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Christine Andreucci

Universit de Montpellier

La posie franaise contemporaine:


enjeux et pratiques1
Introduction
1) La posie contemporaine: crise ou effervescence
Faire un tat de la posie contemporaine en France prsente une double difficult: le
travail sur le contemporain implique ncessaire une vue courte qui ne peut prtendre la
vision surplombante de lhistorien parce que le recul du temps na pas encore eu lieu.
Nous sommes plus quailleurs susceptibles derreurs dvaluation, de vues partielles et par-
tiales. Cela se double en posie du caractre quasi clandestin de sa diffusion aujourdhui.
Elle noccupe plus le devant de la scne, se diffuse souvent dans de petites maisons ddi-
tions, et dans des revues qui nont rien de mdiatique. Pourtant durant ces dernires
annes se sont multiplis en France de nombreux tats des lieux, ouvrages-bilans raliss
gnralement par des potes qui entendent faire le point sur la production potique con-
temporaine comme pour aider le public prendre conscience de son existence et de ses
dbats internes. Je songe ainsi Habiter en pote de Jean-Claude Pinson, Ceux qui
merdRent de Christian Prigent, La posie comme lamour de J.M. Maulpoix, ou Posie
et Figuration de J.M. Gleize: tous ces ouvrages en mme temps quils proposent une mise
au point sur lvolution de la posie aujourdhui en revendiquent une dfinition et incar-
nent des courants diffrents voire opposs.
Or ces ouvrages partent tous dun constat qui serait celui de la crise de la posie
contemporaine, cest le mot quon aime employer pour dsigner ltat de drliction,
voire de dsaffection extrme dans laquelle se trouve la posie et quessayent denrayer les
nombreuses manifestations officielles comme les divers marchs et ftes de la posie:
quelques titres parleront deux-mmes: A quoi bon encore des potes? (Christian Prigent),
A quoi bon des potes? (J-C. Pinson), deux titres parodiant la fameuse question
dHlderlin reprise par Heidegger Pourquoi des potes en temps de dtresse? et qui
visent justifier la place encore valable de la posie dans la socit contemporaine mme
si lun des auteurs en parlent comme dune Chre disparue et commente: En France

1 Conferncia proferida na Faculdade de Letras do Porto, em 16 de Maio de 2003, no mbito de um Encontro sobre
poesia francesa contempornea, promovido pela Prof Ana Paula Coutinho Mendes. Por circunstncias alheias s orga-
nizadoras deste Volume, no foi possvel fazer rever o texto da Conferncia pela prpria autora.

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on aime beaucoup la posie quon ne lit pas. Comme on nen lit presque pas, lamour est
immense.2
En 1995, Philippe Sollers titrait un article dans le grand quotidien national Le
Monde: La posie invisible.
Les analyses quon peut lire sur cette marginalisation indniable de la posie en font
porter diversement la responsabilit aux potes eux-mmes ou la socit. Lvolution de
la posie en France au cours du XXe est ainsi rgulirement accuse de stre spare du
public par trop dintellectualisme et de complexit sophistique, se rservant quelques
happy few initis. Ainsi voit-on natre une raction rcente que jvoquerai plus loin des
potes eux-mmes pour un retour la communication simple et directe qui toucherait le
grand public...
Mais plus souvent potes et critiques soulignent la responsabilit de la socit parce
que celle-ci, proccupe dun savoir rentable et rapidement assimile ne peut intgrer le
caractre singulier dune posie qui rclame la lenteur de la relecture et qui napporte pas
de parole claire et aisment assimilable.
() on peut comprendre que nos contemporains manifestent peu de got pour ce qui nap -
porte aucune apaisante clart ni aucun savoir stabilis () Aujourdhui, peut-tre plus que
jamais, les livres sont somms de nous rassurer sur le monde, cest--dire de le remplir de signi -
fications immdiatement consommables. () On attend des uvres de la littrature quelles
nous gurissent du vertige, quelles rorganisent fabuleusement linsupportable non-sens du rel.
().3
On trouvera dailleurs chez nombre de potes des propos largement critiques sur la
socit contemporaine, destructrice de la nature, encourageant un rapport superficiel au
monde, la culture et nivelant le langage. Non rentable, juge inutile par la socit de
consommation, la posie prend alors fonction de rsistance et tire sa noblesse de sa mar-
ginalit mme. Et si lon sy penche dun peu prs ce nest pas son desschement qui
frappe mais son dynamisme: Jamais il ny eut autant de monde pour crire ce genre de
chose que personne ne lit, disait dj le critique Georges Mounin en 1961 et cest aux
mmes conclusions quon peut en venir aujourdhui. Do le titre dun rcent magazine
consacr la posie qui cette fois renonait mettre en avant la crise pour souligner au
contraire comme en rponse cette vision leffervescence, sur laquelle je vais moi aussi
insister.
Non sans dire auparavant que cest surtout au coeur de la posie quest la crise,
si crise il y a, je veux dire par l quune interrogation inquite et sans fin non plus sur son
rle ou sa place dans la socit mais sur sa propre nature ne cesse de lhabiter: non plus
quen est-il de la posie aujourdhui, mais quest-ce que la posie aujourdhui? Lhistoire
de la posie depuis plus dun sicle est celle de la disparition progressive de tout critre
dfinitionnel du genre, ceci en grande partie en raison de la dissociation qui sest faite
la fin du XIXe entre posie et criture versifie. Ds lors que le vers nest quun acces-
soire et non llment ncessaire de la posie (on assiste en France une double naissance:
celle du vers libre et celle du pome en prose), il devient de plus en plus difficile de savoir
de quoi lon parle lorsque lon parle de posie, de qui lon parle lorsque lon parle de

