans la même perspective modu¬
lariste et se complètent, en ce qu'ils s'attachent à des composantes partielle¬
ment différentes.
296
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
Le premier modèle, qui est aussi le plus connu et celui à partir duquel tous
les autres ont cherché à se définir, émane des travaux de Flower et Hayes (1980)
et Hayes & Flower (1980). Établi à partir d'une analyse de protocoles verbaux et
ayant pour objectif d'identifier les origines des difficultés afin d'envisager l'amé¬
lioration des productions, il a conduit les auteurs à distinguer (Figurel):
l'environnement de la tâche (incluant le texte déjà produit, trace sur
laquelle le scripteur peut s'appuyer, et les consignes de composition
précisant le thème, le destinataire et les motivations de l'écrit à réali¬
ser);
les connaissances conceptuelles, situationnelles (notamment relatives
au destinataire) et rhétoriques (types de textes) stockées en mémoire à
long terme;
le processus de production lui-même, décomposé en trois sous-pro¬
cessus : la planification conceptuelle (récupération, organisation et
cadrage finalisé des connaissances), la mise en texte et la
révision/retour sur le texte (re-lecture et éventuelle mise au point).
ENVIRONNEMENT DE LA TÂCHE
PROCESSUS D'ÉCRITURE
MEMOIRE
À LONG TERME
DU SCRIPTEUR PLANIFICATION MISE RÉVISION
EN TEXTE
Z
Connaissance O ORGANISATION LECTURE
du thème Choix
Connaissance te lexicaux
du destinataire
Plans d'écriture
déjà connus
-UJ
m
o.
PRODUCTION
Organisation
syntaxique
Organisation
1
EDITION
DEBUTS rhétorique
CONTRÔLE
297
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
Voir notamment l'ouvrage grand public rendant compte des démarches conduites en
classe : Groupe EVA (1998) De l'évaluation à la reecriture, Hachette Éducation.
298
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique..
MODÈLE DU DISCOURS
CONCEPTUALISATEUR_
- CONNAISSANCE DE LA SITUATION
ÉLABORATION CONNAISSANCE ENCYCLOPÉDIQUE
DU MESSAGE
FORMULATEUR
ENCODAGE SYSTEME
GRAMMATICAL DE
STRUCTURE COMPRÉHENSION
DE SURFACE
DU
ENCODAGE DISCOURS
PHONOLOGIQUE
PLAN PHONÉTIQUE
Langage interne SUITE PH NETIQUE
_t AUDITION
ARTICULATEUR
- Langage externe
Figure 2
299
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
300
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
Par nature, le statut des modèles est ambigu en didactique, sans doute du
fait de la polysémie du terme de didactique qui, pour la didactique du français
langue étrangère notamment, renvoie encore souvent à la production de
méthodes et de moyens d'enseignement, comportant une dimension prescrip¬
tive, et non à une analyse épistémologique des matériels ou des pratiques d'en¬
seignement effectifs. Or, là où les modèles devraient répondre avant tout à une
finalité heuristique, les spécialistes de l'enseignement tendent à les utiliser
comme normes à imiter, sans doute parce qu'ils ont souvent d'abord une visée
praxéologique d'action efficace. Un modèle scientifique se sait partiel, provi¬
soire, heuristique. II aide à interroger la complexité du réel, non à la simplifier. II
est toujours refutable et, dans l'histoire des sciences, sujet à être remplacé par
un modèle plus performant, lui aussi provisoire. Ainsi par exemple, le schéma
quinaire du récit, proposé par Larrivaille et repris par Jean-Michel Adam, ne pré¬
tend en aucun cas rendre compte des marques de surface d'un texte, comme le
laissent entendre les manuels qui demandent aux élèves de relever le para¬
graphe correspondant à l'état initial ou à la complication. II propose une mise en
forme de la structure sémantique profonde d'un texte, pouvant servir de réfé-
301
REPÈRES N° 24/2001 A. PIOLAT, J.-Y. ROUSSEY, C. GÉROUIT
Même si les modèles qui ont été présentés plus haut, au point 1 , se carac¬
térisent par une dimension analytique, voire boxologique, ils ne sauraient être
interprétés comme un inventaire linéaire de composantes à entrainer successi¬
vement.
Comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, dans la communauté scienti¬
fique, c'est précisément la falsifiabilité d'un modèle qui en garantit la qualité
scientifique. Tout modèle est donc nécessairement provisoire.
302
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
303
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
Enfin, nous avons montré, dès 1986, que la référence à ce genre de modèle
pouvait aider l'enseignant à réguler les activités proposées en classe pour l'ap¬
prentissage de l'écriture, en contribuant à mettre en évidence les opérations du
processus rédactionnel sur lesquelles a porté une aide ou un entraînement, dans
le cadre des projets d'écriture conduits.
304
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
Même si, dans les travaux didactiques, elles sont rarement désignées
comme telles (on parle plutôt d'outils d'écriture ou de réécriture), les aides à
l'écriture, mises au point notamment dans le cadre de recherches didactiques
conduites dans le cadre de l'INRP comme les programmes de recherche « Éva¬
luer les écrits à l'école primaire » (dit EVA) ou « De l'évaluation à la réécriture »
(REV), se sont appuyées sur les modèles des processus rédactionnels. C'est le
constat des difficultés des élèves à planifier et à réviser leurs textes et la notion
d'allégement de la surcharge cognitive qui ont principalement inspiré ces tra¬
vaux.
