La Querelle Des Universaux PDF
La Querelle Des Universaux PDF
La Querelle Des Universaux PDF
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(J Du mcmc nutcur ALA/N DE LIBERA
G ~UX MllMES DITIONS
(J Penser nu Moyen Age
col/. Chemins de penst!e , 1991
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Ln Mystiquc rh~nnnc.
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d' Albert le Grand ll Multre Eckhart
col/. Poilirs Sa11essrs " 1994
CIIEZ D'AUTRIJS DITI1l!RS
LA QUERELLE
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l.t l'whll'>nw "'' l'~lrul'hll'/. Mnltn l!l'kluut
Um!\e-Lau.la/1/Je-Ncuchllr~l. 1980
Ulrich von Strasshurg. De summo bono, JI, 1-4
DES UNIVERSAUX
(1 Eckharl: Sur l'humilit De Platon ala fin du Moyen Age
() (trncluction et postfncc)
\fuyen, 1988
() Eckhnrt. Pocme
Suili d'1/n Commentnirc nnonyrne
~
() Alfuyen, 1988 .
Ln l'hllosophic mdivulc
(_'! , . PUF, Qru .wis-je? , 1989
Albert le Grand et la Philosophie
:0 l'rin, 1990
e) Ln Philosophic rndivnlc
/lllt; Prrmlr'r Cyc/1' , /1)1).1
() flN COLLAIIORATION SECCIGN DE ESTUDIOS !>E
(l M nitre Eckhnrt FILfJS@FlA
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MEDIEVA~ .
M~tuphyslqllt' d11 Vtrho <'l tht'ologl<1 ll~flllllvl' ~ ~--
() lltmwl11sm, 1984
o Maltre Eckharl
Cornmcntnire de la Gcncse
t.,.
o (trnduction el notes)
Le Crlf, 1984
Cclui qul cst
(' interprtalions juivcs
{) ct chrt icnncs d' Rxtllit' J, 1ti
Lr Ce1j; 1986
O Mnitrc Eckhnrt
Cmnmcntnirc du Prologue h
OUVRAGE PUB LI A VEC LE CONCOURS
(1 I'Evangile ele Jcan
(traduction et notes) DU CENTRE NATIONAI: DU LIVRE
(1 Le Cetf, /9RO
Mn'trc Eckhnrl
o '(inli~H l kCl'lliOI\S
(traduction el notes)
'Dl110NS lJU SEUIL
() FitllllllliiJ.'iOIJ, /093 27, rue .Tacoh, Paris Vlc
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Des travaux )
collection fonde en 1982 par M. Foucault, P. Vcync ct F. Wahl
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dirige par A. de Libera, J.-C. Milner, P. Veyne.
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ISBN 2-02-024756-9
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DJT!ONS DU SEUIL, JANVIER J99 ')
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Le CoJc de lu pruprl lnlellccluelle lntcrdl los copies 011 rcproducllons dcsthl~cs fi un<'
ulilisnlion collcctive. Toutc rcprsenlnllon ou rcproducJlon lnlgrnle ou pu11lclle fnilc \nr quclque )
. procd que ce soil, suns le conscnlcmcnl de l'uuteur 011 do ses uyunts cnusc, cst illicitc ~~ conslilue
une comref901> sanctionnc par les articles L. 335-2 el suivanls du Codc de la propril inlcllccluelle.
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La querelle des universaux Un probleme satur
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du d6l>nt 1\rNtotc-Pluton. On no poLIL lll:l!dor nu problcnw des uni- el l>icn ava111 In rcnuissa1we de In philosophic d' Al'i1:tote, da11s le cou-
vcrsaux en faisant 1'conomie de su geste el de sa gestation. Que! )
rant de la pense occidentalc . Autremcnt ~lit, il sullit de sav~ir de
a
e.st, dans ces conditions, l'objet de ce livre? Rpondre cette ques- quoi parle Porphyre pour savoir ce qu 'ta_tent d~ns son espnt l~s
twn, c'est montrer a la fois sa singularit et la mthode qu'elle objets thoriques que le Moyen Age a, ~f~peles umversaux . ~~ns
implique. i 1 )
'. drons un lnstunt le rsum qul: J. lncol, son traductcur, tutt de
Revenons un instnnt nu conflit entre rnlistcs, conceptualistes ct l'opusculc de Porphyrc: L'lsagoge a pCHll' objct l'tudc des )
nominalistl!s dont le concours de 1845 avait fait un theme central quinque voces (les cinq voix ou dnominations: le gcnre, l'espece, la
"~~~- - - - ---s.moo--un-objet-privilgi._C_e_c_onflit e_t cens circonscrire le pro~ diffrence, le propre et l'accident), qui jouent un grand role ~a.ns )
blcmc des universaux, dans la mesure oi:t il exhibe la conlllc!uafr- -ln-tltlt-'+t'iHG-4'-/\.ristnlc._nHti~_sur lesquclle:; les ouvragcs du Stngt~nc \
dcs rponses npportcs par k: M_oyen Agc a un probh~me prcis :
1
ne rournissent que de breves indicatwns. Nous voilrren-pt>SSt..<s+aon-___/_
celui du statut des universaux. Il est clair toutefois que chacune de d'une liste. Les universaux sont le genre, 1'es pece, la diffrence, le i )
ces rponses n'est que la mise en position hgmonique de 1'une des propre et l'accident. Tous ces termes figuren.t effe~tivement dans ~es )
a
trois rponses que l'on peut faire la question des universaux telle a:uvrcs el' A ristolc. La formulation de J. Tncot n en est pus 1.noms
qu 'elle se formule historiographiquement: les universaux sont-ils singuJierc. D:abord, elle 11 'empJoie pas Je lcrtHC lllliV~'/'S(IU-:- C! pou.r )
des ~hoses, des conccpts ou des noms? Cettc question parult natu- cause, il ne figure pas dans le tcxte de Porphyrc- m celut de prdz-
.. r~.LI~.~La querelle des universaux est une autre maniere de dire les 1'
1
cables, qu 'utiliscnt aussi bien Porphyre e u' Aristote: a la place, elle 1.. )
eh oses, les concepts et les mots. Pourtant, il n 'y a la ricn de nalu- 1
prcnd une cxprcssion latine de Bocee hrite de Porphyrc iui-memc, )
,~ \ rcl ,Ce que C<Hlstntc.: !'historien ele In philosophic deN qu'll dlltisHc qui l'cntplolc im:ldenllllclll 1, el do Hes ~ultllliCIIIIItcur:; gn.:cs '1, qtd l11
les problemes terne1s pour aller au dtail des corpus philoso- )
phiques et a la geste des traditions interprtatives, c'estque la struc-
ture problmatique impose aux universaux par la triple entente du 3. L'lsagoge conticnt, de fail, une section (le chapitre 7) intitule: flept r<; )
xotvwv(a<; rwv nvn: <pl\IW\1, Tricot traduit justement : Des caracteres communs
rnlisme, du conccptualisme el du nominulisme est cclle que Ju seo
uux clnq voix >>: E. W. ~urrcn : Collll/1011, ~'hcuac:t~~Jstic.\' c1' tht /;:,., P!rcllcah,lt:.\' )
lastiquc de 1'Antiqu\t tardive, notamment celle, noplatonicienne, (cf.l'orpfi\'I'Y thr Plwenietmt, Isagoge, 1he Ponllllcnllnslltuw ol Mnhuevul Stu-
des yo ct yc sicls a d'abord imposc comme grille de Jecture aux die~. 'lbroHo, 1975, p. 4H)- !e tilrc re9u dnn~ lu trudit.io!tlntinc ~unl ... /Je ''OIIIIIIlllli 1 )
Catgories d' Aristote. Avant que les mdivaux se demandent si les tutibus omnittm quinque universaliw11. Porphyre sera1HI vocahstc ? Tout porte a
univcrsaux taicnt des choscs, des conceplH ou des mots, les no- le croirc. Mais le tcxtc s 'ouvrc sur 1111c thcse gnralc i\ l'ambigu'il calcule : Kmvov )
(-Ll':\1 6D mxvrwv rll xorex nAw)v<~\1 )((tfl)yopr.lnOm: 'll'icottmd~lil: Cc.qu'il y u de
platoniciens se sont demand si les catgorics d 'Aristote taienl des commun toutes ces nvtions, c'est u't!tre nllribu 11 une pluraht de sujcts : War- )
' tants (ovTa), des noemes (vor!J.cna) ou des sons vocaux (<pwva(). 1 ren: Allthe preclicaiJ/es are prcdicated ofmany thin8s .. Commc s?uvcnt, la sculc.trn-
1
La question qui se pose est alors de savoir comment, pour quelles uuction rigourcusc cst ccllc de Bocee - Co/11/llltlle qwd<'lll ommlm.1 t's/ de plunbus )
praedicari- paree qu 'elle est indtennine. En rendnnt le grec .ro xara nAEI\ILJ\1
raisons. et par quelle initiativc, cette grille est passe des cntgorics )
aux umvcrsaux. . pnr om11iht1s ( lltous ), le trnductcur lnlin nc prcnd pns pnrli. Tncot tranche dnns le
sens du conceptuatisme (comme si Porphyre parla11 cxplidtcmenl de \IO~l<lto.);
Mais ce ue question suppose que 1'on sache pourquoi les univer- ! Warren esquive le problcme. Reste que lu le~ton grecquc originnle balance entre le 1 )
Dnns son introduction aIn traduction nng!aise el u De universalibus 1' on vcut bien admettre que le ralisrne 1!1 le nominalismc corres pon- ' )
de Jean Wyclif, P. V. Spade ten te d ' illustrer le probleme des uni- dent, en gnral, ades manieres de voir >>, on doit aussi se deman-
vcrsaux avant de 1' noncer prcisment 7 La question philoso- der ce qui prouve que le ralistc ne voit pas, commc tout le monde,
phique gnrale, vite circanscrite, auvre sur une alternatiye simple : deux choses noires quand il voit deux choses naires. Au vrai, meme
Y a-t-il ou non des universaux dans le monde? Une rpons uffir- s'il s'nvruit que la vuc cl'un rnlistc fOt diffrcnte de cellc du com-
mntive est/e rnlisme, une rponse n~gutive, le nominalisme. Suns mun dl!s mortcls, il restcruit i\ cxpliquer comme11t, du simple fuit
dcider encore si, ainsi formul, le prableme philosophique des uni- qu'il voit le mcme noir en dcux choses noircs, le ralistc en vicnt i\
versaux n 'est pas exagrment rduit (ou classer en effet, dans cette penser qu 'une memc en tit- la noirceur- est actuellement partage
ers ective, le ralisme de la doctrine husserlienne des essences qui, par ces deux choses. Telle que la prsente Spade, la psychogenese ,
contrc P uton, pro es se eur non-cxtstence empimue ou mondli7ne 'l),- - - -deitr-croyunc.:c-nux-en~its-unt-vt.'i'-sc-Ucs->>-fait-uY--ra.l-i~mt.de-t:suaL___l_~
il fa m s 'arrBter un instant sur 1'cxemple qui 1' illustre~ . d'un simple pamlogi~;me- tell'enfant de Piaget pour qui chaque i )
Le point de dpart choisi par Spade est intuitif et perceptuel. On escargot rencontr sur le bord du chemin csl, perceptuellement, 1 )
peut penser qu 'il ne peut en etre autrement dans une prsentation I'Escargot ,ni plus ni moins, le raliste est celui qui, vayant la
noirceur partout o u il y a des eh oses noires, ~.:n conclut qu 'il y a en
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qui, semblc-t-il, uccepte tacitement la vue nomina/iste, rnais il y a )
d 'autres raisans a cela, que naus examinerons par la suite- notam- chacune la meme entit universelle .
1
ment le lien conceptuel et historique existant entre la problmatique Cette caractrisation suffit-elle? On peut en douter. 11 ne suffit pas )
des universaux et celle de la perception issue de la these d 'Aristote de recannaltre avec Spade qu'il est difficile de faire correspondre
dans les Seconds Analytiques, selon laquelle, bien que l'acte de toutes les thorics des philosophes mdivuux uvcc son illustra-
\
perception ait pour objet l'individu, la sensation n'en porte pas tion de la problmatique des universaux. Il faut se demander en )
moins sur 1'universel . Revenons a la situation dcrite par Spade: quoi cctte illustration articule suftisamment le probleme de l'expli
j'ai devant rnoi deux stylos a bille noirs. Le point crucial est: cam- cation de la formatian des conccpts gnraux et celui de la thorie
bien de couleurs vois-je 'l Dcux rponses s'of'frent. La prcmierc: jc psychologique de In percept i<m des coulcurs, l~l s' i 1 1' nrt k: u le snns
vois une sculc coulcur- lu noirceuJ' (blackness) qui csl simultnn~ prjugcr In rponse dnns tu qucstion. 1 1
ment partage par les deux stylos ou commune aux deux -, une Selon nous, l'exemple de Spade illustre une problmatique qui est 1
seule et meme couleur done, bien qu'inhrcnte a deux choses dis- non .'ieulement dji\ constitue, muis suppose philosophiqucmcnt
tinctes et prsente en meme temps en deux endroits diffrents. Cette rsolue ou, ce qui revient ici au meme, historiquement sanctionne et \
/
pos ilion, ce que Spude uppelle croire uux universnux , est le rn- dnns h.l sc:n du nominalismo et duns c~.:lui d'une c~.:rtuinc inturprtn ( ;
lisme: admettre que des entits univcrselles comme In noirceur tion du nominal ismc. Gruce 1\ 1' innoccnt cxcmple des deux stylos, \
)
sont partuges par loutes les cboses qui prsentent une m~me pro- on fcint de croire que le raliste voit df' ses yeux la forme commune,
prit (ici, etre noires) et qu'a ce titre elles leur sont communes. A qu'il en dcele la prsence dans le sensible, presque a fleur d'abjets,
l'oppos, videmrncnt, le nominalistc est caractris commc celui et, dans le mcme temps, on pose que le nominaliste voit commc toul , ,
qui voit deux noirceurs, autant de noirceurs que de styos. Deux noir- un chncun des choscs, que ces chos~.:s sont semblablcs el qu'il finit i
ceurs qui sont semblables , certes, mais qu' il suffit de regarder par en percevoir la similitude. Il n 'y a qu 'un probleme: le nomina- 1 )
pour vair qu'elles ne sont et n'en restent pas moins deux noirceurs . lisme mdival, du moins celui d'Occam, n'est'pas une philosophie
Ainsi illustr, le probleme des universaux est simple : y a-t-il ou non de la rcsscmblancc, ni sa thorie des universaux une anticipation de
deux couleurs dans les stylos de P. V. Spade? <<Le ralisme et le l'cmpirisme classique. , )
nominalisme sont les deux principales rponses a cette question. Si la thorie occamisle de !'origine des universaux pcut donner
On peut videmment s 'tonner de la nai'vet du passage de la per- l'impression de reprendre dans un langage trange, mais a un niveau )
ception a l'etre mis en reuvrc daos la rponse ralste . Mais, si de thorisalion plus nwltris, la description causalc empiriste de la 1 ,
l'ornu1tion des Vllllt:l'JliS gl~tiI'llll\ m:lon Ari~ototc (flftaJh,, A, l, ct 1
7. Cf. P. V. Spadc, lntroduction , in .lvhn Wyclij; On Universa/s (Tractatus de Anal. post., 1!, 19), il cst clair (a) qu'clle le fait a l'ait.le d'instruments )
universa/ibus), trad. A. Kenny, Oxford, Cl:lrendon Press, t 985, p. XV-XVIII. spcifiques qui n'ont pas grand-chose a voir avec Aristotc et rien a , ,
18 19 ( '
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\ l La querelle des universaux 1
Un probleme satur
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voir, ou presque, nvec ceux de l'empirismc clnssique, ct (b) que les
processus qu'cllc s'cff'orcc de dcrire sont d'un nutre ordrc el ont La prcmiere mthodc dcrite par Vignnux cst ccllc que nous rcje-
\ '
d'autres implications que le scnario perceptuel prsent dans tons ici. Pourquoi '! 11 est certes possible de circonscrire un ensemble
l'exemple des stylos. Or, s'il est un terrain commun au nominalisme de theses nominalistes dans la philosophie contemporaine. Cha-
et nu rnlisme i\ 11poque d'Occnm ou de Duns Scot, c'est bien la cun connnlt uu moins un slogan nominnliste, de cclui de Goodmnn-
singuliere et nouvcllc thorie de la perception qui, ula f'ois, les rns- Quine : Nous ne croyons pns dans les entits abstraites , ucclui
semble et les spare, et qui veut que, pour Scot, une seule perception de Goodman solo : Pour moi, comme nominaliste, le monde est un
sensible suffise pour que l'intellect puisse forrner les concepts uni- monde d'individus. De ce point de vue, le nominalisme peut done
versels correspondants et, pour Occam, un seul acle de connaissance etre caractris au mnimum comme une doctrine qui ne reconnaft
intrlfrt'lllrlfr a!J.Itrmtil't' d'un singuliN suff'lso pour que !'esprit /' t.risttnct qu' aux indilidus. Mnis cettc cnrnctrisntion Rttffit-cllc 7
puisse former n son sujet un concept spcifique de soi npplicable a 11 va de sol que non. D'abord, elle ne rend pas cornpte du sens tcch-
tous les autres singuliers maximalement semblables. 11 ne faut done nique que chaque philosophe donne ason nominalisme. Soit, pour se
nous aider a saiSir les problemes traits par la ie ancienne. nique du nominalisrne goodmanien n'est pas l'limination des
' 1 JI faut ten ter de montrcr commcnt elle y n clle-m(}me nccd. en ti ts abstrnites prne par ... Goodman-Quine, mais 1'limination
de tout ce quin' est pas un individu. Or, et c'est la que Goodman.
a son chemin de pense propre : ( 1) cet individualisme est instru-
ment par le rejet de la relation d'appartenance au profit de la rela-
NOMINALISMr! !IT H(iAI.lsME AU MoYEN Acm. tion mrologiquo entre purties el tout >>'(In these de Ooodmun tnnl
OU DI..! QUOI PARLONS-NOUS '!
que deux individus composs ,ce qu'il appelle des sommes, ne
different que si au moins un des atomes qui les constituent dif-
S'il n'y a pas d'illustration intuitive du probleme des universaux, iere ) ; (2) la mrologie lui permet de ne pas liminer les en ti ts
on dirn qu'il cst nu rnoins possible de dfinir ce que sont le nominn ubstrnites nu profit des seules entits concr~tes : il y a chez lui un
( ' lisme et le ralisme aujourd 'hui, puis, en fonction de ce critere quivalent Jiomlnaliste des proprits, ce qu'il appelle quale, u la
simple, de voir dans quelle mesure on peut parlcr de nominalisme et fois individu et entit abstraite rcurrente, que l'on retrouve chez
de ralisme au Moyen Age. une pluralit de particuliers concrets, dans la mesure oii il fait partie
On peut le fnirc. Mnis c'csl, i\ nos ycux, rcfnirc sur le lcrrnin de d'eux nu sens mrologique du terrne.
l'nnnlysc 1'crTcur que 1'on n cornmlsc sur cclul de 1'nppmche nnYve . SI, b pnrllr de ce conccpl prnluble de nomlnallsme, on 11'ef'f'orce
En 1977, Paul Vignaux a clairement formul le probleme en dis- maintenant de circonscrire a priori un champ mdival de recherche ,
( 1
tinguant deux rnthodes pour nborder et dlimiter un ensemble de on n'obtiendra ren d'extraordinaire. Si l'on s'en tient au programme
faits intellectuels dsigns comme "nominalisme mdival" . minimal nonc dans les slogans, on devra constater que nombre de
ralistes mdivaux (c'est-a-dire de philosophes mdivaux tradi-
Deux manieres sont concevables pour aborder el dlimiter un tionnellement considrs comme ralistes par l'historiographie) pro-
ensemble de faits intellectuels dsigns comme nominalisme fessent que le monde est un monde d 'individus ou, si l'on prtere,
mdival . On pourrail acccpter uu point de dpnrt un concepl de que seuls existen{ des individus. Si l'on considere le premier critcre
nominalisme antrieuremenl ucquis dans une rflexion philoso- technique goodmanien, on verra que le rejet de la relntion d'nppar-
phique, et 11 pnrtir de ce conccpt circonscrirc en quelque fn'ron tenance n' a pas de sens dans une philosophie o u le probleme des
a priori le champ mdival de recherche. On peut aussi interroger
immdiatement les donnes connues d'histoire de la culture au classes n'est pas pos. D'une part, carla question de savoir quelle
Moyen Age: si on y trouve des reuvres qui apparaisscnt typiques sorte d'entits il faut accepter pour rendre compte de la vrit des
d 'un nominnli.1me signnl~ por ce tcnnc dnns ccttc histoirc memc; mathmatiqucs n'inclut pus In notion de classc, mais porte plutt sur
1'nnnlysc de ces tcuvrcs condu lru ~ proposcr a posterior/ une notlon lll stutul ontologiquc des objets ou choscs mnth6mutiques intcrculs
du nominalisme mdival (p. 293). par Platon entre les ldes et les choses naturelles (ou, plus exacte-
20 21
( )
\. )
( ~
'
La querelle des universaux Un probleme satur
\ ;
ment, sur l'expos qu'Arislolc fait de celle doctrine de Plalon, dans sa d'un nominulisme signul par <.:1.1 tenne duns <.:elle histoire mllme .
Les termes ont leur importance: les slatuts universitaires parisiens de (
Mtaphysique); d'autre part, paree que la notion raliste mdivale
d'universel fait prcisment obstacle a celle de classe; enfin, paree 1339 et 1340 ou les interdictions royales du xvc siecle (dit de Senlis)
~
\
que la meme ou un embryon de distinction entre relation d 'apparte- peuvent nous clairer utilement sur la rfrence que les mdivaux. '
nance et relation mrologique de parties atout appara1t, asavoir ges-- a
attribuaicnt certains substantifs (par ex.emple, pour nominaliste : (
la thorie noplatonicienne des trois tats de l'universel (dans la ver- Occam, Grgoire de Rirnini, Buridun, Pierre d' Ailly, Marsile d'In-
sien qu'en rapporte Eustrate de Nice), cette distinction sert aussi bien ghen, Adam Dorp et Albert de Saxe ), mais, as' en tenir aux mots, on
_ le prop~s du raliste 9ue celui du nOt,nin~liste. , risque de perche de vue la chose mcme et de prendre pour nrgent (
- ---i~ttttt-tt-,otu-nukmHgtt<-)Fl'H'-1{;-mmunuJuuuc__goonuuucJl 'l N9ll&lll'_ compllull les rnpprochclliCIIts l'orcs oprs pur lu vie (politiquc) des
-mnitutiuns-;-01-cst--ttltws--<..-'aH"kt,-pou -suill'_cr..Jcs_pJJD_Om~Jl.C-'_!_ (
l'insistance qu'il met sur la relalion mrologiquc permel (1) de ne ,..
pas ngliger, comme extrieures a la problmatique des universaux, accepler des dislinctions entre nominalisme de gauche et nominalismc \
les incursionsde problemes mrologiques dans quelques doctrines de droite 8 , qui sont aussi dplaces au Moyen Age que l'application '
mdivales, et (2) de ne pus sous-estimer l'importance thorique des brutule de critercs goodmnniens. (
cfforts d'ploys par ccrtnins auteurs, pnssablement discrdits pnr Scmbluble diiTicult vnul pour le rnlisml.l. M8mc si l'on se limite
a
l'historiographie, pour donner corps une problmatique des touts- a une priode relativement courte de 1'histoire de la pense mdi-
c'est le cas, par exemple. pour Roscelin de Compiegne, injustement vale -le Moyen Age tardif (xn-xv siecle) -, aucune dfinition claire (
rduit i\ profcsser un vocalismc laiss en friche jusqu 'aux travuux du rulisme nc s'impose a>rivri u!'historien. Cclu ticnt d'ubord ulu
rcents de 1. Jolivct. ~
diversit des ucceplions du terme ralisme duns lu philosophie
Mais ce n'est pas cet encouragement ext~rieur a la recherche qui moderne et contemporaine, depuis l' atomisme logique de Russell (
doit orienter la vision de l'historien. Ce n'est, au mieux, qu'un bn- affirmant 1'existence spcifique des relations indpendamment
fice secondaire. Le vrai probleme est de montrer comment et pourquoi de leurs termes jusqu'au ralisme comme affirmation de la ralit
les problcmes mrologiques se sont immiscs duns la querelle des du monde extricur (la thesc de la ralit du monde au sens de ( \
universaux. C'est alors un autre travail qui s'engage, qui rclame K. Popper). Pour chuppcr ula prolifration des relations duelles ou
(
l'examen d'un objet proprement mdival: l'laboration de la topique le ralisme se trouve aujourd'hui engag (ralisme et idalisme, ra-
.t
du tout, selon la distinction entre tout universel et tout intgral, anar- ' lisme et instrumentalisme, ralisme et phnomnalisme, ralisme et
til' des nwtrinux trumunis pnr les mo1wgrnphi01i logiqucli de Bo~cc. oprutionullsnu.:, n.luliHIIIC ct vrifknt'ionllisnw, cte.), on peut vi-
Cela dit, on peut aussi s'manr:;iper du cadre goodmanien et consi- demmenl poser ljUC la question de la signification du ralisme mdi .( ~/
drcr qu'un I?rogramme nominaliste'a tout intret aacompagrier son val doit elrc ramene aun domaine d 'enquete bien dlimit, cclui des
ontologie (l) d'une analyse linguistique des noncs scientifiques, relations entre smantique et ontologie tel que l'labore la querelle : \
philosophiques ou ordinuires, (2) d'un empirismc mthodique et (3) des univcrsnux, puisquc chacun sait que c'est sur ce point que le ru-
-d'une npproche naturulistc, voire mntrialiste de !'esprit- ce pro- lisme s' oppose uu nominalisme. A supposcr qu 'on soil parvcnu uune \
gramme une fois dfini, on peut alors aborder les philosophies dfinition claire du nominnlisme comme Jsignanl toute doctrine qui
mdivales. On risque de n 'y rencontrer que peu de compagnie- en ( 1) refuse de poser dans son ontologie autre ehose que des individus
dehors d'Occam peut-etre, memc S 'il paralt difficilc de trouver e hez concrcts el (2) cantonnc au monde des sig11es (des noms) 1'uni-
lui un quelconque quivalent de (3). (
:
La conclusion est simple, il est intressant des 'engager dans la pre- 8. C'csl ce que font les historicns qui distinguen! les nominalistcs de droilc , dils
miere des deux voies indiques heuristiquement par Vignaux, mais historico-criliques (les tenants du significabi/e complexe, Grgoire de Rimini,
comme en toute dmarche historique a priori, on ne retrouvera pour t upr. 1344, ct Hugolin d'Orvicto, t 1373), les nominalistes modrs >>, dits occa-
fin ir que ce que 1'on a pos au dpart. Fnut-il alors choisitla seconde mi~les >> ou lnico-critiqucs modrs (0<-:eum, Picrrc d'Ailly, '1' 1420-1421, Gubricl
~
voie 'l Il va de soi, pour nous, qu 'une notion de nominalisme Biel) elles nominu1islcs de gauche >> dits "modcmistes, ou 1ogico-nitiqucs radi- 1
caux >> (Robcrt Ho1kot, t 1349, Nico1as d' Autrccourt, t upr. 1350, Jcan de Mire,;ourt,
mdiva! ne peut etre pro pos e qu' a posteriori. Cela ne veut pas dire . fl. 1345, Adam Wodcham, t 1358). Sur ces cnlgorics, cf. W. l Courtenay, Covenant
pour autant qu'il faille s'en tenir ades reuvres apparaissant typiques .:.
and Causality in Mediel'al ThouRht, Londres, Variorum Rcprints, 19H4.
22 23
;n
La querelll' des unil'er.1aux '
',
Un probleme satur
versalit et l'abstraction (C. Michon), ii restera que le ralisme ne Martn Heidegger, tienne Gilson a propos ~;~n modele de l'his-
pourra ~tre cern comme le simple contraire de ces deux dcisions. toire oula mtaphysique thomiste du pur acte d '~tre ( actus purus
\.
On pnssc sur les chnngemcnts de pnrndigmcs scicntifiqucs qui font essendi) nppnraissnit commo le couronncmcnt do In pense mdi
qu'il y a autant de distance historique entre un no~albertiste colo- vale, un sommet vers lequel tout ce qui prcdait montait diffici-
nnis des nnncs 1450 et un dinlccticicn pnrisicn des nnncs 1150 Iement et duque! tout ce qui suivnit ne pouvait que dcliner. Le
qu'entre deux thologiens du hnut et du hns Moyen Age. On pnssc premier, Paul Vignnux a critiqu ce parndigmc comme relcvnnt
nussl sur te f'nlt que, dl's l'~pmJuo d'Ah~lnnl (ot dnvnntngc cnsuito), 11 d'unc tllo/op,it de /' hi.l'tolre 9 Dcpui.<; quelques nnne!l, le nominn-
' y n plusieurs vurlts de rul sme, qul sont de prime abord encore lisme occamiste a succd au thomisme en position de rfrence
plus difficiles a combiner que le nominalisme d'Occam avec celui oblige. I1 ne s'agit plus ici de thologie, mais de tlologie de l'his-
de Grgoire de Rimini. Il y a plus difficile. toire -la dimension thologique de l'occamisme tant neutralise au
a
Une premiere difficult tient ce que, pour certaines priodes - bnfice de ce qui semble directement importable dans la philoso-
notumrnent pour les prcmicres dcennles du xne slecle -, les doc- contemporuine : le nuturulisme, voire le mntriulisme. De ce
\
sans uucun doute dformes par leurs udversaires. entre ce est vivant et ce qui est mort dans la IJ'"'u"uiJ
Une deuxieme difficult vlent de ce que certains ndversaircs mdi- vale qui dtermine In vision historique - ce est vivmlt tant la
vnux du rnllsrne en ont eux-memes propos des nnnlyses qui ont f'ini pnrt du truvuil thorique susceptible d'etre intgre, moyennant
par fonctionner pour nous comme une typologie pure- c'est le cas quelques adaptations, au dbat contemporain. A cette tlologie de
des critiques du ralisme par Ablard ou Occam. Le rsultat est que l'histoire nous opposerons ici une nutre vue fonde sur In disconti-
a
l'on met autant de soin faire correspondre les originaux leurs a nuit des brt<rri).tcxt. La tache de 1'historien est de dcrire autant que
''. ' copies que les noscolnstiqucs dploynient d'ingniosit h inscrirc le possible le jcu complexe des reprises, des trnnsformntions ct des mp
scotisme et l'occamisme comme branches mortes d'une Somme de tures qui travaillent l'apparence du droulement historique. De ce
thnlngie typogrnphiquement rige en nrhre de In connnissnnce, point de vue, le xye siecle ne fonctionne pus comme un TAO(: de
Troisieme dif't'icult (qui n'est que la consquence attendue de la rechange, un paradigme de substitution pour une conception de l'his-
plurivocit du rnlisme contcmpornin) : ce que nous nppelons
nujourd'hui << rnllsme ne cotTcspond pns plus que le nomlnullsme
- et parfois aucunement - aux positions censes y correspondre au
toire cherchnnt i\ rr,udier les choix d'objet de l'histoire1 continen-
tule , qu'elle soit gilsonienne (Thomus d'Aquin) ou heldeggriennc
(Jean Duns Scot). Le XIVe siecle est marqu par une rvolution, un ~
=
Moyen Age.
La m~me consquence s'impose done pour le ralisme et le nomi-
a
tournant que l'on pourrait dire la fois linguistique et cognitiviste ~
ou l' occamisme a un role dcisif, mais il n' abo lit pas le xm siecle, il ;:il S ;
'-.- 1
a
nalisme : supposcr que le ralisme soit une position philosophique
dtermine, 1'historien de la philosophie mdivale doit toujours,
n'nbolit pns m8me ce qui, du XIII 0 , demeure nu plus fort de l'occn- ;.:J
misme et, par voie de consquence, ne se rduit pas non plus au E-; ~
o
quand il parle des ralistes , dfinir d'abord un cadre, un domaine magistere d'Occam. I1 faut rejeter a la fois Jefinalsme, qui polarise ga ;;
de problcmcs, un lnngnge conceptuel, un univers thorique ou les __ _..dix s!ecles autour d,'un vne~ent .de pen~e ~uppos dominant,,et la . ~
doctrines, les nrguments, les problmntiques prennent leur sens, leur - pratzque mtonymzque del' lustorre, qu1 ex1ge qu'a chaque sJecle ~ ~
identit, leur physionomie propres. -- corresponde une seule posture du savoir, atteste dans une reuvre
singuliere et marque d'un seul nom propre. S'agissant des univer- Z r:n
snux, !'historien ne peut ni partir du prncipe qu'il y a une bonne phi- 8 S
losophic ni projcter sur le pnss, pour spnrer le mort du vif, ce qu 'il ?;:5 ~ 1
CONTRI! LA TLI'!OLOOin EN IIISTOIIU~ suppose etre la bonne maniere de philosopher. Deux rappels s'impo- r;
sent, que 1'on peut formuler ainsi : la thorie des ensembles n 'est pus l:ll
,,
Dnns les dcennics ou le devnnt de In sccnc philosophique tait
occup en Frnnce pnr In ph~nomnologic el pnr ce qu'il nommnit lui- 9. cr. '~ Vlgnnux, "'l'hllo.~ophle chrll!!llllC ct thtologlo dcl'hiNtolrc ,In /)r .1'111111
meme d'un terme impropre la nouvelle philosophie de l'etre de Anse/me tl Luther, Purls, Vrin, 1976, p. 55-67.
24 25
\,.
\ j
In lutte des clnsses; la Somme de! loHique d'Occum n'est pus un vale n rcncontr le rseau de concepts, d'objels thoriques et de
brouillon Je la Somme atltologique. problemes dont elle a tir, comme une de ses figures possibles, le
Quitte alire l'histoire au futur antrieur, il faut multiplier les pierres probleme des universaux; comment ce que l 'historiographie appelle
d 'attente: si, avec R Cayla, on considere comme un problemc fonda- le 'nominalismc' et le 'ralismc' s 'cst constitu; sur qucls se hemos
mental le pussuge des unulyses des prcmiercs Recherches logiques de eonccptuels rcurrcnts les philosophcs mdivaux ont bfiti Icur com-
. Husserl a celles de la ye Recherche- dterminer s'il y a identit de prhension de la pense uristotlieienne et forg Jeur reprsentation
structure nomatique entre le pen;u comme tel et le signifi du platonisme. Ce livre est done un livre d'histoire, ear son objet
comme tel (autrement dit: si la structure des actes d'apprhension philosophique n'existe qu'a s'historiciser. JI prend les choses au .1
de la signification peut tre gnralise i\ celle des acles de percep- commencement, au prncipe, et essaie de restituer une comple~it. ~ .
--Lion )-si-ron se oemandeen quoi-l'nf1'immtion h-us-serlienne que ta- -11 ne va pas aufititilistorique-ou-it--t'mehi-ve-avee-une-pr-obl-mat-H;ue-- --
perception est d'essence propositionnelle peut s'accorder avec l'ide dja constitue, il eherche, au contraire, a montrer sa constitution.
d'une sensorialit directe du sujet percevant , on a, ~u sein meme de
lu phil01mphic dilo contincntulc >>,de quoi 11'intrcsscr nonllculclllcnt
a la doctrine mdivale des (( intentions mentales en gnral, muis l-IISTOIRE AUTORITAIRE ET ANALYSE DES RSEAUX
une raison husserlienne de s'intresser au nominalisme oceamiste.
Parrni tous les mdivaux, Occam est en effet celui qui a donn l'une
des interprtations les plus systmutiques et les mieux luborcs de S'il n'y n pus d'ucces non historique nux problcmcs poss duns
1' intentio commc en tit smantique, el il a dvelopp une thorie pro- l'histoire de la philosophie (ce qui n'interdit pus de truduire certuins
positionnelle du langage mental dans le cadre d'une psychologie- arguments dans un idiome philosophique eontemporain ), il faut
modulaire prsentant 1'ame intellective et l' fune sensitive comme deux aborder ehaque probleme dans une perspective pistmique. Plus
sujcts cognitifs distincts. De meme, si l'on considere avec Cuy la que le exuetcmcnt, il fuut cssnyer d' interprlcr pistmiqucment les divcrs
, dbut entre Scllars et Chisholm sur 1'intentionnalit a une gnmde por- lments, parfois htrogenes, que l'historiogruphie u articuls ou
te philosophique, on peut y trouver de quoi s'intresser aux doctrines neutraliss selon ses propres criteres en les arraisonnant sous un inti-
des M odistae des Xlll 0 et XIV" siecles aussi bien qu' a la critique de 1' oe- tul ou une problmatique dominante. Quels sont, pour les univ~.:r-
camisme par les ralistes tardifs d'Oxford. De fait, la these c!'irr- saux, les instruments et les matriaux utilisables? \
ductibi/itfaible de Sellars (affirmant que les penses comme entits (1) ll y a d'abord le texte ou plutt le prtexte de la problma-
intentionnelles sont drives des proprits smantiques du lnngage >>, ticue : 1'Isagoge de Porphyre et sa tradition interprtative. 11 faut le
ce qui veut dire que l'intentionnalit rside dans les noncs mta- dcrire et 1'anulyser dans le cadre auquel il appartient, montrer en
linguistiques qui expriment les proprits smantiques d'une langue quoi et par quoi il.fai/ histoirc.
ohjct )el In thl;si: d'irdduC"ti/lilit forre de ChiHhol111 (solon luqucllc (2) 11 y 11 uussl lo corpuN d' Aristotc lui-mCmc, les thorcmcs qu'll
les proprits smantiques du Iangage, et done les nones mtalin- contient, les gestes philosophiques de rupture qu 'il est cens vhicu~
guistiques qui les expriment, sont drives des proprits des penses, lera l'gard du platonisme.
qui sont le support fondamental de J'intentionnalit ) ont plusieurs (3) Il y a le stock d'noncs disponibles achaque moment de l'his-
parulleles mdivaux. De mcme, si l'on pense nvec nous que In tho- toire, sur quoi le travail el u philosophc s 'ex cree concretcment, qui
rie des objets de Mcinong a le moindre intret philosophique, on peut dfinit pour lui l'horizon du questionnnblc. Au Moyen Agc, ce clwmp
s 'nttendt"O que la leeturc des multiplcs rcprises o u critiques muivales d' noncs disponibles n un noto technique : ce sont les auctoritates,
de la thoric avicennienne de 1'jndiffrence de 1'essence ne sera pas- les autorits , e'est-a-dire les propositions philosophiques consi-
inutile. Le lecleur qui partagc ces intrets trouvera dans e livrc de drcs commc ayant une vuleur dlinitionncllc ou opratoirc. 11 fuut "-
quoi s'orientcr pour les sntisf'uirc. les rcccnscr, dil'l'rcncicr les chumps produits par lcurs multiplcs com
Notre conception de l 'histoire ne sacrifiera pas pour autant au binaisons ct, le cas ehant, Jeurs phases de latenee et de retour.
mouvement rtrograde du vrai . Ce qui nous importe est d'ordre (4) Enfin, il y a la Jogique du dbat lui-meme, e'est-a-dire (a) les
archologique: nous voulons expliqucr comment la pcnse mdi- instantiations successives eles figures de discussion mises en place
' 26 27
La querelle des universmu ~' Un probleme satur
r
~
pnr Ai'istotc, les interpretes noplntoniciens, puis les diverscs p,n~--- '
rntlons de philosophcs mdivnux, Hulrcmcnt dit les continuits L'lncoh~rcnce de l'orlstot~llsme
structurelles, qu 'elles procedent de schemes conceptuels invariants, ou d'une ambigu'it destinale
ou de squences argumentatives rcurrentes, (b) les rarrangements
ou les refontes de ces structures, (e) les discontinuits et les ruptures
pistmiques, marques par l'apparition de nouveaux lments ou de L'auctoritas mdivale est ce qu'on appellerait aujourd'hui une
nouvelles combinaisons, irrductibles a la donne initiale. citation. Mais c'est une citation d'un type spci~l, une citation qui
On essaie ici de faire face a chacun de ces rquisits, sans prtendre destine la pense, c'est-a-dire 1' envoie a ce qui lui appartient ,
a l'exhaustivit: pour le premier point, en dterminant exactement le selon le seos donn par Heidegger au mot 'destin' (Geschick) 10 Or,
problcmc que Porphyrc n lgu i\ In philosophie ultrieure et In et c'cst li\ ce qui fnit l'originnlit de l'auctoritas mdivnlc et du
maniere, on le vcrru, purndoxnle, dont ill 'u pos: pour les lrois nutres mode de penser fond sur les autorits, dans certuins cas, 1'autorit
points, en tentant de pour ensemble tudi le voue la au destin de son incertitude interne. On arrive alors
le prob des univcrsaux. Elle porte sur divers domaincs dont la ne qui soit. C'est le cas de ,r
solidnrit cnche ou explicite fnit In spcificit de 1'objct tudi: tho- toutcs les nulprits d' Ads:; '> univcrstmx. A rcgnrder les .
r rie de la perception, ontologie des qualia, thorie de la cognition, thoremes qui, pour les mdivaux, constituent le champ d'noncs
\ srmmtique et philosophic du lnngnge. Elle procede de schcmes et d'ar- disponibles a la rflexion, 011 voit que la plupart peuvent fonctionner
guments rcurrents, parfois saos transmission textuelle directe. On pour le compte de Platon. Une histoire fonde sur les autorits
montrt~rn ki que le rcssort de tout rnll.~mc cst un nrgumcnt, que nmrs montre que les nonc11 les plus nr'iNtotlicicnll- puisquo d'AI'iRiotc
( nppclons 1' 'urgument du Mnon', grfice nuquel Socrnte-Platon funde la lui-m~me- vhiculent un platonisme rsiduel. Examinaos-les som-
ncessit du recours a ce que le Moyen Age appellera des 'natures mairement (tant entendu que chaque chapitre en fixera ensuite les
(
communes participes' pour expliquer ontologiquement la cospcifi- modulations propres). Deux noncs prcis donnent le point de vue
( cit des individus. La rcurrence de cet argument, en dehors de toute d 'Aristote sur les universaux.
connaissance du texte du Mnon (qui n 'a pratiqucment pas circul au (1) De interpretatione, 7, 17a39-40: l'universel est ce qui, de
Moyen Age), montre l'inutilit d'une histoire coni(Ue en termes d'his- nature, se prdique de plusieurs ou ce qui est naturellement prd~
toire des sources, mais elle ne dispense pas d'une tude des corpus: car qu de plusieurs , universale est quod est natum predicari de plun-
c'est bien sous la fonne d'un retour du rejo1tl platonicien que s'ac- bus, dit la traduction latine de Boece. A premiere vue, il n'y a la
complit chnque rnlisme mdivnl. Que l'nrgument du Mnon soit nucune ambigu'r't : Aristote parle des termes universels, des mots sus-
(
1'absent de 1' histoire des universaux prouve qu' il faut concevoir 1' cri- ceptibles d'etre prdiqus deplusieurs sujets. Si l'on regarde, toute-
ture de l'histoire en termes de rseaux, de dplacements et de substi- '''
fois, le texte sur Jeque! est prleve l'autorit, il faut en rabattre. Que
( tutions. Le rsenu notionnel des textes qui sont les rsidus diumes du ' dit, en effet, Aristote? Puisqu 'il y n des choses universelles et des
(
platonisme, les di verses traces mnsiques ouse fondc le travnil, s' ins- choses singulieres U'nppcllc uniVcrsel ce dont In nnturc est d'Ctrc
crivent daos de vastes dispositifs textuels ou ce qui manque compte affirm de plusieurs sujets, et singulier ce qui ne le peut : par exemple,
( autnnt que ce qui est montr. Le fantomc du plntonisme cst toujours homme est un terme universel, et Callias un tenne individue!), nces-
gliss entre dcux livrcs sur les rnyons de In bibliotheque relle. Le pla- sairement la proposition que telle chose appartient ou n 'appartient
tonismc, d'unmol le Mlnon, est toujours smtl >), i\ l'tmlprunl , et pns h un sujct s'nppllqucrn tnntt u un untvcrscl lnntt h un singu-
c'est sur cet emprrmt invisible muis sensible que se font les aristot- Iier. Meme si l'on peut discuter la traduction de Tricot, un fait est
lismes. Car le platonisme n'estjamais vraiment dehors, oubli, recou- a
clair: aucun lecteur sens ne devrait, tire ces lignes, en retirer /' im-
vert ou surmont. 11 parasite jusqu 'aux thoremes fondamentaux
d' Aristote. C'est ce que rvele 1'histoire autoritaire.
( 10. Cf., sur ce point, M. Heidegger, Logos (llrnciite, frngment 50), in Es.wis
' et C01ifrences, trad. A. Prau, Paris, Oallimard, 1958, p. 269, qui explicite le jeu
entre le destin (Geschick) et l'envoi (Schicken).
28 29
-r----
'
)
30 31
\ .
La querelle des wlil'ersau.x Un probleme satur
mine le support de l'autorit. Avant la traduction des Seconds Ana/y- auctoritas fondant I'ambigu'it destinale de la notion d'universel.
tiques ct el' Aviccnnc, le rnlistc doi t soutcnir que la su os tunee prc- (3) Isagoge, 6 (Tricot, p. 24) : Pnr sn pnrticipntion 1'es pece, la
mierc et la substance seconde sont des substances et des choses multitude des.hommes n'est qu'un seul homme: en revanche, par les
existan! par soi et que la substance seconde est une res per se exis- hommes partculiers, 1'homme unique et commu.n. devent mu~-
tens prdicahle de plusieurs substances premicres. Mais par la il trans- tiple. Cette these, formule dans le langage platomcten.de la partJ-
grcsse les termes de CaltRorirs, 2. Pour neutmliser cettc trnnsgression ctpntion, tnit censc lucidcr t.n rcl~ttion ~te 1'univc~sclau pnrticulicr
(selon Cat., 2, une res per se existens devrait etre seulement une sub- chez Aristote! Elle ne pouvatt vtdemment le fatre sans compro-
stance premiere), il ne peut faire que ce que fait Albric de Pars, le 'i mettre l'aristotlisme. Le point dcisif est qu'elle a fonctionn
grnnd ndvcrsnirc d'Ablurd et des Nominales, il ne pcut que poser In comme une structure conceptuelle d'un bout h l'autre du Moycn
these apparermnent paradoxale qu 'une suhstance premiere, Socratc, Age. La encare, les thories des Reales du xne siecle apparaissent
est en m~me temps universelle. Quuml appurait la dfinition des comme l'expunsion doctrinule d'un programme conceptuel fix dans
Seconds Analytiques, c'est une autre contradiction qui se fait jour: r,' le formulaire porphyren: la thore raliste de la col/ectio, discute
cur on ne voll touJOUrs pus comment s_, accommoderoeT' ontologi~e--crce----+iii-,-~p-a-r A.oe.tarcrn'est que-illmse~IT<Irgument~-cJ-e--ta-furmttie--de--t'-1-sa-----
CntRorirs, 2. Rn l'occurrcnce: commcnt une suhstnnce sccondc .i. RORe, 1\ l'nutre extrmit du Moyen Age, la th~orie d~ I'ho!l:'mc
pouJTult-ellu, t~n bon nrlstotllsnle, tre duns une nutre chose tJ '/ commun oppose nOccnm pur Unuthler Uurley n t~st qu un mfllrlll
Toute la problmatique des universaux se dveloppe done, en fonction i:~ ment de la notion porphyrienne de 1' homme unique et commun .
des supports autoritaires, soit comme une transgression permanente ;~ . A la question de savoir d'ou viennent les problemes philoso-
de Catgories, 2, soit comme un effort pour sauver les phno- ,: phiques on rpondra done id: des structures conceptuelles articules
menes. Ce n'est pas !'Isagoge de Porphyre qui commande le dve- f:
dans des noncs fondateurs. La question des universaux n'est pus
loppement conceptuel, mais l'obscurit de la doctrine de la substance ;, ne de rien, comme .un arch~ype quise serait tout coup manifest a
expose dans Cat:ories, 2. 11 fallnit bien une Introduction a la doc- dans le temps. C'est.un produt de l'aristotlisme- du corpus d' Aris-
trine des Cat:ories. Celle de 1'/sa:o:e n'a pas suffi a dssiper les df- : tote -, c'est un produt de sa tradtion interprtative et pas n'importe
ficults. Les prcmicrcs solutions essnycs nu Moyen /\ge - ndmcttrc i!' tnquclle : In noplutonicicnne. Le probleme des universnux cst n
qu'il y a des choses prdiques- comme les plus tardves- poser qu'il r,: d' Aristote, de la critique arstotlicienne du platonsme et du plato-
y a des structures conceptuelles (disons un ordre essentiel) inhrentes 1!: nisme rsiduel dans 1'aristotlisme; l est n de la confrontation du
aux choses- n'ont fait que dployer fond l'inconsistance des qua- a ;l' corpus aristotlicien avec ces Catgories qui ont toujours t en Iui
tions fondutriccs. commc un corps trnngcr; il est n des cxplicntions de Porph(rc
' Elles l'ont fuit d'uutnlll plus fucilemenl que Porphyre Jui-m~me ~ij duns ceue Jsagvgl! cense introduire h la lccturc des Cattgones.
n'a pas contribu aclarifier la pense d'Aristote. Noplatonicien, le Faire l'histore du probleme des universaux, c'est prendre en compte
disciplc de Plotin a laiss la troisicme these fondamentale pour tout ces phnomenes et tenter de reconduire la problmntiquc a la struc-
., le rnlisme mdivnl. Si le plntonisme tnit lntent, fnntomnl, dnns tes turc profonde qui n'n cess de In porter. Notre thcse est que ccttc
textes d' Arlstotc, 11 clntt1 nu grnnd jour dans 1'<cuvrc de Porphyre. structure est lisible en grnnd duns les Cattgories, spciulement dnns
C'est le cas de la these que nous considrons comme la troisieme j[ la combinatoire mise en place en Catgories, 2 pour prsenter les
>m diffrents types de ralits ontologiques : substances (premieres et
secondes), accidents (particitliers et universels), et, plus largement,
,:!
12. Ccrtains ralistcs du XJVe siccle trouvcront la solution. quilibruni les aucto- par-de la 1'inconsistancc ele ses dfinitions successives de l'oucr(o.,
ritates, ils uttribucront h Porphyre une thcse, qul, contrcdisunt formellemcnt l'cn- daos la dfinition de la prdication synonymique (cruvc...l\I.t.w<;) el
seignement d'Aristote dans le chapitre 2 des Catgories, pose que <<les
substanccs secondcs sont dans les subsranccs premicrcs " C'est ce que fait, par celle, inchoative, de la prdication accidentelle ou parony~ique.
excmple, Guilluumc Russcll duns son Compendium super quinq11e universa/ia. Si la problmatique des unversaux nait de la confrontahon perma-
Cf. A. D. Conri, A Short Scotisr Hnndhook nn Universnls : Thc 'Compcndium nente de t'uristotlisme ct du plntonismc nu scin meme de In pcnsc
super quinquc univcrsullu' nf Wllllnm Russc:ll, OFM " Calrier,t de 1' lnst/tlll du d' Aristote, il y a des rvlaieurs structurels qu doivent permettrc de
Moyen Age grec etlatin (= CIMAGL), 44 (1983), p. 49,4-5: ltem, secundae sub-
stantiae sunl in primis, 111 dicit Porplryrius; sed non pcr inte/lectum; ergo, etc. suivre en dtail le jeu complexe des travestissements et des m~ta-
32 33
1'
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\ j
l'Antiquit au dbut de l'Age classique est !'Isagoge. Con\!ue comme On peut cependant lire cette numration comme une grille qui
une introduction a l'explication des Catgories daos le cadre du cursus prsente les alternatives fondnmentales qui organisent le questionne-
u
noplatonicien o la philosophie d' Aristote sert de prolgomenes la a ment de l'coie noplatonicienne 13
(
philosophie de Platon, !'Isagoge introduit au texte qui ouvre tout le
cursus aristotlicien de l'enseignement noplatonicien. La perspective 13. La grille noplatonicicnne mise en reuvrc dans l'I.wgoge u connu divers
est concordataire. Premier texte de l'Organon, prface des Catgo- ram~nagemcnts, mais elle a conserv la mcml! fonction hcurisliquc. Ainsi, au
(
ries, !'Isagoge n'a pas d'ambition thorique. C'est une explication des Moyen Agc, le << probleme de Porphyrc fonctionnc cornme un vdtabl~ programme
.. narrulif oli s'nniculcnt les possibilits conccptucllcs el les thcscs eikcliVcmcnl sou-
principales notions requises pour l'nnalyse de la doctrine aristotli-
cicnnc des Catgorie'.l' - une cxplicntion ot1, pdngoglqucnlclll, Por
' ICIIIICH d!IIIH ('hfNIIIil', ll11 CXI'IIt)llll d'u11 le( pro~rHIIIIIIC l'HI I11r11l tnr ., Cllllllll,l'll
tulrc de Unuthicr Uurl~>y ~ur ('J.wgoe (cf. .~ttper <lrf<'lll 1'<'/t'rt'lll J'utpltyrlt el
phyre, l'diteur de Plotin, adopte essentiellement le point de vue des Aristole/is, d. de Vcnisc, 1497, 1" 3vb). Pour Burlcy, la prcmierc qucstion porte sur
pripatticiens , qui est le plus adapt a la logique (i\oytxt:rn:pov). le fuit de snvoir si les univcrsuux cxistcnt rcllcmcnl (1111'11111 unh<rsa/ia existan/ in
(
34 35
(
l\
' (
'
La querelle des unversaux Un probleme satur
La q~est.ion (1) s'inscrit dans le cadre d'tin premier aspect du le reflet imparfat et ne ralsent que sur un mode dficient l'excel-
dbat d Anstote avec Platon : les genres et les especes ont-ils une lence de leur nature, modeles auxquels l'ame, qui les a contempls
exist~nce rclle ( subsistance ) au titrc de formes spares ou exis- dans une vie antrieure, avant sa chute dans le monde des corps, fait
tcnt-lls se u lemcnt dans 1'esprit du sujct connaissnnt 14 7 La prcmicic retour par l'annmnese ou << rminiscence (Phdon, 74A sq.). La
branche de 1'alternative correspond clairement la thorie platoni- a u
seconde branche correspond en partie la these aristotlicienne stan-
ctenne des Tdes 1\ modeles pnrfnits des choses sensibles qui en sont dard qui fait de l'universel un concept postrieur aux choses dans
l'ordre de l'etre (De an., I, 1, 402b7-8), dgag du sensible par un
processus d'induction nhstrnctive. La prsentntion du concept nris-
pi! IN, lnul H'lnchn!ntl, On dumnmlenolnnJmcnl H'IIH cxiNICIIIl\ pnrl dcH
l'r'l"!llll 1111111/'rl):
lndtv.idus ?u ~culemc.nt en e~x (1111'11111 habea/11 esse separatum a .singularibus ve/ exls- totlielen reste, nunmolns, coch~e duns un vocubululre noplutonl-
t~nt m. su!s .smgulanbus), st u~e seule et. meme chose yeut extster a la fois en plu- cien, comme en tmoigne l 'expression de simples conceptions de
Sieurs md1v1dus- ou, plus prc1sment, s1 un m8me umvcrsel peut exister tout entier
(secundum se totum) en chncun de ses pnrticuliers sans lltrc numriquement multl-
a
l'e'sprit >>, lj>ti\al bnvo(at, qui renvoie une distinction technique,
non aristotlicienne, entre concepts authentiques- notions de ra-
----pl.A-$upposc-_quc-k~niv~r,~aux~~gjcnh<l6pnrs-dc.~ ''*'~'-~-ww.-<-u-~~~;~+umu~;-~mmHc---
s'lls existent seulcmcnt duns In pense ou bien nussi 1\ l'cxtricur d'elle (extra illfei-
l~ctum); si l'on nd~et qu'ils existen! i'll'extrieur de la pense- these dile platoni- La question qui part de l'existence (subsistance) relle des
cJenne -, In qucs11on cst de snvoir s'ils cxistcnl scuicment en Dieu 11 titrc d'ldcs universaux, pose en langage sto'icien le probleme de la nature de ces
reprsentnnt les es peces des choses cres - these dile nugustinienne - ou s 'ils existants (subsistants): s'agiHI d'etres incorporels ou d'etres corpo-
possedenl une cxisterice par soi extrieurcment i\ In pense di vine- these des plnloni-
cicns modcmcs, que dvcloppcront les Forma/iza/1/t's commc Jrllme de Prngue. rels? Les sto't'ciens admettnnt quntre sortes d'incorporels- le lieu, le
14: On notern, ce qui n chupp jusqu'ici nux historlens, que le ml!me iypc de temps, le vide et le AE.XTV, c'est-a-dire 1' exprimable ,ce que les
questmnnement se retrouve dans l'opuscule de Proclus Sur /' existence du mal, qi mdivaux appelleront l' non<yable ( enuntiabile) -, on bu te, sous
n'~ survcu qu'e~ latin, sous le litre de De malomm subsisten/la: Ce ~u'il fnut pre- une nutre forme ct dans un autrc registre onto-logique, sur une
mt~rement cxununer, e es! si le mnl es! ounon; ct, duns l'nffinnutivc, s'Il est duns les
l~lelligihlcs (in lmcl/cctrwlllnu) ou non; ct s'11 cRI sculcmcnt dnnR les Hcnslhlcs, si contrndiction implicite aux deux theses opposes en ( 1). L' cxpri-
e cst sclon ~ne cuuse,llrlnclpnle ou non: et slnon, s'll fuutlulnllrlbucr quek1uc sub- mnble cst en effet un t!tre dgug des imprcssions sensibles>> qui
stance ou s'1l fnut tcmr son etre pour totnlement insubstnntiel; et dnns le premcr cas, reprsente un stade de la connaissance ou le contenu de l 'exp-
~onumntJI c~is1~ si l~.rr.incipc r.stnulrc el d'~1i'l il !irc Annnri,gin.c el jusqu'oi'l il pru- riencc .-;ensible se trnduit en~ termes de lungnge , Ce contenu u deux
c~dc ... Cf. 1 rodus, lrms hudc,\' surlal'rmtclclwe, 111, Dr 1 e.\"1.\'/t'llt'e du mal, lrnd.
D. lsnnc, llJH2, p. 2H-29. On notcrn que, sous lt' litre lnlln de .1'11/J,\'/t'll/ia, In qucsllon pnrticulnrits: (n) il est 1' nrticulntion d'un contenu imng en
de Proctus, lclll' que In restltuc Moerhekc, n bien un scns exlstcntlcl, commc en puroles nutrement dit, ce n'est pns l'objel d'une intuilion univcr-
tmoigne l'ouverture: Sive igitur est sive 11011 malum primo considerandum; et si
est, utrum i~z intellectualibus es/ aut no11, etc. Selon D. Isaac, op. cit., p. 111, n. 4,
eetlc mam~rc d'aborder le probl~mc du mal par In question: "csl-il o u n 'est-il ( subsistcr , p<ir opposition 1\ . existcr , existieren), nous purnltmoins plausible,
pas ?" nv;,pelle celle par luquelle Pnrmnide ( 137b) aborde le probl~mc de 1'unit de meme si l'opposition entre In subsistnnce de 1' incorpore! et le vide du concept
l'un .. l.n .ce, qul l'o.nccrnc le lt'xlquc de ltt subslstuncc el de 1' cxlstcncc , lu purcmcnt rictlf llll pcut eue excluc a priori de l'horiwn de comprhcnsinn du prc-
vers1on latine de Gmlluumc de Moerbeke doit l!tre compare 1\l'nbrg grec (byzan- mier probl~me de Porphyre. La prscnce sto'icienne semble, toutefois, plus vi-
tin) d'lsnac Comnene le Sebnstocrntor (nepl Ti'j(.' TW\1 xaxwv nocrTacrew~;), d. dentc dans le deuxieme << probleme >>. En tout tat de cause, c'est a articuler le
D. Isnnc, op. cit., p. J27-200. On y retrouve, en effet, les termes clcfs de l'nlternntive diffrend Platon-Aristote que !'Isagoge a trouv sa place dans la tradition interprta-
porphyricnne, nolnmment <~r:TTT)lCf.\1 (cf. note suivnnle) ct i;v Tot~: a(r:r0T)Totc, ici tive,. ct c'est cette fonction qui, se ule, nous intresse ici. Sur Meinong et les sto'icicns,
oppos h f.v Tntt vmrot(. (nu llcu de l:v (.l\I<lll: cnt.cxtc i:mvol!xt~:). Sur IHnnc Com- , F. Ncf, Tlio Qucstion of tho Sinniflratum. A Prohlcm Rni~ed nnd Sol ved,
n~ne (jl. vers 1140), cf. A. de Liheru, La Phllosophie mdivale, op. cit., p. 34-36 .. , In L. Formignri & D. Gambarurn, Historica/ Roots of Linguistlc Thtories, Amslcr-
15. Sur les problcmes de traduction du verbe <!J(crmcr8al, cf. A. de Liber, dam-Philadelphie, J. Benjamins, 1995, p. 185-202. .
lnlroduction ,/or. cit. Dcux lrnduclions lnlines s'opposent- dnns 1'/.wioge: .wll- 16. Sur In diff6rence enlrc tn(vow et tj;Li\1) &nlvOLa cher. les noplntonicicns,
.!lstrrr; clnns le~ 0111.\'C'IIlrs tMo/o?i({IIC'S (Colllra Eutychc11, :l) de Bo~cc : .whstare -, cf. A. de Libem, lnlroduclion >l, loe. cit. cr.. en Ollll'e, S. Ebbescn, The Chimcrn's
qui renvnlent h de,~ sch~mc,q conceptucls difl'~rcnts, o~ plnlnnismc el sln)'clsme Dimy. Editcd by S ten Ehbcscn , in S. Knuuuilu et J. Hintikkn (6d.), Tlw Lo!( le of
meten! ou conlrnricnl lnextrlcnblcrnnl lcurs influenccs. Nous nssumons ici Being, Dordrcchl, Rcidcl, 19!!6, p. 119; Ph. llol'l'mnnn, Cutgories ctlunguge sclon
qu'<jl(omcr8m signifie exister rellcment , i.e. vritnblement, au sens des Ides Simplicius. La question du "skopos" du trait aristotlicicn des Catgories , in
plntonicicnnes, non 1111 sen~ des choscR singulihcs. Le Rens sto'J'cien d'tl<lllcrTao9m, si l. Hndot (d.), Simplidus. Sa vi e, sonreuvrr, sa survie. ActC'S du colloqur illlemational
fortemenl oppos 1\l'ide d'existence relle (nu sens courant du tcrme: celui de In de Paris, 28 sept.-l"'oct. 1985 (Peripato!, 15), Bcrliz)-New York, W. de Gruyter,
rniit<,< t'XIrrnnrnlnl!') q11C' l'.l'rlnii\N illl!'l'pr~ll'R Ir rnppnwhrnt d11 lustrlwn de Mcinont I9R7, p. 76-77. ..
36 37
--------------- ;
'--
38 3Y
La qmrc/le des unil'l'rsaux Un probleme satur
ye siecles pennet de Jire. Si 1'on schmatise les trois questions de terme 'incorpore!', pour etre sto'lcien, n'est pas utilis seulement
1 par
P.orphyre, on voit en cffet que celui-ci n greff une question sto'i les sto'iciens 1il fait galement partie du langage d 'Alcxnndre d Aphro-
ctenne sur un schcme qui~ pnr In suite, cst dcvcnu le point de vue disc, chef de l1colc pripntticicnnc d' Alcxnndric ct ndvcrsnirc des
syn.th.tique, con.cordat.ai.re, des nopl~toniciens sur les doctrines pla- sto'Jciens. Pour comprendre la question de Porphyre telle que les
tomcJcnne et nnstot!JcJcnnc des un1vcrsnux. 11 suffit de prscnter ___,,.,,.,ivuux pouvaient J'cntendre, il faut done galement ten ir comptc,
ainsi les altematives de Porphyre : _ on le verra avec Boece, de la connotation authentiquement aristotli-
cionnc qu'cllc pouvnit pr6scntcr pour un nuteur lntin du VI" sicclc.
(l. 1) leN gellf'eN el leN CHJ>bCliN HOIII deH rulllH HllhsiNIIIIliCI 1.111 cl;N Salsir le statut matriclel du texte de Porphyre, impose de renonccr
rnl!mes o u (l. 2) de simples conceplions de 1'esprit ; a une histoire mcaniste qui engendre les positions de 1'historiogra-
(2. 1) les genrcs et les especes sont des corporels ou (2. 2) des incorporcls;
(3. l) les gcnres el les especcs sonl des etres spars ou (3. 2) des etres a
phie partir de philosophemes considrs nbstraitement. Il fuut
subsistan! dans les choses sensibles; regarder le texte dans la suite de ses mtamorphoses. Il faut paralle-
lement envis 1'/ elle-mme dans le cadre structurel qui
P?~r voir se t:onner !a structure qui a port toute l'exgese noplat~ est sa avec '-err-o-
lli~Jenne tanhve, pUJs, 1\ truvers elle, une pnrtie de 1'exgese ara be et semble des corpus aristotlicien et platonicicn qui, a des degrs
latme, par des voies que 1'on peut identifier historiquement et sur divers et selon des canaux de transmission spcifiques, l'ont enca-
lesquelles on reviendrn plus loin. Cette structurc est In distinction des dre de l'Antiquit tardive a la fin du Moyen Age. L'Isagoge
trois tats de 1'universel : n'existe pas en soi, son intelligibilit et son contenu sont relatifs a
l'tat des corpus philosophiques ou elle s'inscrit. La problmatique
40 41
,.
.
'
ccm~ente ~ci de ~es 'prsenter en elles-memes - la suite des analyses caracteres communs et non particuliers a un individu. C'est dans la
---sufflsant-a-mamfester-lanature-et-l'temlue-es-di+fieults-rencon- dfinition clu genre que Porphyre donne les exemples canoniques qui
trc.~ par la trudltion lntcrprtutiVI.!, ilcrvrl1tt (Hir 1il lit!Tlq ill1tsfrcr1cs--rl1vcnnYJWRil'mrivrlNnnx; B1111s In
(Dl) Le genre .. ~orphyre donne trois dfinitions du genre. A ses tradition mdivale, e 'cst la dfinition (D le') qui S!.!l'll utilise.
yeux, seule la trosu~me est proprement philosophique. Le gcnre, c'est, par excmple, !'animal; 1'es pece, l'hommc; la diff-
(Dla) Le genre se dit, d'abord, d'une collection d'individus se rence, le ruilmnnnblc; le proprc, In facult de rire l'accident, le
comportnnt d'une ccrtuine l'u~on pm rupport h un scul attc ct pnr rup- blanc, le noir, le s'usscoir . Ainsi done, les genrcs dif'f'crent,
port entre eux - c'est le genre au sens de race ou du latn gens. La d 'une part, des allributs applicables nun seul individu, en ce qu 'ils
race des Hraclides est le genre, e' est-a-dire 1'ensemble des des- sonl attribus a une pluralit; ils diff~rent aussi, d'autre part, des
cendants d'une meme. souche, qui ont entre eux le meme rapport attributs applicables aune pluralit, asavoir des especes, en ce que r '
(de parent), paree qu'ls dcsccndent >> d'un ancctrc commun. les cspcccs, tnut en tant nltribucs i\ plusicurs individus, nc le sont
.<D ~ b) Le gcnre est aussi le point de dpart ,plus exactement le ccpcnduntqu'll des individus nc dirfrunl pus entre cux spcifique-
prmc1pe (&px~) <~de la gnration de chaque chose, qu'il s'agisse du ment, mais sculement numriquemcnt. C'est arnsi que 1'homme,
gnrateur 1':1-meme ou du lieu ou une chose a t engendre . qui est une espece, est attribu a Socrate ct a Platon, lesqucls diffe-
(J?lc) Enfm, et c'est le sens philosophique, le genre est ce sous rcnt 1'un de 1'autre, non pus en es pece mais en nombre, tandis que
quot est range l'especc .Le sens (Die) a quelque chose de com- l'nnimul, qui cst un genrc, csl nttribu 11 1'hommc, au btcuf ct uu
mun avec les d~u~ usages vulgaires du mot genre: C'est en effet cheval, lesquels diffcrent entre eux par l'cspccc, et non plus par le
une sorte de pnnc1pe pour toutes les especesqui tui sont subordon- nombre seulemcnt (trad. Tricot, p. 15).
n~es, et il scmble aussi contenir toute la multituclc range sous lui.
(_; ;.s!.
~ pn;p.:l~ de~~ 1e) que P~>rp!IYI'C retrouvc, en In compltnnt, In (D2) L' C'Sf}(lce. Porphyrc propose plusicurs dfinitions, dont
(D2n) : L'cspccc cst ce qui cst suburdonn nu gemc donn ct
a~~~.l!~on .tiJstotlic!~nne de 1 Ul1lverscl duns le De interpretatione,
qu 1l c1te duns lu vers1on parallcle et plus dtaillc des Topiques, l, 5, (D2b): L'espccc est ce qui est rung sous le genrc ct ce a quoi le
genre est attribu essentiellement. Une troisieme dfinition (D2c) :
19. En l'occurrcncc, 11Jpituc.i', l. S~ 102nJ 1-32, tmd. Bnlllschwlg, Purls, Les
L'espcce est l'nttribut qui s'upplique essenticllement a une plum-
Bcllcs Leurcs! 1967, p. 7 (gcnre): Est gcnrc un nllrilmt qui uppurticn! en lcur lit de termes diffrunt entre cux numriquemcnt , qualifie 1'es pece
cssence h plus1eurs cl~os~s spcil!quem,em dif~rentcs ; 102u18-19, /bid. (proprc) : elite spcialissime (par cxemple homme), c'csHt-clire l'espcce qui
<~ Est un propre ~e qu.t, sans expnmer l essentiel de l'essence de son sujet, n'appar- n'a au-dessous d'elle que des individus numriquement distincts (par
t.tent. p_our.tant qu a lut, el p~ul .s'changer ~VCC Juj Cl! posit,Oil de prt)ical d'un sujet exernplc Socrate ou Platon) et non d'autres cspeccs subordonnes
ct~ncrcl : 102!145:, ~r~IIJ.~ch;-ng, p. H(L\<.:cidcnl): I:s1ucc1dcnl ce qu1, suns ricnl!lrc
de lOUl cc!u: 111 dllllllton_. 111 pro.m~. 111 gcnrc, uppurlicnl pmu1un1 i\ son sujcl,: el (ou subaltcrm:s ). C'csl ccttc df'inition (D2c) que rctientlru en
102b6-7 . 1hu/.: << Et :IUss!: ce qu1 pcut appartenir el ne pus apparlenir i\ un scul et gnralla tradition mdivule.
1~mc SUJC!, gucl qu'II s_ml. Su.r le s~slcmc des<< prdiCablcs' chez Arislolc, objc1 (D3) Des trois dfinitions de lu diffrcnce, l 'une, la troisicme, qui
~ une. dd~~~!on par d1ch~tomtc ~rOI.se >>, cf: J. Brunschwig, '<<Sur le systeme des porte sur la diffrence a u sens tres propre du terme , retient l' at-
prd1cnblcs duns l~s Tonquts d Anslotc , m Energe/a. Etudes aristotlicitnms
a
offert~s M8' Alllomo Jatl/1011{' ( Rcchcrchcs , 1). Puris, Yrin, 1986, p. 145-157 lention. C'esl cellc de la diffrencc spcifiquc qui fait les individus
(spcutlem~nl p. 146-1~7). Sur les cmprunls de P01vhyrc i\ Aristolc, cf. A. de Libcrn, non pas sculemcnt de qualit autre, mais fait un etre mllre . C'cstle
<< Inlroductwn , loe. cit. a
cas de la dffrence raisonnable qui, s'ajoutant !'animal, le fait
42 4:1
(
e
:( La CfiU'relle des universaux Un prob/eme satur
e nutre; c'cst-i\-dire divise l'nnimnl en dcux cspcces subnltcrncs: Js
e animaux raisonnables et les animaux non raisonnables, tandis que la
diiTrcncc mortc/ divise les nnimnux ruisonnables en deux espcces:
Une figuration clebre de 1'Arbre de Porphyre, modele directe-
ment sur le lexte prcdent, est celle que propase le commentaire de
e les hommes (mortels) et les dieux (immortels). Jusqu' ce que l'on Julius Pacius (Giulio Pace, 1550-1635), un des principaux commen-
e nrrlv~ ~ l'l'spi'ct spt<l.'lnllsslrnc,lcs diiTt~nm~t's 0111 doru: dcux nspccls:
elles divisen! le genre suprieur el constituent les es peces infrieures
tnteurH d 'AI"IHiote h l' Age t:lnHHLJUI!, L' rwccnl tnnt lllII HUr In hirnr-
chie verticale du genre et des especes, les diffrences n'apparaissent
e (chaque es pece, sauf 1'es pece spcialissime, tant genre pour ses
especes subalternes). C'est dans l'analyse de ce mcanisme d'engen-
pas (figure A).
e drement des especes par le jeu de la diffrence constitutive/divisive Substance (genre supreme)
e que Porphyre introduit 1'essentiel de la conceptualit noplatoni- 1
cienne. Dja, daos la section consacre a 1'es pece, il avait invoqu Corps
e Platon pour expliquer le double mouvemcnt de dcscente des gcnres 1
Corps-amme - - - - ----
e ---g-enr1rtissitnes lillxcspcccsoef'nlercsen1rfX1no1vltlu--:c;-;-eraetcnfrHcc
--
(_
la substance estle plus gnral el il est seulement genrc; l'hommc est
l'csp~cc spdullssunc ctll est sculcnuml csp~cc; le corp1l csl csp~cc t.:
'~:~
qui semblnicnt mtnphysiqucmcnt hicn inoffcnsives, elles se sont
avres au Moyen Age, partic_ulierement apres l'i~terve~1t~on ~ho
de In substance el genre du corps anim; quant au corps anim, il est ' rique d'Occnm, d'unc porte rmprvue. On ment10nne tct unrque-
( es pece du corps el gen re de 1'unimnl; ~ son tour, l'unimnl cst es pece
clu corps animt< et genre de !'animal raisonnnble; l'nnimal rnisonnnble ment celles qui seront reprises dans la suite, asavoir :
( csl t'spcn <k l'nnimnl el Rt'nrt' dl l'honunc; l'honum tsl cspccc dll (D4). Le proprc est ce qui nppnrtient une sculc espece, i\ toutc,
t'nnlmnl rnlsonnnble, mnls lln'est plus gcnre des hommes purtteuliers, el towjours ( quod cunvenit omni, soli el semper), commc pour
( il n 'est rien qu 'es pece; et tout ce qui, plac avant les individus, leur l'homme la facult de rire. En effet, meme s'il ne rit pas toujours,
( cst nttrihu irnmdintcmcnl (trad. Tricot, p. 18-19). l'homme du moins csl dit cnpable de rirc (en latn risibilis), non
( 45
44
(
(
.......
'\
L
'
)
}
)
)
Un probh!me satur
J
gcnus gencrnlissimum pas paree qu' il rit toujours, mais paree qu' ille peutlwlttrellement . J
SUBSTANTIA (05). L'uccident est (D5a): Ce qui se produit el dispurult suns
entra'ner la destruction du sujet. Porphyre le divise en deux J
es peces : 1'une spnruble du sujct, 1'nutre insparable. Dormir est J
CORPUS un uccident spurable; el re noir, tout en tunt un uccident insparnble
pour corbeau et thiopien, n'empeche pus qu'on ne puisse tout nu
moins concevoir un corbeuu blanc et un thiopien qui perde sa cou-
)
leur sans que le sujet lui-meme soit dtruit. Une autre dfinition,
CORPUS ANIMATUM que les mdivaux utiliseront parfois pour viter les difficults sus- }
cn~es -par laprctderrte; -est--(f)5-b-)c-:-t'acci-dent- est-ce qui peut
appartenir ou nc pas appartenir au meme sujet. La dfinition (D5c) )
ANIMAL jouera, en revanche, un role moindre: L'accident est ce qui n'est ni
gcnre, ni dillrence, ni espcL:e, ni propre, mais l!Sl ccpcndnnt tou-
jours su bsistunl dans un sujl.!t ('Ii"icot, p. 34 ). )
ANIMAL RATIONALE
)
Stu le lien entrc In problmutiquc des unlvcrsuux
!-lOMO et la doctrine des catgories
spccies specialissima
)
Figure B
Une des marques les plus ncttcs du licn qui unit tu scolastiqw.: no- )
platonicicnnc de 1'Antiquit tnrdive uvec la pt.!nse mdivale latine
est la liaison entre la problmntique des universaux et 1'interprta- )
. substantia
~ -------ala tion du sujet des Catgories d' Aristote. C'est elle qui donne son sens )
corporcn ~ ---._ incmporcn vrilublc nu projet de Porphyre. Mais c'cst elle uussi qui explique
comment la querelle des universaux s 'est instrumente dans le'dbat
corpus~
~ MiuJ .. auquel !'Isagoge faisuit une prface inutle tant qu'elle n'avait pas )
animatum ---------- mammatum a
t elle-meme soumise ce premier criblage. C'est pourquoi le dbat
entre le ralisme, le conceptual isme el le nominalismo n 'est qu 'une )
.?! ~orpliH nnimllllllll ~,
1
-- figure purticullcn.J d'un dhut plus pml'ond ct plus gn~rnl: celui qui
1
11 1~
1 Uc/
scnsibile __.-- ., insensibilc porte sur la nature des catgories. En dfinissunt le genre cumme
l'attribut essenliel applicable aune plurulit de choses diiTrant entre
~animal elles spcifiquement, Porphyre avait employ le mot catgorou-
~ ------aliuc/ .
mene , usscz. souvcnt synonymc e hez. Aristotc de ct.ttgorcmc et
rutionnlo ~ ~ irrutionule
de cntgoric . La distinction latine entn.: praedic:anwllfwll (cutgo-
aliui----- animal rationale ~, rie, prdicament) et praedicabile (prdicable) montrait saos en expli-
morlalc ___..;----- . inmm1ale citer In naturc la ressemblance et la diffrence entre ces deux
registres. Tout tnit li u In prdiculion, tllllrcment dit, pour fnire
~homo~
a\ill~ alius
assaut d 'ambigu'it, a la catgorisation , mais il pouvait sembler
par moments difficile de comprendre pourquoi les genres et les
s~~~ Figure C s. artes
especes taient des prdicables et les substances ou les qualits des
47
La querelle des llllilersaux Un probleme satur
pn~dicnnlt'lll!'l, L'Arhrc dtl l'orphyrc pt'l'lllt'llnil do sni.~ir t:ll quoi le.~ trine.~. lll vocnlislllc ctlll nominnlismc ,une volution dont Ahlunl
prdicnblcs mcublnient ontologlquemenl chacun des gemes Je pr- u t le principal promoteur en changeunt sa premiere doctrine des
dication distingus par Aristote en l'espece des dix catgories. Mais universaux comme voces en une doctrine des universaux comme ser-
on se sentnit pris i\ chaque niveau dans le ccrcle qui rasscmblc les mones ou nomina.
mots, les concepts et les choses. On pourrait faire 1'histoire de la problmatique des universaux
Chez les commentateurs anciens d'Aristote, il existait, on l'a dit dans son lien avec 1'interprtation des Catgories en suivant les
trois thories sur la nature des catgories : la premiere en faisait de~ diverses instantiations de la triade des mots, des concepts et des
q>wval, c'est-1\-tlire des sons vocaux ,la deuxiemc des ovra, ctres choses. Les avatars des vof(-LaTa entre les mots et les choses sont un
ou lnnts , In troisicme, des vof(-LcxTa, noemes ou notions, on rvlateur structurel, une marque de 1'volution des problmatiqucs.
dimit aujourd'hui des<< objets de pense 2. La dfinition des cat- On restituera ici les tapes principales qui montrent que, par-dela les
gories comme voix , noemes ou tants s'est retrouve au positions doctrinales (ralisme, conceptualisme, nominalisme), se
M oyen Age. Les ambigu'its du texte d 'Aristote, mais aussi la cachent des choix et des articulations disciplinaires (ontologie, psy-
--cunrrnimc:nnrclmct1c ~lcnrotc;-mtsnm--rouslcstyTic~nlcne'-ll-!-r-.i----ti+M" -- -c1m1oge-;-smuntiquc)-qutcorrespondcntllu-domnine-de-problcmes-
conccvnhlcs -, In mdintion de ccrtnincs soun.:es- In Parapltmsi.l' plus fucilcmcnt syntht is sous le primnt thorique des eh oses, des
'J'hemistiana, les commentaires de Boece- expliquent cette perma- concepts et des mots. Cette triade est fondamentale. Elle se remplit
ncnce. La problmatiquc mdivalc des univcrsnux nc s'cst pns dvc- ct se modifie, se rcdistribue et se rarticule en fonction des textes
loppe sur la seule base de l'exgcse de l'lsogogr de Porphyre, rnnis disponibles ou pistmiquement dominants a une poque donne. 11
en linison nvetl'txt~gcst de Carfgorit'.\', JI y n cu,toutcf'ois, des ndnp .. y u un Ogc tllls univcrsnux ou le mugistC:rc thoriquc cstnssur pur le
tntions de vocabulaire el des fluctuutions terminologiques. Le terme De anima, un autre ou ill 'est par la Mtaphysique, un troisieme par
q>wval d'abord rendu par voces, sons vocaux ,a cd progressive- la logique dite des Modernes , fruit du gnie mdival. Des textes
ment la place i\ d'autres vocables: sermo, voire nomen, avec Ab- a
restent 1'horizon, indpassables et incontoumables des qu 'ils sont
lard, puis terminus, avec la logique terministe du xmc siccle, et connus et traduits. C'est le cas pnr excellence des Seconds Ana/y-
terminus voca/is, nvec les nominulistcs du x1ve; le tctmc vo{f!ata a tiques, qui condcnsent tous les problcmes conncxes qi font la rnlit
t remplac par conceptus, intentiones o u d 'a u tres expressions plus vritable du probleme des universaux: de la thorie de la perception
proches d 'Aristote, commc a.ffecriones ou passiones animae, ou rer- a la thorie de la cognition. Un texte demeure d'un bout a I'autre de
minus mrnralis nu xrve; en fin, le tcrmc m eme d '(Svnx a cd la pince 1'Antiquit tardive et du Moyen Age, compagnon insparable de
cclui de rts, choses .'A In trindt <p<llvu(-vof(-L<XTCXISvTa n done 1'lsaRO/.:l' : les CatgoriC's. Par un rcmnrquable cffet de retour, 1'l.m-
succd celle des mots/noms, des concepts et des choses. Cette vo- goge, qui devait permettre une lecture facile des Cargories, a t
lution tait programme dans la scolastique noplatonicienne tardive obscurcie par le texte qu'elle devait expliquer. Mais c'est qu'il
pour le passnge des voix >> uux noms et cclui des ~vto. nux nppurtennit nux Catgorics de vhiculcr les cnjeux vritubles et de
choses (rrp<yf!<Xtex) ntlcst chcz ec11nins nuteurs, dont Simplicius, fixer le tnux d'intelligibilit vnrinblc d'unc ccuvre qui ne se conce-
qui utilise indiffremment <pwval, Met(;' et 6v6f!aTa. Dans le Moyen a
vait que par rapport elles. Avant d'entrer dans l'histoire entiere, on
Age latn, le pnssngc de l'interprtation des universaux commc peut illustrer le phnomene par un exemple.
voix cellc des universaux comrne noms ou mots n, en Un tmoin privilgi de la liaison entre la problmatique des uni-
revnnchc, rcprsent une coupure pistmnlngiquc l.'ntrc clcux cinc- vcrsnux ct In doctrine des entgorics est la controvcrse d 'Ablnrd el
d 'Albrlc sur In cutgorie de substunce, b lnquelle on u f'nlt 1 tnntt ullu-
20. Un des plus anciens tmoins - voire le plus ancicn -de cette tripartition est sion. Revenons-y un instant. Selon Ablard, la division aristotli-
rourni pur Clmcnt d'Alcxundric, Srmmates, VIII, R, 23, 1, d. Stllhlin, 111, p. 94, 5' cicnne ele la substance en substancc premiere et substnnce
12, qui distingue ovf..LUT<X (noms), VOlf.lUTU (conccpts, dontlcs noms son! les sym seconde est presque inintelligible si on !'interprete comme une dis-
boles) el mJ><df..LE:V<X ( suhstrnts rcls, dont les conccpts sonl, en nous, les tinction entre des choses plutt que comme une distinction entre des
cmprcinlcs ). Sur ce point, cf. J. Ppin, Clmcnt d'Aicxundl'ic, les Catc!gvrics
d'Aristote ct le Fragmcnt 60 d'Hrnchte ,in P. Aubenquc (d.), Conccpts et Cat mots. Si l'on en fait une distinction de choses, cela revienta dire que,
gorit.f ... , lot'. l'it., p. 271-2R4 (sp6c, p. 271-279), pam1i les choses qui sont des substances, les unes sont universelles,
4R 49
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demande alors (Q2): Quand tu dclares qu'il y a des quantits blmatique des universaux. La question (Ql) introduit la notion
d'abeilles de toutes sortes et diffrentes les unes des nutres veux-tu d'oucr(a. Socrate demande ce qu'est l'abeille rrept oucr(a,. Selon
d~re. qu'elles sont diffrentes en tant qu'abeilles, ou bien, de qui les Monique Canto 24 , le tcrme oucr(a a plusieurs significations chez PI a-
d1~tmgue, n ~st-ce pas nutre chose que cela, par exemple la beaut, la ton, puisqu'il dsigne soit (a) l'existence relle d'une chose (Prota-
taille et certams caracteres du meme genre? La rponse de Mnon goras, 349b; Euthyphron, 11 a), soit (b) la nature relle ou l'essence
(R2) est qu' en tnnt qu'abcilles, elles nc difterent pus les unes des d'une chose, etque cettc essence, a son tour, est con~ue soit (bl)
nutres ou, dnns In version Canto, qu' en tnnt qu'clles sont des comme une ralit intelligible immanente aux etres sensibles, purt-
abeilles, il n'y a uucune diffrencc entre deux d'entre elles. La culiers et concrets- ce qu veut dre qu'elle prsente le meme type
these selon laquelle il n 'y a pas de diffrence entre les abeilles en d'etre qu'eux, qu'elle se situe au meme niveau ontologique (Euthy-
tant qu 'elles sont des abeilles en nppclle immdintemcnt une nutre, phron, lln), soit (b2) comme ontologiquement diffrente des rali-
que ~ocratc formule de maniere hypothtique (Q3): Si jete disnis ts nommes d'apres elles, et connuissable par la se ule pcnsc
__ cnsuJtc : Voyons,_Mnon, cettc chosc par lnqellc elles se ressem- (PIIdun, 65d, 78d, 92d). Entmduisnnl m.pt oua(ac par duns Sll rn-
6Ient et qui est idenTique chez toutes, quefle est-elleTTuauraissans ----;-- 1ite>>-;:-Moniqae-eanto-constdereque-S-ocrate-se-rtere-au--sens-{a7-et-
doutc une rponsc toutc pretc 'l (trnd. Croisct 22). 01, si jc te ___.---(b 1)'({u tennc. Cnr, commc le montrc (R3'), ce qu 'une nbcille est dnns
dc,mnndn~s ensuite : "Eh bien, Mno~t. dls-moi quellc est cettc' pro-__ _.. -- sn rnlit, c'st l'lment rcl en f'onction duque! toutes les nbcillcs
pnt qu1, snns crcr In molndre dll lrcncc entre ces nbcllles, f't son! des nbeillcs el se trouvcnt etrc, en tnnt que !elles, identiques )),
qu'elles sont toutes la meme chose. D'apres toi, qu'est-ce que Ainsi, dfinr ce qu'une abeille est dans sa ralit, c'est aussi dfinir
c'est ?"A coup sOr, tu saurais me le dire! (trad. Canto 23), une es pece animal e, 1' lment de rfrence que doit considrer toute
Mno~.ayant.rpliqu (R3) qu'il saurait rp?ndre a la question de tentative de dfinition en ce domaine tant l'dl>o~, cette forme
Socrate s lila lm posmt, Socrate fonnule pour llllln rponse qu'il n'nu- dont Socrate nffirme qu'elle est unique et identique chez toutes les
\ j rait pas manqu de donner et l'applique au probleme de la vertu (R3'). abeilles, une fois reconnue leur identit spcifique . Comme celui
d'oucr(a, le terme eTBo~ a plusieurs significatibns, puisqu'il dsgne
Eh bien, In question est la m!!me ~ propos des vertus : quelque nom- soit (1) une ralit non sensible par rapport a laquelle est dnomme
breuses et diverses qu'elles soient, elles ont en commun un ccrtain une classe d'etres sensibles, que cctte ralt reprsente toute la ra-
cnrnct~re gnml qui fnit qu'elles sont des vcrtus. C'cst ce cnrnc- lt dont les etres sensibles sont dpourvus (la) ou qu'elle nc pr-
tere gnral qu'il faut avoir en vue pour que la rponse ala question sente pas de diffrence ontologique de nature dtermine avec les
soit corrccte ct laisse saisir en quoi consiste la vcrtu (trad. Croiset,
p. 237). @tres pnrticuliers qui tirent d'elle leur nuture et Jeur nom (lb),
,1 soit (2) un universel Jogique, une sorte de genre oppos des a
:;: ) Eh bien, c'cst pnrcil nussi pour les vct1us 1Memc s'il y en u bcuu es peces plus petites ou udes pu.rticulicrs (Thtate, 1781\; Banqur:t,
' coup et de toutes sortes, elles possedent dt.i' moins une seule forme 205b; Rpublique, II 357c). Dans le texte du Mnon, c'est le sens
cnractristique idcntique chcz toutes snns cxccption, qui ruit d'cllcs (1 b) qui est allgu par Platon: En cffet, ni la conception sclon
des vcrtus. Une telle forme curactristiquc cst ce qu' il faut bien laquelle l'dBo~ serait dot d'une forme de ralit suprieure acelle de
nvoir rn vm mur n<pondrc 1\ 1111 dcn1111\llc de llHllllrcl' en quoi l'etrc sonNihlo, 111 c~~llc qui donnel'llit i'll'd<'ln(.' uno forme d'existcncc
l:onslsto In vcrtu (lrnd. Cnnto, p. 29). spare ne sont envisages 25 . Autrement dit, (lO') est une rponse
Le caractcre gnral , que les vcrtus ont en commun, In forme a
adquate In problmatique o uverte en (Q 1): le sens (1 b) d'dl>o~
caractristique unique et identique , que toutes possedent sans correspondant parfaitement au sens (b 1) d 'oucr(a.
exception , c'cst l'dBo,. De cette analyse on peut tirer diverses observations :
Ces quclques lignes foumissent la trame platonicienne de la pro- C'est la m8me forme caructristique ,le memc ETBoc, qui scrt
a dfinir ce qu'est un individu m:pl oucr(a~ et l'espece a laquelle il
_22. Cf. Plnlon, Mnon, lrnd. A. Croisct, Puris, Les Bcllcs Lcllrcs, 1967, p. 236.
23. Cf. Plnton, Mnon, lrnd. M. Cnnlo ( OP , 491 ), Pnris, Onrnicr-Finmmurion 24. Cf. M. Cnnto, In Plnton, Mnmr, lrnd. cit., p. 219-220.
1991, p. 12H. ' 25. Cf. M. Cnnto, /bid.
52 53
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IIL.._'_,- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - : - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ..
( ;
individu m:pl oo<X(,'. Commcnl Socrntc s'y prencl-il? En faisanl abeillcs >> [ou <{ce n'csl pas entunl qu'cllcs sont des nbcillcs ou ce
dire Mnon que les abeilles ne dit'ferent pas les unes des autres n 'cst pas dans la nu.:sure o u~llcs sont des ubeilles ] qu' il y a une uif-
en tant qu'abeilles , puis en lu faisant admettre qu'il saurait dire frencc entre les abcilles >>. C'cst cette formulation que Socrate (
s' ille lui demandait, quelle est la chose par laquelle les abeilles s~ conserv~ et transforme a la fois en (Q3) quand il demande a Mnon
(
ressemblent et qui est identique chez toutes ou quelle est In pro- non cuellc est cette chosc par lnqut:lle elles se ressemblent , mnis
prit qui, sans crer la moindre diffrence entre les abeilles, fait bien, littralement, par laquelle elles ne diflerent nullement (ouMv
qu'elles sont toutes la meme chose , puis, une fois qu'il a admis Bta~pouow). Dans la rigucur des termes, done, la doctrine ele Platon
qu'il saurait le dire, d'expliciter pour lui positivement, c'est-a-dre est que 1'dBoc- esl ce par quoi des eh oses ne differcnt pas ,ce qui,
s.ous forme de thcsc;' ce ~ui fait qu 'i_1 samait le di re s 'il. devuit le di re. exprim de maniere positive, ne dit pas qu'cllcs se rcsscmblcnt, mais (
Socrul<.: rpond done luJ-lllcmc 1\ (Q3) en mcttunt uu Jour lu vue smllement qu'elles sutil non di!Trentcs.l)'unc l'ormul: l'di1o~; est cl.l
de l'f:~8o(.' (f~3'), que prsuppose lu ~< rponse de Mnon (RJ). L1.1 pnr quoi, du point de v11e de l'ooltx, des dwscs sontnon diiTrcntcs (
rponse de Socrule cst renduc poss1ble par la nuture ml!me e sa
a
question, laguelle son tour, dpend du groupe (Q2)-(R2).
les unes dcs uulrcs. C'cst t:ctlc dot:trinc que l'on retmuve uu Moycu
Age dans la thorie de 1' indifferentia .
( .
Si 1:on s'nttnche plus spcinlement uIn formulntlon de (Q2)-(R2), On notern qu' i Ine fuut pns confondrc ( 1) le problemc de Porphyn:,
on votl alors que Mnon reconnalt moins 1'identil spcifique des celui du statul des univcrsaux, uvcc (2) le probleme de la connais-
54 55
,,
La querelle des universau.:1: Un probleme satur
sanee de l'universel et du singulier. Platon a imbriqu les deux daos forme ponyme, certaines se rvelent possder effectivement cette
le Mnon, dans la mesure ou l'acte par lequel il tablit la ncessit proprit et d'autres non.>) La critique philosophique prend ainsi la
conceptuelle de l'Jde (probleme 1) est celui par Jeque! il s'leve a la forme d'un art de nommer: lorsqu'il y a cart entre la dnomination
connnissnnce du gnrnl (problcme 2). Chncun de ces problcmes n sa et In chose, il faut rectifier la dnomination >), par exemple, nc
proprc histoire, son propre temps pistmique, mais les deux interfe- pas nommer courageux des actes qui ne proceden! pas du courage >).
rent a des moments prcis, qu'il faut cerner, dcrire et tudier pour La dimension premiere du platonisme est done, en un sens, gram-
eux-memes. C'cst ce que 1'on fern ici. Pnssons mnintennnt nu der- maticale plus que logique. Le platonisme grammntical est In pre-
nier prnlnble. miere forme du plutonismc mdival et la premiere intervention du
platonisme sur le terrain des universaux ..
Durant tout le Moyen Age, la causalit ponymique des Formes
platoniciennes a hant les dispositifs conceptuels, bien que la thesc
TIIORIE I'LATONICIENNE DES IDES
- - - - - ---J!"J"_(:A ll.'iAI,ITIL(WtJN-'I'M-UJ-lJI.!.--l.lJlS_jlw~MHS-- __
du Phdon nc soit pns dircctemcnt nccessible (trnduits vcrR 1156 pnr
- Hem!-Arh;tippe;-ni-le-P-hdon-ni-le-Mnon-n~ont eonr1u--t1e-dif-fw11<>H
vritable). EUe l'a fait par deux canaux, qu'il faut dcrire ici brie-
Le ralisme platonicien des Formes spares est prsent dans le vement.
Phdon. La these centrale est expose en 102b: Les Formes exis-
tcnt et sont des choses cltermines. Les nutres cl1oses reyoivent leur
dnomination de leur participation a ces Formes 26. Outre la spa- La causalit ponymique .
ration des Formes considres comme des choses dtermines et la et le probleme.des causes d'imposition
participntion, il fnut noter le !heme de la causalit ponymlque qui ,,
;
t
dploic onto-fogiquement In pnrticipntlon. Les Formes sont non seu- ,. La cuusalit ponymique a fnit un retour indircct dnns In probl-
lement causes des choses, mais causes ponymes. L'ponymie l. matique des causes d'imposition ou causes d'invention >) des
signale que les choses sensibles tiennent leur nom d'une Forme. La . noms, chere aux grammairiens et logiciens du xne siecle, avec l'ide
causalit ponymique n 'est pas ncessairement lie a la position de que la correction ou l'incorrection cl'une dnomination langagierc
1
la Forme commc Forme spnrc. Elle pcut s'nccommoder du typc de constituait le bon anglc d'attnque pour dcider de la vrit ontolo-
ralismc exprim dans le Mnon pour les formes immanentes . a
gique inteme d'une chose (l'or vrai tant seul tnrlter le nom
Monique Dixsaut crit: La relation entre choses et Formes est une d' or >)),ce qui prsupposait, implicitement, que la conformit entre
relation d'ponymie: la prsence de la Forme dans une chose lui une chose et sa dsignation exprimat une relation de la chose a un
donne droit nson nom. )) Ln cnusnlit ponymiquc des formes cst un typc ou modele idal, purfnitcmcnt ou imparfnitcment ralis dnns
lment central du plntonlsme. Ln dnomlnatlon d 'une eh ose est sa structure ontlque concr~te. La nution de participutlon , hrilc
cense exprimer sa relation ontologique de participation a la Forme. du platonisme vulgaire ou commun a travers des sources diverses,
La dnomination rend possible la critique du langage. Jl appartient instrumentait plus ou moins clairement cette relation. La raison
au philosophe de vrifier s'il y a conformit entre une chose et la d'imposer, c'est-a-dire de donner un noma une chose n'tant
dnomination qui lu est accorde, d'exnminer In compatibilit entre .. nutre que In dfinition essentielle de la chose elle-meme, on pouvait
les choses et les prdicats ou les dnominations qu'on leur attri- aborder la:question des universaux a partir de la problmatique de la
bue . Le philosophe critique est en qucte de clissonances onto- juste dnomination.>), san~ savoir qu'elle procdait de la thorie
fogiques. 11 y a dissonance lorsque, parmi les choses dont on platonicienne des Formes ponymes, voire en s'opposant a l'ide
croyait qu'cllcs nvnicnt ucquis une proprit du fuit de leur participn- meme de participation dont elle tait pourtant, en bon platonisme,
tion i\ une forme donne, et qu'on nommait en fonction de cette indissociable: C'est dans ce cadre qu'il faut apprcier la porte du
geste de rupture accompli par Ablard, lorsqu'il explique que l'tat
26. Cf. M. Dixsnut, in PlniOn, Phdon, commcn1nirc ( GP , 489), Pnris, Gnmicr- d'homme, ou se rencontrent les hommes singuliers, n'est pas une
Pinmmnrion, JI)!) l. p. 282. chose, la chose universelle homm<', mais sculcment le fnit d'etre
56 57
.------#---------------------------- ----
:/
--------~---: ,.
homme (esse Jwminem), qui n'est pas une chose, mais la cause
commune de l'imposition du meme nom 'homme' a tous les diff-
rents hommes singulicrs . A u prncipe du nominulismc d 'Ablard,
Flatus vocis ct sermones: il n'y a done pas la these absurde que les universaux seraient rdue-
nQminismc ct en uses d 'imposition a a
tibles des noms Oll de simples flatU.\' vocis. Le nominalisme
d' Ablard est d'abord un nominisme, une mthode d'analyse philo-
Dans sn Lof?ica No,strorum petirioni (ou Gloses de Lunel), Ablard a sophique oricnte vcrs ce qui fondc dans la ralit l'unit de dno-
pouss~ ufnnd In r6rlcxion sur.lcs univcrsuux upartir du geste inuu~urnl
minnl iou d 'une plurul it de ~:hwws si11gulil:r~:s ( voir cnctHir).
dl! tu darlo nomlnls ou << institutio'n dl!s noms (6d. B. Geyer, p. 522).
_C_'e~l_l'initiative_ QllQnHlsliqLIC ju_j()~()_l~t~._<iQ_I 'hOmme. cntcndu
comme premier instituteur du langage, qui assume le role de centre pro- Une structure; un--scheme-conceptuel platonicien,iOelui de la -rela-
blmatisuteur de la question de J'universel. Par In, le vocalisme, la doc- tion ponymique existant entre la Fom1e et ses participes, est done
trine supcrlicicllc trnilnnt les universuux commc de simples j1atus vocis, l'horizon thoriquc du nominulismc naissant, mais c'estun scheme
el le ralisme grossier SOn! rcnvoys dos ados. Le point d'applicution vid de sa signifieation et de sa fonction platonieiennes, dans la
de la problmutiquc des univl!rsaux n 'est fourni ni par les ehoses en soi mesure ou il opere non sculemenl sans la Forme clle-mcmc el sans la
ni par les rnots considrs dans leur simple ralit matrielle, mais par purticipation, mais confle elles.
ll!S sermm1es, ks mots pris duns lu dimcnsion smnntiquc de l'intcntion La cnusalit ponymique platonicicnnt.: nnanmoins fait un rt.:tour
de signifier, du << vouloir di re ol'igincl qui prside 1\ leur cmploi L!l'fcc- subreptice dans les rllexions sur la notion aristotliciennc de paro-
tif dans un discours. Par la se trouvent rconcilis le point de vue natu- nymie, qui, u raison meme du peu de dveloppements que lui avait
raliste et le point de vue fonctionnaliste: la nature des mots n 'est pas
donne en soi, leur fonetion n 'est pas une simple destination natu- rservs Aristote, a jou une multitude de roles dans les ensembles
rcllc -une cxprcssion qui n'a aucun sens dans le domaine du langagc thoriques les plus divers.
lwmain. La nature du mot doit tre comprise apartir de sa nativit, i.e. a
partir des conditions ct des objcctifs communicationncls qui ont dtcr-
min sa naissance. Un mot n'cst pas un son, e'est un son impos pour Un platonisme de contrebande : paronymie et ponymie .1
sign({ier: << Il y a une autre thorie des universnux qui convient micux 1\
In rniHoll elle n'nllrihuc In collllllllllllllt6 ui nux choHcN (ns) nluux HllllH !OII! ktllll'llt 1111 syst~IIIC lllltologlqut~
1,l!H Catr1gorlc.l' d' Al'lstotc
vocuux (1oces): sdon se~ partlsans ce sont les mots (sermones) qui expos par bribes, dontla cohrence n'apparuit qu'a relier entre elles
sont singuliers ou universcls. Cela est clairement indiqu par Aristotc, quatre squences textut.:lles:
prinee des pripatticiens, quand il dfinit ainsi 1'universel : "L'univcr-
sel est ce qui, de nature, s'attribue plusieurs sujets"; fde nnturel, e'est- le ehapitre J, qui propase une distinetion entre choses homo-
h-dire de par su nnissuncc (nativitas), [son origine]. qui cst une nymes, choscs synonymcs ct choses paronymcs;
institution. Quelle autr~ origine, en effet, les mots ou les noms pour- le chapitre 2, qui offre une classificntion des cliffrentes sortes de
raient-ils avoir qu'une institution hurnainc? Ce qu'estle nom, ou le a
choscs partir des relations prdicatives (( elre dans un sujet)) (i:.v
mot, ille tient de 1'institution des homrnes. Au contraire, !'origine des nOXEt.J.\14), in subiecto) et etre dit d'un sujet (xo.8' TTOXEl~VOU,
sons, commc cl!lle des choscs, cst une cratjon de la nature: le proprc de suhiecto), i.e. les substanccs prcmicrcs, comme Socrnte, qui nc
d'unc chosc ou d'un son consiste duns la seulc oprution de tu nuturc. 11 sont ni di tes d 'un su jet ni dans un sujet, les substanccs secondes,
faut done distinguer !'origine du son vocal et cclle du mot, memc s'ils comme homme, qui sont dites d'un sujet suns etre dans un sujet, les
sont completemcnt idcntiques quant a l'existcnce. [... ] Nous disons aceidents particuliers, eomme une blancheur particuliere, qui sont
done que les mots sont universels paree qu 'ils tiennent de Jeur origine, dnns un su jet sans etre clits d 'un sujet, et les aceiclents universels,
qui cst une institution humuinc, d'ctrc prdicats de plusicurs sujcts,
mais que les sons vocaux ou les choses ne le sont aucunement, meme comme Scicnce, qui sont dans un sujet,l'amc, et dits d'un autre sujct,
s 'il va de soi que tous les mots so m des sons vocaux. la grammaire;
le chapitre 5, qui donne une dfinition des- substanees seeondes
(dju caractrises au chapitre 2 par le couplc ne pas etre dans un
sujct el,, l'!trc di! d'un :wjct ) ~trflcc i\ une notionno11vcllc: l'n!lri-
58 59
(
( La querelle des universaux Un probleme satur
bution essentielle ou synonymique (ouvwvfJ.W<,', univoce), issue /' essence, une distinction s'imposait: tantlH il est clair que les rali-
du dveloppement des lments mis en place au chapitre 1 ; ts se rangent sous la meme catgorie, tantot ce n ~est pas le cas.
le chnpitrc 8, qui dMinit les choscs qunlifics comme ccllcs Ainsl on nppclle 'unimnl' l'homme ct le chcvnl, ct pnr ailleurs on
qui sont dnvmmes d'nprcs des qunlits ou quien dpcndcnt d'une nppellc nussi 'unimnl' Socrnte et le portruit de Socrutc, qui n'cst
autre fa<;on , bref comme choses paronymes ou susceptibles qu'un ensemble de couleurs auxquelles on.a donn une fonne.
d'etre elites paronymiquement (rra.pwvfJ.w~. denominative). Dans ces exemples, J'homme et le cheval participent de la meme
Le chapitre 1 des CatRories contient In seule introduction qu' Aris- e.fsenc~. ce/le de /'animal qui est prdique d' eux par synonymie :
toll' lui-m(llllt~ nit j11g hon de dOIIIICI' h HOil ll'X(tl, <.)uclquc.~ liglll~S, 00 IIH Ho rnngenl done ROUII une Retllo el rneme cntgorle. En rovnncltc~.
les homonymes sont prscnts comme des clwses qui ont commu- Socrate et le porlrait peint de Socrate ne participen! pus !'un el
- ( naut de nom, mais pas communaut de A6yo~ (c'esHt-dire: qui 1' autre a la fois de 1' es sen ce de 1' animal : !'un participe de son
n'ont pas meme nonc de 1'essence ), et les synonymes comme essence, 1'autre de sa couleur ou de sa forme superficielle. lis ne se
des choses qui ont a la fois communaut de nom et de A6yo~. C'est ce rangent done pas sous la meme catgorie : Socrate se range sous
bahH1CC1TICJlt-fnmnmlicux -que vcnr bruta1cmcnrtntcrrmnprc In -dcfi: -1-'essenee,-son-porlrn-point-sous lu-qunlit-1.--- - -- - -- -
nition des paronymes.
Dans sa reformulation de la these d' Aristote, Simplicius cause un
Enfin, on nppellc paronymes les choses qui, diffrnnt d'unc nutre bouleversement majeur: il introduit la participation platonicienne
pnr le cns >, rc;oivent lcur uppcllntion d'nprcs son nom: uinsi de uns un tcxtc qui nc fu contient pus. Pourquoi le fait-il? Puree que
grammaire vient grammairien, et de courage, homme courageux 27. Porphyre 1' a fait avant lui, mais surtout paree que la pense d' Aris-
tote est floue et que le passage s 'y prete. Il va de soi que le mot
r La distorsion introduite par la dfinition des paronymcs est vi- cas (mwcn~) dsignait aux yeux d' Aristote une diffrence de ter-
dcntc. Jusqu'a cct cndroit prcis, Aristotc nvnil dl'ini des choscs, minnison entre dcux noms, ct pns un rnpport rc\ entre des choses.
1111\JS COilllllCill les ]JUI'OIIY111CS pourraient-iJs etre des chvses ayant Cependant, la chute (finale) des mots ne pouvait pus ne pus voquer
communaut de nom et diffrunt les unes des autres par le cas ? l'ide d'un processus correspondant au niveau des choses. Aux yeux
(-
Un cas ou une terminaison est, en effet, une proprit des d'une noplatonicien, la relation casue/le des mots ne pouvait que
\ rnots, non des choscs. Cnmment eles choscs nynnt le rneme nom fonctionner comme l'indice d'une relation de dpendance causa/e
pomrnlcnt-cllcs se < tcrminer nutrcment '/ Snns cntrer Id dnnH le entre In chose donnunl son nom et lu chose le recevnnt - pnr-
dtail vertigineux des exgeses mises en place jusqu'a la fin du ticulierement si, au lieu des exemples de Catgories, 1, le modele
xve siecle pour expliquer et justifier cette distorsion, il faut noter que lectif de paronymie se concentrait sur le cas de la blan9heur dans la
les commcntateurs noplatoniciens d 'Aristote ont saisi 1'occasion chose blanche, de \'albedo (A.eux6n)C) dans l'album (A.eux6~). de la
qu'elle lcur offrait de le (re)platoniser i\ foncl. Dans son commcn- forme spare daos le sujet compos, du substantif abstrait dans J'ad-
taire de Catgvries, 1, la!, Simplicius donne la matrice de cette jectif concret, voqu de maniere tres lache dahs Catgories, 5 et 8.
platonisation du texte aristotlicien, quund, recommens:ant sur C'est done grace aPorphyre et Simplicius que le rapport gramma-
Aristote le mouvcmcnt conceptuel originairemcnt russi par Socrate tical de dchance de l'abstrait dans le concret, caractristique de la
sur Mnon, il pussc de l'expression plntoniquemcnt ncutrc, dif(rer paronymie, apermis, contre Aristote, d'honorer l'invitation malheu-
par J'essence , u une tournure rsolument plntonicienne, ne pus reuse que son texte faisait de passer du platonisme grammatical au
participer la meme essence , platonisme mtaphysique : avec eux, la relation de la ralit dona-
trice a la ralit rceptrice de 1' appcllation est clairement
Si chaque rnlil uvnit un nom unique qui lui fOt propre, chncune se inte1prte en termes de pnrticipntion (.terxeLv).
rnngcrnil sous une se ule ct unlquc cnt~gol'lc. Mnls, pulsqu 'unmen1c
nom pcut s'appliquer a plusieurs ralits qui, de plus, different par 28. Cf. Simplicius, Comment. Cat., 1, ad 1a 1, trad. Ph. Hoffmann, in Simplicius,
lrud. commcntc sous lu dir. ele l. lindo!, fnRc. 111,
Collllllt'lllllit't' .1'111'(1'.1' CatfROI'iN,
Prramlmle aux Catr::ories, lrucl. Ph. lloffmunn, commcnl. C. Lunn ( Philosophin
27. ('1'. ArisiOil', Cr11t1gorit'.l', 1, lnl2-l ~: lrnd. Trkot, p. 2. Antlqun , Ll/111), Lcydo-Ncw York-Copcnhnguc-Colonc, 1990, p. 4, 10-21.
60 61
'---------------..,-------------'-- .. -- .
~es deux conditio.ns linguistiq~es de la paronymie nonces par Si, comme le suggere maladroitement !'affaire des stylos, le ra-
Anstote en Catf{ones, 1, sont nmsi compltes pnr une troisieme ~. --liste ct le nominnlistc ne voicnt pns In memc ,:hose fu,:c uux me mes
ontologique, la participation de chose , et rel'ormules elles~ choses, e' est que, prcisment, ils ne sont pas fa ce aux memes
rnemes en termes de pnrticipution de mot . _ --- choses, mais qu'ils regnrdent d'abord, et peut-etrc cxclusivement, ce
que leur montrent les yeux d' Aristote, de Porphyre et de Boece. Le
I~ y u trois condit~onspour ~JUC les mots dno111inatifs (c/cnomina- poinl de dpart du problcme mc!dival des universaux n 'cst pas duns
ftva_ v~JC:abu/a) soicnt
conslltus: J'nbord que ce qu'ils nomment notre monde, il est dans les systemes philosophiques et les champs
partiCipe d'une chose, cnsuite qu'il participe du nom de cette chose d'noncs disponibles i\ l'poque ou il u prcipit en wobh!me. 11 n'a
enfin que le nom subisse une transformation 29. '
pas d'existence dtachable, mais s'inscrit toujours dans des probl-
Grace a cette redfinition de la paronymie, le:~apport du sujet matiques plus vustes. lment d'un discours, piece d'un puzzle, il
concret, la chose blanche, a la forme abstraite , la ralit la blan- fait partie de rseaux multiples et changeants.
cheur, ~xprim~e par un substan!if ubstn~it, _qu 'Aristote uv'uit noy Quels sont ces rseaux?
d_ans_l~ fl?u arttstlque_ de sa thone de la stgmfication (en opposant la
La philosophie antique a connu deux grandes formes de ralisme :
Signification de l'accdcnt concret, comn1c al/mm <lU siunifie scll- le ralisme platonicien des Ides, le ralisme aristotlicicn eles sub
. ~ .: 1 a/!Jet!o, l\ ct:lll.! dt:s t~:m_1~s q u i, comnw 'homuw'
1~:n ~l.!nt. 1u q ~IU l_H~:1 ' ' "' ' stam:cs. Bien que l'1111 Sl1 soit largcnwnt cunstitu~S par la critiquu dll
1'autre, ces deux ralismes ne relcvent pus ultimcment du meme
ou . ammal ~Igmftent << ~n.e s~bstance quahfte _), devenait un rap- espace thoriquc- le vritable oppos du ralisme platonicicn cst le
po~ f 0/1/0/0~jlqUe de partiCifJU(/011 du Sltjet a UJW jOI'I/lf! que 1'Oll pU
vatt pot~ntJellement .tendre a toutes les ralits, qu 'elles fussent nominalisme, celui du ralisme aristotlicien, l'idalisme- cela dit,
s~bstunucllcs ou nccJdcntcllcs, mulgr les ufl'irmutions de Catgo
l'nristotlisme tnnt cl'fectivcmcnt une critique rulistc du ralismc
nes, 2, sur le statut de la substunce seconde , dite d'un sujet sans p!utonicien, le mlunge de leurs problmatiques, autant que l'antago-
tre dans un sujet. nisme de lcurs discours a dcisivcmcnt pes sur toutle Moycn Age.
