CM Mixité

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La mixité
Public : PE2

Plan :

I. Les étapes d’un débat houleux


A. L’éducation traditionnelle des filles
1. Une éducation sexuellement différenciée
2. Les savoirs enseignés
B. Aux origines de la mixité
1. Les philosophes féministes du XVIIe siècle
2. François Poullain de la Barre et Condorcet
C. Le XIXe siècle ou la mixité pragmatique
D. Une légalisation bien tardive

II. Conséquence et paradoxes de la mixité


A. Haro sur la mixité à l’école ?
B. Les filles réussissent mieux à l’école… et après ?
1. Le nouveau destin scolaire des filles
2. La constance de l’inégalité salariale
C. L’école reproduit les inégalités
1. Le constat
2. Les explications

Introduction : les mots pour le dire

Mixité1 : caractère de ce qui est mixte, i.e. de ce qui est formé de deux ou plusieurs éléments de
nature différente. En l’occurrence, pour ce qui nous occupe, il s’agit de la mixité scolaire, i.e. du
fait d’éduquer ensemble, des élèves différents.
Quelles différences peut-on pointer, entre les élèves ? Vous êtes en situation d’enseignement, je
pense que les différences que vous pourriez pointer entre vos élèves sont multiples. J’en
mentionnerai ici 3 seulement, qui me semble les principales :
• différences d’appartenance « ethnique »
• différences sociales
• différences de sexe
Précisons d’emblée que c’est ici de la mixité des sexes qu’il s’agit. Cela étant dit, je parlerai
simplement de « mixité », pour désigner la « mixité des sexes », sauf précision contraire. Cette
mixité des sexes consiste dans l’éducation commune des filles et des garçons, qui se côtoient dans
un même espace et auxquels on distille, en principe, un même programme d’enseignements.
Historiquement, il faut dresser la généalogie complexe des 3 termes auxquelles on a recouru, à
différentes périodes, pour parler du fait d’éduquer ensemble garçons et filles : coéducation,
gémination, mixité.

→ Gémination = Terme utilisé en botanique signifiant « disposition par paire ».


La gémination désigne le regroupement par âge (et non par sexe) des garçons et des filles. C’est un
mode d’organisation administrative qui renvoie à une réalité prosaïque : jumeler des classes à petits
effectifs par souci d’économie. Dans l’institution scolaire, le petit nombre d’enfants dans les
communes rurales a exigé le regroupement des sexes et instauré ainsi une construction par défaut,

1
Définition tirées du Grand Robert de la langue française.
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caractéristique qui perdure en partie dans l’entre-deux-guerres et même après 1945 en France et
dans les lycées français à l’étranger. En 1933, plus de la moitié des communes ont une école mixte
et le ministre de l’Instruction publique défend non la coéducation, mais le co-enseignement, la co-
instruction2.

→ Coéducation = « Éducation en commun, garçons et filles ensemble, dans un même


établissement ».
On le trouve dans Le Dictionnaire Littré de 1877, qui considère qu’il s’agit d’un néologisme
signifiant « éducation en commun ». L’exemple donné est celui de la coéducation précoce des sexes
aux États-Unis3.

→ Mixité = « État (issu d'une disposition légale promulguée par décret) d'un établissement où
garçons et filles sont éduqués en commun dans les mêmes classes, sans distinction de sexe ».
Ce terme est relativement récent, attesté dès 1842 d’après le Robert historique de la langue
française, mais Le Dictionnaire Littré de 1877 ne le mentionne pas. En France, au XIXe siècle, la
ségrégation et la séparation des sexes sont la norme, conséquence de la « difficile bataille » menée
par l'Église post-tridentine contre la mixité4. Le mot « mixité » est surtout acclimaté par un débat
dans les revues pédagogiques des années 1950.