305
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
Ainsi divers protocoles (Fayol, 1997, p. 134) ont élaboré et mis à l'épreuve
des grilles d'évaluation visant à assister les auteurs dans la tâche de comparai¬
son/évaluation inhérente aux activités de révision. Scardamalia et Bereiter ont
ainsi expérimenté de telles grilles avec des adolescents (Bereiter et Scardamalia
1983, Scardamalia, Bereiter et Steinbach 1984 ; Scardamalia et Bereiter, 1984,
1986 ; Daiute et Kruidenier, 1985). Cette assistance stimule l'auto-questionne-
ment et l'auto-évaluation et suscite des évaluations pertinentes. Toutefois,
l'amélioration des productions est limitée. De même, dans une autre étude
(Bartlett 1982), une procédure d'instructions reflexives n'entraîne pas pour
autant une amélioration sensible des textes écrits : faute de bases de connais¬
sances linguistiques suffisantes, notamment du point de vue lexical et syn¬
taxique, au mieux 30 % des erreurs sont rectifiées.
Moment d'utilisation
- Avant l'écriture : une grille de critères peut aider des élèves de CM à
dégager les caractéristiques du genre policier, avant même de se lan¬
cer dans l'écriture de leur nouvelle policière. Cette grille a été élaborée
par eux-mêmes à partir de la confrontation de plusieurs nouvelles poli¬
cières qu'ils ont lues {Objectif Écrire 2000 CRDP Montpellier, 2000)
Av I n : Certaines consignes comportent une liste de cri
tères ou un matériau verbal ou non-verbal qui peut aider les élèves
306
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
dans leur écriture. Ainsi, des élèves de CP qui ont à inventer des
énoncés de problèmes mathématiques disposent de structures syn¬
taxiques pour formuler des questions de problèmes et d'un imagier
dans lequel ils peuvent puiser des idées d'ingrédients pour leurs pro¬
blèmes. (Anna Larrouy 2001 : Analyse des processus rédactionnels
d'enfants de 6-7 ans confrontés à deux tâches d'écriture complexes,
DEA, Département Sciences du Langage, Université de Toulouse-Le
Mirail).
En cours d'écriture à la demande : dans une classe de CP, les élèves
Statut de l'outil
Ensemble de ressources mises à disposition des élèves
Matériau sélectionné par l'enseignant en fonction de la difficulté à
résoudre
307
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
Mode d'élaboration
Matériau industriel : nous désignons ainsi un matériau publié, imagier
ou dictionnaire, fichier, table de conjugaison
Élaboré par l'enseignant
Élaboré collectivement en classe : notamment élaboration de critères
Modalités d'utilisation
Présence permanente de l'aide
Élaboration (processus)
Cette typologie permet de caractériser les différents types d'aides qui peu¬
vent être proposées aux élèves. Certains paramètres peuvent donner lieu à
expérimentation sur le caractère facilitateur ou inhibiteur d'une aide et son effet
sur la production écrite. Notamment, le caractère linguistique de cette aide
serait un paramètre particulièrement intéressant.
Des élèves de CE2 sont invités à rédiger la suite d'un conte, « Le joueur de
flûte de Hamelin ». Pour leur faciliter la tâche, l'enseignante leur propose deux
aides :
une aide à la planification, sous la forme de trois fins possibles à choi¬
sir :
Voici trois fins possibles. Entoure celle que tu préfères et écris la fin du
conte.
1 - Les quatre amis s'enfuient rapidement et partent pour la ville de
Brème.
2 - Les quatre amis réussissent à faire fuir les brigands et décident de
rester vivre dans leur maison.
3 - Les brigands les attrapent après un long combat et les... (choisis
ce que les brigands font des quatre amis) »
une amorce de texte à poursuivre :
308
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
Les hésitations des élèves dans l'emploi des temps verbaux (présents au
début du texte et retour du passé simple dans la suite du texte) montrent que
les phrases proposées par l'enseignante comme aide à la planification ont été
interprétées par les élèves comme éléments de mise en texte. Les présents, qui
étaient possibles dans des phrases de type résumés pour la planification, ont
été reproduits tels quels par l'élève. L'emploi du passé simple dans la suite de
son texte montre que la présence de la seule phrase amorce aurait sans doute
été plus efficace pour faire utiliser par analogie ce temps verbal. On peut voir, à
travers cet exemple, que la multiplicité d'aides n'a pas forcément un effet positif
sur la production écrite.
Ainsi, Hayes & Flower (1980) ont principalement étudié les comportements
d'experts et les ont opposés aux comportements des novices (Hayes & Flower,
1986). Ils n'ont pas conduit de recherches analysant le comportement du scrip¬
teur en temps réel.
Les problèmes de l'apprentissage lui-même n'ont pas été directement
abordés. Au cours des années 80, seuls Scardamalia & Bereiter (1986) ont clai¬
rement abordé cette question. Ils l'ont fait essentiellement à partir d'une
309
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
310
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
3. Voir les rapports de cette recherche : Comment les maîtres évaluent-ils les écrits ?
Comment les élèves évaluent-ils les écrits ?, INRP, collection Rapports de recherche.
