Dom Guillerand Contemplations Mariales

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CONTEMPLATIONS MARIALES

PAR

DOM AUGUSTIN GUILLERAND


CHARTREUX

PRÉFACE DE MGR CRISTIANI

DEUXIÈME ÉDITION

Imprimi poteste Imprimatur


Majori cartusiae, die 2 octobris 1958 E Vicariatu Orbis die 22 nov. 1958
Fr. Fernandus + Aloysius traglia
Prior Cartusisae Archiep. Caesarien. Vicesgerens

Roma
benedittine di Priscilla
Catacombe di Priscilla
via Salaria 430
1959

1
TABLE DES MATIÈRES

Liminaire de l'Auteur............................................................................................................................................................3
Préface..................................................................................................................................................................................4

Plénitude de Grâce

Immaculée..............................................................................................................................................................5
Rosée de Lumière...................................................................................................................................................6
Parfum d'aurore......................................................................................................................................................7
« Pleine de grâce »..................................................................................................................................................8
« Bénie entre toutes les femmes »..........................................................................................................................9
« Servante du Seigneur »......................................................................................................................................10
« Fiat »..................................................................................................................................................................11

Maternité

Vierge mère..........................................................................................................................................................13
Mère du bel Amour...............................................................................................................................................14
Sous la vertu du Très-Haut...................................................................................................................................15
« Purification ».....................................................................................................................................................16
Les trente années de silence.................................................................................................................................18
Vie de foi..............................................................................................................................................................19

Calvaire

« Elle se tenait »...................................................................................................................................................21


« Voila votre fils »................................................................................................................................................23
« voilà votre mère »..............................................................................................................................................24
Les portes de l'Esprit............................................................................................................................................25
Le parcours dans la foi.........................................................................................................................................26

Gloire

Le sommet des choses..........................................................................................................................................27


Sur les pas de la « fille du Prince »......................................................................................................................28
Assomption...........................................................................................................................................................30
Unité.....................................................................................................................................................................31
Mère des vivants...................................................................................................................................................32
Confiance..............................................................................................................................................................33
Joie........................................................................................................................................................................34

Le regard de ma mère
Poésie composée par l'auteur quelques jours avant sa mort,
au milieu de très grandes souffrances intérieures et physiques............................................................................35

Édition numérique
par
[email protected]

disponible sur
http://www.scribd.com/doc/36885472/Contemplations-mariales-dom-Guillerand

et sur
http://www.chartreux.org

2
LIMINAIRE DE L'AUTEUR

Il est difficile d’écrire de Marie... Elle conduit immédiatement aux grandes profondeurs où un mot dit tout... et
ce mot n'est pas exprimable par les nôtres...
Je retrouve en elle tout l'abime de ce divin mystère qui m'attire depuis si longtemps et si fort : je retrouve les
Trois qui ne font qu'Un. Et, en face d'eux, cette âme de simple paysanne de Galilée, choisie par eux pour nous faire
participer, par son intermédiaire, à ce qu'ils se donnent éternellement, la nature divine...
Les rapports de Marie avec la Trinité Sainte, la vie qui se déploya dans son cœur dès le premier instant où son
âme s'unit à son corps, le mouvement éperdu et plein, sans cesse croissant qui l'emporta dans le cœur de Dieu, qui la tint
liée, plongée en Lui, dans toutes ses vues et ses vouloirs, dans toutes ses pensées et ses sentiments, son désir de
répandre cela dans nos cœurs, de nous communiquer cette union et cette vie, de nous faire « un » avec elle, par elle avec
Jesus, et par Jesus avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit, quel sujet de méditation, de long regard qui recommence sans
fin et se renouvelle en recommençant !
Évidemment nous ne pouvons pas, nous ne devons pas songer à pénétrer cet abime : c'est un mystère, c'est le
mystère des mystères. Nous ne devons pourtant pas craindre de le regarder, car c'est un mystère de lumière et d'amour ;
Dieu veut qu'on le regarde, qu'on prolonge le plus possible ce regard et qu'on le renouvelle souvent ; Il se donne dans la
mesure de ce regard et de sa pureté...
Ce ne sont que des balbutiements d'enfant. Il faut nous en contenter. La Vierge elle-même, si haute qu'ait été sa
contemplation, a accepté de suivre nos sentiers obscurs de la vie de foi ; nous devons les suivre comme elle, avec elle, la
main dans sa main très douce, le cœur dans son cœur très pur et très bon...

3
PRÉFACE

Il est des familles d’âmes, comme il existe des familles d'oiseaux ou de fleurs. Tous les esprits n'ont pas les
mêmes tendances ni les mêmes gouts. Le présent livre est fait pour l'une de ces familles spirituelles. Il a des traits qui le
distinguent des autres et en font l'originalité. Comment définir ceux à qui il plaira, ceux qui y trouveront leur
nourriture, leur joie, leur substance ? C'est à l'auteur lui-même qu'il faut le demander. Parlant de ceux qui, plus que les
autres, se sentent tout près de Marie, il écrit : « jusqu'à la fin des temps, les disciples de Jésus, et plus spécialement les
natures intimes, intérieures, contemplatives, les êtres de tendresse, de sensibilité concentrée, auront avec Marie ces
relations de fils à mère. Le Maitre leur communiquera, par elle, son esprit. Il le leur communiquera au pied de la Croix.
Ils s'y trouveront sans avoir plus à lutter ni à souffrir que d'autres. Ils y seront par un concours de circonstances très
particulières ; ils s'y tiendront avec aisance... »
Ami lecteur, vous reconnaissez-vous dans cette description ? Si oui, lisez ce petit livre. Il est fait à votre
intention, il est écrit dans un style qui vous plaira, il vous apportera des considérations, des vues, des suggestions qui
répondront aux plus secrètes dispositions de votre âme.
Et ne craignez pas de vous perdre dans les nuages, parce que l'auteur vous emmènera très haut et très loin des
platitudes de la vie présente. Il y a en effet deux sortes de réalisme , comme on aime à dire aujourd'hui : il y a le
réalisme, le prétendu réalisme devrions-nous dire, de ceux qui se refusent à voir plus loin que les sens, plus loin que les
yeux et le toucher, plus loin que les instruments qui prolongent les sens. Et il y a le réalisme ailé et audacieux de ceux
qui savent qu'il est des choses que « l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a pas entendues, que le cœur de l'homme ne
saurait soupçonner », et que cependant Dieu prépare à ses élus. !
Écoutons encore l'auteur de ce livre : « Nous avons tendance, dit-il, à reléguer dans l’irréel tout ce qui nous
dépasse. Dès qu'une réalité déborde notre esprit, ou bien nous la nions, ou nous vivons pratiquement à son égard,
comme si elle n'existait. pas. Ce n'est pas seulement une inintelligence, c'est une perte pratique immense. Nos relations
avec ce monde de la-haut, avec toute cette famille céleste qui constitue, dès ici-bas, notre vraie vie et en prépare
l’épanouissement plein, emprunteraient à une foi vive une douceur et une force qui seraient le trésor de la terre. »
C'est avec ce réel, insoupçonné d'un trop grand nombre, que l'auteur de ces Contemplations mariales veut
nous familiariser. D'un mot, il veut nous apprendre l'unique chose qui puisse donner à la vie humaine une valeur et un
prix : l'amour !
Ce qu'il cherche en Marie, c'est « celle qui aima », celle qui aima plus que les autres, celle qui fut créée par
l'Amour et pour l'amour, celle qui a grandi dans l'amour à tel point qu'elle est devenue pour nous « incommensurable ».
« On n'exprime pas l'amour, dit très bien notre auteur, avec des chiffres, on n'enferme pas la vie dans des
formules d’arithmétique. »
Comme il a raison ! Et comme nous applaudissons quand il essaie d'indiquer certaines des étapes de cet
amour grandissant de Marie.
Pourrions-nous cependant ici exprimer une sorte de regret ? Puisqu'il a su si bien parler de l'amour, puisqu'il
a si bien vu que l'amour, en Marie, eut des accroissements invisibles, par exemple « à l'heure de l'Incarnation, quand
elle prononça son « fiat » et quand elle posséda, vivant dans son sein, Celui qui depuis toujours lui était tout ; ou quand
elle déposa son premier baiser de mère sur le front de son Dieu ; ou quand elle échangea avec lui certain regard plus
pénétrant et plus expressif, comme à la Croix ; ou quand, à la Pentecôte, l'Esprit de son Fils lui fut communiqué en
plénitude, pour le bien de ses enfants adoptifs » — puisque, disons-nous, l'auteur a si bien vu tout cela, pourquoi n'a-t-
il pas essayé, à la suite de saint Bonaventure de donner un nom aux douze étoiles qui couronnent à jamais le front de
Marie, et qui sont précisément, croyons-nous, ces rayons jaillis de son cœur très pur, à chaque étape de sa vie
terrestre ?
Essaierons-nous, à notre tour, de les nommer, ces douze étoiles, dans l'ordre de leur apparition ? Qu'on nous
pardonne une telle audace ! Voici comment nous les voyons s'allumer et comment, selon nous, se succèdent les étapes
de la croissance de l'amour dans l'âme de la Vierge-Mère : son Immaculée-Conception, — son doux Nom de Marie, —
la Plénitude de la grâce en elle, — son Vœu de virginité perpétuelle, — l'intervention en elle de l'Esprit-Saint, la
couvrant de son ombre, au moment de l'Incarnation, – l'Enfantement très pur de son divin Fils à Bethléem, — le
premier Baiser de la Mère de Dieu à son Fils, — sa très sublime Contemplation, — son immense Amour, – sa Maternité
universelle acquise au pied de la croix, – sa glorieuse Assomption, — son titre de Reine de l'Univers.
Comptez bien : elles y sont les douze étoiles ! Elles se sont allumées tour à tour. Elles ne s’éteindront jamais
plus ! Notre auteur en a énuméré quelques-unes. Nous ne croyons pas être infidèle à sa pensée, en achevant son
énumération, pour arriver au nombre sacre de douze.
Mais nous dirons avec lui, après avoir risqué cette liste d’étoiles mystiques : « J'ai peur de trop voir et de
dépasser les lignes où s'arrête la prudence. Mais dans une parole de l''Ecriture n'y a-t-il pas un reflet de la Lumière
infinie et, en la regardant, en la suivant longuement, n'est-il pas normal qu'on rejoigne le foyer d'où elle procède ? »
Lisez donc ce livre : le vrai sujet traité est l'amour, et il est traité avec amour, que faut-il de plus ?

L. Cristiani

4
PLÉNITUDE DE GRÂCE

Immaculée

A Bernadette qui lui demandait son nom, la Vierge a fait la réponse que vous connaissez : « Je suis l'Immaculée
Conception. »
Pourquoi parmi tant de titres possédés par elle, auxquels elle a droit et qui peuvent également la designer,
Marie a-t-elle choisi celui-la ? Sans doute, elle a voulu approuver, confirmer par son propre témoignage le dogme de sa
Conception sans tache que l'Eglise venait de définir. Mais manifestement aussi elle a voulu nous dire que ce beau nom
lui est très cher, qu'elle a plaisir à le recueillir sur nos lèvres, qu'il est doux à son cœur et que, pour le mieux connaitre et
l'aimer davantage, nous devons nous efforcer d'en pénétrer le sens, d'ailleurs très riche, et d'entrevoir quelque chose de
la grandeur représentée par ce privilège.
Cette grandeur est immense : c'est la grandeur même — je ne dis pas égale, mais semblable — de Celui qui est
le « Très-Haut ». Il a voulu, ce Dieu Très-Grand, que dès le premier instant de son existence, dès ce premier instant où
toute créature humaine est enveloppée de ténèbres, plongée dans ce que l'Ecriture appelle une « ombre de la mort », une
seule entre toutes, la Vierge, apparaisse illuminée de Sa propre Lumière, animée de Son souffle d'Amour, ornée de sa
Beauté et admise à ces mystérieux rapports qui sont Sa Vie...
La Vierge a été créée pour fournir la matière du Verbe incarné : « de la Vierge Marie. » Ce rôle lui impose avec
Dieu des rapports très particuliers : mère du Verbe, Épouse de l'Esprit-Saint. De tels rapports exigent des dispositions
dans le corps et dans l'âme. L'un et l'autre doivent être complètement entre les mains de Dieu : « Voici la servante du
Seigneur. » Il faut que le Saint-Esprit, quand il surviendra en elle, trouve un instrument dont il puisse user à son gré,
donc parfaitement accordé en lui-même et parfaitement accordé avec l'action divine qui s'exercera : l'Immaculée
Conception réalise cet accord. Elle n'est pas absolument indispensable, mais elle apparait très indiquée dans un plan de
sagesse et d'amour.
Le péché originel dépose au fond d'un être humain un principe qui l'empoisonne. C'est une semence de mort,
essentiellement anti-divine. De ce fond empoisonné monte un mouvement qui va directement contre le mouvement de
Dieu. L'Esprit d'Amour, mouvement de Dieu1, se heurte à lui, rencontre une opposition qui, normalement, ne cesse
guère ici-bas. Les plaintes de saint Paul demeurent : « Qui me délivrera de ce corps de mort ! » (Rom. VII, 24). La
réponse est connue : « Ma grâce te suffit » (II Cor. XII, 9), « La vérité vous délivrera » (Jean VIII, 32). La grâce, c'est
l'Amour ; la vérité, c'est la Lumière. L'Amour et la Lumière présents dans un cœur, maitres de ce cœur, lui assurent la
victoire. Mais c'est la bataille, ou au moins la guerre avec des batailles possibles.
L'œuvre quel l'Esprit-Saint veut accomplir en Marie exige la paix parfaite, l'harmonie, l'ordre humain, la
soumission totale du corps à l'âme, de l'âme au Saint-Esprit, car Marie devra communiquer la vie. Et la vie est une
synthèse : elle groupe des éléments divers, elle les groupe en les ordonnant, elle les ordonne en les soumettant les aux
autres d'après leur rapport a Dieu
Le « fiat » n'est pas un mot isolé dans la vie de Marie : c'est un terme; il résume et couronne tout ce qu'elle a dit
à Dieu depuis qu'elle lui parle. Cette unité m'attire : l'unité de l'action divine qui prépare dans l'esprit l'Incarnation
future, et l'unité de la Vierge qui répond à cette action comme préparatoire comme elle répond à sa réalisation. Elle
répond par son esprit ; l'union n'est encore que spirituelle, le nom « d'incarnation » ne peut lui être appliqué. Mais la
chair est si obéissante au Seigneur tout-puissant qui l'a faite, si docile à tous les ordres de l'âme, qu'on peut envisager le
fait dans ses préparations... La Vierge ne vit que pour Celui qui sera son divin Fils. Tous ses actes tendent à l'accueillir
et à être pour Lui ce qu'Il veut qu'elle soit : Il veut qu'elle soit mère : elle l'est ; elle l'est par le vouloir qui, en elle,
déborde le temps.
Dès le premier instant de la conception de Marie, son âme est entièrement détachée de tout autre objet que Lui,
entièrement tournée vers Lui et en face de Lui ; aussitôt le divin rapport commence... Son âme est une demeure, un
foyer de famille : les trois Personnes divines l'occupent, y viennent, s'y donnent entre elles, se donnent à elle, et elle-
même, toute emplie d'elles, se donne... Il n'y a rien, absolument rien en elle qui ne soit à Lui, pleinement à Lui ; « Voici
la servante du Seigneur — Fiat », parce que « pleine de grâce » (Luc. I, 38 et 28). Elle est entièrement occupée par le
mouvement divin qui la rend agréable à Dieu ; elle est toute pleine de charme et Il en est charmé. Et Il vient... et Ils
viennent tout les Trois...
Voilà, il me semble la grandeur de ce mystère
L’Immaculée Conception est une simple convenance, mais merveilleusement convenante, si convenante
qu’après l'avoir méditée on conçoit difficilement qu'il en eut été autrement et que le souffle de l'ennemi eut pu profaner
ce sanctuaire.

1 L'auteur use fréquemment de cette expression : « mouvement » pour designer les Relations divines. On ne se méprendra pas sur le sens qu'il entend
lui donner. Il a dit ailleurs : « Son mouvement n'est pas notre mouvement. Je suis dans un monde tout nouveau... Nos esprits rectilignes en sont tout
d'abord déconcertés : nous croyons qu'avancer c'est aller d'un point à un autre, et cela est vrai quand le point initial est néant et indigence. Quand c'est
l'Être même, le développement ne peut se faire qu'en Lui, dans la communication de son Être ». ( Hauteurs sereines, 2e edit., 1959, p. 23-24). L'auteur
tenait sans doute à cette expression en souvenir de la « perichoresis » de saint Jean Damascène ou de la « circumincessio » de saint Bonaventure avec
leur sens dynamique de circulation de vie, d’interaction vitale, de don de soi réciproque. (Cf. R. P. Dondaine, Somme théologique de S. Thomas, la
Trinité Il, note 121, edit. Revue des Jeunes).