Comment la mixité scolaire s’est-elle mise en place dans notre pays ? (présentation historique)
Quelles sont les conséquences de cette pratique, au plan éducatif, psychologique et sociologique ?
(bilan dans ces trois domaines, autant que je puisse le faire)

I. Les étapes d’un débat houleux

En fait, parler de mise en place de la mixité scolaire revient à faire l’histoire de l’intégration des
filles dans l’éducation, aux côtés des garçons.
Dans un premier temps, les filles reçoivent une éducation spécifiquement conçue pour elle. Selon
Émile Durkeim, l’éducation opère une « socialisation méthodique » : le savoir destiné aux femmes
est sexué et reproduit un certain ordre social qui se fonde l’idée d’une inégalité naturelle entre les
sexes.
Dans cette perspective, si l’on admet qu’il faut éduquer les femmes, ce n’est pas pour les socialiser,
mais pour les naturaliser : la socialisation des femmes par l’éducation revient donc… à les exclure
de la société ! Par conséquent, l’éducation des femmes est proprement paradoxale. La fin ultime de
cette éducation, c’est l’intériorisation de l’inégalité sexuelle, qui conduit les femmes à intérioriser
ce que la société attend d’elles, et qu’elles exigeront elles-mêmes à leur tour des générations à
venir.

A. L’éducation traditionnelle des filles

Mme Maintenon, fondatrice de l’école de Saint-Cyr pour éduquer les jeunes filles de la noblesse
ruinée par les guerres5, que l’on présente par ailleurs souvent comme une pédagogue avant-gardiste,
entend « étouffer la démangeaison de savoir ». Il s’agit dans une large mesure de corroborer les
représentations sociales de « la Femme ». Outre qu’elles sont parfois ridiculisées6, les savantes sont

2
Journal officiel, 8 février 1933, Débats parlementaires, p.448-449.
3
Houbre, 2000 : 56-60.
4
Godineau, 2003.
5
On est alors sous le règne de Louis XIV, dont vous connaissez par ailleurs les appétits guerriers.
6
Voir sur ce sujet la pièce de Molière, Les Femmes Savantes !
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également suspectées, y compris par d’autres femmes (c’est là un des effets du pouvoir masculin,
que de faire en sorte que les femmes elles-mêmes veillent au respect des interdits faits à leur sexe).

1. Une éducation sexuellement différenciée


Traditionnellement, les lieux de l’enseignement féminin sont essentiellement le couvent et
l’institution religieuse. Mais il existe aussi des « petites écoles », dans lesquelles on dispense une
éducation sexuellement différenciée, comme dans les deux précédentes institutions.
L’ouverture des petites écoles pour filles, où l’on apprend l’écriture, la lecture et le calcul, est un
phénomène important des années 1660-1730. Mais le clergé s’opposant à la mixité de
l’enseignement, les filles des communes trop pauvres pour entretenir deux écoles en sont privées.

2. Les savoirs enseignés


On considère comme des « savoirs masculins » l’ensemble des connaissances abstraites : logique,
rhétorique, métaphysique, morale, mathématiques, physique, histoire, langues anciennes. A
contrario les savoirs féminins doivent répondre à un seul impératif : faire de la jeune fille qui les
reçoit une bonne épouse, une bonne mère et une bonne chrétienne. On lui apprend donc la lecture et
l’écriture, la rédaction usuelle, un peu d’arithmétique pratique, la pharmacopée, les sciences
ménagères et la jurisprudence7 ; à quoi Fénelon8 ajoute la littérature (moralisatrice), l’histoire (des
seuls exemples édifiants), le latin, la musique et la peinture. Mais le traité de Fénelon concerne les
seules filles de la noblesse. La majorité des institutions enseignent les « sciences ménagères »,
travaux domestiques et travaux d’aiguille.
L’éducation des femmes est donc marquée du sceau de la clôture : le couvent, symbole d’un ordre
statique, fini et hiérarchisé, s’oppose aux universités où l’universalité et l’ouverture sont la règle. Et
elles n’ont finalement accès qu’à un champ bien circonscrit des savoirs. Les filles ne suivent un
enseignement que pendant un ou deux ans (trois à huit ans pour les garçons), et le poids des savoirs
profanes qu’on leur dispense est dérisoire au regard du temps dévolu aux prières, offices religieux,
méditations et lectures pieuses. L’inégalité des sexes se trouve bien gardée !