Contre l'intention expresse d'Aristote la voie tait ouverte a une La problmatique des universaux est le reste de ce chiasme - un ' '
lhorie uf'f'I'Ill!llll la prscnce des llllVCJ'S;IliX dans )es chOSCS lllClllCS. reste lui-mcme rccouvcrt par le travnil de brouillagc opr, plus ou
11 ne restait plus qu'a <::xploiter certaincs dfiniLions ambigucs moins conscienuncnt, duns les premicres ligncs du 1'/.l'll}fO,t:l' de Por-
~com_me celle d'Am'll. post., U, 19, sur l'universel rsidant un et
phyre. A la qucstion qu'est-ce qui est vritablement '? Platon rpon-
tdenttque daos tous les sujets particuliers ) pour obtenir un Aristote dait: Les ldes , les formes spares; Aristote : Les substances
vmiment systmatique ; un Aristote plntonicien.
. 30. S~1r In longuc <h_m~e el le scns mdi~vnl eJe la qucstion des paronymcs,
el. J. Johvct, << Vucs mlhvnil:s sur les puronymcs , l?l'\'111' intl'mationo/e de phi/o
29. Pour ces dcux citations, cf. Bocee, in Cal., PL 64, col. 167D-168A. sophie, 113/3 (1975), p. 222-242.
62 (J
l
( La querelle des universaux Un problf!me satur
\.. est ce dont le conccpt (ratio) n'empeche pus de penser qu'il cst en plu- dure historique autre que la querelle des universaux.
sieurs el est dit de plusieurs. Nous essaierons d 'argumenter !'une et l'autre these gnrale en
suivant ! perspective de la translatio studiorum, rservant a 1'Anti-
quit tardive et a la scolastique arabe une place non d'intermdiaire,
mais d'acteur de plein exercice.
C'est sur cette base que nous aborderons ensuite les principales
dotes d'unc forme- une forme substnntielle . Coupe du sen- positions scolnstiques latines.
sible ou prsente en tui, lu l'orme constituait In rnlit du rel. En
posant, pour le diffrer et le renvoyer aune science plus haute que la
logique, le probleme du statut des ralits correspondant aux termes
'
'- commc 'gen re' ou 'es pece', Porphyre n, duns son nonc, runim le
diffrcnd Plnton-Aristole, Loul en le rendunt ininlelligible uqui ne
connaltrait que 1'Isagoge, a cause du platonisme dont i1 a lest les
dfinitions aristotlicicnnes . Retrouvcr la par! de chaque doc-
trine, de chnquc univers- celui de Pluton, celui.d'/\ristotc, celni de
31. Cf. Aviccnnc, Metaphysica V, 1, d. Van Riel, Louvain-Leyde, 1980, p. 227-228.
64
)
--- - ----'" )
)
'1
Du noplatonisme grec
au pripattisme arabe \
67
.----
La qlu'rcllr d(w ltllil'('r.lmtx Du noplatonisme ~rC'c au pripattisme arahe
en Ides divincs, .ll's "Formes de Plnton , "print des philo- Mnis c'tnille deslinde In pensc lutinc, scell des les prcrnicres trn-
sop.hcs :>, r~trouvatcnt une scconde jeunesse et restaient, d 'autant ductions de Boece, que d'osciller ainsi, jusqu'au vertige, entre les
moms eradtcables que facilement christianisables, comme 1'instru- lments d'un dispositif dont elle ignora toujours la loi de constitu-
ment et la pron;csse ti 'une aut1:e philosophie. Rendant adage pour tion. On eut' done plusieurs doctrines des universaux, livres a
adage, ~ne. p~rtte de la scolasttque, persuade que le systeme des mesure que les corpus philosophiques de 1'Antiquit remontaient au
Idc~ n.tatt rtcn qu? la Sa.gesse d~ Perc, rpondait ainsi a Aristote: jour, comme autant de systemcs fonds sur une imngc plus ou moins
qut nte les Ides nte le Ftls de Dteu ( qui nC'gat idC'as negat filium partielle de la totalit perdue. Le platonisme eut son heure de gloire a
De1 ). Rnpproc~1e de la phr~tse de Gen ese 1, 1 nffirmant qu 'a u com- 1'poque ou 1' on ignorait tout de Platon. Aristote lui-meme eut plu-
n7C'I1CC'1~1<'_111 Dtcu cra le ctel ct In terrc, la notion du Fils commc sieurs vies: le haut Moyen Age mit l'accent sur I'ontologie des
1\rt dtvm ': permi! de f'ormulcr une thologic de In cration expli- Catp,ories, lu scolnstiquc sur In Mtaphysique el les crits de philo-
quant que Dteu avmt tout cr dans le commencement c'est-a-dire sophie naturelle, le xrve siecle sur ce qu' il fallait retrancher de 1' aris-
dans le Fils, modele (imQgo)_e,_t raion i~l1lk(rqtjQ_ic/datisl_de toutes totlisme scolaire pour accder a la philosophie authentique. Les
choses . p~ns ccttc pc~spcctive, la notion noplatonicicnne d' uni- dbats er les -chmx plri1osophiques de -lJ Antiquit- tardive -et-de-sa
vcrsaux dtvms , prcxtstnnt nux choscs sur un modc d'unit tmns- continuation arabe n'en dcmcurerent pns moins constammcnt pr-
ce~Kiant (~niformiter), se substitua aux Forn1es platoniciennes, a la a
sents, fOt-ce titre de membresfantomes, dans le complexe de lieux,
fots extncur.e~ nux choscs ct i\ Dicu. Le rnpatricment des univcr- de themes et de doctrines progressivement recouvr, dplac et
saux platomctens ?nns la pens~ divine (mC'ns divina) permit de restructur au rythme des traductions.
donncr un scns chrlten 1111 plntontsnw. JI introduisit de nouvcnux Si, comme nous l'nvons montr ailleurs, le Moyen Agc latn a eu
pruhlcnws dnns In mesure oD, pour qul voulnlt nllcr nu-elll de In deux urlstollhunes - jUIIlJU 'u u xtt 11l~t:lc, l'nristotllsme grco-
these d'Augustin ( Dans l'Art divin, tout ne fait qu'un, comme Lui- romain de Boece; a partir du xme, l'aristotlisme grco-arabe du
meme .est un ~e p~lr l'Un avec lequel il nc fait qu'un , et omnes pripattisme de. terre d'Islam -, il a toujours vcu, dans l'apres-
unum 1.11 ea, s1cut 1psa unum de uno, cum quo unum) JJ et poser la coup ou la mconnaissance, la trace ou le symptome, la reprise
n~c.cssll conccptuellc d'une distinction formcllc entre les Idcs consciente ou la rupture motive, de stmctures, de schemes concep-
dtvmes, renouant par la avec le platonisme en Dieu lui-meme le tuels, de T6not, transmis par bribes successives, du dbat ou s'ori-
risquc d'hrs!e n'tail pas Ioin- un risquc que Jrome de Prague, gine la problmatique des universaux : le diffrend Aristote-Platon.
martyr du rahsme tchcque, paierait un jour de sa vi e. Pour comprendre comme une histoire, par-deJa ses phases de latence
et ses moments de crise, ses pisodes confus et ses dsordres irr-
pressibles, la geste mdivale des universaux, il faut remonter asa
fondation meme, a la critique aristotlicienne du platonisme, et aux
Antiplntonismc ct noplntonlsmc efforts produits, au sein du platonisme, pour la sunnonter, la neutra-
liser ou In rcuprer. Nous considrerons done ici, dans la longue
dure de ln translatio studiorum, les deux nctes fonduteurs nccomplis
p~ 1' Antiquit tardive la fin du M oyen Age, In philosophie, par Aristote : la ~ritique de la thorie platonicienne des Ides et la
dcdatgnant le rcpli lnstique de Porphyrc, ne ccssn, quant uux uni- formulnlion de la thorie de l'ubslraction. Nous en montrerons le lien
vcr~nux, dl' hnlr.mcl'r ~ntrc Ari.o;totc et Plnton, l'nrlstntli.o;mc elle pln- interne, expression de celui qui, de fnit, unit la problmntique du sta-
!onlslll.e, le pnpnltrsme ct le noplntunisme. Que I'Ocddent, qui tul ontologlque des objets gnrnux b cclle de In perception des indl-
tgnormt son grec, n 'y ait pas aussi perdu son latin tient du miracle. vidus sensibles, la mtaphysique descriptive et la thorie de la
cognition. Puis nous suivrons la rplique noplatonicienne, du mou-
33. Cf. Augustin, De Trinilatr, VI, X, 11 ( Bibliothcquc augustiniennc 15) vement englobant ou Syrianus prtend concilier l'abstraction aristo-
p. 49~-497.pn~ls le memc.sens, cr., nussi, Amhroise, f:xarm., 1, 4 (Corpus Sc~lpto: tlicicnnc et In rminiscence platoniciennc, 1'universel comme
rum I!cdcsrnstr~orum Lnlrnorum , 32, 1), p. 13: el Origcnc, In Kmrm. lrom., I, concept logique et 1'universel comme Forme spare, a la reprise
(<< Sourccs chrl!cnncs , 7 his), p. 24, 4 ct 10, Commr/11. sur lean, l, XIX, 109-1 tR
( Sourccs chr~lu:nncs " 120), p. llll-123. pripatticienne arabe ou, par l'adoption d'une mtaphysique rna-
6H 69
''
La querelle des universaux Du noplatonisme grec au pripattisme arahe
natiste, est dcisivement frapp le probleme qui, a partir du 1\mtrc du sccond Aristotc , t:ellt: du t:orpus philosophiquc grt:O
xm siecle, sera au creur de toute la querelle des universaux : la dis- arabe, la question ontologique est dfinitivement rcdouble d'une
tinction entre connaissance empirique et connaissance a priori. question psychologique ou les problemes de cognition se melent a
ccux d 'ontologie formelle.
Pour comprcndre 1' ubimc qui s pare ces dcux rcconstructions de
l'nrislotlismc, il faut, avunt d'uborder lu problmatiquc du huut
LA CRITIQUE DE PLATON PAR ARISTOTE: Moyen Age, prendre la mesure de tout ce qui lui manquera. 11 faut ' \
UN PARADIGME ARISTOTLJCIEN tudier conjointement la thorie aristotlicicnne des universaux et
DE LA PROBLMATIQUE MDIVALI3 DES UNIVBRSAUX ~.:cllc_dc _!aJ~I.:ncsc diJ ~.:ont:cpt cmpirique.
En un sens, Arstote- est nomili1iste: pour Tui, l'TiHiividu esf Te
L'insparabilit de la forme spcifique et de l'individu est la these scul rel el il est pcr;u par la scnsation. Mais, d'un autre cot, il est
centrale d' Aristote. Elle donne une teneur originale a l'absence de aussi conceptualiste, car, selon lui, la sensation per~oit non un hoc
distinction radicale du particulier et de l'universel, de lu sensation et aliquid, un rlh; n, un individu pur el simple, mais un qua/e quid, un
de la science, que l'on trouve chez Iui. Le premier prncipe est for- rotv8e, une chose pourvuc d'une ccrtaine qualification. Enfin,
mul contre la thorie platonicienne des Formes spares. Le second n'est-il pas aussi rulislc quand il affirmc que la substance vritable,
porte ala fois contre les thories platoniciennes de la rminiscence et c'est la forme, ce pourquoi, en plusieurs passages controverss de
<!e In pcrc~pti.on. \horic de la connuissnncc ctthoric de In pcrccp son <X.:llvre, il nppellc In J'onm: une on(<x premicre l'OIIllllC il le
&ton sont tndtssocJUbles de la problmatlque du rejet des Formes. l'ailaillcurs (IIOIUIIIIIH.!IIl Jnns les Catguries) pour les individus sin-
<;'~st ~ette articulation 9ui donne sa configuration particuliere a guliers? N'cst-il pus, qui plus est, platonicien quand il justifie ce
l h1stotre de la problmattque mdivale des universaux. Avant J'ar- dplacement par le fail que la forme c:onstitue toute la ralit de 1' in-
rive des sources urnbes et lu lruduction des Seconds Analytlques et dividu o elle t'S/ enga.:e? Toutes ces qucstions se poscnt, ct elles
de ~a Mt~ph~siq.ue, 1~ probleme de l'universel est purement onto- se posent par cxcellence sur le tcrrain de la perception, quand Aris-
logtque: 11 s ngtt, uu-dcla de Porphyre et centre son intention totc affirme que la scnsation cst un dbut d~.: connaissancc paree
expresse, mais a partir de son texte, de rgler un probleme de statut qu 'elle per~oit la forme spcifique attache a 1' individu concret, son
ontologique de 1'universel daos le cadre d'unc rflexion sur les mots a cte.
les concepts et les choses alimente parla Logica vetus34. Apre~ A son tour, la rclation cntre perccption el connaissnnce induit des
problemes d'ontologie. Conune le ruppclle Tricot, iln'y a de scicnce
que de l'universel, mais si l'individualion se fait par la forme, et si )
34. Rappelons que les mdivaux appellent Logica ve/lis ( Ancienne Logique >>) les formes des individus different les unes des autres au sein d'une
1 en~cmble fom1 par 1'/sagoge, deux reuvres d'Aristote trnduitcs pur Doece (Cat
gon~s, De interpt:etatione) etles monographies rdigcs par le m~mc Bocee (lntro- mcme es pece, la sc:ience s' approc.:he de /' indilidu, et die le fait par
dHctlo a~ syllog1~n~o~ categori~r:s; D.~ syll?~ismo .categorico: De syllogismo dfaut de gnralit de la forme. D'aulrc part, ce qui compte pour
hypothet1co; De di VIsiOne; De dijferentlls top1c1s), qm remplucent les nutres tcxtes Aristotc, c'est le ncessairc, non le gnral. Si l'objet de la scicuce
d'Aristote alors indisponibles. C'est seulement vers la fin du xue siecle et a~1 dbu't
a~p<~ral~ somme le gnr~l, c'est pare~ q~e la n~~essit impliqw~ la
du xm que,l'ensemble de l'a:uvre d' Arislote est en circulation; le reste de 1'OrRa
no'! tout clnhord, duns lt1H trnductlotlH de lloi!cu (/'rt!mlt'l',, Analytltfllt!.t, '/l/q 1.1, gcncrnl11e -- conHIIC le dtl llnmelttl, 1 IIIIIV\:nmiltl~ csl "le suhsttllll
Rljutt/1/o.':; sopl~lst{tues) ct de J.ucqucN .de Venlse (Secolltl.t Analytlques, verN 1125- en1pirique de tu nt:cssit . Lu question des univ~.:rsllliX ne se pose
Jl50), pUis les llbr1 naturales, e est-1\-dre, entre autres, la Physica, le De anima le done pas sculement au nivcau ou on l'aurail attcndue, celui du statut
De m~lo eL la MewphY_sica. Les nouvcuux tcxtcs logiqucs disponibles sontuppdls ontologique du gnrul, mais ucclui ou on ni.! l'auendrait pus (el OLI
Log1ca nova ( << Logtque nouvelle ), les appellations Aristoteles novus ( << Nouvel
A~istol~ ) et Seco!1d Aristote ,, dsignunl, de leur ct, !'ensemble du corpus le nominalisme ct le scotisme, plus que tout autre, la retrouveront) :
scte!ttlftque nrlsto~ltclen
truduil du grec ou de 1'urube dsormnls uccessible. Ln la connaissancc intcllcctuclle du particulicr. L'extension du conccpt
Loglcantll'tl nc dolt pnsetre confonduc uvec 1!1 Logica Modmwrum ( Logique des lfniverscl peut varicr de un i\ l'infini; pour Aristote, cela n'a pus
moderncs ), q~l dstgnc les !ex tes produils pni'les mdivuux cux-m~mes h partir de d' importance, une dfinition se fail toujours en comprhension. S' il
la fin du xue stecle ; Summulae Jogica/es, Sophismata, Distinctiones, Syncategore-
uwta, Tractatus de proprietatilms terminorwn, Insoluhilia, cic. n'y a pas de science du particulier, c'est i\ cause de sa contingence, a
70 71
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cause de la fnatierc qui s'oppose a son intelligibilit, car elle intro- cognition. C'est sur ce fonds crois, que nous exposerons ici les
duit, en lu un prncipe cl'indtermination. La ou il n'y a pas matiere, lments des deux doctrines d' Aristote: celle, ontologique, des
en 1 occurrence dans le monde supralunairc, il peut y uvoir dfinition universnux, telle qu'elle ressort de la critique de Plnton dnns la Mta-
du singulier sans qu'il perde son individualit: c'est le cas pour le physique, celle, psycho-logique, de laperception et de la connais-
Soleil, la Lune, les astres et 1'oucr(a supreme. sance, telle qu'elle merge du modele machiste de la formation
C~tte remarque de Mtaphysique, Z, 15 ( 1040n30), a eu une porte du concept universel mis en scene dans les Seconds Analytiques.
cuns1drnblc: elle n inspir In thoric nviccnnicnnc des universnux Et d'nbord, quels son! les lments ou, plutlH, les prncipes anti-
la premiere afaire un usage systmatique d'une notion de l'universei platoniciens de la thorie aristotlicienne des universaux? Ils s'ont
~n ralis de fait dans une pluralit d'individus numriquement dis- tablis ou appliqus dans les chapitres 13 a 16 de la Mtaphysique,
. tmcts :~.,, Mnls ce qu 'Avlccnnc rservait uu Soleil ou 1\ la Lune Aris- livre Z. Le chnpilre 16 les synthtise uinsi (1 041 u4-5) : (P 1) nucun
. tote l'tcndait aussi 1\ l'homme, en posan! que, s'il n'y avait'qu'un universel n'est substnnce, (P2) aucune substance n'est compose de
___seulhnll1111C.,...sa__dfmilion_resteraitJu..m&ne, .catl'homme--esLce. .qu' il substances - le vrai sens de (P2) tant toutefois (P2') : nucune sub-
r:rf paree q1_1' il possedl' une certainl' natllrl', non parcl' qul' .m dfini- stance n 'est compose-de substances erl acte: CesfTeataiTae cetfe
flon s' appllque d une multiplicit d' individus (J. Tricot). La notion mise en place qu 'il nous faut considrer, maintenant.
ll~i.o;totlicicnnc de l'univcrllCI c.o;t plu.'l df'initionncllt1 que gnrnlc,
c. cst pomquol ~l. le es~ une vrltnble ulternutlve b l'lde plutoni-
ctenne. En quahftant 1 Ide de vain fredon , Aristote montre ce La thorie aristotlicienne des universaux
qu'il attend d'une thorie de l'universel: qu'elle prenne place dans ( Mtaphysique , Z, 13)
une thorie de la connaissance scientifique. Or, et c'est la l'impor-
t~t, la connaissance scienti fique telle qu 'il 1'entend n' a pas nces- C'est en Mtaphysique, Z, 13, qu' Aristote discute la these des pla-
smr~ment .pour objet l'universel gnral (l'universel d'analogie toniciens sur les universaux. Le texte a l 'allure d'une quaestio. ll
sufftt), mnts surtout elle se passe aussi bien des genres (universau.x commence d'alleurs par une formule - Il semble bien, en effet,
proprement dits) que de /' lment cxtensif dans les ?enres. Sur ce impossible qu'aucun terme universel, quel qu'il soit, soit une sub-
point, Aristotc anticipe i\ sn maniere In thorie rnliste de la nnturc stnnce - qui voque les premiers mots des questions scolastiques,
commune et cellc, scotiste et occamiste, qui veut qu'une seule ren- toujours ouvertes par un Videtur quod ( il semble que). Nous don-
co~tre ~vec le singulier su~fise a dterminer (videmment par des nons ici le schma argumentatif, rduit a l'essentiel.
vmes dtvergcntcs) la formattOn de concepts gnraux. Mais n'est-cc L'universel n 'est propre aaucun individu, il appartient aune mul-
pas aussi cette conccplion gnriquc (pluWl que gnrnlc) de l'uni- tiplicit. De quoi peut-il bien etre la substnnce 7 Altemntive: soit de
verscl, ccttc conception dfinltionnelle que Thomas tente cl'urticuler tous ceux auxquels onl'attribue (u), soit d'nucun (b).
dans son analyse de la formation du verbe mental quand il rinter- Aristote dmontre (b) en rfutant (a) :
prctc In not ion d ' intellcction des indivisibles introduite par Aris- (1) La these (a) est impossible, car si l'universel est la substance
lotc dnns k chnpitn (i du /)(' anima, 111 'l d'un scul indivldu, ccl individu scrn tous les nutres individus. 1
On le voit, d'une certnlnc maniere, tout est bien chcz Aristote, puisque les etres dont In substnnce, c'est-tl-dire In quiddlt, est une,
'i
depuis l'affirmation d'une immanence de l'universel aux choses sin- sont un meme etre. '
gulieres jusqu'a l'ide, en apparence extravagante et antiaristotfi- (2) These de Catgories, 5, 2all: Substnnce se dit de ce qui
cienne, de production d'un universel abstrait a partir d'un seul n'est pas prdica! d'un sujet; or l'universel est toujours prdicat d'un
! . singul icr. Mnis ccttc diswnihifit de 1'nristotlisme nulhentiquc ~ sujet. ' ,
toutes les exgeses ultrieures n'apparait clairement qu'a poser ce (3) Objection a l'argument (1) du contre:(a): L'universel n'est pus
qui, prohlmntiqucmcnt, rclic In thorie des univcrsaux celle de la substance au sens de quiddit, mais il cst inclus dans la quiddit .
L'Animal en gnral est un lment de la quiddit de l'homme et de
35. Cf'. Arislolc, Mht~physique, Z. 15, t040n25-b 1, lrnd. Tricot, Pnrls, Yrin, 1970, In quiddit du chevnl.
p. 438-439. - . Rponse: L'universel ainsi compris sera quand memela substance
72 73
~------------------------------- -----,-------
' ..1
74 75
(
La querelle des universau.x Du noplatonisme grec au pripattisme arabe,
Maftre Picrre 1 Que Roscelin se soit upproch d'eux sur la seule base Objections : .
de ce que lu livraient le De divisione et le De differentiis topicis de 1. TI y aura une infinit d'especes ayant l'Animal poursub~t~nce,
Bocee, c'est--dirc indircctemcnl, el, du point de vue uristotlicien, e 'est-a-dire autant que d' lwmnies, :puisque, selon, -les. platomctens,
sur la seule base des Topiques, prouve, nutnnt que In cohrence, sur ce n'est pns pnr nccident que l'hommc possede 1 Ammnl dans son
ce point, de In critique nristotlicienne du plutonisme, lu prgnunce
essence . . . . . . .
de l'aspect mrologique du probleme des universaux interprt a la 2. L' Animal en soi se perdra en une rnulttphctt tndftnte,
lumicre du difTrend Plnton-Aristote. Celle prgnunce est telie puisque, contenu duns chaque espece, il sera la substance de cel~e
qu'elle fait sentir ses effets- n distance, par In seule mdiation de cspcce - ce que prouvc le fnit que chaque espcce est dnommee
hrihcs (11 cst vrnl CSSl'llticllcs) du dlspositif' d'cnscmblc, rnCmc qunnd d''upr~s lul . C'est le mCme urgumcnt vu du ct d~ l'ldo.
les textes originaux ne sont pas tous en circulation. _ 3. L'animal contenu dans chacune des especes a tltre de su):>stance
sera Anin1ul en soi, c'est-a-dire Ide. Cet urgument cst In rc1proque
r:a-rfiitiililinariftiillcienne-de 7iz t1ione des 7ds
( Mtaphysique , Z, 14).
r~~~~~Tie-si.16strince -supcrieu re vlcnarn arors-ce1-Arumal en-sot -
d1.1
con~enu dans chaque espece, de quel Animal en soi drivera 1' Ani-
mal en soi, qui est substance? -
On voit, grfice aMtaplrysique, Z, 13, les inconvnients de la these 5. S'il ne drive pas de !'Animal en soi et s'~l en est}par, com-
plntonicienne soutennnt que les Ides sont des substnnces doues ment 1'Animal en soi, qui est substnnce, sera-t-ri ce qu tl est 7 .
d'une existence spnre , mnis qui constituent nnnmoins l'espece a Aristote conclut en disant que, si nous considrons les relattons
partir du genre et des diffrences, autrement dit de la these soutenant des Ides avec les choses sensibles, les memes consquences repa-
que les Ides suprieures (Ide du genre animal) constiluent les Icles raissent que lorsque 1'on considere les relntions entr~ les Ides : cl~s
suborclonnes (lcle ele l'espece homme). Aristote dveloppe le tout consquences plus trnngcs encore . 11 ne les mentlonne pas, mn1s
sous forme d'un clilcmme.
on peut fucilement extrupoler. '
Si !'Animal en soi est dans l'Homme en soi et dans le Cheval en D'ou la conclusion: Il est vident qu'il n'y a pas d'Idesdes
soi, ou bien (u) Animal est une seule chose numriquement iden- objets_sensibles. Cette these concorde avec la cin.glante fo~mul~-
tique, ou bien (b) c'est une chose diffrente en chuquo espcco, ~--ti:6i nntiplnloncicnnc du D.e a~~ima ,Cn propos du ~rrnngic qut ser~~~
llypotlrt1.1't' (a). C'csl Lllle mem~ chus~. pulsqu~ In notivn de I'nni- en dehors des figures ou ti s mscnt ) : ,11 est rrdlcule ? rechcr-
tnal est la n11ne quand on passe de 1'homme au cheval. --~--
cher, par-dessus ces choses et par-dessus .d autres, un~ not10n corn-
. Aristote rejoint le niveau du singulier en discutant cette hypothese mune (Ayoc- xowc-), qui ne sera la notlon propre d aucun de ces
' '
(a). 11 ne l'avait pas fait prcdemment, car, jusqu'ici, il n 'examinait tants 36 .
explicitement que eles relntions entre Ides. Ln posltion d'Aristote en Z, 13-14 cst done clnire: nucun umver~el
Supposons que I'Animal en sol est un et identique dans le Che- n'est substance. Aucun universel n'est la substance d'une chose sm-
val en soi et dans 1'Homme en soi a la fa~on dont tu /'es en toi- guliere. C'.est ceBe qu~, parmi beauc?up?' autre~, r~pre~dra Occam:
mme.
Une questlon, toutef~ts, deme~re.: st Anstote ~st st clatr, P?urquor
Objections: l'uristotlismc n'n-t-rl ccss d ulrmentcr les tllverscs thorrcs rn-
l. l. Comrnent ce qui est un peut-il rester un dans des spars? listes affirmant l'immanence des universaux aux choses, sur le
l. 2. Comment 1'Animal en soi peut-il ne pas etre spar lui aussi modelede l'universel dans la pluralit (ev -rote- not..Aotc-) des n~
de Iui-meme?
plutoniciens 'l. Puree qu'il y u une nutre .imm:t~1epce que 1~ p~atonJ
2. Si 1'Animal en soi participe du Bpede et de 1' Animal pieds a cicnne? .Une unmnnence propremcnt anstotellc1enne de 1 um~erscl
multiplcs, il y u lmpossibilit logique, cardes uuributs contrulres ne aux choses? Un arlstotllciet1 dira que le fa.it que toute chose u1.t un~
peuvent coexister dans la meme substance une et individuelle. forme spcifique n'implique pas qu'un unrversel, l'Espece, lut sott;
Hypotlrese (b): Supposons que 1' Animal en soi soit autre pour
chaque espece.
~(, Cf, t\riRIOIC, /)r allillla, J, 2, 4J4h2:'\,
76 77
------------------~---~-------_ .....___________________________.
(
( '
non saos raison. La rencontre, a distance, d' Aristote avec Porphyre Mtaphysique pour illustrer une certaine doctrine- la forme comme
joue ici un role capital. Elle a lieu face aune statue d'airain. ocrla premiere de chaque etre - qui est parfaitement incompatible
avec la doctrine des Catgories affirmant que la forme est seulement (
une qualit. Cette incompatibilit s'cxplique: Aristote a volu. Il a
PORPHYRE, ARLSTOTE ET LA STATUE o'.AIRAIN
meme volu d'un texte a i'autre de ceux qui ont t mis ensemble
pour cornposer la Mtaphysique: le point de vue des Catgories est
aussi celui ele MhaJhvsiqur, Z, H, 1033b21-24 (In forme indique
___QIIJl~l~/.wi,~I(JKC!, tml(lllll <J_t!s divc.t~'ll! df'ltlitlou~ de In dil'f'rcm:c, une ehose de tello l(Lllt'ut , Jwc tah .1'lgnljhat 111 , el elle n'cst elle
Porphyre propase de voir ce qui se passe pour les choses compo- m~rrie n Cffinle;-ni. ce qitelque cniise ->>) et IT -contrecm colnpietemeriC
ses de matiere et de forme, ou du moins ayant une composition celui de Z, 7, 1032b 1-2 ( la forme cst lu quiddit de chaque etre,
analogue aux composs de matiere et de forme. Pour expliciter le sa substance premiere , quid eral esse cuiusque et primam sub-
stntut de cet analogue de la composition hylmorphique, il prend stantiam YJ).
l'exemple d'une stutue d'niruin. De meme que In slntue u P,Ollr Duns les Cat~:orles, 2, Arislote construit une typologic des diff-
matiere l'airain et pour forme la figure, de meme aussi l'homme, rentes sortes d'etres, par combinaison de deux caracteres: etre
1'homme commun ou spcifique, est compas du genre, qui est affirm d'un sujet et etre dans un sujet . Le classcrnent ainsi
l'nnulogue de lu maticrc, et de la diffrcncc, qui cst l'unuloguc de la obtcnu pcrmct de distingucr quutrc sortcs d'atres: (1) l'ouoa purti-
forme, le tout qui en rsulte, animal-raisonnable-mortel, tant culiere ou premiere, qui n'est ni affirme d'un sujet ni dans un sujet;
l'bomme, commc tout a l'heure c'tait la statue (Tricot', p. 31). On (2) l'ouala universelle ou seconde, qui est affirme d'un sujet sans
a ainsi les analogies suivantes: etre daos un sujet; (3) l'accident universel, qui esta la fois affirm
d'un sujct el duns un sujet; (4) l'uccidcnt particulicr qui cst duns un
genrc/honune commun =bronze/statue =mutiere/compos sujet sans etre affirm d'un sujet. Un exemple d'etres de la classe (1)
diffrcnce/homme comrnun = figurc/slatuc =forme/compas esl Socrate ou cet homme; un exemple de la classe (2) est lwmme
(ce que Porphyre appelle 1' homme commun ou l' homme spcifique);
De la les commentateurs anciens tirent que si la diffrencc est un excmplc de tu classe (3) est ce hlnnc (qui cst duns le corps comme
1'unuloguo de la forme ("" fisure, dllo<:) el si luditc fomle entre duns un sujct, puisquo toutu eoulout tt,\'1 dnns un corps, muis n 'cst
duns la cutgorie de qualit (comme le pose Aristote en Cat., H, affirm d'uucun sujet, puisqu'on ne peut clire le corps est ce
1Oa 11, trad. Boece : Quartum ve ro genus qualitatis est fon11a et circa
aliquid constans figura), la diffrence peut etre considre comme
une qualit, alors que le genre releve de 1'cssence >> (oua(a). du concept d'<< c:ssence rnntrielle (probnhh:mcnt cxtrnpol pnr leN Lntins de In
Le textc de Porphyre cornpure 1'hommc commun , autrcment <.lit notion de Rccptncle introduite pnr le 11mt'f:), In scconde, nvec In th~sc, corrlu
une csp~ce, et un tre singulipr, la stalue. Les commentateurs de !'isa- livc, ltlcntifiunllu diffrcncc b. une propri6t furmcllc. Quunt b.la comparaison ml!mc
goge, David (195, 27-29), Elias (87, 28-88) et Ammonius (106, 12 de Porphxre, il est clair qu'elle explique, de son cot, 1'apparition de thories truns-
f6runt 111 hommc individuellc schcmc conccptuct mis nu pointunulogiqucmcnt pour
.l'(f.), USSmilent (C geurc U Ulll! CSS<.!llCe (OG<X), Cll tant qu'analoguc de t'hommc commun, tcltcs ccltcs cul, pnr cxemplc, posen! que l'hommc cstlllu foiM
la maticrc de la statuc, ct la diiTrencc a une qualit, en tunt qu 'una- Socratc (un individu) el lu chosc di te de Socrute , Toutcs ces notions ou doctrines
logue de la figure de la statue 37 Or cela pose un grave probleme. scront fiprcment critiques pur Ablurd.
38. Cf. Arislole, Melllphysica, Trans/atio Ananyma si ve Media '' d. G. Vuilte-
min-Diem ( Aristoteles Latinus >>, XXV/ 2), Bruxclles-Paris, 1976, p. 136.
37. Sur Dnvd et lins, vor J.-P. Mah, David 1'Invincible dnns In trnditon 39. Cf. Arislotc, Metaphysica, Trans/atio media, p. 133. Sur In chrono1oge rclu
annnicnne , i11 Simplicius, Cvmmentaire sur les Catgvries, trud. commcnte sous tivc des tcxtcs composnnt la Mtaphysique, cf. Ch. Ruucn ct J.-P. Bcnzccri, <<Ana
la dir. de l. Hutlot, fnsc. 1, lntroductivn. n: partie, trad. Ph. Hoffmann, commcnt. ... Jysc comparative des chupitrcs de la Mtaphysique d'Aristotc fonde sur les
l. Hadot ( Philosophia Antiqua , L/1), Leyde-New York-Copenhague-Colognc, __ frqucnccs d'emploi c.les parties du tliscours; confrontation entre l'ordrc du tex/1/s
1990, Appendice II, p. 189-207. Les deux assimilations opres pr les commenta-- - reccptus, les rfrcnces in temes ct1 'ordre du premier facteur , Cahi'l's de/' ana/yse
teurs rc~urgiront de maniere inopine at Moyen Agc. La premicrc, avec l'uppiirition des do1J11e.v. vnl. XIII, n t, 1QHH. p. 41-CiR.
78 79
:'
"":
..~:.
vent juxtnposes nvcc cl'nutrcs, plus tnrdives, qui les contrcdisent lnngnge substratif des Catfjorics, comprenclre le scns de Mta-
radiculement. Cette contrutllctiott est pnrticuliercmcnt nette quand on pltysique, Z, uue fois celle-ci traduite? '
considere Mtaphysique, Z, 3, 1028b33 sq., ou apparait pour la pre- Parmi les premiers lecteurs mdivaux des Catgories, certains 1
80 81 .
-------------------------------~---~----------------
40. Cf., sur tout cela, E. Bcrti, 11 concetto di "soslllllZII primu" nellibro Z dclla 42. Cf., pour l'~nsemble d~ ccllc disc.:ussion, R. L. Curdullo, "Syriunus dfcnscur
Metafsica, Rivista di jilosojia, 80 ( 1989), p. 3-23 de Platnn contrc Aristote sclon le tmoignuge d'Asclpius (Mtaphysique, 433, 9-
41. Cf. A. C. Lloyd, Form and Universal in Aristotle, Liverpool, 1981, p. 2-3 et 436, 6) >>,in M. Dixsuut (d.), Contre Platon, t. 1, Le Platonisme dwJil (<< Tradition
39-40. de la pense classiquc ),Pars, Vrin, 19.93, p. 197-214.
82 H3
(
ne peut y avoir d'universel dans la chose rrieme. Naturellemcnt qu'il ne peut etre oucrlo. comme I'est une oucr(o. particuliere . Pour
Syrianus n rnison de dire que, ce fnisnnt, Aristote semble contrcdir~ etre universel, 1'universel doit etre con~u dans toutes les eh oses
sa proprc doctrine, pulsquc, prcisment en Z, il pose lui-m~me el commc (( Un en toulcs les ehoses . Or l, oucro. pcut etrc conyliC
comme substances les universaux qui sont dans la pluralit . Le comme une .seule en toutes les choses et comme ocrla de
(
p~obleme es.t que ce qu'Aristote pose dans la chose, c'est 1' eTao,- toutes les choses . Cette oucr(a rrvnuv est oucr(a non au sens de
oucr(a premrere entendue comme forme d 'un individu concret l'oucr(a particuliere, mais au sens d'oucr(a universelle qui n'est pas
non In Jlmmc pnrtlclpc des plntonlclcns. '!'out en trnvnlllnnt dnn~ cln.:tmHurltc dnm; une m'Jcr(ct. pnrtiuulicrc, llllti.'l uontprcnd In COI/111111
l'espace de jeu explicitement ouvert par Aristote en Z, 13, Syrianus naut de toutes les oucr(at . Elle n'est done pas une au sens de
s'efforce done de retravailler indirectement le concept meme 1' unit numrique , mais au sens de une quant au genre .
Quand Aristote dit que, si l'universel est dans le multiple, i1 doit etre
.( d'dBo~, afin 1de prouver qu'un Universel, au sens de Platon peul '
etre dans la pluralit. ' soit 1'ocr(o. de toutes les choses, soit 1'ocr(o. d 'aucune, et qu 'il
a
~e com,bat. pour le_ platonisme ne consiste pas dfendre contre conclut qu'il ne peut l'etre d'aucune paree qu'il ne peut l'etre de '
Anstote 1 extstence de Formes spares, mais a dfendre, en s'ap- c1iciirfe~1l-al'orr:H-:y -a-une-oucrx-de-toutes-tes- chvses;-qui-prcis~
ment n'est celle d'aucune en pnrticulier. A l'nrgument aristotlicicn
-r+-
1
que l'universel ne peut etre ocr(a de rien, paree qu'il ne peut etre
farre que s! l'on contre la thcse ccntrale de Z, 13, 1\ savoir qu'il ne
peut y nvorr d'oucr(cx universelle dnns In plmnlit. 11 s'agit nlors de l'oucr(o. d'nucune chose en particulier, Syrianus rpond done que "'
mont~er que l'm~tol?gie binaire prsuppose par Aristote en Z, qui l'oucr(o. universelle estl'oucr(o. de toutes en gnral paree qu'e'lle
a
ne fart place qu 1 espece-substance secondc des Catgories et a n'est celle d'aucune en particulier.
2. Le deuxieme argument d 'Aristote est prsent sous forme de
.,
1' d8o~-oucrlo. premiere entendue comme forme particuliere peut
etrc dpnsse ct qu'il y u de I'Universcl dnns In plumlit, c'cst-h-dlre syllogisme (In substnnce ne se prdique pns d'un sujet, 1'univcrscl
.{ des Formes participes, ce qui tablira ipso Jacto qu'il y a des se prdique d'un sujet, done l'unrversel n'est pas substance ). Nous
Formes spares. Pour ce faire, Syrinnus retourne contre Aristote lui- le reformulons en in.troduisant une quantification pour obtenir un
( syllogisme du premier mode de la deuxieme figure (en CESARE),
r;teme cert~i1_1es thcscs des CatRories empruntes non a la dfini-
tron supcrlrcwlll~ de In suhstnncc scconde en Cott1Roril,\, 2. mnls 11 /,c1. l'cnchnincmcnt Huivunt (ou (T) dsighc le grund termo, (t) le pctit
d'autres passages, ambigus ou contraires, moins favorables a une terme et (M) Je moyen terme) :
;:.
exploitation antiplatonicienne.
En pratiquant ~e la sorte, Syr~anu.s affronte les questions qu 'af- Majeure (universelle ngative) : Aucune oucr(a (T) n'est ce qui est dit
fronteront les ralrstes et les nommalrstes nu Moyen Age, l'essentiel d'un sujet (M). .
( du dbut mdivul portan! molns directemenl sur 1'existcnce de Mlncuro (unlvcrscllc nffirmutlvc) : Thul univcrscl (t) cst ce qui csl dit
Formes spares (puisque, a quelques exceptions pres, ce qu'on d 'un sujet (M).
Conclusion (universelle ngative): Aucun universel (t) n'est ouo(a (T).
appelle alors les Ides de Pluton est presquc unnnimement rejet)
que sur le stntut de l'universel in re. Pnr bien des cl'lts en effet In ~-'lt
th~se historiogruphiquemcnt dile nomlnnliste pmlonge ou rep~o Pour Syriunus, ce syllogisme n 'est pus concluant, car son moycn O {5Z
terme, l'expression 'ce qui est dit d'un sujet' ("ro xo.9' rroxELp.vou) O z ' '.
uo
''!
duit le binarisme de Z, 13, tandis que le ralisme prolonge la dfense
de Platon par Syrianus. est homonyme (quivoque): elle n'a pas un seul, mais deux rfrents g
,{ ::
1
a
On peut rsumer ainsi les rponses de Syrianus Aristote. possibles. La majeure n'est vraie que pour l'un de ces deux rfrents,
Le
elle est fnussc pour !'nutre, prcmier rfrcnt de 'ce qui est dit d'un ~ ~
e l. Le premicr nrgumcnl d'Arlstotc est que l'oucr(o. <.le <.:huque
chose est propre a chaque eh ose et la caractrise : done, comme sujet'. est l'universel ennomatique postrieur nux choses : rr,
.
(
l'univcrsel nc pcut Ctrc l'm'Jcr(cx de chnquc chosc prisc une i\ une, 1' image gnrique . C'est ele cet universel-la qu'il est vrai de dire l
l
puisque alors ilne serait pas universel, mais particulier, i1 n'y a pas aucune oucr(a n'est ce qui est dit cl'un sujet , car cela revienta
((
d'm'm(cx univcrstllc. Syrinnus r6pond qu'il n'cHI pns lgitimc de dire nucunc ocr(a n'est image gnrique ou, si l'on prfere,
,; ( rcfuscr que l'univcrscl pulsse ~tre rcllemenl ocr(a sous prtexte ((u ucune !muge gnrique 11 'est oucr(u)) (de ruil, 1' ir unge gnrique
h
j 84 85
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,..._---~-~-------------___;------.----~-------'- ------- '
~
n'est pus oucra, puisqu'elle (( n'n d'existence que dans notre imagi;------ quivoque du mot 'purtic'. Une guivoque d'autant plus inexcusable
a
nation et disparnlt si nolre imagination vient manquer ). C'est ce que c'esl Aristole lui-m8me qui, dans les Catgoties, a dgug l'ho-
meme rfrent qui vrifie la mineure et que l'on retrouve, par qui" monymie du terme .tpo(;' (partie). De fait, Catgories, 7, 8al3-b24,
vulence, dans la conclusion. Le ruisonnement d 'Aristote ne vaut distingue soigneusemcnt entre parties pnrticulicrcs , par cxemple
done que sous la forme suivante: la main de quelqu'un, et pnrtics universelles , ici la muin comme
partie de l'homme en gnral, pris comme espece. Or une telle par-
tic, universelle et non particuliere, se prdique du tout, c'est-a-dire
Majeure (universelle ngative): Aucune oucr(a n'est une image gn-
rique (= universel). peut etre << con;ue comme existant dans toutes les choses selon ce
-- -Mineure.t(unLverselle-"'lffirmatille) :_Tout universeL(_= image_gl1rique)_ qu'elles ont de commun (dans l'exemple choisi: de tous les
est une image gnrique. hommes en nmrqu'ihrunnles-mains );-Gn-peutdonc-dfinir-1 'univer-
Conclusion (universelle ngative): Aucun universel (= image gn- sel comme partie universelle de 1'oucr(a d'une chose, sans com-
rique) n 'est oucr(a. promettre pour autant l'unit de l'individu. L'erreur d' Aristote est de
prcndrc 1~:. tcnnc !J.:po<, dnus unscul :-;cns, ulors qu' ilu lui-mcmc tu
Mais ce que donne la conclusion tait dja pos en un sens (par bli le prncipe de la distinction entre les parties (particulieres) des
homonymie) dans la majeure, en sorte qu'une simple conversion de oucr(aL premieres et celles (universelles) des oucr(m secondes. Ainsi,
ses termes aboutirait (dans le meme sens) au meme rsultat. une nouvelle fois, Syrianus oppose aux theses de Z, 13 une these
En revanche, le second rfrent de l'expression 'ce qui est dit d'un tire des Catgories - ce qui confirme le privilege exerc par cet
sujet' falsifie la majeure; il s 'agit prcisment de 1'oucra univer- ouvruge tant dans l 'exgcse platonicicnn~ d' Aristote que dans la
a
selle, qui la fois se prdique d'un sujet et est le substrat d'autres gencse de la problmatiquc des universaux.
a
universaux qu'elle contient >>: c'est le cas d'animal, qui la fois se 4. Le quatrieme argument dnon~ait l'absurdit de la these abou-
prdique de diffrents sujets (par exemple des hommes) et est sub- a
tissant driver une eh ose particuliere et une substance d 'une
strut d'universaux contenus par tui ('raisonnable', 'mortel', etc.). Il simple qualit . Syriunus rpond qu' ici, commc prcdcmment,
est done faux de poser en ce sens qu~aucune oucr(a n'est ce qui est Aristote fonde son argumentation sur une quivoque, puisqu'il
dit d'un sujet. Ce qu'il faut dire, c'est que quelque ocr(a (par traite comme une seule et meme chose la 'simple quulit' et la qua-
exemple l'animal) est ce qui est dit d'un sujet , mais, dans cecas, le lit essentielle . Or on ne peut assimiler une simple qualit, c'est-a-
raisonnement d 'Aristote ne tient plus. dirc une qualit accidentclle, comme blanc et une qualit essentiellc
En pointnnt l'quivocit de J'expression 'ce qui est dit d'un sujet', c0mme raisonnable. En traitant comme synonymes deux homo-
a
Syrianus touche nouveau juste. A u passage, il met l 'Aristote de nymcs, Aristote se contrcdit cncore, puisquc c'cst lui qui, en Cat-
gories, 5, 3b 10-23, a patiemment tabli que l' universel dtermine
Mtaphysique, Z, 13, en contradiction avec celui de Catgories, 2
qui, prcismcnt dfinis~nit 1' ocr(o. l!ccoiH.lc par larclution '8tr~ la qunlit de l'm'JO(o. ct indilue su qualit (',\',\'c'lllicl/e (Syrinnus l'nit
dit d'un sujet' (xa8' noxeq.J.vou). Enfin, il dnonce par avance, id allu:-;ion u la distillcloll trucl! pnr Adstotl! l!lllrc (< ll! bltuu.: qui nl!
comme reposant sur une homonymie de l'expression 'ce qui est dit signifie ren d'autre que In qunlit et homme ou animal, qui attri-
de', la lecture nominaliste de la notion aristotlicienne d' ocr(a bus a une pluralit [ ... ] dterminent la qualit par rapport a la sub-
seconde. stance premiere et signifient une substance premiere de telle
3. Le troisieme argument d' Aristotc repose galement sur un pnm- qualit , Tricot, p. 15). L' Aristote de Catgories, 5, udmet done,
logisme de 1'homonymie. Le Stagirite prtend enfermer les platoni- contre celui de Z, 13, que la substance individuellc procede des
ciens dans un dilemme mrologique. Soit l'unversel est con9u universaux , puisqu'il pose Jui-meme que la substancc seconde
comme universel des choses singulieres, e 'est-a-dire on9u en dtermine la qualit essentielle des substances premicres. Sous peine
elles, et il en est une partie , mais ulors il ne peut etre prdiqu de luisser les dlONl!s complctl!ll1Cill divises, san:-; l.'0/111/Illlliquer
d 'elles, car la partie ne se prdique pus du tout ; soit il est con9u entre elles, il fuut bien admettre que ccrtuines choses (i\ savoir les
comme spar d 'elles, mais alors il ne peut etre entierement en elles choses de meme es pece ou de meme genre) ont en commun 1'uni-
toutes. Syrianus rpond que tout ce raisonnement repose sur une versel comme A.yo, considr comme exstant en elles toutes .
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!.a qll('/'('lfr ,,.,,. unil'r'r,,mt.\' Du !loplatoni.,mr .:rrc au pfl'l/wtttl.miC' amhe
Dnns sn rp<msc o Aristotc, Syrinnus rend visible le wcmi('l' geste 7. Le scpt icmc nrgumcnt cst 1' nrgumcnt du Troisiemc Hommc.
qul cnructrise le rullsme plutonlclen des formes purticipes : lepas- Syrlunus !'aborde en considrunt qu'il s'udresse b In doctrine
sage d 'une expression comme 'les eh oses communiquent entre elles' platonicienne de la participation telle que !'a rsume Alexandre
aune expression comme 'les choses ont en commun ceci' (a savoir d' Aphrodise dans son Commentaire sur la McJtaphysique: lis
un universel prsent en elles toutes comme fondement de leur com- [Platon et les platoniciens] disent que ce qui est mutuellement sem-
munication), passage opr originairemcnt par Socrate dans la a
blable cst mutuellement semblable par participution quelque chosc 'l
squence (Q2)-(R3') du Mnon. d'identique, qui est cela au sens propre, et l'Ide est cela. La
5. Le cinqui~mc argurnent dmontrnit l'absurdit de la these de la rponse de Syrianus est d'une importance capitule, car elle formn-
substantialit des universaux en montrant qu'elle conduisait o dire lise contre Aristote et, en partie, avec ses propres termes, un modele
que, 1'm.'Jcr(a animal tant pos e cornrne ex istnnt en Socrnte, i 1 y de 1'universel causal, qui, sous des formes di verses et par des canaux
aurait en lui une oucrla qui serait oucrla de deux choses, i.e. de varis, se retrouvera tout au long du Moyen Age.
Socrate et de homme (et non de la classe des animaux, comme le Le crei.Jr de la these porte sur la notion de similitude. Il y a, selon
suggereu-torCTr1cot, p. 427~2)-:-synanus rpond que, dnns le cas Syrianus, aeux sortes ae-ressemoJnnces~n-premier~ esrcene-d'unc-
conslclr, 1'universcl 'nnimnl' n'cst pns di! de Socrnte commc prdl plurnlil de choses b In chose unique done elles provicnncnt. Ccttc
cat de deux oucrlat diffrentes (l'oucrla Socrate et l'oucrla homme), ressemblance, que Syrianus frappe d'une expression platonicienne,
rnnis qu'il cst dit ele Socrnte non en tnnt que Socrntc mnis en tnnl &<h' vc (latn: ah uno), qu' Aristote lui-meme utilise dnns
qu'hommc .Ce qul se prdlque de Socrnle en tnnl que Socrnle n'esl l'f.'thlque a Nic:omaque, l, 6, pour indiquer le type d'unlt prsent
pns 'nnirnnl', c'csl 'ventru' ou 'nlhnicn'. 'Animal' se prdlque de pnr des choses qui ont ml!me origine- l'unit di te de provenunce
Socrute en tnnt qu' il J'nit purtie du A.yo<: expriman! sa quullt essen- (voir encadr) -, est une proprit de la chose drlve. Syriunus lui
tieiie: homme, c'est-a-dire en tant qu'il fait partie de sa formule dfi- oppose un second type de ressemblance qui caractrise non la chose 1
nitionnelle d'homme ('animal+ raisonnable + mortel + bipede'). drive, mais la cause de la drivation, autrement dit la ressem- ,
Animal n'est done pasen Socrate l'oucrla de deux choses, mais pr- a
blance du modele la copie, et non plus celle des diverses copies
cllqu de l'ouo(<x de Socrute en tnnt qi.t'homme. entre elles en Lunt qu 'elles resscmblcnl nu m eme modele. Lu rcsscm
6. Le sixieme argument d 'Aristote tait peu clair. A en juger par la blance du modele a sa copie est celle de la cause efficiente a ses
rpot1se que lui fnit Syrinnus, il fnut comprendre qu'il objectnit que, effets. Il faut done bien distinguer la rcssemblnnce qu'ont entre elles
) si lwmme tnit o\Jcr(a, aucune pnrtic de In dfinition d'une clwse, toutes les images de Socrate, qui proviennent d'une chose unique
par cxemple In pnrtie animal dnns In dfinition de Socrntc, ne pou- et se rupportent i\ une chose unique , et la ressemblnnce ,pur lnqucllc
vait ni tre oucr(a de quoi que ce soit ni exister sparment de ses Socrate est dit ressembler a ses images . Socrate est la cause effi-
especes, a savoir les<< especes particulieres de !'animal, dont, pr- ciente de la pluralit des images de Socrate quise forment dans !'es-
cismcnt, homme. A cela Syrianus rplique qu'Aristotc cede unou- prit de ceux qui le voient, il est cause de la ressemblance de ses
vcnu ul'homonymie dutcr.me !J.po(; (portie). 11 c11t vrni de dirc que lmngcs entre elles. C'cst cette double rcsscmblnnce gul est b l'ccuvre
les patties qui entrent dans la dfinition d'une chose, par exemple dans la thorie de la participation injustement stigmatise par Aris-
Socrntc, nc convcnncnt l\ ricn d'nutre ni ne se spnrenl de lui . totc et Alexundrc, ct qui frnppe d'invnlidit ICur rccours i\ l'argument
Mnls ce sont des p!irties particulieres et c'est en tant que particu- du T.r.oisieme Homme : il n 'y a pas, sous pr~texte que homme se pr-
li~res, i.r. en lnnt qu'elles Indiquen! son essence i11dividur/h, _____ -cHqtie nussi bien des choscs pnrticuli~rcs que de I'Ide, i\ poscr un
qu'elles tiC. peuvcnt ~trc spnr~s du sujet donl elles sonl prdlques. _ troisleme homme en dehors de l'homme pnrticuller el de l'lde, ni
Cette observation ne s'applique pas pour autant aux parties enten:: un quatrieme, prdiqu du troisieme, de l'Ide, des hommes particu-
dues comrne pnrties universcllcs, cnr, en tnnt qu'ouo(a sccondc, ani liers, et nlnsi de suitc ul'infini .Des ehoses singulieres sonl scm
mal, partiede homme pris lui-meme en un sens universel, convient a a
blables entre elles et semblables l'universel en vertu d'une meme
d'autres sujets que Socrate et en est spar. Cette rponse et la pr- unit d'origine , mais la cause efficiente de cette ressemblance est
cdente anticipent la doctrine que Duns Scot dveloppera avec la l'universellui-meme, ce qui bloque la rgression a l'infini.
notion de nallll'l' commune. En choisissant l'exemple des images de Soc~~te, Syrianus justifie
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La querelle des universaux Du noplatonisme grec au pripattisme arabe
recte du platonisme, pour lequella science et son objet rel\'!vaient du cette persistance n' a pas lieu ou bien n' ont absolument aucune
monde transcendant 46 . . connaissance au-dela de 1' aete meme de pcrcevoir, ou bien ne
Lu pon116c d' AriHtoto cHI ;cpcndunt loin d'etl'c uuHHi aristotli connuissent que pnr le Henil leN objet11 dont 1' imprcssion nc dure
cienne que le croent les disciples de Jolm Stuart Mili. De fuit, dans pus; uu contruirc, les unimuux chcz qul se produit cclte persistunce
les Seconds Analytiques, II, 19, en un texte apparemment consacr, retiennent ene ore, apres la sensation, 1' impression sensible daos
tui aussi, ala genese du concept empirique abstrait, Aristote semble !'ame. - Et quand une telle persistance s'est rpte un grand
vouloir exprcssment arrrontcr la question abordc pur Plnton dnns nombre de fois, une nulrc distinction des lors se prsente entre ceux
le PhCdre quand il juxtapose 1' tmit ou la rflexion rassemble la chez qui, h purtir de lu persistunce de tellcs impressions, se forme
4)1uraHt_dcs_sensticm~__,et_<< 1~~te d 'intelligence selon 1'1d e . une notion, et ceux chez qui la notion ne se forme pus.
Autrement dit, le probleme du passage -deT'e.inpirique a!aFOime- C'esfainsi que-deJa sensatmrvimlt ce quenuus-appelons-Je-souve~
pure, que les noplatoniciens ont impos uAristote en inscrivunt su nir, et du souvcnir plusicurs fois r6pt d 'une mBmc e hose vient
doctrine de l'abstraction comme tape prliminuire a la connaissance l'exprience, cur une multiplicit numrique de souvenirs constitue
des Formes spares, est, d'une certaine maniere, prfigur chez une seule exprience. Et c'est de l'exprience a son tour (c'est-A-
Aristote lui-meme. Il faut examiner soigneusement ce texte pour dire de 1'universel en repos tout entier dans 1'ame comme une unit
comprendre comment, Ht meme ou il s'efforce de lui construire une en dehors de la multiplicit et qui rside une et identique dans tous
alternative, Aristote reste encere dans 1'horizon problmatique du les sujets purticuliers) que vientle prncipe de l'art et de la science,
et
platonisme semble accrditer la question, non aristotlicienne, que de l'art en ce qui regarde le devenir, et de la science en ce qui
regurdc 1etre 47.
la thorie noplatonicienne du passage des concepts abstraits aux
Fonnes pures, atravers la mobilisation des Formes psychiques, s'ef-
forc.:c de r611oudrc. Ln squence qui mene de la scnsution, pouvoir inn de disccrne-
mtnl (potentla lltlfiii'U/1,\' ludlcatlva, lm la trnduc.:tiun lutlnt dc
Jacques de Venise), a la conception de 1'universel semble identique
dans les deux textes. Les Analytiques remplacent toutefois le tenne
LA DROUTE DU SENSIBLE ET LE MODELE MACHISTE vague de croyance universelle par celui d' Universel propre-
ment dil, et ils Jui uttribucnt dcux pmprits: (n) 1'universcl est une
Nul texte d' Aristote sur les universuux n'est plus exempluire, unit sortie de la pluralit ,napa ta not..t... (unum praeter multa,
dans son ambigu'it structurelle, du reste ancien qui le travaille; nul dira la Trans/atio Jacobi), mais en meme temps (b) il rside un et
n'cst plus rvlateur d'un dsir de dpasser le platonisme sur le ter- identique dans les sujets particuliers . A premiere vue, ces deux
ruin m~me ou se noue son propre problcme; brcf, ni.JI n'est plus c~u!ctcres corresponden! nux dcux prcmicres surtes d'universaux
pripatticien, c'est-a-dire platonisant , dans son dsir d'en finir d1stmgues par les commentateurs noplntoniciens du vt siecle, i.e.
avec Platon que les Seconds Analytiques, II, 19. En un sens, c'est ce (1) les universaux antrieurs a la pluralit (npo TWv noMwv) et (2)
contre-modele du Phedre qui a aliment toutes les drives de la les universaux dans la pluralit (ev Toi' noMoi{;), l'expression 'uni-
replatonisation d 'Aristote. vcrsel reposant dans l'fime' semblant renvoyer, de son cot, ace qui
De prime abord, le texte para't proposerune formulntion plus fine deviendra (3) l'universel postrieur a la pluralit (enl TOLC not..Aoic).
de la genese du concept empirique superficiellement dcrite en En ralit, par l'expression 'universel sorti de la pluralit', c'est-a-
Mtaphysique, A, l. ' dire 'mis a part', except de', Aristote vise au contraire la troisieme
sorte d' universel, sn these tunt que 1'universel qui repose dnns
!Jlen que lu perccption sensible :wit lnnc chcz tous les unimnux, l'fiu1c , mxp1'x nxrro;>..;>.., cNI l'unlvcrsclmCnlc qul rsidc dnnN tous
Chez Cet1ains il se produit une perSStance de l'itnpression'sensible les sujets particuliers >> 4 K. Pour prendre tu mesure de ce qui curuct-
qui ne se produit pas chez les autres. Ainsi, les animaux chez qui
47. S:f: Aristotc, Mtaphysique, A, 1, trad. Tricot, Puris, Vrin, 1970, p. 3-5.
48. Hilas, In PotJ/,/.wg., d, A. Bussc ( Commcnturin in Aristotclcm Gruccn ,
46. Cf. J. Tricot, in Aristotc, Mhaphysirue, A, l, Puris, Vrin, 1970, p. 4, n. l. XVIII, 1), Bcrlin, U. Rcimcr, 1900, p. 49, 22-23, poscrn en r:e sens une r:orrespon-
94 95
..
La querelle des universaux Du noplatonisme greca u pripattisme arabe
rise la these d 'Aristote par rapport b. Platon, il faut comprendre en
quoi la double affirmation que 1'universel existe en dehors de l,a plu- . (Th3) : Le processus de forma~ion de 1'universel a partir des sen-
rnlit tout en rsidant identiquement dans chaque particulier, loin a
sations est comparable l'arret d'une dbandade. L'universcl se
d'8tre une contrndiction, forme, nu contrnire, le noynu d'une th6oric constituc 1\ partir des imnges sensibles commc, duns une bataille
h la f'ois originnle et cohrente. Pour ce f'aire, il faut nnalyser en (tv IJ..XJ), nu mili e u d 'une droute, un solda! s 'arr@tant, un nutre
dtailla suite du texte (100a10-100b15). s'arrete, puis un autre encore, jusqu'a ce que l'arme soit revenue a
Ayunt mis en pince In squcnce mmoirc, cxprlcnce, universcl, son ordre primitif ~o.
Arlstotc cxpliqnt~ tommcnt H'efTccttlc lo pnNsngc des nnN nux nutres. Commcntnlre: Le uu>d~le de In productlon de l'unlverNel eHI In Rlnhlll-
Commcntnnt ces llgnes, J. Moren u note que ce qul frnppe duns sation d'une arme en droute par l'arret successif des fuyards. Tel que
r cette description, c'est que l'ascension vers l'Universel paralt s'ef- l'entend Aristote, le rassemblement logique dont parlera Syrianus est
1 /
fectuer de fayon toute machinale, par la persistance et la superposi- celui d'un front quise reforme au creur d'une butaille (ev .tX'(l) en train de
tion des images sensibles 49 Le machinisme mental qui porte tout se perdre. Le modele qui prside ala thorie aristotlicienne de la genese du
discours empiristc sur les universnux cst-il vrnimenl ce que vise conccpt cmpil'iquo est done maclristc plus que machlniste. L'uspect militnirc
1 Aristote? Examinons et expliquons chaque these. de cette comparaison a troubl les traducteurs et les copistes mdivaux -
Jacques de Venise a laiss le terme en grec, les copistcs le latinisant >> sous
(Th 1) : Les universaux, en re pos daos 1'fime , prncipes de 1' art les formes les plus diverses, depuis in machine jusqu'a in mathematice.
et de In scicnce, sont des ha/Jirus.
Commentaire : L'universel est une disposition stable de 1'ame, e 'est-a- Quelle est la signification d'un tel modele?
dire la stabilisation en elle d'une multiplicit numrique de souve- L'ide de restauration d'unordre primitif semble etre la version
nirs >>. La notion de stabilisation renvoie aune these centrale de la Physique aristotlicienne de la rminiscence dans le platonisme vulgaire. Le
(reprisc en De an., J, 3, 407n32) ou, sur In hnsc d'une tymologic linnt sensible n'est pas J'occasion du ressouvenir de Formes contem-
1:'
~TTLoT{.tt (sclencc) el <1t~'VUl (!1 'utl'~ler), Arlstote pose que !u pense dls ples pur l' nme nvunt su chute dnn.s le c01'ps, e'est la remlse en ordre
cursi ve (5t.vOLa) connait et pense par repos et arrt (Phys., VII, 3, de ce qui est dispers, c'est-a-dire prsent de maniere parse, dans
247bl0). Selon Tricot, ce quise stabilise ninsi en 1'1\me est ce qu'il y a de les sertsations affectant une time entendue comme forme d'un
commun entre plusieurs images sensibles diffrentes . Pour J. Moreau, corps naturel organisi. A cette remise en ordre Aristote donne le
In Ntnhill.~nlion Cllt lo pmdult rclntlf de In pcrsiNitlllCt' ot do In ,\'llllt'l'l'"l'ltlon no m d" lnductlon' (bmywyf). 1
des lmuges sensibles. En fuit, c'est duns les lignes suivantes qu 'Aristote Le processus par lequella pense discursive, 8t.vota, s'leve aux
propose un modele pour dfinir le processus de stabilisation. prncipes premiers ('ra npwTo.) de 1' art et de la science est done
(Th2) : Ces habitus ne sont ni inns en nous sous une forme dfi- l'induction grace alaquelle la sensation elle-meme produit en nous
nie ni tirs d' nutres habitus plus connus , muis tirs des sens. 1'universel ( 100b5). En la rigueur des termes, les concepts les plus
Commentaire : Les universaux sont produits a partir des sensations, ils
universels sont les catgories ~ le texte dit: tu
&.tepij, asavoir les
concepts impartageables (trad. Tricot) ou absolument simples
n'existent pus d'nvuncc, tout p~ls, duns 1'1\me. (trad. Moreau), bref indivisibles, paree que, contrairement aux autres
concepts universels, ils ne sont pas constitus a partir d'un divi- 't
dance entre les cxprcssinns de In trolsl~me que~tlon de Porphyre (si, en fin, lis sont dende, le genre, et d'un diviseur, In diffrence spcifique. Cepen-
spars ou n'existent que dans les choses sensibles et enfonction d' elles) et la divi- dant, comme Aristote lui-meme explique que Seconds Analytiques,
sion noplatonicienne des trois tats de l'universcl - xwpt<rra quivnlant 11 npo JI, 19, est la reprise d'un expos qu'il a fait ailleurs, on peut estimer
TGlv no7J..Glv, EV TO!~ o!oOrto!~ 11 tv Tole no7J..otc ct nr.pt mOm \~eorGlTU 11 ent soit que le processus ici dcrit prcise les premiers fondements de In
rot~ no7J..ot~. Dnns ccttc lccturc, lutroiHI~mc question de l'orphyrc ouvrc une nltcr-
nntlve entre In thorlc tles lde8 (1 'unlvcrscl spur ou thologlque) etl 'en.rem!J/1' de thorie de In dflnition cxpose en 11, 13, soit qu'il explicite dnvnn
la position aristotlicienne, ou l'universcl esta la fois dans la pluralit (comme tage certaines formules de Physique, VII, 3, sur le rapport de l'uni-
fonnc immnncntc ou en use fonncllc, univcrscl physiquc >>) et driv (conunc
conccpt nhstrnit, univcrscl lngiquc >> ),
49. Cf. J. Mnr~ntl, tlri.l"to/t' rt .wn lmlt, p. 177, 50. cr. AriHIOIC,Illla/, post., lrnd. Tricol, Pnris, Vrin, 1970, p. 245.
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La quere/h des tmilcrsaux Dtt noplatonisme wec a u pripattisme arabe :~
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ber. Cette rcchute uppnrente est ce qui u lgitim l'interprtution nisme et justifie par un souci pistmologique le dpassement de
pripatticienne et la ractivation, dans un cadrc nouvenu du modele l'induction. Puisque toute science est vruie duns la mesure .ou elle
concordutuirc de Syriunus. ' s' arr~le udes conclusions dmonstrativcs ccrtaines, il ne pcut y avoir
science des prncipes mSmes dont ces conclusion~ sont infres. Au
point de dpart de la science, au prncipe de la dmonstration, il faut
poser un c.ertuin nombre d'indmonlrables. En tant qu'indmon-
PI!NS(ll! DISCllltSIVIl, IN'I'lii'I'ION INTHI.I.I!CTIJIII.I.H lrnblcH, lcH prncipes de In Hcicncc , c\~st,i'Hiirc de In rniRon
L!T CONNAISSANCIJ Mr1TAI'IIYSIQUIJ discursive, dont Aristote assurait tantt qu'ils proviennent de
l'exprience, ne peuvent etre donns par la 8Lvota. Or il y a deux
. Les ~emieres lignes de Seconds Analytiques, II, 19 (1 00b5 sq.), sortes d'indmontrables: les hypotheses ou l'on assume ncessai-
mtrodursent une sorte de nrpture nvec 1' empirisme sensunli.~te a
rement que 1'exprience ne peut se soustraire la dtermination
cens r~gner duns ~a ~remiere p1~rtie. De fuit, upres uvoir affirm que muthmutlque et les coneepls ous' exprime l' unit des objcls
l~s l!alntus ou prmctpes de 1 nrt et de In science provennient, vio
naturels que distingue spontanment notre perception . 11 appartient
1 umversel en repos dans l'fime ,de la perception sensible, un done al'intuition intellectuelle, et a elle seule, d'apporter les prn-
theme que In scolnstique synthtisera dnns 1'ndnge: Nihil cst in intel- cipes de la reprsentation mathmatique des objets et ceux de
lectu quod non prius fuerit in sensu, Aristote dclare brutalement l'organisation universelle, les essences des t!tres naturcls ,En 1
;1
que les habitus par lesquels nous saisissons la vrit relevent effet, tout etre naturel a une essence, objet de la dfinition et, . 1!
d 'une facult suprieure au raisonnement , celle que J. Tricot pr- encore que. celle-ci doive etre labore par 1'analyse inductive,
sente sous le terme 'intuition' 54 , Le mot 'intuition' tant In trnduc- 1' unit du dfini, la liaison nces.s,aire de ses lments, ne peut etre
tion du grce voU<;, Aristotc scmblc nlnsi rcssuscitcr In tllstinctlon saisie que par un aetc intclfactud .l'rducti!Jle e) una constata/ion
platonicienne de la pense discursive, 8LvoLa, et de l'intuition intel- empirique . Cette derniere these est, videmment, cruciale, car elle
lcctut'llc, v<~l"Jrtl<: ~\ Dnns l'intcrprrnrion qu'il fomnil du pnssngc, implique qu'il fnille rccherchcr dans une intuition des essences
J. Moreuu donne un rellef >nrticulier a ce remaniement du plato- la raison des jugements vrais dplis dans les vrits prdlcutives.
Pour J. Moreau, l'intuition nristotlicienne des essences en tant
qu'elle est soll<.luire d'une vislon finuliste <.lu monde se relie ~In
54: Cf., sur le .meme tl~eme, Anal. post., 1, 18, trad. Tricot, p. 95-97: << 11 est clair v6rcn,. platonicienne, qui, remontan! a I'Ide du Bien, dfinit l'es-
9ue si ~n se~s v1en~ afmre d~faut, ncessairement une science dispnrnit, qu'il csl ~
tm~osstblc d ncqum. N?us n apprenons, en cffcl, que par induction ou par dmons- ~ ~ sence de chaque e hose. videmment, aucun texte d' Aristote ne
trat1011. Or la dmonstrallon se fait h partir de principes universels, et 1'induction deUJ <'l parle en la rigueur des termes d 'une intuition intellectuelle des
cns pnrliculicrs. M,nis il ~si im~ossiblc d'ncqurir In connnissnncc des univcr~clsS > essences .Le nom nristotlicien d'unc telle inttrition est donn en
nulr~menl que pur mduclwn, putsque mcme ce qu 'on appelle les rsultats de 1'abs- 0 ;~ deux passages duDe anima que J. Moreau coordonne: il s'agit de
tracllon ne peuvent ctre re~dus accessibles que par l'induction [... ].Ce textc romptp
doublement nvec le plntomsmc : ( 1) en nfnrmunt que les !\tres mnthmntiqucs nbs- .;...
e::
:~
1' intcllection des indivisibles (n ... TGv &Bta_tpnov v6rcrt(;), dont
trnils sont l!1dults >> b pnrt\r du sensible el n'cxistent pns pnr sol et (2) en rsorbnnt )'] >M parle le De anima, III, 6, 430a26, et de celle des objets immat-
In rclnllon de 1 nmc. llll COillllllSSilhlc clnns llllO rclnllon el fl!'f'I'CIIIi.f,\'(/,qr (pnr lnduclion ..:.; < ricls , nllguc en III, 6, 430b31. La coord'inution de 1' indivi-
ou dmonslrntlon) qul cxclullout rccours b In rtlmlnlscencc. , <! sible et de 1' mmatriel dans une meme thorie de l'fntuition
55. La perception d'une tension interne 11 Anal. post., 11, 19 est 11la fois une don-;::~ - '!
ne de la tradition interprtative el un lment moteur de l'exgcsc pripatticienne >-<, ~ des essences, la hirarchisation qu'elle implique entre la raison ou
nrnbc el mdivulc, Lu pcrlincncc de eelle lcclurc, rcprisc ehez les rnoderncs (tltr z ~ BLvmcx ct l'intellcct ou voO(;-,ln discursivil et l'intuition, pouvuient.
ortlwdo.r l'irw), CNI vll<llll'l~uscmcntrniRc en cnusc pnr J. nurncH duns tlristotlt',\l'o.l' C.)' o donner lieu h dcux th6orics diff6rcntcs. L'unc consistnit h mnintenir
/t!rlor tlnalytit'.\', 'li'!llt.Viatt'd wltlt Nuti!.Y ( c.lt!rcndon AriMiotle Series))), Oxf'ord, Clu- ~-~ G en tension ncessuire une dfinition de la forme des ~ttes naturels
rendo~ P~e~s, 1975, P. 256-260. Barnes cnttque, nolamment, la trnduction de vo~ ~ u impliquant l'existence d'une matiere dtermine (puisque, pour
._
pnr mluH1on (qu'1l rcmplncc pnr compr6hcnsion ) cll'idcnliricntion du vnllc ~ 1
des prlnclpcs , I~Vl'C k ~oll.~ pcrccplllel 011 qunsl pcrccplucl >> porlnnl sur les lndlvl- 00 Aristote, tout etre naturel est essentiellement compos de maticre el
du.~ (en pnrtlcuhcr le.~ llltllvulu.~ mnlh~mntlqucs), Non~ sulvnn.~ lcl In vue nrlho-
dnxe >> puree qu'tllc dt<plil' lcH prHuppoHs dl' In lcctun' p~ripnl~lkicnnc ,,
de f()rmc} ct une. dfinition de la forme comme essence simple ct i ,:J
~
--imutrielle , faisunt de 1'ctre compos une substnncc, un objct 1
mdl~vulc qul repose sur les confuslons nnnlyses pur Bnrncs. ' 1
----
lOO 101
..
,_
Platon e_t Aristote, nous permettra de suivre jusqu'a son abo1,1tisse::--- -- 16gitimcment uppelcr une tripartition de ce genrc, comptc tcnu de la
mentlatm, chez Roger Bacon et les ma'tres parisiens de la premiere tendance des commentateurs a prsenter comme orguniquement lies
molti du Xlll" 1:!l~cle, une solution orlglnule nu probl~u1e des univer- en 1111 systctne kN divenH:s flw..:tulltions, volutious ou dissorwn~:cs )'
saux, que ren n'avait prpare dans la tradition latine primitive de la pcnsl! platonidennl!, Ll!s trois at.:cl!ptions Ju mol dllo<;, la
(ccllc de Bocee ct de In Logica vcnt.l') et qui n, un temps, co.ncurrenc rormc spare du Phdon, la forme immancntc du Mnon etl' uni-
d.ans l'esprit des chrtiens d'Occident les deux grandes autres tho- vl!rsel logique Ju 'J'htete, se Jaissaient l'udkment t.:oordon-
ncs urubes : celle du Donuteur des formes sclon Avicenne, qui pro ner par In mtnphore de la bague. La dfinition de l'universel
cdait de 1'univers d 'al-Frabl, celle de 1'Intellect u ni que el de ubstrail comme crn:poyt::v{,', c'est-u-dire postricur dans l'ordre
l'ubstraction selon Averroes, qui tentuit de s'en dguger. C'est done
une srie complexe de fils qu'il nous faut a nouveau nouer ici, pour 56. Cf. Ammonius, ln Porph. lsag., d. A. Busse ( Commcntaria in Aristotelem
pouvoir comprendrc ensuite ce qui spare les camps en prsence 11. flruccn "IV. 3), Bcrlin, O. Rcimcr, 1R9l, p. 41, 10-4:./., 26 el fiR, 25-69. 2.
partir de la fin du XII" siecle. '!>7. Cl'. llus, /11 l'orph. /.1<1}1., d. A. Uusso ( Cununcntnriu In Arlstutclcm
Urncca, XVIII, l), Berlin, O. Rcimcr, 1900, p. 4M, 15-30.
58. Cf. David, In Porph. /sag., d. A. Bussc ( Commcntariu in Aristotclcm
Oraeca ,XVIII, 2), Berln. O. Rcimcr, 1904, p. 113, 14-29.
59. Pour tout ce qui sujt, cf. Ph. Hoffmann, Rsum '' in Annuaire. Rhum des
confri!/IC/!.1' e/lraVliiiX, Eco/e pratitue des hall/es wdes, v ,\'('('/ion, t. 101' 1992
1993, p. 241-245.
102 103
La querelle des universaux Du noplatonisme grec au pripattisme arabe
de l'etre , permettait en outre de rejoindre un des themes centraux humaine et subsistent dans notre ame 61 , voire, plus radicalement,
l de l'nristot611smc, puisqu'clle exptimnitle stntut logiquemcnt pos- dnns l'fimo des snvtmts .
trieur du concept empirique abstrait, tel que l'nonyait la formule Ainsi con9ue, la doctrine des trois tats de l'universel permettait
du De anima, T, 1, 402b7-8 60. Elle renounit memc, d'une certnine une articulation du champ philosophique. On sait qu'Ammonius dis-
fn~on, nvec le sto'kisme puisque, sclon Simplicius, In these des phi- tribuait les diverses sortcs de genres comme uutant d'objets sp-
rosophes soutcnnnt que In thorlc nl'lstotllclcnne des cutgorles por- clf'lques pour les trois gl'llmles tliscipllnes de la philosophic: le11
tait sur dix genres entendus au sens logique comme des genres das les choses ou genres immanents, engags dans la plu-
produits drivs qui n 'existent que dans la pense , s'apparen- ralit des individus, constituant les objets de la physiologie ,
a
tait l'opinion des sto'iciens. . e' est-a-dire de la science de la nature ; les genres en un scns
La coordination entre les deux premieres acceptions, platoni- postrieur , dous d'une existence purement mentale (noma-
ciennes, de la fonne ella notion d'un genre logique que l'on pou- tique), ceux de la logique; et les genres antrieurs aIn pluralit ,
vait interprter au sens d' Aristote, s'est, en tout cas, impose comme autrement ditles genres transcendants, les exemplaires , ceux de
ooe these cardinale de l'exgese concordataire noplatonicienne. -----~lt thologie .
On peut rsumer ainsi In doctrine communc. 11 y n trois types d'uni>-- La thorie scolastique latine des trois tats de l'universel, ante
vcrsnux: ( 1) les univcrsnux untricurs n In plumlit (rrpo -rwv rem, post rem et in re, est le prolongement mdival de la thorie
rroA.AG>v); (2) les universaux dans la pluralit (v -rot<; rroA.Aot<;); (3) nopl~tonicienne des unive~saux. Nous y reviendrons bi~ntot.
a
les universaux postrieurs la pluralit (nl TOt(; 7TOAAOt(;). Ces trois
~ types d 'universnux, ou plut6t ce1l trois tats de 1'univcrsel, peuvent
l_ etre compnrs nux trois tnts du portrnit du hros : ~ 1'tat ( 1) corres LES FORMES DE SYRIANUS ,,
pond le portrait d'Achille grav sur le chaton de la bague; a l'tat ,,
l OU COMMENT HARMONISER ARISTOTE ET PLATON
{2), les diffrcntcs cmpreintes de ce portrnil sur diffrcnts mor- 1
l'
~ :
ceaux de cire >> ; 1\ 1'tnt (3), la reprsentation d 'A chille dans 1' ame
l de l'ohscrvnt('\11' qui n cxnmin les divl'l'fiCS cmprclntoN, rcconnu lcut Toute In pcnse modcrne clcpuis Knnt n t trnvnillc pnr le pro-
' ~.
l slmllitude et conr,:u par abstractlon la figure unlque qu 'elles repro- bleme de la relation entre le concept et 1' lde. Chez Kant, le concept
duisent . , . de 1' entendement et 1'Ide de la Raison sont a la fois opposs et
Dans la perspective strictement noplatonicienne d'une compl- articuls. Chez Hegel, ils sont opposs. Ce probleme d'articulation
mentarit, concordance ou symphonie entre les ontologies de du. concept et de 1'Ide a exist durant tout le Moyen Age, et les
Platon ct d'Aristotc, les trois tats de 1'univcrsel corrcspondent i\ di verses coles philosophiques se sont constitues soit pour tablir sa
trois modes d'etre de ce que le Stagirite appelait les genres et les ralit soit pour supprimer un des termes au bnfice de l'autre. Ce
especes. Les universaux untricurs a la pluralit correspondent aux faisant, toutefois, c'est un modele unique, c;elui de la lecture concor-
Modeles (mxpa8dy!J.al'a) qui sont uussi les Idcs plntonicienncs ou dntaire de PI a ton et d 'Aristote telle que 1' avait formule le noplnto-
l les "rnisons dmimgiqucs" : ce sont les gcnres et les espcces qui sub- nisme, qui a t mis en crise. Une meme structure porte ainsi, de ce
sisten!, spars de la matiere, dans l'Intellect dmiurgique, et ils sont point de vue, tout le dveloppement philosophique de 1' Antiquit
Ie contenu meme de la connaissance divine. Les universaux dans la jusqu'a l'idalisme allemand et, a travers lui,jusqu'a la critique ph-
pluralit sont, par cxcmple, 1'dao, (Formc-e!;pccc) de 1'Homme nomnologique de In doctrine empiriste de la formntion du conccpt
cngng dnns les hommcs rndlviducls: c'cstln Forme "pnrliclpc" (nu g6n6rnl nbi!tmit. ' ,
sens platonicien), insparable de la matiere. Les universaux post- L'hartrtonisatioll des philosophies de Platon et d'Aristote a t le
rieurs a la plmalit sont pur exemple 1'dao, de I'Homme con~ u par leitmotiv de tous les noplatonismes, du noplatonisme tardif pro-
nbstrnction a partir de la considrntion des hommcs individuels ct prement dit nux diverses formes d'aristotlismc noplatonisant qui,
~.,._ postrk~lll' i'l ccux-l'i: ils sont lo produit proprc do In connnlssnncc de 1'Oricnt musulmnn ~ 1'Occl<lent chrt len, se Aont Nllecd dnns le
60. CL A. C. Lloyd, Form and Universal ... , p. 51 ct 72-74. 61. Cf. Ph. Hoffmann, Rsum loe. cit., p. 242.
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La querelle des universaux Du nop/atonisme grec au pripattisme arabe
cours de . )a translatio studiorum. La thorie des universaux lui a !de, en nllnnt cl'une plmnlit de sensntions i'l une 1mit ol'l les rns-
f'ourni un cudre spcifiquc, qul pcrmet de comprendre ce qui relie en semble la rflcxion , et d'encha'ner: Or c'cst la une rcmmora-
profondeur le noplulonisme grcc, le pripattisme d'al-Ffirfib: et le tion de ces ralits suprieures que notre fimc a vucs jadis, quand elle
ralisme de la scolastique latine du xme siecle. Cette liaison structu- cheminait en compagnie d'un Dieu, quand elle regardait de haut ces
rclle n'en laisse pas moins apparaltre un manque. Plus exactement, choses dont a prsent nous disons qu'elles existcnt, qunnd elle dres-
<.: 'cst sur In disparition du m oyen tenue qui, duns le noplutonisme sait In tete vcrs ce qui n une existenec relle h.l, Ln juxtaposition,
turdif, permettait d'assurer thoriquement la complmentarit des dans la memc phrase, d'un acte de penser selon une Forme ou lde,
doctrines d'Aristote et de Platon que se sont fondes les reconstitu- dans la rminiscence 1 et d'un ucte de synthese logique , partant
tions' ultrieures. Ce foyer manquant, cette tache aveugle, cette
suture oubffe rsioe- duns ui1e these pttrUcuiiere des coinlnentalculs
de la sensation (X TIOAAW\1 t'W\1 atael)crEW\1 El<: ev A.oyLcr.tij}
euvmpo!J:evo\1), -p-osairur1-problenfe cuisannr nmt-troptnontcien.:
tardifs d'Aristote, qui n'a re9u que depuis peu l'attention qu'elle a
comment articuler l'inarticulable, savoir le rsultat d'un travatl
mritait. Le programme en est simple: il s'agit de mettre en relation de rassemblement par la raison logique et la Forme intelligible
la doctrine des trois tats de 1'universel avec une smantique et transcendante saisie dans la rminiscence ? L'originalit de
une psychologie rcprenunt la uistinction (dveloppe par Simpli- Syrinnus est d'introduire un intcnndiairc entre ces dcux extremes,
cius) entre les mots (<pwvo.l, Af:1::L(;' ou ov...o:ru) et les clwses entre l'ucll! de synthcsc rutionnclle (A.oyto~llp ~uvmpdv) et In
(npy.J.o:ro.)62, qu'il s'agisse des ralits singulieres ou eles Rulits rminisccnce, le eoncepl ubstmit d' Aristotc, produil. de la pcnse
transcendantes, tout en ajoutant aux concepts abstraits )) aristotli- humaine, et l'lde transcendante de Platon. Cet intermdiaire est une
cicns des imngcs psychiques des Formes intelligibles, sot1es d'ides Forme psychlque qui ticnt des deux rnlits qu 'elle runit : elle n
innes susceptibles d'ouvrir au regard de !'ame une vision desdites le meme Myo<;, le meme contenu dfinitionnel que le concept abs-
Formes pures. . trait, mais, en m8me temps, elle est aussi 1'image, immanente u
Dans cette perspective, la place du noeme se ddouble. La !'ame, de la Forme intelligible transcendante qui est dans l'In-
triade des mots, des concepts et des choses se redfinit en une struc- tcllect divin . La rminiscencc n 'n rien i\ voir nvcc la formntion du
a
turc cinq termes,regroupant les mots, les choses singulieres, les concept cmpiriquc nbstruit: c'est un proce:'!sus qui jouc en so1~ ord~e
concepts abstraits, les Formes psychiques et les Formes spares, propre, entre la Forme psychique comme un.age de la F?rme mtell!-
une s~ructure ou s'artiq.tlent deux processus gnosologiques dis- gible, et cette Forme meme, un processus qut permet a1 ame de VOll'
tincts, mais complmentaires: le processus de l'abstraction, dcrit !'original dans sa copie.
par Aristote, et celui de la rminiscence, dcrit pa( Platon. Chez Le processus d'abstraction arislotlicien vient ainsi s'ins~rire
Syrianus, promoteur de cette nouvelle doctrine adopte par les no- comme un moment ncessaire dans un processus plus vaste qUJ, de
platoniciens des ve et vrc siecles, l'articulation de l'abstraction et de 1'abstrait, permet, par la mdiation de la Forme psychique, d.e
la rminiscen.ce est prsente comme un vritable dynamisme ou,
wmmc 1'u mugistrulcmcnl tabli Ph. Hoffmann, 1'univcrscl aristo-
remonter au spar 64 L'ame rationnelle de l'homme peut, part1r a
1de i 'ObHCI'Vllt ion) dc.'l fI.!Hrlld~I'CH) COIIlllllll\S <.:O<II'<[OtlllS dnns les
tlit:ien joue le rle de dc.:lencheur de Ju rminiseen<.:e plutoul- rulits singulieres, russcmblcr par In rl'lcxion h partir du commun
cienne . qui est en Socrate, en Platon et en leur~ semblubles l'l!niversel abs-
Le point de dpart de la doctrine de Syrianus est le passuge du trait . Puis, sur la base de ces [Umversaux abstnuts]. elle peut
a
Phedre, 249b-c, ou Pluton met un point final la doctrine ele la rmi projeler (voir encndr) les Universaux qui sont immunents essentiel-
niscence expose en Mnon, 80d sq., et Phdon, 72e sq. Introduisant lement ul'ame, par la mdiation desquels- puisque [ces Universaux
la notion du. ressouvenir , le texte nqnce qu' il fnut, ehez u
immunents l'fime] sont des imngcs [des Formes intelligibles]-
l'homme, que l'acte d'intelligence ait lieu selon ce qui s'appelle
63. Cf. Pluton, Phcdrc, 249b-c, trud. L. Robn, 1'/alml, Cl:'lt1rc.1' cvmpletcs, 11,
Pars, Oullimurd, t964, p. 39. .
62. Cf. Simplicius, In Cal., d. Kalbflcisch { Commcntnria in Aristotclcm 64. Cf. Syrinnus = 1-lc'rmius,/n Platoni.t 1'/wedntm Scho/ia, ~d. P. Couvrcur, Puns,
Uruc'ca , Vlll), Berln, O. Rcimcr, 1907, p. 12, 16-13, 11. . 1901 ; rimpr., Hildc:shcim-Nc:w York, Olms, 1971, p. t71, 4-30.
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" 1
1
. ~
La querelle des universaux Du nopfatonisme :rec au pripattisme ara/Je
1
l'fimc aura le rcssouvcnir des Formes qui sont dnns l'Intclligihlc
(trnd. Ph. lloiTmnnn). 11 y n en 1'lime deux typcs de A.yot : 1'un Sur le concept noplntonlclen de projcctlon
(A.ym-1) est acquis par induction et rassemblement a partir du
singulier, c'est, par exemple, la notion abstraite universelle du La projection (rrpotsoM) est un concept fondamental de l'pistmologie
Cheval manipule dans la pense discursive ou logique >>; l'autre noplatonicienne. Proclus y recourt particulierement pour formalisei' la
(i\.yOL-2) est connaturel i\ l'fime humaine et possd par elle distinction entre deux aspects distincts de l'imagination, l'un de rcepti-
en vertu de son esscnce, c'est l'Universel substantiel Cheval qui vit et de rtention b.l'gard du sensible (c'est en elle que s'imprimcnt
sert de point de dpart i\ la remonte vcrs la Fom1e sparc, contcnue les fantasmes du sensible))), )'nutre de rceptivit a 1'gard des formes
intrieurei projetes en elle comme dans un miroir par l'llme a~issant
sur un mode transcendant dans l'intellect du Dmiurge. 11 y a ainsi se ton sa puissance de connaitre (In Eucl., p. 141, 4-13). La proJection
un proccssus complcxc qui, si 1'on ose di re, fnit, pnr quntrc tnpcs ninsi drlnie cnractrise l'nctivit du muthmnticien qui, ll partir des
successives, communiquer l'univers d'Aristote avec celui de Platon: formes qu'il a projetes dans l'espace mathmatique, revient aux A.6ym
(a) !'ame rationnelle observe les traits communs dans les indivi- qui taient d'.abord dans !'ame>> (Charles, 1971, p. 251). Ce, pour une
dus ; (b) elle forme par un acte synthtique des notions abstraites raison simple qui tient au statut intermdiaire de l'objet mathmatique.
(i\.ym-1), ce qui provoque en elle comme une stimulntion ou Commc le note Taonnina (1993, P 243) : L'objet mathmatique est
uno mobillsution des Formes psychlques ; (e) elle ren prsentes une mdit entre l'abscncc de clivtsion de l'lntciligiblc ella clivlsion clu
a elle-meme et projette les Raisons universelles (Ayot-2) sensible. Il n'est pas obtenu apartir du sensible, ni par condensation des
qui sont substantiellement en elle ; (d) elle remonte par une caracteres particuliers comme disent les stoi'cicns; i1 s'obtient plut{)t par
rminiscence de ce.c; Formes psychiques jusqu'i\ lcurs modeles>>, une projectiori des lments quela substance de !'ame reyoit des intelli-
ihloll. Lo 11\lld~le rmJcctif do In connniRsnncc CRI CIIIICilticllcmcnt
les Fnrme11 contcnucs tftms 1' lntellcct drnlurglquc , qul sont les ndnpt nu stntut de 1'objet mnthmntlque et tl In fonction pnrticull~re
causes surminentes de toutes les Formes de rang infrieur , assume par l'imagination dans l'actvit mathmatique: l'imagination
Le passage de (a)-(b) a(c)-(d) est le moment crucial ou se noue la est le mouvement projectif et processif de la lM.vow. qui a besoin de la
possibilit d 'une mdintion entre aristotlisme et platonisme. Le <pavmcr(a pour percevoir, comme dans un iniroir, ce qu'elle contient ~e
dynamisme qui l'drganise suppose a la fois un recouvrement, un maniere concentre et replie. En effet, elle possCde les A6yot, ma1s
dclenchement et une ractivation. Un recouvrement, car il faut que comme elle n' est pas cnpable de. les voir, elle les dploie .et l.es trans-
le Myo~ produit par abstraction et le Myo~ connaturel a l'ame se porte dans 1'imagination >>, et dans celle ci, ou avec celle-ci, elle en
superposent pour nssurer la continuit du processus (ce qui est dveloppe la connaissancc, satisfaite de la sparation d'avec les choscs
possible dnns la mesure ou Ieur contenu >> nomatique ou dfini- sensibles et d'avoir trouv une mntiere imaginative 'bien dispose a
nccueillir ses formes propres (In Eucl., p. 55, 1 sq.). L'originnlit de
tionnel est le me me). Un dclenchement, cur il fuut que le Syrianus, maltre de Proclus, est, semble+il, d'tendre le modele au-delll
concept abstrait excite>> ou mobilise la Forme psychique, pour du mathmatique et d'articuler, grace atui, l'abstraction aristotlicienne . 1'
.~
que, dans su ractivation, elle ouvre la voie In rminisccnce. Lu ou nvec lu rminiscnce plntonicicnne pour rglcr, en gnernl, le probl~mc
Plnton posuit en termes emburru!lss le principe d'une remonte central de In philosophie postnrlstotlicicnnc : 1'opposition entre 1' em-
dirccte de la forme sensible b. la Forme intelligible, Syrianus inscril plrlsme etl' inntsmc . '
done la rminiscence dans un espace proprement platonicien, celui
du Time, qui spure !'ame de l'Intellcct dmiurgique et les Formes
psychiques, de lcurs Modeles intclligibles , Ln vritnblc voie plnto-
nlclenne commcncc nln11l cxnctement lll ou flnlt cellc d' Arlstote, elle Les avutars de l'hurmonle: abstrl)ctlon ct lllumlnutlon 1
va de la Forme (psychique) a la Forme (intelligible). L'excitation de dans le pripattisme arabc !'
1,
108 109
----....... ____________ ~-----------' ,__
ch le mainticn du modele gnosologique de Syrianus. La thologie siq11e, E, 1, dont le Prcrnier Moteur immobilc, drini comme
platonicienne de la cration dmiurgique a cd la place a une nou- Pense de la Pense au livre A, fournit le prototype supreme.
velle thologie: le systeme ctes Tntelligences motrices tir de In cos Le fin mol de In mtnphysicue ninsi con~tue cst In rontinuation
mologie arislotlicienne. Dans cette nouvelle perspeclive, mmu\Lisle (ou conjonction o u connexion ), d 'un mol: l'union, de 1'fime
plutot que crationniste, In place du Dmiurge a t prise par un nvec les << choses divines , les Intelligenccs, c'cst-a-dirc les sub-
Donateur des fonnes , assimil a 1'Intelligence de la demiere stances intellectuel!es spares qui, tages hirarchiquement entre
sphere, prsidant a ce qu' Aristote appelait le monde sublunaire , la Cause premiere et le monde des corps, piloten! le cosmos. Dans
infusnnt, par une doublc mhnution, les formes dnns lu mntiero et les ces cond it ions, l'ncco111pl isscmcnt de la mtnphysique llSI dcrit
intelligibles dans l'fune_humaine. _Con9ue_sur le mode d'yn(!_rrtllna- comm(! u11e for111<! de vie, la vi e thortique selon 1'Ethique a
tion ou d'un flux de formes a partir du monded'en haut ,la dyna- Nicomaque, interprte comme connaissance des chses divines .
mique qui, chez Syrianus, articulait sous le no m de ~rminiscence', Installes structurellement a la place des Formes spares de Platon,
a
la reJ11onlc de la Forme psychique la Forme intelligible s'est Vll les Intelligenccs priputticicmlcs ou Formes du monde, ussu-
remplacer par un processus d'illumination descendante qui ne pou- ment ainsi, a l'intrieur d'un dispositif nouveau, le rle dvolu aux
vait plus etre coordonn de la meme maniere au processus de forma- Formes pures dans la gnosologie noplatonicienne. Au lieu du pas"
tion des concepts abstraits. En rempla9ant la rminiscence par sage de 1'abstraction a l 'intuition intellectuelle, au lieu de la mobili-
l'illumination, lu nouvelle doctrine laissnit cependnnt entiere l'exi- sntinn des Formes psychiqucs dplnyc dnns In rminisccnce, c'cst
g~:ucc d'une nrtlculntlon entre le conccpt nl'lstotllclcn et 1t1 l'onne done un nutre typu de llnlso11 qul dolt, i\ prscnt, nssurcr hlt'0//1/nua-
contenue dans l 'Intelligence spare. Une articulation qui ne pouvait tion de l'iime humaine avec 1' Intelligible pur - une tache d 'autant
plus etre assure par l'homme, dans la mesure ou la suppression des plus difficile que, parallelement, la notion meme d'ame humaine est
Formes psychiques (Myo~"2) laissuit face face, sans mdiation redfinie en termes nristotUciens comme forme>> d'un corps ou
immuncnte Ai'fime, le concepl empirique acquls i\ partir de In sensu- elle exerce une pluralil de J'cinctions hlrarchises : vgtalives, sen-
tion et la forme intelligible spare contenue daos le Trsor des a
sitives, intellectuelles. Le pnssnge de l'abstrnction 1' intuition intel
Formes. L'univers d 'Aristote et celui de Platon taient done juxta- lectuelle, qui tantot reprsentait un passage de l'univers platonicien a
poss pour !'ame rationnclle, qui devait trouver hors de su propre l'univers aristotlicicn, cst clsonnais thoris dans le cudre du seul
dynamique cognitive de quoi restaurer la continuit perduc. Pour corpus aristotlicien ou, plutt, d'un corpus priputticicn orgnnisunt
comprendre le rle jou par la thorie des trois tats de l'universel en systeme les indications parses, voire contradictoires, fournies par
dans la scolastique latine du xm siecle, il est indispensable de Aristote lui-meme ou ses interpretes.
prendre la mesure de ce qui s'est opr dans la relecture arabe du
modele de Syrianus : la disparition du moyen terme entre le concept
abstrait et la Fonne spar~, et, partant, l'limination de la phase cru- Intuition intellectuelle et connaissance mtaphysique:
ciale daos l'harmonisution gnosologique de l'aristotlisme et du Roger Bacon
platonisme- le recouvrement du concept abstrait et de la Forme
psychique qui rendait thoriquernent possible la rminiscence . Sclon nl-Pfirfibl, le fin mol de In mtuphysil\llc cst d'onlre intuitif.
C'cst 1' lmultlon lntcllcctucllo qul rullsc lllliS l'anu.: hlllllnlnc !u
connaissance des etres spars . Pour saisir toute l'originalit de
SPARATION ET ABSTRACTION: la relecture farabienne du modele de Syrianus, il faut considrer la
L'INPLUENCE D'AL-FRD SUR LA PREMIERE SCOLASTIQUll redistribution des savoirs qu 'elle a occasionne dans la scolastique
latine du dbul du xme siecle, lorsque le corpus arubc de la philoso-
phie el 1' intgrnlit du corpus uristotlicicn onl commcnc de rgner
Dans le pripatlisme arabe, la mtaphysique s'accomplit dans sur le monde universitaire.
la thologie, c'est-a-dire dans la contemplation des (( etres a la De fait, le trait caractristiquc de la mtaphysiquc professe dans
fois spars et immobiles dont parle Aristote duns la Mtaphy- les nnncs 1250 n 'est pus de se dploycr dnns le emire de ce que Hci-
llO 111
\ ,
le physicien (surfaces, solides, grandeurs et points) sont aussi l'ob- l' esse separatum leur revient en tant que formes intellig1bles abs- ..
jet des spculntions du mnthmnticien, mais non en tnnt qu'ils sont traites de la matiere, les nutres, puree que de soi ils ne sont ni n'ont
chacun la limite d'un corps naturel , et rappel que si le mathmati- jamais t en aucune matiere 67 Aux yeux de Bacon, le mtaphysi- 1~
cien tudie ces nllrihuts, ce n'cst pnR en tnnt <u'ils sontlcs nttri- cicn n'n nffnire qu'nux ,;pnrs purs. i
c'est-a-dire les choses divines (res divinae) .Ces deux sens d'abs- 66. Cf. ai-Ffirlbi, De intellectu el inte/lecto, d. Gilson, in Les souices grco-
nrnbcR de l'nugustinismc nviccnnisnnt , 1\rrflii'I'S d' flistoirt' doctrinal~ ~~ lillrrairt'
du Moyen Age (=AJIDLMA), 4 (1929-1930), p. 120, 174-182.
65. Cf. Rogcr Bacon, Quaesriones supra libros quarruor Physicorwn Arisrorelis, 67. Cf. ai-FArl\bi, De intel/ectu et intel/ecto, d. Gilson, p. 120, 192-121, 206.
tl. F. M. Oclnnnc ( Opcrn llnctcnu~ lnctlitn Rngcrl Bnconl , VIII), Oxrord, Ctn- 68. Cf. Roger Bucon, Quaestiones supra /ibro.f quartuor J>hysicorum Ar/srorells,
rendon Prcss, 1928, p. 69,11-71,30. d. Dclonnc, p. 71, 7-16.
112 113
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i
La querelle des universciux Du noplatonisme grec au pripattisme arabe
a )a mtaphysique, celle-ci commew;ant avec la connaissance empi- 1 L'u.hMtnt~o:tlou cNt do ud~;u IIIINid bien en nt~tuphyslquo qu'<Jil
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' . c. , --~ ~ "-'l
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a Ju rminiscence des Formes pures, elle iiwoque le passage de interprts dans le sens cosmologique de substances spares de
l"intellect en acte' a l"intellect acquis', c'est-a-dire celui de la 1' ame hu maine o u dans le sens strictement psychologique de puis-
connuissuncc ubstl'!lctivc des formes corporclles u In connnissuncc sanccs ou facults de 1'fimc humuinc.
intultive des Formes spures. ' Outrc lu lllodclc co.o;mologlquc el muuutislc uc lu pcnsc ul-
Enfin, dans la mesure o u elle pose qu" intellect acquis' est le Flrabl a ainsi lgu un autre modele, une structure articulant l';cti-
nom donn aux Formes spares en tant qu'elles sont devenues vit de l'intell?ct agcnt. ul'intcllect possiblc el ul'imuginution, duns
formes de l'intellect en acte, c'est-a-dire le nom de I'Jntelligence une collabora~wn fonctwnnelle que la tradition ultrieure n'a fait que
agente elle-m8me en tanl qu' objel d 'inlelleclion, elle runit sur la modulcr el rmtcrprler. Ce modele cst cclui tic la cooccurrcncc.
seuLe Intelligeoce une diversit de fonctions que toutes les philoso-
phies antrieures, qu 'il s' agisse du platonisme, de l' aristotlisme u o Double action de l'intellect et cooccurrence de la forme
du noplatonisme, avaient spares. C'est en effet l'lntelligence
agente qui (u) fuit don des formes a la muticre, (b) ubstruit pour nous
ces formes sensibles, (e) imprime ces formes abstraites dans les Exploitant une n:murquc fugitive d' Aristote dans le De ani-
intellects possibles qu'elle actualise et (d) rapproche ces formes et ma, III, 5, comparant l'intellect a une sorte d'tat analogue a la
ces intellects de 1'tat de formes spares jusqu' a ce que se produise lumiere , al-Fadib~ explique le passage de la sensation a la pense
un 'intellect ucquis'. A u fond, l'Intelligence agente joue en priput- par une double actlon exerce par la lumiere rnane de 1'intellect
tisme le role que le Ma!tre jouait dans le platonisrrie : elle meut la agent. Puraphrasant Aristote, il pose que 1' intellect agent met un
pcnse 73. . analogue de la lumiere physique, une lumiere intelligible qui
11 faudra beaucoup d 'efforts au Moyen Age tardif pour dloger la agita la fois sur l'i.ntellect matriel ou possible de l'homme, qu'il
thorie aristotlicicnne de l'induction abstractive du scheme conccp- appelle facult rattonnelle , et sur les perceptions sensibles stoc-
tucl tnunntlst el cqsnwlogiquc o u 1'uvnil l'onduc lu mtuphysiquc kt!cs dtu1s la l'acult6 lllnginati ve. Cclto douhk~ nt:t ion s 'excrt:c do
farabienne. manict:c simultunc, en so.rtc que le modele furabi~.:n du passagc de la
Le probleme pos par al-Farfibt n'en est pas moins demeur scnsutton u lu pens~.: pomtc el prserve u la fois le mysterc de la
constant d'un bout a l'autre du Moyen Age: expliquer le passage de coo~currence fonnelle ou se ralise l'acte de penser. On peut en effet
la sensntion el de l'imngination ula pense avec les instruments de lu a
clct:uc le passage de lu sensution la pcnse en posan! que, quund la '
\
'
psychologie uristotlicienne, 1' intellect agent, 1'intellect possible, lunuere mune de l'intellect ugcnt agit sur les pcrceptions sensibles,
1' imagination, les facults sensorielles, que les deux intellects si obs- ell~s dcvicnncnl ip.1o jacto des pcnses inlelligiblcs dans la facult
curment distingus par Aristote dans le De anima soient ou non rat10nnelle, ou en posant que, quand elle agit dans la facult ration-
ncllc, les pt:rceptions s'uctualiscnt en ndvcnnnt en ucte liJ 01> elles
n' taient pas stoc.:kes en pui.!>:wnce. Cette indcision est la marque
?3. L~ 0sure plato_nicienne du Maitre hante subrepticement la premiere doctrine stt:uct~relle du reJet du platomsme dans un systeme t'ond sur 1'li-
pnpatUctenne de l'mtellect. En un sens, on pourrait dire de l'activit de l'lntelli- mmatton du moyen tenne entre universel abstrait (aristotlicien) et
. gence agente ce que Ph. Hoffmann ( Catgories et langage selon Simplicius ... , u~iversel spar~ (platon_icien) : .la Forme psychique (noplatoni-
p. 86) dit de ce11e de l'enseignant chez les commentateurs grecs: Dans lu rclution
pdagogique, le Maftre (celui qui a contempl la vrit) provoque, au moyen de la
a
c~enne) ncessatre une mtellectton con~ue sur le mode de la rmi-
purole qui est profre pnr lu, une rminiscence dnns l'fime du Disciple qui l'coute. mscen.ce. En n9issant d_nns la facult rutionnellc, 1' intellcct ugcnt y
Les nottons, ou inte11ections, "motrices" (al XlVJ)nxat voncret~) qui sont dans l'fune actuahse ce qut n'y tatt pas clpos, fClt-ce en puissance mais tait
d,u Maitre meuvent (xtv~tv) les notions, jusque.-la refroidies par l'oubli, qui sont dans ailleurs, c'est-1\-dirc dans In facult non rationnclle, en pulssnncc d'y
1 filllll du I>INclplc, pru 1 lnlcrn1~dlnlrc dcA nnl1011N tlul. dnllR le lnn~.tnll-c prof6r6, pro- Cln.J d6H~St~. LcH Ncwdblcll uc pcu~clll t~'uctuuliscr qu'h se prmlulrc
cMcnl de l'tlme du Mnltre e: sonl le contcnu lntclllghlt) de~ molH el deH dlscours.,.
La diffrence la plus rnassive est que, dans l'manatisme, la motlon de l'llme par hors du lreu de lcur stockage mental. Muis, fautc de moyen terme, ce
l'Intclligcncc nc passe pus pnr le langage, mais par la lumierc mnnnnt les << fonnes changement de place ne peut etre dcrit sur le modc d'un transit.
in!elligibles (l'quivalent pripatticien des notions motrices), et qu'elle ne Tout ce _que l_'on .Peut dire e~t que ce qui tait en puissance dans la
s'mscril pas dnns un processus d'anamnese intrieure, mais d'abstraction et de
dvollcment de l'tunt extrleur pnr l'lllumlnntlon des funtnsmes. facult 1magmattve appara1t en ucte dans la facult rationnelle:
118 119
La querelle des ltniversaux Du noplatonisme grec au pripattisme arabe
(( Quand dans la puissance raisonnable se produit, a partir de l'intel- Averroes dcrit en effet le rle de l'intellect agent dans ce que lasco-
ligence agente, cette chose qui est dans la meme situation que la lastique appellera la premiere opration de !'esprit, la saisie des
lumiere par rapport a la vue , a suvoir la lumiere intelligible, quiddits simples, obtenue par l'action de l'intellect agent sur les,,
&vfl.oyov spirituel de la lumicrc physique, les sellsibles se rali- intentions imagines ou fnntasmes, dont 1'agent a beso in (comme
, ' sent , c'est-a-dire pussent h l'acte a partir de ce qui est conserv d'un instrument) pour actualiser l'intellect possible enproduisant en
dans la puissance imaginative et deviennent intelligibles dnns la fui In premiere apprhension . Dnns I commentaire 36, en
puissance rationnelle . revanche, il dcrit le role de l'intellect agent dans la deuxieme op-
Cette npproche topolo;tique n'est pns le scullc;ts d'nl-Fflrflhi i\ In rntion de J'esprit , l'hnhilitntion de l'intellcct possihle nu rnisonnc-
psychologle mdlvnle. ll en est un nutre, plus nmblgu encore. Quels ment dmonstratll' (trolsleme opration de !'esprit), hubllltution qul
sont, en effet, les intelligibles ainsi produits sur la scene de la pen- suppose que l'intellect possible soit dot de prncipes de connais-
se? S 'agit-il des natures simples des eh oses, de Ieur oucr(a appr- sance susceptibles d'etre formuls et de servir de point de dpart
hende sans les conditions sensibles qui l'accidentent dans l'image? a
reconnu 1'enchalnement propositionnel aboutissant aux conclu-
On peut le penser. Muis al-Ffirfibllui-memc esquisse une nutre pisle, sions qui constituent In science. Dans In perspective d' Averroes, les
a
que le Moyen Age aura toutes les peines du monde distinguer de la premiers principes sont les instruments dont se sert 1'intellect
premiere. Dans ai-Madtna al-FJdila, le Trait des opinions de la cit ngent pour faire passer l'intellect possible a l'tat de puissance de
idale, il explique que les premiers intelligibles sont des classes de connaitre discursivement. Cet tat est dcrit comme habitus primo-
propositions: celles de In science mnthmntique, de l'thique, de In mm principiorum, possession des prncipes prcmiers du savoir ,
physiqe et de la mtaphysique. On retrouve done ici, sous une autre Du point de vue de la psychogenese de la connaissance, il est done
forme, la tension qui, dans les Seconds Analytiques, II, 19, joue entre a
premier (par rapport 1'exercice effectif de la puissance de i:aisonner
l 'induction abstractive gnratrice de l 'universel et 1'intuition des par infrence propositionnelle), mais i1 semble d'un autre ordre, en
premiers prncipes de l'nrt ct de In sciencc . En posnnt que les un mot postrieur >> h In snisie des premiers intelligibles entendus
premiers lntolllgiblcs qui son! communs h tous les hommes sont uu sens des pr~rnlen; concepts susceptibles d'entrer conune termes
1
des propositions telles que 'Le tout est plus grand que la partie', ai- dans des propositions : il y a la, en prncipe,: deux stades distincts
Fllrfibt prolongc 1'nmbigurt du texte. Mnis Sil formulntion m eme de l'nctivit int\!llectuelle 74. On peut toutefois prouver un ccrtuin
nppellc une clnrificntion de 1'intention d' Aristotc : les Seconds Ana- mnlnise devnnt cette distinction : qui possede le concept du tout
lytlque.l', JI, 19, pnrlcnt-lls d'un seul probl~me- In productlon de n 'est-11 pus lpso facto en possession du prncipe selon Jeque) le tout
) a
l'universel partir de la connaissance sensible- ou de deux pro- est plus grand que la partie ? En outre, il ne semble pas que les
blemes distincts - la production des universaux (induction abstrae- deux stades distingus s'enchalnent. Quand Averroes dfinit le mode
tive) et la saisie des premiers prncipes de la connaissance de prsence des premieres propositions en l'homme, c'est pour dire
scientifiquc (intuition intcllectucllc)? que nous no suvons ni quund elles nous sont venucs, 1ii d'ou, ni
comment (quas nescimus quando extiterunt et unde et quomodo),
soulignant par la une dimension d'innisme, qu'il peut certes expli-
Concepts premiers 011 principes premiers? a
quer par le role, cach l'ame elle-meme; de l'intellect ageht se ser-
1./empirisme en queslimr vnnt d'elleR cotnme d'instrumcnts pour nctuuliser l'intellect
possible , mais qui ne semble pas driver de l'apprhension des
Bien que les deux domaines ne soient pas confondus chez Avi- natui:es:simples:'' \' . . ,
cenne, c'est seulcment chcz Averroes qu'ils ont t spcifiquemcnt L'existence de deux donutions originuires de l'intelligible, l'une
distirigus et coordonns dans une meme thorie affinmlnt le rlc de correspondnnt nux concepts impartngeables ou nbsolument
1'intellcct ngcnt dnns le droulcrncnl de 1' uctivlt lntellcctuclle simples, qulne luissent pus pince~ l'crreur, !'nutre~ une compo-
depuis sa premiere dmarche dnns la saisie du concept simple jus-
qu'u son achcvcment dans une science con~ue sur le mode d la 74. Cf. R.-A. Oauthler, Notes sur Siger de Brabant, 1, Siger en 1265 , Revue
dduction propositionnelle. Dans In De anima, ITJ, commentnire 18, des sciences plrilosophiques ettlrolo?iques, 67 ( 1983), p. 228.
120 121
- -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ( , i
( 1
celle de l'intuition '! Sur quoi portent-elles? Quel est le prmc1pe de L'intellect possible Jevicnl (a) forme! lorsqu 'il y a conceplion des
leur liaison, s' il est vrai que e' est de 1'universel en re pos dans termes [prcmicrs 1; de celle fonnalil il passe u 1'tal J 'Jwbit11s des
l'me que vient le prncipe de l'art et de la science (Tricot, p. 244)? prncipes (b), tal galement appel inlcllcct des prncipes (tant
Comment rupporter <<a lu perccption sensible (Tricot, p. 245) les entcndu que tlOIIS connnissons les principcs en connnissnnt les
dcux stades de l'uctivit intellectuelle? FnuHl m8me, en bon aristo- termes); mis (e) il pussc ul'tut d'intellccl en acle (in e.ffec/11), pnr 1 'J
ilisme, le faire? La maniere dont al-Ffirfibt articule le mod~le de la dvcloppcment de ces principes en une sciencc: (d) de 1'intcllcct (
cooccurrence, et l'interprtation qu 'en donnent Avicenne puis, en acte il passe a l'tat d'intellect acquis, a savoir quand l'intellect
surluut, Avcrrocs scmblent le rclamcr el 1'intcrdirc u In fois. possiblc, aprcs une investigalion de lous ks objcls de sdcnce pos- ( '
Confronts aux m~mes textes, les philosophes latins du Moyen Age sibles, ncquicrl son propre acle, de 1clle ftu,:on que 1' inlcllccl ugcnt
prendront des voies opposes. Albert le Grand dissociera pour un lui soit totalement uni comme une forme (coniunctus est ei totaliter
temps la problmatique d'ln De anima, III, commentaire 18 (origine ut forma); ct d 'intellect acquis il devienl (e) in1cllec1 saint, e' est-a-
dire pur de toute matrialit et de toute condition impure; et d'in-
de In pense), de celle du commentaire 36 (origine cte la connuis-
tcllcct saint il dcvicnt inlellect assimil f... 1ct d 'intcllcct assimil il
snnce scientifique) en posant qu'il y a tr9is tapes de l'intellect a
devient (1) intellect divin, suvoir quand, daos la lumiere de l'Intel-
possible dans sa mnrchevers la science (tres gradus intellec:tus ligcnce, nous autrcs hornmes rccevons la lumiere divine 76
(
122 \ )
123
1 1
.