2 Christian Prigent - A quoi bon encore des potes, P.O.L., 1996, p. 47.

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La posie franaise contemporaine: enjeux et pratiques

potes. Ainsi nombreux sont aujourdhui les essais de potes qui sinterrogent sur la dfi-
nition mme du pote et tous mettent en avant leur ignorance plutt que des affirmations
glorieuses:
De quoi parle la posie? () Peut-tre ne sait-elle pas ce quelle dit, ce quelle dira,
ce quelle veut dire. Ne le sachant pas, elle entre dans linquitude.4

Plus significatif encore le titre de James Sacr pour ses rflexions sur le genre: La
posie comment dire? avec cette fausse rponse: est pote celui qui dit que ce quil crit
cest des pomes.5 Dans un entretien plus rcent, le mme pote rectifie: ce sont surtout
les lecteurs qui dcident () qui momentanment donnent cette impression que ceci ou
cela est la posie.6
La posie ne sait pas de quoi elle parle, elle ne sait pas plus ce quelle est, elle est donc
fondamentalement une cole de doute plus que de certitude et cest l certainement le
trait qui peut runir la priode contemporaine quelle que soit la tendance dans laquelle
se reconnat celui qui crit.
Mais ltat actuel de la posie est bien videmment tributaire de ses hritages. Et je
voudrais en dire deux mots avant dentrer dans le dtail dune prsentation de la posie
contemporaine.

2) Hritages
On le sait, vous le savez probablement, la fin du XIXe il sest opr en France ce
que lon a parfois appel une rvolution potique sous les deux figures tutlaires de
Rimbaud et Mallarm, deux figures marquantes dont linfluence est dterminante sur
toute la suite.
Avec Rimbaud dabord, modle pour les gnrations futures, la posie sidentifie
une exploration intrieure, une descente dans linconnu du moi, dun moi obscur la
conscience, du je autre pour celui qui crit. Je songe bien videmment sa fameuse let-
tre dite du voyant dans laquelle le jeune pote:
La premire tude de lhomme qui veut tre pote est sa propre connaissance, entire; il
cherche son me, il linspecte, il la tente, lapprend. Ds quil la sait, il doit la cultiver! Cela sem -
ble simple: en tout cerveau saccomplit un dveloppement naturel () Le pote se fait voyant
par un long, immense et raisonn drglement de tous les sens.() Il arrive linconnu!
Puisquil a cultiv son me, dj riche, plus quaucun! Il arrive linconnu, et quand affol, il
finirait par perdre lintelligence de ses visions, il les a vues! et la formule premptoire du je
est un autre.
La posie sidentifie ds lors une aventure intrieure qui sopre dans le moi jusque
dans ses replis les plus obscurs au dtriment de toute recherche esthtique ou de tout
respect dune forme tablie. Plus le pote investira son univers propre plus il produira une
langue singulire, voire incommunicable autrui.
Ainsi la posie saffirme comme la qute de lidentit profonde du sujet.
Mais elle se donne aussi par l-mme la chance de ressources inattendues qui

4 Jean-Marie Gleize - La posie. Textes critiques, XIVe-XXe sicles, Paris, Larousse, 1995, p. 13.
5 James Sacr - La posie comment dire?, Marseille, Andr Dimanche, 1993, p.14.
6 James Sacr - Nu(e), p. 12.

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enrichissent la langue de sa seule fonction de communication, par limagination, pro-