B. Aux origines de la mixité


1. Les philosophes féministes du XVIIe siècle9
Dès le XVIIe siècle, il s’est trouvé des philosophes hommes et femmes pour contester la différence
entre l’éducation proposée aux filles et celle dispensée aux garçons. Citons Marie de Gournay
(1565-1645)10, la « fille d’alliance », i.e. la fille adoptive en quelque sorte de Montaigne ; Anna
Maria Van Schurman (1607-1678), hollandaise qualifiée de véritable prodige par ses
contemporains, et qui entretient de relations avec Spinoza, Descartes, Gassendi et Leibniz ; ou
encore Gabrielle Suchon (1632-1703). Ces philosophes féministes de l’égalité ont démontré que
l’égalité des sexes est une vérité indiscutable à même de réfuter tous les mécanismes de
discrimination sexuelle condamnant les femmes à une existence différente de celle des hommes. En
concluant que l’inégalité des sexes est un sophisme et un préjugé, ils(elles) ont compris que la
domination ne peut persister que si elle s’exerce, d’abord, dans la sphère des savoirs, et ont donc
dénoncé l’éducation sexuée.
Pour autant, ce sont les discours de l’inégalité qui sont ancrés dans la mémoire commune, où les
philosophes de l’égalité n’ont laissé aucune trace.

7
Selon l’abbé Fleury dans son Traité du choix et de la méthode des études (1685).
8
Fénelon, Traité de l’éducation des filles (1687).
9
Sur le sujet voir Elsa Dorlin, L’évidence de l’égalité des sexes. Une philosophie oubliée du XVIIe siècle, Paris,
L’Harmattan, 2000.
10
Ses ouvrages majeurs sont : L’Égalité des hommes et des femmes (1622) et le Grief des dames (1626).
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2. François Poullain de la Barre et Condorcet


Le seul à avoir laissé davantage de traces, c’est François Poullain de la Barre (1647-1725), qui est
légèrement postérieur (et qui est surtout un homme), et que l’on retient habituellement comme le
pionnier du débat sur l’éducation des filles, débats développé ensuite par la Révolution française.
Docteur en théologie, adepte de la Réforme, il s’est exilé à Genève dès 1689. De l’Égalité des deux
sexes (1673) est un texte qui relève de la pure tradition cartésienne. Il a pourtant fallu que l’auteur
se défende de la qualification de « galant » qui lui est reprochée, comme si ses prises de position en
faveur des femmes savantes n’étaient que flatteries et séductions courtoises. Ses ouvrages n’ont
d’écho que dans les milieux précieux.
Il est l’auteur de trois ouvrages féministes :
- De l’Égalité des deux sexes (1673),
- De l’Éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences (1674)
- et De l’Excellence des hommes contre l’égalité des sexes (1675) dans lequel il inventorie
tous les arguments en faveur de l’inégalité des sexes pour en exhiber les contractions.
À sa suite, un certain nombre de penseurs sur les avantages et les modalités d’une éducation
commune aux deux sexes. Condorcet11, par exemple, prévoit un enseignement gratuit et commun
aux deux sexes. Homme politique, mathématicien, il considère que les jeunes doivent être vus
comme des êtres humains avant d’être considérés comme des êtres sexués. De ce présupposé, il
déduit qu’il faut « éduquer les filles sur les mêmes bancs que les garçons ».  Mais il n’est pas écouté
davantage que ses prédécesseurs. Neuf décennies plus tard (1880), les Républicains choisissent la
non-mixité lorsqu’ils créent l’enseignement secondaire public des jeunes filles. Malgré la diffusion
de la coéducation aux États-Unis et ailleurs, la mixité à la fin du XIXe siècle reste une utopie en
France. Il faut attendre 1925 pour que soit proclamée l’identité des enseignements entre filles et
garçons.