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,t" ;"
77. 'cr. M. llrhltu,t.l', /,r l'r/nd,r tlr mi,,.,,, lrnd. 1\, l'rt<nu, l'nriN, <1ulllmunl,
1962,p.45. .
125
126 127
La querelle des universaux Le haut M oyen Agti et la querelle des universaux
Traducteur latin de 1'lsanone, Boece u donn une formulntion du La premiere question est: le gcnre et l'espece subsistent-ils al'ext-
probl~mc de Porphyrc qul, sur ccrtulns poinls, s'~curlc de !'original. ricur de !'fimo ou sculcmcnt dnns l'intcllcct? Ln deuxi~mc: sont-ils
corporels ou lncorporels 7La troisi~me : s' i/s sont incorpmels, sonl
Puisqu'il. c.st nccssnire, Chrys.norius, de snvoir ce que sonl geme, ils spars des sensibles ou .sont-ils
.
dansr les sensibles eux-memes 79 ?
e~J:>Cce, <!Jflcrcnce, propre et nccJdent pour comprcndrc In doctrine des
C af4ROI'It'.~ tcl!c qu on lntmuvc chc:t. Aristutc, ninsi que mur dtcrmi- Dunsson commcntnire de Porphyre, Boceen en quclque sortc indi-
ncr !e~ ~lmil10ns el aussi gn.ruiement pour tout ce qui appartient a rectementjustifi l'nmbigui't de sa truduction en explicltunt lesurrl~rc
la.dtv.tswn ou .a la d~mons~atwn, considrant ces choses de fayon plans thoriques et la sdimentation de doctrines qu'elle supposait.
ut! le, Je tenterm de m attaquer ace qu 'en ont ditles Anciens et de te le ., .A la question (1) il rpond tacitement contre Platon a partir de la
fa~re connaltrc sommairemcnt et brievement, en guise d'introduction, Mtaphysique d 'Aristote. Faisant cho, mais sans le dire, a la these
m nbstcnonl de m'nllnqucr nux qucstions plus nnlues, mnis tmitnnl de Mtaphysique, Z, qui, do fnit, courrn, implicitement ou explicite
sans d~~elop~men!s ex~essifs les q~estions plus simples. ment, tout au long du Moyen Age, il soutient que les genres et les
l?our 1 mstant JC m abst1ens de dc1der, concernaht les gen res et les especes ne peuvent etre des substances. tant communs simultan-
es peces, ( 1) s'ils subsistent ou s'ils sontsitus (pos ita stml) clans les ment (uno tempore) a une pluralit de choses individuelles, ils ne
lnteliccts scuis ctnus, ct, s'lill suhsistcnt, (2) R'illl sont corporeis ou peuvent etrc eux-memcs dots de l'unit numrique (unum numero)
lncorporcis et (3) s'ils sont spnrs des sensibles ou situs en eux qui caractrise les ~tres singuliers Ho.
(in sensibilibus posita) ct constantia.circa ea, car ce travail est tres Inversement, et c'est sa rponse ala seconde branche de l'altema-
ardu et suppose une longue recherche 78,
. -
tive, les genres et les especes ne peuvent @tre consi'drs comme
.Par rnpport uu tcxlc original, In tmduclion do (1) pur s'ils sonl
sttus (posita sunt) dans les intellects seuls et nus tait ambigue 79. CF. dulllnutne d'Occntn, Expositlo In Llbrum Potpltyr/1, ~d. E. A. MooJy
- s'ngissnil-il de l'intcllcct ele l'hommc? Et, si oui, i\ quoi s'oppn ( Frnnciscnn Tnstitute Publicntions ), S t. Bonnventure (N. Y.), The Franciscan In.~
lltule, 196!1, p. 91 O.
80. Cf. Boecc, In Porph. 1, 10, d. S. Drandt, ln /sagogen Porphyrii commenta
7R. Dn~ce, f'orplryril lntmtlllt'tio In t\r/.l'lolf'll,f Cntr",'lm/11.1 11 ntlt'fl/o trtlll,l'lrllll, ( CorpuR Scriptnrum Ecclesinilticorum Lntinorum ,XLVIII), Vienne, 1906, p. lll,
lrnd, A. de Llburn. 24-162, l.
i_.~-
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,,
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La querelle des univer.w111x Le /uu/1 Moyen ANe ella querelle des universau.x
a
silus seulemet dans l 'intellccl, car lo ute (( intellection se fait par- tudine) d'individus diffrents (dissimilium) en nombre, plus littra-
tir d 'une chose qui est son sujet ontologique (ex re suhiecta) et, si lement : que le nombre fait dissemblables HJ. Une ressemblance
les genres et les especes n'.Staicnt que dans l'intellect, il ne pourntil, sclon l'essencc dans une dissemblunce sclon le nombre, voili\ ce qui
paradoxalement, y en avoir intellection 81 (ande la cor,:itatio col/ecta-'espece': celle qui fonde la cogitatio col-
Il faut done trouver un moyen d'affirmer a la fois que les genres et ./ecta-' genr~' tant la ressemblunce des es peces . Ainsi dfinie, la
les especes sont quelque chose dans la ralit (in rerum veritate), cogitatio co//ecta est en toute rigueur un concept , un Be-griff,
sans etre des substances, et qu'ils sont dans l'intellect, sans etre des une saisie synthtique du dissemblable sur la base d'une ressem-
concepts vides. ' blance; c'est un rassemblement logique , le produit de ce que
Ce moyen est foumi a Boece par son interprtation des questions Syrianus appelait, un siecle avant Boecc, un acte de rassemblement
-., (2) et (3); Il est en effet possible de maintenira la-fois que-les genres et i"iilion,zer>>(A:oyflJ~f..w tuva[pEiv)-.- - -- - - -- - - - - -
les es peces sent des incorporels en tant rattachs aux etres corporels, Commcnt expliqu~r la resscmblnnce csscnlicllc entre des choscs sin-
qu'ils sunt pr6scnts duns les sensibles tout cu tunt spurs. 11 sul'f'it, gulicrcs '! Pnr In ttnlut'c rmuwllc des imlividus. Cllnqw.: indivldu pos-
pour cela, de poser que !'esprit humain (unimus) u lu capacit de sede une nature formellc. Les individus qui ontmeme nature formelle
runir ce qui est spar (disiuncta) et de sparer (reso/uere) ce qui est prsentent une ressemblance essentielle. C'est cette ressemblance qui
runi . Boece s'appuie ici sur les notions d'incorporel et de corporel est pen;ue par !'esprit, une ressemblance qui est sensible au niveau de
utilises par Alcxunclre d'Aphroclise pour expliquer le mcunisme de lu chaque ralit particulierc el intelligible uu niveau de lu pense. Cctte
sensation: les sensations prsentent a l'fime comme incorporelles des these pose deux questions que le Moyen Age ne cessera de dbattre :
choses qui, en elles-memes, sont corporellcs. Or, poursuit Boece, si
l 'esprit peut distinguer ce que les sens lu transmettent comme (1) la nature formelle vise par Boece est-elle la naturc propre de chaque
mlang (confusa) et attach (coniuncta) aux corps et ainsi conlem- individu o u une nnture communc prscntc en chncun d 'eux 'l
pler (specu/ari) et voir la naturc incorporelle par elle-meme, suns les (2) qu'cst-ce qui, du point de vue de In n:sscmhlum:c csscnticllc, ronde le
corps ou elle est mele (concreta), il a par la meme le pouvoir de pussuge du senti au pens 'l
considrer et de contempler les genres et les especes en sparant
les incorporels qu 'il rer;oit combins (permixta) aux corps 112, Autre- En refusant a 1'universelle stntut de substance, Boece s'interdit de '
ment dit: les genres et les especes n'existent pus spui'ment,l~lles-lef penser la prsence <.le l'intelligible duns le sensible sur le modc <.!'une
Ides de Platon, mais ils peuvent etre spars des corps et du sensible forme unique participe par une pluraiH de sujets individuels.
par la pense. Cette sparalion est ce que le Moyen Age appellera Cepcndant, pour garantir le passage de la scnsation a l'intellection
l' abstraction. Reste aexpliquer la maniere dont elle s' accomplit. du point de vue ele la ressemblance essentielle, il est oblig de penser
que<< C:esl le mente sujet qui, d'unc pret~licre t!HIItic_re, cst uni~.ersel
lorsqu'tl est pens el, d'utll.l nutre llllllltcre, stngulter lorsqu ti es!
sen ti dans ks cltoscs ott il u son Ctre Kt. En soutenant que <<ce qut
LA FORMATION DE L'UN!VERSEL: LA COG!TATiO COLLECTA
sert de sujeta la singularit et a l'universalit est prsent singulie-
1 remenl dnns les choscs ou il est, et prscnt universcllemcnt cluns lu
Pour Boecc !'esprit a le pouvoir ele runir les traits de ressem- pensc, Boecc trouvc une solution lgante au probleme laiss pen-
blunce d'tres semblnblcs sclon l'essencc , mnis dissemblables clnnt par Porphyrc. Mnis il ouvre un cspace plus problmntique
par leurs caracteres individuels, de maniere a en dgager une sorte encare, car il donne aentendre qu'une meme chose peut etre a la fois
d'imugc communc. L'ttnivcrsel cst done une synthcsc, littralcmcnt singulicre el univcrselle -: une thcsc qui sera revendiquc, refm:mu-
une collcctc mcntale: L'espcce est un concept form (cogitatio lc ou rejetc d'un bout i\ l'uutre du Moyen Age, une thcse qut, en
co//ecta) a partir de la ressemblance essentielle (substan(iali simili- tout tat de cause, ouvrc la voie a une srie de paradoxes ou le ra-
81. Cf. Boece, In Porph. l, 10, d. Brandt, p. 163, 6-1 O. !l3. Cf. 13o~ce, In Porph. l, 11, d. Brand!, p. 166, 15-18.
82. Cf. Bo~cc, In Porph. l, 11, d. Brandl, p. 165, 3-7 et 14-16. 84. Cf. I3o~ce,ln Porph. l, 11, d. Brundt, p. 167,3-7.
130 131
( '
La querelle des uni1ersnux l-e haur Moyen ARe er la querelle des universaux
lisme et le nominalisme trouveront a la fois leur aliment et !'ultime cient clairement les Nominales a une these sur les universaux que
mison de leur tlil'f'rentl. l'on dirnil uujour'hui nominulistc.
Plus que el u probleme de Porphyre, e' est de la solution de Bocee Il faut ensuite souligner que l'expression Nominales n'est pas la
que prot.:cde, on vn le voir, l'irnpulsion initinle de In querelle des uni- sculc qui puis.~c curnclriscr cfl'icncement des groupcs t.lc mu'lrcs el
versaux telle qu 'elle clate daos le xn siecle latn. d'leves professant une srie de theses prcises au xii siecle. On
a
connatt en effet di verses expressions renvoyant des coles :Ada-
mita e, Albricani, Coppausi, Gilebertini, Helistae, Melidunenses,
Montani, Parvipontani, Porretan, Robertini, Waldcelli/ Waldill. Ces
Les sectes du xnc siE~cle diffrents groupes peuvent etre simplifis. Daos son Fons philoso-
phiae, Godefroid de Saint-Vctor rduit les sectes de son temps a
cinq: les Nominales et quatre sortes de Reales - les Porretani,
Tous les historiens s'accordent i\ dire que c'est au XII" siccle que la le_s Albricani, les Robertini et les Parvipontani. Certains historiens
querelle des universaux a vritablement clat en Occident. C'est a ------:{De Rijk, 1966, contest par Hunt, 1950; Southern, 1982; Kneep-
cette poque, en effet, que 1'historiographie situe, a u tour des figures ______ kens, 1987) ont par ailleurs suggr que les Montani ( ceux de la
chnrismntiques de Roscelin de Compiegnc et de Pierre Ablard, l'ap- Montugne ) et les Albricani ne formaient qu 'une se u le secte, celle
pnrition du nominalisme comme doctrine d'cnsemhle sur les univer- d'Aibric de Paris, dont l'cole tait situe (mais comme d'autres,
u
suux. Mais c'cst uussi, et surtout, puree que c'est ccttc poque uvec ce!les d 'Ablurd el de Robcrt de Melun) sur !u montugnc Snintc-
qu'apparaissent les termes latins Nominales et Reales pour dcrire Genevieve. De meme, on a pu identifier, avec de bons arguments, les
les cnrttps supposs l'll prscncc. Ro!Jcrtini nux MC'!idlllll'/1,\'l'o\' (l~ves de Robcrt de Mclun), les Pan'i-
On n longtcmps considr que les Nominales tnienl les nomlnn- po,ntanl nux Adamitae (disciples el' Adum de Dalshum Purvipontn-
li.qte.'l du XII' siccle el que ce.~ nominnll.'lle.'l regroupnicnt Ablnrd el son nus , dont l'cole lnit situe prcs du Petit-Pont) et les Gi/ebC'I'tini
cole. Cette identification des Nominales aux nominalistes ne va aux Porretani (leves de Gilbert Porreta alias Gilbert de Poitiers).
pourtnnt pas de soi. Znon Kaluza a tabli que le terme Nominalistae C'est sur ce fond de cinq sectes principales que se prsentent la
n 'tait apparu qu 'au xv siecle, probablement, a u dpart, dans la question des Nominales et des Reales (Gilebertini, Montani, Melidu-
bouche des adversnires de l'occnmisme et du buriclnnisme (deux cou- nenses, Adamitaa ou Porretani, 1\/hricani, Robertini, Parvipontani),
rants authentiquement nominalistes au sens historiographique modeme a
celle de l'identification des Nominales l'cole d' Ablard et celle du
du terme) et que la connexion entre Nominalistae ct Nominales s 'tait nominalismeet du ralisme des deux grands groupes distingus. ,
par une sorte de mouvement rlrograde du vrni - ou plutt, ici:
du fnux -, tnblie dnns l'cole nlbertiste, soucieuse de mnrquer une
continuit historique entre les erreurs d'aujourd'hui et celles d'hier. L'NIGME DES NOMINALES
' Si paradoxal que cela puisse paraltre, la question qui se pose au
'
sujet des protagonistes de la querelle des universaux au xnc siecle est
done: les Nominales taient-ils nomina listes? Cette question en com- Il ne fait pas de doute que les Nominales ont profess des theses
porte une uutrc: cst-ce en fonction de leur doctrine des universaux nominulistcs sur les univcrsuux. I1 ne fnit pns de doute non plus
que les Nominales ont rec;u leur nom? Enfin, videmment, quelle que qu'ils en soutiennent beaucoup d'autres qui n'ont aucun rapport avec
. soit la rponse npporle, une troisi~rne qucslion s'irnpose: qui taient le problerne de Porphyrc. Si 1'on mct ensemble toutes les thc.qcs
les Nominales? S'agit-il, comme on l'a dit, d' Ablard ct de son cole attribues aux Nominales portant directement ou indrectement sur
011 d'ttn grollpc plus vnste, plus composilc, voirc plus IH5trog~nc '!
les univcrsnux, on obtient, selon nous, In liste suivnnte:
Avant de tenter de rpondre aces questions, il faut remarquer qu'il Certains noms sont universels (texte n 5).
y a deux sortes de documents mdivaux sur les Nominales et les Genre est un nom (textes n5 40a, 44c).
Reales, leurs adversaires. Certains sont contemporains de la priode Les genres et les especes sont des vocables ou des sons vocaux (texte
concerne, d'autres, beaucoup plus tardifs, comme ceux qui asso- n4).-
132 '133
Hl!!n d'uutre tu'un son vocal n'cst suppos par le 'nom 'gcnrc' (ll!xtc
n 44d). ' na/es a l'cole d' Ab1ard, dveloppe sensiblemenL la meme analyse
Aucune expression complexe n'est un genre ou une es pece (tex te que Nonnore : pour lui, si un certain nombre de logiciens d.u dbut
11 22b). ' . du xuu siccle ont soutenu que les genms ct les especes tutent des
La plupnrt des touts sont leurs purties (textc no 11 ). I'Oces, dont Ablmd dnns sn premiere lhorie, etlli Ablurd Jui-mBmc
. Dans une prdication, des termes sont prdlqus de termes et non des a ubundonn celle thorie pour caractriser ensuite les universaux
choses de choses (texte n 22a). comme des sermones, il semble qu 'aucun auteur de cette poque ne
les ait caractriss comme des nomina. Dans ces conditions, contrui-
Sur ce matriau restrcint, deux grandes opinions s 'nffrontent chez rement a l 'opinion rc9ue, les Nominales nc tiennent pas leur nom de
'les historiens. L'une soutient que les Nominales n'ont pas re~u leur leur thorie des univcrsaux, mais plus vruisemblablement de leur
nom du fait de 1eur-position sur-les-universaux, mais-du-fait d'une positionsur l'unitasnominis.- - --- - -- -
thorie particuliere, la thorie de I'lmitas nominis, suns rapport direct Marcnbon rejette cette these : Courtenay reconnait lui-meme que,
avec le probleme de Porphyre (Normore, Courtenay). L'autre sou- daos ses deux commentaires sur Porphyre, Ablurd dcrit parfois les
tient que la thorie de l'unit du nom ne caractrisant aueunement universaux eomme eles noms. En outre, quand il utilise le mot sermo
les Nominales, puisqu 'elle est professe aussi bien par les Reales dans sa seconde thoric, il le glose souvent par nomen. Enfin, des les
(Iwakuma), il faut chercher ailleurs l'explication de leur dsignation, annes 1110-1120, ccrtains commentaircs sur Ics;Catfgnries (comme
la doctrine des univenwux rcdcvenunt ulorN un critcro ncccptuhlc CH, nts. Yutil'i111 Hcg. lut. 2JO, 1' 1 41 v) distillgllcltl le~ lllllll~ ~11! >r!!llll~rl!
(Murenbon), sinon exclusif (lwakuma). imposition, nomina re mm, eL les noms de seconde unposttton, nomma
Selon Normore 115 , les Nominales ne soutiennent pas que tous les vocum, el ils interpreten! le passage de Bocee ( 1760) posant que les
universaux (i.e. tout ce qui peut etre prdiqu de plusieurs) sont des genres et les es peces sont d 'une certaine maniere des noms de noms
nom_ina, mais seulement que certnins le sont: les genres, ~ coup sOr, comml! une confirmution autorituirc de l'i<kntificution des univcrsnux
cut Ils supposent seulement pour des sons vocuux (voces), et les ades voix : Boece confirme duns son commcntaire des Catgories
especes. Les genres et les especes tnnt gulement cuructriss par que les genres et les cspeces sont des sons vocaux, 4uand il dit que les
le tem1e vocabula, on peut se demander ce qui distingue les Nomi- genres et les especes sont d' une certaine faron des noms de noms.
nales et les Vocales. Normore suppose que c'est avec Roscelin que De mcme, certains textcs ralistcs >> (comme P 20, ms. Yicnne, NB,
les Vocales sont uppurus, et nvec Ablurd et son groupe qu'on u com- VPL 24H6) prsentcnt des cette poque une position nominule en lu
menc de parler de Nominales, puisque, pour eux, le genre n 'tait caractrisant par la thcse que les cinq prdicables de Porphyre sont
pas un son vocal, mais un mot (sermo) ou un nom (nomen). Ce n'est seulemcnt des noms de noms (nomina tantum nominum). .
sans doute pus, toutefois, pour cette these prcise que le groupe Twakuma rejettc galemcnt 1' interprtation de Chcnu et de Courte- '
d,' Ablar? u r~9u cette tiquettc, muis paree qu 'il soutenait que, der- nay. Les Nominales ont soutenu la th.~se de 1'uni/as nominis (Ques-
/
n~re la dtverslt des genres grammatieuux, masculin (albus), fmi- tiones Vindohonenses, ms. Vienne, ONB, VPL 2549, fo 109vu-b),
'' nm (~Iba), neu,trc. (albu~n), _l~s noms demeuraient identiques. Une
'1
muis ils ne sont pas les seuls: les Albricani, leves d'Aibric de
thone - la theone de 1 um te du nom -, dont Chenu a e premier Paris, l'ont fait aussi (comme en tmoigncnt les lntroductiones
montr l'urricre-plan thologiquc (unit de l'urtlcle de fui), eu Ju rup- Montclllrli' 11/iiOI't's), de 111eme que les PotT~tuins (C'oiiiJit'tUiiltlll Por
prochnnt de In prublmutique de 1'unit de 1' nonr;nble >> ( emmtia- retalll/111, l. 2 ct l. 3) el fes Mclitlullt'JJ.\'e.\ (1\rs Ml'litlulla, P 211 vb-
bile), dont les auteurs du xm siecle (Bonaventure, Albert le Grand 213ra). Done, s'il ne fait aucun doute qu'Ablard est le premier
1
1 Thomas d' Aquin) ont fait, un siecle plus tard, le signe de reconnuis~ tmoin de cette doctrine, i1 n'est pas le seul, et il n'y u aucune raison
1 sanee de l'untique doctrine des Nominales (dnns leur esprit: Pierre de pcnser que cette thorie uit pu caractriscr son colc- asupp?ser
1
,. Lombard et son cole). que les Nominales soient l'cole d' Ablard, eommc le soullent
!'1 Courtenny, qui u plusieurs fois rcjet l'idcntificution desNomi- Ebbesen contrc Courtenay.
"1
Pour tenter d'claircir cet imbroglio, ii faut revenir a l'analyse des
85. Cf. C. Normorc,
,. 30/l(19~2), p. 85.
<< Abuclurd und lhc School of lhc No111ina/es
.
>>
.
Vivarium
'
positions ,, scctires du xuc siecle,, C'est sculemcnt sur cette base
que l'on pourra ensuite cxposcr sereinement la doctrine d'Ablard
134
. l
135
l.rt (/llt'l't'llr rlr.1 llllil't'/',\'tlll.\'
/, /t(lllf Moytn ARt' tt/a qucrtllt dtw 1/III't'l',\'flll\'
sur les u~iv~rsaux pour montrer en quoi elle se rapproche et en quoi . La liaison entre la problmatique des universaux, hrite de Por-
ell~ se tllstmgue d'une thoric nominaliste au sens (histol'iogra- phyre et des Catgories, et les problemes mrologiques, efflcurs
phtque) moderne du terme.
par l'lsagoge, n'est pas le fruit du hasard. Elle a des raisons tholo-
giques, lies ula maniere purticulicre dont Roscelin de Compicgne
LES SECTES, LES REALES>> ET LES NOMINALES>> semble avoir argument sa thologie trinitaire. Elle a aussi des rai-
sons philosophiques intrinseques qui expliquent pourquoi Roscelin a
L'nppnrtennnce i\ une sectc >> (secta) se f'init par I'ndhsion i\ inclus des arguments mrologiques dans sa thologie de la Trinit :
une. croyan~e >>-une J?rofession (professio), comme on dit pro- les rapports entre universaux et particuliers/singuliers peuvent ~tre
fessiOn de f01 - constltue par un certain nombre de thoremes dans une large mesure analyss en parallele avec les rapports des
(positiones) portant sur la Logica vetus. Selon Ebbescn, les Nomi- touts et de leurs parties. Certains tmoignages littraires, notamment
nales form1ucnt une cole en ce scns prds. lis tnicnt nomms le Commentaire d'Eustrate de Nice sur L' thique Nicomaque a
tl'upr~s le slogan l'IIIIS e~t numen. '!bus ccux qui n'tuicnt pus des (trnduil en lntin en 1247), confirmcnt que In trndition noplntoni-
N_on!males - a~trement dtt !out groupe non nominaliste - peuvent cienne connaissait un expos de la thorie des tro.is tats de l'univcr-
ntn.st l!tre ~~>nstt~!s comme des Reales. En outre, les Nominales sel comme une thoric mrologiquc portant 1\ la fois sur les
tn1cnt les llls spll'ltucls de<< Mnitre Pierrc (;\blnnl '!), universaux et les touts (de universali et foto).
On dlspose de trols textcs spclfiunt de l'intricur les tho- Si l'on consulte les trols listes do positiunC'.~ compltcs pnr les
. remes constituant la professio de leur secte >> : di verses soui'ces fragmentaires, contemporaines ou plus tardives, .invcn-
le Compendium Porretanum, qui mentionne 116 thoremes tories par Iwakuma et Ebbesen 87 , on peut, en tout cas, cerner les prin-
reprsentant la professio caractrise par les contemporains comm~ cipales theses professes au xnc siecle par les Reales et les Nominales.
celle des Porretani, lcvcs de Gilbcrt de Poiticrs. L'uutcm mcn-
lionne 1' opiniqn d~ (( dissidents >> ( (( certains des tres >>) ; .
no Theses des Reales sur les universaux
la Secta MC'Itduna (= S. M<'l.) rcprsente par une liste de
53 thorcmes (ms. Londres, B. L., Royal 2. D. XXX)- dont I'nuteur On ne connalt que quatre theses formellement attribues aux
mentionnc nussi des dissidents; Reales. De prime nbord, toutes quntre pcuvent apparaltre comme une
.les Pu.l'iti~me.l' nustrae, intitules par Ebbesen Positiones Nomi- raction acertaines theses provocantes des Nominales- c'est le cus,
naJzum, une hste de 17 thoremes dont le commentaire s 'arrete saos notamment, de (ThR3): De 1'impossible ren ne suit ,une rponse
ratson apparente au numro 4. a
de bon sens la surprenante regle des Nominales, galement connuc
Sur cet ensemble de thcscs, on pcut oprcr ccrtnins rcgroupements. sous le titre de Consquence des Adnmites (Consequentia Ada-
1bus 1!~ conccmcni pas les uni vcrs~ux. Dcux gruupes, cependanl, mon- mltOI'U/11), selonluquclle <<de l'impossible suiln'importe quoi ,une
trent 1 tmpot1ance de la problmattque dans les professions de foi des regle dont 1'exceptionnelle fortune thorique a dur jusqu' a la fin du
sectes parisicnnes: le premier est directement li al'exgese de !'Isa- Moyen Age 88 La these fondamentale des Reales, (ThRl), qui porte
goge et des Cat>gories; le second, qunntitntivcmcnt moins imnortnnt, directement sur le probleme des universaux, s'avere toutefois moins
rcl~~c ~le In lll~l'l~ologlc, 1111 domnln~ dpcndnnt de Porphyrc li, muls rncllv!.' qu'lln'y plirnit. En l'nit, c'cst uno n111nl~1' tl'lntc.wpi'tl!r Aris-
auss1 d autres sources, notarnment le De differentiis_ topicis de Boece. tote et Porphyre qui est facilite par la lecture spontane des Catgo-
ries comme portant sur les dix choses 1premieres, une lecture, on 1'a
86. J?ut~S .1 'l.wgoe, en crrct, Porphyrc pr~scntc bri~v~mcnt les rapports gcnrc/ vu bien atteste dans l'Anliquit tardive. L'nonc de (ThRl) cst
csp~cc/mdiVIdu en termes m~r~ologiques. Cf. Porp~re, lsaogc, chnp. 2, R. 1 sq.:
l7t.ov yp n,To y~ot", TO M,lin~tJ.ov ~P~t', T?, BE dlloc xut l7t.ov X<lltJ.poc, &.7t.7t.a
qu~ les genres sont des eh oses. Cette thorie est celle qu 'Ablard n' a
flf>Ot' (.leV lii\Ao, OA0\1 Be OU)( liA7t.o ai\A ~" ui\Aott'' ~V yap totc (.lpe:crt TO 1>7t.ov
-ce que nous proposons de traduire: Ainsi done, l'individu est conlenu par l'es- 87. Cf. Y. Iwakuma el S. Ebbesen, Logico-theological Schools from the Second
P~,ce. etl'csp~c7 pnr l.e genr.e: 1; genre esl toul, et l'individu pnrtie, l'especc estl\ la Hnlf of the Twclfth Century. A List of Sources , Vivarium, 30/1 (1992), p. 173-21 O.
fors !out el pnrlre, mnrs pnrlre d une nutre chose, etlout non d'une nulre chose, mnis 88. Cf. A. 'de Libera, << Nominnux el Rnux. Sophi:vmara et consequentiae dans la
en d nulres chnscs, cnr un tout csl dnns ses pnrtlcs., loglque mdivnle , Rue Dtscartes, 1 ( 1991 ), p. 139-164.
136 137
---------- ,--
La querelle des universaux Le haia Moyen Age etla querelle des universaux
,~,
o.,
138
139
La querelle des universaux Le haut M oyen Age et la querelle des universaux
ne saurai~ av.oir ,en~isag, ~eme une seconde, la possibilit d'une ,l.( sions complexes ou incomplexes semble avoir caractris !res
telle pr91cat10n l LAr,~ Mehdu.na, le texte le plus abouti de la secte t8t la problmatique que l'on a pris l'habitude d'appeler nomma-
des Meltdunenses, explique clatrement ce qui est en cause et a quel liste . Elle est en tout cas atteste comme typique des Vocales, les
niveau se situe la discussion. prdcesseurs des Nominales, si l'on en juge par. le texte du, m~n~s
crit Oxford, Bodlelan, Laud. lat. 67, fo 7rb-va, qut prsente l optnron
Ari~to~e dfinit ninsi l'universel dnns le livre Prri llameneia.1:
des Vocales comme urrirmnnt que le~ genres et les esp~ces sont des
L uru.verscl cst;equi '~e nnture e~t b prdiquer (natum praedicari)
expressions incomplexes ( dicunt q"!idam genera et species. es se
de plus1e~rs -e est-a-dtre, le prd~cable est ce qui est apte de nature
as~ prd1qucr (aptum natum praedtcari) de plusicurs. Mais savoir ce sermones incomplexos), autrement dJt des termes, et de prctser:
qu est ce prdicable, une chose ou un terme, on se le demande. En Le Vocal (Vocalis) dit: le genre animal est le nom 'animal'. c:e~l
cffct, ccr1nins posen! que seuls les termes sont prdicnblcs, d'uutrcs .,. sur cet nrrierc-fond qu'il fnut considrer la distinction entre dftnt-
tion vocale et dfinition relle, plusieurs fois mentionne duns les
que ce sont les choses, c'est-a-dire les signifis des termes 90.
tcxtes clu XII" siecle et rejete, entre nutres, par I'Ars Meliduna.
( Ce que ce tcxte montre, c'est que In discussion porte sur les termes
et les choscs 1111 scns de signifis tll~S termes)), Le d~hnl des Nomi Ccrtnins ncccptent dcux gcnres de dfinitions: In dfinition vocnlc
na/e.~ e t. des Nea.h'.l' ~le ~orle done pus brululement sur la queslion de et la dflnitlon relle ou finissnnte el dflnle, uppclunt dflnltion
savmr st la prdtcatton JOUe entre des choses ou des mots mais si ce relle le signifi de la vocal e, e 'est-a-dire de la dfinition qui
~ui est pr?icable est le terme lui-meme ou le signifi du t~rme. Selon consiste dans un son vocal. Mais cette distinction n 'est re'rue par
1 Ars Mehd~na, les p~rtisans ?e la prdicabi,lit des seuls termes, aucun auteur ancien 91
nutrcmcnt dll.lcs Nommales, s opposcnt uAnstote, ct ce paree que
leur. thes~ revtent a affirmer que seuls les termes sont universaux
;( o~ smguhers ,ce que nie Aris~ote. L'A.nonyme de Munich (texte 22b PROBLEMES MROLOGIQUES
!
i d Iw~kuma-Ebbesen) ~o.us md: a mteux comprendre de quoi
' ( retour ne. Les f?N~Ic:v. dtl-rl, ~outtcnnent que In df'inilion du gen re Des lu rponse de Syrinnus aux critiques arislotliciennes de la
est le.genre, la dfmttton del espece celle de l'espece , tandis que les thorie des Ides, le rapport tout-parties a jou un role central ~ans la
Nomznales posent au contraire qu' aucun discours complexe n'est discussion de l'hypothese d'un universel spar. La mrologte n'est
genrc. ou cspc.ce ?>, nullus. se~mo c~mplexus est genus vel JjJecies. La plus jamais sortie de l'histoire des universaux. On a vu tant.lH q,uc.llc
q.uest10n est amst de savotr st ce qm est prdiqu, c'est le tenne signi- pluce elle tenait dans le nominalisme d~ Goodt!lan. Il,faut dtre m~.?
ft~nt 'substuncc, anim6c, sensible', ll suvoir le terme animal prdiqu tenant quelle place elle tient dans la phtlosoplue mdtvulc. 11 s~llt~,
(
( d ~n autre terme, par exemple Socrate, dans une proposition vraie, pour cela, d'voquer Guillaume d'Occam, dont on marquera arnsr,
ufhrmulrve, uu prsent, uu moyen du verbe substantif, c'est-a-dire par avance, l'originalit. Co113m~ l'a dfinilivcment .tabli C~audc ,,.
~e la c.opule est- une t~lle r.roposition tant vraie si les deux signes Panaccio, l'occamisme ne se redutt aucunement ala plulosop/ue des
ltn~ulstrqucs sont cml~rcntrels, l.t'. rcnvolenl h lnmCme chose sin ressem/Jiances professe dans le nominulismc clnssiquc d'un Lockc
( guh~re -, ou si ce qui est prdiqu, c'est le signifi du terme 'animal' ou d'un Hume: ceux-ci considerent que l'objectivit de la ressem-
~ons1dr comme une chose, une ralit (que! que soit le type de ra- blance entre les choses singulieres (nter res), qu_i rend i~utile I'~xis
h! recouvert par le mot 'ralit', par exemple une forme), prdique. tence d'universaux in rebus, a un stalut fondatJOnneltrrducttblc;
d une autre chose (par exemple la chose singuliere signifie par le pour Occam, au contraire, l'apprhension de la ressemblance, loin
~?m p~opre 'Socrate'), au moyen du verbe est, signifiant ici non plus de fonder la subsomption de deux objets sous un meme concept sp-
l tdenttte entre deux termes corfrentiels, mais l'inhrence d'une cifique, la prsuppose ,en sorte que, chez fui, a l'opp?s de ce ~ue
forme caractristique a une chose singuliere. soutiendra la philosophie des ressemblances de Locke JUsqu'a Pnce,
La question de savoir si les genres et les espcces semi des expres-
91. Cl'. Ars Melidww, 1" 219vb, cit par L. M. De Rijk, Loglca Modei'II0/'11111,
II, 1 : The Origin and Early Development of che Theory of Supposition, Assen, Van
90. Cf. Anonyme, Ars Me/iduna, ms. Oxford, Digby 174, fO 218vb. Gorcum, 1967, p. 308.
140 141
_, \ _____ ________
"
------------------~-------------------------------------------- )-
c'est In r~~semblnnce qui s'explique en termes de coJ >cijicit collcctif!t' sont plusieurs choses (plura). La Secta Me/iduna fait ici
plutt que 1 mverse 92, 1 '
figure d'exception puisque S. Me/., 31, pose que Nullus populus est
Comt;Jen~ Panacci~ fait-il appara'tre cettc diffrence capitule entre p/ura, c'cst-a-dire qu'un pcuple n'est pus plusieurs choses, de meme,
u_n nommaltsme md.tval et.les nominalismes cllissiques et postclas- saos doute, que la secte des Porrtains, pusque le Compendium Por-
stques.? En r~constrwsant phllosophiqucmcnt la notion de cospcilicit retanum 3. 10 nl'finnc qu'un toul cst une chosc diffrcnlc de ses par-
i\ parltr_ d~.tltv~rs passagcs de l'n:uvre oc~.:uulicnnc, el en en Jonnanl les. Ll.! I>Oinl de d~pnrt de ces discussions ll\! vienl pns des ll.!xles
un~ dltntlJon ngoureusc -la formule r 21 de sn reconstruction ( Jeux directl.!menl rclis a u problcml.! des universaux - 1'1.1-ago.~t el su lra-
ent~ls son~ de la meme es pece spcialissime ou de la meme sorte 1'une dition intcrprtali ve, o u la dfini tion aristotlicienne de l'uni vcrsel
et 1 autre s~.et .se~lement st c~aque pa:tie essentielle de !'une est mnxi dans le Peri hermeneias. Le point de dpart est le De di.fferentiis topi-
mulemem .slmlllll.ro ll.une ptll1~e.essenttelle de 1'uutre ) .-, qui Iui permet ds de llo~ce ct les communtuircs bocit.:ns de Catgories, 6. La these
de ~1Cttre aCOntflbUt10n ala fOIS les particu/arits majeures de 1' onto- de Boece, qui sert ici de rfrence principale, est la proposition du
log~e d'Oc~an_1 .<essential~sme, substantialisme, hylmorphisme) et la Commentaire sur Catgories, 6, ou il explique: Des qu 'une chose
not10n .de .simtlztude mCLr:unale (sur laquelle repose la dfinition de la est, elle est soit un, soit plusieurs (unum ve/ piures). Certains lec-
C<;JspctlicJt),.. rclation objcctivc d'quivalence (rllexive, done sym- leurs mdivaux de Bocee comprenncnt qul.!, des qu'une chose est,
lnq~~ et yans!ltv.e)! entre l~s yarlies essentielles (constitutives) de <<elle esl quelque chose d'un, en tant que simple, et plusieurs choses,
cert~m.s.etres mdt~tduels.cit~tmcts : Or, et c'est la le dcisif, la notion en tant que compose . D 'u utres dplacent le probleme du niveau
de simthtu~e J?UXtmale a!nst ;ompn~e est mrologique. Indpen<;lante des choses acelui des mots. Dire qu'une chose est Ull, c'est dire qu'un
du substanttahsme et de 1 hylemorpl11Sme, elle peut uinsi etre conscrvcc ccrtuin tcrme, pnr cxemplc le no m propre 'Socratc' appclle ,e 'est-
da~1~ ,le seul ~adre d 'un essentialisme mrologique, et, <( quelle que a-di re dnote une chose individuelle, qu'il a un seul appel/atum ,
solt 1 ontolog1e sur !aquclle o.n. ~a greffc , foumit encore aujourd 'hui Di re qu'une ehose est p/usieurs, e' est di re qu' un mitre type de tenue, ,,
u?e rponse occanuste aux drfftcults rencontres par la notion cfas- par exemple le nom 'peuple', dnote plusieurs choses, qu'il a plu-
stque de ,ressemblance 93 Cela ne signifie pus que l'occamisme soit un sicurs appcllata (Anonymus D' Oni/lcnsis, tus. Oxl'onl, B()(~lci1.111,
csscntlnltstnc mrologiquc, 11111is qu0 l'csst!Jlliali.~llle! m~rologlque cst D'Orvillc 207, P 7rA). ll!.!sl clnlr que le prullcmc du lmtl csl 11111'111
le noyau dur de 1'occamisme. . sequement li a celui de 1'universel. En tmoignent les arguments
Si l'essentialisme O?r~ologiqu.e peut etre prsent comme un mrologiques de Roscelin sur les universaux rapports dans les Sen-
aspec! ~entra! d~ la pnnc1pale philosophie nominaliste du Moyen tences selon Maftle Pierre. La these de Roscelin, selon laquelle 'tout'
f\ge, 1! va ~e ~01 que l'mcrgencc cl'unc problmntiquc mrolo- n'esl qu'un mot et aucunc chose n'est conslituc de partics, a souvent
glqu~ n~ pnnc1pe 1~1/!mc du vocalismc- cct nncetre cnricatur du t tourne en drision, notamment pnr son lcvc Ablard.
nommnlJs~ne - 11_1nte .la plus grande attention. Revenons done a ce
.Rous~elm (stc) qu1, selon Degrando, a fait clore la grande Estimant dans sa dialectique qu 'aucune e hose n 'a de parties, il
dtscusswn entre les Ralisles el les Nominuux . [Roscclin) ruine lu Suinte Ecriturc nvcc une !elle impudcncc que,
dans le pnssag\! ou il cst dit que le Scigncur mangea une partie ti' 1111
poisson grill (Le 24, 42), il est forc de comprcndre qu 'il s 'agit
" Roscelin et le vocalisme d'une partic de cctte expression 'poisson grill' et non d'une partie
1
de la ehose 94
:1 Plusieurs thoremes des sectcs conccrncnt lu dfinition ontologique
!
des to,uts et ~a nature des rapports entre touts et parties. Deux retien- Nolre mallre Roscclin cut une doctrine si insense que de voulor 1 )
nent l attentwn. ( 1) La plupart des positiones admettent que les touts qu'aucunc chose nc fCit constituc de partics; mais de meme qu'il
!
attribuait les especes aux seuls mols, il en faisnit aulant pour les
a 1
92. Cf. C!. Pnnncciu, /Je.v Mots, les .Co!lr'c'pl,\' el le.1 rtw.\'C',\', Ln Ni!lllllllli 1 110 de
\Jul,llnumc d (~ccun! elle nomlnullsJnc d'nujourd'hul ( Aunlytlqucs 3) MoAtr'nl~ 'JI. ('f. Ab~lunl, Ll'l/rt' 14; trad. J. Jullv.:l, i11 u Twls vurluilous mdlvulcs Slll'
l'uns, Be.Hurmm-Ynn, J99 J, p. 259. ' e l'univcrscl el l'individu: Ruscclin, Ablard, Gilbcrt de la Porrtc , Rl!\'11<' de mta-
93. Cl. Cl. Punaccio, ibid., p. 263. plzysiqttL' ,., rle mora/e, 1992/1. p. 114.
' 142
143
e
Le haut M oyen Age et la querelle des universau.x
La querelle des universaux
memes commeflatus vocis. Ce sont ainsi deux smantiques qui s'uf-
partics; Si 1'on disnit que cctte e hose qui cst une maison tait consti- 96
~ue d nutres .ch?ses : un mur et un soubassement, il attaquait en
frontent, 1'une de la signification, l'autre de la rfrence Derriere
.trgu.rncntant mns1 : ~ supposer que cette chosc qui est un mur soit une ses ubsurdits apparentes, la thcse de Roscelin est sculement que le
( P?rtle de cette ch.ose ~ui est une maison, alors, puisque la maison mot tout rfere aun ensemble indissociable comme tel en tant qu'il
\
n est elle-mcmc nen d nutre que ce mur mcme, un toit ctun soubns- est prcisment ce rfrent . Rosce\in ne nie pus qu'une mnison soit
(
scrnent, le mur s~ra une pu!1ie de soi-mcmc el du reste; rnais com- constitue de parties prises ensembl~. dont chacune lui est ant-
ment done sern-.1-11 une par! te de soi-mcmc 'lEn outrc toute partie est rieure. Mais il pose que seul existe le tout, la partie de cette maison
a
~ar natur~ antneure s?n ~~~~; ~r comment di re que le mur est ant- n'existant pas comme substance autonome. Ablard lui oppose une
( neur 1\ sol ct nu reste plllsqu 11 n cst nullcmcnt antricur 1\ soi 95? smantique de la signification fonde sur le prncipe d'une corrla-
tlon entro los 1nots ct les nat11rr.v dt.v C'ltosts.
Le vmnlismt dt Rn.~l~clln, ~duisnnt lt"s unlvl'I'HIIIIX 1'1 des j7at/l,\' Rclproquement, le seconde thcse de Roscelln, qul porte explicltc-
I'Oc/s, ~st consldr .comme.le point de dpar1 historique de la querelle ment sur les universaux, est aussi une these sur l'existence. Seuls exis-
des u~tversaux. Mats ce qm compte, en ralit, c'est que I'affirmation tent les voces, les noms ou sons vocaux, et les choses singulicres
vocaltste porte sur la nature des touts et sur le lien tabli explicite- elles-memes, rfres par les voces; l'espece comme res n'existe pas.
me~t av~c la these selon laquelle aucune chose n'est constitue de Ici, le rupport tout/ pnrties intcrvient de nouvenu, mais il s'inverse
p~rt.tcs, 1.e. sclon ht9ucllc il nc fuut pus prcndrc commc une chose ncessairement. Au niveau des rfrents d'un tenne comme maison,
dtslmcte de s~s partle~ le tout qu 'est une maison, autrement dit omrrie il faut dirc que seul existe le tout: du point de vue de l'existence, le,
(
une.chosc qu1 rcstermt In meme chose en cus d'nblntion d'une de ses tout est affirm, la part e est nie. Si 1'on considere 1'un verse!, le rap-
( p~rt1es. La these de ~oscelin est qu'une mnison dont on n t le toit ne pprt est diffrent. Seules existent les parties del 'universel, car ce sont
s nppelle plus 'mn1son', .mni~ 'nu:i.1on-incompl~te'. C'est ce qu'il ~-----------des choses; l'universellui-meme n'existe pas, car il ne saurait exister
( rpo?d aAblard . quand Il ,Im cnt que, une fois ote la partie qui a la maniere d'une chose. Du point de vue de l'existence, le tout est
!att 1 homme , ti faut 1 appeler non pas 'Pierre', mais 'Pierre---
( ni, les lments sont affirms.
mcomplct' (PL 178, 371 A-372A). A quoi Ablard, Pierre-incom- Ln position de Roscelin devient comprhensible si l'on articule ses
(
\ pl~t, rtorque que le rctrnnchcment nc conf'Crc substnnticllcmcnt i\ ce vues comme portlU1t sur deux sortes de touts el centres sur le rupport
qut res.te ou,lt t supprlm r~en qu'i~ il'ait eu d'abord, paree que, apres des mots et des choses envisag du point de vue de 1'existente. Le mot
1, ablat!on d une .matn, ce cu1 est mnmtenant reste un homme, et, nvm 'maison' rtere aune chose, un tout physique dont les parties sont indis-
1 u~lut1?~ restmt homme une certaine portie cache dans /' homme sociubles. L'universel 'espece' s'npplique a ~n tout qui est d'un autre
qrn rtmt mtactr . Lo question ccntrnlc cst done bien ccllc du tout nu 'ordre: ce qul existe, duns ce cns, ce NontleN clioseN, leN toUIY physiqucs
( dm.1ble p~>int .de vue s,mn.ntlqu~ et Ollt(~loglque. JI uppurtlent a Jeun individuels, tandis que le tout qu'elles forment prises ensemble n'est
Joltvet d av01r rvl 1 enJeU phtlosophtque de cette discussion. pas une chose. L'universel est done unflatus vocis au sens ou c'est un
(
~our Ablard, les noms s'attribuent aux choses selon leur signifi- nom qui renvoie aune pluralit de choses. Ce n'est done pas rien. Qu~t
catJOn, c'~st:a-dire sel~n la d0nition de la chose, par exemple, pour a ce a quoi il renvoie, ce n'est pas une chose. C'est done unflatus vocts
h,omme, ammal, senstbl~, rmsonnable, mortel ', c'est-a-dire selon au sens ou il ne renvoie a rien, c'est-a-dire a aucune chose. Plus exac-.
( 1 ess.en~e de la chose, qUI persiste indpendamment de l'altration tement, le mot 'universel' renvoie a des noms universels, comme
quahtattve o~ de la diminution quantitative subie, au long du temps. 'homme' ou animal', qui eux-mcmes rterent a une pluralit de choses
PoUt: Roscel111, les mots rferent i\ des choscs singulicrcs dont les individuelles. Dire que l'universel est unflatus vocis, c'est dire que le
qu~hts ne se sparent l?ns, ndes touts dont les porties resten! soli- nom 'u ni verse!' (et les noms des prdicables de Porphyre : 'genre',
datres ,en so~te que, st ces choses s'cartent de leur perfection , 'espece', 'diffrence', 'propre', 'accident') s'applique ad'autres noms
perden~ leur t01t, leur ~ur ou quelque partie cache ,les mots qui (les noms comme 'homme' ou 'animal') qui eux-memes ne renvoient
l a
les dstgnent nc renv01ent plus elles, m8me s'ils subsistent eux- a
i\ aucune essence universelle, mais des choses individuelles.
95. Cf..Ablnrd, D(alrct!ca, d ..L. M: D.c Rljk, Assen, Vnn Oorcum:'l970, p. 554, 96. Cf J. Jolivet, Trois variations ... ,p. 127-128.
( 37-555, 9, trad. J. Joltvet, lll Tro1s vana!Ions ... ,p. 115.
145
l 144
La querelle des universaux
Le haut Moyen Age et la querelle des universaux
Au Moycn Agc, In distinction entre deux sol'lcli de toutli, ilisue des
rflexions de Bocee sur la topique du tout , est tres tot atteste.
Un contemporain de Roscelin, Gar!and le Computiste, distingue en L'aporie mrologique du sujet de la rationalit
ce seos le tout intgral et le tout.univcrsel, et Ablard lui-meme 1'uti-
lise nbondummcnt. Duns la logique du Xlll 0 siecle, les discussions Une des theses les plus surprenantes des scctes du xu siecle est la
embryonnuires de l'poque de Roscelin avaient t tranches voire these des Me/idunenses'J1 affirmant que !'ame n'est partie d'aucun
ncutrnlises. La topiquc du tout s'anulysait en fonction d'u1~e dis- homme (nullius hominis pars est anima). Dans 1'Arbrc de P~rphyre,
tinction entre tout universel et tout intgral, mais aussi sclon la quan- la rationalit apparaissait ncessairement con;n:e. une propnt des
tit, le licu, le modc ct le tcmps, dans des inf'rcnces construites sur corps, l'hommc, animal rnisnnnablc, t,unt dcfi.nt commc une .sl~b
le lllO<Iclc_dc 'C1-1ur n'cliLnulle purt, done iln'est pus ici' ou 'Csar stnllcc corporcllc nnim~o rnlsoiiiinhlc, e cst-11-lllrc co.IIlllHl. Ull ~mp.s
cst ici, done il n 'est pas partout'. Le tout universel tant dfini raisonnable. Or on pouvuit objectcr cela q~tc la.ratlo~urht n tu1t
comme suprieur et substantiel , ses parties, dites subjectives, pas une proprit du c~rp~, m?is de !'lime, ~1u1 ne ft.~urait pas dans le
comme ce qui est infrieur a l'universel , et le tout intgrul tnnt dispositif. Cela entrammt d autres questwns. L am~ et le cor~s
lui-memc dfini comme ce qui est compos de pnrties tlites int- tuient-ils les part ies de l'homme.? Et si oui, commct~t 1 homm~, prt~
grules, dotcs d'une qunntit ,la diffrcncc entre ces deux types commc tout ct l'unc de ses purllcs, le corps, pouvntcnt-11 ptutu~et
de tout tait claire. Le tout universel tait le genre, la partie subjec- une proprit, la rationalit, sans la partager aussi avec l'~utre p<~rtle,
tive~ l'espece. Le tout intgral tait la chose singulicre compose de !'ame? Deux textes du x siecle, consacrs au commentmr~ de 1_lsa-
part1es relles. A partir de Ji\, les rapports infrentiels taient purs ~o~e. rapportent lc1-1 vues de Muitre P., ~ans doutc le Mui~rc PIC,rrc
de tous les problemes dbatlus a I'poque de Roscelin. La topique du (Ablanl '!)des Senten~,s .sl'IVJI Mclflle Pil'J'I'l', slll: la q~csuon. ~un
tout universel, c'est-a-dire du genre, reposait toujours sur une de ces textes, manuscnt Y1enne, NB, la t. 2486, rappot te que, .se Ion
maxime di te destructive, du type : Si 1' on ote le genre, on ote 1'es- Ma'tre P., le nom 'homme' nomm.e seulement .le ~~rps, ce qUJ veut
pece (par exemple, 'Si la picrre n'est pus un animal, la pierrc n'cst di re que la phrase 1'homme est ratsonnablc .stgmf 1e seuleme~t 9ue
pas un homme '); la topique de la partie subjective ou espece tant l'homme est un corps anim par une ame rat10nnelle .A quotl on
toujours constructive, que l'cspece soit prise c6mme sujet ('Un objecte que, dans ces condi.tions, !1 fa.ut admcttre que 1~omme ~e
homme court, done un animal court') ou comme prdicat ('Socrate comprend, ni ne disceme, 111 ne vott, ~~ ~1e se sert de la r~Jso~, .PUIS-
cst un hommc, done Socrutc cst un nnimnl '), conformrtlcnt uux
uruxlnrcs: 'lbut ce qui se prdique de l'espece se prdique du
qu'il est un corps el que toutcs ces nctiVIts rclcvcnl de 1 fimc seule.
Ccttc thcsc Jlltrlldo.~nlc ~::-.tune de ccl!i.!.~ que In lllt~mture Illtrlhuc uux
''
)
genr~ et Tout ce dont se prdique l'espece, le genre s'en prdique Nominales (texte n" 26 d'lwakuma-Ebbesen) ..
auss1 , Pour la seconde sorte de tout, les maximes topiques s'inver- Les ractions rcnconlres par lu thesc nom1nale >~,son! galement
saient. .La topique du tout intgral tait toujours constructive, selon attestes par la littrature porrtaine. Le CompendiUm P.orretanum
In maxtmc voulnnt q~te Poscr le tout intgr~1l, c'.est poser n'importc soulignc que la thesc fondamentale de la scctc, ~ut: ce ro.mt, cst que
lnquellc de ses pnrttes (comme dnns 'S'll extste une maison il 'Scu! !'esprit cst rationncl' (thoreme 3. 5), mu1s 11 prctsc que des
existe un mur'); la topique de la partie intgrale toujours ngati~e. dissidents de la secte udmettent que 'Tout homme est un corps et
selon la maxime: Supprimer la partie intgrale, c'est supprimer le un esprit', paree que les prdicats corporels ('S~crate est b.lanc') et
tout (comme dans 'Il n'cxistc pns de mur, done il n'exis'te pas de spirituels ('Socrnte esl rai.I'OJIIwble') sont tOUJOlll's prd1qus de
li
!! . maison'). Ce qui faisait l'originalit des discussions du 'xu siecle l'homme pris comme un loul. . . .
n 'tait plus considr: notamment l'affrontement, sur le terrain des Ces discussions meltent au jour une tens1on qu1 travmlle tout 1~ legs )
touts, entre deux smantiques axes, 1'une sur la rfrence a des porphyrien et qui ne trouve sa pleine ex~r~ssion qu'au xm sJecle,
choses (touts) physiques, 1'autre sur In signification el 'une nature o u Iorsque les scolastiques s'efforcent de d1sl111guer forme du tout et
esscnce. Reste qu 'on ne pcut comprendre le vocalisme de Rosee !in forme ele la partie. Elle est galcmcnt prscnte chez Occam ct rsolue
si 1'on ne voit pus commcnt el pourquoi il a investi les rapports
mrologiques dm1s la problmatique des universaux. 97. Cf. Secta Meliduna. 19, d. Ebbescn; et A.1 Meliduna, f" 223rb-vb, cit par
De Rijk. Logim Mod<'momm, 11. 1, p. 315.
11 (J
147
~. 1
La querelle des unil'ersaux Le haut M oyen Age et lctquerelle des universaux
i\ sn m:u~icre propre. On doit souligner son mergence, en dehors de sig~ifie uneflle vierge, c'est-a-dire une quulit que ne participe nucun
toute ltmson ~vec les thories de la Mtaphysique et du De anima, sujet, que blanc~oie (al~et) ,signifi~ la mer::ze, entra_n! da~s une
co~me pren~11er ~arquage d'un probleme mrologique spcifique ehambre ou couchee sur un llf, e est-a-d1re la meme qualtte, mats par-
qm va connmtre d autres dveloppements avec l'arrive des nouveaux ticipe, et que 'blanc' (a/bum) signifie la mme encare, mais dflore,,
mn~riaux nristot~l.i~iens. Ici, il suffit de noter que les mdivuux 'onl c'ethdirc toujours In rn~mc qunlit, mnis m~lc hIn subs~nnce -un~
tOUJOUI'S eu .des dtfl.tcults a confr~nter l: Arbre logique de Porphyre : interprtation dramatique de la chute (casus) dont Anstote .uvml
avec la ra!Jt phy.nque. Que ce smt nu n1venu de In distinction entre fait la marque du paroriyme.
deux ty~es de t.outs ou i\ celul de l'nporie du sujet de In rntionnlit, le Mme s'il souscrit- comment eOt-il fuit uutrement d'nilleurs 'l- i\
rnpporl !nconstslnnl du loglque el du physique 1111 scin de l'univers In th~se selon lnquellc les formes gnriqucs et spcifiqucs des 1
porphynen u t mis dnns une lumi~re spclale par les problemes choses existent al'tat intelligible duns !'esprit divin avunt de pusscr
mr~ologiques, i~dpendamment ou en complment de ce que les dans les corps , meme s'il reconduit la mtaphore archi-traditi~n
mdtvaux pouvatent dvelopper dans le cadre tout diffrent, princi- nelle d'un Dieu artisan qui con9oit en son ame la forme exemplmre
pal~ment app~y sur les premiers chapitres des Catr{fories et du de la chose qu'il veut fabriquer ,ce n'est pas par Ut qu'Ablard pla-
De lllfel'lJretatwne, des rupports entre mots, concepts ct choses. tonise, c'est, tres prcisment, en posnnl que _les stat1!s gnriques
11 est temps d'en venir a Ablard. ou spcifiques de la nature sont les reuvres de D1eu- qUI seul peut les
concevoir, alors que l'intellection engendre en l'homme par le nom
universel reste con fu se 98 -, de Dieu, qui, connaissant toutes les
choses avant qu 'elles ne soient, distingue 7n eux-m8mes tous l~s
Picrre Ablard et la critique du ralisme status. Dire que le fondement des noms umversels et des proposi-
tions hypothtiques ternellement vraies est le meme, .a savoir les
.,
''
Ides divines interprtes comme status, tel est le platomsme d' Ab-
Ln thorie nblardienne des universnux est une des plus originales lurd tcl cst uussi son non-rnlismc. C'est ninsi In notion de status qui
de tout le M?yen Age. C'est a~ssi une des plus rvlatrices de la pr- con~titue le creur de la doctrine d' Ablard, de son non-ralisme pla-
gnance du chffrcnd _Pinton-Anstote sur In pcnsc mdivule. Pns plus tonicien ,ce status, qui n'est pus une chose (d'ou le noQ-r~alisme),
que ses contemporams Ablard n 'uvait lu Pluton- il ne connaissait mais qui n'est pas non plus l'Ide d'une chose, ce status qm est une
comme eux que le frnp.rncnt du Timcfc trnduit pnr Cnlcidius. Sn quasl rN, uno qunsi-chose que scule exprime pleinement la pro-
rponse 1111 prohlcme de Porphyre n 'en munif'este pus molns un ton- posltlon lnflnitive, ce quasi nonu;n! ce quu~~-nom ~ o~ He mluque,
!!' ' nant reste; de platonisme. Qu 'Ablard ait ou non t le pere de la secte dans sa dimension verbale, la plemtude de 1 etre qm fa1t le fond de
il de~ Nonun~/es est un chose. Qu'il ait t nominaliste au sens his- chaque chose. L'origin~l~t des formules plaid~ pou~ l'original.it de
tonogr~phtqu~ duterme en est une autre. J. Jolivet a sur ce point tran- la pense. Pour bien satstr la porte de la doctnne d. Abl~d, Il.faut
ch ~hil?sophtquement.: le maitre du Pallet est non raliste plus que toutefois non seulement en exposer le contenu, mats auss1 restt.tuer
nommahst~ yt, par plusteurs aspects de sa doctrine, il est platonicien. l'occasion de sa formulation. La critique est en effet consubstanttelle
Le plntomsmc d'Ablard n'est pus cclui d'un Bernard de Chartres al'criture d' Ablard, qui pense moins avec les Antiqui qu'il ne pense
c'cst-i\-dire le fruit d'une simple nssimilation des universaux au~ contre les Moderni. Considrons done sa liquidation du ralisme, ou
I~les de Platon, qu 'elles soient boptises en Augustin ou qu 'elles son goOt prononc pour le meurtre du pere tr?u~e, en la pers<?nne de
atent, comm~ chez Be.rnard, rer,:u un second bapteme en devenant ces son maitre Guillaume de Champeaux, de quo1 s exercer aplem.
Ides, prodmtes par D1eu a partir de soi et qui, temelles sans lui
e~re coternelles , rsident dnns le secret de son conseil - Ides
:: \ d ou proccdcntlcs ~< formcH nntivcR qul entrcnt dnnH In mutl~r~ qu'il
t\ cre. Son platontsme ne consiste pas non plus adonner une lecture 98. Cf. J. J~livet, Non-ralisme et platonisme chez Ablard. Essai d'int~rpr!a
de la paronymie plus platonicienne encore que celle de Bocee commc tion ,in Aspects de la pemC' mMivale: Abtlard. Doctrine dulangage, Pnns, Ynn,
le fait le memc Bcrnard quand il explique que 'blanchcur' (albedo) 19R7, p. 276.
148 149
------------1 )..
La querelle eles wiiversmL\'. Le haut Moyen Age ella querelle des universaux
d'cllcs m; purtugc uve<.: une nutre ni une forme essentiellcmcnt la
LES TH(:!ORIES EN PRSENCE meme ni une matiere essentiellement la meme . Diffrant les uns
des autres paree que l'essence de !'un n'est pas l'essence de l'autre,
Toutes les thories ralistes sont une modulation de la these de ces etres distincts n 'en sont pas moins aussi une meme chose. En
Por~hyrc (Isagoge, 6) sclon laqucllc par parlicipation l'espccc que! sens? En ce que, ct c'est le fond de la thoric, ils sont une
PJU?I.eurs l~ommes font un l~omme , une expression ambigue qui mcme chose non pnr essence, mais par non-diffrence .
lcgJtune d avance la rductwn de la pluralit des hommes une a En d'autres termes, tcllc que la formule la Logica lngredientibus,
se u le e hose, que 1'on appellera au choix 'chose universelle' o u la thorie de l'indiffrence soutient: (a) que les hommes singuliers,
'homme commun',__ _ _ _ distincls en cux-mcmes, sont un mcme ctrc dans l'homme (ill
1111111111cl: c-~~.~t-1\-dln:q[l'lls nc dll'f'cl'cnrpus 1l11ns In nnturo de l'hu-
munil el (b) que ces hommes qui sont dits singulicrs ruison de
La thorie de l'essence matrielle leur distinction sont dits universcls a raison de la non-diffrence
et de leur concours en une meme ressemblance .
Lu premlere thorie critiquc par Ablurd cst cellc de l'csscnec SI cxtmordinnire que ccln puissc pnrnttre, ccttc thorlc cst un
n;ntrielle. A compnrer les indications de Jcan de Snlisbury (Metalo- dveloppcmenl tl distance des thcses de Socrate daos le Mnon. On
gJc~n, II, 17) et de la Logica lngredientibus, c'est la doctrine que reviendra sur ce point en discutant une autre formulation de la meme
Gutlla~me de Chaf!!peaux enseignait aSaint-Victor: 1'antiqua de uni- doctrine, transmise daos un des textes phares du camp raliste: l'Ars
versallhus sententta, selon le mot de Jean, brcf une vieillerie. Tellc Meliduna. Pour l'hcure, il fnulnotcr que les dcux fonnulutions de lu
que la rapporte Ablard, cette doctrine met dans les choses qui dif- thorie Jans la vcrsion rapporte pnr Ablard manifestent une ten-
ferent entre elles par des formes une substance essentiellement la sion : dans 1'une, 1'universel est une chose identique par non-diff-
meme, essence matrielle des etres singuliers en qui elle est une en rence; daos 1'autre, les choses ideo tiques par non-diffrence sont
elle-meme et diverse s.culcment par l~s formes des etres rangs sous di tes ellcs-memes universelles. On nc sera done pas tonn d 'ap-
elle. Daos cette tho~te, essence ne s oppose pasa existence, comme prendrc que la thorie de la non-diffrence en engendre deux autres.
dans lnlangue scolasttque; quant i\ la ma~rialit , e 'cst avant tout La prcmicre cst la thorie de la collcction. Ccttc thorie, que Jean
celle du substrat indiffrenci, que vient distinguer la forme. de Salisbury fait remonter a Gosselin (Joscelin), veque de Soissons
en 1126, attrihuc l'univcrsalit uux chosc~s rassembles et la refuse
uux dHlSeH priscs une 1\ 11110 1.11 << chose unlvcrscllc >> ost 1111
La tlzorle de l'lndijfre!lce et le retour de Mnon ensemble d 'individus. L'especc lwmme est tous les hommes pris
ensemble, le genrc animal tous les animaux pris ensemble: d'un mot,
La seconde thorie de Guillaume est la thorie de 1'indiffrence. c'est leur collection.
Elle va contre toute llttente nous rnmencr Mnon, Ablnrd la pr- Ln se<.:ondc consiste soutenir que l'espccc lwmnw cst h In fois
sente de deux manieres. Dans !'Historia calamitatum l'universel est tous les lwmmes pris en~emble et les lwmmes singuliers en tant
~irectement c~rnctris comt.ne une chosc qui est la 'meme non par qu' ils so/11 hommes.
l essence, mats par la. nondtffrence (non essentioiiter sed indiffe-
rente~") - e~ qut ma~tfe~~~~ clai~cment 1'vobJtion par rapport a la D'au:rcs appcllent cspcec non sculcmcnt la collcction des hommes,
thonc .uc 1 csscncc mdtllrcnct<:. Dans la Logica Ingredientihus, nwis uussi duu.:un d'cntrc cux en 111111 qu'il <;sl homme, qunnll lis
la t~one est.prsente comme portant sur les choses singulieres :ses discnt que la e hose qu 'cst Socrale est le prdica! de plusieurs sujets,
r parttsans dtsent que les choses singulieres ne se distinguent pas les
unes des autres par leurs seules formes)> (rejet de la thorie de J'es-
its prcnncnt cela comme une ligure de langage, comme s'its disuient:
plusieurs sujets sont une meme e hose, e 'est-ll-qire conviennent avec
~:' s.ence matriclle), mais qu 'elles sont aussi personnellement dis-
lui [Socrute]; ou Jui nvec plusicurs. Ils comptcnt uutant d'especes que
d'imlividus qunnt au nombre de choscs, el autant de genres; mais,
~ ttn~te~ dans leurs esscnccs propre3 . Dire que les choses sont quunt11la rcssemblance des naturcs, ils attribucntun nombre moindrc
1! ' dtstmctes dans leurs essences propres signifie qu' aucune
1 . aux universaux qu'aux sujets singuliers. En effet, tous les hommes,
\ 1~0
1.5 1
( }
) Le haut Moyen Age etla querelle des universaux
La querelle des unil'trsaux
multiples selon la distinction personnelle, son! un se uf selon 1'huma- autre appara't, sclon laquelle la chose universelle est commune et ?if-
nit qui les fait ressemblants; et on les juge d(ffrents d' eux-memes tere de la chose singuliere par les proprits qui les font respecttve-
en tnnt qll'ils sonl t'l di,I'I/Ic/.1' el n',\',\'C'IIIMullts: Socrntc en tnnt mcnt univcrsclle ct singuli~rc. Sclon J. Jolivct, In dcrnicrc fonnc de In
qu'homme esl dissoci de lui-meme en tant que Socrate. Du reste, il thorie de l'indiffrence, telle qu'il la dcrit, peut etre identifie grftce
ne pourrnit ctre son prnpre genre ni sn propre espcce s'iln'tnit en u Jenn de Salisbury; c'est In thoric de Gauthicr de Mortagnes
quclque l'u<;on cliiTrcnt de soi-mllme: cnr eles termes rclntifs doivent (t 1174), qui distingue des tats (status) selon Iesquels une_meme
lltrc oppost<s, du rnoins sous un ccrtnin rnpport w. chose cst i\ In fois univcrsellc el pnniculi~rc: Plnton, cntnnt que Pin-
tan est individu; en tant qu'homme, espece; en tant qu'animal, genre
Pourquoi Ablard rejette-t-il ces doctrines? sub'atteme; en tant que substance, genre gnralissime. Selo_n R B~t
l. Paree qu'elles rcposent sur un concept erron de ce qu'est une tin qui s'appuie sur l'Anonymus Padqvanus (ms. Padoue, Btbl. umv.
chose. Pour Ablard, une chose est une essence entierement la 20S7), la these selon laquelle les hommes individuels eux-memes, en
mcmc , ubsolumcnl idcntiquc 1\ cllc-mCmc ctabsolumcnt spurc tant qu'ils sont hommes, peuvent etre considrs comme des espcccs
de tout ce qui n'est pas elle; d'un mot, c'est une chose singuliere, qui est la premiere thorie professe a Pars t;ar ~lbric d~ M~nt, le plus
est elle-mcme ,en soi el nc peut ctrc en ricn d'autrc . acham adversaire des nominaux (nonunallum acernme unpugnator,
_ 2. Paree que ce qui dlinit un universel, c'est de pouvoir servir de se ion le mot de Jean de Salisbury). On sait cjue, pour Albric, 1' u~i-
pn5dicut i\ plusieurs sujets pris un i\ un, Or, puisque lltrc prdica!, versel secundum rem tait substance, c'est-a-dire ala fois chose exts-
c'est pouvoir etre joint a que!que sujet d'une fa'rOll vraie (veraciter) tant par soi et dite de la substance , puisqle le. nom substan.ce a une
par la vertu de l'nonciation du verbe etre au prsent , il est clair que double signification : la chose existant par sot et la chose dtte de la
seul un mol universel et non une chose peut rcmplir cette fonction. substance (f0 7rb-va). Le fondement du dsaccord entre Ablard et
Autremcnt dit: pnrcc que toutc chosc cst seulcmcnt elle-mame ct Albl'ic, rclny pmI 'Anonymus Padoi'(/111/S, es.t done clulr: 11 s'ogit de
ne peut etre en une nutre eh ose, au~une ehose n 'est universe_lle , et l'interprtation du sujet des c;atgories d'A~tstote. Pour les R~ales,
paree qu'aucune nc peut etre prdique d'une nutre chosc, l'universel tels que i'Anonymus ct Albnc, les CatJ?ol'les ne parlen! pas sculc-
est ncessairement un mol. Le poinl fondamental de la critique d' Ab- ment des voces ou des sermones et de leur signification, ce que soutient
lnrd cst qu 'une e hose ne peut_etre prdicnt d 'une nutre e hose (nlors Ah6lnrd, 111nis, nu contmirc, In fois des strmollt'.~ ct des res. Qu'un
que c'est, on l'n vu, une des trols th~scs f'ondumcntulcs, /.e. (ThR3), des dsaccord profond sur la nature des catgories se rellete dan~ la tho-
Reales) 100 Jean de Salisbury note que, par la, il s'oppose a Aristote: rie des universaux n'a rien d'tonnant: 1'/sagoqe est une m~odu~
Une chosc prdicat d 'une autre ehose! e 'est la pour eux un monstre. tion aux Catgories, et, comme on l'a ~u, de~ms !e noplaton~sme, tl
(
Pourtant, Aristote est garant de cette monstruosit, et affinne bien sou- existe un Iien intrinseque entre ontolo~te categonale et. doctrme des
vcnt qu 'une ehose cst prdicat d'unc eh ose; cela est clair pour ccux qui universaux. Dans la triade <pwvo.(-vot.w:ra-lSvta, run.nn~e sous In
le connaissent bien, pourvu qu'ils soient sinceres. forme voces-significationes-res (plutot .qu~ .voc~s-coglfatw~es-res~
La Lof{ca lngredientilms ne donne pas beaucoup de prcisions sur Ablard tranche pour les voces et les .sgni(catw~es, Albnc et les
la derniere doctrine. Dans la LoJ?ica Nostrorum petitioni, Ablard sicns pour les res et les voces .. On vo1t qu en la ~tgu.eur des termes
1'explique mieux. Dans ce texte, la thorie de 1'esscnce matrielle ct Ablard n'est pus<< conceptualtste , comme on 1 a dtt trop souvent,
celle de l'indiffrencc subsistenl, celle de la collection disparait, une mais smioticiste . Dans la triade des mots, des concepts et des
choses, au centre du dispositif, Ablard place la sig~ificatio, non le
99. Cf. Ablnrd, Logim lngrrdir111ilms, trad. J. Jolivct in 11/Jf/ard oula Phi/oso- conceptus. C'est, selon I'heureuse formule de J. Joltvet, la marque
pille da~IS (r
la/1/(ri/(C' ((( Yl~RliBill '' 1~). rrihourr-PnriN, f!dltlonH univmllnhcN Fl'l- lncontcstublc que su philosophic n'cst pns une philosophlc du conccpt,
bourg-Ccl'l. p. 132. mais une philosophie dans le langage .
lOO. La thcse ralislc de la prdicntion cnlre eh oses, affirme par (ThR3) et rejetc
pnr Ablnrd, n t rcprise nu xtvc sicclc pnr Gnulhicr Rurley, mm qui il y n dnns les
choscs une compusilion su,lcl-prdlcnl qu'on nppcllc propusilion rellc >>, La
ml!rnc posilion csl wult'llllc pnr Guillnumc Mllvtrlcy el ks "rnllslt'S d'Oxfonl >>.
0t'Cil111 tl 1\llll'rl de SIIX<' In rtjt,llt'lll, 1111 conlrnirc, t'ncrlqucrncnl. Cf., IIOIIIIIIIIICill,
Oulllnumc d'Occnm, Summa logicae, l, 15 (llgnes 100-1 03).
153
152
154 155
La querelle des unilasaux Le haut Moyen Age el la querelle des universaux
, (4b) Les !10mme~ singulie~s ~~ rencontrent dans 1'tat (status)
el homrne, e est-i\-cllrc en ce qu tls sont des hommcs . Que personne, done, n'aille croire que quand nous soutenons que la
(5a) Dire que les hommes singuliers se rencontrent dans I'tat rencontre entre des choses n'est pus clle-meme une chose, nous
d'honm1c, c'cst stlllcnwnt dlrc que (( dt~ ct~ f'nit, lis nc dif'f'crcnt enrien>>. prtcndons unir dnns une surte de nnnt (in ni/tilo) des choscs qui,
. (5b) Que les hommes singuliers du fuit qu'ils sont hommes ne elles, existen!- par exemple quand nous disons que eet homme sin-
dtfferent en rien ne renvoie a aucune essence c'est-a-dire a gulier-ci et cet homme singulier-H1 se rencontrent daos l' tat
aucune chose existante. ' d' homme (in statu hominis), c'est-a-dire en ce qu'ils sont des
, (~e moL essentia nc dsigne pas 1' cssencc des scolnstiques, mnis hommes~ Ce que nous voulons dire, c'est seulement qu'ils sont
1 cxtslunt, done une chosc.) hommcs el que, pnr 1~. ii n 'y u entre eux uucunc diffrcncc, jc vcux
. (~) L'etre-ho~m1e n'e~t pas une essence ou les hommes singuliers se dire en tant qu' lls sont hommes. En parlant de ce stulut, nous nc
tcncontrcnt, 111111s la rntson commune pom lnqucllc un nom cst donn dsignons aucune cxistence ( essentiam) 101 , par tat d' homme nous
des hc!mmes singuliers selon qu'ils se rencontrent I'un avec !'nutre. entcndons seulementle fait el etre homme (es se lwminem) qui n'est
(7) L t~lt d'!~on~n~e n'est pus une clwse pnrticipe en commun par pus une chosc, mais bien la cause commune de l'imposition du
une ~lurah,t d md1vtdus 11lats la cause de lcm cornrnune dsignation. mcme nom ('homme') a tous ces diffrents hommcs singuliers.
<i: tat ~ hom'!'e est le fondemen.t du nom 'homme' susceptible d'etre puisque c'est par la qu 'ils se rencontrent les uns avec les autres. Or
pr~t.qu d t\n suJcl, cct tat.cst cxpnm dnns un dicttan [ce que ditln pro- il n'y u ren d'tonnant aappeler cause ce qui n'est pas une chose.
r,ostlJOn, IU1-mcme cxprcsston du rnpport entre le sujct et le prdicut. Ni C'est ce qui arrive, par exemple, quand on dit: on le frappe, paree
1un nll nutre nc solll de!! chosc11. L'unlvcrNcln'cst done qu'un pruicublc qu' il IWl'C'lll pas allC'r aufomm. De fnil, In cuusc donl il s'ugil ici, ~
fond sur une nature des choses qui fonde elle-mcmc Ieur etre.) ' savoir qu'untel ne veut pas aller au forum, n'est rien d'existant. De
me me, nous pouvons aussi appeler tat d' homme les caracteres
t~nt donn des hommes singuliers, spars les uns des nutres : du memes qui sont plaes dans la nature de l'homme, caracteres dont
1101111de ~m physlquc, lis dll'lhlnt nussl hlen pm lclll' cs:;ence que l'inventeur du norn a con'rll la commune similitude (lorsqu'il a
pnr leur forme; lis ne. s 'en ret~contrent pus moins en ce qu 'ils sont donn b des hommcs le nom 'hommc'), l'ur lb nous pcnsons uvolr
des hommes. Je ne dts pas tls se rencontrent en !' homme car montr quelle est la signification des universaux, c'est-a-dire les
nucune chosc n'cst homme si ce n'cst sparc, mnis ils se ren~on ralits singulicres en tant qu' elles sont appeles d' uh meme nom
trcnt dans. le fait d' /re hommes . Orle fait d'etre homme n 'est ni en fonction d'une cause commune qui fonde cette attribution 102
ho.mme nt une chose, pas plus que le fait de ne pas etre dnns un
S~Jet ou ~e n~ pas etre su~ceptible ~e contraires ou de ne comporter
n~ plus ni ~oms ne const1tue en so1 une chose, ml!me si ce sont Ji\,
d apr~s Artstotc, les caraetristiques communes 11 toutes les sub- 101. Comme 1:u bien montr J. Jolivet,le mol 'essentia' a plusieurs significulions
stances. Or, comme nous l'avons dji\ tabli, la rencontre entre etres dnns l'a:uvre logique d'Ablnrd: (1) essence ou nalure, (2) chose existanle, (3) clre
( nu sens le plus complexe de ce mot, impliquunt i't la fois le conccpt de nnture el
spars ne peut se produire dans une chose. Si done une telle ren- -~celui d'cxistence ), (4) le fond de l'etre (commc dnns les pages consacrcs au ru-
contre se produit, il ne faut pas en conclure que nous ayons affaire a lsme de 1' essence matrielle ). La situation est encore plus complexe dans son
une chose proprc~cnt dite. Ce que I'on veut dirc (en parlant d'une-- a:uvrc thologiquc, ou 'essentia' signiric tantot (1) existence ,par opposition il
lelle rencontrc), e est, par cxemple, que Socrutc et Platon sont sem- 'substcmtia', qui signific nlors csscncc , tantflt (2) In me me ehose que 'suhstcmtia'.
l hlables pnr le foil qu 'ils sont hommcs, commc le chcvul ct 1'fine ((mq dcux dcvnnt etrc dnns ce cns rcndus pnr << csscncc , L'nmhlvnlcncc des mots
sont sembla~les par.le fait de ~ ;etre pas h?mmes (le n 'etre-pas- 'essentia' ct 'substantia' n'cst pus le fnit d'Ablard. Synonymcs tluns le comnlcn-
l taire de Calcidius sur le Time (d. Waszink, p. 320, 5) ou dans certains passagcs
homme ). e est-IHlire pnr le fmt meme qu1 nous nutorise i\ les di re d'Augustin (Dr 1110rilm.r Ecdtsiar cat/wlicac, 11, 11, 2), 'tsst'lllia' el 'substcmtia' sont
non-hr~nlllll'S. Ainsi . dire que eles chnses spnres se rencontrcnt, dislingu~s nillcurs, y compris pnr le mcmc Augustin (principnlcmcnt dnns le Dr '/ii-
' c'cst dlrl' qllt' l'l'S dwscs slngull~rcs sonlll'lles qu'on pcut leur nllri- nl/11/!', VIl, v, <J). Dnns lo I!.!XIll qulnous Ol'Cllfll' icl. 'tsscntla' n cluircmcntlc sen.~ clr
\._ b~er un certuln nombre de curucteres prcis et nier d 'elles un eer- chose existnnle , non cclui de nature >>. Sur toul celui'cf. J. Julivel, Notes de
tam nombre d'autres caracteres prcis: dire, par exemple, que ces lexicographie ablardienne >>, in Aspects de la pense mdiva/e : Ab/md. Doctrines
\._
ch?ses sont ltommes ou blanc!tes ou bien, au contraire,.nier qu'elles dulangage, Paris, Vrin, 1987, p. 132-137.
102. Ablnrd, Logicc1 lngredientibus, d. B. Geycr, p. 9-20; trad. A. de Libera,
1
1.._
sotent hommes ou blanches. in B. Morichcre (d.), Philosophes el Philosophie, I, Pnris, Nathan, 1992, p. 223.
156 157
1.._
( '
La querelle des universaux Le haut Mvyen Age el hi querelle des 1t11iversaux
Ln solution linguistiquc du problemc des univcrsnux chcz l'intcllcct . Poursuivant son nnulysc, il montrc que la chose intcl-
~blnrcl n'~s; ~as, la s~ule vcrsi<~n de la th~rie du s!atut qu'ait ligiblc n'cst nutre que la resscmblance intclligible d'Aristotc. De
connue le XII st~cle. L cole.r~lltste,des Mefldunenses en a profess prime abord, la thesc n'a rien d'extraordinaire: il s'agit simplement de
u~e autre, comme elle a aussr dtscute et reformul la thorie de 'in- poser, avec Boece, que la ressemblance de choses diffrant spci-
d~ ffrence. _Elle a, ~urtout, relanc la posi tion st~)Ycicnne, con fin nant fiquement o u numriqucnu.:nt n 'est pas perceptihle par 1' imagination
par la le dwgn~st~c pos par Degrando sur la querelle, a triple ou les sens. Les dl'initions du genre et de 1'es pece se laissenl, de c.:e
dtente, des Reahstes et des Nominaux . point de vuc, facilemenl fonnuler: Le gcnre est la ressemblance
intelligible de plusieurs choses diffrant [par 1'espece. L'espece est la
ressemblance intelligible de plusieurs choses diffrantl par le ( \
propre thcse . pu1syresente une ~\litre thorie sclon luquelle les uni- d'une ressemblance ontologiquemcnt moins forte, cui explique la dif-
versaux nc sont m des termes m des choses, mais l'etre meme des frence entre les deux sortes de prdications indiques dans la suitc
choses, c>sse rerum. Examinons bricvcment les dcux. du texte: l'attribulion d'un gcnre ou d'une cspece indique ce d'ou
(untle) !cli cilmH.:s scnslhlcH tlcnneiii d'Ctrc quclq1w L'hlll-11.', par cxe111plo
des ~mimaux ou des hommes; l'autre genre de prdication uuribuc scu-
lement a un sujet quelque chose qui est en lui : l'universcl blanc, par
LE RALISME DE L'INTELLIG!llLE exemple, montre seulement, quand il cst prdiqu, l'inhrence d'une
hlnnchem dnns le sujel dont il est prdiqu - une distinction qui
La thcsc propre de I'Ars Me/idtma distingue le prol>lcme_des trni- rcprend ainsi, en t~.:nm:s voils, la distinctionuristotlit:i~.:nnc de In pr-
)
versuux en gn:al d~ ~clui eles .g~nres et des es peces. Ti.it universel dication synonymiquc (auvwv.tw~;) et de la prclication paronymique
est. une chose mtelltgtble parttcrpable par unepluralit . L'auteur, ou accidentelle (Cat., 5 el 8).
qut ~~~pr~nte ~eaucoup a Bocee, est assez discret sur la naturt: de cctte Autrement dit, 1'1\rs Melidww est bien un texte raliste, muis ce
p~u~t~tpalton, 11 est, en revunclle, plus diserl sur le chapilre de 1'inlelli- ralismc n'esl pas un rulisme onlinuire. En rcprenunt a Bocee l'es-
g~btht. En posant que 1'u ni verse) est une chose intelligible, il veut sentiel de sa thorie de la cvgitatio collecta, ce qui 1'amcne a soute-
drre avant tout que c'est quelque chose qui ne peut etre pen;u que par nir comme lui que le genre et l'espece ne sonl pas clans les clwses, et
158 1 159
(
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La querelle des universaux Le haut M oyen Age et la querelle des universaux
tion de (R2) n(Q3). L'esse sulmanrialc particip par une plurnlit Le statul d'unc chose est d'ordre intclligiblc. I1 cst spar d'ellc,
d'indlviuus cst ce qui les fnit s'accordcr, se rencontrer- d'un mot, se muis intcllig u son sujct. Avec cette rintcrprtation de la thorie
convenir: convenire. Deux individus se rencontrent dans la de 1' indiffrence, il sembl.e que 1' on passe du platonisme du ~ non,
mesure ou ils par-ticipent le meme etre essentiel. Cette participation ou, quoique de nature intelligible, l'dooc est prsent ~omm.e Imma-
au memc etre essentiel nc signifie pas pour autant qu'ils ont le mcmc nent uux etrcs sensibles, uu plntonisme du Phdon, ou ti dstgn~ une
etre. L'auteur distingue en effet trois sortes d'etre: l'etre gnrique Forme indpendante du sensible, existant par elle-meme et mac-
(esse generale), qui fait se rencontrer, c'est-a-dire non-diffrer, un cessible aux sens .Le passage, toutefois, n'est pas total. L~ comp~
homme et un une, l'etre spcifique (esse speciale), qui fait se ren- raison du type d'etre du statut acelui del' non~able , qut renvote
contrer, c'est-a-dirc non-diffrer, dcux hommes, et l'etre singulier a la thorie sto'iciennc du AE.XT\1, indique clnirement, que l'universel
(esse singulare), qui est diffrent pour chaque individu et quiest ce n'est ni un terme, ni une chose, ni l'etre d'une chose,mais une struc-
par quoi tous les inclividus spcifiquement non diffrents different. ture intelligible exprime par une expression complexe plutot. que
La seconde thorie, qui rejette l'identification de l'universale et du sin- par un nom commun. Quoique formule dans le langage platomcten
guiare a l'etre de la chose, comprend autrement la notion d'indiffrence. de la participation, la seconde thorie de l'i.ndiffrence ou thorie du
stutul nc se confond done pus nvcc In thorte des Ides.
D'autrcs tliscnt qu 'uucun universel o u singuli'er n 'est 1atre d 'une Dire que les univcrsaux sonl pnrticips par les sensibles signifie
chose, mais que l'ctre de Socrate est la constitution de Socrate 1\ seulemcnt qu'on s'cn forme l'intellection nu sujct des sensibles et
partir de ces parties qui le dfinissent (ex partibus i/lis suis) - ce que littralement, les sensibles sont leurs choses (res eorum). Or
afin de ne pas nvoir a nccepter que n'importe quoi soit I'etre el~ dire' que tout hommc est Iu chose de l'univcrscl 'hommc' (qui/1-
Socratc. lis comprcnnent done uutremcnt In dfinition prcdcntc : bet homo esr res /wis universalis homo) nc veut dire ni qu'il est son
Le genre est l'esscncc indiffrente ,etc., et disent: l'essence sujet d'inhrence ni qu'il participe de l'extrieur asa ralit intelli-
indijfrente, c'est-a-dire le statut (status). Pour eux, les universaux
ne sont done ni des essences (substantiae) ni des proprits (pro- gible, cela veut simplement di~e.que y~ut homm~ .est homm~' (qui-
prietates): ils ont un type d'etre qui leur est propre (habent S/111111 libet Jwmo es/ lwmo). Pour fn1rc Stllstr cettc dt!frence, 1 uuteur
105
esse per se), comme les 'nonr;:ables' ou le temps. lls sont done recourt au terme latn maneries, form sur le fran9'ais maniere (
~par~s des sensibles el objets d 'une intellection spare (extra Dire d'une chose qu'elle est une chose de telle maniere ou de telle
mtelllguntur), comme l'espece homme ou l'individu Socrate est et nature ne signifie pas que cette maniere lui soit inhrente. Lorsqu'on
'
1 i, 1. est pens sparment de Socrate (extra Socratem), tout en tant dit que 'Socrate est blanc' ou que 'Socrate court', on montre certes
j:
pens a pro pos de Socratc (circa Socratem). En effet, S' tait en que quelque chose est inhrent a Socrate, mais ce quelque chose
l~i, il faudrait 9u'il soit en lui comme une partie ou une proprit, el n'cst sgnijl par uucun des termes qui figurent dans l'no~c .
1 on ne po~rratt alors comprcn.dre comment quelque chose qui n'a Par sa prdication, l'universel 'blanc' montre seulement qu'1l y a
pa~ de par~te.s peut se trouver smmltanment en p'Jusieurs. En outre, inhrence de blancheur, mais iJ ne la signifie pns positivement. Poser
qu y uurntl-11 de plus ubsurdc que d'udmcttrc que leN univcrsuux que Socr11te cst 1111 utllnwl mt qu'll c11t tlllc llllhstnncc no IIHHitro rion
~ont duns lt! doigt, le 11ez. ou le postrieur d 'un fine IIH ! qui soit prsent en Socrate ou absent de Socrate, cela donne seule-
L'universel n 'est pus inhrcnt uux choscs, il n 'en fait pas partic ment a entcndrc quclque chosc a son sujct. . ,. .
Telle que la rsume 1'Ars Meliduna, la seconde thone del mdlf-
comme une essence ou une proprit intrinseque, car une essence ou
un~ propri~ inhrcntc u une chos~ nc peut e,n m8me temps nppnr-
a
frcncc cmpruntc uinsi i'lln foil! nu plntonismc, 1'uristotlismc et nu
sto'icisme. Plus exuctemcnt, elle suuve les ldes en les rabattunt sur
temr 1\ plusteurs autres choses. L'etre essent1el d'une chose est sn
les exprimubles incorporcls s!o'iciens, et ces mames cxprimubles
. constitution a partir de tout ce qui, universel e.t singulier, constitue
son etre. C'est cette constitution essentielle qui est appele statut .
Chuquc e hose u un statut,' et toutcs les eh oses qui ont me?me statut tO.'i. Le mol 'mallt'rhs', qul u emlltuTnss, en so1~ tc~nps, Jcun Jc Snlishury ll!l
(ct non pas le mcme statut) sonL essentiellement non diffrentes. memc (cf. Metalogico11, 2, 17, d. Wcbb, p. 95-96), stgrufic sortc, cspece, cutgone.
Abhtrd l'cmploie galement, sous In fom1e 'ma11eria'. Sur ce point, cf. J. Jolivet,
104./bid. <<Notes de lexicographie ... , p. 125-128.
162 163
La querelle des universaux Le haut Moyen Age et la querelle des universau.x
lui serven! a sauver la similirudo inrellecra nristotlicienne: elle sou- bigu"it possible : Les universaux ne sont ni des substances ni des
ticnt qu'ur! univcrscl.n'cst pns une chose pnrtng~e pnr d'nutrcs proprits, mnis ils ont unlltre bien eux (habenr suurn esse pcr se),
choses, murs un stntut mtelllglble ou se rencontrent diverses choses, comme les nonc;ables, le temps, les sons vocaux et In gloire. Enun-
lequel n'est ni dans les choses, comme une forme immanente ni tiabilia, tempora, voces ,fama: c'est la liste, remanie, des incorporels
ho:s des choses, comme une Forme spare, mais intellig ' au selon les sto"iciens, ampute du vid,e et du lieu - un remaniement
SUJet des ~hoses .et dot d'un etre qui est celui de 1' nonyable >>. facheux du point de vue de la doctrin~ stoi"cienne, ou les <pwva( taient
La part1e d tr01s nnnoncc par Degrundo entre platonisme, aristo- au contraire des Blres corporcls, un remaniement qui, toutefois, pr-
tlisme et sto"icisme trouve ainsi pour la premiere fois sa ralisation serve l'essentiel: les universaux, comme les exprimables , ont un
complete. 11 va de soi que le sto"lcisme de l'Ars est de seconde main. mode d'8tre spcifique. Par-dela le remaniement inflig aux theses
JI doit beaucoup ace qu 'en rnpportent Bocee Oll Sneque (Lelfre 117). stoi"ciennes, dont la notion de statut individue! qui reprend un aspect
Iln 'en est pns ntoins originnl si non dnns les mntrinux mis en reuvre central du concept sto't'cien de quulit individuelle (lltre moins la qua-
du moins dans l'usage qui en est fait. ' lit spciale a un individu que la proprit qui est cause que l'individu
a le nom qui est le sien - ce qui rejoint, sur un autre terrain la causa-
lit ponymique de la Forme platonicienne), mais en abandonne un
nutro, plus importnnt cncore (qui est qu 'une quulit est toujours cor-
UNIVURSAVX IJT ~NONQAULUS, OU LH IUl'I'OUR Dl.i Z~NON
( porelle), la these de 1'Ars Meliduna tmoigne d'utte surprennnle rev1-
viscence de l'ontologie sto"icienne. Elle s'inscrit aussi de maniere
, Si la se~onde thorie de l'!ndiffre~ce expose (favorablement) par inattendue dans l'ontologie moderne, dans la mesure ou le mode
1 Ar.v Mellduna rcprscnte bren le pomt de vue de son nuteur, le rn d'8trc spcifique nttribu nux universoux voque ce que les philo
llsm" de In secte des Mtlltlunt'/1.\'e,\' repose done en derniere unulyse sur sophes moernes onL uppel !u subsil!ltunce , enteJH.Innt pur 11\ lo
la these que 1'universel ne doit pas etre pens ala maniere d 'une chose mode d'etre des objets du discours ou de la pense qui, aproprement
. car il n'y a de choses que sensibles, mnis selon des modalits d'etr~ parler, n'existent pas. Par la, les universnux del 'Ars Meliduna pren- .
propres non pas aux intelligibles en gnral, mais aux incorporels stoi" nent rang au cot des reprsentations en soi (Vostellungen an sich)
cien.~. L'nutcur, qui .c;uit les bribcs d'informntion qu'il tire de Bocee ct de Bolznno et des objets upatrides (homeless Objects) de Meinong-
de Sneque, rpond ainsi clairement au probleme de Porphyre, plus Chisholm ! objets de pense, intentionalia, objectifs et objets incom-
exnctement a~rx trois qu~stions qui constitucnt le problcme de Porphyre. plets - sans oublier, pour prendre une rfrence plus mdivale, le
A la premter~ questron: (l. 1) Les genres et les especes sont-ils signiftcabile complexe de Grgoire de Rimini ~06
c~es ralrt~s sul~s~st.nntes en clles-memes c~u (l. 2) d~ simples conccp-
trons de 1 espnt l ti rpond par une vcrswn udoucte de (l. 1-2) : ce 106. Fonnule vers 1340, la doctrine du significabi{e complexe repose sur un cer-
sont des ressemblances essentielles, qui causent la subsistance des tain nombre de th~ses apparentes ~ celles que dveloppera Alexius von Meinong.
eh oses sensibles, mnis per~ues seulcmcnt pm 1'intcllcct. Ln pl"lnclpulc cst l'nffimullion que l'objct de In connnissuncc n'cst pus une chose sin-
gulr~rc cxtrnmcntnlc, c'est-h-dirc le singulicr donn hIn connnissance intuitive, mnis
A la dcuxicmc qucstion : (2. 1) Les gen res ct les espcccs sont-ils un complexo signlri6 compicxement . Orgolrc de Rlminl n'est pns rnllste nu
des corporcls ou (2. 2) des incorporels 'l il ipond par une adhsion seits courant du tenne. Pour lui comme pour Occam, la rallt est compose de
. claire a(2. 2) : ce sont des incorporels. eh oses singulieres. 11 n'est pas, pour autant, nominaliste. Ce n'est pas non plus un
A In troisicmc: (3. 1) Les genres el les espcccs sont-ils des ~!tres pnrlisnn des rnlls inlcnlionnels. Ln doclrine du signijicabi/e comp/cxr. esl exlrieure h
spnrs ou (:\. 2) des lltrcs subsistnnt dnns ks choscs sen.~ihles 'l 11 In rois nu rnllsme burleyen, nu purrlculnrisme occnmisre el nux Jhorics de l't'ss<'
ob/t'ctllum. On plllll en rsumer ulnsll'cssenllcl: les lnniH slnBullers "onl crA pnr
rpond par un rcjet conjoint de (3. 1-2): ce ne sont ni des Formes Dieu, leur exlstence est done contingente; orla science porte sur le ncessnlre. L'ob-
spares ni des choses immanentes aux sensibles. jet de la connaissance scientifique ne peut done etre un singulier. La gomtrie, par
C'est done la !hese (2. 2) qui, chez lu, pennet de comprendre la exemple, ne porte pas sur des trianglcs singuliers et contingents donns al'intuition
nature de sa repnse des deux termes de 1'alternative ouverte dans la sensible, mms sur des proprits et des relntions nccssaires spcifiant des classcs
d'objcts ou d'tnts de choscs idaux. Si i'objet de la sciencc n'est pos une chosc
prcmi~re qucstion de Porphyre ct de son rejct des dcux termes de l'ul- extrumcntnlc contingente dslgne pur Utt nom propro, les structurcs conccplucllcs
ternattve ouverte dans la troisieme. Or, sur ce point, i1 n'y a pas d'am- qui constituent l'objet de la science ne sont done pos directement dsignes par des
164 165
L'analyse dtaille des noms qui ne signifient pas d'universaux noms signifianl des particuliers non existants, qui n'appellenl aucune
montre, en tout cas, !'extreme raffinement ontologique d'une thorie chose, mais en ont appel dans le pass (comme 'Csar') ou en appel-
const;uite avec si peu d'lments de premiere main. A simplement leront dans !'avenir (comme 'Antchrist'), signifient des universaux,
regurder la liste des exclus, on voit, en effet, s'esquisser en creux un cnr In significntion est indpendnnre de 1'nppellation (Csar signifie
systcme fond sur un jcu subtil de distinctions entre points de vue onto- a
un individu, non un individu qui soit prscnt, mais qui est ou qui fut
logique, pistmiquc et linguistique. Sont considrs commc ne signi- OU qui SCI'll ),
tiant pas d'universaux 107 : les noms de ce que la scolastique appellera Sont encore exclus des noms signifiant des universaux : les signes
! . les transcendantaux, 'res', 'aliquid', 'ens', 'unum' (une formulation de quantification et les syncatgoremes, ainsi que les t~rme~ relat_if.s
qui voque uce point les traductions lutincs d 'Avicenne que 1'on pour- llll intcrrogatit's (221 vb), les termes dnotanl une tonel ton ofll-
rait presque se demander si-I'auteur de l'Ars n'apas eu entre-les mains cielle comme 'lecteur' ou 'scripteur', les comparatifs et les super-
1 une des premieres copies latines de la Mtaphysique du Shifi'), les latifs, le ver be etre et les ver bes impersonnels, les termes tels qu' un~
1
noms indfinis (qui ne font connattre aucun statut), les noms des sons part e de l' un signifie l' oppos du signifi cl,e ~' autre , .a~trement dtt
vocuux (comme le nom 'nom'), les noms des n01wubles eux-memes les paronymes, comme 'blanc ct blancheur , grammamcn et grum-
'.
,; (par exemple, les prdicats althiques : 'vrai', 'faux '), les noms des maire', les phrases qui constiluent 1'appellation el' un non9able,
1 ::l relations, les uppellations des universuux eux-m~mes (comme le nom comme les propositions infinitives 'Socratem esse lwminem' ou
'genre'), les noms collectifs (comme le nom 'peuple'), les noms d'ar- 'hominem esse album', les syntagmes comme 'homme blanc' ou 'ani-
tefucts (qui, comme 'maison '; ne significnt pus des stntuls nuturcls- on mal blnm:' qui ne t'ont connnitro nucun stntut.
volt pul' lll que le problcllle des universuux cst inl'insequcnwnt li u En rcvnnchc, le cns oblique signil'ic:: le meme univcrsel que le cas
celui des rgularits nomologiques, a ce qui fonde la constance des droit: Ceux qui souticnnent qu'un universcl cst signifi seulement par
es peces naturelles), les noms numriques (comme 'deux', 'trois', le cas droit singulier en nombre (casus rectus singularis numeri) ont
etc., qui n'ont pus de genre gnralissime, puisque nucune substance tort. Le cns oblique, pur exemple 'de J'homme' ou ' l'homme' et tous
1
OU quuntit 11 CSL del/:( Oll 11'0/S, et 11C pCUVClll atre prdiqus' de plu- les cus d'un mot dnotent la m8mc chose que le cus droit: 'homme'.
SCUfS- si non un singulicr serait prdicable de deux individus comme Pareil souci de distinction, ainsi que la nature des choix oprs,
'deux' dans 'Socrate et Platon sont deux'), les noms possessifs, les montrent le niveau d'laboration smantique atteint au xuc siecle
noms d'etres fictifs, nomen.flgmenti (comme 'chimere' ou 'bouc-cerf', duns la rflcxion sur le problcme des universaux.
quin 'ont pus non plus de gcnre gnralissime, entant qu 'objets impos-
siblcs el non pas simples particuliers non existants) um. En revanche, les
noms propres, elles sont rfres par des expressions complexes, comme les proposi- L'cole porrtaine et les nouvelles collections
tions infinitives latines te !les que 'Socratem esse a/bum', 'le fait que Socrate est
blanc', Ce fait, rfr complexement, n'est ni Socrnte, ni lu blancheur, ni rnemc la
blancheur llll Soctnte: c'cst un tnt de choscs. Cll sont ces tnts de choscs signi- Si les Montani apparaissent comme des partisans d'une bipartition
fiables, mais pas par un nom propre, que Grgoire appelle signifitbles complexe- de l'universel en universcl dans la pluralit et universel post-
mcnt >>, lesquels, et eux seuls. sont ncessaircs et ternels . Sur Grgoirc de
Rlmlnl, In mcillcurc 61udc rcRic t::llc <111 J'utur lrnductctu dcH Uccill'rclu.t lo~hflll',\' ricur i\ In plurnlit ,, ct les Mc'/idttllc'II,\'C,\' co!lllliO d':s ll'lllllllll d'unc
de IIUHHill'l, 1J. f!llc, dtHIM L<! Comp/e.\'1! ,,'/n/j/ca/Jile , i'urlM, Vrln, 't93. ' doctrim: bocic::Hile d~ la similitw.Jo stthstanliali.l' rinterprte l\ lu
107. Cf., pour tout cela, Ars Meliduna, fO 221 va, cit par De Rijk,.Logica Moder- lumiere de la thorie sto'icienne des exprimables, les Porretani bou-
norum, II, 1, p. 309-310.
108. La distinction entre nom de fiction (nomenfigmenti) et nom d'univer-
clent l'exploitation du champ d'noncs disponibles en proposant une
sel renoue, au niveau linguistique, avec l'opposilion, trace par les commenll\teurs vatit de ralisme onto-tho-logique fonde sur les deux moitis du
grccs, entre lll~ etres ficlifs comme le rpo.y:\mlto{.' (bouc-cerf; hinocenus), tui sont legs bocicn: In philosophiquc, telle qu'ellc s'exprime dans les com-
duns les (( penses pures (tv qJlAfll<; cmvolo.t{.'), elles unlvcrsnux nbstrnits,qui SCllll mcntaircs sm Aristote et Porphyre, la thologique, tclle qu 'elle se
duns l'tn(votu, en tant que Jrivs des choscs sensibles. Sur ce point, cf., par
exemple, lias, In Porph. /sag., d. A. Bus se (<< Commentaria in Aristotelem dploie dans les opuscules de thologie trinitaire rdigs contre .les
Graeca ,XVIII, 1), Berlin, G. Reimcr, 1900, p. 49,19-20. chrtiens d'Orient schismntiques: les nestoriens et les monophysttes
166 167
/,o qllr'l'r'llr rlr',\' tlllil'f'/',\'011.\' Lt hrmt Moyf'n Rt' C' la qurrt'llr ele.~ llllil'C'r.wux
(jacobites). Avec l'cole porrtaine, c'est done le noplatonisme chr- n'ont pas besoin d'accidents pour etre. Ils sont substants paree que
tien qui vient s'ernpnrer du stock de problemes traits dans le cndre de les uccidents ont besoin d'eux pour ctre et qu'ils Jeur offrent ce sujet
la Lo:ica vetus: celui de Boece, mais aussi cclui du pseudo-Denys ou substrat qui leur perrnet d'etre.
1'Aropagite. Dcux surgcons du plntonismc, di f'f'icilemcnt harmoni- La diffrcnce des individus nvcc les especcs et les genres rside
sables, puisque 1'un va philosophiquement de pair avec un aristot- done finalement dans la capacit de servir de sujet ontologique aux
lisme qu'il a lui-mcme dji\ replatonis, tandis que l'autre ignore accidents, ces demiers n'ayant pas d'etre en dehors des sujets inivi-
superbement Aristote et plonge directement ses racines dans la tho- duels qui les supportent- une these qui rejoint la formule de !'Isa-
logie plntonicienne et l'hnologie de Proclus. Le rnlisme porrtain goge nffirmant que (( tout leur etre est cl'tre dans un sujet et,
n'est pas pour autant un produit de synthese: c'est, avec le non-ra- par-dela, la caractrisation aristotlicienne des accidents en Catgo-
Iisme d'Ablard, la seule altemative d'ensemble a l'aristotlisme ries, 2, comme ce qui est dans un sujet .
tAtonnnnt profcss par les Reales. Cctte philo11ophie nouvelle ou Dnns le syst~me de Bo~ce, essence (essentia), subsistunce (subsis
Bocee le thologien s'nffronte nBocee le philosophe introduit en tentia) ct substnnce (.w!Jstantia) sont ontologiquement hirarchises.
m~me temps un langage nouveau en ontologie- un langage difficile, L'homme wa essence (ouolu.) dans la mesure ou il existe; il a sub-
qui sera souvent mal compris, mnis qtti pcrmct l'mcrgcncc d'unc sistance )) dans la mesure ou il n'est dans aucun sujet ; il n sub-
thorie nouvelle, celle de la conl'onnit ,quise substitue, du point stance dans la mesure ou il sert de sujet h d'autres ralits qui ne
de vue des choses, i\ In communion intelligihle ct m1 stntut des sont pns elles-memes des subsistnnces .
Mtllrlllllt'll.l't'.l', ct lnbme, plus qu 'nucune nutre thorle ne 1'uvnlt fult Le crit~re de la substuntialltt est done tr~s prcis : est !IUbstuncc ce
jusque-la, un concept vritable de la participation. qui supporte des accidents qui ne subsistent pas par eux-memes. Le
a
monde de Boece. est la fois aristotlicien et platonicien : aristotli-
cien, paree que c'est un monde ou seuls les individus sont des sub-
stunces, plutonicien paree que .e 'est un monde ou les genres et les
L'oNTO-LOGIQUE on BoBeE, especes SOnt seu]s aetre seu[en'tenl subsista9ts.
OU LE DISCOURS SUR LES SUBSISTANCES
C'est dnns un trait de thologie trinitnire, le Contra Eutychen, ESSENCE, SUBSTANCE ET SUBSISTANCE
que Boece jette les fortdements d'une forme de platonisme qui, jus-
qu'au xve siecle, va dcisivement imprgner toute l'ontologie.
Rduite al'essentiel, l'initintive bocicnnc consiste dans une rcfor- . Fnce uce monde bifide, les mdivnux, qui, jusqu'au Xll 0 siecle,
mulntion de In clnssificntion des prdicuhlcs de Porphyrc h pnrtit d'une disposuient Sil/' ce poinf des seules Catgories d'Aristote et des
distinction entre dcux notions d'ol'igine diversc, l'unc, la .l'llbstance, Opuscula sacra de Boece, ont construit plusieurs ontologies aristo-
hrite des Catgories el' Aristote, 1'autre, In suhsistmue, adapte de In tliciennes en assumant de manieres diverses les contradictions
notion plntoniciennc de forme pnr les thologicns chrtiens d'Orient. qu'ils ne pouvaient munquer de relcver entre ses deux postulutions
Ln suhsistnncc (,1'1111.\ist('/lfia, qul trndult le grcc m'lOlwn<,) cst In contrnires. Tous ccux qui ont niTmnt explicitement cctte structurc
proprlt de ce quln'n pns besoln 'nccldents pour etre . Ln sub- contrude se sont, cependunt, efforcs d'en redistribuer les lments
stance (substantia, qui traduit le grec rrcrmcru;) est ce qui foumit en fonction d 'une vue authentiquement aristotlicienne de la struc-
aux accidents le sujet dont il.s ont bcsoin pour etre. La proprit ture de !'a rulit : 1'hylmorphisme, a savoir la doctrin prsentant
caractristique de la substance (le su!Jstare) cst ainsi ele supporter chaqe ralit concrete comme un compas de matiere et de forme.
des nccidcnts, de lcm servir de sujct, de suhlectum. Subsistuncc ct Au point culminnnt de l'influcncc de Bocee, nu milicu du
substance permettent de redfinir ontologiquement les prdicables xne siecle, certains auteurs, comme Thierry de Chartres ou le fonda-
de Porphyre. Pour Bocee les ge11res et espcccs sont seulcmcnt suh- teur e la trndition de la grammaire di te spculative , Pierre Hlie,
sistants, tnndis que les individus sont, nu contrnire, i\ la f@i.<; subsis- ont ninsi tent de redfinir la notion de substance en articulan! troi-
tants ct, si l'on pcut dirc, .l'llhstants. lis sont subsistnnts paree qu'ils, lement les relntions de sub-stance ct de sub-sistance nu sci1cmc
-----~
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..
La querelle des universmtx Le hmll Moyen Age ella querelle des zmiversaux
hesoin d' un sujet pour etre, a u contraire, elle fait etre son sujet, l'cole porrtaine fait valoir que l'expression 'division d'un genre' est
mais, faisant etre son sujet, elle n 'cst pas pour uutant en fui comme impropre. Un genre ne se divise pas : ce qui se divise, ce sont seule-
une Fonnc participe par une plurulit. ment les ralits runies par lui 111 Quand Alain de Lille pose qu'un
Qu'cst-ce dire 'l Soit la questlon crucinle de In problmutique des nom commun appelle plusieurs individus en une meme nrlturc com-
universaux, celle du fondement ontologique des attributions sman- mune , il faut ainsi comprendre que cette nature n'est qu'un uni-
tiques : pourquoi peut-on dire que Caton et Clcron sont deux versel de runion ,que ce n'est pas une res possde rellement ct
hommes? JI y a dans cette unique demande deux qucstions distinctes a galit par une pluralit d'autres choses. Mais, si l'universel n'est ni
que l'on pcut murqucr par une diffrence d'ucccnt: (u) en quoi sonl- une chosc, ni un concepl, ni un simple nom, qucl est son stutut ontolo-
ils deux hommes? (b) en quoi sont-ils deux hommes 1 La rponse de gique? Le concept de conformit est cens rpondre acette ques-
Gilbert est double. Pour qu'ils soient hommes, il faut qu'ils aient tion. Sa fonction est d'instrumenter uneconception de l'universel
meme subsistnnce, mnis, pour qu'ils soicnt dcux, il fnut que leurs cntcndu non plus comme chose, mnis comme cause.
subslslllltccs solcnl numl'iquemenl dlstlnctes. Ce douhle rqulslt ----:rur les Porrtnlns, l'unlt d'un genm df'lni commc une collec-
semble envelopper une contradiction, celle qui, depuis le matin grec, tion d'individus est fonde dans une ressemblance ou simili-
oppose Platon et Aristote. Pourtant, Gilbert affirme explicitement tude >> entre les effets de 1'universel. Il y a done, au prncipe mme
que la diversit numrique des subsistances est garante a la fois de de la collection, intervention d'un universel causal, un theme qui
leur diversit individuelle et de leur identit spcifique 19, a
remonte la thorie platonicienne de la causalit des Formes, que tant
Le rle des notions de runion (unlo) et de conformit Aristole qu~ Syriunus ont place uu creur du dispositif platonicien.