311
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
L'analyse des résumés des recherches en cours fait apparaitre le très faible
nombre des études longitudinales. On peut le regretter, même si l'on connait les
difficultés et les contraintes de travaux avec des cohortes d'élèves. Cependant,
faute d'évaluation rigoureuse des effets à court terme et à long terme des
apprentissages mis en uvre dans les classes, les propositions d'actions didac¬
tiques sur l'apprentissage de la production écrite prennent le risque de rester
toujours contestables. C'est dans ce sens qu'il faut désormais conduire des
études.
312
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
BIBLIOGRAPHIQUE
313
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 C. GARCIA-DEBANC, M. FAYOL
DE GAULMYN, 1999
DELL G. (1988) : The retrieval of phonological forms in production: tests of pre-
ditions from a connectionist model. Journal of memory and language, 27,
124-142.
FAYOL M. (1985) : Le r'cit et sa constmcti n. Neuchâtel, Paris : Delachaux &
Niestlé.
FAYOL M. (1991) : From sentence production to text production: Investigating
314
Des modèles psycholinguistiques du processus rédactionnel pour une didactique...
M.I.T. Press.
MARTLEW M. (1983) : Problems and difficulties : Cognitives and communicative
aspects of writing. In M. Martlew (Ed.), The psychology of written language.
New York : J.Wiley & sons.
MAS M. et alii (1993) : Comment les élèves évaluent-ils leurs écrits ?, Paris,
INRP, Rapport de recherche.
MAC CUTCHEN D. (1996) : A capacity theory of writing : Working memory in
text composition. Educational Psychology Review, 8, 199-235.
PIOLAT A. et PELISSIER A. (Eds) (1998) : La rédaction de textes, approche
cognitive, Delachaux et Niestlé.
Repères n° 4, Savoir écrire, évaluer, réécrire (1991), 10, Écrire, réécrire (1994),
Écriture et traitement de texte (1995).
SCARDAMALIA M. & BEREITER C. (1983) : The development of evaluative. In M.
Martlew (Ed.), Trie psychology of written language. New York : Wiley &
sons.
SCARDAMALIA M. & BEREITER C (1985) : Fostering the development of self-
regulation in children's knowledge processing. In S.F. Chipman, J.W. Segal
& R. Glaser (Eds.) Thinking and learning skills, Research and open
questions. Hillsdale, NJ : LEA
SCARDAMALIA M. & BEREITER C (1986) : Research on written composition. In
M. Wittrock (Ed.), Handbook of research on teaching. New York :
MacMillan.
SCARDAMALIA M. & BEREITER C. (1987) : Knowledge telling and knowledge
transforming in written composition. In S. Rosenberg (Ed.) Reading, writin
gand language learning. Cambridge, MA : C.U.R
SCARDAMALIA M. & BEREITER C, & GOELMAN H. (1982) : The role of produc¬
tion factors in writing ability. In M. Nystrand (Ed.), What Writers Know the
language, process, and structure of written discource. New York :
Academic Press.
SCHNEUWLY B. (1988) : Le langage écrit chez l'enfant. La production des textes
informatifs et argumentatifs, Lausanne-Paris, Delachaux et Niestlé.
SCHNEUWLY B. (1991) : « Différence entre les processus de production de trois
315
L'ÉCRITURE ET SON APPRENTISSAGE :
LE POINT DE VUE DE LA DIDACTIQUE
ÉLÉMENTS DE SYNTHÈSE
REMARQUES LIMINAIRES
Le présent texte répond à une tâche qui m'était assignée, à savoir celle
d'être le « grand témoin » d'un colloque sur l'écriture et son apprentissage,
appréhendés du point de vue de la didactique. Le texte porte les traces de cette
conjoncture jusque dans sa syntaxe : il est pour l'essentiel la transcription d'une
intervention orale, élaborée en réaction immédiate aux interventions du colloque
- conférences plénières, posters, communications entendues dans certains ate¬
liers - et aux résumés des communications publiés dans un fascicule.
L'occasion offerte par le colloque m'a permis cependant de développer
quelques hypothèses plus générales quant au développement de la didactique
dans le champ de l'analyse et de la compréhension l'écriture, champ dans
lequel la discipline a fourbi ses premières armes1. Ces hypothèses mériteraient
de plus amples discussions, impossibles à mener dans le temps et l'espace
impartis ; et surtout, elles nécessitent une vérification par un travail approfondi
empirique sur les projets de recherche poursuivis et les publications réalisées
par les membres de la communauté scientifique.
Un indice en est le fait que les recueils de deux premiers congrès de didactique du
français langue maternelle portent des titres évocateurs « Apprendre/enseigner à
produire des textes écrits » et « Diversifier l'enseignement du français écrit. ».
317
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 B. SCHNEUWLY
1. ÉCRITURE
318
L'écriture et son apprentissage : le point de vue de la didactique - éléments de synthèse
3. Un genre étant toujours un outil langagier pour agir dans une classe donnée de
situations sociales, cette double appartenance a pour effet un genre particulier, mar¬
qué précisément par cette double appartenance.
319
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 B. SCHNEUWLY
l'école comme un réel qui a ses propres lois, ses propres fonctions, son propre
fonctionnement. Cette entrée par le genre (scolaire) est devenu la manière de
théoriser l'objet de l'enseignement de l'écriture. II y aurait ici maintenant toute
une série de considérations à faire sur comment analyser ces objets. Je vais y
revenir brièvement plus tard.