C. Le XIXe siècle ou la mixité pragmatique

Dès la loi Guizot de 183312, selon laquelle chaque commune doit se doter d’une école primaire,
alors que le mot « mixité » n’existe pas, il y a des classes mixtes dans l’enseignement, là où n’existe
pas d’école spécifique pour les filles. Pour les contemporains, la coéducation paraît possible pour
les filles du peuple à l’âge de la scolarité primaire (elle se pratique de fait dans les communes
rurales), mais pas pour les filles de la bourgeoisie13. On instaure localement donc une mixité de fait,
mais par pragmatiques et par souci d’économie, sans véritable réflexion.
Les idées sur la mixité de l’éducation, développées par Poullain de la Barre et Condorcet, sont
reprises par les saint-simoniennes en 1830 et 184814, alors que se constitue un mouvement féministe
qui revendique la mixité et l’égalité des sexes dans la République15.
La mixité des sexes à l’école devient une question d’actualité. Elle est présente dans les deux
éditions (1887 et 1911) du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, diffusé dans les Écoles
Normales et les établissements scolaires. Entre les deux éditions, l’article « coéducation » passe de
quelques lignes à plusieurs pages, ce qui témoigne de la place prise par le sujet dans le débat public.
Ce n’est qu’avec la loi Falloux (15 mars 1850) et la loi Duruy (10 avril 1867) que toutes les
communes de plus de 500 habitants ont du ouvrir une école primaire de filles.
Dans les milieux les plus libéraux, des expériences d’éducation mixte sont menées. Citons
notamment l’exemple décrit par Christiane Demeulenaere-Douyere16 : à partir de 1880 et pendant

11
Condorcet, Mémoire sur l’Instruction publique, 1791.
12
Loi du 28 juin 1833 (Voir Annexes)
13
Compayré, 1879, p.321.
14
Michèle Riot-Sarcey, 1994.
15
Klejman et Rochefort, 1989.
16
Voir son article Christiane Demeulenaere-Douyere, « Un précurseur de la mixité : Paul Robin et la coéducation des
sexes », in Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, n°18 : « Mixité et Coéducation », 2003.
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quatorze ans, Paul Robin, anarchiste bakouninien et malthusien, dispense un enseignement mixte à
l’orphelinat de Cempuis dans l’Oise.
Le principe de l’éducation en commun des garçons et des filles est discuté, longuement et de façon
contradictoire :
→ Pour les féministes, comme pour les militant(e)s pédagogiques – les institutrices sont
d’ailleurs nombreuses dans le mouvement féministe –, la coéducation est un choix de société
pour construire des rapports harmonieux et égalitaires entre les hommes et les femmes.
→ Les arguments des opposants à la mixité

D. Une légalisation bien tardive

Le mot mixité apparaît très tardivement sous la plume du législateur : dans une circulaire du 3
juillet 1957. La présence des trois termes (coéducation, gémination et mixité) dans ce texte officiel
est un condensé des débats ayant eu lieu sur cette question : débats politiques au départ, qui
incluaient des choix de société, mais qui se sont conclus en fait au bénéfice des nécessités
économiques et budgétaires (regroupement de classes).
En 1959, la réforme Berthoin légalise les lycées mixtes nouvellement construits. Suivent
les Collèges d’enseignement secondaire en 1963.
En 1965, des administrateurs de l’Éducation nationale se penchent sur la coéducation présentée
comme une conséquence de l’évolution de la société17. Au cours de la crise de mai-juin 1968,
l’argumentation des lycéens et des lycéennes sur les bienfaits de la coéducation se déplace de la
pédagogie égalitariste à la revendication de la liberté sexuelle18.
En 1976, les décrets d’application de la loi Haby votée en 1975 généralisent, sans débat ni
polémique, la mixité dans tous les degrés d’enseignement. Le terme même de mixité n’apparaît
cependant pas dans ces textes qui autorisent la présence conjointe des deux sexes dans
l’enseignement et l’organisation de classes mixtes19.