5
Rosée de Lumière

Il en est du fait de la Nativité de la Vierge comme de tant d'autres faits qui cependant ont renouvelé
spirituellement la face de la terre : il nous est très peu connu. Pour Dieu les circonstances extérieures des évènements
même les plus graves, leur cadre historique, les détails, les noms, les lieux, tout ce qui attire et retient l'attention des
hommes, tout cela a une importance bien restreinte. Ce qui compte à ses yeux, c'est le dedans des faits et surtout des
âmes, c'est le mouvement de son amour qui se donne à elles, et c'est la réponse de ces âmes qui comprennent ce don,
l'accueillent et se donnent comme Il se donne. Voir cela est la Lumière vraie et le vivre est la vraie Vie.
Précisément, la Nativité de Marie est la réapparition en notre terre de cette Lumière qui est la vie. Voilà
pourquoi l'Eglise lui applique l'expressive parole du Cantique des cantiques : « Quelle est donc celle-ci qui s'avance
comme une aurore a son lever ? » (Cant VI, 9). La naissance de Marie a été pour le monde un lever d'aurore... et elle
doit le rester.
A cette Lumière seule vraie qui réapparaissait alors ici-bas, le Roi-Prophète donne un nom splendide : Il
l'appelle « la Lumière de la face de Dieu » (Ps. IV, 7). La face de Dieu, c'est son Verbe. L'Ecriture le dit expressément :
elle le nomme « figure de sa substance » (Hebr. I, 3), son effigie, son empreinte, son image parfaite qui reproduit tous
ses traits, le miroir sans tache qui les reflète, les Lui montre, où il se voit et se connait. Cette face, à son tour, rayonne ;
une « splendeur glorieuse », dit encore l'Ecriture, part d'elle, l'illumine et la fait voir, rayon éclatant de l’éternelle
Lumière, comme elle-même fait voir le Principe caché, Père de toute lumière... La Lumière de la face de Dieu est ce
mouvement mutuel, leur don de soit réciproque, leur Esprit d'Amour.
Cette Lumière de l'Amour, en créant, Dieu l'a déposée au fond essentiel de notre être. C'est le sens précis de la
parole qu'il a prononcée : « Faisons l'homme à notre image et ressemblance » (Gen. I, 26)... L'homme fut fait semblable
à Dieu, à son image et ressemblance et la Lumière de la face de Dieu illumina sa face. Cette Lumière dans une âme,
c'est le sceau de Dieu sur elle, sa signature: « Vous faites lever sur nous la clarté de votre face, mon Dieu !... » (Ps. IV,
7).
En péchant, l'homme a perdu cette Lumière, il s'est détourné, il s'est tourné vers une autre fausse lueur qui l'a
abusé ; elle s'est engendrée en lui, et il est devenu, à son image et ressemblance, fils de ténèbres. De là les mots si
douloureusement expressifs rencontrés à chaque page de nos Livres Saints : « marcher dans les ténèbres », « être assis à
l'ombre de la mort ». De là les supplications des âmes saintes qui remplissent l'Ancien Testament : « Mettez votre face
en lumière », « faites-la briller sur nous », « montrez votre face », ou encore les paroles d'Isaïe que l'Eglise nous fait
répéter sans cesse pendant l'Avent : « Faites pleuvoir votre Rosée » (Is. XLV, 8) et l'explication : «Votre rosée est une
rosée de lumière » (Ibid. XXVI, 19).
La Nativité de Marie est la première réponse du ciel à cette longue prière, c'est la Lumière en son premier
matin, la Lumière en rosée, la Lumière qui se divise, se fragmente, se met en fines gouttelettes pour s'adapter à notre
regard déshabitué du rayon direct. L’éclat du Soleil de Justice le blesserait, sa tendresse pour nous le sait ; il se tamise, il
passe à travers cette enfant pour se présenter à nous sous cette forme atténuée.
La Lumière de la face de Dieu n'en brille pas moins en elle, le Souffle de la Vie Divine, le mouvement qui se
communique aux Trois, qui ne font qu'Un, est en elle, l'anime, la vivifie, l’éclaire... Marie a reçu cette communication
de Lumière en plénitude. En plénitude, cela ne veut pas dire qu'elle a toute la Lumière de Dieu et qu'elle voit tout ce que
Dieu voit. Elle a reçut toute la Lumière que son âme peut recevoir, elle en est toute pleine ; et toutes les fois que Dieu
agrandit son âme, Il verse en elle une Lumière agrandie, elle en est toujours toute pleine, elle ne voit rien d'autre, elle
voit tout en Dieu, elle voit Dieu en tout...
Une âme tout éclairée de la Lumière qui est Dieu même, tout emportée vers cette Lumière qui montre qu'elle
est le Bien infini et la Beauté suprême, voila le portrait définitif, total, parfait de la Vierge. Voilà ce que l'Ange, éclairé
lui-même de cette Lumière, découvre et salue en elle avec un joyeux respect... Voilà ce que chante l'Eglise quand elle la
salue avec cette parole du Cantique : « Quelle est celle-ci qui s'avance comme une aurore qui se lève ? » Voila la
Lumière qui éclaire toute sa vie et qu'elle veut que nous retrouvions en elle en toutes circonstances, quand elle nous fait
cette recommandation pleine d'une si douce et riche promesse : « Ceux qui savent me mettre et me voir bien en clarté, et
découvrir toute la Lumière qui est en moi, ceux-là auront la Vie éternelle. » (Epitre de la Vigile de L’Immaculée
Conception, rit romain, d'après Eccli. XXIV, 31).

6
Parfum d'aurore

Je suis comme un oiseau qui tournoie autour d'un sommet avant de s'y poser. Est-ce pour en jouir du dehors
avant de m'enfermer dans le nid qu'il m'offre, ou seulement parce que je ne sais pas encore replier les ailes de la pensée
et de l'imagination, faites pour le rejoindre et non pour jouir de leurs propres caprices ? Sur ce sommet je trouve tout, je
trouve tout dans cette demeure où a reposé, où repose à jamais, Celui qui l'a faite et qui a tout fait...
Marie est un champ immense qu'on n'a jamais fini d'explorer, immense et combien reposant et embaumé ! Tous
les parfums du ciel et de la terre s'en exhalent avec Celui qui est « le fruit sublime de la terre, la fleur des champs et le
lys des douces vallées » (d'après Ps. LXXXIV, 13 et Cant. II, l).
« En moi toute grâce, toute voie, toute vérité, tout espoir de vie et toute force.
J'ai fait se lever dans la ciel la lumière sans déclin et dans mon sein j'ai porté le bel amour.
En moi vous trouverez la lumière et l'amour qui sont la vie éternelle. » (d'après Eccli. XXIV, 25, 6 et passim).
« Regardez-moi, étudiez-moi, écoutez-moi, passez en moi, emplissez-vous de Celui que vous y trouverez, mon
fruit, et vous vivrez. »
Quels mots, dont la splendeur laisse entrevoir la grandeur de l'objet qu'ils voudraient exprimer, et dont la
multiplicité révèle l'insuffisance !
« Comme le storax, le galbanum, l'onyx et le stacte, comme la goutte d'encens tombant d’elle-même, j'ai
embaumé ma demeure ;
Mon odeur est celle d'un baume sans mélange...
J'ai poussé comme la vigne des fruits à l'odeur suave (Ibid. 21 et 23).
Marie est le baume, la myrrhe, la vigne en fleur, le cinnamone... Elle est la colombe au blanc plumage (Cant.
passim) et de son plumage un parfum s'exhale ; elle s’élève des eaux, entourée de mille parfums. Toujours le parfum !
L’éclat manque parfois, le parfum jamais.
Le parfum est fils de la lumière et de l'amour. L’éclat procède surtout de la lumière. L’éclat peut être superficiel
et menteur ; le parfum vient de l'être, de ses profondeurs et le révèle. Il y a des fleurs éclatantes et sans parfum, comme
il y a des oiseaux dont le plumage est ravissant mais qui ne chantent pas. Ce sont les fleurs odorantes et les oiseaux
chanteurs que nous préférons.
Marie a l’éclat et le parfum. Mais il semble bien que (l'Eglise) nous signale plus spécialement la délicieuse
odeur répandue par elle autour d'elle. Quand (la Liturgie) la montre au-dessus des eaux ou elle s'est baignée, un parfum
se dégage de tout elle-même et c'est sur ce parfum que le texte sacré attire notre attention. Autour d'elle les plus belles
fleurs, mais aussi les plus parfumées. La bien-aimée du Cantique des cantiques demande des fleurs odorantes et des
fruits embaumés (II, 5) : ces parfums peuvent la soutenir dans sa langueur d'amour...
Elle est la douce aurore qui donne aux parfums leur plus exquis réveil. La lumière éclatante, la chaleur du jour
les endorment. Au cours d'une belle journée d’été, le lys lui-même n'est plus odorant ; dans la rosée du matin toute la
campagne est embaumée.
L'aurore est l'heure ou déjà la lumière brille, mais d'un éclat tamisé. Ici-bas, nous ne sommes pas faits pour le
plein jour, nous ne supportons pas la grande clarté. La Lumière, la grande Lumière s'est enveloppée dans notre chair,
elle s'est voilée Pour ne pas blesser notre regard. Marie est ce voile. Elle l'a tissé lentement, amoureusement pendant
neuf mois ; elle l'a préparé pendant quinze ans. C'est dans ses plis que le Soleil a cache son rayon éclatant. Toute la
splendeur du Père s'y enferme, mais nos yeux peuvent l'y contempler sans danger : Marie a proportionné le divin éclat à
leur faiblesse.
Elle nous le représente elle-même dans la simplicité de sa tendresse de mère...

7
« Pleine de grâce »

Tout ce que les plus grands théologiens dans leurs traités, les penseurs chrétiens dans leurs spéculations les
plus hautes, les saints eux-mêmes dans les intuitions de leur piété ont pu dire, penser, entrevoir de la grandeur de la
Vierge, l'Ange l'a excellemment exprimé dans les premiers mots de sa salutation.
Il n'en peut guère être autrement. Il est l'envoyé du Dieu Très-Haut, il parle en son nom, il transmet son
message, il dit ce que Dieu dirait s'il intervenait en personne ; ses mots doivent donc avoir une plénitude de sens et
d'expression qui ne peut être dépassée. Et voilà pourquoi, c’est encore en les méditant ces mots si simples, si souvent
répétés, que nous pouvons nous faire l'idée la plus rapprochée de cette grandeur.
L'Ange découvre et salue en Marie une double grandeur : sa grandeur devant Dieu et sa grandeur devant les
hommes. Sa grandeur devant Dieu est sa grâce, ce qu'il y a de proprement divin en elle, cette vie supérieure,
surnaturelle, la vie même de Dieu communiquée. Toute grandeur naturelle, en face de celle-la est comme rien ; c'est
comme la plus belle fleur épanouie en face d'un enfant, on ne les compare pas, c'est d'un autre ordre.
Dans cette vie surnaturelle de grâce par laquelle Dieu se donne à nous, nous distinguons deux réalités : un don
créé et un don incréé. En fait, ces deux réalités sont liées, ordonnées l'une à l'autre, fondues... Nous ne les distinguons
que pour mieux les étudier.
Le don créé nous fait participer à la vie de Dieu. Vous connaissez les deux définitions de Dieu données par
saint Jean : « Dieu est Lumière » (I Jean I, 5) et, après, « Dieu est Amour » (Ibid. IV, 16). La grâce est une effusion dans
l'âme de cette Lumière et de cet Amour. De même que Dieu illumine éternellement son être pour le voir, pour en
connaître la richesse sans bornes ; de même que, dans cet être comme dans un sein, il engendre une clarté, une
splendeur, un rayon qui le lui montre, ainsi, dans l'âme en grâce, Il produit comme un rayonnement divin, éclat de sa
Lumière éternelle qui fait l'âme « fille de Lumière ». Dans cette clarté, l'âme le connait d'une connaissance nouvelle,
supérieure, que sa nature ne peut même pas soupçonner...
Voila ce que, de son regard entièrement pur et céleste, l'Ange découvre en Marie, voila ce qu'il salue : « Je vous
salue, pleine de grâce. » Il la voit complètement emplie, inondée de cette clarté, comme immergée dans cette splendeur,
toute prise et emportée par ce Souffle d'Amour. Là « Dieu est Lumière, et il n'y a pas de ténèbres en Lui » (I Jean 15).
La parole est vraie de la Vierge : en elle le vase est borné, le miroir a des limites, la différence est là, elle est infinie,
mais c'est bien la même Lumière, et elle la reproduit sans un nuage, sans une ombre ; c'est le même Amour qui anime
sans contrariété ni résistance.
Pourtant, ce n'est pas tout, ce n'est que le don crée, la participation finie à la Lumière et à l'amour infini. Dieu
ne se contente pas de verser dans l'âme en grâce une part de Lui, une communication du mouvement qui est sa vie ; Il se
donne Lui-même en personne : « Si quelqu'un m'aime, dit Jésus, mon Père l'aimera, nous viendrons en lui et nous ferons
en lui notre demeure. » (Jean XIV, 23). « Dieu est amour, dit saint Jean ; qui demeure dans l'amour demeure demeure en
Dieu et Dieu en lui » (I Jean IV, 16).
C'est là, vous le savez, le thème essentiel du dernier discours de Jesus, du discours après la Cene et de la prière
qui le termine. C'est là ce qu'Il veut que nous retenions de son passage parmi nous et de son enseignement : Dieu ne
nous offre pas seulement quelque chose de Lui, Il s'offre Lui-même. Il vient Lui-même ; Il est présent Lui-même ; les
trois Personnes sont là et se donnent dans l'âme et se donnent à l'âme comme elles se donnent en Dieu : voilà ce que
l'Ange voit et salue en Marie. Il ne voit pas seulement le rayonnement de Dieu, il voit Celui qui rayonne et empli cette
âme de la Lumière de son Amour. Et c'est pourquoi il ajoute : « Le Seigneur est avec vous. »
En se donnant, Dieu donne de se donner. C'est une loi, on peut même dire que c'est la loi par excellence, la loi
qui régit le monde créée comme le monde divin. Dieu rayonne dans la Vierge pour qu'elle même rayonne Dieu dans le
monde. Elle doit devenir réflecteur de la divine Lumière ; le rayon divin doit prendre en elle l'éclat mesuré,
proportionné à notre faiblesse.
Et, comme elle est toute tournée vers Lui pour l'accueillir en plénitude, ainsi les âmes doivent se tourner vers
elle pour Le voir en elle et Le recevoir d'elle.

8
« Bénie entre toutes les femmes »

De là cette louange et ces bénédictions qui, par toute la terre et de tous les cœurs et dans tous les temps,
s’élèveront vers elle. L'Ange les entend et les lui annonce : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes. » C'est le
rayonnement divin par elle, qui suit et complète le rayonnement de Dieu en elle.
Je n'ai pas a vous dire toutes les notes dont cet hymne de louange est fait, je n'en finirais pas, et puis, il est si
connu !
Grandes cathédrales, humbles églises, petites chapelles, des sanctuaires érigés en son honneur, des statues, des
images, tableaux des maitres ou simples gravures, des cantiques, des poésies, tous les arts et toutes les littératures à sa
disposition ; des ordres, des congrégations innombrables, des confréries, associations, groupements de toutes sortes sous
son nom et son patronage spécial...
Et puis, l'immense et incessant murmure des « Ave Maria », des litanies, des invocations et formules variées
par lesquelles on la prie... Que sais-je encore ? Ce n'est là, vous savez, qu'un pâle et très insuffisant resumé de la
merveilleuse façon dont Dieu a voulu réaliser pour elle la parole angélique : « Vous êtes bénie entre toutes les
femmes. »
N'oublions pas cependant que la plus belle louange, la plus douce a. son cœur, celle sans laquelle les autres ne
seraient rien, c'est l'effort des âmes qui se tiennent en face d'elle, calmes, confiantes, dociles et aimantes, et lui
permettent de graver en elles les traits de son divin Fils, de renouveler, de prolonger, de compléter sa gloire maternelle
et d’être pour, elles « Marie de qui est né Jesus ».
... Et cela, même quand la récitation des « Ave » est un peu machinale et distraite, dictée cependant par un
sentiment profond, un instinct du cœur où il y a pour elle une tendresse filiale qui peut se voiler, mais qui ne meurt pas,
qu'on ne se résigne pas à laisser mourir...