ductrice dimages ouvrant un champ illimit, un monde inconnu et infini:
Profondeurs de la conscience
On vous explorera demain
Et qui sait quels tres vivants
Seront tirs de ces abmes
Avec des univers entiers
Voici slever des prophtes
Comme au loin des collines bleues (Calligrammes, 1916)
Et lon sait le parti que les surralistes dans les annes 20 tireront de cette investiga-
tion. Aujourdhui peu se revendiquent encore explicitement de lexploration intrieure ou
de lappel de linconscient. On peut mme dire que nous nous situons dans une priode
de reflux par rapport lexploitation directe de celui-ci et notamment de lcriture
automatique. Toutefois cette conception qui tend assimiler le pome un produit de
linconscient nest abandonne par personne; elle est simplement intgre compltement
comme une donne de dpart. Les potes continuent de reconnatre leur criture comme
dabord ancre au plus profond dun tat premier et obscur qui chappe leur conscience
claire:
chaque fois que jai vu paratre dans un pome un lment vraiment neuf, confie Yves
Bonnefoy, cest de mon inconscient quil venait () Ecrivant, [...] jessaie de reprer telle
image ou ide ou simple rapport de mots qui brillent, mais faiblement, aux confins en grisaille
de la conscience.
Et Lorand Gaspar:
mon sentiment, lorsque jcris, est que je cherche donner une figure des vnements en
moi confus, enchevtrs, mal distingus, mais dune grande intensit, surgis en apparence spon -
tanment ou loccasion dune rencontre () Je ressens comme une promesse () et je ne peux
rien faire dautre pour men sortir quentreprendre un long et patient travail de dgagement
...7
Ainsi de Salah Stti inaugurant lun de ses recueils par ces vers:
De cela qui scrit, je ne sais rien ...
Depuis Rimbaud la posie sest donc identifie une exploration de lespace du
dedans, comme dirait Michaux lun de nos plus grand potes du XXe sicle mort en
1984, et tend confronter le langage ses limites car comment dire ce qui parat
impartageable, tout au moins incommunicable par la langue de tous. Jai seul la clef de
cette parade sauvage disait Rimbaud dans ses Illuminations.
Mais Mallarm ouvre une autre voie la posie moderne, ou plutt deux autres
voies. Dune part, il incarne le travail acharn sur la langue et sa rflexion thorique, dif-
ficile car dune criture hermtique souvent quivoque, a beaucoup influ sur la posie
prs dun sicle plus tard. Elle est consigne dans ses Divagations. Je rappellerai seule-
ment cette citation:
Luvre pure implique la disparition locutoire du pote, qui cde linitiative aux mots, par
le heurt de leur ingalit mobiliss; ils sallument de reflets rciproques comme une virtuelle

7 Lorand Gaspar - Apprentissage, Paris, Deyrolle, 1994, p. 73.

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La posie franaise contemporaine: enjeux et pratiques

trane de feux sur des pierreries, remplaant la respiration perceptible en lancien souffle
lyrique ou la direction enthousiaste de la phrase.
Cette phrase programmatique dplace la fonction du langage potique: dgag de
luniversel reportage la posie est avant tout piphanie verbale, travail de la forme et
calcul des effets, contre la prminence de linspiration et du lyrisme cest--dire de lex-
pression du moi. Nous y reviendrons avec un des courants majeurs aujourdhui, se
dveloppe ainsi une posie du signifiant, qui rcuse la rfrence au monde extrieur celui
de la langue.
Mais on oublie trop souvent que Mallarm ne sest pas content ( la suite dE. Poe
du reste) de valoriser la langage comme matriau sonore et graphique. La seconde voie
ouverte par sa rflexion est celle dune posie qui rvle le sens secret du monde: La
Posie est lexpression, par le langage humain ramen son rythme essentiel, du sens
mystrieux des aspects de lexistence: elle doue ainsi dauthenticit notre sjour et con -
stitue la seule tche spirituelle. Lexplication orphique de la Terre (...) est le seul devoir
du pote. Renoue avec le Romantisme allemand qui confre la posie une fonction
mtaphysique et quasi sacre o le langage, loin dtre moyen de communication, ou jeu,
se fait dcrypteur des secrets de lunivers. Nous verrons combien l encore cette concep-
tion influe sur certains courants daujourdhui.
Je voudrais ajouter enfin que le XXe sicle qui vient de sachever et qui est tributaire
de ces deux monstres sacrs de la posie franaise a t marqu par les notions davant- -
garde et de rupture. Sy sont succds en effet une multitude de mouvements collectifs,
chacun avec son manifeste entendant rnover de fond en comble la posie, au point
qutre pote sest confondu avec la rvolte contre tout ordre prexistant, social comme lit-
traire. Pour mmoire, je vous signale les courants successifs qui ont marqu cette pri-
ode, dabord nombreux durant le premier quart du sicle: le futurisme avec Marinetti en
1909, le cubisme associant peintres et potes jusquen 1917 avec Apollinaire comme chef
de file, le dadasme avec Tzara entre 1916 et 1919, le surralisme enfin partir de 1920,
son manifeste en 1924 avec Breton pour chef. Ce courant-l ne sera pas phmre comme
les prcdents, et va occuper le devant de la scne en France et au-dehors jusquaux
lendemains de la deuxime guerre. Les annes 50 voient alors une srie de ractions con-
tre la prminence des conceptions surralistes (qui doivent aussi beaucoup lexploration
rimbaldienne). Et cest dans ces annes daprs-guerre que se met en place un clivage
encore vivace aujourdhui entre potes laborantins et potes mtaphysiciens, potes du
signifiant et potes du signifi, potes de la forme et potes du sens. Ce clivage dtermine
des familles plus que des mouvements constitus et le paysage potique contemporain est
encore tributaire de leur antagonisme.