II. Conséquence et paradoxes de la mixité

À la fin des années 1970, alors que l’on tire un premier bilan de la scolarisation mixte des filles et
des garçons, on se montre très optimiste. Les bénéfices de la mixité sont jugés considérables :
- dissipation de préjugés réciproque
- prise de conscience de l'appartenance à un sexe
- camaraderie
- possibilité d'éducation ouverte
Pourtant, nous savons aujourd'hui, comme l’écrit Geneviève Fraisse, que « la mixité est nécessaire,
mais pas suffisante, pour dissoudre les inégalités chronique ». Le débat semble de retour en France
depuis la parution de l’ouvrage de Michel Fize sur Les pièges de la mixité20.

A. Haro sur la mixité à l’école ?

Ce débat, plus vif encore en Grande-Bretagne, aux USA et au Québec par exemple, soulève de vrais
problèmes :
- l’augmentation des violences sexistes et sexuelles à l’égard des filles au sein des
établissements, en particulier des collèges

17
La coéducation, les Cahiers de l’INAS, Rennes, CRDP, 1965.
18
Comités d’action lycéens, Les lycéens gardent la parole, Paris, Seuil, 1968.
19
Décret 76-1301 du 26-XII-1976 (primaire) ; Décret 76-1303 du 28 XII 1976 (collèges) ; Décret 76-1304 du 28
décembre 1976 (lycées).
20
Michel Fize, Les pièges de la mixité, 2003.
CM Mixité – Muriel Salle p.6

- l’humiliation et le rejet ressentis par des jeunes en échec scolaire – souvent des garçons mais
aussi des filles
Disons-le d’entrée, on dispose encore de peu de travaux sérieux sur ces sujets, et les études
actuellement à notre disposition ne permettent certainement pas d’imputer à la mixité dans les
classes, et moins encore à l’émancipation des filles et des femmes dans la société, la cause de ces
violences et des ces souffrances. Ces dernières renvoient beaucoup plus à des contextes urbains et
sociaux21.
Soulignons deux paradoxes du débat actuel sur la question de la mixité scolaire :
- Le premier, renvoie à l’étonnement que suscite la remise en cause, depuis les années 1980,
de la mixité scolaire au nom de l’égalité entre les sexes, alors même que la lutte pour la
mixité des écoles, en particulier des plus prestigieuses et très longtemps réservées à l’élite
des garçons (lycées, universités, grandes écoles) s’est faite, pendant des décennies, au nom
de cette même égalité entre les sexes.
- Le second paradoxe réside dans le fait que des chercheuses féministes ont soutenu la thèse
d’effets limités voire négatifs de la mixité pour les filles, au moment où d’autres
sociologues, tout aussi soucieux de dévoiler les injustices faites aux femmes, soulignaient
l’essor remarquable de leur scolarité et leur meilleure réussite, du primaire à l’université,
dans tous les milieux sociaux : il faudrait donc sauver les filles d’une mixité qui a
accompagné – sinon provoqué – leurs succès scolaires ?

B. Les filles réussissent mieux à l’école… et après ?

Les filles ont un rendement scolaire meilleur que celui des garçons dans tous les pays où les
conditions d’accueil et d’enseignement collectifs sont similaires entre les deux sexes22, les filles ont
en moyenne beaucoup moins de chances que ces mêmes garçons d’accéder aux filières
prestigieuses, ou bien que leurs diplômes se traduisent ensuite par des situations sociales et
professionnelles équivalentes à ces derniers. La grande différence semble se faire sur l’orientation
scolaire23.

1. Le nouveau destin scolaire des filles


Il faut d’abord souligner les transformations radicales qui ont eu lieu dans le destin scolaire des
filles. En effet, dans la sphère publique, l’école est le seul domaine où elles sont les premières.