9
« Servante du Seigneur »

L'etude de la simplicité est spécialement décevante. L'étude de la simplicité de Marie et plus encore de Jesus
l'est au plus haut degré.
En Marie, comme en Dieu, le fond c'est l'Amour : elle aime et elle se donne, elle est toute et toujours en ce don
de soi. Son humilité est une des fleurs qui s’épanouissent sur cette racine et sur cette tige. Elle est humble parce qu'elle
s'oublie. L'oubli de soi la tient à sa place, elle n'en sort pas. Voila pourquoi elle est aussi humble au jour de l'Assomption
et à l'heure du couronnement dans le ciel qu'à la grotte de Bethléem ou au pied de la croix.
Elle ne voit et ne veut que la gloire divine. Elle se voit en toutes circonstances baignant dans cette gloire qui
l'enveloppe de toutes parts. Nulle autre lumière en elle qui puisse lui montrer ni elle-même ni les autres créatures sous
un autre jour. L'Amour l’éclaire, la seconde, en elle et pour elle. Quelle grandeur ! Nous ne savons presque rien des
détails de sa vie... et nous savons tout cependant. Nous le dégageons des mots de l'Ange : « Vous êtes pleine de grâce ;
le Seigneur est avec vous. »
L'Amour est simple parce qu'il unifie. Il ramasse toute la vie et la tend toute vers l'Aimé. S'il ne la rassemble
pas, il n'est pas l'Amour, il n'est plus qu'un amour et l'Aimé n'est plus qu'un des objets vers lesquels on tend. De là la
dispersion. Le multiple disperse, comme l'un rassemble. On est « occupé de beaucoup de choses » (Luc X, 41), au lieu
d’être « aux pieds du Seigneur » (Ibid. 39). On a beaucoup de maitres ; il n'en faut qu'un seul.
La simplicité est une vertu délicieuse. Comme l'unité, elle ne rapetisse pas... au contraire. Dans l'objet unique
elle peut faire tenir toutes choses. Elle exclut seulement ce qui n'est pas, car elle aime tout ce qui est dans Celui qui est
tout. Comme l'humilité elle met tout en place. Elle ne supprime pas ; elle ordonne. Je retrouve sans cesse cette idée
d'ordre ; elle est au fond de tout comme l’idée d’unité.
La simplicité n'est donc pas une vertu ; c’est l'ensemble des vertus qui font qu'un être est tout ce qu'il doit être
et fait tout ce qu'il doit faire. Nous distinguons tout cela dans le monde créé parce que nous ne savons pas voir les
ensembles. Mais nous les aimons. Nous les regardons d'un regard plus grand que l'esprit qui divise pour saisir. Nous les
regardons en Celui ou tout est un et ordonné...
La simplicité est faite de cette vue ordonnée des choses et de l'Auteur des choses. Ceux-là sont simples qui en
tout et toujours voient et veulent ce principe, tout en Lui et tout pour Lui : ainsi ils peuvent tout voir, tout aimer ; en
réalité, ils ne voient et n'aiment que Lui. Telle est la simplicité de Dieu, telle fut, telle est à jamais la simplicité de Jesus,
celle de Marie et des saints. La simplicité, plus encore que l’humilité, est fille de l'Amour, elle en est la fleur extrême.
L'amour-propore engendre la complication : il ne tend pas à un seul objet ; il se laisse prendre par le créé qui
est essentiellement multiple ; il est à la merci de tous les objets qui se présentent et s'offrent tous avec quelque aspect de
vérité à poursuivre ou de mal à fuir. Ils nous impressionnent parce que la part impressionnable n'est pas fixée en Dieu.
De là, la nécessité de l'effort pour se fixer, effort intellectuel, méditation, étude ; effort aussi moral, exercices pratiques,
renoncements par amour.
Marie est humble parce qu'elle connait Dieu. Elle voit ce qu'Il est et elle voit ce qu'elle est. Elle reconnait la
divine grandeur, elle reconnait son « néant ». Il en résulte un oubli complet de tout ce qui n'est pas Dieu, seul grand, et
un mouvement plein vers Lui : c'est la simplicité.
La simplicité est donc une conclusion pratique de l’humilité : c'est le résultat d'une vue claire. L’humilité voit
la vérité, la simplicité y tend en plein. On ne voit que Dieu, on ne veut que Dieu, on ne tend qu'à Dieu. L'Amour produit
cela. C'est Lui qui est au fond de cette vue, de ce vouloir et de cette marche. Il produit l'œil simple, le vouloir plein, le
mouvement unique. On peut dire également : il simplifie, il purifie, il unifie. Tout parle de Dieu, tout est vu en Lui, tout
est voulu, cherché pour Lui. Il est vraiment à sa place ; Il est tout. L'ordre règne. Les choses peuvent procurer sa gloire,
elles le chantent ; elles sont bonnes à cela.
Les hommes sont son image... on le voit en eux... et on veut que ses traits y brillent. Nul mensonge, nulle ruse,
nul détour : on dit ce qui est, comme on le voit ; on met tout son être en tout ce qu'on dit et fait ; on s'efface et on se
montre selon les intérêts de Dieu, toujours familier, affable, à l'aise et mettant à l'aise. Avec Dieu foi parfaite, pleine, foi
d'enfant ; tendresse respectueuse, familiarité ingénue, exquise. On ne s'occupe pas de ce que peuvent dire ou faire ou
penser les hommes. Ni jalousie, ni susceptibilité, joie continuelle, nul souci, remise totale au Dieu-Père qui seul est.
La simplicité de Marie est due à l'harmonie parfaite de son être tout unifié et accordé en Dieu. En elle il n'y
avait pas deux vies et deux mouvements qui peuvent s'opposer et souvent se heurtent. Elle se mettait toute en tout ce
qu'elle faisait, et en tout elle se donnait au seul aimé.

10
« Fiat »

La dévotion est affaire de volonté. La volonté fait être, elle est l'être. On est dans la mesure ou l'on veut et on
est ce qu'on veut. Et c'est pourquoi Dieu seul est juge d'une âme et d'une vie ; seul Il voit dedans ; les effets extérieurs
du vouloir peuvent être nuls, et cela pendant longtemps ; les hommes, qui ne voient que ces dehors, jugent sévèrement ;
Dieu, qui va jusqu'à l'intime ou l'on aime, répond à cet amour par l'amour. Dieu sait que les résultats extérieurs peuvent
être dangereux, Il les refuse ; Il se garde ainsi des âmes dans le secret sanctuaire où on le trouve, où « le Père voit dans
le secret » (Math. VI, 6).
Pourtant il faut tendre à l'effort, il est requis, car l'amour est dans l'effort. Effort calme et tranquille, non pour se
réserver à soi-même, mais au contraire pour se donner en plein, car tout excès diminue et sépare de Celui qui est Ordre
et Mesure. Il faut aimer Dieu avec modération pour l'aimer sans mesure. La modération est la mesure de Dieu. Dieu
veut le don de soi ; quand on n'a rien, on se donne en ne donnant rien. Si, à ces heures là, on veut à tout prix donner
quelque chose, on ne se donne pas et on se sépare.
Le secret de Marie, le secret de la sainte Famille est là, dans cette simplicité calme et mesurée. Ils faisaient ce
que faisaient les autres, mais dans tout ce qu'ils faisaient, ils se donnaient pleinement. Ce don était le mouvement en eux
de l'Esprit d'Amour. Celui-ci les possédait et les menait entièrement. Une âme doit tendre à cette docilité.
Voilà pourquoi la volonté, qui suffit en principe, doit tendre, quand elle s'est donnée, à prendre le
gouvernement de la vie. Elle ne doit pas donner ce qu'elle n'a pas, mais elle doit s'emparer peu à peu de tout l'être pour
le donner tout entier, car elle est reine et maitresse. Le péché l'a dépossédée d'une part de son empire. La grâce et son
effort doivent le lui rendre.
La dévotion donne à tout ce qu'on fait la délicatesse de l'amour. Tout ce qu'on fait,, quand on aime,
s'accompagne d'un certain sourire et d'un certain élan qui ne trompent pas les aimés. Quand on n'est pas capable de cela,
on n'est pas appelé à l' amour.
Toute sa vie, Marie s'est donnée ; elle n'a fait que cela. Mais son acte de donation se teintait à chaque instant de
couleurs diverses selon ses états d’âme et les circonstances. Rien de monotone et d'uniforme dans une âme sainte, et
surtout dans la sienne. L'unité en fait le fond, la variété en nuance la surface de toute la richesse des choses avec
lesquelles elle entre en contact. C'est une alliance perpétuelle entre le Dieu qu'elle aime et qui occupe le fond de son
être, et les choses passagères qui viennent de Lui et qu'elle Lui offre. Et cette alliance est réalisée par elle : elle fait le
trait d'union, elle est créée pour cela. Ces choses Dieu les veut, mais Il les veut par elle.
Dès le premier instant de sa conception, Marie se donne et ce don de soi est total. Elle connait Dieu par toute
son âme et de toute son âme ; dans la plénitude de cette connaissance elle L'aime, elle est à Lui.
Cependant, il y a un développement, une croissance. Chaque vue de Dieu, chaque prise de contact avec Lui
agrandissaient son âme, lui donnaient une connaissance plus nette du divin objet et un plus grand amour. Dieu la tirait
plus fort et elle répondait à cet attrait d'un élan accru par le mouvement de Dieu en elle.
Ici encore, je distingue des réalités très liées : l'attrait de Dieu, la réponse de l'âme, le mouvement accompli par
Dieu vers l'âme et par l'âme vers Dieu. Dieu, en l'attirant à Lui, se meut en elle et, mue par Lui, l'âme avance vers Lui.
Elle avance parce qu'Il la meut, Il la meut en l'attirant, dans la mesure ou il l'attire...
Du premier coup Marie fut stout arrachée à elle-même et donnée à Dieu. Son développement d’âme fut une
prise de possession de plus en plus parfaite du bien infini qui la tirait hors d’elle-même et la fixait en Lui. Chaque
instant d'union ajoutait un rayon de clarté divine à la lumière dont elle était éclairée et lui montrait plus nettement son
trésor. Sous ce rayon sans cesse renouvelé, en face de cette beauté de plus en plus connue, son amour croissait, elle se
rapprochait, elle se donnait, elle se plongeait, elle s'efforçait de ne « faire qu'un ». Elle le faisait d'un élan non pas plus
total, mais plus fort ; elle s'enfermait dans cette demeure qui l'enserrait comme des bras, dans ce sein paternel et
maternel où elle se sentait grandir.
Marie n'a pas vécu dans l'extase qui est une faiblesse. Elle se garda à elle-même pour se donner plus
pleinement...

11
12
MATERNITÉ

Vierge mère

L’étude du cœur de Marie a l’inconvénient de toutes les études : elle analyse trop ce qui échappe
essentiellement a toute analyse, elle divise en morceaux. Elle distingue du cœur maternel le cœur virginal et de l'amour
pour Jesus l'amour pour ses frères.
Ces distinctions donnent la science ; elles ne donnent pas la connaissance qui va au fond de la réalité vivante.
La réalité vivante est une ; l'esprit multiplie les regards pour l'apercevoir et distingue les aspects divers qu'il découvre.
L'amour les voit tous en bloc ; il voit le cœur qui aime et il se contente de cela...
Il n'est pas inutile, si on le peut, d'étudier à part le cœur virginal et le cœur maternel de Marie, les éléments dont
il est constitué et les mouvements qui en sont la vie. Mais il faut le faire en unifiant ce que l'analyse découvre.
« Il faudrait le cœur de la Vierge pour comprendre son amour pour nous » dit Bossuet
La virginité n'est pas le détachement ; elle le produit et elle en procède. La virginité est un mouvement qui
procède d'une lumière. La Vierge voit Dieu, elle le voit grand et beau ; elle est attirée, emportée, elle se meut vers Lui,
elle s'attache à Lui, elle se donne à Lui, elle se détache de tout ce qui n'est pas Lui.
Le détachement de la Vierge n'est donc que l'aspect négatif de son mouvement ; elle ne tend pas à se séparer du
crée, elle tend à s'unir à l’Incréé. Voila pourquoi le crée qui est dans l'lncrée est aimé par elle. Elle se sépare de ce qui
pourrait la retenir loin de Dieu. La séparation est un fait, ce n'est pas un but. Le but, c'est l'union. Si pour s'unir il faut se
désunir, elle le fait, elle écarte tout ce qui s'oppose à l'union.
En un mot, la Vierge aime. L'amour commande tout. L' amour est la fin, la lumière qui montre l'objet aimé, le
mouvement qui y conduit, le terme qui le possède...
On ne peut tendre qu'a l'lnfini. Tout ce qui est borné, après un certain mouvement, serait pénétré à fond,
possédé tout entier, n'attirerait plus, laisserait dans l’indifférence et l'inertie. La virginité et l'lnfini s'appellent. L'Infini
est la première vierge. On est vierge dans la mesure où on l'aime et où cet amour fait participer sa vie.
Ni la virginité ni l'Infini ne sont repliés sur eux-mêmes. L'Infini est esprit, donc se connait, s'engendre en Lui-
même en se connaissant, produit une image qui le reproduit et répète son don de soi.
Ainsi la virginité de Marie : elle se spiritualise, elle se détache de tout ce qui n'est pas Dieu... Elle accomplit
l'acte de Dieu, elle le reproduit ; elle se donne à Lui pour qu'Il reproduise en elle son Image, pour qu'Il fasse en elle ce
qu'Il fait en Lui-même. Sa fécondité est la fécondité divine, mais elle la reproduit dans une créature. L'image prend la
mesure du cadre où elle se donne. Le cadre est borné, il a certaines dimensions, il a une certaine forme propre. L'image
prend ces dimensions et cette forme.
Dieu fait dans l'ordre surnaturel ce qu'Il fait dans l'ordre naturel. Une rose est belle, une tulipe est belle, une
violette aussi. Chacune a sa beauté propre ; elle chante Dieu de cette beauté propre. Saint Paul n'est pas saint Jean ; il y
a des différences entre saint Grégoire et saint Basile, entre sainte Thérèse et saint Jean de la Croix. Mais toutes ces âmes
sont belles de la beauté de Dieu reflétée par elles a leur façon.
Et cette beauté est 1'Amour qui se montre à elles. Il leur montre une certaine face de Lui à reproduire. Si elles
le reproduisent, elles sont belles, encore que différentes. On pourrait dire : elles sont belles même parce que différentes,
car Dieu trouve sa gloire à ces différences. Il manifeste sa grandeur unique en la reproduisant sous des formes
multiplies à l'infini. Le nombre crée exprime l'unité incréée. L'unité de la création est de reproduire Dieu. Ceux-là la
voient qui voient Dieu en elle ; et ils en sont ravis. Ceux qui ne la voient pas, n'aperçoivent que les diversités qui
s'opposent et en sont excédés.
La Vierge ne voit que Dieu dans les âmes et dans les choses. Elle voit Dieu en germe qui peut se développer et
veut se développer. Elle veut ce développement, elle se livre à l'effort qui le produira. Elle le veut, elle s'y livre parce
qu'elle est vierge, pour se donner toute à Celui qui l'aime. La fécondité maternelle procède de sa virginité. Elle est mère
parce qu'elle est vierge, dans la mesure où elle l'est. Elle est toute mère, parce qu’elle est toute pure.
En un mot, elle est fille et mère et épouse du Dieu-amour. Elle a pour nous un sentiment qui présente tous ces
caractères : elle nous aime en sœur, en mère, en épouse...
Et nous sommes de pauvres exilés, ses frères, ses enfants, qu'il faut ramener en patrie, dans le lieu de la Maison
du Père.

13
Mère du bel Amour

Marie est « mère du bel Amour », de l'amour que composent, comme des fleurs un bouquet, la crainte, la foi et
la sainte espérance. En elle on trouve la grâce qui conduit sur le chemin et tient dans la vérité, la foi ; en elle la
confiance, l'assurance de recevoir la vie et la vertu, l'espérance. « Je suis la mère du bel Amour, de la crainte, de la
science et de la sainte espérance » (Eccli. XXIV, 24 – Vulgate).
L'Eglise est guidée par l'Esprit-Saint quand elle ose mettre sur les lèvres de l'humble Vierge Marie des paroles
comme celles-là. Humble ! oui... mais vraie, car l’humilité, c'est la vérité. Marie connait qu'elle n'est rien ; elle reconnait
les grandes choses que Dieu a faites en elle et qu'Il continue de faire par elle. Elle est mère et elle continue d’être mère...
Elle est la mère de Jesus dans les âmes...
Voila l'esprit de jésus : Il aime, Il se donne. Cet amour est sans mélange ; nulle trace d’égoïsme, de retour ou de
repli sur soi. Jesus se donne comme Il est : son amour est le mouvement de son être. Son être est la beauté même, et son
amour est le bel Amour ; il est la splendeur ordonnée de ce mouvement que rien ne limite et où se révèle Celui qui est.
Être, amour, Beauté, c'est tout un... et c'est Dieu même. Le bel Amour est le don plénier de l'Etre même. Jesus est venu
le révéler à la terre.
La grande Lumière, que le monde attendait et qui a brillé avec sa naissance, est celle-ci : la Lumière qui montre
en Dieu le plein don de soi, le mouvement des trois Personnes dont toute la vie consiste à se donner mutuellement tout
ce qu'elles sont.
Marie a enfanté cela sur la terre, cette Lumière et cet Amour ; elle continue de l'enfanter :
« Je suis la mère du bel Amour. »
Marie est devenue la mère du bel Amour en donnant naissance à Celui qui est l'Etre même ; elle le reste, elle ne
cesse de l'enfanter. Elle le restera à jamais parce que l'enfant, après avoir été enfanté, reste l'enfant de sa mère. Sa
naissance, surtout spirituelle, crée un lien éternel et ce lien est l'amour.
Marie est l'instrument par lequel l'lnfini apparait dans le fini. Et, en même temps, elle achève le fini en lui
dormant l'lnfini, qui (a comblé) le néant après avoir empli l'Être qui est, ajoutant, comme un surplus, un trop-plein au
plein de Dieu, achevant ce qui est achevé, manifestant la Beauté infinie dans cette beauté extérieure qui n'ajoute rien –
et qui ajoute néanmoins ce rien, le fini à l'lnfini. Car le fini s'ajoute à l'lnfini, non pour le compléter, mais pour lui
donner à nos yeux un éclat qui n'est pas en lui sous cette forme limitée et visible. Et c'est le bel Amour, l'Amour qui a
rayonné au dehors, qui n'a pu se contenir dans le sein cependant sans bornes et s'est répandu par-delà ses bornes sans
bornes!
L'Amour enfanté par Marie est ce flot extérieur, débordant. Elle est mère de cette Beauté qui, sans elle, n'aurait
pas le caractère de réalité extérieure et réalisée, resterait ce que Dieu aurait pu faire et ne serait pas ce que Dieu a fait.
Dieu, sans elle, aurait pu venir à nous dans notre chair ; Dieu, par elle, est venu à nous dans notre chair.
« Je suis la mère du bel Amour, de la crainte... »
La mère du bel Amour est la mère de l'Amour qui se donne sans compter, parce qu'il est sans mesure. Elle
enfante Celui qui est et qui aime comme Il est, infiniment. Comment cela ? Par son union à l'lnfini :
« L'Esprit-Saint surviendra en vous. »
L'Amour infini se donne à elle et Celui qui nait d'elle est le fruit de cet Amour. Il se présente donc avec ce
double trait : infini et fini, Dieu et homme. Elle ne le produit pas mais elle se donne à l'Esprit-Saint pour qu'il le
produise en elle. Elle se donne et ce don de soi la fait mère. Le divin fruit procède de l'Esprit-Saint et d'elle:
« Conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge Marie. »
La Vierge est mère du bel Amour parce qu’elle est unie à l'Esprit, son rôle d'épouse réalise cette unité. Son titre
de mère de Dieu dérive de là, de cette unité. Elle entre avec Dieu dans des relations qui impliquent l'unité, l'unité que le
Verbe incarné est venu réaliser ici-bas, et d'abord en elle. Le sommet rêvé est là : dans le sein de la Vierge où l'éternel
mystère se reproduit pour nous.
Évidemment, tout cela est mystère. Nous n'avons pas idée de cette unité, de ces communications intimes...
Nous n'avons pas cette idée parce que le péché originel nous a dissociés. Il nous a détournés du Principe supérieur qui
unifie tout en Lui et nous constitue de cette unité ; il nous a divisés de Lui... et de tout...
Marie, comme Jesus, est faiseuse d'unité : elle relie, elle est le pont jeté sur deux rives et qui permet de passer
de l'une à l'autre. Elle est mère parce qu'elle refait cette unité ; elle la refait parce quelle la possède à un degré
exceptionnel.
C'est pourquoi elle est mère du bel Amour, de Celui qui unit et vivifie en unissant.