I. Dune posie textualiste:


a) la posie contre la posie: Ponge, Denis Roche et Jean-Marie Gleize.
Dans les annes 60 nat la revue Tel Quel. Elle dtermine lun des derniers courants
davant-garde denvergure, avec prise de position dogmatique et revendication rvolte.
La revue se place sous lgide de Francis Ponge. Pourquoi? Dune part, parce que
celui-ci avec le Parti pris des choses (1942) se situe contre une posie du moi et de linspi-
ration intrieure: il tient des propos trs violents contre le lyrisme. Il lui reproche une

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exhibition impudique du sujet et une affectation dplace du style, une illusion et une
emphase, et dnonce la fadeur de cette subjectivit tale: je pleure dans mon mouchoir,
ou je my mouche, et puis je montre, jexpose, je publie ce mouchoir, et voil une page de
posie.8 On sait que dans le Parti pris des choses Ponge ne va sintresser quaux objets
les plus communs les plus quotidiens les plus loigns de toute connotation potique:
bougie, cageot, cigarette...
De plus ses pomes sont en prose. L encore cest prendre position contre lcriture
la fois traditionnelle, codifie mais aussi sacralise de la posie. Double dsacralisation
donc dans le sujet et la forme qui plat cette gnration de Tel Quel. De plus aprs le
Parti pris des choses, Ponge se livre une exprience insolite et indite: il publie dsor-
mais ses dossiers de travail, cest--dire ses brouillons (innombrables) qui ont prcd
lcriture des pomes, ses notes, ses recherches dans les dictionnaires. Bref ce quil mon-
tre au public cest un chantier, un travail en cours et qui dstabilise compltement la
notion de pome comme oeuvre close et courte, acheve. Le travail dcriture, le travail
sur la langue y est mis en avant absolument. Et cest cet aspect-l qui inspire les potes de
Tel Quel, cet irrespect lgard de loeuvre finie valorisant en revanche le travail sur le
matriau de la langue toujours en train de se faire. De l saffirme une revendication de
la posie que jai dit textualiste, ou formaliste ou exprimentale parce quelle consiste
considrer le travail du pote
1) comme un travail sur le signifiant essentiellement. Le sens, la ralit rfrentielle,
extra-textuelle ny a aucune importance.
2) comme la production de formes neuves, indites et qui ne doivent rien au code
commun. Elle pousse son point extrme la disparition du vers rgulier. Mais il ne sag-
it point tant de chercher y dire sa vrit singulire par une forme propre et adapte mais
de produire un objet abstrait que Jean-Marie Gleize, le porte-parole officiel aujourdhui
de cette tendance, aime appeler objet mal identifi pour viter le terme de pome et
pour faire rfrence aux OVNI de la science fiction.
3) la posie tend sortir donc des limites de la posie comme genre et sinscrit tou-
jours contre la posie. Mme si, il faut le reconnatre, cest toujours par rapport au champ
de la posie que ces potes qui ne se veulent pas potes se trouvent dfinis et se dfinis-
sent eux-mmes.9
Dans cette perspective, il faut signaler lexprience de Denis Roche constamment
cite en rfrence par les textualistes. Dune part dans ses propos thoriques, D. Roche
sen rfre Ponge comme anti-pote, mais surtout il publie en 1972 Le Mcrit dont la
quatrime de couverture prend position violemment contre lidologie rtrograde et
niaise dont sentourent ceux qui crivent de la posie avec cette phrase clef: la posie
est inadmissible dailleurs elle nexiste pas. Les textes de ce livre miment la disposition
typographique du vers mais en fait le contenu est en contradiction avec cette mise en page
versifie: syntaxe hache, mots interrompus, critures inintelligibles, lensemble bascule
dans le non-sens. Cest surtout le paroxysme dune remise en question qui frappe et qui
reste comme tel. D. Roche se tournera ensuite vers la photographie comme Jean-Marie
Gleize aujourdhui se tourne vers laudio-visuel comme nouveau support de lcriture dite

8 Francis Ponge - Entretiens avec Philippe Sollers, Gallimard/Le Seuil 1971, p. 27.

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La posie franaise contemporaine: enjeux et pratiques

potique. Mais pour le travail du texte en tant que tel il faut retenir de ce courant la
prminence de la recherche formelle indite avec le caractre exprimental des
procds, la prise de position anti-lyrique et anti-sacralisation du pome et la rflexion
critique sur les moyens langagiers souvent incluse dans le texte mme. Cest pourquoi ce
courant est parfois qualifi dautotlique, mot dorigine grecque qui signifie qui se prend
soi-mme pour fin. Ces courants assignent la littrature un but propre rappelant que
celle-ci est avant tout fondamentalement un travail de la langue sur elle-mme et luttant
contre la religion du sens.
La diffrence entre les jeunes textualistes daujourdhui par rapport leurs ans des
annes 70 et 80, cest une moins grande croyance en la possibilit de faire table rase du
pass et lintgration dans leur perspective rnovatrice de la tradition dont il joue, ne
serait-ce que parce que la notion mme davant-garde et dexprimentation contestataire
appartient la tradition moderniste du XXe sicle!

b) Jacques Roubaud et lOulipo.