→ Le baccalauréat
Au baccalauréat, les filles ont rattrapé les garçons dès la Seconde Guerre mondiale24. Mais ces
chiffres doivent être mis en perspective par rapport au faible taux d’accès au baccalauréat dans les
années 1930-1950. De plus, aujourd’hui, le milieu social joue d’avantage sur l’orientation que le
sexe. Mais l’écart garçons / filles s’est cependant creusé : 70% des filles (d’une classe d’âge) sont
bachelières alors que seuls 54% des garçons ont le Bac. Pour quelles raisons ? Le sens du diplôme a
changé : après la Seconde Guerre mondiale, il devient pour les filles, surtout dans la bourgeoisie, un
moyen de travailler. Avant-guerre, les bourgeoises n’étaient que 10 % à aller jusqu’à la Licence et
toutes ne travaillaient pas ensuite. Au cours des décennies 1960-70 émerge la figure de la
« bourgeoise laborieuse », telle que l’appelle Nicole MOSCONI. Ces jeunes femmes rentabilisent
les diplômes qu’elles obtiennent : l’activité professionnelle des filles se généralise dans ces milieux.

21
Voir l’enquête menée par Sébastien Roché, 2001. Il montre dans son enquête auprès de jeunes de 13 à 19 ans, que les
fils ou filles de cadres ne font pas usage de la force physique aussi souvent que les fils ou filles d’ouvriers.
22
René Zazzo, Féminin masculin à l’école et ailleurs, Paris, PUF, 1993.
23
Marie Duru-Bellat, Le fonctionnement de l’orientation. Genèse des inégalités sociales à l’école, Paris, Delachaux-
Niestlé, 1988.
24
La première bachelière, Julie Daubié, obtient son baccalauréat qu’elle a préparé seule en 1861. Il faut attendre 1924
pour que les filles soient préparées au baccalauréat dans l’enseignement public et passent le même examen que les
garçons.
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→ L’enseignement technique et professionnel (CAP, Baccalauréat professionnel…)


Dans ce domaine on fait le même constat : les filles tendent à rattraper les garçons. Dans les années
1960, la création de BTS et de DUT crée un appel d’air pour la formation professionnelle des filles,
même si elles s’orientent surtout dans les activités tertiaires : la répartition entre les branches de
formation reste très sexuée, même si les filles y font massivement leur entrée.

→ L’Université
Les filles réussissent mieux dans le secondaire, mais aussi à l’Université : leurs taux de réussite sont
meilleurs en DEUG, d’où une proportion d’étudiantes présentes en deuxième cycle supérieure à
celle du premier cycle. Mais cette part chute en troisième cycle. La féminisation des études
universitaires est réelle depuis les années 1960. Aujourd’hui, 55% environ des étudiants sont des
étudiantes.
Mais, là encore, cette féminisation se fait dans un certain respect de la sexuation des filières
d’études. Dans les années 1960-1980, certaines filières se féminisent particulièrement : les lettres et
le droit surtout, puis la médecine. Mais les domaines scientifiques font exception par leur
féminisation relativement faible : 32% d’étudiantes en moyenne en mathématiques et physique. La
féminisation des sciences se fait par l’entrée des filles dans la filière SVT25. La proportion de filles
progresse dans les filières d’ingénieurs, mais elles ne représentent que 25% des effectifs. Sur 100
filles bachelières au début du XXe siècle, 16 % seulement vont vers les sciences et les techniques.
Actuellement, cette proportion est la même mais, alors que l’immense majorité des filles se
tournaient vers les lettres, leurs choix sont plus diversifiés aujourd’hui. Les filières droit, économie,
médecine sont majoritairement féminines. Les étudiantes d’aujourd’hui recherchent clairement une
valorisation de leur réussite.
Comment expliquer cette répartition persistante ? Dans les familles, on attachait traditionnellement
moins d’importance aux études supérieures des filles, qui n’étaient pas supposées être des soutiens
de famille, mais on souhaitait néanmoins qu’elles en fassent. Il demeure de cette habitude une plus
grande liberté de choix laissée aux filles par leur famille, dans leur orientation professionnelle. Mais
l’augmentation du nombre de divorces et celle du chômage poussent les femmes à assurer leur
avenir professionnel pour s’assumer financièrement. Elles manifestent aujourd’hui un réel souci de
réalisation professionnelle.
Il demeure cependant des verrous importants, qui ne sont pas liés à l’école. Les filles ne sont pas
dans les filières les plus prestigieuses (à résultats identiques au Baccalauréat, les filles optent moins
souvent pour les CPGE). Leur orientation reste donc moins rentable, puisqu’en dépit de leurs
résultats elles nen’ont pas une réussite comparable à celle des garçons.