14
Sous la vertu du Très-Haut

« Le Saint-Esprit surviendra en vous et sa puissance vous enveloppera comme d'une ombre » (Luc I, 35).
A l'abri de cette ombre, sous ce voile d'en haut, le grand mystère s'accomplira ; le Fils de Dieu prendra chair
dans votre chair. Il sera la Sainteté même, la chose sainte, la réalité sainte, entièrement affranchie du crée déchu, unie à
celui-ci pour le relever, unie à Dieu pour refaire l'union avec Dieu.
Ainsi naitra de Marie Celui qui aura nom le Fils de Dieu. Il naitra par une opération divine qui sera une
communication mystérieuse de la toute-puissance de Dieu. L'agent de cette puissance sera l'Esprit-Saint, 1'Amour
infini. Tout procède de là.
La toute-puissance créatrice achèvera là son œuvre. Le sein de cette Vierge pure entre toutes, dégagée de tout
et préparée par ce dégagement à accueillir l'Esprit d'Amour, est le nouvel abîme d'où l'Esprit fera surgir l’extrême fleur
et le fruit sublime de la terre.
Comme Adam, Marie est faite du limon de la terre ; toute la création inférieure est en elle, et elle mettra cette
création, œuvre de 1'Esprit de Dieu, a la disposition de cet Esprit pour qu'il en tire la vie du Verbe fait chair, après en
avoir tiré successivement les eaux supérieures, les plantes et les animaux et enfin le corps de l'homme (Gen. I, 6 suiv.).
L'œuvre est terminée avec (l'Homme-Dieu) ; avant Lui, elle n’était qu’ébauchée. Il ferme à ce moment le cercle qui la
fait partir de Dieu et rentrer en Dieu.
Cette rentrée se fait en Marie et par Marie. C'est la que se nouent les choses, dans cet être qui est fait des
choses et de Dieu, dans lequel les choses et Dieu ne font plus qu'un, sans cependant ni se fondre ni se perdre... Le sein
de Marie est l'abime ou tout entre et d'où tout sort renouvelé.
L'Esprit-Saint... la possède ; elle est son épouse parce que fille du Père et aussi complètement qu'elle est fille
du Père : elle est à son service, à sa disposition ; Il est son Maitre, elle est sa servante /
« Voici la servante du Seigneur... »
Voila pourquoi Il fait d'abord en Marie le vouloir ; Il attend ce vouloir ; Il n'agit qu’après l'avoir obtenu. Il
obtient ce vouloir par une action sur l'intelligence qui l’éclaire :
« Elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation » (Luc I, 29).
La Vierge réfléchit, elle se demande en sa pensée quel est ce salut de l'Ange, d'où il vient. L'Esprit se soumet à
cette réflexion ; Il répond à cette question de l'esprit de Marie, Il lui donne la lumière qu'elle réclame:
« Ne craignez point » (Ibid. 30).
Il l'assure d'abord que tout sera œuvre de Dieu et Il lui en donne le signe.
« Déjà Elisabeth, votre parente, a conçu un fils dans sa vieillesse » (Ibid. 36).
Il lui rappelle le grand principe qui domine toute l'œuvre divine :
« Rien d'impossible à Dieu » (Ibid. 37).
La question qui se pose n'est donc pas de savoir si c'est normal ou anormal, mais si c'est de Dieu, si la signature
divine est apposée. La signature divine, c'est le miracle. L'Amour donne le miracle, puis il réclame l'adhésion, la
soumission. Il sonne satisfaction à la raison et demande la remise du vouloir. Le vouloir accordé, le corps le réalise, il
est l'instrument que la Toute-Puissance manie à son gré.

15
« Purification »

L'acte de la mère et l'acte du fils sont également spontanés. Rien ne leur impose cette démarche. Ils sont l'un et
l'autre en dehors et bien au dessus de la Loi juive qui la prescrit. Ils appartiennent à un ordre diffèrent : la Loi est un
fruit du péché ; ils se rattachent à la grâce et à l'amour. Mais ils taisent leur supériorité. Leur grandeur consiste
précisément dans ce souci de ressembler aux autres et de faire comme tout le monde.
Dieu veut cette ressemblance qui met son Fils à notre taille. Pourtant là encore, là comme toujours, des
échappées de lumière percent le voile créé et révèlent l’incréé. Ce ne sont pas des éblouissements prestigieux qui
provoquent 1'admiration des hommes. Dieu n'emploie guère ces procédés violents et artificiels. Ses façons de faire ont
un caractère plus discret et plus intime. Ce sont des révélations faites à des âmes simples et qui, pour ces âmes, mettent
Jesus en son plein jour. Celles-là voient Dieu dans l'homme et ce contact avec Dieu les transporte et les transforme...
Dans tous ses mystères, Jesus est l'Amour et le révèle ; en tous Il se donne et Il nous montre ce don de soi, qui
est la vie, pour que nous le reproduisions. C'est là, en sa réalité vraie et profonde la grande Lumière qu'Isaïe et les
Prophètes voient se lever sur Jerusalem et sur toute la terre plongée dans l'ombre de la mort.
Sa clarté brille tout à coup au regard du vieillard Simeon et elle fait monter à son cœur le cantique de joie :
« Maintenant, Seigneur, vous laissez votre serviteur s'en aller en pleine paix, car mes yeux ont vu la Lumière »
(Luc Il, 29 – 30).
Mais que voit-il exactement ? Quel est le spectacle qui le comble et le pacifie ? Il l'explique lui-même aussitôt :
« Cet enfant est destiné à être une cause de chute et de relèvement pour beaucoup d'hommes en Israël et un
signe qui provoquera la contradiction » (Ibid. 34).
Voila, très nettement exprimé par lui-même, ce que Simeon contemple en regardant Jesus, voilà ce qui plonge
son âme dans une impression de contentement plein, de paix sans nom qu'il ne peut contenir : la contradiction, la lutte,
le glaive de douleurs qui s'enfoncera en ces deux êtres sont pour lui d'une clarté éblouissante qui les enveloppe d'une
auréole, et toute l'histoire en est illuminée.
Le voile qui retenait les rayons dans les ténèbres se déchire, et l'humiliation du peuple d'Israël vaincu et soumis
se transforme en gloire : cet enfant est la Lumière qui l’éclaire, relève, grandit et glorifie,
« Lumière pour éclairer les nations, Gloire pour votre peuple d'Israël »
Pourquoi et comment ?
Parce que sous ces traits, sous les traits de la contradiction et de la souffrance, Simeon reconnait Celui qu'il
attend, Celui que tout le monde attend, le Christ du Seigneur, l'Oint du Seigneur, Celui que le Seigneur pénètre et
imprègne tellement qu'il ne fait qu'un avec Lui.
La Lumière qui rayonne de cet enfant, c'est la Lumière du Dieu qui est le vrai Dieu parce qu'Il est le bon Dieu,
le Dieu de toute bonté, Dieu-Charité, le Dieu-Amour, dont le nom, la définition, l'acte unique et la vie est d'aimer, de se
donner, même si on le repousse, si on le déteste, si on le combat, le Dieu qui affronte cette opposition, cette haine pour
la vaincre...
La contradiction, la lutte, le glaive, la croix ne sont que des réalités superficielles. Simeon les dépasse, va
jusqu'à la réalité profonde masquée par elles ; la Lumière qui l’éclaire la lui montre. Il voit ce que verra Jesus lui-même
au moment de la grande contradiction, quand Il dira aux Apôtres déconcertés :
« Le prince de ce monde vient... Il faut que le monde connaisse que j'aime mon Père » (Jean XIV, 31), pour que
le monde voie que le mouvement qui me fera sortir de moi-même, qui arrachera mon âme à mon corps, c'est le
mouvement d'Amour qui m'est communiqué par mon Père et me tire hors de moi pour me faire rentrer en Lui...
Aux côtés de Simeon, portant le Christ en ses bras – et surtout en son cœur – une femme est là ; le même
mouvement l'anime, la même onction la pénètre, le même Esprit l'emplit, et la même contradiction l'attend. Les coups
de la haine qui meurtriront le corps de son Fils retentiront dans le sien et le transperceront comme d'un glaive.
L'heure même où le vieillard Simeon voyait ses vœux comblés, Marie entendait la première annonce du
martyre qui ferait d'elle la Dame des douleurs.
Dieu semble aimer les contradictions. Il rapproche souvent la joie et la tristesse, et les âmes qu'Il chérit
connaissent à chaque instant ces alternatives brisantes qui les assouplissent et les rendent dociles à l'action du ciel.
Marie gouta une joie et une fierté maternelles profondes à entendre ce vieux prêtre juif chanter Celui qu'elle
pouvait nommer « mon enfant ». Cette joie fut très courte. A peine Simeon avait-Il prononcé les dernières paroles du
« Nunc dimittis », que le ton de sa voix changea. Regardant la mère, après avoir contemple le Fils :
« Ton âme à toi-même sera transpercée d'un glaive « lui dit-il (Luc II, 35).
Quand Il croit pouvoir découvrir les temps à venir, Dieu n'en laisse jamais pénétrer tout le mystère. Ses plus
claires prédictions restent plus ou moins enveloppées d'ombre. La menace de Simeon demeure dans cette ombre, la
faisant plus impressionnante encore. Et la Vierge ensevelit dans le silence de son cœur torturé ce glaive dont la pointe
doit la traverser un jour de part en part. Elle vivra trente-trois années dans cette attente, souffrant à l'avance le
mystérieux martyre.
Tous les enfantements sont douloureux. Dans le tourment intime, inflige au cœur si délicat de la Vierge mère
par le souvenir de la parole de Simeon, se préparait notre naissance spirituelle. Nous sommes issus de tous les regards
que son amour inquiet a dirigés sur Jesus pendant la longue préparation au sacrifice ; nous sommes les enfant de ce
sacrifice incessamment accepté.
Simeon la regarde en regardant le Fils, il la voit en Le voyant : ils sont si complètement « un »! ... Il la voit

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dans la même Lumière ; il reconnait en elle la reine aux côtés du Prince (Ps. XLIV), à droite, au premier rang, recevant
en plein la plénitude de grâce et de vérité, la recevant pour la communiquer...
Il la voit dans son rôle de médiatrice, de canal de Lumière, d'Amour et de Vie. Elle Lui amène, elle Lui
présente toutes les âmes que le même Esprit a détachées et faites transparentes:
« A sa suite sont amenées au Roi des vierges » (Ps. XLIV – Vulgate).
Elles forment sa suite, la cour du divin Roi. A toutes le Sauveur offre sa couronne, couronne d’épines avant
d’être couronne d’allégresse et de gloire. Le libre choix qu'elles font – leur acceptation d'amour – fait couler en elles
l'onction sainte, l'onction de l'Esprit qui illumine et vivifie.

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Les trente années de silence

Le regard humain ne s'y est guère arrêté ! Qu'y trouverait-il ? Il a besoin de sensible, de paroles, de gestes, de
mouvements, de faits. Ici, rien, rien que le mouvement ineffable d'un être dans lequel tout est divin et infini, même – et
surtout, peut- être – l'absence de tout ce que nous pouvons percevoir.
Marie est là et perçoit pour tous. Un seul de ses regards sur Jesus m’épouvante et me ravit. Il m’épouvante par
ce qu'elle voit, il me ravit par la douceur qu'il répand en elle.
Ce qu'elle voit, c'est un ensemble de divin, d'immense, de sans-bornes, et en même temps de simplicité réduite
à rien qui fait ressortir la grandeur et que la grandeur met en relief ; ce qu'elle voit, c'est la joie infinie à travers un
horizon d'agonie et de croix ; ce qu'elle voit, c'est cette grandeur et cette joie qui se communiquent à elle, mais par le
moyen de l'abaissement et et de la souffrance ; ce qu'elle voit, c'est leur union inexprimable, mais dans la séparation et
dans le martyre...
Chacun de ses regards la met en face de cette réalité mêlée et produit en elle cette double impression d'effroi et
de ravissement.
Et les heures passent, les jours passent, les années s'écoulent, rapprochent les évènements douloureux et le par-
delà béatifiant qui les fera oublier.
La surface extérieur de leurs mouvements recouvre et maque à tous ce dedans où ils se tiennent sans cesse si
unis, si délicieusement unis et si douloureusement brisés. Le temps passé en ce sanctuaire commun – qui est leurs deux
âmes fondues – appartient-il encore au temps qui passe ou à la durée éternelle ? Pour Jésus, on put répondre : oui et non.
Toute une part de Lui échappe au mouvement successif. La Vierge fait tellement un avec Lui que là où Il est, elle est...
L'intime union de ces années silencieuses m'attire de plus en plus : elle m'éblouit comme une clarté trop vive ;
elle me grise comme un parfum trop doux et pénétrant. Tel sens qu'elle me dépasse au-delà de toute expression et s'offre
cependant à mon imitation avec un sourire de délicieux encouragement...
Je suis aimé de ces deux qui s'aiment. Ils ne désirent rien tant que me communiquer leur mutuelle tendresse et
me faire place dans l’intimité de leurs cœurs fondus en un. Ils sont si unis pour me montrer comment on s'aime en Dieu,
et pour me donner de reproduire ce don total et si simple de soi ! Je crois au mouvement profond de tout leur être vers le
mien pour que j'entre en eux, pour que j'ouvre la porte de cette maison silencieuse où vit un Dieu.
Saint Joseph est là, au premier plan, qui travaille. Son travail, sa face d'ouvrier, sa simplicité, son effort, le
cadre pauvre, ou se déploie sa grande taille de père nourricier du Verbe incarné, me masquent l'incroyable réalité.
En face de lui, déjà, je dois me tendre un peu pour croire et pour animer ma foi à ce que cachent ces dehors.
Cette tension nécessaire m'humilie profondément. Comment ne pas me sentir envahi d'un excès de tendresse et de
confiance devant cette réalité dont cependant je ne doute pas ? Mystère étrange, mystère que seule explique la
déchéance humaine ! Je dois en profiter pour reconnaitre avec une plus profonde reconnaissance le grand bienfait du
relèvement.
Pres de Joseph, plus simple encore que lui, si possible, se perdant dans un effacement qu'on ne peut imaginer,
ni surtout exprimer, l'adolescent qui grandit, le jeune homme en qui se prépare la maturité qui nous refera.
Et enfin, la Vierge mère, simple galiléenne qu'un reflet d’âme et de divin illumine d'une clarté céleste, mais qui
n'en livre le rayon qu'aux âmes modelées sur la sienne.
Voila ce qu'on perçoit de ses yeux de chair et de son âme naturelle. Mais si je m'ouvre aux notes de la foi,
quelle mélodie monte de chacun d'eux et quelle harmonie de leur union ! C'est l'accord parfait, immense comme un
concert qui tiendrait en une seule note et aurait l'ampleur et la beauté de tous les concerts réunis, avec toutes les nuances
d'un art infini. Des comparaisons me viennent ; je n'ose les écrire : je les sens si au-dessous de la réalité, presque
ridicules d'insuffisance !
Il est vraiment impossible d’écrire de ces choses-là. Elles se déroulent dans un monde où nous ne les suivrons
que plus tard... On les devine parfois, une minute durant, dans une méditation dégagée, comme à travers un nuage qui se
déchire. On les sent plus réelles et vraies que les vaines images dont s'encombrent nos vies, mais on ne peut les
exprimer... Ce sont des lignes trop fines sur une étoffe trop souple, que contemplent des yeux trop agites.
Comment se déprendre de l’irréel qui nous occupe pour concentrer sur ce spectacle tout l'effort de notre pensée
? Des âmes le désirent, s'y essaient... et restent loin du but. Il faut savoir attendre. L'Amour se donne à ceux qui l'aiment
– II ne saurait se refuser – mais quand Il veut et comme Il veut. L'Amour n'est pas libre d'aimer ou de ne pas aimer, mais
Il choisit les chemins et les heures. C'est l'aimer nous-mêmes, c'est répondre à sa tendresse, c'est se donner comme Il se
donne que de se soumettre amoureusement à ses vouloirs.