Comme pour les autres entrées, les interventions ont développé à propos
de l'élève et de son activité d'écriture des approches qui tiennent compte du fait
320
L'écriture et son apprentissage : le point de vue de la didactique - éléments de synthèse
Cette prise de conscience que tout texte est toujours le produit d'une
double détermination du point de vue du sujet écrivant à l'école, élève et per¬
sonne ayant de multiples insertions, a été grandement facilité par un phéno¬
mène très largement répandu en didactique du français et dont le colloque a
rendu compte avec précision. En effet, l'une des plus intéressantes et impor¬
tantes observations de ce colloque est peut-être le fait que de nouveaux publics
entrent dans le champs de vision de la didactique. Si, pendant longtemps, la
majorité des études concernaient l'écriture des élèves de 8 à 15 ans, elles abor¬
dent aujourd'hui aussi les tout petits, les étudiants universitaires ou insérées
dans des filières professionnelles diverses, les professionnels dans divers
métiers, les élèves dans des filières moins privilégiées, ceux des classes spécia¬
lisées, les adultes. II y a une conscience de plus en plus précise et documentée
de la diversité des publics et de la diversité des pratiques d'écriture, et en même
temps des pratiques d'enseignement et des formations des enseignants qui en
découlent. II s'agit là d'une sans aucun doute d'une avancée importante de la
didactique qu'il s'agit de poursuivre et de renforcer.
4. C'est précisément ce type d'analyse qui a été opéré sur ce texte lors de sa présenta¬
tion ; il est en cela typique pour d'autres analyses présentées dans d'autres commu¬
nication.
321
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 B. SCHNEUWLY
ces facteurs au niveau des contenus choisis pour le texte, au niveau de la pos¬
ture énonciative adoptée par le scripteur, au niveau de la syntaxe complexe et
subtile, à première vue défaillante de l'énoncé, mais correspondant à un plan
assez précis du texte. Celui-ci apparaitrait alors effectivement comme la goutte
d'eau qui reflète l'écriture comme activité d'un élève donné, répondant à une
situation précise, inséré dans une institution qui a pour finalité essentielle l'en¬
seignement apprentissage.
2. APPRENTISSAGE
Dans une thèse soutenue il y a quelques années par Hélène Vourzay (1996)
et qui portait sur l'histoire de l'enseignement de la rédaction, trois rituels
contrastés ont été décrits qui résument en quelques formules brèves les princi¬
pales approches apparues au cours de 150 dernières années (p. 489) :
rituel ascétique d'une observation minutieuse des choses du monde ;
rituel des échanges entre pairs, par où advient le besoin de communi¬
quer quelque chose de soi, de son rapport au monde - vous aurez
reconnu l'approche de Freinet
rituel de la motivation à la communication et de la distanciation outillée
théoriquement par rapport à l'activité d'écriture.
322
L'écriture et son apprentissage : le point de vue de la didactique - éléments de synthèse
La pratique de Freinet est, nous le savons, bien plus complexe et complète que le
laisse entendre cette formule qui est un raccourci utilisé pour des raisons probable¬
ment essentiellement idéologiques.
Les implications de ces emprunts n'ont jamais été développées en détail : autre
indice montrant qu'une théorie didactique de l'écriture n'existe pas encore.
323
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 B. SCHNEUWLY
profonde du système. Cette thèse est en opposition avec les thèses en général
fixistes de la psychologie cognitive.
8. Dans son résumé des contributions des différents ateliers du colloque, Elisabeth
Bautier a fait un constat tout à fait analgoue.
324
L'écriture et son apprentissage : le point de vue de la didactique - éléments de synthèse
325
REPÈRES N° 24/2001 B. SCHNEUWLY
thèmes très intéressants traités au cours de ce colloque, ce n'est pas pour dire
qu'il ne faut pas travailler ces questions. Au contraire, je l'ai dit plus haut : pour
avoir une théorie de l'écriture, il faut les aborder. Mais tout se passe un peu
comme si ces marges étaient devenues dominantes par rapport au centre. Et la
question importante se pose de savoir pourquoi il en est ainsi. L'une des raisons
qui expliquerait en partie le phénomène pourrait être le fait qu'il y a une pression
allant dans ce sens du système social sur le système scolaire. Des demandes
sociales puissantes - ceci a été d'ailleurs dit dans le texte d'ouverture de ce col¬
loque - font que la légitimité même de la discipline scolaire français, et plus
généralement des disciplines scolaires, est aujourd'hui questionnée. Ces débats
sont connus et il est inutile ici d'en faire une image plus précise. La tendance
observée en didactique et dont ce colloque est un reflet serait ainsi le reflet d'un
débat extrêmement important actuellement au cur de l'école. Question à réflé¬
chir qui a une importance cruciale pour le développement de la discipline didac¬
tique du français et le programme de recherche que se donne la communauté
des didacticiens du français.
9. C'est Yves Reuter qui a soulevé cette question importante en discutant de manière
plus générale la question de la modélisation en didactique.