(conformitas) est d'expliquer en quoi deux choses ont et n'ont pasa Cet universel antrieur a la pluralit voque ainsi naturellement l'uni-
In fois In meme forme. versel npo TW\1 noA.Awv des commentateurs noplutonicicns des Cat-
gories. Pourtant, al'poque de Gilbert, aucun n'est traduit en latin: ni
David, ni lias, ni Ammonius (qui ne le seront pas au Moyen Age), ni
Simplicius (qui le sera seulement au xme siecle). D'ou vient, dans ces
RUNJON, CONFORMIT ET RESSEMBLANCE
conditions, le concept porrtain de l'universel causal? D'un auteur
chrtien du dbut du ye siecle, profonclment influenc par le no-
Ln runion indique le typo d'unit ontologiquc fuiblc dsignc plttlonismo proclicn : Dcnys le pscudu-Aropugite. '.
par un singulier collectif, comme le terme peuple uo. Chez les Por- C'est dans les traductions de Denys qu'apparaissent pour la pre-
rtains, e '.est cette unit faiblc qui sert i\ lucider le..stntut ontologiquc micrc fois en lutin les notions de conformit ct de causalit qui sous- '
des genres, f'ondant pur In memc une thorie originulc des universnux. tendcnt la thorie porrtaine de In con.formitas. L'originalit de Denys,
Pourcux, cni!IT~t, le gcnro n\~stni 11110 chusc univcrNcllc pnrticipc pnr qu 'exploiteru h f'ond 1'cole porrtalnc, esl cependnnt d 'nssocier une
une pluralit d'individus synonymes (ralisme), ni un simple concept notion causal e de 1'universel et l'ide d 'une structure formelle propre
abstrait (conceptualisme), ni un mot ou un terme signifiant une plura- a chaque chose. Comme le dit le chapitre XIII des Noms divins, ~<les
lit de choses individuelles (nominalisme) : c'estune collection d'in- ralits runies ne se runissent [ ... ] qu'en vertu d'une forme umque
dividus runis par une ressemblance . Cette version de la thorie con9ue d'nvance et proprc i\ chacune ,-en sorte que chaq~te chose
de In collcclion n'csl pas tu vcrsion ruliste cl'iLique par Ablurd : un prexiste-e~1 elle sut un mode d'unit (E\JLawc, latin :unir e~ 112 La
ensemble d'individus hypostasi en chose universelle . Le genre cause de la onformit entre choses runies daos une collect10n est
porrtuin n 'est pus une eh ose quise partge en plusieurs a utres eh oses. done l'universel qui contient en unit ce que la pluralit dveloppe.et
Contre les implicntions na'ives du langnge porphyricn de la division, rnlise en coll(ormit. Pnr In dynnmique mcme de In conceptunllt
dionysienne, Gilbert retrouve ainsi la distinction entre universel ant-
109. Cf. Gilbert de Poiliers, De Trinitate, I, !, n 29, d. N. M. Haring, The Com-
mentaries on Boethius, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1966,
p. 76, 77-77, 82. 111. Cf. Compendium Logicac Porretanum, d. cit., p. 54,61-64 ct 55, 16-17.
f 1O. Cf. Comprndium Lol?icae Porrrtanum, d. S. Ehhcscn, K. M. Frcdhorg, 112. Cf. Dcnys le pscudo-Aropugilc, De dil'inis nominilms, chnp. XIII, 2- 3:
L. 0. NlciHcn, CIMAGI,,46 (19R3), p. 14,929~. 110 3, 977D980B,
172 173
rieur a la pluralit et universel dans la pluralit. Le nom de l'univer- quement distinctes en chacun, qui sont cause que chaque homme est
sel ttpo TW\1 rroA.A.wv est 1' archtype , J'originalis exemplum; le 1111homme: l'humanit de a, cellc Je b, celle de e, et ainsi de suite.
nom de l'universel E:v ioic;: rroA.A.oic;: est la<<. forme native (forma En d' a utres mots : e' est par lui-meme qu' un individu ressemble a
nativa) qui fait de chaque singulit~r participe ele 1'archtype une copie d' autres individus, 11011 par 1111C proprit C0/11/Illllle, O /afois poss-
conforme a tout autre participe du meme universel. La conformit de par chacun et numriquement distincte de tous. Entre deux choses
entro singulicrs rnliso sur le plun horlzontnl ce que In Clll1sni!t vcrli- singulicrcs- dcux hnn1mcs -, il n'y a pns une tmisic1nc chosc, uni-
cale de l'universel fait s'panchcr (dejluere) dans clmque singulier: vcrsclk , l'hlllllllllit, l!o1111llllllique ll chncllll d'cux ou divisc en
une ressemblance de nalure. Comme l'crit la Summa Zwetlensis: chacun d'cux: l'I-Iumanit n'est pas un dividcndc divis par une plu-
Toute idenlit de nature ou de genre consiste dans une conformit. ralit de divisems, mnis la proprit essentielle dc chaquc hommc. Le
Et la conformit eles natures singulieres est la pleine ressemblance fondement ontologique de la ressemblance entre des individus n 'est
qul falt que Socrate et Platon sont dlts naturellement semblables de pus cxtricur ucux, c'est la structurc ontologiqul! concrctl! de chacun
par les humanits singulieres qui les con-forment semblablement l'un d'entre eux. L'universel porrtain russit done aprscrver la notion de
al'autre 113. La conformit est done bien distincte de l'uniformit, ce forme communc sans en faire une forme communique. Comme
qu'illustre clairement Alain de Lille (Regulae, nos CXXIX et CXXX) en 1'crit Alain de Lille, la forme e' est-a-Jire la proprit qui, infor-
opposant .la conformitas qui caractrise In rcssemblance de deux mant un sujct, le fait semblablc nux nutres, csl dile communc
individus crs et l'uniformitas divine, c'est-u-dire la consubstantia- paree qu'elle runit son sujet u un nutre, non paree qu'ellc cst
lit ou unisubstantialit , du Pere et du Fils. communique ll plusieurs . Une memc chose- fOt-elle univer-
. Chez Gilbert, done, la conformit exprime, au niveau du cr, selle - ne peut se trouver simullanment en plusieurs autres .
l'uniformit de l'univcrscl divin (l'ldc divinc) en cuusnnt In res- Cetle thcse, que pnrtuge Ablnrd, anticipe de deux sicclcs celle que
semblance essentielle qu 'ont entre elles des ralits numrique- l'on prsente traditionnellement comme la picrre de touche de la rvo-
ment distinctcs, mais semb!ables de nature. La conformit est ainsi lution occumiste. Et pour cause: elle sanctionnc un dbat interne au
la cause de la communaut du genre ll4 Rciproquement, le Com- platonisme mdival, et elle repose sur un principe- Ce qui est dans
poufium Porretanum clfinit l'indiviclu comme ce qui n'est pus une chose ne peut se trouvcr en memc tcmps dans une autre 116 -
co11form h nutro chosc ~> dnns ln plnitude de sc11 proprits 11.1, dircctenlent issu d'llll nxio111e de Bocee--,, Tout L'e qui esl dans 1111
'Ainsi, l'cole porrtaine rpond a la question cruciale qui oppose singulicr cstlui-mcme singulier 117 >> -, bloquant toute intcrprtation de .
1 '
nominalistes et ralistes : comment dterminer ce qui, dans la ralit, la participation en tenues de commwlication.
fonde la perception d'une ressemblance spcifigue ou gnrique entre En posant que la structure ontique de chaque individu est cause de
u~1~ plurallt de c~1oscs lndividuelles ?_ Cl:aquc chose 11 une fol'me sp- In possibllit d'un~ runion >> uvcc d'autws lndlvidus possdunt
cthque, une subststnnce formelle, qut fatt d'elle la chose qu'elle est. une structure ontique sembluble, l'colc porrtalne meten place un
C'est par cette forme, sa forme, par ce qu'elle est_en elle-meme, scheme conccptuel, le conformisme ontologique, que l'on retrou-
qu 'elle ressemble a d'autres eh oses qui, comme elle, ~ont par leurs vera, formalis logiquement, tout au long du x1ve siecle. Avec Gil-
propres formes. Il n 'y a done pus de Forme unique pm:ticipe sur le bert el se~ lcves, il est tcmps de prendrc cong de la tradition lntine
mode de l'avoir, immanente achaque individu- par exemple, pour les pour aller, dans l'Orient et 1'Occidentmusuhnans, assistcr a un nou-
hommes, la Forme d'homme ou d'humanit, u la fois spcifiquement veau le ver du diffrend Platon-Aristote, en 1'es pece de ce lu des
une en elle-meme et numriquement distincte en chacun -, mais une deux plus grands philosophes de !'Islam mdival : le Perse Avi-
pluralit de formes d'hommes spcifiquement identiques et numri- cenne et le Marocain Averroes.
174
''i
~'
La scolastique arabe
,. ' ,
1
177
!
La querelle des universaux La sco/astique arabe
.1
el de l' intellect agent aristotlicien, est le foyer de toute la doctrine mule (commc dans l'cxpression: l'intention d'homme est 'nnimal-
1 avicennienne de la connaissance. La ou, soucieux de prsenter la raisonnable-mortel-bipede' ). Avec l 'intentio avicennienne, e 'est
connaissance aristotlicienne et la connaissance platonicienne comme done 1'indcision originaire de l 'onto-logique et du psycho-logique
dcux moments distincts et successifs d'un meme processus de remon- dans le Myo~ quise perptue daos le nouveau champ de l'intention-
te aJ'Intelligible, al-Firabl prsentait l'induction abstractive comme nalit- une indcision ou la moclernit s'est elle-meme engage sur
un prnluble u In contcmplntion des intelligibles spnrs, Avicenne les pus de 13rcntnno el de Husserl (voir cncadr).
renoue avec la problmatique de Syrianus: expliquer !'origine des
i univcrsaux illnjonctinn de l'empiriqucet de l'intclligible. Abandon-
f.
1'
nant ks notions de Formes psychiqucs el de Formes sparcs, non
LES TROIS i\CCEI'TIONS PU MOT 'UNIVERSEL' CIIEZ AVICENNE
: moins que la projection el la rmihiscence qui les instrumentent, il
redfinit, dans la pcrspeetive manatiste, le rle de la eonnaissance
H. sensible: la connaissance empirique est bien un pralable a l'ac- Dans les Seconds Analytiques, II, 19, Aristote avait dfini 1'uni-
quisition des intclligibles, muis au sens ou elle dispose l'fime u rece- verscl en re pos dnns 1'fime comme une unit NI dehor.1 de la multi-
voir les formes intelligibles corrcspondunt nux objets per9us, formes plicit rsidant une ct idcntiquc dans tous les .l'lljet.~ pnrticulicrs .
a
qui manent en l'fime des que celle-ci est prete les recevoir. L'uni- Dans la Mtaphysique, V, 1, Avicenne prend un autre dpart.ll ana-
versel n'est done pas dgag des donnes sensibles par 1'aetivit lyse les diffrentes manieres dont se dit l'universel. L'expression est
abstructive du sujet engag dans le sensible: des que le sujct y cst umbiguc commc l'csl celle, inuugurule, de lu formule cmploye pur
dispos, il mane en lui du prncipe mcme qui fonde le paralllisme Aristote en Mtaphysique, r, pour dire la pluralit des sens de l'etre:
entre la pense et le rel. L'universel n'est ni un faisceau d'impres- ~tre se dit de multiplcs fnryons. Toutefois, compte tenu de !'en-
sions sensibles li dans 1' imaginalion et conserv dans la mmoire, ni semble du passage, ce que veut dire Avicenne est clair: le terme un-
1
un simple terme ou nom collectif . Pour dfinir ce qu 'est l'univer- verse! (( peut rara be : qad] se di re)) de trois manieres, paree qu il y a
a
scl, Avicenne utilise un terme qui, travers sa traduction latine, va trois manieres de prdiquer un universel.
marquer en profondeur toute 1'histoirc ele la philosophie: 1'univcrsel (1) On peut parler d"universel' dans la mesure ou ce dont on
est une intention . Le mot 'intention', en latn intentio, qui rend les parle se prdique en acte de plusieurs sujets.
termes ara bes ma' qa! et m a' na (pense, mais aussi ide et significa- (2) Est galement 'universel' ce qui peut se prdiqucr de plu-
! ion), esl gnrulemenl considr comme un synonyme de cunee pi. 11 sil:urs su.icts. C'csl li\ que SOIIt intwduits (u) le tcrme illlt'llllon el
donne cependant u entendre autre chose que le rassemblement (b) la distinction entre essence el existem:e, la dfinition complete
port dans le conceptus par le latn capere ( prendre ) : e' est moins tant: On appelle 'universel' (universalc) une intention qui peul se
un com-prendre qu'un entendre (au sens ou l'on dit: j'entends par prdiquer de plusieurs sujets, saos qu'il soit requis qu'ils existent
lu que ), un entcndre qui est nussi un vouloir-dire, et surtout une (urube: wa-in lam yashtarit), ou, comme dit la version latine:
l- l'ise: c'est, pour reprendre 1'expression du Mnon, ce que l'on u en meme si uucun d'eux n'est dot d'un etre effectivement rel)) (esse
l
j:i
a
vue lorsqu 'on pense quelque chose o u lorsqu'on parle de quelque in ej}'ectu). C'est ainsi que l'intention maison hcptugonule peut
e hose, ce vers quoi tend la pense o u se porte 1' attention . L' in- se dire d'une pluralit d'tants singuliers. Cette possibilit n'est pas
178 179
La querelle des universaux La scolastique arab~
Pour ce faire, il faudrait disposer d'une preuve qui montrerait l'im-
Avlccnnc entre Husserl ct nrcntnno possibilit d'une telle situation. Or il n'y a pas de preuve de ce genre.
Si done csl posslble, opinable, ce qul ne pcul 8trc dmontr
Le texte fondateur de la notion moderne d'intentionnalit, la Psvclto- impossible , 1'intention de Soleil et celle de Terre sont des univer-
loRir CIII/IOi/11 de 1'1/(' ('/llf'I'ir(IIC' de Frnni'. nrclllt\110, fuil cxplicill-mcnl suux, c'est-1'l-dire qu 'el.lcs ne sonl pus individuelles sous prtcxtc
rfrence uu Moyen Age : Ce qui cuructrise tout phnomcnc mental, qu'elles ne s'appliquent respectivement qu'a un seul sujet. La dfini-
( c'csl ce que hs scolnsliqlll'S du Moycn Ap.c nommnil'nl l'in-l'xislt'IWC 1ion qu 'Avlccnnc pro pose lci n 'e11t pns 11culment d 'mdre << lnt~nllon
i
lnlcnllonrwlk (ou l'lll'llll' 11\CIIIIIIc) d'un ohjl'l, el que nous d<crirlons
r plutot, bien que de telles expressions ne soient pas dpourvues d'am- nel , elle ne fait pas seiJ].emenLde.J.:.univers~ intenton de
bigu'Jt, commc lo relotion ~ un contenu ou lo clirection vcrs un objet 1.~~P..rlt ~ (disOs un~ ~9.n~ept ~ental): elle ~st ~~-~t_?:lir~:tinte~.-
( (snns qu 'il f'aillc entendre par li\ une ralit), ou encoreune objectivit S!Qtmel au sens modeme du terrrie (VOl( encgr!\. L'mtenuon..S.QletL
immanente 118 Ne sous le signe de l'ambigui't redoure, la notion i un coQ~J1lJ_intnSioi:eL La-pliiralit-des-i'fents,/situation que 1'on
modcrnc d'intcntionnulit cst rcste polysmique. H. Putnam souligne aii1i1tiiujourd'hui contrefactuelle, est compatible vec l'intension du
que le terme renvoie, dans 1'usage moderne, ades faits aussi diffrents tenne, elle ne la modifie pas, car l 'unicit ne fait pas partie de cette
que (1) cclui, pour des mols, des phrnses et autres reprsentutions, intension: c'est un fait relatif au monde actuel, non une prprit
d 'uvoir une significa! ion; (2) celui, pour des reprsentations, de pou- intensionnelle du Soleil, valable dans tous les mondes possibles.
voir dsigner (i.r, e1rc vrnies pour) une chosc rellemcnt exisltlnle ou, Les trois emplois licites d"universel' peuvent etre synthtiss en
parml plusicurs choses, chucne d'entre elles; (3) celui, pour des : 1'
reprsentations, de pouvoir porter sur quelque ehose qui n'existe pas; une seule dfinition d'ensemble, laquelle caractrise ce qu'Avicenne
el (4) celui, pour un tat d'csprit , de pouvoir nvoir pour objet un appelle l'universellogique (universale logicum) ou, plus littrale-
lat de choses . Soucieux de rcndre i\ Brcnlano ce qui est i\ Brentnno ment (selon l'arabe), 1'universel employ en logique et tout ce qui
et h Husserl ce qui esl h llusscrl, Pulnnm souligne, toutcfois, que Bren- pcut atre ussimil u l'univcrsellogique (le Solcil, lu Tcrre, lu mni-
tuno n'ajamais lui-mcme soutenu que l'intentionnalit du mental fOt son heptagonal e). Cette dfinition esta nouveau ambigue, puisqu 'elle ; 1
un moyen de comprcndrc commenl 1'esprit el le nwnde sonl rcli6s et peut etre interprte comme dfinissunt une chose ou un terme : Ces
comment il se fnit que dans les nctcs de conscicnce nous en nrrivions ?1 trois peuvent s'accorder en ceci qu'universel est ce qu'il n'est pas
etre dirigs Vl'f'S l\11 o/~/1'1 >> ; (( 11 SCIIICillelll SOliiCilll que les pJino- impossible de prdiquer en pense de plusieurs P~.ujets : Id quod in
lllCI\eS mcnluux se curnctrisuient pnr le fuit d '!trc dirigs vers des intellectu non est impossibile praedicari de multis.E-.9'.
conrenus 119 Ce serait par un singulier choc en retour, i\ savoir par la Te! que le dfinit Avicenne, l'universel n'est ainsi considr ni
prdominance accorde i\ Husserl au seos (2) pour se prmunir contre
le psychologisme brentanien, que 1'on aurait fini par attribuer i\ Bren- comme une unit en dehors de la multiplicit ni comme une unit
la no lui-memc In lhcse de son ndvcrsnire. 11 va de soi que tout le rsidant dans tous .les sujets particuliers, mais comme une intentio
spectre de 1'intentionnalil moderne est couvert au Moyen Age, et ce que ren n 'interdit de penser prdi~able de p1usieurs. Au Qraeter multa
paree que 1'inrentio avicennienne est aussi ambigue que le Myo{." et et au ilj_]JjJl]Jis d :h.riJQ~_A_vi(!~nne substitue_,clQI1C_le.seu1 critere.de
qu'elle y ajoute sa proprc mnbigun. prdicabilitaemllt.!br, UJ)~-~!!1..!!2i:i~I-=--rtib~!.urs- ou plut6t un-beau-
coup one-many) - . _9..l:l.L!"!' e~.P~\Ine relation.de.signification,_muJ~
une relation d'attributton, laquelle est soit ralise actuellement (dans
.. tus-ies sens du terme):Soit ralisable, c'est-a-dire va1able (2) meme
quement comme possibilit conceptuelle interne. L'exemple de tels si elle est ralise en peu ou en aucun, ou (3) en un seul. '
universnux est la Terre ou le Soleil.ll n'y a qu'unc scule !erre et un seul
soleil, mnis ren n'cmpCchc d'imngincr, ricn n'exclut de pcnscr que
1'intention de Terre et celle de So1ei1 s'appliquent a plus d'une chose.
118. Cr. F. Brcnluno, La Psyclw/ogie att poi m de l'ue empirique, lrad. M. de Gun-
dilluc, Purls, Auhil'r-Mo111ni~~rw, 19tltl, p. 102, 120. cr. Aviccnnc, l.i/IC'I' De pltilo.wpltia prima sii'C' scicnlia divina, V, 1, 6d. crit.
119. C'l'. 11. l'ul1111111, Nt'J~~''''t'llllltlon ct Nr't1lltt', lnul. <'1. 1!11!,Wl-'l'l.:rl't'llll, l'nrls, de In lrnd. lnllnem6d. pnr S. Vnn Riel nvec une "l111rndm:llnn doctrlnnle" de Cl. v~r
Onllimnrd, 1990, p. 211. beke, Louvain-Leyde, 1980, p. 228, 19-21.
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La querelle des universaux La scolastique arabe
pas ctre conf'omlue uvec la doctrine complete des universaux ni, sp-
lntcnslon ct lntcntlon ciulen1ent, avec la thorie des trois tat~ de l'universel. Celle-la est
propre a Avicenne, celle-ci est hrite du noplatonisme tardif dont il
Une preuve du double statut intentionnel ct intensionnc.l de l'intentio a rccueilli l'hritage. Les commentuteurs noplatonicicns, Ammo-
avicennicnnc cst que cclui-ci ne classe pus Dieu parmi les intentions nius, lias, David, Simplicius, distinguaient trois types d'univer-
universelles. L'intention de Dieu est, pour lu, individuelle, ~t non uni- saux : (l) les universaux antrieurs a la plurulit (rrpo TW\1 rroi\.Awv);
versellc, alors que ccllc de la Tcrrc est univcrselle, et non individuelle.
Pourquoi? On sera tent de rpondre: paree qu 'a ses yeux il n'est pas (2) les universaux dans la pluralit (ev TOI~ rroi\.Aoi~); (3) les uni-
possible de prdiquer en pensc Dleu de plusieurs. Scrait-ce. que le versaux postrieurs a la pluralit (rrl TOlC' rroA.A.ot(;'). Avicenne
caractere d'universel reconnu a une intentio est fonction d'lments reprend cette distinction dans la Logique du Shifi', prcisment dans
pi~tmiques? On peut a flOUVeau etre tent de rpondre que oui, puis- la partie, conserve en latin, consacre a la paraphrase de 1'Isagoge.
qu'il semble qu'en refusant aDieul' universalt Avicenne fasse inter- 11 la dclare lui-meme ancienne, ou usuelle , et la rpete fidele-
venir la croyance mtaphysique ou religieuse, ici le monothisme ment, jusque dans le vocahulaire.
musulmun, Un polythiHII.l, qui croil en l'cxislcncc d'uttc plumlit de
dicux, nc dcvrail-il pus considrer 1'intention die u comme universelle '? L'usage tait, quand on distinguait les cinq (prdicables de Por-
Verbeke, qui remarque cet aspect de la doctrine d' Avicenne, souligne phyre), de clire que, d'un prcmicr point de vue, c'taient des !!tres
le probleme: Si par hypothcse quclqu 'un admettuit qu 'il y a trois physiques (naturalia), el 'un autre point de vue, des etres logiques
dieux, la notion en question deviendrait-elle universeUe? Selon Avi- (/o!{ica/ia) et, d'unnutre encore, des etrcs intelligibles (intellectua
cenne, une notion csl universellc s'il est possiblc de l'uppliquer ~ plu:_..~ ---- lia). Et l'on pourruit uussi dire qu'lls sont, d'un point uc vuc, suns
sieurs sujets : cette dfinition ne se buse-t-elle pus sur un cuructere plurulit (ahsque multiplicitate) ct, de !'nutre, nvcc une plurulit
extrinscque? Ne faut-il pus se ucmandcr plutt ce qui cuructrisc l'uni- (cum multiplicitate) 121
versel en lui-meme, ce qui est ala base de son applicabilit aplusieurs
sujcts 7 Et de conclure: La doctrine d'Aviccnne n'est probablement
pas sans len avec le monothisme rigoureux de 1' Islam : la notion de La distinction entre univcrsuux physiques, logitucs el intelligibles
Dicu ne peut a aucun prix etre considre comme universelle. (Ver- correspond 1\ la distinction entre universaux physiques, logiques et
bekc, 1980, p. 10*) On peut rpomlre a cctte objection que l'unicit thologiqucs des noplntonicicns. De fuit, les univcrsaux sans multi-
fait partie de l'intension de Dieu pour des raisons proprement concep- plicit sont de deux sortes: spars ( divins ) et abstraits (men-
tucllcs: ly Dicu de la Mtaphysique d' Aviccnne est, en effel, I'Etre de taux). On rctrouvc ainsi les trois classes distingues au W siecle : les
soi ncessaire, or il est dmontruble et dmontr philosophiquement_ a
universaux antrieurs la pluralit, les universaux dans la pluralit,
qu'il est impossible qu'il y ait deux etres de soi ncessaires, comme le
dit Mtaphysique, I, 7; Van Riet, p. 49, 40: L'etre ncessaire doit
a
les universaux postrieurs la pluralit -les universaux antrieurs a
la pluralit tant les Formes contenues dans la pense du Crateur et
etre une seule essence. Si Avicenne ne classe pus Dieu parmi les dnns ccllc des nngcs.
intcntionH univcrNclleN, ce n 'csl done flllll puree qu 'il n 'cRl pus />HI
miquement possiblc de prdiquc1 ce !le intcntiun t.l 'une plurul t de
sujcts, mais paree qu 'il est conccptuellement impossible de la prdi- Muis, puisquc le rupporl de tout ce qui existe i\ Dieu ct aux unges
quer de plusieurs. est comparable au rapport, chcz nous, des objcts fabriqus i\ 1'fime
de 1'artisan, il en rsulte que ce qui est dans la sagesse du Crateur
et.dcs nnges, et qui touche ~In vrit de ce qui cst c<mnu et compris
b pnrtir des choscs de In nnturc, possbde un 8trc nntrieur h In plurn-
lit (ante multitudinem). Or tout ce qui est intcllig la est de l'ordre
LA DOCTRINE DES TROIS TATS DE L'UNIVERSEL de 1'intention. Ensuite, ces intentions acquierent un etre qui est dans
lu pluralit ct, quund clll!s sont duns In plurulit, elles ccsscnt cntie
remcnt d'ctrc unit (111111111), puisqu'il n'y u ricn de commun entre
En dfinissant les trois manieres dont se dit l'universel, Avicenne les sensibles extrieurs, sinon la distinction numrique (discretio)
n'a fait que dfinir les trois sortes d'universaux logiqqes. Cette ana-
lyse de la prdicabilit de l'intention logique (ou assimilable) ne doit 121. Cf. Avicenne, Logica, d. de Venise, 1508, fO 12ra.
182 183
La querelle des universaux La scolastique arabe
et la distribution spntialc (dispositio). Enfin, elles sont intelliges ment sur les influences noplatoniciennes. C'est pourquoi il n 'a
une sccondc fois (itr.mm) che1. nous (apud nos), 11~1r~s avoir t bcsoln ni de formes psychiqucs ni ele rminiscence. Son problemc est
duns la plurnlit (postquamfuen'nt in multiplicitate) 1 2 nouveau, sa solution rvolutionnaire.
Par rapport au noplatonisme, on a done les quivalcnces suivantcs :
(u) uniVI'I'NIIIDi rullr' ;,,ullif'lll'itattm (ou lntl'lltrtllrllfol .. 11p<' rh'lvno:\Ah'lv L'INfJIJIIIr:'!IWNCB DE L'llSSilNCil ET LB I'IUNCII'I! DI! TOLi{ANCI!
(b) univcrsuux In multiplicitate (natural/a)= ev Tol<; noA.Aot<;
(e) universaux postquamfuerint in multiplicitatem (lof?icalia) =nt TOL(;
TTOAAOl(;. La grande_ nouveaut de _1 'ontol.ogie avi~ennienne est ~a ?istipction t
entre l'univrsel etson umversaht. Le ptvot de cette dtstmctton est 1
S'agit-il pour autant d'un simple dcalque? Bien qu'il fasse en une autre distinctlon, inconnue d 'Aristote, qui remet profondmcnt t
gnral la diffrence entre les Anges de la Rvlation et les Intelli- en cause la vue grecque de l'oucr(a: la diffrence entre essence et r1
gcnces du cosmos pripatticicn, rien n'interdit de penscr qu'ici Avi- existence. Pour Avicenne, I'existence est un accident de I'essencc. 1
cenne identifie les cleux. Le modele noplntonicien tunt rsorb dans 1
Cette these ici formule dans le Jangage de la scolastique latine du
l'univers, le cosmos notique, du pripnttisme grco-nrnbe. C'est xm siecle, 'est gnralement nonce chez lui sous une1 forme sensi- ~
d'autant plus vrnisemblable que le texte ne se contente pus dejuxta- blement diffrente, dans le langage de 1' intentio et de la chosit
poser les trois classes, la diffrence des points de vue tantot mention-. (voir encadr, p. 186). .
ne correspond en fait aux tapes d 'un processus orient : 1'universel
ante multirudinem prexiste l'univcrscl dnns In plurnlit, cnr, Avi'
ccnnc n 'empiole pas le mot, muis lu chosc cst vltlenle, il manc
Si l'etre effectif n'cst pas un prdicat essentiel de l'essence ou, en
d'nutres mots, si 1' intcntion de ln clwsir d'une ehose n'envcloppc
pas son existence, bref' si penser'a ce qu'est une chose n'est pas pen-
t
ou procede en lui. De meme, 1'u ni verse! qu 'Aristote appelnit ser au fnit ~u'elle existe et se peut accomplir sans rien poser de son
po.'lt~rilt u , 1111 x t'lmsl~.'l n 'es! t'I\Acndr qu' UfJI't\1' molr ,\'t~jollmf da !l.\', ex lsttlnce, 1 lntentlon de(.'//(),\'~''~ peul etre dtnche pm In pcnNc dl~
/e sensible. Sous In !rinde noplntonlclenne, c'est done tout le com- ~-toun:e que les versions arabes d' Avi~enne .appellent les c~~com.i-
plexe mcnnisme mtnphysique de l'mnnntion qui estnrticul, lequel --- tunts de 1'cssence . Le dtachcmcnl mtentJonnel de la chos1t p.~r
implique a son tour la doctrine avicennienne de la causalit dispqc:-.-- -- rapport a l'existence, de la quiddit par rapport a la quoddit, selon
sitive de la connaissance sensible dans le processus complet de la la formule frap{:le par Hei?egger dans La M_~taphy?ique. en tant ',- -.
connaissance humaine. L'universel n'est pas directement infus en qu' histoire de (Erre, est capital pour la redfin!tlon avtcenmenne de
l'universel. Grfice uce dtnchcment, In quest1on du stntut ontolo-
l'fime humuine, il ne l'ntteint qu'uprcs 6trc pnss dnns le sensible, ce
qui revienta dire qu'il n'atteint l'Ame humaine qu'une fois qu'elle gique de l'universel, laisse de cot par Porphyre, peut etre assume, 1
S 'est habilitee a le recevoir. Resterait a expliquer la maniere dont S 'ef- au-dela de tous les clivages entre empirisme conceptualiste de stylc
fectue cette rception qui redonne a l'intelligible une partie de l'etre aristotlicien et ralisme des Formes de style platonicien, par la pos-
qu'il n perdu dnns In plurnlit Ncnsiblo. Ccttc qucstlon, pns plus que sibilit~ de penser J'essence dnns sa spurntion idtique. C'e~t ccttc
celle du statut de l'universel antrieur a la pluralit, ne peut'etre assu- possibHit qui vient remplir la place marqu~ en creux I?ar A~1st?te a
me dans un trait de logique. C'est done dans la Mtaphysique que la fin des Seconds Analytiques: le vou,, qm esta la fms la hmlte et
l'on trouve la rponse ala question de Syrianus: celle de lajonction le dehors duprocessus d'induction abstractive, cette, i~tuition intc~
entre l'empiriquc ct le non-empiriquc. Contrniremcnt nu plntonisme, lectuelle que ccrtnins commcnlntcurs modcrnes el Artstote ont fntt
Aviccnne transforme cetlc probl111utlque. Les platoniciens tentalent refluer dans son reuvre a partir de la phnomnologie husserlicnne,
de concilier 1'empirisme d' Aristote et l'innisme de Plnton, Avicenne, est dsormt\is, pour la premiere fois ct vritablement, pensa91c
que l'on a accus de replatniser Aristote, cherchc aarticuler l'empi- comme une intuition des essences . Par rapport a la Iecture neo-
riquc el l'a priori, ct ce pnrcc que son nristotlismc l'ernporte lnrgc- plntonicicnno d' Aristote, le chnngc1~1cnl de. pnrn~ligmc est to~nl: il ....,
-, n 'est plus question, comme chez Synanus 111 de I~ormes psycl~tyucs,
122. Cf. Avicenne, Logica, d. cit., f" 12va. ni de projection imaginaire, ni de rminiscence. Le non-empmque,
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'!l ~-
.,
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quiddit et 1'essence de chuque >> quelque ehose (aliquid); ce qu'il isole et thorise dans la doctrine de I'indiffrencc de I'esscnce.
vise par le tem1e ens est quelque chose d'ajout a cette quiddit .
Ainsi distingues,la r-alit du quelque chose, c'esH1-dire de ce qui L' essencc indif.frente
csl effectivemcnt, muis nussi de ce qui est simplcmcnt pensable, cogi-
table ou possible, et l'effectivit de cette r-alit s'inscrivent dans une Si la caballit, 1' equinitas, a en elle-mcmc une dfinition, un
structure a trois places que les scolastiques expriment a l'aide des trois Myo~ indpendant de l'universalit, tout comme la chosit d'une
vocables subiectum (au lieu d 'aliquid), essentia (a u lieu de res) et exis chose se dfinit indpendamment de son existence,on peut en infrer
ten tia (au lieu d' ens). Quoi qu 'il en soit des premieres formulations de a
que, dans In pense, 1'universalit advient la caballit titre a
la thesc accessiblcs aux Latins, le fondcmcnl de l'ontologic uviccn-
niennereste une thorie del' accidentalit de l'existence qui circule, d'accident. D'o le slogan qui, pour des sieclcs, va rsumer la thorie
la plupart du tcmps, sous' la forme suivuntc: L'etre est un uccidcnt avicennienne de la sparation idtique: La caballit n'est rien
s'attachant de l'extrieur atoutes les quiddits, puisqu'il ne leur revient d'autre que la caballit (eqttinitas es/ tantum equinitas). Dire que la
,ras partir d'cllcs-mcmcs. caballit est seulement cabullit n'est pas une simple tautologie:
u'c11t le A.yo<: idcnlilniro qui cxpl"lllC IH poNsibilil dt~ l'inluition
d' une esscncc. Pour Av iccnnc, cclu rcv icnt u soutcnir qu ' en clle-
mcmc elle n'cst ni une ni mulliple .Plus cncore: dire que la cabul-
autrement dit l'a priori, n'est plus confondu avec l'inn, au couple lit est seulement caballit ne revienta dire d'elle ni qu'elle existe
l'orm pnr lu projection et In rminiscence succede la spnrution duns lnrnlit sensible ni qu'ellc existe duns l'fime, ni qu'clle cst en
idtique. acle ni qu'elle est en puissancc uu sens ou cela ferait partie de son
essence . Autrement dit: toutes les proprits de l'essence, en dehors
de son essentialit, sont des accidcnts de 1'essence. Cette conception
Universel et univcrsaiit de l'cssencc cst nntiplntonicicnnc. L 1 csscncc nviccnnicnnc n'est de
Gnralisant uu statut intcntionncl de l'universelle principe de la soi ni plurielle uu sens ou, comme forme participc elle scrnit pluru-
1
distinction intentionnelle de la chosit et de l'etre actuel, Avicenne lise dans la pluralit de ses participes, ni une au sens de Forme spa-
pose au fondement de sa thorie de l'universella ncessit d'une dis- re unique. Elle est de soi indiffrente aux deux. La communaut de
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r
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.. ...
La querelle des universaux La sco/astique arabe
dfinition,l'universcl n'tail propre aucun individu, il dcvait etre la ils concluent que l'espcce humuine est invariable dans le temps,
substance de tous ceux auquel on l'attribuait, sous peine de ne l'etre alors que c'cst la dl'inition de l'humanit en soi qui th!meure la
d'aucun. Or il ne pouvait l'etre de tous, puisque, des qu'il tait sub- meme dans tous les contextes.
stnnce d 'un individu quelconque, cet individu tnit tiJ,\'0 [acto tous les Le cinquieme cst de pcnscr que puisque les choscs matriellcs
nutres indivldus (en vertu du principc non9nnt que les 8tres dontln sont cuuses, leurs en uses pcuvcnt 81re den' In) porte quclle sorte, Ju
qulddit est une, sont un m8me etre ). Avicennc slmplll1e l'mgumcnt moment qu'clles sont sptucs. Orce n'est pu~ puree que les choses
dans la perspective du ni ... ni ... : si l'on veut qu'un terme universel matrielles sont causes et les objets mathmatiques spars, qu'il
soit prdicable de tous et de chacun, il faut que l'essence ou nature faut absolument que les objets mathrnatiques soient Ieurs causes.
prdique ne soit ni universclle ni singuliere, cur, si elle est univer- L'indil'l'rence de l'essence n'cst done pus uit scrvice du rulismc
selle, elle ne poutTa plus etre conque en chacun pris sparment et, si platonicien: l'essence indiffrente n'est pas une Forme spare
elle est singuliere, elle ne pourra plus etre conf'Ue en tous. L'indiff- atteinte par l'intuition intellectuelle. Contre Platdn, Avicenne reprend,
rence de l'essene a ainsi pour premiere fonction d'assurer une tol- dans sa propre perspective, la maje u re partie des theses d 'Aristote :
rance ontologique. ll faut que la nature ele l'essence tolere d'etre (1) L'universel en tant qu'universel n'existe ni spar comme une
con9ue comme invariante en diffrents contextes ontologiques, ce qui Forme transccndantc ni en acte dans les etrcs conc.:rcts: L'univcrsel
ne peut se faire qu 'a condition d' etre concevable en elle-meme entant qu'il est univcrsel n'u pas d'ctrc par lui-memc (Mtaph., V,
comme dpourvue de tout caractere ontologiquement inhibant. 2; Van Riet, p. 239, 64); L'animal en tant qu'H est animal n'a pas
C'cst ccll tolruncc interne qui permct a 1\viccnnc de rsoudrc lc11 d'ctrc dnns les individus (MtCiflh .. V, 1; Van l{ict. p. 214, 5H-59).
apories du ralisme platonicien sans verser dans un conceptualisme L'universd ne pcut se ruliser duns le purtkulicr 'en tlehors de earue-
pseudo-aristotlicien. L'antiplatonisme d 'Avicenne est particuliere- teres accidentels qui 1' individua/isent: il n 'est done jamais prsent
ment sensible dans sa doctrine des universaux. Paradoxalement, c'est tlans les ehoses en tant qu'universel.
grfice asa conception de l'indiffrence de l'essence et asa thorie de (2) L'universel n'existe en acte que dans J'fime: l'universnlit
l'intuition de J'essence qu'il s'oppose le plus dcisivement a Pluton. En n'a d'8trc que duns 1'fime (Mwph., V, 2; Van Rict, p. 239,71 ct
Mtaphysique, VIl, 2, il formule cinq urguments contre le plntonismc, 244, 78)- comme le dit Mtapllysiqm, V, 2; V1n Rict, p. 241, 17
a
qui tous, des degrs divers, supposent l'indiffrence de l'essence. 242, 22, en une formule qui sera souvent mal co'mprise (on lu fera
Le premier paralogisme qui commande toute la thorie des professer la doctrine de l'identit du sin~ulier.et de l'universel,
Formes spares est de poser que ce qui peut ~tre conr;u de maniere contrc luquclle, des Ablnrd, quien 11 critiqu un quivulent lutin
abstraite doit ncessairement exister a l'tat spar (Mtaph., VII, 2; autochtone, tous les nominalismes se sont mobiliss): Ainsi, selon
Van Ret, p. 363, 2-3). Penser la forme de I'homme en tant qu'elle des rapports diffrents, il [l'universel] est universC.I et particulier. En
esr seulement forme de l'hornme ne nous oblige pas a"poser que ce tant que cette fom1e est dans l'ame, elle est une des formes de !'ame,
qui est atteint la doit exister seul et spur ontologiquement ct elle est singulicre. En tant que plusieurs "convicnncnt" en elle
(Mtaph., VII, 2; Van Riet, p. 364, 14-17). [ ... ],elle est universelle.
Le second paralog~sme des platoniciens est de croire que, paree L'aristollisme d'Avicenne n'est pas pour autant au service de la
qu'il y a une seule et meme intention de l'humanit, cette ntention rduction empiriste. La considration de l'essence en elle-meme est
cst numriquemcnt une et prsenle en plw;ieurs, et multiplie par Res un mode de connuissance ubstrnite: il s'ugil de considrer u pmt une
relutlons, comme un pcre unique en une plurnlit de .fils. ehosc lndpendnulliiCIIl des clu'uctl:!rcs cxtrlnscques qul lul vleuuent
Le troisieme est de ne pas distinguer I'universel et l'universnlit, de sa relation intentionnellc u uulre chose. Ccttc cnnaissuncc ubs- (
l'intention d'humanit et celle d'unit ou de multiplicit. traite consiste a faire abstraction de caracteres co'intelligs daos la
Le quatrieme est de gnraliser cette confusion a tous les perception d'une chose sensible. Ce n'est pas la snisie cumulntive de
contextes philosophiques : par exemple aux rgularits nomolo- resscmblanccs pcryucs entre des choses donnes. L'intuition de 1'es-
a
giques et la fixit des especes. Les plutoniciens font comme si sence n 'est pas l'induction nbstractive qui, e hez Aristote, assure la
l'humanit et une humanit une ou multiple ne faisaient qu'une seule formation de l'universel cl'exprience. Mais alors que reste-t-i!
et meme intention (Mtaph., VII, 2; Van Riet, p. 366,49-55). D'oii d 'Aristote?
190 191
i.
;
,.
La querellt dts ""'''t'l'.l'tlll.r La scolustlcue aral1e
Soit une goutte d 'ea u qui tombe en dessinant une ligne droite. La f , r
La thorie avicennienne de la perception vue, le sens exte\lle, ne laisse .s'imprimer en elle que la forme de ce
~ . t
qui est en fuce d'elle , mnis ce qui est en fuce d'elle est comme u~
Le fondcmcnt gnptl de lnthorle nvicennlcnnc de In pcrccptlon, point, 11011 comm~ une ligne . Autre~ent dit: le sens.e~teme ne pe~01t
que 1'on retrouve dans les reuvres philosophiques (Shift') comme pas la droite dessme par la goutte qm .tombe. 11 ne sms1t. que la pos.ttton
rndicales (Canon de mdec:ine) est la distinction des sens externes occupe a un instant par la goutte : 11 ne peut la v01r deux f01s en
et des sens internes. Dans le De anima, Avicenne distingue cinq meme temps, ni en meme temps i\ deux endroits diffrents . C'est Ji\
facults cognitives intprncs ou sc;n~ lnt~rncs , Ccltc tlistinction c~t qu'intervientle seos commun: Au moment prcis ou la forme de lu
elle-meme prcde d'une autre dtstmctwn : celle de laforma sensz-. goutte (transmise par la vue) s'imprime dans le sens commun et s'e~
bilis et de 1' intentio sensibiliuni 123 . Les setis, qu 'ils soient ex temes retire, mais avan(que la forme (dpose dans 1~ sens commun) n'mt
ou internes, ont deux objets de perception : les formes et les inten~ entierement disparu, deux puissances s'exercent stmultanment: le sens '
tions. Ce qui distingue les deux est le trnjet de lq perception. Ln cxtl'leur suisitlu gouHo ll'euu lh ou elle cst (ubi esf), Jo sens comm~n lu d
i
'
;
forme sensible est d'ubord suisie par les sens externes, puis truns- perrroit comme si elle se trouvait [encare] la ou elle tait (quas! esset ub~ ; ~
'!t
mise au sens internt;- c'est le cas, par exemple, pour la longueur fuit) ct comme si elle tait [uniquemcnt] la o u elle esl (quast esse~ u/u
l..,
~L'
d'une chosc l'intcntion d 'un sensible est un con ten u directement 'est), et ainsi ce qu'il perrroit, c'est une distensio recta, un trac en hgn~
snisi par le s'rns int~rnc snns qu'un scns cxtcrnc l'nit d'nbord ltli- dmitc 12.,. L.c c'OII/1111' ,,. ost d'imporltll\CC: le sons commun no,r,cr9.o!t
meme perrru - c'est ce qul se prodult qunnd l'ugnenu percrolt ~~~ pas la chose'Ia ou elle est, c'est !'affaire d~ ~~n~ ex!e~e, ce qu tl satstt
menace que reprsente pour lu le loup. Ce caractere menaqant, qut n'est pas rel, mais de l'ordre de la bantasza, 11 sa~stt un m?uvement,
n'est pas peryu par les sens extemes puisqu'il n'est pas une forme c'est-a-dire qu'il se rapporte a la chose comme st elle tmt en deux
sensible du loup, est 1'intentio dti loup, distincte de sa forme, une i
ernplacements distincts- ce lu qu'elle occupai.t e.t ce tui qu 'elle,occu~
intention qui, une .fois pcn;:uc, provoque une conduite spontanc de -, tms elle n'est pasen deux emplncements dJslmcts, et elle n cst snt-
fuite ou d'vitement. la
sie ou elle est que par le sens ex teme. ,. r
123. Cf. Aviccnne,Liher De anima seu Sextus De naturaliJIIs, l, 5, d. crit: de la 124. Cf. Avicenne, Livre des directives ~des remarques, trad. A. M. Goichon,
trnd. latine md. pnr S. Vnn Riel, nvec une lntroduction sur In doctrine p.~ycholo Pnris, 1951, p. 316-317. .
glque d' Aviccnne ,. de O. Vcrhckc, Louvnin-Lcydc, Pcctcrs-Drlll, 1972, p. 85, 88 sq. 125. Cf. Avicenne, Li/Jcr De anima, 1, 5, d. S. Vun R1ct, p. !!8, 34-!!9, 40.
192 193
!
des sens externes. Ce sont toutefois des accidents des objets de la sensa-
voir nvec les processus de connnissunce intellectuelle. Avicelinc tion, c'cst pourquoi elles s'allpcllcnt inlcntions d1~s scnsit:lcs. 1.n fticult
considrunt que l'intcllect n'0sl pus f'ormc d 'un corp1-1 pur csst!tWc, nu1morut!lt csl plm:c dnn.~ u cnvlt6 urrli)rc du Cl~Jvcnu. Son rlllc esl de
mais seulement par accidenl, les intelligibles ne peuvent provenir en rclcnir les intentions des sensibles pcn,:ucs pnr l'cstimutive. Pour Avi-
l'ime humaine directement de sa liaison avec le corps. Il n'y a done cenne, le rupport de la mnwmtivc u l'estimative est done le mme que
pas de passnge direct de l'imaginntion et de la mmoire a l'universcl celui de 1'imagination au scns cornmun : 1'imaginution a une fonction
d 'cxprience sclon le processus postul plult que dcrit par Aris- rlcnsivc, e'cslune sortc de trsor des fonncs sensibles nppt hcndcs par
le scns commun; In mmorutivc csllc trsor qui conserve les intcnlions
tote dnns la Mtnpllysique, A, 1 ct les Scconds Analytiques, Il, 19. des sensibles upprhcndcs par 1'eslimutivc.
Mais alors, comment s'accomplit ce passage?
194
.,.
La querelle des universaux La scolastique arabe
C'est seulement dans l'abstraction intcllectuelle que la forme appr-
Les niveaux de la connaissance abstractive hende est libre des accidents de la matiere, de la quantit, de la
qunlit, de In position et du lieu. C'est ce qui In rend universelle
Plutonieicn, c'est-u-dirc dualistc, dnns sn eoneeption de l'union de a
e 'est-u-elire applicable une pluralit el' individus. Mnis qu 'est-ec
l'fime et du corps, ou plutt de l'intcllcct et du corps, Aviccnnc doit que 1' ubstruction intellectuclle 'l . 1'
expliquer le rapport de lttsensation a la connaissance intellectuelle a Si, comme l'impose le dualisme rigoureux de l'intellect et du corps,
J'aide de conccpts priJ1htticicns, sinon nristollicicns. Ln !fiche est les intelligibles ne pcuvcnt !tre dircctcment tirs des donnes sensibles,
pour le moins difTicilc. Mnis c'est celle tcnsion struclurclle qui porte si le sensible nc pe~tt !tre In source immdiate de J'intelligible, com-
ti In fols sn psychologi,~ct su thorlc de In connnissnnce, Ln seule mcnt nrticuler le pnssngc du sensible lt 1'intelligible uu ni ven u de l'ubs-
continuit exislant entr~ensation et intellection rside dans l'abs- traction '? Que, de la sensation a l' abstraction intellectuelle, 1' objet
1,
traction. Envisags sou~l 'angle de la dmatria/isation, les processus pers:u prsente un degr d'abstraction croissant et eontinu ne signi- j!
de la perception se laissbMt dcrire comme une srie ordonne: l'abs- fie pas que 1'intellect humain dcouvre lui-meme 1'intelligible dans
traction commenee au prus bus niveau, e 'est-a-dire des In scnsntion, les imnges sensibles et le montre pnr lui-meme dans sn puret en 'j
qui est un prcmicr dgouillcment de lu muliere ;elles 'ucheve <.hms fuisant abstraction des accidents mntriels . Reprenant la distinction i
l'abstraction intellectu:elle, qui est un dpouillement des accidents
mntricls ,Le plus hs nivenu d'nbiltrnction est cclul de l'ncte de
vision : la forme perr;4f par la facult visuelle est dpouille de la
aristotlicienne entre l'intellect dit, depuis Alexnndre d' Aphrodise,
'putient' ou 'possible' (De an., lll, 4) et l'intellect dit 'ngent' (De an.,
III, 5), Avicenne limite l'intellectualit de J'ame humaine au seul intel-
1 ~,'
mnti~re: l'abstruction d,c l'imngination est ccpcndant d'un dcgr sup- lect patient. La thorie avicennienne de l'intellect possible es,t dirigc '.
rieur, puisqu 'elle ne r~clame pas ncessairement la prsence effec- contre Platon, daris le cadre meme du dualisme platonicien. Puisque la 1.
tive de 1'objet pour en conna'tre In forme; 1'estimntive nbstrnit encorc a
connuissance sensible ne mene pus directement l'intelligible, on pour-
elavnntage, puisqu'elk eonnat des intentions qui ele soi ne sont rait imaginer que l'fime humaine soit elotc initialement el'un stock d'in-
pus mutricllcs, c'cst-a-dirc sensibles uux scns cxtcmcs, m~mc si elles tclligiblcs, vcrs lcqucl elle se tourncruit, en se dtounuUlt du sensible,
se ralisent dans des etres matriels. Aucune de ces abstractions ne chaque fois qu'elle voudrait accder a la connaissance d'une forme
libctc In forme de scs.nccidcnts mnlricls. dguge des uccidents de lu rnuticrc. Mais c'cst prcisment ce que
Du point de vue de jn perception, la these d 'Aristote selon laquelle . refuse Avicenne : l' ame hu maine est seulement le rcepteur des
l'universel esl pctc;u'tlnns le pnrticulict' rcc;oit ninsi une limitntion intelliBiblcs, il n'y tt ptts en elle un tr6sor d'intelligible en nctc, dont
prcisc. Dlre cu'll y .it perception de la forme humaine dans l'lntui- -ellserait provisoirement dtourne par l'affairement sensible, mais
tion sensible d'un homme singulier signifie seulement que l'imagi-. qu'elle pourrait reeouvrer intacta cndition d'oprer une eonversion
nation a le pouvoir de se rcndre prsenle, y eompris en l'absenee de intrieure. Avant meme de savoir comment l'fime hlllnaine les aequiert,
tout stimulus visuel; une forme d'homme non dpouille des aeei..; il faut souligner que, pour Avieenne, les especes intelligibles ne sont pas
dcnts mat6ricls que sont la quuntit, la quulit ella position. L' image meme conserves dans l' intellect rcepteur : elles ne restent en 1' fune
d'un homme, meme cell d'un homme imaginaire, est done toujours qu'au moment ou elles sont peryues; il n'y a pas de mmoire intellec-
celle d'un homme atcrmin, et ne peut ctre upplique a tous les tuelle. Ce qui perdure et se fortifie,.c'est l'aptitude apercevoir. Contrai-
hommes. JI en va d mcme pour les intentions non sensibles manipu- rement ace q!Je soutenait ai-Frabt,l 'intellect possihl.e ne devient done
les par l'estimntiv(!: loutes sont snisies defcu;on particulicre, en pas intellect acquis, car la substancc intelligente, lorsqu 'elle conna't
liaison avec une forme sensible dtermine. L'intention du carac- une forme 'ltellectuelle, ne devient pas cette forme. L'intellect acquis
tere menayant du loup n'est pas lie au Joup en gnral, ni u I'Ide. n'est pas.une puissance de l'fime, c'est la fonne lle-meme,en tant
platoflicienne du lciup, ni mme nu concept de loup. Quand on dit a
qu 'accessible h une puisstU1ce rceptive qui s 'est rendue apte la rece
que. le gnral cst d'cmble snisi duns le pnrtlculler, ll fuut done bien voir. Ni lntellect ucquis nu scns d'ul-FClrfibt ni trsor des Fonnes psy
voir qu'il y est saisi de mani~re particuliere. Ce qui assure l'unit de chiques au sens de Syrianus, l'intellect possible d'Avicenne a besoin du
l'objet de perception, pnr exemple la forme d'hornme dnns In saisie sensible pour se prparer al'intelligible: il ne le possede pas d'nvance
el' un homme singulier, est toujours relnti f u cet homme singul ier. et ne le conserve pas une fois qu'ill'u rec;:u.
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1 '
La querelle des universaux La scolastique arabe , (
de In connnissnnce portnnt sur un universcl d~jf) c'OII.I'fiful- il scrnit de In perccption et de l'intuition, formul dnns les Analyfirues, cst
fnux de dire que les formes lntelliglbles qui manent de l'intellect ulors venu occuper a lui seulle devunt de la scene. La thorie de l'in-
agent, quand 1'ame s 'est dispose a les recevoir par la propdeutique diffrence de l'essence a ainsi chang de fonction et trouv la place 1. '
des impressions sensibles, sont le point d'application de l'intuition centrale qui lui revenait potentiellcmcnt. Mais elle ne l'n fait qu'en l -~
idtique. En d'autres termes, ce n'est pus dans sa thorie du mode instrumentan! un probleme homogene, sinon unique: celui de l'in-
d'acquisition de l'univcrscl qu'Aviccnne est le plus novateur: par la, tuition essentielle du singulier.
au contraire, il recondtiit une vis ion noplatonicie'nne de 1'origine
des concepts. Muis, enfin, la these du Donateur des formes est la, ~ i
refontcs et des rcdistributions, par se s~pnrcr chcz les nviccnniens. p. 34-35), Avicenne explique que chnquc chose (res) u une certi-
On pcut tlstinwr qu-'IIIW pnr!lc de In rt~volution l{pist~mologique du tudc , c.errirudo, pnJnqucllc elle cst ce qu'cllc cst . Ln l'crtitudc
xrv sl~cle est lie b 1'nbnmlon de In premlerc moiti de l 'ensemble nu dont il est ici question est originnirement ontologique, c'cst un curac-
bnfice de. la seconde. Lorsque la notiqtie d 'Aristote, nqtamment tere de la chose, non une modalit du sujet connaissant (la cer-
l'obscure doctrine de l'intellect agent fonnule dans le De anima, titude subjective dont parlera la philosophie classique). Le latin
Ill, 5, a t remise en cause, le lien ncessuire tabli par le pripat- certitudo rendait l'arabe haqfqa; que l'on peut aussi traduire par
tisme nrnbe entre doctrine de l'fimc ct cosmologie cst tomb du m~mc nnture .La th~sc d'Aviccnne tnlt done que pour toutc chose il y
coup, et avec lui le systeme de l'manation qui, chez Avicenne, enea- a une nature par laquelle elle est ce qu 'elle est >> : le triangte a une . i
200 201
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(
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!.a querelle des wrivasaux l.tl .1'1 cl/11,\'lirrtc mohc
nature/certitude par laquelle il est triangle, la blancheur en a une par effet Jire qu' il tait possible de considrer 1'animal en lui-meme (per (
laquclle elle est blanchcur . C'est a propos de cette nature/certitude se), me me s' il tait avec autre chose que lu (quamvis sil cwn alio a se),
qu' Avicenne utilise la premiere formule lan~ant l'hypothese d 'un son essence (essentia) tnnt ftoujoursl avec d'autres qu'elle-meme,
ctre propre ~ l'cssencc. L'nom: lui-m8me esl tl'nllleurs tnmge- De cette possibilit Avit:enne tiruit que l'essence de l'animal tait h (
ment dubitatif, puisque la version latine dit: Et c'est peut-etre (for- lui par soi, le fait cl'etre avec autre chose que soi lui tant accidente! ou
tasse) la ce que nous uppelons l'etre propre. Qu'est-ce que cet etre tant un simple compagnon [comitatur, i.e. un concomitant non un
propre? La suite du texte est encore plus troublante. On sait qu 'il y a constituantl de sa nature . Puis, comme ce caractere (consideratio)
dcux grandes famillcs de manuscrits lulins de la Mtapllysique : lu 1wcdnlt dnns l'elre uIn fois l'nnimnlqui csl individui.S pnr ses ncci
tradition A et la tradition B. Dans la version B dite par Suzanne dents et l 'universel qui esl dans des sensibles singuliers et l' intelli-
Van Riet, Avicenne enchaine: Et nous n'entendons par la rien gible (u svoir le singulier, l'universel dans les choses et l'universel
d' autre que l'intention de l'etre affirm (nec intendimus per illud dans !'ame), il en concluait que, de par cet etre (ex hoc esse) sien,
nisi intentionem esse affirmativi). Duns Ju version A, au contraire, l'nnimal n'tnit ni genre, ni espece, ni individu, ni un ni multiple >>, (
Avicenne est cens clire: Et nous n'entendons pas par la l'inten- mais de par cet etre (ex hoc esse) seulement animal.
tion de l'etre affirm (nec intendimus per i/lud intentionem esse Les lcctcurs d' Aviccnne trouvunt dans ces ligncs de quoi justifier la
ajji'rmativi). Cette discrpance des deux versions, sur laquelle les these d'un etre propre al'essence, non seulement distinct de 1' etre pr-
hislnriens jettent un voile pudique, ouvre videmment sur deux phi- diqu, mais de loul rdiqul> en glrnl, In thorie de l'indiffrcnce
losophics distlnctcs. L'cxprcssion << inlcntion d<.: 1erc ul'l'irm de 1'~SSllC~ CSl done deVellUC llllt: lhOI'O d 1'etrc Jll'lljll'l.! e/e J 'CSSl!llL!C,
(arabe: ma'rra 1-wujud al ithbtf) dsignant indiffremment l'exis- Le philosophc modiste danois Mnrtin de Dacic a donn 1'exprcs-
tcncc ct l'affirmation, dont le texte nonce (ligne 64) la synonymie sion la plus pure de cette doctrine en posant que ce qui est signifi
(sous la forme incomprhensible en latn de esse quod multil'ocum par un terme commun pouvnit etre considr de trois manieres : la
es/ cum aliqu/d 1), il fnul cmprendre qu 'Avicenm.l distingue ce prcmi~rc, duns une chosc sensible extricurc (in re extra sensibili);
qu' i1/on nppelle 1'8tre propr(( de la ehose et 1' intention de son exis- In dcuxieme, dnns 1'flme (In anima); In troisiemc, en tnnt qu'il ne
Lcncc (texte de la version A, limin par Van Riet). En d'autres prsentait la nature d'aucun des deux mocles prcits et n'tait, de
termes, comme le confinne la version arabe, Avicenne soutient que ce fait, ni universel, ni paniculier, ni singulier . Un aulre modiste
la nature/ccrtitudc, en un mot 1'cssence, d 'une chose (par exemplc danois, Bo~cc de Dacie, 11 explicit ce lroisi~me slallll, npparcmmenl
un triangle) est ce qu' i1 appelle parfois (et non pns peut-etre ) paradoxal, du signifi d'un tenne commun en en faisant celui de
cxistence propre de cette chose, existence distincte dans son l'essence considre en elle-meme. L'essence, dit-il, est indiff-
concept de l'existence affirme de cette chose dans un nonc. rente [littralement: elle a une certaine indiffrence] au fait d'etre a
Ln these originnle d'Avicenne suppose ainsi l'quivalence: nnture l'extrieur comme au fait de ne pus t!tre i\ l'extrieur [de l'fime], et
(haqfqa) proprc, existence (al-wuj(ld) propre, guit!dit (mahiyya), et la semblablemcnt, elle cst indiffrente au fait d'etre universel comme
diffrence entre la nature propre de chaque ehose e,t 1' existence au fait d'tre particulier. Autrement dit: prise en elle-mme une
(al-wujud), qui est synonyme de l'affirmation (al-ithbt) .En latin, essence n' est ni gnrale (comme un concept gnral abstrait) ni uni-
la srie d'quivalences devient: certitudo propria = esse proprium = ver.~cllc uu sen.-; slrict dutcrmc, muis elle n'est pns non plus pnrlicu-
cttitlditas, et lu dillrcm:c pnss<.:<.:lllr<.: ccrtit111lo proprla (.,. culrlclltus) llcrc ou slngulicrc, ct elle 11'est11i dnnr-~ l'llmc ni hnrs,dc l'llrne,
el esse affirm. Dans le vocabulaire scolastique, il suffisait de lire La diffrence entre l'es.1e proprium de la nature/essence et l'es se
essentia a la place de certitudo pour avoir la thesc selon Jaquelle 1' es- affirm a connu.unc forlunc parliculiere sous la forme d'une opposi-
senta a un esse proprium hors de 1'etre (praeter es se) affirm ou pr- tion enlre csse essentiae (ou essentia/e ou hahitttale ou quidditati-
diqu. C'!st cequ'ont pos tous le:-~ pnrtisuns de l'csst' esse/1/iat, l'etre V/1/11) ct e.1se uctuale. Duns In sccotHic moiti du Xlllu sicclc, tous les
de 1'csscnce considre dans son indiffrcnce: ni une ni multiple auteurs latins l'utilisent ou la discuten!: Sigcr de Brabant (Bazn,
ni cxistant dans la chose sensible ni existant dans l'fne . p. 54), Henri de Gand (Braakhuis, p. 368), 1'Anonymus Liberanus
Le second texte d' Avicenne confirmait irrsistiblement cette inter- (ms. Pars, Nat. lar. 16135, fo JOOrb-va), qui distingue esse essentiae
prtation. En Mtaphysique, V, l ; Van Riel, p. 233-234, on pouvait en vs esse existentiae, ou l{ichard de Clivc (Ebbescn, p. 157), qui
oppose etre quidditatif et esse actua/is existentiae. Au dbut du autrichien. Il suffit de rappeler ici ses theses principales pour voir la '!
xvc siecle, c'est la fonne esse essentiae vs esse existentiae qui s'impose pertinence de ce rapprochement.
(Raoul Le Breton, Super Anal. post.,!, quaest. 38; Ebbesen, p. 163). En distinguant la mtaphysique, science de ce qui existe, et la tho-
Ln thorie de 1'dse essentiae nc pouvnil pus ne pus rencontrcr expli- rie des objets, qui l'englobc, Mcinong prolonge la distinction de l'in-
citement la thorie des universaux. Elle l'a fait amplement daos le dividu existant et de la chose au sens des philosophes critiqus '1
cndre du probleme logique de In prdicntion sur les clnsses vides, les par Shirazl. 11 fnit un premier pas dans cette direction quand il pose
particuliers non existari!s, grfice nux innombrables discussions de que les objets idaux n'existent pas (existieren nicht), ne sont pas
sophismata du type de 'Tous les hommes sont des nnimaux' ou de rels (wirklich), mnis subsisten! (bestehen). Il rejoint Avicennc, quand
'Csar est un homme', tant pos, par hypothese, qu'il n'existe aucun il formule le prncipe dit d' 'indpendance', affinnant l'indpendance l ,,
homme dans la ralit. Cette problmatique de la rfrence vide a t de l'etre-ainsi (Sosein) par rapport a l'etre (Sein), et explique queJe
1
un des Iieux d'lection de la discussion mdivnle sur l'etre d'essence. fait qu 'un objet ait telle ou telle caractristique est indpendant de
Mnis le rnpprochement entre ctre de l'esscnce et ctre de l'univcrsel en son cxistcnce. Il fnit un pus nu-dcli\ d'Avicenne, en direction des
lul-m~me a t lul aussi l'objt!t de discussions inlassables. Des les adversaires de Shirtlzt, quand il formule la these paradoxale de l'Aus-
annes 1245, le len tait fait et solide. Avant de devenir le plus sersein des objets purs, these dont il propose d'ailleurs plusieurs for-
farouche adversnire de la thorie de 1'etre de 1'essence, Roger Bacon a, mulations, de 1'indiffrenc~ proprement di te ( les objets purs sont
semble-t-il, des cclte poque (i.C'. dnns ses Q11aC'.\'fioncs pnrisicnnes sur indiffrents i\ 1'8trc ) i\ In notion <le troisieme rgion de l'ctrc otr s'nf-
In 1'/ty,,iqllt') tent d'llmlner l'tHre proprc de l'unlvcrsel eonsldr firmc une ehoslt des objets non rels .nu-delu de 1'elre el u non-
dans son etre d 'es sen ce en le ramenant al' etre mental. ll pose en effet etre , chosit qui s'tend jlisqu'aux objets impossibles , dont : l.
qu 'il y a si non deux sortes, du moins deux modalits de 1'universel, et 1'existence implique contradiction (le cercle carr). C'est cette dc- ' '.
non trois comme pour les tenants de la version dure de la thorie trine qu' a critique Russell au no m du prncipe de contradiction. Mais ' ' 1'
a
d'Avicenne: Qunnt l'etre nctuel ct nnturel qui est le sien par les e 'est une versio'n mdivnle de la thorie des objets de Meinong qu 'a
singuliers, l'universel est un en plusieurs ;daos l'etre d'essence et rejete Bacon en soutenant qu'une essence ne pouvait avoir d'etre
[l'etre] cognitif (cognoscitivum) qu'il a par l'fime, il est 11011 C'fl tant propre sans avoir en meme temps d'etre actuel. En quoi il se rcla-
que te/, mais en tant qu'il est un en dehors de plusieurs . L'articulation mait moins de la conception dte 'existentielle' de l'oucr(a aristotli-
de l'etre d 'esscnce el de 1'ctre in animan 'impliquait pns, cependnnt, le cienne, toujours rnpproche par les historiens de la thcse purement
rejet de l'etre d'essence. Au contraire, le principal intret de la notion ontologique d' Averroes, que de la these d 'Avicenne, nglige par les
d'etre d'essence tait de le prsenter comme la modalit propre de tenants de 1' esse essentiae, mais releve par Shirazt, stipulant que
1'universel en tant qu 'ohjet de l'intellect. Le commentaire de Madrid l' intention de 1'existant (latn : intellectus de ente) accompagne
sur 1'lsa.:o.:e de Porphyrc nttribu ll Pi erre d 'Auvergne (Pinborg, 1973, (comitalJitur) ncessnirement toujours In ehose, cur In ehose existe
p. 65), dont In vcrsion Vul. Pul. lnl. 1007 est, cnrcvnnche, uttdbue tt soil dans les singuliers, soit duns l'imaginulive et l'lntcllect , << cur,
Herv Le Breton (De Rijk, Logica Modernorum, 11, 1, p. 50-51), men- s'il n'en ta pas ainsi, elle ne serait pas chose (si non esset ita,
tionne cxplicitcment In thcsc sclon lnquelle: Uni\crsaiC' secundum tune non essC't res) (Mrapll., I, 5; Van Riel, p. 36). En posan! que la
C'S.H' C'ssentiae Nt ohiectttm intC'I/ectl/s, concomitnncc de l'intcntion de l'existcnce nc quittnit jnmais la
Ln thorle de l',c.l'.l'l' tsscntlrw 11 t vlvemenl erltique pnr les eh ose (arnbe :, wa lc1 yuj'tlriq luzflm m a' na al-wuji?d), Avicennc a
nominalistes. Apr~s Roger Bacon, Occam a tent de I'radiquer en ainsi offert lui-meme ases interpretes de quoi pondrer l'ide d'une
a
ramenant toutes les distinctions de ses prdcesseurs de simples a
existence propre l'essence, es.l;e proprium esse11tiae 126 Jusqu'a un
diffrences daos la maniere de signifier des termes.
On rejoint pnr lh le plus tonnnnt surgcon de I'nviccnnismc: In 126.1311 dehors do tout ce qultoucho hIn problmntlquc do l'lmlll'l'n.!ncelfc I'~:N 1
thorie des objets de Meinong. Les auteurs d 'Islam oriental qui, a
sence et celle de I'Aussersein de l'objet pur, un domaine clairement apparent la a
vis ion nvicennienne de l'i!tre ct de la chosil , les thescs d 'A. von Mcinong
selon Shirazl, posaient que In e hose (al-shay') tait plus vas te que (notnmment, dans ber Annahmen, Leipiig, 1902) spnt galement proches de la ''1 ''
1'existen ce, puisqu 'elle englobait et l' existence et la quiddit ont, notion mdivale de signiftcabi/e complexe. On sait que, Un peu i\ la maniere de Gr-
de fnit, anticip de quelques siccles l'intuition ccntrule du philosophc goirc de Rimini opposnnt choscs singuli~rcs l Rignil'inblcs complcxcmcnl , Mci-
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1
1'
1
----~_1, _____________________________.......,
----------------------------------------------------------------------------~----------- -------------
La thorie d' Averroes est formule dans le cadre d'une doctrine de Puisque intelliger, commc le dit Aristote, c'cst comme comprendre
1'ame et de l'intellect caractrise par les theses suivantes : par les sens, et que comprendre par les sens s 'accomplit par l'inter-
( 1) 1'individu 1mmnin est constitu par une ame sensitive individuelle, mdiaire de clcux sujcts [ ... ] il est gnlemcnt nccssuire que les
tendue et unie a u corps selon l' etre; (2) l 'intellect matriel o u penss en acle aicnt dcux sujets, dont l 'un est le sujet qui les rend
possible est une substance spare et ternelle, spare du corps, vrais, a savoir les formes, qui sont des imagcs vraies, et le second,
unique pour tous les hommes et qui n'est pas forme substantielle du celui qui fait de chaque pens un etre mondain rel, et c'est l'intel-
corps; (3) 1'intcllect agcnt est une substance spare qui a pour fonc- lect matriel. 11 n 'y a en cela aucunc diffrcnce entre le sc1 et l'in-
tion d'ubstrnire les univcrsuux d'imnges individuelles; (4) In connnis- tellcl't, si ce u'cst que k sujct du scus, qui le rc11d vrni, cst cxtrh:ur
h l'fime, nlors que le sujet de l'intcllcct, qui le rcnd vrai, estl\ l'int-
sance individuelle s'effectue chez l'hommc par l'intermdiaire des ricur de 1'fime f21.
imagcs individuelles; (5) cctte connaissance est appele intellect
spculatif ou thortique, Jeque! est individu et corruptible du
Que signifie une phrase comme << 1'homme pense ? Pour Aver-
fait de son un ion nvcc les imuges; (6) une l'ois In connnisHnnce
hu maine 1\CCOmplie, 1' intellcct mutriel S'unit !\ 1' intellect ngent
roes, sculemcnt ccci : 1'hommc n le pmivoir de dclcnchcr en lul 1' in-
tervcntion de deux prncipes (non d'effectuer lui-m~mc leur activit)
et forme avec lui 1' intelleet acquis , intellectus adeptus. C'est dans
-l'un d'abstraction, actualiser les intentions imagines en acti-
cet tat que consiste la flicit supreme de l'homme. vant 1'intclligible en puissancc envelopp dans la prscntation sen-
Cctte notiquc est en rui1ture uvec cellc d'Avicenne. Averroes va sible, dnuder lu chose de son idole ;!'nutre de rception, pcnscr,
plus loin que lui dans la sparation de l'intellect, puisqu'ill'tend a c'est-a-dire recevoir l'intention ainsi dpouille. Le premier principe
1'intellect matriel , mais, surtout: (a) il abandonne l'hypothese est l'intellcct agent, le second, l'intellect matricl . C'est par l'ima-
du Donateur des formes et le modele manatiste de la pense; (b) il
gination que 1'homme a part a u travail de la pense : dans la stricte
mesure ou c'cst sur tes images que l'intcllcct agcnt po11e son activit.
nong distingue les objets (les choses objets de la reprsentation, qui ne sont ni vraies De fait, sans l'intention imaginaire qu'il intelligibilise en acte en la
ni fnusscs) elles objcctifs >>(les ohjcts des nssomplions , intermdiaircs entre In dpouillant , 1'intcllcct ngcnt nc snurait produire de forme intelli-
reprsentation et le jugement, lesquels peuvent etre vrais o u faux). Un objectif est ce gible en acte susceptible d'etre reryue par l'intellect matriel .La
qui concspond a la Bedcutung (signil1cation) d'une phrase <<en que>> (dass-Satz):
pur cxcmpto, ~ l!llll In mlgo cHI blnnclic " uhjcl de pciiH<: que jc 111! CUIIHiliuo JIIIH, dnclrinc d' Avcrrocs vise do11c i\ rtnhllr In ditnrnsion l'lllllirlqu<.' de
nud~ n~sunH: duns un nctc mcnllll dlt.:mlin. l'uur Mclnung, ccl << objcl csl lrn!- l'urlstotllsmc, i\ rc11oucr le fil de l'llltelllgiblc et du scnslb e, b nbun-
ductible au simple objet de la reprsentation (la chose << neigc ): il n'<< existe>> pas, donner 1' interprtation dualiste noplatonisante d' Avicenne, sans
il subsiste, On rcjoint ainsi la problmutique de l'ctre. La diffrence mcinon-
gicnne entre existieren et bestehen (subsister) comrne sa distinction entre objectifs
subsistonts et non subsistnnts, npprofondie, ol'heurc nctuclle, pnr les thoriciens des r.
127. Cf. Avcrrucs, In De anima, lll, commt:nt . 5. d. S. Cruwford, A\'erroes
logiques libres (R. M. Chisholm, J. N. Findlny, K. Lumberl), pcnncttent done Cort!uhitnsi.l' Conl!nen/ariumiiiii,IJIIII/11 i11 Ari.l'/olells De a11i111a libro (Corpus com-
d'clnircr les enjcux thoriques de plusil'urs distinctions mdivnles. Une vl'itnble mcnturiorum Averrois in Aristotclem, Versionum Lntinurum >>, vol. VI, 1), Cam-
conl'rontutlon entre les divcrs polnts de vue reste cepcndnnt h fuire. bridge (Muss.), 1953, p. 400, 376-394.
206 207
La querelle des universaux La scolastique arabe
[
a
sacrifier 1'empirisme et a u naturalisme. Averroes est 1'adversaire de a
nismes- de l'avicennisme na'if (Gundissalinus) l'avicennisme sub-
toute pcnse de l'intelligible sur le mode de In donntion nvicennienne. ti! (Duns Scot), en passant par ce que Gil son a appel 1' aviccn-
L'abstraction averro'iste n'est pus une donation, c'est une rduction. nisme augustinisant , ou le Mattre intrieur remplace le Donateur
La rduction de l'intelligible a l'acte est la rduction de l'image a son 1 des formes -, ces facteurs, condamns a concourir sinon directe-
noyau d'intelligibilit. Le rBie de l'intellect agent n'est pas d'maner ment, du moins chacun a part et asa maniere, sur l'intellect possible
une forme dnns l'intcllcct mntricl , il cst de rciHlrc intclligihlc en idcntifi i\ la forme du corps: le fantnsmc et l'intcllcct ngenl, son!
acle une intcnt ion qui, sous sn forme imnginnire, ne 1'est qu 'en puis- redistribus par Averroes dans un parfait quilibre entre l'empirique
sance. L'intentio est ce que pen;ot l'ame et ce a quoi la pense a 1 et l'a priori. Ni le fantasme ni l'intellect agent n'agissent sur l'intel-
affaire: l'inrentio peut etre imaginara, elle est nlors pnrticuliere, sen-
sible; mais elle peut ctrc aussi intellecta, elle est alors dpouille,
lectmatriel, l'un occasionnellement, l'autre directement. L'intellect
agent agit sur le fantasme, et c'est le produit de cette action qui agit
..
'
dvetuc, cxfolie du particulicr ct du sensible. L'abstractionn'cst pns [ sur l'lnlellect mntriel ou, plus ~xuclement, qul est rc9u pnr l'intcl-
une simple dmatrialisation, c'est une universalisation. !ect matriel. Contrairement ace qui se passe dans la sensation, ou le
sensible agit sur le sens, l'intention imagine n'agit pas sur l'intellcct '
matriel, mais elle n'est pas non plus l'occasion d'une action directe L
de l'intcllcct ngcnt sur l'intcllect 111ntriel- UJH.: nction dlrcctc qui
L'AilSTRACTION COMMB DI'\POUILLB IJU I'AN'I'ASMI!
1 n'est qu'un avatar ou un substitut de larminiscence. Dans le pro-
ET LA THORIE DES DEUX SUJETS
cessus de la connaissance humaine, il n'y a de formes pures que
dpouilles et ce sont ces formes dpouilles qui actualisent l'intel-
Contre la donation directe de l'intelligible par l'intellect agent a lect matriel. Tout en conservan! la description de l'appreil psy-
1'intellect matriel >>, a
1'occasion de la sensation, Averroes fait 1 chique du pripattisme (distinction entre intellect agent et intellect
valoir deux argmentif(Crawford, p. 438). Si le rapport de l'intellect matriel), Averroes fait droit a ce qui, selon lui, est la these centrale
agen-t i\ 1'intellcct mtricl tait un rapport de donation di recte, il de l'aristotlisme: il n'y a pas de pense sans images. M8me si
en rsulternit deux consquences absurdes: (a) l'homme n'aurait pas l'homme n'est pas, dans la rigueur des termes, sujet-agent de la pen-
besoin des sens et de l'imaginntion pour comprendre les intelli- 1 se, le mouvement par lequel il s'approprie la pense ne se distingue
gibles ; (b) l'intellect matriel n'aurait pas besoin de s'orien- pas de celui par lequel elle se ralise en lu: s'unir a l'intellect mat-
ter vers les formes sensibles. Deux consquences, et non pns une, a
riel, c'est pour l'homme s'unir l'intellect agent dans la mesure ou
car l'intcllect matricl n'est ni une facult de l'fime ni In forme l'intellect mutriel ne penseque grfice au dpouillement dufantasme.
du corps, mnis une stibstnncc spnrc: Avcrrocs pcut done bien dire, 1 Ln pcnsc, c'est-u-dire l'intclligiblc en acle, n toujoms deux sujcts:
de son point de vue, que l'homme et /' intellect matriel sont gale- l'un, l'intellect matriel, qui assure la subsistance relle de l'intelli-
ment assujettis au sensible. gible, qui fait de 1'intelligible une forme existante , disons un etre
Le rejct du transcendantnlisme nvicennicn ne signifie pns l'ndh- .forme/.; 1'nutre, le fantasmc, qui en fuit un etre objectif, autremcnt
slon m1 nnturnllsmc. ~In donntlon de l'lntcl.llglhlc pn1'lc ~JotorfiJ/' 1 dlt un conccpt rcprscntntlf', nlthiquc, c'cst-tl-dlrc d~vollant (lntl'i
marum est refuse, tl ne faut pas en ddutre que les mtentwns _______ tecrs verus). Toute pense est pense de quelque chose, au double
imagines sont le seul moteur de l'intellect matriel , la seule - sens subjectif et objectif du gnitif: subjectif, car il faut un pensant;
cause qui le fasse passer de la puissance a l' acte. Car, si tel tait le objectif, car il faut un pens (voir encadr).
cas, on aurait deux autres absurdits: (e) il n'y aurait pas de diff- 1 En rsumant, pour en pointer l'inconsistance, la docttine d'Aver-
rence entre universaux ct it1dividus - nul nc formcrait done d'unl- roes, Thomns d A quin donne_ une dcscription rigoureuse du circuit
versaux; (d) l'intel!ect se rduirait a l'imagination- ce qui est la de l'intellection assurant la connexion de l'homme et de l'intellect:
doctrine d'Ibn Bfijja (Avempace) idcntifiant l'intellect matriel i\ la L'espece intelligible qui s'unit a l'intellect possible, en tant qu'eltc
facult imaginative en tant qu 'elle est prpare i\ ce que les inten- 1 est sa forme et son acte, a deux sujets : l'un qui est le fantasme lui-
tions qui sont en elles soient intelliges en acte (Cruwford, p. 397). mBme, !'nutre, qui est l'intellect possible. L''intellect possiblc cst
Autrement dit, les deux facteurs combins par tous les avicen- done continu a l'homme par sa forme au moyen des fantasmes))
1
208 209
La IJ(!oric uvcrro\'stc des dcux sujets de 1'/ntentio intr!/lecto, !'un quien s'rl'l'on.;~1
de dduin: i\ In f'ois Nllll etre 1\ll'lncl Cl Sllll l!tre ohjo:ctif'. L'origl-
fait une chose rnondaine ou tant vritnble , l'autre qui en l'ait un lllllil dconcl!rtantc Jc su thorie est de J'oumir deux sujets distincts pour
etre vrai , c'est-a-dire reprsentatif d'une pluralit, est ['origine loin- ces deux etres. Tenant, comme Occam, d'une psychologie modulaire ,
taine de la distinction entre etre formel et etre objectif des concepts (Su- Averroes traite l'imagination (c'est-u-dire l'fime sensitive) et l'intellect
rez) ou des ides (Descartes). Chez Surez, le concept forme) est 1'acte matriel (e 'est-a-dire !'ame intellective) comme deux sujets cognitifs dis
d'intcllection, le conccpt objectif, J'objet connu ct reprsent par cet ucte. tincts. Mnis, contrairement a CCI\111, il n 'ndmet pus de connuissunce
Le concept objectif est dit concept par dnominulion extrinseque h partir intcllectuelle intuitive directe du singulier: seule l'fime scnsitive uppr-
du concept fonnel, eL il est diL objectif au sens ou il n 'est pas la fonne ter- hende le singulier. Averroes pose done que l'imagination pcut connaitre
minant intrinsequement la conception, mais ohjet et matiere vers laquelle sans l'intellect, mais pas l'intellect sans l'imagination. La connaissance
se tourne la conception frmellc >> (Disputationes Metaphysica~. li, 1, 1). intellcctuclle est situe dans le module de l'intellect, mais suppose une
Chcz Descartes, qui Jfinit l'ide conune une res cvgiwta, la ralit de ('VIl\'ersio ael plwntii.\'1/Wltl, e 'est-ll-dire une orientnlion de 1' intellect vers
l'ide est double: il y asa ralit en tant que mode de notre substance pen- 1' imagination, qui seule assure l'etre objectif (reprscntatit) de l'intention
sante ou ralit fonnelle et sa ralit en tant que reprsentative d'un mentalc- ce qui assure son ctre forme! tant l'intcllect lui-mcme. Cette
objet ou ralit objective . Partant du Cogito, Descartes doit dduire a rpartition d'un meme acte en deux sujets vise aconstruire la psychologie
priori l'etre-reprsentatif de l'ide, ce qu'il fnit en posunt (n) que l'etre non sur le dualismc radicul de l'ime ct du corps, comme chez Avicenne,
objcctif de l'ide est un etr.e rel, (b) que cet etre rel requiert une cause muis sur l'union de l'fime et du corps, mulgr la mutrialit de !'un et
suflisante, (e) que cclle cause nc pcut etre une nutre ide muis sculement l'immutriulit de l'autre- une union qui, toutefois, nc se ralise pus au
l'etre d'une chose reprsente, (d} que cette chose ou objet est cause for- niveau des facult,s d'un meme sujet cognitif, mais dans l'intellection
melle de la ralit objective de l'ide Jorsqu'elle contient autant que l'id.e exerce par dcux sujets en synergie. Rendre comple d'une synergie entre
~~llc cuntint ;ous lnmcmc forme, ctqu'clle en e~t CliUNC minenlc qunnd deux modules ne (ll~lll se f'nirc par le reeours u l'ido.: d'un coru.:ours cnu;nl
elle contient plus que l'ide et le conticnt sous un mode d'tre sup6ricur. particl, qui recDnduirait le duuli~me sous une nutre forme, nlors qu'il
Chez Averrocs, il n'y a videmment pas de Cogito. Mais son point de s'ugit d'expliquer comment il est surmont empiriruement dans l'inlcl-
dpart n'est pas pour autant le contact entre la pense et 1' objet, d' ou naft lection. On peut se demander, cependant, si le projet n 'est pas contradic-
le concept. Autrement dit, i1 ne part ni de la pense pure comme Des- toire en lui-meme. C'est le fond de In critique de Thomas, qui prsuppose
cartes, ni, coinmc In scolilstiquc du Xlllu siecle, d'une ressetnblnnce entre le que J'activit scnsitive ct l'nctivit intellcctucllc releven! d'un seul
conccpt et l'objct qu 'il trouverait cxplique pur 1'objet Julm~mc 'des le et m~mc module: 1'fime intellectivc, l'ormc substuntiellc tmique du
moment ou l'csprit la sonstate. ll part de la forme intelligible en acte et compos humain.
(per formam suam mediantibus phantasmatibus). C'est cette double quant que, si 1' intellect dpend du corps dans la mesure o u il
mdiation qui fait que l'homme individue! intellige, quand l'intel- dpend des fantasmes dans l'acte d'intellection, il n'cn dpend pas
lect possible intellige (De unitate, 62). C'est elle que, malgr la comme du sujet ou rsiderait l'intelliger Jui-meme (ex subiecto in
critique thomiste, revendiquent les averro'istes latins : 1'Anonyme de quo sit intelligere), mais comme de l'objet qui Iui fournit de quoi
Giele, enmaintenant que l'intellection n'est pas la perfectionsJc/-------- pcnser (De anima inlellectiva; Bazn, p. 85).
I'homme , mais qu'elle a besoin de l'homme comme objet (get En repla9ant l'abstraction au creur de la production de l'intelligible
. homine ut obiecto)- la pense, immatrielle, n'est pasen l'homme et en ne conservant al'homme que le role d'objet de la connaissance,
conlllle nn11 une muticrc, uu scns ot1 lu vlsion est dnnli 1~<cll, elle uc Avcrro~s chnppc i\ In l'oi11 ( 1) 1\ l'clllpll'lsruc unturnlistc doH tlldu
peut ainsi etre le parachevement d'une de ses facults corporelles: cins, qui, te! Galien, rtiuisent l'intellect a lu facult de cogitation
Elle a besoin du corps matriel non comme sujet (non ut subiecto (l'is cogitatila) du corps et sont par la meme incapubles d'expliquer
suo), mais comme objet (ut obiecto); Siger de Brabant, en expli- comment il dispose non seulement d'intentions singulieres, mais d'in-
210 211
L
La querelle des universaux La scolastique arabe
: [: .
a
tcntions univcrscllcs, ct (2) llll plntoni.~mc inconsqucnt el J'occn-
'
1 1
sionnalisme implicite de la psychologie avicennienne qui, tout en La reprise d' Averroes par Guillaume d'Occam
mnintenant la coupure radicale de 1' intelligible el du sensible, attribue
al'homme un intellect possible qu'elle oblige ensuite us'orienter vers -~ _...-0/et (l. 1-2)
devienncnt: Cctte autorit montre que les universuux
le sensible pour s'hnbilitcr i\ recevolr l'intelligible pur. Pour Aver- - ne sonl pus substanee ni, par consqucnt, des partics de substunecs
______ .. -
roes, il n'y a pas d'autre moyen d'accder a1'intelligible que I'image, (Oecnm, Exjdsitio, p. 13).
car il n 'y a pas de pense. sans dpouillement, mais l'image se u le ne (2) et (2. I) deviennent: Cette autorit montre qu'aucune ehose n'est
suffit pas. Comme Kant, mais uvec d'uutres instruments, Avcrroes dnns un individu, sinon In matlere particuliere et la fonne particulicrc.
pose que, si une intuition sans conccpt est nvcuglc, un conccpt snns Or toute chose imaginable est soit un individu, nuquel cns elle est vi-
a u
lntuition est vide. ll appartient 1' imagination d 'etre le lieu o se d- uemment singuliere, soit dans un inuividu, et rien n 'esl dans ce cus en
dehors de la matiere particuliere et de la fonne partieuliere; done,
cid e le pnrtage de l'intelligihle et du sensible. L'empirisme el' AvetTocs
est fond sur le rle pivot de l'imagination, doublement requise en 19ule chosc est singulierc el partieulicre (ibid., p; 12).
toute intellection, pnr l'homme pour nvoir pnrt i\ In pcnse. pnr l'in- (2. 1. l) el (2. 2) devicnncnt: Voilil done lll 'vidence ce que veut clirc
tcllcct mntrlel (llllll' nvolr quelque dwse ll pcnser. le Commentnteur: leH unlverHnux nc Hont pnH dcs pnrtleN de lluh-
stanees, ni .n' entren! dans 1essence des substances (nec sunt de es'sen-
tia suhstantiarum), ils font seulement connaitre les substances des
choses, de m~me que les signes fon:t connaitre leurs signifis et ne sonl
A VERROES, OU L' ARISTOTLISME CONSQUENT done pas ces signifis eux-m~mes, puisqu'il doit toujours y avoir une
distinction entre signe el signifi (ibid., p. 14-15).
La these d' Averroes sur les universaux est ouve'rtement aristo-
tlicienne, c'est-a-dire fonde sur la critique de Platon en Mtaphy-
sique, Z. On peut la rsumer ninsi :
cam. Cela apparait clairement dans le Commentaire occamien sur
(I) Aucun universel n'est substanee. a
l' Isagoge, qui reprend explicitement son compte les theses d'Aver-
(1. 1) Done, aucun gcnre n'cst substance. roes (voir encadr). .
(J. 2) Done, nucunc suhstnncc n'cst gcnrc (Mttaph., X, commcnt. 6, En suivnnt Averrocs, Occnm nc fnit pns profcssion d'nverroi'smc: si
P' 120rb). Avicenne fnit preuve d'un platonisme inconsquent, Occam cherche
(2) 11 n'y a d'autre substanee dans un individu que la matiere et la forme chez Averroes un aristotlisme consquent. Cela pos, si Pantiplato-
don! il es! eompos~ (M(falh . VIl, commcnl. 44, 1'' Q2vh). nisme doime son scns uu combat uristotlicien d Avcrro~s. qui, i\ 'lrn-
(2. 1) Lu forme el In matiere d'unc substunce individucllc son! cllcs-
memes individucllcs (ihid.). vers Platon, atteint les surgeons du platonisme comme Avicenne, le
(2. t. 1) Done, un univcrsel ne pcut etre une pnrtie d'unc chosc cxisrnill Commcntnteur se dfic uutant du mutrialisme et d nuturnlismc
par soi (Metaph., VII, eomment. 47, t" 93va). a
reprsents ses yeux par 1' aristotlisme dvoy d 'Alexandre
(2. 2) Ce que l'on dit 'universel' ne peut ctre la substance d'une ehose, d' Aphrodise.
m8me s'il fait connaltre la substance d'une ehosc (Metaph., VII, comment. Tout en niant vigoureusement l'existence des universaux extra
45, t" 93ra). animam, c'est~a-dire la thorie des Ides telle que l'expose Plnton, il
ne concede pas pour autant que les universaux soient engendrables
Autrement dit : les universnux ne sont pas substance, ce ne sont et corruptibles comme les fantasmes d'ou ils sont abstraits. L'intel- 1
pas des parties des choses, et ils ne sont pas substance des choses, lect matriel tant, comme le monde,ternel, la pense n'est non
mnis ils font connnitre In substnncc des choses. seulement jamais seule, mais jamais vide. L'intellect mntriel n 'n i
Cette doctrine parfnitement claire a t reprise bien au-dela de jamais t ni ne sera jamais en puissance pure - d 'ou la these para- .i:
I'averroYsme latn. C'est la charte de l'occamisme. Si Avicenne est le doxale que la philosophie et les arts ont toujours exist en un quar- .,
'
point de dpart ele Duns Scot,Averroes est le point de dpart d'Ocw tier du monde et existeront toujours. Il ne faut pas confondre
212 213
J ';,
: d'
La querelle des universaux La scolastique arabe
J' inte/lecf passif, qui est la cogitation propre a1'homme, etre mortel prsente en deux esprits, sauf si l'on admet l'absurde consquence
a
ct corruptible, qui assure l'abstraction individuelle partir d'un fan- que des qu'un individu pense une chose a, tous les autres individus
tasme individue!, lui-meme engendrable et corruptible, et 1'intellect pensent simultanment la meme chose. Mais elle ne peut non plus
matricl, qui clcmcurc constnmmcnt actualis par l'intellect ngent i\ etre prscrve si l'objet d'intcllcction est numriquement multipli ct
truvcrs In succcssion lninl!.!rnmpuc des fnutnsfncs qu' il eom poso ct scuh!mctllllll en CHpc~c. Hnuf H l'on ndmctl'cxistcn~c d'intclligiblcs
dont il extrait les formes universelles. el si l'on rplique a J'infini la structure faisunt de l'objet d'intellec-
tion une unit spcifique numriquement distingue dans les indivi-
La facult cogitative ne conpose pas les intelligibles (ifitelligibilia) dus qui la contemplent. Pourtant, il faut bien que ce que pense le
singuliers; c'est 1'intellcct matriel qui les compose; en effet, ln mn'trc et ce qu'il trnnsmct 1\ l'levc soicnt la mcmc chosc, si l'on
cogitution consiste u distinguer les individus Correspondan! ~ ces veut garantir la possibilit du savoir ct de l'apprcntissage. C'est cette
intelligibles et ~les rendre prsents en nctc comme s'ils taicnt pr- ncessit qu'a imparfaitement traduite Platon dans la thorie de la
sents aux sens (c'est pourquoi, des qu'ils sont prsents aux sens, la rminiscence et qu'Averroes prtend assurer par la thorie des deux
cogitution s 'urrcte ct cede la place u la sculc ction del 'intcl lect). sujcts, en posnnt que 1'inlclligiblc en nctc csl mulliplc duns le sujcl
On voit par la que l'uction <.le l'intdlect est nutre que l'uction de la qui le fait vrai (c'est-a-dire reprsentatit), a savoir dans les fan-
facult cogitative qu' Aristote appelle intellect passible (intel/ec- tusmes individuels, et un dans le sujet qui le fait etre (c'est-a-dire
tum passibilem) et dont il dit qu 'elle est engendrable el corruptible. existant), a savoir dans 1'intellect matriel.
Cela est galement clair par sa nature meme : la cogitative a un
orgnnc dtermin (instrumentwn terminatum), le vcntricule moycn C'est ce meme souci de prservution de l'identit du connu qui a
du cerveau. L'homme n 'est engendrable et corruptible que dans a
conduit Platon soutcnir que les universaux clevant etre identiques
(pet) cette facult. Mais, sans cctte facult et sans l'imagination, avant et apres leur saisie par 1'fime , il fallait qu' ils fussent en exclu-
l'intellect matriel n'ntellige ren. C'est pourquoi Aristote dit que sion interne aleur sujet, ala fois extrieurs al'ame et objets de rmi-
nous ne nous souvenons pas aprcs la mort , et non paree que J'in- niscence, c'est-u-dire a In fois hors de /'ame et prsents en/' ame,
tcllcct scruil cngcntlrnblc ct corruptible, conllllc l'n :HHJtcuu qucl- n111is pns loujours prscnls e) /' c1mc, 11 en use que Le sujlll cst lnntl
qu'un LAlcxundre d'Aphro<.lisct12H, prpur ules rcccvoir cllnntt non, C'esl pnrcc que les universuux
sont en soi, avant que nous les reccvions, exnctcment comme ils le
Quand Platon dit que les universaux ne sont ni engendrables ni sont apres que Platon a conclu qu'ils taient extrieurs a l'ame
corruptibles, el qu'ils existent h l'extrieur de !'esprit, 11 dit vrui si uussi bien que duns l'fimc . Muis, on l'u vu, il n'y u pus besoin de
l'on comprend seulcment par Ji\ que l'universcl est indpendant de postuler 1' identit numrique du connu pour garantir la possibilit
1' esprit humain, mais il dit faux si l' on prend le sens.littral des d'une connaissance univoque. ll n'est done pas ncessaire, au
mots ,ce sens qu'Aristote travaillat a dtrure dans la Mtaphy- contraire, de poser que 1'universel est le meme avant et apres son intel-
sique (In De an., III, comment. 5). TI y a ainsi un bon et un mauvais leclion elfcctive pnr un individu singulier. Avant d'etre intcllig pnr
sens du plutonisme : l'un, rinterprt, HU fait valoir un point que le lui, il cst en cffet en puil;sunce duns les funtasmes ou en ucte dans
matrialisme d 'Alexandre occulte grossierement; 1'nutre,. littral, d'autres actes d'intcltection singuliers, et, meme a ce moment, il est
qui n'est que l'envers grossier de l'alexandrinisme. pluriel dans son etre objeclif et un dans son etre fonnel. En contestant
Averroes ne se contente done pas de rfuter Platon, il essaie aussi le prncipe de l'identit de l'universel dans !'ame et hors de !'ame,
de montrer pour quelles bonnes raisons i1 a forg de mauvaises qu'elle soit numrique ou spcifiquc, Averroes souleve, contre Platon,
a
thescs. S'il a dO recourir la rminiscence, c'tait pour sauvegarder le meme argument que les nominulistes du x1v siecle feront valoir
quelque chose d 'essentiel: l'identit du connu ( scitum) en deux contre les ralistes (voir infra, les critiques occamistes de Gilles de
esprits numriquement distincts. Or, tant donn 1'unicit de 1'intel- Rome, el' Albert le Grand et d'Henri de Hnrclay). On peut toutefois se
lccl llllll~rlcl, ccllc ldcntll nc (ICll( Clrc prHCI'V Hl C CH( lo meuw
1
dctnntHkr Ni AvcrrocN u'cNI pns llllcinl pnr 1111 \ll'opro 1:ritiquc du pln
Forme intelligible, numriquement idcntique, qui est simultanment lonisme qunnd soutienl que 1' intention in te lige est idenlique ala
chose que le sens comprend dans le sent (In De an., III, com-
128. Averroes,/n De anima, III, comment. 33, d. Crawford, p. 476, 67-477, 85. ment. 39) ou quand il affirme que de l'abstraction, qui fait etre en
214 215
fl'e La querelle des universau.x La scolastique arabe ' 1:
acte les intentions imagines apres qu 'elles 1'ont t en puissance , qui l 'universel est seulement dans 1'ame. C'est bien paree que
1' intelligcr, qui n'cst ren d'nutrc que de rccevoir ces intcntions , l'universel n'est ni en ncte dnns les choscs ni en acle dnns l'fimc
c'est la m~me chose qui est dplace dans son etre d'ordre en ordre, humaine, mais seulement en puissance daos les fantasmes qu 'Aris-
a savoir les intentions imagines . Il y a la un probleme inhrent a la tote a cons:u la thorie de 1'intellect agent abstracteur.
nature m eme de la psychologie ilitentionnelle, qu 'aucune thorie
mdivale, y compris le nominalisme, n'arrive i\ rsol1dre sur le ter- Tous les dits d'Aristote sur'ce sujet prouvent que les universaux
e ' ruin ob 11 se pose, ' n'ont pus d'tre en dehors de J'fimc, contrulrcment ~ce quo soulc
nait Platon. Car, si tel tait le e as, il n 'y aurait pas beso in de poser
d'inlciJe;t ugent12'1,
COOITATIVI! ET INTELLBCT ACli!NT; r.llc prNcntc, tuutcfois, quclqu;s inconvnicntN vidcnts, qu 'n
LA CIUTIQUL! D'AVERRUt!S PAR TIIOMAS u'AQUIN bien misen lumiere Thomas d'Aquin. Le principal, qui commande
))'
a
tout, est inhrent la thorie merne des deux sujets de l'intelligible
La distinction entre cogitative et intellect jo ue un role capital dans la en acte.
pe thorie des universaux. C'est par elle, ou plutot par sa rinterprtation, Thomas l'attaque d'abord surle terrain ou elle prtend s'imposer:
que, sans retomber dans 1'avicennisme, Averroes vite le double cueil l'antiplatonisme. L'erreur d'Averroes, comme celle de Platon, porte
du platonisme et de 1'alexandrinisme. Le matrialisme naturaliste sur le pens. En croyant rfuter Platon, il retombe dans la meme erreur
. d 'Alexandre ne pcut donncr une thorie de 1' intcllect, il ne vaut que que lui: il affirme l'unicit du pens, de la forme intelligible en acle.
pour In cogitative, facult ou vertu loge dans le corps (virtus in Certes, illa distribue en deux sujets, 1'intellect matriel et les images,
lo cotJJOre) et locnlise crbrnlement. La fonction de la cogitative est muis cela ne chnnge ren au fond. Thomas professe un ralisme gno-
de dpouiller le sensible individuellement. C'est elle qui distingue sologique strict : pour lui, la forme intelligible est un moyen de
C\
~._ ..l l'intention d'unc chose sensible de son idolc imngine . Ln cogitn- connaltre les choses, elle n'est pas l'objet meme de la connaissance. 1
let tive n'cst done pns In<< f'ncult rntionnclle don! parle Aristotc, cellc A u contrnire, Avcrrocs, comme Plnton, est idnliste. En ne distlngunnt [.
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______________________________________ __........._., ........
.
. .... ~.--"--------
y at commencement d'etre de l'espece, i1 ne suffit pasen effet qu'il y Prsent comme une quaestio, le texte part de 1'autorit d 'Aristote
nil commencl3melll de 11'importc qucl de HCH lndividus, s11ns qu'ilnlt6t (l>c~ r111., 11, :1, ll7h2J) ct do 'l'hnlitHius (/11 /Jc c/11., 111, :1: Yorbcko,
auparavant, mais il faut qu'il y ait commencement d'un de ses indivi- ' p. 130, 95-96; etln De an., l, 1; Verbeke, p. 8, 22-9, 23) qui fondc la
dus sans que ni lui ni un autre individu de l'espece ait t nuparavant. these conceptualiste: les univcrsaux existent dans l'fime, ce sont des
Le second argument qui tend a pro u ver que l' es pece humaine a t concepts imaginaires (Siger Jisant similia au lieu de scibilia,
cnuse en commen9nnt d'etre nbsolument pnrlnnt repose Rlll' In these connnissnbles) universels que l'fime collcctc ctlhsnurise en elle
que l'universel n'a d'etre et n'est caus que dans des singuliers. Siger meme ,les genres sont des concepts tirs d' une ressemblance
la concede mais refuse. In consquence selon lnquelle l'homme est tnuc des singulicrs entre eux ; or les concepts sont dans 1'ame qui
entr dans l'etre dans un individu dtermin . La seule conclusion con9oit; done, les universaux le sont galement, en tant que
acceptable et conforme a l'enseignement de la philosophie serait de concepts. Le contra pose deux argumcnts en favcur de la these ra-
di re que 1'es pece humainc est cntrc dnns 1'8tre par accident, pnr la liste: (a) les universaux sont des choses universelles, faute de quoi
gnratin d'un individu avant l'autre a l'infini, et non dans un seul ils ne seraient pus prdiqus des particuliers, done ils ne sont pas
individu diermin, qui n'eOt pas t auparavant . internes al'ame; (b) la chose qui estle su jet de 1'universalit ,par
Siger ne revendique pas cette conclusion philosophique. 11 montre / - - -- exemple l'homme ou la pierre, n'est pas dans l'ame. Le concept, ou
sculcmcnt qu'avec Jeurs prmisses, qui font dpendre la production de _ plutot 1' intention d 'universulit , u son etre dans ce qui est dit et
1'es pece de laproduction de l 'individu, les partisans de la cr'.ltion/-- :~ nomm paronymiquement universe/ .Done, comme l'homme et la
des es peces dans le temps auraient dO montrer qu 'il n 'y avait pus pierre sont dits universels, c'est en eux qu'est l'intention d'universa-
gnration d'un individu avant un autre individuen remontant a l'in- j lit. Dans ces conditions, de deux choses l'une: ou (1) l'un et l'autre,
fini. Or ils ne le montrent pas. Au contmirc, ils supposcnt (<.:e qui cst la chose ct l'intention, sont duns l'lme, ou (2) ni l'un ni !'nutre ne
J'aux) que 1'cspCCC humuinc llC poiii'I'Ul 8tre produitc COilliHC SC111pi- sont duns l'fi111e. Si done ni l'honuno ni lu picrrc, sclon ce qu'ils sont
tcrnclle qu'en tant produite dans un individu dtermin et sempiter- (en tant que res su!Jiectae wli1er.wlitati) nc sont dans l'i\me, ils ne le
nel, comme 1'es pece du Ciell' a t. Et ne trouvant rien d 'temel dans
les individus de 1'espece homme, ils pensent qu 'ils ont dmontr par
l sont pas non plus en tant qu'universels.
Ln rponse de Siger cst fonde sur la thesc d' Arislotc en Mtaphy-
~
la m8mc que :l'espece tout entierc doit nvoir commenc d'8tre snns sique, Z, 13: l'univcrscl cn tunl qu'univcrscln'cst pus substance, De
avoir t nupuruvunt. Ce qui est un raisonnement l'rivole . cettc thesc gnmle il infcrc ensuitc qu 'en tout univcrscl il y u (u) la
Confom1ment aux maximes de prudence de l'averroi'sme (et aux chose qui est nomme paronymiquement universelle, qui n 'est pas
dispositions dU S(U!Ut dU 1cr avriJ 1272 intcrdisanl IIUX philosophcs duns l'lme, et (b) l'intcntion d'univcrsnlit, qui est dnns l'fime, el il
~
de soutenir une thcse contraire 1'enscignement de la foi sur une conclut que l'universel entunt que tcl n'cst que duns l'fime. Pour
matiere commune aux artistes et aux thologiens), Siger s'abstient tayer su dmonstration, Siger revient sur la notion d 'abstraction.
d'apporter la dmonstration de la these contraire a celle des tholo- Rien n'est dit 'universel' paree que, soit de par sa nature, soit
a
giens, a savoir que l'espece humaine peut etre la fois sempitemelle par l'opration de l 'intellect, il existerait dans la ralit physique
et cause, alors que ceux-ci prtendent que, paree qu'elle est cause, (in rerwn natura) sur un mode commun et spar des particuliers.
222 223
La querelle des uniwrsmtx La sco/astique ambr
Un tel universel en effet ne serait pas nonc avec vrit des particu-
licrs, pu isqu 'i 1 scrni 1 spnr d 'cux tluns 1' et re. En out re, il rcndrnil
1 pas prdiqus des choses selon l'intention du genre ou de l'espece.
(2) L'universel n 'a pasa etre univcrsel en acle uvant d'etre intcllig,
inutile l'intellect agent. Tel que le conc;oit Siger, en effet, l'intellect puisque tre universel en acte, c'est etre intelligible en acte. Or l'acte
ngent nc spnrc pus ontologillucment (ill ,.,,.,,.t) les choscs de In de l'inlclligible en ncte el de l'intcllectif' en ncte ne fnit qu'un scul
mutlere individuelle ou des purl cullers, muls seulernent inlellectuei- acte, de meme que le mouvement de l'actif et du passif ne fait qu'un
Iement (secundum inteflectum), en produisant un concept abstrait
desdites eh oses. Pour l'homme o u la pi erre, etre universel n 'est rien
d'autre qu'etre intellig universellement et abstraitement (abstracte)
1 seul mouvement, meme si leur etre respectif est diffrent. L'intelli-
gible en puissance prcede en revanche l'intellection qu'on en a. Il en
va de meme pour l'universel. Il n'a done pasa avoir un etre universel
a
par rapport la matierc individuelle, ce n 'est pas exister universelle- avant que l'intellect ne le cons:oive, sinon en puissance.
ment et abstraitement dans la ralit physique. Si done les choses Sur cette base, Siger peut alors rpondre a ses adversaires sur le
COnttne l'homrne OU la picrre ne peuvent etre ntelliges nbstraitc- lerr~in des universaux. Avant d'examiner srt rponse, il fuut situcr le
rnent que dans-l'fimc, elles sont ncessairement dans l'fime en tnnt ------cadre du db_at dans Iequel il intervient. Le grand adversaire de Siger
qu'universelles, puisqu'il va de soi que l'intellcction nbstraite des n'est pns Thomas d'Aquin, c'est l'auteur duDe erroribus philoso-
choses ne peut exister dans les choses. /- phorum, Gilles de Rome.
De plus, une chose n'est dite 'intellige' que paree qu'illui arrive, Gilles est un adversaire rsolu de la doctrine aristotlico-averro'iste
a titre accidcntcl, d't!tte intcllige. Ainsi, bien que, selon ce qu'ellc de 1'nbstrnction. Pour lu, les formes intelligibles n' ont pas beso in
cst, In chosc soit cxlricurc h l'fimc, en tnnt qu'ellc cst lntclligc, (N/re a/Jstraites uu scns << O:ristotlicicn dutcrmo: il suffit que l'in-
c'est-a-dire quant a son etre intellig, elle n'est que dans l'me. Si tellect agent illumine le fantasme pour que l'intellect possible soit mO,
done etrc un"ivcrsels pour des univcrsels, c'esl etrc ninsi inlclligs, i\ rcccvnnt ipso Jacto l'cspccc intelligiblc. Ccttc position, qui voquc In
snvoir de maniere commune et nbstrnite pnr rnpporl nux pnrticuliers, thorie farnbienne de In cooccurrencc, n chez Giiles un fondement pr-
les unlvcrscls en lnnl que tels 1\C peuvent etre que dnns l'fime. Slger cis, qu'nl-Ffirllbi n'uvult pns su dfinlr clulremcnt. Ln th~se fondn-
invoque ici directeinent Averroes (qu'il a jusqu'alors vit de nom- mentale de GiBes, qui restera discute tout au long du xve siecle,
mer, au bnfice de Thmistius, conformment a la stratgie dfen- puisqu'on la retrouve encore mentionne chez le raliste d'Oxford
i
sive mise au point apres la censure universitaire de l'averroi'sme en Jean Sharpe et qu'une version semblable, gnralement attribue a
1270 et, surtout, apres les critiques d' Averroes par Thomas d' Aquin ' Durand de Saint-Pours:ain, en est critique auparavnnt chez Occam
dnns le De unitate intellectus): les universaux en tunt qu'universuux ( l'universel est la ehose singuliere elle-meme en tant qu 'elle est duns
sont seulement des intelligs. Orles intelligs ery tant qu'intelligs, l'intellect ), est que la mme quiddit qui est particuliere dans les
e 'est-u-dire qunnt i\ lcur etre inlellig, son! sculement duns 1' fime choses et dans les fantasmes est universelle dans l'intellect. L'idcntit
(Averroes, In De an., III, comment. 18). C'est pourquoi Thmistius de J'espece dans J'imagination et dans l'intellect rend inutile l'inter-
(qui vient confirmcr l'autorit menace d 'Averroes) dit, dans son vention de I'intellect age!lt telle que l'entendent Averroes et Aristotc.
langage, que les universaux sont des concepts . Pour Gilles, l'intellect agent n'a done pas de causalit abstractive.
Deux remarques prcisent le sens gnral de la these concep- C'est cette these que Siger rsume nvant de la combnttre. Certains,
. tualiste. dit-il, soutiennent que l'objet qui cause (obiectum causans) l'op-
(1) L' intcllcct ion (intellectus) nbstrnite el communc d'une nuturo rulion d'intallection doit prcdcr ccttc oprntion selon l'ordre de In
est quelque chose de commun a des particuliers. Ce commun, nature . Or, pour eux; c'~st 1'universel en tant qu'universel qui est, a
toutefois, n'cst pus prdicnble des pnrticuliers en tnnt qu'il aurait un litre d objet ele l 'intellection ( obiectum intelligend), le principc
etre spar d'eux. Au contraire, ce qui est intellig de maniere abs- moteur 'de l'intellect (motivum intellectus) et ce qui cause l'acte
tl'lllte el conmlimc t~l qui done csl nussl tllt 011 signil'i do mnni~rc d'intellcctioli >> (cau.w/1.1' (/Cfllm). lis souticnnenl done que l'univcrscl
abslraiteet commune ne peut etre prdiqu adquaternent (apte) des n' est pas universel du seul fait qu 'il est lntellig ainsi, mais paree qu' il
particuliers que paree que la nature en question existe dans les existe selon I'ordre naturel antrieurement au fait d'etre intellig ainsi,
choses. Ainsi, puisque ces communs sont intelligs de maniere com- et paree qu'il est lui-meme la cause du fait qu'il est intellig ainsi.
mune et abstraite mais ne sont pas tels dans les choses, ils ne sont Sa rponse est l'expos le plus clair du concep.tualisme averro't'ste.