Pour rester du ct de ceux pour qui seul compte la lettre du texte, je voudrais signaler
un mouvement bien constitu et clairement identifi celui-l n dans les annes 60 gale-
ment mais qui perdure aujourdhui, celui de lOulipo, abrviation et sigle signifiant
Ouvroir de littrature potentielle. Il sagit dun groupe littraire (fond par Franois Le
Lyonnais et Raymond Queneau) associs des mathmaticiens dont le principe est une
criture contraintes et un travail collectif. Les oulipiens recherchent et tablissent des
rgles dcriture quils simposent de respecter; de fait cest en groupe quils recherchent
les contraintes et en tirent un systme. Ajoutons que leur activit ne distingue pas entre
les genres et quil se dfinissent comme ni modernes ni post-modernes ni contemporains
puisque toutes les poques ont connu des critures contrainte; cependant chez les
Oulipiens la contrainte est gnralement invente par le compositeur et non reue de la
tradition. Exemples:
1 - R. Queneau 100 000 milliards de pomes : 10 sonnets partir des vers desquels
on peut composer sa guise un nouveau sonnet en dplaant un vers dans un autre son-
net; on obtient ainsi thoriquement 10 puissance 14 sonnets: potentialits de la combina-
toire.
2 - Epsilon (Gallimard, 1967) de J. Roubaud : 361 pomes qui figurent les 180 pions
blancs et 181 noirs du jeu de Go; recueil rigoureux et ouvert au jeu avec le lecteur.
Dans tous les cas, travail conscient contre inspiration et criture automatique (trs
anti-surraliste). Et suspicion lgard de la mtaphore et de limage surraliste qui stait
identifie peu peu la posie.

II. Posie et sens du monde


Face et contre cette veine textualiste, un autre grand courant de la posie contempo-
raine, peut-tre plus connu, incarn par de grandes voix, est celui dune posie
ontologique cest--dire appuy sur une mditation mtaphysique et qui conoit la posie
non comme une forme mais comme une fonction salvatrice, donneuse ou rvlatrice du
sens que le monde peut prendre aux yeux du pote et travers son oeuvre. Prcde sur
cette voie par deux grandes figures potiques de laprs-guerre: Ren Char et Saint-John
Perse. Les potes semblent prendre le relais dune philosophie qui se dtourne, elle, des

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Christine Andreucci

questions mtaphysiques et ontologiques, cest--dire sur ltre des choses, sur ce qui par
essence chappe notre intelligence et aux mesures objectives. Ds lors ceux-l se sentent
investis de la charge de mditer sur la part obscure de lexprience humaine. Le pote a
pour fonction de sinterroger sur le sens de lexistence et donner en quelque sorte un
fondement spirituel celle-ci. Une famille de potes, ns dans les annes vingt, peuvent
tre rassembls autour de leur qute commune du lieu et de la prsence, ainsi que dun
rapport insistant llmentaire. Tous se dmarquent du surralisme triomphant lors de
leurs dbuts. Ils rejettent lcriture automatique, lexaltation de limagination, tout ce quil
peut y avoir didologique et de romantique dans le surralisme. Yves Bonnefoy inter-
roge ce quil appelle la prsence du monde, cest--dire ce qui fait la valeur de la chose
prsente, ici et maintenant, devant moi, et cette valeur est aussi le signe de sa prcarit, de
sa prochaine disparition; il est des moments o les lments autour de soi prennent
comme une intensit de vie sous le signe de la finitude. Cest ce quYves Bonnefoy appelle
la prsence et que la posie lui semble avoir pour vocation dclairer: dune part ce sont
les ralits extrieures la conscience qui sollicitent lattention du pote souvent sous
la forme de llment naturel: Jai reconnu la primaut du fait dtre sur lcrit, du
dehors sur ma langue toujours trop close.10 lobjet sensible est prsence () Dans la
mesure o il disparat, il impose, il crie sa prsence ().11 Celui-ci provoque une
piphanie12 la fois illuminatrice et questionnante; illuminatrice parce que lobjet sim-
pose dans son vidence, et questionnante parce que sy entend un appel qui dpasse la
seule perception:
Il ne sagit pas () de la simple apparence, de la texture du monde, mais de ce qui au con -
traire chappe la perception, quitte lui confrer en retour son intensit, son srieux. Plus
volontiers dirais-je aujourdhui la prsence, lunivers au degr de la prsence. Et cest, en un sens,
() une exprience de linstant, de sa plnitude sans mmoire.13
Les grands aspects simples du monde terrestre, comme dit Bonnefoy, sont ainsi trs
prsents dans ses pomes.
Objets mystrieux, que je rencontre parfois, dans une glise, un muse, et qui me font sar -
rter comme encore un carrefour. Beaux et graves comme ils le sont, jen emplis ce que jai vu
de la terre: mais cest par un lan qui la dpossde chaque fois En vrit, il suffit que quelque
chose me touche et cela peut tre la plus humble, une cuillre dtain, une bote de fer rouil -
le dans ses images dun autre sicle, un jardin aperu travers une haie, un rteau pos contre
un mur, un chant de servante dans lautre salle pour que ltre se clive, et sa lumire, et que
je sois en exil.14
Son recueil le plus connu, qui date de 1953 Du mouvement et de limmobilit de
Douve est cependant aussi le plus complexe et hermtique. Son criture, toujours versi-
fie mais en vers libre, ira vers plus de simplicit et pour illustrer cette prsence des choses
illumines par leur fragilit je citerai un pome de Dbut et fin de la neige:
A ce flocon