326
L'écriture et son apprentissage : le point de vue de ia didactique - éléments de synthèse
10. Encore une fois, on peut noter une certain contemporaneite de l'évolution des pro¬
blématiques dans différentes didactiques et, à l'intérieur de la didactique du français,
entre sous-disciplines et entre équipes : une tendance commune à s'intéresser à ce
qui se passe dans les classes.
327
REPÈRES N" 26-27/2002-2003 B. SCHNEUWLY
Une telle entreprise collective de recherche doit être menée en lien très
étroit avec la profession enseignante - et j'insiste là-dessus. II s'agit d'une cer¬
taine manière de construire une meilleure connaissance de ce qu'est cette pro¬
fession et des pratiques réelles en uvre dans son exercice. Chaque enseignant
a évidemment une représentation intuitive de sa pratique et de celle de ses col¬
lègues ; mais ce n'est pas une connaissance publique, collective, théorisée,
accessible à tous et discutable. Toute profession a intérêt à connaître ce qu'elle
fait, d'avoir une vision de ce qu'elle fait pour avoir un meilleur contrôle sur elle-
même et pour pouvoir éventuellement transformer les pratiques de manière plus
efficace. Et la didactique peut et doit construire cette connaissance en lien avec
la profession. Tout comme le fait la médecine, ou tout comme cela a été fait
pour les pilotes d'avion. Mais ici, évidemment, les effets d'une mauvaise
connaissance sont si désastreux que le travail a très vite été fait. Tandis qu'à
l'école on peut laisser aller les choses ; il n'y a personne qui meurt...
REMARQUES CONCLUSIVES
328
L'écriture et son apprentissage : le point de vue de la didactique - éléments de synthèse
BIBLIOGRAPHIE
ALCORTA M. (sous presse) : Le brouillon dans les écrits des élèves. Berne :
Lang.
VYGOTSKI L.S. (1937/1985) : Pensée ef langage. Paris : Éditions Sociales
VOURZAY H. (1996) : Essai d'historicisation de discours prescriptifs sur la rédac¬
tion scolaire. Thèse de doctorat (non publié). Université de Lyon
329
SOMMAIRE DE PRATIQUES
N° 115-116 DÉCEMBRE 2002
Ouverture
Apprendre l'écriture : questions pour la didactique, apports
de la didactique
Sylvie Plane
Quelles formalisations de l'écriture en didactique du français
Didactique de l'écriture, didactique du français : vers la cohérence
configurationnelle
Jean-François Halte
Quelques questions à propos des formalisations de l'écriture
en didactique du français
Yves Reuter
Apports et limites des modèles du processus rédactionnel
pour la didactique de la production écrite. Dialogue entre
psychoiinguistes et didacticiens
Claudine Garcia-Debanc, Michel Fayol
Productions scolaires de l'écriture et hétérogénéité énonciative
À travers les écrits réflexifs des élèves : la complexité négociée
d'une situation d'écriture scolaire
Elisabeth Bautier
L'écrit scolaire comme acte de négociation : L'institution scolaire
et les mouvements textuels des scripteurs individuels
Christiane Donahue
Quel oral pour quel écrit ? Quel écrit pour quel oral ?
Des interactions entre oral et écrit : notes, canevas, traces écrites
et leurs usages dans la pratique orale
Elisabeth Nonnon
331
L'inscription graphique au cours d'un travail de groupe :
aide cognitive ou rituel formel ?
Isabelle Delcambre
Situations d'enseignement et production de textes
Une banque de données de textes d'élèves à l'épreuve
Marie-Laure Elalouf, Joële Keraven
Tentative pour diagnostiquer quelques obstacles dans l'approche
de récriture argumentative
Jacques Magne
Représentations et attentes différenciées des élèves
Les malentendus sur l'écrit au collège : une recherche
dans les classes « difficiles »
Danièle Manesse
L'écriture personnelle, scolaire et professionnelle de lycéens
de 17 à 21 ans
Christine Barré de Miniac
Représentations des enseignants et situations d'écriture
dans les classes
Les enseignants de collège et l'écriture : des déclarations
aux représentations
Jacqueline Lafont-Terranova, Didier Colin
Manuels scolaires et écrits professionnels. Quelle didactique ?
Anne-Catherine Oudart
Pratiques privées, pratiques scolaires d'écriture
Questions scolaires à l'écriture extrascolaire
Marie-Claude Penloup
Écrire à la première personne au collège avec des élèves en difficulté
Liliane Szadja-Boulanger
Média-radio, écrit et école : quand les jeunes (scolaires, étudiants ou
travailleurs), écrivent à RFI
Marie-Josée Berchoud
Écrire dans I avec un environnement informatique
Quand les technologies d'information et de communications
instrumentent les pratiques d'écriture scolaire
Hélène Godinet
Synthèse
L'écriture et son apprentissage : le point de vue de la didactique.
Éléments de synthèse
Bernard Schneuwly
332
BIBLIOGRAPHIE DU COLLOQUE
333
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
334
Bibliographie du colloque
335
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
lecture littéraire ». In J.-L DUFAYS ef al. (Éd.) : Pour une lecture littéraire.
Vol. 2., Bruxelles : De Boeck.
DUFAYS J.-L, GEMENNE L. et LEDUR D. (1996) : Pour une lecture littéraire. I et
II. Bruxelles : De Boeck.
DUMONT, D. : Le geste d'écriture. Méthode d'apprentissage. Cycle 1-Cycle 2,
Hatier formation IUFM.