224 225
l
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Ceux a partir desquels est caus 1'acle commun de 1'intellectif el de pourraicnt ctrc dc.s conccpt!i mcntuux. Ce sont des choses uni-
l'intelligible, lequel, intellig, n'est autre que l'intellection en acte, versellcs au sccond sens, c'est-il-dire des choses intelliges de
sont les fantasmes et l'intellect agent, qui tous deux prcedent cet acte maniere universelle et abstraite . C'est pourquoi les universaux en
selon l'ordre nuturcl. Pour comprendrc en quoi ces deux concou- lnnt qu'ils sont univcrsnux, paree qu'ils sonl dl!s concepls, nc son!
rent cuusnlcmcnt u l'uctc d'intcllection , il Jnut, dit Sigcr, revenir u pus dils des particulicn; en tant qu 'univcrsuux. On nc pcut prdiqucr
son propre eommentaire sur le De anima, lll (quest. 14; Bazn,
p. 48), autrement dit au manifeste de la notique averro'iste auquel
1 d'un partieulier le conccpt de l'espece ou cclui du gcnre: Soerate
n'est ni l'homme ni l'humanit, ni !'animal ni l'animalit, lesquels
Thomas u rpondu dans le De unitate inte/lectus. Toutefois, pour fui re son! des concepls mcnluux univcrscls. En rcvanche, In naturc eilc-
court, il rsume l'essentiel du propos en quatre theses principales: meme qui est ainsi intellige (comme universcllc), en tant qu'elle est
L'universel n'est pas universel avant qu'il y ait concept et acte prise selon ce qu 'elle est en elle-meme, n 'est pas dans 1'ame, et e 'est
d'intellection, et ce dans la mesure ou cet acte d'intellection est elle qui est dite des particuliers.
l'acte de l'intellect ngent, enr l'intellection de In chose qui est en l'in- a
La rponse au second argument permet Siger de donner sa propre
tellect possible, tant dans l'intelleet possible eomme dans son sujet, interprtation des aspects paronymiqucs de la relation entre la ehose,
est le produit de 1'intellect ngcnt en tnnt que cause ejjlciente. 1'universcl et 1'ftme, un theme que le cournnt modistc et intention-
L'universel n'a done pas forniellement d'etre universel du fait a
niste explorera inlassablement jusqu, la magistral e synthese de
de la nature qui cause l'acte d'intellection, c'est au contraire le Raoul Le Breton. Il n'y a pus d'inconvnient ace qu'une chose soit
couccpl ol l'uclc qul HOIII ce grllce h quoi l'unlvci'Hcl cHt unlvcrscl. IIOiliiiiC~~ purouyuliqucnwnl h purtlr de qucll(lll~ ell~sc qui n'cxislc puM
Les universaux en tant qu 'ils sont des universaux sont done seu- en elle. C'est le cas daos le processus meme de l'intellection. Quand
lerneo! daos !'ame, ce pourquoi, en tant qu'ils sont universels, ils ne on dit d'une chosc qu'elle est 'intellige', il y a paronymie. La chosc
sont ni par soi ni par accident engendrs par la nature . est en effet dite 'intellige' de maniere paronymique, c'est-a-dire a
La nuturc, qui est intellige de municre universelle et est, de ce partir de /'intel/ection qu'il y a d'el/e, inlcllection qui n'est pus en
fait, dite de maniere universelle, cst done (partieuliere) dnns les par- elle, mais dans l'fime.ll en va de meme pour 'universel'. Une chosc
ticuliers, et c'est elle qui est engendre (universelle) par accident. est elite 'univcrsclle' de maniere paronymiquc, <.:'cstu-dire e} partir 1 '
La premiere these nonce que l'universel est constitu par l'aete de l' intellection abstraite et universelle qu' il y a d' elle, intellection
d'intellection et qu'il est le rsultal de l'abstruction, oprution dans qui est dans l'fimc et non pus, videmmcnt, dans la chose cllc-meme.
laquelle l'intellect agent exerce une vritable causalit efficiente. Avec Siger, on voit se mellrc en place tous les themes auxquels
Daos sa rponse au premier argument raliste, Siger en dveloppc la philosophie proccumisle va se consacrer. On peut dire, en ce sens,
toutes les consquences. L'universel n'existant pas daos la ralit que la thorie aristotlico-averro'iste de 1'abstmction labore
physique et 1'espece intelligible tant le produit d'une abstruction, par l'averro'isme latin nyant fourni le cadre gnral de la problma-
dans un jugement ce n'est pas le concept universel en tant qu 'uni- tique des univcrsaux, 1'attention particuliere aux problemes de psy-
vcrsel -ce que la tradition modiste nomme l'espece en tant qli'in- chologie intentionnelle, manifeste dans les dernieres dcennies du
tention seconde - qui est prdiqu des singuliers, mais. la nature xmc siecle, tmoigne du role dterminant jou avant Oceam par les
prise en elle-meme (natura in se accepta), indpendamment problemes averro'istes de thorie de la connaissance et de l'abstrac-
du modo d'etro univorHcl qu'cllc u HcquiN du1111 l'intollcct grflco h tion rclntivcmcnt In prnhlmntiquc IIIICl~ruc du Hlllllll ontolo~lJIIC
1'opration de 1'intellect agent. Ceue conclusion est. subtilement de 1'universel. Pur rupport ll 1' Arislote rduil l\ !u logique el u !u
amene. On peut, dit Siger, donner deux sens a l'expression 'Les smnntique porphyro-bocienne qui u domin tout le x11 siecle,
universaux sont des res universales' utilise par les partisans de 1' Aristote ara be, plus partieulierement 1' aristotlisme averro'isant, a
l'univcrseJ.in re. On peut dirc d'un universe1 qu'il est une chose uni- accentu le second volet de In question nristotlicienne de l'universel,
verselle puree qu'il existe de maniere universelle (universa/iter) ou non plus tant lu conf'ronlation nvec In thoric platonicicnnc de la par-
!!
paree qu'il est intellig de maniere universelle. Les universaux nc tidpulion que la dcscriplion des ressorts de la connaissanee abstrac-
sont pas des choses uriiverselles daos le premier seos, ils n'existent tive. Il y a ainsi une rupture entre le xnc et le xmc siecle qui rsulte des
pas de maniere universelle dans la ralit physique, sinon ils nc 1 changcments de corpus oprs dnns la truns/atio stttdiomm. Tout en
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La qu('!'efle de.~ 1111iversm1x
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''
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La querelle des universaux La scolastique latine du XIW siecle
versaux apparticnt des lors consciemment a un rseau complcxc oll
se croiscnl les problcmes d<: thoric de la pt.:rccption, de l'onnation Le.! pl'ohl~mc dc.!N unlvcsuux
des concepts ubstraits, d 'ontologie des objcts ct des cntits gnrales duns le Guido tle J'dtwlltml parle11
-e 'est tout le champ du dbal Aristolc-Platon qui se trouvc ainsi res-
La doctrine des universaux expose daos le Cuide de 1' tudiant est
titu. Jusque dans les annes 1245, le niveau des discussions univer- conl'use. C'est un pro<luit scolnire lmoin d'un Rge qui n'n pns encore
situircs reste usscz fuiblc: In tntnphysiquc cstmolns dveloppc que vrilublement pris lu mesure des textes qui out t lllis musslvement
la logique. Les lntroductions la phi/osophie et les guides de en circulation dans les premieres dccnnics du xmc sieclc. L'auteur
1'tudiant qui encadrent la premiere assimilation scolalre de l' arls- melc allgrement les registres et les concepts. ll fait des universaux
_totlisme tmoignent d'orientations syncrtiques ou lessources dis- la quiddit et l'essence des choses et les dit prdicables de ce en
cordantcs soudairl rvles sont 'moins l'objt d'un trvuil de quoi ils son!>>. Ce sont done des formes qui sont conune un ecrtuin
synthese que d'une adaptation tatonnante. C'est le cas notamment du ~:. l!trc divin que l'on tmuvc en chuquc chosc .En tunt que divin )),
Cuide de l' tudiant parisien, compas vers 1240 par un multre ano- l'univcrscl est cnsuite prsent cornme une sorte de lumicrc ou
, nyme pour prsenter sommairement les rponses standard afaire aux d' illumination ,une puissance rayonnant de la Cause prerniere )),
Dfini commc objet confus de l'intcllect ngent )), il est, pour finir,
exuminateurs (voir encndr). La situation change brutalcment nvec caractris de deux points de vue, en tant que naturc dote d 'un etre en
le Commentaire sur les Seconds Analytiques de Robert Grosse- soi et par soi, et en tant qu 'etre actuel existant rellement daos les sin-
teste et l'enseignement parisien d'Albert le Grand. guliers, une distinction illustrc par lu diffrence de lu lumiere prise en
elle-mme el dans ce qu'elle claire: De mme que la lumiere
dcmcure u In fois pnr cllc-meme el dnns les rorps qu'cllc clnirc en y
rovetunt llll nutre etro, do lll~IIIC lctl UlliVCI'SIIliX dCIIICUI'ellt ]>lll' CUX-
La logique scolaire memes dans leur essence et re~oivent des singuliers un etre grQce
uuqucl il:; sonl dit:; cnnctc. Ln thcsc sclon luqucllc l'univcrscl cst en
acte non daos l'intellect, mais daos les singuliers, autrcment dit l'aftir-
Jusqu'h In fin du Xlll 11 sicclc, deux trnditions scolnires dominen! mntion de l'uctunlit de l'universcl dans la plurnlit, csl In prcmiere
1'enseignement de la logique: la parisienne et 1' oxonienne . forme de ralismc mtaphysique aristotlicicn >> npparuc upres les
vuriations des ralismcs du Xll 0 sieclc sur des thcmcs cmprunts b la
Les diffrents manucls utiliss !u facult des urts permettent de L'ogica vetus. 11 prendra pour de iongucs annes encare la place du ci-
suivre les prmices du divorce qui va progressivement s'installer devant ralisme platonic.ien cornme advcrsairc principal du conceptua-
entre dcux manieres de philosopher fondcs Rur eles sma11tiques dif- lismc, puis du nondnulismc. Lu colorntion noplnloniciennc de cct
frentes, l'une raliste (Pars), l'autre moins (Oxford). univcrscl in re nc s'cffaccru jamuis completcment. Au xut sicclc,
l'aristotlisme aura beaucoup de mal a s 'affinner en dchors des
di verses formes de replatonisation )) proposes, a des degrs divers,
par le pripattisme grec el arube.
DFINITION DE L' UNIVI!RSEL
230 231
La querelle des universaux La scolastique latine du XIII' si"ecle
textes de Pars, la Dialectica Monacensis m, fat claremcnt de 1'un- L'univcrsel est double [sic] : 1'un est prdiqu de plusieurs actuclle-
verse! une chose, non un terme, pusque elle introduit la distncton . ment et potentiellement, comme homme. 11 y en a un nutre qui est
de l'universel el du singulier a propos de ceux qui sont (eorum prdiqu d'un ~ctuellement et de plusieurs potentiellement, commc
que s1mr}, une expression utilise dans la version latine de Cat.:o- Phnix. Et il y a un universel qui n'est prdiqu d'aucun actuelle-
ri.es, 2, 1a20, pnr opposition a ceux qui son! dits (eorum quae mcnt, mais de plusieurs sclon 1'intellect, comme chimcre 11\
dlclmtur, Cal., 2, 1a 15). Le ralisme est ninsi pos d'emble, a fleur 1
de textes : 11 fuut .snvoir que, parmi ceux qui son!, l'un cst univcr- Le fait de traiter la chimere comme un universel est original, ce
s~l, l'autre singulier. L'universel est ce qui est prdicable de plu-
n'tait pas le cas, par exemple, dans l'Ars Meliduna, qui excluait
sreurs selon une meme raison, qu'il ait en acle cettc plurnlit (illa formellement de 1'universalit les i10ms de tels objets. La thorie
plura) ou qu'il neI'ait pns. C'est le cns de: homme, (Jne, So/eil, Ph- de In chimere propose pnr Ut dicit est ambigut!: on peut en effct
ni:<, etc. Le singullct' cst ce qui n'est prdicnble de ricn, sinon pcut- comprcndr~. que, pour l' Anonymc, le tcrme 'chimcre' n des objcls
etre de soi-meme, et ce par accident, selon Aristote dans les de rfrence, autrement dit des chimeres, mais qu'il n'en est pas
Topiques ct Porphyre. prdiqu en acte -paree que ces chimeres sont de purs etres mcn-
taux, fictifs ou fictionnels.
Ln thoric de Cum sil nostra, clnnc nu conlrnire a pcnser que ce
1'radition d'Oxford qui existe, ce n'est pas la chimere, mais les animaux dont elle est
compose: le terme 'chimere' tant prdiqu selon l'intellect de plu-
Dans la traditon d'Oxford, les deux princpaux manuels ont des sieurs animaux fusionns ensemble partiellement, sans pouvoir Btre
positions diffrentes, la Lof?ica Ur dicit met 1'accent sur la dfntion prdiqu d'aucun d'entre eux en acte (puisque aucun d'entre eux
aristotlicicnne de l'universel comme prdicuble (De inte11Jr., n'est complet) ni pouvoir non plus etre prdiqu en acle du tout
17a3~-40), la Lc.:ira Cwn sit nostra (cui fern l'ohjct d'ndnptntions form apartir des lments emprunts achacun. .
jusqu !u xrv s1~cle, notnmment pnr le grnnd ndversulre d'Occum,
<?authler Burley) est plus neutre- ce qui, a l'poque, profite au ra-
ltsme. Contrairemcnt a leurs homologues parisiens, toutes deux DIFFRENCE ENTRE UNIVERSEL ET PRDICABLE
dveloppent l'intgralit de la classification tripartite drive d' Avi-
cenne, en ntrodusant le probleme de la chimere, absent de la Dia-
lectica Monacensis. La diffrence des deux traditions, dja sensible au niveau de la
dfinition de l'univcrscl, nppnrnit cncorc plus ncttementqunnd In
Comme dit Aristote, 1'universel est ce qui est prdiqu de plusieurs. question de la distinction entre l 'universel et le prdicable est expli-
Mnis c'esl 11111101 en ncte, tnnt8t en puissnncc, lnnll\t pn l'intellccl citement nbordc. 1
232 233
Tradition tl'Oxford
'.
....
~. ;
'
ensuite par deux vocables diffrents, ne pouvait etre considre
commc sutisfuisnnlc, surtuut si on In confrontait nux dfinitions stnn-
dunl, tlrcs d'Aviectutc uuidcs St!('V/Ic/.1' 1\nolytitm,\', l'uisnol dLtllll-lllt'
universel quelque chose d'inhrent et de prdiqu.
Dans les annes 1270, le maltre d'Oxford Nicolas de Cornouailles,
plus curieux que beaucoup de traits oxoniens (y compris les probnblement Nicolas de Mousehole (de Musele), a done entrepris de
~lebres /ntroductiones in logicam de Guillaume de Sherwood) ne
1 reformuler la thorie avicennienne des univcrsaux selon les deux axes
comporten! pns de chnpitre sur les cutgories. Pnrmi tous les textes :
de 1' esse in multis et du dici de multis cmploys dans la formule du
Cum sit nostra rduit clairement les universaux a des termes et le~ Shtfa' :Uni versa/e est qudd es! in multis et de multis suae naturae sup-
dduit apartir des catgories. positis. Dans son Commentaire sur le Peri hermeneias, suivant l'axe
du dici de multis, il explique que tout univcrsel, que! qu'il soit, u, de
La pr6dication cst la coordination des pr6dicablcs. Le prdicablc cst par la dfinition (ratio) mcmc de sa forme, ClfJIIUc/e t) etre dit de p/u-
1~ ml!me ~hose qu.c 1~niversel. On appelle prdicuments (catgo- sieur.\' . Cette uptitudc concernc aussi bien 1'universcl qui est dit en
nes) les dtx coordmatwns des genres et desespeces comme dans acte de plusieurs, comme homme, celui qui est dit seulement en puis-
le prdicnment de substunce, In substuncc est onlonn6c sous 1;1 sub- snncc, commc Phnix, ct cclui qui cst dit sculcmcnt sdon lu concept
stance, le corps sous le corps, le corps anim sous le corps anim (secundum rationem), comme Soleilet Lune. Dans ses Notules sur le
etc. 137, ' livre de Porphyre, en rcvanche, suivant l'axe de 1'esse in, il distingue
Le.prdicament est l'ordination des prdicables selon le supricur ct 1' espece qui est prserve (salvatur) en acte dans plusieurs, comme
!:infrieur. Le prdicablc cst ce qui cst dicible de cuclquc chosc. homme, ccllc (\lli nc l'csl pns en nctc, mnis en puissancc, comme Ph-
lou! ce qul cst duhs un prdictu~elll cst sot uni verse soit singulkr. nlx, el ~:elle qut 11e 1\:si ni eunclc ni en puissuncc, uuds pur l'lnlcllcet
(intellectu), commc Cie/ . L'excmple du Cicl cst analys ainsi: asup-
136. Cf. Nicolas de Paris, Summae Metenses, d. De Rijk, in Logica Moderno-
mm, Il, 1, p. 470. 138, Cf. Anonyme, C11111 .~Ir nostm, JI, d. De Rljk, in LoRica Modt'/'1101'11111, ll, 2,
137. Cf. Anonyme, Ut cliclt, 111, d. De Rljk, In Log/ca Modemomm, 11, 2, p. 3HB. :' p. 432. '
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.:l
i
La querelle des universaux La scola:ltique latine du XIW sieclc
poser qu'il y ait intellection de plusieurs cieux, nulieu d'un seul, Cirl pour distinguer le ralisme et le nominalisme en smantiquc. Au
resterait univoque par rapport 11 tous. Done, meme si des especes ne xme, une bipartition nette appara1t entre les tenants de la smantique
sont pas prdiques en acle de plusieurs, elles resten! prdiques sur un parisienne et ceux de la smantique oxonienne- qui peuvent etre des
mode hnbitucl (ha/Jitualiter) . Le scns de In dfinition porphyrienne ma1tres anglais enseignant a Paris ou des auteurs influencs par les
de 1' espece - 1'es pece est ce qui est prdiqu de plusieurs diffrant Anglais. Le probleme pos est clair, et l'on comprend 9u'il ait pu
entre eux numriquement - est ninsi : L'espece est ce dont le agir au long des dcennies comme un rvlateur. La notton de sup-
concept n 'interdit pas qu 'elle ,o;oit prdique de plusieurs diffrnnt entre positio utilisc nu xmc siecle s'inscrivnit dans une thorie smnntiquc
eux numriquemcnt. Le premicr uxe ( 8trc dit de plusicurs ) abou- distingU!Ult, en principc, signification formclle (inlcnsionnelle) ct
tit ainsi a une conclusion sur l'aprirude de J'universel aetre prdiqu de rfrence individuelle (extensionnelle). Elle se heurtait cependant a
plusicms: le sccond nxc ( L\trc en plusicur~o~ ), i\ une conclusion por- un obstnclc vidcnt : les objcts gnruux du lype des genrcs el des
tnnt sur un typc de prdicntion, In prdlcntlon hnhltucllc , cnrrcs- cspeccs, d'un mol les universnux. Pour Pierre d'Espngne, In rf-
pondnnt nux situntions oi'l l'univcrseln'cst qu'cn puissnncc ou pnr In rence d'un tcrmc commc 'homme' duns In phruse 'L'hommc csl une
pense dans le particulier. Ce qui est ex prim au niveau de la prdica- espece' ne faisait pas de mystere. Le terme avait une supposition
tion est fond dans In proprit ontologique de la species, dans In rela- ((simple : il ne rfrait pas personnellement aun individu ou aun
tion qu'elle entretient avec ses sujets . Le point stratgique est ensemble d'i'ndividus, mais a une chose universelle, une res univer-
videmment clnns la rclation esse in, le dcrochngc entre les eHpcccs salis. Ln supposition simple tnnt dfinic comme l'ncception d'un
qui, comme lwmme, sont en acte ou, comme Phnix, en puissance dans terme commi.m pour la chose universelle qu'il signifie et cette
In pluralit, et celles (]Ui, comme Ciel, sont COil\llcs rnpl11.~ir11rs pnr In chose ellc-memc tnnt identifi i\ In nnture d'un genre (natura
pense. A prcml~rc vllc, In th~se des Notu/ae csl rnllste : 1'universel gene1~ls), le signifi forme! du terme commun tnit prsent commc
est une chose qui peut etre conr:ue comme tnnt en plusicurs, ceile du __--hcfme participe par tous les individus dsigns par un mot uni-
Peri hermeneias nc 1'cst pns - 1'univcrsel cst considr seulcment voque ('homme') en fonction de cette participation a une memc
comme prdicable - et elle conserve au ni vea u de la prdication les--- en tit (1 'humanit). Dans la tradition d 'Oxford, en revanche, la
distinctions entre 1' acle, In puissunce et 1' intensionnnlit >>. Par rap- supposition simple n 'illustrait pas le cas propos par la phrnse
port a Avicenne, il y a une diffrence: tout en dfinissnnt en gnrnl 'L'homme est une especc'. A la pince de 'Homo est species', les
1'unlvcrsel commc <<ce qui cst en pluslems ct <.lit de plusicurs , Avi- logiciens nnglais prfruient disculer des noncs rduplicati fs
cenne, dans sa Mtaphysique, caractrisaitles trois types d'universaux posant une difficult du point de vue de. la rfrence extensionnelle:
pnr In sculc prdicnhilit. En combinnntlcs dcux npproches, logique el par exemple 'L'homme en tant qu' lwmme est la plus noble des crn-
ontologique, de l'univcrsel, Nicolns n ninsi, 1\ sa maniere, rpondu tures', 'H omo inquanrum homo est dignissim'a creaturarum', une
ccrtnincs critiques modcrnrs cll' In th<.'mic nviclnnicnnc, notnmmcnt i\ proposition ou l'infrcncc nux pn~liculicr~ rcs~nit posRib!c grl\cc In
celle de Verbeke, quand il crlt que la conceptlon avicennienne de rduplication (on peut en effet d1re que Cet homme-c1 est en tant
1'universel, en tnnt que fonde sur 1'npplicnbilit a plusieurs sujets, qu' homme !a plus noble des crntures', et non pas cet ane-ci ou ce
repose sur un caractere extrinseque et demande qu 'on s' interroge plu- !ion-la, mais on ne peut pas dire, meme sous rduplication, que 'Cet
tot sur ce qui esta la base de cette applicabilit a plusieurs sujets. homme-ci est une espece' ou que 'Cet homme-ci en tant qu' hommc
est une espece'). D'autres, tel Guillaume de Sherwood, proposaient
une analyse plus fouille, combinant les deux types de problemes.
LA PROPOSITION 'L'HOMME EST UNE ESPECE'
lis posaient que la supposition simple se distinguait a la fois de la
. ET LA SUPPOSITION SIMI'LI!
supposition matrielle (sui-rf~rentielle), comme dans 'Homo cst
un no m'' et de la supposition personnelle, comme dans 'un homme
court'. Ils opposaient ainsi, pour la supposition simple, la rfrence
C'est dans Fanalyse de la supposition simple que la diffrence au signifi non rapport a la res individulle ('Homme est une
entre les deux courants prcnd tout son rclicf, Au XIve sicclc, J'nnn- es~ecc ') et In rfrence nu signifi rnpport al'individu, que cettc
lysc d'unc ptopoHition commc /lomo est ,\1Jeclcs' a valclll' tic test riereuce solt mobllc CL'hommc cslltt plus. noble des cruturcs')
236 237
OU (( immobile et vague (comme dans 'On vend du poivre aRome vidu, muis pas 1'act:idcnt du sujct. Selou la dilJrcncc que fail Aris-
comme a Pars', qui ne pcrmet pus d'infrer: 'On vend ce poivre-ci tolc Cllii'C esse ill ct dic:i de, Cll cf'fCI, 'ctrc duns' CUIIVCI11 U l'ucci-
a
a Rome comme Paris '). Cette interprtation de la supposition dC11l en comparaison avec le sujet (in comparalione ad sbiectum),
lllltis 'etrc dil de' convicnl uu gcnrc etlllu dif'frencc rclutivcmcnl
simple n'tnit pus ncessairement ruliste, contmirement ~ celle de
Pierre d'Espagne. Elle l'tait encare moins dans la version introduite (respectu) al'espcce et al'espcce cllc-mcme relativcment aux indi-
vidus. El notcz que tout ce qui est prdiqu ainsi est dit 'ctre prdi-
par l'anglais Roger Bacon qui, anticipant le geste qu'allait accom-
qu' univoquement [synonymiqucmcnt], c'est-a-dire selon le nom
plir le nominalisme du xrv siecle, particulierement Jean Buridan,
ct la raison (ratioll<'lll ),
n'hsituit pus i\ unifier sous le concert de supposltion simple les
dt:ux cns de la sui-rt'mncc el de In rlrencc uu signif'i sous rdu- ()'une sccoude fnc,:on esl dlt 'L\tre pn!diquri' d'llll nutre ce qul csl
plicution, en dclarant que : 11 y- a suppositiorr simple quancl un vritablemcnl el universcllcmcnt el affirmntivcmcnt, aumoycn de
a a
terme ne rfere pas une certaine personne ou un certain individu ce verbe 'est', assign commc lui tanl inhrcnt. Et c'cst sclon ce
modc que sonl prdiqus les nccidcnts des sujets en lcsqucls ils
mnis n n
un son vocal (' Homme est une voix ') o u son signifi
SOl! l. El cela, e 'cst ctm prdiqu dnominalil'l'l/ll'JI/ 1paronymiquc-
('L'homme est la plus noble eles cratures'). Ce n'est toutefois
qu 'a u XIV 0 siecle que In notion de supposition simple n t soit enW~ menl].
rement vide ele toute connotation raliste (avec Buridan) soit li- Troisiemement, a u sens large (ampliato vocabulo ), est dit 'etre pr-
mine (avec Occam). ' cliqu' lout ce qui pcut Btrc prdiqu d'un autrc vritahlcmcnl ou
fnusscmcnt, affirmativcmcnl ou ngativcmcnt. Et sclon ce modc
n'importe quoi est prdicablc de n'importc quoi, puisquc chacun
dcsdits modcs pcut ctrc ussign uchacun.
PRDICATION IN QUID ET PRDICATION PARONYMIQUE
Puis done qu"etre prdiqu' se prend d'autant de fa~ons, il faut
notcr que, dans la dcscription du gcnrc, de l'espccc ct de la diff-
Une des originalits de la tradition parisienne est d'avoir explicite- rence, l'expression 'ctre prdiqu de' est prisc selon la premiere
a
ment conncct la question eles universaux la distinction entre deux maniere dont on !'a cxpose. En revanchc, dans la description du
types de prdication, la prclication essentielle ou quidditative et la propre et de l'accident, 'etre prdiqu' est pris en tant qu'il convient
wdicntion uccidcntcllc ou pnronymicuc. Ce geNte u t:ll deN prolon IIUX dlllllllilllllifli lpnroll)'lll~'llli.W,
gcments consldrables, notammem lt u fin du xm siecle et surlout
au xrve, ou l'implication mutuelle des deux domaines a permis de La meme doctrine est dveloppe dans les Summae Metenses (De
restructurer le probleme des universaux a partir de la thorie de la Rijk, Ill, p. 471), avcc l'analyse de la prdic.:ation par accident, qui u
prdication, ce qui, du mme coup, nssurait une reconstruction de lieu quand un individu est prdiqu (comme dnns 'Ce blanc est
l'ontologie clate, inlroduite par Aristote dans les indications Socrule' ), el de la prdicalion par soi, qui a lieu quand esl prdiqu
parses de Catgories, 1, 2, 5 et 8.. u
ce qui est en plus ou ce qui est galit (hoc quod est in plus ve/
Le geste est vident'dans la Dialectica Monacensis ou la classifi- a
quod est in aequum) avec l'individu: si c'est galit, c'est un
; .. cation des modes de la prdication permet d'explicit~r le statut des propre qui est prdiqu, comme clans 'Homo est risibilis', si c'est en
'i ' ,. oprutcurs esse inldici de, en les rattuchant i\ la distinction entre pr- plus, c'est soit , cuici soit , qua/e, ntrc prdiqu in quid, c'est etre
' di~ution univoque et prdication dnominative, puis de rpartir les prdiqu per modum ,l'llhstantiae, commc les noms substuntifs,
untversaux en fonction ele cettc dcrniere distinction. comme dans 'l/omo est animal'. ~trc prdiqu in qua/e, c'est 8tre
prdiqu per modum accidentis, comme le sont les adjectifs et les
11 f~~t savoir qu "~tre ,rrdiqu' se prend de trois fa~ons e hez le u y
verbes J'exception du verbe substantif. S'il a prdication in quid,
logtcJen. Dans le premtcr et le plus vrai sens, quelque chose cst dit c'est soit de plusieurs diffranl spcifiqucment , et c'est un genre
i
-li ~tre prdiqu' d 'autre ehose quand il en est un prdicut essentiel.
llt E.t ~est selon ~e mode que l'on dit 'etre prdiqu': le genre et la 139, Cf. Anonymc, Dialectica Monacensis, d. De Rijk, in LoRica Modemorum,
.,
.
dtflrence de 1 espcce subalterne (contenta), et l'espcce de l'indi- 11, 2, p. 507 .
238 239
La querelle' des univcrsaux La sco/astique latine du XIII' sicc/e
qui est prdiqu, soit de plusieurs diffrant numriquement , et Commentarus de Robert n'est pas une adaptation hative, c'est un
c'est une espece. S'il y a prdicntion in qua/(', c'est soit ce qui cst de vritnble trnvnil de systmntisntion, qui restera nu long des dccn7
l'cssence de lu chosc (de e.1sentia rei), et c'cst la dil'f'rcnce, soit ce i . nies (Occum lui-meme le frquentc encore uu XIV 0 sil~cle). Hommc
qui n'cst pns de l'csscnce de !u chosc, ct c'cst l.'.uccidcnt. Ccttc dduc- .
de scicnce nutunt que philosophc, Robcrt chcrchc explicitemcnt 1\
tion des universaux a partir des modes de la prdication restera l'ho- ' donner une interprtation de la thorie aristotlicienne de la science
rizon thorique de toutes les thories rnlistes du xtv siccle 14n. fonde sur des sourccs grecques (notaf11mcnt sur la Paraphrase dN ,
Seconds Ana/ytiqurs de Thmistius, traduite rnr Grurd de Cr-
mone, clte plus de vingt f'ols). L'ouvruge, qu n'est pns un cont-
mentaire littral, s'organise autour de trente-deux propositions ou
Le ralisme thologique : conclusions tires du textus. L'intret du travail de Grosseteste
Robert Grosseteste et Albert le Grand est qu'il est dlibrment plac entre les deux courants doctrinaux
antagonistes qui, depuis les dbuts du pripattisme, s'affrontcnt au
se in neme de 1'univers d 'Aristote : le platonisme- Robert fait rf-
Trois grandes doctrines dominent le ralisme thologique du rence au Mnon qu'il cite a travers Thmistius- et l'aristotlisme
xm~ siecle : celles de Robert Grosseteste, d 'Albert le Grand et de propreinent dit. Confront a l'reuvre dont l'ambigui't finale a entre-
Thot,nns d 'Aquin. Si tout nu dpnrt les rnpprochc, nucunc n 'e si, l\ tenu ce qu 'on pourrait appeler 1'quivoque pripatticienne, le
l'nrrtve, superposnble h )'nutre. Commentarius accentue l'mcertitude interne de l'reuvre originalc ct
la tension qui 1' anime entre la conception empirique de la science et
a
le recours l'intuition intellectuelle (intellectus prin'cipiorum), dont .
LA DOCTRINE. DES UNIVEf~SAUX DE ROBERT 0ROSSETESTE
a
la brtale lntervention la fin du livre JI paralt contredire 1'intcn-
tion meme. Exposunt une thoric de In connnissuncc noplntoni
sante plus qu'aristotlicienne, dans la mesure ou elle fait une Jarge
Traductcur du pseuqo-Denys et d'Eustrate, mais aussi d'une ver- parta l'illumination, mais ouvrant en meme temps une perspective
sion complete de l'Ethique a Nicomaque, Robert Grosseteste, exprimentale , dans la mesure ou elle fait place al'exprimenta-
6vequo de Limoln, t'NI lo prcmler tonmtenlnteur 111dlvnl dtlN tlon nclive vnile dnnN lo trnvuilntrnol'iel el qunsi pnHHif de l't.rpt
Seconds Analytiques d 'Aristote. 11 est ainsi le premier a affronter rimentum aristotlicien, Grosseteste s'efforce d'ancrer dans les
dans toute son ampleur la gamme des problemes combins dans universaux eux-memes la diffrence d'inspiration qui travaille son
le dernier chapitre des Seconds Analytiques, sur Jeque! toutes les commentaire. Autant que les flottements relatifs du texte aristotli-
exgeses de l'aristotlisme ont but depuis 1' Antiquit tardive. Le cien, c'est done cette tension du platonisme et de l'aristotlisme
inteme h su propre lecture qui commundc l'esscntiel de sn doctrine
de 1'universe1, a savoir la distinction entre 1'universel simple
140. L'ide d'une dduction des prdicubles nvnil i fonnule pur Aristotc ~s (universale incomplexum) et 1'universel comp1exe, ou universel
les To{Jiqucs, 1, 8, 103b7-19 (trud. Brunsehwig, p. 12}, sur In bnse d'une eombinnison
entre n relution d' chnngc (ou convertibillt : ~~vmmrnyopr.tmt) ct sn ngn- d'exprience (universale experimenta/e complexum), et celle entre
tlon~,.d'unc pnrt, etlnnotlon d' expresslon ou slgnlflcntlon de l'esscnee (ro r( 1'aspectus et 1'affectus mentis, la vis ion intellectuelle et 1'affection
~v Elvat crnlla(vetv} el sa ngntion, d'autre pnrt. Au Moyen Age, ou le probleme de par le sensible. .
la dduetion se prsentait sous 1'intitul de sufficientia praedicabilium, e'est la Premiere grande systmatisation des positions philosophiques
dichotomie d' Avicenne, formule pour les cinq prdieables de Porphyre, qui a scrvi
de mntricc (f.oxim, cd. VcnctiiR, 150R, fO 7vA), Aviccnnc, qui i'nppclnil lulm~mc antiques 1\.I'gnrd des universaux, le Commentarius propose en outre
vuiHIIIII t!M.IIo, I'C'mprunlullnux commentuteurM grccM. C'cHI elle qul c~tln Mlllll'l!c Ull~ ol'lnltlon de J'unlvcrsel nl'lstolllclen lJUC lOUS les mdi
des Swnmae Metenses. Si, pnr la suite, d'autres duetions >> ont Oeuri, In mthode vaux reprendront sous forme d'adage (soit pour la critiquer vio1em
fonde sur la dislinction entre praedicatio in quid el praedimtio in qua/e tait eneore ment, soit pour s'opposer au conceptualisme nominaliste), d'Aibcrt' .
soutcnue ou diseute nu X1V 0 sieclc (notnmmcnt pur Buridun, Lt'ctura Summae lo~?i
ca~. JT, 2, 3, qui In rcjellc, Alhcrt de Snxc, Pl'l'lltili.f l.of?h'rt, l. 11, qui lnmcntionnc, rt le Grand, qui y voit la these typique de ces Latins qu 'il
)t'N I~IIJIHll'H tf'Oxf'unJ, I)IIJI'IIHHIIIIllllll). cx~ct'tl , h Jcnti Wyelll', qui l'utiliNc contl'c Occnm, en pnNsnnl pm
240 241
La querelle des universau.x
,, La scolastique latine du XIW siecle
R~ger ~acon, qui In reprcnd a so11 comptc 14 1, et Occum lui-mcme, qui conccmcnl !1 In l'ois 1'lltru el In connais.~nncc, ct quund /' intt'/lcct
qul la diSCUte a di verses reprises 142 . Cette dfinition de l'universel pur peut fixer en elle son intuition, i1 connall les choses dans leur
existant dans les choses en dehors de l' ime sera fixe dans une des- supreme vrit et vidence, et non seulement les choses cres,
, cription - l'universel comme forme des ralits individuelles mais la 1umiere originaire elle-mcme ou il connait toutes les autres
(form~ communis fundata in .mis individuis)- qui u'est, cependant, choses. Ces universaux-la (les ldes cratrices) sont absolument
produtte qu'au long d'un dveloppement sinueux, qu'elle condense int:orruptibles. Dans la lumicre cre, qui cstl 'Intclligence, rsidenl
plus ou moins fidelement 143. la connuissance et la description des choses crcs qui lui sont
subordonnes. L'intellect humain, qui n'est pus a ce point purifi
Certains soutiennent que l 'universel n 'existe que dans l'intellect ou qu'il soit capable de connaitre la lumicre originaire intuitivement et
durts 1'1\mc ctnullc pflrtuillclln. C'cst ffiux. Au conlrnire J'uuivcr- .~nns intcnndinirc, rc<;oit une illuminntion (irrcu/iatio) de lulumicrc
sel csl duns les choses. De f'uit, l'univcrscl est un en plusicurs crc, qui csl l'lnlclligcncc, ct c'cst dans lcs dcscriptions que
comme l'affirme Aristote dans les Second.1 Analytiques, seule so,; contient I'Intclligence qu' il connutt les choses drivcs, donl ces
image est dans 1'ame. descriptions sont les formcs cxcmpluires ct les ruisons causu1es
cres. Ces Ides cres sontles principes de connaissance de 1'in-
La doctrine de Grossctcstc melc' platonisme (thorie des ldes lcllcct !Ilumin pul' ullc!!. Les gcmes et lcM cHp~ccs Kont done UUHIII
dans cet intellect, el la ils sont aussi incorruptibles. Les vertus et
qu'il con!1ait i\ trnvers Eustratc de Nice, clont il a truduit une parti~
lumicrcs des corps clcstes sont les raisons causales des especes
du commentaire sur l'thique), pripattisme (thorie des Intelli- (naturelles) terrestres, dont les individus sont corruptibles. L'intel-
ge_nces) et aristotlisme (thorie de l'universel dans la pluralit) au lcct, qui n'cst pus cupuble de contcmplcr en ellc-meme 1u lumicre
s.em d'une mtaphysique et d'une phy1.>ique de la lumiere. Elle dis- incorporclle incrc ou crc, cst cupable d'inspccter ces raisons
tmgu~ d'abord trois sortes d' univer.wux incorruptibles: (i) les Ides causales situes dans les corps c1estcs. Ces ruisons sont, elles
cratnces, (2) les ~armes manes dans l'Intelligence, cres et cau- aussi, des prncipes qui concernent a la f'ois l'etre et la connais-
sales, (3) les pmssances (vertus) et les rayonneme,nts des Corps sance, et elles sont incorruptibles.
clestes, causes physique~. sclon une hirarchie combinant l' intel-
le~t pur et nu de Porphyre, la Cause et 1'Intelligence premieres des
Aux trois types d 'universaux incorruptibles fait suite un qua-
pi}I!osop~l~s, les Intclltg~nccs el les Corps clesles de la cosmologie
penpatt1c1enne et les d1eux secondaires du Time. trieme, dont le statut ontologique est plus problmatique. Une chose
peut etre con~ue non pas i\ partir de l'etre qu'clle u en dchors d'elle-
Les uni vcrsuux sout des princi pes de connuissuncc, ct, duns /' inte/- lllenw duns IHI cuusc ldulc <.:rull'icc ou nwno duns In sphcro des
lectpur e~ s.PCfr de? fantasmes, [... ] capable de contcmpler la causes ministrielles , Intelligences spares o u Corps clestes,
lmn.crc ~nguuurc, qu1 cst la Cuusc prcmicrc, ce sont lcs prncipes mais en ellc-memc dans su cause formclle. Ccttc cause formelle est
de conna.ssance des raisons des choses existant de toute ternit sur une panie de la chose (pars rei), 1'autre partie tant la matiere : si
un mode mcr dnns In Cuuse prcmi~re. [ ... ]Ces misons des choses l'on considere In forme en tnnt que forme de tout le compas (forma
c~es (daos le temps) sont des causes formelles exemplaires, cra- lotius), et non en tant que simple partie de la chose, la forme est prin-
tnces : ce sont ~llcs que. Pluton a uppeles Jdes et monde urchty- cipe d'ctre et ele connnissunce du compos cntier; c'est en ce sens
pal. Ce sont, d apres lut, les genres et les especes et des prncipes que les formes sont genres et especes, prdicables des choses in
quid. C'cst grficc uelles qu 'il y u science, i.c. dmonstration par les
141. Cf. Roger Bacon, Quaestiones supra XI Metaphysicae, <!d. R. Sieclc el gcnrcs ct les espcces, ct dfinition pur les especs el les diffrcnces
F. Delormc (Opera Hactenus Inedita Rogeri Baconi , VII), Oxford, Clarendon (on reconnat au passage les formules de Porphyre), c'est-a-dire
Press, 1926, p. 127. dmonstration et dfinition scientifiques, au sens aristotlicien du
142. Cf. Guitla.ume d'Occam, In l. Sent., dist. 2, quaest. 7, cl. S. Brown and terrne, celui que requiert la doctrine de la science expose dans les
a. Ol, The Frt111CISCIUI Institutc, St. llonavcnture (N. Y.), t967, p. 232, 821. Seconds Analytiques. C'cst done de ce quatricme typc d'universaux
143. Cf., pou,r t~ut ce 9ui suit, Robcrt Orosscteslc,/n Anal. pos/,, 1, 7, d, P. Rossi,
Cvmmcnfamts 111/ ostmomm Analwicorumlibros Florcnce Olschki 1981 p t 41
1 que, sclon Grossctcste, parle Aristote: c'cst sur lui que porte la
131-141. ,1
1 1
' 1
doctrine d' Aristote sur les genres et les es peces. Ces genres et ces
242
243
La querelle des wziversau.x La scolastique latine du xm siecle
esp~ces des chos~s corruptibles sont-ils eux-m~mcs incorruptibles 'l >
lis nc sont pns corruptibles en soi, mnis dnns In mesure ou, pour 8trc, ;, LA RED(!COUVERTfi DB LA TIIORIB NOPI..ATONICI!lNNE
ils ont besoin d'un porteur (egent deferente), i.e. de choses por- . DES TROIS f:TATS DEL 'UNIVERSEL CHEZ ALBERT LE RAND
teuses de fonnes , les universaux d 'Aristote sont cormptibles de par
In corruptibilit ml!nie de leurs porteurs : ils sont ainsi corruptibles
en chnquc indivldu, mnls (( touJours Nnuvt<s Jllll' In succcssiou iniutcr- Albert le Granel cst le premier nuteur qui chcrche vrniment res-
rompue des lndivldus . L'unlversel nrlstotllcien est done n in fois susclter In doctrine prlpnttlclenne des unlver~nux contre la doc-
le prncipe et le rsultat des rgularits nomologiques (constance trine de Platon. Le paradoxe est que, po~r ~rnv~r a restaurer la
et fixit des espcccs naturcllcs): son univcrsalit n'cst pus pnrfaite, doctrine d 'Aristote contre cell de PI aton, 11 s appme sur des mat-
comme celle de l'lde, mais ilne laisse pas d' etre, dans la mesure a.
riaux byzantins (Eustrate) ou arabes q~i, la seul~ e~ception d' Ave:-
ou, si tous les individus qui lui sont subordonns/subordonnables roes ont part e lie avec la replntomsat10n d Anstote accompltc
n'existent pas simultanment, il est vraisemblable qu'en tout point par t'e noplatonisme tardif. 11 y a ainsi chez !ui un~ tension entre P.la-
du temps chaque espcce perdure, fnute de quoi l'universniit , tonisme et aristotlisme dans la reconstructlon meme de la doc~nne
comme structure constante de l'univers, sernit (( tantt complete, tan- d 'Aristote. Par d' autres voies que Robert Grosseteste et les Latms
ttlt nmpute . ouvertement plntonisants, dont il di~ abho;rer.les d?ctrines ,Albert
Texte fondateur de l'interprtation mdivale de l'pistmologie aboutit done .au m~me rsultat qu eux : l afftrmahon du noplato-
aristotlicienne, le Commentarius tait encare, en plein xrve si~cle a 1
nisnie u se in de 1' aristotlisme. I1 S oppose en cela Thomas a
allemand, une des sources majeures de la thorie de la science la a d' Aquin, dont 1' nristotlisme est moins pntr d' influences nrnbcs ct
fois platonicienne (par son contenu) et nristotlicienne (par sn forme) qui, malgr la polmique ininterrompue m.ene co~tre Av~rr?~s.
de Berthold de Moosburg. C'est tul qui, sur le terruin du dbut Aris- pousc partiellemcnt ses vucs sur les dcux pomts cmcwu,x ou ti s op-
tote-Platon, offre au xm siccle la seule alternative d'cnsemhle aux pose aAvicenne: la thorie de l'abstraction et la reconnatssance d'un
thories d'Aibert le Granel et de Thomas d'Aquin. Ce singulier certuin primal pistmoiogiquc de l'~niversel po~t rem. . .
mlnnge d'nristotlisme el de rrtnttisme nvec 1111 plntonisme S'il est un domaine, cependant, ou Albert a falt reuvre de pt<?nnte~
chrtlcm -tir d'l\tl.~trntc, qu prcNtmte Plnton et i"N pintonlclens c1 pnr In m~mc dtcnnin en profondcur un univers thortquc qu1
comme partisans des ldes divines, prsubsistantes aux formes est derneur, pl~s ou moins inchang, ju~qu 'a la l'in, du. xvo si~cle,
c'est la redcouverte de la thorie des tr01s tats de 1 U?IVersel, ~ue
(species) existnnt dnns les corps 144, et d' Augustin, dont In Quaestio
a
de !deis est, principalement grace lui, interprte comme permet- le xue siecle avait ignore et que Robert Grosseteste avmt t1eutraltsc
tant d'enroler Platon sous la banniere du christianisme 145 - fait, en dans un scheme trop manifestement orient dans le s~ns d'u.n ra-
tout cas, de Grosseteste le promoteur d'une doctrine composite, sans lisme plus latin que pripat~ticicn. Qu 'Albe~t mnte vn~a~le
laquelle le ralisme des XIV" et xv siecles serait, dans son projet ment d'etre crdit de cette redecouverte apparatt nettement ~~ 1 on
structurel meme, incomprhensible. compare ses vues a ce qu 'taient celles de ses contemporams a u
moment ou il propase sa propre version du topos.
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--- __________________________________ _;. ______
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La querelle des univer.wux
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Les thoremes
P 1 - Princc des stoYcicnH >> (/)('/'l/, p. 1O, ~). l'lnltHI nppcllc lu l'rclllit:r
1
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du platonisme
La scolastique latine du xm siccle
sous sn l'onnt! chrlst innisc, !elle qu 'elle f'igure notnmment e hez le bic.n. S'il nUribue h Plnton une doctrine que chncun snit nviccn-
pseudo-Denys et Eustrate de Nice. La thorie dite stoi'cienne du nienne, 'c'est qu 'il voit une meme position philosophique dans la
IJ_ator formarum (P3-P4) n'.est videmment ni stoi'cienne ni platoni- thorie platonicienne de la cration dmiurgique et daos celle, avi-
ctenne. Elle voque plus dtrectement Avicenne, qu'Aibert conna't a
cennienne, d'une donation des fonnes la matiere par une Intelli-
248 249
f_.ct (/1/c'l'c'I/C' c/C',\' IIII\ 1C'I'o\'({/l.\'
~en ce c~smiq~e.: une position p/atonicienne. Qu 'Avicenne veuille (4) L'image du sceau est purile: si les formes universelles sont
etre pnpattJCJen , comme le rappelle lui-meme Albert 1s1 ne des sceaux, qui les imprime daos la matiere '! Et comment?
a
change rien 1'affaire : ni lui ni son nhrvinteur ni-Ghazftli ne Ln cloclrinc plntonicienne ele 1'imprcssion des formes dnns In
sot~l d'n~thcntiques uristotlicicns. Avcc des instruments historiogrn- matiere par le Datar formarum est inutilc et fruste. Le platonisme
phtques mcommensurahles aux ntres et une informntion Jacunnirc est une philosophie qui n'arrive pasa comblcr le foss qui spare
Al?.ert souligne done le platonisme d' ~vicenne :_un rapprochement l'idal du rel, J'universel du singulier, J'un du multiple. ll y a un
9u 11 emprunte. a leur commup adversa1re, Averroes, car 1'assimila- paradoxe des universaux : soit 1'universel est daos les choses, mais il
twn de ~u doctn.ne d.u Datorfon:narum ulu doctrine plutonicicnnc de n'cn csl pas pr~diqu; soit il esl prdiqu~ des choses, muis il n'est
la cratwn dmwrg1que est typ1quement averroi'ste 1.S2. pas en elles. Le platonisme n 'vite pas ce dilemme. Contrairement a
ce qu' Albert considere comme l'aristot!isme authentique, il ne sait
Rfutation du platonisme a
pas penser 1'universel la fois comme un en plusieurs et un dit
de plusicurs >> - unum in multis et unum de multis, selon la formule
. De toutes les theses platoniciennes, c'est ce1le qui assimile l'nc- scolaire adapte d' Avicenne .
a
t!On du Donateur des formes une sigillation- une image commune a
Ce que rvele la critique albertinienne, e 'est que, partir du xmc
aux theses P5, P7, P8' et P8"- qu'Aibert critique le plus duremcnt. siecle, probablement sous 1'influence d' Averroes, les mdivaux ne
~.urce point, Aviccnnc n'csl pns en cause, il s'ngil bien du '/'im,le, cmicnl plus J>lu1o11 cupublc de r.~oudre les problc1nes qu 'il u lui-
ltlt~, 1~ encore, par un intermdiaire hostile, non plus Averroes, m~me poss. L'opposition entre 1'univcrscl de con11nunaut ou
ma1s Anstote- comme le rvele l'utilisation meme des mots ec:luna- universel de Bocee (l'universcl dfini comme ce qui est com-
giuf!Z o u etymagium ( sceau ), calques latins du grec ex.tayE:Iov mun a plusieurs choses))) et 1'universe1 de prdication ou univer-
dnns ln Mtaphysiq11e (Tran,,/atio media, Arlstotelc.v Lain11s, XXV, sel de Porphyre (l'universel compris comme ce qui est dit de
~. p. 22, 26), nbsents de In trnduction du 1/me pnr Cnlcldius I.~J. Le plusieurs choses ) t!HI p/atonlqtumc'lll insum1ontnble. En oulrt!, nu-
pe intellectu et intlligibili prsente quatre arguments contre la tho- dela de 1'image grossicre du sccau, e' cst la notion m8me de Forme
ne platonicienne de la sigillation : spare qui est remise en cause, avec son corollaire, la rminis-
! ( 1) Si la ~onnuissance vritablc esl la connaissance par la cuusc ccnce. Pour Albert, la thoric des Ides el cclle de la rminiscence
(propter qutil), les univers~~x platoniciens sont inutiles, puisqu' ils fonnent un vritnble systeme: c'est puree qu'il pensc l'univcrsel
1
i a
ne peuven~ e!r~ cause de l etre propre chaque ralit singuliere. comme une chose universelle existant numriquement identique en
1 (2) C~ns~dere comme ~x~stant, et non comme simple concept {post plusieurs choses numriquement distinctes que Platon se reprsente
!
rem), 1 .umversel platO!llCle~ ne peu.t etre pl'diqu de plusieurs : l'intellect comme la meme intellection ou, plutot, le meme contenu
a
appropn une chose smgul1ere, 1 umversel in rene peut etre prdi- intclligible numriquement identique en chaque ame, toujours
qu que d'elle; n'entrant clans 1'etre d'aucune eh ose, 1'universel ante actuel, quoique la plupart du temps inapcr~u par 1' ame. La rminis-
rem ne peut etre prdiqu d'aucune. Il est done inutile. cence n'est que le mouvement par Jeque! !'ame tourne son
q~ Les etres physiques se distinguent des etres mathmatiques par regard vers 1' intelligible qui subsiste actuellement en elle. Si les
le latl que In nnture spciJ'iquc qui leN dl'lnit (mtlo dt'jl'ltitiva) c 11 t fmmcs spures pcuvct11 lrc Cll pluslcm:; l'llllMCN si1lllllllUH~lllenl et
a
L:o11~ue comme unie une mutiere objet de mouvement et de sensa- si, purmi ces choscs, il y a les L\mes humai11es, le m~m~ contenu
tJOn. On ne peut done imaginer que cette nature soit spare : 1'hy- intelligible peut se trouver numriquement identique en plusieurs
pothese est contradictoire. sujets pensants. Cette thorie, attribue a Platon et a Grgoire de
Nysse (en ralit Nmsius d 'mese), a, uux yeux d 'Albert, une
151. cr. Albert le Gruntl, De C'illiSis t'/ proce.\'S/1 lJIIilersitatis (= DCPU), 1, 4, 7, u
consquencc la fois pernicieuse et inluctuble - le monopsy-
d, Fnuser, p. 53, 3.
152, Cf. Avcrro~s. Metapltysica, XII, commcnt. 18 d de Venise---rs6i chismc arnbc : 1' erreur de Platon sur les universaux mene ~
f"'~
304rA-B, 304vG. ' . - ' ' la thorie de 1'unit de l 'intellect. Les partisans de 1'existence des
.
153. Cf. ,Plato~, Time, 50c-cl, d. J. H. Waszink, Timaetts a Ca/cfdio /ranslatus universaux en acle partout et toujours en conclucnt qu 'un seul et
commenlarwque 111.1'/l'tlctus (Plato Latinus , IV), Londrcs-Lcydc, 1952, p. 48, 6-7. ml!me universel pcut elre en meme tcmps intellig daos toutes les
'. i
250
251
La qllt'I'C'!ft dt,v llllil'c'l',\'tl/1.1" --------- La sco/astique latine du XIII' sicldc
fimes et exister en tous ses particuliers : Ainsi, ils concedent l'attribue tantot aux Antiqui 155 , la plupart du temps aPlaton 156 , quel-
qu'il y a une science numriquement identiquc dnns toutcs les quefois a Plnton selon le Commentateur 157 , d' autres fois au
fimes, et ils disent qu'il y a diverses continuarions de cette science Commentateur 158 , d' a utres ene ore a Eustrate 159 , quand il n 'en fait
jusqu'nux hommcs, acause de lo diver,c;it6 des focults imnginntivcs pus un simple lieu commun 160,
procurant a 1'intellect)) les reprsentations dont il a beso in pour '' Professant une mtaphysique syncrtique, pripptticienne, c'est-
s'unir i\ 1'1\me. Le platonisrnc fournit le principe du molwpsy- ' i\-dirc'l'nristotlisrnc noplntonisnnt des Arnbcs, ici ou Ji\ tcmpr
chisme, non pns In notion de contlnuation ou de connexion soit par Averroes, soit par le noplatonisme chrtien de Denys,
de l'intellcct nvcc l'hommc, qui remonte nux pripatticiens nrubes Albert reproduit en fait dans le monde latin le geste qui, dans le
(d'Avicennc a Averroes), mais celle d'unit numrique de l'univer- monde musulman, avait vu le transfert du modele de Syrianus sur le
sel en a~te dans ~~e pluralit .d'.a~es, dont Albert souligne qu'elle terrain de l'manatisme. Ille fait dans une perspective originale, qui
cst nuss! l.u condtlton de posstb1ltt de In mtempsycose - 1'errcur a pass pour confuse, faute d'8tre lucide historiquement, et q~i
platomctcnne par excellence 154, s'avrera dcisive puisque, jusqu'a la fin du xve siecle, la thone
Conformmcnl ula mthodc d 'cxgcse concordatairc eh ere aai- albertinienne des universaux restera, fnce au nominalisme de In via '
Farabi, Albert ne snuve ainsi de Platon que ce qui nc contrcclit pas moderna, un des principaux vecteurs clu ralisme de la via antiqua.
les doctrines des pripntticiens . C'est cssenticllement le cas de P6 Comment Albert redcouvre-t-illa thorie noplatonicienne des uni-
la distinction entre universuux ante rem, in re et post rem. D'o~ . versaux? Par deux sources, dont i1 est le premter aJire, sur ce point,
Albert In l~onnnit-11 '!PoNer In qucstlon, c'cNt tcntcr tle re1wue1' l 1'11 lu convcrgencc: l'unc lll urubo , Aviccnnc: l'uutro byznntlno,
lnterrompu durant plusieurs siecles, qui va du noplatonisme tardif a Eustrate de Nice.
la philosophie latine. :_:
252 253
:r
1,
1
un des premiers utilisateurs. Le topos des trois tats de 1'universel scolaire de l'Universel qu'il utilise a la fo~s daos ~qn ~omment~re
est un des principaux rvlateurs structurels de la continuit para- des AnalvtiquC's tcd el dnns son commcnll~llc de 1 Etluqtu.> el /ljtcc~-
doxnlo do 1'h istoirc de In phi losophic de 1'Ant iquit tunli Vll uu 1/ICIIJIIL' 111. IJIIIIS ll! CUIIIIIICIII!dl'l! Slll' 1'/.,'t/til/111.', qll~ c.olllliiiSSII!l
Moyen Age, dont la translatio studiorum, le transfert des centres Albert, l'originalit d'Eustrate est de rsumer la t!1eone_pl~tom
d'tudes est, a la fois, le prncipe moteur et la ralisation effective. cienne des universaux en termes de touts : pour lu1, la theone pla-
tonicieune (pour nous, noplutonicienne) des universaux est un.e
Noplatonisme et vin nntiqun thori~ :le universali el tutv. Au licu d~ distinguer simplemenL tro1s
L'entrelacement des sources arabes et byzantines sous la plume sortes e' universaux , il distingue trois sortes de touls , et il
d 'Albert marque une tendunce de fond : la survie du noplatonisme et combin.~ celle distinction avec les notions aristotliciennes d'homo-
\:t de l'exgese noplatonicieime par-dela la diversit des milieux et meres et d'anomomeres, afin de dfinir ce qu'il appelle le tout ex
!/'.
':
des cultures, et ce a u creur meme de la diffusion de 1'autre grumlc partilm.1' n (i.e. ce qui dcvruil nonunlcm~nl corrcsr~ondrc st:uctu.rcl-
philosophie du Moyen Age, 1' aristotlisme. Les changements de lement ul'univcrsd in re). D'autre part, JI pose clutn.!lllCllll quvu-
paradigme scientifiques du Moyen Age sont, pour beaucoup, des lence entre tout in partibu.1 et intelligible logique.
changements daos les prncipes de lecture et de comprhension
d' Aristote. Le clivage de la voie modeme (via moderna) et de la lis disent, en efret, qu' il y n uois sortcs de touts : antriem: t~ux pnr-
voie antiquc (via wiqua), de la nouvelle maniere et de 1'ancienne tics (ante partes), rsultant des parties (ex partihus) ct se divisan! en
tnaniere de penser, qui traverse 1'Euro pe universitaire apres Occam, partics (in partihus). Les touls antr~eurs aux. porties. sont les
est dans une large mesure un cont1it entre la lecture noplatonicienne es peces qui sont (existunt) absolun:e.nt s1mples etunm~tnelles .car
elles subsisten! avanl la multipllcll des choses qut sonl faltes
et une lecture nouvelle d' Aristote. La preuve en est que certains d'upr~s elles. Les touts .n'.l'ttlt,ctl,tl clt',l' Jllll'_lil's S\11\l. les ~o.nt(ll~s~s
uutcurs, qui passcnt Hlo/){1/C'IIIl'llf pour nominnlistcs , ndoptcnt, pnr- (cvmposita) cttoul ce qu1 esl dtvts~ en part1es (parttto). Ettl y en u
fois pour des ruisons de prudence acadmique, la lecture noplatoni- deux sortes: les homomcrcs, c'est-1Hlire les choses composes de
cicnne du probleme des universaux, alors que, par ailleurs, tout parties semblables, comme la pierre .I'~st de morceaux de pierre,
les oppose au noplatonisme- c'est le cas, par exemple, de Marsile chnquc pnrtic en lnquellc le tout se dtvtse recevnnt et le nom et la
d'Tnghen. Thologien l\ succes (son Commentaire des Sellf!'IICl!S tnil dfinition du lout, ctles unomomcres, e'csl-h-dire les ehoses e~ m
a
encore enseign Cracovie au dbut du xvo siecle), Marsile tait poscs de parties dissemblablcs, commc 1'homme 1'est de mams,
nominuliste (l'universit de Salamunque a cr, en l'espece d'une de pieds et d'une tete, aucune partie de l'homme n'tant semblable
catedra de Nominales, une chaire spcialement consacre a l'tude de au tout et ne rcccvant le nom et la dfinition du tout. Quant aux
ses reuvres, et sa position philosophique tait explicitement caract- touts qui se divisen! en parties, ce sonl les intelligiblcs qui sonl dits
rise comme nominaliste et buridanienne par les albertistes de plusieurs el sonl postrieurs selon la gnrut.ion IM.
Jean de Maisonneuve et Heimeric de Campo), pourtant sa doctrine
des Ides, expose des la premiere le9on de son commentaire des Sen- Par rapport aux distinctions des com~entateurs no~latoniciens,
a
tences Heidelberg, contient une critique radicale de la these d'Oc- qui opposnient : ( 1) les universuux antneurs. h la plura~tt (rrpo :wv
cam sur les universaux et propose une explication dionysienne des rroA.A.wv); (2) les universaux dans la pluralit (ev TOL~ rroA.A.ot~);
Tdes de Platon (secundum mentem beati Dionysii), opinio antiqua
s'il en est, qu'il tire ... d'Eustrate de Nice et d' Albert le Grand. Par- 163. Cf. Euslralc, Commentaire des Srconds Analytiqut!s, d. M. Hayduck, Eus-
deJa les tiquettes historiographiques, le role d'Albert et de ses /ral/1 111 \na/, (lOS/, 1.1/w, ,\'1'1'/1111111111 l'll/111111'11/, ( .. CnlllliiClllnrln In Arlslnlcll'll\
sourcc:- pnrticullcrcmcntla figure lnjustcmcnt mconnuc d'Eustrull: Ornccu , XXI, l ), l
llcrlln, U. Rdnu:r, 1'>07, p . .11, '/-20: p. 2liJ, 1-10: p, 2~, 3ll-
-, daos la mise en place du scnario intellectuel qui dominera le 257,3;p.264,13-20. , E
Moyen Age tardif, ne doit done Jas etre sous-estim. 164. cr. Euslf'IIIC, Coiiii/IL'/1/IIire "'' J'l<:thitw: ll Nii'O//II~f/1!1!, d; o. llcylbul, IIS-
tratii ... in Ethica Nicomachea commentaria ( Commcnlana lll Anstolelcm Graeca ,
Ayant comment le deuxieme livre des Seconds Analytiques XX), flerlin, O. Rcimer, 1892, p. 40, 19-41, 31 ; p, 42, 4-5; p. 44, 8; 45, 34.
d 'Aristote, Eustrate uvait recueilli toute !u tradition byzuntine du lcgs 165. Eustrnte, /nl.!.thica Nlcomaclrea Cvmmenlaria, d. Merekcn, p. 69, 4~70, 14
noplatonicien du yc siecle, notamment les termes de la tripurtition (m/1096ul0-l4).
254 255
La querelle des universaux [;a sco/astique latine du Xlll' siecle
q> .les ~niversaux postrieurs h la pluralit (errt totc rroA.A.otc), la ments de Roscelin et des rosceliniens, critiqus dans les Sentences
dtstmcttOn (a) ante partes, (b) ex partihus, (e) in partihus pose des selon Maftre Pierre attribues par Minio-Paluello a Ablard ou a son
problemes. Structurellement, 1'universel in partihus est ce qui cole, arguments par lesquels l'auteur des Sentences explique que
devient l'univcrsclpost rrm de ln-scolnstiquc. C'cst surprennnt, mnis ses ndversnircs cherchnicnt u prouvcr que tout n'cst qu'un mot
11 y n deux lnterprtntions : cela veut di re soit qu 'Eustrate prend a la (qui totum solummode vocem es se confitentur). Que le vocalisme de
lettre la these des Seconds Analytiques selon laquelle l'universel qui Roscelin soit une approche mrologique du probleme des univer-
repose dans !'ame, rrapa ta rroA.A, est 1'universel qui rside saux est indniable. De fait, si les trois premiers arguments de sa
dans tous les sujets particulicrs ; soit que 1'intclligible se divisf en srie portent sur des ensembles composs de nombres dtennins
conc~pts lmcntnircs (c'cst-tt-dire est ce!\ partir de quoi ils sont d' units et si les trois demiers rfutetlt des propositions hypoth-
con~tttus), contrairement aux touts mntriels qui sont constitus a tiques (Jolivet, 1992, p. 111-128), tous ont en commun de mettre en
pnrttr de leurs lmcnts. Alors, de deux choses !'une: soit (n) cor- ceuvre le rapport tout/partie, la distinction entre le totum integrum
respond a (1). (2) a (b), (3) a (e), soit non, et si (a) correspond a (1) et (ou tout selon In quantit) et le totum universale (ou tout selon la
(e) i\ (:\), i1 f'mtt supposl!t', pom uvoir (2) ... (h), que lt!s unlvNsnux ~v dlf'f'uNion d'une cHscnce commune ), lu linifmn entre icR deux RrieR
tot<; rroA.A.otc;; sont des touts constitus de parties, qui ne peuvent de problemes tant fournie par 1' infrence fonde sur le tout
exister sans leurs partes. (locus a toto), avec la double fonnulation qu'en donne Ablard, liant
le probleme ontologique de la constitution d 'une e hose ( si un tout
Eustrate de Nice et Rosee/in de Compief?ne : existe, n' importe laquelle de ses parties existe ncessairement ) et
les universaux ella mrologie celui de la prdicabilit d 'une proprit (si quelque chose est pr-
La rencontre entre lnngage des universnux et problmatique des diqu d'un tout, ill'est de toutes ses parties prises ensemble).
touts indique sans doute la mise en relation de la question de Por- Le clebre rsum de la doctrine de Roscelin par Ablard confirme
phyre avec une problmatique dveloppc par Aristote dans les la dimension originellement mrologique de sa doctrine : Roscelin
Topiques, que la logique scolaire latine n fixe daos la distinction du attribuait les especes aux seuls mots et en faisait autant pour les par-
tout. intgral 7~ du tout universel, des Garland le Computiste (Dia- les. L'interprtation de la relation partie/tout in re bus ou seulement
lectlca, De RtJk, 1959, p. 103). On peut penser que la fusion, chez in voce n'est done pas qu'un pisode pittoresque dans l'histoire de la
Albert et Thomas d' /\quin, entre le lnngnge logiquc de In prdicnbi- problmntique des universaux. C'est une question de fond, atteste
Iit de 1'univcrscl ct 11! lnngugc ontoJoglque de 1'csscnce consldrc dut1!1 Sl\ prennit pnr le tmoignnge inuttcndu d'nutours uussi opposs
sur le mode de la partie (per modum parts) et sur le mode du tout qu'Eustrate et Roscelin, une question que le nominalisme, rever;ant
(pa modum totius), pnrfois bien obscurc, corrcspond a la fusion de sur certnines expressions d 'Aristote en M taphysique, Z, a transposc
deux problmntiqucs distinctes, cclle des univcrsnux selon le schmn dnns celle de savoir si une chose universelle peut etre contenue
gnrul d 'Ammonius, trnnsmls pnr Avicenne, el celle des touts , daos dll'l'rents lndivldus tt In fois, et que In mrologic ou cnlcul
selon le schma, probablement lu aussi noplatonicien, transmis par des individus d'un nominaliste comme S. Lesniewski a aborde a
Eustrate, et, par-deJa, a une fusion du complexe de problemes issu l'poque contemporaine en cherchant a prciser quelles sont les pro-
des Seconds Analytiques avec le complexe de problemes issu des prits acceptables de la relation est une partie de (Kng, 1981,
Topiques. p. 104-1 05).
L'~xistence d'une tradition du probleme des universaux apartir de
la gnlle de lecture des Topiques, une approche que l'on pourrait dire
mr~ologi~ue de 1'universel, est un~ hyp<;>these plausible, que Sens e( postrit de la doctrine d' Albert le Grand
conftrme 1 mergence de themes de d1scusston mrologiques nu Pripntticien prolongeant consciemment l'hritage de l'exgese
XII" siecle, i\ l'poque ou In pense topique a connu un essor pnrticu- ara be d 'Aristote, Albert a fait de la thorie des trois tats de 1'univer-
Iier gr~ce aux rares matriaux accessibles en cette poque d' aristot- sell'occasion de corriger Platon par Aristote et de complter Aris-
lisme pauvre, telle De differentiis topicis de Boece. Un bon cxcmple tole par Piuton. C'est chez lui que la rinterprtution manatiste du
de l'approche mrologique est, on l'a dit, fourni par les six argu- a
modele de Syrianus trouve su pleine expression. Ramene J'essen- ,
256 257
La querelle des universaux La sco/a.l'tiqut' latine du xrw siec/e
tiel, la modification qu' Albert impose au dispositif triadique des uni- des Formes spares dans la mutiere, il 1'inscrit dsormais dans une
versaux consiste a insrer un second niveau d'universaux ante rem perspective pour lui authentiquement pripatticienne, celle de
entre le niveau suprme, celui de 1'universel pris dans la Cause pre- l'manation, de la procession des Fonnes apartir d'un Premier Intel-
! ' miere, le Dieu du Livre des causes, et 1'universel in re. Cetuniversel lect agent identifi au Prcmier Agent universel de tout l'etre. Dans ce
intermdiaire entre les choses et le prncipe de leur tre est ainsi soli- nouveau cadre doctrinal, le platonisme apparait comme une doctrine
daire de la these fondnmentale du Livre des causes distinguant la cau- de l'cffusion lumineuse relic au theme porphyricn de 1'lntellect
salit de la Premiere Cause, la causalit cratrice (per creationem), et patcrnel. Les Formes, c'est-a-dire les Formes spares et les formes
In cnusnlit des cnuscs intcnndinircN, In cuuH\tlil lnfnl'mntrko >urtidpL'H 1111 scns plntoniclcn d11 lL'l'IIIC, distinglll'S di! l'univorHcl
(per informationem), des lntelligences qui udministrent et instrumen- logique (post !'l'lll), qui ne scm bientt mcme plus mentionu, ont
ten! la puissance causale du Premier Princip-e. Ce nouvel universel, trois modes d 'etre, car il y a un medium cui prolonge l'existence de
que l'on peut aussi bien dcrire comme intelligible et intelligent que 1'lde-cause, dans une sorte de chulne causa le : la lumiere.
comme form et formateur ou comme natur et naturant, est le vecteur
de l'manution. Sa place dnns In structure de l'univers mi-nristotli- On peut prendrc les Formes de trois muni~res: dnns le Principe
cien, mi-plotinien qu 'Albert hrite, snns le snvoir, de ses sources mcme de l'mnnntion, ct lh touteH sonlunil'ics dnns I'Un en tnnt
ara bes dispose l 'universel ante rem intermdiaire acristalliser sur lu qu'manant (procedentes) dans la lumicre rpandue par le Premier,
tout ce que les systemes antrieurs avaient, du noplatonisme tardif a et la elles difterent selon le i\6yoc (ratione); dans la lumiere arrete
Aviccnne, tent de fnirc vnloir i\ litre isol. Albert l'investit done libre- (lamina/o) nux cltoNcs, ctlu elles diffcrcnl sclon l'clrc 1c.c..
ment des tiquettes, a nos yeux, les plus disparates. Un trait central
demeure: l'absorption du modele de Syrianus dans celui d'ai-Firib'. La curactristique du platonisme te! que 1'cntend i\ prsent Albert
Cett~ absorptio? entralne u~e relecture positive du platonisme, qui, a est d'avoir privilgi l'existence des Formes in luminis processu,
son msu, ne fmt que trndlllre chez Albert une sensibilisation crois- nutrement dit leur tnt second, celui de Formes spares non seule-
sante a~x themes plotiniens transmis par la nbuleuse thorique issue ment des choses, mais de la Cause prerniere clle-meme. C'est d'avoir
du Plotm et du Proclus nrabes, une nbuleuse ou le Livre des causes rnlis les formes 1\ la fois hors des choses, ce qui estlgitime, ct hors
majoritairement attribu a l'poque a Aristote, joue un role central: de Dieu, ce qui ne J'est pas. La voie platonicienne n'est done pus
C'e~t done tres normalement, da~s sa complexe paraphrase du Liha incompatible avec la thologic priratticicnnc, elle n'en cst qu'un
de ,uwsls, cou~onncnH!nt thologtque de la mtaphystque d 'Arlstotc, l:ns p111'lk_ulicr. .Suns nvoir Hll posur 1 cxlsll'IIL'c des ld~cs divitH!N, Pln-
qu Albert, crotsant toutes ses sources arabes, donne sa vritable tho- Lon en a recucilli la prcmiere manifcstation, lcur tal rayonnanl, et il
rie des universaux ou, singulierement, Platon, tantot si dcri, retrouve en a fait 1'objct principal de ses anal yses. Cela explique certaines de
)
une place d'autorit majeure. ses erreurs, mais cela permet aussi, une fois sa doctrine replace daos
' Dans le De CtlfJ~Is er proc~ssu universltatls, II, 1, 20, Albert paru- le cuclrc qu'cllc rclnmc, d'en rcetificr lu portc pour lui donner un
p~r~se la propostt~on 4 du L1vre des causes, et, comrne le soulignera sens acceptable. 11 suffit d'idcntifier les ldcs platoniciennes aux
d mlleurs apres lU! Thomas (pour l'opposer sur ce point aProclus) il Formes simples considres dans la lumiere de L'lntelligence
~ontr.e- s~ns.toutef<?is imputer cette these au Livre des causes (qui selon le Liber de causis. Pour effectuer un te! rapprochement, il faut
n ~~t JUmats ctt, mm~ touJ~>urs fondu dans sa proprc purnphruse) - un moyen termc; lu notion fumbieune de Formes du moml!! (j'or-
qu 11 y a, en bon pnpatttsme, un seul et meme Agent incr de mue nutndi)- opposcs uu Formes de la matierc -y pourvoil et a
l'etre et de la vie: le Premier Prncipe, ou Intellect. C'est dans ce bon droit: les Formes qui sont dans le mom/e, dont parle le De intel-
contexte, ce lu de la pseudo- thologie d' Aristote portant a1'insu lectu d'al-Farabi 167 , ne sont-elles pus, de fait, la version pripatti-
d'~lbert la lecture a_rabe, c'e~t:n-dire plotinienne, du pripattisme, se des Formes de Platon '7
qu 1! rvnlue la voze platomctenne proprement ditc : la thorie de Commentant la proposition 1Odu Livre des causes-<< Toute lntel-
la cration dmiurgique selon Platon. Reprenant la notion de sigil-
lati~n dont il avait auparavant montr l 'inanit lorsque, dans le 166. Cf. Albert le Grand, DCPU, II. 1, 20, d. Fnuscr, p. H5, 39-44.
De mte/lectu et intelligibili, elle servail une thorie de 1' impression 167. cr. ni-Ffirfibi, l>e intl'llect11 l'l intl'ill'<'to. d. Clilson, p. 120. 20 l-121, 232.
258 259
La qucrl'ile dt's unilcrsa11x La scolastiquc latine du XIII' siec:le
ligence est pleine de Formes -, Albert met la thorie platonicienne le sec, .qui sont informs par la forme de 1'intellect agent, les
du scenu au servicc d'une analyse du pouvoir formutcur des Formes Fonnes qui sont antrieures aux choses ntteignent In matiere et tou-
dont les lntelligcnccs sont dotes, une nnnlyse de In proccssion chent In mnticrc, nlors ricn n'cmpcche que gnrntion ou nltrntion
comme forma to, causalit univoque expliitement place sous le s'ensuiventiW.
double patronnge d' Aristote et de Plnton. Plnton se voit ninsi
confirm dnns son rle de prcurseur de l'aristotlisme arabe, le S' i1 avait correctement apprci le role du Corps divin - alias la
Dmiurp.c.~tnnt nssimil ~ 1'/ntrlliP.r'lllia O,l(r'l/.1', el ll's dic11x Nl'con- Sphrrc d' Aris1ote, alias In Naturc (on sait que, sous ce titrc re lay
dnlres du llme nux lnteiiiNence,\' suba/temes du Livre des ca11ses. par Jsanc lsmell, se cnche I'Ame lnl'rleure u monde Helon Plotln)-
et plus gnralement celui des Corps clestes, s'il avait su penser
(
Comme le dit ~laton, une forme est appele forme paree que, ' l'apport des qualits lmentales, bref, s'il avait su deviner la thorie
demeurant extneure aux choses, elle forme et imprime son image aristotlicienne d l'duction des formes naturelles et fondre le tout
dans c~ux qu 'elle f?rme. 0\ ne d~meure extrieure nux eh oses que dans un vritable systeme de causalit universelle, Platon aurait
la lumtere substanttelle de 1 lntelllgence agente. La forme est done abo uti aux memes rsultats que le pripattisine. On pense ici a u mot
Un dnns 1'Agent et, en mnnnnt de 1'Agent, elle se diversifie dans d' Averroes, frquemment repris par Albert: Les platoniciens veu-
la pluralit. C'cst pour fuire comprendre cela que Platon a utilis la lent dire comme nous avec 1eursformae, mais ils n'y arrivent pus.
mtaphore du scenu. En cffet, un sceau csr cssentiellement une A suivre la rvaluation du platonisme chez Albert, on voit en
forme qui reste en clle~mllme lmmuublc en formunt tout ce en quoi quoi son ralisme des universaux fait poquc. Avec lu, la problma-
elle s'imprimc. C'est pourquoi il a dit que toutes les choses natu- tique de l'universel passe sans retenue du terrain logique au terrain
re! les procdaient de 1'Intell igen~e agente comme d 'un echmage nuturel c'est-a-dire mtaphysique et physique. Cette ilrtpulsion
[siC: !J ou sceau. Et ce sont ces lumtcres des lntelligences rapportes
nux choses et npnliques h elles qu'il n dcrilcs sous le nom de a
donne une relecture cosmologique de la question de l'universel
Formes ou Ides trlll. rumene uu Time pur ucs voies imprvues, longues et lourmentcs.
Mais c'est par elle que s'expliquent les tendances lourdes du ra-
En fnisant de Platon le pere fondateur de la mtnphysique clu flux, lisme mtaphysique du xv sieclc. Si le ralisme survit ula critique
Albert rvnhlt' du 111~111c c.~oup In si~nilkntlon ct In porto do In cri- occnmistc, c'est puree qu'il ne se bat pas sur le seul terrain de la
tlq~e.urlstotllcienne d~ P!nton. Aristote n'n pus rejet la thorie pla- loglquc et de la Nmnntique, mnls sur celul de In scientia realis, de In
tomcenne de laformatro, 11 en a seulement critiqu 1'instrumentation thologie naturelle et de la philosophie de la nature. La survie accor-
e:
conceptuelle. est pour .des raison~ pl~ysiques qu '~ristote a critiqu
PJaton. Sa thone des umversaux n tatt pas mauvmse dans son prin-
a
de l'universel ante rem du noplatonisme par Albert le Grand en a
ainsi cach uneautre: celle de l'aristotlisme arabe, avec sa relec-
c~pc :-pose~ l'exist?ncc de f<~rmcs spurcs -,ce qui tuit muuvuis,'
ture, qunsi cosmologiquc, de l'universcl in re. Par lui, les deux moi-
e talt son mcapactl a expltquer comment ces formes pouvaient tis dlsjolntes de la premiere culture philosophique du monde
rejoindre la rfalitf physiq11c. chrtien. occidental, le platonisme et l'aristotlisme, se sont rejointes
pour s'opposer au nominalisme et au conceptualisme. Plus que Tho-
Si l'onm'ohjccic qu'Aris1o1e 11 nttnqu6 In position de Plnton dnns In' mas, A\bert est done le premier docteur de la via antiqua
Mtaphysique, jc rponds qu'll ne l'u pas attaque de la maniere ....------0Ii-examine.ra ce point plus bas. Pour l'instant, i1 suffit de noter
qu'on dit, mais qu'illui a reproch seulement d'avoir pos que les -- que la distinction albertinienne. entre universaux ante re m, post re m et
Formes sparcs pouvnient trnnsmucr et formcr clles-memcs le~ in re- el, purallelement, la focalisation sur la distinction avicenniennc
choses. De fait, c'est impossiblc, cnr, pour qu 'il y nitnction, il fnut des lof?ica/ia et des intellectualia- a eu divers prolongements. Elle a
qu'll y nit contncl el, s'll n'y 11 pus uctlon, 11 n pcut y uvolr ensuilc videmmcnl scrvi de fondcmcnt h l'unc des th~scs les plus curnct
altration ct gnration. En revanche quand, par le mouvement du ristiques de l'cole dominicaine allemande du xve siecle: la distinc-
Corps el l'm;tion des quutre l6mcn1s, le chnu, le l'roid, l'humide, tion entre universel Jogique ubstruil (ou universcl de prdicution)
1r.H, <'1'. Allwrt 1L U11111d, /)('/'ll, 11, 2, 21, 6d. Jlnuser, p. 11 ~. 1K<ll. 169.1/Jid., 11, 2, 22; p. 11(,, M-77.
260 261
. '
La querelle des universaux La scolastique latine du XIII' siecle
et universel thologique spar (ou universel de production), dve- d'inscrire Thomas dans J'quivoque constellation historiographique
loppe dans la ligne de la thorie noplatonicienne-proclienne de la de l'aristotlisme chrtien. ll s'ugit seulcmcnt e comprendre que,
prcontenance par Dietrich de Freiberg 170 et Berthold de Moos- pour lui, la psychologie d' Aristote, branche des sciences de la
burg 171 Elle a inspir la doctrine des albertistes du xve siecle: Jean de nature, donne seule l'anthropologie philosophique adquate a
Maisonneuve et Heimeric de Campo. Mais elle a aussi t reprise par la vision chrtienne de l'homme, c'est-a-dire capable d'en assumer
les ralistes anglais du xye siecle, tels que Wyclif, chez qui J'opposi- philosophiquement les rquisits.
tion entre universaux Jogiques et mtaphysiques joue, elle \
aussi, un rle capitaJ172.
LES FONDEMENTS ANTHROP_OLOG1QUES
DI! I.A 'l'III'!OIUI! TIIOMI.'I'I'l! lllt I.A C'llNNAISSANC'l!
262 263
La querelle des universaux La scolastique latine du xm siecle
ralit du rapport de 1'ame et du corps jusquc dans le moment conna't par 1'interrndiaire de Nmsius d'mese, qui affirrne .que
suprCmc de In flicil ultime, nu risquc de flirtcr nvcc luthcsc rcfu- l'fime est unie au corps nu sens ou un motcur est dans un mobllc
a a
sant l' ame des justes 1'acces, antrieurement la rsurrection escha- ou un nocher dans sa nef, si cut motor in mobili et non sicut forma in
tologique, au bonhcur achev de la vision bntifique de Dieu en son materia; Cet antidualisme l'oppose done a la fois a Platon, a Avi-
essence -une thcse qui, reprise asa maniere par le pape Jenn xxrr a
----c:ne, mais atissi, et c'est le plus surprenant, l'aristotlisme anti-
(thoric de In vlsion ditt~ < diiT~r~c ), RIIHL'ILrn, 1111 x1v slcclc, 1111 _ plntonlclen d' Averrob11, cnr co qu'il dnoncc chc'. AvcrrnbA, c'cst
vrltuble cmbruscmcnt de In chrtient. ___.- 1'ide platonlcienne de l'intellect rduit au simple role de moteur de
Ce probleme de pure thologie est intrinsequement li laques- a !'ame humaine, une formule qu'il releve chez les averro'istes de son
tion pistmofogiquc tic In connnissance el, plus spcialemcnt, au pro- temps et que l'on retrouve, eff~ctivement, j~squ'a la fin de.l:a~cr~
bleme de la distinction entre a priori et empiricit. De fait, le ro'isme latir\, notamment chez N1coletto Vem1a, dont le De dtvzswne
probleme de la vision des ((ames spares , antrieurement la a philosophiae (1482) soutient explicitement que, si l'homme indivi-
a
vision di te bienheureuse promise l 'homme apres la rsurrection, due! est constitu d'un corps et d 'une ame sensi,!ive qui se souvient
c'est-i\-dire In runion de l'fime ct du corps, est un paradigme scien- a
et imagine, et, lie la matiere, nalt et meurt comme toutes les nutres
tifique pour toute la thorie de la connaissnnce. A partir de Thomas, formes naturelles , 1'ame intel/ective, en revanche, n 'informe pas
les thologiens prendronl I'hnbitude de poser le problcrne de la substantiellement l'individu, mais prside de l'extrieur ases activi-
connaissance humaine en comparant la connaissance de l'homme ici- ts mentales, comtile les Intelligences reglent le mouvement des
bas a celle de !'ame spare (et par extension de I'Ange, voire de corps clestes, l'inteiiect n't~nt appropri au~ individus que
Dieu), comme si la connnissnnce d'ici-bns, cellc de l'homme fime et comme le moteur /' est au mobzle . C est done b1en une certamc
corps, tnit justicinblc de 1'empirismo nristotlicicn, pnr opposition u intcrprt'ntion de 1'hylmorphismc nristollicicn que Tl~?nHls opposc
la connaissance des ames des justes, avant la rsurrection, justiciable, a a a
lafois Platon et Averroes. Et c'est sur ce fond qu Il faut appr"'
elle, du non-crnpirisme plntonicicn. Par In thologie, done, ct rclnnc cicr sn doctrine de In connnissnnce en gnrul et .c;a doctrine des uni-
sur un terrnln nouvcn11, le dhnt d' Aristote el de J>luton n connu un versnux en pnrticulier.
clcstln sp~cifiquc el 11n prolongemcnt lnnttcndu durnnl tout le Moycn
Age tnrdi f'. 11 f'nu t cepcndnnt bien comprendre le rle de modele jou
par cette dissociation entre deux tats de la connaissance humaine :
l'tat de l'fime unie au corps, dans l'homme viateur; l'tat de l'fime TYPOLOOIE DE.LA CONNISSANCE INTELLECTUELLE
spare du corps, chez le juste antrieurement a la rsurrection. C'est,
mlltatis mutandis, le ml!mc typc de modlisution que celui qui per- Le statut 'de la connuissunce intellectuelle de l'hommc ici-bns se
met a Kant de poser la question de la moral e en distinguant 1'homme, dfinit par rapport aux autres modes de la connaissance intellectuelle
etre raisonnable dont J'entendement est assujetti a la sensation, et des choses de la nature. Dieu, 8tre singulier et simple, intellect par
\. 1' etre raisonnable en gnrnl , rejeton scularis de l'firne spare essence se connalt lui-merne entierement et parfaiteinent, et
et de 1' Angc. L'originnlit de Thomns est de mnintenir jusqu 'a u bout connah-tout, y compris les choses naturelles, non par l'intermdiaire
la naturalit de l'union de !'ame et du corps, et d'affirmer que la d'une species distincte, mais par sa pr?~re ~s.sence, ,dans la mes~r.e
connaissance de 1'homme apres la rsurrection est suprieure celle a ou tout prexiste en elle sur un mode mtelhgible. C est pourqu01 1l
de l'fime spnre: c'est tout le sens du passage ou il argumente avec voit toutes les choses non en elles-memes, mais en lui-meme, dans la
Augustin contre Porphyrc en nffirmnnt que l'fimc spnre du COI'ps mesure oi'l son cssencc conticnt une similitudc de tout ce qui yst
ne peut obtenir la perfection ultime de la flicit , ce pourquoi autre que lui (Summa theologiae I, quaest. 14, art. 5). Cette simi-
Augustin, i\ In fin du D<' G:<'nesi nd lift(!f'mn, pose que, nvnnt In rsur- litude n'cst pas une imnge, ni un cxcmplairc, au scns d'une Forme
rection, les fimes des snints ne jouissent pas de la vis ion di vine de platonicienne rellement distinct~ de son essence, c'est une c~use
maniere nussi pnrfnik q11'nprcs In rsurrcctinn de 1<-m corps . productricc (cau.vn fnrtiva) qu1 cnvcloppe toutcs les pcrfcctJons
L'nnthropologie thmnlstc cst nvnnt toutnntldunllste: elle s'oppose slngull~res des choses en tnnt qu'elles se distlnguenl le~ unes des
rsolument au platonisme , c'est-a-dire a la doctrine, que Thomas autres (Summa theologiae, I, quaest. 14, art. 6). Les espnts purs ou
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Angcs connuissent les choses naturolles non pnr kur propro cssence, semble synthtiscr sinon des lments htrogenes, du moins des
mais par l'intermdiaire de formes ou especes infuses, congni- tapes distinctes. . . .
tales >>, per species sibi naturaliter congenitas, ajoutes a leur C'est pour fairc fnce i\ ceue tfiche que Thon.uts mtr'?dult une dts-
csscncc , qui leur sont communiques au moment de lcur crution tinction cntrc l'objct ct la finulit de In connntssnncc mtcllectuelle.
et qui sont la source directe, purement intelligible, de leur connais- L'objet de la connaissance intellectuelle est ce qu'il appelle la
sance. Les ames spares ont elles aussi une connaissance des choses quiddit des choses matrielles . C'est sur ce point qu'il engage a
naturelles par les es peces infuses qu 'elles rec:oivent sous l'in- la fois (a) la comparaison entre connaissance inte~lectuelle et
fluence de la lumiere divine , une connnissance qui, toutefois, reste connaissance sensible el (b) la distinction entre les dtverses op-
commune et confuse (Summa theologiae, I, quaest. 8~, art. 3). rations de l'intellect, ce qui est pour lui l'occasion de tenter d'articu-
a
C'est par rapport ces trois formes de connaissance intellectuelle ler !'ensemble, apparemment discordant, des theses nonces par
que Thomas dfinit, avec Aristote, la connaissance intellectuelle de Aristote.
l'homine ici-bas.
Lu Cl>llllUHNIIJICI.} de l'hollllliC en ccllc VI.} IH.l pcut se ruin~ pur lu
contemplation directe de l'intelligible: l'union de l'ame et du corps LA THORIE DE L'INTELLECT FORMEL
exige un passage par le fantasme. Ce passage par le fantasme est ce ET L '!MBROGLIO ARISTOTLICJEN
que Thomas appelle la tonversio ad phantasmata, qui est l'oppos
de la connaissnnce per influentiam specierum a Deo. L'assujettisse-
ment uu sensible n'est pus une marque de finitude, c'est le trnit A u dbut du De anima, lll, 6, Aristotc distingue 1' intellection
constitutif d'une nature. Si, en effet, ce n'est pas par accident que des indivisibles, qui a Iieu dans les choses ou le faux ne peut
!'ame humaine est unie a un corps, si elle est unie au corps par la trouver place, et la cornposition de notions , qui correspond a
ruison memo de sa naturc (per rationem suae naturae), si, pur cellcs qui udmcttcnt le fllliX et le vrai (Tricoi,;P 184 ). A lu fin du
consquent, elle lui est unie pour son propre bien (propter melius meme chnpitre, il clarifie cette distinc~ion en opposant ~'in~ell~ct,
animae), c'est-a-dire pour raliser sa nature, le mode d'intellection qui, ayant pour objet l'cssence au pomt de vue de la qu1dd1t, est
par conversion aufantasme , qui, c'est un fait d'exprience (quod toujours dans le vrai , et 1'assertion, qui, affirmant un attribut d'un
per experimentum patet), est le sien en tant qu'elle est unie au corps, sujet, est, par suite, toujours ou vraie. ou fausse (Tri~o~, p. 18?):
a a
cst aussi naturel l'fime que d'etre unie un corps , alors que le L' habitude des commentateurs mdtvaux cst de dtstmguer JCI
modc d' intellection simplement par conversion aux intelligibles , deux oprations de l'intellect , l' intellcction des simples et
qui caractrise les substances spares des corps, est contraire asa 1' intellection des composs , c'est-1\-dire, dans le langage des
nature, prternaturel (praeter naturam). logiciens du X lile sicclc, 1' inlcllectiou des termes ct ccllc des proposi-
Lu C:OIIVc'l',\'io ad plwn/ct.I'I/UIIfl, don! Aristotc u not In tHkcssit en 1ions. Puur pouvolr ddploycr la thdoric d~ 1' intcllcc~ c.x po.so pnr
posunt qu' il n'y a pus de pense sans images , n'est done pas le Aristote en De anima, 111, 4 et 5, a la Iunucre de la dlSlll1Cl1011 for-
rsultat d'une dchance de l'ftme dans le corps (Platon) ou d'une mule en lll, 6, Albert le Grand ajoute al'intellect possible et al'in-
union accidentelle de l'ame avec le corps (Avicenne): L'me est tellect agent (couple qui, selon lui, dfinit les parties essentielles de
unie nu corps pour pouvoir reuvrer selon sa nuture, secundum suam l'fime) une troisieme sorte d'intellect, l' intcllect forme!, irtconnu
naturam (Summa theolo.:iae, I, quaest. 89, art. 1). Dfendre !u d' Aristote, pour fonder ll\ doctrine des oprutions de 1' intcllccl expo-
these uristotlicienne de la ncessil du passage par le fantasme se en De anima, III, 6, et la doctrine de 1' intellect pratique pro-
contre l'interprtation platonicienne inconsquente el' Avicenne, qui pose en ITI, 7. Con9u commc prscnce de la forme du connu (ou
affirmc que l'fime re9oit dircctement les cspcces ill!c.lligibles du de l'objct du I'uc:tion) dans l'fime, 1' intcllcc:t formol porte les dis-
Donateur des formes a condition de s'y etre prpare en se plongeant tinctions aristotliciennes (intellection des indivisibles, intellection
dans le sensible, revient ainsi a expliquer et a justifier la doctrine des composs) et non aristotliciennes (analyse de 1' intellection des
aristotl~cienne de 1' induction abstractive de l'intelligible a partir composs en intellect des prncipes et intellect acquis ) cen-
du senstble. Or cette doctrine rclame une clarification, car elle scs mettre en ordrc la psychologie aristotlicicnne en permettant de
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,.'
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)
La cmrt~llc~ clt'.l' univl!r.1aux /,a ,\,olo.ltittu /atillt' c/u XIII" .1Ndc
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La querelle des universaux La scola.itique latine du XIII' siecle
Mnis il nc s'en ticnt pas Ji\.<< A partir des csscnccs npprhcndcs, il meme qunsi inn, ni d'origine inussignable, comme le suggere la for-
trnvnillc de dlvcrscs mnnl~rcs, soit en rnlsonnnnt (mtloc:lnantlo) soit mule d 'Averro~s sur les propositions premi~res donl nous ne
en cherchant (inquirendo ). A u sens propre, 1' intellection dsigne savons ni quand, ni d'ou, ni comment elles nous sont venues , dont
done deux sortes de saisies : la premiere est 1' apprhension des quid- Albert tirait sa. dfinition de l 'intellect des prncipes. Les termes
dits ;la seconde, l'intellection de ce qui est connu a l'intellect dont la dfirlition est connue de tout le monde sont tirs de la
aussitt (statim) qu'il connait les quiddils des choses, comme le sont connaissance sensible. Tous les intelligibles premiers sont acquis sur
les premiers prncipes, qui sont connus au moment meme (dum) ou le modele de l'npprhension des quiddits. C'est done sur l'appr-
nous en connaissons les termes, ce pourquoi 1'intellect est appel hension des quiddits que Thomas centre sa dfense de l'empirisme
habitus des principcs . aristotlicien contre toutes les formes de rsurgence du platonisme
Dans cette description, Thomns ne lnisse pns pince a l'ide d'in- qui le pnrnsitent.
nit ou de qunsi-innit des termes composs dnns les premiers
prncipes connus par soi . Ce qu'il fait entendre, c'estq1.1e nous
connaissons les premicrs prncipes au moment ou nous connaissons
leurs termes. En soi, une proposition connue par soi est une pro-
L' APPRrtHENS!C)N DES QU!DD!TS :
ESPtiCfliNTELLIOIDLE ET VERBB MENTAL
posilion tcllc que le prdicnl cst inclus dm111 lu ruison du sujet, c'cst
a-dire une proposition dont on ne peut penser le sujet sans que le
prdicnt se manifesle (appareaf) comme inclus dnns su dfinition. Dnns su description de l'intcllcction, Aristote avait non seulcment
Une propostion: wr .H' nota nous _est ninsi connuc des que nous tent de drivcr les conccpts univcrsels de 1'cxpricnce Rcnsiblc,
connnlssons In l'lllson du Nlljct dnnN lnquclle cst inclus le prdicut mnls aussl pr!lent In sensnt Ion comme un modele - un modele
(Quaestiones disputatae De veritate, 10, art. 12). Or ii y a des sujets synergique- de l'intellection, en posant notamment que l'intellec-
dont la raison est connue de tout le monde, d'autres dont la raison tion taii l'acte commun, la synergie, de l'intelligible et de l'intelfi-
n'est connue que des savants. Les propositions dont les sujets sont gent, comme la sensation tait 1' acte commun du sensible et du
connus de tous sont videntes pour tout le monde, cellcs dont le su jet sentnnt. Dnns son nnulyse de _l'ncte d'intellection, Thomas rcprcnd
n'est connu que des savants sonl videntes pour les seuls savants. l'analogie de la pense avec la .sensation, en l'inscrivant dans le
Comme exemple de propositions connues par soi de tous, Thomas cadre gnral du processus men~mt de la connassance sensible a la
prend,l'excmple habitucl du tout (qui est plus grand que la par- connaissance intelligible. Le processus aboutissant a la formaton de
tic), mnis illui en njoutc un nutre, tir des /Jcbdomades de Bo()ce: 1'image dcvient ninsi le modele structurel du processus allnnt de
Si l'on retire. des qunntits gales A des qunntits gnles, on obtient l'image au concept. La tradition interprtative nrabe d'Aristote avnt
des quantits gales. Cet exemple montre bien ce qu'il vise: des insist sur la distinction entre la sensation proprement dite, l'infor-
propositions dont les sujets ont une dfinition connue de tout le mntion o u << immutntion de l' appnreil sensoriel par la forme du
monde. Mais le terme 'quantit' est, comme n'importe quel autre sensible (species sensihilis), et la formation, c'est-a-dire l'opration
terme prcmicr, con9u par ubstructlon !l. partir du sensible, y compris de l'imuglnution entendue comme cxercice d'une vis jormWi1a,
les termes qui ne sont connus que des savants, tel 'incorpore!', qui d'une capacit de former une idole de la chose, de la produire ou
Fonctionne commc sujct tluns la proposition vidcnte par soi pour le de la re-produire en l'absence de tout stimulus direct. Ces deux l-
savant : 'Les incorporels ne sont contenus en nucun lieu.' ments sont repris analogiquement par Thomas dans l'analyse de l'in-
Le trnjct de In connniHNIIIlCC cNt done unlf'onnc: il l'nut d'nbord tellecllon COilllllO les dCUX lllOitlenls, les dCUX f'nCeN d'un memc 1\Ctc.
abstraire la quiddit de choses sensibles pour accder aux prncipes Telle que la comprend Thomas, l'intellection des simples suppose
connus par soi, c'est-a-dire connus par la dfinition de leur sujet. deux lments: (a) l'information de l'intellect possible par une
Quand Aristote laisse entendre que 1'intellect a deux oprations, es pece intelligible (rsultant de 1' abstraction opre par l' intellect
!'une par laquelle il forme les quiddits, !'nutre par laquelle il com- agent); (b) la formation sur cette base de ce que, dtournant une
pase et divise, il donne un schma valable pour toute la connaissance expression d' Augustin, i1 appelle verbe mental ou concept ou
intellectuelle. Un prncipe connu par soi n 'est pas un prncipe inn ni verbe con;:u .Ce verbe con~u ,que l'on peut aussi dsigner du
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----.
.--- ___ _:.,_ __________ ______
.:,_
--------~ ~
tion de l'ontologie platonicicnne i\ celle d'Aristote, ramenant signifie J'essence humaine, le terme concret 'homme' est done prdi-
subrepticement les Formes de Plnton dans 1'hylmorphisme aristot- cuble de cha4uc hommc. En rcvanchc, le tennc abstruit 'humanit 1
licien. 11 n'en est rien: le coinpos Socrate est compos d'une signific l'cssence humaine per modum parts, c'cst-a-tlire l'essence
matiere et d'une forme au sens de A6yot,;'-t-Lopq>f. Cette forme, qui est considre exclusivement comme ce par ou 1'homme est homme
di te forma partis (forme de la partie ), est la forme au sens de ou <<ce d'o l'homme tient d'etre homme , c'est-a-dire sous 1'angle
Myo(;-l-LDp<p{ de ht mutiere. Lu forme du tout, qul cst dile prdicublc d'ullc formule dfinitiollncllc qui nc conlienllllc ce qui uppurtiont
de ce compas, n'est pas une forma au scns de A6yo<;-t-LOPq>J, c'est i't l'homme en tant qu'il est homme .
une forma au sens de Ayot,;'-formule. De quoi Thomas parle-t-i!? C'est ce que rvele un texte para!le!e
Meme s'il est, comme tout le monde, victime smantiquement du au De ente: In 1 Sententiarum, distinctio 23, quaestio 1, articulus l.
tlescopage des deux sens de forma, Thomas d 'Aquin ne fait pus Ce 4ui cst vis, c'est la nature commune consitlre prcision faite
ontologiquement cette confusion. IJ distingue clairement les partics de la malierc dsigne . Le terme abstruit 'humanit' n'est pus
essentielles d 'un compas- sa forme (la forme de la partie ) et sa prdicable des intlividus, car il signitie l'humanit d'un individu pr-
matiere (l'autre partie)- et la formule du tout . On sait que Tho- cision faite de ce quien fait un individu. Dans ces conditions, il n'y a
llln.~ prof'cNNC In dol:trinc de 1'un t dc.o furme.'l subNtnnticllcN, Nclon mur Thottuts uul purndoxe i\ di re i\ In !'o iN ( 1) que 'Sm:rnte cst une
ess~:nce' (cnr 'esscnce' ~.:st pris lclsuus l'ungk de In l'ormule dt'ini-
177. Su~ la distinction des dcux scns de i\yo~ (Myo~-fonnule et Ayo~-formc),
tionnellc complete, per modum totius), c'est-i.\-dire une substance
e f. B. Cassm, << Enqucte sur le i\yo~ dans le trait De /' ilme , in G. Romeyer Dher- corporelle anime raisonnable, et (2) que 'l'essence de Socrate n'est
hey (d.), t11drs Sltrlr. De anima d'Aristote, Pnris, Vrin (sous press~:), pus S oc rute' (car 'essence' est pris ici sous 1'ungle de la formule
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\
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La querelle des universaux La sco/astique latine du XIII' siec/e
gnrale1!1ent applique aux expressions techniques du mtalangage
grammallcal (,'nom', ~erbe'), m~is, chez Augustin et Boece, elle est GENES E DES THORIES MDIVALES DE L 'INTENTIONNALIT
tendue nux. cmq p~(llcnbles log1ques. Selon f3occc, les expressions
de scconclc Jmpos111on ou noms de norns )) (nomina nominum) sont Au Xlll 0 siecle, le cndrc premier de In problmntique des intcn-
employes mtaphoriquement (secundumfiguram). Cette analyse est timws est, dans la ligne. de lu trndition arnbe, source lmmdlnte de lu
reformule au ~oyen Age, da.n.s un cadre propositionnel, par le notion, la question des rapports de subordination entre grammnire et
r~cours u la notton de supposttlon (rfrence) des termes sujets logique. Un bon exemple de cette premiere tendance est le commen-
el noncs.dnns lcsqucls. le prdil:nt nc pnuvnnl etrC' rnpporl i\ une tnirc clu Vol//nU'/1 maior de Priscien nttribu h Robcrt Kilwardby, cui
chose lt.tt!tvlduclle. extnu,nentule, le sujet est mis pour lui-meme distingue les ~rlnclpes de In grummuire, les modes de slgnlftcr
(supposttlon matnelle: Homme est un son') ou pour un concept (modi signific'dndi) ou de consignifier (consignificandi) gnraux ou
(~upposition dite simple>>: 'Homme est une espece'). La distinc- spciaux des tnots (dictionum) , et ceux de la logique, les inten-
t~on des (( ~uppo~itions)) n'est q.ue partiellement lie a la problma- tions communes fondes dans les choses (fundatae in rebus), pour
tlque. des mtenttotu?: Elle n nms1 un dvcloppemcnt uutonome : montrer qu'il y n entre cux une dispnrit interdisnnt toute subor-
thone des supposttwns et thorie des intentions couvrent des dination. La conclusion de l'auteur est que la grammaire ne se subor-
do~nuincs nussi c~isti.n~ls ~uc le ~ont originnircment les problcmcs de donnc pns lu logiquc 17H. Cette << sparntion des prncipes de la
rtrence et de stgnt ftcatwn. C est seulement au xyc siecle dans le logique et de la grammaire sera prcise et nuance dans l'univers
nominnlisme occnrnistc, que les deux ensembles sont nrticu,ls duns doctrinal des Modistae ou, dfinies comme etres de raison fonds
un~ seule tl!orie.: la thorie du signe. L'absorption du langage ana- sur des modes d'etre des choses (entia rationis fundata super
lyttque des mtentwnes dans celui des suppositiones est la marque d'un modos essendi), les intentions seront discutes en parallete avec les
changement de paradigme philosophique, qui voitl'inscription de la modes de signifier (modi significandi), l'annlogie dsormnis recon-
problmntique de l'intentionnalit dnns celle de In rfrence. Ce tour- nue entre annlyses gmmmaticale et logique reposant sur le parnll-
nunt, op~ p~r Occum, est soliduire d 'une nouvelle psychologie axe Iisme structurel du rnpport entre voces el nwdl es.wull (b truvers les
su.r la dfmttton du concept ment1tl comme signe, une dfinition qui rationes Sf?nificandi et consif?niflcandi) et intellect et modi essendi
lut pennet de rduire ula fois smiologiquement et psychologique- (a travers les intentiones primae et secundae).
ment 1'imentio (voir encadr). Ce cadre gnral pos, 1'volution de la problmatique des inten-
Bn recentrnnt In prohlmntlquo des lnlcntlons HUI' ccllo dc!l tlont,, Ne droulc prlncipnlctnent nunivcnu de In df'inltlon de l'ohjcl
concepts ~entau.x ~.nten~us comme signes, Occnm opere toutefois de la logique. C'est a l'poque des Summulae dialectices de Roger
une rduct1on qu1 s mscnt elle-mcme dans une discussion tradition- Bacon (vers 1250) que la dfinition nvicennienne de la logique ( Ie
nelle. Si, comme 1'affirme Occam, les intentions sont des en ti- sujet de la logique, ce sont les intentions secondes en tant qu'appli-
ts mentnles qui, de nnture, signifient quclque chosc (l'11fia in ques nux intentions premieres) fait son entre. Chez Bacon lui-
a.nima nata significare aliquid), on peut effectivement se demander m~me, la dfinition de l'objet de laJogique entendue comme habitus
SI Ce !le SOilt pas de pures fictions (JiR/71C'II/O), de simples etres intellectuel (capacit, habitude de discerner le vrai du faux ) fait
de rntson (en ce cns, il n'y n nucune distinction relle entre pre- explicitement intervenir la distinction avicennienne des intentions :
mi~res et secondes intentions, concepts de choses et concepts de A partir des intentions premieres, comme homme, on abstrait une
concepts), mnis co.mme, en tant qu'actes cl'intellection, on ne peut intention commune, qui est l'universel en logique, ce qui montre bien
pas ne pas leur attnbuer un certain mode d'etre spcifique, des la fin que la logique porte sur les intentions secondes appliques aux pre-
du xmc siecle, l'habitude est prise de s'interroger sur le statul ontolo~ mieres 179, Au xme siecle, la dtermination de l'objet de la logique,
gique des intentions, spcinlement des intenticms sccondes : Sont
elles quelque chose ou rien'l ,ce qul, du meme coup, dtermine une 178. Cf. K. M. Fretlborg 1!/ al., The Comn1cnlury on Prisdwws Mulo!' Ascrlbctl
tape spcifique dans 1'histoire des universaux. to Robert Kilwardby , CIMAGL, 15 (1975), p. 27.
179. Cf. Rogcr Ilncon, Quarstione,f .ruua libros qtwlluor Phy.fic:ol'llm Ari.rtotrli.l',
d. P. M. Dclorme ( Opern Ilnctenus lncditn Rogcri Ilnconl ,VIII), Oxford, Cln-
rcndnn l'rCHH, 1'J211, p. 71.
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vritable lieu commun pistrnologique, se fait en lrois directions : comme prncipes des uccidents, reconnult des esscnces simples et
(a) distinction avec la grammaire, daos l'opposition entre les spares , ou intentions premieres, alors que la Jogique n'y voit que
intentions secondes relies par l'intellect aux proprits des choses des intentions secondes fondes sur ces essences.
(intcntions logiques) et les intentions sccondes considres comme Celle triple distinction, qui suppose l'cntrc du corpus aristotlico-
proprits des noms des choscs (intentions grummaticalcs); avicennien, u un invuriant: quel que soitl'aspcct considr, l'objet
(b) distinction avec la physique, assigne au niveau du genre de la logique reste constitu par les intentions secondes.
d'abstraction effectue: abstraction d'unc intention a partir d'une Chez Bacon, le probleme de l'intention sccondc est confin acelui
eh ose, ~e qu~ est }e 1mo.de de ~~erminuti.on de. l 'tunt physique, de l'ubstruction: l'univcrscl logique cst i\ In fois nbstruit des inten-
abstractwn d une mtentwn a partir d 'une mtentwn , ce qui est le tions prcmieres et fond sur e11es. Les noms de premiere inten-
mode de dtermination propre a la logique; . tion comme 'hamo' ou 'animal' signifient tout ce qui est homme
(e) distinction avec la mtaphysique, qui, daos le genreet l'espece ou animal daos la nalure, c'est-a-dire en dehors de l'imagination .
Les noms de seconde intcntion ne significnt pus les choscs elles-
e180. Cf. J. Pinborg, Die Logik dcr Modistnc , S/lulia Mcdiewistycwe, 16 a
mcmcs, mais une ccrtaine raison laquellc l'intcllcct subordonne
ons). p. 60. les choses . Les unes, done, significnl des choscs, les uutres non,
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La querelle des universaux La scolastique latine du Xlll' siecle
car elles n'appartienncnt a aucune catgorie d'tant (non sunt in revanche, 1' intellection d 'homme comme es pece o u dfinition est
aliquo predicamento). Cette distinction n'implique pas que les noms une intentio -Secunda 182 L'intuition de 1'essence, identifie par
de secunde intcntion nc significnt pus pur soi . En fnit, commc les Sitnon i\ l'intention premiere, 11'voque pns d'emble l'intuition de
noms signifinnt des choscs, ce sont des cxprcssions cntgormu- l'essence avicennienne dans son indiffrence et sn sparntion
tiques (i.e. qui signifient par elles-memes ).La diffrence entre idtique, mais plutot ce qu 'Aristote appelle 1' intellection des indi-
les intentions rside uniquement dans le fait que les universels visibles (De an., III, 6, 430a26).
logiqucs nc sont d'uucunc cntgoric (non sunt in predicamento), brcf De fnit, Simon propose sn clnssification des intcntions a partir
n'nppnrtiennent pns nu monde rcl >> 1" 1 ct n'ont qu'un ~lrc purc- d'une distinction des trois oprations de l'intellcct prcisn1enl
mcnt lntentionncl, un etrc duns l'L\me)) (es.w ;, anima). extrapole d 'Aristote (De an., lll 6, 430a26-28) : npprhenslon des
Dans la seconde moiti du xme siecle, la question du statut ontolo- simples, composition et division, ratiocination -.un topos que l'o~
gique des intentions secondes se dveloppe dans un contexte plus trouve dja dans la Lectura Tractatuum de GUIIhem Amaud, 9u1
psychologique, en liaison avec la thorie des trois oprations de l'in- dfinit la premiere opration de l'intellect comme apprhenswn
tcllcct. des quiddits simples tHJ - et il distingue trois types d'intcntions
secondes (simples et incomplexes , composes ou complexes
et plus complexes ) d'apres cettc meme division.
SIMON DE FA VERSIIAM : LA TIIORII:l DES INTENTIONS
Les intentions secondes du premier type, par exemple celles de
ET LA IJISTINCTION DES TROIS OP~RATIONS ()[! L 'ESPRIT
genre et d'espcce, sonl fondes sur des objets (obiecta) eux-memes
simples et incomplexes, !'animal, l'homme, qui, tous deux, sont
quelque chose de simple (quid simplex), un indivisible au sens
Pour Simon de Faversham, la distinction entre intentions pre- aristotlicien du tenne. Elles sont simples paree qu'elles dcoulent
micrcs et sccondcs n'cxclut nullcmcnt In rcconnoissnncc d'un ccr- do In prcmicrc oprution de 1'intcllcct qui est 1' npprhension des
tuln caruct~re d'ubstruction h !'intentio prima. Premieres et secondes ralits simples (simplicium a>prelzensio). Les intentions secondes
intentions ne se distinguent ni comme le concret de 1'abstrait ni du deuxieme type, par exemple celles d'nonc ou de proposition,
ml\me commc In chose intcllige (res intellecta) et 1'intellection de sont fondes sur des objets composs el complexes , c'estadire
In chose (intellectio l'l'i). Ln diffrence entre prcmieres et secondes . __ surl'ihrence d'un prdicat a un sujet. A ce titre, elles relevent de
lntcntions t~sl lll.lt' distinction cnlrtl com;epls donl les uns d~notcnl les _ -- tu Necontle uprution de 1' lntcllccl qui csl In composilion et In divi-
eh oses et leurs na tu res se Ion une intellection essentielle, tandis que --- - : sion des ralits simples. Enfin, les intentions secondes du troisieme
les nutres, dfinis commc des conccpts scconds , pcrmcttcnt i\ type sont fondes sur des objets pl~s complexes . Ce. ~ont les
l'dme d'apprhender la chose non plus. en elle-meme, mais en rela- a
intentions correspondant un enchamement de propOSit1011S OU
tion nvec nutre chose, selon une intcllection nccidcntclle ct rclntive. d'noncs: raisonnement, syllogisme, lieu ou argument. Comme
Autrement dit: qu 'elles soient premieres ou secondes, toutes les telles, elles dcoulent de la troisieme opration de 1' intellect : la
intentions sont des concepts, ce qui, dnns les deux cns, signifie une ratiocinatio.
nctivit intellectuelle; In diffrence est que l'intention premiere n le Des Simon de Faversham, nous nous trouvdns en prsence des
privilege de renclre prsente 1\ l'ftme In chose mhne, abstrnite de principales doctrines et distinctions qui marqueront la rflexion des
toute condition individuelle . L'intention premiere n'est ainsi rien intentionnistes et de leurs adversaires sur pres d' un siecle. C' est
d'autre que l'intellection d'une chose dans ce qu'elle est, par
exemple homme subsum par un concept essentiel (sub intellectu
essentiali). C'est ccttc intellcction esscnticlle de In rnlit6 humninc, 182. Cf. L. M. De Rljk, Ontho Ocnulnc Tcxt of Pctcr of Srnln ~ S11mm11/ar loRI
cette intuition ele 1'csscnce ltomme, qui est dile intentio prima. En ~ates,U: Slmon tl Fnvcrshnm (t 1306) ns n Commcntutm o thc l'rncts,lY of thc
Summulae , Vivarium, 6 (1968), p. 94. ,,
183. Cf. L. M. De Rijk, On !he Gcnuinc Tcxl ... , IV: Thc T~crrura TraC'Iallmm by
1Rl. Cf. J Plnhorg, l.ogik 1111rl Srmcmrik 1m Mirrc/alrrr. /:'In llt'l1rr/Jiick ( Prohlc- Guillclmus Arnnldi, Mnslcr of Arls 111 Toulousc ( 1235-1244) , Vi1arium, 7 ( 1969},
tnnln , 10}, S1t111gnr1-Bnd Cnnnslnll, Frommnnn-llol1.hoog, JJ72, p. 1) l. p. 130.
288 289
184. Cf. L. M. De Rijk, On the Gcnuine Text..., li ,p. 91. 185. Cf. L. M. De Rijk, On thc Gcnuine Tcxl ... , 11 >>,p. 87.