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Vie de foi

Le mot « grâce » est le plus beau mot d'ici-bas et le sens en est magnifique : il signifie la vie même de Dieu
répandue dans nos âmes.
Qu'est cette vie ? Nous ne le saurons jamais complètement ici-bas. Le mot de saint Paul est très vrai : « l'œil de
l'homme n'a pas vu, son oreille n'a pas entendu et son cœur ne pourra jamais pressentir ce que Dieu réserve à ses élus »
(d'après I Cor. II, 9 et Isaïe LXIV, 4).
Cependant nous essayons d'en parler et nous faisons bien. Cet effort indique combien ces réalités célestes nous
intéressent, et que nous désirons les connaitre autant qu'il est possible ici-bas et un jour les posséder là-haut. Nous
cherchons donc dans les choses de la terre des comparaisons qui nous donnent quelque idée de ces réalités. Nous
disons : « la grâce est une lumière », et c'est juste. Mais c’est une lumière très spéciale.
Entrez dans cette chapelle en pleine nuit : tout ce que vous voyez d'habitude est là, l'autel et ses ornements, les
statues, les tableaux, les bancs, la disposition des choses... mais vous ne les apercevez pas. Il manque la lumière. Pressez
le bouton électrique et en un instant ils vous apparaissent.
La lumière fait voir ce qui est. Sans elle ce qui est est pour nous comme s'il n'était pas ; la lumière nous met en
rapport avec les choses corporelles, la lumière de l'intelligence, de la raison nous met en rapport avec les vérités de
l'ordre naturel ; et il existe une lumière plus haute qui nous met en rapport avec le monde supérieur, surnaturel, le
monde de Dieu.
La grâce est cette lumière qui éclaire pour une âme le monde de Dieu, montre ce qu'Il est sa vérité, sa bonté,
son amour, sa sagesse et sa puissance, toutes ses perfections qu'il contemple Lui-même, qui le ravissent éternellement,
que nous contemplerons un jour en Lui et qui nous ravirons à jamais.
L'âme qui vit vraiment la vie de grâce voit Dieu. Elle le voit en tout, elle le voit partout, elle le découvre dans
les hommes, dans les choses, dans les évènements, elle ne voit que Lui.
Ce rôle des choses est grand. Nous sommes liés à elles, nous dépendons d'elles, comme elles dépendent de
nous. Dieu se cache en toutes pour que nous l'y découvrions. Nous les mettons en rapport avec le Créateur, elles nous
rendent le même service.
Sans nous elles resteraient muettes et sans elles nous serions inertes. La lumière de notre intelligence ne
s’éveille qu'en les voyant ; elle est belle par elle-même, mais sa beauté ne devient perceptible que sur les choses
éclairées par elle.
Saint Paul de la Croix, un soir de printemps, se promène dans la campagne, traverse les champs de luzerne en
fleur, son âme s’élève de ces beautés naturelles à la Beauté infinie de Celui qui les a faites, qui les fait à chaque instant ;
il s'arrete, il tombe en extase, il y reste longtemps, perdu en Dieu, emporté, ravi par la divine lumière de grâce.
Saint Francois d'Assise, en face des fleurs et des oiseaux, en face des animaux même cruels comme le loup, en
face de toutes les créatures voyait le Créateur et disait : « Ma sœur la colombe, mon frère le loup. »
Avez-vous remarqué dans l'Evangile comme l'âme de Jesus était toute baignée de cette Lumière vraie, et
comme Il voyait tout dans cette clarté ?
Il regardait les magnifiques anémones d'Orient, nommées par Lui les lys des champs, et il disait : « Voyez ces
lys. Salomon dans tout l’éclat de sa gloire n’était pas vêtu comme l'un d'eux ; mon Père céleste les revêt sans cesse de
cette magnifique parure » (d'après Luc XII, 27).
Il voyait les oiseaux du ciel, si libres dans leur vol, si peu en souci de leur nourriture, et Il disait : « ils ne
sèment pas, ils ne moissonnent pas, et mon Père céleste leur prépare et leur assure les aliments dont ils ont besoin »
(Ibid. 24).
Il voyait les vignes développer leurs branches et recouvrir la terre et Il disait à ses Apôtres : « Je suis la vigne
vraie, vous êtes les sarments » (Jean XV, 5) ; le sarment vit de la sève qui lui vient du cep ; restez unis au cep, restez en
moi, restez dans mon amour pour vivre de ma vie.
Il voyait les troupeaux que le berger conduit chaque matin aux gras pâturages et ramène chaque soir au bercail
et Il disait : « Je suis le bon Pasteur, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent comme le Père me connait et
comme je connais le Père... Et je donne ma vie pour mes brebis » (Jean X, 14-15).
Je pourrais multiplier à l'infini ces exemples : l'Evangile en est plein. Le divin Maitre en tout voyait son Père et
Il en parlait à propos de tout ; tout lui rappelait les mystères de la vie divine, parce qu'Il vivait, Il baignait dans la
Lumière ; Il ne cessait de le rappeler et de répandre sur les choses et sur les âmes le flot de ses rayons.
Il est une âme dans laquelle la divine lumière de grâce a brillé d'un éclat exceptionnellement vif : c'est celle de
la Vierge dont Il a voulu faire sa mère. La grâce et le rayon de grâce ont envahi son âme des le premier instant de sa
conception ; la, pas une ombre, pas même une menace.
Elle a compris et vécu cela merveilleusement. Dans les choses qui l'entouraient, dans les mouvements qui
animaient ces choses, dans les événements de sa vie ou de la vie en général, elle voyait Dieu, la main de Dieu. L'action
de Dieu, et elle bénissait. Elle vivait ces pages de l'Ecriture ou l'Esprit-Saint a traduit ces dispositions :
« Œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur... » Les Psaumes, le Benedicite ?, toute l'Ecriture prenaient en elle
une plénitude de sens et de mouvement.
Quand son petit corps se forma au sein d'Anne, par un privilège unique mais absolument sûr, elle possède la
Lumière, elle vit en face de Dieu qui est en elle, se donne à elle, lui communique sa vie. Et, quand elle est née, cette
Lumière non seulement se maintient, mais grandit, se développe sans cesse en des proportions que l'esprit humain doit

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renoncer à mesurer. La pensée de Dieu remplit sa pensée, le souvenir de la divine présence, de l'action de Dieu en tout
et partout la poursuit sans cesse... elle voit en Dieu Celui qui est tout et elle ne veut s'occuper de rien en dehors de Lui.
Toute sa vie s'est déroulée dans cette clarté. Appelée à devenir la mère de Dieu, au moment de donner
naissance (au Christ), elle doit quitter sa maison, son pays, faire un long parcours, trois journées de marche. En arrivant
à Bethléem, encombrée d’étrangers, elle ne trouve pas d'abri pour le Dieu qu'elle apporte au monde. Elle en souffre... La
longue marche fatigue son corps, le refus de l'abriter meurtrit son cœur... mais la divine Lumière brille en son âme, elle
voit la volonté divine qui permet cela, elle l'adore, elle se soumet, et sa soumission l'unit à Celui qui pour elle est tout.
La même Lumière la suit en exil, l'accompagne sur les routes d'Égypte, la soutient durant les années qu'il lui
faut vivre en pays étranger, tient son âme dans la paix supérieure.
Quand Jesus a douze ans, elle le perd pendant trois jours ; Celui qui est son trésor doublement, le trésor de sa
vie naturelle et de sa vie surnaturelle, son Fils et son Dieu, disparait a ses yeux, la laisse seule... et quand elle le
retrouve, au lieu de la consoler, Il lui rappelle qu'Il est à son Père du ciel, qu'Il est venu pour procurer sa gloire, que
cette disparition de trois jours n'est qu'une annonce, une préparation : un jour il devra quitter sa mère définitivement, se
livrer tout entier aux intérêts de cette gloire... Et la Vierge emporte et conserve en son cœur ces paroles. Son cœur est
brisé, mais la même Lumière brille sur cette blessure, console son cœur brisé : elle voit Dieu et son divin vouloir, elle
l'adore, elle s'y livre.
Elle le voit, elle l'adore, elle l'aime au Calvaire, en face du martyre suprême, en face du corps torturé de son
Fils. Les ténèbres couvrent la terre, les assistants sont effrayés, tous tremblent, sont envahis par l’inquiétude et la
terreur. Marie demeure calme, son âme est de plus en plus inondée de clarté : plus tout apparait sombre aux yeux de la
sensibilité et de la raison et plus la Lumière divine l'illumine, apparait éclatante au regard de la foi.
Voilà ce que l'Ange voit quand il la salue : « Pleine de grâce » ; voilà ce qu'il loue en elle. Voilà ce que nous
devons voir et louer quand nous répétons si souvent chaque jour : « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. »
Nous vivons de cette plénitude ; le trésor sans prix de notre grâce, les lumières sur Dieu et le ciel qui éclairent
nos esprits, soutiennent nos volontés nous arrivent par elle ; elle est la mère de nos âmes, elle est notre mère.

20
CALVAIRE

« Elle se tenait »

Jesus, Verbe incarné, reproduit son Père. Il est le miroir dans lequel nous pouvons le voir, comme Il est l'Image
parfaite dans laquelle le Père se connait : « Qui me voit, voit mon Père » (Jean XIV, 9). Tout Jesus est là : un reflet, le
reflet idéal qui ne fait qu'un avec l'objet qu'il reflète et place entre nous et l'objet pour qu'en Lui nous connaissions cet
objet.
Or le Père a voulu entre ce reflet et nous encore un intermédiaire, une autre image, plus voisine de nous, qui
reçoive en perfection ses traits et nous les transmette. Pourquoi ce second intermédiaire, ce miroir plus rapproché ? On
ne discute pas Dieu ni ce qu'il a voulu. On accepte ses plans, on les adore... et ensuite on cherche dans sa lumière à
entrevoir les merveilles des desseins dont on est sûr qu'ils sont merveilleux. Toute autre attitude d’âme n'est pas
chrétienne où l'est insuffisamment.
La vie de Jesus et la vie de Marie, l'âme de Jesus et l'âme de Marie « ne font qu'un » ; ils ont vécu sans cesse
l'un de l'autre, l'un pour l'autre ; trouver l'un c'est trouver l'autre. Les voir ainsi unis dans leur face à face d’âme... c'est
mieux les connaître l'un et l'autre. Car en Dieu tout et tous s’éclairent mutuellement.
Dans ces deux vies il y a un sommet : c'est le Calvaire. Leur histoire très simple, comme leurs âmes, à ce
moment se précise. Ils y apparaissent précisément dans cette relation : en face l'un de l'autre et se communiquant tout ce
qu'ils sont ; le divin objet en face du miroir, l'un en pleine clarté, détaché de la terre et se détachant sur le ciel, au-dessus
du monde et des hommes et les résumant pour les élever avec Lui, l'autre encore sur le sol et mêlé aux hommes
auxquels il doit montrer ce qu'il reçoit, uniquement occupé de recevoir pour que l'image soit parfaite.
« Près de la croix de Jesus se tenait Marie, sa mère » (Jean XIX, 25).
Marie regarde et suit tout pour tout recevoir. C'est un des sens des mots « près de la croix ». Et c'est une des
raisons de cette position que l'attention chrétienne a justement notée : debout et tout près. Elle ne doit pas perdre un
mouvement ni une douleur; elle ne reproduirait pas complètement.
Elle est habituée à ce regard soutenu qui jamais ne se détourne ni ne fléchit ; ce regard a été sa vie. Elle eut
cesse de vivre s'il eut cessé. Il a été fixé par l'Immaculée Conception ; l'Ange l'a saluée quand il m'a nommée « pleine de
grâce »; la tendresse maternelle en a accru sans cesse la fixité intense ; la Passion, le désir de compatir... et de compatir
pour garder, prolonger, transmettre, faire revivre, fonder une nouvelle famille, donner des frères à Jesus et des fils à son
Père, lui font à cette heure quelle chose que nul mot ne peut exprimer.
Pour Marie, à cette heure, le divin rayon, à travers ce supplice, cette croix, cet abandon si complet, est un rayon
direct, la lumière est éclatante, c'est la Lumière même...
Le (divin) objet est dépouillé : il ne Lui reste plus qu'elle, qui n'est pas obstacle, certes, et que d'ailleurs Il se
prépare à donner. Plus rien de créé ; le créé jusque-là ne l'a jamais occupé, mais enveloppé. Lui aussi, pour nous,
touchait du pied le sol et vivait notre vie, comme elle le fera encore, toujours pour nous, pendant quelques années.
Maintenant, c'est l'heure du passage, du retour. Il se sépare, il se distingue de tout ce qui est ténèbres ; Il s’élève au-
dessus ; Il est en pleine clarté ; Il s'y fixe; la croix l'y soutient, la croix longtemps obscure et désormais resplendissante
de Lui pour tous les siècles.
C'est en face de cette clarté, de ce resplendissement que Marie se tient, « près de la croix ». C'est cela qu'elle
veut reproduire parfaitement et nous montrer et enfanter en nous, c'est la Lumière qui éclaire la vie et vivifie tout et tous
: « Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres mais il aura la lumière qui est vie » (Jean VIII, 12)
Marie regarde (cette lumière), s'en emplit ; elle n'est plus que miroir pour la refléter, comme Jesus pour refléter
son Père, clarté-reflet, la clarté des temps où le Soleil de justice illumine de loin et de biais, à travers les immenses
espaces de la foi qui est nuit obscure.
En se faisant reflet, elle achève d'enfanter, d’être mère. Aussi saint Jean, qui a tout suivi, tout compris, tout
voulu, tout vécu, tient à rappeler son titre :
« près de la croix de Jesus se tenait Marie, sa mère. » C'est la dernière fois ; sans se détourner de Lui, pour le
montrer, elle devient la « mère des hommes. »
« Elle se tenait. » Saint Jean use beaucoup de l'imparfait, le temps imprécis qui déborde du temps successif
dans la durée éternelle et semble participer des deux. Les savants me donneront de ce fait des raisons savantes. J'aime
mieux et les raisons simples et contemplatives qui seules sont à la hauteur d'une âme comme saint Jean.
« Elle se tenait », elle restait là, longtemps ; elle prolongeait, elle soutenait ce regard et ce regard la soutenait.
Elle n'avait pas d'autre soutien, et il suffisait pendant les heures longues et cruelles. Etaient-elles vraiment longues et
cruelles, ces heures ? Oui, indiciblement ; et pourtant douces et brèves à la fois, car elle était unie.
Étrange mystère auquel je me heurte à chaque instant, quand je me place moi-même en face d'eux : des
souffrances sans nom, une joie plus profonde encore !
Jamais leur union n'a été plus complète et profonde, et intimement douce. Elle est la résultante de tant de
choses, de tant d'actes et de tant d'heures d'amour ! J'ose a peine y penser.
Je vois se lever devant ma pensée ces années qui ont précédé l’Incarnation... puis les années qui ont suivi le
temps de gestation ou Il est vraiment à elle seule. Saint Joseph même – oui, saint Joseph même – ne soupçonne pas la
céleste présence. Puis les trente-trois années de l'existence terrestre. Tout a tendu là, à ce « stabat » pour elle et à cette
croix pour Jesus...

21
Une communion s'est constituée entre eux, laquelle ne veut pas cesser, doit se poursuivre, doit être féconde, et
que la séparation extérieure ne peut pas menacer, et c'est cette communion que Jésus consomme avant de mourir.
C'est le sommet de leur vie commune ici-bas. Ils l'ont gravi lentement ensemble... lentement, c'est à dire au pas
de Dieu qui n'est ni lent ni rapide, mais juste. Et maintenant encore, immobiles l'un et l'autre, Lui fixé sur sa croix, elle à
son Crucifié, ils sont dans le mouvement, ils redisent leur « Fiat » commun qui a accordé leurs âmes au long de leurs
jours.
« Elle se tenait » là, debout et unie, debout parce qu'unie, toute droite dans le vouloir divin qui est la rectitude
infinie, forte de sa force.
Je ne puis rien ajouter : je sens tellement que toute son âme est là, dans ce vouloir qui les lie ensemble et à leur
Principe... et que tout est là !