ELALOUF M.-L. (1999) : « Pratiques d'écriture et réflexion sur la langue ». In S.
PLANE (coord.) : Manuels et enseignement du français. CRDP de Basse
Normandie.
ELALOUF M.-L. (2001) : « Pratiques du français : un carrefour ». In TOMAS¬
SONE, R. (Éd.) : Grands repères culturels pour une langue, le français.
Paris : Hachette.
FABRE , D. (Éd.) : Écritures ordinaires. Paris : P.O.L-BPI.
FABRE-COLS C. (1990) : Les brouillons d'écoliers ou l'entrée dans l'écriture
Grenoble : TEM.
FABRE-COLS C. (2000) : Apprendre à lire des textes d'enfants. Louvain, De
Boeck, Belgique.
FABRE-COLS C. (mars 2002 à paraitre) : Réécriture à l'école et au collège, de
l'analyse des brouillons à l'écriture accompagnée ESF.
336
Bibliographie du colloque
337
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
HALTE J.-F. (1999) : « Les enjeux cognitifs des interactions ». Pratiques 103-104.
HAYES J.R., FLOWER L.S. (1980) : « Identifying the organisation of writing pro¬
cesses ». In LW GREGG et E.R STEINBERG (Éd.) : Cognitive processes in
writing. Hillsdale: Lawrence Erlbaum.
JAFFRÉ J.-R, DAVID J. (1998) : La naissance de l'enfant scripteur. Paris : ESF.
JAFFRÉ J.-R, DAVID J. (1999) : « Le nombre : essai d'analyse génétique ».
Langue française 124.
JAFFRÉ J.-R, FAYOL M. (1997) : L'orthographe, des systèmes aux usages.
Paris : Flammarion.
JAUBERT M. et REBIÈRE M. (2001) : « Observer l'activité langagière dans la
classe de sciences ». Aster 31, Paris, INRP.
JAUBERT M. et REBIÈRE, M. (à paraitre) : « Tâches d'écriture, grilles et illusions
perdues ». Actes du colloque 2001 DFLM de Neuchâtel, La tâche et ses
entours en classe de français.
JAUBERT M. (2001) : « Cohérence textuelle et positionnement énonciatif
contextuellement pertinent ». In BERNIÉ J.-P. (coord.) : Apprentissage,
développement et significations. Hommage à Michel Brossard. Presses
Universitaires de Bordeaux.
JAVERZAT M.-C. (1998) : < De la dictée à l'adulte ou de la façon de faire venir
l'écrit à la bouche ». Repères 17.
LACOSTE-DOQUET C. (1995) : « Le temps d'écrire : stratégies d'écriture et
338
Bibliographie du colloque
339
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
340
Bibliographie du colloque
341
REPERES N° 26-27/2002-2003
342
NOTES DE LECTURE
Carmen Perrenoud Aebi rend compte, dans cet ouvrage publié en 1997,
d'une recherche entreprise alors dans le cadre de la Faculté de psychologie et
des sciences de l'éducation de l'Université de Genève en liaison avec ses activi¬
tés de formation initiale et continue des enseignants en didactique du français.
Elle se propose d'étudier les représentations que des enseignants ont de l'écrit
et de son enseignement.
343
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
L'analyse est conduite d'abord sujet par sujet, puis vient une synthèse des
analyses et une analyse comparative des entretiens.
344
Notes de lecture
point par les équipes genevoises. Ces conceptions rejoignent par ailleurs celles
qui se dégagent de recherche similaires conduites en France. D'où l'intérêt pour
les formateurs de la prise de conscience de cet écart dans la conception de
leurs activités de formation d'enseignants, et l'intérêt, pour les enseignants, de
la mise à jour de ce qui motive, consciemment ou non, leur conduite pédago¬
gique.
345
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
II s'agit d'un ouvrage écrit à quatre mains, par quatre universitaires aux
parcours divers, tant au plan des disciplines, - Sciences du langage, Sciences
de l'éducation, Lettres, Documentation -, que des itinéraires professionnels, -
premier et second degrés, enseignement supérieur -, que des fonctions
exercées, - enseignants, formateurs -, que des lieux d'intervention, - IUFM, ex
MAFPEN, Université.
L'introduction
Le passage à l'écriture
346
Notes de lecture
Pour ce faire, elles ont choisi deux types de discours inhabituels, ludiques :
347
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
Conclusion
Jacques Treignier
348
SUMMARIES
REPÈRES 26-27/2002-2003
Marie-Christine Blachère and Gilbert Ducancel
1. Presentation
Sylvie Plane, LEAPLE Université Paris V et INRP ; IUFM de Paris
349
REPÈRES N° 26-27/2002-2003 M.-C. BLACHÈRE and G. DUCANCEL
3. Initial apprenticeships and entry in writing : from script to the act of wri¬
ting
350
Summaries
351
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
normalizes the activity as much as the spelling itself. On the didactical level, this
acknowledgment opens the issue of interference between scholar standards tied
to the functioning of the class and discipline standards, in this case spelling.
This contribution will briefly present the notion of normative postures
underscored in the study on reading of spelling, and will propose an analysis of
spelling learning sessions through the pedagogical speech of the teacher in
situation. It will underscore the normative posture of the teacher and will set the
issue of the connection to knowledge at school, the connection to writing and to
the acquisition of this connection through pedagogical activities.