290 291
La querelle des universm1x La scolastique latine du XIII' siecle
pe~t ainsi etre considr de deux manieres. De toute fa9on, qu 'elle tio) 1 alors que celui des concepts aux choses est naturel, c'est-a-dire
so1t ou non explicitcmcnt rfre h des suppl\ts, l'intcntion sccondc fond sur une ressemhlancc. Pour Aristole, le concept est done une
reste cognltl~cmcl~.t trlbutnlre des rulits sur lcsqucllcs elle se slmilitudo re/. C'cst ccttc similituclo que les intcntionnlstcs1 s'cf
fonde :. .Les mtent10ns s~condes ne nous sont connues que par 1' in- forcent de dconstruire en introduisant l'ide riouvelle de l intentio
termchmre des choses obJcctuelles (res obil'ctas) sur lesquelles elles re comme prsence intentionnclle de la chose meme. La prsencc
se fondent, cnr l'intcllcction de ces intentions, qui cst cnuse de ces intentionnellc cst dcstine a liminer la forme-similitude )) d 'Aris-
lntentlons, nc pcut se mnnll'cNtcr que ptll' l'lntcl'tndlnlrc deN choscs lolo: 1'invnrinm:c du eom:cpt ne licnl pn.'l ~ sn rcNNcmblnncc nvcc
<:bJectuelle~. Ln rnl!t de 1'unlversel e~t done lie ll sa prdicabi- la chose extrieure, mais ala possibilit pour l'fime de se rendre pr-
l~t ?e plusteurs suppots .Elle se dfimt par l'aptitude, au seos ou, sentes les choses intentionnellement.
l.umvers~l tant ce q~i est apt~ de. nature etre prdiqu de plu- a
steurs , ti a une raltt de prd1catton. Le ralisme de Simon est
celul de la prdicablllt de l'essence, qul fait'd'elle un unlversel Pdseuce iuteutiomtelle et objectit
rel de prdication (rmiversale reate predicationis): une ralit qui
n'est ni celle d'une chose ni celle d'une proprit dans les choscs. La C'cst chez les modistes que le theme de' l'intentionnalit commc
ralit de l'universel est d'etre vrifiable d'nutres ralits quant a prsence intentionnelle des choses ou des concepts a l'intellect se
l'etre de l'intention ,pro esse intentionis 1116, dveloppe de la maniere la plus systmatique en une problmatiquc
de statut intentionnel ou, si l'on prrere, de ralit >> de l'intention
elle-meme. La conception modiste 1 qui repose sur le paralllisme de
la grammaire et de la logique (sons vocaux, voces, et concepts,
JNTENTIONNAI.ITP. TlT ONTOI.OOIE
intcntiones,1 ltmt rnpports uu fonds commun des muni~rcs ou
modes d etre des choses, modi essendi rerum), est fondamenta-
Les themes dvclopps par Simon de Faversham sont communs a lement oriente vers 1' ontologie. La distinction des intentions
tous les penseurs de la seconde moiti du xme siecle. Cette unifor- premieres et secondes y est ainsi labore a partir de la diffrencia-
mlt s'oxpllqut' l'll pnrtlc pnt (I."H mlglncH nl'lslolllclenncs de In 1ion ont iq u e dcR (( modcH d '81t'o ptoptcs el deN nwtloM d '81n1
problmatlque philosophique des intentions, qu'il s'agisse de la doc- communs )) des choses. Les intentions tant dfinies comme des
trine de la signification expose au premier livre du De interpreta- connaissances (cognitiones) ou des angles de saisie (littrale-
tione (l6a6-7 : Les sons vocaux sont les signes des concepts de ment des raisons d'intellection , rationes intelligendi), intentions
l'ame, et les concepts sont les signes des choses ) ou de celle de premieres et secondes se distinguent, selon les modistes, comme la
1'es pece intelligiblc formule a u troisieme livre du De anima connaissance propre ou ubsolue se distingue de la connaissancc rcln
(8, 431b30-432a1: Ce n'est pas la pierre elle-meme qui est dans tive, les intentions secondes prsupposant les premieres >)
!'ame, mais In forme, species, de la picrre ). La rencontrc de ces considres comme primae cogntiones rei. On retrouve done chcz
dcux nutorits dtcrmine un pnrndigme scientifique: dans In mesure eux, porte a son maximum de systmalicit, l'ide d'une dtermi-
oi'l elle trnvnllle ~ pnrtir de In smnntique nristotlicienne, In psycho- nntion des intentions sccondes commc caractrisation transccndnn-
l~gie intentionnelle a affaire a une structure ou le concept, comme tale des choses, rgle par le topos de la triple activit de
s1gne, est pens en meme temps comme forme de la chose. Or le 1'intellect : Ce sur quoi porte (Gegenstand) une intention seconde
signe conceptuel aristotlicien est un lnvariant (il est le meme n'est pus un objeten soi (ein Objekt an sich), mais un objet consi-
che7. tous les hommes), contrnircment nux mots (qui vnrient d'unc dr6 dnns sn relntion nvcc d'nutrcs objcts 187, Pour fnlre fnce nux
langue allautr~). paree que, pour Aristote 1 le rapport existant entre contralntes el u modele smantiq ue el 1 Aristote, et le dpasser, la doc-
les mots el les concepts est conventionnel (il releve d'unc imposi- trine de l'intention est ainsi complte par une doctrine de l'imposi-
tion qui pose de maniere nette 1' ide d 'un mouvement de 1' intellect
I!Hi. (.'f'. '1'. Yokoyn111n, H Sllllllll uf JIIIVl'I'Nillliii'H SophiHIIlll llllil't'l'.l'llft st
1
lntentio , Metliaeal Stutlies, 31 ( 1969), p. 11. 187. Cf. J Pinborg, Logik und Sernantlk ... , p. 91.
292 293
vers son objet. On prend ici deux exemples : les Questiones de uni- a
En termes aristotliciens, la question pose la psycho!ogie n'est
versalibus de Pi erre d 'Auvergne, puis la doctrine, plus copieuse et plus d'expliquer quelle action les choses extrieures exercent sur
plus difficilc, de Ruoul Le Brcton. 1'lmc pnr 1'intermdiuirc des es pece sensibles, muis de dcrire In
maniere dont l'intellcct, entcndu comme puissance d'apprhension
(potentia apprehensiva), passe a l'acte (pe!jlcitur) et se termine (ter-
Pierre d'Auvergne: l'intentionnalit minatur) comme saisie de que/que chose. La formulation de Pierre
com1110 orientatio11 vers les clloses d'Auvergne nc permet pus d'lucider cnticrcmcntlu question, cnr
elle reste tributaire d 'une dfinition de l'intentionnalit comme
Pour Pi erre d 'Auvergne, les noms sont imposs par l 'intellect aux orientation vers les choses. C'est chez Duns Scot, Questions tres
choses qu'il saisit par un acte d'intellection. Mais l'intellect a deux subtiles sur la Mtaphysique, VII, quest. 14, 5, que la thorie
fnc:ons de s'orienter vers les choses (supra res ipsas intellectus dup/i- trouve su formulntion complete, quund il nffirmc que dnns une
l'C'/11 llafu!l motum). Le premic1 mouvemcnt cst cclui pm lcqucl 1' in pliSSIIJil:ll npprhcJIS Ve, 1'61!Sillclll llllliCUJ' ll '11 pus 1\ 8tf'l.l 1'objet
tellect s'oriente vcrs les choses directcment ou immdiatement. Par ce propre de cette puissunce sous 1'ungle o u il esl moteur, mais l' objet
mouvement, il acquiert la connaissance de la nature des choses aux- sous l'ungle ou il termine ladite puissance , c'est-a-dire lui sert de
quelles iJ impose un nom. Cette nature est la quiddit, et le nom terme, de pote d'actualisation, de termin(Jison- ce qui revienta dire
impos lui-m~me est u11 nom de premiere intention ('homme', 'ani- qul! In puissun<.:c <.:ognitive n'a pns tnnt urcccvoir l'cspece de l'ob-
mal', 'Socrate '), cnr il signifie le concept de 1'intellect orient de jct (recpere speciem o/Jiecti) qu'~ s'orientcr vcrs lui pur son acti
maniere premiere vers la chose meme (in rem ipsam primo intenden- vit (temiere per actwn suum in obiectum). Cette orientation vers
tis) ;Le second mouvement est celui paf'lequell'intellect s'oriente l'objet supposc une distinction fine entre la chose (la res) et l'ohiec-
vers une chose djii. apprhende , pour y rattacher les condi- tum. Cettc distinction est lubore par les modistes, notumment par
tions de la considrution desquclles dpend l'attribution d'un nom Ruoul Le Brcton. Commc illn dcrit, l'aclivit de l'intcllcct produit
de seconde intention ou nom universel .Le theme de l'intention- une diffrenciation des intentions premieres et secondes qui aboutit ll.
nalit est done ici intrinsequement li acelui del' activit, o u mouve- une classification systmatique sans laquelle on ne peut comprendre
ment (motus), par laquelle l'intellect s'oriente vers les choses. la thorie de Scot. Cela tant, la psychologie intentionnelle de Raoul
L'orientation vers les choses n'est pas encore l'orientation vers un n'arrive pas jusqu'au point ou la poussera Scot, car, restant dans le
objet : c'est l'pure de lu thorie de l'intentionnnlit comme objecti- cudre de la thoric uristotlico-uvcrro'iste de l 'ubstruction, elle ne
vation, non la thorie elle-meme. Le retoumement dcisif de l'auto- peut maintenir jusqu'au bout la these de l'intentionnalit comme
rit d' Aristote en De anima, III, 8, 431 b30-432al, n'en est pus moins orientation vers un ohjet, a luquclle Scot uttcint uu contruire puree
op6r. Ln prscncc intcntionnellc de tu choso 1\l'intellcct n'cst plus qu'iludllcrc uu duulismc mdicul J'Avkcnnc.
pense sur le seul mode de l'impression psychique, de la passio ani-
mae, qui, dans une lecture strictement empiriste et naturaliste, faisait
dire a Aristote que les concepts sont des impressions ou similitudes
des choses dans l'fime. Grfice l'intentionnulit comprise comme
RAOlJL LE BRETON: LA STRUCTURE OE L'INTENTIONNALIT
ET LA PSYCJIOLOGIE INTENTIONNELLE
orientation, tension de l'intellect vers la chose extramentale, il va
devenir possible de distinguer entre la rceptivit enten<.luc comme
impression d' une espece en /'ame par la ehose elle-meme - qui Le point de dpart de Raoul Le Breton est une dfinition de l'in-
ouvre le redoutable problcme du pussage de 1'impression sensible tcntion comme ce pnr quoi l'intcllcct s'oricntc vcrs une chose
au concept intelligible, auparavant rsolu par la distinction entre (tendit in re m) el sa description usuelle en termes de connais-
espece imprime dans les sens ct espece exprime dans la pen- sance et d'angle de suisie , ou ruison d'intellcction (ratio
, se , species impressa, speciesexpressa- et la rceptivit entendue inte//igendi). Toutefois, il articule les distinction; courantes (celles
dans le cadre du processus par Jeque! une pussance cogntive de Simon de Fnversham ou de Pierrc d'Auvergne) en une vritable
s' oriente par son acte vers un objet. combinatoire ou l'on retrouve le topos des trois oprations de l'intel-
294 295
La querelle des universaux La sco/astique latine du Xlll' siecle
lect et la thorie smantique des paronymes. 11 peut ainsi faire jouer tiva), ou relationnelle (in habitudine ad aliud), une intention seconde
nux trois niveaux d'op6ration une meme distinction entre l'abstrait et qui dpend de la premiere opration de l'intellect. Mais cette inten-
le concret, qui lui permet de r6sorber I'opposition trivialc de l'inten- tion seconde se divise 1\ son tour en abstrnite et concrete. Est abs-
tlon et de In chosc. Au nivcnu de In prcml~rc oprntlon, l'npprhen- trulte 1' intentio secunda in abstracto, la connaissance d 'homme en
slon d'une ralit selon son mode d'@tre propre, Raoul distingue relation a nutre chose ; est concrete l'intentio secunda in concreto,
entre premiere intention abstraite, connaissance de la chose la chose ainsi connue >>, 1'universel. Autrement dit, pour Raoul,
(cognitio re), et premiere intention concrete, chose ainsi connue genre, espece ou diffrence sont des intentions secondes constitues
(res sic cof?nita). 11 retrouve ainsi le themc de la paronymic (rapport par In premierc opration de l'intellcct. Ces intentions permettent de
abstrait/concret) qui fournissait ~ Simon de Faversham le cadre saisir leur res soit comme une espece qui se trouve con~ue en plu-
gnral d'intelligihilit ncessaire 1\ l'lucidation du stntut des inten- sieurs ralits diffrant les unes des nutres en nombre, soit comme
tions secondes. Chez lui, cependant, la correspondance entre la un genre qui se trouve con~u en plusieurs ralits diffrant en
significntion pnronyrniquc et le stntut srnnntique des intcntions se espece, Dans les deux cas, l'universel est prdicable de la rnlit
gnralise en une vritnble thorie de l'objectit intentionnelle, puis- quidditativement (in quid). Mais ces memes intentions permettent
qu'il soutient que toute espece de connaissance dnomme son objet aussi de saisir leur res comme une diffrence qui se trouve en plu-
comme les accidents ahstraits dnomment /eur sujet, c'est--dire sieurs rnlits diffrant par J'espece. Duns cecas, la prdication est
concretement: Et ita semper cognitio denomina! suum obiectum, qualitative , in qua/e. '
.vicltl accidentia ahstracta denominan/ su 11m suhiecwmiHB, En distinguunt In cognitio ltominis ou secunda intentlo In abs
tracto, e 'est-a-dire la saisie d' homme dans son universalit comme
commun a plusieurs, et l' homo sic cognitus ou secunda intentio in
Thorie gnrle des intentions concreto, c'est-a-dire l'universel, selon cette meme dualit de l'abs-
trnlt ct du concrct qu'iln d'ubord nppliquc nux lntentlonM prcml~roH,
La prima intentio in concreto est le couplage d'une res intenta et Raoul peut done poser que la ralit apprhende selon l'intention
d'une prima intentio in abstracto. La nouveaut du programme seconde abstraite d'universalit est l'intention seconde concrete d'un
intentionniste est manifeste des cette dfinition. Une chose n 'est universel: dire 'Homme est une espece' c'est dire que 'homme' est
pas dans 1'fime, ni seulement sa reprsentation ou similitude : ce saisi intellectivement comme applicable a des ralits numrique-
qui est dans 1'fime , c'est une intention premiere concrete. Cette ment distinctes et comme prdicable d'elles quidditativement. Raoul
correction n 'est pas purement terminologique. Ce que veut di re raffirme ainsi la systmaticit du Iien entre paronymie et intention-
Rnoul, e 'est qu 'une eh ose est prsente a 1' ame (a) en tant qu 'elle est nalit: 'Homme est une espece' est une prdication paronymique
le p61e de su vise, qu 'elle est ce vers quoi 1'fime est oriente, res (denominativa) au sens ou, prcisment, l'esse intellectum reste acci-
intenta, et (b) en tant qu 'elle est vise a travers une ide correspon- dente! a la chose. L'universalit n 'est prdicable qu 'in concreto:
dante, une intentio abstracta. L'intention premiere concrete Quand je dis qu"Homme est une espece' je dis seulement queje
d'homme, c'est un homme individue! prsent a !'ame en tant saisis 'homme' comme prdicable quidditativement de plusieurs
qu' homme individue!. A ccttc prcmiere intcntion d'une chosc s'op- , numriquement distincts.
pm;e, nu nivcau mCmc de In premierc op6rntion do l'intcllcct, In
connaissance d'homme en tant qu'il est en plusieurs (in pluri-
hus). La connnissnnce d 'homme en tnnt qu 'il est en plusicurs est lntentionnalit el ontologie des propositions
In connnissance d'lwmmt' comme prncipe d'intellection d'une plu-
rnlit , c'cst-i\-dirc d'hollmtc en tnnt que rcp15rnhlc en pluslcms Ln distinction entre prcmicrcs ct sccondcs intentions cst nssigne
(reperibilis in pluribus). C'est une connuissnnce relative (respec- derechef a la seconde opration de l'intellect. Cette seconde opra-
tion dfinie classiquement comme composition et division des pre~
188. Cf. J. Pinborg, << Rnulphtis Drito's Sophi~rn on Sccond lntcntions , V/va- miers apprhends , c'est-l!t-dire des termes, porte done sur un
rium, 13 (1975), p. 141. . complexe qui, pour elle, possede la raison d'objet (rationem obiecti).
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__ _________ _________
--'- ..:,_ ;._ ___ ..... ---- ---
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La querelle des unil'l'rsat/X La scolastique latine du xm siecle
de 1'inlcnt ion nhstmite, In rnlson 111~111c de sn di ITrcncc nvec 1' inlcn- connnlssunce . Cette doctrine marque un stude purtlculler duns
tion concrete, rside uniquement daos le fait que, premiere .ou 1'histoire de la problmatique de la connaissance intellectuelle : elle
secondc, 1'intention abstraite rcprsentc un con ten u qui nc pcut l!tre renonce apparemment nu langnge des especes sensibles et autrcs ; 1
prdiqu en tant que tel d'aucun objet ou, si 1'on prtere, qui ne peut
etre prdiqu que paronymiquement, e 'est-i\-dirc concrctemcnt.
L'intention abstraite est plus une raison d'intellection qu'une
impressions psychiques de la scolastique du XIne siecle; elle met en
place une structure que Duns Scot vn boulevcrscr nvec In thorie des ..
:\'
deux causes concourantes partielles de l'intellection de l'universel:
connnissnnce, nu sens ol'1 1'on nttend gnrnlcmcnt d 'une connnis- la nuturc commune et 1'intcllcct ngent. Mnis, mulgr son lnngnge, le '.l
sance qu'elle soit connaissance d'un objet. Ce qu'elle indique ou probleme du len de la psychologie intentionnelle avec la thorie des
contient n'est que In nnture ou forme pnrticipnhle pnr les individus, espcces ct le modele nristotlicicn de In similitudo n'cst pus limin.
e 'est une dterminulionqui cst, pour uinsi di re, coi'ntellige dans Dire qu 'il y a deux causes de l'intellection de l'universel ne veut ,f
l'intention concrete sans etre prdicable des choses elles-memes. pas dire qu 'il y ait deux causes concourantes, dont l'une seulement, i
Par ti\, Rnoul rclic systmatiqucmcnt les trois grnnds couples de l'intellet ngent, ngimit sur l'intellect possible, tnndis que l'autre, le '. i
i
notions qui dominen! la problmntique des intcntions: chosc et rnison <pvro.oJ.o., ne s7rnit que l'oc~nsion d~ cettp nction. Ce que sou~ient .':
!
d'intcllection; intcllcction et co\'ntellection; signification et consi- Raoul, c'est qu'tl n'y u pas d'mtellectton sa.ns un funtasme, muts ce
gnification. Si 1'intellect saisit une chose sous un certain concept, il fantasme est prcisment ce sur quoi s'exerce l'activit de l'intellect
n'y u pus d'inconvnicnt i\ poser qu'il co'intelligc a la fois ce concept agent. Autrement dit, si la chose sensible n'affecte pas directement 1
et le fait qu'il intellige la chose meme. JI fnut ninsi distingucr intel- l'fime comme sensible, mnis comme fantasme (phantasiata), il
li~~l' t'l coYntt'lli~l'l', \'1 de 111f1111tl slgnlflt'r t'l ~'OIINignll'il"r, l'lll', Hll~'cHI nppnrtlent touj<>UI'H 11 l'lntcllect ngc11t de tller du mm}" tl'etre do In
bien lu chose qui est signifie par le son vocal, le concept et la chose te/le que la prsente ledit fantasme une maniere de conce-
raison d'intellection, sous lesquels la chose est signifie, sont consi- voir (ratio intelligendi) la chose. Ce que veut prserver Raoul,
gnifis pur le son voca1 190 . C'est sur la base de cettc synthese c'est le paralllisme du rel et de la pense, des modi lntelligendi et
conceptuelle des domaines de la paronymie et de 1'intentionnalit que des madi essendi, tout en cnrtant 1'hypothese d'une action di recte tjl
190. Cf. Rndulplms Brilo, Quarsliones in De iiiiC'tpr.. qunl'sl. 3 N, lcxlc i11 J. Pin- 191. Cf. Avcrro~s. In De an .. III, commcnl. 12, d. Crnwford, p. 427, 22-23.
borg, Die Logik dcr Modislnc '' p. 53. 192. Cf. Averro~s,/n De an., 1, commenl. 8, d. Crawfo.rd, p. 12, 25-26.
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qui pose que l'action de l'intellcct agent s'excrcc sur l'espece itllttgi- seque)) n'cst autrc que l'intcllect agent. Simon cst done.: a la IOIS
nairc pour la dpouiller de son idole sensible, et non, comme ce proche et loign de Duns Scot. Proche, car il soutient que c'est a
sera le cas chez Duns Scot, daos celui du dualisme avicennien, pour l'intellect possible qu'il revient de confrer a l'universella ratio
qui 1'intellect agent ne cause aucun effet dans 1'es pece d 'origine completiva qui fait de lu un universel complet . Proche, car la
sensible, mais produit directement l'intelligible dans l'intellect pos- natura rei a laquelle s'arrete l'activit de l'intellect agent n'est pour
sible conven~blement dispos , Malgr la complexe typologie des -- lui ni en ae te ni completement universelle, puisqu 'il lui manque el
intentiones lu psychologie intentionnelle des modistcs n' aboutit pa_s__:_--- l'unit et l'universalit qui relevent de l'opration propre de l'intel-
aune thorie de l'objectivation, car elle ne peut accder ason instru- lect possible. loign, cursa thorie de l'illumination nc s'cartc pus
mcnt ncessuire : la thorie des causes concourantes purticllcs. deisivement de In thoric uverro'lstc, uft l'lll'lion do l'intclkctnHelll
C\:st ce qui expliqul! que ltt ou le modisnw scmblc sur le point s 'exerct! sur le fantasme pour le dvoilt!r u1' intellect possible.
d' arriver a u scotisme, il ne fas se pas le dernier pas. Cette retenue
apparait cluirement daos l'analyse que Simon de Faversham fait des
roles respectifs de l'intellect agent et de l'intellect possible dans la
genese de 1'universel. Le sophisma Universal e es! intentlo est pnr-
193. Cf. Guilhem Amaud, Lectura Tractatuum, texte in L. M. De Rijk, On the 194. Cf. T. Yokoyama, Simon of Faversham 's ... >>, p. 3-8.
Gcnuine Tcxt ... , IV>>, p. 150. 195. Cr. T. Yokoyumu, Simon of Fnvcrshnm 's ... >, p. 7.
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La querelle des universaux
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-~----- .... ,. ..
-------------.-,------------~--- _______________________________...,
. --..
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.. ............. ______
La querelle des universaux La rvo/ution du XIV' siecle
philosophie du quidam n'est plus celle de l'autorit quelconque, relation entre l'induction abstractive et l'intuition intellectuelle, non
mais celle du professionnel engag. Les quidam dicunt ( certains plus a u niveau embrouill ou 1'avait fixe Aristote, celui de la rela-
disent que), qui rythmaient la prose thorique du XIW siecle, ne tion entre univcrscl d'exprience et habitus des prncipes, mais dans
sont plus la marque d'une philosophie ventriloque ou d'une vaste et le cadre d'un nouvel ensemble ax sur la relation de l' ame aux
anonyme prosopope, mais l'annonce d'une discussion relle de choses sinRIIlieres. Le vieux couple form par la connaissance nbs-
positionN rr..:cntcs ou c.:onlclllpornincN. L'nllllospllcrc ngonistiquc, lmr..:tivc el l'intuilion intcllcutucllc u uinsi r.;hung de fonr..:tion en
i ,\
qui, au x11 siecle, avait entour l'activisme d'Ablard et la concur- changeant de point d'application. Ce dplacement u permis une red-
rence des sectes , devient ainsi une structure du suvoir : la philo- finition de la connnissnnce univcrsclle, une rclecture des theses
; sophie d'Occam contient celle de Duns Scot, la reconstruit et la d'Aristore. Bien qu'il paraisse tranger au champ, le probleme du
~ dconstruit duns le mouvement m8me de su propre constitution, muis singulier fnit done purtie intgrante de l'histoirc des universuux.
' celle de Scot travaille en elle-meme son propre dehors, et il en va
uinsi de tous les discours..
En ce qui concerne les universaux, le trait saillant du xive siecle LES DEUX VIRAGES D'HENRI DE GAND
est l'arrive au premier plan du probleme de la connaissance intel-
lectuel/e intuitive du singulier. ll va de soi que la question des uni-
versaux comme telle reste pose - et avec quelle ac.uit 1 Mais le Source d'inspiration permanente de Duns Scot, qui n'a cess de le
probleme du statut ontologique des genres et des especes, celui de tire et de le contrcdire, comme lui-meme avait lu et critiqu Thomas,
a
letir connaissance et de Jeur statut intentionnel est la fois hant et Henri de Gand n'a pus t seulemcnt la tete de l'guipe de tho-
clynamis .par celui de la connaissance intellectuelle du singulier. Le logiens runis par Eticnnc Tempier pour mcttrc au point le contenu
Jien intrinseque unissant la thorie des universaux et la problma- des censures universitaires de l 'aristotlisme en 1277, il a aussi et
tique de la perception, marqu dans la liaison inaugurale qu'avait d'abord, pour ce qui nous conceme, opr deux virages par rapport a
tablie entre elles Aristote, est dsormais questionn pour lui-meme. la position thomiste de la question des universaux : le premier en
Pnr li\ mcmc, la thcse des Second.1 Analytiques, 11, 19, ufl'innnnt ruc ref'nnnulnnl In thorie du verbo tnclltnl Hlll' In bnsc d 'une liminntion
<< bien que 1' ur..:te de perr..:cption ait pour objetl' individu, la sensution pralnblc d~.: l'cspcr..:c intelligibl~.:, prcmicr medi11111 quo dc In connnis-
n'en porte pas moins sur l'universel , devient le lieu privilgi de sance sclon Thamus; le second en introduisnntl'ide d'une connais-
tous les affrontements. En cela, le XIve siecle accomplit vritable- sance intelkctuelle du singulier, certes encare indirecte et rflexive,
ment le geste esquiss i\ In fin du Xlll 0 C'est de cette continuution, muis comprisc comme une sorte d 'ncte d 'a/lention ne rclumunt,
par el' autres moyens, d'une problmutigue tare! m\rie qu 'll nous faut pour s'cxcrcer, que la formntion prulnblc d'unc espcce exprcsse ,
maintcnant partir. Ce sera l'occasion, contre le programme fix par autrement dit d 'un concept mental accompagnant toute impression
l'Acadmie en 1845, de situer la place de la thologie dans l'initia- psychique directe subie par !'esprit du fait de la chose sensible.
tive et le renouvellement des problemes philosophiques. Ente sur une busc proprement thologique, la psychologie d'Henri u
fourni uu scotisme le cudrc thorique de ses innovutions principales,
lr comme l'a fuit celle de Duns Scot pour l'occamisme. Un mouve-
ment s'engage done ici, au nom de la thologie, qui va, d'un
Connaissance intuitive et connaissance abstractive coup, faire prcipiter l'aristotlisme autour des questions de psycho-
1.\ logie de la cognition, que Thomas d 'Aquin avait noues dans son
~
dialogue (critique) de pense avec Averrocs. Cette nouvelle donne
Dans la seconde moiti du xmc siecle, sous l'impulsion d'Henri est, en un sens, une revanche d'Avicenne, de son dualisme radical
de Gand, le probleme de la perception et de la connaissance du sin- entre l'intelligible et le sensible, et de sa thoric de l'illumination;
gulicr a, pour des ruisons thologiqucs, pris une consistanr..:c nulo elle rciiiiH:c, Nlll' d'nutrcs buses qu'Aibcrl, l'idc d'un pror..:csHus
numc, ct l'luboration qu'il a rc;:ue a t l'or..:r..:asion d'une refonte cognitif, lointuine aduptation de la notion uvicennienne d' tude ,
complete de la thorie des universaux, destine a matriser enfin la mais limite a la sphere des oprations proprement intellectuelles.
306 307
La querelle des universaux La rvolution du XIV' siecle
Surtout, elle rhabilite, sous le nom de quiddit, une sphere objective (3) Enfin, il distingue le simple vrai (verum) sensible et expri-
mentale, un esse quidditatif, qui estl'objeL de connnissancc, Ji\ meme mental et la vrit purc (sincera veritas), ce qui reconduit, sous
ou Thomas prtendnit distingucr entre la vrit des choses et le une forme radicnle, la distinction et 1'articulation de l'universel aristo-
medium quo de lcur drinition mcntnlc. Ce nouvel objcctivismc, tlicien (universcl d'nbsLrnciion) el de la Forme platonicicnnc. Hcnri
fond sur la distinction entre connaissance confuse et connaissance reprend ainsi, sans le savoir, le modele de Syrianus, mais avec la
adquate, est l'horizon thorique des discussions du XIV 0 siecle qu 'il nuance, spcifiqueinent augustinienne, d'une il\umination de l'fune par
s 'agisse de le reformuler et de le refonder awrement, comme 1~ fera Dieu, illumination qui suscite erll'ame une inclination spontane ~
Scot, ou de le fnirc clnter en lu substitunnt aufre chose, commc le connnitrc, que In volont communiquc i\ l'intellect possible cornme dis-
fera Occam. a
position pralable l'acte de connaissance, quise~ le lui ai?po;te de quoi
connaitrc, paifaitement. Des la Somme des questzons ordmmres, art. 1,
quaest. 4, Henn oppose deux modes de connaissance : la connaissance
D'A.ristote r) IIRII,\'fin rntionncllc >>, fondc NIII'Uttc i ivc, de ntnlut Rcnniblc, ct
Le probleme central de la notique d'Henri de Gand est d'insrer et d 'une de la vrit pure , qui rclame non une image
l'illumination divine selon Augustin dans une thorie de l'intellect sensible, mais 1'es pece et l 'exemplaire temel qui a caus la chose ,
'
sel~n ~ristot,e. f>: l'vide~ce, c'est la un nouvel pisodc de la repla- autrement dit : une illumination divine. Fonde sur une dualit des
tomsatiOn d Anstote qUJ, dans un contexto chrtien, prolongc le 1
geste entam en terre d'Islam par Avicenne. La maniere dont il s'ac-
formes substnntielles en 1'homme (1' une duite de la puissance de la
matiere, 1' autre infuse de 1' extrieur, Quodlibet III, quaest. 6, resp.), la .
complit ne peut cependant ~tre entieremcnt ramene a Avicenne. notique d'Henri reconduit le dualisme platonicien de l'fune et du corps,
D'une part, videmment, en ce que l'intellect agent est pour Henri et elle y ploie l'empirisme aristotlicien, conserv pour les seuls besoins
une puissnnce de 1'1\mc qui a pour fonction d'nbstrnire l'intclligible de In connnissance par reprsentntions . Elle relance le platonisme
en .acte de e~. qui est intell!gible en puissance et de le poser comme par l'affmnation qu'une ralit non empirique, Dieu, est l'objet prin:
obet dans 1 mtellect poss1ble en tant que sujet exercrant 1'intellec- cipal de 1'intellect tant du point de vue de la cause formelle que de cehn
tion >~ (Quodlibet IV, quaest. 21, rcsp.); d'nutrc pnrt, en ce que su de la cause fimile (Quodlibet XV, quaest. 9, resp.). . .
doctrrne de l'fimc donnc In volont une prminencc cnticrc sur Certes, e'cst sous le nom d' intellect ngent, et mCme sous le pntro-
l'intellect- un themc absent de la doctrine nvicennienne de l'ftme. nage d'Averroes (Quodlibet Xlll, quaest. 8, resp.), qu'Henri pr-
On peut rsumer ainsi les principaux ltnent.'> de cette nouvelle doc- sente a la fois In condition de l'abstrnction, celle de l'intellection en
trine des fncults. gnral et celle de la connaissance de la vrit pure, mais il va de soi
(1) S'nppuynnl sur lt~ lrnit6 pseudo-nuguslinicn /Jr ,\'fiI'/11 l'f que, Lcl qu'illc con~oit, l'intcllcul ngcnt csl cnti~rcmcnt extnu par
an~ma, Henri soutient que l'fime est substantiellement identique a ses la notion d'une illumination directe de l'll.me par Dieu.
pmssances ou facults. Les puissances intellectives et sensitives C'est done, tres logiquement, au niveau de la thorie de l'a~strac
a a
n'ajoutent l'essence de !'ame qu'un simple rapport des actes tion qu 'il fait port~r 1' essentiel de s?.? attaque contre les ans~.ot
spcifiquement divers (Quodlihet III, quaest. 14). a
lismes plus authentlques professs 1epoque tant par les averr01stes
(2) Pour lui, l'intcllcct cst subordonn la volont (Quodlibet X, que par Thomus d' Aquin. L, e 'e~t .Jc rejet dc.I 'es pece intclligiblc
quaest. 14, resp.): il est dpendant de l'objet extrieur pour entamer (Quodlibet XI, quaest. 5, resp.) qm s1gne la vra1e rupture.
son nctivit ( (( il n 'es! metne d 'exercer son activit que m a par
l'objet, ma a un acte de simple intelligence nccompli dans des actes
premien; d'intcllcction )el dpcndnnt de In volont tnnt pour l'cxer- Le rejet de l'pece intelligible
cer que pour 1'interrompre (Quodlibet 111, quaest, 17), car seule la
volont est forme de sa propre libert, peut se mouvoir elle- Le premier souci ,tho~i9ue d 'Henri de Gan? ~st ~ne critique tho-
meme et s'duire elle-meme du vouloir en puissance au vouloir en logique de l' espece mtelhg1ble, fonde sur la d1stmct10n ~ntre les deux
acte (Quod/ibet X, quaesf. 9, resp.), tnts de In condition humnine, celle du voyngeur (homo v1ator) et cellc
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du Bienheureux. Die u doit ~tre vu par esscnce, non par le biais d 'une qu'est le fantusme universel n'est pas abstraitc du fantasme particu-
espece cre. L'intellect glorieux contemple Dieu sans intermdiaire. lier sur le mode d 'une sparation relle ou d 'un engendrement ou
Ce ne peut ~tre le e as dans la connaissance prgrine, car 1' objct n 'est d'unc multiplication dans l'inJr.llect, muis sculcmcnt par une spa-
pas.simple, et l'intellect lui-meme est li au corps. Confront au pro- ration virtuelle des conditions matrielles et particulieres et par une
blemc de la vision bienheureuse, Henri rpond nutrcment que Thomns mise 1\ l'cnrt (sequestratio) de ces conditions pur rnpport uu fun-
tusnlc pnrllculicr, qul conl'~r ll cclul-d lu cupncll de modil'icr (llr-
1:1 In qucstlon du 1/Wtllum de la c.;onnuissuncc intellectuelle. 11 rejette
tutem imnwtandi) l'intellcct, non pus ccrtcs selon ces conditions
l'action de l'espece intelligible sur l'intellect, mais, en meme temps, particulicrcs pour que 1'intellect intellige l:llitrc prcmicr ct principul
il nccorde que des cspeces (<pavnxcr.tara) doivcnt se trouver dans la chose particulicre elle-meme, ce qui est impossible, mais selon la
1' imagination hu maine. Au Ji eu, comme Thomas, de distinguer es pece rnison du fnntnsme pris absolument, et commc ubstrnit et spnr de
l. sensible, esp~ce intelligibl~ el verbe mental, il distingue d'ubord ce la matiere el des conditions particuliercs de la matiere, pour que,
qu' il appelle u.ne espece impresse (sp.ecies impressa) et une es pece par Ji\, le fantusmc lui-mme licite dnns l'intellect un acte d'intel-
expresse (specws expressa). L'espece unpresse assume le legs artsto- lection inhrent a l'intellect et informant l'intellcct. 11 n'y a pas
tlicien, 1'empirisme. Malgr leur nom, les es peces intelligib/es besoin, pour qu'il intellige la chose universelle, qu'inhere en lui
impresses dont parle Henri ne sont pas intclligibles, ce sont des une autre esuJce de Iu chosc universclle t9'J.
cspeces sensibles, c'est-a-dire des images d'une impression senso-
rielle, causes par l'impression directe d'une cause sensible exteme Henri rompt avec 1' ide sclon luquelle, pour etre intelligible en ucte,
Oli rappele a !'esprit par la mmoire, en l'absence de tout stimulus 197. une intentio doit, selon le mot d 'Averroes relay par Thomas, chan-
L'espece expresse et elle seule est vritnblement intellectuelle, mnis ger d'ordrc : pnssct du stntul d'intentio illw:inata ucelui d'intentio
c'est un produit de l'intellect, qui intervient au terme d'un processus inte/lecta, de l'ordre imagina! al'ordre intelligible. 11 rompt plus radi-
cognitifproprement dit, non comme le rsultat d'une impression pro- calement encore, et pour la memc raison, avcc la these affirmant
duite par la chose extramentale 198. qu 'une intention imaginaire ne peut jamais etre universelle. Naturel-
L' acte de connaissance intellectuelle a ainsi deux tapes : (a) 1' in- lcment, il fait droit, i\ sa maniere. nu problcme pos pur Averroes:
lcllcct prcnd connnissnncc de l'!lrc univcr11cl d'unc choHc, ccttc prlsc (' lllllgll d 'llllC dlliSC Nl.l!INi!J(o llC (lClll etro l(ll' imlivldllCIIC, llllliS il
de contuct est une connaissance universelle, mais conjitse, de la tournc lu dil'ficult grfice l'ide d'universcl conji1s. Le mouvement
chose connue; elle ne permet pus d'en donner une dfinition. Pour de connaissance qui commence au sensible nc va pus vcrs l'intelli-
accder acette connaissance confuse, deux conditions sont requises : gible entendu comme le plus universel, mais vers l'universel entendu
In prsence d'un fnntnsme de'lu chose dnns In mmoire et lu Jumierc conunc le plus di.\tim.t. C'csl ce dgugcmcnt de l'univcrscl, du confus
de l'intellect agent qui dpouille le fnntasme de tous les traits d'indi- uu distinct, qu 'accomplit In secondc tape de lu connaissance intel-
viduation donl il enveloppe la chose. Le dpouillement selon Henri lectuelle- et ce, nouveaut de taille, sous l'empire (imperio) de la
n'est pas celui dont parlait Averroes. L'esse universale n'est pas une vo/ont. Avec Henri, la volont devient un acteur pistmologique:
/
cspece inteiiigible informant J'intellect possible, c'est ce que!' intel- c'est elle qui pousse 1'intellect dpusser la connaissunce confuse.
lect connatt, et ce qui le dtermine, c'est la chose meme. L'universel (b) Une fois 1' esse universa/e suisi, la seconde tape de la connuis-
est prsent dans l'image sensible comme image sensible, c'est une sance consiste, en effet, i't composer et diviser ,ce qui ne veut pus
image universelle sensible, c'est-a-dire un fantasme dpouill de dire former une proposition, mais combiner, associer, distinguer. 11
ses traits individualisants, pas une espece intelligible. s'agit de ranger la chose connue a travers son esse intel/igibile dans
un genre et une espece derniere, done de la dfinir. Le dfini est la
Le fantasme particulier et l'espece qu 'est le fnntnsme universcl ne quiddit, le quid est. Le concept ou l'intellect forme la dfinition est
sont pas autre rellerrient (aliud re), de meme que la chose uni- un verbe mental. Mais rien de ce processus d'engendrement
verselle n'est pas autre que la eh ose particuliere. De meme 1'espece du vcrbc nc s'accomplirnit suns le dsir de cclui qui cherche :
197. Cf. Henri de Gand, Quodlibet 4, 7V-X. 199. Cf. Hcnri de Gund, Summae quaestionum ordinaritm1, art. LVlll, quaest. 2,
198. Cf. Henri de Gand, Quodlibet 5, 14K. ac/3m G.
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La querelle des universaux ' La rvolution du XIV' siecle
Le dsir pnr quoi nous vou/ons connnitre prc~de toujours In nais- Cependant, pour que cette mutation s'op~re, un nouveau change-
sance mentale. C'est paree qu'il y a en nous le dsir et la volont ment doit encore s'effectuer: une redfinition de la connaissance
de connnltr~ que le ver be mental est produit. Puree qu 'il u nussi en y n
nbstrnctive fonde non plus sur une nbstrnction partir du singulier,
nous mmotre ou le fantasme est conserv. Alors, dans !'engendre- a
mais sur une abstraction partir de I'existence. Une telle abstraction 1'1
ment du verb~, 1'intcll.cct possiblc, en tnt de simple intclllgcnce, d pince sur les nctes de connnissnncc In proprit d 'indiffrcnce i\ k '
avec sa connat~sance stmple confuse, engendre en Iui par 1'espece l'existence et a la non-existence que la tradition avicennienne avait \
d~ fnntasmc umvcrscl ct tcrminc duns l'objet en tunt que connu par jusque-lh confine h l'objet lui-m8mc: l'essentia. Le glisscment de
lU! confusment , peut, par le mouvement discursif de la raison et la thorie de l'indiffrence de 1'essence de 1' essentia a la cognitio 1'
1
l'lllurninntion.mr In lumi~ro de l'lntcllcct n~cnt , Nu rcndru pr- ollc-meme Horn, i\ nouvcnu, une (grnndc) trouvnillc ele DunR Scot. JI. '.1
sentes en u:te es pnrtles du connu et sa ratson quiddtative 2oo. a cependant t prpar a la fin du xm si~cle par Matthleu d'Aquas-
A_,vec les ~emes mo!s que Thomas d'Aquin, Henri, sous l'influence parta, qui a su coordonner dans une discussion spcifique la possibi- ,.
--------c<d Augustm, auqucltl cmprunte la triade psychique de la mmoire, lit de connattre le non-existant, la question avicennienne du statut ,., .
d~a connmssanc..e et Oela volont, aboutit ainsi a~':-:u=n~e:c::re-=-c:..::o'--'n"'s~tru=c=:-;ti.._,o"'n-----,J---------.::re:-:n~es=:-:sc=e~n~ce~inoiffrente et cene,Loujoursapproclre~inaremen~'--------'-1 -
dtf~rente. Le mcmc dplacemcnt cst opr dans le second virage labore, de l'intuition correspondant uce modc d'etre, indiffrent, 1
..
qu'tl i~pose al'aristotlisme: l'introduction, /imite, d'une connais- de l'objet connu. Avec Matthieu, l'autre face de l'objectivisme, dont ..
sanee tntellectuelle du singulier. Henri de Gand avait entam la construction, merge a son tour. 1
!
'1
La connaissance intellectuelle du singulier
CONNAISSANCE DU NON-EXISTANT in THORIE DU CONCEPT':
. Comme Tho~as, ~enri s.outient que l'intellect ne conna't pas MATTHIEU D'AQUASPARTA .
dtrec!ement le smgultcr. Mnts, tlll licu de s'cngnger dnns In subtilc , 1 ' f '
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---
_______ ___________ ____________________ ______
,;._ , __:.. ...,__ . .. __ ....... ---_;...____
La querelle des universaux La rl'olution du XIV' siecle
temps dtermin - comme le dit Aristole, l'universel est partout
Thorie de la connaissance et intuition des essences et toujours 202 La consquence qu'en tire Matthieu est importante-
elle nourrira plus d'un siecle de spculation, de Scot et du scotisme a
La rponse de Matthieu s'articule en deux temps: un premier a
Occam et l'occamisme: l'existence oula non-cxistence des choses
ensemble de distinctions est consacr aux notions memes d'existant a
n'u ren voir avec la pense d'une quiddit. De meme que l'intel-
et de non-existant; un second ensemble, a l 'acte de connaissance. lect peut penser. la quiddit d'une chose par l'intermdiaire d'une
., Contre les theses logicistcs d<: Bacon, Mutthicu fnit vuloir que In cspccc intclligiblc quand lnditc chosc existe, il peut c11 fnin.: nutnnt ct
question ne porte pus sur lu significution des noms ou des rnots . UC Ju memc llHIIICW quund elle n'cxiste pus.
Savoir si les mots signifient la rneme chose quand les choses qu'ils
dsignent existent et qu11nd elles n'existent plus, savoir si les noms
sont imposs (donns) aux choses singulieres ou aux concepts 1./acte de connais.mnce et les opratiom de la pense:
mentaux, ce sont des questions de logique, non de notique ni de [a COIIIIUSSQilCe concrete
thorie de la connaissnnce. Pour rpondre i\ In question propose, il
vaut mieux faire un certain nombre de distinctions au sujet de La distinction de 1' etre et du non-etre relati vement la pense a
l'etre et du non-etre relativement a la pense considre dans son considre dans son acte de connaissance appelle une distinction
acte de connuissunce . Matthieu distingue done deux sens de 1'ex- parullcle des acles de pense eux-m!!mes. Revennnt sm le topos des
pression 'ce qui n'est pas' :(a) ce qui n'existe d'aucune fa<:on, ni en opmtions de 1'intellect, Matthieu en propuse une anal y se simplifie
soi ni dans sa cause, ni en puissance ni en acte, ce qui n 'a jamais qui va orienter toute In problmatique du xvc siecle. L'uctc de pen-
exist et n'existera jamais, et dont l'existence meme n'est pas pos- se peut revetir deux formes exactement comme i1 y a deux sortes
sible; (b) ce quin 'existe pus sous un certuin rupport, pur excmple ce d'oprutions de l'intellcct >>:(a) un prcmier type de pense, simple
qui n'existe pasen acte, mais existe en puissance 'OU'ce qui, en soi, et absolue , al?prhende et con'roit les quiddits ou natures simples
n' cst pus, mais est dnns sn cause efficiente o u son exempluire,_ Duns- -- des choses; (b) un second type de pensc combine et compase.
le sens (a), ce qui n'existe pas ne peut d'aucune fa9on etre-objet de Ce second type de pense n'est pas rductible a la simple formation
pensc. Matthieu en uppcllc ici a la thorie uvicennienne de la pr- d'une proposition nu d'un nonc pnr comhinaison de termes, ncti-
comprhcnsion de l'ctrc (voir cncudr): l'intc!ligiblc premlcr, J'ln- vit i\ lnquclle se tcnuicnt In plupnrt des L'lnssil'icutions untrleurcs
tclligible fondamentul, rcquis u toutc intellection, comme condition des oprutions dl! l'intellect .Par combiner el composer , Mnt-
de possibilit de 1' intellection en gnral, la premie re chose qui thieu entend l'acte par,lequella pense saisit et per<:oit qu'une
tombe sous la pense ,la premiere qu'elle soit capable d'apprhen- chose est prsente dnns des circonstnnces ct sous des conditions tem-
det est 'ce qui cst', c'est-a-dirc l'tnnt. Le nant en soi et pnr soi porclles dtermines . L'ncte de pcnsc synthlique dcril par Mat-
n'est pns J}telligible. Ce qui n'existe d'aucune fuyon n'est done pus thicu n 'est done pus la simple formation de 1' intcntion complexe,
non plus intelligible. C'est done seulement dans le sens (b) que 'ce propositionnelle, dont parlait Simon de Faversham. 11 s'agit d'un
qui n'est pas' peut etre objet de pense et intelligible. mode de connaissance des choscs distinct du prcdent. La distinc-
Ayantmontr en que! scns ce quin' est pas peut ctre objet de pen- tion des acles de pense n'est pas une adaptation de lu thorie des
se, Matthieu entame sur cette base l'expos de sa thorie de l'intui- oprations de l'intellect, c'est une laboration nouvclle qui porte sur
tion des essences. Par son pouvoir actif et grace a la lumiere de deux manieres d 'apprhender les d1oses : soit en elles-memes, ind-
l'intellect agent, la pense humaine est capable d'abstraire les uni- pendamment de toute caractrisation accidentelle extrinseque - les
versaux des particuliers, de dgager les especes intelligibles des rupports ele temps et de locnlisution, dont parlait Aviccnne propos a
especes sensibles et de sparer les quiddits des choses existant en de l'abstraction effectue par l'imagination -, soit en situation, c'est-
acte. Or les universaux, les especes intelligibles et les quiddits des a-dire telles qu 'elles se prsentent ici et maintenant.
choses ne sont pas attachs aux seules choses dotes d'une existence Transpose au niveau du probleme de la conn~lissance, la distinc-
uctuelle, ils se rapportent indiffremment a ce qui existe et a ce qui
n'existe pus. De m8mc, ils ne concemcnt pus un espacc ou un 202. Cl'. Arlslulc, A11al. pus t., 1, J 1, lr!ll29-JJ.
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La querelle des unil'ersaux La rvolution du XIV' siecle
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.La comprhension prontologique de l'etre dans la tradition avicennienne
D'unc ccrtuinc mnni~rc, Aviccnnc n inscrit 1'8trc commc condition des imprcssions prcmiercs , 1'8tre, n ltuil pos un univcrscl, un ~cnrc,
trunsccndnntnle de la pcnse el de In connaissuncc. En soutenanl qu 'il que le prclicat le plus universel,l'~tre, n 'tait pas un universel, e est-h-
y a des intelligibles nbsolument premier.<; et que, parmi ce.<; intelli- dire un des dix genres les plus gnraux auxquels Aristote donnait le
gl~'lcs, l'~trc occupc le .tout premle1 rnng, ll n formul une th~se ti nom de cntgorlesl /\vlcenne nvnlt done montr qu'll tnll untrieur el
Jaquel le In gnrntion de DunR Scot n donn tnutc sn portc. Plus dci- suprieur ll tous les ~enresl C est-ll-dire antrieur ll toute dterfuination,
1
appelait la quiddit d'une substance matrielle , mais un transcen- cons;oit etre (es se), on le cons;oit etre quelque ehose (es se quid), Mat-
1
dantal 203 C CSt-~-dirc un concept qui embrasse In totn_lit des cat- thieu d' Aqunsparta, Duns Scot el nombre de lcurs contemporains en ont
1
ose (essence) se formaient mmdiatement dnns notre ame, bien snit UU nant, c'estadire a ce qui 11 (!S( rieflt a ce qui n'cst pas lJUI!IlJite
qu'elles ne soient pus des quiddits matrielles. tablissant que 1'etre chose. Scot va done jusqu'a dire que le premier objet de 1'
(o u In ehose) n 'est ni un universcl, ni une cntgorie, ni un prdicnble est _l'.etrc au sens d'ctre quelque chose (quid). Mais etre quelque
nu sens de Porphyrcl en argumentan! in th~sc nristotliciennc que 1 1\trc 1
----clse (esse quid) nlest pus ctre une chose dtermine. L intention de
1
n'eRt pns un gcnrc il nvnit conclu que 1 1\trc (ens), la chosc (res) ct
1
1
1'8tre est celle de /'ohjet en gnral qui est condition de possibilit de
1
les nutre~ intenlions du 1118rne type >> tnient ce qul s'in1prime --~- toute connnissance. Dnns In premiere impression de 1'8tre ce qui est 1
cxprcssions 1tJUclquc ehose 11 lpouvoir' o u 'nlTirmcr nvcc vrit' soicnt pnrtn1 que 1'1\trc est prcompris en el 11 toute suisic intcntionnelle.
clles-memcs dfinicsl ce qui ne pcut 11e fnirc qu'tl clirc qu'cllcs sont, /\utnnt que d une condition trnnsccndnntnle de llcxpricncc, on pcut
1
tion des deux types d'acte de pense ouvre ainsi sur une nouvelle 1'existence de la ehose relativement aux conditions temporelles sp-
numi~rc de conccvoir le rnppurt de In pcnsc i\ l'cxistencc du point cifies est ncessairemcnt requise : I1 fnut penscr cctte chosc
de vue de la vrit nntprdicutive, e 'est-i\-dire la vrit de la e hose, comme existant au moment ou elle existe, cbmme devant exister au
dont parle Augustin, par rupporl u la vrit prdicntive, ccllc de la moment ou elle cxist~ral comme ayant exist au moment ou elle u
proposition, dont parle Aristote. A la question de savoir. si l'exfs- exist. Autrement, la pense serait fausse. Par pense fausse, Mat-
tence est ncessairement requise pour connalre une chose on peut thieu entend fausse pense. Une pense fausse n'est pas une vraie
faire deux rponses distinctes. pense. De fait, soit on pense effectivement, et l'on a affaire du a
Si l'on p1ulc de l'oprntion ou du mocle de pcnscr grfi.cc uuqucl vrni, soit on n'n pnA nffnire du vrni, ct l'on ne pcnse pns effective
une chose est saisie dans des circonstances temporelles dtermines, ment. S' agissant de pertser une ehose situe darts le temps, la rf-
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)
La querelle des universaux La rvolution du XIV' sil}c/e
intclligiblcs partiellcmcnt cngagc par 1-Icnri de Gund a jou un role
dterminant duns la rflexion qui a permis a Scot d 'arriver A la dis- Nature, e.xi~>tence, ~;ingult1riltJ: les tll~>tinctions formelles
tinction qui, autant que sa thorie de la nature comrnune, a condi-
tionn toutes les prises de position ullriemes du nomlnullsmc. Selon Scot, 1'intcllcct u la cupucit de distingucr formellement
Contre Henri, aqui il attribue la these d'une complete limination dans les choses individuellcs. Ce qui est distingu formellement en
des especes intelligibles, Scot soutient que les fantasmes seuls ne toute chose (muis n'cst pus, pour uutanl nccssaircmenl connu, ici-
peuvent rendre compte qe la connaissance des universaux. C'est ce bas), c'est (a) sa nature, (b) son existence, (e) sa singularit. Cette
qui le conduit a In thoric de la cau$nlit concourante plll"tielle de distinction vaut pour In chosc en tunt qu'objct de connaissunce, elle
1' intellect-et-del'objetde-la perccptio'n. Mais ce n'-esLpas le seuLte.r- n'est pus rellc ex parte rei (dans la spherc de la ralit extramen-
rain sur Iequel il se confronte a lui. I1 aborde galement la question tale), mais n~elle daris l'inte11ect. Elle entrlne une complication de-la
de la connaissance intellectuelle du singulier, notarnrnent celle de la doctrine des causes concourantes partielles de l' intellection. De fait,
connaissance intellectuelle, ou, comme i1 clit, intuitive et directe meme si e 'est chaque fois une chose qui, en concours avec l'intel-
du singulier, rserve par Henri a Dieu, aux unges et aux ames des lect, donnc lieu a une connaissunce, chacun des aspecls formelle-
Bienheureux. Deux motifs contrndictoires s'affrontent sur le terrnin mcnt distingus en elle est connu ou doiL pouvoir ctrc connu de
de la connaissance intellectuelle du singulier : 1'un thologique, maniere distincte. C'est la que Scot reprend, en partie, certains l-
l'nutre philosophique. ments de la thorie de In connaissance intellcctuelle abstractive mis
'J'huloglqutll!llll, 11 JltlUI scJnllll' ncsstllrc d posJ' In possibl- 1111 polnl, .~ur lo.~ pus d'Avli.!t>IIIIO, pul' Mnllhluu d'AqunHpnrtn. Ou
lit d'une connaissance intellectuelle directe du singulier. D'une peut dcrire ainsi le tubleau de la connaissunce formelle selon Scot:
part, en effet, les thologiens qui dfinissent la vision butifique sur (u) Ln nature de la chosc est connuc par ce qu'il uppelle tunt6t
le modele de la connaissance de l'essence divine par !'ame spare 'intellection quidditative', tantot, et c'est la terminologie qui nous
du corps (c'estndlrc qul ne font pns de diffrence de nuturo entre lu intreNse ici, 'connnissunce ubstructive' ou 'non intuitive',
connaissance que les justes ont de Dieu en paradis, uvant et apres la (b) L'cxistcncc doiL pouvoir 8tre connuc par une connaissance
rsurrection des corps) ont besoin de poser que la connaissance intel- intellcctuclle intuitivc (Scotallcgue sur ce poiut une nouvelle ruison
lectuelle est possible, puisque l'objet de la vision bienheureuse thologique: dans l'acte de vision batifique, Dieu, qui est singulier,
(comme d'ailleurs celui de la vision des fimes spnrcs) est un singu- doit non seulcmcnt ctre pl!n;u, muis pcn,:u imprntivcment commc
lier: Dieu. D'autre part, Dicu lui-meme connalt intellectuellement; existan/, f'uutc de quoi la batitude pourrnit Ctrc caus e pur un objct
bomer la connaissance divine aux seuls universaux, lui dnier toute non existan!) 205 : la question est done de savoir si 1'homme a ici-bas
connaissance intellectuelle directe des singuliers, est une these tho- une telle connaissance.
logiquement inadmissible: outre qu'elle met une borne intolmble a (e) La singularit doit pouvoir etre connue par une connaissance
la toute-puissance divine, elle rend toute rtribution des mrites intellectuelle intuitivc: la question de savoir si 1'homme a ici-bas
impossible et ruine le prncipe meme de la morale. une telle connaissance ne se pose pas, car a l'vidence nul ne peut
Philosophiquement, en revanche, la connaissance intellectuelle identifier directement deux objets identiques qui auraient t inter-
directe du singulier paralt exclue par Aristote, pour qui la sensa- vertis ason insu.
tion portu 11ur l'universcl >>. Puisquc, mur l'lwmmc viutcur, lu qucstion de In connuissnncc do
Face Acette alternatlve, Scot revient sur la these d'Henri de Gand la l'ormulit~ distinguublc se pose au scul nivcuu de (b)- le 11lveuu (u)
accordant a 1' intellect bienheureux la connaissance intellectuelle d~ tant non problmatique, et le niveau (e) impossible -, il est nces-
singulier, et il cherche le moyen de l'tendre al'intellect de l'homme saire de donner une thorie cohrente de la connaissance intellec-
en .cette vie. Cette tentntive 1'amene ainsi ll distinguer deux sortes de tuelle nrticulant systmatiq uement (b) u(a).
connnissnnce intellectuellc, l'une portnnt sur les universnux, !'nutre, Pour pcnscr celle relation, Scot utilisc le modele de lu connuis-
qu 'il appelle intuitive , portant sur les singuliers. sancc sensible.
322 323
La querelle des universau.x La rholut/on du xw slecil'
Sut ct~llt' hnsc, Scollllllllll'~ (II).CJlllll'lntelltwl pcul connnilrc lnlulll- th~HO aur 111 mmoirc- cRI l'cxprcsRion d'unc difficult en soi, qui i
ve~lent ce qu~ ~es sens tonnaissent et (b) qu 'il connatt aussi les sen- veut que la nature de lu connuissunce intellectuelle ne aolt plelnemcnt '
satlons (sensatzones). Les deux theses sont prouves par le fait que lisible que daos le cadre des conditions de possibilit d'une thorie
<< l'in~ellect connalt des propositions contingentes vraies et syllogise complete de la mmoire et du souvenir. La dcouverte centrale de
a
P,arttr d 'elles. Orla vrit de ces propositions conceme des ohjets Scot estque !'esprit humain a la possibilit de se souvenir a la fois des
qu1 sont connus intuitivemcnt, c'est-fl-dire sous la raison de lcur exis- ses proprcs nctes et des nctes des sens, ct que cela implique qu'il ailla
ten~e, qui .est c~lle sous laquelle ils sont connus par les sens (st;h possibilit de connaltre ses propres actes et ceux des sens.
ratwne extslentwe, sub qua C:Of?noscuntur a sensu). La connaissance intellectuelle nous donne la connaissance des
natures, celle de la singularit est inaccessible en cette vie, celle de
206. Cl'. Duns Scol, Quodli/Jt'l VI, 7-1!, l'existence en cette vic ne peut etre confih aux sens: elle doit etre
207. Cf. Duns Scot, Ordinario, IV, disr. 45, quaest. 3, 17. accessible- a. l'intellect, faute de quoi la connaissance1 des vrits
n4 325
326 327
La querelle des universau.x La rvolution du XIV' siecle
a
sensible (s'il cherche la retrouver par l'imagination). Le fantasme caballit, comment je vois le cheval et comment je vois queje vois
est ainsi le moyen terme dont a besoin l 'esprit ici-bas pour parvenir a et lli caballit et le cheval. La thorie des universaux et la thorie de
l'espece intelligible, i\ la trace mnsique intelligible, qu'il ne peut la perception sont articules daos une seule thorie des actes
retrouver dnns In mmoirc intellectuelle comptc tenu de l'assujettis- de connaissance.
seinent, ici-bns, de l'intellect l\ la connnissnnce sensible par iinages.
11 y n done bien une connnissnnce di recte, intuitive, pur 1'intellect
ici-bas de ses actes de connaissance, que cette connaissance soit abs-
tractive, c'est-a-dire intellcctuelle et oricnte vers les nntures des L'univcrscl sclon Duns Scot
choses singulicres indpcndnrnmcnt de leur cxistcnce, ou qu 'elle soit
intultive, c'est-a-dire sensible et oriente vers les choses singulieres
en tant que prsentes et existantes. C'est cette connaissance intuitive Contrairement ace que l'on dit, la principale originalit de Duns
des actes qui est lo condition de lo rminisccncc et qm~ rl~rot vrP Pt Scot n'est oas de distin11:uer la nature commune et l'universel.
fonclc phi lo,qnphlqrcllll'l1t l'nnnlyso des cond lt lons de possihi lit el u C'cNt une distinction qu'impoNnit In thoric nvJccnnlennc de 1 cs-
souvenlr, grnce ti In dlstlnctlon entre obJet proche et objet lolgn. sence, et que Thomns lul-mme nvnll formule comrne telle. C'est
Cette remonte indirecte n 'implique pas que la colmaissance intui- dans sa conception de la nature commune et dans sa conception de
tive des actes soit pose par le philosophe comme un rquisit indis- 1'universel que Scot innove et, pnrtant, dans 1'analyse de leur rela-
pensable : si elle est pose par le philosophe, elle doit faire partie de tion. La place de Duns Scot comme scotiste institutionnel, au sens
l'exprience cornmune, C'cst une dduction trnnsccndnntnlc de In ou le lnnguge boursier pnrlc d'invcstisseurs institutionnels, pour,
connaissance intuitive. Mais la maniere dont elle est dduite philoso- prcisment, investir, face au nominalisme occamiste, la place du
phiquemcnt nc signific pus qu'ellc ne fa.c;se pns pnrtic des conditions ralisme extreme, n'a pour principale justification que de servir
de possibilit de l'exprience.-Ori peut ainsi poser que, pour Scot, il l'hagiographie thomiste: i1 s'agit de mieux faire ressortir, en com-
y a connnissnncc intuitivc du singulicr: clirccte qunnt i\ l'nctc sur pnrnison, le rnlisme modr de Thomns, et d'viter celui-ci, en
Jeque! elle porte; lndirecte qunnt a l'objet sur Jequel porte cet acte, les dtournant sur une barbe ontologiquement plus fournie, les
qu 'il soit abstractif (intellectuel) o u intuitif (sensible). a
prils du rasage impitoyable promis tous les ralistes par le' Vn-
La thorie de la connaissnnce intultive du singuliet constitue done rnble gnllsateur d'Oxford. Comme l'n bien montr Olivier Boul-
un changement de paradigme. Elle ne remet pas en cause la thorie nois, il est faux de dire que Scot est rnliste dans sa doctrine des
des unlversnux envisuge sous l'angle de la pi'Oblmatique de In universnux, et il est insuffisunt, vol re fuux, de dire qu' 11 est rnlistc
nature commune. Mais elle la complete et la refonde dcisivcment dans sa thorie de la nature commune, et conceptualiste dans sa
en bouleversant l'conomie du discours aristotlicien sur le Iien thorie de l'universel. Ce que veut dire Scot est dcidmenl plus
entre ia saisie de 1'universel et In perception. Elle donne un nouveau .wbtil. Sa m\ture commune n'est pas une chose existant en
llllltllt 1\ll llH>d~lt! de 1' 111'1'81 des Choses spclfllJIICil\Cill Jndif'f'ren- d'nutres choses, c'est une condltlon de pos~iblllt de l'cxlstcnce
cies en I'a.me , car non seulement elle laisse intactes la these selon des choses .. Comprendre comment, avant que Kant ne fOt, Duns
laquelle, des qu'une chose spcifiquement indiffrencie s'arrete Scot est, comme avant qu' Abraham n'existat, Dieu est , rclame
dans l'ame, on se trouve en prsence d'une premiere notion uni- plus qu 'une infraction a la grammaire. 11 faut abandonner la tempo-
verselle , et la traduction qui en avait t donne en termes de pr- ralit oriente du rcit historique qui empeche de placer avant Kant
sentation de la nature commune dans le fantasme, mais elle donne le une pense des conditions de possibilit de l' exprienc:e en gn-
moyen de dvelopper une thorie de In pcrception nllnnt au-dcl de ral. Scot n 'est pas un prcurseur de Kant. Il est dans une autre
ce qu'avait articul Aristote. En posant que la sensation portait sur emo-r{..tl). Cela ne 1'e m peche pas de penser la possi bilit de l' ex-
l'homme et 11011 pos sur 1'homme Cllins >~, Aristotc se contentnit de prience et de rpondre ainsi, a sa maniere, a un probleme pos
renverser la these d' Antisthenc affirmnnt : Je vois le cheval, non la depuis les Seconds Analytiques. Pour accder a la position de Duns
caballit. Avec sa thorie de la connaissance intuitive des actes de Scot sur les universaux, en chappant a la fois aThomas et a Kant,
connaissance abstractive, Scot explique i\ In fois comment je vois la il fnut prendre la mesure de sn double exigence et suivre la maniere
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,____. . .____. . ._______. . . __________________;.__________.__ -- --~.L.---------------
J :
i' La querelle des universau.x La rvolution du XIV' siecle
i
don! Scot y fait droit. 11 fuut comprendre pourquoi el commenl la sens ou il nc Jui rpugnc pus d'8trc dans un autrc [sujet] que celui
a
position scotiste suppose la fois que 1'universel prdicable est un dans Jeque! il est 20 ~.
simple concept et que la communaut dans les choses a un fonde- Si le commun n'est pas l'universel, il est ainsi faux de dire que
ment rel. Scot professe le ralisme des universaux. Au contraire, il rejette
l'opinion extreme ussurunl que l'univcrscl est dun~ \u chosc. ,
Ct:llc opinion n 'est pas cclle de Picne d' Es pugne, commc certtuns
1'ont suggr. C'est, \out bonnement, ~111e errcur ~lll' ~ristote. ~non
LA TIIORIE SCOTISTE DE LA NATURE COMMUNr! ~ait dja daos sa critique du pla,to~Isme ct reJ.etalt en at~Irmant
1 ___ q~1'aucun univcrsel ne peu~ etre 1 oucr(a de qu01 que ce s01t .. :our
-- -Lilffione scot1steoe la natura commums est un oveloppemei1Cet ScOt:lu commTrmmr-convrent-pur-eHe-tneme--A-4u-naHife-,-mal.s--pas-
un dplncement de la thorie uvicennicnne de 1'essence dans son l'uni'versalit. La nature est de soi commune, elle n'est pas de soi
idenlit idtique pure. Le point de dpart de Scot esi la distinction universelle. 11 n'y a done pas de probleme de la communaut: Ce
avicennienne entre la nature neutre (prise en tant que telle : ni com- qu'il faut chercher, c'est la cause de l'universalit, non pus une cause
munc ni singuliere) et ce qui lu choit uccidentellement - la com- de la communaut autre que Ju naturc elle-meme.
munuut, duns la pense; la singularit, dans les choses sensibles. En d'autrcs termes, quand Avicenne affirme que l'essenc~ ~'~st
On l'a vu, la thorie avicennienne de l'essence neutre n'est pas pla- ni une ni mulliple , il vise seulement l'unit et la mulllphc1t
tonicienne- elle ne dit- pas que l'essence existe en soi hors des indi- numrique et, quand il dit qu'elle n'est ni universelle ni pa~icu '\
'
vidus, mais qu'elle n'est essentiellement rien de ce qu'on peut lui liere , il vise seulement l'universalil qui est le propre de l'objet de
attribuer: communaut ou,proprit, multiplicit ou unit, existence l'intellect (Ordinatio, Il, dist. 3, 30). Ce qui veut dire: (a) qu'il Y
hors. de l'fime ou existence' dans l'fime. Cda dit, elle couple la singu- a une unit rclle mais non numrique dans la chosc et (b) que l'uni-
larit (ou proprit) avec 1'existence hors de !'ame et la comrnunaut versalit dans 1'intellect n 'est pas la communaut dans la chose.
avcc l'cxistcncc duns l'fimc. Scot rcjcttc ce couplugc: Le mpporl
de la communaut el deo la singularit a la nature n'esl pas le mcmt! Sc1on 1'unit propre 1\ la nuturc en tunl qu 'elle est une nalurc, cclle-
que celui qu'ont avec elle l'etre daos l'intellect et i'etre vritable ci csl indiffrentc 111 'unit individuelle, singulicre; de soi elle n'est
hors de 1'llme 20M. Si ces Jcux rupports ula natura ne se recouvrem done pus une de pur celtc unlt-111, e 'esHI-dire put 1'unit de singL~
pas, c'est que la communaut n'est pas une proprit qui choit la a Iarit, Comment on peut comprendre cela, c'est ce que montre Avt-
ccnnc, MtaJhy.I'IQIIL', V, 1~ ou il llouticnt que lt~ cabu)lil eH!
nuturc uu l'uit de !u pensc, muis une proprit qul, non moins que la
seulement caballit et que par elle-mame elle n est m une, nt
a
singularit, << convient la nature hors de l'intellect :la seule diff-
plusicurs, ni universellc, ni particulicre . Voila comm~nl il faut
a
rence est que la communaut convient d' e/le~meme cette nature, comprendre cette phrase : la caballit n 'est pas de so1 une par
alors que la singularit lui convient par un aliquid.dans la chose /' unit numrique, ni plusicurs par la p/uralit oppose i\ celle
qui lu contractc et fuiL qu'ellc devicnt proprc i\ ccllc chose singu- unil, ni univcrscllc en acte- commc pcuii'Ctrc l'ullivcrscl produit
\
)
liere. D'autre part, Scot transpose a la communaut ainsi entendue la par 1' intel\ect, non en tant qu 'objct de l' intcllect-, ni de soi partlcu-
dfinition qu 'Avicenne attribuait a 1'universel employ en liere - en effct, meme si cctte nuturc n 'est jamais rellement sans
logique :la non-impossibilit intrinseque d'etre prdiqu de plu- les individus (dont elle est la nature), d'elle-meme elle n'est pas un
sieurs . Si.la communuut dans la chose n'est pus l'universnlil de ces individus el elle nuturellcmcnt nntricurc u tous. Et c'est ',
dans l'ame, c'est du point de vue de la chose qu'il faut penser la considre selon cette antriorit naturellc que la nature est quelque )
~
communaut de la natttre. Cette communaut doit etrc pense en chosc d'esscnticl, qu'clle cst l'objet de l'intcllcct, qu'clle est par
-'' soi, considre comme telle par le mtaphysicien, et qu 'elle est ce
' tetmes d'esse in, non de dici de. Le commun dont parle Duns Scot,
qui n'cst pas l'universel, n'est done pas commun au scns oi'1 il qu'cxprimc une dfinilion 210 ,
:Jcrnil prdicublo de plusicurs (prcu:clicabih~ clf/ mullis), mnis uu
20lJ. Cf. lJuns Scol, Onlinatio, 11, tlist. 3, 39.
208. Cf. Duns Scot, Ordinatio, Il, dist. 3, 42. 210. 1/Jid.; trud. A. de Liberu, in B. Morich~re (d.), op. dt., p. 264-265.
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La querelle des universaux La rvolution du XIVt siecle
mistes que c'est par elles-memes que deux choses de meme
Le point (a) est cluirement pos dans I'Ordinatio: 11 y u quelque ' espece' a et b concordent et que deux choses d'espece diffrente, a
uni t rellc dans In e hose, suns uucune opration de l' intellect, une et e, n~ conco'rdent pas: 'par elles-memes , c'est-a-dire pa.r l'unit
unit moindre que 1'unit numrique ou que 1'u ni t propre du singu- numrique qui fait que a est en lui-meme un. Comme le s~uhgneront
lier, une unit qui est l'unit de In nnture prise d'npres soi 211 , Selon les dlsciples de Scot, In these dnonce dans les Quaest10nes com-
les Quesrions rres su!Jri/es S/11' fa Mtapltysique, c'esl Cll fonction de pl'end ninsi dcux nffirmntions: (i) par lui-memc, e 'est-i't-dire pnr
la quiddit ainsi interprte que les propositions par soi du premier l'unit nutnrique qui fait qu'il est en lui-m@me un, a concorde
mode sont vraies: Car tout ce qui est prdiqu de la quiddit d'une autant avec b qu'avec e et rciproquement (autrement dit, ~n tant
chose selon le premier mode de la prdication par soi (c'est-i\-dire que singulnrit chaque singularit concorde avec une nutre smgula-
de In pn5dkntion csscntlcllc oi'lln dfinition, ouunc purtic de In df'i- rit); done, (11) pnr eux-memes, c'est-i\-dire pnr l'unh numriquc
nltion, est prdlquc du dfini) << csl compris en elle esscnticllement , qui fait qu'ils sont en eux-memes un, a et b ne concordent pas plus
dans la mesure meme ou cette quiddit est spare des individus queaete. .
qui lui sont naturellement postrieurs . Le point (a) est done crucial L'absurde galit de la diffrence relle, s~mple suite logique de la
pour la mtaphysique. Scot met un soin particulier al'tablir. rduction de toute diffrence relle a une d1ffrence numnque, est
dmontre pur Scot selon une squencc nrgumentative classique
dans les commentaires grecs du premier. chapitre des Catgories,
CONTRE LA RDUCTION DE L'UNIT Rf:ELLE
celle qui permet de p'oser que tous les homonymes en tant qu' homo-
'A L'UNIT NUMI'!RIQUE nymes sont synonymes (voir encadr). 1
Qu 'il soit ou non directemen~ issu. de 1'univ~rs, noplaton!cien, le
nerf de la preuve scotiste est, au moms, un pnnc1pe formah~ ~ans
Dans les Quaestiones subtilissimae rdiges vers 1295, Scot rfute les Sophismata: il s'agit de l'affirmation que des choses qm dlffe-
deux des theses qui deviendront centrales pour les nominalistes du rent entre elles concordent en cela meme qu'elles difterent (Aliqua
XIV 0 siecle: (1) il n'y n pus d'nutre unit concevnble que cclle de In d(!Jerentia it eo quod di[(erantia sunt convenicntia sunt, selon ln for- l.
chosc singullere: (2) il n'y a pus d'nutre diffrence relle que la dlf-
frence numrique. Sa mthode d'argumentation est la technique
mule de l'Anonymus Liberanus, ms. Purls, Nut.lut. 16135). .
1
'
logiquc de In destruction du consquent . Elle consiste i\ poser Si toute diffrence relle est purement numrique, la diffrem:c
sous forme d'infrence In these i\ rfuter: Si la rnlit ne comptnit numriqtie est In en use prcisc de In diffrence relic. Mois, tout. ~e
quo deN clwst'N slngull~cs lprmlssc 011 nnrcdenr >>1, lln'y nurnil qui pnrtll.!fpc CNSCIIIIcllciiiCIII.ln CIIIINC prciHC d'.llll CCJ'IIIIII dkt
d 'u ni t relle que !'u ni t numrique qui est propre au singulier participe galement [c'est-ll.-d1re exaequo, a g~l~t] cet effet. Or
[consquent] , puis i\ montrer que le consqucnt cst fnux ct, par toutes les choscs qui differcnt rellement pnrttctpent ~galement
l~, l'antcdent lui-m@me, le faux ne suivant pas du vrai. La fausset
quelque chose, a savoir le fait meme de dirr~rer numnquernent,
du consquerit est prouve par six arguments qui noncent indirecte- puisque toutes les choses qui different se d1stmguent les unes de~
nutres et concordenl en quelquc chosc. Done, toutes les choscs qut
ment le creur de la position scotiste. Le principal est le premier. different ont une diffrence nurnrique gale. Done, toutes les
(al) Si toute diffrence relle tait une diffrence numrique, choses qui diffCrcnt ont une diffrence rclle gale 212
toutes les choses sernient galement diffrentes les unes des
nutres. Cet exaequo gnralis de la diffrence reviendrait aposer On saisit la sur le vif ce qui spare Duns Scot du nominalisme occa-
qu il n' y a pas plus de raison pour l' intellect d 'abstraire le concept miste : pour un nominaliste, i1 est faux de dire que toutes les, chos.~s
du blanc de deux objets blancs plutot que d'un objet blanc et d'un qui differenfrelle~ent particip~nt galement quelque cho~e, a sa~mr
objet noir . Une consquence absurde, mais qui semble invitable- le fnit meme ele chffrer numnquement . Le vocabularre scottstc
ment impliquc si l'on souticnt, commo lo fcront d'nillcurs les occn-
212. Cf. Ouns Scot, Quaest/one/., Vli, 18, 1; 11rad. A. de Libera, 11113. Mori-
211. Cf. Duns Seo!, Ordinatio, Il, dist. 3, 30. chcre (d.), op. cit., p. 265-266.
332
------------------:------------"--4-----~---------------------..,
.
La querelle des universaux La r\oolution du XIV' ,\'ice/e
nisme-la un instrument sans doute, mais qui finit par recrer un uni-
Sur la synonymic des homonymcs vers a la 'rois platonicien el, duns le cus de Scot, chrtien ou, u raison
et I'aporie de Nlcostrate meme de lafinitude de leur etre cr, deux choses ne peuvent trouver
/--- en elles-memes In communc ruison de leur unit ct de lcur diffrcnce.
Dlcn qu'll uit pu en ptcndre connuissnncc par le Comme1taire de Sim- A ce theme Scot en ajoute un autre: non celui de l'ineffabilit du sin-
plicius sur les Catgories, Scot semble avoir retrouv de lui-meme ou..---
tir de la littruture mdivale des Sophismata un argument fottement a
gulier, que certains reprocheront Occam, mnis, beaucoup plus radi-
apparent a1'aporie de Nicostrate, perfectionne par Atticus, consistan! calement, celui de son mutisme. Comment tirer un A.yo<; de choses
appliqucr aux homonymcs fu dlinition des synonymcs, Scufc fu prc- qui sonl pnr cllcs-mcmcs tout ce qu'cllcs sont paree qu'cllcs sont. .. ce
micre purtic de ccllc upol'ic nous intrcssc ici. On pcut In schmutisct qu'clles so11t 'l L'6gulit6 des difft'cnccs rcllcs n\:st pns In tlissolution
comine suit 213 : sclon Catgores, t, les synonymcs ont memc nom ct de la rulit du monde (il y Htoujours les singuliers), c'estlu dissolu-
m~me dlinition; or fes homonymes ont le mBme nom (le nom 'homo- tion de l'ide meme de monde: le monde n'est pas une liste de choses
nyme') et la meme dfinition (puisqu'on peut prdiquer de tout homo- unies les unes aux autres et distinctes les unes des nutres par e/les-
nyme In dfinition qu'en donnc Aristote: Ce lJUi u memo nom el une 1118mes 21-1. Lt\ consquence inluctablc el, aux yeux de Scot, inudmls-
dfinitiorv diffrente );done les lwmonymes sont synonymes. Lu solu- sible de ce que proclameru le nominalisme du X1V 0 sii~cle est celle a
tion standard de l'aporie de Nicostrate tait celle de Porphyre. Elle lnquelle aboutit (al): Si toute diffrence relle est une diffrence
consistait a dire que deux choses peuvent etre homonymes d'un point
de vuc et synonymes d'un autre. Par exemple: Les Ajux, en tant qu'ifs numrique, la diffrcnce entre les gcnres et les especes nc sera plus
sontles Ajax, sont homonymes; en tant qu'ils sont des hommes, ils sont qu'unc simple distinction deruison.
synonymes. Autremcnt dit: Les Ajax, en tant qu'ils sont homo- Les cinq uutres arguments renforcent la thmutique de la nature
nymes, sont synonymes; en tant qu'ils sont les Ajax, ils sont homo- commune comme condition de possibi/it: sans elle, il n 'y aurait
nymes. Une autre solution, mentonne par Philopon, souten!lit qu'il plus ni conservation des especes naturelles, ni ressemblance re/le
.. n'tait pus possible d'appeler synonymes les homonymes, paree que entre singuliers de meme espece, ni dfinition du genre comme
'
les homonymes ne possedent pus la proprit fondamentale des syno- metre des especes alui subordonnes; ni contrarit re/fe al'in-
nymes, a savoir le fuit que le nom el la dfinition sont prdiqus des trieur d 'un genre, ni objet unitaire des sensations, hi sensation autre
synonymes aussi bien considrs ensemble que considrs sparment que du singulier - toutes consquences opposes aux prncipes fon-
(par exemple, 'animal' cst prdiqu de Socrate et clu cheval aussi bien damentau x de 1'aristot>/i.\'1/IC (voir cncndr).
consid6r6s enscrnhlc que considrs Npnrmcnl). AlorN que, si 1'on
prtend consldrt:l' 'homsmymt:' comme un prdicut synonymt:, une ru-
lit ne peut etre dite homonyme quepm: rapport a une atltre:
UN!VERSALIT ET TRE INTELL!G!BLE
n'lontre que le parallele entre (a 1) et les rflexions des commentateurs Le point (b) appelle quelques prcisions. Scot distingue In nuture
grecs des Catgories n'est pas le fruit du husard: c'est le signe d'une commune objet du mtaphysicien et l'universel objet du logicien.
structure ou d'un scheme de pense rcurrent, noplatonicien plus Mais i1 ne nie videmment pas que la nature ait un etre dans l'intel-
que platonicien (puisquc In conceptualit de Pintan s'y excrcc tou- lcct. Ce qu'ilnie, c'estquc, une fois dans l'intellect, elle uit d'em
jours sur une matiere aristotlicienne): la participation. S 'il y a un ble par elle-meme l'universulit 215 , comme elle a d'cmble par
platonisme transversal, qui se retrouve en toute forme de ralisme elle-m8me la communuut hors de l'intellect. La nature commune u
qu'il soit vritable ou allgu par l'historiographie, c'est ce plato- trois modes d'etre: en soi, ou elle est indiffrente; dans les indivi-
2 t 3. Cf. C. Lunn, Commentnire , in Simplicius, Commentaire sur les CatRO 214. Sur In notion occumislc de monde, cf. Ouillaumc d'Occam, Ordinatio,I,
rhs, trad. commentc sous In dir. de l. Hudot, J'usc. III, Prambu/e mu Catgories, dist. 44; trad. E. Kargcr, in O. Boulnois (d.), La Pttissance el so11 omhre. De Pierre
trad. Ph. Hoffmann, comment. C. Luna ( Philosophia Antiqua , Ll/III) Leyde-New Lombarda Luther, Paris, Aubicr, 1994, p. 346-356, spcia1emcnt p. 347 (n. 57).
York-Copenhague-Co1ognc, 1990, p. 79-82. 215. cr. Duns Sl,Ol, ()n/inario, 11. disf. 3, 33.
'1
' 334 335
La rvolution du XIV' siec:le
1 .
337
l
'
217. Cf. Duns Scot, Quaest. Metaph. i, quacst. 6, 5. 218. /bid., 11.
338 339
f
La querelle des universaux La rvolution du xiv< siecle
-------..-"
tcllcct: ml!me une sensution vraie ne peut ctrc connue comme vrnie
IJc lnwrccpllrm tl l'intel/t!cl/on dt! l'uniw~r.\'tl pnr le sens- il tui mnnquc In rrlcxion.
Les interpretes d' Aristote ont bloqu sous un meme terme, 'univer-
a
~ien qu'il affirme plusieurs reprises que plusieurs actes de sen- sel d' exprience', deux phnomenes distincts : la formation du concept
a
satwns donnent naissance la perception d'un commun dont 1'objet universel, ce qu'on appelle l'induction abstractive, et le raisonnemcnt
est un universel, la these fondamentale de Scot est qu 'une seule per- a
inductif partir de 1'exprience. Le premier regarde la pense au sens
ception scn~ible sufflt pour que l'inlellcct puisse formuler les de conccvoir; le second, In pensc nu scns de c01mn'tre. Ln distinc-
concepts u~tver~els correspondants. C~la ne veut pas dire que tout 'tion entre concevoir et connaltre est fondamentale. En un sens, conce-
conc~pt sott toujours form 1\ la premtcrc rcncontrc, cela veut clirc voiret connaitre sont synonymes: concevoir la nature d'une chose,
que nen n'empl!che qu'il le soit. En fnit, ccttc condition suffisante c'est connaitre cette nature. Muis, en un second sens, ils ne le sont pus:
au scns ou connnitre s'appliquc non ula nuture d'une chose, mais uIn
!.
e~pliq~c que In. pcrc7ption nc rccommence pns u chnquc rcncontrc
smgultere le traJet qu~m~ne de la perce_ption au concept. De plus, les
deux theses sont compattbles, elles sont meme complmentaires: s'il
relation qu 'elle entretient avec une autre. L'induction abstractive n 'est
pas la source directe, la cause matrielle, de la formation du concept l:;
. universel : elle en est la cause occasionnelle, ce que trad1-lit le prncipe
faut qu:il y :lit plusieurs perceptions. de singuliers pour qu'il y ait
~crccp11on d un ~~m11nun, cela vcu.t dtrc que In plwnlit des pcrccp- 'nristotlicicn, un sens de moins, une science de moins (Anal. post., .
ttons est la condtt10n de la perceptton du commun comme commun. 1, 18, 8la38-40), qui prouve qu'elle est cause, et le fait qu'une seulc
C~la ,. impliq~ll' l'as rut le comn11111 m .wit pas perryu dtls la pre- sensntion suffise u la production du co,ncept universel, qui montre
nuere percepl!?,ll, mats seulement qu 'il n 'es! pas pers:u comme tel. qu'elle est cause seulement occasionnelle.
Slli'IOIII: l'll n r r11'11111111 ,!JII 'lllw IH'IIIt jll'l'l'C'Ilt.ion Sil f'f'it i\ 1\ngt'IHfl't' Di re que nous m~ connnissons den pnr un nctc de 1'inlellcct liuns
n~ent d un concept, ~col veut dlre que 'tntellect ne dpend pus avoir eu connuissnnce de sensibles dans le sens, sans uvoh t nfTcct
dtrectement et exclustvement du sens dans son activit idatrice. II de sensibles par l'intermdiaire du seos commun et de l'imagination
~y a donc.pas pour ~cot ~'abstraction inductive de l'universel par- a (<>avmcr(a), signifie seulement que le sensible est 1'occasion de 1'in-
tir du senstble. La rttratwn des expriences est moins ncessaire a telligible. Cet occasionnalisme conserve le platonisme par des
moyens nouvenux. Pluton nvnit dju dit que le sensible tnit l'occusion
la .r~rmation du conc?pt universel correspondan! une chosc qu'a la a de la 'rminiscence. Scot conserve cette these en abandonnant 1'in-
satste du rapport untssant deux choses entre elles : elle favorise
notre croyance a la vrit du rapport qui les unit . nisme au profit de la spontanit de. la pense. L'intellect forme
La p~euve d~ pr~mier point: 1'intellect forme un concept vrui, spontanment, c'est-a-dire d'emble et a partir de lui-meme le
mcme st cela fmt sutle ti une sensation emmc. Si la vuc suisit comme concept a l'occasion de la sensation. Pourquoi fuut-il une sensution?
blanc quelque chose de noir, l'intellect cons;oit vraiment la blancheur La rponse est du m eme ordre que chez Platon, mais transpose en
et une vraie blancheur, autrcment dit: ce qu'il conryoit, c'cst bien la contexte chrtien. La dchance de 1'ame dans le corps est cause que
blancheur ou de la blanchcur, ni plus ni moins qu'll ne le ferait si le l'homme a besoin de sensible pour se ressouvenir. Ln dchancc du
seos voyait vraiment du blnnc 219 C'cstunc thcsc nristotlicicnne: In pch fait que 1'homme ne peut dnns son tat prscnt forner un
concept sans y etre provoqu par une sensution. S' ugissant de
,<_
340 341
-------------------r-------- . .-l._.-
,
.
..
-
'....
~." -,
342 343
La qturdh dr.1 rmlwr.l'all.r La rl'olutlon d11 XIV' .1/h/e
a
nlt de I'mtellcct par rapport la connnissnnce sensible. Mais c'cst
(dlclblle.dl' gnmi.mfJPJlSitoJ. _ _ _ _ ,
uussl~rcnvoycr ~-des ?prations u'orurc-tllffrcnt :-tlruts un-cas,-1 1 <<apprcc
~ens10n de rahts s~mples ; dans 1'a.utre, leur composition. En outre,
Ces trois acceptions d' 'universel' permettent de-rsouore le c-onflit
JI y a ~ne gra:tdc vant de concepts sunplcs. Laquiddit d'une chose, du conccptunlismc, pour qui l'univcrscl <:st sculcmcnt un conccpt, el
s~n oucrlo., n est pas un concept du meme ordre que celui de w~nre ou du ralisme, pour qui l'universel est rellement (est in re). L'pinion
d csphc. Scoturliculc tc:; di!Tt'cnccs en 'uppuyunt Nlll" In d!stlnctlon qui so11ticnt q11c l'11nverscl . csl sculcmcnt dnns .l'intellcct
convient a l'universel a u sens (a), cur, en tant qu '!ntentlon seconde,
des intentio~s p~mieres et sec~ndes, ntrodyite par Avicenne pour mar-
quer la spctfictt du genre Jogtqi.ie par rapport au genre naturel. a
la niison de prdicabilit, c'est-a-9ire la relatibn de l'uriiversel des
objets, ne concerne l'objet qu'eh tant qu'il est dans l'intellect qui
tablit ce rapport. L'opinion cjui soutient que l'universel est relle-
Les trois acceptions de l'unlversel 'se ion Seo{ a
ment convicnt 1'universcl au scns (b), au scns ou, celui-ci tnnt
pris comme une nature qui de soi n' est pas particularise >>, on
. L'universel peut clre considr de trois manieres. Sous un premier peut, en ce sens prcis, y voir que/que 'e hose d' universel. Mais
aspect, (a) 'universel' est pris pour une intention seconde , c'est- aucune des deux positions thoriques, le conceptualisme et le ra-
i't-dirc la rnison de prdicnbilit, nutremcnt dit la prdicubilit de lisme, ne dit vraiment cequ'est l'universel nu sens de complcte-
nnilt~s, qui fait qu 'mi prdicab!e peut etre prdiqu d'une pluralit ment universel (universale complete). Le ralisme ne pose pas
d'objets enfonction de Ut relation de raison qu'il entretient avec eux l'universel complet, parce_,que l'universel qu'il considere n'est pas
relation qui est dsigtie concretement par le nom 'univcrscl' et.abs~ suffisamment indtennin , au sens ou i1 n'est pas positive-
trnilcmcnt pnr l'nnm 'univerRnlil'. Sousun tleuxl~me ns)cct 'uni mont cont rnin~ h In ,dtermlnnl ion >l, mnis seulemcnt privn1 lve-
verse 1' est ptts a
pour ce qul est dno111m partir de cette lntentlon,
' ment . 11 n'a pas l'indtermlt1tion positive que seul possede le
c'est-i\-dire pour ce qui cst nppcl 'un univcrscl', pnrce qu'on tui compiCtement universcl. Mnis le conccptunlisme n'attcnt pns lu
nppliquc concrctcmcnt le concepl d'univcrscl elle nom concret cor- non plus 1'universnlit complete (completa ratio universalis), il 1'.
rcspondnnl ('univcrscl'), Lunotion de lk<rmmlnnlion cst ki f'ondn- ntlclnt sculcmcnt une <! inlcnlion llllltrcllcmcnt postricure i\ In rni-
mentnle: 'c'est le nom lntin de ce qu'Aristote appelle la paronymie, son complete de l'universel , c'est-a-dire l'intention el' unive~sel
c'est-a-dire la dsignation d'une chose par un terme concret, un o u d' universalit . L'universalit vritable est 1'indtermination,
adjectif, prdicable d'cllc. L'universalit n'est pas prdicablc abs- comme (quasi) contraire >;,, p'est-a-dirc l'indterm_ination positive,
traitement: c'est-i\-dire i\ l'aide d'un sbstantif. On nc peut clire d'un a
contraire toute _cjtermi!1ation, gr~c a laquelle homnie est suffi-
gcnre qu'il cst 'univcrsnlit'. Oil pcut sculcmcnt dire de lui qu'il est sammcnl indlcrmin pour que, .p'nr une inlcllection unique, il- soit
'un universel', ou qu'il est 'universel'. Ce qui est dnomm 'univer- con~u quidditativement. en tout homme (ut uriica intellectione
sel', c'est-i't-dire ce dont on peut afrirmer l'univcrsalit concrctement conceptum quidditative ihsit oim);Or ce qui peut etrc quidditative-
en l'appelant 'un universel', est une e hose de premiere intention , ment COn~ll en tout h()Qlme ' prcede natureiJcment 1'intention
c'est-i\-dire une rnlil qui, contrniremcnl i'lf'intcntion scconde, n'est secondc ou,tiniv~rt~nJit logiqje.~m!trcment dit In rclation de prdica-
344 34-5
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bilit (habitudo de multis) , qui est ce qu'atteint le conceptualisme. lect possible selon l'etre objectif et 1' indtermination complete
Le probleme est ainsi d 'expliquer non l'abstraction au sens clas- qui est cclle de l'univcrsel , L'nction de l'intcllect agent est
siquc du lcnne, 11111s <.:OllliJH!llll 'lime urrive u produire en elle u11 donl..! uniler.wli.I'CIIril'e, elle 11 'est pns a/J.I'II'lu:til'l', nu sc11s hnbitucl u
objet suffisammcnL indtennin pour ctre compleLement universel, terme. Dans la psychologic aristotlicienHe, notumment dans l'inter-
c'cst-a-dire susceptible d'etre conrru quidditativement en touL. Ce prtution rctenue par muints uristotlicicns du XIII" siccle, 1' intcllcct
que Duns Scot relance, c'est a la fois la nature indiffrente d' Avi- agent agit sur l'espece sensible pour la dmatrialiser, c'est-a-dire la
cenne et ln doctrine de 1' intellect d 'Aristote, mnis en redistribuunt dpou illcr de tous les nccidents mutricls ct, uinsi, l' intelliRibi/iser.
entierement les cartes. Scot, qui prolonge ici un argument de Godefroid de Fontaines (Quod-
libet V, quaest. 10), rcjette cette vis ion de 1'activit de 1' intellect
agent: l'intellect agent ne peut agir directement sur l'espece sensible,
La nature commune, l'intellect suns contractcr (commc on contracte une mulndie) son mode
et la thorie des causes concourantes partielles d'etre tcndu ct sensible. On ne peut uinsi cxpliquer, commc le
faisait Averroes, la production de la forme intelligible universelle
tant donn qu'il n'existe pas d'universel spar, c'est-a-dire de par l'abstraction dnudant l'espece de<< son idole sensible, pour
ehose assez indtermine pour apporter a l'intellect 1' universalit que, rendue intelligible en acte, elle vienne infonner l'intellect pos-
complete qui est celle du concept quidditatif, on pourruit etre tent de sible- s' il agit directement sur la ,\pecies sensibilis o u le phantasma,
i poser que l'universel est donn d'avance dans l'intellect- une solution 1'intellect agent ne rendra pas la forme sensible intelligible, il se ren-
1' de type platonicien. Mais, comme Avkenne, Scot refuse et l'existence dra lui-meme sensible: Si l'intellect agent intervenait dans les fan-
d'un trsor des formes (thesaurus intelligibilium) immanent a tasmes eux-memes, ce qu'il transmettrait serait tendu, il serait done
1'fimc humainc el l'hyrolhcsc connexe de la rminisccm:e. Reste la incupuhlc d'n1murcr le trunsfcrt d'un onlre de rnlit uun nutre, ct il ne
doctrine arislotlkiennc, ave<.: la disti_nction de l'intellect possiblc el de scra1L pus mieux proporlioun t\ 1' inlellecl possible que le fanlnsme
l'intellect agent extrapole par les ccimmentateurs duDe anima, Ill, 5, lui-meme m. Chez Scot, la marque de la finitudc de !'esprit humain
qui, a la fin du xme siecle, est couramment admise. Mais, renonr;ant change ainsi entierement de nature. Dans la tradition aristotlicienne,
uux formes innes , Scot ne les rintroduit pns, sous un uutre nom, le signe de In finitude cst que seule l'cspece sensible, plus cxnctement
'dnns J'uppareil psyd1ique td que le dcrit Aristote. En un mot, l'inlcl- 1'image (phantasma) intelligibilisc par 1' intellect agent, a le pouvoir
lcct dit possible ne contient pus d'uvnncc l'universcl.,ll est pure- d 'uffecter (littralement de mettrc en mouvement ) 1' intellect
ment rceptif. Mais cette rceptivit meme ne suffit pas. Etant donn, possible, 1' image et done, atravers elle, la eh ose extrieure a1, ame ;
en effct, qu 'aucun objct n 'est suffisammcnt Ulliversel pour attci~l-ln:! de comme dit Avcrrocs, lollte notrc connuissnncc tire son origine de la
soi a l'univcrsalit relle ex parte rei, l'intcllcct possiblc, dontla seulc sensution , i.e. la pcnse humuinc est asmjellie d la sensation. Pour
fonction est de recevoir, ne peut recevoir l'objet plus in d termin qu 'il Scot, a u contraire, 1'intellect agent agit directement sur l'intellect pos-
ne lui est donn (non recipit indeterminatius quam obiectivum est sible, a titre de cause concourante, certes, mais directement tout de
factivum). Si l'intellect possible re~oit l'universel completement uni- meme. La marque de la finitude est dans la ncessit du concours,
a
versel , il ne le doit done ni asa propre nature ni l'objet incom- ncessit extrinseque nla nature de la pense comme de l'intellect, et
pletemcnt universcl, mais 1\U concours cuusnl de la nuture ele soi a
qui tient sculemcnt l'tat de dchancc de J'homme apres le pch
indtermine et de l' intellect agent. d' Adam : ncessit de fait, non de droit.
Le recours al'intellect agentest classique dans la psychologie aris- En outre, l'espece qui concourt avec l'intcllcct ngent dans la pro-
totlicicnnc. Scot J'intcgre, toutcfpis, i\ uo ensemble qui n'cst plus duction de l'univcrscl complcL n'csl pns l'cspcce sensible des uristo-
aristotlic.:in, domin ptu uqe nouvelk concep\ion de In causalit : la tlicit:ns. C'cst une ~sp~ce qui vhicule non pus une forme
.
causalit commune de causes partielles concourantes. Le concours de intelligible en puissunce , mais une nnture de soi indtem1ine, cette
l'intellect agent et de la nature commune, ou, comme dit Scot, l'in- nature commune, extrapole de 1' essencc indiffrente d'Avi-
tellect agent concourant avec la nature ele soi indtermine , est
la cuuse intgrnle (illtegra) de In production de l'objct dans l'inlt.!l- 222. Cl'. Duns Scut, Onlinatio, 1, tlist. 3. quat'.l'/, 6, ~H.
346 347
,.
La querelle des universaux La rvolution du XIV' siecle
;1
cenne, que Scot place au fondement rel de tous les jugements de pas confondre (a) l'acte de sensation et la perception de la nature
ressemblance comrne uu prncipe de toutc pcrception: cet univcrscl commune dans le singulier, (b) l'intuition de In nature commune
incomplet qui est d'emble saisi par le sens avec le particulier et qui corrime nature de soi indtermine, (e) la saisie de l'universel com-
est nussi bien en puissnnce loigne de dtermination tlans In sin- plet dans son etre objectif et (d) le concept mtalogique de l'univer-
gulnrit que d'indterminntion duns 1'universc[22.l, sel et de 1'universalit.
Le rsultnt du concours causal de 1'esp~cc vhiculnire de In nnture Objet premier de l'acte de sensation portan! sur le singulier (='a'),
commune ct de l'uction de l'intellect ugent dans l'intellect possible mais saisi par elle sous l'angle de la singularit, la natu.re cot;tmune,
donne done naissance a l'universel complet: ce que Scot appelle le dans son unit, peut etre saisie par la pense dans une mtentron pre-
concept objcctif de la chose connue. Ici se marque une nouvclle cou- ml~re (= 'b') c'est-u-dite duns un actc intentionnel prsentnnt In
purc avec l'pistmologie aristotlicienne. L'intelligible complct pro- nature commune' dans sa neutraht. , dans sa sparat10n
. 'd .
t ttque 22.~ ,
duit en l'intellcct possiblc n'cst pus simplcment dcrit commejOrme indpendamment de l'universalit et de la singularit. De fait, le
inte/ligible en acle de/' intellect possible. En la rigueur des termes, le concepLquLsaisiLla_nature~cnmmun~-~.Dmme_natu_r~ _c~omm11q~ ~~e lll~ _
processusoe-causalte c6i1courante selisse ah1sTOcrire :-le concours saisit pas comme universelle, il la sms1t comme une essence mdff-
cnusnl du fnntnsme el de l'intcllcct ngcnt donnc nnissnncc i\ une rcntc, c'cst-i\-clirc tcllc qu'iln'cstj1ns contrnclictoirc nvcc ce qu'cRt
csp~c" lntclllglhlc. MniN ll peine ccllt.l-cl cst-cllc cnusc dnns l'in- cette nnture d'tre duns un nutre su el. Plus qu'a propos de J'lntellec
tellect possible formellement qu 'est caus simultanment un objet tion aristotlicienne des indivisibles (f ... TWV .l>tmpnuv vncrt,,
abstrait, non pas formellement, mais objectivement . Autrement dit, De an., III, 6, 430u26) ou de cellc des objcts immatriels (III, 6,
il ne faut pas confondre l'action de la species vhiculaire sur l'intel- 430b31 ), on peut done parler ici' d' une intuition des ~ssences , car,
lect possible, qui livre la forme intelligible d'une chose (i.e. son se ton les termes memes de Scot, 1' intcntiorf prcmierc de la nature
concept forme!), et celle de l'intellect agent, qui produit un concept l commune est I'intuition de la natura en tant qu'aucun mode n'est ;
objectif de la chose ainsi connue. L'intellect ngent produit dans l'in- co'intellig en mcme ternps qu'elle . Cette intuition .<= 'b') n'cst pas :
tellect possible le conccpt objectif de In chose dont la species vhicu- rductible 1\ la perception (= 'a'), c~r, dans la percept1on, ,'.a n~t~re est
lnire imprime le concept fonnel. Naturellcment, on ne peut dissocier saisie sous 1'angle de la singulant , alors que dans 1 mtUJtiOn de
les deux puisqu'il y a concours et production simultnne. 11 s'agit plu- l'essence le mode d'intellection est l'universalit . Toutefois,
tot de marquer ce qui, daos le concept objectif, vient de la chose ext- comme l'intuition de la natura est une intellection sans coi'ntellection,
rieure et ce qui vient de l'intellect lui-mcme. C'cst dnns cettc dlicnte le mode d' intellection de !u nature cst bien 1'universalit, mnis ce
jonction que se rulisc che7. Scot J'union de l'cmpirique ct de l'a mode tui-mame n'est pns intcllig dnns ccttc intui!i.on 226 L:intuition
priori, duns le concours cuusal en un mcmc produil de dcux fucteurs, J
r scotiste des essences est done un mode forme! d mtellecuon de la
dont !'un vientformellement de la chose rneme et dont l'autre tend nature, qui la saisit universellement, mais non comme universel!e.
ohjectivement vers elle: ce qi fuit principalement d'un objct un L'universalit vritable est posc dans un autr.e acte de connms-
ohjet, c'cst que In puissnncc tcnd vers lui, non qu'il imprime en elle snncc..qul nttcint l'univcrscl 'wn plu~ dilns son indtcrminntioJ~ pri-
une csp~cc. ()uolquc 11011 cntlcrcmcnt thmntisc CUJlllliC tcllc, In tlis- vutive (indeterminatio privativa}, mais dnns son indtCJ1lllinutwn
tinction porteuse de la doctrine de l'universel complet est done celle positive contraire atoute dtermination (universalitas contrai'ia),
de la eh ose extrieure et de 1'objet, de la ralit et de 1' objectit : Ce qui permet de concevoir quidditativement l'unive_rsel en tou~ su jet _(in
qui fait essentiellement de la chose un objet consiste beaucoup moins omni) concem, tmiversalit qui prcecte naturellement 1'mt~nt10n
dnns J'action cxcrce par In chosc sur notrc facult de connnitrc, que sccondc ouuniversnlil logique (= 'd'), nutrcmcnt dit In rclnt10n de
dans l' acte par Jeque! notre intellect s 'en empare 224. prdicabilit (habitudo de multis}, exprime en tant que telle par les
On peut ainsi rsumer la doctrine scotiste de l'universel. 11 ne faut prdicats 'universel' et 'universalit'. N aturellernent, en tant qu '1l_est
223. Cf. Duns Scot, Q,;atsi.. t.fttaplt., VIl, qune.1t. 1R, '!( . ---~i:~~~f. O. 13oulnols, Rcllcs intcntions : nuturc communc el univcrsnux sclon
224. Cf. . Gilson, << Avccnnc et le pont de dpart de Duns Scot , AHDLMA, Duns Scot >>, Revue de mtaphysique et de mora/e, 1992/1, p. 25. .
2 ( 1927), p. 184. ----- 226. Cf. Duns Scot, Ordinario, Il, dist. 3, 33.
34R 349
J
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~---------~--------------------~----------------~m.~------------~------~~-----~
conc;:u quidditativement en tout sujet, l'universel complet est aussi l'on peut prsenter aussi bien (c'est ce qui fait, d'ailleurs, sa spc~fi
prdicable de tout sujet. Mais ce n'est pas pour autant une intention cit) comme un tournant cognitiviste que comme un tournant lm-
seconde. Sa prdicabilit n'est descriptible qu'au moyen d'une inten- guistique.
tion seconde, c',est-a-dire mtalinguistiquement dans des noncs
commc holl/11/c! esl 1111 universel >>, c'csl-i\-dilc non pns uno 11111111'0
indiffrente a la multiplicit, mais un prdicable susceptible d'etre
attribu a une multiplicit de singuliers de mme espece, des le Occam ct le nominulismc
moment ou il est conctu quidditativement en une multiplicit de sin-
guliers. Ce n'est pas pour autant que l'universel complet est une
simple intention seconde au seos dcrit supra : le concept objectif Vue du pont, la philosophie mdivale se partage en cleux bandes
d'homme n'est pus l'intention d'universnlit (= 'd'). L'indterminu- rivales, l'unc, cclle des occnmistes, joue du rusoir, l'uutre, cclle des
tion contraire est le nom scotiste de .la prdicabilit relle de barbus, coute pousser ses poils. Quine a, semble-t-il, tout di~ la-des-
1'essence; 1'indtermination privative, le nom de la tolrancc onto- sus en proposant de rnser la barbe dt.: Platon uvcc le ras01r d'Oc-
dogique ~e l'essence; l'universalit logique ,le contenu inlention- cam . L'antiplatonisme est-il pour autanl la marque distinctive de
nel correspondant a la proprit mtalogique des universaux, proprit l'occamisme? Ren n'est moins sOr. L'horizon thorique d'Occam
nonce concretement par le terme 'universel' et abstraitement par est l'aristotlisme et la philosophie de son temps. C'est contre eux
'u ni versali t'. qu 'il tourne les armes de la critique. Pour comprendrc le sens de la
L'unit de l 'objet aperc;:ue dans la perception sur fond de nature rvolution occamiste daos la rvolution du x1vc siecle, il faut avant
commune, la saisie de cettc nature dans sa nudit comme pure for- tout considrer ces armes et le terrain ou il les utilise. Plutot que de
mulit intelligiblc, JUis sa saisie dans son etre objectif de forme spcifier par avance les caractristiques du nominalisme d 'Oc-
universelle rellenu.'nt prdicable de plusieurs sont le contre-modele cnm , nous irons le cherchcr o\1 il nous attend : nu point oi:1 porte sa
scotiste du modele empirislc arislotlicien de la genesc du conccpl premicrc nlluquc- chei'. Aristote.
en Mbaphysiqtw, A: sensation, exprienct: de la rplition duns lu
.mmoire, conccption de l'universeL Ce contrc-modclc esl rcndu pos-
sible par la relecture scotiste de la notion d 'intuition intellectuelle SMANTJQU!l 11T ONTOI.OGI!l
(\loO<:, intel/ectus) inopinment mise en pince pur Aristote u lu fin
des Seconds Analytiques: grftce i\ elle, Scot u l'idc de l'aire pince ll.
deux types d' intuition de la nature commune entre la perception sen- _. Occam est aristotlickn, muis son aristotlisme cst ontologiquemenl
sible et la conceptualisation logique, celle de l 'essence dans son:- rduit. Des quatre sortes d'tants distingus par les relations etre dit
: 1 indtennination privativc; quila rend pr6clicablc de plusieurs choses de el ctrc dnns en Cahrgories, 2, i1 nc n:ticnt que les substnnces
~
(de multis), et celle de J'universel dans son indtermination 'premiercs el lcurs qualits. Toutes les qualits son! des qualits indi-
contraire, quila rend prdicable de tous ses sujets (de omni). viduelles: la blancheur de Socrate (i.e. celle de cet homme-ci), celle de
On voit ce qui spare les doctrines de Scot de celles de Thomas Brunel (i.e. ce cheval-ci), numriquement distinctes les unes des
sur la connaissance intuitive, la perception et les universaux. La atttres, comme le sont leurs portcurs . Pour Occam, done, tous les
vraic coupure entrelc xmc et le x1ve sieclc esl inaugurc )ar Scot des tanls sont singulicrs. La consqucncc In plus rcmarquable de cette
la fin du xmc, non par Occam. Chungement de rgime de pense, de omologie di te particulariste ou parcimonieuse >> cst l'limination
style, d'criture, de maniere de questionner, changement de probl- des entits qui,jusqu'alors, avaient pos le plus de problemes aux phi-
matique aussi, sur la trame commune. En abordant Occam, on quitte losophes :(a) les :mbstances secondes .>.>, c'est-i't-dire les gcnres et les
done moins Scol qu'on nc q11il!e Tlmrnns. l'nr bkl1 des d)ts, l'ol:cn- cspcccs, el (ll) kH qunlit~s ~:onlllllllil~~. tclh: la blundlclll' l'lllcuduc
mismc cst la maladie, que d'aucuns diront mortelle, du scotisme. comme proprit rellc partage par une plurnlit d' individus.
Pour nous, c'est plutot la mise en crise de la nouvelle configuration Les substances premieres sont constitues de formes et de
pistmique produite par Scot. Une crise qui asa logique propre, que matieres, qui sont leurs parties internes ou essentielles, mais n'ont
350 351
La querelle des univcrsaux La rvolution du XIV' siecle
par rapport a elles aucune autonomie 227 Chaque substance indivi- tions de l'ame), les vof..La-ra, selon I'exgese noplatonicienne;
duelle asa forme individuelle (forma particularis) et sa matiere indi- (b) la relation de ces affects (ou noemes ) aux ch6ses. La rela-
viduelle (materia particu/aris). 11 n'y a ni forme cornmune i\ deux tion (a) tait pose comme conventionnelle, le son mis par la voix
choses singulieres ni mntiere commune a deux choses singulieres. tant prsent comme le cr..L~oi\ov des tats de 1' lme. La relution
Il n 'y a done pas, pour Occam, de gnralit dans les choses. Il n 'y (b) tait, en revanche, pose comme naturelle, le concept tant
u gnrnlit que parla signijication. Ce point cst capital, cur il permet, si&ne (crnJ.etov) immdintement ou prcmieremcnt
1\ lui scul, de situer Occum dnns le dbat sur les universaux. Pour ce (npwrw') des choses. Dans ce dispositif, i1 n 'y uvait done pas de
fnire, toutcfois, il fuut bien comprcndre ce qu 'csl un signe pour reluti011 directe, immdinte 1 des mots nux choscs, muis une relu-
a
Occam. Un signe est une chose singuliere laquelle il arrive de repr- tion,. symbolique et conventionnelle, des mots aux concepts et une
''c'llltr simullnnmcnt une plurnlit d'nutrcs dmscs, soit (n) par nuturc, -~utrc, smiotiquc clnaturcllc, des conccpts nux choscs, rclntion pr-
soit (b) par convention. Le nom commun 'cheval' est un signe par _____ . cise par Aristote comme une relation de ressemblance ou
convcntion. Pour tout locutcur qui l'cntcnd, ce nom rcprscntc. tous << similitudc . Les mots crits tnnt cux-mBmcs dfinis commc
les chevnux singuliers. L..:u gnrulit-esr itil1sfseUiemencrurraite-des -len;ym!Yoles-des- m.ors-emirparJa-votx;-on-avair-ahlsi-une-sre-dc-
noms communs. En ce sens, on peut dire qu'Occam est nominaliste, relations htrogenes : deux relations conventionnelles - (a 1) entre
car il va de soi qu'une telle doctrine dunom comme signe implique la les mots crits et les mots oraux, (a2) entre les mots oraux et les
a
rduction des especes et des genres de simples noms communs. concepts; une relation naturelle (b) entre les concepts et les choses.
Cependant, les noms communs premiers nc sont pas les noms crils Ce dcrochagc rendait compte de deux phnomencs : la diversit des
(les litterae d' Aristote) o u prononcs vocalement (les voces), mais critures et des langues, l'identit des concepts chez tous les
les concepts mcntnux (les passio11es alli111llC', sclon lutenninologie du hommes, fonde sur l'idcntit des choses pour tous les hommes.
De interpretatione). Les noms communs mentuux nppartiennent ace
qu'Occam uppellc le discours conceptuel (Swnma logicae, 1, 1),
a
c'est-a-dire le langage mental, antrieur toutes les langues que les
hommes ont institues et dont ils se servent pour communiquer. Le
lungnge mental est done compos de mots qui sont des conccpts qui
sont des signes nuturcls, pur opposition uux muts 6crits ct umux don!
la signification est le produit de conventions.
352 353
La querelle des universaux La rvo/ution du XJVt siec/e
naturel (natural kind term), c'est par exemple le terme 'homme' dcisivement la perspective vuinement articule par Aristote dans le
ou le terme 'cheval'. Le tenne absolu n'tablit aucune diffrence cercle de Catgories, 1, 2, 5 el 8. La connotution pouse purfuite-
entre ses signifis, illes signifie tous a galit et a titre premier. Les ment la bipartition ontologique du rel en substances el accidents.
signifis d'un terme absolu T sont a leur tour dfinis prdicative- Dire que le paronymc cst un tenne qui connote un accidcnt, c'est
ment, c'est l'ensemble des individus dont il est (a t, sera ou peut dire qu 'il signifie a titre premier !'ensemble des individus auxquels
etre vrai) de dire ceci est T . Cette dfinition prdicationnelle, a
s'applique et qu'il signifie titre secondaire les accidents qui inhe-
a
dont nous empruntons 1'nonc Claude Panaccio, vient structurel- a
rent ces individus. Comme J'crit Panaccio, un terme T connote
u
lement la place de l'incertaine dfinition de la prdication synony- un accidenL a si et seulemcnt si il existe une substance s Lelle que
mique. Mais elle boucle le systeme et assure la cohrence du rapport T signifie strictement s si et seulement si a inhere a s 228 Cette
mots, choscs. conccp~s. redislribution nc pose <lll'un problcmc; cclui de In distinction entre
Aux termes ubsolus Occnmppqse les tennes collnotntil:'l. Le t~I'IIH.! uccidcnt spurnhlc el 1u.:ddcu1 lnspuruhlo,
connotatif a deux significations : 1'une premiere, qui est du meme type
que celle du terme absolu, l'autre secondaire, qu'Occam appelle
Accident sparable et accident insparable
connotation. L'exemple canonique du terme connotatif est 'blanc'- un
termo dot d'une lourdc histoire nu moment ou Occnm s'cn cmpnrc, Pmphyrc, dfinissuntl'ucl:iucnt commc ce qui se produit ct uis
puisque Aristote l'utilise en Catgories, 2, pour illustrer J'accident par- purait sans entralner la dcstruction de son sujet, en distingue deux
ticulier- un certain blanc existe dans un sujet, savoir dans le corps, types: l'accident sparable, par exemple dormir pour l'homme; et
mais il n'est affirm d'aucun sujet (on ne dit pas: 'Le corps est ce l' accident insparable, comme etre no ir pour un corbeau o u un
blanc') -, et en Catgories, 5, pour poser que, contraircmcnt a 1'es- thiopil.!n. Ccttc distinction nc lui pose pas de problcmc puisqu'on
pece et au genre qui signifient une substance de telle qualit , le peut tout au moins concevoir un corbeau blanc et un thiopien qui
blanc ne signifie rien d'autre que la qualit , c'est-a-dire signitie la perde su couleur sans que le sujet lui-mcme soit dtruit , ce qui
qualit de maniere absolue .En faisant du terme 'blanc', contre l'in- n'entame pas la dfinition gnrale de l'accident posant que sa dis-
tcntion expresse d' Aristote, un terme connotatif, qui ne signific pas In parition n 'entralne pns cclle du su jet. Dans 1'ontologie d 'Occam,
qualit de maniere absolue, mais deux sries de signifis: les signifis l'accident insparable pose toutefois un probleme indit. Si, en effet,
premiers, les choses individuelles blanches, auxquels il s 'applique ct certaines substances, par exemple les corbeaux et les thiopiens,
rfont il peut tenir lieu dans une phrase, et les signifis seconds, les a
possedent tout moment de leur existence un accidenta, i.e. la noir-
blancheurs singulieres, attribucs dnorninativement nux choses indi- ceur, la notion de terme ubsolu entendue commc tcrme d 'es pece
viducllcs /Jiancltes, Occam rsorbo ninsi h! phno111cne de In purooy- nnturcl >> scmblc pmnlisc 11 clulcl'. ClliiiiiiCilt, c11 cfTcl, coosidrcr
mie dans celui, plus gnral, de la connolation, qui s'applique aussi qu'un tcrmc comme 'cheval' el un tenue comme 'corbeau' sont de
aux termes relationnels (comme 'pere'). Les termes paronymiques sont meme typc, si le signe conceptucl 'corbeau' connote automatique-
done, comme tous les connotatifs, des termes concrets qui signifient ment un accident particulier: la noirceur individuelle.
directement (in recto) des substunces singulieres et qui signifient Sclon Pienc Alfri, il y u lu une impasse, !'<<impasse de l'ucci-
n
secondnirement ( l'oblique ,In obliquo), c'esHt-dire connotent, dent , dont Occam se tire uu prix d'unc nstuce qui prserve lu
les qualits singulieres qu'ils permettent d'attribuer aux substances distinction ontologique de l'accident insparable et du propre ou pro-
singulieres. Le terme connotatif est le paronyme ou lenne accidente! prit, mais cache une profondc faiblesse - celle de 1'ontologie
concret de la tradition intentionniste. La diffrence uvec les intention- du singulicr considre comme telle, faiblcsse d'o dcoulc la nces-
nistes est qu'Occam ne se contente pas de 'poser le paronyme dans sil meme d'un dpassement de l'ontologie. En quoi consiste cette
1' ordre du langage oral et crit,, Le langage mental lui-meme est impasse? Occam commence par reformuler les dfinitions de Por-
d'abord compas de termes absolus et de termes connotatifs. phyre. L'accident sparable est celui qui peut etre supprim natu-
La refonte de Catgories, 1, s'acheve done par l'limination de
.l'homonymie. 11 n'y a pas d'quivocit dans le langage mental. 228. Cf. Cl. Panuccio, Nominalisme occumisle el nominulismc contcmporuin >>,
Ontologiquement, la dfinition occamiste de la paronymie clarifie Dialog11e, 26 (1987), p. 286.