22
« Voila votre fils »

Jean lui-même s'est enfui au moment de l'arrestation : « L'ayant abandonné, tous prirent la fuite » (Math.
XXVI, 56 et Marc XIV, 50). II ne faut pas exagérer le caractère de cette fuite. C'est une faiblesse, mais permise,
indiquée et aidée par le divin Maitre. Il a dit : « Prenez-moi, mais ceux-ci laissez-les aller » (Jean XVIII, 8). Ils s'en sont
allés parce qu'Il l'a dit.
Jean, il me semble, est allé trouver la Vierge. Ses rapports avec elle devaient avoir depuis longtemps un
caractère particulier, depuis qu'il avait connu Jesus. II avait aimé la mère dans le Fils, comme le Fils, et il avait été aimé
d'elle de la même tendresse. Au moment de l'arrestation, il dut la rejoindre, et probablement tous les autres.
La Vierge et les saintes femmes n’étaient pas à la Cène, dans la salle du repas pascal. Mais n’étaient-elles pas
dans une salle voisine ? Quoiqu'il en soit, je me représente Jean accourant en hâte, arrivant le premier, comme au
sépulcre, et jetant les mots qui disent l'arrestation du Sauveur.
Je me le représente, mais n'ose me représenter celle que frappe la nouvelle. Marie est la mer immense devant
laquelle nos sensibilités diverses peuvent, sans s'écarter de la vérité, voir ce qui leur convient. La surface – comme celle
de la mer – a pu s'agiter, se soulever en tempête. Pourquoi pas, si cette tempête était dans le divin vouloir et librement,
amoureusement accueillie par elle ? La force n'est pas dans l’impassibilité ni dans une attitude quelle qu'elle soit : elle
est dans la soumission à l'Amour.
Marie et Jean se sont hâtés, lui la soutenant et jouant déjà le rôle de fils qui lui sera confié officiellement dans
quelques heures. Où le martyre de la rencontre a-t-il commencé ?
Je n'aime pas voir Jean dans le disciple connu du Grand-prêtre, qui introduisit saint Pierre dans le palais au
cours de la nuit... Ce n'est pas son nom : lui, il s’appelle le « disciple que Jésus aimait » (Jean XIII, 23 ; XX, 2 ; XXI, 7
et 20)...
Au pied de la croix – cette fois les textes sont clairs : Marie et Jean sont la :
« Jesus, ayant vu sa mère et auprès d'elle le disciple qu'Il aimait... » (Jean XIX, 26). Le regard de Jesus les
rencontre, rencontre leurs regards. Et la scène a lieu, la scène simple, mais si grande et décisive pour eux comme pour
nous.
Jesus la préside. Il domine le groupe, comme Il domine toute chose à ce moment-là. Il est si grand : « Quand je
serai élevé de terre » (Jean XII, 32), quand je serai au-dessus de tout terrestre, a-t-il annoncé Lui-même. « C'est
pourquoi Dieu l'a élevé et lui a donné un nom au-dessus de tout nom » (Phil. II, 9). De ce sommet Il parle, et sa parole,
comme toujours, est un acte ; elle fait ce qu'Il dit, comme toute parole du Verbe.
Il dit à sa mère : « Femme, voilà votre fils. » A cette heure, nu et dépouillé de tout, fixé à la croix qui le tenait
mais qu'Il ne possédait pas, Il n'avait plus que sa mère au monde et son Père au ciel. Il voulut, dans toute la mesure du
possible, les abandonner. Il nous donna sa mère ; et, ne pouvant se séparer de son Père, par amour pour nous Il voulut
du moins ressentir cette séparation impossible : « Mon Père, mon Père, pourquoi m'avez-vous abandonné ? » (Math.
XXVII, 46 ; Marc XV, 34).
Nous n'allons plus au fond des mots de Jésus ; je parle du fond auquel nous pouvons atteindre, un fond que
j'appellerais humain, car ces mots ont un fond divin qui est sans fond. En les regardant longuement, comme faisaient les
âmes tranquilles des siècles passés, nous y découvririons des richesses et des profondeurs inouïes.
Cette femme qui est la sous ses yeux – « ayant vu » – à ses pieds, tout près de Lui, Il l'a toute faite, elle est son
œuvre et c'est la plus belle. Le monde entier est de Lui : « A sa parole les choses ont été faites » (Ps. CXLVIII, 5). Il est
la Parole qui a tout fait. Mais il y a un ordre et des intentions ordonnées en toute son œuvre. Cette femme est la
première et la plus aimée de toutes ses intentions.
Il la veut avant tout et, dans sa vie qu'Il règle en tous ses détails, Il voit et veut en premier lieu cette heure où Il
la consommera. Car elle, comme Lui, n'est pas achevée encore. Il y a en eux un prolongement qui doit commencer à la
Croix. L'heure est venue de faire en elle cette œuvre dernière qui doit couronner toutes les œuvres.
Marie va reprendre au long des siècles la conception spirituelle qui avait été celle de la première partie de sa
vie. Elle redevient donc pour Lui la femme dans laquelle et par laquelle Il naitra en nous. La conception corporelle
préparait celle-là, définitive et pour laquelle le Verbe a fait sa mère elle-même. Marie est vraiment là au sommet de sa
vie et de son rôle, à ce sommet d'où on repart, non pour aller plus haut, mais pour fonder sur place l'œuvre d'une
existence.
« Femme, voilà votre fils. Il est le disciple que j'aime, il n'a pas d'autre nom que celui-là, sa physionomie est
d’être aimé, il représente tous ceux que j'aime. »
Un autre peut aimer davantage, c’est un autre aspect de la question, Peut-être qu'un autre pourrait être aimé
davantage, car l'amour qu'on donne à Dieu répond à l'amour qu'on reçoit de Lui. Mais il ne s'agit pas du degré d'amour
ni actif ni passif, il s'agit de représentation. Saint Jean au pied de la croix représente ceux que Jesus aime ; il est le
disciple aimé et tous ceux que Jesus aime sont en lui. Ce que Jesus fait pour lui, Il le fera pour « les siens » jusqu'à la fin
des temps.
Jusqu'à la fin des temps les disciples de Jesus, et plus spécialement les natures intimes, intérieures,
contemplatives, les êtres de tendresse, de sensibilité concentrée , auront avec Marie ces relations de fils à mère. Le
Maitre leur communiquera par elle son esprit. Il le leur communiquera au pied de la croix. Ils s'y trouveront sans avoir,
plus à lutter ni à souffrir que d'autres. Ils y seront par un concours de circonstances très particulières ; ils s'y tiendront
avec aisance...

23
« voilà votre mère »

La doctrine de la maternité spirituelle de Marie est absolument claire quand on l’étudie au pied de la croix. Elle
s'impose, autant qu’une manière de faire peut s'imposer à Dieu. Elle convient en ce lieu à l'Amour infini et à ses
réalisations finies.
La Compassion se rattache intimement, comme la Passion elle-même, à la prière sacerdotale. Jesus en croix,
entre ciel et terre, déjà détaché de celle-ci et levé vers le ciel, en chemin vers son Père, mais tout près de ce qu'Il quitte,
en cette position intermédiaire de Médiateur, fait le pont entre les deux mondes que la faute a divisés et que Lui est venu
réunir. Il se consomme en faisant cette union. En Lui elle est parfaite.
Il la communique à sa mère pour qu'elle la réalise dans les hommes devenus ses enfants. Le rôle de Marie
s’étend jusqu'où s’étend Jesus, s'exerce où s'exerce et quand s'exerce le rôle de Rédempteur. Notre-Seigneur se donne et
nous arrive par Marie. Entre Lui et nous elle est toujours là : tel est le plan divin. Ce qui est dans l'un doit donc retentir
dans l'autre avant de retentir en nous et pour y retentir...
Une nouvelle vie commence pour Lui, donc un nouvel enfantement pour elle. Ce qu'il faut voir au Calvaire,
c’est cette nouvelle vie et cette nouvelle mère des vivants.
Marie offre Jesus et s'offre avec Lui au Père, car toute sa vie est la avec Jesus sur la croix, sa chair qu'Il a reçue
d'elle et son âme... Cette présence de Marie à la Passion est voulue de Dieu, elle a un sens et un but. Marie ne nous est
pas signalée au pied de la croix sans une raison spéciale qu'il est bon de rechercher.
Elle est là comme mère. L’idée de maternité domine la scène où Jesus la donne à Jean.
« Il y avait là Marie sa mere », dit le doux Evangeliste, devenu fils de Marie et à ce titre nouveau, frère de
Jésus. Puis, le divin Fils regarde cette mère et dit à Jean :
« voilà votre mère » (Jean XIX, 25 et 27).
Le rôle de Marie en cette circonstance ne peut être plus nettement marqué. Jesus, à cette même heure, achève
de nous engendrer. Marie assiste à cet acte de génération. Elle y assiste comme mère : une mère qui perd un fils pour en
avoir un autre. La substitution d'ailleurs n'est qu’extérieure et apparente, comme la perte elle-même. Marie ne perd rien,
n'acquiert rien : elle continue.
Une unité profonde lie toutes ces existences et toutes les circonstances qui en font la trame. La mort de Jesus,
si décisive soit-elle, ne doit pas être isolée de ce qui précède ou de ce qui suit...
Marie va se prêter de nouveau à l'action de l'Esprit de Vie. L'Esprit de Vie n'est pas seulement I'Esprit du Verbe
qui au commencement était dans le Principe. C'est l'Esprit du Verbe fait chair, c'est l'Esprit qui a lentement élaboré la
chair de Marie pour en faire la chair du Verbe. C'est l'Esprit de son Fils. L'amour, l'immense amour qui l'a envahie au
jour de l'Annonciation et s'est emparé de sa chair... après avoir accompli son œuvre dans cette chair, s'empare (de Marie)
pour qu'elle enfante dans les âmes.
Voilà pourquoi elle redevient la femme : « Femme, voilà votre fils. » Elle commence là un rôle de femme
qu'elle n'avait pas joué encore : elle commence d'enfanter des vivants dont la vie sera la vie de cet Esprit, l'Esprit du
Verbe fait chair...
Son rôle ne change pas, il s’étend... Une nouvelle génération part de là, embrasse tous ceux qui ont cru ou qui
croiront. D'innombrables fils lui sont donnés : Elle les a reçus en recevant saint Jean. Et saint Jean lui-même les a reçus
pour jouer à leur égard un rôle spécial qui n'est pas assez connu.
C'est en elle, dans son sein spirituel, dans son amour de mère, qu'ils trouveront jésus et qu'ils se feront fils à son
image et à sa ressemblance. La nouvelle création se fera là. Le dessein divin est clair, absolument clair : « Femme, voilà
votre fils » ; cette parole a fait sur le champ à Marie le sein immense où tous nous avons place. Son effet a été immédiat,
total.
Nulle résistance à l'Esprit d'Amour qui lui a été communiqué. Elle a redit intérieurement la parole de sa vie :
« Fiat, qu'il me soit fait selon votre parole. » Et cela a été fait Elle est devenue la mère de tous ceux auxquels Jesus
communiquera son Esprit d'Amour. Elle a reçu cet Esprit d'Amour d'une façon spéciale à ce moment par cette parole,
dans ce but. Elle sera présente le jour de la Pentecôte pour le recevoir comme membre de l'Eglise. A la Croix elle le
reçoit comme mère...
Jesus est là pour qu'on connaisse cet Amour, pour révéler cet Esprit qui l'anime, qui a animé toute sa vie
terrestre : « Afin que le monde sache que j'aime mon Père et que j'agis selon son commandement » (Jean XIV, 31).
Marie debout, calme et brisée, calme pour accueillir en plein cet Esprit, brisée pour que nul être propre ne fasse
obstacle, voit cet Amour, s'en imprègne, s'en pénètre, est prise, emportée hors d’elle-même par ce souffle et devient
foyer d'amour à son tour, foyer qui reçoit tout pour le répandre sur tous...

24
Les portes de l'Esprit

L'Evangile ne dit que les faits. II me laisse le soin de pénétrer les âmes et surtout l'âme, grande comme la mer,
de celle à laquelle le Christ m'a donné au pied de la croix.
Désormais je suis plus officiellement dans sa pensée, elle a charge de moi, elle doit m'aimer comme elle aime
Jesus... Même en ce premier samedi, qui est encore le sabbat juif, où son souvenir est néanmoins absorbé par les faits de
la veille, je suis là.
Elle est femme, elle est mère, elle est sensible à l’extrême, sa douleur est immense, tout son être est endolori ;
mais elle domine, elle se tient debout, haute et forte au-dessus des pensées et des sentiments qui s'agitent en elle, unie à
Celui qui est descendu aux limbes pour les siens de l'ancienne Loi, unie à nous, les siens des temps futurs qui doivent
Le reproduire.
Pour elle, Jesus est « la Résurrection et la Vie ». Et elle a mission de répandre cette Vie. La mort à laquelle elle
a assisté, elle la voit dans la lumière de cette Vie : « Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col
III, 3). Jésus est un mort, mais sa mort ne Lui a pas ôté la vie ; Il est devenu, en mourant, vivant d'une vie nouvelle...
C'est à cette vie que Jésus a songé quand il a regardé Marie et Jean du haut de la croix.
« Jésus ayant vu sa mère et le disciple qu'Il aimait. »
Comme ils sont grands tous les trois, dégagés de tout ce qui les entoure... et les brise ! Quel par-delà le temps,
les hommes et les choses ! Quelles âmes immenses où tout retentit, où tout est assimilé, transformé et vivifié... même la
mort !
Le principe qui les anime, L'Esprit qui emplit Jésus et de Jésus s'écoule en plein dans les deux autres, s'empare
de tout, se communique à tout. La douleur, la mort, la croix, les horribles choses qu'il a fallu voir et endurer, tout à son
contact s'illumine, est changé en joie et en vie.
En Lui, Marie voit tout et vit tout. La mort de son divin Fils l'a ensevelie avec Lui en ces profondeurs où tout
se retrouve... mais renouvelé. Et elle-même, qui pourtant n'a vécu que de cet Esprit, en est toute renouvelée... car en Lui
tout est nouveau. Il est la Vie même, toujours ancienne et toujours nouvelle, la Vie où tout est lié, continu et en
mouvement, où le passé et l'avenir se rencontrent, s'unissent et se fondent dans le présent.
C'est précisément ce qu'accomplit en ce moment aux limbes son Fils : Il arrache à un passé, à un passé de mort,
ceux qui dans l'ancienne Alliance ont su regarder la Vie et, en la regardant, entrer en elle. Ils avaient la Vie parce qu'ils
avaient foi en elle ; un voile les en séparait, ils ne la possédaient pas.
La mort a dechiré ce voile, ou plus exactement la mort était ce voile et elle s'est déchirée en s'attaquant à la Vie.
La Vie s'est échappée à travers le tissu humain dont elle s’était revêtue, et elle a volé vers ceux qui l'attendaient, et elle
vole vers ceux que nous voyons nous dans l'avenir, mais qui pour elle sont du « présent ».
Marie suit ce vol, elle accompagne la Vie partout ; elle prend part à son action. Son âme est là, sans se dérober
au présent et à ce qui l'entoure, toute à la cruelle réalité du deuil affreux, toute à la réalité splendide et douce de la Vie
qui se communique, de sa maternité qui se réalise et se prépare. « voilà votre mère. »
Jesus la présente certainement à ses enfants du passé, qu'elle a enfantés eux aussi et qu'Il lui amène. Ils
l'entrevoyaient dans Celui que leur cœur désirait et saluait à l'avance ; elle disparaissait dans sa clarté, elle se fondait en
Lui ; Il était le Soleil, elle n’était que l'aurore... mais elle était là, aimée, désirée avec Lui...
Ils se retrouvaient maintenant en Lui, ils se consommaient de plus en plus dans l'unité de son Esprit, libéré par
la mort de la croix. Comme la croix devient belle et féconde en cette lumière ! Elle est une libératrice : elle ouvre les
Portes de l'Esprit...

25
Le parcours dans la foi

Jesus veut l'union ; Il ne peut pas ne pas la vouloir, car Il est l'Amour. Ceux qu'Il aime doivent être là où Il est.
Quand Il est en croix, ils doivent souffrir avec Lui ; quand son cœur est percé d'un glaive, la pointe doit s'enfoncer au
cœur des siens. On ne peut être « sien » qu'a cette condition. Il ne peut se passer d'eux sous le pressoir parce qu'Il ne
veut pas être sans eux dans le triomphe et le bonheur.
Il passera sa vie sous la menace, l'annonce claire et précise du glaive, et cette menace sera une souffrance qui
ne lui laissera pas de trêve. Nous ne comprenons pas cette continuité. Heureusement, ou malheureusement, nous avons
des heures innombrables d'inconscience ; le mal est là mais nous ne le sentons plus, le mal moral surtout. D'autres
pensées ou d'autres sentiments le remplacent ou le relèguent dans l'ombre.
Jésus a vécu dans le sentiment constamment présent et vif de la prédiction de Simeon, dans l'impression de la
grande souffrance qui l'attend ; Il a vécu sans arrêt cette souffrance en son cœur et Il l'a fait participer à Marie : « Quant
à vous-même, un glaive transpercera votre âme » (Luc II, 35).
Ils ne font qu'un pendant trente-trois ans sous la pointe du glaive. Tous deux ensemble sont frappés
constamment et tous deux souffrent mais tous deux voient. La Lumière illumine cette souffrance, la traverse, en montre
le par-delà, et ce par-delà c'est la joie et l'union car c'est l'amour.
La souffrance est un chemin qui débouche sur le bonheur. En route on ne voit rien quel la souffrance ; elle fait
ombre de tous côtés. A peine, à travers le mouvement des branches noires qui bordent le chemin, quand un coup de vent
les agite ou quand la lumière est très vive, à peine devine-t-on que le grand soleil illumine toutes choses et qu'on le
trouvera au bout du Parcours.
Jésus a voulu cela pour Lui et sa mère, et après eux pour tous ceux qui voudront venir à leur suite. Il a voulu le
parcours, Il a voulu la foi qui soutient en le faisant, Il a voulu le terme qui paye l'effort et réconforte dans la route.

26
GLOIRE

Le sommet des choses

« Je procède du Très-Haut avant toute créature » (Eccli. XXIV, 5).