10 Y. Bonnefoy Entretiens sur la posie, Paris, Mercure de France, 1980, p. 56.


11 Y. Bonnefoy Limprobable, Paris, Gallimard, 1980, p. 24.
12 Cest le sous-titre de la premire section dEge de Lorand Gaspar, qui part dune vision de la mer sous le soleil.
13 Y. Bonnefoy Entretiens sur la posie, op. cit., p. 58.
14 Y. Bonnefoy Larrire-pays, Paris, Posie/Gallimard, pp. 23-24.

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La posie franaise contemporaine: enjeux et pratiques

Qui sur ma main se pose, jai dsir


Dassurer lternel
En faisant de ma vie, de ma chaleur,
De mon pass, de ces jours d prsent,
Un instant simplement: cet instant-ci, sans bornes.

Mais dj il nest plus


Quun peu deau, qui se perd
Dans la brume des corps qui vont dans la neige.
Au ct dYves Bonnefoy on doit voquer Philippe Jaccottet car lui aussi ne cesse de
rpondre un questionnement que lui pose le monde: le regard sur le visible suggre une
ralit derrire les apparences, une harmonie perdue que le pote aurait pour tache de
restituer: il voque un insaisissable, un illimit que le visible semble tantt contenir,
tantt cacher, refuser ou rvler15 et se fonde sur des instants inesprs laissant pressen-
tir une plnitude saisir. Mais aprs lmerveillement devant, par exemple, un verger
en fleurs, simpose linterrogation: Quest-ce qui nat la rencontre du ciel et des
yeux?16 Dans Cahier de verdure (Gallimard, 1990), cest partir de la vision dun cerisi-
er que lauteur reformule sa double interrogation sur le moteur du pome et sur le mys-
tre de la beaut du monde:
Je pense quelquefois que si jcris encore, cest (...) pour rassembler les fragments, plus ou
moins lumineux et probants, dune joie dont on serait tent de croire quelle a explos un jour
(...) et rpandu sa poussire en nous.
La posie tant comme une attention ce qui semble une parole dite par le monde,
et la recherche de la traduction la plus juste de cette parole,17 le pote doit lutter contre
sa vision singulire avec la volont de ne pas laisser le moi et ses interprtations involon-
taires, interfrer. Il ne reste alors plus que le recours la simple nomination comme le
procd le plus court pour chapper au pige de limaginaire, au pige des mots, que tend
tout dveloppement, y compris purement descriptif car on est presque aussitt
entran jongler avec les mots18: sneon, berce, chicore.19
Philippe Jaccottet formule le voeu dune langue transparente. Ainsi rve-t-il dune
posie sans image qui ne serait que la dnotation de lobjet-l, et dont il voit le modle
dans le Haku: Enfin, une posie sans image. Si prcieux que puisse tre le rle de lim-
age, jai dit ici, plus dune fois, combien je la croyais redoutable (...), crit-il aprs sa
dcouverte merveille de lanthologie anglaise de Haku par M. R. H. Blyth.20 Le haku
cest dabord un langage heureux, sans culpabilit, qui sait apparemment nommer lim-
mdiatet des choses sans avoir besoin de les ramener un principe qui leur donnerait
sens. Ce court pome dit lunivers sans vise anthropocentriste, ne dnomme que la
15 On comprend mieux () de quelle sorte de ralisme il sagit dans la posie moderne: non pas simplement dun
minutieux inventaire du visible, mais dune attention si profonde au visible quelle finit ncessairement par se heurter
ses limites; lillimit que le visible semble tantt contenir, tantt cacher, refuser ou rvler, in Lentretien des muses,
Paris, Gallimard, 1968 p. 304.
16 Philippe Jaccottet travers un verger, Montpellier, Fata Morgana, 1975, p. 49.
17 Philippe Jaccottet Cahier, op.cit., p. 25.
18 Philippe Jaccottet La semaison (carnets, 1971, nouv. d. revue et augmente), 1984, p. 156.
19 Philippe Jaccottet Cahier,op.cit., p. 50.