)5H 359
La querelle de.~ universaux La rvolution du xw siecle
rellemcnt (per naturam) snns que le sujet soit dtrult. L'nccident tlon de x, il y a rmu'urs dans le monde rel un nccident scmblnble n
insparable est celui qui ne peut ~tre supprim naturellement sans a, consmile accidens, autrement dit un accident a' qui peut etre
que le sujet soit dtruit, encore qu'il puisse l'etre par la puissance spar d'un autre sujet y sans destructiqn de y. Orce n'est pas le cas
divine. Sclon 1\lfri, le prohlcme pos i\ l'ontologie occnmistc cst du propre. tant donn, en effet, le propre b (par exemple la capacit
que, du mini dl~ Vlll' de lnnnture, Cl~N dc.<f'lnltitHIN lniNIIt'lll suhslslcr le do rlro) qui eRIIc proprc d'un r-~ujel z (un homrne), il n'y njnrnnis dnns
probleme de l'uccident, qui n'est lev que du polnt de vue de la puis- le monde rel un propre semblnble h b, autrement dit un propre /J' qul
sance divine absolue. D'ou, pour pouvoir distinguer le propre et l'ac- puisse etre spar d 'un autre sujet sans destruction de ce sujet- car, si
cident insparuble, la ncesslt d'une nstuce , expose dans la a
b' est un propre sem!Jlable b, il est ncessairernent le propre d'un
suite immdiate du texte. Rappelons le texte dans la traduction de a
sujet semb!itble z (un autre homme), quel que soit ce sujet. La toute-
Joel Biard: [l'accidcnt insparable differe du propre, car,] bien puissance di vine ne joue ici qu'un r6le d'appoint. Elle rend plus mani-
qu'il ne puisse pas etre naturellement supprim du sujet dont il est feste, en l'accentuant, la diffrence entre propre et accident
-l~accident-insparable,-il-peut-cependant-etl-e-suppl"im-d'-un-autle _insparable_:_elle~c;ooJign_e_la_possibilit logique gue les corbeaux ne
.mjet sans que celui-ci soit dtmit 229 Le latin dit: lamen consimile soient pas noirs, meme si noir est naturellernent insparable des cor-
nccidens auferri potes! ab afio suiJiecto sine ilfius col"l'llptione - le beaux dans le monde rel. Cluude Panaccio y voit le signe que, pour
terme consimile n'est pas traduit. Dans l'interprtation d'Aifri, chaque corbeau, on peut done dire qu'il existe un monde possible
Occam pose qu'un accident insparable ne peut etre naturellement dans Jeque! ce meme corbeau n'est pas noir ,un monde ou il conti-
retranch ou supprim de ce dont il est dit l'nccident insparnblc nue b 8tre signlfi (au sens strict) par le termc 'corbeau', mais non
nnnmoins 11 peut etrc rctmnch de lntn8mc 1111\ll~I'C, cons/ml/e- ~ plus pn1te tcrme 'noir'. SI, cornme l'nclmct Pnnnccio, In toutcpuis
savoir par la nature (per naturam) -, d'un autre sujet sans destruc- sanee divine joue chez Occam le role d'un principe logique permet-
tion de ce sujet 2J 0 Cela suffit i\ le distingucr du proprc, puisquc tant de rpcrtorier les mondes possibles, l'adrnission explicite des
le propre ne pcut etre rctrnnch de rien snns destruction de la etres possibles nu rang des signifis d'un terrne et l'identification de
chosc >> (dt llltlfo fJOft'.l'f 111(/irl'i .~illl' iorrlltJtiont l'l'/), ce qui rcvlcnt i\ certnlnH (\tresl\ trnvcrr-~ les mondc11 possihlcs nssurcnlnlon; In distinc-
dire qu'il n'est pas plus sparable d'une chose que d'une autre, tion entre termes absolus et termes connotatifs 231 Reste h savoir-si,
sans qu'elle soit dtruite . C'est ainsi que, si la noirceur du cor- pour chaque homme, il existe un monde possible dans lequel ce meme
beau ne peut pas etre naturellement supprime du corbeau sans que homme n'est pas capable de rire. Occam exclut cette hypothese. De
celui-ci soit dtruit, la noirceur peut naturcllement etrc supprime ele fait, s'il reconnalt que la proposition 'L'homme rit' est contingente
Socrnte sans que celui-ci soit d6trult , ulors que le propre ne peut (c'estb-dire ni ncessalre ni impbssiblc), ln proposition '1but hommc
etre supprim de quoi que ce soit sans destruction de la chose . En est capable de rire' ou son quivalent 'Tout homme peut rire' est pour
d'nutres termes, c.:c qui distingue l'nccident inspuruble du proprc, lu ncessuire paree qu. elle ne peut ctre fausse en mcme temps que
c'est que, meme si - comme le propre- I'accident insparable ne serait vraie une proposition nonryant l'existence de son sujet . Si,
pcut etre nnturellement retrnnch6 de son sujet sine corntptione tout en portant sur du possible (de possihili), la proposition 'Tout
subiecti, il peut etre naturellement retranch d'un autre sujet sans homme est capable de rire' ne peut etre fausse si elle est nonce et si
que cela entra'ne sa destruction. son su jet suppose pour quelque chose, c'est done que 1'expression
On peut videmmenl penser qu'il y n la une astuce . Pourtnnt a
'capable de rire' convient tout homme, ne convient qu'a tui et lui
l'nrgurncnt cst cohrcnt. Tout repose sur la trnduction (voirc sur la convicnt toujours, comme le notait dji\ Porphyre, mnis c'cst nussi, ct
non-traduction) de consimile. Ce que soutient Occam, e 'est que, tant l'on rejoint la la thmatique des mondes possibles, paree que Dieu
donn un accidenta qui ne peut etre spar d'un sujet x sans clestruc- lui-meme ne pourrait faire exister un homrne qui ne soit pas capable
de rire .De fait, meme s'il ne riait jamais, un hornme resterait tou-
jollt'H cnpnhlo de rirc, cnr il no sernit pus conlrndictoire qu'il ric .Si
22 1J. Cl'. Uulllnumc d'Occnm, Somme de loghtw,/"'mrt/e, trnd. J. lllnrd, Mnuvc- done Dieu cruit un etre qui possdait toutes les caructdstiques d'un
zin, T. E. R., 1988 [1"' d.J, p. 87.
230. Cf. P. Alfri, Guil/aume d' Ockham. Le singrilier, Paris, d. de Minuit, 1989,
p. 102. 231. Cf. Cl. Pnnoccio. Nominolismc occ{llnistc ... ,p. 287,
360 361
)--
homme, moins lu capacit de rire, ce ne semit pns un homme. Un etc. L'uti 1isntion de cntgories grummnt icales montre que 1'on peut, )
honuno qul ne sernit pns cnpnble de rire (risibilis) est une lmpossibi- pnl' ce moycn, nl'fincr l'unulysc des constituunts du lungagc mental. U )
lit logique. Un homine qui ne serait pas rieur (ridens) n'est qu'un encare, la rduction s'opere par rapport aux donnes de la tradition
accident. La diffrence entre propre et accident insparable est ainsi grammairienne. Sur les huit parties de la phrase, Occam limine taci-
bien fonde. La thorie des tennes connotatifs est prserve et avec tement 1'intcrjectin ct semble considrer commc reclondants le par-
elle tout le dispositif d'analyse du langage mental ncessaire ala solu- ticipe, par rapport au verbe, elle pronom, par rapport uu nom. Restent
tion du probleme des universaux. ' ainsi, en prncipe: le nom, le verbe, l'adverbe, la conjonction et la )
proposition. Des accidents du nom, il conserve le cas et le nombre,
a
hsite conserver la comparaison et la quulit, et limine franche- )
Langage mental, signification et rfrence ment le genre et la figure, rservsa la langue parle et crite. Des
J
accidents du verbe, il limine galement les clistinctions de conjugai-
La base de la redistribution occm11iste de la sm~mtique el de la psy- son et de figure, propres aux langues parles et crites, ne conservant )
chologie qui fonde toute sa thorie des univcrsaux cst que les concepts que les dirfrcncc:s de modcs, de voix, de nombre, de lemps l!l de per- )
sont les signes premiers des choses et que les mols ne signifient pas sonne. Cela pos, c'cst la eatgoric logiquc de 'terme catgorma-
les concepts, mais les choses. Ces deux rquisits sont complmen- tique' qui porte 1'analyse el u langage mental. Le catgoreme esta u 11
tnircs, el chn~.:un u :-;on importancc proprc. Le fuit que le cuoccpt:-;oil lnngngc ce que lu:-;uhstnnec csl i\ l'Btrc: l'unil prcmicrc, uutonomc ct
signe des choses permet de lui appliquer la dfinition qui vaut pour irrductible 232 De fait, le catgoreme prcede la proposition, et sa )
il
lj tout signe dit catgormatiquc: ce qui fuit venir quelque chosc l\ In slgnlficnlion n'en dpend pus. Mame si, vidcmmcnl, tout tcrmc
:
i!
a
connaissance ct est apte de nature supposer pour cette chose a
simple appartenant un langage a commc 1'une de ses finalits de -.,
~i
(Summa logicae, 1, 1). Lu supposition, fonction rfrentielle dusigne-- flgurer duns une phrase , le point de vue d 'Occam est 1' utolisme 1
11,,
dans le cadre d'une phrase, est done une proprit des signesoncep- a
smantique 233, Cet atomisme est li la conception meme de la signi-
tuels mentux comme des mots parls et crits. Entermes logiques, fication du catgorcme mental. 11 est li uun nominismc .La signi-
Occam pose que, fondamentalement, le langage mental, c'est-u-dirc fication sur quoi tout rcpose, en dcrniere unulyse, cst comprise comme
la pense, est compas de propositions elles-memes constitues de la relation du twm propre ou commt/11 aux choses singulicrcs dont il
termes (termini), c'est-a-dire de concepts (conceptus). En tant que est le signe. La signification du signe conceptuel mental est done )
signes, ces concepts ont des proprits srnantiques- signification et pluement extensionnelle, en complete affinit avec un monde phy- )
rfrence -, con une 1'ont, en leur ordre propre, les mots (dictiones) sique compos cxclusivcment de substances el de qualits. Meme si
qui interyiennent dans les diffrentes langues. Les proprits sman- Occnm distingue plusieurs sens du mot 'signifier', !'un strict, selon
tiques des propositions, vrit et fausset, dpendent de celles des quoi un signe signifie toutes les choses relles auxquelles il s 'applique
tennes. Le langage mental n 'est cependant pas constitu que de au moment de son nonciation, et un autre, large, selon quoi il signi-
tcrmc:-; simplcH, uu sens du concl~pt-signc naturcl de choscs. 11 y a une flc les clmscs pnsscs, prsenlcs, fulurcs ou possihlcs (y compris
vritable syntaxe du lungage mental, qui prsuppose un tri des consti- celles qui pourraicnt exister mais u'exi:-;teronl jamais) nuxqucllcs il
tuunts aconserver sur la base de criteres smantiqucs. Lu signiricution s'nppliquc, reste done que, pur lu, la signification n'csl mdiatise
tant la proprit fondamentale, Occam distingue d' abord les catgo- par aucun universel extramental, aucune Ide platonicienne ni )
remes (qui ont une significntion dfinie et dtermine ,finita et nucune en tit abstrnite n In Prcge 2H. Le nominalismc d'Occam
certa), qui signifienl indpendnmment d'un contextc propositionnel, commence des le niveuu de lu thorie de In signification des termes. )
et les syncutgorcmes, qui onl sculcment une fonction syntuctko- Si l'on compare la signifkation au sens largc avec ce qui lui cor-
srnantique, puisque, sans rien signifier par eux-mmes (c'est-a-dire respond dans la Jogique scolaire du XIII" siecle, la notion de supposi-
sans signifier aucune chose), ils affectcnt la fonction ou la rfnmcc
des catgoremes : ce sont, par exemple, les signes de quantit (les
232. Cf. Cl. Panaccio, <<La philosophie du langage ... ,p. 189.
quantifieurs) tels que tout , aucun ,etc., ainsi que certaines pr- 233. Cf. Cl. Panaccio, ibid., p. 202.
positions et adverbes, tomme sauf , seulement , en tant que, 234. Cf. Cl. Panaccio, ibid., p. 190.
362 363
~-,,
235. CL Nicolns de Paris, Summae Metenses, d. De Rijk, p. 458. 2:16. Cf. Auguslin, De Ma~?istro, IV, 7 (<< Bihliorhcque nuguslinicnne " 6), p. 60.
364 365
370 371
La qurrC'I/r drs univrrsaux La rvolution du XIV' siec/e
:ro ute intention de 1'ame est dans 1'ame' (o u les signifis d" inten- concept), mais pour des lments du langage conventionnel (un mot
tmn' sont des intentions, e 'cst-a-dire des signes el u lnngagc mental) oral ou un mot crit). Dans l'nonc (3), 'homme' suppose pour lui-
c.t 'Tout.r~ot ,erit cst. un mot' (?u les signil'is el~ 'mot' sont de~ memc sans se signifier lui-meme. 11 en irnit de m8me de (3') homv
srgnes crrt.c;, e ~st-n-drrc des pnrtlcs du lnngngc crrt). Dans tous ecs scribitur ( hommc.cst crit ), ou le tcrmc 'hommc' supposc pour
cas, dont certams compor.ten~ ~ne dimension mtalinguistique, le a
ce qui est crit. Cette remarque amene Occam constater que les
terme suppose pour ses sJgnJfrs. 11 est done insuffisant de dire trois types de supposition distingus (personnelle, simple; mat-
comme le fnisnienl les logicicns du xrrr sicclc, qu'il y n suppositim~ rielle) conviennenl aussi bien aux mots crits e u 'aux mots oraux, el
personncllt~ qunnd un tcrme supposc pour une chosc >> (pm l'l') 11 nux tcnncN mcntnux qu'uux termes vocnux ou crits.
faut di re q~ 'il.Y a supposi~im~ peyson~elle quand un terme supp~se Il est done galement faux de dire, comme le faisaient certains
pour. s~n stgnrfi et est ~r!s stgmficattvement . C'est ce qui permet logiciens du xme siecle, que l'on parle de supposition person-
de drstrnguer la su~p.osrtwn personnelle de la supposition simple. nelle , paree que le terme pour une personne (un indi-
--~11-'Cc._._lle.__gue la redfmrt Occnm,_ii_y_n_S_liJ11IDsilimLsimpiC-KJorsqucJe -~-- vid de ,_s ition si , paree qu'il supposerait pour
terme suppose pour ~r.te in~cntion de I'Qme sans @tre pris significati- q
vement . La supp~s.ttron srmple comporte un des traits (et un scule- tion matrielle , paree qu'
ment) de la supposrtron pcrsonnclle (au scns occamiste) : elle rfcrc nique ou graphique).
n un con~ept mental. ~!le s'~n distingue, toutefois, pnr le fait que le Grace a la thorie des trois modes principaux de supposition,
terme prrs en supposltron srmple n'est pas pris significativement. Occam peut achever le travail d'analyse mtalinguistique ncessairc
Dan~ 1 nonc oral (2), le terme 'homme' suppose pour une intention a la rsolution du pseudo-probleme des universaux. 11 suffit de tirer
~: 1 ame; Cela, p~rce que e' es~ une intention de 1'ame qui est toutes les consquences de l'analyse de la proposition (2) en termes
1 espece en questmn (et non, vrdemment, une ehose ,c;inguliere en de rfrence.
d7hors de l'Or!tc, ou .un R?ll vo~nl, ou unmot crlt uu quul qu~ ce solt Lu pruposilion '/lomo esi s)('(;ies' nc prscntc nucune difficult
d autre que 1 on pursse rmagrner - par exemple une chose univer- a a
mtaphysique, et Porphyre n'avait pas renvoyer une science
scllc en d~ho.rs t!e l'llJ.nc). Mnis le termc ornl 'hommc' n'est pus pollr plus lcve le problcmc qu 'il uvait ula fois formul ct rcferrn. La
autant pr~s srpnrficatrvement. De fait, ii ne signifie pas l'intention proposition 'Hamo est species' s'analyseen effet de deux manieres
lllcntt.~lc, rl lu1 cst st~ulcnwnt suhordonn conmtc signe, ct t<HJN deux lmcntt\ires :
slgnilrcnt la meme chvse : les hommes lndividuels existant en dehors
d~ 1'ame. I1 est d?n~ non plus ~e.ulement insuffisant, mais faux de (a) Au niveau du langage eonventionnel, le mot oral 'homme' rfere au
drre, eomme l.e farsn~enl l~s logrc1ens clu xme siecle et, plus tare!, le concepl mental nuqucl il cst subordonn et signific In memc chose que lui :
granel ad~~rsatr~ ralrste d Occam aOxford, Gauthier Burlcy, qu 'il y les vrais hommes, tandis que le mot 'espece' qui est prediqu de lui signifie
son signifi, qui est un concept mental.
n suppos1t~on. stmplc quund lll.l .tcrmc suppose poUI' son signifi (b) Au niveau du langage mental; le mot mental 'homme' se rf.Crc a lui-
(pr.o suo ~rgnif!cato~: la su~pos1tro~ est simple quand le terme sup- mme.
posc pour une '.ntc~l~IOil de 1 llme qur, d proprement parler, n'estjus-
tement pas le srgnift duterme, puisque ce terme signific de vraies Cette situation est inverse dans la proposition 'H.omo est npmen' :
choses (ici, ~~~ hommes }ndividuels) et non des concepts mentnux.
Cecas ~s.t drffren~ de 1 nonc (3), ou le mot oral 'homo' est pris (e) Au niveau du langage conventionnel, le mot oral 'homme' se rfcrc 11
e~ supposrtJ.on matrrelle. Telle que la redfinit Occam, il y n suppo- lui-meme.
srtl?n mutnellc lorsquc le tctmc nc supposc pns signil'icntivcmcnt, (<.1) Au nivenu tlu lnngngc mental le mol mental 'homme' rf.Crc nu mol
mnrs pour un son vocnl ou pour un signe crit . Ln supposition orul qui lui est subordonn.
matrrelle com~orte le trait caractristique de la supposition simple
(~u ~ens occmmste) :elle n 'est pas prise significativement. Elle s 'en Si 1'on considere aprsent les termes dans la structure globale de la
d.Jstrnguc, cependunt, par le fnit que le terme pris en supposilion proposition a laquelle ils appartiennent, on peut ainsi dire qu'il y a
s1mple ne supposc pns pour un lmcnl du lnngngc mcntnl (un un ccrtnin pm:ulll.ismc entre les proposi.tions (2) el (3): dnns In pro-
1~
372 373
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La querelle des universaux La rvolution du XIV~ siecle
position (2), le terme sujet 'homme' est un tenne de premiere inten- ont done dit qu'un terme commun supposait personnellement quand
tion pris en supposition simple, et le prdicat 'espece', un terme ele il supposait pour les singuliers memes, .qu'il supposait ~impleme~t
secondc intcntion pris en supposition pcrsonnclle; dans In proposi- quan il supposnil pour ccllc nnturc umvcrscllc, ct qu'll. s~pposn.tt
matricllcmenl qunnd il supposuit pour lui-mC1~1~. Muts JC c~ots
tion (3), le su jet cst un terme de premien~ imposition (et de premiere qu 'Aristolc a dtruit une fois pour toutes cetl~ opmton dans le !t~re
intention) pris en supposition matrielle, et le prdicat 'nom', un ~ne de la Mt~physique; il faut donc ~uppndrner cette supp?stt~~f
terme de seconcle imposition pris en supposition personnelle. Ce 1
s1mple, au m01ns te !le qu 'elle est exp 1qu e ans cette vers10n .
paralllisme peut etre nonc de maniere plus globnle en posant
qu 'un tenne quelconque ne peut dans une phrase donne recevoir la Bien plus, il a aussi rejet, ou au moins neutralis au profit ~~ la
supposition matrielle que si 1' nutre extreme de la phruse est un seule supposition matrielle, une version nouvelle de la supposttlon
terme de seconde imposition et qu'il ne peut recevoir la supposition simple, proche de ce qu'entendait Occam lui-meme.
simple que si 1'nutre extreme est un terme de seconde intention.
Pour rendre compte de tu v~rit de la proposition 'L'lwmmc est Ccrtnins discnl qu'il y u supposition simpl~ quund un son v.o~ul
une cspccc', Occam doone done une interprtation m~talinguistique suppose llOUr le concepl sclon lcqucl il u t unpos, ct supposttton
de la supposition simple, compatible avec sa doctrine de la significa- matrielle quan<;l il suppose pour lui-meme ou quelque chose de
tion rduite a la relation plurielle du terme aux 'divers individus semhlnble. On peut uutoriser celn, mnis je ne m'en soucie pus, cnr
uuxquels il s'npplique , ct rcnduc possiblc pnr l'inlroduction de j 'uppcllc l'un ct 1'nutre 'supposition mntriclle' 2 4~.
l'ide de languge mental 243 Cette interprtution mtalingui~tique
court-circuite, si 1'on peut employer cette ima'ge, le foncfement A partir de Buridan, une partie de la tradition par~~ ou,postocca-
smantique meme du ralisme : la ncessit que le rfrent d 'un miste analyse la supposition de hom.o dans la. proposttton Hor~o .est
tcm1e pris en supposition simple soit la chosc universelle en dehors species' comme supposition matnelle ?~~ s1mple ~>. Cette ussuntl~
de l 'ame signifie par lui a titre premier. La symtrie croise de la tion apparente des deux types de suppostllon tm01gne, semble-t-tl,
supposition simple et de la supposition matrielle n'tait pas une de la meme volont de rduire la capacit rfrentielle d'un terme a
simple altemative technique au ralisme dans le cadre de la sman- un bipartisme strict: d'un cot, la supposition propre ou personnelle;
tique des propositions, c'tait l'instrument d'une conception entiere- de 1'autre, la supposition impropre (matrielle ou simple}. C'est
ment diffrente du langage et de la pense en eux-memes comme le cas au-dela du nominalisme, chez l'averroi'ste clectlque du
dans ler relation aux choses. xvc siccle Paul de Vcnisc et dans le camp nominaliste m8me, chez
Albert de' Saxe 246, qui da~s ses Questions sur Porphyre paralt, l~i
nussi, 6lilllincr In distim:tion nwrquc pnr Occttlll entre les pmposl-
U mw/y.w1 de ltz pro}(J.\'/1/on 'L' lwmme es/ une e.\]Jece' tions du type dl! 'llomo tst species' et de '/lomo es/nomen'.
ehez J ean B uridart et Albert de S a:~:e
Dans la proposition 'l/omv esr species', le m?l hvmv u une ~uppo
La distinction entre supposition simple et supposition matrielle a sition mutriclle ou simple, car le mot speces est un prd1cat de
t doublemcnt remise en cause pur Jenn 13midun. Commc Oc~.:tun, sconue imposilion, rclcvunl de la supposition matricllc ou sin~~lc,
Buridan dnonr;ait globalement l'interprtation traditionnelle de la el par consquent il attire (trCihir) le mot homo vers la suppos1t10n
distinction entre supposition personnelle, simple et matrielle. Mais lllatricllc ou simple 2'17
contrairement alui, il n'a pas cherch ala reformuler.
244. Ct'. Jcnn Buridnn, Ltcwra S11mmar /o;:icll<', IV, .J. 2 .<t~xtc cit d'upr~s In
Ccrtains ont ajo ut un troisiernc mcmbrc, qu 'ils ont appcl supposi- tninscription indilc d'Hubcrl Hubicn, que nous rcmcrctons tct chulcurcusement).
tion simple. lis d 'ont fait paree qu'ils croyaient qu 'il y avait des 245. /bid. .
246. cr. A. Muicru, Terminologia logica del/a tarda sco/as/tCll, Romc,
Ed'
IZIOill
natures univcrselles en dehors de l'fime, distinctes des singuliers. lis dell' Ateneo, 1972, p. 295-298.
247. cr. Albert eJe Suxe, Quaest. ;, (1/'/('/11 Ve/el't'/11. lnl'orph., quaest. 3, 247,
243. Cf. Cl. Panaccio, Lu philosophic du lungagc ... , p. 196. tcJ. A. Munoz Garcu, Murucaibo, Univcrsidud del Zuliu, 1988, p. 250.
374 375
La querc>lle dc>s universau.r La rvolution du XIV' siecle
Ln prcmiere (n), oul 'on reconnnit une version de In these stigmati-
Mais s'agit-il d'nssimilation ou de rnccourci '? On peut se le demnn- se dnns le clcret de 1340, assimile la vrit selon le sens littral des
der, puisque, selon certains interpretes, i1 semble que, chez Occam lui- mots ala supposition premiere et principale , c'est-a-dire a la sup-
meme, la supposition de 'hamo' soit simple, dans le cas ou 'Hamo est position personnelle, dnie toute valeur a 1'usage linguistique et
species' est une proposition orale, et qu'elle soit matrielle daos le cas rejette comme absolument fausse de virtute sermonis la proposi-
ou '!-lomo cst specics' est une proposition mcntnlc. Ce sernit ninsi fnutc tion admise pnr Pierre d'Espagnc. La dcuxieme, (b), cst le contrc-
de prciser que son expos vise simultanment ces deux types de pro- pied de la premiere : 1'usage, spcialement celui des auteurs, seuls
position qu' Albert donnernit l'impression d'une synonymie entre sup- tmoins sOrs de la premiere imposition des termes, se subordonne la
position simple et supposition mntrielle. L'hypothcse est probable, vrit selon le sens littral, puisque le discours n 'a pouvpir sman-
mnis il f'nut d'nbord se demnnder dnns qucl contexte I3uridnn uhorde lu tique ou rfrcntiel qu'en fonction de l'imposition ct de l'usnge.
distinction traditionnelle des modes de la supposition. Cette question Buridan rejette cette position, pour la raison qu 'on ne peut, selon lu,
_:>eut servir de rvlateur sur le ty:>e de crise introduit gar l'occamisme identifier l'usage et le bon usage (l'usage des auteurs). Sa position
et sur la nature des dbnts qu'il a provoqus. L'analyse de la proposition propre est la troisieme opinion: {crle sens 11ttral est IefiUtfO'une dci:
'Homo esr spccies' montre que les smantiques rnlistcs et nominn- sion comparnble aux conventions linguistiques qui reglent les jeux de
llstcs sont incompatibles, commc le sontlcurs onlologics el lcurs tho- lunguge duns les disputes loglques pratiques h 1'poque. C't'ist done
ries de 1'intentionnalit. La raction antinominaliste ajou sur ce terrain cette signification communment admise , c'est-a-dire admise par
prds (on y rcvil'nl plus hns). Mnis elle nJou nussl su1 unnulrt\ tcrrnln. un~_ eonununnut linguistiquc (el prof'cssionnclle) dterminc, qui
Pnrmi toutes les censures mdivales du nominalisme, le clebre statut ---cnstitue le sens propre des mots, et c'est en fonction d'elle qu'il y a
promulgu i\ Pniis, le 2<> dccmhrc 1:140, f'nit elnircment nppnrnitrc les _. scns littrnl, tout nutre tnnt impropre. On pcut ninsi <tire, sclon Buridnn,
enjeux pur deux stipulutions liant le travuil d'explication de textes que la proposition 'Homo est specles' est vraie si elle est prise dans le
accompli par l'enseignant et le type de smantique qu'il professe: sens improprc qui est celui ou l'entend l'auctor (ici Pierre d'Espagne),
mais qu'elle est fausse si elle est prise selon le sens littrul des mots, le
Que nul maitre, bachelier Oll colier, qui fait COUrS ala facult des sens propre, tel qu'il est dtermin par l'usage commun. Conclusion,
arts de Pars n 'ait l 'audace de dclarer absolument fausse ou littra- qui releve d 'une sorte de principe de charit institutionnel : chaque fois
lement fausse (falsum de virtute sermonis) une proposition bien qu'un auteur formule un nonc susceptible de revetir un sens vrai,
connuc d 'un nuteur sur le livre duque) il fnit cours. men1e s'il est improprc, on ne saurait le refuser absolument sans faire
De memc, que nul n'uille nffirmcr qu 'une proposition est ubsolu- preuve d' entetement (negare simpliciter propositionem esset esse
menl ou littralernent fuusse, qui sernil fausse selon la supposition dyscolum et protervum) - une prescription plus nette que la critique
personnelle des termes (Cartulaire de 1' universit de Paris, II, occamienne des scriptores veteres, voile en forme d 'hommage 248
n 1042). Ces analyses de Buridan, qui clairent le sens du statut de 1340,
donncnt .l'nrricrc-plnn de l'intcrprtnlion d"Homo est species' pnr
Attribu par plusicuts hlstol'iens h Uurid:111, ce stntut universituitc Albel'l de Suxe; . .
constitue une raction a une maniere d'enseigner, fonde sur la La trace de la problmatique buridanienne du sens littral est visible''
smantiquc occnmiste, vcnue du cnmp nominaliste lui-ml!me. Dans dans les dcux premicrcs des trois hypothcscs qu'Aibert place nu prn-
son cours (l,rctum) sur In Sum11w logicar du rnliste Picrre d'Es- cipe de sn rponse i\ In qucstion : Fnut-il concdcr la proposition
pngnc, le nominnllstc Burldan, qul pnrt d'un tcxte ou In proposltion 'L'hommc estune espccc' '? Ln prcmlcre hypothesc (J) cst qu'il fnut
'Homo est specis' est analyse dans le cadre d'un systeme admet- toujours prendre les termes d'une proposition selon la supposition per-
tant 1'existence de eh oses universelles et ou la supposition simple sonnelle, sauf quand il est vident que les auteurs entendaient cette pro-
est dfinie comme l'acception d'un terme commun pour la chose
-universelle qui est signifie par lu, fait de la discussion de cette 248. cr. Ouilluumo d'Occnm, Summa loRicae, liT, 4, 3, d. Ph. Dochncr, O. 0~1,
proposition l'occasion d'un vaste expos sur le vrai et le faux de vir- S. Brown, in Opera philosophica, 1, The Franciscan lhstitute, St. Bonaventure
tute sermonis, ou il recense et critique trois grandes opinions. (N. Y.), 1974, p. 758. Cf., aussi, ihid., Il, 4, p. 264-265. '
37(i 377
.,
'! La querelle des universaux
P?Sition aulre.n:ent. L~ deuxieme hypothese (2) est que si le prdicat Le tcrme lwmme pris matricllement est du genre ncutre, comme le
d une proposltiOn releve de la supposition simple ou matrielle mot onme. 11 fuut done concdcr lu phrusc 'Omne honw est .11Jecies',
.! '
' autrement dit s'il ne peut etre prdiqu avec vrit du sujet si celui-c car son sens est: ce terme 'homme' est une espece ('lste terminus
! '
n ;est ~os nussi ~n supposition 1:1~trielle ou simple, il u le pouvoir lwmo t'.l'l .1pecie.l"), cttout ce qui lu csl scmblublu aunivcuu orul, crit
d ?tttrer le Asujet a une supposttton simple ou matrielle , si rien ou mental est une cspcce. En revum.:he, cctte proposition, 'Omnis
.. 1 ne 1en. ~mpeche. C'est e~ que font les uuteurs quund ils utilisent des lwmo cst spccii!S cst ure fu ser, cur elle signific qu' il n'csl pus un
1
1
' propos1t1?ns d~~t le ~rd1cat est un terme de seconde intention ou de homme ni une femmc qui ne soit une especc, ce qui est faux 251 .
seconde Impos1t10n.: 1ls ~'prouvent pus la ncessit d'ujouter uu sujcl
une m~r~1uc uutorl.rentclle, telle que 'ce tenne', pou1 le prendre 'en Cependnnt, la qucstion fondumcntule n 'est pas cAe snvoir si la pro-
~uppos1t10n matne~le ou simple. La regle alors usuelle- les sujets position 'Hamo es/ species' est acceptable sous la forme de 'lste ter-
s.ont comme les prd1cats leur permettent d'etre - est une justifica- minus homo est species' - autrement dit au sens purement matriel
tiOn suffisante. ~e cette pratique. Les hypotheses ( 1) et (2) corresponden! -, mais si elle peut etre concde sans marquage de l'autorfrence
1
d?nc aux postUons (a) et (b) de Buridtm. La troisieme hypothese (3) du sujet, commc le voudrnit l'hypothesc (2) el wmmc le rcfuse 1 hy-
1~ a, en revru~che, auc.un rapport avec (e): c'est que la mise en supposi- pothese (3). L'intitul cxact de lu quaestio discutc cst en effet:
j ~ tton m~t~telle o u stmple d 'un terme sujet pns significativement ne Faut-il concder la proposition 'L'homme cst une espece' quand on
peut a~otr heu quand la capacit d' attraction exerce par le prdicut n' ajoute pas 'ce terme' (pour former 'Ce terme homme est une
mtemuonncl cst bloque par la quant(f'ication c/u ,\'t<iet cm moycn el' 1111 cspccc'). Ccttc pruhlmutiqut~ ll lllpliquc pus qu'on melle Cll doutc
1
sy:u:atgoreme appartenant atL r~terne genre grammatical que le sujet. lu distinctiun entre supposition matriclle ct supposition simple,
C est seulcme~t dans le cas prc1s ou le quantit1eur elle sujet sont tous
1
mais elle tolere qu'on la ncutrulise: qu il s'agisse d'unc proposition
deux.grammaticalement neutres qu'il peut y avoir action du prdicat sur orate ou mentale, la proposition n'est concdable que si le terme
!' !e SUJ~t. Cela revient u. di re qu' il fuut soigneusement distingucr entre sujct n' cst pas pris si.:n(ficativcmt'lll (ce qui vaut h la fois pour la
1'
Omm.; ~wmo tst ,\pectes' ct 'Onme homo est species' : cctle demicrc supposition mntrit.:llc ella supposition simple). Le scns de l'exprc-
.:J proposHion tl01t 8tre concde; la prcmiere, en revanche doit etre refu- sion materia/ita l'ei simpllciter csl moins celui d'une rduction d'un
se. Cette curieuse distinction s'explique facilement. Dans le cas de type de supposition a l'autre que l'indication de leur paralllisme
: 1
:omne hamo' 1~ ~ujet est en supposition matricllc i dans 'omnis , 01110 ,
1 fonctionncl. D'ou une position finalc qui cst institutionnC'//emeJ/1
11. est en suppos1Uon p~rs01mell~ ~19 C'est done ala bipartition burida- antioccamistc, mais qui, sur le fond de In doctrine engage, ne l'est
menn~ entre supposJtlon matenelle et supposition ,personnellc que pas: on doit concdcr la proposition 'L'homme estune cspece' sans
c.onduit l:~alyse d_'Al~ert et, er:t meme temps, a une these caractris- avoir a ajoutcr a 'homme' une exprcssion comme 'ce tenne'. Dans
~Ique de .1 eco/e bundamen~e qu1, selon le tmoignage de Jean Dorp 250, 'Hamo est species', en effet, le prdicat est un terme qui releve de la
,1dmettmt la regle grammaucale selon laquelle tout mot pris matriel- supposition matrielle ou simple, il ne peul ctre vrifi de 'homme'
lement est du genre neutre . que si 'homme' suppose matriellemcnt ou simplemcnt et aucun
quantificateur n' empeche le prdicat d' attirer le mot 'homme' a
249. Le systcme fo~ par la regle selon laquelle un prdica! de sccondc inlenlinn
la supposition matrielle o simple- Occam n'aurait sans doutc vu
NllpJ1o"lllonuni61'1CitU O! In rglc.l kl.lloll lnquullc.l IOII!IIlllllllll HllppoHll
IIICI Nllll Nlljclllll nuct111 itu.:nnvrnicnt i\ I.'CI!(~ lllllllysc. l.n dil't'~rcmc uvec hd cst que
mnlllllllcm.clll !lHI ~u. genr!l ncuu:e tult r!lgurd comme typiquement bundanien par e' est e) partir de /' hypvtiiL\1e (2), compltc par la (3), done ccmtre
les adversa1res parlSlens. ~u bund~nisme, les albertistes >>, disciples d Albert le les tenants de 1' hypothese ( 1)- le primat automatique de la supposi-
Grand. On peut voquer ICI le tm01gnage de Jean de Maisonneuve qui Jui consacre tion personnelle -, stigmatiss dans le statut de 1340, qu 'Albert
un Ion~ dveloppement en analysant la diffrence entre les propos'itions nul/a unio
e!t suhtectum et nullum '1mio' est suhiectum. Cf., sur ce point Jeun de Maisonneuve
1
arrive a sn conclusion ( on peut di re que, dans '/lomo est species',
~ ommc~rtum aurcum 11 1; ms .. Erlnngen 650, t')s 1vb-2vn 1 avcc les remarques d~ 'lwmo' supposc matriellcmcnt ou simplement et que la proposition
Z. K~llu_zu. ~~t~~ querc:llcs cloctr(llllles e} Paris. Nominalistes et rt!alistes aux confin1 doit ctrc concdc ). En << gardant la supposition simple, Albert
des XIV et xv su!cleJ ( Quod.libcl 1 2), Bergamc, Lubrina, 1988, p. 116, note 48.
250. Cf. Jean Dorp, Perutlle Compendiwn totius Jogice d. d Venisc 1499
f" H5ra. ' '
251. Cf. Albert de Suxc, Pa11tili.1' Lo.~ica, !, 13.
378 379
La querelle des universatLr
La rvolution du XIV' siecle
s 'carte ainsi d 'Occam en ce qu 'il ajo u te aux rasons philosophques pas 1' assertion ( <p.ot() dont Arstote dt (Tricot! p. 189). que,,,
la marque insistante d'unrespect prudentie/ pour les auctores, sur comme l'nffirmnton (xat.<paot(;'), <<elle est tOUJOUrs vrme ?u
lcsquels i1 tnit cens uppuycr son cnscigncmcnt - puree que les fausse , e 'est laformatlon d' une proposition mentr'le, ~<sur la ~nt
auteurs anciens la concedent tous (communiter)
252
de meme que '/-lomo de laquelle le sujet ne se prononce pas encore, mats qut est touJour.s
est specil's' , dit-il en toutes lettres , paree que les Anciens fui- prsuppose par le jugement 254. De meme, son actus apprehenst-
saient de la supposition simple un mcmbre de la division (gnrale) vus incomplexe n 'est pus 1' intell~ctio~ des if!divisi.bles , sur
des suppositions , dirn un nutre huridnnicn, Mnrsilc d'lnghcn 2 ~.1, laquelle s'ouvre le De anima, 111, 6, e est 1 acte qut, prcts~ment, se
passant du prncipe de charit a une sorte de maxime de prudence subdivise en connaissance intuitive et connaissance abstracllve, deux
professionnelle. Mas il garde la supposition simple dnns l'interpr- termes bien.connus depuis Matthieu d'Aquasparta, et surtout Duns
taton qu'en donnnit Occam, et s'il enrobe dans une disjonction la Scot, auquel ils sont directement emprunts.
distinction occamiste de In supposition matrielle et de In s i- Ln connnissnncc intuitivo d'Occnm n'est pus celle de Scot. Plus
-~ti:~o...,n._,s.,_.i~~'.'-'il_.r._.lc..__._.lu._._.~J_"'t._.,tc~l'~c""t"-'i,..c._.it..,el._.,n,__.e.._.nc;--t.~""'"--"':~~~~'-'-"'---llti'-- -exactement,la-Gu-ScGt-postulait-Son-existence_a~_sein_d'_une_lm;tg.ue__
occnmistc de 'Homo est species' cst rcformulc dnns squcnce argumentative consacre a la mm01re et a ~a rmlms-
l'cole buridanienne, mais le fond de la doctrine d'Occam n'est pas ,. cence Occam en fait un point de dpart non problmat1que. 11 Y a
rcmis en cnuse: par-deli\ les rctouchcs de dt(tnil, le n'C'rlo nomina- une ~,:'onnnissnncc intc.:llcctucllc intuitivo de.<; clw.<ic.'l. C'c.'lt <~ l.n
liste reste le trnitement de In cl-devnnt supposltlon simple comme connaissance en vertu de laquelle 1'intellect peut savoir (potest scul)
simple usage mtalinguistique. S'ils n'liminent pas la supposition si une chose est ou n'est pas ,une connaissance qui permet de
simple au bnfice de la supposition matrielle, et se contentent de connaltrc avec vidence (evidenter cognosci) qu 'une chose. n 'est pas
noler leur paralllisme, c'est dans 1'effet d' am}s-coup du statut anti- quand elle n 'est pas o u si elle n 'st pas , ou encore de JUger non
nominaliste de 1340, i.e. dans la maniere de composer uvec les auto- seulement qu'une chose est quand elle est, mais encore qu'elle n'est
rits, que rside des lors la principale diffrence entre les nominalistes pas quand elle n'est p~s . Savoir, c~nnaltr~,_juger sont donns
buridnniens et Occam lui-meme. Mais c'est la un chapitre de l'his- comme quivalents. Mm.s Occam pr~1se ?~cJsJvement sa conc,cp-
toire institutionnelle qui ne nous conccrne pus ici. tion de la connaissance mtellectuelle mtmt1ve en posant que e est
celle qui fait conna'tre ay~c vidence u?e vrit conting~nte, sur-
tout au prsent , par qum 11 entend .: qut provoque un JU~en:ent
lNTUITION ET ABSTRACTION vident vrai sur une proposition contrngente au prsent rel~ttve a la
chose 15s. La connaissance intuitive est le fondement d'un JUgem~nt
r
d'cxislcncc. A l'oppos, In connnissnncc nbstrnctivo cst In connm~
Lu distim:lion entre lu connalssunce intuitive et la connuissance sance d'une << chose contingente>> qui ne me permet pas de savo1r
abstractive rec;:oit une nouvelle impulsion. Tout d'abord, c'est !'en- avec vidence si cette chose est ou n'est pas .En bref: elle porte
semble de In structure exposc pnr Aristotc en Dl' anima, III, 6, qui cl'cmblc sur I'existencc ou la non-cxistcnce plut~t que sur 1~ smgu-
rc\oit lltll' nmtvtllt intcrpn~tntion, A. l'inlelll'l'lion des indivisibles lnrlt ou lti non-singulnrit. De rnit, jc peux nVOII' In COillllllSSlll,ll'C
Occnm sullstltue un ncte npprhensll' incumplexc qul prc~de et intellectuelle abstractive d'une chose singuliere (p.a~ exemple d .un
fonde 1' acte apprhensif complexe , correspondant apparemment individuen son absence), comme celle d'une plurahte de choses st~
a ce qu'Aristote appelait l'intellection des composs .En fait, gulieres, via un concept gnral.
dans la mesure ou l'acte apprhensif complexe n'est pas l'acte judi-
catif, cclui par lequcl le su jet juge qu 'une proposilion donnc cst Ln connnissnncc intuitive d'unc chosc cst Ju connnissnn.cc en vcrtu
vraie ou fausse , l'actus apprehensivus complexe d'Occam n'est de laquelle on peut savoir ~i une,~hose exist~ ou ~ex1st~ pas, en
sorte que, si cette, chose ex1ste, 1 mtellect la Juge Jmmchatement
254. Cf. Cl. Pnnnccio, Intuition, nbstrnction ct. l1;ngngc mcnlnl dn~~ In thoric
252, Cf'. Albert de Snxe, Quaestionrs in mttm l'l'ttrcm, In Porph., 246, d.
A. Muflo7. Gnrcfn, p. 24R.
occnmiste de In connaissance , Revue de mtapilys1que et de mora/e, 1992/1, p. 63.
253. Cf'. Z. Kaluzu, Les Querelles doctrinales a Paris ... , 1988, p. 117, note 53.
255. Cf. Cl. Panaccio, ihid. '
380 381
existunte et connu't pnr vidcnce qu'clle est [... ].En regle gnrulc,
on appellera done connaissance intuitive toute connaissance incom- Dans le cours naturcl des choses (c'est-a-dire abstraction faite d'une
plexe d'un terme ou de termes (ou bien d'une chosc ou de choses) IIICI"Vl'lllOII divitll' jlt'OVIHJIIIIlll l~ll 1'1\tlll' 111 l'llllllaSSIIlll'~ Stlglllii're
en vcrtu de lnqucllc 011 pcut counurtrc une quclconquc v6rit6 contin- pcrmellunt de juger, en son absem:c, qu'unc chos~ n '.exts~c pas,), la
gente, particulierement celles qui ont trait au prsent. connaissance intellectuelle intuitive et l'apprhenston senstble .d une
chose singuliere physiquemcnt prsente ,vont ueyair. A, !a questwn de
En revanche, on appelle connaissance abstraite la connaissance en
snvoir si dnns l'tnt prscnt >> de 1 humnntt, 1 mtellect de
vertu de laquelle on ne peut savoir l'vidence d 'une ehose contin
l'homme peut connaltre intuitivcmcnt les sensible~, Oc~am
gente si elle existe ou non. Prlse en ce sens, la connaissance abs-
traite fait abstraction de 1'existence et de la non-existence, dans la rpond sans hsiter: ot.ti. La cooccurrenc.c de l,'apprhens1on senstble
mesure exacte o u, a 1' in verse de la connaissance intuitive, elle ne et de la connaissance mtellectuelle du smguher ne pose pas de pro-
nous fait pas savoir a l'vidence d'une chose existante qu'elle bleme spcinl, car cclle-ci a une fonction spcifique a laqu~Jle celle-
existe el d'une cho,se non existunte qu'elle n'existc pus. En Olllrc, li\ nc peul pnSicndrc :e 'e si ellu, el elle scule, qui e.ngcndr~ le jugetncnt
par une connuissunce ubstraite on ne connait non plus uucune vrit d 'existence. Pour justifier 1'existence de la connmssance mtelle~tuelle
contingente, particulierement celles qui ont trait au prsent. [ ... ] intuitive, Occam n 'a pas beso in de faire un long dto;tr. 111~1 suffit
d'allguer le prncipe selon Jeque! c'est dans le men;e sujet ,la
Ces prmisses [gnrales] tant poses, j'en tire un certain nombre mcme facult cognitive, que doit se trouver etla connutssancc com-
de conclusions. plexe el la connaissance incomplexe qu'elle prsuppose
257
383
382
La quae/le des IIIII'ersaux La rvol11tion du XIV' sicclc
en cooccunence avcc la sensation, au prncipe de l'enchainement cau.
De la sensation al'abstraction sal menant al'abstraction, puis, en faisant de l'abstraction non la for-
mation el 'un conccpt univcrsel, mnis un acte abstractif indiffrcnt a
Tel que le reconstruit Occnm, le proccssus cognitif se prscntc l'existence ou ula non-existence de la chose, et en faisant de cet acle
cor_nme une sq~cncc c.uusale complexe : la chose sensible pro- uinsi comprls le prindpc d'un ltabltll.l'mmoricl fomlant In possibilit
?mt (a) une se~satH:~n. ptus, a l'aide de la sensation, (b) une intuition de sa propre ractivation, Occam redistribuait toutes les curtes. JI
'.~ltellectu~!lc smguhcrc, qui. i\ son tour, produit deux choscs ul'int- rglait le problcme de la mmoire intellectuelle laiss pcndant dans la
J_Jeur de 1 llltellcct: (e) un rgement singulicr d'cxistcncc (ou, ((de tradition avicennienne, dplayait la notion d'indiffrence de 1'essence
fn~on plus g~n~rnlt:, l'ndl1csion Ct'rlnim 11 du.~ propmlitions contln- de In sph~rc des cltoNeN 11 cellc des conccpt!-1, ou plutCit dcR co1H.:cpts
~en~es u u present ) et (d) un acte abstructif simple indiffrent a interprts comme actes d' intellection, mais 11 rglait aussi les
1 exrstence ou a la non-existence de la chose. (pseudo-) problemes lis ala distinction, tire par les mdivaux de
Cet acte abstractif est lui-meme cause de Seconds Analytiques, 11, 19, entre la formation de 1'universel d'abs-
-~wl5i1us, c'est-a-~ une tspos on, qut est une de re rr~.~r-nJP+~f'r-1~1ntuition-6e-l~essenee-dans-sa-spa---- - ---i+t--
mtellectue!Je, ~utsque c'est cet habitus qui, le cas chant, permettra
(f) 1~ ractJv~tJon de l'acte abstractif initial. L'acte abstractif n'cst 1'
pas 1 nbstractwn de l'univcrscl.
Connaissance abstractive et universaux
11 fuut sav<?ir qu'il y a dcu~ typcs de connaissnncc abstrnctive. 11 y a
u_ne conna1ssan7e ab~tract1ve portant sur ce qui est abstrait de plu- La thorie occamiste des universaux peut etre facilement rsume.
steurs choses smgultcres. En ce sens, In connnissnnce abstrnctive L'universel n'est pas une chose, rnais un concept. Le concept n'est
~es! nulr~ que In connnissnncc d'un unlvcrscl, que l'on pcut cffcc- pns un simple contenu objectif , mnis unnctc conceptuel, rfrcn-
trvenu;nt trrer d'unc pl_urnllt .de ~hoscs. Mnls 11 y u un nutre typc tic ticl, renvoyunt ~une plumlit d'objcts singulicrs. Ccl nctc cst un
conna1ssance abstract1ve, qu1 fa1t abstraction de I'existence ou de accident rel de !'esprit, une qualit de l' ame, un acte cognitif
la non-~xist:nce et c~e~; m~trc.~. conditions qui accompagnent une qui n'a pas d'existence objective (au titre de pur et simple objet
chose smgullcrc au t1tre el accJdcnls contingents, m1 qui se pr~di intentionncl ), mnis seulemcnt une existcnce subjective in
!JIIl'lll d'llll'. Cl'lll'l'Oilllltlssnncc nhslrnltc 111~ IIOIIN f'nll pns co111111ilrc anima, c'est-11-dire en tnnt que qunlit rcllement inhrenlo h un
nutre chose que ce que nous donne In connaissunce intuitive: c'est sujet : l'ame. Comme souvent, cette thorie est conyue par Oecam
la me~e chose ~inguliere qui est saisie par les deux types de comme conforme a celle d' Avicenne. En fait, c'est une rinterprta-
connmssance, ent1crement et en tout point [la meme]259.
tion, a partir de la thorie du signe-conceptuel, de ce qu 'Avicenne
avait essay de pcnser au niveau de l'intellfio: un double statut a la
Pnr rnpport ~ 1'intcrprtnt ion cournntc d'Arlstole, lu thorlc d 'Oc-
cam .est u_ne vritable ~volution. L'hiatus psycho-physique qui, fois Uttlversel el singulier de l'ut\iversel. r ,
?epu1s Av1ccnne, spanut les fonction,c; cognitive,c; relevan! des sens JI faut dire que tout universel, quel qu'il soit, est bien une chose sin-
mtcrn~s (notan~mcnt l'imngination ct In mmoire) et les processus de guliere, mais seulcment au sens d'universel par signification, c'est-
conn_mssnncc mtcllcctuclle, cmp8chnit de fnirc droit nu pnssage lHiirc paree qu'il est signe de plusieurs choses. C'cst ce que dit
c?ntm,u. du bloc sensation, imagination, mmoire a 1, universel)) Avicenne dans la Mtaphysique, livre V: Une fonne qui est dans
d. expenence que: dans la ~taphysique, A, 1 et les Seconds Analy- 1'intellect est en relation avec une multiplicit; sous ce rapport,
ft~ues, 1!,1~. Ar~stote nvmt sommaircrnent dcrit en le distinguant c'est un universel, puisque c'est une intention mentale dont la rela-
d une, tntuttJon mtcllcctuclle des principcs, que In trndition intcr- 1ion nux ehose.~ auxquelles elle se rapporte est invnrinblc ... Et il
~rtattve platonlsunte avait tres t8t identif'Je a une intuitlon id- poursull: Bien qu'unlvcrscllc dans su rdutlon uux ltu.llvidus, ccllc
tlque des essences. En mettant 1' intuition intellectuelle du singulier, forme, rapporte a 1, ame rationnelle ou elle est imprime, est indi-
viduelle. En effet, elle n'est qu'une d'entrc les formes qui sont dans
259. Cf. Gulloumc d'Occam, Ordinatio, Prolouc, quac.l't, 1, nrt. 1. la pense. Ce qu'il veut dire, c'est que l'universel est une inten-
384 385
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-------......;.------"------- -- ..---- ----
ress~ ~c1 pnonLUJremenl, la rponse coule de source: l'acte d'abs- tellect, a la vue d'un homme individuel on sait aussitt que
tracti?n .est un ~at.g?reme ~onceptu.el, u~ norl! commun susceptible 1'homrne cst un animal. Ce n'est pas que ces concepts prcedent la
en pnnc1pe de sigmfier plusreurs entlts smguheres distinctes. Autre- connaissance intuitive de l'homme- en fait, le processus est le sui-
ment dit : toute connaissance abstractive simple est un terme gn- vant : 1'hommc cst com1u prcmicrcm~nl par un des scns particu-
ral du langagc mental 261, licrs. CIISIIill~ l'C IIICIIIC llllllliiiC pr6.:is est L'llllllll pnr l'intcllccl el, d~s
C~tte tlli!sc porte 1 es~enticl du geste de rupture opr par Occam:
1
qu' il est comlu, o11 u une connaissance gnralc ct commun~ el/out
face aux deu~ sens ~dss1bles de 1~ notitia abstractiva, abstruction par llo/111/U' (011111i IJOillilli). Ccttc COIIIIUbSllliCC CSI appcl~ COIKCpl,
rapport a la smgulant et abstractwn par rapport a l'existence ou a la intention, passion, lequel concept est commun a tour homme. Des
1
n?n-existence, Occnm pose .que 1'ncte nbstrnctif simple, nutremcnt que ce conccpt existe dnns llintcllect, nussitlit 1 intcllcct suit que
1'homme cst quclque e hose, sans processus discursif (sine dis-
d1t le concept mental, est touJours de lui-meme un universel 2c12, 11
cursu). Ensuitel une f'ois qu'on n npprhcnd un nutre animal ou
faut ~tre attentif achaque lment prsuppos ou impliqu par cette d' atllres animaux, une connaissance gnrale [applicable] a tout
formule, car il y va de l'interprtation meme de toute la thorie occa- animal cst licitc, et ccttc connaissnncc gnrnlc lnpplicublel e)
miste ?~ J'abstr:1ction. ~e creur de la these d'Occam, ce qui fait que /out tlllimal cst uppclc 'pnssion' ou 'intcntion de 1' fimc o u
1
sa posJtion cst mduct1ble aux thories empiristes de l 'abstraction, 'concept' commun a tout animal. Des que ce conccpt [le concept
J '
260. Cf. Guillaume d'Occam, Summa /ogicae, I; 14, 263. Cf. Guillaumc d'Ot:cam, Quot/1. IV, lJIWl'.\'1. 17, Opem lileologica, l. IX,
261. Cf. Cl. Punnccio, Intuition, ubstruction ... ,p. 6R-69. p. 3H5.
262. Cf. Cl. Punuccio, ibid., p. 70. 264. cr. Cl. Panaccio, lntuition, nhstraction .. X', p. 71.
386 1H7
La querelle des universaux La rvolution du XIV' siecle
d'animal] existe duns l'fime, l'intcllect pcut le composcr avcc le singularit, dnns la mesure ou elle est production d'un signe-concep-
conccpl pr~c~dcnl [cclui d'hommcl ct. des qu'ils son! cornposR 1111 tucl prdicnble ele plusieurs choscs maximulernent similaircs. Abs-
moycn du vcrbc ette, uussitOLI'Intcllcct ussenllt b ce cott1plexc, tmcltull put ruppurt uIn singularit nc signl!'ic done pus ubstructiun u
sans aucun syllogisme. Et e 'est ainsi que toute proposition de ce partir des singuliers. Le concept gnral n'est pas abstrait, tir des
typc, ou le gcnrc cst prdiqu du dfini au scns le plus proprc du singuliers, au sens de l'induction abstractive aristollicienne, c'est un
terme, est btcnuc sans recourir a un syllogismc 26~. concept qui est abstrait de la singularit, c'est-a-dire commun a plu-
sil.!urs pnn:u qu'ilustnbNtrnit de l'uxiNil!lll.:ll 011 du In non-cxiHtcn~.:c h
Celle thcse estlie u In smnnticlt de l'ncte rcprsentatif, c'est-u- partir d'un seul individu, comme un terme mental, a la fois concept,
a
dire la dfinition de 1'acte abstractif comrne signe conceptuel men- signe, et connaissance abstractive, qui peut supposer dans une pro-
a
tal et la dfinition de ce conccpt comme similitudo. Le point de position melltale pour toutes les choses qu'il signifie: c'est, dans sa .\
fracture entre Occam et ses prdcesseurs est ici particulierement version la plus lmentaire, un acte abstractif simple qui, par le seul
accessible. La similitudo occamiste n'est pas une ie d'une fait qu'il.fasse abstraction de l'existence ou de la non-existcnce de
-clioseslngullere~lff'ya-faso'1magesimpleous1nPIIIIIiiir:-n~'lffl~nnrrl----tr---~;-oJin111ie~T~;e-c:onlsrtme:-enr-Tnr:~1f1nrnzm1n!1lrrrri'o:-IJm;ren1entnr-tm~rll'1-:-~:e
propre pnrmi les concepls nbstractifs incomplexcs. imnge, que j'ni rapportant, de par sa forme memc, a une pluralit de choses toutes
a !'esprit, d'une chose singuliere, par exemple de Socrnte, grfice a singulieres videmment, mais lies entre elles par une res>cmblance i
!'acle ubstractif simple, qui fnit nbstrnction de son existencc commc objcctive , maximale, quand il s'agit d'un concept spcialissimc . 1
et de plus en plus relache a mesure qu'on a affaire a un concept
l
de sa non-existence, reprsente de la meme maniere tout ce qui est
a
maximalement semblable Socrate. Cette image, ce concept, cet plus gnral 267 C'est pourquoi Occam prsente la premiere
acte est done gnral au scns ou il pcut, en prncipe, reprsenter tous connaissance abstractive engendre par la connaissance intuitivc
les individus qui sont mnximnlcmcnt scmblnblcs ctn'csl pns un (1' nppr6hcmlion di recte) d' 1111 hommc commo une connnissnncc
concept plus propre de l'un que de l'autre (Quodlibet V, quaest. 7). gnrale et commune atout lwmme ( omni homini), non comme une
Naturellement, un te! concept ouvert peut se resserrer a Socrnte dnns connai.~snnce de 1' homme.. JI s'agit d'une reprsentation schmatique
sonnppllcntlon, mnls lln'cn dcvltml pus potlr nulnnt plus simple: 1111 ~;tuutblede jlmctlollllt'l'
(e' tlsl-tt-di re de s 'nppl ique1 tt !out homme) c)
contraire, In connnissnnce nbstrnctive proprc est compose de --partir d' un chantillon unique. Contrairement aux apparences,
[tem1es] simples (Quodlihel l, quaest. 13), comme une sorte de des~------ Occnm n'est done pus cmpiriste au sens ou le sont les empiristes de
cription dfinie au sens modeme du terme 266 L'acte abstractif simple l'age classique. Le concept spcifique n'est pas pour lui le rsultat
est toujours universel; la connaissance abstractive propre, toujours d'une comparaison des individus entre eux, quien dgage, en abs-
compose. Dans cette rciprocit se loge le prncipe fondamental de trait ,un certain nombre de traits communs.
In thoric des univcrsuux : toul conccpl spcifique est un actc abs-
tractif simple, paree que toute connaissance abstractive est commune
et non singuliere. Le processus de formation de l'universel n'est pas LA CRITIQUE DU RALISME''
diffrent el u processus d 'nbstraction a u sens de 1'acle nbstrncl if
simple, c'cst la formation d'un concept mentuluniverscl par signi- L'ontoogie d'Occam est une ontologie aristotlicienne rduite qui
fication paree que signe conceptuel d'une pluralit: la pluralit des n'admet que des etres individuels, les substances premieres
choses maximalement similaires a
la chose dont l'apprhension d' Aristote et les accidents individuels. L'accident, par exemple la ,,
1
directe, la connaissance intuitivc, u engendr In premiere connais- noirceur, inhere i\ In substance, par exemple, un des deux stylos de
sunce nbslrnctivc ,sur lnquellc se fondc tout le mcnnismc de rcpr- P. V. Spudc, ctn'n d'8trc qu'en elle, ct chuquc substtmcc rc9oit ou !
sentation schmatique. L' abstraction a u sens d 'abstraction par rapport peut recevoir plusieurs accidents. Cette doctrine de l'accident a t.r ''
a l'existcnce Olla In non-cxlstence cst l'abstraction par ntpporl a la rapproche du particularisme des qualits donl Panaccio 268
388 389
-------------- --,--------.,...-------~--
La querelle! dts universaux La rl'olutioll d11 xrvr siecle
donne une dfinition stricte : La couleur de telle substance indivi-
duelle est elle-meme un individu numriquement distinct de la cou- Rponse d'Occam au probleme de Po11Jilyre
lcur de toulc autre substance, quellcs que soient les ressemblances
apparentes, et numriquement distinct aussi de la substance dont elle La rponse occumisle au problemc des univcrsaux ~~l don~ sin;ple
cst la couleur. L'accident occamiste n'est pas une proprit au sens et cohrente. Aux trois questions de Porphyre, qu d a lu1-meme
moderne du terme : certaines proprits se confondent avec la sub- reformules, Occam rpond :
stance meme , qui n'est pas le substrat informe de la thorie de l'es- ( 1) (Q 1) : Les genres ct les es peces subsistent-ils en dehors de
sence matrielle telle que 1'entendait, au xne siecle, Guillaume de 1'ame o u son t-i ls seulemen t dans 1' intcllect? (R 1) : Les genres et \
Champeaux, mais une essence indivicluelle dja structure ind- les es peces sont seulement dans 1' !ntellect;. car ce ne son.t que des
pendamment de ses accidents .La structuration de l'essence indivi- intentions ou des concepts formes par 1 mtellect expnmant les
duelle ne rclame pus la prsence d'un universel dans In substuncc csscnct~s des choscs el les signif'innl.," e~. qui vc_1~1di.n~ (1~. ',">. :. 't:il.s
nH~mc. Des le Coii/1/Jelltaire .\'1/rl'mJIJyre, Occum ul'firlllc les pl'in 11\.1 son! pus ecs chosl.!s (pas plus qu un s1gn.c 11 csl son s1gnll w), el
'cipes aristotliciens destins a liminer toute forme d 'universel in re. (Rlb): qu'ils ne sont pas non.plus des r.artl.e? des choses (pas plus
Le ralisme que critique avant tout Occam n'est done pas unique- qu'un son vocal n'est une part1e de son s1gmf1 ). (Rlc): Ce sont
ment le ralisme platonicien des Formes spares, mais aussi, et sur- seulement eles (termes) prdicables eles choscs , non pour eux-
tout, les di verses formes de ralisme fondes sur 1'hypothese d 'une memes, car, quand un gcnre est prdiqu d'un~ csp~ce, ni le genre
. immanence de 1'universel uu particulier. ni l'espece ne supposcnt pou! eux-mcmcs (pursl,lll'!ls ont une sup-
Plusieurs Lhoremes de 1'E-\1JOsitlo in Librum Porphyrii sont ainsi position personnelle, ct non s1mple, et su~pose~~t amsr, ~ormalemen~,
aristotliciens, notamment l'un des deux principaux: (a) Aucun pour leurs signifis qui sont des choses smf.ulle.res~ ... lis so~t pr~d~
universel n 'existe rellement hors de 1'ame dans des substances indi- qus des t:IJOSCS pour les choSI.!S m(!mi.!S qu lis Slgll!IICill . loulciOIS
viduelles ni n''est de la substance ou de 1'essence des choses , (Rld): si les concepts mentuux sont les genres et les es~eces, le~
explicitement appuy sur Mtaphysique, Z, 13 (1038b7-8), ainsi sons vocaux qui correspondent a ces concepts peuvent etre auss1
reformul: Aucun universel n'est une substance ni une partie d'une appels genres et es peces, dan~ la ~e~~re o u, se!on l' i.nstitution
substance ni rellement dans une substance. L'autre thoreme fon- convcntionncllc: Toul ce qur csl s1gndr par une mtcnuon ou un
damental de 1'Expositio rappelle la redfinition du concept de eh ose concept dans !'ame est signifi par un son vocal et rciproquement.
(res) oppose par Ablnrd aux ralismes du xne siecle: (b) Toutc a
Ce dcrnicr point corrcspond la distinction tracc dans lu Summ~
chose susceptible d'etre comme existante est de soi, sans aucun ajout, logicae entre 1'universel comme signe-conceptuel naturel et l 'um-
une chose singuliere et numriquement une. Ce second thoremc verscl eomml.! signe-vocal convcnlionncl.
Clll prcis pnr UIIC lhcSC qui pClll (!(re COnsidrc COIIIJilC CSHCIIIiciJc i\
,. l'occumisme: Aucune chose imaginable n'est singuliere en fonc- 11 faul suvoir qu'il y u dcux lypcs d'univcrsd. 11 y a ce qui .estnafll-
tion d'un ajout quelconque. La singularit est une passion qui re/lement univcrsel, e 'cst-a-dire ce qui cst naturellemenl s1gne pr-
convient immdiatement achaque chose, car (b') toute chose est par dicablc de plusieurs choses, par cxcmplc, toutcs propc~rtions
cl1c-m~me ou identique ou diffrente d'unc nutre (omnis res per se gard~cs, uu scns ou : In fumc signif'i~ nuturcl.l~m~nl l.c lcu: le
ve/ est eadem ve/ diversa ab afia). La these positive d 'Occnm est que : gmisscmcnt du mulude, Sil doulct.lf; le rrrc. une J~IC m.tncu;c. Cct
(e) L'universe1 est seulement dans l'fime ou qu 'il est universel par universel ldont je parle] n'est ncn d autrc qu une mtentwn de
institution, a la maniere dont le son vocal 'animal' ou le son vocal 1'ame : done, nucunc subsluncc, aucun accidcnt exlramcnlal ne s?nt
'homme' sont universcls, car ils sont prdicablcs de plusieurs, non un lcl univcrscl. C'cst de ee typc d'universel qu'il scru qucsliOil
pour eux-memes, mais pour les ehoses qu 'ils signifient. dans les chapilre~ suivants.
11 y a un aulrc univcrscl :el! qui cst univcrsd de par une insl~tution
volontaire. C'est le cas du son que l'on prononcc. C'cst vntable-
mcnt une qunlit numriqucm.cnt.unc, ct c'cs.t un uni~crs~l duns la
mesure ou e 'es! un signe qu1 a t volonla1remcnt mslltu pour
' .. -
390 391
La querelle des unil'ersaux La rvo/ution du XIV" sicc/e
slgnil'itr pluslt-ms l'llllsts, lln ll'l Nllll t<lllnl dlt t'o/111111111, rlen 11 'e m- qu'lllc Hoil nux ycux d'Ocenm, mnis puree qu'il exprime~~ dph~ic
peche de le dire aussluniversel. 1butefois, il faut bien voir qu'il ne (PP) dans le cadre d' une certaine interprtati~n ?e 1,' ontolog1e d.' A.ns-
tient pas cela de sa propre nature de chose, mais seulement du bon tote. La these centra1e des ralistes est : (T2 ) 1 ~mverse1 est drstr~ct
vouloir de celui qui l'n institu [comme signe dot d'une signifien- des singtiliers, these appuye sur une reform~Jntron de (PP) en (PP.):
tion conventionnelle ]269,
a toute abstraction intellectuelle justifie d01t correspondre une d1s-,,
tinction d1ms 1'8tre. L'lment aristotlicien tient au fait que, pour
(2) (Q2): Sont-ils corporels ou incorporels? (R2): Si l'on ne les ralistes 1'universel esta la fois (a) ca usedes choses (T3), e 'est-
parle pns des sons vocnux eux-m<!mes , pris comme choses, les genrcs a-dire caus~ formelle des choses, et (b) dans les choses. C'est done
et les especes et tous les universaux de ce type sont non corporels , car contre l'universel in re, cclui que Gilles de Rome appelait n?!llm-
ils ne sont que dnns )'esprit, en quoi il n 'y n ricn de corporel . ment 1'universel selon Aristote , qu 'Occam concentre ses cnt1ques,
(3) (Q3): S'ils sont incorporels, sont-ils spars des sensibles ou les divers ralismes critiqus le prsuppos qu'a deux
dans les sensibles? (R3) : les universaux ne sont ni dans les sen- distincts doivent deux entits distinctes
sens cur tiellement, orme ement ou me .
ne sont ni des porties des substnnces ni de l'essence des substnnccs, !elle que 1~,engugc CCI\1~1 c~t In_rgcm,cnl. centrc sur le r:oblcmc de In
muis font sculement conna'tre la substance des choses, comme les distinction. C'est ce qut fmt drre, s agrssant ?e .sa cnttque de Sc?t,
signes font conna'tre leurs signifis. que le point principal de son attaque porte pnn7tpalement sur la dt~
tinction formelle et ne touche le statut des umversaux que par vo1e
Platon/,\'IIW, arl,\totll.mre, raii.\'IIIC
de consqucncc ot, .~ngiHIItllll du scn.'l de 11011 interv~ntion en P.,n-
ral, que le principal adversaire d 'Occam sur la questt,on.des untver-
saux n 'est pas Scot, mais Henri de Harclay , dont ~a theone ~outen~t
La rfutation de Plnton n 'est pns In proccupation centrule d'Occam, que la nature commune est une res distincta qut n une untversaltt
qui ne le connait ni plus ni moins que ses contemporains ou ses prd- actuelle est aux antipodes de la thorie scotiste de la formalit m.
cesseurs. TI y a cepcndnnt chezlui de quoi cnrnctriscr une position pln- Le scnurio de Iu critique occumistc des univcrsu~x cnguge sur le
tonicienne, forme par trois theses que Panaccio caractrise ainsi : terrain de la distinction a t parfaitement reconstrlllt par M. McCord
Adums m: ex pos de In thoric scotiste de la dis.tinction formcllc
(TI) Les universuux scmt des substunces en dehors de !'esprit. (reposant sur le principe (T4) que la nature et la dtff~ence.contrac
(T2) Les univcrsuux son! s6pnrs des choses sensibles.
(T3) Les universnux sont cuuses des choscs sensibles 27o. tante sont formellement distinctes ou non forrnellement 1denttq~es ) ;
critique occamiste de 1~ distinction formelle; ex pos de la t.hor~~ bur-
Sur ces trois thcses, la plus plntonicicnnc cst vidcmmcnt (T2). leyenne de la distinctton re~le. (fonde sur ~e u~ theses . (T2 ), L~s
Occam ne la discute pas, pnr quoi il montre que, comme bcaucoup universaux sont rellement dtstmcts des parttculters; et (T5). L ~111-
de ses contemporains, il ticnl pour suffisantc la critique aristotli- vcrscl sclon Jui-meme tout cntier existe en chnct.m de ses pnrtrcuhcrs
cienne et averro'iste des Formes spares. La these (TI) est discute et n'est pas multipli numri9uement p~r son exrstence dans des par-
COilllllC le trait COilllllUil UtOUS les rniJSillCS dits lllOdrs, qui, prci- ticulicrs numriquement distmcts); cnttques de Burley par O~cam et
sment, rejettent (T2). Ce gu'il meten cause, c'est done plutot le Henri de Harclay; expos de la these d'Henri de Harclay (vmr enea-
prsuppos plulonkieu >> (PP) qul Inspire llls rnllstcs modcmcs : tir); crit iquc.~ d' Hcnri ele llnrclny pnr Burley ct Occam: ex pos ,de In
(PP) a toute ubstraction intellectuelle justifie doit correspondre une thorle d 'Occam: (T6) 'lbut ce qui existe rellement esl essenllellc-
sparation dans l'etre.
Le ralisme que critique Occam est un ralisme aristotlicien, non 271. Cf. Cl. Pnnaccio, Guillnumc d'Ockham ... ,p. 133.
272. Cf. O. I3oulnois, Rcllcs inlcntions ... , p. 31. .
269. Cf. Guillaumc d'Occum, Summa logicae, l, 14. 273.Cf. M. McCord Adums, Universals in Early Fo~rtccntl~ Century , 111
270. Cf. Cl. Panaccio, Guillaume d'Ockham et la perptexit des platoniciens , N. Kretzmann, A. Kenny & J. Pinborg (d.), The Cambndge H1story of Later
in M. Dixsaut (d.), Cnnne Pfaton, I, np. cit., p. 121. Mediaevaf Phifosophy, Cat~bridgc (G. B.), 1982, p. 411-439.
392 .393
J
La querelle des universaux La rvolution du XIV' siecle
394 395
La querelle des llllilersaux
La rvolutnn du XIV' serle
ctwcst. (J), In critique uccllllliste du scutbme repuse, un le voit, sur
un principe exactement oppos au prncipe(= a 1) sur Jeque! Scot lu- La thcse d'Henri de Harclay
, mcmc uvait fund !out son ex pos dans les Question.1 trLl.~ suhtilcs sur
la Mtaphysique, en fasru1t valoir que, si toute diffrence relle tait La these centra le d 'Henri de Harclay est la distinction entre singula-
une diffrence numriquc, la diffrence entre les genres et les especes rit, universalit et particularit. Comme Occam, il soutient que seules
ne serait plus qu'unc simple distinction de raison . existent les choses singulieres, mais il maintient en meme temps que,
par clles-mcmes ~u es.~ent!ellement, les c:ho~es. extramentale~ ne ~ont
ni universelles m purliCu!Jeres. De ce fmt, 1! Lienl que les smg~IIers
Critique du ralisme mitig provoquent la for~ation de deux sort~s ?e conc:ept dans l~espnt des
La premiere forme de ralisme mitig est la thorie thomiste de sujets qui les per901vent : un concept distmct, qu1 pennet de discemcr,
tel singulier d'autres singuliers du meme ~y~; ~n concept confus o.u
1'universel rel comme incompletement et potentiellement univer- gnrnl, qui n'autorise pns e~ ~enrc de dtstmct1~n. Dans ces condl-
sel , l'univcrsel complct ct en ncte n'tnnt uc dnns l'intcllcct. tions 1'univcrscl Ctrc dfuu comme une ccrtnmc ehose con9uc de
1111111 111 m re con .
plet el potentiel dans les singuliers se distingue de 1'universel com- maniere distincte: 1' ('homme' ou 'animal') et le 1er
pleten ncte dnns l'intellect. Trois possibilits sont envisn~es, qui ('Socrntc') sont la mc.me chose rell~ (Socrate) et n'ont ~e. istinction
soit contrcdiscnt In thorie- c'cst le cns de In premicrc (n), sclon entre eux que de raison. Pour Henn, done, une proposiiion comme
lnqul'llc ils lll' se distin~ucnt pns --, solt lll~ncnt i\ des posltlons pr 'Soci'IItc cst un hnmme' ne dslgnc ren d'nutre que 'Socrntc est
cdenunent rfutes- c'est le cas de la deuxieme (b), selon laquelle Socrnte', muis cela conr,:u de maniere conf'use.
ils se distinguen! rellement (et 1'on retombe sur la rfutation du ra-
lisme grossier), et de la troisieme (e), selon laquelle ils ne se distin-
guen! qu'en raison (ct l'on rctombc sur l'urgument dji\ oppos nu
rulismc SUbtil: J'un des dCUX UU 1110llS doit clre Ull etre de raisoll, ce tation par Al:ilard de la premiere forme de la thorie. de l'indiff-
ne peut etre le singulier, c'est done l'universe) (( complet et en acte rence de Guillaume de Champeaux. Toutes deux affmnent a leur
qui est ctre de raison). maniere qu 'une meme chose est a la fois singuliere et universelle.
Lu deuxicme forme de .ralisme mitig est In doctrine de Durnnd On n ainsi, sans lien direct, une rcurrence de sehcmes conceptucls
de Saint-Poun;ain ul'firmnnt que 1'universcl cst la chose singuliere comparable a la reviviscence de l'argument du Mnon dans la tho-
elle-meme en tant qu 'elle est dans 1'intellect . Occam lu oppose rie de l'indiffrence elle-meme. La conclusion d'Occam au terme de
qu'a ce compte n'mporte quelle chose snguliere peut devenir uni- sa critique el u r~alisme voque aso~ tour la thes~ d 'Ablarcl ~a ucune
verselle sclon la considrntion de 1' intellcct , Cctte forme de rn- chose n'cst untversellc Entre le suct elle prd1cnt de In lbcsc nb
lismc cotH.Iuit ninsi n l'nhsurdit que Socmtc cst unlvcrsel (un lanenne 'se sontl1;sr~ dcux si~clcs de discussions: .la dis qu'au
urgumcnt dja f'OI'mul par Ablard). cune e hose hors de 1' esprit, ni par elle-meme, ni par quelque c.hose
La troisieme forme revendique une distinction de rnison entre le d'ajout, rel ou de rnison, ni de quelque maniere qu'on la considere
singulier et l'universel. C'est la thcse d'Henri de Harclay affirmant ou con~oive, n' est univcrselle.
que l'universcl est In chose memc en tnnt que con~uc cnnfusrncnt
pnll'lntclhx:t.
Occam lui oppose la meme critique fondamentale qu'au ralisme La vulgate nomina liste : l' universel selon Albert de Sa.xe
de Durand. Si le singulier clevicnt unvcrscl qunnd il cst con~u La thorie occamiste des universaux a fourni les lments ci'~Jne
confusment, tout singulicr peut devenir commun a un autre singu- doctrine nominaliste qui, dans la seconde moiti du xve siecle, a,
lier. On arrive ainsi u l'absurdit que Socrate est Plalon con~u malgr les diffrences, attcint Une. forme can?n}q~e. ou h.t nouvellc
confusment . maniere de philosopher (via moder~w) a pmse l. 7ssent1el de son
Les deux dernieres formes de ralisme mitig sont npparentes appareil conceptuel. On peut caractnser cette pos1t1on moyenne par
aux thories dveloppes par les ralistes du xuc siecle aprcs la rfu- la these nomina liste d 'Albert de Saxe.
396 397
y ait lieu de l'imposer anouveau pour significr Socrate, et pourtant, comme une proposition supposant pour la proposition l'indicatif a
toul en en ayant fait partie, ce Socratc-la nc scrait plus identiquc au 'Hamo bibit vinum', 'L'homme boit du vin'), mais bien seulement un 'L''
Socrate qui tait a la fois a et b 279 complexe de choses. C'est ce compas que Burley appelle 'proposi- ;
1 tion relle' : I1 y a done daos les eh oses un certain compas dont le i:
La conclusion de tout ce dveloppement est la charte du nomina- sujet est une chose et le prdica! aussi, compos qu'on appelle pro- 1:
Iisme au XIV 0 siccle. Aucun universeln 'est une substance, puisque tout position relle 2Ho. La problmatique du signifi propositionnel el
univcrsel est un terme nptc, de nnturc, l\ ten ir licu de plusieurs cl1oses cclle des universaux se rejoignent dans la thorie de la proposit,ion ~
ou l\ significr plusicurs eh oses u l\ etrc prdiqu de plusieurs choses. relle: 1'une concerne la structure ontologique des choses singulicres, P.
En insistan! sur le fait qu 'un universel est un terme qui tient lieu 1' autre, la structure logique du rel (des tats de choses o u faits). :, f
des choses, Albert souligne un autre aspect de la critique nominaliste j; C'est ctte doctrine de la constitution logique du monde, qui rndi- 1
du rnlismc. La these visc releve non plus du ralisme des univer- 1 a
calise le logicisme tout en affirn1ant, sa 1maniere, un ralisme gno- .!
suux, mais du ralisme des fnits. Contre les tenants de ce rnlisme, sologiquc direct, que 1'occamisme a combattue en Burley. Ainsi, le 11
---'-----Albert-souHgne-qu-'-it-ne--peut-y--avoir-dendirntimz-rtette-;-vlus----H+----prooleme-des umvefsauxrr'esrpas-reseunerraln-a'afffonTemertt-du------i-'--
exnctement de proposition dans lc.r cho.ws. Albert .~ouligne, npres nominnlisme et du ralisme, mnis la nature du diffrcnd reste la ,
Occam, que les suhstnnccs ne peuvcnl cntrcr dnns des proposi- mCme: un dsnccord profond sur le fondcmcnl re/ de In connnis- t
tions ,paree que, s'il en tnitninsi, 11 s'cnsuivrnit qu'unc proposl- suncc. Les rnlistes mdivuux sonl toujours rulistes nu scns J
lion pourrnil t!trc compose d 'un su jet qui seruit a Puris et d'un moderne du terme- celui de Kant. Les nominalistes se voient repro- ,
prdicat qui serait en Angleterre . cher une certaine forme d'idalisme incompatible avec leur prtention
L'l thorie de la propositio in re tait une picce central e du ralisme de a
assurer, eux aussi, un ralisme gnosologique direct. On ne peut
Gauthier Burley. On 1'examinera brievement pour conclure cette analyse :;;: fonder une connaissance des eh oses sur une science des signes. A la
de J'univcrs de doctl'incs sur lcqucl n port la critique occamistc. ~ fin du xtve siecle, chez les ralistes d'Oxford, la notion de praedica-
rn to a parte rei sera done ouvertement regarde comme primitive par
Le ra/isme propositionne/ de Gauthier Burley rapport S a. 1a prctication Iinguistique (a parte terminorum;, la prcti-
o
cation des termes n'tant que le signe de la prdication r?elle. Comme
Le point de dpnrt est qu'il existe une relntion d'ordre (ordo) dnns ~ chez les Modistae, mais uvec une autre terminologie que celle des
le domaine smantique: le langage parl ou crit n'est qu'un instru- r.n madi essendi, modi intelligendi et modi significandi, les ralistes
ment ordonn i\ la pense conceptucllc. Pour Burlcy, le logicicn n 'u ;.; a
udherent aisi In these dile aristotlicienne d 'un paralllismc
a
pas affaire prima facie des signes linguistiques ou non 1inguis- ~ strict entre le rel, la pense et le langage. Comme 1'crit Guillaume
tiqucs, mnis des conccpts. 1\ lcur tour, les conccpts rcnvoicnt uune ~ Mil verle y : tre prdkut dnns In sph~rc des choscs, c'cst 8tre r~cl
structure relle. Chaque terme catgormatique a un correspondan! a
lement, la maniere dont 1'universel est prdiqu de son singulier, et
dnns le rel. Le signifi ultime des propositions mcntnles (in c'est etre rellement inhrent, a la maniere dont l'uccidcnt csl prdi-
conceptu) doit ctre lui-meme quelque chose de rel. Ce quelque gu de son sujet. Ln prdication dans la sphere des termes n 'est une
chosc (aliq11id) es! ce que 11urley nppclle ll'omsitio in I'C'. --------Jrdicntion propremcnt dile que dnns In mesure ou elle es! le si~ne
Pour llurley, done, k slgnifi ultime d'une proposltlonne pt!ut tre ------ d 'une prdlealion dans la sphere des choses 2111 Cette posHlon cor-
ni la chose individuelle elle-meme, dnote par le su jet et le prdicat, a
respond ce1Ie de la priode raliste de la philosophie de Russell,
a
ni, sous peine de rgression 1'infini, un complcxe de concepts
(dfaut qui frappe certaines doctrines nominalistes, comme celle de
Robert Holkot ou, sous prtexte d'liminer tout ralisme des faits, le 280. Cf. Gauthier Burlcy, Expositio in libros artis veteris, In Cat., procm.,
dictum d'une proposition, i.e. une phrase infinitive telle que 'Homi- ed. Venetiis, 1509, f" !Sra.
nem bibere vinum', 'Homme-boire-du-vin', cst considr a son tour 281. Cf. Guillaumc Milvcrlcy, Compcndium de V.univcrsalilms, lcxtc dans
A, D. Conli, Johanncs Shm11e, Quaestio super univcr.wfia ( Unionc Accndcmica
Nnzionnlc, Corpus Philosophorum Mcdii Acvi, Tcsti e Studi , IX), Florcncc,
279. Cf. Albert de Snxc, Pcmtilis l.of{I'n, 1, 10. Olschki; 1990, p. 160. .,''
;,
l
400 401
. .....-----------------
---.-----.,--- ..-----------~---------
La querelle des universaux La rvolurion du XIV" siec/e
telle que l'a rsume Quine: Le monde contient des choses non lin- Notre projct tunt d'articulcr l'llstore des li//VCJ'~(/1/}' de P~a~Otl a.
guistiques qui sont semblubles aux phrases et affirrnes par elles 282 la fin du M oyen Age, la critique d'Occam. ne nous mt~resse .ICL qu~
Cette discussion sur le ralisrne propositionnel nous amene a la commc figure du dispositif dont nous.stuvons les mcu~mo1ph~~s~.s
dernicre priode de la querelle mdivalc des univcrsaux : In rnc- depuls su prclllicn.: lus~.:rlpl.ion duus 1 nrgun.wul l~ll Mt ~~~~11. ~ e~~
tion nntinominulisle des XIV" el xva si~cks. done dcux figures du ruhsme pos1occan11slc que nous cons.~crc
rons nos dernieres analyses : (a) la reprise du probleme des umver-
saux par les ralistes tardifs d 'Oxford, autour de ,Je~n Sharpe! (b) ~e
dploicmcul finul de lu thorle des lrois tuls de 1 umvcrscl, /etmot1v
Les rallsmcs turdlt's ct la ractlon untloccamiste de la pense noplatonicienne et de 1'ari~toti isme n~oplatonisant
depuis Ammonius, dans 1'cole no-albertlste et le raltsme tchequ~.
Ces deux enscmblcs ne communicucnl pas conccpll.Lcllemcnt ~ntl:
Le ralisme a survcu a Occam aux x1ve et xve siecles commc il eux (mGme s'ils finisscnl par le fu1re u lrnvcrs \"Yclll): le ru.llsm~
avait survcu uAblard dcux sicclcs plus tot. A cela, di verses raisons : oxonicn appartient a u mi! me champ que 1' oc.canusme et le scousme,
les luttes doctrinales et les censures qu~. en France, ont frapp alter- le no-albcrtismc et le ralisme tchequc se s1tuent en dchors. Le pre-
nativement Occam, les Occamistae et le nominalisme, du statut de mier lutte contre Occam avec les armes d'Occam; le se~?nd a une
1339 jusqu'a l'dit royal de Senlis arret parLouis XI le ermars 1474 nutre visc : la totalisation englobante de toutes les pos1t10ns ant~
pour interdire 1'enseignement des Nominales et enjoindre aux tudiants rieures. Le premier est fils du x1ve siecle; le second, un prodmt
et aux maitres de renouer avec la doctrine des temps anciens ; hybride du XIW el du XIVc.
les rsistances intell,ectuelles mussives rencontrcs par In doc-
trine nominaliste aOxford, des la seconde moiti du x1ve siecle;
l'existcncc d'un puissnnt courunt untinominuliste, ou plul(}l unli-
h.urtlunicn, offmnl une ullemutive d 'ensenible u la via moderna, le LEs I~ALJSTES u'OxFoJ): JEAN SHARPE
rlo-albertisme, install a Pars, a Louvain et a Cologne; , rn LE lllt.AN CRITiQUE lllJ XIV 0 slfiCLE
l
l'mcrgcncc de philosophies nationales, dont, au xve siecle, le
1
ralisme pragois, affirmant l'identit intellectuelle tcheque fnce nu Jcun Shurpc uppurtienl uun gro upe .de lugit:ien~ rulistes oxoniet~s
nominal ismc des Allcmunds; de la fin du x1vc et du dbut du xve s1ecle, constJtu notamment par
enfin, et surtout, les insuffisances et les fuiblesses memes ele la Robert Alyngton (j'ellow de Queen 's College en 1379-1380, docteur
position nominulislc sur plusieurs points de doctrine ou d'argumen- en thologie en 1393, mort en !398), Roger Whelpdalc ifellow de
tation prcis. Certain~. de ces dficits, depuis la critique de 1'abstrac- Balliol Collcgc puis, i\ pnrl ir de 1401, de Quc~n 's College, /Jac:cala_u-
tionnismc par Gcact], ont t souligns duns la littraturc rcente reus en lhologic en 1413, mort en 1423), Gulllnumc Pcnbygull (jel-
- notummenl celui de la critique occumiste du reprsentutionnisme low cJ 'Exeler College en 1399, rccleur ~n 1406-14~)7, haccalaureus .en
thomiste, qui mconnalt le sens et la porte de la thorie thomasienne thologie en 1417, mort en 1420), Gutllaume Mllverley et_Jean Tar-
de la forme intelligible, rduite a une chose, dsignable par un nom, teys. Au moment ou Sharpe crit, la plupart des protag?mstes de la
conventionnel ou mental, ulors qu 'elle est, pour Thomus, une fonction, querelle des universaux ont fait leur reuvre, des moms connus-
un ctre incomplet, signifi par un prdicat, ou, dans le systeme d'Oc- Harclay, Ilolkot, Cllatton, Crathorn- aux pl~s connus.- Occam, B~r~
a
cam lui-mcmc, celui de la rduction du conccpt un signe naturel et -~--- ley et Duns Scot, mais aussi Piene d'Aunole, Dun~t~n et Wycltf.
celui de la notion cardinale d'intuition intellectuelle du singulief Sharpe passant au criblc la plupnrl de ces grnndcs Dllii~LOns, on peut
(Michon, 1994). suivre el son c.x.pos el ses critiques pour elllhr.ns~er d un .seul co.up ''
d n:il pr~s d' un si~de de discussions. Shurpe lhsllnguc lnut thoncs
ou opinions.
282. Cf. W. Y. O. Quinc, Russcll's Ontological Dcvclopmcnt >>, in Essays on
Bertrand Russe/1, ed. E. D. Klemke, University of Illinois Prcss, 1971, p. 11.
402 403
~~~
J.
La querelle des universaux La rvolution du Xlvr siecle
conceptualiste. Nous nous contenterons ici de rsumer rapidement les sur la notion de confusion. L'universalit dans les choses et les
doctrines vises, en indiquant ici ou !u le fond de la critique sharpienne. conceptions de !'esprit est nntrieure pur nnture ~ tout concept confus !
\
La thcse de Buridan es! expose upartir de In thorie de la suppo- ~
1
(intemio cmfusa) d'unc plurnlit. On ne peut done nllgucr In notion
sil ion: uproprcmcnt parlcr, nucun universcl 11 'existe dans la ralil ~ de conccpt confus pour rglcr le problcmc des uniycrsuux. Dmonstru-
' 1
(littralement dans la nature : in rerum natura). L'universel est ~ tion de 1' antecedens: naturellement les ehoses s'accordent spcifique-
un signe. Un signe est univcrscl qunnd il suppose de mnnicre purc- ment .ou gnriqucmcnt nvnnl rni:me de pouvoir ctrc confusment .:l
ment confuse pour une plurnlit~ de choscs s'nccordant soit sp~cifi- pcnses, done, etc, Prcuve de In prcuvc: dnns le cns contraire, un scul ;
queme 111 ( COilllllc d nns 'I/ 01110 e.l'l spcC'i t',\' ), so 11 g 11 ~~r1~q_u_._c_n_:_1 e-1--c1 1c-------l------l----ch..'-dt:-pettse-etlttf-use-fertlit-qtJe-lcs-eheseH-de-v-r-jcnt--s-'-lleeen~eF-f~lu,~;-l---------.-+- ,.
,] ou moins, spciflquement o gnriquernent. Le second argumenl (u2) ,..
C(coonmfuns1ee>>d(acnos'7'"'u,~amt'nalnatlltne1s)tSg!1eanrpues'e)n. tePnadr quseupspeloosnitiB.ounr'dpaunremteanntt
'J' ' '
1 fait intervenir une distinction entre intentio et inteflectio: toute.intel-
Jection confuse (ii.Jtellecrio confusa) prsuppose un concept ou mten- . !'i.
donn la proposition 'Animal est genus', il est vrai de dire que n'im- tion >> commune (intentio communis). Donc,J'intellection confuse par li.
porte Iequel de ces nnimaux est un animal, bien qu'nucun d'cntre ~..,~ lnqucllc sont confusment pcnss tous les hommcs singulicrs prsup- '1
eux ne soit !'animal (vemm est dicere quod quodlibet illorum est ~ pose une intention commune. Or une telle intention est une espece ou '
1
animal, !ice! nullum animal sit illud). intention spcifique , done, etc. Dmonstration de 1'antcdent: 1 '
La thcse nominaliste d'Occam, qualific de tres clebre (va/de tout le monde admel qu'une intentio est l'intermdiaire d'ou provien-
famr1J.w), cst. ri<~clcmetblt r sumc<e: to~tl t!fn.iverssel c st t '.'!c int~ntion ou
.:
1
un s gne qtll ut est su ort1onn en stgm tnnt. e u1e 1 mtentton com-
~.
! 71 ~~~~~~~~~~~~~J 1 e)~~~01~,[~~~~~;f:~::~~gr ~i~::/~u eJ{s~:~~~mp~[:~cpipe~~~
des intentions singulieres et distinctes. Done, une intellection confuse 1
mune (autrement dit les termes du Iangage mental) esta proprement : commune prsuppose une intention commune. Que cette intention soit
pnrler un univcrsel, cnr elle es! un signe naturcl naturcllemcnt repr- une intention spcifique , Sharpe le dmontre ainsi: toute intention -'t
sentatif d'unc pluralit d'individus qui concordcnt spcifiqucment ; univoque rc.prsentnnt des choscs s'uccorclnnt spcifiquement -el elle :1
404
'
;
405
~
La querelle des universaux La rvolution du XII'' siecle
406 407
Sur In place de Wycllf
dnnH l'hJstoJrc des UIIIVCI'SIIUX
Jcnn Shnrpc prscntc In doctrine de Wyclil' dnns un cnchnillcmcnl (e) In distincti~n entre univcr11el nu scns cnusnl (in ra11.wndo), uni
linnirc, qui le pince dnns In sculc histoirc du rnli.~mc d'Oxl'onl, ou il verse! nu sens prdicntionnel (in predicando) et unlversel nu sens
prc11d une plnc~ dn"OrtologiqutJ, xclon Ulll~ loglquc de rnlisrntJ ero/.\' mnntlquc (In .1'/Rn/}/mndo), nttctc, snnH qu'c:llc nit h l'poque une
sant, compnrnblc ll ccllc qu 'Occam avait mise en reuvre en suivant valeur pistmologique vritable, des le xm siecle (notamment, chez
l,'ordre inverse, dans sa propre rfutation des ralismes. C~tte i Alexandre de Hales, Summa theologica, I, quaest. 1, chap. 1; Quarac-
P.
Eustrate de Nice ;
III. Universel de reprsentation/de signification/ concept/po rem
Prdication essentielle et prdicatio~z formelle Critique tle la tlle.\e ti'Occam mrles intentions
'
J '
J{
J
r
l
412
41J
La rvolution dtt xw siec/e
La querelle des universaux
(3) 1'interprtation de aliquid eonveniens a et b comme realiter com: Ln cl'illquc occnmllltc de l'urgumcnt du M11o11
111111/e u e.t b; (4) ~ 'inlt!rprtntion de rea/lter cummu11e n et b commc
~omm:l.mtas !e.alls a e: b .. ces quat:e tapes de ce que l'on pourrait Pour Occam, on nc pcut pas infrer Socrate et Platon concordt'/11
,tppele.t le .gllssemen/1 altste dplotent dnns un langage postscotiste plus que Socrate et 1111 ane, done ils concorde ni plus en que/que chose;
la to~SlOfol maug~r~le d.e la question faite aMnon. Sur quel point un mais il suffit que d'eux-memes ils concordcnt plus (Somme de
nomtnaltst7 dott-II futre portcr son attaque? On le snit paree que loglque, i, 17). Le principc fondalcur de l'ontologic occnmistc de lu
Occam a dt~cut un argun:'ent comparable a celui de Sharpe dans la ressembluncc cst ex prim dans lu rponse aux tapcs ( 1) ct (2) du glis-
sement raliste revemliques par Sharpe : A u scns littral des mots,
Summa /ogz~qe, 1, 17 (votr encadr), et paree que Sharpe, connais- on ne doit done pus admettre que Socrate et Platon concordent en
saf!_t ~ette cntJque, entreprend lui-meme d'y rpondre. quelque ehose qui appartient a leur essence, mais on doit udmellre
E~1de~men,t . c,'est la these (1) qui est d'emble vise, Pour un qu 'ils concordcnl par certaincs eh oses : par lcurs formes ct par cux-
nommaltste, 1 mfrence de 'a et b magis essentialiter conveniunt memcs.))
quam u .et c',a 'in aliqua conveniunt a et b ex natura rei, .in quo non
convemunt a et e' n'est pas valide. Il suffit, en effet, que a et b
concordent.par eu.x-memes plus que a et e pour que a et b concor-
d.cnt .:sscnttcllct~cnt plu~ q~te a ct c. E~ d'uutrcs tct'l11<:lS, la proposi- Sclon Shurpe, la co/lsetuclltia (i)-(ii) csl 6videnle: en dfet, a et h
tton a et b magts essentwltter convemunt' ne dsigne uucun fait du ne concordent pas plus que a ne concorde avcc /J (cwn b), et rcipro-
monde, elle ne dil rien d'autre que: En vertu meme de ce qu'ils quement. Or on vient de poser que a concorde autant avec b qu'avec
~o~t [ou,: de p,ar ce!a.meme qu'ils s?ntJ a et ~ concordent plus que a e, puisquc (et c'est l'assumptum de la consquence) par tout lui-
el, (.Te! qu ti est tct formul, lt.! pnnctpe qut supporte toute In thcsc m8mc (.1'(' tolo) a convicnl nvcc /Jet pul' tout lui-mcmt.! a convicnt
d Occam est,cclui qte nous nvons vu mergcr des 1' Exposltio sur nvec e. Done, s'il n'y u pus duns le relquelque chosc d'nssignuble
a
Porphyre : foute chose est par e1le-m~me ou identique ou diff- en quoi a concorde plus avec b qu'avec e, on est oblig d'admettre
refolte d'une ~ut~e (omnis res per se ve/ est eadem ve/ diversa' ab que par eux-mcmes a et /J ne concordenl pus plus que a el c.
a~w). Ce P!'ll1~tpe dur peut-:etre appel principe de La Botie Pour comprendrc la critique de Sharpe, il faul voir en que! sens on
(l LB) car ti ~Itue .le fondement de l'accord de convenance entre peut dire que par lui-mcme a ne concorde pas plus nvcc b qu'uvec c.
d~ux ch.oses stngultcres en elles-mcmes prise une a une: paree que Comment arriver a cette totale distorsion de la these occamiste '!
e es~ luz, paree que e' est moi. PLB ne doit pas etre confondu avec sa Sharpe rpond en discutan! une objection : il laisse la parole au
vers10n douce, celle qui est mentionne dans la Somme de logique, I,
17, selon l~quelle d~ux choses concordent et par leurs formes ct
nominaliste, qui rtorque - ce qui est sa doctrine rduite PLB - a
que par lui-meme a concorde plu.s avec h qu'avec e. Sur quoi
p~r c1Ics-m~mes , 111, ~~r consquent, avec le conforrnisme ontolo-~- Sharpe ouvre une alternative: si par lui-meme a concorde plus avec
gtq.u~ de ?tl.bert de ~ottlers et de l'cole porrtaine, quien est u-re b qu'avec e, cela provient soit de a lui-meme, soit d'une diversit
vetston realzste centree sur les seulesformes des singuliers. duns In n.:lntiotl que a enln:lieul uvet.: toules les chosl'S nuxquellcs il
s'acconle. La premicrc rpousc n'est pns udmissible, cnr le mcme en
tant que meme nc peut etre cause de diversit. Reste la seconde.
La place de la concorde Mais, si le nominaliste s'y engage, il prouve le contraire de sa these.
S'il y a une relation ou un rapport diversifi duns l'accord existant
La r~ponse de Sharpe a la critique d'Occam, qu'il considere dans entre a t.!l les choscs nvec lcsqut.!lles il concordt.!, t.!l que cctte diver-
la. vcrs~~n PLB, e~ploite les inconvnients munifestes d principe de sit n'est pas en a, die cst ncessaircmt.!nl en uulre c:hose. Que/que
Lt ~oette. En pos~nt que a et b concordentpar eu.x-mhnes, le nomi- chose done doit causer cette diversit. Ainsi, il y a quelque chose en
naltste est.contramt d'admettre que (i) par lui-meme a concorde quoi a concorde avec certaincs choses et non avcc d'autres.
autant avec b qu'avec e et rciproquement; et done que (ii) par eux- Tout repose videtnmcnt id sur une prmisse 11011 cxprimc: a et e
mllmcs a el b ne concordcnt pus plus que a el c. ne sont pas par toul eux-memes (se toto) diffrents, bien au
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La querelle des universaux La rvolution du XIV' siecle
tcur nnonyme du .I'OfJ!Ji.\'11111 introduil un des pn.!supposs lt>gitucs du esl ('uusse, l!OllllllC esl l'ausse, lllcl'prte dllliS le lllClllC Sl!~\S l!IIUSIII,
probleme trait par Jean Sharpe daos sa ratio 7a. ll y a, dit-il, deux Aliquid in eo quod est aequivocum est unJvo~wn '? On ~erall tent d.~
sortes de formes: premierement, la forme universelle , qui est le fairc. Restenlit a prouver qu'un nommli1sle s.e do1t d~ soutenu
cause et principe de convenance et d'unit - c'est d'elle que Por- cette interprtation causale. Il semble que ce s01t au moms le cas
phyre crit que<< pnr pt,rticipntion nl'espece plusiurs hommes fonl pour I'ocL:ntnisle. Mnis, on pourmit uussi objeL:h!l' qu'unnominulistc
un homme (/,I'Gf?oge, 6); deuxiemement, la forme propre des sin- souscrirnit volonticrs i\ 1' inlerprtation de in dans le scns ele la cante-
gulicrs , qui est prncipe ct cause de distinction et de diversit en
eux - c'est a elle que fait allusion Porphyre quand il pose qu' un
a
nance, condilion que la phrase 'Jiomo a in ~o qu.od.ho~n? a c~nve
nit cum homine b et non convenit cwn as111o e s1gmfte 11 Y a
. ind1v1du est constitu de sept- proprits dont la runion ne se quelquc chosc duus k con_ccpt de l'hon~mc 11 qui~ cst dt~ns ~e con~cpt
rctrouve pas chez un autrc individu. Lu distinction entre forme de l'hommc /Jet tui n'est pas dnns celu1 de !'fine e. chuppemtt-11,
cornrnune, premiere convenance ou accorci , forme qui est pour autant, a l'accusation d'idalisme?
comme une matiere vis-a-vis de la seconde, la forme propre du sin-
gulier, prncipe de diffrenciation, va exactement a 1' oppos de la
these nffirmant que a et b se distinguent par eux-memes d'eux- Dljj(1renct' relle t'l cllj]i1rence IIWIIrltue : re tour d Dll/1.\' Seo/
memes et de c. Le probleme est pourtant le meme, carla these occa- (B) La prsence de Duns Scot dans la conception gnrale ~e la
miste peut etre aisment transforme en une rduplication du type ratio 7a de Sharpe est vidente. On a vu que, dans .les_Quaestwnes
de : a en tant qu 'a concorde avec b et ne concorde pas avec e . subtilissimae in M etaphysicam, Duns Seo~ pn;posmt s1x. ar~uments
Une distinction supplmentairc avnnce duns la discussion de lnro- contre deux tllcses l'ondlllliClllllles du IHHltlllllllsllle : (u) ti 11 Y a pus
hatio du sophisma Aliqua in eo quod conveniunt dij]'erunt illustn.! d'autre unit concevable que celle de la chose singulicre; (b) il n'y u
bien la perspcctive de 1' Anonyme. 11 faut, dit-il, distinguer logique- pas d'autre dillrence relle que la diffrencc nUJ.nrique.C'cst l'a~
ment in eo quod de in illo in quo. Cette distinction tait dja all- gument (a 1) de Duns Scot qui, selon nous, fourmt la clef de la ralt~
gue dnns In premh!re moiti du Xlll 0 siecle pnr le logiclen pnrisien 7a de Shurpc. Scot bfilil unt! premierc infretwe: s'il n'y l\Yil!l
Hctv Le Breton (Hervueus Brito), qunnd il opposuit deux scns de d'unil rclle que l'unil numriquc, toule dil'l'wn~c ~~lle s~l'l\lt
in : la conlenance et la causalit 2!!6. Soit le sophisma tir de 1' univers une diffrence numrique. En effet, toute chose qut dtffere d une
textuel des commentaires des Catgories: Aliqid in eo quod est autre chose serait diffrentc par l'unit numrique qui fait qu'elle est
aequivocum es! univocurn. On peut 1' interprter ainsi : il y a quclque en ellc-mcme une. >> On n.:tomberuit ainsi sur 1' interprtation aber
chose dans ce qui est quivoque qui est univoque. Autremcnt dit : rante d' une des vcrsions paralleles i\ AliqJta i 11 ev quod co11 \'e~liunt
tous les quivoques ont une progrit, l'quivocit, qui, sous ce rap- dijj'erunt: Aliqua in _eo quod ~unt 11/llt~ll ~:unt plwp. Sc~>t poursut~ pur
.port, les fait univoques. Si, en revanche, on interprete le sophisma destruction du consequent : st toute dtff~rence reelle etatt ~ne dtff-
dans le sens causal, la proposition signifie qu'un oppos (l'qui- rence numriquc, toutcs les choses serat~nt ~alcment d1.ffrentes
voque) est cause de son oppos (!'univoque) en meme temps et sous les unes eles autrcs . Cet ex aequo genral1s de la cl1ffrence
le meme rapport (Libera, 1986, p. 94). rcviendrait on l'a vu i\ poscr qu' il n'y a pas plus de raison pour
Revenant anotre probleme: poser que 'Hamo a in eo quod horno a l'intellect ct'abstraire ie concept du blanc de deux objets blancs plu-
convenit curn hornine b et non convenit curn asina e', en interprtant tot q11e d'un objcl hlunc el cl'un ohjct no!r ,.une. co:1sque~cc
in dnnH le scns de la conlcnancc, rcvicnt i\ dirc qu'il y a quelq111.! nbsurd~.:. Mnis 11'csH'l' pus pr~clsllll'l\l l~c qu1 est llllpllqu~.: lorsqu on
e hose duns 1' homme a qui est 1' homme b et qui n 'est pas 1' fine e; a u dit, comme I'adversaire de Sharpe, que c'est par eux-me1~1cs que,
sens causal, en revanche, on a: 'Horno a, quia horno a est, convenit ala fois, a et /J concordent ct que c1 ct e ne concordent pas l _Dnns e~
cum homine b et non convenir curn asina e'. La premiere interprta- cas, le se ipso de la ratio la signifierait par l'unit numnque q~t
tion est rnliste; la seconde, nomina liste. Dirn-t-on que la seconde fnit que a est 1!11 lui-meme un. L'nrgumcnt gnral devcnnnl: (1)
pur lui-memc, c't!sl-i\-dirc par l'unit numriquc qui fa.it qu'il est en
286. Cf. A. de Llbem, Les A/Jstractiolles d'Hcrv le Sophlstc , A/JDUrfA, 52 lui-mcmc un a concorde auumt avcc b qu'uvcc e ct rL:lproqucment:
(1986), p. 163-230. done, (ii) pa1: eux-memes, c'est-a-dire par l'unit numrique qui fait
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dicamentalis) : il y a un concept exclusivement commun a a et b; il y perspective, la pointe de, la critiq~e s'es~ d~lace; e.lle consiste dsor-
a un c,oncept commun aa et 1\ b qui ne peut etre tir de a et de e; tout mais uposer que, dans 1 ontologte nommahste, la rencOI~trc de a et ?e
concept essentiel qui peut etre tir de a et de e peut etre tir de a et de b est exactement du meme type que celle de a et de e : e est une umt
b. En termes porphyriens, ces trois theses signifient que a, b et e n'np- de comptagc. ll nc pcut y avoir de causalit natur~lle de a.. h sur !'es-
a
partiennent pas la me me es pece; qu 'il n' est pas le e as que tout trait prit pour former un concept co.mmun a a et a b s1 a ~~ b forme~t un
essentiel de a et de b est un trait essentiel de e; qu 'il est le e as que !out simple ngrgut. L'unit que d01vcnt possdcr a ct 1> SI a et h dmv~nt
trnit csscntkl de a ct del' estull trnit esscntlel de /J. Sur cette tnuue atre considn~s e11 que(quc llllllli~n.,: CO~lllliC Ji! CIIIISe .ll~l(ll,l'elle d lll\
logique, la caractristique de la these raliste est de poser que ( l) par conccpt qui leur soit commun ne pcut etre qL~ une un~te reelle com-
la mcmc a el h sont plus un sclon la nature rellc que a el e, ct mune nuturelll:nwnl anlrieure u toutc.: intcnlloll ou stgnc.: ~ommu~~
done que (2) a et b concordent rellement en qtielque chose d'un . cnr, nnturellement, a et /J concordent spcifiquement avant n;eme qu tl
n'existe h lcur sujet une intcntion ou un signe commun. C cst de cet
accord spcifique ele a et de h entendu c~lmme accord. r~el que
Unit relle et zmit de comptage Shurpe tire les dcux consquences ou s'expnme plus cxphcltem~nt
encore la these raliste: (iii) a et h ont une espece commune , (tv)
Pour dmontrer la lgilimit du passage de ( 1) u(2), Sharpe met laqucllc n'cst ni un signe ni une intcntion .
en reuvre un principe : dcux choses ne peuvent etre la cause natu-
relle d'une unit ou de quelque chose d'un si elles ne sont pas elles-
Le chiusme Platon-Aristvte
memes d' une certaine maniere q uele ue chose d' un. Pour causer
a
naturellement un concept commun a et h, a et h doivent possder Le passage de uppurtcnir 1\ In mcmc es pece. ~>u ctr~ de meme
une unit relle. Prcision falle de toute problmatique dite psy- a
espece avoir une espece co~mune m~mies~e cla1r~ment le
chologique de la fom1ation des concepts gnraux, cette these est chiasmc participation (platonisme)/mhrencc (ar.s~ot~hsme) ~u~ dans le
de nouveau exactement oppose ala these nominaliste. brouillage maintes fois .signa~ .de la fo;m~ pmtlcipe,e ~lato~lctenne. et
de la cause formelle unstothclenne, s ongme par emllleflc e tout dts-
COlii'S rnlislc. <.)uc sigui J'ic.: "1\Vllil' IIIIC..\ c~p~cc COilllllllll~ .. 'l Dcux
Colllllllllltlltll1 rll/e et cowe)( c.'OI/11111111
rponses s'imposent immdiatement uun raltsle postw~ch!Jen: (l~ a
Le naturalisme philosophique du nominalisme, avec ses deux rap- et b sont des partics subjectives de l'universel hommc, P!'ts~s en totaht
ports naturels de ressemblance et de causalit censs expliquer com- toutes ces partes su/Jiectivae reprsentent le sttkstrat d ~xt.~tence t~tal
ment l'intcllect de l'homme, paree qu'il est plus dou ucct gunl dudit univcrscl; (2) l'universel honune est parllc constttullvc d~ 1 cs-
que celui des nutres animaux peut produire des qualits capablcs de sence de a et de b- ( 1) et (2) tanl complmentain.:s au sens ou ledtt ra-
signil'ier nuturellcmcnt toutcs les choscs , est 1' in verse cxact du liste ne soutient pas une interprtation rali~te de la class~ des ~1ommes,
prncipe formul par Sharpe. mais, prcisment, l'identit relle de 1'umversel et du smguher.