- Pupils' work and writing moments : what arouses the teaching practices
Didier Perrier, Inspection de l'Éducation Nationale - Académie de Caen ;
ESCOL-Université Paris VIII
Writing practices take a particular importance for pupils for at least two rea¬
sons : on one hand, writing has a learning function in the different disciplines,
and, on the other hand, the writing practices differentiate pupils, both socially
and scholarly. We take interest in this research in to teachers' practices that
concern writing moments of pupils.
Beyond the diversity of systems and tasks, we will examine what arouses
these teaching practices. Our assumption is that they are built and organize
themselves on logics, on combinatorics, on heterogeneous and complex pro¬
cesses of which we will try to identify the components. To achieve this, we will
use teachers' interviews, observations of sessions in class, institutional or didac¬
tical documents. The research takes more particularly support on « literary » and
« scientific » writings in cycle 3 of elementary school (8 to 1 1 years old), period
of schooling when writing begins to be more widely and currently used by the
pupils.
The first results issued from a partial analysis of a collection of facts lead us
to identify the following components as being the principle of evocated prac¬
tices :
-The connection between the teacher and the history of didactical tea¬
chings, and the didactical conceptions
-The connection between the teacher to the discipline that is taught and to
the disciplinary writings.
-The appropriate personal/ professional practices of writings
-The adaptation process to the pupils
-The teachers' conceptions of articulation between writing and learning.
-The experience knowledge
- Another look upon pupils : evaluate differently
Dominique Bucheton & Jean-Charles Chabanne, Équipe LIRDEF - IUFM
Montpellier
The most common tools for evaluation of writing today are designed to give
the pupil the mean to measure the degree of conformity or deviancy of his wri¬
tings in comparison with various graphic, phrasal, literal, discursive norms... In
that perspective, the points of reference are given by social practices, whether
they are from an extra-scholar world or from the school world itself. It is a pre-
352
Summaries
cise and efficient tool for revising and normalizing texts intended to be put into
circulation.
But this model cannot be applied to what we called intermediary and
reflexive writings. These types of writing cannot be connected to a social model.
They are above all writings of personal work intended to launch, to accompany
and to stimulate the reflexive activity during scholar tasks. In that case, the aim
of evaluation of that type of writing is not to have the text corrected but indeed
to interpret the dynamics of writing to restart it.
What will be presented is a proposal of a model for evaluation of that type
of writing intended to help teachers to give another look upon these writings of
work. Three questions stands out which appear to us as central :
-How does the pupil situates himself in his writing ?
-What is the text about and what is at stake (its values) ?
-How appears and evolves the taking in account of norms ?
353
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
The present study falls within the framework of researches that allowed
perfecting a software to help rewriting and to compare rewritings of stories of
personal experience by pupils of cycle 3 whether they benefited or not of com¬
puterized help. The pupils of the group that take notes in the computerised
database of textual resources rewrite more than the pupils of the group that
benefits of textual resources presented on paper. Besides, their additions, more
important on the semantic level, belong to the macrostructure of the text.
We tried to understand the reasons of these results by analysing the role
taken by the access to the resources through keywords. 112 pupils, shared in
four groups, have written, then rewritten a story : the textual resources were pre¬
sented on paper or on a computer ; the consultation was done in a linearly pro-
-cess or with the help of keywords describing these texts' universe.
We have compared the number and the « relevance » of the additions made
according to the group. The results do not show any quantitative differences
between the participants of the groups that used keywords and the others. On
the other hand the groups with keywords produce additions less relevant when
using paper resources and more relevant when using computer resources.
The number of texts available and the possibility for the pupil to find
resource texts compatible with the text he is writing seem determining. The pre¬
sence of keywords allows, on the computer, the efficient circulation through an
important corpus. So is the function of the tool underscored : open new possibi¬
lities, in a configuration where interact numerous factors.
354
Summaries
355
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
sive evaluations by peers-, elements which are in the nature of an efficient fan¬
tasy narration are negotiated and stabilize temselves . In the course of these
movements from primary genres to secondary genres (to take Bakhtine's dis¬
tinction) new enunciative positions
356
Summaries
of the writing of a text : once the text is done, the scriptural procedures are chro¬
nologically reconstructed with the pauses, the crossing out, the returns back¬
ward, the advances.
Certain characteristics of this corpus are similar to those in manuscripts.
Others are different : at the macro-procedural level, one can observe more
moves than on manuscripts and the modifications of a great extent seem more
frequent. At the micro-procedural level, the use of a word processor provokes
the appearance of specific mistakes, typing errors, of which the correction takes
a larger space when the typists are young.
Starting from examples, we will sketch analysis axis of pupils' writings on
word processors while questioning the role of procedures of which the semantic
range is very small, nay nil, in the constitution of a text. We shall see at what
times the formal modifications take place, what comes after, and which seman¬
tic modifications their making is likely to have generated them. The examining of
back and forth movements between modifications related to spelling and related
to meaning, will allow us to work out some aspects of interactions between the
conceptualisation activity and the constraints of scripting.
357
REPÈRES N° 26-27/2002-2003
nate the « junctures » that tie them to non-transcribed wordings. They do not
shorten the lexical units.