2. La constance de l’inégalité salariale


La mixité des études et des emplois ne semble pas un gage d’une plus grande équité salariale. Une
étude du Céreq26 montre, que dans les cinq premières années de vie active, les écarts de salaire entre
hommes et femmes sont les moindres dans les spécialités à dominante masculine et les plus élevés
dans celles qui sont mixtes. On estime à 12 % la différence salariale entre un homme et une femme
en France actuellement (18 % en Europe). Et la législation la plus récente en prend acte : le 23 mars
2006, une loi relative à l’égalité salariale entre hommes et femmes a été votée.
Les femmes connaissent une importante érosion de leur position sur le marché du travail, surtout
pour les fonctions prestigieuses et les postes de responsabilité.

25
SVT : Sciences de la Vie et de la Terre.
26
Thomas Couppié & Dominique Epiphane, « Que sont les filles et les garçons devenus ? Orientation scolaire atypique
et entrée dans la vie active », in Bref Céreq, septembre 2001.
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C. L’école reproduit les inégalités


1. Le constat
L’école maintient les différences entre les classes sociales27 comme entre les sexes. Marie DURU-
BELLAT28 l’a bien montré. Il ne suffit pas d’une simple prise de conscience et d’une analyse
pertinente pour que les inégalités disparaissent. La résistance à tout changement de l’institution
scolaire est extraordinaire en ce qui touche le domaine des différences entre filles et garçons. Et
même, par effet pervers, les modalités mises en œuvre afin de lutter contre ce phénomène semblent
plutôt les renforcer. Antoine PROST29 décrit un phénomène similaire pour ce qui concerne les
tentatives de démocratisation de l’enseignement par la mise en place du collège unique à partir du
début des années 1960 : au lieu d’aboutir à l’effet escompté, c’est l’arrêt de la démocratisation de
l’école, entamée dans les années d’après Seconde Guerre mondiale, qui a été constaté.
« En fait, l’établissement de la mixité, comme la création du collège unique, font apparaître
des hétérogénéités par rapport au savoir, c’est-à-dire la particularité des choix, au-delà des
positions garçons / filles, c’est moins le sexe biologique qui est important, que
l’investissement de l’activité, c’est-à-dire la valeur qui lui est attribuée, inconsciente pour le
sujet, la plu part du temps, mais qui n’en influence pas moins ses choix »30.

2. Les explications
« Ce qui adviendra plus tard relève tout autant, sinon plus, des conditions d’accueil et d’insertion
sociale, autrement dit des facteurs culturels qui régissent les rôles – droits, devoirs ou modèles –
féminins et masculins »31. Cela explique que, en dépit de leur réussite scolaire, les femmes accèdent
moins aux postes à responsabilité que leurs homologues masculins.
La co-éducation et les méthodes pédagogiques censées réduire ces inégalités semblent plutôt les
accentuer, voire être à l’origine de celles-ci32. Les acteurs semblent joués par la structure :
- L’organisation et les méthodes scolaires actuelles accentueraient l’asymétrie entre groupes
de sexe, forçant chaque groupe à adopter les comportements les plus stéréotypés liés à son
sexe afin de se démarquer le plus nettement possible de l’autre groupe.
- La mixité véhicule tout un curriculum caché qui, loin d’être neutre, est plutôt masculin33.
Les interactions entre enseignants et élèves au sein de la salle de classe sont des relations sexuées
dans lesquelles la norme implicite est de valoriser les garçons34. C’est dire le rôle fondamental que
joue l’enseignant dans cette affaire, et la nécessité, donc, d’en avoir conscience. Car s’il semble
impossible de neutraliser sa pratique professionnelle, une prise de conscience peut cependant
permettre de corriger les écarts les plus flagrants.