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nature dployant nouveau partout lnigmatique beaut de lorigine: A la forme


anthropomorphique de la terre se substitue dans le haku celle, priv de sens, vide de sens,
de ce qui la prcd et la suivra dans le monde.21 Russite exemplaire que cet accueil du
monde lorsque lhomme et ses fantasmes, ses dsirs sen absentent qui permet Jaccottet
de redfinir un art potique idal:
Pauvret, discrtion, effacement sinon abolition de la personne (...), refus aussi de lintelli -
gence pure, non au profit de limprcision des sentiments, des tnbres de linconscient ou dun
quelconque primitivisme, mais pour aboutir une clairvoyance suprieure, tels sont quelques-
uns des lments de ltat partir duquel cette posie, comble de limpidit, devient conce-
vable.22
Moins connu je crois pour vous et dont la notorit en France saffirme ces dernires
annes, Lorand Gaspar exprime galement son merveillement devant la beaut du
monde mais rarement sur le mode de lloge, plutt sous celui de linterrogation comme
dans Epiphanie. Comme chez Jaccottet, linspiration vient de lieux rels, go-
graphiques, porteurs dhistoire. Loeuvre senracine dans le dehors tremplin une inter-
rogation mtaphysique sur lordre du monde et la place de lhomme. Avec cette ide quil
nest pas possible dobtenir une rponse:
Nuits du dsert o lon sendort les yeux grands ouverts, fascin par la solitude dune
ampleur qui ne se brise pas, o lon coute le rien entrer dans les battements de son cur. Et la
pense court, vrifie et ne comprend pas.23
Un autre pote, Salah Stti dfinit ainsi la position de lhomme et du pote:
Lhomme, face lunivers, se trouve en situation interrogative. Que lui veut-on, et
pourquoi ce nid de merveilles, ce nid de vipres?24 Or si les religions offrent des rpon-
ses, la posie elle hsite au seuil de toutes les rponses possibles.
Dans lquilibre prcaire entre le doute sur la parole et lloge du monde, se
dveloppe, la diffrence doeuvres comme celles des ans glorieux que furent Char ou
St John Perse, une posie hsitante. Si la premire veine textualiste dnonait sans cesse
linstallation dans une forme assure et les prtentions potiques, notamment celle don-
ner sens au monde que cette tendance au contraire dveloppe, les potes du sens eux se
dfient non de la posie mais de leur parole toujours ressentie comme inadquate et
insuffisante.
Lorand Gaspar consacre son essai Approche de la parole tenter de dfinir le
phnomne potique. Malgr lacut de lexprience et lindniable ncessit de lcrit-
ure, il en consigne les manques: Inefficacit de la parole? sinterroge-t-il.25 Et lincurie
du langage contamine le pome lui-mme; dans Ege, lauteur voque les hommes la
parole troue, saccage de silence, ici et l inextirpable,26 et exprimente limpossible
accord entre les mots et les actes:
21 Cf. Y. Bonnefoy dans la prface ldition des Haiku par Roger Munier, 1978.
22 Idem, p. 130.
23 Nuits dhiver transparentes au dsert de Jude, dune densit, dune compacit difficile expliquer. Sentiments
de toucher du doigt, dausculter les pulsations dun corps quaucun extrieur ne vient limiter, Lorand Gaspar Feuilles
dObservation, Paris, Gallimard, 1986, p.13.
24 Linterdit, Paris, Corti, 1996, p. 7.
25 Lorand Gaspar Approche de la parole, Paris, Gallimard,1978, p. 130.

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La posie franaise contemporaine: enjeux et pratiques

Voici, me dit-il, le mortel cern de toutes parts.


enserr dans les fils de sa langue, son trpas.
Entends sa musique discordante, la bouillie sonore de sa bouche.
Vois comme est insens son dire, en dsaccord flagrant avec le sens de son faire, le destin
qui le porte
Et Jaccottet:
Brler en esprit, tous ces livres, tous ces mots toutes ces innombrables, subtiles, pro -
fondes, mortelles penses. Pour souvrir la pluie qui tombe, traverse de moucherons, din -
sectes, ce pays gris et vert.27