Quellc est la pertinencc du point de vue raliste? Sharpe intcrvient En ce qui le concerne, Sharpc interprete a et /J onl une espece
sur un point prcis: le lypc d 'unit prsent par l'homme a et communc dans le sc.:ns de l'cspecc (communc i\ a et u/J) estrel-
l'homme b. Dire que a et b ne concordent pas rellement en quclque lement inhrente uaeta /J . Autrcment dit: poser que a et b c.on~o:
chose d'un revienta instituer entre eux une unit que l'on qualifiera de dent en quelque chose d'essentiel qui leur est com.mun stgmfte
minimale: l'unit d'agrgation qui est celle de a et b considrs ultimement que a et b concordent en q~elque ch~se 9U1 leur e~t r~el
ensemble. Cette unitas aggregationis tant celle que a et b formen! lement inhrent - dans le cas contra1re, en eftet, 11 faudra1t b1en
par eux-memes, i.e. en tnnt qu'individus, Shurpe se situe sur le terrain admcttre que a el b concordent spcificuement dan~ l~1 ..scule mesure
du nominalisme pur: par eux-memes a et h ne sont pas meme censs oll ils sont signifiables par le meme concept speclftque , .et, ce
prsenter une ressemblance essentielle . La ratio 17a .nc se situe conccpt tant considr comme a u scul pouvnir de 1' intcllect, ti fau-
done plus duns In pcrspcctivc de lu mtio 7.a o\1 a pouvult l!trc consi drnit t:ll conclurc que l'intclkct cst l'uniqlll' fuctclll' de cmlVc-
dr comme s'accordant essentiellemenl avec c. Dans cctte nouvelle nance entre les singuliers : une thesc effectivement ida/iste.
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l.a qllf'rf'lfc df',\' llnil'fr,\'0/1.1" La rfvolution du XIV' siclc/r
Mais que veut di re pour a et h s'accorcler en quelque chose qui
cst non sculcmcnt commun ha et h mni.~ lnhrent h- done rcllcmcnt Prdlcntlon formcllc concrHc
prscnt dnns- a ct /J? Le rnlismc cst-il oblig de soutcnir l'inh- ct t>rdicatlon paronymlquc
rence de l'espece.'? Dans la version qu'en dorme Sharpe, le raliste
e~t seulement ob!Jg de soutenir simultanment 1' identit rclle ella Dans la mesure ou elle admet une prdication formelle quidditative (par
diffrence formelle f_le 1' universel et du sin:u!ier, cela, toutefois, dans la forma informans) a cot de la prdication formelle concrete (par la
le cndrc- d'unc- nrtllllH' lht<orit- dt~ In prc'dkntinn ... lnth~nric- iHSIIt' du forma denominans), la distinction sharpienne entre prdication essen-
rnnH~nngement de In thmle de Wyc 11 1' pnr les rullstes d 'Oxf'ord. llellt, et prdlcntlon formcllo n'cNt dorw pus rductihlc h In di.~tinction
entre prdicatiun c.uiddi!utive et prdicutlon uccidentelie, ou purony-
mique (dnominative), mentionne notamment chez Buridan et Albert
de Snxe. Chez Buridan (Lectura Summae fogicae, JI, 5, 2) : Il y a pr-
Prdication paronymique et prdication formelle dication essentielle entre deux termes quand aucun des deux n'ajoute a
la signification de !'nutre une connotation extrieure (extranea) i\ ce
La thorie ~os~wy~lifienne de la prdication est, on 1'a vu, fonde pour quoi les termes supposent. 11 y a prdication non essenticlle, ou
(!) sur u~1e dtstmctron entre prdication rcile et prdicalion de paronymique, qnand un des termes ajoute a la signification de l'autre
stgnes qut remonte elle-ml!me a la thorie de la propositio in re de une connotation trangere, comme 'blanc', qui supposc pour un hommc
Burley- en ce scns, pour Shnrpe, In prdica! ion relle f'sf l'in-exis- et appelle (i.e. connote) la blancheur en tant qu 'elle lui est ajoule.
lenc~ , ~est-a-dirc i'inl!rence, relle d'une forme (commune D'ou: la proposition 'L'homme est un animal' cst csscntiellc, tandis
que 'L'homme est blanc' ou 'L'homme est capable de rire' est parony-
ou smguhere) <~ co~mumque .en. actea son su jet; (2) sur une ana- mique . Chez les nomina listes, la distinction entre proposition quid-
lyse ele In prdtcntton rclle dtstmgunnt ex >arte rci entre prdicn- ditnlivc >> ci << proposition dnominntive , jndis introduitc pnr Aviccnne
tion csscnt iellc ct prdicnt ion formcllc. sous In forme d'unc distlnclion ent~c praedicatio unii'Oca el pracdicatio
Selon Sharpe, qui reprend la nolion de subordina/ion au niveau des denominativa (Logica, d. de Vcnisc, 1508,du 3vb), esl done cnti~rc
propositions, il y a prdicatior: essentielle ex parte re, dans la sphere ment repense grace a la thorie de la connotation qui a absorb la
du rel, quand la mcme cnltt ou cssence cst sujct el prdica! - notion de paronymie et, plus particulicrement, les paronymes d'acci-
lmtll~omntt, dnns une prdkntion de signes totnctcmtnt sulmrdnn- dent. C'est par le recours i\ la connotatio que tu distinction nominulistc
ne h elle, lnmCme chose est signil'le pur le sujet elle prtlicut (l'ex- entre prdlcntion cssenllcllc ct prdlcnlion pnronymlquc se distingue
p.ression sibi debite subordinata signifiant que toute prdication de des analyses truditionnelles, notamment de la diffrence boclenne
entre praedicatio de subiecto (ou praedicatio in eo quod quid est) et
s.gne.s n 'est pas su bor?onn~e uune prdication relle, puisque la pr- praedicatio in subiecto (ou praedicatio secundum accidens), reprcnant
dcatwn relle est l ' m-ex1stence , ou communication relle, d 'une en les organisant les indications parses d' Aristote au chapilre 8 des
forme, el, q~tc l?utcprdicntion de signes n'est pns l'ondc rcllemcnt); Catgorils (1 Otl25 sq.), pour !u dnominntion , ninsi qu'nux cha-
11 y a predrcat1on formelle ex parte 1ei quand, en plus de 1'identit pitres 1, 2 et 5, pour les fondements de la notion d'attribution synony-
d'essence sujcl-prdicat, le prdica! ou ce qui est contcnu (importa- mique et l'analyse de cette notion mcme.
1111~1) par le_rrdw.at.sous le mode _forme:! e~t pt;sent dans le .sujet soit
a ltlrc de forme lllfot'lllllllt le SUJCI qlllddltiiiiVCillCllt comme dnns
'Homii est anim~l', soit titre de forme dnommant 1~ sujet concre~ ..
tement (concrettve), comme dans 'Hamo est alhus' (voir encadr). J; ainsi une thorie des formes articule sur une distinctibn entre trois
C'est sur la base de sa dislinction entre prdications formelles et i:- manieres d'~tre commun uplusicurs choses (u) intrinsequemcnt
prdicnti~n pnronymi.quc que Shnrpc noncc sn thcse: ( 1) 1'univcrscl ~, et quidditativement, (b) intrinsequement et dnominativement, (e)
csl [lden~1yue hJ son sutguller (est suw11 sfngulare): (2) l'unlven;el re/ ~..! extrlnsctuemcnl el dnomhtnli vcmcnl. Pour le rnlisle u'Oxford, les
ne <s~ predtque.donc pas que paronymiquement du singulier; (.1) plus formes substantielles- comme l'humanit de a et de b- sont com-
prectsment, 1 humnw cnmmun de 1'urphyre, l'lwmo <'OIII/1/IInis munes intritt,\'t'C-'t' et rtuidditotil'c' i'l t:c qu'cllcs infnnncnt: c'cst lk
se prdique rellen~ent et quidditativement de 1'homme singulier. ' leur m o de de communaut qu' est tire la prdication essentielle.
A 1111 pnmlct ntvcnu, In lht<oric .~hnrphntH' dt.<~ univtt'.'IIIIIX t.<~t Cornine elles peuvcnt ctrc signifies aussi hien par des termes abs-
~------- .
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--------------------...,
..,,,,_, --- ----
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La querelle des univer.1aux
ser monis) fausse paree qu 'elle est fuusse selon la supposilion per-
l 'absence factuelle de mise en examen a la prsomption virtuelle sonnelle eles termes qui la composent; . . .
cl'htrodox ie. Le fond n 'cst pns abord. , qu'il n'y a pas de sciences des choses , nuus seukn~e.nt des
C'est seulement le 1O octobre 1341 que, prolongcnnt le stntut de scicnccs des signes, c'est-u-dirc des termes el des propost.tton;~ .
1339, In facult institue un scrment antioc~nmiste qui touche un pcu Le probleme est qu~, con~r~e l'a montr M~o~y, Occam l~t-.n~~me
a la doctrine, largissant, au no m d' Aristote et d 'Averroes, la rpro- n'a pas soutenu ces tr01s pos1t1ons telles q.uclles et que 1~ nomm,dts~.e
bation de la scientia okamica u toute conception similaire : Vous ne tes rdame ni nc les implique, du mo1nssou~ celtl! lonne: la pu;-
jurerez d'observer les statuts dicts par la fucult des arts contrc la miere est rejete dans 1'Expvsition sur le.\ Prdtcahles ct da1~s. le De
science occamique et de ne soutenir d'aucune maniere ladite science sacramento altaris; la deuxieme est incompat!ble av~c 1' Eq?vsttton;wr
et ses semblables, mais seulement celle d'Aristote et de son com- tes Catgories; la troisieme est une interprta~10n ~mt;occam1ste de 1 oc-
mentateur Averroes et des autres commentateurs et interpretes camisme, dmcntie par la dfinition de.la sctence re~lle donne ~,'~ns 1
1
anciens dudit Aristotc. Offcnsif dans son contenu, le serment de le Commentaire sur les Senlences. S1, commc le d1t Moody, Oc~.tm
1341 reste nanmoins en retrait par rapport aux projets circulant a n'est pas vis, mais, selon la forinule de Kaluz.a, un ,groupe de ma1tr~s
l'poque dans le milieu universitaire, notamment celui du procureur parisiens quise faisaient passer pour des parusans d Oc~~~, ~n vot~
de la nation anglaise, Henri d'Unna, prvoyant la rdaction d'un sta- que, dans tes anncs 1339- 1341, l~ <~ 9u.e1;cll.c .(~es nom1J~,hstes .et d,es
tul obligcnnt les rncmbrcs de In nntion l1 dnonccr ccux de In .wcta rU(SlCii JIUHil(lll! f'I'UIIl.'llellll~lll de l1stlllli!C. 1\nllusuplth~ NIHIUI de ()l.(~
occtmlca el toutes les runions qu 'ils pourruient ten ir ( 10 octobr~: la premiere manifestation publique de l'cole de B~ndan (pour ~.e
1341 ). qui touche l'ide principale et positivc du statut, qu1 est une rev.alou-
Entre le serment de 1341 et le statut de 1339 un secnd statut est sation de la notion de sens propre et impropre des mots par sa m1se en
dict le 29 dcembre 1340 qui, aujourcl'hui encore, laisse les histo- rupport avcc une dist:iplinc dtennine ), I<~lluza 2 H7 nous suggcrc le
riens pcrplcxes: ccrtains (de R. Pnqu u H. Thijssen) y voicnt une principe d'une solution ~lausiblc, ~im~n certa1n.c; ce ~l,L.1e ~~ndmnne. 1.~
seconde prohibition d'Occam; d'uutres (E. A. Moody) y voient au statut de 1340, ce n'est m1e nommultsf!!~ ,mi o~c.t~msme ~ nMts
contraire une victoire des occamistes sur les instigateurs du statut de un certain usage de la smaritique tem1m1ste da~1s 1 e~e&ese phtlos'?~
1339; d'autres (W. Courtenay, K. Tachau) y Jisent une mesure essen- phiquc, susceptible d.'entralncr d~s c~1~squcn~cs 1nndm1~~1bl7s un~ ~~1.~
tiellcment disciplinuire , n'incriminunt uucune position philoso- trunspos en tholog1e- un souc~ lg1tllllC, churemet:lllll~.l~l~c duns cc1 '\
1
phique particuliere . Une telle disparit pose un vrai probleme. taines formules du statut ( car smon, en vcrtu du meme ,uso.nnement,
Que le statut n'ait rien a voir avec l'occamisme serait pour le des propositions bibliques devraient etre dclaresfausses pnses pu~e
moins paradoxal : son intitul mentionne explicitement certaines ment nla Jettre, ce qui est dangerett.X ). En ce .sens, le vntable e~JCU
crreurs occamiques (Statutum facultatis artium de reprobatione du statut n'est pas le bicn-fo~1d de la smant.tque d:C?ccm~, mm~ .~a
quorundam errorum ockanicorum); et le document s'acheve sur une ncessit de respecter les ex1gences de la mat1ere.tra1tee (la mate! ta
clause reprenant purement et simplement la dcision; centrale du sta- subiecta): un respect qui s'tend alafois a la Btble et a~x auteurs
tut de 1339: ceux qui enfreindraient les nouvelles dispositions dont le point communle ~lus. ~vid~nt es.t q~:ils n'emplment pas tou-
scraient chasss et exclus du consortium des mnltrcs, ce cui n jours (l!S IIIO!S SC(Illl kur stgtllflCH(10ll(~lllJliC,". , , .. . l _
djtl t tnbli pur uillelii'S llll sujet ue lu doctrine de Ouilluumc dit C'est pare<.! que nous comprcnons h,1b1tucllcm.c~lt (, c11sc t.h.: 1339
'Occam' demeurant en complete vigueur en toutes ses partics ct pour 1341 a partir de la querelle de 1474 que nous ln1SOI1S de h~ sn~un
toutes ses parties . Toutefois, comme le statut de 1339 ne prcise tique philosophique ci'Occam le centre organisa~eur du prem1er debat
ren de In doctrine de Guilluume dit 'Occum' , on peut etre tent, pnrisicn sur In<< scctc occamique . 11 es! plus n~lsonm~blc,.cepe~dant:
sous l'uutorit de !'intitul du stutut de 1340, de chcrchet les de pcnser ( 1) que le stntut de 1339, doctnnnlcmcntmucl, csl un simple
ctTeurs occumiques duns trois des positions par lui dnonces et
que l'historiographie a traditionnellement associes a l'occamisme:
que la vrit d'un'e proposition (y compris cclle d'un auctor) doit 287 cr 7 Kuluzu Les lapcs d'lllll) COillrlli'Crse. Les nominalislcs el 17s. rn-
lislcs 1~uris.ic 1 ;s de 1~J9 il 14H2 '' in A. Le Boullucc (d.), La CcJ/111'01'<'1'.1'1' re'ilgll'll.ve
Ctre jugc sur le scul critcre du sens littral des mots; el ses formes, Puris, .d. du Ccrf, 1995, p. 304.
qu 'une proposition est absolument ou littralement (de virtute
431
430
La querelle des wlitersallx La rvolution du XIV" sieclc
netc polilique; In l'ncull dts nrts et~d1111t llll)( pressions du pnpt~ ment pnr une sortc d'intcrdiction professionnelle estires conforme
Benot Xll pour censurer en gnrall'enseignement d'un maitre a ce que nous enlendons aujourd'hui par 'nominalisme'.EIIe mel en
1'poque politiquement engag aux cots de Louis de Baviere dans sa exergue deux attitudes, ne pas multiplier les choses selon la multi-
lutte contre la papa ut 2AA, et (2) que le stalul de 1340, d 'inspiration plicit des termes et tudier soigncusemcnt les proprits des .
buridaniste, est dirig contre un groupe de ma'tres appliquant sans termes. dont dpendent la vrit et la fausset des discours pour
discernement aux texlcs certains outils smantiques courants plus ou a
8tre habiles reconnaitre le bon et le mauvais daos n'importe que!
moins directement iss11s de/' univers conceptue/ occamiste. argument , qui voquent deux caracteres du nominalisme moderne:
La crise de 1474 est-ellc mieux taye sur le fond? On peut en professer 1'ontologie la plus conomique possible et pratiquer
douter. On connlllt certes ses premiers pnilagonistes, notmnment le assidOment 1'anal yse logico-smantique .
rOle jou par le confesseur de Louis XI, Jenn Bouchurd, futur veque Le paradoxe de la querelle des universaux est que, en bonne
d' Avranches, dans les runions destines a prparer le document du logique, e 'est prcisment ce nominalisme-la que le roi devait inter-
___ J:r_ f11<!~Mai~ _si _I~s_<:onsquences en sont tangibles (retirer les livres dire s'il y allait vritablement du nominalisme dans la condamnation
des Nominaux des 1Jillotl1equcf oU, nu-
moins; -les Clouer aux __ _ 1
ctes-nomtnulistes~0r-c esttoutde-contrairequi-se-pFeduiH-l-'-intrdic
pupi~rcs pour en cmp~d1cr In consultntion), les nltcndus de \'6t!il de lion cst phllosophiquemcnt muelle, et c'est le plnidoyer qui, pour y
Senlts reslent doctnnalement vagues : un soup9on d 'hrs1e flotte faire piece, nonce le seul vrai programme nominaliste figurant dans
que n'nrgumentc nucune nccusntion prcise: on se propo.~e ele ('ensemble du dossier.
constitucr tiiW conHnission ehnrg~e d'cxnmincr les contenus, mais, Cclle im:ohrcnc:e montre les limites des sc.:nnrios historiogrnphiques
ennllendnnt, on .~e eontcntc de renouvcler le serment di! 1J41. Qunnt el l'cxtruordinuirc umbigu'(t i\ luqucllc nttelnt l'histolrc c1lc-m~nw
aux raisons qui l'ont que Louis XI revient par la suite sur sa dcision, quand tous ses acteurs jouent a contre-emploi. l1 est des cas ou le cen-
seul le prvot de Pars et le recteur en ont eu connaissance, mais par seur fait exister ce qu'il dnonce- les condamnations parisiennes de
oral ( Monsieur nostre maistre Berranger vous en parlera de bouche 1277 en sont un be! exemple 289 La querelle des universaux est une
plus au long et de en uses qui mcuvenl le ro y i\ ce fnirc ) - en ce nutre so11e de fiction. La, c'cst l'accus qui, face aun reproche impal-
sens, le procureur de la nation pie arde rsutne bien toute 1' affaire pable, nonce pour se dfendre les prncipes m8mes qui, ul'poquc
quand i 1 crit que le roi a interdit la doctrine des Nominaux en moderne, serviront aexpliquer non seulement sa condamnation, mais la
1474 pour des raisons prcises (certis de causis) et qu'il a lev l'in- totalit de la squence entame en 1339. En fait, le plus remarquable de
tcnliction pour d'nutrcs misons plus prciscs cncorc (('('rfiorifms cctte querelle est que les univcrsaux n 'y tiennent aucune place.
aliis causis) . Reste que l'dit royal lnterdit bien lout un eourant de l1 y a done un dcalage complct entre les vnemenls universitaires
pense, le nominalisme dans tous ses tats, et non plus la seule et les enjeux philosophiques de la querelle entre les nominalistes et les
secte d'Occam ,non plus al'universit de Pars, mais dans tout le ralistes. La doctrine interdite par Louis XI n'est pas la doc,trine
royaumc el toutes les universits. nominalistc eles universaux; le nominalisme rtabli en 1481 n'y rcn-
Le nominulismc cxplicitcmcnt pmhlb en 1474 n-t-ille moindrc voic pus dnvuntugc; quunt uIn scule piccc doctrina le du dossier, le
rapport avec les theses occamistes censures aPars au xtve siecle? Mmoire de 1474, notre perception du nominalisme nous imposerait
1\ lirc les doeumcnts disponibles, fortc esl de constntcr que, si rnpporl d 'y voir un tmoin ncharge alors qu 'il est le seul appel par la dfense.
il y a, il est philosophiquement tres indirect. En fait, le principal Que conclure de 'cet imbroglio? Nous risquerons une rponse : la
tmoin drll'trinal <ll' 11174 n'cstm.~ l'dit de Rl~nlis, nwis le Mcfmoin querelle des univcr!inux n'est pns un pisodc de l'histoirc curopcnnc
utlress Louls X l pnr les nom nnllstcs pnrlsiens. Cclle upologie du c:ul ponctucllemcnt 1'nutomne du ~oyen Agc. C'est un mouve-
nominalisme rdige par un groupe de professeurs frapps directe- ment de fond, interne au dploiement conflictuel des deux mtaphy-
siques qui se sont disput la conscience philosophique nu long de la
translatio studiorum: le platonisme et l'aristotlisme. C'est aussi, par
288. Cr. W. Courlcnay & K. Tnchnu, Ockhnm, Ockhamists, nnd thc English-
Gcrman Nation al Paris, 1339-1341 , llistory of Universities, 2 (1982), p. 75-79 el
W. Courtenay, The Register of the University of Pars nnd !he Stntules agninst lhe 289. Cf., sur ce point, A. de Libera, ?enser au Moyen Age (<< Chemins de pen-
Sciclllia Occamica , Viwu'ium, 29 ( t991), p. 47-4B. s~e ), Pttris, d. du Seuil, 1991.
432 433
La querelle des universaux /,r/ rlo/utinn du XH"' siclc/e
le fuit ml:nw une crise interne u J'uristutlisme. Par deux fois le bert le Grund (primi Parisiensi.1 doctrinae Alherti rc.\'1/,\'citall~r. sclon
Moycn Age y' a mis son empreinte propre, uu XII" et uu XIV" siecle, e.n le mot de son lcve Heimcric de Campo), il reprend l'~ssentl~l de 1~\
recomposant achaque fois !'ensemble du paysage. Ce quise produ~t doctrine albertinienne des universaux. Dans le De umversa/1 rea/.11
au xvQ siecle sur le terruin institutionnel est d 'une nutre nuture : 11 compos entre 1406 el 1418, il dveloppc principal~mc.nt la tl.l?nc
s 1 ugit de pouvoir el de relations de pouvoir au sein de l 1espace uni- a
des diffrents tats de l'universcl. Pnr rapp011 ses lomtamcs ongmes
versituire europcn. De ce point ele vue, la piece centrale du disposi- ehez Ammonius ct les commentateurs noplatonicicns d 1 Aristotel le
tif est et reste le serment antioccamiste de 1341, car, de fait, ce que theme a cependant beaucoup volu. Avec Albert, il s'est lest~ de toute
ralise l'interdictionde 1474 est cela meme qu'ont ralis, chacun l\ la mtnphysique du U/)(f' d( causis. Jenn prolonge l'ense.tgn.emcnt
. sa maniere, tous les adversaires du nominalisme au xvc siecle : le d' Albert en imposant la classifi.cation des qt./{/~re ta~s ~le 1 umversel
retour aux scolastiques du xm siecle appel de ses vreux par le ser- que celui-ci avait f'ini par substttuer aux trm.~ etats cltsttngus par l~s
ment. Revenir, en somme, a la saine tradition de l'aristotlisme, a la noplatoniciens, Avicenne et Eustrate de N.tce. Comm~ Albert, tl
doctrine des temps anciens, saine et sure , ceBe des Averroes ( !), ddouble done J'universel a~ te rem. Le pre1.n1er tat (= ~~mversel ~n!e
Albert le Grand Thomas d 1 Aquin 1 Gilles de Romel Alexandre de rem-1) est l'etre iclal eles umversaux qut extstcnt dans 1 mtellect dtvm
'
Hales, Scot et Bonaventure . L'lment rel de la querel 1e n ' est
(esse ydeale et in inte/lecru c~use pril!w).: c'estl'u~1iversel selon Pla-
peut-etre pus, dans ces conditions, la sententia de praedic~bilibus, ton, la Forme spare du senstble, mms sttue en Dteu, s~r le mode ~e
mais la querelle des Anciens et des Modemes, et son prodUlt le plus l'Ide di vine, cause paracligmatique eles tants; le deuxtcme. (= um-
imrndiut la naissancc d'une 1rcmiere no.\'f'o/astiqm. vcrscltlltft' l't'llt2) est I'Ctro dll plll'l'ltl~111l ltttolh:~~tul.!l. 1111 lonucl ?'
C'cst elle llU 'i11staunmt J;s le dbut des unncs 1400 les ucteurs prsent par les formes intelligibles prises clans la lU!mere .de 1'I.n~elh
du retour a la pense du xme siecle : les no-albertistes, avec leur gence sparc d'ou. elles manent: c'.cst l'univcrsel des p~tpatttctens,
chef de file, Jean de Maisonneuve. C'est done avec eux, et avec les autrement dit l'umversel selon le Ltvre des causes, celut des formes
ralistes de Prague, qui relevent du meme univers pistrnique,
mnnes dont chaquc t< Tntelligence est rem1~lie .~es d~ux premiers
meme S1 ils prcnnent Ul1 parli thoriquemcnl ppoS 1 que S 1\Ch~VC
1
a
types d'etrc corresponden! ce que la tcnmnologtc anctenne, trans-
philosophiquement notre pnrcours.
misc par Avicennc, eOt nppel thologiqucs. J~an se conte1~t~ de noter
que l'universel ante rem-2 a un esse metaphysu:um. Le tr01ste111e tat,
dans 1'ordre de l'munal ion, est physiquc, e 'cst 1~trc <~ forme! et
I.e no-albertisme tlu xv siecle form -celui de l'univursel constdr duns l'tant smgultcr,lc mul-
tiple o u la matiere : 1'universel in re d' Aristo~e, interpr~ com.me
S' il fallait s' en ten ir aux aspects institutionnels, le no-albertisme fonne mane dans le monde eles corps. Le quatneme est logtque, e est
apparaltrait comme l' accomplissement forme! du serment de 1341.
l'etre psychique ou abstrait- celui de l'universel r.rsent intentionnel-
Adversuire uchnrn du nominulisme bmidanien 1 le chef de file de
lcmenl dans l'fimc humainc qui l'a tir du scnstblc par un acte de
1
l albertisme parisien, Jean de Maisonneuve est, en effet, le premier a connaissance abstractive (in intel/ectu abstrahente), celui del 'univer-
prutiquer en grand. un antinominalisme ordinaire fond sur la tech-
nique du boycott, refusant de disputer avec l'adversaire pour le neu-
a
sel post re m, dernier dans l'ordre de la genesc. Grace cette quad.ruple
traliser dans le champ de l'institution. Ceuc.politique de l'adion 11011 distinction, Jean pense pouvoir dpasser et intgt:er a h~ fois 1~ p~)lllt de
vue dcs llllii1illllistcs, "pkuricns litt~(I'IIIIX " qut r~d111scnt 1 IIIIIVl'l':~cl
eommunil:utiunocllc cst ccp~.mdunt double d'un lnhmutlon thu- n un sintple eonccpl ubstmit, unji'gmellf/1111 conecptuel . ou une llc-
rique. C'est elle qui nous intresse ici. tion dans la prcmicre tcnninologie d 'Ckcam, et le po.mt. l~e vuc, des
Formalizantes- notamment Jrome de Prague -, ass1m1les a d au-
.Jcan de Maisonneuve ct les pi(.'uriens /ittraux thentiques partisnns dt:s lcles plnt?nicien~1es. ~omprises commc uni-
es
Multrc arts ul'univcrsit de Puris en 1400, membre de la nntion
vcrsaux doublcmcnt spars et cxtstant atnst 111 re C'XIm Deum, la a
fois hors des singuliers et hors de l'intcllcct divin .
picarde, Jean de Maisonneuve a men 1' essentiel du combat antino-
Pour Jean, les premiers et seconds modes d'ctre de l:un~versel pe~
minaliste. Premier aavoir renou a Pars avec 1' enseignement el' Al- mcttent de renclre eompte elu statut transccnclanlal de 1 untvcrsel vat-
434 435
La querelle des 1111iversaux La rvolution du XIV' siecle
nement postul par les platoniciens: le mode spar ou idal (= un- lui-meme secundum a/iud esse. Ce qui est commun aux deux courants
a
verse! ante rem-1), fait droit l'idalit de l'essence, mais en lui don- de l'albertisme, l'ancien et le moderne, c'est done la dtermination de
la prsence causal e de l' universel daos la totalit de ses effets qui ne
nant pour source In pense divine - idalit et pouvoir causal ou
exemplaire sont la synonymes; qunnt nu secoml mode d'ctre (= uni- son~ rie!1 d'a~tre que l'~ss~nce de ce prncipe selon un etre dTrcnt .
versel ante rem-2), il assume une actunlit formelle de l'universel cau- A l afflrmat10n de D1etnch, selon laq'uelle l 'unit o u intention
sal et caus, mais hors du singulier, dans la lumiere de I'Jntelligence unique, de l'univers est l'essence mme du Premier Prin,cipe qui existe
mdiatrice, hypostase formelle de J'intelligible selon Albert le ~n ell~-111me selon la proprit de sa substance, mais est diffusc
Grnml. Quant lllt quatricmc modc, il va de .soi que l'm1iculation d'une mtentJOnnell<;:ment , dans les ames, et rellement , dans les choses,
doctrine mnnatistc de 1'universcl ante re m et in re nvcc une thorie de selon sa vertu ou puissunce cnusalc 2'10 , correspond ainsi In thesc
l'universel post re m pose auttmt de problemes au xv~ si cele que n 'nvnit de Jeun de Muisonneuve, pour qui duns son cssencc, 1'universcl n 'cst
cess d'en poser l'articulation de l'intelligible et du sensible au no- qu'un, bien qu'il puisse etre dans l'ame, dans la chose et dans soi-
-platonisme-eHiu-r~ripntsme,-depuis-ln-fonnulation,J_'nbund_~s meme sel~n trois sortes d'tre. La consquence de cette doctrine est
lllllltipk's mr.\lllliOI'phoscs du mnd~lc tk SyrhllliiS, CollliiiCIIl C()JI(:C- quc-Jc-qun1ncmc-tnlcle-J-'universel; -1-'universehlans-1-'1\me,-n'cst-pas
voir le pnssage de l'universel man dnns In chosc lndividucllc lll'uni- pens [JIII' tul sur 11.1 modc nomlnnlistc de l'nbstl'llction, Ln th~sc de
versel post rem compris comme universel abstrait? Le probleme est Jean est que ce que les nominalistes interpretent ul'aide de la thorie
dirimant, car il ne .s'agit plus seulement de passer de I'universel abstrait a,ris!otlicienrye de 1' ~.bstraction est, en r~alit, le fruit du fait que
a la Forme spare par l'intermdiaire de la forme psychique, autre- 1 ame humame est 1 mstrument de la lmmere de la Premiere Intelli-
ment dit de 1'univcrscl d' Aristote u1'universel de Plnton, comme e hez g~nce , qu'elle est ce en quoi 1~ Premiere In!elligence dverse (inve-
Syrianus, mais de suivre le trajet in verse et, si l'universel post re m est htt) ses formes selon la capactt de rceptwn du rcepteur . En
bien celui des picuricns littraux, de passer de 1'universel thologique mettant a la meme place forme mane et concept abstrait, Jean se
du pripattisme grco-arabe au concept abstrait de Buridan! La contente de)uxtapos.e~ ce dont Syrianus avait essay de penser la
rponse de Jean cst cmbarrnsse, mais le prncipe directeur est clnir. genese par l ~ntermd1mre des f<;m:nes psychiques mobilises par l'uni-
Si l'universel a diffrents tats, e 'est qu 'il est numriquement un versel abstra1t en vue de la rmtmscence. II ne pose pas meme le pro-
a
quant l'essence (unum numero essentiae) et qu'il ne se trouve en ~leme que se posait,Avice~ne, qui l'avait conduit au platonisi)Je
lui-meme, dans les choscs et dans l'fime que paree qu'une seule cause, mconsquent dnonce par Gtlson: se prparer par l'tude du sensible
snvoir In Lumicrc <k~ l'intelligcnce, l'y n mis. C'est done pnrcc a la contemplation de l'intelligible man du Donateur des formes. Il
qu' un seulagent cause l'univcrsel , Ju Prcmlcrc Cuusc, que J'uui- so contente do luisser ente miro que les nominulistcs intcr~retcnt h tort
versel ante rem-1 (antrieur selon le temps et la nature) est panch comme abstraction ce qui, dans hi ralit, est une manat10n.
en lui-mme , c'cst-u-dire dans l'univcrsel ante rcm-2 (antricu1 C'est s~1r l'intcrprtation ele ce quatrieme mocle, laiss en quclque
selon la na tu re mais pas selori le temps), autrement dit produit /'ex- sorte osc.lllan~ entre l'abstraction et l'manation, que le disciple de
tl1it11r du Prineipe, poli!' s'l~pnnchcr cnsuitc tlnns les t:host~s. puis dnns Jem~, He111~enc de Campo, va paradoxalement nffirmer, l'originalit
l'intellect, ou seul son etre change. Les trois degrs de l'tre de l'uni- de 1 nlbcr!lsme 11011 seulcment par l'llpport nu nomlnnllsmc burida-
versel man sont clone: en lui-meme, l'etre d'essence (esse essen- nien, mais par rapport au thomisme.
tiae); dans les choses, l'etre d'existence actuelle (esse actualis
existentiae); et dans 1' ame, 1' etre intentionnel o u de ra son (es se Heimeric de Campo, ou Albert contre Thomas.
intentionale s ve rationis) encore appel etre amoindri ( esse dimi-
nutum). Cette diffrence dans l'etre, prservant l'unit d'une seule a
N en1395 Zon, dans le diocese de Liege, Heimeric Van de Velde
cssence fonde dans la causa lit d 'une unique Cause agissant unifor- tudie aPars dans les annes 1410-1415, sous la direction de Jean de
mment (e 'est-i\-dire, en langage dionysien, duns la fonne de 1'un) Maisonneuve, puis a Cologne, ou il est bachelier bibliste en 1423,
est un theme commun aux no-albertistes et aux noplatoniciens alle-
mands de la fin du xve siecle, qui, comme Dietrich de Freiberg et Ber- 290. Cf. Dietrich de Freiberg, De cognitione entium separatorum, 79, 3, d. Stef-
thold de Moosburg, soutiennent que l'unit du cosmos est l'Un fan, in Opera omnia 11: Schriften zur Metaphysik und Theologie ... , loe. cit., p. 242.
436 437
La querelle des universaux La rvolution du XIV' siecle
maitre en thologie en 1428, vice-chancelier en 1431 et recteur en totlisme albertino-thomiste , a imprgn toute la noscolastique.
1432, nvnnt d'enseigner uLouvain upartir de 1435. C'est uColognc, Le poinl forl du Traclallts problematicus cst le rupprochcmcnt
dans le cadre du Wegestreit (querelle des voies ) o u s 'affrontent opr entre le ralisme de Thomas el' Aquin etle terminisme nomina-
les tcnants de la 'voie uncienne' et ceux de la 'voie moderne', que se liste. Rcprenant aJean de Maisonneuve la quadruple distinction entre
a
situe sa principale contribution l'histoire de la querelle des univer- etre idal, etre intellectuel forme!, etre fonnel form et etre abstrait,
saux. Cette contribution est place sous un signe inattendu : la lutte Heimeric al taque Thomas sur un poinl prcis, In sourcc ou origine de
conlrc le rulisme dil nujourd'hui modr de Thomu; d' /\quin y l'univcrsnlit : pour 'l'llonlas, 1' inlcllcL:l llltlllllin; ])()lll' A lbcrt, l'lntul-
joue un rle plus important que la lutte contre le nominalisme. Avec lect divin. Si, dans scs nnalyses, Hcimeric cst souvcnt proche d'une
le no-albertisme continental, et les trois places fortes que lui batit vulgate raliste de stylc ulbertino-avicennien (l'esscnce ou nature ante
successivement Heimeric, Pars, Cologne, Louvain, la querelle rebon- re m a son propre etre, 1'esse essentiae, et su propre unit, la commu-
dit done uu scin du cnmp rnliste lui-memc, comme, quelqucs nnncs nlcahilitas, elle n'existe qu'in re, dans les choscs, et n'est universelle
plus tot, elle nvnit rebondi en Angleterre, nvec la critique de Scot, de que dans l'intellcct divin ou dans la lumierc cmprunte a la source
Wyclif et de Burley par les ralistes d'Oxford. La nature des pol- primordiale ), il sait aussi accentuer la dimension proprement alber-
miques internes au ralisme a ainsi fait autant pour diffrencier les tinienne de la thorie de 1'universel, soulignant notamment que, en la
traditions anglaise et continentale que l'adhsion progressive du rigueur des termes, In plumlit m eme des m mies d 'ctrc de 1'universel
Continent aux ralismes contre le nominalisme import d' Angleterre ne lui luisse d'uutre unit qu ' anulogique -a u sens de l'analogie de
(celui d'Occam) ou indigene (celui de Buridan). De fait, si la confron- provenance o u unit d 'ol"igine >>. Le rulisme de l' es sen ce s' inscrit
tation des univers mentaux de Buridan et de Jean de Maisonneuve, done ultimement chez lui dans un manatisme intellectualiste oii,
que tour spnrait, tnit belle commc la rencontre fortuite d 'un para- comme chez Albert, se combinent les multiples formes du no-
pluie et d'une machine 1\ coudre sur une table de dissecti~n, cel~e~~ platonisme: de Denys a Scot rigene (qu'il connatt par le Corpus
Thomas et d 'Albert, deux figures tutlaires du suppos an_totlrsme dionysicn de I'Ltniversit de Paris) en passant par l'aristotlisme no-
chrtien , semblait moins hasarde: deux mtaphysiques s'affron- platonisant el' Avicenne. C'est cet aspect de sa pense qui lui fait dfi-
taient, qui, de fait, partageaient un certain nombre de prsupposs. nir In logiquc comme une sciencc spculntive , rnmennnt les
Un 111cllunt uu jour le diiTn.:nd qui II'!IVnilluil Hcl!rclclllcnt les dcux signil'icntions udeH proprits dc lu rnlit dlcs-mCmcs ructibles l\
doctrines, Heimeric a mpos une problmatique que l' Angleterre a un Principe, la o, selon lui, Thomas, comme les nomnalistes, n 'y
ignore et que le Continent a tout fait pou1 neutrnliser. voyuit tu'une science prntique , munipulnnt des ctres de raison
Le point de dpart de la querelle colonaise des universaux est le (entia rationis), ou artefacts conceptuels (conceptus fabricatus).
1: .1 Tmcta/11,1' >roblematicus, gnlement connu sous lo titrc de Pro/JI e- Pondumentull! dans la doctrine d 'lleimerie est 1'idc que l'unit
mata nter Albertum Magnum et Sanctum Thomam ad utriusque opi- des universaux pcut etre considre de dcux points de vue, en tant
nionis lnte/ligentiam, conr;u par Heimeric duns les nnnes 1424-1425 qu'unit unalogue dans l'esse triforme de l'universel (inte/lectuale
et publi seulement en 1428. Texte de base des albertistes de Cologne, et formale.formale et formatum, in intellectu abstrahente) par rap-
enseignants ou leves de la Bursa Laurentiana, le co11ege albertiste de port a I'Gtre idnl de l'Univcrsel divin, et en tunt qu'unit numrique
1'universit colonuise, instrumentan! leurs polmiques uvec les tilo- dnns son esscnce. 11 cst done un par anulogie quoad es.w, et un en
mistes de la faction rivale, la Bursa Montana, le Tractatus proposait, nombre quoad essentiam. C'est une seule et meme essence simple
au nom d' Albert, une critique radicale de l'ontologie de Thomas. (par exemple l'humanit) qui donne l'esse, en manant (exserit)
D'autres ouvrages suivirent- notamment 1'/nvectiva, lettre ouverte d'abord l'etre ante rem, puis l'etre in re, puis l'etre post rem. En
adresse, en 1456, aux professeurs de Cologne -, auxquels rpondit le posan! sur cctte base que 1'univcrscl post rem a un etrc double, Hci-
principal reprscntant colonais de la voic thomiste, Gerhurd ter meric s' dTorcc de rsoutlre le probleme laiss irrsolu par Jean de
Steghen (Gerardus de Monte, t 1480), dont l'Apologia et, surtout, le Maisonneuve. Le premier etre de 1'universel post re m est 1' etre
Tractatus ostendens concordantiam sancti Thome et venerabilis dit matricl - une expression trompcuse dsignant l'etre de l' es-
i\1/Jerti in multis in quihus dic:tantur esse c:ontrarii murqucrcnt les pece i11tclligihle, m:L:idcnl intcotionncl de la prcmicrc espcce ue In
dbuts de lu Jectur~ consensuellc, qui, sous le vocuble d ' uris- qualit, qui informe u litre d 'ha/Ji tus l' intellcct possible. Le second
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ta qllcrc/lc drs 1111iwrsmtx La rvolution du XIV' sieclr
ctre de l'universel post rem est t'etre dit f'ormel , qui fnit de lui Mais le clbat dpasse jusqu'i\ l'antagonisme des artistes et des
une nature prdicable de plusieurs. Les deux pourtant manent de tho1ogiens pour rejoindre le camp meme des philosophes . Tout se
l'cssence simple. pnsse en effet commc si, en revendiqunnt pour Platon, ses successeurs
unmdlats et ses succcsseurs prngois plus lointnins, un monopolc de
lu sugesse conf~Sr par In connnissancc de la doctrine des Idcs, Jrme
Retour aPlaton : ]rome de Prague et le ralisme tcheque attaquait aussi 1'aristotlisme dominant de fait dans les facults des
arts; On comprend mieux a ce compte que Jrrnc de Prague nit dO
Ln philosophk tl'heqm n conn11 divcrs l'OIII'IInls. SI le plntonisme sub1r les uttncues convergentes des philosophcs de Par)s ct de J Jci-
semblc y nvoll t nussl di.'ICI'Ct que dnns le reste du monde mdl- dclbcrg, qul nc Rupportnlent pus qu'il truitlll des ldcs dlvlnes mur
val, il faut faire une exception pour Jrome de Prague, qui, apres des remettre en cause les thories de l'cole buridanienne, et, d'un autre
tudes a Oxford et Paris (o uil enseigne en 1405-1406) et des sjours cot, celles du thologien Jean Gerson, qui voyait en lui un scotiste-
a.-eologne-et a- Heidelberg, a-pa~-desa-\Lie 1'attacl1ement qu'iLgor- __ _ ~ormalizans introduisant une distinction formelle en Dieu.
tnit u la_ doctrine de Plnton, roi des philosophcs , Arrct une prc- Parmlles rcuvrcs aeTr6me, aeux textes traitcntpniCU!icremcnt
miere fois et jug a Vienne en 1410-1412, e' est au concile de des universaux, la Positlo de unlversa/ihus, de 1406-1407, et la Quaes-
Constance, oi'l il s'tnil rendu, muni d'un sauf-conduit de l'empereur. tio d~ u.niv~rsalibus: de 1409. L~ premiere ;appelle, dans son intitul,
Sigismond, pour dl'endre Jenn 1-Ius, qu'il est de nouvenu arr~l, puis . les d1stmct10ns de 1 cole nlbert1ste (y n-l-11 des Formes universellcs
jug, condamn i\ mort et brOi, le 30 mai 1416. ~ui ne sont ni formes ni formables ?) ; la seconde baigne plus nette-
Le platonisme de Jrme est videmment un platonisme indirect,--- . ment dans le lexique platonisant (est-il ncessaire de poser des uni-
largement dpendant d' Augustin et de sa Quaestio de /deis, insi versaux rels pour fonder 1'harmonie du monde sensible?). Comme le
que des sources mdivales hnbituelles et de Wyclif lui-mcme. JI est systeme d'J:Ieimeric, mais avec une prfrence avoue pour le sup-
toutefois clnir que, che~ lui, l'nutorit d'Augustin ne vient pns, pos ~lato111smc de P/aton, le sys.tc~ne de Jrome fnit la synthcsc de
comme de coutumc, garantir cclle de Platon, muls qu'uu contruirc mut~nnux ht6rogcncs. On pcut 1ct pnrlcr de systcmc, non nu sens
elle se justifie d'abord par son appartenance i\ une 'cole' juge occ.amiste, ou la ~onstruction de la pense passe en partie par l'limi-
seule capable d'enseigner connailre et i\ contempler les universaux. natiOn, In rductwn ou la refonnulation de donncs traditionncllcs,
Posnnt que nul n'est philosophe s'il ne conna'it les universaux, mais en un sens diffrent ou, pour mieux dire, oppos, puisque la
Jrl'lme IHllltlent done snns nmhngeH que l'l'eole plntonieltnne eHI In constructio!l <!e l1! thoric pnssc 1111 <.:ontrnirc pnr lntotnlisntion cn~lo
seule vritable cole de philosophie (Kaluza, 1994, p. 88). 11 y a ainsi bante des cllstmctions et des langages conceptuels antrleurs.
chez tui un militantisme platonicien doubl d'une revendication sta- S' appuyant sur la complexe structure du systeme des universaux
tutairc qui, combins, expliquen! Sat_1S dout~ son infortun.e. D~ fail, bfitie par Wyclif, JrOme orgunisc les rnlits en deux systcmes
comme toujours au xve stccle, la vrmc qucstton esta la f01s phtloso- paralleles : les formes exemplaires >> et les choses exemplifies
phique et instilutionnelle.. En faisant profession de platonisme, ou drives. Les premieres constituent les universaux formcls
Jrome s 'oppose aux thologiens et a 1'interdiction faite aux philo- incrs ; les secondes, les universaux matriels crs, les uns et les
sophes d'ouvrir la facult des mts a l'enseignement des ldes. Tcls autres tant diviss en un universel supreme (suprema forma) et en
que les dcrit Jr6me, les thologiens de Prngue, la Facult sup- formes communes. La forme supreme incre est identique au
rieure ,se sont nrrog In question , muis les<~ mtistes sont ~l'au monde nrchtypal, c'est-a-dire a l'essence divine contenant les Jdes
tant plus fonds a s'y engager aussi que, contrUirement a eux, lis se et dont l'unicit exclut a priori 1'hypothese d 'une pluralit des
font gloire de connaltre des choses et non seule.ment des mots, d~s mondes. Ln distinction entre les Ides et l'essence divine est for-
univcrsnux in re, et non de simples termes prdtcnhles. La rcvcnclt- melle, ce qui, clans le languge wyclifiste, signifie une distinction de
cutlon tmditionncllc du rullsmc, R'ndonnct sl!ul h lu scicntia reafis, mi son. LnJormc suprCmc dnns le monde cr6 est 1' tnnt nnnloguc
non a la scientia sermocinalis, a la connaissance mtaphysique et (ens analogum), qui est l' esse primum creatum du Livre des causes
nnturclle, non i\ln simple logique, 1\ lnqucllc les nominnlisles resten! (IV, 37), Les formes ou rnisons communes (gcnrcs et espcces)
confins, retrouve done, via Plnton, une nouvclle vigueur. n 'ex istent pns hors des singuliers, cependant Jeur l!tre ne vient pas
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/.(/ (/111'/'l'llt t!t',\' tllli\'1'/'.l't/11.\' Conclusion
fait la physionomie de cet vnement 294 , n'a rien a voir avec la conscrit par 1'intitul querelle des universaux , il ne suffit done pas
situation simple que dcrivent les thoricicns de l'induction abstrac- de chercher les principales rponses mdivales au probleme des uni-
tive pour expliquer avcc Locke le processus de formation des ides versaux, pour les reconstruire ou les rinterprter ensuite en termes
universelles el des termes qu'on emploie pour les dsigncr 29~ . On nc contemporains, nfin de les mesurer plus efficnccmcnt aux vues pr-
peut nier pour autant que, chez Occam, la fonnation d 'un concept sentes : il faut d' abord ten ter de dcrire comment, par que !les tapes
spcifique ne rclame rien d'autre que I'apprhension d'un seul indi- et sous quelle forme les multiples questions qui se croisent sous cet
vidu, ce qui- quelles que soient les critiques que I'on peut adrcsser a intitul sont venues a la pense, quels modeles les ont encadres,
sa version du phnomcnc, i.e. i\ In thcsc sclon lnqucllc In prcmicrc structures ou dplaces, que! type de coherence cl'ensemble elles ont
connaissnnce abstractive cngendre par l'npprhension directe (intui- assum. C' est ce que 1' on a tent de faire.
tive) d'une chose singuliere est une reprsentation d'emble schma- L'altermitive entre la dmarche dite de reconstruction et l'his-
tique susceptible de s'appliquer a d'nutres choses de m5me type a toricisme relativiste, ou sont censes se dmnrquer !'une de !'nutre
losif~p1,1 i;it.ne~~~tti~qeT~ et~~ist~~~-~~~~ lll]t_~i~os()phie ~_,_t o~~~~ j~~ _
1 11 1 1
partir d' 1111 se1tl fthontillon- ouvre, r nvnncc, une breche dnns In _::,.pphropi
--moriecltisslqoe, ft-cum:ulmi ve~u<rl ,,., "' }, , u uCS 1011, RUJOUI'u lUI alh agiT e, ue a {fUuUC
plus qu'en rsolvant ainsi le futur probleme de la formation des tibilit ou de l'intraductibilit, selon les poques ,des schemes
ides gnralcs , Occam donne uneversion a In fois nouvelle, par conceptuels dans l 'idiome d 'un nutre scheme, ne se pose tout
l'pistmologie qu'ellc implique, et nncienne, entnnt qu'elle le refor- simplement pas, la oii, justement, la traduction continue, la trndi-
111\lll, du prohll'nw lniss (1L'Ildnnt pnr /\rlstoto dnmr lo lkrnlcr clrn tlon >>, I!St, !!l elle! Ncule, ce qui permet nux probl~mes de nnttre t!l dt!
pitre des Seco11ds A11alytiques. La conccption des universaux que trouver leurs configurations propres.
cherche a laborer Occam n'est pas celle de Locke: ils ne se sparent Il n'empeche que le premier rfrent du discours sur les univer-
pas toutefois dans leur lecture de Porphyre, mais dans leur analyse saux, en tant qu'objets thoriques, esta la fois toujours le meme- il
respective du probleme de 1'induction abstractive lgu par Aristote. s'agit d'abord des genres et des especes - et toujours diff-
Que la notion d' allongemcnt du questionnaire formule par rent - car ce qui est vis par ces termes est toujours prcisment
P. Veyne soit plus proche de la thorie occamienne de la connaissnnce abord soit comme des termes, soit comme des mots, soit comme des
nbstrnctive que de la philosophie clnssiquc des resscmblunces montre choses, soit comme le probleme m8me de leur statut et de leur rela-
en que( sens, sur ccrtains poinis pr6cis, 1' Age clnssique fait crnn a la tion. La seule mthode qui permette de ne pas faire violence aux uni-
permanence de schcmes de pensc qui n 'ont, pour nutant, rien a voir vers pistmiques oii prend un discours situ dans le temps est alors
avec une quelconque forme de philosophia perennis. La dure histo- de considrer que les penseurs, a chaque poque de l 'histoire situe
rique du probleme des universaux n'est pas automatiquement Iie a entre les annes 500 et 1500, instruisent leur propre univers en rpon-
l'intcrrogntion pcrsistnntc sur le stnhtt des genres el des cspcces : chmt ptemierement i\ In question qui regle tout trnvnil philosophiquc
elle ostmultlfot'lllc, nHtiN, dnns In dlvetslt de sc!llcmps, die pruucdc duns l'Antlqull tnrdlvc comme.uu Moycn Age, In dtermlnnllon du
d'un complexe de problemes eux-memes diversement accentus- crxorr6c des textes canoniques sut lesquels s'exerce une activit
dcpuis 1\ristote, l'nhstrnction cst de ccux-li\, conc;:uc nvnnt tout comme une cxgcse. Pour urriver 1\ l'espuce dejcu
Le prohlemc des univenwux n'est done pus ''un prohlcnrc trndi- thorique ou se pose le problcme des universuux il fnut, nu prnlnblc,
tlonnel >> dont les rponscs, la rnllstc el la '' nomlnnllstc , nous nffronter tu questlon de 1'objet des Catgorles: les premiers mots
seraierit dja connues. La traditionnalit m8me du probleme esta ta- (<j>W\I<Xl), les pretniers noemes (\lltJ.<XT<l) OU )es pretniers
blir, adcrire, aanal y ser dans tous ses tenants et aboutissants, et, sur- tants (ona), telle que 1'ont affronte les noplatoniciens, car e 'est
tout, 1'unit meme du rseau ainsi dnomm esta questionner, le cas dans l'laboration de cette premiere donne que se forgent la fois a
chant ntonstmirl'. Pour accdcr nl'univers de pcnse mdivnl cir-
296. Cf. P. Engel, ''La philosophie peut-elle chapper a1'histoire? ,in J. Boutier
294. Cf. P. Veync, Le Quotidien el 1'/ntressant. Entretiens a1ec Catherine el D. Julia (d.), Passs recomposs, Paris, d. Autrcmcnt, 1995, p. 96-111; el
Darho-Peschanski, Pnris, Les Bclles Lellres, 1995, p. 172-175. Cl. Pnnnccio, De la reconstruction en histoirc de In philosophie , Cahiers d' pist
295. Cf. J. Locke, /\.l'.l'ai .wrl' t'IIIC'IIdtmentll/lmaln, 11, XI, 9, moloRie, n t R9, Unlversll du Quhce 11 Munlrnl, 1994.
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patticiens , etlcs Formalizan/es celle des platoniciens . Dans le dont traite la psychologic- en fuit, iln 'appartient au logicien que de
dialogue impossible des inventeurs de la premiere noscolastique et marquer le lieu d 'o u procede la triple revendication qu 'levent sur
des tenants de la via moderna, dont le boycott des nominalistes lui les disciplines, en posant, snns pouvoir le fixer sur une seule bnse,
orchestr pur Jeun de Mnisonneuve est la simple truduction institu- le probleme de la relation entre les mots, les concepts et les choses.
tionm~lle, pointe le clivage d'ou proceden! les deux truditions philo- Ce licu insnisissuble ou convergcnt tous les discours n'est pas direc-
sophiques, 1' analytique et la continental e, qui, de nos jours,
font revivre le premier divorce d'Oxford et de Pars: celui d'une 297. Ln dispuril d~:s rulismcs mdivuux nc s~: cumprcnd pas sans rfr~:m:c nux
philosophie de l' ana/yse et d 'une phi/osuphie des corpus. La vic- chumps d'noncs disponibles. Eux seuls permcllcnl d'cxpliqucr, pur exemple, les
toire de la seconde sur la premiere est probablemeht l'un des res- lluctuntions du tcrme 'plalonicicn' ou In coupurc passanl, au sri11 mme de la doc-
.i: sorts cachs de la Renaissance, car ce qui accomplit la critique trille des ldes, entre les rulistes qui, de pr~s ou de loin (plutt de loin - parfois
humaniste des barbares bretons , e' est aussi, voire d' abord, la memc, de tres loin), continuent le platonisme a partir de Platon ou de ses satellitcs
(Macrobc, Cnlcidius, le lmoignage des Pcres lalins ou grecs) el ccux qui prsentent
substitution du corpus platonicien en fin disponible acelui d' Aristote doxographiquememun poinl de vuc que l'on peut aussi qualificr de rnlisle et de
-un changement de rfrenliel. plalonicien , mais sans licn direcl uvcc Platon, puisqu 'il.dpcnd prcsque cxclusi-
a
Il y a done la fois des paradigmes et des transformations de para- vemcnt de la reconstruction critique donne par Arislote el Averroes. Ces dcux ver-
sions du platonisme corresponden! a deux poqucs distinctes dans l'histoirc des
digmes dans l'histoire du probleme des universaux. Les divers nomi- cur(>us: le ralismc platonisnnt, fond sur des sourL:cs plntonisanlcs, cuaclrisc les
nalismes qui se succedent ne rclevent pas tous du meme monde de ruiNIII<'~ d11 Xtt'' ~il'<'l< (ilntnl'ntc pnrlll'llcnl<~llt<'llllllllllim' 111)'<'11.-.'c d'Ah~lnnll: t.
!'esprit: le nominalismc d'Ahlnrd cst le fruit de In Loglca ''''/11.1', un plnlllnbtnc l'l'l'unstilu, luud Nlll' deM suun:cs pripntti<:h:nncs, se rcfll:untrc su11uu1
modele de l'aristotelisme ou s'esquisse 1'anatomie d'un corps com- nu XIII" sieclc. Les 1crmes 'platonisme' ct 'platonicicn' sont done quivoqucs, non
pas de plus de membres fantomes que de membres rels; le nomi- sculcmcnl paree que lcur contenu est diffrent, mais cncore paree que le premier pla-
tonisme a eu des panisans, tandis que le second n'avait plus que des historiens. Ce
nalisme d'Occam est une analyse du discours philosophique, un fruit cui spnre les dcux csl clone. meme 1111 Moyen Age, 11 In fois nffnirc tlt philosophic tt
de In Logica modemorum applique 1\ elle-meme. De leur ct, ks r'hlstolre.
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La querelle des universaux Conclusion
mise en place d'une question onto-logique: i\yo<; xotv<;, que l'on Or:t a tent ici, ~partir des Catgories, de montrer ce qui, de l'aris-
peut interprter et comme notion commune, selon le sens de Myoc- ' to~ll~me authentlque, reste, co~me fauteur de trouble thorique, au
formule, et comme forme commune, selon le sens de Myo~-forme. , pnr:tc1pe de tou~es l~s (re )platomsations d 'Aristote : ( 1) 1' ambigui't
Le rassemblement logique dont parle Aristote, vu par Syrianus, nattve du premter reseau tendu par Aristote pour capter l'entre de
ou s'opere le concept dit abstrait est Myo~. la cogitatio collecta l'oucr(o. dans l'espace onto-logique- le double jeu des relations
aJigue par Boece est i\yoc - eJie fait meme entendre en latn ~'inhrence, ev rroxetJ.v<p Elvm, et de prdication, xa~'
l'acte de rccucillir, de rcolter et ele poser que, suivant la double' UTTOXEt.t.VOU i\yE!J~O.L, OU s'amorcent en mcme temps la ncessit
entente nllemande du grec MyEL'V, i.e. lesen-lier et leRen-poser, Hei- ~ __ct;uh dist~nction e.ntre l'universel et le prdicable et l'impossibilit de
degger inscrit comme mot directeur, pour penser l'etre de ___ - s en acqllltter plemement dans le cadre de l'aristotlisme sans une
1'tant 298 ; mais le caractere unifiant et rassembleur de 1'uni: rforme radicale de la smantique philosophique et de la notique (2)
versel selon les noplatoniciens a galement trait au Myo~. tout la problma~ic.it ?e la thorie de la substance seconde, redouble' par
comme In thorie de In collection >> forge, 11 partir de ln,scule celle ele la cltstmctJon entre les deux sortes d'nttribution In prdication
1 1 '
Loglca vetU.\', pur Uullluume de Chumpeuux. Chuque purule tho- synonynuquc (?UVW,VU!J.Wt') ctln prdlcution puronymiquc, que le
rique mdivale sur l'universel est un avatar du i\yo<;, depuis la Moyen Age latm a ftxe daos la diffrence entre prdication essen-
ratio jusqu 'i\ 1'infelltio - In notioJ.l d' << intcnt ion pnrtnge m~me tiellc et prdication nccidcntellc; (3) la multipli~it des registres ou
explicitcmcnt J'nmhigu'lt originellc clu ?~.yor.: cornmc lui, elle s'nonce cette distinction, depuis celui, avicennl'en, de In distinction
osclllc entre le scns de forme>> (commc dnns l'cxpresslon entre prdlcntlon univoque)) el pricntion nomlnntlve jus-
l' intention d 'une e hose, intentio rei) et celui de formule qu' acelui, ultra-raliste, de la distinction entre prdication essentielle
(comme dans I'expression: l'intention d'homme est "animal- et prdication formelle chez Jean Sharpe; (4) l'extraordinaire poly-
rationnel-mortel-bipede" ) 299 , mais aussi de Ayo<;-forme et de val~~ce de la notion de denominatio, double latin de l'ponymie pla-
tomcten~e et de la paronymie aristotlicienne, aux divers croisements
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La querelle des universaux Conclusion
de la thorie de la prdication, de la thorie de l'intentionnalit et de relle des universaux . 11 faut etre nominaliste en histoire, non paree
t'ontologie formelle. que les penseurs auraicnt toujours affaire aux mmcs choses, muis
On u galement tent de montrer comment la mSme relation d 'in- paree que !'historien, qui u souvent affaire a des mots, a, en tout cas,
certitude parasitait et dynamisait a la fois les dfinitions aristotli- toujours affaire 1'1 des signes qui ont t des concepts, c'cst-i\-dirc des
dcnncs de l'univcrscl duns le De illternctatiolle, 7, 17u31J40 ucl<~s rl'l11'<'11tlls J'igumnl t:OIIIIIIl! tt~l'llws duns 'des proposilions IIICil-
( J'univcrsel est ce qui de nuture se prdique de plusieurs ),elles lales. Mais il faut ctre t~ussi ralistc, au sens ou les rseaux ou fonc-
Seconds Analytiques, II, 19 ( l'universel est ce qui est en repos dans tionnent ces tcrmd;; sont uutanl de strur.:tures qui subsistent
l"iime comme une unit en dehors de la multiplicit , rsidant une indpendamment du fuit qu 'on les ait ou non recouvres. Notre rela-
et identique dans tous les sujets particuliers ).A terme, le probleme tivisme se borne i'llenir que les problmatiqucs qu'ils instruiscnl sont
<.lbs universnux nous esl done uppuru comme celui de !u dlimitation distinctes, descriptibles el comparables, une fois dcrites. Nous ne
des statuts onto-logiques respectifs de la substance seconde et de doutons pus qu'il soit possible de dterminer ce que vise un discours
a
b'accident- un probleme inhrent la constitution meme de l'onto- philosophique : la question est de savoir par quoi nous allons le
logie catgoriale d' Aristote dans le rseau textuel form par les cha- cltcnniner- par les mols qu'il cmploie, les conccpts qu'il vhicule
pitres 1, 2, 5 et 8 des CatgorJes, un probleme indfiniment relanc ou les choses qu 'il dsigne? On a ici, autour de mots grecs, ara bes et
par la discordance des lments de doctrine transmis par l'Organon latins, prsent quelques rponses qui ne proceden! ni de choses ni
et la Mtaphysique. Un tel rsullat peut surprendre, car il semble de concepts, mais de rseaux autoritaires, de grilles d 'interprtation,
qu'on ait, chemin faisant, oubli a la fois Porphyre et la distinction, de modeles thoriqucs, de langages analytiques et de chmnps
toujours nctucllc, du nominulismc et du rulisme. On rpondru qu' il d'noncs disponibles. Le tout, un !'espere, compase un des rcits
s.'agissait ici de marquer une provenance -le diffrend Platon-Aris- possibles de la translatio studiorum ou, plutt, un prologue - celui
tote- et d'indiquer l'espace de ses inscriptions successives, celui a
de l'histoire laquelle, mimant lafonction de !'isagoge, la querelle
qui, par exemple, permet de dfinir ou, au moins, de qu_estionner la des universaux introduit, une histoirc que nous reprendrons
commensurabilit des nominalismes du xn et clu xrv siccle, uillcurs: l'histoirc des Catcl.:oric'.l'.
suns fui re 1'hypothcsc, unhistoriquc si non untihisrorlcnnc, qu' i ls se
rencontrenl dans une approximation progressive cl'un meme pro-
gramme philosophique dict par notre vision du nominalisme d'au-
joard'hui. Notre scrupule d'historien (P. Vignaux) nous conduit a
noser que les m8mcs mots ne dsignent pns toujours. les m emes
choses ou, pour micux clire, que la rcurrence des m8mes pro
bLemes ne fait pas Ja permanence des memes problmatfques. Il ne
s.~agit pas de dire qu'un Guillaume d'Occam n'eOt rien entendu des
theses d'un Ablard ou d'un Syrianus, sous prtexte qu'il pensait
dans un autre univers de discours, ni de soutenir. qu'aucun des trois
n'eCit t capable d'expliquer aux autres le sens qu'il accordait aux
termes qu'il employat: il s'agit seulement de comprendre que les
questions qu'ils posaient aux textes fondant leur pratique philoso-
Jl'hique n 'ont jamais t enterement ni rigoureusement superpo-
a
sables. C'est valuer ces carts, qui sont plus que des carts de
l'angage, que tend le parcours ici dcrit.
E-es universaux ne sont pas des ohjets lhoriques npprochs, nu fil
dt!s slcclcs, dc dlvcrscs llHllli~rcs. Cc so11L d 'nbord des trms figu-
rant clans l'nonc des problmatiques qu'ils conduisent ala pense.
Tcl' est, transpos sur le lcrrain de 1'histoire, le fin mol de la que-
454
N o te complmentaire
457
. _t_ .. - --~---~ , ______ ___,
et le commun: J'etre est commun a tout ce qui est, sans etre pour chez Thomas d'Aquin, une autre direction. Le seul moyen de rame-
autant un universel. A premiere vue, l'etre ressemble a un universel. ner l'etre a une certaine unit, c'est d'en faire un homonyme prdi-
L'universel est prdicat d'une multiplicit, et ne peut ainsi jumuis qu, dans la diversit de ses acccptions, par rapport un terme ou
etre ouola : ll est impossible que rien de ce qui est universel soit une nat11re unique: l'oucr(a, bref, un homonyme rduit, a l'homony-
oucr(o. , dit Mtaphysique, I, 2, 1053bl6, qui renvoie aux discus- mie limite. Ce sera la fonction de la thorie dite de l'ana/ogil' de
sions di.! lu substunce ct de l'ctl'l.! (c'est-iHiire i\ Z, 13). cr., Slll' ce /' ~tn. Qumtl i\ cr1 fairc 1111 siruplc altrihut uuivcrscl, prdil:ahlc dt:
point, le travail indit de L. Bauloye, Averroes et Thomas d'Aquin toutes choses sdon une memc acccption, puisque cela ne suffit pasa
commentateurs d' Aristote, Mtaphysique, Z 1 et Z 2. Traduction en faire un genre, cela ne revicnt qu'a en fairc un conccpt vide inca-
annote du texte arabe, Facult de philosophie et lettres, Universit pable d'ouvrir sur une communaut re/le: car, comme le signale la
de Liege, juin 1994. Or l'etre est un prdica!, puisqu' il est nonc:nble plmalit meme des catgorics, l'homonymie de l'etrc (l'quivocit
de toute chose. Done, comme le genre universel, illui esl impossiblc du mol 'etre') cst fonde dans ccllc des choses, qui nc so11t pus de la
d'etre une oucrl<x Cependwll, son universalit ou, plus exuctemenL, meme far;on. Or la mtaphysique esl, comme le diront les mdi-
sa prdicabilit universelle, ne permet pas de constituer un genre. vaux, une scfentia rea/is, une science des choses, de ce qui est, et
L'etre est certes commun a toutes choses (r, 3, 1005 a28), mais, non une science des concepts ou des signes qui les reprsentent. La
il cst a la fois trop commun et trap quivoque pour se boucler en tradition aviccnno-scotistc (univocit), la tradition thomiste (analo-
genre universel : il se dit de tout, mais cette universalit ne rassemble gie) se rcncontrcnt done, partir d 'Aristotc, dans un mcmc rejet de
pas, elle se disperse. L'etre se dit de diverses manieres selon la la conception nominaliste que les auteurs de la Via antiqua et les
pluralit des catgories. En d'autres mots: il se prdique de maniere auteurs du statut parisien ele 1340 (cf. infra) attribueront aOccam et
tellement univcrselle et son universalit cst tellement disperse qu' il a l'occamisme. Sur tes diverses acccptions de l'un transcendantal et
nc peut etre un universel. L'un est dans le meme cas. Les mdivaux la fonnation du systcmc des transccndantaux, cf. A. de Libera,
diront, pour cette raison, que ce sont des termes transcendantaux D' Avicenne aAverroes, et retour. Sur les sources ara bes de la tho-
(termini transcendentes). Il faut done distinguer la catholicit de rie scolastique de !'un transcenclantal , Arahic Sciences afl(/ Phi/o-
l'universel, qui cst univoque a l'intricur du gcnrc qu'cllc cortstituc, ,\'()(Jhy, 4 ( 1994), p. 141-179.
et ~u communuut trunsccndantalc de 1'8trc qui est quivoquc,
pursque 1'8tre est commun au scns strict ct limit ou il est prscnt
dans une pluralit de genres.
La these Re Ion Jaquel)e l'etre n'est pns un genre se pmlonge
done d'une maniere rsolument et explicitement untiplntonicienne.
Non seulement l'etre n'est ni une oucrlo. ni un genre, mais a/ortiori
il n'est pas une oucr(o. extrieure a tout genre. Comme dit Mtaphy-
sique, 1, 2, 1053b 18-20: L'ctre [Boulnois, 1992, p. 5 : 1'tant ;
Tricot, l'"t:tre ] lui-meme ne peut pas etre une oucr(o. en tant
qu'une certaine unit sortie du multiple (rro.pa Ta rroA.A., wzum
praeter multa)- on reconnait la formule des Seconds Analytiques
(contrairement a comme une chose une et dtermine, en dehors
de la multiplicit sensible, Tricot, p. 538) - car il est quelque
chose de commun [Tricot: a cette multiplicit ] et il n'existe
qu'en tant que prdicat. L'expression napa T. rroi\i\6. n'a pas le
meme sens dans les Seconds Analytiques et la Mtphysique. le, elle
dsignc le rrpo TW\! rroA.A.wv: l'univcrscl '' plutonicicn , wtte rrm.
Lu communaut de 1'8tre, qui n'est pus l'universalit uu genre, n'est
pas non plus celle de l'Ide participe. Le meme argument prend,
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484
)
lndex nominum
et glossaire
)
lndex nominum
Cel lndex comprend, outre les noms d'auteurs, de personnages el de sectes , les litres
d'ouvrnges anonymes ou de corpus. Les chiffres en ilalque renvoient aux notes debas de page.
489
--------------~--------"""""'
hu/ex nominum !tu/ex nomi1111111
236, 240, 245, 24H, 250-253, 256, 25H, Hmp<.locle, 369. ll<:lrm:ric de Cumpo ( Yun de Vclde), 2.54, l..ogica Mod<'I'I/IJI'll/11 (corpus), 'JU, 450.
262,265,266,269,270,277,281,283, tienne Tempier, 307. 262,435,437-439,441. Logica noa (corpus), 70, 121!.
285,289,291,303,304,307,308,313, Eustrate de Nice, 22, 137, 240, 242, 244, Helistae, 133. Loim Ut dicit (anonyme), 232-235.
315-317,319,321,323,325,326,329- 245,248,253-256,408,435,442,444, Henri Aristippe, 57. Logiat vetus (corpus), 70, 102, 136, 168,
331' 337, 344, 346-348, 367, 384, 385, 466. Henri d 'Unna, 430. 229,231,450.
39H, 399,410,425,435,437,439,444, ul-fOrfih!, AhO Nusr, 102, 106, 110-116, llenri de Gund, 203. 2fJH, :lO-313, 321, L.ouiH d!l Bu viere (cmpcrcur d 'Allcmnnc),
4~3. 457, 4B. IIKI20, 122, 123, 177, 178, IH\J, 197, 322, 476. 432.
Deno!t Xll (pape), 432. 2()0,225,252,25!!,259,468. llcnri de llurcluy, 215, 393, 396, 397, 403, Louis XI (roi de Frunce), 402, 429, 432,
Bemard de Chartres, 148, 149. Formalizan/es, 36,435,441,450. 481. 433.
Bernanl de Clairvaux (saint), 268. Fran,ois de Meyronncs, 287. Hem1ins, 107. Macrobc, 451.
Bcrlho1d de Muosbur, 244, 2Ci2, 436, 442, Oubrrclllicl, 23. llcrv de Ndcllcc (1 krvncus Nutnll~). Mnliro l'lcrrc (Ah~lnnl '/), 136, 147.
483. Oulien, 211, 325. 287,369, 4!!0, 4!!2. Mnrius Victorinus, 14.
Bocee (Anicius Manlius Severinus Boe- Oarland le Computiste, 146,256. Herv Le Brcton (llcrvacus Brito), 204, Marsile d'lnghcn, 23,254, 380,429.
cius), 14, 15, 22, 29, 30, 36,39-41,48, Oauthier Burley, 33, 35, 152, 165, 232, 418,478. Mnrtin de Ducic, 203.
50, 62-65, 69, 70, 76, 80, 81, 102, 124- 372, 393, 4()0-403, 407, 408, 410, 424, Hugqlin d'Orvietu, 23. M!lllhieu d' Aquasparta, 313-321, 323, 324,
132, 135, 136, 138, 143, 146, 148, 158, 426-428, 438, 479, 480. Ibn Bnjja, AbO Bakr, 208. 381,476.
159, 161, 164, 167-169, 171, 175,227, Guulhicr de Chnllon, 287, 403, 482. llm Guhirol, Sulomon (Aviccbron), 24K. Mdicltu~ell.l'i's, 133, 135, 140, 147, 158,
229,251,256,272,277,284,305,353, Gnuthicr de Mortngnes, 153 .. llltrud11c1iones Mu111anae maiures (uno- 160, 164, 167, 16K.
354,356,368,425,451,452,467. Grard de Crmone, 241. nyme), 135. Mnon, 51-55, 60, 99, 150, 413, 414.
Boece de Dacie, 203 . ., Grard du Mont (Gerhard ter Steghen, Ge- Isaac Comncne le Sebustocrator, 36. Mud('l'n/, 149.
Bonaventure (saint), 134, 246, 247, 434. rardus de Monte), 438. Isaac Israeli, 261. Modistae, 26,226,227,283,285,290,293,
Culcidius, 148, 157, 250, 451. ui-Giuw.nll, AbO llflmld, 2/H, 250, 46R. Jucqucs <le Ycnisc, 67, 70, <J5, <n, 2Y5, 2lJK, JO 1, :102, :1.~4. 3Ci~. 401, 44Ci,
r.'artll/,1/rt' dr 1' 1111/1'<'1'.1'11<' d1 /'or/.1, :1'/Cr, Clllhurl de l'olllurN (du In l'on~. l'mrotn), .11'1111 llou~hnrd. (dv~m' d' Avn!"~l.rl, l.ll. 17(1,
:179,485, 133,136,170-175,414,472. Jcnn Uuwlnn, 2.1, 2. H. 210, 3 74-.\KO, .IY8, Montan/, 1.13 160, 167.
Chrysuorios (Chrysaorius), 35, 128. Gilebenini, 133. 402-405, 425, 429, 431, 432. 4:14, 436, Nmsius d' mesc, 251, 265.
Cicron, 40, Gilles de Rome, 215, 225, 252, 393, 406, 438,442,483,485. Noplatonicien(s), 28, 35, 37, 40, 44, 77,
Clment d' Alexandrie, 48. 434. Jean de J andun, 287. 82, 92. 94, 102-107, 109, 116, 118, 119,
Collllllt'lltaire SI//' /' /sagofie (ms. Vienne, Gndcfroid de Pnnloint;R, 347, 476. ---- Jeun de Lu Rochcllc, 195, 269, 270. 123, 126, 153, IH3, 184,231,233,261,
ONn, VPL 24R6), 13S, 147. Oodefruid de Snlnl VLclor, 133, 139. . Jeun do MuiNonncuve, 2.54, 262, 3 7H, 434- 283,333,334,3~3.452.
Comme111111re Slll'les CafLigor/e.\' (ms. Arse- Oossclln (Joscclin) de Solssons, 15l.v~---- 4:19, 150, 485. NlcoluM d'Atllrccourt, 23, 484,485.
nal 910), 50. . Grgoire de Nysse, 251. --- Jean de Mirccourt, 23 Nicolas de Cornouuilles, 235, 236, 477.
Commentaire sur les Catgories (ms. Vati- Grgoire de Rimini, 23, 24, 165, 166, 205, Jean de Montigny, 429. Nicolas de Mouseholc (de Musele), voir
cun Reg.lul. 230), 135. 429. Jeun de Snlisbury, 138, 150-153, /63,368, Nic()lns de Curnounillcs.
Cornmentateur (Commentator), voir Avcr- Guide de l'tudiant par/sien (Compclldium 469. Niculus de l'uris, 233, 2.1-1, 364.
roes. examinatorium Parisiense), 114, 230, Jeun Dorp , 378. Nicolcllo Vcrnia, 265.
Compendium Logicae Porretanum (ano- 231,477. Jean Duns Scot, 20, 25, 71, 72, !!8, 206, Nicostrale, 334.
nyme), 135, 136, 143, 147, 172, 173, Guilhcm Arnau<.J, 289,301,302,477. 209,212,283,295,301-308,313,315- Nominales, 11, 30, 32, 86, 91, 132-136,
174,472. Guillaume d'Ainwick, 287. 317,321-351,369,381,387,393,395, 140, 141, 147, 148,402,428,450,472.
Coppausi, 133. Guilluume d'Occum (Ockhum), 19, 20, 22- 396,403,406-408,410,411,416,417, Numinalistar, 132, 216, 332, 335, 338,
Corpus dionysicn de l'universit de Paris, 26, 33, 45; 72, 77, 129, 141, 142, 147, 419,420,434,438,457,478,479, 411,417,419,423,425,435,437,439,
439. 1 152, /65, 171,204,206,211-213,221, Jean Gerson, 441. 454.
David (l'lnvincible, I'Annnien), commen- 225,227,232,238,241,242,254,261, Jenn llus, 440. On:w1ttae, 402,432, 4!!4.
tateur de !'Isagoge, 78, 103, 173, 183, 279,283,284,286,290,305,306,308, Jean Le Page, 114, JI 5. Origene, 68.
247,252,466. 315,321,332,335,351-406,408,411- Jean Philopon, 334. Pucius, Julius (Giulio Pnl"C), 45.
D6ruocrll~, 7.~. 415, 42~ 42Q-4JI, 4JK, 44~ 44K, 4~~ k1111 :\cut Hrlgcnc, 4lll, /'111'<1(1/ll'll.l'i.l '1'11<'/lll.lllllllol (J>kelllh>-AHNIIM
l.>cny~ le p~~eudu-Arupugllc
(p!oeudo-lJcnys), 4~4.4j9,4HI,4H2. Jc1111 Slu11pc, :U!\, IUJ-IlH, 11!1, -l.'U, IKI. tln),ltl.
92, 168, 173, 240, 248, 253, 436, 439, Guillaume de Champeaux, 138, 149, 150, Jeun Tarteys, 403. Purm6nidc, J, 394.
442. 390, 397' 452. Jeun Wyclir, 18,241,262,403,406-411, Par1iumtani, 133.
De spiritu et anima (Pseudo-Augustin), Guillaume de Moerbeke, 36, 354. 424,438,440,441,484. Puul de Vcnisc, 375, 479.
308. Gui11aume de Saint-Thierry, 268. Jean XXII (pape), 264. Pierre Ablurd, 11, 24, 32, 33, 48, 49, 57-
Dia/nt/ca Mo11accnsis (nnonyme), 232, Guillnumc de Shcrwood, 234, 237, 477. Jrme de Prnuc, 36, 68, 435, 440-442. 59,79,81, 132-135, 137, 138, 143-146,
23R, 239. Guillnumc Milverley,J52, 401, 403. 484. J ustinicn (cmpcrcur), 12. 148-15!:!, 161, /63, 168, 171, 175, 191,
Diclrich do Preihcrg, 262, 436, 437. 175. Gullltntmc Penhyguli, 403,484. Lilwr (/t C'lllt.l'io~, 115, 117, 25K2ti0, 43~. 234, 2~7.26H, 282,306,390,396,397,
Qurun<.l de Suinl-Pour~uln, 225, 2!!7, 396. Guillaumc Russell, 32,479. 441, 46K. 443, 444, 450, 451,454.470.
E1ias, commentateur de !'Isagoge, 78, 95, Gundissalinus (Dominique Gondisalvi), Logica Cum sil nostra (anonyme), 232- Pierre d' Ailly, 23,429.
103,166, 173, 183,247,252,466. 209. 235. Picn-c d'Auriole, 287,369,404,405,480.
490 491
Indcx nominum Index nominum
Pierre d'Auvergne, 204, 294, 295, 478. Secta Meliduna (ms. Londres, B. L., Royal Beha, H. M., 476. /47,/66,204,239,256,289,291,371,
Pierre d'Espagne, 139, 233-235, 237, 238, 2. D. XXX), 136, 143, 147. Bcnzccri, J.-P., 79, 465.
246,331,364, .m. 376,377.477. Sn~que, 40, 164. Boonlo-Brocchlcrl Fumnulll, Mnrlulerosn,
469,470,472,476,477,483.
Dcscnt1cs, Rcn, 21 O.
PI erre lllic, 169. Senrences se/cm Mafoe Pierre (anonyme), 470. Descombes, V., 463.
Pierre Lombard, 134. 75, 76,143,147.257. Bcrti, Enrico, 82, 464,
Pluton, 11, 14, 18, 21, 22, 28, 29, 34, 36, De Vogcl, C. J., 465.
ShirQzi, Sndrn Molln, 201, 21l4, 205. Belloni, E., 476. Dixsaul, Monique, 56, 83, 117, 392, 466,
37-41,44,53-56,63,64,67-69,73,76, Siger de Brabunl, 122, 203, 21 O, 220-229, Biard, Joel, 360, 398, 472, 478, 481, 483. 467, 474, 482. 1
81, 82, 84, 89, 94, 96, 99, 102-108, 110, 475. Bochncr, Philolhcus, 377, 480, 4R l . Dod, n. 0., 465.
111. 114. 116, 117, 12.~. 126, 121!, 129, .Sllsmond (~r11prcur), 440. Boler, J. P., 470. Drelllng, R., 480.
138, 148, 155, 158, 164, 169, 172, 175, Simon de raversham, 288-292, 295, 296, Bolzano, Bernard, 165. Dronke, P., 469.
184, 189, 191, 197, 198,212-215,217, 298,302,303,315,476. Borgnet, A., 253. Dumoulin, B., 465.
21R, 229, 230, 242, 244, 245, 247, 249, Simplicius, 48, 60, 61, 104, 106, 17:1, IR3, Bos, E. P., 474, 483. Ebbcsen, Sien, 135, 136, 137, 139, 140,
251-254, 257-261' 263-266, 278, 280, 252,334,356,466. Bollln, Francesco; 4 72, 484. 147,/72,203,204,352,463,467,469,
305,309,316,325,330,334,341,346, Socrn1c, 2R, 51, 52-55, 60, HR, 97, 151, BoulnoiR, Ollvlcr,//7, 329,335,349,393, 472,477, 4R2.
351, 3~~. 363, 3M, 390, 392, 406, 408, I~J. 413, 44~. 457,458,468,479. ' Ehrlc, F., 429, 465, 484.
409,421,423,436,440-445,451,454, Slgirile, voir \risl()lc_.__ __ __ __ __ _ _ Boutier, 1.,_449. __ lie, Hub_ert, L66,A28.
4-57:----------------
,.,,,,,,f'i,::!17-.l.' l.
Plolln, 14, 32, 34, 117, 25!1, 261, 443.
Slo'icicn(s), 3fi-3H, 40, 41. 104, 109, 126,
1:111, ltd-IM, e,, 2/7, 211, lIH.
Brnnklmi~. llcnl'icus A. O., 20~, 4R.~.
(!rnncll, S., 129,467.
EnJ!cl, PnMcol, 449.
f!ngcl-'11ercelln, Claudlne, 180.
Summa Zwetii'II,\' (unnnymc), 174. --nrenlano, rrnnz, 178-1RO. rnuser, Winfrid, 250, 259, 260.
Porrcrmri (Porrlnins), 11:', I:l5, 1;16, 143, Summr1t' Mrfrll,\"t'S (nllrihuc!cs h Nicnlus de IJrown, s. 242, 377; 4R l. ricld, 11., 463.
lri7-17~. 411, 11.,. l'nrlh), 2.1.1, 2.1 1J, 240, .IM. Brunschw1g, Jocques, 42,240,465. Plndluy, Jolm Nlernuyer, 206.
Posirio11es Nomil!alirmr (nnonyme), 136, Syrlnnus, 69, 75, 83-93, 97, 100, 102, 106- Burnelt, Charles, 470. Fioravanti, Gianfranco, 475.
138. 111, 116. 117, 123, 126, 131, 141, 173, Bussc, A., 95, 103,253, 465, 466. Plnsch, Kun, 475.
Porphyrc, 14- 17, 27, 2H, 32-35, J7-45, 47, 17K, 184, 185, 189, 197,253, 257, 258, Buytaert, B. M., 470. Fodor, Jerry A., 383, 463.
48,50,55,61,63-65,68, 70, 78, 79,81, 275,309,436,437,451,452,454,466. Canto, Monique, 51-54. Formigari, Lia, 37, 469.
96, 103, 124-129, 131-138, 145, 147, Thmistius, 99, 223, 224, 241. Cnrdullo, Rosn Loredaon, 83, 466. Frcdborg, Knren Mnrgnretu, 172,285,472,
148, 150, 164, 167, 168, 172, 185,227, 11Jodoric (cmpcrcur), 127. Carrier, J., 114. 473,477.
229,232,236,240,242,243,247,251, Thierry de Chartres, 169. Cnrteron, Henri, 98, 278. Frege, Gottldb, 363, 399.
256,264,277,280, 2!13, 299,316,334, ThomM d'Aquin (suinl), 9, 25, 72, 114, CnsRiri, Bnrbura, 278. Gl, Gedcon, 242,377, 4RI, 482.
355,359,361,370,373,391,414,418, 134, 209, 211, 216-220, 224-226, 240, Cnyla, Fnbicn, 26, 463. Galibois, R., 481.
424,445,450,451,454,465. 244,245,252,256,258,261-283,307- Chnrles-Snget, Annick, 109,466. Gnmburorn, D., 37, 469.
Prisclcn, 285. 312,316,329,350,369,396,402,434, Chlltillon, Jenn, 470-472, Gnndillnc, Mnurice de, 180.
Proclus, 36, 92, 109, 117, 168, 173,258, 438, 439, 459. Chenu, Marie-Dominique, 134, 135, 469. Gauthier,Ren-Anloine, 121,475.
262,442. Translario lacobi (corpus), 95, 394. Chirnc, Jacques, 9. Geach, Peter T., 402, 463.
Questiones Vindobonenses (ms. Vicnne, Tran.v/ario lomrni.v (corpus), 67. Chlsholm, Rodcrick M., 26, 165,206. Gcycr, B., 58, 157,253,470.
CNn, VPL 2549), 135. 1)nrr,/atlo mrclia, 93. Contnmlnc, 0., 12, Giclc, M., 475.
Rnoul Le Drelon (RndulphiiH llrllo), 204, Ulrlch du StrnHhnurg, 123, 474. Contl, Alos8nndro D., 32,401,410,479, Ollber1, N. W., 484. .
227, 294-304, 4HO. V/a antlqrw, 2~4. 480,484. ' Gilson, tlenne, 25, 39, 1H,l14, 198,209, ,;
Reales, 11, 30, 3 1, 33. 132, 134, 136-140, Via moclema, 254, 397. Courtenay, William J., 23, 134, 135, 430, 259,348,437,445,468,474,479.
152,168,429,450,472. Vocales, 134, 141, 142. 432, 463,481' 484. Giocurinis, K., 244,467.
Rulisles d'Oxfonl, 152, 225, 240, 262, WaldiC't'lfi (Wa/dil/i), 133. Courtine, Jean-rrnnr;ois, 16,463,467,478. Goichon, A. M., 193.
401,410,411,424,425, 4H4. Z~non, 12, 164. CnuNln, Vlclnr, 11, 12, 44:1. (loodrnnn, NelNnn, 1:1, 2123, 141, 46;1.
Hlchnnl Cmthmn, lO. l. Couvreur, 1'., /07, Oyekye, K.. 4t'i!l,
Roberl Alyngton, 403. Crawford, F. S., 207, 208,214, 458. 1-ladot, llselraul, 37, 61, 78,334, 466, 467.
Richard deClive, 203. Modernes et contemporains Crizantema~ J., 470. 1-ladot, Pierre, 30, 465, 466.
Robert de Melun, 133. Crocc, Bcnedel!o, 25. Hnmclin, Octave, 71.
Robcrt Grossctcsle (de Lincoln), 229, 230, Alfri, Picrrc, 359, 360, 394, 395, 481. Croiset, Alfred, 51, 52. Hamessc, Jacquelinc, 369.
240-245,253,408,473. Annwati, Gcorges C., 201,468. Dal Prn, Mario, 470. Hiiring, N. M., 172, 174,472.
Rohertllolkol, 23, 2R7, 400, 4m. Anmlrong, D. M., 463. IJ'Anconu Costu~ Crlsllttu, 468. lluuruu, Durthlcmy, 11, 443.
Robcrt Kilwnrdby, 285, 477. Aubcnque, Plerre, 16, 30, 48, 80, 90, 452, Darbo-Peschanski, Catherine, 448. Hayduck, M., 255.
Roharini, 133. 453,464,466,467. Dnvidson, 1-1. A., 46R. llnyen, A., 474.
Roger Bncon, 102, 111116, 204, 205, 23!1, Aune, B.. 463. Degrando, Joseph,Mnrie, 11, 12, 142, Hegel, Georg Wilhelm rriedrich, 105.
242,285,287,313,314,319,473. Bnrnes, Jonnlhnn, /00, 464. 158, 164. Heidegger, Mnrtin, 25, 29, 111, 112, 125,
Roger Whclpdnle, 403. Bnrrnw, J., 470. Delormc, Pcrcllnnnd M., 112, 1/3, 242, 126, 185,317,452.
Roscelin de Compi~gnc, 16, 22, 67, 75, 76, Bnuloyc, Luurcnce, 45!!. 285,473. Heylbul, G., 255.
127, 132, 134, 137, 142-146, 256, 257. Bazn, Carlos, 203,211,226,475. De Rijk, Lambert Marie, 133, 141, 144, Hintikka, Jaako, 37.
492 493
- - - - - - - - - - - - . . . . . . , - - - -..-----------~~:.1..__ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _..,.._....
lndex nominum lndex nominum
Hocnen, M. J. F. M., 479,481,485. 157,218,33/,333,417,4/8,433,459, Pcrler, Dominik, 480. Stclla, P., 476.
llof'fmunn, Phllippc, 37, fJ/, 78, 103, /115, 463, 4(>.'1, 4W, 47147~, 477, 47H, 4H:I. l'crszyk. K .. IM. Skwnrl. 11.-1 1., 4C>7.
l'lnct,knn. liJ. Stouil'~. <'kllll'IIH, 2.U.
106, 101:!, 1/H, .1.14, 466,467. Lluyd, A. C., 82, /()./, IC>S. Stuarl Mili, John, 94.
1-lonnefelder, L., 479. Locke, John, 141, 447, 448. Picav<'l, Fran~nis, 443, 444.
Hol3feld, Paul, 253. Lohr, Charles H., 468,477. Pinborg, Jan, 204, 286, 288, 293, 296, 298, Sturicsc, Loris. 262,442,475,483.
300,304,393,464,413,417,478,480. Surc:t., Francisco, 21 O. )
'HUbener, W., 484. Louis, R., 470-472. Tacha u, Kathcrin, 430, 432, 464, 481.
Hubien, Hubert, 375. Louis-Philippe (roi desFranrais), 11. Pinchurd, Bruno, l/7, 468.
1hulson, A. 4R4. Lunn, Concllllll, 6/, 3.U, 466. l'luln, Olur, IH5. Tnonuinu, Duni<:lu Pu1ri1.iu, 109, 1/7, 467. )
llumc, Duvlu, 141. Luscomhe, David, 470, 471. Poilcvin lllenc, 4!! l. 'l'hijss\!11, llans, 430, 41!5.
llunt, Richnrd, 133. Lusignun, Sergc, 12. Popper, Kurl, 23. Thomas, R., 471.
Husserl, Etlmund, 18, 26, 166, 178-180, Macken, R., 476. Pruu, Andr, 29, 125. Tricol, Joscph, 15, 17, 29, 30, 35, 38, 39,
Price, Henry Habbcriy, 141, 464. 71, 72, 87, 88, 94,96-98, 100, 122, 129,
185. Magnard, Pierre,IJ7, 468. 45!!, 465.
lmbuch, Rucdi, 12,475. Mah, Jean-Picrre, 78. Putmun, llilury, 1RO.
lsuuc, D., 36. Muicru, Alfonso, 12, 375, 468, 479, 480. l'uttalul., Frunc:ois-Xuvicr, 464. Twccdnlc, Mnrtin M., 464, 471,472.
lwukumu, Yokyo, 134, 137, 139, 140, 147, Maloney, Thomus S., 473. Quinc, Willurd vun Ormnn, 21, 402. Yun Dcr l.cct[, Hin, 4H3.
Rund, E. K., 467. Yun Riel, Suznnnc, .lH, /81, 1!12, 190, 191, )
472. Murcnbon, John, 50, 134, 135, 275, 472, 19J, 198,202,468.
Jalabert, J., 217. 473. Rushed, 1{., 468.
Jammy, Pierre, 253,474. Markowski, M., 479, 483. Reiners, J., 469. Van Steenberghen, Fcrnand, 475.
Jolivet, Jenn, /2, 22, 1')3, 125, 143-145, Mnrone, S. P., 473, 476. Robin, Lon, 107. Vnnni Rovihi, Sofiu, 464.
148, 149, 152, 153, 157, 163, 257,443, Mnrtinenu, Emmnnuel, 485. Rolunti-Go.~sclin, M.-D., 474. Vcrbckc, Grard, 38, 182, 192, 199, 223,
463, 468-473. Maurer, Armnnd, 468, 474. Romano, Prancesco, 466. 236, 46!!.
Jongkccs, A. 0., 13. Me 'lighe, T., 479. Romeycr Dherbey, Gilbcrl, 278. Vcrhulsl, Ch., 479.
Jourdain, Charles, 11. McCord Adams, Marilyn, 393, 478, 482. Roas, I-1., 477. Veyne,l'aul, 447,448.
Julia, D., 449. Meijer, P. A., 474. Rosier, Irene, 477. Vignnux, Paul, 20-22. 25, 454, 464, 472,
KulhflciHch, K., /11(), 466. Mcinong, AlcxluH vnn, 26, ,16, 37, 16~, Rossl, l'ictru, 242. 47K, IHl.
Kuluzu, Znun, 132, 2o14, J78, .180, 429, IHIJ, 201,204-206,321,447. J{us~ocll, llcrtnuul, 2.1, 1KlJ, :w~. 10 l. Yulllcmllll>lcm, 0., 7'J, 45:!.
431,440,442,473,481,484,485. Mcrckcn, 11. Paul F., 244,255,466. Ruttcn, Christinn, 79, 465. Wnrrcn, E. W., /5, 465.
Scllurs, Wilfrid Stalkcr, 26. Wns:t.in~ J. 11., 157, 250.
Kunt, Immunucl, 105, 212, 264, 329, 337, Mews, Constunt, 469-471.
401. Michaud-Quantin, Pierre, 270. S hiel, J., 467. Wber, cdouard-llenri, 263, 478.
Kurger, lisnbelh, 335, 482. Michon, Cyrille, 24, 402, 482, Siedler, D., 253. Wenin, Christian, 473, 476.
Kelley, P. !!., 4R2. MlnloPnluollo, Lorenzo, 2~7, 46~, 473. SlkllR, J. 0,, 471. Wcy, J. C., 4R l.
Kcnny, Anlony, 18, 393, 463, 473, 474, Mojslsch, Burkhnrd, 123, 474, 475, 483. Slmon, Puul, 253. Wlcsncr, J., 467.
484. Moncenux, P., 466. Solere, Jeun-Luc, 117, 468,474. Wilks, M., 484.
King, P. 0., 471. Moody, Edgar Allan, 129,430, 431,481, Sorabji, Richard, 467. Wippcl. J. E, 469,476.
Klemke, E. D., 402. 485. Southem, R., 133. Wlodek, Zafia, 485.
Klibunsky, Ruymond, 467. Moraux, Pnul, 467. Spadc, Paui Yinccnt, 18, IIJ, 389, 484. Woltcr, A. B., 479.
Spruil, L., 464. Worstbrm:~. r~ J., 13.
Kncepkens, C. H., 133. Moreuu, Joseph, 93, 96, 97, 100, 101,465.
Knowles, D., 471. Morichcre, B.,157, 331,333. Stcclc, R, 242. Yokoynmn. T., 292,303,477.
Knuuttilu, Simo, 37, 483. Muckle, J. T., 218,468. , Steffnn, llurtmut, 262, 437, 475. Zlmmcnnann, Albert. 4!!3, 484, 485.
Kretzmann, Norman, 393, 471, 477. Mueller, Ivan J., 262, 484.
Kroll, G., 466. Muoz Gurcfa, Angel, 37~. 380, 398, 483.
K!lbcl, Wilhelm, 253. Murnll, Andr de, 478.
Kuksewicz, Zdzislaw, 476, 480. Nef, Frdric, 37, 469. '
Kilng, Guido, 257,471. Nielsen, Luuge 0.,172, 472,473.
La Bolic, tienne de, 414-416. Nicnncyer, Jan Frederik, 13.
Lafleur, Claude, 114,115, 477,. Normore, Calvin, 134, 135, 469, 473, 482.
Lambert, Karel, 206. Nuchelmans, Gabriel, 464.
l.nll1hcrllul, Hohortn, 4HO. Ot.llou, Mure, 24(}.
Lu11<Jgruf, Arthur M., 472. l'ugnoni-Sturlt:se, Murlu-Ritu, 262,442,475,
,. Largeault, Jean, 463. 483.
Le Doullucc, Aluin. 431,485. Pnnaccio, Cluudc, 141, 142,352, 358, 359,
Leibniz, Gottfried Wilhelm, 125,217. 361,363,370,374,38/,383, 386-388,
Lesher, J. H., 465. - 389,392,393,449,482.
Lcsniewski, Slunlsluw, 257.
Lcwry, Peler Osmund, 473, 477.
Puqu, Ruprecht, 430, 4!!5.
Paulus, Jcnn, 476. . '
Liheru, Alaln de, 12, 17, 36, 37, 42, /37, Ppln, Jcun, 48,
494
Glossaire
ncte (lnt, actus, endelechia): Ce qui est purfait ou nchev, S'oppose b puissnncc,
polenllnlll. Un cxlslnnl slngullcr cstun 81ro en nctc : ln'mntl~rc lndtcrmine,
--------------------------------------------------- un etre en puissance .Le tenne mdival actulit (actualiras) dslgne l'tnt
de ce qui cst en ocle. Pour les philosophcs nristotllciens, In fonnC(forma) csf
ce qui conf~re 1'uctunlit uux trcs composs. Yo ir hyltmorplrique.
cntgories : Gen res supremos de 1'ctre, clnsscs de prdicats attribunblcs 1\un su jet.
Choz Arl"lnll-1, (I)H dlx cnl~nrleM Hlllll: NnhNtnnco, qunlll, qunnllt, rt'lntlnn,
uctlon, pusslon, ou, quuml, sitliutlon, posscssion,
cogitatlve: Dans le pripattisme arnbe et chez les mdecins, facult psrchiquc,
locnlise crbrulemcnt, nssurnnt 1' << nbstrnction des intenlions indivtduellcs.
S'oppose a l'intellect possiblc dans lequcll'intellcct agent effectue J'abstrac'iion
des intentions universelles,
conjonctlon (lnt coniwtttio, conrinuario, co1111exio, copulatio): Dnns le pripnl
tisme arabe, tat d'union entre )'ame humaine et les Intelligences spares, voire,
pnr cxtension, nvcc Dicu lui-mcme, Premicre Cause de l'univers.
copule :Le vcrbe 8tre en tnnt que lien du sujet et du prdica! d'une proposition.
OlVOla: Pcnse discursivo, pnr opposition 1\l'intuition intellectuelle (vo0t").
enuntiabile: Trnduetion latine du terme stoYclen AtXT\1 ( 6non~nble ). A u
xn sH~cle, le mode d'@tre du AtXTv caractrise quelquefois le statut ontologique
des univcrsnux (cf. Ars Meliduna). Le dictum propositionis. ou signifi proposi-
tlonncl d' Ablnrd (ce que dit In proposltion ),le signijicabile complexe de Or
~olrc do Rlmlnl prscnlcnl nvcc tui ccrtnincs nnnlogles.
tn(vota: Thrnle sto\'clen employ dnns l'nonc du probl~me de Porphyrc: pcnsc
reprsentative, concept; conception, constructive thought (S. Ebbesen). Trnduit en
lntin pnr inlcllectus, cmploy hnbitucllcment pour remire te voOc nri~totlicien
(De mrlmn, lll, 4-5), le mot br(vota. (et sn ~ignificntion originnle dnns l'nonc
{!I'OC d11 prnhll\1110 dOH lllliVOI'HIIIIX} n'lnil (111M I'CCCllllllliHMIIhlo d1111~ itlM VCI'MOitS
lntlnes de l'l.wgoge.
ponymle : Dans les platonismes, expression linguistique de la relation ontologique
de pnrticipation. Une Forme (= Ide) est dite ponyme dans In mesure ou tout ce
qui partictpe d'elle en re~oit et son Nrc et son nom. '
es pece (voir speCies) : (a) prdicnblc (b) es pece intcntionnelle, ou intention : imngc
uu conccpt tl'uno choMc qul NC formo dnn~ les scns ou dunH l'intcllcct, grncc bquol
_ la chose extramentale leur est prsente.
l!trc d'cRscnce (lnt, csse e,\'.H'trtiae): Modc d'ctre de l'esscnce dnns sn spnrntion
ldtique (Avlceone). Selon les nvlcenniens, prise en elle-mme, l'essencc n'cst ni
particulihe ni universelle, ni dote d'un etre de chosc extramentnle ni dotc d'un
etre mental de reprsentntion (e f. le prncipe d 'indiffrence de l'essence; scion
Bo~ce de Dncie: << L'essence est indiffrente au fait d'ctre h l'extrieur comme uu
497
49R 499
Glossaire Glossaire
pr~lcatlon essenti,elle (v r<? r( crn: lnt. in quid) : Prdcation ndiqunnt 1'essence substnnces spnres: Dans la notique pripatticienne, l'intellect agent el les
d u~e eh o~~ ( 1 hornmc est un nntrnnl , Socrnte cst un hommc ). Excmplc intclligcnces s~pnrcs de In mnticrc (syn. <<les Formes du monde). En thologie :
(Anstote, 1op., l, 5, 102a31-32): Est genre un nttribut qui appartent en leur les unges (ou cr6nturcs spirituellcs).
essence (ev r<? Tl ecrn) 11 plusicurs choses spcifiquement diffrentes. substantia: Traduction latine d 'ouoa, introduisant, par assimilation a rr6omol,,
prc!dlcnllon univoque ( uuribution pnr synonymie ): Prdicution selon une une connolution suhjcctivc ou suhstrativc nbscnte de !'original grec. Cf. Boecc
(Contra Ewychen, 111, d. Rnnd-Stewarl, p. BR, trad. J.-F. Courtine): Est "sub-
commu~nut de nom et de Myo<;. Ln quiddit ou l'essence d'hommc est prdi- stnnce" (suhstat) ce qui procure en sous-o:uvre (subministra/) quelque sujct
que U111Voqucmcnt (crUVMVl!J.<J~. unilocr) des homrncs singulicrs (qui ont rnl!rnc (.whiectum) 11 toul le reste h litre d'accidenls, nfin qu'ils pulsscnl l!tre (111 e.ur
110111 ct ml!tnc dl"inilion).
valea11/). 11 [ce sujet] les souticnt en effcl (sub 11/is enim stal), pulsqu'il est .uh-
pro statu isto ( pour l'tat ou nous sommes \ prsent ): Dsigne l'tat de ject aux accidents (suhiectum es/ accidemibus).
d6chnnce d~ 1'hornmc c~msc"utif nu. pch d 'Adnm .. Utilis par Duns Scot s11pposilio: Rfrcnce extra ou intrnpropositionnelle d'un tcrmc (vs si~o:niflcatio,
comme parudtgme thologtque de la limtude de In connutssance hu maine. significution). Les diffrcnts types de supposition d'un tenne corresponden!
qulddlt (ro rl ~v r.tvm, lnt, quiddita,f): Buence ou nnlurc cl'uno cho"o en tnnl nux cliverses mnnicres dont il ltentlieu des choses dnns une phrase ou une pro-
qu'cxprlme ~ur Ull df'inltlon. L'ubstrnlt quldclltas correspond nu calque s111un- pos ILion : 11 y n supposillon mnlrlelle tuum.l un lermc S dslgne lulm~mc
__t]gll_e quodqrucf_!l_"at esse, b.an(IO_Il_n~ uu M(J~n 1\ge ta~di_I"._L_q_uiddit (c~ue In (comme dans la phrase Mot est un mot ou Hommc est un monosyllabc); sup-
chosc es!) s nppusc 11 1 etrc el h In qmHidlt6~ t/111/tl.l" (le fnlt que In chosc ~ posilion--silnplc -qunn<l-il-dsignc-S<ll1-signifi-(commc-dnns--llomme-c,~t-unc_
sol!). es pece>> ou <<Animal est un gen re); supposition personnelle qunnd 11 d signe
.~imllitmia: Irnngc, rcssl'mhlnncc, l.'intrntio, In fonnc lntrlliihll' (,\"flr't"il'.l" illtf'l/il(l tout ou pnrtie .de ses rrrcnts (comme dnns << Tous les /wmmes son! mortels >>,
blll.r) el l<\ f'h<llll<l.l'llltl ont t!nllrnlcm~nl pr~HCIII~H cullllllc des ,\imlllllulim,, (l')honlllll~ oHimortcJ,. 1111 "Sncmlo CHIIIII/I(J/111/11' .. .
rerum. suppositio confusa tan tu m : Un tenne T est en supposition purement confuse ssl
sophism~ta: Dnns la. lo~ique m~divnle, ~ropositions ou ~U7.7.lcs logiqucs illustronl tfl(T) n 'implique pas tfl(t 1) ou tfl(r 2) ou ... , mais implique tfl(t 1 out, ou ... ), et chaque
une. ~tflicull pnrtt~ulicre ?nns 1~ domume de la smanllque ou de la syntaxe pro- tfl{l) hnpltque q~T), ou 1'exprcssion t/>(T) dsignc une proposiCon simple contc-
posll~onnelles. Objet de d1scusstons orales (disputa/iones de sophismatihus), les nant un terme Ten supposition personnelle, et t 1, t2... , 1 dsignent les termes sin-
sopfusmata sont ~gulcmcnt nnnlyss dnns des ouvrnges thoriques (Re~o:ulae rol guliers supposant pour un suppositum de T.
vendi sophismala: Distinctiones so~hisma/111!1, Abstrae/iones). 11 ne fuut 'pus srrpposit/o confrrsa el dlstribrrtlva mob/lis: Un tcm1e Test en supposition confusc
et distributive mobile ssi tf!(T) implique t/1(1 1) et tf!(t 2 ) el. .. , et aucun tfl(ti) n'im-
c~nfondre le sophrsma nvcc le frnn~nts << sophtsme , parnlogisme (In t. fa/lacia), plique t/>(T).
rntsonncment fonnellemcnt ou mntriellement dfectueux ou trompcur. suppositio determina/a : Un lerme T est en supposition dtermine ssi cfl(T)
Sortes: Abrvintion mdivnlc de Socrates. Utilis pnr les logiciens mdivnux implique tf!(t 1) ou t/>(12) ou ... , el chaque t/>(1) implique t/>(T).
comme tenne singulier (nom propre) pour dslgner un lndivldu (:: x) existnnt nu suppositio naturais: R6frcnce extrupropositionnclle d'un lcrme pour tous les
m~ment. de 1'noncintlon. S 'oppose 11 Caesar, utilis pour dsigner un individu individus forman! son cxtcnsion (Picrre d'Espngnc). Au Xtv sl~cle (Buridun):
qm n'ext.ste.r!us au .m~m~nt de l'nonciation, et 11 Antichrisws, utilis pour dsi- rfrence omnitemporelle d'un terme dans une proposition ncessaire ou analyti-
~ner un mchvtdu qm n cxJste pos cncore nu momcnl de 1'noncinlion, rnnls don! quement vrnic ( Tout homme est un nnimnl ).
l'exlstencc futurc esl plst6mlquemcnl gnrnntlc (pnr In Rv61ntlon). synonymes (In t. uniloca): Chez Aristolc (Ca/., 1), les cltous qul ont communnut
specles: (n) forme, forme sp~dfique; (b) esp~cc (prdicnhlc); (e) forme intclllglblc de nom et de Myoc.
(esp~ce Jlllntlonnclle ). Trnnscendnntnux (lut. terminl transcendentes) : 'lbrmcs gnrnux trnnsccndunl >>
subjectlvement (la t. suhiectil'c, << dans un sujet ): Mode d'ctre d'une qua lit ou toutes les cntgories (= qui ne sont Iimits a aucune catgorie) : etre, un, vrai,
d'un nccident. Appliqu aux concepts ou nux reprsentations, dsigne 1'<< inh- bien. Les trunscendantaux son! dits <<convertibles>> dans la mesure o u il n 'y a
rencc mentnle, des intcntions . Ln suh-Jcclil ninsi cl~finlr prt<cCoclr In sph(on: entre eux qu'une distinction de rnison (secundum intrntirmem) el non une distinc-
mocit'I"IW dl In Huhjl'l'llvlt.C " tlon rlllo (,\'rtrtnrlrt/11 rrm).
.wbsistentia: Trnductlon lntinc d'm'mlwat~ (Doccc), dslgnnnt In proprit de universale: Universel >> .
ce qui n 'a pas beso in d'accidents pour etre , par opposition suhstantia a universale ante re m : Uni verse! antrieur a la pluralit (rrpo n;)v rroMwv) ou un-
(ncrramc), ce _qui foum.it aux nccidents le sujet dont ils ont beso in pour etre. versclthologique (= l'lde platonicienne).
Chez les Porrtams (xne stccle): forme (forma, quo es/) entrant en composition universale i11 re: Universel dans la pluralit (v Toi'" noMoi'") ou universel phy-
avec u~ substrnt (.whstantia, quod es/), pour constitucr un sujet concret (esselllia) sique (=la fonne immanenle nux singuliers selon Aristote, la<< forme participc
dot d un etrc ( ('.\",\'(' ). sclon Plttton). ,
universal~ post rem : Unlverscl po_strieur h l_u plurallt (/;nl tol'" TT?AAOl<:) ou unl-
subslster (lat. subsistere): Mode d'ctre (<j>(crTao9<XL) des fictions et des incorporels versellogique (=le concept abstrall selon Anstote, Seconds Analytrques, ll, 19; le
s~lon les sto1:cicns, oppos 11. l'existcnce re.lle des corps. Au Moyen Agc, modc conccpt logique sclon les s!o"iclens).
d etre des umvcrsuux nntneurs llln pluraltt (ante rem) et des essences consi-
dr~es. e~ cllcs-mcmcs dnns leur spnrntion idtique. CoiTcspond, en ce cns, 11 vocallsme: Doctrine (attribue a Roscelin de Compiegne) rduisantles universaux a
In thstmct1on modcn1c entre ht!sttlren (subslster) el rxi.rtitrf'll (cxister). des simples sons vocnux (f/atrrs vocis).
substn.nce (voir substantia): Au sens scolastique, sujet ontologique (subiectum, sup-
posrtum).
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l. Un probleme satur
11 r.
2. Du noplatonisme grec
nu pripatUsme nrabe
67
ANl'JPLATONISME ET NOPLATONISME ..... ; 68
La critique de Platon par Arlstote : un pnrndlgmc nrlstotllclcn
de la problmatique mdivale des universaux. . . . . . . . . . . 70
La thorie aristotficienne des universaux ( Mtaphysique , Z, 13) 73
La rfutation aristotlicienne de fa thorie des ldes
( Mtaphysique, Z, 14) .......................... , 76
1'
)
Porphyre, Aristote et la statue.d'airain ............... . 78 PIERRE ABLARD ET LA CRITIQUE DU RAL!SME . . . . . . . . . . . 148
La critique d 'Aristote par Syrianus: un pnradigme noplu- Les thories en prsence ........................... . 150
tonlcicn de la problmutique mdlvule des universnux .... 83 La lhorie de /' essence matrielle ................... . 150
La 1horie de!' indijfrence elle retour de Mnon . ....... . 150
L'UNIVERSEL SELON ARISTOTE: LE RASSEMBLEMENT DANS LA )'1
!. )
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~------------~----~----------~----------------~------~----
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CCAM .131' LE NOMINALISME , , .. , , , , , , . , , , , , , , , , , , 351 r..
,.
/) rcl ica 1i 011 pa ro11 ymi q 11 e et Jrcfdi ca ti on .fi mne ti e . . . . . . . . .
Critique du ralisme extreme de f.Jurlcy ............... .
424
426
)
Smuntiquc et ontologic ........................... . 351 -_,
428 J
Les mots, les concepts et les clzoses : refonte du triangle smiotique 352 Les ralistes continentaux ......................... .
La querelle des universaux: mythes et ralits . ......... . 429 )
La connotation, redfinition occamiste de la paronymie .... 355
Le no-albertisme du XV" siecle ..................... . 434
Termes absolus et termes connotatifs, 356. - Accident )
sparnble et accidcnt inspara ble, 359. Jcan de Maisonneuvc ct les picuricns littraux, 434.
Larigage mental, signification et rfrcnce . ............ . 362 - Heimerc de Campo, ou Albert conlrc Thomas, 437. )
Thorie gnrale des noms ........................ . 365 Retour a Platon : .fr/Jme de Praguc et leralisme tcheque .. 440
, )
Thorle !(nrale de.\' intentioll.\' . .. , , .... , , , .. , , .... , , :\(0
Lu thorle uccumlste des unlvcrsuux ................. . 370 443 i)
Supposition simple et supposition matriel/e ........... . 371 Conclusion 1 1 1.
L' analyse de la proposition 'L' homme est une espece' chez Jean
457
()
374 Note cotnpln1cntairc, . , . , , . , , .... , , ...... , , . , .... , ..
Buridan et Albert de Sa'e . , . , , , , .... , . ,. , .. , , , .. ,
lntultlon ct nbslrnctlon ..................... , ...... . 380
()
. De la scnsation d /' ab.i:traction . , .... , , . , , , . , ... , , . , . 384 Ulbllogr11phlc ................................ , .... . 461 ,)
Connaissance abstrae ti ve et universattx . . : ............ . 385 !)
La critique du rulisn1e .............. : .......... , .. 389 Iudex no1ninu1n ......................... -.......... . 489
Rponse d' Occ:am au prolJ/e)ne de POJ]Jhyre , , ......... . 391 ~)
Platonisme, aristotlisme, ralisme .................. , 392 Glossuire ........................................ . 497
Critique du ralisme grossier, 394. - Critique du ralisme (_ )
subtil, 395. - Critique du ralisme mitig, 396. ~ La vul- -
.. ( }
gntc nominulistc: l'univcrscl selon Albert de Snxc, 397. :,