For these pupils notes taking consist of copying integrally the selected por¬
tion of text. Their attention is focused on the text processing and the respect of
linguistic conventions. To take notes at lower cost, it would be necessary that,
through an appropriate apprenticeship, they grant writing with two new func¬
tions : a) use of a product of a private nature ; b) build an external written
memory of which the format and the reading may be submitted to other rules
than that of linearization of written conventional language.
358
Summaries
speeches gave to see writing in all its thickness as a complex activity registered
in a social context determined at the same time by the scholar and communica-
tional frame. Three strong points are brought out : the consensus on reference to
genders, the marking of determinations which influence the teaching practices
and the taking in account of the subject writer.
Two points remain problematic for which it is necessary to begin new works :
on one hand, the link to teaching and to learning and the analysis of the links
which unit them ; on the other hand, the development, theme of study on which
data miss.
359
BULLETIN D'ABONNEMENT
REPERES
Recherches en didactiques du français langue maternelle
à retourner à
INRP - Publications
29, rue d'Ulm, 75230 PARIS CEDEX 05
Nom 1 1 1 1 1 Ill 1
ou Établissement | , , , , , , , , , , , , i i i i i i i i i i i i |
Adresse | , , , , , f i i i i ! i i i i i i i i i i i 1
1 i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i 1
1 i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i J i i 1
Date Signature
ou cachet
REPERES
Toute commande d'ouvrages doit être accompagnée d'un titre de paiement libellé à
l'ordre du Régisseur des recettes de l'INRP.
Cette condition s'applique également aux commandes émanant de services de l'État, des
collectivités territoriales et des établissements publics nationaux et locaux (texte de
référence : Ministère de l'Économie, des Finances et du Budget, Direction de la
Comptabilité publique, Instruction N ° 90-122-B1-M0-M9 du 7 novembre 1990, relative au
paiement à la commande pour l'achat d'ouvrages par les organismes publics).
Une facture pro forma sera émise pour toute demande. Seul, le paiement préalable de son
montant entraînera l'exécution de la commande.
Ne pas utiliser ce bon pour un réabonnement; une facture pro forma vous sera
adressée à l'échéance.
n
IMPRIMERIE
MAURY
N° d'impression : K03/28597 R
Imprimé cn France
REPERES
Numéros disponibles
Ancienne série
" Tarif : 16 ¤ / ex.
n° 60 - Où en sont les sciences du langage, les sciences de l'éducation ? [1983]
n° 61 - Ils sont différents ! - Cultures, usages de la langue et pédagogie [1983]
n°64 - Langue, images et sons en classe [1984]
n° 65 - Des pratiques langagières aux savoirs (problèmes de Français) [1985]
n° 67 - Ils parlent autrement - Pour une pédagogie de la variation langagière [1985]
n° 69 - Communiquer et expliquer au Collège [1986]
n° 70 - Problèmes langagiers - Quels apprentissages dans queUes pratiques ? [1986]
n° 72 - Discours explicatifs en classe - Quand ? Comment ? Pourquoi ? (Collèges) [1987]
n° 74 - Images et langages. Quels savoirs ? [1988]
n° 75 - Ortlwgraplte : quels problèmes ? [1988]
n° 76 - Éléments pour une didactique de la variation langagière [1988]
n° 77 - Le discours explicatif- Genres et texte (Collèges) [1989]
n° 78 - Projets d'enseignement des écrits, de la langue [1989]
n° 79 - Décrire les pratiques d'évaluation des écrits [1989]
Nouvelle série
Tarif : 16 ¤ / ex. jusqu'au 31/07/04
nul Contenus, démarche deformation des maitres et recherche [1990]
n°2 Pratiques de communication, pratiques discursives en maternelle [1990]
n°3 Articulation oral /écrit [1991]
n°4 Savoir écrire, évaluer, réécrire [1991]
n°5 Problématique des cycles et recherche [1992]
n°6 Langues Vivantes et Français à l'école [1992]
n°7 Langage et images [1993]
n°8 Pour une didactique des activités lexicales à l'école [1993]
n°9 Activités métalinguistiques à l'école [1994]
n°10 Écrire, réécrire [1994]
n°ll Écriture et traitement de texte [1995]
n°12 Apprentissages langagiers, apprentissages scientifiques [1995]
n°13 Lecture et écriture littéraires à l'école [1996]
n°14 La grammaire à l'école : pourquoi en faire ? Pour quoi faire [1996]
n°15 Pratiques langagières et enseignement du français à l'école [1997]
n°16 La formation initiale des Professeurs des Écoles en Français [1997]
n°17 L'oral pour apprendre [1998]
n°18 À la conquête de l'écrit [1998]
n°19 Comprendre et interpréter les textes à l'école [1999]
n°20 Recherches-actions et didactique du français - Hommage à Hélène Romian
[1999]
n°21 Diversités narratives [2000]
n°22 Les outils de l'enseignement du français [2000]
n°23 Les pratiques extrascolaires de lecture et d'écriture des élèves [2001]
n° 24-25 Enseigner l'oral [2001-2002]
ji° 26-27 L'écriture et son apprentissage à l'école élémentaire [2002-2003]
Numéro piujeie
projeté (thème)
rxuuieru vuieuies *.
782734 9386