III. Le no-lyrisme
Plus rcemment, cest--dire partir des annes 1980, apparat un courant que lon a
pu baptiser nolyrique. Jean-Michel Maulpoix en est le principal thoricien avec des
ouvrages comme La voix dOrphe, puis La posie comme lamour par exemple dont les
titres disent assez leur renouement avec la tradition lyrique (Orphe et sa lyre) et les th-
matiques romantiques (lamour). Jacques Rda en a favoris lmergence notamment
lorsquil dirigeait la revue La NRF. La raction de cette nouvelle gnration se fait surtout
contre le privilge accorde la forme par les mouvements avant-gardistes et textualistes,
contre la notion dexprimentation. Sexprime alors un rejet trs net des recherches
formelles qui souvent se traduit par un retour au vers rgulier. La posie cherche gale-
ment redevenir lisible pour le plus grand public, pensant ainsi enrayer la dsaffection
dont elle tient pour grandement responsable les avant-gardes modernistes. En gnral
lexpression sentimentale est nouveau lhonneur ainsi que le sujet personnel dont les
annes 60 avaient en quelque sorte dcrt la mort. Mais sur un mode mineur. En effet
cette nouvelle gnration lyrique refuse lambition exalte qui a pu exister avant eux,
refuse de croire que leur parole peut changer le monde (cf. Rimbaud changer la vie).
Formellement le vers domine aux dpens du pome en prose, de laphorisme ou du frag-
ment. En 1991, J. Rda publie Lettre sur lUnivers et autres discours en vers franais. Il
sessaie aux divers mtres traditionnels, le pote stant dclar pour un retour au plus
strict des rgles face au dsarroi des potes et du public contemporains.
Frappe galement la fluidit de lcriture, dans un discours suivi qui se dploie sans
rupture, la syntaxe de la communication quotidienne nest plus casse, la correction
grammaticale est de retour et le discours noffre rien de lacunaire ni dhermtique.
Au plan thmatique la nature y redevient centrale, objet de contemplation comme
lannonce la mention frquente des saisons dans de nombreux titres comme ces Pomes
des saisons de Paul de Roux, le Calendrier lgiaque de Jacques Rda ou La fin des ven -
danges dHdi Kaddour...
Lattention des potes se porte sur les instants fragiles du quotidien, sans ambition
mtaphysique ni volont emblmatique, comme chez les potes de lontologie. Les petits
faits quotidiens y sont consigns avec motion et modestie. Cest un lyrisme sans
emphase, plutt sur le mode mineur, toujours dans la conscience de la fragilit de la voix,
conscient aussi de la critique par laquelle il est pass. Ainsi de son ambivalence sont

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Christine Andreucci

reprsentatifs les propos de James Sacr: Jai bien limpression que la posie a a toujours
t une affaire intime, pour commencer. Le pote retrace un rapide historique de la
posie jusquau romantisme: enfin le romantisme substitue sa figure du moi celle des
anciens dieux et signe cet extraordinaire renversement en inventant le mot lyrisme (...)
Rien dtonnant ce quun tel lyrisme intime, institu son tour en principe de la posie
(...) ait eu si mauvaise presse (...) Mais en fait plutt qu une vraie contestation du
lyrisme, il me semble que cest un approfondissement continuel de la notion dintimit
quon assiste. Sacr invente la notion de lyrisme critique pour dsigner une expression
de soi qui nexclut pas la distance critique: lopposition entre critique et clbration
lyrique est une fausse vue de lesprit.
James Sacr exalte lenfance paysanne en Vende, encore voque dans son rcent
recueil Si peu de terre, tout. Son tout dernier livre Une petite fille silencieuse consacr
la maladie puis la mort de sa fille confirme une tonalit lgiaque revendique ds 1972
en plein structuralisme avec Cur lgie rouge. Cependant ce lyrisme inclut sa propre
critique, une position toujours distancie, o le pome rflchit sur le pome et met bien
souvent en scne sa propre gense:
A cause du sentiment qui me vient
Que jcris pour pas grand chose et sans rien dire
de si important, trop occup je vois bien
Dun tourment tout personnel, cause de cela soudain
Je ne sais plus comment continuer, jessaie
De voir si des notes prises (petits carnets rouges pleins dencre et
de silence obscur)
Pourraient maider grossir autant que je voudrais
(Mais pour aboutir quoi?) ce livre en chantier.
Tellement peu de projet et je me souviens si mal de tout.
Continuer cest pourtant pas comme sarrter (mais jen sais rien non plus),
Malgr les mots de quelques uns qui font semblant de savoir;
Le sentiment dcrire ct. Des choses dont le contexte chappe mon pome aveugle.
Des polmiques assez vives opposent depuis une dcennie les nouveaux lyriques et les
tenants dune posie exprimentale, entre ceux qui chantent et ceux qui dchantent: je
citerai ici Jude Stfan par exemple attaquant les nolyriques comme le retour dune lit-
trature conventionnelle et rtrograde, o mme la posie confessionnelle ressort en
beaux vers simples et coulants.28 Lui na jamais eu le cur chanter29 et ne fait pas
partie des heureux libres de sarrter en route et de chanter leur peine, leur joie.30
Ainsi pour lui, mieux vaut expectorer un cri et attendre que lhomme ait fini de
chanter en priode de vacance,31 mais elles tendent sattnuer, sans chef de file ni vri-
table cole.
Au terme de cette tude, de ce panorama qui tablit trois courants dominants, je
voudrais insister sur les limites dun tel quadrillage. Les oeuvres restent des voix sin-
gulires, les plus intressantes et les plus grandes chappent de tels clivages. Et tout en

28 Varit, Paris, Le Temps quil fait, 2000, p. 21.


29 Xnies, Paris, Gallimard, 1992, p. 68.
30 Idem, p. 20.
31 Hord, p. 151.

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