C'est le premier trait de la fille première-née : elle précède, elle sort de Lui, elle s'avance hors de Lui. Il est son
Principe, sa Source ; elle reçoit tout de Lui.
Il convient que son cantique commence par cette louange. La seule vraie louange est celle qui remonte au
Principe d'où elle part. Elle ne vaut que par Lui, elle n'est que par Lui, elle ne le loue que si elle l'exprime ; elle ne
l'exprime que si elle est la secrète parole qu'Il prononce au cœur. Dieu seul est, Dieu seul agit, Dieu seul parle, Dieu seul
peut louer Dieu.
Marie sait cela mieux que qui que ce soit : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit exulte en Dieu, mon
salut » (Luc I, 46). Tout en elle procède de cette source sise au sommet de son être où puise son esprit. Elle bondit sans
cesse par ce tressaillement intime jusqu'au divin foyer... et la louange de tout son être en jaillit, celle de son âme et celle
de son esprit.
A première vue, on est étourdi par les textes sacrés que l'Eglise met sur les lèvres de la Vierge:
« Je suis sortie de la bouche du Très-Haut avant toute créature...
« Avant tous les siècles, dès le commencement il m'a créée
Et jusqu'en l'Éternité je ne cesserai d’être,
Il m'a fait reposer dans la cite bien-aimée,
Et dans Jerusalem est le siège de mon empire.
J'ai poussé mes racines dans le peuple glorifié,
Dans la portion du Seigneur, dans son héritage » (Eccli. XXIV, 5 suiv. - Vulgate).
Dans cette page, inspirée par l'Esprit de Lumière et d'Amour, il n'y a pas seulement une effusion lyrique qui se
répand sans peine, sûre de ne pas rejoindre en ses comparaisons la beauté riche et variée qui la ravit. Il faut voir aussi, il
faut voir surtout, la pensée précise et doctrinale qui découvre dans Marie le résumé et le sommet de la création.
C'est là sa place dans l'œuvre divine, dans le monde de la nature et dans le monde de la grâce : elle est la fille
première-née du Très-Haut, et elle est la mère de tous les enfants de Dieu ; elle est la première de ses créatures, elle est
comme un principe à leur égard : elle est médiatrice. Elle est grande de ce rôle et elle est grande pour le tenir.
Dans les œuvres de Dieu il y a un ordre. Dieu est l'Ordre infini et sa beauté en découle... Il y a des êtres plus
grands que d'autres ; il y en a de plus parfaits et de plus beaux. Chacun a sa grandeur propre, sa perfection et sa beauté
propres. C'est en acceptant cette place, en s'y tenant et en s'y développant, en y réalisant le plan de l'Ordonnateur infini,
que chacun réalise toute sa destinée et atteint sa fin.
Marie dans l'ensemble créé, occupe, après son divin Fils, la première place. Elle est la première vue et la
première voulue ; elle est le sommet des choses ; quand Dieu les fait, Il pense à elle...
Marie est au centre des choses avec Celui qui l'a enfantée la première, pour qu'elle collabore à ses œuvres. Elle
dit déjà : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole », je suis à votre service, faites en moi
cette parole de vous, expression de votre amour, don, communication de votre être à ce qui n'est pas.
Dieu la voit là, à ce centre de l'univers ; Il la veut, Il la fait ; elle tient sa place et joue son rôle : elle est mère.
Elle enfante Celui qui est le Fils unique du Père, le Verbe éternel, l'Image parfaite et l'expression idéale du Père... Et elle
enfante en Lui tous ceux qui ne « feront qu'un » avec Lui.
Elle est la cité sainte où le Roi du ciel a son palais, où tous ses sujets sont ses enfants, car le lien qui les unit est
le sang du cœur, l'amour dans lequel tous ne font qu'un.

27
Sur les pas de la « fille du Prince »

La fille du Roi, je la connais... ou mieux je la reconnais ; c'est elle que je poursuis à travers toutes ces
recherches de mon esprit que mon cœur aiguillonne :
« Qu'ils sont beaux, fille du Prince, les pas légers de tes sandales ! » (Cant. VII, 1).
Je ne m’étais pas encore arrêté devant ce titre et cette grandeur. Elle en a tant ! Et ils sont loin de traduire toutes
les richesses de sa beauté.
Elle est de sang royal. Les rois de la terre et le Roi du ciel se sont unis pour lui donner naissance. Ses ancêtres
terrestres ne régnaient que sur un sol étroit et un peuple restreint; mais une lumière spéciale brillait sur leur front, faisait
de ce sol une terre sainte et de ce peuple le peuple élu. Elle est leur héritière, elle est le terme de leur histoire. Ils n'ont
été que pour elle et pour Celui qui naitra d'elle et ne fait qu'un avec elle.
Elle recueille tous les rayons de leur gloire, et ils brillent en elle d'un éclat ramassé et nouveau qui les
transforme et les fait passer d'un plan à un autre, du plan des hommes au plan de Dieu. Voilà pourquoi les regards des
hommes ne les voient plus. Les hommes s’arrêtent à la surface. Pour eux, elle est la jeune nazaréenne, pauvre, qu'on
repousse ou néglige. Mais cela même la fait plus grande. L'attention qu'on nous prête ne fait pas couler un sang diffèrent
dans nos veines ; l'attention dont on nous entoure menace, en nous dissipant, cette grandeur qui a sa source en Dieu et
ne peut s'achever qu'en Lui. Seule, oubliée dans sa pauvreté et le silence de cette bourgade méprisée, de cette maison
qu'on ne regarde pas, la Vierge offre à Dieu, qui lui a donné ce sang, la noblesse dont il s'est chargé au cours des siècles.
Nul intermédiaire entre Dieu et elle, rien ne la distrait et ne gêne leurs rapports : elle est toute tournée vers Lui,
toute limpide et transparente ; dans le miroir de son âme les traits divins apparaissent, brillent d'un éclat sans mélange,
nulle tache, nulle ombre ; elle les reflète seuls ; elle est toute à son image et à sa ressemblance.
La vie divine coule à pleins bords... et cette noblesse s'ajoute à la première, l'amplifie, la surélève, donne à
cette jeune fille une grandeur vraiment sans mesure et sans nom. Elle est bien « fille de prince », qui enfantera « le
Prince » par excellence, le Roi des rois...
Elle s'avance sur notre terre avec cette démarche très spéciale des êtres de race. Sa double origine, sa double
race est marquée dans tout ce qu'elle fait :
« Que vos pas sont beaux ! »
Ses actes sont tous des pas, des mouvements qui la font avancer. Elle ne fait pas du « sur place », du stérile, du
vain; tout est efficace, fécond, tout est plénitude. Et c'est pourquoi on la voit si calme. Le trait le plus profond et
caractéristique de cette belle démarche est, j'imagine, ce calme qui se traduit en aisance noble et en simplicité mesurée.
Tout dans son agir est ordonné.
« Qu'ils sont beaux, vos pas ! » Cet ordre parfait et qui produit en elle la perfection vient du dedans, c'est le
reflet de son âme, elle-même reflet de l'Ordre infini... La beauté de ces pas, de cette démarche royale, est achevée : la
Beauté infinie la règle, la dirige, la commande, l'anime : « Il m'a établie dans l'amour » (Cant. II, 4). Cette beauté et la
plénitude de sa remise à l'action transformante de l'amour, toute la Vierge est là.
« Faites, dit-elle sans fin, faites selon votre parole. Faites l'Incarnation, faites la conception et la naissance de
cette Parole, faites sa mort en croix et mon martyre qui la prolonge en tout mon être accorde, faites les longues années
d'exil ou je porte le Christ une seconde fois en mon sein pour l'enfanter en ceux qu'Il appelle « les siens » et qui doivent
devenir les miens, puisqu'ils sont les siens. Faites l'œuvre de médiation universelle au long des siècles : me voici, je
marche, je garde l'allure qui a soulevé et soulèvera toujours l'admiration :
« Qu'ils sont beaux, vos pas ! »
C'est elle que l'Ange a chantée : « Je vous salue – vous êtes pleine de grâce » ; et que j'ai chantée moi-même en
la reliant, comme lui, à la Source d'infinie beauté : « Mon âme glorifie le Seigneur... Il a fait en moi de grandes choses,
Celui qui est puissant (Luc I, 46 et 49). Je dis la grandeur de mon Seigneur en montrant en moi les grandes choses qu'Il
a faites. C'est sa beauté que je reproduis, je ne suis qu'image, ce qu'on voit, ce sont ses traits. »
On les voit dans des mouvements humains : « Dans vos sandales. »
Ses pieds sont nos pieds, sa vie est notre vie ; elle est de notre race : Dieu l'a annoncée, dès l'aurore du monde,
dès l'aurore où l'ennemi a attaqué cette image et l'a déformée. Il l'a annoncée à cet ennemi et Il a même précisé cette
allure : « Quelqu'un de cette race (déchue) t’écrasera la tête » (Gen. III, 15). L'ennemi rampe sur le ventre ; elle est
debout, la tête levée vers le ciel, toute tournée vers Celui qui se donne à elle pour qu'elle se donne à Lui.
Voilà sa victoire et voilà sa beauté, qui écrase la tête du reptile : il est la haine, elle est toute à l'Amour; elle
n’écrase pas la tête du serpent en marchant sur elle, mais en se tenant debout et en regardant l'Amour. Elle écrase la tête
du démon en ne le regardant pas, en ne tenant aucun compte de lui, en concentrant toute son attention sur Celui qui
aime, pour faire ce qu'Il fait. Même ses chaussures qui foulent l'ennemi participent à ce mouvement.
Par ses chaussures – « dans vos sandales » – elle touche à la terre mais elle n'y rampe pas. La Vierge a pris
cette terre ; elle est de notre nature, elle a un corps, la matière enveloppe son esprit, mais la matière ne l'emprisonne pas,
elle lui sert d’intermédiaire. Par cette matière, Marie est en contact avec ce monde inférieur dans lequel son Fils s'est
incarné. Elle ne veut pas en être séparée ; son idéal n'est pas de n’être plus de ce monde et de cette terre mais, au
contraire, de s'y unir le plus étroitement possible pour y rejoindre l'esprit.
L'esprit qui est dans ce monde d'en bas, c'est l'Esprit d'en haut ; Il s'est communiqué à l'abime pour que l'abime
chante la gloire divine. Pas une voix ne doit manquer au concert. Oh ! comme les grandes âmes de l'Ancien Testament
comprenaient cela !

28
Noé sur les eaux du déluge, les eaux déchaînées et maitresses qu'il maitrise et domine, auxquelles il arrache
l'œuvre de distinction qui est proprement l'œuvre de l'Esprit.
Abraham, Isaac, Jacob, errant dans le monde avec leurs troupeaux ; Moise et les Juges cantonnés dans une terre
plus restreinte mais qui font le pont entre l'univers et Dieu.
David, les Prophètes, dans leurs cantiques et par toute leur âme si mêlée aux choses, à toute la création.
Tous sont les interprètes de l'Esprit, le rejoignent dans le monde, le dégagent et unissent cette note, que la
matière ne diminue pas mais enrichit, à la note raisonnable qui monte de leurs âmes. La terre est le marchepied de Dieu.
La nature corporelle nous est donnée pour reconnaitre et adorer ce vestige de ses pas.
Jesus et Marie la traverseront pour nous montrer comment on la foule et on la reprend à L'Esprit du mal. C'est
cette démarche que nous chantons dans la fille du Roi.
Elle est belle, ses pas sont beaux, tout son vêtement est éclatant et nuancé (Ps. XLIV), et ses chaussures, qui
touchent le sol pour le sanctifier, participent à la splendeur et à la noble élégance de L'Esprit qui anime tous ses
mouvements :
« Qu'ils sont beaux, fille du Prince, les pas légers de vos sandales ! »

29
Assomption

Le mystère de l'Assomption de la Vierge, comme d'ailleurs tous – ou à peu près tous – les mystères célébrés
dans nos solennités chrétiennes, présente ce double aspect : un aspect extérieur et un aspect intérieur.
L'aspect extérieur , c'est d'abord le trépas de la Vierge, cet instant qui put être très simple en soi mais ne peut
pas ne pas être très grand pour nous : pour se conformer à son divin Fils et pour partager, autant que possible, le sort de
ses enfants adoptifs, elle se soumit à la loi de la mort, qui cependant n’était pas faite pour elle, et elle connut la
séparation de son âme d'avec son corps. C'est ensuite, et plus proprement, la réunion de ce corps et de cette âme et le
glorieux enlèvement au ciel...
Ces scènes sont incontestablement très belles, très bienfaisantes à méditer. La piété des fidèles s'est plu à les
embellir de traditions que saint Jean Damascène n'a pas hésité à fixer par écrit et que l'Eglise a adoptées dans ses
Offices. Nous pouvons donc à notre tour nourrir nos méditations, en enrichir notre tendresse filiale dans toute la mesure
où la grâce nous y attire, car tout ce qui resserre nos rapports avec notre mère du ciel et tout ce qui établit entre elle et
nous ce contact intime et vivant, pièce nécessaire de toute vie spirituelle vraie, tout cela est bon, très bon.
Nous avons tendance à reléguer dans l’irréel tout ce qui nous dépasse. Des qu'une réalité déborde notre esprit,
ou bien nous la nions, ou nous vivons pratiquement à son égard comme si elle n'existait pas. Ce n'est pas seulement une
inintelligence, c’est une perte pratique immense. Nos relations avec ce monde de là-haut, avec toute cette famille
céleste, qui constitue notre vraie vie des ici-bas, et en prépare l’épanouissement plein, emprunteraient à une foi vive une
douceur et une force qui seraient le trésor de la terre.
Il faudrait s'arracher – ou mieux se laisser arracher par l'Esprit d'Amour – à la mouvante et insignifiante
bagatelle qui nous tient. Peu d’âmes ont assez de courage pour le faire, et Dieu, qui exige ce courage, se contente de ce
petit nombre : « Quand le Fils de l'Homme reviendra sur la terre, trouvera-t-il encore de la foi » (Luc XVIII, 8).
Le mystère de l'Assomption a un autre aspect, un aspect plus voilé parce qu'il est plus intérieur, et non moins
réel cependant : c'est le mouvement d'amour qui, l'heure venue, tira l'âme (de la Vierge) hors de son corps, puis l'y
ramena pour pouvoir emporter ce corps avec elle dans la jouissance de Celui pour lequel ils avaient été faits et unis. Ce
mouvement, par un privilège unique, commença avec la vie même de Marie, avec sa Conception Immaculée...
L'aspect intérieur de l'Assomption, c'est ce don arrivé à son terme, c'est la somme de ces dons répétés, sans
cesse renouvelés, de ces lumières par lesquelles Dieu se communique et auxquels répond l’élan de sa charité qui
s'accroit.
Quelle fut cette somme ? Nous ne pouvons pas nous le représenter et moins encore l'exprimer. Les théologiens
cependant ont tenté des explications et des comparaisons ; elles ne disent pas la réalité inexprimable : elles aident
toutefois notre pensée impuissante à mieux entrevoir la grandeur et la beauté de celle sur laquelle il est bon de chercher
par amour à savoir tout ce qu'on peut savoir.
Ils notent d'abord que la grâce initiale de Marie, au moment de l'Immaculée Conception, dépasse la grâce des
plus grands saints au terme de leur vie. Dès ce premier instant, elle a sur Dieu des clartés plus hautes et un plus grand
amour pour Lui que le plus grand d'entre eux. Songez à saint Jean, au « disciple que Jesus aimait », après la Passion,
après la Pentecôte, à la fin de sa longue vie, toute vouée à aimer et à se donner. Songez à sainte Marie-Madeleine... A
peine conçue, Marie connait mieux et aime davantage. Or, ajoutent les théologiens, cette grâce et cet amour se sont
développés sans arrêt...
Encore une fois, ces expressions sont trop insuffisantes; on n'exprime pas l'amour avec des chiffres, on
n'enferme pas la vie dans des formules d’arithmétique. Et puis, il faut songer à certaines heures où la communication
divine se fit plus intense, par exemple à l'heure de l'Incarnation, quand elle prononça son « fiat » et quand elle posséda,
vivant, dans son sein, Celui qui depuis toujours lui était tout ; ou quand elle déposa son premier baiser de mère sur le
front de son Dieu ; ou quand elle échangea avec Lui certain regard plus pénétrant et plus expressif, comme à la Croix ;
ou quand à la Pentecôte l'Esprit de son Fils lui fut communiqué en plénitude pour le bien de ses enfants adoptifs.
Souvent, au cours des journées de la vie privée et encore durant les années de la vie publique, et sur la croix,
Jesus et Marie se regardent. Les deux regards se croisent, les deux cœurs s'unissent, se fondent l'un dans l'autre.
Ce qui n’était que passager à Nazareth et sur la croix était au fond des cœurs. Le Seigneur était toujours là et
elle aussi. Le Seigneur regardait, elle aussi. Et depuis, au ciel, la rencontre des deux regards, des deux cœurs continue.
La même plénitude de grâce tourne vers le Seigneur, son Fils, son être tout entier, et le Seigneur tout entier est tourné
vers elle.
Et nous arrivons ainsi a ce sommet, à cet élan suprême de l'Assomption, où l'amour indéfiniment accru fit
éclater, Dieu le permettant enfin, les liens qui unissaient l'âme au corps et ensuite rétablit ces liens pour l’élever,
triomphante, en corps et en âme...
Et voilà l'explication profonde du grand mystère de l'Assomption de Marie : Marie a vu Dieu... Elle a vu, et
elle a été attirée, inévitablement attirée à Lui...
L'Assomption est le terme suprême, définitif de la plénitude de grâce.
C'est aussi le terme où nous sommes appelés, où nous tendons par chacun de nos jours et chacun de nos pas.
Mais nous devons conquérir ce que Dieu Lui à donné, nous devons nous reprendre à celui auquel le péché nous a livrés.