Conclusion :
La mixité est une condition première de l’égalité de droit mais elle n’assure pas, de façon
automatique tout au moins, ni l’égalité de traitement, ni celle de résultats35.

27
Voir Pierre Bourdieu & Gilles Passeron, Les héritiers, Paris, Éditions de Minuit, 1989.
28
Marie Duru-Bellat, Le fonctionnement de l’orientation. Genèse des inégalités sociales à l’école, Paris, Delachaux-
Niestlé, 1988.
Marie Duru-Bellat, L’école des filles. Quelles formations pour quels rôles sociaux ?, Paris, L’Harmattan, 1990.
29
Antoine Prost, L’enseignement s’est-il démocratisé ? Les élèves de collèges des lycées de l’agglomération d’Orléans
de 1945 à 1980, Paris, PUF, 1986.
30
Françoise Labridy, « L’Education Physique et Sportive et les variables sexuelles », in Pratiques corporelles,
n°84,1989, p.39.
31
René Zazzo, 1996, p.387.
32
Annick Durand-Delvigne, « Les pédagogies nouvelles favorisent-elles l’androgynie psychologique ? », in
Psychologie scolaire, n°69, 1987, p.57-68.
33
Nicole Mosconi, La mixité dans l’enseignement secondaire : un faux semblant ?, Paris, PUF, 1989.
34
Marie Duru-Bellat, « Filles et garçons à l’école, approches sociologiques et psycho-sociales. 2e partie : La
construction scolaire des différences entre les sexes » in Revue Française de Pédagogie, n°110, 1995, p.75-81.
35
Marie Duru-Bellat M., Les inégalités à l’école, Paris, PUF, 2002.
CM Mixité – Muriel Salle p.9

La distinction entre mixité et les différentes formes d’égalité est importante à faire pour déjouer les
pièges du débat sur la mixité. Aucune, aucun des chercheurs sur la mixité scolaire, quels que soient
leurs questions et angles d’approche, n’adhère à l’idée que la mixité implique d’emblée l’égalité. Et
aucune, aucun ne remet en cause le droit à l’égal accès des filles et des garçons à tous les niveaux et
types d’études et de professions.
Un consensus rassemble ces travaux autour des effets limités de la mixité quant à la ségrégation
sexuée des études, à la fois horizontale (par domaines d’études) et verticale (par
niveau). Un clivage important passe toutefois dans l’analyse des causes de ce hiatus entre la mixité
et l’égalité :
→ Les travaux qui interrogent les « faux-semblants » de la mixité soulignent que l’école, non
seulement n’échappe pas aux stéréotypes sociaux de sexe qui attribuent une valeur moindre aux
femmes, mais tendent à les renforcer, de façon souvent cachée et à l’insu des élèves et des
enseignants des deux sexes36.
→ D’autres, dans lesquels je m’inscris, développent une vision plus positive du rôle de l’école. Ils
mettent en exergue la dynamique de long terme des rapports entre les sexes, qui semble « en avance
» à l’école, seul domaine où les inégalités entre les sexes se sont renversées au profit des filles, en
termes d’accès aux études supérieures en tout cas. Ils sont aussi plus attentifs à ne pas s’enfermer
dans la dichotomie sexuée en oubliant les inégalités entre les classes sociales (même si la mixité
sociale n’était pas lepropos de ce cours).
À ce titre, recourir à l’histoire de la mixité en exhumant les querelles ou au contraire l’absence de
résistance à l’introduction de la mixité, de la fin du XIXe siècle aux années 1970, est une voie
précieuse pour éviter les tentations de l’essentialisme, qui percent parfois dans les travaux de
psychosociologie des différences de sexe à l’école (ou ailleurs). Les qualités imputées aux femmes,
aux hommes et à leur mélange dans les classes ou les entreprises varient selon les époques et les
pays il en va de même des modes de socialisation ou d’inculcation, familiale et scolaire, de ces «
qualités » : ils ne sont pas immuables.

36
Claude Zaïdman, La mixité à l’école primaire, Paris, L’Harmattan, 1996.

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