30
Unité

La vie de la Vierge a deux faces : l'une superficielle, qui reflète le mouvement superficiel des choses ; l'autre
profonde qui s'accorde au mouvement éternel de Dieu.
Elle se développe extérieurement comme une autre enfant de son âge : sa taille change, elle s'accorde aux
saisons, aux années qui passent, aux êtres changeants qui l'entourent, elle se fait toute semblable à la famille humaine
dont elle doit être la mère.
Sous ces changements extérieurs, une unité règne, son amour : son amour la livre toute aux desseins de Dieu
sur elle. Les changements sont voulus par elle dans cette lumière une et sous cet aspect qui ne change pas...
Ce fut toute sa vie en son fond radical et vrai. Les personnes, les choses avec lesquelles elle entrait en contact,
les évènements qui se produisaient, c'était la surface changeante et passagère : sous cette surface, sous la pauvreté de la
crèche , l'exil forcé en Égypte, les longues années d'humble travaux à Nazareth, le supplice même de la croix, elle vit la
même réalité profonde et unique : l'Amour qui se donne et l'appelle à se donner.
Nous nous efforçons, nous, d’échapper au mouvement et de nous tenir au-dessus. Mais ce sont deux
mouvements qui s'opposent ; nous sommes tirés en sens divers. En Marie, les deux mouvements s'accordent. Elle est
portée à Dieu par tout ce que Dieu fait en dehors de Lui et par tout ce que Dieu est et fait en Lui-même ; elle est portée à
Dieu par tout elle-même.
Il n'y a pas deux esprits en elle ; elle n'a pas à lutter pour faire triompher l'un contre l'autre ; elle n'est pas
divisée. Elle est pleinement et uniquement à Dieu. Elle n'a pas à se détacher pour s'attacher ; elle n'a pas à se virginiser.
La virginité, c'est elle-même, c'est le mouvement plein qui la Porte à Dieu, la fait « servante du Seigneur », et dire :
« Qu'il me soit fait selon votre verbe. » C'est le caractère très spécial de son union, et sa grandeur.
C'est la raison profonde de son Assomption qui relie le terme splendide à sa splendide aurore : elle est enlevée
de la terre parce qu'elle n'appartient pas à la terre, Elle n'est ici-bas que pour y mener notre existence passagère, porter
sa fleur et son fruit, donner Jesus, et s'envoler au ciel. Sa place est là.
Quand elle a parcouru le cycle, quand elle a fait ce que Jesus doit faire, quand elle a parcouru les étapes qu'Il a
dû parcourir, elle remonte en son pays. Son pays c'est Dieu... Son œuvre accomplie, qu'attendrait-elle en terre ? Le
jugement ? Elle n'a pas à être jugee. Une purification quelconque ? Elle est « toute belle »...
Marie et Jesus sont de la terre aussi vraiment et complètement qu'ils le peuvent. Ils sont conçus, ils naissent, ils
grandissent, ils meurent. Il est doux de penser qu'ils ont voulu mener notre vie, toute notre vie ; il est doux de les
retrouver sur tous nos chemins et sur toutes les étapes de nos chemins. Mais néanmoins ils se distinguent de nous, et il
le faut : ils sont du premier coup ce que nous devons devenir...
Un pas, un mot, un sourire, un sentiment, une pensée de Jesus, tout cela est divin, entièrement revêtu de la
divinité qui est Lui, et lui appartient, et lui emprunte une valeur sans prix.
Marie n'en est pas là évidemment. Entre elle et son Fils, il y a un abime. Elle est la première après Lui, mais à
une distance énorme de Lui ; à une distance que nous ne comprendrons jamais, qu'elle-même n'a pas comprise, mais
devinée et indiciblement aimée. Dieu est en elle, elle le sait, elle y pense, elle s'unit, elle se presse contre Lui... mais elle
n'est pas une Personne divine.
Cependant, le Dieu qu'elle aime, dont elle est la servante, est le Maitre de sa vie, la mène toute, Il est le moteur
unique ; tout part de Lui, tout y revient. Ce quelle est, elle le Lui emprunte, elle le reçoit de ses mains d'un cœur
débordant de reconnaissance et d'adoration... Et à tout instant elle le lui rend, enrichi de ce cœur qui s'est donné au divin
Donateur, et dans ce don mutuel qui les lie, ils ne font « qu'un ».
Voilà le fond immuable sur lequel coule le flot limpide de sa vie.

31
Mère des vivants

Marie est la fille première-née de Dieu et le dernier mot de son œuvre ; elle est le résumé et le sommet de toute
créature. Et voilà pourquoi elle se soumet à la loi de mort et descend en terre. Elle n'est pas soumise à cette loi par
nature, elle se soumet à elle par volonté et amour ; la terre n'a aucun droit sur elle, Marie ne lui appartient pas : elle n'est
qu'à Dieu, elle n'a vécu qu'en Lui et par Lui, c'est le sens de sa grande parole qui a refait le monde : « Je suis la servante
du Seigneur. »
Elle n'a été que cela : au service de Dieu. Et c'est pour ce service qu'elle meurt et descend en terre. La mort
n'est pas une mainmise de la terre sur elle, c'est une prise de possession de la terre par elle ; elle ne sera pas transformée
par la terre, elle la relèvera et transportera avec elle au ciel.
Les êtres ne sont que par la communication divine et dans la mesure ou ils la reçoivent... L'Esprit s'est donné à
eux et les a constitués de ce don. Les connaitre vraiment, c'est Le connaitre et L'adorer. L'homme a été doté d'une
lumière spéciale pour percevoir ce fond des choses : c'est la Lumière même de l'Esprit.
Il n'a pas su en user : il n'a pas su voir l'Esprit dans les choses et unir les choses à l'Esprit. Il s'est laissé prendre
par elles et est resté en elles ; il s'est séparé de l'Esprit et a séparé les choses de l'Esprit.
Par tous les actes et tous les instants de sa vie mortelle Marie prend contact avec ce monde et s'unit à lui, elle
s'unit à ses enfants tombés en terre, pour faire passer en eux et en toute créature l'Esprit qui est en elle et le leur rendre.
Elle meurt pour les arracher à la mort et devenir mère des vivants. Elle réalise la grande loi de ce monde,
énoncée et réalisée par son Fils : « Si le grain de blé, tombé en terre, ne meurt pas, il demeure seul ; mais s'il meurt, il
porte beaucoup de fruit » (Jean XII, 24 - 25).
Voila ce qu'il faut voir dans ce corps virginal et maternel repris par son âme et porté par les Anges au ciel :
toute la création remonte au ciel avec elle et y est couronnée, et l'Esprit, répandu par Dieu dans toute son œuvre, rentre
en Lui par elle.
La terre qui accueillit la Vierge est vivifiée et surélevée par elle, et tout entière avec elle remonte à son
Créateur. En elle tout rentre en Dieu ; et Dieu en elle, par elle, est « tout en tous » (I Cor. XV, 28). Il est tout en tout et
en tous. Son dessein créateur est essentiellement réalisé. Nos adhésions successives n'ajouteront à cela que de
l'accidentel.
Vous connaissez la belle page de l'Epitre aux Romains où saint Paul dépeint le gémissement de tous les êtres
séparés de Dieu par le péché et qui attendent anxieusement que reparaisse ici-bas ce qu'il appelle magnifiquement « la
gloire de la divine adoption » (Rom. VIII, 22 et 23).
L'Assomption de Marie – après et comme l'Ascension de Jesus – fait cesser ce gémissement. C'est ce que nous
chantons dans nos Offices au nom de la création : « J'ai vu la belle s'élever comme une colombe de la rive des eaux. »
Nous l'avons vu s'élever au dessus des eaux de l'abîme pour rejoindre l'Esprit qui l'attirait, elle avait la
blancheur de la colombe et elle amenait avec elle tout un printemps, c’étaient des âmes vierges comme elle, et qui,
comme elle, avaient l’éclat de la rose et la pureté du lys des vallées. C’étaient « ses proches » (Ps. XLIV), sa famille
spirituelle, née de son union avec l'Esprit de Dieu; c’étaient tous ceux qui avaient retrouve en Jesus, unis à son Fils, la
forme divine et la divine ressemblance et qui avec elle faisaient leur assomption.
Ce tableau, il ne faut pas seulement le chanter avec nos lèvres ni l'admirer avec nos esprits, il faut le vivre par
nos actes. Ce mouvement d'amour qui fut celui de Marie, elle veut, de toute la puissance de son être, qu'il devienne le
notre.
Car elle est mère, la mère de la vie, et la vie c'est son Fils : « Je suis la Vie. » Être et vouloir répandre en nous
cette Vie, être et vouloir nous donner son Jésus, c'est tout un pour elle. Elle ne veut que cela ; elle ne peut vouloir et
faire que cela.
Ne lui refusons pas la joie de faire passer en nous cette Vie en plein et en tout, en tout ce que nous sommes et
faisons, sans arrêt, sans retard, jusqu'à ce que Jésus ait atteint ce que saint Paul appelle d'un nom magnifique « la
plénitude de son âge » (Eph. IV, 13), le plein et parfait développement de la Vie qui sera notre pleine vie.
Ainsi l'Assomption n'est pas un terme, elle commence et recommence sans fin.

32
Confiance

Les Fêtes de la douce Vierge et mère recommencent sans fin, m'apportant avec elles l'assurance d’être aimé,
soutenu, suivi, encouragé, corrigé, averti, éduqué en un mot par celle qui a élevé Jesus et qui veut faire en nous d'autres
Jesus.
J'ai presque peur de trop m’émouvoir à ces pensées... et j'ai tort. Je dois aller à ma famille céleste avec tout
mon être, avec mon cœur comme avec mes autres puissances, et plus encore qu'avec toute autre. Emotion bienfaisante
et infiniment douce.
Je ne dois avoir peur que de m'en contenter et de ne pas chercher à me rendre digne de ces rapports d'enfant
avec ma mère du ciel. Elle exige des efforts : c'est une éducatrice dont la fermeté égale la tendresse. Elle me veut fort
parce qu'elle est forte et parce que Jesus est fort, Elle me veut ressemblant, mais elle veut que cette ressemblance se
réalise selon un plan qui comprend la lenteur des résultats, et des difficultés spéciales à chacune des nos âmes.
Elle veut que je garde confiance en face de cette lenteur et de ces difficultés. La confiance – non la paresse et
l'inertie – malgré tout, lui plaît, la ravit. C'est un hymne à jésus.
La confiance dit :
« Mon jésus, vous avez vu ma faiblesse, mes retards à comprendre, mes faiblesses à agir, mes hésitations
devant le moindre effort, mes manques de générosité sans cesse renouvelés ; et sachant tout cela, voyant tout cela, vous
êtes venu, vous avez parlé, agi, souffert, vous êtes mort en croix... et vous êtes resté, et vous restez sans fin.
« Vous restez dans le tabernacle, vous restez dans la pauvre maison branlante de mon cœur, avec la porte
ouverte à tout venant, avec les fenêtres par où je regarde sans cesse au lieu de vous contempler vous seul, avec les murs
que vous relevez et qui retombent, avec des appartements malpropres et si vides, où devraient resplendir vos traits, où
ceux de l'ennemi reparaissent à chaque instant ; où vous me parlez du matin au soir sans que je sache vous entendre et
vous répondre ; où la cohue des pensées vaines, des petits intérêts, des désirs mesquins, de tous les mouvements de
passion vous repousse ou vous masque, vous fait la place si petite et la part si restreinte...
« Comment pouvez-vous rester dans de telles conditions ? Moi, j'aurais disparu depuis longtemps en faisant
claquer les portes, et je refuserais de rentrer à toutes les supplications ; je me serais vengé, j'aurais pris une attitude
hostile, j'aurais mal parlé de celui qui m'eut tant manqué ; j'aurais nourri dans mon cœur à son égard et manifesté de
toutes manières mon mécontentement, ma rancune.
« Comme nous sommes loin l'un de l'autre! Et comme tous mes rêves d'union seraient irréalisables si vous étiez
comme moi ! Et cependant j'espère, je garde confiance. Plus je suis loin et plus votre amour éclatera en me rapprochant
de vous et en vous rapprochant de moi ! »
Voilà l'hymne de la confiance. Marie l'entend au fond des âmes impuissantes... et sa note, pour son cœur de
mère, couvre toutes les les notes discordantes des défauts et des faiblesses.
Les Fêtes recommencent... m'attendrissent, appellent ma prière confiante. Et je vais (les célébrer) comme si je
n'avais pas été l'enfant indocile, inattentif et lâche qui l'a peinée tant de fois.

33
Joie

« Réjouissons-nous... » me crie l'Eglise qui, elle aussi, est mère et partage avec Marie la joie d'enfanter des
enfants de Dieu, des frères de Jesus.
« Réjouissons-nous... » à la première personne du pluriel. Toutes ces voix unies par la sainte mère Eglise
autour de la sainte mère de Dieu font un concert unique qui n'est plus du temps, n'est pas encore de l'éternité, qui
participe des deux, qui n'est pas plus beau que l'hymne des élus et ne peut l'être, mais il me semble... je ne sais vraiment
pas dire cela.
La vie menacée d'ici-bas, la marche incessante vers un terme qu'on peut ne pas atteindre donnent à nos notes
une nuance toute particulière. Elles viennent de la patrie ; elles viennent d'une part de nous-mêmes, qui est la terre de
notre Père, elles y retournent.
Elles sont ses notes en nous ; son Esprit les inspire, les règle, les anime de son Amour qui nous enseignent à
l'aimer. Mais ce ne sont que des exercices, et nous sommes souvent de bien pauvres élèves. Que de notes nettement
fausses ; que d'intervalles hésitants, que d'accords défectueux !
Pourtant nous devons les jeter dans la joie si nous voulons les jeter avec amour. La mère du bel Amour
reconnait en elles, comme toute mère, son « petit », son pauvre petit, un enfant blessé et qui lui tend les bras :
« Réjouissons-nous !... »
La joie d'amour, la joie d’être aimé et de pouvoir aimer, voila la nuance qui doit passer dans tous nos chants
d'exil. Même au bord des fleuves de Babylone, les harpes suspendues à des saules étrangers demeurent les harpes de
Jérusalem ; et les notes dont le vent d'exil les fait vibrer rendent le son de la patrie.
Une mère – une mère surtout – reconnait cela ; elle n'entend que cela, elle entend ce son comme un rappel de
tendresses passées et un appel aux tendresses futures.
C'est là la nuance des chants d'exil. ils expriment un présent mouvant et mêlé à travers lequel l'amour retrouve
la note de fond, l'harmonie essentielle qui ne passe pas. Je puis mêler ma joie et ma louange à celle de là-haut. Elles
s'accordent, elles ne font qu'un. Ma partie est à l'octave inférieure ; elle a des arrêts, des intermittences, des silences et
des soupirs, des retards et des précipitations... mais elle entre dans l'ensemble si elle aime... parce qu'elle est aimée.
L'amour et la joie d'aimer, voilà la lumière où vibrent toutes les notes des enfants, voila l'hymne qui retentit au
sein de celle qui enfante sans cesse Jesus et (au sein) du Père qui l'engendre en elle.
Les textes sacrés où se sont incarnées ces notes – et que la divine mère, ou la Parole du Père s'est incarnée, doit
aimer à ce seul titre – ont une richesse de sens et d'horizons qui me stupéfie et m’épouvante presque.
J'ai peur de trop voir et de dépasser les lignes où s'arrête la prudence. Mais dans une parole de l'Ecriture n'y a-t-
il pas un reflet de la Lumière infinie, et en la regardant, en la suivant longuement, n'est il pas normal qu'on rejoigne le
foyer d'où elle procède ?
Ô liens subtils qui rattachent tous nos mots de la terre et du temps au seul mot du ciel et de l'éternité ; ceux qui
vous perçoivent sont-ils imprudents, parce que tant d'harmonies secrètes les ravissent, que nos inattentions ne savent pas
découvrir ?

34
LE REGARD DE MA MÈRE

Poésie composée par l'auteur quelques jours avant sa mort,


au milieu de très grandes souffrances intérieures et physiques.

Le céleste regard d'incessante tendresse


Que votre cœur aimant déverse sur mon cœur,
Mère du bel Amour, est la douce caresse
Où je trouve toute douceur.

C'est un allégement dans la dure souffrance,


Où le Dieu qui me veut brise la résistance
De mon corps matériel à son Esprit d'Amour,
Venu pour l'emporter en son divin séjour.

C'est un soulèvement dans l'effort de mon âme,


Que voudrait retenir le néant passager,
C'est une voix qui la réclame
Sur les hauteurs, loin du danger.

C'est un lien sacré, comme un baiser de mère,


Qui forme autour de moi le rempart assuré
De Celui qui par elle est devenu mon frère,
Jésus, Maître adoré.

35
TABLE DES MATIÈRES

Liminaire de l'Auteur............................................................................................................................................................3
Préface..................................................................................................................................................................................4

Plénitude de Grâce

Immaculée..............................................................................................................................................................5
Rosée de Lumière...................................................................................................................................................6
Parfum d'aurore......................................................................................................................................................7
« Pleine de grâce »..................................................................................................................................................8
« Bénie entre toutes les femmes »..........................................................................................................................9
« Servante du Seigneur »......................................................................................................................................10
« Fiat »..................................................................................................................................................................11

Maternité

Vierge mère..........................................................................................................................................................13
Mère du bel Amour...............................................................................................................................................14
Sous la vertu du Très-Haut...................................................................................................................................15
« Purification ».....................................................................................................................................................16
Les trente années de silence.................................................................................................................................18
Vie de foi..............................................................................................................................................................19

Calvaire

« Elle se tenait »...................................................................................................................................................21


« Voila votre fils »................................................................................................................................................23
« voilà votre mère »..............................................................................................................................................24
Les portes de l'Esprit............................................................................................................................................25
Le parcours dans la foi.........................................................................................................................................26

Gloire

Le sommet des choses..........................................................................................................................................27


Sur les pas de la « fille du Prince »......................................................................................................................28
Assomption...........................................................................................................................................................30
Unité.....................................................................................................................................................................31
Mère des vivants...................................................................................................................................................32
Confiance..............................................................................................................................................................33
Joie........................................................................................................................................................................34

Le regard de ma mère
Poésie composée par l'auteur quelques jours avant sa mort,
au milieu de très grandes souffrances intérieures et physiques............................................................................35

Édition numérique
par
[email protected]

disponible sur
http://www.scribd.com/doc/36885472/Contemplations-mariales-dom-Guillerand

et sur
http://www.chartreux.org

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